Dictionnaire de l\'histoire de France
October 30, 2017 | Author: Anonymous | Category: N/A
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*Format : *application/pdf. *Droits : *Droits . Gavroche, Guizot, Juillet (colonne de), Juillet ......
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*Titre : *Dictionnaire de l'histoire de France / sous la direction de Jean-François Sirinelli *Éditeur : *Larousse (Paris) *Date d'édition : *2006 *Contributeur : *Sirinelli, Jean-François (1949-....). Directeur de publication *Sujet : *France -- Histoire -- Dictionnaires *Type : *monographie imprimée *Langue : * Français *Format : *1 vol. (1176 p.) : ill. en noir et en coul., couv. et jaquette ill. en coul. ; 29 cm *Format : *application/pdf *Droits : *Droits : conditions spécifiques d'utilisation *Identifiant : * ark:/12148/bpt6k12005115 *Identifiant : *ISBN 2035826349 *Source : *Larousse, 2012-129386 *Relation : * http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb40925123k *Provenance : *bnf.fr Le texte affiché comporte un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance obtenu pour ce document est de 100 %. downloadModeText.vue.download 1 sur 975 downloadModeText.vue.download 2 sur 975
LISTE DES AUTEURS et de leurs contributions à cet ouvrage ADERHOLD (Carl) CFDT, CFTC, dissuasion nucléaire, Juin, Marchais, Moch, Monnet, Rochet (Waldeck), Touvier (procès), Zay AGLAN (Alya) Belin, Charte du travail, Défense de la France, démarcation (ligne de), deuxième division blindée, Dunkerque (bataille de), Frachon, FTP ou FTPF, Gaillard, Gouin, GPRF, Jouhaux, Lattre de Tassigny (de), Légion des volontaires français contre le bol-
chevisme, Libération-Nord, Libération-Sud, Tessier AGULHON (Maurice) Marianne, RÉPUBLIQUE ALEXANDRE-BIDON (Danièle) CHÂTEAU ALLAL (Tewfik) ET BARNAY (Sylvie) francisque ATLAN (Catherine) Abd el-Kader, Agadir (crise d’), Alger (expédition d’), Algésiras (conférence d’), Berlin (conférence de), Bugeaud, bureaux arabes, Entente cordiale, Fachoda BARNAY (Sylvie) francisque, goliards, héraldique, hérésie, indulgence, Louis d’Anjou, Louis Ier le Pieux, Louis IV, Louis VI, Louis VII, Louis VIII, loup, lys (fleur de), monachisme, Mondeville, « Montjoie Saint-Denis ! », Mont-Saint-Michel, Nogaret, Notre-Dame de Chartres, NotreDame de Paris, oriflamme, Paix de Dieu, paroisse, Pierre l’Ermite, René d’Anjou, Robert II, Rubrouck, Sacré-Coeur (basilique du), SaintJacques (chemins de), saints (culte des), sceau de majesté, Suger, Urbain V, Vézelay, Yves (saint) BARNEL (Christine) prostitution BAURY (Roger) Bonneval Pacha, Boulainvilliers, capitation, dérogeance, Gouberville, Grands Jours d’Auvergne, NOBLESSE, noblesse de cloche, réaction nobiliaire, SaintCyr, Saint-Simon (duc de) 1918, Chemin des Dames, Dardanelles, Grosse Bertha, GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE), Marne (batailles de la), monuments aux morts, mutineries de 1917, Onze Novembre, poilu, Soldat inconnu, Somme, tirailleurs sénégalais, tranchées, union sacrée, Verdun, Versailles (traité de) BEAUNE (Colette) Moyen Âge, NATION, ROI, sacre BECKER (Annette) armistice de
BECKER (Colette) Zola BELISSA (Marc) Aboukir (bataille navale d’), Aboukir (bataille terrestre d’), Ami du peuple, Amiens (paix d’), Arcole, Argenson (comte de), Argenson (marquis d’), Bâle (traités de), Campoformio, Constitutions consulaires et impériales, Desaix, droit naturel, Famille (pacte de), France (campagne de), Friedland, frontières naturelles, Grande Armée, Grouchy, Iéna, Indépendance américaine (guerre de l’), Leclerc, Leipzig, Leoben, levée en masse, Lunéville (traité de), mamelouks, Monaco, Montbéliard, Nice (comté de), paix perpétuelle (projets de), Patrie en danger, Pétion de Villeneuve, Pichegru, Pillnitz (déclaration de), Plaine ou Marais, prairial an III, Républiques soeurs, Réveillon (affaire), Savoie, Soissons (congrès de), Toulon (siège de), Valmy, Varennes, Varsovie (grand-duché de), Volney, Wagram, Wattignies FRONDE, LOUIS XIII, LOUIS XIV, Mazarin, Richelieu, Trente Ans (guerre de), Utrecht (traités d’), VERSAILLES (CHÂTEAU DE) BELLU (Serge) Renault BÉLY (Lucien) Ancien Régime, BEN-AMOS (Avner) Panthéon BERGOUNIOUX (Alain) socialisme BERTON (Jean-Maurice) Action catholique, Aumale (duc d’), aveu et dénombrement, Bastiat, bénéfices ecclésiastiques, Berry (duchesse de), Broglie (duc de), Caulaincourt, Cavaignac (Godefroy), Cavaignac (Louis Eugène), Chambord (comte de), Changarnier, CIR, Code civil, Compagnie des Indes, compagnies de commerce et de navigation, comptoirs, Delcassé, Delescluze, Diên Biên Phu, Dombasle, feu, FGDS, Floquet, gabelle, Gamelin, Garnier, Gay-Lussac, Isly, Jeunesse chrétienne, Joliot-Curie (Irène et Frédéric), La Bourdonnais, La Chatolais, Lamoricière,
Lang Son, Ledru-Rollin, légitimisme, Lesseps, Marie de Bourgogne, Marshall (plan), matines de Bruges, métropolitain, ministères, nucléaire (énergie), office, opportunisme, orléanisme, pairs (Chambre des), pairs de France, Paris (traité de, 20 novembre 1815), Paris (traité de, 30 mai 1814), parlement provincial, parlements (exil des), Pereire (frères), Phélypeaux, Premier ministre, Presbourg (traité de), président de la République, prêtres-ouvriers, Prévost-Paradol, Rastadt (congrès downloadModeText.vue.download 3 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE de), revanche (la), Rhin (Confédération du), Rif (guerre du), SaintArnaud, Sarrien, Saxe (Maréchal de), Schneider, secrétaires d’État, Tilsit (traités de), Tolentino (traité de), Trocadero, Vienne (traité de) BERTRAND (Anne) Montmartre BONIN (Hubert) Banque de France, Bourse, Citroën, Coeur (Jacques) BOSC (Yannick) Anciens (Conseil des), Boissy d’Anglas, Cabarrus, Cinq-Cents (Conseil des), Desmoulins, Dubois-Crancé, Maistre (de), Merlin de Douai, Prieur, Prieur-Duvernois, Tallien, Vergniaud BOSSUAT (Gérard) européenne (construction) BOUCHERON (Patrick) baron, bonnes villes, Calais (bourgeois de), carnaval, CATHARES, communal (mouvement), confrérie, états généraux, fabrique, France, franchises, Guillaume de Saint-Amour, Huns, Sainte-Chapelle, villeneuves et bastides BOUCHET (Thomas) Albert (l’Ouvrier), Arago, avril 1834, barricades, Barrot, Boulogne (affaire de), Carrel, Enfantin, Fieschi (attentat de), Garnier-Pagès, Gavroche, Guizot, Juillet (colonne de), Juillet 1830, juin 1832,
Lamarque, Louis-Philippe Ier, mai 1839, Mazas (prison), Molé, ordonnances de juillet 1830, Orléans (duc d’), Pelletier (Madeleine), Perier (Casimir), Pritchard (affaire), Rambuteau, Raspail, Rémusat, Seguin (Marc), Serre (lois), Vidocq BOUTRY (Philippe) Affre, Angoulême (duc d’), anticléricalisme, Bernadette Soubirous, Berryer, CATHOLICISME, charbonnerie, Charles X, CLERGÉ, Decazes (duc), déchristianisation, Doctrinaires, Dupanloup, ÉGLISE, Foucauld, Jean-Marie-Baptiste Vianney, JUILLET (MONARCHIE DE), Lamennais, Louis XVIII, Lourdes, Martignac, Michelet, Montalembert, Mun, Péguy, pèlerinage, Plombières (entrevue de), Polignac, Quinet, ralliement, Renan, RESTAURATION, Richelieu (duc de), romaine (question), Sand, séparation des Églises et de l’État (loi de), Thérèse de Lisieux, Univers (l’), Veuillot, Villèle BRIAN (Isabelle) catéchisme, Chavatte, collège, Démia, Frères des Écoles chrétiennes, Jean-Baptiste de La Salle, Thiers BRUN (Christophe) académies protestantes, Bonnot, Cassini (famille), Chaptal, Conciergerie, corvée royale, Décorations (affaire des), Eau, Ems (dépêche d’), La Pérouse, Luxembourg (palais du), maîtresses du roi, montgolfière, Necker, Oberkampf, Orry, Panamá (scandale de), Perronet, physiocratie, Pilâtre de Rozier, poids et mesures, Pompadour, Ponts et Chaussées (école et administration des), proto-industrie, Quesnay, révolution agricole, Rivarol, Saint-Gobain, Savary, Sèvres (manufacture de), Silhouette, tabac, Temple (prison du), Terray, Trudaine, Tuileries (palais des), Turgot, Vauban BRUNEL (Françoise) montagnards, régicides, Septembre (massacre de), surveillance (comités de), thermidor an II (journée du 9), thermidoriens, Tribunal révolutionnaire BÜHRER-THIERRY (Gene-
viève) Aetius, Arbogast, Arles (royaume d’), asile (droit d’), Bathilde, Boson, Caracalla (édit de), Catalauniques (champs), chancelier, Clotaire Ier, Clovis II, comte, Coulaines (assemblée de), duc, Eudes, Flodoard, Geoffroi Ier Grisegonelle, Gondebaud, Grimoald, Guillaume Ier le Pieux, Hincmar, Hughes le Grand, Lothaire, Lothaire Ier, Quierzy (capitulaire de), régale, Richard le Justicier, Robert Ier, Roncevaux, Sigebert III, Tertry, Thierry Ier, Vermandois (maison de) CABANES (Bruno) Assemblée du 10 juillet 1940, Baudin, Bazaine, Belleville (programme de), Berthelot, Bidault, Cartel des gauches, Cassin, CED, Conseil constitutionnel, Déat, Évian (accords d’), février 1934 (journée du 6), Grenelle (protocole de), Haussmann, Herriot, Lacordaire, Lavigerie, maisons closes, Marie et Barangé (lois), Michelin, MRP, Orsini (attentat d’), Pflimlin, Poincaré, Poujade (mouvement), Rothschild (famille), Sangnier, Schuman, Sétif (émeutes de), Suez (expédition de), tripartisme, Troppmann (affaire), UDF, Villermé, Viollet-le-Duc CARON (François) CHEMIN DE FER CARREZ (Maurice) anarchisme, antiparlementarisme, Blanqui, Brousse CHADEAU (Emmanuel) Blériot, Fresnel, Matignon (accords), planification, reconstruction CHALLAMEL (Laurence) francoallemand (traité), Painlevé, Sarre (question de la) CHANET (Jean-François) alphabétisation, baccalauréat, Bert, Buisson, Duruy, ÉCOLE, écoles normales d’instituteurs, Falloux (loi), Ferry, instituteurs, laïcité, universités CHARANSONNET (Alexis) Chambre des comptes, Courtrai, Délicieux, domaine carolingien, domaine royal
COUDART (Laurence) accapareurs, Allarde (loi d’), Ampère, Antraigues, août 1792 (journée du 10), arbre de la Liberté, arc de triomphe de l’Étoile, aristocrate, Armée révolutionnaire, Armoire de fer, assemblée des notables, assignats, Augereau, Babeuf, babouvisme, Bailly, Barbaroux, Barnave, Bastille, Batz (baron de), Beauharnais, Billaud-Varenne, Blocus continental, Bonaparte (famille), Bonaparte (Jérôme), Bonaparte (Joseph), Bonaparte (Louis), Bonaparte (Lucien), Brissot de Warville, brumaire an VIII (coup d’État des 18 et 19), Brune, Brunswick (manifeste de), Cabinet noir, Ça ira !, calendrier républicain, Carmagnole, Carrier, catéchisme impérial, Cazalès, CentJours, Champ-de-Mars (fusillade du), Châteauvieux (affaire des downloadModeText.vue.download 4 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE suisses de), chauffeurs, Chevaliers du poignard (conspiration des), Club monarchique, comité autrichien, Commune de Paris, Comtat Venaissin, Condé (prince de), Corday, Courrier de Lyon (affaire du), Couthon, Damiens (attentat de), Daunou, David, Drouet, Ducos, Dumouriez, Duport, Égaux (conjuration des), émigrés, Enghien (duc d’), états généraux de 1789, Être suprême, Eylau, Fabre d’Églantine, Favras (conspiration de), fédéralisme, Fédération (fête de la), fermiers généraux (mur des), Fesch, fêtes révolutionnaires, feuillants (Club des), Fleurus (bataille de, 26 juin 1794), floréal an VI (coup d’état du 22), Fontainebleau (adieux de), Fontanes, Fouché, Fouquier-Tinville, Frotté (comte de), fructidor an V (coup d’État du 18), Garde impériale, Garde nationale, Gazette de France, gazettes, germinal an III, Glacière (massacre de la), Grande Peur, Grégoire (abbé), Grenelle (affaire du camp de), grognard, guillotine, Hanriot (François), Hébert, incroyables, muscadins et merveilleuses, indulgents, Jalès (camp de), Jéhu ou Jésus (Compagnies de), Jemmapes, Jeu de paume (serment
du), Joséphine, Journal de Paris, Journal de Trévoux, Journal des débats, juin 1792, La Fayette, Law, Le Chapelier (loi), livre (monnaie de compte), livret ouvrier, Lyon (conspiration de), Lyon (siège de), mai-juin 1793, Malet, Marseillaise (la), martyrs de la Liberté (culte des), Maury, maximum (décrets et loi du), Mercure de France, Midi (conspiration du), monarchiens, Moniteur universel (le), Montlosier, Nantes (noyades de), otages (loi des), Panckouche, Père Duchêne, Renaudot (Théophraste), Révolutions de Paris, Soleil (compagnies du), Terreur blanche, Théot (affaire Catherine), Toulouse (comté de), tour de France, Touraine, tournoi, tournois, Tournon (François de), Tourville, Toussaint Louverture, Trafalgar (bataille de), traite des Noirs, traites, Transnonain (massacre de la rue), Trappe (la), Treilhard, Trente (combat des), Tronchet, Turin (Comité de), Vadier, veto royal (droit de) COUTY (Daniel) Astérix, Bayeux (tapisserie de), Chateaubriand, Comédie-Française, Figaro (le), Hexagone, préciosité, Staël (Mme de), Tour de France, Tour de France par deux enfants (le), tour Eiffel CROIX (Alain) Artagnan (d’), Bretagne, cidre, crises démographiques, missions intérieures, MORT, Papier timbré (révolte du), peur, révoltes populaires, Siam (ambassadeurs du) CROUZET (Denis) Calvin, Catherine de Médicis, Charles IX, Guise (Henri Ier de), Henri III, HENRI IV, Ligue, Nantes (édit de), Réforme (la), RELIGION (GUERRES DE), SaintBarthélemy, Sully DARMON (Pierre) Charcot, Schweitzer DE BAECQUE (Antoine) académies provinciales, droits de l’homme et du citoyen (Déclaration des) DEFLOU (Noëlle) antrustions, Benoît d’Aniane, Clodomir, Ébroïn,
Germain (saint), ost, plaid, Tolbiac DELON (Michel) Alembert (d’), Beaumarchais, Diderot, Encyclopédie, Jaucourt, La Mettrie, libre-pensée, LUMIÈRES, Mably, Rétif de La Bretonne, Rousseau, Sade DELPORTE (Annie) Épinal (image d’) DELPORTE (Christian) Avenir (l’), censure, Croix (la), Épinay (congrès d’), Express (l’), France Observateur, guerre froide, HauteVolta, Je suis partout, National (le), PRESSE, Réforme (la) DEMARTINI (Anne-Emmanuelle) Charivari (le), Durand (Marguerite), Lacenaire, Nadaud DEMOULE (Jean-Paul) acheuléen, âge du bronze, âge du fer, Alésia, Ambiens, Argentomagus, Arvernes, aurignacien, Avaricum, azilien, Barnenez, Belges, Beuvray (mont), biface, Bituriges, Boucher de Perthes, Breuil, campaniforme, cardial, Carnac, Celtes, chalcolithique, chasséen, chasseurs-cueilleurs, Chassey-le-Camp, Chauvet, colonies grecques, Cosquer, Cro-Magnon, Cuiry-lès-Chaudardes, dolmen, druide, Éduens, Ensérune, Entremont, Eyzies-deTayac-Sireuil (les), Filitosa, GAULE, Gaules (guerre des), Gaulois, Gavr’inis, Gergovie, Gournay-surAronde, gravettien, Homo sapiens, Jublains, Lascaux, Lassois (mont), Locmariaquer, Madeleine (la), magdalénien, Merveilles (Vallée des), moustérien, Moustier (Le), Narbonnaise, Néanderthal (homme de), néolithique, Niaux, oppidum, palafitte, paléolithique, PechMerle, Pincevent, PRÉHISTOIRE, PROTOHISTOIRE, Rèmes, Ribemontsur-Ancre, rubané, Saint-Acheul, solutréen, Solutré-Pouilly, Suessions, tardenoisien, Tautavel, Tène (la), Vénètes, Vercingétorix, Vix (tombe de) DUCRET (Marie) Louis III, Louis V, Valois
DUMOULIN (Olivier) Basch, Durkheim, Lavisse, Le Play, Seignobos, Taine, Tocqueville ECK (Jean-François) étalon or, franc, MONNAIE EL-KENZ (David) Académie des sciences morales et politiques, Bayle, Bérulle, bibliothèque bleue, Condé (Louis Ier de Bourbon, prince de), diable, duel, Écouen (édit d’), faux sauniers, huguenots, La Noue, « Le roi est mort, vive le roi ! », L’Estoile, Loudun (possédées de), Louis-Marie Grignion de Montfort, Lyon (traité de), Marie Stuart, Oratoire de France, paulette (édit de la), Poissy (colloque de), politiques ou malcontents, Quatre Articles (déclaration des), Ramus, sel, sucre, Thou, Trente (concile de), vénalité des offices EMMANUELLI (François-Xavier) Corse, État, intendant, Languedoc, Provence ENCREVÉ (André) PROTESTANTS downloadModeText.vue.download 5 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE FACON (Patrice) Foch, Gallieni, Joffre, Leclerc, Mangin, maréchal de France, Normandie (débarquement de), Provence (débarquement de), réparations, Tanger (crise de), Weygand FELLER (Laurent) Boniface (saint), Capétiens, CATHÉDRALES, champart, corvée, droits seigneuriaux, Éginard, faux-monnayeurs, fidélité (serment de), fief, hommage, Jacquerie, lignage, précaire, seigneurie, servage, Soissons (vase de), vassalité FERREYROLLES (Gérard) Bossuet, Fénelon, François de Sales, Pascal FLANDRIN (Jean-Louis) bière, pain, pomme de terre, porc, viande, VIN FLORI (Jean) CHEVALERIE, CROISADES, FÉODALITÉ, hospitaliers, templiers
FORGIT (Michel) Perrin (Jean) FOURNEL (Jean-Louis) Amboise (cardinal d’), Bayard, Bourbon (le Connétable), Cateau-Cambrésis (traités de), Charles VIII, Constantinople (capitulations de), Dame (paix des), Estienne (famille), FRANÇOIS Ier (ROI), ITALIE (GUERRES D’), La Palice, Louis XII, Madrid (traité de), Marignan, Montluc, Montmorency (Anne de), Montmorency (famille de), Montmorency (François de), Montmorency (Henri II, duc de), mousquet, Pavie, Ravenne, Renaissance GACON (Stéphane) Alger (bataille d’), bagne, Blanc, camps de détention et de concentration, Charonne (manifestation du métro), Decazeville (grève de), Déroulède, Draveil et Villeneuve-Saint-Georges (grève de), droits de l’homme (Ligue des), exode, FLN, Gambetta, Henriot, Kabylie (insurrection de), malgré-nous (les), Pelletan, porteurs de valises, Salan, scélérates (lois), Varlin GASPARD (Claire) colporteurs GAUDE (Murielle) Arras (traité d’), Charles VII, couronne, Foix (Gaston III, de), Grandes Chroniques de France, Guesclin (Bertrand du), Jean II le Bon, Montaillou, Rais (Gilles de), Troyes (traité de) GENGEMBRE (Gérard) Bonald, Condorcet, honnête homme GODINEAU (Dominique) bonnet phrygien, citoyennes républicaines révolutionnaires (Club des), cocarde, Code pénal, Comité de salut public, Comité de sûreté générale, Constituante, Constitutions révolutionnaires, Convention nationale, départements, divorce, état civil, fédérés de 1792, Gouges (Olympe de), jacobinisme, jacobins (Club des), Jeanbon, « Liberté, Égalité, Fraternité », Madame Sans-Gêne, Richard-Lenoir, Roland (Mme), Roland de La Platrière, Saint-Antoine (faubourg), sans-culottes, suffrage (droit de), suspects (loi
des), Théroigne de Méricourt, tricoteuses, ventôse an II (décrets de), volontaires nationaux GOETSCHEL (Pascale) Aron, Chantiers de jeunesse, gaullisme, harkis, Lagrange, Manifeste des 121, Mayer, Mendès France, Michelet (Edmond), Mollet, surréalisme, Uriage (école d’) GOLDZINK (Jean) Calas (affaire), Deffand (marquise du), libertins, Meslier, Montesquieu, salon, Voltaire GOROCHOV (Nathalie) arts libéraux, béguines et bégards, Champagne (foires de), charivari, Collège de Navarre, Dame à la licorne (tapisserie de la), harelle de Rouen, Isabeau de Bavière, Juvénal des Ursins, Lendit (foire du), Maillotins de Paris (révolte des), Marigny (Enguerrand de), Molay (Jacques de), Prince noir (chevauchée du), tuchins, Villehardouin GRISET (Pascal) Clavière, Laennec, Lakanal, Lenoir, Louis XVII, marché noir, Poisons (affaire des), Reubell, Saint-Germain (comte de) GUÉNO (Jean-Pierre) poste, timbre GUILLAUME (Pierre) Aquitaine, assurances sociales (loi sur les), avortement, Bourgeois, exode rural, Pasteur, Perdiguier, Sécurité sociale GUILLAUME (Sylvie) centre, CNI, Pinay, Ramadier, Républicains indépendants, RPF, Sarraut, UDR, UDSR, UNR GUISLIN (Jean-Marc) Constant, Fallières, Kolwezi (expédition de), Locarno (traité de), Loubet, Petite Entente, plébiscite, président du Conseil, Rivet (loi), Triple-Entente, trois ans (loi de) GUTTON (Jean-Pierre) ateliers de charité HAMON (Philippe) assemblée du clergé, Bernard (Claude), Bernard (Samuel), Birague, Bourbon
(Charles de), Conseil du roi, écu, Fontaine-Française (bataille de), généralité, LOUVRE, privilèges, rentes sur l’Hôtel de Ville de Paris, Trésor de l’épargne, Trois-Évéchés (les), troisième force, Vaux-le-Vicomte HAMOU (Philippe) Descartes HILAIRE-PÉREZ (Liliane) Ader, charrue, Jouffroy d’Abbans, Marly (machine de), Papin, Vaucanson HINCKER (François) finances publiques, impôt, Quatre Vieilles (les) HUGONIOT (Christophe) aqueduc, arc de triomphe, gallo-romain, Lugdunum, Lyonnaise, Massalia, Seine (source de la), voies romaines ISRAËL (Stéphane) Affiche rouge (l’), Astier de la Vigerie, barricades (semaine des), Brossolette (Pierre), Collaboration, élections présidentielles, ENA, épuration, Exposition coloniale, Fould (Achille), Front national (parti politique), Maastricht (traité de), mai 1958 (crise du 13), Milice, Millerand (Alexandre), Monde (le), downloadModeText.vue.download 6 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE Montoire (entrevue de), Munich (accords de), nationalisation, OAS, Oradour-sur-Glane, Petit-Clamart (attentat du), privatisations, programme commun de gouvernement, PS, putsch des généraux, Rocard (Michel), STO, Union générale (krack de l’), Viviani (René), Waldeck-Rousseau (Pierre Marie René) JEANJEAN (Caroline) Académies royales, aides, Aiguillon (duc d’), AIX-LA-CHAPELLE (TRAITÉ D’), Albret (maison d’), Alençon (duc d’), Anne d’Autriche, Arc-et-Senans, barricades (journée des), Barry (comtesse du), Bart (Jean), Bougainville, Cartier, Chambord, Champlain, Cinq-Mars (marquis de), Claude de France, Concini, Concorde (place de la), Diane de
Poitiers, Dubois (Guillaume), Duguay-Trouin, Dupes (journée des), Dupleix, Duquesne, Fleury (cardinal de), Fontenoy, Jeanne d’Albret, La Salle (Cavelier de), Saint-Médard (convulsionnaires de), Semblançay, Unigenitus (bulle) JESSENNE (Jean-Pierre) centralisation, monarchie absolue JOSERRAND (Philippe) aides (Chambre des), Angoumois (comté d’Angoulême), Anjou, Anne de Bretagne, Arthur III, Berry, Castillon, Dauphiné, Guillaume IV Fierabras, Guillaume VIII, Henri Ier Beauclerc, Ordonnances (Grande et Petite) KERBRAT (Pierre) Abélard, Académie des inscriptions et belleslettres, Académie des sciences, Aix-la-Chapelle (chapelle palatine d’), ampoule (sainte), Anagni (attentat d’), Andorre, Angevins, Antiquité, Antiquité tardive, apanages, Bibliothèque royale, coq gaulois, coutume, cuissage (droit de), Enfer, livre d’heures, Messmer, nom de famille, Nominoë, PseudoDenys, salique (loi), Succession de Bretagne (guerre de la) KREBS (Constance) Barrès, Calmette, choléra, Crémieux, Hetzel, Illustration (l’), Niepce, Petit Journal (le), Revue des Deux Mondes LABADIE (Jean-Christophe) Bertin (Henri Léonard), Bertin l’Aîné, biens communaux, cadastre, compagnonnage, crises de subsistances, Fermat, fermier, francmaçonnerie, métayer, Parmentier, registres paroissiaux ou registres de catholicité LABOURDETTE (Jean-François) COUR LACOUTURE (Jean) GAULLE (CHARLES DE) LAMBIN (Jean-Michel) Flandre LARGEAUD (Jean-Marc) Marrast, Sergents de la Rochelle (affaire des Quatre), Waterloo
LAURIOUX (Bruno) arbalète, archers, écrouelles, épée, épices, Guibert de Nogent, Héloïse, Hôtel du roi, légistes, lèpre, marmousets, Normandie (Échiquier de), parlement de Paris, somptuaires (lois), Sorbonne, suzeraineté LE BIS (Isabelle) Adalbéron de Laon, Agobard (saint), Alamans, Alaric II, Alcuin, Aliénor d’Aquitaine, Alphonse de Poitiers, Amiens (traité d’), Anne de France, Aquitaine (royaume d’), Armagnac (comte d’), Armagnacs et Bourguignons, Artois, Artois (succession d’), Austrasie, Avars, Azincourt, Bar (duché de), Baudoin de Flandre, Bedford (duc de), Bernard Gui, Berry (duc de), Blanche de Castille, Boucicaut (Jean II le Maigre), bourguignon (État), Bouvines, Briçonnet, Brunehaut, Cassel, Cauchon, Champagne (comté de), Charles II le Chauve, Charles II le Mauvais, Charles III le Gros, Charles III le Simple, Charles IV le Bel, Charles le Téméraire, Charles Martel, charte, Childebert Ier, Cité (Palais de la), Clément V, Clément VII, Clotaire II, Clotilde (sainte), Collier (affaire du), Crécy, empereurs gaulois, Empire latin d’Orient, Flote (Pierre), Foulques Ier le Roux, Foulques III Nerra, Foulques IV le Réchin, Franche-Comté, Frédégonde, Geoffroi V le Bel dit Plantagenêt, Godefroi de Bouillon, Grand Schisme, Henri Ier, Henri Ier le Libéral, Henri II Plantagenêt, Hugues de Semur (saint), Hugues le Noir, Jean II, Jean IV le Vaillant, Jean sans Peur, Jean V, Jean V le Sage, Lotharingie, Louis Ier d’Anjou, Louis Ier d’Orléans, Louis II le Bègue, Louis X le Hutin, Lusignan, Marcel (Étienne), Navarre (royaume de), Neustrie, Philippe Ier, Philippe III le Bon, Philippe III le Hardi, Philippe V le Long, Philippe VI de Valois, Pierre de Dreux, Raimond IV de SaintGilles, Raimond V, Raimond VI, Raimond VII, Raoul, Robert le Fort, Taillebourg et Saintes, Thibaud IV, Thibaud le Grand, Vermandois (comte de), Wisigoths LEBECQ (Stéphane) CAROLIN-
GIENS, CHARLEMAGNE, Clovis Ier, Francs, INVASIONS BARBARES, MÉROVINGIENS LECLERCQ (Patrice) Archives nationales, Barras, Belgique (campagne de), Berezina, Bernadotte, Berthier, Concordat de 1801, conscription, Constitution civile du clergé, Égypte (expédition et campagne d’), Espagne (guerre d’), Hoche, Italie (campagnes d’), Jourdan, Kellermann, Kléber, Marceau, Marengo, Moreau, Pache, Pyramides (batailles des), Rabaut SaintÉtienne, réfractaires (prêtres), Rivoli, Santerre, Surcoût LE COUR GRANDMAISON (Olivier) Lameth (chevalier de), Lameth (comte de), Raynal, triumvirat LEGUAI (André) Bourbonnais, CENT ANS (GUERRE DE), principautés territoriales LEMAITRE (Nicole) gallicanisme, jansénisme, jésuites, Réforme catholique et Contre-Réforme LEQUIN (Yves) grève LEROY (Chantal) GOTHIQUE (ART), ROMAN (ART), Saint-Denis (abbaye), vitrail LESCURE (Jean-Claude) associations (loi sur les), Bonnet, Cambon (Jules), Cambon (Paul), Catroux, démocratie chrétienne, drôle de downloadModeText.vue.download 7 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE guerre (la), Dufaure, Dupuy, Étatprovidence, FEN, FNSEA, FO, Genève (accords de), Haute Cour de Justice, indigénat (Code de l’), Journal officiel de la République française, Laguiller, mer Noire (mutinerie de la), OTAN, Poher, PSU, Ribot, RPR, SMIC, Tirard, Vendôme (colonne) LETHUILLIER (Jean-Pierre) FÊTES LE TROCQUER (Olivier) Allemane,
chauvinisme, Comte (Auguste), Défense nationale (gouvernement de la), Dupont de l’Eure, Favre, Francfort (traité de), Grévy, MacMahon, mai 1877 (crise du 16), Noir (Victor), positivisme, Samory Touré, Schoelcher, Sedan, septembre 1870 (révolution du 4), Simon, Trochu, Urbain (Ismaïl), Valérien (mont), Waddington LETT (Didier) Burgondes, cimetière, Cluny (abbaye de), écuyer, Éloi (saint), évêque, excommunication, fou de cour, Julien l’Apostat, Léger (saint), maires du palais, rois fainéants, Sidoine Apollinaire LÉVÊQUE (Pierre) Bourgogne, DROITE, GAUCHE, libéralisme politique LEVER (Évelyne) LOUIS XV, LOUIS XVI, Marie-Antoinette, Orléans (duc d’, dit Philippe Égalité), RÉGENCE LIGNON-DARMAILLAC (Sophie) FRANCE (TERRITOIRE DE LA) LOYER (Emmanuelle) anciens combattants, Années folles, CNRS, Combat, francophonie, GeorgesPompidou (centre), Gide, Malraux, Paris-Soir, Saint-Germain-des-Près LUC (Jean-Noël) lycée LYON-CAEN (Judith) Anzin (compagnie d’), Atelier (l’), Cabet, Constitutionnel (le), Creusot (le), Griffuelhes, Landru (affaire), Leroux, Récamier (Mme), Saint-Simon (comte de), saint-simonisme, Wendel (famille de) MALLET (Anne-Marie) aînesse, capitulaires impériaux, dot, propriété (droit de), scrutin, Sénat MARCHAND (V.) Paris-Match MARGAIRAZ (Dominique) corporations, foires et marchés MARI (Pierre) Académie des beaux-arts, Amboise (conjuration d’), Anciens et des Modernes (querelle des), Atlantique (mur de l’), Aubigné, Barbès, barricades
(journée des), Bèze, Bodin, Branly, Brantôme, Brazza, Buchez, Budé, Coligny, Collège de France, Considérant, courtisan, Curie (Marie et Pierre), Cyrano de Bergerac, Dolet, Dumont d’Urville, Élysées (palais de l’), Éon (chevalier d’), Erfurt (entrevue d’), folie, Fontainebleau (château de), François II (roi), Guise (François Ier de), Guise (maison de), Hachette (Jeanne), Henri II, HUMANISME, JEANNE D’ARC, La Vallière, Lefèvre d’Étaples, L’Hospital, LOUIS XI, Lumière (les frères), Malebranche, Marguerite de Navarre, Marguerite de Valois, Matignon (hôtel), Mirabeau, Montaigne, Nostradamus, Palissy, peste, Philippe II Auguste, PHILIPPE IV LE BEL, Placards (affaire des), Poincaré, Rabelais, reine, Satire Ménippée, Serres (Olivier de), Ulm, Vienne (congrès de), Wassy, Weil (Simone) MARTIN (Jean) Abbas (Ferhat), Acadie, Afrique-Équatoriale française, Afrique-Occidentale française, Antilles françaises, armées catholiques et royales, Banque de l’Indochine, Bao Dai, Blum-Viollette (projet), Bourguiba, Brazzaville (conférence de), Communauté, Comores, Congo français, Destour, Djibouti, Éboué, France (île de), Guadeloupe, Guyane, Hô Chi Minh, Inde française, Indochine française, Istiqlal, Levant (mandats du), Louisiane, Lyautey, Madagascar, mandat (territoires sous), Maroc, Martinique, Mayotte, Nouvelle-Calédonie, outre-mer (département et territoires d’), parti colonial, Polynésie française, Réunion (la), Saint-Domingue, Saint-Pierre-et-Miquelon, Sénégal, TAAF, Tunisie, Union française, Wallis et Futuna MARTIN (Jean-Clément) BarbéMarbois, Barthélemy, Cadoudal, Cathelineau, Charrette de la Contrie, chouannerie, colonnes infernales, Contre-Révolution, Danton, Directoire, Froment, girondins, La Revellière-Lépeaux, La Rochejaquelein, La Rouërie (conspiration de), Mounier, peine de mort, Puisaye (comte de), Quiberon (expédition de), RÉVOLUTION
FRANÇAISE, Robespierre, Stofflet, Terreur, Thibaudeau, VENDÉE (GUERRES DE) MASANET (Philippe) Auriol, Barthou, Camus, CECA, Defferre (loicadre), Haïti, Houphouët-Boigny, Kérilis, Le Pen, Loucheur (loi), Messali Hadj, musulmans, piedsnoirs, Sarcelles, Senghor MASSON (Philippe) artillerie, blindés, cavalerie, École militaire de Paris, fortifications, gendarmerie, infanterie, Légion étrangère, Maginot (ligne), maréchaussée, mousquetaires, service militaire, troupes coloniales MATTÉONI (Olivier) Amédée VIII, Arras (traité d’), bailliage, connétable, Formigny, François Ier (duc de Bretagne), François II (duc de Bretagne), Guerre folle, Ligue du bien public, Louis II de Bourbon, Nancy (bataille de), Péronne (entrevue de), Praguerie (la), SainteFoy de Conques, Senlis (traité de) MAURICE (Jean) chanson de geste, Chanson de Roland (la), Christine de Pisan, Commynes, Froissart, Guillaume IX le Troubadour, Joinville, Roman de la Rose (le), Roman de Renart, Strasbourg (serments de), troubadours et trouvères MAZEL (Florian) adoubement, alleu, Ardents (bal des), bagaudes, basoche, basque (Pays), Béarn (vicomte de), Blois (comté de), cabochienne (révolte), calendrier, Carmel (le), Catalogne, Charles V, Charles VI, Châtillon (maison de), downloadModeText.vue.download 8 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE chevalerie (ordres de), Childéric Ier, Chrodebang (saint), Colette de Corbie (sainte), Colomban (saint), Compagnies d’armes, Compiègne (ordonnance de), concordat, Dagobert Ier, dominicains, droit romain, enfants (croisade des), États latins d’Orient, Eudes Rigaud, faide royale, fédérés (peuples), flagellants, franciscains, Gascogne, Ge-
neviève (sainte), Gerson, Grégoire de Tours, Guillaume Ier le Bâtard dit le Conquérant, Guillaume V le Grand, Guinegatte (bataille de), Guyenne, Hugues Ier Capet, immunité, Inquisition, Investitures (querelle des), Jacques de Vitry, Jean XXII, Jouarre (crypte de), Joyenval (abbaye de), langue d’oc, Limousin, Martin (saint), Mélusine, millénarisme, ministériaux, missi dominici, Monfort (Simon IV de), Ordonnance de réformation du royaume, papauté d’Avignon, Paris (traité de, 1229), Paris (traité de, 1259), partages du royaume franc, pastoureaux (croisade des), patronage, Pépin III le Bref, Philippe II le Hardi, Pierre le Vénérable, Pierre Lombard, Pippinides, Poitiers (bataille de, 732), Poitiers (bataille de, 1356), prévôté, Rashi, Robert d’Arbrissel, Robert Guiscard, Robertiens, Rollon, Saint-Clair-surEpte (traité de), Saisset (Bernard), Sanche Sanchez, Saxons, Syagrius Afranius, Toison d’or (ordre de la), Verdun (partage de), Vincennes (édit du Bois de), Vincent de Beauvais, Vouillé MÉNAGER (Bernard) COMMUNE, EMPIRE (SECOND), Faidherbe, Fédérés (mur des), lois constitutionnelles de 1875, Napoléon (le prince), Napoléon III, Persigny, République (IIe), révolution de 1848, Semaine sanglante, Thiers, Tiers Parti, Wallon MERIA (Maria) Reynaud MIGNOT (Claude) baroque MINARD (Philippe) Boisguilbert, cahiers de doléances, Calonne, Canada, chocolat, Code noir, Colbert, commerce triangulaire, commission royale, contrôleur général des Finances, croquants, despotisme éclairé, Dupont de Nemours, Eaux et Forêts (administration des), Ferme générale, Gobelins (Manufacture royale des), Gournay (Vincent de), grains (circulation des), indiennes, La RochefoucauldLiancourt, Laffemas, Laverdy, libreéchange (traité de 1786), libre-
échange (traité de 1860), Loménie de Brienne, Machaut d’Arnouville, manufactures royales privilégiées, Maupeou, mercantilisme, Montchrestien MONIER (Frédéric) Ben Barka (affaire), Briand, Canard enchaîné, CGTU, Cinquième Colonne, CNPF, Combes, Comité des forges, Constitution de 1946, Deschanel, Langevin, Leygues, Mata Hari (affaire), Merrheim, Ruhr (occupation de la), SDN, Stresa (conférence de) MORICEAU (Jean-Marc) famine, PAYSANNERIE MOUSSY (Hugues) Aragon (Louis), Austerlitz, Berthollet, Broussais, Buffon, Carnot (Lazare), Coudray (Marguerite du), École normale supérieure, famine (complot ou pacte de), Farines (guerre des), Fourcroy (comte de), Goussier, Guyton de Morveau, hôpital général, Idéologues, Jussieu, Lanthenas, Laplace, Lavoisier, Marat, Marseille (peste de), Ménétra, Menou, Mercier (Louis Sébastien), Monge, Murat, nourrice (mise en), système métrique, Temps (le), tiers état, Tuiles (journée des), variole, Vicq d’Azyr, Vizille (assemblée de), vol de l’Aigle MUCHEMBLED (Robert) police, SORCELLERIE, tribunaux MURACCIOLE (Jean-François) Afrique du Nord (débarquement d’), armistice de 1940, Bir-Hakeim, Combat, Comité français de libération nationale, Conseil national de la Résistance, Darlan, défaite de 1940, FFI, FFL, France libre, Frenay, Front national, Giraud, juin 1940 (appel du 18), Libération, maquis, Moulin, OCCUPATION, OCM, Paris (protocoles de), RÉSISTANCE, Riom (procès de), Vercors (maquis du), VICHY (RÉGIME DE) N’DIAYE (Pap) Laffitte, or OFFENSTADT (Nicolas) antimilitarisme, Brétigny-Calais (traité
de), chroniques médiévales, Faure, guerres privées, pacifisme, paix au Moyen Âge, serment PASSERA (Fabio) Aguesseau, Bernis, Bourbon (famille), Chevreuse (Marie de Rohan-Montbazon), Condé (Monsieur le Duc), Conseil de conscience, Épée (abbé de l’), Filles de la Charité, Fontenelle, Héroard, polysynodie PÉCOUT (Gilles) agrariens, anticolonialisme, banquet républicain, Chemises vertes (les), commune, Crimée (guerre de), Flourens, Méline, Premier Mai, Reclus (Élisée), Solferino, Suez (canal de), Tristan (Flora) PÉCOUT (Thierry) Graufesenque (la), missions, Trésor royal PELLET (Rémi) Corps législatif, Cour des comptes, Crédit agricole, Crédit lyonnais, douane, droits de l’homme (Société des), emprunts russes, Gaudin, impôt sur le revenu, Législative (la), Marie (André), Palais-Royal, Royer-Collard, Société générale, Talleyrand-Périgord, Teilhard de Chardin, Tribunat PERVILLÉ (Guy) Algérie, ALGÉRIE (GUERRE D’), COLONISATION, DÉCOLONISATION PETITEAU (Natalie) Allemagne (campagne d’), Berry (assassinat du duc de), biens nationaux, bonapartisme, Boulogne (camp de), Cambacérès, Cambronne, Chambre introuvable, Chevaliers de la foi (les), coalitions, Conseil d’État, Courbet, Davout, décembre 1851 (coup d’État du 2), demi-solde, domestiques, Junot, Lanjuinais, Lannes, Lebrun, Lefebvre, Légion d’honneur, maréchaux de l’Empire, Marie-Louise, Masséna, Michel (Louise), Midi viticole (révolte du), Mollien, Napoléon II, Ney, noblesse d’Empire, octobre 1789 downloadModeText.vue.download 9 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE (journées des 5 et 6), Ouvrard, Portalis, prairial an VII, révolu-
tion industrielle, Roederer, Russie (campagne et retraite de), SaintCyr (École spéciale militaire de), Saint-Nicaise (attentat de la rue), Saint-Ouen (déclaration de), Savary (Jean Marie René), Sieyès, Soult, ultraroyalistes, vendémiaire an IV PEVERI (Patrice) Cartouche, lettre de cachet, Mandrin, mendicité (dépôts de) PINOL (Jean-Luc) Grève (place de), Hôtel de Ville de Paris, PARIS, préfet PLASSARD (Jean-Charles) Normandie POISSON (Jean-Michel) CHÂTEAU POUYFAUCON (Hélène) Barbie (procès), Pleven, référendum POZNANSKI (Renée) antisémitisme, Drancy (camp de), JUIFS, Juifs (statut des), Struthof (camp du), Vel’d’hiv (rafle du) PREST (Véronique) Académie française, Expositions universelles, Lamartine, Loire (châteaux de la) PRÉVOTAT (Jacques) Action française (l’), Maurras, nationalisme PRIGENT (Michel) CLASSICISME PROCHASSON (Christophe) Albert (Marcelin), Amiens (Charte d’), anarcho-syndicalisme, Bloc des gauches, Boulanger, bourse du travail, CGT, DREYFUS (AFFAIRE), Drumont, Fort-Chabrol, Fourier, Fourmies (fusillade de), Guesde, Herr, Humanité, Internationale (Ire), Internationale (IIe), Internationale (l’), JAURÈS, Lafargue, Ligue de la patrie française, Ligue des patriotes, Malon, Pelloutier, Picquart, Proudhon, SFIO, Sorel (Georges), Thomas (Albert), Vaillant (Édouard) PUZELAT (Michel) almanach, Crémieu (édit de), don gratuit, Gévaudan (bête du), Grand Hiver, Grand Trie, Habsbourg (lutte contre les), « L’État c’est moi », lit de justice,
Maison du roi, Marie de Médias, mazarinades, Meaux (cercle de), Mercoeur, Moulins (ordonnance de), Ormée (révolte de l’), Paris (traité de, 1763), pays d’élections, pays d’états, Préréforme (la), présidiaux, Ravaillac, Succession d’Autriche (guerre de la), Succession de Pologne (guerre de la), Valois-Angoulême, Vergennes, Versailles (traité de, 3 septembre 1783), vingtième RICHARD (Jean) LOUIS IX RICHE (Denyse) ABBAYES, bénédictins, Bernard de Clairvaux, chartreux, cisterciens, cluniciens, décime, Fontevraud, Hugues de Die ROCHEFORT (Florence) féminisme RODRIGUES (Jean-Marc) BELLE ÉPOQUE, Père-Lachaise (cimetière du), Sanson, « Travail, Famille, Patrie » ROSA (Guy) Hugo (Victor) ROSSELLE (Dominique) céréales ROTH (François) Alsace-Lorraine (question d’), franco-allemande (guerre), Lorraine SACQUÉPÉE (Benoîte) jeu de l’oie, jeu de paume SALVADORI (Philippe) Alès (édit de grâce d’), Anjou (Philippe, duc d’), Arnauld, Augsbourg (guerre de la ligue d’), bâtard, Beaufort (duc de), billets de confession (affaire des), camisards (révolte des), Cavalier (Jean), chasse, Corbie, Croÿ, Denain, Désert (assemblées du), Dettingen, Dévolution (guerre de), dévot (parti), dragonnades, Flagellation (séance de la), Fleurus (bataille de), Guyon (Mme), Haye (Grande-Alliance de La, 1668), Haye (Triple-Alliance de La, 1673), Haye (Triple-Alliance de La, 1717), Hollande (guerre de), Hougue (la), Importants (cabale des), Invalides (Hôtel des), Jean Eudes, La Reynie, Lionne (Hugues de), Louvois, Luxembourg (duc de), Luynes (duc de), Mabillon,
Maintenon, Marguerite-Marie Alacoque (sainte), Marie de l’Incarnation, Marillac, Mère Angélique, milice royale, Monsieur (Philippe de France, dit), Montpellier (paix de), Nantes (révocation de l’édit de), Neerwinden, Nicole, Nimègue (traités de), Nouvelles ecclésiastiques, Olier, Orléans (Gaston, duc d’), Péréfixe, Port-Royal, Pyrénées (traité ou paix des), quiétisme, Rastadt (traité de paix de), remontrances (droit de), Rethel, Réunions (politique des), Rochelle (siège de La), Rocroi, Rossbach, Rueil (paix de), Ryswick (traités de), Saint-Cyran, Saint-Sacrement (Compagnie du), Saint-Sulpice (Compagnie de), Savoie (guerre de), Sept Ans (guerre de), Soubise (Charles de Rohan, prince de), Succession d’Espagne (guerre de la), Suffren de Saint-Tropez, suisses, Turenne, Vervins (paix de), Vienne (traité de), Villaviciosa, Villers-Cotterêts, Vincent de Paul (saint), Westphalie (traités de) SANSON (Rosemonde) QUATORZE JUILLET SANSY (Danièle) antijudaïsme, Bibliothèque nationale de France, Château-Gaillard, Clermont (concile de), enluminure, Normands, Reims (cathédrale de) SIRINELLI (Jean-François) Chirac, Giscard d’Estaing, INTELLECTUELS, Pompidou, RÉPUBLIQUE (Ve) TÉTART (Philippe) Globe (le), Guillaumin, Institut Pasteur, Midi (canal du), Mitterrand, Montcalm de Saint-Véran, Montesquiou-Fezensac, Nouvel Observateur (le), Paré (Ambroise), Pâris (frères), RÉPUBLIQUE (IVe), Sartre, Sorel (Agnès), TRENTE GLORIEUSES (LES) TULARD (Jean) Consulat, EMPIRE (PREMIER), NAPOLÉON Ier VANDENBUSSCHE (Robert) Constitution de 1958, Indochine (guerre d’), radical (parti), républicain (parti ou mouvement) downloadModeText.vue.download 10 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE VAVASSEUR-DESPERRIERS (Jean) Alliance républicaine démocratique, Bloc national, Blum, Cachin, Cagoule (la), Chautemps, Clemenceau, communiste français (Parti), Coty, CRISE DES ANNÉES TRENTE, Daladier, Duclos, Fédération nationale catholique, Fédération républicaine, Flandin, FRONT POPULAIRE, Laniel, Laval, ligues, Massilia (affaire du), Pétain, PPF, RÉPUBLIQUE (IIIe), Salengro, Thorez, Tours (congrès de), Union nationale VERGÉ-FRANCESCHI (Michel) Choiseul, Condé (le Grand Condé), Condé (maison de), Conti (prince de), corsaires et pirates, Drap d’or (camp du), Estrées (d’), Fouquet (Nicolas), galériens, Grande Mademoiselle (la), La Barre (chevalier de), Lally-Tollendal, Lamballe (princesse de), Lamoignon (famille de), Le Tellier, Lenclos (Ninon de), Leszczynski (Stanislas), Malesherbes (Chrétien de Lamoignon de), Marie Leszczynska, Marie-Thérèse d’Autriche, MARINE, Masque de fer, Maurepas, Mayenne (duc de), Montespan, ordres (société d’), Palatine (la princesse), Paoli, Régent (le), Retz (cardinal de), Rochambeau, Roussillon, Sartine VIAL (Éric) adresse, AiguesMortes (massacre d’), antifascisme, Bayeux (discours de), Béranger, Bergery, Brigades internationales, Brisson, Broglie (duc de), Caillaux, canuts, Carnot (Hippolyte), Carnot (Sadi), Casimir-Perier (Jean), Champollion, Chant des partisans (le), Charte constitutionnelle, contraception, Courrières (catastrophe de), Couve de Murville, Croix-de-Feu, deux cent familles (les), Doriot, Doumer, Doumergue, drapeau, Faisceau (le), fascisme français, Faure, Fiches (affaire des), franco-russe (alliance), franco-soviétique (pacte), Freycinet), Front républicain, Galliffet, GouvionSaint-Cyr (loi), grippe espagnole,
IMMIGRATION, La Rocque, Lebrun, Mandel, Manifeste des 60, Mersel-Kébir, Mexique (expédition du), octobre 1961 (manifestation du 17), Ollivier, phylloxéra, Pierre (l’abbé), Queuille, Ravachol, Rochefort, Rossel, Rouvier, Stavisky (affaire), Tardieu, Vallès WAHL (Alfred) Alsace, Coubertin, Scheurer-Kestner, Schnaebelé (affaire) WAHNICH (Sophie) amis des Noirs (Société des), août 1789 (nuit du 4), Barère de Vieuzac, Cabanis, Cambon (Joseph), Chaumette, Chénier, Cloots (Anacharsis), clubs révolutionnaires, Collot d’Herbois, cordeliers (Club des), enragés, exagérés, fédération, Gouvernement révolutionnaire, Lindet, Paine, patriotisme, République (Ire), Romme, Roux (Jacques), Saint-Just, septembre 1793 (journées des 4 et 5), souveraineté nationale WEILL-PAROT (Nicolas) Ailly (Pierre d’), Sylvestre II WIEVIORKA (Annette) déportation, Papon (procès) YON (Jean-Claude) Eiffel, Eugénie (impératrice), Morny, Rouher ZANCARINI-FOURNEL (Michelle) gauchisme, mai 68, MLF ZOMBORY-NAGY (Piroska) an mil, Anselme de Cantorbéry, ban, dîme, Pépin II de Herstal downloadModeText.vue.download 11 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE Édition Janine Faure, Carl Aderhold et Mathilde Majorel Direction artistique henri-françois Serres Cousiné Réalisation graphique Dominique Dubois et Didier Pujos
Recherche iconographique Marie-Annick Reveillon et Valérie Perrin Cartes Laurent Blondel – CORÉDOC Informatique éditoriale Anna Bardon, Philippe Cazabet et Marion Pépin Fabrication Martine Toudert Les cartes extraites du Grand Atlas Historique de Duby ont été entièrement refaites pour cet ouvrage. La première Édition, dont est issu le présent ouvrage, avait été publiée en 1999 sous la direction scientifique de Jean-François Sirinelli et le conseil éditorial de Daniel Couty. © Larousse 2006 Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, du texte contenu dans le présent ouvrage, et qui est la propriété de l’Éditeur, est strictement interdite. ISBN 2-03-582634-9 downloadModeText.vue.download 12 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE PRÉFACE « TOUTE MA VIE, JE ME SUIS FAIT UNE CERTAINE IDÉE DE LA FRANCE » : ainsi commence le premier tome des Mémoires de guerre du général de Gaulle. Chacun de nous chemine aussi, une vie durant, avec son « idée » de la France. Tout être humain, en effet, consciemment ou pas, se situe dans la chaîne du temps, ressentant plus ou moins fortement le poids du passé et se projetant dans l’avenir. Cette perception varie avec l’éducation reçue et la culture familiale transmise, et dans ces jeux de miroirs, forcément déformants, l’historien occupe une place particulière. À tout prendre, il apparaît comme, tout à la fois, l’artisan et le gardien d’une sorte de mémoire savante, celle que notre communauté nationale donne d’elle-même. Et c’est une noble tâche, en vérité, que celle de cette corporation d’artisans : il s’agit pour celle-ci de tenter d’exhumer, avec tout le soin requis, les vestiges d’un passé aboli ou encore tout proche.
C’est aussi une rude tâche. Car rien n’est plus difficile que de redonner vie à un monde disparu. C’est dire que le présent dictionnaire encyclopédique vient à son heure. D’une part, il est sans équivalent dans l’édition française ou étrangère. D’autre part, sa mise en oeuvre a été permise par l’actuel rayonnement de l’école historique française : il a été possible, en effet, de recruter au sein de celle-ci une équipe d’historiens ayant le goût des entreprises collectives, le souffle pour des synthèses de longue haleine et le talent pour exposer le fruit d’une science avec toute la clarté souhaitable. La réalité humaine étant multiforme, aucune sensibilité historiographique ne peut en revendiquer la clé unique d’interprétation, et l’on a veillé dans cet ouvrage à ce qu’un pluralisme des approches soit garanti. Par-delà un principe de simple équité, il y avait là un gage de qualité et d’intelligence historique. Intelligence historique ? Là est, au bout du compte, l’essentiel. Car si la mission assignée à la discipline historique est, on l’a dit, d’exhumer les vestiges d’un passé aboli, elle est aussi de leur donner sens. Dans une telle perspective, la formule du dictionnaire encyclopédique est précieuse. Un ouvrage de ce type est avant tout, faut-il le rappeler, un instrument de transmission et donc de culture. Partie d’un constat, celui de l’absence d’une oeuvre de ce type dans le paysage éditorial actuel, soustendue par une intuition, celle qu’il est désormais possible de combler une telle lacune, portée enfin par un double impératif de lisibilité et de sérénité, cette entreprise s’inscrit aussi dans un cadre chronologique. Par-delà le caractère d’évidence d’une telle remarque, la question qu’elle induit est loin d’être simple : jusqu’où remonter pour étudier une entité – la France – qui ne s’est dégagée que progressivement et, à l’échelle du temps, très lentement ? La réponse est, bien sûr : le plus loin possible vers l’amont. Seule une remontée vers la source permet de mettre en lumière le long processus de gestation de notre communauté nationale. Il y a bien là une lente alchimie, dont seul le déploiement de la science historique autorise l’analyse. Si cette quête des origines est forcément complexe – sans compter qu’elle n’est pas toujours dénuée, dans le débat politique contemporain, d’arrière-pensées partisanes –, l’ampleur du dispositif intellectuel que constitue ce dictionnaire encyclopédique ne peut qu’être un atout pour sa mise en oeuvre. Le rideau peut maintenant s’ouvrir sur l’histoire de la France et des Français. JEAN-FRANÇOIS SIRINELLI downloadModeText.vue.download 13 sur 975 downloadModeText.vue.download 14 sur 975
A Abailard ! Abélard Abbas (Ferhat), dirigeant nationaliste algérien (Taher, Algérie, 1899 - Alger 1985). Fils d’un caïd, Ferhat Abbas préside dans sa jeunesse l’Association des étudiants musulmans d’Alger (AEMA). Installé comme pharmacien à Sétif, il milite pour l’assimilation, réfutant dans ses écrits l’existence d’une nation algérienne. Mais, après l’abandon du projet Blum-Viollette (1936), il évolue vers des positions autonomistes, qui prennent corps au début de la Seconde Guerre mondiale. Il est ainsi l’un des principaux rédacteurs du Manifeste du peuple algérien (février 1943), et de son Additif (mai 1943), qui réclame la formation d’un « État algérien démocratique et libéral » tout en reconnaissant à la France un « droit de regard ». En mars 1944, Ferhat Abbas fonde, avec Ahmed Francis, l’Association des amis du Manifeste et de la liberté (AML). Emprisonné après les émeutes de Sétif (mai 1945), puis amnistié, il siège à la deuxième Constituante (juin-novembre 1946) et fonde, la même année, l’Union du Manifeste algérien (UDMA), parti nationaliste modéré. En avril 1956, il rejoint les dirigeants du Front de libération nationale (FLN) au Caire et, en septembre 1958, est porté à la présidence du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Il défend une ligne modérée qui lui vaut d’être destitué en avril 1961. Élu président de l’Assemblée constituante au lendemain de l’indépendance (1962), il démissionne en août 1963, avant d’être exclu du FLN. Tour à tour déchu et réhabilité, il ne joue plus, dès lors, de rôle politique notable, mais publie la Nuit coloniale (1962), Autopsie d’une guerre (1980), l’Indépendance confisquée (1984). l ABBAYES. À partir du IVe siècle, certains chrétiens, désireux d’approfondir leur foi, et en quête d’ascèse, choisissent de se retirer du monde, de devenir moines (du grec monakhos, « solitaire »). En Occident, la vie monastique, ou monachisme, privilégie le cénobitisme (du grec koinobion, « vie en commun ») au détriment de l’érémitisme (du grec erêmitês, « qui vit dans la solitude », tiré de erêmos, « désert »). La vie monastique est présentée comme un modèle, un idéal pour la chrétienté. Ces communautés de moines s’installent dans des abbayes (monastères dirigés par un abbé), dont la finalité religieuse n’exclut pas d’exercer
d’autres influences sur la société. Les abbayes connaissent leur plus grand rayonnement au Moyen Âge. C’est alors le temps des moines. LES ABBAYES AU SERVICE DE LA FOI • L’essor monastique. Les premières abbayes se développent à partir du IVe siècle. Elles sont régies par des règles diverses, avant que s’exerce, dans la Gaule mérovingienne, l’influence du monachisme celtique, soumis à la règle de saint Colomban. Celle-ci, qui insiste sur la prière et la mortification, est éclipsée par une autre, plus modérée : la règle bénédictine. Rédigée après 534 par Benoît de Nursie pour l’abbaye du Mont-Cassin, qu’il a fondée vers 529, elle est adoptée en Italie, avant que Benoît d’Aniane l’impose dans l’Empire carolingien (capitulaires de 816 et 817). Les troubles des IXe et Xe siècles entraînent de graves dommages pour les abbayes (dévastation, mainmise des laïcs...), mais ils ne remettent pas en cause leur existence. Les Xe et XIe siècles connaissent une restauration de la vie monastique, d’abord avec Cluny (909), puis avec des fondations qui, pour retrouver la vita apostolica, insistent sur le renoncement au monde, préconisent une plus grande austérité et une application stricte de la règle de saint Benoît : La Chaise-Dieu (1043), Grandmont (1074), Cîteaux (1098), Fontevraud (1100-1101). La Grande-Chartreuse (1084) innove en alliant stabilité monastique et vie érémitique. Les difficultés des XIVe et XVe siècles n’épargnent pas les abbayes, qui souffrent, par ailleurs, du développement de la commende (attribution d’un bénéfice ecclésiastique majeur à un clerc séculier ou à un laïc qui en perçoit les revenus sans résider sur place) : il en résulte une altération de l’idéal et du mode de vie. En dépit de quelques tentatives de redressement au XVe siècle, l’institution monastique est mise en cause par les humanistes et la Réforme. Les guerres de Religion provoquent de nouvelles perturbations. Dans l’esprit du concile de Trente, le XVIIe siècle est marqué par une réorganisation du monachisme : les cisterciens adoptent la règle de l’« étroite observance » (1618), et des congrégations bénédictines sont instituées (Saint-Vanne, 1604 ; Saint-Maur, 1621), qui contribuent à la mise en oeuvre de la Réforme catholique en France. Directement visées par le décret de l’Assemblée constituante interdisant les voeux monastiques (février 1790) et par la Constitution civile du clergé (juillet 1790), les abbayes connaissent un renouveau après 1833 avec la restauration de Solesmes par l’abbé Dom Prosper Guéranger et la fon-
dation de Sainte-Marie-de-la-Pierre-qui-Vire (1850). Après les difficultés que rencontrent les ordres monastiques à la fin du XIXe siècle et au début du XXe (mesures hostiles aux congrégations, querelle des Inventaires), les abbayes se repeuplent à l’issue de la Première Guerre mondiale. • Vivre selon une règle. Écoles d’ascèse et de spiritualité, les abbayes ont des origines différentes : fondations pieuses créées par des laïcs, initiative de quelques personnes en quête d’austérité, essaimage à partir de monastères existants. Devenir moine, c’est « se convertir », se séparer du monde, pour s’astreindre à vivre, dans la solitude et le silence, selon une règle. Saint Benoît préconise la modération, et il prévoit un équilibre entre les offices, la prière, l’activité intellectuelle et le travail manuel. L’accent est mis sur l’humilité, la pauvreté et la charité. Le travail manuel constitue l’un des moyens de parvenir à l’humilité. Mais la règle n’édicte pas tout : ce sont les coutumes qui organisent la vie quotidienne. L’adoption de nouvelles coutumes traduit un effort de réforme ; des liens entre les monastères se tissent, qui peuvent aller jusqu’à l’affidownloadModeText.vue.download 15 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 4 liation à un ordre. La diffusion des coutumes témoigne du rayonnement et de l’influence qu’exercent certains monastères. Après avoir prononcé des voeux d’obéissance, de stabilité et de conversion des moeurs, le moine est avant tout celui qui chante la gloire de Dieu et prie pour le salut des chrétiens, les vivants et les morts. Une prière qui, soutenue par la méditation, s’exprime lors des offices divins. Intercesseur entre l’homme et le sacré, entre l’ici-bas et l’au-delà, le moine recueille les bénéfices de la « communion des saints » ; à cette médiation participent les reliques dont les abbayes sont dépositaires. Les fidèles recourent aux prières des moines, considérées comme les plus efficaces, à l’égal de celles des pauvres. Entre les monastères se constituent des associations de prières ; une parenté spirituelle à laquelle les laïcs peuvent adhérer. Les noms de morts pour qui est chanté l’office sont alors inscrits dans un nécrologe. • Les habitants de l’abbaye. La communauté évolue sous la direction d’un supérieur :
l’abbé (certains ordres, par humilité, préfèrent le terme de prieur). La règle bénédictine prévoit son élection à vie, mais, selon les périodes, il est parfois désigné par les familles aristocratiques qui avaient fondé l’abbaye, ou par le roi, ainsi qu’en décida le concordat de Bologne, en 1516. La tendance, au XVIIe siècle, fut de limiter la durée de l’abbatiat, alors que, sous la restauration monastique, au XIXe siècle, le choix opposé prévalut. L’abbé exerce des prérogatives spirituelles et temporelles ; il doit être un père pour ses moines (abba, « père »). Il est secondé par un prieur (éventuellement deux : grand prieur et prieur claustral), qui succède à l’ancien prévôt, ou par un doyen (leurs attributions varient en fonction des coutumes), et par différents officiers (chambrier, cellérier, sacriste, chantre, aumônier, hôtelier, infirmier, maître des novices...). Le Moyen Âge distingue les moines profès, appelés également « moines de choeur » (la plupart sont des prêtres), des convers, qui ne sont pas astreints aux mêmes obligations liturgiques, et dont le statut varie selon les ordres. L’institution des oblats (enfants voués à la vie monastique) ayant décliné dès le XIIe siècle, le renouvellement est assuré par des novices qui, au terme d’une période de formation, font profession, acte qui marque leur admission au sein de la communauté. Le monastère est organisé de manière à limiter les recours à l’extérieur. DES FOYERS DE CULTURE • Un ensemble architectural. L’abbaye, destinée à des hommes qui ont renoncé au monde, est une anticipation de la vie céleste. L’église préfigure la Jérusalem céleste. Élément essentiel et symbolique par son orientation et sa configuration, l’église, ou abbatiale, doit s’adapter à la liturgie. La « cléricalisation » des moines entraîne une multiplication des autels dans les collatéraux et les chapelles absidiales. Sans être uniforme, le plan des abbayes présente des caractéristiques communes : l’espace monastique est clos ; jouxtant l’église, le cloître, lieu de silence et de méditation, accueille, dans la galerie orientale, la salle capitulaire où se rassemble la communauté pour le chapitre quotidien ; les bâtiments conventuels se répartissent entre le dortoir, le réfectoire, le scriptorium (salle d’études et de copie de manuscrits), le chauffoir, l’infirmerie, la cuisine et quelques annexes. Les hôtes de passage, les pèlerins, sont reçus à l’hôtellerie ou à l’aumônerie. Convers et novices dis-
posent d’installations particulières. Dès la fin du Moyen Âge, le recul de la vie communautaire se traduit par l’existence du logis abbatial et par la généralisation de cellules pour les moines. La vocation érémitique des chartreux a conduit ceux-ci à opter pour de petites maisons avec jardin où les moines vivent seuls durant la semaine, la vie communautaire se limitant à l’église et à la salle capitulaire, tandis que les convers disposent de leur propre bâtiment. Le patrimoine foncier des abbayes est mis à mal lorsque l’Assemblée constituante décrète, le 2 novembre 1789, que tous les biens ecclésiastiques sont « à la disposition de la Nation ». La survivance de nombreux édifices n’est due qu’à leur transformation en pensionnats, ateliers, ou, sous l’Empire, en maisons de détention (telle l’abbaye de Clairvaux, en 1808). Au début du XXe siècle, les lois sur les congrégations entraînent la confiscation et la liquidation des biens. • Les arts et les lettres. Les abbayes prennent une part active dans l’élaboration des différentes formes d’art. Signes du renouveau que connaît l’Occident, les constructions monastiques fleurissent à partir du XIe siècle et diffusent d’abord l’art roman (Saint-Benoîtsur-Loire, Saint-Martial de Limoges, SainteFoy-de-Conques, Saint-Sernin de Toulouse, Cluny, Moissac), puis l’art gothique avec Saint-Denis, reconstruit par Suger. Pour ce dernier comme pour les clunisiens, la beauté de l’architecture et de l’ornementation est mise au service de la louange divine : elle permet à l’âme de s’élever jusqu’à Dieu. Cette conception suscite une vive réaction chez les cisterciens qui, à l’instigation de saint Bernard, refusent tout décor peint ou sculpté, tout vitrail de couleur, car de nature à distraire l’esprit des moines. Dans les abbayes cisterciennes se développe alors une esthétique imprégnée de rigueur, d’austérité, de dépouillement, qui privilégie la pureté des lignes (Fontenay, Sénanque, Le Thoronet). Au fil des siècles, les bâtiments conventuels seront souvent réaménagés, ainsi qu’en témoignent les constructions monumentales du XVIIIe siècle. Ces disparités architecturales attestent la pérennité de l’institution. Jusqu’au XIIe siècle, les abbayes demeurent les hauts lieux de l’élaboration et de la transmission de la culture savante, profane ou sacrée. Après avoir véhiculé l’héritage antique, elles sont l’un des moteurs de la renaissance carolingienne (avec l’adoption d’une nouvelle écriture : la minuscule caroline). C’est dans
les scriptoriums que se développent la copie des manuscrits et l’art de l’enluminure (Bible, évangéliaires, sacramentaires). Les invasions normandes, provoquant la fuite des moines, sont à l’origine d’échanges entre différents ateliers d’enluminure. Les moines ne se limitent pas à transmettre un savoir, mais ils élaborent aussi une culture qui se nourrit de l’Écriture sainte, des Pères de l’Église et de l’exégèse biblique. En rédigeant annales, chroniques et recueils de miracles, ils font oeuvre d’historiens. Foyers de culture religieuse, littéraire et artistique, leurs bibliothèques se distinguent par la richesse de leurs fonds. L’apport des moines est également décisif dans le domaine de la musique et du chant grégorien. Mais, à partir du XIIe siècle, la culture monastique, tout en demeurant vivante, n’est plus prépondérante. Les écoles, qui avaient atteint un très haut niveau, déclinent ; désormais réservées aux futurs religieux, ou inexistantes dans certains ordres (cistercien), elles sont concurrencées par les écoles cathédrales et, à partir du XIIIe siècle, par les universités. À l’époque moderne, la congrégation de Saint-Maur renoue cependant avec la tradition en accordant la primauté au travail intellectuel. ABBAYES ET SOCIÉTÉ • Les aspects économiques. Nonobstant l’interdiction de la propriété individuelle et l’obligation de pauvreté pour les moines, les abbayes disposent, grâce aux legs pieux, d’un patrimoine temporel important : les ordres deviennent de grands propriétaires fonciers. Situées à l’écart des zones d’habitation, les abbayes occupent une place importante dans l’activité économique des campagnes : création d’aménagements (moulins, forges, travaux hydrauliques) et mise en valeur de terres par défrichement, assèchement des marais ; des travaux réalisés le plus souvent par les convers. Aussi, du fait de leur rayonnement, et en dépit de leur quête de solitude, certaines abbayes sont à l’origine de la formation d’agglomérations. Les donations pieuses animent un mouvement économique. Au Moyen Âge, l’aristocratie laïque se dépouille au profit des moines - aristocratie de l’Église -, soutenant ainsi les réalisations de l’art roman. Parmi les fonctions économiques qui incombent aux monastères, l’une des plus importantes est la charité envers les pauvres. L’aumône constitue une forme de redistribution de la richesse. Aujourd’hui, de nombreuses abbayes développent des activités artisanales pour des raisons économiques, mais aussi pour que les moines retrouvent pleinement leur vocation
initiale : prier et travailler de leurs mains. • L’emprise sur le monde extérieur. Les abbayes constituent, surtout au Moyen Âge, des instruments et des enjeux de pouvoir. Ainsi, certains rois francs les utilisent-ils pour accroître leur influence. Parfois, même, le monachisme est quelque peu détourné de sa finalité : on assigne aux abbayes des fonctions qui dépassent leurs attributions. Par exemple, les Carolingiens, en confiant aux moines des missions nouvelles - évangélisation, prédication, c’est-à-dire des fonctions qui incombent aux évêques -, altèrent la structure du monachisme bénédictin. Parfois soumises à l’autorité laïque, les abbayes sont aussi, surtout au Moyen Âge, détentrices de pouvoir et fort influentes. Elles participent à la christianisation, encouragent la pratique chez les fidèles et élaborent une spiritualité. Dans une société rurale, l’Église se recentre sur les monastères, qui sont les principaux foyers religieux de la France aux XIe et XIIe siècles. Ils savent attirer les membres de l’aristocratie et gagner leur générosité. Les downloadModeText.vue.download 16 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 5 « grands » souhaitent obtenir une sépulture dans les cimetières monastiques, se convertissant parfois à l’heure du trépas. Mais la situation des abbayes vis-à-vis de l’ensemble de la société est quelque peu paradoxale : bien qu’ils soient retirés du monde, cloîtrés, voués à l’ascèse, les moines prétendent exercer une influence sur leurs contemporains, et ils y parviennent, certes plus ou moins bien, selon les époques. Au Moyen Âge, leur isolement ne leur interdit pas de jouer un rôle économique, ni même politique, comme ce fut le cas pour certaines abbayes chefs d’ordre du Xe au XIIe siècle. Grâce à leur hégémonie religieuse et culturelle, les moines n’ont-ils pas tenté, parfois, de modeler la société à leur image ? Ainsi, le XIe siècle a placé son idéal dans les principes mêmes du monachisme. abbevillien ! paléolithique Abd el-Kader (Mohieddine, dit l’émir), en arabe Muhyiddin Abdul Qadir, émir arabe d’Algérie (près de Mascara, Algérie, 1808 - Damas, Syrie, 1883). Issu d’une famille maraboutique appartenant
à la confrérie musulmane des Qadiriyya, il reçoit une éducation religieuse et guerrière qui établit sa réputation en Oranie (Ouest algérien). Lorsque la France occupe les côtes algériennes, à partir de 1830, les tribus de cette région le proclament émir et « envoyé de Dieu » chargé de repousser les troupes françaises. Il s’impose rapidement par la mise au pas de certaines tribus réfractaires et, surtout, par le succès de ses opérations de guérilla contre les Français. Harcelés militairement, ceux-ci finissent par négocier avec lui dans l’espoir d’instaurer un protectorat allié aux confins des zones qu’ils occupent. Par le traité signé avec le général Desmichels (1834), puis par la convention de la Tafna (1837), négociée avec le général Bugeaud, la France reconnaît à l’émir un vaste territoire qui s’étend sur les provinces d’Oran, d’Alger, du Titteri, et jusque dans le Constantinois. Abd el-Kader s’emploie à y construire un véritable État, l’unifiant etle pacifiant par les armes, créant une nouvelle administration sur des bases islamiques, réformant l’impôt et la justice. En novembre 1839, comprenant que le temps risque de jouer en faveur des Français, il reprend l’offensive, et dévaste les plaines colonisées de la Mitidja. Commence alors une guerre sans merci entre l’émir et les armées françaises, réorganisées et dirigées par Bugeaud, lequel vise désormais la conquête totale du territoire algérien. Après quelques premiers succès, Abd el-Kader subit des revers importants (prise de la Smala, en mai 1843). À la fin de 1843, il doit se réfugier au Maroc, où il obtient le ralliement du sultan Abd ar-Rah-man à sa cause. Mais, après la défaite de l’armée marocaine à la bataille de l’Isly (14 août 1844) et le traité franco-marocain de Tanger (18 septembre 1844), l’émir est refoulé en Algérie. Isolé, pourchassé, il remporte cependant, avec une poignée de fidèles, quelques ultimes succès (Sidi-Brahim, 23 septembre 1845), avant sa reddition finale au général de Lamoricière le 23 décembre 1847. Emprisonné en France pendant cinq ans, il est finalement libéré et se rend à Brousse (Bursa, Turquie), puis à Damas (Syrie), où il se consacre à la méditation religieuse et à la rédaction d’une oeuvre mystique. Il garde toutefois de bons contacts avec la France, protégeant notamment les Européens de Damas lors des émeutes antichrétiennes de 1860. Abd el-Kader, qui fut tour à tour l’adversaire et l’ami de la France, aura forcé le respect de tous. Il est aujourd’hui célébré comme l’un des pionniers de la lutte anticoloniale et
comme le fondateur de la nation algérienne. Abélard ou Abailard (Pierre), philosophe et théologien (Le Pallet, près de Nantes, 1079 - près de Chalon-sur-Saône, 1142). Pierre Abélard, né dans une famille de chevaliers, est l’un des esprits les plus brillants de la première moitié du XIIe siècle. Son talent se révèle rapidement, à Paris, dans les débats (quaestiones) qui l’opposent à son maître Guillaume de Champeaux, écolâtre de NotreDame et fondateur de la collégiale de SaintVictor. Chassé par Guillaume, Abélard fonde sa propre école, à Melun, puis à Corbeil. Dès cette époque, il est considéré comme un maître, et adulé. Après quelques années d’interruption due à la maladie, il revient à Paris pour affronter de nouveau le vieux Guillaume. Sa méthode est la dialectique, confrontant les textes et les idées contradictoires. Le terrain de l’affrontement est la logique ; le contenu du débat, la querelle des universaux, où il oppose le conceptualisme aux impasses du réalisme et du vocalisme (une forme de nominalisme). Délaissé par ses élèves, Guillaume se retire à Saint-Victor, abandonnant la montagne Sainte-Geneviève à Abélard. Logicien et philosophe reconnu, ce dernier décide alors de s’attaquer à la théologie. Déçu par l’enseignement d’Anselme de Laon, il improvise un commentaire sur Ézéchiel, en appliquant au texte les méthodes mises au point dans ses travaux de logicien. L’auditoire est enthousiaste, et de nombreux élèves quittent Laon pour le suivre à Paris. C’est alors que la vie d’Abélard connaît son premier tournant : sa rencontre avec la jeune Héloïse vers 1115, leur amour, la naissance d’un fils, leur mariage secret et, pour finir, sa castration et la claustration d’Héloïse. Malgré leur séparation, ils restent en relation jusqu’à la mort d’Abélard. Entré à Saint-Denis, ce dernier poursuit son oeuvre théologique. Son premier traité, sur la Trinité, est condamné et brûlé au concile de Soissons (1121). À partir de cette date, l’auteur doit faire face à une farouche opposition de la part de ceux qui refusent de voir le mystère chrétien expliqué sur un mode rationnel : saint Bernard n’a de cesse de réduire cette nouveauté, qui lui paraît vaine et blasphématoire. En 1122, Abélard s’enfuit du monastère dionysien et fonde, près de Nogent-sur-Seine, un oratoire - le Paraclet -, où le rejoignent de nombreux disciples. Après un abbatiat diffi-
cile dans un monastère breton, il est enseignant à Paris en 1136. Face au succès de son rival, saint Bernard vient prêcher dans la ville, mais ne parvient pas à conquérir les étudiants. En 1140, la dispute organisée entre le moine et le professeur à Sens se révèle être un piège : Abélard se retrouve face à un concile chargé de le juger. Malgré la réticence des évêques réunis à Sens, saint Bernard arrache au pape la condamnation de onze thèses extraites d’oeuvres d’Abélard, qui sont brûlées. Le philosophe, malade, est recueilli à Cluny par Pierre le Vénérable. Il meurt le 21 avril 1142, au couvent de Saint-Marcel. Dans cette apparente défaite, il faut déceler une victoire : les thèses d’Abélard seront unanimement acceptées dès la fin du siècle, ainsi que sa méthode dialectique, exposée dans Sic et non (1134 ou 1136). Avec Abélard est née la scolastique. Aboukir (bataille navale d’), combat qui oppose, dans le cadre de l’expédition d’Égypte, les flottes anglaise et française les 1er et 2 août 1798. C’est le 19 mai 1798 que la flotte française, composée de treize vaisseaux et de quatre frégates, quitte Toulon sous le commandement du vice-amiral Brueys. Le 1er juillet, elle débarque Bonaparte près d’Alexandrie, puis, le 5, jette l’ancre dans la baie d’Aboukir. Pendant ce temps, Nelson, à la tête de quatorze vaisseaux dont les équipages sont bien plus expérimentés que les marins français, s’est lancé à la poursuite de Brueys. Il arrive devant Aboukir le 1er août, en début d’après-midi. Brueys, persuadé que Nelson n’attaquera pas immédiatement, et au risque d’être surpris par la nuit, ordonne à la flotte de rester sur place et de se préparer au combat. Mais l’Anglais veut écraser les premiers vaisseaux de la ligne française avant que les autres aient pu réagir. Vers 6 heures du soir, la flotte anglaise s’avance. Quand Brueys donne l’ordre de tirer, ses vaisseaux sont déjà sous la mitraille. Les combats durent dix-huit heures et se soldent par un désastre pour les Français : deux frégates et onze vaisseaux sont détruits ; aucun chez les Anglais. Les pertes en hommes sont importantes : Brueys est emporté par un boulet ; on compte 1 700 tués et 1 500 blessés parmi les Français. Les conséquences de cette défaite sont considérables : le corps expéditionnaire français en Égypte est isolé, la marine française en Méditerranée anéantie. Aboukir (bataille terrestre d’), combat qui,
dans le cadre de l’expédition d’Égypte, oppose l’armée turque commandée par Mustafa Pacha et l’armée de Bonaparte, le 25 juillet 1799. Après l’échec de son avancée sur Saint-Jeand’Acre, Bonaparte doit se replier sur Le Caire. C’est là qu’il apprend le débarquement à Aboukir d’une armée turque renforcée par une escadre britannique. Les Turcs viennent rapidement à bout de la résistance des quelque 300 hommes du fort d’Aboukir et établissent des lignes de défense. Bonaparte décide alors d’attaquer immédiatement avec une dizaine de milliers de fantassins soutenus par un millier de cavaliers commandés par Murat. Le 25 juillet, l’assaut est donné ; la charge, conduite par Murat à la mi-journée, décide du sort de la bataille : le fort est investi, le commandant Mustafa Pacha est fait prisonnier. Plusieurs milliers de ses hommes, tentant de fuir, se downloadModeText.vue.download 17 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 6 noient ou sont tués. Environ 2 000 Turcs se barricadent dans le château d’Aboukir, mais, à court de vivres, ils sont contraints de capituler le 2 août. En sept jours de combat, les Français n’ont perdu que 200 hommes ! En dépit de cette victoire, l’armée d’Orient, toujours coupée de la France par la maîtrise anglaise en Méditerranée, demeure piégée en Égypte. Bonaparte, qui entend jouer les premiers rôles à Paris, l’a bien compris : il s’embarque pour la France le 23 août. Académie des beaux-arts, société artistique fondée le 1er février 1648 sous le nom d’ « Académie royale de peinture et de sculpture », et chargée notamment de défendre les intérêts professionnels des artistes et de « fixer la doctrine » en matière de beaux-arts. Placée sous la protection de Mazarin, elle voit le jour grâce aux initiatives conjointes du sculpteur Sarrazin et des peintres Egmont et Le Brun. C’est un lieu d’échanges, d’expositions et d’enseignement du dessin d’après le modèle vivant. Dès 1655, elle exerce un monopole sur la vie des arts. En 1663, Colbert, par un arrêt du Conseil royal, ordonne à tous les peintres pensionnés de rejoindre l’Académie, sous peine de se voir retirer leur pension. Dissoute en 1793, l’Académie est reconstituée
en 1795 et rattachée à la classe « littérature et beaux-arts » de l’Institut de France, créé le 25 octobre de cette même année. L’ordonnance royale du 9 juillet 1816 arrête le règlement de la nouvelle Académie des beaux-arts. Confortée dans son autorité sur l’enseignement artistique et dans son rôle auprès du gouvernement, elle est chargée de préparer les Grands Prix de Rome. Elle est composée de 55 membres répartis en 7 sections : peinture (10), sculpture (8), architecture (9), gravure (4), musique (8), section des membres libres - écrivains d’art, critiques, amis des arts (10), créations artistiques dans le cinéma et l’audiovisuel (6), cette dernière section ayant été ouverte depuis 1985. Académie française, institution littéraire fondée par Richelieu en 1635, et qui constitue aujourd’hui l’une des cinq classes de l’Institut de France. Officialisant l’existence d’un groupe de neuf lettrés et écrivains qui se réunissent depuis 1629, Richelieu lui impose une mission d’utilité publique sous la protection et l’autorité royales. « La principale fonction de l’Académie, édictent les statuts, sera de travailler avec tout le soin possible à donner des règles certaines à notre langue, à la rendre pure, éloquente, et capable de traiter les arts et les sciences. » Ce dirigisme linguistique et littéraire s’inscrit dans une politique centralisatrice : temple du « bon usage » et de la promulgation de règles strictes, instance de consécration des grands écrivains, l’Académie est un instrument idéal de contrôle de la langue et des productions de l’esprit. Composée de 40 membres dès 1639, l’assemblée s’assigne la tâche de réaliser un dictionnaire lexicographique, dont la première édition ne verra le jour qu’en 1694. Les Quarante s’attirent, dès le XVIIe siècle, les railleries de ceux qui les taxent de purisme excessif, mais ils parviennent à asseoir leur autorité et leur prestige. Accueillant la plupart des grands écrivains classiques - à l’exception notable de Molière -, l’Académie devient un haut lieu de réflexion et d’échange où la création littéraire acquiert un rayonnement social. Installée au Louvre par Louis XIV, elle décerne des prix, intervient dans les grands débats littéraires et instaure la tradition du discours académique. Le dynamisme de l’institution ne se dément pas durant le siècle des Lumières. L’Académie française ne reste pas étrangère au mouvement des idées nouvelles : elle accueille Voltaire, Turgot, Condorcet et d’Alembert. Elle n’en est pas moins supprimée
en 1793, accusée d’avoir « dirigé les littérateurs pour les corrompre et façonner par leurs mains le peuple à la servitude ». • De la norme à la référence. Napoléon la fait renaître, en 1803, sous le nom de « seconde classe de l’Institut de France ». De cette époque datent le fameux habit vert de ses membres et son installation sur la rive gauche de la Seine, dans l’ancien Collège des QuatreNations. En 1816, un décret de Louis XVIII restaure toutes ses anciennes prérogatives : l’Académie française retrouve son nom, sa primauté, ses statuts originels, ainsi que la protection royale. L’institution est le théâtre, tout au long du XIXe siècle, de véritables débats littéraires et politiques, mais ses voies ne recoupent que rarement celles des mutations et révolutions esthétiques. Certes, elle accueille Victor Hugo - après une élection des plus difficiles -, mais elle repousse les candidatures de Stendhal, Balzac, Baudelaire et Verlaine. Le XXe siècle confirme ce compromis entre une relative frilosité et des audaces mesurées : après l’entrée inattendue de Ionesco sous la Coupole (1970), une première femme (Marguerite Yourcenar, 1980) et le premier écrivain d’outre-mer (Léopold Sédar Senghor, 1983) rejoignent les rangs des Immortels. La structure et le fonctionnement de l’Académie n’ont guère changé depuis sa création : un directeur, élu pour une brève période, préside la séance hebdomadaire, tandis que le secrétaire perpétuel, officier le plus important, a la charge de l’organisation générale des travaux. La question de l’utilité d’une telle institution est souvent posée aujourd’hui. Fleuron de l’Académie, le Dictionnaire - dont la neuvième édition est en cours d’élaboration - souffre de lenteurs de procédure, qui risquent de rendre le résultat caduc avant publication. La vitalité de l’Académie se manifeste plutôt dans ses actions multiformes en faveur de la culture française : attribution de quelque cent cinquante prix annuels (tous les genres littéraires sont concernés), subventions accordées à des associations ou à des revues littéraires qui contribuent à la diffusion de la langue et de la pensée françaises. Souvent mal connue par le public, victime de clichés simplistes, l’Académie française a un statut paradoxal dans l’opinion : le fréquent persiflage ou les sarcasmes dont elle fait l’objet ne l’empêchent pas de demeurer une référence prestigieuse.
Académie des inscriptions et belles-lettres, académie héritière de la Petite Académie, réunie par Colbert à partir de 1663. Celle-ci, entièrement vouée à la glorification du Roi-Soleil, est chargée de rédiger les inscriptions destinées à orner les monuments, ainsi que d’élaborer les allégories décorant les médailles. Elle a un rôle consultatif et normatif, et contribue ainsi à définir l’art officiel. Dite d’abord « Académie royale des inscriptions et médailles » en 1701, elle prend son nom définitif en 1716. Dès cette époque, elle s’oriente vers les travaux d’érudition historique. Mais la loi du 8 août 1793, qui supprime toutes les Académies royales, met un terme à son activité. Lors de la création de l’Institut de France (25 octobre 1795), les membres relevant de l’Académie sont dispersés dans différentes sections de la deuxième et la troisième classe. En 1803, la réforme de Chaptal redonne une existence à l’Académie, qui constitue désormais la classe d’« histoire et de littérature ancienne » de l’Institut. Elle retrouve son ancien nom par l’ordonnance royale du 21 mars 1816. Les activités de l’Académie sont orientées vers l’étude de l’Antiquité classique et de l’histoire nationale, notamment de ses origines médiévales (Augustin Thierry et Prosper Mérimée), mais aussi vers les études orientalistes (Champollion). Temple de l’archéologie et de l’épigraphie – d’Antoine Jean Letronne à Louis Robert –, elle reste, aujourd’hui encore, un haut lieu de la science historique française. Académie des sciences, société savante réunie à Paris en 1666 par Colbert, sous le nom d’Académie royale des sciences, et qui rassemble alors une vingtaine d’hommes de science (astronomes, mathématiciens, physiciens, anatomistes, botanistes, zoologistes et chimistes), parmi lesquels le Néerlandais Huygens et l’Italien Jean Dominique Cassini, attirés à prix d’or. Les besoins en hommes et en moyens financiers de la science expérimentale du XVIIe siècle rejoignent les préoccupations administratives et le désir de gloire de Louis XIV. En échange de rémunérations, d’investissements techniques, et forte du prestige lié à sa reconnaissance par l’État, la compagnie exécute des programmes royaux tels que le relevé des côtes, nécessaire à la sécurité de la marine, ou l’adduction d’eau pour alimenter le château deVersailles et les bassins, fontaines et jets d’eau de son jardin. Cette science appliquée, dont les résultats demeurent confidentiels, est couplée à un effort dans la recherche
fondamentale (création de l’Observatoire royal de Paris, missions astronomiques en France et à Cayenne) qui débouche sur des publications par l’Imprimerie royale, mais s’essouffle à la mort de Colbert, en 1683. En 1699, l’Académie s’installe au Louvre, reçoit enfin un statut qui la répartit en sections et hiérarchise ses 70 membres, et voit sa mission redéfinie. Association d’hommes de science plutôt qu’équipe de recherche, elle adjoint à l’expertise administrative un rôle public que symbolise l’habile vulgarisateur Fontenelle, son secrétaire perpétuel de 1699 à 1740. Elle oriente les recherches par les questions de downloadModeText.vue.download 18 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 7 ses concours publics, examine les inventions, rend compte chaque année de ses travaux dans Histoire et mémoires de l’Académie royale des sciences. Ses membres participent également à la rédaction du Journal des savants, fondé en 1665, puis à l’Encyclopédie, dont l’académicien d’Alembert est co-animateur. Réformée en 1785 par Lavoisier, elle bénéficie à la fin de l’Ancien Régime d’une telle renommée que, dans l’Europe des despotes éclairés, des institutions fonctionnant sur son modèle sont créées. Supprimée par la Convention en 1793 après que ses membres eurent défini le nouveau système métrique, l’institution renaît en 1795. Elle occupe le premier rang en nombre (60 membres) et en prestige au sein du nouvel Institut. Si elle conserve au XIXe et au XXe siècle sa fonction de reconnaissance sociale des activités savantes, l’Académie ne participe plus à l’évolution des sciences par des recherches propres. Elle se contente de susciter les initiatives (par des prix et des bourses), d’appuyer certains scientifiques (en 1865, elle prend parti pour Pasteur dans le débat qui l’oppose à la Société de médecine à propos de la génération spontanée) ou d’enregistrer et de diffuser dans ses Comptes rendus hebdomadaires (publiés depuis 1835) les découvertes et inventions faites dans les laboratoires industriels et d’autres institutions, dont les facultés des sciences ou le CNRS. Réformée en 1975, puis en 2002-2003, elle travaille depuis dans les domaines de l’application des découvertes scientifiques et de l’éducation des sciences, et entend faire figure d’autorité morale. Académie des sciences morales
et politiques, l’une des cinq académies composant l’Institut de France, créé le 3 brumaire an IV (25 octobre 1795). Contrairement aux deux autres classes de l’Institut, celle-ci ne succède à aucune académie d’Ancien Régime. Elle prend la relève de clubs plus ou moins éphémères, dont celui de l’Entresol, auquel appartint Montesquieu, ou s’inspire de l’esprit de certaines académies provinciales. S’inscrivant dans le droit-fil de la philosophie des Lumières, elle oeuvre à la promotion, à côté des sciences exactes, des sciences qui s’attachent à l’étude de l’homme, de ses moeurs, de son organisation en société et de son gouvernement. Cependant, par l’arrêté du 3 pluviôse an XI (23 janvier 1803), Bonaparte restructure l’Institut : les membres de la deuxième classe sont répartis entre les quatre classes nouvellement organisées. Volonté de réprimer la liberté de l’esprit et les Idéologues ou simple réorganisation d’une classe bien hétérogène ? En 1816, Louis XVIII ne restaure pas l’Académie, institution républicaine. Il faut attendre 1832 pour la voir renaître, à l’initiative de Guizot. Sous le Second Empire, elle est un pôle de l’opposition libérale, représentée par Tocqueville, Michelet, Odilon Barrot, Thiers ou Auguste CasimirPerier. Son activité est alors intense : publication des comptes rendus de séance dans la Revue de l’Académie des sciences morales et politiques, production de nombreux rapports sur l’état social de la France, dont celui de Villermé... Cette activité s’est maintenue même si, au XXe siècle, l’influence de l’Académie sur le monde politique et le mouvement des idées tend à diminuer. académies protestantes, instituts protestants d’enseignement supérieur qui prennent leur essor après la proclamation de l’édit de Nantes (1598) et sont supprimés après sa révocation (1685). Leur finalité principale est la formation de ministres du culte. Des académies protestantes, au nombre de huit, fonctionnèrent à Nîmes, Orthez, Sedan, Saumur, Montauban, Montpellier, Orange et Die. Les trois premières sont créées respectivement par la municipalité, par Jeanne d’Albret et par Henri de la Tour d’Auvergne. Les cinq autres le sont par les autorités synodales. L’académie de Nîmes est à l’origine de ce développement. En 1582, sous l’impulsion de Jean de Serres, le collège de Nîmes devient une haute école d’humanités. Après un cycle obligatoire de huit années, l’élève assiste à des leçons publiques libres de mathématiques et d’histoire,
une matière alors nouvelle dans l’enseignement. À l’âge de 20 ans, il étudie le droit, la médecine ou la théologie. Les académies contrôlées par les synodes dispensent, quant à elles, une formation essentiellement pastorale. La dogmatique y tient une place prépondérante. Après un cycle de deux ans à la faculté des arts, les étudiants, alors appelés « proposants », entreprennent un cycle de théologie de trois à quatre années et comprenant quatre enseignements : hébreu, grec, théologie et controverse. À Saumur, l’académie la plus célèbre, on compte trois professeurs de théologie, deux de philosophie, un de grec et un de mathématiques. Les académies, inspirées par la rénovation pédagogique introduite par Jean Sturm dans sa Haute École de Strasbourg, valorisent les classiques grecs et latins, à la différence des établissements catholiques. Leur méthode d’enseignement influence même ces derniers. Sur le plan doctrinal, elles sont au coeur de la querelle sur la prédestination : un courant proche de l’arminianisme, qui soutient que Dieu veut le salut de tous les hommes, se développe à Saumur. Cependant, les autres académies restent partisanes de l’interprétation orthodoxe, dans la ligne de Théodore de Bèze et de François Gomar, selon laquelle seuls les élus sont concernés par le sacrifice du Christ. L’académie de Montauban, la plus importante par le nombre d’étudiants, est la gardienne de cette orthodoxie. Néanmoins, une relative tolérance persiste, puisque l’académie de Saumur, bien qu’inquiétée, ne sera jamais condamnée. Malgré la réconciliation de 1649, les proposants saumurois éprouveront des difficultés à trouver un ministère dans les provinces du Sud-Ouest. En revanche, quelques années plus tard, la tentative d’Huisseau et de Pajon d’introduire le cartésianisme est fermement rejetée. académies provinciales, sociétés savantes de province, très brillantes au XVIIIe siècle. Au milieu du XVIIIe siècle, l’Académie française, symbole de la mainmise monarchique sur la culture, est peu à peu gagnée par les idées des Philosophes. À partir de l’élection de Jean d’Alembert, en 1754, la société s’ouvre à l’esprit du temps. En 1760, un discours de l’académicien Lefranc de Pompignan dénonçant les Philosophes et leur « liberté cynique » soulève une tempête : une vague de brochures et de pamphlets submerge le défenseur de la religion traditionnelle. Les Philosophes exploitent cette victoire acquise devant le tribunal de l’opinion, et, en dix ans, de 1760 à 1770, sur quatorze élections
en emportent neuf, dont celle de Marmontel. Une institution qui sommeillait est devenue en quelques années l’un des fers de lance de la sociabilité éclairée. Suivant ce modèle, la vie académique française se renouvelle. Ce sont d’abord les autres institutions parisiennes qui se font l’écho de l’esprit nouveau : l’Académie royale des sciences tient sa place sur le devant de la scène intellectuelle, sous l’impulsion de Fontenelle, Maupertuis, Réaumur ; l’Académie des inscriptions et belleslettres, réformée en 1701, acquiert un rôle essentiel dans le renouvellement des travaux historiques, archéologiques, linguistiques, abordant des sujets souvent très sensibles qui figurent au coeur des intérêts philosophiques. • Le creuset des nouvelles élites. L’emprise des Lumières s’étend enfin à la France entière, grâce au réseau des académies de province : il s’agit sans doute là de l’un des phénomènes culturels les plus importants du siècle, ainsi que l’a montré Daniel Roche dans une thèse pionnière publiée en 1978 (le Siècle des Lumières en province : académies et académiciens provinciaux, 1680-1789). On recense ainsi 9 académies provinciales en 1710 ; 24 en 1750 ; plus de 40 en 1770. Les trois quarts des villes de plus de 20 000 habitants en sont dotées. Sociétés de savants placées sous la protection des autorités publiques, elles sont fondées, le plus souvent, sur le modèle des académies parisiennes. L’honneur d’en être élu membre est très recherché. Le recrutement social y rassemble les notables municipaux et fait siéger, côte à côte, les représentants de la noblesse urbaine, de la bourgeoisie industrieuse en pleine ascension sociale, et certains clercs et érudits locaux. L’académie devient vite, à l’échelle régionale, « l’instance privilégiée du compromis social, le banc d’essai d’une tentative de fusion où le savoir-faire bourgeois et le savoir-faire nobiliaire s’associent dans une idéologie réconciliatrice de service et de gestion » (D. Roche). Après 1750, nombre de ces académies intègrent à leurs travaux une dimension scientifique : les discours, les poèmes, les traités, reculent devant les mémoires de physique ou de chimie, les plans d’agriculture, les ouvrages d’histoire naturelle. Ce triomphe des sciences fournit un autre indice du poids qu’ont pris ces académies dans la culture du temps : l’esprit d’observation et d’expérimentation gagne partout du terrain. En revanche, les académies de province n’entendent guère le discours politique : elles vouent un culte au monarque et ne sont pas le lieu d’un conflit ou d’une réaction politiques contre la royauté.
Leur réputation est généralement liée aux prix, fort courus, qu’elles décernent. L’on sait, par exemple, le rôle tenu par l’académie de Dijon dans la carrière de Rousseau en proposant, au concours, de savoir « si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les moeurs ». Ainsi vit le jour le DisdownloadModeText.vue.download 19 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 8 cours sur les sciences et les arts, couronné en 1750, révélation publique d’un nouveau philosophe. Ce genre de compétition culturelle forme d’ailleurs une partie des futurs cadres révolutionnaires. Robespierre, Cerutti, Roland de La Platière, l’abbé Grégoire, pour ne citer qu’eux, ont suivi les étapes de cette sociabilité provinciale qui apparaît, malgré sa rhétorique monarchiste, comme l’un des creusets privilégiés des nouvelles élites du pays. Académies royales, sociétés artistiques ou savantes fondées par la monarchie au XVIe siècle. Venu d’Italie, le mouvement de création d’académies prend une réelle ampleur en France à partir du moment où celles-ci sont parrainées et contrôlées par le roi. En 1570, la première Académie royale - l’Académie royale de poésie et de musique - est instituée, à la demande de Charles IX, par Jean Antoine de Baïf, afin d’organiser les divertissements de la cour. Elle ne représente, toutefois, qu’une pâle ébauche du système académique que Richelieu puis Louis XIV vont mettre en place. En créant l’Académie française (1635), le Cardinal entend se doter d’un instrument de normalisation linguistique et de contrôle des productions intellectuelles. À sa suite, Louis XIV instaure des académies dans chaque domaine artistique : l’Académie royale de peinture et de sculpture (1648), l’Académie des inscriptions et belleslettres (1663), l’Académie royale de France à Rome (1666), l’Académie royale de danse (1669), et l’Académie royale d’architecture (1671). Les artistes les plus talentueux - Lully, Le Brun, Racine, La Fontaine... - sont pensionnés par le roi et travaillent à sa gloire. Colbert accordera d’importants subsides à l’Académie royale des sciences, créée en 1666, car, à ses yeux, la France doit être à la pointe du progrès en Europe. Mais le coût des guerres menées par Louis XIV met fin à ce mécénat royal. Toutefois, l’utilisation des académies à des fins politiques
se répand dans toute l’Europe. C’est sous Louis XV que les Académies royales connaissent un renouveau, avec la naissance de l’Académie de chirurgie (1731), et de l’Académie de marine (1750), à Brest, qui a pour vocation de promouvoir les études scientifiques concernant la navigation. Parallèlement, les autres accroissent leur spécialisation : ainsi, des classes de physique générale et de minéralogie voient le jour au sein de l’Académie des sciences. Au XVIIIe siècle, elles deviennent un lieu d’élaboration du savoir, comme en témoigne l’abondante correspondance tenue entre les Académies royales et les académies de province. Demeurant, aux yeux des révolutionnaires, les symboles de l’autorité monarchique dans les domaines artistique et scientifique, elles sont supprimées en 1793 par la Convention. Mais elles réapparaissent dès 1795, sur proposition de Daunou, dans le cadre de l’Institut de France, preuve qu’elles avaient acquis, en un siècle, une véritable légitimité intellectuelle, malgré leur situation de dépendance à l’égard du pouvoir politique. Acadie, ancienne colonie située dans le sud-est du Canada, française de 1604 ou 1605 à 1713. La côte orientale du Canada est reconnue en 1498 par Jean Cabot, puis en 1524 par Verrazzano, qui lui donne le nom d’Acadie. Le premier établissement est fondé en 1604 ou 1605 par le Normand Pierre de Monts, gouverneur d’Honfleur, qui le baptise « PortRoyal ». Mais les Anglais, installés au sud, ne tardent pas à convoiter ce territoire : dès 1613, Samuel Argyll s’empare de certains établissements français. En 1632, Isaac de Razilly occupe à nouveau la colonie avec une petite troupe de 300 hommes d’élite. Son oeuvre est poursuivie entre 1635 et 1650 par Charles d’Aulnay, qui fonde Pentagouet, La Hève, Saint-Jean, Sainte-Anne, dans l’île du Cap-Breton, avant que son rival, Charles de Saint-Étienne de La Tour, ne livre le territoire aux Anglais en 1654. Restituée à la France par la paix de Breda en 1667, l’Acadie ne repasse sous contrôle français qu’en 1670, et, en 1674, Colbert l’incorpore au domaine royal. De 1674 à 1713, la colonie compte 40 gouverneurs, souvent âgés et peu compétents, trop étroitement subordonnés aux gouverneurs généraux du Canada (Québec). Le territoire est mal défendu par une garnison de 200 hommes, et la population demeure très peu nombreuse : 392 habitants en 1671, 1 088 en 1693, et 1 484 en 1707. Les colons,
qui ont noué de bonnes relations avec les Indiens Iroquois et Micmacs, assèchent les marais du bassin des Mines. L’agriculture ainsi que les pêcheries de morue prospèrent, notamment après la fondation de la Compagnie de pêche sédentaire des côtes d’Acadie (1682). En 1707, une escadre anglaise assiège PortRoyal. Jugeant cette colonie onéreuse et sans intérêt, le ministre Pontchartrain n’envoie pas de renforts au gouverneur Subercase, qui doit capituler le 10 octobre 1710. En 1713, par le traité d’Utrecht, l’Acadie est officiellement cédée à l’Angleterre, en même temps que Terre-Neuve et la baie d’Hudson, la France ne conservant que l’île du Cap-Breton avec Louisbourg. Mais les Acadiens, demeurés sur leurs terres, refusent le serment d’allégeance à la couronne d’Angleterre, et sont l’objet de diverses tracasseries de la part des Anglais, qui les appellent « Français neutres » (French neutrals). En 1755, lors de l’épisode décisif du Grand Dérangement, 7 000 d’entre eux (sur 15 000) sont expulsés et doivent s’établir dans d’autres colonies ou en France. accapareurs, nom donné, pendant la Révolution, aux individus – cultivateurs, commerçants ou simples particuliers – stockant, sans les mettre en circulation, des denrées de première nécessité. Lié au problème crucial des subsistances et cause de nombreux troubles, l’accaparement est sans cesse dénoncé par les milieux populaires, qui lui imputent la rareté et la cherté des denrées. En fait, après 1790, l’émission indéfinie d’assignats, qui se déprécient, et la guerre (commencée en 1792) sont responsables de l’inflation et de la pénurie. Cependant, faisant prévaloir le droit à la vie sur celui de la propriété, les sans-culottes réclament une économie dirigée et une législation répressive contre l’accapareur, accusé de vouloir affamer le peuple. Partisans du libéralisme économique, les gouvernements qui se succèdent s’opposent à la réglementation, mais, soucieux de faire cesser les troubles, les montagnards se résignent finalement à appliquer une partie du programme des « enragés », qui bénéficient du soutien populaire. Votée le 26 juillet 1793, la loi contre l’accaparement contraint tous les détenteurs de denrées à déclarer et à afficher leurs stocks sous peine d’être punis de confiscation, voire de mort. Peu ou mal appliquée, elle n’est qu’une satisfaction symbolique donnée aux sans-culottes. Après l’arrestation des enragés et des hébertistes, le décret du 12 ger-
minal an II (1er avril 1794) adoucit la loi, supprime les commissaires aux accaparements et ne maintient la peine de mort que pour les cas avérés de liaison avec la Contre-Révolution. acheuléen, terme désignant à la fois la première civilisation préhistorique, reconnue comme telle par l’archéologie, et la plus ancienne civilisation préhistorique attestée en France. Identifié dans les carrières de graviers de SaintAcheul, dans la Somme, l’acheuléen, industrie dont les débuts sont datés de - 700 000 ans environ, est associé à Homo erectus, premier hominidé à avoir colonisé l’Eurasie, à partir de l’Afrique, où cette industrie est attestée dans le Nord, en Égypte, au Sahara et en Afrique orientale. De fait, Homo erectus fut le premier à maîtriser le feu. Ainsi, on a retrouvé à Lunel, près de Montpellier, des foyers aménagés datant de - 400 000 ans. Mais l’acheuléen se caractérise surtout par les fameux bifaces en pierre, jadis appelés « coups-de-poing », de forme triangulaire ou ovale, et qui sont les premiers objets symétriques et réguliers jamais fabriqués par l’homme. Homo erectus occupait principalement des campements de plein air, et plus rarement des grottes, telle celle de Terra Amata, près de Nice. Il vivait de la chasse aux grands mammifères, cervidés, éléphants, aurochs, etc. Il n’enterrait pas ses morts. Principalement attesté dans le Bassin parisien et en Aquitaine, l’acheuléen semble coexister avec des civilisations à l’outillage plus sommaire, tels le tayacien au Sud (grotte de Tautavel) ou le clactonien au Nord. L’acheuléen débouche sans rupture sur le paléolithique moyen, aux alentours de - 250 000 ans environ. Action catholique, ensemble des mouvements catholiques qui, au XXe siècle, visent à relancer l’apostolat, notamment laïc, et à influer sur l’organisation de la société par le biais d’une pensée et d’actions cohérentes inspirées de l’Évangile. L’action catholique, somme de mouvements riches par leur diversité plus qu’organisation structurée, naît dès la fin du XIXe siècle d’une volonté et d’une prise de conscience. Volonté, en premier lieu, de peser, au moyen d’une doctrine chrétienne, sur les débats contemporains ; l’heure est opportune : l’encyclique Rerum novarum (1891) a doté l’Église d’une doctrine sociale, et le pontife lui-même a prôné l’acceptation du régime républicain. Prise de conscience, ensuite, de la déchris-
tianisation des masses, phénomène connu downloadModeText.vue.download 20 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 9 pour la classe ouvrière mais qui gagne aussi le monde des campagnes. En 1886 est créée l’Action catholique de la jeunesse française (ACJF), qui, malgré son recrutement aristocratique et bourgeois, veille à promouvoir parmi ses cadres des représentants ouvriers et paysans. À l’extrême fin du siècle, le Sillon de Marc Sangnier s’essaie à concilier catholicisme et démocratie. Sa condamnation par Pie X, qui l’accuse dès 1910 de se faire le fourrier du socialisme, témoigne déjà des ambiguïtés propres à tous les mouvements d’Action catholique, partagés entre l’apostolat et l’engagement politique, entre l’autonomie des laïcs et la soumission à l’autorité de l’Église. L’entre-deux-guerres donne lieu à une floraison de mouvements : la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), fondée en 1924 en Belgique par l’abbé Cardijn, essaime en France dès 1926. Sur son modèle se créent bientôt la Jeunesse agricole chrétienne (JAC), la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) et la Jeunesse indépendante chrétienne (JIC). Se développe aussi l’Action catholique des adultes, qui deviendra le Mouvement populaire des familles, puis le Mouvement de libération ouvrière, avant qu’un rappel à l’ordre de la hiérarchie ecclésiastique n’aboutisse à une refonte du mouvement, qui se transformera en Action catholique ouvrière. À cette époque se définissent les méthodes d’action tandis que les organisations se structurent. Les années cinquante, après l’épreuve de la guerre et l’engagement de nombreux mouvements dans la Résistance, sont une période de développement. L’épiscopat, qui a fait de la France un pays de mission, lance l’expérience des prêtres-ouvriers, avant de se raviser brutalement, apeuré par le poids croissant de la politique dans l’action. Cette politisation n’épargne pas les mouvements laïcs, qui connaissent, autour des grands débats de l’heure, tels ceux suscités par la guerre d’Algérie, troubles et scissions, sanctionnés par une reprise en main de l’autorité ecclésiale. Malgré ces vicissitudes, l’Action catholique intervient dans la vie de la nation : si elle échoue à pénétrer profondément le monde ouvrier, déjà structuré, elle joue un rôle im-
portant dans l’organisation des syndicalismes agricole et étudiant. Au-delà du seul devenir des mouvements, elle contribue à la formation intellectuelle d’une partie des élites de la France des années soixante-dix. Action française (l’), mouvement (né en 1899), revue (créée la même année), ligue (fondée en 1905) et quotidien (1908-1944) nationalistes. École de pensée contre-révolutionnaire, l’Action française a exercé une forte emprise sur la société française pendant près d’un demisiècle. • Une école réactionnaire, nationaliste et antirépublicaine. Née à la suite de l’humiliation de Fachoda (1898) et en pleine crise de l’affaire Dreyfus (1894-1906), l’Action française apparaît comme une réponse de quelques jeunes nationalistes exaspérés par l’évolution du régime parlementaire et par les critiques qui s’élèvent, dans le camp dreyfusard, contre l’armée et la magistrature. Le ciment qui unit ses fondateurs - Maurice Pujo, Henri Vaugeois et Charles Maurras - associe deux éléments : le rejet de l’« anarchie » individualiste héritée de la Révolution française, d’une part ; une volonté de reconstruire la France à partir de nouvelles bases en tenant compte des intérêts du « pays réel », d’autre part. Ainsi prend corps la nécessité du retour à la « Mon-Archie », conçue par Maurras comme une « contre-révolution spontanée ». Celle-ci doit permettre l’expulsion des « quatre États confédérés : juifs, protestants, francs-maçons et métèques » que la République, régime de l’étranger, a laissé s’établir sur le territoire national. La revue l’Action française est fondée le 10 juillet 1899 ; la Ligue naît le 15 janvier 1905, l’Institut d’Action française le 14 février 1906. Ce dernier entend, par l’enseignement, procéder à la « régénération » de l’esprit public et « nationaliser » l’idée de royauté. L’indispensable propagande est assurée par le journal, devenu quotidien le 21 mars 1908, que vendent les « camelots du roy » (16 octobre 1908), également responsables du service d’ordre dans les meetings. D’autres personnalités rejoignent alors le mouvement : le tribun et écrivain Léon Daudet, fils d’Alphonse Daudet, l’historien Jacques Bainville, l’historien d’art Louis Dimier, Léon de Montesquiou, qui sera fauché par la Grande Guerre en 1915. • Les étapes d’une histoire. Pendant
quelque quarante ans, la Ligue combat ses adversaires républicains. Ses incessantes polémiques lui attirent d’abord les sympathies des catholiques, hardiment défendus lors de la querelle des Inventaires au début du siècle, puis celles des patriotes, que la situation internationale et les pronostics alarmistes de Daudet (l’Avant-guerre, 1913) inquiètent, et que séduisent les vues antirépublicaines développées par Maurras. Dès le début de la Grande Guerre, le patriotisme l’emporte : l’intérêt national exige l’« union sacrée ». L’Action française s’y rallie donc aussitôt ; elle va même jusqu’à soutenir en 1917 son adversaire Clemenceau, parce que celui-ci révèle, face à la crise, des qualités de chef. L’hostilité au « mauvais traité » de Versailles vaut à la Ligue un grand prestige. Mais, en 1924, la victoire du Cartel des gauches marque une nouvelle étape : la Ligue est concurrencée par la Fédération nationale catholique (créée en 1924), tandis que l’avertissement puis la condamnation du quotidien nationaliste par le pape Pie XI en décembre 1926 la privent de la part la plus importante de sa clientèle. Dans les années trente, les dirigeants de l’Action française affrontent de nouveaux problèmes, que ni les pâles solutions corporatistes ni les projets d’« union latine » ne sont en mesure de résoudre. Le déclin est amorcé, malgré le maintien des effectifs (entre 30 000 et 60 000 membres) et du tirage du quotidien (variant de 40 000 à 90 000 exemplaires, selon les époques). La Seconde Guerre mondiale va précipiter ce déclin, en dépit d’un retour de faveur sous le gouvernement de Vichy. Le soutien apporté à la « révolution nationale », qui peut être l’occasion de restaurer un État « national », et la défense de la « seule France » y afférente dissimulent mal, sous l’apparence de la traditionnelle rhétorique antiallemande, une complicité de fait avec l’occupant. L’engagement dans la Résistance de nombreux militants en rupture de ban avec leurs dirigeants constitue, cependant, une réalité trop souvent minimisée par les historiens. L’idéologie de l’Action française a survécu à la disparition du quotidien en 1944. Plusieurs épigones ont repris le flambeau : en 1947, Aspects de la France, fondé par Maurice Pujo (qui redevient l’Action Française Hebdo en 1993) ; en 1955, la Nation française, créée par Pierre Boutang. Au début des années quatrevingt-dix, de jeunes étudiants maurrassiens fondent une revue – éphémère – Réaction, dont le manifeste s’exprime ainsi : « En réac-
tion à l’atomisation de la société actuelle, le nationalisme constitue la défense la plus sûre de notre héritage charnel et spirituel. » Adalbéron de Laon, évêque de Laon (vers 947 - 1030). Né dans une famille lorraine apparentée aux Carolingiens, Aldabéron est élevé à l’abbaye de Gorze, près de Metz, foyer de culture et d’ascétisme qui bénéficie du renouveau monastique du Xe siècle. Fidèle du roi carolingien Lothaire, il devient son chancelier, puis obtient de lui l’évêché de Laon, en 977. À la mort de Lothaire, en 986, il prend parti pour Hugues Capet : avec son oncle Aldalbéron, archevêque de Reims, il est l’un des promoteurs du changement dynastique de 987 en faveur des Capétiens. Mais il se dédit à plusieurs reprises, complote avec Eudes de Blois contre Hugues Capet, soutient le jeune Charles de Lorraine, puis livre ce dernier à Hugues en 991, ce qui mettra fin à la dynastie des Carolingiens. Cette versatilité lui a valu, auprès de ses contemporains et des chroniqueurs, une solide réputation de traître. Après l’an mil, Adalbéron de Laon est définitivement rallié aux Capétiens et soutient Robert le Pieux, à qui il dédie, vers 1025, le Poème au roi Robert. Sous la forme d’un dialogue avec le roi, Adalbéron décrit l’état de décrépitude du royaume et s’en prend vivement à Odilon, abbé de Cluny, à qui il reproche de s’être placé sous la tutelle directe du pape, de commander à ses « abbayes filles » et de contribuer au désordre ambiant. Pour Adalbéron, la paix nécessite que chacun connaisse sa place, et il propose une partition de la société en ordres, déterminés par les différents modes de vie. C’est ainsi que, le premier, il distingue, en s’inspirant de saint Augustin, ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux qui travaillent. Les trois ordres ainsi définis - clergé, noblesse et tiers état - demeureront le fondement de la société française jusqu’à la Révolution. Adélie (terre) ! TAAF Ader (Clément), inventeur (Muret, HauteGaronne, 1841 - Toulouse 1925). Figure de l’inventeur héroïque et incompris, Clément Ader n’est pas seulement ce pionnier de l’aviation que la postérité a retenu. Technicien formé à l’École nationale des arts et métiers, d’abord au service des Chemins de fer du Midi, il acquiert son indépendance, sa fortune downloadModeText.vue.download 21 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 10 et sa notoriété à grand renfort de brevets, grâce auxquels il exploite des inventions qu’il améliore (techniques télégraphiques et véhicules). Il mène une vie sociale féconde, et participe à l’Exposition universelle de Paris en 1900. Mais, dans le domaine vierge de l’aéronautique, il fait l’expérience de l’isolement, échouant à convaincre les industriels, l’État et l’opinion publique. En outre, étant à la recherche d’un appareil plus lourd que l’air, il ne dispose pas de modèle scientifique, et tâtonne. Il mobilise toutes ses ressources : expérimentation, déduction, observation de l’anatomie et du vol des oiseaux - d’où le terme d’« avion », du latin avis, « oiseau ». Le 8 octobre 1890, son appareil, baptisé Éole I, décolle et parcourt une cinquantaine de mètres. Mais les essais de 1891 et 1897 se soldent par des échecs, et Clément Ader retourne à des inventions plus rentables. Il se retire à 64 ans et connaît alors une consécration nouvelle : l’armée de l’air, les hommes politiques de la Haute-Garonne et les journalistes commencent à écrire la légende du « père de l’aviation ». adoubement, cérémonie d’entrée en chevalerie au cours de laquelle le nouveau chevalier reçoit solennellement les armes caractéristiques de sa fonction : l’épée, la lance, l’écu, le heaume, le haubert et les éperons. Cette remise d’armes s’accompagne de la collée, appelée encore « paumée » : un coup sur la nuque, administré du plat de la main par le parrain en chevalerie. Ce geste se transforme à la fin du Moyen Âge (XIVe et XVe siècles) en léger coup du plat de l’épée sur l’épaule. D’origine laïque, la remise d’armes est progressivement christianisée aux XIIe et XIIIe siècles, ainsi qu’en témoignent les rituels liturgiques d’adoubement et les traités de chevalerie composés par les clercs : à la bénédiction préalable des armes, attestée dès le XIe siècle, viennent peu à peu s’ajouter une veillée de prières, un bain rituel et l’engagement moral du chevalier à protéger les opprimés et à défendre l’Église et la foi chrétienne. Le chevalier reçoit parfois lui-même la bénédiction des mains d’un prêtre. L’adoubement prend alors une dimension sacramentelle et entraîne l’admission du chevalier dans un ordre voulu par Dieu et béni par l’Église : la chevalerie. La cérémonie devient, dans le
même temps, de plus en plus coûteuse et prestigieuse : elle est souvent l’occasion de fêtes somptuaires où sont célébrés l’honneur aristocratique et les vertus chevaleresques. À partir de la fin du XIIIe siècle, l’adoubement devient ainsi un rite propre aux plus fortunés des nobles. adresse, réponse d’une assemblée au discours du trône ouvrant la session parlementaire, en usage en France de 1814 à 1848 et de 1861 à 1867. Tradition anglaise adoptée par les assemblées napoléoniennes dans leur réponse à la présentation de la Charte de 1814 « octroyée » par Louis XVIII, elle devient un moyen de pression sur l’exécutif, surtout en 1830 avec « l’adresse des 221 » demandant un ministère qui ait la confiance des députés, point de départ de la révolution de Juillet. Sous LouisPhilippe, elle bloque, entre autres, un projet d’expédition coloniale à Madagascar, et, en janvier 1848, sa discussion permet à l’opposition de dénoncer l’immobilisme de Guizot. Sans objet sous la République, elle ne renaît pas sous l’Empire autoritaire, où les députés sont marginalisés. Mais le droit d’adresse est rétabli par le décret du 24 novembre 1860, fondant l’Empire dit « libéral ». Les débats occupent alors un à deux mois par an et sont le moment privilégié où s’expriment des oppositions internes au régime. Dès 1861, les élus catholiques critiquent la politique menée en Italie ; en 1864, 45 députés demandent un « sage progrès » vers le libéralisme ; en 1866, ils sont 63 à voter un amendement d’inspiration orléaniste. Supprimée en 1867 et remplacée par l’interpellation, qui constitue un progrès en ce qu’elle oblige les ministres à venir défendre à tout moment leur politique devant la Chambre, l’adresse n’est qu’une esquisse de contrôle sur le gouvernement, mais, en tant que telle, elle est une étape fondamentale sur la voie du régime parlementaire. A-ÉF ! Afrique-Équatoriale française Aetius, maître de la milice et patrice romain (Durostorum, vers 390 - 454). Fils du maître de la milice Gaudentius, Aetius est envoyé comme otage vers l’âge de 15 ans à la cour du roi des Huns, avec lesquels il établit de solides liens d’amitié. Jusque vers 440, ces derniers lui fourniront les troupes d’appoint indis-
pensables à sa politique. En raison de ses succès militaires contre les Wisigoths et les Francs, il est nommé maître de la milice en 429. Grâce à ses appuis chez les Huns, nul ne parvient à le destituer, et il devient même patrice, c’est-à-dire chef suprême des armées, en 434. Aetius apparaît surtout comme le dernier défenseur romain de la Gaule : en 436, il refoule une attaque des Burgondes, dont le royaume est entièrement détruit par les Huns, au point qu’il peut transférer ce qui reste des populations burgondes vers la région de Genève. Sa politique consiste à faire des peuples barbares des « fédérés » de Rome, c’est-à-dire des alliés, tout en les forçant à ne pas outrepasser les limites des territoires qu’il leur a octroyés. Ainsi, en 451, il réunit une armée formée de Barbares et de Gallo-Romains et vainc Attila aux champs Catalauniques. Aetius atteint alors le sommet de son pouvoir. Inquiet de sa puissance, l’empereur Valentinien III l’assassine, peut-être de sa propre main, le 21 septembre 454, avant de tomber à son tour sous les coups des fidèles du patrice en mars 455. La mort d’Aetius marque le déclin irrémédiable de la puissance romaine en Gaule. Afars et des Issas (territoire français des) ! Djibouti Affiche rouge (l’), affiche de propagande placardée par les Allemands à la fin du mois de février 1944, présentant dix des vingt-trois membres du groupe des FTP-MOI fusillés le 21 février 1944. Dans sa lutte armée contre l’occupant, le Parti communiste clandestin maintient un groupe réservé aux immigrés, la Main-d’oeuvre immigrée (MOI), rattachée aux Francs-Tireurs et Partisans (FTP) en avril 1942. Souvent encadrés par des anciens des Brigades internationales, les FTP-MOI mènent une action de guérilla urbaine contre les Allemands : en septembre 1943, ils exécutent, à Paris, Julius Ritter, bras droit de Fritz Sauckel, plénipotentiairechargé de la réquisition de la main-d’oeuvre dans les pays occupés. Le travail de filature organisé par la brigade spéciale de la police parisienne aboutit, le 16 novembre 1943, à l’arrestation de Missak Manouchian, ouvrier arménien responsable de la MOI depuis l’été. L’organisation des FTP-MOI de Paris est alors démantelée. Du 15 au 18 février 1944, vingt-quatre d’entre eux sont jugés par un tribunal militaire allemand. Sur les vingt-trois condamnés, douze sont des juifs d’Europe centrale. En effet, les jeunes juifs immigrés forment la majorité des combattants de la MOI. Désireuse de montrer aux Français que
la Résistance est aux mains de « bandits juifs communistes », la propagande allemande donne un écho particulier à ces exécutions. Dans les années quatre-vingt, des polémiques ont mis en cause l’attitude du PCF à l’égard du « groupe Manouchian » : si la police française est bien à l’origine de la chute du groupe, la direction du parti, engagée dans une forte concurrence avec les gaullistes, avait refusé de déplacer en province des combattants qu’elle savait très exposés à Paris. Ces polémiques ont rappelé le prix payé par la Résistance juive et étrangère dans la lutte contre l’occupant : l’Affiche rouge symbolise aujourd’hui un aspect original du creuset français, le sacrifice de ces immigrés « qui criaient la France en s’abattant », comme l’exprima Louis Aragon dans un poème qui fut chanté par Léo Ferré. Affre (Denis Auguste), archevêque de Paris (Saint-Rome-de-Tarn 1793 - Paris 1848). Fils d’un ancien parlementaire devenu magistrat à Rodez sous la Restauration, le futur archevêque de Paris, est élevé au collège de Saint-Affrique (Aveyron), puis au séminaire parisien de Saint-Sulpice, où il adhère aux doctrines gallicanes. Ordonné prêtre en 1820, il occupe diverses fonctions dans les diocèses de Rodez, Paris et Luçon, puis fonde avec Laurentie le périodique la France chrétienne (1821-1826). Vicaire général de Mgr de Chabons à Amiens (1823-1833), puis de Mgr de Quelen à Paris (1834-1840), il acquiert une réputation d’administrateur rigoureux et compétent, publie un important Traité de l’administration des paroisses (1827) ainsi qu’un Traité de la propriété des biens ecclésiastiques (1837). Pressenti pour devenir coadjuteur de l’évêque de Strasbourg et sacré évêque in partibus de Pompeiopolis, il succède en 1840, grâce à la protection de Thiers, au très légitimiste Mgr de Quelen, archevêque de Paris. Ses huit années d’épiscopat dans la capitale (1840-1848) sont marquées par une réorganisation administrative du diocèse. Mgr Affre poursuit en particulier un effort de renouvellement des études cléricales, publie une importante lettre pastorale (Sur les études downloadModeText.vue.download 22 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 11 ecclésiastiques, 1841), développe le collège-
séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, que dirige l’abbé Dupanloup, confie à l’abbé Lacordaire les conférences de Notre-Dame de Paris, réorganise la faculté de théologie d’État à la Sorbonne, et crée aux Carmes une École des hautes études ecclésiastiques (1845). Il poursuit dans la capitale une pastorale active, développe la catéchèse et les oeuvres d’assistance sociale et religieuse (Société de SaintFrançois-Xavier) ainsi que la presse catholique, malgré ses démêlés avec l’abbé Migne et avec l’Univers de Louis Veuillot. Il se heurte violemment à la monarchie de Juillet sur la question de la liberté d’enseignement, et son gallicanisme affiché lui vaut de nombreuses difficultés avec les congrégations religieuses et avec le Saint-Siège : ni Grégoire XVI ni Pie IX ne le feront cardinal. En février 1848, Mgr Affre se rallie ouvertement à la République. Il trouve la mort en juin de la même année, au faubourg Saint-Antoine, en tentant courageusement de s’interposer entre les ouvriers insurgés et les troupes du général Cavaignac. Afrique du Nord (débarquement d’), débarquement des troupes américaines sur les côtes de l’Algérie et du Maroc, le 8 novembre 1942, dans le cadre de l’opération « Torch ». En juillet 1942, Churchill impose à Roosevelt le principe d’un débarquement en Afrique du Nord. À cause de l’anglophobie et de l’hostilité à la France libre de l’armée vichyste d’Afrique, il est décidé que l’opération sera dirigée par les Américains, sans en informer de Gaulle. Afin de susciter le ralliement de l’armée d’Afrique, les Américains tentent d’obtenir la caution d’un chef prestigieux. Weygand, ancien délégué général en Afrique du Nord du gouvernement de Vichy, s’étant désisté, ils placent leurs espoirs dans le général Giraud, récemment évadé d’Allemagne. Dans le même temps, le consul Robert Murphy noue des contacts avec la Résistance d’Afrique du Nord, notamment avec le groupe des Cinq, réunion de personnalités le plus souvent issues de l’extrême droite. Pourtant, les équivoques ne sont pas levées : Giraud croit que les Américains lui confieront le commandement de l’opération, et il réclame un second débarquement en Provence. L’opération « Torch » se déroule sans réelle coordination avec la Résistance locale. Les tentatives insurrectionnelles des conjurés, menées dans l’improvisation, échouent, et, à Casablanca, Oran et Alger, les Alliés se heurtent aux forces de Vichy. Les combats cessent à Alger dès le 8 novembre
au soir, mais ils continuent au Maroc jusqu’au 11. En outre, une série de facteurs imprévus bouleverse le plan américain. On découvre - un peu tard - que Giraud n’a aucune autorité sur les officiers vichystes d’Afrique du Nord, qui lui reprochent sa « dissidence ». En revanche, il apparaît que l’amiral Darlan, ancien dauphin du maréchal Pétain, présent fortuitement à Alger, est le seul à pouvoir les convaincre. Dans un premier temps, Darlan ordonne aux forces de Vichy de repousser les « assaillants » ; mais, constatant la supériorité de ces derniers, il se résout à négocier. Pragmatique, Roosevelt décide alors de traiter avec lui. Les accords Darlan-Clark du 22 novembre placent l’Afrique du Nord sous une quasi-occupation américaine et offrent le pouvoir à Darlan. Celui-ci, tout en maintenant la législation de Vichy, entraîne l’empire (l’A-OF se rallie rapidement) dans la guerre contre les forces de l’Axe. Il se prévaut de l’« accord intime » que, le 13 novembre, le maréchal Pétain lui signifie par télégramme. En fait, il semble que le fameux télégramme (cosigné par Pierre Laval) se rapporte à la situation des jours précédents et approuve la première attitude de Darlan. Du reste, en public, Pétain désavoue fermement l’amiral. Le 11 novembre, en réaction au débarquement, les Allemands envahissent la Tunisie et pénètrent en zone sud, anéantissant le semblant de souveraineté de Vichy et provoquant, le 27, le sabordage de la flotte française basée à Toulon, désarmée depuis l’armistice. La position de Darlan est difficilement tenable : les gaullistes et les résistants sont scandalisés par l’intronisation de ce dignitaire de Vichy ; le ralliement de l’armée d’Afrique est fragile, et l’opinion américaine reste hostile. Finalement, le 24 décembre 1942, Darlan est assassiné par un jeune résistant, Bonnier de La Chapelle. Giraud devient alors haut-commissaire de l’Afrique du Nord et, poursuivant la politique de Darlan, refuse, dans un premier temps, tout accord avec les gaullistes. Afrique-Équatoriale française (A-ÉF), groupement de quatre colonies, puis de territoires d’outre-mer de la République française en Afrique centrale (1910-1958). Les explorations de Savorgnan de Brazza dans le bassin du Congo sont à l’origine d’une considérable extension des possessions françaises en Afrique équatoriale, qui se limitaient jusque-là à la colonie du Gabon. En 1887, Brazza est nommé commissaire général au Congo avec Brazzaville pour résidence, la co-
lonie du Gabon étant confiée à un lieutenantgouverneur dépendant de son autorité. Le 29 décembre 1905 est fondée une troisième colonie, l’Oubangui-Chari (ancienne région du haut Oubangui). Quant au territoire militaire du Tchad, créé en 1901, après la destruction de l’empire de Rabah, il ne recevra le statut de colonie qu’en 1920. En 1909, Martial Merlin prend le titre de gouverneur général du Congo français, et un gouvernement général de l’A-ÉF est enfin institué en 1910. Chaque colonie a à sa tête un lieutenant-gouverneur subordonné au gouverneur général. En vertu de l’accord franco-allemand du 4 novembre 1911, consécutif à la deuxième crise marocaine, le territoire de la Fédération est amputé d’une bande d’environ 100 kilomètres de large (275 000 kilomètres carrés au total) au profit de la colonie allemande du Cameroun. Ce découpage implique un véritable démembrement de l’A-ÉF, qui se trouve partagée en trois tronçons. Mais, dès 1916, le Cameroun, conquis par les forces francobritanniques, est ramené à ses frontières antérieures à 1911. La Fédération s’étend alors sur 2,5 millions de kilomètres carrés. Sa conquête n’a pas rencontré de véritable résistance en zone forestière, mais les opérations de pacification se sont poursuivies assez longtemps aux confins du désert, notamment au Tchad, où elles ne prennent fin qu’en 1924. Certaines populations musulmanes soutenues par la confrérie sénoussie ont même opposé une résistance tenace à la colonisation. • L’A-ÉF, cendrillon de l’empire colonial ? Dans le domaine sanitaire, la puissance colonisatrice introduit quelques progrès notables : création de l’institut Pasteur de Brazzaville en 1905, campagnes de vaccination antivariolique, succès du docteur Jamot dans la lutte contre la maladie du sommeil. L’hôpital de Lambaréné (Gabon), fondé par Albert Schweitzer en 1913, a pu à bon droit être considéré comme une réalisation remarquable. Toutefois, en 1938, l’A-ÉF ne compte encore que 80 médecins. Dans le domaine scolaire, les réalisations demeurent insignifiantes, sauf dans le Sud. On assiste en même temps à un prosélytisme actif des missions chrétiennes (surtout parmi les populations des régions forestières du Sud) : en 1939, on dénombre dans la Fédération 300 000 catholiques et 80 000 protestants. Les cultes syncrétistes africains (matsouanisme, kimbanguisme) font parallèlement de nombreux adeptes.
Décimée par les abus du travail forcé - les travaux du chemin de fer Congo-Océan coûtent la vie à des milliers d’Africains -, la population, déjà très clairsemée à l’arrivée des Français, atteint seulement 4 millions d’habitants en 1943. Le développement économique demeure entravé par la pénurie de maind’oeuvre et l’insuffisance des équipements (le chemin de fer Congo-Océan est inauguré en 1934, et en 1938 il n’existe que 40 000 kilomètres de routes et de pistes). La production de caoutchouc décline, tout comme le commerce de l’ivoire. Le bois, provenant principalement du Gabon, forme la majeure partie des exportations, qui ne s’élèvent qu’à 260 millions de francs en 1938. Au total, la Fédération se résume à un groupement artificiel de colonies disparates, les unes tropicales et forestières (Gabon), les autres en partie désertiques (Tchad), ne disposant que de maigres ressources mal mises en valeur, d’où le qualificatif de « cendrillon de l’empire ». • L’A-ÉF durant la Seconde Guerre mondiale. À la différence de l’A-OF voisine, l’AÉF se rallie à la France libre dès 1940, sous l’impulsion du gouverneur du Tchad, Félix Éboué, nommé gouverneur général (décembre 1940), et du colonel Leclerc. Ce ralliement, obtenu au prix de quelques combats entre Français au Gabon, a des conséquences importantes sur la poursuite des hostilités en Afrique. En effet, le Tchad joue un rôle stratégique en tant que base aérienne pour l’acheminement des troupes et du matériel de guerre alliés vers l’Égypte ; il est également le point de départ de la division Leclerc (2e DB) vers le front de Libye, Koufra et le Fezzan. Le maintien des quatre colonies dans la guerre se traduit pour les populations par un alourdissement des corvées (cueillette du caoutchouc, accroissement de la production de coton). Éboué veille cependant à une promotion, limitée, des élites africaines : il promulgue le 29 juillet 1942 un « statut du notable évolué », qu’il attribue à 485 Africains, et recrute quelques hauts fonctionnaires downloadModeText.vue.download 23 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 12 autochtones. Il est l’un des principaux promoteurs de la conférence de Brazzaville qui se tient du 30 janvier au 8 février 1944. Inaugurée par un discours demeuré célèbre du général de Gaulle, cette assemblée de gouverneurs
et de spécialistes jette les principes fondamentaux de la politique coloniale qu’elle entend voir suivre par la IVe République. Elle se place toutefois dans une optique jacobine et assimilatrice, et les thèses fédéralistes d’Éboué sont mises en échec. • L’A-ÉF sous la IVe République. En vertu de la Constitution de 1946, les quatre colonies de l’A-ÉF deviennent des territoires d’outremer représentés au Parlement par 6 députés et 8 sénateurs, les élections étant organisées dans le cadre d’un double collège selon un mode de scrutin capacitaire, progressivement élargi (110 000 électeurs en 1946 ; 784 000 en 1953). Chaque territoire est pourvu d’une Assemblée, et un Grand Conseil de l’A-ÉF, composé de 20 délégués issus de ces assemblées, siège à Brazzaville. On assiste dès lors à l’éveil d’une vie politique dont les figures marquantes vont être l’abbé Boganda, député de l’Oubangui-Chari et fondateur du Mouvement pour l’évolution sociale de l’Afrique noire (MESAN), Léon M’Ba (Gabon), JeanFélix Tchicaya, député du Moyen-Congo, et Gabriel Lisette (Tchad). Les chefs traditionnels musulmans du Tchad conservent une grande influence. Sur le plan économique, les crédits du Fonds d’investissement pour le développement économique et social (FIDES) permettent de financer des plans de développement et de réaliser des équipements : achèvement du port de Pointe-Noire, barrage hydroélectrique de la Doué, près de Brazzaville, lycée de Brazzaville, hôpitaux et écoles de brousse. En 1956 est découvert le gisement pétrolifère de Port-Gentil. La même année, la loi-cadre, dite « loicadre Defferre », institue le suffrage universel (2 millions et demi d’électeurs) et dote les quatre territoires d’un régime de semi-autonomie, avec une Assemblée représentative et un Conseil de gouvernement. Mais les élus du Gabon s’opposent à tout projet d’exécutif fédéral, ce qui laisse présager le démembrement de l’A-ÉF. Deux ans plus tard, lors du référendum de septembre 1958, les électeurs de l’A-ÉF approuvent massivement le projet de Constitution. Peu après, les quatre assemblées territoriales se prononcent pour le statut d’État membre de la Communauté, ce qui implique la dissolution de la Fédération, parachevée en 1960 lors de l’accession de ces États à l’indépendance. L’Oubangui-Chari prend l’appellation de République Centrafricaine, et le Moyen-Congo celle de République du Congo-Brazzaville.
Afrique-Occidentale française (A-OF), groupement de colonies, puis de territoires d’outre-mer de la République française en Afrique de l’Ouest (1895-1958). Dans les dernières années du XIXe siècle, l’extension des territoires conquis en Afrique de l’Ouest à partir de la vieille colonie du Sénégal et des établissements côtiers rend nécessaire la constitution d’un groupement de colonies. Le gouvernement général de l’Afrique-Occidentale française est ainsi créé par un décret du 16 juin 1895. Il regroupe au départ quatre colonies : Sénégal, Guinée, Soudan, Côted’Ivoire. Les fonctions de gouverneur général sont assumées par le gouverneur du Sénégal, auquel sont subordonnés les gouverneurs de Guinée (Conakry), de Côte-d’Ivoire (GrandBassam) et un lieutenant-gouverneur pour le territoire du Soudan et le Haut-Niger. Le Dahomey, conquis et organisé en 1894, ne fait pas initialement partie de l’A-OF. Les structures administratives de la Fédération sont maintes fois remaniées, et les divisions territoriales subissent de nombreuses modifications. Ainsi, en 1896, la Côte-d’Ivoire est érigée en colonie indépendante de l’AOF, avant d’être réincorporée au sein de l’ensemble en 1899, en même temps que le Dahomey, tandis que le territoire du Soudan est partagé entre le Sénégal, la Guinée et la Côte-d’Ivoire. Le 1er octobre 1902, la charge de gouverneur général devient distincte de celle du gouverneur du Sénégal. Le Soudan est reconstitué sous le nom de Territoire de la Sénégambie et du Niger (1902), puis de Haut-Sénégal et Moyen-Niger (1904), avant de prendre celui de Soudan français en 1920. Un protectorat des pays maures est créé en 1903, administré par un commissaire civil, délégué du gouverneur général. En 1920, ce territoire est érigé en colonie sous le nom de Mauritanie. Une colonie de Haute-Volta est fondée en 1919. Elle sera supprimée en 1932 en vertu de restrictions budgétaires, puis rétablie en 1947. Enfin, le IIIe territoire militaire de l’A-OF (créé en 1901) prend en 1921 le nom de territoire civil du Niger et devient une colonie l’année suivante. Le territoire du Togo, sous mandat de la Société des nations (SDN), administré par la France, est dans les faits rattaché à l’A-OF à partir de 1920. • La Première Guerre mondiale et l’entredeux-guerres. La pacification ne s’achève véritablement qu’en septembre 1898, avec la capture du chef mandingue Samory Touré.
Menée par des soldats africains - les tirailleurs « sénégalais » - encadrés par des Blancs, elle est relativement peu meurtrière, malgré la pratique de part et d’autre de la politique de la terre brûlée : celle-ci entraîne cependant des dommages économiques considérables et la dévastation de régions entières. Des opérations ponctuelles se poursuivront, notamment en Mauritanie, jusqu’en 1934. La Première Guerre mondiale est marquée par une importante participation des Africains, qui fournissent 164 000 combattants dont 33 000 seront tués. Le député du Sénégal Blaise Diagne (1874-1934), nommé par Clemenceau commissaire général aux troupes noires en 1917, encourage les engagements et stimule l’ardeur des populations. Mais les abus de la conscription provoquent des mouvements insurrectionnels tels ceux qui se produisent au Soudan dans le cercle de Dédougou (aujourd’hui Burkina Faso) à la fin de l’année 1915 : les représailles, en septembre 1916, font plusieurs centaines de victimes. Au Niger, au printemps de la même année, éclate la seconde révolte de Firhoun, chef traditionnel des Touaregs Oulmiddens, dont la répression inspirera à l’écrivain nigérien Fily Dabo Cissoko un recueil de poèmes, la Savane rouge. En 1930, l’A-OF a une superficie de 4,46 millions de kilomètres carrés et regroupe 15 millions d’habitants. Les huit colonies (Sénégal, Guinée, Côte-d’Ivoire, Dahomey, Haute-Volta, Soudan, Niger, Mauritanie) sont divisées en 118 cercles et 48 000 villages. Les anciens États indigènes sous protectorat ont été supprimés par un décret de 1904, et leurs territoires, purement et simplement annexés. Les chefs traditionnels, intégrés dans les rouages administratifs, sont réduits à un rôle d’auxiliaires (chefs de canton, chefs supérieurs), et ils sont mal rémunérés. Les commandants de cercle, administrateurs coloniaux, sont les véritables « rois de la brousse ». Si l’on excepte quelques milliers d’Africains citoyens français - les « originaires » des quatre communes du Sénégal qui élisent un député ou bien quelques militaires ou fonctionnaires ayant pu accéder à la citoyenneté -, les indigènes ont le statut de « sujet français », un statut qui leur reconnaît peu de droits et leur impose surtout des devoirs. Ils sont assujettis à un régime judiciaire et fiscal particulier, défini par le Code de l’indigénat. • Enseignement et santé. Dans la pre-
mière moitié du XXe siècle, un important effort est réalisé dans le domaine scolaire, mais qui bénéficie surtout aux territoires côtiers, où se forme progressivement une élite francophone : ainsi, l’école normale de Dakar devient-elle une pépinière de cadres et de futurs dirigeants. Le Dahomey, pourvu de nombreuses écoles publiques et privées, surnommé « le Quartier latin de l’Afrique », fournit des fonctionnaires africains pour toute l’A-OF. En revanche, la Mauritanie et les colonies de l’intérieur (Soudan, Haute-Volta, Niger) restent plutôt déshéritées sur tous les plans. Des progrès notables sont également accomplis dans le domaine médical. Les services de l’Assistance médicale indigène (AMI), instituée en 1905, ouvrent des hôpitaux et des dispensaires de brousse, tandis que l’école de médecine de Dakar (1918) forme des médecins africains. Les instituts Pasteur organisent des campagnes de vaccination. Celui de Dakar, fondé en 1908, se spécialise dans la lutte contre la fièvre jaune. C’est là qu’en 1935 le Dr Peltier met au point la méthode de vaccination par scarification. Un institut de la lèpre est ouvert à Bamako en 1924. • Équipement et mise en valeur. Pendant toute la période coloniale, l’arachide reste le premier poste à l’exportation (60 % du total en 1930), devançant de loin l’huile de palme (Dahomey), le coton (en provenance de la zone sahélienne) et les bois précieux de Côted’Ivoire. En 1938, la production de cacao couvre 90 % des besoins de la métropole. La vie économique de la Fédération est largement dominée par de grandes sociétés, dont les principales sont la Compagnie française de l’Afrique-Occidentale (CFAO), la Société commerciale de l’Ouest africain (SCOA, qui changera plusieurs fois de raison sociale tout en gardant le même sigle) et, enfin, le trust Unilever, spécialisé dans la commercialisation downloadModeText.vue.download 24 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 13 des oléagineux. Les anciennes maisons bordelaises (Maurel et Prom, Peyrissac) conservent un rang non négligeable, du moins au Sénégal. Dans le réseau bancaire, la Banque de l’Afrique-Occidentale (BAO) s’est imposée à la première place. La constitution de ce groupement de co-
lonies - impliquant la solidarité financière entre les territoires - permet de lancer des emprunts et de financer des programmes de grands travaux que les seuls budgets locaux n’auraient pu assumer. Une infrastructure ferroviaire et routière est ainsi mise en place à partir de la fin du XIXe siècle : la voie ferrée Dakar-Niger (1 288 km), reliant le Sénégal à Bamako et Koulikoro, est achevée en 1923 par l’ouverture du tronçon Thiès-Kayes et devient le principal axe commercial de l’AOF ; en Guinée, la ligne Conakry-Kankan, qui assure le débouché des productions du Fouta-Djalon, est inaugurée en 1914 ; l’Abidjan-Niger, « le chemin de fer de l’arachide », construit à partir de 1908 afin de désenclaver la Haute-Volta, atteint Bobo-Dioulasso en 1947, mais n’arrivera à Ouagadougou qu’en 1954. Pendant l’entre-deux-guerres, l’apparition des camions de brousse est à l’origine de l’aménagement d’un important réseau routier (100 000 km en 1940, dont 32 000 de voies permanentes). L’infrastructure portuaire reste en revanche très insuffisante : Dakar est le seul port correctement équipé, les autres villes côtières n’étant pourvues que de wharfs et de rades foraines. Un ambitieux programme d’irrigation du delta intérieur du Niger est conçu par l’ingénieur Bélime sous l’égide de l’Office du Niger (fondé en 1932), avec pour objectif la mise en culture de près de 2 millions d’hectares et l’installation de 1 million de paysans voltaïques. Mais, en dépit de la belle réalisation du barrage de Sansanding (Soudan français, aujourd’hui Mali), ce projet grandiose ne connaît qu’un modeste début d’application. • L’A-OF sous la IVe République. En 1940, le gouverneur général de l’A-OF, le général Boisson, refuse de se rallier à la France libre. Une tentative de débarquement des forces gaullistes à Dakar est repoussée par les batteries côtières (23-25 septembre 1940). Toutefois, au lendemain du débarquement allié en Afrique du Nord, en novembre 1942, Boisson doit se soumettre aux autorités d’Alger. En 1943, des troupes sont levées, qui rejoignent la France combattante. Au lendemain du conflit, diverses améliorations sont apportées au statut des autochtones, dans l’esprit de la conférence de Brazzaville : suppression du régime de l’indigénat, abolition de la corvée. Par la suite, les crédits du Fonds d’investissement pour le développement économique et social des territoires d’outre-mer (FIDES) permettent le financement de nombreux aménagements tels que le percement du canal de Vridi, qui dote Abidjan d’un beau port en eau profonde (1951).
La Constitution de la IVe République généralise le principe de la représentation parlementaire des territoires d’outre-mer (anciennes colonies), et l’A-OF se voit alors attribuer 16 députés (élus au suffrage capacitaire et au double collège) et 20 sénateurs. Chaque territoire est doté d’une Assemblée, tandis que le gouverneur général est désormais assisté d’un Grand Conseil, organe de coordination composé de délégués des assemblées territoriales. Lors des premières élections, la victoire revient au Rassemblement démocratique africain (RDA), parti fondé au congrès de Bamako, en octobre 1946, par l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny et le Sénégalais Gabriel d’Arboussier. Cette formation, alors assez proche du parti communiste, est vivement combattue par l’administration et se heurte également à l’opposition des Indépendants d’outre-mer (IOM), regroupés autour de Léopold Sédar Senghor. À partir de 1950, un revirement se dessine dans l’attitude des dirigeants du RDA (qui va subir un sévère échec aux élections de 1951), dont la plupart des membres rompent l’alliance avec les communistes pour se rapprocher d’une formation centriste, l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR). Au printemps 1957, l’entrée en vigueur de la loi-cadre de juin 1956, dite « loi-cadre Defferre », introduit d’importantes modifications institutionnelles : elle instaure le suffrage universel et dote chaque territoire de l’A-OF d’un régime de semi-autonomie, avec une assemblée représentative et un embryon d’exécutif. La structure fédérale se trouve dès lors hypothéquée, et, en dépit des voeux de Senghor, la « balkanisation » de l’Afrique française se profile, due pour l’essentiel aux rivalités entre Senghor et Houphouët-Boigny, aux aspirations à l’indépendance de certains dirigeants locaux et à leurs craintes de subir la domination des élites sénégalaises. • 1958 : l’éclatement. L’avènement de la Ve- République entérine la disparition de l’AOF, comme d’ailleurs celle de l’A-ÉF. Lors de sa tournée africaine d’août 1958, le général de Gaulle déclare que les résultats du référendum du 28 septembre seront comptabilisés par territoire, et que tout territoire où le « non » l’emportera accédera aussitôt à l’indépendance, sans aucune garantie de coopération avec la France. Tel est le choix que font les Guinéens, qui, à l’appel du dirigeant local Sékou Touré, votent massivement « non ». Dans les semaines qui suivent, les Assemblées des autres territoires optent pour le statut
d’État membre de la Communauté, qui leur est offert par la nouvelle Constitution. Les organes fédéraux et les services du gouvernement général sont mis en liquidation. Agadir (crise d’), crise diplomatique qui opposa en juillet 1911 l’Allemagne et la France à propos de la question marocaine. Celle-ci, restée en suspens depuis la conférence d’Algésiras, met aux prises l’Allemagne, désireuse de préserver le statut international du Maroc, avec la France, qui cherche à y établir un protectorat. Or les ambitions françaises se sont récemment concrétisées avec la pénétration du colonel Lyautey dans la zone des Confins et, en 1908, avec la prise de la plaine de la Chaouïa. Aussi, lorsqu’en juin 1911 l’armée française occupe Fès et Meknès pour secourir le sultan Moulay Hafid attaqué par les rebelles, l’Allemagne décide-t-elle d’intervenir. Le 1er juillet 1911, elle envoie la canonnière Panther devant le port sudmarocain d’Agadir. La réaction française et internationale est immédiate. Tant au sein du gouvernement français (dirigé par le pacifiste Joseph Caillaux) que parmi les chancelleries européennes, les partisans d’une politique de guerre et ceux de la négociation s’opposent, provoquant une crise qui va durer un mois. L’appui résolu de la Grande-Bretagne à la France permet de parvenir à un accord. Par le traité du 4 novembre 1911, l’Allemagne laisse à la France les « mains libres » au Maroc, ce qui aboutira à l’établissement du protectorat français en 1912, et reçoit en échange une partie du Congo français. Cette crise témoigne de l’exacerbation des tensions européennes ; elle a elle-même alimenté la montée des nationalismes en Allemagne et en France, où elle a entraîné la chute du cabinet Caillaux. âge du bronze, période de la protohistoire, caractérisée par l’essor de la métallurgie et qui s’étend de 1800 à 750 avant J.-C. environ. Si la métallurgie du cuivre, la plus ancienne avec celles de l’or et de l’argent, remonte en Europe au Ve millénaire et en France au IVe millénaire, le bronze - un alliage de cuivre et d’étain - n’apparaît en France qu’au début du IIe millénaire. Mais, comme le cuivre, il reste longtemps une matière rare et précieuse qui, plus que d’une révolution technique, témoigne du développement de sociétés hiérarchisées : arme ou bijou, l’objet de bronze est en effet essentiellement un objet de prestige, porté par les individus les plus riches et
déposé dans leur tombe à leur mort, ou, parfois, enfoui dans des « cachettes ». En général, on divise l’âge du bronze en trois périodes. Le bronze ancien, de 1800 à 1500 avant J.-C., est caractérisé par une métallurgie encore rudimentaire, où le bronze proprement dit est assez rare. Les formes des objets métalliques continuent d’imiter celles des objets de pierre ou d’os : haches plates, poignards plats et courts, épingles. De fait, d’un point de vue social et économique, mais aussi technique, cette période ne se distingue guère de la précédente, le chalcolithique. En France, on remarque à cette époque plusieurs « cultures » différentes. Dans l’Est, c’est la civilisation du Rhône, variante régionale de la brillante civilisation d’Unětice, caractéristique de la Bohême et de l’Allemagne du Sud. Dans l’Ouest, on trouve la spectaculaire civilisation des tumulus armoricains, apparentée à la culture britannique du Wessex. Cette dernière est connue par ses tombes, parfois encore de tradition mégalithique, recouvertes d’un tertre de terre (tumulus), dans lesquelles ont été trouvés des parures en or (pectoral plat en forme de croissant), des vases en argent, mais aussi des pointes de flèche en silex d’une très grande finesse, qui représentent paradoxalement l’apogée de la taille de la pierre. Dans le Sud, l’âge du bronze se développe à partir de la civilisation chalcolithique du campaniforme. C’est au bronze moyen, entre 1500 et 1200 avant J.-C., que se développe vraiment la métallurgie du bronze. Le nouvel alliage permet de créer des formes impossibles à obtenir jusqu’alors : longues épées, mais aussi armes défensives (casques, cuirasses, jambières). Ce nouvel armement va révolutionner les techniques de combat, même si les downloadModeText.vue.download 25 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 14 armes de bronze restent le privilège de l’élite guerrière. L’ouest de la France se caractérise par une très belle métallurgie, celle du bronze atlantique, avec ses grandes épées que l’on trouve souvent enterrées dans des « dépôts » ou bien jetées au fond des rivières, ce qui suggère des rituels particuliers, offrandes ou formes de compétitions entre chefs, comparables au potlatch des Indiens nord-américains. Dans l’est de la France, le rituel des tumulus se répand ; c’est la civilisation de Haguenau, avec ses vases aux décors gravés
et incrustés, dont le style se retrouve dans le sud du pays. Durant le bronze final, de 1200 à 750 avant J.-C., la métallurgie se généralise et s’étend à l’outillage des artisans (travail du bois, du métal, etc.). L’orfèvrerie de l’argent, et surtout de l’or, peut être spectaculaire. Dans l’organisation sociale, la hiérarchie tend à s’accroître, aussi bien entre individus, comme en témoigne le mobilier des tombes, qu’entre communautés : on distingue, dans leur habitat, toute une gradation, depuis les simples fermes ou hameaux isolés jusqu’aux bourgades fortifiées, juchées sur les hauteurs et ceintes de remparts de pierre. La guerre semble devenir plus fréquente, comme le suggère l’établissement de certains villages sur des presqu’îles marécageuses au bord des lacs du Jura ou des Alpes - dont la vase a particulièrement bien préservé les vestiges, notamment en bois. Des grottes servent d’abri, telle celle des Planches, près d’Arbois (Jura), qui a livré les traces d’un massacre. L’âge du bronze est suivi, sans rupture, par la première période de l’âge du fer, ou « Hallstatt ». âge du fer, dernière période de la protohistoire, entre 750 et 50 avant J.-C. environ. Elle est caractérisée par le développement de la métallurgie du fer, mais surtout par l’apparition de formes sociales de plus en plus complexes, entraînant finalement la formation de véritables États. On distingue le premier âge du fer, ou période de Hallstatt (du nom d’un cimetière mis au jour en Autriche, près de Salzbourg), qui s’étend jusqu’en 480 environ, puis le second âge du fer, ou période de La Tène (du nom d’un village suisse des bords du lac de Neuchâtel). En France, l’âge du fer est interrompu par la conquête romaine. Le fer nécessite une métallurgie plus complexe que le cuivre (il fond à 1 500 oC), mais il est plus répandu dans la nature et beaucoup plus résistant. Si le fer météoritique est déjà connu en Mésopotamie au IIIe millénaire, le minerai de fer est travaillé chez les Hittites à partir du IIe millénaire. Il se généralise au Ier millénaire avec l’apparition des civilisations urbaines méditerranéennes de Grèce et d’Italie. En Europe tempérée, et donc en France, il est présent dès le VIIIe siècle avant J.-C., mais il demeure réservé à l’élaboration d’objets précieux pendant le premier âge du fer : épées, mais aussi bracelets ou torques. Le premier âge du fer ne marque aucune rupture historique avec l’âge du bronze final qui le précède immédiatement. C’est cependant
durant cette période que l’on assiste, avec les « résidences princières » du quart nord-est de la France et du sud de l’Allemagne, à une première tentative de constitution d’entités étatiques. Ces bourgs fortifiés sont régulièrement espacés d’une soixantaine de kilomètres et contrôlent toute une hiérarchie de villages et de hameaux. Leurs chefs sont enterrés avec un mobilier de luxe, souvent de provenance méditerranéenne. La sépulture la plus célèbre en France est celle découverte à Vix. De fait, ces potentats locaux contrôlent les routes commerciales avec la Méditerranée, et notamment celle qui, par la Seine, puis la Saône, permet d’acheminer vers l’Italie ou la Grèce l’étain de Grande-Bretagne. Pourtant, à la suite de tensions économiques et politiques, ces résidences princières disparaissent au début du Ve siècle. Les relations, d’abord commerciales puis guerrières, avec le monde méditerranéen sont caractéristiques du second âge du fer. Les Grecs, les Étrusques puis les Romains installent en effet des comptoirs commerciaux le long des côtes méditerranéennes, mais aussi des colonies de peuplement, telle Marseille (Massilia), fondée en 600 avant J.-C. Cette richesse supposée du monde méditerranéen explique en partie le déclenchement des invasions celtiques des IVe et IIIe siècles, c’est-à-dire le mouvement, vers le sud, des peuples supposés celtes, qui habitent alors la moitié nord de la France, le sud de l’Allemagne et la Bohême. Ces émigrants atteindront l’Italie centrale (c’est le fameux siège de Rome par les Gaulois), l’ensemble de l’Europe centrale et orientale, et s’implanteront même en Turquie, créant l’éphémère royaume galate. Une fois ces mouvements stabilisés, des formes protoétatiques apparaissent à nouveau, au IIe siècle, avec de puissants royaumes gouvernés par une aristocratie guerrière et terrienne, tels ceux des Ambiens, en Picardie, des Arvernes, dans le centre de la France, ou des Éduens, en Bourgogne. Toutefois, ces royaumes se heurtent à l’expansionnisme de Rome. En 124 av. J.-C., c’est d’abord le sud de la Gaule qui est conquis par les armées romaines, qui fondent la province de Narbonnaise. Puis, à partir de 58 av. J.-C., Jules Cesar, gouverneur avisé de la Narbonnaise, habile à jouer des rivalités entre peuples gaulois, entreprend la conquête de l’ensemble de la Gaule, se dotant par là même d’une armée et d’un prestige qui lui permettront de prendre le pouvoir à Rome, mettant fin à la République. Dès lors et pendant quatre siècles, l’histoire de l’actuel territoire français va se fondre avec celle de l’Empire romain.
âge de la pierre polie ! néolithique âge de la pierre taillée ! paléolithique Agobard (saint), archevêque de Lyon (Espagne, vers 769 - Lyon 840). Probablement d’origine wisigothique, Agobard naît en Espagne au moment où Charlemagne devient roi. Il est élevé dans l’entourage de l’archevêque de Lyon, Leidrade, à qui il succède en 816. Dès lors, il est l’un des personnages les plus importants du règne de l’empereur Louis le Pieux, fils de Charlemagne. Héritier de la première renaissance carolingienne, il se fait le défenseur de la vocation universelle de la royauté, de l’unité de l’empire et des peuples que gouverne l’empereur. Au nom de ce dernier principe, il prend parti pour Lothaire, fils aîné de Louis le Pieux, dans le conflit qui l’oppose à son père sur la part d’héritage du futur Charles le Chauve, né d’un second lit. En prêtant son concours à la déposition de Louis le Pieux, en 833, il va pourtant à l’encontre de l’unité impériale. L’échec de Lothaire le conduit à l’exil en Italie de 835 à 838. Théologien, il écrit contre les juifs, contre les superstitions et contre les hérétiques, notamment les adoptianistes, qui soutiennent que le Christ a été adopté et non engendré par le Père. En défendant un pouvoir théocratique, Agobard contribue fortement à la confusion entre action politique et pouvoir religieux. agrariens, mouvements politiques qui défendent les propriétaires terriens. Selon Pierre Barral, la naissance de l’agrarisme français date de « la victoire de la révolution industrielle », en 1860, bien avant l’introduction de ce mot dans le lexique national (1885). Le terme est utilisé d’abord pour décrire des réalités politiques étrangères à la France : le parti agrarien allemand, né des réflexes protectionnistes des propriétaires, ou les théoriciens agrariens américains prônant la redistribution des terres par l’État. Les agrariens conjuguent la défense d’intérêts économiques, l’apologie du mode de vie harmonieux de « l’ordre éternel des champs », ainsi que l’affirmation de la cohésion paysanne audelà des différences sociales et des clivages nés de l’urbanisation et de la prolétarisation. Des années 1860 aux années 1930, ils développent des structures paternalistes pour
montrer que les campagnes ne sont ni dominées économiquement ni exclues du jeu politique. Après la naissance, en 1867, de la Société des agriculteurs de France, les propriétaires encouragent la création locale de sociétés de cultivateurs. Avec la loi de 1884, qui légalise les syndicats, une fédération organise ce syndicalisme agraire de notables : l’Union centrale des syndicats agricoles, dont le siège est rue d’Athènes à Paris, compte, en 1912, un million d’adhérents, inégalement répartis dans le pays. Face à la « Rue d’Athènes », qui se dit apolitique mais soutient les positions de la droite conservatrice, le « Boulevard Saint-Germain » (Paris) regroupe les syndicats agricoles républicains, rassemblés en 1910 dans la Fédération nationale de la mutualité et de la coopération agricoles. Dans les deux cas, il s’agit d’un syndicalisme interclasses qui s’oppose au socialisme. Après 1930, les thèmes agrariens étant désormais associés au recours à l’intervention de l’État, la défense du monde agricole devient ouvertement celle des exploitants. La direction de l’agrarisme échappe aux anciens notables, et le progrès pour tous constitue un argument de propagande pour la Confédération générale de l’agriculture (CGA). Dans les années soixante, marquées par la crise agricole, ces agrariens - qui se veulent davantage chefs d’entreprise que paysans - se partagent en deux tendances principales : les conservateurs et modérés (FNSEA), et les tenants d’une politique de réformes socio-économiques (CNJA). Entre le Second Empire et la Ve République, les agrariens ont souligné, grâce au mythe de l’unité paysanne, le poids downloadModeText.vue.download 26 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 15 du modèle rural et la permanence des enjeux politiques que représente une population agricole pourtant vouée au déclin. Aguesseau ou Daguesseau (Henri François d’), homme politique et magistrat (Limoges 1668 - Paris 1751). Issu d’une famille de parlementaires, il est le fils d’Henri, intendant du Languedoc et conseiller d’État. Après une formation juridique, il devient avocat général au parlement de Paris (1691), puis procureur général (1700). Sa science du droit, son éloquence et la qualité de ses interventions dans de nombreux domaines, entre autres ceux de la fis-
calité et du commerce, lui valent une grande considération. Par sa défense pointilleuse du gallicanisme, il devient un des adversaires les plus redoutables de la politique catholique de Louis XIV. Opposé à la publication de la bulle Unigenitus (1713), il encourt même quelque temps la disgrâce du roi. En 1717, il est nommé chancelier par le Régent. Son désaccord au sujet de l’adoption du système de Law entraîne sa mise à l’écart. L’échec de l’expérience provoque son rappel en 1720, mais son hostilité au « principal ministre », le cardinal Dubois, lui vaut derechef d’être privé des Sceaux en 1722. Il retrouve la dignité de chancelier en 1737, avant de démissionner en 1750. D’Aguesseau fut un des meilleurs juristes de son temps. Il s’est consacré à la réforme du droit écrit, après une large consultation des parlements, qui préfigure celle du Code civil. Certaines de ses ordonnances, entre autres celles sur les donations (1731), les testaments (1735) et les substitutions (1747), inspireront les législateurs du XIXe siècle. À ce titre, il se trouve statufié, à côté de Michel de L’Hospital, devant l’Assemblée nationale. aides, impôts perçus au Moyen Âge, sous le régime féodal, et sous l’Ancien Régime. À l’origine, les aides sont dues par le vassal à son seigneur dans quatre cas : paiement de la rançon du seigneur s’il est fait prisonnier, adoubement de son fils aîné, mariage de sa fille aînée, départ en croisade. D’abord exceptionnel, l’impôt devient rapidement régulier, et se transforme en taxe indirecte perçue sur des biens de consommation - essentiellement les boissons, les alcools et les textiles, mais aussi le papier, le bois, le bétail, l’huile et le savon. Son montant ne va cesser d’augmenter, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Le mode de perception adopté est extrêmement complexe jusqu’au XVIIe siècle, et nécessite la création d’une cour, de corps de courtiers-jaugeurs, d’inspecteurs... À partir du XVIIe siècle, cet impôt est affermé, à l’instar de la taille. Toutefois, le mode de perception et le montant varient selon les provinces, car, au XVe siècle, certaines d’entre elles avaient racheté une partie ou l’intégralité des droits qu’elles devaient payer. Ces inégalités régionales, qui illustrent la très grande complexité du système fiscal monarchique, contribuent à rendre cet impôt très impopulaire, comme le montrent les cahiers de doléances de 1789. Les aides disparaissent sous la Révolution.
aides (Chambre des), instance judiciaire qui, à la différence de la Chambre des comptes, en charge des affaires du domaine et des finances ordinaires de la monarchie, traite du contentieux relatif à l’assiette et au prélèvement de l’impôt, défini au Moyen Âge, en dépit de sa permanence croissante, comme une ressource extraordinaire. Le nom de cette institution dérive du terme d’« aide », emprunté au vocabulaire féodal, qui désigne dès le XIIIe siècle, mais surtout à partir du XIVe, une imposition indirecte prélevée, pour la défense du royaume, sur la circulation et la vente de certaines denrées, telles que le vin, les alcools et les textiles ; sa compétence s’étend également aux impôts directs tels que la taille ou le fouage. La Chambre des aides est née de la spécialisation judiciaire des neuf généraux des aides, nommés par les états généraux de 1355 pour administrer les subsides consentis à la monarchie. Constituée en une véritable cour en 1389, supprimée par le parti bourguignon en 1418, rétablie, puis divisée en deux organes concurrents (Paris et Poitiers) au temps de l’occupation anglaise, elle ne s’est imposée qu’après 1438. Elle est alors organisée autour de deux juridictions, Paris et Montpellier, puis d’une troisième, installée à Rouen après la reconquête de la Normandie. La Chambre des aides juge en appel des tribunaux ordinaires du système fiscal et revêt pour la monarchie, à la fin du Moyen Âge et durant tout l’Ancien Régime, un rôle essentiel de conseil en matière de finances. Aigues-Mortes (massacre d’), tuerie perpétrée contre des travailleurs immigrés des salines de Camargue, les 16 et 17 août 1893. Le bruit courant que trois Français auraient été tués, les ouvriers saisonniers se lancent deux jours durant dans une « chasse aux Italiens » extrêmement violente. Le bilan officiel fait état de sept morts - cinquante selon le Times -, auxquels s’ajoutent des dizaines de blessés. Seule l’intervention de la troupe ramène le calme et permet le départ des Trans alpins, dont les émeutiers ont obtenu le licenciement massif. Arrêtés quelque peu au hasard, jugés à Angoulême, loin des lieux du drame, dix-sept prévenus sont acquittés par un jury sensible à la xénophobie ambiante, mais refusant aussi de les rendre seuls responsables d’une violence collective. Ce massacre est le plus grave de toute une série d’événements à relents xénophobes, des
« vêpres marseillaises » de 1881 aux agressions qui suivirent l’assassinat de Sadi Carnot, en 1887, par l’anarchiste italien Caserio. Il réveille la gallophobie en Italie, y accélérant la détérioration des relations diplomatiques avec Paris. Il s’explique cependant moins par la situation internationale et l’hostilité envers un pays allié de l’Allemagne que par la crise économique et le ressentiment envers des étrangers acceptant des salaires trop bas, Italiens au Sud, Belges au Nord. Enfin, le fait que des agresseurs arborent le drapeau rouge, conspuent l’armée en invoquant la répression de Fourmies (1er mai 1891) ou se réclament de l’anarchie montre les ambiguïtés d’un mouvement ouvrier alors en cours d’organisation, et sa perméabilité au nationalisme. Aiguillon (Emmanuel Armand de Vignerot du Plessis de Richelieu, duc d’), homme d’État (Paris 1720 - id. 1788). Fils d’Armand Louis de Vignerot du Plessis de Richelieu et d’Anne de Crussol d’Uzès, arrière-petit-neveu du cardinal Richelieu, il entre en mai 1738 au service du roi comme lieutenant en second et participe, dès 1740, à la guerre de la Succession d’Autriche. Sur le front italien, il se distingue par sa bravoure. À la mort de son père, le 31 janvier 1750, il devient duc et pair de France. En 1753, il achète la charge impopulaire de commandant en chef de la Bretagne. En 1758, il sauve ce pays d’états d’une invasion anglaise à SaintCast. Pourtant, les faveurs que lui témoignent Louis XV et la comtesse du Barry, ainsi que son souci de lever les droits de ferme (1764) exaspèrent les états de Bretagne. La Chalotais, qui en est le procureur général, se fait le porteparole zélé de ces mécontentements. En 1764, le commandant en chef de la Bretagne est traduit devant le parlement de Rennes pour abus de pouvoir. Louis XV réplique en faisant emprisonner La Chalotais. En représailles, et par solidarité avec le parlement de Rennes, le parlement de Paris s’insurge et déchoit le duc de ses charges. Tous les parlements, ou presque, suivent progressivement l’exemple de Paris. En 1770, Louis XV clôt l’affaire : La Chalotais réintègre ses fonctions, et le procès dirigé contre d’Aiguillon est arrêté. Après la disgrâce de Choiseul, d’Aiguillon forme, en 1771, avec Maupeou et l’abbé Terray, un « triumvirat » qui se donne pour tâche la restauration de l’absolutisme royal au détriment des parlements. Secrétaire d’État aux Affaires étrangères, puis chargé de la Guerre, il développe une politique de paix avec l’Angleterre. À
l’avènement de Louis XVI, en 1774, il est écarté du pouvoir, de même que tous les protégés de la comtesse du Barry. Il se retire alors et se consacre à la mise en ordre de ses écrits. La carrière à la fois militaire et politique du duc d’Aiguillon est caractéristique de celle d’un grand dignitaire de la noblesse d’Ancien Régime. Le temps où le roi préférait « cloîtrer » les grands du royaume à la cour et confier le gouvernement de la France à la « vile bourgeoisie » (Saint-Simon) semble en partie révolu. Ailly (Pierre d’), intellectuel et homme d’Église (Compiègne 1350 - Avignon 1420). D’origine roturière, Pierre d’Ailly poursuit ses études au collège de Navarre, où il devient docteur en théologie (1381), avant d’en être nommé recteur (1384). Il défend alors l’idée de l’Immaculée Conception. En mars 1389, il est aumônier du roi Charles VI et, en octobre 1389, chancelier de l’Université de Paris. Confronté au problème de la division de l’Église (le Grand Schisme, 1378-1417), il prend parti, dans un premier temps, pour le pape Benoît XIII, qui le nomme successivement évêque du Puy (1395) et de Cambrai (1397), mais il prend ses distances d’avec lui vers 1407. Il est créé cardinal en 1411, par la volonté du « pape de Pise » Jean XXIII, qui en fait son légat pontifical en downloadModeText.vue.download 27 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 16 Allemagne (1413). Le concile de Constance (1414-1418) lui permet de donner la mesure de son talent : il y joue un rôle de premier plan pour mettre fin au Grand Schisme (il retire son soutien à Jean XXIII et participe à l’élection du pape Martin V) et pour obtenir la condamnation de Jean Hus. Parallèlement à son action politique, Pierre d’Ailly rédige nombre d’écrits. Dans ses ouvrages philosophiques et théologiques, il se rattache à l’occamisme (ou « nominalisme modéré »). Dans son oeuvre ecclésiologique, il exprime des vues conciliaristes, proposant de tempérer le gouvernement du pape par celui des cardinaux et du concile. Sa contribution scientifique, largement fondée sur la compilation, comprend, entre autres, un projet de réforme du calendrier julien, un traité cosmographique, Imago mundi (lu, plus tard, et annoté par Christophe Colomb), et plusieurs écrits relatifs à l’l’étude des
astres, dans lesquels il entend montrer, notamment, que la théologie et l’histoire s’accordent avec l’astrologie. aînesse, priorité d’âge entre frères et soeurs justifiant divers privilèges coutumiers apparus entre le milieu du Xe et la fin du XIIe siècle. Appelés aussi « droit d’aînesse », ces privilèges se fondent, d’une part, sur l’interdiction féodale d’« abréger » le fief afin de préserver la qualité du service militaire dû au seigneur et, d’autre part, sur les valeurs sociales de solidarité et de communauté qui rendent inconcevable la perspective d’une division du patrimoine familial à la mort de son chef. Ces privilèges se sont maintenus jusqu’en 1789 en pays de coutume ; ailleurs, la liberté testamentaire permettait de « faire un aîné », car l’aînesse flattait l’orgueil aristocratique ; elle était « la clé de voûte et la principale colonne de la famille ». Essentiellement nobiliaires, ces privilèges s’appliquent pourtant aux successions roturières dans quelques coutumes (Pays basque, Pyrénées, Manche). Ils gratifient alors l’enfant premier né. Malgré la diversité coutumière de l’ancienne France, les privilèges d’aînesse des successions nobles se définissent globalement comme des règles applicables seulement en ligne directe avec représentation, au profit du fils premier né, légitime ou légitimé, sauf dans les coutumes de l’Ouest, qui ne distinguent pas selon le sexe. Le droit d’aînesse, dirionsnous aujourd’hui, est « d’ordre public » : il s’impose aux parents, qui ne peuvent disposer librement de leurs biens, ainsi qu’au bénéficiaire, qui ne peut y renoncer. Ces privilèges sont honorifiques (port des armes familiales, préséance...), mais surtout utiles : l’aîné recueille un préciput, c’est-à-dire les fiefs titrés, la principale habitation familiale et ses dépendances, et, dans certaines coutumes, la « part avantageuse », portion plus ou moins large des autres biens composant l’hoirie. Investi de la majeure partie de l’actif successoral, l’aîné devrait légitimement en assumer le passif ; mais, parce qu’en ancien droit « meubles sont le siège des dettes », il ne lui incombe qu’une part du passif, proportionnelle à la quotité des meubles recueillie. Abolis dans la nuit du 4 août 1789, leurs effets annihilés par les décrets du 15 mars 1790 et du 8 avril 1791, ces privilèges seront partiellement rétablis en 1808 par Napoléon Ier avec les « majorats ». En 1826,
Charles X proposera en vain de renforcer la situation patrimoniale de l’aîné. Les Républiques décideront d’en finir avec cet ultime privilège successoral : une loi du 7 mai 1849 limitera les possibilités de transmission des majorats ; une autre, en 1905, rachètera leurs droits aux derniers titulaires. Aix-la-Chapelle (chapelle palatine d’), oratoire du palais de Charlemagne, construit pour l’essentiel entre 794 et 798. Le mot chapelle vient du latin cappa (« manteau à capuchon »), qui désignait le lieu où était conservé le manteau de saint Martin ; elle est le seul élément du complexe palatial conservé dans son élévation. Vers 790, Charles Ier le Grand (Charlemagne) décide de s’installer près des thermes d’Aquisgrana, et confie la réalisation d’un palais digne de sa puissance à l’architecte Eudes de Metz. La chapelle en est de forme octogonale, haute de 30,55 mètres sous la voûte. Le bâtiment est chargé d’une forte symbolique. Il se rattache directement aux monuments antiques : colonnes apportées de Rome ou de Ravenne, grilles de fer forgé antiquisantes réalisées par des artisans italiens. Ainsi, le roi franc rivaliset-il avec l’empereur byzantin. L’essentiel réside cependant dans le programme théologico-politique véhiculé par la structure même de l’édifice. Le plan centré ainsi que les proportions donnent de la chapelle une image de la Jérusalem céleste. Au premier étage se trouve le trône royal, réplique de celui de Salomon. Charlemagne prend donc place entre le peuple, qui le voit depuis le rez-de-chaussée, et le Christ en majesté, que la mosaïque de la coupole représente adoré par les Vieillards de l’Apocalypse. Avant même son sacre, en 800, s’affirme le césaro-papisme, qui confie au roi le soin de mener son peuple vers la cité céleste. Charlemagne est enterré dans la chapelle en 814. L’empereur germanique Frédéric Barberousse élève son corps en 1165, ce qui équivaut à une canonisation. La relique se trouve depuis 1215 dans une châsse en or. Aix-la-Chapelle (traité d’), traité de paix signé le 28 octobre 1748, qui met fin à la guerre de la Succession d’Autriche (17401748). Après une série de défaites (1740-1744), Louis XV remporte plusieurs batailles prestigieuses, dont celle de Fontenoy (1745), et sort victorieux du conflit. En 1748, il se trouve donc en position d’imposer ses condi-
tions aux vaincus. Pourtant, ce traité, signé par la France et l’Espagne d’une part, l’Autriche, l’Angleterre, les Provinces-Unies et la Sardaigne d’autre part, n’apporte rien à la France : Louis XV, alors maître des Pays-Bas, de Madras aux Indes, de Nice et de la Savoie, restitue ces quatre territoires, respectivement, à l’Autriche, à l’Angleterre et à la Sardaigne. Quant à l’Espagne, elle reçoit deux duchés italiens (Parme et Plaisance). Ainsi, le milliard de livres tournois dépensé par le roi de France pour mener cette guerre n’est pas remboursé, malgré la victoire ; qui plus est, Louis XV s’engage à expulser de son royaume le prétendant Stuart et à détruire les fortifications de Dunkerque. Frédéric II, principal bénéficiaire du traité (il obtient la Silésie en Autriche), ne le ratifie pas davantage. Cette excessive modération du « Bien-Aimé » exaspère fortement la population, pour laquelle Louis XV « a travaillé pour le roi de Prusse ». Ce traité, qui met aussi fin au premier grand conflit terrestre et maritime du siècle, met en évidence l’affaiblissement de la France, qui, bien que victorieuse, n’en tire pas le profit qu’en aurait tiré un diplomate du XVIIe siècle. Alacoque (Marguerite-Marie), ! Marguerite-Marie Alacoque Alamans, groupement de tribus germaniques qui participent aux Grandes Invasions. Apparus pour la première fois dans l’histoire de l’Occident au IIIe siècle, les Alamans se heurtent à l’Empire romain, qui les contient derrière le Rhin, entre le Main et le lac de Constance. Ils franchissent le Rhin lors de la grande invasion qui débuta le 31 décembre 406. Implantés en Alsace, dans le Palatinat et en Suisse orientale, ils cherchent, à la fin du Ve siècle, à étendre leur royaume, et se heurtent à leurs voisins francs et burgondes. Clovis, roi des Francs, est vainqueur des Alamans à la bataille de Tolbiac (aujourd’hui Zülpich) en 496. Cette bataille marque un tournant dans le règne de Clovis, qui décide de se convertir au christianisme peu de temps après. Dix ans plus tard, le roi des Francs remporte une seconde victoire contre les Alamans, qui, dès lors, paient tribut aux Mérovingiens. Aux VIe et VIIe siècles, les Alamans constituent un duché autonome, dont le duc est nommé par le roi mérovingien d’Austrasie. Seul Dagobert, roi mérovingien de Neustrie, renverse cette tradition. À sa mort, les Alamans se libèrent du joug franc et reprennent leur autonomie. Au VIIIe siècle, Charles Martel et ses descendants
doivent entreprendre de nouvelles campagnes contre eux. Carloman, frère de Pépin le Bref, met un terme aux soulèvements répétés des Alamans en 746. Leur duché est alors intégré au royaume des Francs, et divisé en deux comtés, confiés à des Francs. Convertis tardivement au christianisme par des moines irlandais, les Alamans du royaume franc conservent un sentiment particulariste, renforcé par la « loi des Alamans », rédigée au cours du VIIe siècle et demeurée longtemps en vigueur. Au partage de Verdun de 843, les Alamans passent sous la domination de Louis le Germanique. Ils sont désormais les voisins des Francs, qui, par extension, donneront le nom d’Allemagne à toute la Germanie. Alaric II, roi des Wisigoths de 484 à 507 ( ? - Vouillé 507). Fils et successeur du roi Euric, Alaric II hérite en 484 du royaume wisigothique, qui connaît alors sa plus grande extension. La domination des Wisigoths couvre, en effet, la péninsule Ibérique (sauf le Portugal) et un bon tiers de la Gaule, des Pyrénées à la Loire, de l’Atlantique au Rhône. Contemporain de Clovis, Alaric II compose d’abord avec la nouvelle puissance franque en lui livrant Syagrius, downloadModeText.vue.download 28 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 17 dernier représentant de l’autorité romaine en Gaule. Il lui faut encore manoeuvrer entre les Burgondes et les Francs pour préserver son autonomie. Mais, Barbare et arien (donc hérétique) dans un monde gallo-romain et nicéen (catholique), il ne peut compter, contrairement à Clovis, sur le soutien des évêques et des élites gallo-romaines. Cependant, il tente de mener une politique de fusion des élites et des populations. Aussi édicte-t-il en 506, pour ses sujets gallo-romains, un ensemble de lois - le Bréviaire d’Alaric - qui simplifie le Code civil romain et jette un premier pont entre loi romaine et loi wisigothique. Cet effort n’est pourtant pas suffisant aux yeux des élites gallo-romaines catholiques, attirées par le royaume franc de Clovis, baptisé dans la foi nicéenne. De fait, la majorité des populations d’Aquitaine est ralliée à Clovis dès 500. Menacé au nord par les Francs, à l’est par les Burgondes, au sud-est par les Ostrogoths, trahi de l’intérieur, Alaric II trouve la mort à la bataille de Vouillé (507). Clovis, qui béné-
ficie de l’appui de tout le clergé de la Gaule, conquiert alors avec ses Francs le royaume des Wisigoths jusqu’aux Pyrénées. Ces derniers se retirent en Espagne. Seule demeure en Gaule une poche wisigothique autour de Narbonne et de Béziers, la Septimanie, qui gardera longtemps le nom de Gothie. Albert (Alexandre Martin, dit l’Ouvrier), homme politique, militant socialiste (Bury, Oise, 1815 - Mello, id., 1895). Après avoir effectué son tour de France, Albert exerce l’activité de mécanicien modeleur à Paris, sous la monarchie de Juillet. Même s’il compte dans les années 1840 parmi les cadres du mouvement républicain en sa qualité de dirigeant de société secrète, son entrée dans le Gouvernement provisoire en 1848 peut surprendre. Vice-président de la commission du gouvernement pour les travailleurs (dite « commission du Luxembourg »), il joue un rôle politique limité dans le sillage direct de Louis Blanc. La portée symbolique de sa présence est en revanche considérable : il est le seul ouvrier d’un gouvernement bourgeois. Élu à l’Assemblée constituante, il ne siège que quelques jours : il se compromet lors de la crise du 15 mai 1848, ce qui lui vaut la prison, puis un procès en Haute Cour l’année suivante. À la première audience, il arbore fièrement un gilet blanc « à la Robespierre » et refuse de se défendre. Condamné à la déportation - peine maximale en matière politique -, il reste détenu dix ans. À sa libération, il trouve une modeste place d’employé du gaz. Il essuie deux échecs électoraux sous la IIIe République, à l’Assemblée en 1871, puis au Sénat en 1879. Il meurt à 80 ans. La République prend à sa charge les frais de ses funérailles, qui sont suivies par des milliers de personnes. Elle rend de la sorte un ultime hommage à ce quarante-huitard retombé dans un anonymat presque complet. Albert (Marcelin), militant politique (Argeliers, Aude, 1851 - id. 1921). Cet ancien vigneron, devenu cafetier dans sa ville natale, incarne la révolte viticole de 1907. Son charisme - Albert s’est autrefois adonné au théâtre - lui confère un pouvoir de persuasion exceptionnel, à défaut d’un sens politique. Rien, dans les premières semaines du mouvement, ne semble résister à la parole envoûtante du « chef des gueux », du « rédempteur », de l’« apôtre », de ce « cigalou » qui, telle une cigale, grimpe aux platanes pour s’adresser aux foules. Face à la crise viticole, Albert crée un « comité d’initiative », en avril 1907, qui se dote d’un journal,
le Tocsin. Ce comité n’a qu’un objectif : mettre un terme à la fraude (la chaptalisation des vins), seule responsable de la mévente aux yeux des vignerons. Dès le 5 mai, Marcelin Albert parvient à réunir 70 000 manifestants à Narbonne, dont le maire socialiste, Ernest Ferroul, devient le principal chef de file. La tension monte vite : le 9 juin, on compte plus de 500 000 manifestants à Montpellier ; les 19 et 20 juin, la troupe tire sur la foule et fait six morts. Albert, menacé d’arrestation, prend la fuite. Renonçant à une action spectaculaire qu’il avait envisagée - entrer soudainement à la Chambre, grâce à l’appui d’un député de l’Aude -, il rend visite à Clemenceau le 23 juin. Le président du Conseil parvient facilement à discréditer son interlocuteur en lui payant son voyage de retour, et en le faisant savoir. Le 26, Marcelin Albert se constitue prisonnier à la demande du comité. Ainsi s’achève sa fortune historique. albigeois (croisade des) ! cathares Albret (maison d’), famille gasconne issue d’Amanieu Ier, sire d’Albret vers 1050. Elle compte des hommes de guerre, des cardinaux, des rois de Navarre. À partir du XIVe siècle, la maison d’Albret mène une politique efficace d’expansion territoriale, agrandissant ainsi le domaine d’origine, qui se composait de la seigneurie d’Albret, du comté de Dreux, des vicomtés de Tartas et de Gaure. En 1470, Alain le Grand, sire d’Albret (14401522), épouse Françoise de Châtillon-BloisPenthièvre et obtient le comté de Périgord, le vicomté de Limoges et la terre d’Avesnes. En épousant Catherine de Foix (1484), Jean III d’Albret ajoute à son domaine le vicomté de Béarn, les comtés de Foix et de Bigorre et, surtout, le royaume de Navarre. Enfin, par l’union d’Henri d’Albret et de Marguerite d’Angoulême (1527), le comté d’Armagnac devient l’une des possessions de la famille, qui détient dès lors tout le sud-ouest de la France, c’est-à-dire le dernier grand fief du royaume. C’est sous Jeanne d’Albret, épouse d’Antoine de Bourbon, que le royaume de Navarre acquiert des frontières stables et se fonde sur une nouvelle religion d’État : le protestantisme. Le fils de la souveraine, Henri III d’Albret, futur Henri IV, épouse en 1572 Marguerite de Valois et accède au trône de France (1589). En 1607, le roi réunit ses territoires de Navarre au royaume : la dernière grande enclave seigneuriale en France disparaît. Alcuin, en latin Albinus Flaccus, clerc anglo-saxon (York, vers 735 - Tours 804).
Fils d’une famille de notables anglais, Alcuin est l’élève, puis le maître, de l’école de la cathédrale d’York, l’un des principaux foyers culturels de l’époque. Lorsqu’il rencontre Charlemagne, en 781, il est déjà un maître écouté, dont on admire la piété et la sagesse. Cette réputation conduit le roi à l’inviter à la cour d’Aixla-Chapelle, dont il devient le « directeur des études ». Dans l’Académie palatine, cercle de lettrés rassemblés au palais, où chacun prend le nom d’un auteur de l’Antiquité, Alcuin est « Flaccus », prénom du poète Horace. Ami et conseiller influent de Charlemagne, il met en oeuvre la renaissance intellectuelle connue sous le nom de renaissance carolingienne. En 796, Charlemagne le nomme abbé de la prestigieuse abbaye de Saint-Martin de Tours, où, jusqu’à la fin de sa vie, il accomplit la partie de son oeuvre qui passera à la postérité. La renaissance carolingienne et l’oeuvre d’Alcuin revêtent d’abord un sens religieux. Tous les efforts accomplis tendent vers une meilleure compréhension des Écritures, Ancien et Nouveau Testaments. À la demande de Charlemagne, Alcuin rétablit, entre 797 et 800, le texte de la Vulgate, version en latin, complète et unique, de la Bible, qui fait dès lors autorité en Occident pour plusieurs siècles. Pour transmettre sans erreur les textes recopiés par les moines, il favorise l’emploi de la minuscule caroline, écriture lisible qui introduit la séparation des mots par des espaces. Pour améliorer la compréhension des textes par les clercs, il se fait grammairien et donne en exemple les oeuvres des auteurs classiques ; c’est en partie grâce à lui que nous sont parvenus les écrits de César ou de Cicéron. Surtout, il crée des ateliers de copie dans les monastères, afin de remédier à la pénurie de manuscrits. Grammairien, théologien, mais d’abord pédagogue, il fonde nombre d’écoles. Alcuin et les lettrés de son temps ont redonné à l’Occident l’élan, les moyens et le goût des études, mais il ne leur appartenait pas de faire oeuvre créatrice, si bien que la portée intellectuelle de la renaissance carolingienne reste un sujet controversé pour les historiens. Alembert (Jean Le Rond d’), mathématicien et philosophe (Paris 1717 - id. 1783). Fils naturel de la chanoinesse de Tencin et du chevalier Destouches, il est abandonné à sa naissance, près de Notre-Dame, devant la chapelle Saint-Jean-Le-Rond, dont il prend le nom. Il bénéficie pourtant d’une rente qui lui
permet de suivre des études. Surmontant son handicap social, il s’impose rapidement comme mathématicien, reconnu par les institutions culturelles de l’Ancien Régime. Successivement adjoint à l’Académie des sciences (1741), puis associé (1746) et, enfin, membre titulaire (1756), il est aussi élu à l’Académie française et dans nombre d’académies étrangères. Ses premiers ouvrages traitent de mathématiques et de physique : mémoires sur le calcul intégral (1739) et sur la réfraction des corps solides (1741), Traité de dynamique, où est énoncé ce qu’on connaît désormais comme le principe de d’Alembert (1743), Traité de l’équilibre du mouvement des fluides (1744), Réflexions sur la cause générale des vents (1746), Recherches sur les cordes vibrantes (1747) et sur la précession des équinoxes (1749), Essai sur la résistance des fluides (1752), Recherches sur différents points importants du système du monde (1754-1756). Parallèlement à ces travaux strictement scientifiques, il prend avec Diderot la tête de l’entreprise encyclopédique et rédige un DisdownloadModeText.vue.download 29 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 18 cours préliminaire qui constitue à la fois une histoire des progrès de l’esprit humain et un manifeste de la philosophie nouvelle. Pour l’Encyclopédie, il compose plusieurs articles qui le placent au centre des polémiques idéologiques, que ce soit l’article « Collège », qui dénonce l’ordre des Jésuites, ou l’article « Genève », qui critique l’interdiction des spectacles dans la république calviniste et auquel Rousseau répond par la Lettre sur les spectacles (1758). Après la crise de 1757, où le privilège de l’Encyclopédie est mis en cause, il laisse à Diderot la responsabilité de l’entreprise et se tourne vers des combats plus feutrés, plus institutionnels, pour assurer une majorité philosophique à l’Académie française, dont il devient secrétaire perpétuel en 1772. Avec l’Essai sur la société des gens de lettres avec les grands (1753), il théorise cette place de l’intellectuel dans la mondanité. Il est alors une figure familière des salons parisiens, un correspondant privilégié de Voltaire et des souverains acquis à la philosophie, tels que Frédéric II ou Catherine II. Mais il élude les invitations auxquelles répondent, à la même époque, Voltaire partant pour Berlin ou Diderot pour Saint-Pétersbourg, préférant rester auprès de Mlle de Lespinasse, à qui le lie une amitié amoureuse. Il publie des Mélanges de
littérature, d’histoire et de philosophie (1753), ainsi qu’un Essai sur les éléments de philosophie (1759), qui marquent la diversité de ses intérêts et sa place éminente dans le mouvement des Lumières. Il perpétue également le genre de l’éloge académique, dont le modèle avait été fourni par Fontenelle. Alençon (François Hercule, duc d’), chef des « malcontents » (Saint-Germain-en-Laye 1554 - Château-Thierry 1584). Quatrième et dernier fils d’Henri II et de Catherine de Médicis, cet « éternel frustré de la famille de Valois » (Janine Garrisson) profite des troubles religieux pour assouvir sa soif de pouvoir politique. Ainsi, en 1573, il prend la tête du parti d’opposition au roi, qui rassemble des nobles catholiques (Montmorency) et protestants (Henri de Condé) : les « malcontents ». Favorables à une politique de tolérance religieuse à l’intérieur du pays, ils sont pour la fermeté à l’extérieur et souhaitent que le roi gouverne avec l’aide des états généraux : toutes idées qui s’opposent à la politique menée par Charles IX puis Henri III, frères du duc d’Alençon, contre lesquels ce dernier ne cesse de lutter. En 1574 commence la « révolte des malcontents » - la cinquième guerre de Religion -, caractérisée par une offensive coordonnée des malcontents et des armées des Pays-Bas. Pris de court, Henri III accepte, en mai 1576, de signer l’édit de Beaulieu, qui donne satisfaction aux protestants et accorde à d’Alençon le titre de duc d’Anjou, que portait son frère Henri III jusqu’à son avènement. Mais d’Alençon ambitionne le trône des Pays-Bas espagnols : s’alliant à Guillaume d’Orange et à Élisabeth Ire d’Angleterre, il entreprend une expédition aux Pays-Bas, qui se solde par un échec. Sa mort, à l’âge de 30 ans, consacre son beau-frère Henri de Navarre comme l’héritier direct du trône de France. Alès (édit de grâce d’), pardon accordé par Louis XIII le 28 juin 1629 aux protestants du Midi révoltés. L’édit de Nantes avait octroyé aux protestants des libertés religieuses, mais aussi des privilèges politiques : des « assemblées politiques » et des places de sûreté fortifiées. La reprise des hostilités contre les huguenots du Midi, en 1620, visant à réduire leur poids politique et à faire respecter partout le culte catholique, s’était achevée par la paix boiteuse de Montpellier (1622). Dès 1627, la rébellion protestante reprend autour de La Rochelle, dont le long siège ne
prend fin qu’en octobre 1628. En Languedoc, l’assemblée d’Uzès (septembre 1627) désigne comme général le duc de Rohan, qui traite avec les Anglais, puis, en mai 1629, avec les Espagnols. Libéré de la guerre de Savoie, Louis XIII décide alors d’en finir, et vient mettre le siège devant Privas, pointe orientale du croissant de villes huguenotes qui va du Vivarais à Montauban. La ville se rend le 26 mai. Mais, à titre d’exemple, elle est livrée au pillage et au massacre. Privés du soutien anglais par la paix conclue entre Charles Ier et Louis XIII, effrayés par l’avancée des troupes royales, les délégués, réunis en assemblée politique à Anduze, poussent Rohan à négocier. Présenté comme une grâce, et non comme un traité entre le souverain et ses sujets, l’édit d’Alès confirme les clauses religieuses de l’édit de Nantes, mais en supprime les clauses politiques : les assemblées politiques et les places de sûreté disparaissent, et les remparts de ces dernières sont rasés. Henri de Rohan doit quitter la France, mais les révoltés sont amnistiés, et les biens confisqués sont rendus. Le pardon royal met fin au parti protestant, véritable État dans l’État, et marque ainsi un progrès déterminant de l’absolutisme. Richelieu peut écrire au roi : « Tout ploie sous votre nom. » Une à une, les cités huguenotes s’ouvrent au roi et à son ministre, qui y rétablissent le culte catholique. Le Cardinal manifeste ce triomphe symbolique par une entrée solennelle à Montauban, le 20 août 1629, entouré de deux archevêques et de sept évêques. Sans remettre en cause la tolérance et la coexistence de deux religions dans le royaume - un fait unique en Europe -, l’édit d’Alès fragilise cependant le protestantisme en mettant sa survie entre les mains du roi. Par la suite, les sujets protestants firent preuve d’un loyalisme sans faille vis-à-vis de la monarchie. Ils ne profiteront pas des troubles de la Fronde pour revendiquer leurs anciens privilèges politiques. Alésia, place forte gauloise où, en 52 av. J.-C., se retrancha Vercingétorix avant d’être assiégé par les armées de César et de s’incliner. Cette reddition marque la fin de l’indépendance de la Gaule. L’oppidum (« place forte ») d’Alésia était la capitale des Mandubiens, petit peuple gaulois dont le territoire est situé entre celui des Éduens et celui des Lingons. Il était implanté sur une colline, aujourd’hui appelée mont Auxois, à Alise-Sainte-Reine (Côte-d’Or), à 70 kilomètres à l’ouest de Dijon. Cette butte calcaire, naturellement protégée sur une partie de ses flancs par une falaise, do-
mine les cours de l’Oze et de l’Ozerain, qui rejoignent peu après la Brenne. Les Gaulois se sont contentés de renforcer ces défenses naturelles, principalement dans la partie est, pourvue d’un rempart continu où se trouve la porte principale de l’oppidum. Le sommet de la butte, de forme ovale et orientée est-ouest, couvre une centaine d’hectares. Certains vestiges remontent au néolithique, mais l’occupation proprement gauloise, limitée à la seule partie centrale de la zone, semble commencer vers 70 av. J.-C. Elle a laissé des traces d’urbanisme : rues rectilignes, place et enclos, maisons de bois et de torchis, ainsi qu’un quartier d’artisans bronziers et de forgerons. C’est dans cette place forte mineure que Vercingétorix se retrouve enfermé en 52 av. J.-C. En effet, après sept années de campagnes militaires qui lui ont permis de contrôler presque toute la Gaule, César voit se lever contre lui une grande partie des peuples gaulois coalisés, emmenés par le jeune aristocrate arverne Vercingétorix, qui applique une tactique de « terre brûlée ». La prise de Cenabum (Orléans), puis d’Avaricum (Bourges) permet d’abord à César de ravitailler ses troupes, mais il est battu par Vercingétorix devant Gergovie ; ses derniers alliés, Éduens compris, l’abandonnent, et il doit battre en retraite avec ses dix légions vers le sud. Vercingétorix commet alors l’erreur fatale de l’attaquer en rase campagne. César se défend et enferme à son tour l’armée gauloise dans Alésia. Avec ses 50 000 hommes, il en organise méthodiquement le siège, l’encerclant d’un anneau de 15 kilomètres de fortifications : fossés, rempart en terre surmonté d’une palissade renforcée de créneaux et de tours, pieux à crochets, ou stimuli, trous en entonnoir garnis de pieux pointus, ou lilia, branchages obliques fichés dans le sol, ou cippi. Des pièces d’artillerie, catapultes et balistes, complètent le dispositif. Ces aménagements sont à la fois tournés vers l’intérieur, afin d’interdire toute sortie, et vers l’extérieur, afin d’empêcher le ravitaillement et l’arrivée de renforts. De fait, l’armée de secours, parvenue sur les lieux au bout de quatre semaines, est mise en déroute après plusieurs assauts infructueux, tandis que Vercingétorix échoue dans sa tentative de percer les défenses de César. La garnison, qui avait déjà évacué les non-combattants, morts de faim entre les lignes, doit se rendre. Vercingétorix est livré à César, conduit à Rome et exécuté six ans plus tard. Malgré quelques soulèvements sporadiques ultérieurs, la Gaule est définitivement romaine. Alésia devient une petite ville gallo-romaine avec maisons
de pierre, théâtre, forum, basilique et temple. Le site est identifié dès 1839 par une inscription gauloise qui donne le nom de la ville. Napoléon III fait entreprendre des fouilles entre 1860 et 1865, qui permettent de retrouver les fossés du siège et d’exhumer de nombreux objets (armes, monnaies, outils). Les fouilles reprennent au début du XXe siècle, cette fois sur la ville romaine. Depuis 1990, elles se déroulent à une plus grande échelle. Outre Alise, d’autres sites ont été proposés pour Alésia : Alaise (Doubs), Izernore (Ain), Aluze (Saône-et-Loire), ou encore Syam (Jura), mais aucun n’a livré de traces de siège, de combats, ni d’occupation gauloise. downloadModeText.vue.download 30 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 19 Alger (bataille d’), épisode de la guerre d’Algérie, de la fin de l’année 1956 à l’automne 1957, au cours duquel l’armée française est chargée de mettre un terme aux actions terroristes du Front de libération nationale (FLN) à Alger. Adoptant une nouvelle stratégie, ce dernier décide d’étendre la guérilla aux zones urbaines. Le FLN de la zone autonome d’Alger (ZAA), dirigé par Larbi Ben M’Hidi, organise des grèves et des attentats à partir de l’automne 1956. La tension monte entre les communautés européenne et musulmane, et culmine le 27 décembre à l’occasion des obsèques du représentant des maires d’Algérie, Amédée Froger, qui dégénèrent en ratonnades meurtrières. Robert Lacoste, ministrerésidant, confie alors, dans le cadre de la loi sur les « pouvoirs spéciaux » de mars 1956, une mission de « pacification » aux parachutistes du général Massu, qui sont investis des pouvoirs de police. Aux attentats quotidiens du FLN répondent, à partir du 7 janvier 1957, les perquisitions, les arrestations et les interrogatoires menés par les parachutistes. La torture, ponctuellement utilisée auparavant, commence d’être pratiquée de façon systématique dans les centres de triage et de transit et à la villa Susini. Grâce à ces méthodes, l’armée réussit à briser la grève du 28 janvier et, surtout, à arrêter les principaux dirigeants de la ZAA. Toutefois, les attentats reprennent début juin sous la direction de Yacef Saadi. Cette deuxième phase de la bataille d’Alger s’achève avec la capture de Saadi le 24 septembre et le démantèlement complet, pour plusieurs
années, de l’organisation clandestine d’Alger. La bataille d’Alger marque une nouvelle étape dans l’escalade militaire en Algérie. Elle suscite en outre - avec la question de la torture - une controverse d’ordre éthique. Alger (expédition d’), premier épisode de la conquête de l’Algérie par la France (25 mai-5 juillet 1830). L’expédition a pour origine un contentieux commercial entre la France et le dey d’Alger (lointain vassal de l’Empire ottoman) et l’incident diplomatique du « coup d’éventail », infligé en avril 1827 par le dey Hussein au peu scrupuleux consul général de France Pierre Deval. Pour obtenir réparation de cette insulte, le gouvernement de Charles X organise le blocus d’Alger, qui s’avère long et inefficace. Trois ans plus tard, le roi décide de transformer cette opération en intervention armée, sous la pression conjointe des milieux d’affaires marseillais et des ultras de son gouvernement. Ces derniers estiment en effet qu’une expédition victorieuse redorerait le blason de la monarchie et affaiblirait l’opposition libérale. L’expédition débute le 25 mai 1830 : un corps expéditionnaire de 37 000 hommes porté par 675 vaisseaux part de Toulon. Le 14 juin, il commence à débarquer dans la baie de SidiFerruch, à l’ouest d’Alger, et, de là, gagne la ville. Celle-ci se rend rapidement et est occupée le 5 juillet, tandis que le dey s’exile. Cet épisode marque le point de départ d’une présence française en Algérie, qui va durer cent trente ans. Son importance n’a cependant pas été saisie par les contemporains : à la veille du renversement du régime, l’opposition critique ce qu’elle considère comme une coûteuse diversion aux problèmes politiques intérieurs ; et c’est sans enthousiasme que la monarchie de Juillet reprendra ce « legs onéreux de la Restauration ». Algérie, pays de l’Afrique du Nord dont l’histoire est particulièrement liée à celle de la France, qui l’a occupé de 1830 à 1962. Fondée par des corsaires turcs luttant contre les Espagnols entre 1516 et 1529, la régence d’Alger constitue, pendant trois siècles, un État autonome au sein de l’Empire ottoman. L’alliance franco-turque nouée entre François Ier et Soliman le Magnifique entraîne une coopération navale et militaire contre l’Espagne en Méditerranée occidentale, l’établissement de relations diplomatiques (consulat de France à Alger, 1564) et commerciales
(comptoirs et monopole de la pêche du corail sur la côte du Constantinois). Pourtant, Alger mène une guerre de course presque continue contre les navires français entre 1603 et 1689, provoquant des expéditions de représailles conduites par Tourville et Duquesne. Enfin, une « paix de cent ans » est signée en 1690, puis renouvelée en 1789. Poursuivies durant la Révolution, les relations pacifiques sont rompues par l’expédition de Bonaparte en Égypte (1798-1801), et plusieurs fois perturbées sous le Consulat et l’Empire. Dès 1808, Napoléon confie au commandant Boutin la tâche d’étudier un plan de débarquement à Sidi-Ferruch, à l’ouest d’Alger. En 1815, la France retrouve son consulat et ses comptoirs, mais plusieurs contentieux continuent à troubler les relations entre les deux pays : créances impayées au dey d’Alger pour des fournitures de blé à la République, couverture de navires étrangers par le pavillon français contre les corsaires algériens pendant la révolte grecque de 1821 à 1827, volonté de la France d’exercer sa souveraineté sur les comptoirs d’Afrique et de fortifier ces derniers. En 1827, à la suite d’une offense faite au consul de France Deval par le dey Hussein (un coup d’éventail), Paris rompt ses relations avec ce dernier et impose en vain un blocus pendant trois ans. En août 1829, après une dernière tentative de conciliation, le gouvernement du roi Charles X décide d’offrir Alger au pacha d’Égypte Méhémet-Ali, puis, le 31 janvier 1830, d’intervenir directement. • La conquête. Le vote d’une motion de défiance au gouvernement ultraroyaliste de Polignac par la majorité libérale de la Chambre des députés (les « 221 »), puis la dissolution de la Chambre, le 15 mai, font de « l’expédition liberticide » un enjeu majeur de politique intérieure. Le gouvernement veut en effet « demander des députés au pays, les clés d’Alger à la main ». Malgré la capitulation d’Alger le 5 juillet, l’opposition est victorieuse. Les quatre ordonnances prises par le roi contre la nouvelle Chambre provoquent les Trois Glorieuses (journées des 27, 28 et 29 juillet 1830) et l’abdication de Charles X. La prise d’Alger n’implique aucun projet particulier pour l’Algérie. La monarchie de Juillet, issue de l’opposition à l’expédition, veut éviter de renforcer les légitimistes en abandonnant la conquête. Elle attend pourtant jusqu’au 22 juillet 1834 pour annexer officiellement les « possessions françaises dans le nord de l’Afrique ». L’occupation restreinte, limitée aux environs d’Alger et à quelques
ports, doit être complétée par la « domination indirecte » de l’intérieur des terres par l’intermédiaire de chefs indigènes vassaux. Mais l’indocilité du bey de Constantine Ahmed et du jeune émir arabe de l’Oranie Abd el-Kader incite les Français à étendre leur mainmise. En 1840, il faut enfin choisir entre l’évacuation totale et la conquête totale. La première est jugée impossible, parce qu’elle humilierait la France face à l’Angleterre et aux autres grandes puissances européennes (qui viennent de l’obliger à cesser de soutenir le pacha d’Égypte Méhémet-Ali contre le sultan) et parce qu’elle permettrait aux légitimistes et aux républicains d’accuser le régime de sacrifier l’honneur national. La seconde implique deux conséquences de taille, prévues par le nouveau commandant en chef et gouverneur général Bugeaud : un effort militaire sans précédent (le tiers de l’armée française) pour briser, par tous les moyens, la résistance des partisans d’Abd el-Kader ; une colonisation de peuplement massive afin de décourager les révoltes et de transformer l’Algérie en une province française. Manière de pérenniser la conquête, la colonisation est également présentée comme le but positif qui manquait à l’expédition. Le gouvernement général organise alors une colonisation militaire et s’intéresse à des expériences collectivistes (saintsimoniennes, fouriéristes). Mais les émigrants veulent échapper à l’autorité militaire et jouir des mêmes droits civils et politiques que les Français de métropole, posant ainsi la question de l’assimilation. • Quel statut pour l’Algérie ? Le Gouvernement provisoire de la IIe République décide de répondre aux revendications des colons en créant trois départements, divisés en arrondissements et en communes, représentés à l’Assemblée nationale. Après les journées de juin 1848, il relance la colonisation pour résoudre le problème du chômage. La Constitution de novembre 1848 consacre la conquête en faisant de l’Algérie une partie du territoire national. Méfiant envers les Français d’Algérie, trop républicains à son gré, Napoléon III hésite entre la poursuite de l’assimilation et la recherche d’une autre politique. Après avoir rétabli le pouvoir des militaires en 1852, il rattache le pays à un ministère civil de l’Algérie et des Colonies (1858), puis l’en détache, en 1860, et prétend constituer un « royaume arabe » au lieu d’une colonie. Conscient que le dynamisme démographique de la France est insuffisant pour peupler l’Algérie, il veut
substituer une colonisation de capitaux à la colonisation de peuplement pour mettre le pays en valeur tout en respectant les intérêts des indigènes. Mais il est vigoureusement combattu par les « colonistes » et par tous les opposants à l’Empire (républicains, libéraux, catholiques). Dès mars 1870, le Corps législatif réclame le rétablissement du régime civil. Durant toute la IIIe République (18701940), la politique d’assimilation est considérée comme un dogme républicain. L’Algérie downloadModeText.vue.download 31 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 20 doit devenir, selon Prévost Paradol, « terre française, peuplée, possédée et cultivée par des Français » (la France nouvelle, 1868). Pourtant, l’échec de ce programme est patent dès 1930. Les trois départements ont retrouvé leurs députés dès 1871, mais la citoyenneté française reste le privilège d’une minorité, et la législation française n’est jamais intégralement appliquée. L’Algérie, comme les autres colonies, conserve un gouvernement général particulier et est dotée, en 1900, d’un budget propre, voté par des délégations financières élues. Le peuplement français est moins important que celui des étrangers venus surtout d’Europe méridionale (Espagne, Italie, Malte). La loi du 26 juin 1889 sur la naturalisation automatique des enfants d’étrangers nés en territoire français accélère la fusion entre les deux populations au sein d’un nouveau « peuple algérien » (tenté par l’autonomie entre 1895 et 1900) distinct des Français de France. Cependant, la population dite « européenne » (qui inclut les étrangers non naturalisés et les juifs algériens) reste toujours minoritaire par rapport aux « indigènes » musulmans : elle ne dépassera pas 14 % de la population totale en 1926, et retombera à 10 % (1 million d’habitants sur 10 millions) en 1954. En outre, elle se replie sur les grandes villes côtières. À l’inverse, la mainmise sur les ressources du sol et du sous-sol s’intensifie. La colonisation officielle organisée par l’État et les transactions privées facilitées par les lois foncières entraînent le transfert aux mains des Européens de plus du quart des terres cultivables et de la majeure partie des pro-
ductions commercialisées. Dans les mines, les transports, l’industrie, les banques, les Français détiennent l’essentiel des capitaux et des postes de direction ou d’encadrement. La population musulmane, en rapide augmentation, peut de moins en moins subsister sur ses terres et doit rechercher des emplois salariés dans les grands domaines agricoles, les mines, les chantiers, les villes, et jusqu’en métropole. • Deux catégories d’Algériens. Le décret Crémieux d’octobre 1870 a donné la citoyenneté française aux juifs d’Algérie, malgré un mouvement antisémite qui exige violemment son abrogation en 1898, et qui finira par l’obtenir du régime de Vichy en octobre 1940. Quant à la très grande majorité de la population musulmane, elle reste en dehors de la « cité française ». Depuis le 14 juillet 1865, l’« indigène » musulman algérien est de nationalité française, mais il reste régi par la loi coranique (ou les coutumes berbères) en matière de statut personnel, et demeure assujetti à un régime disciplinaire d’exception (appelé « Code de l’indigénat » de 1881 à 1927). Il peut pourtant être admis individuellement à la citoyenneté française, à condition d’en être jugé digne et de renoncer à son statut personnel pour se soumettre au Code civil (ce qui est considéré comme une apostasie par les musulmans). Cette procédure, qualifiée à tort de « naturalisation », ne concernera pas plus de dix mille personnes. Une autre solution est envisagée, depuis Napoléon III, par les « arabophiles » : la citoyenneté dans le statut musulman. En 1912, les intellectuels « Jeunes-Algériens » demandent que les « indigènes » soient suffisamment représentés dans les assemblées locales et au Parlement français. Après la Grande Guerre, la loi du 4 février 1919 définit des corps électoraux relativement larges, qui élisent des représentants musulmans minoritaires dans les conseils municipaux et généraux et les délégations financières, mais pas au Parlement. En 1931, l’ancien gouverneur général Maurice Viollette propose d’admettre dans le collège des citoyens français, sans renonciation à leur statut personnel, des individus détenteurs de décorations, de diplômes, ou qui se sont distingués dans l’exercice de fonctions politiques, administratives, économiques. Repris en décembre 1936 par le gouvernement du Front populaire, le projet Blum-Viollette suscite une telle opposition chez les élus français d’Algérie qu’il n’est ni discuté par le Parlement ni appliqué par décret. En fait, depuis juin 1936, il est déjà dépassé par la charte revendicative du Congrès musulman d’Alger, qui
réclame la « citoyenneté dans le statut » pour tous les Algériens, dans le même collège que les citoyens français soumis au Code civil et dans une Algérie intégrée à la France. En août de la même année, à Alger, Messali Hadj, leader de l’Étoile nord-africaine, exige une Assemblée constituante algérienne souveraine élue au suffrage universel. • La montée du nationalisme. Le nationalisme algérien est apparu tardivement, d’abord en France avec l’Étoile nord-africaine, association de travailleurs immigrés créée sur l’initiative des communistes en 1926, puis en Algérie avec l’Association des oulémas (savants religieux), plus modérée, en 1931. À partir de 1936, ces deux courants posent publiquement la question nationale. Le Front populaire réagit en interdisant l’Étoile, puis son successeur, le Parti du peuple algérien. Le régime de Vichy substitue à l’idéal républicain d’assimilation son antisémitisme et un paternalisme autoritaire qu’il croit pouvoir faire accepter à la population en rabaissant le statut des juifs par rapport à celui des musulmans. Mais, après le débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942, les anciens élus réunis par Ferhat Abbas adoptent la revendication d’indépendance dans un Manifeste du peuple algérien (février 1943). Le Comité français de libération nationale, présidé par le général de Gaulle, rejette le Manifeste et relance la politique d’assimilation par un ensemble de réformes politiques et sociales tendant à réaliser rapidement l’égalité de droit et de fait entre tous les habitants de l’Algérie. L’ordonnance du 7 mars 1944 consacre le principe de la citoyenneté française dans le statut musulman, met en oeuvre le projet Blum-Viollette en faveur de 65 000 membres de l’élite, admet tous les autres musulmans dans un second collège pour élire 40 % des membres des assemblées locales. Ces réformes, et les mesures économiques et sociales qui les accompagnent, ne suffisent cependant pas à prévenir la révolte nationaliste qui éclate à Sétif et à Guelma le 8 mai 1945, et qui sera impitoyablement réprimée. De même, les débats aux deux Assemblées constituantes et le statut de l’Algérie voté le 20 septembre 1947 n’ajoutent guère aux réformes de 1944 ; le plan visant au progrès économique et social ne réussit pas à marginaliser les nationalistes, qui préparent l’insurrection du 1er novembre 1954. l ALGÉRIE (GUERRE D’). Du 1er novembre 1954 au 1er juillet 1962, la guerre d’Algérie a tenu la France en échec.
Les « événements », d’abord perçus comme des actes de banditisme commandités par l’étranger, sont devenus une véritable guérilla opposant le principal mouvement nationaliste algérien, le Front de libération nationale (FLN), à la France, bien que celle-ci n’ait jamais voulu reconnaître l’état de guerre. Ce conflit franco-algérien a induit d’autres affrontements à l’intérieur de la société algérienne, comme entre Français. Il a provoqué la chute de la IVe République et son remplacement par la Ve, ainsi que la révision déchirante de la politique algérienne et de la politique coloniale de la France. L’importance de ses conséquences en fait l’une des trois grandes guerres françaises du XXe siècle. CAUSES ET BUTS DE LA GUERRE La guerre d’Algérie a été déclenchée, dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, par une organisation jusqu’alors inconnue, le Front de libération nationale (FLN), et sa branche militaire, l’Armée de libération nationale (ALN), qui regroupait quelques centaines d’hommes, principalement dans les Aurès et en Kabylie. Mais ses origines sont plus anciennes. • Des résistances anciennes. Sans remonter jusqu’aux résistances acharnées à la conquête française (ininterrompues de 1830 à 1857), et aux nombreuses révoltes qui l’ont suivie (la dernière, contre la conscription dans le Sud constantinois en 1916-1917), on trouve dès 1933 les premiers appels de l’Étoile nord-africaine dirigée par Messali Hadj invitant les Algériens à l’insoumission et à la révolte contre l’impérialisme français en cas de nouvelle guerre européenne. De 1938 à 1954, une fraction du Parti du peuple algérien (PPA, qui succède à l’Étoile) a poursuivi la préparation d’une insurrection, encouragée par l’affaiblissement de la puissance française durant la Seconde Guerre mondiale. Le 8 mai 1945, les manifestations nationalistes de Sétif et de Guelma ont déclenché des révoltes, réprimées avec dureté ; un ordre d’insurrection générale a été lancé pour le 23 mai, puis annulé au dernier moment. De 1947 à 1950, le PPA, légalisé sous le nom de Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), s’est doté d’une Organisation spéciale (OS), paramilitaire et secrète. Démantelée par la police et dissoute par la direction du parti nationaliste, elle se reconstitue en 1954, quand celui-ci se divise en deux tendances : les messalistes, fidèles au père fondateur Messali Hadj, et les centralistes, partisans de la majorité du comité central. En octobre 1954, la troisième force « activiste », composée de jeunes éléments radicaux, fixe la date du pas-
sage à l’action armée. • Le FLN. La proclamation du FLN et l’appel de l’ALN, datés du 31 octobre 1954, exposent au peuple algérien et aux militants nationalistes les causes et les buts de la guerre downloadModeText.vue.download 32 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 21 déclenchée en leur nom par un groupe de responsables anonymes qui leur ordonnent de les suivre ; en même temps, le premier texte propose à la France des conditions de paix. La guerre qui commence a pour cause l’oppression du peuple algérien par l’impérialisme français et le refus de toute émancipation pacifique. Son but est « l’indépendance nationale par la restauration de l’État algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques ». Le moment est favorable, ajoutent les auteurs de la proclamation, parce que, depuis 1945, le peuple algérien est prêt à se battre pour son indépendance, et que, depuis 1952, les partis frères de Tunisie et du Maroc ont pris les armes avec l’appui de l’Égypte nassérienne ; la crise du MTLD n’est qu’une raison supplémentaire de refaire l’unité par l’action. Les méthodes sont révolutionnaires : employer, pour atteindre le but fixé, « tous les moyens » efficaces, à l’intérieur (où cinq chefs politico-militaires autonomes se partagent le pouvoir de décision) et à l’extérieur (le coordinateur du FLN-ALN, Mohammed Boudiaf, a retrouvé les trois délégués au Caire de l’ex-MTLD, Ahmed Ben Bella, Hocine Aït-Ahmed et Mohammed Khider). La fin de la guerre peut être hâtée par une négociation avec la France, pourvu que celle-ci reconnaisse l’indépendance de l’Algérie afin de sauvegarder ses intérêts légitimes et ceux de ses ressortissants. • L’enlisement du conflit. Ces déclarations et propositions ne sont pas prises au sérieux par le gouvernement de Pierre Mendès France, qui, le 12 novembre 1954, réaffirme en des termes apparemment définitifs le caractère français de l’Algérie, condamne la « rébellion » comme des actes de banditisme et dénonce l’« inadmissible ingérence » de l’Égypte. Il entend mener de front le rétablissement de l’ordre et l’accélération des réformes poursuivies depuis 1944 en faveur des « Français musulmans ». Le gouverneur général Jacques Soustelle, nommé par Mendès France et confirmé dans ses fonctions par son succes-
seur, Edgar Faure, se consacre à cette double tâche de « pacification » et d’« intégration » ; mais son échec dans la première, manifesté par la sanglante insurrection du 20 août 1955 dans le Nord constantinois, le pousse à dénoncer de plus en plus la barbarie des fellaghas (« brigands ») et l’agression de l’« impérialisme panarabe », qu’il identifie au nazisme. Le socialiste Guy Mollet, successeur d’Edgar Faure à la présidence du Conseil, définit le 31 janvier 1956 une nouvelle politique, qui a pour but de concilier le respect d’une « personnalité algérienne » et le maintien de « liens indissolubles » avec la France. Il organise des contacts secrets avec les chefs de la délégation extérieure du FLN, au Caire, à Rome et à Belgrade ; mais les pourparlers s’enlisent en raison de l’intransigeance des chefs de l’intérieur, qui réaffirment le préalable de l’indépendance et lui ajoutent la reconnaissance du FLN comme seul représentant du peuple algérien lors du congrès de la Soummam, réuni le 20 août 1956. Cependant, Guy Mollet et son ministre-résidant en Algérie, Robert Lacoste, renforcent la « pacification » policière et militaire, et mettent en accusation le panarabisme du colonel Nasser, que Guy Mollet présente comme un nouvel Hitler après la nationalisation du canal de Suez, le 31 juillet 1956. Ni l’interception de l’avion marocain transportant les chefs du FLN extérieur à Tunis le 22 octobre 1956 (initiative de l’état-major d’Alger, couverte par Robert Lacoste et par le secrétaire d’État à la Défense Max Lejeune) ni l’expédition israélo-franco-britannique contre le canal de Suez (30 octobre-6 novembre), interrompue par l’ONU et par la « collusion » des États-Unis et de l’URSS, ne découragent les « rebelles » algériens. Ayant échoué à mettre fin à la guerre d’Algérie, Guy Mollet se justifie en recourant à l’anticommunisme, invoquant l’appui décisif de l’URSS à l’Égypte, celui des communistes algériens au FLN et la trahison du PCF. Pour le général Salan, nouveau commandant en chef en Algérie et ancien chef de l’armée d’Indochine, les conflits indochinois et algérien sont deux batailles successives d’une même lutte pour la domination mondiale, et relèvent d’une même stratégie révolutionnaire ou subversive : depuis 1920, et surtout depuis 1945, l’Union soviétique et le communisme international ont pour objectif de saper le monde capitaliste en provoquant la révolte des peuples colonisés, ces derniers étant encadrés par des mouvements révolutionnaires communistes ou nationalistes qui utilisent la propagande anti-impérialiste et
le terrorisme. L’Algérie apparaît alors comme l’ultime ligne de défense de l’Europe : son éventuelle perte entraînerait à brève échéance l’avènement du communisme en Algérie et en France ; mais elle n’est pas inéluctable si les responsables militaires et politiques font du contrôle de la population l’enjeu de la guerre et la clé de la victoire. Cette théorie, qui surestime démesurément l’influence du communisme sur le nationalisme algérien, vise à dramatiser la guerre d’Algérie afin d’assurer l’armée française du soutien de la nation entière et de tous ses alliés occidentaux (tentés de voir dans le nationalisme arabe un barrage contre le communisme). Sa diffusion quasi officielle devient vite un obstacle à la recherche d’une solution politique négociée. Ce que prouvent, en 1958, le renversement du gouvernement de Félix Gaillard pour avoir accepté les « bons offices » anglo-américains dans le conflit franco-tunisien dû au bombardement de Sakiet-Sidi-Youssef (qui marque le début d’une internationalisation de la guerre d’Algérie) ; puis la prise de position des chefs militaires d’Alger contre l’intention du président du Conseil désigné, Pierre Pflimlin, de renouer les contacts avec le FLN en vue d’un cessez-le-feu, et enfin, le 13 mai 1958, leur ralliement à la révolte des Français d’Algérie contre l’investiture de celui-ci. • Vers l’indépendance. Le retour au pouvoir du général de Gaulle, souhaité par les généraux Massu et Salan ainsi que par les comités de salut public d’Algérie, semble d’abord signifier la victoire définitive de la politique d’intégration (bien que le Général évite d’employer ce mot). Mais il substitue rapidement au dogme traditionnel de l’Algérie française le principe de l’autodétermination des habitants de l’Algérie. Implicitement, lors du référendum du 28 septembre 1958 ; puis explicitement, par le discours du 16 septembre 1959, dans lequel il promet aux Algériens qu’ils ont le choix pour leur avenir entre trois options : la « francisation », impliquant l’égalité totale des droits et des devoirs ; la « sécession, où certains croient trouver l’indépendance » dans la rupture totale avec la France ; et le statut d’État autonome associé à celle-ci dans la Communauté. Cette troisième option, privilégiée par le président de la République, devient l’« Algérie algérienne », puis la « République algérienne », quand la Communauté franco-africaine se disloque durant l’été de 1960. Cette première victoire du FLN est incomplète, puisque de Gaulle refuse jusqu’en novembre 1960 de reconnaître en droit ou en fait le Gouvernement provisoire
de la République algérienne (GPRA), proclamé au Caire le 19 septembre 1958. Il invite le FLN à se reconvertir en un parti politique légal après avoir dissous l’ALN et livré ses armes. Au contraire, le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA), réuni à Tripoli en janvier 1960, adopte les institutions provisoires de l’État algérien et les statuts provisoires du FLN, parti révolutionnaire virtuellement unique. Pour sortir de l’impasse, de Gaulle se résigne, au début de l’année 1961, à renoncer à tout préalable pour discuter avec le seul FLN sur l’avenir de l’Algérie et des relations franco-algériennes (conformément aux suggestions des colloques juridiques organisés par les forces de gauche à Royaumont, Aix-en-Provence et Grenoble). Après une longue et difficile négociation, plusieurs fois interrompue, les accords signés à Évian le 18 mars 1962 (suivis par le cessez-le-feu du 19 mars à midi) satisfont les revendications essentielles du FLN en préparant la formation, dans les six mois, d’un État souverain sur l’Algérie du Nord et le Sahara, coopérant avec la France et garantissant les droits des Français d’Algérie conformément à la proclamation du 31 octobre 1954. Mais la France ne reconnaît toujours pas le GPRA comme interlocuteur : elle conserve sa souveraineté sur l’Algérie et la responsabilité suprême du maintien de l’ordre jusqu’au référendum d’autodétermination qui doit ratifier les accords d’Évian et fonder l’État algérien le 1er juillet 1962. Ainsi, plus de sept années de guerre ont obligé les gouvernements français à inverser leur politique de novembre 1954. Mais leur revirement a été plus lent et moins complet sur la légitimité du FLN que sur le droit de l’Algérie à l’indépendance. • Algériens et Européens. En effet, dès le début de l’insurrection, le point faible du FLN a été sa prétention à représenter le peuple algérien sans l’avoir consulté. La proclamation du 31 octobre 1954 promet au peuple algérien et aux militants nationalistes qu’ils seront appelés à juger les organisateurs du soulèvement et se dit assurée de leur patriotisme, mais l’appel de l’ALN menace les indifférents et les traîtres. La volonté de rassembler tous les patriotes dans un parti unique se manifeste de plus en plus nettement à travers les programmes successifs du Front. Or le peuple algérien ne s’est pas rallié promptement et unanimement, pas plus que les partis nationalistes. Durant sa première année, le FLN a su attirer à lui plusieurs partis nationalistes considérés comme modérés : les centralistes de l’ex-
MTLD, l’Union démocratique du Manifeste algérien (UDMA) de Ferhat Abbas et l’AssodownloadModeText.vue.download 33 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 22 ciation des oulémas. Leurs représentants ont été admis par le congrès de la Soummam dans les instances dirigeantes du Front, et même à la présidence du GPRA (Ferhat Abbas de septembre 1958 à août 1961, puis le centraliste Ben Khedda). Mais la réalité du pouvoir appartient toujours aux chefs politico-militaires du FLN-ALN, anciens de l’OS. Le Parti communiste algérien (PCA, interdit en septembre 1955), après avoir tenté de participer pour son propre compte à l’insurrection, a intégré les membres de ses groupes armés dans l’ALN en juillet 1956, mais a refusé de se dissoudre dans le FLN. Le Mouvement national algérien (MNA), nouveau parti fondé par Messali Hadj après l’interdiction du MTLD, a essayé de se rallier les chefs du FLN, puis les a affrontés dans une sanglante guerre fratricide, en Algérie et en France, dont il est sorti vaincu. Le peuple algérien ne s’est pas dressé comme un seul homme au premier appel du FLN-ALN, qui reconnaît avoir mis longtemps à « tirer le peuple de sa torpeur, sa peur, son scepticisme » (plate-forme du congrès de la Soummam). Il lui a fallu deux ans pour implanter sa hiérarchie politico-militaire dans toute l’Algérie du Nord et encadrer la majeure partie de ses habitants musulmans. Cependant, les réfractaires ont été nombreux, soit par loyalisme envers la France, soit par refus d’une autorité imposée par la menace ou la violence. Les autorités françaises en ont profité pour recruter de nombreux soldats ou supplétifs musulmans, et pour nier la représentativité des « rebelles ». Le nombre des premiers a toujours dépassé celui des seconds, et l’écart s’est creusé à partir de 1958, jusqu’à atteindre un rapport de 6 contre 1 au début de 1961 (210 000 contre 33 000 selon les archives militaires françaises). Mais il convient de lire ces chiffres, apparemment très favorables à la France, à la lumière de certains correctifs : pressions des autorités visant à compromettre et à engager le maximum de « Français musulmans », manque d’armes de l’ALN, qui ne pouvait de ce fait mobiliser toutes ses forces potentielles, pertes beaucoup plus fortes et renouvellement beaucoup plus rapide des effectifs de l’ALN (qui aurait totalisé 132 290 combattants de 1954 à 1962,
ainsi que 204 458 dans l’organisation civile du FLN). Ainsi, les deux camps semblent avoir mobilisé un nombre de partisans comparable, ce qui dément leurs prétentions à représenter la masse du peuple algérien. Celui-ci a en fait été déchiré par une guerre civile inavouée. Si le FLN a dès le premier jour offert aux citoyens français d’Algérie d’opter pour la nationalité algérienne, il n’en a séduit que quelques dizaines, et n’a jamais prétendu représenter leur majorité. Au contraire, la masse des Français d’Algérie, y compris les juifs algériens, citoyens français depuis 1870 et qui furent rejetés par le régime de Vichy de 1940 à 1943, préféra rester française dans une Algérie française. Cette volonté les a conduits à refuser la tendance croissante des gouvernements et de l’opinion publique métropolitaine à rechercher une solution de compromis négociée avec le FLN. Ce refus, approuvé par les cadres de l’armée d’Algérie et par une partie notable des élites politiques, économiques et culturelles de la France, a entraîné une succession d’épreuves de force (manifestation algéroise du 6 février 1956 contre Guy Mollet, attentat au bazooka contre le général Salan le 16 janvier 1957, révolte du 13 mai 1958 contre Pierre Pflimlin, barricades du 24 janvier 1960 contre le rappel du général Massu, manifestation du 9 décembre 1960 contre la « République algérienne »), aboutissant à des concessions provisoires du pouvoir sous la IVe République, puis à un durcissement de sa volonté d’en finir sous la Ve. Après l’échec du putsch des généraux Challe, Zeller, Jouhaud et Salan (avril 1961) visant à empêcher l’ouverture des négociations d’Évian, ce conflit latent prend la forme d’une guerre civile inégale, opposant l’Organisation armée secrète (OAS) des généraux Salan et Jouhaud à la fois au FLN et au gouvernement légal de la France, soutenu par la très grande majorité de l’opinion métropolitaine. Les violences se poursuivront après la fin de l’Algérie française par des attentats visant le président de la République, jusqu’en 1965. Ainsi, la guerre d’Algérie peut se définir comme une guerre internationale opposant à la France l’État algérien virtuel que veut constituer le FLN, accompagnée de plusieurs guerres civiles divisant les deux peuples concernés. LES MOYENS ET LA FIN • Une guerre totale. La guerre d’Algérie est, comme toute guerre, un affrontement entre
deux camps qui tentent, physiquement, de se détruire ; mais c’est aussi un duel de propagande, chacun cherchant à discréditer l’autre en l’accusant de crimes sans précédent. En réalité, leurs méthodes se ressemblent beaucoup plus qu’ils ne veulent l’avouer. Ainsi, prétendant l’un et l’autre au monopole de la souveraineté légitime sur l’Algérie et ses habitants, ils doivent également protéger les « bons » citoyens et punir les « mauvais ». Toutefois, l’énorme inégalité du rapport des forces impose une certaine dissymétrie, le plus faible cherchant à compenser son infériorité par un surcroît de violence. Les fondateurs du FLN avaient prévu d’employer « tous les moyens ». Cette formule d’un pragmatisme absolu implique la subordination de la morale à l’efficacité, conformément aux « principes révolutionnaires », mais pas une stratégie préconçue en détail. La priorité fondamentale est de gagner le soutien du peuple à l’insurrection pour assurer le recrutement, le ravitaillement, les liaisons et les renseignements des groupes armés par l’intermédiaire d’une organisation politico-administrative encadrant la population. Ce but a été atteint par trois moyens principaux : la propagande faisant appel aux sentiments patriotiques, anticolonialistes et musulmans latents ; le terrorisme interne, châtiant impitoyablement les réfractaires et les « traîtres » en les déshonorant pour dissuader leurs proches de les imiter ; enfin, le terrorisme externe, destiné à tuer des Français pour venger les victimes de la répression ou pour en provoquer d’autres, de façon à creuser un fossé infranchissable entre les deux populations. En même temps, l’ALN mène une guérilla de sabotages et d’embuscades contre l’armée française, sans espérer lui infliger une défaite décisive. Son objectif est de tenir le plus longtemps possible. Le FLN compte vaincre en exerçant une double pression sur les dirigeants français : en décourageant l’opinion publique métropolitaine et en isolant la France dans le monde par une habile propagande. Cette stratégie simple, après les graves difficultés des premiers mois, remporta des succès spectaculaires du milieu de l’année 1955 au début de 1957, voire au début de 1958. L’ALN réussit à s’établir dans toutes les régions montagneuses et à étendre son influence sur tout le territoire de l’Algérie du Nord. Toutefois,
sa puissance militaire et son autorité régressèrent ensuite devant les offensives françaises à l’intérieur des frontières. Divers facteurs expliquent ce déclin. L’énorme disproportion des forces et des richesses poussa de nombreux Algériens à se rallier à la France pour éviter une mort violente ou la misère. Mais aussi, souvent, l’abus de la violence comme système d’exercice du pouvoir du FLN-ALN multiplia le désir de vengeance contre lui. De leur côté, les « forces de l’ordre » mènent une double action : de guerre contre les « rebelles », de « pacification » de la population fidèle ou ralliée. L’armée emploie des effectifs considérables (plus de 500 000 hommes à partir du printemps de 1956, grâce à l’envoi du contingent en Algérie, puis au recrutement intensif de supplétifs musulmans), dix fois supérieurs en nombre que ceux de l’ALN. La plupart des appelés servent à des opérations défensives de protection des personnes et des biens contre les sabotages et le terrorisme. Une minorité de troupes d’élite (légionnaires, parachutistes, commandos de chasse...) traquent les unités de l’ALN dans leurs bastions montagneux avec l’appui d’hélicoptères et d’avions d’assaut, ou les groupes terroristes dans les villes. La marine, l’aviation mais aussi les barrages électrifiés et minés construits par l’armée aux frontières marocaine et tunisienne empêchent les infiltrations de renforts et d’armes venus de l’extérieur. L’action proprement militaire se prolonge par la recherche du renseignement auprès des prisonniers et les tentatives d’obtenir des ralliements, la manipulation d’agents clandestins ou la dénonciation de faux traîtres dans les rangs du FLN-ALN. Les « rebelles », considérés comme des criminels de droit commun, sont jugés et punis selon des procédures d’exception (état d’urgence d’avril 1955, pouvoirs spéciaux de mars 1956, etc.), ou en tant que « hors-la-loi », par des moyens illégaux, tacitement couverts par les autorités militaires et civiles (torture, exécutions sommaires), voire organisés et codifiés - c’est le cas de la torture à partir de 1957. • La pacification. La « pacification » concerne surtout la population musulmane restée fidèle ou ralliée. Les troupes de secteur la protègent des pressions des « rebelles », au besoin en la regroupant dans des camps ceints de barbelés. Les sections administratives spécialisées (SAS) leur fournissent des aides matérielles (assistance médicale gratuite, écoles, chantiers ou distribution de vivres...).
Les services d’action psychologique diffusent downloadModeText.vue.download 34 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 23 une contre-propagande. Le but est d’isoler les « rebelles » en les privant du soutien populaire et en obtenant des renseignements et des engagements dans l’armée ou dans les formations supplétives (harkis, milices d’autodéfense...). La logique de la guerre antisubversive conduit les chefs militaires à tenter de dicter leur politique au gouvernement et à revendiquer l’unité des pouvoirs militaires et civils. Après leur victoire sur le gouvernement de Pierre Pflimlin en mai 1958, ils l’obtiennent momentanément du général de Gaulle, qui nomme le commandant en chef Salan délégué général du gouvernement en Algérie, avant de le remplacer par le civil Delouvrier et le militaire Challe en décembre 1958. Trois étapes se distinguent dans l’évolution de la situation militaire. De novembre 1954 à janvier 1957, comme on l’a vu, malgré ses difficultés des premiers mois, le FLNALN réussit à s’implanter dans toute l’Algérie du Nord et à y généraliser l’insécurité. Le reflux commence en février 1957, à la suite de l’intervention à Alger des parachutistes du général Massu, qui oblige le Comité de coordination et d’exécution (CCE) à fuir la capitale ; puis il se généralise au printemps de 1958, après l’échec de l’ALN basée en Tunisie à franchir massivement la « ligne Morice » (de février à mai 1958). De la fin 1958 à la fin 1960, l’ALN de l’intérieur, privée d’une grande partie de son soutien populaire, lutte pour sa survie contre le plan Challe (ratissage systématique de tous les bastions montagneux par les « réserves générales » puis par les commandos de chasse des secteurs), pendant que la direction extérieure du FLN, s’étant proclamée GPRA le 19 septembre 1958, tente de camoufler ses dissensions internes en portant la guerre en France (attentats du 25 août au 27 septembre 1958) et en intensifiant sa propagande à l’Est, à l’Ouest et dans le tiers-monde. Enfin, à partir de janvier 1961, la négociation s’engage avec le gouvernement français et prend le pas sur la lutte armée, sans que celle-ci s’interrompe. Malgré l’échec militaire de l’ALN (qui a pourtant formé des bataillons nombreux et bien équipés à l’extérieur des frontières), le FLN
sort vainqueur de la guerre le 18 mars 1962. LE DÉNOUEMENT : UNE VICTOIRE TRAHIE OU INUTILE ? • Pourquoi cette issue paradoxale ? Les partisans de l’Algérie française parlent d’une victoire trahie : la guerre aurait été gagnée en 1960 si de Gaulle n’avait pas fait échouer une négociation séparée avec les chefs de la IVe wilaya de l’ALN (Algérois) en lançant un appel au GPRA, qui envoya une délégation à Melun (juin-juillet 1960). De Gaulle luimême a parlé d’une victoire sur le terrain pour justifier sa décision d’ouvrir des négociations en position de force ; mais leur issue a rendu cette victoire inutile. En réalité, parler de victoire en 1960 est exagéré. Même si l’ALN de l’intérieur a régressé à son niveau de 1955, le FLN dispose à l’extérieur d’une armée moderne, d’un appareil administratif, diplomatique et propagandiste efficace, et de réserves considérables dans la population algérienne immigrée en France, dans les prisons, les camps d’internement et les familles des militants tués ou emprisonnés en Algérie. La France aurait dû poursuivre sans relâche son effort militaire et financier pour éviter une nouvelle flambée. L’exemple d’autres mouvements nationalistes (palestinien, irlandais, basque) laisse penser que la lutte aurait pu durer plusieurs décennies. On peut davantage parler d’une défaite politique de la France à partir de la reprise des manifestations populaires nationalistes dans les grandes villes en décembre 1960. Toutefois, si ces manifestations ont influé sur la décision du général de Gaulle de relancer les négociations avec le FLN (interrompues depuis l’échec de Melun en juillet 1960), elles ont suivi son désaveu de la francisation (14 juin 1960) et sa reconnaissance du droit de l’Algérie à former un État souverain (4 novembre 1960). Sa décision n’a pas non plus été imposée par le coût économique et financier de la guerre, très supportable en 1960, ni par une pression extérieure irrésistible des États-Unis ou des Nations unies, même si la guerre d’Algérie a limité la liberté d’action et l’influence de la France dans le monde. De Gaulle a fait son choix en fonction de ce qu’il a jugé être l’intérêt de la France. Sa politique algérienne a été mûrement réfléchie, depuis son séjour
à Alger en 1943-1944 jusqu’à son retour au pouvoir en mai 1958. Dès 1947, ses déclarations sur le statut de l’Algérie montrent qu’il ne croit plus à la possibilité de l’assimiler entièrement à la France. En 1955, il confie à plusieurs interlocuteurs que l’Algérie est destinée à l’indépendance ; il préconise pourtant dans une déclaration publique (30 juin 1955) son « intégration dans une Communauté plus large que la France » (mais non dans la France elle-même) et laisse croire à Jacques Soustelle qu’il approuve son action. Rappelé au pouvoir en mai 1958 par les partisans de l’intégration, il est obligé de leur donner des gages verbaux (« Dix millions de Français à part entière » à Alger, « Vive l’Algérie française ! » à Mostaganem). Mais il fait vite comprendre qu’il réserve à l’Algérie une « place de choix » dans la Communauté, cadre constitutionnel permettant une transition vers l’indépendance jusqu’à son éclatement en 1960. Ses raisons se résument, selon des propos tenus à Alain Peyrefitte le 5 mars 1959, à l’impossibilité d’absorber dans la nation française « dix millions de musulmans qui demain seront vingt millions et aprèsdemain quarante » sans ruiner la France et altérer son identité nationale. Le revirement public du général de Gaulle a été accompagné par la majorité des forces politiques. De novembre 1954 à mars 1962, la France est passée d’un consensus favorable à l’Algérie française (les communistes, alignés sur les nationalistes algériens depuis 1946, s’en excluaient) à un autre consensus pour l’indépendance de l’Algérie (sauf l’extrême droite, qui a saisi là l’occasion de prouver son « patriotisme »). Pourtant, la guerre d’Algérie a divisé presque tous les partis : d’abord les gauches au pouvoir, de 1956 à 1958, avec Guy Mollet et Robert Lacoste, puis les droites, de 1958 à 1962. De Gaulle a été soutenu par tous ceux qui ont désiré une solution de compromis négociée avec le FLN, sans oser le dire par peur de l’armée et du nationalisme présumé de l’opinion publique. En réalité, les sondages publiés de 1956 à 1962 montrent que l’opinion de la métropole (contrairement à celle des Français d’Algérie) a très vite évolué vers la recherche d’une solution politique négociée, impliquant le droit à l’indépendance. La IVe République n’a pas été regrettée, précisément à cause de son impuissance à terminer cette guerre. La force du général de Gaulle fut de faire la politique souhaitée par la grande majorité de l’opinion métropolitaine, sinon de ses élites, nettement
plus partagées. En effet, à partir des années 1956-1957, les révélations sur l’emploi de la torture déclenchèrent une « nouvelle affaire Dreyfus », dans laquelle se sont affrontés intellectuels de droite et de gauche. Cependant, leurs débats semblent avoir moins pesé sur le cours des événements que la crainte générale d’une guerre sans fin. • Bilan mitigé. La paix d’Évian n’a pas tenu ses promesses de réconciliation : cessez-lefeu, amnistie générale, respect des personnes et des biens, constitution d’un État algérien par des élections libres, avec représentation proportionnelle des Français d’Algérie (bénéficiant d’une double nationalité pendant trois ans), aide française conditionnée par le respect de leurs intérêts et de ceux de la France. L’OAS tenta de rompre le cessez-le-feu par des attentats visant les quartiers musulmans d’Alger et d’Oran contrôlés par le FLN, et les forces armées restées fidèles au gouvernement. Le FLN riposta par des enlèvements de Français et d’Algériens compromis avec la France. Après le référendum du 1er juillet 1962 ratifiant les accords d’Évian, et après la transmission de la souveraineté française à un exécutif provisoire algérien sans autorité, la lutte pour le pouvoir entre les diverses factions du FLN et de l’ALN généralisa une sanglante anarchie, qui précipita l’exode vers la métropole de la quasi-totalité des Français d’Algérie et de dizaines de milliers de Français musulmans menacés de mort, puis d’Algériens privés de travail. Pourtant, le gouvernement français a maintenu son aide financière et technique à l’État algérien, bien que celui-ci ait poursuivi le démantèlement des accords « néocolonialistes » d’Évian par des nationalisations, jusqu’à celle du pétrole saharien en 1971. Il a poursuivi la coopération scientifique et culturelle aussi longtemps que l’Algérie l’a jugée utile. Mais, la guerre civile algérienne, qui sévit dans les années 1990 et au début des années 2000, menace d’éliminer toute forme de présence et d’influence françaises en Algérie. Contrairement aux deux guerres mondiales, la guerre d’Algérie a laissé en France un souvenir flou : date de commémoration officielle controversée et absence d’encouragement à la recherche historique, ignorance des jeunes générations, affrontement des mémoires antagonistes des partisans de la décolonisation et de leurs adversaires (rapatriés, harkis, militaires de carrière). Une histoire dépassionnée du conflit est nécessaire pour aider ceux qui l’ont vécu et leurs descendants
à vivre ensemble en paix, d’autant que le prodownloadModeText.vue.download 35 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 24 blème de l’intégration d’une population d’origine musulmane dans la nation française se pose désormais en France même. Algésiras (conférence d’), conférence internationale tenue en Espagne de janvier à avril 1906, destinée à régler les premiers conflits d’intérêts entre nations européennes au Maroc. Au début du XXe siècle, le sultanat marocain, affaibli et endetté, suscite de multiples convoitises. Aux intérêts allemands, espagnols et britanniques, essentiellement commerciaux, font face les ambitions de la France, qui souhaite y établir un protectorat. L’Allemagne, au contraire, défend le principe de l’internationalisation du Maroc : c’est l’objet du discours prononcé à Tanger le 31 mars 1905 par Guillaume II, qui aboutit à la tenue de négociations internationales à Algésiras. Les treize puissances qui y participent (dont le Maroc, les États-Unis et les grandes nations européennes) adoptent deux décisions principales : la création d’une banque d’État du Maroc, où la France, premier créancier, a une position privilégiée ; la réorganisation de la police des ports marocains, dont l’encadrement est confié aux Français et aux Espagnols. Pour la France, c’est un succès diplomatique. Bien que son ambition d’établir un protectorat soit momentanément écartée, elle a su faire jouer ses alliances multilatérales pour défendre son point de vue face à l’Allemagne, et a obtenu le contrôle de plusieurs ports dans l’Ouest marocain. Cependant, la question marocaine n’est pas réglée. Ce premier épisode annonce la montée des tensions en Europe, et le rôle qu’y tiendront les questions coloniales. Aliénor d’Aquitaine, reine de France de 1137 à 1152, puis reine d’Angleterre de 1154 à 1189 (Belin, Gironde, 1122 - Fontevraud 1204). Fille aînée de Guillaume X, duc d’Aquitaine, Aliénor est, à 15 ans, le plus beau parti d’Occident : elle est en effet l’héritière du duché d’Aquitaine, qui comprend la Marche, l’Auvergne, le Limousin, le Poitou, l’Angoumois, la Saintonge, le Périgord et la Gascogne. À la mort de son père, en 1137, elle épouse l’héritier du roi de France, qui devient peu après
le roi Louis VII. L’histoire veut qu’Aliénor, belle, vive et intelligente, ait été déçue par un mari timide et très épris, qu’elle accompagne lors de la deuxième croisade, en 1147. Prise au jeu de son oncle Raimond de Poitiers, prince d’Antioche, elle suscite la jalousie de Louis VII, provoquant une première brouille, à laquelle le pape Eugène III met un terme. Mais la mésentente du couple royal s’amplifie, et Louis VII réunit en 1152, à Beaugency, un concile, qui prononce la nullité du mariage. Deux mois plus tard, Aliénor, âgée de 30 ans, épouse Henri Plantagenêt, comte d’Anjou et duc de Normandie, de dix ans son cadet. Lorsque ce dernier devient roi d’Angleterre, en 1154, les domaines des Plantagenêts s’étendent de l’Écosse aux Pyrénées. À partir de 1169, son fils Richard gouvernant l’Aquitaine, Aliénor réside le plus souvent à Poitiers, d’autant que ses relations avec Henri II se dégradent. Mêlée à la révolte de ses fils contre leur père, elle est arrêtée et enfermée à Chinon à partir de 1174. Elle n’en sort qu’en 1189, à l’avènement de son fils Richard Coeur de Lion. Elle retrouve alors un rôle de premier plan : régente pendant la troisième croisade, elle assure en 1199 la succession du royaume à son second fils, Jean sans Terre, puis se rend en Castille, en 1200, pour y chercher sa petite-fille Blanche, destinée à l’héritier de Philippe Auguste, le futur Louis VIII. Sur le chemin du retour, la vieille reine se retire définitivement, jusqu’à sa mort, dans l’abbaye de Fontevraud. À Poitiers, Aliénor d’Aquitaine a tenu une cour brillante, inspirée de son grand-père Guillaume IX le Troubadour. Elle a contribué largement au rayonnement de la littérature courtoise, protégé le troubadour Bernard de Ventadour et favorisé la diffusion de la légende de Tristan. Ses nombreuses filles ont poursuivi ces activités de mécénat, et propagé à leur tour la littérature courtoise en Castille, en Bavière, en Provence et en Sicile. « Monstre femelle » pour les clercs de son époque, Aliénor a longtemps été considérée par les historiens comme une fauteuse de troubles, comme la cause, par son inconduite, son divorce et son remariage, de trois siècles de conflits avec l’Angleterre. Aujourd’hui, on perçoit cette figure célèbre de façon différente : elle incarne la femme libérée du XIIe siècle, symbole d’un Moyen Âge éclairé et plaisant ; cependant, d’aucuns voudraient la présenter comme l’archétype de la princesse médiévale, plus à plaindre qu’à admirer. Si Aliénor continue de susciter des prises de position aussi tranchées, c’est parce qu’elle
reste avant tout une figure féminine centrale de notre histoire. Allarde (loi d’), loi votée le 2 mars 1791, sur la proposition du député d’Allarde, qui, en supprimant les corporations, jurandes et maîtrises, ainsi que les privilèges des manufactures, impose la libre entreprise en France. Régissant le monde du travail dans les villes, les corporations sont considérées, au XVIIIe siècle, par les partisans des idées nouvelles du « laissez-faire » comme une entrave à la libéralisation de l’économie. En effet, les corps de métier soumettent à autorisation toute ouverture de boutique, atelier ou manufacture. S’assurant un monopole, ils éliminent la concurrence et mettent un frein à l’évolution des techniques. Une première fois abolies par Turgot, mais aussitôt rétablies (1776), les corporations sont à nouveau supprimées dans la nuit du 4 août 1789, mais la mesure est retirée des décrets d’application. Élaborée lors du débat sur les patentes à la Constituante, la loi d’Allarde autorise enfin tout citoyen à exercer la profession de son choix à condition qu’il s’acquitte de cet impôt. Les ouvriers, croyant que le droit d’association leur sera accordé, ne s’y opposent guère ; mais ils vont vite déchanter : quelques semaines plus tard, la loi Le Chapelier leur interdit le droit de grève et de coalition. Il en va de même pour nombre de manufacturiers et de négociants, qui voient les structures de production bouleversées. Malgré les résistances qu’elle rencontre, la loi d’Allarde libère la production et devient, avec la loi Le Chapelier - son corollaire -, l’une des pièces maîtresses de l’édifice libéral du XIXe siècle. Allemagne (campagne d’), opérations militaires menées en Allemagne par les armées napoléoniennes en 1813. À l’issue de la retraite de Russie, et alors que la Grande Armée n’est plus constituée que de 10 000 hommes, une vague d’enthousiasme - aboutissement du courant national développé en Allemagne depuis le discours de Fichte en 1807 - déferle à Berlin : la jeunesse universitaire, la bourgeoisie et la noblesse réclament un « combat de libération ». La Prusse organise alors une armée de 100 000 hommes, commandée par Blücher, Gneisenau et Clausewitz, et forme avec la Russie la sixième coalition contre la France. Cette dernière s’est redressée rapidement : elle reconstitue une armée de près de 500 000 hommes, qui comprend toutefois une forte proportion de jeunes recrues inex-
périmentées. En avril 1813 commence la campagne d’Allemagne : en dépit du nombre croissant des partisans de la paix dans son entourage, Napoléon reprend les armes. Son objectif stratégique est d’installer son armée entre l’Elbe et l’Oder afin de mener les combats loin du territoire français et de protéger la Confédération du Rhin. La première phase des opérations est marquée par les dernières victoires françaises, à Lützen (2 mai 1813) et à Bautzen (2021 mai 1813). Mais la débâcle survenue en Espagne et un armistice propice à la constitution de renforts encouragent l’Autriche, puis la Suède à rejoindre la coalition soutenue par la Grande-Bretagne. L’armée française résiste encore deux mois durant, mais doit céder à Leipzig (16-19 octobre 1813). Le Grand Empire est détruit, et Napoléon ne dispose plus que d’une armée exsangue pour défendre le territoire français envahi. Allemane (Jean), militant socialiste (Boucou, près de Sauveterre, Haute-Garonne, 1843 - Herblay, Seine-et-Oise,1935). Enfant, Jean Allemane gagne Paris, où il devient ouvrier typographe et se syndique à l’âge de 18 ans. Lors de la guerre de 1870, il est caporal de la Garde nationale. Après le 18 mars 1871, il met en pratique, à la mairie du Ve arrondissement, les résolutions laïques et anticléricales de la Commune. Arrêté le 28 mai, il est condamné aux travaux forcés à perpétuité et déporté en Nouvelle-Calédonie. Amnistié en 1880, il redevient typographe, fonde la Société fraternelle des anciens combattants de la Commune (1889), dont il célèbre tous les ans l’anniversaire. Grâce au prestige d’ancien communard dont il jouit, il joue un rôle majeur dans le développement du mouvement socia-liste, au sein duquel il incarne, avec ses partisans, les allemanistes, une tendance ouvriériste, antimilitariste, méfiante à l’égard du Parlement, des « bourgeois » et des hiérarchies, favorable à la grève générale. Il fonde le Parti socialiste ouvrier révolutionnaire (PSOR) en 1890, puis entre à la SFIO avec son parti (1905). Sans renier ses idées, il siège à l’Assemblée nationale entre 1901 et 1910, rédige ses Mémoires d’un communard (1906), puis cesse son activité militante. En 1914, il approuve l’appui de la SFIO à l’« union sacrée ». Il s’intéresse, sans y adhérer, à la création du Parti communiste, en 1920. downloadModeText.vue.download 36 sur 975
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25 Dès 1936, une place porte son nom, parmi des rues dédiées à d’autres communards, à la citéjardin de la Butte-Rouge (Châtenay-Malabry, Hauts-de-Seine). alleu, terme d’origine germanique désignant, au Moyen Âge, les biens patrimoniaux. À la différence de la tenure ou du fief, l’alleu, qu’il soit nobiliaire ou paysan, ne relève pas d’un seigneur : aucun service, aucune taxe ne pèse sur lui. Du haut Moyen Âge à la fin du Xe siècle, il est le mode de possession du sol le plus répandu, en particulier dans le Midi, le Centre et certaines régions de l’est de la France. Mais, à partir du XIe siècle, les terres allodiales se raréfient en raison de l’essor des donations à l’Église, de l’extension du fief et, surtout, de l’avènement de la seigneurie banale. Le phénomène revêt cependant des formes différentes selon les régions. En France du Nord, où l’adage « Nulle terre sans seigneur » s’impose à partir du XIIIe siècle, l’alleu disparaît complètement. En revanche, dans le Midi, en Bourgogne et sur les terres comprises entre la Meuse et le Rhin, il subsiste plus ou moins durablement. D’une part, l’alleu nobiliaire, parce qu’il est fréquemment le fondement même du pouvoir aristocratique, se maintient au moins jusqu’à l’affermissement de la puissance royale et princière au XIIIe siècle. D’autre part, l’alleu paysan, à l’occasion des défrichements et de la mise en valeur de nouveaux terroirs, reprend parfois vigueur, quoique momentanément. La disparition progressive de l’alleu est, en définitive, l’un des principaux signes de l’affirmation de la seigneurie entre le XIe et le XIIIe siècle. Alliance républicaine démocratique, formation politique fondée en 1901 et dissoute en 1978, et qui connut son heure de gloire sous la IIIe République. L’Alliance républicaine démocratique (ARD), créée le 23 octobre 1901, mais dont l’ébauche remonte au mois de mai de la même année, regroupe les républicains de gouvernement. Pour faire face à la poussée antiparlementaire exercée par les nationalistes, ces modérés soutiennent depuis 1899 le gouvernement de Défense républicaine de Waldeck-Rousseau, et forment, avec les radicaux et les socialistes, le Bloc des gauches en vue des élections de 1902. Même si ces fervents laïques combattent fermement le cléricalisme et défendent avec ardeur le régime parlementaire, ils divergent des radicaux sur des questions économiques et sociales, puis sur la « loi des trois ans », à
laquelle ils se montrent favorables. À la veille de la Grande Guerre, l’ARD a glissé du centre gauche vers le centre : elle est devenue « le pivot de toutes les combinaisons politiques » (Jean-Marie Mayeur) et le vivier du personnel gouvernemental du régime, comme l’attestent les carrières de deux de ses plus illustres dirigeants : Raymond Poincaré et Louis Barthou. Ce rôle se confirme durant les périodes du Bloc national (1919-1924) et de l’Union nationale (1926-1928). Au cours des années 1930, l’Alliance, qui passe sous la houlette d’une nouvelle génération de dirigeants, tels Pierre-Étienne Flandin et Paul Reynaud, est rejetée vers la droite après la formation du Front populaire. À la veille de la guerre, les problèmes extérieurs la divisent : une majorité pacifiste et munichoise, menée par Flandin, s’oppose à une minorité favorable à la fermeté, animée par Reynaud. Après 1945, la formation ne retrouvera jamais son influence d’antan. Sous la IIIe République, l’ARD, composée de « bons républicains » attachés à la laïcité et au régime parlementaire, mais aussi au libéralisme économique, représente bien une force du centre, qui va contribuer à « brouiller la bipolarisation » (Rosemonde Sanson). almanach, calendrier annuel ou pluriannuel, accompagné de renseignements variés, et qui fut, du XVIe au XIXe siècle, un vecteur important de la littérature et de l’imagerie populaires. Le terme, vraisemblablement d’origine arabe (al-manah, du syriaque l-manhaï, « l’an prochain »), apparaît pour la première fois en français en 1303 (« almenach »). En effet, c’est du Moyen Âge que datent les premiers almanachs : le Vray Régime et gouvernement des bergers, de Jean de Brie (1379), et, surtout, le Grant Kalendrier et compost des bergers avec leur astrologie et plusieurs autres choses, ouvrage savant publié en 1491 et qui constituera le modèle du genre durant trois siècles. L’invention de l’imprimerie va assurer aux almanachs une large diffusion. Encore relativement coûteux au XVIe siècle, ils touchent un large public lorsque la littérature de colportage s’en empare au XVIIe siècle. Une version populaire du Grant Kalendrier des bergers est publiée chez l’éditeur troyen Oudot en 1657, dans la « bibliothèque bleue ». C’est avant tout un ouvrage d’astrologie fournissant des « pronostications » (« faire des almanachs » signifie « faire des prévisions ») assorties de
conseils médicaux, culinaires ou horticoles, en liaison avec les signes astraux. À côté de ce modèle « standard », des concurrents apparaissent (le Mathieu Laensberg ou le Messager boiteux), et de nouvelles formules voient le jour : des calendriers annuels, à partir de 1647, ou des recueils de prédictions valables pour quinze à vingt ans. En même temps que la formule se diversifie, le contenu évolue. L’astrologie conserve une place non négligeable, mais le divertissement, l’information ou un savoir plus technique sont aussi développés : histoire, actualités, nouvelles de Paris, renseignements concernant les foires et marchés, faits divers plus ou moins fantaisistes, curiosités « naturelles » (comètes, monstres), facéties, récits empruntés au folklore, etc. Littérature d’évasion qui propose des réponses simples à la question du destin individuel et des solutions pratiques aux problèmes de la vie quotidienne, l’almanach constitue « le livre unique qui groupe l’essentiel de ce qui est utile au gouvernement de la vie » (G. Bollème). Il rencontre un tel succès qu’au XVIIIe siècle il devient un phénomène de mode auprès des élites de la cour comme de la ville. Ainsi paraissent un Almanach de la cour, des almanachs littéraires (Almanach des Muses, 1765) ou libertins (les Dons de Cérès, le Bijou des dames). À côté de ces livrets, un autre type de production se développe au XVIIe siècle : les almanachs muraux publiés par les éditeurs d’estampes ; placards de grand format où l’image - édifiante, commémorative ou satirique, accompagnée de brèves légendes explicatives et de « vers de mirliton » - envahit la quasi-totalité de l’espace, réduisant le calendrier à une simple vignette. Le rappel des événements de l’année fournit l’occasion de mettre en scène et de célébrer le pouvoir : victoires militaires (le thème le plus fréquent sous Louis XIV...), événements dynastiques, célébrations de la religion, des arts ou des sciences, etc. Ainsi, ces almanachs représentent une sorte d’art officiel à l’usage d’un public populaire. Diffusés par colportage et vendus très bon marché (quelques sous), offrant la possibilité de lire à ceux qui maîtrisent à peine la lecture, les almanachs sont souvent les seuls ouvrages qui pénètrent dans les milieux populaires ruraux et urbains : ils constituent « le livre de la classe la plus modeste, et qui lit peu » (le Messager boiteux, 1794). Leur large diffusion explique la surveillance dont ils sont l’objet, notamment à l’époque de la Contre-Réforme,
en raison de leur contenu parfois sulfureux (édits de 1560, 1579, 1620), mais aussi la tentation du pouvoir royal d’y inscrire sa propagande. Le succès des almanachs perdure au XIXe siècle. Depuis la Révolution française, la politique y a fait son entrée : aux almanachs révolutionnaires (le Père Duchesne, 1791), puis socialistes ou anarchistes (le Père Peinard, 1894), répondent les almanachs contre-révolutionnaires (Almanach de l’abbé Maury), conservateurs ou cléricaux (Almanach du pèlerin). Tandis que les almanachs spécialisés (de mode ou de chansons, « calendriers gourmands », etc.) se multiplient, les almanachs « généralistes » poursuivent leur carrière, parfois jusqu’au XXe siècle (ainsi l’Almanach Vermot, né en 1886, ou le toujours populaire Almanach du facteur). Mais la concurrence de la presse grand public et des autres médias de masse leur ôte peu à peu leur caractère de lecture privilégiée des milieux populaires. alphabétisation. Ce néologisme, d’apparition assez récente mais d’usage universel, pose des problèmes de définition qui tiennent à l’évolution de la place et des fonctions de l’instruction dans les sociétés avancées, mais aussi à la diffusion des valeurs fondamentales de ces sociétés dans l’ensemble des pays du monde. La colonisation a en effet éveillé, au cours du XXe siècle, des aspirations nationales et sociales qui avaient auparavant conféré, dans les pays développés, une importance primordiale à l’accès des populations à la culture écrite. • Polysémie d’un terme. Dans son Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle (1866), Pierre Larousse fait figurer le verbe alphabétiser, ainsi défini : « lire, épeler l’alphabet ». De cette définition du mot par l’apprentissage qu’il désigne, on est passé, dans la seconde moitié du XXe siècle, à une définition par l’enseignement que cet apprentissage suppose. Et le Trésor de la langue française précise que cet enseignement des « rudiments de la lecture et de l’écriture » s’adresse « à des couches sociales ou à des groupes ethniques défavoridownloadModeText.vue.download 37 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 26 sés », tant la géographie et la sociologie actuelles de l’analphabétisme dans le monde en-
tretiennent de liens de causalité réciproques avec celles du sous-développement. L’élargissement du contenu de l’alphabétisation, dont témoignent les définitions des experts de l’UNESCO en 1951 puis en 1962, indique le moment de notre histoire où la promotion de chaque homme a été jugée déterminante pour le développement des peuples et des nations. • La lecture : du religieux au politique. C’est dire les difficultés que soulève l’emploi rétrospectif du même terme par les historiens lorsqu’ils abordent la question des lents progrès passés de l’instruction populaire. La situation particulière de la France ajoute encore à ces difficultés de principe, dans la mesure où la question, comme l’ont souligné François Furet et Jacques Ozouf, a longtemps été liée aux enjeux essentiels de notre vie politique. Au lendemain de la défaite de 1871, cause immédiate du grand élan qui a conduit les républicains à placer l’enseignement primaire obligatoire en tête de leur programme, le linguiste Michel Bréal, futur conseiller de Jules Ferry, affirmait que l’enseignement primaire, partout où il s’était développé avant le XIXe siècle, était fils du protestantisme. L’obligation de la lecture directe de la Bible, source et aliment constant de la foi protestante, a en effet ouvert et longtemps commandé le processus d’alphabétisation des Français. Car elle a aussitôt fait naître une concurrence féconde : pour triompher des protestants sur leur propre terrain, les catholiques ont à leur tour privilégié l’accès au texte sacré comme instrument d’évangélisation. De religieuse qu’elle était aux temps de l’affrontement entre Réforme et Contre-Réforme, la question est devenue politique une fois consommée la rupture de 1789. La philosophie des Lumières avait certes préparé l’émergence des nouveaux termes du débat : l’instruction ne devait plus seulement servir à former des croyants et des sujets, mais éclairer les hommes et leur ouvrir les voies de l’émancipation. Nul ne l’a mieux montré que Condorcet : le remplacement de la monarchie absolue par un régime fondé sur la souveraineté du peuple impose à l’État la formation de citoyens proclamés libres et égaux. L’obligation nouvelle est de leur rendre intelligibles non plus les dogmes de leur foi, mais leurs droits et leurs devoirs. Dans une société désormais travaillée par les oppositions entre traditionalistes et libéraux, en marche vers la réalisation d’idéaux laïques et démocratiques, le déplacement du conflit de la sphère religieuse sur le terrain politique a eu pour effet de valoriser plus que jamais l’accès à l’instruction. La vie politique française à partir de
1789 le confirme constamment, et ce conflit ne se distingue plus, dès lors, de celui qui oppose Révolution et Contre-Révolution. • L’enquête de Maggiolo : débats et constats. Il est très significatif que l’enquête fondatrice sur l’évolution historique de l’alphabétisation en France ait été lancée en 1877, au moment même où se jouait l’avenir des institutions républicaines. Son initiateur, Louis Maggiolo, ancien recteur de l’académie de Nancy, obtient alors du ministère une mission de recherche sur l’état de l’enseignement primaire avant 1789. La logique de ce projet traduit les préoccupations du temps : l’alphabétisation n’est pas conçue indépendamment de l’activité scolaire, dont elle est le signe et le résultat, et il s’agit de comparer l’état de l’instruction populaire avant et après la Révolution. Ni l’idée de cet inventaire ni le souci d’utiliser des procédures statistiques n’étaient nouveaux. L’État réunit des données chiffrées sur le degré d’instruction des conscrits à partir de 1827, sur les signatures au mariage à partir de 1854, enfin sur le degré d’instruction des Français dans les recensements de la population de 1866 et 1872, et de nouveau à partir de celui de 1901. L’apport considérable de Maggiolo tient à l’extension chronologique de son enquête et aux moyens qu’il a su se donner pour la mener à bien. Près de 16 000 instituteurs ont relevé pour lui, dans leur commune, les signatures des époux sur les actes de mariage pour quatre périodes quinquennales : 1686-1690, 1786-1790, 1816-1820 et 1872-1876. Les résultats ont inspiré quelques regrets et critiques. Si loin qu’il soit allé en amont de la Révolution, Maggiolo s’est résolu à laisser dans l’ombre la période antérieure à 1686. Mais il avait fallu attendre 1667 pour que la signature des actes de mariage par les époux et par quatre témoins fût officiellement obligatoire dans l’ensemble du royaume. Le cadre départemental, retenu pour le classement des chiffres, ne saurait valoir pour l’Ancien Régime. En outre, les échantillons sont de taille fort inégale suivant les départements, et la plupart des sondages, effectués par des maîtres d’école de village, affaiblissent notablement la représentation des villes. Depuis la redécouverte de cette enquête, à la fin des années cinquante, l’essentiel du débat a porté sur la pertinence de l’indicateur choisi par Maggiolo : la signature peut-elle être tenue pour un indice sûr de l’aptitude à lire et à écrire ? On peut certes estimer, avec Yves Castan, qu’elle n’est qu’un degré zéro de la culture ou, avec J. Meyer, qu’elle doit être
considérée comme un degré intermédiaire entre lecture et écriture. Or la pédagogie ancienne dissociait l’apprentissage de la lecture et celui, jugé plus difficile, et pour cette raison plus tardif, de l’écriture. Comme l’ont souligné Roger Chartier, Marie-Madeleine Compère, Dominique Julia et Bernard Grosperrin, les petites écoles de l’Ancien Régime ont produit plus de « lisants » que de « signants », dans une proportion que les historiens ne peuvent mesurer. Pour la plupart, ils se sont donc rangés au sage avis de Jean Quéniart : si incertaine que soit l’interprétation des comptages de signatures, la pauvreté des moyens dont ils disposent pour entrevoir la réalité de l’alphabétisation ancienne leur interdit de s’arrêter à leurs insuffisances. Ces résultats font ressortir quatre types de conditions qui ont contribué à prolonger longtemps la sous-alphabétisation. Les cartes dressées à partir des données chiffrées ont confirmé, pour l’essentiel, la validité d’une ligne continue reliant Saint-Malo à Genève, identifiée dès 1826 grâce aux statistiques du baron Dupin sur l’instruction populaire. Cette ligne figure en quelque sorte la frontière entre la « France obscure » de l’Ouest et du Midi et la « France éclairée » du Nord et du Nord-Est. D’autres oppositions apparaissent, entre les riches et les pauvres, entre les citadins, plus précocement alphabétisés, et les ruraux, enfin entre les hommes et les femmes, très inégalement scolarisés. En somme, le bilan n’est point si défavorable à l’Ancien Régime : à la fin du XVIIe siècle, déjà près du tiers des hommes et un huitième des femmes pouvaient signer leur acte de mariage. Si la Révolution a préparé les irréversibles progrès du XIXe siècle, c’est par ses principes et ses projets plus que par ses mesures effectives : d’après les évaluations de Maggiolo, le taux d’alphabétisation des hommes est passé de 47,4 % en 1786-1790 à 54,4 % en 1816-1820, et celui des femmes, dans le même laps de temps, de 26,8 % à 34,5 %. Les textes de 1881, 1882 et 1886 ont couronné une législation à laquelle Guizot, en imposant aux communes l’ouverture d’une école (loi de 1833), puis Duruy, promoteur de la gratuité de l’instruction primaire et de la scolarisation des filles (loi de 1867), avaient apporté des contributions décisives. • Alphabétisation d’hier et d’aujourd’hui. Si l’on ne croit plus aujourd’hui que l’alphabétisation résulte exclusivement de la scolarisation, il ne reste pas moins qu’au XIXe siècle
l’alphabétisation des adultes n’a jamais été envisagée autrement qu’en liaison étroite avec l’instruction élémentaire des enfants. En 1864, Duruy a même autorisé les instituteurs à ne faire que cinq heures de classe aux enfants pour pouvoir donner ensuite des cours du soir aux adultes. On rejoint ici les problèmes sociaux et culturels posés par l’alphabétisation dans le monde contemporain. La scolarisation élémentaire ancienne, courte, légère, intermittente, échouait souvent à assurer l’accès définitif à la culture écrite, l’enfant retombant vite, après avoir quitté l’école, dans l’analphabétisme familial. Cette fragilité de l’alphabétisation par la seule école affecte encore couramment les sociétés du tiers-monde. L’intégration des travailleurs étrangers en France s’est heurtée à d’autres obstacles, dont certains sont très comparables à ceux que rencontraient les maîtres d’autrefois dans les écoles de campagne. La règle d’alphabétiser ces populations dans une langue qui n’est pas leur langue maternelle ne va pas sans problèmes de conscience : ne contribue-t-on pas par là au déracinement, et donc à l’affaiblissement de la cohésion sociale ? Ces questions, comme toutes celles que pose la généralisation planétaire du primat conféré à la culture écrite, sont la rançon de notre vision unitaire, sinon uniformisatrice, du progrès de l’humanité. Alphonse de Poitiers, comte de Poitiers et de Toulouse ( ? 1220 - Savone, Italie, 1271). Cinquième fils de Louis VIII et de Blanche de Castille, frère de Saint Louis, Alphonse reçoit en apanage le Poitou et la Saintonge, fraîchement ravis à l’Angleterre. En 1229, le traité de Meaux-Paris, qui met fin à la guerre contre les hérétiques du Midi, fait de lui le fiancé de la fille de Raimond VII de Toulouse, Jeanne, qu’il épouse en 1237. En 1241, Alphonse est downloadModeText.vue.download 38 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 27 investi de son apanage. Les barons poitevins lui prêtent d’abord hommage, mais se révoltent l’année suivante et sont soumis lors de victoires royales de Taillebourg et de Saintes en 1242. En 1249, à la mort de Raimond VII de Toulouse, Alphonse devient comte de Toulouse. Il est fait prisonnier en Égypte lors de la septième croisade. Après sa libération, il revient en France, où il exerce la régence de
1252 à 1254. Il participe à la dernière croisade de Saint Louis et meurt à Savone, au retour de Tunis, quelques jours avant sa femme. Jeanne de Toulouse et Alphonse de Poitiers n’ayant pas d’héritier, leurs possessions reviennent au domaine royal. Miroir du siècle de Saint Louis, Alphonse de Poitiers prend part à tous les mouvements de son époque. Il se croise par deux fois et, à l’instar de son frère, fait progresser l’administration de ses domaines, au point que les multiples enquêtes qu’il ordonne constituent aujourd’hui une mine de renseignements pour les historiens. Mais l’homme lui-même reste peu connu. Son action dans des territoires récemment conquis a facilité leur intégration. Pourtant, force est de constater que leur rattachement à la couronne relève plus d’accidents de l’histoire (mort de Raimond VII sans autre héritier, et stérilité du couple Alphonse/ Jeanne) que d’un véritable calcul politique de la part de Saint Louis. Alsace, région de l’est de la France, séparée de l’Allemagne par le Rhin, et des autres départements français par la ligne de crête des Vosges. Confinant à la Suisse, au sud, et au land de Rhénanie-Palatinat, au nord, l’Alsace est à tous égards un pays « d’entre-deux », soumis à la double influence du monde germanique et du monde roman. Longtemps écartelée entre la France et l’Allemagne, qualifiée parfois de province peuplée d’Allemands, mais perçue aussi comme un modèle de patriotisme, elle constitue aujourd’hui une région formée de deux départements : le Haut-Rhin et le Bas-Rhin. Dès la fin du dernier siècle avant notre ère, l’Alsace est le théâtre d’incessantes invasions qu’expliquent sa position frontalière. L’invasion des Suèves, menés par Arioviste, nécessite l’intervention victorieuse de Jules César en 58 avant J.-C. Après une longue période de paix romaine et de prospérité économique, la région est dévastée au IVe siècle par les Alamans. Trois siècles plus tard, le nom d’« Alesaciones » apparaît pour la première fois dans les textes ; aujourd’hui encore, son origine reste obscure, et sa signification, controversée. Conquise par les Mérovingiens, puis par les Carolingiens, l’Alsace devient le champ clos des guerres de succession : après le serment de Strasbourg (842) et le traité de Verdun (843), qui l’intègrent à la Lotharingie, le traité de Mersen (870) lie son destin au futur Saint Empire romain germanique,
auquel elle restera attachée jusqu’en 1648. • De l’Empire germanique au royaume de France. Le Moyen Âge voit essor urbain et avènement d’un mouvement d’autonomie politique coïncider : afin de résister au joug des seigneurs et des évêques, dix villes d’Alsace s’allient et constituent, en 1354, la ligue de la Décapole. En dépit du morcellement féodal, et grâce à sa position de carrefour, l’Alsace connaît un brillant développement, tant économique que spirituel. Elle devient à la Renaissance l’un des hauts lieux de l’humanisme - les savants affluent de toutes parts - et s’impose comme foyer de diffusion de la Réforme (Johannes, dit Jean, Sturm). À l’issue des guerres de Religion, les deux cinquièmes des habitants sont de confession luthérienne. Pendant la guerre de Trente Ans, l’Alsace connaît à la fois massacres, misère et dépeuplement. En 1648, les traités de Westphalie marquent le début du basculement de l’Alsace dans l’orbite de la France. Intendants et armées complètent l’annexion et l’achèvent par la prise de Strasbourg (1681), tandis que l’introduction du droit français unifie le pays. Au XVIIIe siècle, l’influence française se renforce dans les villes et auprès des 650 000 habitants, dont le dialecte germanique, aux nuances infinies, demeurait la langue. Durant ce siècle de prospérité économique, l’Alsace s’industrialise (manufactures de textile à Mulhouse), et l’agriculture connaît un remarquable essor, mais le régime douanier demeure celui d’une « province à l’instar de l’étranger effectif ». La Révolution suscite, dans un premier temps, l’adhésion de la population : celle des protestants est telle que leur Église parvient, dans un premier temps, à préserver ses biens. À destination des habitants de Kehl - la ville allemande qui leur fait face outre-Rhin -, les Strasbourgeois placent la célèbre pancarte : « Ici commence le pays de la liberté ». La Marseillaise, composée à Strasbourg par Rouget de Lisle (1792), participe de la même ferveur. Mais la menace de l’invasion étrangère et l’opposition du clergé catholique entraînent les excès de la Terreur : Saint-Just assimile les coutumes et l’idiome local à une trahison. Il faut attendre la chute du gouvernement révolutionnaire pour que le climat social s’apaise et que les églises soient rendues aux cultes catholique et protestant. Sous l’Empire, le développement économique assure une popularité durable au régime, d’autant que Napoléon laisse aux recrues l’usage de l’alsacien pourvu qu’elles « salvent en français ». Après le déferlement des troupes alliées en 1814, les no-
tables protestants boudent la Restauration ... mais soutiennent la monarchie de Juillet. L’esprit républicain progresse ; les élections au suffrage universel, à partir de 1848, révèlent une spécificité alsacienne qui durera plus d’un siècle : les effets du clivage confessionnel. Les protestants votent alors « rouge », et leurs élites sociales s’opposent à Napoléon III. Mais la région se concentre avant tout sur son essor économique : les industries textiles et chimiques font de Mulhouse le centre le plus important de France, tandis que le chemin de fer de Mulhouse à Thann est l’une des premières lignes du pays. • Une terre disputée entre l’Allemagne et la France. Amputée, après la défaite de 1870, du futur Territoire de Belfort, demeuré français, l’Alsace, annexée par le Reich allemand, forme, avec une partie de la Lorraine, le Reichsland Elsass-Lothringen, directement administré par Berlin mais appartenant à tous les États confédérés du Reich. Ses élus protestent d’abord auprès du gouvernement français contre cet abandon (Bordeaux, 1871), puis auprès du conquérant (Reichstag, 1874) : protestation ambiguë, car les catholiques s’opposent surtout au Kulturkampf, alors qu’une partie des protestants s’accommode des conséquences de la guerre. Un dixième des habitants quitte cependant la région pour s’installer en France ou en Algérie. Commence alors, malgré des fluctuations et des éclipses, une longue période durant laquelle l’Alsace occupe une place privilégiée dans le coeur des Français. De la passion revancharde à la nostalgie folklorique, toutes les attitudes se manifestent et cristallisent les formes les plus diverses du sentiment national. Littérature, dessin et caricature jouent un rôle essentiel dans ce processus : en témoignent, en France, la popularité des récits et romans d’Erckmann-Chatrian (l’Ami Fritz, Histoire d’un paysan) ainsi que les illustrations naïves et satiriques de Hansi, vecteurs d’une mythification des provinces perdues. À partir des années 1880-1890, la protestation recule. Tandis que les socialistes privilégient les revendications sociales, le temps et la germanisation des écoles érodent peu à peu le souvenir de l’identité française. Simultanément, le Reich concède aux Alsaciens une participation croissante au pouvoir et octroie une Constitution et un Landtag, dont la Chambre basse est élue au suffrage universel (1911). La réforme ne débouche pas pour autant sur l’instauration d’un État autonome, semblable aux autres États allemands. Le système des partis est alors calqué sur celui du Reich : un parti catholique, des courants
libéro-protestants, un parti social-démocrate (SPD), et un conservatisme protestant très faible. En une période où les Alsaciens sont surtout soucieux de paix et ne remettent plus en cause le fait accompli, plusieurs facteurs semblent faciliter l’assimilation au Reich : la naissance du mouvement culturel alsacien, une législation moderne (y compris dans le domaine social), ainsi qu’un développement économique et urbain remarquable (Strasbourg passe de 85 000 habitants en 1871 à 178 000 en 1910). Mais, en 1914, le comportement des armées à l’égard des civils dresse les Alsaciens contre le Reich et annule les effets de la dynamique intégratrice. Accueilli avec ferveur en 1918, le retour des Français ne débouche pas moins sur une incompréhension réciproque. Le culte de l’Alsace-Lorraine ayant constitué, pendant près d’un demi-siècle, le ciment de la IIIe République et du patriotisme, les Français n’ont cessé de percevoir les « provinces perdues » comme deux orphelines guettant le retour de leur mère. Mais les Alsaciens et les institutions qui régissent leur vie quotidienne ont changé dans l’intervalle. Paris évite donc de toucher au « droit local », mélange de textes d’avant 1871, souvent abrogés en France, et de textes votés après l’annexion. Reste que la substitution de fonctionnaires de l’« intérieur » aux autochtones, l’imposition de la langue française - désormais ignorée de presque tous - et diverses mesures pénalisantes provoquent un indéniable malaise, qui se transforme en rébellion des catholiques, lesquels veulent croire que le Concordat et le statut confessionnel de l’école sont menacés. downloadModeText.vue.download 39 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 28 Des courants autonomistes de toutes nuances prennent le relais : traditionalisme catholique, communisme autonomiste, mouvements régionalistes attachés à la langue allemande, jusqu’à un extrémisme séparatiste et pronazi qui fournit le contingent des ralliés en 1940, au moment de l’annexion de facto de l’Alsace au IIIe Reich. Ayant promis de germaniser la population en l’espace de dix ans, le gauleiter de Bade-Alsace, Robert Wagner, fait régner la terreur. Ce n’est pas la simple collaboration qui est exigée, mais l’adhésion sous peine de sanction : d’où l’élimination de tous les signes qui rappellent la France, y compris les prénoms et patronymes, qui
sont germanisés. Une résistance très précoce s’organise, que l’incorporation forcée dans les armées allemandes, à partir d’août 1942, ne fait qu’intensifier. Exécutions et emprisonnements dans les camps se multiplient. En additionnant les victimes de la Résistance et des combats de la Libération aux 25 000 à 30 000 morts ou disparus parmi les 105 000 enrôlés de force (les « malgré-nous »), on obtient un taux de victimes de guerre bien supérieur à celui des autres provinces françaises. La libération n’est définitive qu’en mars 1945. Les exactions nazies ont rendu plus facile la réintégration de l’Alsace dans l’ensemble français. • L’Alsace au carrefour de l’Europe. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Alsace connaît un remarquable essor industriel lié à sa situation de carrefour : routes, réseau ferré et voies navigables assurent l’implantation des sites selon un axe européen qui va de Karlsruhe à Bâle. Malgré un déclin qui frappe aujourd’hui les vallées vosgiennes, la situation de l’emploi demeure moins dramatique que dans le reste du pays, du fait des travailleurs frontaliers qui exercent leur profession en Suisse ou en Allemagne. Région forte en dépit de la crise, l’Alsace actuelle est tiraillée entre une vocation européenne - Strasbourg est le siège du Parlement européen et Conseil de l’Europe - et un repli identitaire, dont témoigne, aux scrutins présidentiels de 1995 et de 2002, le taux élevé de suffrages en faveur du candidat du Front national. Crispations autoritaires et ouverture à des échanges transnationaux indiquent, sur des modes opposés, que l’Alsace continue de tracer sa voie en cherchant à dépasser le cadre français, voire à s’en détourner. L’Alsace demeure donc bien une région d’entre-deux. Alsace-Lorraine (question d’), ensemble des problèmes posés par l’annexion de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine à l’Empire allemand après la défaite militaire de 1870. Du traité de Francfort (10 mai 1871) à novembre 1918, le territoire correspondant aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin (Territoire de Belfort excepté), de la Moselle (sauf le bassin de Briey) et à une partie de la Meurthe est une propriété commune des États allemands confédérés. Cette « terre d’Empire » (Reichsland) est d’abord administrée depuis Berlin, puis, à partir de 1879, passe sous l’autorité d’un gouverneur installé à Strasbourg et d’un secrétaire d’État respon-
sable d’une administration dont la plupart des postes clés sont confiés à des fonctionnaires prussiens. • D’une annexion à l’autre. Le traité de Francfort est reconnu par les puissances européennes, mais la grande majorité des Alsaciens-Lorrains dénonce le principe de l’annexion : leurs élus protestent, à l’Assemblée nationale puis au Reichstag, contre la violation du droit imprescriptible des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le traité de Francfort autorisant les Alsaciens-Lorrains à se prononcer en faveur de la nationalité française avant le 1er novembre 1872, plus de 200 000 d’entre eux optent pour cette solution, et se réfugient en France ou en Algérie. Jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale, la politique allemande à l’égard de l’Alsace associe rigueurs et concessions : l’allemand devient la langue officielle, mais les lois françaises, notamment le Concordat de 1801, demeurent en vigueur. En 1911, l’octroi d’une Constitution dissimule mal l’échec relatif de la politique de germanisation. Considérée comme nulle et non avenue par l’opinion publique française, l’annexion de 1871 attise les ferveurs nationalistes et pèse sur les rapports entre la France et l’Allemagne. Cependant, l’esprit de revanche connaît bien des fluctuations : la nostalgie des provinces perdues, entretenue par la littérature (les Oberlé, de René Bazin, 1901 ; Colette Baudoche, de Maurice Barrès, 1908), les récits de voyage et les chansons (la Marche lorraine), s’exacerbe ou s’atténue en fonction des préoccupations dominantes. La politique des gouvernements français successifs est faite de prudence et de vigilance ; la question d’Alsace-Lorraine interdit toute réconciliation entre les deux pays ; il faut être prêt au cas où... L’Alsace-Lorraine n’est pas la cause directe de la Première Guerre mondiale. Cependant, à peine celle-ci est-elle déclarée que le but premier de la France est la restitution des provinces perdues. À l’exception de l’angle sud-est de l’Alsace, conquis en août 1914 par l’armée française, l’Alsace-Lorraine reste allemande pendant toute la guerre et subit une dure dictature militaire. Au lendemain de l’armistice, l’Alsace-Lorraine redevient française sans qu’un plébiscite soit organisé. Clemenceau juge cependant impossible d’effacer quarante-huit années de présence allemande. Il faut conserver divers éléments de la législation allemande, le Concordat de 1801 toujours en vigueur, et coiffer le retour au système départemental par un commissariat général et un conseil consultatif. Ces deux organes sont dissous en 1925, et les services sont transférés
à Paris pour former une direction d’Alsace-Lorraine. La réintégration est plus facile en Moselle qu’en Alsace où un courant autonomiste trouve une certaine audience. En juin 1940, Hitler annexe de facto l’Alsace et la Lorraine au IIIe Reich sans reconstituer l’Alsace-Lorraine antérieure à 1918. Pendant plus de quatre ans, les populations subissent un régime totalitaire : germanisation forcée, nazification, déportation et expulsion de nombreux habitants, incorporation de force des jeunes gens (les « malgrénous ») dans le Wehrmacht. • Un héritage juridique singulier. À la Libération, la législation républicaine n’est pas rétablie purement et simplement dans les territoires recouvrés : on y maintient le Concordat, l’école publique confessionnelle et divers textes de droit local relatifs aux cultes, à la chasse, au régime de la Sécurité sociale. Quant aux liens tissés entre la Moselle et l’Alsace, ils se dénouent avec le rétablissement de la cour d’appel de Metz (1972) et le détachement de la Moselle de l’académie de Strasbourg. Aujourd’hui, l’expression « Alsace-Lorraine » appartient à l’histoire. La seule formule légale est celle d’« Alsace et Moselle ». Outre les particularismes locaux, l’héritage le plus important de l’Alsace-Lorraine est la structure territoriale des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, puisque les départements, tels qu’ils étaient découpés antérieurement à 1870, n’ont jamais été reconstitués. Ambiens, peuple gaulois de la région d’Amiens, qui a laissé son nom à cette ville. Les Ambiens, ou Ambiani, sont l’un des peuples belges, occupants de l’actuelle Picardie qui, au cours du IIe siècle avant notre ère, y dominent politiquement tout le nord-ouest de la Gaule. Les photographies aériennes ont révélé tout un tissu d’agglomérations gauloises, avec places fortes, villages, fermes isolées. Des sanctuaires sont également connus, le plus célèbre étant celui de Ribemont-sur-Ancre (Somme), où ont été mis au jour des corps humains découpés. Les Ambiens possédaient aussi une économie monétaire, mais le monnayage d’or semble avoir tenu une place relativement limitée. Après avoir soumis les peuples belges, dès 57 avant J.-C., César réunit en 54 avant J.-C. à Samarobriva (l’actuelle Amiens) une assemblée des Gaulois et y installa ses quartiers d’hiver. La ville tenait son nom de la rivière Somme (Samara, en gaulois), franchissable à cet endroit. Si l’on n’a pas encore retrouvé de
vestiges de cette époque, on sait que la ville a connu un développement spectaculaire sous l’Empire romain, avant de devenir, à la fin du Ier siècle de notre ère, l’une des villes gauloises les plus importantes, comptant sans doute 20 000 habitants. On y a retrouvé tout un système urbain, avec de larges rues, un réseau d’égouts, des portiques et de nombreux monuments (forum, temple, amphithéâtre, bains, etc.). La ville, qui souffrit des premières invasions, fut puissamment fortifiée au IIIe siècle et devint le siège d’une importante garnison. Amboise (conjuration d’), complot protestant ourdi en mars 1560 pour soustraire le jeune François II à l’influence des Guises. Sous l’impulsion d’Antoine de Bourbon et du prince de Condé, le parti huguenot entend mettre fin aux persécutions qui l’accablent depuis le règne d’Henri II : en brisant l’influence politique du duc François de Guise et de son frère Charles, cardinal de Lorraine, il espère ouvrir la voie de la conciliation et soumettre au roi ses doléances. Confié à un gentilhomme périgourdin, Godefroi de La Renaudie, le complot s’assigne pour mission de surprendre la cour à Blois, le 6 mai 1560. Cinq cents gentilshommes sont recrutés à cet effet. Mais la conspiration est révélée aux Guises, qui reçoivent de nombreux avis en provenance d’Allemagne et d’Espagne. La cour se retire downloadModeText.vue.download 40 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 29 alors à Amboise. Godefroi de La Renaudie n’en décide pas moins de maintenir l’assaut, qui échoue lamentablement faute d’une coordination suffisante. Une répression impitoyable, aux allures de spectacle macabre, conclut, le 15 mars, l’aventure des conjurés : attachés à la queue des chevaux, les fuyards sont ramenés et pendus aux créneaux du château d’Amboise. Le jeune Agrippa d’Aubigné, alors âgé de 8 ans, se souviendra toujours de l’injonction solennelle que son père lui a adressée devant les corps des suppliciés : « Il ne faut pas que ta tête soit épargnée après la mienne pour venger ces chefs pleins d’honneur. » La répression ayant rendu les haines inexpiables, toutes les conditions sont désormais réunies pour que se déclenchent les guerres de Religion. Amboise (Georges Ier, cardinal d’), prélat et ministre (Chaumont-sur-Loire 1460 - Lyon 1510).
Georges d’Amboise est voué dès son plus jeune âge à une carrière ecclésiastique. Aumônier de Charles VIII, il reste toutefois lié aux Orléans par tradition familiale : emprisonné en 1487, puis exilé dans son diocèse de Montauban, il revient à la cour au printemps 1490 et y oeuvre avec succès à la libération du duc d’Orléans, dont il devient le principal conseiller. Nommé en 1493 archevêque de Narbonne, puis de Rouen - l’un des sièges diocésains les plus riches de France -, il participe activement à l’administration de la Normandie, dont le duc d’Orléans est le gouverneur. Ce dernier ayant accédé au trône sous le nom de Louis XII, il devient, dès avril 1498, son principal ministre et joue un grand rôle dans la définition d’une nouvelle politique étrangère, marquée par les annexions de la Lombardie et de Gênes, et par la constitution de la ligue de Cambrai contre Venise. Créé cardinal en septembre 1498, légat du pape en France en 1501, il échoue de peu à l’élection au pontificat en 1503. Jules II aurait dit de lui qu’il était « le véritable roi de France ». Habile diplomate, administrateur rigoureux de la justice et des finances royales, très populaire, tuteur de François d’Angoulême - futur François Ier -, mécène richissime et brillant qui contribua à l’introduction en France de la renaissance artistique italienne, Georges d’Amboise est le premier grand cardinal-ministre ; un modèle auquel il sera fait référence à l’époque de Richelieu et de Mazarin, comme le montre la publication, en 1634, d’une Histoire de l’administration du cardinal d’Amboise, grand ministre d’Estat en France où se lisent les effets de la prudence et de la sagesse politique, rédigée par Michel Baudier, conseiller historiographe du roi Louis XIII. Amédée VIII, comte (1391-1416) puis duc de Savoie (1416-1440), antipape sous le nom de Félix V (1439-1449), cardinal de 1449 à 1451 (Chambéry 1383 - Genève 1451). Fils d’Amédée VII, dit le Comte rouge, et de Bonne de Berry, Amédée VIII devient comte de Savoie en 1391, à la suite de la mort tragique de son père. Alors mineur, il est d’abord placé sous la tutelle de sa grand-mère Bonne de Bourbon, puis d’un conseil de régence composé, notamment, d’hommes proches de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, dont il épouse la fille Marie. Son gouvernement personnel commence en 1398. Il mène une politique d’expansion territoriale de grande envergure - annexion du Genevois en 1401,
achat d’enclaves en Bresse et en Bugey, acquisition du Piémont en 1419, affermissement du contrôle sur Nice -, consacrant la principauté savoyarde comme l’un des États princiers les plus puissants de la fin du Moyen Âge. Signe de cette puissance, le comté de Savoie est élevé au rang de duché par l’empereur Sigismond, en février 1416. Grand diplomate, Amédée VIII est aussi à l’origine d’une importante oeuvre législative tendant à unifier davantage les différentes composantes territoriales de ses États. Plusieurs statuts, parmi lesquels les Statuta sabaudiae de 1430, visent à améliorer l’administration et l’exercice de la justice. Par ailleurs, Amédée VIII est le commanditaire d’une Chronique de Savoie rédigée par Jean Cabaret d’Orville entre 1417 et 1419. En octobre 1434, il abandonne le pouvoir à son deuxième fils, Louis, nommé lieutenant général de ses états, pour se retirer au château de Ripaille, près de Thonon, où il fonde l’ordre des Chevaliers ermites de Saint-Maurice. Après avoir déposé Eugène IV, le concile de Bâle l’élit pape le 5 novembre 1439. Il accepte son élection le 17 décembre, et renonce au titre ducal en janvier 1440. Ordonné, il est couronné pape le 24 juillet 1440, à Bâle, sous le nom de Félix V. Toutefois, il n’est guère reconnu, les principaux États d’Occident restant fidèles à Eugène IV. Rapidement en opposition avec les Pères du concile, il se retire en novembre 1442 à Lausanne, puis se fixe à Genève, dont il s’attribue le siège épiscopal en 1444. Il abdique officiellement le 7 avril 1449, à la suite de la médiation du roi de France Charles VII, qui permet un compromis avec le nouveau pape romain, Nicolas V. Nommé par ce dernier cardinal-évêque de Sainte-Sabine et légat pour la Savoie, il meurt à Genève le 7 janvier 1451. Il est inhumé à Ripaille. Ami du peuple (l’), journal rédigé et édité par Marat entre 1789 et 1792. Le 12 septembre 1789 paraît le premier numéro du Publiciste parisien, rebaptisé, quelques jours plus tard l’Ami du peuple. Comme nombre de journaux de la période révolutionnaire, il se compose de huit pages et ne comprend, le plus souvent, qu’un article, dont le résumé est donné dans le sommaire. Marat écrit seul, mais il s’appuie sur un réseau de correspondants qui lui transmettent dénonciations et nouvelles étrangères ou locales. L’Ami du peuple a atteint, semble-t-il, un tirage - fort appréciable pour l’époque - de plus de deux mille exemplaires. La popularité et la réputation de Marat s’édifient grâce à la dénonciation inlassable des autorités et des abus
de pouvoir. Il s’en prend aussi avec acharnement aux idoles du jour. Ainsi, l’Ami du peuple mène campagne contre la municipalité de Paris, le Châtelet, Necker, Bailly, Mirabeau et La Fayette. Cette activité lui vaut des poursuites incessantes, qui l’obligent à suspendre la parution de son journal à plusieurs reprises en 1789 et 1790. Traqué, il passe dans la clandestinité. De décembre 1791 à avril 1792, il doit à nouveau interrompre la publication du journal, qui reparaît avec l’aide du Club des cordeliers et qui se donne pour but de s’opposer au bellicisme des girondins et de dénoncer le roi. Le dernier numéro de l’Ami du peuple sort des presses le 21 septembre 1792. Marat, élu député à la Convention, change le titre de son périodique, qui devient le Journal de la République française, puis, à partir du 14 mars 1793, le Publiciste de la République française. On a souvent stigmatisé l’outrance verbale et l’apologie de la violence populaire contenues dans le périodique de Marat, mais l’analyse au jour le jour de l’Ami du peuple révèle une indéniable clairvoyance quant à l’évolution du processus révolutionnaire. Amiens (Charte d’), texte voté le 13 octobre 1906 dans le cadre du neuvième congrès national de la CGT, qui se tient à Amiens du 8 au 16 octobre. Cette charte illustre les idées que défend le syndicalisme révolutionnaire. Même si elle émane de syndicalistes proches de ce courant (Alphonse Merrheim, Georges Yvetot, Émile Pouget, parmi d’autres), elle est adoptée à une écrasante majorité (834 voix, contre 8 et 1 abstention) rassemblant réformistes et révolutionnaires. Elle prend le contre-pied de la motion du secrétaire général de la Fédération du textile, Victor Renard, qui préconise notamment une collaboration entre la CGT et la SFIO. Cette charte assigne au syndicalisme deux missions : mener une lutte quotidienne en vue de l’amélioration immédiate du sort de la classe ouvrière (diminution de la durée de travail, augmentation des salaires) ; préparer « l’émancipation capitaliste ». Pour parvenir à ses fins, le syndicalisme dispose d’une arme majeure : la grève générale. Ce texte, resté célèbre dans la mémoire syndicale, défendait surtout les vertus de l’« autonomie ouvrière » en isolant l’action syndicale de toute autre forme d’engagement ou d’opinions que ceux qui ont été conçus dans le cadre de l’action ouvrière : « Le congrès
affirme l’entière liberté, pour le syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors. » Amiens (paix d’), traité de paix franco-anglais signé le 25 mars 1802. Après la signature du traité franco-autrichien de Lunéville le 9 février 1801, l’Angleterre reste seule face à la France. Malgré la supériorité de sa flotte et ses succès coloniaux, elle se trouve dans une situation critique : la disette menace ; la dette publique enfle démesurément ; les troubles se multiplient. William Pitt, l’homme qui symbolise la guerre à outrance, doit démissionner de son poste de Premier ministre le 2 février 1801. Dès lors, plus rien ne s’oppose à l’ouverture de négociations directes. Le 1er octobre 1801, des préliminaires sont conclus. La paix, à laquelle sont associées l’Espagne et la République batave, est finalement signée, le 25 mars 1802. L’Angleterre s’engage à restituer les colonies conquises, à l’exception des îles de Ceylan downloadModeText.vue.download 41 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 30 (jusque-là néerlandaise) et de la Trinité (prise à l’Espagne) ; elle doit également évacuer l’île d’Elbe, Malte et l’Égypte. En contrepartie, les troupes françaises sont censées se retirer de Naples et des États romains. Mais les négociateurs ont soigneusement évité d’aborder le problème crucial de la Belgique et de la rive gauche du Rhin. Paix manquée, ou simple trêve dans un conflit séculaire ? Pour l’Angleterre, qui a besoin de reconstituer ses forces, elle est une nécessité vitale ; pour Bonaparte, elle est une obligation politique : il apparaît comme celui qui apporte enfin la paix à une France épuisée par dix années de guerre ininterrompue. Amiens (traité d’), traité conclu entre Philippe III le Hardi et Édouard Ier d’Angleterre le 23 mai 1279, et relatif à l’exécution du traité de Paris de 1259. En 1271, la mort sans héritier de Jeanne de Toulouse (fille de Raimond VII de Toulouse et épouse d’Alphonse de Poitiers, lui-même frère de Saint Louis) ouvre une succession, que
règlent deux traités signés par Saint Louis : l’un avec Raimond VII de Toulouse en 1229, l’autre avec le roi d’Angleterre Henri III Plantagenêt en 1259. Le traité de 1229, dit traité de Paris, stipulait que, si Jeanne mourait sans enfant, le comté de Toulouse et ses dépendances reviendraient en l’état à la couronne de France. Mais l’Agenais, donné en dot par le roi d’Angleterre Richard Coeur de Lion à sa soeur Jeanne lorsque celle-ci épousa Raimond VI de Toulouse (1196), échappait à ce sort. Le traité de 1259, dit également traité de Paris, notifie que l’Agenais doit revenir au roi d’Angleterre si Jeanne de Toulouse, héritière de sa grandmère Jeanne d’Angleterre, meurt sans enfant. En 1259, Henri III avait également émis des prétentions sur le Quercy et la Saintonge, prétentions laissées en suspens. Sitôt après la mort d’Alphonse de Poitiers et de Jeanne de Toulouse, en 1271, le roi de France Philippe III le Hardi se déclare possesseur des domaines du couple, y compris les terres litigieuses - Agenais, Quercy et Saintonge. Édouard Ier d’Angleterre réclame l’exécution des clauses du traité de 1259, et, après de longues négociations, les deux rois signent à Amiens un traité par lequel Philippe III cède l’Agenais et renonce à la Saintonge. Le Quercy doit faire l’objet d’une enquête, et il reviendra en 1286 à Philippe le Bel en échange d’une rente annuelle. Dernier épisode des difficiles relations entre Capétiens et Plantagenêts aux XIIe et XIIIe siècles, le traité d’Amiens met un terme à la première « guerre de Cent Ans ». amis des Noirs (Société des), association créée le 19 février 1788 par Brissot et Clavière, et dont l’objectif est d’obtenir l’abolition de la traite des Noirs. Conçue comme la branche française d’une organisation présente également en Angleterre et aux États-Unis, elle se donne des règles de fonctionnement qui expriment sa volonté égalitaire : ouverture aux étrangers et aux femmes, refus des protocoles de distinction selon les catégories sociales, même si, de fait, ses membres sont essentiellement issus de la haute société française. À la veille des états généraux de 1789, la Société des amis des Noirs s’attache à informer le public des réalités de l’esclavage. Mais, plutôt que de réclamer son abolition immédiate, elle tente de convaincre les colons de la plus grande rentabilité du travail libre par
rapport à celle du travail servile. Même si cette argumentation n’était pas en contradiction avec une visée philanthropique, elle semblait en limiter la portée. Les événements révolutionnaires permirent de prendre la mesure de l’ambition effective de la Société. Pétion et l’abbé Grégoire, deux de ses membres éminents, députés à l’Assemblée nationale, défendent le principe de l’unité législative de la France et de ses colonies, de manière à empêcher les colons de légiférer en matière de droit des personnes, à les obliger à reconnaître l’égalité des droits de citoyen entre les mulâtres libres et les Blancs. Des mois de polémiques vont opposer Pétion et l’abbé Grégoire au Comité colonial et au club de l’Hôtel Massiac, dont Barnave et Malouet se font les porte-parole. Sous la Législative, la Société des amis des Noirs continue à se battre pour l’égalité des droits des hommes libres de couleur. Elle obtient satisfaction, avec le soutien du ministère girondin, le 28 mars 1792. Mais aucune décision n’est prise contre la traite des Noirs ; encore moins contre l’esclavage, qui demeure un sujet tabou. La sympathie à l’égard des personnes libres de couleur vise d’ailleurs à favoriser leur ralliement aux colons contre les révoltes d’esclaves (novembre 1791). Lorsque l’abolition de l’esclavage est proclamée par la Convention, le 16 pluviôse an II (4 février 1794), la Société des amis des Noirs n’a plus d’activité politique, mais, dans ses Mémoires, l’abbé Grégoire affirme que ses membres furent unanimes : « Il ne fallait pas brusquer leur émancipation, mais les amener graduellement aux avantages de l’état social [...]. Leur émancipation subite, prononcée par le décret du 16 pluviôse an II, nous parut une mesure désastreuse : elle était en politique ce qu’est en physique un volcan. » Ampère (André Marie), mathématicien et physicien (Lyon 1775 - Marseille 1836). Il est successivement professeur à l’École polytechnique, inspecteur général de l’Université, membre de l’Institut (1814) et professeur au Collège de France. D’esprit encyclopédique et d’une grande curiosité, il explore, expérimente, fait des découvertes qui ouvrent de nouvelles voies et qui sont à l’origine de conceptions scientifiques toujours d’actualité. À la base de celles-ci : les mathématiques, relevant selon lui de la philosophie, qui permettent de décrire les lois de la physique par des formules. Ainsi en va-t-il de l’électricité,
domaine dans lequel il innove de façon fondamentale. En effet, bien que l’électricité soit connue grâce à Volta et à Coulomb, on ignore tout, jusqu’en 1820, du courant électrique, une notion qu’il établit et dont l’unité d’intensité porte son nom. Il fonde ainsi l’électromagnétisme et invente dans son laboratoire des dispositifs tels que l’électro-aimant (qui, par la suite, permettra la mise au point du télégraphe, du téléphone ou encore des accélérateurs de particules) et d’autres servant aux mesures de l’électricité : ampèremètre (intensité) ou voltmètre (différences de potentiel). Cependant, quelques-unes de ses innovations conceptuelles sont incomprises de son vivant, telles ses hypothèses relatives à l’atome et aux molécules, aux applications tant chimiques que physiques. ampoule (sainte), ampoule de verre contenant l’huile consacrée qui servait au sacre des rois de France. Selon la légende, elle fut apportée par l’Esprit-Saint lors du baptême de Clovis. Cette légende figure pour la première fois dans la Vie de saint Remi, écrite par l’archevêque Hincmar de Reims entre 875 et 880. Le clerc chargé d’apporter l’huile nécessaire à l’administration du sacrement ne pouvant approcher, une colombe descendit du ciel et transmit la sainte ampoule. Cette histoire assimile le baptême et le sacre royal, pratiqué pour la première fois par le Saint-Siège en 751 : Pépin le Bref est alors sacré par Étienne II à Saint-Denis. La royauté franque est ainsi légitimée par une intervention miraculeuse de Dieu. Le récit, qui revendique pour Reims le privilège du sacre, contesté un temps par Saint-Denis, entre très progressivement dans l’idéologie royale. Ce sont les Capétiens qui lui donnent tout son lustre. L’ordo du sacre, rédigé vers 1230, décrit le rituel : l’abbé de Saint-Remi prend la sainte ampoule dans le tombeau du saint et l’apporte en procession jusqu’à la cathédrale, où l’archevêque mélange la sainte huile au baume pour obtenir le chrême dont il oint le roi. Ce rite reste inchangé jusqu’au sacre de Louis XVI en 1775. Tous les rois de France ont été sacrés à Reims grâce à cette huile, à l’exception d’Henri IV et de Louis XVIII. L’ampoule est brisée, après la mort de Louis XVI, par le commissaire de la Convention, Rhül. Les débris, retrouvés au début de la Restauration, servent à la confection de la nouvelle ampoule utilisée lors du sacre de Charles X, en 1825. an mil, crainte de nature religieuse qui
aurait accompagné, en Occident, la fin du premier millénaire. Selon l’Apocalypse de saint Jean (XX, 6-8), la fin du monde devait advenir mille ans après l’avènement du Christ. Ces prophéties ontelles engendré, à la veille de l’an mil, une terreur générale de l’Occident chrétien, effrayé par des signes célestes (comètes, éclipses) et terrestres (épidémies, famines) conformes à l’annonce de l’Antéchrist ? Le témoignage isolé apporté dans la chronique du moine bourguignon Raoul Glaber (vers 985-vers 1047), qui décrit les calamités survenues avant le millénaire de la Rédemption (1033), ne suffit pas à attester l’existence d’une telle attente. En effet, à cette époque, les hommes ne comptaient pas le temps en siècles ; ils n’avaient donc pas conscience de vivre l’an mil. Pour la minorité de clercs avertis de l’échéance, la lecture autorisée de l’Apocalypse par saint Augustin interdisait toute interprétation littérale de la date. downloadModeText.vue.download 42 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 31 La peur de l’an mil ne semble pas correspondre à une réalité médiévale ; elle est une légende française, et moderne. Ce mythe apparaît pour la première fois en 1605 dans les Annales ecclésiastiques du cardinal Baronius, mais l’Ancien Régime ignore en fait l’« an mil », qui n’est redécouvert qu’après 1830. L’historiographie romantique - Michelet en tête - s’en empare alors, et le thème devient un enjeu politique et religieux. Les historiens libéraux et républicains contestent, par ce biais, la « légende dorée » d’un beau Moyen Âge catholique. Allant plus loin, les anticléricaux considèrent l’an mil comme l’instrument de la terreur cléricale qui s’abat sur des hommes ignorants et crédules : les populations vivant dans le plus grand dénuement attendent la fin du monde, alors que l’Église, qui n’y croit point, y trouve son compte. Merveilleux thème romantique, l’an mil sert également à valoriser l’action civilisatrice de l’Église, ou à décrire l’âge de fer dont l’avènement des Capétiens et la naissance de la « nation française » sonnent le glas. Pièce maîtresse de la construction d’une image d’un Moyen Âge obscur et superstitieux, la légende résiste aux remises en cause incessantes depuis le début du XXe siècle. Elle permet d’illustrer les mentalités médiévales. La vague de dévotion et de pénitences
populaires qu’aurait suscitée la terreur eschatologique est présentée comme une cause lointaine des croisades. Élément explicatif, le mythe semble tracer une séparation entre un haut Moyen Âge, foisonnant mais désordonné, et une féodalité organisée, qui marque, par l’essor de l’Occident, le début de la civilisation moderne. L’historiographie française garde, de nos jours, cette référence explicative lorsqu’elle renvoie au concept d’une « mutation de l’an mil ». Anagni (attentat d’), coup de force mené contre le pape Boniface VIII par Sciarra Colonna et Guillaume de Nogaret, l’envoyé de Philippe le Bel, le 7 septembre 1303. Depuis 1294, la tension s’exacerbe entre le pape et le roi de France : elle débouche sur une crise, lors de l’arrestation, en 1301, de Bernard Saisset, partisan de Boniface VIII. Ce dernier saisit cette occasion pour affirmer sa prééminence sur le roi de France. Il renoue ainsi avec les prétentions théocratiques des pontifes du XIIIe siècle, heurtant de front le mouvement de renforcement de l’État royal français. En décembre 1301, la bulle Ausculta fili convoque les prélats français à un concile prévu à Rome pour la Toussaint de l’année 1302, dans le dessein de favoriser « le progrès de la foi catholique, la réforme du roi et du royaume, la correction des abus ». En réponse, le roi réunit les représentants du royaume à Notre-Dame, le 10 avril 1302. Devant l’assemblée, le légiste Pierre Flote expose la politique royale, qui reçoit un large soutien. Les prélats du domaine royal ne s’étant pas rendus au concile, Boniface VIII durcit le ton. Le 18 novembre 1302, il fulmine la bulle Unam sanctam, dans laquelle il expose son droit de déposer tout prince n’agissant pas conformément au bien de l’Église. Le texte est inacceptable pour le roi : au cours du conseil du Louvre (13 juin 1303), Guillaume de Plaisians se livre à un réquisitoire féroce contre Boniface VIII, l’accusant de simonie, de sodomie, d’idolâtrie... Hérétique, le pape doit être jugé par un concile. Le roi obtient sur ce point l’assentiment des princes et des prélats. Guillaume de Nogaret - principal conseiller du roi depuis la mort de Pierre Flote à la bataille de Courtrai - part donc pour l’Italie avec mission de convaincre le pape d’accepter sa mise en jugement. Il est rejoint par Sciarra Colonna, dont la famille joue un rôle important dans toute l’affaire, car le pape a privé ses membres de leurs charges et de leurs biens en 1297. Ils s’emparent d’Anagni, résidence d’été du pape, dans la nuit du 6 au 7 septembre 1303, la
veille de la publication de la bulle d’excommunication du roi de France. Selon la propagande pontificale, Nogaret va jusqu’à gifler le pape. Bien que célèbre, la scène n’en est pas moins mise en doute. Boniface VIII reste prisonnier deux jours, avant d’être libéré par le peuple de la ville. Il meurt à Rome le 11 octobre. En 1310, à la demande du roi de France, le pape Clément V ouvre un procès posthume contre Boniface VIII ; aucune suite ne lui sera donnée. L’attentat d’Anagni met un point final à toute velléité de théocratie papale. anarchisme, conception politique et sociale qui récuse toute autorité imposée, en particulier celle de l’État, et se propose de fonder la vie en société sur des contrats négociés entre volontés individuelles. Les grandes lignes en sont fixées dès le milieu du XIXe siècle. Très vite se distinguent plusieurs courants : l’anarchisme individualiste (Stirner), qui dénonce les contraintes que fait peser la société bien-pensante sur les individus ; le proudhonisme, qui prône la « libre fédération » contre la délégation de pouvoir, et le mutuellisme contre le libéralisme ; l’anarchisme collectiviste (Bakounine), qui vise à instaurer le communisme libertaire à la place du capitalisme. • Le rayonnement d’avant 1914. Le proudhonisme influence le mouvement ouvrier sous le Second Empire et sous la Commune. Mais, c’est en novembre 1871, avec la création de la Fédération jurassienne de James Guillaume, que les anarchistes commencent vraiment à se structurer en France, dans le cadre plus général d’une lutte contre les marxistes au sein de la Ire Internationale. Lors du congrès fondateur de Marseille (1879), différents groupes anarchistes s’affilient pourtant à la Fédération du parti des travailleurs socialistes de France. Mais ils la quittent très vite, et certains, inspirés par Malatesta et Kropotkine, se lancent dans l’action violente. Celle-ci culmine, en 1892-1894, lors d’une vague d’attentats (Ravachol, Vaillant, Caserio) contre les symboles de la république bourgeoise, puis dégénère dans les sombres exploits de la bande à Bonnot (1911-1913). Mais la plupart se tournent vers des activités plus pacifiques : l’éducation (la Ruche, de Sébastien Faure), le journalisme (le Libertaire, les Temps nouveaux pour les collectivistes ; l’Anarchie pour les individualistes), la propagande néomalthusienne (Paul Robin) ou l’action syndicale (Fédération des bourses du travail, de Fernand Pelloutier ; CGT, dont Émile Pouget devient
secrétaire adjoint en 1900). Au demeurant, la Charte d’Amiens (1906) montre la force du syndicalisme révolutionnaire à la veille de la Grande Guerre. C’est pourquoi le regroupement de toutes les mouvances anarchistes dans la Fédération communiste révolutionnaire anarchiste (FCRA) en 1913 laisse augurer un bel avenir. • Une baisse d’influence. Mais le premier conflit mondial oppose violemment les adversaires et les partisans de l’« union sacrée » (Sébastien Faure contre Jean Grave), ce qui aboutit à des scissions mal cicatrisées par la réconciliation partielle de novembre 1920 (Union anarchiste). En outre, l’audience des libertaires dans les syndicats faiblit irrémédiablement, malgré une alliance tactique avec les communistes au sein de la CGT en 19191920. En 1922, les amis de Pierre Besnard, le secrétaire des Comités syndicalistes révolutionnaires (CSR), doivent quitter la CGT-U procommuniste ; en 1926, le lancement de la CGT-SR (« SR » pour « syndicaliste révolutionnaire ») est un fiasco. La séparation des « synthésistes » (S. Faure) et des « communistes libertaires » en 1927 disperse un peu plus les forces. L’unité retrouvée après le 6 février 1934 est éphémère, tout comme le Front révolutionnaire qui entend concurrencer le Front populaire. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le pacifisme dévoyé de quelques-uns et l’attentisme de la plupart provoquent de nouveaux déchirements. Après la guerre, les militants essaient de s’organiser sur d’autres bases. Mais la création, en 1944, de la Fédération anarchiste (FA), transformée, en 1953, en Fédération communiste libertaire (FCL), plus centralisée et plus ouverte aux influences marxistes, ne permet pas de reprise notable. Sur le terrain syndical, la fondation, en 1946, de la Confédération nationale du travail (CNT) ne produit pas non plus les effets escomptés. Au cours des années soixante, ce sont de petites formations - comme le Groupe rouge et noir, ou bien le Mouvement du 22 mars, de Daniel Cohn-Bendit - qui se font entendre. Depuis, le mouvement reste divisé. Le groupe le plus important, la Fédération anarchiste, ne compte que quelques milliers d’adhérents. L’audience d’artistes ou de penseurs exprimant la révolte individuelle et la recherche d’une fraternité consentie reste cependant réelle, quoique diffuse. anarcho-syndicalisme, courant du syndicalisme français apparu à la fin du XIXe siècle avec l’essor du mouvement des
bourses du travail, et incarné par la CGT-unifiée de 1902 (congrès de Montpellier) à 1914. Les historiens préfèrent souvent à ce terme celui de « syndicalisme révolutionnaire » (retenu par les acteurs eux-mêmes) ou encore de « syndicalisme d’action directe ». « Anarchosyndicalisme » relève davantage d’un registre polémique cultivé par les marxistes avant la guerre de 1914, et par les communistes après 1920. À la base de la doctrine syndicaliste révolutionnaire, qui n’a d’ailleurs jamais été formalisée en un dogme, figure la critique de l’idéologie social-démocrate. Les syndicalistes downloadModeText.vue.download 43 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 32 révolutionnaires défendent l’idée d’une autonomie ouvrière et s’opposent à toute forme de collaboration avec les partis politiques, à commencer par les partis socialistes. La révolution prolétarienne qui abolira le régime du salariat ne peut résulter que d’un mouvement « par le bas », à l’opposé de toute stratégie qui nécessiterait une prise du pouvoir d’État ; d’où l’attachement manifesté aux institutions telles les syndicats, les coopératives ou les bourses du travail, garantes d’une émancipation autonome de la classe ouvrière. L’accent est également mis sur la grève générale, « révolution de partout et de nulle part » (Fernand Pelloutier), en tant que meilleur outil de la révolution. Cette sensibilité trouve l’une de ses expressions les plus nettes dans la Charte d’Amiens de la CGT (1906). Il serait néanmoins inexact d’identifier le syndicalisme révolutionnaire à une doctrine. Georges Sorel passe, à tort, pour son théoricien. Le syndicalisme d’action directe apparaît d’abord comme un ensemble de pratiques ouvrières et syndicales. Ses meilleurs représentants - Fernand Pelloutier, ou Alphonse Merrheim, Victor Griffuelhes et Pierre Monatte (fondateurs de la Vie ouvrière) - sont avant tout des hommes d’action et des organisateurs, d’ailleurs fort responsables, bien éloignés de l’image d’agitateurs irréfléchis. Leur entreprise peut être perçue comme une tentative pour résister à l’intégration politique dont la classe ouvrière était l’objet de la part de la bourgeoisie républicaine. Leur action ne doit pas investir le terrain politique : il faut qu’elle demeure au niveau économique. Leur méfiance à l’égard de l’État les a ainsi fait pas-
ser pour des anarchistes. Les belles années du syndicalisme révolutionnaire s’étendent de 1902 à 1908. Il s’affirme alors comme le courant dominant au sein du mouvement ouvrier, et anime l’esprit de plusieurs grèves qui secouent la France prospère de ce début de siècle. Au congrès de Bourges de la CGT (1904), ses représentants font adopter (malgré les réticences de Griffuelhes, alors secrétaire de la confédération) le principe d’une grève générale pour le 1er mai 1906, afin d’obtenir la « journée de huit heures ». L’échec de ce mouvement, l’essoufflement des grèves et l’arrivée de Clemenceau à la présidence du Conseil (octobre 1906-juillet 1909), qui engage une lutte sans merci contre le syndicalisme révolutionnaire, affaiblissent durablement cette culture syndicale. Ancien Régime, expression utilisée dès la Révolution et fixée en 1856 par le livre d’Alexis de Tocqueville, l’Ancien Régime et la Révolution. C’est sans doute dès l’année 1789 qu’elle apparut : paradoxalement, c’était un hommage à la cohérence globale de ce qui avait été bouleversé, après la nuit du 4 août 1789 et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Parce qu’ils avaient le sentiment qu’il fallait tout reconstruire, les révolutionnaires prirent conscience que tout un monde et toute une vision du monde avaient disparu en quelques mois, même si la monarchie ou la foi chrétienne, elles, ne furent pas immédiatement mises en cause. Une question s’est posée aux historiens. L’Ancien Régime correspond-il à la situation telle qu’elle existait en 1789, fruit d’une longue évolution historique ? En tout cas, faut-il considérer avant tout l’organisation telle qu’elle était au XVIIIe siècle, lorsque les contestations fondamentales commencèrent à s’esquisser ? L’historiographie française tend plutôt à appréhender comme un tout les trois siècles qui vont du règne de Louis XII à celui de Louis XVI. Or, bien des réalités de l’époque moderne trouvent leurs racines ou leur définition au Moyen Âge. Il convient donc d’avoir constamment à l’esprit cet acquis médiéval, voire antique, et d’en apprécier la métamorphose sur trois siècles. Cela conduit à décrire aussi la « modernité » de l’Ancien Régime, une image positive, en relief, se dégageant ainsi d’une impression en creux, engendrée par la Révolution.
• La primauté du spirituel. La cohésion du monde ancien tenait d’abord à des traits spirituels, à un rapport à la transcendance. Le christianisme était la religion du roi et, théoriquement, de tous les Français : elle représentait la base de la monarchie comme de la société. Toute création et toute autorité venaient de Dieu. Le catholicisme l’avait finalement emporté en France à la fin du XVIe siècle. Au XVIIe siècle, Louis XIV revint sur les droits accordés aux protestants par l’édit de Nantes, et les juifs étaient à peine tolérés dans le royaume. Enfin, il n’était pas permis de se proclamer athée ou indifférent. Les sacrements, les fêtes religieuses et la prière marquaient et scandaient la vie de tous les Français. Le clergé occupait une place éminente, car il avait la tâche essentielle de diriger et de confesser les âmes, et, pour son entretien, il bénéficiait du droit de percevoir la dîme. L’Église de France s’était dotée, au fil du temps, d’une puissante organisation. Par le concordat, elle dépendait du roi de France, auquel elle accordait librement une aide globale, un don gratuit. La revendication des libertés gallicanes avait permis à cette Église d’acquérir une grande indépendance à l’égard de la papauté. Cet ordre spirituel impliquait le respect des autorités religieuses, morales, politiques et intellectuelles. Une surveillance et une censure plus ou moins étroite s’exerçaient sur les écrits ou sur les paroles, pour dénoncer tout ce qui semblait une injure à Dieu, au roi ou aux bonnes moeurs. Les idées hétérodoxes - voire toute nouveauté - pouvaient être condamnées. En effet, le respect du passé, de la tradition, de la coutume était également enraciné. La complexité de l’Ancien Régime réside dans le fait que les institutions ou les édits nouveaux ne supprimaient pas forcément les réalités anciennes mais s’ajoutaient à elles. Cet enchevêtrement, parfois inextricable, était une véritable providence pour qui savait le démêler - en particulier les savants juristes -, ou simplement s’en accommoder. En défendant des droits acquis dans le passé, une province, une ville, un bourg, une communauté, un « corps », un métier, défendaient souvent des privilèges, droits dont d’autres ne jouissaient pas : exemptions de taxes, « franchises » municipales ou « libertés » provinciales. Ainsi, l’Ancien Régime ne connaissait guère la liberté, mais il fut le conservateur et le protecteur de nombre de libertés. • Le roi comme arbitre suprême. L’Ancien Régime signifiait surtout une organisation des
pouvoirs, un ordre politique, fondés sur la monarchie de droit divin : les Français étaient les « sujets » d’un roi, et ce mot même indique qu’ils lui devaient obéissance. Toute l’autorité émanait d’une seule source, le roi, qui, depuis le Moyen Âge, était considéré comme empereur en son royaume et ne reconnaissait aucune puissance au-dessus de lui, sinon Dieu. Son autorité se renforça par le biais de la construction de l’État, c’est-à-dire d’une administration bien structurée, étoffée et efficace, mais aussi par l’affirmation de la souveraineté royale après l’épreuve des guerres de Religion : le roi était l’arbitre suprême autant que le dispensateur de toute justice, le créateur de toute loi et le défenseur du royaume. Il n’existait pas de texte constitutionnel ; il y avait néanmoins des lois fondamentales, fruits de l’histoire. Mais la puissance publique était largement déléguée. D’une part, des offices avaient été créés, qui, avec le temps, étaient devenus vénaux et héréditaires. D’autre part, des commissions temporaires et précises avaient favorisé l’installation d’intendants dans les provinces, qui, devenus « les yeux et les oreilles du prince », amplifièrent l’unification, la modernisation et la centralisation du royaume. L’État prit ainsi une place centrale et un poids particulier dans la vie du royaume, ce qui fit la singularité du « modèle » français d’administration. Cet État s’était renforcé à travers les guerres, qui avaient impliqué la création d’une armée permanente, donc de l’impôt permanent. Les conflits tout au long du XVIIe siècle avaient entraîné un bond quantitatif de l’impôt royal, qui n’avait pas été accepté sans révoltes ni tensions. Il avait été collecté, pour la taille, dans le cadre traditionnel des paroisses et, pour les impôts indirects surtout, avec le concours intéressé de financiers liés à la couronne. À son tour, il avait permis le développement de l’action monarchique. Pourtant, la monarchie se montra incapable de transformer durablement sa fiscalité, en raison même des divers privilèges octroyés, et elle ne disposa pas des méthodes et des institutions financières qui existaient en Hollande ou en Angleterre. Ainsi, la crise des finances publiques fut à l’origine de la réunion des états généraux en 1789. Cette organisation politique connut une lente érosion. L’idée que tous les pouvoirs - exécutif, législatif et judiciaire - pussent être confondus devint intolérable. À plusieurs reprises, le monarque rappela que la nation se
confondait avec lui et qu’elle ne pouvait se définir en dehors de lui. Pourtant, cette dernière apparut peu à peu comme la source de toute légitimité. Certains cherchèrent à s’exprimer en son nom, en particulier les membres des parlements, ces cours de justice qui enregistraient les décisions royales. Dans le royaume, il n’y avait guère d’occasions de dialogue et de négociation entre le roi et ses sujets. Il existait, dans quelques provinces, des états provinciaux ; cependant, les états généraux ne furent plus réunis après 1614. Finalement, la downloadModeText.vue.download 44 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 33 nation s’affirma à côté du roi, et contre lui. La Révolution mit alors un terme à la vénalité des offices, avant de s’en prendre à la monarchie elle-même. • Conserver l’ordre social ? La société était divisée traditionnellement en trois « ordres », inégaux en nombre. Le clergé et la noblesse y occupaient une fonction : la défense du royaume pour les gentilshommes et la prière pour les hommes d’Église, ce qui justifiait les privilèges dont ils jouissaient. La noblesse se définissait moins par un statut clair que par le sentiment d’appartenir à une race à part, par une manière de vivre et des valeurs propres. Ce groupe social restait ouvert aux familles qui s’illustraient au service du roi, ou qui achetaient des charges publiques. L’inégalité entre les sujets était un fait juridique. Elle se marquait dans le respect du « rang », des hiérarchies. Celles-ci étaient périodiquement rappelées lors des cérémonies : à l’église, à la cour du roi, dans les villes et les campagnes, chacun devait occuper sa place, fixée par la tradition. De tels honneurs faisaient naître une déférence « naturelle » pour ces élites, mais ils entretenaient, chez les puissants, un dédain tout aussi « naturel », que la charité chrétienne ne venait pas forcément adoucir, et qui devint peu à peu insupportable. L’inégalité sociale se traduisait à travers l’impôt royal par excellence - la taille -, dont les deux premiers ordres (mais aussi d’autres sujets) étaient exemptés. S’y ajoutait l’inégalité entre les hommes et les femmes, mais elle ne fut guère remise en cause. La Révolution voulut détruire tout ce qui était considéré comme le « régime féodal ». La féodalité n’était plus qu’un souvenir, mais il en demeurait des traits singuliers, perçus
comme des vexations. Les dernières traces de servitude, de « mainmorte », avaient sans doute disparu, mais les liens d’homme à homme persistaient, souvent symboliques et associés à des droits féodaux à payer. La seigneurie, quant à elle, liait le paysan à une terre, sous la protection d’un seigneur qui la possédait. Le paysan n’en était donc pas pleinement propriétaire : il devait acquitter des droits, tel le cens. Le seigneur jouissait d’autres droits, comme le monopole de la chasse - très mal accepté des roturiers à la fin du XVIIIe siècle -, et il disposait de banalités : les paysans avaient l’obligation d’utiliser le moulin et le four seigneuriaux. Enfin, même si la justice royale dominait presque partout et constituait un recours pour tous les sujets, les seigneurs conservaient des droits de justice. L’Ancien Régime présentait aussi une dimension économique. Le travail artisanal reposait le plus souvent sur une organisation verticale, du compagnon au maître, même s’il existait des métiers libres et si Turgot avait tenté, en vain, d’établir la liberté du travail. Tantôt décrit comme « un très grand et très vieil édifice » (Pierre Gaxotte) qui avait néanmoins grand air, tantôt comme « une sorte d’immense fleuve bourbeux » (Pierre Goubert) charriant des institutions venues d’autres âges, l’Ancien Régime fut aboli par une Révolution qui voulut faire table rase du passé. Pourtant, bien des réalités de l’Ancien Régime ont survécu à sa mort. Anciens (Conseil des), assemblée dont les 250 membres composent, avec le Conseil des Cinq-Cents, le pouvoir législatif institué par la Constitution de l’an III (22 août 1795). Il marque l’introduction du bicamérisme. La première séance des Anciens se tient le 28 octobre 1795 ; la dernière a lieu le 10 novembre 1799 pour approuver la Constitution de l’an VIII. En l’an III, les députés de la Convention qui avaient renversé Robespierre le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), arrêté le mouvement populaire en prairial an III (mai 1795) et éliminé les « derniers montagnards » choisissent un système politique capable de « repousser les formes d’une démocratie trop active » (Cambacérès). La création du Conseil des Anciens participe de cette volonté de mettre « un frein aux passions » (Eschassériaux), de « garantir les législateurs de l’activité funeste de l’enthousiasme » (Lakanal). L’extinction de l’enthousiasme du peuple ou du législateur,
tel est en effet l’objectif, dénoncé par Thomas Paine, d’une Constitution qui choisit la propriété - « le froid motif du bas intérêt personnel », selon Paine - contre l’égalité. Le Conseil des Anciens est ainsi l’un des dispositifs qui doit permettre d’arrêter le processus révolutionnaire. Pour en être l’élu, il faut avoir 40 ans révolus - « avoir dépassé l’âge des passions », dit Boissy d’Anglas ; être marié ou veuf, le bon père ou le bon époux étant le gage du bon citoyen (Villetard) ; être domicilié en France depuis quinze ans. Ce bicamérisme, qui repousse l’exemple anglais (une seconde Chambre aristocratique) et se distingue du modèle américain (bicamérisme fédéral), souligne, en outre, la tension entre l’unité de la représentation nationale et le désir de limiter la puissance d’une Chambre unique. Les compétences des deux Assemblées en sont la marque. Comme les Cinq-Cents, les Anciens sont élus pour trois ans et renouvelés par tiers chaque année ; les premiers députés sont d’ailleurs choisis sans qu’il soit précisé pour quel Conseil, la répartition étant effectuée ensuite, par tirage au sort, dans le respect des conditions définies (âge, mariage, domiciliation). Unité donc, mais aussi rôles différents puisque les Anciens n’ont pas l’initiative des lois et ne peuvent que les approuver sans modification, ou les rejeter pour un an (le veto royal de la Constitution de 1791 passe ainsi aux Anciens). Ils peuvent fixer le lieu de résidence des séances des Conseils, ce qui leur permettra d’aider Bonaparte dans son coup d’Etat en transférant les Assemblées à Saint-Cloud. anciens combattants, soldats ayant participé aux combats et, plus spécifiquement, soldats de la Première Guerre mondiale. Figures sociales nouvelles de l’entre-deuxguerres, vecteurs du souvenir, mais aussi animateurs de sociabilités inédites, les anciens « poilus », forts de convictions morales et politiques définies, restent longtemps assujettis à l’image fallacieuse et déformante des Croix-de-feu ou des défilés du 6 février 1934. Avant tout, les anciens combattants sont les témoins et les acteurs de la Première Guerre mondiale, véritable traumatisme dont ils vont véhiculer, par leurs lettres, leurs récits écrits ou oraux, des images contradictoires : le souvenir de l’horreur - la mort intime, la mort attendue, la mort reçue et, pis encore peut-être,
la mort donnée - y côtoie celui de la fraternité dans les tranchées. Avant même la fin de la guerre se pose le problème du sort matériel des mutilés et des blessés démobilisés. C’est ainsi que les premières associations d’anciens combattants sont fondées, dès 1915, sur des revendications d’ordre pratique plus que moral. Après 1918, elles foisonnent et reposent sur des critères médicaux - l’Union des aveugles de guerre, ou les Gueules cassées, regroupant les plus grands invalides -, militaires ou professionnels, mais aussi politiques : la Fédération ouvrière et paysanne est d’orientation socialiste, tandis que l’Association républicaine des anciens combattants fondée par Henri Barbusse (1916), l’auteur du Feu - l’un des best-sellers de la littérature combattante avec les Croix de bois (1919), de Roland Dorgelès -, est clairement d’obédience communiste. Ce réseau associatif devient, à la fin des années vingt, un véritable mouvement de masse, dont les deux piliers sont l’Union française (900 000 membres) et l’Union nationale des combattants (800 000 adhérents). Les anciens combattants représentent alors un mouvement d’environ trois millions de personnes, soit la moitié des soldats ayant survécu au conflit. Politiquement, les anciens combattants se caractérisent - parfois - par un antimilitarisme hérité de la haine de l’ancien troufion à l’égard de l’officier et - très souvent - par un pacifisme inébranlable, dont le chantre fut Aristide Briand, et la garante, la Société des nations (SDN). Le 11 Novembre, fête nationale des anciens combattants, est à la fois une cérémonie civique - et non militaire - et une célébration funéraire où le chant patriotique donne sa signification républicaine au sacrifice des disparus. Dans l’ensemble, le discours de l’ancien combattant se veut plus moral que politique : l’opposition mythique entre le monde politicien et l’univers du soldat exposé aux risques de la guerre, la volonté de sauvegarder la communauté d’esprit des tranchées et le refus de voir la société traversée de clivages suscitent, tout au long de l’entre-deuxguerres, un antiparlementarisme spécifique qui, toutefois, est davantage l’expression de l’insatisfaction face à une IIIe République défaillante que le symptôme d’un quelconque fascisme français. Anciens et des Modernes (querelle des), nom générique donné aux polémiques littéraires qui voient s’affronter, entre la seconde moitié du XVIIe siècle et le début du XVIIIe, les tenants de la supériorité des auteurs modernes et les défenseurs des modèles
antiques. La querelle des Anciens et des Modernes comprend plusieurs phases distinctes, et elle engage des protagonistes différents au fil des années. La première controverse oppose les partisans d’une épopée nationale et du merveildownloadModeText.vue.download 45 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 34 leux chrétien aux zélateurs des mythologies païennes. Contre le Clovis de Jean Desmarets de Saint-Sorlin (1657) ou le Charlemagne de Louis le Laboureur (1664), Boileau proclame, dans son Art poétique (1674), l’excellence des lettres anciennes. Même si les Modernes sont vaincus, faute d’avoir étayé leurs thèses par des oeuvres suffisamment probantes, le joug de l’Antiquité n’en subit pas moins un premier ébranlement. L’affaire des Inscriptions (1676-1677) fait rebondir la polémique autour de la question suivante : faut-il employer le français ou le latin pour les inscriptions des tableaux et monuments historiques ? C’est à l’Académie française, le 27 janvier 1687, que débute la phase la plus aiguë de la Querelle. On y lit, en effet, le poème de Charles Perrault le Siècle de Louis le Grand, dans lequel l’auteur déclare préférer « le siècle de Louis au beau siècle d’Auguste ». L’exaltation du présent contre le passé déchaîne les foudres de Boileau, à qui s’allient La Fontaine et La Bruyère. Perrault rédige les quatre tomes de son Parallèle des Anciens et des Modernes (1688-1697), auxquels Boileau répond par ses Réflexions sur Longin (1694). Le conflit entre les deux hommes ne s’apaise qu’en 1694, grâce à la médiation d’Antoine Arnauld, qui obtient une réconciliation publique. La dernière phase de la Querelle s’ordonne autour d’Homère. L’helléniste Anne Dacier livre au public, en 1699, une traduction de l’Iliade qui ne masque ni les longueurs ni les répétitions du texte original. En 1713, Antoine Houdar de La Motte tire de cette édition une version largement amputée et versifiée. Mme Dacier s’élève aussitôt contre ce sacrilège. Cette fois, c’est Fénelon qui réconcilie les adversaires dans sa Lettre à l’Académie (1714) : il exhorte les Modernes à égaler et à dépasser les Anciens.
Ainsi prend fin une longue polémique où les questions de personnes ont sans doute joué un rôle aussi important que les exigences d’ordre esthétique. Par-delà les excès de l’un et l’autre camp, par-delà une violence polémique qui interdit souvent aux protagonistes de poser les problèmes avec la clarté requise, la querelle des Anciens et des Modernes fait résonner une question essentielle : celle des rapports qu’entretiennent les oeuvres d’art du présent avec l’héritage d’une civilisation. Andorre, principauté souveraine des Pyrénées, placée depuis la fin du XIIIe siècle sous l’autorité de deux coprinces : l’évêque d’Urgel et le roi de France (prérogative qui passe ensuite au président de la République française). En 988, le comte d’Urgel cède à l’évêque de cette ville les terres « fiscales » que Charles le Chauve avait données à l’un de ses prédécesseurs en 843. À son tour, le prélat les restitue en fief à la famille des Caboet au début du XIe siècle. Devenu héréditaire, ce fief passe par mariage à la famille des Castelbon (vers 1185), puis à celle des comtes de Foix (vers 1208). Les relations entre l’évêque et ses vassaux sont souvent difficiles. L’intervention du roi d’Aragon leur permet, en 1278, de conclure un accord de « paréage » qui instaure un condominium sur la vallée (partage du tribut, ou questia, présence des bailes des deux autorités, aide militaire due aux deux seigneurs). Transmis au roi de Navarre, l’héritage des comtes de Foix échoit à la France lors de l’accession d’Henri IV au trône. Le système s’est maintenu jusqu’à nos jours, malgré de fréquentes tensions entre les coprinces (instauration d’un blocus économique en 1953). La rencontre historique qui a lieu à Cahors, le 25 août 1973, entre Georges Pompidou et Mgr Joan Marti i Alanis ouvre une période de réformes dans la principauté, tendant au renforcement de l’autonomie du Très Illustre Conseil général des vallées, émanation des conseils de paroisse élus au suffrage universel depuis 1985. Dotée d’une Constitution depuis 1993, la principauté est membre de l’ONU. Angevins, branche cadette de la famille capétienne qui, entre le XIIIe et le XVe siècle, régna, plus ou moins longuement, en Italie, en Hongrie, en Albanie et à Jérusalem. C’est le frère cadet de Saint Louis, Charles Ier d’Anjou, qui est à l’origine de l’établissement d’un pouvoir capétien en Méditerranée et en Europe orientale. Installé en Provence par son
mariage, en 1246, avec Béatrix, fille de Raimond Bérenger V, il profite du vide politique laissé en Italie par la mort de l’empereur Frédéric II (1250) pour s’y imposer. Il obtient du pape la couronne de Naples et de Sicile, royaume qu’il conquiert en 1266-1267, à l’issue des batailles de Bénévent et de Tagliacozzo. L’Italie n’est cependant qu’un élément de la politique d’envergure que veut mener Charles : son but essentiel est de reconstruire l’Empire latin d’Orient, reconquis par le Grec Michel Paléologue (1261). Dès 1266, Charles s’empare de Corfou et de l’Achaïe. En 1272, il obtient le royaume d’Albanie, puis celui de Jérusalem (1279). Des alliances matrimoniales sont nouées au même moment en Pologne et en Hongrie. Un réseau d’alliances diplomatiques est tissé avec le royaume serbe, les Mamelouks de Baïbars et les Mongols. Les projets de croisade contre les Grecs restent cependant lettre morte. En 1282, alors que tout semble réuni pour la victoire du Français contre Constantinople, Pierre III d’Aragon débarque à Collo, en Sicile : les Vêpres siciliennes (31 mars) marquent le premier revers du défi angevin, arrivé à son apogée. Les descendants de Charles Ier se maintiennent en Europe orientale et en Italie du Sud. En Hongrie, une dynastie angevine succède en 1307 à celle des Árpád et y domine la vie politique jusqu’en 1382, notamment au cours du long règne de Louis le Grand, roi de Hongrie de 1342 à 1382 et roi de Pologne de 1370 à 1382. En Italie, Robert, petit-fils de Charles, réussit, au cours de son règne (1305-1343), à restaurer l’ordre et à faire du royaume de Naples un centre culturel humaniste. Après sa mort, l’Italie du Sud sombre pour longtemps dans l’anarchie, déchirée par les querelles entre branches angevines rivales. Isolée, la reine Jeanne Ire adopte Louis Ier, fils de Jean II le Bon, apanagé en Anjou, mais est assassinée par l’Angevin Charles, duc de Durazzo (Duras). S’ouvre alors plus d’un siècle de luttes entre les Duras, la deuxième maison d’Anjou et les Aragonais. L’adoption de René d’Anjou par la reine Jeanne II (Duras) prélude à la transmission de l’héritage angevin au roi de France (1470). Ce mirage hérité est le moteur de l’expédition de Charles VIII en Italie (1494) et des guerres d’Italie. Angoulême (Louis Antoine de Bourbon, duc d’), dauphin de France (Versailles 1775 - Goritz, Autriche, 1844). Fils aîné de Charles, comte d’Artois, futur Charles X, et de Marie-Thérèse de Savoie,
il est élevé par sa mère à l’écart de la cour. Émigré dès 1789 avec ses parents et son frère cadet, le duc de Berry, il séjourne successivement à Turin, où il suit des cours d’artillerie, puis à Coblence (auprès de l’armée des Princes), à Édimbourg, à Blanckenburg, puis à Mittau, dans l’entourage de Louis XVIII : c’est là qu’il épouse en 1799 sa cousine germaine, Marie-Thérèse-Charlotte de France, « Madame Royale », fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Durant l’Empire, il vit en exil à Hartwell auprès de Louis XVIII. Attaché à l’armée de Wellington, il rentre en France par l’Espagne, et joue un rôle actif dans la restauration des Bourbons sur le trône de France et entre triomphalement à Bordeaux le 12 mars 1814. Durant les Cent-Jours, nommé lieutenant général du royaume dans le Midi, il remporte un succès sur l’armée bonapartiste à Loriol, mais est abandonné par ses soldats ; arrêté, il est embarqué pour l’Espagne. De retour en France après Waterloo, il siège à la Chambre des pairs. Louis XVIII le place à la tête de l’expédition militaire française en Espagne (1823), où il met fin à la captivité du roi Ferdinand VII (prise de Trocadero). Au lendemain de la révolution de juillet 1830, le 1er août, il abdique en faveur de son neveu Henri, duc de Bordeaux, et se retire en Angleterre, puis à Prague et enfin à Goritz. Angoumois, appelé goulême, ancienne cupant, autour de majeure partie de Charente.
aussi comté d’Anprovince de France ocla ville d’Angoulême, la l’actuel département de la
Fondée sous le Bas-Empire à des fins militaires et rapidement promue au rang d’évêché, la cité d’Angoulême, prise par les Wisigoths et intégrée au royaume de Toulouse, passe sous le contrôle de Clovis après la victoire de Vouillé, en 507, et devient le siège d’un comté à la fin du VIIIe siècle. À l’époque carolingienne, l’Angoumois, dont la possession est très disputée, est uni au Périgord et à l’Agenais, puis à la Saintonge et au Poitou, dont il dépend jusqu’à la fin du XIIe siècle. Situé au contact des domaines des Capétiens et des Plantagenêts, le comté, aux mains de la famille de Lusignan, est incorporé par Philippe le Bel au royaume de France en 1308. Pris dans le champ d’opérations de la guerre de Cent Ans, il est cédé à l’Angleterre en 1360 par le traité de Brétigny, qui sanctionne la défaite de Jean le Bon à Poitiers, puis est reconquis par Charles V, en 1373. Acquis à la France, l’Angoumois reste désormais dans la mouvance du royaume pendant toute la durée du conflit, bien qu’il soit détaché du domaine, d’abord en faveur du duc
de Berry, puis de Louis d’Orléans, en 1394. À la mort de celui-ci, en 1407, il passe à son plus jeune fils, Jean d’Angoulême, grand-père de François Ier qui, lors de son avènement au downloadModeText.vue.download 46 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 35 trône de France, en 1515, réunit définitivement l’Angoumois à la couronne et l’érige en duché-pairie au bénéfice de sa mère, Louise de Savoie. Anjou, ancienne province de France axée sur la Loire, entre Bretagne et Touraine, Maine et Poitou, dont les limites correspondent à celles de l’actuel département de Maine-et-Loire. Dépourvu d’unité naturelle, c’est avant tout une construction politique qui remonte au Moyen Âge. Formé du territoire de la tribu gauloise des Andécaves, l’Anjou est intégré après la conquête romaine aux provinces de Celtique, puis de Lugdunaise, avant d’être fondu dans le royaume franc. Son identité n’est toutefois acquise qu’à la fin du IXe siècle, lorsque apparaît la première mention du comté d’Angers, défendu des incursions normandes par Robert le Fort, puis par son fils Robert qui, devenu roi des Francs, y installe un vicomte, qui est à l’origine de la première maison comtale. Ainsi, l’Anjou devient-il l’un des principaux fiefs du royaume : vassaux directs des Capétiens, dont ils sont les alliés, Foulques Nerra et son fils Geoffroi Martel l’étendent aux Mauges, au Saumurois, à une partie de la Touraine et s’assurent la suzeraineté du Maine. Le comté, réorganisé par Foulques V et Geoffroi Plantagenêt, qui imposent leur pouvoir aux seigneurs féodaux et développent l’administration, notamment en matière de justice, revient en 1151 à Henri II Plantagenêt, bientôt duc d’Aquitaine et roi d’Angleterre. L’Anjou, confié à un sénéchal, est ainsi intégré à un vaste empire qui comprend, outre l’Angleterre, la Normandie, puis la Bretagne, l’Aquitaine et la Gascogne. Après que Philippe Auguste s’en est emparé en 1205, il est constitué en apanage dans le testament de Louis VIII, en 1226, au bénéfice du frère cadet de Saint Louis, Charles Ier d’Anjou. Sous cette deuxième dynastie, d’origine capétienne, l’Anjou devient avec le Maine l’élément périphérique d’un second empire angevin, centré non plus sur l’Atlantique, mais sur la Méditerranée, avec notamment les royaumes de
Sicile et de Naples. Donné en dot par Charles II à sa fille Marguerite, épouse de Charles de Valois, l’Anjou revient à la couronne lors de l’accession au trône de leur fils, Philippe VI, en 1328, avant d’en être à nouveau dissocié par Jean le Bon, en 1356, comme duché cette fois, au profit de son fils cadet, Louis Ier d’Anjou. Le duché demeure l’apanage de la troisième maison d’Anjou jusqu’au décès du roi René (roi de Jérusalem et de Sicile, duc d’Anjou et comte de Provence), en 1480, suivi en 1481 de celui de son héritier, Charles du Maine, qui, en faisant de Louis XI son légataire universel, a permis au duché d’être définitivement réuni à la couronne. Anjou (Philippe, duc d’), roi d’Espagne sous le nom de Philippe V (de 1700 à 1746), fondateur de la lignée des Bourbons d’Espagne (Versailles 1683 - Madrid 1746). Deuxième fils de Louis de Bourbon et de Marie-Anne de Bavière, petit-fils de Louis XIV, il est élevé en cadet qui n’est pas destiné à régner, mais bénéficie de l’enseignement de Fénelon. Charles II d’Espagne, demi-frère de sa grandmère Marie-Thérèse, en fait son héritier s’il renonce au trône de France, ce qui déclenche la guerre de la Succession d’Espagne. Arrivé à Madrid avec ses conseillers français, il doit affronter l’invasion du prétendant Charles de Habsbourg. Chassé de sa capitale en 1706 et 1710, Philippe V gagne le coeur des Castillans par son courage. La paix d’Utrecht (1713) lui garantit son trône, mais il perd les possessions d’Italie et des Pays-Bas, et échoue à faire valoir ses droits sur la France après la mort de Louis XIV. Il veut reconquérir la Sicile, ce qui entraîne une guerre contre l’Angleterre et la France (1718). Le traité de 1721 normalise les relations entre les Bourbons. En 1738, Philippe V obtient de l’Autriche Naples et la Sicile, contre Parme et la Toscane. Influencé par la princesse des Ursins, agent de Louis XIV, mais aussi par ses épouses, Marie-Louise de Savoie puis Élisabeth Farnèse, fille du duc de Parme, dans l’ombre de son ministre le cardinal Alberoni jusqu’en 1719, Philippe V a réformé l’État espagnol sur le modèle de la centralisation française. Louis XIV lui avait dit : « Soyez bon Espagnol... mais souvenezvous que vous êtes né Français. » Annam ! Indochine Anne d’Autriche, épouse de Louis XIII, reine de France (Valladolid, Espagne, 1601 - Paris 1666).
Élevée à la cour d’Espagne régie par l’étiquette de Charles Quint, elle reçoit une éducation pieuse et stricte qui la marque profondément. Le 25 août 1612, le Conseil du roi vote le mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche, afin de parachever la politique de rapprochement avec l’Espagne « très catholique ». De cette union, célébrée le 25 décembre 1615, naîtront deux fils : Louis Dieudonné (1638), futur Louis XIV, et le duc d’Orléans (1640). Forte personnalité, peu instruite mais autoritaire et têtue, la reine Anne déchaîne les passions (c’est pourquoi Dumas lui accordera une telle place dans les Trois Mousquetaires et Vingt ans après). Ennemie jurée de Richelieu, qui mène une politique anti-espagnole, elle prend part à tous les complots ourdis contre le Cardinal : elle anime le parti dévot, qui s’oppose aux alliances conclues avec les pays protestants, et va même jusqu’à prêter son soutien à Chalais, qui projette de l’assassiner. Le 10 novembre 1630, elle est victime, au même titre que la reine mère Marie de Médicis, de la journée des Dupes, et envoyée en exil. Enfin, en 1637, éclate l’« affaire du Val-de-Grâce » : soupçonnée d’entretenir une correspondance secrète avec son frère Philippe IV d’Espagne alors que la France lui fait la guerre, elle est accusée de trahison. Seule la naissance d’un héritier la sauve de la disgrâce. En 1643, à la mort de Louis XIII, la reine entame une seconde carrière politique, radicalement différente de la première. Loin de continuer à mettre en péril la sûreté et la stabilité de l’État, elle n’a plus qu’un souci : offrir à son fils un royaume pacifié et unifié. Elle fait donc casser le testament de Louis XIII par le parlement de Paris, se fait proclamer régente, et obtient les pleins pouvoirs, qu’elle confie à Mazarin. L’oeuvre accomplie par le « duovirat » est considérable : ils soumettent les frondeurs, signent la paix avec l’Autriche phalie, 1648) et avec l’Espagne nées, 1659). En 1661, Louis XIV à la tête d’un royaume puissant reine mère se retire à l’abbaye qu’elle a fait construire, et y
(traité de West(traité des Pyrése retrouve et soumis. La du Val-de-Grâce, meurt en 1666.
Le portrait qu’en a peint Rubens est révélateur du rôle exceptionnel qu’a joué cette femme : elle n’est représentée ni en mère ni en amante, mais elle a la grandeur et la solennité que confère le pouvoir monarchique. Anne de Bretagne, duchesse de Bretagne (1488-1514) et reine de France de 1491 à 1514 (Nantes 1477 - Blois 1514). Fille aînée du duc François II et de Marguerite
de Foix, elle devient duchesse à la mort de son père, en septembre 1488. Sur l’avis des états de Bretagne, qui cherchent à préserver l’indépendance du duché face au puissant voisin français et soutiennent la candidature impériale contre les prétentions de Louis d’Orléans, futur Louis XII, Anne est mariée par procuration, en mars 1490, au fils de l’empereur Maximilien de Habsbourg, qui vient d’être élu roi des Romains, cette union, qui transgresse le traité du Verger (19 août 1488) par lequel François II s’était engagé à ne pas marier ses filles sans le consentement du roi de France, provoque une réaction militaire de Charles VIII, inquiet de la menace d’encerclement que pourraient faire peser les Habsbourg sur son royaume. Devant le peu d’aide que lui apporte Maximilien, alors occupé en Bohême, et voulant sauvegarder l’indépendance de son duché, envahi par les armées royales, Anne décide de changer de parti : son mariage est annulé pour vice de procédure, et elle épouse Charles VIII en décembre 1491. Le contrat de mariage réaffirme la suzeraineté française sur la Bretagne, mais respecte l’autonomie du duché qu’Anne fait valoir en refusant d’étendre à ce dernier les effets de la pragmatique sanction (7 juillet 1438) qui consacre le roi comme le maître de l’Église de France. Il prévoit que si le roi venait à mourir sans laisser de descendance masculine, Anne épouserait son successeur : ainsi, lorsque Charles VIII décède, en 1498, sans que lui survive aucun de ses quatre enfants, Anne est promise à Louis XII, qu’elle épouse en 1499, et à qui elle donne deux filles, Claude et Renée. Toujours attachée à l’autonomie de son duché, elle ne peut toutefois empêcher les progrès de l’influence française, ni s’opposer à l’union de sa fille aînée, Claude de France, avec l’héritier présomptif du trône, François d’Angoulême. Ce mariage, conclu en 1514, peu avant qu’Anne meure, scelle, à terme, le devenir de la Bretagne, réunie de façon indissoluble à la couronne par François Ier en 1532, huit ans après le décès de son épouse. Anne de France, dite Anne de Beaujeu, régente du royaume de France de 1483 à 1491 (Genappe, Brabant, 1461 - Chantelle, Allier, 1522). Fille aînée du roi de France Louis XI et de Charlotte de Savoie, Anne de France épouse en 1474 Pierre Beaujeu, fils cadet du duc de Bourbon. C’est à sa fille Anne, en qui il downloadModeText.vue.download 47 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 36 reconnaît ses propres qualités, et à son gendre Pierre, fidèle serviteur du royaume, que Louis XI confie la régence pendant la minorité de son fils Charles. De 1483, date de l’avènement de Charles VIII, à son mariage en 1491, Anne et Pierre de Beaujeu gouvernent la France. Confrontés aux troubles suscités par le duc d’Orléans, futur Louis XII, ils réunissent les états généraux de Tours en 1484, dont ils obtiennent le soutien. L’année suivante, l’hostilité des princes se cristallise dans la « Guerre folle », menée par le duc Louis d’Orléans, le duc François II de Bretagne et Maximilien de Habsbourg. Mais le duc d’Orléans fait bientôt la paix avec le roi. La recherche de l’équilibre et la modération guident alors le comportement d’Anne de Beaujeu, que Brantôme qualifie de « fine femme et déliée s’il en fut oncques, et vraie image en tout du roi Louis son père ». Entre les affaires d’Autriche et celles de Bretagne, Anne de Beaujeu choisit d’assurer la réunion de la Bretagne à la France en mariant son frère Charles VIII à Anne de Bretagne, unique héritière de François II. Dès lors, les Beaujeu se consacrent aux intérêts du duché de Bourbon, dont Pierre a hérité en 1488, et qui revient à sa mort à sa fille Suzanne (1503). Mariée à Charles de Montpensier, futur connétable de Bourbon, cette dernière meurt, sans héritier, en 1521, et le duché revient à son époux. François Ier réclame certaines des possessions du connétable de Bourbon, mais se heurte à Anne de Beaujeu, qui défend fermement les intérêts de son gendre ; elle meurt l’année suivante, avant la trahison du connétable en 1523. À Moulins, la cour des Beaujeu, foyer de la Renaissance française, accueillit artistes et poètes. Anne de Beaujeu a elle-même pris la plume pour écrire des Enseignements dédiés à sa fille Suzanne. Conseils de vie d’une grande élévation morale, plus proches des Enseignements de Saint Louis que des poèmes de Ronsard, ils ont inspiré à l’historien Ernest Lavisse, à la fin du XIXe siècle, ces propos : « Anne de Beaujeu était pieuse et austère [et] ne prisait point les falbalas. » À la collégiale de Moulins, le vitrail de sainte Catherine et le triptyque de la Vierge à l’Enfant conservent les visages d’Anne, Pierre et Suzanne de Beaujeu.
Années folles, période comprise entre la fin de la Première Guerre mondiale et le début de la grande dépression des années trente. Dans la mémoire collective européenne, les Années folles figurent ce retour explosif à une certaine joie de vivre, après la « boucherie » de 1914-1918, encouragé par une prospérité économique renaissante et la perspective d’une entente avec l’Allemagne à partir de 1924. Autant dire que, de même que la Belle Époque forgée par un après-guerre en mal de repères, ces Années folles constituent un cliché dont la dimension utopique livre pourtant la clé de ces années vingt, où la recherche de la modernité, qui est certes le fait d’une élite artistique et sociale, est à peine entamée par une discrète mais indéniable réaction. • Paris, carrefour de la modernité. Au coeur des Années folles, Paris, bien que détrônée par Berlin ou Moscou, prend toujours le pouls de la vie artistique internationale. Le monde s’y donne alors rendez-vous : Russes en rupture de révolution, ou artistes soviétiques en visite dans la capitale ; écrivains américains, dont toute une génération - Francis Scott Fitzgerald, Henry Miller, Ernest Hemingway, Ezra Pound - va se perdre dans le salon de Gertrude Stein ; artistes italiens et espagnols ; photographes de tous horizons. Tous contribuent à forger une image cosmopolite de la Ville Lumière. La modernité de ces roaring twenties rime avec une première véritable « américanomania ».La fièvre américaine s’empare de Paris, propagée par les sons chaloupés du charleston, du shimmy et du jazz joués dans les nombreux dancings et cafés, tels que Le Boeuf sur le toit, célèbre cabaret de la rue Boissy-d’Anglas, fréquenté par Jean Cocteau. Les Années folles sont riches donc en images, du jazz à la Revue nègre de Joséphine Baker. Elles ont aussi un visage : celui de la femme émancipée, la « garçonne » aux cheveux courts coiffée d’un chapeau cloche et portant robe-chemise, et dont la taille, emblème de la féminité, est gommée par une ceinture tombant sur les hanches. Cette « course à la modernité » s’inscrit toutefois au-delà du cadre des mondanités parisiennes : les vêtements féminins plus simples et plus pratiques se démocratisent ; les supports culturels à forte diffusion se multiplient, tels la radio - alors à ses débuts -, le phonographe, ou encore l’affiche publicitaire qui, avec Carlu, Cassandre ou Colin, recycle à sa manière les apports du cubisme ou de l’expressionnisme, et les
intègre bientôt au paysage urbain. Ces médias en voie de diversification participent de cette nouvelle forme de civilisation à laquelle public et créateurs ont l’impression d’appartenir : une civilisation de la technique, de la vitesse, du voyage, où, des futuristes à Blaise Cendrars, l’on se plaît à célébrer l’ivresse de la voiture, la poésie du train ou des transatlantiques. Laboratoire des techniques, les Années folles, marquées à leur début par l’explosion dadaïste puis surréaliste, explorent également toutes les potentialités d’un art nourri par le nihilisme hérité d’une guerre absurde, par les recherches sur l’inconscient mises en pratique dans l’écriture automatique et par un inébranlable anticonformisme qui va irriguer tous les domaines de la création, notamment le cinéma : encore muet, ce « septième art » est animé par une nouvelle génération de metteurs en scène - Louis Delluc, Germaine Dulac, Abel Gance, Marcel L’Herbier, René Clair, Luis Buñuel -, tous soucieux de créer une esthétique vouée au culte des images. • L’envers du décor. Pourtant, l’envers de cette effervescence se lit dans le repli notable, issu tout droit de la guerre, sur les valeurs nationales et le rejet du « kubisme » et de la « kultur », comme l’atteste la pratique picturale. À Paris, Derain, Léger ou Picasso retournent à une facture plus traditionnelle, et le réalisme redevient l’horizon théorique des peintres. L’architecture, malgré le dynamisme d’un Le Corbusier, accuse le trait : le retour au passé se manifeste dans la vague de reconstruction de l’entre-deux-guerres, comme si la Grande Guerre n’avait été qu’une parenthèse. Entre invention et réaction, les Années folles gravent le mythe de recréation d’un monde et d’un homme enfin émancipés de la folie meurtrière. En 1933, alors que Hitler arrive au pouvoir et que la crise économique prend des proportions mondiales, ce mythe a fait long feu. Anselme de Cantorbéry, ecclésiastique et philosophe d’origine italienne (Aoste 1033 - Cantorbéry 1109). Issu d’une famille de châtelains, il entre en 1059, après trois années d’errance, à l’abbaye bénédictine du Bec, en Normandie, attiré par la renommée du célèbre Lanfranc. Il lui succède comme prieur et écolâtre (1063), puis devient abbé du Bec (1078) et, enfin, archevêque de Cantorbéry (1093). Prélat réformateur, partisan de la primauté romaine, il entre en conflit avec le roi d’Angleterre (Guillaume II le Roux, puis Henri Ier Beauclerc) en défendant les pré-
rogatives de l’Église face aux pouvoirs laïcs. Entre 1097 et 1107, il est contraint par deux fois de s’exiler en Italie. Premier et prestigieux représentant de la renaissance du XIIe siècle, Anselme est l’auteur de traités philosophiques - dans la querelle des Universaux, il fait partie des réalistes, qui s’opposent aux nominalistes - et théologiques. Imprégné de la pensée de saint Augustin et de Grégoire le Grand, il refuse de soumettre la foi à la dialectique : on ne comprend pas afin de croire, mais on doit croire afin de comprendre (Fides quaerens intellectum). Ses traités les plus connus ont été écrits au Bec : le Monologion, le Proslogion, le De casu diaboli (où il réduit le mal au néant). Il est célèbre par son « argument ontologique » (Proslogion) : pouvoir penser Dieu tel que rien de plus grand ne peut être pensé implique nécessairement son existence réelle. Au temps de son épiscopat, il traite, dans le Cur Deus homo, de la nécessité de l’incarnation. anticléricalisme, refus, en tout domaine (législatif et juridique, politique, social et économique, culturel, éducatif et moral) et en toute circonstance (cérémonies, rapports sociaux, vie quotidienne, actes majeurs de l’existence humaine : naissance, mariage, mort), de toute espèce de subordination à l’autorité religieuse et de toute forme d’envahissement de la sphère collective ou individuelle par le clergé et la religion qu’il professe. Le mot (comme son antithèse, « cléricalisme ») apparaît dans le lexique politique des années 1860. Historiquement, l’anticléricalisme désigne, en France, les systèmes de pensée, les opinions, les comportements et les actes hostiles à l’Église catholique (ainsi que, mais plus rarement, aux autres confessions religieuses) qui ont conduit à l’affirmation du principe de laïcité et à la loi de séparation des Églises et de l’État (1905). Ses partisans entendent par la suite prolonger l’esprit de cette lutte et en maintenir les principes et les acquis. L’anticléricalisme n’est certes pas apparu au XIXe siècle. Les satires médiévales contre les moines, les luttes de la monarchie contre le Saint-Siège, l’humanisme savant et le libertinage érudit, Voltaire (Écrasons l’infâme !), les Encyclopédistes et les Philosophes (Diderot, d’Holbach, La Mettrie, Condorcet) constituent son arrière-plan culturel et lui offrent downloadModeText.vue.download 48 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
37 ses principaux arguments. La déchristianisation révolutionnaire de l’an II, qui entraîne la fermeture des lieux de culte, la persécution du clergé et des fidèles et l’apparition de rituels civils représentent une rupture décisive. • Le grand siècle. Au cours du XIXe siècle, l’anticléricalisme s’affirme à travers plusieurs étapes. Les anticléricaux de la Restauration (Béranger, Paul-Louis Courier, Montlosier, Stendhal) combattent avec vigueur l’alliance du trône et de l’autel, la Congrégation, les jésuites et les missions, la loi sur le sacrilège et le sacre de Charles X à Reims (1825). Aussi, avec l’abolition de toute notion de religion d’État, 1830 marque-t-il un tournant majeur. Dans les années 1840, la lutte anticléricale s’étend à l’enseignement (Villemain et la défense du monopole universitaire ; Des jésuites, de Michelet et Quinet, 1843) et à la morale (Du prêtre, de la femme et de la famille, de Michelet, 1845). La révolution de 1848 n’est pas anticléricale, mais le ralliement du clergé au parti de l’Ordre puis au coup d’État de 1851 relance la lutte (discours de Victor Hugo contre l’expédition de Rome et la loi Falloux, 1850). Les années 1860, qui voient Napoléon III se détacher de l’Église pour soutenir la cause de l’Italie, marquent une nouvelle rupture. L’anticléricalisme se renouvelle dans ses sources doctrinales (Vie de Jésus, de Renan, 1863 ; traductions du théologien Strauss, de Darwin et de Feuerbach ; dictionnaires de Littré et de Larousse) comme dans ses forces vives (franc-maçonnerie ; Ligue de l’enseignement). En 1868, à la tribune du Sénat, Sainte-Beuve exalte le « grand diocèse » des dissidents de tous ordres. En 1871, la Commune de Paris fait fermer les églises et fusiller l’archevêque, Mgr Darboy. Dans les années 1871-1877 (l’Ordre moral), une ligne de partage s’établit entre monarchistes et catholiques d’une part, républicains et anticléricaux de l’autre : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! », s’écrie Gambetta le 4 mai 1877. La victoire des républicains entraîne, dans les années 1880, l’avènement des lois laïques (école gratuite, laïque et obligatoire ; suppression des prières publiques ; interdiction des processions ; introduction du divorce). L’anticléricalisme triomphe dans l’État comme dans le monde intellectuel. Tandis que la morale néokantienne des instituteurs laïcs se substitue à « la morale des jésuites » (Paul Bert, 1879), les mouvements plus radicaux de la libre pen-
sée, avec leurs rites civils et leurs banquets du vendredi saint, se développent. La dissolution des congrégations religieuses, la rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège (1904) et la loi de séparation du 9 décembre 1905 marquent le point d’aboutissement de l’anticléricalisme du XIXe siècle : désormais, la République « ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte ». • Des enjeux décalés. L’anticléricalisme du XXe siècle demeure vigoureux, tant dans la réflexion (l’Union rationaliste en 1930) et la presse (la Calotte d’André Lorulot, 1906 ; le Canard enchaîné, 1916), que dans le syndicalisme enseignant (l’École libératrice), mais il n’occupe plus une place centrale dans le débat politique. Après la Première Guerre mondiale, l’Église et l’État décident de favoriser la pacification religieuse et font chacun des concessions (maintien du concordat en Alsace-Lorraine, approbation des associations diocésaines, rétablissement des relations diplomatiques avec le Vatican). L’anticléricalisme regagne cependant du terrain avec la victoire du Bloc des gauches (1924), mais Édouard Herriot doit faire marche arrière. Pendant le Front populaire, la politique de la « main tendue » de Thorez aux catholiques tout comme le refus des radicaux d’accorder le droit de vote aux femmes isolent les anticléricaux des nouvelles luttes sociales. Après 1945, l’anticléricalisme est principalement centré sur la question scolaire, comme l’illustrent le combat contre les lois Barangé (1951) et Debré (1959), l’adoption de la loi Savary (1984) ou la défense, paradoxale, de la loi Falloux (1994). Enfin, le maintien du concordat en Alsace-Lorraine, le financement public des bâtiments religieux (cathédrale d’Évry, mosquées) ou le rituel « concordataire » des funérailles de présidents de la Ve République à Notre-Dame peuvent constituer d’autres motifs de lutte. anticolonialisme, attitude politique qui remet en cause les principes et les objectifs de la domination coloniale. Sa formulation date des années vingt, considérées comme l’apogée de l’empire colonial français, à un moment où se généralise l’usage péjoratif du terme « colonialisme », selon ses détracteurs, qui traduit « une forme d’impérialisme issu du mécanisme capitaliste ». Mais ses origines explicites remontent au XVIIIe siècle. Entre l’anticolonialisme philosophique des Lumières, l’humanitarisme libéral,
la critique socialiste, le refus pragmatique et le tiers-mondisme, les diverses tendances anticolonialistes illustrent la difficile traduction politique de courants qui trouvent souvent leur légitimité au-delà du seul clivage droite/ gauche. • Les origines du débat. Sous la Révolution éclate le débat entre « colonistes », partisans de l’esclavage, et « anticolonistes », favorables à son abolition. « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! » : la formule, attribuée à Robespierre, est devenue le symbole de l’anticolonialisme de principe, né des idéaux anti-esclavagistes de 1789. L’abolitionnisme, nourri des écrits de Rousseau et de l’abbé Raynal, constitue certes une matrice de l’anticolonialisme, mais celui-ci se réfère aussi, à la fin du XVIIIe siècle, à une critique pragmatique du système colonial qui, selon Voltaire, « dépeuple la métropole », et, d’après les physiocrates, est trop coûteux et affaiblit la puissance continentale de la France. Du XIXe siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale, il évolue avec la formation de l’empire colonial français. La critique utilitariste dénonce le « gaspillage de l’or et du sang » provoqué par les aventures coloniales en Algérie, en Tunisie et en Indochine. Les réprobations humanitaires portent surtout sur les excès des administrateurs et des militaires, excès qui éclatent au grand jour avec les atrocités commises par la mission Voulet-Chanoine autour du Niger en 1899. Le pamphlet de Paul Vigné d’Octon, la Gloire du sabre (1900), et les révélations de Victor Augagneur, administrateur de Madagascar (Erreurs et brutalités coloniales, 1905), illustrent cette position, qui remet en cause les abus coloniaux plus que le système en tant que tel. En 1914, la légitimité coloniale n’est contestée que par deux tendances politiques minoritaires : les nationalistes, qui refusent toute diversion des forces nationales, et l’extrême gauche socialiste et révolutionnaire, qui dénonce, sur les traces de Marx et de Hobson, les causes profondes de la conquête coloniale. Après le congrès de l’Internationale communiste en 1920, et avec la guerre du Rif (1924-1926), l’anticolonialisme devient l’un des fondements du militantisme communiste, qui s’illustre, en 1931, avec l’organisation de la contre-exposition « la Vérité sur les colonies françaises ». • Anticolonialisme et décolonisation. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, après l’échec des positions réformistes associées à l’esprit de la conférence de Brazzaville,
se développe un anticolonialisme radical, désormais attaché aux luttes menées par les autochtones à Madagascar, en Indochine et dans le Maghreb. Dans les années cinquante, il ne peut qu’aboutir à la décolonisation, trouvant des justifications parfois opposées. Les communistes, les jeunes socialistes, les trotskistes et certains catholiques revendiquent « l’indépendance de droit pour les peuples colonisés », un thème relayé par des intellectuels tels que Sartre, Merleau-Ponty, Mounier, Domenach ou Marrou dans une presse de qualité (les Temps modernes, Esprit et Témoignage chrétien). Quant aux nouveaux anticolonialistes « utilitaristes » et conservateurs, ils affirment la nécessité économique de se débarrasser des colonies : « La Corrèze avant le Zambèze... », proclame le journaliste Raymond Cartier. Selon Jean-Pierre Biondi, avec la guerre d’Algérie se serait opéré le basculement tardif de l’opinion française dans l’anticolonialisme massif, et amorcée la transition vers le tiers-mondisme. antifascisme, courant d’opinion ou mouvement de défense contre le fascisme. Que la menace d’une montée de la droite totalitaire ait été réelle ou surestimée, l’antifascisme n’en a pas moins largement contribué à unifier la gauche française dans les années trente. Rassemblant des démocrates et des révolutionnaires autour d’un refus, il a évité la confrontation entre des projets inconciliables. De ce fait, certains, telle l’historienne Annie Kriegel, le considèrent comme un piège tendu par les communistes, tenants d’un totalitarisme de gauche. D’autres remarquent qu’il répond à un danger manifeste, et que ceux qui y participent - libéraux, démocrates-chrétiens, socialistes ou libertaires - sont souvent loin d’entretenir des illusions quant à leurs alliés staliniens. Dans les années vingt, il n’est encore guère question d’antifascisme en France, hormis chez les réfugiés italiens fuyant le régime de Mussolini. Ceux-ci rencontrent quelque élan de solidarité, mais le fascisme semble une spécificité transalpine, ne relevant que de la pure politique étrangère. Si seul le Parti communiste s’affirme antifasciste, c’est pour mieux dénoncer tout ce downloadModeText.vue.download 49 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 38 qui n’est pas lui, à commencer par la SFIO. La
situation change après l’arrivée de Hitler au pouvoir en Allemagne, en 1933. Les réactions ne sont pas immédiates ; le danger que le nazisme fait peser sur l’URSS conduit cependant Staline à chercher des rapprochements entre États et entre partis, sur la base de l’antifascisme. Après le 6 février 1934, un mouvement spontané de militants de base et d’intellectuels voulant s’unir contre une menace fasciste en France se crée. Le risque d’un fascisme français est sans doute surestimé ; il n’en réveille pas moins une culture politique commune héritée de l’école républicaine et de l’affaire Dreyfus. Il met l’antifascisme à l’ordre du jour et entraîne l’émergence du Front populaire. Les intellectuels jouent un rôle pionnier, grâce au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA), aux hebdomadaires tels que Vendredi, d’André Chamson et de Jean Guéhenno, et Marianne, d’Emmanuel Berl, ou encore grâce à la tenue du Congrès international pour la défense de la culture. Celui-ci réunit à Paris, en juin 1935, André Gide, Louis Aragon, Romain Rolland, Jules Monnerot, Emmanuel Mounier ou Victor Marguerite, côté français ; y participent aussi Bertolt Brecht, Boris Pasternak, Herbert Marcuse, Tristan Tzara, Robert Musil ou Aldous Huxley. Mais c’est aussi chez les intellectuels que les fissures apparaissent le plus vite. La réalité du régime soviétique que dépeint Gide, les procès de Moscou, la répression contre les opposants tel le romancier Victor Serge, divisent les partisans de l’antifascisme ; s’y ajoute la question du pacifisme, débattue entre ceux qui en font un principe absolu et ceux qui prônent la résistance aux dictatures, les premiers étant accusés de travailler pour Hitler, les seconds pour Staline. La guerre d’Espagne, au sujet de laquelle deux positions de principe se font jour (non-intervention, et soutien actif à la République espagnole), et la marche à la guerre mondiale donnent au débat une tragique actualité. Par ailleurs, l’illusion d’une entente avec l’Italie fasciste contre l’Allemagne nazie peut faire oublier l’antifascisme. Avant même l’année 1939, le thème n’est plus fédérateur. D’ailleurs la guerre, l’Occupation, la Résistance, ne lui redonnent pas un rôle central, même s’il est officiellement le ciment de la coalition antihitlérienne : en France, le réflexe national prime sans doute, y compris chez les communistes après juin 1941 ; la distinction entre Allemands et nazis, conférant une dimension idéologique au combat, émane plutôt des socialistes humanistes et, surtout, de catholiques qui, réunis autour de Georges Bidault ou de Témoignage chrétien, continuent leur combat d’avant guerre contre le racisme et la « statolâtrie » totalitaire. Après 1945, avec la chute du fascisme et
du nazisme, l’antifascisme peut sembler hors de propos. Même s’il suscite des élans populaires - contre le putsch des généraux en 1961 ou contre l’OAS -, l’usage abusif que le Parti communiste a voulu en faire, par exemple contre le gaullisme, au temps du RPF ou en 1958, a transformé, comme le note l’historien Pierre Milza, « en simple slogan politique la référence à une métaphore idéologique qui a puissamment structuré le combat contre les dictatures totalitaires ». antijudaïsme, attitude d’hostilité religieuse à l’égard des juifs. Leur présence dans les sociétés profondément croyantes du Moyen Âge et de l’époque moderne a suscité de très nombreuses manifestations d’inimitié, qui ne se sont pas limitées à la seule controverse doctrinale. • Positions théoriques et débordements populaires. Considérant que les juifs doivent demeurer, au sein de la Chrétienté, le peuple témoin de la Passion du Christ, l’Église a cherché à restreindre les contacts entre juifs et chrétiens. La polémique antijuive se développe dès le haut Moyen Âge : Agobard, archevêque de Lyon dans la première moitié du VIIIe siècle, et son successeur Amolon critiquent l’activité des juifs dans l’Empire carolingien. Cet antijudaïsme d’origine cléricale ne cesse de s’exprimer dans de nombreux traités de polémique (Adversus ou Contra judaeos). À la fin du XIe siècle, l’antijudaïsme revêt un caractère plus populaire, et menace parfois l’existence même des communautés juives. Les tensions s’exacerbent, favorisées par l’effervescence religieuse de la croisade : en 1096, à Rouen et à Metz, des croisés en route pour la Terre sainte attaquent des juifs, assimilés aux meurtriers du Christ. Des accusations de meurtres rituels, de profanation d’hostie (affaire du « miracle de la rue des Billettes », Paris, 1290) ou de tout objet du culte chrétien provoquent des déchaînements populaires. L’art et la littérature véhiculent des assertions chimériques au moment où les juifs sont de plus en plus perçus comme une menace intérieure pour la Chrétienté. L’attitude des autorités oscille entre protection ponctuelle et exclusion. Ainsi, en 1182, Philippe Auguste expulse les juifs du domaine royal et confisque une partie de leurs créances (la mesure d’expulsion sera annulée en 1198). Tout en interdisant les conversions forcées, l’Église impose aux juifs le port d’un signe distinctif. En 1240 est organisée, à Paris, une controverse entre juifs et chrétiens à propos du Talmud, dont tous les
exemplaires sont saisis et brûlés lors du concile oecuménique du Latran IV (1215), Louis IX ordonne, en 1269, qu’une rouelle de couleur jaune identifie les juifs de son royaume ; déjà, ceux d’Alsace, en terre d’Empire, étaient astreints au port d’un chapeau pointu. • Expulsions et exclusions. Le XIIIe siècle marque donc une dégradation rapide des rapports judéo-chrétiens, d’autant que les juifs, exclus de nombreuses professions, se spécialisent fréquemment dans les métiers de l’argent, ce qui renforce l’hostilité populaire à leur encontre. Les restrictions concernant leur résidence se multiplient : interdiction, à partir de 1276, d’habiter une petite ville ; obligation de regroupement dans certains quartiers à Paris (1292 et 1296). En 1289, les juifs sont chassés de Gascogne, alors possession anglaise ; la même année, une mesure similaire affecte ceux d’Anjou. En 1306, Philippe le Bel ordonne la première expulsion générale des juifs du royaume de France, qui seront néanmoins réadmis, moyennant finance, en 1315. La communauté juive continue de cristalliser les haines et les rancoeurs populaires, surtout dans les périodes de crise : massacres perpétrés par les pastoureaux à Toulouse et dans ses environs (1320) ; accusation d’empoisonnement des puits avec la complicité des lépreux à Tours, Chinon et Bourges (1321) ; tueries en Alsace (1338 et 1347). Toutes ces violences préfigurent celles des années 1348-1350 : les juifs sont alors tenus responsables de la grande épidémie de peste qui ravage l’Occident. En 1394, sous le règne de Charles VI, tous les juifs sont finalement exclus du royaume. Leur absence quasi générale en France pendant de nombreuses décennies ne met pas un terme, cependant, aux accusations antijuives, qui se nourrissent d’elles-mêmes durant toute l’époque moderne, comme en témoigne l’article « Juifs » du Dictionnaire philosophique (1764) de Voltaire. Bien des thèmes de l’antisémitisme contemporain trouvent leurs racines dans l’antijudaïsme ancien. Antilles françaises, ensemble des possessions françaises de la mer des Caraïbes, aujourd’hui réduites aux départements de la Guadeloupe et de la Martinique. Les débuts de la présence française dans les Petites Antilles remontent à la première moitié du XVIIe siècle : des huguenots sont à l’origine d’un premier établissement à Saint-Christophe (Saint Kitts) en 1625, puis, le 31 octobre 1626, Belain d’Esnambuc fonde la Com-
pagnie de Saint-Christophe. En 1635, il prend possession de la Martinique, tandis que Duplessis et Liénart de L’Olive s’emparent de la Guadeloupe. D’autres établissements suivent : la Dominique et Sainte-Croix (1640), SainteLucie (1642), Marie-Galante (1648), la Grenade (1650), etc., érigées en fiefs au profit de seigneurs, et notamment de l’ordre de Malte. Fondée par Colbert en 1664, la Compagnie des Indes occidentales rachète la plupart de ces îles à leurs seigneurs particuliers. Après la faillite de la Compagnie (1674), elles sont rattachées à la couronne, et des gouverneurs prennent l’administration en main au nom du roi. Tobago est prise aux Hollandais en 1677, et la partie occidentale de Saint-Domingue est cédée par les Espagnols en 1697. Les Caraïbes, qui forment le peuplement autochtone, sont soit exterminés, soit déportés sur des îles voisines. Ainsi, les derniers Caraïbes de la Guadeloupe sont expulsés en 1658, et un traité du 31 mars 1660 (la Paix caraïbe) leur octroie la possibilité de s’établir dans les îles de la Dominique et de Saint-Vincent, qui deviennent en quelque sorte des réserves de peuplement. L’économie de plantation sucrière se développe très tôt, ainsi que la production d’épices. De 1639 à 1660, le commandeur de Poincy fait de Saint-Christophe un établissement particulièrement florissant. Dans d’autres îles, les débuts du peuplement colonial sont assez lents. Une culture originale créole se constitue peu à peu parmi ces « Français des îles ». Au XVIIIe siècle, la traite négrière donne lieu à une immigration massive d’esclaves en provenance du continent africain : à la Grenade, qui ne comptait en 1715 que 250 colons et 500 esclaves, on dénombre, en 1763, 700 Blancs et 18 000 Noirs. Il en résulte un important essor de la production sucrière, des exportations de coton, de café, de tabac et d’indigo... downloadModeText.vue.download 50 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 39 En 1713, le traité d’Utrecht attribue SaintChristophe à l’Angleterre et confère le statut d’« îles neutres » à certaines Petites Antilles françaises : Dominique, Grenade, Grenadines, Sainte-Croix, Sainte-Lucie, Saint-Vincent, Tobago. Celles-ci sont démilitarisées tout en restant françaises et deviennent d’actifs repaires
de contrebandiers américains (smugglers). Le contrôle de Sainte-Lucie donne lieu à quelques litiges, arbitrés par la Commission des limites créée par le traité d’Utrecht. En 1750, Louis XV envisage de céder les îles neutres à son allié Frédéric II de Prusse. En 1763, le traité de Paris attribue l’ensemble de ces îles (environ 30 000 habitants) à l’Angleterre, à l’exception de Sainte-Lucie, laissée à la France, qui la perd cependant de nouveau au profit des Anglais en 1774. Le traité de Versailles (1783) restitue Tobago et Sainte-Lucie à la France. Dès le début des guerres de la Révolution, les Petites Antilles sont occupées par les Anglais : la paix d’Amiens (mars 1802) rend à la France la Martinique, la Guadeloupe, SainteLucie et Tobago, mais toutes ces îles sont reprises pendant les guerres napoléoniennes. Les traités de Paris (1814 et 1815) ne laissent à la France que la Martinique et la Guadeloupe avec ses dépendances. Saint-Domingue, en principe rétrocédée, était, en fait, perdue. antimilitarisme, refus absolu de l’armée (c’est alors une des formes du pacifisme) ou critique de l’institution militaire comme instrument de classe et/ou comme école de tous les vices. Dans un pays où les rapports étroits entre l’armée et la nation relèvent du mythe fondateur, l’antimilitarisme vise davantage les assises de l’ordre social qu’il ne le fait dans le monde anglo-saxon, traversé d’attitudes religieuses et éthiques hostiles à l’usage des armes. Au début du siècle, le mouvement le plus opposé à l’ordre social, la CGT, affiche son rejet de l’institution militaire dans des discours variés, plus ou moins radicaux, plus ou moins proches de l’antipatriotisme. C’est un groupe plus marginal, non sans liens avec elle, qui fait de l’antimilitarisme l’axe de son action : l’Association internationale antimilitariste (AIA, branche française). La mobilisation de la nation en 1914-1918 laisse cependant peu de place au discours antimilitariste. L’après-guerre célèbre l’armée de la victoire, même si la mémoire des souffrances légitime la critique de la guerre : nombre d’anciens combattants dénoncent « la forme militaire d’exercice de l’autorité » (Antoine Prost) qu’ils ont connue dans les tranchées, jugée responsable de morts inutiles. Néanmoins, dans les années vingt, c’est encore la formation politique la plus radicale - le Parti communiste - qui incarne l’antimilitarisme. L’armée, symbole et appareil de la classe bourgeoise dominante, fait l’objet de campagnes de dé-
nonciation jusqu’au tournant du Front populaire. Dans l’entre-deux-guerres s’affirme, par ailleurs, un courant, en partie héritier de l’AIA, qui prône l’objection de conscience - refus de servir son pays par les armes -, alors assimilé par les tribunaux militaires à la désertion ou à l’insoumission. La Résistance, puis la Libération rendent moins légitime la critique de l’armée. Mais, pendant la guerre d’Algérie, l’armée se voit de nouveau mise en cause, surtout à gauche, pour ses méthodes de guerre (emploi de la torture), mais aussi parce qu’elle est perçue comme une menace pour la démocratie. Plus généralement, l’anticolonialisme sert alors de ferment à l’antimilitarisme et à l’insoumission. Le conflit algérien relance d’ailleurs les revendications en faveur de la reconnaissance légale de l’objection : c’est un « spécialiste » de l’antimilitarisme, actif dès avant 1914, Louis Lecoin, qui mène la campagne aboutissant au vote de la loi de 1963 qui reconnaît un statut aux objecteurs. Sur le plan politique, l’antimilitarisme est soumis aux aléas du fait militaire (guerres, politiques gouvernementales en matière d’armement et de conscription...) et reste dépendant des stratégies politiques globales de ceux qui le promeuvent. Sur le plan culturel, l’antimilitarisme dispose d’une sorte d’autonomie : la culture véhicule aisément la charge symbolique de ce combat, depuis les pièces de théâtre du début du siècle (le Bétail, de Victor Méric, animateur de l’AIA) jusqu’au Festival du cinéma antimilitariste organisé aujourd’hui par l’Alternative libertaire. antiparlementarisme, mouvement d’opinion dirigé contre le système parlementaire et couramment associé à la droite nationaliste. Cependant, le discours antiparlementaire a pu être utilisé par une partie de l’extrême gauche pour attaquer le pouvoir bourgeois, et par la droite classique pour imposer le renforcement de l’exécutif. • Le fruit de la grande dépression et du nationalisme. Dès le milieu du XIXe siècle, l’institution parlementaire fait l’objet de critiques. Ainsi, la théorie proudhonienne de la démocratie fédérative s’oppose-t-elle à la délégation de pouvoirs, et le bonapartisme s’en prend-il à une Assemblée jugée incapable d’assurer la cohésion nationale. Mais l’attachement aux mécanismes constitutionnels depuis 1789 et les luttes pour l’obtention du suffrage
universel (1848) empêchent la naissance d’un véritable mouvement antiparlementaire. Celui-ci date de la grande dépression des années 1880, qui, en France, se double d’une crise politique avivée par l’esprit de revanche contre l’Allemagne et par le boulangisme. En ces temps difficiles, les scandales tels que le « trafic des décorations » (1887) semblent insupportables. L’hostilité envers les « voleurs » est récupérée par le général Boulanger, qui fédère les déçus de la « République opportuniste ». Selon lui, la veulerie et l’égoïsme des élus les rendent incapables de défendre les intérêts de la nation humiliée par la défaite. Ce nationalpopulisme donne naissance à une extrême droite qui théorise le refus de la république parlementaire en exploitant le scandale de Panamá et les remous de l’affaire Dreyfus. À partir de 1900, Charles Maurras en vient à préconiser une monarchie qui serait l’expression du « nationalisme intégral » et correspondrait au tempérament « poignard » des Français. À l’extrême gauche, les difficultés économiques et le souvenir de l’attitude du Parlement versaillais en 1871 alimentent un courant, à dominante anarchiste, hostile au parlementarisme bourgeois. La bombe lancée par Auguste Vaillant en pleine séance de la Chambre des députés, le 9 décembre 1893, en est une manifestation spectaculaire. • L’apogée des années trente. Après sa naissance, au congrès de Tours, et dans le cadre de sa stratégie « classe contre classe », le Parti communiste est tenté par la récupération de cet héritage. Mais sa participation à toutes les grandes élections et l’attachement de son électorat au système républicain l’empêchent de donner une forme achevée à ces velléités, comme le confirme en 1934 le tournant qui mènera au Front populaire. C’est à droite que l’antiparlementarisme se renforce. Les Ligues en font leur thème favori. Le 6 février 1934 leur offre l’occasion de manifester leur mépris à l’égard des élus, jugés complices de l’affairiste Stavisky. Le gros de leurs troupes, issu des catégories moyennes victimes de la crise, vise non pas au renversement du régime mais à l’installation d’un gouvernement plus énergique. C’est également le souci d’André Tardieu, principal dirigeant de la droite après la mort de Raymond Poincaré : il entend rénover les institutions en renforçant l’exécutif. Le gouvernement de Vichy réalise la synthèse entre ces deux courants en instaurant l’État français.
• Un irrésistible déclin ? Depuis un demisiècle, l’antiparlementarisme revêt des formes moins virulentes. À l’époque du RPF, la critique gaullienne du régime des partis se nourrit des rancoeurs contre la IVe République sans être pour autant une dénonciation systématique du Parlement. Le poujadisme, expression de l’inquiétude des petits producteurs et commerçants face aux restructurations de la croissance, reprend dès 1953 certains des slogans d’avant guerre. Mais, d’essence provinciale, il dénonce plutôt le technocratisme parisien en réclamant un Parlement mieux à l’écoute de la France profonde. Sous la Ve République, la pratique institutionnelle introduit la prééminence de l’exécutif sur le pouvoir législatif. Dès lors, le Parlement ne peut plus servir de bouc émissaire aux contestataires. Cependant, la crise de la fin du XXe siècle, avec la montée de l’extrême droite et la multiplication des « affaires », provoque l’érosion du crédit des hommes politiques et des partis. Même si l’on n’observe pas de résurgence directe de l’antiparlementarisme, le mythe du pouvoir fort, son corollaire, refait surface. Antiquité, une des quatre périodes de l’histoire, qui précède le Moyen Âge, l’époque moderne et l’époque contemporaine. L’Antiquité recouvre les trois millénaires qui s’étendent de l’apparition de l’écriture et des premières grandes civilisations à une date « fatidique » : 476, année au cours de laquelle fut déposé le dernier empereur romain d’Occident, et la plus couramment retenue. De façon plus restrictive, le terme désigne la civilisation gréco-romaine. La représentation qu’une société se donne de son propre passé est une force agissante dans la vie de cette société, l’histoire étant à la fois véhicule d’identité et pourvoyeuse de modèles toujours réinterprétés. La vision de downloadModeText.vue.download 51 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 40 l’Antiquité a donc été prégnante dans l’histoire de France, sur le plan politique comme sur le plan culturel. • Fascination et répulsion au Moyen Âge. Au Moyen Âge, la vision du passé romain a été ambigüe, mêlant surévaluation politique et culturelle de la romanité et rejet du paganisme antique. Fondamentalement, c’est la percep-
tion d’une continuité qui domine, notamment dans le domaine idéologique, avec la renovatio imperii carolingienne. Les rituels et l’imagerie politiques mis en place sont largement inspirés des usages de Constantinople, héritière directe de l’Empire de l’Antiquité tardive. Au-delà de la faillite du rêve impérial, relevé plus tard par la dynastie allemande des Staufen, l’Empire romain s’est imposé à la France comme la source unique et excellente du droit. Le droit romain, remis à l’honneur sous la protection de Frédéric Ier Barberousse à l’université de Bologne (milieu du XIIe siècle), se diffuse en France à partir du XIIIe siècle. Réinterprété par les légistes, il a servi de fondement à la construction de l’État monarchique et de l’idéologie du roi « empereur en son royaume ». Dans le domaine culturel, le Moyen Âge s’est fait le conservateur de l’héritage antique. Les textes anciens, recopiés dans les monastères, servent à l’apprentissage de la langue, de la grammaire et de la versification latines. Mais aux formes du passé sont assignées des fonctions nouvelles : ainsi, la mythologie véhiculée par les Métamorphoses d’Ovide est-elle « moralisée », c’est-à-dire interprétée en fonction d’un horizon culturel différent de celui de l’auteur. Les philosophes antiques (Aristote et Cicéron, les premiers) sont, pour les scolastiques, des auteurs dont l’autorité est égale à celle des Pères de l’Église. D’une certaine manière, les hommes du Moyen Âge ont une perception ambivalente du passé : le sentiment d’appartenir à la même histoire que ceux de l’Antiquité se conjugue avec la conscience d’une « distance ». Les monuments antiques, témoins de l’ancien paganisme, sont souvent réemployés, tels le temple d’Auguste et de Livie à Vienne, devenu l’église Notre-Dame-de-la-Vie, ou l’amphithéâtre de Nîmes abritant un quartier d’habitation. Ils servent également de carrière pour les nouvelles constructions. Certaines ruines sont porteuses de légende et se voient prêter une aura magique, témoignage du mélange de crainte et d’admiration qu’elles inspirent. • L’Antiquité devient un concept historique autonome. L’Italie du quattrocento initie un retour à l’antique, tant dans l’architecture et la peinture qu’en découvrant la philologie. Les lettrés de l’époque ont la nette impression de rompre avec les siècles qui les ont directement précédés et ont la ferme volonté de remonter à la source gréco-latine. L’intérêt pour les monuments de l’Antiquité grandit aux XVIe et XVIIe siècles : apparaissent alors les antiquaires, hommes de lettres et de goût collectionnant objets antiques et gravures de monuments. Les érudits se penchent sur ces témoignages
du passé, qui illustrent ou éclairent d’un jour nouveau les récits de Tite-Live. Ce goût de l’antique incite artistes et honnêtes hommes à entreprendre des voyages vers l’Italie et Rome. L’Antiquité est, à l’époque moderne, la référence en matière de règles du bon goût et de normes artistiques. L’idéologie mimétique du classicisme français trouve un fondement solide dans la Poétique d’Aristote et dans l’Art poétique d’Horace. Le XVIIIe siècle voit l’apparition d’une archéologie systématique - à défaut d’être encore totalement scientifique - avec la mise au jour d’Herculanum (1713), de Pompéi (1746) et de Paestum (1748) ; ces découvertes rejaillissent par ailleurs sur la création artistique en donnant son impulsion au néoclassicisme franco-italien. L’Antiquité devient non seulement objet d’études, mais aussi patrimoine à protéger. Si François Ier a eu, selon la légende, le projet de réhabiliter l’amphithéâtre de Nîmes, si Colbert a dépêché Girardon puis Mignard dans cette même ville pour faire des relevés précis de la Maison carrée, il faut attendre le règne de Louis XVI pour que la restauration des monuments romains soit entreprise. Interrompus pendant la Révolution, les travaux reprennent en 1805 : le dégagement de l’amphithéâtre de Nîmes, commencé en 1811, est achevé une cinquantaine d’années plus tard. Politiquement, la légende troyenne continue au XVIIIe siècle de fonctionner comme un des mythes fondateurs de la royauté française. Mais ce sont les révolutionnaires qui redonnent aux figures des héros de la République romaine tout leur éclat - et, en premier lieu, à Brutus, à qui Jacques Louis David consacre un tableau (1789). Si l’Antiquité romaine a fourni les cadres de la construction de l’État royal, la Rome républicaine et Sparte sont revendiquées comme de prestigieux modèles par les révolutionnaires. Après le premier Empire, l’Antiquité perd de sa force structurante. Les batailles religieuses (or, l’Antiquité n’est pas chrétienne), la montée du nationalisme et l’honneur rendu aux « ancêtres » Gaulois, plutôt qu’aux Romains, rendent la lecture de l’histoire ancienne moins agissante dans le domaine politique. Si, esthétiquement, les formes antiques peuvent encore être une référence, elles sont concurrencées par d’autres, notamment le néogothique. En outre, l’idée d’une norme absolue du beau, qui serait à rechercher dans l’art classique, tend à laisser la place à la liberté créatrice issue du romantisme. L’Antiquité, qui survit cependant sous la forme des humanités, entre alors dans l’âge de raison - celui du passé définitivement révolu.
Antiquité tardive, expression popularisée en France par l’historien Henri-Irénée Marrou dans son ouvrage Décadence romaine ou Antiquité tardive ? IIIe-VIe siècle (1977) pour désigner la période comprise entre la crise de l’empire romain au IIIe siècle (235-284) et l’installation des royaumes barbares au VIe siècle. Cette dénomination correspond à un nouveau regard historiographique. Pendant longtemps, depuis les écrits des humanistes italiens Leonardo Bruni (1441) et Flavio Biondo (1453), cette période a été considérée comme une phase de dégénérescence. On évoque alors pour argument l’évolution de l’art vers le gigantisme et le hiératisme à partir de l’époque des Sévères, un style en rupture avec les canons de la beauté classique. Cette vision négative perdure au XVIIIe siècle, notamment dans l’ouvrage de l’Anglais Edward Gibbon, Decline and Fall of the Roman Empire (17761788), d’inspiration voltairienne, qui voit dans le triomphe du christianisme l’une des causes du déclin. Avec le romantisme au XIXe siècle, le Moyen Âge est « réhabilité », mais la vision qui en est proposée est largement poétique et mythique. Il faut donc attendre le XXe siècle pour que la créativité des IVe et Ve siècles soit considérée comme l’expression de la vitalité d’une société en mutation. • Les caractères généraux de la société gallo-romaine du IIIe au VIe siècle. Dans les régions frontalières de l’Empire, l’armée a été un vecteur fondamental des transformations politiques et sociales. Les soldats ont été des agents de la romanisation aux Ier et IIe siècles ; dès le début du IIIe siècle, en revanche, ils sont originaires de la région de leur poste. À partir du IVe siècle, le métier des armes, comme tous les autres, devient héréditaire. L’armée accentue la tendance au particularisme local, qui, à partir du IIIe siècle, commence à battre en brèche le centralisme impérial. Ce phénomène est encore accru par la présence de nombreuses unités d’origine barbare. Par ailleurs, le poids de l’armée sur les finances va croissant à partir du IIe siècle. L’augmentation de la solde est l’un des moyens dont dispose l’empereur pour s’assurer la fidélité des armées du limes. Ce phénomène induit une incontestable prospérité dans ces régions. Mais, pour faire face aux besoins de financement de l’armée, les impôts s’alourdissent ; la création de l’annone, sous Dioclétien (284/305), a de graves conséquences : l’impossibilité de s’acquitter de cet impôt incite certains propriétaires à fuir leurs domaines, pour devenir de simples locataires de terres, ou à se lancer dans des révoltes armées. La pression
fiscale suscite également une désaffection des élites pour les magistratures publiques des cités (ordo decurionum), car ces charges impliquent la responsabilité fiscale de la communauté. L’épiscopat, qui devient le sommet du cursus honorum, reste la seule fonction prisée de la classe sénatoriale. L’évêque assume la charge de défenseur de la cité. Les Barbares, nombreux dans l’Empire et installés comme lètes sur des terres laissées en friche ou en tant que peuples fédérés, ont également un rôle décisif dans la mutation de la société. Certains d’entre eux occupent des places de premier plan en Gaule, au IVe siècle : Arbogast, Bauto ou Richomer. Pour l’aristocratie foncière, ils peuvent constituer une menace (quand ils joignent leurs forces à celles de l’empereur de Constantinople, qui lutte contre les privilèges - exemption fiscale, surtout). À l’inverse, ils peuvent être des alliés contre un pouvoir central jugé trop fort. Ces caractéristiques (provincialisation, militarisation, poids de l’impôt, « barbarisation » de l’armée) donnent l’image d’une société dans laquelle les rapports sociaux sont devenus durs, et les inégalités fortement marquées. Dans ce cadre, l’idée d’empire ne s’associe plus à la figure de l’empereur, lequel ne représente dès lors qu’une des forces en présence : pour les élites, l’appartenance à la romanité n’est qu’un simple attachement à la culture latine. Ainsi s’explique la relative facilité avec laquelle s’accomplit l’installation des royaumes barbares. downloadModeText.vue.download 52 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 41 antisémitisme. À la différence de l’antijudaïsme médiéval, qui s’appuie sur une tradition religieuse, l’antisémitisme moderne – le terme (1879) est dû à l’Allemand Wilhelm Marr – se manifeste au XIXe siècle sous la forme d’une idéologie laïque ; son développement accompagne celui du sentiment national. L’écho, en France, de l’affaire de Damas (1840) – une accusation de meurtres rituels dont un moine capucin et son domestique auraient été victimes – pèse sur des juifs, ainsi que les récurrences fréquentes du thème du « complot juif » dans la presse catholique attestent, cependant, la persistance d’une dimension religieuse dans cet avatar de la haine du juif. Avec la révolution industrielle se cristallise la dimension économique de l’antisémitisme
moderne, et ce, sous l’impulsion des socialistes utopistes, en particulier Charles Fourier, Alphonse Toussenel, qui remporte un succès notable en publiant les Juifs, rois de l’époque (1844), ou encore Pierre Joseph Proudhon. Dans leur défense du peuple contre la menace capitaliste, le banquier juif - symbolisé par les Rothschild - est diabolisé. Ces deux dimensions se conjuguent aux théories racistes, alors en pleine expansion, pour culminer avec le mythe du juif dominateur, tel qu’il est décrit dans la France juive d’Édouard Drumont (1886), le premier best-seller de l’antisémitisme en France (la 200e édition paraît en 1914). Sous la plume de Drumont, le juif, identifié avec les forces qui ont promu la République, devient le symbole de l’« anti-France » ; d’où une pratique militante qui prend une certaine ampleur, sans pour autant rallier les foules. Système d’explication à prétention universelle, l’antisémitisme en tant qu’arme politique donne sa pleine mesure durant l’affaire Dreyfus, au terme de laquelle la défense des juifs finit par se confondre avec celle de la République. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, on assiste à un déclin de l’antisémitisme, consécutif à l’« union sacrée », et dû notamment à l’influence modératrice de l’Église, tandis que la France, en mal de main-d’oeuvre, ouvre largement ses frontières à l’immigration. Cependant, la crise économique des années trente entraîne dans son sillage un regain de xénophobie antisémite. • Les années noires de l’antisémitisme triomphant. Alors que les juifs ne constituent qu’une infime minorité parmi les étrangers, ils en viennent à représenter, sous la plume des antisémites, la quintessence même de l’étranger. Des affaires savamment orchestrées, qui mêlent des doctrines anciennes à une actualité sociopolitique agitée (affaire Stavisky, 1933 ; assassinat, le 7 novembre 1938, à l’ambassade d’Allemagne à Paris, d’Ernst von Rath, par Herschel Grynszpan, un juif polonais immigré d’Allemagne), alimentent une presse antisémite qui ne compte pas moins de 47 titres, et que relaient partis et ligues d’extrême droite (le Parti populaire français, le Rassemblement antijuif de France). L’exacerbation des tensions avec l’Allemagne hitlérienne transforme le juif dans l’imaginaire antisémite : tantôt va-t-en-guerre menaçant d’entraîner la France dans un conflit qui ne la concerne pas, tantôt cinquième colonne potentielle dans le conflit qui s’annonce. La défaite porte au pouvoir les chantres de l’antisémitisme, dont l’idéologie offre une grille d’interprétation commode pour expliquer l’ampleur du désastre. À Vichy, un antisémitisme d’État se met en place. Dès
l’automne 1940 (le processus s’accentue après juin 1941), les juifs sont recensés, fichés, exclus d’un nombre grandissant de professions ; leurs biens sont « aryanisés ». En zone sud, les préfets internent jusqu’à 40 000 juifs étrangers. À partir de l’été 1942, l’infrastructure ainsi déployée et la politique de collaboration menée par le gouvernement français contribuent à l’application de la « solution finale » en France. • Vers le reflux ? La libération du territoire français et l’abolition de la législation antisémite ne signifient pas pour autant la disparition d’un antisémitisme à caractère populaire, économique et xénophobe, attisé par ceux qui avaient profité de la spoliation des juifs. Pourtant, l’expression publique de sentiments antisémites devient taboue ; l’antisémitisme - apanage d’une droite déconsidérée par les années Vichy, puis marginalisée à nouveau après la guerre d’Algérie - cesse ainsi de constituer une force politique en France, malgré la subsistance de quelques vagues d’agressions antisémites : une série d’attaques lors du bref passage de Pierre Mendès France à la présidence du Conseil (1954-1955), une vague de graffitis et d’incendies criminels (19591960) et l’affaire de la rumeur d’Orléans, en mai 1969. Quand, le 29 novembre 1967, le général de Gaulle, alors président de la République, qualifie les juifs de « peuple d’élite, sûr de luimême et dominateur » lors d’une conférence de presse, il brise le tabou. Dès lors, l’antisionisme idéologique, en essor depuis la guerre des Six Jours, devient le prétexte à des dérives antisémites qui, cette fois, n’épargnent pas une partie de la gauche politique et qui atteignent leur apogée durant la guerre du Liban, en juin 1982. Dans le même temps, un nouvel avatar de l’antisémitisme s’exprime à travers les thèses négationnistes développées par Robert Faurisson (Défense de l’Occident, 1978). Reprenant une thèse avancée par Paul Rassinier à la fin des années quarante, Faurisson nie l’existence des chambres à gaz. Une fraction de l’ultragauche, renouant avec l’antisémitisme de certains socialistes prémarxistes, se fait l’écho de ces thèses. Elles alimentent également le discours d’une extrême droite qui, depuis le début des années quatre-vingt, a connu un nouvel élan sous l’égide du Front national, et n’hésite pas à reprendre à mots couverts les thèmes consacrés du discours antijuif. Politiquement marginal, condamné par la loi (loi Pleven du 1er juillet 1972 et loi Gayssot du 13 juillet 1990), l’antisémitisme contemporain semble, cependant, avoir une emprise moindre sur l’opinion pu-
blique française. Toutefois, les attitudes antisémites paraissent connaître une recrudescence certaine liée en grande partie à l’évolution de la situation au Proche-Orient : profanations de cimetières, déclarations offensantes, injures, voire actes de violence… Antraigues (Emmanuel Henri Louis Alexandre de Launay, comte d’), homme politique et agent de renseignement (Montpellier, Hérault, 1753 - Barnes Terrace, Angleterre, 1812). Rendu populaire par la publication, en 1788, d’un Mémoire sur les états généraux qui stigmatise le despotisme, il est élu député de la noblesse du Vivarais en 1789. Cependant, aux États généraux comme à la Constituante, il se montre royaliste intransigeant, partisan de l’absolutisme royal et de la résistance à la Révolution. Compromis dans la conspiration de Favras, il émigre en Suisse dès février 1790, publie des pamphlets et vend ses services à l’Espagne, puis, après le déclenchement de la guerre (1792), à l’Europe coalisée contre la France, ainsi qu’à Louis XVIII. Entre 1790 et 1812, il met sur pied des réseaux de renseignement et rédige lui-même des notes de synthèse, plus partisanes que soucieuses d’exactitude. N’hésitant pas à inventer ou à produire de faux documents, Antraigues cherche à persuader les puissances étrangères, qu’il exhorte au combat, de la possibilité de rétablir la monarchie absolue en France. Arrêté en Italie par l’armée française en 1797, il fournit à Bonaparte - qui le libère - les preuves de la trahison de Pichegru, qui permettent le coup d’État du 18 fructidor an V contre les royalistes. S’il se brouille avec Louis XVIII, il continue, en revanche, de rédiger ses rapports pour l’Autriche, la Russie et l’Angleterre, où il s’installe en 1806. C’est dans ce pays que lui et sa femme sont assassinés, dans des circonstances restées mystérieuses. antrustions, guerriers appartenant à la garde personelle du roi franc. En tant que familiers du roi, ils forment l’élite guerrière de ses fidèles (sa « truste ») et engagent leur vie à le servir. Ils lui sont liés personnellement par un serment de foi et de fidélité, qu’ils prêtent en joignant leurs mains entre celles de leur souverain. Cette cérémonie d’immixtio manuum, proche de la recommandation vassalique dans sa forme, s’en éloigne par le sens, car elle marque un engagement unilatéral, qui n’oblige donc pas
le roi de manière contractuelle. La loi salique leur accorde une importance particulière en attachant à leur sang le prix très élevé de trois fois le wergeld (réparation pécuniaire proportionnelle au délit commis) d’un Franc libre. Rarement mentionnée dans les textes, la qualité d’antrustion s’estompe au profit de celle de leudes. Membres de l’aristocratie intégrés à la truste royale par un serment appelé du mot germanique leudesamium, ceux-ci reçoivent du souverain des gratifications, afin d’ancrer plus profondément la fidélité promise. La présence des leudes donne donc au pouvoir du roi une assise plus solide. C’est pourquoi, lors des partages successoraux du royaume, les héritiers se les disputent, quoique la tradition interdise ces pratiques. Le pacte d’Andelot, conclu entre Gontran et Childebert II, fils de Clotaire Ier, en 587, dénonce ainsi sévèrement cette trahison des leudes. downloadModeText.vue.download 53 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 42 Anzin (Compagnie d’), société par actions fondée en 1757 pour exploiter le bassin houiller d’Anzin (Nord), découvert en 1734. La société, qui reçut une concession royale pour l’exploitation des mines, devient vite l’un des fleurons du nouveau capitalisme. Grâce à une gestion rigoureuse, à une division poussée des tâches et à d’importants investissements, la compagnie produit, à la veille de la Révolution, la moitié de la houille française (soit 350 000 tonnes environ) ; elle emploie 4 000 ouvriers et dégage des profits vertigineux pour l’époque. La Révolution trouble les destinées de la compagnie, qui ne retrouve sa pleine activité que sous l’Empire, période du plus grand essor. La prospérité se maintient durant toute la première moitié du XIXe siècle, dans le cadre d’un développement industriel régional dominé par le textile et l’industrie sucrière jusqu’aux années 1840, puis par l’extraction houillère elle-même. La banque d’affaires fondée par les frères Perier prend le contrôle d’une partie du capital. La compagnie représente alors 90 % de la production houillère du Nord. Mais cette suprématie est de plus en plus contestée dans la seconde moitié du XIXe siècle, à la suite de la découverte des mines du Pas-de-Calais et du développement de compagnies plus modestes. Après la destruction de ses installations pendant la Pre-
mière Guerre mondiale, la compagnie connaît des difficultés dans l’entre-deux-guerres. Elle est nationalisée en décembre 1944 dans le cadre des Houillères du Nord et du Pas-deCalais. Elle reste l’un des symboles du capitalisme minier français du XIXe siècle. A-OF ! Afrique-Occidentale française août 1789 (nuit du 4), séance nocturne de l’Assemblée nationale constituante au cours de laquelle fut proclamée l’abolition des privilèges. Cette nuit est demeurée la plus emblématique d’une Révolution qui accomplit la grande quête de l’égalité, dans un mouvement indissociable d’émotion et de raison. La Grande Peur suscitée par le mouvement anti-seigneurial et les récits alarmistes qui en parviennent à l’Assemblée a été conjurée par une proposition de transformation radicale des bases sociales de l’Ancien Régime dans le sens d’un intérêt bien calculé des propriétaires, ainsi que par l’enthousiasme patriotique. « Par des lettres de toutes les provinces, il paraît que les propriétés, de quelque nature qu’elles soient, sont la proie du plus coupable brigandage ; de tous les côtés, les châteaux sont brûlés, les couvents sont détruits, les fermes, abandonnées au pillage. » Le soir du 3 août, face à ce tableau désastreux, l’Assemblée prétend réaffirmer l’inviolabilité des propriétés. Des nobles libéraux et des députés bourgeois se réunissent alors au café Amaury, point de ralliement du Club breton (futur Club des jacobins), et décident d’une initiative parlementaire. Pour contenir le mouvement paysan, il convient d’entendre les justes raisons de sa colère. Le vicomte de Noailles et le duc d’Aiguillon doivent prendre la parole et proclamer la nécessité de l’égalité devant l’impôt, l’abolition des corvées, mainmortes et servitudes personnelles sans rachat, ainsi que le rachat des autres droits féodaux. Ils renoncent eux-mêmes à leurs privilèges, ouvrant la voie à un mouvement d’enthousiasme. Sont supprimés en cascade les justices seigneuriales, le droit exclusif de chasse, les dîmes, les casuels des curés, la pluralité des bénéfices, la vénalité des offices, les privilèges des villes et provinces. Les jurandes sont aussi réformées. Mais, lorsque La Rochefoucauld d’Enville propose d’abolir l’esclavage, son idée n’est pas retenue. La nuit du 4 août 1789 est l’aboutissement
du mouvement de contestation du régime féodal. L’Ancien Régime social est aboli de fait : on ouvre ainsi la voie à la liberté de chacun dans l’unité nationale. Mais, en séparant les propriétés féodales et les propriétés bourgeoises, en déclarant rachetable une partie des droits seigneuriaux, en affirmant qu’on ne peut abuser du droit de propriété, on déclenche aussi une « guerre des intérêts » (A. Young), qui peut désormais se déchaîner. août 1792 (journée du 10), insurrection parisienne qui provoqua la chute de la monarchie. Si la fuite à Varennes en 1791 marque la rupture entre Louis XVI et la Révolution, la guerre, déclarée en avril 1792, met un terme au compromis entre une partie de la bourgeoisie et la monarchie. L’opposition du roi aux décrets de l’Assemblée nationale, l’échec de la journée du 20 juin, l’offensive austroprussienne et la « patrie en danger » exacerbent le sentiment patriotique et alimentent le courant républicain. En juillet, l’agitation, entretenue par les jacobins et les cordeliers, est vive dans les sections parisiennes et parmi les fédérés des départements, venus à Paris pour le 14 juillet. Tandis que l’on réclame la déchéance du roi et la réunion d’une convention pour rédiger une nouvelle Constitution, le renversement de la monarchie se prépare au sein d’un comité insurrectionnel regroupant fédérés et patriotes. Le manifeste du duc de Brunswick (25 juillet 1792), chef des armées coalisées, qui menace de livrer « la ville de Paris à une exécution militaire » s’il est fait « la moindre violence » à la famille royale, met le feu aux poudres. Le 3 août, les sections demandent en vain à l’Assemblée nationale de décréter la déchéance du roi, puis, le 4, annoncent l’insurrection pour le 9 à minuit. Mais l’Assemblée laisse faire le mouvement populaire, parfaitement organisé. Lorsque le tocsin sonne à l’aube du 10 août, la commune de Paris, quartier général des insurgés, dirige les opérations, tandis que Louis XVI se réfugie à l’Assemblée, sans laisser de consignes aux défenseurs du Château. Alors que la Garde nationale fait défection ou se rallie à l’insurrection, les premiers bataillons des faubourgs et les fédérés arrivés aux Tuileries croient à une fraternisation avec les gardes suisses, mais ceux-ci déclenchent une fusillade particulièrement meurtrière. D’abord repoussés, les insurgés sortent finalement victorieux et massacrent les suisses, accusés de traîtrise. L’ordre intimé par le roi de cesser le feu n’arrive qu’à 10 heures du matin ; la bataille a fait environ
un millier de victimes, dont quatre cents du côté des insurgés. L’Assemblée décrète alors la suspension du roi et la convocation d’une convention élue au suffrage universel. Cette victoire est celle des sans-culottes, principalement ceux du faubourg Saint-Antoine, et des fédérés marseillais et brestois, sur lesquels s’est appuyée une partie de la classe politique. Événement fondateur de la République et de la démocratie, événement marquant de la seconde révolution, cette journée est commémorée dès 1793. Elle devient, en 1794, l’une des fêtes nationales de la République. Sa célébration sera supprimée sous le Consulat. apanages, terres appartenant au domaine royal, et données aux enfants puînés de la famille de France, ainsi qu’à l’aîné avant son accession au trône. Le terme est employé pour la première fois en 1316 : ces possessions sont destinées ad panem – littéralement, « à la subsistance des princes du sang » – pour leur permettre de « tenir leur estat ». Une logique familiale ainsi qu’un impératif politique dictent ces dotations. Le roi doit se prémunir contre les ambitions de ses fils et de ses frères, afin de prévenir les risques de guerre civile. Cependant, la pratique des apanages contredit l’idée d’inaliénabilité du domaine royal. Aussi, des clauses restrictives sont-elles progressivement introduites dans ces concessions : les fiefs ainsi accordés reviennent au roi en cas d’absence d’héritier mâle en ligne directe. Dans l’ensemble, le système des apanages n’a pas entravé de manière significative le progrès de la monarchie française. Imitant le roi, les princes ont même amélioré l’administration dans leurs domaines. La victoire de la logique étatique sur la logique familiale marque la fin des apanages : Louis XI est le dernier roi à en créer un - la Guyenne, pour son frère Charles. Ce dernier rentre vite dans le domaine royal (1472), de même que ceux d’Orléans et d’Angoulême, ramenés par Louis XII et François Ier. L’ultime apanage est celui de Bourbonnais, confisqué par François Ier en raison de la trahison du connétable de Bourbon en 1523. appel du 18 juin ! juin (appel du 18) aqueduc, conduite d’eau qui dessert les fontaines et les thermes des cités. L’eau était un confort apprécié des Romains,
et ils veillèrent à l’approvisionnement régulier des espaces urbains qu’ils créèrent dans les cités gauloises, installant souvent plusieurs conduites. Lyon était ainsi desservie par un réseau de quatre aqueducs, alors qu’on en comptait onze à Vienne, capables d’acheminer quotidiennement 100 000 mètres cubes d’eau. L’aqueduc le plus connu est celui de Nîmes, qui courait sur 50 kilomètres, de la source d’Eure, près d’Uzès, au château d’eau urbain. L’aqueduc se présentait sous la forme d’une canalisation maçonnée en pente - construite sous terre, en tranchées ouvertes, ou en tunnels exhaussés -, et rendue étanche par downloadModeText.vue.download 54 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 43 un enduit intérieur. Lors de la construction d’un aqueduc, pour déterminer une déclivité constante, les ingénieurs utilisaient un chorobate (règle sur pied qui contenait de l’eau dans une rainure supérieure et dont chaque extrémité donnait un repère de visée), grâce auquel on pouvait calculer l’altitude d’un point à l’aide d’une mire. Lorsqu’il fallait franchir des obstacles - ravins, dépressions, vallées -, ils édifiaient des ponts, tel le célèbre pont du Gard, dans la vallée du Gardon, près de Nîmes, aux trois étages d’arcades, haut de 48 mètres et long de quelque 275 mètres ; ils adoptaient plus rarement la technique du siphon, utilisée pour l’aqueduc lyonnais du Gier, dans la vallée de l’Yseron. À son arrivée en ville, l’aqueduc approvisionnait un château d’eau (castellum divisorium) : à Nîmes, il s’agissait d’une fontaine circulaire, dont les bouches cylindriques et les bondes permettaient une circulation régulière et l’évacuation du trop-plein. Le château d’eau alimentait des tuyaux en plomb, qui desservaient les fontaines publiques de la cité (où l’on venait s’approvisionner), les thermes publics ou privés (où se lavaient et se délassaient les citadins et, parfois, les ruraux), et les demeures des riches particuliers qui avaient obtenu le droit de jouir de dérivations privées. De généreux bienfaiteurs avaient souvent assumé les frais élevés des constructions - 2 millions de sesterces à Bordeaux -, et l’eau, payée par les plus riches pour leurs concitoyens, apparaissait comme l’instrument d’un confort collectif. Sa quantité justifiait, en quelque sorte, l’idée oligarchique de la cité romaine en Gaule. Les sources étant divinisées chez les Gaulois, les
Romains associèrent souvent le culte impérial aux divinités topiques. L’eau devenait ainsi un bienfait apporté par l’empereur aux cités. Aquitaine, ancienne province française et Région depuis 1960. Héritière d’une illustre lignée féodale implantée à Poitiers, Aliénor d’Aquitaine apporte ses immenses domaines à Louis VII lorsqu’elle l’épouse, en 1137, puis, en 1152, à son second époux, Henri II Plantagenêt, duc d’Anjou et roi d’Angleterre. C’est sur cet étrange paradoxe d’une princesse indiscutablement poitevine, mais que la postérité a retenue comme aquitaine, que s’ouvre l’histoire médiévale d’une province dont les contours, et même la localisation, n’ont cessé de varier depuis l’époque romaine. • Une province sans identité. On sait bien ce qu’est, en revanche, la Région Aquitaine, née en 1960, et réunissant trois départements de la façade Atlantique et deux de l’intérieur. Elle ne présente cependant aucune unité géographique et n’est qu’un fragment du Bassin aquitain des géographes, qui mord sur l’extrémité occidentale des Pyrénées. Elle ne correspond pas davantage à un héritage politique ni à une quelconque aire culturelle ou linguistique. Sa raison d’être économique elle-même est discutée : en effet, d’une part, les Charentes, qui étaient une composante de l’arrière-pays traditionnel de Bordeaux, en sont désormais coupées ; d’autre part, l’Agenais se situe tout autant dans l’orbite de Toulouse que dans celle de Bordeaux. Son « identité régionale » est donc, au mieux, en gestation. Ces origines troubles, loin de faire de l’Aquitaine une exception parmi les Régions françaises, illustrent bien la fragilité de nos provinces, dont les noms, dans bien des cas, n’ont été tirés de l’oubli que pour donner un visage à un regroupement de départements imposé par les exigences supposées de l’aménagement du territoire. C’est cette identité indistincte qui est le véritable produit de l’histoire. Alors que Jules César limite l’Aquitaine à la Garonne, Auguste crée sous ce nom une immense province allant des Pyrénées à la Loire et jusqu’aux frontières de la Narbonnaise. Durant les premières années du IVe siècle, ce territoire est découpé en trois parties. Bordeaux devient alors le chef-lieu de l’« Aquitaine seconde ». En proie aux invasions des débuts du Ve, puis du VIe siècle, le territoire aquitain, que les Carolingiens ne parviennent pas à contrôler, sombre dans l’obscurité pendant près de cinq cent ans. Il n’en émerge
qu’au milieu du XIe siècle, et va servir d’enjeu, pendant trois siècles, aux luttes qui opposent les maisons royales de France et d’Angleterre. Jusqu’en 1453, le sort de l’Aquitaine, dont les contours varient encore très largement au gré des hasards de la guerre - la Guyenne et la Gascogne étant particulièrement disputées -, est lié à celui de la couronne d’Angleterre. L’identité de l’Aquitaine ne s’en trouve pas renforcée, car la province n’a de véritable chef politique que lorsque l’illustre Prince Noir s’installe à Bordeaux, de 1362 à 1371. Entre-temps, les terres aquitaines ne sont sous l’autorité que d’un prince lointain qui, bon gré mal gré, laisse s’affirmer de grandes familles féodales comme les Albret, les Armagnacs, les comtes de Périgord et de Foix, fidèles à leurs seuls intérêts. C’est dans ce morcellement pluriséculaire, dans cette absence de pouvoir centralisateur, que réside l’importance toujours actuelle des « pays », dont se réclament des populations qui n’ont jamais eu d’identité aquitaine, ni même gasconne. Cette dernière doit beaucoup plus à Alexandre Dumas et à Edmond Rostand qu’à l’histoire, car d’Artagnan est gersois, et Cyrano de Bergerac périgourdin. • De la paix romaine à l’intégration au royaume de France. Après la conquête romaine, les rives de la Garonne constituent, grâce à leur éloignement des frontières, une terre de paix où s’édifient de belles fortunes et s’épanouit une riche culture. Le rhéteur Ausone (310-vers 395), très riche propriétaire viticole, précepteur d’un prince impérial et poète épicurien, est l’incarnation même de cet art de vivre, certes réservé à une étroite élite. Les domaines des Plantagenêts - plus précisément Bordeaux - renouent au XIIIe siècle avec une prospérité certaine, grâce à l’essor du commerce international du vin. À l’intérieur des terres, entre le milieu du XIIIe et celui du XIVe siècle, la construction des bastides permet le repeuplement des campagnes. Parmi les célébrités de ce temps figurent les papes d’Avignon : Clément V et Jean XXII - le premier né à Villandraut, où se dresse toujours son château, le second à Cahors -, qui, de 1305 à 1334, prodiguent leurs bienfaits à leur terre d’origine. Ravagées par la guerre de Cent Ans, les terres aquitaines étaient restées à l’abri de la féroce répression contre l’hérésie albigeoise (XIIIe siècle) dans le Languedoc voisin. • L’Aquitaine après la reconquête. En 1453, la bataille de Castillon met fin à la présence anglaise, au grand dam des Bordelais, qui avaient opté pour l’Angleterre. Le rattachement de l’Aquitaine au royaume de France s’avère dif-
ficile. La création du parlement par Louis XI en 1462 est le symbole d’une certaine réconciliation avec le pouvoir royal, mais la construction des châteaux Trompette et du Hâ vise à protéger la ville et à surveiller ses habitants. L’Aquitaine, très imprégnée par le protestantisme, sous la protection de Marguerite de Navarre et de sa fille Jeanne d’Albret, qui font de Nérac un centre de l’Église réformée, connaît toutes les affres des guerres de Religion. C’est de l’Aquitaine qu’Henri de Navarre part à la conquête de son royaume, notamment en battant Joyeuse à Coutras en 1587. Au XVIe siècle, de violentes jacqueries, dues à une misère accrue par la pression fiscale, éclatent dans les campagnes. Au XVIIe siècle, l’autorité royale peine toujours à s’imposer. À l’époque de la Fronde, en 16511653, Bordeaux est le théâtre de la révolte de l’Ormée, dans laquelle d’aucuns décèlent un mouvement de protestation original d’une petite bourgeoisie urbaine un moment ouverte à des idées républicaines. Au cours des décennies suivantes, la ville se soumet au pouvoir royal, mais certaines campagnes, telle la Chalosse entre 1661 et 1675, sont encore le théâtre de dures révoltes. Au XVIIIe siècle, c’est le parlement qui s’affiche comme le porte-parole de cette hostilité pluriséculaire au pouvoir royal, au point d’être exilé à Libourne en 1787. • Un nouvel âge d’or. Malgré cette contestation, le XVIIIe siècle est un nouvel âge d’or pour la province, après celui du XIIIe siècle. L’aristocratie parlementaire bordelaise développe le vignoble dans ses propriétés du Médoc. Le commerce du vin avec l’Angleterre et les pays du Nord constitue une première source de richesses ; la deuxième est le commerce sucrier (et la traite des Noirs) avec les îles (Saint-Domingue). Bayonne et le Pays basque ont conservé une très large autonomie, les Basques devenant ainsi, dès le XVe siècle, les maîtres de la chasse à la baleine, puis de la pêche à la morue sur les bancs de TerreNeuve. L’industrie textile prospère sur l’axe de la moyenne Garonne et fournit à Bordeaux voiles et cordages. Les moulins, tels ceux de Nérac, répondent aux besoins du commerce antillais, tandis que les forges et les forêts du Périgord satisfont les exigences du port et du vignoble. Cependant, la prospérité relative de l’Aquitaine intérieure est avant tout fondée sur une polyculture appuyée sur la production de maïs, dont les rendements élevés surprennent l’Anglais Arthur Young vers 1780. Le rôle de Bordeaux n’est pas négligeable, mais la richesse de la ville tient davantage à son ouverture sur l’océan qu’à son insertion dans le tissu régional. Grâce à ses grands
intendants Tourny et Dupré de Saint-Maur, elle se dote d’un patrimoine architectural prestigieux. Avec son Académie, d’une part, et son Grand Théâtre, d’autre part, la ville développe une intense activité intellectuelle. Cité de Montaigne au XVIe siècle, elle se veut, au XVIIIe, celle de Montesquieu, très parisien cependant, comme le sera aussi Mauriac. Les guerres révolutionnaires et impériales ruinent le commerce de Bordeaux. En revanche, grâce downloadModeText.vue.download 55 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 44 à la modération de Tallien, la ville et la région souffrent beaucoup moins de la Terreur que Lyon ou Nantes. Bordeaux est néanmoins au coeur de la révolte fédéraliste contre les montagnards, et ses députés, tel Vergniaud, comptent parmi les martyrs de la cause girondine. • Les mutations de l’époque contemporaine. Dès 1814, Bordeaux se rallie à la monarchie, avant de s’identifier à l’orléanisme. Très modérément bonapartiste, puis républicaine, l’Aquitaine reste à l’écart des grands affrontements idéologiques, et le syndicalisme n’y est pas virulent. En effet, la première révolution industrielle n’atteint pas la région. Outre la viticulture, qui se développe intensivement au milieu du XIXe siècle, avant d’être durement frappée par le phylloxéra, une grande industrie, notamment chimique et métallurgique, s’implante à Bordeaux après 1880. Le port est désormais tourné vers l’Afrique. Après 1850, la polyculture aquitaine souffre de son archaïsme, tandis que le boisement des Landes fournit à celles-ci, via l’exploitation du bois et de la résine, une source de prospérité inespérée. « Capitale tragique » de la France en 1870, Bordeaux l’est de nouveau en 1914 et en 1940, mais la ville échappe aux graves destructions. L’entre-deux-guerres constitue une période de déclin économique et démographique. La personnalité politique dominante est alors le maire de Bordeaux, Adrien Marquet, et l’une des originalités politiques de la région réside dans l’implantation du communisme en milieu rural, tandis que les basses Pyrénées demeurent fidèles à la droite. Alors que la Dordogne devient un haut lieu de la Résistance, Bordeaux résiste peu, mais élit comme députémaire, en 1947, un grand résistant : Jacques Chaban-Delmas, qui ne cédera sa place à Alain Juppé qu’en 1995. Après la guerre, des indus-
tries anciennes disparaissent, mais, autour de la capitale régionale, de nouvelles activités industrielles (aéronautique, aérospatiale, automobile) se développent, tandis que l’exploitation du gaz de Lacq crée, près de Pau, un pôle industriel. Le vignoble reste le secteur agricole le plus prospère ; en revanche, la forêt périclite, la polyculture traditionnelle s’effondre, et les cultures maraîchères et arbustives résistent mal à la concurrence européenne. Le tourisme - balnéaire, vert et culturel, notamment autour des sites préhistoriques de Dordogne - est l’un des grands espoirs d’une Région qui, avec sa cuisine, se veut celle du bon - et du bien - vivre. Aquitaine (royaume d’), royaume carolingien (781-877), s’étendant de la Garonne à la Loire et de l’Océan aux Cévennes. L’Aquitaine des temps mérovingiens et carolingiens conserve l’empreinte d’un passé romain qui constitue la base de son particularisme. Faiblement peuplée par les Wisigoths, qui l’ont envahie au Ve siècle, la région est conquise par Clovis en 507 et divisée par les rois francs lors des partages successoraux. Lorsque, au VIIe siècle, la Gaule retrouve un semblant d’unité sous le règne de Dagobert, celui-ci fait de la province un royaume pour son frère Caribert (629). Éphémère - Caribert meurt en 632 -, ce premier royaume aquitain dut faire face aux incursions répétées des Vascons, venus de la Navarre espagnole. Soumis en 635, les Vascons conservent un duc particulier, et l’Aquitaine passe, elle aussi, aux mains de ducs totalement indépendants des rois francs. Cette situation se prolonge malgré l’incapacité des ducs aquitains à faire face à l’invasion arabe. En 731, le duc Eudes est ainsi contraint de faire appel au Franc Charles Martel, victorieux des Arabes à Poitiers en 732. L’Aquitaine est désormais sous l’influence des fonctionnaires francs. De 765 à 778, Charlemagne mène campagne contre les ducs Waifre et Hunald, contre les Vascons et contre les Sarrasins, puis, à la naissance de son fils Louis - futur Louis le Pieux -, fait de l’enfant le roi des Aquitains. L’existence de ce royaume facilite l’administration de Charlemagne en Aquitaine. Lorsque Louis devient empereur, en 814, il confie le royaume d’Aquitaine à son fils Pépin. La naissance de Charles le Chauve remet en cause les dispositions prises, et l’Aquitaine devient enjeu des partages et traités, au grand dam des Aquitains, qui se révoltent en 839. L’Aquitaine est disputée entre Charles le Chauve et
Pépin II, fils du premier Pépin d’Aquitaine ; Charles le Chauve l’emporte pour faire aussitôt don de l’Aquitaine à son fils Charles, dit Charles l’Enfant, puis, à la mort de ce dernier, à son fils Louis le Bègue, qui devient roi en 877. Le royaume d’Aquitaine est alors uni au royaume de France. Le royaume d’Aquitaine n’a jamais été, sous les Carolingiens, un royaume souverain. Les efforts royaux pour combattre le particularisme, fonder des monastères, faire décliner les lois barbares et contribuer au mélange des populations ont profité à des dynasties princières capables de recueillir un pouvoir vacant et de fonder leur légitimité héréditaire. Le royaume d’Aquitaine a ainsi préparé la principauté territoriale qui allait devenir le duché d’Aquitaine. Arago (François), savant et homme politique (Estagel, Pyrénées-Orientales, 1786 Paris 1853). Polytechnicien à 17 ans, membre de l’Académie des sciences six ans plus tard, François Arago s’impose rapidement comme l’une des figures marquantes de la science de son temps. Il mène de pair des recherches fondamentales en physique et en astronomie, et une inlassable activité d’enseignant et de vulgarisateur. C’est ainsi qu’entre 1812 et 1845 il dispense des cours d’astronomie très prisées à l’Observatoire de Paris, dont il devient directeur à partir de 1830. La notoriété dont il jouit contribue à ses succès politiques. Élu député des Pyrénées-Orientales en 1830, il siège à la gauche de l’Assemblée jusqu’en 1848. Il défend les intérêts de son électorat catalan, et il mène d’ardents combats contre les orientations du régime de Juillet, notamment sur les questions de la souveraineté populaire et de l’instruction publique. Républicain modéré au lendemain de la révolution de février 1848, il entre au Gouvernement provisoire, devient ministre de la Marine - c’est alors qu’il abolit l’esclavage dans les colonies françaises - et ministre de la Guerre, puis l’Assemblée l’élit triomphalement à la commission exécutive. Son influence décline après les journées de juin 1848. Membre de l’Assemblée législative en 1849, il refuse de cautionner le coup d’État du 2 décembre 1851, et échoue aux élections législatives de mars 1852 face au candidat de la préfecture. arbalète, arme de trait composée d’un fût en bois et d’un arc d’acier dont la corde se bande à l’aide d’un ressort.
Originaire de Chine, où elle est mentionnée dès avant notre ère, l’arbalète ne paraît pas avoir été connue en Occident avant le Ier ou le IIe siècle. Mais l’arbalète « romaine », ignorée des tacticiens latins, fait l’objet d’une utilisation plus cynégétique que militaire. C’est durant le haut Moyen Âge qu’elle devient véritablement une arme de guerre : le roi Lothaire fait ainsi donner un tir nourri d’arbalétriers lors du siège de Verdun en 985. Alors qu’elle reste secondaire dans le monde musulman, l’arbalète joue, à partir du XIe siècle, un rôle de premier plan dans les batailles occidentales : quoique roturière et contrevenant à l’éthique « chevaleresque », elle démontre son efficacité aussi bien lors des combats maritimes que durant les sièges, d’autant que l’arme connaît de multiples perfectionnements : dès le XIIe siècle, les arbalétriers sont munis de grands boucliers, les targes, qui les protègent lors des délicates manoeuvres de rechargement (on doit bander l’arme en plaçant les deux pieds sur l’arc) ; à la même époque apparaît le carreau, trait plus court (40 centimètres) et plus trapu que la flèche traditionnelle. Par la suite, l’arbalète à étrier, que l’on peut fixer au sol d’un seul pied, facilite le rechargement. Le succès de l’arbalète dans les armées européennes, et singulièrement en France, est dû à une efficacité supérieure à celle des arcs courts traditionnels : sur 200 mètres, le carreau peut en effet percer avec précision une épaisseur de bois de 4 à 7 centimètres. À Crécy (1346), Philippe VI de Valois aligne plusieurs milliers de Génois, mais le grand arc gallois montre alors sa suprématie. Jamais les arbalétriers ne pourront réaliser de tels tirs de barrage, ce qui n’empêche pas les armées françaises de continuer à les utiliser durant toute la guerre de Cent Ans. Condamnée par les progrès de l’arquebuse, l’arbalète disparaît comme arme de guerre au XVIe siècle et n’est plus, dès lors, utilisée que dans la chasse et dans la compétition. Arbogast, général d’origine franque, maître de la milice (vers 340 - Vénétie 394). Franc païen banni de sa patrie d’outre-Rhin par des concurrents, il entre au service de l’empereur Théodose vers 380 et devient l’adjoint du maître de la milice, Bauto, Franc comme lui. À la mort de ce dernier (387), il recueille sa charge par acclamation de l’armée et entame la reconquête de la Gaule tombée aux mains de l’usurpateur Maxime (388). Sur l’ordre de Théodose, il devient « régent » de
la Gaule, avec le titre de comte, au nom du fils de l’empereur, le jeune Valentinien II : il est un des premiers chefs militaires barbares à exercer le pouvoir de fait sur toute une partie de l’Empire. Valentinien, devenu majeur et ne downloadModeText.vue.download 56 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 45 supportant plus d’être réduit à l’impuissance, tente, sans succès, de se débarrasser d’Arbogast ; le 15 mai 392, on retrouve le jeune empereur pendu dans son palais de Vienne. Arbogast, qui ne peut prétendre à la dignité impériale, crée alors un empereur en la personne du premier secrétaire du palais, nommé Eugène, avec lequel il organise une véritable réaction visant à rétablir le culte des dieux païens et à lutter contre l’influence grandissante des chrétiens soutenus par Théodose. Ce dernier lève alors une immense armée pour reconquérir la partie occidentale de l’Empire : les deux armées se rencontrent aux portes de l’Italie, le 6 septembre 394 (bataille de la Rivière froide) où, après deux jours de combats meurtriers, Eugène est fait prisonnier et Arbogast se suicide. arbre de la Liberté, arbre planté à titre symbolique pendant la Révolution française et les révolutions du XIXe siècle. La plantation des arbres de la Liberté, qui se généralise en 1792, perpétue en la transformant l’antique tradition paysanne du « mai », sans doute d’origine païenne. Avant la Révolution, l’érection du « mai », arbre coupé ou simple poteau décoré, est un rite lié au renouveau, à la fécondité et à la fixation d’accords. Il accompagne les fêtes votives, les récoltes, les mariages, la conclusion d’une affaire ou la construction d’une maison. Contrairement à une légende couramment racontée, la pratique révolutionnaire ne naît pas le 1er mai 1790, sur l’initiative d’un prêtre de la Vienne, mais en janvier 1790, dans le Périgord et le Quercy, lors des soulèvements paysans pour obtenir l’abolition sans rachat des droits féodaux supprimés depuis la nuit du 4 août 1789. Érigé le plus souvent au terme d’une émeute, le « mai » marque surtout la fin des violences et garantit la conservation de l’ordre nouveau. Cet arbre de la Liberté est officialisé en 1792, lorsque chaque commune est tenue d’élever sous son feuillage un autel de la Patrie, lieu des cérémonies civiques. À
partir de l’an II (1793-1794) et sous le Directoire, l’arbre de la Liberté, et parfois de la République, arbre assagi et pédagogue, centre de rassemblement, devient un symbole de régénération et de croissance, un monument national sacré et très protégé contre les attentats perpétrés par les adversaires du régime. Sa plantation, souvent associée aux autres fêtes civiques, donne cependant lieu à une cérémonie spécifique, codifiée, qui fait la part belle à la jeunesse. L’arbre révolutionnaire, greffé sur la culture populaire, mélange d’archaïsme et de nouveauté, annonce l’épanouissement de la religion civique du XIXe siècle, au cours duquel sa résurgence témoigne de la vivacité de sa charge symbolique. Sous la Restauration, ces arbres sont arrachés par centaines, et souvent remplacés par des croix. Cette liturgie expiatrice et réparatrice, signe de la reconquête catholique, est combattue au lendemain de la révolution de juillet 1830, et les arbres replantés forment autant d’« anticroix ». La révolution de février 1848, qui est suivie d’une éphémère période de fraternisation générale, contraste avec l’anticléricalisme de 1830, car elle donne lieu à une multitude de plantations d’arbres bénis par le clergé. Enfin, malgré la répression antirépublicaine qui, après le coup d’État de décembre 1851, se traduit par un arrachage systématique, l’arbre réapparaît en 1871. arc de triomphe, porte monumentale des villes gallo-romaines. À Rome, l’arc de triomphe est censé, à l’origine, purifier du sang versé les soldats rentrés d’une campagne victorieuse, au cours d’une cérémonie qui donne le droit au général vainqueur (imperator) d’entrer dans le territoire sacré de la ville (pomoerium), à la tête de son armée, et d’y exercer son pouvoir de commandement au-dessus des autres magistrats (imperium militiae). La multiplication de ces monuments en Gaule est plutôt liée au souci architectural de délimiter les espaces urbain et rural dans les cités. Sur les trente-sept édifices recensés, seuls les arcs de Saint-Rémyde-Provence (Glanum), Orange, Carpentras, Cavaillon et Saintes sont bien conservés. Les arcs de triomphe gaulois se trouvent, le plus souvent, aux frontières de la ville, mais ils ne sont pas systématiquement intégrés à des remparts, qui sont un privilège peu fréquent, concédé par l’empereur (Nîmes). Avec les constructions d’enceintes fortifiées à la fin du IIIe siècle et au IVe, ils
sont parfois intégrés aux murailles (porte de Mars, à Reims). Ces monuments à une, deux ou trois baies voûtées, que flanquent des colonnes ou des pilastres engagés, sont surmontés d’un entablement comprenant architrave, corniche et frise, et couronnés d’un ou plusieurs attiques. L’inscription de l’architrave mentionne le nom du dédicataire de l’édifice (Tibère et les membres de sa famille, à Saintes), ainsi que celui du donateur et de ses descendants. Sur l’arc d’Orange, dédié en 26-27, des ornements militaires variés - trophées, dépouilles navales, panneaux d’armes, scènes de combats entre Romains et Celtes, qui évoquent peut-être la révolte menée par le Trévire Julius Florus et l’Éduen Julius Sacrovir en 21 - décorent la frise d’entablement, l’attique, les archivoltes latérales et centrales, les panneaux situés entre les voûtes et l’entablement, et rappellent ainsi la fonction militaire du monument. Lien entre les nécropoles suburbaines et la ville, édifice honorifique et commémorant les victoires romaines, l’arc de triomphe exprime la reconnaissance de la cité envers le prince. Cette gratitude se traduit dans le culte impérial municipal, qu’évoque précisément, sur la porte de Glanum, la frise de retombée de voûte. arc de triomphe de l’Étoile, monument érigé à la gloire des armées françaises, sur la colline de l’Étoile, à Paris, et devenu peu à peu un haut lieu de culte civique national. Décidée par Napoléon Ier à son retour d’Austerlitz, la construction de l’Arc de triomphe, commencée en 1806, est interrompue en 1814 par l’abdication de l’empereur. Elle reprend en 1823, sur ordre de Louis XVIII, qui dédie l’Arc à l’armée d’Espagne et à son chef victorieux, le duc d’Angoulême. Mais les travaux ne sont achevés que sous la monarchie de Juillet, Louis-Philippe ayant rendu à l’Arc sa destination première et ajouté à la gloire des armées impériales celle des armées de la République. La situation élevée du monument, son alignement dans la perspective du château des Tuileries, sa masse imposante, l’érigent d’emblée en symbole de puissance. L’Arc de triomphe est discrètement inauguré le 29 juillet 1836, et il est officiellement consacré le 15 décembre 1840, lors du retour des cendres de Napoléon, dont le char funèbre fait halte sous sa voûte : une cérémonie décidée par un Louis-Philippe - « roi bourgeois » porté au trône par une révolution - en quête de légitimité. C’est encore une caution
que recherche en 1885 la jeune République bourgeoise lorsque, voulant forcer l’unanimité contre les royalistes et les communards, elle offre des funérailles nationales à Victor Hugo, figure syncrétique et héros républicain, dont la dépouille est exposée, dans la nuit du 31 mai au 1er juin, sous l’Arc transformé en chapelle ardente. Au lendemain de la Grande Guerre, le monument prend véritablement toute sa dimension fédératrice et sacrée : l’inhumation sous sa voûte, le 11 novembre 1920, du soldat inconnu, « mort collectif » de la guerre, et les cérémonies du 11 novembre (décrété fête nationale en 1922) en font un nouveau lieu de culte national officiel. Lieu oecuménique de liturgie à la fois républicaine et patriotique qui supplante les Invalides et le Panthéon, il devient le point de départ de cortèges rituels menant du Triomphe à la Concorde (le 18 juin 1945) et reliant parfois l’Ouest des beaux quartiers à l’Est populaire, tel le grandiose défilé de la Victoire du 14 juillet 1919, qui mène de l’Arc jusqu’à la Bastille. Conscience nationale et continuité de la République accompagnent la marche imposante du général de Gaulle depuis l’Arc jusqu’à Notre-Dame, le 26 août 1944, lendemain de la libération de Paris. Ainsi en est-il aussi du geste du président socialiste François Mitterrand qui, fraîchement élu, s’incline devant la tombe du soldat inconnu, avant de se rendre au Panthéon, le 21 mai 1981. À la symbolique de l’Arc de triomphe s’ajoute, depuis 1989, celle de la Grande Arche construite dans son axe, siège de la Fondation internationale des droits de l’homme. Arc-et-Senans (Salines royales d’), cité industrielle conçue par Claude Nicolas Ledoux (1736-1806). Architecte de Louis XVI, Ledoux est nommé en 1771 inspecteur des Salines de Lorraine et de Franche-Comté, entreprend d’établir une usine de production de sel à laquelle serait rattachée une ville destinée à loger les ouvriers. À travers ce projet, qui ne sera que partiellement réalisé, transparaissent le goût du maître-d’oeuvre pour l’antique et son talent novateur. Selon lui, l’architecture doit être à la fois idéalement belle, rationnelle et « parlante », l’aspect extérieur reflétant l’organisation intérieure. On retrouve tous ces éléments dans la physionomie du complexe industriel élaboré entre 1775 et 1779 : les bâtiments sont disposés en hémicycle ; l’entrée colossale est décorée d’un péristyle, dont les pierres sont taillées pour évoquer l’apparence du sel gemme exploité à l’intérieur ; la place
qu’occupe chaque édifice (maison du directeur, maréchalerie...) répond à des choix stradownloadModeText.vue.download 57 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 46 tégiques. Et la recherche d’une beauté idéale justifie l’adoption de formes géométriques très pures (cylindre, sphère, cube...), qui donnent à chaque bâtiment sa spécificité. La ville de « Chaux », qui devait entourer l’usine, ne sera jamais construite ; toutefois, le plan de chaque maison sera publié dans l’oeuvre de Ledoux : De l’architecture considérée sous le rapport de l’art, des moeurs et de la législation (1804). Ces édifices, qui, selon lui, sont les garants de l’ordre social, présentent tous des tailles imposantes et des formes évocatrices : la maison des plaisirs, ou oïkéma, par exemple, est en forme de phallus... Révolutionnaire par ses caractéristiques fonctionnelles et par la philosophie « égalitariste » qui l’habite (« On verra sur la même échelle la magnificence de la guinguette et du palais »), cette cité reste également le froid reflet d’un certain ordre moral. L’usine modèle a subi les assauts du vandalisme révolutionnaire et a été abandonnée ; sous Napoléon, cette forme d’architecture utopique et visionnaire n’était plus appréciée. Restaurée et aménagée par le service des Monuments historiques, la saline d’Arc-et-Senans est devenue un centre de conférences, de congrès et de recherches « futurologiques », géré et animé par la Fondation Claude Nicolas Ledoux (créée en 1972). Elle est classée au titre du patrimoine mondial de l’UNESCO. archers, soldats munis d’arc, combattant à pied dans les armées occidentales. En France, l’arc ne s’impose que fort tardivement comme arme de guerre. L’arc court, traditionnel en Occident, est en effet d’efficacité inférieure à l’arbalète. C’est la défaite de Crécy (1346) qui met en évidence les qualités du grand arc gallois, lequel permet de décocher une dizaine de traits par minute (contre seulement deux carreaux pour l’arbalète) ; les archers anglais submergent ainsi sous leurs flèches les chevaliers français et, combinés avec la cavalerie démontée, assurent la victoire. Leur
invincibilité est devenue si proverbiale qu’en 1488, à la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier, les archers bretons se revêtent d’une croix rouge afin de se faire passer pour des Anglais ! Pourtant, les leçons de Crécy ou d’Azincourt s’imposent lentement aux stratèges français, qui méprisent ces fantassins contrevenant à une éthique guerrière fondée sur la cavalerie ; la pratique de l’archerie à cheval ne connaît en effet pas de succès en Occident. Les ordonnances successives prises par Charles VII de 1445 à 1460 organisent le corps des francs-archers, ainsi dénommés parce qu’ils bénéficient d’une exemption fiscale. Levés dans les paroisses, à raison d’un pour cinquante feux, ils remplacent avantageusement l’ancien et inefficace arrière-ban, et constituent également une extension au plat pays des confréries de gens de trait qui se sont multipliées dans les villes au XIVe siècle. Bien qu’ils ne disposent pas tous d’un arc, les francs-archers représentent l’élément essentiel d’une infanterie alors en pleine extension, au point que Louis XI en double le nombre. Mais, peu à peu, les fantassins équipés de piques ou d’arquebuses l’emportent sur les arbalétriers et les archers, qui, à la fin du XVe siècle, subissent la concurrence des redoutables mercenaires suisses. Archives nationales, administration créée par la Révolution française, chargée de conserver, trier, classer, inventorier et communiquer les documents relatifs à l’histoire de France. Sous l’Ancien Régime, chaque organisme administratif ou judiciaire gère ses propres archives. Paris compte alors plus de 400 dépôts. Le 29 juillet 1789, l’Assemblée nationale constituante organise le dépôt de toutes les pièces originales relatives à ses travaux. La loi du 2 messidor an II (25 juin 1794) place les Archives nationales à la tête de l’ensemble des dépôts publics de la République. Elle prévoit le tri des titres, leur classement, la réalisation d’un inventaire sommaire et la consultation libre et gratuite. Par l’arrêté du 8 prairial an VIII (28 mai 1800), le Premier consul Bonaparte sépare définitivement les Archives nationales de l’Assemblée. C’est en 1808 qu’elles sont installées en l’hôtel de Soubise, à Paris. La législation révolutionnaire est remise en cause par la loi du 3 janvier 1979, complétée par les décrets du 3 décembre 1979. Ces textes réorganisent les archives et en réglementent la consultation. À Paris, le Centre d’accueil et de recherche des Archives natio-
nales regroupe : les fonds publics de l’Ancien Régime (titres féodaux, chartes et manuscrits pouvant intéresser l’histoire, les sciences, les arts ou l’instruction) ; les fonds postérieurs à 1789, issus des organes centraux de l’État ; enfin, les fonds divers, parmi lesquels les archives personnelles, d’associations, de syndicats ou d’entreprises. Arcole (bataille d’), combat franco-autrichien qui se déroula près de la ville italienne d’Arcole, les 15, 16 et 17 novembre 1796, lors de la première campagne d’Italie. Alors que Bonaparte assiège Mantoue, il apprend que deux armées autrichiennes, commandées par Davidovitch et Alvinzi, sont en marche pour débloquer la ville. Il décide d’attaquer avant qu’elles aient opéré leur jonction. Il passe à l’offensive et coupe Alvinzi de ses communications arrière, tandis que Vaubois est chargé de contenir Davidovitch avec des forces inférieures en nombre. Le 15 novembre, Augereau tente, en vain, de prendre le pont d’Arcole. À la tête des grenadiers, Bonaparte essaie à son tour de s’en emparer, mais il est repoussé et manque même d’être fait prisonnier. Le lendemain, Augereau échoue de nouveau, mais Masséna enfonce les troupes autrichiennes. Au matin du 17 novembre, l’assaut général est donné : Masséna franchit le pont d’Arcole, tandis qu’Augereau fait passer ses hommes sur un pont de chevalets construit pendant la nuit. Alvinzi doit battre en retraite sur Montebello. Il était temps, car Vaubois a été enfoncé peu avant par les troupes de Davidovitch. Les Autrichiens ont perdu 7 000 hommes ; les Français, plus de 4 500. L’épisode d’Arcole passe à la postérité grâce au tableau du baron Gros (Bonaparte au pont d’Arcole, 1798) qui représente Bonaparte, le drapeau à la main, menant ses troupes à l’assaut. La légende napoléonienne popularise cette image qui exalte la bravoure du général. Ardents (bal des), bal au cours duquel, le 28 juin 1393, un incident faillit provoquer la mort du roi Charles VI. En dépit de la folie du roi (un premier accès de démence l’avait pris lors d’une chasse dans la forêt du Mans, le 5 août 1392), la cour, sous la houlette de la jeune reine Isabeau de Bavière et du frère de Charles, Louis d’Orléans, continue de mener une vie festive. À l’occasion d’un bal donné par la reine pour le mariage d’une de ses demoiselles d’honneur, Louis d’Orléans a l’idée de faire déguiser le roi
et plusieurs seigneurs en hommes sauvages, en les recouvrant de poils de bête collés au corps avec de la poix. Un membre de son escorte, porteur d’une torche, met involontairement le feu aux déguisements : quatre hommes périssent, et le roi en réchappe de justesse. Le drame choque profondément Charles VI, et semble avoir aggravé sa folie : en effet, après 1393, ses crises violentes se font plus nombreuses. Mais, surtout, la rumeur publique accuse Louis d’Orléans d’avoir tenté d’assassiner son frère pour prendre le trône. L’événement renforce ainsi considérablement l’impopularité de Louis d’Orléans, déjà vive en raison de sa politique fiscale, de son train de vie luxueux et de sa grande amitié pour la reine. D’ailleurs, par la suite, le « bal des Ardents » constituera l’un des principaux éléments de la propagande menée par le parti bourguignon contre le frère du roi. Il sera invoqué par le duc de Bourgogne Jean sans Peur pour « justifier » l’assassinat de Louis d’Orléans par quelques-uns de ses fidèles, le 23 novembre 1407. Argenson (Marc Pierre de Voyer, comte d’), homme politique, ministre de Louis XV. (Paris 1696 - id. 1764). Marc Pierre d’Argenson est le frère cadet de René Louis, mais sa carrière est bien plus brillante que celle de son aîné. En 1720, il devient lieutenant de police de Paris, puis intendant de Paris, en 1741, poste clé considéré comme l’antichambre du ministère. En 1742, il entre au Conseil d’en haut. Enfin, il est nommé secrétaire d’État à la guerre en janvier 1743. À ce poste, il engage un programme de réorganisation des troupes et du commandement qui va porter ses fruits pendant la guerre de la Succession d’Autriche. En 1751, il crée l’École militaire et le corps des grenadiers royaux. Ses responsabilités à Paris le rendent impopulaire : on lui impute l’arrestation des vagabonds envoyés de force aux colonies. Des troubles éclatent d’ailleurs à ce sujet en 1749 et 1750. Confronté à l’inimitié tenace de la marquise de Pompadour, Marc Pierre d’Argenson rejoint les rangs du parti dévot, ennemi de cette dernière. Cette appartenance n’exclut pas les contradictions : il défend les privilèges fiscaux de l’Église, mais accepte la dédicace de l’Encyclopédie en 1751. La marquise de Pompadour obtient sa disgrâce en 1757. Plus courtisan que son aîné, le comte d’Argenson jouit d’une réputation nuancée : poli-
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DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 47 ticien habile mais limité pour les uns, grand homme d’État pour les autres. En revanche, ses réformes militaires font l’unanimité. Argenson (René Louis de Voyer, marquis d’), philosophe et homme politique. (Paris 1694 - id. 1757). Fils aîné de Marc René d’Argenson, garde des Sceaux, René Louis suit une carrière ordinaire pour un homme de sa naissance. Conseiller au parlement de Paris en 1715, il est nommé maître des requêtes en 1720, puis désigné, en 1721, pour veiller à l’intendance du Hainaut et du Cambrésis, poste qu’il occupe jusqu’à son entrée au Conseil d’État, en 1725. Le marquis d’Argenson est à l’origine du premier club politique français : le club de l’Entresol, cénacle choisi où l’on retrouve l’abbé de SaintPierre ou encore Bolingbroke. Les séances sont consacrées à la lecture et à la discussion de projets politiques, notamment en matière de relations extérieures. En 1731, le club de l’Entresol est fermé sur ordre du cardinal Fleury, qui y voit une source de désordres. C’est seulement à la mort du cardinal que le marquis d’Argenson devient secrétaire d’État aux Affaires étrangères, le 18 novembre 1744. Mais il est congédié lors de la guerre de la Succession d’Autriche, le 10 janvier 1747. Son repos forcé lui donne l’occasion de rédiger cinquante-six volumes de manuscrits, notamment un Journal et des Considérations sur le gouvernement de la France, ouvrage publié à titre posthume en 1764. Ami de Voltaire, René Louis d’Argenson est l’un des hommes les plus représentatifs de la première génération des Lumières. Une légende tenace fait de lui un rêveur impénitent, totalement dépourvu des qualités propres au courtisan. Le surnom dont il est affublé - il est appelé « d’Argenson la Bête », pour le distinguer de son frère cadet - passe à la postérité. Pourtant, ses écrits nous révèlent un esprit supérieur, sensible à la nécessité d’une profonde évolution de la monarchie. Ses Considérations constituent un véritable plan de réformes sociales et politiques embrassant tous les aspects de la pensée des Lumières. Il y prône la plus grande tolérance religieuse possible et un libéralisme économique tempéré par la création d’institutions en faveur du peuple déshérité.
La monarchie doit être limitée par une aristocratie éclairée et par des assemblées provinciales élues. D’Argenson propose également la suppression de la noblesse héréditaire et des privilèges du clergé. Dans son Traité politique, écrit en 1737-1738, il se prononce en faveur d’une politique extérieure généreuse, opposée à toute guerre de conquête. Malgré l’échec de son ministère entre 1744 et 1747, ce sont bien ses principes que Louis XV proclame lors de la paix d’Aix-la-Chapelle. Argentomagus, ville gauloise, puis romaine, située sur le plateau des Mersans, à Saint-Marcel (Indre), qui domine la ville actuelle d’Argenton-sur-Creuse. Oppidum (place forte) du peuple gaulois des Bituriges, le site occupe un plateau d’une trentaine d’hectares. Il est naturellement protégé par des falaises et par la vallée de la Creuse, très encaissée mais qu’un gué permettait de franchir à cet endroit, ce qui explique sans doute l’essor de la ville qui, à l’époque romaine, déborde le plateau pour occuper environ quatre-vingts hectares. Si les traces de l’occupation gauloise sont ténues, la ville romaine, développée au cours du Ier siècle de notre ère, est bien connue à la suite des fouilles systématiques entreprises depuis le début des années soixante. Elle était construite selon un plan en damier, les monuments publics se trouvant entre les deux principales artères parallèles. Elle comprenait un sanctuaire, composé de trois temples, ou fana, petits édifices quadrangulaires entourés de galeries. Le théâtre pouvait contenir environ sept mille spectateurs. Les thermes, d’une soixantaine de mètres de longueur, comportaient plusieurs bassins, des systèmes de chauffage et de canalisations. La fontaine monumentale, ou nymphée, s’ouvrait par de larges escaliers sur chacune des deux rues : son bassin était couvert d’un toit destiné à recueillir les eaux de pluie et débouchait sur un égout. Fort spectaculaire a été la découverte, en 1986, d’un petit sanctuaire souterrain, aménagé dans la cave d’une maison particulière : il comportait une petite table en calcaire et deux statuettes peintes assises, d’une quarantaine de centimètres, accompagnées d’un galet ; l’une des deux figurines porte un torque et tient un serpent sur ses genoux. Ce sanctuaire a été conservé sur place, à l’intérieur du musée récemment construit sur le site. Trois nécropoles au moins entouraient la ville, dont l’une, au Champ-de-l’Image, a livré environ cent soixante tombes, la plupart à in-
cinération. Un pont a également été reconnu. aristocrate, membre de la classe noble, selon une terminologie péjorative apparue à la veille de la Révolution ; puis, par extension, contre-révolutionnaire réel ou supposé. Très répandu dans les milieux populaires, le terme « aristocrate » acquiert, avec la Révolution, une signification à la fois sociale et politique. Il est, le plus souvent, associé à l’idée - ancienne - de complot : complot de l’entourage du roi et des privilégiés pour tenter un coup de force et confisquer le pouvoir politique, dont la crainte est responsable de la Grande Peur de l’été 1789, mais aussi de la prise de la Bastille le 14 juillet. Les monarchistes réfutent l’épithète, insistant sur le sens étymologique du terme aristocratie (« gouvernement des meilleurs »), tandis que les patriotes développent une image de l’aristocrate partisan de l’Ancien Régime et de ses abus, adversaire des droits de l’homme et de la Constitution, ennemi à abattre. C’est durant cette année 1789 qu’émerge un discours de liberté : le grand nombre doit l’emporter sur la minorité ; le gouvernement de tous (la nation) est opposé au gouvernement de quelques-uns (les privilégiés), et les démocrates aux aristocrates. En 1791, Robespierre définit l’aristocratie comme « l’état où une portion des citoyens est souveraine et le reste sujets ». Le mot « aristocrate » devient ainsi un instrument idéologique permettant de discréditer ou de neutraliser les opposants politiques, et revêt, au fil des ans et de la radicalisation de la Révolution, un sens toujours plus étendu. On parle, dès 1789, d’aristocratie municipale, militaire, bourgeoise, ou encore, avec le régime censitaire, d’aristocratie de l’argent. Dans la mentalité populaire, l’aristocrate, promis « à la lanterne », noble ou non, toujours soupçonné de desseins tyranniques, est membre de tout groupe dominant dans la hiérarchie sociale. Injure lancée à la tête de celui qui abuse de son autorité, de l’arrogant ou du supérieur hiérarchique, ce terme finit par désigner tout ennemi avéré ou potentiel de la Révolution. Sont ainsi aristocrates, ou suspectés d’aristocratie, les royalistes, les nobles, les prêtres, puis les adversaires des sans-culottes, parmi lesquels figurent les spéculateurs, les fermiers, les marchands et les commerçants « accapareurs », accusés de vouloir affamer le peuple. Après la Révolution, le terme ne désigne plus que les membres de la noblesse, d’où la dénomination d’« aristo », apparue en 1848 et toujours en usage au XXe siècle.
Arles (royaume d’), ensemble de territoires délimités par les Alpes, le Rhône et la Méditerranée, qui forment un royaume entre la fin du IXe et le milieu du XIIIe siècle. Après l’élection de Boson de Vienne comme roi de Provence et de Bourgogne, en 879, un premier royaume, strictement provençal, est constitué par son fils dans les premières années du Xe siècle, grâce à l’énergie du comte d’Arles, Hugues, qui y exerce une régence permanente. L’ambition de celui-ci le pousse cependant à rechercher la couronne d’Italie et, en 933, il cède ses droits sur le royaume de Provence au roi Rodolphe II de Bourgogne, qui possède déjà les territoires au nord de Lyon et étend ainsi sa domination du Jura jusqu’à la Méditerranée : c’est la naissance du « royaume d’Arles et de Vienne ». Dès la mort de Rodolphe II, en 937, ce royaume passe sous le contrôle de l’Empire germanique, mais ce n’est qu’en 1032 qu’il échoit à l’empereur Conrad II, officiellement reconnu par une assemblée de grands du royaume à la diète de Soleure en 1038. Cependant, les souverains germaniques ne possèdent ni biens ni administration sur ce territoire où ils ne résident jamais. Ce sont les comtes les plus puissants, ceux d’Arles et d’Avignon au XIe siècle, qui exercent la réalité du pouvoir. À partir de 1125, les premières familles comtales ayant disparu, deux grandes dynasties extérieures à la Provence s’efforcent de rassembler comtés et seigneuries pour parvenir à constituer un État cohérent : la famille des comtes de Toulouse, vassaux du roi de France, est surtout influente entre la Durance et l’Isère, tandis que la famille des comtes de Barcelone, vassaux du roi d’Aragon, est essentiellement active au sud de la Durance. Mais, au-dessus de ces princes, l’empereur Frédé ric Ier Barberousse entend maintenir sa souveraineté sur la région et le signifie avec éclat en se faisant couronner des mains de l’archevêque dans l’église Saint-Trophime d’Arles en 1178. Barberousse est l’empereur qui s’est le plus préoccupé du royaume d’Arles, essayant de conforter son pouvoir en s’appuyant sur les églises épiscopales, auxquelles il octroya de nombreux privilèges, et dotant le royaume d’un embryon d’administration. Cette époque constitue le point culminant dans l’histoire du royaume d’Arles. Mais la décadence de downloadModeText.vue.download 59 sur 975
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48 l’Empire germanique laisse les mains libres au roi de France pour pousser ses avantages dans cette région : ainsi, Charles d’Anjou, frère de Saint Louis, hérite par son mariage de la Provence en 1246 et met fin, dès 1251, à l’autonomie du royaume. Armagnac (Bernard VII, comte d’), chef du parti armagnac à partir de 1410 (vers 1360 Paris 1418). Deuxième fils du comte Jean II d’Armagnac et de Jeanne de Périgord, Bernard d’Armagnac est un guerrier, né pendant la guerre de Cent Ans au coeur géographique du conflit, la Guyenne. Alliée à la famille d’Albret, la famille d’Armagnac prit parti pour le roi de France contre les prétentions anglaises. Avec son père et son frère, Bernard lutte contre les Anglais, puis contre les compagnies de « routiers » qui ravagent le pays pendant les trêves. Il devient comte d’Armagnac en 1391. Dans la guerre civile qui oppose le duc d’Orléans au duc de Bourgogne, il adopte clairement les intérêts du parti antibourguignon. En effet, en 1393, il a épousé Bonne, fille du duc de Berry, et se trouve lié à la famille Visconti dont est issue la duchesse Valentine, veuve du duc d’Orléans assassiné en 1407. Il prend définitivement parti en 1410, lorsque sa fille Bonne épouse le jeune duc Charles d’Orléans ; c’est à ce moment que le parti d’Orléans devient, jusqu’à la fin de la guerre civile, le parti d’Armagnac. Le comte en prend la tête, réprime en 1413 le mouvement cabochien à Paris, et investit la capitale, où il exerce une dictature peu appréciée. Connétable et chef du gouvernement du dauphin en 1415, il meurt le 12 juin 1418 au cours des massacres qui suivent l’entrée des Bourguignons dans Paris. Après sa mort, Bourguignons et Anglais continuent d’appeler « Armagnacs » les partisans du dauphin, devenu le roi Charles VII en 1422. Armagnacs et Bourguignons, nom des deux factions qui, sous Charles VI, s’opposent dans une guerre civile de 1407 à 1422. L’assassinat du duc Louis d’Orléans (frère du roi de France Charles VI) par le duc de Bourgogne Jean sans Peur, le 23 novembre 1407, marque le début de la « querelle des Armagnacs et des Bourguignons ». • Conflits de personnes... Mais l’origine de cette querelle est plus ancienne : le roi de France étant frappé de démence depuis
1392, son oncle, le duc de Bourgogne Philippe le Hardi, et son frère, Louis d’Orléans, se disputent le pouvoir. Tout oppose les deux princes : ambitions politiques, intérêts financiers, diplomaties rivales - dans l’Empire et en Angleterre -, divergences sur le grand schisme d’Occident. Le conflit s’aggrave à la mort de Philippe le Hardi, en 1404 : Louis d’Orléans, favorisé par la reine Isabeau de Bavière, détient le pouvoir de 1405 à 1407 et coupe peu à peu les vivres à la principauté bourguignonne. Dès 1405, des clans se forment : celui du duc d’Orléans ayant pris pour emblème un bâton noueux, et pour devise « Je l’ennuie », celui de Jean sans Peur, nouveau duc de Bourgogne, adopte le rabot, et la devise « Je le tiens ». L’assassinat de 1407 laisse au parti d’Orléans une veuve, Valentine Visconti, et un enfant de 13 ans, le futur poète Charles d’Orléans. Jean sans Peur rentre bientôt en grâce auprès du roi et de la reine : de 1409 à 1413, le gouvernement est bourguignon. Pendant ce temps, Jean, duc de Berry (oncle de Charles VI), assure la défense des intérêts de Charles d’Orléans : à Gien, en 1410, il coalise autour de lui une ligue qui regroupe les ducs de Bretagne et d’Orléans, et le comte Bernard VII d’Armagnac, dont la fille Bonne épouse le jeune prince. Le parti d’Orléans prend le nom des redoutables mercenaires armagnacs qui accompagnent Bernard VII. • ...et choix politiques divergents. Les principes défendus par les Armagnacs - au moins verbalement - sont les mêmes que ceux des marmousets, vieux conseillers du roi Charles V demeurés dans l’entourage du duc de Berry : un État fort appuyé par des serviteurs zélés, des finances saines, l’indépendance des institutions. Les Bourguignons, au contraire, soutenus par l’Université, tiennent à un idéal politique de réforme - c’est-à-dire, au Moyen Âge, à un retour à des pratiques anciennes, réputées meilleures (antiques franchises urbaines, abolition des impôts). Armagnacs et Bourguignons ont leurs partisans dans la bourgeoisie parisienne : le milieu des changeurs de métaux précieux, qui domine aussi le crédit, soutient les Armagnacs, tandis que la prévôté des marchands, attachée aux libertés parisiennes, rejoint les Bourguignons. • La guerre de Cent Ans en toile de fond. Entre 1409 et 1412, Armagnacs et Bourguignons s’affrontent, se promettent la paix, négocient pour obtenir le concours des Anglais contre le parti adverse. À Paris, aux mains des Bourguignons, la guerre civile prend un autre tour après la convocation des états généraux
par Jean sans Peur (1413). Le mouvement réformiste est débordé par la révolte cabochienne, et les excès des émeutiers incitent les Parisiens à faire appel aux princes du parti d’Orléans. Sitôt dans Paris, les Armagnacs massacrent les Bourguignons, et Bernard d’Armagnac, devenu connétable en 1415, y exerce une dictature jusqu’en 1418. L’entrée des Bourguignons à Paris, en mai 1418, d’abord perçue comme une délivrance, est marquée par de nouveaux massacres, au cours desquels périt Bernard d’Armagnac. Son parti, que la captivité de Charles d’Orléans depuis Azincourt (1415) prive de chef, se range aux côtés du dauphin Charles (le futur Charles VII), qui se proclame régent du royaume, tandis que Jean sans Peur et la reine Isabeau tiennent le roi Charles VI en leur pouvoir. C’est durant les négociations entre le dauphin et le duc de Bourgogne, le 10 septembre 1419 à Montereau, que l’entourage armagnac de Charles assassine Jean sans Peur. Ce meurtre relance la guerre civile et précipite les événements : le nouveau duc de Bourgogne, Philippe le Bon, négocie alors avec les Anglais et avec Isabeau de Bavière le traité de Troyes (21 mai 1420), qui déshérite le dauphin et proclame Henri V d’Angleterre héritier du royaume de France. À partir de 1422 (date de la mort de Charles VI), et jusqu’à la réconciliation finale avec le duc de Bourgogne par le traité d’Arras (1435), les Armagnacs seront les partisans du « roi de Bourges ». Armée révolutionnaire, armée intérieure, distincte de l’armée régulière, créée en 1793 pour intimider les contre-révolutionnaires et faire respecter les lois sur les subsistances. Dès l’été 1793, alors que la France en guerre est menacée de l’intérieur par le soulèvement de Vendée et le fédéralisme, de petites armées révolutionnaires apparaissent en province. À Paris, c’est sous la pression de la foule et des cordeliers que la Convention - envahie lors de la journée du 5 septembre 1793 - décrète, en même temps qu’elle met la Terreur à l’ordre du jour, la formation d’une armée révolutionnaire de 6 000 hommes et 1 200 canonniers. Instrument de la Terreur, cette armée, commandée par le cordelier Ronsin, est composée de sans-culottes urbains, bien souvent enragés et hébertistes. Elle assure, principalement, avec un certain succès, le ravitaillement des villes et des armées, obligeant les cultivateurs à livrer leur production et à respecter la loi du maximum. Elle joue aussi un rôle prépondé-
rant dans le mouvement de déchristianisation durant l’hiver 1793. Ses détachements, parfois accompagnés d’une guillotine ambulante, pourchassent, dans les campagnes, suspects, feuillants, girondins, accapareurs ou ecclésiastiques. Très vite, la Convention s’inquiète de ses initiatives et de ses excès. Le 14 frimaire an II (4 décembre 1793), elle décrète la suppression des armées de province, puis, le 7 germinal an II (27 mars 1794) - trois jours après l’exécution des chefs des cordeliers -, le licenciement de l’armée parisienne. armées catholiques et royales, nom donné à des rassemblements, plus ou moins organisés, d’insurgés hostiles à la Révolution. Même si l’on en rencontre dès 1792 dans le Midi ou dans le Massif central, le terme d’« armée » n’est véritablement revendiqué qu’en Vendée, à partir d’avril 1793. C’est là que de simples bandes rurales, levées depuis mars, sont regroupées autour de noyaux de quelques milliers de soldats permanents (contre-révolutionnaires avérés, aventuriers, déserteurs), sous le commandement de chefs vite promus généraux - Jacques Cathelineau, François Athanase de Charette de La Contrie, Maurice Gigost d’Elbée, Charles de Bonchamps, Sapinaud de La Rairie... Les paysans, levés au son du tocsin, rassemblés derrière leurs « chefs de paroisse », servent de masse de manoeuvre efficace. Le médiocre armement initial (faux retournées, fusils de chasse...) est rapidement complété par les armes et canons pris aux républicains. Ces armées, rivales, manquent d’unité et ne sont pas permanentes. Elles sont dispersées ou écrasées pendant la « virée de Galerne » (novembre 1793). Mais elles sont reconstituées, à partir de 1794 et jusqu’à la fin de 1795, autour de Charette et de Jean Nicolas Stofflet. Terminée dans les faits, la guerre de Vendée demeurera vivace dans les mémoires, ce qui permettra aux cadres clandestins ayant survécu de remobiliser des troupes en 1815, lors des Cent-Jours, et en 1832, lors de la tentative de soulèvement fomentée par la duchesse de Berry. downloadModeText.vue.download 60 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 49 armistice de 1918, accord conclu entre l’Allemagne et les Alliés qui met fin à la Pre-
mière Guerre mondiale par la suspension des hostilités. À la onzième heure du onzième jour du onzième mois de l’année 1918, la Grande Guerre prend fin : l’armistice est signé dans le wagon de commandement du maréchal Foch, stationné à Rethondes, en forêt de Compiègne. C’est le 29 septembre que le général Erich Ludendorff a décidé de demander l’armistice : en effet, non seulement l’Autriche-Hongrie, la Bulgarie et la Turquie sont à bout de force, mais même le front allemand menace de s’écrouler. Chez les Alliés, les positions divergent : certains veulent répondre positivement à cette demande, arguant de la lassitude extrême des troupes ; d’autres, en revanche, désirent porter la guerre en territoire allemand par une dernière offensive. Après un mois de négociations, l’Allemagne doit accepter des conditions très dures, qui s’apparentent à une capitulation. Au moment où la commission d’armistice se réunit, l’empereur Guillaume II abdique, et le nouveau gouvernement, menacé par des mouvements révolutionnaires, n’a aucune possibilité de contester les conditions qui lui sont dictées. Matthias Erzberger, un député du centre catholique, ne peut que signer, le 11 novembre. Étant donné les livraisons de matériel militaire qui lui sont imposées, l’Allemagne se retrouve dans l’incapacité de reprendre les hostilités. Les soldats allemands ont deux semaines pour repasser le Rhin, dont les Alliés occuperont une partie de la rive droite. L’extraordinaire explosion de joie qui salue l’armistice en France prouve bien que les jusqu’au-boutistes, au rang desquels figure le président Poincaré, sont désavoués : il n’est plus question de continuer une guerre d’ores et déjà gagnée. armistice de 1940, accord conclu par l’Allemagne et la France le 22 juin 1940 en vue de la cessation des hostilités. Au milieu du mois de juin 1940, alors que la bataille de France est perdue, le gouvernement se divise. Paul Reynaud, certains ministres et d’autres personnalités, dont Charles de Gaulle alors sous-secrétaire d’État à la Défense, entendent poursuivre le combat à partir de l’Afrique du Nord, projet qui suppose une simple capitulation militaire, de façon à laisser toute liberté d’action au gouvernement en dehors du territoire métropolitain. La solution opposée, l’armistice, d’abord défendue par le général Weygand, puis par Pétain, finit par
l’emporter. Pétain se place autant sur le plan militaire (l’Allemagne a gagné la guerre, la poursuite du combat à partir de l’empire est chimérique) que politique (empêcher un éventuel coup de force communiste et préparer l’avènement d’une « révolution nationale ») et moral (le gouvernement ne saurait abandonner les Français, la défaite est la sanction d’une décadence, et l’armistice la condition du relèvement). Reynaud, croyant avoir été mis en minorité, démissionne le 16 juin au soir. Pétain lui succède aussitôt et, le 17, alors que des contacts sont noués avec les Allemands, annonce au pays, « le coeur serré », qu’il faut « cesser le combat ». Hitler révèle toute son habileté politique en acceptant l’offre française. Son but est alors d’affaiblir la GrandeBretagne et d’éviter qu’une attitude trop rigide ne précipite la flotte et l’empire français dans le camp britannique. À Rethondes, le 21 juin 1940, dans le wagon de Foch, la délégation française reçoit, en présence du Führer, les conditions allemandes. L’armistice, signé le 22 avec l’Allemagne, et le 24 avec l’Italie, entre en application le 25. Ses clauses sont draconiennes. La France est divisée en deux zones : l’une, à l’ouest et au nord, soit près des deux tiers du territoire, est occupée par les Allemands, l’autre, au sud, demeure « libre ». Un gouvernement français est maintenu et conserve toute autorité sur l’empire. L’armée française, limitée à 100 000 hommes environ, privée d’armes lourdes, est réduite à assurer l’ordre intérieur. La flotte n’est pas livrée, mais, désarmée, elle doit demeurer dans ses ports d’attache (ce qui la place sous la menace allemande). Les frais d’entretien des troupes d’occupation sont à la charge de la France. Enfin, 1,8 million de prisonniers français resteront détenus en Allemagne jusqu’à la conclusion d’un traité de paix. L’acceptation ou le refus de l’armistice dressa entre les Français un fossé politique infranchissable : les pétainistes soutinrent que l’armistice atténuerait les malheurs du pays et préparerait son relèvement ; pour les gaullistes, il n’était rien d’autre qu’un acte de trahison. Armoire de fer, chambre forte aménagée dans un mur du château des Tuileries par Louis XVI, recelant les papiers secrets de la famille royale, et découverte le 20 novembre 1792.
Une fois la royauté abolie, la Convention est partagée quant à la nécessité de juger le roi. Le débat, qui s’ouvre le 13 novembre 1792, s’éternise et exacerbe les divisions entre montagnards et girondins, ces derniers se déclarant favorables à un ajournement. La découverte de l’Armoire de fer - véritable coup de théâtre - coupe court aux discussions et précipite le procès. Cette dernière livre, en effet, plusieurs centaines de documents révélant des négociations secrètes entre Louis XVI et l’Autriche, ainsi que les liens du roi avec la Contre-Révolution, notamment son soutien aux émigrés, alors aux côtés des puissances étrangères en guerre contre la France. Elle permet de mettre au jour sa correspondance privée avec nombre de personnalités - Calonne, La Fayette ou Dumouriez, et surtout Mirabeau, rétribué par la cour pour ses conseils. La publication des papiers contenus dans l’armoire émeut fortement l’opinion, engendre un climat de suspicion et nuit considérablement au roi. Ils n’administrent pas la preuve de la trahison de Louis XVI, de sa collusion avec l’étranger, mais ils mettent en évidence sa duplicité et sa résistance précoce à la Révolution : un double jeu qui fournit la base de l’acte d’accusation. Devenus des pièces à conviction, ces papiers jouent un rôle primordial dans le procès qui s’ouvre le 11 décembre, même si Louis XVI choisit de se défendre en niant l’authenticité de textes annotés de sa main. Arnauld (Antoine), dit le Grand Arnauld, théologien janséniste (Paris 1612 - Bruxelles 1694). Dernier des vingt enfants d’Antoine Arnauld (1560-1619), avocat célèbre pour son hostilité aux jésuites, il appartient à une famille de robe, en partie protestante. Élevé par une mère pieuse, il rencontre l’abbé de Saint-Cyran, ami de son frère Robert Arnauld d’Andilly. Étudiant en théologie, il est reçu docteur en Sorbonne et ordonné prêtre en 1641. Ses opinions sur la grâce et la prédestination sont tirées de saint Augustin, mais elles se retrouvent chez Jansénius. Dès lors, Arnauld épouse la cause janséniste, que défendent également sa soeur Angélique, abbesse de Port-Royal, et plusieurs de ses autres soeurs et nièces, religieuses dans la même abbaye. En 1643, le traité De la fréquente communion le rend célèbre : contre la conception jésuite du recours à la communion pour fortifier le pécheur contre la tentation, il défend
une attitude sévère qui éloigne de l’autel le fidèle indigne et met l’accent sur la pénitence et le rôle du confesseur. Face aux condamnations pontificales, il distingue le droit et le fait, prétendant que les propositions censurées sont fautives mais ne se trouvent pas chez Jansénius. La même année, la mort de Saint-Cyran fait apparaître Arnauld comme le chef du parti janséniste. Un ami de Port-Royal, le duc de Liancourt, s’étant vu refuser l’absolution, Arnauld réplique par la Lettre à une personne de condition, suivie d’une Lettre à un duc et pair (1655), qui provoquent son exclusion de la Sorbonne. Pascal prend alors sa défense dans les Provinciales. Retiré à Port-Royal, Arnauld collabore avec Lancelot à une Grammaire générale et raisonnée (1660), et avec Nicole à une Logique dite « de Port-Royal » (1662), oeuvres remarquables destinées aux « petites écoles ». Polémiste, il sait pourtant refréner les extrémistes de son camp, et pousse à la conclusion de la « paix de l’Église » (1668), compromis entre les jansénistes, le pouvoir monarchique et la papauté. Revenu à la cour, il se voue au combat antiprotestant. Mais, lorsqu’en 1679 Louis XIV relance les persécutions contre les jansénistes, Arnauld s’exile en Hollande, puis à Bruxelles, où il mène une vie besogneuse et semi-clandestine. Il n’en continue pas moins la lutte contre les jésuites et les protestants, tout en restant loyal à son roi, défendant même sa politique extérieure. Esprit puissant et ardent, auteur fécond, Antoine Arnauld a su soutenir des opinions intransigeantes sans rompre avec la culture antique ni repousser l’apport du cartésianisme. Fidèle à l’esprit de la Contre-Réforme, il contribue cependant à introduire en terre catholique une spiritualité rigoriste qui avait assuré le succès du calvinisme. Arnauld (Jacqueline) ! Mère Angélique Aron (Raymond), philosophe et sociologue (Paris 1905 - id. 1983). downloadModeText.vue.download 61 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 50 Ce brillant khâgneux et normalien, reçu premier à l’agrégation de philosophie en 1928, reste longtemps un proche des socialistes et un véhément défenseur du pacifisme. Son
séjour en Allemagne entre 1930 et 1933 lui révèle pourtant le danger nazi, ce qui le conduit à réviser ses positions pacifistes. Rentré en France et devenu professeur, Raymond Aron livre une production philosophique abondante, influencée par les travaux des philosophes et sociologues d’outre-Rhin (la Sociologie allemande contemporaine, 1935 ; Introduction à la philosophie de l’histoire, publié à l’issue de sa thèse, soutenue en 1938). Il y reprend la notion de relativisme historique héritée de Max Weber, mais propose de la dépasser, préconisant l’engagement de l’homme dans son époque. Durant la Seconde Guerre mondiale, après avoir rejoint Londres, il écrit dans les colonnes de la France libre. À la Libération, il se consacre entièrement au journalisme. Un temps membre du comité de rédaction des Temps modernes, où il retrouve son ancien condisciple Jean-Paul Sartre, avec lequel il rompt à l’automne 1947. La même année, il cesse sa collaboration à Combat. Commence alors un long parcours anticommuniste, jalonné par ses éditoriaux dans le Figaro et marqué par la publication, en 1955, de l’Opium des intellectuels, véritable brulôt contre l’esprit de système des intellectuels marxistes. Le polémiste entre aussi dans le jeu politique en adhérant au rassemblement gaulliste, le RPF, et en militant au sein d’une structure intellectuelle anticommuniste, le Congrès pour la liberté de la culture. Au coeur de la guerre froide, Aron est mis au ban d’une intelligentsia française largement philocommuniste. « Spectateur engagé », sans cesse en prise avec l’histoire en marche, il prône l’indépendance de l’Algérie au nom de ce qu’il considère comme le « réalisme » (la Tragédie algérienne, 1957). Plus tard, il voit dans les événements de 1968 la confirmation de la « fragilité du monde moderne » (la Révolution introuvable, 1968). En 1979, il retrouve Sartre pour un dernier combat en faveur des boat-people vietnamiens. Tout au long de cette période, le sociologue - qui a poursuivi son enseignement à la Sorbonne (1955), à l’École pratique des hautes études (1968), puis au Collège de France (1970) - n’a cessé de nourrir une réflexion approfondie sur le pouvoir, les relations internationales et la société industrielle (Paix et guerre entre les nations, 1962 ; la Lutte des classes : nouvelles leçons sur la société industrielle, 1964 ; Démocratie et totalitarisme, 1965 ; Penser la guerre, Clausewitz, 1976). Au soir de sa vie, la notoriété rattrape l’intellectuel, qui fut honni par une partie de ses pairs : en témoignent le
succès du Spectateur engagé et la publication, applaudie, peu de temps avant sa mort, de ses Mémoires, cinquante ans de réflexion politique (1983). arquebuse ! mousquet Arras (traité d’) [21 septembre 1435], traité scellant la réconciliation, pendant la guerre de Cent Ans, du roi de France Charles VII et du duc de Bourgogne Philippe III le Bon, prince le plus puissant du royaume. Depuis 1407, une guerre civile oppose les Armagnacs, partisans du roi, aux Bourguignons. Elle facilite la conquête de la France par les Anglais, alliés au duc de Bourgogne. Pour les vaincre, Charles VII doit donc préalablement se réconcilier avec celui-ci. Après différents pourparlers, la conférence de paix s’ouvre le 5 août 1435 à Arras, sous l’égide de cardinaux représentant le pape et le concile de Bâle. Elle réunit le duc de Bourgogne, une délégation anglaise conduite par le cardinal Henri Beaufort, et une ambassade française dirigée par le connétable de Richemont. La négociation entre la France et l’Angleterre échoue, car les exigences anglaises sont excessives : Charles VII perdrait son titre de roi, et deviendrait le vassal du roi anglais Henri VI pour tous les territoires que celui-ci entend conserver. Cette intransigeance permet au duc de Bourgogne de signer, le 21 septembre, une paix séparée avec le roi de France : ce dernier désavoue le meurtre de Jean sans Peur, père du duc, à Montereau, en 1419 ; il cède à Philippe III l’Auxerrois, le Mâconnais, diverses châtellenies et les territoires situés de part et d’autre de la Somme, prévoyant cependant, pour ces derniers, une possibilité de rachat ; enfin, il le dispense d’hommage, mais uniquement à titre personnel. Même si les concessions sont importantes, Charles VII, grâce à ce traité, conclut l’alliance francobourguignonne : il peut ainsi espérer obtenir l’aide militaire du duc pour la reconquête du royaume - ou, au moins, sa neutralité. Arras (traité d’) [23 décembre 1482], traité signé par Louis XI et Maximilien de Habsbourg pour mettre un terme à la guerre de la succession de Bourgogne. Après la mort de Charles le Téméraire en janvier 1477, Louis XI s’est rapidement emparé de la Picardie, de l’Artois, du duché de Bourgogne et du comté de Bourgogne (Franche-
Comté). Mais Marie de Bourgogne, héritière du Téméraire, se marie alors avec Maximilien de Habsbourg, fils de l’empereur Frédéric III. Au nom de sa femme, Maximilien entreprend la reconquête des territoires perdus. Si Louis XI parvient à conserver le duché de Bourgogne, la Picardie et l’Artois, il ne réussit ni à garder le comté de Bourgogne, ni à annexer le Hainaut. La bataille indécise de Guinegatte, le 7 août 1479, les nombreuses dévastations qui y font suite, enfin, la mort accidentelle de Marie de Bourgogne, le 27 mars 1482, conduisent les deux parties à négocier : la paix d’Arras est signée le 23 décembre 1482. Le traité prévoit le mariage du dauphin Charles avec Marguerite, fille de Marie et de Maximilien, dont la dot - à restituer au cas où le mariage n’aurait pas lieu - se compose du comté de Bourgogne, de l’Artois, du Mâconnais et de l’Auxerrois. Quant à la Picardie et au duché de Bourgogne, ils sont tacitement laissés à Louis XI. L’abandon, en 1491, du projet de mariage entre le dauphin, devenu Charles VIII, et Marguerite entraîne la signature d’un nouveau traité, en mai 1493 : le traité de Senlis. Ars (Jean-Marie-Baptiste Vianney curé d’) ! Jean-Marie-Baptiste Vianney (saint) Artagnan (Charles de Batz, seigneur d’), gentilhomme gascon (près de Lupiac, Gers, 1611 - Maastricht, Pays-Bas, 1673). D’Artagnan est l’exemple même du cadet de Gascogne aux origines relativement modestes : sa noblesse apparaît pour le moins douteuse, même si sa mère est née Montesquiou. Il mène une carrière militaire exemplaire, servant dans les gardes (1635), puis dans les mousquetaires, prestigieuse compagnie de cent hommes créée en 1622. À ce titre, d’Artagnan n’assure pas seulement la garde du roi : il participe aussi à de nombreuses campagnes (de 1640 à sa mort, le 25 juin 1673, lors du siège de Maastricht) et gagne des galons, dont ceux de chef de la première compagnie des mousquetaires, en 1667. Cependant, ce courageux Gascon, passionnément dévoué au service du roi, n’aurait guère laissé de trace si son sens du devoir n’avait fait de lui l’homme des missions délicates : l’intermédiaire entre un Mazarin exilé et la cour en 1651, pendant la Fronde ; celui que Louis XIV charge d’arrêter Fouquet, en 1661, puis de l’escorter jusqu’à la forteresse de Pignerol en 1664 ; cette même forteresse où il
conduira le maréchal de Lauzun, en 1671. Il achève d’y gagner une parfaite réputation de « fidèle au roi et humain à ceux qu’il garde », selon les termes de son amie Mme de Sévigné. Si d’Artagnan est resté dans la mémoire, il le doit à l’un de ses subordonnés parmi les mousquetaires, Courtilz de Sandras, qui publie d’abondants et apocryphes Mémoires de Monsieur d’Artagnan (1700), et surtout à Alexandre Dumas qui, s’inspirant largement de ces Mémoires, crée l’extraordinaire personnage des Trois Mousquetaires (1844). Attachant, plein de vie et d’enthousiasme, peut-être un peu simplet parfois, ce d’Artagnan réapparaît dans Vingt ans après (1845), le Vicomte de Bragelonne (1847-1850), et dans les versions théâtrales que le prolixe Dumas tire de ses romans. Et ce n’est pas hasard si ces oeuvres comptent parmi celles que le cinéma mondial a le plus souvent adaptées : d’Artagnan a ainsi pris les traits de Douglas Fairbanks, de John Wayne, de Gene Kelly, de Georges Marchal, de Michael York... Il a même inspiré des versions comiques, mais le personnage de Dumas est si fort que rares sont les créateurs qui s’écarteront du roman (à l’exception notable de Bertrand Tavernier, avec sa Fille de d’Artagnan, 1994). La fiction l’a décidément emporté sur la réalité. Arthur III, connétable de France et duc de Bretagne de 1457 à 1458 (1393 - 1458). Second fils du duc Jean IV, il hérite à la mort de son père, en 1399, du comté anglais de Richmond, dont il porte le titre, francisé en Richemont. Capturé par les Anglais à Azincourt (1415), il est libéré en 1420 pour avoir aidé à convaincre son frère, Jean V, duc de Bretagne, d’adhé rer au traité de Troyes, signé par Henri V d’Angleterre et le roi de France downloadModeText.vue.download 62 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 51 Charles VI, et qui fait du souverain anglais l’héritier du trône de France. Marié à une soeur de Philippe III le Bon, duc de Bourgogne, il réintègre l’alliance française à la suite du duc de Bretagne, en 1425. Promu connétable de France, Richemont se révèle un organisateur efficace et un habile tacticien, mettant sur pied ce qui deviendra dans les décennies suivantes l’armée de la victoire.
Porté aux intrigues de cour, il est écarté du pouvoir, en 1428, par Charles VII, au profit de La Trémoille, et se retire dans ses seigneuries du Poitou. En 1433, il est rappelé par le roi, qui veut isoler diplomatiquement le duc de Bedford, régent du royaume de France. Il travaille alors à une réconciliation avec la Bourgogne, dont le succès, consacré par le traité d’Arras en 1435, ouvre la route de Paris aux armées royales. Promu lieutenant du roi pour tous les pays reconquis, il mène victorieusement l’offensive française dans le Maine et en Normandie. En septembre 1457, ses neveux François Ier et Pierre II étant morts sans héritier direct, il devient duc de Bretagne. Il cherche, à l’image de ses prédécesseurs, malgré la charge de connétable et le rôle politique qu’il conserve à la cour de France, à préserver l’autonomie du duché contre l’influence française grandissante. artillerie. L’arme principale de l’artillerie, le canon, apparaît au début de la guerre de Cent Ans, lors de la bataille de Crécy (1346), et devient très vite l’instrument décisif de la guerre de siège. Charles V ordonne ainsi que ses « bonnes villes » soient dotées de bouches à feu et crée un premier corps d’artillerie. Sous Charles VII, les frères Bureau développent cette artillerie lourde qui permet, en un an, de faire tomber les villes et les forteresses de Normandie. Ils sont également à l’origine d’une artillerie de campagne, capable d’opérer sur le champ de bataille en dépit du poids encore imposant des pièces. À son entrée en Italie, en 1494, Charles VIII dispose de 140 canons lourds et de 226 pièces légères. Mais il faut encore 20 chevaux pour tirer les premiers, et 7 pour les secondes. À Marignan comme à Pavie, l’artillerie permet de faire la différence. • Organisation et professionnalisation. Sous Richelieu, puis sous Louis XIV, cette arme connaît un développement considérable. Les Français adoptent alors les procédés mis au point par les Hollandais et les Suédois pour accroître la mobilité des pièces et la rapidité de chargement. Cet essor s’accompagne d’une prolifération des calibres, que Vallières, en 1732, s’efforce de restreindre, ramenant leur nombre à sept. En 1765, Gribeauval est à l’origine d’une nouvelle réforme : il réduit encore le nombre de calibres, allège les pièces, et développe des procédés rapides de pointage. L’adoption de gargousses en papier ou en toile facilite le chargement et augmente la cadence de tir. Pendant de nombreuses années, cette artillerie sera considérée comme la meilleure
d’Europe, et servira, sans modifications notables, durant les guerres de la Révolution et de l’Empire. Simultanément, elle cesse d’être un organisme servi par des spécialistes civils : elle utilise le concours occasionnel de fantassins pour devenir un corps militaire. À la fin de l’Ancien Régime, l’armée royale compte ainsi 7 régiments d’artillerie, soit près de 1 000 officiers et 11 000 hommes. La Révolution complétera cette organisation par une artillerie « volante » ou à cheval agissant en liaison avec la cavalerie. De 1792 à 1815, le nombre de canons ne cesse d’augmenter. Lui-même ancien artilleur, Napoléon accorde un rôle croissant à l’artillerie : on compte 80 canons à Austerlitz, 100 à Wagram, 120 à la Moskova. • Une modernisation progressive. Par la suite, les innovations importantes adviennent sous le Second Empire : essais de nouveaux matériels, canons-obusiers, pièces rayées, canons se chargeant par la culasse. Toutefois, en 1870, l’artillerie française reste composée, pour l’essentiel, de pièces se chargeant par la bouche. Cependant, elle demeure nettement inférieure, en nombre et en qualité, à celle d’outre-Rhin dotée de canons en acier se chargeant par la culasse, d’une portée et d’une précision plus grandes. Après 1871, un gros effort de rénovation est entrepris. Inspirés des réalisations allemandes, les canons Lahitolle de 80 et de 95 mm et les pièces de Bange de 90, 120 et 155 mm, d’une portée de 7 à 9 kilomètres, apparaissent. Les explosifs sont également améliorés. Le plus grand succès français concerne alors la mise au point du canon de 75, adopté en 1897, pourvu d’un frein hydraulique et tirant un obus à forte capacité explosive. Toutefois, au début de la Première Guerre mondiale, l’artillerie lourde française est nettement surclassée ; elle ne rattrapera son retard qu’en 1917-1918, avec des canons de 105 et 155. Dans les deux camps, le conflit est marqué par des préparations d’artillerie de plus en plus intenses, pour neutraliser les positions fortifiées de l’adversaire. Lors de la signature de l’armistice, la France dispose de plus de 13 500 canons et d’un effectif supérieur à 450 000 hommes ; plus de 300 000 obus sont produits quotidiennement, au lieu de 15 000 en 1914. Dans l’entre-deux-guerres, l’artillerie de campagne et l’artillerie lourde ne sont pas modernisées. Les innovations portent sur le développement de pièces antichars de 25 ou
de 47, mais la défense antiaérienne (DCA) légère est négligée, et la motorisation reste encore très limitée. Ce manque de mobilité constitue la raison essentielle du rôle décevant de l’artillerie pendant la campagne de 1940. Avec le réarmement des troupes françaises d’Afrique en 1943, l’artillerie est dotée de canons américains de 105 ou de 155. Ils seront largement utilisés dans d’autres conflits, notamment en Indochine, avant d’être remplacés par des matériels français de 155, automoteurs ou tractés. Dans le même temps, les techniques de tir s’améliorent considérablement, grâce à l’adoption de radars ou de télémètres à laser. Le matériel de DCA est complètement rénové : pièces légères et missiles sol-air sont introduits. Dans le cadre de la force de dissuasion, l’artillerie française, jusqu’en 1996, est encore équipée de pièces tirant les missiles nucléaires tactiques « préstratégiques » de type Pluton, puis Hadès. Associant canons et missiles, utilisant des projectiles extrêmement variés, elle constitue toujours l’un des outils majeurs de l’armée. Artois, ancienne province du nord de la France correspondant à la majeure partie du département du Pas-de-Calais. Entre la Picardie au sud et la Flandre au nord, l’Artois abrite à l’époque gauloise le peuple des Atrébates, qui forme ensuite la cité galloromaine d’Arras, siège d’un évêché dans la Gaule chrétienne. Au centre du domaine historique des rois francs, la région fait partie du royaume mérovingien de Neustrie entre le VIe et le VIIIe siècle, puis devient un comté sous le règne de Charlemagne. Lorsque, aux IXe et Xe siècles, l’Empire carolingien se désagrège et que se constituent des principautés territoriales, l’Artois entre dans le grand ensemble flamand. • La dot d’Isabelle. L’Artois émerge de cet ensemble à la fin du XIIe siècle. En effet, le comte de Flandre Philippe d’Alsace, se posant comme le protecteur du jeune roi de France Philippe Auguste, fait épouser à ce dernier, en 1180, sa nièce Isabelle de Hainaut, à laquelle il promet en dot l’Artois, qu’il sépare du reste de la Flandre et lui en promet l’héritage. Lorsque Philippe d’Alsace disparaît, en 1191, Isabelle de Hainaut est morte, mais a donné le jour à un fils, le futur roi Louis VIII. Philippe Auguste entre donc en possession de l’Artois au nom de son fils. A son avènement, en 1223, Louis VIII intègre l’Artois dans le
domaine royal, et surtout sa capitale Arras, riche cité drapière et centre bancaire, mais aussi foyer de culture (abbaye Saint-Vaast). Donné en apanage par Louis IX à son plus jeune frère, Robert, en 1237, l’Artois devient une principauté territoriale héréditaire, dont le destin est lié à des successions délicates, car il revient souvent à des héritières. • L’enjeu de nombreux conflits. La première succession d’Artois, sous le règne de Philippe le Bel, est marquée par les retentissants procès de Robert d’Artois à sa tante Mahaut en 1309 et 1318. Aux XIVe et XVe siècles, l’Artois passe ainsi de la Bourgogne à la Flandre, puis retourne à la Bourgogne, à partir de 1384. Le destin de la région suit, pendant cent cinquante ans, celui des états bourguignons, profitant de leur prospérité culturelle et économique. Au XVe siècle, les tapisseries d’Arras sont les rivales de celles de Bruxelles. À la mort de Charles le Téméraire, en 1477, Louis XI se saisit d’une partie des états bourguignons, dont l’Artois. Mais leur légitime héritière épouse l’archiduc d’Autriche Maximilien de Habsbourg, et, pendant plus de dix ans, le roi de France Charles VIII et Maximilien se disputent l’héritage bourguignon. Le sort de l’Artois est fixé au traité de Senlis, en 1493, qui assure la possession de certaines villes artésiennes (Hesdin, Aire-sur-la-Lys, Saint-Omer) au roi de France, et la majeure partie de l’Artois à l’archiduc d’Autriche. L’Artois reste ainsi sous la domination des Habsbourg jusqu’à la paix des Pyrénées de 1659, conclue entre Louis XIV et le roi d’Espagne Philippe IV. Après cette date, il est complètement intégré au royaume de France, au point que le roi Louis XV peut donner à son petit-fils, futur Charles X, le titre de comte d’Artois, en 1757. À la Révolution, la région forme downloadModeText.vue.download 63 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 52 la majeure partie du département du Pas-deCalais, dont le chef-lieu est Arras. L’histoire de l’Artois illustre le sort d’une région de plaine frontalière, voie de passage et terre d’invasions : enjeu de toutes les successions, facilement démembré et redistribué comme une carte dans le jeu politique, l’Artois a gardé peu de traces de son riche passé culturel, détruit au cours des deux conflits mondiaux. Les beffrois des grandes villes permettent cependant d’imaginer la richesse des
communes médiévales. Artois (succession d’), épisode opposant, au début du XIVe siècle, la comtesse Mahaut à son neveu Robert pour la succession du comté d’Artois. À la mort de Robert II, comte d’Artois, en 1302, s’ouvre une succession délicate. En effet, le fils aîné de Robert II, Philippe, est mort en 1298, avant son père. Les héritiers de Robert II sont donc sa fille Mahaut et son petit-fils Robert, fils du défunt Philippe. La coutume d’Artois n’admettant pas qu’un fils puisse représenter les droits successoraux de son père mort, et aucune clause ne réservant l’héritage de l’Artois aux mâles, le comté revient donc à Mahaut. Celle-ci bénéficie d’un soutien important à la cour de France, puisqu’elle a épousé en 1285 Othon, comte de Bourgogne (de la future Franche-Comté), et marié ses deux filles avec deux fils de Philippe le Bel, les futurs Philippe V et Charles IV. Le jeune Robert, débouté une première fois en 1309, prend en 1315 la tête d’un mouvement féodal hostile à Mahaut, et revient à la charge auprès du roi Philippe V en 1318. Une nouvelle fois, la Cour des pairs donne raison à Mahaut. La situation tourne au profit de Robert d’Artois en 1328, lorsque la dynastie des Valois, en la personne du roi Philippe VI, accède au trône de France. Robert d’Artois a en effet épousé la propre soeur de Philippe de Valois et soutenu l’accession au trône de ce dernier. S’appuyant sur l’exemple du comte de Flandre, qui a laissé son comté à l’aîné de ses petits-enfants, Robert d’Artois demande à bénéficier de cette pratique, et produit témoins et documents prouvant que la volonté de son grand-père, Robert II, était bien de lui laisser le comté d’Artois. Avant que l’affaire ne vienne devant le parlement, Mahaut meurt, en novembre 1329 ; peu après meurt sa fille et héritière, Jeanne de Bourgogne, qui laisse du roi Philippe V une fille, Jeanne de France, épouse du duc Eudes IV de Bourgogne, très puissant au Conseil. Le 14 décembre 1330, en audience, les conseillers du parlement démontrent que les documents produits par Robert d’Artois sont des faux. Pour la troisième fois, Robert d’Artois est débouté. L’usage de faux documents, crime de lèse-majesté, est jugé dans un procès criminel : la faussaire, Jeanne de Divion, est brûlée en 1331, et Robert d’Artois, qui avait fui la cour, est banni en 1332. Il finit par trouver refuge auprès du roi d’Angleterre Édouard III. Ce dernier prête une oreille bienveillante aux plaintes de ce baron
français hostile à Philippe VI, qui, en prélude à la guerre de Cent Ans, attise les ambitions du roi d’Angleterre. arts libéraux, dans les écoles et les universités, jusqu’à la fin du Moyen Âge, programme d’enseignement hérité de l’Antiquité et composé de sept disciplines : la grammaire, la rhétorique, la dialectique, l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie, la musique. Cette classification des différents savoirs nécessaires à la formation de l’esprit est déjà présente dans l’oeuvre de l’écrivain latin Varron (IIe et Ier siècles avant J.-C.). Pendant plusieurs siècles, les arts libéraux, en particulier la grammaire et la rhétorique, constituent les principales disciplines enseignées dans les écoles gallo-romaines (écoles « secondaires » des grammairiens ; écoles « supérieures » des rhéteurs). Au début du Moyen Âge, les sept arts libéraux, qu’on divise en deux cycles - le trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) et le quadrivium (arithmétique, géométrie, astronomie, musique) -, sont toujours abondamment décrits et commentés : au Ve siècle, par Martianus Capella (dans les Noces de Philologie et de Mercure), au VIe siècle, par Cassiodore (dans les Institutions). Pourtant, à cette époque, la lecture et la compréhension de la Bible remplacent peu à peu la culture antique dans les écoles monastiques, cathédrales ou presbytérales, du royaume franc. À partir de la renaissance carolingienne, notamment, sous l’influence d’Alcuin (VIIIe siècle), les arts libéraux redeviennent la base de l’enseignement scolaire, dont la théologie est le couronnement, comme l’attestent les grands traités encyclopédiques du XIIe siècle, par exemple le Didascalicon d’Hugues de Saint-Victor. Selon les écoles et les maîtres, l’accent est mis sur telle ou telle discipline. Un peu partout, la grammaire, notamment celle des auteurs latins Donat (vers 350) et Priscien (vers 500), reste le fondement des études. Mais, tandis que les écoles d’Orléans se spécialisent au XIIe siècle dans la rhétorique et l’art épistolaire, des maîtres de l’école de Chartres font une large place à la géométrie et aux sciences naturelles. Les écoles parisiennes, quant à elles, sont réputées pour l’enseignement de la dialectique à partir de la Logique et des autres oeuvres d’Aristote, diffusées en France dès les années 1140-1150. La plupart des universités médiévales – créées en France à partir du XIIIe siècle – ont une faculté des arts. Mais, en réalité, seule celle de Paris offre un enseignement qui dépasse largement l’étude de la grammaire : son art d’excellence, la dia-
lectique, attire des étudiants venus de partout, au moins jusqu’à la fin du XIIIe siècle, tandis que le quadrivium n’est déjà plus étudié. Arvernes, peuple gaulois qui occupait à peu près l’Auvergne actuelle, à laquelle il a laissé son nom. Les Arvernes sont signalés par les historiens grecs et latins dès la fin du IIIe siècle avant J.-C., lorsqu’ils aident les troupes du Carthaginois Hasdrubal Barca à traverser le Languedoc pour prendre les Romains à revers. Ces historiens décrivent aussi les fastes du roi arverne Luerr, offrant à son peuple des fêtes de plusieurs jours durant lesquels le vin coule à flots, ou jetant du haut de son char des poignées de pièces d’or. De fait, les Arvernes semblent avoir très anciennement adopté l’usage de monnaies, dont les premiers exemplaires sont copiés sur des statères d’or de Philippe de Macédoine, sans doute parvenus jusque-là à la faveur d’équipées guerrières. Lors de la conquête de la Provence et du Languedoc, qui deviendront la province romaine de Narbonnaise en 121 avant J.-C., les Romains doivent d’abord affronter les Arvernes et leur roi, Bituit, fils de Luerr. Vaincu, celui-ci est emmené prisonnier à Rome. Ainsi s’achève l’hégémonie arverne sur le midi de la France. Mais, à partir de 58 avant J.-C., lorsque César soumet la Gaule, les Arvernes restent les derniers à résister (jusqu’en - 53). Ce n’est donc pas un hasard si c’est un jeune aristocrate arverne, Vercingétorix, qui prend la tête d’une coalition comprenant une bonne partie des peuples gaulois déjà soumis. Après de premiers revers, marqués par les prises de Cenabum (Orléans) et d’Avaricum (Bourges), Vercingétorix parvient cependant à défaire César devant Gergovie, la capitale arverne, entraînant avec lui le reste des peuples gaulois - et notamment les Éduens, alliés de Rome et traditionnels rivaux des Arvernes. Mais Vercingétorix est à son tour assiégé dans Alésia, contraint à la reddition, puis exécuté. Après cette victoire définitive, César aura néanmoins l’habileté de dispenser les Arvernes de payer tribut, préparant le ralliement à Rome de leurs responsables, dont le notable proromain Epasnactos fournit l’exemple type. L’archéologie a révélé en pays arverne un peuplement dense, mais éparpillé en une poussière de hameaux aux IIIe et IIe siècles avant J.-C. C’est seulement au début du Ier siècle avant J.-C. qu’apparaissent les pre-
mières organisations urbaines, comme, dans la plaine de Clermont-Ferrand, les oppidums successifs de Corent, Gondole et enfin Gergovie, la capitale, remplacée à l’époque romaine par Augustonemetum - l’actuelle ClermontFerrand. asile (droit d’), dans l’Antiquité et au Moyen Âge, droit pour celui qui est poursuivi, que ce soit par des ennemis personnels ou par la force publique, de se réfugier dans un lieu sacré. La tradition en est très ancienne, puisqu’on se réfugiait déjà dans les temples des dieux romains, mais cette coutume ne fut reconnue par une constitution impériale qu’en 419. Le développement du droit d’asile dans les églises chrétiennes est lié à celui du culte des saints et au mouvement de la Paix de Dieu, qui lui donne son plus grand essor : tous les conciles du XIe siècle renouvellent le canon qui protège la personne ayant trouvé refuge dans une église contre toute forme de violence. Le deuxième concile du Latran (1139) étend ce privilège à tous les lieux sacrés et à leurs dépendances. Cette idée de l’inviolabilité de certains lieux est à l’origine des villages du Sud-Ouest dénommés « sauveté » et créés par des seigneurs ecclésiastiques. Le droit d’asile n’a cependant pas pour effet de soustraire le criminel à la justice : celui qui est reconnu coupable ne peut espérer qu’un adoucissement de la peine prévue, après l’intervention de l’Église auprès du juge. En outre, à partir du XIIIe siècle, le pape dresse une liste des downloadModeText.vue.download 64 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 53 exceptions, c’est-à-dire des types de crimes et délits pour lesquels on ne peut bénéficier en aucun cas du droit d’asile, liste qui ne cessera de s’allonger. Quand l’édit de Villers-Cotterêts (1539) abolit l’asile en matière civile et criminelle, il ne fait qu’entériner la disparition de ce droit dans la pratique. assemblée des notables, conseil extraordinaire réuni par le roi à dix reprises entre 1506 et 1788. Convoquée par le souverain, lorsque celuici veut s’informer et prendre conseil tout en cherchant l’adhésion de ses sujets, l’assemblée des notables est composée de membres éminents des trois ordres, dans des proportions
et suivant des règles chaque fois différentes. Moins nombreux qu’aux états généraux et plus dociles, car nommés par le roi, ses membres ont un rôle consultatif et débattent le plus souvent d’économie et de finance. Les six assemblées convoquées durant le XVIe siècle accompagnent ou préparent les états généraux, et remplissent leur fonction, notamment lors des guerres de Religion. Cependant, l’assemblée de 1596, réunie à Rouen par Henri IV, ne cache pas sa volonté de contrôler les impôts et les dépenses royales, prétention due au fait - unique - que ses membres ont été élus par les trois ordres. Convoquée en 1617 à Rouen, pour débattre de la vénalité des offices, puis en 1626 à Paris, pour approuver la politique de Richelieu, l’assemblée n’est plus réunie au-delà du règne de Louis XIII, alors que s’affirme la monarchie absolue. Elle est de nouveau convoquée lors de la crise prérévolutionnaire. En 1787, plutôt qu’à de turbulents états généraux ou aux parlements, c’est à une assemblée des notables que Calonne, ministre des finances, choisit de soumettre son plan de réformes pour résoudre la crise financière. Réunie à Versailles, du 22 février au 25 mai, l’assemblée, composée presque uniquement de privilégiés, repousse le projet de subvention territoriale, impôt unique pesant sur la terre et signifiant la fin de l’exemption fiscale de la noblesse et du clergé. Elle obtient le renvoi de Calonne, remplacé par Loménie de Brienne, prétend contrôler la monarchie et soutient le principe d’états généraux seuls habilités à consentir l’impôt. Bien que défendant la société d’ordres, l’assemblée mobilise l’opinion contre la monarchie et participe involontairement au déclenchement de la Révolution. Après sa dissolution, les parlements prennent le relais de la révolte aristocratique et antiabsolutiste dans une longue campagne pour la réunion des états généraux, que Louis XVI accepte en août 1788. Une nouvelle assemblée, réunie à Versailles du 6 novembre au 12 décembre 1788, rejette le doublement du nombre de députés du tiers état aux états généraux et le vote par tête - et non par ordre - voulus par Necker pour obtenir l’approbation des réformes. C’est cependant avec une représentation du tiers état deux fois plus importante que les états généraux se réunissent en mai 1789 avant de se déclarer Assemblée nationale. assemblée du clergé, réunion périodique des représentants de l’Église de France entre la seconde moitié du XVIe siècle et 1788.
À la veille des guerres de Religion, le clergé, menacé par la monarchie endettée d’une saisie de ses biens, et afin de l’éviter, accepte de contribuer régulièrement aux finances royales. Prévu pour une période limitée par le contrat de Poissy (1561), le subside est renouvelé par l’assemblée de Melun (1579-1580) et devient permanent. Dans un premier temps, le clergé fournit des fonds pour payer des rentes vendues au profit de la monarchie. Mais, bientôt, l’essentiel de sa contribution consiste en un « don gratuit » voté par l’assemblée. Celle-ci se réunit ordinairement tous les cinq ans, plus souvent parfois, quand les besoins financiers du royaume se font urgents. S’y retrouvent des délégués élus dans chaque province ecclésiastique. Dans l’intervalle des sessions, deux agents généraux du clergé représentent l’ordre. Outre le vote, précédé parfois d’âpres négociations, les assemblées prennent l’habitude de débattre des sujets les plus divers touchant les questions religieuses : au XVIIe siècle, elles demandent régulièrement la révocation de l’édit de Nantes ; au XVIIIe siècle, elles s’élèvent contre les parlementaires jansénistes ou les ouvrages irréligieux. Seul ordre à disposer d’une tribune lui permettant de dialoguer avec la monarchie, le clergé oscille, au gré des époques, entre docilité et résistance farouche aux exigences, fiscales ou autres, des souverains. La dernière session se tient en 1788. Assemblée du 10 juillet 1940, réunion des deux Chambres pour le vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Faire table rase de la IIIe République, tenue pour responsable de la défaite, constitue sans nul doute le premier objectif du maréchal Pétain et de ses proches au cours de l’été 1940. Après avoir projeté de mettre le Parlement en vacances pour une durée indéterminée, l’entourage de Philippe Pétain, gagné aux idées de Laval et de Raphaël Alibert, souhaite obtenir du Parlement qu’il se saborde, puis élabore une nouvelle Constitution. Le 9 juillet 1940, les deux Chambres, réunies séparément à Vichy, où s’est réfugié le gouvernement, votent à une écrasante majorité l’article unique d’un projet de loi annonçant qu’« il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles ». Les menaces de mort proférées contre certains parlementaires, notamment Pierre Cot et Henri de Kérillis, l’absence des
dirigeants traditionnels - Jean Zay, Édouard Daladier, Georges Mandel ou Pierre Mendès France sont partis sur le Massilia vers Casablanca, où ils sont assignés à résidence -, en d’autres termes, un climat général de peur, d’aveuglement et d’ambitions personnelles explique le vote des pleins pouvoirs constituants en faveur du maréchal Pétain le 10 juillet. L’adhésion des parlementaires présents est massive : aux 569 voix favorables au nouveau régime (dont la plupart des socialistes et des radicaux) ne s’opposent que 80 voix (en majorité de la SFIO et du Parti radical), et l’on dénombre 20 abstentions. À partir de ce moment, comme le précise le rapporteur du projet, « le gouvernement du maréchal Pétain reçoit les pleins pouvoirs exécutif et législatif [...] sans restriction, de la façon la plus étendue ». Seule limite, à la date du 10 juillet, interdiction est faite à Philippe Pétain de déclarer la guerre sans l’assentiment des Chambres. Par la suite, la légalité du vote du 10 juillet 1940 sera contestée, notamment par les gaullistes. Le non-respect de la procédure ou l’amendement d’août 1884 interdisant de remettre en cause la forme républicaine du régime sont les principaux arguments avancés. On ne saurait, pour autant, sous-estimer le mélange de résignation et de consentement des parlementaires présents à Vichy, qui furent, ce jour-là, plus conscients de brader la République que victimes d’un traquenard. Et même si l’armistice signé à Rethondes le 22 juin a constitué, somme toute, une rupture plus importante, le vote du 10 juillet 1940 n’en a pas moins facilité l’installation du régime pétainiste en lui donnant l’apparence de la légalité. assignats, billets gagés sur les biens nationaux, et devenus papiers-monnaies, émis de 1789 à 1796. En novembre 1789, la Constituante décide de nationaliser et de vendre les biens du clergé pour rembourser l’énorme dette de l’État et combler le déficit des finances publiques. L’opération s’annonce d’autant plus fiable que la valeur de ces biens (3 milliards de livres) est, en réalité, quatre fois supérieure à leur estimation. Les 19 et 21 décembre 1789, l’Assemblée crée la Caisse de l’extraordinaire, chargée de recueillir le produit de la vente et dans laquelle sont assignés des bons portant intérêt à 5 %, émis à concurrence de la valeur des biens. Les assignats, qui ne circulent pas
encore, sont vendus, moyennant paiement en espèces (pièces métalliques), aux particuliers qui veulent acheter des biens nationaux. Ils doivent, en principe, être détruits à mesure qu’ils reviendront à la Caisse. Malgré une hostilité au papier - très vive depuis l’échec du système de Law -, la Constituante, persuadée que l’augmentation de la monnaie en circulation favorisera les échanges, décide de faire de l’assignat un papier-monnaie. • Un système inflationniste. En septembre 1790, l’intérêt du billet, qui sert déjà au paiement des rentes et aux dépenses courantes de l’État, est supprimé ; son cours forcé, institué ; et le plafond de son émission, porté à 1,2 milliard de livres. Mais l’assignat ne cesse de se déprécier à partir de 1791, provoquant une inflation qui s’accompagne de graves conséquences sociales. La vente des biens nationaux est lente, de même que les effets de la réforme fiscale : l’impôt ne rentre pas, et le déficit se creuse dès 1790 et plus encore 1791. De plus, la circulation monétaire globale s’amenuise - nombre de particuliers thésaurisent la monnaie métallique -, tandis que celle du papier explose. À la fin de 1792, la Législative redresse quelque peu la situation en interdisant les billets émis par des caisses privées et publiques. Mais le manque de confiance est général : downloadModeText.vue.download 65 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 54 depuis le rentier, qui voit ses titres dépréciés, jusqu’au paysan, qui, refusant d’être payé en papier, ne vend pas sa production et accentue, de ce fait, la pénurie des denrées alimentaires. Enfin, rien n’empêche l’État de recourir à des émissions massives. Or la guerre, qui s’intensifie en 1793, requiert d’énormes achats de matériels, payables en numéraire. Tandis que les capitaux sont placés à l’étranger, l’assignat devient la seule monnaie en circulation. La masse de papier-monnaie, qui est de 3,7 milliards de livres en août 1793, passe à 5,5 milliards en juillet 1794, bien au-delà de la valeur des biens nationaux. L’hyperinflation est évitée de justesse grâce à des mesures dirigistes en 1792 et à la « terreur » financière en 1793 : interdictions de la vente du numéraire et du double affichage des prix, fermeture de la Bourse, contrôle des prix avec la loi du maximum... Mais les thermido-
riens abandonnent les contrôles économiques durant l’hiver 1794-1795 et multiplient les émissions de billets. En février 1796, la masse de papier en circulation atteint les 34 milliards, et le billet de 100 livres ne vaut plus que 30 centimes en numéraire. Le 30 pluviôse an IV (19 février 1796), l’assignat est supprimé, et la planche à billets, brisée. Cependant, pour éviter une brusque déflation, le Directoire crée les mandats territoriaux, des billets échangeables contre les assignats à raison d’un pour trente, un cours trop favorable à ces derniers. En quatre mois, les mandats, dont le cours forcé est abrogé le 15 germinal (4 avril), perdent toute valeur. Le 5 thermidor (23 juillet), la monnaie métallique est autorisée pour les transactions, et les mandats sont retirés de la circulation entre août et décembre 1796. Durant un an, le pays connaît une formidable déflation. Et si les assignats et les mandats ont alimenté la crise économique et provoqué une situation sociale dramatique, l’État, pour sa part, a su tirer parti de la dépréciation monétaire pour réduire considérablement son endettement : un assainissement parachevé par la « banqueroute des deux tiers » en 1797. Cependant, les Français feront preuve d’une méfiance tenace à l’égard du papier-monnaie. Elle marquera tout le XIXe siècle. associations (loi sur les), loi du 1er juillet 1901, votée au lendemain de l’affaire Dreyfus, qui consacre le principe de la liberté d’association, sans autorisation administrative préalable, mais qui impose des restrictions pour les congrégations religieuses. Ces dernières avaient animé le camp antidreyfusard par leur presse, très influente ; ainsi, le journal des assomptionnistes la Croix manifesta un antisémitisme virulent. Or Waldeck-Rousseau préside depuis 1899 un gouvernement de défense républicaine décidé à sauver la République du danger nationaliste et clérical (« les moines d’affaires et les moines ligueurs »). Il fait donc adopter une loi qui oblige les congrégations à solliciter un agrément législatif, à tenir un état de leurs dépenses et recettes, et à inventorier leurs biens : 60 congrégations masculines et 400 féminines entament ces démarches. WaldeckRousseau envisage une application du texte. Mais, après les élections de 1902, le Bloc des gauches, mené par Émile Combes, transforme cette loi de contrôle en loi d’exclusion : tous les agréments demandés sont refusés, et les
écoles des congrégations non autorisées sont fermées (1904), premier pas vers la séparation de l’Église et de l’État, entérinée en 1905. Acte de circonstance concernant les congrégations, la loi de 1901 est pérenne pour les associations : elle repose sur les principes de 1789, liberté et égalité. Une déclaration ne s’impose que si l’association veut être dotée de la capacité juridique. La simple association déclarée est dotée d’une personnalité morale limitée ; elle ne peut donc posséder que les locaux nécessaires à son action. Celle reconnue d’utilité publique par le Conseil d’État jouit de toute capacité morale et civile. L’association déclarée permet d’organiser les partis politiques, et donne naissance au secteur associatif : associations humanitaires, sanitaires et sociales, sportives, d’éducation populaire ou de quartier, qui entendent améliorer la vie quotidienne par la rencontre entre l’initiative individuelle et l’action collective. En 2002, quelque 60 000 nouvelles associations sont fondées et plus d’un million sont en activité ; 50 % des Français y participent. assurances sociales (loi sur les), loi d’avril 1930, complétant des textes de 1924 et 1928, qui institue un régime d’assurances maladie, invalidité et vieillesse. Ces mesures comblent le retard considérable pris par la France sur l’Allemagne depuis 1880, et même sur la Grande-Bretagne depuis 1911. Préparé par Louis Loucheur, puis par Laval, le texte finalement adopté est le résultat de dix années de débats, indépendamment des alternances gauche-droite. La question des assurances sociales devient d’une actualité pressante dès 1920, avec la restitution à la France de l’Alsace, qui continue à bénéficier de la protection sociale bismarckienne. Celle-ci fournit, dès lors, le modèle à suivre. Cependant, les opposants sont nombreux : représentants du corps médical, de la partie du patronat la plus fragile économiquement, des propriétaires fonciers qui jugent les charges prévues insupportables. Quant à l’extrême gauche et à la CGT-U, elles dénoncent le réformisme de la loi, que soutiennent, en revanche, le centre gauche, les socialistes et la CGT, les chrétiens sociaux et la CFTC. Un premier texte de 1928 doit être modifié pour sauvegarder la médecine libérale. Selon les dispositions adoptées, les assurances maladie et retraite obligatoires protègent les salariés dont le revenu est inférieur à un plafond donné. Les caisses remboursent
à un taux inférieur aux honoraires des médecins, la différence restant à la charge du malade. La gestion de ces caisses constitue un enjeu très disputé entre le patronat, les syndicats, mais aussi l’Église et, surtout, la mutualité. Réforme sociale majeure, la loi d’avril 1930 est l’oeuvre de forces politiques centristes beaucoup moins passives qu’on ne se plaît à le dire. Astérix, héros de bande dessinée, créé par Goscinny et Uderzo. Lorsqu’il naît avec Pilote, en octobre 1959, le petit Gaulois n’est que le frère en aventures d’Oumpah-Pah, l’Indien de la revue Tintin. Mais, après des débuts d’estime (7 000 exemplaires pour le premier album), Astérix trouve sa place (33 albums traduits dans 57 langues et vendus à près de 300 millions d’exemplaires) dans la mythologie française, à laquelle il renvoie doublement : de manière quasi intemporelle, en captant les réflexes popularisés par le Café du Commerce ou Clochemerle ; et de manière immédiate, en transposant les rêves de grandeur de la France gaullienne (et l’on verra, ainsi, Astérix flanqué d’Obélix aller porter la bonne parole de plus en plus souvent hors des frontières de l’Hexagone). Chauvine et critique, cette bande dessinée pleine de clins d’oeil graphiques et textuels offre un parfait reflet du « Gaulois moderne » : aussi a-t-elle connu un grand succès également au cinéma - huit dessins animés de long métrage sont réalisés de 1967 à 2006 - et hors de l’Hexagone ainsi que deux films (Astérix et Obélix contre César, 1999 ; Astérix et Obélix : mission Cléopâtre, 2001). Le dernier album (Le ciel lui tombe sur la tête), paru en 2005, a été vendu à près de huit millions d’exemplaires en Europe, dont près de 3,2 millions en France. Un parc d’attractions consacré au petit monde d’Astérix a été ouvert en avril 1989 à Plailly, dans l’Oise. Astier de La Vigerie (Emmanuel d’), journaliste, résistant et homme politique (Paris 1900 - id. 1969). Jusqu’en 1939, cet homme issu d’une vieille famille aristocratique est d’abord un dandy et un dilettante : officier de marine sans vocation, il se tourne par la suite vers le journalisme. Il collabore ainsi à Vu ou encore à Marianne. La défaite de 1940 marque une étape déterminante de sa vie : d’emblée opposé au régime de Vichy, il bascule de la réaction vers la gauche. Après avoir fondé le mouvement de résistance
La Dernière Colonne, il met en place LibérationSud, avec Jean Cavaillès et les époux Aubrac. Il participe, sous la houlette de Jean Moulin, à la création des Mouvements unis de Résistance, qui rassemblent Combat, le Franc-Tireur et Libération. À Alger, à l’automne 1943, il est nommé commissaire à l’intérieur du Comité français de libération nationale (CFLN) par le général de Gaulle. Comme beaucoup de résistants, il est évincé du gouvernement peu de temps après la Libération. Commence alors la dernière étape de sa vie publique : compagnon de route du Parti communiste, il est député jusqu’en 1958, et surtout directeur du quotidien Libération. Lâché par le Parti communiste, le quotidien disparaît en 1964. Emmanuel d’Astier de La Vigerie, qui s’est rapproché du gaullisme, anime jusqu’à sa mort une courte émission mensuelle à la télévision. Son destin illustre la diversité sociopolitique des chefs de la Résistance, la liberté de leurs engagements, et leur difficulté à s’intégrer pleinement dans le jeu politique après la guerre. Atelier (l’), journal ouvrier fondé en 1840 par des disciples de Philippe Buchez, ancien saint-simonien. downloadModeText.vue.download 66 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 55 L’Atelier fait partie d’une presse ouvrière qui se développe en France entre la révolution de 1830 et celle de 1848. Il se réclame en partie du saintsimonisme ; démocrate, il dénonce le régime et réclame le suffrage universel ; enfin, parce que l’unité sociale ne peut reposer que sur un lien spirituel, il est catholique. Mais il se fait surtout l’apôtre de l’idée d’association ouvrière : les ouvriers doivent s’unir pour produire, et recevoir ainsi le fruit intégral de leur travail. Jusqu’en février 1848, l’Atelier est considéré comme le plus influent des journaux ouvriers, bien qu’il n’ait jamais tiré à plus de 1 500 exemplaires. Les locaux du journal tiennent lieu de club pour les ouvriers parisiens, et nombre d’« ateliéristes », qui appartiennent pour la plupart à l’élite ouvrière, jouent un rôle important sous la IIe République. En 1849, le titre se met à décliner, concurrencé par d’autres feuilles. L’élection de Louis Napoléon Bonaparte et la loi sur la presse de juillet 1850, qui impose un cautionnement trop élevé pour les publications
modestes, signent sa perte. Avec d’autres journaux, telle la Ruche populaire, l’Atelier symbolise une période où la parole fut valorisée comme une arme pour rassembler la classe ouvrière et lutter contre les bourgeois. Ces « ouviers-écrivains » voulaient affirmer l’identité propre du monde du travail par une utilisation de ce qui était jusqu’alors le privilège des puissants : le discours. ateliers de charité, établissements d’assistance publique, apparus à l’époque moderne, qui reposent sur des travaux d’intérêt général confiés aux plus défavorisés. L’emploi de pauvres à des ouvrages de voirie remonte au moins au XVIe siècle, et c’est alors une peine qui réprime l’oisiveté. • Des ateliers de charité... De véritables ateliers de charité apparaissent sous le règne de Louis XIV, mais ils se multiplient surtout dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ils répondent au souci d’assister par le travail et de fournir un salaire plus qu’une aumône. Des établissements textiles sont organisés pour femmes, enfants, vieillards, tandis que des chantiers routiers sont ouverts pour les hommes. Cette politique devient systématique à partir d’une instruction du contrôleur général Joseph Marie Terray (11 octobre 1770). Turgot, qui, intendant du Limousin, en avait établi, les favorise durant son ministère, procurant ainsi des secours aux journaliers sans emploi. Les états provinciaux, lorsqu’ils subsistent, ainsi que les assemblées provinciales, créées en 1787, soutiennent aussi la formule. Au temps de la Révolution, des ateliers de secours ont fonctionné à Paris jusqu’en 1791. On dut en rouvrir en 1808. • ... aux ateliers nationaux. Mais c’est surtout à l’occasion de la révolution de 1848 qu’ils réapparaissent. Dans l’Organisation du travail (1839), Louis Blanc avait préconisé la création d’ateliers sociaux. Financés par l’intermédiaire de l’État, dirigés par des cadres élus, ils devaient distribuer des salaires égaux. Le reste des bénéfices aurait servi à soutenir les malades et à créer des emplois. Le Gouvernement provisoire de 1848, qui comprend Louis Blanc et l’ouvrier Albert, proclame le droit au travail dès le 25 février. Aussitôt après, il crée des ateliers nationaux, contrôlés par la commission du gouvernement qui siégeait au Luxembourg. Marie, en charge du portefeuille des Travaux publics, et Émile Thomas, directeur, les mettent en place. Dans
une organisation de type militaire affluent des sans-travail, dont le nombre dépasse 100 000 dès le mois de mai et qui sont surtout employés à des travaux de terrassement, lorsqu’on ne doit pas les mettre au chômage en leur payant seulement un demi-salaire. Les ateliers nationaux permettent à beaucoup de familles de survivre. Mais on les accuse d’être coûteux, de susciter une concurrence déloyale aux autres ouvriers, et les Ponts et Chaussées leur sont hostiles. Après les élections du 23 avril, l’Assemblée constituante accentue ces critiques, ajoutant que les ateliers nationaux sont un lieu d’agitation bonapartiste. C’était reprendre les conclusions du rapport de la commission d’enquête, dirigée par le légitimiste Falloux. Le nouveau directeur, Lalanne, établit le travail à la tâche, suspend les inscriptions, supprime le service médical. Puis le gouvernement annonce l’envoi de 5 000 ouvriers en Sologne, et invite ceux âgés de 18 à 25 ans à opter entre licenciement et engagement dans l’armée. Ces mesures contribuent à l’insurrection des 23-26 juin, que Cavaignac réprime dans le sang. Les ateliers nationaux, un symbole de la république généreuse de février, avaient vécu. ateliers nationaux ! ateliers de charité Atlantique (mur de l’), ensemble de fortifications édifiées par les Allemands de 1941 à 1944, du cap Nord au golfe de Gascogne. Constitué de blockhaus, de casemates d’artillerie, d’obstacles minés, de fossés antichars, le dispositif est censé protéger la côte contre un débarquement allié qui apparaît de plus en plus probable à partir de 1942. Après la nomination du maréchal Rommel à la tête des armées de la Manche et de la mer du Nord (1943), les opérations de renforcement de la « grande muraille de l’Ouest » sont considérables, en particulier sur la côte normande. Hitler redoute en effet que le débarquement n’y prenne appui : « En aucun cas nous ne pouvons tolérer que le débarquement allié dure plus de quelques jours, sinon quelques heures », dit-il à ses généraux au début de l’année 1944. Durant tout le printemps, la défense s’active. Mais le mur de l’Atlantique n’est pas le système de fortifications sans faille que décrivent Goebbels et les services de propagande nazis. Le 6 juin 1944, il ne fait illusion que quelques heures. Cependant, il se révèle suffisamment tenace pour que le général Bradley, à Omaha-Beach (entre Saint-Laurentsur-Mer et Vierville-sur-Mer), envisage le repli
des premières vagues d’assaut. La percée du mur de l’Atlantique est le résultat d’une planification hors pair et d’une chaîne de commandement remarquablement intégrée ; elle prouve également qu’aucun dispositif de défense linéaire ne peut, dans les guerres modernes, entraver durablement l’élan de l’ennemi. Aubigné (Théodore Agrippa d’), écrivain (Pons, Saintonge, 1552 - Genève 1630). La vie entière d’Agrippa d’Aubigné est scandée par ses luttes verbales et guerrières au service du parti calviniste. Élevé dans les principes de la Réforme, l’enfant est marqué, dès l’âge de 8 ans, par la vision des suppliciés d’Amboise : son père lui fait promettre, devant les cadavres des conjurés, de vouer toutes ses énergies à la défense de la cause protestante. Après la mort du père, Agrippa achève rapidement ses études et part au combat, où il fait montre d’une remarquable bravoure. Devenu compagnon d’Henri de Navarre, il échappe de justesse au massacre de la Saint-Barthélemy (1572). Quatre ans plus tard, il aide le roi de Navarre à quitter la cour de France, où Charles IX le retenait contre son gré. C’est en 1577, après avoir été grièvement blessé au combat de Casteljaloux, qu’il dicte les premiers vers des Tragiques, vaste poème épique qui l’occupera quarante années durant. Entreprise au plus fort des guerres de Religion, l’oeuvre ne sera éditée qu’en 1616 : elle portera pour seule mention d’auteur les lettres LBDD (« le Bouc du désert »), une allusion au surnom qu’a valu à d’Aubigné sa défense intransigeante de la foi réformée. Son imperturbable droiture lui attire d’ailleurs, au fil des années, quelques brouilles avec Henri de Navarre, dont il n’hésite pas à stigmatiser l’attitude sinueuse. Violemment opposé à l’abjuration du futur roi de France, il cherche à la contrecarrer par tous les moyens. Son échec l’amène, en 1593, à se retirer sur ses terres. Éloigné de la cour, il se consacre à l’enrichissement des Tragiques et rédige une Histoire universelle consacrée au parti protestant en France. Compromis en 1620 dans le soulèvement des « grands » contre le duc de Luynes, favori de Louis XIII, il s’enfuit à Genève, où il termine ses jours. Au regard de l’histoire littéraire, Agrippa d’Aubigné est surtout le poète des Tragiques, une immense fresque d’inspiration biblique où les luttes religieuses de l’époque s’inscrivent dans l’éternelle opposition entre élus et
réprouvés. Mais le poète est également historien, pamphlétaire, soldat, négociateur politique et religieux : couvrant tous les champs d’action et tous les domaines d’expression de son temps, passant de l’horreur des combats à la méditation silencieuse des textes sacrés, Agrippa d’Aubigné aura placé sa longue existence sous le seul signe de l’allégeance fougueuse à la cause réformée. Augereau (Charles Pierre François), maréchal d’Empire (Paris 1757 - La Houssaye, Seine-et-Marne, 1816). La Révolution fait la fortune de ce soldat d’origine modeste, engagé à 17 ans, avant de devenir mercenaire au service de la Prusse, de l’Autriche et du royaume de Naples. Enrôlé en 1790 dans la Garde nationale, puis dans l’armée, il accède au grade de général de division en 1793. En 1795, il rejoint l’armée d’Italie, s’illustre notamment à Castiglione et à Arcole, au côté de Bonaparte, dont il devient l’auxiliaire privilégié. Celui-ci le dépêche à Paris en 1797 avec pour mission d’aider le Directoire à se défaire des royalistes, une tâche dont il downloadModeText.vue.download 67 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 56 s’acquitte en étant le bras armé du coup d’État du 18 fructidor an V. Il n’obtient pourtant en récompense que différents postes militaires avant d’être élu, en avril 1799, député au Conseil des Cinq-Cents, où il siège dans les rangs de la gauche républicaine. Opposant au coup d’État du 18 brumaire, il se rallie par la suite à Napoléon Ier, qui le fait maréchal d’Empire en 1804, et duc de Castiglione en 1808. Lors de la campagne de France de 1814, il est chargé d’arrêter la progression des armées coalisées dans le Sud-Est. Mais il abandonne Lyon aux Autrichiens et se rallie à Louis XVIII, lançant, le 16 avril, une proclamation hostile à l’Empereur. Malgré ses efforts pour rentrer en grâce lors des Cent-Jours, cette défection - dont on ignore si elle se fit en intelligence avec l’Autriche - lui vaut d’être rayé de la liste des maréchaux en avril 1815. Il est mis en disponibilité en décembre suivant, pendant la seconde Restauration. Augsbourg (guerre de la Ligue d’), conflit qui oppose la France à la majeure partie de l’Europe de 1688 à 1697. La politique des réunions (annexions en temps
de paix) inquiétait les États allemands. Par la ligue d’Augsbourg (juillet 1686), l’empereur Léopold Ier, la Bavière, le Palatinat, la Suède, l’Espagne et la Savoie passent une alliance défensive contre les visées françaises. Pourtant allié traditionnel de la France, le Brandebourg, puissance protestante choquée par la révocation de l’édit de Nantes, les rejoint, de même que les Provinces-Unies. Louis XIV continue sa « défense agressive » en prenant des gages sur le Rhin. Il revendique pour sa belle-soeur, princesse Palatine, une part à la succession du Palatinat. Il pousse un protégé, l’évêque de Strasbourg, à se porter candidat à l’évêché de Cologne. Le problème allemand se double d’un conflit avec le pape au sujet du statut de l’ambassade à Rome : les troupes françaises occupent Avignon en octobre 1688. Enfin, Louis XIV soutient Jacques II d’Angleterre, catholique convaincu, contre ses sujets protestants, qui font appel au stathouder des Provinces-Unies, Guillaume d’Orange, ennemi juré de la France (juillet 1688). Isolée diplomatiquement, la France croit se sauver par l’offensive. En octobre 1688, son armée occupe la rive gauche du Rhin, dévaste le Palatinat, brûle Heidelberg : cette politique de terreur, prônée par Louvois et redoublée en 1693, indigne l’Europe et reste encore dans la mémoire allemande. Des soldats sont expédiés en Irlande avec Jacques II (qui s’était réfugié en France après le débarquement de Guillaume d’Orange), mais cette tentative de restauration s’achève par la défaite de la Boyne (1690). Aux Pays-Bas, les Français prennent Namur et Charleroi, sont vainqueurs à Fleurus (1690) et à Neerwinden (1693) ; un second front en Catalogne progresse lentement (prise de Rosas en 1693, de Barcelone en 1697). Sur mer, face à la coalition anglohollandaise, la France, victorieuse à Béveziers, subit la défaite de La Hougue (1692) ; dès lors, elle réoriente sa stratégie vers la guerre de course, dans laquelle s’illustre Jean Bart. Le conflit s’étend aux colonies (Indes, Sénégal, Antilles, Canada). Les belligérants s’épuisent sans obtenir de succès décisifs. La défection de la Savoie en 1696 neutralise enfin le front italien, et la médiation suédoise permet de conclure les traités de Ryswick (septembre-octobre 1697). Louis XIV reconnaît Guillaume d’Orange comme roi d’Angleterre, garde Strasbourg, mais rend la plupart des réunions. Victime des traités de paix depuis cinquante ans, l’Espagne ne perd rien cette fois-ci. La France a tenu seule contre l’Europe, mais elle doit accepter une paix de compromis.
Aumale (Henri Eugène Philippe d’Orléans, duc d’), général et homme politique (Paris 1822 - Zucco, Sicile, 1897). Cinquième fils du roi Louis-Philippe, le duc d’Aumale reçoit, comme ses frères, une éducation « démocratique » au lycée Henri-IV. Il embrasse ensuite la carrière militaire et, lors de la conquête de l’Algérie, se distingue par la prise de la smalah d’Abd el-Kader (mai 1843). Cet exploit lui vaut d’être nommé général à 22 ans, puis, en 1847, gouverneur de l’Algérie, poste qu’il doit quitter lors de la révolution de 1848 pour s’exiler à Londres. Après la chute du second Empire, il rentre en France, est élu député de l’Oise (1871) et contribue au renversement de Thiers. Rétabli dans son grade de général, il préside le conseil de guerre qui juge Bazaine. En 1886, ayant protesté contre le décret qui écarte de l’armée les membres des anciennes familles régnantes, il est rayé des cadres et proscrit, avant d’être rappelé, trois ans plus tard, par le président Carnot. Exilé à deux reprises, réduit à l’inactivité, le duc d’Aumale perd, en outre, sa femme et ses sept enfants. Face à l’adversité, il se fait historien et collectionneur. Héritier du domaine de Chantilly, il fait reconstruire le château en 1875 pour y abriter ses collections de peintures, de livres et d’objets précieux – dont le manuscrit des Très Riches Heures du duc de Berry –, qu’il lèguera à l’Institut. Son projet visait à transformer le château en « un monument complet et varié de l’art français dans toutes ses branches, et de l’histoire de [sa] patrie à des époques de gloire ». aurignacien, civilisation préhistorique qui se répand en France entre 30 000 et 25 000 ans avant J.-C. environ. C’est le premier faciès du paléolithique supérieur, c’est-à-dire d’Homo sapiens sapiens, ou « homme moderne », qui, à partir de cette période remplace partout en Europe l’homme de Néanderthal. En l’état actuel des connaissances, Homo sapiens serait apparu en Afrique de l’Est et au Proche-Orient il y a quelque 100 000 ans, puis aurait gagné progressivement l’Europe à partir du Sud-Est, comme en témoigne l’apparition vers 40 000 ans avant J.C., dans la grotte de Bacho Kiro (Bulgarie), de l’aurignacien le plus ancien que l’on connaisse. En France, l’aurignacien, identifié en 1860 par Édouard Lartet dans la grotte périgourdine d’Aurignac, est surtout présent dans le Sud-Ouest, plus discrètement en Languedoc,
en Bourgogne et dans l’Est. Il se caractérise par un outillage en silex composé de « lames », c’est-à-dire d’éclats de pierre allongés et réguliers, dont la production requiert une grande maîtrise technique, et qui permettent la confection d’outils performants et faciles à emmancher. Pour la première fois aussi sont utilisés systématiquement des outils en os ou en bois de cerf : sagaies, poinçons, perles, plaquettes, etc. Les hommes de l’aurignacien vivaient soit à l’entrée de grottes ou d’abris, soit dans des campements de plein air, qui ont laissé peu de traces, hormis des foyers. Des tombes sont connues, comme celles du célèbre abri de CroMagnon (aux Eyzies, en Dordogne). Les morts sont ensevelis, parfois avec leurs outils ou leurs parures, et recouverts d’ocre rouge, qui a pu être saupoudrée sur le corps, à moins qu’elle ne soit le vestige d’une teinture des vêtements. Des formes simples d’art sont attestées : gravures stylisées sur la pierre ou l’os, représentant parfois des sexes féminins ou des animaux. À l’aurignacien succède le gravettien. Auriol (Vincent), homme politique (Revel, Haute-Garonne, 1884 - Paris 1966). Fils de boulanger, il obtient son doctorat en droit à Toulouse, où il fonde en 1905 le journal le Midi socialiste. En 1914, il est élu député socialiste dans l’arrondissement de Muret et devient très rapidement un proche de Léon Blum, qu’il suit au congrès de Tours dans la minorité fidèle à la SFIO. Spécialiste des finances à la Chambre, président de la commission des Finances pendant le Cartel des gauches (1924-1926), il est choisi par Léon Blum comme ministre des Finances du Front populaire, de juin 1936 à juin 1937. Malgré ses promesses électorales, Auriol est obligé de dévaluer le franc dans de mauvaises conditions. Redevenu simple député, il fait partie, le 10 juillet 1940, des quatre-vingts parlementaires qui refusent de voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Placé en résidence surveillée par Vichy, il s’échappe et gagne Londres en octobre 1943. Député de la Haute-Garonne en octobre 1945, ministre du général de Gaulle en novembre, président des deux Assemblées constituantes, il se bat pour l’adoption de la Constitution. En janvier 1947, il est élu par le Congrès, au premier tour, premier président de la IVe République. Fidèle à l’esprit de la Constitution, il voit dans ce poste une « magistrature morale », et n’intervient pas directement dans les décisions politiques, ce qui ne l’empêche pas d’occuper
une place importante de conseil et d’exercer son influence. Au terme de son mandat, il ne joue plus de rôle actif, mais se manifeste, jusqu’à sa mort, par son opposition à la Ve République. À travers toute sa longue carrière politique, ce méridional fidèle à ses origines populaires, parlementaire par tempérament et par conviction, a su incarner la synthèse des traditions socialistes et républicaines françaises. Austerlitz (bataille d’), victoire des troupes françaises sur les austro-russes – également appelée « bataille des Trois Empereurs » (2 décembre 1805) –, qui marque le terme de la campagne d’Allemagne engagée en septembre 1805. Napoléon, qui affronte une coalition anglorusso-autrichienne (dite « troisième coalition »), mène une guerre éclair contre les downloadModeText.vue.download 68 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 57 puissances alliées. Après avoir franchi le Rhin le 25 septembre, il remporte une première bataille à Ulm (20 octobre), qui lui ouvre la route de Vienne, où il fait son entrée le 13 novembre. Malgré ce succès rapide, les armées alliées ne sont ni désorganisées ni battues. Napoléon a besoin d’une victoire décisive pour préserver son avantage, d’autant que, le 21 octobre, la flotte française a été décimée à Trafalgar, ce qui rend désormais impossible tout débarquement en Angleterre. Napoléon poursuit donc les alliés vers le nord. Mais le temps presse : les Français sont loin de leurs bases, et les Austro-Russes se renforcent à mesure de leur retraite, qui se déroule en bon ordre. En outre, Napoléon se méfie de la Prusse, restée neutre dans le conflit mais qui pourrait bien se décider à intervenir. Dès lors, pour favoriser l’affrontement, il tend un piège à ses adversaires : le 21 novembre, il s’arrête près de Brünn et feint d’entamer un repli. Il engage même de fausses négociations avec le tsar Alexandre Ier, laissant ainsi supposer qu’il est dans une position de faiblesse. Les AustroRusses tombent dans le piège et choisissent de livrer bataille avant même l’arrivée de renforts. Il est vrai qu’ils jouissent d’un avantage numérique confortable : 90 000 hommes, contre 75 000 du côté français. Le 1er décembre, ils occupent donc le plateau de Pratzen, non loin du village d’Aus-
terlitz. Napoléon a volontairement dégarni son aile droite, celle qui contrôle la route de Vienne, afin de les décider à attaquer. Le 2 décembre au matin, alors que les troupes françaises sont dissimulées par un épais brouillard, les alliés chargent là où Napoléon l’avait prévu, près de Telnitz. L’aile droite française résiste, puis cède du terrain. Les Austro-Russes croient tenir la route de Vienne. C’est alors que Napoléon lance les corps du maréchal Soult au coeur du dispositif allié, dégarni, sur le plateau de Pratzen. En début d’après-midi, la victoire est acquise. Le brouillard s’est dissipé, le soleil brille sur Austerlitz. Napoléon célèbre ainsi par un triomphe l’anniversaire de son accession au trône impérial. Austerlitz devient, le jour même, l’objet d’une légende inscrite dans la geste de la Grande Armée : la légende du génie militaire de l’Empereur et de la France invincible. Austrasie, royaume mérovingien émergeant au cours du VIe siècle entre Meuse et Rhin. Des partages qui démembrent à plusieurs reprises le royaume franc au cours du VIe siècle naissent trois ensembles régionaux durables : la Neustrie – ou pays des Francs du Nord –, la Bourgogne et l’Austrasie - pays des Francs de l’Est. La Neustrie est le pays de Clovis, berceau des Francs Saliens, et l’Austrasie celui des Francs du Rhin, vaincus par Clovis mais soucieux de leur individualité. En 511, Thierry, fils aîné de Clovis, reçoit les terres les plus orientales du royaume, depuis la Champagne jusqu’au-delà du Rhin, future Austrasie. En 561, cet ensemble échoit à Sigebert, petit-fils de Clovis, tandis que son frère Chilpéric reçoit la partie nord du royaume, avec Soissons pour capitale, future Neustrie. Dès ce moment, l’opposition entre les deux royaumes est prévisible. Elle prend corps à l’occasion d’une querelle familiale, lorsque Brunehaut, femme de Sigebert, cherche à venger la mort de sa soeur Galswinthe, épouse de Chilpéric assassinée par la maîtresse de celuici, Frédégonde. La reine Brunehaut, qui exerce de 568 à 613 un pouvoir souvent contesté, est confrontée à une lutte acharnée. Sous le règne de Sigebert Ier, son mari, puis sous ceux de Childebert II, leur fils, de ses petits-fils enfin, elle s’oppose à la fois à la Neustrie et à la noblesse austrasienne, qui allie grands propriétaires terriens et hommes d’Église. Vainqueur de Brunehaut en 613, Clotaire II, roi de Neustrie, parvient à réunir la totalité des domaines francs sous son autorité. Pour peu de temps,
car les grands d’Austrasie obtiennent, en 623, que Clotaire leur délègue son fils, Dagobert, comme roi. Ce dernier, avant d’être à son tour seul roi des Francs, apprend donc l’exercice de la royauté en Austrasie, sous la tutelle de Pépin Ier de Landen, maire du palais, et de l’évêque de Metz, Arnoul. Leur alliance permet aux descendants de Pépin de s’imposer comme maires du palais aux successeurs de Dagobert à partir de 640. Désormais, les rois mérovingiens sont supplantés par les maires du palais, mais ces derniers reprennent à leur compte la rivalité entre Austrasie et Neustrie. Durant la seconde moitié du VIIe siècle et la première moitié du VIIIe, le pouvoir de la famille des Pépin (les Pippinides), ancêtres de Charlemagne, ne cesse de s’affermir. Pépin II de Herstal l’emporte en 687 sur le maire du palais de Neustrie et reconstitue l’unité du royaume franc autour de l’Austrasie. Sous les Carolingiens, l’Austrasie est le centre de l’Empire, base solide pour les conquêtes de Charlemagne au-delà du Rhin. Avaricum, capitale du peuple gaulois des Bituriges, située à l’emplacement de l’actuelle Bourges. Cette ville, établie sur un éperon calcaire, au confluent de l’Auron et de l’Yèvre, et que l’on disait « la plus belle de la Gaule », était entourée de puissants remparts, de type murus gallicus, composés d’une armature constituée de poutres renforcées de clous en fer, et bourrée de terre et de pierres : ces fortifications permettaient de résister à la fois au feu et au bélier. D’après César, elle présentait un urbanisme organisé, possédant une place publique et des monuments. Mais son emplacement, sous la Bourges actuelle, où se sont succédé une ville romaine, puis une cité médiévale, n’a pas facilité, jusqu’à présent, les recherches archéologiques, les niveaux celtiques primitifs se trouvant sous plusieurs mètres de remblai. Néanmoins, des fouilles, dans le cadre d’interventions de sauvetage mais aussi de manière plus systématique, ont été récemment entreprises. La prise d’Avaricum constitue l’un des événements les plus dramatiques de la guerre des Gaules. Durant le soulèvement déclenché en 52 avant J.-C., Vercingétorix ordonne de brûler champs, villages et villes, afin d’affamer l’armée romaine, mais il épargne Avaricum, que les Bituriges considèrent comme imprenable. César s’en empare pourtant en avril de la même année, au terme d’un siège implacable à l’issue duquel tous les habitants sont massacrés. Durant l’occupation romaine, la ville deviendra la capitale de l’« Aquitaine première », dans les
limites actuelles de son archevêché. Avars, peuple d’origine turco-mongole vaincu par Charlemagne. Mentionnés pour la première fois dans une chronique byzantine en 568, les Avars, établis dans la moyenne vallée du Danube (Pannonie), font partie des peuples nomades venus d’Asie centrale et sont souvent confondus avec les Huns. Ils se heurtent à l’Occident, sous le règne de Charlemagne. Leur chef, qui porte le nom de khagan, les mène piller les régions voisines, jusqu’en Bavière. Or Tassilon III, duc de Bavière, fait alliance avec eux, ajoutant ainsi, pour Charlemagne, aux difficultés déjà créées par les Saxons, les Frisons et les peuples slaves. Les campagnes de Charlemagne contre les Avars s’inscrivent donc dans l’effort de pacification de la partie orientale de l’État franc. Dès 787, Tassilon III est accusé de trahison, puis enfermé. Une première expédition (788) met en fuite les Avars aux frontières du Frioul, mais les événements sérieux se déroulent en trois campagnes : 791, 795 et 796. C’est lors de la dernière expédition qu’est détruit et pillé le ring des Avars, ville de tentes entourée d’une enceinte fortifiée. L’évangélisation s’organise ensuite, prélude à l’assimilation, achevée en 811, lorsque le khagan, converti au christianisme, vient rendre hommage à Charlemagne. Dix ans plus tard, il n’est plus fait mention des Avars. Malgré les efforts des archéologues hongrois pour ressusciter un passé supposé glorieux, on n’en sait guère plus sur ce peuple. Avenir (l’), quotidien catholique libéral fondé par Lamennais, Gerbert et de Coux, que rejoignent Lacordaire, Montalembert, Eckstein et Rohrbacher, et dont le premier numéro paraît le 16 octobre 1830. Le titre et sa devise - « Dieu et liberté » - expriment l’aspiration de ses fondateurs : faire entrer le catholicisme dans le monde moderne en rompant les liens avec la royauté déchue, en soutenant les revendications libérales et en puisant aux sources du christianisme. Ainsi, le journal réclame-t-il les libertés nécessaires à la rénovation catholique : séparation de l’Église et de l’État, suppression du monopole universitaire, libertés de la presse et d’association. Élargissant le champ de ses préoccupations aux domaines politique et social, il considère avec bienveillance les insurrections libérales en Europe, et exalte les causes polonaise et irlandaise.
Dans les milieux conservateurs et traditionalistes, l’Avenir apparaît comme un journal subversif. Le pouvoir traîne Lamennais et Lacordaire devant les tribunaux, et fait saisir le quotidien, tandis qu’une partie de l’épiscopat intrigue contre cette publication, dont les idées progressent chez les jeunes ecclésiastiques. Après avoir suspendu la parution, le 15 novembre 1831, Lamennais et Lacordaire tentent de plaider leur cause devant le pape Grégoire XVI qui, dans l’encyclique Mirari vos (15 août 1832), condamne finalement les idées du christianisme libéral. Malgré sa courte durée de vie et sa faible audience (1 500 abonnés), l’Avenir a marqué une étape essentielle sur le chemin de la démocratie chrétienne. downloadModeText.vue.download 69 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 58 aveu et dénombrement, au Moyen Âge et jusqu’à l’époque moderne, acte par lequel un vassal déclare tenir un fief de son seigneur et en décrit le contenu. L’aveu et dénombrement appartient au système des relations vassaliques : il se développe à mesure que se structure le droit féodal. La genèse en est la suivante : l’hommage et le serment de fidélité du vassal sont suivis de l’« investiture », par laquelle le seigneur remet le fief, bien concédé en échange. Dès l’origine, cette opération revêt un aspect formel, symbolisé, lorsque le bien est une terre, par la remise d’un fétu de paille, puis par la « montrée » du fief, c’est-à-dire la chevauchée jusqu’au domaine concerné. À partir du XIIe siècle va s’ajouter, puis se substituer, à cette manifestation la rédaction d’un écrit faisant l’inventaire du fief. Cette procédure, obligatoire au XIIIe siècle, devient peu à peu l’acte essentiel, le socle même du contrat vassalique. La description gagne bientôt en précision, surtout lorsque s’établissent l’hérédité et la « patrimonialité » des fiefs : pour rappeler et préserver ses droits, le seigneur exige de tout nouvel acquéreur un aveu et dénombrement, au plus tard quarante jours après l’hommage et la foi. À défaut, il est en droit de faire saisir le fief. Il bénéficie lui-même d’un délai - quarante jours à Paris, trente ans dans le Midi - pour approuver ou amender la description rédigée par le vassal.
Au fil du temps, la procédure évolue : d’abord établi devant témoins et revêtu du sceau authentique, l’aveu et dénombrement devient un acte notarié, rédigé sur parchemin. À partir du XVe siècle, le formalisme est encore accentué pour les fiefs mouvants de la couronne : les actes doivent être présentés par les vassaux aux baillis et sénéchaux (XVe siècle), puis aux trésoriers de France (fin du XVe et XVIe siècle), et vérifiés par les bureaux de finance et les chambres des comptes. La publicité en est ainsi assurée. L’aveu et dénombrement, élément de la construction féodale, subit donc peu à peu l’emprise de l’administration, fer de lance d’un pouvoir royal qui étend ses prérogatives. Avignon (papauté d’) ! papauté d’Avignon avortement. Le Code pénal napoléonien, dans son article 317, définissait l’avortement comme un crime punissable de réclusion pour la femme et pour tout individu lui ayant apporté son aide. C’était reprendre des dispositions anciennes, initialement inspirées par les Pères de l’Église et réaffirmées notamment par une bulle de Sixte Quint de 1588. • Des sanctions sévères mais inefficaces. Les sanctions incombaient aux justices seigneuriales, leur sévérité pouvant être atténuée lorsque l’avortement était dû à l’impossibilité de nourrir l’enfant plutôt qu’au souci de cacher « le crime de fornication ». La peine était également moins lourde lorsque étaient victimes de l’avortement les foetus masculins de moins de soixante jours et les foetus féminins de moins de quatrevingts jours, termes considérés comme les temps de passage de l’inanimé à l’animé, plus tardifs pour la fille que pour le garçon. Le Code d’Henri III de 1556 punissait de mort, au nom du roi, l’avortement qui privait l’enfant de baptême, cette disposition étant confirmée sous Henri III en 1586, sous Louis XIV en 1707, puis sous Louis XV en 1731. La sévérité constante des textes n’eut cependant que des effets limités, et les cas d’avortements donnant lieu à procès furent relativement rares, car ils touchaient à un secret de famille rarement dévoilé. C’est seulement en 1923 que l’avortement cesse d’être considéré comme un crime. Désormais qualifié de délit, il n’est plus passible de la cour d’assises mais du tribunal correctionnel, et n’est plus pénalisable que
par l’emprisonnement et des amendes. Cet adoucissement de sanctions qui n’avaient été que rarement appliquées dans toute leur rigueur théorique a pour contrepartie de priver l’inculpée, et ceux qui ont pu l’assister, de l’indulgence, fréquente, des jurys populaires et de les soumettre à la sévérité des juges. Le Code de la famille de 1939 aggrave les dispositions des textes antérieurs, puisque sont désormais également sanctionnées de lourdes peines de prison les tentatives d’avortement, tandis que l’avorteur peut être poursuivi, en cas d’accident, pour coups et blessures, voire pour homicide, devant la cour d’assises. Les membres du corps médical sont, eux, passibles de sanctions particulièrement lourdes. En 1941, enfin, un texte rétablit la peine de mort comme sanction possible de l’avortement. Cette disposition est appliquée l’année suivante, conduisant à la dernière exécution capitale d’une femme en France. Quelle qu’ait été la volonté de sévérité du législateur, elle reste toutefois de peu d’effet dans l’entre-deux-guerres, puisque ne sont traités qu’environ 400 dossiers par an, alors que les estimations les plus basses avancent un chiffre moyen de 400 000 avortements. • Une tardive libéralisation. On peut parler de libéralisation lorsque l’avortement devient possible à la demande de la femme pour des raisons de santé physique ou psychologique. En France, cette libéralisation remonte aux lois de janvier 1975, décembre 1979 et décembre 1982 relatives à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Le vote du texte de 1975 a été précédé par la démonstration de la non-application de la loi, notamment lors du procès de Bobigny (1972), à l’occasion duquel 343 femmes signent une pétition demandant la légalisation de l’avortement et reconnaissent y avoir eu recours. Le manifeste, signé l’année suivante par des médecins déclarant avoir pratiqué l’avortement, ne suscite aucune poursuite. C’est dans ce contexte que le gouvernement fait voter, en décembre 1974, contre la volonté de la majorité et grâce aux voix de la gauche, le texte défendu par Simone Veil. Ses dispositions, promulguées en 1975, sont confirmées en 1979, et complétées en 1982 par une loi sur le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale. La libéralisation de l’avortement intéresse l’ensemble des démocraties. Elle intervient en France après l’Abortion Act britannique (1967), et peu de temps avant que des dispositions semblables soient adoptées en Alle-
magne (1976), en Italie (1981), en Espagne (1986), en Belgique (1990) ou même en Irlande (1995). avril 1834 (journées du 9 au 14), mouvements insurrectionnels dont l’échec désorganise les oppositions républicaines, notamment à Lyon et à Paris. Les premiers mois de l’année 1834 sont marqués par l’intensification de la lutte menée par le régime de Juillet contre des adversaires républicains déterminés : après avoir obtenu l’adoption d’une loi contre les crieurs publics, le garde des Sceaux Félix Barthe dépose, en février, un projet tendant à limiter les droits des associations. Alors que la Société des droits de l’homme, menacée dans son existence, hésite à s’engager sur-le-champ dans une épreuve de force, les républicains et les ouvriers lyonnais montrent la plus grande détermination : le souvenir des journées de novembre 1831 reste enraciné dans les esprits, et une grève contre la baisse des tarifs, menée par les canuts et encadrée par les mutuellistes, vient tout juste d’échouer. Le 9 avril 1834, tandis que s’ouvre le procès de dirigeants grévistes, l’insurrection éclate à Lyon, tout particulièrement dans le faubourg populaire de la Croix-Rousse. Elle dure six jours. Face à des adversaires peu organisés, les forces de l’ordre se livrent à une reconquête méthodique des quartiers insurgés. Le drame lyonnais trouve des échos dans plusieurs villes françaises : Arbois, Besançon, Châlon-sur-Saône, Clermont, Épinal, Grenoble, Lunéville, Marseille, Saint-Étienne et Vienne connaissent des troubles ponctuels. Le 13 avril, quelques poignées de républicains parisiens érigent une trentaine de barricades, notamment dans les quartiers du Marais et de Montorgueil, et s’engagent dans une lutte sans espoir : la population ne les soutient pas, et la Société des droits de l’homme elle-même, décimée au cours des jours précédents par une vague d’arrestations préventives, reste à l’écart du mouvement. Thiers, ministre de l’Intérieur, confie la direction des opérations militaires à Bugeaud, le commandant de la place de Paris. Les combats font une trentaine de victimes dans la capitale, dont douze rue Transnonain ; elles s’ajoutent aux plus de trois cents morts de Lyon. L’année suivante, les journées d’avril donnent lieu à un « procès monstre » en Cour des pairs. Les débats révèlent de profondes divisions parmi les accusés et leurs avocats. Au fil des mois, la Cour prononce cent trente-neuf condamnations, allant de l’emprisonnement à la déportation. Les verdicts d’avril, puis les lois répressives de septembre 1835, en particulier contre la
liberté de la presse, permettent au régime de Juillet d’asseoir son autorité. azilien, la plus ancienne civilisation mésolithique, entre 10 000 et 8 000 ans avant J.-C. environ. L’azilien – du nom de la grande grotte du Mas-d’Azil, dans l’Ariège, fouillée à partir de 1888 – correspond au début de la période de réchauffement climatique qui a suivi la dernière glaciation de Würm. Il se caractérise donc par l’adaptation des populations de chasseurs-cueilleurs du magdalénien (civilidownloadModeText.vue.download 70 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 59 sation précédente) au nouvel environnement issu de ce réchauffement, qui a entraîné la réapparition de la forêt tempérée avec ses espèces animales et végétales actuelles. De fait, on retrouve la tradition magdalénienne des pointes en silex et des harpons en os, avec quelques variantes, dont une tendance à la réduction de la taille de l’outillage, qui s’accentuera ensuite. L’azilien est aussi marqué par la disparition progressive de l’art figuré paléolithique, au profit d’un art schématique, avec, notamment, des galets peints ou gravés couverts de signes abstraits. L’azilien évoluera sans rupture vers le sauveterrien. Azincourt (bataille d’), bataille de la guerre de Cent Ans qui voit le triomphe des troupes du roi d’Angleterre Henri V contre l’armée du roi de France Charles VI, le 25 octobre 1415. Henri V de Lancastre, roi d’Angleterre en 1413, relance la guerre de Cent Ans afin de profiter de l’affaiblissement du royaume de France, alors en pleine guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons, et d’affermir son pouvoir en Angleterre. Dès 1414, il revendique toutes les terres continentales des Plantagenêts, de la Normandie à l’Anjou, en passant par la Bretagne, ainsi que la Flandre. Les échanges d’ambassadeurs dans la première moitié de l’année 1415 n’interrompent pas les préparatifs de la guerre. Le 12 août 1415, Henri V débarque en Normandie et met le siège devant Harfleur, qui capitule le 22 septembre. Au début du mois d’octobre, laissant une garnison dans
la ville, il reprend le chemin de l’Angleterre. C’est en cherchant à regagner Calais qu’il se heurte à l’armée du roi de France, rassemblée dans la plaine d’Azincourt. En effet, Charles VI a pris l’oriflamme à Saint-Denis le 10 septembre, afin de réunir l’armée royale pour livrer bataille aux Anglais. Contre l’avis des vieux officiers, le roi et les jeunes princes du parti armagnac, alors au pouvoir en France, veulent en découdre. Par mesure de prudence, le duc de Berry, oncle de Charles VI, retient à Rouen le roi et le dauphin. Jean sans Peur, duc de Bourgogne, est écarté de la bataille par le parti armagnac. C’est une armée de 20 000 hommes, mais sans chef véritable, qui se masse dans la plaine d’Azincourt pour y affronter une armée anglaise forte de 12 000 soldats. Devant l’étroitesse du champ de bataille, le plan initial de l’armée française est revu par les princes du parti armagnac, contre les conseils avisés des professionnels de la guerre. Princes et barons de haut rang à l’avant, officiers royaux sur les ailes, « piétaille » à l’arrière : le plan de bataille reproduit l’ordre social en vigueur à cette époque. En face, une armée anglaise disciplinée, archers aux premiers rangs, et des espions bien informés permettent à Henri V de remporter, en quelques heures, la troisième bataille rangée de l’Angleterre au cours de la guerre de Cent Ans. Pour l’armée française, le désastre est immense : dans la boue d’Azincourt périt « la fine fleur de la noblesse française ». On estime à trois ou quatre mille le nombre de tués, Henri V ayant donné l’ordre de faire le moins de prisonniers possible. Charles d’Orléans et d’autres grands seigneurs sont retenus en captivité, mais la noblesse du nord de la France est décapitée, et avec elle l’administration du royaume. Simple défaite sur le plan militaire, Azincourt a pourtant miné un royaume déjà déchiré par la guerre civile. Plus important encore, la société politique est sortie renouvelée de l’épreuve par l’arrivée d’une génération d’hommes issus de régions et de milieux différant de ceux des victimes d’Azincourt. downloadModeText.vue.download 71 sur 975 downloadModeText.vue.download 72 sur 975
Babeuf (François Noël, dit Gracchus), activiste et théoricien révolutionnaire (SaintQuentin, Aisne, 1760 - Vendôme, Loir-et-Cher,
1797). D’origine modeste, cet autodidacte occupe d’humbles emplois avant de tenir à Roye (Somme) un cabinet de feudiste (spécialiste du droit féodal), de 1781 à 1788. Prenant conscience de l’exploitation féodale et des prétentions de l’aristocratie foncière, il dénonce l’inégalité de la répartition des terres. À partir de l’analyse du problème agraire, il conçoit un système idéologique où prime le droit à l’existence, qui évolue, avec la Révolution, vers un projet de république communautaire et égalitariste. Il publie ses réflexions, notamment dans le Cadastre perpétuel (1789), puis dans les journaux auxquels il collabore, ou qu’il édite à partir de 1789. De retour à Roye après un séjour à Paris, il dirige, entre 1790 et 1792, la résistance des paysans picards contre les impôts indirects d’Ancien Régime et les droits féodaux, et prône la loi agraire, un engagement qui lui vaut par deux fois la prison. Républicain de la première heure, il est élu administrateur du département de la Somme en septembre 1792. Cependant, accusé de faux en écriture, puis destitué, il est condamné par contumace à vingt ans de fers. En janvier 1793, il se réfugie à Paris, où il reprend contact avec ses amis cordeliers, et entre dans l’administration des subsistances. Il est arrêté en novembre 1793, puis remis en liberté le 18 juillet 1794. En septembre, il édite le Journal de la liberté de la presse, rebaptisé en octobre le Tribun du peuple ou le Défenseur des droits de l’homme, arme essentielle du babouvisme jusqu’en avril 1796. Hostile au libéralisme économique, à l’heure où l’inflation et la disette font des ravages parmi les plus pauvres, il attaque violemment les thermidoriens et effectue un nouveau séjour en prison (février-octobre 1795). À sa libération, il reprend ses réquisitoires contre le Directoire et publie dans son journal le « Manifeste des plébéiens » (30 novembre), programme politique prônant l’abolition de la propriété B et l’égalitarisme dans la distribution de la production. Contraint à la clandestinité en décembre, mais toujours très actif, il plaide pour l’union des opposants, démocrates, hébertistes ou robespierristes, et est l’instigateur de la conjuration des Égaux, qui vise à renverser le Directoire. Trahis, les conjurés sont arrêtés le 10 mai 1796, et traduits devant la Haute Cour de justice à Vendôme. Le 26 mai 1797, celle-ci prononce deux condamnations à mort, dont celle de Babeuf, guillotiné le lendemain après qu’il eut tenté de se suicider.
babouvisme, doctrine politique élaborée pendant la Révolution, principalement par Gracchus Babeuf. S’écartant des théories utopiques du XVIIIe siècle (Mably, Rousseau, notamment), le babouvisme préconise, au nom de l’égalité et dans le cadre d’un contrôle national de l’économie, la mise en commun des biens et des travaux, et la distribution de la production en fonction des besoins de chacun. Rompant avec le mouvement montagnard, l’abolition de la propriété privée, clé de voûte du babouvisme, est cependant contraire aux aspirations des sans-culottes et des paysans. En outre, fondé sur une économie de petits producteurs et élaboré dans une conjoncture de pénurie, le babouvisme ne perçoit pas l’essor de la production industrielle. Toutefois, avec la conjuration des Égaux (1796), il inaugure un type d’organisation révolutionnaire reposant sur l’action clandestine d’un groupe restreint - sorte d’avant-garde - destiné à renverser le régime, et prévoyant l’instauration d’une dictature provisoire. Bien que très minoritaire, il sert de repoussoir au Directoire et au Consulat, permettant de liquider l’opposition démocrate et de rallier les notables effrayés par l’« anarchie égalisatrice ». Exhumé en 1828 par le livre de Buonarroti Histoire de la Conspiration pour l’égalité, dite de Babeuf, le babouvisme influence profondément la génération révolutionnaire et socialiste de 1830 à 1848, notamment Blanqui, qui fera le lien avec le marxisme. baccalauréat. La tradition française veut que le titre de bachelier soit, avant la licence et le doctorat, le premier des grades universitaires, nommé baccalaureatus dans le latin de la Renaissance, puis « baccalauréat » au XVIIe siècle. • Un examen académique. C’est en 1808 que ce grade, décerné, conformément au monopole de l’Université impériale, par des jurys constitués de professeurs des facultés des lettres et des sciences, devient la sanction des études secondaires. En vertu d’une ordonnance de 1820, il ouvre l’accès aux fonctions de l’État et aux carrières libérales : il faut être bachelier ès lettres pour pouvoir s’inscrire dans une faculté de droit ou de médecine, ou se présenter au concours d’entrée d’une grande école. Nul régime n’a assuré aux lycées de l’État le monopole de sa préparation. Mais le statut de 1808, en vigueur jusqu’en 1849, impose aux
candidats de fournir un « certificat d’études » attestant que les deux dernières années de leur scolarité ont été effectuées dans un établissement public. En réalité fleurissent, dès la monarchie de Juillet, ce qu’il devient d’usage de nommer, à partir du milieu des années 1850, des « boîtes à bachot » - les dérivés « bachotage » et « bachoter » feront leur apparition avant la fin du siècle. La liste même des questions étant fixée par un décret de 1840, l’examen tend à se réduire à un exercice de mémoire. La création d’un écrit, toujours en 1840, l’introduction de la dissertation de philosophie en 1864 et, dix ans plus tard, la séparation du baccalauréat ès lettres en deux séries d’épreuves n’ont guère atténué la tendance des programmes à l’encyclopédisme, au stérile abus de la rhétorique, des vers, du thème et du discours latins. • De réforme en réforme. Les réformateurs républicains élaborent une pédagogie nouvelle, dictée par le souci de mieux adapter l’enseignement aux réalités et de faire une juste place à l’expérience. En 1880, la composition française s’impose au détriment de la composition latine. En 1881 est créé le bacdownloadModeText.vue.download 73 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 62 calauréat de l’enseignement spécial, dont le succès prouve qu’il répond à une demande sociale. Il reçoit en 1891 l’appellation de « moderne », avant que la réforme de 1902 vienne établir l’égalité avec la filière « classique ». Ensuite, il n’existe plus que des options, des séries à l’examen du « baccalauréat de l’enseignement secondaire ». Leur nombre et le contenu de leurs programmes évoluent en fonction des réformes apportées aux sections de cet enseignement. Aujourd’hui, le « bac » - diminutif apparu dès 1880 - ne peut être obtenu qu’avec une moyenne de 10 au premier groupe d’épreuves écrites et orales, ou, si elle se situe entre 8 et 10, à l’issue d’un second groupe d’épreuves orales, dites « de contrôle ». Le gouvernement de la Libération, reprenant les termes d’une circulaire de 1937, a rappelé que l’examen devait être « la vérification et non le but des études secondaires ». Le souci de relever le niveau de l’enseignement technique a conduit à créer, en 1945, un « baccalauréat technique », rebaptisé, en 1986, « baccalauréat technologique », diversifié en dix-sept séries, et complété, l’année sui-
vante, par un « baccalauréat professionnel ». De réforme en réforme - la dernière en date, appliquée à la session de 1995, a redessiné les contours des huit séries du baccalauréat d’enseignement général -, l’État s’est efforcé de faire face à l’explosion des effectifs dans les collèges et les lycées, suscitée par la gratuité de l’enseignement secondaire (1930), puis par le baby-boom. L’objectif d’amener « 80 % de chaque classe d’âge au niveau du baccalauréat », fixé par Jean-Pierre Chevènement en 1985, n’a été abandonné par aucun de ses successeurs. Diplôme de fin d’études secondaires, ou premier grade universitaire ? Plus que jamais, devant les doléances et les exigences contradictoires dont l’Université française fait l’objet, la question reste posée. bagaudes, terme d’origine celtique désignant, de façon générale, le brigandage rural et, plus précisément, les soulèvements populaires contre les autorités romaines à la fin du IIIe siècle et au début du Ve siècle. Le premier soulèvement dure de 283 à 311 et semble surtout concerner la Gaule du Nord et de l’Est. La crise sociale et économique provoquée par l’anarchie militaire au IIIe siècle a progressivement marginalisé une partie de la population gallo-romaine. En outre, à partir de 284, l’empereur Dioclétien tente de restaurer l’autorité romaine en s’appuyant sur l’armée et en renforçant l’impôt, ce qui aggrave la situation de nombreux paysans. Petits propriétaires ruinés, bergers, artisans sans travail, soldats déserteurs et esclaves en fuite constituent ainsi le gros des révoltés. Leurs revendications sont surtout antifiscales, mais leur organisation en véritables armées et l’élection de leurs chefs comme empereurs attestent aussi leurs velléités sécessionnistes. À la suite de plusieurs campagnes militaires, l’ordre social est finalement restauré, mais, au cours du IVe siècle, le nouvel ordre impérial alourdit encore la pression fiscale et ne parvient pas à éliminer toute trace de brigandage rural. À la fin du IVe siècle et au début du Ve, à l’occasion des nouvelles incursions barbares, de nouveaux soulèvements éclatent, en Champagne, en Picardie, en Armorique, en Aquitaine et dans les vallées alpines. Le rejet de l’impôt reste la cause principale, mais certaines régions, telle l’Armorique, manifestent aussi un profond sentiment anti-romain. Les autorités occupantes, souvent débordées, font généralement appel aux Barbares, tels les
Wisigoths en Aquitaine, pour combattre les révoltés. Les bagaudes ont précipité l’effondrement de l’Empire en Gaule. bagne, lieu d’application de la peine des travaux forcés du XVIIIe au XXe siècle. Les galères disparaissent au cours du XVIIIe siècle, du fait de l’évolution des techniques maritimes, et l’ordonnance du 27 septembre 1748 prévoit la création de bagnes portuaires pour l’exécution de la peine des travaux forcés. Des bâtiments pénitentiaires monumentaux sont aménagés dans les grands arsenaux, à Rochefort, Brest et Toulon. Dans ces bagnes sévère, les traditions de la marine perdurent. Les bagnards, encadrés par des gardes-chiourme, se reconnaissent à leur chasuble rouge, à leur bonnet vert (condamnés à perpétuité) ou rouge. À leur arrivée, ils sont soumis au régime de la « grande fatigue », et accouplés par des chaînes ; après quelques années, libérés de leurs compagnons de chaîne, ils subissent le régime de la « petite fatigue ». Ce système de travail forcé permet d’utiliser la population pénale pour la construction et l’entretien des navires et des installations portuaires. • La déportation en Guyane. Ces bagnes fonctionnent jusqu’au milieu du XIXe siècle, et quelques grandes figures, tel Vidocq, nourrissent la mythologie des lieux. Considéré comme l’endroit dangereux où s’est déposée la lie de la société, le bagne apparaît, pour les autorités, moins dur qu’il ne devrait (la mortalité est plus forte en prison). Elles envisagent alors de déporter les forçats dans les colonies, pour les affecter à des tâches d’aménagement. La Guyane - où avaient déjà été proscrits Billaud-Varennes et Collot d’Herbois en 1795 devient terre de bagne en 1852, et l’on expédie les condamnés aux îles du Salut (1852), à Saint-Laurent-du-Maroni (1858) et à Cayenne (1863). Sont fermés les anciens pénitenciers de Rochefort (1852), Brest (1858) et Toulon (1873). L’envoi des condamnés en Guyane s’effectue dans le cadre de la loi sur la transportation du 30 mai 1854, destinée à exclure définitivement les indésirables sociaux par le « doublage » : le bagnard reste sur place, après sa libération, pour une période au moins égale à celle de sa peine, certains devant y séjourner à vie. Les condamnés politiques républicains sont regroupés à l’île du Diable. Les conditions climatiques éprouvantes entraînent une mortalité considérable, qui remet en cause la déportation en Guyane : en 1864, la Nouvelle-
Calédonie devient aussi terre de bagne. C’est là que 4 200 communards, parmi lesquels Louise Michel et Henri Rochefort, purgent leur peine entre 1872 et 1880. L’instauration définitive de la République ne change pas profondément le système. Les républicains les plus militants réclament un adoucissement de la discipline, mais la société de la fin du siècle est hantée par la peur des récidivistes. Le bagne est conçu comme le meilleur moyen de les tenir éloignés, de leur permettre de s’amender par le travail tout en valorisant les terres colonisées. Ces idées sont au coeur de la loi de 1885 sur la relégation, qui prévoit que tous les délinquants multirécidivistes seront bannis à vie. En 1888, la Nouvelle-Calédonie étant jugée trop peu dissuasive, les bagnes sont réinstallés en Guyane. Le plus célèbre des détenus de cette période est le capitaine Dreyfus, retenu sur l’île du Diable de 1895 à 1899. Les conditions de vie, d’hygiène et d’alimentation, la dureté du régime des travaux forcés, suscitent de temps en temps des campagnes de presse en faveur de l’aménagement ou de la fermeture des bagnes (reportages d’Albert Londres dans le Petit Parisien, en août-septembre 1923). Ces campagnes, relayées par l’Armée du salut, obtiennent le soutien d’élus guyanais tels que Gaston Monnerville. Pourtant, malgré cette pression, l’administration crée le bagne de l’Inini, en 1931, pour enfermer les révoltés indochinois de Yên Bay. Un décret-loi du 17 juin 1938 supprime la transportation - tout en maintenant la relégation -, mais ce n’est qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que sont supprimées les colonies pénitentiaires d’outre-mer. Les retours sont organisés de 1946 à 1953. bailliage, circonscription administrative qui apparaît au début du XIIIe siècle et à la tête de laquelle se trouve un bailli. Dans le sud et l’ouest du royaume, cette circonscription s’appelle généralement la sénéchaussée : elle est placée sous l’autorité d’un sénéchal. Le bailliage est subdivisé en prévôtés et châtellenies, et les sénéchaussées méridionales en vigueries et baylies. Le nombre des bailliages et sénéchaussées est allé croissant entre le XIIIe et le XVIe siècle : on en compte 23 vers 1285, 75 en 1461 et près d’une centaine à la fin du règne de François 1er. Les bailliages et les sénéchaussées jouent un rôle essentiel au Moyen Âge. En effet, les baillis, d’abord commissaires royaux temporaires à la fin du XIIe siècle, puis officiers
permanents à partir des années 1220-1230, ont des pouvoirs étendus en matière militaire, financière et judiciaire. Ils lèvent le ban et l’arrière-ban ; ils centralisent les taxes et les redevances perçues par les prévôts ; ils président le tribunal du bailliage, qui traite des affaires entre nobles, des cas royaux, et juge en appel des sentences rendues par les châtelains ou les justices seigneuriales. Nommés et gagés par le roi, révocables par celui-ci à tout moment, les baillis ont toujours fait l’objet d’une surveillance attentive de la part des autorités centrales, ainsi qu’en témoignent les nombreuses ordonnances de réforme du XIIIe au XVe siècle, dont la plus célèbre est celle de Saint Louis de 1254. À partir du XIVe siècle, le bailli est assisté par un lieutenant général, homme de loi capable de tenir les assises à sa place. D’autres officiers, tels le receveur et le procureur, l’appuient. Cette multiplication d’officiers spécialisés autour du bailli au XIVe siècle ne signifie pas pour autant un déclin de la fonction. Au contraire, les baillis ont désormais un profil plus politico-militaire ; downloadModeText.vue.download 74 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 63 cette évolution, qui est à mettre en rapport avec la guerre de Cent Ans, explique qu’ils soient dès lors essentiellement recrutés dans les rangs de la noblesse d’épée. Néanmoins, après avoir fortement contribué au développement de l’autorité monarchique durant les deux derniers siècles du Moyen Âge, les baillis voient leur rôle diminuer à partir du XVIe siècle, et ce au profit des gouverneurs. Les bailliages et les sénéchaussées ne sont plus alors que des circonscriptions judiciaires dotées d’un tribunal dont les compétences se réduisent progressivement au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Bailly (Jean Sylvain), savant et homme politique (Paris 1736 - id. 1793). Astronome éminent, féru de littérature, membre de l’Académie des sciences (1763), de l’Académie française (1783), de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (1785) ainsi que de plusieurs académies étrangères, il fréquente d’Alembert, Condillac, Lavoisier et Benjamin Franklin, qu’il admire. Sous la Révolution, ce franc-maçon entame une éphémère carrière politique. Après avoir participé à la rédaction du cahier de doléances du tiers état de Paris, il est élu député aux états
généraux de 1789, et, président de l’Assemblée, il prête en premier le serment du Jeu de paume. Au lendemain de la prise de la Bastille, il est élu maire de Paris. Le 17 juillet, il reçoit Louis XVI à l’Hôtel de Ville en lui offrant la cocarde tricolore. Il est alors au faîte de sa gloire. Réputé démocrate, il participe au premier comité d’élaboration de la Constitution ; mais, horrifié par des violences populaires qu’il ne comprend pas, il est partisan de mesures répressives. Le 17 juillet 1791, il proclame la loi martiale, et ordonne à la Garde nationale de tirer sur la foule paisible et désarmée qui manifestait au Champ-de-Mars pour protester contre la fuite du roi à Varennes et exiger la mise en jugement du monarque. Haï par les patriotes, il démissionne de la mairie le 12 novembre 1791, et se retire en province. Arrêté en 1793, il est conduit à Paris, témoigne au procès de Marie-Antoinette, puis est condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire pour le « crime du 17 juillet ». Il est guillotiné, le 12 novembre 1793, sur les lieux mêmes de la fusillade. bal des Ardents ! Ardents (bal des) Bâle (traités de), nom de trois traités de paix conclus à Bâle en 1795 entre la République française et, respectivement, la Prusse, l’Espagne et la principauté de Hesse-Cassel. Les victoires républicaines de l’été 1794 ont démontré que la Révolution ne peut être vaincue militairement. Un parti de la paix se constitue en Prusse : il s’inquiète de la menace française en Allemagne du Nord, mais aussi du second partage de la Pologne effectué par la Russie et l’Autriche sans son concours. Le roi Frédéric-Guillaume II envoie un émissaire officieux à Bâle en novembre 1794. Les dirigeants français sont divisés, mais le Comité de salut public approuve l’ouverture de négociations. Le premier traité est signé avec la Prusse le 5 avril 1795 : il stipule la fin des combats et l’occupation de la rive gauche du Rhin par la France « jusqu’à la pacification générale avec l’Empire ». Pendant ces pourparlers, le ministre espagnol Godoy envoie, lui aussi, un émissaire. Le deuxième traité est paraphé le 22 juillet 1795 : il met fin à la guerre entre la France et l’Espagne. La République doit quitter la péninsule Ibérique et obtient en contrepartie la partie espagnole de l’île de Saint-Domingue. Enfin, un troisième traité, de moindre importance, est conclu avec le Hesse-Cassel le 28 août 1795. Ces accords ont un grand
retentissement en Europe, laissant espérer une pacification générale après trois années de guerre. La rédaction du Projet de paix perpétuelle de Kant est d’ailleurs contemporaine des premières négociations. ban, droit de commander, de contraindre, de punir. Composante du pouvoir barbare, le ban appartient au chef franc, puis au roi franc. Héritant de l’idée romaine de puissance publique, le ban devient au cours du haut Moyen Âge l’expression de l’autorité royale. Il recouvre des prérogatives politiques, militaires, judiciaires et fiscales. Il autorise à convoquer les hommes libres à l’assemblée (plaid) ou à l’armée (ost) et à exiger des prestations financières. Délégué aux représentants du roi dans les provinces, il est le fondement de l’autorité comtale. Lorsque l’autorité royale s’affaiblit, le ban est accaparé par les princes ou les comtes (IXe-Xe siècle), puis par les seigneurs châtelains (Xe-XIIe siècle). En l’absence de contrôle, ses détenteurs l’exploitent à leur profit. La seigneurie banale s’installe en s’arrogeant l’institution judiciaire pour assujettir les paysans libres du territoire sur lequel s’exerce l’autorité seigneuriale. Le terme change alors de sens et devient l’expression d’une domination d’ordre privé et sans limites, fondée sur la confiscation des anciennes prérogatives publiques. Le seigneur du ban impose aux paysans des redevances arbitraires, qualifiées d’exactions : le prix de la sécurité, taille, tolte ou queste ; l’ancien droit royal d’albergue ou de gîte ; des réquisitions ou corvées de travaux publics ; enfin le service de garde du château. Composée du ban de l’ost (convocation à l’ost des vassaux directs) et de l’heriban carolingien (convocation à l’ost de tous les hommes libres sous peine d’amende), devenu l’arrière-ban (service armé dû au roi par tous les Francs), la prérogative militaire est souvent remplacée par un service ou une taxe à l’époque féodale. Le seigneur contrôle et taxe la circulation des biens et des personnes, les activités commerciales, et impose son droit de prévente sur certains produits (banvin) ; il instaure un monopole sur les installations agricoles (four, moulin, pressoir), obligeant les paysans à les utiliser et à acquitter une redevance annuelle (banalités). Les exactions banales sont constestées dès leur instauration ; leur suppression, leur limitation ou leur rachat sont au premier plan des revendications paysannes jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. À l’époque moderne, si le sens militaire tombe en désuétude avec le renforcement du pouvoir étatique, le ban reste en usage dans le cadre de la seigneurie pour désigner la pro-
clamation publique par le seigneur d’un événement (par exemple, le ban de mariage) ou d’une décision de portée collective (banvin ; mise à ban, qui est la période pendant laquelle il est interdit de pénétrer dans les vignes ou les prés du seigneur). Enfin, il désigne la sentence condamnant à l’exil hors des limites du royaume ou de la juridiction. banalités ! droits seigneuriaux Banque de France, banque centrale du système monétaire et financier français. À l’aube du XIXe siècle, plusieurs projets visent à instituer un organisme de refinancement du système bancaire qui apporterait des fonds aux banques, leur permettant ainsi de mieux escompter les effets de commerce si leurs propres capacités devenaient insuffisantes, soit en période d’expansion, soit en raison d’une crise de confiance liée à une récession. La Banque d’Angleterre, créée dès 1694, et la Banque d’Écosse servent de références. Le rétablissement de la stabilité politique et sociale et de la confiance du monde des affaires permet de réaliser cette ambition. La Banque de France est créée en 1800 par Bonaparte, qui veut associer l’affermissement de son régime et la relance de l’économie. La prudence est de règle : la Banque impose des conditions strictes au réescompte ; trois signatures sont nécessaires ; seules les traites liées à une opération commerciale sont réescomptables, ce qui écarte le papier de crédit couvrant en fait un découvert financier ; les avances directes accordées aux clients doivent être solidement garanties. • Un institut d’émission. À l’origine, l’émission de billets doit être modérée ; il s’agit en effet d’effacer dans l’opinion publique le souvenir de la banqueroute de Law ou des assignats. La Banque de France n’émet qu’en région parisienne avant d’obtenir, en 1848, le monopole de l’émission de billets et d’absorber les banques d’émission provinciales. En échange du renouvellement régulier de son privilège d’émission et sous l’impulsion des milieux financiers et de l’État, qui nomme son gouverneur, elle étend ses opérations. Elle ouvre des succursales dans les quartiers parisiens et sur les principales places. Elle multiplie ses avances grâce à l’extension du nombre de valeurs mobilières admises comme gage. Elle admet du papier de crédit pour appuyer les banques et les entreprises régionales. Grâce à cette Banque centrale, un véritable système de réescompte est établi. À partir des années 1850, l’instauration d’une confiance
durable - étayée par la détention d’un stock d’or et d’argent - et l’abaissement de la valeur faciale des coupures expliquent la diffusion des billets de banque dans les opérations quotidiennes et le cours forcé des billets, institué en 1871. La monnaie fiduciaire l’emporte sur la monnaie-métal, avant d’être supplantée par la monnaie scripturale à la fin du XIXe siècle. La Banque de France est soumise aux besoins financiers du Trésor, qui l’oblige à lui avancer des fonds. Maîtrisée au XIXe siècle, cette création de monnaie devient inflationniste pendant la Première Guerre mondiale. À plusieurs reprises, sous les IIIe et IVe Républiques, le financement du déficit par la planche à billets exprime cette dépendance ; seule une downloadModeText.vue.download 75 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 64 gestion budgétaire rigoureuse, parfois sur les conseils du gouverneur de la Banque centrale, permet d’enrayer cette dérive. • La « banque des banques ». La Banque de France devient progressivement la « banque des banques ». Par le jeu du taux d’escompte (en fait, de réescompte), elle fixe le prix de l’argent et exerce un certain contrôle sur le marché de l’argent à court terme, en régularisant les flux de crédit. Elle freine le processus inflationniste en élevant ses différents taux d’intérêt, qui déterminent les taux de base bancaires. Elle allège le prix du crédit dans les périodes de récession et, parfois, intervient pour refinancer des banques en difficulté et éviter que des crises ponctuelles ne débouchent sur un krach. Elle peut également sauver certains établissements en péril : ainsi, en 1889, pour le Comptoir d’escompte de Paris, dans les années vingt, pour certaines maisons et, surtout, en 1931-1932, lorsqu’elle contribue au remodelage de l’appareil bancaire en restructurant, en collaboration avec le ministère des Finances, ou en organisant la reprise des banques défaillantes. De plus en plus, la Banque de France gère le stock monétaire du pays. Par la variation de son taux d’escompte, elle essaie de freiner les mouvements spéculatifs internationaux. Cette fonction s’accroît à partir des années vingt, quand elle prend en main la gestion de la valeur du franc. Elle devient désormais la responsable des changes, en liaison avec le Trésor et les banques, par exemple pour superviser le franc flottant (en 1936-1940). Cette diver-
sification lui confère un pouvoir d’intervention considérable. Société anonyme privée, elle est gérée par le gouverneur et un conseil général composé de quinze régents élus par les deux cents plus importants actionnaires lors de l’assemblée générale. La puissance des régents est réelle, en raison de leur influence sur le prix et les flux de l’argent. Elle devient mythique dans l’entre-deux-guerres ; on soupçonne alors ces « deux cents familles » d’édifier un « mur de l’argent » pour enrayer la liberté de manoeuvre de la gauche. À la modeste réforme des statuts réalisée par le Front populaire en 1936 succède la nationalisation en 1946. Désormais, la Banque de France est sous la tutelle de l’État ; la réforme de 1994 la dote d’une large autonomie sous le contrôle du Conseil de la politique monétaire et d’un gouverneur muni d’un mandat irrévocable de six ans. Cependant, à la veille de l’instauration de l’euro, la Banque de France, qui fait désormais partie du Système européen de banques centrales, voit une large part de ses pouvoirs transférée à la Banque centrale européenne, mise en place en 1998. Banque de l’Indochine, établissement bancaire fondé en 1875. Son capital, versé par le Comptoir d’escompte et le Crédit industriel et commercial (avec la participation des Messageries maritimes et de la Banque de Paris et des PaysBas), s’élève alors à 8 millions de francs. Elle obtient le droit d’émettre de la monnaie en Cochinchine et en Inde française. Ce privilège, qui devait expirer en 1885, est étendu à l’ensemble de l’Indochine et à l’Océanie en 1905, puis à la Côte française des Somalis en 1907, et prorogé jusqu’en 1920, puis jusqu’en 1959 ; mais il lui est retiré, le 31 décembre 1951, au profit des instituts d’émission des trois États associés (Cambodge, Laos, Viêt-nam). La Banque de l’Indochine le conserve à Djibouti jusqu’en 1970. Jusqu’en 1927, elle pratique le crédit agricole en consentant des avances sur fonds ou sur récoltes aux paysans indochinois (au taux de 8 %). Importante banque d’affaires, elle s’assure le contrôle de nombreuses entreprises en Indochine et à Madagascar (Omnium colonial, Distilleries de l’Indochine, Brasseries de l’Indochine, plantations d’hévéas), et ouvre des agences dans la plupart des pays d’Extrême-Orient. Ses dirigeants espèrent longtemps s’implanter en Chine,
pays où ils ne pourront jamais acquérir de position influente. Rachetée par la Compagnie financière de Suez en 1972, elle constitue avec celle-ci le groupe Indosuez en 1975. La Banque de l’Indochine fut le plus important groupe capitaliste de l’empire colonial français, et joua un rôle moteur dans la vie de l’Indochine française. banquet républicain. L’usage de donner un repas « à un grand nombre de convives dans un but politique » remonte, selon Pierre Larousse, au « banquet civique » de l’époque révolutionnaire, pendant du « banquet royal » prévu par l’étiquette de l’Ancien Régime. De la monarchie de Juillet à la IIIe République, les banquets partisans, désignés a posteriori comme banquets républicains, montrent l’évolution d’une forme de sociabilité politique au service d’idées considérées d’abord comme subversives, puis liées à l’exercice officiel du pouvoir. La IIe République naît avec la « campagne des banquets réformistes » lancée en 1847. L’idée d’organiser de grands repas avec des toasts en vue de la réforme électorale conquiert d’abord la gauche dynastique. Le premier banquet, organisé à Paris le 9 juillet 1847, dans le local du Château-Rouge, rassemble 1 200 participants venus écouter Odilon Barrot. Les mois suivants, dans 30 départements, ont lieu environ 60 banquets, au cours desquels les seules revendications électorales cèdent la place à la critique du gouvernement. Les républicains commencent à s’y manifester avec plus d’audace : à Dijon, à Chalon-sur-Saône, à Lille, où Ledru-Rollin parvient à écarter Barrot le 7 novembre 1847. En février 1848, Guizot interdit le grand banquet populaire prévu à Paris, dans le XIIe arrondissement : le 22 février, des manifestants protestent et, deux jours plus tard, la révolution gagne la capitale. Que reste-t-il de cet héritage ambivalent dans le cérémonial des banquets républicains de la IIIe République ? Institués pour solenniser la première fête nationale du 14 juillet en 1880 ou le centenaire de la Révolution en 1889, les banquets républicains sont aussi l’occasion pour le pouvoir d’affirmer la cohésion de la République quand elle semble menacée. Le banquet officiel de 1888 défie les boulangistes, et celui de l’Exposition universelle de 1900 se veut apaisant en pleine affaire Dreyfus. Les grands banquets des maires de 1889 et de 1900 avec respectivement 13 000 et 20 000 convives venus de tout le pays, en
présence des présidents Carnot et Loubet, demeurent les images d’une spectaculaire mise en scène de l’intégration nationale par les fastes de la République. Le banquet républicain est désormais une forme officielle et plaisante d’allégeance à un régime en quête de consensus. Il reste néanmoins un peu de la tradition offensive des banquets politiques dans les repas électoraux - qui ne s’intitulent pas par hasard « banquets républicains » - comme ceux de la campagne présidentielle de 1995. Bao Dai, empereur d’Annam de 1925 à 1945 et chef de l’État du Viêt-nam de 1949 à 1955 (Huê 1913 - Paris 1997). Proclamé empereur à la mort de son père, Bao Dai est éduqué en France et intronisé à Huê en 1932. Au début de son règne, il paraît désireux de moderniser la monarchie et d’obtenir un assouplissement du protectorat, mais il se heurte aux réticences de l’administration coloniale et se contente d’un rôle protocolaire. Après le coup de force japonais d’avril 1945, il se retrouve à la tête d’un Viêt Nam théoriquement indépendant et réunifié, mais n’a aucun moyen d’imposer son autorité à l’ensemble du pays. Le 25 août 1945, après la prise du pouvoir par le Viêt-minh, il abdique, préférant « être citoyen d’un pays indépendant plutôt que roi d’un pays asservi ». Il devient « conseiller suprême » de la nouvelle République, puis se retire à Hongkong en 1946. À partir de 1947, il entre en pourparlers avec la France, qui souhaite jouer la carte impériale face à l’ennemi vietminh. Il n’accepte toutefois de rentrer dans son pays qu’après la reconnaissance de l’unité nationale. Le 24 avril 1949, il prend ainsi à Saigon ses fonctions de chef de l’« État associé du Viêt Nam » et forme un ministère d’union. Peu connu et peu apprécié de ses compatriotes, il ne fait que de brefs séjours dans son pays, mais se montre intransigeant quant au transfert des compétences qui doit entraîner la création d’un État indépendant dans le cadre de l’Union française. Après la reconnaissance de l’indépendance complète du Viêt Nam, en 1955, il est déposé par référendum (octobre 1955) et se retire définitivement en France. Bar (comté, puis duché de), comté médiéval, érigé en duché au XIVe siècle, correspondant à l’actuel département de la Meuse. Situé en terre impériale lors du partage de Verdun (843), le comté de Bar est formé au Xe siècle, lorsque Sophie, fille du duc Ferry de Lorraine, épouse Louis, comte de Mousson, et
reçoit en dot le comté de Bar, qui reste dans la famille de Bar-Mousson jusqu’au XVe siècle. Le comte Henri de Bar, allié à son beau-père, le roi Édouard Ier d’Angleterre, dans le conflit francoanglais, prend les armes contre Philippe le Bel, en 1297. Fait prisonnier, il doit accepter les conditions du roi de France pour retrouver sa liberté : en 1301, la partie de son comté située à l’ouest de la Meuse passe dans la mouvance royale. On parle désormais du Barrois mouvant pour le distinguer du reste du comté relevant de l’Empire. En 1354, le roi Jean II le Bon érige downloadModeText.vue.download 76 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 65 le comté en duché pour son gendre Robert de Bar. En 1430, le duché de Bar revient à René d’Anjou (le futur roi René), duc de Lorraine en 1431. Lorraine et Bar sont définitivement réunis au royaume de France en 1766, à la mort du dernier duc de Lorraine. Le Barrois mouvant met en lumière deux phénomènes du Moyen Âge classique : le roi de France pratique désormais une politique non plus féodale mais territoriale de « grignotage » sur les frontières de Verdun, et, dans le même temps, se développe, aux marches du royaume, un sentiment national vivace qu’illustre Jeanne d’Arc, née à Domrémy, dans le Barrois mouvant. Barbaroux (Charles Jean Marie), homme politique (Marseille 1767 - Bordeaux 1794). Adhérant au mouvement révolutionnaire dès 1789, cet avocat, fils d’un négociant, devient une des figures les plus influentes de Marseille. Membre de la Garde nationale, secrétaire de la Commune de Marseille, il est l’un des fondateurs et dirigeants du club jacobin de la ville. Envoyé à Paris par la municipalité en février 1792, il se lie avec Brissot et Roland, et soutient la Société des amis des Noirs. À l’origine de la marche sur Paris des fédérés marseillais, il en commande le bataillon lors du 10 août 1792. Ce rôle lui vaut une immense popularité à Marseille, qui l’élit député à la Convention. Hostile aux massacres de septembre, à la Commune de Paris et au mouvement populaire, il s’engage d’emblée aux côtés des girondins dans leur lutte contre les montagnards. À l’issue des journées des 31 mai et 2 juin 1793, il est l’un des vingtneuf députés proscrits. Arrêté, il s’évade et rejoint Caen, où il organise la contre-attaque
avec les rescapés girondins. Sur son initiative, ces derniers signent une protestation qui appelle les départements au soulèvement contre la Convention et marque le début du fédéralisme. Après l’échec de l’armée de Normandie en juillet 1793, il rejoint Bordeaux en insurrection, puis, lorsque la ville se rend, il se cache pendant plusieurs mois avec Buzot et Pétion. Se croyant découverts, ces deux derniers se suicident, tandis que Barbaroux ne parvient qu’à se blesser. Il est condamné à mort et guillotiné le 24 juin 1794. Barbé-Marbois (François, comte [d’Empire], puis marquis de), homme politique (Metz 1745 - Paris 1837). Ce fils d’un négociant postulant à la noblesse entame une carrière diplomatique en Europe et en Amérique, sous la protection de ministres de Louis XVI, le maréchal de Castries et le duc de La Luzerne. Intendant général de Saint-Domingue entre 1785 et 1789, il s’oppose aux colons qui ne veulent ni mesures favorables à la population noire ni restrictions à leur commerce avec les États-Unis. Rentré en métropole sous leur contrainte, il échoue dans les négociations entre la France révolutionnaire et les princes européens. Il se retire alors du service, réside à Metz pendant la Terreur, au cours de laquelle il n’est pas inquiété. Il devient maire de cette ville en 1795. Élu au Conseil des Anciens, il compte parmi les royalistes modérés qui critiquent le gouvernement, et dénonce le babouvisme. Accusé d’être « ministrable » de droite, il est victime du coup d’État de fructidor (4 septembre 1797) et, malgré des protestations de bonapartisme, envoyé en Guyane. Ayant résisté au climat, il est libéré. Grâcié, il entre dans la nouvelle administration, avec l’appui du nouveau consul, Lebrun. Directeur en 1801, ministre du Trésor en 1802 (c’est lui qui définit le franc germinal), président de la Cour des comptes en 1807, il est aussi chargé de négocier la cession de la Louisiane aux États-Unis. Fait comte d’Empire, nommé sénateur en 1813, il n’hésite pas à se rallier à Louis XVIII : élevé à la pairie, il est chassé pendant les Cent-Jours, avant d’occuper brièvement le portefeuille de la Justice, en 1815. Devenu marquis en 1817, il continue de siéger à la Cour des comptes jusqu’en 1834, puis à la Chambre des pairs jusqu’à sa mort. Barbès (Armand), révolutionnaire et homme politique (Pointe-à-Pitre, Guadeloupe, 1809 - La Haye, Pays-Bas, 1870). Républicain farouche, Barbès s’oppose à la monarchie de Juillet dès son arrivée à Paris, en
1830. Il est emprisonné une première fois à la suite des journées d’avril 1834, puis après l’attentat de Fieschi contre la famille royale (1835). Ayant organisé avec Auguste Blanqui et Martin Bernard l’insurrection du 12 mai 1839, dirigée contre le gouvernement de Louis-Philippe, il est à nouveau emprisonné et condamné à mort. Grâce à l’intervention de Victor Hugo, sa condamnation est commuée en peine de prison à perpétuité. Il est libéré lors de la révolution de février 1848 et acquiert, en tant que président du Club de la révolution, une grande popularité. Élu député de l’Aude, il siège à l’extrême gauche de l’Assemblée. Le 15 mai, sous son impulsion et celle de quelques autres chefs révolutionnaires, un coup de force est perpétré contre la Constituante, afin de former un gouvernement insurrectionnel à l’Hôtel de Ville. Barbès est de nouveau condamné à la prison. Incarcéré à Doullens, puis à Belle-Île-en-Mer, il refuse la grâce accordée par Napoléon III en 1854 ; libéré contre son gré, il quitte la France et s’exile aux Pays-Bas. Barbie (procès), procès intenté à Lyon, en 1987, à Klaus Barbie, accusé de crimes contre l’humanité. Barbie est l’ancien chef SS de la section IV du SIPO-SD, service de la police nazie chargé de la « répression des crimes et délits politiques » à Lyon, entre novembre 1942 et août 1944. Identifié en Bolivie, en 1971, par Beate et Serge Klarsfeld, il fait l’objet d’une première demande d’extradition en 1972. Sa livraison à la France en 1983 permet l’ouverture d’une instruction judiciaire. Certains des crimes de l’homme qui a torturé Jean Moulin ne peuvent être jugés ; Barbie, qui a été condamné à mort par contumace en 1952 et en 1954, bénéficie en effet de la prescription. Mais la nouvelle définition du crime contre l’humanité, donnée par l’arrêt du 20 décembre 1985 de la Cour de cassation, conduit à retenir parmi les chefs d’inculpation des actes commis non seulement contre des victimes juives, mais aussi contre des résistants, qui s’opposaient à la politique d’hégémonie idéologique de l’État nazi. Le procès s’ouvre en mai 1987. Considéré comme une contribution à l’histoire autant qu’à la justice, il est entièrement filmé (le film ne pouvant être intégralement diffusé que dans un délai de vingt ans). Défendu par Me Jacques Vergès, Barbie est reconnu coupable, en juillet 1987, de crimes contre l’humanité (dont la rafle des enfants d’Izieu le 6 juin 1944 et la déportation d’environ 650 personnes, le 11 août 1944, par le dernier train à destination des camps de la mort).
Il est condamné à la réclusion perpétuelle, et meurt en prison en 1991. Barère de Vieuzac (Bertrand), homme politique (Tarbes 1755 - id. 1841). Bertrand Barère de Vieuzac incarne une capacité politique peu répandue pendant la Révolution : celle de durer malgré l’exposition au plus vif du pouvoir. Ses biographes ont hésité entre deux qualifications : « géant de la Révolution » ou « habile rhéteur ». Comment peut-on devenir le porte-parole du Comité de salut public, être désavoué par Robespierre le 8 thermidor an II (26 juillet 1794), être thermidorien le 10, mais accusé en ventôse an III (mars 1795) ? Cette vie politique adhère au processus révolutionnaire dans ses multiples reformulations. Est-ce pour autant que la tactique s’oppose à la conviction ? • Un député jacobin. Élu député du tiers de Bigorre à 34 ans, ce fils de procureur, avocat au parlement, dispose en 1789 d’une assise provinciale et parisienne. Dès la réunion des États généraux, il est de tous les débats importants. Constituant actif, il fait restituer aux descendants des protestants leurs propriétés invendues, travaille à la création du département des Hautes-Pyrénées, adopte des positions radicales en faveur du séquestre des biens des émigrés et du contrôle des contributions par le seul pouvoir législatif, s’oppose au lobby colonial. Membre de la loge des Amis de la vérité, jacobin, il s’oppose à Barnave et à Sieyès. Élu par son département à la Convention, il n’accepte que par défaut le régime républicain. Il joue alors un rôle de médiateur entre montagnards et girondins, et préside le Comité de législation. Président de la Convention à partir du 29 novembre 1792, il prend parti contre l’appel au peuple, vote la mort du roi, rédige la proclamation au peuple français annonçant son exécution. S’il prononce l’appel à la « levée des 300 000 hommes », il s’oppose à la création du Tribunal révolutionnaire. Membre du Comité de salut public dès le 7 avril 1793, il prend position contre les girondins, mais aussi contre la Commune dans les événements des 31 mai et 2 juin. • Le héraut. Barère devient le porte-parole du Comité de salut public parce qu’il associe impartialité, vertu morale et radicalité, la seule qualité révolutionnaire qui soit. Avant de fustiger la « légèreté académique » avec laquelle Barère parle de la guerre, Robespierre a loué
les services de celui qui présente les rapports sur la confiscation des biens des individus mis hors la loi, l’établissement du gouvernement révolutionnaire, les mesures à prendre contre les étrangers, puis contre les Anglais, la mise en accusation de la reine, la langue nationale, downloadModeText.vue.download 77 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 66 l’assistance aux malheureux... Mais, lorsque Barère fait entrer Carnot au Comité de salut public, le 14 août 1793, ce dernier ne cesse de s’opposer à la politique sociale de Robespierre et de se heurter à Saint-Just sur la conduite de la guerre. Barère le soutient objectivement par ses récits de bataille enflammés. Ce ne sont pas des personnes qui sont en jeu mais des conceptions politiques opposées. Par pragmatisme, Carnot et Barère admettent que la guerre défensive puisse devenir une guerre de conquête, pourvu que la République française y trouve son intérêt. À l’inverse, pour Robespierre et Saint-Just, il faut mener une guerre défensive radicale contre l’ennemi anglais mais ne pas se laisser subvertir par la soif de conquête. • Le conciliateur coupable. Le 5 thermidor, Barère prononce un décret de réconciliation des comités, lequel divise en fait l’assemblée entre partisans de Carnot et partisans de Saint-Just. Le 7 thermidor, Barère évoque la renaissance des factions dont seraient responsables Robespierre et SaintJust. Le 8, Robespierre accuse ses ennemis et, si Barère reste attentiste le 9, il prononce le lendemain la « Proclamation au peuple français » qui donne la version officielle du 9 Thermidor : « Le 31 mai, le peuple fit sa révolution, le 9 thermidor, la Convention nationale a fait la sienne ; la liberté applaudit également à toutes les deux. » Quelques mois plus tard, ce ténor de l’an II est l’un des quatre grands coupables condamnés à la déportation par les thermidoriens. Il s’évade et confirme son engagement jacobin par des écrits, en particulier sur les colonies et l’Angleterre, et, enfin, tente à nouveau de se faire élire dans son département. Barnave (Antoine Pierre Joseph Marie), homme politique (Grenoble 1761 - Paris 1793). Jeune avocat au parlement de Grenoble, il participe, dès 1787, à l’agitation anti-absolutiste et à la campagne pour la convocation des états généraux de 1789.
• Un engagement précoce. Dans ses écrits, imprégnés de la philosophie politique de Montesquieu, il se prononce en faveur de la séparation des pouvoirs et d’une Constitution à l’anglaise, mais accuse bientôt la magistrature de n’agir qu’à son seul profit. Durant l’été 1788, il est, avec Mounier, l’un des artisans de la résistance active du Dauphiné et contribue, notamment dans la décisive assemblée de Vizille, au rapprochement entre ordres privilégiés et notables bourgeois. Député aux états généraux de 1789, il y oeuvre pour la réunion des ordres et le vote par tête, et prête le serment du Jeu de paume, dont il a écrit la formule avec Le Chapelier. Dès lors, devenu l’un des plus actifs dirigeants du parti patriote - il participe à la fondation du Club des jacobins, dont il rédige le règlement -, il s’oppose aux monarchiens et forme, avec Duport et Lameth, le triumvirat qui impose ses vues à la Constituante jusqu’en 1791. Promoteur du compromis entre notables et monarchie constitutionnelle, il a pour premier souci de contenir tant la Contre-Révolution aristocratique que le mouvement populaire. Mais ce grand orateur, aux capacités de réflexion peu communes, s’attire les foudres de la Société des amis des Noirs et des démocrates, et voit son influence et sa popularité décliner à partir de l’automne 1790. • Un retrait tout aussi précoce. Après l’arrestation du roi à Varennes, il défend la monarchie constitutionnelle contre la poussée démocratique et républicaine, et prononce, le 15 juillet 1791, un discours important qui consacre l’inviolabilité du roi. Le lendemain, il rompt définitivement avec les jacobins en étant l’un des principaux responsables de la scission des feuillants. Si sa politique triomphe provisoirement, il subit divers échecs à l’Assemblée, et les caricatures le montrent comme vendu à la cour. De fait, entre juillet 1791 et janvier 1792, il entretient une correspondance secrète avec Marie-Antoinette, qu’il conseille, espérant sincèrement rallier la cour à la Constitution de 1791. Sans mandat sous la Législative, il continue de conseiller les ministres, puis se retire en Dauphiné en janvier 1792. La découverte d’un document compromettant dans le cabinet du roi, lors de la révolution du 10 août 1792, provoque son arrestation le 19 août. Transféré à Paris après quinze mois de prison en province, Barnave est condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire et guillotiné le 29 novembre 1793. Il laisse une Introduction à la Révolution
française, ouvrage clairvoyant, rédigé pendant sa captivité et publié en 1843, qui présente le phénomène révolutionnaire comme l’aboutissement d’une longue évolution économique et sociale. Barnenez (tumulus de), monument funéraire mégalithique datant du IVe millénaire avant J.-C. situé à Barnenez, lieu-dit de la commune de Plouézoch (Finistère). Édifié sur la presqu’île de Kernelehen, dominant la baie de Morlaix et ses îles, il se présente comme un tertre, grossièrement quadrangulaire et étagé en gradins, fait de pierres sèches rapportées. Il est long de 70 mètres et large de 25 mètres ; son volume total est de 7 000 mètres cubes, et son poids de 14 000 tonnes. D’orientation est-ouest, il fut construit en deux parties : la plus ancienne, à l’est, recouvre cinq chambres funéraires ; la seconde, six. Utilisé comme carrière de pierres dans les années cinquante, il fut sauvé in extremis et restauré. Les chambres funéraires s’ouvrent toutes par un long et étroit couloir débouchant sur le côté sud du monument. De forme circulaire, certaines ont une couverture en grosses dalles de pierre - on parle alors de « dolmen à couloir » ; d’autres ont une voûte en encorbellement en simples pierres sèches - on parle de « tholos ». Certaines comportent des gravures : représentations humaines, haches, arcs, bovidés. Le mobilier funéraire est peu abondant, et la poterie la plus ancienne est dite « de type Carn », du nom de l’île Carn. On trouve aussi de la céramique néolithique chasséenne, à fin décor gravé. Le monument a cependant été réoccupé ultérieurement, si bien qu’on a pu mettre au jour des vestiges de la fin du néolithique, du chalcolithique (campaniforme) ou de l’âge du bronze ancien. Il a donc été utilisé pendant deux mille ans. baron, terme féodal désignant, à partir du XIIe siècle environ, un puissant seigneur. Parallèlement au renforcement de la noblesse guerrière, le mot « baron » a subi, durant le Moyen Âge, de nombreux glissements de sens. Désignant à l’origine l’homme (par opposition à la femme), le terme de « baron » signifie, depuis l’époque mérovingienne, « serviteur ». Cette évolution est donc parallèle à celle qui affecte le terme de « vassal », expression également réservée à l’aristocratie militaire. Après l’an mil, certains chevaliers se disent barons, et le vocable recouvre alors celui de « fidèle ».
Ces sens primitifs (hommes virils et braves, fidèles à leur seigneur) demeurent dans la littérature médiévale (et en particulier dans la chanson de geste) : les barons sont ces chevaliers valeureux et loyaux qui entourent le roi à la cour et à la guerre. Le terme de « baron » désigne ainsi plus un certain idéal de la société aristocratique qu’un groupe nobiliaire clairement délimité. Lorsque, dans la seconde moitié du XIIe siècle, les actes de la chancellerie royale évoquent le conseil des « barons du royaume », c’est à cette idéologie féodale qu’ils se réfèrent. Pourtant, on sait que la réalité des rapports de pouvoir au Moyen Âge est souvent fort éloignée de l’image rêvée d’une noblesse unie dans la fidélité envers la personne royale. Et le mot finit par désigner, dès le XIIIe siècle, les grands du royaume, souvent prompts à défendre leurs intérêts au sein du gouvernement royal : depuis le règne de Saint Louis, les « révoltes des barons » scandent régulièrement l’histoire politique française. Pourtant, les princes territoriaux, vassaux directs du roi, ne sont pas les seuls à se faire appeler « barons ». Il n’est pas rare que leurs propres vassaux prétendent également à ce titre. S’il est intégré à la hiérarchie féodale, le baron y occupe donc une place flottante et mal définie ; et il est bien difficile de distinguer, au sein de la noblesse française, ceux qui sont barons de ceux qui ne le sont pas. Il en va de même pour le terme de « baronnie », qui désigne des seigneuries remarquables par leur ancienneté (c’est le cas des baronnies du Périgord) ou par leur puissance (telle la baronnie de Marigny, depuis 1313). À partir du XIVe siècle, le titre baronnial devient purement honorifique et n’a presque plus de réalité politique. baroque. Employé en histoire de l’art et de la musique, plus récemment en histoire de la littérature, voire en histoire générale, dans les acceptions les plus différentes, souvent contradictoires (selon les emplois, le terme est antonyme ou synonyme de classique), le mot, entré dans l’usage courant, est aujourd’hui plus gênant qu’utile. L’historien devrait renoncer à employer cette pseudo-notion, qui, si elle peut être un objet de l’histoire, ne saurait être un outil historiographique. Une analyse complète du mot et de ses emplois supposerait un volume entier, puisque depuis un siècle chaque auteur en a donné sa définition ; dans le cadre de cet downloadModeText.vue.download 78 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 67 article, nous ne pouvons qu’offrir quelques repères. Cet effort de clarification lui-même n’est pas sans risque, car le baroque est comme une rumeur : l’évoquer, c’est l’entretenir. L’adjectif « baroque » est, au sens propre, un terme technique, emprunté au portugais barroco (1563) : « Terme de joaillier, qui ne se dit que des perles qui ne sont pas parfaitement rondes » (Dictionnaire de Furetière, 1690). Le mot prend bientôt le sens figuré de « bizarre », « irrégulier » (Saint-Simon, 1711 ; Dictionnaire de l’Académie, 1740), le seul connu encore de Littré (1877). Il n’est pas lié spécifiquement au monde des arts, mais il peut y être employé occasionnellement pour désigner en peinture, architecture, musique... toutes expressions bizarres ou dissonantes. « Baroque est tout ce qui suit non les normes des proportions, mais le caprice de l’artiste. Dans les peintures de Tintoret, il y a toujours quelque chose d’étrange et d’insolite, il s’y trouve toujours quelque chose de baroque » (Pernety, Dictionnaire portatif de peinture, sculpture et gravure, 1757). Même lorsque l’emploi du mot paraît recouper l’usage moderne, il convient de se rappeler qu’il n’a encore que le sens général d’irrégulier. Dans le Supplément à l’Encyclopédie (1776), Jean-Jacques Rousseau entend par musique baroque la musique « dont l’harmonie est confuse, chargée de modulations et de dissonances » ; lorsque, dans l’Encyclopédie méthodique de l’architecture (1788), Quatremère de Quincy définit « le baroque en architecture » comme « une nuance du bizarre », son expression ne coïncide que par hasard avec l’emploi contemporain du mot, puisqu’il oppose le style baroque de Guarini au style régulier du Bernin et de Mansart, que l’on qualifie aujourd’hui de baroque. • Y a-t-il un âge baroque ? Ce sont les historiens de l’art allemands qui, à la fin du XIXe siècle, donnent au mot, qui n’a plus de sens péjoratif, son premier ancrage historique en employant le mot Barockstil pour désigner, d’une part, l’art du Bas-Empire et, d’autre part, le style qui suit la Renaissance. Mais déjà apparaissent in nuce les causes de l’imbroglio sémantique : Henri Wölfflin et Cornelius Gurlitt ne s’accordent ni sur le champ chronologique (1520-1630 pour Heinrich Wölfflin ;
1600-1700 pour Gurlitt) ni sur les caractères du style ainsi dénommé, tandis que l’emploi de barock dans des champs historiques très lointains (Antiquité tardive, Europe moderne) prépare le glissement du mot vers une signification transhistorique. Partageant l’ambition de nombre d’esprits de sa génération de construire une science de l’art, Wölfflin reprend le terme dans ses ambitieux Principes fondamentaux de l’histoire de l’art (1915, édition française 1952) : il y oppose les formes classiques qu’il met en lumière au XVIe siècle (composition linéaire, en surface, close, procédant par analyse, cherchant l’absolue clarté) et les formes baroques du XVIIe (composition picturale, en profondeur, ouverte, cherchant la synthèse et l’obscurité relative). Wölfflin suggère aussi qu’il s’agit d’un couple qui revient de manière cyclique (art grec classique/hellénistique ; art romain antique classique/baroque ; gothique classique/gothique tardif, qu’il suggère d’appeler baroque). Dans son essai Du baroque (1928, édition française 1935), Eugenio d’Ors pousse à son paroxysme une lecture transhistorique, dont le succès favorise des développements qui relèvent plus de la causerie que de l’histoire, notamment dans le champ de l’histoire littéraire, qui utilisa le mot pour qualifier une période encore différente : 1560-1570 (parfois plus tôt) - 1650-1670 (Marcel Raymond, Jean Rousset). Les musicologues, qui ont repris le terme aux historiens de l’art, sont les seuls à s’accorder sur une base commune : la période baroque s’étend de Monteverdi à Bach, de 1600 à 1750 environ, et est caractérisée par l’emploi de la basse continue. Toutefois, nombre de ces spécialistes renoncent aujourd’hui à employer un terme jugé trop vague et trop connoté. En histoire de l’art, l’introduction du terme maniérisme - pour désigner ce que Wölfflin décrivait en 1888 sous le nom de baroque - a déporté définitivement ce dernier vers le XVIIe siècle, mais aussi le XVIIIe. Cependant, les auteurs hésitent entre une définition extensive, où le vocable se dissout jusqu’à devenir synonyme de XVIIe siècle, et une définition restrictive, réduite à certains aspects de l’art du XVIIe siècle, souvent ceux qui répondent de manière plus évidente aux critères de Wölfflin (l’architecture romaine, de 1630 à 1680, mais aussi le grand style architectural, du Bernin à Le Vau, Hardouin-Mansart et Wren, la grande peinture décorative, de Pierre de Cortone au
père Pozzo, mais aussi le style de Rubens, etc.). « Baroque » s’applique aussi, par la seule force de l’usage, à l’architecture rococo allemande (mais non au rococo français) ou à l’architecture hispanique du XVIIIe siècle, qui n’ont guère de point communs ni avec le Bernin ni entre eux. Trois facteurs expliquent que le mot ait résisté à toutes les incohérences évidentes de son emploi en histoire : la tradition hégélienne d’une histoire totale, synchrone (là où l’on explore aujourd’hui le chaos d’une histoire fractale) ; l’illusion réaliste (parce que le mot existe, on croit qu’il s’agit d’une chose, en oubliant que tout change selon le corpus de référence) ; la présence sous-jacente de la notion transhistorique (et notamment de la formulation très forte que Wölfflin lui donna). Barras (Paul François Jean Nicolas, vicomte de), homme politique (Fox-Amphoux, Var, 1755 - Paris 1829). Issu de la vieille noblesse provençale, Barras entre dans l’armée à 16 ans. Il combat en Inde, où il est fait prisonnier par les Anglais en 1778. De retour en France en 1780, il s’embarque sous les ordres de Suffren dès l’année suivante, séjourne au Cap jusqu’en 1783, puis quitte l’armée en 1786. • Un homme en retrait. En 1789, il assiste en spectateur à la prise de la Bastille avant d’assumer des responsabilités administratives en Provence. Élu député suppléant du Var à la Convention en septembre 1792, il bénéficie du désistement de Dubois-Crancé et siège à Paris deux mois plus tard. S’il vote la mort du roi, il reste assez effacé à la Convention et part en province, missionné pour plus d’un an. En mars 1793, il est envoyé avec Fréron dans les départements des Alpes, puis auprès de l’armée d’Italie. Lors de la rébellion fédéraliste, les deux amis sont chargés de contrôler les troupes républicaines qui assiègent Toulon livrée aux Anglais. Lors de deux brèves visites sur le front, en octobre et novembre 1793, Barras rencontre le lieutenant Bonaparte, mais l’incertitude de leurs récits empêche de connaître la réalité de ces entretiens. Il participe à la répression brutale contre les Toulonnais et les Marseillais. Dénoncé par les députés des Bouches-du-Rhône, il est rappelé à Paris par le Comité de salut public le 23 janvier 1794. Après le 10 thermidor an II (28 juillet
1794), la légende en fait l’un des principaux responsables du complot qui aboutit à l’exécution de Robespierre et de ses amis. En fait, désigné pour commander les troupes fidèles à la Convention, Barras se contente d’arrêter Robespierre réfugié à l’Hôtel de Ville. • Une figure du Directoire. Membre du Comité de sûreté générale de novembre 1794 à mars 1795, président de la Convention en février 1795, réintégré dans l’armée au grade de général de brigade en août 1795, il se trouve désormais au premier plan de la vie politique. Le 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795), c’est lui qui, nommé commandant en chef de l’armée de l’intérieur, mate l’insurrection royaliste, avec Bonaparte parmi ses adjoints. Devenu le « sauveur de la République », il est élu membre du Directoire le 1er novembre 1795, et il le reste jusqu’à la fin du régime. Personnifiant le Directoire et ses vices, aimant le luxe, Barras n’est pourtant pas aussi volage et corrompu que ne le croient ses contemporains. Lié à tous les partis, il prend des décisions plutôt modérées et ménage les différentes forces en présence, d’où l’accusation de mener double jeu. Lorsque les royalistes gagnent les élections de l’an V, il hésite, mais finit par défendre la République en soutenant le coup de force du 18 fructidor (4 septembre 1797). En revanche, il appuie celui du 22 floréal an VI (11 mai 1798) contre les jacobins. En 1799, les élections et les revers militaires affaiblissent le pouvoir. Barras aurait alors pris contact avec Louis XVIII. En octobre, il accueille avec prudence Bonaparte de retour d’Égypte. Prévenu du coup d’État du 18-19 brumaire an VIII (9-10 novembre 1799), il s’efface, déclarant qu’aucun militaire n’est de taille à s’opposer à Bonaparte. À partir de 1801, il est tenu à l’écart de Paris, puis, en 1810, exilé à Rome. Il ne rentre en France qu’après la première abdication de l’Empereur, mais ne soutient pas les CentJours. C’est la raison pour laquelle, bien que régicide, il échappe à la proscription sous la Restauration. Il meurt à Chaillot. Parfois surestimée, l’influence politique de Barras durant la décennie révolutionnaire est en réalité limitée jusqu’à son élection au poste de directeur. Et, même alors, il n’est pas ce « roi de la République » que l’on décrit souvent. À l’origine de cette légende, le dénigrement du régime directorial - dont il devient la figure emblématique - par les brumairiens « révisionnistes » menés par Sieyès et par le downloadModeText.vue.download 79 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 68 clan Bonaparte. Barras a laissé des Mémoires peu fiables, qui ne contribuent guère à éclairer son parcours. Barrès (Maurice), écrivain et homme politique (Charmes-sur-Moselle 1862 - Neuillysur-Seine 1923). Venu de sa Lorraine natale, le jeune Barrès fréquente à Paris les cénacles littéraires, lance une éphémère revue, publie Sous l’oeil des barbares (1888, premier volume d’une trilogie consacrée au Culte du moi), que salue un article de Paul Bourget. Il entre ensuite en politique dans la mouvance boulangiste : député de Nancy (1889), il siège à l’extrême gauche de la Chambre. Après un échec à Neuilly, il stigmatise les moeurs politiques dans une pièce de théâtre (Une journée parlementaire, 1894), dirige une feuille (la Cocarde, journal antisémite du soir), prend parti contre Dreyfus et dérive vers un nationalisme droitier que traduit le Roman de l’énergie nationale (les Déracinés, 1897 ; l’Appel au soldat, 1900 ; Leurs figures, 1902). Poursuivant sa carrière littéraire (qui le conduit à l’Académie en 1906), il publie une ultime trilogie consacrée à glorifier les Bastions de l’Est (1906-1920), chante cette Colline inspirée « où souffle l’esprit » (1913), fait vibrer ses diverses harmoniques (le Voyage de Sparte, 1906 ; Greco ou le Secret de Tolède, 1911 ; Une enquête aux pays du Levant, 1923). Député de Paris à partir de 1906, il succède à Déroulède à la tête de la Ligue des patriotes avant de mettre sa plume au service de la patrie dans la Chronique de la Grande Guerre. Au lendemain du conflit, son influence décroît rapidement. Il meurt, laissant inachevés ses Cahiers, Mémoires dont la publication s’échelonnera de 1929 à 1951. • Le nationalisme barrésien. Boulangiste à l’origine, à la fois populiste et patriote, le nationalisme barrésien se radicalise avec l’affaire Dreyfus. De l’extrême gauche, Barrès s’oriente vers la droite entre 1894 et 1906. Après avoir milité en faveur d’un « socialisme fédéraliste » qui regroupe, contre les parlementaires corrompus par le scandale de Panamá, Maurras et quelques hommes de gauche, le disciple de Gobineau entreprend une campagne violemment antidreyfusarde, dont l’antisémitisme constitue le ciment. Puis son combat politique s’oriente de plus en plus contre la République, qu’il tient pour responsable de la perte de l’Al-
sace-Lorraine. Le terroir est en effet la composante d’une force personnelle, mystique, déterministe et réunificatrice. L’évolution politique de Barrès traduit le passage de l’égotisme raffiné au nationalisme social : « Ayant longtemps creusé l’idée du moi avec la seule méthode des poètes et des mystiques par l’observation intérieure, je descendis parmi des sables sans résistance jusqu’à trouver au fond et pour support la collectivité. » En réaction contre les trivialités humaines, et se nourrissant de l’ivresse de l’intellect, l’égotiste veut tout éprouver, s’exalter en savourant et en analysant chaque émotion ; mais, pour être maître de son destin, il doit être puissant et s’affranchir du monde sensible. Le culte du moi-individu délivre l’être de toute contrainte face aux « barbares », c’est-à-dire à tout ce qui lui est étranger, et conduit Barrès à celui du moi-nation. À l’instar d’un être vivant, la nation constitue un tout irréductible qui doit se défendre des forces destructrices qui menacent sa cohésion et doit exprimer son énergie ou sa puissance face aux autres peuples en s’isolant de l’étranger et en se refermant sur son identité. La nation, fruit d’une vision organique de l’homme et de la collectivité, remplace ainsi la religion révélée. barricades. Lors d’affrontements urbains, ces concentrations éphémères qui résultent d’un amoncellement de fortune tendent à fixer les combats, à protéger les insurgés et à désorganiser les communications adverses. Elles comptent parmi les symboles majeurs de l’histoire révolutionnaire parisienne au XIXe siècle. Les barricades ne s’imposent durablement dans les combats qu’avec la révolution de juillet 1830. Jusque-là, elles n’apparaissent que de façon sporadique. Les premières sont érigées sous l’Ancien Régime, lors des combats de la Ligue (12 mai 1588), puis de la Fronde (26 août 1648). Au cours de ces deux « journées des barricades », la population parisienne défie avec succès le pouvoir royal. Des barriques remplies de terre et reliées avec des chaînes rendent les rues impraticables. En revanche, les barricades sont absentes des combats de l’été 1789, ainsi que des journées révolutionnaires des années suivantes - exception faite d’une timide apparition en prairial an III (mai 1795). • Les années héroïques. Leur retour soudain en 1830, pendant les Trois Glorieuses, n’en est que plus inattendu. Elles obstruent les rues du centre et de l’est de Paris, transfor-
mant l’espace en un inextricable labyrinthe. Les troupes royales dirigées par Marmont s’y empêtrent. Après chaque assaut, elles sont aussitôt reformées tandis que pleuvent les projectiles du haut des immeubles ; la capitale étant en perpétuel chantier, les insurgés peuvent se fournir en abondance en pavés, planches, meubles, véhicules de toutes sortes. Les combattants des barricades, artisans de la victoire sur Charles X, sont comblés d’honneurs, et les plus valeureux reçoivent la décoration de Juillet. Delacroix leur rend en 1831 un vibrant hommage en peignant la Liberté guidant le peuple. Mais le régime orléaniste ne les intègre pas parmi ses dirigeants ou ses cadres : la contestation endémique à laquelle doit faire face le régime dans les années qui suivent, nourrie par des crises économiques ou sociales récurrentes, prend à plusieurs reprises la forme de combats de barricades. On en dénombre plusieurs centaines les 5 et 6 juin 1832 dans les quartiers populaires de l’est et du centre de Paris. En avril 1834, elles ne sont plus qu’une trentaine, et moins encore lors de la prise d’armes de mai 1839. Le combat de barricades se révèle alors inadapté en l’absence d’un soutien populaire massif, tandis que s’accroissent les moyens des forces de l’ordre, épaulées par la garde nationale. De cette période date cependant la diffusion des barricades hors de Paris : canuts et républicains lyonnais en érigent des centaines lors des insurrections de novembre 1831 et d’avril 1834. C’est au milieu des barricades que s’effondre la monarchie de Juillet. Les premières surgissent dans la soirée du 22 février 1848, à l’issue d’une journée de manifestations. Artisans, boutiquiers et commis, fins connaisseurs des quartiers insurgés, se lancent dans la bataille, aidés ici et là par des étudiants ou par des dirigeants de sociétés secrètes. Plus d’un millier de barricades sont érigées face à des troupes indécises et peu enclines à verser le sang, d’autant que Louis-Philippe renonce vite à l’épreuve de force. • Drames et métamorphoses. En juin 1848, de multiples fractures, d’ordre géographique, économique, social ou culturel, conduisent Paris à la guerre civile. Près de quatre mille barricades, certaines plus massives et plus redoutables que jamais, se dressent à l’est d’une ligne joignant la rue Saint-Jacques et la rue du Faubourg-Montmartre. Les combats sont particulièrement meurtriers de part et d’autre : quatre mille morts environ contre moins d’un millier en juillet 1830. Ce terrible choc pèse sur les an-
nées suivantes. Le petit nombre de barricades (une centaine seulement) élevées à l’annonce du coup d’État du 2 décembre 1851 témoigne de la faible mobilisation des opposants à Louis Napoléon Bonaparte. Une poignée de députés montagnards tentent en vain de soulever les quartiers populaires. Ils ajoutent cependant un chapitre à l’histoire des barricades : c’est sur l’une d’elles qu’est tué le député Baudin. Le Paris impérial ne connaît pas d’insurrection. La police veille, et la population ne s’agite guère, tandis que les grands travaux d’urbanisme du baron Haussmann éventrent les réseaux de ruelles si propices au combat urbain. L’image subversive et romantique des barricades se perpétue pourtant, notamment parmi les exilés. Dans les Misérables (1862), Victor Hugo consacre des chapitres entiers à la barricade de la rue de la Chanvrerie, où se retrouvent Jean Valjean, Marius et Gavroche en juin 1832, mais aussi à celles de juin 1848 : la « Charybde du faubourg Saint-Antoine et la Scylla du faubourg du Temple ». Le révolutionnaire Auguste Blanqui songe pour sa part à en accroître l’efficacité. Contre l’improvisation et le gaspillage des énergies, il préconise une rationalisation de la construction, une unité de commandement et une véritable insertion de la barricade dans l’espace urbain. À la chute de l’Empire et face à la menace des armées étrangères, la barricade redevient naturellement le symbole du peuple uni. Une commission des barricades est ainsi établie par le gouvernement de la Défense nationale. Mais le sanglant épilogue de la Commune vient anéantir, une fois encore, l’union un moment rêvée. Les versaillais, dans leur reconquête de la capitale, s’emparent sans coup férir des barricades fortifiées que les communards ont construites les semaines précédentes, empilements colossaux de sacs de sable, plus impressionnants qu’efficaces. La résistance est plus âpre autour du demimillier de barricades érigées en hâte dans les quartiers populaires de Popincourt, de la Roquette, de la Villette ou de Belleville. • Les barricades entre l’histoire et le mythe. L’histoire des barricades change prodownloadModeText.vue.download 80 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 69 gressivement de sens après la Commune. Leur aspect se modifie, et les techniques évoluent : la voiture renversée ou l’usage du cocktail
Molotov marquent l’entrée dans le XXe siècle ; si elles influent de moins en moins sur le cours des combats, elles galvanisent plus que jamais les volontés. Enfin, elles cessent d’incarner un Paris républicain, révolutionnaire, populaire. Des mouvements d’extrême droite en font à deux reprises une arme de combat. Ainsi, le 6 février 1934, ce sont les ligueurs les plus activistes qui dressent des barricades autour de la place de la Concorde. Ainsi, du 24 janvier au 1er février 1960, Alger connaît une « semaine des barricades » : aux combats meurtriers du premier soir succèdent des journées d’attente et de négociations dans les quartiers insurgés ; une partie de la population algéroise apporte son soutien aux hommes de Joseph Ortiz ou de Pierre Lagaillarde, dans une atmosphère de fête ; et, pour la première fois dans l’histoire des barricades, la défaite des insurgés prend la forme d’une reddition. Les barricades dressées face aux troupes allemandes au mois d’août 1944 ne ressemblent également que de loin aux précédentes. « Que toute la population parisienne, hommes, femmes, enfants, construise des barricades, que tous abattent des arbres sur les avenues, boulevards et grandes rues. Que toutes les petites rues soient particulièrement obstruées par des barricades en chicane. [...] Tous aux barricades ! » tel est l’appel lancé aux Parisiens par Rol-Tanguy, chef de l’insurrection. Cependant, même si les Allemands perdent beaucoup d’hommes et de temps dans les combats de rue, ceux-ci tiennent une place secondaire dans une stratégie militaire de grande envergure ; l’inadaptation et la fragilité de nombreuses barricades d’août expliquent d’ailleurs le lourd tribut - environ 1 500 morts - payé par les insurgés. Mai 1968 marque une étape décisive dans l’idéalisation des barricades. Les combats de rue n’ont plus la terrible violence d’antan, et les grandes barricades restent circonscrites au seul Quartier latin, la contestation s’exprimant plus volontiers par la grève, l’occupation des locaux (universités, usines, etc.) ou la manifestation. Pourtant, les affrontements de la « nuit des barricades » (10-11 mai) ont un impact considérable sur une opinion publique qui suit les assauts « en direct ». Entre la peur et l’enthousiasme, entre la dénonciation des brutalités policières et le refus du désordre, l’intensité des réactions montre que les barricades sont profondément enracinées, aujourd’hui encore, dans la conscience collective.
barricades (journée des) [12 mai 1588], journée d’insurrection au cours de laquelle la population parisienne se soulève contre les troupes royales. La crise se noue l’année précédente, lorsque Henri de Guise, chef de la Sainte Ligue, s’impose comme le véritable rival d’Henri III. Celui qu’on nomme alors le Balafré jouit d’une grande popularité à Paris. Il y est appelé par les Seize, comité composé de ligueurs représentant les seize quartiers de la ville. Bravant les ordres du roi qui lui a interdit de revenir dans la capitale, le duc y entre le 9 mai, acclamé aussitôt par une foule enthousiaste. En compagnie de Catherine de Médicis, il se rend au Louvre, où le roi le reçoit très froidement. Le lendemain, il y retourne accompagné de 400 hommes en armes. Henri III, qui ne se décide pas à faire arrêter son rival, fait appeler 4 000 gardes suisses et 2 000 gardes-français et les autorise à défiler. C’est compter sans la susceptibilité des Parisiens : les portes de la ville étant interdites aux soldats de métier, la population réprouve bruyamment cette démonstration de force. Le 12 mai, une grande partie de la capitale se couvre de barricades. Les soldats sont insultés, frappés, et quelques gardes suisses sont même massacrés. Le roi est obligé de s’enfuir, laissant momentanément son rival maître de Paris. Brève victoire pour le duc de Guise, qui n’ose pas déposer son souverain et mourra sous ses coups quelques mois plus tard. barricades (journée des) [26 août 1648], première insurrection populaire de la Fronde à Paris. Cet incident est le fruit de la lutte entre la monarchie et le parlement de Paris, qui profite des troubles causés par la guerre de Trente Ans (1618-1648) pour renforcer ses pouvoirs au détriment de ceux de la régente Anne. Cette dernière, préoccupée par l’issue des combats, fait d’abord mine de se soumettre aux exigences des parlementaires, qui obtiennent notamment la suppression des intendants et de la vente d’offices ainsi que le droit de voter les impôts. Mais dès la victoire de Lens, remportée le 20 août 1648, la régente revient sur ses concessions et fait arrêter, le 26 août, les parlementaires les plus virulents, dont le très populaire conseiller Pierre Broussel. Aussitôt, Paris se couvre de barricades. Troupes royales et milice bourgeoise se font face sans pourtant oser s’affronter. Le 27 août, une délégation conduite par le futur cardinal de Retz se rend au Palais Royal pour négo-
cier la libération de Broussel. Le 28 août, la reine, sur les conseils de Mazarin, relâche les parlementaires et quitte Paris avec le jeune roi. La monarchie s’est donc inclinée devant la dynamique bourgeoisie parisienne. Les protagonistes de la Fronde sont en place : une monarchie affaiblie et une bourgeoisie parlementaire influente, soutenue dans son action par la grande noblesse. barricades (semaine des), du 24 janvier au 1er février 1960, soulèvement des activistes français d’Alger qui consacre leur rupture avec le général de Gaulle. Revenu au pouvoir avec le soutien des partisans de l’Algérie française, l’ancien chef de la France libre a vite infléchi sa politique algérienne. Le 16 septembre 1959, il se prononce pour l’autodétermination de l’Algérie ; le 22 janvier 1960, il demande le rappel en métropole du général Massu, chef du corps d’armée d’Alger, qui s’est montré hostile à ses choix récents. Cette décision suscite une réaction très vive en Algérie : le 24, des affrontements éclatent entre les gendarmes mobiles et les manifestants armés, qui dressent des barricades. Huit d’entre eux et quatorze gendarmes sont tués. Les actitivistes, menés par le député Pierre Lagaillarde et le cafetier Joseph Ortiz, constituent alors un camp retranché au centre d’Alger. Ils capitulent le 1er février, faute d’avoir pu rallier l’armée, restée en majorité fidèle au général de Gaulle. Les conséquences de la semaine des barricades sont importantes : les ministres pro-Algérie française, tel Jacques Soustelle, quittent le gouvernement, qui obtient de l’Assemblée le droit de légiférer par ordonnances ; le général de Gaulle se déclare favorable à une « Algérie algérienne », au grand dam de certains officiers. Quant aux Français d’Algérie, ils sont tentés par une radicalisation qui les isole à la fois des Français de métropole et des musulmans algériens. La violence semble désormais la seule issue pour ceux qui n’ont pu réaliser un nouveau 13 mai 1958. Barrot (Odilon), avocat et homme politique (Planchamp, Lozère, 1791 - Bougival, Seineet-Oise, 1873). Issu d’une lignée de notaires et d’avocats, fils de conventionnel, il est sous la Restauration l’un des grands orateurs du barreau, partisan farouche d’une monarchie constitutionnelle à l’anglaise. La révolution de juillet 1830 le surprend, mais il en perçoit vite les enjeux et devient secrétaire de la commission muni-
cipale siégeant à l’Hôtel de Ville. Il y oeuvre contre l’établissement d’un régime républicain, notamment auprès de La Fayette. Préfet de la Seine jusqu’en février 1831, il se rapproche ensuite de l’opposition et dirige à la Chambre des députés le groupe de la gauche dynastique. Sous la monarchie de Juillet, seuls les ministères Thiers trouvent grâce à ses yeux ; il s’oppose en revanche sans relâche aux orientations de Guizot. Organisateur en 1847 de la « campagne des banquets » pour la réforme électorale, il contribue bien malgré lui à la chute de Louis-Philippe. Il est élu à l’Assemblée constituante, où il compte parmi les « républicains du lendemain ». Louis Napoléon Bonaparte, président de la République en décembre 1848, lui confie le ministère de la Justice, mais, prenant ombrage de ses convictions orléanistes, le congédie en septembre 1849. À la suite du coup d’État du 2 décembre, qu’il condamne, Odilon Barrot est arrêté, emprisonné un temps, puis quitte à jamais la scène politique. Il a plus de 80 ans lorsque Thiers le nomme à la présidence du Conseil d’État, en 1872. Barry (Jeanne Bécu, comtesse du), maîtresse de Louis XV (Vaucouleurs 1743 - Paris 1793). Fille naturelle d’Anne Bécu et d’un moine, elle arrive jeune à Paris et vit de ses charmes sous divers noms. En 1768, son amant, le comte Jean du Barry, lui fait épouser son frère Guillaume. Ainsi munie d’un titre, elle est introduite à la cour de Louis XV, dont elle devient la favorite. Elle ne jouera aucun rôle politique, si ce n’est dans le renvoi de Choiseul, qui a freiné son ascension sociale. Renvoyée de la cour en 1774, elle se retire peu après dans le château de Louveciennes, que Louis XV lui a fait construire. Entre 1791 et 1793, elle se rend à plusieurs reprises en AndownloadModeText.vue.download 81 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 70 gleterre, ce qui la fait soupçonner d’intrigues avec les émigrés. De retour à Louveciennes en 1793, elle est arrêtée par le Tribunal révolutionnaire et exécutée le 8 décembre. Ainsi périt la dernière maîtresse royale de la monarchie française. Tout au long de sa vie, la du Barry fut la cible de pamphlets et de gravures pornographiques : en raison de son origine sociale
modeste et de sa vie de courtisane, le peuple la jugeait indigne des faveurs monarchiques. Ces attaques populaires dirigées contre la comtesse et les autres maîtresses du BienAimé s’inscrivent dans un long processus de dénigrement des plus éminentes figures féminines de la cour. Bart (Jean), corsaire (Dunkerque 1650 - id. 1702). Issu d’une famille de marins, il s’illustre sa vie durant sur les mers, au service du roi, faisant preuve d’audace et de sens tactique. Dès 1672, après avoir combattu les Anglais sous les ordres de l’amiral néerlandais Ruyter (1666), il passe au service de la France et, en 1674, est promu commandant d’un navire corsaire. Avec Duguay-Trouin et Forbin, il devient l’un des plus grands acteurs de la guerre de course. En 1678, il a déjà 81 prises à son actif. Pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), il met à mal les flottes anglaise et néerlandaise, multipliant les expéditions en mer du Nord. Le 29 juin 1694, alors que la France subit une grave crise de subsistances, il sauve un convoi de blé russe, ce qui lui vaut d’être anobli par Louis XIV. Ni son emprisonnement par les Anglais (1689) ni le bombardement de Dunkerque (16941695) n’ont pu venir à bout de son énergie. Nommé chef d’escadre et commandant de la marine de Dunkerque en 1697, il meurt avant d’avoir pu s’engager dans la guerre de la Succession d’Espagne. Barthélemy (François, marquis de), diplomate et homme politique (Aubagne, Bouches-du-Rhône, 1747 - Paris 1830). La protection de son oncle, auteur du célèbre Voyage du jeune Anacharsis en Grèce (1788) et familier de Choiseul, lui ouvre les portes de la diplomatie : il occupe divers postes en Europe (Stockholm, Vienne, Londres), mais refuse le ministère des Affaires étrangères en 1791, et se voit nommé ambassadeur auprès des cantons suisses à la fin de l’année. Il réussit à faire face à une situation difficile : mauvaises relations avec les Suisses, aggravées après les massacres du 10 août 1792 ; présence d’émigrés et de réfugiés ; heurts avec son premier secrétaire ; obligation de s’installer dans un hôtel de la petite ville de Baden, près de Zurich. Grâce à ses capacités de négociateur et d’organisateur des échanges commerciaux (plus ou moins clandestins) entre les deux pays, il obtient de demeurer ambassadeur en Suisse, alors qu’une partie
des cantons ne reconnaît pas le gouvernement révolutionnaire. Il traverse ainsi la Terreur et, même si une partie des thermidoriens le juge trop indulgent envers les émigrés, il figure au centre des négociations avec la Prusse et l’Espagne en 1795, qui s’achèvent par les traités de Bâle. Il acquiert ainsi une réputation durable d’« homme de la paix », qu’il conforte en négociant l’échange de Madame Royale contre des révolutionnaires prisonniers des Autrichiens (ce qui lui vaut d’être soupçonné de participer à des intrigues royalistes). La majorité royaliste modérée issue des élections de l’an V le fait élire directeur en 1797. Il s’oppose alors aux mesures trop révolutionnaires, sans pour autant mener une action très efficace. Victime du coup d’État de fructidor (4 septembre 1797), il est déporté à Cayenne sans avoir été jugé. Il s’évade vers la Guyane néerlandaise cinq mois plus tard, se réfugie aux États-Unis, puis en Angleterre. Mal accueilli, il gagne Hambourg, où il rejoint un groupe d’émigrés fidèles à Louis XVIII. Au lendemain du 18 Brumaire, Bonaparte le fait rentrer et le nomme sénateur dès 1800. Resté fidèle, malgré la mort de Pichegru et l’exécution du duc d’Enghien, il devient comte d’Empire et entre à l’Institut en 1808. Nommé président du Sénat en 1814, il fait voter la déchéance de Napoléon, est nommé sénateur à vie par Louis XVIII, puis pair de France. Absent pendant les Cent-Jours, il est fait marquis héréditaire, après avoir voté la mort de Ney, en 1818. Retiré de la vie politique lors du ministère Decazes, il rédige alors ses Mémoires. Barthou (Louis), homme politique (Oloron-Sainte-Marie, Pyrénées-Atlantiques, 1862 - Marseille 1934). Parlementaire pendant quarante-cinq ans, douze fois ministre, une fois président du Conseil, Louis Barthou est un des hommes clés de la IIIe République. Après des études de droit, ce brillant jeune Béarnais, d’origine modeste, est élu député républicain progressiste des Basses-Pyrénées. À Paris, il se fait vite connaître par ses dons d’orateur et ses interventions minutieusement préparées. À 33 ans, il est au centre de l’éventail politique, apparaît comme un des chefs des républicains progressistes et entre dans le second cabinet Dupuy, au poste stratégique de ministre des Travaux publics (mai 1894-janvier 1895). Il détient ensuite cinq portefeuilles ministériels jusqu’en mars 1913, date à laquelle le
président Poincaré le choisit comme président du Conseil (mars-décembre 1913). Il se manifeste alors comme un fervent patriote et fait voter la « loi des trois ans » sur le service militaire. En 1917, il est ministre d’État, puis des Affaires étrangères. Après guerre, il est plusieurs fois ministre dans des cabinets de droite, mais c’est au Quai d’Orsay, dans le gouvernement d’« union nationale » de Doumergue, qui suit le 6 février 1934, qu’il donne toute sa mesure : il tente d’isoler l’Allemagne nazie en constituant un système de sécurité collective en Europe centrale, auquel il souhaiterait voir se joindre l’URSS et l’Italie. Mais il meurt à Marseille le 9 octobre 1934 dans l’attentat commis par un nationaliste croate contre le roi Alexandre Ier de Yougoslavie. Barthou avait su engager une politique à la fois réaliste et visionnaire, qui fut, selon l’historien Jean-Baptiste Duroselle, « une brève période d’incontestable redressement sur le chemin de la décadence ». Basch (Victor), philosophe et président de la Ligue des droits de l’homme (Budapest ? 1863 - Neyron, Ain, 1944). Né dans une famille juive de Hongrie, Victor Basch, après son succès à l’agrégation d’allemand, enseigne à l’université de Nancy, puis à Rennes. Ses thèses sur Schiller et sur l’esthétique de Kant soutenues, il arrive en Sorbonne (1906), où il obtient une chaire d’esthétique. Toutefois, son renom tient avant tout à son itinéraire d’intellectuel engagé. L’affaire Dreyfus provoque chez lui une prise de conscience : il fonde la première section provinciale de la Ligue des droits de l’homme (LDH), et transforme son domicile en véritable quartier général du camp dreyfusard lors du procès de Rennes. Entré au comité central de la LDH en 1907, il en devient le président en 1926. Ses combats au sein du mouvement socialiste et de la LDH le conduisent d’abord à stigmatiser la responsabilité de l’Allemagne dans la Première Guerre mondiale, puis à renouer un dialogue avec elle. Son pacifisme ne l’empêche pas de combattre le fascisme avant 1933. Et, sans engager la Ligue, il devient le président du Comité national du rassemblement populaire. Puis ses relations avec le gouvernement de Front populaire se distendent quand il préside le Comité d’aide à l’Espagne républicaine. Son antifascisme en fait l’adversaire résolu des accords de Munich et le conduit à dénoncer le pacte germano-soviétique. Après la victoire allemande, il se réfugie à Lyon. Le 12 janvier 1944, lui et sa femme sont abattus par la Milice.
basoche, terme utilisé pour désigner les communautés de clercs de procureurs des cours souveraines (parlements, chambre des comptes, cour des aides, cour des monnaies, châtelet), et en particulier du parlement de Paris, de la fin du Moyen Âge (XIVe-XVe siècle) au XVIIIe siècle. La basoche reproduit sur le mode parodique les institutions juridiques des différentes cours et les rites de sociabilité des officiers de justice. Le royaume de basoche est ainsi dirigé par un chancelier, élu chaque année par l’ensemble des clercs, et se compose d’une juridiction centrale, formée d’officiers (les princes de la basoche) et de juridictions territoriales qui s’insèrent dans le cadre des prévôtés royales. Les audiences hebdomadaires des cours basochiales, ainsi que diverses fêtes et processions annuelles, sont l’occasion de rites bouffons pastichant les usages et les moeurs des gens de justice. Mais la basoche devient aussi, progressivement, un véritable organe juridictionnel chargé de régler les litiges civils entre les clercs et disposant de larges pouvoirs disciplinaires sur la profession. Ces diverses compétences sont d’ailleurs reconnues par le pouvoir royal en 1528, puis de nouveau en 1604 et 1642. La basoche parvient même à contrôler l’accès à la profession de procureur en détenant le monopole de délivrance des certificats d’ancienneté nécessaires pour obtenir cette fonction. La basoche est ainsi un des exemples les plus significatifs de ces corps à la fois professionnels et sociaux qui organisent la société urbaine d’Ancien Régime. downloadModeText.vue.download 82 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 71 basque (Pays), région des Pyrénées occidentales, de langue et de culture basques. Bien que n’ayant jamais véritablement connu d’existence politique indépendante, le Pays basque constitue une entité ethnique et culturelle, caractérisée notamment par une langue dont l’origine n’est pas indo-européenne. Le peuple basque vient, semble-t-il, de la péninsule Ibérique et s’installe dans les vallées pyrénéennes à partir du VIe siècle. À la suite d’une lente progression du VIe au VIIe siècle, les Basques finissent par occuper l’ensemble des territoires compris entre la Garonne et les Pyrénées, c’est-à-dire l’ancienne province romaine de Novem-populanie, donnant ainsi
naissance à la Wasconia, ou Gascogne. Les Basques refusent cependant de se soumettre à la monarchie franque et entretiennent un climat d’insécurité dans tout le piémont pyrénéen, jusqu’à la vallée de la Garonne. Afin de les contenir dans leurs montagnes, le roi franc Dagobert crée en 629 un royaume d’Aquitaine, avec Toulouse pour capitale, et en confie la charge à son demi-frère, Caribert. Après la mort de ce dernier, Dagobert reprend directement l’offensive contre les Basques, qu’il écrase en 635. Leur soumission aux rois francs reste cependant théorique, car ils bénéficient indirectement de la construction d’une principauté d’Aquitaine, indépendante aux VIIe et VIIIe siècles. Lorsque l’Aquitaine est intégrée au royaume carolingien, entre 760 et 768, les Basques, réfugiés dans les Pyrénées, refusent de nouveau de se soumettre. Ils massacrent ainsi, en 778, au col de Roncevaux, l’arrière-garde de l’armée de Charlemagne de retour d’Espagne. La constitution d’un comté de Gascogne au début du IXe siècle et l’essor du pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle aux Xe et XIIe siècles assurent enfin l’intégration du peuple basque au monde franc. Durant tout le Moyen Âge et la période moderne, le pays et le peuple basques demeurent toutefois partagés entre la souveraineté des rois de France, des rois de Navarre et des rois de Castille. La fixation progressive de la frontière pyrénéenne entre la France et l’Espagne ne laisse en définitive qu’une petite minorité de la population basque (celle de la Basse-Navarre, de la Soule et du Labourd) sous souveraineté française. Aux XIXe et XXe siècles, la naissance et l’essor du nationalisme au Pays basque espagnol n’ont que peu d’incidences sur le Pays basque français, qui reste bien intégré à la République. Si un courant nationaliste finit par apparaître dans les années soixante et se double, à partir de 1973, d’un groupe clandestin (Iparretarak, « Ceux du Nord ») lié au terrorisme basque espagnol, le mouvement indépendantiste ne peut compter que sur 5 à 6 % des suffrages aux élections. La singularité basque continue ainsi d’exister en France sans structure politique propre. Bastiat (Frédéric), économiste (Bayonne 1801 - Rome 1850). Ce fils de négociant se tourne très tôt vers l’action publique. Son engagement est dès l’origine marqué par une grande défiance à l’égard de l’État et du rôle que celui-ci entend jouer dans l’économie. Mais, d’un strict point de vue politique, Bastiat est conservateur : il
soutient en 1830 un candidat hostile aux « 221 » qui avaient voté l’adresse à Charles X, contre le gouvernement Polignac. Sa pensée économique se structure autour des idées libreéchangistes, influencées par celles de l’Anglais Cobden. En 1844, il envoie au Journal des économistes un article consacré aux tarifs francoanglais, analyse d’inspiration libérale sur les relations commerciales entre les deux pays, qui connaît un vif succès. Bastiat organise alors la société libre-échangiste à Bordeaux, avant de rejoindre à Paris le duc d’Harcourt, animateur du mouvement. Ses opinions évoluent peu à peu d’une réflexion économique vers un combat politique contre le socialisme, notamment contre Proudhon, auquel l’oppose une polémique restée célèbre sur la légitimité de l’intérêt. Élu député des Landes en 1848, il défend à la Chambre sa conception d’un État cantonné à ses missions régaliennes. De santé fragile, Bastiat meurt laissant inachevé le manuscrit des Harmonies économiques, dont le titre rend compte d’une vision optimiste du libéralisme. Théoricien plus qu’homme politique, il demeure en France comme l’un des pères de la pensée libérale. En témoigne le regain d’intérêt pour ses idées dans les rangs libéraux au cours des années quatre-vingt. Bastille, forteresse militaire édifiée en 1370 dans l’est de Paris, devenue prison d’État au XVIIe siècle, prise d’assaut par les Parisiens le 14 juillet 1789 et rasée peu après. • Histoire et légende. Haute de 30 mètres, bordée de larges fossés et flanquée de huit tours massives, la Bastille est une place forte construite lors de la guerre de Cent Ans pour défendre Paris. Elle accueille parfois des prisonniers dès le XVe siècle et devient, sous Louis XIII, l’une des prisons d’État où le roi peut faire enfermer, sur lettre de cachet, toute personne qu’il juge dangereuse pour la sécurité du royaume. D’une capacité d’environ cinquante places, la Bastille reçoit, entre 1659 et 1789, 5 279 prisonniers, hommes ou femmes, dont 80 % font un séjour de moins d’un an et 4 % de plus de cinq ans. Les prisonniers illustres, tels Fouquet, le Masque de fer, Latude, Voltaire, Lally-Tollendal ou Sade, contribuent à la légende d’une prison réservée aux élites, bien que les grands seigneurs ou les écrivains renommés y soient minoritaires. Parmi les causes d’embastillement, la politique, la religion et les crimes économiques contre le roi (faux en écritures ou malversations) prédominent ; mais, depuis que le
lieutenant général de police (charge créée en 1667) a le droit d’embastiller sur ordre du roi, l’essentiel des prisonniers est composé de militaires indisciplinés, duellistes, espions, maris libertins ou fils rebelles (enfermés à la demande des familles), sacrilèges, faux prophètes, sodomites, libellistes, libraires, imprimeurs, colporteurs, auteurs de complots et petits délinquants. Le trait le plus caractéristique demeure la volonté de contrôler l’opinion publique, volonté qui se traduit par l’embastillement en nombre croissant d’auteurs - et de leurs complices - de paroles ou d’écrits jugés subversifs. Le nombre de prisonniers varie ; il augmente à l’époque de la prise effective du pouvoir par Louis XIV ou à l’occasion d’événements importants, tels la révocation de l’édit de Nantes, la condamnation du jansénisme (l’adhésion aux thèses jansénistes est le premier motif d’embastillement sous Louis XV), l’attentat de Damiens, la guerre des Farines, ou l’affaire du Collier de la reine, qui suscite tant d’écrits insultants contre Marie-Antoinette. Les nobles, qui représentent un tiers des embastillés sous le règne de Louis XIV, n’en forment plus qu’un sixième sous celui de Louis XV, qui marque ainsi une rupture par une sorte de banalisation sociale mais aussi par le recours de plus en plus fréquent à la Bastille. Dès lors, et jusqu’en 1789, les membres du tiers état constituent les trois quarts des embastillés. La Bastille connaît un relatif déclin sous Louis XVI, qui use deux fois moins de ce moyen de répression que ses prédécesseurs. Les conditions de détention dans cette forteresse (dirigée par un gouverneur) sont bien plus douces que dans les prisons ordinaires, surpeuplées et affermées aux geôliers qui se paient sur leurs prisonniers. Moyen d’écarter les mauvais sujets de la société en étouffant le scandale, l’embastillement évite aux détenus, dont l’entretien est payé par le roi, le déshonneur d’un procès ainsi que les peines infamantes et corporelles. Entourée d’un secret impénétrable, propice aux rumeurs les plus folles, et située à la jonction du populeux faubourg Saint-Antoine et du Marais aristocratique, la Bastille, qui menace nombre de Parisiens, terrorise et fascine tout à la fois. Au XVIIIe siècle, sous l’influence des Lumières et de l’anti-absolutisme, elle devient un symbole de l’arbitraire royal, violemment dénoncé à partir de 1770. • La prise de la Bastille. La peur est à l’origine de la révolte de l’été 1789 : les troupes rassemblées par Louis XVI autour de la capi-
tale, sans doute pour dissoudre la toute récente Assemblée nationale, le renvoi du populaire Necker, mais aussi l’extrême cherté du pain, aliment de base, tout concourt à l’idée d’un complot aristocratique contre le peuple. Au matin du 14 juillet, après deux jours de désordres et de pillages, la foule, en quête d’armes pour se défendre contre la troupe, s’empare aux Invalides de 32 000 fusils, puis se dirige vers la Bastille dans l’espoir d’y trouver poudre et munitions. Cependant, le gouverneur Launay refuse de livrer la forteresse défendue par un peu plus de 100 soldats, qui finissent par ouvrir le feu : la fusillade fait une centaine de morts parmi les assaillants. Mais Launay capitule lorsque des gardes-françaises, venus en renfort, pointent leurs canons sur les portes. Six défenseurs sont tués ; Launay et le prévôt des marchands, Flesselles, décapités, leurs têtes, exhibées sous les fenêtres du Palais-Royal. La Bastille ne recèle pas d’armes et n’y sont enfermés que sept prisonniers, qui sont délivrés par les Parisiens. Pourtant, l’assaut, qui a raison de Louis XVI (il fait retirer les troupes, rappelle Necker et arbore la cocarde tricolore) et marque l’irruption du peuple en armes sur la scène politique, devient d’emblée le symbole de la liberté conquise. Il trouve un formidable écho dans tout le pays, dont certaines régions vont être traversées par le mouvement de la Grande Peur. • La permanence d’un symbole. Décidée dès le 15 juillet 1789, la démolition de la « cidownloadModeText.vue.download 83 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 72 tadelle du despotisme » est aussitôt commencée par l’entrepreneur Palloy, qui a l’idée de tailler dans les blocs de pierre des maquettes de la Bastille qui sont envoyées dans toute la France. Ornant les sièges des clubs et des sociétés populaires, elles sont bientôt portées en procession lors des fêtes révolutionnaires. Le 14 Juillet est commémoré tout au long de la Révolution jusqu’au Premier Empire. Dès 1790, la fête de la Fédération célèbre à la fois cette journée révolutionnaire et l’unité des Français. À cette occasion, un diplôme de « vainqueur de la Bastille » est attribué par décret à 662 assaillants, dont 400 survivants seront encore pensionnés par la monarchie de Juillet. En 1812, la place de la Bastille est ornée de la maquette d’une fontaine en forme d’éléphant, avant-projet d’un immense monument qui ne verra jamais le jour. Puis la
colonne de Juillet, surmontée du génie de la Liberté, y est inaugurée en 1840 en mémoire des combattants de la révolution de 1830. Malgré la volonté des régimes successifs de neutraliser la charge symbolique de la prise de la Bastille, la place demeure au XIXe siècle un haut lieu révolutionnaire : la République y est fêtée en 1848 et les gardes nationaux de la Commune y prêtent serment en 1871. bâtard. À partir du XIIe siècle, quand l’Église précise la législation sur le mariage, s’affirment des discriminations légales et honorifiques entre enfants légitimes et illégitimes. Le bâtard d’un noble hérite, certes, de la condition de son père, dont il porte les armoiries avec une barre transversale, mais il ne peut entrer dans les ordres, ni hériter de ses parents si ceux-ci meurent intestats. Le bâtard est exclu de la succession aux fiefs, et il est indigne d’être fait chevalier. Dans la réalité, ces dispositions sont détournées, et l’opinion reste tolérante. Le fils naturel de Louis d’Orléans est connu de tous sous le nom de « Bâtard d’Orléans », et Charles VII le fait comte de Dunois. • Une marginalisation sociale croissante. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, le renforcement de l’autorité paternelle, encouragé par la monarchie évoluant vers l’absolutisme, entraîne un durcissement de la législation, et plus encore des mentalités. L’édit de 1556 oblige à déclarer les grossesses ; l’ordonnance de Blois met fin en 1579 à la présomption de mariage en cas de grossesse, qui engageait par trop la famille du père. Les mariages sans témoin et sans consentement des parents sont interdits. L’Église de la Contre-Réforme comme les protestants luttent contre les mauvaises moeurs, et les naissances illégitimes reculent fortement au XVIIe siècle (en dessous de 1 % des naissances), avant de remonter à la fin du XVIIIe siècle (2,6 % vers 1789), lorsque se relâche le contrôle de l’Église sur la société. Les filles des campagnes séduites vont souvent accoucher en cachette en ville, abandonnant ensuite l’enfant. Le Dictionnaire de Furetière (1690) enregistre l’accentuation des degrés de déclassement : « Les bâtards des rois sont princes ; ceux des princes, gentilshommes ; ceux des gentilshommes, roturiers. » • Les bâtards royaux. La famille royale au XVIIe siècle pourrait sembler à contre-courant. Loin de cacher leurs bâtards, les rois les reconnaissent. Le fils d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées est fait duc de Verneuil ; les fils de la Montespan et du Roi-Soleil sont, l’un, duc du Maine et, l’autre, comte de Toulouse. Le
duc de Saint-Simon a bien senti le sens politique de cette entorse à la morale commune. Louis XIV poursuit une stratégie d’union entre ses bâtards légitimés et des princes du sang : ainsi, Mlle de Blois, fille de La Vallière, se marie avec le prince de Conti, tandis que le duc du Maine et Mlle de Nantes, enfants de la Montespan, épousent des Condé, et que leur soeur, la seconde Mlle de Blois, est mariée à Philippe d’Orléans, le futur Régent. À cette union des sangs entre les Bourbons s’ajoute l’ascension en dignité des légitimés. Leur père crée en 1694 un « rang intermédiaire » qui les détache des duc et pairs ; puis, en 1714 et 1715, il en fait des princes du sang, avec droit à la succession à la couronne. Ce coup de force contre la tradition traduit une mythologie dynastique du sang royal. • La lente reconnaissance des « enfants naturels ». À l’époque des Lumières, certains, par humanitarisme ou par populationnisme, se préoccupent de l’abandon des bâtards. Au nom du droit naturel, la Convention abolit les discriminations et proclame les enfants naturels « enfants de la patrie ». Mais, pour défendre le mariage, elle interdit la recherche de paternité et diminue la part d’héritage de l’enfant adultérin. Le Code civil (1804) marque un recul en réduisant le droit à l’héritage pour tous les enfants naturels. Dans la société bienséante du XIXe siècle, l’enfant de l’amour déshonore ses géniteurs, et la bourgeoisie stigmatise le concubinage populaire, facteur de naissances illégitimes (8,7 % à la fin du siècle). Toutefois, la connivence sociale peut faire prétendre ignorer des secrets connus de tous : le duc de Morny, coqueluche du Tout-Paris, n’est-il pas le demi-frère adultérin de Napoléon III ? Le préjugé pèse longtemps sur la loi : il faut attendre 1972 pour que celle-ci place à égalité les filiations naturelles et légitimes, accomplissant enfin l’idéal de 1793. Bathilde, reine des Francs, sainte (en Angleterre, vers 635 - Chelles, vers 680). D’origine anglo-saxonne, Bathilde entre comme esclave au palais du roi franc Clovis II, qui la remarque pour son intelligence et sa grande beauté et la prend pour femme en 648 ou 649. Elle lui donne trois fils et à la mort de son époux, en 657, gouverne le royaume neustro-burgonde en leurs noms avec l’aide du maire du palais, Ébroïn, ainsi que de plusieurs évêques du royaume, tels saint Éloi de Noyon et saint Ouen de Rouen. La politique « centraliste » de Bathilde et d’Ébroïn provoque des troubles en Bourgogne, qui sont
réprimés de manière sanglante, Bathilde y gagnant ainsi une réputation de reine tyrannique, telle la Jézabel de l’Ancien Testament. Pourtant, elle est aussi vénérée comme la sainte fondatrice de deux monastères qui suivent la règle de tradition colombanienne de Luxeuil, celui de Corbie et, surtout, celui de Chelles - où elle se retire vers 665 après avoir été écartée du pouvoir par Ébroïn et où elle est enterrée. C’est sans doute là aussi qu’a été composé le récit hagiographique de sa vie qui la présente à la fois comme une reine très chrétienne et comme une puissante souveraine. La tradition qui veut que la chemise de lin conservée à Chelles ait été le linceul de la reine Bathilde a été récemment confirmée par l’archéologie. Cette chemise porte des broderies qui reproduisent probablement les bijoux dont la reine se serait défaite par souci d’humilité et qu’elle aurait convertis en aumônes pour les pauvres. Batz (Jean Pierre Louis, baron de), homme politique et conspirateur (Tartas, Landes, 1754 - château de Chadieu, près de Vic-leComte, Puy-de-Dôme, 1822). Issu d’une famille de petite noblesse originaire de Gascogne, il se rend très jeune à Versailles, où, courtisan accompli, il obtient le titre de baron en 1776 et reçoit, après une mission officielle en Espagne, un brevet de colonel de cavalerie. En 1787, fréquentant les milieux financiers, il fonde la première compagnie d’assurances sur la vie. Enrichi, il achète la charge de grand sénéchal d’épée du duché d’Albret, qui l’élit député aux états généraux de 1789. De 1790 jusqu’au début du Consulat, il s’engage dans la Contre-Révolution, manoeuvrant le plus souvent dans l’ombre. Il est conseiller secret de Louis XVI, qui le rémunère, mais également président du Comité de liquidation, chargé de rembourser les créanciers de l’État, et il prélève alors des fonds qu’il verse aux émigrés. Après avoir vainement tenté de délivrer Louis XVI sur le parcours du Temple à l’échafaud et de faire évader Marie-Antoinette de sa prison, il compromet, par ses relations et des opérations spéculatives sur des fonds publics, les hébertistes et les dantonistes, qui sont exécutés en 1794 en compagnie de financiers véreux. Dénoncé à la Convention, il vit dans la clandestinité jusqu’au 9 Thermidor, puis, impliqué dans l’insurrection royaliste du 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795), il est arrêté, s’évade et se réfugie à l’étranger. Maréchal de camp de l’armée de Condé en 1797, il cesse toute activité en 1800. Récompensé
pour ses services sous la Restauration, il finit ses jours en Auvergne. Baudin (Jean-Baptiste Alphonse Victor), médecin et homme politique (Nantua, Ain, 1811 - Paris 1851). Fils d’un médecin de province, Alphonse Baudin sert en Algérie comme chirurgien militaire ; il choisit ensuite de quitter l’armée et exerce à Paris auprès des plus pauvres. C’est la révolution de février 1848 qui provoque son engagement politique, nourri d’idées saint-simoniennes et fouriéristes. Député de l’Ain en mai 1849, Baudin siège à la Montagne, dans les rangs des républicains les plus virulents, et s’oppose au prince-président. Son hostilité au coup d’État du 2 décembre 1851 est telle qu’il prend la tête d’une résistance armée. Le 3 au matin, ayant résolu de soulever le faubourg Saint-Antoine, il fait édifier une barricade par une centaine d’ouvriers du quartier. Immortalisés par Victor Hugo dans son Histoire d’un crime (rédigé dès décembre 1851, mais publié en 1877), ses derniers mots sont passés dans la légende ; en réponse à un ouvrier qui lui downloadModeText.vue.download 84 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 73 reprochait de se battre pour conserver son indemnité parlementaire, Baudin aurait répliqué : « Vous allez voir comment on meurt pour vingt-cinq francs. » Tué quelques minutes plus tard, devenu un martyr de la cause républicaine, Baudin est inhumé le 5 décembre, en secret, au cimetière Montmartre. En 1868, des journaux républicains ouvrent une souscription nationale pour lui élever un monument. Ils sont poursuivis en justice, et Gambetta prononce à cette occasion une plaidoirie qui le rend célèbre, contribuant à entretenir le culte de Baudin, diffusé plus tard par les manuels scolaires sous la IIIe République. Baudouin de Flandre, comte de Flandre (Baudouin IX, 1195-1206), comte de Hainaut (Baudouin VI, 1195-1206) et empereur de Constantinople (Baudouin Ier) de 1204 à 1205 (Valenciennes 1171 - Andrinople 1205 ou 1206). Fils du comte Baudouin V de Hainaut et de Marguerite d’Alsace, il hérite en 1195 d’un vaste territoire, composé du comté de Flandre, du comté de Hainaut et du marquisat de Namur, qui constitue la principale force
politique du nord du royaume. Baudouin tient tête à son beau-frère le roi de France Philippe Auguste, qui avait recueilli l’Artois apporté en dot par Isabelle de Hainaut. Il fait d’abord hommage au roi de France, puis s’allie au roi d’Angleterre Richard Coeur de Lion et au comte de Boulogne Renaud de Dammartin en 1197. Leur coalition défait l’armée royale en Flandre et contraint Philippe Auguste à des concessions. Le conflit cesse en 1199, lorsque le pape Innocent III impose aux belligérants une trêve de cinq ans pour les inciter à partir en croisade. Le comte Baudouin prend donc part à la quatrième croisade, qui assiège la ville de Constantinople à la demande de l’empereur Isaac II Ange, qui avait été détrôné par son frère. À la suite d’une émeute qui renverse Isaac II (rétabli au pouvoir), Baudouin est élu empereur latin de Constantinople par les croisés, le 9 mai 1204. Vaincu à Andrinople le 14 avril 1205 par une coalition de Grecs et de Bulgares, il disparaît au cours de la bataille. De l’aventure éphémère de Baudouin, il demeure pendant près de cinquante ans un Empire latin d’Orient, aux mains de la famille de Courtenay. Bayard (Pierre Terrail, seigneur de), homme de guerre (Bayard, près de Grenoble, vers 1476 - Romagnano Sesia, Italie, 1524). Issu de la petite noblesse du Dauphiné, Pierre Terrail embrasse dès l’enfance la carrière militaire : page de 1486 à 1493, puis homme d’armes, il participe aux deux premières campagnes d’Italie, en 1494 et 1499. Mais ce n’est que de 1500 à 1503, durant la seconde guerre de Naples, que s’égrènent les prouesses et les exploits, souvent gratuits, qui façonnent la dernière légende de la chevalerie française : le combat à outrance, à onze contre onze, des chevaliers français et espagnols en juillet 1502, ou la défense de l’arrière-garde française sur le pont du Garigliano en décembre 1503. En 1509, il commande une bande de cinq cents fantassins dauphinois. En 1511, malgré ses humbles origines, il est fait lieutenant d’une compagnie de cent lances. À Marignan, en 1515, le jeune François Ier demande au courageux hobereau de l’armer chevalier : au-delà de l’image d’Épinal, cette scène, pour une fois, semble ne pas trahir les faits. Nommé alors lieutenant général du Dauphiné, Bayard, qui ne se plaît pas à la cour, demeure à Grenoble, et contribue, par une sage administration, à l’intégration dans le royaume de cette province, française depuis peu. La défense victorieuse de Mézières en 1521 lui assure définitivement faveur royale et richesse. Il est, au
sommet de sa gloire, capitaine d’une compagnie de cent lances, lorsque, en Lombardie, il est tué le 30 avril 1524, frappé - ironie du sort - par l’un de ces arquebusiers qu’il honnissait... Bayard fut sans doute marqué profondément par son éthique guerrière et spirituelle, mais il sut aussi, en bon soldat, commander des fantassins et, à l’occasion, recourir à la ruse, voire à la cruauté. Deux biographies romancées, écrites par Symphorin Champier et par le secrétaire de Bayard, Jacques de Mailles, dit « le Loyal Serviteur », ignorent ces contradictions. Les deux ouvrages sont publiés dès 1525 et 1527 car, après le désastre de Pavie (1525), le royaume a besoin de modèles pour croire à son redressement. Bayard, « chevalier sans peur et sans reproche », y est donc paré de toutes les vertus belliqueuses (bravoure, magnanimité) ou morales (chasteté, humilité, générosité, désintéressement). Statufié en parangon du chevalier fidèle à Dieu et à son souverain, cet homme de guerre apparut tour à tour, au fil des siècles, comme un modèle pour l’éducation de la noblesse, un serviteur exemplaire de la couronne, un défenseur de la patrie en danger, un modeste et sage provincial opposé aux menées de la cour, un bon chrétien conservateur et, enfin, un héros national admis au panthéon des gloires de l’école républicaine. Bayeux (discours de), discours prononcé le 16 juin 1946 par le général de Gaulle, dans lequel ce dernier expose ses idées en matière constitutionnelle. Six mois après avoir quitté la direction du pays, de Gaulle fait sa rentrée politique, et s’adresse avant tout au MRP, premier parti de l’Assemblée constituante élue quinze jours plus tôt. Il accepte une « Assemblée élue au suffrage universel et direct » votant les lois et les budgets et pouvant renverser le gouvernement, mais lui adjoint une Chambre consultative, représentant « la vie locale », c’est-à-dire les élus municipaux et départementaux, et aussi les « organisations économiques, familiales, intellectuelles ». Surtout, au nom de l’équilibre et de la séparation des pouvoirs, il souhaite que le président de la République soit un arbitre désigné par « un collège qui englobe le Parlement, mais beaucoup plus large », pour « qu’au-dessus des contingences politiques soit établi un arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons ». Le président est chargé de former le gouvernement et a le droit de dissoudre
l’Assemblée. Il n’y a là ni bonapartisme ni même présidentialisme, mais le prestige personnel du général de Gaulle inquiète. La gauche s’indigne. Le MRP préfère négocier avec la SFIO la Constitution qui sera adoptée en octobre suivant. Le discours de Bayeux reste donc sans effet immédiat, même s’il servira à l’élaboration de la Constitution de 1958, et inspirera en partie le projet de réforme du Sénat et des Régions, rejeté lors du référendum de 1969. Bayeux (tapisserie de), toile de lin brodée de laines polychromes contant la conquête de l’Angleterre par les Normands de Guillaume le Conquérant, en 1066. Improprement attribuée à la reine Mathilde, épouse de Guillaume, cette « telle d’ymages et escripteaux » a probablement été exécutée dans un atelier monastique de Cantorbéry à la demande d’Odon, demi-frère du duc bâtard et évêque de Bayeux. Sans doute exposée au public lors de la dédicace de la cathédrale romane le 14 juillet 1077, cette longue et étroite bande (68,30 m X 0,50 m) sert à légitimer l’accession de Guillaume au trône d’Angleterre autant qu’à répandre sa gloire chez ses sujets normands. En cinquante-huit séquences titrées en latin, la tapisserie montre comment Harold, passant outre la volonté du roi Édouard et reniant le serment prêté sur les reliques bajocasses, usurpa le titre de rex Anglorum. La bataille de Hastings n’apparaît plus alors que comme le châtiment, humain autant que divin, d’un parjure. Dès lors, le récit brodé rejoint la chanson de geste et sa structure manichéenne : aux bons Normands que guide le noble Guillaume en respect de la volonté du roi Édouard (qu’on montre pieusement enterré en « l’église de Saint-PierreApôtre ») s’opposent Harold le félon et ses Saxons impies (lors de son intronisation, il est béni par l’archevêque Stigant, que le pape avait excommunié). Chronique historique autant que récit épique, chef-d’oeuvre d’art visuel, cette « Toilette du duc Guillaume », ainsi que l’appelèrent ses premiers analystes au XVIIIe siècle, est aussi un témoignage vivant du monde médiéval au lendemain de l’an mil. Bayle (Pierre), philosophe, érudit et moraliste (Le Carla, comté de Foix, aujourd’hui, Carla-Bayle, 1647 - Rotterdam 1706). L’itinéraire philosophique de Pierre Bayle
exprime la crise de la conscience européenne de la seconde moitié du XVIIe siècle. Fils de pasteur, de confession protestante, il est menacé par la monarchie de Louis XIV. Mais, refusant de contester radicalement l’absolutisme et favorable à une religion modérée, le philosophe est également attaqué par les théologiens calvinistes alors qu’il défend la tolérance religieuse. En rupture avec le milieu réformé, il se convertit au catholicisme à l’âge de 21 ans, sous l’influence des jésuites du collège de Toulouse. Mais, peu après, il se confesse auprès de quatre pasteurs, dont son frère Jacob, et se réconcilie avec la religion de sa famille. Considéré désormais comme relaps, il doit s’exiler. Il se fixe en 1675 à Sedan, où il enseigne la philosophie, dans la célèbre académie protestante de la ville, jusqu’à sa fermeture par Louis XIV, en 1681. Il quitte alors définitivement la France pour s’établir downloadModeText.vue.download 85 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 74 à Rotterdam. Il se consacre à l’enseignement et à la publication de ses écrits, stigmatisant les superstitions qui subsistent dans les pratiques chrétiennes (Lettre sur la comète, 1682). Entre 1684 et 1687, il diffuse une revue littéraire, les Nouvelles de la République des lettres, qui connaît un succès européen. À partir de 1695, il publie un Dictionnaire historique et critique, avec l’intention de corriger les opinions fausses véhiculées à travers l’histoire et consignées notamment, selon lui, dans le dictionnaire historique de l’abbé Moreri (1674). Il en résulte une critique érudite et sèche, mais aussi une dénonciation des préjugés qui provoquent, par exemple, les chasses aux sorcières. Son examen des hérésies aboutit à une relativisation des religions révélées et à la condamnation de toute forme de fanatisme. La raison n’étant pas capable de répondre au paradoxe de l’origine du mal dans un monde créé par un Dieu à la fois infiniment bon et tout-puissant, Bayle réserve les choses spirituelles à la singularité de la foi. Si bien que, dans la Continuation des pensées diverses (1704), le philosophe manifeste une tolérance universelle, au point de reconnaître aux athées une morale sociale. Bien qu’interdit en France et critiqué par le théologien calviniste Pierre Jurieu, héros de la résistance protestante, le Dictionnaire est publié jusqu’en 1702, atteignant seize volumes. La pensée paradoxale de
Bayle explique que les philosophes des Lumières l’aient considéré comme un agnostique masqué, alors que l’historiographie récente le définit plutôt comme un fidéiste sincère. Bazaine (François Achille), maréchal de France (Versailles 1811 - Madrid 1888). Officier sorti du rang, Bazaine doit son avancement à des états de service exemplaires en Algérie et en Espagne. Après avoir participé comme général à la guerre de Crimée (1855) et à la guerre d’Italie (1859), il est élevé à la dignité de maréchal de France en 1864, lors de l’expédition au Mexique. Mais l’échec final de cette entreprise retarde quelque temps son ascension. Finalement, c’est sous la pression de l’opposition que Bazaine reçoit, en 1869, le commandement de la Garde impériale. Au début de la guerre de 1870, Napoléon III le nomme à la tête du 3e corps d’armée, et commandant en chef des armées impériales après les premières défaites. Toutefois, mal préparé aux conditions nouvelles de la guerre, Bazaine se laisse enfermer dans Metz avec 180 000 hommes et 1 400 canons. Ne cherchant pas à briser l’encerclement prussien, il reste étrangement inactif, puis semble même vouloir utiliser son armée à des fins personnelles, prévoyant l’effondrement de l’Empire. Toutes les subsistances de la place de Metz ayant été épuisées, Bazaine est contraint à la capitulation le 27 octobre, avec une armée intacte : son attitude lui vaut, en 1873, d’être traduit devant un conseil de guerre et condamné à mort, peine commuée en vingt ans de réclusion par le président Mac-Mahon. Emprisonné au fort de l’île Sainte-Marguerite, Bazaine s’évade en 1874 et finit ses jours à Madrid. Béarn (vicomté de), principauté médiévale, située dans les Pyrénées entre le Pays basque et la Bigorre, apparue au début du IXe siècle, devenue souveraine au XIVe siècle et finalement intégrée au royaume en 1589, à l’occasion de l’accession au trône de France du dernier vicomte, Henri de Navarre. • Entre Aragon et Angleterre. La vicomté de Béarn est constituée en 819, autour des villes de Lescar et de Morlas, pour un fils cadet du duc de Gascogne. Du IXe au XIIIe siècle, les vicomtes acquièrent progressivement une véritable autonomie : la situation géographique (montagne), un fort particularisme culturel - notamment linguistique -, ainsi que les rivalités qui opposent les principales puissances voisines, favorisent leur entreprise. Du XIe au début du XIIIe siècle, la participation active du
Béarn à la Reconquête chrétienne de la péninsule Ibérique place la vicomté sous l’influence croissante des rois d’Aragon, influence que les vicomtes s’efforcent d’équilibrer par des alliances avec la Gascogne ou le comté de Toulouse. La vicomté n’échappe toutefois définitivement à l’emprise aragonaise qu’à la suite de la défaite et de la mort du roi d’Aragon Pierre II, à Muret, en 1213, lors de la croisade des albigeois. En 1224, les Plantagenêts, ducs d’Aquitaine et rois d’Angleterre, établissent cependant leur suzeraineté sur le Béarn. Les vicomtes cherchent à conserver leur autonomie en tirant alors profit de la rivalité entre le roi d’Angleterre et le roi de France. Dans le même temps, ils entreprennent de renforcer la cohésion de leur domaine. La vicomté acquiert ainsi une véritable unité juridique grâce à l’obtention du For général, véritable charte des libertés béarnaises. Enfin, une succession de beaux mariages permet aux vicomtes d’accroître leur territoire en lui adjoignant de nombreux fiefs : la vicomté d’Oloron au XIe siècle, Gabardan au XIIe siècle, Marsan au XIIIe siècle. En 1290, le mariage de Marguerite, héritière de la vicomté, avec Roger-Bernard, comte de Foix, unit les domaines des deux maisons et consacre l’hégémonie béarnaise sur le Sud-Ouest pyrénéen, de Foix à Orthez. • De l’indépendance à l’intégration au royaume. Durant la seconde moitié du XIVe siècle, la vicomté devient une véritable principauté souveraine sous le règne de Gaston Phébus, qui, profitant de la guerre qui oppose la France à l’Angleterre, déclare tenir son pouvoir de Dieu seul et refuse de prêter hommage à l’un ou l’autre des souverains. Sa victoire sur le comte d’Armagnac à Launac, en décembre 1362, en fait le plus grand prince de la région. Il dote le Béarn d’une fiscalité permanente, réorganise l’armée et la justice, s’entoure d’une cour brillante. Son action est poursuivie au XVe siècle par les différents vicomtes et par l’assemblée des états de Béarn, qui réunit les grands vassaux et les représentants des villes. À la fin du XVe siècle, la vicomté (dont Pau devient la capitale) est une principauté prospère, à l’économie essentiellement rurale. Cependant, une fois la guerre de Cent Ans terminée, les rois de France entreprennent de rétablir leur domination sur la région. Le roi Louis XI ordonne ainsi le mariage de l’héritière des maisons de Foix, Béarn et Navarre avec Jean d’Albret, rassemblant entre les mains de cette famille, plus proche de la cour et de la famille royale, les principaux fiefs méridionaux. Le mariage d’Henri d’Albret avec la soeur
de François Ier, Marguerite, en 1527, renforce encore l’influence française. Marguerite de Navarre fait alors de la cour béarnaise un foyer littéraire et un haut lieu de l’évangélisme français. Le choix de la Réforme par sa fille Jeanne d’Albret, en 1560, ranime un moment le particularisme béarnais : plusieurs ordonnances ecclésiastiques feront d’ailleurs du calvinisme la religion officielle de la vicomté. Mais l’accession au trône de France, en 1589, du fils de Jeanne d’Albret, Henri de Navarre, sous le nom d’Henri IV, suivie, en 1620, de l’annexion de la vicomté au domaine royal et du rétablissement du catholicisme, sur l’ordre de Louis XIII, entraîne la fin de l’indépendance béarnaise. L’existence d’un parlement et des états de Béarn, ainsi que la perpétuation de certains privilèges fiscaux et linguistiques, constituent, sous l’Ancien Régime, les derniers vestiges du particularisme béarnais. Beaufort (François de Bourbon-Vendôme, duc de), homme de guerre (Paris 1616 - Candie, Crète, 1669). Petit-fils d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées par son père, César de Vendôme, et apparenté à la famille ducale de Lorraine par sa mère, Beaufort témoigne tôt d’un esprit altier et impétueux. S’illustrant à la guerre dès 1630, il s’exile un temps en Angleterre pour avoir conspiré avec Cinq-Mars contre Richelieu. Rentré en France, il devient l’un des meneurs de la cabale des Importants contre Mazarin, et est emprisonné à Vincennes en septembre 1643. Il s’en évade en mai 1648, puis participe à la Fronde, dont il devient l’un des chefs de file. Hâbleur, violent (il tue en duel son beau-frère, le duc de Nemours), auréolé du prestige d’Henri IV, il flatte le peuple par son langage grossier, ce qui lui vaut le surnom de « roi des Halles ». Il épouse d’abord le parti du parlement, où s’illustre Retz, dont il devient le bras armé ; il passe ensuite dans le camp des princes, malgré sa rivalité avec Condé. Il ne se soumet à Louis XIV qu’en 1653. Commence alors pour lui une seconde carrière. Héritier de la charge paternelle de grand-maître de la navigation, il se fait marin, lutte contre la piraterie barbaresque (1664-1665), affronte les Hollandais en Méditerranée (1666-1668). Parti en Crète porter secours aux Vénitiens assiégés par les Turcs, il disparaît mystérieusement devant Candie en juin 1669. Doué « de plus de vanité que de sens » (Retz), non dénué de bravoure, ce grand seigneur a incarné une forme brouillonne de résistance à l’absolutisme.
Beauharnais (Eugène de), vice-roi d’Italie (Paris 1781 - Munich 1824). Il est le fils de Joséphine et du vicomte Alexandre de Beauharnais, qui fut député à la Constituante, puis général, avant d’être guillotiné en 1794. Ses études sont interrompues par la Révolution, et, à l’âge de 13 ans, il suit Hoche en Vendée, grâce à l’intervention de sa mère, libérée de prison après le 9 Thermidor. Après le mariage de Joséphine avec Bonaparte (1796), il devient aide de camp du général, qu’il accompagne dans les campagnes d’Italie et d’Égypte. downloadModeText.vue.download 86 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 75 Dès lors, et jusqu’en 1814, une affection réciproque le lie à Napoléon, qu’il seconde docilement et qui fait de lui un grand dignitaire de l’Empire. Général de brigade en 1804, prince d’Empire et vice-roi d’Italie de 1805 à 1814, il est adopté par Napoléon en 1806, sous le nom d’Eugène Napoléon, et épouse la fille du roi de Bavière. En Italie, où il est peu populaire, il réorganise l’administration, mais son gouvernement demeure sous le strict contrôle de l’Empereur, à qui il obéit en tout, même au détriment des Italiens. Piètre chef de guerre, il se distingue pourtant pendant la campagne de Russie, parvenant, lors de la retraite, à ramener les rescapés de la Grande Armée à Lützen (Saxe) où, avec le soutien d’autres troupes, les Français remportent une victoire (mai 1813). En Italie, en 1814, il résiste jusqu’au bout à l’offensive des armées coalisées, mais, après l’abdication de Napoléon et le soulèvement de Milan en avril 1814, il se réfugie en Bavière, où il finit ses jours après avoir été fait duc de Leuchtenberg et prince d’Eichstätt (1817) par le roi Maximilien Ier. Beauharnais (Marie Josèphe Rose Tascher de La Pagerie) ! Joséphine Beaujeu (Pierre II de Bourbon sire de) ! Anne de France Beaumarchais (Pierre Augustin Caron de), homme d’affaires et homme de lettres (Paris 1732 - id. 1799). Fils d’un artisan horloger de Paris du nom de Caron, il s’impose comme l’une des figures de l’espace public en constitution à la veille de la Révolution. Le premier différend qui l’oppose, jeune inventeur d’un échappement
de montre, à un horloger célèbre qui prétend s’approprier son invention est caractéristique de sa conduite dans les affaires qui vont se succéder tout au long de sa vie : il s’adresse à l’Académie des sciences pour faire reconnaître son droit. Il refusera toujours la loi du plus fort et dénoncera l’injustice sur la place publique. • Un touche-à-tout de génie. Il fait d’abord carrière à la cour comme fournisseur en montres, comme professeur de harpe des filles du roi, puis comme titulaire de plusieurs offices (contrôleur de la bouche, secrétaire du roi, lieutenant général des chasses). Il prend le nom de Beaumarchais et s’initie au monde de la finance grâce à Lenormant d’Étioles, le mari de Mme de Pompadour, puis à Pâris-Duverney. La mort de ce dernier, celles de sa première puis de sa seconde femme l’entraînent dans des procès en chaîne qui mettent en cause sa fortune, son honneur, sa liberté. D’accusé il se fait accusateur, dénonce la justice d’Ancien Régime, se retrouve au coeur des conflits qui opposent les parlements au pouvoir central. Il intervient dans tous les débats publics, mais se mêle aussi des trafics de l’ombre : il spécule partout où il le peut, négocie à Londres avec les pamphlétaires qui font chanter le gouvernement français, le chevalier d’Éon ou Théveneau de Morande, monte la société Roderigue Hortalez pour fournir en armes les insurgents américains qui viennent de déclarer leur indépendance et que la France ne veut pas soutenir officiellement. Il mène de front ces activités contradictoires, passant de la faveur royale à la suspicion, des honneurs à la prison, des applaudissements de l’opinion à la méfiance envers un parvenu doublé d’un spéculateur. Il tente à chaque fois de rebondir en mettant les rieurs de son côté. Il introduit l’ironie dans les débats juridiques et prend le public à témoin dans les Mémoires qu’il fait imprimer. • Les coups de maître d’un amateur. La pratique littéraire est partie intégrante de son activité d’homme d’affaires, de même qu’il s’intéresse à la production littéraire d’un point de vue financier : il fonde la Société des auteurs dramatiques (1777), qui lutte pour obtenir la reconnaissance du droit d’auteur, et la Société littéraire et typographique (1780) à Kehl, hors du territoire français, pour faire imprimer les ×uvres complètes de Voltaire, qui vient de mourir, puis celles d’autres grands écrivains. Il a commencé sa carrière d’auteur dramatique par des parades pour le théâtre privé de Lenormant d’Étioles, s’est ensuite essayé au genre nouveau du drame en faisant
représenter à la Comédie-Française Eugénie (1767), puis les Deux Amis (1770), et en proposant une théorie du drame, Essai sur le genre dramatique sérieux (1767). Mais il n’atteint le succès qu’avec ses comédies, le Barbier de Séville (1775) et le Mariage de Figaro (1784), qui associent la tradition moliéresque, la présence physique de la commedia dell’arte et la satire sociale. Chaque représentation devient un jeu avec la censure. Beaumarchais utilise habilement ses relations à la cour pour opposer les unes aux autres les autorités d’Ancien Régime. La Révolution française casse ce jeu d’audace et de conformisme. Beaumarchais essaie d’acheter des armes pour l’armée française, veut faire payer leurs dettes aux ÉtatsUnis, mais n’évite la guillotine que de justesse. La Mère coupable (1792), suite larmoyante du Mariage, souligne qu’une page de l’histoire est tournée. Balzac naît lorsque meurt Beaumarchais. Beaumont de Péréfixe (Hardouin de) ! Péréfixe (Hardouin de Beaumont de) Bedford (Jean de Lancastre, duc de), régent du royaume de France ( ? 1389 - Rouen, 1435). Fils du roi d’Angleterre Henri IV, le duc de Bedford est régent en Angleterre pendant la conquête de la Normandie par son frère Henri V (1415-1419). En 1422, à la mort du roi de France Charles VI, peu après celle d’Henri V, il recueille, selon les termes du traité de Troyes, l’héritage du royaume de France pour le jeune Henri VI et en devient régent. Maître de la France anglo-bourguignonne, il doit s’appuyer sur l’État bourguignon, et épouse Anne de Bourgogne en 1423. Son administration tente de concilier intérêts anglais et bourguignons, mais il lui faut lutter à la fois contre Charles VII et contre des insurrections locales ; à partir de 1429, l’intervention de Jeanne d’Arc devant Orléans marque le début des revers anglais. Bedford abandonne la régence en 1430, fait couronner Henri VI à Paris en 1431, et se replie en Normandie. Toutefois, l’alliance anglo-bourguignonne vacille, et s’achève lors des négociations d’Arras de 1435 : Philippe le Bon, duc de Bourgogne, et Charles VII signent la paix, tandis que Jean de Bedford meurt le 14 septembre de cette année-là. Deux analyses s’opposent aujourd’hui quant à l’histoire de la double monarchie. La première présente son échec comme inévi-
table, en raison des difficultés économiques et politiques de Bedford en France et en Angleterre. La seconde fait valoir la viabilité du principe, ainsi qu’en témoigne l’union des couronnes d’Aragon et de Castille. Une telle approche rend à l’entreprise de Jeanne d’Arc une importance historique déterminante. béguines et bégards, en France du Nord, à partir du XIIIe siècle, laïcs vivant en communauté et s’adonnant au travail et à la prière. Cette nouvelle forme de vie religieuse, qui s’inspire des principes des ordres mendiants, connaît un certain succès au XIIIe siècle en Flandre et dans les régions rhénanes, alors qu’elle est rare en France méridionale. Sans prononcer de voeux, les bégards (ou béguins), et surtout les béguines, plus nombreuses, vivent en communauté, parfois à l’ombre de monastères, poursuivant un idéal de pauvreté et de vie évangélique. Solitaires ou regroupées dans les béguinages, qui se multiplient dans les villes, les béguines, qui doivent être veuves ou célibataires et se distinguent par le port d’un voile nommé « béguin », se consacrent à la prière, à l’artisanat, à l’assistance aux pauvres et à l’éducation des enfants. À partir du début du XIVe siècle, les autorités s’inquiètent de cette vie religieuse au statut incertain, entre état laïc et cléricature, surtout lorsqu’elle est instable ; les béguins et béguines sont désormais considérés comme des hérétiques, condamnés par le pape Clément V en 1312 et livrés à l’Inquisition : ainsi, la béguine Marguerite Porète, auteur d’un traité de vie mystique (en français), est brûlée en place de Grève en 1306. Si les papes suivants sont moins sévères, la plupart des fondations n’en déclinent pas moins, progressivement, avant de disparaître aux XIVe et XVe siècles, à l’exception de quelques grands béguinages qui, tolérés par l’Église, prospéreront en Flandre jusqu’au début du XXe siècle. Belges, peuples que Jules César considéra comme « les plus braves » des peuples gaulois et parmi lesquels on compte, en particulier, les Leuques (Toul, Nancy), les Rèmes (Reims), les Suessions (Soissons), les Ambiens (Amiens), les Médiomatriques (Metz), les Trévires (Trèves), les Atrébates (Arras), les Aduatuques (Namur), les Nerviens (Bavay, Cambrai, Tournai), les Ménapiens (ouest de l’Escaut) et les Éburons (Meuse et rive gauche du Rhin). Ils occupent ce que César appelle la « Gaule Belgique », qui s’étend, au nord de la Marne
et de la Seine, sur une région qui correspond au nord de la France actuelle, à la Belgique et à une petite partie de l’Allemagne. Sur la foi d’écrivains de l’Antiquité, on estime parfois que les Belges auraient occupé downloadModeText.vue.download 87 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 76 ces territoires à la suite d’invasions venues du nord, vers le IIIe siècle avant J.-C. Mais les travaux archéologiques n’ont pas corroboré cette thèse jusqu’à présent. La fouille d’un habitat suession, comme à Villeneuve-Saint-Germain (Aisne), ou rème, comme à Variscourt (Aisne), a montré qu’à la veille de la conquête ces peuples disposaient de véritables villes fortifiées et à l’urbanisme strict ainsi que d’une économie monétaire, et qu’ils avaient tissé des réseaux économiques étendus (attestés par la présence d’amphores à vin romaines). Des sanctuaires, tels ceux de Ribemont-sur-Ancre (Somme) ou de Gournay-sur-Aronde (Oise), témoignent de pratiques religieuses complexes, comprenant des sacrifices de guerriers vaincus et d’animaux, et l’édification de trophées avec les armes prises à l’ennemi. Lors de la guerre des Gaules, les Belges, à l’exception des Rèmes, opposent une vive résistance aux légions de César et forment, en 57 avant J.-C., une coalition de 300 000 guerriers, qui est néanmoins battue. Les Romains doivent ensuite affronter, en 54 avant J.-C., une révolte menée par Ambiorix, roi des Éburons, dont la défaite provoquera en retour le soulèvement général mené par Vercingétorix. Après la conquête et la constitution d’une province romaine de « Belgique », d’autres révoltes se produiront, notamment en 29 et en 21 avant J.-C. (avec le Belge Julius Florus et l’Éduen Sacrovir) ou en 69-70 après J.-C. Sous l’occupation romaine, la Belgique est une province prospère, avec de grandes villes de garnison (Trèves, Cologne ou Boulogne), des cités commerciales (Tongres, Tournai ou Arlon), un réseau de voies de communication (dont Bavay est l’un des principaux noeuds), une agriculture florissante qui utilise la célèbre moissonneuse gauloise. En 258, Trèves sera un temps l’une des quatre capitales de l’Empire. La région est envahie par les Francs à partir de la fin du IVe siècle, et son nom même sera oublié, avant d’être remis à l’honneur à la Renaissance par les érudits, puis finalement
donné à la Belgique indépendante en 1830. Belgique (campagne de), courte campagne militaire (15-18 juin 1815) qui aboutit à la destruction de l’armée de Napoléon et met fin aux Cent-Jours. Après sa défaite de 1814, sa première abdication et son exil à l’île d’Elbe, Napoléon reprend le pouvoir le 20 mars 1815. Les souverains européens, qui veulent en finir avec « l’Ogre », menacent les frontières françaises. Le pays est démobilisé, mais l’Empereur décide d’attaquer les troupes anglo-hollandaises et prussiennes, massées en Belgique, avant l’arrivée des Russes et des Autrichiens. Le 15 juin 1815, Napoléon franchit la Sambre pour marcher sur Charleroi avec 124 000 hommes. Face à lui, 95 000 Anglo-Hollandais devant Bruxelles et 124 000 Prussiens à Namur. Il veut battre ces derniers, dont il espère le repli vers le Rhin, pour ensuite s’attaquer aux Anglo-Hollandais. Le 16 juin, les Prussiens sont repoussés à la bataille de Ligny, mais Wellington résiste à Quatre-Bras. Le lendemain, Napoléon fait poursuivre Blücher par Grouchy et entame sa marche vers Waterloo, sur la route de Bruxelles. La bataille s’engage le 18 juin. Wellington et Napoléon misent tous deux sur l’arrivée de renforts. Grouchy ne rejoint pas l’Empereur, et ce sont les Prussiens qui se présentent sur son flanc. La défaite est totale. Napoléon abdique le 22 juin. Les Français, très inférieurs en nombre, ont, de plus, manqué de coordination ; les généraux Soult et Grouchy, employés à des postes stratégiques, ont fait preuve d’incompétence ; enfin, la transmission des ordres s’est révélée déplorable. Belin (René), syndicaliste (Bourg-enBresse, Ain, 1898 - Lorrez-le-Bocage, Seineet-Marne, 1977). Issu d’un milieu très modeste, il entre à 11 ans dans le monde du travail, muni d’un certificat d’études primaires. Il rejoint, à l’âge de 14 ans, l’administration postale, en gravit les échelons et adhère au syndicat des agents (1923), dont il devient secrétaire départemental (1925). Entré en 1933 au secrétariat de la CGT, il y restera jusqu’en mai 1940 : membre de la direction confédérale, il y sera rapidement le « dauphin » de Léon Jouhaux. Après la réunification avec la CGT-U, il fonde, en 1936, l’hebdomadaire Syndicats, qui incarne la tendance non communiste de la CGT. C’est notamment cet anticommunisme qui le conduit, après avoir démissionné du bureau
de la CGT, à exercer des fonctions dans le gouvernement de Vichy : ministre de la Production industrielle et du Travail (14 juillet 1940-23 février 1941) puis secrétaire d’État au Travail (9 mai 1941-18 avril 1942). Sous sa responsabilité, la loi du 16 août 1940 dissout toutes les confédérations patronales et ouvrières, auxquelles la charte du travail, promulguée en octobre 1941, substitue un régime corporatiste. Belin estimait avoir pu « par intervention ou par ruse [...] protéger l’essentiel du mouvement syndical ». Révoqué de l’administration postale à la Libération, il se réfugie en Suisse en attendant son procès, qui s’achève sur un non-lieu. Il tente en vain, de mai 1949 à 1954, de reprendre sa place dans le mouvement syndical. De 1959 à 1965, il est maire de Lorrez-le-Bocage. l BELLE ÉPOQUE. Après la grande dépression des années 1880, la France connaît l’apogée de sa prospérité, de sa puissance et de son prestige : un âge d’or précédant le carnage. C’est, du moins, la vision idyllique que se font les esprits après l’hécatombe de la Grande Guerre. L’expression « Belle Époque » s’impose alors, estompant les convulsions, les contradictions et les remises en cause d’une période qui a accouché du XXe siècle. NAISSANCE D’UN MYTHE « Qui n’a pas connu la France vers 1780 n’a pas connu le plaisir de vivre », disait Talleyrand à la fin de sa vie. Quelque cent ans plus tard, les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’opinion publique, hantée par les traumatismes de la Grande Guerre et confrontée aux incertitudes du présent, se tourne à son tour vers un passé qu’elle est d’autant plus portée à idéaliser qu’elle le sait disparu à jamais avec l’hécatombe de 1914 et le franc germinal. L’expression « Belle Époque » n’est due ni à un écrivain ni à un journaliste ; elle apparaît spontanément dès 1919 dans un climat où, « par tous ses noyaux pensants, [l’Europe] a senti qu’elle ne se reconnaissait plus, qu’elle avait cessé de se ressembler » (Paul Valéry, la Crise de l’esprit, 1919). En tant qu’expression, « Belle Époque » en dit donc plus long sur les représentations que se font alors les Français de leur passé immédiat et de leurs peurs présentes - instabilité économique, crise idéologique, incertitude politique... - que de la réalité vécue par les contemporains des années 1895-1914. Elle révèle une conception statique de la société
et de ses valeurs, que les récents bouleversements de l’histoire confinent au niveau d’une mémoire recomposée. Pour ceux-là même qui l’ont vécue, la Belle Époque n’apparaît plus alors que comme un instant figé, contenant toutefois en germe les malheurs futurs. Comme le remarque Paul Morand en 1930 : « Je me promène dans 1900 comme dans le Musée Grévin, égaré parmi des figures de cire. » Des Mémoires, des récits écrits par des témoins, surtout de la haute société, viennent alimenter dès l’après-guerre cette conscience d’une époque - et d’un monde - révolue, en tout cas pour eux : les uns participent à la construction de la légende dorée qui voudrait que la France n’ait été peuplée que de sportmen juchés sur des De Dion-Bouton et de femmes habillées par Worth et Fortuny. À la recherche du temps perdu de Proust ne serait qu’une évocation minutieuse des rites et fastes de la mondanité ; un temps véritablement perdu où les Guermantes et les Verdurin incarnaient deux constellations inconciliables. D’autres mémorialistes accréditent la légende noire, qui n’est pas incompatible avec l’autre : celle du « stupide XIXe siècle » (Léon Daudet), avec ses pieds sales et sa naïveté hygiéniste, sa foi en la science et sa croyance en l’occultisme, ses revues militaires et ses gauloiseries. En somme, dans l’entre-deux-guerres, une mémoire sélective et euphorisante répand sur la Belle Époque son vernis uniforme, pour mieux conjurer les réalités souvent douloureuses d’une période profondément travaillée par des contradictions toujours à vif. LA SECONDE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE • « En revenant de l’Expo ». Avec ses 48 millions de visiteurs, son palais de l’Électricité et de l’Automobile, avec la première ligne du Métropolitain et le Cinéorama, l’Exposition universelle de Paris, inaugurée le 14 avril 1900 par le président Loubet, apparaît comme l’événement fondateur de la Belle Époque : un pays - la France et son empire -, un régime - la République -, contemplent et célèbrent leur propre gloire, manifestent leur rayonnement dans le monde et attestent un dynamisme économique retrouvé après la « grande dépression » (1870-1895). Certes, il reste encore de beaux jours aux bricoleurs de génie avant qu’ils ne soient relégués à la gloire improbable du concours Lépine (créé en 1901). Le tissu morcelé de l’industrie en petits ateliers favorise d’ailleurs la mise au point et la fabrication de ces produits de luxe que sont l’automobile et l’aéroplane. Mais, désormais, accompagnant l’idéologie
scientiste, les mutations techniques sont soudownloadModeText.vue.download 88 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 77 mises à une évaluation scientifique qui permet la promotion de la figure de l’ingénieur. • L’effervescence technologique. En moins de trente ans, la France passe de l’âge du fer, du charbon et de la vapeur à celui de l’acier, du pétrole et de l’électricité. Si la machine à vapeur est le symbole de la première révolution industrielle, le moteur à combustion interne (Daimler, 1889 ; Diesel, 1893) et la dynamo sont ceux de la seconde. Car la prospérité retrouvée est liée à de spectaculaires innovations technologiques qui feront dire à Péguy, en 1913, que « le monde a moins changé depuis Jésus-Christ qu’il n’a changé depuis trente ans » (l’Argent). De ce point de vue, la Belle Époque est pionnière : premier moteur à explosion, première automobile, premier film, premier aéroplane, premier essai de TSF, premier réseau électrique... De sorte que des commodités largement répandues après guerre sont, en 1900, des prodiges qui émerveillent les Français. Mais ce sont des prodiges auxquels ils n’ont pas tous accès ; l’éclairage domestique est encore largement tributaire de la bougie, du pétrole et, au mieux, du gaz. L’Exposition universelle de 1900 voit sans doute l’illumination par l’électricité de la tour Eiffel, et Paris devient la Ville Lumière ; c’est toutefois plus une prouesse technique que la preuve des bienfaits dispensés à tous par la « fée électricité ». LA FRANCE « D’AVANT L’ORAGE » • La passion nationale. Électrique, l’atmosphère politique et sociale de la Belle Époque l’est également. Politiquement close en 1899, l’affaire Dreyfus l’est juridiquement en 1906, mais elle a provoqué une profonde redistribution, voire une fixation durable des comportements idéologiques et des doctrines au tournant du siècle : deux France se trouvent clairement face à face, et pour longtemps. À droite, l’affaire marque l’acte de naissance d’un parti nationaliste, autour des ligues et de l’Action française (créée en 1899), fort d’une doctrine - élaborée conjointement par Maurras et Barrès - qui mêle exécration de la démocratie et antisémitisme, enracinement dans « le culte de la terre et des morts » et exaltation des ardeurs bellicistes. À gauche, des re-
groupements s’opèrent également, concrétisés par la création de deux grands partis : le Parti républicain radical et radical-socialiste (1901) et la SFIO (1905). Dénonçant l’« alliance du sabre et du goupillon », le Bloc des gauches vote les lois sur les associations (1901) et sur la séparation des Églises et de l’État (1905). Lutte contre le « parti noir » à gauche, antisémitisme à droite : l’exacerbation des passions militantes trouvera bientôt un exutoire dans l’exaltation belliciste. • La question sociale. La « journée de huit heures pour tous » : le mot d’ordre, souvent repris, révèle les réalités concrètes de la condition ouvrière. Malgré la progression du pouvoir d’achat des ouvriers, les effets conjugués de l’exode rural, de la mécanisation et de la concentration industrielle rendent encore plus précaires des conditions de vie souvent épouvantables. La journée de travail est généralement de douze heures - dix pour les femmes en 1900 -, le repos hebdomadaire n’est rendu obligatoire, mais sans paiement, qu’en 1906. Les retraites des ouvriers sont faibles, et peu de travailleurs atteignent l’âge d’en bénéficier. Les années 1904-1907 voient donc se succéder la « révolte des gueux » du Languedoc, les grèves longues et massives des cheminots, des électriciens : 1 024 grèves sont dénombrées pour la seule année 1904, toujours violemment réprimées. La nouveauté réside dans le relais pris par les syndicats pour organiser de mieux en mieux les grèves. Avec la création en 1895 de la CGT, véritablement structurée en 1902 et dont les orientations sont précisées par la Charte d’Amiens en 1906, les composantes modernes de la lutte sociale sont constituées. LA CRISE DE LA RAISON • Le positivisme contesté. Aux bouleversements qui affectent le terrain social et politique s’ajoute, au même moment, une crise de la raison universelle, qui constitue un véritable abcès de fixation pour toute la période. En apparence, le positivisme se trouve doublement légitimé par le discours d’État et la reconnaissance universitaire : Léon Brunschvicg proclame « la capacité indéfinie de progrès » de l’intelligence par la science (les Étapes de la philosophie mathématique, 1912). La découverte des rayons X et de la radioactivité semble accréditer cette confiance. Mais la « révolution copernicienne » qui bouleverse les sciences exactes avec la théorie des quantas (Max Planck, 1900) et celle de la relativité (Einstein, 1907), en remettant en cause les
modèles physiques et mathématiques hérités de Newton, provoque également un profond désarroi devant une réalité disloquée, une impuissance à dominer une diversité qui croît à mesure qu’on l’explore. • L’anti-intellectualisme. L’inconscient et l’intuition sont les mots clés de la Belle Époque. Mais là ou Bergson, exaltant l’intuition dans l’Évolution créatrice (1907), parle « d’élan vital » où le moi ne se saisit que dans la durée, Gustave Le Bon, dans la Psychologie des foules - un « best-seller » de l’époque -, fortifie l’idée d’un déterminisme racial originel fondé sur l’inconscient hérité des ancêtres. Traduit en termes politiques, c’est le fondement même des théories de Georges Sorel, du nationalisme organique de Barrès et de l’antisémitisme d’Édouard Drumont ; autant de composantes d’un nationalisme qui attise les haines. Car ce n’est pas seulement l’idéologie progressiste, élevée au rang de projet social, qui est ainsi visée, mais bien une conception globale de l’homme héritée de la philosophie des Lumières et de la société industrielle. À l’image « mécanique » de l’individu et de la société se substitue un principe « organique » qui postule l’origine inconsciente des actions, la puissance de la vie sur la raison et, dans sa visée sociale, la survie des plus aptes. Cet anti-intellectualisme pèse d’un poids particulièrement lourd dans le devenir des idéologies. Sans ce vaste mouvement, on ne saurait comprendre ni les enjeux profonds de l’affaire Dreyfus ni, surtout, son retentissement sur la genèse du fascisme européen : au tournant du siècle, les thèses qui verront leur accomplissement dans l’entre-deux guerres sont déjà fermement constituées. DIVERSITÉ CULTURELLE ET UNIFORMISATION DES MODES DE VIE • L’unité par l’instruction. Ce qui frappe dans cette France qui compte 56 % de ruraux en 1911, c’est l’inachèvement de l’unité linguistique. Certes, l’alphabétisation des petits Français est quasi générale, mais les bacheliers représentent, autour de 1900, à peine 1 % d’une classe d’âge : l’effort porte sur la scolarité primaire, qui voit naître le mythe du « certif ». Les « hussards noirs » de l’instruction publique poursuivent donc leur offensive conquérante au nom de la raison, de la République et de la patrie. L’enseignement confessionnel s’est vu théoriquement interdit d’exercice par la loi Combes (1904), mais l’« anticléricalisme d’État » n’a que des effets limités : les affrontements entre écoliers
« culs bénis » et « culs rouges » de la Guerre des boutons (Louis Pergaud) peuvent se poursuivre malgré la vague de fermetures d’écoles congréganistes en 1904. Chaque écolier dans chaque village lit donc le Tour de la France par deux enfants (G. Bruno) et y apprend l’unité du pays dans sa diversité. Les provinces perdues, voilées de noir sur les cartes géographiques, seront reconquises par ces futurs bataillons d’écoliers entretenus dans le culte du sacrifice pour la patrie et la croyance dans le progrès indéfini de l’humanité. • Diversité culturelle. Cependant, une large tranche d’âge n’a pas fréquenté l’école ou a échappé à la scolarisation rendue obligatoire en 1881. En 1900, bien des Français ne parlent ni ne comprennent que le patois ou le dialecte. On voit ainsi de nombreux tribunaux recourir à des interprètes. L’harmonie de l’Hexagone tant vantée par les manuels scolaires de l’époque, telle l’Histoire de France d’Ernest Lavisse, se révèle l’alibi géométrique d’une idéologie fédératrice. En réalité, la diversité n’est pas uniquement sociale dans la France de la Belle Époque, elle est également culturelle et fait coïncider dans un même espace des groupes aux traditions, aux valeurs, aux rites différents. Néanmoins, les formes de cultures traditionnelles se dissolvent progressivement dans des usages et des modes de vie uniformisés. Ainsi, le 14 Juillet tend à se substituer à des fêtes patronales, qui se vident de leur sens. L’urbanisation et la déchristianisation ont leur rôle dans cette uniformisation ; mais aussi la production de masse et l’accroissement réel des revenus des salariés. La plupart d’entre eux partent à la conquête, sinon d’un bien-être, du moins d’un mieux-vivre. • Vers une culture de masse. À côté des couches sociales traditionnelles - bourgeois, ouvriers, paysans -, dont les conditions de vie demeurent peu ou prou semblables à ce qu’elles furent dans les décennies antérieures, des couches nouvelles se consolident : cadres d’entreprise, fonctionnaires de l’instruction publique et des PTT (les deux seules administrations ouvertes aux femmes...), commerçants de détail. Ils constituent peu à peu l’ossature d’une société urbaine qui impose ses styles de vie. Si les valeurs de la bourgeoisie, liées au travail, à l’épargne et à la famille - le thème nataliste est alors une obsession -, demeurent prégnantes, les dépenses ostentadownloadModeText.vue.download 89 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
78 toires se font plus nombreuses, en particulier celles liées au développement des loisirs. Du caf’ conc’ où l’on chante - et l’on chante beaucoup - au music-hall où s’exhibent des nudités plus ou moins chastes - Ô Colette ! Ô Polaire ! -, en passant par le théâtre de boulevard, les lieux de spectacle connaissent un développement considérable ; leur succès n’est pas sans lien avec la niaiserie ou la polissonnerie mises en scène et qui accréditeront la part sulfureuse du mythe. Par ailleurs, les moyens de transport dits modernes permettent l’accès à des loisirs nouveaux, mais surtout à des loisirs de masse. Le « train de plaisir » puis l’auto entraînent avec eux un développement certain du tourisme : Michelin publie son premier guide en 1900, l’Office national du tourisme est créé en 1910. Bien avant les congés payés (1936), les vacances pénètrent jusque dans la petite bourgeoisie. Dans les milieux moins favorisés, l’usage de la bicyclette, qui devient autant un moyen de locomotion populaire qu’un sport, s’accompagne d’une large promotion à la fois commerciale et idéologique, ce dont témoigne le succès immédiat du Tour de France, créé en 1903. Le discours hygiéniste, qui recoupe aussi bien l’idéologie républicaine que celle de l’extrême droite, rencontre les moyens matériels de sa promotion : les thèmes de la santé par le sport, de la chasse aux miasmes, de l’aération, accompagnent l’essor de la pratique sportive - et, avec elle, d’une presse spécialisée - et constituent un trait culturel original de la Belle Époque. L’avènement du cinéma et celui de la presse populaire en sont deux autres. Comique avec Max Linder, fantaisiste avec Méliès, mélodramatique avec Zecca, ce « divertissement forain », en se sédentarisant rapidement, devient un phénomène culturel de masse. Sous l’impulsion de Pathé et de Gaumont, c’est bien déjà le cinéma moderne qui commence, tel le Fantômas de Louis Feuillade (1913), à « allonger son ombre immense sur le monde et sur Paris ». Belle, l’époque l’est aussi pour la presse, qui connaît un véritable âge d’or - qu’elle ne retrouvera plus après 1914. On sait le rôle de l’Aurore dans l’affaire Dreyfus : de fait, la presse constitue un vecteur d’opinion plus puissant que jamais. Modestes par leurs titres, le Petit Parisien et le Petit Journal fournissent chacun quotidiennement à plus d’un million de lecteurs des nouvelles rapides, « à l’américaine ». Reporter-détective, le journaliste de la Belle Époque, c’est Rouletabille
et c’est Fandor. Mais la véritable originalité réside dans la multiplication des titres spécialisés : instruction primaire oblige, la presse enfantine est la mieux servie, et on assiste à la naissance des journaux imagés - on ne dit pas encore « bande dessinée » - qui proposent les aventures des Pieds Nickelés dans l’Épatant (1908), tandis que les adultes lisent le Vélo ou son concurrent, l’Auto-Vélo, qui est à l’origine du Tour de France. DE L’ART NOUVEAU À L’AVANT-GARDE S’il est un domaine où la Belle Époque coïncide avec le mythe qu’elle a inspiré, c’est incontestablement celui de l’art. Dans les quelques années qui séparent l’Exposition universelle et la guerre se produit un brassage esthétique exceptionnel, qui touche tous les domaines de la création et en redistribue profondément les enjeux. Au tournant du siècle, l’Art nouveau, qui est un phénomène européen, s’impose comme la réponse radicalement nouvelle à l’industrialisation et aux formes traditionnelles en matière d’art décoratif et d’architecture. Les meubles de Majorelle, les verres de Gallé, les bijoux de Lalique, les affiches de Mucha, expriment la revendication de la volupté dans les formes végétales et les féminités serpentines : il s’agit de faire plier la matière, d’exalter une nature stylisée dans les objets manufacturés. Considéré comme l’expression du progrès dans l’art, l’Art nouveau se voit en quelque sorte consacré dès 1900 par la commande passée à Hector Guimard par la très officielle Compagnie du métropolitain. Mais, au moment où l’Art nouveau s’officialise et où les impressionnistes se voient enfin reconnus, l’art moderne se construit dans l’exaltation du rythme, du mouvement, de la déconstruction des formes et des perspectives. « À la fin tu es las du monde ancien », proclame Apollinaire dans Alcools (1913) : l’irruption du concret, les pulsations et les saccades du monde moderne investissent largement le champ de la création. Au Salon d’automne de 1905, les « fauves » (Matisse, Derain, Vlaminck) radicalisent le message de Gauguin, et les cubistes (Braque, Picasso, Gris) tirent les conséquences des leçons de Cézanne. L’art nègre impressionne Picasso, qui peint les Demoiselles d’Avignon (1907). Debussy trouve la formule musicale pour se libérer du drame wagnérien (Pelléas et Mélisande, 1902) ; les Ballets russes renouvellent l’idée de spectacle total. L’année 1913 représente, de ce point de vue, un moment de
grâce : Proust publie Du côté de chez Swann (à compte d’auteur !), Apollinaire Alcools ; Braque expose la Femme à la guitare ; Stravinski crée le Sacre du printemps. Il s’agit là d’une avant-garde dont le ressort, brisé en août 1914, ne sera retendu qu’après la guerre. Mais le XXe siècle est né. RETOUR AU MYTHE Si la capacité de survie d’une époque se mesure aux images qu’elle suscite rétrospectivement dans la mémoire collective, la Belle Époque est, de toutes les périodes courtes - à peine vingt ans -, celle qui provoque aujourd’hui encore une intense nostalgie quand elle n’est pas une référence pour notre propre fin de siècle. Plusieurs facteurs semblent avoir contribué à une telle élaboration légendaire. D’abord, elle participe du mythe de l’âge d’or portant avec son écume brillante les raisons mêmes de son déclin : les âges d’or sont toujours crépusculaires ; vers 1890, personne n’aurait songé à revendiquer son appartenance à une « belle époque » ; en revanche, l’expression « fin de siècle », alors largement répandue, suscitait elle-même sa propre imagerie et dévoilait ses hantises. Ensuite, des motifs - « l’Expo », la « fée électricité », « l’aéroplane » ou « l’année 1900 » - constituent quelques-unes des représentations à forte charge symbolique facilitant l’assimilation collective du caractère heureux, voire frivole, de la Belle Époque, saisie à la fois dans son dynamisme novateur et dans sa désuétude. Cette condensation se retrouve également dans les traces toujours perceptibles qu’a laissées la période : la tour Eiffel, les ferronneries « nouille » des stations de métro de Guimard, les affiches de Mucha, définissent et figent un style, l’Art nouveau, au mépris d’autres formes élaborées conjointement. Enfin, l’usage généralisé de la photographie et de la carte postale, à partir de 1889, et l’invention du disque phonographique (1893) et du Cinématographe (1895) permettent, pour la première fois dans l’histoire, d’enregistrer et de conserver durablement les empreintes du temps. Celles-ci sont rétrospectivement perçues comme des chromos nostalgiques couleur sépia, étranges par leurs images aux mouvements saccadés et leurs voix nasillardes. Ainsi, parce qu’ils coïncident avec l’ère de la reproduction technique, les poncifs de 1900 s’alimentent au moins autant aux archives traditionnelles de la mémoire qu’à ces sources jusqu’alors inconnues, offertes non plus seulement au chercheur mais au plus grand
nombre ; expliquant par là même, quoique en partie seulement, la popularité du mythe de la Belle Époque. Belleville (programme de), programme républicain présenté par Léon Gambetta à Belleville, à l’occasion des élections du 23 mai 1869. Candidat dans la première circonscription de la Seine, Gambetta expose sous le titre Cahier de mes électeurs et Réponse au cahier un « programme démocratique radical » fondé sur le respect des libertés fondamentales. Ce programme, qui passe pour la première charte du radicalisme, a été rédigé par des militants, conformément « au droit et à la tradition des premiers jours de la Révolution française ». Invoqué à de multiples reprises par la suite, ce texte est une critique violente du cléricalisme - exigeant la suppression du budget des cultes, la séparation de l’Église et de l’État - et appelle à la suppression des armées permanentes. Dans le domaine des libertés publiques, ses ambitions sont vastes et diverses : « abrogation de la loi de sûreté générale », « liberté de la presse [...] débarrassée du timbre et du cautionnement », « liberté de réunion », « abrogation de l’article 291 du Code pénal » promulgué en 1810, renforcé en 1834, qui déclarait illicites les associations réunissant plus de vingt personnes. En d’autres termes, les grandes lois du ministère Jules Ferry de 1881 - loi sur les réunions publiques, loi sur la presse - ainsi que la loi du 1er juillet 1901 sur les associations trouvent ici leur inspiration. À ces propositions en faveur du respect des libertés fondamentales s’ajoute le souci de créer une « instruction primaire laïque, gratuite et obligatoire », qui annonce les lois scolaires de juin 1881 - sur la gratuité de l’enseignement primaire - et de mars 1882 - déclarant l’enseignement obligatoire et laïque. Concernant les problèmes sociaux et économiques, le programme de Belleville se montre en revanche beaucoup plus vague et prudent : en réponse aux voeux de ses électeurs, Gambetta souhaite « la suppression des gros traitements et des cumuls », « la modifidownloadModeText.vue.download 90 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 79 cation du système d’impôts » et des réformes économiques afin de « faire disparaître l’antagonisme social ». Ainsi, priorité est donnée
aux réformes politiques dont dépendent, selon Gambetta, les réformes sociales ultérieures. Ben Barka (affaire), enlèvement, le 29 octobre 1965, d’un opposant au gouvernement marocain, exilé à Paris. Mehdi Ben Barka, né à Rabat en 1920, milite, dès 1944, au sein du parti de l’Istiqlal, pour l’indépendance du Maroc. Révolutionnaire et légaliste, tribun proche du petit peuple, il devient, après l’accession à l’indépendance, en 1956, président de l’Assemblée consultative marocaine. En désaccord avec le gouvernement, il crée en 1959 un parti d’opposition, l’Union nationale des forces populaires (UNFP). Accusé de complot contre le prince héritier, il s’exile et ne rentre au Maroc qu’en mai 1962, après un appel à la réconciliation lancé par Hassan II, devenu roi. Quelques mois plus tard, en novembre, après avoir échappé à un attentat, il s’exile de nouveau. Ayant pris parti, lors de la « guerre des sables », pour l’Algérie contre le Maroc, il est condamné à mort par contumace dans son pays. Le 29 octobre 1965, il est enlevé à Paris, en plein Saint-Germain-des-Prés, devant la brasserie Lipp : il serait tombé dans un piège tendu par le ministre de l’Intérieur du Maroc, le général Oufkir. L’aide apportée au gouvernement marocain par certains membres de la police française et du « milieu » est avérée. L’information judiciaire ouverte à Paris après cet enlèvement aboutit, en juin 1967, à la condamnation du général Oufkir à la réclusion criminelle à perpétuité par contumace. Mais l’affaire Ben Barka, qui envenima un temps les relations franco-marocaines, reste encore entourée de zones d’ombre. bénédictins, moines cénobites qui suivent la règle rédigée, au VIe siècle, par saint Benoît de Nursie. Préconisant la discretio (modération), l’équilibre entre la prière, le travail manuel et la lectio divina (lecture et méditation de la Bible), et insistant sur l’obéissance et l’humilité, cette règle se diffuse dès le VIIe siècle. Elle ne prévoit pas l’union de monastères, chaque communauté demeurant autonome. En 817, pour rétablir l’observance, Benoîtd’Aniane propose un commentaire de cette règle, qui l’infléchit dans le sens de la liturgie ; mais son projet de réunir au sein d’un ordre unique tous les monastères de l’Empire carolingien n’aboutit pas. • Des monastères bénédictins... Dès le Xe siècle se créent, à partir d’une maison mère, des réseaux de dépendances qui observent
la même règle et des usages identiques. Si Cluny est l’exemple le plus insigne, il n’est pas unique : Gorze, Saint-Benoît-sur-Loire, SaintVictor de Marseille, sont des abbayes actives. Le renouveau monastique des XIe et XIIe siècles s’effectue au nom d’un retour à la pureté de la règle bénédictine, ce qui n’exclut pas des aspects érémitiques ou une action pastorale. Ces réseaux se structurent selon des modalités différentes : centralisation dans l’ordre clunisien, plus large autonomie des abbayes dans l’ordre cistercien. Le monachisme bénédictin connaît une période d’apogée aux XIe et XIIe siècles et exerce alors une forte influence sur l’Église et l’ensemble de la société. À l’initiative d’Innocent III, le concile du Latran IV impose en 1215 aux monastères bénédictins la tenue de chapitres provinciaux tous les trois ans. Les réunions restent pourtant irrégulières. En 1336, par la constitution Summa magistri, appelée communément « bulle bénédictine », Benoît XII reprend ces mesures dans le plan de réforme et d’unification qu’il propose pour le monachisme bénédictin. Mais la concurrence d’autres formes de vie religieuse et les difficultés des XIVe et XVe siècles entraînent un déclin non seulement matériel, mais aussi moral des monastères. Des réformes sont tentées à Saint-Benoît-surLoire, Fontevraud, Tiron, Cluny, etc., tandis qu’à partir de 1479, l’abbaye de Chézal-Benoît unit des monastères dans une congrégation où l’accent est mis sur le respect des usages anciens et l’austérité. Le concordat de 1516 attribue au roi la nomination des abbés. • ... à l’ordre bénédictin. Interrompues par les troubles du XVIe siècle, les mesures de restauration reprennent après le concile de Trente. La tendance est au regroupement et à la centralisation au sein de congrégations monastiques. Certaines n’ont qu’une existence éphémère : congrégation des Exempts (1580), de Bretagne (1604), de Saint-Denis (1607). Deux d’entre elles illustrent le renouveau bénédictin : Saint-Vanne (1604) et Saint-Maur (1621) ; à la fin du XVIIe siècle, elles comptent respectivement environ cinquante et deux cents maisons. D’autres monastères restent réunis dans la congrégation de Cluny, tandis que les cisterciens se réforment en plusieurs branches. Le dessein de Richelieu d’unir tous les monastères bénédictins de France dans une seule congrégation, dont il serait le supérieur général, échoue. Mis à mal par la Révolution et l’Empire, le monachisme bénédictin est restauré grâce
à dom Guéranger, qui, en 1833, fonde Solesmes, élevée en 1837 au rang d’abbaye mère de la « congrégation de France de l’ordre de Saint-Benoît ». L’idée de regrouper les monastères qui suivent la règle de saint Benoît progresse. Le 12 juillet 1893, par le bref Summum semper, Léon XIII nomme un primat de l’ordre bénédictin et établit la confédération des congrégations bénédictines. Celles-ci ne renoncent ni à leur indépendance, ni à leurs coutumes, ni à leurs privilèges, mais l’existence de l’Ordo S. Benedicti (OSB) est désormais consacrée. Les bénédictins ont joué un rôle important sur le plan non seulement religieux et spirituel, mais aussi intellectuel et artistique. Outre la copie et l’enluminure de manuscrits liturgiques, les moines ont permis la transmission de textes antiques. En rédigeant chroniques, annales, livres de miracles, ils ont fait oeuvre d’historiens. Cette tradition est reprise au XVIIe siècle par la congrégation de SaintVanne et, surtout, par les mauristes, dont les travaux d’érudition demeurent une des bases de la recherche historique. bénéfices ecclésiastiques, biens destinés à financer un office ecclésiastique et à donner à son titulaire des moyens de vivre. Leur origine réside dans les dotations publiques ou donations privées que reçoit l’Église au Moyen Âge. Dès le VIe siècle, les évêques, plutôt que de les gérer eux-mêmes, en divisent l’administration entre les divers dignitaires du clergé séculier, qui possèdent dès lors des bénéfices attachés à leur titre. Le système s’étend plus tard aux ordres monastiques. La collation des bénéfices est indépendante de la tonsure et du sacrement de l’ordre. Cependant, l’inévitable confusion entre charge spirituelle et détention temporelle crée très vite un incessant conflit d’attributions entre l’autorité religieuse et le pouvoir laïc. Dès le VIIIe siècle, rois et seigneurs interviennent dans la nomination des évêques et des curés, en principe élus. La simonie (vente et trafic de bénéfices) se développe, abus auquel va tenter de mettre fin la réforme grégorienne. Le pape Grégoire VII interdit (vers 1075) l’investiture royale d’évêques ou d’abbés, déclenchant la querelle des Investitures, très violente dans l’Empire (Allemagne et Italie), mais beaucoup moins dogmatique en France. Progressivement, l’idée s’impose que le roi peut procéder à l’attribution d’un bien épiscopal sans la crosse ni l’anneau, symboles de l’investiture spirituelle. En 1107, à Saint-Denis, le pape
Pascal II et les rois Philippe Ier et Louis VI trouvent un compromis sur cette base, que reprendront plus tard la pragmatique sanction de Bourges (1438) et le concordat de Bologne (1516). Ce dernier rend le roi maître des bénéfices majeurs ; d’autres collateurs, les patrons (descendants de ceux qui ont fondé le bénéfice), les évêques, distribuent les bénéfices comme des faveurs ou des récompenses : tandis que le bas clergé vit dans la gêne, les patrons se réservent des pensions sur les bénéfices et ne laissent au titulaire (le curé) que la « portion congrue ». L’Église a gravement pâti de ces pratiques. Cependant, la Réforme catholique améliore le système : si les collateurs ne renoncent pas à leur droit de nomination, on impose des conditions à l’accès aux bénéfices (obligation d’être passé par un séminaire, enquête du Conseil royal...). La qualité du clergé progresse ainsi sensiblement au XVIIe siècle, tandis que les rois surveillent de près la « feuille des bénéfices », état des bénéfices vacants et des candidats possibles. À la fin de l’Ancien Régime, on compte 95 000 « bénéficiers », nobles pour la plupart, ce qui illustre pour une part la « réaction aristocratique ». La nationalisation des biens du clergé le 2 novembre 1789 supprime, de facto, les bénéfices ecclésiastiques. Benoît d’Aniane (Witiza, saint), moine réformateur (vers 750 - Inden, près d’Aix-laChapelle, 821). Sa vie est connue par le récit de son hagiographe Ardon. D’origine wisigothique, il est le fils du comte de Maguelonne, qui favorisa l’établissement de la monarchie franque en Septimanie lors de sa conquête par Pépin en 759. Witiza bénéficie ainsi d’une éducation downloadModeText.vue.download 91 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 80 au palais, mais en 774, au cours de la campagne lombarde de Charlemagne, il décide de se consacrer à Dieu. Pétri d’un idéal ascétique, il expérimente, d’abord sans succès, la règle de saint Benoît de Nursie à l’abbaye de SaintSeine, qu’il quitte en 779 pour fonder, sur sa terre natale, une nouvelle expérience monastique. Après plusieurs tentatives communautaires que leur sévérité fait échouer, il se rapproche de la règle cassinienne et en fait la base d’une fondation sur les bords de l’Anian, vers
782. S’appuyant sur cet établissement, Benoît réforme nombre d’abbayes par l’introduction de la nouvelle vie régulière, puis rédige un commentaire de la règle cassinienne (la Concordia regularum) étoffé de références aux règles alors pratiquées dans le monde franc. Louis le Pieux donne à l’activité de Benoît une nouvelle ampleur : ayant fait construire pour lui, non loin d’Aix, le monastère d’Inden (Cornelimünster), il le nomme supérieur de tous les moines du royaume et le charge de diffuser la réforme. Benoît prépare alors un code général d’observances réglementant les usages monastiques selon la règle bénédictine, qui est promulgué par l’assemblée des abbés de l’Empire réunis à Aix en juillet 817. Ce capitulaire monastique marque l’apogée de l’oeuvre réformatrice et centralisatrice de Benoît d’Aniane jusqu’au renouveau de Cluny au Xe siècle. Béranger (Pierre-Jean de), poète et chansonnier (Paris 1780 - id. 1857). Marqué par l’épopée des soldats de l’an II, admirateur de Bonaparte mais rétif au despotisme impérial, il écrit satires, odes et comédies avant de connaître la gloire en 1813 avec une chanson, le Roi d’Yvetot. L’éloge d’un monarque « se levant tard, se couchant tôt / dormant fort bien sans gloire », qui « n’agrandit point ses États / fut un voisin commode, / et, modèle des potentats, / prit le plaisir pour code » est une charge contre les tendances belliqueuses et autoritaires de l’Empire. Béranger devient alors le chansonnier par excellence, et dit avoir épousé la chanson « avec l’intention de la rendre digne d’être présentée dans les salons de notre aristocratie, sans la faire renoncer pourtant à ses anciennes connaissances, car il fallait qu’elle restât fille du peuple ». Opposé à la Restauration, il met son immense popularité au service des libéraux : il imagine une « sainte alliance barbaresque » qui interdit Voltaire ; il dénonce les jésuites et contribue à écrire la légende napoléonienne. Cela lui vaut des procès en 1821 et 1828, mais la prison sert sa popularité. Guizot et l’association « Aidetoi, le ciel t’aidera » couvrent ainsi par souscription une amende de 10 000 francs qu’il devait acquitter, et 100 000 exemplaires d’un de ses recueils s’arrachent avant saisie au début de 1830. Bien que la révolution de Juillet réponde à ses voeux, il juge alors qu’on « rebadigeonne / un trône noirci » et se tient éloigné de Louis-Philippe, « planche pour passer le ruisseau » vers la République. En 1848, il s’inquiète pourtant : « Nous avions un escalier à descendre, et voilà qu’on nous
fait sauter un étage. » Élu à la Constituante, il en démissionne aussitôt. Ses dernières années sont assombries à la fois par des critiques malveillantes et par des soucis d’argent. Sa gloire reste cependant telle que le Second Empire lui réserve des funérailles officielles pour éviter un cortège populaire incontrôlable. De Hugo à Nerval, de Chateaubriand à Michelet, les hommages des plus grands écrivains se sont joints à ceux du public populaire. Si les textes de ses chansons n’ont pas toujours supporté l’épreuve du temps, Béranger n’en a pas moins capté avec un art consommé l’esprit d’une époque : incarnant un mélange de libéralisme et de patriotisme, il a su répondre aux aspirations d’une société que le souvenir de l’aventure napoléonienne et la médiocrité des années de Restauration rendaient réceptive à son répertoire. Berezina (bataille de la), défaite napoléonienne, les 27 et 28 novembre 1812, lors de la retraite de Russie. Après avoir évacué Moscou, puis Smolensk, le corps de la Grande Armée est réduit à 49 000 soldats que suivent 40 000 retardataires désarmés. Napoléon est pourchassé par les 30 000 hommes de Wittgenstein et les 80 000 de Koutousov. À l’ouest, Tchitchagov, avec 34 000 soldats, doit lui couper la retraite sur la Berezina ; d’ordinaire gelé à cette période de l’année, le fleuve est en pleine crue, donc infranchissable. Par chance, un gué est découvert. Le 25 novembre 1812, une diversion permet aux sapeurs du général Éblé de construire deux ponts dans d’effroyables conditions. Le lendemain, Oudinot franchit la Berezina, s’établit sur la rive ouest et résiste à Tchitchagov. Le jour même, le pont principal cède. Il est réparé alors que Wittgenstein attaque la rive est. Le 28, les Russes le détruisent à nouveau, mais sont repoussés. Dans la nuit du 28 au 29, presque toutes les troupes françaises ont traversé le fleuve. Mais les retardataires refusent de s’engager de nuit. Lorsque, au matin, Éblé met le feu aux ouvrages, c’est la panique : 30 000 non-combattants périssent noyés ou massacrés. Ajoutés aux 25 000 soldats français morts pour assurer ce passage, c’est un lourd tribut que paie Napoléon. Cet épisode tragique a laissé des traces dans la langue familière, le terme de « Berezina » devenant un synonyme de désastre. Bergery (Gaston), homme politique (Paris 1892 - id. 1974).
Avocat, spécialiste de droit international, partisan d’une politique conciliatrice envers l’Allemagne, il devient chef de cabinet d’Édouard Herriot en 1924, avant de lui reprocher son modérantisme. Député de Mantes en 1928, il incarne l’extrême gauche du radicalisme, défend l’alliance avec la SFIO, est proche des communistes. En 1933, il fonde Front commun, qui séduit un temps Paul Langevin, des socialistes comme Marceau Pivert et Georges Monnet, ou Bernard Lecache, de la Ligue contre l’antisémitisme. Mais il se heurte aux partis de gauche pour lesquels l’antifascisme n’est pas encore une priorité. Et son discours, fondé sur l’ordre et l’autorité supposés aider à combattre le fascisme, l’en rapproche. En 1936, isolé au Parlement alors qu’il se veut l’aiguillon du Front populaire, il crée un petit « parti frontiste », pacifiste et dirigiste. Le frontisme dérive petit à petit vers la droite, prône un anticapitalisme « national », copie le cérémonial totalitaire, approuve les accords de Munich et réclame, au nom de la paix, la limitation du nombre de juifs dans l’appareil d’État. Vichyste avant la lettre, puis conseiller de Pétain et chantre de la Collaboration, Bergery ne peut cependant créer le parti unique dont il rêve et doit se contenter de postes d’ambassadeur, à Moscou puis à Ankara. Sa carrière, faite de demi-échecs, s’arrête avec l’effondrement des fascismes, qu’il a cru combattre avant de subir leur fascination, de les imiter et, pour finir, de les servir. En 1949, il comparaît devant la cour de justice de la Seine, qui l’acquitte. Berlin (conférence de), conférence internationale, tenue de novembre 1884 à février 1885, afin d’arbitrer les ambitions coloniales européennes en Afrique centrale. Organisée par l’Allemagne et la France, qui entendent réglementer la multiplication des missions d’exploration et de conquête dans cette région d’Afrique, tout en y préservant leurs intérêts, elle rassemble, en outre, douze autres puissances, parmi lesquelles la Belgique, le Royaume-Uni, le Portugal et les États-Unis. Deux principes essentiels y sont adoptés : celui de la liberté de commerce et de navigation dans le bassin du Congo, et celui de l’occupation effective des territoires conquis, désormais nécessaire pour valider l’annexion d’un territoire d’Afrique centrale, à condition que cette annexion soit notifiée aux autres puissances. C’est cette dernière clause qui est la plus débattue et la plus controversée. Elle a pu paraître consacrer un véritable
« partage de l’Afrique » entre les puissances coloniales européennes. En fait, ce partage ne va se réaliser que quelques années plus tard, sur le terrain des opérations ; cependant, la conférence de Berlin en formule déjà les modalités. Si le grand gagnant de cette rencontre est le roi des Belges Léopold II, qui obtient la reconnaissance de sa souveraineté directe sur l’immense territoire du Congo, la France préserve ses intérêts économiques dans ses colonies d’Afrique-Équatoriale, ainsi que ses chances éventuelles au Congo. Bernadette Soubirous (BernardeMarie Soubirous, en religion soeur MarieBernard, sainte), témoin des apparitions mariales de Lourdes. (Lourdes 1844 - Nevers 1879). La figure de Bernadette occupe une place centrale dans l’attestation de la présence mariale au sanctuaire de Lourdes qui a pris place au XXe siècle parmi les premiers lieux de pèlerinage du monde. Aînée de neuf enfants (dont cinq morts en bas âge), Bernadette appartient à une famille misérable de la petite ville pyrénéenne ; âgée de 14 ans en 1858, elle ne sait ni lire ni écrire, n’a pas fait sa première communion, s’exprime en dialecte et habite un taudis, le « Cachot ». Du 11 février au 16 juillet 1858, Bernadette est le témoin de dix-huit apparitions à la grotte de Massabielle, le long du gave de Pau ; la « Dame » décline en dialecte son identité le downloadModeText.vue.download 92 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 81 25 mars : « Je suis l’Immaculée Conception » - dont le dogme a été proclamé en 1854 par le pape Pie IX. Des foules immenses entourent Bernadette, qui n’a jamais varié dans son récit malgré les oppositions qu’il suscite, tandis que se développe un culte miraculaire autour de la grotte. Au terme d’une longue enquête canonique, Mgr Laurence, évêque de Tarbes, conclut le 18 janvier 1862 que « l’Immaculée Marie, mère de Dieu, a réellement apparu à Bernadette Soubirous ». Cette dernière quitte Lourdes en 1866 pour le couvent Saint-Gildard des soeurs de la Charité de Nevers, où elle meurt à l’âge de 35 ans. Elle est béatifiée en 1925 et canonisée en 1933. Bernadotte (Charles Jean-Baptiste Jules), maréchal de France, roi de Suède et
de Norvège sous le nom de Charles XIV (Pau 1763 - Stockholm 1844). En 1789, Bernadotte est sous-officier ; en 1794, la Révolution le fait général. Après avoir combattu en Italie et dans l’Est, il se rapproche des néo-jacobins et obtient le ministère de la Guerre en 1799. Lors du coup d’État du 18 brumaire, il ne se joint pas à Bonaparte, sans pour autant défendre la République. Il critique le Consulat, mais son mariage avec Désirée Clary, ancienne fiancée de Bonaparte, lui permet de poursuivre sa carrière. Malgré la méfiance qu’il inspire, il est ainsi nommé maréchal en 1804 et prince de Ponte-Corvo en 1806. Son rôle dans les guerres de l’Empire est secondaire. Ses relations lui permettent d’être élu prince héréditaire de Suède par les états généraux d’Öyrebro, le 21 août 1810. Surpris, Napoléon accepte cette décision, pensant disposer d’un allié solide dans le nord de l’Europe. Mais Bernadotte participe à la coalition antifrançaise de 1813. À la bataille de Leipzig (octobre 1813), il est l’un des principaux artisans de la défaite de Napoléon, trahison qui lui vaudra d’obtenir la Norvège au congrès de Vienne (1814- 1815). Après avoir été écarté du trône de France en 1814 en raison de l’opposition de Talleyrand, il est couronné roi de Suède et de Norvège, en 1818. Napoléon a porté un jugement sévère sur ce militaire, ambitieux et doué pour la politique, qu’il n’a su contrôler. Aujour-d’hui encore, les descendants de Bernadotte règnent en Suède. Bernard (Claude), physiologiste (Saint-Julien, Rhône, 1813 - Paris 1878). Monté à Paris en 1834 après avoir été employé d’officine à Lyon, il renonce à une éphémère vocation littéraire et entreprend des études de médecine. Reçu docteur en 1843, il se détourne de l’hôpital pour se consacrer à la recherche. Préparateur, puis suppléant de François Magendie au Collège de France, il lui succède en 1855 à la chaire de physiologie expérimentale. Dans ses premiers travaux, il met en évidence le rôle du suc gastrique et du pancréas dans la digestion et, surtout, la fonction glycogénique du foie, expliquant ainsi magistralement, dans sa thèse, le mécanisme du diabète sucré (Recherches sur une nouvelle fonction du foie considéré comme organe producteur de matière sucrée chez l’homme et les animaux, 1853). Dans ses leçons au Collège de France, à la faculté des sciences de Paris puis au Muséum d’histoire naturelle, il expose - recourant
volontiers à la vivisection - des recherches pionnières sur la physiologie du système nerveux, la chaleur animale et les mécanismes de régulation du vivant (Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine, 1856). Ainsi se dessine le concept central de l’oeuvre bernardienne, celui de « milieu intérieur » : constitué par les secrétions internes - le sang et la lymphe - et réglé par l’activité nerveuse, il offre au vivant, par sa stabilité, « une possibilité d’autonomie relativement aux variations de ses conditions d’existence dans le milieu extérieur » (Canguilhem). Quant à l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale (1865), elle promeut une méthode expérimentale critique, fondée sur l’idée « d’observation provoquée », sur le travail du doute et de la contre-épreuve. L’oeuvre de Claude Bernard constitue un jalon essentiel dans l’histoire de la compréhension du vivant et celle de la médecine. Elle reconnaît un déterminisme propre aux fonctions biologiques et invite à penser la maladie non plus comme une importation dans l’organisme « d’entités morbides » mais comme le dérèglement de phénomènes normaux, obéissant à des lois assignables. Affranchissant la physiologie aussi bien des réductions mécanistes d’origine cartésienne que des doctrines vitalistes (Barthez, Bichat), Claude Bernard l’institue comme la science expérimentale spécifique des corps vivants et de leur déterminisme. Zola s’en inspirera, important en littérature cet « homme physiologique » sur lequel il érigera le « système » naturaliste (le Roman expérimental, 1880). Bernard (Samuel), banquier (Paris 1651 - id. 1739). Fils d’un peintre ordinaire du roi, de confession réformée, Samuel Bernard commence sa carrière comme marchand mercier en gros. Son mariage en 1681 l’unit aux grandes familles financières d’origine protestante, même si lui-même abjure en 1685. Il devient néanmoins rapidement le banquier des protestants émigrés ou étrangers. C’est le début d’une ascension fulgurante. Après un rôle actif de traitant dans les affaires financières de la monarchie, Bernard abandonne cette activité à partir de 1701 pour être banquier de la cour, c’est-à-dire organisateur des paiements aux alliés et aux armées dans le cadre de la guerre de la Succession d’Espagne. Son crédit international assoit sa position, même si ce sont en définitive les rentrées fiscales qui garantissent le fonctionnement du système. Interlocuteur obligé pour le roi et les siens
pendant quelques années, Bernard est durement touché par une banqueroute en 1709. Après une éclipse, il refait surface à l’époque de la Régence. En 1733 encore, il avance des fonds à Stanislas Leszczy[‘]nski, beau-père de Louis XV. Il s’intéresse aussi activement aux grandes compagnies de commerce maritime. Comblé d’honneurs (anobli dès 1699, il est fait comte de Coubert en 1725), Bernard meurt au faîte de la richesse et de la réussite. Il représente en son temps un cas exceptionnel d’osmose entre le monde du négoce et de la banque, et celui des financiers de la monarchie. À ce titre, il annonce, dès la fin du règne de Louis XIV, les banquiers de cour du XVIIIe siècle. Bernard VII ! Armagnac (Bernard VII, comte d’) Bernard de Clairvaux (Bernard de Fontaine, saint), moine et mystique, abbé de Clairvaux (Fontaine-lès-Dijon 1090 - Clairvaux 1153). Issu de la moyenne noblesse, le jeune Bernard fait ses études chez les chanoines de la collégiale Saint-Vorles, à Châtillon-sur-Seine, et en retire de solides connaissances bibliques et littéraires. Optant pour la vie monastique, il arrive à Cîteaux en 1112 (ou 1113) avec trente compagnons, confortant ainsi le développement de ce monastère fondé en 1098 par Robert de Molesme. En 1115, il devient abbé de Clairvaux, abbaye qu’il dirigera jusqu’à sa mort. Par sa personnalité et son rayonnement, Bernard de Clairvaux est le principal instigateur de l’expansion cistercienne. Jusqu’en 1130, il se consacre au développement de Clairvaux, puis, de sa propre initiative ou sollicité, il se trouve impliqué dans les grandes affaires de l’Église. Paradoxalement, alors que l’ordre cistercien prône la fuite du monde, il ne cesse de se mêler aux problèmes de son temps et vit fréquemment loin de son monastère. Il intervient dans les élections épiscopales, souvent pour faire triompher ses candidats, et s’intéresse à la réforme du clergé séculier. En 1130, lors de la double élection pontificale, il soutient Innocent II contre Anaclet II. Le 31 mars 1146, à Vézelay, il lance un appel pour la deuxième croisade, préoccupation qui s’est déjà exprimée quelques années auparavant dans À la louange de la milice nouvelle, texte soutenant l’ordre des Templiers. L’action qu’il mène contre l’hérésie cathare rencontre toutefois peu de succès. Bernard
de Clairvaux intervient également dans les débats dogmatiques. Accusant Abélard de soutenir des thèses théologiques contestables, il obtient sa condamnation par le concile de Sens en 1140. En revanche, en 1148, il ne parvient pas à faire sanctionner par le concile de Reims Gilbert de La Porrée, théologien et évêque de Poitiers. Doté de réels talents d’écrivain, Bernard de Clairvaux rédigea plus de cinq cents lettres, ainsi que des traités : De la considération, Sur les degrés de l’humilité et de l’orgueil, Sur la grâce et le libre arbitre, Sur l’amour de Dieu, Homélies à la louange de la Vierge Mère... Son mysticisme s’exprime dans les quatre-vingtsix Sermons sur le Cantique des cantiques, ouvrage resté inachevé. Il a bénéficié d’un immense prestige et exercé une profonde influence, qui ne se limite pas au monachisme, qu’il fut tenté d’imposer comme modèle à la société. Personnalité complexe et passionnée - ce qui a pu le conduire à l’intolérance -, représentant de la théologie monastique, il n’a cependant pas toujours su saisir les évolutions du XIIe siècle. Il a été canonisé en 1174. downloadModeText.vue.download 93 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 82 Bernard Gui, inquisiteur de l’évêché de Toulouse (Royère, Creuse, 1261 - Lodève, Hérault, 1331). Entré à l’âge de 19 ans chez les Frères prêcheurs de Limoges, dans l’ordre des dominicains fondé un siècle plus tôt pour combattre les hérésies du sud de la France, il circule dans les différents couvents de l’ordre, puis devient, en 1307, prieur de Limoges et inquisiteur pour le compte du tribunal de Toulouse, charge qu’il occupe jusqu’en 1323. Ayant effectué plusieurs missions pour le pape Jean XXII, il est nommé en 1324 évêque de Lodève. Mais c’est surtout à sa charge d’inquisiteur qu’il doit sa célébrité. Il rédige en effet une Pratique de l’office d’inquisition, plus connue sous le nom de Manuel de l’inquisiteur, où il analyse les hérésies vaudoise et cathare, précise les procédures inquisitoriales et dresse un barème des peines applicables. Il semble avoir été lui-même relativement modéré dans l’exercice de l’Inquisition, livrant rarement les accusés au bras séculier de la justice, qui appliquait les peines de sang. Son Manuel paraît cependant avoir été peu employé. Auteur de plusieurs ouvrages de théologie et de liturgie,
Bernard Gui est aussi un historien prolixe et honnête, un compilateur scrupuleux de documents, abondamment utilisé par les historiens de la papauté d’Avignon. Bernis (François Joachim de Pierre, cardinal de), prélat et homme po-litique (SaintMarcel-en-Vivarais, aujourd’hui Saint-Marcel-d’Ardèche, 1715 - Rome 1794). Issu d’une famille d’ancienne noblesse militaire languedocienne, il fait, grâce à la protection de Fleury, de bonnes études au collège Louis-le-Grand. Son caractère, sa brillante conversation et quelques publications poétiques lui valent rapidement une reconnaissance mondaine, au point qu’il est élu à l’âge de 29 ans à l’Académie française (1744). La protection de Mme de Pompadour lui permet d’obtenir une ambassade à Venise en 1751, d’entrer au Conseil en 1755 et de devenir secrétaire d’État aux Affaires étrangères en 1757. Il est l’un des principaux négociateurs du rapprochement de la France avec les puissances catholiques continentales, et en particulier l’Autriche, ce qui lui vaut d’être créé cardinal en 1758. Mais les succès de Frédéric II lors de la guerre de Sept Ans le poussent à la conciliation, en opposition avec le parti de la marquise de Pompadour. Cette indépendance à l’égard de la favorite entraîne sa disgrâce. Revenu en faveur, il est nommé archevêque d’Albi (1764), et se consacre à l’administration de son diocèse, où il réside. Chargé des affaires de France auprès du Saint-Siège (1769), il s’associe à la décision de Clément XIV de dissoudre la Compagnie de Jésus (1773). En raison de son refus de prêter serment à la Constitution civile du clergé et de son opposition à la Révolution, il est destitué en 1791. Auteur de poèmes et de textes divers édités de son vivant, il laisse également une correspondance avec Voltaire (publiée en 1790), ainsi que des Mémoires et des lettres, parus en 1878. Berry, ancienne province de France, dans le centre du pays, dont les limites correspondent pour l’essentiel à celles des actuels départements du Cher et de l’Indre. Formé à l’époque celtique du territoire des Bituriges, soumis par César, le Berry est intégré à la province romaine d’Aquitaine, avant d’être envahi par les Wisigoths vers 469. Conquis par les Francs, disputé entre les différents royaumes mérovingiens, il est érigé en comté indépendant au VIe siècle. Soumis à l’hostilité conjointe des ducs d’Aquitaine et des comtes de Blois, démembré autour de
930, le Berry entre en plusieurs étapes dans le domaine royal : la partie orientale, autour de Bourges, est acquise sous le règne de Philippe Ier, près de deux siècles avant que l’ensemble de la région soit placé sous le contrôle des Capétiens. En 1360, le roi Jean II le Bon érige le Berry en duché et le donne en apanage, assorti de l’Auvergne, à son troisième fils, Jean, qui en fait le coeur d’une principauté puissante dotée d’une administration développée et d’une cour fastueuse. À la mort du duc, en 1416, le Berry retourne à la couronne, avant d’être donné au dauphin Charles. Lors de l’occupation anglaise, le Berry devient ainsi le refuge et le symbole de la résistance des Valois, le point de départ de la reconquête du royaume entreprise par Charles VII, qui n’est, à l’origine, que le « petit roi de Bourges ». Confié par la suite à plusieurs cadets royaux, dont Charles de France, le frère de Louis XI, le Berry n’est définitivement réuni à la couronne qu’en 1584. Berry (assassinat du duc de), assassinat, le 13 février 1820, du second fils du comte d’Artois (futur Charles X), qui était destiné à monter sur le trône de France à la mort de son père. Cet événement marque un tournant majeur dans l’histoire politique de la Restauration, car il favorise le retour au pouvoir des ultraroyalistes. En effet, ces derniers sont irrités, depuis l’arrivée au pouvoir des constitutionnels en septembre 1816, par les progrès du libéralisme. Ainsi, en 1819, sous le gouvernement Decazes, les lois de Serre ont aboli la censure pesant sur la presse, et les élections législatives ont permis aux libéraux de remporter les deux tiers des sièges à pourvoir. En réponse aux inquiétudes de la droite, Decazes se fait alors le défenseur de l’ordre : il nomme de nouveaux ministres désireux de se rapprocher des ultraroyalistes et prépare une nouvelle loi électorale donnant droit à un double vote aux électeurs les plus imposés. C’est la veille du jour où la bataille doit être engagée à la Chambre en faveur de cette loi que survient l’événement. Le duc de Berry sort de l’Opéra quand l’ouvrier sellier Louvel le poignarde : le prince meurt quelques heures plus tard alors que le gouvernement craint une émeute, persuadé que Louvel n’a pas agi seul. En réalité, l’assassinat ne déclenche contre Decazes que les foudres des ultraroyalistes. L’attitude initialement libérale du ministre est jugée responsable de la conjoncture politique qui a favorisé le crime. Le 20 février, Louis XVIII se résout à
renvoyer Decazes : « Les pieds lui ont glissé dans le sang », commente Chateaubriand. Berry (Jean de France, duc de), troisième fils du roi Jean le Bon et de Bonne de Luxembourg (Vincennes 1340 - Paris 1416). Jean de France est fait comte de Poitiers en 1356, puis duc de Berry et d’Auvergne en 1360, lorsque le Poitou est restitué par le traité de Brétigny au roi d’Angleterre. La même année, il épouse Jeanne d’Armagnac, fille du comte Jean Ier d’Armagnac, puis devient otage en Angleterre à la place du roi son père. Pendant toute la durée de son règne, de 1364 à 1380, Charles V tient son frère Jean de Berry à l’écart des affaires, lui confiant parfois le commandement d’expéditions militaires en Languedoc. À la mort de Charles V, les oncles du jeune Charles VI, dont le duc de Berry, tiennent le gouvernement du royaume. Jean de Berry, lieutenant du roi en Languedoc, s’y enrichit exagérément. Très impopulaire, il est écarté du gouvernement de 1388 à 1392, lorsque y reviennent les marmousets, anciens conseillers du roi Charles V. Mais la folie de Charles VI permet aux oncles du roi de reprendre le pouvoir. Le duc de Berry partage alors son temps entre son duché, ses châteaux et le Conseil du roi. S’il soutient d’abord son frère Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, contre le duc d’Orléans, frère de Charles VI, il se pose en médiateur, à partir de 1404, dans le conflit plus sévère qui oppose Louis d’Orléans à Jean sans Peur, nouveau duc de Bourgogne. Lorsque Louis d’Orléans est assassiné en 1407, Jean de Berry tente d’arbitrer le conflit, puis penche en faveur du duc d’Orléans en 1410. Il intervient encore avant Azincourt : afin d’éviter que le roi ne soit fait prisonnier, comme Jean le Bon en 1356 à la bataille de Poitiers, il retient à Rouen Charles VI et le dauphin. Piètre politique, Jean de Berry reste dans l’histoire comme un grand mécène et un collectionneur exceptionnel, qui fait appel aux plus brillants architectes et sculpteurs pour embellir ses châteaux et son hôtel parisien. Grand amateur de livres, il entretient des ateliers d’enluminure dans tous ses domaines. Conservées à Chantilly, les Très Riches Heures du duc de Berry, peintes par Pol et Hennequin de Limbourg, sont le plus luxueux de ces manuscrits. Berry (Marie-Caroline de Bourbon-Sicile, duchesse de), fille de François Ier, roi des Deux-Siciles, et de Marie-Clémentine d’Autriche (Palerme 1798 - Brünnsee, Autriche,
1870) ; épouse du duc de Berry, de vingt ans son aîné et fils du futur Charles X. L’ultraroyalisme de son mari vaut à celui-ci, en 1820, le coup de poignard fatal de Louvel, qui voulait ainsi provoquer l’extinction de la branche aînée des Bourbons : geste inutile, puisque, quelques mois plus tard, la duchesse mettra au monde un fils posthume, le duc de Bordeaux, futur comte de Chambord et prétendant au trône sous le nom d’Henri V, salué comme « l’enfant du miracle » ; une naissance semble assurer l’avenir de la dynastie. Lors de la révolution de 1830, Marie-Caroline suit Charles X en exil, puis se lance, en downloadModeText.vue.download 94 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 83 1832, dans une conspiration qui va ridiculiser la cause légitimiste : elle tente de soulever la Provence, puis la Vendée, pour faire proclamer roi son fils, se cache plusieurs mois à Nantes, y est arrêtée, puis emprisonnée à la citadelle de Blaye, où, pendant sa détention, elle accouche d’une fille ! Libérée en 1833, elle épouse le comte Lucchesi-Palli, diplomate sicilien, qui endosse la paternité de « l’enfant de la Vendée », et lui en fera quatre autres. Par la suite, elle ne joue plus aucun rôle politique, ni dans l’éducation d’Henri V. La duchesse de Berry avait du courage et un esprit d’intrigue qui lui tenait lieu de sens politique. Sa gaieté anima la cour morose et compassée des derniers Bourbons (elle lança la mode des bains de mer, en 1824, à Dieppe). Son caractère romanesque et généreux l’a rendue assez populaire, et a séduit plusieurs historiens. L’épopée tragicomique de 1832 la fit entrer dans la légende royaliste, où elle incarna, en plein style « troubadour », un renouveau de l’esprit chevaleresque. Son emprisonnement à Blaye et le scandale organisé par le gouvernement de Louis-Philippe autour de sa grossesse irritèrent profondément les légitimistes et contribuèrent à priver la monarchie de Juillet du soutien d’une partie des notables. Berryer (Pierre Antoine), avocat et homme politique (Paris 1790 - Augerville-la-Rivière, Loiret, 1868). Celui que ses contemporains ont considéré comme « le plus grand des orateurs français » (Cormenin, 1838) est lui-même le fils
d’un avocat parisien ; il débute au barreau dès 1812 et défend, aux côtés de son père, le maréchal Ney en 1815. Il prend parti, dès la première Restauration, pour la monarchie et se rallie à la branche aînée des Bourbons : par-delà une grande indépendance de caractère, il demeure sa vie durant le plus éloquent porte-parole de la cause légitimiste. Sa longue carrière d’avocat le porte à défendre avec générosité et talent les causes les plus diverses : le général Cambronne en 1815, Lamennais en 1826, Chateaubriand en 1831, la duchesse de Berry en 1832, Louis Napoléon Bonaparte en 1840, les ouvriers typographes parisiens en 1863. Sa carrière politique le range parmi les ultraroyalistes de la Restauration : il attaque violemment Decazes en 1816 et collabore au Drapeau blanc et à la Quotidienne. Député de la Haute-Loire en mars 1830, il soutient le ministère Polignac. Représentant des Bouchesdu-Rhône sous la monarchie de Juillet et la IIe République, il est le principal orateur de l’opposition catholique et légitimiste, et défend parfois des positions libérales et démocratiques. Au lendemain du coup d’État de 1851, il est élu à l’Académie française (février 1852). À nouveau député de Marseille en 1863, il siège alors dans l’opposition légitimiste et libérale. Bert (Paul), physiologiste et homme politique (Auxerre 1833 - Hanoi 1886). Issu d’une famille bourgeoise de tradition voltairienne, Paul Bert poursuit de 1852 à 1857 des études de droit. Puis, cédant à sa vocation, il s’inscrit à la faculté de médecine, où il se lie avec Claude Bernard, auquel il succédera à la Sorbonne. Agrégé d’histoire naturelle, docteur en médecine (1863) puis en sciences naturelles (1866), ce futur promoteur de l’enseignement féminin épouse en 1865 une jeune Écossaise de 18 ans, de confession anglicane. Leur mariage est béni à l’ambassade de Grande-Bretagne, ce qui n’empêche pas Paul Bert de se déclarer, peu après, évolutionniste et matérialiste. Sa carrière politique commence au lendemain du 4 septembre 1870. Député gambettiste de l’Yonne à partir de 1872, il devient rapporteur permanent de la commission d’enseignement de la Chambre. Après l’adoption de son projet de loi sur les écoles normales départementales, le 9 août 1879, il soutient fermement la politique de Jules Ferry, qu’il remplace brièvement dans le « grand ministère » Gambetta (14 novembre 1881-26 janvier 1882). Président perpétuel de la Société de biologie, membre de l’Académie des sciences (1881), il prend le temps d’écrire des manuels de vulgarisation. Partisan résolu
de l’entreprise coloniale, il est nommé résident général au Tonkin le 31 janvier 1886, et entretient de bonnes relations avec les missionnaires français. Chez le vice-président de l’Union de propagande démocratique anticléricale, l’anticlérical s’est rendu aux raisons du patriote. Berthelot (Marcelin), chimiste et homme politique (Paris 1827 - id. 1907). Depuis le Collège de France, où il devient, à 23 ans, le préparateur de Balard, jusqu’au ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts (1886), puis au ministère des Affaires étrangères (1895-1896), la carrière de Marcelin Berthelot, comblé d’honneurs, est exemplaire du rôle dévolu aux savants à l’âge du positivisme triomphant : professeur de chimie organique à l’École supérieure de pharmacie (1859) et au Collège de France (1865), membre de l’Académie des sciences (1873) et de l’Académie française (1901), sénateur inamovible (1881), il entre au Panthéon à sa mort, en 1907. Son oeuvre, consacrée principalement à la synthèse organique et à la thermochimie, excède la chimie ; ses intérêts portent également Marcelin Berthelot vers l’archéologie et la politique. Mais, au-delà de cet éclectisme apparent, Berthelot fait du scientisme sa religion : ainsi considère-t-il que le bonheur et le bien-être s’acquièrent par « la connaissance exacte des faits, par la conformité de nos actes avec les lois constatées des choses ». Aussi son oeuvre publique s’attache-t-elle à favoriser l’enseignement et la recherche - inspecteur général de l’enseignement supérieur en 1876, il crée par exemple les maîtrises de conférence. Parfois, cependant, sa méfiance à l’égard des prétentions de la « science spéculative » l’entraîne à commettre des erreurs, notamment lorsqu’il refuse la théorie atomique (1877), qu’il finira par adopter. Berthier (Louis Alexandre), maréchal de France, prince de Neufchâtel et de Wagram (Versailles 1753 - Bamberg, Allemagne, 1815). Berthier entre dans l’armée à 11 ans. Après avoir intégré le corps royal d’état-major, il combat en Amérique. Lieutenant-colonel lorsque la Révolution éclate, il est nommé major général de la Garde nationale à Versailles. Peu attaché aux idées révolutionnaires, il protège la famille royale, ce qui le rend suspect. Suspendu en septembre 1792, il sert en Vendée de mai à juillet 1793. Après une seconde destitution, il est nommé à l’état-major de l’armée des Alpes et d’Italie en 1795.
Son destin est alors lié à celui de Bonaparte, qui remarque ses qualités lors des campagnes d’Italie et d’Égypte, puis en fait son ministre de la Guerre de 1799 à 1807. Mais c’est surtout en tant que chef d’état-major de la Grande Armée qu’il s’illustre, assurant notamment une transmission très efficace des informations et des ordres. Sa fidélité à l’Empereur lui vaut tous les honneurs : élevé à la dignité de maréchal d’Empire en 1804, puis à celle de major-général de la Grande Armée en 1805, il est fait prince de Neufchâtel en 1806 et prince de Wagram en 1809. Cependant, lorsque Napoléon Ier abdique en 1814, Berthier se rallie immédiatement à Louis XVIII. Retenu au château de sa famille à Bamberg par les coalisés, qui craignent de le voir rejoindre l’Empereur pendant les Cent-Jours, il y meurt, dans d’obscures circonstances. Berthollet (Claude Louis), chimiste (Talloires 1748 - Arcueil 1822). Issu d’une famille de la noblesse de robe savoyarde, Berthollet étudie la médecine à Turin, avant de monter à Paris en 1772. Il s’intéresse alors à la chimie, se rallie aux vues radicalement nouvelles de Lavoisier en 1785, et oeuvre avec lui, en compagnie de Fourcroy et de Guyton de Morveau, à la publication de la Méthode de nomenclature chimique (1787), qui jette les bases de la chimie moderne. Soucieux de trouver des applications pratiques à ses travaux, il invente un procédé de blanchiment du textile, à base d’hypochlorite de potassium, plus connu sous le nom d’« eau de Javel ». Personnalité scientifique en vue, il participe activement à l’effort révolutionnaire : membre de nombreuses commissions, il rédige, en 1793, avec Monge et Vandermonde, des ouvrages destinés aux industries militaires ; il enseigne la fabrication des poudres à l’École des armes, puis la chimie à l’École normale et à Polytechnique. Nommé à l’Institut dès 1795, il suit Bonaparte en Italie et en Égypte. Sénateur en 1799, comte en 1808, il se tourne de nouveau vers la recherche. Il publie un Essai de statique chimique (1803) dans lequel il s’efforce d’élaborer un système théorique. Quelques années après, il fonde avec Laplace la Société d’Arcueil, en vue d’aider les jeunes savants : très active jusqu’en 1813, celle-ci disparaît à sa mort. « Chimiste le plus connu du public », selon Cuvier, Berthollet est une figure emblématique de la génération des scientifiques qui ont investi le pouvoir politique lors de la Révolution. Bertin (Henri Léonard Jean-Baptiste), comte de Bourdeille, magistrat et homme
politique (Périgueux 1720 - Aix-la-Chapelle 1792). Issu d’une famille de la noblesse de robe du Périgord, Bertin est reçu avocat au parlement de Bordeaux en 1749, avant d’occuper de grandes charges dans la magistrature. Conseiller, puis maître des requêtes en 1745, downloadModeText.vue.download 95 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 84 il préside le Grand Conseil en 1749. D’abord intendant du Roussillon puis de Lyon, de 1754 à 1757, Bertin développe le tissu économique et industriel de la région lyonnaise. Il est ensuite nommé lieutenant général de police, puis, en 1759, devient contrôleur général des finances. Il pourvoit notamment aux dépenses de la guerre de Sept Ans. Bertin compte parmi les hommes politiques qui ont favorisé le développement de l’appareil administratif, le rôle de la finance et la mainmise de l’État sur les corps représentatifs. Il est aussi l’un des promoteurs de l’expérience libérale. Membre de l’élite de la « secte » des physiocrates, il autorise, en 1760, la libre circulation des grains. Il contribue aussi à la fondation de deux écoles vétérinaires, à Lyon en 1762 et à Alfort en 1766. Résignant sa charge au contrôle général en 1763, il exerce cependant une influence jusqu’en 1780, car il conserve un secrétariat d’État très actif. Les compétences de Bertin s’étendent à la plupart des activités économiques du royaume et au dépôt des Archives, qu’il crée en 1774. Necker ayant mis fin à sa carrière, il se retire près de Paris. Bertin l’Aîné (Louis François, Bertin, dit), journaliste politique (Paris 1766 - id. 1841). Fils du secrétaire du duc de Choiseul, le royaliste Louis François Bertin fut considéré par ses contemporains comme une référence en matière de journalisme politique. Dès le début de la Révolution, il collabore à divers journaux, puis entre en 1795 à l’Éclair, feuille de la réaction royaliste interdite après le coup de force des directeurs républicains du 18 fructidor an V (4 septembre 1797). Proscrit, Bertin se cache jusqu’au coup d’État de Bonaparte (18 brumaire an VIII, 9 novembre 1799), après lequel il fonde le Journal des débats, qui se distingue par des attaques allusives contre le Premier consul. Emprisonné en 1800 au Temple puis exilé en
Italie, Bertin reprend, en 1804, la direction de sa feuille censurée, devenue Journal de l’Empire, jusqu’à sa confiscation par l’État en 1811. Il retrouve en 1814 sa position, et le journal peut paraître sous son ancien titre grâce au retour des Bourbons. Sous la Restauration, le Journal des débats est un défenseur du régime jusqu’à la disgrâce, en 1823, de Chateaubriand, collaborateur, protecteur et ami de Bertin depuis leur rencontre à Rome en 1803. Après la révolution de Juillet, il est l’organe de la haute bourgeoisie constitutionnelle et soutient la dynastie des Orléans. Le célèbre tableau d’Ingres, représentant M. Bertin assis de face « comme un César bourgeois » (Théophile Gautier) et exposé au Salon de 1833, immortalise ce personnage qui incarne la réussite sociale des notables. Bérulle (Pierre de), théologien (Sérilly, Champagne, 1575 - Paris 1629). Bien que destiné à la carrière de robe par une famille de la noblesse parlementaire, Pierre de Bérulle s’engage dans la prêtrise. Cette vocation sincère reflète le renouveau spirituel français du « demi-siècle des saints ». Le jeune clerc fait partie du cercle de Mme Acarie et déploie une activité tridentine dans le domaine théologique, spirituel et disciplinaire. Le prêtre se démarque de l’humanisme dévot en rejetant le stoïcisme chrétien. D’abord influencé par la théologie abstraite (Bref discours de la perfection chrétienne, 1597), il fonde dans sa maturité une synthèse christocentrique originale, influencée par les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola. Dans son traité le plus célèbre (Discours de l’état et des grandeurs de Jésus, 1623), il organise la piété sur une méditation pénitentielle de la vie du Christ, seconde création seule apte à unir le chrétien à la divinité malgré le péché originel. Mais Pierre de Bérulle est aussi un clerc engagé dans le monde. Il se mêle à la controverse religieuse contre les antipossessionnistes et contre les réformés. Néanmoins, il s’investit davantage dans la réforme du clergé. Il oeuvra à l’installation du premier carmel thérèsien à Paris en 1602 et fonde l’Oratoire en 1611, une congrégation de prêtres qui vise à former des clercs souvent peu préparés au sacerdoce. En outre, Pierre de Bérulle est le maître spirituel du parti dévot. Tenant d’une triple alliance avec l’Espagne et Rome contre les États protestants, il s’oppose à la politique anti-habsbourgeoise de Richelieu. En 1627, Urbain VIII le crée cardinal ; mais il connaît la
disgrâce royale en 1629, quelques mois avant sa mort survenue au cours de la célébration d’une messe. Pierre de Bérulle symbolise la réussite d’une école française de spiritualité, mais aussi l’échec du rêve d’une chrétienté européenne désormais limitée par les intérêts nationaux. bête du Gévaudan ! Gévaudan (bête du) Beuvray (mont), oppidum gaulois, site de l’ancienne capitale des Éduens, Bibracte. Il est situé au sud des monts du Morvan, à cheval sur plusieurs communes, notamment Glux-en-Glenne (Nièvre) et Saint-Léger-sousBeuvray (Saône-et-Loire), entre Château-Chinon et Autun. Protégé par sa situation géographique (820 mètres d’altitude), l’oppidum était entouré de deux remparts, dont le plus grand, reconnu sur près de 7 kilomètres, enserrait une superficie d’environ 195 hectares. Pouvant atteindre 4 mètres de hauteur, le rempart interne, du type murus gallicus, était constitué d’un parement de pierre, d’une armature de poutres clouées et d’un bourrage de terre. On pénétrait dans la ville par plusieurs portes - sans doute une dizaine -, dont la plus grande, au nord-est, large de près de 20 mètres, était munie d’un système d’entrée en tenaille. Les vestiges d’occupation retrouvés à l’intérieur datent, pour l’essentiel, du Ier siècle avant notre ère. Ils révèlent un urbanisme très organisé : plusieurs rues, dont la principale atteint 14 mètres de large, et des quartiers spécialisés. Les artisans, notamment émailleurs, forgerons et bronziers, possédaient des demeures modestes, à proximité des remparts, dans la partie nord-est. La zone des sanctuaires se trouvait au sud. Au centre de l’oppidum, au milieu de la rue principale, a été découvert un grand bassin ovale en pierres appareillées, dont la fonction était sans doute religieuse. Les notables occupaient les quartiers résidentiels, au sud-ouest ; leurs riches demeures, construites selon un plan romain - avec atrium, péristyle, bains, jardins intérieurs -, et parfois décorées de fresques, étaient implantées le long de rues bordées de trottoirs et de galeries. Cette influence romaine tient aux rapports pacifiques, essentiellement commerciaux, qui liaient les Romains et les Éduens, proclamés « frères du peuple romain » dès 125 avant J.-C. Les mil-
liers d’amphores à vin romaines retrouvées au mont Beuvray témoignent de l’importance des échanges. C’est pourtant à Bibracte que Vercingétorix est proclamé, en 52 avant J.-C., chef de la coalition de tous les peuples gaulois révoltés contre César. L’hiver suivant, ce dernier y rédige la Guerre des Gaules, après sa victoire d’Alésia. Mais, au début du Ier siècle après J. C., le site, dont la position élevée et retirée s’avère malcommode, est progressivement abandonné au profit d’une nouvelle ville fortifiée fondée par l’empereur Auguste : Augustodunum, l’actuelle Autun. Redécouvert au XIXe siècle, le site a fait l’objet de fouilles menées par Bulliot, de 1867 à 1887, puis par son neveu, le grand archéologue Joseph Déchelette, de 1897 à 1901. Ce dernier, comparant le matériel découvert ici avec celui trouvé sur d’autres sites à travers l’Europe - et jusqu’en Bohême -, a ainsi défini la période finale de la civilisation celtique, dite de « La Tène ». Depuis 1985, des fouilles de grande ampleur ont entraîné la mise au jour de nombreux vestiges. Un musée de la civilisation celtique a été créé sur le site même. Bèze (Théodore de), théologien et écrivain protestant (Vézelay 1519 - Genève 1605). Après des études juridiques à Orléans et à Paris, Théodore de Bèze mène une existence mondaine ; il publie même un recueil de poèmes amoureux. Converti au protestantisme (1548), il s’enfuit à Genève, où il est accueilli par Calvin. Toute son existence sera désormais consacrée à la Réforme. Jusqu’en 1558, il enseigne le grec à Lausanne. Chef de la délégation protestante au colloque de Poissy (1561), il prend part à la première guerre de Religion. C’est en 1564, à la mort de Calvin, qu’il devient chef de l’Église réformée de Genève. Jusqu’à sa mort, il y traitera les affaires ecclésiastiques avec un remarquable sens de la conciliation. Face aux persécutions qui ensanglantent la France, il coordonne l’action des huguenots ; après le massacre de la Saint-Barthélemy (1572), il lance un vibrant appel à la lutte contre la tyrannie. Durant les dernières décennies du siècle, il échange une correspondance abondante avec les personnalités politiques et intellectuelles de l’Europe entière. Il rédige également une tragédie biblique, Abraham sacrifiant (1550), considérée comme son chef-d’oeuvre littéraire. À la fois écrivain, négociateur, théologien aux argumentaires redoutables, enseignant
et prédicateur, Théodore de Bèze n’est pas un simple épigone de Calvin : sans doute sa culture humaniste a-t-elle contribué à l’éloigner des rigidités doctrinales de son prédécesseur. downloadModeText.vue.download 96 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 85 bibliothèque bleue, terme générique désignant des opuscules destinés à un public populaire. Ces livrets sont de petite taille et comptent quelques feuillets, imprimés à moindre frais sur du mauvais papier, brochés sans grand soin et sous une couverture bleue, la couleur du pauvre. • Les origines troyennes. Vers 1600, Nicolas Oudot, voulant se libérer du centralisme de l’édition parisienne et conscient du succès des canards, installe une imprimerie à Troyes afin de publier des brochures destinées au plus grand nombre. Son rapide succès donne naissance à une dynastie, qui tisse des alliances avec d’autres imprimeurs, depuis Paris jusqu’à Reims. Les opuscules sont vendus par un réseau de colporteurs (45 en 1620 ; 120 en 1712). Ils touchent d’abord les cités du Nord-Ouest, les plus alphabétisées, puis, à partir du XVIIIe siècle, les campagnes. Au milieu du XIXe siècle, on évalue la production à neuf millions de brochures par an. La littérature de colportage ne disparaît qu’à la fin du XIXe siècle, détrônée par le « journal à un sou ». • Un débat historiographique. À la fin des années soixante, par les polémiques qu’elle suscite sur la notion de culture populaire, la bibliothèque bleue devient un symbole de l’histoire des mentalités. À partir d’un échantillon de 450 titres imprimés à Troyes en 1722, Robert Mandrou définit l’horizon culturel des milieux populaires sous l’Ancien Régime. L’homme est déterminé par les humeurs et les astres, qui le soumettent à la tyrannie des passions. D’où les vies de saints qui exaltent le triomphe de la piété en contrepoint du dérèglement charnel de l’amour féminin. Se développe ensuite un didactisme chrétien scandé par des recommandations pratiques pour le salut de chacun (assistance à la messe, participation aux pèlerinages et aux processions, audition du sermon et récitation régulière du credo). Néanmoins, l’omniprésence
des miracles témoigne de la toute-puissance d’un dieu de proximité. Le merveilleux naturel rejoint le religieux miraculeux. Alors que les découvertes scientifiques se multiplient, la bibliothèque bleue reste le reflet d’un savoir médiéval et de la Renaissance, où dominent les recettes magiques pour maîtriser le surnaturel, inclus dans l’ordre naturel des choses. Enfin, une société tripartite est dessinée : les dangereux marginaux (brigands, soldats ou sorcières), capables d’une justice compensatrice susceptible de plaire aux pauvres gens ; le petit peuple, dont le sort n’est pas enviable ; la noblesse chevaleresque du légendaire historique. Cette somme hétéroclite de romans épiques, de traités d’alchimie, d’almanachs ou de récits hagiographiques apparaît donc comme une littérature d’évasion, reflet d’un monde fixiste et détaché des réalités sociales. Cependant, les propositions de Mandrou ont été par la suite nuancées. Ainsi, selon Geneviève Bollème, la bibliothèque bleue évolue au XVIIIe siècle vers le réel, le concret et l’humain. Le féerique cède le pas aux préoccupations plus utilitaires, historiques et d’actualité. Le lectorat s’élargit à l’ensemble de la société, jusqu’aux élites qui dissimulent ces pratiques de lecture dans le fond des cuisines. D’après Roger Chartier, les auteurs, souvent les ouvriers imprimeurs des ateliers, puisent les textes dans un fonds savant archaïque qu’ils récrivent. Ils obéissent alors aux critères de lisibilité (découpage en chapitres et paragraphes), intellectuels (simplification et élagage des récits) et moraux (censure des allusions scatologiques, sexuelles et anticléricales). Enfin, selon Henri-Jean Martin, il existe une interaction entre la civilisation écrite et orale. Les contes de Perrault, tels qu’ils sont transmis oralement, sont en réalité - pour la plupart d’entre eux - une version écrite et édulcorée d’une ancienne tradition populaire. Somme toute, la bibliothèque bleue est à la fois un instrument d’intégration du peuple à la « galaxie Gutemberg » et un objet de différenciation sur la longue durée, entre une culture savante et une culture populaire rejetée (Robert Muchembled). Si bien que les livrets ont été dénoncés par les élites révolutionnaires comme des « contes à dormir debout ». Bibliothèque nationale de France, nom donné, en 1994, à la Bibliothèque nationale, institution de conservation des documents patrimoniaux acquis essentiellement
par le dépôt légal. • De la « librairie » royale... Son origine remonte à Charles V, qui installe, en 1368, les 973 manuscrits de sa « librairie » dans une tour du château du Louvre. Cette première collection est ensuite dispersée, et il faut attendre le règne de Louis XI pour qu’une continuité soit définitivement assurée. Enrichi par des dons et des achats, le fonds de la Bibliothèque royale connaît un rythme d’accroissement plus important à partir de 1537, lorsque François Ier crée le dépôt légal : l’ordonnance de Montpellier du 28 décembre rend obligatoire le dépôt à la « librairie du château » de Blois de tout livre imprimé mis en vente dans le royaume ; une obligation qui s’étend aux estampes volantes en 1672, puis à la musique en 1745. Les collections de la Bibliothèque suivent les souverains de Blois à Fontainebleau en 1544, avant d’être définitivement installées à Paris en 1568. Pendant plus d’un siècle, des déménagements sont nécessaires en l’absence de locaux adaptés : en 1720, l’abbé Bignon, bibliothécaire du roi, dispose les documents dans l’ancien palais de Mazarin, rue de Richelieu, dans des bâtiments qui ont connu de multiples transformations jusqu’à nos jours. À la Révolution, devenue Bibliothèque de la nation, l’institution reçoit la garde des fonds provenant de nombreuses confiscations ainsi que de trésors de guerre révolutionnaires et impériaux - lorsqu’elle sera rebaptisée « Bibliothèque impériale ». • …à la Bibliothèque nationale de France. Même si la Bibliothèque royale est ouverte au public depuis 1692, c’est surtout à partir du début du XIXe siècle que les lecteurs viennent en nombre consulter les collections de son héritière, la Bibliothèque nationale : l’aménagement de la grande salle de lecture des livres imprimés, confié à Henri Labrouste (1801-1875) et permettant d’accueillir 360 personnes, est achevé en 1868 ; au cours de la même période débute la réalisation de grands catalogues des fonds. Un siècle plus tard, la Bibliothèque est toujours à l’étroit. En 1988 est décidée, à l’initiative du président de la République François Mitterrand, la construction, dans le quartier de Tolbiac, d’un nouveau bâtiment - oeuvre de l’architecte Dominique Perrault -, achevé en 1996. En 1994, la création de l’établissement de la Bibliothèque nationale de France, doté de moyens accrus, constitue la dernière étape de cette évolution. Depuis 1997, les deux sites de Richelieu et de Tolbiac (officiellement baptisé du nom de « François-Mitterrand ») fonctionnent en parallèle : le premier, pour abriter les collections
spécialisées (manuscrits, estampes et photographies, musique, monnaies, cartes et plans, arts du spectacle) ; le second, les livres imprimés, les périodiques, la phonothèque et les documents audiovisuels. • Mémoire du passé, mémoire de l’avenir. Progressivement, les collections nationales ont été étendues à des supports moins traditionnels que le livre, manuscrit ou imprimé, même si l’écrit garde une place prépondérante dans les fonds de la Bibliothèque nationale : près de 350 000 manuscrits, plus de 13 millions de livres, 35 000 titres de périodiques, ainsi que 800 000 cartes et plans, 10 000 atlas, 2 millions de documents musicaux, 12 millions d’estampes, photographies et affiches. Respectant sa mission fondamentale de conservation des collections nationales, la Bibliothèque doit aussi être capable d’ouvrir largement l’accès au savoir. Dans cette perspective ont été accélérées l’informatisation du catalogue général, initiée dès 1970, ainsi que l’ouverture aux nouvelles technologies : les fonds de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) devraient s’ajouter aux documents sonores conservés par la Phonothèque nationale ; l’extension du dépôt légal, en 1977 et en 1992, au multimédia et aux publications sur support électronique justifie le rôle essentiel qu’entend jouer la Bibliothèque au coeur d’un vaste réseau d’échanges de données, notamment par Internet. La Bibliothèque nationale de France a pour vocation d’être la « mémoire de l’avenir ». Bibliothèque royale, institution, appelée aussi, durant le Moyen Âge, « Librairie du roy », où étaient conservés les livres appartenant au roi de France. « Un roi illettré est comme un âne couronné », commence-t-on à dire au XIIe siècle. Les rois et les princes se doivent donc de lire pour s’instruire. Charles V n’est pas le premier à aimer et à collectionner les livres - Saint Louis, par exemple, avait réuni une riche bibliothèque de textes des Pères de l’Église -, mais la librairie qu’il met en place au Louvre présente la nouveauté de ne pas être une bibliothèque privée, mais une institution publique dont la collection appartient à la couronne. À la fin de son règne, elle compte plus de 900 volumes, autant que celle de la Sorbonne. Lors de l’occupation anglaise de Paris, le fonds ainsi rassemblé est dispersé. C’est François Ier qui donne une nouvelle impulsion à l’institution. Il crée le dépôt légal (28 décembre 1537), afin d’enrichir la collection. Pendant très longtemps, ce système
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DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 86 fonctionne irrégulièrement. Le XVIIe siècle, notamment les années 1660-1680, représente un moment de fort accroissement des fonds de la « Bibliothèque du roi », dénomination de la librairie depuis 1618. On dénombre, au début du siècle, 4 712 volumes manuscrits et imprimés, et, à l’orée du XVIIIe siècle, 55 107 volumes imprimés, sans compter les manuscrits, les gravures, les médailles... En 1666, Colbert transfère ces fonds dans deux hôtels de la rue Vivienne, futur emplacement de la Bibliothèque nationale. C’est à peu près à cette époque que le public des érudits est admis, deux jours par semaine, à consulter les ouvrages. La Bibliothèque du roi, qui s’enrichit encore au XVIIIe siècle, devient, sous la Révolution, bien de la nation : ainsi naît la Bibliothèque nationale. Bibracte ! Beuvray (mont) Bidault (Georges), homme politique (Moulins 1899 - Cambo-les-Bains, Pyrénées-Atlantiques, 1983). Agrégé d’histoire, journaliste, Georges Bidault est l’un des dirigeants du Parti démocrate populaire (PDP), formation politique d’inspiration démocrate-chrétienne créée en 1924. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il se rallie très tôt à la Résistance et au général de Gaulle ; il anime à Lyon, avec Henri Frenay, Pierre-Henri Teitgen et François de Menthon, le mouvement Combat, puis succède à Jean Moulin à la tête du Conseil national de la Résistance (CNR) en juin 1943. Ministre des Affaires étrangères de 1944 à 1948, il participe à la fondation du Mouvement républicain populaire (MRP) en 1945. Président du gouvernement provisoire en juin 1946, il est ensuite président du Conseil en 1949-1950, ministre de la Défense en 1951-1952, de nouveau ministre des Affaires étrangères en 19531954. À ce titre, il doit s’occuper du projet de Communauté européenne de défense (CED), auquel il est peu attaché, exprimant ainsi un nationalisme en désaccord avec les options fédéralistes de certains de ses amis politiques. Ce nationalisme le conduit surtout à vouloir maintenir l’intégrité de l’empire. N’ayant pu éviter la débâcle de Diên Biên Phu en 1954, il mise sur le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958 pour régler la question algé-
rienne. Mais, partisan de l’Algérie française, il est finalement exclu du MRP ; il rejoint alors l’OAS, dont il condamne toutefois les attentats aveugles. Son immunité parlementaire étant levée à partir de 1962, il trouve refuge au Brésil à partir de 1963, il revient en France à la faveur d’une amnistie en 1968. biens communaux, sous l’Ancien Régime, partie du finage laissée à la jouissance collective de ses habitants. Formés généralement de bois en taillis, de pâtures, de landes et de friches, les biens communaux participent au bon équilibre de l’économie paysanne et procurent des ressources complémentaires, en particulier aux plus pauvres. Ils fournissent du bois de chauffage ou d’oeuvre, permettent le pâturage en dehors des temps de vaine pâture et offrent un appoint alimentaire (châtaignes, champignons). À partir du XVIe siècle, ils sont l’objet d’une double convoitise : de la part des « coqs de village », qui se dressent contre les paysans pauvres (l’« individualisme agraire »), et des seigneurs, qui luttent contre les communautés paysannes (la « réaction féodale »). Les assemblées d’habitants gèrent les communaux et en réglementent l’usage. Elles peuvent aussi les affermer, les aliéner, voire les hypothéquer. Or, du milieu du XVIe siècle jusqu’en 1659, temps de conflits, les communautés s’endettent et doivent aliéner leurs biens, de gré ou de force. Vers 1650, un officier royal du bailliage d’Étampes dénonce le noble campagnard qui « usurpe les communes ». Malgré l’édit d’avril 1667, les biens « détournés » ne sont pas restitués, et l’édit de novembre 1677 consacre cette spoliation - « le plus grand événement agraire sous l’Ancien Régime », selon l’historien ruraliste Pierre de Saint-Jacob. Au XVIIIe siècle, le problème des usurpations est réglé grâce à la protection des intendants. Mais les seigneurs, comme « premiers habitants » de la communauté et au nom de leur droit éminent sur leur territoire, avancent devant les cours souveraines l’« imprescriptibilité » de leur droit de triage. Ils réussissent parfois à récupérer le tiers des communaux, présumé seigneurial. En outre, au tournant du siècle, apparaît chez les physiocrates l’idée que les communaux constituent un frein au progrès de l’agriculture. L’édit de 1774 autorise leur partage. Mais les parlements, défenseurs de la tradition, retardent l’enregistrement de la loi (en Bourgogne, jusqu’en 1782), qui est donc peu appliquée. Enfin, la Révolution est d’abord favorable aux thèses
des physiocrates : si le décret du 14 août 1792 prévoit le partage obligatoire, la loi du 10 juin 1793 le rend facultatif. Et dès prairial an IV, le Directoire l’ajourne. L’idée du partage définitif n’est toutefois abandonnée qu’en 1816. biens nationaux, biens mobiliers et immobiliers confisqués par l’État à l’Église en 1789 (biens de première origine) ou aux émigrés à partir de 1792 (biens de seconde origine) et mis en vente au profit du Trésor public. • Une réponse à la crise financière héritée de l’Ancien Régime. En octobre 1789, la Constituante se trouvant confrontée au grave endettement qui avait conduit la monarchie à réunir les États généraux, l’évêque d’Autun, Charles de Talleyrand-Périgord, propose de mettre les biens du clergé à la disposition de la nation pour rembourser la dette et combler le déficit. Le 2 novembre 1789 est votée la loi relative à la confiscation de ces biens, dont la valeur est estimée à trois milliards de livres ; les terres couvriraient 10 % du territoire. Leur mise en vente est décidée le 19 décembre 1789 : une première opération doit porter sur 400 millions, somme pour laquelle sont émis des assignats, billets de 1 000 livres gagés sur les biens nationaux et avec lesquels sont indemnisés les créanciers de l’État. Le 14 mai 1790, il est précisé que les ventes doivent se faire aux enchères au chef-lieu de district ; le prix des biens est fixé à vingt-deux fois leur revenu et les acheteurs, sous réserve d’avoir effectué un versement comptant de 12 à 30 %, peuvent payer le solde en douze annuités avec un taux d’intérêt de 5 %. Mais les ventes se font généralement par gros lots : la vente des biens nationaux de première origine est donc une déception pour nombre de paysans. • Une tentative pour satisfaire la faim de terre des plus pauvres. Le 9 février 1792, un décret de l’Assemblée législative remet à la nation les biens des émigrés, des condamnés et des déportés : la mise en vente de ces biens nationaux de seconde origine est décidée le 2 septembre 1792. Le 3 juin 1793, la Convention décrète que les ventes aux enchères des biens fonciers doivent se faire par petits lots, payables en dix annuités, afin de favoriser les achats par les plus modestes, principe appliqué à partir du 22 novembre 1793 à l’ensemble des biens nationaux. En outre, une loi du 13 septembre 1793 autorise les indigents à acquérir de petites parcelles contre un bon de 500 francs délivré par leur municipalité : mal connue, cette mesure n’est
guère suivie d’effets. Enfin, le 26 février 1794, tous les biens des suspects sont placés sous séquestre afin d’être vendus au profit de la République : s’ils avaient été appliqués, ces décrets de ventôse auraient mis sur le marché des biens nationaux de troisième origine. Mais, en réponse aux nouvelles difficultés financières de la République, la législation de 1796 supprime la vente en petits lots et les crédits de plus de trois ans : la Révolution a finalement sacrifié la satisfaction des revendications foncières des plus pauvres à la nécessité de gérer un budget déficitaire. • Un bilan mitigé. Socialement, la vente des biens nationaux a d’abord profité à la bourgeoisie urbaine, qui a saisi là l’occasion d’affirmer son prestige en constituant de beaux domaines fonciers ou immobiliers. Les spéculateurs se sont enrichis en revendant par petits lots des domaines acquis aux enchères. La noblesse, quant à elle, n’a pas négligé l’acquisition de biens nationaux de première origine, et même elle a réussi, en recourant à des prête-noms, à racheter une partie de ses propriétés. Quant aux paysans, ils ont été parfois gagnants, surtout lorsqu’ils ont pu s’associer : dans le Nord, le Laonnais, la Côte-d’Or ou la Nièvre, ils ont acheté, de 1791 à 1793, deux fois plus de terre que les bourgeois. En bref, les paysans aisés ont été privilégiés par rapport aux plus démunis. La vente en petits lots a toutefois permis une augmentation d’un tiers du nombre des petits propriétaires : ainsi, dans le centre de la Beauce, un salarié rural sur dix est devenu propriétaire. La part acquise par les paysans n’a pas dépassé 15 à 20 % dans les zones périurbaines, de même qu’en Bretagne et dans l’Ouest ; en revanche, elle a été de plus de 50 % en Lorraine, en Alsace, en Bourgogne ou dans l’Aisne, et a même atteint 80 % dans le Nord. Politiquement, la vente des biens nationaux a contribué à attacher à la cause révolutionnaire les acquéreurs et, à l’inverse, dans l’Ouest, à rejeter dans la Contre-Révolution les paysans déçus par les difficultés rencontrées pour accéder à la propriété. La Restauration n’est pas revenue sur ces ventes, préférant indemniser les émigrés. downloadModeText.vue.download 98 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 87 bière. Les Gaulois adoraient le vin - qu’ils se procuraient à haut prix chez les marchands marseillais ou romains - mais ils ne produisaient que de la cervoise.
Cette bière sans houblon était fabriquée à la maison par les femmes, et devait être consommée rapidement. Des documents carolingiens des VIIIe et IXe siècles mentionnent déjà le houblon, mais il n’est encore qu’une des substances aromatiques que l’on ajoute à la cervoise pour en corriger le goût douceâtre : gentiane, sauge, lavande, coriandre, absinthe, poix extraite de la sève de résineux, lui font concurrence. Puis, vers la fin du XIVe siècle, il est employé systématiquement, ayant l’avantage de combattre certaines fermentations nuisibles, d’aider à la clarification de la bière et de permettre sa conservation. La bière, à cette époque, est fabriquée par des professionnels, les brasseurs, qui sont apparus à partir du Xe siècle, et qui se sont constitués en corporations au XIIIe. Du moins dans les pays germaniques, car, en France, cette boisson a longtemps été reléguée aux frontières du royaume par le vin. En Alsace même, les paysans ont bu le vin de leur vigne jusqu’au XVIIIe siècle, laissant la bière, qu’il fallait acheter, aux gens des villes. À Paris, l’une des rares villes de France où l’on en fabriquait, la consommation n’était, à la veille de la Révolution, que de 9 litres par personne, contre 120 litres de vin. Mais, depuis lors, dans toute la France, la consommation de bière augmente, tandis que, dans les dernières décennies du XXe siècle celle de vin a baissé : en 1976, les plus de 20 ans consommaient déjà 71 litres de bière pour 104 de vin. biface, outil préhistorique en pierre, de forme ovale ou triangulaire, façonné sur ses deux faces, utilisé à partir de - 500 000 ans environ. Autrefois appelé « coup-de-poing », le biface est caractéristique des civilisations du paléolithique inférieur et du début du paléolithique moyen de l’Afrique et de l’Eurasie. D’une longueur qui varie entre 5 et 30 centimètres, il est considéré comme le premier outil réellement symétrique, après les galets grossièrement taillés des périodes antérieures. Ce souci de symétrie témoigne de recherches esthétiques nouvelles, qui dépassent les nécessités fonctionnelles de l’objet. Néanmoins, certaines des civilisations du paléolithique inférieur, comme le clactonien ou le tayacien, n’ont pas utilisé le biface, alors que cet outil est caractéristique de l’acheuléen et, ultérieurement, d’une partie du moustérien. Le biface est façonné « directement », en
enlevant successivement à la pierre, par percussion, une série d’éclats, jusqu’à lui donner la forme souhaitée. Par la suite, au paléolithique moyen, ce sont les éclats eux-mêmes qui servent d’outils. Bien que l’imagerie populaire représente souvent le biface grossièrement emmanché pour former une hache, il semble qu’il ait surtout servi d’instrument tranchant, destiné à être tenu par l’un de ses côtés, souvent dépourvu de tranchant pour cette raison. Les bifaces n’existent plus dans l’outillage du paléolithique supérieur, celui d’Homo sapiens sapiens, qui, en France, apparaît vers - 30 000 ans. Billaud-Varenne (Jean Nicolas), homme politique (La Rochelle 1756 - Portau-Prince, Haïti, 1819). Fils et petit-fils d’avocat au siège présidial de La Rochelle, il fréquente un collège de l’Oratoire, puis étudie la philosophie et le droit avant de devenir à son tour avocat, en 1778. Inscrit au barreau du parlement de Paris en 1784, il écrit des brochures révolutionnaires, publiées en 1789, dans lesquelles il dénonce la superstition et le despotisme ministériel, et se montre admirateur de Montesquieu et de Rousseau. Électeur de Paris dans la même section que Danton, Desmoulins et Marat, il adhère, en 1790, au Club des jacobins, où il intervient souvent, et songe à la République dès l’arrestation du roi à Varennes. Membre de la Commune insurrectionnelle de Paris en août 1792, puis substitut du procureur Manuel, il est élu député de Paris à la Convention, où il devient l’une des principales figures montagnardes et demande la mise en accusation des girondins. Le 6 septembre 1793, au lendemain de la journée qui voit la Terreur mise à l’ordre du jour, il entre au Comité de salut public. Ce représentant des sans-culottes, privilégiant le droit à l’existence et l’égalité, est l’un des artisans du gouvernement révolutionnaire et se distingue par son intransigeance politique. S’il opte pour l’élimination des hébertistes et des dantonistes, il est un acteur déterminant de la journée du 9 thermidor an II (27 juillet 1794) - qui voit la chute des robespierristes -, sans doute par hostilité au renforcement du pouvoir exécutif au sein du Comité dominé par Robespierre. Cependant, devant les progrès de la réaction thermidorienne, il démissionne du Comité le 1er septembre 1794 et devient l’une des cibles du nouveau pouvoir, qui, cherchant à décapiter l’opposition montagnarde, le dénonce comme « terroriste »,
responsable de la Terreur ou encore des massacres de septembre 1792. Sans attendre les conclusions de la commission constituée le 27 décembre pour enquêter sur sa conduite et sur celle de Collot d’Herbois, Vadier et Barère de Vieuzac, la Convention profite de la journée du 12 germinal an III (1er avril 1795) pour décréter leur déportation immédiate. Déporté en Guyane, Billaud-Varenne rédige ses Mémoires (publiés en 1893) et refuse l’amnistie votée après le coup d’État du 18 brumaire, qu’il désavoue. Lorsqu’en 1816 la Guyane redevient française, il refuse l’administration de Louis XVIII et quitte Cayenne pour s’installer en Haïti. Entré dans la légende dès 1795, extrémiste sanguinaire pour les uns, proscrit sublime pour les autres, il demeure l’un des personnages les plus mal connus de la Révolution et l’une de ses figures les plus controversées. billets de confession (affaire des), crise religieuse et politique survenue sous le règne de Louis XV. Au XVIIe siècle, on exigeait des protestants convertis, pour leur donner les derniers sacrements, un billet attestant qu’ils s’étaient confessés. En 1746, l’évêque d’Amiens refuse les sacrements aux suspects de jansénisme qui ne présentent pas un billet d’un confesseur adhérent à la bulle Unigenitus. En 1752, l’archevêque Christophe de Beaumont veut appliquer cette méthode à la capitale. Rendue publique par la presse janséniste, l’affaire enflamme l’opinion. Le parlement de Paris condamne pour refus de sacrements des curés des diocèses de Paris, Troyes, Orléans et Chartres, qui ont laissé mourir sans viatique des fidèles renommés pour leur piété. Les magistrats dénoncent la tyrannie épiscopale et l’inquisition cléricale. Les remontrances du parlement de Paris au roi, en avril 1753, énoncent que « l’autorité des successeurs des apôtres est un ministère et non un empire ». Confronté à la grève des magistrats, Louis XV exile le parlement à Pontoise en mai ; toutefois, certains parlements de province (Rouen, Rennes, Aix...) poursuivent l’agitation. Finalement, le roi rappelle les exilés en septembre 1754, tout en imposant le silence sur les affaires religieuses. À l’occasion de la contestation janséniste, la crise révèle les progrès d’une conception nouvelle des rapports entre Église et pouvoir laïc, qui place l’autorité spirituelle sous la tutelle des juges. Birague (René de), homme politique et prélat (Milan 1506 ou 1507 - Paris 1583).
Issu d’une famille de la noblesse milanaise ayant rompu avec les Sforza, il entre, à l’instar d’autres Birague, au service de François Ier. Président au parlement de Turin en 1543, il joue surtout un rôle militaire dans le Piémont, alors occupé par la France. La perte de ce même Piémont le conduit à Paris, où il est promu président au parlement en 1563. Membre du conseil du duc d’Anjou (futur Henri III), homme de confiance de Catherine de Médicis, il devient garde des Sceaux en 1571, et compte parmi les instigateurs de l’assassinat de Coligny en 1572. Nommé chancelier en 1573, ce fidèle de la couronne reste, semble-t-il, assez effacé : c’est sans doute ce que les souverains demandaient au successeur de l’incommode Michel de L’Hospital. Un jugement sévère de Pierre de L’Estoile - « Ce chancelier était bien entendu aux affaires d’État, fort peu en la justice » - témoigne du peu d’estime de ses contemporains pour ses capacités judiciaires. Comme tous les « étrangers » de l’entourage de la reine (Nevers, Retz), il est honni par les grands du royaume. Veuf en 1572, il est tonsuré, et collectionne alors les abbayes. Devenu cardinal en 1578, il abandonne sa fonction de garde des Sceaux la même année, moyennant d’importantes compensations financières, mais il siège au Conseil du roi presque jusqu’à sa mort. Bir-Hakeim, point de résistance des Forces françaises libres (FFL) dans le désert libyen, du 27 mai au 11 juin 1942. En mai 1942, Rommel lance l’Afrikakorps à l’assaut de Suez. La VIIIe armée britannique, dans laquelle sont intégrées les FFL, bat en retraite. Dans le cadre de la défense de Tobrouk, les Britanniques ont confié à la 1re brigade française libre (BFL) du général Koenig la mission de tenir au moins six jours downloadModeText.vue.download 99 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 88 le lieu-dit Bir-Hakeim, croisement de pistes à 60 kilomètres de la côte, pour contraindre les forces de l’Axe soit à un long détour par le sud, soit à un combat sanglant. Koenig et ses 3 500 hommes ont édifié un puissant bastion entouré de 50 000 mines et disposant de 1 200 postes de feu. Le 27 mai, la BFL repousse un premier assaut italien. Mais, le 1er juin, commence le pilonnage de la place
par l’aviation allemande, et Rommel lance sa 90e division, soutenue par la division italienne « Trieste ». Dans de terribles conditions, les « Français libres » tiennent jusqu’au 10 juin, date à laquelle ils sont autorisés à se replier. Koenig ordonne alors la sortie, au cours de laquelle les pertes sont sévères. Quelque 2 500 rescapés parviennent à rejoindre les lignes anglaises. La résistance des FFL, même si elle n’a pas pu empêcher la chute de Tobrouk (14 juin), a freiné l’avance allemande et permis aux Anglais de se replier en bon ordre. Premier contact militaire entre Français et Allemands depuis juin 1940, le succès défensif de BirHakeim a rencontré un immense écho, galvanisant l’esprit de résistance et consolidant la position du général de Gaulle aux yeux des Alliés. Bituriges, peuple gaulois qui a donné son nom à la province du Berry, et dont le nom signifie « rois du monde ». Les Bituriges, ainsi que leur roi Ambicatus, sont mentionnés pour la première fois par l’écrivain romain Tite-Live (Histoire de Rome, livre V), au Ier siècle avant J.-C. Ils forment une confédération avec, notamment, les Arvernes, les Carnutes, les Sénons et les Aulerques. Dans cette région aux ressources naturelles riches (en particulier en métaux), l’archéologie a mis au jour des tombes princières sous tumulus, preuves de l’existence, dès le VIe siècle avant J.-C, d’une aristocratie importante, qui entretenait des liens commerciaux avec le monde méditerranéen, comme le montrent les objets importés. Dès le IIe siècle avant J. C. apparaissent les prémisses d’une économie urbaine. Grâce à des fouilles menées à Levroux (Indre), on a pu dégager les vestiges d’un habitat de cette période, entouré d’une fortification. Lorsque César attaque la Gaule, il distingue les Bituriges Vivisci, qui occupent le Bordelais, et les Bituriges Cubi, cantonnés dans l’actuel Berry. La capitale de ces derniers est Avaricum, une cité fortement défendue. En 52 avant J.-C., les Bituriges font partie de la coalition menée par Vercingétorix, qui, pour affamer les légions romaines, pratique la politique de la terre brûlée. Mais ils obtiennent de lui qu’Avaricum soit préservée ; la prise de cette place forte, épisode sanglant, apportera à César un ravitaillement inespéré. Après la conquête romaine, les Bituriges seront inclus dans la province d’Aquitaine première.
Blanc (Louis), théoricien socialiste et homme politique (Madrid 1811 - Cannes 1882). Fils d’un fonctionnaire des finances en poste dans l’Espagne de Joseph Bonaparte, Louis Blanc commence des études de droit, qu’il doit abandonner pour gagner sa vie. Journaliste dans diverses publications républicaines à Arras puis à Paris, il se fait connaître par des articles de teneur socialiste. Rédacteur en chef de la Revue du progrès, il expose sa doctrine dans l’Organisation du travail (1839), développant l’idée que, pour instaurer la fraternité entre les hommes, il faut lutter contre l’individualisme et la concurrence économique sauvage par la création de coopératives ouvrières de production. Il appartient à l’État d’organiser ce système de production, d’encadrer les marchés et d’instituer des assurances sociales. Réforme politique et réforme sociale sont donc indissociables : la transformation sociale reste le but à atteindre (Louis Blanc est socialiste), et la réforme politique constitue le moyen d’y parvenir (il est un républicain fervent). Militant jouissant d’une grande popularité, il devient membre du Gouvernement provisoire en 1848, et tente de mettre en pratique certaines de ses idées, en particulier à travers les propositions de la Commission du travail du Luxembourg, qu’il préside. Mais il ne réussit pas à obtenir de la majorité modérée du gouvernement la création d’un grand ministère du Progrès. Ses propositions sont dénaturées, et les Ateliers nationaux mis en place à cette époque ne correspondent pas à ceux qu’il préconisait. Opposé à la violence et partisan d’une révolution pacifique, il quitte le pouvoir après les journées de mai 1848. Il est pourtant inquiété pour sa participation supposée à l’insurrection du 15 mai, et s’exile à Londres, où il mène conjointement une activité d’historien (Histoire de dix ans, 18301840 ; Histoire de la Révolution française ; Histoire de la Révolution de 1848) et de journaliste républicain (rédacteur au Nouveau Monde). De retour en France après la chute de Napoléon III, il est élu à l’Assemblée nationale, puis à la Chambre des députés, où il dirige le groupe de l’extrême gauche radicale, avant de céder la place à Clemenceau. Tout en condamnant la Commune, il milite en faveur de l’amnistie des communards. Hostile à la Constitution de 1875, il lutte pour la mise en place d’un système républicain laïque et réellement démocratique. À sa mort, des obsèques nationales lui rendent hommage.
Blanche de Castille, reine de France de 1223 à 1226, régente du royaume de 1226 à 1234 et de 1248 à 1252, mère de Saint Louis (Palencia, Espagne, 1188 - Paris 1252). Fille d’Alphonse VIII de Castille et d’Eléonore d’Angleterre, Blanche de Castille épouse Louis, héritier du roi de France, Philippe Auguste, le 22 mai 1200, en gage de la paix que signent alors ce dernier et le roi d’Angleterre Jean sans Terre (traité du Goulet). Au cours des vingt années qui séparent ce mariage de la mort de Philippe Auguste, Blanche apporte son soutien indéfectible à son époux, à qui elle donne plus de dix enfants, mettant fin ainsi aux incertitudes dynastiques des règnes précédents. La brièveté du règne de Louis VIII (1223-1226) fait d’elle la régente du royaume pendant la minorité de son fils Louis IX. De 1227 à 1230, le roi et sa mère affrontent l’hostilité des barons, furieux d’avoir été écartés du gouvernement. Mais la conjuration des Lusignan, Coucy et Pierre Ier Mauclerc échoue, grâce aux talents diplomatiques de Blanche, qui s’appuie sur Thibaud IV de Champagne et sur les communes. Deux événements majeurs marquent la régence : d’une part, le traité de Meaux-Paris, conclu en 1229 avec Raimond VII de Toulouse, met fin à la guerre dans le Midi, et prépare l’intégration du Languedoc au royaume par le mariage de Jeanne de Toulouse, fille et unique héritière de Raimond VII, avec Alphonse de Poitiers, fils de Blanche ; d’autre part, le mariage de Marguerite de Provence avec Louis IX, en 1234, place la Provence sous influence capétienne. De 1234 à 1248, l’autorité de la reine mère devient plus discrète. Mais, en 1248, lorsqu’il part pour la septième croisade, Louis IX lui confie le royaume et ses enfants. Blanche de Castille meurt le 26 novembre 1252 à Paris, et est enterrée dans l’abbaye cistercienne de Maubuisson, qu’elle avait fondée en 1241. Image à la fois de la mère chrétienne modèle et de la mère abusive, qui empêche son fils Louis de rejoindre Marguerite de Provence, Blanche de Castille apparaît surtout comme une femme de pouvoir, malmenée par ceux qui s’en estiment privés. Dominatrice et courageuse, douée pour les joutes politiques, elle fut détestée et vénérée. Sa piété cistercienne, austère, a nourri celle de son fils Saint Louis, dominicain dans l’âme. Mère d’un saint et d’une bienheureuse (sa fille Isabelle), Blanche de Castille a sans doute trop inquiété les hommes d’Église par sa puissance politique pour mériter, elle aussi, la canonisation.
Blanqui (Louis Auguste), homme politique et penseur révolutionnaire (Puget-Théniers, Alpes-Maritimes, 1805 - Paris 1881). Fils d’un conventionnel devenu sous-préfet d’Empire et frère d’Adolphe Blanqui, célèbre économiste libéral, ce brillant élève s’intéresse très tôt à la politique. Il adhère en 1824 à la charbonnerie et il est blessé lors de manifestations contre Charles X en 1827. Collaborateur de Pierre Leroux au Globe (1829), il se familiarise avec la doctrine saint-simonienne. Il participe activement aux Trois Glorieuses, mais se dresse rapidement contre le régime orléaniste. De 1832 à 1839, de propagande en complots et d’arrestations en procès, Blanqui, qui fréquente alors Buonarroti (l’ancien lieutenant de Babeuf), poursuit ses activités révolutionnaires au sein de diverses sociétés secrètes (Société des familles, fondée par Barbès ; Société des saisons, créée en 1837). Il dirige l’insurrection du 12 mai 1839, ce qui lui vaut une condamnation à mort, commuée en détention à perpétuité. Il est libéré en 1848. La révolution de février 1848 le ramène sur la scène parisienne. Il est à l’origine de la manifestation du 17 mars pour le report des élections législatives, et il participe aux émeutes du 15 mai, ce qui motive son arrestation, puis sa condamnation à dix ans de bagne. Amnistié en 1859, il s’oppose au Second Empire, et il est enfermé à Sainte-Pélagie en 1861. Évadé en 1865, il s’installe à Bruxelles, se consacrant à l’écriture de textes qui seront réunis après sa mort en un ouvrage intitulé la Critique sociale, où il dénonce l’oppression des prolétaires par l’État et la religion, se montre soucieux d’éduquer le peuple, et prône le coup d’État downloadModeText.vue.download 100 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 89 pour instaurer une dictature révolutionnaire, « gendarmerie des pauvres contre les riches ». Revenu à Paris peu avant le siège de 1870, il se dépense sans compter pour la défense nationale, notamment dans les colonnes de son journal la Patrie en danger. Il organise, contre un gouvernement trop attentiste à ses yeux, les manifestations révolutionnaires du 31 octobre 1870 et du 22 janvier 1871. Candidat malheureux aux élections législatives de février 1871, il s’adresse à la classe ouvrière avec amertume dans une affiche célèbre, Un
dernier mot. Arrêté peu après, il ne peut participer à la Commune, ce qui ne l’empêche pas d’être élu à titre symbolique. Il ne sort de captivité qu’en juin 1879, deux mois après que les électeurs de Bordeaux l’ont élu député. Cette élection est cependant annulée, et il échoue l’année suivante dans une partielle à Lyon. Lors des derniers mois de son existence, il dirige le journal Ni Dieu ni maître, et tient de grandes réunions publiques à Lille et à Paris. Lors de ses obsèques, le 5 janvier 1881, 100 000 personnes viennent saluer la mémoire d’un militant qui a passé plus de trente-trois ans en prison. Blériot (Louis), ingénieur, industriel et aviateur (Cambrai 1872 - Paris 1936). Issu d’une famille aisée, ingénieur diplômé de l’École centrale de Paris, il crée, en 1897, dans la capitale, une usine de phares d’automobiles qui lui assure rapidement fortune. Mais c’est l’aviation, sa seule vraie passion, qui le rend célèbre. Dès 1902, il compte parmi les premiers constructeurs de monoplans - une formule pleine d’avenir, mais alors peu en vogue. Longtemps malchanceux, il entre dans l’histoire le 25 juillet 1909 en effectuant la première traversée aérienne de la Manche, de Calais à Douvres, en trente-deux minutes. Fruit d’un pari sportif financé par le Daily Mail, l’exploit est célébré comme le signe d’une nouvelle « unification » du monde. Du jour au lendemain, Blériot devient un héros mondial. Edmond Rostand lui dédie une ode ; Marinetti et les autres futuristes italiens lui vouent un véritable culte. Toute une imagerie le compare à Vercingétorix, le plus ancien des héros français. Mais Blériot entend rester un ingénieur et un industriel. Sa notoriété l’aide à fonder et à faire rayonner, depuis ses ateliers de Levallois puis de Suresnes, une firme d’avionnerie inventive - la plus importante d’Europe jusqu’en 1918 -, qui va s’illustrer pendant la Grande Guerre avec les célèbres Spad pilotés par les as de la chasse. En 1920, Blériot crée aussi une compagnie aérienne qui dessert Paris-Londres. Dans les années trente, il dessine des hydravions lourds, utilisés par Air France sur l’Atlantique sud. blindés. C’est en 1916 que le char de combat fait son apparition sur le front occidental, presque au même moment dans les différentes armées alliées. En France, le père de « l’artillerie d’assaut » est le général Estienne, qui entend utiliser le char pour rompre les fronts fortifiés et
réhabiliter la guerre de mouvement. Malheureusement, les premiers engins fabriqués par Schneider et Saint-Chamond sont des forteresses roulantes, lentes, peu maniables et très vulnérables, ainsi qu’on peut le constater lors de l’offensive d’avril 1917 au Chemin des Dames. En revanche, les chars légers Renault, équipés d’une tourelle tous azimuts, joueront un rôle décisif, en liaison avec l’infanterie et l’artillerie, lors des contre-offensives victorieuses de Foch en 1918. • Une arme mal employée. Pendant l’entredeux-guerres, l’armée française ne néglige nullement le char. À partir de 1935, le réarmement accorde la priorité à la construction de nouveaux véhicules. Au 10 mai 1940, l’armée aligne plus de 3 000 chars modernes, disposant même d’une légère supériorité sur la Wehrmacht. Mais, si les chars français sont bien protégés, ils disposent d’un armement inégal ; ils sont surtout lents et leur rayon d’action est trop limité. Deux défauts majeurs les affaiblissent : des liaisons radio embryonnaires et une conception tactique qui, en dépit des avertissements d’un de Gaulle, mise sur la dispersion plutôt que sur la concentration. En effet, indépendamment des blindés affectés à la cavalerie, le char reste considéré comme un engin d’appui de l’infanterie. C’est seulement pendant la « drôle de guerre », après des années d’hésitation, que le commandement se décide à créer trois divisions cuirassées, conçues cependant, à la différence des panzers, comme des engins de colmatage d’une brèche éventuelle sur le front, et non comme une arme de rupture. Finalement, en mai-juin 1940, l’arme blindée française est détruite, sans avoir pu influer sur la marche des événements. • Un équipement moderne. En 1943, avec le réarmement des troupes françaises d’Afrique assuré par les Alliés en vertu des accords d’Anfa, les trois divisions blindées françaises sont pourvues de matériels américains, les chars Sherman et les tanksdestroyers. Il en sera encore de même à la fin des années quarante, dans le cadre de l’OTAN. Toutefois, à partir des années cinquante, l’armée blindée commence à s’équiper de matériels de fabrication nationale. L’un des premiers engins, et des plus réussis, est l’AMX 13, doté d’un canon de 105. Plus de 7 700 exemplaires sont fabriqués, dont 3 300 réservés à l’exportation. Au cours des décennies suivantes, le char de base des divisions blindées est l’AMX 30B, dont une centaine sont encore en service, suivi, dans
les années quatre-vingt, de l’AMX 30B2. Aujourd’hui, les régiments blindés utilisent 650 engins de ce type. Avec son obus flèche de 105 mm et une conduite de tir laser très précise, l’AMX 30B2 dispose d’une grande puissance de feu. Mais, comparé au Léopard II allemand ou au MI américain, il souffre d’une mobilité et d’une protection insuffisantes, même si son blindage peut être renforcé de tuiles réactives Brennus. L’avenir de l’arme blindée française repose sur le char Leclerc. D’un poids de 55 tonnes, cet engin dispose d’une conduite de tir électronique extrêmement sophistiquée, qui permet à son canon de 120 mm un tir de nuit, en marche et sur tout terrain. En principe, il devrait équiper l’ensemble des régiments blindés. Mais son coût très élevé rend hypothétique la constitution du parc de 600 engins prévu. L’arme blindée française offre une originalité. Elle est la seule à disposer d’ERC (engins roues canon), très rapides et fortement armés. L’ERC 90 Sagaie Panhard, blindé léger de 6 tonnes, aérotransportable, est doté d’un canon de 90 mm. Quant à l’AMX 10, nettement plus puissant, il est armé d’une pièce de 105 et peut être uti-lisé comme char principal de combat. Plus de deux cents AMX 10 sont aujourd’hui en service. En dépit de l’élargissement de la menace (mines, roquettes, « munitions intelligentes »), l’armée française reste fidèle au char, en raison de sa capacité de destruction et d’évolution en « ambiance nucléaire ». Bloc des gauches, alliance scellée, en vue des élections législatives de 1902, par les forces politiques - radicaux, socialistes, républicains démocrates - qui soutiennent le gouvernement Waldeck-Rousseau depuis juin 1899. Grâce à la pratique des désistements au second tour, le Bloc des gauches gagne les élections, qui portent Émile Combes à la présidence du Conseil. Le Bloc est représenté en permanence à la Chambre des députés par la « délégation des gauches », composée de membres des quatre groupes parlementaires alliés (Union démocratique, Gauche radicale, radicaux-socialistes, socialistes) ; il sert d’intermédiaire entre les élus de la majorité et le gouvernement. Les socialistes soutiennent le cabinet sans y participer. En dépit de cette structure, animée par Jean Jaurès, des divisions apparaissent dès 1904. Combes mène
une politique anticléricale qui dresse contre lui une partie des modérés de l’Union démocratique ainsi que quelques radicaux : les socialistes, pour leur part, lui reprochent l’absence de toute politique sociale. En janvier 1905, Combes est contraint à la démission. L’alliance est maintenue pour obtenir le vote, en juillet 1905, de la loi de séparation des Églises et de l’État (promulguée en décembre). Mais elle se désagrège sous le ministère Clemenceau (octobre 1906-juillet 1909), en dépit de la forte représentation des radicaux dans ce gouvernement, dont la chute signifie la mort du Bloc. L’oeuvre du Bloc des gauches n’est pas mince : elle contribua largement à républicaniser la France - loi de séparation, réformes du service militaire et de l’enseignement -, à défaut de vraiment la démocratiser. Bloc national, coalition de formations politiques, situées majoritairement à droite et au centre, qui dirige la France de 1919 à 1924. Le Bloc national apparaît au lendemain de la Grande Guerre, alors que persiste dans une bonne partie de l’opinion l’esprit de l’« union sacrée » : la loi électorale de juillet 1919 ayant introduit le scrutin proportionnel de liste, les divers partis se voient dans la nécessité de conclure des accords en vue des élections du 16 novembre 1919. À gauche, la SFIO, profondément divisée quant à l’attitude à adopter à l’égard de la révolution bolchevique, décide downloadModeText.vue.download 101 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 90 de refuser tout accord avec les partis « bourgeois », ce qui prive le Parti radical de toute possibilité d’entente avec elle. Les partis de droite et du centre (catholiques, nationalistes et républicains modérés de la Fédération républicaine et de l’Alliance démocratique) se regroupent sur les thèmes du nationalisme, de l’anticommunisme et de la stricte exécution des traités. Les radicaux présentent des listes isolées ou s’associent avec les modérés, dont l’esprit laïque ne leur paraît faire aucun doute. Au soir du 16 novembre, la victoire des listes de droite et du centre (dites « de Bloc national ») est manifeste : 400 députés de droite et du centre, 100 radicaux, 68 socialistes, sont élus au sein de la Chambre bleu horizon (elle comprend environ 50 % d’anciens combattants).
Assurer la pacification religieuse, permettre le redressement du pays par l’exécution des traités, et notamment le paiement des réparations allemandes, sans alourdir la charge pesant sur les contribuables français, lutter contre la « subversion » révolutionnaire, tels étaient les principaux objectifs de la Chambre bleu horizon : force est de reconnaître qu’ils furent inégalement atteints, sauf le troisième, la grande vague de grèves révolutionnaires du printemps de 1920 se soldant par un échec total. La reprise des relations diplomatiques avec le Saint-Siège, en 1921, aboutit à une amélioration des rapports entre l’Église et l’État, nettement avantageuse pour les deux parties ; elle provoque toutefois le mécontentement d’intransigeants de droite, devant le refus de l’État républicain de revenir sur l’intangibilité des lois laïques, mais aussi l’irritation des anticléricaux. En politique extérieure, l’échec est patent : l’occupation de la Ruhr, décidée en janvier 1923 pour contraindre l’Allemagne au paiement des réparations, se solde par un fiasco, obligeant le gouvernement à une augmentation générale des impôts à la veille des élections de 1924. En réalité, plusieurs facteurs n’ont cessé de contribuer à affaiblir l’action des gouvernements du Bloc national : l’absence d’une majorité homogène, le décalage entre la majorité et les gouvernements, les illusions de l’opinion. L’analyse des scrutins révèle, en effet, l’existence de plusieurs types de majorités, souvent axées à droite (question religieuse) ou parfois orientées vers un rassemblement plus large (politique extérieure). Les chefs du gouvernement, exclusivement choisis dans le vivier d’avant-guerre (Millerand, Briand, Poincaré), se situent au centre et sont soucieux de se démarquer des bataillons de la droite catholique et nationaliste en s’appuyant sur les radicaux. Enfin, l’opinion ne comprend que tardivement et imparfaitement le caractère illusoire des clauses économiques du traité de Versailles, l’affaiblissement du pays, victorieux mais exsangue, et les risques considérables d’une situation d’isolement international. Blocus continental, prohibition des marchandises anglaises sur le continent européen décrétée à Berlin par Napoléon Ier le 21 novembre 1806. De la Révolution à l’Empire, l’or anglais alimentant les coalitions contre la France, celleci recourt à l’arme économique afin de mettre un terme au conflit militaire et politique,
tentant dans le même temps de réduire la concurrence et d’imposer sa propre hégémonie économique à l’Europe. Lorsque, en mai 1806, les côtes françaises sont déclarées en état de blocus par l’Angleterre, qui applique cette mesure aux navires neutres et en haute mer, la France n’a plus de flotte - elle a été détruite à Trafalgar en 1805 pour contrecarrer sa rivale. Napoléon réplique par le décret de Berlin, imposant à son tour le blocus des îles Britanniques. Pour l’Empereur, qui a fait sienne l’idée erronée selon laquelle l’économie insulaire est fragile, parce qu’elle repose sur le crédit et ne dispose pas d’une agriculture suffisante, il s’agit de fermer le marché européen aux produits anglais, pour asphyxier l’économie de l’Angleterre et provoquer une crise financière et sociale la contraignant à la paix. Le décret de Berlin offre cette caractéristique nouvelle : présentant la France comme le défenseur de l’Europe contre le despotisme maritime anglais, il étend la politique française aux pays alliés et satellisés. Leur interdisant tout commerce et toute correspondance avec l’Angleterre, il déclare « de bonne prise » tout produit manufacturé ou colonial britannique, et prisonnier de guerre tout citoyen anglais - dont les propriétés sont confisquées - interpellé en France et dans les pays occupés. En novembre 1807, à la riposte anglaise, qui oblige tous les navires à venir payer des droits de douane dans un port britannique, Napoléon répond par les décrets de Milan ordonnant la saisie de tout bâtiment s’étant conformé aux ordres anglais. Mais le blocus est un échec. Mis à mal par la contrebande qui fleurit partout, il s’effrite d’autant plus que, pour faire face à la baisse des revenus douaniers, à la pénurie de matières premières et à la cherté des denrées coloniales, Napoléon autorise en 1810, au bénéfice du seul territoire français, l’importation de certains produits anglais, qu’il frappe de droits de douane élevés. Le respect du blocus par l’Europe continentale étant la condition de son efficacité, Napoléon poursuit sans relâche une politique d’intervention et d’expansion militaires qui provoquera sa chute. En fin de compte, le blocus, qui n’a jamais été « étanche », n’a que passagèrement perturbé l’Angleterre, sauvée par la guerre d’Espagne (1808-1813) et la campagne de Russie (1812), mais aussi par sa maîtrise des mers et sa formidable faculté d’adaptation et de conversion économiques. Blois (comté de), comté d’origine carolingienne, coeur de l’une des plus grandes prin-
cipautés féodales de la France du Nord aux XIe et XIIe siècles, finalement intégré au domaine royal en 1498, à la suite de l’accession au trône de France du dernier comte, Louis d’Orléans, sous le nom de Louis XII. Le comté, qui appartenait depuis le IXe siècle aux ducs des Francs, est confié au Xe siècle à l’un de leurs vassaux, Thibaud le Tricheur (mort en 978), vicomte de Tours. Ce dernier est l’artisan de sa transformation en principauté féodale : il s’émancipe de la tutelle des ducs, s’allie aux familles de Vermandois et de Bretagne, et ajoute à ses possessions Châteaudun, Provins et le comté de Chartres. Son oeuvre est poursuivie par son petit-fils, le comte Eudes II de Blois (mort en 1037). En acquérant les comtés de Troyes et de Meaux en 1022, il unit le comté de Blois à la Champagne, et fait ainsi de sa maison l’une des plus puissantes du royaume : il bat monnaie à son nom, tient sa propre cour, érige l’abbaye de Marmoutier en nécropole comtale, et n’hésite pas à attaquer à plusieurs reprises le roi capétien Robert le Pieux. À la fin du XIe siècle, le mariage du comte Étienne Henri (mort en 1102) avec Adèle, fille de Guillaume le Conquérant, duc de Normandie et roi d’Angleterre, renforce la puissance des comtes de Blois ; et la mort de l’héritier direct de Guillaume le Conquérant, en 1135, permet à un cadet de la famille de Blois, Étienne, de monter sur le trône d’Angleterre et d’y régner jusqu’en 1154. La première moitié du XIIe siècle marque ainsi l’apogée du comté et de la maison de Blois. Mais, au cours de ce même XIIe siècle, la famille comtale fait progressivement de la Champagne, où apparaissent les premières foires, le coeur de sa principauté. Le mouvement est accentué en 1152 par le partage du patrimoine familial : l’aîné conserve la Champagne, tandis que les cadets héritent des comtés de Blois et de Chartres. La mort du comte Thibaud VI, en 1218, met un terme à la domination de la maison de Blois sur le comté de Blois, lequel entre alors dans une plus grande dépendance à l’égard du pouvoir royal. Aux XIIIe et XIVe siècles, le comté est une possession de la maison de Châtillon, famille plusieurs fois alliée par le sang aux Capétiens. Enfin, en 1397, il est acquis par Louis d’Orléans, frère du roi Charles VI et régent du royaume, dont le fils Charles tient une cour brillante au château de Blois, après sa longue captivité en Angleterre. Dès son accession au trône de France, Louis XII, fils de Charles d’Orléans, entreprend la rénovation complète du châ-
teau, qui devient, durant un siècle, l’une des principales résidences royales. Blum (Léon), homme politique, dirigeant socialiste, chef du gouvernement de la République en 1936-1937, 1938 et 1946-1947 (Paris 1872 - Jouy-en-Josas, Seine-et-Oise, 1950). • L’éveil à la politique. Léon Blum est né à Paris, le 9 avril 1872, dans une famille juive d’origine alsacienne marquée par des traditions religieuses, dont le jeune Léon se détourne très vite, même si, par la suite, il présentera son sens aigu de l’esprit de justice comme un lointain héritage de la foi de ses pères. Élève brillant, il est reçu à l’École normale supérieure en 1890, mais il en est exclu l’année suivante, à la suite d’un échec à l’examen de licence. Il se tourne alors vers la faculté de droit, et réussit, en 1895, le concours du Conseil d’État, où il fait carrière jusqu’en 1914, comme auditeur, puis comme maître des requêtes, avant de devenir commissaire du gouvernement. Il affirme alors un souci constant de protéger les droits individuels, tout en ménageant une possibilité d’arbitrage par la puissance publique. Parallèlement, Léon Blum se consacre à l’activité littéraire, publiant, à partir de 1892, des downloadModeText.vue.download 102 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 91 chroniques et des comptes rendus critiques dans la Revue blanche, qui compte alors parmi ses collaborateurs Gide, Proust et Anatole France. Essayiste, il rédige notamment Nouvelles conversations de Goethe avec Eckermann (1901), mélange révélateur de l’esprit « fin de siècle », marqué par le dilettantisme, l’esthétisme et l’égotisme, mais qui témoigne parfois d’une hardiesse de pensée bien en avance sur son époque. Cependant, la politique n’est pas absente de cette première partie de l’existence de Léon Blum. En 1893, il fait la connaissance de Lucien Herr, bibliothécaire de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, qui l’initie aux théories socialistes et le convertit à la cause de Dreyfus. Dans le combat dreyfusard, mené avec passion, il rencontre Jean Jaurès, et se lie d’une amitié indéfectible avec le grand tribun. Pour Blum comme pour Jaurès, le socialisme ne peut, sans se renier, abandonner l’héritage de la République, mais il doit le dépasser, le but ultime restant la transformation totale
de la société, fondée sur le changement du régime de la propriété. Ce socialisme de synthèse s’inspire peu du marxisme ; sans renoncer à l’idée de révolution - ce qui le distingue d’un réformisme -, il met en valeur les notions d’humanisme et de démocratie. Personnalité indépendante, Blum, sous l’influence de Lucien Herr, découvre, en 1899, les nécessités de l’organisation en adhérant au groupe de l’Unité socialiste. Durant les années suivantes, aux côtés de Jaurès, il oeuvre à l’unification des forces socialistes. Son rôle, sans être alors de premier plan, s’avère utile en pratique : Léon Blum, en effet, participe activement à la création et au lancement de l’Humanité en 1904, tant au point de vue financier que par sa collaboration littéraire. Il accepte comme un préalable à l’unité socialiste les conclusions du congrès d’Amsterdam portant condamnation du ministérialisme, bien qu’il ait, antérieurement, observé avec intérêt le déroulement de l’expérience Millerand, socialiste appelé à participer au gouvernement par Waldeck-Rousseau. Cependant, une fois l’unité réalisée au sein de la SFIO en avril 1905, et tout en restant très proche de Jaurès, Blum s’écarte de la politique militante, mal à l’aise, peut-être, devant les débats sur l’« antipatriotisme » internationaliste. • Blum et l’exercice du pouvoir. En 1914, rallié, à l’instar de son parti, à l’« union sacrée », il devient chef de cabinet de Marcel Sembat, ministre socialiste des Travaux publics, et occupe pendant vingt-sept mois ce poste, où il acquiert une connaissance précise des rouages du pouvoir. Ses réflexions, consignées dans les Lettres sur la réforme gouvernementale (publiées en 1918), le pousseront à réclamer l’instauration d’une présidence du Conseil dotée de réels moyens et soumise à un contrôle parlementaire rationalisé. Au sein du parti, membre de la majorité favorable à l’« union sacrée », il n’en émet pas moins des réserves face à la pratique réformiste de ses camarades, tout en condamnant sans équivoque la dictature bolchevique. Cette position « centriste » fait de lui une personnalité clé du parti au lendemain de la guerre. Député, pour la première fois, à 47 ans, secrétaire du groupe restreint des socialistes élus en 1919 à la Chambre, il prend part à la controverse relative à l’adhésion à la IIIe Internationale. Irrémédiablement hostile aux méthodes bolcheviques, il fonde un « comité de résistance socialiste ». Lors du congrès de Tours, le 27 décembre 1920, il prononce le
grand discours de refus aux « vingt et une conditions » : la SFIO, parti « d’éducation populaire et de propagande politique », ne peut, même si elle reste un mouvement révolutionnaire qui ne doit pas se laisser enfermer dans la légalité, se transformer en un organisme soumis à une direction clandestine, et dans lequel les minorités ne pourraient plus s’exprimer. Persuadé qu’il y a « contradiction formelle et absolue entre ce qui a été le socialisme et ce qui sera demain le communisme », Blum estime nécessaire que « quelqu’un garde la vieille maison ». Après le congrès, il s’attelle à cette tâche : à la Chambre, en tant que figure de proue du groupe socialiste ; au Populaire, devenu l’organe de la SFIO, comme éditorialiste. Blum et la SFIO sont alors confrontés au difficile problème de la participation au pouvoir : le parti socialiste, à vocation révolutionnaire, doit-il accepter les offres de ses alliés radicaux ? À cette question, posée au lendemain des victoires de la gauche en 1924 et en 1932, le parti répond par la négative. En 1926, Blum développe la distinction entre l’exercice et la conquête du pouvoir : la seconde, souhaitable mais irréalisable dans l’immédiat, suppose la prise totale du pouvoir par le prolétariat, qui pourrait alors ne pas tenir compte de la légalité « bourgeoise » ; l’exercice du pouvoir implique, au contraire, le strict respect des lois, étant soumis à un préalable - la position majoritaire de la SFIO dans une coalition de gauche victorieuse -, et doit poursuivre le double objectif d’améliorer la condition ouvrière et de préparer le changement du régime de la propriété. En 1936, Léon Blum y est confronté, à l’issue de la victoire électorale des gauches, regroupées au sein du Rassemblement populaire. Un mouvement social de grande ampleur accompagne sa nomination au poste de président du Conseil en juin 1936. En légaliste scrupuleux, Blum respecte les délais constitutionnels requis pour sa prise de fonction ; il démissionnera un an plus tard, à la suite de sa mise en minorité par le Sénat. Son programme économique et social, dicté par le double souci d’améliorer immédiatement le sort du prolétariat - relèvement du pouvoir d’achat, congés payés, diminution du temps de travail hebdomadaire - et de faire évoluer les structures - incitations à l’établissement de rapports contractuels et à l’arbitrage -, s’actualise dans un train de réformes durant l’été 1936. Mais, dès le début de 1937, faisant preuve de réalisme, Blum décrète la « pause » des réformes. Le bilan appelle des nuances :
la gestion de l’économie a pu être contestée, mais les avancées sociales restent acquises. En politique extérieure, Blum doit faire face à des choix difficiles. Alors que le programme du Front populaire conservait comme références essentielles la sécurité collective et le désarmement, le déclenchement de la guerre d’Espagne et le rapprochement entre les puissances fascistes posent en termes aigus la question de la sécurité nationale. Personnellement favorable à un appui au gouvernement républicain espagnol, victime du soulèvement militaire dirigé par Franco, Léon Blum doit tenir compte des avis divergents au sein de sa majorité, de la profonde division de l’opinion publique et du maintien de la cohésion franco-britannique : il se rallie donc à l’idée de non-intervention, mais lance, dès septembre 1936, un programme de réarmement, qui ne portera ses fruits que deux ans plus tard. • Les épreuves et la sagesse. Désormais, l’attention de Léon Blum se porte sur les questions de politique extérieure. En mars 1938, alors que la majorité du Front populaire connaît ses derniers jours, il propose la constitution d’un gouvernement d’union nationale, à laquelle il doit finalement renoncer devant les réticences des formations de droite. Son second cabinet, privé de véritable majorité, ne dure pas plus de trois semaines (mars-avril 1938). Même si Blum semble, sur le moment, se résigner aux accords de Munich, il combat, à partir de la fin de 1938, l’aile pacifiste de son parti, menée par Paul Faure. En juillet 1940, la SFIO ne parvient pas à adopter une attitude commune face à Pétain : le 10 juillet 1940, 36 parlementaires socialistes seulement suivent Blum dans son refus de voter les pleins pouvoirs au maréchal, contre 90 qui les lui accordent. Arrêté le 15 septembre 1940, sur ordre du gouvernement de Vichy, Blum comparaît à partir du 19 février 1942 devant la Cour suprême de Riom, instaurée par Pétain pour juger les présumés « responsables » de la défaite. Il y défend avec vigueur les institutions démocratiques et les réalisations sociales de son gouvernement, et donne ainsi un nouveau souffle à la Résistance socialiste, avant que Vichy, sous la pression allemande, n’ordonne l’interruption du procès. Déporté le 31 mars 1943, il est interné à Buchenwald, et soumis aux conditions particulières réservées aux otages de marque. De retour à Paris en mai 1945, Blum, qui fait désormais figure de sage placé au-dessus de la mêlée, prône une
conception renouvelée du socialisme : celuici n’a pas seulement pour but « la libération économique et sociale », il doit viser, en définitive, à « rendre la personne humaine plus heureuse et meilleure ». Ce point de vue n’est pas admis par les tenants de la tendance dogmatique du parti, qui, en août 1946, évincent de la direction Daniel Mayer, disciple de Léon Blum. Celui-ci accepte, par civisme, de présider le gouvernement provisoire (décembre 1946-janvier 1947), le dernier avant la mise en place des institutions de la IVe République. Il meurt le 30 mars 1950, laissant le souvenir d’un républicain exemplaire et d’une haute figure intellectuelle, dont on retient l’effort soutenu pour définir un socialisme démocratique fondé sur la justice sociale et l’amélioration morale. Blum-Viollette (projet), projet de loi du gouvernement du Front populaire (1936) visant à octroyer la plénitude des droits civiques à un certain nombre de musulmans algériens. Les noms de Léon Blum, alors président du Conseil, et de Maurice Viollette, ancien goudownloadModeText.vue.download 103 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 92 verneur général de l’Algérie (1925-1927), devenu ministre d’État chargé des affaires d’Afrique du Nord en 1936, sont restés attachés à ce projet. En vertu de celui-ci, 24 000 ou 25 000 indigènes musulmans appartenant à diverses catégories - anciens combattants volontaires ; titulaires du brevet élémentaire, de diplômes plus élevés, ou de certaines décorations ; médaillés du travail ; élus locaux ; membres des chambres de commerce et d’agriculture - auraient pu acquérir la pleine citoyenneté, tout en conservant leur statut personnel coranique. Ils auraient donc été électeurs et éligibles aux législatives, et auraient pu accéder à tous les emplois publics. Dès qu’il est connu, le projet soulève une vive indignation des Européens d’Algérie, et l’on assiste à une levée de boucliers des élus locaux. Nombre de maires et d’adjoints donnent leur démission, si bien qu’il doit être mis en sommeil, et n’est jamais discuté... Cet abandon suscite l’amertume parmi les musulmans ; et Ferhat Abbas peut prophétiser : « Faute de réformes immédiates et substantielles, [...] ce n’est pas le projet Blum-Viollette que nous enterrerons, c’est l’oeuvre tout entière de la France qui sombrera. »
Bodin (Jean), légiste et philosophe (Angers 1529 ou 1530 - Laon 1596). Après des études de droit à Toulouse, Jean Bodin devient avocat au parlement de Paris en 1561, puis procureur du roi à Laon. Durant les guerres de Religion, il se range du côté des « politiques », qui prônent l’unité nationale autour de la personne royale. Il s’oppose violemment aux menées de ceux qui veulent révoquer les édits de pacification. De même que celle de Machiavel, sa réflexion est guidée par une visée pratique : étudier les sociétés du passé pour comprendre les turbulences du présent et y ouvrir des perspectives. Son premier traité, la Méthode de l’histoire (1566), propose à la fois une synthèse historique et une réflexion méthodologique. Englobant toutes les sociétés et civilisations connues, l’ouvrage est l’un des premiers à circonscrire avec rigueur le territoire propre de l’historien. L’histoire humaine y est nettement distinguée de l’histoire théologique et de l’histoire naturelle. Bodin récuse la plupart des cadres qui avaient régi cette discipline avant lui : ni la théorie des « quatre empires mondiaux » (Babylone, Perse, Grèce et Rome), ni le mythe de l’âge d’or, ni l’idée d’un plan divin inscrit dans l’histoire, ne trouvent grâce à ses yeux. Cette attention aux faits et ce refus des spéculations hasardeuses sont encore plus nets dans le grand traité politique des Six Livres de la République (1576). Au moment où paraît l’ouvrage, Bodin est représentant du Tiers aux états généraux de Blois, et la crise religieuse qui secoue la France depuis plusieurs décennies n’est évidemment pas étrangère à la genèse de sa réflexion : la République se donne pour but de récapituler huit siècles d’histoire politique française, et de réconcilier le royaume bouleversé avec son génie séculaire. Loin de se limiter à la France, Bodin pose les bases d’une sociologie comparée des États. De cette immense entreprise, à l’érudition foisonnante, la postérité a surtout retenu la théorie de la souveraineté, absolue et perpétuelle. S’opposant à Machiavel, coupable à ses yeux d’avoir réduit la politique à sa dimension tacticienne, Bodin analyse avec une acuité remarquable les structures institutionnelles où s’incarne le principe de souveraineté d’un État, donnant la préférence, en ce qui concerne le régime, à une « monarchie harmonique », dans laquelle le roi retrouverait toute son autorité.
L’auteur de la République sait tirer le parti le plus fécond de sa formation juridique et de sa culture philosophique : c’est au croisement de ces deux disciplines qu’émerge l’une des idées cardinales de la politique moderne. Boisguilbert (Pierre Le Pesant, sieur de), économiste, l’un des fondateurs de l’économie politique libérale (Rouen 1646 - 1714). Issu de la petite noblesse de robe, il occupe différentes charges dans sa ville natale : président et lieutenant général du bailliage et présidial, lieutenant de police. Janséniste, formé à Port-Royal, il est très influencé par Pierre Nicole. Sensible à la grande détresse économique et sociale de sa province en une période de dépression, il conçoit de vastes projets de réforme du royaume, qu’il soumet inlassablement aux contrôleurs généraux successifs, grâce à l’appui de Vauban, dont il est proche. Boisguilbert est le premier à formuler une théorie du circuit économique, soulignant l’interdépendance de l’agriculture et de l’industrie, et des différentes classes de la société. Iconoclaste, il réfute le mercantilisme : la monnaie n’est qu’un instrument de mesure et d’échange. Les biens utiles constituent la seule richesse ; la terre et le travail en sont le fondement. L’économie repose sur la demande et l’intérêt individuel. Boisguilbert propose ainsi une théorie explicative des fluctuations économiques fondée sur les variations du produit agricole. Surtout, il dénonce vigoureusement la fiscalité - lourde, complexe et injuste - qui décourage la production et la consommation. En outre, il prône la liberté des échanges, censée permettre un retour à l’équilibre « naturel ». Mais ses livres (Détail de la France, 1695 ; le Factum de la France, 1707) sont désavoués ou condamnés. Il meurt découragé et aigri. La pertinence de ses critiques ne sera reconnue que bien plus tard. Boissy d’Anglas (François Antoine, comte de), homme politique (Saint-JeanChambre, Ardèche, 1756 - Paris 1826). Avant la Révolution, ce protestant, avocat au parlement de Paris, déploie ses talents littéraires en tant que membre des académies de Lyon et de Nîmes, et correspondant de l’Académie royale des inscriptions et belleslettres. Il est élu député aux états généraux pour la sénéchaussée d’Annonay en 1789, puis représente l’Ardèche à la Convention, où, jusqu’au 9 thermidor an II (27 juillet 1794), il intervient très peu à la tribune. Ses écrits des premiers temps révolutionnaires ne correspondent pas à l’image de modéré que
l’historiographie lui a faite : en 1791, contre l’abbé Raynal et avec Robespierre, il soutient la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), ainsi que ce « moyen violent » qu’est l’insurrection, puisque l’on doit « tout détruire afin de tout recréer ». Après la chute des robespierristes, il devient l’une des figures centrales du « moment thermidorien ». Membre du Comité de salut public (décembre 1794), il est président de la Convention lors de la dernière grande insurrection populaire du 1er prairial an III (20 mai 1795). C’est lui qui, dit-on, salue respectueusement la tête tranchée du député Féraud ; un geste de courage qui lui vaut, au XIXe siècle, une grande popularité auprès des conservateurs. En 1795, il reprend les arguments de Raynal, qu’il a pourtant combattus quatre ans plus tôt. En l’an III, il ne s’agit plus, pour lui, de défendre la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais d’en stigmatiser le danger : le peuple risque à tout moment de réclamer ses droits et de plonger l’État dans l’anarchie, dont la période de la Terreur est, à ses yeux, emblématique. Boissy d’Anglas est l’un des auteurs de la Constitution de 1795, substituée à celle de 1793 par un coup d’État parlementaire, et dont il résume l’enjeu dans cette phrase demeurée célèbre : « Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social ; celui où les non-propriétaires gouvernent est dans l’état de nature. » Ce n’est plus le droit naturel à l’égalité qui doit gouverner les rapports entre citoyens dans l’état social, mais la propriété. Le suffrage censitaire est rétabli ; la référence aux droits naturels, jugée subversive, disparaît de la Déclaration. Parallèlement à cette justification d’une République des propriétaires, il développe une conception colonialiste des rapports d’échange. Élu au Conseil des Cinq-Cents, membre du Tribunat, sénateur et comte d’Empire, il se rallie ensuite à la Restauration. Bonald (Louis Gabriel Ambroise, vicomte de), philosophe et homme politique (Millau 1754 - id. 1840). Issu d’une famille rouergate de petite mais ancienne noblesse, Louis de Bonald fait ses études chez les oratoriens de Juilly, devient mousquetaire du roi et maire de Millau en 1785. Lié aux milieux physiocratiques, il accueille favorablement les nouvelles de l’année 1789. Reconduit dans ses fonctions de maire en 1790, élu à la présidence de l’assemblée départementale, il refuse la Constitution civile du clergé en 1791, démissionne et émigre le
18 octobre, pour s’enrôler dans l’armée des princes, avant de se réfugier à Constance, où il séjourne jusqu’en 1797. Il y écrit la Théorie du pouvoir politique et religieux, premier grand ouvrage doctrinal de la Contre-Révolution française. Rentré clandestinement en France au printemps 1797, il publie, entre 1800 et 1802, l’Essai analytique sur les lois naturelles de l’ordre social, Du divorce, la Législation primitive, et collabore régulièrement au Mercure de France, puis au Journal des débats. Napoléon le nomme au Conseil de l’Université en 1810, et Louis XVIII à l’Académie en 1814. Élu à la Chambre « introuvable » en 1815, il publie notamment des Recherches philosophiques (1818). L’un des principaux rédacteurs du Conservateur (1818-1820), puis du Défenseur (1820-1821), pair de France (1823), comptant parmi les voix les plus respectées du parti downloadModeText.vue.download 104 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 93 ultra, Bonald préside le comité de censure en 1827. Il quitte la vie politique en 1829, se retire au château de Monna, près de Millau, où il mourra, laissant de nombreux textes inédits, dont des Réflexions sur la révolution de Juillet, publiées en 1880. Éminent représentant de la pensée contrerévolutionnaire, avec Joseph de Maistre et le premier Lamennais, partie prenante dans tous les débats politiques et idéologiques de la Restauration, Bonald entend analyser les causes de la Révolution et en récuser les principes. À la différence du comte de Maistre, il fonde son système moins sur la providence que sur des concepts : société organique, législation primitive d’origine divine - à laquelle le langage inné donne corps -, constitution naturelle évoluant vers son achèvement monarchique et réunissant sociétés religieuse et politique, rythme ternaire fondamental « cause/moyen/ effet ». Pour lui, l’histoire tend vers une fin catastrophique. Son influence marquera le XIXe siècle, de Balzac à Maurras, et sa formule - souvent attribuée à d’autres - « La littérature est l’expression de la société » (1802) passe pour avoir ouvert la voie à la sociologie littéraire. Bonaparte (famille). La formation, à partir de 1806, du Grand Empire, constitué de pays vassaux, royaumes, principautés et duchés, rassemblés autour de l’Empire français qui en compose le noyau, est indissociable du
« pacte de famille », rouage essentiel de la stratégie européenne de Napoléon Ier. Même si ce système relève d’une politique de puissance classique, la pratique napoléonienne innove par un systématisme tel que les frères et soeurs placés sur le trône de pays étrangers - à l’exception de Lucien, qui, refusant de se soumettre, est exclu de la succession dynastique - ne disposent d’aucune liberté de manoeuvre. Au service exclusif de l’Empire français, ils sont aux ordres de l’Empereur, auquel ils sont personnellement attachés. L’organisation de la famille impériale, dont le statut particulier est promulgué le 31 mars 1806, place ainsi tous les parents de Napoléon entièrement sous sa tutelle : non seulement les enfants mineurs, mais aussi les parents majeurs, qui ne peuvent se marier ou adopter d’enfants sans son consentement, et qu’il peut emprisonner à sa guise. La même année, Joseph devient roi de Naples (puis roi d’Espagne en 1808) ; Louis, roi de Hollande ; Caroline - épouse de Murat -, grandeduchesse de Berg (puis reine de Naples en 1808), et Pauline, duchesse de Guastalla. En 1807, Jérôme, qui épouse la fille du roi de Wurtemberg, est fait roi de Westphalie ; puis Élisa, princesse de Lucques et de Piombino en 1805, devient grande-duchesse de Toscane en 1809. Les enfants du premier lit de Joséphine de Beauharnais, première épouse de Napoléon, jouent aussi un rôle dans cette politique familiale : Hortense, qui épouse Louis ; et, surtout, Eugène, vice-roi d’Italie en 1805, que Napoléon adopte et marie à la fille du roi de Bavière en 1806 ; sans oublier Stéphanie, nièce de Joséphine, également adoptée par l’Empereur, et mariée en 1806 au prince héritier du grand-duché de Bade. Ce système n’est pas sans défauts ni conflits d’autorité. Napoléon se heurte à l’orgueil de Joseph, l’insoumission de Louis, l’insouciance de Jérôme ou l’ambition de Caroline. Mais ses parents appliquent ses principales consignes. Ils dotent ainsi leurs royaumes de Constitutions et d’institutions inspirées du modèle français, et, surtout, observent le Blocus continental, proclamé en novembre 1806, pillent les richesses et fournissent des soldats à la Grande Armée. Cependant, même si l’administration française remodèle en profondeur une partie de l’Europe conquise, aucun Bonaparte n’acquiert d’autorité ou de légitimité suffisantes pour conserver durablement son trône. Bonaparte (Jérôme), homme politique (Ajaccio, Corse, 1784 - Villegenis, Seine-et-
Marne, 1860), roi de Westphalie (1807/1813). Benjamin de la famille Bonaparte, d’un caractère léger et irresponsable, aimant le luxe et les plaisirs, il laisse volontiers son frère Napoléon conduire sa vie. Jeune commandant de marine, il séjourne aux États-Unis en 1803 où, encore mineur, il épouse la fille d’un négociant américain, provoquant la fureur du Premier consul, qui le somme de rentrer en France et de répudier sa femme. Ayant cédé aux injonctions de son frère - entre-temps devenu empereur -, il reçoit le titre de prince français en 1805, puis est fait roi de Westphalie, royaume créé après le traité de Tilsit, avant d’être marié à la fille du roi de Wurtemberg en 1807. Flanqué de trois régents nommés par son frère, il laisse les ministres gouverner et se contente des joies d’une sinécure dorée. Bien que piètre combattant, il obtient un commandement lors de la campagne de Russie, mais, placé sous les ordres de Davout, il refuse ce poste subalterne et quitte l’armée. En octobre 1813, à la suite de la bataille de Leipzig, il est contraint de fuir son royaume, l’un des premiers à se libérer de la domination française. Réfugié en Italie après 1814, puis au Wurtemberg après Waterloo, où il combat vaillamment, et enfin à Florence, il est autorisé à rentrer en France en 1847. Au lendemain de la révolution de 1848, il s’efface devant son neveu qui, devenu Napoléon III, le fait gouverneur des Invalides, maréchal de France, premier prince du sang, et président du Sénat. Seul parmi les frères et soeurs de Napoléon Ier à mourir en France, il est inhumé aux Invalides. Bonaparte (Joseph), homme politique (Corte, Corse, 1768 - Florence, Italie, 1844), roi de Naples (1806/1808) puis d’Espagne (1808/1813). Frère aîné de Napoléon, avocat, entré en politique dès 1789, il s’engage avec les jacobins corses dans la lutte contre Paoli, mais il ne peut satisfaire ses ambitions. Après avoir quitté la Corse en 1793, il devient commissaire des guerres, puis, dans le sillage de son frère, est élu député au Conseil des CinqCents en 1797, mais ne joue aucun rôle dans le coup d’État du 18 brumaire. Membre du Corps législatif et du Conseil d’État sous le Consulat, il remplit avec succès ses missions diplomatiques en oeuvrant aux signatures du traité de Lunéville, du concordat de 1801 et de la paix d’Amiens. Sénateur en 1802, grand électeur en 1804, il reçoit la régence lors de la campagne de 1805. Bien que couvert
d’honneurs, il supporte mal sa subordination et multiplie les brouilles. Fait roi de Naples en 1806, non sans avoir en vain réclamé une certaine autonomie auprès de Napoléon qui lui adjoint notamment Roederer, il adapte le modèle français à son royaume. Transféré sur le trône d’Espagne en 1808, il n’acquiert pas davantage d’autorité. Au terme de la longue guerre d’Espagne, il doit fuir la péninsule et perd sa couronne au traité de Valençay (11 décembre 1813). Lors de la campagne de 1814, il est nommé lieutenant général de l’Empire, chargé de défendre Paris - qu’il abandonne le 30 mars. Pendant les CentJours, il préside le Conseil des ministres en l’absence de Napoléon. Installé aux États-Unis en 1815 sous le nom de comte de Survilliers, il se fixe à Florence, après plusieurs voyages, en 1841. Bonaparte (Louis), homme politique (Ajaccio, Corse, 1778 - Livourne, Italie, 1846), roi de Hollande (1806/1810). Neurasthénique et ombrageux à l’extrême, il est le plus fragile des frères de Napoléon. Guidé dès son plus jeune âge par ce dernier, qui le fait entrer dans l’artillerie, il le suit en tant qu’aide de camp lors de la campagne d’Italie et de l’expédition d’Égypte, puis remplit quelques missions diplomatiques sous le Consulat. En 1802, il est marié, contre son gré, à la fille de Joséphine de Beauharnais, Hortense, dont il se sépare en 1810, et dont il refuse de reconnaître les enfants, parmi lesquels le futur Napoléon III. Connétable - le plus haut titre militaire - en 1804, ce grand dignitaire de l’Empire est aussi sénateur, membre du Conseil d’État et commandant général de la Garde impériale. Fait roi de Hollande en 1806, il prend sa fonction au sérieux et se rebelle contre le joug napoléonien, devenant de ce fait le plus populaire des Bonaparte placés sur les trônes d’Europe. Réprouvant les effets du Blocus continental et de l’occupation française sur ses sujets, il ne cesse de se quereller avec Napoléon. Après avoir été contraint de lui céder une partie de son royaume, il entre en conflit avec l’Empereur, qui le force à abdiquer ; il s’enfuit le 2 juillet 1810, tandis que la Hollande est annexée à la France le 9 juillet suivant. Dès lors, indifférent aux événements de l’Empire, il vit dans la retraite, loin de sa famille, refusant même de siéger à la Chambre des pairs durant les CentJours. Réfugié en Autriche, puis en Italie, il se consacre aux lettres jusqu’à sa mort. Bonaparte (Lucien), homme politique (Ajaccio, 1775 - Viterbe, Italie, 1840). Intelli-
gent et indépendant, il est le seul des frères de Napoléon à ne jouer aucun rôle sous le Premier Empire avant 1815. Engagé très jeune dans la Révolution, jacobin, il milite activement dans le midi de la France, après la sécession de la Corse. En avril 1798, il est élu député au Conseil des CinqCents : il y participe, avec les néo-jacobins, au coup d’État de prairial an VII et joue un rôle downloadModeText.vue.download 105 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 94 déterminant dans le coup d’État de brumaire an VIII, sauvant Napoléon du désastre. Ministre de l’Intérieur au début du Consulat, il met en place les préfets et falsifie les résultats du plébiscite sur la Constitution de l’an VIII, puis est nommé ambassadeur à Madrid en novembre 1800. Membre du Tribunat, puis du Sénat en 1802, il mène grand train de vie, affichant des idées jacobines, mais son remariage avec la veuve d’un financier, alors que Napoléon lui destine la reine d’Étrurie, provoque la rupture. Exclu de la succession dynastique napoléonienne, à laquelle il se déclare hostile, il se retire à Rome en avril 1804, et il refusera toujours à Napoléon de sacrifier sa femme à un trône sans autonomie. Après l’annexion de Rome, il s’embarque pour l’Amérique en 1810, mais est capturé par les Anglais, qui le placent en résidence forcée. De retour à Rome en 1814, il reçoit du pape le titre pontifical de prince héréditaire de Canino. Pendant les Cent-Jours, il rejoint Napoléon, devient prince français et membre de la Chambre des pairs où, après Waterloo, il tente vainement d’imposer la continuité dynastique, avant de se réfugier définitivement en Italie. bonapartisme, courant politique qui défend le régime napoléonien et oeuvre pour la restauration de la dynastie des Bonaparte après 1815. En dépit du coup d’État du 18 brumaire, Napoléon s’efforce de fonder sa légitimité sur la volonté du peuple, qui confie sa souveraineté à l’Empereur. Dès lors, l’antiparlementarisme fait partie des principes bonapartistes. Le Mémorial de Sainte-Hélène, publié en 1823, met l’accent sur les liens, apparus dès les CentJours, entre le bonapartisme et le libéralisme : Napoléon se présente comme un défenseur des acquis de 1789, fidèle à la souveraineté populaire, et favorable au principe des natio-
nalités. En définitive coexistent, dès 1815, trois bonapartismes, définis par l’historien Frédéric Bluche : un bonapartisme autoritaire ; un bonapartisme jacobin, attaché aux principes de la Révolution ; et un bonapartisme libéral, exprimé dans l’acte additionnel aux Constitutions de l’Empire. • Le bonapartisme de la clandestinité. En 1815, les bonapartistes les plus compromis, tels les frères Lallemand, sont contraints à l’exil, tout en espérant oeuvrer pour le retour de Napoléon. Parallèle-ment, une poignée de fidèles, souvent des héros des guerres napoléoniennes, s’engagent dans une action clandestine. Mais l’absence de projet politique cohérent conduit à l’échec de leurs conspirations ; les partisans bonapartistes renoncent alors aux équipées aventureuses, tandis que les dignitaires de l’Empire optent pour le ralliement. Le bonapartisme se dilue dès 1822 dans la gauche libérale. Il subsiste cependant, comme l’a démontré l’historien Bernard Ménager, un bonapartisme populaire, rural mais aussi urbain, particulièrement vif dans l’est de la France. Mais l’opportunité qu’offre la révolution de 1830 n’est pas saisie, faute de parti organisé. Louis Napoléon Bonaparte échoue dans ses tentatives de coups de force, à Strasbourg en 1836, à Boulogne en 1840. Toutefois, ses écrits renouvellent la doctrine bonapartiste : en 1832, ses Rêveries politiques visent à réconcilier l’autorité et la liberté, et affirment sa fidélité à la souveraineté populaire ; en 1839, dans Des idées napoléoniennes, il défend le principe des nationalités, et souligne les capacités de progrès du genre humain, progrès qui peuvent être encouragés par un gouvernement détenteur d’une réelle autorité, grâce au plébiscite populaire, mais respectueux de l’égalité et de la liberté individuelle. Véritable manifeste bonapartiste, cet ouvrage inscrit ce courant politique dans une opposition de gauche au régime de Juillet. Du reste, en 1844, Louis Napoléon s’attire des sympathies saint-simoniennes en publiant De l’extinction du paupérisme, où il dénonce les méfaits du libéralisme économique. En dépit de cette résurrection doctrinale et de l’essor de la légende napoléonienne, le bonapartisme connaît alors un effacement sur la scène politique. Pourtant, 1848 est l’occasion d’un retour au pouvoir. • L’ambiguïté du bonapartisme au pouvoir. Aux élections d’avril à l’Assemblée constituante, Louis Napoléon ne fait pas offi-
ciellement acte de candidature. Mais il bénéficie de la propagande d’un comité napoléonien formé à la hâte : il recueille ainsi 4 % des voix en Charente-Inférieure, tandis que trois autres neveux de Napoléon Ier sont élus sur des listes républicaines. Le succès de Louis Napoléon est incontestable lors des élections complémentaires de juin : il est élu dans quatre départements, dont celui de la Seine, où il a fait campagne sur un programme destiné à séduire les couches populaires. En revanche, c’est avec un discours propre à rallier les conservateurs que son élection est confirmée dans cinq départements en septembre 1848. Dès lors, s’affirme l’ambiguïté du bonapartisme de Louis Napoléon. L’élection présidentielle du 10 décembre 1848 en apporte un nouveau témoignage : la paysannerie, nourrissant toujours une fervente admiration pour Napoléon, soutient massivement ce candidat au nom célèbre qui lui permet de voter contre une République décevante tout en s’émancipant de la tutelle des notables ; or ces derniers accordent également leurs suffrages à Louis Napoléon, puisqu’il est le candidat du parti de l’Ordre. Mais, désirant se maintenir au pouvoir au-delà de son mandat présidentiel, le prince se montre fidèle à une autre caractéristique du bonapartisme : le coup d’État du 2 décembre 1851 s’inscrit dans la droite ligne de celui du 18 brumaire et permet, un an plus tard, le rétablissement d’un Empire autoritaire. Jusqu’en 1870, celui-ci est soutenu par les ruraux, satisfaits de la hausse des prix agricoles, aussi bien que par les notables, soucieux du maintien de l’ordre. Ainsi, même sous le Second Empire, en raison de cette ambiguïté, le bonapartisme ne peut être défini que comme une fidélité à la quatrième dynastie. Politiquement, du fait du ralliement des notables, il est rejeté vers la droite mais il reste partagé entre diverses tendances : le duc de Morny se montre favorable à un bonapartisme économiquement libéral et socialement conservateur, qui obtient, par la suite, le soutien d’Émile Ollivier ; l’impératrice Eugénie, Eugène Rouher et Bernard Adolphe Granier de Cassagnac prônent un bonapartisme autoritaire, d’esprit contrerévolutionnaire ; enfin, le prince Napoléon Jérôme demeure le chef de file d’un bonapartisme populaire, jacobin et anticlérical. Quant à l’empereur, qui n’hésite pas à exiler les opposants politiques, il ne reste fidèle qu’en théorie aux doctrines définies dans ses oeuvres de jeunesse. La chute de l’Empire ne met pas totalement fin à ces divisions.
• Les bonapartismes en République, ou la fusion dans la droite conservatrice. Les débuts de la IIIe République constituent, en définitive, la seule période où il existe réellement un parti bonapartiste : il est organisé en 1872 par Rouher, et servi par une presse virulente, dont le Pays et l’Ordre. Le nom même du groupe parlementaire bonapartiste, « L’appel au peuple », résume à lui seul son programme : le plébiscite est l’instrument de légitimation du pouvoir. Le prince impérial, fils de Napoléon III, y adhère pleinement, convaincu de la nécessité de combattre le parlementarisme et de fonder le gouvernement sur la religion, l’armée, la magistrature et la propriété. Après sa mort, en 1879, un bonapartisme populaire s’exprime, sous l’influence du prince Napoléon Jérôme, qui s’allie aux républicains, puis engage des négociations avec le général Boulanger. Mais la tendance conservatrice et autoritaire l’emporte, incarnée par le prince Victor, fils de Napoléon Jérôme. La mort de ce dernier, en 1891, permet une réunification du mouvement, qui n’échappe pas, pour autant, à une lente disparition : en 1893, il ne compte plus que treize députés, l’échec électoral du baron Eschassériaux dans son fief bonapartiste des Charentes ayant valeur de symbole. Le bonapartisme se fond de plus en plus dans la droite nationaliste, tout en conservant quelques élus après 1919. En 1940, pour éviter toute récupération par l’extrême droite, le prince Louis dissout définitivement toutes les organisations bonapartistes. Mais les historiens débattent aujourd’hui encore d’éventuels liens entre le bonapartisme et le gaullisme. Boniface (Winfrith, saint), évangélisateur de la Germanie et réformateur de l’Église franque (Kirton, Wessex, vers 675 - près de Dokkum, 754). Boniface est un Anglo-Saxon baptisé sous le nom de Winfrith. D’abord moine dans le Wessex, il souhaite participer à la conversion des Après une première tentative infructueuse, il se rend à Rome en 719, où le pape Grégoire II lui impose le nom de Boniface, définit le cadre de sa mission, « la conversion de la Germanie », et le recommande à Charles Martel. Fait évêque en 722, il n’a pas de siège fixe. Durant les années 720-730, il fonde de nombreux monastères destinés à devenir des centres de rayonnement de la foi chrétienne et les points d’appui de l’évangélisation. En 732, la dignité archi-épiscopale lui est conférée. Elle fait de lui le chef de l’Église de Germanie. À partir de
741, date de l’accession au pouvoir de Pépin le Bref (auquel il confère l’onction royale en 751, légitimant ainsi son pouvoir) et de Carloman, il est appelé à réformer l’Église franque tout en poursuivant la lutte contre les pratiques downloadModeText.vue.download 106 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 95 païennes : il restaure la discipline ecclésiastique en chassant les clercs indignes, renforce la hiérarchie épiscopale et s’efforce de reconstruire la géographie ecclésiastique en promouvant le rôle des métropoles. Afin de consolider définitivement son oeuvre en Bavière, il fonde, en 742, les trois évêchés de Würzburg, Büraburg et Erfurt, puis l’abbaye de Fulda. C’est de là qu’il part pour tenter de convertir les Frisons, mission au cours de laquelle il trouve le martyre. Son corps est enterré à Fulda. bonnes villes. L’expression « bonnes villes » distingue d’abord, au XIIe siècle, les cités les plus opulentes et les mieux défendues ; ce n’est qu’un siècle plus tard, sous le règne de Saint Louis, qu’elle prend un sens politique. Choqué par l’état des finances municipales, le roi de France place en 1262 les comptes des bonnes villes sous tutelle royale. La décision, assurément, parle d’avenir : car, jusqu’à l’époque moderne, l’endettement des villes demeure le cheval de Troie du pouvoir central dans l’administration municipale. Depuis Saint Louis, quoi qu’il en soit, les rois de France considèrent comme bonnes villes les cités qui, par leur richesse, leur puissance politique ou leur valeur stratégique peuvent être utiles au royaume. C’est pourquoi la liste des « bonnes villes du royaume de France » était et reste impossible à dresser pour les chancelleries royales du XIVe siècle comme pour les historiens contemporains : elle varie en fonction des évolutions du réseau urbain et des rapports de force. Si une cité aspire au rang de bonne ville, c’est qu’elle accepte d’être intégrée au système monarchique : il est vrai que les grandes villes du royaume ont dû se soumettre, à mesure que se construisait l’État royal, à un contrôle croissant du pouvoir central. Mais les oligarchies urbaines, qui contrôlaient le gouvernement des villes, ne s’opposaient que rarement à la montée en puissance d’un État monarchique dont elles avaient tout intérêt
à devenir les relais locaux. Et, en contrepartie, les bonnes villes recevaient un droit de représentation : reconnues comme des corps politiques pouvant incarner l’ensemble d’un pays, les bonnes villes sont convoquées aux assemblées d’états à partir de 1304, que ces assemblées soient royales ou provinciales. Tout change, cependant, avec la réunion de 1484, premiers « états généraux du royaume » où les députés élus par bailliages sont choisis parmi les « trois ordres » et où les bonnes villes ne sont plus représentées en tant que telles. À l’époque des guerres de Religion, alors que la crise de l’État fait renaître l’idéal de l’autonomie urbaine, la distinction perd de son sens : toute ville peut prendre le titre de « bonne ville », parce que les privilèges politiques liés à ce statut se sont effacés. Si l’histoire des rapports entre villes et royauté n’est pas terminée, celle des bonnes villes l’est : l’expression subsiste encore dans les discours municipaux, mais comme un artifice archaïsant, vide de sens. Bonnet (Georges), homme politique (Bassilac, Dordogne, 1889 - Paris 1973). Licencié en droit et en lettres, combattant de la Grande Guerre, il est délégué de la France à la conférence de paix en 1919. Membre du Parti radical, député de la Dordogne de 1924 à 1928 et de 1929 à 1940, il commence sa carrière ministérielle en tant que sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil, en 1925. Hostile au « mur d’argent », il milite à l’aile gauche du Parti radical, et reste dans l’opposition, avant de devenir ministre des Finances de 1932 à 1934. Il préfère alors l’assainissement des finances publiques au réarmement, si bien que Daladier l’écarte de son cabinet. En 1935, il rallie l’aile droite du parti, et il s’opposera au Front populaire. Après la chute de Léon Blum, il retrouve le portefeuille des Finances en 1937, s’oppose de nouveau au réarmement, et défend la politique d’apaisement face à l’Allemagne. En 1938, ministre des Affaires étrangères de Daladier, il incite la Tchécoslovaquie à faire des concessions, et adhère aux accords de Munich. Il s’efforce jusqu’au bout d’empêcher la guerre en appuyant la proposition italienne de réunir une conférence internationale. Ministre de la Justice de septembre 1939 à mars 1940, il poursuit les communistes et restreint la liberté d’action des étrangers. Ayant voté les pleins pouvoirs à Pétain, il se rapproche du régime de Vichy, avant de se réfugier en Suisse en 1943. Il est exclu du Parti radical en 1944, mais retrouve un mandat de député de 1956
à 1967. bonnet phrygien, bonnet arboré notamment par les révolutionnaires français comme symbole de la liberté. Hérité de l’Antiquité, le bonnet phrygien, également appelé « bonnet de la liberté » ou « bonnet rouge », se caractérise par deux pans tombant sur les oreilles. D’abord porté par les Phrygiens, peuple d’Asie Mineure, il devient à Rome signe de liberté, car les esclaves affranchis le coiffent. Au XVIIIe siècle, il est le symbole iconographique de la liberté. Or les paysans mettent couramment un bonnet de laine. Cette rencontre entre une coutume vestimentaire populaire et une iconologie savante explique la popularité du bonnet phrygien pendant la Révolution française. Apparu dans les premiers mois de la Révolution, il devient inséparable des représentations allégoriques de la Liberté : une femme coiffée du bonnet phrygien, ou qui le tient au bout d’une pique. Après 1792, il envahit l’iconographie, que ce soit au sommet des « arbres de la liberté » ou sur les vignettes officielles des armées. Et le sans-culotte, citoyen libre et révolutionnaire, l’arbore fièrement sur la tête. Sa forte charge symbolique en fait l’enjeu de véritables « combats vestimentaires » par lesquels s’expriment aussi les luttes politiques : en 1792, des groupes de sans-culottes font tomber les coiffures « aristocratiques » des passants pour les remplacer par le bonnet de la Liberté ; le 20 juin 1792, lorsque les sansculottes envahissent les Tuileries, ils forcent Louis XVI à le porter. En 1793, des femmes qui se veulent citoyennes s’en emparent, déchaînant l’indignation de celles et ceux qui pensent que ce signe doit être réservé aux hommes, et ce sont les rixes qui s’ensuivent qui servent de prétextes à l’interdiction des clubs de femmes. C’est pourtant une femme portant le bonnet phrygien qui symbolise officiellement la République : depuis le 25 septembre 1792, le sceau de l’État représente « la France sous les traits d’une femme vêtue à l’Antique, debout, tenant de la main droite une pique surmontée du bonnet phrygien ou bonnet de la Liberté ». Et, petit à petit, la femme au bonnet rouge n’incarne plus seulement la Liberté mais aussi la République française. Au XIXe siècle, on retrouve ce symbole au coeur des luttes politiques. La gauche en fait la représentation de la République, alors que la droite lui préfère le casque ou la couronne antiques. Il faudra attendre la fin du siècle pour
que la femme au bonnet phrygien symbolise de nouveau officiellement la Nation, sur les statues, les bustes disposés dans les mairies, les pièces de monnaie ou les timbres-poste. Bonneval Pacha (Claude Alexandre, comte de Bonneval, dit), général (CoussacBonneval, Haute-Vienne, 1675 - Constantinople 1747). Ce cadet de bonne noblesse limousine, tour à tour au service de Louis XIV, des Habsbourg et du Grand Turc, incarne la quintessence des inquiétudes et des frustrations nobiliaires de son temps face à l’État moderne. Entré dans la marine à 11 ans, il en est congédié, à la suite d’un duel, en 1697, puis il obtient une souslieutenance aux gardes-françaises, qu’il troque, en 1701, contre le régiment de Labour. Des démêlés avec Chamillart, secrétaire d’État à la Guerre, l’amènent à passer à l’ennemi, en 1706. Ayant conquis l’amitié du prince Eugène de Savoie et le grade de général, il se couvre de gloire à Peterwardein (1716) en repoussant un assaut de janissaires ; mais il scelle sa propre perte en épousant le mécontentement des nobles des Pays-Bas contre le représentant de Vienne, en 1724. Il se réfugie alors à Venise, avant de se résigner à passer dans l’Empire ottoman, en 1729, puis à se convertir à l’islam. Conseiller diplomatique et militaire du diwan, il s’attache à faire de la Sublime Porte le pivot de toutes les coalitions anti-autrichiennes, organise la contre-offensive contre la Russie en 1737-1738, et est à l’origine de la signature d’une alliance turco-suédoise en 1739. Mais ses projets de traité franco-ottoman se heurtent au veto de Versailles, et son influence décroît pendant la guerre de la Succession d’Autriche, alors même que la république des lettres s’empare de son mythe. Bonnot (bande à), groupe proche du milieu anarchiste, auteur d’attaques de banque à main armée, entre décembre 1911 et mars 1912. Ces « bandits en auto » innovent en alliant à l’assassinat l’usage systématique de voitures automobiles volées. Dirigés par Jules Joseph Bonnot, mécanicien lyonnais de 35 ans, ils sont, pour la plupart, de petits employés âgés d’une vingtaine d’années, et gravitent dans la mouvance anarchiste, tel le Belge Callemin, dit « Raymond la Science », qui rédigera ses Mémoires, avant d’être guillotiné. Bénéficiant de la complicité de réseaux anarchistes parisiens, ils ne retiennent des théories de ce mouvement que l’individualisme et le médownloadModeText.vue.download 107 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 96 pris de l’ordre établi, qui « justifient » leur volonté d’enrichissement rapide, ainsi que les meurtres de plusieurs policiers. En avril-mai 1912, la bande est anéantie : Bonnot puis deux complices sont tués, en banlieue parisienne, après deux sièges en règle ; six autres membres de la bande, ainsi que d’authentiques militants anarchistes, sont arrêtés. Malgré le talent des avocats, dont Moro-Giafferi et Paul Reynaud, leur jugement, en février 1913, débouche sur trois exécutions capitales, qui se déroulent deux mois plus tard. Autant qu’à ses sanglantes opérations largement racontées par la presse à grand tirage, la renommée de la bande est liée au souvenir des attentats anarchistes des années 1890 et aux moyens que déploie contre elle une police d’abord techniquement dépassée. Ce n’est qu’en mai 1912 est créée la brigade criminelle de la Sûreté, tandis que sont débloqués des crédits destinés à moderniser l’équipement des agents en armes et en véhicules. Boson, roi de Provence de 879 à 887 (mort en 887). Boson est issu d’une très puissante famille de l’aristocratie lotharingienne ; sa soeur, Richilde, a en effet épousé le roi Charles le Chauve le 22 janvier 870. Boson obtient alors de nombreuses faveurs de son beau-frère, notamment la prestigieuse abbaye de SaintMaurice d’Agaune, dans le Valais, ainsi que le comté de Vienne. En 875, il accompagne Charles en Italie et reçoit la Provence pour prix de ses services. En Italie, Boson jouit d’une véritable autorité vice-royale, encore renforcée par son mariage avec Ermengarde, la fille de l’empereur Louis II. Boson semble être resté fidèle au fils de Charles le Chauve, Louis le Bègue ; mais la mort de ce dernier, le 10 avril 879, jette le royaume des Francs dans la confusion et incite Boson à travailler à sa propre indépendance. Le 15 octobre 879, à Mantaille, les évêques et les comtes de la région Rhône-Saône reconnaissent officiellement Boson comme roi, sur un territoire qui s’étend de Besançon à la Méditerranée et de l’Ardèche à la Tarentaise. C’est la création du royaume de Provence dont Vienne est la capitale, mais c’est surtout la première élection d’un roi non carolingien. Son règne est tou-
tefois de courte durée, car les descendants de Charlemagne, s’étant réconciliés pour l’occasion, entament dès 880 la reconquête de ce royaume. Boson ne conserve que quelques territoires autour de Vienne, où il meurt le 11 janvier 887. Il est enterré dans la cathédrale Saint-Maurice. Bossuet (Jacques Bénigne), évêque et écrivain (Dijon 1627 - Paris 1704). Issu d’une famille de magistrats, Bossuet est orienté dès son jeune âge vers une carrière ecclésiastique. D’abord élève au collège des jésuites de Dijon, il se rend à Paris pour étudier la philosophie et la théologie au collège de Navarre, l’un des plus prestigieux de l’Université : maître ès arts en 1644, il recevra - au terme d’une solide formation scolastique, vivifiée par le recours aux Pères de l’Église et à l’Écriture - le bonnet de docteur en théologie huit ans plus tard. Cette même année 1652, il est ordonné prêtre. Il s’installe à Metz, où son action s’oriente dans trois directions : l’assistance aux pauvres, car il est un disciple de Vincent de Paul et appartient comme lui à la Compagnie du Saint-Sacrement ; la controverse avec les protestants (son premier ouvrage est une Réfutation du catéchisme de Paul Ferry, en 1655) ; la prédication. • L’orateur et le précepteur. Cette dernière vocation s’était manifestée dès son séjour parisien, jusque dans un lieu aussi mondain que l’hôtel de Rambouillet ; elle s’affermit à Metz, où Bossuet prononce en 1655 sa première oraison funèbre. Le « Panégyrique de sainte Thérèse », donné devant la reine mère Anne d’Autriche, lui vaut le titre de « prédicateur ordinaire du roi ». À partir de 1659, il passe plus de temps à Paris qu’à Metz. Sa réputation ne cesse de croître dans deux domaines de l’éloquence sacrée : le sermon, qui est plus que le prône de la messe paroissiale ; une véritable conférence prononcée isolément (« Sur l’éminente dignité des pauvres dans l’Église », 1659) ou enchaînée avec d’autres du même prédicateur pour former une « station » (« le Carême du Louvre » en 1662, « l’Avent de Saint-Germain » en 1669, prononcés l’un et l’autre devant la cour) ; l’oraison funèbre, qui constitue une pièce d’apparat officielle. Bossuet se voit confier en 1669 celle d’Henriette de France et, l’année suivante, celle d’Henriette d’Angleterre, où retentit le cri fameux : « Madame se meurt, Madame est morte ! » Il accumule les honneurs et les responsabilités : il est nommé évêque de Condom en 1669 et précepteur du dauphin en 1670. Pendant une
décennie, cette dernière charge l’accapare et réduit considérablement son activité de prédication. Son enseignement n’a sans doute guère profité à un élève indolent, mais il portera ses fruits dans le public, qui pourra lire en 1681 le Discours sur l’histoire universelle, synthèse providentialiste dans la lignée grandiose de la Cité de Dieu de saint Augustin, et, après la mort de leur auteur, la Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte, ainsi que le Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même. • Une souveraineté polémique. En 1681, Bossuet est nommé à l’évêché de Meaux, où il déploie jusqu’à la fin de sa vie un grand zèle pastoral. Mais sa réputation et son autorité ne peuvent borner son action aux limites d’un diocèse. Outre les oraisons funèbres qu’il continue de prononcer à Paris, Bossuet donne sa forme achevée à la tradition gallicane en rédigeant, pour l’assemblée extraordinaire du clergé de France, la Déclaration des Quatre Articles (1682). Il s’engage dans des controverses à l’extérieur de l’Église (Histoire des variations des Églises protestantes, 1688), tout en pratiquant une forme d’oecuménisme avant la lettre, mais il polémique aussi au sein même du catholicisme avec Fénelon, qu’il suspecte de quiétisme et fera condamner ; avec le Père Caffaro, qui avait osé prendre la défense du théâtre ; avec Richard Simon, auteur d’une traduction « téméraire » du Nouveau Testament. Bossuet finit par l’emporter, mais la postérité donnera raison à ses adversaires. Il meurt à Paris le 12 avril 1704. Témoin inquiet de « la crise de la conscience européenne », qu’il avait combattue avec les armes d’une orthodoxie identifiée au pessimisme augustinien, Bossuet fut un temps la conscience de la monarchie absolue et de l’Église de France. Mais il demeure, au-delà des clivages religieux et politiques, comme le plus grand maître d’éloquence sacrée de notre histoire littéraire. Boucher de Crèvecoeur de Perthes (Jacques), archéologue, considéré comme le fondateur de la science préhistorique moderne (Rethel, Ardennes, 1788 - Abbeville, Somme, 1868). Il est directeur des douanes d’Abbeville lorsque, intéressé à la préhistoire par son ami Picard qui collecte des objets préhistoriques qu’il croit « celtiques », il commence luimême, à partir de 1837, à ramasser dans les carrières de gravier de la Somme des outils de silex et des ossements d’animaux disparus. Il dénomme ces silex « haches diluviennes »
(datant du Déluge) et les présente à la société savante locale, puis à l’Institut, à Paris. Il se heurte à un scepticisme général, l’idée d’évolution n’étant pas encore admise. Il publie De la Création : essai sur l’origine et la progression des êtres (1838-1841), puis Antiquités celtiques et antédiluviennes (1847-1864), supposant désormais que la présence de ces outils dans le gravier alluvial ne doit rien au Déluge. Cependant, peu à peu, l’opinion scientifique change. Le Dr Rigollot, qui fouille lui-même dans la vallée de la Somme, reconnaît dans ses Mémoires sur les instruments en silex trouvés à Saint-Acheul (1854), la justesse des découvertes de Boucher de Perthes, tout comme le paléontologue Albert Gaudry. L’année où est publié De l’origine des espèces par voie de sélection naturelle de Darwin (1859), Boucher de Perthes obtient une tardive consécration quand trois des plus célèbres géologues et paléontologues anglais - Falconer, Evans et Prestwich -, attestent l’authenticité des trouvailles et du lien chronologique entre des outils taillés par l’homme et des os d’animaux disparus. Mais c’est à tort qu’il croit découvrir, en 1863, à Moulin-Quignon, une mâchoire humaine fossile, qui n’est qu’une falsification due à ses terrassiers. Il n’en demeure pas moins que la science préhistorique est désormais lancée. Boucicaut (Jean II le Meingre, dit), chevalier (Tours vers 1365 - Londres 1421). Fils du maréchal Jean Ier, dit le Meingre, également dit Boucicaut, il incarne l’idéal du chevalier accompli. Dans les premières années du règne de Charles VI, de 1380 à 1390, il prend part aux expéditions des chevaliers de l’ordre Teutonique en Prusse. Fait maréchal de France en 1391, il est, en 1396, l’un des chefs de la croisade contre les Ottomans, écrasée par le sultan Bajazet devant Nicopolis, en Bulgarie. À son retour, Boucicaut est chargé par Charles VI de prendre possession de la ville de Gênes, qui s’est donnée au roi de France. Au cours des dix années suivantes, il s’empare de Constantinople en 1400, de Gênes en 1401, saccage Beyrouth en 1403, enlève Pise en 1404, et doit finalement abandonner l’Italie après la révolte de Gênes en 1409. De downloadModeText.vue.download 108 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 97 retour à la cour de Charles VI, il jouit d’un immense prestige de croisé et de chevalier. En 1415, il commande l’avant-garde de l’armée
royale à Azincourt, où il est fait prisonnier. Il meurt en captivité, en Angleterre. Le Livre des faits de Jean le Meingre, dit Boucicaut est la biographie d’un chevalier de légende, défenseur des dames et auteur lyrique, aussi habile aux joutes d’armes qu’aux joutes courtoises. Au tournant du XIVe et du XVe siècle, cette oeuvre réhabilite une chevalerie française très déconsidérée depuis les batailles de Crécy (1346) et de Poitiers (1356), et qui, paradoxalement, sort grandie, par son sacrifice, de ses plus grandes défaites, celles de Nicopolis et Azincourt. Bougainville (Louis Antoine, comte de), mathématicien et explorateur, premier Français à avoir fait le tour du monde (Paris 1729 - id. 1811). Ses talents de mathématicien, que révèle le Traité de calcul intégral (1754), lui valent d’être reçu à la Société royale de Londres en 1756. Parallèlement à cette carrière scientifique, il gravit les échelons militaires. En 1756, il s’embarque pour le Canada comme aide de camp de Montcalm de Saint-Véran, se familiarisant ainsi avec l’art de la navigation. Il séjourne dans ce pays jusqu’en 1759, s’illustrant dans la lutte menée par les Français contre les Anglais. En 1763, il est nommé capitaine de vaisseau. Désireux de compenser la perte du Canada français, il fonde une colonie aux îles Malouines, qui sera cédée aux Espagnols en 1767. Se pliant à la volonté du roi, il entreprend, le 5 décembre 1766, un tour du monde, embarquant à bord de l’Étoile et de la Boudeuse plusieurs scientifiques, notamment des biologistes. Il franchit l’Atlantique, fait escale à Buenos Aires, Montevideo, Rio, atteint la Terre de Feu (6 décembre 1767), traverse le Pacifique, et redécouvre Tahiti. Les descriptions qu’il rapporte de cette « nouvelle Cythère », que Diderot compare à un paradis terrestre, alimentent le mythe du bon sauvage propagé dans la France des Lumières. Après avoir exploré des eaux inconnues des Européens, il rentre à Saint-Malo, le 16 mars 1769. Ses récits, publiés dans Voyage autour du monde, témoignent de l’acuité de son sens critique et de sa finesse d’analyse ; ses descriptions botaniques enrichissent considérablement les connaissances de l’époque en la matière - il a d’ailleurs laissé son nom à une plante, le bougainvillier. Son entreprise présente un caractère original - du moins, à partir de 1766 : elle n’a plus principalement une visée coloniale, comme c’était le cas aux XVIe et XVIIe siècles, mais poursuit un but scientifique.
Son succès témoigne également des progrès substantiels accomplis en matière de techniques de navigation en l’espace d’un siècle. Dès 1779, Bougainville reprend du service dans l’armée, et il participe à la guerre d’indépendance américaine. Mais, jugé responsable de la défaite infligée par Hood au large de la Martinique en avril 1782, il passe en cour martiale ; sa carrière militaire prend fin. À partir de 1790, il se consacre à ses travaux scientifiques, et entre à l’Institut en 1795. Napoléon le fera sénateur et comte d’Empire. Boulainvilliers (Henri, comte de), historien (Saint-Saire, Seine-Maritime, 1658 - Paris 1722). Cet ancien élève des oratoriens de Juilly sert dans les mousquetaires jusqu’à son mariage, en 1689 ; bientôt veuf, il se voue à l’instruction de ses enfants et entreprend, à cette fin, un Abrégé d’histoire universelle, aux premières lignes duquel il rompt avec tout providentialisme en affirmant que Dieu « a abandonné le monde à notre dispute ». Sa quête de l’Histoire de l’ancien gouvernement de la France l’amène tout ensemble à exalter les libertés germaniques et à justifier la hiérarchie sociale. En réaction à la monarchie absolue, il fustige Bossuet d’avoir recouru à l’Écriture « pour forger de nouvelles chaînes à la liberté naturelle des hommes et pour augmenter le faste et la dureté des rois », et prône le rétablissement des états généraux. Convaincu de l’inégalité entre noblesse et roture, il remontre qu’elle procède de la conquête franque et s’est perpétuée par hérédité. Partant, il ne conçoit le second ordre que comme une caste militaire, exècre Philippe le Bel pour s’être « attribué la puissance d’anoblir le sang des roturiers », et défend l’égalité entre tous les membres de la noblesse, face à Saint-Simon, avocat de la prééminence des ducs et pairs. Par ailleurs, cet esprit féru d’astrologie judiciaire et doué d’une plume féconde a exposé, sous couvert de les réfuter, les théories de Spinoza, rédigé une Vie de Mahomet, et réfléchi aux Moyens d’augmenter considérablement les revenus du roi et du peuple. Boulanger (Georges Ernest Jean Marie), général et homme politique (Rennes 1837 - Bruxelles 1891). Fils d’un modeste avoué, entré à l’école militaire de Saint-Cyr en 1854, il commence sa carrière militaire en Grande Kabylie, où l’armée doit affronter un soulèvement. Il combat ensuite en Italie, puis en Indochine.
Il est blessé lors de la guerre franco-prussienne de 1870. Sans participer à la « semaine sanglante » (21-28 mai 1871), qui entraîne l’écrasement de la Commune, Boulanger s’illustre dans la répression des communards. En avril 1880, il devient le plus jeune général de l’armée française. Grâce à ses relations mondaines, il bénéficie de l’appui du républicain Gambetta aussi bien que de celui du duc d’Aumale, l’un des chefs du parti monarchiste. Ses excellents états de service ainsi qu’une bonne connaissance de l’anglais lui valent d’être choisi pour conduire la délégation française invitée aux États-Unis à la célébration, en octobre 1881, du centenaire de la bataille de Yorktown. De retour à Paris en janvier 1882, il devient directeur de l’infanterie, et s’attire les sympathies de plusieurs radicaux, parmi lesquels Clemenceau, son ancien condisciple au lycée de Nantes. Également soutenu par Jules Ferry, il est nommé général de division en février 1884, et est affecté en Tunisie, où il se heurte au résident général Paul Cambon. Boulanger s’est forgé la réputation d’être un officier républicain et patriote. Le 7 janvier 1886, il devient ministre de la Guerre. Une autre carrière commence. • Un ministre républicain et populaire. Très actif, il promulgue en dix-sept mois soixante et un décrets et arrêtés. Il est à l’origine de l’introduction du lebel, premier fusil à répétition utilisé par l’armée française. Convaincu de la nécessité de préparer une guerre de revanche contre les Allemands, il travaille à la mobilisation des esprits : les guérites sont repeintes aux couleurs tricolores, chaque caserne est baptisée du nom d’un grand soldat français, un musée est installé dans chaque régiment. Dès son entrée en fonctions, il fait adopter un nouveau plan de bataille (le plan huit), entièrement tourné vers l’offensive. Le 26 avril 1886, il dépose sur le bureau de l’Assemblée un projet global de rénovation de l’armée, en partie inspiré par Clemenceau : une réforme profonde et égalitaire du service militaire y est prévue, mettant fin au tirage au sort qui désignait les conscrits et aux dispenses dont bénéficiaient les séminaristes. Sa popularité grandit. Chacune de ses tournées en province est un triomphe. Fier cavalier, de belle allure, connu pour ses succès féminins, Boulanger passe aussi pour un démocrate, soucieux du sort des hommes de troupe. Les conservateurs s’inquiètent à propos de ce ministre, qu’ils perçoivent comme une « créature » de Clemenceau, et qui fait placer des bustes de Marianne dans les salles d’honneur créées dans chaque garnison. Boulanger fait même rayer des cadres plusieurs
membres de familles ayant régné en France. Lors des célébrations du 14 juillet 1886, il rencontre un succès personnel retentissant, qui conduit un chansonnier célèbre, Paulus, à adapter une marche de son tour de chant - En revenant de la revue -, qui devient, ainsi transformée, l’hymne du boulangisme. Multipliant les déclarations offensives et diplomatiquement maladroites, Boulanger peaufine son image de « général Revanche » : photographies, affiches, papillons, biographies, portraits, numéros spéciaux de périodiques, objets en tout genre, lui sont consacrés. • Naissance du boulangisme. Cette agitation inquiète désormais les républicains, en premier lieu Jules Ferry. En dépit des pressions exercées en sa faveur, Boulanger n’est pas repris dans le ministère qui succède au gouvernement Goblet, renversé le 17 mai 1887. Une campagne de sympathie, soutenue par quelques journalistes de talent comme Henri Rochefort, s’organise en réponse à cette exclusion. Muté au commandement du 13e corps d’armée à Clermont-Ferrand par un gouvernement qui le craint, Boulanger est acclamé lors d’une manifestation organisée à la gare de Lyon, pour son départ le 8 juillet 1887. Les républicains lancent alors une contre-propagande : le divorce entre Boulanger et Clemenceau est consommé. Les boulangistes s’unissent autour d’un « parti national » qui rassemble tous les mécontents de la République : républicains revanchards regroupés au sein de la Ligue des patriotes (tel Paul Déroulède), radicaux déçus, bonapartistes, monarchistes qui fournissent des subsides, et même socialistes. Les outils de propagande sont directement inspirés des méthodes électorales américaines. Le 26 février 1888, les partisans de Boulanger - officier inéligible présentent ce dernier à des élections pardownloadModeText.vue.download 109 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 98 tielles : premier succès. Le 27 mars, le « brave général » est mis à la retraite : il se trouve ainsi libre de poursuivre sa carrière politique. Armé d’un programme flou - la révision constitutionnelle -, fort du soutien financier des milieux conservateurs, profitant de son image intacte, il est élu député du Nord. Son audience électorale s’étend, en dépit des tensions qui s’exacerbent entre les monarchistes et lui. Lors d’une nouvelle élection partielle
à Paris, en janvier 1889, le général remporte une victoire éclatante (245 000 voix, contre 160 000 à son principal adversaire). Certains partisans le poussent au coup d’État, mais il préfère attendre les élections générales qui doivent se dérouler à l’automne. • La contre-attaque républicaine. Le gouvernement ne lui en laisse pas le temps. L’action habile du ministre de l’Intérieur, Constans, le fait tomber dans un piège. Menacé d’arrestation pour atteinte à la sûreté de l’État, Boulanger s’enfuit à Bruxelles, le 1er avril 1889. Condamné par contumace par le Sénat réuni en Haute Cour le 14 août, il devient inéligible. Le « parti national », divisé, échoue aux élections de septembre : les boulangistes n’obtiennent que 42 sièges. Le 30 septembre 1891, le général Boulanger se suicide sur la tombe de sa maîtresse. Le boulangisme ne constitue pas une doctrine politique. Son caractère composite de même que l’extrême diversité sociale et idéologique de ses clientèles politiques le rendent tout à fait inclassable. Populiste, nationaliste, parfois socialiste, monarchiste dans certaines régions, presque dénuée d’antisémitisme, empreinte d’une certaine tradition républicaine autoritaire, cette nébuleuse est avant tout une entreprise électorale engagée par ceux que les républicains au pouvoir n’avaient pas intégrés. Boulogne (affaire de), tentative de coup de force menée en 1840 par Louis Napoléon Bonaparte. En exil à Londres après un premier échec, le prince Louis Napoléon débarque près de Boulogne dans la nuit du 5 au 6 août 1840 avec une soixantaine de fidèles. Il a fait imprimer des proclamations au peuple, à l’armée, aux habitants du Pas-de-Calais, et compte sur le ralliement des garnisons de la France du Nord. Mais l’aventure tourne court. La police a eu vent du projet, et, à l’exception d’une compagnie, la garnison de Boulogne se montre indifférente ou hostile. Les conjurés sont capturés ou tués. Les suites de l’expédition illustrent la détermination de Bonaparte mais aussi la vitalité d’une tradition impériale que la monarchie de Juillet tente alors en vain d’accaparer - durant l’été 1840 est adoptée la loi sur le retour des cendres de l’Empereur. Le procès devant la Cour des pairs représente, pour Louis Napoléon, l’occasion d’affirmer son attachement au principe de la souveraineté du peuple et de contester la légitimité du régime en place, prônant un bonapartisme populaire que les plaidoiries de ses deux avocats, le républicain Marie et
le légitimiste Berryer, contribuent à diffuser. Condamné à la détention à perpétuité, Louis Napoléon est emprisonné au fort de Ham, dans la Somme. Il y passe six ans, durant lesquels il rédige notamment l’Extinction du paupérisme, avant de s’évader en 1846, dissimulé sous les vêtements et l’identité d’un maçon surnommé « Badinguet ». Boulogne (camp de), camp militaire établi par Napoléon autour de Boulogne-sur-Mer, de 1803 à 1805, en vue d’une invasion de l’Angleterre. La paix d’Amiens est rompue en mai 1803 : l’Angleterre fait saisir 1 200 navires français, tandis que la France occupe les ports napolitains et le Hanovre, sans parvenir à faire céder son ennemi. Napoléon estime alors que seule la menace d’une invasion peut contraindre celui-ci à changer de politique. À partir de juin 1803, il masse 450 000 hommes d’Ostende à Étaples, Boulogne étant le pivot de ce dispositif : en effet, depuis cette place, l’armée peut à la fois atteindre Londres rapidement et disposer d’un emplacement stratégique en vue d’une intervention sur le continent. Y sont aménagés, outre de nouveaux bassins, des magasins, des hôpitaux et des écuries. Deux cantonnements sont établis : l’un, sous la direction de Soult, à Saint-Omer, l’autre, sous le contrôle de Ney, à Étaples et Montreuil. Mais la flotte française demeure inadaptée : elle dispose bien de 1 700 bateaux à fond plat destinés au transport des troupes, mais les marées et une éventuelle grosse mer peuvent les priver de la rapidité nécessaire au débarquement ; en outre, la flotte de guerre est insuffisante pour assurer la maîtrise du détroit. La défaite de Trafalgar, le 21 octobre 1805, ruine tout espoir de réunir les vaisseaux de ligne français. Du reste, dès janvier 1805, en réponse à la formation de la troisième coalition, l’intervention sur le continent est le but officiel de l’armée des côtes, qui intègre la Grande Armée. Bourbon, famille dont diverses branches ont régné en Europe. Par sa longévité et une judicieuse politique matrimoniale, la famille des Bourbons a connu une fortune spectaculaire, qui lui donne une place de tout premier plan dans l’histoire européenne. La première maison de Bourbon tire son nom de la seigneurie de Bourbon-l’Archambault (Allier) et de son territoire, le Bourbonnais. Au XIIIe siècle, cette famille s’allie avec celle, régnante, des Capétiens : en 1276, Robert de Clermont, sixième fils de Louis IX, épouse
Béatrix, fille d’Agnès de Bourbon et de Jean Bourgogne, seigneur du Charolais. En 1327, le roi Charles IV le Bel érige la seigneurie duché en faveur de leur fils, Louis, premier de Bourbon. Les deux fils de ce dernier sont l’origine de deux branches de Bourbon.
de en duc à
La branche aînée (ducs de Bourbon, sires de Beaujeu) s’éteint en 1527, avec la mort sans héritier de Charles III, connu sous le nom du « Connétable de Bourbon ». La branche cadette des comtes de la Marche, ducs de Vendôme sous François Ier, récupère, à l’extinction de la branche aînée, le titre de duc de Bourbon. Cette maison, les Bourbons-Vendôme, accède au trône de Navarre en 1555 (Antoine de Bourbon étant l’époux de Jeanne d’Albret), puis à celui de France avec Henri IV, à la mort du dernier Valois, Henri III, en 1589. Elle se divise à son tour en plusieurs branches, dont la branche aînée qui règne sur la France jusqu’en 1830 avec Charles X et s’éteint avec le comte de Chambord en 1883. De Louis de Condé, frère d’Antoine de Bourbon, lui-même père d’Henri IV, sont issus les princes de Condé, les princes de Conti et les Soissons. Les princes de Condé s’éteignent, après les Contis et les Soissons, en 1830. De Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV, sont issus les Bourbons-Orléans, dont Louis-Philippe Ier, roi des Français de 1830 à 1848. Le chef actuel de cette maison est le comte de Paris. Les Bourbons-Espagne sont issus de Philippe d’Anjou, petit-fils de Louis XIV, roi d’Espagne en 1700 sous le nom de Philippe V. (Le roi Juan Carlos Ier descend de cette dynastie.) Cette branche espagnole est elle-même divisée en plusieurs rameaux, dont les BourbonsParme, qui règnent sur diverses principautés italiennes jusqu’au milieu du XIXe siècle, et les Bourbons-Naples, qui occupent le trône de Naples et de Sicile jusqu’en 1860. De nombreuses branches bâtardes sont aussi issues de cette famille, dont certaines furent légitimées et jouèrent un certain rôle. À titre d’exemple, les Bourbons-Busset, les Vendômes, les Maines et les Toulouses. Bourbon (Charles de), cardinal, « roi de la Sainte Ligue » sous le nom de Charles X (la Ferté-sous-Jouarre, Seine-et-Marne, 1523 - Fontenay-le-Comte, Vendée, 1590). Fils de Charles de Bourbon-Vendôme, frère d’Antoine de Bourbon, Charles entre dans les ordres et accumule rapidement les bénéfices. Il est créé cardinal à 25 ans ; deux ans plus tard, il devient archevêque de Rouen. Son
rôle politique au cours des décennies 1550 et 1560 n’est pas négligeable : c’est un proche de Catherine de Médicis. Mais son destin est surtout lié à celui de son neveu Henri de Navarre, dont il est parrain en 1554. Lorsque l’extinction des Valois se profile en 1584, avec la mort du dernier frère du roi Henri III, le cardinal de Bourbon représente un enjeu politique majeur. En effet, si les protestants sont exclus de la succession au trône, le respect de la loi salique doit lui donner la couronne. C’est la solution retenue par les Guises, l’Espagne et l’intéressé, au traité de Joinville (1585), que le roi est contraint d’entériner. Mais Charles de Bourbon, devenu l’un des porte-parole de la Ligue, est emprisonné sur ordre d’Henri III après l’exécution des Guises (décembre 1588). Son neveu Henri IV, qui succède à Henri III en août 1589, maintient en détention le vieux prélat, qui meurt l’année suivante. Il avait été proclamé roi, en 1589, sous le nom de Charles X par une grande partie du royaume, ralliée à la Ligue : cinq parlements jugeaient en son nom ; on battait même monnaie à son effigie. Sa mort aggrave la question successorale pour les ligueurs, car tous les autres Bourbons suivent Henri IV. Bourbon (Charles III, huitième duc de Bourbon, dit le Connétable de), connétable de France (Montpensier 1490 - Rome 1527). Issu d’une famille de princes du sang, il est, après la mort de son père et de son frère aîné, le seigneur d’immenses domaines au centre du royaume (Auvergne, Forez, Bourbonnais...), et, dès l’âge de 25 ans, accède downloadModeText.vue.download 110 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 99 au rang de connétable. En 1515, François Ier en fait son lieutenant général en Italie mais la puissance de ce vassal dérange. En 1521, le roi prétend rattacher à la couronne une partie des possessions de Suzanne de Bourbon - l’épouse du Connétable - qui vient de mourir : une longue controverse juridique, où s’affrontent les logiques opposées de la moderne unité monarchique et des anciennes prérogatives féodales, s’engage. À l’automne 1523, Bourbon passe au service de Charles Quint, qui le nomme aussitôt généralissime de ses troupes en Italie et lui laisse espérer un mariage princier, ainsi que l’investiture du duché de Milan. Après l’échec de l’invasion de la Provence en 1524, l’armée de Bourbon
ravage la Lombardie durant l’année 1526, et, au début du printemps 1527, se dirige sur Rome à marche forcée : le 6 mai 1527, l’assaut est lancé contre la ville ; Bourbon est tué dès le début du combat ; ce qui n’empêche pas ses soldats de s’emparer de la capitale de la chrétienté et la mettre à sac. Ce pillage conclut symboliquement la légende noire du « traître » et du chef de guerre rebelle, qui mettait son armée au service de son ambition, au risque de masquer l’autre visage, plus traditionnel, du Connétable : celui d’un grand du royaume, dont la brillante carrière militaire allait naturellement de pair avec l’affirmation des droits du vassal face aux prétentions de son suzerain. Bourbon (Louis Henri Condé duc de) ! Condé (Louis Henri) Bourbonnais, pays du centre de la France, successivement seigneurie, duché, puis province. L’ancêtre des sires de Bourbon, Aimard, semble avoir été un familier de Guillaume le Pieux, duc d’Aquitaine. Entre 915 et 920, il abandonne la villa de Souvigny au monastère de Cluny. Mais c’est en 954 que se trouve mentionné pour la première fois le nom de Bourbon, dans un acte de son fils Aimon, dont les descendants, qui se prénomment Archambaud, ne portent toutefois le titre de sires de Bourbon qu’au début du XIe siècle. Ce sont de bien modestes personnages mais, même s’ils reconnaissent l’autorité du roi, leur seigneurie jouit d’une indépendance de fait. Au début du XIIe siècle, pour la première fois, un roi de France intervient dans cette seigneurie : en 1108 ou 1109, exerçant son droit de suzerain, Louis VI contraint à la soumission Aimon Vaire Vache, qui a évincé son neveu. Par la suite, une collaboration étroite s’instaure entre les rois de France et les seigneurs de Bourbon. En 1276, Béatrix de Bourbon épouse Robert de Clermont, fils de Louis IX. Les sires de Bourbon sont désormais membres de la famille royale. C’est à cette époque que l’on commence à employer l’expression « Bourbonnais » pour désigner la seigneurie. En décembre 1327, le roi Charles IV en fait un duché, érigé en pairie en 1328 par Philippe VI. Pour faire face aux dépenses de la guerre de Cent Ans et se défendre contre les « routiers », Louis II, duc en 1356, est conduit à développer les institutions de son duché. Il fait de Moulins sa capitale, dotée d’un château reconstruit
et d’une collégiale. Le duché devient le centre d’un État princier qui englobe notamment le Forez, le Beaujolais, puis l’Auvergne. Mais pour obtenir ce dernier duché Louis II doit accepter que ses possessions deviennent un apanage royal. Les successeurs de Louis II - Jean Ier, Charles Ier, Jean II - comptent parmi les princes des « fleurs de lys », remplissant de hautes fonctions, fréquentant la cour et participant à ses intrigues. Sous Jean II, puis sous Pierre II, marié à Anne de France, Moulins devient un des centres littéraires et artistiques qui annoncent la Renaissance. L’apogée politique du duché se situe sous Charles III, le Connétable de Bourbon. Toutefois, ce duc fastueux et « mal endurant » se trouve entraîné dans un conflit avec le roi François ler et sa mère, Louise de Savoie. Malgré ses qualités d’homme de guerre, il n’est pas en mesure d’engager le combat et doit s’enfuir sur les terres de l’Empire. Son duché de Bourbon, réuni à la couronne en 1527, deviendra la province du Bourbonnais, puis le département de l’Allier. Bourgeois (Léon), homme politique (Paris 1851 - château d’Oger, Marne, 1925). Léon Bourgeois est une grande figure du radicalisme français. Juriste de formation, il s’engage dans une carrière administrative, s’illustrant dans l’arbitrage de conflits sociaux en tant que préfet du Tarn. Élu de la Marne, il est maintes fois nommé ministre, notamment du Travail et de l’Instruction publique, mais il ne reste président du Conseil que six mois, en 1895-1896. Il oeuvre pour l’enseignement secondaire moderne, l’enseignement post-scolaire et l’organisation des universités, et prône, sans succès immédiat, l’instauration de l’impôt sur le revenu et de l’assurance ouvrière obligatoire. Franc-maçon, Bourgeois est cependant un anticlérical modéré. Par le solidarisme, il entend donner des fondements rationnels à la morale sociale en justifiant la nécessaire solidarité par la dette de tout individu envers la société. Philanthrope, il joue un rôle déterminant dans la lutte contre la tuberculose, en tant que président de la Ligue nationale et créateur des dispensaires (loi de 1916). Il est aussi un partisan convaincu de la mutualité. Mais son plus grand titre de gloire reste son combat pour la paix, tant au tribunal d’arbitrage de La Haye à partir de 1899 qu’à la Société des nations, dont il préside, en 1920, le premier conseil. Pour ce rôle éminent, il se voit attribuer le prix Nobel de la paix, en
décembre 1920. bourgeois de Calais ! Calais (bourgeois de) Bourges (pragmatique sanction de) ! concordats Bourgogne, ancienne province qui correspondait approximativement aux départements actuels de la Côte-d’Or et de Saôneet-Loire et au quart sud-est de l’Yonne (Avallonnais et Auxerrois). La Bresse de Bourg et le Bugey lui ont été rattachés en 1601, mais ne peuvent être considérés comme bourguignons. Malgré la présence de hautes terres (Morvan), la Bourgogne est avant tout une région de passage entre les plaines de la Saône, d’une part, les vallées de la Loire, de la Seine et de ses affluents, de la Meuse et du Rhin, d’autre part. Ce carrefour a servi de base à des dominations politiques aux limites variées. • Les origines. A l’époque celtique, deux grands peuples se partagent l’essentiel du futur territoire de la Bourgogne : les Lingons au nord et, surtout, les Éduens au sud, autour de leur oppidum de Bibracte (sur le mont Beuvray). Après la conquête romaine, marquée, en 52 avant J.-C., par l’épisode décisif du siège d’Alésia, Langres et Autun (Augustodunum, qui a remplacé Bibracte après 12 avant J.-C.) sont à la fois des chefs-lieux administratifs (des « cités »), des centres commerciaux (grâce à un excellent réseau routier) et les points d’appui d’un puissant processus de romanisation puis d’une christianisation relativement précoce. Le fait décisif est, à partir du milieu du Ve siècle, l’arrivée des Burgondes, Germains originaires du sud de la Scandinavie. Installés d’abord dans les Alpes du Nord, ils étendent peu à peu leur domination à l’ensemble des pays du Rhône et de la Saône et au sud-est du Bassin parisien. Leur royaume est conquis en 534 par les Francs. Dominé par une aristocratie issue aussi bien des grands propriétaires gallo-romains que des chefs barbares, ce territoire constitue une des grandes subdivisions de l’État mérovingien, puis de l’Empire carolingien. Mais le traité de Verdun (843) le scinde en deux parties très inégales : seul le quart nord-ouest, entre Loire et Saône, revient à Charles le Chauve, roi de Francie occidentale, le reste formant bientôt un royaume, rattaché par la suite à l’Empire germanique. Placés à la tête des pagi, subdivisions des anciennes cités, les
comtes, de plus en plus indépendants du roi, s’efforcent de lutter contre les envahisseurs normands et hongrois : ainsi, autour de 900, le comte d’Autun, Richard le Justicier, que l’on peut considérer comme le premier duc (chef politique et militaire) de la Bourgogne occidentale, donc « française ». • Le temps des ducs capétiens. En 1032, Robert, fils puîné du roi de France Robert le Pieux, devient duc à titre héréditaire d’un grand fief qui correspond au noyau de la future province, autour d’Autun et de Dijon (choisie comme capitale), et auquel échappent Mâcon, Nevers, Auxerre, Sens, Troyes et Langres (qui appartenaient à l’ancienne Burgundia). Les ducs capétiens, qui se succèdent régulièrement jusqu’en 1361, s’appliquent, à l’image de leurs cousins de France, à étendre leurs domaines, à soumettre leurs vassaux les plus turbulents, à ébaucher un État en nommant prévôts, châtelains et baillis. Ils bénéficient, en tant que seigneurs, de la croissance démographique, des progrès des défrichements et de la prospérité agricole. Ils peuvent aussi s’appuyer sur les villes que ranime la renaissance du commerce (la grande route de l’Italie aux foires de Champagne passe par la Bourgogne) et auxquelles ils concèdent des chartes downloadModeText.vue.download 111 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 100 de franchise ou de commune. Ils se font les protecteurs d’une Église en plein renouveau : du Xe au XIIe siècle, grâce à la fondation et au rayonnement européen des abbayes de Cluny (909) et de Cîteaux (1098), la Bourgogne est au coeur de la chrétienté occidentale. Elle est aussi un des hauts lieux de l’art roman, ainsi qu’en témoignent les églises de Cluny, Parayle-Monial, Tournus, Vézelay, Saint-Lazare d’Autun, Fontenay. Moins original et moins prestigieux, le gothique bourguignon a produit cependant quelques chefs-d’oeuvre tels que Saint-Étienne d’Auxerre et Notre-Dame de Dijon. • L’apogée au temps des ducs valois. En 1363, le roi Jean le Bon concède en apanage le duché de Bourgogne, alors en déshérence, à son fils cadet Philippe le Hardi : ce dernier régnera jusqu’en 1404, et ses descendants se maintiendront jusqu’en 1477. Une habile politique matrimoniale permet à cette famille, à partir de 1384, d’étendre peu à peu son autorité sur un vaste ensemble de territoires de
part et d’autre de la frontière entre la France et l’Empire germanique. Celui-ci comprend, outre le duché (agrandi en 1435 des comtés de Bar-sur-Seine, Auxerre et Mâcon), le comté de Bourgogne (Franche-Comté) et surtout une grande partie des Pays-Bas, de l’Artois à la Hollande et de la Flandre au Luxembourg : c’est une des régions les plus riches de l’Europe. De là vient l’essentiel de la puissance de ces « grands ducs d’Occident », qui permet successivement à Jean sans Peur (fils de Philippe le Hardi) d’imposer quelque temps en France l’hégémonie du « parti bourguignon » ; à Philippe le Bon de pratiquer une politique d’équilibre entre les Anglais et Charles VII, et d’obtenir en 1435 la rupture du lien de vassalité qui le rattachait à celui-ci ; à Charles le Téméraire, enfin, de rêver d’une couronne royale que lui conférerait l’empereur Frédéric III. La Bourgogne proprement dite, desservie par le déplacement vers l’est des principales routes commerciales, affaiblie par les opérations militaires et les passages de troupes liés à la guerre de Cent Ans, apparaît comme un élément secondaire du vaste ensemble « burgundo-flamand ». La pratique du mécénat par les princes et leur entourage lui permet cependant de devenir un des lieux privilégiés de l’ultime floraison de la civilisation médiévale. Poètes et chroniqueurs écrivent évidemment en français, mais l’influence de l’art du Nord s’exerce souverainement à la chartreuse de Champmol (le « Saint-Denis » des ducs, aux portes de Dijon), où travaillent Claus Sluter et ses disciples, et à l’hôtel-Dieu de Beaune, création du chancelier Nicolas Rolin. Les institutions du duché évoluent parallèlement à celles du royaume. Une Chambre du conseil seconde le duc et sert de tribunal suprême, concurremment avec les Jours généraux de Beaune. Une Chambre des comptes contrôle les châtelains, receveurs et baillis nommés par le duc, qui reçoit périodiquement des députés des trois ordres le droit de percevoir les impôts nécessaires au luxe de sa cour et à une politique extérieure active et souvent belliqueuse. Mais la construction géopolitique des ducs valois est artificielle et fragile : l’unité de ces territoires dispersés et disparates repose surtout sur la personne du prince. Lorsque Charles le Téméraire, incapable de concentrer ses forces contre son principal adversaire, Louis XI, meurt au siège de Nancy le 5 janvier 1477, le rattachement du duché de Bourgogne au domaine royal s’effectue sans difficulté majeure.
• Une province originale. L’annexion n’est d’abord pas admise par les légitimes héritiers du dernier duc : la Bourgogne est revendiquée par Maximilien de Habsbourg, qui a épousé Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire, puis par leur petit-fils, l’empereur Charles Quint, jusqu’en 1544. Mais leurs prétentions ne suscitent localement à peu près aucun écho. La Bourgogne reste d’ailleurs le plus souvent à l’abri des opérations militaires grâce au traité de neutralité signé avec la Franche-Comté habsbourgeoise en 1508, et renouvelé par la suite. Elle sera cependant sévèrement atteinte par les guerres de Religion (« chevauchées » des « reîtres » protestants, puis luttes entre ligueurs et royalistes), et, surtout, après la rupture du traité de neutralité, lors de la guerre de Trente Ans, de 1636 à 1648. Il lui faudra subir encore les dures épreuves de la Fronde et les terribles famines de la fin du règne de Louis XIV. La Bourgogne connaîtra la paix et une relative prospérité pendant la première moitié du XVIe siècle, le début du XVIIe et l’époque des Lumières. À partir de 1646, la province forme un gouvernement, confié aux princes de Condé, assez peu présents, mais influents, et une généralité, dont l’intendant, installé à Dijon, est, comme ailleurs, l’agent le plus fidèle du roi. Mais deux institutions traditionnelles résistent, dominées par l’aristocratie de la province, dont elles se targuent de défendre les « libertés » : les états, dominés par le haut clergé, la noblesse et d’étroites oligarchies urbaines ; le parlement, héritier des Jours généraux, dont les officiers, issus d’anciennes lignées bourgeoises, sont quasiment tous nobles et grands propriétaires, les guerres et les crues fiscales de la période 1560-1660 ayant été très favorables aux opérations de concentration foncière et de consolidation du régime seigneurial. Réduits à l’obéissance sous le règne personnel de Louis XIV, les hauts magistrats dijonnais, tout comme leurs homologues parisiens, retrouvent, au XVIIIe siècle, des réflexes d’opposants, et leur dénonciation du « despotisme » n’est souvent que la défense de leurs privilèges. À la fin de l’Ancien Régime, le tableau est contrasté. La lente croissance de la production agricole et métallurgique, celle des activités commerciales (les grands vins s’exportent dans l’Europe entière), l’éclat de la vie intellectuelle et artistique dans les villes, contrastent avec l’archaïsme de la société rurale (un tiers des communautés sont encore mainmortables), le poids des droits seigneuriaux, l’insatisfaction des « hommes à talents » du tiers
état privés d’influence. L’action de bourgeois entreprenants et le malaise paysan aidant, la Révolution suscitera une large adhésion et la Bourgogne du XIXe siècle sera en majorité « patriote », libérale et républicaine. En 1790, le territoire de la province est divisé en trois départements, qu’aucune institution commune ne réunira avant 1960. L’actuelle région de Bourgogne, qui inclut la Nièvre, souffre de l’attraction exercée par Paris et Lyon, et excède les limites de la zone dijonnaise, assez proche du duché du XIe siècle. Bourguiba (Habib), homme d’État tunisien (Monastir, sans doute en 1900 [les biographies officielles indiquent 1903]- id. 2000). Issu de la petite bourgeoisie, il étudie le droit à Paris, rentre à Tunis en 1927 et ouvre un cabinet d’avocat en 1931. En 1932, il fonde le journal nationaliste l’Action tunisienne, s’impose comme chef de file du Néo-Destour lors de sa création en 1934, et se retrouve interné pendant vingt mois dans le Sud algérien. Libéré en 1936, il est à nouveau appréhendé au lendemain de l’émeute d’avril 1938, et transféré en France. Remis en liberté par les Allemands à Lyon, en décembre 1942, il se rend à Rome, puis regagne Tunis en avril 1943. Très surveillé, il reprend bientôt le chemin de l’exil et s’enfuit au Caire (avril 1945), où il plaide la cause de l’indépendance tunisienne. À son retour à Tunis en septembre 1949, il reçoit un accueil triomphal de ses compatriotes, qui le saluent du titre de « Combattant suprême ». Il n’en reste pas moins en butte à l’hostilité des agents du protectorat et le résident général, Jean de Hauteclocque, le fait arrêter en janvier 1952. Successivement interné en Tunisie et en France, il regagne Tunis le 2 juin 1955. Peu après les accords d’indépendance du 20 mars 1956, il est nommé chef du gouvernement, puis devient président de la République après avoir écarté le bey (25 juillet 1957). Jusqu’aux années 1980, il parvient à assurer à son pays une stabilité exceptionnelle dans le monde arabo-musulman. Atteint de sénilité, il est déposé par son Premier ministre, le général Ben Ali, le 7 novembre 1987. bourguignon (État), principauté s’étendant, au XVe siècle, du Jura à la Hollande, sous la domination des Valois, ducs de Bourgogne. Le duché de Bourgogne constitue le coeur historique de l’État bourguignon ; revenu à la couronne de France en 1361, il est donné en apanage par Jean le Bon à son fils cadet Philippe le Hardi, en 1363. En quelques décennies, ce dernier, mêlant habilement al-
liances matrimoniales et coups de force, crée une vaste zone d’influence dans le nord de l’Europe : époux de Marguerite de Flandre, il devient, en 1384, comte de Flandre, d’Artois et de Bourgogne, avec le soutien du roi de France, Charles VI, victorieux des Flamands à Rosebecke en 1382. Son fils Jean sans Peur (duc de 1404 à 1419) poursuit cette politique en imposant sa protection à la principauté de Liège (1408). Mais Jean sans Peur joue également une partie serrée à Paris, où il dispute à Louis d’Orléans, frère de Charles VI, la mainmise sur les affaires du royaume : la lutte d’influence entre Armagnacs et Bourguignons, qui s’allient tour à tour aux Anglais, se solde par son assassinat (1419). Son fils Philippe le Bon (duc de 1419 à 1467) poursuit avec succès cette politique qui vise à constituer un État autonome : par héritage, confiscation ou occupation, il fait entrer dans l’orbite bourguignonne Namur (1421), le Brabant et Anvers (1430), le Hainaut, la downloadModeText.vue.download 112 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 101 Hollande, la Zélande et la Frise (1428-1432), le Luxembourg (1433) et Utrecht (1455). Après s’être allié avec les Anglais lors du traité de Troyes (1420), il revient à l’alliance française et signe avec Charles VII le traité d’Arras (1435), par lequel il est libéré de son lien de vassalité envers le roi de France en échange d’une reconnaissance de la souveraineté de ce dernier sur toute l’étendue du royaume. Émancipé de la tutelle française, Philippe le Bon, surnommé « le Grand Duc d’Occident », gouverne un puissant État depuis sa cour de Bruxelles. Il lui assure une organisation efficace, et le dote des instruments nécessaires à son indépendance et à son rayonnement : les universités de Dole et de Louvain, une monnaie d’or appréciée (le philippus), l’ordre de la Toison d’or. Cependant, privé de continuité territoriale - sa partie flamande est coupée de sa partie bourguignonne par la Lorraine et par l’Alsace -, l’État bourguignon est voué à l’expansion. Charles le Téméraire (1467/1477), fils de Philippe le Bon, occupe donc la Lorraine et l’Alsace, et caresse l’espoir de reconstituer à son profit l’ancienne Lotharingie, dont l’empereur Frédéric III de Styrie le ferait roi. Louis XI a raison de ce rêve et du Téméraire, qui est tué au siège de Nancy, le 5 janvier 1477. L’État bourguignon est alors démembré : tandis que le duché de Bour-
gogne retourne à la France, le reste de l’État entre dans le patrimoine des Habsbourg lors du mariage de l’unique héritière, Marie de Bourgogne, avec Maximilien Ier. Le royaume de France est enserré pour deux siècles dans la tenaille hispano-impériale. Bourguignons ! Armagnacs et Bourguignons Bourse, marché des valeurs mobilières. Il faut attendre 1724 pour que l’État autorise la création d’une Bourse officielle. Voulant éviter le renouvellement de l’expérience de Law, qui s’était soldée par une spéculation effrénée, puis par une banqueroute retentissante (1719-1721), il impose à la nouvelle institution des règles strictes, faisant appel à l’expérience des agents de change qui, depuis le Moyen Âge, animaient un marché d’effets de commerce. Cette Bourse reste cependant embryonnaire ; seules trois sociétés sont cotées. Sous l’Empire, le retour à l’ordre institutionnel et financier permet de lancer à Paris une Bourse, qui devient bientôt une véritable Bourse des valeurs au comptant et à terme, installée dans le palais Brongniart (1826). • L’essor boursier au xixe siècle. L’augmentation de l’épargne bourgeoise, l’essor de la rente publique, la multiplication des sociétés par actions, expliquent le développement de la Bourse dans les années 1840-1870. Malgré quelques crises, le marché financier connaît une expansion grâce à la mobilisation de l’épargne des classes moyennes. Le nombre de sociétés cotées passe de 30 en 1830 à 2 000 en 1900, et Paris devient la seconde place financière mondiale derrière Londres, puis New York. L’État lance de vastes emprunts pour régler l’indemnité due à l’Allemagne après la guerre de 1870, puis pour financer la Première Guerre mondiale et la reconstruction, et, dans les années trente, le déficit public et le réarmement. L’animation du marché repose sur les banques : les syndicats de garantie et de placement permettent la réussite des opérations d’émission de titres ; des syndicats de soutien des cours empêchent la baisse excessive des cours, que la Caisse des dépôts et consignations régularise par le jeu de ses propres arbitrages sur les valeurs de son portefeuille de placements ; les clients des banques obtiennent des crédits (les « reports ») pour leurs opérations à terme. Détenteurs d’une « charge », les agents de change ont le monopole de l’intermédiation boursière à partir de 1885-1890 ; ils réalisent
les transactions, administrent le « parquet » (terme désignant le marché) et gèrent des portefeuilles de clients. En province, des Bourses sont créées à Lyon, à Marseille, à Nancy et à Bordeaux. Un marché parallèle, la « coulisse » (hors cote), occasion de spéculations mais facteur de souplesse pour la percée de titres, est institué pour les valeurs moins solides. • La dynamisation du marché boursier. Tout au long du XXe siècle, les cours de la Bourse suivent une évolution chaotique : l’inflation des années 1915-1926 et la chute du régime tsariste en Russie font perdre de l’argent aux épargnants ; ensuite, les cours remontent entre 1926 et 1930 ; jusqu’en 1954, la Bourse stagne en raison de la dépression des années trente, de la guerre, du poids des bons du Trésor dans l’épargne, des nationalisations de 1936 et de 1945-1946, qui soustraient des valeurs intéressantes au marché. Suivent une période de hausse des cours (1954-1962), due à la reprise économique, puis, de nouveau, des années de stagnation (1963-1968), avant l’entrée dans la crise (1973-1978). En 1977, la capitalisation boursière sur la place de Paris ne représente que 3,4 % de celle de New York, 13 % de celle Tokyo, 28 % de celle de Londres. L’État relance alors le marché afin de financer l’expansion. Il autorise la création de produits d’épargne alléchants (sicav), qu’il favorise par des avantages fiscaux. Les besoins des entreprises, les restructurations capitalistiques, les batailles boursières, stimulent la Bourse. Un mouvement à la hausse se développe de 1978 à 1987 et de 1990 à 1994, encouragé par les privatisations, qui permettent un accroissement spectaculaire du nombre de petits porteurs. Le marché parisien s’adapte aux énormes besoins de financement tant de l’État, surendetté, que des firmes multinationales ; il doit en outre devenir compétitif face aux marchés anglo-saxons et japonais. Après la fusion des marchés à terme et au comptant (1983), le marché financier entre dans l’ère de la déréglementation (1986-1988) : intégration des Bourses provinciales et parisienne dans un seul marché ; fin du monopole des agents de change avec le transfert de l’intermédiation à des « sociétés de Bourse » désormais contrôlées, pour la plupart, par les banques ; suppression en 1987 de la « corbeille » autour de laquelle s’effectuaient les transactions et mise en place d’un vaste système de gestion électronique par télétransmission. Des marchés spécialisés sont créés pour faciliter l’insertion de la place parisienne dans les circuits de financement mondiaux : au marché des actions et obligations, complété
par le « second marché » réservé aux firmes ouvrant leur capital, s’ajoutent des marchés d’options négociables (MONEP, 1987) et d’instruments financiers à terme (MATIF), qui sont segmentés en de multiples marchés hautement volatils. L’intensification des contrôles et de la régulation répond à cette libéralisation : afin d’éviter la manipulation des cours, les délits d’initié, la diffusion d’informations tronquées, la spoliation des petits porteurs par des coalitions de financiers, les pouvoirs de la Commission des opérations de Bourse (COB), créée en 1967, sont étendus en 1988 ; la Société des Bourses françaises, créée la même année et qui gère le marché, renforce elle aussi le dispositif réglementaire. bourse du travail, forme d’organisation locale du mouvement ouvrier apparue à la fin des années 1880. On considère cependant que la conception en revient à l’économiste libéral Gustave de Molinari (1819-1912), qui, à partir de 1843, propose la création d’une institution mettant directement en rapport offreurs et demandeurs d’emploi. En 1857, il fonde d’ailleurs un journal intitulé la Bourse du travail. La première bourse du travail est instituée par le conseil municipal de Paris, en 1887, dans un esprit assez différent : il s’agit alors de mettre un local à la disposition des chambres syndicales. Nîmes, Marseille, puis Saint-Étienne, imitent bientôt la capitale. Le 7 février 1892, leurs représentants se réunissent à Saint-Étienne, pour créer la Fédération des bourses du travail, sur laquelle Fernand Pelloutier exerce une influence tout à fait décisive de 1895 à sa mort, en 1901. En 1892, on compte 14 bourses du travail ; en 1901, 74 ; en 1908, 157, toutes subventionnées par les municipalités et parfois par les conseils généraux, même modérés. En 1914, elles rassemblent 2 199 syndicats et quelque 500 000 membres. La bourse constitue à la fois une mutualité qui assure le placement, un recours pour les accidentés du travail et les chômeurs, et un lieu d’accueil pour les travailleurs migrants. En outre, elle devient vite une organisation de « résistance » qui assiste les ouvriers en grève, et un outil de propagande en faveur de la création des syndicats et des coopératives. Enfin, souvent dotée d’une bibliothèque, elle représente un lieu de culture où sont dispen-
sés des enseignements généraux et professionnels. Des enquêtes concernant les effets du travail industriel sur la santé y sont également menées en collaboration avec des médecins. Cette forme d’organisation ouvrière est sans doute la structure la mieux adaptée au rassemblement de la main-d’oeuvre de l’industrie et des vieux métiers urbains. Elle enracine, sur une base locale et non pas professionnelle, un mouvement ouvrier dont l’une des grandes originalités est de combiner ces deux dimensions, notamment grâce à l’organisation de la CGT, qui, créée en 1895, accueille la Fédération des bourses à partir de 1902. Enfin, les bourses du travail constituent l’un des creusets où se développent le syndicalisme révolutionnaire et l’idée de grève générale. Durant les années 1906-1909, pludownloadModeText.vue.download 113 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 102 sieurs d’entre elles jouent un rôle moteur dans l’agitation ouvrière, et voient d’ailleurs leurs subventions suspendues. Bouvines (bataille de), victoire du roi de France Philippe Auguste, le 27 juillet 1214, contre une coalition réunissant l’empereur Otton IV, le roi d’Angleterre Jean sans Terre, le comte de Flandre Ferrand de Portugal et le comte de Boulogne Renaud de Dammartin. Au soir du dimanche 27 juillet 1214, la coalition qu’a suscitée Jean sans Terre est vaincue. Philippe Auguste a mis en fuite Otton IV de Brunswick et fait prisonnier Ferrand de Portugal. Victorieux le jour de la Trêve de Dieu, il a prouvé la justesse de son combat. • L’aboutissement d’une longue lutte contre les Plantagenêts. En 1204, le roi de France a conquis la Normandie, confisquée à Jean sans Terre en 1202. Ce dernier rassemble depuis lors, autour de lui, tous ceux qui ont des motifs d’hostilité à l’égard du roi de France. Ainsi, dans les premières années du XIIIe siècle, une intense activité diplomatique est déployée de part et d’autre de la Manche, mais aussi de part et d’autre de l’Escaut, qui sépare le royaume de France de l’Empire. Renaud de Dammartin, ami et protégé du roi de France, perpétuel mécontent, trahit son suzerain et traverse la Manche. Le comte de Flandre se remet mal d’avoir dû abandonner au prince Louis les châtellenies
de Saint-Omer et d’Aire-sur-la-Lys. L’empereur Otton de Brunswick, enfin, neveu de Jean sans Terre, a d’abord été soutenu par le pape Innocent III, mais, depuis 1210, il est excommunié. Philippe Auguste soutient son concurrent, le jeune Frédéric de Hohenstaufen, futur Frédéric II. Le roi de France tire profit également des difficultés de Jean sans Terre avec le pape Innocent III. Excommunié en 1212, Jean sans Terre est menacé l’année suivante d’une invasion par le roi de France, bras armé du pape. Il ne doit son salut qu’à une soumission complète à Innocent III, à qui il remet son royaume, désormais fief du Saint-Siège. La coalition se reforme l’année suivante, et applique un plan d’encerclement : tandis que Jean sans Terre doit attaquer en Aquitaine, les armées flamandes et impériales se portent au nord. Le 2 juillet 1214, à la Roche-au-Moine, en Poitou, le prince Louis chasse Jean sans Terre, mettant fin à la menace qui pèse sur le royaume. Ne reste à Philippe Auguste qu’à livrer bataille au nord. • Conséquences et écho d’une bataille. La victoire de Bouvines, à laquelle participent les contingents envoyés par les communes du nord de la France et les évêques du Conseil royal, a durablement marqué les esprits. Les chroniques contemporaines célèbrent un événement qui s’enrichit au fil des versions : la légende s’empare de l’histoire, et devient la victoire du bien sur le mal. L’abbaye de la Victoire de Senlis est fondée pour commémorer la bataille. La bataille de Bouvines assure l’hégémonie capétienne en France et en Occident ; à ce titre, c’est une victoire fondatrice, qui a, en outre, pour conséquences qu’Otton de Brunswick, battu, laisse la place à Frédéric de Hohenstaufen, tandis que Jean sans Terre, rentré en Angleterre, doit accepter la Grande Charte que lui imposent en 1215 barons et communes. L’année suivante, le prince Louis peut tenter de conquérir la couronne d’Angleterre. • Oubliée aux siècles suivants, la bataille de Bouvines connaît aux XIXe et XXe siècles une exploitation politique aussi importante que celle de la figure de Jeanne d’Arc. Pendant la Restauration, Guizot fait valoir les mérites des contingents des communes rassemblés sous l’égide de la royauté, alors que Michelet ne peut se résigner à encenser une victoire « cléricale ». À partir de 1870, l’esprit de revanche
et les mouvements nationalistes l’érigent en symbole. À la fois victoire contre les Allemands, victoire du peuple sur la féodalité et première manifestation du patriotisme français, la bataille se voit, à l’occasion de son septième centenaire, célébrée par l’Action française, l’armée et l’État. Seuls les socialistes refusent de s’associer aux manifestations. C’est l’apogée historiographique d’une victoire qui, aujourd’hui, ne recueille que quelques lignes dans les manuels, mais qui a encore pu intéresser, à titre ethnographique, la « nouvelle histoire » (le Dimanche de Bouvines, de Georges Duby, 1973). Branly (Édouard), universitaire et physicien (Amiens 1844 - Paris 1940). Reçu à l’École normale supérieure en 1865, Branly y demeure plusieurs années, après sa scolarité, en tant que directeur adjoint du laboratoire de physique. Nommé professeur au collège Rollin en 1875, il enseigne ensuite à l’Institut catholique de Paris. Docteur ès sciences, il est également docteur en médecine, et c’est à ce titre qu’il s’intéresse au mécanisme de transmission des influx nerveux dans les synapses, points de contact entre les neurones. Ces recherches orientent son attention vers le problème des contacts électriques imparfaits (passage du courant à travers un alignement serré de billes métalliques ou une couche de limaille). En 1890, il imagine le radioconducteur, ou « cohéreur » à limaille, qui permet la réception des signaux de télégraphie sans fil. Les applications seront nombreuses et d’une immense portée. C’est en perfectionnant l’appareil de Branly que le physicien anglais Oliver Lodge parviendra, en 1894, à effectuer la première transmission radio et à réaliser un récepteur propre aux utilisations industrielles ; et c’est en 1896 que l’Italien Marconi, combinant les découvertes de Branly et de Hertz, réalise un émetteur d’ondes capable de transmettre à distance. En 1891, Branly découvre l’action rayonnante de tiges métalliques verticales reliées à l’émetteur - les futures « antennes ». Il est reçu à l’Académie des sciences en 1911. Brantôme (Pierre de Bourdeilles, seigneur et abbé de), homme de guerre et mémorialiste (Bourdeilles 1537 ou 1540 id. 1614). Voué par son père à la carrière ecclésiastique, Brantôme s’éloigne rapidement de l’Église et entame une vie d’aventure, qui le conduit d’abord en Italie, puis en Écosse. À partir de
1562, il prend part aux batailles contre les huguenots, et, entre deux combats, se joint à des expéditions contre les Turcs, au Maroc (1564) puis à Malte (1566). Gentilhomme ordinaire de la Chambre d’Henri III, il éprouve une vive amertume lorsque, en 1582, le sénéchalat de Périgord, que le roi lui avait promis, échoit à un autre. Tenté d’offrir ses services au roi d’Espagne, il en est empêché par une chute de cheval qui le réduit à l’immobilité pour plusieurs années. Dès lors, toute son énergie s’oriente vers l’écriture, et le gentilhomme périgourdin ne quitte plus ses terres que pour de brefs voyages. Ses Mémoires se composent des Vies des dames illustres, des Vies des hommes illustres et des grands capitaines, et des Vies des dames galantes. C’est ce dernier ouvrage, publié seulement en 1666, qui lui vaudra à la fois une réputation de scandale et l’admiration de nombreux écrivains. Galerie de portraits piquants et d’anecdotes volontiers licencieuses, ces chroniques de la vie amoureuse sous les derniers Valois sont l’oeuvre d’un conteur plus que d’un historien. Elles n’en témoignent pas moins, avec une remarquable liberté de ton, de l’évolution du sentiment et de la sexualité à la fin de la Renaissance. Brazza (Pierre Savorgnan de), explorateur et administrateur (Castel Gandolfo, près de Rome, 1852 - Dakar 1905). Issu d’une famille italienne, le jeune Brazza est reçu à l’École navale en 1868, à titre étranger. Après avoir pris part à la guerre de 1870, il demande et obtient sa naturalisation. Envoyé en Algérie afin d’y réprimer l’insurrection kabyle, il ne participe à l’opération qu’avec réticence et forge les convictions pacifistes qui seront désormais les siennes. À l’issue d’une croisière au large des côtes du Gabon en 1874, il sollicite l’autorisation d’explorer le fleuve Ogooué. Son voyage commence au début de l’année 1876. Après avoir pénétré des territoires inexplorés, il doit rebrousser chemin devant l’opposition des peuples riverains. Il rentre à Paris à la fin de l’année 1878. Déclinant les offres de Léopold II de Belgique, il comprend que le Congo suscite d’intenses convoitises territoriales et met tout en oeuvre pour réactiver l’influence française dans la région. Il est alors chargé d’une seconde mission, au cours de laquelle il fonde sur l’Ogooué le poste de Franceville et signe un traité avec Makoko, le roi des Tékés, qui accepte le protectorat français (10 septembre 1880). Après une campagne de propagande en faveur de l’ex-
pansion coloniale, il est nommé commissaire général du Congo français. Mais son oeuvre d’administrateur se heurte, à partir de 1896, à l’ambition des grandes sociétés coloniales. Il est relevé de ses fonctions en 1898. Chargé en 1905 d’enquêter sur les exactions commises à l’encontre des populations indigènes, il meurt, épuisé et découragé, au cours de cette dernière mission. Brazzaville (conférence de), conférence réunie par le général de Gaulle à Brazzaville, du 30 janvier au 8 février 1944, afin de jeter downloadModeText.vue.download 114 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 103 les bases d’une nouvelle politique coloniale et de définir les nouveaux liens institutionnels entre la France et l’outre-mer. Sous la présidence de René Pleven, commissaire aux Colonies du Comité français de libération nationale, cette conférence réunit essentiellement les gouverneurs des colonies et des experts - pour la plupart, des fonctionnaires - mais aucun Africain. Affirmant sans ambages que la France entend conduire les peuples d’outre-mer à la liberté de s’administrer eux-mêmes, le discours inaugural du général de Gaulle connaît un grand retentissement dans toute l’Afrique. Au cours des travaux, les thèses fédéralistes des gouverneurs Lapie, Éboué et Laurentie sont mises en échec par les « jacobins », conduits par le gouverneur antillais Saller, partisans de l’assimilation et de l’administration directe. Les recommandations finales mettent en avant la représentation parlementaire des colonies, la création d’assemblées locales, la suppression du régime de l’indigénat et du travail forcé, mais rejettent toute perspective d’autonomie : « La constitution éventuelle, même lointaine, de self governments est à écarter. » En dépit de cette restriction, la conférence n’en a pas moins une grande résonance dans tout l’Empire : elle annonce des temps nouveaux et la disparition - à terme - du vieil ordre colonial. Bretagne, région qui occupe la péninsule armoricaine, dans l’ouest de la France. Son territoire historique, tel que défini en 851 (traité d’Angers entre Charles le Chauve et Érispoë), correspond aux départements actuels de Loire-Atlantique, d’Ille-et-Vilaine, des Côtes-d’Armor, du Morbihan et du Finistère.
Un bref moment royaume, puis duché, ce territoire devient en 1532 (édit d’Union) une province du royaume de France. Lors du découpage régional intervenu en 1941, la Bretagne est amputée de la Loire-Atlantique. La capitale de Région est Rennes. • La naissance de la Bretagne. La première désignation de l’Armorique, sous le nom de Britannia, date de la fin du VIe siècle. Elle consacre une migration déjà ancienne de Bretons venus du pays de Galles et du sud-ouest de l’Angleterre, soldats de l’armée romaine, paysans aussi. Leur intégration est facilitée par la lenteur de la migration - qui, toutefois, s’accélère au début du Ve siècle - et par la proximité de langue : une synthèse s’opère entre le dialecte des insulaires et le gaulois que parlent encore la majorité des Armoricains. Cette immigration laisse des traces dans la toponymie : les tré (Trébeurden) et, surtout les plou (Plougastel), lan (Landévennec) et gui (Guimiliau), qui renvoient à une structure religieuse. En effet, déjà évangélisés, les Bretons s’organisent directement en paroisses, à la différence de la pratique continentale habituelle où l’évêque citadin est à la tête d’une structure très hiérarchisée : le très fort sentiment d’appartenance à la paroisse trouve là son origine. Cette implantation, jamais exclusive, est cependant très marquée à l’ouest d’une ligne qui court du Mont-Saint-Michel à Savenay, entre Saint-Nazaire et Nantes. Les contacts avec les Francs, puis les Carolingiens, fluctuent au gré des rapports de force. Malgré les succès de Pépin le Bref, qui peut imposer une Marche de Bretagne, qui est confiée à Roland (la victime de Roncevaux, en 778...), malgré des concessions comme la reconnaissance de Nominoë en tant que représentant de l’empereur, les Carolingiens ne parviennent pas à s’imposer durablement. En 851, ils doivent reconnaître Érispoë, fils de Nominoë, comme roi de Bretagne. L’apogée territorial est atteint sous le roi Salomon, quand les Carolingiens lui cèdent une partie du Maine (868), puis le Cotentin. C’est aussi l’époque où les abbayes bretonnes connaissent leur plus grand rayonnement culturel, dont nous sont parvenus de magnifiques manuscrits, évangéliaires et vies de saints réalisés à Landévennec, ou bien encore le cartulaire de l’abbaye de Redon, l’un des plus remarquables documents sur la société et l’économie de l’Europe carolingienne. Les dissensions internes à la Bretagne et, surtout, la très forte pression des Normands mettent un
terme à cet essor : les frontières orientales sont établies définitivement au début du Xe siècle à leur emplacement actuel, et c’est seulement en 939 qu’Alain Barbetorte parvient à chasser les Normands. • Le duché de Bretagne. Contestés par l’aristocratie, soumis aux pressions de leurs puissants voisins anglo-normands et français, les nouveaux ducs peinent à faire reconnaître leur autorité : en 1234, Pierre Mauclerc se soumet au roi de France, mais c’est seulement en 1297 que Philippe le Bel reconnaît le titre ducal. Les abus des féodaux et l’ambition des clercs - qui explique la popularité du « bon » prêtre trégorois Yves Hélori (saint Yves) - ne doivent pas masquer un essentiel affermissement de l’autorité du duc. Les neuf évêchés installés au Xe siècle constituent désormais un découpage territorial stable jusqu’à la Révolution, et identifient des « pays » comme le Trégor ou le Léon. La pratique du breton, à l’ouest d’une ligne menant de Saint-Brieuc à Saint-Nazaire, se stabilise presque définitivement et identifie la basse Bretagne. L’essor démographique se traduit par de nouvelles implantations humaines, que désignent par exemple les noms en ker, ou leur équivalent en haute Bretagne (la Ville-). Parallèlement, commence à se développer le commerce du vin, importé, ou l’exportation du sel des marais salants de Guérande et de Bourgneuf. Au début du XIVe siècle est mise en forme la Très Ancienne Coutume de Bretagne, recueil des règles fixées par le droit coutumier. L’absence d’héritier direct à la mort de Jean III, en 1341, dans le contexte du grand affrontement franco-anglais naissant, entraîne cependant la Bretagne dans une guerre de succession entre, d’une part, Charles de Blois - soutenu par son oncle, le roi de France, et le clan de sa femme, les Penthièvre - et, d’autre part, Jean de Montfort, soutenu par l’Angleterre. La captivité de Charles de Blois en Angleterre pendant neuf ans, le célèbre combat des Trente entre Anglais et Bretons partisans de Blois, les premiers exploits de du Guesclin, marquent très durablement les mémoires, chansons et exploits légendaires à l’appui. Mais le duché sort très affaibli de vingttrois ans de luttes. Avec la mort de Charles de Blois à la bataille d’Auray, en 1364, s’achève une guerre dont les soubresauts se font sentir jusqu’à la fin du siècle. Le règne de Jean V (1399/1442) apporte un retour à la paix, d’autant plus apprécié que sévit alors la guerre de Cent Ans, qui
s’étend parfois, il est vrai, jusqu’à Nantes ou Rennes. La Bretagne continue à se dépeupler, mais elle souffre infiniment moins que le reste du royaume. En outre, Jean V mène une politique d’indépendance, grâce à la création d’institutions étatiques solides, à un mécénat munificent (Notre-Dame du Folgoët, par exemple) et à une neutralité diplomatique qui permet de nouer des relations avec la plupart des souverains d’Europe occidentale. La création de l’université de Nantes, en 1460, renforce encore ce qui n’est pourtant que rêve d’indépendance. La disparition du duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, en 1477, fait en effet basculer définitivement le rapport de forces en faveur du roi de France. Le coût de la politique d’indépendance, la résistance d’aristocrates qui ont déjà des intérêts auprès du puissant souverain, la faiblesse du duc François II, font le reste. En 1485, le trésorier du duché, Pierre Landais, symbole de la volonté d’indépendance, est abandonné à son sort par le duc : les injures dont le couvrent les Nantais, et sa pendaison au terme d’un procès inique, marquent tout autant la fin du duché que les défaites militaires subies devant les troupes royales en 1488 (Saint-Aubin-du-Cormier) et en 1491. Anne, héritière du duché, doit épouser le roi Charles VIII, puis Louis XII, et sa fille Claude se marie avec François Ier. En 1532, la Bretagne est définitivement réunie à la France. Le titre ducal disparaît en 1547, lorsque le dauphin Henri, duc de Bretagne, accède au trône de France. • De l’âge d’or au déclin ? L’intégration au royaume se déroule relativement bien, grâce à l’exceptionnelle prospérité que connaît la Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles. Cet âge d’or est celui d’une agriculture remarquablement diversifiée, d’une industrie métallurgique puissante pour l’époque et, surtout, d’une industrie toilière qui exporte partout en Europe occidentale et en Amérique ses « crées » et « bretagnes » de lin fin, et ses toiles de chanvre pour les voiles et les emballages. Le XVIe siècle voit l’apogée des rouliers des mers bretons, qui font vivre une centaine de ports dans la province. Cette fortune permet un épanouissement artistique, dont témoignent les admirables enclos paroissiaux, les centaines de retables baroques, les milliers de manoirs et quelques grands monuments tel le Palais du parlement à Rennes. À la fin du XVIIe siècle, la Bretagne totalise presque 10 % de la population du royaume, mais la dispersion de la production et du
capital, la politique guerrière de Louis XIV, préjudiciable au commerce, affectent profondément l’économie : c’est cette crise que traduisent la grande révolte des Bonnets rouges et les émeutes urbaines du Papier timbré (1675). La fortune se concentre désormais de plus en plus dans les mains de la noblesse et des bourgeoisies marchandes - à Saint-Malo, à Nantes, voire à Lorient, grâce à la CompadownloadModeText.vue.download 115 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 104 gnie des Indes. C’est l’époque du commerce antillais et de la traite négrière, qui assurent la richesse de Nantes au XVIIIe siècle ; l’époque aussi du « désert » de campagnes devenues souvent misérables ; de conflits aigus entre les privilégiés du parlement, soutenus par la noblesse - parfois bien maladroitement, comme dans le cas du complot de Pontcallec (1718) -, et unpouvoir royal affaibli. Des bourgeois plus sûrs d’eux-mêmes, des nobles plus attachés que jamais à leurs privilèges, une paysannerie en grande difficulté : tels sont, à grands traits, les caractéristiques de la Bretagne à la veille de la Révolution. • Une identité menacée mais préservée. Les bourgeois savent utiliser en 1789 la concordance partielle des aspirations paysannes avec les leurs, mais les nobles et une très large part du clergé mobilisent assez facilement ces paysans, les mêmes parfois, autour de la question religieuse. La force de la chouannerie procède de cet enjeu et du refus d’une conscription perçue, ici plus qu’ailleurs, comme un arrachement à sa terre pour aller défendre de trop lointaines frontières. Les violences de 1793-1794 - du massacre des républicains par les vendéens à Machecoul aux fameuses noyades de Carrier à Nantes -, l’empreinte qu’elles laissent dans la mémoire collective (chansons, monuments, lieux de culte populaires aussi) font trop oublier cependant l’expansion réelle du XIXe siècle. Il est vrai que le commerce maritime décline, que l’effondrement de l’industrie textile entraîne de terribles conséquences dans les campagnes, et que 500 000 Bretons quittent la région dans la seconde moitié du XIXe siècle. Pourtant, la population augmente sensiblement, grâce à la modernisation de l’agriculture, fruit de la lente diffusion de multiples progrès techniques, et au développement d’industries comme la conserverie nan-
taise ou les chantiers navals de Saint-Nazaire, où les frères Pereire implantent la Compagnie générale transatlantique en 1861. Ces particularités locales de la croissance au XIXe siècle doivent être soulignées, car l’image de la Bretagne d’alors est celle d’une province exotique et d’une culture en voie de marginalisation. L’extraordinaire « reconstruction » cléricale, qui marque de son empreinte tous les aspects de la vie, au moins dans les campagnes, n’est pas étrangère à cette originalité, qui s’accompagne d’un début de folklorisation : vogue du voyage en Bretagne, installation plus ou moins durable d’artistes, notamment à Pont-Aven, où Gauguin arrive en 1886, recueil savant de chansons populaires menacées de disparition par La Villemarqué (Barzaz Breiz, 1839), puis Luzel. C’est alors aussi que le français commence à être perçu comme le moyen indispensable de la promotion sociale, aux dépens du breton. L’autre grande phase de modernisation, entre 1945 et 1975, résout cet apparent contraste entre réalités matérielles et culture. Le dynamisme agricole, fortement porté par les coopératives, la création d’une industrie de pointe (électronique, espace), l’influence croissante d’Ouest-France, devenu dans les années soixante-dix le premier quotidien français par sa diffusion, le renouveau d’un mouvement culturel breton qu’avait fortement affecté la dérive collaborationniste entre 1940 et 1944 : tous ces facteurs transforment profondément la Bretagne. La vogue de la musique bretonne, à partir des années soixantedix, les grandes luttes écologiques (le procès qui suit la marée noire de l’Amoco Cadiz, en 1978, mobilise l’opinion jusqu’en 1992), l’engouement nouveau pour la mer et le patrimoine maritime, l’évolution simultanée des comportements électoraux, rapprochent la Bretagne du reste de la France, tout en affirmant une identité originale, fortement ressentie et assumée par ses habitants. Brétigny-Calais (traité de), traité conclu entre le roi de France Jean II le Bon et le roi d’Angleterre Édouard III (8 mai-24 octobre 1360). Les négociations de 1360 s’inscrivent dans des temporalités multiples : vieille rivalité franco-anglaise, rôle pacificateur de la papauté, temps court de la crise des années 1356-1358...
Depuis sa défaite à Poitiers (19 septembre 1356), le roi Jean II, prisonnier des Anglais, cherche à obtenir sa libération : pourparlers et accords avec Édouard III se succèdent, tandis que le dauphin Charles (futur Charles V), qui a pris le titre de régent du royaume, affronte des crises politiques. Dans ces tentatives de paix, la papauté adopte sa posture traditionnelle de médiateur : ses légats ménagent les rencontres qui aboutissent aux préliminaires de paix de Brétigny (8 mai), confirmés par les deux rois à Calais (24 octobre). Le traité de Brétigny-Calais reprend des points déjà discutés, même si la position d’Édouard III est en retrait par rapport à ses revendications antérieures, à cause, principalement, des difficultés de son expédition militaire en France lancée à l’automne 1359. Depuis les débuts de la guerre de Cent Ans, opérations militaires et négociations s’entremêlent ainsi. Tandis que le roi d’Angleterre renonce à la couronne de France et s’engage à évacuer les forteresses qu’il tient sur le territoire du roi de France, ce dernier lui cède, en pleine souveraineté, une grande Aquitaine (de la Loire aux Pyrénées), les comtés de Guînes et de Ponthieu, ainsi que Calais, et se soumet au paiement d’une rançon de 3 millions d’écus en versements échelonnés. À Calais, les articles relatifs aux renonciations des deux rois (à la couronne, d’une part ; à la souveraineté sur les territoires cédés, d’autre part) sont insérés dans un accord séparé qui prévoit l’échange de ces renonciations au plus tard en novembre 1361 après les transferts des terres ; des otages garantissent le paiement de la rançon. L’application des accords, complétés par un traité d’alliance, doit transformer une relation féodale en un voisinage d’alliés, mais elle reste un outil politique des deux côtés, où se mélangent « zèle et lenteurs, bonne volonté et nonchalance » (Édouard Perroy pour Charles V), selon les moments et les enjeux. Les renonciations ne sont jamais échangées, et Charles V, en usant de son droit de souveraineté, relance le conflit en 1368-1369. Le traité reste pour autant une référence discursive, de part et d’autre. Il ne clôt pas « les malheurs de la guerre », déversant sur le pays des bandes de soldats sans emploi. Breuil (Henri, abbé), ecclésiastique et préhistorien (Mortain, Manche, 1877 - L’IsleAdam, Val-d’Oise, 1961).
Fils d’un magistrat, Henri Breuil, ordonné prêtre en 1900, a mené des travaux importants dans le domaine de la préhistoire et, plus particulièrement, de l’art préhistorique. Après avoir enseigné à Fribourg, en Suisse (19051910), puis à l’Institut de paléontologie humaine, à Paris (à partir de 1910), il est élu à la chaire de préhistoire du Collège de France en 1929, puis à l’Académie des inscriptions et belles-lettres en 1938. Il a consacré ses recherches aux plus anciennes industries humaines du nord de la France et de Belgique (clactonien, acheuléen, tayacien) et au paléolithique supérieur du Périgord. Mais ses travaux les plus connus portent sur le relevé, le classement et la datation de l’art rupestre du paléolithique supérieur, par l’étude de nombreuses grottes peintes (il a découvert celles des Combarelles). Il s’est intéressé également à l’art des monuments mégalithiques et à l’art rupestre d’Éthiopie et d’Afrique du Sud. Briand (Aristide), homme politique (Nantes 1862 - Paris 1932). Onze fois président du Conseil, poste qu’il cumule le plus souvent avec celui de ministre des Affaires étrangères (dont il est chargé également dans plusieurs cabinets), Aristide Briand est une figure centrale de la IIIe République, de 1906 à 1932. Ses idées ont marqué ses contemporains qui, à l’image de Jean Jaurès, ont apprécié ou critiqué le « briandisme ». • Un socialiste fervent. Issu d’un milieu provincial modeste, Aristide Briand monte à Paris en 1883. Jeune avocat, socialiste de tendance anarchiste, il échoue une première fois aux élections législatives de 1889, sous l’étiquette radical révisionniste. Proche de Fernand Pelloutier en 1890-1892, il anime le journal la Démocratie de l’Ouest et milite en faveur de la grève générale. Il en fait adopter le principe par la Fédération nationale des syndicats en 1894, à Nantes. Opposant au Parti socialiste de France dominé par Jules Guesde, il contribue à fonder, sous l’impulsion de Jaurès, le Parti socialiste français en 1902. Député de Saint-Étienne de 1902 à 1919, il s’éloigne de la SFIO, créée en 1905, et devient, dès 1910, une figure de proue du groupe des socialistes indépendants, véritable « pépinière de ministres ». Rapporteur de la loi de séparation des Églises et de l’État, votée en juillet 1905, il est bientôt chargé de son application. Ministre de l’Instruction publique, des BeauxArts et des Cultes de 1906 à 1909, il préconise vis-à-vis des catholiques une « politique
d’apaisement », comme il le déclare à Périgueux en 1909. Remarquable orateur, habile à se constituer des clientèles parlementaires, Briand anime, en 1909-1910, un « courant réformiste laïque » de centre gauche, qui vise à restaurer la paix sociale. De juillet 1909 à la guerre, onze gouvernements se succcèdent, dont les quatre predownloadModeText.vue.download 116 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 105 miers cabinets Briand. Adversaire déclaré de la SFIO depuis qu’il a réprimé durement une grève de cheminots en octobre 1910, Briand dépose un projet de loi qui porte le service militaire à trois ans, en janvier 1913. Fondateur du groupe de la Fédération des gauches, ministre de la Justice en 1914, il redevient président du Conseil d’octobre 1915 à mars 1917, avec, pour la première fois, le portefeuille des Affaires étrangères. Le retour aux affaires de Clemenceau le tient écarté du pouvoir jusqu’en 1921. Élu député de la LoireInférieure en 1919, il le reste jusqu’en 1932. Le 16 janvier 1921, il forme un nouveau gouvernement, de centre gauche, et reprend les Affaires étrangères. • L’apôtre de la paix. C’est en septembre 1921 que Briand, confronté à la question des réparations dues par l’Allemagne au titre du traité de Versailles, abandonne la politique de fermeté et opte pour la négociation. Lors de la conférence de Cannes de janvier 1922, cette attitude, approuvée par les gauches radicale et socialiste, suscite une levée de boucliers à droite, qui contraint Briand à la démission. Son retour aux Affaires étrangères dans le cabinet Painlevé en avril 1925 s’avère décisif. Briand se maintient au Quai d’Orsay jusqu’en janvier 1932 (à l’exception de brèves interruptions), en tant que président du Conseil ou dans différents ministères, dont ceux de Raymond Poincaré (juillet 1926-juillet 1929). Il mène une politique extérieure fondée sur trois principes : détente internationale, sécurité collective et rapprochement franco-allemand. Après les accords de Locarno de 1925, des négociations entre Briand et Gustav Stresemann aboutissent à l’entrée de l’Allemagne à la Société des nations (SDN), le 4 septembre 1926. En 1928, ayant lancé un appel à l’opinion publique américaine en faveur de la paix, Briand est l’initiateur d’un pacte qui met la guerre « hors la loi ». Le pacte Briand-Kellogg
marque le triomphe de celui qui, après avoir reçu le prix Nobel en 1926, est surnommé « l’apôtre de la paix ». En septembre 1929, à la tribune de la SDN à Genève, Briand propose de créer « une sorte de lien fédéral » entre pays d’Europe. Ce projet est vite abandonné. Après son échec à l’élection présidentielle en mai 1931, Aristide Briand se retire de la vie politique en janvier 1932 et meurt quelques mois plus tard (7 mars). Briçonnet (Guillaume), évêque de Meaux (Paris, vers 1470 - Château d’Esmans, Seineet-Marne, 1534). Fils de Guillaume Briçonnet, homme de confiance de Louis XI, et de Raoulette de Beaune, soeur du financier Jacques de Beaune de Semblançay, Guillaume Briçonnet naît dans le milieu des financiers au service du roi de France. Après des études au collège de Navarre, où il a pour professeur Jacques Lefèvre d’Étaples, maître de la Renaissance humaniste, il devient président de la Chambre des comptes en 1495, puis abbé de Saint-Germain-des-Prés en 1507. C’est là qu’il accueille Lefèvre d’Étaples et ses disciples, qui prônent la réforme de l’Église romaine. Lorsqu’il est nommé évêque de Meaux en 1516, ce petit groupe le suit et forme le « cénacle de Meaux ». Sous l’inspiration de ses compagnons, Guillaume Briçonnet diffuse dans son diocèse des traductions de la Bible en français, permet aux laïcs de prêcher et se montre partisan d’une pratique spirituelle plus libre, proche d’un mysticisme personnel. C’est en tout cas ce qui transparaît de sa correspondance avec la soeur du roi François Ier, Marguerite de Navarre, dont il est le directeur de conscience. Mais, à partir de 1525, le cénacle de Meaux se désagrège. Dépassé par l’ampleur d’un mouvement dont il a permis le développement, Guillaume Briçonnet se rallie en 1528 aux thèses de l’Église établie, mettant fin à tout espoir de réforme interne à l’Église catholique, ses protégés trouvant refuge auprès de la cour de Marguerite de Navarre. Brigades internationales, unités de volontaires organisées par l’Internationale communiste pour aider la République espagnole contre l’insurrection franquiste, de 1936 à 1938. En règle générale, les combattants rejoignent l’Espagne par le Roussillon, seule frontière libre. Leur nombre est évalué entre 30 000 et 40 000 hommes, sans compter les étrangers déjà présents en Espagne, ceux qui sont
arrivés alors que les partis communistes affirmaient encore que l’Espagne n’avait besoin que de matériel et de spécialistes, ou ceux qui, après la création des brigades en octobre, choisissent des unités proches des anarchistes ou de l’extrême gauche : le total peut s’élever à 75 000 hommes, dont 8 500 à 15 400 Français. En 1936, ceux-ci représentent entre le tiers et la moitié des brigades elles-mêmes, puis baissent jusqu’à 15 % après l’arrivée d’autres volontaires. Une brigade reçoit le nom de « La Marseillaise », et l’on trouve des bataillons appelés « Commune de Paris », « 6 Février » ou « Henri Barbusse ». S’y ajoutent, venus de France, des réfugiés allemands, des émigrés d’Europe centrale et plus de la moitié des 5 000 Italiens recensés. Les délégués de l’Internationale, tel Josip Broz (Tito), centralisent les volontaires à Paris, malgré les protestations de la droite et l’embarras du gouvernement. Enfin, la ligne politique est supervisée par des Français, François Billoux, Lucien Geumann et André Marty, lequel dirige la formation et l’entraînement avec une dureté qui lui vaut le surnom de « boucher d’Albacete » ; les brigadistes sont soumis à une discipline très dure par leur commandement, dominé par les communistes (il y a d’assez nombreux cas d’exécution). Même si l’on ne compte jamais plus de 15 000 « Internationaux » au combat simultanément, leur rôle est capital : soutien moral, apport de troupes de choc dès 1936 pour défendre Madrid, et modèle pour l’armée espagnole, d’autant que les cinq brigades comportent une moitié d’autochtones. Leur épopée est célébrée en particulier par André Malraux, organisateur de l’escadrille España, dans l’Espoir, roman (1937) et film (1938). Après la dissolution des Brigades internationales en octobre 1938, censée inciter au retrait des Italiens et des Allemands combattant pour Franco, nombre d’étrangers ne peuvent quitter l’Espagne, faute de papiers. Repliés en France en 1939, lors de la victoire franquiste, ils y sont internés avec les républicains espagnols réfugiés dans des camps de concentration (Gurs ou Argelès-sur-Mer). Français ou étrangers, maints volontaires se retrouvent dans la Résistance, tels Pierre Georges (le futur colonel Fabien) ou Rol-Tanguy, les deux engagements marquant la même volonté de lutte, même si l’expérience espagnole, relevant de la guerre conventionnelle, n’a pas directement préparé à la guérilla et à la clandestinité. Brisson (Henri), homme politique (Bourges, Cher, 1835 - Paris 1912).
Candidat malheureux à l’élection présidentielle, battu par Jean Casimir-Perier en 1894, puis par Félix Faure en 1895, brièvement président du Conseil en 1885 et en 1898 où il se montre conciliant envers les antidreyfusards, Brisson n’a guère impulsé de réformes, sinon le passage de l’indemnité parlementaire à 15 000 francs, mesure qui eut pour effet non recherché d’alimenter l’antiparlementarisme. Pourtant, il ne mérite pas le mot de Clemenceau, qui voit en lui un « faux col et rien dedans ». Radical, il prône la prudence dans l’application du programme républicain et se rapproche des « opportunistes », mais lance le slogan « Pas d’ennemi à gauche » et demande, dès 1871, l’amnistie des communards. Député de la Seine, du Cher, puis des Bouches-du-Rhône, de 1871 à sa mort, il préside la Chambre à quatre reprises - treize ans et neuf mois en tout - à partir de 1881. Antiboulangiste résolu, très impartial et très intègre président de la commission d’enquête sur le scandale de Panamá, il se rallie au dreyfusisme ; il sauve, en 1899, le cabinet Waldeck-Rousseau lors de sa formation en faisant à la tribune, dit-on, le signe maçonnique de détresse, ralliant ainsi maints députés issus des loges dont il est un haut dignitaire. Anticlérical, ennemi des congrégations, précurseur du combisme, il préside avec Léon Bourgeois et René Goblet le congrès de fondation du Parti radical en 1901. C’est dire que, s’il ne marque pas vraiment la IIIe République d’avant 1914, il en est une incarnation et un symbole. Brissot de Warville (Jacques Pierre Brissot, dit), journaliste et homme politique (Chartres, Eure-et-Loir, 1754 - Paris 1793). Chef le plus en vue des girondins pendant la Révolution et principal rival de Robespierre dans les premiers mois de la Convention. Brissot est en 1789 un homme de lettres raté doté d’une mauvaise réputation. Personnage double, à la fois vertueux et intrigant, d’un caractère léger et confus donnant prise à ses adversaires politiques, ce fils d’un traiteur de Chartres connaît en effet des débuts peu brillants. En 1774, il abandonne le droit pour s’installer à Paris et satisfaire ses ambitions littéraires, ajoutant à son nom celui « de Warville » par anglomanie ; mais il ne parvient qu’à se compromettre dans la « Librairie clandestine ». Il fait cependant deux expériences journalistiques : il collabore de 1778 à 1783 au Courrier de l’Europe, journal franco-anglais, et fonde à Londres le Journal du lycée de
Londres (1784-1785), qui est un échec. Défenseur de la liberté, il prend parti pour l’indownloadModeText.vue.download 117 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 106 dépendance américaine, puis, en 1782, pour la révolution genevoise, rencontre en Suisse Mirabeau et, surtout, le banquier genevois Clavière, dont il devient l’ami. Si, en 1784, il est emprisonné pour dettes à Londres, puis embastillé à Paris pour des pamphlets contre la reine, et rapidement libéré en échange de renseignements sur les bas-fonds littéraires, son sort s’améliore dès sa sortie de prison : il participe alors aux affaires financières de Clavière, avec lequel il rédige un ouvrage sur les États-Unis, fonde une éphémère société gallo-américaine, puis, en 1788, la Société des amis des Noirs, qui combat l’esclavage dans les colonies, et se lie avec Sieyès, Condorcet ou encore La Fayette. • L’engagement révolutionnaire. Au cours d’un voyage aux États-Unis, il apprend la convocation des États généraux et rentre en France, mais ne peut se faire élire député. Cependant, le 6 mai 1789, il lance le Patriote français, journal bravant la censure, aussitôt interdit, puis relancé le 28 juillet, qui fait de lui un précurseur de la presse libre. Sa feuille, qui connaît un grand succès jusqu’au 2 juin 1793, défend l’égalité civique et la prépondérance du pouvoir législatif tout en s’opposant aux excès populaires. Membre de la Commune de Paris en juillet 1789 et du Comité de législation, il ne s’impose sur la scène politique qu’à l’été 1791, jouant après Varennes un rôle de premier plan dans le mouvement républicain ainsi qu’au Club des jacobins. Élu député, membre du Comité diplomatique, il dirige la politique étrangère de la Législative, dont il devient le leader de l’automne 1791 au printemps 1792, ses partisans étant alors dénommés « brissotins ». Sa politique belliciste fait l’unanimité, à l’exception de Robespierre. La guerre, qui doit selon Brissot affermir la Révolution en opposant le principe de la liberté universelle à celui du despotisme, est aussi une arme politique censée lui permettre de l’emporter sur ses adversaires royalistes et feuillants, et forcer le roi à prendre parti. Cette période, durant laquelle il apparaît comme le chef du parti girondin, marque son apogée, mais son étoile décline avec les premières défaites militaires, tandis que, soucieux de maintenir le ministère girondin, il se met en
retrait du mouvement républicain et ne joue aucun rôle dans la chute de la monarchie le 10 août 1792. Réélu à la Convention, il s’y montre farouchement hostile à la démocratie directe et au mouvement populaire, dénonce avec virulence le pouvoir de la Commune et des sections de Paris. Il est exclu du Club des jacobins le 12 octobre 1792. Lors du procès du roi, il vote pour le sursis. Discrédité aux yeux d’une partie de l’opinion et compromis par la retentissante trahison de Dumouriez, avec lequel il est lié, il perd le long duel qui l’oppose à Robespierre, de l’automne 1792 au printemps 1793, pour le contrôle de la Convention. Décrété d’arrestation avec les principaux chefs girondins à la suite des journées des 31 mai et 2 juin 1793, il attire sur lui la vindicte du Tribunal révolutionnaire, qui l’accuse d’avoir voulu rétablir la monarchie, et meurt guillotiné le 31 octobre. Broglie (Albert, duc de), homme politique (Paris 1821 - id. 1901). Descendant de Necker par Mme de Staël, fils d’un ministre de Louis-Philippe, incarnant un libéralisme aristocratique et catholique moins attaché aux Orléans qu’à la prépondérance des notables, il quitte la diplomatie pour ne pas servir Napoléon III, anime l’Union libérale avec Thiers, est député de l’Eure en 1871. Chef de la coalition conservatrice qui écarte Thiers en 1873, vice-président du Conseil de Mac-Mahon, il mène la politique de l’Ordre moral, pourchassant presse républicaine et enterrements civils, nommant tous les maires... Sachant une restauration légimitiste impossible, il veut proroger les pouvoirs de Mac-Mahon dans l’espoir de permettre le retour des Orléans après la mort du comte de Chambord, prétendant au trône. Pour y parvenir, il négocie avec les républicains et obtient une prolongation du mandat présidentiel pour sept ans (au lieu de dix, comme il espérait). Les légitimistes, trahis, se joignent aux républicains et aux bonapartistes pour le renverser en 1874. En 1875, il se prononce en faveur d’un Sénat représentant les notables mais doit encore négocier avec les républicains, qui s’allient ensuite aux légitimistes, et l’empêchent d’être sénateur inamovible. Élu sénateur de l’Eure, rappelé à la tête du gouvernement par Mac-Mahon après le 16 mai 1877, il ne peut empêcher les républicains de rester majoritaires malgré les mesures de répression. Cet échec met fin à sa carrière politique. Son orléanisme, qui ne bénéficiait pas de vraies racines dans le pays, trop libéral pour
les légitimistes, était trop violemment conservateur pour les républicains. Broglie (Louis, prince, puis duc de), physicien (Dieppe 1892 - Paris 1987). Il est issu d’une illustre famille du Piémont établie en France depuis le XVIIe siècle. Après des études d’histoire, Louis de Broglie se tourne vers la physique, suivant l’exemple de son frère aîné, Maurice, secrétaire de la première conférence internationale de physique (Bruxelles, 1911). Le physicien Anatole Abragam a résumé, non sans humour, la découverte de Louis de Broglie : « On sait que le photon, qui est une onde, est aussi une particule ; pourquoi l’électron, qui est une particule, ne serait-il pas aussi une onde ? » La question de la nature corpusculaire - selon Newton - ou ondulatoire - selon Huygens et Maxwell - de la lumière constitue, en effet, l’un des problèmes essentiels de la physique à l’aube du XXe siècle. Einstein vient de démontrer la double nature - matière et rayonnement - de la lumière. En 1924, Louis de Broglie étend ce principe au domaine des particules matérielles. Son raisonnement est validé expérimentalement en 1927. Pour ces travaux, Louis de Broglie reçoit, en 1929, le prix Nobel de physique. Titulaire de la chaire de physique théorique de l’Institut Henri-Poincaré, membre de l’Académie des sciences en 1933, puis de l’Académie française en 1944, il poursuit ses études sur la mécanique ondulatoire, cherchant à concilier les implications probabilistes de ses découvertes et une théorie causale du comportement des particules. Avec Heisenberg, Pauli, Dirac, Schrödinger, etc., Louis de Broglie a permis grâce à une série d’observations et d’intuitions, l’élaboration d’une théorie solide et vérifiée : la mécanique quantique. bronze (âge du) ! âge du bronze Brossolette (Pierre), résistant (Paris 1903 - id. 1944). Issu d’une famille qui doit son ascension sociale au mérite scolaire, Pierre Brossolette est reçu premier à l’École normale supérieure en 1922 et n’est devancé à l’agrégation d’histoire que par Georges Bidault. Mais l’enseignement l’intéresse moins que le journalisme et l’action politique. Militant de la fédération socialiste de l’Aube, dont il devient le secrétaire général en 1935, il collabore à plusieurs revues et journaux de gauche, dont Marianne, de 1932 à 1936. Pendant le Front populaire, Léon
Blum lui confie une rubrique quotidienne de politique étrangère à la Radio nationale. Conscient de la montée des périls, il abandonne le pacifisme dès 1933, et s’oppose aux accords de Munich en 1938. Son engagement dans la Résistance intervient au lendemain même de la défaite, en liaison avec le réseau du Musée de l’homme. En novembre 1941, il entre au service du colonel Passy à Londres et se consacre alors à l’unification de la Résistance, sous la direction du général de Gaulle, avec l’espoir de contribuer au renouvellement de la vie politique française après la guerre. Il est ainsi à l’origine de la création du Conseil national de la Résistance. Arrêté par la Gestapo le 3 février 1944, Pierre Brossolette meurt le 22 mars, après s’être défenestré pour éviter de parler sous la torture. Broussais (François Joseph), médecin et physiologiste (Saint-Malo 1772 - Paris 1838). Chantre de la « médecine physiologique », Broussais a davantage marqué son temps par ses positions politiques que par son apport scientifique. Fils d’un officier de santé, il commence ses études à Dinan avant d’être réquisitionné dans l’armée en 1793. Sa carrière de médecin militaire l’occupe pendant plus de vingt années, au cours desquelles il poursuit sa formation, sert comme chirurgien et suit la Grande Armée en Europe centrale et en Espagne. En 1814, il est nommé au Valde-Grâce, puis, malgré son attachement à l’héritage de 1789, il occupe à partir de 1820 la chaire de pathologie à la faculté de médecine de Paris et entre à l’Académie de médecine en 1823. Fidèle à la leçon de Bichat, il développe une théorie médicale fondée sur l’irritabilité des tissus. Sa pensée n’est alors ni originale ni marginale. Mais son influence s’exerce ailleurs : il incarne, dans le milieu médical, l’opposition libérale à la monarchie restaurée. Ancré dans la tradition matérialiste, son enseignement est perçu comme une résistance au spiritualisme clérical. Coqueluche des carabins, médecin des chefs libéraux (Benjamin Constant ou Casimir Perier), il s’impose comme une figure emblématique. La monarchie de Juillet ne s’y trompe pas, qui le fait élire à l’Académie des sciences morales downloadModeText.vue.download 118 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 107 et politiques. Son enterrement donne lieu à un immense défilé public du Val-de-Grâce au Père-Lachaise. En 1883, la IIIe République
triomphante donne son nom à un hôpital parisien. Brousse (Paul), militant anarchiste puis socialiste, et théoricien du réformisme (Montpellier 1844 - Paris 1912). Fils d’un médecin de Montpellier, il se destine d’abord à la carrière médicale. Membre de l’Association internationale des travailleurs (AIT), il doit se réfugier à Barcelone, où il dirige une feuille d’agitation, la Solidarité révolutionnaire. En 1873, au congrès de Genève de l’AIT, il prend parti pour Bakounine contre Marx. Resté en Suisse, il entre à la Fédération jurassienne (de tendance anarchiste). La diffusion de son journal l’Avant-garde et l’organisation d’une manifestation de l’AIT le 18 mars 1877 à Berne (pour laquelle il écrit son célèbre chant le Drapeau rouge) lui valent d’être expulsé. Il gagne Londres en 1879. Amnistié avec les communards, il revient à Paris l’année suivante, représentant désormais l’aile modérée du mouvement ouvrier. Il rompt en 1882 avec les guesdistes, puis en 1890 avec les allemanistes (anti-électoralistes). Sa Fédération des travailleurs socialistes de France s’affirme « possibiliste », c’est-à-dire partisane d’une ligne gradualiste, justifiée dans la Propriété collective et les services publics (1883). Élu en 1887 au conseil municipal de Paris, il collabore avec les radicaux et soutient Alexandre Millerand lorsqu’il devient ministre. Il adhère néanmoins en 1902 au Parti socialiste français de Jean Jaurès, puis, en 1905, à la SFIO, dont il devient député en 1906. brumaire an VIII (coup d’État des 18 et 19), coup de force des 9 et 10 novembre 1799 renversant le Directoire et inaugurant le Consulat. Devant l’instabilité politique du Directoire et l’impossibilité de modifier légalement la Constitution, les « révisionnistes », républicains conservateurs hostiles aux jacobins et partisans d’un pouvoir exécutif renforcé, organisent un coup d’État. Exploitant les menaces d’invasion et entretenant la peur auprès des nantis, leur propagande n’a aucune peine à dresser contre le Directoire une opinion publique lasse du régime et de la guerre. Pour les conjurés, soucieux de préserver une apparence de légalité, il s’agit, en inventant un « complot anarchiste » contre le Conseil des Anciens et le Conseil des Cinq-Cents, de réunir ceux-ci hors de Paris, faire démissionner les directeurs, puis, devant le vide, d’amener les députés à accepter une nouvelle Constitution. Ils bénéficient du soutien des milieux
d’affaires, et s’assurent, avec le général Joubert, de celui de l’armée. À leur tête, chacun espérant manipuler l’autre, il y a Sieyès, l’un des cinq directeurs et l’âme de la conjuration, et Napoléon Bonaparte, rentré d’Égypte auréolé de gloire le 9 octobre, auquel est confié le rôle de Joubert, mort le 15 août. Le 18 brumaire, les Anciens, puis les CinqCents - présidés par Lucien Bonaparte depuis le 1er brumaire (23 octobre) -, acceptent leur transfert à Saint-Cloud ; les directeurs démissionnent ou sont neutralisés, tandis que Bonaparte est nommé commandant des forces militaires de Paris. Mais, le 19 brumaire, la manoeuvre parlementaire tourne mal et s’achève sur une action militaire. Demeurant attachés à la Constitution de l’an III, les Cinq-Cents accueillent Bonaparte au cri de « À bas la dictature ! » et menacent de le mettre hors la loi. Bousculé, déconcerté, le général doit quitter la salle. Puis, haranguées par Lucien, qui accuse les députés d’avoir voulu tuer son frère, les troupes, conduites par Murat, dispersent les Cinq-Cents. En fin de journée, une cinquantaine de députés des Anciens et des Cinq-Cents réunis par les conjurés nomment une commission exécutive provisoire de trois consuls (Bonaparte, Sieyès et Ducos), ainsi que deux commissions parlementaires chargées d’établir une nouvelle Constitution. La population ne réagit pas, le coup d’État étant approuvé d’avance. Dès le 20 brumaire, Bonaparte se pose en sauveur, soldat de la liberté et citoyen républicain au-dessus des partis, promettant la paix et la fin de la Révolution. Évinçant Sieyès, il est le grand bénéficiaire de l’opération. Un mois plus tard, la Constitution de l’an VIII, rédigée sous ses ordres, représente à la fois la conclusion de la Révolution et le préambule de la dictature napoléonienne. Brune (Guillaume Marie Anne), maréchal d’Empire (Brive-la-Gaillarde, Corrèze, 1763 - Avignon, Vaucluse, 1815). C’est la Révolution qui transforme en soldat ce fils d’avocat monté à Paris par ambition artistique. Militant cordelier, volontaire national en 1791, il devient général en 1793. Sous les ordres de Bonaparte, il participe en 1795 à la répression de la journée du 13 vendémiaire, puis rejoint l’armée d’Italie en 1797. Dès lors, ses qualités militaires et diplomatiques lui valent de nombreuses missions, qu’il remplit brillamment. Mais ses convictions républicaines et jacobines dérangent le pouvoir politique. Commandant l’armée d’Italie en 1798,
il est rappelé par le Directoire pour avoir soutenu les jacobins italiens. Cependant, à la tête de l’armée de Hollande l’année suivante, il met à mal la seconde coalition en remportant la victoire de Bergen. Hostile au coup d’État du 18 brumaire, il est envoyé en Vendée, où il parvient à convaincre les chouans de déposer les armes, puis en Italie, où il est à nouveau victorieux à Vérone (3 janvier 1801). Nommé au Conseil d’État en 1801, il doit quitter Paris pour prendre un poste d’ambassadeur en Turquie (1802-1804). Même s’il est fait maréchal d’Empire en 1804, il demeure le seul, avec Jourdan, à ne recevoir aucun titre de noblesse. En 1807, il s’empare de Stralsund, sur la Baltique, mais Napoléon use du prétexte de la signature d’une convention dont les termes lui déplaisent pour le relever de ses fonctions et le mettre en disponibilité jusqu’en 1814. Pendant les Cent-Jours, il est rappelé par l’Empereur, et tient Toulon jusqu’au 31 juillet 1815. Cherchant à rejoindre Paris, il est assassiné le 2 août par une bande royaliste. Brunehaut, reine mérovingienne d’Austrasie (Espagne 543 - Renève, près de Dijon, 612). Fille du roi des Wisigoths d’Espagne Athanagilde, Brunehaut épouse, vers 566, Sigebert, roi d’Austrasie, petit-fils de Clovis et frère du roi de Neustrie, Chilpéric. Sa beauté et son origine wisigothique lui confèrent un prestige dont elle sait user. Lorsque sa soeur Galeswinthe, épouse de Chilpéric, est assassinée par Frédégonde, maîtresse de ce dernier, Brunehaut incite son époux à la venger. L’opposition entre la Neustrie et l’Austrasie devient alors une guerre ouverte, tandis que les grands des deux royaumes cherchent à s’émanciper en soutenant le roi adverse. Brunehaut, veuve de Sigebert (assassiné par Frédégonde en 575), se heurte ainsi à un parti de grands austrasiens. Elle parvient à faire reconnaître son fils Childebert II comme roi d’Austrasie, puis conforte sa position en s’alliant avec le roi de Bourgogne, Gontran. Confrontée au parti des grands propriétaires fonciers, Brunehaut peut s’assurer de la loyauté d’un parti royaliste soucieux de développer une autorité monarchique solide, groupé autour de Gogon, gouverneur de Childebert II. Ce parti se montre favorable à l’alliance avec la Bourgogne, dont le roi Gontran choisit Childebert II pour héritier. En 592, à la mort de Gontran, Childebert II devient donc roi de Bourgogne. Mais il meurt peu de temps après, en 595, laissant pour héritiers deux fils : Thierry II, à qui échoit la Bourgogne, et Théodebert II, qui re-
çoit l’Austrasie. Brunehaut administre les deux royaumes, tout en luttant contre Frédégonde et son fils Clotaire II, d’une part, les aristocraties austrasienne et bourguignonne, d’autre part. En 597, Clotaire II, seul maître de la Neustrie, suscite la guerre entre Thierry II et Théodebert II, qui expulse sa grand-mère d’Austrasie. Cette dernière se réfugie en Bourgogne, où elle s’appuie sur le maire du palais, Protadius ; mais, quand celui-ci meurt en 605, elle perd son dernier soutien. En 613, Clotaire II fait capturer Brunehaut, qu’il met à mort, la faisant tirer (selon le récit de Grégoire de Tours) par un cheval dont on a tressé la crinière à ses cheveux. Au prix du massacre du reste de la famille austrasienne, Clotaire II parvient à refaire momentanément l’unité du royaume franc. Longtemps maudite par les chroniqueurs, Brunehaut a été réhabilitée par l’historiographie allemande, pour laquelle elle incarne le sens de l’État. Brunswick (manifeste de), « déclaration » du 25 juillet 1792 adressée aux Français et signée par le duc de Brunswick, commandant en chef des armées autrichiennes et prussiennes. Depuis la déclaration de guerre du 20 avril 1792, Louis XVI, qui espère recouvrer son ancien pouvoir, veut obtenir des puissances coalisées la publication d’un manifeste menaçant les jacobins et les autorités révolutionnaires, et privilégiant sa personne dans les traités à venir. Tel est le sens d’un premier texte modéré proposé en juin aux souverains autrichien et prussien. Mais, à la suite de la journée révolutionnaire du 20 juin, la reine désire en imposer par une déclaration plus vigoureuse. Aussi, Brunswick signe-t-il un texte rédigé par le marquis de Limon, l’un des émigrés royalistes hostiles à tout compromis. Publié au début du mois d’août, alors que downloadModeText.vue.download 119 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 108 Brunswick vient de pénétrer en Lorraine, le manifeste est une grave faute psychologique : il exige la liberté du roi et la soumission de tous les Français, sommés de ne pas résister aux armées coalisées, et menace, assurant que, en cas d’atteinte à la sûreté de Louis XVI, l’empereur germanique et le roi de Prusse « en tireront une vengeance exemplaire et à jamais mémorable, en livrant la ville de Paris
à une exécution militaire et à une subversion totale ». Alors que le sentiment national est déjà très exalté et que l’agitation républicaine est à son comble, le manifeste compromet gravement Louis XVI en prouvant sa collusion avec l’étranger, ainsi que l’existence d’un complot aristocratique. Loin de terroriser, il indigne, rallie les hésitants à la cause républicaine, et donne l’impulsion finale à la journée du 10 août, qui voit la chute de la monarchie. Buchez (Philippe), philosophe et homme politique (Matagne-la-Petite, Ardennes belges, 1796 - Rodez 1865). Après des études de médecine, Buchez adhère aux théories de Saint-Simon en 1825, collabore au Producteur, revue du saint-simonisme, avant de rompre avec le mouvement en 1829. Dès lors, il consacre tous ses efforts à la recherche d’une synthèse entre les idéaux de la Révolution française, les préceptes de l’Évangile et le socialisme. Sa grandiose Histoire parlementaire de la Révolution française (1834-1838), écrite en collaboration, est suivie quelques années plus tard de l’Essai d’un traité complet de philosophie au point de vue du catholicisme et du progrès (1839-1840). Buchez propage ses idées, à partir de 1840, dans le journal l’Atelier : il y prône le système de l’« association ouvrière », coopérative de production possédant un capital inaliénable augmenté par les bénéfices des participants. Adjoint au maire de Paris en février 1848, il est élu à la Constituante, dont il devient le premier président (5 mai-6 juin). Au mois de décembre, il soutient la candidature du général Cavaignac contre Louis Napoléon Bonaparte. Son échec à l’élection législative de mai 1849 met un terme à sa brève carrière politique. Il se consacre alors à la rédaction d’un Traité de politique et science sociale. De son vivant, ses idées n’auront guère connu que des applications très restreintes. Buchez appartient à cette mouvance du socialisme que Marx qualifiera d’« utopique ». Budé (Guillaume), humaniste et helléniste (Paris 1467 - id. 1540). Figure emblématique de la première Renaissance, Guillaume Budé joue un rôle éminent dans le développement de l’humanisme français. Après une formation juridique négligée - l’Université parisienne de la fin du XVe siècle manque de maîtres qualifiés - , Budé se remet à étudier à l’âge de 24 ans. Faute d’avoir trouvé un pédagogue capable de lui enseigner le grec,
il se lance seul dans l’étude de cette langue, et devient rapidement le plus remarquable helléniste de sa génération. Son extraordinaire appétit de savoir embrasse, dès lors, les disciplines les plus diverses : philologie, histoire, droit, mathématiques, sciences naturelles, médecine. En 1508, il publie ses annotations latines aux pandectes (compilations des jurisconsultes romains) ; débarrassant le texte original de ses innombrables gloses médiévales, et cherchant à restituer l’esprit des institutions antiques, il ouvre la voie aux nouvelles méthodes juridiques. Six ans plus tard, le traité De asse (De la monnaie) confirme cette orientation : déchiffrant les monnaies antiques avec autant de zèle philologique que de passion archéologique, Budé a l’opportunité de dresser un tableau singulièrement riche et vivant du monde romain. Salué comme le « prince des hellénistes » par les érudits de son temps, l’auteur des Commentaires sur la langue grecque (1529) n’est pas seulement un savant de cabinet. Chargé de plusieurs missions diplomatiques, il accompagne François Ier au camp du Drap d’or. Maître de la Librairie royale de Fontainebleau, il obtient du souverain la nomination des lecteurs royaux (1530), dont le groupe prend le nom de Collège des Trois-Langues en 1534 (futur Collège de France). Par les relations épistolaires qu’il entretient avec les plus grands esprits de son temps - Rabelais, Érasme, More -, il participe à l’édification d’une Europe du savoir qui transcende les clivages nationaux. Si la génération de Rabelais s’est senti une telle dette envers lui, c’est parce qu’il a libéré l’étude des textes anciens du carcan scolastique et ouvert la voie à une compréhension féconde de l’Antiquité. Mais la vénération de ses pairs et héritiers tint également, en ces temps d’aggravation des troubles, à la capacité profondément conciliatrice de Budé : jamais le philologue, attaché à la foi catholique, ne douta de la possibilité d’harmoniser hellénisme et christianisme, sagesse païenne et Révélation. Buffon (Georges Louis Leclerc, comte de), naturaliste (Montbard, Côte-d’Or, 1707 - Paris 1788). Auteur prolifique, admiré de ses contemporains, Buffon offre l’image d’un savant original dont les travaux ont modifié les perspectives traditionnelles de l’histoire naturelle. Fils aîné d’un conseiller au parlement de Bourgogne anobli en 1717, il mène des études de droit à Dijon, puis s’initie aux mathéma-
tiques, à la médecine et à la botanique. À la suite d’un duel, il effectue un long voyage en Provence et en Italie. Rentré en France en 1732, il se fait remarquer par une étude sur les probabilités et devient, en 1734, adjointmécanicien à l’Académie des sciences. Au cours des années suivantes, il rédige plusieurs mémoires de botanique et de mathématiques, et traduit la Méthode des fluxions de Newton, dont il est l’un des premiers disciples français. Sa carrière prend un tour nouveau en 1739 lorsqu’il est nommé intendant du Jardin du roi. Il concentre alors son travail sur l’étude de la vie et entreprend la rédaction de son Histoire naturelle (trente-six volumes,1749-1788), dont l’écriture élégante lui ouvre, en 1753, les portes de l’Académie française, devant laquelle il prononce son célèbre Discours sur le style. Admirateur de Locke, esprit éclairé, Buffon construit une oeuvre scientifique fondée sur l’observation, l’expérience et une critique rationnelle débarrassée de toute considération religieuse. Associant la minéralogie, la géologie, la paléontologie, la zoologie, la physiologie, il compose un tableau du développement de la vie depuis l’origine de la Terre et affirme la prédominance de l’homme, doué de raison, sur l’ordre naturel. Si la qualité de ses travaux réside essentiellement dans sa description minutieuse des animaux (Histoire naturelle des quadrupèdes, en douze volumes, 1753-1767 ; Histoire naturelle des oiseaux, en neuf volumes, 1770-1783), ses réflexions sur la notion d’espèce ont ouvert la voie de l’évolutionnisme. Certes, Buffon n’a jamais admis le passage d’une espèce à une autre, condition du transformisme ; mais, en rejetant l’idée de la préexistence originelle des formes vivantes, en situant leurs modifications dans la très longue durée, en insistant sur la variabilité des espèces soumises aux influences du milieu, il est à l’origine du processus intellectuel qui a conduit aux théories évolutionnistes de Lamarck et de Darwin. L’influence de Buffon a cependant souffert de son opposition à Linné, dont il jugeait la classification arbitraire et inopérante, ainsi que de la complexité d’une pensée très mobile. Bugeaud (Thomas Robert), marquis de la Piconnerie, duc d’Isly, maréchal de France (Limoges 1784 - Paris 1849). Issu d’une famille de hobereaux du Limousin, ce noble devient soldat à 20 ans en s’engageant dans les armées napoléoniennes. Mis en congé sous la Restauration, il retourne dans son domaine natal, où il expérimente de
nouvelles techniques d’exploitation agricole, et prépare son élection à la députation. Il est rappelé par Louis-Philippe, qui lui confie la garde de la duchesse de Berry en 1832, puis le charge de réprimer l’insurrection républicaine de Paris en avril 1834, ce qui lui vaut une grande impopularité. C’est en 1836 que Bugeaud est envoyé pour la première fois en Algérie. Sa mission consiste à protéger l’installation de l’armée française sur les côtes algériennes, contre les tribus insoumises menées par Abd el-Kader. Bugeaud est alors hostile à l’idée d’une colonisation de l’Algérie, qu’il estime dangereuse et chimérique. Aussi, après une première victoire à la Sikkah, négocie-t-il avec son adversaire la convention de la Tafna (mai 1837), qui fait de larges concessions à l’émir. Mais, en 1840, la trêve est rompue : Abd el-Kader lance ses troupes sur la plaine de la Mitidja et déclare la guerre sainte aux Français. Le maréchal Bugeaud est alors envoyé une seconde fois en Algérie avec le titre de gouverneur général. Rallié dès lors à une politique de conquête totale du territoire algérien, il réorganise l’armée d’Afrique : augmentation des effectifs, création de colonnes mobiles, amélioration de l’ordinaire des soldats. La « méthode Bugeaud », conduite avec opiniâtreté et une certaine cruauté, qui privilégie la guerre d’embuscade et les razzias, finit par porter ses fruits. Après la victoire d’Isly (août 1844) sur les armées marocaines alliées à Abd el-Kader, Bugeaud traque sans répit l’émir, qui se rend en décembre 1847. Dans le même temps, sa conquête se double d’un effort de colonisation agricole et d’une politique arabe originale (administration indirecte, bureaux arabes), qui oppose Bugeaud à la hiérarchie civile et downloadModeText.vue.download 120 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 109 militaire d’Algérie. Démissionnaire en 1847, il regagne la France, où il meurt du choléra après un éphémère retour à la vie politique. Ce personnage, qui fait partie intégrante de la légende de la colonisation, se distingue par son énergie et son imagination, par son autoritarisme allié à une certaine ampleur de vue. Il peut être considéré comme le précurseur des grands conquérants coloniaux tels Gallieni ou Lyautey. Buisson (Ferdinand), pédagogue et
homme politique (Paris 1841 - Thieuloy-SaintAntoine, Oise, 1932). Issu d’une famille protestante, Ferdinand Buisson, agrégé de philosophie en 1868, a refusé de prêter serment à l’Empire. Exilé volontaire à Neuchâtel, il exprime avec éclat, aux premiers Congrès de la paix - Genève (1867), Lausanne (1869) -, son souhait de voir un jour « l’abolition de la guerre par l’instruction ». Rentré en France après Sedan, il est le chargé de mission du ministère de l’Instruction publique aux Expositions universelles de Vienne (1873), de Philadelphie (1876) et de Paris (1878). Le 10 février 1879, Jules Ferry le nomme directeur de l’enseignement primaire, fonction qu’il remplira jusqu’en 1896 : sa longévité à ce poste clé justifie que Charles Péguy ait vu en lui « le principal organisateur de l’enseignement primaire en France ». Son Dictionnaire de pédagogie, publié de 1882 à 1886, puis mis à jour en 1911, reste l’un des monuments les plus représentatifs de l’oeuvre accomplie en ce domaine par la IIIe République. Titulaire de la chaire de pédagogie à la Sorbonne de 1896 à 1902, il la cède à Émile Durkheim, après avoir été élu député radical-socialiste de Paris. Dreyfusard, membre fondateur de la Ligue des droits de l’homme, il demeure après la guerre, en dépit de sa défaite électorale de 1924, l’un des inspirateurs de la politique radicale. En 1927, il partage avec l’Allemand Ludwig Quidde le prix Nobel de la paix. bureaux arabes, organismes coloniaux créés en Algérie par le général Lamoricière et officiellement mis en place par Bugeaud en 1844, dans les territoires sous autorité militaire. D’abord conçus comme une structure de renseignement et de contact avec les indigènes, ils deviennent un véritable organe administratif décentralisé. On en dénombre une cinquantaine. Chaque bureau contrôle une vaste subdivision et se compose de quelques officiers, d’un interprète, d’un médecin, de deux secrétaires (arabe et français) et de quelques troupes. Ces hommes sont tout à la fois soldats, administrateurs, informateurs, juges et conseillers d’une communauté dont ils apprennent la langue et partagent parfois le mode de vie, s’imposant comme les interlocuteurs naturels des musulmans. Si certains d’entre eux abusent de leur pouvoir, d’autres font preuve d’un réel souci d’améliorer le sort des indigènes. Affaiblissement de l’aristocratie locale, éclatement et sédentarisation des tribus, progrès agricole et sanitaire : tels sont les résultats contrastés d’une
politique souvent jugée paternaliste. Dans le même temps, les bureaux arabes s’attachent à défendre les droits des indigènes contre les spoliations territoriales des colons, ce qui leur vaut l’hostilité de l’administration civile. À la suite du rétablissement d’un régime civil en Algérie, en 1870, ils disparaissent progressivement. Les bureaux arabes ont représenté la tentative de mener une politique mixte fondée à la fois sur le protectorat et la domination, politique qui cède finalement la place à une pratique plus assimilationniste. Burgondes, peuple ostique (proche des Goths) sans doute venu de l’île danoise de Bornholm, et qui, au début du Ve siècle, s’installe dans l’ancienne province de Germanie et en Gaule du Nord, puis, en 443, obtient un statut de fédéré en Sapaudia (ouest de la Suisse, nord de la Savoie, sud du Jura). Au début du VIe siècle, le royaume burgonde s’étend de la Champagne méridionale à la Durance, et des Cévennes à la Suisse centrale. L’archéologie et la toponymie (noms en -ens) attestent une forte présence des Burgondes dans le sud de la Bourgogne (qui leur doit son nom). Le roi Gondebaud (vers 480/516) a su réaliser l’unité du royaume et créer des alliances par une habile politique matrimoniale : en 494, son fils Sigismond épouse une fille de Théodoric, roi des Wisigoths ; en 493, sa nièce Clotilde se marie avec Clovis. Son principal souci a été de trouver un débouché en Méditerranée. Les Burgondes se caractérisent par une grande fidélité à Rome, attestée par l’aide militaire qu’ils apportent aux troupes romaines contre Attila (451) ou les Suèves (456), par la rédaction en latin de la loi Gombette (502), et par l’utilisation des noms des consuls pour dater les actes officiels. S’ils sont ariens, ils se montrent cependant très tolérants vis-à-vis des catholiques : le roi Sigismond (514/523) se convertit même au catholicisme, mais son successeur, Godomer III (524/534), renoue avec l’arianisme. À partir de 522, les Burgondes subissent des incursions franques de plus en plus nombreuses, et, en 534, leur territoire est pris puis partagé par les Mérovingiens. downloadModeText.vue.download 121 sur 975 downloadModeText.vue.download 122 sur 975
C Cabanis (Pierre Jean Georges), médecin et
philosophe (Brive 1757 - Rueil 1808). Ce fils de bourgeois des Lumières qui fréquente le salon de Mme Hélvétius et du baron d’Holbach choisit de se consacrer à la médecine plutôt que de suivre un parcours littéraire. Il ne cesse cependant d’associer les préoccupations scientifiques et philosophiques en réfléchissant sur les fonctions sociales du savoir médical et sur ses fondements épistémologiques. Partisan de la Révolution, il est élu en 1795 à l’Institut mais ne s’engage dans une véritable carrière politique qu’à partir de 1798, date de son entrée au Conseil des Cinq-Cents. Il commence alors à rédiger son oeuvre majeure, les Rapports du physique et du moral de l’homme (1802), dont il présente des extraits à ses collègues idéologues à l’Institut. Cabanis milite pour la fondation d’une science de l’homme, établissant ainsi un pont entre le matérialisme du XVIIIe siècle et la quête moderne de données positives visant à la compréhension de l’existence humaine, caractéristique du XIXe siècle. Il rejette ainsi tout point de vue spiritualiste, toute modélisation a priori. Persuadé, avec ses amis du groupe des Idéologues, que Bonaparte est la meilleure garantie pour la République, il soutient le coup d’État du 18 brumaire. Il devient sénateur et membre de la Légion d’honneur tout en se désolidarisant de l’autoritarisme du nouveau régime. Cependant, son anthropologie sert de référence à l’élaboration du Code civil. Lorsqu’il meurt, en 1808, l’Empire lui fait l’honneur du Panthéon et d’un titre de comte. Cabarrus (Jeanne Marie Ignacia Thérésa), épouse en deuxièmes noces de Jean Tallien, connue sous le nom de Mme Tallien, figure thermidorienne (Carabanchel Alto, près de Madrid, 1773 - Chimay 1835). Fille du financier et ministre espagnol François de Cabarrus, elle regagne l’Espagne après avoir divorcé du marquis de Fontenay en 1793 ; elle est arrêtée à Bordeaux comme suspecte, puis libérée par Tallien, dont elle devient la maîtresse et l’épouse (décembre 1794). Idole des « incroyables » et des « merveilleuses », la Tallien incarne, sous la Convention thermidorienne et le Directoire, la rupture engagée après la chute de Robespierre. Célèbre pour ses tenues diaphanes « richement déshabillées » (Talleyrand), Mme Tallien donne le ton de la mode. Elle incarne ainsi un archétype féminin, femme corruptrice et légère, ou beauté généreuse. Dans son milieu, elle est « la Notre-Dame
de Thermidor », qui incite les politiques à adopter des mesures de clémence, l’inverse des « tricoteuses », censées se délecter du spectacle de la guillotine, mais, pour les sans-culottes, elle est, selon un pamphlet anonyme de 1802, « la plus grande putain de Paris ». C’est en effet une époque où, écrit Babeuf, par « une rétrogradation déplorable qui tue votre Révolution », les députés « décident du destin des humains, couchés mollement sur l’édredon et les roses à côté de princesses ». À la Convention, on dénonce l’influence politique des salons thermidoriens, les attaques contre le Club des jacobins « combinées dans les boudoirs de Mme Cabarrus » (Duhem). Sa carrière « publique » prend fin après le coup d’État du 18 brumaire. En 1802, elle divorce de Tallien et, en 1805, épouse le comte de Caraman, qui deviendra prince de Chimay. Cabet (Étienne), penseur socialiste (Dijon 1788 - Saint Louis, États-Unis, 1856). Fils d’un maître tonnelier, avocat, Étienne Cabet est gagné aux idéaux républicains dès les Cent-Jours. Après avoir été carbonaro sous la Restauration, magistrat vite destitué, puis député sous Louis-Philippe, il met sa plume au service de ses idées à partir de 1832 et fonde le Populaire, journal républicain en 1833. Contraint de s’exiler quelque temps à Londres en 1835, il y théorise un communisme démocratique et pacifique, qu’il expose, de retour en France, dans un roman - Voyage en Icarie (1840) -, propage par un journal, le Populaire de 1841, et confirme dans des Mémoires au titre révélateur : Mon credo communiste (1845). Dans la Fraternité icarienne, la propriété privée est abolie, les biens sont mis en commun, et tout s’ordonne autour de l’éducation et du travail ; chacun est rémunéré en nature selon ses besoins. Le peuple, souverain dans tous les domaines, s’exprime par référendum. Pour parvenir progressivement à cette société idéale et gagner en influence dans l’opinion publique, Cabet propose des réformes immédiates, telles que l’institution d’un impôt progressif, d’un salaire minimum et du droit au travail. Mais, en dépit de ses activités militantes en France, en particulier au début de la révolution de 1848, il veut surtout réaliser son utopie dans un cadre réduit ; il crée donc des communautés au Texas et en Illinois, qui échouent à cause de leur isolement, de l’autoritarisme de Cabet lui-même, et de l’absence de pen-
sée concrète de la vie communautaire. Cabinet noir, officine secrète chargée, sous le premier Empire, de décacheter les correspondances privées. Sous l’Ancien Régime, le surintendant général des Postes étant aussi secrétaire d’État aux Affaires étrangères, l’ouverture de lettres est une pratique gouvernementale fréquente, dont on se plaint dans les cahiers de doléances de 1789. Après la Révolution, qui protège par décret le secret des lettres, le viol du courrier est perfectionné et systématisé en 1808, sur ordre de Napoléon Ier, pour surveiller ses proches et l’opinion publique, et dans le cadre de la police politique et de l’espionnage. Dirigé par le dévoué comte de Lavalette, directeur général des Postes, le Cabinet noir communique par une porte dérobée avec l’Hôtel des postes à Paris. Doté d’un gros budget, il emploie des agents bien formés, qui recopient si nécessaire, avant de les remettre en circulation, les lettres ouvertes, déchiffrent, révèlent l’encre sympathique, et reproduisent les cachets scellant le courrier. Jusqu’en 1815, les fruits de ces downloadModeText.vue.download 123 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 112 travaux sont remis chaque jour à Napoléon, qui les détruit après en avoir pris connaissance. cabochienne (révolte), soulèvement parisien contre l’administration et la fiscalité royales, qui se déroule entre avril et août 1413 et qui tient son nom d’un de ses principaux meneurs, le boucher Simon Caboche. La révolte cabochienne s’inscrit dans un contexte de guerre civile qui oppose les partisans de Jean sans Peur, duc de Bourgogne, et ceux de la famille d’Orléans-Armagnac. Profitant de la folie du roi Charles VI, les deux partis s’affrontent pour le contrôle du Conseil royal et des finances royales. Depuis 1408, Jean sans Peur domine Paris, où se tient la cour ; pour ce faire, il s’appuie sur le parlement et l’Université, favorables à une réforme de l’administration royale, ainsi que sur le puissant réseau des bouchers parisiens, qui cherchent à s’intégrer à la haute bourgeoisie de la capitale. Au début de l’année 1413, la crise financière est telle que le Conseil royal se résout à convoquer les états
généraux de langue d’oïl afin d’obtenir leur consentement à la levée d’un nouvel impôt. Mais ses membres exigent préalablement la réforme de l’administration et de la fiscalité royales. Favorable à une telle réforme, Jean sans Peur soutient l’agitation antifiscale menée par les riches bouchers. En avril et en mai, manifestations et émeutes se succèdent ; la population parisienne s’en prend violemment aux officiers royaux et aux hôtels de la reine et du dauphin, Louis de Guyenne. Du 26 au 29 mai, les représentants des états généraux présentent enfin au roi une grande ordonnance de réforme de l’État. Il s’agit en fait d’un programme modéré, essentiellement administratif, qui ne témoigne d’aucune velléité de contrôle du pouvoir par les états. Mais cette ordonnance demeure lettre morte, car, dans les rues de la capitale, le mouvement populaire se radicalise et échappe au contrôle du duc de Bourgogne. Le 1er juillet, le prévôt de Paris, Pierre des Essarts, est exécuté et un impôt forcé sur les riches, exigé. Ces excès finissent toutefois par inquiéter les réformateurs modérés et la bourgeoisie parisienne, qui se rapprochent alors du dauphin. Le 4 août, avec l’aide de la milice bourgeoise, celui-ci parvient à s’imposer lors d’un rassemblement populaire. Les cabochiens sont aussitôt dispersés ; certains parviennent à s’exiler en terre bourguignonne. Le 23 août, Jean sans Peur préfère à son tour fuir Paris. Le 31 août, le dauphin autorise les chefs de la fraction des Armagnacs à entrer dans la capitale. L’échec de la révolte cabochienne est alors consommé. Le premier effet de cette défaite est de discréditer le duc de Bourgogne au profit des Armagnacs. À plus long terme, la révolte compromet durablement le programme de réforme modérée proposé par les états généraux : le 5 septembre, l’ordonnance de mai, dite « cabochienne », est ainsi solennellement déchirée, et, à la fin du mois, l’administration est sévèrement épurée de ses éléments réformateurs et favorables aux Bourguignons. En définitive, la révolte cabochienne apparaît comme l’une de ces nombreuses protestations antifiscales qui témoignent de la difficile naissance de la fiscalité royale à la fin du Moyen Âge. Cachin (Marcel), homme politique (Paimpol, Côtes-du-Nord, 1869 - Choisy-le-Roi, Seine, 1958). Fils de gendarme, élève brillant, boursier, licencié de philosophie, Cachin milite très tôt
dans le mouvement socialiste : adhérant dès 1892 au Parti ouvrier français de Jules Guesde, il met tout son talent d’orateur et de publiciste au service de cette formation, puis de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière, qui unifie les différents partis socialistes). Durant la Grande Guerre, il se montre d’abord partisan résolu du soutien à l’« union sacrée », puis adhère au courant « centriste » - pacifiste modéré - du parti, majoritaire en 1918, et prend la direction de l’Humanité. En 1920, Cachin devient le chef de file, avec Frossard, des « reconstructeurs », et joue un rôle majeur, lors du congrès de Tours, dans la fondation du Parti communiste, dont il sera un dirigeant inamovible (comité directeur, 1920-1924 ; bureau politique, 1923-1958). Cette surprenante longévité ne s’explique pas seulement par la souplesse tactique de l’homme : Cachin symbolise la continuité du mouvement révolutionnaire, et son réseau de relations dans la classe politique - il fut député de 1914 à 1932, puis de 1944 à 1958, sénateur de 1935 à 1940 - représente pour le mouvement communiste un atout précieux. Fidèle à ses options, il refuse en 1939 de désavouer son parti, qui appuie le pacte germano-soviétique, et témoigne en faveur des députés communistes jugés au printemps 1940. En août 1941, il est arrêté par les Allemands, qui le contraignent d’émettre, dans un long document, des réserves sur la pratique des attentats individuels prônée par le PCF. Néanmoins, Cachin reprend à la Libération son rôle à l’Humanité, au Parlement et au sein des instances dirigeantes de son parti, qui lui voue jusqu’à sa mort un véritable culte. cadastre, terme générique désignant les documents qui sont à la base du calcul et de la perception de l’impôt foncier, c’est aussi un précieux outil pour l’histoire des structures agraires et du paysage. Avant le cadastre dit « napoléonien », élaboré de 1807 à 1850, il n’existe pas de cadastre général couvrant l’étendue du territoire. Cependant l’entreprise cadastrale se développe dès le XVIIe siècle et prend de l’ampleur au siècle suivant. Elle a pour but de rendre homogène une emprise, qu’elle soit royale ou seigneuriale. Elle procède aussi d’un impératif de rationalisation de l’espace et de l’impôt. Elle participe enfin à l’apparition de l’« individualisme possessif ». Au XVIIe siècle, quelques provinces, tel le Languedoc, sont déjà pourvues de cadastres qui servent au calcul de la taille réelle (cet impôt est assis à partir des biens roturiers et
non des personnes). Des essais de cadastration sont par ailleurs tentés, comme en 1621 dans l’élection d’Agenais. Ils s’appuient sur le modèle seigneurial du « livre-terrier ». Le terrier (ou censier) est formé de l’ensemble des documents fonciers dans lesquels les biens possédés sous forme de tenures sont sommairement dénombrés (nom du tenancier, nature du bien, redevance). Au cours du XVIIe siècle, ces documents deviennent plus précis (description du bien, qualité du tenancier) et sont de plus en plus fréquemment accompagnés d’un levé des plans. À cet égard, le domaine royal et l’administration donnent l’exemple aux seigneuries laïques ou ecclésiastiques. Le terrier du roi, dressé vers 1700-1705 à Paris, sert de modèle aux grandes censives ecclésiastiques de la capitale telle celle de SainteGeneviève. Parallèlement, une importante infrastructure administrative est mise en place, constituée des arpenteurs-géographes du roi et des agents des maîtrises des Eaux et forêts. Au service de la seigneurie et des agents de la « réaction féodale », les arpenteurs, les leveurs de terriers et de plans et les feudistes forment la base du nouvel ensemble des professionnels de la cartographie. Cette dernière joue son rôle dans la montée de l’« individualisme possessif », car « la carte fixe le rapport des individus à l’espace par la possession et le droit » (Daniel Roche). Toutes ces entreprises participent donc à la réflexion sur l’impôt qui conduit, après l’échec de diverses tentatives de déterminer l’assiette de la contribution foncière (de 1790 à 1802), à l’établissement, par la loi de finances du 15 septembre 1807, du cadastre parcellaire. Cadoudal (Georges), chef vendéen (Kerléano, près d’Auray, Morbihan, 1771 - Paris 1804). Ce fils de paysans aisés poursuit des études qui lui permettent de devenir clerc de notaire. Même si, en 1789, il prend parti pour les « patriotes », il s’oppose peu après à la politique religieuse de la Révolution, avant d’être incarcéré en 1793 par les autorités révolutionnaires. Une fois libéré, il gagne la Vendée, où il participe aux combats, y compris pendant la « virée de Galerne », ville qu’il quitte pour la Bretagne après les batailles du Mans et de Savenay. De nouveau emprisonné à Brest avec sa famille, il ne doit la vie sauve qu’à la chute de Robespierre. Il s’échappe et entre dans la lutte contre les représentants de l’État. Il s’agrège peu à peu au réseau de la chouannerie, que tentent d’unifier Puisaye et son ad-
joint Cormatin. Mais il s’en distingue en 1795 par son refus de toute pacification, et joue un rôle essentiel lors du débarquement de Quiberon en tant que commandant des chouans du Morbihan. Malgré les 15 000 hommes qui sont sous ses ordres, il est considéré avec mépris par les émigrés. Pourtant, tandis que ceux-ci sont enfermés dans la presqu’île de Quiberon par les troupes de Hoche, c’est Cadoudal qui, adjoint de Tinténiac, conduit une colonne chouanne pour prendre les républicains à revers. L’opération échoue, et l’expédition de Quiberon tourne au désastre : Cadoudal en rend responsable Puisaye, l’accusant de maladresse. Dès lors, il dirige la chouannerie morbihannaise, mais Hoche le contraint à la paix en 1796. Il se lance alors dans l’action politique, faisant élire certains de ses hommes, jusqu’au coup d’État de fructidor (4 septembre 1797) qui relance les opérations clandestines. Cadoudal, qui commande alors à huit légions, est reconnu par les downloadModeText.vue.download 124 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 113 princes. Il décide la reprise de la guerre, organise avec succès un débarquement d’armes et d’argent en provenance d’Angleterre, et tient tête aux forces républicaines dans le Morbihan en 1799. Mais cette victoire tourne court, car les chouans du Maine acceptent les propositions de paix de Bonaparte : Cadoudal doit se soumettre. Après avoir refusé le grade de général et une rente de la part du Premier consul, il retourne à la clandestinité et gagne l’Angleterre, où il est accueilli en héros. Ne pouvant raviver la chouannerie en Bretagne, il organise ensuite des attentats contre l’« usurpateur », en relation avec Moreau et Pichegru : il est notamment impliqué dans le complot de la « machine infernale » du 24 décembre 1800. Trahi alors qu’il prépare d’autres opérations, il est arrêté, jugé et guillotiné. Dans l’histoire très complexe de la chouannerie, qui reste mal connue, la figure de Cadoudal se distingue par sa longévité dans la lutte, ses capacités manoeuvrières, sa forte personnalité. Il donne surtout l’impression d’une grande conviction royaliste, qui lui fait refuser toutes les compromissions comme tous les accommodements, y compris sous l’Empire, période propice à de nombreux ralliements. Il incarne ainsi, dans la mémoire collective, l’un des exemples parfaits de la tra-
dition contre-révolutionnaire. Cagoule (la), surnom donné par la presse à une organisation clandestine d’extrême droite des années trente, dont la véritable dénomination aurait été Comité secret d’action révolutionnaire (CSAR) ou encore Organisation secrète d’action révolutionnaire nationale (OSARN). Après la victoire du Front populaire, des militants issus de l’Action française, déçus par l’opposition - qu’ils jugent purement verbale de leurs chefs de file, basculent dans l’activisme. Fondée en juin 1936 et dirigée par un polytechnicien, Eugène Deloncle, la Cagoule est rigoureusement hiérarchisée, selon le modèle militaire. Ses quelque 3 000 militants armés sont répartis en groupes cloisonnés et clandestins. Des liens sont noués avec les services secrets de l’Italie fasciste : en juin 1937, deux émigrés antifascistes, les frères Rosselli, sont assassinés par des cagoulards, en échange d’une livraison d’armes. Il semble bien que la Cagoule, inspirée par l’exemple du général Franco en Espagne, a envisagé un coup de force « national » contre la République en usant de la provocation (le siège de la confédération du patronat français est dynamité en septembre 1937, et l’attentat est attribué aux communistes) et du noyautage dans les forces armées (des contacts sont établis, mais restent, pour la plupart, sans suite). Cette absence de soutien militaire explique l’échec de l’organisation, dont le ministre socialiste de l’Intérieur Marx Dormoy annonce le démantèlement en novembre 1937. Durant la guerre, une minorité de cagoulards rejoint la Résistance ; mais la majorité se range aux côtés de Vichy - dont Joseph Darnand, le futur chef de la Milice. Deloncle prend place parmi les collaborationnistes parisiens ; devenu peu sûr, il est abattu par les Allemands en 1944. cahiers de doléances, expression des plaintes et souhaits des sujets du roi, à l’occasion de la convocation des états généraux. Les premiers cahiers remontent à 1484 : seuls les deux ordres privilégiés et les oligarchies urbaines se mobilisaient alors et s’exprimaient vraiment. Tout change en 1788 : face à la montée générale des mécontentements, la monarchie est contrainte de convoquer des états généraux - qui n’avaient plus été réunis depuis 1614. S’ouvre un débat public d’ampleur inédite, à l’occasion de l’élection des députés. La noblesse et le clergé s’assemblent directement par bailliage, tandis que les cahiers du tiers état sont rédigés dans chaque
paroisse à la campagne, et dans chaque corporation en ville. Ce ne sont pas toujours les gens du peuple qui tiennent la plume, mais le curé ou le bourgeois du lieu ; des modèles ont circulé, et les cahiers, transmis au chef-lieu de bailliage, ont été refondus. Malgré ces déformations et intermédiaires divers, l’ensemble des 60 000 cahiers conservés fournit une bonne photographie de l’opinion publique au début de 1789. • Des revendications liées à la vie quotidienne... Les doléances du Tiers varient de la description naïve des misères locales à des prises de position politiques plus générales. La plupart des cahiers ruraux restent modérés, et empreints de déférence à l’égard du roi, encore considéré comme un père providentiel. Mais les revendications concernant l’égalité fiscale, la suppression de la corvée royale et de la milice, et la refonte des impôts indirects sont très fermes. La dénonciation des prélèvements et des privilèges seigneuriaux apparaît quasi unanime, même si les cahiers contestent ponctuellement les droits féodaux, plus qu’ils ne demandent leur suppression générale : ainsi, les paysans sont-ils prêts à en racheter certains reposant sur la terre, alors qu’ils critiquent la charge de la dîme et son détournement par la hiérarchie ecclésiastique au détriment des curés ; ainsi, réclament-ils la disparition pure et simple des justices seigneuriales, et se montrent-ils souvent hostiles aux propriétaires « forains », bourgeois des villes, étrangers au village. Les revendications directement politiques et institutionnelles semblent parfois reprises de l’extérieur - réunion régulière des états, vote par tête -, mais traduisent un assentiment certain aux mots d’ordre patriotes. • ...aux aspirations politiques. La bourgeoisie, quant à elle, critique violemment l’absolutisme monarchique et l’arbitraire judiciaire, réclame une Constitution limitant le pouvoir royal et institutionnalisant une représentation nationale investie du droit de consentir l’impôt, revendique enfin l’égalité et la liberté d’opinion. Les cahiers urbains sont donc plus politiques, et la voix du petit peuple s’y efface plus encore derrière celle des notables. La noblesse se montre elle aussi attachée aux libertés individuelle et d’opinion, et favorable à une limitation de l’absolutisme par certaines formes d’assemblées. Elle s’est plus ou moins résignée à une égalité fiscale partielle, mais défend ses privilèges honorifiques et la structure inégalitaire de
la société, dont le vote par ordre est à la fois l’expression et le garant. Les cahiers du clergé révèlent ses divisions internes. Le souhait d’une réforme de l’État s’exprime à peu près dans les mêmes termes que ceux du Tiers. Favorable à 85 % à l’égalité fiscale, le clergé reste cependant attaché au maintien de la distinction entre les ordres : seulement 15 % de ses membres demandent le vote par tête, et très peu aspirent à l’union avec le Tiers. Les simples curés réclament une amélioration de leurs conditions matérielles. L’ordre entier, enfin, rejette la tolérance religieuse et la liberté de la presse. Globalement, même si les cahiers de doléances ont subi l’influence des notables ruraux, des hommes de loi et des bourgeois locaux, qui filtrent la parole populaire, ils sont, sans aucun doute, « authentiques ». Leur rédaction constitue non seulement une gigantesque prise de parole inédite, mais aussi une prise de conscience majeure : l’idée qu’il est possible de transformer l’ordre existant a pénétré l’univers mental du peuple français, contribuant fortement à l’explosion de l’été 1789. Caillaux (Joseph), homme politique (Le Mans 1863 - Mamers, Sarthe, 1944). Inspecteur des finances, fils d’un notable royaliste qui fut ministre des Finances de Mac-Mahon, il choisit la République. Député de la Sarthe en 1898, ministre des Finances de Waldeck-Rousseau dès 1899, tenant de l’orthodoxie financière et de la rigueur, il rétablit l’équilibre budgétaire, puis dégage des excédents, mais n’ose présenter un projet d’impôt sur le revenu, dont il est pourtant partisan. De nouveau ministre sous Clemenceau en 1906, il voit son projet bloqué par le Sénat. Il se rapproche alors des radicaux, forme un gouvernement en 1911, annonçe des mesures « laïques, fiscales et sociales ». Mais, à contrecourant des crispations nationalistes, il règle la crise d’Agadir en obtenant que l’Allemagne se désintéresse du Maroc contre la cession de territoires au Congo : l’hostilité de Poincaré et de Clemenceau provoquent la chute de son ministère. Président du Parti radical en 1913, de retour aux Finances la même année, il doit démissionner en 1914 après que sa femme eut tué Gaston Calmette, directeur du Figaro, qui voulait le discréditer en publiant des lettres concernant sa vie privée. L’impôt sur le revenu est pourtant adopté, mais son autre priorité, négocier avec l’Allemagne, est
condamnée lorsque éclate la Première Guerre mondiale. Même s’il reste attaché au retour de l’Alsace-Lorraine, il devient, dès 1915, l’homme d’une paix de compromis, d’autant qu’il craint la ruine de la France et des menées révolutionnaires ou nationalistes. Clemenceau le fait arrêter pour trahison, sans preuves, au début de l’année 1918. En 1920, il est condamné à trois ans de prison par le Sénat réuni en Haute Cour. En 1925, le Cartel des gauches lui rend ses droits civiques, le rappelle aux Finances après qu’il fut devenu sénateur. Mais la gauche refuse de le laisser gouverner par décrets ; son orthodoxie financière et son hostilité à l’impôt sur le capital le rapprochent de la droite. Président de la commission des finances au Sénat, il contraint downloadModeText.vue.download 125 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 114 les ministres à négocier le budget avec lui, et, hostile au Front populaire, il dirige l’offensive qui fait tomber le gouvernement Blum en juin 1937. Il vote les pleins pouvoirs à Pétain en juillet 1940, mais refuse toute compromission avec Vichy. Sa mort passe quasi inaperçue, alors que son orgueil, son talent et ses prises de position avaient soulevé les passions, et en avaient fait, sans qu’il n’ait jamais changé, un symbole de la gauche, puis son ennemi, un homme à abattre pour la droite, puis un de ses ténors. Calais (bourgeois de), héros d’un épisode de la guerre de Cent Ans célébré depuis le XIVe siècle par l’histoire nationale. Le 4 août 1347, à l’issue d’un siège de plus d’un an, Calais capitule devant Édouard III d’Angleterre. Après que celui-ci eut menacé la ville d’un massacre, six bourgeois, parmi les plus riches, s’offrent au roi en victimes expiatoires. Ils vont au devant d’Édouard III, pieds nus, en chemise et la corde au cou, lui apporter les clés de la ville et crier grâce. Les supplications de la reine Philippa leur permettent de garder la vie sauve. Issu des Chroniques de Froissart, l’épisode est passé dans la mémoire nationale comme le symbole du patriotisme municipal (puis du patriotisme tout court) et de l’esprit de sacrifice des élites urbaines : que l’on songe, par exemple, au groupe sculpté que Rodin fait exposer à Calais en 1895. Pourtant, le récit du dévouement des bourgeois de Calais
n’est pas sans ambiguïté, et Voltaire doutait déjà de cette mise en scène. Les bourgeois de Calais risquaient-ils réellement la mort ? La recherche récente tend plutôt à penser qu’ils se sont livrés, en pleine connaissance de cause, à un simulacre d’exécution assez courant dans la justice médiévale. En résistant à Édouard III qui, depuis sa victoire de Crécy (1346), se considère comme le roi de France légitime, les Calaisiens ont commis un crime de lèse-majesté. Pour que l’honneur du roi soit rétabli, il faut que les coupables reconnaissent eux-mêmes, par un rituel d’humiliation publique, qu’ils ont mérité la mort et que seule la clémence royale peut les sauver. Calas (affaire), affaire suscitée par la condamnation à mort, le 9 mars 1762, du négociant protestant Jean Calas par le parlement de Toulouse, et par son exécution, le 10, pour le meurtre supposé de son fils MarcAntoine. Elle revêt une importance historique avec l’intervention de Voltaire. Marc-Antoine s’estil pendu dans la maison familiale, le soir du 13 octobre 1761, comme le prétendront les Calas sur conseil de l’avocat ? Cette thèse, tardive, se heurte à de sérieuses difficultés. Est-ce un crime de rôdeur, une vengeance ? La police toulousaine, dans une ville très marquée par les divisions religieuses, a forgé son opinion : il s’agit d’un assassinat familial, voire commandé par le parti protestant, à l’encontre d’un fils prétendument en voie de conversion - il lui fallait un certificat de catholicité pour être avocat. Le parlement aboutit à la même conclusion, par huit voix contre cinq. Marc-Antoine est inhumé solennellement en terre catholique ; Jean Calas, torturé, roué en place publique, étranglé et brûlé. Le 18 mars, cependant, les autres membres de la famille sont acquittés, à l’exception d’un fils, banni à perpétuité. Ont été déterminants les déclarations contradictoires des Calas mais aussi le fiévreux climat religieux de la cité le pasteur Rochette, en mission clandestine, est exécuté le 19 février 1762 ; le 17 mai, on célèbre le massacre des protestants perpétré à Wassy en 1562. Informé le 20 mars, Voltaire, très agacé par les pasteurs genevois, hostiles à tout ce qu’il aime (les arts, le luxe, la tolérance, le déisme), renvoie d’abord dos à dos les fanatiques : il ne sera ni pour Toulouse ni pour Genève, deux figures de « l’Infâme ». Mais il enquête, et, dès le 4 avril, il est convaincu de l’innocence des Calas : « Criez, et qu’on crie ! » Pendant
trois ans, il ne cessera de faire entendre à toute l’Europe lettrée « le cri du sang innocent ». Une prodigieuse machine d’agitation et de persuasion se met en marche : orale, épistolaire, éditoriale (Traité sur la tolérance, à l’occasion de la mort de Jean Calas, 1763, etc.), graphique (souscription lancée pour graver une estampe). En 1763, le Conseil du roi autorise à faire appel contre le jugement de Toulouse. Le 9 mars 1765, Calas est réhabilité. C’est la première fois qu’un écrivain porte une affaire judiciaire devant l’opinion publique. Seul Voltaire, riche et glorieux, pouvait se le permettre. Le succès tient donc à l’émergence d’une opinion éclairée, à la promotion du grand homme, mais aussi à la vivace rivalité du roi et des parlements. calendrier. L’Europe chrétienne a hérité du calendrier julien, calendrier solaire romain promulgué par Jules César en 46 avant J.-C., qui divise l’année en 365 jours, plus un jour supplémentaire tous les quatre ans. • Les enjeux du calendrier. La datation des années a toutefois longtemps posé problème. Empereurs, rois et papes du Moyen Âge s’inspirent d’abord du système romain et utilisent les années de leur règne ou de leur pontificat pour dater les textes produits par leurs chancelleries. Cependant, après les travaux du moine Denys le Petit à Rome entre 530 et 550, l’ère chrétienne qui débute avec l’année présumée de la naissance du Christ, est progressivement adoptée. La diffusion de ce calendrier est nettement favorisée par les Carolingiens à partir du IXe siècle. En revanche, la date du premier jour de l’année reste longtemps fluctuante selon les régions. En effet, la date romaine traditionnelle du 1er janvier est concurrencée par d’autres jours, tels le 25 décembre, jour de Noël, le 25 mars, jour de l’Annonciation, ou encore le jour de Pâques. Ce dernier est très couramment utilisé du XIe au XVIe siècle, à l’exemple des usages de la chancellerie royale. Ce n’est qu’en 1574 qu’un édit de Charles IX rend obligatoire l’usage du 1er janvier comme premier jour de l’année dans tout le royaume. À la même époque, le retard de dix jours accumulé en quinze siècles par le calendrier julien sur le calendrier astronomique perturbant de plus en plus le calendrier religieux, la papauté entreprend une réforme : le calendrier grégorien, mis au point grâce aux progrès de l’astronomie, est promulgué par Grégoire XIII le 24 février 1582 ; il est adopté dans le royaume en décembre de la même année. Mais les régions protestantes
demeurent longtemps réticentes face à une initiative que la papauté inscrit dans le cadre de la Réforme catholique : l’Alsace et Strasbourg n’adoptent ainsi le calendrier grégorien qu’à la suite de leur intégration au royaume en 1648 et 1682. • Symbolique du temps. Le calendrier renvoie aussi à l’organisation du temps pendant l’année, tâche impartie d’abord à l’Église : la succession des grands « temps » liturgiques (Avent, Noël, Carême, Pâques) et des nombreuses fêtes religieuses rythme la vie du chrétien et inscrit celle-ci dans le cadre de l’histoire du salut. Il en est d’ailleurs de même des journées, divisées en heures canoniales, dont la durée varie avec le cours des saisons, avant que ne s’impose progressivement, d’abord en milieu urbain avec l’essor des horloges et des pendules à partir des XIVe et XVe siècles, puis dans les campagnes, le temps mathématique des heures à durée égale. Toutefois, le calendrier agricole reste le principal outil d’organisation du temps d’une société très largement paysanne. En témoignent les représentations du calendrier au tympan des églises romanes et gothiques ou les livres pieux des princes de la fin du Moyen Âge, telles les Très Riches Heures du duc de Berry, qui rappellent le rôle fondamental joué par la succession des saisons et des activités rurales (taille de la vigne, fenaison, moisson, vendange, semailles, glandée) dans la société traditionnelle. calendrier républicain, calendrier révolutionnaire remplaçant le calendrier grégorien entre le 24 novembre 1793 et le 1er janvier 1806. Le 22 septembre 1792, au lendemain de l’abolition de la royauté, la Convention nationale décide de dater tous les actes publics de l’an I de la République française, puis charge le Comité d’instruction publique de refondre le calendrier. L’idée n’est pas inédite, les années précédentes étant souvent datées du nouvel âge de la liberté. En 1792, les révolutionnaires entendent rompre avec « l’ère vulgaire » de la monarchie, synonyme d’esclavage. En décrétant l’ère nouvelle, celle de la « régénération » des Français, il s’agit de fixer la mémoire collective à partir de la fondation de la République, début d’une histoire qui doit être éternelle et irréversible. Cette tentative de maîtriser le temps, proche de l’utopie, est à la fois politique et pédagogique. Après un an de travaux, la Convention adopte, le 5 octobre 1793, un premier projet proposé au nom du Comité par le mathématicien Romme, puis, le 24 novembre de la même année, le projet dé-
finitif présenté par Fabre d’Églantine. Conçue selon le système décimal, l’année débute le 22 septembre ; elle compte douze mois de trente jours divisés chacun en trois décades de dix jours, auxquels s’ajoutent en fin d’année cinq jours complémentaires (les sans-culottides) et un sixième jour en période bissextile (la franciade). Les noms des mois s’inspirent des saisons et de l’agriculture : vendémiaire, brumaire, frimaire (automne), nivôse, pludownloadModeText.vue.download 126 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 115 viôse, ventôse (hiver), germinal, floréal, prairial (printemps), messidor, thermidor, fructidor (été). Le dimanche, les fêtes chrétiennes et les saints sont remplacés par des symboles révolutionnaires ou agrestes. Le calendrier, qui prend forme en l’an II de la République, période la plus radicale de la Révolution, et au plus fort de la déchristianisation, veut opposer à l’imaginaire ancien, dominé par le « fanatisme » religieux, une nouvelle mesure du temps liée à la nature et réglée par « la raison et la philosophie ». Perturbant le quotidien, bousculant des habitudes séculaires, il n’est guère appliqué par les ruraux et gêne le commerce et les affaires. Les autorités peinent à l’imposer et doivent parfois sévir : ainsi le Directoire, qui institue de grandes fêtes décadaires et punit la célébration du dimanche. Peu à peu vidé de sa substance, mais constituant, en quelque sorte, un rempart contre le retour de la monarchie, il survit au Consulat, avant d’être aboli sous l’Empire par le sénatusconsulte du 22 fructidor an XIII (9 septembre 1805), qui réintroduit le calendrier grégorien à dater du 1er janvier 1806. Calmette (Gaston), journaliste (Montpellier 1858 - Paris 1914). Après des études de droit, Gaston Calmette entre au Figaro en 1885 ; il est un des premiers journalistes à enregistrer ses interviews à l’aide d’un phonographe. Au moment du scandale de Panamá, il écrit, sous le pseudonyme de « Vidi » (« J’ai vu »), une série d’articles qui provoquent, en 1892, la démission du ministre des Finances Maurice Rouvier. En 1902, Calmette est nommé à la direction du Figaro, dont il fait un des organes de presse les plus influents. En 1913, il déclenche une campagne de presse quotidienne contre Joseph Caillaux, ministre des Finances du nouveau gouvernement formé par les radi-
caux, l’accusant notamment d’être administrateur de banques étrangères, d’avoir couvert en 1911 des manipulations boursières, puis d’avoir entravé le cours de la justice dans cette affaire, dite « l’affaire Rochette ». Le 13 mars 1914, Calmette publie le passage d’une lettre - datée de 1901 - de Caillaux à sa maîtresse, passage dans lequel le ministre se vantait d’avoir « écrasé l’impôt sur le revenu en ayant l’air de le défendre » (impôt qu’il fait cependant adopter par la Chambre en 1909, et qui sera introduit dans les faits à partir de 1914). Enfin, le 15 mars 1914, l’affaire Rochette rebondit lorsque Calmette promet de publier le rapport Fabre, qui révèle les pressions exercées par le gouvernement afin d’ajourner l’instruction du dossier. Le 16, Mme Caillaux, redoutant, probablement, que Calmette ne publie la correspondance échangée avec son mari, assassine le journaliste dans son bureau « pour réparer l’injustice ». Calonne (Charles Alexandre de), homme politique (Douai 1734 - Paris 1802). Fils du premier président du parlement de Douai, élève des jésuites, Calonne est avocat en 1754, procureur général en 1759, et se fait connaître, en 1765, en instruisant le procès des magistrats du parlement de Rennes qui se sont opposés au roi. Intendant à Metz (1766), puis au siège prestigieux de Lille (1778), il manifeste de grandes qualités d’administrateur. En 1783, grâce au soutien des grands princes de la cour, il devient contrôleur général des finances, alors que le Trésor royal est vide. Pendant trois ans, pourtant, la crise semble miraculeusement écartée : Calonne libéralise le commerce, entreprend de grands travaux, dépense beaucoup, pour relancer la production, seul moyen, à terme, d’accroître les recettes fiscales. En attendant, il compte sur un retour de la confiance pour pouvoir emprunter encore. Las ! en 1786, le déficit est trop patent ; le crédit s’effondre ; la fièvre boursière retombe. • Un projet de réformes ambitieux. Calonne présente alors un plan de réformes jugé « révolutionnaire », bien qu’il reprenne des idées émises jadis par Vauban, puis par les physiocrates. D’une part, il veut créer un impôt, prélevé en nature sur la production agricole de toutes les terres, quel qu’en soit le propriétaire : cette « subvention territoriale » est censée remplacer peu à peu tous les autres impôts, et aboutir à alléger le fardeau fiscal en le répartissant plus équitablement. D’autre part, Calonne reprend aussi les idées
de Turgot : il entend stimuler l’économie en favorisant la liberté des échanges, notamment du commerce du grain. Enfin, il propose la création d’une pyramide d’assemblées consultatives, municipales et provinciales, élues au suffrage censitaire parmi les propriétaires fonciers, sans distinction d’ordres. La réforme est d’une grande portée sociale, puisque le niveau de richesse, plus que les privilèges, ferait désormais la différence entre individus. Cependant, elle reste modérée, visant à intégrer à l’élite les plus riches propriétaires fonciers du tiers état, sans pour autant ôter à la noblesse ses droits honorifiques. • L’échec face aux privilégiés. Mais le roi se refuse à convoquer les états généraux, et les parlements sont, d’emblée, hostiles au ministre comme à sa réforme, car ces nouvelles assemblées réduiraient leur influence politique. D’où l’idée de réunir une assemblée des notables. En fait, prisonnier des préjugés de son ordre, Calonne ne songe pas à en appeler à une quelconque représentation nationale : il s’en remet à des privilégiés nommés par le roi, pensant pouvoir s’assurer de leur vote. Or les notables, emmenés par le clergé, derrière Étienne Charles de Loménie de Brienne, et les parlementaires, repoussent la « subvention territoriale », qui porterait atteinte à leurs privilèges fiscaux, prétextant que seuls les états généraux peuvent consentir à la création d’un nouvel impôt de quotité. Ils refusent également les nouvelles assemblées, parce qu’elles confondent privilégiés et non-privilégiés, mais aussi parce que leur rôle serait purement consultatif : elles ne pourraient décider de l’impôt, mais seulement le répartir. Les notables se méfient donc du réformisme autoritaire d’un ministre si réticent à jouer le jeu de la participation. Calonne voit ainsi se conjuguer contre lui l’opposition des plus réactionnaires et celle des partisans d’un vrai libéralisme politique. Ce refus et la versatilité du roi le perdent : il est limogé, le 8 avril 1787, et s’exile en Angleterre. Quand la Révolution éclate, il rejoint l’entourage des frères du roi, à Turin, puis à Coblence, et soutient très activement la Contre-Révolution, y laissant toute sa fortune. Mais il est bientôt isolé. Brouillé avec tous, il finit sa vie seul, et rentre à Paris pour y mourir. Calvin (Jean), de son vrai nom Cauvin, réformateur et théologien (Noyon 1509 - Genève 1564). Après des études à Paris aux collèges de la Marche et Montaigu, Calvin s’oriente vers un
cursus juridique qui le mène aux universités d’Orléans et de Bourges. Sous l’influence de maîtres tels que Melchior Wolmar, il est, entre 1528 et 1534, marqué par un humanisme rhétorique, lequel transparaît dans la publication de commentaires sur le De clementia de Sénèque (1532). • Calvin et Genève. Il est difficile de dater l’instant de sa conversio, qu’il qualifiera avec ambiguïté de subita : subite ou subie. Dès novembre 1533, néanmoins, il se voit impliqué dans le scandale déclenché par le discours, jugé hérétique, que prononce, pour la rentrée de l’Université de Paris, le recteur Nicolas Cop. En mai 1534, il doit s’enfuir, résignant ses bénéfices ecclésiastiques, puis erre entre Angoulême, Nérac et Bâle, où il publie en 1536 la première version, latine et encore influencée par Luther, de l’Institution de la religion chrétienne. Cet ouvrage, initialement proposé comme une confession de foi, est remanié et complété à plusieurs reprises, surtout dans le sens d’une plus grande précision dans l’ecclésiologie. Les nombreuses éditions qui se succèdent sont immédiatement traduites par l’auteur en français et bénéficient d’une importante diffusion. En juillet 1536, Calvin est retenu à Genève par le réformateur Farel. « Lecteur en la sainte Écriture », il devient un acteur du changement religieux en rédigeant des Articles qui aideront à structurer l’Église genevoise. Les tensions suscitées par l’imposition de cette discipline débouchent sur le bannissement, en avril 1538, de ses promoteurs. Calvin passe alors trois années à Strasbourg, où il subit l’influence de Bucer et où il épouse Idelette de Bure. L’évolution des rapports de force à Genève entraîne son retour en septembre 1541, année où il promulge ses Ordonnances. Y sont distingués quatre « ordres d’offices » régissant l’Église : les pasteurs administrent les sacrements et annoncent la Parole de Dieu ; les docteurs dispensent un enseignement destiné à la formation des futurs magistrats et ministres ; les anciens veillent au contrôle moral des fidèles, tandis que les diacres sont en charge de l’assistance publique ; le consistoire définit et assure la police doctrinale et morale de l’Église. • Une pensée exigeante. La Genève calvinienne n’est pas une théocratie : l’autorité temporelle peut intervenir lorsque l’Église a besoin qu’une coercition soit exercée, mais l’Église a pour mission de rappeler à l’État ses finalités. Le système ainsi mis en place n’est pas sans rencontrer des contestations, qui émanent de la notabilité bourgeoise ou de dissidents religieux, tel Michel Servet, condamné
au bûcher en 1553. Il tire sa force de la dynamique même du travail de Calvin, ministre downloadModeText.vue.download 127 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 116 de la Parole, professeur, commentateur des livres bibliques, polémiste, rédacteur de multiples lettres adressées aux fidèles de toute l’Europe. En résumé, la pensée calvinienne se fonde sur le « constat » d’un écart entre la toute-puissance de Dieu et la corruption de l’homme, incapable, du fait du péché d’Adam, de connaître Dieu par sa propre volonté. C’est à partir de l’appréhension de la majesté divine que l’appel d’une foi donnée par Dieu peut être reçu : la foi, qui fait de l’homme un réceptacle de la souveraineté de Dieu, dispose du fil directeur qu’est l’Écriture, expression de la miséricorde divine appréhendée dans l’illumination du Saint-Esprit. Calvin élabore ainsi une théologie de la grâce sécurisante, fondée sur la promesse gratuite donnée en Jésus-Christ, mais aussi sur une prédestination double, prédestination au salut ou à la damnation éternelle. Il refuse le culte des images et des reliques, nie l’existence du Purgatoire. Il considère que les sacrements ne sont que de simples signes qui entretiennent la foi et n’en conserve que deux : le baptême, témoignage de ce que l’homme est dans une promesse de purification du péché, et la Cène, mémorial et assurance du rachat, présence réelle spirituelle. La vie chrétienne est définie comme une éthique exigeant humilité, mesure, espérance et certitude, une célébration continue de la gloire de Dieu. Calvin reconnaît par ailleurs au magistrat la détention d’un office divin qui fait de lui le « protecteur » de la chose publique et qui interdit au sujet de se rebeller, sauf dans des conditions très particulières. Sa pensée est certainement une scansion dans le processus de « désenchantement du monde », mais l’historiographie récente met en garde contre le stéréotype qui constiturait à ne voir en Calvin que l’inventeur d’un système : elle insiste sur l’ambivalence d’un homme oscillant entre ordre et tension, pragmatisme et angoisse. Cambacérès (Jean-Jacques-Régis de), juriste et homme politique, archichancelier de l’Empire et duc de Parme (Montpellier 1753 - Paris 1824). Fils d’un conseiller à la cour des comptes de Montpellier appartenant à la petite noblesse
de robe, il est doté d’une solide formation de juriste, et, en 1774, devient conseiller à la cour des aides de Montpellier. En relation avec les milieux parisiens, il est séduit par les idées nouvelles. Il participe, en 1789, à la rédaction des cahiers de doléances de la noblesse et préside, en 1791, le tribunal criminel de l’Hérault. En 1792, il est élu à la Convention, où il siège avec le Marais, et adopte une attitude ambiguë lors du procès de Louis XVI. Il est l’un des créateurs du Tribunal révolutionnaire et se montre actif dans les comités. Sous la Convention thermidorienne, il exerce des fonctions comparables à celles d’un Premier ministre. Il est membre du Conseil des Cinq-Cents sous le Directoire, jusqu’en 1797. En 1799, Sieyès l’appelle à la tête du ministère de la Justice. Convaincu que la France a besoin d’un régime fort, conseiller estimé de Bonaparte, il soutient le coup d’État du 18 brumaire et demeure ministre de la Justice durant le Consulat provisoire, participant à la rédaction de la nouvelle Constitution. Les relations qu’il entretient avec les hommes de l’Ancien Régime et le personnel de la Révolution, dans la magistrature comme dans les milieux d’affaires, et son habileté d’homme de loi enfin le font désigner deuxième consul en décembre 1799. Dès lors, il est le grand ordonnateur des mondanités du régime, tout en jouant un rôle fondamental dans la réorganisation institutionnelle du pays : il contrôle la justice, préside le Conseil d’État et le Sénat ; il est aussi le rédacteur principal du Code civil. En 1804, il est nommé archichancelier de l’Empire : tout en conservant la haute main sur la justice, il devient le numéro deux du nouveau régime. Il assure l’intérim du pouvoir en l’absence du souverain mais manque de fermeté face à la conspiration du général Malet. Lors de la défaite de 1814, il reste fidèle à Napoléon jusqu’à son abdication, puis il adhère à l’acte de déchéance de l’Empereur. Il se maintient à l’écart de toute fonction sous la première Restauration. En dépit de ses réticences à participer à la vie publique, il sert Napoléon durant les Cent-Jours, puis doit prendre le chemin de l’exil en mars 1816. Il s’établit à Bruxelles jusqu’en décembre 1818, date à laquelle il est autorisé à rentrer en France. Souvent décrié pour avoir aisément traversé plusieurs régimes politiques et s’être constitué une fortune qui le place au niveau de richesse d’un grand banquier, il est parvenu à détenir le pouvoir tout en évitant le danger de se placer au premier plan.
Cambodge ! Indochine Cambon (Joseph), homme politique (Montpellier 1756 - Saint-Joseph-en-Noode, Belgique, 1820). Fils d’un négociant de Montpellier, il fait ses armes techniques et politiques avec son père. En 1785, il reprend les affaires de ce dernier, et, avec lui, affronte les états du Languedoc pour obtenir une meilleure représentation du Tiers aux états généraux de 1789. Il est élu député, et prête donc le serment du Jeu de paume ; mais son élection est cassée le 25 juillet, le nombre de sièges accordé au tiers état étant contesté. Membre de la municipalité parisienne, il joue le rôle de relai entre les patriotes montpelliérains et les révolutionnaires parisiens. À Montpellier, en février 1790, Cambon père fonde la Société des amis de l’Égalité, fustige le cens électoral et réclame, après Varennes, l’instauration de la République. Le fils bénéficie de la notoriété paternelle : il est élu député de l’Hérault à la Législative, où il se spécialise dans les questions financières. Membre du Comité des finances de la Convention du 10 octobre 1792 au 5 avril 1795, il défend les positions de la Montagne : contrôle de l’émission monétaire, lutte contre l’agiotage, priorité donnée à l’impôt sur le revenu. Le 22 juin 1793, il fait voter un emprunt forcé, transformé en impôt progressif avec quotient familial. Auteur du Grand Livre de la dette publique, il entend remettre de l’ordre dans les finances publiques. Il contribue, en thermidor, à la chute de Robespierre, mais le regrette assez vite, s’en faisant le reproche publiquement. Décrété d’arrestation le 16 germinal de l’an III, il passe en Suisse. Sous la Restauration, proscrit pour régicide, il doit s’exiler en Belgique. Cambon (Jules), diplomate (Paris 1845 - Vevey, Suisse, 1935). Frère de Paul Cambon, également diplomate, avocat en 1866, auditeur à la commission remplaçant le Conseil d’État en 1871, il entre au gouvernement général d’Algérie en 1874, puis devient préfet de Lyon en 1887, avant d’être nommé gouverneur général de l’Algérie de 1891 à 1897. Ambassadeur à Washington de 1897 à 1902, il négocie l’avenir du canal de Panamá et joue un rôle de médiateur dans la guerre entre les États-Unis et l’Espagne en 1898. Il est ensuite nommé à Madrid en 1902, puis à Berlin en 1907, où il reste jusqu’en 1914. Là, il cherche une issue à la crise d’Aga-
dir, redoutant une guerre qu’il envisage toutefois en 1913 : « Il faut tenir notre poudre sèche », écrit-il au Quai d’Orsay. En août 1914, les Allemands l’humilient en le chassant de Berlin avec tout le personnel de l’ambassade. Le 30 octobre 1915, secrétaire général du Quai d’Orsay, il tente, en vain, de parvenir à une paix séparée avec l’Autriche. C’est la raison pour laquelle Clemenceau, partisan de la guerre à outrance, le marginalise. Élu à l’Académie française en 1918, Jules Cambon est l’un des cinq délégués de la France à la Conférence de la paix. En 1920, il préside la Conférence des ambassadeurs, chargée de veiller à l’application du traité de Versailles. Mis à la retraite en 1922, il écrit un roman, le Diplomate (1925), mais refuse de rédiger ses Mémoires. Il entre au conseil d’administration de la Banque de Paris et des Pays-Bas, de la Compagnie du canal de Suez, et donne régulièrement des articles à la Revue des deux mondes. Cambon (Paul), diplomate (Paris 1843 - id. 1924). Après des études de droit, il entre dans l’administration, puis devient directeur de cabinet de Jules Ferry en 1870. Il entame ensuite une carrière dans la préfectorale : secrétaire général de la préfecture de Nice, puis de Marseille, il est nommé préfet de l’Aube en 1872 (poste dont il est révoqué en mai 1873), puis du Doubs en 1876, enfin du Nord en 1877. Il participe directement à la création du protectorat sur la Tunisie (traité du Bardo, 1881), dont il est ministre résident en 1882, puis résident général en 1885. Afin de soustraire le pouvoir civil aux empiétements des militaires, il obtient le rappel en France du général Boulanger, en poste à Tunis. En 1886, il entre dans la diplomatie : ambassadeur de France à Madrid, puis à Constantinople en 1890, où il contre l’influence allemande. Nommé à Londres après l’affaire de Fachoda (1898), il met en oeuvre la politique de rapprochement entre les deux pays définie par Delcassé : il liquide ainsi le contentieux colonial et gagne la confiance du roi Édouard VII, en organisant la visite en France du souverain britannique, en 1903. Son action aboutit à l’Entente cordiale, signée le 8 avril 1904. En 1907, il intervient pour que le rapprochement entre la Grande-Bretagne et la Russie soit effectif et contribue de façon dédownloadModeText.vue.download 128 sur 975
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terminante à l’élaboration de la Triple-Entente. En 1911, il permet le rapprochement entre les états-majors français et britannique. Il demeure ambassadeur à Londres pendant la guerre de 1914, avant de prendre sa retraite en 1920. Cambronne (Pierre Jacques Étienne), général de division, baron puis comte de l’Empire, vicomte de la Restauration (Nantes 1770 - id. 1842). Cambronne est l’archétype des hommes dont la destinée a été modifiée par les guerres révolutionnaires et impériales. Né dans une famille de la bourgeoisie d’affaires, il suit ses études au collège des oratoriens de Nantes. Son cursus militaire est conforme à celui de nombreux anoblis. Il s’engage comme volontaire en 1792 et se fait rapidement remarquer par sa bravoure, sa générosité et son humanité. Il se distingue particulièrement à Iéna, en tant que colonel, puis durant la campagne d’Allemagne. Il devient baron de l’Empire en 1810 et général de brigade en septembre 1813. Il participe à la campagne de France pendant laquelle il est grièvement blessé. Il n’en demande pas moins l’autorisation d’accompagner Napoléon à l’île d’Elbe, où il assume les fonctions de commandant de Portoferraio. De retour à Paris en mars 1815 en compagnie de Napoléon, il refuse, arguant de sa jeunesse, le grade de général de division, mais accepte le titre de comte et la charge de pair de France. La résistance de sa division à Waterloo est demeurée célèbre même si l’énergie verbale qu’il y manifesta alors ne reflète pas sa bonne éducation. Figurant sur la liste des généraux accusés d’avoir pris les armes contre le gouvernement de Louis XVIII, il est aquitté en 1816 et réintégré dans l’armée, puis admis à la retraite en 1822. Il se retire près de Nantes. Il est rappelé une dernière fois dans ses fonctions militaires lors de la révolution de 1830. camisards (révolte des), soulèvement des protestants cévenols, de 1702 à 1710, contre Louis XIV. Depuis les années 1550, les Cévennes et la plaine limitrophe sont un bastion calviniste. La révocation de l’édit de Nantes en 1685 y a provoqué un traumatisme alors que le protestantisme imprégnait toute la vie quotidienne. Au début du XVIIIe siècle, les protestants cévenols subissent de plein fouet la violente campagne d’acculturation menée par l’Église catholique et le pouvoir royal : surveillance des « nouveaux convertis », assistance obligatoire à la messe et au catéchisme, emprisonne-
ments et déportations aux galères. La pratique secrète du culte protestant, les « assemblées au Désert », entretiennent un sentiment de culpabilité et une attente apocalyptique, mais la répression est efficace : après l’exécution de Claude Brousson en 1698, les prédicateurs itinérants se réfugient à l’étranger. • Les « enfants de Dieu ». Cependant, une autre forme d’expression se fait jour : depuis 1689, en Vivarais, des prophètes inspirés par l’Esprit-Saint, souvent des femmes et des enfants, annoncent le temps de la vengeance. Les rêves sont autant de signes divins ; on entend des psaumes résonner dans les cieux. Le prophétisme déferle sur les Cévennes en 1700-1701. La guerre de la Succession d’Espagne, qui met Louis XIV en difficulté, accélère le processus. Le 24 juillet 1702, un prêtre aux méthodes violentes, l’abbé du Chayla, est assassiné au Pont-de-Montvert, au pied du mont Lozère. Rapidement, la révolte embrase la région. Paysans ou artisans, les camisards, combattants « en chemise », se donnent des chefs issus du peuple, tels Cavalier dans la plaine, Castanet sur l’Aigoual, Abraham Mazel sur le Lozère ou Roland dans les basses vallées des Gardons. Exploitant le relief montagnard, la guérilla tient tête, avec moins de 4 000 hommes, à 20 000 soldats réguliers auxquels s’ajoutent les milices catholiques. Ces « enfants de Dieu », comme ils se nomment, sont vite appelés « fanatiques » par l’opinion française et européenne surprise par les événements. Ils s’abandonnent à des convulsions prophétiques, se déplacent selon les inspirations de l’Esprit-Saint et attaquent en chantant le psaume 68 (« Que Dieu se montre seulement... »). Alternant défaites et victoires, ils forment un abcès à l’intérieur de la France en guerre. • La défaite des camisards. Ne pouvant anéantir les combattants, l’intendant du Languedoc, Lamoignon de Basville, et le maréchal de Montrevel s’en prennent au pays cévenol. La population de villages entiers est déportée. Le « brûlement des Cévennes » détruit hameaux et maisons isolées en octobre 1703. On espère ainsi priver les révoltés de leurs refuges. Mais il faut le prestige et la diplomatie du maréchal de Villars, à partir d’avril 1704, pour emporter la décision. Cavalier se rend en mai 1704, Roland est tué en août et, à la fin de l’année, la plupart des chefs ont capitulé. Des combats sporadiques éclatent cependant jusqu’en 1710.
Les secours anglais et hollandais sont certes arrivés trop tard. Mais la défaite tient surtout à la méfiance des bourgeois et nobles protestants envers ce « fanatisme » populaire. Le soulèvement était le fait d’humbles fidèles, pour qui prophétisme et violence constituaient des réponses à l’absence d’un encadrement religieux et social destructuré par la révocation et la prudence des élites. Si cette guerre de paysans qui cessent de combattre pour faire les moissons rappelle les révoltes du XVIIe siècle, elle n’en a pas le caractère antifiscal, et sa définition religieuse et populaire explique le retournement de son image au XIXe siècle. Suspectés par les Lumières pour leur « obscurantisme », les camisards sont admirés par Michelet - « Rien de semblable à l’affaire des Cévennes dans toute l’histoire du monde ». Et les maquisards de 1943-1944 se sont voulus leurs descendants. Présent dans l’imaginaire collectif d’une région et d’une confession, le soulèvement des Cévenols pour la liberté religieuse est chaque année célébrée en septembre par des protestants venus du monde entier au Musée du Désert de Mialet (Gard). campaniforme, type de poterie chalcolithique de la fin du troisième millénaire avant notre ère, répandu, quoique de manière discontinue, sur une grande partie de l’Europe centrale et occidentale, et caractérisé par des gobelets en forme de cloche renversée (d’où son nom) ornés d’un décor géométrique gravé. Aujourd’hui encore, l’interprétation générale du « phénomène campaniforme » reste délicate. En peu d’années, en effet, ce type de poterie apparaît, sous des formes très semblables, du Portugal (et même du Maroc) au Danemark, et des îles Britanniques à la Hongrie. Toutefois, les gobelets campaniformes sont présents essentiellement dans des tombes, et accompagnés, dans le cas de défunts prestigieux, de poignards en cuivre, de parures de cuivre ou d’or, de pointes de flèches, de plaquettes de pierre, appelées « brassards d’archer », et de boutons en os. Il existe des zones de concentration particulières (en France, la Bretagne ou le Midi), et d’autres où ils sont peu présents. Les habitats de cette culture demeurent presque inconnus, et la poterie commune qu’on y trouve varie selon les régions. Pour les tombes ellesmêmes sont réutilisés, au besoin, les tumulus ou les monuments mégalithiques des populations antérieures.
On a longtemps pensé que cette poterie était celle d’une population homogène maîtrisant la métallurgie du cuivre, et qui se serait répandue sur une grande partie de l’Europe. Toutefois, les archéologues débattent encore sur son origine géographique, la péninsule Ibérique et les Pays-Bas étant néanmoins cités le plus fréquemment. On évoque aujourd’hui la possibilité d’une formation à partir de substrats locaux différents, l’homogénéité stylistique étant assurée par la circulation des biens de prestige entre les élites des différentes régions. En tout cas, une tendance générale à une régionalisation de plus en plus forte des styles locaux s’est affirmée. Dans chaque région, le campaniforme débouche finalement, au début du deuxième millénaire avant notre ère, sur l’âge du bronze. Campoformio (paix de), traité de paix franco-autrichien signé le 17 octobre 1797 à l’issue de la première campagne d’Italie de Bonaparte. Les préliminaires de Leoben (18 avril 1797) ont renvoyé la question de la paix entre la France et l’Autriche à une conférence ultérieure. Mais l’évolution de la situation politique intérieure brouille les cartes. Les divergences au sein du Directoire s’accentuent : d’un côté, Carnot et Barthélemy sont favorables à une paix immédiate, de l’autre, Reubell, soutenu par La Révellière-Lépeaux et Barras, désire s’assurer la possession de la rive gauche du Rhin. Les élections de l’an V amènent une majorité royaliste dans les Conseils. Celle-ci se prononce clairement contre la politique extérieure de Reubell et pour une paix rapide sans annexion. Les Anglais et les Autrichiens tentent de profiter des divisions pour faire traîner les discussions en cours. Pendant ce temps, Bonaparte choisit son camp : une victoire des Conseils signifierait à l’évidence la fin de sa politique personnelle en Italie. Aussi prend-il publiquement position en faveur du Directoire, contribuant même à l’exécution du coup d’État du 18 fructidor an V (4 septembre 1797) qui élidownloadModeText.vue.download 129 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 118 mine l’opposition royaliste. Reubell veut profiter de cette victoire politique pour imposer à l’Autriche une paix léonine qui donnerait à la France la rive gauche du Rhin et le contrôle de
la Vénétie. Pour Bonaparte, une telle politique risque de relancer la guerre ; or le général corse, après avoir endossé le rôle du conquérant, entend se présenter à l’opinion française comme un pacificateur. Il prend donc l’initiative de mener ses propres négociations, contre les instructions venues de Paris. Après plusieurs jours de pourparlers, Bonaparte obtient le 17 octobre la signature de l’émissaire autrichien Cobenzl : l’Autriche reconnaît définitivement l’annexion de la Belgique, ainsi que les Républiques soeurs italiennes ; elle reçoit en contrepartie Venise et sa Terre ferme. Le sort de la rive gauche du Rhin n’est évoqué que dans un article secret. Malgré les protestations de Reubell, le Directoire doit s’incliner. Les patriotes italiens retiennent surtout que les Vénitiens ont été trahis et vendus « comme un troupeau de moutons ». De ce point de vue, le traité de Campoformio marque une étape décisive dans l’évolution de la politique extérieure de la République : la Grande Nation s’est comportée comme les puissances de l’Ancien Régime, n’hésitant pas à enfreindre ouvertement la souveraineté des peuples. camps de détention et de concentration, camps dans lesquels ont été internés, au cours de l’histoire récente, des opposants ou des réfugiés politiques, ainsi que des personnes appartenant à des groupes persécutés tels que les tziganes et, surtout, les juifs. Si les camps les plus connus sont ceux du régime de Vichy, cette pratique date de la IIIe République et s’est reproduite pendant les guerres coloniales. Les camps apparaissent à la veille de la Seconde Guerre mondiale et sont destinés à regrouper les étrangers dont les activités politiques sont jugées dangereuses (Rieucros, Le Vernet) et les républicains espagnols fuyant le franquisme (Argelès-sur-Mer, Saint-Cyprien, Barcarès, Arles-sur-Tech, Prats-de-Mollo, puis, du fait des mauvaises conditions d’hébergement, Agde, Bram, Septfonds et Gurs). La décision de créer des camps pour étrangers dans le pays des droits de l’homme et du droit d’asile s’explique par l’afflux des réfugiés dans la France de l’entre-deux-guerres, par la crise qui provoque un repli xénophobe, puis par le début du conflit. Ainsi, après la déclaration de guerre, le gouvernement regroupe les ressortissants des pays ennemis (Allemands, Autrichiens et Italiens) qui étaient venus chercher refuge en France, alors que des camps sont créés pour les communistes et certains syndicalistes qui leur sont proches. Le régime de Vichy élargit l’usage des
camps, les utilisant pour enfermer les opposants et dans le cadre de sa politique xénophobe, antisémite et raciste. Ainsi, à la suite des lois sur le statut des juifs (3 octobre 1940, 2 juin 1941), une trentaine de camps fonctionnent, où les détenus vivent dans des conditions déplorables. À partir de l’été 1942, avec la complicité des autorités françaises, les nazis emploient ces camps dans le cadre de la « solution finale » : des rafles massives conduisent au moins 75 000 personnes dans des camps de regroupement (Drancy, Pithiviers, Beaune-la-Rolande), avant la déportation dans les camps d’extermination. Parallèlement, les Allemands installent au Struthof, dans l’Alsace occupée, un camp de concentration et d’extermination pour les déportés politiques de toute l’Europe. Pendant la guerre d’Algérie, la France ouvre de nouveau des camps, en Algérie et en France, pour regrouper les villageois déplacés et pour interner militants du FLN et suspects. Après les accords d’Évian (1962), les camps métropolitains (Mourmelon, Saint-Maurice-l’Ardoise, Thol, le Larzac) sont utilisés pour emprisonner les Français soupçonnés d’appartenir à l’OAS et pour abriter les premiers harkis rapatriés. Camus (Albert), journaliste, écrivain et philosophe (Mondovi, aujourd’hui Deraan, Algérie, 1913 - Villeblevin, près de Montereau, 1960). Albert Camus grandit dans le quartier populaire européen de Belcourt, à Alger. Il y connaît la pauvreté ; sa mère, veuve et illettrée, peine en effet à élever ses enfants. Il ne se débarrassera jamais de la tuberculose, dont le premier accès, à 17 ans, renforce son sentiment du tragique et de l’absurde. Ses succès scolaires lui permettent d’entrer en première supérieure, puis à la faculté de philosophie d’Alger. Parallèlement, il crée et dirige une troupe de théâtre et s’essaie à l’écriture (l’Envers et l’endroit, 1937 ; Noces, 1939). Antifasciste, partisan du Front populaire et pacifiste, il adhère en 1935 au Parti communiste algérien, où il noue quelques contacts avec les milieux nationalistes du Parti populaire algérien de Messali Hadj. Mais il rend bientôt sa carte, déçu par le sectarisme du parti et sa défense systématique de l’URSS. Commence alors, en 1938, une carrière de journaliste à Alger républicain, puis au Soir républicain, journaux de gauche fondés par son ami Pascal Pia. Il écrit plus de cent articles, dont la fameuse série « Misère en Kabylie », dans laquelle il critique la politique coloniale
et l’aveuglement des Européens d’Algérie. En 1940, réformé, il part pour la France. C’est la fin de sa période algérienne. • « Il faut une destinée » (« l’Homme révolté »). Installé à Paris en mars 1940, Camus présente ses manuscrits aux éditions Gallimard. Sont alors publiés les titres qui formeront ce qu’il nommera le « cycle de l’absurde » : un roman, l’Étranger (1942) ; un essai philosophique, le Mythe de Sisyphe (1942) et une pièce de théâtre, Caligula (1944). Le succès est immédiat ; le public découvre un écrivain et un penseur pour lequel l’homme doit dépasser ce sentiment de l’absurde dans la lucidité, afin de parvenir à la révolte. Il s’engage dans la Résistance en 1942, participant au journal clandestin Combat. À la Libération, Camus est donc une personnalité, tout comme Sartre auquel le lie une véritable amitié. Rédacteur en chef de Combat de 1944 à 1947, il prend notamment position contre les excès de l’épuration. Cependant, il reste un peu en marge du monde intellectuel parisien. Son ton moraliste, sinon moralisant, agace. Ses livres ont certes du succès (Lettres à un ami allemand, 1945 ; la Peste, 1947 ; les Justes, 1949 ; l’Homme révolté, 1951 et la Chute, 1956, qu’il regroupe sous l’appellation « cycle de la révolte »), mais ses origines populaires et ses études inachevées lui interdisent une solidarité de caste avec bien des intellectuels de gauche, qui ne lui font pas crédit de son sérieux philosophique. Il reste honni par le PCF parce qu’il refuse d’ignorer le totalitarisme concentrationnaire stalinien, et est rejeté par Sartre et les Temps modernes, à la suite d’un vif échange d’articles à propos de son essai l’Homme révolté. Camus demeure pourtant profondément étranger à la droite, rejette le modèle américain et défend, sans illusions mais avec constance, les idées socialistes démocratiques. Ainsi, soutient-il Mendès France dans l’Express entre 1955 et 1956. Les années cinquante provoquent une dernière déchirure : la question algérienne. Ce « pied-noir », qui comprend mal le nationalisme algérien, rejette le FLN, coupable de terrorisme, autant que les ultras français. Ses tentatives d’apaisement, tel son appel à la trêve en janvier 1956 à Alger, sont mal comprises. La consécration du prix Nobel de littérature, reçu en octobre 1957, n’efface pas cette amertume. Lorsqu’il meurt dans un accident de voiture, le 4 janvier 1960, c’est un homme jeune et plein de projets qui disparaît. On retrouve près de son corps le manuscrit d’un
roman inachevé, le Premier Homme, publié en 1994 par les soins de sa fille et qui rencontre, comme toute son oeuvre, un grand succès en France et dans le monde. Canada, territoire de colonisation française, en Amérique du Nord, de 1608 à 1763. • Une lente colonisation. De longue date, le pays est occupé par des « nations » d’Amérindiens - Algonquins, Hurons, Micmacs, Iroquois, Inuits, etc. - aux rivalités farouches. L’arrivée des Européens modifie l’existence de ces quelque 300 000 chasseurs-pêcheurs qui ignorent l’usage du fer : ils sont chassés de leurs territoires, parfois massacrés, et décimés par les maladies que véhiculent les colons et les conquérants, mais aussi par les conflits armés avec ceux-ci. Si l’on excepte une plausible incursion des Vikings autour de l’an mil, les Blancs n’ont pris pied qu’à l’orée du XVIe siècle : le Vénitien Jean Cabot, pour le compte de l’Angleterre, en 1497 ; les Portugais, en 1500 et 1520 ; le Florentin Verrazzano, en 1524, pour le compte de la France ; Jacques Cartier, enfin, en 1534. Parti à la recherche du passage du nord-ouest vers la Chine, le Malouin découvre que le golfe du Saint-Laurent se prolonge par un fleuve à l’intérieur du Nouveau Monde ; il en prend possession au nom de François Ier, établit un fort à hauteur de la future ville de Québec, puis remonte jusqu’à Hocheloga (Montréal). En 1541-1542, Roberval tente, en vain, d’implanter une colonie. C’est seulement au début du XVIIe siècle que Du Gua de Monts réussit à établir un comptoir en Acadie, et que Samuel de Champlain fonde Québec (1608). Concédé par Richelieu en seigneurie à la Compagnie des Cent-Associés (1627), pour qu’il soit peuplé et que le commerce s’y développe, le territoire doit faire face à l’hostilité des colons anglais (prise de Québec en 1629) et des tribus iroquoises. L’impulsion downloadModeText.vue.download 130 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 119 est véritablement donnée par Colbert en 1663 : dotant la Nouvelle-France d’un statut de colonie royale, il envoie l’intendant Jean Talon y organiser l’administration. Grâce à une politique volontariste et à l’arrivée de Poitevins, Vendéens ou Angevins en Acadie, la population coloniale passe de moins de 2 500 personnes en 1660, à plus de 10 000 en 1685. Dans le même temps, la pacification
s’achève avec la « grande paix » de Montréal, qui met fin aux guerres iroquoises (1701). La Nouvelle-France voit alors ses terres mises en valeur, son commerce de fourrures prospérer à partir de Montréal (fondée en 1642), et ses activités de pêche morutière et baleinière se développer depuis Terre-Neuve. • Le Canada, entre la France et l’Angleterre. À la fin du XVIIe siècle, la NouvelleFrance constitue un immense arc de cercle de l’Atlantique nord au golfe du Mexique (des colons menés par Cavelier de La Salle ont descendu le Mississippi en 1682, et pris possession de ses rives qu’ils baptisent « Louisiane »). Territoire immense, faiblement peuplé (les Français n’occupent vraiment que la vallée du Saint-Laurent et l’Acadie), et donc difficile à défendre, mais qui gêne l’expansion des colonies britanniques vers l’ouest : la « belle province » devient ainsi un enjeu majeur des conflits franco-anglais. En 1713, le traité d’Utrecht, qui clôt la guerre de la Succession d’Espagne, enlève à la France la baie d’Hudson, l’Acadie et Terre-Neuve (à l’exception des îles Saint-Jean et Royale). En 1754, les Français sont 60 000, concentrés sur les rives du Saint-Laurent (6 000 à Québec, 4 000 à Montréal). En dépit de leur grande vitalité démographique, la faiblesse de l’immigration ne leur donne guère de poids face au million et demi de Britanniques que comptent les treize colonies américaines. En outre, la suprématie de la Royal Navy rend le Canada vulnérable. Avant même qu’éclate en Europe la guerre de Sept Ans (1756-1763), les Français repoussent en 1754 les colons britanniques qui cherchent à prendre possession de la vallée de l’Ohio. Par représailles, les Acadiens sont déportés : c’est le « grand dérangement » de 1755. Les troupes françaises du marquis de Montcalm de Saint-Véran sont bientôt défaites, et, après Louisbourg (1758) et Québec (1759), Montréal tombe (1760). À la suite de la capitulation, le traité de Paris, en 1763, consacre la perte du Canada (et de la Louisiane), après un siècle et demi de présence coloniale. Reste une population francophone, catholique, attachée à sa culture, que les Anglais ménagent dans un premier temps, au moment où la révolte gronde dans les treize colonies américaines. De fait, les Canadiens français demeurent indifférents face à la révolution de 1776. Parallèlement, la région des lacs Érié et Ontario voit affluer les colons « loyalistes ». Ainsi, après l’indépendance américaine, l’Angleterre conserve ses colonies du
Nord, divisées, en 1791, en un Haut-Canada, anglophone, et un Bas-Canada, francophone, ancêtre de l’actuel Québec. La question de la coexistence entre ces deux communautés est alors posée. Deux siècles plus tard, même si le pays est souverain depuis 1933, la fracture culturelle demeure, et nombre de Québécois aspirent encore à la souveraineté, comme l’exprime l’échec - de justesse - du référendum en 1996. Canard enchaîné (le), hebdomadaire satirique fondé par Maurice Maréchal le 10 septembre 1915. Tout en reprenant le titre d’une feuille du front (celle du 74e régiment d’infanterie), le journal rappelle l’Homme enchaîné de Clemenceau. Les débuts, difficiles, sont soutenus par l’OEuvre. Dès la levée de la censure de guerre (13 octobre 1919), le Canard devient déchaîné, puis retrouve son ancien titre le 6 mai 1920. Objectif premier de la rédaction : assurer son indépendance face aux milieux politiques et financiers : « Le Canard enchaîné est le seul en ce pays qui puisse dire réellement tout ce qu’il pense, parce qu’il est le seul journal français qui n’insère pas de publicité... Pas de fil à la patte », proclame Maréchal en 1923. Partisan d’un « pacifisme intégral » au moment de Munich, le Canard cesse de paraître le 8 mai 1940. Après la mort de Maréchal, le titre reparaît en 1944, à l’initiative de sa veuve qui regroupe l’ancienne équipe autour de H. Tréno (pseudonyme d’Ernest Reynaud). Depuis 1967, il est la propriété de ses rédacteurs associés en coopérative journalistique. Hostile à la droite - mais aussi critique à l’égard de la gauche lorsqu’elle se hisse au pouvoir (en 1924 comme en 1936 ou en 1981) -, viscéralement antimilitariste et anticlérical, l’hebdomadaire doit d’abord son succès à un ton et à une écriture qu’incarnent, en météores, Paul Vaillant-Couturier, Henri Béraud ou, au long cours, Henri Jeanson, Jules Rivet, Pierre Seize, Pierre Benard, André Ribaud (chroniqueur à la Saint-Simon d’une cour gaullienne illustrée par Morvan), Yvan Audouard ou Sylvie Caster. D’une diffusion moyenne de 300 000 à 400 000 exemplaires, ce « débourreur de crânes » connaît des pointes lors de campagnes - la feuille d’impôts d’un Premier ministre, l’affaire des diamants d’un président de la République, l’appartement parisien d’un autre Premier ministre... Institution de la vie politico-médiatique,
le Canard a su fidéliser son lectorat par des rubriques - les échos de « La mare aux canards », les perles consacrées par « La noix d’honneur » ou « Le mur du çon », sans oublier les savoureuses contrepèteries de « L’album de la comtesse »... - auxquelles viennent s’ajouter des éditoriaux toujours ironiques, des calembours pleins de verve, des dessins aussi divers dans le trait que ravageurs dans le ton, des critiques théâtrales, lyriques, littéraires ou télévisuelles dont l’indépendance tranche avec les renvois d’ascenseur de la plupart de ses confrères de la presse : un hebdomadaire complet qui, par-delà son impertinence, offre une lecture explicite du non-dit institutionnel et en propose une réflexion sérieuse. canuts, travailleurs de la soierie lyonnaise, acteurs de deux insurrections en 1831 et 1834. Le métier à tisser manuel créé par le Grenoblois Jacques de Vaucanson en 1745 et perfectionné par le Lyonnais Joseph-Marie Jacquard de 1801 à 1816 permet de reproduire des motifs aussi facilement que l’on fabrique du tissu uni. Vers 1830, à Lyon, 8 000 chefs d’ateliers se partagent la propriété de 30 000 appareils de ce type, et travaillent à domicile avec leurs familles et des salariés. Ce sont les canuts, sous-traitants captifs de 500 « soyeux », ou « fabricants », qui fournissent la matière première et achètent les produits finis. Moins victimes du paupérisme que la plupart des ouvriers et mieux instruits, ils travaillent cependant quinze heures par jour ou plus, dans des conditions d’hygiène déplorables. En outre, la situation est aggravée par la crise économique, la concurrence étrangère, et les incertitudes politiques pèsent sur la demande. Le chômage augmente, et les soyeux réduisent les salaires par tous les moyens, malgré l’existence des premiers conseils de prud’hommes, créés en 1806 pour régler les différends entre patrons et ouvriers. • La révolte des ouvriers. Or Lyon garde le souvenir de ses insurrections ouvrières du XVIIIe siècle, et, depuis 1825, au travers de sociétés de secours mutuels, les canuts y tournent les lois Le Chapelier et d’Allarde, qui interdisent toute organisation professionnelle. En octobre 1831, les chefs d’atelier réclament un tarif minimal pour leur production. Le préfet réunit leurs délégués, ceux des soyeux ainsi que les maires de Lyon et des faubourgs. Le moment est encore marqué par le flottement qui suit la révolution de Juillet : un tarif est promulgué. Les soyeux qui le refusent sont boycottés. Mais le gouvernement réagit. Pour
son chef, Casimir Perier, « il faut que les ouvriers sachent bien qu’il n’y a pas de remède pour eux que la patience et la résignation ». Le préfet doit alors annoncer que le tarif « n’a pas force de loi ». Le 21 novembre, salariés et chefs d’ateliers du quartier de la Croix-Rousse font cesser le travail et érigent des barricades. S’ils repoussent l’idée de révolution politique, ils entendent « vivre en travaillant ou mourir en combattant ». Le 22 novembre, après avoir formé un gouvernement municipal provisoire, ils tiennent la ville entière, au prix de 600 morts, dont 360 du côté des forces de l’ordre. L’armée intervient, commandée par le duc d’Orléans, héritier du trône, et le maréchal Soult, héros d’Austerlitz et ministre de la Guerre. 20 000 soldats occupent Lyon, les arrestations se multiplient, le préfet est écarté, le tarif minimal supprimé, l’insurrection, écrasée. • Conséquences et postérité. Les libéraux ont tremblé. Selon le Journal des débats du 8 décembre, « les barbares qui menacent la société ne sont point au Caucase ni dans les steppes de la Tartarie : ils sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières ». Au contraire, républicains avancés et premiers socialistes voient dans la révolte l’irruption de la question sociale. Pour les mêmes raisons qu’en 1831, une autre émeute éclate en 1834, tout aussi violemment réprimée. Lyon fait alors, pour longtemps, figure de « ville sainte du socialisme » d’où doit partir la future révolution du prolétariat. Le travail à domicile est progressivement remplacé par des usines installées dans les campagnes environnantes, plus soumises. À downloadModeText.vue.download 131 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 120 la fin du XIXe siècle, les canuts ne sont qu’un souvenir, présent pourtant jusque dans un fromage blanc aux herbes, spécialité locale appelée « cervelle de canut » : ce souvenir est ravivé en 1899 par Aristide Bruant, qui leur consacre une chanson, interprétée encore plus d’un demi-siècle plus tard par Yves Montand : les canuts tissent pour les « grands de l’Église » et « de la terre », ils n’ont « pas de chemise » et « sans draps on [les] enterre », mais ils « tisseron[t] le linceul du vieux monde / car on entend déjà la révolte qui gronde ». Ainsi entrent-ils définitivement dans la mémoire du mouvement ouvrier.
Capétiens, troisième dynastie ayant régné sur la France au Moyen Âge (987-1328). Au cours du Xe siècle, cette famille devient la plus puissante de l’aristocratie franque : son chef porte le titre de duc des Francs. Ainsi, à la mort du Carolingien Louis V, l’élection de Hugues Capet (987/996) par une assemblée d’évêques et d’aristocrates de haut rang ne surprend guère et ne saurait passer pour une usurpation. Les naissances successives d’héritiers mâles et une certaine habileté politique permettent aux Capétiens de conserver la couronne jusqu’en 1328 en ligne directe, et jusqu’à Louis XVIII, ou Louis-Philippe, en ligne indirecte. Chance rarissime à une époque où les lignages nobles disparaissent rapidement, chaque roi de France ayant en effet, de 987 à 1328, un fils en âge de lui succéder au moment de sa mort. • Un royaume à construire. Lorsque la couronne leur échoit, les Capétiens ne disposent que d’un pouvoir limité à la seule Île-deFrance. Si le sacrement leur confère une légitimité, ils ne sont toutefois pas en mesure d’imposer leur autorité aux princes territoriaux. Après 1020, les grands du royaume cessent de fréquenter la cour, et l’entourage des souverains est désormaisréduit à la noblesse du domaine royal. Robert le Pieux (996/1031) peut encore mener une politique à l’échelle du royaume tout entier, mais ce n’est plus le cas de son fils Henri Ier (1031/1060), ni de son petit-fils Philippe Ier (1060/1108). Ce repli politique et géographique devient cependant un atout pour la royauté, qui trouve dans la noblesse du domaine une force de combat de première envergure, dévouée à son service. Cette aristocratie constitue également l’ossature d’un personnel de gouvernement très sûr et, le plus souvent, compétent. Au XIIe siècle, les rois acquièrent les moyens d’une politique offensive et parviennent à soumettre les petits seigneurs rebelles des environs de Paris : ainsi, pendant plusieurs années, Louis VI (1108/1137) s’attache à réduire les sires de Montlhéry. De cette difficile acquisition d’une base territoriale à la fois homogène et prospère naissent les conditions d’une expansion lente mais continue. Le règne de Philippe Auguste (1180/1223) en constitue le tournant. • Le renforcement des institutions. Face à la menace des rois d’Angleterre, également ducs de Normandie et comtes d’Anjou depuis le milieu du XIIe siècle, Philippe Auguste parvient, par la guerre et par une utilisation habile du droit féodal, à démanteler les possessions anglaises en France, restituant à la
couronne l’essentiel des possessions des Plantagenêts : la Normandie et l’Anjou sont ainsi rattachés au domaine en 1203. En outre, la croisade des albigeois lui permet de s’emparer du comté de Toulouse et de revenir en force dans une France méridionale qui, depuis le Xe siècle, s’est tenue à l’écart du royaume. Enfin, la victoire de Bouvines en 1214 met un frein aux revendications impériales. Du règne de ce souverain date également la première ébauche d’un État par la spécialisation des fonctions à l’intérieur de la curia regis, et par l’émergence de véritables institutions. Ces progrès sont davantage perceptibles durant le règne de Saint Louis (1226/1270). Ce dernier s’emploie à réformer l’administration du domaine et à perfectionner les institutions judiciaires du royaume. Philippe III le Hardi (1270/1285) et, surtout, Philippe IV le Bel (1285/1314) perfectionnent encore les organes de gouvernement. L’entourage du roi est désormais composé d’un personnel bien formé aux disciplines du droit, et les légistes du roi de France, tels Guillaume de Nogaret ou Enguerran de Marigny, constituent l’un des atouts de sa puissance. Aucun des trois fils de Philippe IV le Bel - Louis X le Hutin, (1314/1316), Philippe V le Long (1316/1322), Charles IV le Bel (1322/1328) - n’ayant eu d’enfant mâle, la mort d’un roi de France entraîne, pour la première fois depuis le Xe siècle, une crise de succession : la lignée directe des Capétiens s’éteint. Commence alors le règne des Valois, branche issue du frère de Philippe IV, Charles de Valois. Il durera jusqu’à l’assassinat d’Henri III, en 1589. capitation, impôt direct, instauré en 1695, visant l’ensemble des Français (toutes les « têtes », du latin caput), et aboli en 1791. L’état calamiteux des finances lors de la guerre de la Ligue d’Augsbourg conduit Louis XIV à établir, par la déclaration du 18 janvier 1695, une capitation générale, appelée à disparaître « trois mois après la publication de la paix ». Il s’agit alors d’un impôt de quotité : un tarif, dans lequel les historiens François Bluche et Jean-François Solnon ont vu « la véritable hiérarchie sociale de l’ancienne France » répartit les sujets, à l’exception notable des ecclésiastiques, en 22 classes subdivisées en 569 rangs, selon un subtil dégradé de la dignité, du pouvoir, de la fortune et de la considération. Les « capités » de la première classe, dont le dauphin et les princes du sang, sont taxés 2 000 livres ; ceux de la vingt-deuxième, seulement 1 livre. Supprimée en mars 1698, la capitation est rétablie, le 12 mars 1701,
sous la forme d’un impôt de répartition : le contrôle général assigne à chaque province une somme réévaluée d’un quart par rapport au produit de 1695-1698. Les pays d’états ne tardent pas à s’abonner, et le clergé se rachète définitivement en versant 24 millions de livres en 1710 ; les cours de justice, communautés de métiers et autres corps sont imposés en bloc, à charge de répartir leur contingent entre leurs membres ; quant à la noblesse, elle se voit relativement ménagée, malgré le doublement de la cote des non-taillables en 1760 et 1763. En 1789, la capitation rapporte au Trésor royal 41 235 934 livres, contre 22 712 980 lors de sa création. capitulaires impériaux, décrets divisés en petits chapitres (du latin capitulum) dus aux monarques francs, plus particulièrement aux empereurs carolingiens. Les capitulaires peuvent compléter des lois : ils expriment alors le pouvoir législatif du souverain et sont le fruit, lors de la tenue du plaid général, d’une procédure de consultation qui leur assure une valeur perpétuelle. Ils peuvent également être indépendants d’elles et traduisent, dans ce cas, le pouvoir de commandement du roi (bannum) : ils sont alors revêtus de la seule signature de leur auteur et n’ont d’autorité que durant son règne. Rares sous les Mérovingiens, les capitulaires se sont multipliés sous les Carolingiens pour devenir les principaux outils du gouvernement impérial : à ce titre, le capitulaire de villis, relatif à l’administration du domaine, ou les capitula missorum, chargés des instructions données aux missi dominici, sont restés célèbres. Ces textes demeurent épars jusqu’à ce qu’en 827 soit entreprise une première compilation. Due à l’initiative privée de l’abbé de Saint-Wandrille, Anségise, elle réunit vingt-neuf capitulaires attribués à Charlemagne et à Louis le Pieux, classés en quatre livres selon l’auteur des textes collationnés et les matières (ecclésiastiques ou séculières) concernées. En raison de sa commodité, l’ouvrage connaît un réel succès. Il est utilisé au palais à l’instar d’un recueil officiel. Dans les années 850 paraît une nouvelle collection. Son auteur, Benoît le Lévite, prétendument diacre de l’église de Mayence, dit avoir travaillé sur ordre de son évêque pour compléter l’oeuvre d’Anségise grâce aux documents conservés dans son église. Reçue au IXe siècle comme l’indispensable complément du premier recueil, cette compilation est aujourd’hui connue sous le nom de « faux capitulaires » ; l’existence de son auteur est même mise en
doute. S’y mêlent indistinctement textes originaux et apocryphes dans le but évident de renforcer la hiérarchie interne de l’Église tout en la protégeant de l’emprise des laïcs, d’autant que au lendemain du partage de Verdun (843) les menaces pesant sur le pouvoir royal renforcent les appétits aristocratiques. Inspirés du droit germanique et imprégnés de droit canonique, les capitulaires nous livrent un droit original préfigurant le droit féodal. Pour preuves : le capitulaire de Mersen (847), prescrivant à tout homme libre du royaume de se choisir un seigneur, et celui de Quiercy-sur-Oise (877), stipulant l’hérédité des charges comtales. Caracalla (édit de), constitution impériale édictée en 212 par l’empereur Caracalla, octroyant la citoyenneté romai-ne à tous les habitants libres de l’Empire. Cet édit constitue le dernier pas vers l’unification du monde romain, même si l’unification du statut personnel n’entraîne pas celle des institutions locales. Il concerne les pérégrins (ni citoyens romains ni latins), et donc l’immense majorité de ceux qui vivent dans la Gaule romaine ; seuls sont exclus les esclaves, qui, par définition, ne peuvent être citoyens, et les Barbares, récemment installés dans l’Empire. Les raisons de cette extension downloadModeText.vue.download 132 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 121 de la citoyenneté romaine sont controversées, y compris chez les historiens romains : pour les uns, cette mesure a surtout pour but de percevoir davantage d’impôts, puisque les pérégrins ne payaient pas certaines taxes sur les héritages et les affranchissements ; pour les autres, il s’agit plutôt d’uniformiser les liens religieux entre le pouvoir impérial et les sujets de l’Empire, en généralisant les cultes officiels, en particulier le culte impérial dont les sanctuaires ne sont accessibles qu’aux citoyens romains. C’est cette tendance à l’unification des statuts et au développement de l’autorité impériale qui a fait du monde romain un véritable État, et non plus simplement un agrégat de provinces soumises à Rome. cardial, nom de la première civilisation d’agriculteurs néolithiques du midi de la France (sixième millénaire), dont la poterie est fréquemment décorée d’impressions de
coquillages, notamment de coques (cardium edule). La civilisation ou culture cardiale appartient, en fait, à un vaste ensemble, nommé parfois « impresso-cardial », qui s’étend le long des côtes de la Méditerranée centrale et occidentale, depuis la Grèce du Nord-Ouest, la Dalmatie, l’Italie, jusqu’en France et en Espagne, avec des implantations au Portugal et en Afrique du Nord. Ce sont les populations appartenant à cet ensemble qui introduisent dans ces régions l’agriculture et l’élevage, de tradition proche-orientale, se mêlant parfois aux indigènes, chasseurs-cueilleurs mésolithiques, dont elles adoptent quelques traditions techniques. La culture cardiale est connue surtout par la fouille de grottes, mais celles-ci sont en général des abris temporaires ou des haltes de bergers. Il existe aussi de véritables villages aux maisons de bois et de terre. L’économie repose surtout sur l’élevage des moutons et des chèvres ; la chasse est également pratiquée, à l’aide de flèches en silex à extrémité tranchante, ainsi que la pêche en haute mer. La culture cardiale maîtrise de fait la navigation maritime, et toutes les îles de la Méditerranée sont accostées, voire peuplées, dès cette époque. Les poteries, de forme hémisphérique, sont décorées d’impressions de coquillages en zigzag. Au cours du temps s’affirme une tendance à la diminution du décor et à l’apparition d’autres techniques (pastilles, rainures, cordons d’argile) : on parle alors, pour le cinquième millénaire, d’« épi-cardial ». C’est d’ailleurs à cette époque que le cardial s’éloigne progressivement des zones littorales, pour remonter en France vers le nord, à la fois par la vallée du Rhône et le long des côtes de l’Atlantique. Il rencontrera alors l’autre courant d’introduction du néolithique, le « rubané », issu d’Europe centrale. Carmel (le), dit aussi ordre de NotreDame du Carmel, ordre religieux fondé en Galilée, à la fin du XIIe siècle, lorsque des ermites s’établissent sur le mont Carmel, pour suivre l’exemple du prophète Élie. À partir de 1230, la conquête de la Terre sainte par les musulmans contraint les carmes à se replier en Occident. En 1247, ils reçoivent du pape le statut d’ordre mendiant et une règle d’inspiration dominicaine : l’ordre abandonne alors le mode de vie érémitique au profit d’une vie communautaire. Ses premiers établissements européens sont Valenciennes
en 1235 et Marseille en 1244. Conciliant idéal contemplatif, dévotion mariale et apostolat en milieu urbain, il jouit d’une grande popularité aux XIIIe et XIVe siècles. Après l’adoption par la majorité des carmes (carmes réformés, ou « déchaux ») de réformes introduites en Espagne en 1562 et 1568 par sainte Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix, l’ordre connaît un second essor en France, au XVIIe siècle. La restauration rigoureuse de la discipline, la recherche mystique de l’union à Dieu, la dévotion à la Vierge et au saint sacrement, et la polémique avec le protestantisme le placent au coeur de la réforme catholique et assurent son rayonnement spirituel sur les élites nobiliaires et bourgeoises. La branche féminine des carmélites (créée en 1452) est introduite en France dès 1604, à l’initiative de Pierre de Bérulle (1575-1629), et le premier couvent de carmes réformés apparaît à Paris en 1611. Le nombre des couvents s’accroît rapidement, grâce à l’appui de l’épiscopat et des milieux dévôts. La vénération, au XXe siècle, de la figure de Thérèse de l’Enfant-Jésus, religieuse au carmel de Lisieux de 1888 à 1897, canonisée en 1925, témoigne de l’importance que conserve la spiritualité carmélite dans le monde catholique contemporain. Carnac, commune du Morbihan, célèbre par ses monuments mégalithiques, notamment ses fameux « alignements » datant des IVe et IIIe millénaires avant notre ère. Carnac et les autres communes qui bordent le golfe du Morbihan recèlent une concentration de monuments mégalithiques sans comparaison avec le reste de la Bretagne et de la côte atlantique : au néolithique, cette petite région a donc dû jouer un rôle important dans les domaines politique, voire cérémoniel et économique. Les monuments les plus anciens, qui datent sans doute du début du IVe millénaire, sont de simples tertres en terre, tantôt plats - tel celui du Manio, qui était accompagné d’un menhir de 3 mètres de haut portant des serpents gravés à sa base -, tantôt monumentaux - on parle alors de « tumulus carnacéens », car les plus célèbres sont concentrés dans cette région. Le plus spectaculaire, celui de Saint-Michel, près du bourg de Carnac, maintenant surmonté d’une chapelle, mesure 125 mètres de long, 50 mètres de large et 10 mètres de haut. Ses couches d’argile successives recouvraient une quinzaine de petits coffres de pierres, contenant des ossements de boeuf, et une vaste chambre centrale en grosses pierres renfermant une douzaine de très grandes haches en roche verte (certaines sont de provenance alpine), d’autres plus pe-
tites et des perles semi-précieuses. Les monuments les plus classiques sont les dolmens, que l’on rencontre en nombre sur le territoire de la commune et à ses abords (et dont l’un est inclus dans le tumulus de Saint-Michel) : dolmens de Kercado, de Crucuny, de Kervilor, du Mané-Kerioned, etc. Enfin, les célèbres « alignements » appartiennent à une phase moyenne ou récente du mégalithisme (certains des menhirs étant implantés sur des monuments plus anciens). Ils se prolongent à leurs deux extrémités sur les communes d’Erdeven et de La Trinité-sur-Mer, et s’étendent à Carnac même sur 4 kilomètres, en une dizaine de rangées. Ils comprennent quelque 3 000 menhirs, répartis en trois groupements principaux : au nord-ouest, celui du Menec, avec les menhirs les plus hauts, qui s’achève sur un cercle de 70 pierres, ou cromlech ; au centre, celui de Kermario ; au nord-est, celui de Kerlescan. Leur orientation générale suggère qu’ils de vaient être en relation avec des cérémonies liées aux solstices. L’afflux de visiteurs a contraint à fermer l’accès direct aux menhirs, qui restent visibles depuis le pourtour. Cependant, un musée privé présentant un spectacle audiovisuel a été aménagé sur une partie du site. carnaval, fête populaire marquant un temps de réjouissance et de défoulement avant les privations du carême. Il est probable que l’histoire du carnaval puise son origine dans les fêtes païennes qui, pendant la morte saison, entre février et mars, devaient hâter le renouveau de la nature et faire appel aux ancêtres. Mais on sait comment l’Église a réussi à surimposer au calendrier agricole ses temps liturgiques. C’est au IXe siècle que l’obligation du carême devient plus contraignante, prenant la forme d’un jeûne pendant les quarante jours qui précèdent Pâques. L’opposition entre les deux périodes du cycle, la grasse et la maigre, devient alors plus tranchée : au temps des beuveries, de la liberté et des mascarades carnavalesques succède celui de l’abstinence, de la pénitence et de l’ordre social du carême. Les prêtres utilisent parfois les cendres du grand bûcher du Mardi gras, dernier jour des réjouissances carnavalesques, pour marquer au front des fidèles la croix du mercredi des Cendres, premier jour du carême. Le thème du combat entre Carnaval et Carême, magnifiquement illustré par le tableau
de Bruegel le Vieux (1559), existe en réalité dès le XIIIe siècle ; on y a vu parfois l’opposition entre une culture populaire truculente et la morale de l’Église, ennemie de toutes les joies du corps. Il est vrai que les processions parodiques du carnaval présentent une satire souvent virulente des réalités sociales et religieuses. Toutefois, on estime aujourd’hui que l’« inversion carnavalesque » (le temps d’une fête, les puissants sont raillés et les humbles, couronnés), parce qu’elle est temporaire et maîtrisée, contribue paradoxalement à renforcer l’ordre social. Même si, à l’occasion, la pantomime peut se faire menaçante : ainsi à Romans, en 1580, où le carnaval tourne à l’émeute populaire. Organisé par des confréries de métier et de quartier ou par des associations de jeunesse elles-mêmes contrôlées par les corps de ville, le carnaval échappe partiellement à la répression des formes de culture populaire des XVe et XVIe siècles. Mais la discipline imposée, au village comme en ville, par la Contre-Réforme catholique au XVIIe siècle contribue à vider le carnaval de sa charge subversive. S’il se maintient à l’époque contemporaine, c’est confiné au monde de l’enfance ou bien, comme dans downloadModeText.vue.download 133 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 122 les villes du nord de la France aujourd’hui, porté par un renouveau folklorique sans doute nostalgique des sociabilités d’antan. Carnot (Lazare Hippolyte), homme politique (Saint-Omer 1801 - Paris 1888). Héritier du républicanisme de Lazare Carnot, son père, qu’il a suivi en exil jusqu’en 1823, cet ancien saint-simonien prend part à la révolution de 1830. Élu député en 1839, il considère la république comme un idéal... hélas, lointain. En 1847, dans les Radicaux et la Charte, il limite ses requêtes à la responsabilité ministérielle et à une réforme électorale tendant au suffrage universel. Surpris mais enthousiasmé par 1848, il devient ministre de l’Instruction : il entend faire des instituteurs ruraux les propagandistes de l’idée républicaine, crée une éphémère École nationale d’administration et introduit l’enseignement agricole à l’école primaire, qu’il voudrait gratuite, obligatoire, voire laïque. Mais, début juillet, tenant cette dernière proposition pour trop avancée, l’Assemblée constituante
obtient sa démission. Élu député de Paris en mars 1850, lors de partielles qui effraient le parti de l’Ordre, il participe avec Victor Hugo et Victor Schoelcher au comité qui souhaite soulever Paris contre le coup d’État de 1851 - et doit s’exiler. Réélu en 1852 et en 1857, il démissionne plutôt que de prêter serment à l’Empereur. Il ne participe à la vie parlementaire que sous l’Empire libéral, après son succès de 1864, et soutient le programme décentralisateur des oppositions et les projets de Victor Duruy. En 1869, il est battu par Gambetta, puis par Rochefort. Réélu en 1871, devenu sénateur inamovible en 1875, il représente toutefois une génération de républicains qui s’efface au moment où la République se met en place. Carnot (Lazare Nicolas Marguerite), homme politique, mathématicien et ingénieur militaire (Nolay, Côte-d’Or, 1753 - Magdebourg, Allemagne, 1823). Lazare Carnot appartient à la mythologie révolutionnaire et à l’imagerie héraldique de la République victorieuse. Le marbre officiel ne doit pas pour autant faire oublier le savant rigoureux qui a contribué à l’émergence d’un nouveau pouvoir : celui de la communauté scientifique. • « L’organisateur de la victoire ». Fils d’un notaire bourguignon, Carnot est admis à l’École royale du génie de Mézières en 1771. Malgré son intelligence et les soutiens dont il dispose, il connaît une ascension difficile, en raison de sa naissance : lieutenant en 1773, il n’a que le grade de capitaine en 1789. En pleine période de réaction nobiliaire, il cherche dans la réflexion un dérivatif aux entraves de sa carrière militaire. En 1783, il publie un Essai sur les machines en général ; l’année suivante, il reçoit le premier prix de l’Académie de Dijon pour son Éloge de Vauban. Ce texte, qui dénonce le despotisme, l’oisiveté et l’inégalité sociale, lui vaut quelques déboires avec sa hiérarchie. Homme des Lumières pris dans le carcan de l’Ancien Régime, Carnot accueille favorablement la Révolution. En 1791, il est élu député du Pas-de-Calais à l’Assemblée législative, et il se spécialise dans les affaires militaires. Réélu à la Convention en 1792, il devient peu à peu l’un des personnages les plus influents de la Ire République. Réputé pour ses qualités de représentant du peuple en mission, notamment auprès de l’armée du Rhin et dans les Pyrénées, il est appelé à siéger au Comité de salut public le 14 août 1793, malgré la méfiance de Robespierre. Il se charge alors
plus particulièrement des opérations militaires et, à l’heure où la République est menacée de toutes parts, il théorise et organise un nouveau modèle de combat : la guerre de masse. Il rédige lui-même le fameux décret du 23 août 1793 concernant la levée en masse : « Dès ce moment, jusqu’à celui où les ennemis auront été chassés du territoire de la République, tous les Français sont en réquisition permanente pour le service des armées. » Théoricien, il n’hésite pas pour autant à prendre part aux opérations : le 16 octobre, il est à Wattignies lorsque les soldats de l’an II remportent une bataille décisive contre les Autrichiens. Dans les mois qui suivent, le danger d’invasion est progressivement écarté, et la victoire de Fleurus (26 juin 1794) illustre la puissance de la République. Carnot gagne alors le surnom d’« Organisateur de la victoire ». • Le politique et le savant. Organisateur, il l’a certes été pour les armées révolutionnaires, mais aussi pour les savants, qui, grâce à son influence, ont pris une part décisive à la défense nationale, et ont ainsi pu s’ériger en une communauté active capable d’imposer ses vues, notamment en matière d’enseignement. La fondation de l’École polytechnique, de l’École normale et des écoles de santé, à l’automne 1795, n’est pas étrangère à son action, même si elle ne lui est pas directement imputable. Politique avisé, Carnot participe au complot qui renverse Robespierre le 9 thermidor. Inquiété un moment, il poursuit sa carrière : membre de l’Institut dès sa création (octobre 1795), il est élu député de la Sarthe au Conseil des Anciens, puis devient directeur. Mais son indécision lors du coup d’État antiroyaliste du 18 fructidor an V (4 septembre 1797) le met dans une situation délicate : il s’enfuit en Suisse. Il regagne Paris en janvier 1800, pour servir Bonaparte, son ancien protégé. Nommé ministre de la Guerre en avril, il démissionne dès octobre. Son parcours est alors chaotique, à l’image de ses relations avec Napoléon : il est député du Tribunat de 1801 à 1807, gouverneur de la place forte d’Anvers en 1814, ministre de l’Intérieur lors des Cent-Jours. Pendant cette période, il reprend son oeuvre scientifique, faisant paraître en 1803 les Principes fondamentaux de l’équilibre et du mouvement, qui exerceront une influence durable sur la physique mécanique. Réfugié en Allemagne après Waterloo, il finit sa vie en exil. Ses cendres seront transférées au Panthéon en 1889, alors que son petit-fils, Sadi Carnot, est président de la République. Carnot (Marie François, dit Sadi), homme
politique, président de la République du 3 décembre 1887 au 25 juin 1894 (Limoges 1837 - Lyon 1894). Quand le président Jules Grévy démissionne en 1887, Clemenceau, qui veut empêcher l’élection de Ferry, hostile aux radicaux, et dont le succès pourrait déclencher une émeute à Paris, met en avant Sadi Carnot : ce polytechnicien et ingénieur des Ponts et Chaussées, député de la Côte-d’Or depuis 1871, s’est illustré par son intégrité comme ministre des Finances en refusant les recommandations du gendre de Grévy. Clemenceau le considère comme réactionnaire - il n’est pas anticlérical - et peu intelligent - la légende lui fait dire : « Je vote pour le plus bête. » Mais il ajoute que ce candidat porte « un beau nom républicain » : il est en effet le petit-fils de Lazare Carnot et le fils de Lazare Hippolyte Carnot. En l’élisant, la République s’offre une dynastie et un président respectueux des prérogatives du Parlement, sans être pour autant inexistant : en politique extérieure, il facilite l’alliance franco-russe ; sur le plan intérieur, il préside aux cérémonies de 1889, armes symboliques pour la République face au danger représenté par le général Boulanger, et inaugure la pratique des voyages en province, y faisant applaudir davantage le régime que sa propre personne. Pourtant, il incarne une République désormais conservatrice : celle de la fusillade de Fourmies. C’est pour avoir refusé la grâce à des anarchistes condamnés à mort - Ravachol et Auguste Vaillant, dont la bombe lancée en plein Parlement n’avait tué personne - qu’il est assassiné à Lyon par un jeune Italien, Sante Caserio. Ses cendres seront transférées au Panthéon. l CAROLINGIENS. La dynastie des Carolingiens (de Carolus, « Charles », par référence à Charlemagne) a régné sur le royaume des Francs du milieu du VIIIe au Xe siècle. Son histoire se divise en deux périodes. La première (vers 750-vers 830), qui culmine avec la restauration de l’Empire au profit de Charlemagne le 25 décembre 800, est celle de la construction d’une monarchie sacrée, soucieuse d’étendre les limites de la Chrétienté et de mettre en ordre la société Chrétienne. La seconde est marquée par des guerres fratricides, puis par le dépeçage de l’héritage impérial, qui aboutit à l’apparition de plusieurs royaumes - dont la Francia occidentalis (ancêtre de la France) et la Francia orientalis (ancêtre de l’Allemagne) -, dans lesquels les plus grandes familles de l’aristocratie disputent et, finalement, enlèvent le pouvoir à
des Carolingiens affaiblis : en France, c’est chose faite en 987. LES PIPPINIDES, OU LES ORIGINES D’UNE FORTUNE FAMILIALE Les ancêtres des Carolingiens sont mentionnés dans les textes au cours de la première moitié du VIIe siècle. À cette époque, le royaume des Francs est rituellement partagé entre les héritiers mérovingiens, et l’Austrasie (« royaume de l’Est », situé en fait au nordest de la Gaule) se singularise par son propre palais, dont les plus hautes familles de l’aristocratie régionale se répartissent les charges. Parmi elles, les Pippinides (du nom de Pépin), tout-puissants dans le bassin de la Meuse, et les Arnulfides (du nom d’Arnoul), implantés downloadModeText.vue.download 134 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 123 dans la vallée de la Moselle : leur force réside dans leur fortune foncière, le réseau d’églises qu’ils ont fondées et le nombre de leurs fidèles armés, engagés à leur côté par les liens de la vassalité. Sous les règnes de Clotaire II (roi de Neustrie - le « royaume du Nord-Ouest » - de 584 à 629, puis d’Austrasie de 613 à 629) et de Dagobert (629/639), qui marquent l’apogée de la puissance mérovingienne, un Arnoul est évêque de Metz, et un Pépin (Pépin Ier, dit l’Ancien) est major domus, c’est-à-dire qu’il occupe la mairie du palais d’Austrasie ; ses descendants tentent de rendre cette charge héréditaire au moment où commence à se déliter le pouvoir des rois, dans la seconde moitié du VIIe siècle. Cette situation profite moins au fils de Pépin, Grimoald, qu’à son petit-fils, Pépin II, dit de Herstal, lequel, né du mariage de Begga, fille de Pépin Ier, et d’Ansegisel, fils d’Arnoul, cumule ainsi la fortune de ses deux grands-pères. Maire du palais d’Austrasie vers 680, à une époque où cette fonction a éclipsé une royauté devenue purement nominale, il vainc à Tertry (687), avec une armée de fidèles, son rival, le maire du palais de Neustrie. Il refait ainsi, à son avantage, l’unité de la Gaule du Nord, et entreprend bientôt (vers 690-695) la reconquête du delta du Rhin, occupé par les Frisons païens. Pour les convertir, il s’associe à des missionnaires anglo-saxons qui agissent en concertation avec la papauté : c’est là l’occasion d’un premier rapprochement entre les Pippinides et le siège romain, qui n’avait guère eu, jusqu’alors,
d’influence sur les églises de Gaule. Quand Pépin meurt en 714, c’est avec de grandes difficultés que son fils Charles, né d’une union de second rang, sauve l’héritage, menacé de toutes parts par la rébellion des vaincus de la veille. Mais, une fois les positions de son père rétablies (vers 720), il se lance dans une ambitieuse politique militaire et civile. Maître de la Gaule du Nord, il mène des campagnes répétées et brutales en Germanie (d’où son surnom de « Martel », marteau), dont il veut intégrer (ou réintégrer) les peuples dans le royaume des Francs. Il porte ensuite la lutte en Gaule du Sud-Est, où les grands ont assis leur indépendance. Il utilise de préférence l’armée de ses propres vassaux, auxquels il concède, en bénéfices, des terres confisquées aux églises, afin qu’ils aient les moyens de s’armer pour le combat à cheval. Ces mesures lui sont amèrement reprochées, mais il trouve bientôt l’occasion de se présenter comme le champion de la chrétienté, lorsque, sollicité par le duc Eudes d’Aquitaine confronté aux musulmans d’Espagne, il les terrasse près de Poitiers, peut-être le 25 octobre 732. Parfois appelé « prince des Francs », voire « viceroi », Charles, qui a pris l’habitude de choisir les comtes et les évêques parmi ses propres fidèles, adopte une attitude quasi régalienne quand, avant de mourir en 741, il partage ses pouvoirs entre ses fils Carloman Ier et Pépin III (« le Bref », suivant la tradition). Aussitôt, les deux frères se lancent dans une politique de réforme religieuse et d’approfondissement de la christianisation, en réunissant des conciles placés sous l’autorité de l’évêque missionnaire d’origine anglo-saxonne Boniface. Ils se rapprochent ainsi des élites spirituelles du clergé et de la papauté. Aussi, quand Pépin devient en 747 seul maire du palais, après que son frère a choisi de se faire moine au Mont-Cassin, il peut songer à déposer Childéric III, le dernier Mérovingien, et à devenir roi. Pépin III est alors l’homme le plus puissant d’Occident. Il dispose d’atouts multiples : fortune patrimoniale augmentée par des confiscations et des butins ; réseau de fidélités que les victoires font toujours plus nombreuses ; contrôle politique des trois quarts de la Gaule et de la Germanie par le quasi-monopole des nominations comtales et épiscopale ; service de propagande même, qui, par le relais des monastères affidés, célèbre les mérites d’une lignée qui a donné à Dieu non seulement son bras armé contre l’Infidèle, mais encore plusieurs de ses saints (Arnoul, porté sur les autels sitôt après sa mort ; ou encore Ger-
trude, fille de Pépin Ier) ; caution du pape Zacharie, enfin, qui, sollicité par une ambassade franque, assure que, pour Dieu, doit être roi celui qui détient la réalité du pouvoir. DE LA ROYAUTÉ À L’EMPIRE : L’APOGÉE CAROLINGIEN (751-830) Après avoir déposé Childéric III en 751, Pépin III se fait donc acclamer roi par le peuple en armes. Surtout - innovation à la portée considérable -, il ajoute au rituel d’intronisation militaire hérité de la tradition franque une cérémonie religieuse empruntée à la monarchie wisigothique et, en deçà, à la royauté juive de l’Ancien Testament : il est sacré par l’onction des évêques, ce qui le fait roi par la grâce de Dieu. Trois ans plus tard, en 754, ce geste est repris par le pape Étienne II, venu trouver Pépin au coeur de son royaume pour requérir son aide contre les Lombards qui assiègent Rome ; à la suite de tractations au terme desquelles Pépin s’engage à conduire une expédition militaire en Italie, Étienne II le sacre de nouveau, à Saint-Denis, mais cette fois en même temps que ses deux jeunes fils, Charles et Carloman II, garantissant ainsi la pérennité de la dynastie. Deux campagnes sont nécessaires à Pépin pour libérer l’Italie centrale et pour créer, grâce au renfort permanent d’une garnison franque, le Patrimoine de Saint-Pierre (756) : ainsi se trouve durablement scellée l’union de la nouvelle monarchie et de la papauté. Jusqu’à la fin de son règne, Pépin III parachève l’unification du royaume des Francs en soumettant l’ensemble de l’Aquitaine, et approfondit l’oeuvre de christianisation naguère entreprise avec son frère aîné, diffusant en particulier l’influence romaine en matière de liturgie et d’organisation ecclésiale. C’est un royaume assurément renforcé qu’à sa mort, en 768, il transmet à ses fils, associés depuis leur enfance à la royauté. Devenu seul roi à la mort de Carloman II en 771, Charles (Carolus magnus, Charlemagne) donne une ampleur nouvelle à la politique héritée de ses ancêtres. Il légifère abondamment, afin d’assurer l’ordre et la paix sociale, et il multiplie les conquêtes. Ainsi, appelé à l’aide par le pape, de nouveau victime des agressions lombardes, il se rend en Italie, vainc le roi lombard, et se fait proclamer souverain à sa place (774), créant un régime d’union personnelle entre les deux royaumes. Au prix de campagnes répétées et acharnées (772799), il soumet les Saxons, dernier peuple
de Germanie à échapper encore au pouvoir des Francs, et il achève de rassembler tous les autres peuples, qui avaient pu jusqu’alors garder quelque autonomie, dans le système normalisé de l’administration franque. Il met au pas les Avars (795-796), peuple des steppes installé en Pannonie et qui semait le trouble dans le Bassin danubien. Certes, sa première expédition espagnole se solde par l’échec de Roncevaux, où son arrière-garde est massacrée par les Basques (778), mais son fils Louis, roi délégué en Aquitaine, conquiert en son nom Barcelone (801), faisant de la Catalogne une Marche d’Espagne. Ainsi, aux alentours de 800, Charlemagne se trouve maître d’un territoire immense, de la Marche du Danemark à la Marche d’Espagne, de la Marche de Bretagne à la Marche de l’Est (Ostmark, plus tard Österreich). Peut-être certains esprits cultivés de son temps le jugent-ils aussi puissant que les anciens empereurs romains ; en tout cas, il ne leur paraît pas insensé d’envisager pour lui la restauration d’un empire en Occident, empire disparu depuis 476. Sans doute le projet mûrit-il dans les toutes dernières années du VIIIe siècle, à la fois à la cour franque d’Aix-la-Chapelle, où Charles a réuni les élites intellectuelles de l’Europe chrétienne, et à la cour pontificale, où le pape Léon III, malmené par une opposition farouche, cherche le soutien d’une force temporelle énergique et dotée des moyens juridiques d’intervenir à Rome pour le rétablir dans la plénitude de son autorité. C’est semble-t-il à l’occasion de la rencontre des deux hommes à Paderborn, en 799, qu’est décidée la renovatio Imperii. Ainsi, le 25 décembre 800, dans la basilique (donc sur le tombeau) de saint Pierre de Rome, Léon III couronne Charles empereur, suivant un rituel inspiré de celui qui est encore en usage à Byzance, capitale de l’Empire romain d’Orient. Malgré les protestations byzantines mettant en avant l’exclusivité de la légitimité impériale, il suffit à Charles d’une opération d’intimidation pour que les Byzantins reconnaissent, en 812, sa nouvelle dignité. Et, l’année suivante, Charles peut la transmettre lui-même, lors d’une cérémonie qu’il organise et dirige à Aix-la-Chapelle, à Louis (dit « le Pieux »), seul survivant de ses fils légitimes, qui lui succède à sa mort, en 814. Assurément, le titre impérial confère au pouvoir carolingien un éclat et des responsabilités nouveaux que Charles, puis Louis dans les premières années de son règne, assument pleinement, conseillés par un entourage composé d’un nombre croissant de clercs. La
royauté, et plus encore l’Empire, apparaissent alors comme des fonctions dévolues par Dieu lui-même à leur titulaire, qui doit se charger ici-bas de préparer le salut dans l’au-delà de la société chrétienne qui lui est confiée. Toute la législation carolingienne, surtout contenue dans des capitulaires (actes législatifs partagés en capitula, ou petits chapitres), exprime le souci que chacun connaisse les devoirs et respecte les règles de vie de l’ordo auquel il appartient - ordre des moines, ordre des clercs, ordre des laïcs. La loi se fait normalisatrice, imposant la même règle - dite « des chanoines » - au clergé des cathédrales (rédownloadModeText.vue.download 135 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 124 forme conduite par étapes, depuis les années 750 jusqu’au concile d’Aix de 816) et la même règle - celle de saint Benoît - à tous les monastères de l’Empire (réforme préparée par Charlemagne, et parachevée par Louis le Pieux en 817). Chacun, moine, clerc ou laïc, se doit de respecter la paix sociale et de satisfaire aux exigences religieuses et morales qui sont les siennes. Et, pour que chacun en soit informé, il est apparu indispensable au législateur (dès le capitulaire de 789, appelé Admonitio generalis) de diffuser par l’école les instruments de base de la connaissance. Pour mieux contrôler le corps social, les premiers Carolingiens ne se contentent pas de nommer, comme par le passé, les comtes, les évêques et les abbés des grands monastères (leur choix fut d’ailleurs judicieux), de les faire inspecter par des missi dominici, ou de leur demander des rapports d’activité ; ils font des liens de fidélité personnelle un moyen de gouvernement. Charlemagne incopore dans sa propre vassalité tous les puissants de la société franque, parmi lesquels se recrutent les comtes, les évêques, les abbés ; il leur impose ainsi un système de dépendance personnelle qui exige d’eux, non plus seulement le service public dû à l’État, mais un service privé de tous les instants, infiniment plus contraignant, dû à sa propre personne. Cette confusion entre service public et engagement privé était extrêmement dangereuse. Efficace sous un prince fort et conquérant comme Charlemagne, qui drainait les énergies et récompensait les fidélités, elle va s’avérer catastrophique dans les périodes de faiblesse royale : alors, les grands seront tentés de monnayer leur fidélité, et de s’approprier ce qu’ils en consi-
dèrent comme la rémunération, à savoir leurs honores (c’est-à-dire leurs charges publiques et les revenus qu’ils en tirent). C’est ce qui ne manque pas de se produire quand la famille royale commence de s’entre-déchirer. LA DISLOCATION DE L’UNITÉ CAROLINGIENNE Louis le Pieux s’est occupé de sa succession dès les premières années de son règne personnel. Par l’ordonnance de 817, il a associé son fils aîné Lothaire à la dignité impériale et lui a promis sa succession, ne concédant aux deux puînés qu’une royauté déléguée, pour l’un (Pépin) en Aquitaine, pour l’autre (Louis) en Bavière : l’unité impériale paraît préservée. Mais, en 823, quand Louis a un fils d’un second lit, Charles, et qu’il veut lui constituer un royaume, il déclenche un soulèvement général - des clercs de son entourage (soucieux de l’unité de l’Empire), des fils aînés (qui s’estiment lésés) et de nombre d’aristocrates (qui n’acceptent pas la rupture du précédent engagement). En 830 s’ouvrent ainsi treize années de guerres civiles, au cours desquelles Louis le Pieux est un temps déposé par ses fils, et qui donnent lieu à plusieurs renversements d’alliances et à la rédaction de divers traités et projets de partage en contradiction les uns avec les autres. Finalement, Pépin étant mort en 838 et Louis le Pieux en 840, les trois fils survivants concluent le traité de Verdun (843), qui partage l’empire de Charlemagne en trois lots à peu près égaux (Francie occidentale à Charles, dit « le Chauve » ; Francie médiane à Lothaire ; Francie orientale à Louis, dit « le Germanique »). Il ne reste plus grand-chose de l’esprit de l’ordonnance de 817, car, si Lothaire conserve le titre impérial, la royauté de ses frères est désormais pleinement souveraine. En outre, son lot, étiré de la mer du Nord à l’Italie, est le plus vulnérable, sans unité géographique ni linguistique. Or c’est lui qui meurt le premier, en 855 : le partage de son héritage entre ses trois fils et la dévolution de la couronne impériale à celui d’entre eux qui ne règne que sur l’Italie jettent un peu plus de discrédit sur l’idée d’Empire, et aiguisent la convoitise de Louis le Germanique et de Charles le Chauve, qui dépècent la Lotharingie, royaume de leur neveu Lothaire II, mort sans héritier légitime en 869. Charles le Chauve, devenu empereur en 875, va relever quelque temps l’éclat du titre impérial. Mais ce dernier, transmis après lui de roitelet carolingien en roitelet carolingien, perd définitivement toute valeur, avant de
disparaître en 924. Dans la Francie orientale en voie de devenir Allemagne, les héritiers de Louis le Germanique (mort en 876), incapables de riposter aux attaques extérieures conduites par les Vikings et les Hongrois, doivent peu à peu abandonner leur pouvoir aux chefs des aristocraties régionales, appelés « ducs », notamment à ceux de Saxe. Ceux-ci accèdent à la royauté avec Henri Ier en 919, et, en 962, avec Otton Ier, restaurent un Empire prétendu « romain », en fait allemand. En Francie occidentale, qu’on peut désormais appeler France, la royauté est confrontée à la même double menace : danger extérieur (surtout viking) et désagrégation intérieure, du fait des revendications d’autorité des grands qui, pendant la guerre civile, n’ont pas toujours su à quel roi ils devaient fidélité, et qui en fin de compte monnayent chèrement leur ralliement à Charles le Chauve. Celui-ci s’en accommode habilement, d’abord par l’accord contractuel de Coulaines (843), au terme duquel il accepte de gouverner avec l’aide et le conseil des grands, laïcs et ecclésiastiques, ensuite par le capitulaire de Quierzy (877), selon lequel il reconnaît le droit des fils de comtes à hériter de l’honneur de leur père, entérinant la pratique déjà bien ancrée de la patrimonialisation des charges publiques. C’est à ce prix que Charles remporte encore quelques succès. Mais, après sa mort (877), les plus puissantes des familles comtales, en particulier celles qui étaient le plus confrontées aux dangers extérieurs, revendiquent d’abord leur autonomie militaire, puis l’exercice de plein droit des prérogatives régaliennes dans leur comté (en matière de justice, d’impôts, de nominations ecclésiastiques) et, enfin, leur droit d’ingérence dans l’élection royale. C’est ainsi que trois membres de la famille des comtes de Paris, ou Robertides, deviennent rois contre des prétendants carolingiens : Eudes (888/898), Robert Ier (922/923), Hugues (987/996) enfin, qui, faisant sacrer son fils de son vivant, ainsi que Pépin III l’avait fait en 754, prend les mesures pour pérenniser dans sa descendance la succession dynastique. C’en est fini non seulement du dominium carolingien sur l’Occident, mais de l’unité de l’Occident, désormais livré à la dissolution des pouvoirs. LE LEGS CAROLINGIEN Le legs des Carolingiens à l’Occident n’en est pas moins immense. Dans l’ordre écono-
mique et social, ils ont, par leur politique et leur législation, encouragé le développement des structures domaniales d’où allait émerger la seigneurie médiévale, orienté résolument les flux du grand commerce en direction du Nord, et multiplié l’usage des liens vassaliques qui donneront son tissu et ses déchirements à la société féodale. Dans le domaine religieux, ils ont approfondi la christianisation et étendu les limites de la chrétienté, la dotant partout - en concertation avec des papes considérés comme des bras droits en matière spirituelle - des mêmes structures d’encadrement et des mêmes pratiques liturgiques. Dans le domaine culturel, ils ont promu la multiplication des ateliers d’écriture et la diffusion de livres bien écrits (dont de nombreux exemplaires, copies d’oeuvres plus anciennes ou oeuvres originales, sont parvenus jusqu’à nous). Dans l’ordre artistique, ils ont encouragé, à partir de laboratoires parfois installés dans le palais même, le développement d’écoles de peinture (surtout sur parchemin) et de sculpture (surtout sur ivoire), et la promotion d’une nouvelle architecture religieuse opérant la synthèse de traditions antiques ou orientales et tendant à concentrer dans un même édifice - ce qui était nouveau - l’ensemble des cérémonies du cycle liturgique. Dans l’ordre politique enfin, ils ont rêvé l’unité de l’Occident, et ont imposé le modèle de la monarchie chrétienne : certes, comme on le sait, le rêve unitaire s’est brisé contre toutes les forces d’éclatement, mais le modèle du monarque chrétien s’est perpétué dans tous les États héritiers. Carrel (Armand), journaliste (Rouen 1800 - Saint-Mandé 1836). Ce fils de drapier entre à Saint-Cyr pour embrasser une carrière militaire. Mais son caractère ardent et ses liens avec la société secrète de la charbonnerie lui valent l’hostilité de ses supérieurs. En 1823, il quitte l’armée, pour aller se battre en Espagne aux côtés des libéraux. Capturé, condamné à mort puis acquitté, il gagne Paris en 1824. Il s’y fait connaître par des articles et des ouvrages historiques (Histoire de la contre-révolution d’Angleterre, 1827). Avec Adolphe Thiers et Auguste Mignet, il fonde un puissant organe d’opposition, en janvier 1830 : le National. Les ordonnances du 25 juillet, destinées à bâillonner la presse et la Chambre des députés, l’indignent. Hostile, néanmoins, à toute idée d’insurrection, il ne participe pas aux journées révolutionnaires des 27, 28 et 29 juillet. Sous sa direction, le National se
désolidarise peu à peu du régime de Juillet. La passivité française à l’égard des questions polonaise et italienne y est vigoureusement dénoncée, ainsi que la politique menée par Casimir Perier. En janvier 1832, Carrel se déclare républicain. Influencé par le modèle downloadModeText.vue.download 136 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 125 de la démocratie américaine, également fidèle au souvenir impérial, il est très écouté dans les milieux d’opposition. Les poursuites répétées qui visent sa personne ou son journal, et la haine farouche que lui voue Thiers - notamment lors de sa candidature malheureuse à la Chambre - n’entament pas sa détermination. C’est en tant que journaliste qu’il mène son ultime combat : en désaccord avec Émile de Girardin sur la presse à bon marché, il le rencontre en duel, et y laisse la vie. Carrier (Jean Baptiste), homme politique (Yolet, Cantal, 1756 - Paris 1794). Fils d’un cultivateur aisé, procureur en 1785, membre du club jacobin d’Aurillac, il est élu en 1792 à la Convention, où il siège avec les montagnards. Représentant en mission, il est envoyé en Normandie en juillet 1793, puis à Rennes, et enfin à Nantes, du 8 octobre 1793 au 8 février 1794. C’est durant cette dernière mission qu’il s’illustre par la violence et la démesure de son action, procédant à des exécutions massives, dont les fameuses « noyades de Nantes ». Dénoncé au Comité de salut public, il est rappelé à Paris, où, craignant des sanctions, il ne s’oppose guère au 9 Thermidor. Cependant, en le décrétant d’accusation le 23 novembre 1794, les thermidoriens font de lui l’incarnation même de la politique « terroriste » de l’an II. Jugé avec les membres du comité révolutionnaire nantais par le Tribunal révolutionnaire, haï de tous, il est déclaré seul responsable et guillotiné le 16 décembre. « Patriote délirant », taciturne et exalté, Carrier demeure un objet de controverse, tant pour sa personnalité que pour le caractère et les conséquences de sa mission dans la guerre de Vendée. Cartel des gauches, alliance entre les radicaux et les socialistes, qui remporte les élections législatives de mai 1924. Ces dernières sont dominées par l’affronte-
ment entre les candidats du Bloc national, regroupant les modérés et la droite, et le Cartel des gauches. Les deux camps manquent d’unité, mais le Cartel fait preuve d’une cohésion plus forte, bien qu’il ne dispose pas de programme commun. L’enthousiasme de l’opinion de gauche, la propagande de journaux tels que le Quotidien, une participation massive, assurent au Cartel (la coalition fonctionne bien dans les trois quarts des circonscriptions) la victoire aux élections législatives. Victoire cependant fragile, car si le Cartel obtient la majorité des sièges grâce au mode de scrutin (socialistes et radicaux retrouvent à peu près leurs positions de 1914), la droite est majoritaire en voix. La crise présidentielle de 1924 permet d’obtenir la démission d’Alexandre Millerand, qui, aux yeux de la gauche, avait outrepassé ses fonctions en préconisant un renforcement de l’exécutif et en exprimant son soutien au Bloc national sortant. Gaston Doumergue est élu président de la République, et Édouard Herriot devient président du Conseil, le 15 juin 1924. • Une politique de gauche. En politique étrangère, le gouvernement cherche l’apaisement dans la question des « réparations » en acceptant un aménagement de leur montant. Il reconnaît l’État soviétique, le 28 octobre 1924, et fait prévaloir ses vues dans le rapprochement franco-allemand (conférence de Locarno, 5-16 octobre 1925). Mais cette stratégie de détente, partagée entre idéalisme et réalisme, se heurte aux premiers craquements des empires coloniaux, qui, en revanche, suscitent l’adoption d’une politique répressive semblable à celle menée par le Bloc national : lutte au Maroc contre Abd el-Krim, capturé au printemps 1926 et déporté à l’île de la Réunion ; répression des révoltes en Syrie et au Liban par les généraux Weygand et Sarrail. À l’intérieur, le gouvernement du Cartel prend des mesures symboliques, comme le transfert des cendres de Jean Jaurès au Panthéon (23 novembre 1924), mais il achoppe sur la question de la laïcité, notamment lorsqu’il cherche à instaurer la séparation de l’Église et de l’État en Alsace-Lorraine. Cette politique échoue face à l’opposition violente des milieux catholiques, conduits par le général de Castelnau et sa Fédération nationale catholique, qui compte jusqu’à 1,8 million d’adeptes. Mais c’est sur le front économique que va se jouer l’avenir du Cartel. La crise structurelle des finances publiques et le flé-
chissement du renouvellement des bons du Trésor font peser la menace d’une crise de trésorerie. Le gouvernement a recours aux avances de la Banque de France. En 1925, rompant une loi du silence qui faisait accepter jusqu’alors les bilans fabriqués et les dépassements exceptionnels, le Conseil des régents de la Banque de France révèle que le Cartel a crevé le plafond légal des avances. Le gouvernement Herriot, qui prétend s’être heurté à un « mur d’argent », est contraint à la démission, le 10 avril 1925. • Le déclin du Cartel. La majorité du Cartel investit Paul Painlevé, le 17 avril 1925. L’hostilité d’Édouart Herriot et des plus cartellistes face à sa politique de centre droit impose de nombreux remaniements et, finalement, la chute du ministère. Le gouvernement Briand qui lui succède n’a pas plus de chance. L’exaspération de Doumergue (lequel souhaite démontrer l’impuissance d’une alliance cartelliste) et la chute vertigineuse du franc ramènent Herriot à la présidence du Conseil, pour deux jours (19-21 juillet 1926). En pleine crise financière, Poincaré reprend le pouvoir, cédé au Cartel deux ans plus tôt, et constitue un gouvernement d’union nationale (23 juillet 1926). Ainsi s’achève l’expérience du Cartel des gauches. Dans l’imaginaire politique français, Poincaré le sauveur succède au naufrageur Herriot. L’échec économique du Cartel des gauches - dû à la fois à l’hostilité des milieux financiers, à la vigueur du culte de l’étalon or dans le pays et à l’opposition entre radicaux et socialistes - a longtemps marqué l’image de la gauche, réputée mauvaise gestionnaire. Cartier (Jacques), explorateur (Saint-Malo 1491 - id. vers 1557). Grand notable de Saint-Malo et époux d’une riche héritière bretonne, il est désigné par François Ier pour découvrir un passage par le nord du Nouveau Monde vers la Chine, ainsi que « certaines îles ou pays où l’on dit qu’il se doit trouver grande quantité d’or et autres riches choses ». Cartier part en avril 1534 et effectue une reconnaissance minutieuse de tout le golfe du Saint-Laurent, sans pour autant s’avancer sur le fleuve. De cette expédition, qui prend fin en septembre 1534, il ne ramène, en guise d’or, que quelques Indiens, conformément à la pratique de l’époque. Il repart en 1535, et, guidé par les Indiens, s’engage sur le Saint-Laurent, et remonte jusqu’à Hochelaga, qu’il nomme Mont-Royal (Mon-
tréal). Il rentre en France muni des preuves de l’insularité de Terre-Neuve, et chargé de récits de voyages, mais sans or ni richesses. Toutefois, François Ier, qui a besoin de fonds pour financer ses guerres, s’acharne. Pour contourner la bulle d’Alexandre VI Borgia, qui partage l’Amérique entre les Espagnols et les Portugais, il donne aux nouveaux voyages des buts missionnaires et colonisateurs. En 1541, Jacques Cartier repart avec le seigneur de Roberval, lieutenant général, et des colons. Croyant avoir trouvé de l’or et des diamants, il ne rapporte que du mica et de la pyrite. L’embryon de colonie est finalement ravagé par la maladie ou anéanti par les Indiens. Le « découvreur du Canada » se retire dans son manoir de Limoëlou, où il s’éteint. Cartouche (Louis Dominique Gartauszien, dit), voleur (Paris 1693 [ ?] - id. 1721). Issu d’un milieu populaire, il devient, pendant la Régence, l’un des délinquants les plus actifs de la capitale, commettant pour l’essentiel des vols peu élaborés et violents (agression et effraction nocturnes). Sa renommée doit beaucoup au retentissement que les autorités donnèrent à son procès : profondément discrédité par la faillite du système de Law, le pouvoir politique se devait de démentir les rumeurs qui attribuaient la responsabilité d’une vague d’assassinats crapuleux à des agioteurs de haut rang. Pour faire pièce à cette vision polémique de la criminalité, les autorités dévoilent, à l’occasion d’un procès spectaculaire, l’existence d’une puissante organisation clandestine de voleurs recrutant dans les basfonds. En état d’arrestation, Cartouche sert ce projet en dénonçant près de 90 personnes, avant d’être exécuté (novembre 1721), déclenchant ainsi une dynamique de la délation. La justice peut alors entreprendre une vaste opération d’éradication de la pègre parisienne qui, de 1721 à 1724, permet d’arrêter plus de 350 délinquants. Le procès de Cartouche et de ses complices, qui sera scandé par des vagues d’exécutions publiques, n’eut cependant pas l’effet escompté. Petit truand sans vocation justicière, Cartouche y gagna une envergure de grand criminel, fédérateur et chef suprême des voleurs parisiens. Il suscita curiosité et fascination, et celui qui n’aurait dû être qu’un bouc émissaire devint un héros. La littérature qui entoura l’affaire participa à cette « héroïsation », sans toutefois outrepasser les limites imposées par la censure. Ainsi, l’Histoire de la vie et du procès du fameux Louis Dominique Cartouche, livret anonyme publié en 1722,
justifie la répression en décrivant une bande downloadModeText.vue.download 137 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 126 strictement organisée qui n’exista jamais. Cette biographie, largement imaginaire, offre cependant un portrait très ambivalent du bandit, meurtrier sanguinaire mais doté de qualités qui font les hommes d’exception : audace, intelligence, sens de l’organisation et du commandement. Appartenant à la bibliothèque bleue, cet ouvrage, qui connut un énorme succès dès sa parution, permit à Cartouche de s’inscrire dans la mémoire collective. Constamment réédité jusqu’en 1856, il servit par la suite de source principale aux érudits de la fin du XIXe siècle, qui reprirent à leur compte l’image mythique du bandit parisien. Plus récemment, le cinéma a contribué à réactiver la renommée de Cartouche en lui conférant, sous les traits de Jean-Paul Belmondo, une image plus franchement positive de bandit au grand coeur. Casimir-Perier (Jean), homme politique, président de la République du 27 juin 1894 au 15 janvier 1895 (Paris 1847 - id. 1907). Petit-fils de Casimir Perier, chef de gouvernement de Louis-Philippe, fils d’un ministre de l’Intérieur de Thiers, il est aussi l’héritier de la majorité des actions des mines d’Anzin. À partir de 1876, Jean Casimir-Perier est député républicain de l’Aube, et sous-secrétaire d’État à l’Instruction publique de Dufaure, en 1877. Il incarne la fusion entre l’orléanisme et la république modérée, au point de démissionner de son siège de député en 1880 pour protester contre une loi privant les princes d’Orléans de leurs grades dans l’armée. Plusieurs fois ministre, président de la Chambre en 1893, puis chef du gouvernement, il entend rassembler les républicains modérés et les catholiques ralliés, contre la gauche radicale ou socialiste. Eugène Spuller, son ministre de l’Instruction publique, précise sa politique en parlant de « faire prévaloir en matière religieuse un véritable esprit de tolérance » : « l’esprit nouveau », qui répond au ralliement. Une bombe lancée par l’anarchiste Vaillant en pleine Chambre fournit l’occasion de faire voter ce que la gauche qualifie de « lois scélérates ». Ces dernières punissent de prison l’incitation au vol ou la provocation au meurtre, et transfèrent les délits de presse du jury populaire des assises aux tribunaux correctionnels. Elles
contribuent au renversement de CasimirPerier en mai 1894 ; il n’en retrouve pas moins la présidence de la Chambre, le 2 juin. Dans l’émotion qui suit l’assassinat de Sadi Carnot, il est élu président de la République, le 27 juin, contre le radical Brisson. Mais, à l’Élysée, il ne supporte ni les strictes limites que la tradition républicaine fixe à son action politique, ni sa mise à l’écart par les ministres, ni la campagne que la gauche mène pour dénoncer sa richesse et son autoritarisme. Il se plaint du manque « de moyens d’action et de contrôle », et d’une « campagne de diffamation et d’injures contre l’armée, la magistrature, le Parlement, le chef irresponsable de l’État ». Il affirme ne pas se résigner à « comparer le poids des responsabilités morales qui pèsent sur [lui] et l’impuissance à laquelle [il est] condamné », et démissionne le 15 janvier 1895, mettant, à 47 ans, un terme à sa vie politique. Au-delà de l’abaissement réel de la présidence depuis Grévy, ce qu’il dénonce en se comparant à un « maître des cérémonies », c’est aussi la politique de concentration au centre qui montre, avec lui, ses limites. Cassel (bataille de), victoire remportée, le 23 août 1328, par le roi de France Philippe VI de Valois sur les Flamands révoltés contre son vassal, le comte Louis de Nevers. Depuis 1323, ce dernier assume le lourd héritage de son grand-père, Robert de Béthune, qui s’était engagé contre la couronne : d’abord victorieux, avec les milices urbaines, de la chevalerie française à Courtrai en 1302, il est contraint de capituler en 1305. À nouveau, de 1323 à 1328, les couches moyennes des populations urbaines et rurales mènent, contre les hiérarchies et la fiscalité, un combat essentiellement d’ordre social. Débordé, Louis de Nevers fait appel à Philippe VI, lors du sacre de ce dernier à Reims, à la fin de mai 1328. Le roi de France, élu par ses barons à la mort du dernier fils de Philippe le Bel, est alors en quête de légitimité, et voit là l’occasion de la conquérir par les armes. La présence de l’oriflamme, qu’il est allé retirer à Saint-Denis, donne à sa campagne un sens quasi religieux : il engage l’avenir de sa couronne. À Cassel, les barons français vengent le massacre subi à Courtrai en 1302, décapitant les insurgés du haut de leurs montures ; Philippe VI remporte, quant à lui, une victoire personnelle en affrontant l’épreuve des armes. Cassel apparaît ainsi comme un jugement de Dieu. Protecteur de l’autorité comtale bafouée,
Philippe VI est avant tout le garant de l’ordre aristocratique, celui que défendent les barons qui viennent de lui donner sa couronne. Cassin (René), juriste (Bayonne 1887 - Paris 1976). René Cassin est l’une des figures marquantes de la lutte pour les droits de l’homme. Issu d’une famille juive, il devient professeur de droit, après avoir combattu pendant la Première Guerre mondiale. Cette expérience le conduit à militer pour la reconnaissance des droits des anciens combattants, et, surtout, à promouvoir la paix et le règlement pacifique des conflits. De 1924 à 1938, il représente la France auprès de la Société des nations. Pacifiste réaliste, antimunichois, René Cassin rejoint le général de Gaulle à Londres en juin 1940, et met ses compétences juridiques au service de la France libre. Il participe également à la Commission interalliée sur les crimes de guerre (1943-1945). Membre de l’Assemblée consultative d’Alger en septembre 1944, vice-président du Conseil d’État en novembre, il travaille en 1945 à la création de l’UNESCO. Mais c’est surtout son engagement en faveur des droits de l’homme qui marque l’immédiat après-guerre : rédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par les Nations unies en 1948, il oeuvre à l’élaboration de la Convention européenne des droits de l’homme, et à la constitution de la Cour européenne des droits de l’homme, dont il est le premier président, en 1965. De 1960 jusqu’à sa mort, il siège au Conseil constitutionnel. L’attribution du prix Nobel de la paix en 1968 vient couronner son combat pour le respect de la personne humaine. Le 5 octobre 1987, son corps est transféré au Panthéon. Cassini (famille), lignée d’astronomes membres de l’Académie des sciences, responsables, de père en fils, de l’Observatoire de Paris, de 1669 à 1793. Jean Dominique (dit Cassini Ier, 1625-1712), originaire du comté de Nice, est astronome et ingénieur au service du pape à Bologne lorsque Colbert lui offre la direction de l’Observatoire de Paris, alors en construction. En 1673, il est naturalisé, et épouse une aristocrate française. Ses tables éphémérides des fréquentes occultations des satellites de Jupiter, éditées en 1668 et en 1693, permettent à un astronome de calculer l’écart horaire entre sa position et l’Observatoire de Paris, c’est-à-dire sa longitude par rapport au méridien de Paris. Sa cartographie
de la Lune sera utilisée jusqu’au XIXe siècle ; il découvre encore quatre satellites de Saturne, et participe, depuis l’Observatoire, aux missions de l’Académie des sciences, telle l’évaluation, en 1673, de la distance de la Terre au Soleil, en collaboration avec Richer, à Cayenne, et Jean Picard, à Paris. Mécaniste cartésien, il rejette la théorie de la gravitation de Newton, ainsi que celle de Römer sur la vitesse finie de la lumière. Jacques (dit Cassini II, 1677-1756) achève, en 1718, la mesure de l’arc du méridien de Paris, commencée par Picard puis par son père, qui constitue désormais une sûre assise cartographique. Les travaux géodésiques menés alors en France lui font croire à une Terre étirée aux Pôles, en contradiction avec la théorie newtonienne. Les mesurages de degrés de méridiens par les académiciens des sciences Maupertuis - en « Laponie » (Suède), en 1736-1737 - et La Condamine et Bouguer - au « Pérou » (Équateur) en 1735-1744 - démontrent que la Terre est aplatie aux pôles. César François Cassini de Thury (dit Cassini III, 1714-1784), premier directeur en titre de l’Observatoire, reconnaît l’erreur paternelle. Il préside à l’élaboration de la première carte de France à grande échelle (1/86 400), en cent quatre-vingt-deux feuilles, rigoureusement levée par triangulation de 1747 à 1789. Jacques Dominique (dit Cassini IV, 17481845) dirige la fin des travaux, mais, jusqu’alors entreprise privée et vendue au public, la « carte de Cassini » (« de l’Observatoire », ou « de l’Académie ») est confisquée par l’État pendant la Révolution, et ce n’est qu’en 1815 que sont publiées les dernières feuilles. Membre noble d’institutions royales, fidèle aux rois Bourbons qui ont assuré la fortune de sa famille, le comte de Cassini est évincé de l’Observatoire en 1793, puis emprisonné. Après une retraite volontaire, il intègre la section d’astronomie de l’Institut en 1799, et préside le conseil général de l’Oise jusqu’en 1818. Son fils, juriste et botaniste, meurt avant lui. En 1845 s’éteint la lignée des Cassini. Castillon (bataille de), victoire, remportée le 17 juin 1453 par l’armée française sur les troupes anglaises de Talbot, qui symbolise de downloadModeText.vue.download 138 sur 975
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façon traditionnelle, dans l’historiographie, le succès final de la France dans la guerre de Cent Ans. Après la reconquête de la Normandie en 1450, les troupes royales commandées par Dunois portent leur offensive contre la Guyenne. Mais, en dépit du succès d’une campagne initiale, en juin 1451, marquée par l’investissement éphémère de Bordeaux, la résistance anglaise, animée par le vieux capitaine John Talbot, et relayée par les populations locales, s’avère sérieuse. Une seconde offensive de grande ampleur est organisée au printemps 1453 : elle aboutit, devant les murs de Castillon, à une bataille qui consacre le triomphe de l’artillerie mobile en campagne. Faisant charger sa cavalerie contre l’armée royale retranchée, dans le but de tailler en pièces les piétons, Talbot, comme jadis la chevalerie française à Crécy, néglige les innovations tactiques, liées, en l’occurrence, à l’utilisation massive de l’artillerie développée par les frères Bureau, et perfectionnée grâce à des chariots qui lui donnent une plus grande capacité de mouvement. Prise sous un déluge de boulets légers et incapable de se dégager, l’armée de Talbot, à l’instar de celle de Thomas Kyriel en 1450 à Formigny, est anéantie. Le vieux chef et son fils meurent au combat. La route de Bordeaux est désormais ouverte aux troupes de Charles VII, qui peuvent ainsi prendre le contrôle de la Guyenne anglaise au cours lors de l’été 1453. Catalauniques (champs), plaine située dans la région de Moirey, près de Troyes, où, le 20 juin 451, les Huns d’Attila sont refoulés par une armée gallo-romaine dirigée par Aetius. Le lieu tire son nom du peuple des Catalauni, dont la capitale était Châlons-surMarne. Jusque dans les années 440, les Huns, établis en Europe centrale, entretiennent d’assez bonnes relations avec l’Empir e romain, qui leur verse un tribut et qui, vers 428, leur cède par traité la Pannonie (actuelle Hongrie). Mais ces relations se dégradent nettement au milieu du Ve siècle. En effet, l’empereur Valentinien III refuse de donner sa soeur en mariage à Attila et, surtout, Rome s’immisce dans les affaires des peuples barbares frontaliers de l’Empire, sur lesquels le roi des Huns veut étendre son influence. Au printemps 451, ce dernier aurait rassemblé un demi-million de cavaliers ; il entame alors les hostilités par l’attaque de la Gaule, où il espère pouvoir mettre à profit les dissensions entre Romains
et Wisigoths. Les Huns progressent jusqu’à Orléans, brûlant Metz, Reims et Troyes sur leur passage, mais Aetius, à la tête d’une armée composée de Gallo-Romains et de Barbares alliés de Rome, les oblige à lever le siège et à refluer vers la Champagne. Aux champs Catalauniques, la cavalerie hunnique estime l’espace favorable et attend l’adversaire. Les pertes sont très lourdes des deux côtés ; Attila est battu et rentre en Pannonie, Aetius renonçant à le poursuivre. Catalogne, région du nord-est de la péninsule Ibérique comprise entre les Pyrénées et l’Èbre, intégrée à l’Empire carolingien, puis au royaume capétien jusqu’en 1258. L’expédition de Charlemagne contre les musulmans d’Espagne en 778 et la prise de Barcelone par son fils Louis en 801 entraînent la formation de la Marche d’Espagne et la naissance d’une dizaine de comtés. La Catalogne est très tôt dominée par les comtes de Barcelone, qui contrôlent plusieurs comtés et profitent de leur position frontalière pour devenir les chefs de la lutte contre l’Islam. À partir de la fin du IXe siècle, ils acquièrent une autonomie de fait, et la souveraineté franque sur la Catalogne n’est plus que théorique. Au Xe siècle, le comte Borrell (948-992) déclare ainsi tenir son pouvoir de Dieu seul. La Catalogne se soustrait définitivement à l’autorité royale en 987-988, après n’avoir obtenu aucun secours de la part du roi Hugues Capet pour lutter contre les troupes du calife de Cordoue, qui se sont emparées de Barcelone en 985. Du Xe au XIIe siècle, la région profite des échanges économiques et culturels avec l’Espagne musulmane, devient une principauté prospère et un foyer de l’art roman. C’est aussi l’une des principales puissances politiques de la région pyrénéenne et occitane. Les comtes de Barcelone prennent alors le contrôle des Pyrénées orientales en acquérant successivement le comté de Besalù (1111), les comtés de Cerdagne et Conflent (1117) et le comté de Roussillon (1172). Ils imposent aussi leur souveraineté au-delà des Pyrénées, en Razès et en Carcassonnais. Et comme, en 1112, grâce au mariage du comte Raimond Bérenger III avec Douce de Provence, leur reviennent les comtés de Provence et de Gévaudan, la principauté catalane constitue au XIIe siècle la première puissance méridionale, avec le comté de Toulouse. Cette expansion profite aussi bien aux marchands de Barcelone qu’à l’aristocratie militaire. Elle est renforcée par l’accession des comtes de Barcelone à la couronne d’Aragon en 1162.
Mais la mort du comte-roi Pierre II, à la bataille de Muret, en 1213, face aux croisés français, met fin à la domination catalane sur le Midi français et resserre les liens entre la Catalogne et le royaume d’Aragon. Au début du XIIIe siècle, à la suite de l’implantation française en Languedoc, les prétentions du roi de France sur la Catalogne resurgissent. Cependant, en 1258, le traité de Corbeil entre le roi de France Louis IX et le roi d’Aragon Jacques Ier met un terme aux hostilités entre les deux royaumes et règle définitivement la question de la souveraineté sur la Catalogne : le roi de France renonce à tous ses droits sur la Catalogne et le Roussillon, ainsi que sur la seigneurie de Montpellier, acquise par les comtes-rois en 1205 ; en contrepartie, le roi d’Aragon renonce à ses droits sur le Gévaudan, le Razès et le Carcassonnais. Désormais, l’expansion catalane se fait dans la péninsule Ibérique et en direction des îles de la Méditerranée occidentale. Cateau-Cambrésis (traités du), traités signés les 2 et 3 avril 1559, mettant fin à soixante années de guerres entre les Valois et la maison d’Espagne, puis les Habsbourg. L’enjeu du conflit, d’abord limité à l’Italie, est vite devenu celui de l’hégémonie sur l’Europe. En 1559, les rivaux sont à court d’argent, et les souverains catholiques s’inquiètent des progrès de la Réforme. Henri II décide donc d’accepter la paix, d’abord avec l’Angleterre (qui lui rétrocède Calais) et, surtout, avec le roi d’Espagne Philippe II. De longues négociations s’achèvent au début du mois d’avril. Henri II renonce à toute prétention sur l’Italie, et abandonne ses conquêtes (Savoie, Piémont - à l’exception de quelques places fortes - et Corse). En échange, la frontière du Nord est stabilisée et, implicitement, la possession des Trois- Évêchés de l’Est (Metz, Toul et Verdun) est assurée. Deux mariages scellent la paix, la fille et la soeur du roi étant promises respectivement au roi d’Espagne et au duc de Savoie. Catherine de Médicis, les protestants et, surtout, la noblesse d’épée (Guise, Monluc, Cossé-Brissac) critiquent le traité. Pour eux, il est malaisé de comprendre que les sacrifices consentis pour prendre pied en Italie et y faire pièce à l’influence espagnole soient négligés au profit de considérations financières. La noblesse de robe et le peuple, pour leur part, se font entendre pour applaudir la paix. Nul ne devine encore que la fin des guerres étrangères contribue à rendre possibles ces guerres de Religion qui vont durer, en France, jusqu’à la fin du siècle.
catéchisme, enseignement de la doctrine chrétienne, et manuel destiné à cet effet. Une tradition existait en France dès le Moyen Âge : le curé devait expliquer brièvement les principales vérités de la foi lors du prône, au cours de la messe. Mais c’est au XVIe siècle, marqué par la division des confessions catholique et protestante, qu’apparaît le catéchisme proprement dit. • L’élan novateur de la Réforme et de la Réforme catholique. En 1541, Calvin rédige le Formulaire, petit ouvrage destiné à l’enseignement de la « doctrine » aux enfants, dans lequel l’explication est donnée sous forme de questions et réponses. Très rapidement, le Formulaire se répand dans les milieux réformés. En reprenant la forme dialoguée, mais pour le réfuter, le jésuite Edmond Auger fait paraître, en 1563, son Catéchisme et sommaire de la doctrine chrétienne. Parallèlement sont connues et diffusées en France des oeuvres d’origine étrangère : le Catéchisme du concile de Trente à l’intention des curés (1566), et surtout la Summa doctrinae christianae de Pierre Canisius (1554). Dans l’espace catholique, ces manuels constituent d’abord des résumés théologiques à l’usage des enseignants et des curés. Par la suite, ils sont adaptés à différents publics. Ainsi, le Catéchisme de Canisius est proposé sous trois versions, selon qu’il s’adresse aux adultes, aux adolescents ou aux enfants. Il est largement diffusé en France par le réseau des collèges jésuites. Des congrégations nouvelles, tels les Frères de la Doctrine chrétienne ou les Ursulines, ont pour mission première l’enseignement du catéchisme aux jeunes. Dans les paroisses, les curés doivent faire le catéchisme aux enfants chaque dimanche, mais la majorité d’entre eux se contente de l’enseigner durant l’avent downloadModeText.vue.download 139 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 128 et le carême. En effet, cette catéchèse se heurte à de nombreux obstacles : manque de formation des curés avant la généralisation des séminaires ; parfois aussi, mauvaise volonté des fidèles, en particulier à cause de la concurrence des travaux agricoles. Certains catéchismes sont destinés plus spécifiquement à aider les curés en leur fournissant des leçons types illustrées par des anecdotes moralisantes. Ils contribuent à renforcer l’instruc-
tion de la morale au détriment du dogme. Le plus célèbre de ces ouvrages est le Pédagogue chrétien (1622), de Philippe d’Outreman, longtemps en usage, et que Voltaire qualifiera d’« excellent livre pour les sots ». • Un enseignement généralisé. Dans les villes, où le clergé est généralement plus nombreux et mieux formé, le catéchisme est souvent mieux assuré. À Paris, dans la première moitié du XVIIe siècle, de nouvelles formes d’enseignement sont mises au point dans la paroisse de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, autour de Bourdoise, puis sont reprises ensuite par Charles Démia à Lyon : filles et garçons sont séparés, le maître dirige le dialogue entre les enfants, répartis par niveaux - les uns questionnent, les autres répondent. Surtout, la pédagogie repose sur un recours systématique aux images liées aux grands moments de l’année liturgique : l’Avent, le Carême et les principales fêtes religieuses. À partir de 1670, le catéchisme est enseigné à peu près régulièrement dans toutes les paroisses. Cet effort s’accompagne de la généralisation des catéchismes diocésains. Chaque évêque compose lui-même, ou approuve, un manuel destiné à être enseigné dans son diocèse : ainsi, en 1676, le Catéchisme des trois Henri est publié par les évêques de La Rochelle, Luçon et Angers. Lors des visites pastorales effectuées par les évêques, les questions posées aux curés et aux fidèles soulignent l’attention portée par l’épiscopat à l’enseignement du catéchisme. Il arrive aussi que ce dernier soit le reflet des luttes doctrinales, mais de façon moins marquée qu’au XVIe siècle : par exemple, le catéchisme de Montpellier (1702), qui est approuvé par l’évêque Joachim Colbert, révèle des opinions jansénistes. Au XVIIIe siècle, le catéchisme est généralisé : le système de questions et réponses et la mémorisation resteront ses caractéristiques principales jusqu’au milieu du XXe siècle. catéchisme impérial, catéchisme unique à l’usage de tous les diocèses de l’Empire, rédigé sur ordre de Napoléon Ier et imposé par le décret du 4 avril 1806. Approuvé par Rome, ce catéchisme, dont une première version est prête dès 1803, est publié à un moment où Napoléon est assuré, grâce au concordat de 1801, de l’adhésion du clergé catholique. Il s’inscrit dans le cadre du contrôle de l’opinion et des esprits, le texte - avec lequel nombre d’enfants apprendront à lire - mêlant pédagogie civique et ambition despotique aux leçons purement religieuses. La leçon VII, expliquant le commandement « Tes père et mère honoreras », à laquelle
Napoléon lui-même met la dernière touche, est consacrée aux devoirs envers l’Empereur et sa dynastie : elle place parmi les obligations morales, à suivre sous peine de damnation éternelle, le paiement de l’impôt, le service militaire, l’amour et l’obéissance à l’égard de l’Empereur, restaurateur de la religion ; légitimant le pouvoir politique, elle assure que, Napoléon ayant été établi souverain par Dieu, dont il est « l’image sur la terre », « honorer et servir notre Empereur est donc honorer et servir Dieu même ». Et la leçon de conclure : « Il nous est défendu d’être désobéissants envers nos supérieurs, de leur nuire et d’en dire du mal. » Bien qu’ils aient été écartés de la rédaction du catéchisme, les évêques, à une exception près, l’appliquent docilement, tandis que certaines résistances apparaissent dans les départements belges et dans ceux de l’Ouest, partisans de l’ultramontanisme. Source de conflits à partir de 1808, lors de la dégradation des relations avec le pape, le catéchisme ne survit pas à l’Empire : il est supprimé dès le 22 juillet 1814. l CATHARES. Adeptes d’une hérésie dualiste exprimant leurs angoisses spirituelles, les cathares se recrutaient principalement parmi les élites urbaines. Le catharisme n’est donc ni l’hérésie de masse ni l’expression d’une résistance régionale, dont on a si souvent parlé. En France, il apparaît dans la seconde moitié du XIIe siècle, constituant l’une des expressions les plus radicales de la contestation hérétique en un temps de mutations spirituelles et sociales. Impitoyablement combattue par l’Église, mais obligeant également celle-ci à inventer une pastorale plus souple et mieux adaptée aux nouvelles élites sociales, l’hérésie cathare disparaît aux environs de 1300, laissant place à un « catharisme imaginaire », dont la légende est encore tenace aujourd’hui. DE LA MÉMOIRE DU CATHARISME AU LÉGENDAIRE CATHARE Le circuit touristique des châteaux cathares, la « croix cathare » hissée au rang de symbole régional, la littérature célébrant avec lyrisme la geste des « parfaits » persécutés par l’Inquisition, les rêveries ésotériques sur Montségur : la mémoire du catharisme ne présente plus aujourd’hui qu’un lointain rapport avec l’histoire de cette hérésie médiévale. Mais il
ne suffit pas de réfuter les mythes lorsque ceux-ci sont, en eux-mêmes, objets d’histoire. En effet, la constitution du mythe cathare est presque contemporaine des réalités historiques, qu’il tend à voiler. Fondement du mythe, depuis longtemps enraciné dans la mémoire collective : celui du catharisme comme hérésie de masse. Les clercs luttant contre les cathares ont tout intérêt à surévaluer l’importance de la dissidence, pour mieux justifier la croisade et la répression. Autres temps, autres persécutions : les catholiques, au XVIe siècle, assimilent fréquemment la Réforme à un retour de l’hérésie cathare, l’une comme l’autre faisant courir un danger mortel à la chrétienté. Les protestants, plutôt que de combattre cet argument polémique, tentent alors de le retourner, et, ce faisant, le consolident : pour eux, les cathares sont bien un peuple soulevé contre la tyrannie des clercs, et très injustement persécuté. Au XIXe siècle, certains penseurs libéraux reprennent à leur compte cette idée, érigeant ces hérétiques du XIIIe siècle en précurseurs de l’âge « démocratique », qui s’opposaient à l’opulence de l’Église et à l’arrogance des féodaux, tout comme d’autres, plus tard, devaient s’emparer de la Bastille. Pour les romantiques, le « renouveau cathare » va de pair avec la découverte de la poésie d’oc des troubadours, et l’on oppose alors la haute spiritualité du peuple du Languedoc, berceau des libertés, à la montée en puissance du despotisme royal. Le légendaire cathare doit beaucoup à Napoléon Peyrat, protestant libéral qui compose, en 1870-1872, son Histoire des albigeois comme une ode à un peuple assassiné. Peyrat apparaît ainsi comme « le Michelet des cathares », et sa force poétique transforme la prise de Montségur (épisode assez obscur de la lutte contre les cathares) en geste épique associant à une montagne sacrée, Montségur, une sainte, Esclarmonde de Foix, qui, « de son roc désert, regardait tristement mais fermement le Louvre et le Vatican ». C’est à la fin du XIXe siècle que la mémoire du catharisme se charge de spiritualisme ésotérique. En 1888, le fondateur de l’ordre de Rose-Croix, Joséphin Péladan, assimile Montségur au Montsalvat de Parsifal, plaquant sur l’histoire des cathares les délires wagnériens concernant la légende du Graal. On sait où mènent de telles spéculations : en 1933, l’Allemand Otto Rahn tente d’annexer le catharisme à un germanisme païen qui ne cache pas sa dimension raciste. Toute une paralittérature se perpétue, qui, sous couvert d’ésoté-
risme, est l’héritière de cette fascination que le nazisme éprouva pour le légendaire cathare. Hérésie de masse, religion occulte, mais également expression du génie de la nation occitane : c’est essentiellement après la Seconde Guerre mondiale que se développe le troisième volet du catharisme imaginaire. Resurgissent alors les rêveries romantiques concernant la répression de la culture de langue d’oc, dont le catharisme représenterait le dernier sursaut. Dans une France en proie aux déchirements de la décolonisation, l’histoire des cathares s’écrit, désormais, comme l’échec douloureux d’un mouvement de libération du Midi contre le Nord, monarchique et colonisateur. Ainsi est née la confusion actuelle entre l’hérésie médiévale (le catharisme) et son substrat régional (le « pays des cathares » - ce qui permet d’appeler « châteaux cathares » des forteresses royales où jamais ne vécurent d’hérétiques). Ce mythe cathare, utilisé par la revendication régionaliste, porté par un regain de spiritualisme ésotérique, ou habilement entretenu pour satisfaire aux exigences touristiques, empêche souvent de considérer les cathares pour ce qu’ils sont : des hérétiques des XIIe et XIIIe siècles. UNE HÉRÉSIE DES XIIe ET XIIIe SIÈCLES Le catharisme constitue l’une des expressions de la contestation hérétique qui se manifeste en France dans la seconde moitié du XIIe siècle. Celle-ci puise à deux sources essentielles : l’anticléricalisme, attisé par l’enrichissement de l’Église et la volonté d’accéder directement - sans médiation cléricale - à la parole de Dieu, d’une part ; et le désir d’un downloadModeText.vue.download 140 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 129 retour à la simplicité de la vie évangélique, que les hérétiques partagent d’ailleurs avec certains courants réformateurs de l’Église, de l’autre. Parmi les différentes dissidences qui se développent alors, celle des cathares est sans doute la plus radicale, puisqu’ils estiment que l’Église ne peut pas se réformer. Voilà pourquoi le catharisme fut perçu par l’institution ecclésiale comme un danger majeur. Au-delà de la dissidence anticléricale, il construit une contre-Église, et se pose comme un rival du catholicisme. Et l’hérésie « contamine » - pour utiliser un vocabulaire de l’infection courant chez les prédicateurs - rapidement
des régions entières. • Géographie de l’extension du catharisme. La première attestation de l’hérésie cathare date de 1163 : le concile de Tours condamne alors l’hérésie nouvelle qui se répand dans le Midi. Peu après, des cathares sont interrogés par un évêque dans le château de Lombers, près d’Albi. À la même époque - les années 1164-1167 -, d’autres témoignages émanent de la France du Nord : Nicolas, évêque de Cambrai, évoque la condamnation, en Allemagne, d’un clerc « convaincu de l’hérésie des cathares ». Il ne faut donc pas considérer le catharisme comme un phénomène spécifiquement méridional. On en rencontre aussi des foyers importants dans des régions situées plus au nord, notamment à La Charité-sur-Loire, en Flandre et en Champagne. Hors des frontières du royaume de France, il est connu en Italie du Nord et dans les Balkans. Mais il est vrai que sa terre d’élection reste le midi de la France. Pas tout le Midi : ni le Midi atlantique ni l’espace rhodano-provençal ne semblent avoir connu l’hérésie cathare proprement dite. Celle-ci ne concerne qu’une partie du comté de Toulouse centrée autour du Lauragais, avec comme principaux points d’appui Carcassonne, Béziers et, surtout, Albi. C’est dans cette région qu’une ébauche d’Église cathare hiérarchisée apparaît dès la fin du XIIe siècle ; elle s’articule sur la communauté de Fanjeaux, dirigée par le bisbe (dérivé languedocien du terme épiscopus, « évêque ») Guillabert de Castres. • Le dualisme cathare. Même si le « néocatharisme » contemporain insiste sur la haute spiritualité des hérétiques, le succès de l’hérésie s’explique avant tout par sa simplicité doctrinale et liturgique. Encore faut-il avouer que l’écrasante majorité de nos sources sur la foi des cathares émane de ceux qui cherchaient moins à la comprendre qu’à la disqualifier (que ce soit les orthodoxes ou d’autres hérétiques, tels les vaudois, dont la polémique avec les cathares a laissé des témoignages à la fin du XIIe siècle). C’est pourquoi certains historiens considèrent aujourd’hui l’hérésie médiévale comme un produit du discours de l’orthodoxie : ceux qui s’opposent à l’Église sont traités d’hérétiques et, de ce fait, finissent par le devenir. Pourtant, les registres de l’Inquisition permettent parfois d’entendre, derrière la gangue du discours répressif et normatif, la voix des accusés. Aussi peut-on tenter de définir - à grands traits - la doctrine et la pratique cathares.
Le catharisme est un dualisme. Pour les « bonshommes » - les simples croyants -, le monde est le théâtre d’une lutte permanente entre le bien et le mal. Le principe du bien appartient au monde de l’esprit, tandis que la matière et la chair sont des créations du mal. L’homme est pris entre les deux règnes : il est un esprit empêtré dans la matière, dont il doit se défaire pour atteindre au bien. Jésus-Christ (dont le corps n’était qu’apparence) a montré le chemin. Il peut sauver les hommes, non par sa souffrance, mais par son enseignement. Or l’Église dissimule la réalité de cet enseignement, refusant de reconnaître la portée révolutionnaire des Évangiles, qui, seuls, sont divins, car l’Ancien Testament est l’oeuvre du mal. Le catharisme offre à des esprits tourmentés une religion rassurante : seuls les « parfaits » sont tenus à un strict ascétisme. Pour les autres, c’est-à-dire l’immense majorité des croyants, une certaine liberté de moeurs est permise. S’initier à l’hérésie n’est donc ni difficile ni contraignant. Le culte cathare se rapproche de l’Église des premiers temps du christianisme. La liturgie est ramenée à un sacrement unique : le consolamentum, l’imposition des mains, qui, à la fin de la vie, arrache le « consolé » à la matière pour lui frayer un passage vers le monde de l’esprit. • Quelles origines orientales ? Les historiens ont longtemps cherché des origines orientales au dualisme cathare, l’assimilant aux hérésies manichéennes qui se développaient alors aux marges de l’Empire byzantin. On a soutenu l’hypothèse d’une influence de l’hérésie bogomile (d’origine bulgare) que les chevaliers de la deuxième croisade (11471149) auraient découverte et introduite en Occident. Dans le même ordre d’idées, certains historiens ont longtemps affirmé l’existence - aujourd’hui très contestée - d’un « concile » cathare en Lauragais, à Saint-Félix-de-Caraman, vers 1167, où un évêque de Constantinople nommé Niquinta aurait initié les communautés languedociennes aux doctrines manichéennes issues de Bulgarie. L’historiographie traditionnelle n’auraitelle pas été victime d’un effet de la propagande antihérétique, qui assignait une origine étrangère au catharisme pour mieux le disqualifier (et ce, dans le contexte politique de la quatrième croisade de 1202-1204, alors que croissait un sentiment d’hostilité envers les Grecs) ? En présentant le catharisme comme une hérésie venue d’Orient, prédicateurs et inquisiteurs masquaient les liens
très ambigus qui unissent toujours dissidence et orthodoxie. En effet, point n’est besoin d’aller chercher en Bulgarie les origines du dualisme : le catharisme développe, en réalité, une tendance dualiste du christianisme, que la scolastique, à ses débuts, avait largement exposée. QUI SONT LES CATHARES ? • Le catharisme, hérésie des élites urbaines. Nous avons évoqué les raisons pour lesquelles l’ampleur du catharisme a été surestimée par ceux qui essayaient de justifier la répression. L’analyse minutieuse des archives inquisitoriales permet une approche de la sociologie de l’hérésie. Tous les chiffres concordent : à Béziers, en 1209, au plus fort de l’influence du catharisme, celui-ci concerne environ un dixième de la population. Mêmes proportions à Toulouse, vers 1260, et à Albi, à l’extrême fin du siècle : moins de 10 % des habitants sont des adeptes. Certes, on trouve également des petites villes fortifiées (les castra) où, dans le sillage de lignages seigneuriaux, une part plus importante de la population est touchée par l’hérésie (ainsi du castrum de Montréal, près de Carcassonne). Mais le phénomène essentiel se situe ailleurs. Comme l’écrit l’historien JeanLouis Biget, « le catharisme est la religion des dominants, non la religion dominante ». • Pessimisme cathare et crise de la chevalerie. Dans cette région fortement urbanisée qu’est le midi de la France, deux groupes sociaux forment l’élite citadine : les chevaliers et les bourgeois enrichis par le commerce, le change et la finance. Les premiers sont souvent endettés auprès des seconds, mais tous partagent un certain malaise, auquel le catharisme tente de répondre. La petite chevalerie constitue l’une des « clientèles » privilégiées de l’hérésie. On peut penser que le pessimisme fondamental du catharisme (qui rejette le monde en tant que création du démon) coïncide avec les problèmes existentiels de ces chevaliers, en proie à de graves difficultés économiques dès le premier tiers du XIIIe siècle. L’appauvrissement de certains d’entre eux est sans doute dû aux spécificités des structures seigneuriales méridionales, caractérisées par le morcellement des patrimoines, mais aussi aux effets de la réforme grégorienne : les clercs ont réussi à imposer à la petite noblesse laïque la restitution des dîmes, qui constituent pourtant une ressource essentielle, au moment où s’effritent les revenus seigneu-
riaux. Voilà certainement le motif d’un anticléricalisme qui trouve matière à s’exprimer dans l’hérésie. Mais on ne doit pas imaginer que l’ensemble de la chevalerie verse, en bloc, dans le catharisme : certains clans nobiliaires restent attachés à l’orthodoxie, renforcent leurs liens avec les cisterciens, et s’engagent avec vigueur dans la lutte antihérétique. Cette dernière - qui n’est pas, comme nous l’avons souligné, un affrontement entre le Nord et le Midi - déchire les lignages, faisant peut-être rejouer d’anciens antagonismes. • Les impasses spirituelles de la bourgeoisie urbaine. Si la chevalerie méridionale ne possède plus la puissance sociale qui correspond à son état, la bourgeoisie urbaine, pour sa part, rencontre une situation inverse : sa richesse économique ne s’accompagne pas d’une reconnaissance sociale. Sans doute, les nouvelles élites urbaines sont-elles porteuses d’une vision du monde à laquelle l’Église ne sait pas encore répondre, alors que le dogme catholique les pousse vers des impasses spirituelles sur deux sujets sensibles : le sexe et l’argent. En recourant au contrôle des naissances, en pratiquant les métiers du négoce (où le prêt à intérêt joue un rôle essentiel), la bourgeoisie urbaine va, en effet, au-devant de deux interdits religieux fondamentaux. Sur ces sujets, le catharisme, qui impose peu de règles de comportement, lève l’angoisse du péché. Mieux : il réconcilie la foi avec l’esprit de profit. Puisque la « matière » est mauvaise, on ne doit exercer aucune activité susceptible de l’accroître, ce qui ferait downloadModeText.vue.download 141 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 130 progresser l’esprit du mal (d’où la dénonciation de l’agriculture). Le commerce - qui ne crée rien de matériel - et l’artisanat - activité de transformation - sont donc valorisés par la spiritualité cathare. L’EXTINCTION DU CATHARISME Confrontée à une hérésie aussi radicale, l’Église - qui va mettre un certain temps à réagir efficacement - dispose de deux armes : la répression et la persuasion. • Croisade et répression. La papauté trouve dans le droit romain (dont l’étude connaît, en cette fin du XIIe siècle, une véritable renais-
sance) la justification d’un recours à la force pour exterminer les hérétiques. Se réclamant de l’exemple de saint Augustin, le pape Alexandre III en appelle à l’intervention du pouvoir séculier lors du concile de Tours, en 1163. Les cathares et leurs complices y sont menacés non seulement de peines spirituelles exécutables par le clergé (anathème et excommunication), mais aussi de sanctions exercées par les pouvoirs laïcs (prison, confiscation des biens). Cet appel à la « guerre sainte » est répété lors du concile du Latran III en 1179, puis par Innocent III en 1198. En 1208, l’assassinat du légat Pierre de Castelnau par un chevalier de l’entourage du comte de Toulouse Raimond VI oblige le roi de France Philippe Auguste à mettre enfin à exécution ce projet de croisade mûri depuis si longtemps. Premier accusé, le comte de Toulouse se repent publiquement et jure fidélité à l’Église, ce qui a pour effet de détourner les vengeances royale et pontificale vers l’un de ses mauvais vassaux, Raimond Trencavel, vicomte de Carcassonne et de Béziers. Au cours de cette « croisade des albigeois », la soif de conquête l’emporte sans doute sur la lutte antihérétique. La prise de Béziers, en 1209, durant laquelle les croisés massacrent une partie des habitants - fait exceptionnel dans la guerre au Moyen Âge - et, surtout, la bataille de Muret, en 1213, entraînent la conquête de la vicomté des Trencavel. Un petit noble d’Île-de-France, Simon de Montfort, est placé à la tête de cette croisade, dont la brutalité s’explique sans doute moins par l’hostilité du Nord envers le Midi (parmi les croisés figurent nombre de Languedociens) que par la rancoeur de la chevalerie à l’égard du monde des villes. Cette fureur « urbanicide » s’abat donc sur Béziers, nouvelle Babylone sur laquelle les chevaliers - dont beaucoup sont revenus « frustrés de croisade » après le détournement de l’expédition de 1204 vers Constantinople - assouvissent leur désir de revanche. L’histoire de la lutte contre le catharisme rencontre celle de l’intégration du midi de la France au royaume capétien. Après une seconde croisade royale, le comte de Toulouse Raimond VII capitule lors du traité de Paris (ou de Meaux) de 1229. Le meurtre de deux inquisiteurs à Avignonet, non loin de Toulouse, en 1242, fournit l’occasion d’une dernière expédition militaire du roi de France, qui aboutit à la prise du château de Montségur, sanctuaire spirituel et militaire du catharisme, et à la mise à mort des « parfaits » qui s’y trouvaient.
Le catharisme ne se termine pas dans les flammes du bûcher de Montségur le 17 mars 1244, comme une histoire dramatisée à outrance voudrait nous le faire croire. Dans le nord de la France, et en Albigeois, des foyers de catharisme demeurent, même s’ils sont progressivement circonscrits. À la fin du XIIIe siècle, un « renouveau cathare » se développe même dans les hautes vallées pyrénéennes du comté de Foix, comme à Montaillou, où, de 1317 à 1325, l’inquisiteur Jacques Fournier (futur pape d’Avignon, sous le nom de Benoît XII) traque les secrets des hérétiques. Mais il ne s’agit, en l’occurrence, que d’un phénomène résiduel : le catharisme, déjà insignifiant en 1300, disparaît complètement quelque trente ans plus tard. Ce lent et progressif effacement doit évidemment beaucoup au travail impitoyable de l’Inquisition. La férocité de l’inquisiteur Robert le Bougre dans la France du Nord frappe les esprits, et, concernant le Midi, nombreux sont les témoignages d’hostilité à l’égard de l’Inquisition, qui, d’une certaine manière, contrarie l’autonomie urbaine dans cette région de consulats. Pourtant, on ne doit pas surestimer l’ampleur des persécutions. Si l’on prend l’exemple d’Albi, l’une des villes les plus soumises à l’action inquisitoriale, on constate que, de 1286 à 1329, 58 personnes seulement ont subi des peines afflictives, ce qui représente moins du quart de la population cathare albigeoise estimée à environ 250 croyants, à la fin du XIIIe siècle, sur 8 000 à 10 000 habitants. • La nouvelle pastorale et la reconquête des élites. Sans doute l’Église n’a-t-elle pas conçu de contradiction entre la persécution et la persuasion ; en ayant développé la seconde, elle a oeuvré, de manière plus efficace, à la reconquête des élites. En 1203, Innocent III envoie l’abbé de Cîteaux, Arnaud Amauri, en Languedoc. Mais la parole fulminante des cisterciens habités par un « christianisme de combat » n’entame en rien les convictions cathares. L’enracinement de l’hérésie dans les élites oblige l’Église à inventer ce que Jacques Le Goff a appelé une « parole nouvelle ». Celle-ci est portée par saint Dominique, chanoine castillan fondateur de l’ordre des Frères prêcheurs, qui lance, en 1206, une grande campagne de prédication en Lauragais. Vivant dans l’humilité et dans l’ascèse, il se présente comme plus parfait que les « parfaits », ce qui ne l’empêche pas, au cours de controverses publiques, d’opposer aux
cathares ses arguments théologiques. Alors que la parole cistercienne écrase et intimide, la parole dominicaine associe les fidèles, s’articule logiquement, et s’adresse à leur jugement. Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, le gothique méridional de la cathédrale d’Albi ou celui de l’église des Jacobins de Toulouse trouvent une expression architecturale à cette nouvelle pastorale : cet art antihérétique redouble d’austérité pour retourner contre les cathares ses arguments les plus forts. Grâce au volume ample et désencombré de la nef unique, la parole nouvelle peut se déployer triomphalement. Et la multiplication des chapelles au pourtour des églises permet aux élites urbaines, qui les financent et s’y font inhumer, d’exprimer avec force leur retour au sein de l’Église. Qui veut trouver une cause essentielle à l’effacement du catharisme doit la chercher dans l’essor des ordres mendiants. En contrôlant l’Inquisition et en développant une pastorale mieux adaptée aux attentes des élites urbaines, les Frères prêcheurs sont les principaux protagonistes de cette évolution. Recrutant à la fois dans la noblesse et dans les nouvelles élites économiques, substituant à la contemplation mystique une liturgie de l’action, les ordres mendiants proposent une synthèse sociale qui, auparavant, était assumée par le catharisme. D’une manière générale, la crise cathare a obligé l’Église à trouver des réponses aux nouvelles attentes spirituelles du XIIIe siècle. Contre le pessimisme cathare, la théologie positive - qui se développe, notamment, à partir de l’université de Toulouse - affirme la beauté du monde, et déploie une pensée naturaliste. Face à la tentation dualiste qui rejette la chair comme maudite, l’Église repose la question du corps, et prône avec vigueur un christianisme de l’Incarnation. Devant l’inquiétude des élites, la théologie dominicaine, notamment celle de saint Thomas d’Aquin, restreint le champ du péché en infléchissant la doctrine sur le prêt à intérêt vers des positions plus réalistes. La pastorale elle-même propose des voies nouvelles pour obtenir le salut : le purgatoire, la confession, les indulgences. Enfin, l’Église prend conscience d’un élément essentiel, que le catharisme avait révélé : une mutation dans la représentation de la « mort de soi ». Le sacrement du consolamentum a sans doute joué un rôle déterminant dans la séduction exercée par la foi cathare : ce rituel a offert un viatique profondément rassurant pour rejoindre l’au-delà. L’orthodoxie, qui travaille, à partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, à l’encadrement et à la socialisation de la mort,
en a tiré les leçons. l CATHÉDRALES. La cathédrale est l’église de l’évêque, celle où il a son siège (cathedra). L’histoire de cet édifice se confond avec celle de la cité, dont il est, du moins au nord de la Loire, le monument le plus prestigieux et, fréquemment, le plus ancien. L’oubli de sa signification et des symboliques que son décor déploie n’en a paradoxalement pas diminué le prestige. Aujourd’hui encore, et l’exemple de la récente construction de la cathédrale d’Évry le montre, le sentiment existe qu’il ne peut y avoir de ville véritable sans cathédrale. LE GROUPE CATHÉDRAL : UNE VILLE SAINTE L’église épiscopale apparaît à la fin de l’époque romaine, au moment où la ville antique se rétracte pour se protéger derrière des murailles que l’insécurité a contraint de construire. Elle se situe au coeur vivant de la ville, les grands sanctuaires de l’époque paléo chrétienne se retrouvant désormais en périphérie, avec les nécropoles. La cathédrale n’est pas alors un unique édifice majestueux, mais un ensemble de bâtiments qui forment, à l’intérieur de la cité, un quartier spécialisé. Ce que l’on appelle le « groupe cathédral » peut ainsi couvrir jusqu’au quart de la superficie comprise à l’intérieur de l’enceinte urdownloadModeText.vue.download 142 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 131 baine. Cet ensemble monumental comprend tout d’abord la domus, résidence où vivent et prient en commun l’évêque et les clercs qui l’entourent, et, surtout, l’église de l’évêque. Cette dernière, qui est l’église mère de toutes les églises du diocèse, l’ecclesia par excellence, passe, en général, pour avoir été fondée par l’évangélisateur du diocèse, ou par l’un de ses premiers évêques, dans un temps si reculé qu’il en est immémorial. Elle est normalement double, comme à Paris où coexistent depuis le VIe siècle, voisines l’une de l’autre, NotreDame, qui est la plus petite, et Saint-Étienne, l’une des plus vastes églises existant alors en Gaule. Le dernier élément de ce groupe est le baptistère. Le baptême est considéré, au début du Moyen Âge, comme le plus important des sacrements : son administration est alors réservée à l’évêque au cours de cérémonies particulièrement solennelles qui ont lieu à date fixe, à des moments privilégiés de l’année
liturgique, généralement la veille de Pâques. Le baptistère est la marque de la présence de l’évêque dans la ville. L’ensemble domuséglises-baptistère forme ce que l’on pourrait appeler la « ville sainte », dont les fonctions sont d’abord administratives (gouvernement du diocèse, entretien de la cité) et liturgiques, mais aussi caritatives et d’enseignement. Parce que ces fonctions sont complexes et qu’elles évoluent avec le temps, le groupe épiscopal est périodiquement restructuré, en fonction des besoins nouveaux qui se manifestent. • La réforme carolingienne. Afin de répondre aux exigences de la réforme religieuse qu’ils promeuvent, les Carolingiens tentent de généraliser l’institution des chanoines et de réorganiser la vie du groupe des clercs réunis autour de l’évêque. Ceux-ci vivaient jusqu’alors soit dans la domus épiscopale, soit dans des demeures particulières disséminées à l’intérieur du quartier de la cathédrale. Désormais, la domus épiscopale se transforme en un véritable palais. L’évêque acquiert en effet des fonctions politiques et un prestige qui rendent nécessaire la spécialisation de son habitation. Les chanoines, quant à eux, se voient proposer un genre de vie calqué sur le modèle monastique, qui implique de prendre les repas au réfectoire, de dormir dans un dortoir, et de respecter les heures canoniales, tout en ayant une activité pastorale. Aussi, le groupe épiscopal est-il profondément modifié ; on lui adjoint un cloître réservé aux chanoines et tous les édifices nécessaires à la vie en commun. C’est à Metz que cette réforme a été conçue et appliquée pour la première fois. Les fouilles archéologiques qui y ont été menées ont montré qu’il existait, au IXe siècle, trois églises, un baptistère, un palais épiscopal et un enclos comportant un cloître, un réfectoire, un chauffoir, un dortoir... (ensemble qui a disparu au XVIIIe siècle, lors du percement de la place d’Armes). Entre le IXe et le XIe siècles, toutes les villes épiscopales ont été dotées d’enclos de cette nature - lesquels, pour la plupart, ont été détruits lors des restructurations des centres urbains au XIXe siècle. Dès le IXe siècle, et peut-être même avant, un hospice est rattaché à cet ensemble : l’évêque se doit d’exercer, dans l’hôtel-Dieu, la charité que le Christ a témoignée envers les pauvres et les malades. • Culte et enseignement. Il doit également enseigner la « droite doctrine » et s’assurer que les prêtres reçoivent les éléments de formation nécessaires à l’exercice de la pastorale : chant, lecture, rudiments de théologie. La ville sainte a donc une fonction essentielle d’enseignement et, plus précisément, de pré-
dication. De ce fait, la cathédrale doit comporter auprès d’elle une école : les législations de l’époque carolingienne en font une obligation explicite. Ces écoles, destinées avant tout au clergé, peuvent servir aussi, dans la mesure du possible, à l’instruction des laïcs. Les écolescathédrales prennent ainsi une place considérable dans le système de formation des élites et du personnel politique ou religieux. Au IXe siècle, le nombre d’élèves et de maîtres est toutefois si peu important qu’il n’est pas encore nécessaire de prévoir un bâtiment spécialisé. Certaines écoles épiscopales, telles celle de Reims dès la seconde moitié du IXe siècle, celles de Chartres et d’Orléans au début du XIe, occupent, grâce à la valeur de leurs maîtres et à l’importance de leur bibliothèque, une place essentielle dans la renaissance intellectuelle de l’Occident. Elles sont à l’origine des universités, qui, au XIIe siècle, s’éloigneront d’elles et s’opposeront à elles. Un dernier élément joue un rôle important dans l’acquisition par la cathédrale d’un prestige particulier : la présence de reliques et d’un trésor. La cathédrale abrite d’abord les reliques de son saint fondateur. Mais, en un temps où le culte des saints est un élément essentiel de la vie religieuse, les évêques cherchent à accroître le nombre de reliques conservées dans le trésor de leur église, afin de faire retomber sur le diocèse tout entier la grâce des mérites des saints. Outre ces reliques, le trésor de la cathédrale est constitué d’objets précieux de toute nature qui enrichissent l’Église : objets cultuels, habits sacerdotaux, pièces d’orfèvrerie, mais aussi cadeaux des souverains, tel le voile offert par Charles le Chauve et destiné à couvrir la Vierge noire de Chartres. La richesse de l’église cathédrale et l’importance des fonctions exercées par le quartier qui l’entoure font d’elle le centre religieux non pas seulement de la ville, mais aussi de tout le diocèse, voire de la région. L’ancienneté des reliques vénérées et des objets déposés au trésor relie la cathédrale à un passé très lointain qui, par la prière, resurgit perpétuellement dans le présent : la cathédrale est le lieu où se cristallise la mémoire de la cité et du diocèse. LA FLORAISON DES GRANDES « PRIÈRES DE PIERRE » (XIIe ET XIIIe SIÈCLES) À partir de la seconde moitié du XIe siècle, la plupart des villes entreprennent de construire de nouvelles cathédrales. Se manifeste alors une nette tendance à la diminution du
nombre des lieux de culte en ville ; les cathédrales romanes, qui sont déjà des monuments uniques et non doubles, sont donc édifiées à la place de l’une des deux églises du groupe épiscopal. Le plus souvent, il ne subsiste aujourd’hui que la crypte, la cathédrale des XIIe et XIIIe siècles ayant été édifiée sur le même site, comme à Chartres ou à Paris. Le mouvement de construction couvre l’ensemble des XIIe et XIIIe siècles. Il est suspendu au XIVe, mais reprend avec vigueur au XVe siècle. Dans la plupart des cas, les chantiers durent longtemps : ainsi, la cathédrale de Laon, commencée en 1157, n’est achevée qu’en 1220. Cette durée rend l’entreprise tributaire des mouvements conjoncturels ; certaines constructions doivent être interrompues, comme à Beauvais, et demeureront inachevées. Les chantiers des cathédrales sont presque tous contemporains les uns des autres et témoignent d’un vif esprit d’émulation et de concurrence entre les différentes villes, lequel se manifeste d’abord par une course à la plus grande hauteur de voûte : celle de Notre-Dame de Paris, commencée en 1163, atteint 35 mètres de hauteur, tandis qu’à Chartres, entreprise la même année, elle s’élève à 36,5 mètres ; à Reims, où les travaux démarrent en 1212, la voûte est haute de 38 mètres, et à Beauvais, elle culmine à 48 mètres (cet édifice, qui outrepassait les capacités de l’ingénierie et de l’architecture du temps, s’écroule en 1284 et n’a jamais été terminé) ; enfin, la flèche de la cathédrale de Strasbourg, achevée dans les années 1430, est, avec ses 140 mètres, la plus haute construction jamais réalisée en Europe jusqu’au XIXe siècle. Cette frénésie de constructions répond à des besoins très précis. Il faut tout d’abord faire face à l’augmentation des populations citadines : les anciennes églises du groupe cathédral ne suffisent plus pour accueillir une masse de fidèles sans cesse plus nombreuse. Pourtant, les nouveaux édifices, caractérisés par leur gigantisme, aussi bien en surface qu’en hauteur, sont à l’évidence surdimensionnés. L’emprise au sol est en effet considérable : celle de Notre-Dame de Paris est de 5 500 mètres carrés, celle de Bourges, de 6 200 mètres carrés, celle de Reims, de 8 000 mètres carrés. Ce gigantisme pose des problèmes concrets très complexes, et en premier lieu celui de la place à trouver dans un tissu urbain déjà très dense au centre des villes. Aucune cathédrale médiévale, et surtout pas celle de Paris, ne dispose d’un parvis
offrant beaucoup de recul devant l’immense édifice. Celui-ci rompt par sa masse la continuité de la ville qu’il domine de toute sa hauteur, provoquant souvent des difficultés dans l’organisation du réseau de circulation. Mais les cathédrales des XIIe et XIIIe siècles sont avant tout des oeuvres d’art audacieuses élevées à la gloire de Dieu. • Les bâtisseurs de cathédrales. Qui sont les concepteurs, les commanditaires et les maîtres d’oeuvre de ces « prières de pierre » ? Tout d’abord, et parce qu’il s’agit de son église, l’évêque joue un rôle de premier plan dans la décision de construire le nouvel édifice. Toutefois, le suivi des opérations est toujours pris en main par les chanoines, qui se considèrent comme les véritables maîtres d’ouvrage de la cathédrale, et qui sont parvenus assez rapidement à s’organiser dans ce but. Dans un premier temps, l’un des membres du chapitre, le trésorier, est délégué à l’exécution du projet. À partir du début du XIIIe siècle, l’ampleur des problèmes posés et l’importance des moyens matériels à mobiliser sont telles que les chapitres préfèrent recourir à une entité administrative indépendante appelée « fabrique », ou downloadModeText.vue.download 143 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 132 « oeuvre ». Émanant du chapitre et constituée de chanoines, elle est chargée de l’ensemble du chantier. Le système s’avère efficace et permet de mener à bonne fin des projets d’une très grande complexité. La fabrique dispose de revenus, réguliers ou casuels. Les évêques y consacrent évidemment une partie de leurs biens. Mais, le plus souvent, il s’agit de dons ponctuels, sous forme de legs. Les soutiens financiers réguliers, par exemple les rentes servies par les prélats, sont rares. Les princes et les rois font également des dons. Mais, quelle qu’ait pu être leur importance, ils ne suffisent pas à financer des chantiers qui durent plusieurs décennies. L’art des cathédrales, souvent considéré comme un art royal, doit en fait bien peu à la munificence des souverains. L’essentiel provient des ressources que le chapitre des chanoines prélève sur ses biens propres, en cédant à la fabrique certains de ses revenus. Les cathédrales ont donc été édifiées grâce au clergé, qui mobilise une part de ses ressources. Les biens accumulés par les églises épiscopales sont, en effet, très importants. La hausse constante des revenus du fon-
cier au XIIe siècle et durant une partie du XIIIe permet l’attribution de sommes considérables à la fabrique. Pour compléter ces ressources, la générosité des fidèles est sollicitée. Des collectes sont organisées régulièrement, qui, en raison du prestige de la cathédrale, rencontrent un grand succès. Pourtant, il ne s’agit que d’un appoint : la construction de la cathédrale ne procède pas d’une mobilisation générale de l’ensemble de la chrétienté, mais d’abord de celle du clergé. Les sommes ainsi investies dans ces constructions sont sans nul doute importantes. Il est également certain que les chantiers des cathédrales ont animé une partie de la vie économique des grandes villes. Il faut cependant se garder de surévaluer l’ampleur des sommes en jeu annuellement. Il est rare, en effet, que l’on dépasse la valeur de 100 salaires annuels, à la fois pour payer les ouvriers et le maître d’oeuvre, mais aussi pour acheter les matériaux de construction. À Strasbourg, par exemple, au début du XVe siècle, la fabrique dépense annuellement le montant de 30 à 50 salaires d’ouvriers non qualifiés. À Beauvais, en revanche, lorsque l’on entreprend, entre 1284 et 1327, de reconstruire le choeur effondré, on emploie l’équivalent de 158 salaires annuels. Les chantiers sont donc en général de taille moyenne, sauf durant de courtes périodes où l’abondance des fonds aussi bien que l’importance des travaux à effectuer leur donnent une allure intensive. Leur poids économique vient surtout de leur caractère continu, de l’organisation du travail qu’ils supposent et des innovations en tout genre auxquelles ils ont donné lieu. Le chantier de la cathédrale échappe en partie au droit commun du travail dans la ville médiévale. Aucune corporation ne maîtrise les travaux qui sont d’une telle diversité qu’ils exigent un maître d’oeuvre unique et spécialisé. Celui-ci, au XIe siècle et au début du XIIe, se contente de dessiner un schéma du plan de l’édifice et de son élévation. Il peut également réaliser un modèle. Les opérations consistent ensuite à délimiter les fondations et à matérialiser l’emplacement des murs et des piliers. L’élévation se projette par triangulation à l’aide de cordes. Les détails sont dessinés en grandeur réelle sur le sol ou sur des gabarits : il s’agit là de techniques encore rudimentaires, bien que supposant un savoirfaire certain. La complexité croissante de l’ensemble modifie profondément la nature du travail de l’architecte, et donc le statut de celui-ci. Au XIIIe siècle, il cesse de n’être
qu’un simple homme de chantier et devient un véritable savant, qui maîtrise de mieux en mieux la géométrie et le dessin : il a désormais plus que des rudiments de mathématiques et, travaillant à l’échelle, il possède un art de la représentation figurée souvent très poussé. Il se fait aussi ingénieur pour mettre au point les machines de levage dont il a besoin. Coordinateur du chantier, il fait figure de grand notable, bénéficiant d’un prestige étendu et doté de revenus à la mesure de ses talents et de ses responsabilités. Le travail manuel se diversifie également et se spécialise, permettant, grâce à une division très poussée, une meilleure articulation des différentes phases des travaux. Parmi les principales innovations, citons l’utilisation de procédés de préfabrication pour la taille des pierres, ou la mise en place d’abris, ou « loges », permettant d’assurer la continuité du travail de façonnage ou de sculpture quand le gel empêche de poursuivre l’élévation du bâtiment. Le savoir-faire des fabriques et des architectes, qui rationalisent l’organisation du travail, ne s’est jamais perdu, même durant les crises de la fin du Moyen Âge, au contraire des savoir-faire techniques des artisans. • Une manifestation de prestige et de foi. Le résultat de ce travail de longue haleine est la présence, au coeur de la cité, d’une oeuvre d’art monumentale, qui paraît immense au regard de la ville qui l’a produite. De ce fait, la cathédrale sert à l’encadrement religieux du diocèse tout entier, voire du pays. Les synodes sont réunis dans des cathédrales : s’y déroulent également, de plus en plus nombreuses, les fêtes solennelles requises par la royauté pour la célébration de l’institution monarchique, comme les Te deum chantés pour célébrer les victoires. La cathédrale sert donc de trait d’union entre la nation et ses rois, entre une communauté d’habitants et la structure politique à l’intérieur de laquelle elle s’inscrit. Durant la Renaissance et l’époque classique, l’art gothique a été assimilé à un art barbare, le jugement négatif porté sur ces édifices, mal compris, fruits d’un lien jugé trop étroit entre la féodalité et l’Église, faillit leur être fatal : la Révolution, par exemple, transforme certains d’entre eux en entrepôts ou en casernes. Ce sont les romantiques, et avant tout Chateaubriand (Génie du christianisme, 1802) et Victor Hugo (Notre-Dame de Paris, 1831), qui ont permis que s’inverse ce mouvement. Dans le courant du XIXe siècle, la cathédrale n’est pas vue comme un simple
édifice religieux, mais comme un mémorial, un reflet et un vecteur de l’histoire de la nation. Péguy (la Tapisserie de Notre-Dame, 1913) et Claudel (qui eut la révélation derrière un pilier de Notre-Dame de Paris) célèbrent poétiquement la dimension mystique des cathédrales : « C’est l’épi le plus dur qui soit jamais monté / Vers un ciel de clémence et de sérénité » (Péguy, Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres). Mais la France laïque n’est pas en reste pour mettre en valeur ces fleurons du patrimoine national, qui servent de cadre à la célébration d’obsèques solennelles, telles celles de Charles de Gaulle ou de François Mitterrand. Cathelineau (Jacques), général vendéen (Le Pin-en-Mauges, Maine-et-Loire, 1759 - Saint-Florent-le-Vieil, id., 1793). De simple origine mais sachant écrire, ce voiturier, marguillier de sa paroisse, se distingue, dès 1792, en refusant les mesures religieuses de la Révolution. En mars 1793, il prend le commandement de l’une des bandes d’insurgés qui s’opposent à la levée des 300 000 hommes. Victorieux contre les gardes nationaux locaux, il s’empare de Chemillé, de Cholet avec l’aide de Stofflet, puis, après un échec initial, de Fontenay en compagnie des autres chefs vendéens, enfin, de Saumur (9 juin). Il est alors intégré à l’état-major de la puissante armée catholique et royale d’Anjou, et en devient le premier généralissime, lui, le roturier, au sein d’un collège où se distinguent d’Elbée - qui lui succédera -, Bonchamps, La Rochejaquelein ou Donnissan, tous issus de la noblesse. Sa carrière militaire est brutalement interrompue par une blessure reçue lors de l’attaque de Nantes (29 juin). Transporté chez les religieuses de SainteCroix, Cathelineau expire, quatre ans, jour pour jour, après la prise de la Bastille. La famille de ce météore de la ContreRévolution prolonge sa propre destinée : une trentaine de ses proches meurent au cours des guerres de Vendée ; son fils Jacques, élevé sous la protection de la noblesse française et anobli par Louis XVIII en 1816, prend part au soulèvement organisé par la duchesse de Berry, et y trouve la mort (1832) ; enfin, son petit-fils défend les États du pape, avant de s’engager contre la Prusse en 1870. Catherine de Médicis, reine de France (Florence 1519 - Blois 1589). Catherine de Médicis, née le 13 avril 1519, est
la fille de Madeleine de La Tour d’Auvergne, princesse de sang royal, morte quinze jours après l’accouchement, et de Laurent de Médicis, duc d’Urbino, décédé peu après ; sa vie est historiquement difficile à appréhender, chaque séquence s’ordonnant autour d’une composante particulière de la légende noire, composée à partir de 1574. • Entre Rome, Florence et la cour de France. Toute jeune, l’orpheline est un enjeu capital dans le rapport des forces de l’Italie de la Renaissance. Son enfance se déroule au Vatican, sous la protection pontificale, puis, à partir de 1527, dans plusieurs couvents d’une Florence contrôlée par la faction opposée aux Médicis. Le pape Clément VII la ramène à Rome en octobre 1530 et, dans le cadre de négociations qui marquent une victoire de la diplomatie française face à Charles Quint, il décide de son mariage avec le deuxième fils de François Ier, Henri d’Orléans, constituant une dot de 100 000 écus conditionnée à sa renonciation à ses droits sur downloadModeText.vue.download 144 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 133 les biens patrimoniaux des Médicis. C’est à Marseille que le mariage est célébré les 27 et 28 octobre 1533, au cours d’une rencontre entre le roi de France et le pape. La vie qui débute alors pour Catherine de Médicis est à la fois valorisante et difficile ; mais l’idée, longtemps admise, de son effacement, obligé ou tactique, doit être relativisée. Catherine se distingue d’abord par sa culture humaniste et par son engagement dans les jeux intellectuels de la cour de France. L’ambassadeur vénitien écrit à son propos que « sa Majesté François Ier l’aime aussi, et elle est tellement aimée de toute la cour et de tous les peuples ». Cependant, dès 1536-1537, Henri d’Orléans, devenu l’héritier de la couronne, la délaisse pour Diane de Poitiers, veuve du sire de Brézé. Il faut attendre le 19 janvier 1544 pour que Catherine donne naissance à un fils ; suivront dix autres naissances dans les douze années ultérieures. La mort de François Ier en mars 1547 la fait reine de France, mais ne la maintient pas moins dans une situation ambiguë : si elle doit accepter une forme de cohabitation, voire de connivence, avec la maîtresse d’Henri II, toute-puissante à la cour et au Conseil, elle n’en participe pas moins à certaines décisions ou orientations diplomatico-militaires concernant l’Italie, regroupant
autour d’elle une petite société d’Italiens, tels les Gondi ou les Strozzi. Il faut insister sur le rôle de premier plan qui lui est dévolu dans le système politique dès avant 1559 : non seulement le roi place temporairement le Conseil sous son autorité à partir de 1548, mais il lui confie la régence à trois reprises (en 1552, 1553 et 1554). À partir de 1552, Catherine de Médicis s’efforce d’infléchir la politique française dans le sens d’un interventionnisme dirigé vers le royaume de Naples et de Florence. C’est elle qui, en août 1557, alors que la défaite de SaintQuentin laisse la frontière nord du royaume sans protection, maintient l’ordre dans la capitale et en Île-de-France, obtenant d’une assemblée bourgeoise extraordinaire un vote promettant une levée de 300 000 écus. C’est elle encore qui cristallise, avec les Guises, un pôle de mécontentement face au choix de paix auquel procède Henri II, sous l’influence d’Anne de Montmorency et de Diane de Poitiers. • La souveraine de la concorde. Après la mort du roi en 1559, Catherine de Médicis aurait pratiqué une « politique de bascule » qui, selon la légende noire,relèverait d’une approche machiavélienne du pouvoir. On peut affirmer au contraire que la veuve d’Henri II se rattache à une tradition évangélique qui lui fait considérer la dissidence religieuse avec un irénisme relatif (elle possède un Nouveau Testament dans la traduction de 1523 de Lefèvre d’Étaples), et qu’elle est aussi influencée par le néoplatonisme. Sa bibliothèque comprend plus de 4 500 titres. Ses principaux conseillers, tel l’évêque Jean de Montluc, rêvent de la convocation d’un concile qui permettrait aux catholiques et aux calvinistes de trouver une via media ouvrant, à court ou à moyen terme, sur une réunification religieuse. Ellemême se fait représenter par Antoine Caron, à partir d’un poème composé par l’apothicaire Nicolas Houel, en princesse vouant sa vie à la seule préservation de la puissance royale. Et, dès mars 1560, elle ébauche une dynamique historique par la promulgation d’un édit amnistiant les réformés ; dans le même temps, elle entame une immense oeuvre de correspondance destinée à faire connaître les options monarchiques à tous ceux qui participent de la « technostructure » étatique, alors même que le calvinisme s’organise en plus de 2 000 églises tout en recevant l’appui d’une partie des clientèles nobiliaires, et que le catholicisme est parcouru par un rêve eschatologique de violence éradicatrice. Dans un contexte d’occupations d’édifices cultuels,
d’actes iconoclastes, de violences terroristes, la reine mère cherche empiriquement, grâce à la dignité de régente qui lui a été reconnue et au soutien du chancelier de Michel de L’Hospital, des solutions permettant de prévenir la guerre civile et d’instaurer les conditions d’une stabilisation. Ainsi, l’édit de juillet 1561, tout en maintenant l’interdiction de conventicules publics, prohibe toute intervention judiciaire motivée par un fait de religion. En septembre, c’est la convocation du colloque de Poissy : en organisant la rencontre de théologiens catholiques et calvinistes, Catherine espère voir se réaliser une déconfessionnalisation des partages religieux. Le rêve de concorde trouve son point d’aboutissement dans l’édit du 17 janvier 1562, qui entérine une décriminalisation de l’hérésie (promulgation de la liberté de culte et de conscience) et qui, même s’il s’explique par une dégradation accentuée de la situation intérieure, n’en est pas moins représentatif du point de vue philosophique adopté par la reine mère. Entraînée malgré elle dans la guerre civile aux côtés des triumvirs catholiques, Catherine reprend l’initiative politique en négociant la paix d’Amboise (mars 1563), puis en s’efforçant d’affermir simultanément l’autorité monarchique et la cohabitation religieuse (proclamation de la majorité de Charles IX, grand voyage de présentation au pays du nouveau roi, ordonnance de Moulins). Son projet pacificateur passe également par la reconstitution d’une vie de cour fondée sur les fêtes et les ballets, les représentations théâtrales, la protection accordée aux poètes et aux musiciens. Cette appropriation de la puissance politique se traduit, dès 1564, par la construction à Paris du palais des Tuileries, « maison » de la reine mère et oeuvre de Philibert Delorme poursuivie par Jean Bullant. Mais son action qui, de 1563 à 1567, vise à émanciper le pouvoir monarchique du jeu concurrent des lignages aristocratiques et de la pression hispanoromaine est déstabilisée par le soulèvement iconoclaste des Flandres. En outre, les capitaines calvinistes, par la « surprise de Meaux » (septembre 1567), puis par les menaces qu’ils semblent faire peser sur la paix retrouvée en mars 1568, paraissent mettre en péril l’autorité royale dans l’exercice d’une puissance « absolue » impliquant une mission de modération des passions humaines. Aussi, la reine engage-t-elle temporairement Charles IX dans deux guerres d’éradication du calvinisme, qui s’achèvent par la paix de Saint-Germain-enLaye, en août 1570. • La reine de la Saint-Barthélemy. Le rôle de la veuve d’Henri II dans le massacre
parisien de la nuit du 24 août 1572 est difficile à cerner. Il n’est pas certain que Catherine se soit opposée à Charles IX au sujet du projet d’intervention militaire française aux Pays-Bas. Il faut penser que la mère et le fils jouent chacun un jeu savant au sein duquel se croisent astrologie et magie, visant à neutraliser les velléités guerrières huguenotes défendues par Coligny et à consolider la paix civile pour mieux replacer la France en situation de puissance europénne. Ce qui importe, c’est le succès qui accompagne cette pratique complexe du pouvoir : le mariage de sa fille Marguerite de Valois et du prince protestant Henri de Navarre (futur Henri IV), dont le sens est autant celui d’un renforcement symbolique de la paix que de l’entrée dans un nouvel âge de réconciliation entre les Français. Malgré le report entraîné par le soulèvement des Gueux et par la mort de Jeanne d’Albret, la cérémonie a lieu le 18 août 1572, dans une capitale où ont conflué nombre de gentilshommes huguenots mais qui est hostile à l’orientation politicoreligieuse de la royauté. Il faut éliminer l’idée de préméditation par Catherine de la SaintBarthélemy, sans doute improvisée en accord avec Charles IX, en réponse à la crise issue de l’attentat contre Coligny (22 août). À l’origine auraient été retenus les noms de plusieurs dizaines de chefs militaires huguenots devant être mis à mort. Mais l’amplification de cette « exécution » par le grand massacre populaire scelle l’échec du « rêve humaniste » de la reine et de son fils. La légende noire de Catherine, stigmatisée par les libellistes huguenots comme criminelle et dominatrice, magicienne et empoisonneuse, se constitue cependant à partir de 1574, après la mort de Charles IX, quand elle assume la régence en assurant le retour de Pologne d’Henri III. • La princesse de la paix. La mise au second plan de la reine mère sous le règne d’Henri III n’est qu’apparente. En effet, Catherine de Médicis continue de se vouer à une oeuvre médiatrice de préservation de l’autorité royale et de neutralisation des factions : grâce à un réseau de fidèles (Villeroy, Pinart, Brûlart), elle intervient pour résoudre directement les problèmes auxquels le pouvoir est confronté. La royauté fonctionne toujours sur un principe de dualité. C’est Catherine qui, après avoir organisé à Chambord une entrevue du roi avec son frère, le duc d’Alençon, négocie avec lui la paix de Beaulieu (mai 1576). Puis elle signe avec Henri de Navarre la convention de Nérac (février 1579), au cours d’un grand voyage de plus d’une année durant lequel elle s’efforce d’apaiser les conflits en Languedoc, Provence,
Dauphiné. C’est elle encore qui cherche à détourner les tensions vers l’Espagne (soutien à l’expédition de Strozzi vers les Açores, appui donné aux prétentions du duc d’Anjou sur les Pays-Bas). C’est elle enfin qui tente de désamorcer l’antagonisme entre la Ligue et le pouvoir royal. Sa rencontre avec le duc de Guise à Épernay (avril 1585) est à l’origine du traité de Nemours et, surtout, de l’édit de juillet 1585, par lequel Henri III s’aligne sur nombre d’exigences ligueuses. Catherine est sur tous les fronts : elle rencontre d’abord le roi de Navarre au château de Saint-Brice près de Cognac, pour l’inciter à une abjuration qui permettrait son retour à la cour et déstabiliserait l’ultracatholicisme (décembre 1586downloadModeText.vue.download 145 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 134 mars 1587) ; elle a aussi, à Fère-en-Tardenois, une entrevue de conciliation avec le duc de Guise (mai 1587). Son action vise à éviter la rupture avec la Ligue, mais, lors de la journée des Barricades (mai 1588), elle échoue à s’interposer entre Henri III et Henri de Guise, puis se retrouve victime de l’accord entre ces derniers, quand ses fidèles sont la cible d’une purge du personnel gouvernemental, en septembre 1588. Il est difficile de dire si elle n’a été que le témoin passif des événements qui s’achèveront par l’exécution du duc de Guise (23 décembre 1588), ou si c’est l’épuisement qui l’a tenue à l’écart du pouvoir. Catherine de Médicis meurt à Blois le 5 janvier 1589. En 1610, sa sépulture est transférée dans la rotonde funéraire qu’elle avait fait construire à Saint-Denis, nécropole royale. l CATHOLICISME. « France, fille aînée de l’Église, qu’as-tu fait des promesses de ton baptême ? » L’apostrophe du pape JeanPaul II à la foule assemblée au Bourget le 2 juin 1980 définit, en quelques mots, la relation singulière qu’entretient la nation française avec le catholicisme. Fidélité et exemplarité, en ce qu’elle a souvent été, de Clovis à Saint Louis, au premier rang des nations chrétiennes, a récusé la Réforme protestante, a assumé l’essentiel de l’effort missionnaire et a donné à profusion saints et saintes, prêtres et religieux. Indépendance et conflictualité, en ce que l’État a fait depuis des siècles prévaloir ses droits sur ceux de l’Église, a opéré, avec la Révolution française, une rup-
ture violente avec la foi chrétienne et, par la loi de séparation, une sécularisation radicale de la société, octroyant ainsi très tôt une place à la liberté de conscience et de culte pour les minorités religieuses et aux valeurs issues de la laïcité militante et de l’humanisme athée. Aussi le catholicisme, s’il apparaît comme l’une des dimensions constitutives de la nation française, ne suffit-il pas à définir une identité ou un trait de nature comme en Espagne ou en Italie, en Irlande ou en Pologne. Le catholicisme français est à la fois le produit d’une histoire et la tradition vivante d’une foi. LA CHRISTIANISATION DE LA GAULE Aux commencements se trouvent l’évangélisation d’un peuple et le baptême d’un roi. À la faveur de la paix romaine et de la crise des religions de la cité antique, la croyance au message du Christ incarné et ressuscité se propage lentement depuis la Méditerranée. En 177, les chrétiens de Lyon (l’évêque Pothin, Blandine) sont livrés aux bêtes ; mais le nouvel évêque Irénée enseigne à son tour « la seule foi vraie et vivifiante que l’Église a reçue des Apôtres et qu’elle transmet à ses enfants ». En 314, quarante-trois cités sont présentes au concile d’Arles convoqué par l’empereur Constantin, dont Arles, Marseille, Orange, Apt, Vaison, Vienne et Lyon, mais aussi Autun, Eauze, Bordeaux, Rouen et Reims. La christianisation s’est ainsi lentement étendue aux villes depuis la Provence, avant de toucher, du IVe au VIe siècle, les aristocraties rurales et les masses paysannes : c’est le mot paganus (« païen »), qui a donné notre paysan, signe d’une conversion tardive des populations campagnardes. Sous l’impulsion de personnalités fortes (Martin de Tours, Hilaire de Poitiers, Germain d’Auxerre) et sous l’égide d’un clergé issu principalement des familles de l’aristocratie gallo-romaine, les communautés s’organisent. Le christianisme s’insère dans les structures locales d’un Empire romain en rapide décomposition sous le choc des invasions germaniques. Un événement historique majeur vient sanctionner le passage de l’ancienne Gaule au christianisme : le baptême dans la foi catholique du roi franc Clovis par l’évêque Remi à Reims, qu’une datation vague fixe en 496. Jusqu’à lui, tous les chefs des peuples germaniques établis en Gaule - Burgondes, Wisigoths - étaient de confession arienne, qui ne reconnaissait pas la divinité du Fils de Dieu. Avec Clovis et son épouse Clotilde, la dynastie mérovingienne des Francs Saliens, qui va bientôt dominer la Gaule
et lui donner son nom, se range sous l’autorité du pape de Rome. La conversion de Clovis confère à la domination franque l’appui politique de l’épiscopat gallo-romain : magnifiée dans les siècles suivants, elle constitue aussi l’acte fondateur d’une monarchie sacrale. Dans une société en voie de régression culturelle et de ruralisation accélérée, les évêques (Césaire d’Arles, Grégoire de Tours, Ouen de Rouen, Éloi de Noyon), entourés d’un petit nombre de clercs, constituent l’armature institutionnelle de l’Église : on compte au VIIe siècle une centaine de villes épiscopales, avec leurs églises cathédrales et leurs baptistères, très inégalement réparties entre le dense réseau du Midi et le large maillage de la Francie septentrionale. L’évangélisation des campagnes se poursuit à travers la construction d’églises privées et l’éradication des anciens cultes ruraux. L’érémitisme et le monachisme, issus à la fois d’Orient (les Pères du Désert), d’Italie (saint Benoît) et d’Irlande (saint Colomban), se diffusent partout : à Tours, dès le IVe siècle, autour de saint Martin, ancien ermite de Ligugé ; à Marseille, où Jean Cassien fonde en 410 Saint-Victor ; sur les îles de Lérins ; à Luxeuil, autour de saint Colomban ; à Jouarre, Chelles, Corbie, Soissons, Jumièges, Saint-Wandrille ; à Poitiers, où Radegonde fonde un monastère de femmes. La règle de saint Benoît de Nursie s’impose, établissant un équilibre stable entre prière et travail ; et c’est un moine provençal, Vincent de Lérins, qui définit la règle de foi des croyances catholiques : Quod ubique, quod semper, quod ab omnibus (« Tenons-nous en à ce qui a été cru partout, toujours et par tous »). L’ÈRE DES MUTATIONS La chrétienté carolingienne participe d’une nouvelle exigence de puissance, d’ordre et d’équilibre. Les monarques francs se substituent à la puissance déclinante de Byzance : Pépin le Bref est sacré roi des Francs en 751 à Soissons par le légat Boniface, puis en 754 à Saint-Denis par le pape Étienne II ; en Italie, il repousse les Lombards et contribue à la création des États pontificaux. Son fils Charlemagne est sacré empereur d’Occident par le pape Léon III à Rome, le jour de Noël de l’an 800, et l’évêque Hincmar de Reims magnifie la figure sacrale du « nouveau David ». Les évêques sont appelés à apporter leur concours à l’administration de l’Empire. Les églises privées forment le cadre de l’organisation paroissiale des campagnes. La règle Bénédictine est étendue par Benoît d’Aniane à l’ensemble des monastères ; les clercs réguliers sont organisés en communautés selon la règle de Chrode-
gang, évêque de Metz. Des capitulaires règlent la discipline ecclésiastique, uniformisent la liturgie, diffusent les sacramentaires romains. La vie religieuse des fidèles est ordonnée autour de la pratique des sacrements et des pénitences, du catéchisme et du repos dominical. Une renaissance intellectuelle, essentielle dans la préservation et la transmission de la culture latine antique et chrétienne, voit le jour (Alcuin, Raban Maur). L’âge féodal, issu de la désagrégation de l’Empire carolingien, marque l’apogée du monachisme. La fondation de l’abbaye bourguignonne de Cluny (909 ou 910) constitue le point de départ d’une formidable expansion de l’ordre bénédictin : exempts de l’autorité épiscopale, comblés de biens par les grands, les « maîtres de la prière » déploient une liturgie fastueuse, élèvent jour et nuit la louange au Très-Haut, concentrent patrimoine culturel et activités intellectuelles, et étendent l’influence de l’ordre clunisien à l’ensemble de la société laïque. Le « blanc manteau des églises » (Raoul Glaber, chroniqueur du XIe siècle) recouvre peu à peu les villages. L’architecture romane déploie ses arcades et ses voûtes, ses puissants piliers, ses chapiteaux sculptés, ses figures de pierre, ses fresques colorées où triomphe la figure grandiose du Christ du Jugement. Cluny, aujourd’hui disparu, Vézelay, Paray-leMonial, Saint-Philibert de Tournus, Sainte-Foy de Conques, Saint-Martin du Canigou, SaintBenoît-sur-Loire, Notre-Dame-la-Grande de Poitiers, Notre-Dame-du-Port de Clermont, les cathédrales d’Autun et du Puy portent le témoignage de l’élan spirituel qui marque l’aube du Moyen Âge chrétien. Les moines, enfin, à l’orée du XIe siècle, imposent le schéma d’une société divisée en trois ordres inégaux en droits et en devoirs, ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux qui travaillent : les clercs, les chevaliers et les paysans. Au lendemain de l’an mil, la chrétienté médiévale entre dans une période d’expansion soutenue par le redressement démographique, l’essor de l’économie agraire et la renaissance des villes. La réforme grégorienne est une tentative pour dégager l’Église de l’emprise des seigneurs laïcs. Les chapitres et les collèges de prêtres adoptent alors la règle de vie et de prière de saint Augustin. Bruno fonde la Grande-Chartreuse (1084), proche de la tradition érémitique ; Robert d’Arbrissel, l’abbaye de Fontevraud (1101) ; Norbert, l’abbaye de Prémontré (1120). La réforme bénédictine, esquissée à Cluny par Pierre le Vénérable, est approfondie à Cîteaux (1098) par Bernard de Clairvaux : à sa mort (1153),
l’ordre cistercien, qui privilégie l’implantation dans les « déserts », le travail agricole et la construction d’abbayes austères et dépouillées (Fontenay, Pontigny), compte déjà 345 monastères. L’Église tente d’imposer aux chefs de guerre « trêves de Dieu » (suspension de la guerre durant certaines périodes de l’année religieuse) et « paix de Dieu » (prohibition des actes guerriers contre les non-belligérants downloadModeText.vue.download 146 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 135 et leurs biens) sous la menace de l’interdiction et de l’excommunication. Elle sanctifie la dynastie issue d’Hugues Capet (987), du sacre de Reims à leur sépulture à Saint-Denis : l’oint du Seigneur se voit reconnaître le pouvoir de guérir les écrouelles. Les papes lancent depuis la France l’entreprise violente de la croisade pour la reconquête des Lieux saints : Urbain II prêche la première croisade à Clermont (1095) et saint Bernard, la deuxième à Vézelay (1146) ; le roi Philippe Auguste prend part en personne à la troisième et le roi Saint Louis meurt à Tunis en 1270, au terme de la dernière. L’éphémère royaume chrétien de Jérusalem et les ordres militaires des templiers et des hospitaliers projettent jusqu’au Levant les gesta Dei per Francos (l’action de Dieu à travers les Francs). LE TEMPS DES CATHÉDRALES À l’apogée de la chrétienté médiévale, l’Église organise et contrôle la vie des fidèles sous tous ses aspects. Le sacrement de mariage sanctifie et garantit le couple et la famille. Le concile du Latran IV (1215) étend à tous les fidèles l’obligation de la confession et de la communion pascales. Le sacrement de baptême, les relations de parenté spirituelle, l’enseignement du catéchisme, la prédication, l’assistance à la messe dominicale, les rites funéraires, la solidarité des vivants et des morts exprimée à travers la prière pour les « bonnes âmes » du purgatoire et la quête des indulgences, les pèlerinages à Rome ou à Saint-Jacques, les fondations de messes, la vénération des reliques, l’intercession de la Vierge et des saints innombrables à la protection desquels se recommandent les croyants, enserrent l’existence terrestre dans un tissu dense de liens, de gestes et de croyances. Le droit canonique de l’Église, fort du « bras séculier » de l’État, régit les conduites individuelles
et collectives, et sanctionne les manquements aux commandements, le blasphème et le sacrilège, les écarts à la norme morale ou sexuelle, le concubinage et la simonie des clercs, la magie, la superstition, l’hérésie enfin : au XIIIe siècle, la sanglante croisade des albigeois anéantit dans le Midi la doctrine cathare ; puis les juifs sont définitivement expulsés du royaume en 1394. Confréries de métiers ou de dévotion, fondations hospitalières et charitables, encadrent la vie sociale. Quant à la vie matérielle, elle est scandée par l’obligation du repos dominical, les fêtes chômées et les règlements rigides des corporations. Le catholicisme inscrit également son élan dans l’architecture gothique, qui fait triompher l’ogive et le pilier, le vitrail et la rosace, ainsi que les immenses programmes iconographiques des façades sculptées. La basilique royale de Saint-Denis, dont Suger entreprend la reconstruction à partir de 1130, les admirables cathédrales qui surgissent entre Loire et Rhin au tournant des XIIe et XIIIe siècles à Bourges, Orléans, Chartres, Sens, Paris, Beauvais, Rouen, Coutances, Laon, Reims, Amiens, Metz et Strasbourg, comme dans le Midi, à Albi, Rodez et Narbonne, témoignent de l’équilibre souverain d’un art religieux parvenu au sommet de sa puissance créatrice. La chrétienté médiévale est cependant déjà parcourue par des tensions qui menacent ses équilibres et fragilisent ses institutions. La renaissance des villes suscite l’implantation des ordres mendiants de saint Dominique ou de saint François, qui prêchent l’amour de la pauvreté et la conversion intérieure. Les courants spirituels tels que la dévotion moderne et mystique des XIVe et XVe siècles (que résume pour des générations un livre de sagesse, de piété et de vie, l’Imitation de JésusChrist) nourrissent la ferveur inquiète des foules, alimentent des dévotions pathétiques ou macabres et suscitent ici ou là une vive contestation de l’Église. La ville est aussi le lieu où voient le jour des écoles-cathédrales, puis des universités, où l’enseignement de la théologie, du droit, de la médecine et des arts libéraux entraîne une mutation culturelle de l’Occident : dès le XIIe siècle, la philosophie de Pierre Abélard se heurte violemment à la foi de saint Bernard ; puis, au siècle suivant, les synthèses théologiques équilibrées et rationnelles de Thomas d’Aquin cèdent le pas aux interrogations infinies de la scolastique et aux critiques de l’humanisme savant. Dans le même temps, le renforcement de l’État monarchique accroît l’autonomie du pouvoir temporel à
l’égard de l’Église. Un conflit ouvert oppose dès l’aube du XIVe siècle Philippe le Bel au pape Boniface VIII : le principal conseiller du roi, Guillaume de Nogaret, organise un coup de force contre le souverain pontife (attentat d’Anagni, 1303), et le roi fait brûler le grand maître des Templiers sur inculpation d’hérésie (1314). Contrainte de quitter Rome pour s’établir durant près d’un siècle (1309-1377) en Avignon, sous la protection du roi de France, la papauté y consolide ses structures et sa fiscalité. Mais le grand schisme d’Occident l’affaiblit durablement. Charles VII lui imposera en 1438 la pragmatique sanction de Bourges, qui confère au roi les plus larges prérogatives en matière de nomination aux bénéfices ecclésiastiques. Entre-temps, ce dernier a pu rétablir son pouvoir, mis à mal par la guerre de Cent Ans et le conflit entre Armagnacs et Bourguignons, grâce à un sursaut prophétique et populaire. C’est en affirmant la légitimité du dauphin Charles que Jeanne d’Arc, pure et tragique figure paysanne et virginale, renoue les fils rompus de la sacralité royale, sauve la monarchie et relève la nation. Guidée par ses voix, elle libère Orléans et conduit en 1429 le dauphin Charles sur le chemin du sacre de Reims. CRISES, RUPTURES ET FIDÉLITÉ Menacée par l’autorité grandissante de l’État, secouée par les aspirations réformatrices, la chrétienté médiévale a vécu. Au début du XVIe siècle, la Réforme radicale de Luther, Bucer, Calvin et Bèze - la foi seule, et la seule Écriture - balaie l’humanisme dévot de Jacques Lefèvre d’Étaples et de Guillaume Briçonnet, et rompt l’unité de l’ancienne foi. Le protestantisme s’implante durablement en Alsace et dans une partie considérable du royaume (Dauphiné, Languedoc, Béarn, Poitou, Normandie). En 1562, le massacre des protestants de Wassy par les soldats du duc de Guise précipite la France pour trois décennies dans les guerres de Religion. Trois acteurs décisifs vont toutefois maintenir le royaume de France dans la foi catholique : la monarchie, l’Église, les fidèles. En 1516, le roi François Ier a signé avec le pape Jules II le concordat de Bologne, qui confère au monarque la nomination des évêques (que le Saint-Siège préconise au spirituel). Le Roi Très-Chrétien manifeste ainsi son attachement à l’unité de l’Église universelle tout comme aux libertés de l’Église gallicane, l’intransigeance finissant par l’emporter - par-delà quelques tentatives de compromis - au nom des intérêts politiques et des traditions religieuses de la monarchie.
En 1546, François Ier fait exécuter pour hérésie le libraire et humaniste Étienne Dolet ; en 1560, la conjuration huguenote du prince de Condé est noyée dans le sang à Amboise ; en 1572, le Conseil du roi Charles IX organise à Paris l’élimination des chefs huguenots, qui aboutit au massacre de la Saint-Barthélemy ; en 1593, enfin, à Saint-Denis, le prince protestant Henri de Navarre (Henri IV) abjure solennellement pour s’imposer à la tête du royaume : « Paris vaut bien une messe. » Le Saint-Siège, qui a convoqué en 1545 le concile à Trente, accueille en 1562 les évêques français conduits par le cardinal de Lorraine : ils viennent porter leurs nostalgies conciliaristes et leurs revendications gallicanes, mais aussi l’assentiment de la première nation chrétienne d’Europe à la Réforme catholique ; la réception des décrets du concile de Trente est sanctionnée par le vote de l’assemblée du clergé aux états généraux de 1615. La fidélité de la France à l’ancienne foi repose sur l’attachement inébranlable d’une majorité de fidèles à ses croyances et à son clergé, au sacrement de l’eucharistie, au culte de la Vierge et des saints. Le réflexe traditionaliste de populations choquées par la violence « sacrilège » de l’iconoclasme huguenot nourrit à son tour le rejet de la Réforme, les violences et les passions de la Ligue, jusqu’à l’assassinat du roi Henri III par le moine Jacques Clément en 1589. LE CATHOLICISME DU GRAND SIÈCLE Au tournant des XVIe et XVIIe siècles, la Réforme catholique marque durablement le nouveau visage de l’Église en France. La mise en place des séminaires élève la formation doctrinale et intellectuelle des prêtres séculiers. Les structures paroissiales sont consolidées par le système bénéficial et la fiscalité ecclésiastique. Des congrégations nouvelles apparaissent : les Jésuites, Oratoriens, Minimes, Capucins, Ursulines, Visitandines, les Frères des écoles chrétiennes, de Jean-Baptiste de La Salle, les Filles de la Charité, de Vincent de Paul. La pastorale tridentine est centrée sur l’instruction des fidèles par le catéchisme et la prédication, la fréquentation des sacrements, l’assistance à la messe dominicale, les exercices de piété, le culte de la Vierge et des saints, la participation aux processions, l’appartenance aux confréries, les pèlerinages et le culte des reliques. L’Introduction à la vie dévote de François de Sales, le Traité de l’amour de Dieu du cardinal Pierre de Bérulle, alimentent une piété fervente et sacramentelle.
Mais la France du premier XVIIe siècle fait aussi figure d’exception dans l’Europe du cujus regio ejus religio (« à chacun la religion de son roi ») et de scandale aux yeux de Rome : Henri IV n’a-t-il pas accordé par l’édit de Nantes (1598) privilèges et garanties à la downloadModeText.vue.download 147 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 136 minorité réformée, que Louis XIII et Richelieu s’efforcent avec succès de restreindre sans toutefois les supprimer ? L’Église gallicane n’est, pour sa part, pas épargnée par les tensions internes. La répression sanglante de la sorcellerie par les tribunaux ecclésiastiques et civils déplace les limites entre religion enseignée et croyances populaires, et semble un instant menacer l’équilibre rationnel de la foi chrétienne. Le jansénisme, fruit d’une réflexion tragique sur la misère de l’homme pécheur et la toute-puissance de la grâce divine, rejette les absolutions faciles et la communion fréquente. La doctrine des maîtres de Port-Royal (Saint-Cyran, Arnauld, Nicole, Lemaître de Sacy) et de leurs disciples fidèles (Pascal) ou dévoyés (Racine) influence en profondeur le Grand Siècle dans sa spiritualité et dans sa morale. Mais elle est tour à tour frappée par la monarchie (qui fait raser l’abbaye de Port-Royal des Champs) et le Saint-Siège (qui promulgue en 1713 la bulle Unigenitus). L’absolutisme de Louis XIV, que célèbre Bossuet dans sa Politique tirée de l’Écriture sainte, conduit ainsi à un raidissement ecclésiologique que traduit en 1685 la révocation de l’édit de Nantes, qui voue des centaines de milliers de réformés à l’exil ou aux galères et les « nouveaux convertis » au culte clandestin. Enfin, l’élan mystique du XVIIe siècle est brisé par la condamnation du quiétisme et de Fénelon. LE TEMPS DES CONTESTATIONS Le siècle des Lumières marque pour le catholicisme en France l’aube des temps difficiles. À la « crise de conscience européenne » succède le combat de Voltaire contre l’« infâme ». L’inspiration et l’autorité de l’Écriture, les dogmes du péché originel et du salut éternel, la morale et la conduite des clercs sont en butte aux sarcasmes des Philosophes. Miracles et reliques, pèlerinages et dévotions sont rangés sous la rubrique du fanatisme et de la superstition. Dans le même temps, l’État monarchique s’instaure en « évêque du dehors »,
supprime l’ordre des jésuites (1762), institue une Commission des réguliers. C’est une Église affaiblie qui aborde en 1789 la convocation des états généraux : elle sera la première et principale victime de la disparition de l’Ancien Régime. Tandis que protestants et juifs accèdent à la pleine citoyenneté et que la liberté des « opinions religieuses » est inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les biens ecclésiastiques sont mis, dès 1789, à la disposition de la nation, puis les ordres religieux, supprimés. En 1790, la Constitution civile du clergé institue une Église nationale, insérée dans les structures de la France nouvelle, soumise au principe démocratique de l’élection et indépendante du Saint-Siège : environ la moitié du clergé s’y rallie, se heurtant à l’intransigeance des réfractaires, fidèles à l’unité catholique et à l’ancienne discipline. En 1792, ces derniers, suspects aux yeux des révolutionnaires, sont expulsés hors de France et 230 d’entre eux, massacrés dans les prisons de Paris. En 1793, le Roi Très-Chrétien Louis XVI est guillotiné et le saint chrême, brisé devant la cathédrale de Reims ; l’insurrection paysanne de l’Ouest catholique plonge la France dans une sanglante guerre civile. La déchristianisation révolutionnaire de l’an II entraîne la fermeture des églises, transformées en « temples de la Raison » ou « de l’Être suprême », la « déprêtrisation » de gré ou de force des curés et l’envoi à la fonte des statues des saints et des reliquaires. Plus d’un millier de prêtres et de religieuses sont exécutés : l’Église sanctifiera le sacrifice héroïque des carmélites de Compiègne. En 1795, pour des raisons essentiellement financières, la Convention opère une première séparation de l’Église et de l’État. Le Directoire reprend en 1797 une politique de persécution, s’empare en 1798 des États pontificaux et ramène en France le pape Pie VI, qui reçoit à sa mort, à Valence en 1799, des obsèques civiles. Jamais encore une nation chrétienne n’avait rompu aussi radicalement avec ses anciennes croyances. DU CONCORDAT À LA SÉPARATION La reconstruction de l’Église catholique est l’oeuvre de Bonaparte, qui signe directement avec le pape Pie VII le concordat de 1801. Rejetant à la fois l’ancienne Église gallicane et l’Église constitutionnelle, il restaure les principes du concordat de Bologne sur la nomination des évêques, restitue les églises au culte, salarie le clergé et garantit la possession des biens ecclésiastiques aliénés. Assorti d’articles organiques qui limitent étroitement
la liberté de l’Église, le système concordataire permet un « été de la saint Martin du catholicisme tridentin », la reconstitution du réseau paroissial et des effectifs d’un clergé majoritairement rural et paysan, la renaissance des ordres religieux, notamment des congrégations féminines, la reconstruction des églises, le renouveau de l’enseignement religieux par la catéchèse et la prédication, et la sacramentalisation accrue des fidèles. Un catholicisme intransigeant, issu de l’expérience réfractaire, viscéralement hostile à la Révolution (Joseph de Maistre, Louis de Bonald, le premier Lamennais) et passionnellement dévoué au Saint-Siège, oeuvre à une tentative de reconquête religieuse. Aux missions intérieures de la Restauration succèdent les entreprises missionnaires outre-mer. Un enseignement catholique primaire, secondaire et supérieur (loi Falloux de 1850) et une presse catholique (l’Avenir de Lamennais, Lacordaire et Montalembert, l’Univers de Louis Veuillot, la Croix des assomptionnistes) voient le jour, tandis que s’élaborent des formes nouvelles de catholicisme social (encyclique Rerum novarum, 1891) ou de démocratie chrétienne. Cultes anciens (Rosaire, Sacré-Coeur, saint Joseph, Anges gardiens) et nouveaux (sainte Philomène), apparitions mariales (La Salette en 1846, Lourdes en 1858, Pontmain en 1871), alimentent la ferveur religieuse des fidèles et le renouveau des pèlerinages (Ars, Paray, Lourdes) ; ils nourrissent une spiritualité intense (Jean-Marie Vianney, Thérèse de Lisieux), parcourue parfois d’un souffle apocalyptique. Néanmoins, l’épiscopat se révèle impuissant face à l’ampleur des processus de détachement religieux, la montée de l’anticléricalisme et l’affirmation des valeurs laïques. Arc-boutés à d’illusoires espérances de restauration monarchique et religieuse, un Dupanloup, un Pie IX, un Freppel, ne peuvent éviter ni la rupture avec Napoléon III à propos de la défense des États pontificaux en 1859, ni la défaite de l’Ordre moral en 1877, ni l’avènement des lois laïques des années 1880. Le ralliement que préconise le pape Léon XIII au régime républicain (encyclique Au milieu des sollicitudes, 1892) est par trop tardif : en 1904, le ministère Combes interdit les congrégations religieuses et rompt les relations diplomatiques avec le Saint-Siège ; Briand fait voter en 1905 la loi sur la séparation des Églises et de l’État, aussitôt condamnée par le pape Pie IX dans sa principale disposition : la formation d’associations cultuelles indépendantes des évêques. Il faudra un « second ralliement » pour qu’au début des années vingt une solution de compromis institue des associations
diocésaines pour la gestion des lieux de culte - Alsace et Moselle demeurant après 1918 sous le régime concordataire. UNE PRÉSENCE RENOUVELÉE Privé de l’appui financier de l’État, confronté aux remous que suscitent les condamnations, sur le plan exégétique, du modernisme de l’abbé Alfred Loisy (1907) et, sur le plan politique, du mouvement le Sillon de Marc Sangnier (1910), le catholicisme français va cependant trouver dans le régime de séparation, qu’il a si amèrement combattu, de nouveaux équilibres et des inflexions fécondes. La Grande Guerre, qui réunit dans la souffrance et l’exaltation du sentiment national, autour de la figure et du sacrifice d’un Charles Péguy, « cléricaux » et « anticléricaux », débouche sur une réintégration des catholiques dans la République : Jeanne d’Arc est canonisée en 1920 et les relations diplomatiques avec Rome sont rétablies. L’expansion des mouvements d’action catholique (JAC, JOC, JEC) et du syndicalisme chrétien (CFTC, 1919), la condamnation de l’Action française par le pape Pie XI (1926), précipitent l’évolution des catholiques vers la démocratie, relayée par des intellectuels prestigieux (Jacques Maritain, Georges Bernanos, François Mauriac, Emmanuel Mounier, Henri-Irénée Marrou). L’épreuve de la défaite de 1940 et de l’Occupation, si elle divise profondément les catholiques, voit l’apparition, dans la continuité de mouvements de Résistance (Témoignage chrétien), d’une éphémère démocratie chrétienne à la française avec la fondation du Mouvement républicain populaire (MRP). Certes, le pontificat de Pie XII marque un regain de tension entre la France et Rome (condamnation des prêtres-ouvriers et de Pierre Teilhard de Chardin), mais le deuxième concile du Vatican (1962-1965), qui renouvelle profondément les modes d’expression de la foi catholique, est influencé par des théologiens français (Jacques Maritain, Henri de Lubac, Yves Congar, Marie-Dominique Chenu). Il n’en suscite pas moins une crise profonde dans une Église qui accuse une grave déperdition de ses effectifs (par défection ou désertion) ; il provoque le trouble d’une partie des fidèles (schisme intégriste de Mgr Lefebvre) et une chute sensible de la pratique religieuse chez les femmes et les jeunes. Le tournant restaurateur du pontificat de Jean-Paul II (1978-2005) semble dessiner un regain d’influence de l’épiscopat (les cardidownloadModeText.vue.download 148 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 137 naux Decourtray à Lyon et Lustiger à Paris) et une réaffirmation intransigeante des principes (revue Communio, 1975). C’est dans la continuité de cette tradition de foi et dans les incertitudes du présent qu’il faut replacer les huit voyages de Jean-Paul II en France et la situation actuelle d’un catholicisme qui demeure, pour reprendre la formule si étonnamment moderne du Concordat, « la religion de la très grande majorité des citoyens français ». Catroux (Georges), général (Limoges 1877 - Paris 1969). Son père, colonel, l’inscrit dès son plus jeune âge au prytanée de La Flèche, puis Georges Catroux entre à Saint-Cyr. Il sert en Afrique du Nord, auprès de Lyautey. Fait prisonnier par les Allemands en 1914, il se lie avec de Gaulle au camp d’Ingolstadt. Affecté au Levant en 1919, puis au Maroc en 1925, il est nommé gouverneur général d’Indochine par Georges Mandel, en juillet 1939, pour assurer les préparatifs de la guerre ; mais Pétain le congédie. Il rejoint de Gaulle à Londres, pour créer les Forces françaises libres, avec lesquelles il reprend la Syrie et le Liban aux troupes de Vichy. Il abandonne l’administration directe, et crée des ministères indigènes afin de préparer l’indépendance. Membre du Comité français de libération nationale formé à Alger par de Gaulle, ildevient commissaire aux Affaires musulmanes, puis ambassadeur à Moscou (1945). En 1954, il approuve les accords de Genève qui mettent fin à la guerre d’Indochine, défend l’indépendance de la Tunisie et, en 1955, organise le retour du sultan Mohammed Ben Youssef à Rabat. Nommé ministre résident en Algérie par Guy Mollet pour appliquer une politique de réformes, il est accueilli à Alger par une émeute européenne qui met fin à sa mission. Face à l’impuissance de la IVe République, il se rallie à de Gaulle en 1958, et juge les auteurs du putsch d’Alger (1961). Cauchon (Pierre), évêque de Beauvais, juge de Jeanne d’Arc (près de Reims, vers 1371 - Rouen 1442). Jeune maître en théologie, Pierre Cauchon apparaît pour la première fois, à la fin du XIVe siècle, dans le mouvement de réforme de l’Église soutenu par le duc de Bourgogne contre le duc d’Orléans. Recteur de l’Université de Paris en 1403, il prend ouvertement
position pour le parti bourguignon. En 1415, il assiste au concile de Constance, qui met fin au Grand Schisme et amorce les réformes de l’Église. Son appartenance au parti anglo-bourguignon lui vaut, en 1420, d’être nommé évêque de Beauvais. C’est à ce titre, et grâce aux bonnes relations qu’il entretient avec le duc de Bedford, régent du royaume de France pour Henri VI d’Angleterre, qu’il sera le juge de Jeanne d’Arc en 1431. Celle-ci, capturée devant Compiègne en mai 1430, est livrée aux Anglais, tandis que l’Université la réclame pour la juger comme hérétique. Évêque de Beauvais, dont dépend Compiègne, exilé à Rouen (sous la tutelle anglaise), représentant de l’Université parisienne, Pierre Cauchon est tout désigné pour présider le procès. Cet affrontement entre un homme, universitaire et prélat, et une simple jeune fille, laïque et visionnaire, aboutit, le 30 mai 1431, à la condamnation de Jeanne. Mais, lors de l’annulation du procès par le pape Calixte III en 1456, Pierre Cauchon devient, aux yeux de l’opinion, le grand responsable des malheurs de la Pucelle. Il est excommunié à titre posthume, et son corps, déterré. Caulaincourt (Armand Augustin Louis, marquis de), général, diplomate et ministre (Caulaincourt, Aisne, 1772 - Paris 1827). Issu d’une famille de la noblesse picarde, Caulaincourt embrasse la carrière militaire : il est capitaine au début de la Révolution. Suspect, en tant qu’aristocrate, il est destitué, puis, après la Terreur, réintégré dans son grade. Devenu colonel, il effectue en 1801 une mission à Saint-Pétersbourg. Nommé aide de camp par Bonaparte, il est envoyé à Strasbourg en mars 1804 pour couvrir, à son insu, l’enlèvement du duc d’Enghien. Sa participation indirecte à ce crime, dont il se défendra toujours, va entacher durablement sa réputation. Il accepte, néanmoins, les honneurs de l’Empire : grand écuyer (1804), général de division (1805), duc de Vicence (1808), ambassadeur en Russie (18071811). Il se montre le plus fervent soutien de l’alliance franco-russe, notamment lors de l’entrevue d’Erfurt (septembre-octobre 1808), où ses plans sont déjoués par Talleyrand, qui conseille secrètement au tsar d’abandonner Napoléon. N’ayant pu empêcher la campagne de Russie, Caulaincourt y accompagne l’Empereur. Nommé ministre des Affaires étrangères en novembre 1813, il représente la France au congrès de Châtillon,
où il se heurte à l’intransigeance des Alliés (février 1814). Resté fidèle à Napoléon, il redevient ministre des Affaires étrangères pendant les Cent-Jours, et tente d’obtenir la non-intervention des Alliés, en échange du respect du traité de Paris. Nommé pair de France en juin 1815, il siège au Gouvernement provisoire, après l’abdication de l’Empereur, jusqu’au 9 juillet. La Restauration met fin à sa carrière. Cavaignac (Godefroy), homme politique (Paris 1853 - château d’Ourne, Sarthe, 1905). Fils de Louis Eugène Cavaignac, Godefroy est élevé dans le souvenir de son père et de son attachement aux idéaux républicains. Polytechnicien et ingénieur des Ponts et Chaussées, membre du Conseil d’État (1881), il est élu député de la Sarthe en 1882, figurant alors parmi les représentants de l’Union républicaine - l’ancien groupe politique fondé par Gambetta - qui rassemble caciques du régime, opportunistes et radicaux modérés. Sa carrière ministérielle s’ouvre en 1885 : il est sous-secrétaire d’État au ministère de la Guerre, un portefeuille qu’il détiendra encore à deux reprises, en 1895-1896, puis en 1898. C’est alors qu’il prend part à l’affaire Dreyfus, et va donner, à son corps défendant, un tour décisif aux événements. Antidreyfusard, doctrinaire et défenseur intransigeant de l’armée, il croit abattre les partisans de la révision du procès en citant à la tribune de la Chambre les pièces produites par le commandant Henry pour accabler Dreyfus. Mais une expertise révèle la falsification opérée par Henry, qui, au lendemain de son arrestation, se suicide. Cavaignac doit démissionner, non sans continuer d’affirmer sa conviction de la culpabilité de Dreyfus. Sa carrière politique est terminée. Son attitude dans l’Affaire illustre le parti pris de bon nombre de républicains, même radicaux, en faveur de l’armée, arche sainte à laquelle l’on ne peut porter atteinte : elle y témoigne aussi de la division des groupes politiques, par-delà le clivage entre la gauche et la droite. Cavaignac (Louis Eugène), général et homme politique (Paris 1802 - château d’Ourne, Sarthe, 1857). Fils du conventionnel Jean-Baptiste Cavaignac et frère de Godefroy Cavaignac, opposant à la monarchie, il est issu d’un milieu républicain qui le marque profondément. Polytechnicien, il entre dans le génie en 1824, et participe à l’expédition de Morée en 1829. Mais, en
raison de son opposition affichée au régime de Juillet, il est mis en disponibilité pendant deux ans, avant d’être envoyé en 1832 en Algérie, où ses faits d’armes - expédition de Mascara, tenue du Méchouar de Tlemcen face à Abd el-Kader - lui valent une rapide promotion. Lorsque la révolution de 1848 éclate, il est gouverneur de la province d’Oran. Le Gouvernement provisoire le nomme général de division et gouverneur général de l’Algérie. Louis Eugène Cavaignac est alors un militaire, soucieux d’ordre, formé à l’école coloniale : il est antisocialiste mais profondément républicain. Il siège à l’Assemblée constituante et accepte, en mai, le ministère de la Guerre. Pressentant les troubles, il organise la défense de Paris avant même la fermeture des Ateliers nationaux et les émeutes de juin 1848. Le 23 juin, dès le début du soulèvement, il reçoit le commandement des forces armées. La légende noire, colportée par Lamartine, veut qu’il ait alors laissé l’insurrection s’étendre afin de se rendre indispensable et d’imposer sa dictature : une attitude qui cadre mal avec son passé et son action à venir. En fait, il agit en militaire plus qu’en homme politique, préparant sa riposte stratégique après avoir pris connaissance des forces et positions de l’adversaire. La répression n’en est pas moins féroce, les 25 et 26 juin. Cavaignac tente bien, après la bataille, d’éviter les exécutions sommaires - mais son nom reste attaché aux massacres - qui le coupent définitivement de la gauche radicale. Le 29 juin, il remet ses pouvoirs à l’Assemblée constituante, qui lui confie la direction de l’exécutif. Les résultats de son action à la tête du pays sont mitigés. Républicain, il abolit l’esclavage, maintient le suffrage universel et le droit d’association, et on alloue plusieurs millions de francs pour secourir les indigents. Mais, piètre politique, il tente de se concilier tantôt la droite, tantôt la gauche, par des mesures contradictoires, qui lui aliènent l’un et l’autre camp. Aisément battu à l’élection présidentielle de décembre par Louis Napoléon Bonaparte, il quitte le pouvoir. Opposant au prince-président, il est arrêté le 2 décembre 1851, puis relâché. Élu downloadModeText.vue.download 149 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 138 deux fois au Corps législatif, en 1852 et en 1857, il refuse de prêter serment à l’empereur et ne peut siéger. Retiré dans son château de la Sarthe, il meurt subitement en 1857.
cavalerie, troupes à cheval, puis, depuis le XXe siècle, ensemble des troupes blindées. S’il existe des guerriers à cheval avant le XIe siècle, ce n’est qu’à cette époque que le rôle du cavalier commence à prévaloir sur celui du fantassin, et que la cavalerie se transforme en chevalerie, institution militaire au recrutement aristocratique. • D’une organisation féodale à un corps d’armée. Le chevalier est d’abord revêtu d’une simple cotte de mailles, puis apparaît, au XIVe siècle, l’armure qui le protège intégralement. Sa monture, quant à elle, reste vulnérable. L’arme de prédilection du chevalier - la lance - est destinée, lors de la charge, à rompre les lignes ennemies. Les chevaliers sont de bons guerriers, mais indisciplinés, qui ne connaissent que le combat individuel. À Courtrai (1302), ils sont décimés par la piétaille flamande, et, au cours de la guerre de Cent Ans, les fantassins anglais leur infligent de lourdes pertes (Crécy, 1346 ; Poitiers, 1356 ; Azincourt, 1415). En 1445, pour pallier les insuffisances du recrutement féodal, Charles VII opte pour une cavalerie soldée avec la création de compagnies d’ordonnance, chaque compagnie comportant 100 lances, et chaque lance, 6 hommes. Au début du XVIe siècle, la cavalerie subit durement la concurrence de l’infanterie, composée de piquiers et d’arquebusiers. Si, en 1494, elle représente encore les deux tiers de l’armée de Charles VIII, trente ans plus tard, sous François Ier, elle n’en constitue plus que le dixième. Une diversification voit également le jour : à côté de la cavalerie lourde, toujours composée de membres de la noblesse, apparaît une cavalerie légère, formée d’arquebusiers, de « carabins » et de « pistoliers », qui harcèlent l’ennemi de coups de feu avant de charger à l’épée. Cette évolution s’accentue encore au cours du XVIIe siècle. En 1694, l’armée française compte 102 régiments de cavalerie, dont 24 de cavalerie lourde, 18 de dragons, combattant à pied ou à cheval, 12 de chasseurs et 6 de hussards, destinés à la poursuite de l’adversaire. L’équipement s’allège. À la fin de l’Ancien Régime, un seul régiment conserve le casque et la cuirasse. La lance, abandonnée à la fin du XVIe siècle, est cependant réintroduite par le maréchal de Saxe en 1743. Le sabre n’en constitue pas moins l’arme privilégiée de la cavalerie, lourde ou légère. À la veille de la Révolution, les effectifs de la cavalerie ne représentent que le tiers ou le quart de ceux de l’infanterie.
Si elle n’a qu’un rôle très effacé pendant la Révolution, Napoléon lui redonne de l’importance et crée des divisions de cavalerie associées à une artillerie légère à cheval. Il réhabilite les cuirassiers, lève des régiments de lanciers et augmente les effectifs des dragons, des chasseurs et des hussards. Il utilise la cavalerie pour des missions de reconnaissance et, surtout, comme instrument de rupture. Agissant par surprise, avec un effet de masse, la cavalerie peut décider de l’issue d’un engagement comme à Essling ou à Wagram, en 1809, ou encore à la bataille de la Moskowa (1812). Toutefois, à Waterloo, la cavalerie lancée par Ney ne peut ébranler les carrés anglais. • Un rôle de plus en plus épisodique. À partir du milieu du XIXe siècle, l’augmentation de la puissance de feu rend inopérante la tactique de choc de la cavalerie. En 1870, les vaines charges de Reichshoffen font figure d’anachronisme et se soldent par des pertes considérables. En 1914, l’armée française ne compte pas moins de dix divisions de cavalerie, qui n’ont guère évolué depuis le Second Empire ; mais la densité du feu et la difficulté d’entretien des chevaux dans les tranchées privent la cavalerie de tout rôle important. Certains chefs militaires caressent cependant l’espoir d’une exploitation de la rupture du front par la cavalerie. Espoir déçu, d’autant que les blindés, utilisés dès 1917, constituent des instruments d’offensive beaucoup plus efficaces. En 1939, l’armée aligne encore trois divisions de cavalerie associées à quelques éléments motorisés. En fait, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la cavalerie a disparu de toutes les armées modernes. Son nom subsiste cependant par l’intermédiaire de l’armée blindée, qui en conserve les traditions et les missions fondamentales. Cavalier (Jean), chef camisard (Ribauteles-Tavernes, Gard, 1680 - Jersey 1740). Cet ouvrier boulanger appartient à la génération protestante qui grandit dans l’atmosphère de la révocation de l’édit de Nantes et vit douloureusement la rupture avec la foi ancestrale. Exilé en Suisse en 1701, il rejoint d’emblée le soulèvement camisard, et opère dans la plaine bordière des Cévennes. Jean Cavalier se distingue des autres camisards par ses capacités militaires, sachant passer de la guérilla à la bataille rangée. Après plusieurs victoires, il est cependant battu en avril 1704. Il négocie alors avec le maréchal de Villars, croyant obtenir la liberté de conscience pour ses coreligionnaires. Finalement, il se rend en mai. Passant pour un
traître, et déçu de ne pas devenir colonel d’un régiment d’anciens camisards, il fuit en Suisse, puis combat en Savoie contre les troupes françaises. Il passe ensuite en Hollande, reprend les armes aux côtés des Anglais en Espagne, mais est battu en 1706. Il mène dès lors en Hollande, puis en Angleterre, une vie besogneuse, adoucie par la charge de gouverneur de Jersey, obtenue en 1738. Alors qu’il avait assis son autorité sur ses hommes par le biais de ses inspirations divines et de ses prophéties, Cavalier présente dans ses Mémoires des guerres des Cévennes (1726) une image aseptisée des camisards, propre à rassurer une opinion européenne méfiante envers ces « gens de peu » et ces « fanatiques ». Il est transformé en héros romantique par Eugène Sue (Jean Cavalier ou les Fanatiques des Cévennes, 1840), avant d’incarner, pour la sensibilité du XXe siècle, la résistance populaire à l’oppression. Cavelier de La Salle (Robert) ! La Salle (Robert Cavelier de) Cazalès (Jacques Antoine Marie de), homme politique (Grenade, Haute-Garonne, 1758 - château d’Engalin, près de Mauvezin, Gers, 1805). Issu d’une famille de la grande bourgeoisie toulousaine récemment anoblie par le capitoulat, il entre en politique lors de la réunion des états généraux de 1789, où, député de la noblesse, il devient d’emblée l’un des plus fameux dirigeants de l’opposition aristocratique. Déclarant « préférer la monarchie au monarque », il n’hésite pas à s’opposer, le 27 juin 1789, à la réunion des trois ordres voulue par Louis XVI. À la Constituante, où il est de tous les combats, il défend la noblesse, les privilèges, l’autorité royale et l’Église, et dénie à l’Assemblée le droit de rédiger une Constitution. Il est l’un des meilleurs orateurs, avec l’abbé Maury, des royalistes intransigeants (les « noirs »), et il lutte farouchement contre Mirabeau et Barnave, avec lequel il se bat en duel. Honnête et chevaleresque, respecté par ses adversaires, il croit à l’opposition parlementaire et adopte parfois des positions conciliantes, qui déroutent son propre parti. C’est pourquoi l’abbé Maury, partisan de la politique du pire, interrompt régulièrement ses discours. Cazalès démissionne après Varennes, le 9 juillet 1791, et émigre à Coblence, où les frères de Louis XVI n’apprécient guère son indépendance d’esprit. Rentré en France, il rejoint l’Angleterre après le 10 août 1792, remplit quelques missions
pour le futur Louis XVIII, s’engage dans l’armée de Condé, puis retourne à Londres après l’échec anglais devant Toulon. En 1803, radié de la liste des émigrés, il revient en France, où il finit sa vie pauvre et retiré. CDS (Centre des démocrates sociaux) ! UDF CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier), première institution européenne à caractère supranational, fondée en 1951 : Jean Monnet, commissaire au Plan du gouvernement français, en propose le projet à Robert Schuman, alors ministre des Affaires étrangères, qui l’adopte et le rend public le 9 mai 1950. Il s’agit de créer, entre la France, la République fédérale d’Allemagne (RFA) et les autres pays candidats, une institution chargée de gérer les industries du charbon et de l’acier, de fixer des objectifs communs et d’abolir les barrières douanières concernant ces produits. Au-delà de l’objectif d’intégration économique, le projet porte une grande ambition politique : rapprocher les anciens ennemis et donner corps à l’Europe. La CECA est supranationale, car ses décisions s’imposent aux États membres, et son organe dirigeant - la Haute Autorité - est largement indépendant des gouvernements. Sont également prévus un Comité consultatif (représentant les producteurs, les consommateurs et les travailleurs), un Conseil spécial des ministres, une Assemblée parlementaire et une Cour de justice. Le projet est vite adopté, d’abord par la RFA, qui y voit l’occasion d’être un partenaire reconnu ; s’y rallient l’Italie et les pays du Benelux, mais non le RoyaumedownloadModeText.vue.download 150 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 139 Uni. Le traité créant la CECA est signé le 18 avril 1951 et entre en vigueur le 25 juillet 1952. Le premier haut commissaire, Jean Monnet, y consacre tous ses efforts et fait de cette expérience un succès, qui préfigure la création du Marché commun. CED (Communauté européenne de défense), projet avorté de constitution d’une armée européenne, qui a suscité en France, au début des années cinquante, une querelle idéologique passionnée, « la plus forte depuis
l’affaire Dreyfus », selon Raymond Aron. Après l’invasion de la Corée du Sud par les Coréens du Nord et l’intensification de la guerre froide, les Américains proposent de réarmer l’Allemagne. La priorité est ainsi donnée à la lutte contre le danger communiste, afin de permettre à l’Europe de résister à la menace soviétique. Si la Grande-Bretagne et d’autres pays alliés acceptent ce réarmement, la France s’y oppose, pour des raisons historiques évidentes. Isolée, elle suggère une solution de rechange : c’est le projet Pleven de Communauté européenne de défense (26 octobre 1950). La CED transpose dans le domaine de la défense le principe qui a inspiré la constitution de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), en intégrant au sein d’une armée supranationale des troupes allemandes. Le traité est signé par le gouvernement Pinay le 27 mai 1952, mais il doit être ratifié par l’Assemblée nationale ; or il suscite une farouche opposition - tant des gaullistes, au nom de l’indépendance nationale et du patriotisme, que des communistes, qui considèrent le réarmement allemand comme un danger potentiel. À l’inverse, le MRP tient la CED pour « la plus grande chose accomplie depuis 2 000 ans », car elle accélérerait la construction européenne et favoriserait la paix. Sur cette question, tous les autres partis, notamment les radicaux et les socialistes, sont divisés. Gaullistes et communistes menacent de faire tomber les gouvernements qui soulèveraient la question de la CED. Cependant, une fois réglé le problème de l’Indochine et celui de la Tunisie, Pierre Mendès France souhaite conclure ce dossier. Il essaie d’obtenir des concessions des Alliés, mais la conférence de Bruxelles se solde par un échec. Le gouvernement refuse alors d’engager sa responsabilité lors du débat du 30 août 1954. Le vote de la question préalable écarte définitivement le projet par 319 voix contre 264. Sur les bancs de l’Assemblée, les adversaires de la CED entonnent la Marseillaise, alors que les parlementaires du MRP crient à la trahison. Si la violente polémique sur la CED a déstabilisé la IVe République, déjà chancelante, elle n’empêche pas cependant la poursuite de la construction européenne, qui sera relancée, deux ans plus tard, dans le domaine de la coopération économique. CEE (Communauté économique européenne) ! européenne (construction) Celtes, nom donné par les auteurs anciens
à un ensemble de populations qui occupaient au Ve siècle avant notre ère une zone s’étendant du Bassin parisien à la Bohême, et qui se sont répandues au cours des siècles suivants dans une grande partie de l’Europe. Ce sont les historiens grecs qui ont désigné ces populations collectivement sous le nom de « Celtes » (Keltoi), tandis que les historiens latins ont utilisé le terme de « Gaulois » (Galli). Les archéologues évoquent, quant à eux, une « civilisation de La Tène », site archéologique proche du lac de Neuchâtel (Suisse), où ont été retrouvés des objets présentant une certaine homogénéité, datés d’avant même Ve siècle. Néanmoins, il est clair que les peuples celtiques n’ont jamais formé une unité politique cohérente, et qu’ils étaient, au contraire, divisés par de constantes rivalités politiques et économiques. Existait-il une unité linguistique permettant de parler d’un groupe de « langues celtiques » ? Ces langues ne sont connues, avant notre ère, que par des inscriptions très éparses et quelques patronymes et toponymes. C’est seulement à partir du Moyen Âge que sont attestées les langues celtiques des îles Britanniques, aujourd’hui partiellement préservées en Irlande, en Écosse et au pays de Galles - le breton étant également d’origine insulaire, et véhiculé au Moyen Âge par des immigrants fuyant les invasions anglo-saxonnes. • Les Protoceltes. Au début de l’âge du bronze (vers 1800 avant J.-C.), on identifie, dans cette zone comprenant l’est du Bassin parisien, le sud de l’Allemagne, la Bohême ainsi qu’une partie de la Suisse et de l’Autriche, une certaine unité de culture matérielle, parfois désignée sous le nom de « complexe nordalpin », parallèlement à d’autres complexes culturels contemporains. Cette unité correspond alors à la civilisation d’Unetice, suivie, à l’âge du bronze moyen, à partir de 1500 avant J.-C., par celle des tumulus et, à l’âge du bronze final, à partir de 1200 avant J.-C., par une partie du « complexe des Champs d’urnes ». • Hallstatt et La Tène : des civilisations celtiques. Mais, ce n’est qu’avec le début du premier âge du fer, ou « civilisation de Hallstatt », que l’on peut véritablement parler d’une unité culturelle nette. Elle se caractérise par l’homogénéité des pratiques funéraires (inhumation du mort en position allongée), du type de parure féminine (torques rigides, bracelets, fibules), de l’armement (épées de fer, lances), dont la tradition se poursuivra à l’époque de La Tène. Sur une partie du do-
maine hallstattien apparaissent, au VIe siècle, d’éphémères « résidences princières », qui contrôlent économiquement de larges territoires. Des tombes somptueuses, telles celles de Hochdorf en Allemagne ou de Vix en France, témoignent de leur richesse. La civilisation de La Tène succède sans rupture à celle de Hallstatt, dès le début du Ve siècle avant J.-C. Mais, à partir du IVe siècle, une partie des populations se met en mouvement dans différentes directions : ce sont les « mouvements celtiques ». Dans certaines régions - îles Britanniques, Europe centrale et orientale -, les Celtes s’installent durablement ; dans d’autres - nord de l’Italie (ils assiègent Rome vers 380 avant J.-C.), Asie Mineure (où ils fondent le royaume des Galates) - ils occupent des territoires qui leur seront finalement repris ; ailleurs, enfin, ils se mêlent aux populations locales : on parle ainsi de « Celtibères » en Espagne, ou de « CeltoLigures » en Provence. À partir du IIe siècle avant J.-C. apparaît, dans la zone celtique, un embryon de civilisation urbaine, avec les oppidums, places fortes et centres politiques, économiques et religieux. De véritables royaumes émergent, dotés d’une économie monétaire : ce sont ceux qu’affronteront les Romains, qui, au cours des deux derniers siècles avant notre ère, mettront progressivement fin à leur indépendance. censure. Révélatrice des normes et des interdits d’une société, la censure concerne toutes les formes d’expression, mais se définit essentiellement par rapport à l’écrit. Elle est liée à l’affirmation d’un pouvoir centralisé et à l’idéologie dominante sur laquelle il se fonde. On en repère les premières traces au Moyen Âge, ainsi que l’atteste l’ordonnance de Philippe le Hardi qui place les librairies sous la surveillance de l’Université (1275), ou celle de 1442 qui interdit les satires jugées trop licencieuses. • Le temps des censeurs. Mais c’est au XVIe siècle, avec le développement de l’imprimerie, la consolidation de l’État monarchique et les tensions politiques nées de la Réforme, qu’apparaît une censure officielle : en 1521, François Ier interdit aux libraires d’imprimer et de diffuser tout livre sans l’autorisation préalable de la faculté de théologie, et, en 1548, le parlement de Paris interdit les mystères, jugés dorénavant incompatibles avec l’ins-
piration sacrée. Au fil du temps, la censure réduit son action aux seuls ouvrages religieux jusqu’à ce que l’ordonnance de Louis XIII de 1629, privant la faculté de son droit exclusif, n’institue pour tout imprimé une autorisation à paraître, le « privilège du roi ». La censure ne cesse alors de se renforcer : en 1741 sont nommés 79 censeurs royaux à titre permanent. La répression de l’institution censoriale est réelle (le quart des 5 279 embastillés entre 1660 et 1790 sont des gens du métier du livre), même si elle dépend dans une large mesure, au XVIIIe siècle, de la personnalité du directeur de la Librairie, auquel le roi délègue son pouvoir en la matière. Dieu, le monarque et le sexe sont alors l’objet de tous les interdits. Abolie par la Législative en 1791, la censure renaît sous le Directoire et s’amplifie sous le Consulat. La presse est particulièrement surveillée. Sous l’Empire, un censeur est imposé à chaque journal ; un décret de 1810, régularisant le système, confie à un directeurgérant de la Librairie la surveillance de tous les écrits. En 1814, la monarchie restaurée institue une censure préalable sur la presse (abolie en 1819, puis rétablie dès 1820). Impopulaire, la commission des censeurs est souvent brocardée : à cette époque naît le mythe d’Anastasie, la « Dame aux ciseaux », symbole de la censure. Proclamée après la révolution de 1830, la nouvelle Charte affirme que la censure ne pourra « jamais être rétablie » ; mais s’il n’existe plus, en effet, de collège spécifique de censeurs examinant préalablement les imprimés, les entraves à la liberté downloadModeText.vue.download 151 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 140 d’expression ne disparaissent pas pour autant, et les publications incriminées et leurs auteurs peuvent désormais faire l’objet de poursuites devant les tribunaux. • Le lent recul de la censure. La IIIe République, fidèle à l’héritage révolutionnaire, institue la liberté de la presse par la loi du 29 juillet 1881. Quelques exceptions subsistent toutefois. La censure théâtrale, levée une première fois en 1870 mais rétablie dès 1874, demeure dans son principe ; elle n’est abolie de fait qu’en 1906 par la suppression du chapitre correspondant du budget. Dès l’origine, les projections de films sont, quant à elles, confiées à l’appréciation des maires. En 1919 est instituée une commission de contrôle préalable auprès du ministre de
l’Instruction et des Beaux-Arts, plusieurs fois remaniée ; l’action de la censure cinématographique se renforce dans les années 1930 : la projection du Cuirassé Potemkine (1925) est ainsi longtemps interdite pour des raisons politiques. Le régime de la surveillance est également rétabli en temps de guerre. En août 1914, une loi favorise le contrôle des informations « concernant les opérations militaires ou diplomatiques » ; mesure confirmée pendant la « drôle de guerre » (1939-1940). Sous l’Occupation, en zone sud (secrétariat général à l’Information) comme en zone nord (Propaganda Abteilung), les censeurs chargés de contrôler la presse agissent d’abord en amont, puis frappent en aval (après la signature de la convention de censure de 1943). Les listes Otto sont le relevé des livres et des auteurs interdits par l’occupant. De la même façon, en janvier 1940, 76 films sont censurés, avant que Vichy et les Allemands n’appliquent un régime de stricte surveillance. Après la guerre, la censure touche essentiellement le domaine des moeurs et de la protection de l’enfance. L’article 14 de la loi de 1949 sur les « publications destinées à la jeunesse » donne ainsi au ministre de l’Intérieur des pouvoirs considérables qui lui permettent d’interdire la diffusion d’ouvrages sans qu’aucune juridiction n’ait à se prononcer. Durant la guerre d’Algérie, la loi d’avril 1955 renforce le contrôle sur la presse, la radio, mais aussi sur le théâtre et le cinéma. L’audiovisuel public se situe aussi au centre de polémiques relatives au contrôle gouvernemental de l’information télévisée et radiophonique. Le cinéma est, pour sa part, moins étroitement surveillé : la Commission de contrôle installée par le décret de 1961 se contente de délivrer aux films les indispensables visas. La loi de juillet 1982, instituant la Haute Autorité, a notamment pour objectif de distendre les liens organiques entre le pouvoir et les médias du monopole. l CENT ANS (GUERRE DE). Au début du XIVe siècle, la France et l’Angleterre connaissent, à l’instar de toute l’Europe occidentale, une crise due à l’arrêt des défrichements et au fléchissement démographique. Mais la crise, si elle a pu favoriser le déclenchement de la guerre de Cent Ans, n’est que la toile de fond d’un conflit qui engage les structures et les mentalités des deux royaumes. De 1337 à 1453, la succession des affrontements ponctués de trêves transforme la situation sociale, politique, économique et démographique de la France et de l’Angle-
terre. Faut-il en conclure que la guerre de Cent Ans a modifié le cours de l’histoire ? Elle a assurément précipité ou retardé certaines évolutions, mais elle n’a pas affecté l’essentiel : le passage de l’Europe des princes à l’Europe des États. CAUSES ET ENJEUX Les guerres entre la France et l’Angleterre ont commencé dès la fin du XIe siècle. Mais, en 1154, une nouvelle donne dynastique modifie l’équilibre des forces : Henri Plantagenêt, duc de Normandie et d’Aquitaine, comte d’Anjou, du Maine et de Touraine, devient roi d’Angleterre sous le nom d’Henri II, tout en restant vassal du roi de France pour ses possessions continentales ; il est désormais l’égal du roi de France. Au XIIIe siècle, Philippe Auguste et Louis VIII reprennent à la couronne d’Angleterre la plus grande partie de ses possessions françaises, sans parvenir néanmoins à conquérir la Guyenne. Le lien féodal entre le roi de France et le roi d’Angleterre, duc de Guyenne, est alors rompu. En 1259, Saint Louis, souhaitant « mettre amour » entre ses descendants et ceux d’Henri III, conclut avec ce dernier le traité de Paris, fort contesté de part et d’autre. Henri III redevient pour la Guyenne le vassal du roi de France et lui reconnaît la possession définitive des territoires conquis par Philippe Auguste et Louis VIII. Saint Louis, qui se fait une très haute idée du lien vassalique, apporte au problème une solution féodale, sans se rendre compte qu’elle n’est plus guère adaptée à l’esprit du temps. Les deux royaumes ayant consolidé leurs structures politiques, ce qui était acceptable en 1154 ne l’est plus en 1259. Souverain dans les îles Britanniques et vassal sur le continent, le roi d’Angleterre se trouve dans une position intenable. Et le traité de Paris, qui contient des dispositions territoriales secondaires d’application malaisée, entraîne des discussions, des contestations, et même deux confiscations de la Guyenne décidées par le roi de France, l’une sous Philippe le Bel, l’autre sous Charles IV. Aux questions territoriales s’ajoute, après la mort de Charles IV (1328), la question dynastique. Les barons et prélats de France préfèrent Philippe de Valois, cousin du défunt roi, à son neveu Édouard III, roi d’Angleterre, fils d’Isabelle de Valois. Leur choix n’est pas déterminé par des considérations juridiques mais par des critères de personnes. Ainsi que l’a noté un chroniqueur anglais, Philippe est « né du royaume » ; de surcroît, il vit à la cour et préside lui-même l’assemblée qui le choisit. À la cour d’Angleterre, le mécontentement est
vif. Mais, dans un premier temps, Édouard III accepte de prêter l’hommage pour la Guyenne au nouveau souverain (1329) ; puis il reconnaît par lettres patentes, à la demande du roi de France, que l’hommage prêté doit être tenu pour lige (1331). Deux autres questions contribuent à envenimer les rapports entre les deux royaumes : celle de Flandre et celle d’Écosse. Si le roi d’Angleterre n’a nul droit sur le comté de Flandre, son pays entretient des relations commerciales privilégiées avec la Flandre, grande importatrice de laines anglaises. Au début du XIVe siècle, le comte de Flandre, Louis de Nevers, devient l’obligé du roi de France. Il se heurte de ce fait à l’hostilité des artisans et paysans chez qui le roi d’Angleterre compte nombre de soutiens fidèles. En revanche, les Écossais, qu’Édouard III souhaite soumettre, reçoivent depuis Philippe le Bel l’appui diplomatique et militaire de la France. Malgré les efforts de la papauté, désireuse d’entraîner les énergies belliqueuses dans une nouvelle croisade, la guerre ne va pas tarder à éclater entre les deux plus grandes monarchies de l’Occident chrétien. Édouard III, inquiet du transfert dans la Manche d’une partie de la flotte française, rassemble des troupes le long des côtes et envoie du matériel en Aquitaine, tandis que Philippe VI expédie des renforts aux abords de la Guyenne. Édouard III interdit les exportations de laine anglaise vers la Flandre, accueille Robert d’Artois, chassé de France, et fait d’importants efforts financiers pour s’assurer l’appui des princes et seigneurs des Pays-Bas et des pays rhénans. Le 24 mai 1337, Philippe VI, considérant que son vassal « a manqué à l’obéissance envers lui son seigneur », prononce une nouvelle confiscation de la Guyenne, sans que cette décision soit suivie d’effet. Le 7 octobre 1337, Édouard III revendique la couronne de France. Souhaite-t-il réellement intégrer la France dans son royaume ? Ou bien espère-t-il, en plaçant très haut la barre de ses exigences, obtenir lors de négociations ultérieures la souveraineté définitive sur la Guyenne ? Quoi qu’il en soit, la rupture est consommée. Les adversaires manquent cependant de moyens, et les premières trêves de la guerre de Cent Ans sont conclues dès le début de l’année 1338. DES VICTOIRES ANGLAISES AU REDRESSEMENT FRANÇAIS
La politique des alliances allemandes menée par Édouard III n’ayant pas eu de résultats probants, le roi d’Angleterre essaie de tirer parti des difficultés que rencontre Philippe VI dans certaines régions de son royaume. En Flandre, la politique anglaise d’embargo sur la laine aggrave la misère des artisans, qui se retournent contre le comte, jugé trop favorable à la France. Sous l’impulsion de Jacques Van Artevelde, les Flamands reconnaissent Édouard III comme roi de France (février 1340). Puis, le 24 juin, la flotte anglaise inflige à son homologue française la lourde défaite de L’Écluse, au large de Bruges. Une nouvelle trêve n’en intervient pas moins dès le mois de septembre. Profitant du conflit qui oppose, en Bretagne, deux prétendants, Jean de Montfort et Charles de Blois, Édouard III, qui soutient le premier, installe des garnisons dans le duché. La guerre reprend à partir de mars 1345. Après l’assassinat de Van Artevelde, la Flandre retourne à la neutralité ; les Anglais, eux, attaquent en Bretagne et dans le Sud-Ouest. Le 12 juillet 1346, Édouard III débarque en Normandie. L’armée anglaise envahit le Cotentin et la Picardie, et écrase les Français à Crécy le 26 août. Malgré la lourde défaite infligée à l’ennemi, Édouard III se replie vers le nord et s’empare de Calais (1347), dont il fait une base militaire anglaise sur le continent. downloadModeText.vue.download 152 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 141 Des trêves sont toutefois conclues et se prolongent pendant sept ans, sans que les hostilités ne cessent tout à fait. La grande peste de 1348 - la fameuse Peste noire - fait de nombreuses victimes et interdit toute action d’envergure. Contre le nouveau roi de France, Jean II le Bon, Édouard III pratique une efficace guerre des nerfs, menaçant la France d’un nouveau débarquement, lequel est à chaque fois différé. Il a trouvé en France un allié précieux, Charles de Navarre, petit-fils de Louis X, qui a constitué un parti nobiliaire et entrepris une lutte armée contre le roi de France. Les attaques anglaises reprennent à partir de 1355 (Artois, Normandie, Languedoc). Durant l’été 1356, le Prince Noir, fils d’Édouard III, se lance dans une grande chevauchée qui le conduit de la Guyenne à la
Loire et se termine, au retour, par la bataille dite « de Poitiers ». Le désastre français est plus complet encore qu’à Crécy, et le roi Jean le Bon est fait prisonnier. Une sombre période commence alors pour le royaume de France, où se conjuguent une grave crise monarchique et un état de violence sociale proche de l’anarchie. La majeure partie du pays est en effet parcourue par des bandes de routiers, les « grandes compagnies », qui sont théoriquement au service du roi d’Angleterre ou du roi de Navarre, mais n’obéissent en fait qu’à elles-mêmes. Elles multiplient exactions et crimes dans les villes et les campagnes. En Beauvaisis éclate par réaction une révolte paysanne, la Jacquerie, qui est brisée par Charles de Navarre, sans intervention du pouvoir royal. C’est que le dauphin Charles, qui, depuis la défaite de Poitiers, gouverne en qualité de lieutenant du roi, n’a ni prestige personnel ni expérience politique pour asseoir son autorité. Il se trouve aux prises avec l’opposition des partisans de Charles de Navarre et avec celle de la bourgeoisie d’affaires parisienne représentée par Étienne Marcel, prévôt des marchands. Devenu régent, il ne triomphe de ses adversaires qu’en août 1358. Après Poitiers, Édouard III n’a pas exploité militairement la défaite française, mais a tenté d’en tirer parti diplomatiquement (premier et second traités de Londres conclus avec Jean le Bon). Cette politique n’ayant pas rencontré les effets escomptés, une armée anglaise débarque à Calais en octobre 1359. Elle effectue une grande chevauchée à travers l’Artois, la Champagne, la Basse-Bourgogne et la Beauce, où un violent orage détruit une partie des équipages anglais. Ayant manqué son but, qui était vraisemblablement de se faire couronner à Reims, Édouard III reprend des négociations qui aboutissent au traité de Brétigny, ratifié à Calais (24 octobre 1360). La libération de Jean le Bon est obtenue contre une rançon de 3 millions d’écus et la cession au roi d’Angleterre de la Guyenne et des régions voisines qui formeront la principauté d’Aquitaine. Le traité prévoit également un échange de renonciations : le roi de France est censé renoncer à toute souveraineté sur les territoires cédés, tandis que le roi d’Angleterre s’engage à ne plus revendiquer le titre de roi de France. Disposition purement formelle, puisque aucun des deux souverains ne fera un pas en ce sens. À la mort de Jean le Bon, en avril 1364, le régent devient roi sous le nom de Charles V.
Prince maladif, au tempérament plutôt intellectuel, il sait néanmoins s’entourer de bons conseillers et prendre la juste mesure de la situation. Il écarte d’abord le danger navarrais ; puis l’armée royale, dans laquelle du Guesclin joue un rôle important, élimine partiellement les bandes de routiers, dont les dernières subsisteront jusqu’en 1390. En 1368, le comte d’Armagnac fait appel au roi de France contre le roi d’Angleterre : le Prince Noir, qu’Édouard III a placé à la tête de la principauté d’Aquitaine, accable en effet ses sujets d’impôts. Face au refus du Prince Noir de comparaître devant la cour de France, Charles V prononce la confiscation de la Guyenne en novembre 1369. Les hostilités ont repris au début de l’année 1369, et, grâce à une tactique mieux adaptée, les Français parviennent à récupérer une grande partie de la principauté d’Aquitaine. De 1369 à 1375, l’armée française reprend aux Anglais l’essentiel de leurs possessions, à l’exception de Calais, de quelques places fortes en Bretagne et de la Guyenne proprement dite. Pas plus que ses prédécesseurs, Charles V n’est en mesure d’achever la conquête. Les problèmes internes des deux royaumes vont toutefois reléguer la guerre au second plan, et s’instaure alors une longue période de trêves, de 1388 à 1404. Des troubles sociaux, provoqués par l’augmentation de la pression fiscale, éclatent en France, tandis que l’Angleterre connaît, en 1381, un soulèvement rural d’une grande ampleur. La mort d’Édouard III et du Prince Noir, celle de Charles V et les premières crises de folie de Charles VI contribuent au climat d’instabilité générale. LA GUERRE CIVILE EN FRANCE FET L’INVASION ANGLAISE La reprise des hostilités, à partir de 1404, est liée aux pressions de la haute aristocratie désireuse de contrôler le pouvoir royal pour satisfaire ses ambitions et ses besoins d’argent. Tandis qu’en Angleterre le roi Richard II, autoritaire et impulsif, a été contraint à l’abdication en 1399, et remplacé par Henri de Lancastre, devenu Henri IV, la scène politique française est marquée par la folie de Charles VI : à la faveur de la défection royale se développe la rivalité entre le duc de Bourgogne, Jean sans Peur, et le duc Louis d’Orléans. Le conflit entre les deux partis prend un tour violent après l’assassinat de Louis d’Orléans en 1407, et dégénère, après 1411, en véritable guerre civile. Les ennemis
des Bourguignons s’organisent alors sous la direction de Bernard d’Armagnac. À la mort d’Henri IV (1413), son fils Henri V, soucieux de rallier derrière lui l’aristocratie anglaise, réclame à la France tous les territoires perdus au traité de Brétigny. La véritable offensive commence en août 1415. Rejoint à Azincourt par l’armée française, sur le plateau d’Artois, Henri V lui inflige une défaite très sévère (25 octobre 1415) avant de regagner l’Angleterre. Il revient en France en 1417, à la tête d’une armée bien équipée et fortement disciplinée. Il occupe alors la Normandie et le Cotentin. En face de lui, les princes français sont divisés. Le duc de Bourgogne, Jean sans Peur, installe à Troyes un gouvernement dirigé par la reine Isabeau de Bavière, et, en mai 1418, les Bourguignons s’emparent de Paris, où les Armagnacs, présents depuis 1412, avaient fini par s’aliéner la population. Le dauphin Charles, quant à lui, installe un gouvernement à Bourges et prend le titre de régent du royaume. Henri V occupe Rouen, le pays de Caux, le Vexin, le Perche. Le conflit entre Armagnacs et Bourguignons aboutit en septembre 1419 à l’assassinat de Jean sans Peur lors d’une entrevue avec le dauphin. Henri V réclame alors la couronne de France. Il n’envisage pas l’annexion du royaume mais l’union, sous son nom, des couronnes de France et d’Angleterre. Poussés par le nouveau duc de Bourgogne, Philippe le Bon, Isabeau de Bavière et Charles VI concluent avec Henri V le traité de Troyes (21 mai 1420) : le roi d’Angleterre épouse Catherine, fille de Charles VI, et la couronne de France doit lui revenir à la mort du souverain ; il exerce la régence avant de succéder à son beau-père, et le dauphin Charles est purement et simplement déshérité. La France est alors coupée en trois. Les Anglais contrôlent directement Calais, la Guyenne, la Normandie et les pays dits « de conquête » (Vexin, une partie du Chartrain et du Maine). Le dauphin Charles jouit du soutien de la plus grande partie de la France du Centre et du Sud. Paris et les bailliages qui entourent la capitale forment la France « anglo-bourguignonne » ; le duc de Bourgogne conserve toutefois le contrôle de ses propres possessions. Malgré la faible légitimité du dauphin, la partie est délicate pour l’envahisseur : les effectifs de l’armée anglaise restent insuffisants alors qu’elle ne cesse de se heurter à des actes de résistance, notamment en Normandie ; quant à la France anglo-bourguigonne, elle est contrôlée pour l’essentiel
par des troupes bourguignonnes dont la fidélité n’est pas, tant s’en faut, à toute épreuve. En 1422, après les morts successives d’Henri V et de Charles VI, Henri VI est proclamé roi de France et d’Angleterre, tandis que le dauphin Charles, qui a déclaré nul le traité de Troyes, se proclame roi de France sous le nom de Charles VII. Le jeune monarque anglais n’a alors que quelques mois, et son oncle, le duc de Bedford, devient régent de France et « protecteur » du royaume d’Angleterre. Sur le plan militaire, la période 1420-1428 est confuse et indécise. En 1424, Bedford remporte la victoire de Verneuil, qui reste néanmoins sans lendemain. En 1428, pour s’ouvrir un passage vers le Berry, les Anglais lancent une grande attaque contre Orléans. Clé du centre et du sud de la France, la ville a une valeur stratégique et symbolique importante. La résistance farouche des habitants et l’intervention providentielle de Jeanne d’Arc, qui a convaincu Charles VII de lui confier le commandement d’une armée, aboutissent à la levée du siège le 8 mai 1429. L’événement a une résonance considérable, et cristallise des énergies désorientées par la situation politique et militaire. Jeanne d’Arc ne manque pas d’exploiter ce premier succès et d’accomplir l’autre volet de sa mission : elle entraîne l’armée royale à Reims et y fait sacrer Charles VII downloadModeText.vue.download 153 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 142 (18 juillet 1429), à l’issue d’une longue chevauchée qui révèle la faible capacité de résistance de la France anglo-bourguignonne. Son élan est néanmoins brisé devant Paris, car Charles VII ne lui accorde qu’un soutien ambigu. Capturée en 1430, elle est brûlée à Rouen l’année suivante, au terme d’un procès en hérésie dont les Anglais attendent un bénéfice politique : convaincre Jeanne d’Arc de sorcellerie, c’est discréditer du même coup le souverain qui lui doit son sacre. UNE GUERRE SANS « FIN » ? Malgré leur impact sur les esprits, les succès de Jeanne d’Arc n’ont pas suscité dans le royaume un véritable élan. À la cour, nombreux sont les conseillers de Charles VII qui prônent la voie diplomatique, et plus particulièrement la réconciliation avec la Bourgogne.
Tendance si dominante que le gouvernement de Charles VII ne réagit ni à la capture de Jeanne d’Arc ni à sa condamnation. La réconciliation franco-bourguignonne est concrétisée en septembre 1435 par le traité d’Arras. Charles VII désavoue le meurtre de Jean sans Peur, dispense Philippe le Bon de l’hommage et lui garantit les acquisitions faites à la faveur de la guerre. Concessions lourdes, mais qui permettent le retour sous obédience royale des régions contrôlées par les Bourguignons. Paris est libéré quelques mois après le traité d’Arras, en avril 1436. Devant l’impossibilité de mettre fin au conflit, en avril 1444, Français et Anglais se résignent à conclure, à Tours, une trêve qui dure quatre ans. Charles VII en profite pour réorganiser ses armées et rompt la trêve en 1449. La Normandie est reconquise en un an, d’août 1449 à août 1450 (victoire de Formigny, 15 avril 1450) ; la Guyenne l’est plus difficilement, de 1450 à 1453 (victoire de Castillon, 17 juillet 1453). Aucun traité de paix n’est signé. Mais la guerre des Deux-Roses ne tarde pas à mobiliser les énergies de l’Angleterre et à éloigner durablement de son horizon toute entreprise continentale. Étrange guerre, qui finit sans connaître d’achèvement officiel. Jusqu’à la fin du XVe siècle, les relations entre les deux royaumes restent difficiles, et les Français continuent de redouter une intervention anglaise en Guyenne. Sous Louis XI, en 1475, une armée anglaise conduite par Édouard IV, allié de Charles le Téméraire, débarque en France. Mais les deux rois concluent le traité de Picquigny, que d’aucuns considèrent, à tort ou à raison, comme la fin officielle de la guerre de Cent Ans. L’effondrement de l’État bourguignon, après la mort de Charles le Téméraire (1477), modifie la donne politique en Europe et éclipse le vieux conflit francoanglais : la scène sera bientôt dominée par la lutte des Valois et des Habsbourg, qui, durant deux siècles, vont se disputer l’hégémonie en Europe. L’Angleterre, dans cette lutte, sera tantôt l’alliée des Impériaux et tantôt celle de la France. Si l’exceptionnelle longueur du conflit a eu des conséquences et des répercussions à plusieurs niveaux, tous les historiens s’accordent à reconnaître qu’il est difficile de faire la part des choses : la guerre de Cent Ans a-t-elle déterminé des évolutions essentielles ou simplement précipité des mutations largement
entamées ? Dans la France victorieuse, la monarchie sort renforcée de l’épreuve. Dès la libération de Paris, un effort de réorganisation administrative est entrepris. Le principe de permanence de l’impôt est désormais acquis et place le droit monarchique au-dessus des droits coutumiers. Institutions judiciaires et financières sont également réorganisées. Le redressement des structures sociales et économiques n’en sera pas moins long, et n’interviendra qu’à partir du règne de Louis XI. La guerre, en effet, a prolongé et aggravé la dépression économique antérieure. L’Angleterre vaincue doit affronter une grave crise monarchique et une véritable guerre civile. Il faut attendre le règne d’Henri VII pour constater un renforcement de l’État. En revanche, le pays connaît un important développement économique et le début d’une expansion commerciale qui fera de lui une grande puissance maritime. Évolution commune aux deux peuples : le conflit fait progresser le sentiment national, où se mêle une certaine xénophobie. Ce conflit séculaire a laissé des traces non seulement chez les responsables politiques ou parmi les historiens, mais aussi dans la conscience populaire. Sa longueur exceptionnelle a frappé les érudits dès le XVIe siècle. Toutefois, l’expression « guerre de Cent Ans » n’apparaît qu’au début du XIXe siècle et ne devient d’usage courant que dans la seconde moitié du siècle, chez les historiens et les enseignants. Cent-Jours (les), restauration de l’Empire en 1815, entre le retour à Paris de Napoléon Ier (20 mars), échappé de l’île d’Elbe, et son abdication (22 juin). De cette période de trois mois, inaugurée par l’audacieuse équipée du « vol de l’Aigle », et s’achevant par la déroute de Waterloo (18 juin), la mémoire collective garde l’image d’un chassécroisé entre les gouvernements de Louis XVIII et de l’Empereur, et celle d’une folle aventure, où ne manquent ni la trahison ni le désastre. Cependant, les Cent-Jours correspondent d’abord à la tentative de restaurer l’Empire en prenant appui sur la bourgeoisie libérale. Si, sur le chemin qui le mène de l’île d’Elbe à Paris, Napoléon redevient brièvement Bonaparte, général de la Révolution, héros populaire porteur du drapeau tricolore s’opposant au drapeau blanc des Bourbons, l’Empereur ne conçoit de gouverner qu’avec les notables, et avec eux seuls. Ne pouvant proposer moins que la Charte constitutionnelle concédée en 1814 par Louis XVIII, il fait rédiger par Benja-
min Constant - l’opposant de toujours - l’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire, promulgué le 22 avril, qui donne au régime des institutions libérales mais fortement censitaires. Cette « Constitution », qui suscite une grande déception populaire, ne rallie pas pour autant les notables au régime, plus de la moitié des électeurs s’abstenant de participer au plébiscite. En fait, la majorité du pays est lasse de l’Empire, méfiante et, surtout, attentiste. En effet, la guerre semble imminente, les puissances alliées réunies au congrès de Vienne s’étant liguées, dès mars 1815, contre Napoléon, déclaré « ennemi et perturbateur du repos du monde ». En outre, la Vendée se soulève (15 mai) et d’autres provinces sont proches de l’insurrection. L’Empereur n’obtient guère l’appui de la Chambre des représentants, élue en mai, où dominent les libéraux, membres des classes moyennes, qui, au lendemain de Waterloo, le contraignent à abdiquer. Malgré le désastreux traité de Paris (20 novembre 1815) qui s’ensuit, les Cent-Jours, expression à la fois héroïque et fatidique, inaugurent le culte de Napoléon, qui alimentera le bonapartisme au XIXe siècle. Gommant l’Empire autoritaire pour ne retenir que l’enthousiasme populaire qui salue le retour de Napoléon et le libéralisme constitutionnel des derniers temps, les bonapartistes trouveront des arguments à l’éloge de l’Empereur (redevenu soldat de la liberté, puis « martyr » national exilé à Sainte-Hélène) dans les excès des ultraroyalistes et de la Terreur blanche sous la Restauration. Centrafricaine (république) ! Afrique-Équatoriale française centralisation, système dans lequel les autorités centrales monopolisent le pouvoir de décision et de mise en oeuvre en matière d’affaires publiques. Il est souvent considéré comme l’apanage séculaire de la France. De l’Ancien Régime à la Ve République, la centralisation ne saurait se réduire à une évolution linéaire : soumise à de fréquentes remises en cause, objet de polémiques passionnées, elle s’impose plutôt comme un processus complexe et heurté. • Les formes de la centralisation sous l’Ancien Régime. De la fin du Moyen Âge au milieu du XVIIIe siècle, l’affirmation de la monarchie absolue en France met en jeu des transformations de l’État et de la fonction royale qui vont bien au-delà de la seule cen-
tralisation administrative. Celle-ci est néanmoins indéniable. Elle peut se résumer à trois caractéristiques : d’abord, le pouvoir monarchique exerce une emprise croissante sur le pays, afin d’assurer la conduite de la guerre et d’imposer un ordre conforme à la volonté du roi ; ensuite, ce système suppose la mise en place d’une administration hiérarchisée qui prélève les ressources fiscales et rend la justice ; enfin, un personnel au service de l’État s’étoffe progressivement. Cette formation d’un appareil d’État ramifié s’accompagne, malgré des phases de remise en cause, d’une tendance de fond : la sujétion des pôles de pouvoir jusqu’alors autonomes - villes et états provinciaux. Une étape décisive est franchie vers 1635, lorsque Louis XIII et Richelieu commencent à transformer les commissaires aux missions ponctuelles en intendants de police, de justice et des finances, chargés d’administrer une circonscription territoriale stable. Le processus s’accentue sous le règne de Louis XIV, dans la période de consolidation du système monarchique qui fait suite à la Fronde. Ces intendants exercent leurs fonctions tant en arbitrant entre les diverses instances provinciales qu’en imposant unilatéralement leur autorité. Au total, la centralisation d’Ancien Régime, relative et multiforme, ne fut ni une uniformisation downloadModeText.vue.download 154 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 143 institutionnelle du royaume, ni une simple généralisation de l’application des décisions royales par des administrateurs-relais. On peut l’interpréter comme la réponse politique à deux phénomènes qui favorisent un État capable de gérer les conflits : l’importance de la guerre dans la formation du royaume ; l’éclatement de la société en fractions sociopolitiques concurrentes. Pourtant, vers 1750, les remises en cause se multiplient. • État-nation et centralisation. Tandis que la philosophie des Lumières pose avec force la question de la légitimité du pouvoir en liaison avec la reconnaissance de la nation, la centralisation est remise en cause par les critiques contre la toute-puissance ministérielle, et par les inquiétudes face à ce que Turgot nomme la « nation inorganique » (absence de liens entre les sujets ; entre ceux-ci et le gouvernement royal). Ce mouvement conduit à une série de projets de réforme territoriale, plus ou moins
largement appliqués, de 1764 à 1787. Malgré des variantes, ces projets reposent tous sur la formation d’une hiérarchie d’assemblées en partie élues, et censées conjuguer une plus grande efficacité fiscale et administrative. Bien qu’elle ménage les ordres, cette volonté modernisatrice avive, entre les partenaires du pouvoir, des rivalités qui empêchent une généralisation des réformes. Ces tentatives contrastent avec le résultat efficace auquel parviendront les constituants en dix mois, de septembre 1789 à juillet 1790. Après quelques semaines de débats, les lois des 14 et 22 décembre 1789 établissent une nouvelle pyramide administrative de communes, districts et départements ; chaque circonscription est régie par une assemblée élue au suffrage censitaire. Entre janvier et juillet 1790, le découpage territorial et l’élection des diverses administrations sont menés à bien. Objet d’appréciations contradictoires, cette réforme est tantôt donnée comme exemple d’oeuvre décentralisatrice, tantôt considérée comme la confirmation de la centralisation au nom de l’unité nationale. De fait, le système est plutôt mixte. La large autonomie des municipalités, l’élection par les citoyens du procureur de la commune - représentant du pouvoir exécutif -, les compétences étendues des districts et des départements, vont dans le sens d’une forte déconcentration (dispersion des organes administratifs sur tout le territoire) et d’une certaine décentralisation (autonomie de décision des collectivités locales). En revanche, la disparition des cours souveraines, l’exercice du pouvoir législatif par la seule Assemblée nationale, la prérogative conférée au roi de contrôler les administrateurs locaux, maintiennent une forme de centralisation. L’éclatement de cette pyramide tient pour une large part aux affrontements politiques qui s’exacerbent entre 1791 et 1793. Le débat constitutionnel, rouvert au printemps 1793 à la Convention, donne évidemment lieu à une nouvelle discussion sur la centralisation. Les points de vue ne sont pas alors aussi nettement tranchés que le suggère l’assimilation, communément pratiquée mais simplificatrice, entre centralisation et jacobinisme. Les girondins, tel Condorcet, se montrent plutôt favorables à un renforcement de la centralisation, grâce à la nomination des procureurs par le gouvernement ; des montagnards, en particulier Robespierre, dénoncent cette proposition contraire à l’autonomie des communes. Mais, après la victoire montagnarde du 2 juin
1793, l’instauration du gouvernement révolutionnaire, en septembre-octobre, accélère l’inflexion centralisatrice. Celle-ci est consacrée par la loi du 14 frimaire an II (4 décembre 1793), qui réaffirme : « La Convention est le centre unique de l’impulsion révolutionnaire » ; elle renforce le rôle et le contrôle des représentants en mission, et, surtout, elle confère à des agents nationaux nommés un grand pouvoir sur les administrations locales. Toutefois, cette centralisation est conçue comme provisoire, le temps de garantir l’établissement de la République et l’application de la Constitution de l’an I. En fait, la Convention thermidorienne, en fructidor an III (août 1795), et le Directoire donnent une dimension constitutionnelle à la mise sous tutelle des collectivités territoriales en flanquant les administrateurs locaux élus de commissaires nommés par les directeurs. Le contrôle « d’en haut » ainsi pérennisé est systématisé, après brumaire an VIII (novembre 1799). • Du Consulat à la Ve République : continuité et variations. La loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800), sans être radicalement neuve, est considérée, à juste titre, comme le socle de l’État centralisé dans la France des XIXe et XXe siècles. La centralisation tient moins au remplacement des administrateurs municipaux élus par des maires nommés qu’aux fonctions stratégiques attribuées aux préfets et sous-préfets. Recruté en dehors des corps législatifs, nommé et révoqué par le Premier consul, le préfet est chargé « par le gouvernement d’administrer sous ses ordres le département ». Inspecteur devant établir des rapports pour le gouvernement, il est, plus encore que ne l’était l’intendant, tenu d’exécuter des ordres centraux. L’initiative personnelle du fonctionnaire est bannie. Dans sa définition générale, la fonction préfectorale n’a pas été modifiée avant les années quatre-vingt. Néanmoins, elle s’est progressivement accompagnée d’une multiplication des services connexes de diverses administrations centrales ou départementales : services fiscaux, ministère des Travaux publics, directions départementales de l’Équipement, etc. Ce renforcement de l’appareil d’État a entraîné un accroissement du nombre des fonctionnaires. La réputation d’hypertrophie de l’administration française s’est répandue, en même temps qu’a persisté l’attachement à un État garant de l’unité nationale. Cependant, la continuité centralisatrice du Consulat à la Ve République n’est pas absolue. Sous la monarchie de Juillet (lois de 1831
et 1833) et, surtout, sous la IIIe République (lois de 1871 et 1884), le retour progressif à l’élection des conseils municipaux et départementaux (ou conseils généraux) ainsi que l’élargissement de leurs fonctions favorisent leur affirmation en tant que collectivités territoriales, dont les agents de l’État, en particulier les préfets, doivent tenir compte. Les notables locaux n’ont pas cessé d’assurer les liaisons entre les différents niveaux de la société et de l’État, grâce à leurs relations, à leur influence sociale ou culturelle. Dans cette perspective, la « capacité de démiurge » de la centralisation doit être fortement relativisée. A contrario, depuis la Seconde Guerre mondiale, la centralisation a revêtu une nouvelle dimension économique et démographique. La concentration de la population, des activités et des fonctions de commandement à Paris a fini par heurter. En 1947, le livre de Jean-François Gravier, Paris et le désert français, lance un cri d’alarme, dont les échos vont inspirer les politiques dites « d’aménagement du territoire » et la création de nouvelles institutions : 21 Régions-programmes en 1955, Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR) en 1963, etc. • La décentralisation de 1982. François Mitterrand, élu président de la République en mai 1981, annonce en Conseil des ministres, le 15 juillet 1981 : « La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire. Elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire. » Afin d’éviter l’enlisement qu’ont connu des projets antérieurs, le ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, Gaston Defferre, fait adopter avec célérité, de mars 1982 à janvier 1983, une série de lois, qui vont au-delà d’une simple déconcentration administrative et entraînent une nouvelle répartition de l’autorité publique. On peut retenir trois dispositions fondamentales : les compétences sont partagées entre les communes, les départements, les Régions - officiellement érigées en collectivités territoriales en 1985 - et l’État central ; dans les départements et les Régions, la puissance exécutive est transférée du préfet à un président et à des vice-présidents issus d’une assemblée élue ; le contrôle de l’État sur les décisions et le budget des collectivités territoriales n’intervient qu’a posteriori pour en vérifier la légalité. Plutôt considérée positivement, la réforme a néanmoins soulevé des critiques contradictoires. Certains jugent cette décentralisation insuffisante, et lui reprochent de ne pas
faire la part assez belle à la participation du citoyen. D’autres dénoncent la multiplication des centres de décision et l’alourdissement des dépenses de fonctionnement qui en résulte. Entre une centralisation garante de l’unité nationale et une décentralisation redistributrice des pouvoirs, la France des années quatre-vingt-dix continue de se chercher. Pourtant une nouvelle étape est franchie en 2003, avec la révision de la Constitution stipulant, dans son article premier, que l’organisation de la République est décentralisée. Un certain nombre de compétences sont tranférées en direction des collectivités territoriales, notamment dans le domaine de la gestion des fonds sociaux, de la santé publique, du réseau routier, tandis que celles déjà décentralisées (logement, éducation, aménagement du territoire) sont élargies. Il s’agit d’un véritable tournant qui s’inscrit dans le cadre de la construction européenne avec le Comité des régions créé en 1994. Mais la question du financement de ces nouvelles responsabilités, en particulier la prise en charge des personnels de l’État dont les services sont transéférés aux collectivités locales, demeure à l’ordre du downloadModeText.vue.download 155 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 144 jour malgré l’instauration d’une « autonomie financière » reposant sur des « ressources propres ». centre. La difficile définition du centre procède de la place intermédiaire qu’occupe cette force politique entre la droite et la gauche, dans un pays marqué par de fortes oppositions idéologiques et par l’attachement à deux cultures politiques distinctes. Le clivage droite-gauche recouvre une perception binaire de la société qui a longtemps nié le poids des classes moyennes. Politiquement (et socialement), des schémas simplificateurs - donc restrictifs - reflètent une réalité propre à l’esprit français : le refus du pragmatisme et du consensus. François Goguel le suggère dans son introduction à la Politique des partis sous la IIIe République en niant l’attraction du centre dans le tempérament français, alors qu’André Siegfried, se référant aux forces politiques, distingue la droite, le centre et la gauche. Mais ces deux approches sont complémentaires, et révèlent ainsi les ambiguïtés
du centre. Entre sa négation et l’affirmation de son omniprésence, l’équilibre reste à trouver. • Existe-t-il une tradition du centre ? Chaque régime a sécrété son centre : le Marais pendant la période révolutionnaire, le Parti radical sous la IIIe République, le MRP sous la IVe République. Même les institutions de la Ve République, qui favorisent la bipolarisation, n’ont pas empêché la formation du Centre démocrate, créé en 1966 par Jean Lecanuet, ou de l’Union pour la démocratie française (UDF), fondée en 1978 par Valéry Giscard d’Estaing. Dès le XIXe siècle, le centre séduit la droite. Le panthéon de la droite libérale classique est peuplé de « centristes », depuis Guizot, l’homme du « juste milieu », en passant par Thiers, Poincaré et Pinay. Les formations politiques de droite revendiquent volontiers des positions « centristes ». L’attraction qu’exerce le centre rejoint ici encore des réalités sociales. L’intérêt que portent Guizot aux « capacités » ou Gambetta aux « couches nouvelles » annonce l’importance croissante des classes moyennes, donc de la majorité du corps électoral. En outre, le centre capte l’électorat par le refus des extrêmes ou de la bipolarisation. Pendant la période révolutionnaire, la Plaine est majoritaire lors de la formation de la Constituante, et les thermidoriens refusent à la fois l’égalitarisme jacobin et la Contre-Révolution. Sous la IIIe République, les républicains opportunistes, avec Grévy et Ferry, puis le Parti républicain radical et radical-socialiste (1901), se veulent des forces de rassemblement républicain opposées aux extrêmes. Sous la IVe République, le retour des radicaux est favorisé par la peur conjuguée du PCF et du RPF. En 1965, la tentative de Defferre, qui vise à rassembler un centre et une gauche non communiste, procède du même rejet des extrêmes. • La stratégie du « juste milieu ». Incapable de baliser son champ entre la droite et la gauche, le centre est traversé par deux courants centrifuges. Ainsi, au début du siècle, le centre gauche est représenté par l’Alliance républicaine démocratique (1901), et le centre droit, par la Fédération républicaine (1903). Même si le Parti républicain radical et radical-socialiste amorce une évolution à droite après la Première Guerre mondiale, il ne se réclame pas moins du « sinistrisme ». Cet attachement à des valeurs dites « de gauche » est significatif de l’image négative du centre. La mobilité idéologique, propre à toutes les forces politiques, est évidente au centre,
qui emprunte, à droite comme à gauche, des valeurs auxquelles adhère le plus grand nombre, mais qui lui font perdre son identité. Synonyme de combinaison politicienne parce qu’il représente une force charnière sous la IVe République, il est victime d’émiettements sous la Ve. D’aucuns s’interrogent aujourd’hui sur l’avenir du centre alors que s’effondrent les certitudes idéologiques, que les impératifs économiques et sociaux unifient les politiques, et que l’espace européen favorise l’harmonisation des tempéraments politiques. Le centre est susceptible de s’épanouir, mais les crises peuvent aussi faire ressurgir des solutions extrêmes. Centre national des indépendants et paysans ! CNI céréales. Ce substantif, apparu tardivement (1792), désigne les graines, réduites en farines, qui servent à la nourriture de l’homme et des animaux domestiques. Pendant plusieurs siècles, on lui a préféré le mot de « bleds ». Tous les apports documentaires confirment, aujourd’hui, ce que certains historiens ont appelé une « dictature ancestrale des bleds ». Un Dictionnaire portatif du cultivateur, édité à la fin du XVIIIe siècle, ne manque pas d’indiquer que, par bleds, il faut entendre « les plantes connues de tout le monde, et qui portent le grain destiné à faire le pain. Il y en a plusieurs sortes : le froment, le seigle, le bled méteil, le bled de Turquie, l’orge et l’avoine, ou mars, le bled noir, ou bled sarrasin ». Une citation éclairante à deux égards : d’abord, parce que le classement effectué par l’auteur témoigne de l’importance occupée par chacune des espèces dans la production céréalière de l’époque ; ensuite, à cause de certaines absences. Millet, sorgho et riz, du fait de leurs caractéristiques particulières, sont exclus de la fonction nourricière essentielle, « faire le pain ». En effet, le pain fabriqué à partir de diverses farines céréalières a constitué, pendant des siècles, la base de l’alimentation de la population française (pain dans la soupe ; pain accompagnant la charcuterie, le fromage, les olives et l’huile). Si, pour une large part, l’histoire des céréales dans notre pays reste à faire, les nombreux travaux accumulés, notamment par les historiens des campagnes, les agronomes, les archéologues et les préhistoriens, permettent aujourd’hui de dégager quelques lignes directrices. Élément dominant : l’ancestrale concur-
rence entre le blé commun, ou froment, et le seigle, qui forment ce que l’on a pris l’habitude d’appeler, depuis le Moyen Âge, les « grands bleds », par opposition aux « petits bleds » que sont l’orge et l’avoine. « Grands » et « petits bleds » constituent, sous l’Ancien Régime, les « quatre gros fruits » de la législation décimale et du droit ecclésiastique appliqués à la fiscalité des campagnes. • Blé commun et seigle. Depuis des temps immémoriaux, le « bled blan », ou froment, est, de loin, la plante la plus répandue dans l’aire géographique française. Le blé commun a pris le pas sur le blé dit « amidonnier », qui avait composé la base de l’alimentation des hommes préhistoriques. Bien que fort courante, cette plante, pour connaître son plein développement, a dû trouver des sols adéquats : faute de limons, les rendements restaient dérisoires. On comprend ainsi que la zone d’extension du blé ait accompagné la transformation des espaces cultivables français, notamment lors des défrichements médiévaux, qui ont favorisé la vocation céréalière du grand Bassin parisien et des plaines du nord du pays. Le seigle, dont l’origine remonte environ à 9500 avant J.-C., n’était, initialement, qu’une mauvaise herbe qui croissait en bordure des premiers champs céréaliers. C’est l’hybridation qui a donné naissance à une nouvelle espèce comestible, pourtant peu estimée pendant une longue période. De fait, les auteurs d’agronomie grecs considéraient cette graminée, qui fournissait « une bouillie qui puait », comme juste digne des Barbares. Quant à leurs homologues latins, ils la qualifiaient de « plante repoussante ». Avec le temps, le seigle a fini par gagner la confiance des paysans, car il présente les avantages de réclamer peu de travaux aratoires, d’être résistant aux écarts thermiques, et de se contenter de sols pauvres et peu profonds, à la différence du blé commun. Ces qualités lui ont permis de supplanter l’épeautre et, pendant un temps, l’orge. Il a fini par conquérir sa place, entre le Ve et le Xe siècle, ce dont témoigne la zone d’extension de la consommation du pain noir, plus facile à conserver que le pain de froment, mais avec les inconvénients de l’acidité et du « surissement ». C’est d’ailleurs pour effacer ce goût désagréable qu’au cours du Moyen Âge on inventa le fameux pain d’épices, composé de farine de seigle, de miel, de cannelle, de muscade et de clous de girofle. Pour l’agriculture, le seigle a eu également l’avantage de constituer un excellent fourrage, et sa longue
paille, réputée, a servi pendant longtemps à couvrir les toits ou à lier les gerbes. La fragilité du froment et la rusticité du seigle ont tout naturellement conduit les paysans à mêler les deux céréales, en les semant et cultivant ensemble, ce qui a donné naissance au méteil, dont le succès s’est prolongé dans les campagnes françaises bien au-delà de la Première Guerre mondiale. • Orge et avoine. L’orge, dont la domestication remonte peut-être à plus de 10 000 ans avant J.-C., a été cultivée depuis très longtemps dans tout le pourtour méditerranéen. Des chercheurs ont ainsi identifié de l’orge à deux rangs dans la grotte préhistorique du Mas-d’Azil, en Ariège. Riche de plus de vingt espèces, l’espace français a vu se développer, de manière quasi simultanée, l’orge à deux rangs, communément appelé « paumelle », et l’orge à six rangs, une espèce hivernale dont les appellations les plus courantes étaient downloadModeText.vue.download 156 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 145 « escourgeon », « scorion » ou « soucrion ». Ces céréales, appréciées pour leur résistance et leur adaptation assez facile aux écarts thermiques, ont surtout été l’apanage des régions productrices de bière et des pays d’élevage. Au cours des siècles, l’orge, dont les zones de culture ont connu de grandes fluctuations, n’en a pas moins été réensemencée avec régularité. Lors du grand hiver de 1709, elle sauva des milliers de personnes de la famine, les autres céréales n’ayant pas résisté aux températures exceptionnellement basses. Jusqu’au XXe siècle, son utilisation a également été importante dans la préparation de boissons douces telles que le sirop d’orgeat. Comme le seigle, l’avoine a longtemps souffert d’une mauvaise réputation, puisque les traités d’agronomie de l’Antiquité la qualifiaient de « mauvaise herbe ». Le coeur des légionnaires romains s’était soulevé à la découverte de la grande consommation que les Germains en faisaient, sous forme de bouillies. Mais, après des débuts difficiles, cette plante finit par atteindre une extension géographique importante, directement liée à celle du seigle, et, surtout, aux zones d’élevage et d’utilisation des chevaux domestiques. Elle connaît un franc succès à partir des années 700, puis se généralise de manière quasi définitive, au cours des
IXe et Xe siècles, ce qui provoque la disparition concomitante de l’épeautre. C’est d’ailleurs au cours de cette période que l’avoine contribue à modifier fortement les habitudes agricoles. Ne pouvant être semée qu’au printemps, parce qu’elle ne résiste pas aux gelées, elle rend nécessaire la pratique des semis dits « de mars ». Ceux-ci sont à l’origine de l’abandon de l’assolement biennal et de l’essor - du moins dans les grandes plaines du nord du royaume - de l’assolement triennal, qui alterne blé commun, culture de mars, dont l’avoine, et repos du sol. Cette transformation radicale n’a été possible que par l’intensification du travail du sol, réalisée au moyen de la charrue tractée par des chevaux nourris avec des picotins d’avoine. Le couple cheval/avoine a constitué un moteur, au sens premier du terme, du progrès agricole qui a favorisé la lente hausse de la productivité et des rendements ; une meilleure satisfaction des besoins alimentaires de la population française, en augmentation constante depuis la fin des calamités du XIVe siècle, a ainsi été obtenue. De plus, lors des crises frumentaires, fréquentes sous l’Ancien Régime, l’avoine a permis aux hommes, par sa consommation sous forme de bouillies additionnées de lait - les gruaux -, de passer le mauvais cap alimentaire. • Sarrasin, maïs, riz et millets. Le blé noir, ou sarrasin, selon l’agronome de la Renaissance Olivier de Serres, « était appelé "bucail" et se distinguait par sa paille rouge, son grain noir et sa farine en dedans fort blanche ». Pendant de nombreux siècles, il a eu pour terre d’élection la Bretagne, aux sols froids. Le maïs est introduit en Europe dès la fin du XVe siècle par les conquistadors espagnols. Il rencontre très vite un énorme succès, et atteint le royaume de France, à la fin du XVIe siècle, où il trouve, dans les provinces du Sud-Ouest, des conditions climatiques exceptionnelles, qui ne se sont pas démenties depuis. Quant au riz, il est introduit en Europe par les Arabes, notamment dans le sud de la péninsule Ibérique. Espagnols et Italiens reprennent cette culture au cours des XVe et XVIe siècles. En France, il n’apparaît que tardivement, lors des travaux d’aménagement du delta du Rhône, ce qui explique que la Camargue soit aujourd’hui la seule zone de production du pays, avec, d’ailleurs, des résultats et des rendements remarquables. Les millets - qu’il s’agisse du petit millet, qui correspond au mil africain, ou du grand millet d’Inde, qui n’est autre que du sorgho - n’ont jamais connu de développement important dans notre pays,
et ils ont été presque exclusivement consacrés à la nourriture de la basse-cour. Cet éventail des productions a conduit, au fil du temps, à distinguer les céréales d’hiver (froment, seigle, méteil, sarrasin, maïs, escourgeon, millet) - dont les ensemencements, réalisés à l’automne, passent la saison froide enfouis sous terre, pour être récoltés au début de l’été - des céréales de printemps (orge, avoine, essentiellement), avec semailles au printemps, végétation rapide, de l’ordre de trois mois, d’où le nom de « trémois », et moisson à l’automne. Cette distinction a largement commandé les conditions d’assolements, avec, dans le Midi et ses terres pauvres, une alternance blés d’hiver/jachère, tandis que, dans le Nord aux riches limons, le cycle triennal s’est imposé, avec une succession blés d’hiver/blés de printemps/jachère. Des assolements qui se sont perpétués sans grands changements jusqu’au début du XXe siècle, pour disparaître à la suite de la suppression des jachères, due à l’intensification du travail du sol (emploi des engrais chimiques) et à la mécanisation de l’outillage agricole. Ainsi, au début du XXe siècle, 22 millions d’actifs agricoles aidés de chevaux obtenaient, en moyenne, 12 quintaux de céréales à l’hectare, alors qu’aujourd’hui moins d’un million d’agriculteurs dotés de plus d’un million et demi de tracteurs obtiennent, régulièrement, de 60 à 80 quintaux de grains à l’hectare ! On a donc assisté, après la Seconde Guerre mondiale, au passage d’une économie de subsistance à une agriculture commerciale et exportatrice, qui place la France au cinquième rang mondial pour la production céréalière. CFDT (Confédération française démocratique du travail), syndicat né au congrès de la CFTC de novembre 1964. Sa création traduit l’évolution de la majorité des militants, qui ne se reconnaissent plus dans la référence au christianisme. La réflexion menée depuis 1947 par le Syndicat général de l’éducation nationale (SGEN) au sein de la CFTC a conduit à l’élaboration d’un nouveau type de syndicalisme dans lequel la notion de démocratie remplace la visée religieuse. Aussi, la CFDT, dirigée par Eugène Descamps jusqu’en 1971, se rapproche-t-elle de la gauche socialiste. Dès le début, pourtant, les « cédétistes » semblent hésiter entre voie révolutionnaire et réformisme. La CFDT apporte son soutien au mouvement de mai 68 : tentant de relier mouvement étudiant et grèves ouvrières, elle se prononce pour l’auto-
gestion, tandis que la CGT, avec laquelle elle a conclu un pacte d’unité d’action en 1966, met l’accent sur les revendications salariales. Edmond Maire, élu secrétaire général en 1971, tente de canaliser la tendance gauchiste au sein de la confédération, sans pour autant se fondre dans une union de la gauche qui a le vent en poupe. Lors de la rupture de celle-ci en 1978, il « recentre » la CFDT vers un économisme où se mêlent soutien à une politique contractuelle et rôle grandissant des experts au détriment de la base. Syndicat politisé malgré ses diverses tendances internes, la CFDT privilégie les débats de fond sur la simple défense des intérêts catégoriels. Après la rupture, en 1980, avec la CGT, jugée trop dépendante du PCF, l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 semble marquer le triomphe de ce syndicalisme qui se veut réaliste, mais est aussi peu conformiste. Toutefois, la CFDT prend progressivement ses distances par rapport au PS, et elle fait du partage et de la réduction du temps de travail ses chevaux de bataille dans le lutte contre le chômage. Le « recentrage », c’est-à-dire la mutation réformiste de la CFDT, est poursuivi par Jean Kaspar de 1988 à 1992, puis par Nicole Notat, première femme à diriger en France une confédération syndicale. La CFDT, qui ressent les effets de la crise syndicale, enregistre néanmoins des résultats relativement favorables aux élections prud’homales et professionnelles, au début des années quatre-vingt-dix. Ce recentrage est notamment sensible au moment des grandes grèves de fin 1995, durant lesquelles la confédération se démarque de la CGT et de FO, en formulant un avis globalement positif sur la réforme de la Sécurité sociale. L’année suivante, la CFDT succède à FO à la présidence de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM). Cette évolution ne s’est pas faite, au cours des dernières années, sans divisions internes. La ligne impulsée par Nicole Notat se poursuit avec François Chérèque (à la tête du syndicat depuis 2002), notamment lors des discussions relatives à la réforme des retraites, où la CFDT se rallie finalement au projet du gouvernement, entraînant le départ de certains militants. CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens), syndicat créé en 1919. S’inspirant de la doctrine sociale de l’Église définie dans l’encyclique Rerum novarum, et
voulant opérer des transformations « non par la lutte des classes, mais par l’éducation et la collaboration des éléments producteurs », la CFTC regroupe des syndicats chrétiens, qui ont vu le jour dès 1885. Ce syndicat d’employés du commerce et de l’industrie réussit, sous l’impulsion de Gaston Tessier, à s’implanter parmi les ouvriers, mais l’augmentation du nombre de ses adhérents pose le problème de son statut confessionnel. Dès 1947 s’amorce un processus de laïcisation : soutenu par le secrétaire général Eugène Descamps, il aboutit, en 1964, à une « déconfessionnalisation » complète, par la création de la CFDT. Cependant, la « CFTC maintenue » entend préserver la tradition syndicale d’un catholicisme social. Malgré sa participation active dans des combats tels que la défense de l’école privée en 1984, ses effectifs restent limités et son audience, réduite. downloadModeText.vue.download 157 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 146 CGT (Confédération générale du travail), syndicat créé en 1895 ; c’est la plus ancienne des grandes centrales syndicales de salariés. Son congrès fondateur, tenu à Limoges du 23 au 28 septembre 1895, appelle au regroupement de l’ensemble des organisations ouvrières déjà existantes : bourses du travail, syndicats locaux et nationaux, fédérations de métiers et d’industries. Mais il faudra attendre le congrès de Montpellier (22-27 septembre 1902) pour que se réalise l’unité du mouvement syndical grâce à l’adhésion de la Fédération des bourses du travail de Fernand Pelloutier à la CGT. Avant 1914, la CGT est une organisation peu structurée et peu centralisée, dotée toutefois (si l’on peut faire une analogie avec des institutions politiques) d’organes « exécutif » et « législatif ». L’« exécutif » est assuré par un secrétariat confédéral. Victor Griffuelhes (de 1902 à 1909) et Léon Jouhaux, qui lui succède en juillet 1909 après un bref intermède, en sont les dirigeants les plus marquants. Le premier, surtout, contribue à imposer la ligne du syndicalisme révolutionnaire. Le « législatif » de la confédération est confié au congrès, réuni en principe tous les deux ans. Les organisations qui composent la CGT y sont représentées par des délégués indépendamment de leur nombre d’adhérents. De petites fédérations, favorables au syndicalisme révolutionnaire, peuvent ainsi jouer un rôle certain lors
des congrès, alors que les grandes fédérations, telle celle du Livre, sont souvent plus réformistes. Au congrès de 1906 est adoptée une motion d’inspiration syndicaliste-révolutionnaire, dite « Charte d’Amiens », marquée par une défiance à l’égard de l’État et des partis politiques. La CGT rassemble des effectifs bien inférieurs aux trade unions britanniques, très liés au Parti travailliste : elle compte 300 000 adhérents en 1895 et 700 000 en 1914. • Évolution vers le réformisme. Pendant la Première Guerre mondiale, la CGT participe à l’effort de défense nationale, et plusieurs de ses militants collaborent avec le ministre socialiste Albert Thomas. Les effectifs s’accroissent très sensiblement pour dépasser le million d’adhérents en 1919. Mais elle subit le contrecoup de la scission de la SFIO, intervenue au congrès de Tours (décembre 1920) entre socialistes et communistes : le 27 décembre 1921, la minorité révolutionnaire de la CGT, qui a joué un rôle décisif dans les grandes grèves de 1920, quitte l’organisation pour aller fonder la CGT - unitaire (CGTU). La CGT poursuit alors la politique amorcée durant la guerre, en renforçant l’intégration de la classe ouvrière à la nation. Elle défend les idées de nationalisation, de contrôle ouvrier dans l’entreprise, de conventions collectives par branches, ainsi que la création d’un Conseil national économique à participation syndicale. Le vote, en 1928, de la loi établissant les assurances sociales peut passer pour l’un de ses succès. Cette tactique réformiste lui permet d’accroître ses effectifs, qui passent entre 1922 et 1930 de 488 000 à 577 000. À la différence de la CGTU, ils sont composés, pour moitié, de salariés du secteur public. La crise des années trente marque fortement l’histoire de la CGT. Des solutions originales se dessinent en son sein, pour répondre au désordre économique, issues du courant « planiste ». Mais la réunification syndicale - de la CGT et de la CGTU -, le 25 mars 1936, et, plus encore, l’explosion sociale de mai-juin 1936 entraînent l’adhésion massive d’ouvriers dotés d’une tout autre culture syndicale. La croissance des effectifs (1,1 million en mars 1936, 3,9 millions en 1937) renforce la tendance communiste et renverse les rapports de force à l’intérieur de la CGT. • Vers de nouvelles scissions. Dès octobre 1936, le secrétaire général adjoint, René Belin, lance le journal Syndicats pour endiguer la progression des communistes. La CGT est de plus en plus divisée : les accords de Munich
suscitent des débats et l’échec de la grève générale lancée le 30 novembre 1938 aggrave les tensions. Après le pacte germano-soviétique et la dissolution du Parti communiste par le gouvernement Daladier en septembre 1939, de nombreux ex-unitaires sont exclus de la confédération. Celle-ci est dissoute par le régime de Vichy, le 9 novembre 1940, en même temps que les autres syndicats. Durant l’Occupation, alors qu’une minorité des anciens réformistes de la CGT accepte la politique de la Collaboration (René Belin devient ministre du Travail du gouvernement de Vichy), les communistes tentent de regagner le terrain perdu. Le 17 avril 1943, les anciens cégétistes engagés dans la Résistance, réformistes et révolutionnaires confondus, réunifient la confédération (accords du Perreux). Mais, à la Libération, la division de la gauche a une nouvelle fois des conséquences sur l’unité syndicale. Alors que la CGT défend une ligne productiviste entre 1944 et 1947, soutenant l’effort de reconstruction, elle adopte ensuite, dans le contexte de la guerre froide naissante, une politique dure de revendication salariale débouchant sur les grandes grèves de 1947. Cette situation provoque le départ, derrière Léon Jouhaux, d’une minorité anticommuniste (décembre 1947), à l’origine de la création de la CGT-FO en avril 1948. La CGT incarne désormais un syndicalisme proche du Parti communiste (ses secrétaires généraux successifs, Benoît Frachon, Georges Séguy, Henri Krasucki, Louis Viannet, sont - jusqu’en 1996 - membres de l’appareil dirigeant du PCF). Elle mène des actions revendicatives, et se préoccupe des problèmes de la paix, se démarquant parfois du PCF, comme lors de la guerre d’Algérie, en s’engageant très vite en faveur de l’arrêt des hostilités. Face aux événements de mai 68, la CGT est plus hésitante, même si elle s’engage dans le vaste mouvement de grèves tout en combattant le gauchisme étudiant. Son unité d’action avec la CFDT, scellée en 1966, la sensibilise à des thèmes nouveaux comme la planification démocratique ou le socialisme autogestionnaire. Mais, dans la seconde moitié des années soixante-dix, la désunion syndicale, le chômage, la tertiarisation de l’économie et la désaffection des salariés pour le syndicalisme conduisent à un affaiblissement de la CGT, qui demeure cependant un partenaire important dans le dialogue social. En 1999 l’arrivée à la tête de la confédération de Bernard Thibault marque un changement. Ce dernier quitte notamment ses fonctions au sein du PCF pour symboliser la
nouvelle ligne qui tente de s’engager dans la voie d’un syndicalisme moins contestataire et plus réformiste, ce qui ne va pas sans une certaine opposition interne. Toutefois la CGT, en pointe dans les combats contre la réforme des retraites (2004) et le contrat première embauche, connaît une hausse de ses adhérents et reste encore aujourd’hui le premier syndicat français en terme de voix aux élections prud’homales. CGTU (Confédération générale du travailunitaire), syndicat né d’une scission de la CGT (de 1921 à 1936). Après le congrès de Tours en décembre 1920, la fondation d’un parti communiste en France (SFIC, mai 1921) et la constitution de l’Internationale syndicale rouge (ISR) à Moscou (juillet 1921) poussent au regroupement les syndicalistes français critiques à l’égard d’une CGT jugée trop réformiste. Exclus de ce syndicat en septembre 1921, ils créent la CGTU, qui tient son premier congrès à Saint-Étienne en juin 1922, et adhèrent à l’ISR. Dès août 1925, la CGTU se rapproche du Parti communiste, sous l’impulsion de Gaston Monmousseau, Julien Racamond et Dudilieux, qui représentent la centrale syndicale au bureau politique du PCF. De 1922 à 1926, la CGTU, implantée dans les grandes entreprises industrielles privées, passe de 371 000 à 475 000 adhérents. C’est à partir de 1927 que des communistes prennent le contrôle de sa direction. Engagée par le PCF dans des « grèves politiques de masse », simple instrument de mobilisation dans les mains du parti, la CGTU entre en crise dès 1928-1929, et le nombre de ses adhérents tombe à 256 000 en 1932. L’année 1934 inaugure un changement complet de la stratégie syndicale communiste : pour faire face à l’extrême droite et réaliser le « Front populaire », le PCF, en juin 1934, souhaite « à tout prix aboutir à l’unité syndicale dans une seule CGT ». Les discussions entre CGT et CGTU, entamées en janvier 1935, aboutissent en mars 1936 au congrès de réunification de Toulouse, où les syndicalistes communistes cèdent, officiellement, aux exigences formulées par Léon Jouhaux et la direction de la CGT. Chaban-Delmas (Jacques Delmas, dit Jacques), homme politique (Paris 1915Paris 2000). Journaliste, puis inspecteur des finances (1943), il prend, pendant la Résistance, le pseudonyme de Chaban, qui reste attaché à son nom. Général de brigade en 1944, élu député de la Gironde en 1946, et maire de
Bordeaux à partir de 1947, ce radical rallié au gaullisme est plusieurs fois ministre sous la IVe République (dans les gouvernements Mendès France, Mollet et Gaillard), avant de prendre une part très active dans le retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958. Après l’instauration de la Ve République, il devient président de l’Assemblée nationale (19581969), puis Premier ministre (1969-1972). Il lance alors un projet réformiste dit « de downloadModeText.vue.download 158 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 147 nouvelle société », et pratique une politique contractuelle avec les syndicats. Malgré le vote de confiance de la Chambre des députés en mai 1972, il doit « démissionner » en juillet, à la demande du président Pompidou, qui, en le remplaçant par Pierre Messmer, entend affirmer la prééminence de la fonction présidentielle. Candidat au premier tour de l’élection présidentielle de 1974, abandonné par une partie de l’UDR emmenée par Jacques Chirac, il n’obtient que 15,1 % des voix. Il préside encore l’Assemblée nationale par deux fois (1978-1981, 1986-1988), tout en restant maire de Bordeaux jusqu’en 1995. chalcolithique, période intermédiaire entre le néolithique et l’âge du bronze, caractérisée par l’apparition de la métallurgie du cuivre (en grec chalkos, « bronze »), mais aussi des premières formes d’inégalité sociale, tandis que la pierre (en grec lithos, « pierre ») reste la matière principale de l’outillage. Il n’existe pas de consensus général en France sur l’utilisation du terme « chalcolithique », dans la mesure où la métallurgie du cuivre y est plus tardive et discrète qu’ailleurs. En Europe orientale et centrale, la métallurgie du cuivre (et, accessoirement, de l’or et de l’argent) apparaît en effet dès le début du Ve millénaire avant notre ère. Plus qu’une conquête technique, elle est une façon de signifier les différences sociales, le métal servant essentiellement à fabriquer des objets de prestige et de parure. Le terme « chalcolithique » renvoie donc, dans ces régions, à l’apparition de la métallurgie et à celle de sociétés inégalitaires, que reflète l’existence de tombes princières. Des formes comparables d’inégalité sociale apparaissent dès la fin du Ve millénaire sur le futur territoire de la France ; en témoignent les monuments mégalithiques, dont le métal est toutefois absent. C’est pourquoi l’on hésite
souvent à parler de chalcolithique pour ces périodes. Le terme est donc plutôt utilisé pour les cultures plus tardives (IIIe millénaire) qui connaissent visiblement le cuivre, telles celle de Fontbouisse (dans le village de Cambous notamment) et surtout celle de la poterie campaniforme, même si le métal est attesté auparavant, comme dans les cultures de SeineOise-Marne ou de Ferrières. Chambord (Henri d’Artois, duc de Bordeaux, puis comte de), prétendant au trône sous le nom de « Henri V » (Paris 1820 - Frohs dorf, Autriche, 1883). Fils posthume du duc de Berry et de MarieCaroline de Bourbon-Sicile, petit-fils de Charles X, le duc de Bordeaux est salué, à sa naissance, sept mois après l’assassinat de son père par Louvel, comme « l’enfant du miracle » : l’arrivée de cet unique héritier mâle ressuscite la dynastie des Bourbons, et apparaît comme un signe d’élection divine. Le 2 août 1830, devant l’insurrection parisienne, Charles X puis son fils le duc d’Angoulême abdiquent en faveur du duc de Bordeaux, mais il est trop tard : la couronne échoit à Louis-Philippe. Le jeune prince, qui s’exile, prend en 1843 le titre d’Henri V, et épouse en 1846 l’archiduchesse Marie-Thérèse Béatrice d’Autriche-Este, fille du duc de Modène, dont il n’aura pas d’enfant. Jusqu’à la chute du Second Empire, son activité politique est assez limitée. Mais, en 1871, la présence d’une majorité royaliste à l’Assemblée nationale permet d’envisager le rétablissement de la monarchie. « Henri V » rentre alors en France, et publie, le 5 juillet 1871, un manifeste-programme d’un absolutisme tempéré par un certain paternalisme, dans lequel il affirme sa fidélité au drapeau blanc, symbole de l’Ancien Régime, et témoigne d’une réelle sensibilité aux questions sociales. Mais son refus des « trois couleurs » et du régime parlementaire rend une nouvelle restauration difficile, d’autant que le parti royaliste est divisé entre légitimistes et orléanistes, lesquels prônent un prétendant plus libéral, le comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe. Cependant, un rapprochement se dessine lors de l’entrevue de Frohsdorf (5 août 1873), à l’heure même où la chute de Thiers et l’élection de MacMahon relancent la question monarchique. Mais, au grand désespoir de ses partisans, « Henri V » réitère son refus de renoncer au drapeau blanc, dans une lettre du 23 octobre 1873 : la dernière chance de restauration est passée, et le vote de l’amendement Wallon,
par l’Assemblée nationale le 30 janvier 1875, instaure définitivement le régime républicain. Élevé par sa tante, la duchesse d’Angoulême, fille de Louis XVI, dans l’horreur des principes de 1789, et ayant toujours vécu à l’étranger, Chambord était peu au fait des réalités politiques de la France. Excluant tout compromis, alors même que la grande majorité des royalistes comprenait la nécessité d’une monarchie constitutionnelle, il signa par son intransigeance la fin des espérances légitimistes. « Par sa dernière lettre, dira Daniel Halévy, la monarchie française quitte terre, devient légende et mythe. » Chambord (château de), le plus grand des châteaux de la Loire et le plus caractéristique de l’architecture renaissante française de la première moitié du XVIe siècle. En 1519, François Ier entreprend de transformer le relais de chasse du comte de Blois en une demeure princière. Si le plan et la maquette peuvent être attribués à l’Italien Dominique de Cortone, bien que l’on dise que le nom de l’architecte demeure inconnu, l’exécution des travaux est confiée à des maçons français (Sourdeau, Trinqueau et Coqueau). Ainsi, l’architecture de l’ensemble se situe à la rencontre du courant italien et de la tradition française. Le souci de symétrie est illustré par le choix d’un plan centré ; l’édifice est flanqué de tours aux quatre angles ; au centre de son donjon, divisé par une grande croix en quatre appartements identiques, s’élève le fameux escalier à double vis, dont l’ingéniosité et l’audace laissent à penser qu’il a été conçu par Léonard de Vinci. Le procédé d’arcades ou de loggias sur la façade du donjon est aussi directement importé d’Italie. Les pierres blanches incrustées de losanges ou de disques d’ardoise imitent les jeux polychromes des façades Renaissance que François Ier a pu admirer dans la Péninsule. Pourtant, l’abondance de cheminées et de lucarnes à plusieurs étages respecte la tradition de l’architecture médiévale du XIVe siècle. Témoin de l’introduction en France d’un courant architectural nouveau, réalisation de transition, le château de Chambord n’aura aucun rayonnement artistique et sera ensuite délaissé. Sous Louis XIV, Molière y écrit et y joue devant la cour Monsieur de Pourceaugnac (1669), avant de récidiver un an plus tard avec le Bourgeois gentilhomme. Louis XV cède le château à Stanislas Leszczy[‘]nski jusqu’en 1733, puis au maréchal Maurice de Saxe en
récompense de la victoire de Fontenoy. La propriété est presque en ruine lorsque Napoléon la lègue au maréchal Berthier. En 1821, le château est racheté par souscription à la veuve Berthier pour être offert au duc de Bordeaux, qui prend, dès lors, le titre de duc de Chambord. Depuis 1930, il est devenu domaine de l’État français. Chambre bleu horizon ! Bloc national Chambre des aides ! aides (Chambre des) Chambre des comptes, institution d’Ancien Régime destinée, à l’origine, à vérifier les comptes de tous les agents responsables des deniers publics, c’est-à-dire, essentiellement, des officiers ou fermiers du Domaine, et des prévôts. Elle est issue, comme le Conseil royal ou le parlement, du démembrement progressif, depuis la fin du XIIe siècle, de l’ancienne curia regis (cour du roi). Un démembrement que nécessitent l’extension et la centralisation du pouvoir royal. Installée dès 1303 dans une camera (chambre) du palais royal, cette commission n’est organisée comme institution permanente qu’en 1320, dans sa composition, son fonctionnement et sa double mission de contrôle et de justice. Le contrôle concerne la comptabilité des agents publics mais aussi la validation administrative des actes portant engagement de dépenses ou aliénation de biens. Il en résulte des compétences contentieuses qui autorisent la Chambre des comptes à juger, le cas échéant, les agents suspects de mauvaise gestion. Ces attributions la consacrent, jusqu’à la Révolution, comme une cour souveraine, au prestige et aux effectifs considérables : tout au long du XVIIIe siècle, la valeur des offices de ses membres demeure très élevée, et, en 1789, elle est composée de 189 officiers. Néanmoins, l’extension du domaine royal ainsi que du pouvoir souverain a donné naissance à des institutions rivales en matière de compétences - parlement pour la justice, Chambre des aides pour les impôts, Cour du Trésor, Chambre des monnaies - et de ressort géographique - 11 chambres des comptes locales outre celle de Paris. De cette multiplicité des institutions financières découlent l’absence de toute comptabilité d’ensemble et des retards considérables dans les vérifications, se chiffrant en années. Perçue par les révolutionnaires comme un ves-
tige de l’administration enchevêtrée d’Ancien Régime, la Chambre des comptes est supprimée à la Révolution, avant d’être rétablie par l’Empire, sous le nom de « Cour des comptes ». downloadModeText.vue.download 159 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 148 Chambre introuvable, nom donné à la Chambre des députés élue en 1815, sa majorité ultraroyaliste étant plus forte que ne le souhaitait le roi lui-même. Les élections se déroulent les 14 et 21 août, dans un contexte de Terreur blanche et de désarroi de l’opinion. Les résultats sont inespérés pour les royalistes puisque les collèges électoraux de l’Empire, maintenus, ont élu 350 ultras (pour 402 sièges), parmi lesquels de nombreux membres de l’ancienne noblesse, des bourgeois magistrats ou de hauts fonctionnaires. Les nouveaux députés établissent une Terreur blanche légale : le 29 octobre 1815 est votée une loi de sûreté générale facilitant l’arrestation des suspects de complot contre l’État ; une loi contre les cris et écrits séditieux est adoptée le 9 novembre ; le 27 décembre sont organisées des juridictions d’exception, les cours prévôtales ; enfin, la loi d’amnistie du 2 janvier 1816 prononce des proscriptions en nombre. La Chambre refuse de voter le budget équilibré proposé par le ministre des Finances Corvetto car il prévoit d’indemniser les créanciers de l’État par la vente de bois domaniaux. Las des surenchères des ultras, Louis XVIII, sur les conseils de Decazes, ordonne, le 5 septembre 1816, la dissolution de la Chambre. Toutefois, la Chambre introuvable a contribué à l’élaboration du régime parlementaire en affirmant le droit des députés à amender un projet de loi et à soutenir un point de vue différant de celui du gouvernement. En 1824, une nouvelle Chambre à majorité ultraroyaliste est élue et appelée, en référence à 1815, la « Chambre retrouvée ». Champagne (comté de), principauté médiévale correspondant, approximativement, aux départements de l’Aube, de la Marne, de la Haute-Marne, de la Seine-et-Marne, et à une partie de la Meuse. À l’origine de sa formation se trouve Herbert II de Vermandois, qui profite, avec d’autres, de l’affaiblissement de l’autorité
carolingienne pour se constituer un vaste domaine : à ses biens, il ajoute, en peu de temps, l’archevêché de Reims (925) et la place forte de Laon (928), puissants bastions de la zone d’influence royale, ainsi que les comtés de Troyes, Meaux, Melun, Sens... Il occupe ainsi une position dominante au nord de la Seine. Partagée à sa mort, la principauté est reconstituée en 1023, au profit de la maison de Blois, par héritage. Très puissant, le comté de Blois et de Champagne, qui enserre le domaine royal, est cependant coupé en deux par ce dernier, ce qui rend les communications difficiles. Il souffre, en outre, de successions chaotiques aux XIe et XIIe siècles - pas moins de trois partages entre 1037 et 1152 -, même si son unité est finalement maintenue. Sans particularismes, la Champagne est, au XIe siècle, une principauté essentiellement rurale, en retard sur sa voisine flamande. Les villes, pour la plupart cités épiscopales, à l’instar de Reims et de Châlons, échappent au comte, et restent hors du mouvement communal. La seule ville comtale est Troyes. Pour accroître leur puissance, les comtes de Champagne multiplient les liens féodaux : nombreux suzerains (le roi, le duc de Bourgogne, l’archevêque de Reims, celui de Sens, et même l’empereur) ; nombreux vassaux, également, puisqu’en 1170 le comte Henri Ier le Libéral n’en compte pas moins de deux mille. • Une principauté riche, des princes influents. D’abord puissance territoriale et militaire, la Champagne devient également, à la fin du XIIe siècle, une puissance économique, avec le développement des foires. Tout au long du XIIIe siècle, des marchands italiens, flamands, allemands, anglais et espagnols négocient, à Troyes, Provins, Lagny et Bar-sur-Aube, le drap des villes du nord de la France. Signe tangible de la prospérité économique, le denier provinois est une monnaie forte. À la même époque, l’administration du comté prend forme, avec une chancellerie, une chambre et une cour judiciaires, les Grands Jours de Troyes. À la mort de Thibaud II de Champagne (Thibaud IV de Blois), en 1152, la principauté bléso-champenoise est définitivement séparée entre Champagne, pour Henri Ier le Libéral, et Blois, pour Thibaud V ; mais ce partage n’affecte pas la puissance champenoise. Les liens avec les Capétiens se resserrent en effet à partir de 1160 lorsque Adèle de Champagne, fille du comte Thibaud II, épouse le roi Louis VII. L’influence du clan champenois, avec les frères de la reine, le comte Henri Ier le Libéral, et l’archevêque de Reims Guillaume aux
Blanches Mains, est alors à son faîte. Philippe Auguste n’aura de cesse de secouer la tutelle de ses oncles en s’alliant à la Flandre. Cependant, cet apogée est suivi, entre 1201 et 1223, de la délicate minorité du comte Thibaud IV le Chansonnier : l’héritage champenois est revendiqué par ses cousines, mais Thibaud IV conserve son fief, grâce à la protection royale et à sa mère Blanche de Navarre. En 1234, il succède à son oncle maternel en tant que roi de Navarre, augmentant encore la puissance et le prestige de sa maison. • Dans le giron royal. Mais, à la mort du comte Henri III (Henri Ier de Navarre) en 1274, le roi de France Philippe III le Hardi réclame la garde de l’unique héritière, Jeanne, qui épouse Philippe le Bel en 1284. Louis X, fils de Philippe le Bel et de Jeanne de Navarre, hérite de sa mère la Navarre et la Champagne, qu’il réunit au domaine royal lors de son avènement, en 1314. En 1316, son frère Philippe V, faisant fi des droits de l’héritière (sa nièce), conserve la Champagne. La réunion de la Champagne n’est officiellement reconnue qu’en 1361, par un acte du roi Jean II le Bon. Champagne (foires de), marchés qui connaissent un grand rayonnement dans plusieurs villes de Champagne, aux XIIe et XIIIe siècles. Vers 1150 se met en place le cycle des six foires de Champagne qui se succèdent tout au long de l’année à Bar-sur-Aube et à Lagny, et deux fois l’an à Provins et à Troyes. Chacune de ces foires dure plusieurs semaines : des marchands venus de tous les pays vendent et achètent des produits textiles. Situées à un carrefour routier important, où se croisent les Flamands se dirigeant vers la Méditerranée et les Italiens remontant le Sillon rhodanien, elles se développent parallèlement à l’industrie drapière champenoise, sous la bienveillante protection des comtes de Champagne. Ceux-ci accordent, très habilement, de nombreux privilèges aux marchands, pour les attirer : des diminutions ou des exemptions de taxes ; le « conduit des marchands », qui les assure de la protection comtale pendant leur voyage ; la présence des « gardes de foires », qui veillent au bon déroulement des échanges commerciaux, etc. Ainsi, du milieu du XIIe siècle au début du XIVe, les foires de Champagne figurent au centre de l’activité commerciale de l’Occident. De véritables colonies de marchands flamands, italiens et méridionaux s’organisent
dans les quatre villes de foires, allant même jusqu’à élire des consuls et des capitaines, qui les représentent auprès des autorités et arbitrent les différends. Les Flamands vendent les produits de l’industrie drapière du Nord aux marchands languedociens, provençaux et italiens, qui apportent les tissus de soie et les épices venus d’Orient, ainsi que le vin français. Au XIIIe siècle, les foires de Champagne deviennent aussi une place internationale de change en relation avec toutes les autres places d’Europe, et les moyens de crédit élaborés par les Siennois et les Florentins y sont utilisés et diffusés. De multiples causes sont à l’origine de leur déclin au début du XIVe siècle. Vers 1300, la draperie italienne peut rivaliser avec celle de la Flandre, désormais évincée du marché anglais. Par ailleurs, les compagnies marchandes italiennes quittent la Champagne pour la ville de Paris, qui devient dès le XIIIe siècle une place commerciale de premier plan. De nouvelles routes transalpines - mais aussi maritimes - relient la Flandre à l’Italie et contournent la Champagne, dont les foires disparaissent alors que le commerce se sédentarise peu à peu. champart, redevance, proportionnelle à la récolte, due au seigneur foncier. Le champart est levé sur le champ - d’où son nom (campi pars) - avant tout autre prélèvement, qu’il s’agisse de la dîme ou des semences de l’année suivante. Sous des dénominations diverses (tasque, agrier, terrage), il est caractéristique, à l’époque médiévale, des tenures de défrichement sur lesquelles il est aisé d’imposer des redevances - substantielles, puisqu’elles oscillent entre le dixième et le quart de la récolte. Elles portent sur toutes les productions cultivées sur la tenure, de quelque nature qu’elles soient. En période de hausse des prix, le champart constitue un prélèvement qui présente une réelle valeur économique, et permet au seigneur de tirer un profit maximal de sa terre. En y recourant, il évite les inconvénients du cens (redevance annuelle, fixe, et en numéraire), dont la valeur réelle tend à décroître du fait de l’érosion monétaire. Il est souvent à même de stocker, et peut donc aussi intervenir sur le marché des produits agricoles, afin de tirer le meilleur parti de la récolte. Les monopoles de vente caractéristiques de la seigneurie territoriale lui permettent d’exploiter pleinement sa position dominante. L’efficacité économique du champart n’est garantie que
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DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 149 si la seigneurie est bien administrée, et si les exploitations paysannes sont surveillées de près. Dans le cas contraire, les nombreuses fraudes lui font perdre de son intérêt. Champ-de-Mars (fusillade du), répression sanglante opérée par la Garde nationale parisienne le 17 juillet 1791. Après la fuite du roi, le mouvement démocratique se renforce et devient républicain. À Paris, s’opposant à la bourgeoisie conservatrice qui domine la Constituante, le Club des cordeliers et le Cercle social réclament la mise en jugement du roi. Le 15 juillet, tandis que le Cercle social pétitionne en ce sens, la Constituante disculpe Louis XVI et le déclare inviolable, rendant illégale toute action républicaine. Le lendemain, le Club des jacobins lance à son tour une pétition prudente demandant l’abdication de Louis XVI et son remplacement. Cette pétition, qui provoque la scission du club entre feuillants et jacobins, est retirée le soir même, à l’annonce du décret rétablissant le roi sur le trône. Mais, le 17, à l’instigation des cordeliers, un nouveau texte favorable à la déchéance de Louis XVI est déposé sur l’autel de la Patrie au Champde-Mars, signé par plus de six mille Parisiens. L’Assemblée ayant ordonné de disperser le rassemblement, le maire, Bailly, proclame la loi martiale ; mais, tandis que la foule, pacifique, se retire lentement, la Garde nationale, commandée par La Fayette, ouvre le feu, faisant plus de cinquante morts et des centaines de blessés. Cette journée, qui rompt l’unité des révolutionnaires, ne donne qu’une victoire trompeuse aux conservateurs, qui croient avoir vaincu le mouvement populaire et en avoir terminé avec la Révolution. Champlain (Samuel de), explorateur, fondateur de Québec (Brouage, Saintonge, vers 1567 - Québec 1635). Né dans une famille de marins, probablement calviniste, il se rallie très vite à Henri IV et combat en 1593-1595 aux côtés de l’armée royale en Bretagne. Après plusieurs voyages d’exploration, nommé géographe du roi, il accompagne le marchand Dupont-Gravé au Canada, en 1603. À son retour, il publie Des sauvages, à la fois récit de voyage et plaidoyer
en faveur de la colonisation. Sensible à ses arguments, du Gua de Monts, gouverneur général de la Nouvelle-France, fait appel à lui pour créer un nouvel établissement. Il repart donc en 1604 et fonde Port-Royal, mais le roi, pressé par une nouvelle crise européenne, rappelle la colonie. En 1608, Champlain, nommé lieutenant par du Gua de Monts, explore toute la région du Saint-Laurent et fonde Québec le 3 juillet ; contrairement à son prédécesseur, Jacques Cartier, il assure la sécurité de sa colonie en passant des accords avec les Hurons et les Algonquins. Tandis qu’il cherche un passage pour rejoindre la Chine par le nord, il découvre la rivière Outaouais et fait le tour des Grands Lacs, contribuant à enrichir la connaissance de la géographie canadienne. Entre 1620 et 1629, il s’installe à Québec avec sa femme et travaille à l’enrichissement de « sa » colonie que, par sa ténacité, il sauve de l’invasion anglaise (traité de Saint-Germain-en-Laye, 1632). À sa mort, le 25 décembre 1635, la colonie compte 150 habitants. Cette étape canadienne marque le début de l’ère de la colonisation française en Amérique du Nord. Champollion (Jean-François), égyptologue (Figeac 1790 - Paris 1832). Le fondateur de l’égyptologie scientifique est d’abord un élève du lycée de Grenoble qui s’enflamme pour les langues anciennes, apprend le latin, le grec, l’hébreu, l’araméen, le syriaque, l’éthiopien, l’arabe, puis le copte. Il est encouragé par Joseph Fourier, mathématicien et préfet de l’Isère, mais surtout compagnon de Bonaparte en Égypte, ancien secrétaire général de l’Institut du Caire, et préfacier de la Description de l’Égypte. À 16 ans, Champollion présente un Essai de description géographique de l’Égypte avant la conquête de Cambyse à l’académie de Grenoble, qui l’élit comme correspondant. En 1807, à Paris, il suit des cours à l’École des langues orientales et au Collège de France, ébauche un dictionnaire et une grammaire coptes. En 1809, il revient à Grenoble comme professeur suppléant d’histoire à la faculté des lettres : il a moins de 20 ans. Il s’acharne à comparer les textes grecs, démotiques et hiéroglyphiques des fac-similés de la pierre de Rosette (découverte en 1799 dans le delta du Nil), puis de l’obélisque de Philae. Il accumule les hypothèses hasardeuses, puis comprend que les hiéroglyphes sont tout à la fois idéographiques, symboliques et pho-
nétiques. Des noms de souverains non égyptiens lui permettent d’esquisser un alphabet. Le 14 septembre 1822, le symbole du soleil (« ra », en copte), deux « s », un signe qui, décide-t-il, correspond au « m », lui livrent l’écriture du nom de Ramsès. Les hiéroglyphes mêlent bien idéogrammes et signes phonétiques. Dès le 27, il présente à l’Institut sa Lettre à M. Dacier relative à l’alphabet des hiéroglyphes phonétiques. Ce n’est qu’une esquisse et l’on conteste son antériorité et sa méthode, surtout en Angleterre, mais c’est le début du déchiffrement. Champollion prépare alors une grammaire et un dictionnaire (publiés après sa mort) et fait acheter la collection de Salt, ancien consul anglais à Alexandrie, fonds principal du musée égyptien du Louvre, dont il est nommé conservateur en 1826. De 1828 à 1830, il dirige une expédition scientifique en Égypte - où il ne s’était jamais rendu -, entre à l’Institut en 1830 et au Collège de France en 1831. Au-delà de ses travaux, des honneurs et de sa mort prématurée due à la tuberculose, il est pour la postérité une sorte de mythe, incarnant tout à la fois la volonté de savoir, le travail forcené, l’inspiration géniale, le goût de l’antique, l’exotisme oriental, l’esprit des Lumières. champs Catalauniques ! Catalauniques (champs) chancelier, titre porté par des auxiliaires de justice, puis par des dignitaires dont le rôle a varié selon les époques. Au Bas-Empire, le chancelier est un simple huissier, qui tire son nom du chancel, c’est-àdire de la barre du tribunal auprès de laquelle il se tient. La chancellerie, au sens d’une administration spécialisée dans la rédaction des actes officiels, existe, de manière embryonnaire, à l’époque mérovingienne. Elle est placée sous la responsabilité d’un officier laïc : le référendaire. À l’époque carolingienne, le terme de chancelier apparaît pour désigner le clerc de la chapelle royale qui s’occupe de rédiger les actes officiels. Depuis 877, les chanceliers sont sous l’autorité d’un archichancelier qui authentifie les actes grâce au sceau royal dont il a la garde. Jusqu’au XIe siècle, c’est le plus souvent l’archevêque de Reims qui porte ce titre, mais cette fonction est surtout honorifique. Il n’en va pas de même à partir du XIIe siècle, lors de la renaissance de la monarchie, qui s’accompagne d’un réveil des activités de
chancellerie. Le chancelier devient, avec le chambrier et le sénéchal, l’un de ses principaux officiers ; ainsi, Étienne de Garlande occupe une place éminente, de 1106 à 1127, sous le règne de Louis VI, et plus encore Hugues de Champfleury, de 1150 à 1172, sous celui de Louis VII. De Philippe Auguste (1180/1223) à Philippe le Bel (1285/1314), la fonction - jugée trop influente - est laissée vacante ; la chancellerie est alors confiée à un simple « garde du sceau », choisi parmi les clercs de la maison royale. Rétabli en 1315, le chancelier joue un rôle important dans le développement de la justice royale : il préside le parlement et prescrit l’enregistrement des ordonnances ; il dirige également le Conseil en l’absence du roi et représente celui-ci auprès des états généraux. Au-delà de la garde du sceau, le chancelier devient donc un « lieutenant du roi » dans les affaires du royaume, d’autant plus puissant qu’il est nommé à vie. L’action d’un Pierre Séguier, garde des Sceaux (1633), puis chancelier (1635), illustre l’importance du rôle qu’il exerce dans le gouvernement et l’administration. Mais, à partir du gouvernement personnel de Louis XIV, le pouvoir du chancelier est réduit et se cantonne à l’administration de la justice, où s’illustreront néanmoins quelques personnalités marquantes du XVIIIe siècle, tels Henri François d’Aguesseau et René Nicolas de Maupeou, qui fut le dernier à porter ce titre, de 1768 à 1774. Changarnier (Nicolas Anne Théodule), général et homme politique (Autun, Saône-etLoire, 1793 - Paris 1877). Sorti de Saint-Cyr en 1815, Changarnier prend part en 1823 à l’expédition d’Espagne, et s’illustre en Algérie, surtout lors de l’expédition des Portes-de-Fer, et pendant la retraite de Constantine, en 1836. En 1843, il devient lieutenant général et, en 1847, commandant de la division d’Alger. Lorsque la révolution de février 1848 éclate, il propose un coup de force aux ducs de Nemours et d’Aumale, fils de Louis-Philippe. En vain. Changarnier offre alors ses services à la République, qui le nomme gouverneur de l’Algérie, à la suite de Cavaignac. Élu député de la Seine en juin 1848, il soutient d’abord la politique du prince-président, mais il se rallie rapidement downloadModeText.vue.download 161 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 150
aux royalistes. Commandant de la Garde nationale et des troupes de Paris, il mate l’insurrection du 13 juin 1849. Mais Louis Napoléon Bonaparte se méfie de lui : il lui enlève son double commandement le 9 janvier 1851, et le fait arrêter, avec les principaux opposants, lors du coup d’État du 2 décembre. Déporté en Belgique, il rentre en France en 1859, à la faveur de l’amnistie. Pendant la guerre de 1870, il sert à Metz sous les ordres de Bazaine, et participe aux négociations qui précèdent la capitulation. Prisonnier de guerre, puis libéré, il est élu député en 1871, dans les rangs royalistes. Il contribue au renversement de Thiers en 1873, vote contre les lois constitutionnelles républicaines en 1875, année où il est élu sénateur. À sa mort, il aura droit à des obsèques nationales. chanson de geste, principale manifestation du genre épique au Moyen Âge. Ainsi que son nom l’indique, elle se présente comme l’union d’une forme (« chanson ») et d’une thématique (« geste », au sens latin de « faits mémorables », « exploits »). Son sujet de prédilection est la prouesse guerrière accomplie par un héros qui met une force et un courage extraordinaires au service d’une cause qui le dépasse : Dieu, le droit, ou l’honneur familial. Selon une répartition conventionnelle, très manichéenne, les « preux » affrontent les « félons » en une suite de combats qui s’écartent nécessairement de la vraisemblance. C’est que le genre implique aussi le grossissement des effets (« l’exagération épique ») en raison de son mode de diffusion. • De l’oralité à la littérature. Les chansons de geste sont psalmodiées par un jongleur, professionnel du spectacle qui s’accompagnait probablement à la vielle et qui doit, sans se soucier de nuances psychologiques ou de réalisme, captiver un auditoire changeant à l’occasion de quelque manifestation publique (assemblée seigneuriale, foire, fête d’un saint patron, etc.). Elles sont divisées en « laisses », groupes de vers homogènes sur le plan du contenu et de l’expression, et unies phoniquement par le retour d’une même « assonance ». À l’instar des chansons populaires, certaines laisses répètent en leur début la fin de la précédente ou reprennent d’une manière à peine différente ce qui vient d’être chanté tandis que d’autres, qui marquent une pause dans la narration, constituent de véritables incantations lyriques (par exemple, en célébrant
la mort de grands personnages, tels Roland, Olivier ou Vivien) ; toutes sont émaillées de « formules », facilités mnémotechniques pour le jongleur et points de repère pour le public. Si les chansons de geste laissent apparaître de nombreuses traces d’oralité, leurs textes comportent diverses marques savantes ; aussi s’est-on beaucoup querellé quant à leur origine. On admet aujourd’hui qu’elles ont pris d’abord la forme d’oeuvres orales collectives, nées d’un événement marquant. Peu à peu transformées, de remaniement involontaire en reconstitution consciente, elles se sont enrichies d’une génération à l’autre. Grâce à des circonstances historiques favorables, un auteur cultivé a fini par fixer cette matière mouvante et hétérogène, lui donnant une forme artistique. • Les différents cycles. Ainsi, le climat de guerre sainte engendré par la première croisade explique en grande partie l’apparition, vers 1100, de la première chanson de geste française connue et constituée comme telle, la Chanson de Roland, suivie de nombreuses autres, organisées en « cycles » au fil du temps. En effet, le succès d’une oeuvre est parfois tel qu’il suscite des textes nouveaux, qui dotent le protagoniste d’aventures originales, développent certains épisodes ou inventent l’histoire de personnages annexes. C’est ainsi que les chansons de geste françaises se répartissent en trois groupes. D’abord, le « cycle du roi », dominé par la figure de Charlemagne et inauguré par la Chanson de Roland : il comprend des oeuvres d’époques différentes relatant la jeunesse de Charlemagne (Mainet, XIIe siècle ; Berte au Grand Pied, XIIIe siècle), son âge mûr (le Pèlerinage de Charlemagne, entre 1125 et 1150 ; Aspremont, Fiérabras, Aiquin, XIIe siècle) et sa vieillesse (Huon de Bordeaux, entre 1261 et 1268). Puis le « cycle de Garin de Monglane », construit autour de Guillaume d’Orange, cousin de Charlemagne, qui s’ouvre sur la Chanson de Guillaume (fixée vers 1140) et contient plusieurs chefsd’oeuvre comme le Couronnement de Louis (avant 1150), le Charroi de Nîmes et la Prise d’Orange (milieu du XIIe siècle). Enfin, le « cycle de Doon de Mayence », qui, fort d’une soixantaine de chansons, manque un peu de cohérence et ne comporte que deux grands textes, Raoul de Cambrai (avant 1160) et Renaud de Montauban (fin XIIe-début XIIIe siècle). Sur le plan de la création, les chansons de geste, en tant que telles, n’auront guère
de postérité : c’est plutôt une légende rolandienne diffuse qui inspirera les romantiques français, tels Vigny (« le Cor », Poèmes antiques et modernes) et surtout Hugo (la Légende des siècles). Chanson de Roland (la), chanson de geste qui, aux alentours de 1100, marque le véritable début de la littérature française. La Chanson de Roland s’inspire d’un événement supposé réel. Au printemps 778, Charlemagne répond à l’appel de Sulayman ibn al-Arabi, chef musulman révolté contre l’émir de Cordoue, et assiège vainement Saragosse. Au retour, le 15 août 778, son arrière-garde tombe sous les coups de Basques ou de Gascons avides de butin. Un certain Roland, « comte de la Marche de Bretagne », trouve la mort dans la bataille. Telle est la trame de la Chanson de Roland. Si l’existence même de ces faits paraît probable, les documents qui permettent de les reconstituer sont à considérer avec prudence. En effet, avant 778, divers textes présentent déjà la même structure : passage de Francs en Espagne à l’appel d’autochtones ; échec devant Saragosse ; départ en échange de présents ; embuscade dans les Pyrénées. Grégoire de Tours et Isidore de Séville, qui narrent l’un et l’autre l’expédition de Childebert et Clotaire (542), adoptent une trame similaire. Peut-être l’histoire se répète-t-elle ; mais sans doute, aussi, les historiographes se copient-ils en faisant varier quelques circonstances pour illustrer les hauts faits d’un souverain. Or, les visées panégyriques des chroniqueurs carolingiens ne laissent guère de doute. Par conséquent, si la Chanson se fonde autant sur une tradition discursive que sur un événement réel, la véritable portée historique du texte est à chercher surtout dans les circonstances de sa composition. D’abord, dans l’atmosphère de guerre sainte engendrée par la première croisade, prêchée en 1095 par Urbain II, et qui explique en grande partie la présentation manichéenne des « païens » et des chrétiens. Ensuite, dans l’idéologie qui s’affirme tout au long du texte, la haine du Sarrasin inspirant et justifiant des valeurs et des rapports de pouvoir typiques de la féodalité. Tout porte à croire qu’un homme de génie (Turold ?) s’est emparé d’une légende fondée sur un événement frappant pour les esprits, qui s’est transmise oralement et s’est peu à peu déformée et enrichie. Mais, s’il la fixe justement vers 1100, c’est qu’il est porté par
des circonstances politiques et idéologiques favorables. Si la Chanson, hormis des qualités littéraires intrinsèques irréductibles à la seule analyse des contextes, reste un témoignage historique essentiel, c’est moins en ce qu’elle relate un événement que dans la mesure où elle révèle les influences idéologiques caractéristiques de l’aube du XIIe siècle. Chantiers de jeunesse, groupements de jeunesse créés par le général de La Porte du Theil en juillet 1940 et destinés à occuper les jeunes Français de la zone libre soustraits au service militaire par la signature de l’armistice. Dans le cadre de stages d’une durée de huit mois, rendus obligatoires à partir de janvier 1941, les Chantiers de jeunesse privilégient la vie au grand air et les exercices physiques, sans armes. Le travail - travaux forestiers, restauration de bâtiments... - se veut éducatif. L’organisation en équipes et la tenue de veillées visent à favoriser le sens de la communauté. Une formation civique et morale complète le dispositif. En pratique, les Chantiers servent surtout à fournir du charbon de bois à une France victime de la pénurie. Lorsque le Service du travail obligatoire (STO) est mis en place en 1943, les jeunes des Chantiers deviennent des recrues toutes désignées pour les Allemands à la recherche de main-d’oeuvre. Présentés par leurs plus farouches partisans comme une armée de remplacement préparant en secret la libération du pays, les Chantiers de jeunesse apparaissent plutôt comme une des principales courroies de transmission du régime de Vichy. La mystique d’une jeunesse régénérée, l’usage intensif d’une propagande maréchaliste, rejoignent les préoccupations de dignitaires soucieux de mettre en place un ordre nouveau. Toutefois, s’ils ont parfois suscité l’admiration, les Chantiers se sont assez vite heurtés à l’apathie, voire à l’hostilité, de jeunes de plus en plus nombreux à rejoindre le maquis après 1941. Quant aux Allemands, ils ont longtemps considéré les Chantiers comme d’inoffensifs lieux de travail forcé. Mais, lorsque La Porte du Theil manidownloadModeText.vue.download 162 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 151 feste une hostilité trop affichée à leur égard, ils forcent Laval à le démettre. À la fois désorganisés et devenus trop encombrants pour
l’ennemi, les Chantiers sont dissous en juillet 1944, laissant la trace d’une « institution emblématique » (selon l’historien Jean-Pierre Azéma) de la période vichyste. Chaptal (Jean Antoine), comte de Chanteloup, chimiste, industriel et homme politique (Nojaret, Lozère, 1756 - Paris 1832). Fils d’un petit propriétaire, docteur en médecine, titulaire en 1780 de la première chaire de chimie de la faculté de médecine de Montpellier, Chaptal est avant tout un entrepreneur et un expérimentateur dynamique. Son aisance financière lui permet de fonder une fabrique d’acides et d’alun artificiel qu’il vend à l’industrie textile languedocienne et espagnole. Sous la Révolution, il mène une carrière administrative. S’il est inquiété en 1793 comme fédéraliste, la protection de Berthollet lui vaut en 1794 d’être nommé inspecteur des poudres et salpêtres du Midi, puis directeur d’une poudrerie parisienne. Il reprend dès 1795 ses activités professorale et manufacturière à Montpellier, puis, en 1798, s’installe à Paris, où il ouvre une seconde fabrique, enseigne la chimie à l’École polytechnique et est élu membre de l’Institut. Nommé conseiller d’État par Bonaparte, il devient son ministre de l’Intérieur (distinct de la Police) en novembre 1800. Il supervise la réorganisation administrative de la France et la réalisation de nombreuses enquêtes départementales (dont la statistique des préfets), mais ses compétences s’exercent surtout dans les domaines économique et sanitaire. Il réactive chambres et tribunaux de commerce, dirige le cadastre national, fait bonifier les marais du Cotentin, améliore l’élevage par l’importation de races étrangères, la création de haras et de deux écoles vétérinaires. Promoteur de l’enseignement technique au travers des écoles d’arts et métiers, il soutient le développement industriel en organisant une exposition à Paris en 1801 et en fondant la Société d’encouragement à l’industrie nationale, qu’il préside. Il modernise le fonctionnement des écoles de pharmacie, des hôpitaux et des prisons, institue une école d’accouchements (pour former les sages-femmes). Sénateur après sa démission en juillet 1804, il fait prospérer ses activités industrielles : création de deux nouvelles fabriques, application de la chimie à la vinification - la « chaptalisation » est l’accélération de la fermentation du raisin par ajout de sucre - et à la production du sucre de betterave. Éphémère ministre d’État
(à l’Agriculture, au Commerce et à l’Industrie) pendant les Cent-Jours, pair de France en 1815, il siège à la Chambre des pairs sous la Restauration et achève sa vie dans une modeste aisance après que la faillite de son fils en 1823 eut compromis sa fortune. La volonté de renouveler les savoir-faire traditionnels par la diffusion des connaissances scientifiques traverse ses écrits, tels Éléments de chimie (1790), Chimie appliquée aux arts (1807), De l’industrie française (1819), Chimie appliquée à l’agriculture (1823). charbonnerie, ensemble de sociétés secrètes politiques (d’inspiration libérale, bonapartiste, républicaine ou révolutionnaire) en lutte contre la Restauration. Issus de sociétés secrètes forestières - attestées au XVIIIe siècle en Bourgogne et en FrancheComté -, influencés par les modèles de la franc-maçonnerie et des « Illuminés de Bavière », les « bons cousins charbonniers » empruntent aux carbonari italiens de Filippo Buonarroti (en lutte pour l’unité, l’indépendance et la liberté de la Péninsule) leur organisation en ventes - groupes restreints et fragmentés de militants unis par des serments rigoureux - et en grades - apprenti, maître -, ainsi que des méthodes de clandestinité auxquelles les contraignent l’interdiction de l’association politique (art. 291 du Code pénal) et des projets de conspiration ou d’insurrection. À la suite du retour des ultraroyalistes au pouvoir (1820), la charbonnerie connaît un nouvel essor, sous la direction d’une vente suprême comprenant La Fayette, Voyer d’Argenson, Manuel, Barthe, Mérilhou ; elle recrute parmi les étudiants (Buchez, Bazard), les militaires et les classes moyennes urbaines. En 1821-1822, ses tentatives d’insurrections (le colonel Caron, à Colmar ; le général Berton, à Saumur) échouent. La répression s’abat contre ses membres : les quatre sergents de La Rochelle liés au complot du général Berton sont guillotinés, à Paris, en septembre 1822. Coupée des masses populaires, absente du jeu parlementaire, la charbonnerie disparaît de la culture politique française après 1830. Charcot (Jean Martin), fondateur de la neurologie moderne et clinicien (Paris 1825 - près du lac des Settons, Nièvre, 1893). Interne en 1848 et chef de clinique en 1853, Charcot se consacre très tôt à la physiologie et à l’anatomie pathologique. Toute sa
carrière se déroule à l’hôpital parisien de la Salpêtrière. En 1860, il est reçu à l’agrégation. À partir de 1866, Français et étrangers affluent pour assister à ses prestigieuses « leçons de clinique neurologique », où il éclaire d’un jour nouveau les maladies du système nerveux et met en évidence le phénomène des localisations cérébrales. Il fonde la très renommée « école de la Salpêtrière ». D’éminentes personnalités - l’empereur du Brésil, la reine d’Espagne ou les grands-ducs de Russie - viennent le consulter. Ses travaux sur les arthropathies liées à l’ataxie locomotrice progressive (1868), sur les localisations dans les maladies du cerveau et de la moelle épinière (1876-1880), ses recherches sur les amyotrophies primitives ou spinales et sur la sclérose latérale amyotrophique (maladie de Charcot), jusqu’alors confondues sous le nom d’« atrophie musculaire », complètent les recherches pionnières de Duchenne de Boulogne, auquel il ne cesse de rendre hommage. Il est le premier à décrire la destruction des ligaments dans la maladie dite « de Charcot-Marie ». De ces affections, il donne une classification restée classique. De même, il éclaire la confusion des diverses maladies nerveuses rangées sous la dénomination d’« hystérie ». Ses travaux sur l’aphasie et l’hypnotisme intéressent les philosophes, et jusqu’à Freud qui vient spécialement à Paris pour suivre son enseignement. Charette de la Contrie (François Athanase de), chef vendéen (Couffé, Maineet-Loire, 1763 - Nantes 1796). Ancien officier de marine, appartenant à une famille de la vieille noblesse, il rompt la vie paisible qu’il menait dans le Marais breton, au sud de Nantes, au début de la Révolution, pour protester contre les changements politiques. Émigré un temps, puis revenu sur ses terres, il est contraint par les ruraux insurgés à prendre la tête d’une de leurs bandes en mars 1793. Remarqué pour ses capacités de meneur d’hommes, il n’est pas pour autant reconnu à sa juste valeur par l’état-major de l’armée d’Anjou. En 1793, il obtient d’ailleurs peu de succès, les généraux républicains Boulard et Beysser gardant le contrôle de la côte atlantique. Il joue les seconds rôles lors du siège de Nantes (29-30 juin), participe à plusieurs offensives générales, et finit par prendre ses distances par rapport à l’armée d’Anjou, dirigée par d’Elbée. Même s’il se bat à Torfou en septembre, il ne se trouve pas à Cholet en octobre ; il s’empare, pour quelques mois, de l’île de Noirmoutier.
C’est en 1794 qu’il s’impose : seul général important à tenir le pays nantais et le haut bocage vendéen, il est d’abord poursuivi par les troupes de Turreau, auxquelles il échappe brillamment, avant de leur infliger des revers. L’abandon des « colonnes infernales » le laisse maître d’un territoire qu’il dirige avec une hiérarchie militaire, entouré d’une « cour » qui lui forge une réputation durable de séducteur. Sa puissance est reconnue en 1795, lorsque l’État signe avec lui le traité de paix de La Jaunaie (17 février), qui accorde à la Vendée des conditions exceptionnelles : liberté religieuse, remboursement des dettes, maintien de ses troupes. La fragilité de ce compromis et le débarquement de Quiberon le lancent à nouveau dans la guerre, alors que le roi, depuis son lieu d’exil, le nomme lieutenant général du royaume. Mais, isolé (il a fait fusiller un général vendéen, Marigny, et se trouve en concurrence vive avec Stofflet, l’autre chef vendéen), non soutenu par le comte d’Artois, il est abandonné peu à peu par ses troupes, dispersées par l’action pacificatrice de Hoche. Blessé, capturé non loin d’Angers, il est fusillé à Nantes, le 29 mars 1796. La postérité retiendra son panache, sa liberté d’allure, son habileté manoeuvrière, sans que sa forte personnalité ait fait l’unanimité dans son propre camp. L’un de ses neveux, Athanase de Charette, jouera par la suite un rôle essentiel dans la défense des États du pape ; il sera l’un des piliers du légitimisme en France. charité (ateliers de) ! ateliers de charité charivari, à la fin du Moyen Âge, tumulte rituel organisé par l’entourage d’un veuf ou d’une veuve qui se remarie. Aux XIVe et XVe siècles, peu avant le mariage de l’un d’eux, ses parents, amis et voisins downloadModeText.vue.download 163 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 152 rassemblés imitent des cris d’animaux et dansent sous ses fenêtres en criant des chansons parfois obscènes. Cet étrange concert de bruits discordants est une sévère critique émise par la société - en particulier les plus jeunes - à l’égard des couples mal assortis et des conjoints qu’une grande différence d’âge
sépare. Mais, selon des études historiques récentes, ce rituel a aussi pour but d’annuler symboliquement le premier mariage de l’un des conjoints. Après le charivari, qui se déroule généralement le jour des fiançailles ou le lendemain, on considère que le veuf (ou la veuve) est, en quelque sorte, revenu(e) dans le monde des célibataires, et le remariage peut alors être célébré. À la fin du Moyen Âge, les autorités ecclésiastiques condamnent - sans pouvoir l’empêcher - le charivari, parce qu’il tourne en dérision le sacrement du mariage, même s’il apparaît comme un moyen populaire de respecter la monogamie imposée par l’Église. Dans certaines régions, on continue à accompagner les cortèges de noces de bruits de casseroles et autres chahuts, qui représentent un lointain héritage du charivari, rituel vidé de son sens depuis la fin du Moyen Âge. Charivari (le), journal du XIXe siècle, fleuron de la presse politique et satirique illustrée sous la monarchie de Juillet. Fondé en décembre 1832 par Charles Philipon, le Charivari, qui recourt aux ressources nouvelles de la lithographie, est le premier quotidien illustré de l’histoire de la presse française. Journal d’opposition républicaine mettant la caricature au service de la satire politique, il exerce sa verve féroce contre le régime de Louis-Philippe ; de multiples procès en sont la rançon. En 1835, les lois de septembre restreignant la liberté de la presse le contraignent à une plus grande modération ; il s’oriente alors vers la satire des moeurs, en accentuant sa dimension artistique. En dépit d’un tirage modeste (jamais plus de 3 000 exemplaires) et de l’hostilité du régime de Juillet, puis du Second Empire, il connaît un succès considérable pendant un demi-siècle. Si le titre survit encore au début du siècle suivant, le journal disparaît en fait en 1893. Il doit son succès à l’esprit et à l’audace d’une pléiade de talents, rédacteurs comme Desnoyers ou Altaroche, dessinateurs comme Grandville, Gavarni, Traviès ou Cham, mais surtout au génie de Daumier, le plus grand des caricaturistes de son époque, qui collabore au journal jusqu’à sa mort (1879). Les silhouettes de ses personnages, en particulier Robert Macaire (série parue de 1836 à 1838) et le célèbre Ratapoil, qu’il créé en 1850, ont durablement marqué les mémoires, au point que le Charivari, en définitive, s’identifie à lui.
l CHARLEMAGNE. Charlemagne, second roi (768-814) de la dynastie carolingienne, conduisit celle-ci au faîte de son pouvoir. Ses nombreuses conquêtes firent de lui le souverain le plus puissant d’Occident, le seul capable d’y restaurer, par le couronnement du 25 décembre 800, un Empire disparu depuis 476. Convaincu que les dignités royale et impériale lui avaient été conférées par Dieu lui-même, il gouverna dans le dessein d’assurer à la société chrétienne qui lui était confiée l’ordre, la paix et la prospérité, qui devaient le mieux la préparer à son salut dans l’autre monde. Fils de Pépin III dit « le Bref » et de la reine Bertrade, Charles (qui sera par la suite nommé Carolus magnus, Charlemagne) est né en 742 ou 747. Mais, pour les historiens, sa vie publique commence au printemps 754, quand lui-même et son jeune frère Carloman sont sacrés rois par le pape Étienne II en l’abbatiale de Saint-Denis, en même temps que leur père. Cette association précoce des deux héritiers à la fonction royale doit assurer la pérennité dynastique des Carolingiens, parvenus à la royauté franque grâce au coup d’État perpétré par Pépin III en 751, au détriment du dernier Mérovingien. C’est donc en toute légitimité qu’en 768, à la mort de leur père, ils s’en partagent l’héritage : Charles reçoit un vaste territoire, en forme de croissant, qui s’étire des côtes aquitaines jusqu’à la Germanie en passant par l’essentiel de la Neustrie et de l’Austrasie, ancien noyau de la puissance familiale ; Carloman obtient, quant à lui, la Gaule centrale et méridionale. Sa mort précoce en 771 permet à Charles de revendiquer la plénitude de l’héritage paternel, en bousculant les droits légitimes de son neveu Pépin. Devenu seul roi des Francs, il va s’attacher à achever l’oeuvre d’unification territoriale et politique de la Gaule et de la Germanie engagée par ses prédécesseurs. Mais il va aussi en dépasser les limites : à l’intérieur, par une véritable entreprise de normalisation de la société franque ; à l’extérieur, par une politique de conquêtes, qui, à la fin du VIIIe siècle, fera de lui le souverain le plus puissant d’Europe, et légitimera la restauration à son avantage d’un Empire en Occident. CONQUÊTES Conformément à la tradition franque, Charlemagne utilise comme instrument principal de sa politique d’expansion l’armée de tous
les hommes libres, levée chaque printemps. Mais la conscription change de caractère. Si la contribution de tous reste en principe exigée (sous forme de tâches de défense territoriale ou de fournitures de vivres et d’équipements), des restrictions interviennent de plus en plus souvent en vertu de critères géographiques (seuls partent les habitants des contrées les plus proches des futurs champs d’opération) ou socio-économiques (seuls sont appelés les hommes en mesure de se doter d’un armement de qualité, éventuellement d’un cheval - ce qui montre le progressif glissement vers une armée aristocratique). En outre, Charlemagne multiplie le nombre de ses vassaux directs (les vassi dominici), mobilisables à tout moment, auprès desquels il recrute ses troupes d’élite. Il peut ainsi se lancer dans des campagnes répétées, sur des terrains parfois très éloignés les uns des autres, et assurer le suivi des opérations par le maintien de troupes d’occupation, par la constitution de glacis défensifs et par la transformation en marches (à caractère militaire renforcé) des comtés situés sur les frontières les plus vulnérables. Fort de ces moyens, Charles peut multiplier les campagnes de pacification en Gaule (par exemple, en Aquitaine) et en Germanie (par exemple, en Bavière), éliminant toute trace d’autonomie régionale par l’uniformisation de l’institution comtale, toujours confiée à des fidèles. Il entend également soumettre les Saxons, dernier peuple de Germanie continentale demeuré indépendant, avec lequel le règlement d’une paix négociée et durable est rendu difficile en raison de l’absence d’une royauté saxonne unitaire. À la soumission partielle répond souvent le soulèvement, au soulèvement la répression (des milliers d’exécutions - comme à Verden en 782 - ou de déportations), et à la répression la révolte généralisée, en un cycle infernal qui contraint Charles à partir en campagne presque chaque année entre 772 et 799, avant de se montrer capable d’imposer par voie de capitulaires une paix durable, fondée sur l’intégration institutionnelle de la Saxe dans le royaume des Francs. Par deux opérations conduites en 795 et 796, dont il revient chargé d’un très précieux butin, il détruit le khanat des Avars, peuple venu des steppes qui s’est installé dans la plaine de Pannonie et qui, par ses incursions menées le long de la vallée du Danube, menace la Bavière. Pour la protéger durablement, il constitue le no man’s land en une Ostmark,
ou Marche de l’Est, à l’origine de l’Österreich (Autriche). Le roi franc n’hésite pas à lancer ses troupes dans des expéditions plus lointaines. D’abord en Italie, où l’appelle le pape Adrien, inquiet de la prise de Ravenne et des territoires les plus septentrionaux du patrimoine de saint Pierre par les Lombards. Après avoir longuement assiégé le roi Didier dans sa capitale de Pavie, Charles obtient sa capitulation et se pare du titre de roi des Lombards (774), créant un régime d’union personnelle entre les deux royautés, même si, à terme, il va envoyer en Italie un nombre toujours croissant de fonctionnaires francs et y déléguer comme roi son fils Pépin. C’est également une sollicitation extérieure, venue de gouverneurs musulmans de l’Espagne du Nord soulevés contre l’émir omeyyade de Cordoue, qui conduit Charles à franchir les Pyrénées en 778. Mais il échoue finalement devant Saragosse et décide la retraite, qui donne lieu au massacre de son arrière-garde par les montagnards basques au passage de Roncevaux. Il faut attendre le début du IXe siècle pour que son fils Louis, roi délégué en Aquitaine, enlève Barcelone et parvienne à créer en Catalogne un comté franc, bientôt transformé en Marche d’Espagne. Ainsi, dans les toutes premières années du IXe siècle, le pouvoir de Charles s’étend quasiment de l’Elbe à l’Èbre, du nord de la Neustrie aux portes de Rome, de la Marche de Bretagne (face à la quasi irréductible Armorique) au Tyrol. Le roi des Francs et des Lombards est alors le souverain le plus puissant d’Occident ; son autorité rayonne jusque sur les royautés chrétiennes qui demeurent hors de son contrôle (dans les îles Britanniques downloadModeText.vue.download 164 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 153 et dans le nord de l’Espagne) ; elle est même reconnue par le lointain calife de Bagdad, avec lequel il échange cadeaux et ambassades. Comment s’étonner, dès lors, qu’ait germé dans l’esprit des hommes les plus cultivés de son temps l’idée de restaurer un Empire d’Occident disparu depuis la déposition de l’empereur Romulus Augustule en 476, dans son palais de Ravenne ? L’EMPIRE
Éginhard, biographe de Charlemagne, nous en a laissé un portrait précis : ce colosse de haute taille (1,90 mètre), au corps bien proportionné, dégageait une forte impression d’autorité et de dignité, portait les cheveux courts et la moustache tombante (si du moins l’on se réfère à sa silhouette reproduite en série sur les monnaies), mais pas la barbe que lui attribuent la Chanson de Roland et la tradition iconographique occidentale. Élevé dans la langue germanique et ayant peu fréquenté les livres dans son enfance - il eut toute sa vie du mal à lire et à écrire -, il recherche, adulte, la compagnie de gens cultivés et se plaît à écouter leur lecture des ouvrages savants - en particulier la Cité de Dieu de saint Augustin -, qui le dotent d’un solide fonds de culture et imprègnent son idéologie politique et sociale. Lui qui a longtemps mené, comme ses prédécesseurs, une vie de semi-nomadisme (de palais en fisc, et de résidence rurale en monastère) décide, en 794, de fixer sa capitale à Aix, dans un site de la haute Ardenne cerné par des forêts giboyeuses, qui avait abrité une station thermale romaine. Il y fait construire un ensemble palatial doté d’une grande aula de réception et d’un vaste oratoire à plan centré (la Chapelle), dont les sources d’inspiration se trouvent en particulier à Constantinople, Rome et Ravenne, trois villes tellement marquées par la référence impériale qu’on peut se demander si le programme de restauration de l’Empire n’était pas déjà inscrit dans le projet architectural de 794. Charles y fixe autour de lui, dans ce qu’il est convenu d’appeler l’Académie palatine, les plus beaux fleurons de la pensée chrétienne occidentale, qu’ils soient d’origine lombarde (tel Paul Warnefried, dit le Diacre), wisigothique (tel Théodulfe), irlandaise (tel Dicuil) ou anglo-saxonne (tel Alcuin, naguère écolâtre de la cathédrale d’York, devenu bientôt le conseiller le plus écouté). Ce sont ces hommes, parmi lesquels les Francs sont encore très minoritaires, qui ont inspiré le programme politique de Charles et ont sans doute, les premiers, envisagé la restauration impériale. Des circonstances extérieures ont facilité la concrétisation de cette ambition. En effet, bien que l’Empire byzantin exprime en toute légitimité la continuité institutionnelle de l’ancien Empire romain d’Orient (devenu en 476 l’Empire romain tout court), il n’y a plus à proprement parler d’empereur à Byzance, depuis qu’en 797 l’impératrice mère Irène a fait déposer son fils Constantin VI et assure
seule le gouvernement de l’Empire. En outre, il semble qu’à Rome aussi, en tout cas dans l’entourage du nouveau pape Léon III, on songe à la possibilité d’une rénovation impériale : ainsi, une mosaïque du palais du Latran montre Charles et Léon agenouillés au pied de saint Pierre dans une position strictement symétrique de celle représentant Constantin, le premier empereur chrétien, et son contemporain le pape Sylvestre agenouillés au pied du Christ. Or, en 799, Léon III, qui a été renversé par une révolution de palais fomentée par l’aristocratie romaine, vient à Paderborn implorer le secours de Charles, alors occupé à l’une de ses dernières campagnes saxonnes. C’est peut-être à cette occasion qu’est négociée entre les deux hommes la restauration de l’Empire : sacrer Charles empereur redonnerait à Léon prestige et autorité, en même temps que le titre impérial donnerait à Charles les moyens juridiques d’intervenir à Rome pour y restaurer l’autorité pontificale. La convergence de ces deux aspirations a sans doute conduit à ce double geste politique : à l’automne 800, Charles, venu en Italie avec son armée et une cohorte d’évêques, réunit d’abord un concile dans la basilique Saint-Pierre du mont Vatican pour réinstaller solennellement Léon III sur son siège le 23 décembre ; le jour de Noël, dans la même basilique (c’est-à-dire sur le tombeau de Pierre, garant de la volonté divine), Charles est couronné empereur par Léon, puis acclamé par l’assistance, suivant un rituel d’intronisation inspiré du rituel byzantin, mais inversé, puisque à Byzance l’acclamation aurait précédé le couronnement. Quoi qu’il en soit, les Orientaux s’indignent de ce qui n’est pour eux qu’une usurpation : il faut la menace d’une guerre en Dalmatie, aux confins de l’Italie carolingienne et de l’Empire byzantin, pour que le titre impérial de Charles soit reconnu en 812 par Michel Ier, deuxième successeur d’Irène. Au lendemain de la cérémonie, Charles s’intitule désormais, dans les actes de sa chancellerie, « Charles, sérénissime auguste, couronné par Dieu, grand et pacifique empereur gouvernant l’Empire romain, par la grâce de Dieu roi des Francs et des Lombards ». Assurément, le titre impérial donne plus de gravité à sa fonction et à sa politique : plus que jamais, Charles se considère comme le fondé de pouvoir de Dieu pour contrôler les destinées du peuple chrétien qui lui a été confié. LA MISE EN ORDRE DE LA SOCIÉTÉ Dès son avènement, Charles s’est en effet
senti investi d’une mission - inscrite dans le rituel même de l’onction royale avant d’être solennellement confirmée par le couronnement impérial : assurer la paix, la prospérité et surtout l’ordre de la société, un ordre considéré comme providentiel et qui doit préfigurer l’harmonie céleste. Toute sa législation exprime ce souci, manifeste par exemple dans l’Admonitio generalis (« Avertissement général ») de 789, véritable loi-cadre destinée à promouvoir la réforme de l’Église et de la société, ou dans les dispositions prises à l’occasion de l’Assemblée des grands de 802. Pour assurer la cohésion de ses États et l’efficacité de sa politique, Charlemagne a besoin d’une administration solide. Le palais, où les grands de l’aristocratie franque envoient leurs fils, abrite une véritable école de « cadres », dans laquelle Charles recrute ses futurs comtes et évêques. Ceux-ci, exclusivement nommés par le souverain, sont considérés, au même titre que ceux-là, comme des fonctionnaires : les évêques représentent localement le pouvoir en matière spirituelle et ecclésiastique, comme les comtes le représentent en matière civile et militaire. Pour mieux les contrôler, Charles institue les missi dominici, brigades de deux inspecteurs (un comte et un évêque) chargés de surveiller la gestion et la discipline des uns et des autres et de recueillir les éventuelles plaintes. Mais cela pouvait-il suffire à maîtriser un aussi vaste royaume ? Afin de renforcer sa mainmise sur l’ensemble de ses sujets libres, Charles leur impose à plusieurs reprises (786, 792, 802) la prestation d’un serment de fidélité, au contenu renouvelé de manière chaque fois plus positive. Non seulement il multiplie le nombre des vassi dominici, choisis éventuellement parmi la petite aristocratie, mais il cherche à intégrer autoritairement dans une pyramide d’engagements de fidélité convergeant vers lui toute personne qui importe dans ses États : comtes, évêques, abbés des plus grands monastères deviennent ses vassaux directs, s’ils ne l’étaient déjà, et sont contraints d’inclure dans leur propre réseau de vassalité toute l’aristocratie de leur ressort. En sorte que tous les hommes de quelque fortune se retrouvent vassaux ou arrière-vassaux du roi, ce qui les soumet à une fidélité personnelle de tous les instants, beaucoup plus contraignante que l’engagement public dû par tout homme libre à l’État. De la vassalité, institution à l’origine purement privée, Charles a fait un moyen de gouvernement.
Son obsession normalisatrice touche tous les secteurs de la vie sociale. Il légifère pour que chacun reste à la place (le vocabulaire du temps dit : « ordo », ordre) que Dieu lui a désignée et pour que les devoirs de chacun soient clairement définis. Au moine, la retraite et la prière (si possible dans le cadre de la règle de saint Benoît telle qu’elle est pratiquée dans le monastère de Saint-Riquier en Picardie) ; au clerc, la responsabilité sacerdotale et le soin des âmes ; au laïc, la pratique des préceptes chrétiens et le respect de la paix publique. Pour préserver la paix ici-bas, Charles sait qu’il faut assurer la prospérité du peuple, et donc garantir la qualité et la quantité des productions agricoles. C’est pourquoi il édicte des règles destinées à assurer l’efficacité des modes de gestion des domaines du fisc (capitulaire De villis, fin du VIIIe siècle) et des établissements ecclésiastiques importants, dont il veut faire des modèles pour tous les grands propriétaires. Pour assainir les échanges, il ne se contente pas d’affirmer la présence de l’État et de ses douanes dans tous les ports et postes frontières de l’Empire. Il revendique aussi, toujours au moyen de capitulaires, le monopole régalien de la monnaie, et assure l’homogénéité de la frappe par l’établissement d’une équation selon laquelle une livre (unité de poids de métal précieux) équivaut à 20 sous (le sou étant l’unité monétaire de base héritée des temps anciens et toujours valide dans les échanges méditerranéens), et un sou à 12 deniers (le denier d’argent étant désormais la seule espèce frappée). Cette équation gardera sa valeur jusqu’à la Révolution française. Surtout, Charles voulut que « chacun vécût suivant les préceptes divins », comme il est downloadModeText.vue.download 165 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 154 écrit dans un capitulaire de 802. Et sa législation porte aussi bien sur le dogme (comme en 809, quand il décrète, contre Byzance, que le Saint-Esprit procède non « du Père par le Fils », mais « du Père et du Fils ») que sur la pratique. Il est convaincu que, pour préparer la « Cité de Dieu » sur terre et assurer le salut de la société chrétienne dans l’au-delà, il faut élever le niveau intellectuel et moral de celleci, et, dans ce dessein, promouvoir l’éducation des clercs et des laïcs. D’où la législation qui, dès l’Admonitio generalis de 789, plusieurs fois réitérée ensuite, exige que chaque évê-
ché, chaque monastère, soit doté d’une école ouverte aux futurs clercs et moines comme aux jeunes laïcs. La diffusion du savoir suppose l’accès aux livres, et à des livres bien écrits. Charles appuie donc l’activité des scriptoria, non seulement dans les grands monastères dont c’était la tradition (Corbie, Fleury-sur-Loire, Saint-Martin de Tours), mais aussi au palais même, d’où sortent nombre d’oeuvres originales, ainsi que des livres liturgiques décorés de miniatures. Il encourage la diffusion d’un mode d’écriture remarquable par sa régularité et sa lisibilité, la minuscule caroline, qui fait aujourd’hui encore le régal des archivistes et des historiens de la période carolingienne. UN ÉQUILIBRE FRAGILE Conquérant, visionnaire, organisateur (on a envie de dire « ordonnateur », tant l’obsession de l’ordre est patente dans toute son oeuvre politique), législateur dans les domaines de l’infiniment grand et de l’infiniment petit, promoteur de ce qu’on appelle la renaissance culturelle carolingienne, maître de (presque) tout l’Occident chrétien et restaurateur de l’Empire : l’épithète de magnus que la tradition a donnée à Carolus ne paraît décidément pas usurpée, et c’est avec de bonnes raisons qu’on le considère aujourd’hui comme le père (politique autant que culturel) de l’Europe. Mais, si la légende s’est aussi volontiers emparée de la figure de Charlemagne, c’est que son règne marque un point d’équilibre particulièrement éphémère dans l’histoire des sociétés occidentales. En effet, dès la fin de celui-ci, deux événements laissent présager un sombre avenir. D’une part, l’apparition sur les côtes de l’Empire (en Vendée dès 799, puis en Frise en 810) des premières voiles scandinaves, annonciatrices du déferlement des raids vikings sur l’ensemble de l’Occident dans les décennies suivantes. D’autre part, le projet de partage de l’Empire établi en 806 entre les trois fils légitimes survivants de Charles : Charles le Jeune, Pépin et Louis, associés depuis longtemps à la royauté, mais qui désormais se voient attribuer un tiers de l’héritage paternel. Ce projet implique le risque de faire éclater, dès la mort de son fondateur, l’unité de l’Empire si péniblement réalisée. Seule la mort précoce des deux premiers fils permettra à Louis, désormais unique héritier, d’être associé en 813 à la dignité impériale de son père, juste avant la mort de celui-ci, au début de 814. Mais, quand Louis compromettra à son tour son autorité en concevant des projets de
partage successifs et contradictoires entre ses propres héritiers, quand une guerre fratricide déchirera la société franque, les aristocrates, que Charles avait encouragés à confondre le service public dû au détenteur de la puissance souveraine et le service privé dû à la personne du roi, seront tentés, confrontés à la défaillance de celle-ci, de lui refuser le service public et d’usurper les charges exercées en son nom. Large de vue et fondatrice, la politique de Charles ne fut pas sans responsabilité dans l’éclosion, à terme, de ce que l’on convient d’appeler la féodalité. . Charles Ier le Grand ! Charlemagne Charles II le Chauve, roi de Francie occidentale de 843 à 877 ; empereur de 875 à 877 (Francfort-sur-le-Main 823 - Avrieux, Savoie, 877). Lorsqu’en 819 l’empereur Louis le Pieux, fils et unique héritier de Charlemagne, épouse, en secondes noces, Judith, fille d’un seigneur bavarois, il vient de régler sa succession entre les trois fils issus de son précédent mariage par l’ordinatio imperii de 817. La naissance de Charles le Chauve, en 823, remet en cause ces dispositions, qui subordonnaient à Lothaire, empereur, ses deux frères, Pépin Ier, roi d’Aquitaine, et Louis le Germanique, roi de Bavière. • Une succession disputée. Le parti de Lothaire, avec les clercs théoriciens de l’idée impériale, affronte alors celui de Judith. En 829, celle-ci obtient, pour son fils, un premier territoire, qui comprend l’Alémanie, l’Alsace, la Rhétie et une partie de la Bourgogne. Au fil des années, la part de Charles s’agrandit, et la disgrâce de Lothaire s’aggrave. Le conflit est si profond qu’en 833 Lothaire et ses frères déposent leur père au « Champ du mensonge ». À leur tour, ils sont vaincus l’année suivante, et Louis le Pieux retrouve son trône. En 838, l’Aquitaine est attribuée à Charles, au mépris des droits de Pépin II. Un dernier partage, à Worms, en 839, bénéficie à Charles et à Lothaire, Louis le Germanique ne conservant que la Bavière. À la mort de Louis le Pieux, en 840, Lothaire tente de rétablir l’Empire à son seul profit. Unis dans l’adversité, Louis le Germanique et Charles le Chauve l’emportent sur leur frère, à Fontenoy-en-Puisaye, en 841. Leur alliance est renforcée à Strasbourg, le 14 février 842, par des « serments » très solennels que prononcent les deux rois et leurs troupes. Le 8 août 843, le traité de Verdun
clôt des mois de négociations entre les trois frères. Cette « charte territoriale de l’Europe », selon les termes de l’historien Louis Halphen, consacre l’existence de trois lots indépendants, Lothaire conservant, en outre, le titre d’empereur. Charles le Chauve est donc roi, l’année de ses 20 ans, d’une France occidentale limitée au nord par l’Escaut, et à l’est par la Meuse, la Saône et le Rhône, dont la frontière s’écarte vers l’ouest. • Un royaume fragile. Même si, en principe, un « régime de fraternité » unit les trois rois, en réalité chacun affronte seul les difficultés locales. Charles est aux prises avec Pépin II, auquel il doit céder l’Aquitaine moyennant une promesse de fidélité, en 845, avant que la capture de ce dernier, en 852, mette fin au conflit. Les Bretons, conduits par Nominoë, puis par Erispoë, se livrent à d’incessantes incursions, à partir de 845. Enfin, les Normands attaquent la Bretagne et l’Aquitaine, puis pillent Paris, dont la défense est alors confiée à Robert le Fort, ancêtre des Capétiens. La difficile succession de Lothaire, entre 855 et 858, permet à Louis le Germanique d’envahir le royaume de Charles en 858. Ce dernier est sauvé par l’intervention de l’archevêque de Reims, Hincmar. Finalement, les deux frères s’entendent pour attaquer la Lotharingie, qu’ils se partagent, en 870, au traité de Meersen. Affaibli par les révoltes régionales, redevable de son royaume à l’Église, Charles le Chauve doit aussi faire aux grands des concessions, dont la dernière, le capitulaire de Quierzy-sur-Oise, reconnaît, en 877, l’hérédité des charges. En réalité, le haut clergé et la papauté se posent en arbitres de l’Occident, faisant et défaisant rois et empereurs. Ainsi, en 875, le pape Jean VIII fait appel à Charles le Chauve pour prendre la succession impériale. Mais le nouvel empereur manque de moyens pour restaurer l’Empire. Allant et venant entre l’Italie et la France, il tente, en vain, de s’emparer de la Lotharingie, réagit trop lentement aux appels du pape contre les Sarrasins, et se trouve pris en étau entre les exigences des grands, du pape et des héritiers carolingiens. Il meurt, en 877, au Mont-Cenis, laissant deux fils incapables de gouverner. Charles II le Mauvais, roi de Navarre de 1349 à 1387 (Évreux 1332 - id. 1387). Fils de Philippe III d’Évreux et de Jeanne de Navarre, petit-fils en ligne maternelle du roi
Louis X le Hutin, Charles de Navarre, que les chroniqueurs navarrais surnomment au XVIe siècle « le Mauvais », est probablement le plus proche descendant de ces Capétiens directs qui se sont éteints avec les fils de Philippe IV le Bel. Mais il n’était pas né, en 1328, au moment de leur succession. De son père, il hérite, en 1343, les comtés d’Évreux, de Mantes et de Mortain ; de sa mère, le royaume de Navarre, en 1349. Frustré de la couronne de France, Charles prend la tête d’un « parti navarrais » d’opposition aux rois Valois, profitant de la faiblesse de Philippe VI et de Jean le Bon dans une période troublée. À son avènement, en 1350, Jean le Bon le nomme lieutenant général en Languedoc, mais le roi se montre maladroit en désignant comme connétable Charles d’Espagne, son favori, rival direct du Navarrais. Celui-ci fait assassiner Charles d’Espagne et traite avec les Anglais, contraignant Jean le Bon à négocier. Le traité de Mantes, en 1354, lui apporte des terres nouvelles en Normandie, mais, à Valognes, en 1355, il se retrouve en position de faiblesse, et perd une partie de ses acquis. En représailles, il empêche la levée de l’impôt en Normandie, et Jean le Bon, exaspéré, le fait arrêter le 5 avril 1356. Le roi de Navarre ne parvient à s’évader qu’en novembre 1357 : le dauphin Charles est alors régent du royaume, en l’absence de son père Jean le Bon, prisonnier en Angleterre depuis le désastre de Poitiers, et le royaume est agité par le vent de la reformacion, menée par Étienne Marcel, bourgeois de Paris. Lorsque downloadModeText.vue.download 166 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 155 ce dernier prend parti pour le roi de Navarre, le dauphin quitte la capitale, plaçant ses adversaires en situation de rébellion ouverte. Cependant, c’est Charles le Mauvais qui met fin à la Jacquerie, mouvement de révolte paysanne surgi dans le nord de l’Île-de-France en 1358. Après la mort d’Étienne Marcel, il s’allie avec les Anglais contre le dauphin, qui devient, en 1364, le roi Charles V. Les « AngloNavarrais » sont vaincus en 1364, à Cocherel, par du Guesclin, et, par le traité d’Avignon de 1365, Charles le Mauvais abandonne une partie de ses possessions normandes. Il ne cesse de comploter, tentant de faire assassiner Charles V. Le roi prononce alors la confiscation totale des domaines normands du rebelle, qui a pourtant le temps de livrer
Cherbourg aux Anglais. Charles III le Gros, empereur de 881 à 887, roi des Francs de 884 à 887 (839 - Reichenau 888). Fils de Louis le Germanique, Charles le Gros devient roi d’Alémanie, d’Alsace et de Souabe, à la mort de son père en 876. Alors que, depuis la mort de Charles le Chauve, en 877, tous les Carolingiens se dérobent devant les propositions impériales du pape Jean VIII, Charles le Gros accepte la couronne en 881. Maître de toute la France orientale après la mort de ses frères Carloman et Louis le Jeune, respectivement, en 880 et 882, il ne dispose pas, cependant, d’un pouvoir solide. C’est pourtant à lui, dernier héritier carolingien, que font appel les grands de France occidentale, à la mort du roi Carloman, en 884. Mais, lorsque, en 885 et 886, les Normands assiègent de nouveau Paris, dont les habitants attendent l’aide de Charles le Gros, celui-ci se montre incapable de secourir la ville, et « achète » le départ des envahisseurs, qui s’en vont ravager la Bourgogne. Le mérite de la défense de Paris revient à Eudes, fils de Robert le Fort, ancêtre des Capétiens. Abandonné des grands en France occidentale, Charles le Gros perd aussi tout crédit en France orientale, où un bâtard carolingien, Arnulf, est élu roi. En décembre 887, il renonce de lui-même au titre impérial. Il meurt en 888. Il aura fallu un concours de circonstances pour que Charles le Gros devienne, à la fois, empereur, roi de France occidentale et roi de France orientale, réalisant ainsi une ultime et éphémère union du monde franc. Charles III le Simple, roi des Francs de 893 à 923 (879 - Péronne 929). Fils posthume du roi carolingien Louis II le Bègue, Charles est écarté de la succession de son père, au profit de ses frères Louis III et Carloman. Trop jeune à la mort de ces derniers, il ne peut non plus succéder à Charles le Gros, en 888. C’est Eudes, comte de Paris, défenseur de la ville contre les Normands, qui est élu roi par les grands de Neustrie. Mais sa position s’affaiblit lorsque l’archevêque Foulques de Reims parvient à sacrer le jeune Charles, en janvier 893. Pendant plusieurs années, les grands peuvent asseoir leur puissance en jouant de la rivalité des deux rois dont les forces sont absorbées par la lutte pour l’autorité, jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé, en 897 : Eudes reste roi jusqu’à sa mort, et désigne Charles comme
son successeur. En 898, Charles succède donc à Eudes, dans ce qui apparaît comme une restauration miraculeuse de l’ordre carolingien. Avec le soutien des archevêques de Reims Foulques, puis Hervé, Charles exerce l’autorité royale au nord de la Seine ; mais une autorité toute théorique, puisque le pouvoir est aux mains des marquis et des comtes. Impuissant en Neustrie, Charles tente d’imposer son pouvoir en Lotharingie, berceau des Carolingiens, qu’il conquiert en 911, à la mort du dernier roi de Lorraine, Louis l’Enfant. Cette même année, le traité de Saint-Clair-sur-Epte met un terme aux incursions des Normands dans la vallée de la Seine. L’équilibre précaire atteint par Charles et les grands est rompu en 920, lorsque le roi tente de s’appuyer sur son propre réseau de fidèles pour s’opposer aux comtes et aux marquis. Il n’aboutit qu’à multiplier ses ennemis, car les vassaux de l’Église de Reims prennent parti pour Robert, frère d’Eudes, en 921. L’année suivante, Robert est élu roi, et sacré à Reims. Destitué, Charles s’obstine, et remporte, en 923, l’éphémère victoire de Soissons, au cours de laquelle périt Robert. Mais il est fait prisonnier peu après par Herbert II de Vermandois, qui le maintient en captivité jusqu’à sa mort. Trois semaines après la mort de Robert, les grands élisent pour roi Raoul de Bourgogne. Le long règne de Charles le Simple illustre la dissociation de l’autorité royale et de l’exercice du pouvoir qui s’accomplit durablement au Xe siècle. Bien que son héritier se soit réfugié en Angleterre, le sort des Carolingiens et, avec eux, celui de l’idée d’empire sont scellés. Charles IV le Bel, roi de France de 1322 à 1328 (Vincennes 1294 - id. 1328). Troisième fils de Philippe IV le Bel et de Jeanne Ire de Navarre, Charles est fait comte de la Marche en 1314, peu avant la mort de son père. La même année, sa femme Blanche de Bourgogne est convaincue d’adultère, dans le scandale des brus du roi. En 1322, ce mariage est annulé, et Charles épouse Marie de Luxembourg, qui décède peu après, puis, en 1325, Jeanne d’Évreux. Si les mariages des fils de Philippe IV le Bel prennent tant d’importance, c’est parce qu’aucun d’eux n’engendre d’héritier mâle. En effet, Louis X, le fils aîné, succède normalement à son père, mais il meurt, en 1316, en laissant son épouse Clémence de Hongrie enceinte d’un enfant qui ne vit pas. Deuxième fils de Philippe IV et
régent, Philippe V, succède à Louis X, mais meurt sans héritier mâle en 1322 : et son frère Charles monte alors sur le trône. Prolongeant l’oeuvre de Philippe V, Charles IV est confronté aux problèmes d’assainissement des finances qu’aggrave la reprise de la guerre avec l’Angleterre. La quasitotalité de son règne est, en effet, dominée par la question de l’hommage que doit rendre le roi d’Angleterre au roi de France pour l’Aquitaine et le Ponthieu, selon les termes du traité de paix de 1254. Les rapports d’Édouard II et de Philippe IV le Bel ont été cordiaux, au point que la fille du roi de France, Isabelle, a épousé le roi d’Angleterre ; mais les relations sont plus tendues avec ses fils. Édouard II ne prête pas hommage à Louis X, retarde l’hommage à Philippe V, et fait des difficultés à l’avènement de Charles IV. La situation s’envenime, en 1323, lorsqu’un officier royal surveillant la construction d’une bastide à SaintSardos, en Aquitaine, est tué par un officier aquitain. Cet incident déclenche la « guerre de Saint-Sardos », au cours de laquelle Charles IV confisque la Guyenne et le Ponthieu. Dépêchée auprès de son frère, Isabelle de France négocie pour son mari Édouard II : les fiefs sont remis à son fils Édouard, qui prête hommage. Mais le roi de France, profitant de l’affaiblissement de la royauté anglaise après l’abdication d’Édouard II, lui impose, en 1327, un traité qui réduit considérablement ses fiefs aquitains. Le règne de Charles IV - dernier représentant de la lignée des Capétiens directs, qui se sont succédé de père en fils depuis Hugues Capet, puisqu’il disparaît sans héritier mâle annonce, par son conflit ouvert avec l’Angleterre la guerre de Cent Ans, conflit territorial et dynastique. Charles V le Sage, roi de France de 1364 à 1380 (Vincennes 1338 - Beauté, aujourd’hui Nogent-sur-Marne, 1380), fils aîné de Jean II le Bon et de Bonne de Luxembourg • L’apprentissage politique. Charles, qui reçoit le Dauphiné en apanage, est le premier fils aîné de roi à porter le titre de dauphin. Depuis 1337, le royaume est en guerre avec l’Angleterre, et, en 1356, lors de la bataille de Poitiers, Jean le Bon est vaincu et capturé. En tant que lieutenant du roi, Charles doit rassembler l’argent nécessaire au paiement de la rançon. En 1356 et 1357, dans un contexte de défaillance du pouvoir royal et de crise économique et sociale, il doit obtenir le consente-
ment des états généraux à la levée d’un impôt, et faire face à leurs prétentions politiques. En 1358, il est en outre confronté aux intrigues de Charles le Mauvais - roi de Navarre et comte d’Évreux, allié des Anglais -, à la rébellion parisienne menée par Étienne Marcel, et à la jacquerie des paysans d’Île-de-France. Prenant alors le titre de régent, Charles acquiert une plus grande légitimité et parvient, à force de manoeuvres, à maîtriser la situation. En 1360, il réussit à s’imposer comme le principal négociateur de la paix avec l’Angleterre : le traité de Brétigny accorde aux Anglais près de la moitié du royaume, mais permet la libération de Jean le Bon moyennant une rançon raisonnable. Ces années difficiles ont aguerri le dauphin, et sont à l’origine de ses futurs choix politiques. • La restauration de la puissance royale. Charles, qui devient roi à la mort de son père, le 18 avril 1364, est sacré à Reims, le 17 mai. Il s’entoure de légistes issus de l’Église, de la petite noblesse ou de la haute bourgeoisie d’affaires, tels Guillaume de Melun, Bureau de La Rivière ou Nicole Oresme. Mais il sait aussi s’appuyer sur ses frères, qui, à la tête de leurs apanages en Bourgogne, en Berry et en Anjou, assurent de solides relais régionaux au pouvoir royal. En premier lieu, Charles V entreprend d’assainir les finances. La stabilité monétaire et la fiscalité indirecte, instituées par l’ordondownloadModeText.vue.download 167 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 156 nance de Compiègne (1360), sont maintenues, et l’impôt direct (fouage), concédé par les états en 1363, fait l’objet de levées régulières. Ensuite, Charles V s’attache à pacifier le royaume. En 1364, la victoire de Bertrand du Guesclin sur Charles de Navarre, à Cocherel, contraint ce dernier à se retirer sur ses terres. En 1367, une ordonnance de mise en défense du royaume entraîne la réfection de très nombreuses enceintes urbaines et castrales, et la généralisation d’une défense locale. Le roi s’efforce, par ailleurs, de débarrasser le royaume des compagnies de routiers en les envoyant combattre en Castille (1366-1367). En outre, il se donne les moyens de contrôler sa capitale : il agrandit le Louvre, fait construire la Bastille, et dote la rive droite d’une nouvelle enceinte. Enfin, il essaie de rompre l’isolement diplomatique du royaume. Il bénéficie
de la bienveillance de son oncle, l’empereur Charles IV de Luxembourg, et du soutien de la papauté avignonnaise. Il obtient l’alliance castillane d’Henri de Trastamare et la neutralité de la Bretagne. L’ensemble de sa politique est mis au service de la reconquête du royaume. Les efforts financiers permettent la constitution d’une petite armée permanente, rationnellement organisée en compagnies d’armes en 1373 et 1374. La guerre, qui reprend dès 1368, est conduite par Bertrand du Guesclin, nommé connétable en 1370. Évitant les batailles rangées, ce dernier mène une guerre de harcèlement couronnée de succès : à la mort du roi, en 1380, les Anglais ne contrôlent plus qu’une partie de la Guyenne, Calais et Cherbourg. • Le pouvoir en représentation. Tout au long de son règne, Charles V favorise la mise en scène de la fonction royale et la célébration de la royauté sacrée. Il s’entoure d’intellectuels, tels Jean Golein, Raoul de Presles ou l’auteur anonyme du Songe du verger, qui contribuent à façonner l’image d’un roi sage. Lui-même lit parfaitement le latin, encourage les traductions en langue vulgaire, et crée la Bibliothèque royale. Roi mécène, il tient une cour brillante, et ordonne la construction de nombreuses résidences de plaisance, tels l’hôtel Saint-Paul, à Paris, ou les châteaux de Vincennes et de Beauté. Il fait rédiger un nouvel ordo du sacre (vers 1365) et se montre très attentif aux symboles de la royauté capétienne, telles l’oriflamme de Saint-Denis ou la bannière de Joyenval. Enfin, l’édit du Bois de Vincennes (1374), qui règle de manière très précise les conditions de succession à la couronne, témoigne de l’attachement vigoureux du souverain aux principes dynastiques. Charles VI le Fou ou le BienAimé, roi de France de 1380 à 1422 (Paris 1368 - id.1422), fils de Charles V et de Jeanne de Bourbon. • La jeunesse. Charles VI n’a pas 12 ans à la mort de son père, en 1380. Ses oncles paternels, les ducs Jean de Berry, Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, et Louis d’Anjou, maîtres du Conseil royal, décident de ne pas respecter les conditions de succession établies par Charles V dans l’édit du Bois de Vincennes : ils font sacrer Charles VI avant sa majorité, afin de ne pas subir la tutelle d’un régent. Ils se partagent ensuite le pouvoir et les revenus issus du Trésor royal. Ainsi, ils commencent par réprimer les émeutes antifiscales qu’a en-
couragées l’abolition des prélèvements directs (fouages) décidée par Charles V sur son lit de mort. Puis ils ordonnent leur rétablissement. À partir de 1382, et plus encore après la mort de Louis d’Anjou en 1384, Philippe de Bourgogne domine véritablement le Conseil. C’est lui qui fixe le mariage du jeune roi avec Isabeau de Bavière (1385), une alliance plus favorable à la diplomatie bourguignonne qu’à la politique royale. Cependant, le 3 novembre 1388, Charles VI, âgé de 20 ans, décide de gouverner lui-même, congédie ses oncles, et rappelle les anciens conseillers de son père, tels Bureau de La Rivière, Jean de Montaigu ou Olivier de Clisson. Ces légistes, bientôt désignés par le sobriquet de « marmousets », continuent la politique de Charles V. Ils réforment l’administration royale, réduisent les dépenses de l’État, notamment les pensions versées aux princes et à l’aristocratie, et suppriment les impôts directs. Très attachés au service de l’État, ils accordent aussi une grande importance à la manifestation de la puissance royale, comme en témoigne la cérémonie d’entrée de Charles VI dans Paris, le 22 août 1389, et trouvent un appui sûr en la personne du jeune frère du monarque, le duc Louis d’Orléans (1370-1407). Mais, en août 1392, le roi est frappé d’une crise de folie qui vient compromettre la poursuite de cette politique. • Le roi fou. De 1392 à 1415, il connaît, successivement, des périodes de démence et des phases de rémission plus ou moins longues. L’épisode du « bal des Ardents », en 1393, semble l’avoir beaucoup choqué, mais c’est seulement après 1415 qu’il perd complètement la raison. Ses sujets lui demeurent vigoureusement attachés, mais des troubles éclatent, car les populations recherchent des boucs émissaires, ce qui provoque une nouvelle expulsion des juifs du royaume en 1394. La défaillance de l’autorité royale entraîne le retour des ducs Jean de Berry et Philippe de Bourgogne, qui s’opposent au frère du roi, Louis d’Orléans, pour le contrôle du Conseil et des finances royales. En 1393, lors d’une rémission, Charles VI remet le pouvoir à Louis d’Orléans en lui confiant la régence, et accorde la tutelle du dauphin à la reine et à ses oncles. Cependant, en 1403, il revient sur sa décision : il octroie le pouvoir à la reine, qui doit s’appuyer sur les ducs et le Conseil, et ordonne le sacre du dauphin. Ce revirement exacerbe la rivalité entre Philippe de Bourgogne et Louis d’Orléans, qui est assassiné en 1407 sur ordre du nouveau duc de Bourgogne, Jean sans Peur. Ce crime plonge
le royaume dans la guerre civile : les Bourguignons s’opposent désormais aux Orléans, bientôt appelés « Armagnacs ». L’antagonisme entre les deux partis facilite la reprise des hostilités avec l’Angleterre en 1412, et la révolte cabochienne de 1413. La victoire anglaise d’Azincourt (1415), puis la conquête de la Normandie (1417) et l’assassinat de Jean sans Peur achèvent de diviser le royaume. En 1420, le duc de Bourgogne, allié aux Anglais, détient Charles VI et la reine ; le 17 janvier, il obtient que cette dernière fasse signer au roi l’ordonnance qui prononce la déchéance du dauphin Charles, leur fils. Et, le 21 mai, par le traité de Troyes, Charles VI donne sa fille Catherine pour épouse à Henri V d’Angleterre, fait de celui-ci son fils adoptif, et le désigne comme unique héritier. Lorsque Charles VI meurt, le 22 octobre 1422, il laisse un royaume meurtri et une couronne âprement disputée. Dans le contexte de la guerre de Cent Ans, son règne apparaît comme le moment du plus grave abaissement du royaume et du pouvoir royal face aux ambitions princières et à l’envahisseur anglais. Charles VII le Victorieux ou le Bien Servi, roi de France de 1422 à 1461 (Paris 1403 - Mehun-sur-Yèvre, Cher, 1461). • Les années difficiles. Troisième fils de Charles VI et d’Isabeau de Bavière, il devient l’héritier de la couronne après la mort de son frère Jean en 1417, et reçoit alors le Dauphiné, puis le Berry et le Poitou. Fiancé en décembre 1413 à Marie d’Anjou, fille du duc Louis II d’Anjou et de Yolande d’Aragon, il vit chez sa future belle-famille. Or celle-ci appartient au parti armagnac, engagé depuis 1407 dans une guerre civile contre les Bourguignons. Obligé de quitter précipitamment Paris, occupé par les Bourguignons en mai 1418, Charles s’installe à Bourges et réunit autour de lui les opposants à la coalition anglo-bourguignonne. Il prend en décembre 1418 le titre de régent et installe sa propre administration à Bourges et à Poitiers. Le meurtre du duc de Bourgogne Jean sans Peur en 1419 à Montereau ravive la lutte entre Armagnacs et Bourguignons au profit des Anglais, qui obtiennent du roi l’acceptation du traité de Troyes en mai 1420. Cet accord déshérite le dauphin, jugé indigne de la succession royale, et Charles VI, en donnant la main de sa fille à Henri V, fait du souverain anglais son héritier. Mais les partisans du dauphin
refusent ce traité, car le roi ne peut modifier l’ordre de la succession, qui repose exclusivement sur le sang. Dès la mort de Charles VI en 1422, son fils prend le titre de roi, même s’il ne règne que sur les pays du sud de la Loire. Le royaume de Bourges paraît d’abord condamné, d’autant que l’armée royale subit de graves revers en 1423 (Cravant) et en 1424 (Verneuil-surAvre). • Reconquête et renforcement de l’autorité royale. La situation militaire s’améliore grâce à l’intervention de Jeanne d’Arc, qui rompt le siège d’Orléans (8 mai 1429). Charles VII est sacré à Reims, le 17 juillet 1429, ce qui lui assure une légitimité populaire. Mais Jeanne échoue devant Paris (septembre 1429), avant d’être arrêtée et brûlée comme hérétique (1431). Pour repousser les Anglais, Charles VII se réconcilie avec le prince le plus puissant du royaume, Philippe le Bon, duc de Bourgogne : signé en 1435, le traité d’Arras brise l’alliance anglo-bourguignonne au profit du roi de France, qui obtient ainsi l’aide militaire du duc. Après la prise de Paris, en 1436, les troupes royales passent à l’offensive. Les progrès sont importants en Île-de-France, définitivement mise à l’abri des attaques anglaises en 1441. Cependant, downloadModeText.vue.download 168 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 157 la résistance anglaise, faible en Normandie, est efficace en Guyenne, et ces deux régions ne sont finalement reconquises qu’en 1450 (bataille de Formigny) et 1453 (Castillon, dernière grande bataille de la guerre de Cent Ans). Ces victoires sont accompagnées par des réformes. Dès 1438, la pragmatique sanction de Bourges permet à l’Église de France de s’affirmer face au pouvoir pontifical. En 1440, le roi impose son autorité en venant à bout des princes révoltés lors de la Praguerie. Une armée permanente est mise sur pied, grâce à la constitution des compagnies d’ordonnance (1445) et des francs-archers (1448). En outre, Charles VII modernise le système judiciaire et organise la rédaction des coutumes (1454). Conseillé par Jacques Coeur, le roi montre également sa puissance dans le domaine fiscal, obligeant de nombreux princes récalcitrants à lever des aides à son profit. Sous
l’influence de Charles VII, l’État moderne progresse, alors que, parallèlement, le sentiment national se développe. Ce monarque n’est donc pas le roi faible que l’on a souvent décrit. Ce n’est certes pas un homme de guerre, mais il a su conduire, sans s’exposer directement, les dernières campagnes. S’il est parfois indécis et facilement influençable (il est conseillé principalement par sa belle-mère, puis par sa maîtresse, Agnès Sorel), il peut pourtant être ferme quand les circonstances l’exigent. Habile négociateur, il sait s’entourer intelligemment et manoeuvrer au plus juste. Les dernières années de règne de Charles VII sont assombries par des dissensions avec le dauphin Louis (futur Louis XI), qui épouse, en 1451, Charlotte de Savoie contre l’avis de son père. Louis se réfugie en 1456 auprès du duc de Bourgogne et Charles VII meurt le 22 juillet 1461 sans avoir revu son fils. Charles VIII, roi de France à partir de 1483 (Amboise 1470 - id. 1498). Trajectoire curieuse et ambiguë que celle de Charles de Valois, fils de Louis XI et de Charlotte de Savoie, élevé loin de son père et de la cour, roi à 13 ans, mort à 28, et dont on retient surtout qu’il mobilisa toutes les forces de son royaume pour des aventures italiennes, qui, après avoir fasciné la noblesse française et son souverain, marquèrent l’histoire de France pendant plus d’un demi-siècle. • L’héritier d’un royaume uni. Pendant la minorité du jeune Charles, la régente Anne de Beaujeu, sa soeur aînée, contrôle habilement les velléités rebelles des grands féodaux et intègre définitivement l’héritage bourguignon au royaume. En 1491, le premier acte de Charles VIII est d’entrer en guerre contre la Bretagne pour contraindre la duchesse Anne à annuler son mariage avec le futur empereur Maximilien de Habsbourg et à l’épouser. Le duché n’est pas encore rattaché à la couronne mais toute menace d’encerclement par les Habsbourg disparaît. À la tête d’un État dont les contemporains admirent l’unité, la richesse et la fidélité du peuple au souverain, Charles VIII, héritier des droits de la dynastie angevine sur Naples, tourne alors ses pensées vers une Italie aussi prospère que divisée. Toutefois, le roi de Naples étant aussi, théoriquement, roi de Jérusalem, le Roi Très-Chrétien déclare que son but ultime est la croisade contre les Turcs, dont la menace se fait toujours plus pressante. L’historiographie n’a longtemps vu dans ces ambitions que les
rêves chevaleresques d’un jeune homme manquant de maturité politique. Reste qu’une certaine logique y présidait, au regard des liens économiques traditionnels avec la Péninsule et des importantes ressources financières et humaines de la France. • L’aventure italienne. Le jeu des rivalités entre les différents petits États de la Péninsule assure au roi le soutien politique ou financier des ducs de Milan et de Savoie, ainsi que la neutralité bienveillante du pape Alexandre VI Borgia. Une armée d’une puissance inégalée à l’époque est rassemblée, et Charles VIII conclut en 1492 et 1493 des traités avec le roi d’Angleterre, l’empereur Maximilien et les rois d’Espagne : il paie la neutralité anglaise au prix fort et sacrifie maints territoires disputés (villes de l’Artois et Franche-Comté à Maximilien ; Roussillon et Cerdagne aux Rois Catholiques). Charles prend le titre de « roi de Naples » à partir de mars 1494 et, à l’encontre des habitudes de son père, il se met en personne à la tête des troupes qui franchissent les Alpes le 2 septembre 1494. Cette campagne d’Italie ressemble fort, dans un premier temps, à une promenade militaire : Charles VIII fait son entrée à Rome le 31 décembre et à Naples le 22 février. Pourtant, dès le mois de mars 1495, tous les États italiens, appuyés par Ferdinand d’Aragon, s’allient contre les « Barbares » français. Si des garnisons et un « vice-roi » restent dans le royaume de Naples, l’heure de la retraite a pourtant sonné. L’armée française se heurte à celle des coalisés à Fornoue, le 6 juillet 1495 : très inférieures en nombre, les troupes royales ne doivent qu’aux charges fougueuses de la cavalerie lourde et aux erreurs tactiques de l’adversaire de l’emporter, ou, plutôt, de se frayer un passage vers les Alpes. Au traité de Verceil, en septembre, est signée une paix fragile qui n’évoque pas le royaume de Naples où les troupes françaises perdent pied peu à peu. De retour en France, Charles VIII, malgré les difficultés financières et les divergences d’opinion entre ses conseillers, entend d’abord préparer une nouvelle expédition contre Naples. Cependant, influencé par François de Paule, il semble accorder une grande place, surtout après la mort du dauphin, à des questions d’ordre plus spirituel, telle la réforme des moeurs de la cour et du clergé. Le 7 avril 1498, le roi meurt prématurément, sans avoir revu l’Italie : la ligne directe de la dynastie des Valois s’éteint, et c’est son cousin le duc d’Orléans qui monte sur le trône sous le nom de Louis XII. Charles IX, roi de France de 1560 à 1574 (Saint-Germain-en-Laye 1550 - Vincennes
1574). Charles Maximilien est le cinquième enfant d’Henri II et de Catherine de Médicis. Des conditions de son éducation on sait assez peu, sinon qu’en 1557 il reçoit en tant que précepteur l’humaniste Jacques Amyot. Le 5 décembre 1560, il monte sur le trône, succédant à son frère François II, et règne bientôt sous la régence de sa mère. • Une minorité difficile. Le 15 mai 1561, Charles IX est sacré à Reims, dans un contexte de crise religieuse. C’est lui qui ouvre le colloque de Poissy, puis il préside le Conseil qui décide de promulguer l’édit de janvier 1562 accordant aux huguenots la liberté de culte. Il semble déjà défendre une ligne politique favorable à la convocation d’un concile national destiné à régler les différends religieux. Tout indique pourtant qu’il subit, avec sa mère, l’enchaînement historique déclenché par le massacre de Wassy (1er mars 1562), et le glissement vers la guerre civile : parce que le roi est rentré dans Paris, les huguenots dénoncent son emprisonnement par les triumvirs catholiques, qui, selon la rumeur, auraient menacé de le destituer au profit de son frère cadet. Il n’en est pas moins vrai que, face au soulèvement protestant, Charles IX participe directement aux engagements de l’armée royale : il vient en personne mettre le siège devant les villes de Bourges et de Rouen. Roi guerrier, il joue, semble-t-il, un faible rôle politique. Celui-ci ne croît qu’à la suite de deux initiatives de sa mère : la proclamation anticipée de la majorité royale (17 août 1563) ; un grand voyage qui entraîne la cour sur les routes, de janvier 1564 à mai 1566, Charles IX cherchant alors, par l’établissement de relations personnelles avec les élites locales, à consolider la cohabitation religieuse. • Une nouvelle idéologie monarchique. Au roi guerrier de la première Renaissance se substitue le roi réformateur (ordonnance de Moulins concernant la réforme judiciaire), rhéteur, poète, chasseur, joueur, écrivain et organisateur de grandes fêtes. Mais Charles IX se heurte à un deuxième soulèvement huguenot (« surprise de Meaux », 27-29 septembre 1567). Il laisse alors le commandement de l’armée royale à son frère, le duc d’Anjou. Après une brève trêve, la troisième guerre de Religion (août 1568-août 1570) paraît faire opter le roi pour une éradication de la Réforme. Ce choix rencontre un certain succès, grâce aux victoires du duc d’Anjou (à Jarnac et à Moncontour), qui consacrent l’abandon par le souverain de ses prérogatives
guerrières. L’idéologie néoplatonicienne dans laquelle Charles IX a été éduqué, qui élève le monarque au rang de roi-philosophe, roi initié, possédant toutes les sciences, et accédant aux « mystères de l’Univers, afin de restaurer l’harmonie du monde humain », serait à l’origine de cette mutation. Dans cette optique peuvent être interprétés la création de l’Académie et compagnie de poésie et musique (1570), ainsi que le mariage avec Élisabeth d’Autriche, qui participe du mythe de la monarchie universelle. La volonté royale de faire cohabiter les factions politico-religieuses est alors réactualisée, et s’exprime dans une collaboration entre Charles IX et sa mère. Ils réussissent à attirer de nouveau à la cour les grands seigneurs catholiques et huguenots, et négocient le mariage de Marguerite de Valois, soeur du roi, avec Henri de Navarre (18 août 1572). • Le roi de la Saint-Barthélemy. À partir de septembre 1571, Charles IX semble donner son aval à un projet de soutien aux calvinistes des Pays-Bas. Toutefois, à l’issue d’opéradownloadModeText.vue.download 169 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 158 tions militaires catastrophiques menées par des gentilshommes huguenots, le Conseil se prononce contre une intervention française, au début du mois d’août 1572. C’est dans ce contexte, six jours après le mariage de la soeur du roi, que se déroule le massacre de la SaintBarthélemy. Le rôle qu’y a joué Charles IX fait l’objet de débats. Le roi a-t-il été victime d’un coup de force militaire organisé par la maison de Guise au profit de l’Espagne ? A-t-il été l’acteur d’un crime politique visant, dans un contexte de déstabilisation de sa politique de concorde, à éliminer un certain nombre de capitaines huguenots, dont Coligny ? Le débordement ultracatholique et les centaines ou milliers de morts qui s’ensuivirent auraient contraint Charles IX à assumer publiquement la responsabilité du massacre au cours d’un lit de justice. • Une brève fin de règne. C’est un monarque politiquement affaibli qui doit, à partir de l’automne 1572, affronter une situation difficile : résistance protestante dans l’Ouest et le Midi, puis formation, à la fin de 1573, derrière le duc d’Alençon, son frère, d’un « parti des malcontents » qui envisage une alliance avec les huguenots. Malade depuis
1573, cible de plusieurs conjurations émanant de proches de son frère, Charles IX meurt de la tuberculose en 1574, ne laissant qu’une fille légitime, Marie Élisabeth, et un fils bâtard, Charles, duc d’Angoulême. Personnage secret, il n’est sans doute pas le roi que la légende noire nous présente comme hystérique et faible. Charles X, roi de France de 1824 à 1830 (Versailles 1757 - Görz, aujourd’hui Gorizia, Frioul, 1836). Le dernier prince de la branche aînée des Bourbons à monter sur le trône de France et à se faire sacrer à Reims n’était nullement destiné à régner. Petit-fils de Louis XV, fils puîné du dauphin et de Marie-Josèphe de Saxe, marié en 1773 à Marie-Thérèse de Savoie (qui lui donnera deux fils, les ducs d’Angoulême et de Berry), Charles, comte d’Artois, occupe, lors de l’accession de son frère Louis XVI au trône de France, en 1774, le deuxième rang dans la ligne successorale, derrière son frère Louis, comte de Provence. Brillant et portant beau, le comte d’Artois mène, à la cour de Versailles, jusqu’à la Révolution, une existence futile. Il appartient au cercle des intimes de la reine Marie-Antoinette, chasse, et multiplie les maîtresses. • Émigration et ultraroyalisme. Dès le 17 juillet 1789, hostile aux réformes, le comte d’Artois donne le signal de l’émigration, et se réfugie en Allemagne, puis en Angleterre, où il rejoint son frère Louis, prétendant au trône, dès 1795, sous le nom de Louis XVIII. Depuis la mort de sa dernière maîtresse, la comtesse de Polastron (1804), il s’est sincèrement converti. La défaite de Napoléon lui permet de regagner la France. Nommé lieutenant général du royaume, il entre dans Paris, accueilli par Talleyrand, le 12 avril 1814, et oeuvre au rétablissement des Bourbons. Durant la première Restauration, il se range, avec ses partisans (les verdets), aux côtés des ultraroyalistes, hostiles à la Charte. Au lendemain des Cent-Jours, Monsieur, successeur désigné du roi, conduit une opposition discrète mais constante à la politique de compromis menée par Louis XVIII et Decazes, et appuie, après l’assassinat du duc de Berry (1820), le retour des ultraroya-listes au pouvoir - avec Richelieu puis Villèle. • Le trône et la chute. Devenu roi à la mort de Louis XVIII, en 1824, Charles X, resté fidèle à l’ancien régime politique et à l’alliance du trône et de l’autel, mène avec fermeté et
détermination une oeuvre de réaction sociale, politique et religieuse qui témoigne d’une complète mésintelligence des transformations intervenues en France depuis la Révolution ; il se fait oindre et couronner à Reims, le 29 mai 1825. Le ministère Villèle fait voter, en 1825, une loi qui punit de mort le sacrilège, ainsi qu’une loi d’indemnisation des émigrés, puis, en 1826, une loi rétablissant le droit d’aînesse, qui sera repoussée par la Chambre des pairs. Devant la montée de l’opposition libérale et anticléricale, le roi appelle à la tête du ministère, en janvier 1828, l’avocat Martignac, qui entreprend quelques timides réformes (ordonnance sur les petits séminaires, juin 1828 ; loi libérale sur la presse), avant d’être remercié. En août 1829, Charles X forme un ministère de combat entièrement composé d’ultraroyalistes, autour du prince de Polignac, de La Bourdonnais et du maréchal de Bourmont. Le conflit avec la majorité libérale de la Chambre des députés, attachée aux libertés constitutionnelles et au principe de la responsabilité ministérielle (l’« adresse des 221 », mars 1830), est inévitable. Après l’échec de nouvelles élections, au terme d’une dissolution, et malgré le succès de la campagne d’Algérie (prise d’Alger, 5 juillet 1830), Charles X et ses ministres choisissent la voie de l’affrontement : ils promulguent quatre ordonnances, qui dissolvent à nouveau la Chambre, restreignent le nombre des députés et le droit de vote, et limitent la liberté de la presse. Au terme de trois sanglantes journées d’insurrection (les Trois Glorieuses, 27, 28 et 29 juillet 1830), les Parisiens obligent le roi à se retirer à Rambouillet, où il abdique, le 2 août, en faveur de son petit-fils Henri, duc de Bordeaux, avant de prendre à nouveau la route de l’Angleterre. Mais c’est son cousin Louis-Philippe d’Orléans qui lui succède en qualité de « roi des Français », alors que le dernier représentant légitime de la dynastie des Bourbons va mourir en exil, en terre autrichienne. Charles XIV ou Charles-Jean ! Bernadotte (Jean Baptiste Jules) Charles le Téméraire, duc de Bourgogne de 1467 à 1477 (Dijon 1433 - Nancy 1477). Fils du duc de Bourgogne Philippe le Bon et d’Isabelle de Portugal, Charles est d’abord comte de Charolais, et défend les intérêts paternels contre les villes flamandes : à Ruppelmonde en 1452 et à Morbecque l’année suivante, il est victorieux des Gantois révoltés.
• La lutte contre Louis XI. Ami du dauphin Louis, dont les relations avec Charles VII sont mauvaises, il s’oppose par la suite à son compagnon, devenu Louis XI, en soutenant la ligue du Bien public, menée par le frère du roi, le duc de Bourbon, le duc de Bretagne François II et Jean de Calabre, fils du duc de Lorraine. Après une bataille indécise à Montlhéry, en 1465, le roi et Charles le Téméraire signent à Conflans un traité par lequel Louis XI rend à la Bourgogne les villes de la Somme qu’il avait rachetées à Philippe le Bon. Devenu duc de Bourgogne en 1467, à la mort de son père, Charles le Téméraire reprend à son compte les ambitions paternelles et tente de reconstituer à son profit le royaume carolingien de Lotharingie. Dans sa lutte, il se heurte aux souverains établis, Louis XI et l’empereur Frédéric III. Les affrontements sont d’abord indirects, sur le théâtre d’autres conflits européens. Ainsi, dans la guerre des Deux-Roses, en Angleterre, Louis XI prend le parti d’Henri VI de Lancastre alors que Charles de Bourgogne soutient Édouard IV d’York, dont il épouse la fille, Marguerite, en 1468. Cette année lui est propice à plus d’un titre, car il remporte une victoire diplomatique lors de l’entrevue de Péronne avec Louis XI, en octobre 1468. En effet, alors que le roi et le duc tentent de s’accorder, la ville de Liège se révolte contre le prince-évêque, à l’instigation, semble-t-il, d’ambassadeurs de Louis XI. Ce dernier est alors contraint d’accompagner Charles le Téméraire qui va réprimer la révolte, et doit accepter de soustraire les états du duc à la juridiction du parlement de Paris. Charles peut alors créer en 1473 le parlement de Malines, sa nouvelle capitale : disposant d’une justice souveraine, il a les moyens de son indépendance. • Une construction territoriale fragile. Au-delà des institutions, le duc de Bourgogne doit achever la construction territoriale de ses états, relier le Nord flamand et le Sud bourguignon. C’est le sens de sa diplomatie à l’Est. En 1469, il achète à Sigismond de Habsbourg ses droits sur la haute Alsace. Il obtient de René II de Lorraine le droit de garnison dans son duché. Ce faisant, il s’oppose aux cantons suisses encerclés par les Bourguignons. En 1473, Charles le Téméraire est sur le point d’atteindre son but : indépendance institutionnelle à l’égard du roi de France, encerclement des territoires qu’il désire soumettre à son autorité ; ne lui manque que l’aval de l’empereur Frédéric III de Styrie, qui le reçoit à Trèves mais se garde bien de lui proposer la
couronne attendue. Adversaire non déclaré, l’empereur s’oppose au duc de Bourgogne, qui lutte désormais sur trop de fronts simultanément. Défait à Héricourt par les cantons suisses et les villes de basse Alsace, le 13 novembre 1474, Charles le Téméraire ne peut empêcher que ses alliés anglais fassent la paix avec le roi de France au traité de Picquigny en 1475, tandis qu’il s’attarde au siège de Neuss contre l’archevêque de Cologne. Il ne lui reste alors que la force de ses armées : il envahit la Lorraine à la fin de l’année 1475 et s’attaque aux cantons suisses. À Granson le 2 mars 1476, puis à Morat le 22 juin, les cantons abattent la plus puissante armée d’Occident. Le 5 janvier 1477, Charles le Téméraire meurt downloadModeText.vue.download 170 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 159 devant Nancy, qu’il tentait de reprendre à René II de Lorraine. Il laisse pour unique héritière sa fille Marie, qui va devenir l’enjeu de la plus grande succession du XVe siècle. C’en est fini de l’État bourguignon. Charles Martel, maire du palais (688 - Quierzy, aujourd’hui dans l’Aisne, 741). Fils bâtard du maire du palais Pépin de Herstal et de sa concubine Alpaïde, Charles Martel appartient à la puissante famille des Pippinides. En 714, cette dernière traverse une crise provoquée par Pépin de Herstal, qui, à l’instigation de sa femme Plectrude, désigne pour héritier son petit-fils, un enfant de 6 ans. Sitôt Pépin mort, en 714, Charles est emprisonné, mais Plectrude ne peut faire face à la révolte des grands de Neustrie menés par Ragenfred. Évadé de sa prison, Charles entraîne à sa suite les Austrasiens, qui sont vainqueurs des Neustriens à Amblève, en 716, et à Vincy, en 717. Il lui faudra encore deux ans pour parfaire sa victoire en soumettant les Saxons, alliés des Neustriens, puis Ragenfred et le duc Eudes d’Aquitaine. Charles devient alors, en 719, le maire du palais du dernier roi mérovingien, Thierry IV, souverain privé de pouvoir effectif. Ses premières années annoncent les grands traits de son oeuvre : union des Francs, lutte contre les peuples germaniques, conquête du Midi. Dans le Nord, en effet, Charles s’assure de la fidélité des Neustriens aussi bien que des Austrasiens en leur attribuant des bénéfices ecclésiastiques et des terres que, soucieux de ne pas dilapider son propre patrimoine, il a
confisquées aux églises. Il est le premier des chefs francs à comprendre que la paix avec les remuants voisins germaniques passe non seulement par des campagnes militaires - nombreuses -, mais aussi par la christianisation. Aussi encourage-t-il les missions d’évangélisation de Willibrord, fondateur de l’évêché d’Utrecht, et de Boniface en Frise, en leur apportant le soutien des armes. Si Charles Martel est demeuré dans la mémoire collective celui qui « vainquit les Arabes à Poitiers en 732 », il est surtout celui qui soumit à nouveau le Midi au pouvoir franc. En effet, le duc Eudes d’Aquitaine, débordé par une razzia conduite par le gouverneur de l’Espagne musulmane, Abd ar-Rahman, fit appel à Charles, qui arrêta l’incursion au nord de Poitiers, peut-être le 25 octobre 732. Sous ce prétexte, il interviendra dans la vallée du Rhône en 737, puis en 739, à nouveau en Provence, avec l’aide des Lombards d’Italie. L’immense prestige acquis dans la lutte contre les Sarrasins permet à Charles Martel, à la mort de Thierry IV, en 737, de ne pas lui désigner de successeur. À sa mort, Charles Martel est, selon son voeu, enterré à l’abbaye de Saint-Denis, aux côtés des rois mérovingiens, dont il a orchestré la fin, préparant ainsi l’entrée en scène de ses fils Carloman Ier et Pépin le Bref, le fondateur de la dynastie carolingienne. Charlotte Élisabeth de Bavière ! Palatine (princesse) Charonne (manifestation du métro), rassemblement de protestation contre l’Organisation armée secrète (OAS), à Paris, le 8 février 1962. Après l’échec du putsch des généraux en avril 1961, l’OAS s’oppose par la violence aux négociations entamées avec le FLN algérien. Les attentats, incessants en Algérie, se multiplient en métropole. Ils sont particulièrement nombreux au début de l’année 1962. L’opinion publique, de plus en plus hostile à ces violences aveugles, est indignée par l’attentat au domicile d’André Malraux, qui fait une victime (Delphine Renard, 4 ans, perd la vue). Les syndicats (CGT, CFTC, FEN, UNEF), les partis et organisations de gauche (PCF, PSU, Jeunesses socialistes) appellent à manifester le 8 février contre le « danger fasciste » et dénoncent le soutien que rencontre l’OAS dans une partie du monde politique et de l’appareil d’État (police et armée). Interdite par le gouvernement, la manifestation regroupe
néanmoins, dans le quartier de la Bastille, plusieurs dizaines de milliers de personnes, qui se heurtent à un imposant dispositif policier mis en place par le préfet de police Maurice Papon. Comme lors de la manifestation du 17 octobre 1961, la brutalité policière s’exerce sans discernement : les charges sont particulièrement violentes au métro Charonne, où l’on relève 8 morts, écrasés pour la plupart contre les grilles de la station, auxquels il faut ajouter les 150 blessés de la soirée. Les funérailles des victimes, le 13 février, jour de grève générale, regroupent 500 000 personnes dans une procession silencieuse qui marque la fin des espoirs de l’OAS en métropole. Le métro Charonne a représenté pour la gauche française un « lieu de mémoire » symbolisant la répression d’État et la collusion de la police avec le « fascisme ». charrue, instrument de labour qui, à la différence de l’antique araire (instrument de forme symétrique qui fend le sol verticalement), est muni d’un versoir, lequel permet un labour profond et rejette la terre d’un seul côté. La charrue entre dans l’historiographie grâce aux travaux de Marc Bloch (les Caractères originaux de l’histoire rurale française, 1931), qui intègrent l’étude comparée de l’araire et de la charrue à celle des « régimes agraires » : l’araire est associé aux champs larges et irréguliers, méditerranéens ; la charrue, « la mère des champs allongés », est indissociable d’une vie communautaire puissante, et appartient à « cette civilisation technique des plaines du Nord ». Mais Marc Bloch soulève aussi des interrogations : sur quelles sources se fonder pour étudier un objet technique, et quel lien de causalité établir entre un instrument et une civilisation ? La fécondité de cette approche apparaît chez André Georges Haudricourt (1955), pour qui les différences entre la charrue et l’araire sont à rechercher dans « les manières diverses d’utiliser un même instrument ». L’inclinaison de l’araire dans les terres humides est source de dissymétrie de l’instrument (versoir), de généralisation de l’avant-train (qui facilite le déplacement), et de l’adjonction du coutre (pièce tranchante ouvrant le sol avant le soc). L’introduction de ces modifications aboutit à la charrue, entre le Ve et le Xe siècle, au nord des Alpes. La France septentrionale connaît une diversification des outils aratoires, qui se rattachent à deux types : avec versoir fixe ou mobile ; la France méridionale passe sans transition de l’araire à la charrue moderne. Mais certains traits de l’araire perdurent, utilement. L’histoire de la charrue interroge donc le « mode d’existence des objets techniques » (Gilbert Simondon, 1958).
charte, au Moyen Âge, document qui consigne par écrit un acte juridique et lui confère une valeur authentique. On distingue traditionnellement deux types de sources écrites pour l’histoire médiévale : les sources narratives, telles les chroniques et les textes littéraires ; les sources dites « diplomatiques » ou « documentaires », qui rassemblent les documents écrits par les hommes du Moyen Âge dans le cadre de leur activité. Il peut s’agir de registres de comptes, de contrats de vente ou de mariage, d’actes de donation, de traités entre États, etc. Le terme de charte désigne, de manière assez large, ceux de ces documents qui possèdent une valeur juridique, les actes. Ils peuvent être d’origine publique ou privée. Les actes publics sont produits par les chancelleries des États souverains, royaumes, papauté ou empire, mais aussi par certains duchés (Bretagne, Bourgogne). La chancellerie des rois de France, qui se développe à partir du XIIIe siècle, produit un grand nombre d’actes royaux. Seuls les plus solennels, munis du grand sceau royal, conservent le nom de chartes. Les autres sont appelés « préceptes », « lettres patentes », « mandements », « lettres missives » et « lettres closes ». Certains de ces actes très solennels accordent des privilèges à des villes (chartes de communes) ou des libertés féodales : ainsi la charte aux Normands, accordée par Louis X aux barons normands en 1315, ou encore la Grande Charte, extorquée par ses barons au roi d’Angleterre Jean sans Terre en 1215. Les actes privés sont beaucoup plus nombreux que les actes publics ; ce sont le plus souvent des transferts de droits, des donations ou des ventes, ou encore des testaments. Peu d’originaux munis de leurs sceaux et de tous leurs signes de validation sont parvenus jusqu’à nous. On a surtout conservé des registres ou cartulaires dans lesquels sont recopiés les textes des chartes, et des minutes, brouillons servant à la préparation des documents authentiques. L’étude des caractères formels (écriture, sceaux, ordre des phrases, support, etc.) des actes publics et privés du Moyen Âge - et, dans une moindre mesure, de l’Ancien Régime - relève d’une science auxiliaire de l’histoire, la diplomatique. Elle permet de déterminer l’authenticité des documents et de dépister les faux. Charte constitutionnelle, Constitu-
tion de la France de 1814 à 1848, modifiée en 1830. À la chute de Napoléon, en 1814, l’Europe victorieuse juge que les Français n’accepteront pas un retour à l’absolutisme. Louis XVIII promet une Constitution, mais préfère parler de « Charte », terme plus médiéval que downloadModeText.vue.download 171 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 160 révolutionnaire, et prétend l’accorder librement, d’où le nom de « Charte octroyée ». Son préambule escamote vingt-cinq ans d’histoire - depuis 1789 -, et affirme la continuité monarchique, mais le texte garantit les libertés fondamentales, l’égalité juridique et la propriété, y compris celle des biens nationaux. Cette dualité reflète celle du régime, une monarchie ni parlementaire ni absolue. Le roi détient le monopole de l’initiative des lois, nomme les ministres et les membres de la Chambre des pairs. Il signe les ordonnances « nécessaires à l’exécution des lois et à la sûreté de l’État ». En outre, il peut dissoudre la Chambre des députés. Celle-ci est élue au suffrage censitaire : les électeurs doivent avoir 30 ans et payer 300 francs d’impôts directs ; les candidats éligibles, avoir 40 ans et payer 1 000 francs ; ils ne sont, respectivement, que 110 000 et 15 000. En retour, députés et pairs peuvent paralyser l’exécutif, car ils votent les lois et le budget - celui de 1814 étant le premier, en France, adopté ainsi. Au-delà des Cent-Jours, où Benjamin Constant fait de la Charte la base de l’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire, et malgré les limites de son libéralisme, ce texte permet d’implanter et de développer le parlementarisme, et sert de rempart contre les nostalgiques de l’Ancien Régime, au point que « Vive la Charte ! » devient un cri séditieux. Sa défense, contre les ordonnances de Charles X, est à l’origine de la révolution de 1830 ; dès le 31 juillet, Louis-Philippe déclare qu’elle sera désormais une « vérité ». Elle est amendée, son préambule supprimé ; le drapeau tricolore est rétabli ; le catholicisme cesse d’être religion d’État ; toute censure est officiellement abolie ; les Chambres obtiennent l’initiative des lois, les ordonnances royales étant limitées à leur stricte exécution ; le cens n’est plus fixé, ce qui aurait pu permettre son abaissement progressif et un passage en douceur au suffrage universel, comme cela allait adve-
nir en Angleterre ou en Italie. Le sort de la monarchie de Juillet va dépendre des modalités d’application de ce nouveau compromis entre républicains et monarchistes, ou entre démocrates et libéraux, et non plus, comme en 1814, entre libéraux et absolutistes. Charte du travail, projet corporatiste élaboré par le régime de Vichy. Promise par le maréchal Pétain le 1er mars 1941, dans un discours aux ouvriers de SaintÉtienne, la Charte du travail est promulguée le 26 octobre. Cette « loi sur l’organisation sociale des professions » résulte d’un compromis entre la volonté de créer, plus qu’un texte juridique, un « élément spirituel » annonciateur d’un « ordre nouveau » - où les syndicats se verraient assigner la mission d’instituer des relations harmonieuses entre patrons et salariés en abolissant la lutte des classes et la concurrence -, et les objectifs de René Belin, ministre du Travail, qui souhaite mener, sous l’autorité de l’État, une réforme du syndicalisme prétendant faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts particuliers. La rédaction, laborieuse, s’étale du 22 août au 26 octobre, et la Charte donne lieu à quelque six versions, âprement discutées. Le syndicat professionnel, qui perd toute liberté, devient unique, et l’adhésion, obligatoire pour les salariés comme pour les employés. La grève et le lock-out sont interdits ; le droit d’association se voit limité au seul niveau régional. À l’échelon local, la participation des travailleurs est encadrée par des comités sociaux chargés de « discipliner » leurs adhérents et de les représenter sur le plan strictement professionnel. Vivement critiqué, cet essai de corporatisme était difficilement applicable, en raison des nombreuses ambiguïtés et lacunes du texte. Chartres (Notre-Dame de) ! NotreDame de Chartres chartreux, moines contemplatifs de l’ordre fondé par saint Bruno en 1084, dans le massif alpin de la Grande-Chartreuse, et qui illustre les aspirations de la vie monastique au XIe siècle. La spiritualité cartusienne reprend les principes du monachisme bénédictin, mais elle les organise autrement : elle exige un renoncement total au monde, le refus de toute intervention sur la société, et insiste sur l’obéissance, l’humilité, la méditation, la contemplation, la lecture, l’oraison. C’est le cinquième prieur de l’ordre, Guigues (mort
en 1137), qui a rédigé les Coutumes, inspirées en partie par la règle de saint Benoît, mais empruntant également à saint Jérôme et à Jean Cassien. Toute chartreuse est entourée par un « désert », domaine à l’usage exclusif des religieux, qui symbolise leur volonté d’isolement. La vie cartusienne associe érémitisme et cénobitisme. Ce dernier est pratiqué dans la « maison basse » - la correrie - par les convers, qui se consacrent aux travaux nécessaires à l’entretien de la communauté. La « maison haute » abrite les moines, qui pratiquent un érémitisme stable. Les chartreux vivent en « cellule », petite maison dont le rez-dechaussée est composé d’un bûcher et d’un atelier, tandis que l’étage est réservé à la prière, à la méditation et à la copie des manuscrits. Les moines se réunissent uniquement pour certains offices, lors du repas le dimanche, et pour le chapitre. Tous doivent obéissance au prieur, qui assure la direction matérielle et spirituelle de la communauté. En 1155 s’est tenu le premier chapitre général, étape initiale dans la constitution d’un ordre qui n’a cessé de renforcer sa centralisation. C’est au XIVe siècle que l’ordre des chartreux compte le plus de monastères. Dispersé en 1792, il se reconstitue en 1816. Puis, en 1903, après l’adoption de la loi sur les congrégations, les moines sont de nouveau expulsés. Ils ne regagnent leur monastère qu’en juin 1940. chasse. Héritage des chasseurs-cueilleurs, ce loisir, qui apporte un complément alimentaire, est le reflet de réalités juridiques et culturelles mobilisant les passions et les images nées d’une lente sédimentation. Le droit romain lie la chasse à la propriété foncière. Le christianisme en fait l’expression de l’empire sur les animaux donné à Adam. Le Moyen Âge carolingien invente la garenne, réserve parfois établie par le souverain sur les terres d’autrui. Cette soustraction au droit commun redouble le statut de la forêt dans l’imaginaire, monde de réminiscences païennes, de l’écart et de la sauvagerie, et le chasseur est pensé comme un être ambivalent, aux limites de la civilisation. Chaque région a sa légende de chasseurs maudits hantant les forêts. Saints chasseurs, saint Eustache, puis saint Hubert protègent de la rage, cet « ensauvagement ». Au XIIe siècle, l’apparition de traités spécialisés souligne la volonté d’ancrer la chasse dans la civilisation : retenons le
traité de fauconnerie de l’empereur Frédéric II, le Livre du Roi Modus et de la Reine Ratio (XIVe siècle), empreint d’allégories morales, et surtout le Livre de la chasse de Gaston Phébus, comte de Foix, rédigé à partir de 1397 ; prestigieux, leurs manuscrits s’ornent de riches enluminures. Les scènes de chasse envahissent la littérature et, dans les romans arthuriens, la « chasse au blanc cerf » prend valeur d’épreuve initiatique. Importée d’Orient, la fauconnerie, pratiquée par les femmes comme par les hommes, symbolise l’univers courtois. Cependant, la chasse noble, où le guerrier s’éprouve et s’éduque, n’est pas encore coupée des chasses populaires : les traités évoquent les pièges et la chasse à l’arc aussi bien que la vénerie. Cette situation renvoie à la tolérance dont jouissent les chasseurs roturiers. • Quand la chasse devient un privilège. En 1396, l’ordonnance de Charles VI marque une rupture en séparant les loisirs des travailleurs de ceux des guerriers. Chasser devient le privilège personnel des nobles ou bien le droit d’un seigneur, détenteur d’un fief ou d’une haute justice. Cette évolution se dessine dans l’Europe entière. Toutefois, les bourgeois des villes peuvent chasser en banlieue et le droit de chasse roturier est théoriquement conservé en Béarn, dans certaines vallées pyrénéennes et alpines, ainsi qu’en Languedoc. Autour de Paris et des résidences royales règne le système détesté des capitaineries (créé pour Fontainebleau, en 1534) qui interdit toute chasse aux particuliers, même nobles, et réglemente étroitement les travaux agricoles. La culture de la chasse prend un tour nettement aristocratique dans les traités qui se multiplient entre 1560 et 1660, temps de troubles et d’interrogation sur l’identité nobiliaire et la fonction royale. Consacrés aux genres nobles, chasse à courre et dressage des rapaces, ces traités, tels ceux de Jacques du Fouilloux (la Vénerie, 1561) et de Charles d’Arcussia (la Fauconnerie, 1598), mettent l’accent sur la maîtrise de soi et la soumission à l’ordre légitime. Le chasseur doit résister à son goût pour le sang et la violence ; il magnifie ses pulsions dans un rituel raffiné qui accentue la distance entre lui et l’animal. Justifié depuis Xénophon comme une école de la guerre, le monopole sur la chasse est désormais bien plus encore un art de dominer la nature qui légitime la prééminence sociale. • Accompagner le roi : une faveur recherchée. À la cour, la chasse atteint sa plus haute signification : le souverain est le chasseur par excellence, qui seul tient l’équilibre entre sauvagerie et culture. Trois à quatre fois par
semaine, le roi chasse, prouvant sa nature surhumaine par des hécatombes de cerfs ou downloadModeText.vue.download 172 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 161 d’oiseaux. Il est servi par de nombreux officiers, environ 380 sous Louis XIV. La charge de grand veneur est la plus prestigieuse, détenue au XVIIIe siècle par le comte de Toulouse, puis par son fils, le duc de Penthièvre. Pour tout noble, la présentation au roi se fait à la chasse et Chateaubriand en laisse le récit ému dans ses Mémoires d’outre-tombe. Pour la chasse, la nature est remodelée (au XVIIIe siècle, 1 600 kilomètres de chemins tracés en forêt de Compiègne), les résidences de loisir se multiplient tels Chambord, Fontainebleau et même, à l’origine, Versailles. L’art prend prétexte des plaisirs cynégétiques pour imaginer un univers fabuleux - sous le règne d’Henri II, thème de Diane qui joue sur l’allusion à Diane de Poitiers - ou affiner l’observation animalière - les peintres Desportes et Oudry. • Du braconnage à la démocratisation. Le braconnage, que le XVIIIe siècle dénonce comme omniprésent, constitue l’envers de ce monde fastueux. Dans des campagnes en pleine croissance démographique, le paysan proteste contre la multiplication du gibier, surtout des lapins qui ravagent les cultures. C’est un thème central des cahiers de doléances de 1789, au moins dans les régions céréalières du Bassin parisien. À sa manière, le braconnier, issu de toutes les strates du monde roturier, réclame la liberté du loisir. Les sanctions (lourdes amendes de l’ordonnance de 1669, qui supprime la peine de mort prévue par François Ier pour les multirécidivistes) sont jugées disproportionnées, et l’opinion, l’Encyclopédie en témoigne, est de plus en plus critique. Le droit de chasse est pris entre raidissement féodal et tolérance éclairée. La nuit du 4 août 1789 emporte ce privilège avec les autres, et un nouveau régime de la chasse naît, fondé sur la propriété. Le braconnier devient une figure de la résistance des « petits » contre les « gros » et l’État, romanesque comme dans le Raboliot de Genevoix (1925), mais aussi criminelle, quand le braconnage entraîne la mort d’un garde. Symbole des conquêtes de la Révolution et premier loisir de la société rurale, la chasse à tir, monde d’hommes et de citoyens, ne décline qu’à partir des années soixante-dix, en conséquence de l’exode rural. Mais de nombreux citadins gardent, en la pratiquant, un lien avec
leurs origines et, dans certaines régions (Picardie, Sud-Ouest), elle apparaît comme une puissante composante de l’identité locale face à toutes les normalisations. Lors des élections européennes de 1989, le mouvement « Chasse, pêche, nature et traditions » présente une liste pour la défense de la chasse et obtient près de 5 % des voix. chasséen, culture néolithique apparue vers le milieu du Ve millénaire avant J.-C. dans le Midi, qui s’est ensuite répandue en peu de siècles dans une grande partie du territoire correspondant à la France d’aujourd’hui, et a perduré jusqu’au IVe millénaire avant notre ère. Le chasséen se forme à partir d’une évolution du cardial ; mais, en contraste avec ce dernier, sa poterie se caractérise par une quasi-disparition du décor, à l’exception de certains motifs géométriques gravés - parfois après cuisson sur quelques récipients particuliers (assiettes à large rebord, « vases-supports » cylindriques ou quadrangulaires) ; de même, à des poteries arrondies succèdent des formes au profil aigu. On ne sait si la présence de cette poterie très spécifique sur presque tout le territoire résulte d’une migration progressive importante de la population, ou seulement de la diffusion de styles nouveaux. De fait, dans le Bassin parisien, le chasséen se développe partiellement à partir des évolutions tardives de la culture locale du « rubané ». On distingue donc au moins, outre le chasséen méridional classique, un chasséen septentrional - auquel appartient le site éponyme de Chassey-le-Camp -, présent en Bourgogne et dans le sud-ouest du Bassin parisien, et un chasséen de l’Ouest, dont relèvent la plupart des dolmens à couloir armoricains. Au cours de son évolution millénaire, le chasséen voit apparaître peu à peu des formes de hiérarchisation sociale, avec des tombes princières (à Saint-Michel-du-Touch, près de Toulouse, par exemple), des indices de productions et d’échanges intensifs (mines de silex), et, surtout, de grandes différences fonctionnelles entre les sites. Particulièrement remarquables sont les grandes enceintes cérémonielles, longues de plusieurs centaines de mètres, composées de fossés à interruptions fréquentes et renforcés de palissades, attestées aussi bien dans le Midi (Saint-Michel-duTouch, Saint-Paul-Trois-Châteaux) que dans le Bassin parisien (Noyen-sur-Seine) ou en Picardie (Bazoches-sur-Vesles, etc.). Au chas-
séen succèdent des cultures stylistiquement beaucoup plus disparates. chasseurs-cueilleurs. Pendant plus de 99 % de son histoire comme espace peuplé d’êtres humains, le territoire correspondant à la France a été occupé par des chasseurscueilleurs. On considère que trois ruptures fondamentales ont marqué l’évolution humaine : l’apparition d’une « économie de production », avec le néolithique ; l’émergence des premières sociétés hiérarchisées, avec le chalcolithique ; enfin, la révolution industrielle du XIXe siècle. Des ethnologues ont pu avancer que les sociétés de chasseurs-cueilleurs ont été les seules « sociétés d’abondance », celles où le rapport entre le temps de travail investi dans l’alimentation et le temps de loisirs fut le plus favorable ! Les activités de chasse et de cueillette ont laissé des traces archéologiques diverses, soit par leurs produits, soit par leurs outils. La chasse offre, avec les ossements des animaux tués et consommés et les outils de pierre, des vestiges visibles ; en revanche, la pêche ou, plus encore, la cueillette sont moins observables, sauf lorsque les végétaux ont été carbonisés. D’autres activités telles que la collecte du miel ne fournissent aucun témoignage direct. L’analyse chimique des os humains peut néanmoins livrer quelques renseignements sur le mode d’alimentation. Une question reste ouverte : les tout premiers hommes, qui ne maîtrisaient pas encore la chasse, ne furent-ils pas simplement des « charognards » ? Toutefois, à l’évidence, avec leur développement psychomoteur et les progrès de l’outillage, la chasse s’est imposée. Au paléolithique supérieur, les populations vivent essentiellement de la chasse aux grands troupeaux d’herbivores (rennes, mais aussi chevaux, bovidés, voire mammouths), tandis que les harpons en os témoignent des activités de pêche. L’arc est inventé à cette époque. Lorsque le climat se réchauffe, vers 10 000 ans avant notre ère, le même mode de vie se perpétue dans un environnement tempéré, avec une faune comparable à celle d’aujourd’hui (cerfs, chevreuils, aurochs, sangliers, etc.). Avec l’apparition des agriculteurs sédentaires néolithiques de tradition proche-orientale, la chasse passe à l’arrière-plan, mais elle interviendra encore fréquemment pour un quart des ressources carnées. La pêche est également attestée par des hameçons et des poids de filets. C’est seulement avec le développement de l’économie
urbaine, qui fait fortement régresser l’espace sauvage, que la chasse est définitivement marginalisée ou, du moins, réservée à l’aristocratie. En revanche, la pêche et, plus discrètement, la cueillette constitueront, jusqu’à nos jours, des ressources d’appoint. Chassey-le-Camp, commune de Saône-et-Loire où a été découvert un village fortifié du IVe millénaire avant notre ère, et site éponyme de la civilisation néolithique du « chasséen ». Le camp de Chassey est situé sur un plateau escarpé d’environ 700 mètres de longueur et d’une largeur maximale de 250 mètres. Il se présente comme un « éperon barré » : les défenses naturelles sont complétées, vers l’accès au reste du plateau, par deux remparts de terre et de pierres sèches. Fouillé dès le milieu du XIXe siècle, il a été abondamment pillé, avant de faire l’objet de recherches stratigraphiques méthodiques, dans les années soixante-dix. Celles-ci ont révélé, notamment contre le rempart sud, deux phases principales du chasséen, suivies d’occupations néolithiques, respectivement du néolithique moyen bourguignon et du néolithique final. Le site est occupé à nouveau à l’âge du bronze final (fin du IIe et début du Ier millénaire avant notre ère), puis au premier âge du fer (ou « civilisation de Hallstatt »), époque où il joua certainement un rôle politique important. C’est pendant ces périodes que les remparts, qui sont toujours visibles dans le paysage, ont été considérablement rehaussés. Paradoxalement, le site de Chassey appartient à une phase relativement récente et marginale du chasséen, à l’époque de son extension à la moitié nord de la France. Il n’est donc pas caractéristique de l’ensemble de cette culture. l CHÂTEAU. Manifestation la plus représentative du système social médiéval fondé sur la féodalité, le château est, à la fois, la résidence d’un membre de l’aristocratie et de sa famille, le centre d’exploitation d’un domaine foncier, le lieu d’exercice d’un pouvoir de commandement. Du premier Moyen Âge jusqu’à la Renaissance, il revêt l’aspect d’un édifice fortifié, dont le rôle politique et militaire s’applique au contrôle des frontières et des voies de communication, à la surveillance et à la protection downloadModeText.vue.download 173 sur 975
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162 des populations. Certains sont le centre d’un essor administratif, la « châtellenie » ou le « mandement », à l’intérieur duquel s’exerce un pouvoir de contrôle économique, judiciaire et militaire : le ban. Cependant, la plupart des châteaux sont de simples demeures faiblement fortifiées, les « maisons fortes ». Toutes catégories confondues, cet ensemble présente encore un maillage remarquable : en effet, subsistent, en France, les vestiges de près de trente mille sites fortifiés médiévaux. L’ÉVOLUTION DES CHÂTEAUX Les fortifications les plus anciennes sont assez proches, morphologiquement, des oppidums protohistoriques : les forteresses mérovingiennes et carolingiennes se présentent, le plus souvent, sous la forme de vastes enceintes. Destinées à servir de refuges à une population rurale dispersée, elles sont implantées à l’écart des agglomérations, sur des reliefs naturels escarpés - bords de falaises, éperons barrés, plateaux isolés - dont elles exploitent au mieux les avantages topographiques. Par ailleurs, certaines résidences impériales ou comtales traduisent, à travers une architecture palatiale, l’héritage de l’Antiquité romaine : il s’agit de vastes bâtiments dont l’élément majeur est une salle, l’aula, et qui constituent le lieu d’exercice du pouvoir public. La fin du Xe siècle et le début du XIe voient se multiplier les constructions de châteaux « privés », qui sont implantés sur des domaines ou dans des fiefs d’aristocrates ayant résidé jusqu’alors dans l’entourage des détenteurs de la puissance publique - comtes ou évêques. Ce phénomène prend une ampleur considérable, à tel point qu’il sera qualifié de « révolution castrale ». La forme la plus fréquente que revêt le château à cette époque est la motte : un tertre artificiel de terre protégé par un fossé et, souvent aussi, par un rempart de terre. Un terre-plein - ou « basse cour » -, peu ou pas surélevé, ordinairement ovale, protégé à son tour par un fossé, lui est associé. Avant le XIIe siècle, les châteaux installés sur ces terrassements sont, dans la plupart des cas, en bois, qu’il s’agisse de la tour - réduit défensif et résidence seigneuriale - édifiée sur le tertre ou des bâtiments annexes disposés dans la basse cour. La motte castrale constitue le prototype du château médiéval, qui, à partir du XIIe siècle, est généralement bâti en pierre. L’élément principal en est le donjon, dont la forme diffère selon les régions. Dans la France
du Nord et de l’Ouest, les donjons barlongs s’inspirent de la configuration de l’aula, dans des formes beaucoup plus massives (Langeais, Loches), tandis qu’ailleurs la tour carrée se substitue au château de bois (Albon). Le XIIIe siècle apporte de nouvelles mutations, qui prennent naissance principalement dans le domaine royal, sous l’influence de Philippe Auguste. Au chapitre des innovations : d’une part, la tour cylindrique remplace peu à peu la forme quadrangulaire (Château-Gaillard, Fréteval, Châteaudun), en passant parfois par des étapes intermédiaires de plan polylobé (Houdan, Étampes) ; d’autre part, l’ensemble castral s’organise selon un plan régulier (Dourdan). Dans ce cas, le donjon conserve une place éminente, qu’il soit situé en position de barrage, c’est-à-dire du côté le plus exposé de la forteresse (Coucy), ou qu’il fasse office d’ultime refuge (par exemple, au Louvre). À la fin du Moyen Âge, le château fort adopte des formes complexes, avec la modernisation et la multiplication des structures défensives (qui doivent s’adapter à la diffusion de l’arme à feu) aussi bien que des parties résidentielles, qui s’organisent autour de plusieurs cours (Najac). L’architecture des maisons fortes est beaucoup plus variée ; les innovations techniques concernent dans une moindre mesure ces châteaux plus modestes, dont l’aspect est davantage tributaire du rang - et des moyens - de leur propriétaire. Il s’agit, le plus souvent, de logis pourvus d’éléments de défense et, à la fin de la période, nombre de ces établissements seigneuriaux sont encore construits en bois, parfois sur une plate-forme artificielle entourée de fossés. LES ÉLÉMENTS DÉFENSIFS Le château fort médiéval prend appui, presque systématiquement, sur une topographie favorable pour asseoir sa défense - éminence naturelle ou barrière d’un cours d’eau -, que des travaux de terrassement complètent et renforcent : reliefs redécoupés et accentués, creusement de fossés, surélévations artificielles. Le donjon, ou tour maîtresse, concentre les éléments défensifs : l’épaisseur de ses murs (jusqu’à plus de 4 mètres à la base), la rareté de ses ouvertures (rez-de-chaussée aveugle, étroites fentes de tir), la protection de l’accès (porte au premier étage), des aménagements sommitaux (crénelages et mâchicoulis), le consacrent comme le pivot d’une défense renforcée par la possibilité de l’isoler du reste du château. La défense passive est assurée par la diversification des barrages : flanquements
de courtines, chemise de protection de la base du donjon, redoublement des enceintes, chicanes. La défense active s’appuie principalement sur les superstructures de bois (hourds), qui permettent, depuis les créneaux et les différentes ouvertures de visée, une riposte efficace. L’accès au château bénéficie d’une protection particulièrement soignée, avec des systèmes de fermeture complexes associant herse et pont-levis, et accompagnés, à l’extérieur, de défenses avancées : bretèches, fossés et barbacanes, complétés, à l’intérieur, par un assommoir ménagé dans la voûte du couloir d’accès, ou une souricière. LES FONCTIONS DU CHÂTEAU Le château est le lieu où s’exercent, outre un rôle militaire, les fonctions politiques et administratives qu’assume son propriétaire. L’architecture intérieure doit offrir à celuici un cadre majestueux adapté : la grande salle, décorée, de dimensions exceptionnelles (atteignant parfois plusieurs dizaines de mètres de long), occupe la position centrale. S’y déroulent des audiences, des réceptions et des fêtes ; le châtelain y rend également la justice, une fonction qui s’inscrit jusque dans la topographie : le château domine le paysage, comme pour rappeler qu’il est le garant de l’ordre. Des cellules étroites, qui parfois constituent l’essentiel de l’espace vital, comme à Provins, sont fréquemment aménagées. Une pièce, la salle des archives, souvent dépourvue de fenêtres, et située tout en haut du bâtiment, est dévolue à la conservation des documents qui permettent le recensement des habitants et l’établissement de la cote des impôts. Centre économique du domaine, le château fort abrite systématiquement silos et réserves. En règle générale, les stocks alimentaires sont rangés dans des salles souterraines ou aveugles, dont l’obscurité - qui les a longtemps fait passer pour des oubliettes - doit garantir une bonne conservation des denrées. Des magasins sont aménagés dans les soussols, jusque dans les châteaux royaux, comme à Vincennes. Lorsque la demeure se résume à un donjon de pierre, ce rôle est assumé par la salle basse, à laquelle on n’accède, le plus souvent, que par un oculus ouvert dans la voûte du plafond. Dans les imposantes enceintes de la fin du Moyen Âge, une vaste cave est quelquefois creusée à même le roc : ainsi, à Blandy-les-Tours, en Seine-et-Marne, une grande cave voûtée quadrangulaire, où l’on entre par des escaliers, servait de resserre
au logis. Le double rôle judiciaire et de perception de l’impôt explique que le seigneur soit souvent considéré comme un exploiteur. « On construit des châteaux / Seulement pour étrangler les pauvres », dit au XIIIe siècle l’Allemand Freidank. En réalité, en cas de troubles, le château offre un bon abri pour les biens agricoles, qu’il s’agisse de matériel exigeant des investissements lourds, telle la charrue, de stocks alimentaires, ou de bétail sur pied. C’est aussi la raison pour laquelle les infrastructures agricoles banales telles que le moulin et le pressoir, voire le four, sont volontiers construites à l’intérieur des enceintes des châteaux. Des potagers et des vergers sont plantés dans la basse cour. Le château fort est aussi un lieu de résidence, et, dès les XIe et XIIe siècles, cette dernière fonction empiète sur celle de défense. Les bâtisseurs ajoutent au donjon et à l’enceinte une cuisine, souvent séparée du corps principal pour des raisons de sécurité, ainsi qu’un puits ou une citerne d’eau de pluie, qui, en revanche, sont disposés au plus près du donjon, pour permettre la survie des défenseurs en cas de siège. Du XIIIe au XVe siècle, la cuisine, souvent située au rez-de-chaussée, comme à Vincennes, est dotée d’aménagements complets : elle comporte un évier de pierre avec évacuation d’eau, une grande cheminée pour la préparation des repas, voire une glacière, comme au château de Mehunsur-Yèvre, où résidèrent successivement le duc Jean de Berry et Charles VII. Au-dessus des salles de stockage et de la salle d’apparat se trouvent les chambres destinées à la famille du seigneur. Tôt dotées de cheminées - ou de poêles dans l’est du pays - et de latrines relativement confortables, avec sièges et orifices de ventilation, les pièces comportent aussi des fenêtres à coussiège, qui fournissent un minimum de lumière sans trop refroidir l’habitat ; elles ne seront que tardivement vitrées, et sont souvent de dimensions réduites, adaptées à la fois aux nécessités de la défense et à celles du confort. À l’exception du lit, le mobilier médiéval est réduit et démontable, pour dégager le downloadModeText.vue.download 174 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 163 maximum d’espace dans la journée. À partir
du XIIIe siècle, pour répondre aux exigences nouvelles de confort de la gent seigneuriale, le donjon est abandonné à la garnison, au profit d’un logis de pierre ou en pans de bois, où réside désormais la famille du seigneur. Bâtis dans la cour, souvent accolés au donjon, ces logis proposent un espace vital bien plus vaste que celui offert par l’édifice précédent, dont la surface était nécessairement limitée ; aux pièces circulaires des donjons des XIIe et XIIIe siècles, malaisées à aménager, succèdent alors des salles carrées, où nulle place n’est perdue pour l’habitabilité. Aux XIVe et XVe siècles, le château des puissants se transforme en palais, tel celui des ducs de Bretagne, à Suscinio (Morbihan). La vue de châteaux aujourd’hui dégarnis de mobilier donne à penser qu’il ne s’agit plus que de coquilles de pierre. Or nombre de ces édifices n’étaient guère plus meublés aux temps mêmes de leur occupation. En effet, les seigneurs possèdent souvent plus d’un château, et se rendent de l’un à l’autre suivant la saison ou leurs obligations. Entre deux déplacements, à l’exception des châlits de bois, la demeure se vide de son mobilier comme de ses habitants. Le mode de vie itinérant de l’aristocratie impose l’usage d’un mobilier aisément transportable, ou pliant : les tables sont alors de simples plateaux de bois disposés sur des tréteaux, que l’on installe au moment des repas - d’où l’expression « mettre la table ». Les tabourets pliants, les coffres, servant à la fois de bagages et de rangements domestiques, sont emportés lors de chaque changement de résidence. L’armoire massive n’existe pas, et les dressoirs ne datent que de la fin du Moyen Âge. Avant la diffusion tardive du verre à vitre, on obture simplement les fenêtres avec du papier huilé, à l’arrivée du seigneur et de sa famille, on pourvoit à la hâte les salles de nattes de paille tressée, tandis que tapis, tentures, tapisseries et coussins voyagent de résidence en résidence. Ce mode de vie nomade n’empêche en rien le déploiement d’un grand luxe dans la décoration du château et dans l’aménagement des chambres. Outre les fresques et les peintures des poutres et des plafonds, les textiles, de couleurs vives, peints ou armoriés, et les carrelages somptueux, à motifs héraldiques, courtois ou animaliers, contribuent au confort et à la beauté des pièces. De multiples accessoires améliorent l’habitabilité : des pare-feu d’osier tressé, le luminaire, une vaisselle souvent ornée de motifs animaliers ou anthropomorphes, des verreries importées d’Italie, des céramiques de provenance parfois lointaine, islamique, voire extrême-orientale. En outre,
dans les châteaux princiers, d’eau, fontaines, et parfois chez le roi René d’Anjou, le les rois de France, flattent sants pour l’exotisme.
jardins, pièces un zoo, comme duc de Berry ou le goût des puis-
Le château n’abrite pas seulement les proches du seigneur. En l’absence de ce dernier, un concierge est parfois seul à y résider. En cas de besoin, une garnison réduite y séjourne. Lorsque le château est occupé, le nombre de serviteurs ou de commensaux croît : domestiques pour le service et le ménage, nourrices et gouvernantes pour les enfants, chapelain pour servir l’office dans la chapelle castrale et pour enseigner aux jeunes de 6 à 15 ans ; « galopins » d’écurie, fauconniers, veneurs, valets de chiens, pour s’occuper des chevaux, faucons et chiens de guerre ou de chasse ; enfin, un cuisinier et ses apprentis, les « enfants de cuisine », pour nourrir tout ce monde. S’ajoutent à la famille les serviteurs chargés des tâches administratives, scribes et officiers, et, dans les châteaux des seigneurs importants, des enfants pages. On comprend que très tôt les châteaux, de défensifs, se soient transformés en résidences d’un haut niveau de confort. Le château fort n’est donc pas seulement l’« image de pierre des guerres médiévales » (A. Chatelain), mais aussi une forteresse habitée. RENAISSANCE OU DÉCADENCE ? Cette évolution du château vers la demeure de plaisance est pleinement achevée à la Renaissance : les fonctions militaire et résidentielle tendent à se dissocier définitivement. Au début du XVIe siècle, le château, autrefois enfermé dans ses remparts, s’ouvre sur l’extérieur, recherche la lumière et l’ornementation : pinacles au sommet des toitures, galeries et escaliers à loggia ; des jardins recouvrent les fossés, qui sont donc aplanis. L’aspect fortifié s’atténue : on remplace les archères par de larges fenêtres à tous les niveaux, et l’échelle de bois menant à la porte fait place à un escalier monumental en pierre. De telles modifications sont dues, en grande partie, à un engouement de l’aristocratie pour l’architecture italienne ; il est suscité, dès la fin du XVe siècle, par les expéditions militaires françaises. Ainsi, le décor intérieur tout comme l’organisation spatiale des premiers châteaux italianisants, bâtis en Val de Loire, transforment profondément l’apparence de ces édifices. Toutefois, jusque dans les années 1530, ceux-ci constituent des exceptions.
En effet, le château de type médiéval ne disparaît pas pour autant et, sous l’effet des guerres de Religion, la poliorcétique se modernise même efficacement. On adopte le principe des tours d’angle à plan losangé, inspirées des bastions à l’italienne, et on élargit les fossés, qui conviennent tant à la défense qu’à la plaisance. En sous-sol sont installées des casemates de tir adaptées aux canons : la défense active, autrefois organisée du haut des tours, se déplace au ras du sol. Au XVIIe siècle encore, le château de type médiéval reste en fonction. Même si Vauban édifie de nouvelles citadelles avec bastions avancés de plan polygonal, nombre de forteresses sont simplement restaurées ou aménagées dans le respect des principes médiévaux, avec pont-levis, tours, hourds de bois et mâchicoulis. En revanche, dans les châteaux résidentiels, la noblesse de l’époque privilégie l’élégance au détriment du caractère à la fois militaire et rural des châteaux médiévaux. Ainsi, le château de Grignan, cité dès 1035, et dans lequel réside six siècles plus tard la marquise de Sévigné, est transformé en « palais d’Apollidon ». Cependant, même aménagés, les châteaux anciens ne peuvent rivaliser avec ceux édifiés après le Moyen Âge, et nombre d’entre eux disparaissent alors : déjà en ruine, ou volontairement démantelés, ils servent de carrières aux paysans ; des donjons sont transformés en tours de moulins à vent, comme en Forez ; des faïenciers installent leurs fours dans leurs bâtiments, comme à Vincennes ; enfin, les plus solides des anciennes forteresses, souvent de construction royale, qui sont les plus inconfortables aux yeux des hommes modernes, ne conservent que leur fonction de prison, à l’instar de la Bastille. Les nouveaux châteaux, libérés de toute contrainte militaire ou topographique, se soumettent, dès lors, aux effets de mode et adoptent le style du temps : néoclassique dans les années 1750 et suivantes, avec plan carré, colonnes et frontons, puis néogothique durant la période romantique, férue d’un Moyen Âge régulièrement remis au goût du jour. Le XIXe siècle a même été qualifié de « second siècle d’or » du château et on dénombre encore, en 1888, quelque 40 000 châtelains : outre la vieille aristocratie et la noblesse d’Empire, les grands industriels et les banquiers font eux aussi rénover ou construire des châteaux, souvent de type « moyenâgeux », en témoignage de leur réussite financière. Le château n’a rien perdu de son prestige : pour Napoléon III, et dans l’intention d’en faire une « habitation fort agréable », Viollet-
le-Duc reconstitue le château de Pierrefonds sur des vestiges médiévaux. Même les grands propriétaires de vignobles s’attribuent des « châteaux » - 58 sont institués en 1855 - qui donnent leur nom aux vins du Bordelais ; mais il est vrai que les créateurs de nombre de ces vignobles appartenaient à l’aristocratie. C’est la guerre de 1914 qui met fin à la construction castrale ; au demeurant, l’évolution des tactiques militaires impose alors de nouvelles formes de défense : au château médiéval, symbole intemporel de puissance, perché sur une éminence, succède, au XXe siècle, la fortification enterrée, avec ses tranchées et ses casemates, dont les bunkers souterrains de mise à feu des missiles atomiques ont représenté jusqu’à récemment un exemple extrême. Chateaubriand (François René, vicomte de), écrivain et diplomate (Saint-Malo 1768 - Paris 1848). « J’ai fait de l’histoire et je pouvais l’écrire » : au terme de la « récapitulation de [sa] vie », le mémorialiste justifie son projet par son action publique. Affichant son regret de n’avoir été qu’un comparse, il s’érige cependant, par la seule force du verbe, en alter ego de Napoléon et propose une lecture du monde et de son temps qui, si elle ne l’impose pas comme l’un des penseurs majeurs du XIXe siècle, en fait le créateur d’une mythologie qui nourrit l’imaginaire romantique. • « Sicut nubes... quasi naves... velut umbra » (« Ainsi que des nuages... tels des navires... comme une ombre). Tirée du Livre de Job, l’épigraphe des Mémoires trace de ce Breton de famille traditionaliste le portrait d’un être de fuite : rêveur impénitent, voyageur par goût (Amérique du Nord, 1791), par idéologie (émigration avec l’armée des princes [1792], puis exil à Londres [1793-1800]), par culture (séjour en Orient, 1806-1807) ou par profession (secrétaire d’ambassade à downloadModeText.vue.download 175 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 164 Rome, sous le Consulat [1803], ambassadeur de la Restauration à Berlin [1821], Londres [1822], Rome [1828-1829] avant de l’être officieusement de la duchesse deBerry auprès de Charles X à Prague [1833]), il ne se fixe que par et dans l’écriture. Refuge contre la fuite du temps et l’éparpillement du moi qui
prend aussi bien la forme de la somme historico-philosophique (Essai sur les révolutions, 1797 ; Génie du christianisme, 1802) que du roman (les Martyrs, 1809), de la brochure circonstancielle (De Buonaparte et des Bourbons, 1814 ; De la monarchie selon la Charte, 1816), du récit de voyage (Itinéraire de Paris à Jérusalem, 1811), de la méditation personnelle désabusée (Vie de Rancé, 1844) ou de l’ample fresque du mémorialiste. Celle-ci, annoncée dès 1803, n’était d’abord qu’un projet narcissique. Mais ces premiers Mémoires de ma vie changent d’objet pour devenir tableau d’un monde, portrait d’une époque, chronique de la petite histoire, vision de l’histoire, perçus au travers d’une conscience qui se lit dans les soubresauts du temps et le chaos du réel ; et leur nouveau titre d’outre-tombe les fait apparaître comme un monument aere perennius. • « ...la légende, miroir de l’Histoire ». Rien d’étonnant, dès lors, que Chateaubriand porte un jugement sévère sur les hommes et les idéologies : celles-ci lui semblent vaines au regard du grand mouvement qui agite le monde ; ceux-là lui semblent subir plus que diriger. Dans ces conditions, son légitimisme est d’abord fidélité à ses ancêtres plus qu’à des postulats : et s’il crée le Conservateur (1818), s’il est ministre de Villèle (1823-1824), il démissionne sous Polignac (1829) comme il renonce à la pairie le 7 août 1830 lorsque la monarchie vacille dans ses principes, par dogmatisme anachronique ou par démagogie. Double refus qui procède d’une lecture de l’histoire fondée sur cette forme dialectisée de la providence qu’est la durée, et qui le fait remonter aux révoltes grecques, romaines ou médiévales pour expliquer 1789 et lui permet de surmonter la notion de rupture (qu’il traduit par la métaphore de l’océan qui sépare - mais, diront ses détracteurs, unit aussi - les mondes ancien et nouveau). « Royaliste par raison, bourboniste par honneur et républicain par goût », Chateaubriand ne peut que tenter de résoudre ses contradictions par la (re)création. Napoléon le fascine par son côté monarchien et son volontarisme, mais l’usurpateur et le tyran le révulsent : aussi en fait-il une figure quasi mythique, source de la double légende - noire et dorée - qui va traverser le siècle. De même transforme-til, dès l’Essai, l’émigré en un paria - figure que les romantiques broderont sous toutes les coutures - avant de développer autour de lui la thématique du « mal du siècle » (René, 1802-1805), appelé à devenir un véritable phénomène de société auquel Musset allait donner une retentissante expression lyrique dans sa Confession (1836). Ainsi, du petit nobliau de Combourg à l’inhumé du Grand-Bé,
Chateaubriand impose-t-il son imaginaire aux « enfants du siècle »... Château-Gaillard, forteresse construite (1196-1198) par Richard Coeur de Lion, roi d’Angleterre et duc de Normandie, pour défendre Rouen et contrôler la vallée de la Seine. Le château, bâti en pierre calcaire blanche, constitue une remarquable synthèse de l’architecture militaire du XIIe siècle : rattaché au plateau par un éperon rocheux, où a été édifiée une bastille triangulaire, il comprend deux enceintes entourant le donjon, qui se dresse au bord de la falaise. En 1204, Château-Gaillard, assiégé depuis huit mois par Philippe Auguste, tombe, malgré la défense acharnée conduite par Roger de Lassay ; sa chute ouvre la voie à la conquête de la Normandie, qui est alors rattachée au royaume de France. Transformée en prison par Louis X le Hutin au début du XIVe siècle, cette place stratégique est occupée par les Anglais entre 1419 et 1449, pendant la guerre de Cent Ans. Château-Gaillard est finalement démantelé, sur ordre d’Henri IV, en 1603, mais ses ruines se dressent toujours sur le méandre des Andelys. Châteauvieux (affaire des suisses de), mutinerie de régiments de l’armée royale stationnée à Nancy, en août 1790. Dans l’armée royale qui se désagrège, les rébellions d’une partie des troupes engagées dans le mouvement révolutionnaire se multiplient contre les officiers nobles attachés à l’Ancien Régime. Le malaise culmine à Nancy : après des incidents opposant les soldats du régiment suisse de Châteauvieux à leurs officiers, qui répondent aux protestations contre le retard de la solde par de sévères punitions, la garnison s’insurge le 12 août. Condamnée par la Constituante le 16, la rébellion est matée le 31 par le marquis de Bouillé, qui commande la garnison de Metz, au terme d’une bataille faisant 300 morts et blessés. Sur le conseil de La Fayette, Bouillé ferme le club jacobin, réorganise la Garde nationale nancéienne, qui a en partie soutenu la mutinerie, et dirige une répression féroce (41 suisses condamnés à trente ans de galères, 22 pendus et 1 roué vif). Ces mesures, censées permettre la reprise en main de l’armée, indignent les patriotes, et l’Assemblée, qui avait félicité Bouillé, se reprend, demandant au roi la grâce des mutins. Ils ne sont amnistiés que le 15 mars 1792 par la Législative, la situation politique ayant considérablement évolué. Le 30 mars, Paris fait un triomphe aux suisses libérés, puis, le
15 avril, les jacobins organisent pour eux une grandiose « fête de la Liberté » qui, réhabilitant les émeutiers et marquant l’opposition entre partis patriote (jacobins) et constitutionnel (feuillants), est d’abord politique. Châtillon (maison de), grande famille de la noblesse apparue au XIe siècle, et dont le dernier descendant meurt en 1416. Jusqu’à la fin du XIIe siècle, la maison de Châtillon ne représente qu’une famille seigneuriale du comté de Champagne : Miles (mort en 1076) est un vassal du comte de Champagne, et le frère de Guy, archevêque de Reims ; leurs domaines se limitent à une partie de la seigneurie de la petite ville de Châtillon-sur-Marne et à quelques fiefs ruraux. Mais, par une succession d’alliances matrimoniales judicieuses puis par le service du roi de France, cette famille de la moyenne noblesse s’élève peu à peu au rang des grands barons du royaume avant d’accéder à de hautes fonctions de l’État monarchique. Renaud de Châtillon (mort vers 1187), en épousant l’héritière de la principauté d’Antioche en 1155, devient, de manière éphémère, l’un des grands princes d’outre-mer. En France, Gaucher III (mort en 1219) se marie, au début du XIIIe siècle, avec Élisabeth, comtesse de Saint-Pol-en-Ternois : une union qui apporte aux Châtillon le titre comtal. Le patrimoine et la puissance de la famille croissent par les mariages des deux fils de Gaucher III : l’aîné épouse l’héritière du comté de Nevers, et le cadet, Marie de Blois, héritière des comtés de Blois et de Chartres. Au milieu du XIIIe siècle, la maison de Châtillon compte parmi les grandes familles comtales de la France du Nord. Par la suite, le service du roi de France, sous Philippe IV le Bel et ses fils, renforce l’ascension de la famille, et permet son introduction dans le monde princier. Guy de Châtillon, comte de Saint-Pol, bouteiller de France (1296-1316) et l’un des diplomates préférés du roi, épouse la fille du duc de Bretagne. Sa fille, Mahaut de Châtillon, est unie à Charles de Valois, frère du roi : les Châtillon s’allient ainsi aux Capétiens. Jacques, le frère de Guy, sert aussi le roi : lieutenant en Flandre dès 1301, il meurt à la bataille de Courtrai, le 11 juillet 1302. Leur cousin, Gaucher V de Châtillon (1249-1329), comte de Porcien, devient connétable de Champagne en 1286, et connétable de France en 1302 ; il est aussi l’un des plus proches conseillers de la reine Jeanne, épouse de Philippe IV, puis de leurs fils, les rois Louis X, Philippe V
et Charles IV. En 1328, à 79 ans, il commande encore une partie de l’armée du roi à la bataille de Cassel. Au XIVe siècle, les trois lignées des Châtillon-Nevers, Châtillon-Blois et Châtillon-Saint-Pol poursuivent l’ascension de la famille par des alliances avec les maisons princières de Bretagne, de Bourbon et de Luxembourg-Bohême. Mais, en 1416, la lignée masculine s’éteint. chauffeurs, brigands terrorisant les campagnes sous le Directoire. En 1795, la crise économique jette sur les routes une masse d’indigents, marqués par le bouleversement révolutionnaire. S’ajoutant au noyau ancien de mendiants et de brigands, cette population errante qui reflue vers les campagnes fait du banditisme un fléau que le Directoire, sans autorité ni moyens, ne peut endiguer. Sévissant dans les plaines de grande culture et tenant leurs repaires dans les bois, les chauffeurs - ainsi nommés en raison des tortures infligées aux victimes pour trouver leur magot en les « chauffant » : pieds brûlés, culottes de paille enflammées, chandelles sous les aisselles... - s’attaquent aux fermes isolées et aux gros laboureurs, souvent des accapareurs et profiteurs de la Révolution, détenteurs de numéraire plutôt que d’assignats. Les plus célèbres - la redoutable bande d’Orgères, organisée en société, avec sa hiérarchie, ses rites, son argot spécifique, son vaste réseau de receleurs, d’indicateurs et d’affidés, comprenant femmes, enfants, vieillards - opèrent dans la Beauce, de mars 1791 à janvier 1800, et ont des émules dans la moitié nord du pays. downloadModeText.vue.download 176 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 165 Des chauffeurs secondent aussi les bandes royalistes dans le Midi et le Lyonnais lors de la Terreur blanche, ou les chouans dans le bocage de l’Ouest ; la frontière entre banditisme et action politique est alors très floue. Les grandes bandes organisées sont décimées sous le Consulat, mais le brigandage à main armée, puni de mort dès 1797 et relevant de tribunaux criminels spéciaux créés en février 1801, perdure jusqu’à l’Empire. Chaumette (Pierre Gaspard Anaxagoras), révolutionnaire (Nevers 1763 - Paris 1794). Figure d’autodidacte radical, Chaumette est,
aux côtés de Jacques Hébert, le porte-parole des militants sectionnaires de Paris qu’on appelle les « exagérés ». Michelet en fait « une fouine à museau pointu, propre à tremper dans le sang », fixant une légende noire qui est depuis attachée à son nom. Lorsqu’il arrive à Paris en 1790, ce fils de cordonnier a une expérience de batelier, d’étudiant en médecine et de franc-maçon. Il vit alors d’une manière précaire et travaille pour le Journal des Révolutions de Prudhomme. Membre actif du Club des cordeliers, il milite et signe en faveur de la pétition républicaine du 17 juillet 1791, mais échappe au massacre du Champde-Mars et à la répression qui s’ensuit. Après le 10 août 1792, il est élu à la Commune de Paris et ne cesse de transmettre à l’Assemblée les revendications des sans-culottes, concurremment aux enragés. Avec eux, il obtient l’établissement du premier maximum, l’installation d’un tribunal révolutionnaire, la mise à l’ordre du jour de la Terreur après les journées de septembre 1793, puis la loi des suspects et la création de l’armée révolutionnaire. Mais ses convictions déchristianisatrices et les mascarades qu’il organise lui valent l’hostilité des montagnards. L’homme qui est guillotiné pour avoir « cherché à anéantir toute espèce de morale, étouffer tout principe de vertu, effacer toute idée de la divinité et fonder le gouvernement français sur l’athéisme » avait pourtant rêvé d’une régénération morale associant le refus de la prostitution et des maisons de jeu, l’ouverture de bibliothèques publiques et du Conservatoire de musique. Chautemps (Camille), homme politique (Paris 1885 - Washington 1963). Élevé dans la tradition républicaine de gauche, affilié à la franc-maçonnerie, Chautemps accomplit toute sa carrière dans le sérail du Parti radical-socialiste. Député dès 1919, il abandonne l’Assemblée nationale pour le Sénat en 1934. Dans les années vingt, il appartient à l’aile gauche du parti ; ministre d’Édouard Herriot en 1924, il se montre hostile à l’« union nationale » en 1926. Après le retour des radicaux au pouvoir, en 1932, il siège dans les cabinets successifs en tant que ministre de l’Intérieur, avant d’être appelé à la présidence de Conseil en novembre 1933, dans le contexte de crise institutionnelle aiguë que connaît le pays. Mais son arrivée à Matignon coïncide avec le déclenchement de l’affaire Stavisky, à laquelle se trouve mêlé son beau-frère, le procureur Pressard. Mis en cause, Chautemps démissionne le 28 janvier 1934, alors que se déchaîne dans Paris l’agita-
tion des ligues de droite. Favorable au Front populaire dès 1935, il est ministre d’État dans le cabinet Blum, à qui il succède en juin 1937. Peu soucieux de poursuivre la politique du Front populaire dans le domaine économique, Chautemps doit cependant tenir compte des ministres socialistes, avec lesquels il entretient des rapports de plus en plus tendus. Cette situation inconfortable le contraint à la démission en mars 1938, alors que Hitler s’apprête à imposer l’Anschluss. Vice-président du gouvernement d’avril 1938 à juin 1940, il adopte, au terme de son parcours politique, des positions conservatrices : favorable en juin 1940 à la signature de l’armistice et membre du premier gouvernement Pétain, il vote le 10 juillet en faveur du maréchal, avant de démissionner et de s’exiler aux États-Unis. Chauvet (grotte), grotte peinte paléolithique découverte en 1994 dans les gorges de l’Ardèche, près de Vallon-Pont-d’Arc. La grotte Chauvet (du nom de l’un des trois découvreurs) s’étend sur quelque 500 mètres à partir de l’entrée ancienne, aujourd’hui obstruée. On y accède par un très étroit boyau secondaire. Elle fut occupée par des ours des cavernes, qui ont laissé plusieurs dizaines de squelettes et des empreintes, mais surtout par l’homme, dont les nombreux vestiges, trop fragiles, rendent impossible une ouverture de la grotte au public. Plus de trois cents peintures et gravures figurant des animaux ont été recensées, la zone d’entrée comportant surtout des peintures rouges, la zone médiane, des gravures, et la zone du fond, des peintures noires et des gravures. Fait particulièrement remarquable, elles représentent une quinzaine d’espèces différentes, et il s’agit d’animaux très rarement figurés dans les peintures rupestres : une soixantaine de rhinocéros (soit trois fois plus que dans tout le reste de l’Europe), des félins, mais aussi des mammouths et des ours. On observe également une combinaison de peintures et de gravures, une recherche d’effets de perspective, ainsi que des signes abstraits (points). Après la découverte de la grotte, de nombreuses polémiques ont éclaté, concernant la propriété juridique des photographies, le choix des scientifiques autorisés à l’étudier, mais aussi les datations : les premières, établies au carbone 14, proposent une date située aux alentours de 30 000 ans avant notre ère ; ces peintures seraient donc deux fois plus ancienne que celles de toutes les autres grottes peintes connues à ce jour.
chauvinisme, terme synonyme de patriotisme exagéré, belliqueux, de nationalisme ridicule, qui apparaît en France en 1840. Il vient du nom de Nicolas Chauvin, figure du soldat naïvement exalté de l’Empire. Contrairement à ce qu’on a longtemps cru, Chauvin ne recouvre très probablement pas un personnage réel : créé, célébré autant que caricaturé par les vaudevillistes dès la Restauration et la monarchie de Juilllet, repris sous le Second Empire, d’abord jeune recrue paysanne, puis vieux grognard, il représente un patriote sincère et naïf qui rallie tous les suffrages après la défaite de 1870, de Daudet à Larousse. L’histoire type de Chauvin qui, une fois redevenu paysan, regrette le bon temps de l’armée, reprend en fait le mythe du soldatlaboureur : remontant à l’Antiquité romaine, réactualisé par les Lumières, il incarne après la Révolution l’essence rurale et guerrière de la France. Modèle sous-jacent aussi bien dans le rite des comices agricoles, les projets de colonies agricoles, les villages communautaires du général Bugeaud en Algérie que dans certains programmes des socialistes utopiques, repris de Michelet à Barrès, il trouve sa consécration dans l’inhumation du soldat inconnu le 11 novembre 1918, avant d’être honoré par la « révolution nationale » pendant le régime de Vichy. Révélant le « mystère du caractère sacré du sol de la patrie, dont l’humus est fait des cadavres des héros » (Gérard de Puymège), le chauvinisme est ainsi un rêve de réconciliation nationale dans l’exaltation de la terre, des valeurs militaires et dans le rejet de l’étranger. Chavatte (Pierre Ignace), ouvrier (Lille 1633 ? - id. 1693 ?). Cet artisan lillois a laissé un livre de raison manuscrit qui est une des rares chroniques populaires au temps de Louis XIV, témoignant de la perception des événements contemporains de la vie quotidienne. Chavatte est sayetteur, c’est-à-dire tisserand de toiles de laine grossières, fils d’un artisan et d’une sage-femme. Marié en 1672, il vit dans la paroisse populaire de Saint-Sauveur, à Lille. Attaché aux règles qui régissent son métier, il se fait le défenseur de la tradition face aux changements. Sa condition modeste le rend vulnérable aux crises et aux disettes, en particulier celles de 1661-1662 et 1692-1693, ce qui explique qu’il soit très attentif aux aléas climatiques, qu’il note scrupuleusement car ils commandent le prix du blé. En 1667, Lille est prise par Louis XIV ;
dès lors, les guerres continuelles et les tarifs imposés à l’industrie lilloise nourrissent chez Chavatte un fort sentiment antifrançais. Il est aussi représentatif du petit peuple gagné à la Réforme catholique : sensible à la prédication des ordres mendiants et aux processions, il manifeste un fort attachement à sa paroisse, appartient à une confrérie et se montre très dévot envers les saints et la Vierge. Il est également sensible au merveilleux, ne doutant ni du pouvoir des magiciens ni de l’intervention du diable. Enfin, sa chronique est un témoignage sur les fêtes, les jeux mais aussi, à travers l’évocation du cabaret et des rixes, sur la violence quotidienne. l CHEMIN DE FER. Le chemin de fer occupe, dans l’histoire de la France, une place originale, en raison, notamment, de sa forte charge symbolique : politique tout autant que sociale et culturelle. Il fut, pour les Français, le moyen de relever le défi de la modernité. Puis son image se ternit peu à peu, à partir des années 1870, dans la tourmente des affrontements idéologiques et des difficultés financières. Face à l’essor de l’automobile et de l’avion, elle se teinta d’archaïsme, au XXe siècle. L’aventure de l’électrification et downloadModeText.vue.download 177 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 166 du TGV réconcilia le chemin de fer avec la modernité. Mais, aujourd’hui, le déclin de ses parts de trafic remet en cause l’unité même du système. UNE EXPÉRIENCE D’ÉCONOMIE MIXTE Le chemin de fer est, dès ses débuts, soumis à un régime d’économie mixte, différant à la fois de l’étatisme prussien et du libéralisme britannique. 1832 - année des essais de la locomotive à chaudière tubulaire des frères Seguin sur la ligne Lyon-Saint-Étienne et du vote d’un premier crédit pour l’étude d’un système de chemin de fer en France - marque le point de départ de son intrusion dans la société. Après cette date, les concessions de lignes cessent d’être perpétuelles, l’administration affirmant ainsi clairement que le chemin de fer appartient au domaine public. Depuis lors, sous tous les régimes politiques, il constitue un enjeu financier et politique de première importance.
Le système d’exploitation, mis en place à partir de 1838, est parachevé par les conventions de 1859 et de 1883. Il repose alors sur le monopole de six compagnies : des sociétés privées jouissant d’une concession de quatrevingt-dix-neuf ans et d’une garantie d’intérêt, d’abord partielle, puis générale. Leur formation résulte d’un long processus de négociations, engagé dès les années 1830, entre l’administration des Ponts et Chaussées et les grandes banques d’affaires parisiennes. L’État impose aux compagnies une lourde tutelle qui repose à la fois sur son droit réglementaire souverain et sur les clauses figurant dans les conventions. Cependant, les partisans d’une étatisation complète n’ont jamais cessé de faire entendre leur voix. Ainsi, en 1848, une proposition de rachat est présentée au Parlement, mais les journées de juin mettent un terme à la discussion du projet. Durant les premières années de la IIIe République, des offres similaires sont avancées, mais les conventions de 1883 résultent d’un compromis négocié par les républicains modérés. Elles assurent la poursuite - malgré les difficultés financières de l’État, et sous le contrôle des compagnies d’un ambitieux programme de construction de lignes nouvelles, voté dès 1878 : le plan Freycinet. La République a également obtenu d’autres satisfactions : le contrôle de fait des tarifs et le renforcement de la tutelle de l’État. Pourtant, les compagnies, bien qu’elles soient de couleur politique très différente, ont toutes mauvaise presse auprès de la majeure partie de l’opinion publique : dès le départ, elles sont considérées comme les instruments de la domination du grand capital et de l’État centralisateur. En réalité, elles sont soumises à un encadrement financier sévère, car les versements de l’État au titre de la garantie sont remboursables. Les dividendes payés aux actionnaires augmentent considérablement sous le Second Empire, grâce aux énormes gains de productivité réalisés, avant de se stabiliser, dès les années 1870, puis de s’accroître de nouveau, à partir de 1883. Ils sont, si l’on peut dire, « socialisés », en conséquence de l’application des conventions de 1883 : ils permettent la réduction de la durée du travail des agents, le financement de leur retraite et des déficits des lignes non rentables, et, surtout, la baisse des tarifs. Le réseau de l’Ouest, trop endetté auprès de l’État - du fait de la garantie -, est racheté, en 1908, et rattaché au petit réseau d’État créé en 1883 à partir des « dépouilles » de quelques lignes locales fortement déficitaires, dont celle des Charentes. Les autres
réseaux parviennent à maintenir leur indépendance en limitant le plus possible leurs investissements. Ainsi, l’exploitation des chemins de fer français a été, selon l’économiste Clément Colson, très « parcimonieuse ». Les cours des actions des compagnies atteignent leur maximum dans les dernières années du siècle, sans pour autant bénéficier de l’embellie boursière des années 1900. En effet, les concessions arrivent bientôt à terme, ce qui rend leur avenir de plus en plus incertain. La crise des chemins de fer est ouverte. LES TECHNIQUES MAÎTRISÉES, LA FRANCE TRANSFORMÉE Les lignes d’intérêt général exploitées passent de 31 kilomètres en 1830 à 27 000 en 1883 et à 39 500 en 1913, l’extension du réseau résultant d’une pression permanente exercée par les élites locales pour obtenir la construction de nouveaux tronçons. En effet, les Français, dans leur écrasante majorité, ne sont pas hostiles à ce mode de transport. Les villes réticentes le regrettent amèrement, et font bientôt amende honorable. Quant aux actes de violence (destruction de pont, voies arrachées, etc.) perpétrés en 1848 par ceux qui s’estiment victimes du rail, ils sont le fait d’individus isolés. Certes, des accidents spectaculaires, tel celui de Meudon, le 11 mai 1842 (55 morts), suscitent des « indignations poétiques » chez Alfred de Vigny, mais également des réactions de fatalisme, que l’on rencontre aussi bien chez Lamartine que chez Zola, le sang répandu étant, selon eux, le prix à payer pour assurer le progrès de l’humanité. À partir des années 1830, les ingénieurs élaborent une véritable science des chemins de fer, qui est enseignée dans les grandes écoles. Elle joint une théorie de l’utilité, à fondement principalement économique, à une science des systèmes, fondée essentiellement sur la technique. S’édifiant progressivement, dans l’incertitude et en fonction de l’expérience, elle combine trois filières techniques préexistantes : celles de l’utilisation de l’énergie, des matériaux et des communications à distance. Chacune va être bouleversée par les besoins nés de son exploitation. Ainsi, la sidérurgie de l’acier se substitue à celle du fer. La locomotive à vapeur connaît une transformation radicale, qui culmine en France, à la veille de la Grande Guerre, avec la série des machines compound du type Pacific 23. Dès les années 1900, la traction électrique fait son apparition sur quelques lignes de la banlieue parisienne et sur le réseau du Midi. L’adop-
tion de la télégraphie, au début de l’exploitation, est suivie du développement, à partir des années 1880, d’un système de signalisation électrique semi-automatique. Ainsi, les exigences de l’exploitation ferroviaire contribuent largement à faire naître les technologies de la seconde révolution industrielle. Le système technique ferroviaire est alors complémentaire de son organisation administrative, qui se caractérise par la division des tâches, la rigidité hiérarchique et l’autoritarisme. La principale vertu de l’agent des chemins de fer est l’obéissance, cette rigueur étant justifiée par la crainte de l’accident. Car la « culture ferroviaire » met en avant la sécurité, même si les métiers du rail ont longtemps figuré parmi les plus meurtriers et les plus dangereux. Le temps de travail journalier, initialement très long, n’est réduit qu’à partir des années 1890, sous la pression de l’État. En revanche, la durée d’activité est relativement courte, et des régimes de retraite sont établis précocement. L’échelle des fonctions correspond à celle des salaires et de la considération. Une grille d’avancement régissant l’ensemble de la carrière jusqu’à l’âge de la retraite est mise en place. Le statut de 1920, qui accorde aux agents des garanties précises, ne fait que doter d’une force légale cette organisation rigide des carrières et des rémunérations. La montée en puissance des syndicats s’affirme dans les années 1900, malgré l’« échec » de la grève de 1910. Le chemin de fer a transformé la France. La réduction des tarifs de transport de marchandises a donné une impulsion décisive à la production, tant agricole qu’industrielle. Mais, dès le Second Empire, le développement du réseau exacerbe également les concurrences interrégionale et internationale. La croissance devient de plus en plus sélective, surtout à partir des années 1880. Mais le fléchissement de l’augmentation du trafic qui survient à cette époque entraîne une redéfinition de la politique commerciale, laquelle contribue à la reprise des années 1890. En effet, une nouvelle conception du voyage se fait jour. Dans les années 1880, en rupture avec les conceptions antérieures, les compagnies engagent une véritable politique de promotion du voyage populaire. Elles réduisent massivement les tarifs, et multiplient les « trains de plaisir ». En outre, quelque peu poussées par la Compagnie des wagons-lits, fondée dans les années 1870, elles cherchent à promouvoir le voyage de luxe via l’accroissement du confort et de la vitesse. Le lancement, en 1883, du Ca-
lais-Nice-Rome express, ancêtre du mythique Train bleu de l’entre-deux-guerres, symbolise cette politique couronnée de succès. En revanche, l’essor du trafic de banlieue est plutôt subi que voulu. L’univers ferroviaire fait alors irruption dans la création romanesque (Huysmans, les Soeurs Vatard, 1870 ; Zola, la Bête humaine, 1890) et picturale (Gustave Caillebotte, le Pont de l’Europe, 1876 ; Claude Monet, la Gare Saint-Lazare, 1877). Les gares monumentales, chefs-d’oeuvre de l’architecture du XIXe siècle, forment à la fois une frontière entre deux mondes, un espace clos fait de bruits, de ténèbres et de lumières, un lieu d’attente et de solitude, de départ et de séparation, d’arrivée et de rencontre. La littérature confère au voyage lui-même une signification poétique particulière et le charge d’une forte tension dramatique, présente aussi bien chez Valery Larbaud (A. O. Barnabooth, 1913) que chez Guillaume Apollinaire (les Onze Mille Verges, 1907) ou Blaise Cendrars (Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, 1913). downloadModeText.vue.download 178 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 167 LA CRISE, LE RENOUVEAU ET L’INCERTITUDE La Première Guerre mondiale remet en cause l’application des conventions de 1883. Le chemin de fer joue alors un rôle stratégique majeur, aussi bien pour la mobilisation que lors des grandes campagnes. Mais le conflit entraîne l’apparition de déficits considérables, car les tarifs ne sont pas alignés sur l’inflation. En 1921 sont signées de nouvelles conventions, avec l’ambition de sauver le système en rendant solidaires les comptes des différentes compagnies. Cette tentative de sauvetage échoue, la crise des années trente provoquant une dérive financière révélatrice des difficultés d’exploitation. La tutelle de l’État est devenue trop pesante, et les dirigeants des compagnies ne parviennent plus à contrôler le système social qu’ils ont mis en place. Lorsque le trafic s’effondre, dans les années trente, elles ne peuvent adapter leurs effectifs à cette situation nouvelle. Enfin, l’organisation administrative s’est progressivement sclérosée, et la grève de 1920 a durablement divisé le monde des cheminots. Pour faire face à la concurrence de la route, les entreprises tentent d’obliger l’État à appliquer dans toute sa rigueur la réglementation de coordination. Pourtant, la technologie ferroviaire a réalisé,
dans l’entre-deux-guerres, des avancées spectaculaires : l’électrification de plusieurs lignes des réseaux du Midi, du Paris-Orléans et de la banlieue ouest, la promotion des autorails dans les années trente, l’amélioration des rendements des locomotives à vapeur, l’application du block automatique et du dispatching des wagons, la rationalisation du travail dans les ateliers. La création de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), au mois d’août 1937, constitue l’aboutissement d’une négociation éclair engagée dès le vote de la loi de délégation de pouvoirs donnée au gouvernement Chautemps par le Sénat. La Haute Assemblée a refusé toute « réforme de structure », et écarté ainsi le risque - très réel - d’expropriation. La nationalisation des chemins de fer peut être menée en douceur, d’autant que les compagnies ne sont pas mécontentes de se décharger des responsabilités de l’exploitation. Elles obtiennent que l’organisation nouvelle ne porte pas atteinte aux intérêts de leurs actionnaires, et sauvent les domaines privés qu’elles avaient constitués. La SNCF est une société anonyme dont l’État détient 51 % du capital, 49 % restant aux mains des anciennes compagnies. Le conseil d’administration comprend des représentants de l’État, des compagnies et du personnel, ainsi que des membres de droit. Les clauses financières sont destinées à permettre le rétablissement progressif de l’« équilibre intégral ». La création de la SNCF s’accompagne d’un programme de coordination des transports, l’ambition initiale étant de réaliser une fusion dynamique des réseaux grâce à l’unification des méthodes d’exploitation. La Seconde Guerre mondiale est, tout autant que la Première, une guerre des chemins de fer, malgré le rôle croissant joué par les transports automobiles. Durant l’été 1939, le plan de mobilisation fonctionne correctement. Mais, en 1940, la rapidité de l’avance allemande et la supériorité de la Luftwaffe rendent les transports par voie ferrée inefficaces, et, lors de la débâcle, le désordre est indescriptible. Pendant l’Occupation, le trafic voyageurs augmente considérablement. Le réseau ferré devient, notamment dans les derniers mois du conflit, un enjeu de la lutte contre l’occupant. Ainsi, le groupe Résistance Fer se livre à des activités de renseignements et à des actions visant à entraver le trafic : en juillet 1944, on compte 253 sabotages d’installations et 301 avaries de matériel. Puis, lors de la campagne de France, les installations ferroviaires figurent parmi les principales
cibles des aviations alliées. Après le débarquement, les Américains ont recours au chemin de fer beaucoup plus tôt que prévu, car leurs camions s’embourbent ou sont immobilisés par des encombrements. Dès 1947, le trafic est rétabli sur un réseau qui a été détruit aux deux tiers, et la reconstruction permet d’accélérer le processus d’unification. Mais l’histoire du rail, comparée à celle des autres moyens de transport, devient alors celle d’une lente contraction : 29 000 kilomètres de lignes effectivement exploitées au début des années quatre-vingt-dix, contre 43 000 kilomètres en 1938 ; 27 % du transport des marchandises en 1989, contre 64 % en 1955. Face à la percée de l’automobile, la part du rail dans les transports de voyageurs chute à 10 % depuis le début des années soixantedix. Quant aux cheminots, on n’en compte plus que 182 000 en 1994, contre 500 000 en 1938. Et face à l’automobile et à l’avion, l’image du chemin de fer s’est longtemps teintée d’archaïsme. L’ont brouillée l’accumulation des déficits, l’accroissement spectaculaire de l’endettement et la fréquence des grèves, qui traduisent la profonde inquiétude des agents, mais ont aussi fait le jeu des concurrents. Mais la SNCF bénéficie aussi d’une autre image. Elle a connu, depuis la guerre, plusieurs mutations radicales. La loi de 1983, votée à échéance de sa concession, substitue au régime de la société anonyme celui d’un établissement public industriel et commercial, qui lui assure, en principe, une large autonomie de gestion. Ses structures administratives ont été constamment adaptées, depuis 1945, à la demande de transport. Dès les années soixante, se multiplient, à l’échelon central, les divisions fonctionnelles. En 1973 sont créées 25 « régions », qui se substituent aux anciens réseaux. Une nouvelle structure est mise en place en 1994 ; elle repose sur la distinction entre les directions techniques et fonctionnelles, les directions d’activité, les directions d’appui. Les succès technologiques de l’entreprise sont impressionnants, particulièrement dans le domaine de la traction. Les ingénieurs de la SNCF et les constructeurs qui ont travaillé pour elle ont adopté, dès le début des années cinquante, un modèle d’électrification révolutionnaire, utilisant directement le courant alternatif de 50 périodes, au lieu du courant continu de 1 500 volts, employé en 1920, ce qui a fortement réduit le coût des installations. Les ingénieurs ont développé une filière de locomotives Diesel et de locomotives à turbine à gaz qui a donné naissance aux turbotrains, dont le symbole a été le Paris-Caen. Ils ont imaginé des
« trains d’affaires » rapides tels que le Mistral et le Capitole, et, dans la logique d’une culture de la « grande vitesse », nouvelle pour eux, le TGV Sud-Est, inauguré en 1981. Le réseau TGV s’est depuis étendu vers le Sud-Ouest, l’Ouest et le Nord. Aujourd’hui, les technologies mises en oeuvre tendent à intégrer dans un système informatique unifié l’ensemble des composantes fonctions, y compris la traction. Aucun autre réseau de grande vitesse dans le monde ne réalise de telles performances. Le tunnel sous la Manche - percement décidé en 1984, inauguration en 1993 - a valorisé la liaison ferroviaire. Comme le note Jacques Réda, le chemin de fer devient ainsi, sous nos yeux, « une géante extension du métro ». D’autres options technologiques ont donné à la SNCF une image de modernité : adoption précoce et intégrale de l’informatique de gestion, conversion à l’automatisation, généralisation du calcul scientifique et du contrôle de sécurité, architecture nouvelle dans les gares TGV, conception du réseau RER avec la RATP. Le chemin de fer a constitué l’un des principaux vecteurs de la diffusion des technologies électroniques. Il a opéré, à partir des années soixante-dix, une profonde modification de ses politiques commerciales, comparable à celle des années 1880. La remise en cause du statut de la SNCF, amorcée en 1995, est due à un endettement insupportable. La loi de 1996 créée une séparation entre la gestion des infrastructures, confiée au Réseau ferré de France (RFF) et celle de l’exploitation du trafic que conserve la SNCF : une solution proposée dès les années 1830 par plusieurs ingénieurs des Ponts et Chaussées, et conforme à l’esprit de la loi de 1842. Ce régime permettra à l’entreprise de trouver un nouvel élan, comme le montre l’exemple des chemins de fer allemands. Le chemin de fer est parvenu à préserver une image de modernité sans effacer ce qui en a fait une source de méditation nostalgique. Après la guerre, le renouveau du thème ferroviaire dans une littérature de haute tenue est, de ce point de vue, caractéristique. Il est illustré par l’oeuvre de Michel Butor, qui, dans la Modification, renoue avec une très ancienne tradition de réflexion amoureuse, portée par le rythme du train, ou, plus récemment, par celle de Jacques Réda, selon lequel « le train reste à présent ce qu’il fut d’emblée, c’est-àdire religieux et collectif : mythologique ». Chemin des Dames (le), offensive désastreuse de l’armée française en avril 1917. Cet échec meurtrier a gardé, paradoxalement, un nom gracieux : en effet, cette route était
située entre Laon et Soissons, au bord du plateau de Craonne, empruntée au XVIIIe siècle par les « dames » de la cour de Louis XV. Le général Robert Nivelle est persuadé qu’il peut réussir là, à grande échelle, ce qui a échoué en 1916 à Verdun et dans la Somme : percer le front ennemi et, surtout, se maintenir dans la brèche et avancer. Les autres généraux, à l’exception de Mangin, sont sceptiques, mais le gouvernement laisse agir celui qui n’avait pas mal réussi à Verdun dans son secteur, faute de mieux. Après une longue préparation de l’artillerie, l’offensive est déclenchée le 16 avril 1917. En un jour, les Français gagnent 500 mètres, au lieu des 10 kilomètres prévus, et cela, au prix de 40 000 hommes mis hors de combat. Dans downloadModeText.vue.download 179 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 168 les semaines qui suivent, le général Nivelle tente des « grignotages » meurtriers sans obtenir plus de succès décisifs. Le 15 mai, il est relevé de son commandement, et remplacé par Pétain. 271 000 hommes sont morts. Les soldats, persuadés d’avoir participé à une « boucherie inutile », sont de plus en plus découragés, comme le montre la Chanson de Craonne - « C’est à Craonne, sur le plateau, / Qu’on doit laisser not’ peau » -, probablement composée dans ces semaines : c’est le 17 avril qu’ont commencé les mouvements de désobéissance collective dans les divisions du front de l’Aisne. Les soldats se mutinaient contre un commandement jugé incapable. Chemises vertes (les), nom donné, en raison de leur uniforme, aux groupes paramilitaires des Jeunesses paysannes structurés en juin 1935 par Henry Dorgères (Henri d’Halluin). Les Chemises vertes sont également dotées d’un hymne et d’un journal, Haut les fourches. Leur devise - « Croire, obéir, servir » -, directement inspirée de Mussolini, fait de ces légions de jeunes agriculteurs exaltés par un tribun charismatique pour « aller nettoyer Paris, bras nus et mains pures » le prototype d’un mouvement qui pose le problème du fascisme agrarien français. Henry Dorgères, ancien journaliste au Progrès agricole de l’Ouest, a d’abord fondé, en 1934, un « Front paysan », pour rassem-
bler les agriculteurs endettés et mécontents des hausses fiscales. Le Front paysan défend également les gros propriétaires, et se révèle rapidement victime de ses dissensions internes. Les Chemises vertes, qui comptent quelque 40 000 membres entre 1936 et 1938, semblent donc opérer la synthèse entre les intérêts des agrariens et ceux de la petite paysannerie, grâce à la rhétorique démagogique du « dorgérisme ». Que l’on insiste sur son discours antiparlementaire, sur ses liens avec les notables, auxquels il fournit des troupes aguerries contre les agitateurs ruraux, ou sur son caractère violemment anticapitaliste et anticitadin, ce mouvement représente, entre « légitimisme exacerbé et fascisme » (selon l’alternative posée par l’historien Pascal Ory), l’exemple d’une efficace mobilisation conservatrice et anti-étatique dans des campagnes affectées par la crise socio-économique des années trente. Chénier (Marie-Joseph [de]), dramaturge et homme politique (Constantinople 1764 - Paris 1811). Ce fils d’un négociant en draps installé en Orient et d’une mère grecque organisant à Paris des soirées philhellènes abandonne la carrière militaire dès 1783, et décide de se consacrer à la vie littéraire, à l’instar d’André, son frère aîné. Charles IX ou l’École des rois, pièce jouée en novembre 1789, enthousiasme plus par sa charge pamphlétaire contre le clergé et le trône que par son originalité littéraire, et lui apporte le succès. Les ambitions du dramaturge et de l’homme politique ne seront plus dissociées. Secrétaire du Club des jacobins en 1792, puis député montagnard de Seine-et-Oise, membre du Comité d’instruction publique, il ponctue la Révolution de motifs littéraires. Ses tragédies Henri VIII, Jean Calas, Caius Gracchus sont jouées au Théâtre de la Nation en 1792, et Fénelon est représenté en 1793. Ses chants fournissent des repères sensibles et unificateurs : Hymne à la Raison, Hymne pour la fête de l’Être suprême, Chant du départ, Hymne pour la reprise de Toulon, Chant des victoires, Chant du retour. La république des lettres incarne son ambition universaliste : le 24 août 1792, une pétition rédigée avec plusieurs citoyens parisiens propose d’adopter « les citoyens du monde qui, par leurs écrits, ont préparé les voies de la liberté ». Marie-Joseph de Chénier salue le 9 Thermidor, et poursuit une carrière républicaine sans interruption, au Comité de sûreté générale en l’an III, au Corps législatif, puis au Conseil des Cinq-Cents, enfin au Tribunat.
Il combat la montée du pouvoir personnel de Napoléon, et connaît la disgrâce en 1804. l CHEVALERIE. La chevalerie, née au XIe siècle, est d’abord un groupe socio-professionnel : celui des guerriers d’élite au service des princes et des seigneurs qui les recrutent et les dirigent. Au cours du XIIe siècle, elle « s’aristocratise » et se pare d’une éthique mêlant des traits militaires, sociaux, moraux et religieux. La littérature s’empare du thème et consacre le chevalier comme le héros principal des épopées et des romans. La chevalerie y est idéalisée et acquiert alors une dimension mythique, tandis que son rôle militaire réel décline. Aux XIIIe et XIVe siècles, elle se ferme en une caste ; les tournois, les rites et les fastes accentuent son caractère aristocratique et élitiste, qui perdure, bien au-delà du Moyen Âge, dans le cadre des ordres laïcs de chevalerie. LES ORIGINES DE LA CHEVALERIE Elles sont d’ordre professionnel. Avant l’an mil, les termes latins milites et militia (traduits plus tard par « chevalier » et « chevalerie ») désignent essentiellement les soldats et le service public armé. Au cours du XIe siècle, on tend à réserver ces dénominations à une catégorie particulière de guerriers : ceux qui, munis d’armes défensives et offensives, combattent à cheval lors des guerres dites « féodales », puis participent aux tournois. L’armement défensif comprend l’écu (ou targe, ou bouclier) en bois recouvert de cuir et, surtout, le haubert (ou brogne), tunique de mailles de fer couvrant le corps depuis les épaules jusqu’aux genoux, sur lequel vient se lacer la coiffe de mailles, couvrant la tête et le cou, puis le heaume, casque oblong, qui se ferme à la fin du XIIe ou au XIIIe siècle. Les armes offensives sont l’épée et, surtout, la lance, de plus en plus longue et lourde, arme de prédilection des chevaliers. Certes, il existait une cavalerie bien avant le XIe siècle, mais elle s’avérait peu efficace. En l’absence d’une technique guerrière propre, elle n’était, en effet, guère plus qu’une infanterie montée, voire transportée à cheval sur le champ de bataille pour y combattre à pied. Ces soldats montés utilisaient la lance de la même manière que les piétons : ils la jetaient comme un javelot, ou la maniaient comme une pique. Cependant, vers le milieu du XIe siècle apparaît, née peutêtre en Normandie, une méthode de combat qui va transformer la cavalerie en chevalerie. Il s’agit d’un nouvel usage de la lance, désor-
mais calée sous le bras en position horizontale fixe dès le début de la charge collective et compacte, destinée à disloquer les lignes adverses. La main du chevalier ne sert plus à frapper mais seulement à diriger la pointe vers l’adversaire à abattre. La puissance du coup ne dépend plus de la force du bras, mais de la vitesse et de la cohésion du « projectile » que constitue l’ensemble formé par la lance, le cheval et le chevalier. Cette nouvelle escrime du combat à cheval se généralise au XIIe siècle, et caractérise définitivement la chevalerie. Elle exige un entraînement assidu des hommes et des chevaux, et une consolidation des armes défensives ; la cotte de mailles est remplacée par la cuirasse articulée, formée de parties métalliques rigides et épaisses (XIVe siècle). Le coût de plus en plus onéreux de l’équipement limite le nombre des chevaliers, dont le caractère élitiste se renforce non plus sur le seul plan professionnel mais aussi sur le plan social. NOBLESSE ET CHEVALERIE À l’origine, la chevalerie ne formait pas une classe sociale. Elle regroupait, en une sorte de « corporation » avant la lettre, ceux qui pratiquaient le même métier. Au cours du XIIe siècle, plusieurs facteurs entraînent une diminution du nombre des chevaliers : d’abord, les croisades ont affecté durement les familles seigneuriales ; ensuite, le coût de l’équipement complet augmente, ainsi que celui des fêtes qui accompagnent la remise des armes, de plus en plus solennelle, au nouveau chevalier (adoubement) ; enfin, la multiplication des forteresses de pierre et, par conséquent, des opérations de siège, souligne l’utilité d’autres types de combattants (fantassins, archers) et valorise le rôle des « ingénieurs » (constructeurs d’engins de guerre). La chevalerie demeure bien la reine des batailles, mais celles-ci se font rares. Elles frappent toutefois l’imagination des chroniqueurs, qui glorifient toujours le rôle des chevaliers : moins vulnérables grâce aux progrès de l’armement, ils conservent un prestige incomparable. Tous ces facteurs conduisent l’aristocratie, au cours du XIIIe siècle, à réserver à ses fils l’accès à la chevalerie, qui devient alors une distinction supplémentaire, que tous les nobles n’obtiennent pas, mais que seuls ceux-ci peuvent recevoir (et conférer) par l’adoubement. Les souverains, rois et empereurs s’arrogent toutefois le droit d’adouber des roturiers, qui sont ainsi anoblis ; pendant plusieurs siècles, cette cérémonie constituera pour eux le seul moyen d’accéder à la noblesse. Le caractère aristocratique de la chevalerie se manifeste
aussi dans les tournois, de plus en plus fastueux. Au XIIe siècle, le tournoi n’est encore qu’une guerre en miniature et codifiée, opposant deux camps et comportant - comme la guerre - sièges, batailles, embuscades, captures et rançons. Le butin recueilli enrichit les vainqueurs ; il permet ainsi aux chevaliers sans fortune de vivre de leur vaillance, en louant leurs services aux maisons princières qui recrutent les champions sous leur bandownloadModeText.vue.download 180 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 169 nière. Peu à peu, le tournoi collectif (mêlée) laisse place aux joutes individuelles. Le spectacle et l’apparat (écus peints, armoiries, bannières multicolores, vêtements somptueux, présence des dames, etc.) limitent le caractère militaire qui, toutefois, ne disparaît pas : le tournoi demeure, jusqu’à la fin du Moyen Âge, et même au-delà, un entraînement à la guerre. Mais, dans cette dernière, la chevalerie joue désormais un rôle plus prestigieux que prépondérant, surtout après l’apparition de l’artillerie (fin XIVe-XVe siècle). ÉGLISE ET CHEVALERIE La société médiévale est connue essentiellement par des sources ecclésiastiques. Il faut donc tenir compte de leur partialité. Toutefois, sans aucun doute, l’Église, seule dispensatrice du savoir, exerçait une influence déterminante sur la pensée des hommes, notamment sur la formation des concepts et des idéologies. La chevalerie n’échappe pas à cette emprise, même si son origine guerrière (donc laïque) lui a permis de préserver en son sein des valeurs qui ne doivent rien à la religion chrétienne. Très tôt, dès que l’Empire romain est devenu chrétien (313), l’Église a été confrontée au délicat problème posé par l’exercice du pouvoir et des armes. S’éloignant, par nécessité politique, du pacifisme individualiste des premiers chrétiens, elle opère une distinction nette entre les clercs, dépositaires du pouvoir spirituel, chargés d’informer et de diriger les gouvernants, et tenus de se préserver des souillures du siècle (le sexe et le sang, par exemple), et les laïcs, vivant dans le monde et, par là même, exposés au péché. À la tête de cet ordre des laïcs, les rois ont reçu pour mission de gouverner selon les préceptes divins et de maintenir la paix dans le pays, grâce aux pouvoirs militaire et judiciaire dont ils disposent : défense contre
les ennemis de l’extérieur, sécurité et justice à l’intérieur. Ainsi est assurée la protection des églises, du clergé et de tout le peuple chrétien désarmé. L’Église rappelle solennellement ces devoirs inhérents à la fonction royale lors des cérémonies du sacre et du couronnement. Au cours des IXe et Xe siècles, en France surtout, l’autorité des rois s’exerce non plus directement mais par l’intermédiaire des comtes, qui, souvent, parviennent à s’affranchir de la tutelle royale et se créent des principautés largement indépendantes. Au début du XIe siècle, dans certaines régions du moins, ces pouvoirs échoient aux châtelains (les sires), les châtellenies étant des centres administratifs, économiques, judiciaires et militaires. Les auxiliaires armés de ces potentats locaux exercent sur les populations une force de coercition : ils prélèvent les taxes seigneuriales, protègent, mais souvent exploitent aussi les paysans. Ils combattent également les seigneurs rivaux du voisinage et, parfois, pillent, rançonnent églises, clercs ou paysans au cours de leurs guerres privées. Il s’agit précisément des milites, des chevaliers, des guerriers professionnels. Pour contenir leur turbulence et limiter les dommages qu’ils provoquent, l’Église tente d’abord de se substituer à l’autorité centrale défaillante en brandissant l’arme spirituelle de l’excommunication. Par la Paix de Dieu, dès la fin du XIe siècle, elle essaie de soustraire à ces violences les inermes, c’est-à-dire tous ceux qui ne portent pas d’armes (clercs, moines, paysans, femmes, enfants), ainsi que certains lieux (églises et monastères). Vers 1040, par la Trêve de Dieu, elle cherche aussi à circonscrire ces guerres privées dans le temps : celles-ci ne pourront se dérouler - les chevaliers s’y engagent en prêtant serment sur les reliques des saints - ni lors des fêtes liturgiques ni, chaque semaine, du jeudi soir au lundi matin, en souvenir de la Passion du Christ. Ces interdictions n’ont qu’une efficacité limitée ; les conciles et assemblées de paix, fort nombreux aux XIe et XIIe siècles, ne cessent de déplorer leur violation. La prédication de la première croisade à Clermont (1095), à la fin d’un concile de paix, apporte d’ailleurs la preuve de l’échec relatif de cette politique : ne pouvant éradiquer les guerres privées à l’intérieur de la Chrétienté, l’Église tente de détourner la violence des chevaliers vers l’extérieur en leur donnant pour mission la libération des Lieux saints de Jérusalem. Les croisés cesseraient ainsi d’appartenir à la militia du monde (souvent assimilée par jeu de mots à la malitia, la malfaisance), pour former la milice du Christ.
La création des ordres religieux militaires (templiers, hospitaliers, teutoniques, ordres espagnols, etc.) traduit la même idée et témoigne aussi de l’incapacité de la papauté à mettre au service de l’Église la chevalerie en tant que telle. Celle-ci demeure, en effet, aux mains des pouvoirs aristocratiques, et conserve ses propres idéaux. Toutefois, l’Église valorise une fonction guerrière dont elle a elle-même besoin pour sa défense. Dès le début du XIe siècle, des évêques (Adalbéron de Laon, Gérard de Cambrai) répandent l’idée d’une société chrétienne cohérente mais partagée en trois ordres remplissant chacun une fonction utile et voulue par Dieu : « ceux qui prient » (clercs et moines) guident « ceux qui combattent » (les princes et leurs chevaliers) ; ces deux ordres dominent et protégent « ceux qui travaillent » et nourrissent ainsi les deux autres (les paysans ; plus tard, tous les travailleurs). Supposée fort ancienne et conforme à la volonté divine, cette tripartition fonctionnelle se mue vite en schéma social. Elle est à l’origine de la société des trois ordres de l’Ancien Régime (clergé, noblesse et tiers état), qui permet de justifier les privilèges de la noblesse et du clergé. Parallèlement, l’Église tente de diffuser ses valeurs dans le monde de la chevalerie par le biais des sermons, des traités de morale, de la liturgie. Lors de l’adoubement, l’officiant bénit le nouveau chevalier et, surtout, ses armes (l’épée, la lance, le bouclier, etc). Dès le XIIe siècle, l’Église recourt, pour ces bénédictions, à des formules liturgiques qu’elle puise dans les rituels du couronnement, particulièrement lors de la remise de l’épée royale, symbole des pouvoirs de justice et de coercition. Au XIIIe siècle, cette tendance s’amplifie : l’adoubement se « cléricalise » et se charge de significations morales et religieuses. Par ce moyen, l’Église parvient, dans une certaine mesure, à transmettre à la chevalerie en tant qu’institution une partie de l’idéologie royale : la défense de la Chrétienté et de l’Église, la protection des désarmés, de la veuve et de l’orphelin. En définitive, ce sont ces valeurs morales, malgré leur genèse non chevaleresque, qui subsistent dans l’imaginaire collectif à l’évocation de la chevalerie. L’IDÉOLOGIE CHEVALERESQUE De son origine guerrière et tion sociale, la chevalerie valeurs, plus laïques. Elle lieu les vertus militaires,
de son évolutire aussi d’autres honore en premier la « prouesse » et
la « fidélité ». Par prouesse, il faut entendre la qualité professionnelle du combattant à cheval, capable de beaux coups d’épée et de lance, mais aussi la hardiesse, le courage physique et moral, la maîtrise de soi, le triomphe de l’héroïsme sur la peur, etc. La fidélité (ou loyauté), quant à elle, traduit l’attachement profond qui lie le chevalier à son seigneur, qu’il le serve en tant que chevalier domestique, vassal, mercenaire ou sujet. Elle consiste à « mettre son corps en aventure de mort », à supporter pour lui fatigue, froidure, chaleur, blessures. Deux autres qualités sont également prisées : la « largesse » et la « courtoisie », valeurs typiquement aristocratiques, qui rendent compte de l’évolution sociale de la chevalerie à partir de la seconde moitié du XIIe siècle. La largesse est louée par les chevaliers (qui en bénéficient) mais aussi par les princes et les sires qui la leur dispensent. Elle consiste à leur octroyer avec libéralité les ressources leur permettant de vivre dans leur état improductif, dans l’exercice d’une profession honorée mais coûteuse : dons de munificence, redistribution aux guerriers des richesses provenant le plus souvent du butin telles que chevaux, armes, fourrures, étoffes précieuses, mais aussi or et argent. Ces largesses réciproques à l’intérieur d’un même groupe dominant tissent des liens de solidarité, de dévouement, de confraternité au sein d’une chevalerie inégalitaire. Cependant, elles s’exercent à l’intérieur de la classe aristocratique et ne doivent pas être assimilées à ce que l’on nommera plus tard la charité, l’aumône, destinée aux pauvres, aux indigents, et donnée directement ou par l’intermédiaire de l’Église. La largesse devient chevaleresque au XIIIe siècle, lorsque noblesse et chevalerie viennent à se fondre. Il en va de même de la courtoisie, qui consiste à savoir se bien tenir à la cour seigneuriale ou princière, en se conformant à ses usages. L’amour dit « courtois », que l’on associe souvent à la courtoisie, ne représente qu’une facette de ces usages. Il est d’abord popularisé par les troubadours qui, méprisant la jalousie et les jaloux, imposent un modèle de vasselage amoureux envers la dame, l’épouse du seigneur, que tout chevalier de la cour se doit de courtiser - dans certaines limites... parfois franchies. Ce modèle de comportement chevaleresque se répand grâce à la littérature lyrique et romanesque, et contribue à une certaine émancipation de la femme. LE MYTHE CHEVALERESQUE Il naît et se développe également grâce à la littérature. Les chansons de geste, très
prisées dès la fin du XIe siècle, exaltent la figure du chevalier preux comme Roland, avisé comme Olivier, indomptable comme Guillaume d’Orange, combattant infatigable downloadModeText.vue.download 181 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 170 au service de son seigneur et de son roi, prêt au sacrifice de sa vie dans la lutte contre les infidèles. Ce modèle de chevalier croisé se laïcise vite : bientôt, l’épopée chante aussi les exploits guerriers accomplis contre d’autres chevaliers chrétiens. Le héros n’est donc plus seulement le croisé ; il s’agit du chevalier, qu’il serve Dieu, son roi, son seigneur ou son honneur. Le roman « antiquisant » (milieu du XIIe siècle) transforme en chevaliers les héros d’Homère ou de Virgile, tandis que le roman d’Alexandre (premier écrit en dodécasyllabes, vers qui prendront à partir du XVe siècle le nom d’« alexandrins ») érige le roi conquérant en symbole d’une chevalerie que le poète anglo-normand Wace imagine transmise de la Grèce à Rome, puis à la cour mythique du roi Arthur, en Angleterre. Chrétien de Troyes et ses nombreux épigones développent à l’envi les thèmes et motifs du monde arthurien : l’amour, même (surtout ?) adultère, y est exalté comme une vertu chevaleresque incitant au dépassement de soi, à la recherche valorisante de l’aventure - quête mystique et défi aux forces du mal. Ces textes conjuguent les enchantements celtiques au merveilleux chrétien. L’Église réagit en spiritualisant l’aventure et ses mobiles, en christianisant son but et ses symboles. Le Graal, énigmatique objet de cette quête dans les premiers romans, devient le calice ayant recueilli le sang du Christ en croix, permettant ainsi une christianisation provisoire de la « matière de Bretagne », l’ensemble des traditions celtiques qui ont donné lieu à la rédaction du cycle arthurien. Le mythe chevaleresque naît de la conjonction de ces divers courants. Le chevalier idéal emprunte ses traits à tous ces héros littéraires, la chevalerie devenant alors un mirage idéologique, celui d’une aristocratie qui propose à l’admiration universelle l’image de ce qu’elle a rêvé être : un modèle de comportement fait de service et de domination, d’héroïsme et de foi, de grandeur et d’humble dévouement. Des valeurs qu’incarnent ou imitent, parfois avec succès, certains chevaliers : Richard Coeur de Lion, Bertrand du Guesclin, Charles le Téméraire ou Bayard.
LES ORDRES DE CHEVALERIE Le mythe chevaleresque se perpétue bien au-delà de l’époque médiévale, grâce aux ordres créés, pour la plupart, au milieu du XIVe siècle, alors même que la chevalerie voit décliner son rôle militaire. En effet, à la fin du Moyen Âge, les armées nationales se forment, et fantassins ou archers commencent à l’emporter sur les charges traditionnelles de la chevalerie. Les défaites subies par les chevaliers à Courtrai (1302), Crécy (1346) ou Azincourt (1415) illustrent cette tendance. Pourtant, le prestige de la chevalerie aristocratique ne cesse de croître. Ses idéaux sont exaltés au sein des ordres de chevalerie laïcs, qui rassemblent en une même société honorifique des figures éminentes, au service d’une cause souvent politique : ainsi l’ordre de la Jarretière est-il fondé par Édouard III d’Angleterre en 1348 ; celui de l’Étoile, par le roi de France Jean II le Bon en 1351 ; celui de la Toison d’or, par le duc de Bourgogne Philippe le Bon en 1429. Sous prétexte de faire revivre la chevalerie - une chevalerie mythique mais que l’on veut croire seulement disparue - et d’honorer ses valeurs, ces ordres cherchent à capter des fidélités au profit de leur fondateur. Ils séduisent par leur faste et leurs rites, par la fraternité qui règne en leur sein, par la référence constante aux valeurs morales de la chevalerie. On peut les considérer comme les précurseurs des sociétés et décorations honorifiques contemporaines. chevalerie (ordres de), regroupements de chevaliers qui sont créés aux XIVe et XVe siècles, à l’initiative des rois et des princes. À la différence des ordres militaires apparus au XIIe siècle, tels les templiers et les hospitaliers, dont ils reprennent toutefois certains idéaux, comme la défense de la Chrétienté, les ordres de chevalerie ne sont pas des ordres monastiques : ils rassemblent des nobles laïcs. À l’exemple d’Édouard III d’Angleterre, fondateur de l’ordre de la Jarretière (1348), Jean II le Bon crée, en 1352, celui de l’Étoile. Le roi est ensuite rapidement imité par les princes : en 1364, le duc Louis II de Bourbon institue l’ordre de l’Écu d’or, puis, en 1370, celui du Chardon ; peu avant 1400, le duc Louis d’Orléans, frère du roi Charles VI, érige l’ordre du Porc-Épic ; toutefois, le plus célèbre reste celui de la Toison d’or, créé par le duc de Bourgogne Philippe le Bon, en 1429. Ces ordres s’inspirent de la littérature courtoise, notamment des romans du cycle arthurien (Perceval, Lancelot, la Quête du Graal),
qui célèbrent les exploits des chevaliers de la Table ronde, et qui ont alors un large écho. Cependant, ce sont des motifs politiques et sociaux qui conduisent les rois et les princes à regrouper ainsi l’élite de la noblesse. En effet, à partir du milieu du XIVe siècle, les défaites militaires, les transformations de la guerre et les révoltes paysannes affaiblissent le prestige de la noblesse, et remettent parfois en cause la légitimité de sa domination. Les ordres de chevalerie ont donc pour objectifs de renforcer la cohésion de la noblesse en établissant une nouvelle forme de fidélité envers le roi ou le prince, et d’exalter les vertus chevaleresques, célébrées à l’occasion de fêtes somptueuses. Lorsqu’en 1469 Louis XI crée un nouvel ordre royal, qu’il baptise du nom du protecteur céleste du royaume, l’archange saint Michel, il entend proclamer la renaissance du pouvoir royal et la fidélité de la noblesse face aux princes rebelles et à l’ennemi anglais. Chevaliers de la foi (les), société secrète fondée en 1810 par le vicomte Ferdinand de Bertier pour structurer la résistance royaliste. Son idéal reprend celui des ordres chevaleresques : être au service du trône et de l’autel. Son organisation, hiérarchisée, s’inspirerait des loges maçonniques. Le cloisonnement garantit le secret : aux rangs inférieurs, chacun ignore le nom des dirigeants et leurs desseins. Les simples « associés de charité », au premier grade, croient seulement appartenir à une association soutenant les idées chrétiennes et monarchiques. Seuls les « chevaliers » sont initiés à tous les secrets de l’ordre, qui est dirigé par un conseil supérieur, dont le premier grand maître est Mathieu de Montmorency. Le recrutement est essentiellement aristocratique. Organisée par les départements en « bannières », la société s’implante surtout dans l’Ouest, le Nord, une partie de la Franche-Comté, la vallée du Rhône et le Midi. Minorité agissante, elle contribue au rétablissement des Bourbons en 1814 : à Bordeaux, le 12 mars, lors de l’arrivée des Anglais et du duc d’Angoulême, fils du futur Charles X, elle contraint le maire à proclamer Louis XVIII ; à Paris, elle organise des manifestations royalistes. Pendant les Cent-Jours, son activité de propagande est intense. Durant la seconde Restauration, les Chevaliers de la foi travaillent à la cohésion du parti ultraroyaliste à la Chambre des députés. Ils encouragent le renforcement de l’influence religieuse, sans laquelle, pensent-ils, l’ordre royaliste ne peut perdurer. Nombre d’entre eux sont d’ailleurs
affiliés à la Congrégation. Mais les désaccords des dirigeants avec le comte de Villèle conduisent à la dissolution de l’association en 1826. Chevaliers du poignard (conspiration des), complot imaginaire qui provoque le désarmement de gentilshommes au château des Tuileries, le 28 février 1791. À la suite du départ des tantes de Louis XVI pour Rome, la Constituante débat, le 28 février, d’un projet de décret interdisant l’émigration. Il est rejeté par la droite et par Mirabeau. Une foule nombreuse - favorable à l’interdiction - se rend à Vincennes : le bruit court, en effet, qu’un complot se trame, afin de faire fuir le roi depuis ce château. On ne sait s’il s’agissait d’une manifestation spontanée ou bien d’une diversion organisée par les opposants au décret. La foule est bientôt rejointe par la Garde nationale et La Fayette, qui rétablit l’ordre. Entre-temps, trois cents à quatre cents nobles, dont certains sont armés de pistolets et de poignards, se sont rassemblés au château des Tuileries pour protéger Louis XVI de l’émeute. Le roi leur ordonne froidement d’abandonner leurs armes et de se retirer. Désavoués, les défenseurs du monarque, accusés d’avoir voulu l’enlever, sont malmenés et évacués sous les huées. Cet épisode retentissant, que les journaux dénoncent comme une conspiration de « Chevaliers du poignard », illustre les craintes du mouvement populaire face aux progrès de la ContreRévolution, au moment où les forces émigrées se rassemblent sur les bords du Rhin. Il constitue surtout une étape dans la rupture entre Louis XVI et les royalistes intransigeants, qui appellent la noblesse, humiliée, à rejoindre l’émigration militaire et à délaisser le roi. Le débat est alors vif dans les milieux royalistes, dont une frange importante se défera de tout scrupule au lendemain de Varennes. Chevreuse (Marie de Rohan-Montbazon, duchesse de), aristocrate ( ? 1600 - Gagny 1679). Elle prit une part active dans l’agitation nobiliaire face au renforcement du pouvoir royal qui marqua la période. Issue de l’une des lignées les plus prestigieuses de France et fille d’Hercule de Rohan, duc de Montbazon, elle downloadModeText.vue.download 182 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 171
épouse, à l’âge de 17 ans, le duc de Luynes, favori de Louis XIII ; puis, en 1622, Claude de Lorraine, duc de Chevreuse, second fils d’Henri de Guise, le Balafré. Nommée surintendante de la Maison de la reine Anne d’Autriche, dont elle devient l’amie, elle profite de sa position et de sa séduction pour participer à de nombreuses intrigues. Maîtresse d’Henri, comte de Chalais, elle joue un rôle déterminant dans l’affaire qui aboutit à l’exécution de ce dernier, en 1626. Elle rejoint le parti qui s’oppose au mariage de Gaston d’Orléans, frère du roi, avec Mlle de Bourbon-Montpensier. Exilée de la cour une première fois en 1633, elle tente d’influer sur la politique étrangère de son amant du moment, le duc Charles IV de Lorraine. Richelieu accepte son retour à la cour, mais ses agissements provoquent de nouveau son exil, en Espagne, en 1637. À la mort de Louis XIII (1643), elle regagne la France, pour se jeter, cette fois, dans la Fronde et l’opposition à Mazarin. La fin des troubles et la reprise en main du pouvoir par Louis XIV mettent un terme à sa carrière d’intrigante politique. Childebert Ier, roi des Francs de 511 à 558 (vers 497 - 558). Deuxième des trois fils nés de l’union de Clovis et de Clotilde, Childebert reçoit, lors du partage du royaume, les villes de Paris et de Rouen, la future Normandie, le Maine et des cités en Aquitaine. Les fils de Clovis prolongent l’oeuvre de leur père, se répartissant les tâches, et s’épaulant contre les autres royaumes barbares. Mais ils se déchirent aussi entre eux. Grégoire de Tours, à la fin du VIe siècle, a fait un récit horrifié du complot sanglant qui suit, en 524, la mort de Clodomir, fils aîné de Clotilde : Childebert et son cadet Clotaire assassinent leurs neveux, et démembrent le royaume de leur frère. Dix ans plus tard, Childebert prend part à la conquête du royaume burgonde, dont une partie revient à son frère, mais il soutient aussi son neveu Chramne contre Clotaire. Il permet une avancée des Francs dans le sud de la Gaule, obtenant un succès éphémère contre les Wisigoths en Septimanie, en 531. Avec l’aide de Clotaire, il mène une expédition au-delà des Pyrénées, en 542, et rapporte la tunique de saint Vincent, martyr persécuté au IIIe siècle. Pour abriter la relique, il fonde, à Paris, la basilique Sainte-Croix-et-Saint-Vincent, future Saint-Germain-des-Prés. De son mariage chrétien avec Ultragothe, Childebert n’a aucun héritier mâle, et, à sa mort, en 558, son royaume est absorbé par Clotaire.
Childéric Ier, premier roi mérovingien, père de Clovis (Tournai, vers 436 - ? vers 481). Chef d’un groupe de Francs Saliens, Childéric contrôle Tournai et le bassin de l’Escaut, puis étend sa domination sur l’ensemble du nord de la Gaule, la Champagne et la Picardie. Son titre de roi (rex) le désigne comme chef d’une armée fédérée ayant passé un traité (foedus) avec Rome. En fait, Childéric partage le pouvoir dans le nord de la Gaule avec le Romain Aegidius, maître de la milice, c’est-à-dire commandant des troupes romaines, et père de Syagrius, futur adversaire de Clovis. Vers 470, c’est encore à un Romain, le comte Paul, que Childéric se joint pour combattre les Saxons. Les nombreux objets retrouvés dans sa tombe, à Tournai, confirment l’association des cultures franque et romaine, qui est propre aux aristocraties barbares romanisées. Ainsi, la représentation du roi sur son sceau juxtapose des attributs du pouvoir d’origine franque, telle la longue chevelure, et d’autres d’origine romaine, tels le titre de rex et le port du paludamentum, manteau d’apparat des généraux. Ce roi païen possède, en outre, une fibule cruciforme en or, insigne des plus hautes fonctions officielles dans l’Empire romain chrétien. Alors que la présence d’armes et d’objets divers, ainsi que l’ensevelissement, à proximité de dizaines de chevaux sacrifiés, renvoient aux coutumes funéraires germaniques, le choix du site de la tombe, en bordure de route, et à l’immédiate périphérie de la cité, revêt un caractère romain. Ces liens avec les Romains, que Childéric semble toutefois remettre en cause à la fin de son règne, contribuent au rayonnement du roi, qu’attestent, par ailleurs, ses succès contre les Wisigoths et les Burgondes, et son mariage avec une princesse thuringienne. Chirac (Jacques), homme politique (Paris 1932). Quand, en mai 1995, Jacques Chirac devient le cinquième président de la Ve République, il y a vingt et un ans qu’un gaulliste n’a plus occupé la magistrature suprême, depuis la mort de Georges Pompidou. Son élection marque donc le retour du gaullisme au pouvoir - non plus seulement en tant que force d’appoint, comme entre 1974 et 1981, ou dans une posture « cohabitationniste », comme en 19861988 et 1993-1995. Mais, en fait, c’est une deuxième génération du gaullisme qui prend ainsi, à travers lui, le relais d’une première strate, celle des « barons » issus de la Résis-
tance, qui ont progressivement quitté le devant de la scène. Bien qu’incarnant cette deuxième génération, Jacques Chirac, au moment de sa victoire électorale, a toutefois déjà trente années de vie publique derrière lui. • De l’appel de Stockholm à l’Algérie française. Le père de Jacques Chirac était un pur produit de la « méritocratie » de la IIIe République : petit-fils de paysans pauvres, fils d’instituteurs, il commence sa carrière comme simple employé de banque, et finira cadre supérieur chez l’avionneur Henry Potez. C’est à Paris, dans un milieu en pleine ascension sociale, que Jacques Chirac naît le 29 novembre 1932. La guerre, pour lui, n’aura aucun rapport avec la geste gaulliste : il est alors trop jeune pour connaître la tentation de l’engagement. Et, quand celui-ci se profilera, il ne sera pas précisément placé, dans un premier temps, sous le signe du gaullisme. Petitfils d’un instituteur radical-socialiste, Jacques Chirac signe, en 1949, l’appel de Stockholm, texte pacifiste condamnant l’arme nucléaire, à l’initiative d’une Union soviétique qui n’en est pas encore détentrice. À cette date, il est vrai, il vient d’entrer en mathématiques élémentaires au lycée Louis-le-Grand. Tout autour, le Quartier latin penche à gauche et, sur ses flancs, Saint-Germain-des-Prés vit ses grandes heures sartriennes. La famille, désormais installée bourgeoisement sur la rive droite, assiste ainsi aux emballements du lycéen pris dans le chaudron de la rive gauche : Jacques Chirac vend l’Humanité à la criée, et, après la seconde partie de son baccalauréat, mousse sur un cargo, navigue entre côte espagnole et Algérie. Ce qui ne l’empêche pas de retrouver le lycée Louis-le-Grand, à la rentrée, pour préparer Polytechnique. Erreur manifeste d’aiguillage : le jeune homme s’ennuie, accumule les mauvaises places, et bifurque vers Sciences-Po. Pour l’heure, il y conserve ses idées de gauche - jugeant trop « tièdes » les étudiants SFIO de la rue Saint-Guillaume, que dirige alors Michel Rocard. Il continue à bourlinguer durant l’été, mais, peu à peu, son agitation d’adolescent passe à feu doux : il se fiance avec Bernadette Chodron de Courcel, rencontrée à Sciences-Po, sort troisième de cette institution en 1954, et est reçu dès l’automne suivant à l’ENA. La mue est confirmée quand l’ancien signataire de l’appel de Stockholm demande à commander un peloton de spahis en Afrique du Nord. Major de sa promotion à Saumur, il part en Algérie avec le 6e régiment de chasseurs d’Afrique. « L’Algérie a été la période la
plus passionnante de mon existence », déclarera-t-il par la suite. Revenu en métropole très favorable à l’Algérie française, il poursuit sa scolarité à l’ENA, dont il sort seizième, et rejoint la Cour des comptes. Il effectue alors, en tant que directeur de cabinet du directeur général de l’agriculture, un second séjour en Algérie (1959-1960). Le partisan de l’Algérie française assiste, d’abord réticent, à la politique gaulliste en faveur de l’autodétermination, puis de l’indépendance, mais l’officier de spahis laisse bientôt place au haut fonctionnaire qui estimera par la suite que « le Général avait raison ». • Sous l’aile de Georges Pompidou. Jusqu’alors, il est vrai, le gaullisme n’est entré ni de près ni de loin dans la vie du jeune Jacques Chirac, qui approche la trentaine. En fait, la greffe va s’opérer par l’intermédiaire de Georges Pompidou. Et le parcours, dès lors, sera à la fois classique et accéléré. Classique, en effet, est le passage de l’énarque par un cabinet ministériel. Recommandé à Georges Pompidou par Marcel Dassault, Jacques Chirac est nommé chargé de mission à Matignon à l’automne 1962. À partir de ce moment-là, tout s’accélère : Pompidou remarque le bouillonnant énarque, et s’attache bientôt à ce jeune fonctionnaire, alors que tout, en apparence, oppose les deux hommes : l’âge, le caractère et la formation. À Matignon, celui que l’on appelle « l’hélicoptère » déploie une énergie débordante, et devient « le bulldozer » - tel est son nouveau surnom, en ce milieu de décennie. Surtout, il part à l’assaut de la circonscription d’Ussel, en haute Corrèze, réputée imprenable, et qu’il conquiert pourtant sans coup férir aux élections législatives de mars 1967. Un mois plus tard, il est nommé secrétaire d’État à l’Emploi. À ce titre, il noue d’étroites relations avec les syndicats et sera, de ce fait, un intermédiaire entre eux et le Premier ministre durant la crise de mai 68. Par la suite, il racontera comment downloadModeText.vue.download 183 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 172 il a secrètement rencontré, avec un pistolet en poche, les dirigeants de la CGT, dans un appartement près de Pigalle. Deux jours plus tard, des négociations officielles commencent, qui vont déboucher, en un week-end, sur les accords de Grenelle.
Dès lors, au fil de la présidence de Georges Pompidou, Jacques Chirac va occuper des postes ministériels de plus en plus importants : d’abord au Budget - où il côtoie et, d’une certaine façon, surveille le ministre de tutelle Valéry Giscard d’Estaing -, avant de devenir ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement, en janvier 1971. Surtout, un an plus tard, il prend en charge l’Agriculture, où il va conquérir la sympathie, jamais démentie depuis lors, d’une partie du monde paysan. Il est ministre de l’Intérieur en mars 1974 quand, un mois plus tard, le président de la République meurt en exercice. Dans les rangs gaullistes, Jacques Chaban-Delmas se porte candidat à la magistrature suprême ; mais une partie de l’entourage proche de Georges Pompidou a toujours manifesté envers lui de fortes réticences. Deux éminences grises de l’ancien président, notamment, se sont continûment montrées hostiles : Marie-France Garaud et Pierre Juillet. D’une certaine façon, au fil du quinquennat qui s’achève alors brutalement, Jacques Chirac a été leur protégé. Il partage, en tout cas, leurs réticences vis-à-vis de Chaban-Delmas, et, durant la campagne, manoeuvre en faveur de l’autre candidat de la majorité, Valéry Giscard d’Estaing : il conduit la fronde des quarante-trois parlementaires UDR qui publient un communiqué soutenant implicitement le leader des Républicains indépendants. C’est pour lui, expliquera-t-il à ses proches, la seule façon d’empêcher la victoire de François Mitterrand. Et de préserver les intérêts du gaullisme. Mais de l’épisode il tirera, aux yeux de certains barons du gaullisme, une réputation de versatilité, voire de traîtrise. • Un hussard du néogaullisme. Pour l’heure, il est nommé Premier ministre à l’âge de 41 ans. La République n’a pas connu de chef du gouvernement plus jeune depuis Félix Gaillard en 1957. Mais, vingt-cinq mois plus tard, il démissionne - cas unique sous la Ve République - et crée, dans la foulée, le RPR. Une fois de plus, l’épisode, même s’il confirme son allant et sa détermination, ne contribue pas forcément à rendre son image plus limpide. Jacques Chirac devient, aux yeux d’une partie de ses concitoyens, une sorte de hussard du néogaullisme. Un hussard qui, en tout cas, s’est substitué aux « barons ». Dès cette époque, en effet, il s’est assuré le contrôle du mouvement gaulliste. Et les objectifs qu’il lui assigne ont au moins le mérite de la clarté : maintenir la prédominance du RPR sur l’UDF dans le camp de la majorité, malgré la perte de la présidence de la République, puis de Matignon ; reconquérir la magistrature suprême.
Une reconquête qui durera vingt ans, ponctuée de hauts et de bas. Moments de triomphe, par exemple, que son succès à Paris aux élections municipales de 1977 ; un succès confirmé en appel à chaque nouvelle échéance ; ou encore les élections législatives de 1986 et celles de 1993, où le RPR apparaît comme le fer de lance de la contre-offensive face à la gauche deux fois victorieuse en 1981 et 1988. Mais, précisément, ces deux dates semblent résonner comme un échec profond et peut-être irrémédiable. 1981, d’abord, avec la rude campagne de premier tour menée tout autant contre Valéry Giscard d’Estaing que contre François Mitterrand, et, de la part des giscardiens, le soupçon de traîtrise, tant le ralliement au second tour fut formulé sans enthousiasme excessif. 1988, ensuite et surtout, année où Jacques Chirac, Premier ministre « cohabitationniste », est sévèrement battu par le président sortant. Cette défaite semble annihiler tous les efforts déployés depuis 1981. Les proches eux-mêmes doutent alors de sa capacité à gravir un jour la dernière marche du pouvoir. Un vent de fronde se lève au sein du RPR, et le fringant hussard, apparemment brisé par deux charges aussi ruineuses qu’inutiles, semble condamné à vieillir dans sa thébaïde de l’Hôtel de Ville. • La dernière ligne droite. Il montrera, pourtant, une indéniable capacité de rebond. D’abord, en conservant - malgré les frondes successives des « rénovateurs » en 1989, de Charles Pasqua et de Philippe Séguin à partir de l’année suivante - le contrôle de son parti ; ensuite, en faisant de celui-ci l’instrument de la confortable victoire aux élections législatives de 1993. Au lendemain de cette dernière, la plupart des observateurs prédisent à Jacques Chirac un succès à la présidentielle de 1995. Un parcours politique de trente ans semble enfin toucher au but. Mais c’est alors qu’un « ami de trente ans » va peut-être anéantir les espoirs du chef de file du RPR. Édouard Balladur, en effet, nommé Premier ministre après la victoire aux législatives, acquiert rapidement une forte popularité dans les sondages, au point d’apparaître bientôt comme le probable vainqueur à la prochaine élection présidentielle. À nouveau, Jacques Chirac semble échouer près du but. Avec, il est vrai, une mue qui s’opère alors en profondeur, et sera vraisemblablement décisive lors de l’affrontement final : l’homme qui, à tort ou à raison, apparaissait jusqu’alors à nombre de ses concitoyens comme un haut fonctionnaire autoritaire et un politicien prompt à la
manoeuvre gagne, durant ces années de relatif isolement, en densité humaine. La suite est connue. Resté loin derrière dans les sondages, il annonce sa candidature en novembre 1994, sans susciter, dans un premier temps, de mouvement de fond. Plaçant sa campagne sous le signe de « l’autre politique », stigmatisant « la pensée unique », dénonçant le risque de « fracture sociale », appelant à renouer « le pacte républicain », il multiplie les promesses - que ses adversaires jugeront inconsidérées ou contradictoires -, et parvient, deux mois avant le premier tour, à inverser la tendance des sondages. Et c’est lui qui, finalement, figure devant Édouard Balladur au soir du premier tour, les deux hommes obtenant respectivement 20,84 % et 18,58 % des suffrages exprimés. Quinze jours plus tard, le 7 mai, il devance Lionel Jospin de plus de 1,5 million de voix, rassemblant sur son nom 52,64 % des suffrages. Le gaullisme, vingt et un ans après l’échec de Jacques Chaban-Delmas en 1974, retrouve le chemin de l’Élysée. Son septennat est marqué en 1997 par une dissolution malheureuse de l’Assemblée nationale qui voit la victoire de la « gauche plurielle » et l’arrivée à Matignon du socialiste Lionel Jospin. Cette cohabitation contraint le président à un rôle d’opposant, faisant entendre sa différence sur les grands chantiers de la gauche, telles que les trente-cinq heures. Une telle opposition s’achève lors de l’élection présidentielle de 2002 par la défaite de Lionel Jospin, dès le premier tour. Au second tour, Jacques Chirac, qui a mené une campagne sur le thème de la sécurité, devance avec 82,21% le candidat de l’extrême droite, Jean-Marie Le Pen. chocolat. Dans le panthéon mythologique des civilisations maya, puis aztèque, où a fleuri « l’arbre à cabosses » (le cacaoyer), le chocolat est un nectar précieux, le breuvage des dieux. Les conquistadors espagnols le rapportent en Europe au XVIe siècle, mais sa saveur, à la fois amère et épicée, ne séduit guère dans un premier temps. Le succès viendra de son mélange avec une autre denrée coloniale : le sucre de canne. Sucré (et vanillé), le chocolat devient peu à peu une boisson courante en Espagne. Ce sont les reines d’origine espagnole qui en introduisent la mode en France : Anne d’Autriche, épouse de Louis XIII, puis, surtout, Marie-Thérèse. Le mariage de cette
dernière avec Louis XIV (1660), prévu par le traité des Pyrénées, illustre la « diplomatie du chocolat » qui réconcilie la France et l’Espagne. Le mot « chocolat » apparaît en 1680 dans le dictionnaire de Richelet, mais la consommation reste alors limitée. À la cour, dans les cercles aristocratiques, on hésite encore, ainsi que l’illustre l’attitude changeante de Mme de Sévigné à l’égard du breuvage. Car, de ses origines fabuleuses, le « nectar des dieux » conserve un halo de mystère quant à ses vertus réelles ou supposées. Médecins, botanistes, mais aussi religieux, discutent de sa valeur nutritive (en boire rompt-il le jeûne pascal ?), de ses qualités médicinales (est-ce un remède antivénérien ?), et de ses effets aphrodisiaques. Le produit s’impose sous la Régence, car il a la faveur du prince, qui en consomme chaque jour : « aller au chocolat », c’est assister à son lever, et être bien vu du Régent. La chocolatière, avec son moulinet destiné à faire mousser la préparation, devient un objet à la mode dans les salons, et l’on voit s’ouvrir à Paris des lieux de consommation spécialisés où l’on peut déguster chocolat et café. Pour les élites aristocratiques qui le consomment au XVIIIe siècle, le goût du chocolat est associé à une atmosphère sensuelle et libertine. Sade et Casanova en font souvent un prétexte à scènes galantes. Malgré l’essor des importations, le cacao demeure un produit exotique de luxe. En 1789, les Parisiens n’en consomment que 125 tonnes par an, soit 200 grammes par personne. Grâce à l’invention du chocolat en poudre en 1828, puis de la tablette à croquer en 1847, la consommation, plus populaire et gagnant les enfants, ne cesse de croître au XIXe siècle, ainsi que l’atteste le succès de la firme française Meunier. downloadModeText.vue.download 184 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 173 Choiseul (Étienne François, duc de), homme politique (Nancy 1719 - Paris 1785). Sous le nom de comte de Stainville, Choiseul mène une brillante carrière militaire - il est lieutenant général des armées du roi en 1759 avant de devenir diplomate, comme son père. Ambassadeur du roi auprès du Saint-Siège (1753-1757), puis à Vienne (1757), fait duc de Choiseul en 1758, il est nommé la même année secrétaire d’État aux Affaires étrangères, grâce à la protection de Mme de Pompadour.
Il obtient ensuite le portefeuille de la Guerre (1761-1770), celui de la Marine (1761-1766), puis à nouveau les Affaires étrangères (17661770). Cumulant les charges, Choiseul a été également gouverneur du pays de Vosges, puis de Touraine, et surintendant des courriers, postes et relais de France. Mais, après la mort de sa protectrice en 1764, Choiseul, en butte à l’hostilité de Mme du Barry, est disgracié en 1770, ainsi que son cousin César Gabriel de Choiseul, duc de Praslin, secrétaire d’État de la Marine (1766-1770). Douze ans ministre, Choiseul dirige de fait le gouvernement et doit assumer la tâche difficile d’achever la guerre de Sept Ans (17561763), alors que la marine française accumule les déboires face aux escadres anglaises ainsi qu’aux colonies (perte provisoire de la Martinique et de la Guadeloupe ; perte définitive du Canada). Pour renforcer la position de la France face à l’Angleterre, il négocie le « pacte de famille » avec les Bourbons d’Italie et d’Espagne. Soucieux de revanche, après la signature du désastreux traité de Paris (1763), il s’efforce de redonner au pays une flotte puissante, obtenant des villes, provinces et parlements le don de sommes d’argent élevées qui lui permettent de relancer la construction de vaisseaux, préparant par là la victorieuse guerre d’Amérique. Choiseul est également à l’origine de l’annexion de la Corse, cédée par la République de Gênes en 1768. Même s’il a subi deux échecs en matière de colonisation - aux Malouines et à Kourou, en Guyane -, il méritait mieux que l’exil à Chanteloup, où son esprit brillant, favorable à l’Encyclopédie, attira une cour choisie en son magnifique château, dont ne subsiste plus aujourd’hui que la curieuse pagode qu’il y fit ériger. choléra. Apparu en Inde en 1817, le choléra atteint l’Europe via la Russie en 1829. En France, les deux plus fortes épidémies se déclenchent en 1832 et en 1854. Dès 1820, le voyageur Moreau de Jonnès rend compte de cette maladie pestilentielle, contagieuse par les déplacements humains, et préconise le traitement par réhydratation. La Faculté accepte ses théories, et le gouvernement met en place des mesures sanitaires (lazarets, quarantaine). Mais, en 1832, le docteur Jachnichen assure que le choléra est une maladie endémique qui se transmet par voie aérienne, après évaporation d’eau infectée. Deux clans s’opposent alors : celui des « contagionnistes » et celui des « aéristes », lequel gagne à sa conception la faculté de médecine, puis le gouvernement. Dès lors, les mesures de prévention n’ont
plus lieu d’être, et le commerce international peut reprendre sans entraves. Cependant, le 26 mars 1832, on dénombre quatre victimes à Paris ; le 1er avril, toute la ville est contaminée, « empoisonnée ». La révolte gronde, mais est vite réprimée. On pense mourir de la « peur bleue », ou d’une sorte de peste ; aussi les maisons infectées sont-elles marquées d’une croix blanche. Les plus aisés s’enfuient en province, tandis que les plus impécunieux achètent des lithographies de « bénédiction des maisons », ou se bardent de médailles miraculeuses (1 500 sont fabriquées en 1832, 100 millions dix ans plus tard). La presse diffuse les caricatures de Daumier (le Charivari), Steinlen (l’Assiette au beurre) ou Le Petit (le Grelot), qui représentent les symptômes cholériques de façon réaliste et le choléra lui-même sous forme d’un squelette verdâtre (1830), d’un animalcule (1870) ou d’un microbe « grossi 125 000 fois » (1885). La réclame vante le « sudatorium » ou le costume aux herbes, et incite les malades à venir à l’hôpital - où Broussais pratique des saignées, refroidit le corps avec de la glace, pendant que Magendie réchauffe ses patients au punch et leur insuffle de l’air. Les herbes, brûlées ou fumées, le camphre, le chlore - utilisé pour désinfecter rues, casernes, prisons et hôpitaux -, puis le phénol, sont employés en prévention. Des mesures prises et contrôlées par des conseils de santé publique insistent sur l’hygiène : deux douches par mois, poules et lapins interdits en appartement, voies d’eau domestiques et fontaines multipliées par quatre en neuf ans. La population s’affolant, le secret médical est alors institué, en 1854, afin de dissimuler l’ampleur de l’épidémie (les chiffres officiels sont : 102 000 morts en 1832 ; 143 000 en 1854). Dès la découverte du bacille virgule et après que Koch a administré la preuve de son mode de contagion en 1884, on asperge de phénol les voyageurs et leurs bagages ; les quarantaines sont rétablies avec efficacité dès 1887. Le choléra devient alors pour les xénophobes, en une période marquée par l’affaire Dreyfus, l’alliance franco-russe et l’expansion coloniale, une métaphore de l’étranger, qu’il soit juif, sujet du tsar, ou « indigène ». chouannerie, ensemble des insurrections et des mouvements contre-révolutionnaires de l’ouest de la France. Le mot vient d’un sobriquet attribué à un certain Jean Cottereau, dit Jean Chouan, qui imitait le cri du chat-huant pour rassembler une bande se livrant à la contrebande du sel avant 1789, entre Bretagne et Mayenne, et qui devint l’un des fers de lance de la Contre-Ré-
volution après 1792. Le terme de chouannerie est étendu à l’ensemble des mouvements contre-révolutionnaires de l’Ouest breton, angevin et normand à partir de 1794. Par analogie, il englobe les insurrections de la Vendée à la fin du XIXe siècle. • Une insurrection rurale. L’origine de l’insurrection chouanne remonte à 1791, lorsque les ruraux s’opposent aux mesures religieuses (Constitution civile du clergé) et économiques (biens nationaux) adoptées lors de la Révolution. Des rébellions éclatent à Vannes, à Quimper et au sud de la Loire. Au cours de l’été 1792, des heurts plus graves se produisent dans plusieurs localités, en liaison avec la conspiration de La Rouerie, notamment à Saint-Ouen-des-Toits, près de Laval, où Jean Chouan et ses « gars » entrent dans la clandestinité. En mars 1793, dans tout l’Ouest, les jeunes opposés à la levée des 300 000 hommes décidée par la Convention prennent le parti de ces rebelles, et se révoltent en de très nombreux endroits. L’absence de coordination des ruraux insurgés et leur médiocre armement ne leur permettent pas de résister à la répression menée efficacement par les troupes de ligne stationnées au nord de la Loire. En revanche, au sud, les insurgés victorieux s’érigent en armées catholiques dans ce qui est appelé la Vendée par les révolutionnaires. Au nord du fleuve, l’ordre est donc rétabli par la force, au printemps 1793, et les insurrections sont matées. Le mécontentement renaît au moment du passage des vendéens, lors de la « virée de Galerne », en novembre. Celle-ci permet aux opposants de se soulever pour de bon et de constituer des foyers de résistance permanents. Dans les forêts qui servent de bases aux expéditions contre les révolutionnaires, les chouans forment des bandes autour des meneurs de la première heure - des vendéens restés sur place -, auxquels se joignent des nobles contre-révolutionnaires et d’anciens fédéralistes, tel Puisaye, tentés par l’aventure. • Une guerre contre-révolutionnaire complexe. Globalement, trois grandes étapes se détachent. De la fin de 1793 au printemps de 1795, en une suite de guérillas locales, les bandes terrorisent les campagnes, mais elles ne peuvent rien contre les villes. Puisaye réussit à créer une coordination, qu’il fait reconnaître en Angleterre. Cependant, son adjoint Cormatin négocie avec la République, au traité dit « de La Mabilais » (23 avril 1795). Du printemps de 1795 au printemps de 1796, cette paix incomplète - Cadoudal ne la res-
pecte pas - est troublée par le débarquement de Quiberon, dont l’échec cuisant désunit les insurgés. Hoche, par habileté militaire et politique, obtient la reddition de certains chefs (Cadoudal, Guillemot), et réduit les autres (en même temps qu’il vient à bout de Charette et de Stofflet). Les royalistes modérés espèrent accéder au pouvoir par le jeu politique. Mais après le coup d’État de fructidor (4 septembre 1797), la répression sévit à nouveau, entraînant la reprise des hostilités et la renaissance d’une chouannerie. Celle-ci regroupe autour de leurs chefs des combattants qui n’avaient jamais été vraiment soumis, ainsi que de jeunes nobles arrivés clandestinement par la mer. Autour de Cadoudal, Frotté, Scépeaux, elle s’étend à tout l’Ouest et lance de véritables actions coordonnées. Mieux organisées, les bandes attaquent de grandes villes (SaintBrieuc, Le Mans, Nantes...) à l’automne 1799, lors d’opérations qui devaient être articulées à une offensive généralisée sur les frontières. Le coup d’État du 18 brumaire et la « pacification armée » de Bonaparte rompent cet élan. Les armées chouannes sont vaincues, et le concordat de 1801 les prive d’argument religieux. La chouannerie s’enfonce dans le brigandage. La pacification n’est pas achevée en 1814, lorsque les Cent-Jours relancent la guérilla. En 1832, une mobilisation politique autour de la duchesse de Berry réveille des cadres militaires en sommeil, mais sans vraie vigueur. downloadModeText.vue.download 185 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 174 • Un enjeu de mémoire. La chouannerie laisse derrière elle des souvenirs complexes. Les érudits partisans de la « celtomanie » s’en saisissent et l’inscrivent progressivement dans la « matière bretonne » dès le début du XIXe siècle. Les romantiques (Balzac et ses Chouans), tout comme les peintres, la requièrent dans leur goût pour l’exotisme et l’histoire immédiate. Les hommes politiques préfèrent, jusque dans les années 1850, oublier l’indépendance chouanne, les actes de brigandage, avant de redécouvrir l’usage populiste qu’il est possible d’en faire contre l’État laïque et républicain. Dans le courant du XXe siècle, on amalgame fréquemment chouannerie et Vendée, les connotations romanesques liées à la chouannerie l’emportant dans notre imaginaire national. Christine de Pisan (ou Pizan), femme
de lettres (Venise, vers 1365 - ? vers 1430). Elle est la fille de l’astrologue bolonais de Charles V. Cette familiarité avec le pouvoir lui inspire plusieurs ouvrages d’histoire : Livre des faits et bonnes moeurs du sage roi Charles V (1405) ; Lamentation sur les maux de la guerre civile (1420) ; Livre de paix (1412) ; ou encore Livre de la mutation de fortune (1403), qui constitue, à bien des égards, une réflexion sur la philosophie de l’histoire. Néanmoins, ce sont ses malheurs privés (veuvage dès 1390 et, donc, situation matérielle précaire) qui l’amènent indirectement à occuper une place originale dans la mémoire collective. En effet, si Christine reste dépendante de la tradition - thèmes empruntés à la poésie courtoise, formes fixes -, sa conscience de représenter un douloureux cas particulier détermine un ton personnel qui débouche sur la défense de la condition féminine. L’Épître au dieu d’amours (1399) marque ainsi le début de la querelle du Roman de la Rose : les idéologies courtoise et ovidienne sont dénoncées en tant qu’elles participent d’un ordre instauré par les hommes et pour les hommes. Suivront divers textes qui, tels le Dit de la rose (1400), la Cité des Dames (1405) ou le Livre des trois vertus, peuvent valoir à Christine le titre de première « féministe ». À la merci des commandes que lui passent les grands, condamnée au succès, elle est aussi la première femme écrivain professionnelle consciente d’exercer un métier. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, elle fait soigneusement copier et diffuser sa production. Sa dernière oeuvre, le Ditié en l’honneur de la Pucelle (1429), résume bien son originalité : en prise avec l’actualité (la levée du siège d’Orléans), Christine de Pisan y célèbre une figure de femme exemplaire. Chrodegang ou Rotgang (saint), réformateur de l’Église franque (Hesbaye, Brabant belge, vers 712 - Metz 766). Issu d’une grande famille d’Austrasie, Chrodegang est d’abord chancelier de Charles Martel, puis évêque de Metz (742). En 748, il fonde, en Lorraine, l’abbaye de Gorze, qui deviendra un grand foyer de la réforme monastique aux Xe et XIe siècles. Proche de Pépin le Bref, il fait partie de ceux qui l’encouragent à imposer la dynastie carolingienne (751). En juin 754, Chrodegang est choisi par le pape Étienne II pour succéder à saint Boniface en tant que légat en Gaule. Il poursuit alors la réforme de l’Église désirée par Pépin et par le pape, qui souhaitent tous deux renforcer et uniformiser les structures ecclésiastiques du royaume
franc. À ces fins, il convoque régulièrement des conciles (755-757, 762) qui rassemblent, en présence du roi, les dignitaires ecclésiastiques des provinces septentrionales. Ces conciles réaffirment l’autorité des évêques et des métropolitains, et instituent le principe de la dîme, destinée à compenser la perte des biens ecclésiastiques sécularisés par Charles Martel. Par ailleurs, Chrodegang fait de Metz la capitale de la réforme de la vie canoniale et de la liturgie. S’inspirant de la règle bénédictine, il rédige, pour les clercs de sa cathédrale, une règle qui promeut la vie commune et la pauvreté personnelle. Il favorise l’adoption de la liturgie romaine, et encourage l’usage d’un nouveau chant liturgique, le plain-chant, appelé plus tard « chant grégorien ». Chrodegang est inhumé à Metz, aux côtés de saint Arnoul, ancêtre de Pépin, et se trouve ainsi symboliquement associé dans la mort à la royauté carolingienne. chroniques médiévales, « oeuvre consciente et élaborée d’un historien qui [...] tente de reconstruire la chronologie du passé », selon l’historien Bernard Guenée. La chronique fait partie des genres historiques du Moyen Âge, au même titre que les annales - simples notations des faits année par année - et les histoires, plus rhétoriques et moins soucieuses d’exactitude. Mais ces distinctions se discutent et n’apparaissent pas toujours clairement. Le mot même de chronique revêt, à partir des XIIe et XIIIe siècles, un sens large incluant tout récit historique ; une acception reprise aujourd’hui. • Clercs, historiographes officiels, anonymes. Aux Xe et XIe siècles, les chroniques sont produites en latin par des institutions religieuses, monastères surtout, et chapitres cathédraux. Reims et l’abbaye de Fleury-surLoire s’affirment comme les grands centres de création historique. Les premières histoires dynastiques font leur apparition : au début du XIe siècle, Dudon de Saint-Quentin écrit sa Geste des Normands, travail de propagande pour les ducs de Normandie et première oeuvre historique médiévale en vers. Au XIIe siècle, l’histoire « sort » des monastères, avec l’affirmation des pouvoirs des Plantagenêts et des Capétiens. Benoît de SainteMaure rédige pour Henri II Plantagenêt une Chronique des ducs de Normandie rimée (vers 1174), et Guillaume Le Breton, clerc de la chapelle royale, retrace les Gesta Philippi Augusti (1216-1220), véritables célébrations de
la victoire de Bouvines. Succédant à Fleury, l’abbaye de Saint-Denis s’impose comme le lieu de l’histoire royale et « nationale ». Les textes en langue vulgaire répondent à la demande d’un public noble qui ne maîtrise pas le latin. Au XIIIe siècle, ils rivalisent avec les chroniques latines. Même si la chronique en vers demeure, la prose devient le vecteur essentiel de la narration historique. L’intérêt des laïcs pour l’histoire nationale croît, et les croisades développent le goût du récit. Saint-Denis, poursuivant sa tradition historiographique, commence à produire ce qui deviendra les Grandes Chroniques de France (XIIIe-XVe siècle). Les ordres mendiants (XIIIe siècle), par leurs travaux collectifs, élaborent des oeuvres considérables. Mais, en relation avec le développement urbain, de plus en plus de laïcs rédigent des textes d’histoire. À la fin du Moyen Âge se multiplient les biographies domestiques mais aussi les journaux, tenus au jour le jour, tel le célèbre Journal d’un bourgeois de Paris (1405-1449). Dans le même temps, l’histoire s’officialise : la charge d’historiographe est créée par Charles VII pour Jean Chartier en 1437, et les ducs de Bourgogne, développant leur propre historiographie, ont aussi, au XVe siècle, leur historien officiel. L’humanisme redonne de la vigueur au latin, tandis que l’imprimerie bouleverse la production et la diffusion des livres. Signe du succès de l’histoire, le premier livre imprimé en français est un exemplaire des Grandes Chroniques de France (1476). • Un genre protéiforme. Les chroniques médiévales présentent aussi une grande diversité quant à leur contenu : certaines répondent à des intérêts locaux ; d’autres se veulent chroniques universelles, commençant à la création du monde pour atteindre le temps de l’auteur. Elles sont également très variées par leurs sources, allant de l’oeuvre de première main - qui insère des documents de chancellerie dans le cours du récit - jusqu’aux abrégés ou compilations, très répandus. Au Moyen Âge, l’histoire ne constitue pas un savoir autonome et les chroniques servent la morale, la théologie ou le droit auxquels se mêlent des fonctions politiques : exalter l’ancienneté d’un lignage ou d’une dynastie, affirmer les droits d’un prince ou d’un monastère. Même si le chroniqueur se proclame toujours soucieux de vérité, fiction et réalité se combinent aisément, tant par la description de l’histoire sainte que par la reproduction de stéréotypes évoquant des moments à la geste
obligée, telles les batailles ou les cérémonies. Aujourd’hui, les historiens questionnent les chroniques tout autant pour ce qu’elles révèlent des structures sociales et mentales que pour les faits stricto sensu. cidre. Le pommier à cidre s’implante dans la campagne de Caen, le Cotentin et le pays d’Auge, au plus tard au XIIe siècle. Cependant, le véritable succès du cidre ne s’amorce qu’au XVe siècle, quand la boisson commence à gagner la Haute-Normandie, le Maine, et la Bretagne, acquise pour l’essentiel avant la fin du XVIIe siècle. La possibilité de production locale facilite ce succès, surtout dû à un prix moindre que celui du vin : le pommier entre naturellement dans la polyculture, tandis que le cidre acquiert l’image d’un « breuvage pour maçons », distribué en particulier aux moissonneurs et aux batteurs. Sa consommation, populaire dans le Nord-Ouest, atteint son apogée entre le Second Empire et le milieu du XXe siècle. La production de pommes à cidre apporte de substantielles rentrées aux agriculteurs ; son commerce prend de l’ampleur et les cidreries downloadModeText.vue.download 186 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 175 à caractère industriel se développent. Existe alors une véritable culture du cidre, fondée sur un remarquable savoir-faire à chacune des phases essentielles : ramassage des fruits, subtil mélange des variétés, pressage et, après la fermentation, soutirage, un travail qui s’étale entre fin août et début mars. La réputation des fermes dépend dès lors largement de la qualité du cidre domestique. Cette production est toutefois profondément affectée par la réglementation antialcoolique qui, en 1953, limite la commercialisation et, en 1960, interdit la plantation des vergers de pommiers, alors même que la mécanisation de l’agriculture contraint à arracher les pommiers de plein champ. Il faut donc une politique très volontariste pour relancer la consommation d’un produit qui obtient, en 1996, pour le pays d’Auge et la Cornouaille, l’appellation d’origine contrôlée. cimetière. Dans l’Antiquité, les vivants ne doivent pas côtoyer les morts. Aussi, en Gaule romaine, les cimetières sont-ils situés à l’extérieur des villes.
Avec la christianisation, deux faits majeurs vont rapprocher les vivants des morts. D’une part, les premiers chrétiens prennent l’habitude de se faire enterrer dans des basiliques funéraires construites à la périphérie immédiate des villes pour abriter les restes d’un martyr (enterrement ad sanctos), espérant ainsi la protection du saint ; progressivement, ces faubourgs s’urbanisent. D’autre part, avec la multiplication des paroisses, à partir du VIIIe siècle, les nécropoles rustiques dites « en plein champ », situées loin de l’habitat, sont abandonnées au profit de nouveaux cimetières installés au coeur du village. Durant le haut Moyen Âge, le cimetière est un champ ouvert autour de l’église, sans délimitation ni architecture particulières, puis, à partir du XIIe siècle, il est clos par des murs et une croix est placée en son centre. Les personnages les plus importants se font enterrer dans l’église ; les autres cherchent à l’être le plus près possible du lieu de culte et sont inhumés parfois sous les gouttières (sub stillicidio), afin de bénéficier du bienfait des eaux lustrales qui ont coulé du toit. À partir de l’époque carolingienne, le cimetière devient un lieu consacré et certains individus en sont exclus : juifs, excommuniés, hérétiques, suicidés, enfants morts sans baptême. Le cimetière médiéval est aussi un lieu d’asile et de paix où l’on peut chercher refuge. Il est également un lieu public autour duquel la vie s’organise : promenades, réunions, commerce, justice... prostitution. On sait, par exemple, que, en 1231, le concile de Rouen défend de danser en ces lieux et que, en 1274, le concile de Lyon s’oppose au « commerce des choses vénales sous le portique de l’église ou dans le cimetière... ». Au siècle des Lumières, on s’indigne de cette promiscuité entre vivants et morts et on prend peur des odeurs pestilentielles. Les morts partent en exil : les sépultures sont remisées aux portes des cités. Le 10 mars 1776, une déclaration royale (imitée dans toute l’Europe) interdit définitivement la sépulture dans l’église et impose donc l’inhumation des morts dans les cimetières. De 1780 à 1782, les grands cimetières parisiens (Les Innocents, Saint-Sulpice, etc.) sont fermés et c’est ainsi que naissent ceux du Montparnasse, de Montmartre et du Père-Lachaise (1804). La loi du 23 prairial an XII (12 juin 1804), complétée par l’ordonnance du 6 décembre 1843, impose, pour des raisons de salubrité, que le cimetière se trouve « hors l’enceinte des villes et des faubourgs ». À partir de cette
époque, le cimetière n’est plus religieux mais laïque, placé sous l’autorité de la commune. Désormais, tout le monde peut y être enterré. Aujourd’hui, le manque de place dans les grandes agglomérations et la déchristianisation provoquent d’autres changements. Dans les banlieues se créent de nouveaux cimetières dans les quelques espaces encore libres : cimetières-parcs, comme celui de Clamart, réalisé par l’architecte Robert Auzelle ; enfeus (cimetière de Montfort-l’Amaury) ; ensemble de niches superposées où l’on aligne les cercueils ; construction de tours-cimetières (Marseille et Nantes) ; columbariums (la crémation est autorisée en France depuis 1887 et par l’Église catholique depuis 1964). Quelles que soient sa forme et sa place, le cimetière reste un lieu de mémoire, un espace des morts pour le pèlerinage périodique des vivants. Cinq-Cents (Conseil des), assemblée de cinq cents députés qui forme, avec le Conseil des Anciens, le Corps législatif établi par la Constitution de l’an III (22 août 1795). Devant être domiciliés depuis dix ans sur le territoire de la République, élus pour trois ans au suffrage censitaire et renouvelables par tiers chaque année, les Cinq-Cents se différencient d’abord des Anciens par leur âge : 30 ans au moins à partir de l’an VII (1799), 25 ans jusque-là. À la sagesse de l’âge mûr exigée des Anciens, on oppose en effet la « débilité de la vieillesse » (Creuzé-Latouche) qui ne doit pas accabler les Cinq-Cents. En outre, si l’obligation du mariage est initialement établie pour les membres des deux assemblées, puisque « l’amour de la patrie demande l’amour d’une femme », cette disposition est finalement rejetée en seconde lecture pour les Cinq-Cents, afin de permettre aux militaires de siéger. La Constitution de l’an III instaure pour la première fois le partage du pouvoir législatif entre deux chambres, les Cinq-Cents ayant l’initiative des lois mais ne votant les projets qu’une fois ceux-ci approuvés par les Anciens. Au cours du débat constitutionnel, certains députés proposent, afin que le nom des assemblées désigne clairement ces fonctions, de les appeler « Chambre de proposition » et « Chambre d’acceptation » (Hardy). À ceux qui, au contraire, veulent marquer l’unité de la représentation nationale et souhaitent que les élus exercent indifféremment leur mandat dans l’une ou l’autre des assemblées, on oppose le principe de partage du législatif en deux fonctions et deux mandats « pour
éviter le despotisme » (Savary) ou, encore, par crainte qu’une « Chambre unique excite l’insurrection » (Girod-Pouzol). Le contrôle de l’action des représentants passe donc par cette séparation en deux assemblées, mais aussi par la volonté d’imposer de la lenteur dans les délibérations : c’est pourquoi les Anciens disposent d’un droit de veto et les Cinq-Cents doivent procéder à trois lectures, à dix jours d’intervalle, pour voter un projet de loi (sauf procédure d’urgence). Les coups d’État directoriaux des 18 fructidor an V (4 septembre 1797) et 22 floréal an VI (11 mai 1798), qui, pour le premier, casse l’élection de 177 députés royalistes et, pour le second, celle de 106 jacobins, marquent cet affaiblissement du législatif et la montée en puissance de l’exécutif. Malgré leur tentative de résistance, les Cinq-Cents ne parviennent pas à s’opposer au coup d’État des 18 et 19 brumaire an VIII, qui met fin à leur existence institutionnelle. Cinq-Mars (Henri Coeffier de Ruzé d’Effiat, marquis de), favori de Louis XIII et chef de la dernière conspiration ourdie contre Richelieu (1620 - Lyon 1642). En 1632, son père, Antoine d’Effiat, ami de Richelieu, meurt ; le Cardinal prend CinqMars sous sa protection, et le fait capitaine de la garde (1635), puis grand maître de la garde-robe. Il devient rapidement le favori de Louis XIII, qui le nomme grand écuyer en 1639. Cependant, sa conduite insolente, libertine, extravagante, et l’influence qu’il exerce sur le roi ont tôt fait d’alarmer Richelieu, qui tente dès lors de freiner les ambitions du marquis, et ne l’autorise pas à épouser Marie de Gonzague. Le conflit opposant les deux hommes illustre la vieille lutte de pouvoir entre les grands du royaume et le personnel politique ; elle trouvera sa plus forte expression dans la Fronde. En 1641, Cinq-Mars s’associe à la conspiration - avortée - du comte de Soissons contre le Cardinal, mais sa participation passe inaperçue. En 1642, alors que la France est en guerre contre l’Espagne, Philippe IV s’engage, par écrit, à fournir à CinqMars, associé à François de Thou, des armes et des hommes pour organiser une révolte contre le ministre de Louis XIII. Le 11 juin 1642, une copie de l’accord parvient à Richelieu ; Cinq-Mars et de Thou sont arrêtés le 13, jugés par une commission extraordinaire du parlement de Grenoble, et condamnés à mort. Le 12 septembre, ils sont décapités à Lyon. Personnage romanesque, le marquis de CinqMars est le héros du roman éponyme d’Alfred
de Vigny, premier en date (1826) des grands récits historiques du romantisme français. cinquième colonne, terme de propagande désignant l’action menée de l’intérieur par l’ennemi. Dérivée de la notion militaire de « colonne de marche » utilisée avant la Première Guerre mondiale (Foch, Des principes de la guerre, 1911), l’expression de « cinquième colonne » naît au début de la guerre d’Espagne. En 1936, alors que quatre colonnes nationalistes convergent vers Madrid, le général Mola, afin de vaincre les républicains, compte sur le soulèvement des nationalistes restés dans la capitale, qui forment ainsi une « cinquième colonne ». L’expression se diffuse très rapidement en France, notamment au sein de la gauche antifasciste. On la rencontre dès 1937 dans l’Espoir, roman d’André Malraux. À la veille du second conflit mondial et pendant la downloadModeText.vue.download 187 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 176 « drôle de guerre », elle évoque les actions des services d’espionnage ennemis et, plus précisément, l’idée de sabotage. Même si l’expression continue d’exister, popularisée par la presse, le roman ou le cinéma, elle demeure intimement liée aux années 1935-1945, témoignage de réalités nouvelles : guerre subversive, propagande de masse et sabotage. Mais il faut attendre 1970 et une étude de Max Gallo sur les propagandes fasciste et nazie des années trente pour que cette notion entre dans l’historiographie. CIR (Convention des institutions républicaines), regroupement, constitué en juin 1964, de plusieurs organisations de gauche. La CIR est l’une des réponses apportées au déclin des partis de la gauche traditionnelle - SFIO et Parti radical. Pour François Mitterrand, l’un de ses principaux promoteurs, elle est l’outil de reconstruction de la gauche non communiste et le premier levier de sa stratégie d’opposition au général de Gaulle. En effet, Mitterrand, prenant acte des conditions nouvelles créées par l’élection du président de la République au suffrage universel, veut fédérer un front républicain d’opposition. Il rassemble d’abord des membres de l’Union démocratique et socialiste de la Ré-
sistance (UDSR) et d’autres amis politiques dans la Ligue pour le combat républicain (1960) ; à la faveur d’ajouts et de fusions, notamment avec le mendésiste Club des jacobins de Charles Hernu, celle-ci devient le Centre d’action institutionnel (1964), puis la Convention des institutions républicaines. Mitterrand s’appuie sur la nouvelle formation pour mener sa candidature à l’élection présidentielle de 1965 : dès septembre, la CIR joue un rôle déterminant dans la création de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS), nouvel outil du leader politique. La CIR survit jusqu’en 1971, et disparaît lors du congrès d’Épinay. Elle aura joué son rôle en contribuant à structurer l’opposition non communiste au général de Gaulle ; en rassemblant aussi autour du futur président socialiste un noyau de fidèles qui participeront à la conquête du pouvoir. cisterciens, membres de l’ordre monastique dont l’origine remonte à la fondation de Cîteaux par Robert de Molesmes, en 1098. L’ordre cistercien, l’un des plus renommés, illustre le renouvellement du monachisme en préconisant une application stricte de la règle de saint Benoît. Après des débuts difficiles, un essor s’amorce vers 1110-1111, conforté par l’arrivée au monastère du futur saint Bernard avec une trentaine de compagnons (1112 ou 1113). Sont alors fondées les abbayes de La Ferté (1112 ou 1113), Pontigny (1114), Clairvaux (1115) et Morimond (1115). Cîteaux et ses quatre « filles » vont, par essaimage ou, plus fréquemment, par intégration de monastères, développer leur filiation. Clairvaux, en partie grâce à l’action et au prestige de saint Bernard, domine largement. Avec le second abbé, Étienne Harding (1109-1133), l’ordre se dote de structures. La « Charte de charité et d’unanimité », de 1114 (remaniée en 1119 et vers 1165-1170), stipule que l’ordre est une fédération d’abbayes. Les abbés sont élus par les moines profès, en présence de l’abbé de « l’abbaye mère », celle qui a fondé ou incorporé l’établissement, et sur son conseil. Organe suprême de direction, sous l’autorité de l’abbé de Cîteaux, le chapitre général réunit chaque année l’ensemble des abbés et publie des statuts. Pratiquant le cénobitisme et une ascèse très rude, développant une architecture toute de dépouillement, les cisterciens ont su répondre aux aspirations spirituelles de leur temps. En se consacrant à l’office divin et au travail
manuel, le moine renonce à sa volonté propre et au monde. Les vertus d’obéissance, d’humilité, de pauvreté et, surtout, de pénitence et de mortification sont exaltées. Chaque abbaye doit vivre du travail de ses moines ; il est interdit de recevoir des profits d’origine ecclésiastique, ou des revenus tirés de la possession du sol. Mais, dès les années 1180, les préceptes initiaux sont oubliés : grâce à des choix judicieux dans la gestion de leurs domaines, les cisterciens s’enrichissent, bénéficient de l’exemption (1184), et l’ordre ne parvient pas à préserver son originalité. En 1335, par la bulle Fulgens sicut stella, Benoît XII, ancien cistercien, rappelle les prescriptions fondamentales nécessaires au respect des idéaux d’austérité et de cénobitisme, et souhaite un renforcement des études (théologie). Mais, après les difficultés du XIVe siècle, le Grand Schisme accentue le repli. Les liens entre les monastères se distendent ; on assiste à des rapprochements dans un cadre national, au détriment des filiations. Une situation à laquelle tente de remédier l’abbé de Cîteaux Jean de Cirey, qui promulgue de nouveaux statuts, en 1494. Comme pour d’autres ordres, le XVIIe siècle est un temps de mutations et de réformes, avec, notamment, celles du monastère de la Trappe par l’abbé Armand de Rancé, qui entend retrouver l’esprit du premier Cîteaux. La réforme fait école : au XIXe siècle, ce sont les trappistes qui sont à l’origine des tentatives de restauration. De nos jours, l’ordre comprend l’ordre de Cîteaux dit « de la Commune Observance », et l’ordre de Cîteaux dit « de la Stricte Observance », représenté par les trappistes, et d’orientation plus contemplative. Cité (Palais de la), palais des rois capétiens au Moyen Âge, situé à Paris, dans l’île de la Cité, à l’emplacement de l’actuel Palais de justice. Symbole de la présence du pouvoir royal à Paris, le Palais de la Cité est indissociable de l’exercice du pouvoir et de ses institutions. À son avènement, Philippe Auguste trouve une forteresse maintes fois remaniée, qui ne comprend qu’une grande salle et deux chambres attenantes, ainsi qu’une galerie menant à une autre pièce, la « chambre verte ». Il tente d’agrandir un palais devenu exigu, mais c’est à Saint Louis qu’il appartient d’engager les premiers travaux, dont on a conservé trace. De nouveaux bâtiments s’avancent en front de Seine, sur la rive nord, qui prennent le nom de « salle sur l’eau ». La Sainte-Chapelle, située dans l’enceinte du palais, est construite entre 1239 et 1248 pour accueillir les reliques
de la couronne d’épines et de la vraie croix. Les institutions royales - archives, chancellerie et, surtout, parlement - prennent place dans des bâtiments édifiés à cet effet. Le palais de Saint Louis est à la fois résidence royale et siège des institutions. À la fin du XIIIe siècle, Philippe le Bel amplifie et modernise les réalisations de son grandpère. De nouvelles tours sont construites : la tour César, qui devient la tournelle criminelle du parlement, la tour d’Argent, qui abrite le Trésor. La Chambre des comptes est installée face à l’entrée de la Sainte-Chapelle. Le monarque n’occupe plus alors que le Logis du roi, à l’arrière du mur occidental de l’enceinte, d’où il a vue sur la Seine, les jardins et la colline de Chaillot. À sa mort, ses fils poursuivent son oeuvre mais résident de moins en moins dans le palais, devenu, en revanche, le siège de l’administration la mieux organisée et la plus forte d’Europe. Les institutions royales y cohabitent jusqu’à ce que seul le parlement y demeure, comme aujourd’hui le Palais de justice. Au milieu du XIVe siècle, Jean le Bon fait bâtir la grosse tour de l’Horloge. Après lui, le Palais de la Cité est définitivement abandonné en tant que résidence royale. Il n’en reste plus aujourd’hui que la Conciergerie, qui servit de prison pendant la Révolution. cité lacustre ! palafitte citoyennes républicaines révolutionnaires (Club des), rassemblement de militantes révolutionnaires d’origine populaire qui, pour « déjouer les ennemis de la République », reforment, le 10 mai 1793, un club de femmes à Paris, où il n’en existait plus. Sans réclamer publiquement l’égalité politique, elles veulent armer les femmes, revendiquant ainsi l’un des fondements de la citoyenneté. Appartenant à la sans-culotterie parisienne, et proches des cordeliers, elles s’engagent très activement, au printemps 1793, dans la lutte contre les girondins. Après la chute de ces derniers, leur rôle est reconnu par les autorités révolutionnaires. Mais, en septembre 1793, sous l’impulsion de ses deux principales dirigeantes, Pauline Léon et Claire Lacombe, leur club défend des opinions « enragées ». Elles multiplient les interventions auprès des sections parisiennes, réclamant l’application de la Constitution et le renouvellement de la Convention, l’épuration des administrations, la création de tribunaux révolutionnaires, l’arrestation des suspects, etc. Leurs positions extrémistes dérangent. Le
16 septembre, Claire Lacombe et ses amies sont attaquées au Club des jacobins, et traitées de « femmes prétendues révolutionnaires ». À travers elles, c’est la participation des femmes à la politique qui est visée. Le 30 octobre 1793, prenant prétexte d’une rixe les ayant opposées aux « dames de la halle », réfractaires au port du bonnet rouge, la Convention interdit tous les clubs féminins, et réaffirme que les femmes ne peuvent pas jouir des droits politiques. Citroën (André), industriel (Paris 1878 - id. 1935). Ancien polytechnicien, il fabrique d’abord des engrenages à chevrons - d’où le logo au double chevron -, avant de fonder en 1915 downloadModeText.vue.download 188 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 177 une usine de munitions à Paris, quai de Javel, reconvertie dans l’industrie automobile en 1919. Il est, en France, l’un des promoteurs du taylorisme et du travail à la chaîne. Il dispose d’un laboratoire de recherche intégré, lance la voiture de série (la Torpédo, la Trèfle...), les véhicules « tout acier » et le moteur flottant, qui équipe la Rosalie. Il installe de grands garages concessionnaires, et recourt à la vente à crédit et à la publicité. L’usine de Paris, complétée par trois autres établissements en banlieue, est entièrement reconstruite en 1931 ; mais, après le coûteux lancement de la « traction avant », la firme fait faillite, et Michelin, l’un des créanciers, reprend l’affaire en 1935. Toutefois, Citroën reste fidèle à son image novatrice. La voiture populaire qu’est la 2 CV, dont le prototype est prêt dès 1939, est fabriquée massivement à partir de 1948. Dans le domaine des grosses berlines, la DS, avec sa suspension hydropneumatique, succède à la « traction » en 1955. Cependant, le renouvellement trop lent de la gamme explique un déclin, qui s’accompagne de difficultés financières à la fin des années soixante. En 1974, Peugeot et Citroën s’associent, utilisant peu à peu la même « banque d’organes » (moteurs et châssis communs) ; deux ans plus tard, la marque au lion absorbe son associé au sein de PSA Peugeot-Citroën. L’outil industriel Citroën est entièrement remodelé, avec la fermeture des usines de Paris et de l’Ouest parisien, et avec la concentration de la production dans les usines de Rennes et d’Aulnay-sous-Bois, com-
plétées par des unités lorraine et espagnole. Clairvaux (abbaye de) ! Bernard de Clairvaux et cisterciens l CLASSICISME. Peut-on parler d’une école classique dont les membres, théoriciens et créateurs dans les différents arts, se seraient reconnus et rassemblés pour exprimer l’esthétique du XVIIe siècle ? L’article « Classique » du Dictionnaire universel de Furetière (1690) ne fait pas du tout allusion aux cinq ou six décennies qui viennent de s’écouler et ne cite que des auteurs de l’Antiquité, preuve, sans doute, qu’en cette fin de siècle - crépuscule chronologique du classicisme - l’on n’a pas pris conscience de son existence en tant que fait d’histoire et de culture. Là réside peut-être la principale difficulté pour l’analyse critique. Existe-t-il une interprétation des conditions objectives d’apparition du classicisme ? Existe-t-il une description normative de la constitution du classicisme ? Existe-t-il une synthèse - fût-elle fugitive - de la création classique ? SCANSIONS Le classicisme et le XVIIe siècle ont partie liée dans l’histoire de France. Sans Richelieu et Louis XIII, sans Mazarin et Louis XIV, sans les guerres civiles - dont la Fronde - et les conflits européens, on ne peut imaginer que se cherche, se trouve, puis s’impose, la mystérieuse alchimie de civilisation à laquelle nous devons les tableaux de Nicolas Poussin et de Philippe de Champaigne, les constructions de Mansart et de Le Vau, les jardins de Le Nôtre, les compositions de Lully, l’administration de Colbert et les fortifications de Vauban, le rationalisme cartésien, l’esprit pascalien, le héros cornélien, le tragique racinien, les comédies de Molière, les Fables de La Fontaine, les oeuvres de saint François de Sales, de saint Vincent de Paul et de Bossuet... Si le classicisme est un fait de civilisation dans la France du XVIIe siècle, il convient de chercher les signes de sa genèse, de son apogée et de son déclin, c’est-à-dire les dates fondatrices de sa légitimité. Le Grand Siècle commence avant même la fin du XVIe siècle, avec l’avènement d’une nouvelle dynastie (le Bourbon Henri IV succède au Valois Henri III) et l’achèvement des guerres de Religion, par l’affirmation de l’unité politique du royaume (édit de Nantes, 1598). Le XVIIe siècle s’épuise dans « la crise de
la conscience européenne » chère à l’historien des idées Paul Hazard, avant de s’effacer avec la mort de Louis XIV (1715). 1698-1715 : tel est le cadre historique large du classicisme. Ce cadre est également celui de la construction de l’État moderne et d’une mise en ordre politique et administrative qui précède la perspective sociale et culturelle. Aucun des points ou des temps forts de l’esthétique classique n’eût existé à l’époque, ou n’eût été compréhensible aujourd’hui, sans ce double mouvement. La tradition universitaire va multiplier les hypothèses de délimitations chronologiques plus précises de la période classique : l’ordre des batailles n’est pas celui des poètes, l’agitation politique contraste avec la sérénité des savants et des érudits, la violence des passions d’État ne s’exprime pas au même rythme que la conversation des salons. Aussi est-il raisonnable de proposer une période centrale (1630-1685) qui permette d’intégrer à la réflexion l’acuité d’une date et la sensibilité d’une génération. Pourquoi vers 1630 ? Parce que le pouvoir de Richelieu se confirme (paix d’Alès avec les protestants ; journée des Dupes, qui ridiculise l’opposition aristocratique) ; la Contre-Réforme triomphe (fondation de la Compagnie du Saint-Sacrement et publication posthume des Entretiens spirituels, de saint François de Sales) ; la raison philosophique s’affirme (Galilée publie le Dialogue sur les deux principaux systèmes du monde, peu avant son procès) ; la rupture théorique et littéraire avec le XVIe siècle s’achève (publication posthume des oeuvres complètes de Malherbe, naissance du journalisme moderne avec la fondation, en 1631, de la Gazette de Théophraste Renaudot) ; la politique et les arts scellent leur alliance (Richelieu crée l’Académie française en 1635). Pourquoi vers 1685 ? Parce que la France est en guerre contre toute l’Europe (le principal ennemi de Louis XIV, Guillaume d’Orange, accède au trône d’Angleterre, et la ligue d’Augsbourg se constitue) ; la raison d’État rejoint la religion d’État (révocation de l’édit de Nantes) ; la philosophie des Lumières jette ses premiers feux (Pensées sur la comète, de Bayle ; Entretiens sur la pluralité des mondes et Histoire des oracles, de Fontenelle ; Traité de l’éducation des filles, de Fénelon) ; la morale du Grand Siècle enferme et embaume le classicisme (les Caractères, de La Bruyère). 1630 et 1685 marquent un début et une fin - non le début et la fin -, et 1661, ou sa
proximité immédiate, confirme l’hypothèse historique et culturelle : la mort de Mazarin met fin au système de gouvernement des deux cardinaux Premiers ministres - l’un français, l’autre italien - qui ont pensé et organisé la construction de l’État moderne, y compris dans sa composante esthétique ; la guerre en Europe s’achève - pour un temps - grâce au traité des Pyrénées (1659), qui annonce la prépondérance française ; la guerre des idées s’accentue (obligation pour les clercs de signer le Formulaire antijanséniste ; condamnation des Provinciales, de Pascal ; publication de la Logique de Port-Royal, d’Arnauld et Nicole ; représentation du Tartuffe, de Molière) ; la « gloire royale » commence à se mettre en scène (les constructions de Le Vau et les jardins de Le Nôtre s’esquissent à Versailles ; Lully est nommé surintendant de la musique du roi, et Le Brun, premier peintre du roi ; la « petite académie » - future Académie des inscriptions et belles-lettres - est fondée en 1663. 1630, 1661, 1685, telles sont donc les scansions du classicisme : tout est possible, tout est réel, tout est accompli. POLITIQUES Il convient de procéder à un examen attentif des éléments constitutifs du classicisme, qu’il s’agisse de l’histoire, de la théorie politique, de la spiritualité, de l’esprit scientifique, de la philosophie, de la vie sociale, de la langue... L’analyse historique rend compte de la dimension nationale du classicisme, qui coïncide, en Europe, avec une prépondérance française, alors que l’Espagne a dominé le XVIe siècle, et que l’Angleterre s’imposera au XVIIIe. La politique intérieure et extérieure de Richelieu marque la volonté de restaurer l’autorité face à la survivance ou à la réaction aristocratiques, à la dissidence religieuse des protestants, et à la toute-puissance de la dynastie des Habsbourg. L’action de Mazarin sera fondée sur les mêmes principes, et tendra aux mêmes objectifs : la paix intérieure et extérieure. Sans doute peuton voir un point commun avec l’oeuvre d’Auguste : il faut mettre un terme aux guerres civiles et extérieures. Le classicisme, en politique, c’est la pacification. On peut reprocher à Tacite et à Machiavel, voire à Hobbes, de sublimer la fonction transcendantale de la raison d’État, y compris par l’ignorance ou le mépris de la morale chrétienne. Richelieu et Mazarin n’acceptent pas ce reproche : la raison d’État, qui est une notion, est un moyen ; le roi, qui est une personne, est une fin. Les cardinaux gallicans auront fait le travail politique. Louis XIII et, surtout, Louis XIV auront
accompli l’oeuvre historique. Celle-ci peut d’autant plus s’élever audessus des contingences politiques et des immanences polémiques - dont témoigne le nombre considérable de traités, pamphlets et libelles publiés jusqu’à la fin de la Fronde, en 1653 - qu’elle revendique, au-delà même de l’absolutisme de droit divin, le service de Dieu. La gloire du roi est à l’image de la gloire de Dieu. Les décisions du concile de Trente (1545-1563) donnent naissance à la Réforme catholique - ou « Contre-Réforme », si l’on veut souligner la confrontation avec le downloadModeText.vue.download 189 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 178 protestantisme. L’universalité religieuse est le principe de l’universalité politique : la raison d’État est une raison divine. Ainsi s’explique que l’oeuvre religieuse soit à la fois spirituelle et administrative : saint Vincent de Paul et les Filles de la Charité, saint François de Sales et les Visitandines, Jean-Jacques Olier et la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice. L’augustinisme des jansénistes sera condamné comme erreur politique et non comme faute religieuse. Il en ira de même des jésuites ou de la tentation mystique lors de la querelle du quiétisme. La religion classique est une religion d’État. Ce statut n’interdit pas, au contraire, la violence des confrontations théoriques. En ce sens, le « libertinage d’idées », avec La Mothe Le Vayer, Naudé, Théophile de Viau, Patin, Cyrano de Bergerac, Saint-Évremond, représente un contrepoint exemplaire du classicisme. Son rôle, dans la théorie littéraire, la formation et l’expression du goût, l’animation de la vie sociale à la cour aussi bien qu’à la ville, la diffusion de nouvelles idées scientifiques, les querelles du théâtre, sera essentiel : Pascal et Molière, pour ne citer qu’eux, seront toujours attentifs à ce courant de pensée. À ce titre, le « libertinage érudit » (René Pintard) est autant le complice que l’adversaire du classicisme. Quant au libertinage des moeurs, dont Ninon de Lenclos reste la figure emblématique, il est marginal, même si certains voient en lui une dérive aristocratique de la sexualité féminine, dont telle ou telle héroïne de la Fronde a pu être le modèle. RAISONS Si le libertinage marque une frontière du classicisme, il le fait au nom de la raison, que
revendique ce même classicisme. Il faut donc élaborer une critique de la raison classique, dont Descartes et Pascal, avec et au-delà de la fondation de la science moderne, vont être l’avocat et le procureur. Les critères de la nouvelle science s’édifient progressivement, et leur rigueur séduira bientôt la métaphysique, la littérature, l’architecture, l’art des jardins, la théorie des passions... En effet, qu’il s’agisse de la mathématisation de la nature ou du triomphe du mécanisme, l’ordre des choses répond à l’ordre des lois : la raison scientifique comprend et mesure la nature. La raison esthétique sentira et imitera la nature. Quant à l’ordre politique et social des sciences, il sera lui-même régi par l’Académie royale des sciences, fondée en 1666. Tout le monde se réclame donc de la raison. Mais quelle est cette raison ? Descartes, avec le Discours de la méthode, publié en 1637 (en français, et non en latin), établit les principes de la nouvelle philosophie et les règles du raisonnement. La seule lecture des titres des quatre premières parties en apporte la preuve : « Considérations touchant les sciences », « Principales règles de la méthode », « Quelques règles de la morale tirées de la méthode », « Preuves de l’existence de Dieu et de l’âme humaine, ou fondements de la métaphysique ». Les Méditations métaphysiques (1641) affineront ces idées : l’ordre de la nature, par la conception de l’« étendue » ; l’ordre de l’homme, par l’affirmation du sujet pensant, ou cogito ; le rapport entre ces deux ordres, par la distinction entre le corps et l’âme ; l’ordre de Dieu, garant, plus que créateur, de l’ensemble du système. Tout est en place, ou, plus exactement, Pascal le dira bientôt, tout est trop bien en place. L’ordre cartésien est une construction de la raison. Mais le doute cartésien a tout mis en doute, sauf le doute lui-même. Il existe des puissances trompeuses - la coutume, c’est-àdire l’habitude, l’imagination, l’amour-propre - auxquelles l’homme, victime du divertissement, c’est-à-dire des tentations liées à sa condition mondaine, ne sait pas, ne peut pas, ou ne veut pas, résister. La dialectique pascalienne est plus implacable que ne se croit infaillible la raison cartésienne : « S’il se vante je l’abaisse. S’il s’abaisse je le vante. Et le contredis toujours. Jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il est un monstre incompréhensible [...]. Soumission et usage de la raison : en quoi consiste le vrai christianisme. Pyrrhonien, géomètre, chrétien : doute, assurance, soumission » (Pensées. Papiers classés, VII, 130 ; XIII, 167, 170). La critique de la raison par la raison
- « La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent » (XIII, 188) - coïncide avec l’intuition physique de l’ordre métaphysique - « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie » (XV, 201). L’avocat et le procureur de la raison classique, Descartes et Pascal, ont ainsi contribué à la mise en perspective du classicisme. Les ambitions sont affirmées. Les contradictions sont démontrées. La raison métaphysique et la « raison des effets » ouvrent la voie à la raison esthétique : comprendre, plaire, toucher. Le classicisme opère la synthèse, dans des oeuvres de toute nature, d’un moment et d’un milieu, d’une doctrine et d’un goût, d’un ordre et de sa transcendance, des règles et du sublime. L’« harmonie préétablie » entre les créateurs et leur public explique l’adhésion enthousiaste à une esthétique en mouvement. La complicité, au-delà de la théorie de l’imitation entre la nature et la raison, explique que ce triomphe d’un moment n’ait pas été un triomphe momentané. Deux données rendent compte de ce succès : l’unité d’une langue française porteuse d’une rhétorique sociale telle que l’ont façonnée le poète Malherbe, le grammairien Vaugelas, les théoriciens de l’« honnête homme », tel Nicolas Faret ; l’unité d’une société courtisane et urbaine, aristocratique et bourgeoise, qui a conscience d’être et d’exprimer un apogée de la civilisation. RÈGLES Le classicisme est conçu comme une esthétique des règles. Cette vérité est souvent surdéterminée par les modes de connaissance et de transmission des oeuvres classiques dans la tradition scolaire et universitaire : le code esthétique, qui a su déplacer la frontière des règles, est devenu un code critique, qui se déploie prudemment en deçà de cette frontière. On peut éviter ce piège de méthode en interrogeant successivement les savants et les écrivains, puisque ceux-ci, très sensibles à la logique des règles, n’ont fait allégeance à Aristote que pour mieux revendiquer la « liberté du poète », voire la rébellion du créateur. Pour écarter tout risque de malentendu externe ou d’incohérence interne, l’analyse porte ici, pour l’essentiel, sur les textes littéraires, conçus comme modèles construits et reconnus de l’esprit classique. Pourquoi donc existe-t-il des règles, et que disent-elles ? Leur existence est à la fois le signe d’une rupture et d’une fidélité : rupture avec le XVIe siècle et,
surtout, avec Ronsard, qui, pour reprendre l’expression de Boileau, « brouilla tout, fit un art à sa mode » (Art poétique, chant I) ; fidélité à l’orthodoxie aristotélicienne telle que l’avaient formalisée, vers 1550-1570, les commentateurs italiens de la Poétique (Vida, Scaliger, Castelvetro). La poésie a un but didactique, qu’elle atteint par l’imitation rationnelle de la nature. « La formation de la doctrine classique » (René Bray), dont les principes et les règles s’exprimeront dans les différents genres, et selon divers styles, repose ainsi sur une convergence d’intentions esthétiques et sociales, fondées elles-mêmes sur une peinture morale de la vérité conçue comme fin et comme moyen. Cette passion pour la vérité, dans l’imitation et dans la représentation, puis dans la compréhension et dans la conviction, explique le système des règles, et légitime la fidélité formelle à l’Antiquité. Le respect de la vraisemblance, l’attention portée aux bienséances, la mise en oeuvre des trois unités (d’action, donc de temps, et de lieu), constituent des moyens au service d’une fin, à savoir l’adhésion des auteurs et des acteurs, des lecteurs et du public, à une vérité commune construite more geometrico, à la manière des géomètres. Les débats et les querelles à propos des règles expriment, en effet, même dans leurs excès théoriques, et à condition d’exclure Vadius et Trissotin, ridiculisés par Molière, un souci de rigueur scientifique absolue. L’analyse du genre tragique depuis l’Antiquité montre cette volonté de perfection. Ainsi en est-il de la définition de la tragédie par Aristote : « La tragédie est l’imitation d’une action noble, conduite jusqu’à sa fin, et ayant une certaine étendue, en un langage relevé d’assaisonnements dont chaque espèce est utilisée séparément selon les parties de l’oeuvre ; c’est une imitation faite par des personnages en action et non par le moyen d’une narration, et qui, par l’entremise de la pitié et de la crainte, accomplit la purgation des émotions de ce genre » (Poétique). Tel est le cadre théorique dont hérite la tragédie classique. La réponse de Racine est claire : « Une action simple, chargée de peu de matière, telle que doit être une action qui se passe en un seul jour, et qui, s’avançant par degrés vers sa fin, n’est soutenue que par les intérêts, les sentiments et les passions des personnages » (première préface de Britannicus, 1669). La préface de Bérénice (1670) précise que « toute l’invention consiste à faire quelque chose de rien » (théorie limite de la dramaturgie), et demande que « tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la
tragédie » (rappel que le théâtre est un divertissement). Selon Corneille, dont de nombreux textes théoriques (Préfaces, Examens, Discours) sont publiés, en 1660, au tournant du classicisme, la « dignité » de la tragédie « demande quelque grand intérêt d’État ou quelque passion plus noble et plus mâle que downloadModeText.vue.download 190 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 179 l’amour, telles que sont l’ambition ou la vengeance » (Discours de l’utilité et des parties du poème dramatique). En outre, l’unité d’action est, en fait, une « unité de péril » opposée au héros, lequel peut faire naître l’« admiration », cette première des six passions primitives dont Descartes avait montré l’irréductibilité (les Passions de l’âme, 1649). La théorie de la tragédie est devenue une théorie tragique : plus que dans tout autre genre, les enjeux sont décisifs. « Ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédie », écrit Racine, à juste titre, dans la préface de Bérénice. Mais comment s’opérerait la nécessaire purgation des passions si la terreur n’était pas plus meurtrière que la pitié est consolatrice ? L’imitation des passions a pour finalité l’élimination des passions : la tragédie classique n’est que la mise en scène de ce principe. La comédie répond aux mêmes exigences, ainsi que le rappelle Molière dans le premier placet présenté au roi à propos du Tartuffe : « Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j’ai cru que, dans l’emploi où je me trouve, je n’avais rien de mieux à faire que d’attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle. » Les hypocrites, les faux dévots, les mauvais médecins, les bourgeois gentilshommes, les avares, les femmes savantes, les précieuses ridicules, les misanthropes, les coquettes..., personne ne sera à l’abri : l’universalité de l’ambition morale de la comédie interdit qu’il y ait des « privilégiés ». Il existe des privilèges fiscaux, sociaux, ecclésiastiques, militaires..., dans les trois ordres du royaume, mais il n’y en a aucun dans le théâtre de Molière. La fonction universelle de la comédie serait ainsi plus absolue que celle de la tragédie : « On veut bien être méchant mais on ne veut point être ridicule. » La correction des vices serait-elle plus totale que la purgation des passions ? Dans les deux cas, l’auteur aura rempli sa mission sociale et morale. Enfin, plus le genre
apparaît comme mineur, plus cet aspect de l’oeuvre est souligné. La Fontaine ne manque pas d’insister : « Comme par la définition du point, de la ligne, de la surface, et par d’autres principes très familiers, nous parvenons à des connaissances qui mesurent enfin le ciel et la terre, de même aussi par les raisonnements et conséquences qu’on peut tirer de ces Fables, on se forme le jugement et les moeurs, on se rend capable de grandes choses. » PASSIONS Même si le classicisme apparaît comme une esthétique en situation, il ne faut pas oublier qu’il est un art, et non une doctrine sociale ou une morale de l’art. Boileau ne laisse planer aucun doute sur ce point : « Le secret est d’abord de plaire et de toucher » (Art poétique). La Fontaine s’inscrit dans la même perspective : « On ne considère en France que ce qui plaît : c’est la grande règle et pour ainsi dire la seule » (préface des Fables). Racine lui fait écho dans la préface de Bérénice : « La principale règle est de plaire et de toucher : toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première. » Fautil, pour s’en convaincre, lire la Princesse de Clèves, de Mme de La Fayette, ou écouter les Oraisons funèbres de Bossuet ? Toute vraie passion est une compassion. L’univers du classicisme est celui du charme : le paradoxe de l’art classique consiste à revendiquer le flou, alors qu’il se proclame l’ami des règles. Quel aveu plus fort peut-on demander que ce soupir de Pauline devant Sévère : « Un je ne sais quel charme encor vers vous m’emporte » (Corneille, Polyeucte) ? On songe également à l’aveu d’Assuérus devant Esther : « Je ne trouve qu’en vous je ne sais quelle grâce / Qui me charme toujours et jamais ne me lasse » (Racine, Esther). L’extrême précision de l’art classique semble se perdre dans l’indéfini, dans l’infinitésimal. La préciosité, condamnée à juste titre quand elle était ridicule, se voit ainsi réhabilitée : elle protège l’âme, le coeur, le moi, le sujet des vicissitudes mondaines. Le style est la dernière illusion. La naïveté de La Fontaine, la clarté racinienne, la gloire cornélienne, exigent de tout sacrifier à l’art. La Rochefoucauld n’écrit pas sans raison : « L’esprit est toujours la dupe du coeur » (Maximes). La raison classique s’exténue dans l’écriture de la passion. L’ambition historique ou politique, la connaissance scientifique de la nature, le théâtre - espace de purgation des passions ou de correction des vices -, l’analyse philoso-
phique de l’homme, du monde et de Dieu, la domination des passions par la raison, ou leur étouffement par d’autres passions : tout est, au même degré, nécessaire et inutile. Tel est le message littéraire du classicisme. ENJEUX Que reste-t-il donc du classicisme ? La conscience de la grandeur et de la misère donne à la conscience sa grandeur, tout comme elle la préserve de la misère. Le paradoxe de l’esthétique classique est de faire coïncider l’apogée et l’épitaphe des principaux styles. Quelle fable écrire après La Fontaine, quelle comédie après Molière, quelle tragédie après Corneille ou Racine ? Quel palais souverain construire après Versailles ? Quelle oraison funèbre prononcer après Bossuet ?... Point n’est besoin d’expliquer le classicisme en l’opposant au baroque, aux Lumières, au romantisme, car chaque créateur a été un pionnier ou un rebelle plus qu’un imitateur ou un doctrinaire. L’unité exceptionnelle de langue et de moeurs ayant marqué la France pendant quelques décennies explique, en partie, le nombre non moins exceptionnel des oeuvres, ainsi que leur variété et leur diversité. Il n’est pas certain que le créateur classique ait conscience d’être un classique, quelle que soit la force de la tentation ou de la pression académique, mais il a conscience, sans nul doute, d’être un créateur. La passion de la raison, en philosophie, tout comme en physique ou en architecture, éclaire l’ambition classique, mais l’exigence esthétique va au-delà de la passion et de la raison. L’art est une « loi figurative », au sens pascalien, de la vérité ou de la réalité. De même que les preuves les plus certaines de l’existence de Dieu sont dans les miracles, et non dans les ouvrages de métaphysique, la grandeur du classicisme n’est pas dans les règles de cette grandeur, mais, sans doute, dans l’émotion, dans le charme, dans le sublime, dans quelques mots de La Fontaine, dans quelques couleurs de Poussin, dans quelques notes de Lully. Claude de France, épouse de François Ier, reine de France de 1515 à 1524 (Romorantin 1499 - Blois 1524). Fille aînée et héritière de Louis XII et d’Anne de Bretagne, elle sera l’enjeu d’une politique matrimoniale complexe. En 1501, pour ne pas soustraire le duché de Bretagne à la mouvance des Valois, Louis XII s’engage à marier sa fille à son cousin François de Valois, duc
d’Angoulême (futur François Ier). Cette politique n’est pas du goût d’Anne de Bretagne, qui obtient de son royal époux un projet de mariage de Claude avec Charles de Luxembourg (futur Charles Quint) par le traité de Blois (1504), la princesse devant apporter en dot la Bretagne, la Bourgogne, Naples et Milan. Mais le roi fait finalement annuler cet engagement : dès 1506, les états généraux, réunis à Tours, votent les fiançailles de François et de Claude. Celles-ci sont fêtées le 21 mai 1506 ; il a 12 ans, elle en a 7. Le mariage est célébré en mai 1514, après la mort d’Anne de Bretagne. En 1515, à l’avènement de François Ier, Claude - qui a reçu entre-temps le titre de duchesse de Bretagne devient reine. Toutefois, elle ne jouera aucun rôle politique, contrairement à sa belle-mère, Louise de Savoie, à qui François Ier confie la régence lorsqu’il s’absente du royaume. Douce et pieuse, elle passera la majeure partie de son temps loin des intrigues politiques et amoureuses de la cour, dans son château de Blois, où elle fait aménager jardins et vergers. Elle y donnera naissance à sept enfants, parmi lesquels le futur Henri II. Elle meurt à 25 ans, « fort regrettée pour ses admirables vertus et bontez » (Brantôme). Clavière (Étienne), homme politique (Genève 1735 - Paris 1793). Il consacre sa vie professionnelle à la finance, et son engagement politique, aux idées démocratiques. Actif au sein de la République genevoise, il doit s’exiler en Irlande en 1782, lorsque les troupes de Berne interviennent pour réduire l’agitation qui s’y était développée. Ses origines suisses l’incitent tout d’abord à créer une entreprise d’horlogerie. Ces ambitions industrielles restent sans succès ; il parvient, en revanche, à se constituer une petite fortune par la spéculation. Cependant, c’est de nouveau la politique qui modifie son destin. Les rumeurs de la Révolution commençante l’incitent à gagner Paris en 1789. Administrateur-gérant d’une compagnie d’assurances, il mène de front activités financières et politiques en devenant le principal collaborateur de Mirabeau pour les affaires économiques. La littérature et le goût des opérations boursières le rapprochent de Brissot, qu’il rencontre à la Société des amis des Noirs. Membre du Club des jacobins, Clavière rédige des articles pour le Courrier de Provence, publié par Mirabeau. Son influence ne cesse de croître, notamment grâce à son salon, qui est l’un des plus fréquentés de Paris. Les plus grandes figures de la Gironde s’y retrouvent, et Clavière y downloadModeText.vue.download 191 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 180 critique très violemment la politique économique menée par son compatriote Necker. Sa carrière prend un nouveau tournant en mars 1792, lorsqu’il devient, à l’initiative de Brissot, ministre des Contributions publiques. Considéré comme trop hostile par la cour, il se verra reprendre son portefeuille par le roi, le 20 juin ; il revient au gouvernement après la journée du 10 août. La chute des girondins, en juin 1793, causera sa perte. Arrêté, il n’est cependant pas jugé lors du procès d’octobre 1793. Mais, déféré devant le Tribunal révolutionnaire en décembre, il préfère se poignarder la veille de sa comparution. À l’annonce de son suicide, sa femme le rejoindra dans la mort en s’empoisonnant. Clemenceau (Georges), homme politique, président du Conseil de 1906 à 1909 et de 1917 à 1920 (Mouilleron-en-Pareds, Vendée, 1841 - Paris 1929). Issu d’une famille de propriétaires aisés, il est élevé dans la tradition républicaine, dans un pays pourtant profondément marqué par la mentalité « blanche ». • « L’éternel opposant ». Étudiant en médecine à Paris sous le Second Empire, docteur en 1865, il appartient à la jeune génération des opposants républicains au régime impérial, qui est très influencée par le scientisme et le positivisme. Il fréquente diverses personnalités républicaines, fonde, à 20 ans, une feuille d’opposition, subit une peine de deux mois de prison pour incitation au désordre, avant de partir pour les États-Unis, où il séjournera durant quatre ans, de 1865 à 1869. De retour en France, il est nommé maire du XVIIIe arrondissement de Paris, après le 4 septembre 1870. Hostile à l’armistice signé par le gouvernement provisoire en janvier 1871, il essaye, en tant que maire d’arrondissement et député (élu en février 1871), de s’interposer entre les insurgés de la Commune et l’Assemblée, mais en vain. Même s’il condamne sans ambiguïté la révolte parisienne, il n’admet pas pour autant la politique provocatrice d’Adolphe Thiers. L’échec de sa tentative le pousse à renoncer à ses fonctions politiques quand éclate la « semaine sanglante », puis à se consacrer durant plusieurs années à son activité de médecin, au coeur du quartier pauvre
de Montmartre. Réélu député de Paris lors des élections générales de 1876, il participe au combat républicain des années 1876-1879. Son rôle s’affirme à partir de 1879, après la victoire définitive de la République. Déployant beaucoup d’énergie pour faire aboutir le projet de loi d’amnistie des communards, qui sera adopté en juin 1880, il fait figure d’aiguillon de la majorité républicaine par ses propositions, qui portent essentiellement sur l’instauration intégrale d’une démocratie politique : suppression du Sénat - assemblée qui n’est pas élue au suffrage universel -, instruction primaire obligatoire, protection sociale, élection des magistrats, décentralisation et, surtout, séparation de l’Église et de l’État. Clemenceau est, en effet, un anticlérical sans concessions, qui considère l’Église comme la force incarnant par excellence l’oppression et l’obscurantisme. Redoutable polémiste et excellent orateur, « l’éternel opposant » (Jean-Baptiste Duroselle) devient l’une des personnalités les plus en vue de la Chambre. Apparaissant comme le chef d’une opposition de gauche aux ministères républicains, il prend une part active à la chute des gouvernements Ferry en 1881, Gambetta et Freycinet en 1882. Le 30 juillet 1885, Clemenceau prononce un grand discours contre la politique coloniale de Jules Ferry, alors compromise par les événements du Tonkin : il défend la nécessité de ne pas disperser les forces du pays face aux dangers qui menacent la France en Europe, et affirme son rejet de l’idée d’une race « supérieure » qui aurait des droits particuliers à l’égard de groupes « inférieurs ». • La mise à l’écart temporaire. Lors des élections de 1885, il est réélu député, dans le Var, cette fois, un département de la petite paysannerie « rouge ». Mais la configuration de la nouvelle Chambre, où ne se détache pas de majorité claire, et la féroce rivalité qui l’oppose à Jules Ferry lui barrent l’accès à la présidence du Conseil. D’abord favorable à la nomination, au ministère de la Guerre, du général Boulanger, qui lui apparaît comme un républicain, il combat ensuite - contrairement à d’autres radicaux - l’entreprise politique « messianique » et « plébiscitaire » du militaire. Il participe à la défense républicaine, ainsi qu’à la création, en mai 1888, de la Société des droits de l’homme et du citoyen. Mais, au début des années 1890, la conjoncture politique générale lui devient beaucoup moins favorable : il est, en effet, débordé sur sa gauche par la poussée socialiste. Il mani-
feste pourtant un intérêt accru à la question sociale, annonçant à la tribune de la Chambre, le 8 mai 1891, la montée du « quatrième état » (le prolétariat). En outre, à l’heure où se pose la question du ralliement des catholiques à la République, il rappelle, à la tribune de la Chambre en janvier 1891, que « la Révolution est un bloc », dont un véritable républicain ne saurait dissocier les divers aspects de l’héritage. Toutefois, la constitution progressive d’une majorité « modérée », avec le ralliement au régime des catholiques et d’une partie des conservateurs, contribue à isoler l’extrême gauche républicaine à laquelle il appartient. Cependant, sa disgrâce politique est liée à un événement précis, la dénonciation du scandale de Panamá en novembre 1892 et sa mise en cause par Paul Déroulède : en relation avec l’escroc Cornélius Herz, le député du Var aurait reçu de ce dernier des fonds nécessaires au financement de son journal, la Justice. L’affaire le compromet gravement. Malgré sa défense devant les citoyens, prononcée le 9 août 1893 dans la localité de Salernes, il est battu lors des élections générales de 1893. Désormais, durant plusieurs années, Clemenceau, en retrait par rapport à la vie politique, se consacre à l’activité littéraire et journalistique. • « Le Tigre ». L’affaire Dreyfus va le remettre en scène. Sceptique au départ, Clemenceau sera convaincu, en novembre 1897, par l’écrivain Bernard-Lazare, de l’innocence d’Alfred Dreyfus. Il défend la cause du capitaine dans le journal l’Aurore, récemment créé, et dont il est l’un des rédacteurs, publiant sur ce sujet 665 articles entre 1897 et 1899. Son engagement relève moins de la dénonciation de l’antisémitisme - il réprouve l’intolérance à l’égard des juifs - que du souci de la défense des droits individuels face à une justice insuffisamment indépendante à l’égard des pouvoirs. Sollicité par ses amis varois, celui qui fustigeait naguère la Haute Assemblée est élu sénateur du Var en avril 1902, ce qui le réintègre dans le jeu parlementaire. La formation d’une nouvelle majorité, axée à gauche, l’émergence et la percée du Parti radical - dont il n’a jamais été adhérent -, le concours d’amitiés nées de son engagement dreyfusard, le font apparaître à nouveau comme un personnage clé de la vie politique. Bien que partisan convaincu de la séparation de l’Église et de l’État, Clemenceau s’oppose aux excès du « combisme », qui lui semblent mettre en cause les droits individuels, et condamne avec sévérité les pratiques du général André quand éclate le « scandale des fiches ». Lorsqu’il accède aux sphères gouvernementales, d’abord
en tant que ministre de l’Intérieur du cabinet Sarrien, en mars 1906, puis à titre de président du Conseil, d’octobre 1906 à juillet 1909 (soit trente-trois mois, l’un des plus longs ministères de la IIIe République), il doit faire face à une agitation sociale multiforme et souvent violente : monde ouvrier travaillé par le mouvement anarcho-syndicaliste, viticulteurs du Midi, fonctionnaires qui réclament le droit de syndicalisation. « Le Tigre » - ce surnom date de ces années - n’est nullement fermé aux questions sociales, comme l’atteste la création du ministère du Travail en 1906. Il estime justifiées les revendications des travailleurs tendant à défendre leur dignité et leur indépendance face au patronat, mais il n’admet pas que l’autorité de l’État soit remise en cause, et considère les théories socialistes comme de dangereuses chimères, ainsi qu’en témoignent les incessants duels oratoires qui l’opposent à Jaurès durant cette période. Aussi ses efforts sont-ils orientés vers le maintien de l’ordre (ainsi, à Draveil et à Villeneuve-Saint-Georges, en 1908) beaucoup plus que vers l’adoption de mesures sociales : les deux grandes réformes en chantier, celle de l’impôt sur le revenu et le projet de loi sur les retraites, subissent d’ailleurs sous son ministère l’obstruction parlementaire. • « Le Père la Victoire ». L’entrée en guerre réveille l’ardeur du polémiste : les faiblesses, les fautes, les insuffisances des responsables, sont impitoyablement dénoncées dans son journal lancé en mai 1913, l’Homme libre, qui, interdit par le ministre de l’Intérieur en septembre 1914, reparaît sous le titre de l’Homme enchaîné. L’accession à la présidence des commissions sénatoriales de l’Armée et des Affaires étrangères, la réunion de « comités secrets » (séances à huis clos) du Sénat, représentent pour lui des occasions de se livrer à un sévère contrôle sur les gouvernements successifs : dans ce cadre, il s’informe, exerce des pressions, se soucie du sort des soldats, engage, en 1917, le combat contre le « défaitisme ». En novembre 1917, alors qu’une crise profonde sévit sur le front et à l’arrière, le président Poincaré, que Clemenceau avait combattu lors de son élection en 1913, fait appel à lui pour former le gouvernement. Le Tigre constitue un gouvernement composé d’hommes choisis à titre personnel, downloadModeText.vue.download 192 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 181 sans considérations de dosage partisan. Il ne
rencontre guère d’opposition, sinon celle des socialistes et de certains radicaux. Il dirige alors avec un style très personnel, réglant les affaires entouré d’un petit nombre de conseillers, notamment le général Mordacq et Georges Mandel, mais faisant fréquemment appel à la confiance des Chambres. C’est avec l’appui de l’opinion publique, et en étroite coopération avec les chefs militaires, que le Tigre, mû par le souci constant de maintenir le contact avec les combattants, mène le pays à la victoire finale. Celle-ci acquise, il lui reste à négocier les conditions de paix. Il ne partage nullement les vues du président américain Wilson concernant l’organisation future de l’Europe, mais il doit tenir compte à la fois des impératifs posés par la sécurité de la France et du point de vue des alliés anglo-saxons : le traité de Versailles (28 juin 1919) résulte d’un compromis entre ces différentes exigences. Clemenceau pense alors terminer sa carrière par l’accession à la magistrature suprême. Même si la nouvelle majorité de la Chambre « bleu horizon » admire l’homme qui a conduit la guerre, elle se méfie de l’anticlérical ; et, de nombreux parlementaires de tous bords ayant subi ses attaques ou ses sarcasmes, l’un de ses vieux rivaux, Aristide Briand, peut aisément mener la campagne qui aboutit à l’élection de Paul Deschanel à la présidence de la République (janvier 1920). Déçu et amer, le Père la Victoire s’éloigne définitivement de la vie politique. Il publie ses réflexions dans une ultime profession de foi positiviste : Au soir de la pensée (1927). « Complice des communards », « tombeur de ministères », « briseur de grèves », « dictateur », mais aussi « Père la Victoire », Clemenceau laisse une image contrastée. Mais on peut observer que toute sa vie politique, si remplie et si ardente, a témoigné de son souci de concilier deux aspirations complémentaires : l’affirmation de l’autorité de l’État républicain, garant des libertés, et la primauté de l’individu, qu’il a toujours considérée comme la finalité dernière de l’organisation collective. Clément V (Bertrand de Got), pape de 1305 à 1314 (Villandraut, Gironde, milieu du XIIIe siècle - Roquemaure, Gard, 1314). Fils de Béraut de Got, seigneur de Villandraut en Guyenne, Bertrand suit la carrière ecclésiastique de son frère Béraut, nommé cardinal par le pape Célestin V. Évêque de Comminges et juriste dans la Guyenne anglaise, il sert naturellement le roi d’Angleterre Édouard Ier et devient, grâce à lui, archevêque de Bordeaux
en 1299. Son élection comme pape en 1305, lors du conclave de Pérouse, marque un compromis entre les cardinaux profrançais et leurs opposants. Héritier du conflit qui met aux prises Boniface VIII et Philippe le Bel, Clément V est certes un pape faible, mais non soumis au roi de France. S’il ne rejoint pas Rome, c’est en raison des troubles qui y règnent ; en 1309, il s’installe à titre provisoire en Avignon (le Comtat Venaissin appartient alors à la papauté). Deux différends, qui l’opposent à Philippe le Bel, le retiennent en France : l’affaire de l’ordre des Templiers et le procès posthume du pape Boniface VIII. En 1307, le roi fait arrêter tous les templiers et demande au pape la condamnation de l’ordre. Clément V temporise et adopte une demi-mesure : au concile de Vienne (1311-1312), l’ordre est supprimé mais non condamné. La même attitude temporisatrice lui permet de sauver la mémoire de Boniface VIII : la bulle Rex gloriae virtutem, de 1311, ménage la politique royale sans pour autant condamner le pape défunt. Pape du procès des Templiers et de l’installation de la papauté en Avignon, Clément V souffre d’une mauvaise réputation. En position de faiblesse, il temporise et négocie pour éviter le pire, louvoyant sans cesse entre compromis habile et compromission douteuse. Clément VII (Robert de Genève), antipape de 1378 à 1394 (Genève 1342 - Avignon 1394). Fils du comte de Genève Amédée III et de Mahaut de Boulogne, Robert de Genève est apparenté à la famille impériale et à celle des rois de France. Neveu du puissant cardinal Gui de Boulogne, il devient en 1364 évêque de Thérouanne et, en 1371, le « cardinal de Genève ». Le pape Grégoire XI, pressé de quitter Avignon pour rentrer à Rome, l’envoie en 1376, en qualité de légat, mater les révoltes dans les États de l’Église. Le pape retourne à Rome début 1377 et y meurt en 1378. L’élection de son successeur, Urbain VI, dans un climat d’émeute, est très vite contestée. Les cardinaux du parti français le déposent et élisent en septembre 1378 le cardinal de Genève, Clément VII. C’est l’origine du Grand Schisme, qui va déchirer la chrétienté pendant plus de quarante ans, jusqu’en 1417. En effet, Urbain VI, fort du soutien des cardinaux italiens, ne désarme pas. Clément VII est, lui, soutenu par la curie, le roi de France, les royaumes espa-
gnols, mais, ne pouvant s’imposer en Italie, regagne Avignon en 1379. L’appui militaire de Louis d’Anjou ne lui permet pas de reconquérir l’Italie, et la mort d’Urbain VI en 1389 aggrave le schisme, car les Italiens élisent un nouveau pape. La rupture est consommée à la mort de Clément VII, en 1394, par l’élection de son successeur avignonnais. Courageux et diplomate, Clément VII est perçu comme légitime par la curie et plus de la moitié de la chrétienté, mais le contexte politique de la guerre de Cent Ans a durci les positions des différents adversaires. l CLERGÉ. Dans l’Église catholique, les prêtres consacrés constituent un corps particulier défini par le sacrement de l’ordre ; ils assument auprès des fidèles un ministère sacramentel, observent des règles de vie (célibat), et acquièrent une formation spécifique. Dans le protestantisme, les pasteurs, même s’ils assument une fonction propre au sein des communautés, et bénéficient d’une formation exégétique et théologique, participent du principe du sacerdoce universel des fidèles : il n’y existe, entre clercs et laïcs, aucune différence d’ordre. Enfin, on étend, peut-être improprement, le terme de « clergé » au judaïsme et à l’islam, en raison de l’autorité de compétence qui distingue les rabbins et les imams des autres fidèles. Toutefois, ici, il sera question essentiellement du clergé catholique. ÉVÊQUES ET MOINES À L’AUBE DE L’ÉVANGÉLISATION L’institution du clergé prend place aux commencements de l’évangélisation. Les premières communautés chrétiennes attestées en Gaule s’organisent sur le modèle des Églises du monde grec et latin. Peu à peu vont ainsi émerger les figures de l’évêque, du prêtre, du diacre, du moine, de l’ermite. Des évêques s’établissent, du IIe au VIe siècle, dans les villescapitales des anciens pays de la Gaule romaine - dont les limites forment les premiers diocèses -, et prennent en charge la vie spirituelle et matérielle des communautés. Les premiers évêques (Martin de Tours au IVe siècle ; Germain d’Auxerre, Césaire d’Arles, Remi de Reims, aux Ve et VIe siècles) résident près de leur église cathédrale, prêchent et enseignent au peuple, président aux liturgies baptismale, pénitentielle et eucharistique, veillent à la discipline, et donnent une impulsion aux missions en direction des campagnes. Nombre d’entre eux proviennent de l’aristocratie gallo-
romaine, maintiennent l’héritage de la culture latine, et assument, par suite de l’effondrement de l’Empire romain, un rôle politique majeur, au sein des formations territoriales issues des invasions germaniques : c’est l’un d’eux, Remi, qui baptise à Reims, dans la foi catholique, le roi des Francs Clovis, scellant ainsi l’alliance entre la monarchie franque et la Gaule chrétienne. Le clergé de second ordre compose un groupe restreint aux côtés de l’évêque : il est chargé de l’administration des biens ecclésiastiques, de l’organisation des cérémonies et du service liturgique. Dans le même temps s’affirme une autre forme de ministère chrétien, à travers les voies distinctes de l’érémitisme et de l’anachorétisme (la retraite dans la solitude), et du cénobitisme (la vie en communauté). Le monachisme, qui réunit, sous l’autorité d’un abbé et d’une règle de vie spirituelle, un groupe de disciples retirés du monde pour mener une vie d’ascèse et de prières, connaît en Gaule ses premières réalisations à Marmoutier, près de Tours, auprès de saint Martin, aux îles de Lérins, ou dans les monts du Jura. NAISSANCE DE LA PAROISSE ET PRIMAUTÉ DE LA VIE RÉGULIÈRE De l’âge mérovingien à l’âge carolingien, les structures ecclésiastiques et les formes de vie cléricale connaissent une évolution considérable. La naissance de la paroisse constitue un fait majeur lié à l’évangélisation des campagnes : à l’origine simples chapelles incluses dans de vastes exploitations agricoles détenues par l’aristocratie foncière, les églises villageoises forment le cadre de la vie religieuse des communautés paysannes ; un clergé rural - nombreux, peu instruit, généralement marié - assure au peuple chrétien un service rituel et une instruction religieuse élémentaires. Sous les Mérovingiens, puis les Carolingiens, l’épiscopat - avec des figures telles que Grégoire de Tours au VIe siècle, Éloi de Noyon sous le règne de Dagobert Ier (629/639), ou Hincmar de Reims sous le règne downloadModeText.vue.download 193 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 182 de Charles II le Chauve (843/877) - s’impose comme un interlocuteur obligé du pouvoir. À ses côtés, dans l’église cathédrale, se forment des communautés de chanoines qui oeuvrent au renouveau de la liturgie. Le haut Moyen
Âge est, par excellence, l’âge des moines : monachisme oriental, sur le modèle institué en Égypte par les Pères du Désert, qui inspire la règle de Césaire d’Arles (mort en 543) ; monachisme bénédictin, répandu à travers la règle de Benoît de Nursie (mort en 547), abbé du Mont-Cassin ; monachisme irlandais, propagé par la puissante figure de Colomban (mort en 615), fondateur de Luxeuil ; monachisme féminin, enfin, inauguré à Sainte-Croix de Poitiers, sous l’impulsion de la reine Radegonde (morte en 587). L’Empire carolingien, à travers Benoît d’Aniane (mort en 821), étend la règle bénédictine à l’ensemble des abbayes. Avec la fondation de Cluny (909), l’ordre bénédictin connaît un formidable essor : exempts de l’autorité épiscopale, les « moines noirs » multiplient, partout en France, les édifices richement dotés par l’aristocratie, et lèguent à l’âge féodal le modèle d’une vie régulière consacrée jour et nuit à la louange et à la prière. RÉGULIERS ET SÉCULIERS DANS LA CHRÉTIENTÉ MÉDIÉVALE Au XIe siècle, avec la réforme grégorienne, s’ouvre l’ère de la chrétienté médiévale. Le pape Grégoire VII et ses successeurs s’efforcent d’émanciper l’Église de la tutelle des seigneurs laïcs sur les sièges épiscopaux, les abbayes et les chapitres canoniaux ; de réprimer les trafics de biens ecclésiastiques (la simonie), et d’imposer le célibat au clergé. Le monachisme apparaît, tour à tour, traversé par des formes de déclin de la vie religieuse, et par des exigences de réforme spirituelle et de pauvreté. Tandis que l’ordre clunisien perd de son dynamisme, et que les croisades suscitent la création d’ordres militaires (Templiers, Hospitaliers), des fondations naissent d’une recherche d’ascèse et de renouveau : en soumettant les chartreux à une vie de solitude et de silence, Bruno (mort en 1101) réintroduit la tradition érémitique au sein de la vie régulière ; Norbert place les « chanoines blancs » de Prémontré sous la règle de saint Augustin. Quant à Bernard de Clairvaux, il réforme la tradition bénédictine à partir de Cîteaux : l’ordre cistercien s’implante dans les « déserts », et restaure la place du travail agricole dans la vie monacale. Avec la renaissance des villes, le XIIIe siècle voit l’apogée des ordres mendiants : l’ordre prêcheur de Dominique, engagé dans la répression de l’hérésie manichéenne des albigeois, ou « cathares », tout comme l’ordre mineur de François d’Assise, répandu en
France sous le nom de « Récollets » ou de « Cordeliers », élèvent leurs couvents et leurs vastes nefs dans les faubourgs des cités, et privilégient une vie de pauvreté et de prédication auprès des populations urbaines. Progressivement gagné au célibat, le clergé séculier consolide ses structures, établies sur le système du bénéfice (patrimoine inaliénable attaché à la fonction ecclésiastique), le prélèvement de la dîme (impôt perçu par le clergé, et fixé à environ un dixième des récoltes), et le tarif du casuel (rémunération des actes du ministère), auxquels s’ajoute le produit des messes fondées par les fidèles ; il prend en charge l’instruction et le service sacramentel, à l’heure où le concile du Latran IV (1215) rend obligatoires la confession et la communion annuelle des laïcs. Tandis que la monarchie capétienne renforce son autorité sur l’épiscopat, les liens de l’Église de France se resserrent avec le pape de Rome, témoin et garant de l’universalité catholique, et dispensateur des grâces spirituelles et temporelles. CLERGÉS ET RÉFORMES La crise des structures de la chrétienté médiévale participe, à la fois, de processus historiques et d’exigences spirituelles. Ainsi, l’échec des croisades permet la suppression de l’ordre des templiers par Philippe le Bel, et la confiscation de leurs biens, tandis que l’affaiblissement de la vie religieuse des abbayes bénédictines ou cisterciennes fait passer leurs revenus en commende, au bénéfice de seigneurs laïcs ou ecclésiastiques. Les désastres de la guerre de Cent Ans, avec son cortège de pestes et de famines, précipitent la crise générale de l’Église, déchirée par le grand schisme d’Occident (1378-1417) entre le pape d’Avignon et celui de Rome, et accélèrent la mainmise de la monarchie sur l’Église gallicane : par la pragmatique sanction de Bourges (1438), Charles VII s’assure des nominations aux évêchés et aux principales abbayes ; ce dispositif est confirmé par le concordat de Bologne, conclu en 1516 entre François Ier et Jules II. Dans le même temps, une exigence spirituelle, nourrie de la ferveur inquiète des fidèles et de ferments de réformes (béguines, Devotio moderna, humanisme), ravive les modèles « ecclésiologiques » de l’âge apostolique, et remet en cause les privilèges spirituels et matériels des clercs. À l’aube du XVIe siècle, les Réformes de Luther et de Calvin, en fondant la vie religieuse sur la foi seule et sur la seule Écriture (sola fide, sola scriptura), et en proclamant le principe du sacerdoce universel des fidèles, modifient radi-
calement le statut du clergé. La Confession de foi de La Rochelle (1571), adoptée sous l’impulsion de Théodore de Bèze, établit la discipline ecclésiastique sur la base des communautés locales, réunies en colloques et en synodes, organise l’élection des pasteurs et des diacres, et remet l’autorité, pour l’essentiel, à des consistoires dominés par les laïcs. Au contraire, le concile de Trente (1545-1563), dont les décrets sont reçus par l’assemblée du clergé de France aux états généraux de 1615, réaffirme les fondements de l’ecclésiologie médiévale : l’Église, instituée par Jésus-Christ, et confiée à l’autorité de Pierre et de ses successeurs, est dépositaire de la foi ; seule gardienne du sens de l’Écriture, elle conserve la tradition héritée des Apôtres ; la distinction entre les clercs et les fidèles, marquée par le sacrement de l’ordre, trouve sa justification ultime dans la présence réelle du Christ dans l’hostie consacrée par le prêtre, et dans la théologie sacramentelle ; la structure hiérarchique de l’Église, les formes diverses de la vie régulière, sont légitimées. La fracture intervenue au milieu du XVIe siècle entre tradition catholique et Réforme protestante oppose deux formes d’Église et de clergé. DE LA RÉFORME CATHOLIQUE À LA RÉVOLUTION La Réforme catholique des XVIIe et XVIIIe siècles marque une mutation considérable du clergé français. La création des séminaires, ordonnée lors de la 23e session du concile, constitue un tournant dans sa formation intellectuelle : sous l’impulsion de Pierre de Bérulle, d’Adrien Bourdoise, de Jean-Jacques Olier, de Vincent de Paul, les séminaires parisiens de SaintMagloire, des Bons-Enfants et de Saint-Sulpice sont fondés en 1642, et suivis, en 1644, de Saint-Nicolas-du-Chardonnet ; 36 séminaires diocésains sont créés entre 1642 et 1660, 53, de 1660 à 1680, une quarantaine encore, après cette date, dans les 130 diocèses français ; ils accueillent un clergé moins nombreux et plus instruit, principalement recruté dans les classes urbaines aisées. Premier ordre du royaume, le clergé se gouverne seul, via une assemblée générale qui vote un « don gratuit » au bénéfice de la fiscalité royale. Cependant, l’inégalité des fortunes demeure extrême parmi les quelque 90 000 prêtres séculiers (10 000 chanoines, 60 000 curés et vicaires, 18 000 bénéficiers) que compte la France à la veille de la Révolution. C’est pourquoi le système de la « portion congrue » - fixée, en 1788, à 700 livres pour les curés, et à 350 livres pour les vicaires - établit une péréquation minimale des revenus du clergé paroissial.
La vie régulière est marquée, à l’aube de la Réforme catholique, par la création de nouvelles congrégations - Jésuites, Minimes, Capucins, Oratoriens, Doctrinaires, Eudistes, Montfortains, Frères des Écoles chrétiennes ; Ursulines, Visitandines, Filles de la Charité, Filles de la Sagesse - et par des tentatives réformatrices, telle celle entreprise par l’abbé de Rancé dans l’ordre cistercien, à la Trappe. À la fin du XVIIIe siècle, les ordres réguliers (26 000 religieux, 56 000 religieuses) traversent, toutefois, une crise majeure, liée à l’affaiblissement de certains ordres anciens, frappés par la « commission des réguliers », à une chute des effectifs, aux attaques des Lumières et du jansénisme parlementaire, qui aboutissent, en 1764, à la suppression de la Compagnie de Jésus, et à une mutation des mentalités manifeste dans la négation de l’utilité de la vie contemplative et de la prière. RÉVOLUTION ET RESTAURATION La Révolution constitue, pour l’ensemble du clergé français, une épreuve et un creuset. En quelques mois, les curés s’imposent au haut clergé, lors des élections des états généraux (hiver 1789), puis se rallient au tiers état pour former l’Assemblée constituante (juin 1789). Cette dernière, par l’abolition des privilèges, abolit le clergé en tant qu’ordre, supprime la dîme (août 1789), nationalise les biens de l’Église (novembre 1789), interdit les voeux monastiques (février 1790), et promulgue la Constitution civile du clergé (juillet 1790), qui bouleverse l’organisation des diocèses ; elle adopte également le principe de l’élection des évêques et des prêtres, anéantit les chapitres, supprime le casuel, et salarie le clergé paroissial. La prestation de serment à la Constitution civile, durant l’hiver 1791, a valeur de consultation : 52 % des membres du clergé paroissial sont des « jureurs » (mais environ 5 % se rédownloadModeText.vue.download 194 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 183 tractent dans les mois qui suivent, notamment après la condamnation pontificale). Le schisme est consommé entre clergé « patriote » et clergé « réfractaire », ce dernier étant majoritaire dans les futures « terres de chrétienté » de la France contemporaine - Ouest, Flandres, FrancheComté, sud-est du Massif central, Pays basque. La persécution révolutionnaire atteint sévèrement le clergé : 230 prêtres sont massacrés
dans les prisons de Paris en septembre 1792 ; plus d’un millier périssent sur la guillotine, ou lors des exécutions sommaires, en l’an II ; le clergé réfractaire est contraint à l’émigration, et le clergé constitutionnel, à la « déprêtrisation ». Elle accentue la rigueur et le prestige du modèle réfractaire : priorité du sacrifice eucharistique et de la mission, revalorisation de la discipline ecclésiale et du ministère sacerdotal, fidélité à Rome, refus de la Révolution. Tandis que les référents démocratiques de l’Église nationale s’effondrent malgré l’abbé Grégoire, le catholicisme intransigeant prépare par son témoignage et son sacrifice la restauration religieuse du XIXe siècle. Le cadre institutionnel du concordat de 1801, négocié directement entre Bonaparte et le pape Pie VII, restaure, malgré l’étroitesse des articles organiques, la liberté religieuse, et confère au clergé français des structures durables. Les églises paroissiales sont rendues au culte ; un épiscopat nouveau est constitué selon le concordat de 1516 (nomination par l’État, préconisation par Rome) ; en contrepartie de l’abandon de ses biens, le clergé est salarié ; chapitres et séminaires sont rétablis. Le bilan quantitatif de la restauration catholique du XIXe siècle semble formidable. De 1815 à 1870, le nombre des paroisses passe de 29 000 à près de 36 000 ; celui des prêtres séculiers, principalement issus du monde rural, de 30 000 à 56 000 ; les effectifs des congrégations religieuses féminines, de 15 000 à 130 000 ; ceux des congrégations masculines, plus lents à se redresser, malgré Lacordaire et dom Guéranger, d’une centaine à plus de 15 000. À la veille de la Première Guerre mondiale, les trois quarts des missionnaires présents dans le monde sont français. Exemple de vie sacerdotale, Jean-Marie-Baptiste Vianney (1786-1859), curé d’Ars, formé dans l’épreuve des missions réfractaires, est à la fois chef de paroisse, confesseur, prédicateur, missionnaire immobile, considéré comme un saint vivant dans la France du Second Empire. CLÉRICALISME ET ANTICLÉRICALISME Si le redressement du clergé apparaît spectaculaire, la reconquête spirituelle est plus limitée dans ses effets, inégale selon les régions et les groupes sociaux, discontinue dans le temps. Mais le thème du cléricalisme - entendu comme système de domination de l’Église sur la société civile et politique - s’impose dans l’argumentaire des luttes républicaines. « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! », s’écrie Léon Gambetta en 1877. La querelle des deux France se conclut par le triomphe des lois laïques dans les années 1880, puis par la séparation des Églises et de
l’État en 1905. Privée de soutien financier, mais libérée de la tutelle de l’administration, l’Église va toutefois - au lendemain de la Grande Guerre, qui réconcilie curés et fidèles dans les tranchées, et de l’institution des associations diocésaines (1924) - explorer hors du cadre paroissial de nouvelles formes de vie sacerdotale. Ainsi naissent les mouvements d’action catholique, ou l’expérience des prêtres-ouvriers, que condamne Pie XII en 1954. Paradoxalement, c’est l’aggiornamento engagé par le concile Vatican II (1962-1965) qui ébranle les structures du clergé français : chute des vocations (98 ordinations en 2005), diminution et vieillissement des effectifs (10 000 religieux, 40 000 religieuses et 23 000 prêtres séculiers en 2005, dont les deux tiers sont âgés de plus de 60 ans), retours à l’état laïc et sorties de l’Église. Les structures étiolées des diocèses mérovingiens sont en bout de course et l’ordination de diacres mariés a été réinstaurée. « Les tentatives de laïcisation du prêtre sont préjudiciables à l’Église », affirme pourtant le pape Jean-Paul II, à Ars, en 1986. « Pour que [les laïques] exercent pleinement [leur] rôle prophétique, sacerdotal et royal, les baptisés ont besoin du sacerdoce ministériel par lequel leur est communiqué, de façon tangible et privilégiée, le don de vie divine reçue du Christ. » Et de retrouver, à l’aube de temps difficiles, la définition sacrale du clergé qui parcourt l’histoire du catholicisme français depuis ses origines. Clermont (concile de), assemblée ecclésiastique réunie dans cette ville du Puy-deDôme (actuelle Clermont-Ferrand) en novembre 1095. Ouvert le 18 novembre, le concile aborde les problèmes religieux qui préoccupent la chrétienté à la fin du XIe siècle : la discipline ecclésiastique, en particulier la simonie (trafic des charges), qui nécessite une profonde réforme du clergé ; l’excommunication du roi de France Philippe Ier à la suite de son union adultère avec Bertrade de Montfort. À la fin du concile, le 28 novembre, le pape Urbain II appelle les chrétiens d’Occident à un « pèlerinage armé » pour soutenir les chrétiens d’Orient face à la pression militaire des « infidèles » : depuis plusieurs mois en effet, l’empereur byzantin Alexis Ier Comnène sollicite du souverain pontife une aide militaire contre les Turcs. Les sources les plus fiables ne mentionnent pas explicitement dans le sermon d’Urbain II un engagement armé pour la délivrance du Saint-Sépulcre, qui deviendra la raison d’être des croisades pendant plusieurs siècles. Néanmoins, le discours pontifical rencontre un écho
immense, déclenchant un mouvement populaire de départs pour la Terre sainte, donnant ainsi naissance à la première croisade. Clodomir, deuxième fils de Clovis et de Clotilde, roi des Francs du royaume d’Orléans de 511 à 524 (vers 495 - Vézeronce, Isère, 524). Lorsque Clovis meurt, en 511, son royaume est, conformément à la coutume franque, partagé entre ses quatre fils, à la manière d’un héritage patrimonial. Au terme de tractations conflictuelles, le découpage se fait en parts équilibrées, et Clodomir reçoit des territoires situés autour de la Loire, entre l’Yonne et l’océan Atlantique, le seuil du Poitou et la Beauce. Il contrôle donc, depuis sa capitale, Orléans, une portion du vieux pays franc au nord du fleuve et une partie de l’Aquitaine septentrionale romaine. En 523, poursuivant la politique d’expansion de son père, il entreprend, avec ses frères Childebert et Clotaire, la conquête de la Burgondie. Après une première campagne victorieuse contre les Burgondes, dont le roi Sigismond est tué, Clodomir se heurte, l’année suivante, à une sévère résistance organisée par le nouveau roi, Gondemar. Il trouve alors la mort au coeur des possessions burgondes, dans la vallée de l’Isère. Son royaume devient l’objet de la convoitise de ses frères, qui s’en emparent dans le sang : deux de ses fils, Théodoald et Gontier, sont assassinés, et le troisième, Clodoald (ou Cloud), n’échappe à la mort qu’en se retirant dans un monastère non loin de Paris, où il acquiert une réputation de sainteté. Cloots (Jean-Baptiste du Val-de-Grâce, baron de Cloots, dit Anacharsis), homme politique français d’origine allemande (Gnadenthal, Prusse, 1755 - Paris 1794). Le jeune homme qui arrive à Paris à l’âge de 21 ans en 1776 est issu d’une famille originaire des Pays-Bas, et a reçu son éducation en français. Membre du Musée français, il fréquente les Philosophes, côtoie Condorcet. En 1789, il rédige des brochures révolutionnaires, participe aux journées d’octobre, et circule dans plusieurs clubs révolutionnaires : Jacobins, Cordeliers, Cercle social. Jamais il ne s’identifie à une position politique constituée, ce qui souligne sa singularité, son ambiguïté, et le mènera à sa perte. Le 19 juin 1790, à la tête d’une délégation d’étrangers, il demande que la fête de la Fédération soit celle du « genre humain ». Dès lors, il s’attribue le titre d’« orateur du genre humain », adopte le nom d’Anacharsis Cloots, affirmant ainsi « se déféodaliser » et « se
déchristianiser ». Il réclame très tôt la République, sans signer la pétition du Champs-deMars. Le 21 avril 1792, il offre à l’Assemblée législative son ouvrage la République universelle ou Adresse aux tyrannicides. Le 24 août, il reçoit, avec d’autres étrangers, le titre de « citoyen français », puis est élu à la Convention dans l’Oise, où il a acquis pour 450 000 livres de biens nationaux. Il milite pour une guerre antimonarchique qui doit permettre de fonder la « République fédérative des individus ». Favorable aux annexions, mais en désaccord avec le projet de Républiques soeurs des girondins, il rompt avec ces derniers, et se rapproche des positions radicales d’Hébert. Acteur fondamental de la « défanatisation » violente de Paris, il est fustigé par Robespierre, exclu du Club des jacobins, puis de l’Assemblée, en tant que citoyen né à l’étranger. C’est avec d’autres étrangers et les hébertistes qu’il est conduit à la guillotine le 4 germinal an II (24 mars 1794). Clotaire Ier, roi des Francs de 511 à 561 (vers 497 - Compiègne 561). Fils cadet de Clovis et de Clotilde, Clotaire partage, en 511, avec ses deux frères Childebert et Clodomir, et avec son demi-frère Thierry, l’ensemble des territoires réunis par Clovis. On a longtemps considéré ce premier partage comme un manque évident de sens de l’État chez les Mérovingiens ; ou plutôt s’agit-il d’un compromis politique respectant les grands ensembles qui forment le royaume des Francs. L’aîné, Thierry, hérite en effet de downloadModeText.vue.download 195 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 184 la partie orientale, qui correspond au noyau de l’ancien royaume des Francs Rhénans ; Clotaire se voit attribuer l’ancien royaume de Tournai et la première zone d’expansion des Francs, jusqu’à Soissons ; enfin, Childebert et Clodomir se répartissent les terres situées entre la Somme et la Loire. L’Aquitaine, plus récemment conquise, est divisée entre les quatre héritiers. Cependant, même fractionné, le royaume ne disparaît pas : chacun des frères porte le titre de roi des Francs, et la proximité de leur capitale - Reims (Thierry), Orléans (Clodomir), Paris (Childebert) et Soissons (Clotaire) - semble révéler une volonté de poursuivre en commun la politique d’expansion inaugurée par Clovis. En effet, en s’associant, ils parviennent à annexer définitivement le royaume des Burgondes, après plu-
sieurs offensives (534) ; Clotaire gagne alors les territoires situés au sud de la Durance. De même, ce dernier conquiert avec Thierry le royaume des Thuringiens en 531-535, et son mariage avec la princesse thuringienne Radegonde (probablement sa septième épouse) lui ouvre des droits territoriaux. Toutefois, cette coopération n’empêche pas Clotaire de gagner un maximum de terres : ainsi, à la mort de son frère Clodomir (524), il évince ses neveux de la succession, et partage le royaume d’Orléans avec son frère Childebert. En 555, Théodebald, petit-fils de Thierry, meurt sans héritier ; Clotaire prend alors possession de l’Auvergne, qu’il confie à son fils Chramne, qui intrigue immédiatement contre lui. En 558, la mort de son frère Childebert, qui n’a pas de descendance masculine, permet à Clotaire de renforcer considérablement sa puissance et de venir à bout de plusieurs révoltes fomentées par Chramne (560). Ainsi l’unité du royaume est-elle reconstituée par le plus jeune des fils de Clovis, mais de manière très éphémère, puisqu’il disparaît en 561, laissant quatre fils, qui se partagent à leur tour le royaume de leur père. Clotaire II, roi de Neustrie de 584 à 629, puis roi des Francs de 613 à 629 (584 - 629). Lorsqu’en 584 meurt le roi de Neustrie Chilpéric Ier, la Gaule est en proie à des guerres intestines, qui opposent l’Austrasie, gouvernée par Brunehaut, et la Neustrie. L’unique héritier de Chilpéric Ier est Clotaire II, alors âgé de quelques mois, sous la garde de sa mère Frédégonde, ennemie jurée de Brunehaut. Le roi de Bourgogne, Gontran, oncle de Clotaire, arbitre la situation : il prend sous sa protection le fils et la veuve de Chilpéric Ier, refusant de les livrer à Brunehaut. Cependant, Gontran s’allie avec celle-ci et, au mépris des droits de Clotaire, lègue la Bourgogne à Childebert II, fils de Brunehaut. La mort de ce dernier, en 595, ouvre une période de luttes de près de vingt ans entre Clotaire II et Brunehaut, qui règne toujours en Austrasie, au nom de ses deux petits-fils, Thierry et Théodebert. Clotaire II et Frédégonde s’emparent d’abord de Paris, puis battent les rois austrasiens à Laffaux (595). Mais ce triomphe est suivi de la mort de Frédégonde, en 597, puis d’une très sanglante défaite de Clotaire II à Dormelles, en 599 ou 600 : son royaume est réduit à une peau de chagrin. Clotaire II profite alors de la guerre entre Thierry et Théodebert, s’alliant tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre, contre Brune-
haut, qui, de son côté, affronte l’aristocratie austrasienne. En 613, Clotaire II a enfin raison de sa rivale, capturée avec la complicité des grands d’Austrasie et de Bourgogne, puis suppliciée et mise à mort. Maître de toute la Gaule, il dispose d’un pouvoir limité par les grands, dont les ancêtres des Carolingiens, Pépin Ier de Landen, maire du palais d’Austrasie, et Arnoul, évêque de Metz. En 614, il réunit à Paris une assemblée qui promulgue un ensemble de règles de bonne administration. Cet « édit de Clotaire » est, en fait, une concession à l’aristocratie foncière, et restreint considérablement l’autorité royale. Clotaire II doit aussi ménager les autonomies locales en maintenant trois maires du palais particuliers, en Neustrie, Austrasie et Bourgogne. En 623, l’Austrasie obtient même un roi en la personne du fils de Clotaire, Dagobert Ier, dont Pépin Ier de Landen est le maire du palais à partir de 626. À la mort de Clotaire II, en 629, Dagobert Ier lui succède, après avoir écarté du pouvoir son frère Caribert. Pour deux générations, l’unité du royaume franc a été rétablie, mais au prix d’importantes concessions à l’aristocratie foncière, et de la montée en puissance des Pippinides, ancêtres des Carolingiens. Clotilde (sainte), reine des Francs (vers 475 - Tours 548). À l’instar de la biographie de Clovis Ier, celle de son épouse Clotilde est mal connue, faute de sources suffisantes. On sait que Clotilde est une princesse burgonde catholique, fille du roi Chilpéric, et nièce du roi Gondebaud. Même si les historiens discutent du crédit à accorder à Grégoire de Tours rapportant le meurtre des parents de Clotilde par Gondebaud, tous conviennent que le mariage de Clovis Ier avec une princesse burgonde, vers 492-493, constitue une réussite. Clotilde a un premier fils, qui meurt rapidement, puis, entre 495 et 499, trois autres, Clodomir, Childebert et Clotaire, ainsi qu’une fille, Clotilde. L’influence de la reine dans la conversion et le baptême de Clovis apparaît essentielle, d’après les sources, et semble confirmée par les connaissances disponibles concernant le rôle des femmes dans les sociétés germaniques païennes. Clotilde figure à l’intersection entre chrétienté et paganisme : reine catholique convertissant son époux, elle semble obéir également aux lois germaniques, s’il est vrai que, par vengeance, elle pousse ses fils à attaquer le royaume burgonde. Retirée à l’abbaye de Saint-Martin de Tours depuis la
mort de Clovis, en 511, elle s’emploie, cependant, à maintenir quelque entente entre ses fils. Morte en 548, la tradition et l’historiographie en ont fait une sainte. Clovis Ier, roi des Francs de 481 ou 482 à 511 (465 - Paris 511). L’histoire de Clovis fait encore aujourd’hui l’objet de controverses historiographiques. En effet, le seul récit systématique de son règne est celui de Grégoire de Tours dans le dernier de ses Dix Livres d’histoires, écrit plus de soixante-dix ans après la mort du roi. L’évêque a voulu y exalter, dans un système chronologique guère cohérent, la vie et la conversion du premier roi barbare qui soit devenu chrétien. Seule la confrontation de ce récit avec les autres documents parvenus jusqu’à nous et avec ce que suggère l’archéologie permettra d’esquisser les rares certitudes et les quelques vraisemblances susceptibles d’émerger au milieu d’une multitude d’hypothèses. • Prémices. C’est sans doute en 481 ou 482 que Clovis, tout juste arrivé à la maturité, succède à son père Childéric Ier comme roi des Francs Saliens. En quoi consiste alors le pouvoir qui lui échoit ? Clovis est avant tout le roi d’un peuple germanique et païen, dont le souverain apparaît, pour l’essentiel, comme un chef de guerre, gardien des croyances des ancêtres. Il hérite également d’une forme de délégation de l’autorité romaine en Gaule du Nord. En effet, les Francs Saliens, originaires de la basse vallée du Rhin, se sont introduits, depuis près d’un siècle, dans les territoires de l’actuelle Belgique, où Rome leur a sans doute concédé, par un traité de fédération, à la fois des ressources (terres ou revenus fiscaux), des responsabilités en matière de défense et même une compétence administrative concernant les territoires et les populations autochtones. On n’expliquerait pas, sans cela, que Childéric, dont la tombe a été retrouvée à Tournai en 1653, ait été enterré non seulement avec l’apparat dû à un chef barbare mais aussi avec des attributs de commandement militaire romain ; ni que l’évêque métropolitain Remi de Reims ait écrit au jeune Clovis, dès son avènement, le félicitant d’hériter de ses pères « l’administration de la Belgique seconde », province romaine qui s’étend de la Champagne aux embouchures de la Somme et de l’Escaut. Cette lettre, que nous avons conservée, et dans laquelle Remi demande, de surcroît, à Clovis de gouverner avec le conseil des évêques, suggère que la royauté franque a une
longue pratique de collaboration avec l’autorité romaine, et qu’elle ne répugne pas à s’entendre avec le corps épiscopal, qui, dans cette période de déliquescence de l’autorité centrale (il n’y a même plus d’empereur en Occident depuis 476), exprime localement, dans chaque cité, la continuité d’un ordre romain devenu chrétien. La capacité de Clovis à collaborer avec les évêques, éventuellement malgré la pression de son peuple, constitue, semble-t-il, un trait permanent de sa politique, avant et après sa conversion. Sans nul doute, elle l’aide dans ses conquêtes et dans la revendication d’une royauté qui impose à toutes les populations des territoires soumis - Barbares, certes, mais aussi Gallo-Romains encadrés par les évêques - de reconnaître sa souveraineté. • Unifier la Gaule. La politique conquérante de Clovis paraît animée par une seule ambition : l’unité de la Gaule sous l’autorité des Francs, au détriment des pouvoirs qui s’y sont substitués à l’Empire, eux aussi de nature essentiellement militaire, qu’ils soient entre les mains de Romains ou de Barbares. Ainsi, malgré quelques échecs - à l’occasion d’une première campagne contre les Wisigoths d’Aquitaine, en 498 ( ?), ou encore, à la même époque, contre les Bretons d’Armorique, ou, enfin, vers 500, contre les Burgondes du Sud-Est -, le règne de ClodownloadModeText.vue.download 196 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 185 vis est émaillé de grandes victoires qui placent sous son autorité des peuples et des régions entières. Le succès remporté, près de Soissons (en 486 ?), contre la grande armée romaine de Gaule du Nord commandée par Syagrius, le maître de la milice, lui permet d’étendre sa domination jusqu’à la Loire. En battant les Alamans - peut-être dès 496 ; en tout cas, en 506 -, il s’empare du bassin du haut Rhin, et prend pied dans le sud-ouest de la Germanie transrhénane. En 507, sa victoire contre les Wisigoths - le roi Alaric II, adepte de la religion arienne, périt sur le champ de bataille de Vouillé, près de Poitiers - lui livre toute l’Aquitaine, de la Loire aux Pyrénées, et lui vaut la reconnaissance d’Anastase, l’empereur d’Orient, qui lui confère, par une ambassade, le titre de consul honoraire. Enfin, ayant soumis les autres chefs francs, spécialement les rois de Cologne, Clovis peut réaliser l’unité de son peuple et contrôler toute la Gaule du Nord-Est. • Le baptême de Clovis. On a souvent cher-
ché à subordonner au baptême de Clovis ses derniers succès - en particulier ceux remportés contre les Wisigoths ariens, qui lui ont apporté une Aquitaine fortement romanisée et christianisée. En réalité, les circonstances de cet événement restent obscures, et on n’a aucune certitude quant à sa date. L’oeuvre de persuasion de l’évêque Remi - conseiller écouté depuis le début du règne - et de la reine Clotilde - princesse burgonde élevée dans le christianisme, et épousée par Clovis vers 493 - s’est vraisemblablement révélée efficace. Mais la décision de conversion est-elle prise lors d’une bataille livrée contre les Alamans dans la quinzième année du règne, comme l’affirme Grégoire de Tours ? L’évocation explicite du précédent de Constantin, lui aussi converti à l’occasion d’une bataille, jette la suspicion sur le récit de l’évêque de Tours. En revanche, il paraît tout à fait plausible que Clovis ait fait le voeu public de se faire baptiser lors d’une visite au tombeau de saint Martin, à Tours, comme l’assure l’évêque Nicetius de Trèves dans une lettre postérieure d’un demi-siècle. Cela invite les historiens à situer le baptême dans les mois qui suivirent le ou les passages connus de Clovis dans la cité tourangelle : en 498 ou 499 (après l’échec de la première expédition aquitaine), voire en 508 (après la victoire sur les Wisigoths, hypothèse récemment proposée contre toute tradition historiographique). Seule certitude : le baptême fut célébré « le jour de la Nativité de notre Rédempteur » (Redemptoris nostri nativitas), soit un 25 décembre, comme l’écrit dans sa lettre de congratulations l’évêque Avitus de Vienne. La lettre d’Avitus, malheureusement non datée, est le seul document strictement contemporain de l’événement, car Avitus dit regretter de ne pouvoir se joindre aux autres évêques attendus pour la cérémonie, comme Clovis l’y a invité. Cette information s’avère capitale : elle montre que Clovis a voulu faire connaître sa décision aux évêques de la Gaule du Sud, qui, à l’instar d’Avitus, sont placés sous l’autorité d’une autre royauté (en l’occurrence, la royauté burgonde, qui, à cette date, sous le règne de Gondebaud, est arienne, tout comme la royauté wisigothique). De sa conversion au christianisme - dont l’historien a d’autant moins le droit de mettre en doute la sincérité qu’elle est un acte courageux qui risque fort de déstabiliser la position du roi face à son propre peuple -, Clovis fait, semble-t-il, un acte de propagande susceptible d’attirer, plus encore que par le passé, la bienveillance du corps épiscopal de la Gaule entière. Difficile d’imaginer qu’un tel geste n’ait contribué en rien à la réus-
site de sa politique de conquête et de pacification : les quelques contingents francs laissés en Aquitaine ou en Alémanie, dont la présence est suggérée par l’archéologie funéraire (ici, à BâleBernerring ; là, à Herpes ou Biron), n’auraient sans doute pas suffi à lui assurer le contrôle des régions soumises. • Le renforcement de l’autorité royale. Dans l’ensemble des régions conquises, Clovis se veut un roi efficace, pacificateur et législateur. À la fin de son règne, il choisit d’installer la capitale à Paris, petite cité de Gaule du Nord. Celle-ci a été, au IVe siècle, un lieu de séjour privilégié des empereurs Julien et Valentinien Ier, et elle présente l’avantage de se situer à mi-chemin entre le bassin de l’Escaut, d’où est partie la fortune de Clovis, et la vallée de la Loire, frontière d’une Aquitaine considérée comme un territoire colonial. Surtout, peut-être, c’est à Paris, sur une colline de la rive gauche, qu’a été inhumée (vers 502 ?) sainte Geneviève, à laquelle Clovis et Clotilde portent une véritable dévotion. Ils font élever sur sa tombe une église dédiée aux saints apôtres Pierre et Paul, à l’ombre de laquelle ils souhaitent être enterrés. Quand on sait que Constantin avait fait de l’église des SaintsApôtres, fondée par lui à Constantinople, son mausolée familial, on doit reconnaître dans l’entreprise de Clovis l’expression d’une politique délibérée : le roi franc prend au sérieux le titre consulaire qu’il a reçu et qui vaut, à ses yeux, délégation de l’autorité impériale ; et il veut conférer une sacralité nouvelle à sa personne, à sa famille et à son autorité. Mais, avant de mourir (le 27 novembre 511), Clovis entend que la loi coutumière de son peuple soit fixée par écrit (c’est le Pactus legis salicae, première mouture de la loi salique) et, surtout, que les rapports entre le pouvoir royal et les églises soient clairement définis. C’est pourquoi, en juillet 511, il convoque, à Orléans, un concile, au terme duquel il est décidé qu’aucun laïc ne pourra devenir clerc sans l’autorisation royale. Sachant que la grande majorité du corps épiscopal est alors recrutée parmi les laïcs, on entrevoit ici la première tentative de contrôle de la royauté franque sur l’épiscopat, considéré comme un relais de son autorité. Les collaborateurs d’hier sont en passe de devenir les subordonnés de demain. Ainsi, Clovis ne se contente-t-il pas de conquérir et de pacifier les trois quarts de la Gaule avec l’aide de ses guerriers barbares et des évêques gallo-romains. Premier roi chrétien, il utilise son onction baptismale, sa vic-
toire sur l’hérétique, sa promotion au consulat et l’élévation de son mausolée ad sanctos (auprès des saintes reliques) comme autant de sources d’une légitimité nouvelle qui le consacrerait comme l’héritier des empereurs chrétiens. De ce point de vue, il annonce les premiers Pippinides, singulièrement Charlemagne, qui ne s’y trompa pas, puisqu’il donna à l’un de ses fils légitimes le nom, inédit dans sa tradition lignagère, de Hludowic (Clovis, c’est-à-dire Louis), cherchant ainsi non seulement à légitimer l’autorité royale fraîchement acquise par son père aux dépens des derniers descendants de Clovis, mais aussi à reconnaître la dette contractée à l’égard du prestigieux fondateur. Clovis II, roi des Francs de Neustrie et de Bourgogne de 638 ou 639 à 657 (633 ou 634 - 657). Second fils de Dagobert Ier, Clovis II est reconnu roi de Neustrie et de Bourgogne à la mort de son père, alors que son demi-frère Sigebert conserve l’Austrasie qui lui avait été confiée dès 634. Il est âgé seulement de 4 ou 5 ans, aussi la régence est-elle assurée par sa mère Nanthilde et, surtout, par le maire du palais, Aega, qui exerçait déjà cette charge sous Dagobert. À la mort d’Aega, en 641, la mairie du palais passe à Erchinoald, un Franc apparenté à la famille royale. Ainsi, en Neustrie comme en Austrasie, le royaume est désormais aux mains des grandes familles de l’aristocratie, qui détiennent la charge de maire du palais. Cependant, c’est en Bourgogne que surgissent les principales difficultés : en 642, la reine Nanthilde et Erchinoald réunissent, à Orléans, l’aristocratie de Bourgogne, et proclament Flaochad, un Franc originaire de la région de Dijon, maire du palais de Bourgogne. Considérant qu’ils ont ainsi outrepassé leurs pouvoirs, une partie des grands de Bourgogne, groupée autour de Patrice Willebad - qui contrôle la région située entre Lyon et Valence -, entre en rébellion ouverte contre Flaochad. On assiste alors, en Bourgogne, à la montée du pouvoir et des prétentions de l’aristocratie, dont les membres les plus puissants briguent le contrôle d’un territoire érigé peu à peu en principauté indépendante. Même si l’on peut qualifier cette lutte d’« autonomiste » par rapport à un pouvoir « central » représenté par la cour du roi franc de Neustrie, il ne s’agit pas du tout d’une lutte « nationale » de l’aristocratie de Bourgogne contre le pouvoir « étranger » des Francs, puisque cette aristocratie a perdu tout caractère ethnique, par le jeu des mariages mixtes, depuis plusieurs générations. En 648
ou 649, Clovis II atteint l’âge de la majorité, et épouse Bathilde, une esclave anglo-saxonne qui appartenait à Erchinoald : sans doute le maire du palais espérait-il ainsi conserver une grande influence sur le jeune roi. Clovis II et, après sa mort, Bathilde sont surtout célèbres pour avoir accordé leur soutien aux fondations monastiques, qui connaissent un grand essor depuis le début du VIIe siècle, grâce à la mission de saint Colomban. Décédé à l’âge de 23 ans, Clovis II laisse son royaume à trois héritiers, au nom desquels Bathilde et le nouveau maire du palais, Ébroïn, exerceront la régence. Club monarchique, club royaliste fondé par le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre ; rival du Club des jacobins pendant la Révolution (octobre 1790-avril 1791). Succédant à l’éphémère Club des impartiaux, le Club des amis de la Constitution monarchique - ou Club monarchique - réunit les membre de l’ancien parti monarchien qui n’ont pas émigré, tels Malouet ou Fontanes, downloadModeText.vue.download 197 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 186 rédacteur du journal de cette société, et les royalistes intransigeants (les « noirs »), tels Foucauld ou Lévis-Mirepoix, dont il adopte les principes. Prônant un pouvoir royal fort et invoquant la loi et la liberté d’opinion, il se veut le défenseur de l’ordre contre l’anarchie révolutionnaire. Organisé sur le modèle jacobin, qu’il souhaite concurrencer, le club implante en province un réseau de sociétés affiliées : sociétés des amis de la paix, de l’ordre, de la religion ou du roi, particulièrement nombreuses dans le sud de la France, où elles entrent bientôt en conflit avec les jacobins, et sont progressivement interdites par les autorités locales à partir de l’hiver 1790-1791, parfois au terme de véritables batailles. À Paris, le club diffuse des pamphlets hostiles à la Constituante, organise des distributions de pain ou de vêtements, et est le théâtre de violents incidents, tandis que ses rivaux patriotes dénoncent sa démagogie et ses manoeuvres factieuses. À la suite d’une grave émeute populaire (28 mars 1791), la municipalité le fait fermer. Première victoire des jacobins pour asseoir leur suprématie, la disparition du Club monarchique affaiblit considérablement l’opposition légale royaliste, qui, dès lors, est politiquement isolée.
clubs révolutionnaires, lieux d’expression de la sociabilité politique révolutionnaire, établie sur le principe de l’égalité sociale et politique. • Naissance d’une opinion publique politique. Délibérer avec ses concitoyens pour fonder son opinion - que l’on soit ou non député -, exprimer et diffuser cette opinion via de multiples canaux - adresses et députations à l’Assemblée, presse, manifestations en ville -, organiser la surveillance révolutionnaire des représentants de la nation, et, ainsi, exercer quotidiennement sa puissance souveraine : telle est cette sociabilité spécifique qui permet de répondre aux nouvelles exigences du citoyen. Même si les clubs les plus connus et les plus importants sont ceux des jacobins et des cordeliers, l’efflorescence de la parole publique s’affirme à travers le nom des sociétés politiques : Société des amis des Noirs, Amis de la Constitution, Club des femmes républicaines, Club helvétique, etc. On a souvent considéré que le club breton des députés du Tiers de Bretagne était à l’origine de cette nouvelle forme de sociabilité politique ; mais il ne visait qu’à préparer les travaux des États généraux, afin d’appuyer conjointement deux revendications de la nation (le vote par tête, la délibération en commun) et des exigences locales (la conservation des franchises et droits provinciaux), et n’était pas en rupture avec l’ordre des corps sociaux d’Ancien Régime. Or, la sociabilité des clubs révolutionnaires est moins fondée sur la solidarité organique de la communauté d’intérêts ou d’origine que sur le partage de valeurs politiques et sur leur traduction dans l’exercice de la souveraineté. L’émergence des clubs consacre ainsi la politisation des cercles littéraires et de la franc-maçonnerie prérévolutionnaire, qui avaient déjà opéré la rupture idéologique fondamentale en affirmant, contre la société d’ordres, les principes de la volonté commune et de l’égalité sociale. • Quelle place pour une puissance rivale de l’Assemblée ? Mais cette forme d’exercice de la souveraineté se heurte à des résistances importantes dans le déroulement même de la Révolution. Le 29 septembre 1791, Le Chapelier affirme que la Révolution est terminée, la Constitution, fixée, et que ces sociétés populaires nées de « l’enthousiasme pour la liberté », qui « au temps des orages », avaient su « rallier les esprits, former des centres communs d’opinion, faire connaître à la minorité opposante l’énorme majorité qui voulait, et
la destruction des abus, et le renversement des préjugés », sont devenues des facteurs de désordre. Il reproche en particulier aux Jacobins leur système d’affiliation en province, et la correspondance entretenue entre le club parisien et les sociétés populaires associées. Les clubs révolutionnaires posent, en effet, des questions fondamentales à la Révolution. Entre l’individu-citoyen et la nation représentée, y a-t-il place pour des groupes ayant une existence politique propre ? Sont-ils voués à soutenir le gouvernement, ou à le critiquer ? Cette critique doit-elle être erratique, ou organisée par la société mère ? L’opinion produite doit-elle être unanime, ou rendre lisibles les litiges ? Le débat sur les sociétés et les clubs s’est, de fait, focalisé sur le rôle spécifique des Jacobins. Lorsque, le 6 fructidor an III (23 août 1795), Jean-Baptiste Mailhe présente le rapport qui doit conduire à la dissolution des sociétés populaires et des clubs, ce sont eux qu’il vise essentiellement. Il leur reproche d’avoir été les agents de la Terreur, grâce à une grande homogénéité politique et administrative, acquise, à partir de juin 1793, au prix d’épurations successives ; il stigmatise ce réseau qui prétend être le peuple souverain et s’organise en « puissance rivale et oppressive de ses représentants ». Les clubs avaient fait preuve de conformisme révolutionnaire en l’an II, mais leur non-conformisme oppositionnel en l’an III les vouait à disparaître corps et âme. clunisiens, moines appartenant à l’ordre de Cluny, dont l’origine remonte à la fondation de l’abbaye du même nom, en 909. Cluny devient rapidement une puissante abbaye, à la tête d’un ordre qui rayonne sur toute la chrétienté. Durant les Xe et XIe siècles, des circonstances propices et des personnalités exceptionnelles lui confèrent un prestige sans égal. C’est le temps des « grands abbés » : Bernon, Odon, Aymar, Maïeul, Odilon, Hugues de Semur. Mais, dès le XIIe siècle, Pierre le Vénérable est confronté aux premières difficultés économiques. Après une série de crises et de redressements au XIVe siècle, le repli se confirme au siècle suivant, malgré une tentative de réforme, en 1458. Bien qu’affaibli, l’ordre exerce néanmoins une influence jusqu’à la fin du Moyen Âge. Les « coutumes » clunisiennes sont adoptées dans de nombreux monastères, ce qui n’implique pas forcément une subordination. Les liens sont d’abord spirituels ; l’ordre s’élabore lentement, et selon un modèle centralisé : l’abbé de Cluny est le responsable suprême, il nomme les prieurs à la tête des dépendances
(prieurés), considérées comme les prolongements de l’abbaye mère. Aux XIIe et XIIIe siècles, des structures nouvelles se mettent en place : répartition des maisons - placées sous l’autorité d’un même supérieur - en provinces, chapitre général, visites annuelles des prieurés et de l’abbaye. Les clunisiens suivent la règle de saint Benoît, mais en l’infléchissant dans le sens du recueillement, de la liturgie, et en favorisant la cléricalisation des moines. La journée, pour l’essentiel, est consacrée à l’office divin : prières liturgiques, psaumes, messes. Par souci de charité, l’ordre entretient de nombreux pauvres. Le travail intellectuel occupe une place éminente ; le travail manuel est, en revanche, peu pratiqué, ce qui suscite parfois des critiques. Les clunisiens participent aux grandes entreprises ecclésiastiques, et n’excluent pas d’intervenir dans le fonctionnement de la société féodale, avec laquelle les moines vivent en symbiose. Le monachisme n’est-il pas un combat perpétuel contre le démon ? Cluny contribue à la propagation des mouvements de paix, et, en répandant la peur de l’Enfer, favorise pénitences, dons ou pèlerinages. Cluny est aussi à l’origine de la commémoration des défunts le 2 novembre. La spiritualité clunisienne exerce une grande influence non seulement sur la vie monastique, mais sur le clergé et l’ensemble des fidèles. Au XVIIe siècle, deux tendances s’expriment : « ancienne observance » et « étroite observance », celle-ci l’emportant à la veille de la Révolution ; mais c’est alors la fin de l’ordre clunisien. Cluny (abbaye de), abbaye bourguignonne fondée le 11 septembre 909, sous l’impulsion du duc d’Aquitaine Guillaume le Pieux et de l’abbé Bernon. Elle est située dans le diocèse d’Autun, près de Mâcon. Dans une période marquée par la deuxième vague d’invasions vikings et par les troubles politiques de la fin de l’époque carolingienne, l’abbaye de Cluny est placée, dès sa fondation, sous la seule juridiction de Rome, échappant ainsi à l’ingérence laïque autant qu’à la hiérarchie ecclésiastique locale. Elle devient, au cours des Xe et XIe siècles, le principal foyer de renouveau monastique en Occident. Au début du XIIe siècle, l’ordre compte 1 184 établissements, dont 883 en France. La construction de la première église abbatiale (Cluny I) est achevée par les successeurs de l’abbé Bernon et consacrée en 967.
Mais, devant le succès grandissant de l’ordre, le bâtiment apparaît bien vite exigu. Aussi, l’abbé Mayeul entreprend-il la construction d’un deuxième édifice, qui est achevé en 981 (Cluny II, ou Saint-Pierre-le-Vieux). À peine un siècle plus tard, des agrandissements considérables sont entrepris par Hugues de Semur, qui commence la réalisation de Cluny III, construite entre 1088 et 1130. Pierre le Vénérable (1122-1157), quant à lui, se charge surtout de redresser les finances de l’abbaye, et poursuit les travaux de la nef encore inachevée. Il faudra attendre 1230 pour que l’ensemble soit définitivement terminé. Après le concordat de 1516, qui instaure le système de la commende permettant au roi de France de nommer les abbés (Mazarin a été abbé commendataire), l’abbaye périclite, downloadModeText.vue.download 198 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 187 d’autant plus qu’elle subit des destructions orchestrées par les protestants. En 1787, l’ancienne observance de Cluny est abolie. À la fin de l’année 1793, l’armée révolutionnaire brise les statues et le mobilier, et enlève le plomb de la toiture. En 1798, un marchand de Mâcon achète l’abbaye et la livre à la pioche des démolisseurs ; destructions et vandalisme se poursuivent jusqu’en 1823. Il ne subsiste aujourd’hui de la gigantesque abbaye de Cluny III, qui, jusqu’à la construction de Saint-Pierre de Rome, fut la plus grande église de la chrétienté médiévale (187 mètres du chevet au mur occidental, et 30 mètres de hauteur), que le croisillon sud du transept avec son clocher octogonal. CNI (Centre national des indépendants), force politique importante de la IVe République, héritière de la droite « orléaniste », selon l’historien René Rémond. Le CNI, qui émerge d’une nébuleuse de courants modérés, très affaiblis à la Libération, est créé en 1949, grâce à Roger Duchet, maire de Beaune et conseiller de la République. Le 15 février 1951, il devient le Centre national des indépendants et paysans (CNIP) avec l’apport des groupes du Parti paysan. Aux élections de juin, il obtient 97 élus, qui seront rejoints, l’année suivante, par 27 députés, transfuges gaullistes. Le CNIP comptera dans ses rangs des présidents du Conseil (Antoine Pinay, en mars 1952 ; Joseph Laniel, en juin
1953), un président de la République (René Coty, en décembre 1953), et plusieurs ministres. Ces succès s’expliquent par la peur du communisme en cette période de guerre froide, par l’affaiblissement du MRP, et par la popularité d’Antoine Pinay. Après la scission du Parti paysan en 1957, le CNI vote l’investiture du général de Gaulle le 1er juin 1958, et constitue le deuxième groupe parlementaire, après l’Union pour la nouvelle République (UNR), à l’issue des élections de novembre 1958. En 1962, les Indépendants, en majorité favorables à l’Algérie française, récusent la politique du général de Gaulle, et s’opposent à l’évolution du régime vers le présidentialisme. Aux élections législatives de novembre, alors qu’ils sont dans l’opposition, ils essuient un revers, d’autant que Valéry Giscard d’Estaing fait sécession et fonde un nouveau groupe - les Républicains indépendants -, qui appartient à la majorité présidentielle. Divisé, et concurrencé parles formations gaullistes, le CNI ne retrouvera jamais sa force d’antan. À partir des années quatre-vingt, il cherche des appuis, tant du côté du Front national que du RPR, avant de s’associer à l’UMP dont il se définit comme l’aile droite, et traverse une crise d’identité. CNPF (Conseil national du patronat français), organisme de liaison et de coordination des chefs d’entreprises françaises. Héritier de la Confédération générale de la production française (CGPF), fondée en 1919, et réorganisée le 4 août 1936 sous le nom de Confédération générale du patronat français, le CNPF est créé le 12 juin 1946 sous l’impulsion de son premier président, Georges Villiers, dirigeant d’une entreprise métallurgique. À la différence des syndicats de salariés, organisés selon la loi de 1884, le CNPF se constitue dans le cadre de la loi de 1901 sur les associations. Il a en effet pour objectif de fédérer, au niveau national, des groupements professionnels (telle la Chambre syndicale des constructeurs d’automobiles) et des groupements territoriaux, unions patronales régionales ou locales. Il est, avec la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), la seule organisation d’envergure de ce type. Habilité, selon les statuts, « à discuter et à signer des accords communs pour l’ensemble ou la généralité des professions », le CNPF se voit confier, dès l’origine, un rôle de représentation du patronat face aux syndicats et aux pouvoirs publics, ainsi que l’illustre la mise au point des accords de Grenelle, en mai 1968. Au lendemain des grands mouve-
ments sociaux de l’époque, le nouveau président du CNPF, Paul Huvelin (1966-1972), fait aboutir une réforme qui tend à réaffirmer le rôle du CNPF en tant qu’institution patronale « au service de l’entreprise ». Cette fonction de défense des entreprises se confirme lors du début de la crise économique, sous les présidences de François Ceyrac (1972-1981), puis d’Yvon Gattaz (1981-1986). Devenu peu à peu un interlocuteur obligé du gouvernement et des syndicats, soucieux de son image dans l’opinion, le CNPF développe, dans les années soixante-dix, une politique contractuelle confiée à sa commission sociale. Citons, entre autres, l’accord-cadre du 17 mars 1975 relatif à l’amélioration des conditions de travail, qui engage les professions et les entreprises. Défenseur opiniâtre de l’économie de marché et de la libre concurrence, le CNPF affiche volontiers son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique : « ni dans la majorité, ni dans l’opposition », selon la formule de François Ceyrac. Au début des années quatrevingt, il se montre très critique envers toute nouvelle nationalisation, qualifiée par Yvon Gattaz d’acte « antiéconomique ». Au milieu de la décennie, le CNPF se définit comme le « parti de l’entreprise », et prend nettement position, sous la présidence de François Périgot (1986-1994), pour l’intégration européenne et la mondialisation de l’économie. La volonté de « modernisation » se traduit enfin par un changement de dénomination : en octobre 1998, le CNPF devient le Medef (Mouvement des entreprises de France), dont les présidents, Ernest-Antoine Seillière et Laurence Parisot, entendent réaffirmer avec vigueur les convictions libérales. CNRS (Centre national de la recherche scientifique), organisme public chargé de développer et de coordonner la recherche scientifique française. Sa création, en octobre 1939, en remplacement du Service national de la recherche scientifique de 1936 (qui, lui-même, complétait l’action d’une Caisse nationale déjà existante), consacre une double évolution : la progressive autonomie des professions de la recherche par rapport à l’institution universitaire et la politique scientifique entamée par le Front populaire, à l’initiative de Jean Perrin, sous-secrétaire d’État à la Recherche scientifique, qui succède à Irène Joliot-Curie. L’un comme l’autre, à l’image de la majorité de la communauté scientifique, partagent l’idée d’une science émancipatrice et républicaine qui doit s’intégrer dans le grand mou-
vement culturel en oeuvre. À peine créé, le CNRS est mis en veilleuse sous Vichy, puis, encore embryonnaire, reprend ses activités à la Libération. Mais c’est surtout après 1958, la Ve République étant soucieuse de rattraper le retard scientifique de la France, que le CNRS reçoit d’importants crédits. Pourtant, les pouvoirs gaulliste et postgaulliste manifestent leur déception face à une institution jugée trop peu rentable et, sans doute, trop ancrée à gauche. En 1982, le gouvernement socialiste fait des chercheurs du CNRS, jusqu’alors contractuels, des fonctionnaires. Jalousé par les universitaires, honni d’une partie de la classe politique, méconnu du public, le plus grand organisme français de recherche (25 000 fonctionnaires), et le premier en Europe, suscite bien des critiques, même s’il est, paraît-il, envié dans le monde entier... sans pour autant être imité. coalitions, de 1793 à 1815, alliances militaires de diverses puissances européennes contre la France. La première coalition naît au début de 1793 en réponse à l’exécution de Louis XVI et aux annexions de la Convention. Elle se forme autour de l’Angleterre et de la Hollande, et rassemble également l’Autriche et la Prusse (déjà en guerre contre la France depuis 1792), l’Espagne, le Portugal, la Sardaigne et le royaume de Naples, les États allemands et la Russie. Initialement victorieuse, cette première coalition conduit la France à décréter une levée de 300 000 hommes, constituant une armée de soldats-citoyens qui contraint la Prusse, la Hollande et l’Espagne à poser les armes en janvier 1795. L’Autriche signe la paix par le traité de Campoformio en octobre 1797. L’Angleterre reste seule dans la lutte : c’est contre elle qu’est organisée l’expédition d’Égypte tandis que le Directoire multiplie les provocations en Italie et menace d’envahir l’Irlande. L’Angleterre réunit alors autour d’elle la Turquie, l’Autriche, le royaume de Naples et la Russie en une deuxième coalition. Une nouvelle campagne de Bonaparte en Italie, en 1800, et l’armée de Moreau en Autriche permettent de rétablir la paix au profit de la France : elle est signée à Lunéville en 1801 avec l’Autriche, à Amiens en 1802 avec l’Angleterre. Mais les ambitions manifestées par Bonaparte tant en Europe qu’outreAtlantique (expédition de Saint-Domingue, projet d’invasion de la Grande-Bretagne) incitent l’Angleterre à rompre la paix. Soutenue par l’Autriche, la Russie et le royaume de Naples, elle forme, au cours de l’été 1805,
une troisième coalition, brisée après la bataille d’Austerlitz. Pour contrer l’influence de la France en Allemagne, la Prusse devient, en 1806, l’initiatrice de la quatrième coalition, qui comprend également l’Angleterre et la Russie. Mais les victoires françaises d’Iéna et de Friedland contraignent les Prussiens et les Russes à demander la paix. Après le traité de Tilsit (juillet 1807), seule l’Angleterre résiste à la France. Mais l’enlisement de celle-ci en Espagne encourage l’Autriche, avec l’appui downloadModeText.vue.download 199 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 188 de l’Angleterre, à reprendre les armes. Par sa victoire à Wagram (juillet 1809), NapovAprès l’échec de la campagne de Russie, la France doit faire face à une sixième coalition, formée initialement par la Russie et la Prusse, mais à laquelle se rallient l’Autriche en août 1813 et l’Angleterre en février 1814. Au retour de Napoléon de l’île d’Elbe, une alliance des mêmes puissances forme le prolongement de la sixième coalition, parfois considérée comme la septième, qui se solde par la défaite définitive de l’Empereur à Waterloo, en juin 1815. Ennemis résolus de la Révolution, dont Bonaparte est à leurs yeux l’héritier, les coalisés ont voulu ramener la paix en Europe en rétablissant les frontières françaises de 1792. En dépit des initiatives prussiennes ou autrichiennes, c’est le gouvernement anglais qui s’est affirmé comme le chef de file des coalitions. Pour ce faire, l’Angleterre a largement contribué à leur financement, tandis que la Russie et l’Autriche ont joué un rôle militaire majeur. Par ailleurs les antagonismes économiques ont été déterminants dans ces alliances qui ont également pris le caractère d’une lutte de nationalismes. cocarde, emblème circulaire mis au chapeau en signe de reconnaissance. La cocarde est d’abord un insigne militaire porté par les soldats d’Ancien Régime, de couleur différente suivant le corps auquel ils appartiennent : « porter la cocarde » signifie alors « se faire soldat ». Mais, dès juillet 1789, des civils arborent la cocarde tricolore, qui devient le premier des symboles révolutionnaires : le 17 juillet, le maire de Paris présente au roi ce symbole de « l’alliance auguste et éternelle entre le
monarque et le peuple ». En laine pour les pauvres, ou en fine étoffe pour les riches, elle est portée par les patriotes en signe d’engagement révolutionnaire. Aussi reste-t-elle honnie par les royalistes : lors d’un banquet d’officiers à Versailles, le 1er octobre 1789, « le signe sacré de la liberté française » est foulé aux pieds et remplacé par la cocarde blanche du roi, ou noire de la reine. L’indignation que soulève cet événement déclenche les journées des 5 et 6 octobre 1789. En 1792, puis en 1793, son port est rendu obligatoire. Néanmoins, rien n’indique que ces décrets s’appliquent aux femmes ; les militantes tiennent à accrocher la cocarde à leur bonnet, au risque d’être molestées par celles qui considèrent que les femmes ne doivent pas s’occuper de politique. En septembre 1793, une pétition de Parisiennes soutenues par les sans-culottes et les clubs demande que les citoyennes soient également tenues de la porter. Dans les rues de Paris, des femmes s’affrontent quotidiennement à ce sujet, poussant la Convention à rendre son port obligatoire pour toutes sous peine de prison le 21 septembre. Loin d’être anodine, cette mesure est perçue par ses partisans et par ses adversaires comme un premier pas vers une éventuelle égalité politique entre les sexes. Comme tous les symboles révolutionnaires, la cocarde cristallise des enjeux politiques. À la cocarde tricolore, chouans et vendéens opposent la cocarde blanche, portée par les chefs et les soldats des armées catholiques et royales et parfois juchée, en signe de défi, au sommet des arbres de la liberté républicains. Le 19 mars 1793, la Convention décrète que toute personne prise les armes à la main ou portant la cocarde blanche encourt la mort. Cette véritable guerre des symboles se poursuit au début du XIXe siècle. La charte de 1830 précise ainsi : « La France reprend ses couleurs. À l’avenir, il ne sera plus porté d’autre cocarde que la cocarde tricolore. » Cochinchine ! Indochine Code civil, recueil de lois de droit civil édicté en 1804 sous le nom de « Code civil des Français », et appelé, à partir de 1807, « Code Napoléon ». • Les précédents infructueux. Le Code civil vient clore avec succès une longue série d’essais de codification des relations sociales et familiales effectuée sous l’Ancien Régime et la Révolution. Depuis la rédaction des coutumes, entreprise à partir de 1454 et achevées
en 1606, le besoin d’une loi unique s’est imposé peu à peu. Les premières tentatives, trop timides ou isolées et qui mêlent un peu de droit privé au droit public, ont cependant été balayées, qu’il s’agisse du Code Henry (15791587), sous Henri III, ou du Code Michau (1629), sous Louis XIII. Il faut attendre les grandes ordonnances de Colbert pour que se constitue un corps de règles durables. À côté du Code Louis proprement dit (ordonnance civile, 1667, et ordonnance criminelle, 1670), d’autres textes régissent le commerce (1673), la marine (1681) et l’action dans les colonies. Au XVIIIe siècle, l’effort législatif du chancelier d’Aguesseau permet la promulgation d’ordonnances relatives aux donations (1731), aux testaments (1735) et aux procédures civiles et criminelles (1747). Les gouvernements de la Révolution disposent donc d’une base de connaissances et de textes dont ils peuvent s’inspirer. Mais, malgré les promesses répétées des régimes successifs et, parfois, la nomination de commissions de rédaction, les travaux n’aboutissent pas. C’est Bonaparte qui mènera à bien ce projet, auquel il porte un grand intérêt : il y voit, selon sa célèbre expression, l’une des « masses de granit » sur lesquelles fonder le régime. • Un code inspiré par Napoléon. Le Premier consul nomme une commission de quatre membres - Portalis, Tronchet, Maleville et Bigot de Préameneu - chargée de lui proposer un texte. Lui-même intervient fréquemment, faisant prévaloir ses vues - souvent fort conservatrices - sur le fond des articles. 36 lois, votées en 1803 et 1804, sont regroupées en un seul corps de 2 281 articles, promulgué par la loi du 30 ventôse an XII (21 mars 1804). Composé de trois livres - « Les biens », « Les personnes », « Les contrats » -, le Code civil innove quant au fond et à la forme. Il affirme quatre idées essentielles : l’unité du droit, l’unité de la source juridique (la loi issue de la volonté populaire souveraine), l’universalité du droit régissant tous les rapports sociaux, la séparation du droit et de la politique. Il est rédigé dans une langue précise et compréhensible de tous - ce qui contribuera grandement à son succès ; il pose enfin les principes généraux, et confie aux tribunaux le soin de les interpréter et d’enrichir la législation par la jurisprudence. Ce souci de globalité et de clarté se retrouve dans les codes ultérieurs (Code de procédure civile, Code du commerce, Code d’instruction criminelle, Code pénal), promulgués entre 1806 et 1810. Le Code Napoléon connaît aussitôt une
diffusion rapide, une réussite qui est due à la synthèse heureuse entre les deux courants contradictoires du droit français : la doctrine de l’Ancien Régime et celle de la Révolution. Enfin, consacrant les principes de la Révolution - liberté de conscience, liberté du travail et, surtout, droit de propriété -, il rencontre les aspirations de la bourgeoisie libérale. Son adoption par différents États - Belgique, Luxembourg, Pologne, Italie, États allemands - ne tient pas seulement à la pression des armées napoléoniennes ou à la volonté de l’Empereur conquérant : l’ouvrage a survécu à la chute de l’Empire et a eu une influence durable sur les codes rédigés au XIXe siècle jusqu’en Amérique latine. Napoléon en avait sans doute la prescience, qui déclarait à Sainte-Hélène : « Ma vraie gloire [...], ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code civil. » Code noir, ensemble de dispositions qui, de 1685 à 1848, régissent la vie des esclaves en captivité dans les colonies françaises des Caraïbes. Promulgué en mars 1685 sous forme d’un édit de Louis XIV, il s’inscrit dans l’effort général de codification juridique engagé au début du règne par Colbert. Relativement court - une soixantaine d’articles -, il vient combler le vide juridique en matière d’esclavage, et reflète les hésitations ou ambiguïtés de l’époque concernant le statut ontologique de l’esclave : ce dernier est-il un être humain ou bien une chose ? Le Code noir impose l’évangélisation des esclaves amenés d’Afrique par les navires négriers ; or, seuls des humains peuvent recevoir le baptême catholique. Comme chrétiens, on leur reconnaît le droit à une sépulture en terre consacrée et le droit au mariage - en théorie, de leur plein gré et avec la personne de leur choix, mais l’accord du maître est requis. S’il n’a pas pour but d’humaniser la traite, le Code noir sert de garde-fou : il prévoit la possibilité d’affranchissement ; il limite les châtiments applicables en les codifiant, et fixe des rations alimentaires minimales, protégeant l’intégrité physique des esclaves. Les peines peuvent être sévères, mais le maître n’a pas droit de vie et de mort sur son esclave : le tuer serait un homicide. Inversement, l’esclave est aussi assimilé à une chose. Acheté, il peut être revendu, comme un objet de commerce. Il peut être assuré, comme n’importe quel bien, alors que la vie humaine, en droit français, ne peut pas l’être puisqu’elle dépend de la seule volonté
divine, sur laquelle on ne peut spéculer. En somme, les Noirs qui travaillent sur les plantations constituent un cheptel humain, et font partie, au même titre que les machines, les bêtes et les bâtiments, de l’actif des entreprises coloniales. Ils ne possèdent rien en propre, leurs biens comme leur personne appartenant downloadModeText.vue.download 200 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 189 à leur maître. Si leur responsabilité pénale est reconnue, ils n’ont pourtant aucune capacité juridique : ils ne peuvent aller en justice, ni intenter un procès, ni même témoigner. Hors de question, bien sûr, de se révolter ou de fuir. En marge du Code noir se développe toute une jurisprudence répressive qui prévoit des peines de fouet, le marquage au fer rouge d’une fleur de lys sur l’épaule, ou bien, en cas de récidive, la peine de mort. Si un maître dénonce un esclave fuyard et que ce dernier est condamné à mort, le Trésor royal indemnise le propriétaire ainsi lésé ! Pareil régime, un temps suspendu pendant la Révolution française, ne disparaît vraiment qu’avec l’abolition de l’esclavage, lors de la révolution de 1848. Code pénal, ensemble codifié des règles de fond régissant les infractions et la responsabilité pénale, dont la première version a été adoptée en France en 1791. • Rompre avec la justice d’Ancien Régime. La seconde moitié du XVIIIe siècle est marquée par un fort mouvement en faveur d’une réforme du droit pénal, qu’illustre la publication en 1764, par l’Italien Beccaria, du traité Des délits et des peines. Traduit en français dès 1765, ce texte fondamental est accueilli avec enthousiasme par les Philosophes. Contre la justice d’Ancien Régime, caractérisée par la confusion, la cruauté, l’arbitraire de peines inégales selon le statut social des coupables, Beccaria pose comme principe que toute peine doit être « proportionnée au délit et déterminée par la loi », et qu’elle ne doit pas être inutile ou cruelle (rejet de la torture et de la peine de mort). Ces idées triomphent en France avec la Révolution, qui les inscrit dans la Déclaration des droits de 1789 (article 8 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires », et non rétroactives). Dès septembre 1789, considérant que le droit pénal d’Ancien Régime est incompatible avec la liberté, l’Assemblée
constituante crée un « Comité pour la réforme de la jurisprudence criminelle », qui élabore un Code pénal complétant la loi du 21 janvier 1790 relative aux délits et aux crimes. OEuvre d’importance, le Code pénal est adopté par les députés le 25 septembre 1791. Le principe fondamental de ce code réside dans l’équation peine-délit : les mêmes délits sont punis par les mêmes peines, « quels que soient le rang et l’état du coupable » (les nobles étaient par exemple décapités et non pendus) ; et, « quelle que soit la nature du délit », la peine de mort ne sera plus donnée que sous une seule forme, à savoir la décapitation sans supplice. Est également affirmé le principe de l’individualité de la peine : « le crime étant personnel », la famille du coupable ne doit plus être frappée d’« infamie » juridique. Le Code pénal supprime aussi les « crimes imaginaires » (l’hérésie, la magie, et le suicide, pour lequel on faisait un procès à la mémoire du défunt). L’autre idée directrice est que « toute peine doit être humaine » (Le Pelletier de Saint-Fargeau, rapporteur du comité). En effet, le but de la loi et des sanctions n’est pas de venger ou de punir par « plaisir cruel », mais « de corriger l’homme et de le rendre meilleur » (Pétion de Villeneuve). Conçues comme ayant une valeur rééducative fondée en premier lieu sur le travail, elles doivent permettre au coupable de se réinsérer à terme dans le corps social (aucune peine n’est ainsi perpétuelle, et la prison n’est qu’« un lieu de passage »). Après un long débat, l’Assemblée maintient cependant la peine de mort, qu’il était initialement prévu d’abolir. • L’évolution du Code pénal. Complété par quelques dispositions, le Code de 1791 est appliqué pour les crimes de droit commun jusqu’à l’adoption du Code napoléonien de 1810. Rompant avec certains idéaux des révolutionnaires (valeur rééducative de la peine), mieux accordé aux valeurs dominantes de propriété et d’autorité, le Code pénal de 1810 reprend cependant plusieurs principes de celui de 1791 : égalité juridique, individualisation de la peine proportionnée au délit et inscrite dans la loi. En revanche, le principe de la fixité des peines est abandonné au profit du libre choix par le juge entre un minimum et un maximum. Le Code pénal napoléonien va rester en vigueur pendant près de deux siècles, malgré révisions et remaniements. Une refonte
complète est finalement engagée et un nouveau Code, adopté par le Parlement en 1992, entre en application le 1er mars 1994. Mis à part l’introduction de la responsabilité pénale - et non plus seulement civile - des personnes morales, il ne représente pas une rupture fondamentale mais correspond à l’évolution de la société et des moeurs, intégrant les lois prises en matière pénale depuis 1810 (abandon du délit d’adultère, création de peines de substitution à l’incarcération, définition des incriminations de génocide, crime contre l’humanité et de nouveaux délits tels que le recel ou le terrorisme, etc.). Coeur (Jacques), financier (Bourges, Cher, vers 1395 - Chio, Grèce, 1456). Fils de l’un des plus riches marchands pelletiers de Bourges, marié à la fille du prévôt de la ville, ce représentant de la bourgeoisie berrichonne est d’abord un commerçant d’envergure moyenne, qui, s’il ne manque pas d’audace, subit d’amples déboires au tournant des années 1430. Il fait fortune lorsque, de Montpellier, il monte un réseau de relations commerciales avec d’importantes places méditerranéennes (Gênes, Barcelone, Naples, Alexandrie, Chypre et Rhodes) : ses navires rapportent des épices et des soieries ; il s’approvisionne en draps, fourrures, toiles et armes à Genève et à Bruges. Sa puissance se renforce avec l’installation de la cour royale dans la vallée de la Loire, à l’occasion de la poussée anglaise au début du XVe siècle, en pleine guerre de Cent Ans. Le dauphin Charles, établi à Bourges de 1418 à 1423, est séduit par le talent de Coeur et le nomme maître des monnaies (1436), puis argentier (1438), c’est-à-dire intendant de la Maison du roi, fournisseur de la famille royale et de la cour, auxquelles il procure étoffes, bijoux, meubles, armes, fourrures. Il est l’un des principaux réorganisateurs des finances royales ; il contrôle ainsi la collecte des impôts en Languedoc et en Guyenne, et celle de la gabelle. Il comble les besoins de trésorerie de la monarchie en lui octroyant de fortes avances, en particulier pour la reconquête de la Normandie en 1449-1450. Il fait crédit à ses acheteurs, la Maison du roi et la cour, ainsi qu’à ses fournisseurs, armuriers et lombards qui transforment Tours en un centre de fabrique et d’importation d’armures à l’italienne. Investisseur avisé, il finance une teinturerie à Montpellier, une fabrique de papier, des mines d’argent, de cuivre et de plomb en Lyonnais et en Beaujolais, des chantiers navals à Aigues-Mortes. Il soutient
le grand commerce, prêtant aux armateurs, achetant des navires ou des parts de navires. Sa puissance culmine quand il est anobli en 1441 et accède au Conseil du roi en 1442. Il se constitue un patrimoine foncier composé de seigneuries dans le Berry ou en Bourbonnais, et se fait édifier un bel hôtel particulier à Bourges, ville dont son fils devient archevêque en 1446. Mais, accusé par ses rivaux d’extorsion de fonds et du meurtre d’Agnès Sorel, la maîtresse du roi, il est arrêté en 1451. Ses biens sont confisqués en 1453 ; il est emprisonné et condamné à une lourde amende de 400 000 écus. Il parvient à s’échapper, reprend son commerce est-méditerranéen et se met au service du pape Calixte III dans sa lutte contre les Turcs ; il commande la flotte qui fait voile vers Rhodes, mais meurt au cours de cette expédition. Colbert (Jean-Baptiste), homme politique, principal ministre de Louis XIV de 1661 à 1683 (Reims 1619 - Paris 1683). La prodigieuse ascension de Colbert tient à son génie propre d’homme d’État, mais aussi aux atouts lentement accumulés par sa famille : une fortune tirée du grand négoce, depuis le XVIe siècle ; des liens politiques patiemment tissés dans l’appareil d’État, grâce à l’achat d’offices. C’est son cousin qui conduit Jean-Baptiste en 1640 dans les allées du pouvoir. En 1648, il devient conseiller d’État et est anobli. Les troubles de la Fronde lui fournissent ensuite l’occasion de se rendre utile auprès de Mazarin, qui en fait son homme de confiance. Il connaît alors tous les rouages des affaires, publiques et privées, du cardinal. Partisan d’une réforme administrative, et loyal envers le roi, il intrigue à partir de 1657 contre le surintendant Fouquet, dont il dénonce la gestion désordonnée et la trop grande puissance politique, et dont il convoite la place. Devenu intendant des Finances, il finit par convaincre le roi : après la mort de Mazarin, en mars 1661, la prise en main des affaires par Louis XIV assure le triomphe de Colbert ; Fouquet est arrêté en septembre, son poste, supprimé, et Colbert le remplace au Conseil d’en-haut. Peu à peu, il va cumuler de multiples fonctions : surintendance des Bâtiments (1664), contrôle général des Finances (redéfini en 1665), Maison du roi (1668) et Marine (1669). Seules la Guerre et les Affaires étrangères lui échappent. Opiniâtre, austère, volontariste, il a l’art de présenter ses projets à Louis XIV de façon à la fois assurée et
déférente. Véritablement soucieux de la gloire downloadModeText.vue.download 201 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 190 du roi, il s’attache à accroître la puissance de la France. Mais il ne néglige pas pour autant ses intérêts personnels : il s’enrichit, introduit ses proches et ses clients dans les rouages de l’État, s’opposant à Louvois, à Michel Le Tellier et à leurs protégés. • L’oeuvre réformatrice. Unification, rationalisation et impulsion sont les maîtres mots de l’action de Colbert. Face à l’enchevêtrement des privilèges locaux, il s’efforce de mettre en place une administration plus efficace, sous la tutelle des intendants, dont les pouvoirs à la tête des généralités sont renforcés. L’uniformisation juridique passe par la rédaction de codes : Code Louis sur la procédure civile (1667), ordonnance des Eaux et Forêts (1669), ordonnance criminelle (1670), Code du commerce (1673), Code de la marine (1681). La culture est mise sous tutelle par la création des diverses Académies royales, notamment celles des inscriptions et belles-lettres (1663), des sciences (1666), de musique (1669), d’architecture (1671). En matière de finances, Colbert fixe les règles modernes d’un budget prévisionnel, apure la dette et améliore le rendement de l’impôt en révisant les exemptions usurpées par de faux nobles. Surtout, il baisse les impôts directs (la taille), réduisant ainsi la pression fiscale qui pesait sur les paysans. Si les ressources indirectes augmentent, elles sont néanmoins mieux réparties : les taxes sont allégées, et portent sur un plus grand nombre de produits. L’embellie, à ce niveau, durera dix ans. • Un mercantilisme banal mais obstiné. Mercantiliste convaincu, Colbert estime que la puissance réside dans l’abondance monétaire et qu’un pays ne peut s’enrichir qu’aux dépens des autres pays, les richesses disponibles étant fixes. Toute sa politique vise donc à acheter peu à l’étranger, et à vendre en quantité pour accumuler des capitaux. D’où le recours au protectionnisme et à des tarifs douaniers prohibitifs (1664 et, surtout, 1667). D’où, encore, le souci de développer la production intérieure en vue de l’exportation par tous les moyens : implantation de
manufactures nationales, subventions, appel aux techniques et aux techniciens étrangers, règlements de fabrication garantissant la qualité des produits. Enfin, Colbert tente de faciliter la circulation intérieure (routes, canaux, réduction des douanes intérieures) et de développer la puissance maritime française face à ses concurrents anglais et hollandais. Il crée, sans grand succès, des compagnies commerciales et renforce considérablement la marine française (arsenaux, formation des équipages, flotte de guerre). Le plus original, chez Colbert, n’est pas sa pensée, mais la constance de ses efforts pour faire de la France agricole un pays de manufacturiers, de marchands et de marins. Cependant, la logique guerrière dans laquelle s’inscrit sa politique se retourne contre lui : le coût de la guerre de Hollande (1672-1678) est tel qu’il ruine les douze années d’effort précédentes. Son oeuvre est restée inaboutie, prisonnière qu’elle était d’une vision économique dépassée mais, surtout, des contraintes propres à la société d’Ancien Régime : le décollage économique dépendait en fait d’une réforme approfondie du système fiscal et financier, que Colbert n’avait pas les moyens d’enteprendre. Colette de Corbie (sainte), initiatrice de la réforme de l’ordre des clarisses, au XVe siècle (Corbie 1381 ou 1382 - Gand 1447). En 1399, Colette est confiée par son père mourant à l’abbé de Corbie, en Picardie. Elle entre successivement chez les béguines, les bénédictines et, enfin, les clarisses conventuelles de l’abbaye royale de Moncel, près de Beauvais. Animée d’une spiritualité exigeante, elle décide de devenir recluse en 1402. Elle mène alors une vie de pénitence et de prières, et connaît plusieurs expériences mystiques. Très influencée par son guide spirituel, le franciscain Henri de la Beaume, elle entreprend un voyage pour rencontrer le pape d’Avignon, Benoît XIII. Le 14 octobre 1406, elle fait profession devant lui, et obtient la responsabilité de la réforme de l’ordre des clarisses. En 1410, elle prend possession de l’ancien couvent, en plein déclin, des clarisses de Besançon, et en fait le premier centre de sa réforme : la clôture est strictement rétablie ; la vraie pauvreté, instituée, et la vie contemplative, restaurée. La communauté connaît un essor rapide, et les nouvelles fondations se multiplient. Les liens de Colette avec la haute aristocratie, en particulier avec les grandes dames de la noblesse, sont directement à l’ori-
gine de la naissance de nombreux couvents. Les Constitutions, qu’elle rédige en 1434, sont approuvées par le ministre général des franciscains et par le concile de Bâle. Elles influencent profondément la réforme masculine au cours du XVe siècle, et réglementent la vie de nombreux couvents franciscains jusqu’à aujourd’hui. Très populaire de son vivant, Colette est béatifiée en 1625, et canonisée en 1807. Coligny (Gaspard de Châtillon, sire de), amiral de France (Châtillon-sur-Loing, aujourd’hui Châtillon-Coligny, Loiret, 1519 - Paris 1572). Élevé dans la religion catholique, Gaspard de Coligny jouit d’abord d’une grande faveur à la cour d’Henri II : homme de guerre aux qualités éprouvées, il participe en 1544 à la victoire de Cérisoles, remportée sur les Impériaux, et devient amiral de France en 1552. Gouverneur de Picardie (1555), il défend la ville de Saint-Quentin assiégée par les Espagnols en 1557. À l’instar d’une fraction notable de la noblesse française, il se convertit à la Réforme en 1558 : il est alors, avec Louis Ier de Condé, le principal chef du parti huguenot. Il n’en reste pas moins favorable à la négociation et se rallie à la politique de conciliation menée par Catherine de Médicis, oeuvrant, à ses côtés, à la préparation du colloque de Poissy. Lorsque, en 1562, éclate la première guerre de Religion, il rejoint l’armée de Condé à Orléans, et prend part aux batailles de Dreux (1562) et Saint-Denis (1567). Devenu, après la mort de Condé à Jarnac (1569), le chef de guerre le plus en vue du parti protestant, il échoue, la même année, devant les troupes du duc d’Anjou, à Moncontour. En dépit de sa défaite, il obtient la paix de Saint-Germain (1570), qui assure à ses coreligionnaires quatre places de sûreté. Membre du Conseil privé de Charles IX en 1571, il prend sur le monarque un ascendant qui inquiète Catherine de Médicis et suscite le mécontentement croissant des catholiques. Pensant qu’une guerre aux frontières saura ressouder l’unité nationale, il presse le roi d’intervenir aux Pays-Bas, aux côtés des protestants de Guillaume d’Orange, contre le roi d’Espagne Philippe II. Mais il rencontre l’opposition conjuguée de la reine mère et des principaux membres du Conseil, qui ne veulent pas s’engager dans un conflit avec l’Espagne. Blessé le 22 août 1572 par Maurevert, dont les Guises et peut-être Catherine de Médicis ont armé le bras, il est assassiné deux jours plus tard durant la nuit de la Saint-Barthélemy, dont il est l’une des pre-
mières victimes. Le 25 août, le peuple traîne son cadavre dans les rues et le mutile avant de le pendre au gibet de Montfaucon. La mort de Coligny marque l’échec d’une politique trop louvoyante et ambivalente pour qu’elle puisse résister longtemps à la radicalisation des antagonismes confessionnels. Gaspard de Coligny est le frère du cardinal Odet de Coligny (1517-1571), évêque qui rallie le camp huguenot en 1563, et de François, seigneur d’Andelot (1521-1569), l’un des principaux chefs de guerre du parti protestant pendant les trois premières guerres de Religion. Collaboration, politique menée par le régime de Vichy à l’égard de l’occupant nazi entre 1940 et 1944. La collaboration d’État se distingue du « collaborationnisme », phénomène essentiellement parisien, fondé d’abord sur des affinités idéologiques avec le nationalsocialisme. • La collaboration d’État. L’armistice du 22 juin 1940 impose au gouvernement français de mettre en oeuvre une collaboration entre les services administratifs français et les autorités militaires allemandes en zone occupée (article 3). Mais, dès l’été 1940, le régime de Vichy cherche à nouer avec l’Allemagne nazie des relations qui dépassent cette collaboration technique. Le choix de la collaboration d’État se fonde sur trois postulats : le régime de Vichy est un État souverain ; la victoire allemande est certaine ; en négociant avec le vainqueur, la France peut espérer une amélioration de son sort durant la guerre, et un « traitement » privilégié dans le « nouvel ordre européen » en gestation. Les motivations idéologiques ne sont pas absentes : fascination diffuse pour la puissance nazie ; anglophobie attisée par le drame de Mers- elKébir ; volonté de profiter de la défaite pour imposer un nouveau régime. Sur ce dernier point, la collaboration d’État apparaît comme le prolongement diplomatique de la « révolution nationale », chère au maréchal Pétain. Le 30 octobre 1940, une semaine après son entrevue à Montoire avec Hitler, Pétain officialise l’entrée de la France dans « la voie de la collaboration ». L’Allemagne a déjà violé l’armistice à plusieurs reprises, mais le gouvernement de Vichy veut croire aux vertus de cette politique, surtout à un moment downloadModeText.vue.download 202 sur 975
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où le Führer a besoin de sa neutralité face à l’Angleterre. Vice-président du Conseil, Laval s’engage alors dans la voie de la collaboration économique en autorisant les entreprises françaises à signer des contrats avec les Allemands. Après son renvoi (13 décembre 1940), la collaboration d’État connaît de nouveaux progrès, sous l’impulsion de Darlan (février 1941-avril 1942). En juin 1941, l’essayiste Jacques Benoist-Méchin, admirateur du IIIe Reich, est chargé des relations francoallemandes. En signant les protocoles de Paris le 28 mai 1941, Darlan accepte le principe d’une collaboration militaire pour l’utilisation des bases coloniales. Ce projet n’aboutit pas, mais, à partir de l’été 1941, le ministre de l’Intérieur, Pierre Pucheu, étend la collaboration à la répression et à la politique antisémite déjà mises en place de manière autonome par Vichy depuis 1940. • Le retour de Laval. Revenu à Vichy, en tant que « chef du gouvernement » le 18 avril 1942, Laval déclare ouvertement, le 22 juin, qu’il souhaite la victoire de l’Allemagne. Vichy gère les exigences toujours plus pressantes de l’Allemagne, tout en s’efforçant de préserver sa capacité d’initiative. Laval s’engage dans des marchandages sur le sort des juifs, qui facilitent la déportation des étrangers et des dénaturalisés sans éviter celle des juifs français. Les « accords » conclus entre René Bousquet, secrétaire général de la police de Vichy (avril 1942-décembre 1943), et le général SS Oberg scellent la collaboration des polices. La police française procède ainsi à l’arrestation de 13 000 juifs, les 16 et 17 juillet 1942, lors de la rafle du Vel’d’hiv’. Tous sont déportés. La collaboration économique s’intensifie aussi avec « la relève », qui prévoit le retour d’un prisonnier de guerre moyennant le départ de trois travailleurs français en Allemagne. • Vers la soumission totale. En novembre 1942, avec le débarquement allié en Afrique du Nord, l’occupation consécutive de la totalité du territoire français et le sabordage de la flotte à Toulon, le régime de Vichy perd les seuls arpents de souveraineté qui pouvaient encore justifier le choix de la collaboration. Il fait néanmoins de l’utilisation de son administration et de sa police l’objet d’ultimes négociations, qui tournent au bénéfice de l’occupant. À partir de février 1943, les services français veillent à l’enrôlement de la maind’oeuvre vers l’Allemagne, dans le cadre du Service du travail obligatoire (STO) : en 1944, plus de quatre millions de Français travailleront directement pour l’économie allemande,
en France même ou outre-Rhin. Quant à la police française, elle continue de traquer juifs, communistes et résistants. Elle est bientôt doublée par les hommes de la Milice, dont le secrétaire général Joseph Darnand, qui a prêté serment de fidélité à Hitler, rejoint le gouvernement au mois de janvier 1944. D’autres collaborationnistes, tels Marcel Déat et Philippe Henriot, font aussi leur entrée à Vichy. Après avoir envisagé de prendre leurs distances par rapport à l’occupant en décembre 1943, Pétain et Laval acceptent l’entière soumission du régime de Vichy aux intérêts du Reich. • Les collaborationnistes. La plupart des collaborationnistes sont restés opposés à Vichy jusqu’en 1944. Admirateurs du national-socialisme, ils rêvent d’une véritable alliance avec l’Allemagne, et reprochent à Pétain et à ses proches un certain attentisme. Regroupés, pour l’essentiel, à Paris, ils dirigent des partis - le Parti populaire français, de Jacques Doriot ; le Rassemblement national populaire, de Marcel Déat - et animent des journaux tels que Je suis partout (auquel collabore l’écrivain Robert Brasillach), qui bénéficient de l’appui financier de l’occupant. Mais leur outrance leur aliène le soutien de l’opinion. Le collaborationnisme évolue au cours de l’Occupation : limité d’abord à une activité de propagande, il fournit, par la suite, des hommes à la Milice ainsi qu’aux armées qui combattent sur le front de l’Est, sous uniforme allemand. Ces combats de la dernière heure attirent souvent des hommes jeunes et socialement déclassés. Face à l’avancée des Alliés sur le territoire français, collaborationnistes et vichyssois gagnent l’Allemagne, au mois d’août 1944. C’est à Sigmaringen que l’État français connaît ses derniers jours. • Les interprétations. Dès les lendemains de la guerre, les défenseurs de Vichy ont voulu accréditer la thèse du double jeu ou de la raison d’État, alors que ses détracteurs ont assimilé l’attitude de Pétain, de Darlan ou de Laval à celle des collaborationnistes. En 1968, le politologue Stanley Hoffmann formule le concept de « collaboration d’État ». Puis, en 1972, Robert Paxton propose, dans la France de Vichy, des analyses qui font désormais autorité : Hitler n’a jamais considéré la France comme une alliée potentielle. Voulue par Vichy, la collaboration d’État a servi les intérêts des Allemands en leur garantissant la neutralité du vaincu et une occupation à peu de frais. Contrairement aux thèses des thuriféraires de Vichy, elle n’a guère amélioré le sort
des Français ; tout au plus a-t-elle légitimé dans la société des comportements d’« accommodation » à la présence allemande, selon le terme de l’historien Philippe Burrin. collège, établissement d’enseignement secondaire réservé, jusqu’à la période contemporaine, aux garçons. À l’aube de l’histoire universitaire, au XIIIe siècle, les collèges sont des résidences ouvertes aux étudiants peu fortunés. En 1257, le théologien Robert de Sorbon fonde, à Paris, un collège qui porte son nom ; son exemple est rapidement suivi, et Paris compte 14 collèges en 1300, 60 en 1450. Simples pensions à l’origine, ces établissements deviennent, dès le XVe siècle, des lieux d’enseignement, et remplacent les facultés des arts dans le cursus préparatoire aux facultés supérieures (droit, médecine et théologie). • L’âge d’or du collège. À partir du XVIe siècle, le collège s’impose comme l’institution centrale du système éducatif : contrairement aux universités, il s’adapte aux exigences intellectuelles de l’humanisme en s’ouvrant à une pédagogie qui rompt avec la tradition médiévale. En 1509, appelé à réformer le collège de Montaigu, à Paris, Jean Standonck donne à cet établissement un règlement calqué sur celui des écoles tenues par les Frères de la Vie commune, aux Pays-Bas. Il met en place un nouveau mode d’enseignement, qui répartit les élèves en sept classes distinctes, correspondant au degré d’avancement dans la connaissance du latin. Cette « manière parisienne » est connue et imitée dans le reste de la France au cours du XVIe siècle : municipalités et prélats rivalisent pour fonder des collèges. Malgré leur succès, ceux-ci se heurtent à des difficultés financières et de recrutement des professeurs, ou régents. Le collège humaniste accorde une part essentielle à l’étude des auteurs anciens, mais il constitue aussi un lieu d’éducation morale et religieuse. En des temps de lutte entre catholiques et protestants, et dans le dessein de rallier la jeunesse, il devient un terrain de rivalités confessionnelles. Les réformés français s’inspirent du modèle de l’Académie créée en 1559 à Genève, accordant une place importante aux études bibliques et au grec. Du côté catholique, les initiatives reviennent essentiellement aux jésuites : fondant leur premier collège à Billom (Auvergne) en 1556, ils s’imposent rapidement comme la principale congrégation enseignante. Leur succès
repose sur la Ratio studiorum, publiée en 1599, programme d’études qui fixe pour plus d’un siècle les normes scolaires. Les collèges de la Compagnie de Jésus sont imités par ceux des oratoriens et des doctrinaires, ces derniers étant principalement implantés dans le sud du pays. Un réseau dense et complet se met en place dans le royaume, surtout au début du XVIIe siècle : 47 collèges sont fondés avant 1560, 153 entre 1560 et 1650, et seulement 55 après 1650. Les collèges d’humanités se distinguent des collèges de plein exercice par l’enseignement de la philosophie. Partout, le latin tient une place centrale, mais les jésuites sont aussi des professeurs de mathématiques renommés. Leur pédagogie a fréquemment recours au théâtre scolaire. Au début de la période moderne, les collèges sont fréquentés par des enfants d’artisans en ville, et par des fils de paysans aisés dans les campagnes. Au début du XVIIe siècle, on compte 60 000 élèves, dont 40 000 dans les institutions des jésuites, alors attachés à la gratuité de l’enseignement et réticents à l’égard du pensionnat. Mais cette ouverture sociale se restreint au cours de la seconde moitié du siècle : les élèves sont issus de plus en plus majoritairement des élites urbaines ou de l’aristocratie. Cette tendance s’accompagne de la multiplication des internats, où le prix des pensions est souvent élevé. • Critiques et déclin. Au siècle des Lumières, malgré certains établissements prestigieux, tel le collège Louis-le-Grand, où Voltaire fut élève, la prépondérance des langues mortes, une pédagogie fondée essentiellement sur la mémoire, ainsi qu’une discipline trop rigide, suscitent les critiques des Philosophes. Aussi, suivant l’exemple des écoles militaires ouvertes à des disciplines nouvelles, les plus grands collèges accordent-ils une place aux langues vivantes, à la géographie et aux sciences, tandis que les établissements provinciaux les plus modestes, trop lents à s’adapter, sont délaissés par les élèves. En 1762, l’expulsion des jésuites, remplacés en partie par les oratoriens et les bénédictins, s’accompagne de nombreux projets downloadModeText.vue.download 203 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 192 de réformes réclamant une uniformisation de l’enseignement et son contrôle par l’État.
Ces projets sont partiellement réalisés sous la Révolution : déjà largement démantelés en 1793, les collèges sont officiellement supprimés le 6 ventôse an III (25 février 1795) et remplacés par des écoles centrales. Dorénavant, l’instruction devient publique. Les lycées, qui se substituent à leur tour aux écoles centrales par la loi du 11 floréal an X (1er mai 1802), reprennent certaines caractéristiques de la pédagogie des collèges, tout en conservant les apports de la période révolutionnaire. Mais le terme « collège » perd sa force et son originalité : il n’est plus utilisé, au XIXe siècle, que pour désigner un lycée fondé par une municipalité. Au XXe siècle, il faut attendre les années soixante pour qu’il soit à nouveau employé, dans une acception spécifique. Collège de France, établissement d’enseignement, situé à Paris, dont la fondation remonte au règne de François Ier. C’est en 1529 que l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540), dédiant au roi ses Commentarii linguae grecae, demande la création d’un « temple des bonnes études » où seraient enseignées les langues anciennes. Suscitées par les développements de la philologie, des institutions similaires - Collège des JeunesGrecs à Rome, Collège des Trois-Langues à Louvain - ont déjà fait leur apparition dans les pays voisins. Accédant à la requête de Budé, François Ier nomme en 1530 plusieurs lecteurs royaux (grec, hébreu, mathématiques). Né sans éclat particulier, le futur Collège de France ne dispose pas de lieu réservé, contrairement au voeu de Guillaume Budé, et s’attire immédiatement les foudres de l’Université, qui s’estime atteinte dans ses prérogatives : poursuivis devant le parlement par la faculté de théologie, les lecteurs royaux sont accusés d’hérésie. L’engagement personnel du roi en faveur de l’institution nouvelle empêche que les poursuites soient suivies d’effet. En 1534, après la création d’une chaire d’éloquence latine, le groupe des lecteurs royaux prend le nom de Collège des Trois-Langues (latin, grec, hébreu). Porté à sept en 1545, le nombre de chaires ne cesse d’augmenter sous les successeurs de François Ier. C’est en 1610 que l’institution s’établit sur son emplacement actuel, rue des Écoles, et prend le nom de Collège royal. Les bâtiments seront remaniés par Jean-François Chalgrin en 1774. Si l’appellation change au gré des régimes (« Collège national » sous la Révolution, et « Collège impérial » sous Napoléon Ier), le Collège de France n’acquiert son nom définitif que sous la Restauration. Malgré ces changements, l’enseignement ne s’interrompt pas, et l’éta-
blissement accueille de prestigieux maîtres. En 1852, il est rattaché au ministère de l’Éducation nationale, tout en restant indépendant de l’Université. Son domaine d’enseignement s’étend alors bien au-delà des humanités traditionnelles (grec, latin), et englobe les disciplines scientifiques les plus variées (histoire et géographie, ethnologie, linguistique, sociologie, physique, mathématiques...). Ouvert à tous, l’enseignement n’est sanctionné par aucun examen. Les professeurs, qui n’ont pas nécessairement le statut d’universitaires, sont nommés par le chef de l’État sur proposition des membres de l’Institut et du corps enseignant du Collège. Les chaires sont actuellement au nombre d’une cinquantaine. Parmi les personnalités qui ont enseigné au Collège de France, on compte Michelet, Renan, Bergson, Valéry. Collège de Navarre, institution scolaire fondée à Paris en 1305 et supprimée par la Convention en 1793. Lorsque Jeanne de Navarre, épouse de Philippe le Bel, exprime, dans son testament (1305), le voeu de fonder une maison pour soixante-dix étudiants grammairiens, artiens (philosophes) et théologiens, il existe déjà, à Paris, une dizaine de collèges. Ce sont des institutions charitables qui offrent un logis et une bourse à des étudiants pauvres de l’Université, comme le collège fondé par Robert de Sorbon au XIIIe siècle. Jusqu’à la fin du Moyen Âge, le Collège de Navarre, situé sur la montagne Sainte-Geneviève, est le plus grand et le plus prestigieux des collèges parisiens. Il est, comme les autres, doté d’un important patrimoine foncier et de statuts détaillés, et possède aussi une riche bibliothèque. Dès sa création, cette institution originale est un véritable établissement d’enseignement qui offre à ses boursiers - originaires de tout le royaume - un cursus complet de cours, en grammaire, en philosophie et en théologie, dans des écoles séparées de l’Université. Aux XIVe et XVe siècles, le collège royal de Navarre accueille de grandes figures intellectuelles telles que Nicolas Oresme, les humanistes Nicolas de Clamanges, Jean de Gerson, Jean de Montreuil, Jean Budé, et des serviteurs de l’Église et de l’État tels que Pierre d’Ailly et Guillaume Briçonnet. Du XVIe au XVIIIe siècle, les nombreux collèges parisiens et provinciaux deviennent des établissements d’enseignement secondaire, des « collèges d’exercice », réservés aux écoliers qui apprennent la grammaire et la rhétorique. Le collège royal de Navarre, à l’instar de quelques autres
grands établissements parisiens, conserve, à l’époque moderne, la double vocation qu’il avait déjà au Moyen Âge. Il accueille, comme un collège d’exercice, enfants et adolescents, qui suivent des cours de grammaire, de physique et de rhétorique, mais il offre aussi, comme un collège universitaire, des bourses à des étudiants des facultés supérieures. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, il bénéficie d’un grand prestige et reçoit, en 1752, la première chaire de physique expérimentale, confiée à l’abbé Nollet. Les plus riches familles y envoient leurs enfants : Richelieu et, plus tard, Condorcet étudient au Collège de Navarre. En 1793, la Convention vote la suppression des collèges et des facultés de l’Université de Paris. Le Collège de Navarre est démoli, de 1811 à 1836, pour faire place aux bâtiments de l’École polytechnique. Collier (affaire du), escroquerie scandaleuse qui déconsidère la reine Marie-Antoinette en 1785 et 1786, à la veille de la Révolution. Elle est le fruit de l’animosité que manifeste la reine envers le cardinal de Rohan et de la crédulité mondaine de ce dernier. En 1784, le cardinal, grand aumônier de la cour, qui était déjà manipulé par le mage Cagliostro, devient la proie d’une jeune aventurière, Jeanne Valois de La Motte, qui se fait fort de lui apporter l’amitié de la reine. D’entrevues nocturnes en faux messages secrets, censés être écrits par la souveraine, la « comtesse de La Motte » extorque d’importantes sommes d’argent au cardinal. Mise en relation avec les bijoutiers Boehmer et Bassenge, elle leur propose de servir d’intermédiaire pour faire acheter à la reine une parure de diamants qu’ils tentent de vendre depuis plus de dix ans dans les cours d’Europe. Elle persuade Rohan de servir de prête-nom et de payer la première traite « du collier », puis s’empare du bijou, qui est mis en pièces par ses complices. L’affaire, dite « du Collier », éclate lorsque les bijoutiers réclament à la reine le reste de l’argent qui leur est dû. Furieuse contre le cardinal, qu’elle croit être à l’origine d’une gigantesque machination, Marie-Antoinette incite Louis XVI à en finir avec cet importun. L’arrestation du grand aumônier, en pleine cour, le 15 août 1785, entraîne un premier scandale, dont la reine est rendue responsable. En effet, le cardinal fait partie du puissant clan de la famille de Rohan et de Soubise, et ces derniers défendent leur honneur bec et ongles. Louis XVI intente à Louis de Rohan un procès devant le parlement de Paris pour crime de lèse-majesté,
mais, au fur et à mesure que les complices sont arrêtés, il apparaît clairement que le cardinal s’est laissé berner. Entre août 1785 et mai 1786, l’opinion, déjà prévenue contre la frivolité de Marie-Antoinette, érige tous les complices du scandale en héros populaires. Lorsque, le 31 mai 1786, le cardinal de Rohan est blanchi de toute accusation, la foule lui jette des fleurs à sa sortie du parlement. Manoeuvres des visionnaires et des charlatans qui gravitent autour des aristocrates, ou comédie à la Beaumarchais, le « scandale du Collier » et le procès de Rohan sont les symptômes d’une haine unanime contre la reine Marie-Antoinette, ainsi qu’en témoignent les pamphlets très violents qui la décrivent comme un monstre lubrique. Toutes ces accusations seront reprises lors du procès de la reine en 1793. Collot d’Herbois (Jean Marie), homme politique (Paris 1749 - Guyane 1796). Ce fils de marchand-orfèvre devenu homme de théâtre avant la Révolution a fait l’unanimité contre lui : pour les robespierristes, il est l’un des responsables de la chute de « l’Incorruptible » en tant que président de la Convention au moment du 9 Thermidor ; pour les antirobespierristes, il est l’homme qui a réprimé l’insurrection fédéraliste et royaliste de Lyon à l’automne 1793. Le personnage n’est toutefois pas aussi ambivalent. En 1790, la Fédération lui fournit le thème d’une pièce à succès : la Famille patriote ou la Fédération. SecrétaireAlmanach du Père Gérard, dont le succès lui vaut la notoriété, comprend un éloge du travail des constituants non exempt de critiques, notamment sur l’esclavage colonial et le suffrage censitaire. À l’été 1792, Collot d’Herbois favorise l’entrée des citoyens « passifs » dans les sections et la Garde natiodownloadModeText.vue.download 204 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 193 nale, fait partie de la Commune insurrectionnelle du 10 août et propose l’abolition de la royauté le 21 septembre. Conventionnel, préoccupé d’abord par la lutte contre l’ennemi intérieur, il est envoyé en mission au moment de la levée des 300 000 hommes et applique des mesures strictes à l’encontre des autorités « modérées », des « suspects » et des « riches ». Son travail politique n’a de cesse, sinon de parvenir « à une égalité parfaite de
bonheur », du moins de « rapprocher davantage les intervalles ». Le 15 fructidor an II (1er septembre 1794), Collot démissionne du Comité de salut public après les attaques des thermidoriens « réacteurs ». Lors de son procès, il ne renie en rien son action à Lyon. Il est déporté en Guyane en avril 1795, après les journées des 12 et 13 germinal an III. Colomban (saint), missionnaire irlandais (Irlande 543 ? - Bobbio, Lombardie, 615). Il est à l’origine d’un profond renouveau de la vie monastique et de la spiritualité laïque en Gaule, en Alémanie et en Lombardie. Colomban, formé dans le monastère de Bangor, en Irlande, reçoit une éducation fondée sur un ascétisme très rigoureux et sur la valorisation de l’action missionnaire. C’est ainsi qu’il part pour le continent avec quelques compagnons, et, depuis l’Armorique, gagne la Neustrie, puis l’Austrasie. Ils y fondent le monastère de Luxeuil (vers 590), qui devient bientôt le principal centre du monachisme irlandais en Occident. Cependant, l’action de Colomban se heurte à de nombreuses résistances. La fondation de plusieurs monastères sans autorisation épiscopale et l’attachement vigoureux de Colomban à la liturgie celtique provoquent l’hostilité des épiscopats franc et burgonde. Par ailleurs, la critique sévère des moeurs de l’aristocratie laïque, notamment de la polygamie des souverains, déchaîne la colère de la reine Brunehaut et du roi de Burgondie, Thierry II, qui chasse Colomban de Luxeuil en 610. Ce dernier séjourne alors en Suisse, puis en Lombardie, où il fonde le monastère de Bobbio (vers 612-614), son dernier refuge. En dépit de son échec personnel en Burgondie, il a joué un rôle fondamental dans la christianisation des élites aristocratiques franques et dans le renouveau du monachisme au VIIe siècle. colonies grecques, villes fondées par des immigrants grecs, entre le VIe et le IIIe siècle avant notre ère, sur les côtes de la Provence et du Languedoc, et qui eurent une grande importance sur le développement économique et politique du midi de la Gaule. Dès le VIIIe siècle avant J.-C., des commerçants grecs prospectent les côtes de la Méditerranée et de la mer Noire, à la recherche de matières premières mais aussi de terres pour une population en surnombre. C’est en 600 avant J.-C. qu’un groupe d’immigrants grecs de la ville de Phocée acquiert la calanque de Marseille, le Lacydon (le « VieuxPort ») et ses abords, fondant Massalia. D’autres édifient Emporion (Ampurias) sur
l’îlot San Marti, le long de la côte du Levant espagnol. Marseille devient la tête de pont pour la diffusion de marchandises grecques dans l’ensemble de la Gaule et au-delà. Elle est située à l’aboutissement d’une grande voie commerciale, qui, par les vallées du Rhône, de la Saône, puis de la Seine, permet à l’étain de Cornouailles, notamment, de parvenir jusqu’à la Méditerranée. Tandis que les Grecs s’approvisionnent en matières premières - métal, bois, salaisons, cuir... - et en esclaves, ils diffusent, en échange, des produits de luxe - vaisselle de bronze, vases peints, vin -, qui confortent le prestige des petits chefs gaulois. Dans un second temps, Marseille fonde elle-même ses propres colonies : au Ve siècle avant J.-C., Antipolis (Antibes), Agathè Tychè (Agde) et Rhodanousia (Espeyran ?) ; au IVe siècle, Olbia (Hyères), dont d’importantes fouilles ont révélé l’urbanisme strict et le rôle commercial ; enfin, Nikaia (Nice) et Tauroeis (Six-Fours), au IIIe siècle. Outre leurs marchandises, les Grecs exportent leurs techniques, voire un mode de vie qui influence rapidement les indigènes, aussi bien dans l’architecture que dans l’alimentation. Mais, à partir du IIe siècle avant J.-C., le rayonnement grec est concurrencé par celui de Rome. Les Romains, d’abord appelés en renfort par Marseille pour lutter contre les populations indigènes, s’emparent de tout le sud de la Gaule en 121 avant J.-C. Les cités grecques conserveront un temps leur autonomie, et tomberont à leur tour après la conquête de la Gaule par César. l COLONISATION. En quatre siècles, la France a conquis, puis perdu, successivement, deux empires coloniaux : le premier, du début du XVIIe au début du XIXe siècle ; le second, de 1830 à 1962, pour l’essentiel. Cette expansion outre-mer a procédé de facteurs multiples et d’importance variable : pression démographique - de moins en moins effective -, recherche de profits commerciaux ou financiers par les entrepreneurs privés, mission évangélisatrice ou « civilisatrice », volonté de rétablir la grandeur et la puissance de la France. La colonisation a permis d’ajouter 60 millions de personnes (sur 12 132 000 km 2) aux 40 millions d’habitants (sur 551 000 km 2) que compte la métropole en 1939. Mais la « mise en valeur » des colonies et la politique républicaine d’assimilation n’ont pas réussi à faire de la « plus grande France » une seule nation : la République et son empire sont restés distincts.
LA FORMATION DE L’EMPIRE COLONIAL FRANÇAIS La formation de l’empire colonial français se déroule sur une longue période, divisée en deux épisodes séparés par une brève interruption. La première expansion a pour origine le refus par les rois de France du partage du Nouveau Monde entre les couronnes d’Espagne et de Portugal par le pape Alexandre VI en 1493. François Ier obtient de Clément VII l’assurance que ce partage ne concerne pas les terres qui restent à découvrir, et il envoie, de 1534 à 1542, le Malouin Jacques Cartier rechercher au Canada une nouvelle voie d’accès aux richesses de l’Asie par le fleuve SaintLaurent. La France tente à plusieurs reprises de s’établir, dans la baie de Rio de Janeiro, en 1560, et en Floride, entre 1562 et 1568. Mais l’opposition du Portugal et de l’Espagne, puis les guerres de Religion mettent fin à ces initiatives. Les expéditions lointaines et les fondations d’établissements permanents reprennent sous le règne d’Henri IV, et se développent de façon continue pendant un siècle et demi, sous l’impulsion, notamment, de Richelieu et de Colbert : colonies fondées en Amérique du Nord, aux Antilles et en Guyane, d’une part ; comptoirs sur les côtes de la Méditerranée (les « Échelles du Levant et de Barbarie »), de l’Afrique et de l’océan Indien, d’autre part. Malgré un premier recul territorial au profit de l’Angleterre en 1713 (baie d’Hudson, Terre-Neuve et Acadie), l’expansion française atteint son apogée au milieu du XVIIIe siècle. L’étendue des territoires alors contrôlés par la France en Amérique du Nord (du Canada à la Louisiane, par les Grands Lacs et les affluents du Mississippi) et en Inde (où Dupleix, directeur de la Compagnie française des Indes orientales, s’est constitué un domaine personnel et un réseau d’alliances dans le Dekkan) permettra de parler rétrospectivement d’un « premier Empire colonial français », non sans exagération. Cet « empire » est en effet réduit, puis détruit, par une série de conflits franco-britanniques. La Grande-Bretagne profite de la guerre de Sept Ans (1756-1763) pour conquérir le Canada (prise de Québec, 1759) et asseoir son hégémonie aux Indes. En 1763, le traité de Paris entérine la perte de l’Amérique du Nord (y compris de la Louisiane occidentale, à l’ouest du Mississippi, donnée à l’Espagne), de plusieurs îles des Antilles, des comptoirs du Sénégal, ainsi que la fin de la présence française en Inde. La France prend sa revanche, de 1778 à 1783, en intervenant pour soutenir les treize colonies britanniques
révoltées, qui prennent le nom d’États-Unis d’Amérique en 1776. Mais, lors du traité de Versailles (1783), elle se contente de recouvrer les comptoirs du Sénégal, l’île de Tobago et les droits de pêche sur la côte sud de TerreNeuve ; elle ne cherche pas à reprendre pied en Amérique du Nord. Réduit à un chapelet de comptoirs côtiers et de plantations insulaires, ce domaine colonial semble n’avoir pourtant rien perdu de sa rentabilité. Vingt ans vont suffire à l’effacer des cartes. La révolution de 1789 définit les colonies comme parties intégrantes du territoire national, mais la révolte des esclaves noirs de Saint-Domingue ruine la « perle des Antilles » en 1791, et la tentative de reconquête par l’armée du général Leclerc, envoyée par le Premier consul Napoléon Bonaparte en 1802, se solde par un échec. En guerre contre la France de 1793 à 1802, puis de 1803 à 1814, les Anglais conquièrent la plupart des colonies françaises au cours de la première période, et la totalité au cours de la seconde. L’épopée napoléonienne, marquée par des expéditions spectaculaires (occupation de l’Égypte de 1798 à 1801) et par des projets avortés (récupération de la Louisiane en 1802, revendue dès 1803 aux États-Unis), se traduit par la perte de toutes les possessions françaises d’outre-mer, trois ans avant la chute du grand empire continental. Toutefois, sous la Restauration, la France recouvre, à l’issue du congrès de Vienne, une partie de ses anciennes colonies et de ses comptoirs : Saint-Pierre-et-Miquelon, la Guadeloupe et downloadModeText.vue.download 205 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 194 la Martinique, la Guyane, les comptoirs du Sénégal et de l’Inde, et l’île de la Réunion (exîle Bourbon). Cet ensemble de territoires, plus réduit que celui de 1763, compte moins de 500 000 habitants sur 7 000 kilomètres carrés, ce qui place la France au cinquième rang des puissances coloniales, derrière la GrandeBretagne, les Pays-Bas, l’Espagne et le Portugal. Leur restitution est achevée en 1818. Malgré les revendications des planteurs dépossédés, l’État renonce à reconquérir Saint-Domingue, et il reconnaît, en 1825, l’indépendance de la partie de l’île où avait été proclamée en 1803 une République d’Haïti, moyennant une promesse d’indemnisation. En revanche, les relations entre la France et la régence turque d’Alger - renouées en 1814 - se détériorent. En 1827, le coup
d’éventail donné par le dey Hussein au consul de France Deval entraîne la rupture. Après trois ans de blocus - inefficace - imposé par la flotte française, le gouvernement de Charles X, afin de consolider son prestige, décide une opération militaire. La prise d’Alger, en 1830, inaugure, de façon non préméditée, la conquête de l’Algérie et la création d’un véritable empire colonial. La monarchie de Juillet, issue de l’opposition libérale à l’expédition d’Alger, ajourne l’évacuation de l’Algérie, puis se résigne, en 1834, à annexer les régions côtières occupées, avant de se résoudre à coloniser toute l’Algérie à partir de 1840. Dans le même temps, elle envoie sa flotte occuper des « points d’appui » sur les côtes du golfe de Guinée (Côte-d’Ivoire, Dahomey, Gabon), dans l’océan Indien (Nossi-Bé, Mayotte, côtes de Madagascar) et dans le Pacifique (îles Marquises, Tahiti). La IIe République s’illustre en abolissant l’esclavage dans les colonies et en rétablissant la représentation de ces dernières à l’Assemblée nationale, mais elle n’a pas le temps d’étendre sensiblement le domaine colonial français. C’est sous le Second Empire que reprend l’expansion : achèvement de la conquête de l’Algérie jusqu’en 1857 ; remontée du fleuve Sénégal par le gouverneur général Faidherbe ; intervention militaire au Liban et en Syrie, pour secourir les chrétiens menacés ; percement du canal de Suez par Ferdinand de Lesseps, et achat d’Obock, sur la corne de l’Afrique ; interventions en Chine et en Annam, suivies de l’annexion de la Cochinchine et de l’instauration du protectorat sur le Cambodge ; établissement d’une colonie pénitentiaire en Nouvelle-Calédonie. Cette expansion dote la France d’un empire colonial deux fois plus étendu que la métropole, mais toujours beaucoup moins peuplé (5 ou 6 millions d’habitants). Enfin, sous la IIIe République, après une pause due à la défaite de 1871, les expéditions outre-mer sont relancées, dès la consolidation du pouvoir des républicains en 1879 : occupation de la Tunisie (1881) ; expansions du Sénégal au Niger, du Gabon au Congo, à Madagascar (annexée en 1896) ; soumission du Tonkin et de l’Annam, au prix d’une guerre contre la Chine (1883-1885) ; jonction des colonies d’Afrique à travers le Sahara en 1900 ; pénétration au Maroc malgré les menaces d’intervention allemande de 1905 et de 1911 ; conquête et partage des colonies allemandes (Cameroun et Togo) et des provinces arabes de l’Empire ottoman (Syrie et Liban) pendant et après la Première Guerre mondiale.
L’empire colonial français connaît sa plus grande extension dès 1920, mais son occupation effective ne s’achève qu’en 1934 avec la « pacification » du sud du Maroc et du Sahara mauritanien. Il s’étend à toutes les parties du monde, en un ensemble disparate de terres et d’îles, parmi lesquelles on distingue encore les « vieilles colonies », recouvrées en 1815 (Saint-Pierre-et-Miquelon, Guadeloupe, Martinique, Guyane, communes du Sénégal, île de la Réunion, comptoirs de l’Inde) et les « nouvelles colonies », beaucoup plus vastes et plus peuplées, acquises à partir de 1830 : Algérie, protectorats de Tunisie et du Maroc, mandats du Levant (Syrie et Liban), AfriqueOccidentale française (A-OF), Afrique-Équatoriale française (A-ÉF), mandats du Togo et du Cameroun, Côte française des Somalis, îles Comores, Madagascar, Indochine française (colonie de Cochinchine ; protectorats d’Annam, du Tonkin, du Cambodge et du Laos), possessions françaises en Chine (territoire à bail de Guangzhouan ; concessions de Canton, Shanghai, Hankéou et Tianjin) ; Nouvelle-Calédonie, condominium francobritannique des Nouvelles-Hébrides ; Wallis-et-Futuna, Tahiti et la Polynésie française. Sa population dépasse en nombre celle de la métropole à partir du début du XXe siècle. LES FACTEURS DE L’EXPANSION COLONIALE Les causes et les buts de cette expansion coloniale ont été longuement discutés. Du XVIIe au XIXe siècle, la « colonisation » signifie, selon les dictionnaires - conformément à l’étymologie latine du verbe colere (« cultiver », « habiter un lieu ») -, l’installation d’une population sur une terre. Mais, dans l’esprit des hommes d’État et des philosophes du milieu du XVIIIe siècle (Montesquieu, Choiseul, les Encyclopédistes), son objectif véritable est de bénéficier au commerce de la métropole. Enfin, en 1885, Jules Ferry la justifie d’un triple point de vue : économique, humanitaire et patriotique. Le peuplement n’a jamais constitué un but prioritaire, et son importance tend à diminuer. Sous l’Ancien Régime, la France envoie beaucoup moins d’émigrants dans les colonies outre-mer que tout autre pays d’Europe. Le gouvernement royal organise parfois l’émigration de familles, mais il ferme les colonies à ses sujets protestants (dont bon nombre contribuent au développement des colonies anglaises et hollandaises). En 1763, l’Amérique du Nord ne compte que 60 000 Français au Canada, 12 000 en Louisiane, et 7 000 Acadiens (déportés par les
Anglais en 1755). Dans les colonies de plantations tropicales, les travailleurs blancs sont vite remplacés par des esclaves africains : en 1789, la population des Antilles comprend 50 000 ou 60 000 Blancs (dont 32 000 à Saint-Domingue) pour 600 000 Noirs et hommes de couleur (esclaves ou affranchis) ; 13 000 Blancs, contre 50 000 Noirs, vivent aux îles Mascareignes (île Bourbon et île de France). Au XIXe siècle, la baisse de la natalité réduit le nombre d’émigrants français, dont rarement plus du tiers choisissent les colonies. La colonisation de l’Algérie, préconisée et organisée par le général Bugeaud, résulte d’impératifs politiques et stratégiques plutôt que démographiques. Dès 1830, Espagnols, Italiens, Maltais, voire Suisses ou Allemands, y sont plus nombreux que les Français, et la naturalisation individuelle ne diminue guère leur proportion avant la loi du 26 juin 1889 concernant l’octroi de la nationalité française aux enfants d’étrangers nés en territoire français. La population dite « européenne » (y compris les étrangers non naturalisés, et les juifs algériens, auxquels est donnée la nationalité française par le décret Crémieux en 1870) ne dépasse jamais 14 % de la population totale (recensement de 1926), soit moins de 1 million de personnes. Ailleurs, le peuplement français ou européen n’est notable qu’en Tunisie et au Maroc. À l’exception des trois pays nord-africains, de la Nouvelle-Calédonie et de Tahiti, sa part reste partout inférieure à 1 % de la population. Au total, sur 60 millions d’habitants, seulement un million et demi de Français d’origine métropolitaine ou européenne sont établis dans les colonies en 1939. Le commerce constitue le but essentiel de la colonisation française au XVIIe siècle et, surtout, au XVIIIe : la plupart des établissements sont d’ailleurs fondés par des compagnies de commerce dotées, par une charte royale, de pouvoirs régaliens. Le commerce colonial s’inscrit alors dans le cadre du mercantilisme, qui vise à enrichir le royaume en « réexportant » plus que l’on « importe ». Les colonies procurent à la métropole des produits rares et chers, qui sont revendus en Europe, et sont un marché réservé pour les producteurs français de grain et d’objets manufacturés. C’est pourquoi Montesquieu présente comme une « loi fondamentale de l’Europe » le principe de l’« exclusif » ; la nation fondatrice doit maintenir le monopole de la navigation et des échanges avec ses colonies, et organiser leurs productions, afin que celles-ci soient complémentaires - et non concurrentes - des
siennes. En outre, le commerce des esclaves entre l’Afrique et les îles à plantations constitue un élément essentiel du trafic triangulaire entre la métropole, les comptoirs d’Afrique et les colonies. Ces deux aspects complémentaires du vieux système colonial sont de plus en plus vivement attaqués, à partir du dernier quart du XVIIIe siècle, à la fois par le mouvement anti-esclavagiste (Société des amis des Noirs, 1788) et par la nouvelle doctrine économique libérale, qui conteste l’utilité du monopole colonial au nom de l’intérêt général (à distinguer des intérêts particuliers des armateurs, commerçants et manufacturiers des ports coloniaux). La révolte de Saint-Domingue, la première abolition (1794-1802) puis l’interdiction de la traite des Noirs (en 1807 par l’Angleterre, en 1815 par le congrès de Vienne), enfin, le décret du gouvernement provisoire de 1848, sur proposition de Victor Schoelcher, mettent fin à l’esclavage. Ce commerce est remplacé par d’autres échanges et par le transfert des lieux de production vers l’Afrique. Les intérêts coloniaux retardent néanmoins jusqu’en 1860 la substitution du libre-échange à l’« exclusif ». downloadModeText.vue.download 206 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 195 La fin de l’ancien système n’empêche pas un nouvel élan colonisateur. En effet, la révolution industrielle du XIXe siècle multiplie les besoins de matières premières et de débouchés pour les industries métropolitaines. Ces besoins peuvent être satisfaits pacifiquement, conformément à la doctrine libérale du libre-échange, mais l’exacerbation de la concurrence, dans le dernier quart du XIXe siècle, incite de nombreux États, dont la France, à rétablir des tarifs douaniers (tarif Méline, en 1892). Invoquant une phrase célèbre de Jules Ferry (« La politique coloniale est fille de la politique industrielle »), de nombreux auteurs ont cru pouvoir expliquer la reprise de l’expansion coloniale sous la IIIe République par la volonté d’étendre le territoire douanier français. Cependant, le retour au protectionnisme succède à la relance des conquêtes, et il semble relever plutôt du désir de rentabiliser des possessions qui profitaient davantage au commerce étranger qu’au commerce français ; en outre, par des accords internationaux, le régime de libre-échange est maintenu dans de vastes régions de l’empire colonial (bassins conventionnels du Congo et du Niger, Maroc depuis
1906, Syrie et Liban depuis 1922), mais la politique protectionniste dans l’empire est renforcée par une loi de 1928. La part du commerce colonial dans les échanges extérieurs de la France a varié considérablement. Elle atteint un tiers de ces échanges en 1789 (deux tiers en tenant compte de la réexportation des produits coloniaux en Europe), mais elle est réduite à néant durant les guerres de la Révolution et de l’Empire. Ce commerce reprend progressivement en 1815, à partir d’un niveau très bas, et se développe rapidement sous la IIIe République, particulièrement en temps de crise économique. En 1913, dans leur ensemble, les échanges avec les colonies représentent 9,4 % des importations et 13 % des exportations de la France, dont elles sont le troisième partenaire commercial, derrière la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Leur importance croît encore après la Grande Guerre et, notamment, durant la crise des années trente : 12 % des importations et 18,8 % des exportations en 1929 ; un quart et un tiers en 1935 ; 27,1 % et 27,4 % en 1938. L’empire colonial est le premier partenaire commercial de la France dès 1928 ; à elle seule, l’Algérie occupe cette position dès 1932. Mais cette relative prépondérance s’explique surtout par l’effondrement des échanges internationaux. Selon la théorie marxiste, l’exportation de capitaux en vue de placements avantageux et sûrs, sous la forme d’emprunts publics ou d’investissements directs privés, est considérée comme un ressort fondamental de l’impérialisme. Certes, la France figure au deuxième rang des pays exportateurs de capitaux avant 1914, mais la part des colonies parmi les destinataires reste plutôt faible (9 % environ), et les Français investissent davantage dans des États indépendants. Toutefois, l’empire colonial arrive au troisième rang des pays de destination, après la Russie et l’Amérique latine, et au deuxième, derrière la Russie, pour les investissements directs. Même si, parfois, l’octroi de prêts prépare la mise sous tutelle de certains États (Tunisie, Maroc), le plus souvent, les investissements suivent la conquête. La répartition des exportations de capitaux dans l’empire s’avère aussi très inégale : près des deux tiers sont placés en Afrique du Nord, dont la moitié environ en Algérie. Les affaires coloniales sont généralement plus rentables que les entreprises françaises en métropole ou à l’étranger. Au début de la mise en valeur des colonies, l’État métropolitain investit, mais,
depuis la loi du 13 avril 1900, celles-ci ne doivent plus rien lui coûter : il faut qu’elles couvrent leurs dépenses de fonctionnement, et elles peuvent emprunter les capitaux privés nécessaires à leurs projets d’équipement. Après la Première Guerre mondiale - qui entraîne une forte diminution des avoirs français à l’étranger et démontre l’insécurité de ces placements - les capitaux privés sont tournés davantage vers l’empire colonial, sous la forme d’investissements directs ou de souscriptions aux emprunts coloniaux, dont les intérêts sont garantis par l’État métropolitain, afin d’accélérer la mise en valeur des colonies (plan Sarraut en 1922, plan Maginot en 1931). Ainsi, la part des capitaux investis dans l’empire augmente fortement, pour atteindre entre 30 et 40 % des investissements extérieurs en 1929, et de 40 à 50 % en 1939. L’ensemble des sommes engagées reste toutefois beaucoup plus faible que celui de la Grande-Bretagne ou de la Belgique dans leurs colonies respectives d’Afrique noire. Ainsi, les visées économiques n’ont jamais été absentes, mais la colonisation française comporte aussi des aspects qui ne sont pas directement dictés par des intérêts matériels. Dès les débuts de celle-ci, des missionnaires catholiques se consacrent à l’évangélisation des « sauvages » du Canada, où certains subissent le martyre entre les mains des Iroquois. Toutefois, ce message évangélique est terni par l’acceptation de l’esclavage et de la déportation des Noirs dans le Nouveau Monde. Après 1815, le renouveau catholique et protestant entraîne une prolifération des missions. Elles ouvrent la voie à la pénétration de pays inconnus en Afrique, en Asie et dans l’océan Pacifique, au combat contre l’esclavage et la traite des Noirs, à la promotion de l’éducation, à la lutte contre les endémies et les épidémies. L’État favorise généralement leur action, pour étendre l’influence française, et il invoque le devoir de les protéger contre les persécutions des potentats indigènes (en Chine et en Annam), voire contre la concurrence des missionnaires protestants britanniques (à Tahiti, à Madagascar). Les gouvernements de la IIIe République poursuivent cette politique et renoncent à appliquer systématiquement les lois adoptées contre les congrégations non autorisées. En même temps, ils assument ouvertement leur rôle dans la « mission civilisatrice » affirmée par Jules Ferry le 28 juillet 1885, à travers l’action des médecins militaires et civils, des enseignants, des administrateurs, des explorateurs scientifiques.
Cependant, les motivations d’ordre patriotique semblent finalement l’emporter. Sous l’Ancien Régime, le souci d’accroître la puissance et le prestige du royaume en agrandissant son territoire était patent dès les premières expéditions outre-mer, mais il paraît avoir été éclipsé par les préoccupations mercantilistes au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Ainsi s’expliquerait l’étonnante indifférence des dirigeants et de l’opinion éclairée, en 1763, devant la perte des « quelques arpents de neige » du Canada (selon les mots de Voltaire) et l’abandon de ces contrées en 1783. À l’inverse, après la chute de l’Empire napoléonien en 1814 et 1815, et l’amputation du territoire français par les deux traités de Paris, la France, isolée par la Quadruple Alliance des grandes puissances en Europe, ne peut plus s’agrandir ailleurs qu’outre-mer. C’est pourquoi, en 1830, le gouvernement ultraroyaliste de Polignac, accusé par l’opposition libérale de servir les ennemis de la patrie, entend se donner une légitimité en vengeant l’honneur national insulté par le dey d’Alger, et en passant outre au veto britannique. La prise d’Alger n’ayant pas suffi à désarmer les opposants, Charles X est détrôné au cours de la révolution de juillet 1830. Née de l’hostilité à « l’expédition liberticide » d’Alger, la monarchie de Juillet reprend puis étend à l’Algérie entière cette politique de conquête, parce qu’elle ne peut abandonner ce « legs onéreux de la Restauration » sans offrir à ses détracteurs de droite (les légitimistes) et de gauche (les républicains) l’occasion d’être accusée de sacrifier l’honneur et l’intérêt nationaux. De même, après la désastreuse guerre franco-allemande de 1870-1871, la République française, isolée en Europe, ne peut songer à prendre directement sa revanche. Les républicains opportunistes dirigés par Léon Gambetta et Jules Ferry, au pouvoir à partir de 1879, veulent avant tout redonner à la France son rang de grande puissance en l’agrandissant - où l’Allemagne ne le lui interdit pas. Mais deux conceptions du patriotisme français s’affrontent : le « patriotisme mondial » des opportunistes, et le « patriotisme continental » des radicaux et des monarchistes. Selon ces derniers, la France ne doit pas faire le jeu de Bismarck, en gaspillant son sang et son or pour un autre enjeu que la reconquête de l’Alsace-Lorraine, en se brouillant avec l’Italie, au sujet de la Tunisie, et avec l’Angleterre, à propos de l’Égypte et du haut Nil. Après la crise franco-britannique de 1898 - provoquée par la rencontre à Fachoda entre la mission Marchand, reliant le Congo à la mer Rouge, et l’armée anglo-égyp-
tienne du sirdar Kitchener -, le ministre des Affaires étrangères Théophile Delcassé - en poste de 1898 à 1905 - réussit à concilier ces deux conceptions : la France s’entend avec la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Espagne pour établir son protectorat sur le Maroc, mais elle se heurte à l’opposition de l’Allemagne, en 1905 (crise de Tanger), puis en 1911 (crise d’Agadir). L’expansionnisme colonial s’identifie alors au patriotisme antiallemand, et l’anticolonialisme tend à se confondre avec la gauche internationaliste. La participation à la Grande Guerre des colonies, qui fournissent soldats, travailleurs, produits et capitaux, parachève cette évolution. Après 1919, les socialistes nuancent leur anticolonialisme (favorable au droit de tous les peuples à l’autodétermination), et le parti communiste reste downloadModeText.vue.download 207 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 196 la seule grande formation systématiquement anti-impérialiste. Mais, après la signature du pacte franco-soviétique par Laval et Staline (1935), et la création du Rassemblement populaire, les communistes sacrifient l’antiimpérialisme à l’antifascisme en préconisant « l’union libre » entre le peuple français et les peuples d’outre-mer. Citant Lénine, Maurice Thorez précise que « le droit au divorce n’est pas l’obligation de divorcer », tandis que le Front populaire ne conteste plus l’unité de la France métropolitaine et de la « France d’outre-mer ». Le ralliement des principales forces de gauche permet ainsi au « parti colonial » de poursuivre sa conquête de l’opinion. On appelle « parti colonial » une nébuleuse d’organisations diverses et complémentaires, visant, depuis les années 1890, à influencer les dirigeants politiques et l’opinion publique : groupes coloniaux de la Chambre des députés et du Sénat (fondés par les républicains opportunistes, mais élargis vers leur droite et leur gauche) ; comités d’études, tels les comités de l’Afrique française et de l’Asie française ; instituts coloniaux rassemblant des informations scientifiques sur les colonies ; lobbies économiques, sous l’égide de l’Union coloniale française ; oeuvres de propagande, telle celle de la Ligue maritime et coloniale. Toutes ces organisations tentent de faire « l’éducation coloniale de l’opinion », réputée indifférente ou hostile aux expéditions lointaines, avec l’appui des pouvoirs publics, et par différents moyens : enseignement, littérature, presse, émissions de radio, expositions
- dont la plus célèbre, l’Exposition coloniale internationale de Vincennes, reçoit des millions de visiteurs en 1931. Cette action de longue haleine finit par porter ses fruits. À partir de 1938-1939, les premiers sondages d’opinion effectués en France permettent de mesurer l’impact de la propagande coloniale : en février 1939, 53 % des Français (contre 43 %) refusent autant de céder une partie de l’empire qu’une partie de la métropole, mais 44 % (contre 40 %) excluent de se battre pour sauvegarder son intégrité. Ainsi, le consensus autour de l’existence de l’empire est réel, mais il reste fragile et limité jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, bref apogée avant la dislocation. MYTHES ET RÉALITÉS DE LA « PLUS GRANDE FRANCE » De la fin de l’Ancien Régime à celle de la IIIe République, la définition des colonies évolue : simples domaines d’exploitation, les possessions françaises sont ensuite considérées comme un empire, facteur de puissance, puis comme « la France d’outre-mer ». Ces représentations se sont superposées au fil du temps, et comportent toutes une part de réalité, mais la dernière reste la plus mythique. Au XIXe siècle, la « mise en valeur » remplace les principes mercantilistes du vieux système colonial par ceux du libéralisme dominant en Europe, mais cette substitution progressive laisse subsister de nombreux archaïsmes hérités de l’Ancien Régime. L’État français a organisé une répartition inégale de la propriété et des ressources du sol et du sous-sol : la part réservée aux colons et aux sociétés capitalistes est disproportionnée par rapport au nombre de Français ou d’Européens des colonies. En Algérie, ces derniers représentent 2 % de la population « agricole », mais ils possèdent plus de 25 % des terres cultivables. Partout, les mines sont exploitées par des sociétés à capitaux français ou internationaux (sauf les phosphates du Maroc, attribués par Lyautey à un office chérifien en 1920). En revanche, la main-d’oeuvre, le plus souvent non qualifiée, est massivement issue de la population indigène, dont la mobilisation est facilitée par divers facteurs : expropriation de terres, pression démographique croissante, obligation de payer des impôts en nature ou en argent, travail forcé au service des autorités publiques ou de sociétés privées (chantier de la voie ferrée Congo-Océan, compagnies concessionnaires de l’A-ÉF), planta-
tions en Afrique noire. Ainsi, la population locale est dépendante de la minorité française, forte de ses capitaux et de ses compétences techniques. L’économie coloniale n’est pourtant pas homogène : elle comporte un secteur traditionnel agraire ou pastoral d’autosubsistance, qui suffit de moins en moins à entretenir les indigènes, et un secteur moderne dirigé par les Français, produisant pour la vente en métropole ou à l’étranger. Dans ce dernier, les principales activités destinées à l’exportation concernent la production de denrées - vin d’Algérie, olives de Tunisie, arachides du Sénégal, riz d’Indochine -, de matières premières agricoles - coton du Niger, caoutchouc d’Indochine - et, surtout, minières - fer, métaux non ferreux et phosphates d’Afrique du Nord ; charbon du Tonkin... -, les industries de base ou de transformation étant quasiment absentes (à l’exception de quelques unités agroalimentaires). Les moyens de transport, conçus pour drainer les produits coloniaux vers les marchés extérieurs, ne forment pas de véritables réseaux (sauf en Afrique du Nord et en Indochine), et le chemin de fer transsaharien reste à l’état de projet. Faute d’investissements suffisants, l’économie des colonies françaises progresse à un rythme inférieur à celui de territoires voisins (Congo belge, Afrique britannique...). La crise mondiale des années trente frappe les exportations, tandis que des calamités naturelles continuent d’affecter le secteur traditionnel, même si l’intégration croissante des colonies au sein du bloc économique français amortit les effets de la Grande Dépression en garantissant des débouchés en métropole à des prix moins désavantageux que ceux pratiqués sur le marché mondial. Pour leur part, les producteurs métropolitains se plaignent de la cherté relative des matières premières coloniales et de la concurrence de certaines denrées agricoles (vins d’Algérie) ; l’industrialisation des colonies se heurte à l’opposition des entrepreneurs français, qui ne veulent pas perdre des marchés lucratifs, ainsi qu’au refus de la métropole de consacrer une part trop grande de son budget aux investissements coloniaux. Dans chaque territoire, la colonisation française met en présence deux sociétés distinctes, dans un rapport de domination et d’exploitation et entraîne la prise de conscience par les peuples colonisés de cette inégalité fondamentale. En effet, avec l’action sanitaire et la mise en valeur économique, les popu-
lations indigènes augmentent, deviennent plus mobiles et moins isolées. Les relations de travail, la diffusion de l’enseignement élémentaire, voire secondaire et supérieur, le service militaire volontaire ou obligatoire (à partir de 1912), conduisent à la formation de nouvelles couches sociales plus ou moins acculturées par les contacts avec la société française dans leur pays ou en métropole. La France accélère cette transformation en imposant un recrutement massif de soldats et de travailleurs des colonies pendant la Première Guerre mondiale (plus de 500 000 soldats et plus de 200 000 travailleurs, en majorité nord-africains). Les principes démocratiques d’égalité et du droit des peuples (encouragés, notamment, par le président américain Wilson mais aussi par les milieux communistes) se diffusent. Ainsi, avant même la disparition des formes traditionnelles de résistance, des mouvements revendicatifs nouveaux, à caractère plus ou moins nationaliste, se créent : d’abord en Indochine - où rivalisent les partis nationalistes d’inspiration chinoise ou japonaise et le communisme -, au Levant et en Afrique du Nord, où les nationalismes arabo-musulmans voient le jour. Toutefois, en Algérie, à Madagascar et en Afrique noire, le nationalisme est concurrencé par des mouvements revendiquant l’égalité des droits dans un cadre français. La République française convient de la nécessité de parvenir à l’assimilation des sociétés colonisées dans une « plus grande France », mais, afin d’éviter que la France métropolitaine soit mise en minorité, la plupart des experts coloniaux lui préfèrent une association entre des peuples conservant leur identité propre. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’empire se compose d’un agrégat de peuples désunis, relevant des ministères de l’Intérieur (départements français d’Algérie), des Affaires étrangères (protectorats de Tunisie et du Maroc, mandats du Levant), ou des Colonies (les autres territoires, y compris les protectorats d’Annam, du Tonkin, du Cambodge et du Laos). Sur les 60 millions d’habitants de l’empire, seulement 2,5 millions sont citoyens français. Le suffrage universel n’existe, depuis 1848, que dans les colonies anciennes (dont les communes du Sénégal et les comptoirs de l’Inde, où la soumission au Code civil ne constitue plus une condition nécessaire pour obtenir la citoyenneté), et à Tahiti. Partout ailleurs, la citoyenneté française, jugée incompatible avec le droit familial traditionnel (statut personnel coranique ou coutumier), reste le privilège d’une étroite minorité (même en Algérie et en Cochinchine, représentées
au Parlement français). Les dirigeants de la IIIe République n’osent rien changer, ne répondant que par la répression aux revendications. La seule réforme audacieuse, la conclusion des traités franco-syrien et francolibanais par le gouvernement de Léon Blum en juillet 1936, est ajournée trois ans plus tard par Édouard Daladier, qui craint d’affaiblir la France, menacée par les convoitises de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon. Au début de la Seconde Guerre mondiale, par la conjonction de révoltes intérieures et d’interventions downloadModeText.vue.download 208 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 197 extérieures, la France risque de perdre son second Empire colonial, comme elle a perdu le premier. colonnes infernales, expéditions militaires particulièrement sanglantes menées en Vendée sous l’autorité du général Turreau, au début de l’année 1794. Depuis décembre 1793, la grande armée catholique et royale est anéantie, mais des bandes restent actives dans le Marais et dans les Mauges. Turreau, commandant des troupes républicaines dans l’Ouest, entend les soumettre par la force : négligeant le plan de pacification musclé proposé par le général Kléber, et se réclamant des mots d’ordre lancés par la Convention en août et octobre 1793 pour détruire les « brigands de Vendée », il organise vingt-quatre « colonnes incendiaires ». Le Comité de salut public, averti, renouvelle sa position : exterminer les insurgés, mais évacuer les femmes, les enfants et les hommes sans armes. Sur place, Turreau donne blanc-seing à ses généraux, qui, dans l’ouest de la région, continuent de traquer Charette de la Contrie, tandis que, dans l’est et le centre, Huché, Cordelier et Amey laissent leurs hommes tuer, violer, incendier, villages et bourgades. Le bilan humain est effroyable : certaines communes perdent des centaines d’habitants ; le bilan politique et militaire n’est pas moins catastrophique : les premières tentatives de pacification sont ruinées, le conflit renaît et les chefs vendéens - Charette et Stofflet - se taillent de véritables fiefs. Et la guerre de Vendée acquiert à cette occasion ce caractère de cruauté qui a marqué les consciences jusqu’à nos jours. colporteurs, vendeurs ambulants dont
l’apparition est certainement liée au développement des villes et des foires, et qui se sont organisés en une corporation vers le XIIIe siècle. « Colporter » vient du latin comportare (« transporter [pour vendre] »), mais, dès le xive siècle, « colporteur » - et non plus « comporteur » - est compris comme « porteur à col », portant sur son dos à l’aide d’une courroie (ou bricole) une vaste hotte (la balle). La plupart des colporteurs sont trop modestes pour pouvoir s’offrir une bête de somme ou véhiculer leurs marchandises sur une charrette. De village en village, ils vendent les produits de l’industrie urbaine : étoffes et mercerie, médailles et remèdes, et, à partir du XVIe siècle, petits livres imprimés. • Le colportage des livres. Cette activité remonte probablement à l’époque de l’invention de l’imprimerie, puisque le plus ancien ouvrage imprimé en français est un almanach, le Grand Compost ou Calendrier des bergers (1493). Au XVIe siècle se tient, à Lyon, une foire aux livres annuelle, où Rabelais lance, en 1532, Pantagruel, inspiré par le succès des anonymes Chroniques gargantuines. Bien que les colporteurs remplissent toujours leur balle au gré de l’offre et de la demande, sans exclusive, certains éditeurs tels Oudot et Garnier à Troyes, au XVIIe siècle, orientent leur production pour ce marché particulier. Au XVIIIe siècle, toute grande ville située au nord de la Loire a son imprimeur-libraire travaillant pour le colportage. Le succès commercial repose d’abord sur une fabrication à moindre coût : papier rugueux, réemploi de caractères usés et de vieux bois gravés, et, en guise de reliure, le grossier papier bleu dans lequel on enveloppe aussi les pains de sucre - d’où le nom de « bibliothèque bleue » que les éditeurs troyens donnent, au XVIIIe siècle, à leur collection. Le fonds de commerce des colporteurs se compose essentiellement d’almanachs, de livres de piété, d’ouvrages pratiques - conseils en agriculture, astrologie et médecine populaire -, de romans médiévaux sentimentaux et de contes traditionnels ou plus récents. Considérée, avec dédain, par Voltaire et d’autres lettrés comme un facteur d’immobilisme, refuge d’ignorance et de superstitions, la littérature de colportage s’ouvre pourtant, à la veille de la Révolution, et sous l’impulsion de Benjamin Franklin - lui-même imprimeur et fondateur d’almanachs -, à un rôle très différent de relais culturel et politique. De fait, parce que les colporteurs se jouent aisément de la surveillance policière, les régimes autoritaires du XIXe siècle re-
doutent leur influence sur l’esprit public. La Commission d’examen des livres de colportage, créée en 1852, marque, à double titre, un tournant : critiquant le fonds ancien aussi bien que les nouveautés - romans populaires et almanachs « rouges », accusés de démoraliser les campagnes et de favoriser l’irréligion -, elle précipite la ruine d’éditeurs spécialisés tels que Pellerin à Épinal ou Noblet à Paris. Le rapporteur de cette commission, Charles Nisard, dresse le premier inventaire systématique de leurs catalogues, et mène la première étude historique concernant la littérature de colportage. • Une profession qui évolue. Du XVIIe au XIXe siècle, les règlements de police, les patentes et la diffusion des ouvrages spécialement imprimés pour le colportage permettent de suivre l’évolution de cette corporation. Les petits colporteurs, souvent munis d’un certificat d’indigence qui les dispense du paiement de la patente, pratiquent leur activité aux alentours de leur domicile, vendant des almanachs et de la bimbeloterie de manière intermittente, en complément, par exemple, de travaux agricoles saisonniers. D’autres colporteurs, tout aussi pauvres et également pourvus d’un certificat d’indigence, parcourent la France en n’importe quelle saison : cette errance permanente leur permet de passer à travers les mailles de la police et du fisc. Au cours du XIXe siècle, le pouvoir considère avec méfiance le colportage des livres, alors qu’il encourage celui des produits manufacturés. Apparaissent, sous la Restauration, des chefs d’entreprise employant dix à douze vendeurs ambulants, chevronnés et solidaires, souvent issus des zones montagneuses trop peuplées, tels le massif de l’Oisans ou le haut Comminges. À partir du Second Empire, la vente ambulante bénéficie du progrès des postes et des chemins de fer : certains colporteurs, de mieux en mieux organisés et de plus en plus prospères, commencent à se spécialiser, à passer commande sur catalogues, et même à commercer dans des contrées lointaines (Claude Chouvin, colporteur-fleuriste dauphinois, vend des graines et des bulbes d’Europe en Amérique latine). Les colporteurs traditionnels disparaissent peu à peu, et sont remplacés par les commis voyageurs ou les représentants modernes. Le colportage a diffusé dans les campagnes les produits de la ville. Bien qu’accusé d’exploiter une clientèle naïve, il a contribué, indéniablement, à répandre la lecture et le goût des nouveautés dans la France rurale.
Il a donc été source de progrès, avant que le progrès ne le fasse disparaître. Combat, mouvement fondé en novembre 1941 par la fusion de deux groupes de la Résistance de la zone sud : le premier, animé par Henri Frenay et Berty Albrecht depuis l’été 1940 ; le second, d’inspiration démocratechrétienne, créé par François de Menthon, Pierre-Henri Teitgen et Alfred Coste-Floret. Après cette fusion, Combat s’impose comme le premier mouvement de la Résistance. Son organisation, qui s’étend sur toute la zone sud, repose sur deux noyaux : l’Action, qui dispose de groupes francs et prépare la levée d’une armée secrète ; le Renseignement-Organisation-Propagande, qui centralise les activités politiques et diffuse le journal Combat, tiré à 80 000 exemplaires en 1942. Peu à peu, les services se diversifient : noyautage des administrations (Claude Bourdet), faux papiers (André Bollier), maquis (Brault), action ouvrière (Marcel Degliame-Fouché). L’évolution politique de Combat est exemplaire. À l’origine, nombre de ses membres, tel Henri Frenay, tout en étant farouchement anti-allemands, témoignent quelque sympathie pour la « révolution nationale ». Mais le mouvement s’en démarque à la fin de 1941, avec l’accentuation par le régime de Vichy de la Collaboration et de la répression. Combat tend alors vers la définition d’un « socialisme humaniste » qui réconcilie socialisme et christianisme. En janvier 1943, Combat se fond dans les Mouvements unis de Résistance (MUR) avec Libération-Sud et Franc-Tireur. Un conflit éclate alors entre Jean Moulin, artisan d’une unification imposée par Londres, et Frenay, qui, tout en acceptant le principe d’une coordination de la Résistance, entend garder vis-à-vis du général de Gaulle une liberté politique. Combat, journal, d’abord clandestin, né du mouvement de résistance du même nom. Il ne prend ce titre qu’en décembre 1941, mais plusieurs publications, animées également par Henri Frenay et Berty Albrecht, l’ont précédé : le Mouvement de libération nationale - dont le premier bulletin est dactylographié à 18 exemplaires -, à Lyon, les Petites Ailes, Petites Ailes de la France, Vérités. À la fin de 1942, Combat est tiré à 80 000 exemplaires. À la Libération, il est l’un des quotidiens à fort tirage (plus de 150 000 exemplaires). Sous la houlette de Pascal Pia et d’Albert Camus de 1944 à 1947, il entend perpétuer l’esprit de la Résistance, s’insurge contre le retour en force des partis politiques ; son épigraphe « De la
Résistance à la révolution » traduit bien ses aspirations politiques. Ce journal d’opinion, qui accueille de nombreuses plumes talendownloadModeText.vue.download 209 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 198 tueuses - Jean-Paul Sartre, Raymond Aron -, accompagne l’ancrage difficile d’une IVe République en proie aux premiers soubresauts de la décolonisation, ce dont il rend courageusement compte. Entre la tentation gaulliste et le rêve d’un grand mouvement populaire de la gauche non communiste, le journal, qui, en 1947, est passé aux mains de Claude Bourdet, résistant de la première heure, et est partiellement financé par Henri Smadja, perd une partie de son lectorat. Après le départ de Bourdet en 1950, Louis Pauwels, Jean Fabiani, puis Philippe Tesson, sont les rédacteurs en chef d’un journal errant des causes perdues de l’OAS à l’exaltation de mai 68, et qui s’éteint finalement en 1974, après des années de précarité et de difficultés financières. Combes (Émile), homme politique (Roquecourbe, Tarn, 1835 - Pons, Charente-Maritime, 1921). Émile Combes fait, grâce à un oncle curé, ses études supérieures au séminaire ; ayant perdu la foi, il ne reçoit pas les ordres et devient médecin. Républicain et franc-maçon, il est élu conseiller municipal (1869), puis maire de Pons en 1874, conseiller général en 1879, sénateur enfin en 1885. Sous son impulsion, les sénateurs radicaux forment en 1891 le groupe de la « gauche démocratique ». Anticlérical et spiritualiste, il est ministre de l’Instruction publique et des Cultes dans le gouvernement Léon Bourgeois (novembre 1895-avril 1896). En juin 1902, recommandé par WaldeckRousseau au président de la République Émile Loubet, Combes forme son gouvernement, soutenu par le Bloc des gauches. Le « petit père Combes » applique avec intransigeance la loi de 1901 sur les associations en fermant 2 500 écoles religieuses, et fait voter la loi du 7 juillet 1904, qui interdit tout enseignement congréganiste. Cette politique de combat conduit, fin juillet, à la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Vatican, dont la suite logique sera, en décembre 1905, sous le ministère Rouvier, la loi de séparation des Églises et de l’État. En octobre, Combes est discrédité par l’affaire des Fiches (le général André, son ministre de la Guerre, ayant
rassemblé des renseignements fournis par la franc-maçonnerie sur les convictions politiques et religieuses des officiers). Éclaboussé par le scandale, Combes démissionne en janvier 1905. Il est devenu une figure légendaire de l’anticléricalisme républicain. Comédie-Française, troupe dramatique instituée en 1680, et, par métonymie, la salle Richelieu au Palais-Royal qui, depuis 1799, est son principal lieu d’exercice. Au milieu du XVIIe siècle, le paysage théâtral parisien compte (à l’exception des comédiens-italiens) trois troupes : les Comédiens du roi, installés à l’hôtel de Bourgogne, dans les anciens locaux des Confrères de la Passion ; la Troupe du roi, au Marais, héritière de comédiens ambulants arrivés de Rouen en 1629, avec Corneille dans leurs bagages ; et l’Illustre Théâtre de Molière, devenu « Troupe du roi au Palais-Royal » en 1665. À coups de débauchages d’auteurs et de comédiens, elles se disputent les faveurs des spectateurs, jusqu’à ce que la volonté centralisatrice de Louis XIV vienne y mettre bon ordre. • De la tutelle des politiques... Celleci s’exerça en deux temps : en mai 1673, quelques mois après la mort de Molière, ordre est donné à sa troupe de se fondre avec celle du Marais dans le nouveau théâtre de la rue Guénégaud ; sept ans plus tard, le 16 août 1680, du camp de Charleville, le roi exige la fusion de la troupe de l’hôtel de Bourgogne avec celle de l’hôtel de Guénégaud. Le 21 octobre, une lettre de cachet officialise la naissance de la Comédie-Française, « composée des acteurs et actrices dont la liste sera arrêtée par sa majesté » : vingt-sept comédiens sont ainsi regroupés autour de La Grange, premier « doyen » de la Compagnie. En échange du monopole - « défense [est faite] à tous les autres comédiens français de s’établir dans la ville et faubourgs de Paris » - et des pensions, le pouvoir impose à la troupe de jouer tous les jours, exerce un contrôle sur le répertoire et les distributions via l’intendant des menus plaisirs ou la dauphine. Au fil des décrets et des textes réglementaires, au gré des déménagements, en fonction de la personnalité des comédiens, une véritable microsociété s’organise, reflet des soubresauts de l’histoire. Ainsi, la tourmente révolutionnaire, qui supprime les pensions et autorise la multiplication des scènes, fait-elle éclater la troupe, traversée par les oppositions politiques. Reformée en 1799 (ses membres signent un acte de société le 17 avril 1804), elle retrouve sous l’Empire un quasi-monopole, que le décret de Mos-
cou (15 octobre 1812) vient confirmer : les sociétaires deviennent les « comédiens ordinaires de l’Empereur ». Détentrice du répertoire classique - qu’incarne Talma et que fera renaître Rachel -, la salle Richelieu laisse échapper, malgré quelques mémorables soirées (telle la première d’Hernani, le 25 février 1830), nombre de créations romantiques au profit d’autres scènes ; le public, comme le rappelle Musset en 1840, semble bouder les lieux : « J’étais seul l’autre soir au ThéâtreFrançais. [...] L’auteur n’avait pas grand succès. Ce n’était que Molière. » • ...à la politique des administrateurs. Pourtant, les dangers qui menacent cette société théâtrale viennent moins de l’extérieur que de l’intérieur, en particulier des rivalités entre comédiens et des congés que s’accordent les plus en vue pour monnayer leur talent sur les scènes du boulevard. Afin de la stabiliser, Louis Napoléon institue par décret le poste d’administrateur (27 avril 1850). Nommé par le ministre de l’Intérieur (manière de rappeler le poids de la tutelle), venant de l’extérieur ou promu du sérail, s’appuyant sur le conseil d’administration de six sociétaires élus, il dispose de l’autorité nécessaire à l’élaboration d’une véritable politique de recrutement de nouveaux pensionnaires (étape obligée avant l’accession au sociétariat) et d’ouverture du répertoire (grâce au comité de lecture). Ainsi, d’Arsène Houssaye à Marcel Bozonnet, la Comédie-Française, sans renier son rôle de conservateur du patrimoine dramatique (qu’elle assume également par ses tournées régulières à l’étranger), s’est-elle ouverte aux oeuvres de son temps et aux mises en scène les plus modernes. Et, transformée depuis le décret du 5 mars 1995 en établissement public national à caractère industriel et commercial, elle peut désormais s’associer et exploiter ses diverses activités (location de costumes, enregistrements de spectacles, etc.) de manière à grossir des fonds qui, quelle que soit la hauteur de la subvention de l’État-mécène, s’avèrent toujours insuffisants pour que la « maison de Molière » demeure fidèle à la mission que lui assignait Louis XIV : « Rendre les comédies [i.e. les spectacles] plus parfaites par le moyen des acteurs et des actrices. » comité autrichien, groupe de pression, à la fois mythique et réel, soupçonné de conduire secrètement la politique de la France sous le règne de Louis XVI. Dès avant la Révolution, l’idée qu’il existe un comité secret, au service de l’Autriche et
dominant le roi, prend sa source dans le renversement des alliances de 1756 - la France s’engageant aux côtés de l’Autriche dans la désastreuse guerre de Sept Ans - et le mariage, en 1770, du futur Louis XVI avec Marie-Antoinette ; une union avec l’ennemi héréditaire qui est considérée par certains membres de la cour et une partie de l’opinion publique comme choquante et contraire aux intérêts français. En butte aux coteries de Versailles et suspectée de servir l’Autriche, Marie-Antoinette fait l’objet d’une campagne de dénigrement continue ; ses maladresses et sa prodigalité, mais aussi l’apparente faiblesse de Louis XVI et les pressions de la cour de Vienne alimentant une légende noire, reprise sous la Révolution. Nommée « l’Autrichienne » dès les années 1770, la reine est accusée, en 1790, d’être au coeur d’un comité secret, partisan de la monarchie absolue et pactisant avec les puissances étrangères. De fait, prônant d’emblée l’intransigeance, la reine, qui correspond avec l’ambassadeur d’Autriche à Paris MercyArgenteau, prend des contacts, dès l’automne 1790, avec son frère l’empereur d’Autriche, et avec les cours européennes. Elle leur demande d’intimider les révolutionnaires, puis d’intervenir après l’arrestation du roi (qu’elle a incité à fuir) à Varennes. Lors de la déclaration de guerre à l’Autriche (avril 1792), elle se rend coupable de trahison en fournissant les plans de Dumouriez à Vienne ; enfin, elle demande et obtient la rédaction du manifeste de Brunswick (juillet 1792), qui menace Paris de représailles s’il est porté atteinte à la famille royale. Alors que depuis l’hiver 1791 l’opinion est agitée par la peur d’une contre-révolution armée, les patriotes reprennent en 1792 l’antienne du comité autrichien. En mai, les girondins dénoncent violemment dans la presse et à l’Assemblée nationale ce comité, formé selon eux du comte de Montmorin (ministre des Affaires étrangères de 1787 à 1791) et de Bertrand de Molleville (ministre de la Marine de 1791 à 1792). Ils le rendent responsable de toutes les manoeuvres contre-révolutionnaires. Après la chute de la monarchie, la reine sera accusée, lors de son procès, d’avoir été la principale instigatrice des crimes commis par le roi contre le peuple pour le plus grand profit de l’Autriche. downloadModeText.vue.download 210 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 199
Comité de salut public, organe créé par la Convention nationale les 5 et 6 avril 1793. Après la chute du roi (10 août 1792), l’exécutif est assuré par un Conseil provisoire formé de ministres nommés par la Convention hors de son sein. En outre, le 1er janvier 1793, cette dernière institue un Comité de défense générale, composé de députés. La France est alors en guerre contre la plupart des États européens, et ses revers militaires s’aggravent ; ni le Conseil exécutif provisoire ni le Comité de défense générale, tous deux dominés par les girondins, ne parviennent à redresser la situation. L’insurrection vendéenne, les défaites militaires en Hollande et en Belgique, la trahison de Dumouriez le 5 avril 1793, poussent la Convention à remplacer le Comité de défense générale par une nouvelle instance : le Comité de salut public. « C’est par la violence qu’on doit établir la liberté, et le moment est venu d’organiser momentanément le despotisme de la liberté, pour écraser le despotisme des rois », assure Marat à la Convention, en réponse aux girondins qui s’opposent, en vain, à la création d’une telle institution. Le Comité de salut public est formé de neuf députés élus par la Convention, et renouvelables tous les mois. Il est autorisé à surveiller l’action du Conseil exécutif provisoire, qui doit appliquer « sans délai » ses arrêtés. Barère, Cambon, Danton, font partie des premiers élus, qui se réunissent deux fois par jour au Pavillon de flore du Louvre. • Le Grand Comité. Plusieurs fois réorganisé et remanié (Saint-Just et Couthon y entrent le 30 mai 1793), divisé en six sections après la chute des girondins (2 juin 1793), le Comité ne parvient pas pour autant à faire face aux crises militaire - invasion étrangère -, politique - mouvement fédéraliste -, économique et sociale - dépréciation de l’assignat, crise des subsistances - de l’été 1793. Aussi, la Convention décide-t-elle de le renouveler : l’éviction de Danton, le 10 juillet, marque le début de la formation du Grand Comité de l’an II. Saint-Just, Couthon, Barère, Jeanbon Saint-André, Hérault de Séchelles, Prieur de la Marne et Lindet y sont élus dès le 10 juillet, puis Robespierre le 27 juillet, Carnot et Prieur de la Côte-d’Or le 14 août, Billaud-Varenne et Collot d’Herbois le 6 septembre. Ces douze hommes théorisent et organisent le système de l’an II. Le 10 octobre 1793, la Convention décrète, en effet, que le gouvernement est « révolutionnaire jusqu’à la paix », et renforce les pouvoirs du Comité, qui coordonne
la politique révolutionnaire. Le décret du 14 frimaire an II (4 décembre 1793) précise le fonctionnement du gouvernement révolutionnaire : contrairement à ce qui est parfois affirmé, ce n’est pas le Comité de salut public qui détient le pouvoir, mais - selon le principe de la « centralité législative » (BillaudVarenne) - la Convention, « centre unique de l’impulsion du gouvernement », à laquelle les membres du Comité, personnellement responsables, doivent rendre des comptes tous les mois. Le Comité n’est donc pas un organe de gouvernement indépendant de la Convention, mais son champ de compétences n’en est pas moins très large : guerre, diplomatie, contrôle des représentants en mission, des ministres, des généraux, des autorités constituées. Pièce maîtresse du gouvernement révolutionnaire, il joue un rôle fondamental en l’an II. Après le 9 Thermidor, toutefois, ses attributions sont restreintes : il conserve la guerre et la diplomatie, mais la « surveillance des administrations civiles » est confiée au Comité de législation. Cependant, ses fonctions et son prestige restent importants, et ses membres, renouvelables désormais par quart tous les mois, comptent des députés de renom, tels Boissy d’Anglas, Cambacérès ou Sieyès, jusqu’à sa dissolution, qui intervient le même jour que celle de la Convention, le 4 brumaire an IV (26 octobre 1795). Comité de sûreté générale, organe de la Convention chargé de la « police politique » de 1792 à 1795. Appelé de « sûreté générale » après le 10 août 1792, il est institué définitivement par une loi d’octobre 1792 et succède en fait au Comité de surveillance créé par l’Assemblée législative le 25 novembre 1791 et destiné à contrer les tentatives contrerévolutionnaires. • Organisation et attributions du Comité. Le Comité de sûreté générale est composé de députés qui, sous le gouvernement révolutionnaire, sont, comme les membres du Comité de salut public, élus (ou réélus) tous les mois par la Convention, devant laquelle ils sont responsables. D’octobre 1792 à octobre 1795, leur nombre varie de 30 à 12. Majoritairement montagnards en 1792, puis girondins en janvier 1793, ils sont pendant l’an II tous montagnards : figurent alors parmi eux Amar, le peintre David, Lebas, Rühl, Vadier, etc. Le fonctionnement du Comité est réorganisé à plusieurs reprises, mais, dans les grandes lignes, ses attributions - police et sur-
veillance - ne changent guère de 1792 à 1795 : il doit veiller à la sûreté de la République et des personnes, assure des missions de contreespionnage, de recherche et de surveillance des suspects, d’exécution de la justice révolutionnaire. Les comités révolutionnaires (ou de surveillance) des communes ou des sections de commune doivent lui signaler les suspects et lui rendre compte de leurs arrestations. Le Comité de sûreté générale procède à des interrogatoires et à des perquisitions ; il décide des mises en liberté ou des envois devant le Tribunal révolutionnaire. Dans leur travail de surveillance, les députés du Comité sont aidés par des employés dont le nombre ne cesse de croître : 92 fin 1793, 122 en avril 1794, 162 en juillet 1794. Parmi ces agents, on peut citer Stanislas Maillard, dit Tape-Dur, un des vainqueurs de la Bastille, présent lors de toutes les journées révolutionnaires. En août 1793, il est chargé d’organiser une police populaire à Paris, où il dirige 68 « observateurs » ayant pour mission « de découvrir et de déjouer les manoeuvres des personnes suspectes et étrangères qui travaillent sourdement à troubler l’ordre et la tranquillité publique ». • Sûreté générale et salut public. Seul comité de la Convention à jouir d’une certaine autonomie par rapport au Comité de salut public, le Comité de sûreté générale est l’un des rouages du gouvernement révolutionnaire en l’an II. Ses membres sont parfois chargés de présenter des rapports importants aux députés, par exemple quant à l’interdiction des clubs de femmes et à l’exclusion de cellesci des droits politiques, ou sur l’affaire de la Compagnie des Indes. Et plusieurs des grands discours révolutionnaires de l’an II sont prononcés au nom des deux Comités réunis. On a souvent souligné les rivalités entre les deux Comités, présentées comme un des facteurs ayant entraîné la journée du 9 thermidor an II : la création d’un Bureau de police générale du Comité de salut public, la loi du 22 prairial (10 juin 1794) relative au renforcement de la justice révolutionnaire, indisposent le Comité de sûreté générale, mis à l’écart. Les allusions à Robespierre (nouveau « Messie ») qui émaillent le rapport sur l’affaire Catherine Théot, prononcé le 27 prairial par Vadier au nom du Comité de sûreté, accroissent les tensions. Sans nier ce conflit et son rôle dans la crise de Thermidor, les historiens tendent aujourd’hui à le relativiser et, surtout, cherchent à l’étudier « en termes plus politiques de divergences au sein même du groupe montagnard » (Françoise Brunel). En
effet, les députés qui dénoncent Robespierre le 9 thermidor appartiennent aux deux Comités - ce qui illustre la complexité de l’événement, dont la rivalité entre les deux institutions n’est qu’un des éléments. Après la chute de Robespierre, les fonctions du Comité de sûreté ne changent pas, mais il est peu à peu entièrement renouvelé, ses anciens membres étant proscrits, emprisonnés ou condamnés à mort. Il est alors composé de députés « thermidoriens », qui s’illustrent par une politique hostile à l’an II. Il est supprimé avec la Convention (26 octobre 1795). Comité des forges, organisation patronale créée en 1864 par les maîtres de forges. Au début des années 1860, la modernisation de la métallurgie française, et une tolérance nouvelle du gouvernement à l’égard des coalitions professionnelles, toujours interdites, permettent la naissance du Comité des forges. Cet organisme veut faciliter les ventes à l’étranger et harmoniser les prix. Avec la loi Waldeck-Rousseau en 1884, le Comité des forges, désormais légal, se dote de statuts. Reste l’essentiel : traitant avec les pouvoirs publics, il représente un groupe de pression important, capable de nouer des liens entre industriels et droite parlementaire. Son premier président, Eugène Schneider, directeur des usines du Creusot, ex-ministre de l’Agriculture et du Commerce, est député de Saôneet-Loire. De 1890 à 1898, c’est le baron Reille, ancien sous-secrétaire d’État, député conservateur du Tarn, qui préside le Comité. L’entrée dans le XXe siècle marque un tournant. En 1901, le Comité des forges participe à la création d’un nouveau groupement : l’Union des industries métallurgiques et minières (UIMM). En 1904, les mêmes hommes figurent à la tête des deux organismes : Antoine Guillain, directeur de la compagnie Thomson, député du Nord jusqu’en 1910, ancien ministre des Colonies, cumule les fonctions de président du Comité des forges et de président de l’UIMM ; Robert downloadModeText.vue.download 211 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 200 Pinot, déjà délégué de l’UIMM, est nommé secrétaire général du Comité des forges. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, alors que l’UIMM négocie avec les syndicats ouvriers (accords de 1919 avec la CGT sur la
journée de huit heures), le Comité des forges poursuit son propre parcours. Au cours des années vingt, François de Wendel, élu député pour la première fois en 1914, en est la figure ascendante. En 1925, le Comité regroupe 260 entreprises adhérentes. Réunissant les industriels les plus importants du pays, disposant de sommes considérables, bénéficiant de relations dans nombre de milieux dirigeants, il constitue alors « l’organisme syndical le plus puissant de France » (Jean-Noël Jeanneney), « le premier grand cartel français » (Alain Plessis). Ses adversaires, qui l’accusent de former un État dans l’État, en donnent souvent une image mythique : celle d’une organisation aux moyens illimités tenant entre ses mains les gouvernements de la République. Le Comité des forges, supprimé - comme tous les syndicats - en 1940 par le gouvernement de Vichy, est remplacé par un Comité d’organisation de la sidérurgie. Comité français de libération nationale (CFLN), comité fondé à Alger, le 3 juin 1943, par la fusion de l’administration giraudiste, mise en place après le débarquement allié en Afrique du Nord, et de la France libre. L’unification de la Résistance extérieure repose sur un compromis : de Gaulle et Giraud se partagent la coprésidence et leurs forces armées ne sont pas regroupées. Très vite, de Gaulle parvient à imposer son autorité. Dès le mois d’août 1943, Giraud doit se contenter de l’autorité militaire unifiée et, en novembre, il abandonne la coprésidence. Le CFLN assure le triomphe des conceptions gaulliennes. Bien que ne possédant pas le statut de gouvernement provisoire, il se comporte comme tel et prépare la prise du pouvoir pour l’heure de la libération tout en réfléchissant à l’avenir du pays. Par le contrôle de l’empire et l’envoi, sous les ordres de Juin, d’un corps expéditionnaire en Italie, il encourage la renaissance de l’État et de l’armée, et permet la réunion, en novembre 1943, d’une Assemblée consultative provisoire. Le CFLN renforce l’autorité de de Gaulle sur la Résistance, réunissant autour de celui-ci un large éventail politique allant de la droite libérale au Parti communiste : Queuille, Monnet, Mendès France, Grenier. Pourtant, les Américains refusent de reconnaître la légitimité du Comité et se préparent à placer la France sous administration militaire. Aussi, le 3 juin 1944, le CFLN se transforme-t-il en un Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), qui prend le pouvoir à l’été 1944 et se maintient jusqu’à l’instauration de la IVe République.
commerce triangulaire, trafic transocéanique fondé sur la traite des Noirs, et pratiqué entre l’Europe, les côtes occidentales de l’Afrique et les Antilles. Le commerce triangulaire est lié à l’essor de l’économie de plantation dans les colonies antillaises, à partir de 1680, et aux besoins croissants en main-d’oeuvre servile. Quittant la France, les navires négriers emportent vers les côtes africaines du Sénégal et de Guinée des vins et, surtout, des produits manufacturés (armes, tissus, verroterie, quincaillerie) qui seront troqués contre des « pièces d’Inde » (« assortiments » d’esclaves). Après quarante à soixante jours de traversée particulièrement mortifère (au moins 12 à 15 % de « pertes »), la « cargaison » de « bois d’ébène » est débarquée à Saint-Domingue, à la Guadeloupe ou à la Martinique. En échange, les négriers repartent vers la France avec du sucre, du café, de l’indigo. 80 % de ces produits tropicaux seront réexportés dans l’Europe entière. La métropole réalise ainsi des profits substantiels sans débourser de devises, et veille jalousement à conserver le monopole du commerce avec ses colonies. Mais ce trafic s’accompagne aussi d’échanges directs entre les Antilles et la France, car la contenance des navires de traite (entre 150 et 200 tonneaux) est insuffisante : une « cargaison » négrière correspond à plusieurs chargements de produits coloniaux. D’autre part, le régime de l’exclusif est sans cesse enfreint par une contrebande active, de sorte que le commerce triangulaire ne constitue que la partie visible de flux multiples. La traite atteint son plus haut niveau à la fin du XVIIIe siècle, avec 30 000 esclaves par an, et le commerce colonial français, tous flux confondus, décuple en valeur entre 1720 et 1780. Le sucre et le café représentent alors, respectivement, 70 % et 27 % du volume des marchandises en provenance des Antilles, essentiellement de Saint-Domingue, qui absorbe plus de 97 % des esclaves. En métropole, les profits - élevés - de ce commerce, sont de trois ordres : les armateurs, les assureurs et leurs actionnaires bénéficient du fret ; l’industrie écoule ses marchandises à l’exportation ; les négociants redistribuent les produits coloniaux importés à travers l’Europe entière. Ce sont les grands ports de la façade atlantique qui en touchent les dividendes : Nantes (43 % du total des départs au
XVIIIe siècle), puis La Rochelle (12,7 %), Bordeaux (12 %) et Le Havre (12 %). Cependant, en 1815, le commerce triangulaire est remis en cause, avec l’interdiction de la traite des Noirs par le traité de Paris. Même si le trafic négrier continue de façon clandestine jusqu’à l’abolition de l’esclavage en 1848, le commerce colonial, au XIXe siècle, s’effectue désormais en droite ligne. commission royale, pouvoir temporaire d’exercer une charge, sous l’Ancien Régime. La nomination de commissaires en tant qu’envoyés extraordinaires répond à la nécessité dans laquelle se trouve souvent le roi de passer par-dessus une administration ordinaire, composée d’officiers propriétaires de leur charge, qui lui obéit mal, avec lenteur ou réticence. Au XVIIe siècle, les lettres de commission se multiplient. Elles définissent généralement des missions ponctuelles, mais qui peuvent être spectaculaires, visant à marquer la présence du roi en tous lieux et dans tous domaines : rédaction des coutumes locales ; surveillance de l’application de décisions royales controversées ; tribunaux extraordinaires établis pour juger de cas spéciaux ayant trait aux Finances (les chambres de justice) ou aux turbulences nobiliaires (les Grands Jours). Par ailleurs, certaines fonctions n’existent que sous la forme de commissions : contrôleur général des finances, lieutenant général de police. Mais le vocabulaire peut être trompeur : en dépit de leur nom, les commissaires de police, tout comme les commissaires des guerres, sont des officiers. Pour mener à bien les tâches d’autorité assignées par commission, le roi doit faire appel au personnel administratif disponible : tous les commissaires sont recrutés parmi les officiers - membres des cours souveraines (pour les tribunaux spéciaux), officiers des finances, ou maîtres des requêtes. Nommés par le roi, payés par lui, révocables à tout moment, ils sont tiraillés entre leur milieu, leur statut d’origine et leur mission extraordinaire qui les place au-dessus des autres officiers. Mais le loyalisme monarchique l’emporte le plus souvent. Parallèlement aux commissions ponctuelles, la monarchie met en place, à partir de 1630, des commissaires chargés d’une mission de plus en plus étendue : les intendants de justice, de police et des finances, ou com-
missaires départis du Conseil, deviennent, sous le règne de Louis XIV, les principaux représentants du pouvoir central dans les provinces. On emploie aussi l’expression de « commission extraordinaire » pour désigner les bureaux du Conseil royal chargés de juger rapidement certaines affaires d’aliénation de droits, de liquidation de dettes, etc. Il en va ainsi de la commission des réguliers de 1766, destinée à combattre les abus dans les ordres religieux. communal (mouvement), évolution historique à l’issue de laquelle certaines villes du royaume de France accèdent, aux XIe et XIIe siècles, à l’autonomie politique. Le mouvement d’émancipation urbaine est une forme particulière de la normalisation et de la mise par écrit des droits seigneuriaux (vers 1050-vers 1150) par l’octroi de chartes de franchises. C’est à l’issue d’une conjuration (au sens propre, un serment collectif) que les bourgeois, prenant souvent appui sur des sociabilités antérieures (confréries, guildes des marchands), confèrent aux villes une personnalité juridique et politique. Celle-ci est consacrée par une charte de commune, qui fixe le partage des pouvoirs entre le corps de ville et les seigneurs, et ce, dans un idéal de concorde qui rapproche le mouvement communal du mouvement de paix. La conquête de l’autonomie urbaine s’effectue parfois au prix d’une véritable insurrection (c’est le cas au Mans en 1070, à Cambrai en 1076, à Laon en 1112). Mais, le plus souvent, c’est à la faveur d’un compromis que les communautés urbaines obtiennent leurs privilèges. Tout est affaire de rapport de force : certains privilèges sont achetés au seigneur, d’autres lui sont arrachés. Et il est vrai que les seigneurs ecclésiastiques (qui condamnent le serment des laïcs) sont plus fréquemment hostiles à l’idée de commune, ce « mot noudownloadModeText.vue.download 212 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 201 veau et détestable » comme l’écrivait Guibert de Nogent au début du XIe siècle. Même si toutes les villes du royaume de France ne deviennent pas des communes (dans le Midi, la diffusion des consulats offre un autre modèle, collégial, de gouvernement urbain), le mou-
vement communal est globalement encouragé par les rois de France, surtout depuis le règne de Louis VI. Et, dans la seconde moitié du XIIe siècle, au moment où s’achève le mouvement communal, on ne le considère plus comme une transgression de l’ordre féodal. Pourtant, le mouvement communal a pris dans la mémoire nationale un sens plus dramatique : au début du XIXe siècle, Augustin Thierry voyait dans la « révolution communale » du Moyen Âge l’acte de naissance de la bourgeoisie et des libertés publiques ; et, en 1871, la Commune de Paris se réfère à nouveau à ce passé mythique où le peuple des villes avait secoué le joug de ses maîtres. Libéraux et socialistes du siècle dernier partageaient une même conception de la commune médiévale : celle d’une démocratie urbaine arrachée à la féodalité. On sait aujourd’hui qu’il n’en est rien, et que le mouvement communal, loin d’être une rupture avec le système féodal, constitue le mode d’intégration des villes dans celui-ci. Communauté, groupement d’États formé, de la fin 1958 à 1960, par la République française et douze Républiques africaines et malgache, États autonomes auparavant territoires d’outre-mer (TOM). Conformément au voeu du général de Gaulle de définir de nouveaux rapports entre la métropole et les territoires d’outre-mer, la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit dans ses titres XII et XIII la mise en place d’une Communauté dotée de quatre institutions centrales. La présidence est exercée par le président de la République française. Un Conseil exécutif est institué, organe de coordination composé des chefs de gouvernement des États membres, du Premier ministre de la République française, des ministres français chargés des affaires communes et des « ministres conseillers de la Communauté » (qui ne sont pas membres du gouvernement français). Ses attributions devaient être précisées par une loi organique, mais celle-ci ne fut jamais votée. Le Sénat de la Communauté est l’organe législatif, composé de délégués du Parlement français et des Parlements des États membres. Enfin, la Communauté est dotée d’un organe judiciaire, la Cour arbitrale. Les territoires d’outre-mer peuvent, sur un vote de leurs assemblées, choisir le statut d’État de la Communauté. Ils sont alors pleinement autonomes, les relations extérieures, la défense, la monnaie, la justice et l’enseignement supérieur demeurant du ressort de la
Communauté. Sept territoires de l’A-OF, les quatre territoires de l’A-ÉF ainsi que Madagascar optent pour ce statut. La Guinée, en revanche, qui a massivement voté « non » au référendum du 28 septembre 1958, accède aussitôt à l’indépendance. Cinq territoires dispersés (Comores, Côte française des Somalis, Nouvelle-Calédonie, Polynésie, Saint-Pierreet-Miquelon) choisissent de demeurer sous le régime de TOM. À la différence du Commonwealth britannique, club de nations indépendantes, la Communauté est un ensemble de type fédéral ; mais les rapports entre États sont inégaux puisque les compétences relevant de la Communauté sont exercées par la République française. Son existence sera éphémère : de Gaulle la considère comme une formule transitoire et les dirigeants africains n’y voient qu’une antichambre de l’indépendance. Mises en place au début de l’année 1959, les institutions n’auront guère le temps de fonctionner : seul le Conseil exécutif tient sept sessions jusqu’à mars 1960. Le Sénat ne se réunit que deux fois, la Cour de justice, pas une seule. Dès le printemps 1959, trois Républiques se dotent d’un président, ce qu’interdit en principe leur statut d’État autonome. À partir de septembre, elles sont plusieurs à solliciter le transfert des compétences relevant de la Communauté, c’est-à-dire l’indépendance. Une loi constitutionnelle votée le 4 juin 1960 leur permet d’accéder à la souveraineté internationale sans cesser théoriquement d’appartenir à la Communauté. Les douze Républiques africaines et malgache deviennent indépendantes entre juin et novembre 1960. À la fin de l’année 1960, la Communauté est caduque. commune, la plus petite circonscription administrative en France. Après la révocation de la plupart des chartes communales du Moyen Âge, la commune, sous l’Ancien Régime, a perdu tout pouvoir politique, et le terme désigne un mode d’administration municipale qui obéit à un ensemble de règles locales autonomes, définies comme privilèges. À la fin du XVIIIe siècle, l’expression même de commune a fait place à celle de communauté (qui désigne l’ensemble des personnes et des biens d’un territoire, le plus souvent rassemblés dans les limites d’une même paroisse). Les Français sont regroupés en 44 000 unités de peuplement aux noms et aux statuts aussi divers que ville, bourg, village et communauté. La révolution de 1789 met fin à cette diversité. Partout, la commune est à la fois la division territoriale qui
rassemble les habitants d’un même lieu et la forme d’administration et de pouvoir local qui lie ces citoyens à leur représentation municipale, selon le principe, énoncé plus tard par Félicité de Lamennais, que « la commune n’est autre que l’État en petit ». • De la Révolution à la IIIe République. Depuis deux siècles, la loi recouvre cette double acception : on légifère sur le cadre administratif et territorial comme sur les organes et les règles de fonctionnement politique, social et économique de la communauté, laquelle est progressivement désignée comme « collectivité locale ». Sous la Révolution, les lois de décembre 1789 et de janvier 1790 instaurent la division territoriale de la France en départements, districts et communes ou municipalités. Les communes, dont les limites territoriales recoupent le plus souvent celles des communautés d’Ancien Régime, sont soumises au contrôle du pouvoir central. Celui-ci exerce, par l’intermédiaire du département, son autorité de tutelle sur toutes les décisions municipales et son pouvoir hiérarchique par la délégation des principales fonctions exercées. L’administration communale est confiée à un « corps municipal dont le chef portera le nom de maire » (loi du 14 décembre 1789). Ce corps est élu, pour la première fois, en février 1790 parmi les « citoyens actifs » qui paient un impôt égal à dix jours de travail d’un ouvrier non qualifié. Sous le Consulat et l’Empire, le statut de la commune et ses principes d’administration ne subissent d’autre modification que celle d’un renforcement du contrôle central exercé au niveau du département : le maire des communes de moins de 5 000 habitants est désormais nommé par le préfet. C’est sous la monarchie constitutionnelle que sont introduites les principales innovations : la loi de mars 1831 instaure l’élection, au suffrage censitaire élargi, des conseillers municipaux, parmi lesquels le pouvoir central choisit le maire. Après avoir été longtemps minimisée par les historiens, cette loi est interprétée par Philippe Vigier comme un palier important de la politisation villageoise. Le pouvoir des assemblées municipales et la marge d’action du maire sont renforcés par la loi de juillet 1837. En 1848, alors que la Commune insurrectionnelle de Paris de 1792 est célébrée par les révolutionnaires, tel Sobrier dans son journal la Commune de Paris, la IIe République institue le suffrage universel. Si le gouvernement continue de désigner les maires des villes de plus de 6 000 habitants, ceux des petites communes sont élus par les conseillers municipaux, eux-mêmes
issus du suffrage universel. Mais, sous la présidence de Louis Napoléon Bonaparte et le Second Empire, la vie municipale est de nouveau plus étroitement contrôlée - le chef de l’État nomme les maires et les adjoints - et les « décrets de décentralisation » de 1852 et de 1861 ne profitent qu’à l’administration départementale. Le traumatisme provoqué par la Commune de Paris de 1871 et le spectre de la propagation d’une insurrection parisienne provoquent ce que l’historienne Jocelyne George nomme « l’ordre moral municipal », illustré par la loi de janvier 1874, qui redonne au pouvoir central le droit de nommer les maires, même si ceux-ci ne font pas partie, initialement, des conseils municipaux. • La République dans les communes. C’est de 1884 (loi du 5 avril) que datent les fondements de la pratique municipale contemporaine (un temps suspendus sous le régime de Vichy par les lois de novembre 1940) : à l’exception des grandes villes comme Paris (jusqu’en 1977), le maire est élu par le conseil municipal, dont les débats sont publics et qui a pouvoir de « régler par ses délibérations les affaires de la commune ». Les réformes administratives et électorales de la Ve République en 1964, en 1971 et, surtout, en 1982 (qui transfèrent de larges compétences aux municipalités) montrent que, au terme de deux siècles d’une politique conçue comme centralisatrice, la commune est au centre du débat sur l’organisation du territoire et le partage des pouvoirs. Au début des années 1980, la France compte environ 36 000 communes, dont près de 90 % sont des villages de moins de 2 000 habitants et 2 %, des villes qui rassemblent la moitié de la population du downloadModeText.vue.download 213 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 202 pays. Ce nombre et cette diversité statistique expliquent à la fois l’importance de la commune comme enjeu politique national et la quête d’une nouvelle légitimité pour cet instrument d’encadrement de la vie collective locale. l COMMUNE. Le 18 mars 1871, Paris s’insurge contre les militaires envoyés par le gouvernement, qui siège à Versailles, pour saisir les canons de la Garde nationale.
Six mois plus tôt, la France, battue à Sedan par la Prusse, est passée du Second Empire à la République. Les Parisiens, qui ont enduré un long siège, n’acceptent pas les décisions d’une Assemblée nationale rurale, monarchiste et « capitularde ». Un nouveau siège commence : celui de la Commune par les « versaillais », qui se clôt par une répression atroce au terme de la « semaine sanglante » (21-28 mai). L’épisode révolutionnaire parisien aura duré soixante-douze jours. Son isolement l’a condamné à l’échec. Mais l’événement, relu par les divers mouvements révolutionnaires, a conservé une acuité particulière dans la mémoire du mouvement ouvrier. UNE RÉFÉRENCE MYTHIQUE Dans la mémoire collective du peuple de Paris et des militants socialistes, la Commune possède une dimension symbolique et mythique. Elle le doit tout d’abord à une répression atroce, sans précédent dans l’histoire de la capitale, qui marqua les contemporains. Les survivants, aspirant à la revanche, ont conservé le souvenir du sacrifice des martyrs de la révolution communale. Un rituel a structuré cette mémoire collective avec la célébration de l’anniversaire de la Commune sur ses hauts lieux (le mur des Fédérés). Elle le doit aussi au fait que les deux grandes tendances de la Ire Internationale ouvrière - le marxisme et l’anarchisme - ont revendiqué son héritage. Dans la Guerre civile en France, écrite dès 1871, Karl Marx considère la Commune comme étant l’aube d’un temps nouveau dans l’histoire du mouvement ouvrier, car l’appareil d’État a été brisé et un gouvernement ouvrier, qui entend, selon lui, abolir la propriété de classe, a été instauré. Bakounine et les anarchistes, en revanche, tirent une leçon inverse en mettant l’accent sur la révolte contre l’autorité, la suppression du pouvoir d’État et l’instauration d’un fédéralisme d’inspiration proudhonienne. La querelle idéologique a nui à l’histoire de la Commune et conduit à sa déformation. La vision marxiste l’a emporté dans l’historiographie à cause de la révolution russe de 1917. Les militants bolcheviques, victorieux, n’ont-ils pas le sentiment de venger les fédérés ? « 17 renverse 71 », note André Breton. En outre, Lénine reprend à son compte l’analyse marxiste dans l’État et la Révolution en imputant l’échec de la Commune à l’insuffisant développement du capitalisme français et à l’inexistence d’un parti ouvrier porteur d’une unité idéologique. La célébration du centenaire de la Commune a donné matière à une abondante production
historique qui a permis de remettre en cause un certain nombre d’analyses tributaires d’apriori idéologiques. LES CAUSES DE LA COMMUNE La Commune plonge ses racines dans la montée d’un mouvement de contestation politique et sociale né à la fin du Second Empire. Une opposition révolutionnaire se manifeste en effet à Paris lors des réunions publiques autorisées depuis 1868, où la libération de la parole annonce la vague des clubs communards. Le parti républicain refait alors surface dans certaines villes de province et à Paris : c’est un parti radicalisé autour du programme de Belleville (1869), de Gambetta, partiellement repris ultérieurement par la Commune. L’idée républicaine se nourrit du culte de la Grande Révolution - de 1792 et 1793 plus que de 1789 - marqué par une double tradition : les néo-jacobins ou néo-robespierristes (tel Charles Delescluze) se distinguent d’un courant néo-hébertiste, animé par les blanquistes (tels Gustave Tridon ou Raoul Rigault), admirateurs du contre-pouvoir populaire qu’avait exercé la première Commune de Paris. La multiplication des publications historiques relatives à la Révolution française contribue à entretenir un souvenir obsédant qui devait conduire les communards à un mimétisme jugé stérile par certains historiens. La contestation à la fin du Second Empire est également sociale. Le mouvement ouvrier a repris vigueur et l’on assiste à une floraison d’associations - coopératives, sociétés de secours mutuel, chambres syndicales [--], qui sont des centres d’action des sections françaises de la Ire Internationale (fondée à Londres en 1864). Leur essor s’accompagne d’une multiplication de grèves à Paris et en province en 1869 et 1870. Aussi, les conservateurs de 1871 verront-ils dans l’Internationale la cause principale de la Commune. En réalité, les travaux des historiens ont démontré que l’implantation de l’Internationale était le plus souvent la conséquence que la cause des grèves. En outre, en 1870, la répression sous l’Empire avait considérablement affaibli cette organisation, et les internationalistes étaient influencés majoritairement par les idées de Proudhon : ils accordaient la priorité à la mise sur pied d’une organisation ouvrière et se montraient hostiles à tout aventurisme insurrectionnel. La situation sociale à Paris est explosive dans les années 1860-1870. La ville est en
effet en pleine mutation en raison de la poursuite de l’exode rural - « classes laborieuses et classes dangereuses » s’y entassent - et de la politique du baron Haussmann, qui aboutit à une ségrégation géographique. Victimes de la hausse des loyers, les ouvriers sont refoulés du centre vers la périphérie ; c’est pourquoi la Commune a pu être interprétée comme la reconquête du centre-ville par le Paris ouvrier. De surcroît, des métropoles telles que Paris, Lyon et Marseille, privées de tous droits municipaux depuis 1851, supportent de moins en moins la tutelle des pouvoirs publics. Peu après la proclamation de la République (4 septembre 1870), la poussée révolutionnaire se traduit par la formation du comité central des vingt arrondissements de Paris. Après s’être voulu l’auxiliaire du gouvernement de la Défense nationale, ce comité, déçu par la façon dont est menée la guerre contre la Prusse, se montre favorable à un pouvoir communal. Le mouvement révolutionnaire n’est cependant pas à l’origine directe de la Commune. Il reflue en effet après l’échec de l’insurrection du 31 octobre 1870, qui suit l’annonce de la capitulation de Metz. Mais l’armistice et la capitulation de Paris suscitent la colère d’une population qui a enduré de grandes souffrances depuis le début du siège (19 septembre 1870), sans jamais cesser de croire à la libération promise. Elle s’estime dupée par le gouvernement de la Défense nationale, qu’elle accuse de l’avoir trahie. L’effervescence est immédiate, les protestations fusent de nombreux bataillons de la Garde nationale, qui se sont multipliés pendant le siège et que l’armistice a laissé armés. Ils se fédèrent à partir de la seconde quinzaine de février 1871 et élisent un comité central (15 mars). Si le parti révolutionnaire - républicain ou internationaliste - n’exerce qu’une influence minime, la Garde nationale, qui se comporte comme un pouvoir indépendant, constitue au contraire un mouvement populaire d’ampleur et une force potentielle pour la future Commune. L’exaspération et l’humiliation du peuple de Paris sont portées à leur comble à la fin février lors de l’occupation prussienne de Paris, pourtant brève et limitée aux beaux quartiers de l’Ouest. Le divorce entre Paris et l’Assemblée nationale élue le 8 février 1871 achève de rendre l’épreuve de force inévitable. Paris a désigné des députés républicains, favorables à la poursuite de la guerre, parmi lesquels Gambetta, Victor Hugo, Garibaldi et Louis Blanc ;
la province rurale a voté pour des candidats partisans de la paix et majoritairement monarchistes. La République paraît en péril : on n’a nulle confiance en Thiers (chef du pouvoir exécutif de la République française depuis le 17 février), malgré sa promesse de ne pas régler dans l’immédiat la question du régime (c’est-à-dire de ne pas remettre en cause tout de suite la République). Or le peuple parisien place la « République [...] au-dessus de tous les principes, même du suffrage universel » (Jacques Rougerie). L’Assemblée achève de se discréditer par des mesures qui sont autant de provocations et témoignent d’une méconnaissance de la situation dans la capitale et de la psychologie de ses habitants : suppression de la solde des gardes nationaux (à l’exception des indigents), alors qu’elle est leur ressource unique en période d’arrêt de l’activité économique ; abrogation du moratoire pour le règlement des loyers et des effets de commerce, qui risque de jeter à la rue des milliers de locataires démunis et d’acculer à la faillite la petite bourgeoisie commerçante, laquelle, dès lors, rejoint les mécontents ; implantation à Versailles (symbole de la monarchie s’il en est !) du siège de l’Assemblée ; nomination à la tête de la Garde nationale d’un général bonapartiste en la personne d’Aurelle de Paladines. Tout se joue le 18 mars, lorsque Thiers envoie l’armée reprendre les canons que la Garde nationale avait mis hors de portée des Prussiens, sur les collines de Montmartre, downloadModeText.vue.download 214 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 203 Belleville et des Buttes-Chaumont. L’affaire tourne mal, la troupe fraternise avec les gardes nationaux et avec la foule, indignée qu’on veuille désarmer Paris. Les généraux Lecomte et Thomas sont sommairement fusillés. La rapide détérioration de la situation conduit le chef du gouvernement à abandonner la rive droite, puis à évacuer Paris, contre l’avis de ses ministres républicains, habitués à des épreuves de force pendant le siège. Il n’y eut pas, comme l’a prétendu l’accusation lors du procès des communards, un complot prémédité de la part des insurgés : les combats de la matinée du 18 mars sont défensifs et non coordonnés ; les insurgés hésitent avant de s’emparer de l’Hôtel de Ville. Le comité central de la Garde nationale, tenu peu informé, se retrouve maître involontaire de Paris au
terme d’une journée qui, loin de s’inscrire dans la logique d’un processus révolutionnaire réfléchi, apparaît comme un événement imprévu. SOIXANTE-DOUZE JOURS D’INSOUMISSION Embarrassé de sa victoire, le comité central de la Garde nationale, après avoir refusé de marcher sur Versailles, décide la tenue d’élections municipales immédiates, tout en gardant des contacts avec le gouvernement de Thiers par l’intermédiaire des maires d’arrondissement. Le scrutin du 26 mars, destiné à élire le conseil général de la Commune, voit le succès des révolutionnaires (surtout de tendance jacobine), accentué par l’importance de l’abstention (52 %). La proclamation de la Commune, le 28, marque la rupture définitive avec Versailles. Paris est en effet proclamé « ville libre », et la nouvelle municipalité se comporte en pouvoir souverain. Elle annule les récentes décisions de l’Assemblée nationale qui concernaient Paris, décide la laïcisation des écoles communales, prend des initiatives en matière sociale, notamment d’assistance publique. En outre, elle décrète l’abolition des armées permanentes et la séparation de l’Église et de l’État, empiétant ainsi sur la compétence nationale de l’Assemblée. Le fonctionnement des institutions de la Commune est marqué par un enchevêtrement des compétences entre les instances centrales et d’arrondissements, entre anciens et nouveaux pouvoirs (le comité central de la Garde nationale refuse de se dissoudre). Les préoccupations militaires l’emportent vite ; l’armée de Versailles, constituée le 6 avril, est grossie des renforts provinciaux et de prisonniers libérés par Bismarck. La Commune ne dispose, quant à elle, que de 40 000 fédérés, peu disciplinés malgré les efforts du délégué à la guerre Cluseret, visant à créer une véritable armée. Après une vaine offensive sur Versailles, les 3 et 4 avril, les communards sont refoulés sur la rive gauche de la Seine, à l’ouest de Paris. Les versaillais font alors fusiller plusieurs fédérés prisonniers. En représailles, la Commune vote le décret sur les otages (5 avril) et fait arrêter des membres du clergé, parmi lesquels Mgr Darboy, archevêque de Paris. Après la manifestation d’unité qu’est la « Déclaration au peuple français » du 19 avril (qui demande « l’autonomie absolue de la Commune étendue à toutes les localités de la France [...] dont l’association doit assurer l’unité française »), les revers militaires et l’isolement de Paris provoquent la division dans les rangs de la Commune. La décision de ressusciter un Comité
de salut public, adoptée le 1er mai, entraîne une rupture entre la majorité jacobine et la minorité internationaliste, qui fait sécession entre le 15 et le 21 mai. En outre, la Commune dévore ses chefs militaires : Cluseret est limogé le 30 avril, son successeur Rossel démissionne avec éclat le 9 mai, ne supportant pas les intrusions du pouvoir civil dans l’exercice de la discipline militaire ; il laisse la place à Delescluze, qui n’a qu’une autorité morale et contribue à la désorganisation de la résistance après l’entrée des troupes versaillaises dans Paris le 21 mai. L’anarchie parisienne a aggravé une situation qui déjà condamnait la Commune à être écrasée. LE DÉCALAGE CHRONOLOGIQUE ENTRE PARIS ET LA PROVINCE L’historiographie a longtemps considéré les Communes de province comme de pâles reflets de la Commune parisienne. Sans doute parce qu’elles ont été éphémères (du 23 au 25 mars) et circonscrites à quelques villes du Midi et du Centre. L’ordre est en effet rapidement rétabli à Lyon, plus difficilement à Marseille, où la répression, le 4 avril, fait 150 victimes. Les gardes nationaux provinciaux demeurent majoritairement fidèles au gouvernement, et la troupe se montre disciplinée. Paris est donc rapidement isolé. Pourtant, la province a été, la première, le théâtre de mouvements insurrectionnels. Le 4 septembre 1870, c’est Lyon, bien avant la capitale, qui proclame la République et connaît une fugitive Commune gouvernant la ville souverainement, puis partageant, non sans difficultés, le pouvoir avec le préfet gambettiste. Un second accès de fièvre se produit le 28 septembre, avec une tentative de coup de force des partisans de Bakounine. À Marseille, le conseil municipal, élu en août 1870, et un comité de salut public se partagent le pouvoir, avec la bénédiction du commissaire du gouvernement Esquiros, qui prend ensuite la direction d’une ligue du Midi, implantée dans quatorze départements. Cette ligue, dotée d’un programme radical, exerce un contrôle populaire sur les administrations régulières. Gambetta parvient ensuite, au prix d’une répression brutale, à stopper un mouvement perçu comme régionaliste, qui heurtait son jacobinisme. Lyon, Marseille et quelques autres villes connaissent encore des troubles à la fin du mois d’octobre 1870, à l’annonce de la capitulation de Metz. Le mouvement retombe ensuite. Lorsque éclate la Commune de Paris, l’élan révolutionnaire de la province est cassé. Les équipes révolutionnaires sont usées, et de nombreux militants ont gagné la capitale.
L’armistice a dispersé les soldats. Paris s’est révolté trop tard. Les ultimes tentatives initiées par la Commune de Paris pour s’opposer aux élections municipales du 30 avril en province échouent. COMMUNE LIBERTAIRE OU COMMUNE JACOBINE ? L’historiographie, influencée par la querelle relative à l’héritage de la Commune entre marxistes et anarchistes, a longtemps opposé, au sein de la Commune, les partisans d’une dictature jacobine version 1793 - et les fédéralistes, disciples de Proudhon et membres de l’Internationale, militant pour une Commune autonome délivrée des entraves étatiques. Les premiers, majoritaires au sein du conseil général de la Commune, auraient fait prévaloir leur politique après quelques concessions idéologiques aux thèses de leurs adversaires. Les analyses contemporaines tendent à atténuer ce clivage, d’autant que sont également redécouvertes les aspirations décentralisatrices des révolutionnaires de l’an II. Le fédéralisme, renforcé par une réaction au centralisme impérial, est en effet défendu par tous les révolutionnaires - même blanquistes - dès septembre 1870. On comprend mieux le vote unanime en faveur de la « Déclaration au peuple » français du 19 avril, pourtant inspirée des idées de Proudhon. Le fédéralisme inquiète cependant les républicains radicaux au printemps 1871, qui craignent les excès d’une décentralisation jugée dangereuse pour l’unité du pays et se contentent de défendre de simples libertés municipales. En outre, alors que la menace versaillaise se fait plus pressante, la Commune de Paris connaît une dérive jacobine à partir du mois de mai, ainsi qu’en témoigne la nomination d’un comité de salut public. Aussi, la minorité proudhoniste ou socialiste quitte-telle le conseil général. Si elle n’est pas hostile à un renforcement de l’exécutif communal, elle refuse d’accorder les pleins pouvoirs à ce comité de salut public. Deux conceptions, contradictoires, de la Commune se seraient ainsi succédé, en fonction de l’évolution de la conjoncture politique et militaire. L’IMPOSSIBLE CONCILIATION ET LE TIERS PARTI À la différence des historiens de la IIIe Répu-
blique, l’historiographie plus contemporaine a occulté les efforts des conciliateurs, considérés comme des auxiliaires déguisés de Thiers. Or les efforts pour prévenir un bain de sang, pour inefficaces qu’ils aient été, n’en ont pas moins jalonné l’histoire de la Commune. Les maires et les adjoints d’arrondissement, qui jouissent d’une certaine autorité auprès de la petite bourgeoisie parisienne, refusent de se rallier tant au camp versaillais qu’à la Commune. Ils négocient avec le comité central de la Garde nationale un projet d’accord faisant droit aux revendications essentielles du peuple de Paris. Mais l’Assemblée nationale, passé le moment de surprise où elle est prête à quelques concessions, se ressaisit et refuse tout compromis. Le comité central obtient l’aval des maires, exaspérés par cette intransigeance, pour organiser les élections au conseil général de la Commune le 26 mars, et le parti des maires obtient en moyenne 17 % des suffrages, provenant surtout des quartiers du centre-ville. Leurs élus démissionnent après que la Commune eut fait acte de souveraineté. Mais ils n’abandonnent pas tout espoir de conciliation, créant, le 4 avril, la Ligue républicaine des droits de Paris. L’Union du commerce et de l’industrie tente également une médiation. Le tiers parti apparaît mieux implanté en province, où il a les coudées plus franches. Sous les auspices de l’Alliance républicaine des départements, des contacts s’établissent d’une ville à l’autre, et downloadModeText.vue.download 215 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 204 des délégations prennent contact avec Thiers dans la seconde quinzaine du mois d’avril afin d’obtenir le retour de la légalité par des concessions réciproques. Le chef du gouvernement fait quelques ouvertures : il confirme que le régime républicain sera maintenu, que l’Assemblée n’a pas de mandat constituant, et assure que la répression sera limitée aux assassins des généraux. Mais il refuse toute liberté municipale spécifique pour Paris et exige une capitulation sans conditions. Assuré que le temps travaille pour lui, il doit toutefois tenir compte de l’humeur de l’Assemblée, hostile à tout compromis et impatiente d’en finir. Il interdit ainsi les congrès des villes républicaines et patriotes prévus à Lyon et à Bordeaux les 14 et 15 mai. Les radicaux bravent l’interdiction à Lyon, où se réunissent des délégués de seize départements qui demandent en vain la dissolution de l’Assemblée et de la Commune. Les
contacts entre Thiers et des républicains radicaux sont à l’origine de la thèse selon laquelle ces derniers se seraient ralliés au gouvernement en échange du maintien de la République. En réalité, les efforts de conciliation se sont maintenus jusqu’à la fin, témoignant de l’attachement du radicalisme provincial aux principes républicains et à la paix civile. L’échec de la conciliation a été lourd de conséquences. Des otages sont fusillés par les communards et plus de soixante-cinq personnes (des prêtres, des gendarmes...) sont massacrées par la foule, tandis que les troupes gouvernementales se livrent à une répression terrible : au cours de la Semaine sanglante, (21-28 mai 1871), jusqu’à l’ultime résistance au Père-Lachaise, devant le mur des Fédérés, de 20 000 à 25 000 personnes - combattants de la Commune ou simples suspects - sont exécutés sommairement. Quelque 43 000 Parisiens sont arrêtés. Dans une seconde phase de la répression, les conseils de guerre jugent 35 000 cas, prononçant notamment 93 condamnations à mort, 251 aux travaux forcés et 4 596 à la déportation. La loi du 23 mars 1872 organisera le transport en Nouvelle-Calédonie de ces deux dernières catégories de condamnés, qui durent attendre les lois d’amnistie de 1879 et 1880 pour regagner la France. AURORE OU CRÉPUSCULE ? Les communards sont-ils les prolétaires des temps modernes ayant amorcé une révolution socialiste ou représentent-ils au contraire un monde en voie de disparition, tourné vers son passé ? Leur profil sociologique apporte une première réponse à cette interrogation. Les militants de la Commune sont incontestablement des gens du peuple, et la part de la petite bourgeoisie commerçante est moindre qu’en 1851 (lors de la tentative d’opposition républicaine au coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte). Selon Jacques Rougerie, ils appartiendraient à un type intermédiaire entre l’artisan classique et le prolétaire moderne : « Partout la tradition prédomine, dans la nature et le style du travail, et aussi dans la révolte. » Ajoutons que le poids des antécédents judiciaires (28 % des condamnés sont des repris de justice) et la part élevée des célibataires (49 %), plutôt mal intégrés dans la société, rattachent quelque peu les communards aux « classes dangereuses » du Paris du XIXe siècle. Leur idéologie et leurs préoccupations s’inspirent nettement de celles des sans-culottes de l’an II : mystique répu-
blicaine, patriotisme exacerbé, touchant au chauvinisme, aspirations à une démocratie directe, anticléricalisme vigoureux. Les références au langage révolutionnaire de l’an II sont constantes ; les ennemis sont les mêmes : en premier lieu, le clergé, puis le propriétaire, les officiers des armées permanentes, le commerce de détail accusé d’accaparement, et, d’une manière générale, les riches. Le patron n’apparaît pas comme un ennemi de classe, même si les ouvriers ont le sentiment de ne pas bénéficier des fruits de leur travail. La Commune a ébauché une politique sociale dont la mesure la plus importante a été le décret du 16 avril, qui confisque, contre indemnité, les ateliers abandonnés par les patrons : loin de procéder à une appropriation étatique des moyens de production, ce texte s’inspire du programme coopératif de Louis Blanc, ces ateliers devant servir d’expériences pilotes organisées par les chambres syndicales ouvrières. Il y eut ainsi quelques expériences nouvelles, mais limitées, compte tenu de la faiblesse de l’organisation ouvrière. Les anticipations de la Commune sont plus visibles au plan politique ; ce sont, notamment, la séparation des Églises et de l’État ou l’éducation laïque et gratuite, mais tout cela relève du programme traditionnel des républicains radicaux. Ainsi, tout en ayant tracé quelques chemins nouveaux, la Commune apparaît plutôt comme la dernière révolution classique du XIXe siècle, et son échec sonne le glas de la domination parisienne dans la vie politique française. Elle a stoppé net un mouvement ouvrier en plein renouveau et retardé le développement du syndicalisme, qui s’est trouvé dès lors déphasé des progrès du socialisme. Mais elle a durablement marqué les esprits, et a inspiré la réflexion des dirigeants socialistes en matière de décentralisation et de socialisme municipal. Enfin, par leur échec même, les communards ont peut-être sauvé la République en confortant Thiers dans sa volonté d’oeuvrer dans le cadre des institutions républicaines, tandis que les masses rurales conservatrices se ralliaient à un régime assurant l’ordre et la propriété sur les ruines du Paris révolutionnaire. Commune de Paris (1789-1794), municipalité révolutionnaire siégeant à l’Hôtel de Ville ; puissant contre-pouvoir à partir de 1792. Cette administration, encadrant le mouvement populaire parisien, tient une place essentielle dans le déroulement de la Révolution. Issue de la crise de l’été 1789, la première Commune révolutionnaire est formée d’électeurs parisiens qui se substituent à la municipalité d’Ancien Régime, le 12 juillet
1789, et créent la Garde nationale, le 13. Une révolution municipale légitimée, dès le 17, par Louis XVI, qui reçoit la cocarde tricolore des mains du nouveau maire, Bailly. L’administration légale, organisée par la loi du 21 mai (promulguée le 27 juin 1790) divisant Paris en quarante-huit sections, reste sensiblement la même jusqu’à l’été 1794. Élue directement par les sections, la Commune comprend le maire, chef de la municipalité, un procureur et deux substituts, ainsi que deux assemblées, le conseil général et le corps municipal, qui est divisé en bureau et conseil municipaux. Bien que subordonnée au département de Paris, elle dispose d’une autorité stratégique importante - approvisionnements et subsistances, police, Garde nationale... La Commune constitutionnelle, élue au suffrage censitaire et installée en octobre 1790, se montre avant tout soucieuse de faire cesser les désordres et de stabiliser les nouvelles institutions. D’abord modérée, elle évolue vers la gauche, après l’arrestation du roi à Varennes. Les élections de novembre 1791 à février 1792 marquent ainsi l’arrivée des démocrates, jacobins et cordeliers, tels Pétion, élu maire le 16 novembre, Manuel, procureur, ou Danton, son second substitut. Cette municipalité, plus proche des sections, favorise notamment la journée du 20 juin 1792. Elle préfigure la Commune insurrectionnelle qui organise la journée du 10 août 1792 mettant à bas la monarchie. • Des rapports conflictuels avec le pouvoir d’État. Formée, dans la nuit du 9 au 10 août, de commissaires des sections, et se substituant au conseil général, cette toute-puissante Commune du 10 août date ses arrêtés de l’an I de l’Égalité. Elle prend elle-même, ou fait voter par une Assemblée législative affaiblie, des mesures radicales : abolition du suffrage censitaire, arrestation de royalistes et de suspects, permanence et épuration des sections placées sous son contrôle, formation de comités de surveillance, réforme de la Garde nationale, création du Tribunal du 17 août. Après les massacres de septembre, auxquels elle ne s’oppose pas, la Commune est renouvelée, sur décision de la Législative, qui lui est hostile, et cède la place, le 2 décembre 1792, à un conseil général provisoire dominé par les montagnards, avec Pache, élu maire en février 1793, l’« exagéré » Chaumette, procureur, et le cordelier Hébert, son substitut. Engagée dans la lutte contre les girondins, elle coordonne les journées des 31 mai et 2 juin 1793 menées contre la Convention.
Prenant appui sur les sans-culottes, dont elle soutient les revendications économiques et sociales, la Commune « hébertiste », qui est à son apogée après les élections de juillet 1793, canalise les insurrections populaires. Elle s’associe aux journées des 4 et 5 septembre, Hébert impulsant les mots d’ordre des militants des sections, Chaumette se faisant le promoteur zélé de la déchristianisation. Mais, dès l’automne, ces ambitions politiques se heurtent à la Convention montagnarde, puis au gouvernement révolutionnaire, qui place toutes les autorités sous son contrôle, en décembre 1793, et donne un coup d’arrêt à la poussée populaire. Au printemps 1794, après l’élimination des hébertistes, la Commune devient un auxiliaire docile du Comité de salut public. Ses membres n’étant plus élus mais nommés, la Commune « robespierriste », qui ne représente plus les Parisiens, ne parvient pas à soulever Paris dans la nuit du 9 au 10 thermidor an II (27-28 juillet 1794). Après la chute de downloadModeText.vue.download 216 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 205 Robespierre, la plupart de ses membres sont guillotinés ou emprisonnés. Tandis que les sections sont démantelées, la Commune, instrument de la confrontation entre le pouvoir populaire et celui de l’État, disparaît, avec le décret du 14 fructidor an II (31 août 1794), qui confie au gouvernement l’administration directe de la capitale. communisme ! communiste français (Parti), socialisme utopique, gauche communiste français (Parti), appellation donnée à partir de 1922 à la Section française de l’Internationale communiste (SFIC), née au congrès de Tours, en décembre 1920, de la scission de la SFIO. Le parti, qui conserve alors la majorité des adhérents de la SFIO, ainsi que le journal l’Humanité, se constitue sous la référence du léninisme et de ses postulats essentiels : parti révolutionnaire, organisé selon le modèle militaire et soumis aux directives de l’Internationale communiste, luttant dans la perspective d’une phase de « dictature du prolétariat » destinée à briser la résistance des « ennemis de classe ».
• La période fondatrice (1920-1934). Durant les quatorze premières années de son existence, le parti né à Tours acquiert un visage nouveau, très différent de celui de l’ancienne SFIO. Ses premiers dirigeants n’avaient guère pris au sérieux les vingt et une conditions édictées par la IIIe Internationale, notamment l’application du « centralisme démocratique ». Dès janvier 1923, un certain nombre d’entre eux, liés à la franc-maçonnerie, dont le secrétaire général Ludovic-Oscar Frossard, sont exclus ou quittent le parti. À partir de 1924, la « bolchevisation » s’oriente dans deux directions : la centralisation - le nouveau maître de l’appareil, Albert Treint, impose un fonctionnement autoritaire, bureaucratisé - et le renouvellement des cadres. Plus jeunes, aguerris par les campagnes contre l’occupation de la Ruhr (1923) et la guerre du Rif (1925), ces nouveaux cadres sont pour la plupart d’origine ouvrière et formés dans des écoles spécifiques. Les liens de subordination à l’égard de l’Internationale sont renforcés. Après l’éviction de Treint, cette réorganisation se poursuit sous la direction d’Henri Barbé, Pierre Célor et Maurice Thorez, lequel devient, en 1931, le principal dirigeant après la mise à l’écart des deux premiers. Elle aboutit à un renouvellement complet de l’appareil. Le fonctionnement interne, devenu monolithique, atteste bien la stalinisation du parti, qui, toutefois, paie cette transformation au prix fort. À l’aube des années trente, ses effectifs passent en effet de 120 000 à 30 000 adhérents. Sa dénonciation systématique des socialistes comme « traîtres », et son sectarisme l’isolent, même s’il dispose d’appuis extérieurs, tels l’Association républicaine des anciens combattants ou la CGTU, qui peuvent servir de structures d’accueil aux sympathisants. Son influence parmi les intellectuels reste faible, malgré l’adhésion de quelques-uns d’entre eux. Au plan électoral, le parti obtient 11,3 % des suffrages en 1928 et seulement 8,3 % en 1932, mais ne parvient à faire élire qu’une dizaine de représentants sur les quelque 600 membres que compte la Chambre. • L’expansion et l’apogée (1934-1947). À l’aube des années trente, organisation solide mais isolée, le parti maintient dans un premier temps le mot d’ordre « classe contre classe » face à la montée des ligues de droite. Mais, en 1934, un changement de stratégie est imposé par l’Internationale, soucieuse de constituer un front commun face au fascisme ; en juillet, un pacte d’unité d’action signé avec la SFIO ouvre des perspectives d’action commune. Le
PCF joue un rôle moteur dans la formation du Front populaire : il prend l’initiative de l’élargir en proposant d’y intégrer le Parti radical et tient un nouveau discours, axé sur l’effort de défense nationale, la réhabilitation des valeurs patriotiques et le refus d’intégrer dans le programme du Front des réformes de structure qui effraieraient les classes moyennes. Cette attitude se révèle payante : le parti remporte 73 sièges aux élections de mai 1936, et voit augmenter le nombre de ses militants ; la réunification syndicale accroît son influence en milieu ouvrier. Souhaitant montrer son esprit de responsabilité devant l’explosion sociale de mai-juin 1936, il soutient, après la victoire électorale, le gouvernement Léon Blum, mais refuse d’y participer, afin de conserver sa liberté d’action. En politique extérieure, avant tout soucieux de préserver la sécurité de l’État soviétique, il s’engage avec vigueur en faveur de l’Espagne républicaine et condamne les accords de Munich : s’il heurte le pacifisme d’une partie de l’opinion, il bénéficie jusqu’en 1939 de la convergence de l’antifascisme et du patriotisme. Mais, en septembre 1939, la conclusion du pacte germano-soviétique replonge le PCF dans son isolement. Le parti, malgré un certain désarroi, approuve, par fidélité à l’ URSS, l’accord entre Hitler et Staline, et fait désormais figure de complice de l’Allemagne. Sa dissolution est prononcée le 26 septembre 1939, sa presse interdite, ses élus sont invalidés, ses militants pourchassés. La victoire allemande de juin 1940 n’entraîne pas de changement d’attitude : renvoyant dos à dos les belligérants, la direction clandestine ménage l’occupant, dans l’espoir d’une légalisation, cependant que, à la base, certains militants se déclarent individuellement favorables à une action contre les Allemands. L’invasion de l’URSS par les nazis en juin 1941 entraîne un changement radical : le PCF lance aussitôt le mot d’ordre de lutte armée. Si celle-ci, par le sanglant enchaînement des attentats et des représailles qu’elle implique, l’isole dans un premier temps, elle lui permet de forger, au prix des plus lourds sacrifices, les instruments militaires et politiques qui vont lui permettre de jouer un rôle de premier plan dans la Résistance intérieure. Aussi, le parti participet-il en position de force à l’union nationale à partir du début de 1943 : il est présent dans le Conseil national de la Résistance (CNR) et dans le gouvernement d’Alger. À la Libération, alors que Maurice Thorez rentre d’URSS, où il a passé la période de la guerre, le parti connaît son apogée : il obtient plus de 25 % des suffrages aux élections d’octobre 1945, les militants affluent (600 000 en 1946), son
prestige parmi les intellectuels et dans l’opinion dépasse largement son aire d’influence traditionnelle, sa participation au pouvoir jusqu’en mai 1947 lui permet tout à la fois de se poser en formation de gouvernement et d’infiltrer les appareils administratifs et économiques du pays. Le parti mobilise contre la guerre en Indochine, commencée alors que ses ministres siègent au gouvernement, et c’est à l’occasion de grèves chez Renault que ses ministres sont remerciés. • Le repli (1947-1977). Une nouvelle phase d’isolement débute en mai 1947, à la suite de l’exclusion des ministres communistes du gouvernement par le président du Conseil Ramadier. Le déclenchement de la guerre froide, en septembre 1947, rend la rupture irréversible. Se conformant rigoureusement aux directives du Kominform (succédané de l’Internationale communiste, dissoute par Staline en 1943), le parti s’engage avec ardeur dans la dénonciation de l’« impérialisme américain » et de ses « valets », les dirigeants français : les grandes grèves de 1947 et 1948 sont intégrées dans sa stratégie de « mobilisation des masses » et d’intimidation du pouvoir ; les campagnes pacifistes permettent de resserrer les liens avec les « compagnons de route ». La stalinisation du PCF s’accentue encore, ainsi qu’en témoignent son fonctionnement monolithique, le culte de la personnalité rendu à Maurice Thorez et les purges qui frappent, notamment, André Marty et Charles Tillon en 1952. Le parti se montre réticent devant la déstalinisation initiée par Khrouchtchev en 1956. Il conserve en effet une puissante base ouvrière et populaire : parti de la protestation sociale, il joue un rôle « tribunicien » et structure une véritable « contre-société ». Mais les intellectuels s’éloignent de lui après son approbation de l’intervention soviétique en Hongrie en 1956 ; son électorat recule à partir de 1958 sous la poussée gaulliste : il passe de 25 à 20 % des suffrages. Au cours de la dizaine d’années qui suit la mort de Thorez, en 1964, sous la direction de Waldeck Rochet, secrétaire général de 1964 à 1972, puis de Georges Marchais, le PCF est confronté à des phénomènes nouveaux : la tertiarisation de la société française et l’explosion de mai 68, qui le prend au dépourvu. Il décide de jouer la carte de l’Union de la gauche en soutenant sans condition la candidature de François Mitterrand en 1965, puis en signant les accords électoraux de 1966 et le programme commun de gouvernement avec le PS en 1972. Alors première force de la gauche, il espère en tirer un profit tout particulier. Cette stratégie le conduit à émettre des réserves sur
l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie (1968) et à évoluer sur d’importants points de doctrine : en 1976, le parti abandonne le principe de la dictature du prolétariat. Cependant, les résultats décevants aux élections - il apparaît, dans les années soixante-dix, que l’union profite surtout aux socialistes - et la crainte de perdre une identité révolutionnaire poussent les dirigeants à rompre l’alliance avec les socialistes en 1977 et à s’engager une nouvelle fois dans la voie de l’isolement. • Le déclin (1977-2006). Inaugurée en 1977, combinant une offensive violente contre downloadModeText.vue.download 217 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 206 les socialistes, un réalignement sur l’URSS et la mise au pas des communistes critiques, la nouvelle stratégie aboutit à un échec total. Les années quatre-vingt voient une érosion rapide des positions électorales du PCF : Georges Marchais, grand maître d’oeuvre de cette politique, obtient à peine 15 % des suffrages lors de l’élection présidentielle de 1981 ; au début des années quatre-vingt-dix, le score électoral du PCF stagne aux alentours de 8-9 %, la rétraction géographique sur les « bastions » et l’effritement de l’adhésion militante accompagnant le recul global. La politique du parti explique largement ce recul : elle oscille en effet entre la participation au gouvernement à direction socialiste (1981-1984), l’opposition à ses anciens alliés et des accords électoraux circonstanciels. Des phénomènes correspondant à des tendances profondes - la désyndicalisation, elle-même conséquence de la restructuration des industries lourdes traditionnelles, et la désaffection générale pour les formes classiques de militantisme - rendent le déclin du parti sans doute irréversible. Au début des années quatre-vingt-dix, l’effondrement économique et politique des régimes communistes d’Europe orientale, que le PCF avait présentés comme référence, approfondit encore la crise dans laquelle il est plongé. La succession de Georges Marchais - Robert Hue devient secrétaire général au début de 1994 - s’accomplit sans rupture apparente. Mais l’abandon officiel du centralisme démocratique traduit une situation de fait : maires et syndicalistes, tenants du pouvoir dans les derniers bastions du PCF, manifestent de plus en plus leur indépendance, alors que le parti hésite entre deux stratégies : l’alliance traditionnelle avec le PS ou la constitution d’un pôle de radicalité. Sur le plan du
fonctionnement comme sur celui de la stratégie, le PCF, sous l’impulsion de Marie-Georges Buffet qui codirige avec Robert Hue avant de lui succéder en 2002, se voit confronté à des choix qui conditionnent désormais son existence même. Commynes ou Commines (Philippe Van den Clyten, sire de), diplomate et chroniqueur (Renescure, Flandre, entre 1445 et 1447 - château d’Argenton 1511). Attaché dès l’enfance à la maison de Bourgogne, favori de Charles le Téméraire qui l’arme chevalier en 1467 et le charge de missions diplomatiques, Commynes se rallie pourtant à l’ennemi en août 1472. Il se met au service de Louis XI, qu’il avait sauvé lors de l’entrevue de Péronne (1468). Richement doté par le roi, il joue alors auprès de lui un rôle politique capital, qui s’estompe néanmoins après la disparition de Charles le Téméraire en 1477. À la mort de Louis XI, en 1483, Commynes connaît de sérieux revers de fortune. Au service du duc d’Orléans, futur Louis XII, il complote contre la régente Anne de Beaujeu : en 1486, il est arrêté et emprisonné jusqu’en 1489. S’il récupère ensuite la quasi-totalité de ses biens, il est exilé sur ses terres. Et s’il retrouve quelque crédit grâce au duc d’Orléans, s’il négocie le mariage de Charles VIII avec Anne de Bretagne et accomplit à Venise, sans succès, une mission diplomatique pendant les guerres d’Italie, il ne joue plus, jusqu’à sa mort, de rôle de premier plan. Les Mémoires de Commynes, rédigés entre 1489 et 1498, reflètent la complexité du personnage. Les six premiers livres se rapportent au règne de Louis XI, et les deux derniers relatent l’expédition de Charles VIII en Italie. Tous ont en commun l’obsession de la trahison, que Commynes présente comme une attitude politique, voire psychologique, universelle. C’est qu’il ne se contente pas de relever des faits mais se livre à des appréciations sur les hommes et à des jugements politiques : utilité de l’équilibre des forces en Europe, intérêt du Parlement en Angleterre, etc. Peut-être faut-il voir dans la rancoeur qu’il garde envers Louis XI - en raison de sa disgrâce partielle après 1477 - la cause principale de l’objectivité relative avec laquelle il peint le roi. Il reste que, tout en justifiant son propre parcours, Commynes mène souvent une réflexion pessimiste mais lucide sur la philosophie de l’histoire, et peut donc être considéré comme un véritable moraliste. Comores, archipel de l’océan Indien, oc-
cupé par la France de 1841 à 1975, dont une île, Mayotte, est encore aujourd’hui une collectivité territoriale française. C’est d’ailleurs l’acquisition de Mayotte qui permet à la France de mettre un pied sur l’archipel en 1841. En 1886, elle impose son protectorat sur les îles d’Anjouan, Mohéli et la Grande Comore, confisquant les terres et dépossédant les sultans. En 1912, une loi met fin au protectorat et prononce l’annexion des trois îles qui, avec Mayotte, forment une province de Madagascar jusqu’en 1946. L’archipel devient alors un territoire d’outre-mer dont le député, Saïd Mohammed Cheikh, défend habilement les intérêts. En 1958, il refuse le statut d’État de la Communauté, et les lois de 1961 et de 1968 dotent le territoire d’une autonomie élargie. En 1974, la population opte par référendum pour l’indépendance - sauf à Mayotte -, que le gouvernement local proclame en juillet 1975. Mayotte fait aussitôt sécession et choisit donc le maintien au sein de la République française. Quant à la République fédérale islamique des Comores, dont les ressources budgétaires proviennent à 50 % de l’aide française, elle connaît depuis lors une vie politique marquée par l’instabilité. compagnie d’armes, principale unité administrative et tactique des armées royales, à partir du règne de Charles V et jusqu’au XVIe siècle. • Les premières compagnies. Dans les années 1370, afin de mener à bien la reconquête de la moitié occidentale du royaume concédée à l’Angleterre par le traité de Brétigny (1360), Charles V (1364/1380) adopte une série de mesures militaires qui consacrent la compagnie comme l’unité fondamentale de l’armée royale. La levée régulière d’un impôt direct (fouage) permet au roi d’envisager l’entretien d’une petite armée régulière, plus à même de se livrer à la guerre de harcèlement commencée en 1368. Robert de Juilly, prieur des Hospitaliers en France (1362) et futur grand maître de l’ordre, est chargé de sa constitution. Ainsi, les ordonnances du 16 décembre 1373 et du 14 janvier 1374 promeuvent, comme unité principale, la compagnie de 100 hommes d’armes, c’est-à-dire de cavaliers lourdement armés. Les capitaines qui les commandent sont choisis et gagés par le roi ; ils sont responsables du recrutement et de la discipline de leurs troupes. Enfin, les ordonnances établissent un système de revues régulières, les « montres ». Conduites par de
brillants capitaines, tels Bertrand du Guesclin ou Olivier de Clisson, les compagnies d’armes mènent à bien la première reconquête du royaume (1368-1380). Mais, à partir des années 1410, la guerre civile et les conquêtes anglaises ruinent l’organisation de cette première armée royale permanente. • Les compagnies d’ordonnance. Ce n’est que dans les années 1440 que Charles VII (1422/1461) entreprend de renouer avec les principes de Charles V. Le roi doit alors faire face aux problèmes posés par sa propre armée, largement composée d’écorcheurs qui se livrent au pillage et n’obéissent qu’à leur capitaine. Par les ordonnances de mars et de mai 1445, Charles VII parvient à dissoudre les compagnies d’écorcheurs et à ne maintenir à son service que les meilleurs capitaines, tels Arnaud d’Albret, Robert de Floque, Poton de Xintrailles ou Jean d’Estouville. Désormais, la nouvelle armée royale est constituée de 15 compagnies d’ordonnance, de 100 lances chacune. Chaque lance est groupée autour d’un homme d’armes, et compte 6 soldats, tous dotés d’un cheval. L’armée de campagne rassemble ainsi 1 500 lances, soit quelque 9 000 hommes. Les effectifs augmentent vite : en 1476, Louis XI dispose de 40 compagnies. Leur logement, leur entretien et leur solde sont assurés par des officiers des finances régionaux. Le recrutement et la discipline restent sous l’entière responsabilité des capitaines. Ce programme est complété par la création d’une compagnie écossaise, à l’origine de la compagnie des gentilshommes de l’Hôtel, destinée à la garde du roi. L’efficacité de cette nouvelle armée est rapidement démontrée lors des campagnes de Normandie (1450) et de Guyenne (1453), qui mettent un terme à la guerre de Cent Ans. Jusqu’au milieu du XVIe siècle, et en dépit de l’importance grandissante qu’acquièrent les troupes mercenaires et les unités spécialisées (artillerie, arquebusiers) à l’occasion des guerres d’Italie ou du conflit avec les Habsbourg, les compagnies d’ordonnance demeurent les piliers de l’armée royale. • Le déclin. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, l’efficacité des gens d’armes est remise en cause par l’essor des troupes d’infanterie et de cavalerie légère, et par le recours de plus en plus fréquent aux compagnies de mercenaires. Par ailleurs, le prestige dont jouissent les compagnies d’ordonnance auprès de la noblesse est amoindri en raison de l’admission des roturiers dans leurs rangs à partir de 1584. Enfin, durant la première moitié du XVIIe siècle, une nouvelle unité administrative et tactique s’impose : le régiment, comprenant de 12 à 20 compagnies, dont
le commandement est confié à des colonels. Toutefois, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, la compagnie constitue le cadre essentiel du recrutement. downloadModeText.vue.download 218 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 207 compagnies de commerce et de navigation, sociétés commerciales créées, en France, à partir du XVIIe siècle et visant à développer le commerce maritime et à exploiter les terres nouvellement conquises. • Le rôle prépondérant de l’État. Les compagnies de commerce et de navigation ont été un instrument essentiel de la politique économique du XVIIe siècle, inspirée par la doctrine mercantiliste : la richesse d’une nation provient de l’excédent de sa balance commerciale, et celui-ci peut résulter d’une action concertée de l’État. Or, à une époque où la plus grande part du commerce extérieur s’effectue par voie maritime, la France souffre d’un grand handicap, la faiblesse de sa marine, à tel point que les négociants français sont souvent obligés d’avoir recours à des navires anglais ou hollandais. Pour s’assurer la maîtrise des mers, Richelieu va s’employer à développer la flotte : afin d’encourager les initiatives privées, il permet aux nobles de se livrer au commerce de mer sans déroger, et, inversement, aux marchands et armateurs au long cours d’accéder à la noblesse. Colbert poursuit son oeuvre, avec l’objectif spécifique de combattre la suprématie commerciale des Hollandais : à partir de 1664, il crée à cet effet ou réorganise de grandes compagnies à chartes, dotées de privilèges, c’est-à-dire qui ont le monopole du trafic sur un territoire donné (système dit « de l’exclusif ») et bénéficient d’exemptions diverses en contrepartie du respect de certaines obligations. Si certaines, telle la Compagnie du Levant (1670), ont une vocation purement commerciale, d’autres sont investies d’une mission colonisatrice : peuplement, contrôle d’un territoire, qui peut d’ailleurs se limiter à l’administration des comptoirs, évangélisation des indigènes. À ces fins, elles disposent de pouvoirs souvent considérables, tels ceux accordés à la Compagnie des Indes orientales (privilège du commerce, droit de négocier des accords, propriété de Madagascar). Nées de la volonté de l’État, les compagnies se heurtent néanmoins à l’hostilité de villes manufacturières comme Lyon, qui
craignent la concurrence des toiles indiennes, et à l’indifférence de la plupart des négociants français : peu entreprenants, ces derniers se méfient de ces entreprises lointaines, malgré l’exemple de Louis XIV qui y investit des millions de livres. En outre, les compagnies souffrent de la mauvaise conjoncture économique qui domine le XVIIe siècle et des politiques protectionnistes, telle celle de Louvois. La plupart d’entre elles ont ainsi une existence éphémère. Parfois, l’État se substitue à elles et prend en charge directement l’administration des colonies : c’est le cas pour les Antilles, en 1674, lors de l’effondrement de la Compagnie des Indes occidentales. • Le déclin des compagnies. Au XVIIIe siècle, malgré la création, dans le cadre du système de Law, de la Compagnie d’Occident (1717), qui fusionne bientôt avec la Compagnie des Indes orientales (1719), les compagnies ne sont plus adaptées à l’évolution de l’économie. Dans une conjoncture beaucoup plus favorable, le système de l’exclusif apparaît comme un obstacle aux échanges. Au nom de la liberté du commerce, les physiocrates, tels Turgot ou l’abbé Raynal, indifférents voire hostiles à la colonisation, entretiennent un mouvement d’opinion dirigé contre les monopoles des compagnies. En 1769, Choiseul supprime le privilège de la Compagnie des Indes, et l’exclusif est assoupli en 1784. Dans ce qui reste des possessions coloniales, largement amputées par le traité de Paris de 1763, un gouvernement direct (intendants et gouverneurs) se substitue partout à l’administration des compagnies. Enfin, les Assemblées révolutionnaires leur portent le coup de grâce : considérées comme des corporations, elles sont supprimées. Survivances du mercantilisme à l’heure où naît le libéralisme, elles disparaissent avec l’Ancien Régime. Malgré leurs échecs, les compagnies de commerce et de navigation ont permis de mener à bien des opérations hors de portée des simples particuliers, notamment par leur ampleur financière ; elles ont contribué à fonder le premier Empire colonial français et jeté certaines bases de l’essor économique du XVIIIe siècle. Compagnies des Indes, compagnies de commerce et de navigation chargées prioritairement d’assurer le commerce avec les Indes. En France, les premières sont fondées par Colbert, en 1664. Au XVIIe siècle, la Hollande et l’Angleterre deviennent les principaux
acteurs du grand commerce maritime. Dans ces deux pays sont créées des Compagnies des Indes orientales (l’East India Company anglaise en 1600, et son équivalent aux Provinces-Unies en 1602). La France de l’époque, handicapée par la faiblesse de sa marine et le manque de capitaux, ne peut rivaliser avec elles : les expériences tentées sous Henri IV ou sous Richelieu n’aboutissent pas véritablement, malgré la création de quelques établissements à Fort-Dauphin (Madagascar), à l’île Bourbon (la Réunion) et jusqu’à Surat, sur la côte orientale de l’Inde. • Les grands projets de Colbert. C’est en 1664 que Colbert va pouvoir lancer des projets plus ambitieux : la création de la Compagnie des Indes occidentales et celle de la Compagnie des Indes orientales. À la première échoit le monopole sur l’Amérique et la côte occidentale de l’Afrique ; toutefois, elle périclite très vite. La seconde, dont Lorient (et plus tard Nantes) est le port d’attache, reçoit pour une durée de cinquante ans le privilège du commerce à l’est du cap de Bonne-Espérance, aux Indes, en Extrême-Orient et dans les mers du Sud, ainsi que la propriété de Madagascar et de toutes les terres conquises sur les ennemis du roi. Dotée à l’origine d’un capital de 15 millions de livres, détenu par le roi, la noblesse et les villes marchandes, gérée par vingt et un directeurs représentant ces différents actionnaires, la Compagnie des Indes orientales a pour objectif premier le renforcement de la colonie de Madagascar et l’établissement de comptoirs français aux Indes. Après sa fusion, en mai 1719, avec la Compagnie d’Occident dans le cadre du système de Law, elle prend le nom de Compagnie française des Indes, étend ses activités jusqu’au Nouveau Monde, au Sénégal et au comptoir de Canton, en Chine, et reçoit en outre pour mission de coloniser le Mississippi. Mais, en Amérique comme à Madagascar, c’est un échec pour la Compagnie, qui rend bientôt l’administration du Mississippi à la couronne. En Inde, malgré de nombreux déboires, l’implantation réussit, marquée, entre autres, par la fondation de Pondichéry et de Chandernagor. Y sont envoyés plusieurs brillants gouverneurs, tels François Martin, Benoît Dumas et, plus tard, Dupleix. • Un bref apogée. Dupleix, gouverneur général des possessions françaises en Inde à partir de 1742, donne une extension considérable aux activités et aux territoires de la Compagnie en s’impliquant largement dans les affaires locales. Il intervient dans les
conflits entre les princes indiens pour en obtenir des avantages commerciaux, et réussit ainsi à mettre toute la péninsule du Deccan sous influence française. Néanmoins, la Compagnie manque de fonds de roulement pour soutenir une si grande entreprise, qui d’ailleurs n’intéresse pas les actionnaires. En outre, Versailles craint de mécontenter l’Angleterre, et les premiers revers que subit Dupleix provoquent son rappel. • La désagrégation d’un système. Confronté aux ambitions de Dupleix qui impliquaient une réorientation de la politique coloniale en Inde, le gouvernement de Louis XV et la Compagnie des Indes restent fidèles à une conception mercantiliste de l’expansion. En 1769, la Compagnie perd son monopole, et ses comptoirs reviennent à la couronne, qui prend en charge un passif énorme. La liquidation, progressive, ne sera achevée qu’en 1795. Entre-temps, en 1785, une nouvelle Compagnie des Indes a été créée, qui reçoit le monopole du commerce au-delà du Cap. Elle le perd en 1790, puis tente de tourner la législation sur les impôts établie par l’Assemblée législative en août 1792. Éclate alors le scandale de sa liquidation, dans lequel est impliqué un groupe de conventionnels, notamment Fabre d’Églantine, qui périt sur l’échafaud en avril 1794. La liquidation n’est pas pour autant réalisée : jusqu’en 1866, les actionnaires réclameront leur indemnisation. compagnonnage, désigne, depuis le XVIIIe siècle, les groupements, peut-être nés au XIVe siècle, de jeunes ouvriers dans des associations en principe clandestines, les « devoirs », eux-mêmes divisés en chapelles professionnelles, les « vacations ». Le compagnonnage, dont la principale ambition est la promotion du travail artisanal, représente un idéal de vie. Sa force réside moins dans le secret, à l’origine de sa condamnation en 1655 par la Sorbonne, que dans un esprit de corps fondé sur des valeurs de solidarité, de fraternité et d’honneur collectif, et dans sa capacité à contrôler le marché du travail. • Le secret. À partir du XVIe siècle, les compagnons se répartissent entre trois devoirs concurrents : les Enfants de maître Jacques - ou du Devoir (les Dévorants) -, les Enfants de Salomon - ou du Devoir de liberté (les Gavots) -, et les Enfants de maître Soubise (les Bons Drilles). Des légendes font remonter la fondation des devoirs à la construction du downloadModeText.vue.download 219 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 208 Temple de Jérusalem ; elles leur confèrent la légitimité de la tradition. Ces mythes nourrissent les rites d’initiation du compagnon qui entreprend son tour de France. Le vitrier Ménétra, par exemple, surnommé « Béjaune » après son apprentissage à Paris, est initié aspirant à Tours en 1758, et reçoit alors un nom symbolique, « Parisien le Bienvenu ». Puis, à mesure de son tour, il passe par deux états : compagnon reçu et compagnon fini. Il porte la canne et les couleurs, signes de reconnaissance de son devoir et de sa vacation. Membre d’une nouvelle famille, le compagnon vit en communauté à l’auberge compagnonnique, tenue par la Mère. La maison comporte un réfectoire, un dortoir et un lieu de réunion (la cayenne), dont la direction est assurée par des dignitaires. Élu capitaine à Lyon vers 1762, Ménétra dirige 62 compagnons. • Les valeurs. En réaction à l’individualisme, la solidarité est élevée au rang d’institution. Elle repose sur l’existence acceptée d’une hiérarchie et d’une discipline. Les activités quotidiennes s’entourent de rites, qui révèlent une sociabilité spécifique. Sous la direction du capitaine, les compagnons assistent aux cérémonies d’initiation tête nue, et ils sont placés selon leur ancienneté. Chaque cayenne dispose d’une caisse de secours alimentée par le droit d’embauche et par les amendes qui sanctionnent chaque manquement du compagnon. Ce « sabot » permet d’assurer protection et secours aux plus nécessiteux. Des fêtes, ou batteries, sont l’occasion de manifester la solidarité au sein d’un même devoir ; tandis que de véritables batailles rangées - à Lyon, en 1778, ou le long des grands chantiers ferroviaires, entre 1834 et 1845 - mettent aux prises Gavots et Dévorants, désireux de défendre l’honneur de leur propre devoir. • Le contrôle du marché du travail. À chaque étape de son voyage, le compagnon est attendu dans la cayenne par le rouleur qui a négocié son embauche auprès du patron (dit « singe » ou « dindon »). Si un maître est injuste, le devoir, en situation de monopole, prononce un interdit contre son atelier. En cas de solidarité patronale, la ville peut être « damnée », à l’exemple de Dijon, en 1738, par les menuisiers Gavots. Enfin, si les maîtres font appel à un autre devoir, ils déchaînent
une « guerre des devoirs ». Chaque devoir désigne des champions qui s’affrontent en exécutant un chef-d’oeuvre. Après le Premier Empire, le mouvement rencontre un regain de popularité. Deux hommes tentent de l’unifier. Agricol Perdiguier (Avignonnais la Vertu), dont le Livre du compagnonnage (1839) connaît un fort retentissement, est l’artisan de la « première réconciliation », à la faveur de la révolution de 1848. Lucien Blanc (Provençal le Résolu) est à l’origine de la fondation d’une union qui tente de regrouper les trois devoirs (1889). Mais ces tentatives restent sans lendemain. En 1900, 25 000 compagnons se répartissent entre trois groupes de sociétés. Une fédération est créée sous le régime de la charte du compagnonnage du 1er mai 1941, mais elle éclate à la Libération. Aujourd’hui, trois organismes maintiennent vivantes les traditions du compagnonnage : la Féfération compagnonnique, l’Union compagnonnique et l’Association ouvrière des compagnons du devoir. Compiègne (ordonnance de), acte royal promulgué le 5 décembre 1360 par Jean II le Bon pour régler la question de la monnaie et celle des impôts. De retour d’Angleterre, où il était captif, le roi cherche à se procurer l’argent nécessaire au paiement de sa rançon. En premier lieu, l’ordonnance met fin aux mutations monétaires, particulièrement nombreuses depuis le règne de Philippe IV le Bel : le nouveau système repose sur le franc or, valant une livre (soit vingt sous tournois), et sur des pièces d’argent valant un sou tournois. La livre, monnaie de compte, trouve ainsi un équivalent en monnaie réelle : le franc. La nouvelle monnaie dispose enfin d’une efficacité symbolique : son nom évoque les origines prestigieuses des rois de France, descendants présumés du Troyen Francus ; et la référence explicite à l’écu d’or du roi Saint Louis vise à renouer avec des temps de prospérité. En second lieu, l’ordonnance prévoit la généralisation de la fiscalité indirecte par l’établissement d’une taxe de 5 % sur tous les échanges et par l’extension de la gabelle à presque tout le royaume. Pour gérer la levée des aides, une administration des finances « extraordinaires » est mise en place : elle repose sur l’élu, agent nommé par le roi dans chaque diocèse pour mettre à ferme et collecter les impôts ; l’argent, centralisé ensuite à Paris, est confié à un collège de généraux trésoriers. Dans le contexte difficile qui suit la défaite de Poitiers (1356) et la Jac-
querie (1358), l’ordonnance, en favorisant les seigneurs fonciers, participe, à travers l’établissement d’un véritable système financier, de la volonté royale de restaurer le prestige et la puissance de la noblesse. comptes (Chambre des) ! Chambre des comptes comptes (Cour des) ! Cour des comptes comptoirs, terme qui désigne, à partir de la fin du XVIIe siècle, les agences de commerce d’une nation en pays étranger. Les comptoirs sont l’instrument de la formation du premier Empire colonial français, dont la constitution répond essentiellement à des objectifs commerciaux. • Assurer la prospérité du pays. L’établissement des comptoirs est en effet une des applications de la doctrine mercantiliste, qui domine alors la pensée économique : la source de la prospérité et de la puissance d’un État est l’excédent de sa balance commerciale, obtenue par l’exportation de produits manufacturés (industries de luxe, notamment) et la limitation des importations ; il s’agit donc, en particulier, de contrôler les territoires qui pourront procurer à la métropole les produits qui lui manquent. Après l’élan donné par Richelieu, c’est Colbert qui va définir et mettre en place une véritable politique coloniale. Les terres à coloniser sont celles qui fournissent les produits exotiques : les Indes occidentales (c’est-à-dire l’Amérique) pour le tabac, le coton, l’indigo et, à partir de 1640, le café et le sucre, le Canada pour les fourrures ; les Indes orientales pour les cotonnades (les fameuses « indiennes »), les soieries, le thé, les épices, etc. ; enfin, la côte occidentale africaine, où l’on trouve l’or, la gomme, l’ivoire et, bientôt, les esclaves qui vont travailler la canne à sucre aux Antilles. Le roi confie à des compagnies de commerce et de navigation dotées de privilèges (monopoles territoriaux) le soin d’y établir des comptoirs. Ainsi sont créés les comptoirs du Canada (Québec et Montréal), ceux du Sénégal (SaintLouis en 1638, Gorée)... La Compagnie des Indes orientales a pour mission d’établir des comptoirs aux Indes (Pondichéry, 1674), ainsi que quelques escales sur la route, telles l’île Bourbon (aujourd’hui la Réunion) et l’île de France (île Maurice). En revanche, après l’échec de la Compagnie des Indes occidentales (1674), les Antilles sont directement rat-
tachées à la couronne. • La fortune des ports. Le commerce avec les comptoirs favorise la création d’industries dans les ports ou dans leur arrière-pays : contre les matières premières venues d’outremer s’échangent des produits manufacturés français. Le commerce avec les Échelles - on appelle ainsi les comptoirs établis en terre d’islam, tels que Smyrne, Salonique, La Canée, etc. - fait la fortune de Marseille, qui exporte en Turquie les balles de draps du Languedoc, prend le contrôle de la caravane, c’est-à-dire du cabotage le long des côtes turques de Méditerranée, et établit un service de liaison par lettres de change entre les Échelles et Constantinople. À Rouen, comme dans de nombreux ports, se développent des raffineries, la fabrication de chaudrons pour la production du sucre, etc. Enfin, il faut assurer le ravitaillement des îles consacrées aux cultures d’exportation et leur envoyer farines, vins, toiles et couvertures, chaussures. Entre les ports de Nantes et Bordeaux, les comptoirs d’Afrique et les Antilles se développe le commerce triangulaire (produits finis, traite des esclaves, canne à sucre), qui représente en 1778 le tiers du commerce extérieur de la France métropolitaine. Ainsi, comptoirs et colonies jouent un rôle déterminant dans l’économie française d’Ancien Régime, que n’affectent guère les pertes du traité de Paris (1763). La France conserve en effet les principales îles des Antilles (Martinique, Guadeloupe, Saint-Domingue), le comptoir de Gorée au Sénégal - fondamental pour la traite des esclaves -, et les cinq comptoirs de l’Inde (Pondichéry, Chandernagor, Yanaon, Karikal et Mahé). Les principaux pôles du commerce maritime sont donc sauvés : c’est l’essentiel aux yeux des contemporains, par-delà l’humiliation de la défaite. Mais l’âge du mercantilisme touche alors à sa fin. Au XIXe siècle, surtout dans sa seconde moitié, sonne l’heure du nationalisme et de l’impérialisme. À partir de la conquête de l’Algérie, un deuxième empire colonial français se constitue, fondé sur l’expansion territoriale et non plus sur l’établissement de comptoirs. Ceux-ci seront intégrés dans le nouvel ensemble. downloadModeText.vue.download 220 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 209 Comtat Venaissin ou Comtat, ancien pays provençal correspondant à la moitié
ouest de l’actuel département du Vaucluse ; possession du Saint-Siège de 1274 à 1791. Prenant appui sur le Rhône, voie stratégique, le Comtat passe de main en main au fil des siècles. Pays celte des Voconces conquis par les Romains à la fin du IIe siècle avant J.-C., il s’inscrit dans la Provincia, devenue la Narbonnaise sous Auguste, puis dans la Viennoise, province de la Gaule romaine du début du IVe siècle, avant d’être inclus, à la suite des grandes invasions du Ve siècle, dans le royaume des Burgondes, bientôt démembré par les Francs. Tirant son nom de Venasque, sa capitale et siège de l’évêché de Carpentras du VIe au Xe siècle, le Comtat, passé sous différentes suzerainetés au gré des partages mérovingiens, carolingiens et féodaux, est annexé en 1125 par le puissant comté de Toulouse. Une première fois cédé au pape (1229), au terme de la croisade des albigeois marquée par la victoire des rois capétiens alliés à la papauté, il est donné au Saint-Siège en 1274 par Philippe le Hardi, hormis Avignon, que Philippe le Bel vend, en 1290, au comte d’Anjou et de Provence. Fuyant Rome, la papauté, liée à la couronne de France, s’installe dans le Comtat de 1309 à 1377, et achète Avignon en 1348, y attirant une cour brillante. Cette période de prospérité sera qualifiée de « captivité de Babylone ». Après le retour du SaintSiège à Rome et pendant le grand schisme d’Occident (1378-1417), Avignon devient le siège des antipapes ; par la suite, le pontife est représenté dans la cité par un légat, puis par un vice-légat (1590), l’évêque de Carpentras gouvernant le Comtat en son nom. Enclave étrangère, le Comtat est occupé à plusieurs reprises par les armées royales lors de conflits avec le Saint-Siège et enserré de barrières douanières contraignantes au XVIIe siècle. Le début de la Révolution est marqué par l’opposition entre bas Comtat et haut Comtat ; Avignon demande, en juin 1790, la réunion à la France […] voulue par la bourgeoisie […], alors qu’à Carpentras se réunit une assemblée représentative fidèle au pape. Les deux parties rivales se livrent un combat sanglant et retentissant (prise de Cavaillon par les Avignonnais, qui échouent toutefois devant Carpentras). Le décret de la Constituante du 14 septembre 1791 réunit finalement le Comtat et Avignon à la France, plus de 60 % des Comtadins ayant approuvé la réunion par plébiscite, pendant l’été. Cette annexion, qui ne fait cesser ni les luttes internes ni les violences, tel le massacre de la Glacière d’octobre 1791, est reconnue par le pape Pie VI en 1797, au traité de Tolentino.
comte, titre donné, au Bas-Empire romain, à des fonctionnaires régionaux, puis dignité, devenue héréditaire au cours de la constitution des principautés féodales, et, enfin, titre nobiliaire honorifique. Le terme « comte » (du latin comes, « compagnon ») désigne d’abord, à partir du IIIe siècle, divers fonctionnaires de l’administration centrale de l’Empire romain, avant de s’appliquer à des fonctionnaires régionaux. Ce n’est qu’à partir du Ve siècle que ce titre est donné aux représentants de l’autorité publique dans les provinces : il est probable qu’il y a eu alors un comte dans la plupart des cités. Au VIe siècle, dans le royaume des Francs, le comte est le représentant direct du roi, qui le nomme librement et peut le révoquer. Souvent issu de l’aristocratie gallo-romaine, il est le principal juge public dans son ressort territorial ; il exécute les sentences et est responsable du maintien de l’ordre. Chef militaire des hommes libres, c’est lui qui lève les impôts, contrôle les douanes et veille à la gestion des biens fiscaux - c’est-à-dire des biens qui appartiennent au roi -, dont une partie est mise à sa disposition en rémunération de sa charge. L’hérédité de la charge comtale dans certaines familles de l’aristocratie apparaît dès le VIe siècle, mais elle n’est officiellement reconnue que par l’édit de Paris (18 octobre 614). C’est également dans la première moitié du VIIe siècle qu’est attestée la présence, dans l’entourage royal, du « comte du palais », un officier de l’administration centrale qui assiste le roi dans l’exercice de la justice. Mais, lorsque la fonction royale s’affaiblit, après 650, la charge comtale disparaît peu à peu. • La constitution de dynasties puissantes. Ce sont les Carolingiens qui rétablissent les comtes afin d’en faire de véritables agents de leur politique dans les provinces. Ils sont choisis parmi l’aristocratie locale ralliée à la nouvelle dynastie ou bien « déplacés » par le roi d’un bout à l’autre du royaume. C’est ce « brassage » des familles comtales qui donne naissance à l’« aristocratie d’empire », caractéristique du monde carolingien du IXe siècle. Le comte carolingien a les mêmes attributions que celui de l’époque mérovingienne : il est le délégué permanent de l’autorité royale. Il n’existe guère de pouvoir intermédiaire entre lui et le roi, même si Charlemagne a fait surveiller ses comtes par des enquêteurs (les missi dominici). En rémunération de sa fonction, le comte jouit des revenus d’une partie des terres fiscales qui constitue, avec sa charge,
ce qu’on appelle l’honor comtal. Les comtes pourvus des honores les plus prestigieux et les plus rémunérateurs vont devenir très puissants ; ils parviennent, dans la seconde moitié du IXe siècle, à cumuler plusieurs charges comtales et à en faire reconnaître l’hérédité. De ce fait, se considérant de moins en moins comme des fonctionnaires du roi, ils ont tendance à mener une politique de plus en plus indépendante. Aussi, le cumul de comtés estil le fondement des principautés territoriales du Xe siècle ; certains princes, tel le comte de Flandre, ne porteront pas d’autres titres que le titre comtal. • La diffusion du titre comtal. à partir du XIe siècle, cependant, certains officiers subalternes du comte, tels le vicomte ou le viguier, peuvent se rendre indépendants en s’appuyant sur la possession de plusieurs forteresses et prendre à leur tour le titre comtal : c’est le cas du comte d’Anjou et du comte de Blois. peu à peu, tous les comtes sont englobés dans la nouvelle hiérarchie féodale qui structure le royaume de France, et dans laquelle ils tiennent une des premières places. Au XIIIe siècle, on distingue parmi eux les six pairs de France qui siègent à la cour du roi pour rendre la justice. À partir de la fin de ce siècle, les comtes perdent les droits de souveraineté qu’ils exerçaient sur leurs comtés, droits qui sont repris par le roi en échange de privilèges considérables, tels que l’exemption fiscale et le quasi-monopole de certains emplois. Enfin, à partir du XVIe siècle, la vénalité des charges s’étendant aux seigneuries, le roi vend le titre comtal par lettres patentes, et, au XVIIIe siècle, par simple brevet, qui n’a de valeur que pour l’acquéreur et n’est pas transmissible à ses enfants. Comte (Auguste), philosophe, fondateur du positivisme (Montpellier 1798 - Paris 1857). Entré en 1814 à l’École polytechnique, Comte est renvoyé deux ans plus tard avec sa promotion, et l’École, considérée comme un foyer de rébellion, est fermée. Il subsiste alors en donnant des leçons particulières, puis devient secrétaire de Saint-Simon, dont il rédige en partie le Système industriel (1820-1822). Mais il s’en éloigne pour développer ses propres théories et, dès 1826, ouvre dans son appartement un « Cours de philosophie positive », qu’il publie à partir de 1830. Un moment interné, en proie à des difficultés conjugales et financières, il poursuit cependant l’élaboration d’une doctrine qui vise à repenser, puis à réorganiser scientifiquement la société : le tome IV du Cours fonde la sociologie. Critiqué
par ses collègues, mais soutenu à l’étranger par Stuart Mill, Comte cherche à convertir les prolétaires à ses théories en ouvrant un cours public et gratuit d’astronomie, à partir duquel il publie en 1844 le Discours sur l’esprit positif, résumé de sa doctrine. Accueillant la révolution de 1848 comme un événement capital, il déploie alors la philosophie positive en « positivisme », avec le soutien de Littré ; il crée la Société positiviste, puis ouvre en 1849 un cours populaire et gratuit sur l’histoire générale de l’humanité. Marqué par la rencontre et la mort précoce en 1846 de Clotilde de Vaux, il prolonge le positivisme en religion de l’humanité : un système de commémoration et un culte sont détaillés dans le Calendrier (dont l’an I est 1789) et le Catéchisme positiviste, théorisés dans le Système de politique positive, dont le tome I paraît en 1851. L’inflexion de sa doctrine et son ralliement à Louis Napoléon Bonaparte divisent les positivistes et isolent progressivement Comte, qui rompt avec Littré, hostile au coup d’État. Napoléon III ne s’étant pas converti au positivisme, le philosophe dénonce le « mamamouchi » et voit son cours interdit en 1852. Les tomes II à IV du Système de politique positive (1852-1854) paraissent dans l’indifférence générale, ainsi que l’Appel aux conservateurs (1855), où catholiques et positivistes sont invités à s’unir provisoirement. Comte meurt le 5 septembre 1857. Son enterrement au cimetière du Père-Lachaise, où sa tombe fera l’objet d’un culte, est suivi par quelques disciples et Proudhon. Après sa mort, Pierre Laffitte poursuit son oeuvre, professant un enseignement positiviste à la Sorbonne, puis au Collège de France. En 1902, il lui fait élever une statue, placée devant la Sorbonne. downloadModeText.vue.download 221 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 210 Conciergerie, prison du Palais des rois de France, édifiée à Paris sur l’île de la Cité. La Conciergerie est au Moyen Âge placée sous l’autorité du « concierge », officier royal responsable de l’ordre et de la gestion des bâtiments palatiaux. Au XIVe siècle, le Palais est cédé au parlement, cour souveraine de justice. Composée de locaux disparates comprenant en bordure de Seine les quatre tours de la façade nord, la Conciergerie devient alors, et
pour près de six siècles, la prison des inculpés en cours de jugement. En 1790, le parlement fait place au Tribunal criminel, puis, d’avril 1793 à août 1794, au Tribunal révolutionnaire. En dépit des massacres de prisonniers en septembre 1792, la Conciergerie est vite surpeuplée lors de la Terreur : en décembre 1793, on compte environ 500 détenus dans un espace prévu pour 300 personnes. À la fois lieu de concentration des détenus et point de départ des charrettes vers la guillotine, la « dernière prison » héberge en dix-sept mois plus de 2 600 condamnés à mort, dont la reine Marie-Antoinette d’août à octobre 1793, puis de nombreuses figures de la Révolution : les girondins Hébert, Danton et Desmoulins, jusqu’à Robespierre et ses partisans en août 1794. Au XIXe siècle, du royaliste Cadoudal à l’anarchiste Ravachol, plusieurs criminels de renom y sont internés. Désaffectée en 1914, la Conciergerie demeure un lieu de mémoire, qu’attire de nombreux visiteurs intéressés par son architecture palatiale et par les tragiques événements qui s’y sont déroulés. La commémoration du bicentenaire de la Révolution a été l’occasion de nouveaux réaménagements. Concini (Concino), favori de Marie de Médicis (Florence, vers 1575 - Paris 1617). Concini devient rapidement célèbre, à Florence, pour ses escroqueries et ses débauches. Aussi, en 1600, son oncle, secrétaire d’État du grand-duc de Toscane, se débarrasse-t-il de cet intrigant en l’envoyant en France, avec la suite de Marie de Médicis, future femme d’Henri IV, dont il séduit et épouse la soeur de lait et femme de chambre, Leonora Galigaï. Bien de sa personne, ambitieux, habile et roué, il s’attire les grâces de la reine, qui le couvre de faveurs : en 1610, il devient conseiller d’État et premier gentilhomme de la Chambre du roi ; il achète, l’année suivante, le marquisat d’Ancre, et obtient, en 1613, le titre de maréchal de France sans jamais avoir commandé d’armée ; il est aussi nommé gouverneur de plusieurs provinces (Picardie, Normandie). Durant la régence de Marie de Médicis (1610/1617), il évince rapidement Sully (ministre et ami du défunt Henri IV), se retrouve ministre de fait, et exerce, grâce à un réseau d’espions, une autorité tyrannique. Louis XIII est tenu à l’écart du pouvoir. Mais la fortune scandaleuse de Concini, ses abus, l’incohérence de sa politique, son rang, valent rapidement à ce « parvenu » la haine de la noblesse et du jeune roi. Les grands du royaume tentent à plusieurs reprises, sans succès, de provoquer sa chute. Charles de Luynes, favori de Louis XIII, persuade celui-ci de s’éman-
ciper et de faire assassiner Concini ; ce dernier est exécuté, le 24 avril 1617, par Vitry, capitaine des gardes du corps, dans la cour du Louvre. Le lendemain de ses funérailles, la population déterre son corps, le pend à un gibet sur le Pont-Neuf, et le découpe en morceaux. Sa femme, disgraciée et accusée de sorcellerie, est brûlée en place de Grève. « Je suis roi, maintenant », déclare Louis XIII, qui évince alors du pouvoir sa mère, la régente, et renvoie, momentanément, Richelieu. Personnage mystérieux, cruel et ambitieux, Concini a suscité des violences populaires telles que l’on n’en avait pas revu depuis les guerres de Religion. concordat, traité conclu entre le SaintSiège et un État pour fixer les droits respectifs de l’Église et de cet État. À la fin du Moyen Âge, les rivalités qui opposent le pape et le roi au sujet du gouvernement de l’Église du royaume de France conduisent à négocier un accord aboutissant, en 1516, au concordat de Bologne, dont les principes demeurent en usage jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. • De la nécessité d’un concordat. À partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, le développement de la souveraineté royale vient contrarier la volonté théocratique du pape de contrôler l’ensemble de l’Église. Le roi de France, responsable de l’Église du royaume, en vertu du serment du sacre, estime devoir disposer de pouvoirs élargis, mais il se heurte aux prétentions pontificales. Les principaux points de litige portent sur la question financière des taxes que le monarque peut exiger du clergé, sur l’attribution des bénéfices ecclé siastiques - le roi aussi bien que le pape désirant choisir et nommer évêques et abbés à leur guise -, et sur un certain nombre de problèmes de compétences juridictionnelles. Le conflit qui oppose Philippe le Bel et Boniface VIII, entre 1296 et 1303, ouvre la voie au gallicanisme. Au cours du XIVe siècle, la présence des papes en Avignon et leur origine le plus souvent française facilitent l’entente avec la monarchie. Les problèmes sont alors réglés au cas par cas. Mais le grand schisme d’Occident (1378-1417), dans le contexte de la guerre de Cent Ans, fragilise cette entente et aiguise les rivalités. Peu à peu, un accord stable et définitif devient nécessaire. • Les premiers concordats. Lors du concile de Constance (1414-1418), qui met fin au schisme, la délégation du clergé français s’en-
tend avec le nouveau pape Martin V, élu en 1417 : le principe de l’élection des évêques par les chanoines et de celle des abbés par les moines est admis ; les revenus prélevés sur le clergé sont partagés entre le pape et le roi. Ce premier concordat est immédiatement reconnu par les Bourguignons et par les Anglais, qui occupent le nord du royaume. Mais il ne satisfait pas le dauphin Charles, qui s’estime lésé. Toutefois, la guerre le contraint à reconnaître le traité en 1426, à l’issue de quelques modestes modifications obtenues du pape. En 1438, l’amélioration de la situation politique et militaire, et la tenue d’un nouveau concile à Bâle à partir de 1431, donnent l’occasion à Charles VII d’obtenir un accord plus favorable. Il réunit à Bourges une assemblée du clergé chargée d’élaborer un nouveau texte à partir des décisions du concile : la pragmatique sanction de Bourges, publiée le 7 juillet 1438, propose un règlement d’ensemble du gouvernement de l’Église de France. Dans les domaines financier et judiciaire, le pape perd l’essentiel de ses prérogatives, qui échoient au roi. Le principe des élections aux bénéfices ecclésiastiques majeurs est conservé. La pragmatique sanction ne convient pas au pape, qui la rejette vigoureusement ; elle ne satisfait pas non plus le roi, mais celui-ci s’en accommode ; Louis XI l’abolit en 1461, mais la rétablit dès 1463-1464, faute d’entente avec Rome. Dans la pratique, le principe de l’élection n’est guère appliqué : Louis XI, Charles VIII et Louis XII continuent de s’entendre avec les papes pour nommer leurs candidats. • Le concordat de 1516. Au début du XVIe siècle, les campagnes françaises en Italie et le conflit avec la papauté modifient considérablement la situation. La victoire de Marignan (1515) permet au roi de France d’imposer enfin ses vues au pape : le concordat de Bologne, signé par François Ier et Léon X le 18 août 1516, assure au roi de larges pouvoirs sur l’Église du royaume. Le souverain obtient le droit de nomination pour dix archevêchés, quatre-vingts évêchés, cinq cents abbayes et plus d’un millier de prieurés, la reconnaissance et l’officialisation des prélèvements royaux sur le clergé, ainsi que la limitation des causes judiciaires traitées à Rome. Pour sa part, le pape se satisfait de conserver l’investiture spirituelle pour les évêques et certaines taxes fiscales. Quant aux gallicans attachés au principe de l’élection - notamment le parlement de Paris et la Sorbonne -, ils sont contraints par le roi à accepter le texte. Le concordat de Bologne renforce simultané-
ment la cohésion ecclésiastique du royaume et l’autorité de la monarchie. Il érige le roi, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, en maître incontesté des structures ecclésiastiques de France. Ce concordat sera aboli unilatéralement par l’Assemblée constituante lorsque celle-ci adoptera la Constitution civile du clergé en 1790, Constitution qui sera ellemême abolie par le Concordat de 1801. Concordat de 1801, traité entre le SaintSiège et le Consulat mettant fin au schisme - entre clergé réfractaire et clergé constitutionnel - provoqué par la Révolution. • Des négociations délicates. Pour ramener la paix intérieure, Bonaparte, alors Premier consul, doit régler les querelles religieuses. Afin de stabiliser son pouvoir, il lui faut, en outre, affaiblir les royalistes qui, depuis la Constitution civile du clergé de 1790, tirent profit de la querelle religieuse opposant Rome au gouvernement français. Aussi fait-il part au pape, en juin 1800, de sa volonté de mettre fin au schisme. Soucieux de restaurer la place et l’unité de l’Église catholique en France, Pie VII accepte d’ouvrir des négociations. De plus, les récentes victoires de Bonaparte en Italie l’engagent à ménager ce nouveau pouvoir, et à délaisser le prétendant Bourbon au trône. Entre la proposition de Bonaparte et la signature du Concordat, plus d’une année s’écoule. Les tractations sont menées à Paris et à Rome. Dix projets et contre-projets se downloadModeText.vue.download 222 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 211 succèdent, et la rupture est évitée de justesse plusieurs fois. Le texte définitif est signé le 15 juillet 1801, à minuit. • Le compromis. La « Convention entre Sa Sainteté Pie VII et le gouvernement français » reconnaît, dans son préambule, que « la religion catholique est la religion de la grande majorité des Français ». Cette formulation permet de respecter la volonté de Bonaparte de ne pas présenter le catholicisme comme un culte officiel. La célébration du culte, libre et publique, doit se plier aux règlements de police. Le pape doit obtenir la démission de tous les évêques, tant constitutionnels que réfractaires, afin que le Premier consul puisse en nommer de nouveaux. Ceux-ci reçoivent l’investiture canonique du souverain pontife. Le Saint-Siège et les évêques sont tenus de procéder, respec-
tivement, au redécoupage des évêchés et des paroisses, sous le contrôle de l’administration. Les évêques choisissent leurs curés parmi ceux agréés par le gouvernement. Évêques et curés perçoivent un traitement acquitté par l’État, mais le pape renonce à réclamer les biens du clergé vendus pendant la Révolution. Un serment de fidélité au gouvernement remplace celui de fidélité à la Constitution. Ce texte, fruit d’un réel compromis, laisse néanmoins clairement transparaître les exigences de Bonaparte. • Une mise en oeuvre difficile. Les opposants au Concordat sont nombreux, tant à Rome qu’en France. Le pape s’emploie pendant un mois à convaincre ses cardinaux d’accepter l’irrévocabilité de la vente des biens ecclésiastiques mis à la disposition de la nation en 1789. Bonaparte doit soumettre le traité à des Assemblées qui comptent, à la fois, de farouches anticléricaux et des défenseurs de l’Église constitutionnelle. Il épure ces Assemblées, et, par une décision unilatérale, ajoute au texte originel des « Articles organiques ». Ceux-ci renforcent l’emprise du gouvernement sur l’Église, et réintroduisent le gallicanisme ; ils sont adoptés par la loi du 18 germinal an X (8 avril 1802), votée à une courte majorité, dans un contexte favorable à Bonaparte, qui vient de signer la paix d’Amiens avec l’Angleterre. Le renouvellement complet du personnel ecclésiastique ne s’effectue pas sans heurts. Certains évêques réfractaires exilés restent fidèles au roi qui les a nommés, et refusent de donner leur démission au pape. Parmi eux, d’aucuns encouragent la résistance. Ils sont à l’origine d’un mouvement schismatique connu sous le nom de « Petite Église », assez bien implanté dans la région de Lyon, et sévèrement réprimé. Au sein de l’Église dite « concordataire », le Premier consul impose le réemploi d’une partie du clergé constitutionnel. Mais les anciens réfractaires sont majoritaires et occupent les places les plus importantes. Très rapidement, cette nouvelle Église connaît une crise de recrutement. Les quelques séminaires créés ne permettent pas à l’Empire de disposer d’effectifs comparables à ceux d’avant 1789. Conjugaison d’intérêts politiques et spirituels, le Concordat de 1801 fournit au culte catholique les structures nécessaires à son redressement. Il est resté en vigueur jusqu’au vote de la loi de séparation des Églises et de l’État, en 1905. Il est toujours appliqué dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, qui, entre 1871 et 1918, constituaient les territoires d’Alsace-Lorraine annexés par l’Allemagne.
Concorde (place de la), place située à Paris, entre les Champs-Élysées et les Tuileries, aménagée à l’origine en l’honneur de Louis XV, sur décision de la municipalité (1748). Jacques Ange Gabriel, architecte du roi, établit les plans définitifs en 1756 et mène les travaux de 1763 à 1772. La place Louis-XV, de forme octogonale, est entourée de fossés ; du côté opposé au fleuve, elle est bordée de bâtiments au centre desquels est percée une trouée - l’actuelle rue Royale -, prévue pour conduire à une église - aujourd’hui la Madeleine. Avec les bouleversements révolutionnaires, les symboles de la royauté sont abolis : en 1792, la statue équestre de Louis XV, réalisée par Bouchardon, est remplacée par une statue de la Liberté, et la place prend le nom de « place de la Révolution ». Près de 1 200 condamnés y seront guillotinés, dont Louis XVI. Par la suite, fluctuations politiques et changements de régime se reflètent dans les dénominations successives du lieu : place de la Concorde en 1795, place Louis-XV à la Restauration (1815), puis LouisXVI en 1826, avant le retour définitif, en 1830, à l’appellation de Concorde. La décoration est alors achevée avec l’érection de l’obélisque de Louqsor (1836) et la réalisation, sous LouisPhilippe, de huit statues représentant les principales villes de France et symbolisant l’unité et la paix retrouvées. Proche de l’Assemblée nationale - la sanglante manifestation antiparlementaire du 6 février 1934 s’y est d’ailleurs déroulée -, inscrite dans l’axe triomphal des Champs-Élysées, la place continue d’être le lieu d’une convivialité commémorative consensuelle (défilé du 14 Juillet), ou plus partisane (la Concorde s’oppose alors à la Bastille, à la République ou à la Nation, lieux de rassemblements traditionnels de la gauche). Condé (Louis Ier de Bourbon, prince de), prince du sang et pair de France, premier chef du parti réformé durant les guerres de Religion (Vendôme 1530 - Jarnac 1569). Simple cadet de famille, dont l’honneur est entaché par la trahison du connétable de Bourbon (Charles III de Bourbon) - son père -, le prince de Condé est en quête d’une reconnaissance politique digne de son rang. Malgré des succès militaires notables durant les campagnes d’Henri II, il n’obtient pas de charges à la hauteur de ses ambitions. Dès les premiers troubles religieux, il rallie la cause et la confession des réformés contre le gouvernement des Guises (1560). En raison de la défection de son frère aîné, Antoine de Bourbon, l’Église calviniste le désigne comme protecteur géné-
ral des Églises de France. Après le massacre de Vassy, le prince déclenche la première guerre de Religion (manifeste du 2 avril 1562), et se fait le tenant d’une politique offensive lors des rébellions suivantes (1567-1568 ; 15691570) : tentative de contrôler la personne de Charles IX ; prises de villes. Fait prisonnier lors de la bataille de Jarnac, il est traîtreusement assassiné par le sieur de Montesquiou. Le prince de Condé est parvenu à unir, sur le prestige de son nom, une clientèle aristocratique principalement méridionale et un réseau efficace d’églises. Il a ainsi organisé le parti réformé, bien que certains aient déploré la « déconfessionnalisation » partielle de ses protestations armées, au profit de sa soif de pouvoir et de l’expression du mécontentement nobiliaire. Condé (Louis II de Bourbon, duc d’Enghien, puis 4e prince de), dit le Grand Condé, grand capitaine et chef de la Fronde (Paris 1621 - Fontainebleau 1686). Immortalisé à 21 ans par sa victoire de Rocroi (19 mai 1643) sur les tercios espagnols, réputés invincibles ; gouverneur de Champagne et de Brie (1644), de Guyenne, du Berry et de Bourgogne (1646), grand maître de France, Condé a tout : la naissance - il est premier prince du sang -, la fortune - que symbolise le château de Chantilly -, la bravoure, le sens de la stratégie. Mais, héritier d’une famille volontiers rebelle - le frère de sa mère, Montmorency, est mort décapité -, il nourrit une ambition démesurée. Fier de ses victoires - Arras (1640), Perpignan (1642), Rocroi (le jour même des funérailles de Louis XIII à Saint-Denis), Nördlingen (1645), Dunkerque (1646) -, il se pose en héritier de Richelieu, dont il a épousé la nièce. Aussi, en 1646, sollicite-t-il la « Grande Maîtrise de la navigation et commerce de France », après la mort de son beau-frère Maillé-Brézé, tué à son bord à Orbitello. Mazarin refuse, et Anne d’Autriche prend pour elle-même cette charge (1646-1650) ! Néanmoins, Condé entre au Conseil (1647). Après une nouvelle victoire (Lens, 1648), qui ouvre la voie au traité de Westphalie, ses appétits grandissent. Rival déclaré de Mazarin, il sauve le trône au début de la Fronde, au combat de Charenton. Mais Mazarin, méfiant, le fait enfermer à Vincennes (1650), puis au Havre, avec Conti et Longueville. La Grande Maîtrise de la navigation, si convoitée, est donnée par la reine à César de Bourbon-Vendôme, afin de diviser les frondeurs. Aussi, dès sa libération en 1651, Condé combat l’armée du roi : Bléneau, Étampes, Paris - devant la porte Saint-Antoine, en 1652. Mais,
impopulaire, contraint de gagner Bordeaux, déchu de ses dignités et gouvernements, ses biens étant confisqués, il passe au service de l’Espagne, assiège Rocroi (1653), Arras (1654), est condamné à mort la même année. Battu par Turenne aux Dunes en 1658, il mettra le genou à terre devant le roi à Aix, en 1660. Pardonné, rentré en grâce, il se rachète en conquérant la Franche-Comté, en 1668, et en remportant la victoire de Seneffe en 1674 pendant la guerre de Hollande. Elle lui permet de succéder à Turenne en Alsace. Retiré du service, pivot d’une véritable cour à Chantilly, il s’entoure d’écrivains : Boileau, Racine, La Bruyère. Bossuet prononcera son oraison funèbre. Condé (Louis Henri, duc de Bourbon, 7e prince de), dit Monsieur le Duc, prince de sang (Versailles 1692 - Chantilly 1740). Il est le fils de Louis III de Bourbon-Condé. Dès la fin du règne de Louis XIV, son statut de prince du sang lui permet de jouir d’une certaine influence à la cour. Après la mort du roi, il est tout d’abord méfiant à l’égard du Régent. downloadModeText.vue.download 223 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 212 Mais Philippe d’Orléans obtient son allégeance en le nommant à la tête du Conseil de régence, et surintendant à l’éducation du roi. Par la position qu’il occupe, il réalise d’importants profits dans diverses opérations commerciales, en particulier grâce au système de Law. En échange de ces avantages, le Régent peut compter sur la neutralité du groupe des princes du sang, dont Monsieur le Duc est l’un des principaux chefs. En 1723, après la mort de Philippe d’Orléans, il devient Premier ministre. Le libéralisme avait marqué la période précédente, mais le duc et sa maîtresse, la marquise de Prie, appliquent une politique déflationniste et créent un nouvel impôt (le « cinquantième », qui ne pourra pas être levé). De leur côté, les protestants sont l’objet d’une politique plus rigide. En 1725, le duc est l’artisan du mariage de Louis XV et de Marie Leszczy[‘]nska, fille du roi de Pologne. L’arrivée au gouvernement de Fleury (1726), appelé par le jeune roi, l’échec de la politique fiscale et, d’une certaine manière, le rang du prince et duc mais aussi sa relation avec Mme de Prie provoquent la destitution de l’ancien précepteur et son exil sur ses terres de Chantilly. Condé (Louis Joseph de Bourbon, prince de), émigré contre-révolutionnaire, organisa-
teur du noyau de l’armée des Princes (Paris 1736 - id. 1818). Cousin de Louis XVI, ce héros de la guerre de Sept Ans, qui connaît une brève disgrâce pour s’être opposé au ministère Maupeou en 1771, se fait d’emblée l’un des principaux animateurs de la Contre-Révolution. Hostile à l’administration royale lors de l’assemblée des notables de 1787, mais farouche défenseur des ordres privilégiés, il refuse, en 1788, le doublement du tiers état et compose le mémoire des princes du sang dénonçant la révolution naissante. En 1789, il fait partie de ceux qui conseillent à Louis XVI le coup de force contre le tiers état et le renvoi de Necker. Émigré dans la nuit du 16 au 17 juillet 1789, il participe activement, avec le comité de Turin, à la conspiration de Lyon de 1790, puis devient l’un des chefs de l’émigration militaire. Il s’installe au début de l’année 1791 outre-Rhin, où il forme sa propre armée - composée de nobles ultras, mais seul corps émigré digne de ce nom -, et appelle à une croisade royaliste. Écarté des opérations militaires de 1792, il obtient, après Valmy, lors du licenciement des armées émigrées, que seul son corps ne soit pas dissous. Celui-ci est alors financé par l’Autriche, puis par la Russie, enfin par l’Angleterre, participe à diverses campagnes et suit les errances de son chef. Après avoir pris une part active dans l’expédition de Quiberon et dans la trahison de Pichegru, Condé combat jusqu’en 1799 avec son armée, qu’il dissout en mai 1801. Retiré en Angleterre, il regagne la France à la Restauration. Condé (maison de), branche des Bourbons issue d’un oncle d’Henri IV. À la cour, le prince de Condé, longtemps premier prince du sang, est appelé « Monsieur le Prince », et son fils aîné est duc d’Enghien. Au XVIe siècle, la maison s’illustre avec le premier prince de Condé, Louis Ier (1530-1569), frère d’Antoine de Bourbon (père du Béarnais). Calviniste et chef du parti huguenot, rival des Guises, vaincu à Dreux (1562) et à Jarnac (1569), il y est assassiné, peut-être à l’instigation du duc d’Anjou. Et son fils, Henri Ier (1552-1588), deuxième prince de Condé, allié d’Henri III de Navarre, se distingue contre les catholiques à Coutras. Au XVIIe siècle, la maison s’illustre avec Louis II, dit le Grand Condé, et s’installe au château de Chantilly (1643), propriété de la famille jusqu’en 1830. Au XVIIIe siècle, Louis Joseph de Bourbon, prince de Condé (1736-1818), émigre et crée, en 1792, l’armée dite « de Condé », qui, au sein de l’armée des princes,
combat les armées républicaines. Il est l’avantdernier de la maison. Son petit-fils unique, Louis Antoine Henri de Bourbon, duc d’Enghien, est fusillé le 21 mars 1804 dans les fossés du château de Vincennes, Bonaparte l’ayant soupçonné de complicité avec Cadoudal et Pichegru. Condorcet (Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de), mathématicien, philosophe et homme politique (Ribemont, Aisne, 1743 - Bourg-la-Reine 1794). Issu d’une famille d’ancienne noblesse dauphinoise, éduqué par les jésuites, élève au collège de Navarre, à Paris, Condorcet est distingué par d’Alembert. Il s’impose d’abord par un Essai sur le calcul intégral (1765). • Des Lumières à la Révolution. Élu à l’Académie des sciences en 1769, il en devient le secrétaire perpétuel en 1773, composant, avec ses Éloges des savants morts entre 1666 et 1699, une sorte d’histoire des sciences. Lié aux physiocrates (Quesnay, Turgot) et aux Philosophes, fréquentant le salon de Julie de Lespinasse, il rédige pour l’Encyclopédie des articles d’économie politique. En 1775, Turgot le nomme inspecteur général des monnaies. Élu en 1782 à l’Académie française, il participe aux débats et campagnes d’idées précédant la Révolution et ayant trait tant à la liberté économique qu’à la tolérance, aux droits de l’homme, à l’esclavage ou à l’égalité des femmes. En 1786, il épouse Sophie de Grouchy, soeur du futur maréchal, qui tient un salon influent où se rencontrent Chamfort, Beaumarchais, Mirabeau, Adam Smith, Cloots, Beccaria, Jefferson... Membre de la municipalité parisienne en 1790, député de Paris à l’Assemblée législative, Condorcet, d’abord monarchiste constitutionnel, se déclare républicain après le 10 août 1792, année où il publie cinq Mémoires sur l’instruction publique et un Rapport sur le projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction publique. Député de l’Aisne à la Convention, il ne vote pas la mort du roi. Ami des girondins, il est décrété d’accusation en juillet 1793 et réussit à se cacher à Paris durant huit mois, rédigeant son Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, qui ne sera publiée, grâce à son ami Cabanis, qu’en 1795. Contraint de quitter sa retraite, il est arrêté à Clamart, conduit à la prison de Bourg-Égalité (Bourgla-Reine) où, le lendemain, le 29 mars 1794, on le trouve mort dans sa cellule, par épuisement ou suicide, on l’ignore. • Une philosophie rationaliste du progrès.
Condorcet prône une science de l’homme, individuel ou collectif, moyen du progrès politique et social, qu’il élabore grâce à l’outil mathématique. Ainsi, ses travaux sur le calcul des probabilités et les statistiques établissent un modèle du vote (Essai sur l’application de l’analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix, 1785), et sa réflexion aboutit à une mathématique sociale fondant la démocratie par élimination rationnelle des inégalités économiques ou culturelles (Tableau général de la science qui a pour objet l’application du calcul aux sciences politiques et sociales, 1793). De même, ses projets éducatifs visent à créer un système laïque formateur du citoyen dont s’inspirera la IIIe République. Manifeste en faveur de l’idée de progrès, son ouvrage posthume apparaît comme un testament auquel se référeront les Idéologues, dernière génération des Lumières : influencé par le Tableau philosophique des progrès de l’esprit humain de Turgot (1750), conçu comme une introduction à l’histoire des rapports de la science et de la société, ce texte organise l’évolution de l’humanité en dix périodes, où s’effectue son émancipation progressive des entraves nées de la nature ou de l’homme luimême. Fondée sur la notion de perfectibilité, l’Esquisse est l’affirmation d’une foi indéfectible dans le progrès indéfini des Lumières, de la science et de la technique, et dans un avenir marqué par la rationalité des sciences sociales, instrument véritable de la liberté démocratique. Condorcet fut pendant presque vingt ans le principal porte-parole de la science officielle en France, jouissant d’une renommée européenne. Il demeure surtout un théoricien de la science et un formulateur des postulats fondamentaux des Lumières. Au coeur de sa pensée, le rôle du savant dans la société le conduisit à tenter de résoudre la tension entre élitisme scientifique et libéralisme démocratique. confédération du Rhin ! Rhin (confédération du) confrérie, association de dévotion, de charité et d’entraide rassemblant des laïcs. L’émergence des premières confréries est liée, dans le royaume de France, au mouvement communal de la seconde moitié du XIIe siècle. La confrérie, de même que la commune, est une association d’assistance mutuelle entre égaux. Elle apparaît donc au moment où la bourgeoisie des villes tente de mettre en place
de nouveaux systèmes de solidarité et de protection qui échappent, en grande partie, au cadre féodal. Elle naît dans les lieux traditionnels de sociabilité urbaine : la paroisse, le quartier, le métier. • Des confréries de métiers... Ce sont elles les plus nombreuses, qui organisent la vie religieuse de leurs membres, renforçant ainsi la cohésion de ces groupes qui reposent sur une activité économique commune. Cependant, les deux structures ne se superposent pas strictement : certains métiers comportent plusieurs confréries, certaines confréries sont ouvertes à plusieurs métiers. Dans tous les cas, la confrérie - qui, à l’instar du métier, est plus ou moins intégrée aux rouages du gouvernement urbain - est investie, dès le downloadModeText.vue.download 224 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 213 XIIIe siècle, par les membres du patriciat urbain, et devient un instrument de contrôle social. Elle garde, jusqu’à l’époque moderne, une dimension politique plus ou moins explicite. En effet, les confréries se donnent pour projets d’assurer la concorde entre leurs membres, et de désamorcer tous les conflits. Le moment essentiel dans la vie confraternelle est souvent, au Moyen Âge, le repas pris en commun, qui constitue un rituel de paix. Certaines confréries ne se manifestent véritablement qu’une fois l’an : on revêt la tenue du groupe, on participe au banquet (souvent financé par les notables), on assiste à la messe solennelle, on célèbre le saint patron, et on s’adonne à divers rites d’initiation et de sociabilité. D’autres encadrent plus strictement la vie religieuse des laïcs, mais la vérité intime du mouvement confraternel s’exprime peutêtre dans les statuts de la confrérie du SaintSacrement de la paroisse de Coësmes, dans le diocèse de Rennes : « Malheur à celui qui est seul, car s’il tombe personne ne sera là pour le relever. » La confrérie est une famille de substitution, qui permet de se prémunir contre les maux du temps. Pendant la grande crise démographique du XIVe siècle, ce rôle d’assistance morale et matérielle aux pauvres, aux malades, aux veuves et aux orphelins devient central. Certaines confréries - par exemple, dans la région d’Avignon, aux XIVe et XVe siècles - développent essentiellement une fonction d’encadrement de la mort : on paie les funérailles des confrères, on prie pour eux, leur assurant ainsi la certitude d’une « bonne
mort ». • ...aux confréries spiritualistes. C’est sous le strict contrôle de l’autorité ecclésiastique que les confréries connaissent, à partir de la Contre-Réforme, une seconde jeunesse. Elles demeurent fondamentalement des sociétés de secours mutuel, mais revêtent, sur le plan spirituel, les formes les plus variées. Tandis que les confréries des Agonisants se concentrent sur leur rôle funéraire, celles de Charité - en Normandie, par exemple - prennent en charge les pauvres et les indigents. Plus troublante pour l’Église officielle apparaît la spiritualité baroque des pénitents de Provence, qui, encapuchonnés, défilent en procession et mettent en scène leur exaltation mystique. Les confréries de l’Immaculée Conception ou du Rosaire développent le culte marial, tandis que celles du Saint-Sacrement, souvent fondées par des jésuites, rassemblent les dévots du Christ. Ces derniers peuvent tenter de jouer, plus ou moins clandestinement, un rôle politique, comme c’est le cas de la compagnie du Saint-Sacrement, officiellement dissoute en 1666. Le relâchement de la dynamique confraternelle, à la fin du XVIIIe siècle, constitue un indice assez sûr de déchristianisation, ce qui n’empêche évidemment pas que les confréries forment encore, pour le christianisme contemporain, un cadre essentiel de la vie religieuse des fidèles. Congo français, colonie française de 1886 à 1946, devenue territoire d’outre-mer (1946-1958), puis République autonome (19581960), avant la proclamation de l’indépendance en 1960. • La constitution de la colonie. La pénétration française dans le bassin du Congo s’effectue à partir du Gabon, où les premiers établissements sont fondés sous la monarchie de Juillet, puis notablement étendus sous le Second Empire. Mais le véritable fondateur de la colonie est Pierre Savorgnan de Brazza : après avoir remonté l’Ogooué sans pouvoir atteindre le fleuve Congo (1875-1878), il est chargé en 1879 d’une nouvelle mission par l’Association internationale africaine. En février 1880, il fonde la station de Franceville, puis atteint le Congo à la hauteur du Stanley Pool. Le 10 septembre, à Nduo, il conclut un traité avec le makoko, chef des Batékés, qui cède à la France de vastes territoires situés sur la rive droite du fleuve. Cette prise de possession, qui est suivie de la détermination du site de Brazzaville, est reconnue en 1885 par l’Association internationale du Congo, fondée par Léopold II de Belgique, souverain à titre per-
sonnel de l’État indépendant du Congo implanté sur la rive gauche du fleuve. De 1887 à 1897, Brazza, nommé commissaire général au Congo, se consacre à la délimitation et à l’organisation de la colonie, qui porte le nom de Gabon-Congo de 1888 à 1891, puis celui de Congo français (1891-1904). Le Congo et le Gabon formeront ensuite deux colonies distinctes. À partir de 1910, le Congo, devenu le Moyen-Congo, est inclus dans la fédération d’A-ÉF, et Brazzaville devient le siège du gouvernement général. • La mainmise des compagnies concessionnaires. À partir de 1899, 90 % du territoire sont attribués à quarante compagnies bénéficiaires d’une délégation de souveraineté, qui vont commettre les pires abus au détriment des autochtones. Seules les deux plus importantes bénéficient d’une relative prospérité, qui leur permet de survivre, en dépit d’agissements souvent dénoncés : la Likouala Mossaka (Compagnie française du Haut-Congo), concessionnaire de 13 000 kilomètres carrés, et la Ngoko-Sangha (Compagnie forestière Sangha-Oubangui), qui exploite le caoutchouc. Pour pallier la pénurie de main-d’oeuvre et assurer la rentrée de l’impôt, l’administration elle-même exerce une répression terrible : en 1904, la prise en otages de femmes et d’enfants à Mongoumba, afin de contraindre les hommes à verser l’impôt, provoque la mort d’environ cinquante personnes. Ce type de scandale est à l’origine d’une mission d’enquête, qui est confiée en 1905 à Savorgnan de Brazza. Celui-ci meurt d’épuisement sur le chemin du retour. Mais ces pratiques se perpétuent : la construction du chemin de fer Congo-Océan (511 kilomètres de Pointe-Noire à Brazzaville) est menée à bien, de 1914 à 1934, au prix de la vie de milliers de travailleurs... La voie ferrée, puis l’emploi des camions vont toutefois mettre fin aux scandales du portage. L’ignominie du travail forcé sera dénoncée par André Gide dans son Voyage au Congo (1927), relation d’un voyage de plusieurs mois entre l’embouchure du Congo et le lac Tchad. • L’évolution politique. Rallié, sous l’impulsion de Félix Éboué, à la France libre dès août 1940, le Congo devient en 1946 un territoire d’outre-mer, représenté au Parlement par deux députés et deux sénateurs. Le pays se voit attribuer alors une bonne partie des crédits accordés à l’A-ÉF, ce qui permet la réalisation de nombreux équipements. Des rivalités opposent l’indépendant d’outre-mer Félix Tchicaya et le socialiste Jacques Opangault, avant que la vie
politique ne soit dominée par la figure de l’abbé Fulbert Youlou, maire de Brazzaville et fondateur de l’Union démocratique de défense des intérêts africains (UDDIA), filiale du Rassemblement démocratique africain (RDA). En application de la loi-cadre de 1956, le territoire est doté d’un exécutif (conseil de gouvernement). Après le référendum de septembre 1958, il devient la République du Congo-Brazzaville, proclamée indépendante le 15 août 1960. L’abbé Fulbert Youlou en est le premier président. connétable, grand officier du roi, dont les fonctions, surtout militaires, ont évolué au fil du temps. À l’époque carolingienne, le connétable est un officier domestique placé sous l’autorité du sénéchal, et en charge des écuries royales, comme l’atteste l’étymologie du mot, comes stabuli (comte de l’étable ou de l’écurie). Il est, en même temps, responsable de la cavalerie. Sous la dynastie capétienne, il devient un officier militaire de tout premier plan. Il hérite d’une partie des fonctions du sénéchal lorsque cet office est supprimé par Philippe Auguste en 1191. En l’absence du roi, il est parfois chargé de la direction de l’armée féodale. Durant la guerre de Cent Ans, son rôle militaire prend plus d’importance encore : il est désormais le véritable chef de l’armée royale en temps de guerre, assisté par les maréchaux de France. Le choix du connétable revêt toujours une grande importance en raison des responsabilités qu’il exerce. Il reçoit solennellement son épée des mains mêmes du roi qui l’a nommé. Au XIVe siècle, Bertrand du Guesclin et Olivier de Clisson s’illustrent dans cette fonction, qui peut aussi être confiée à de grands princes, tels Jacques de Bourbon, comte de la Marche (1354), Arthur III, comte de Richemont et futur duc de Bretagne (1424), Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol (1465), ou le duc de Bourbon, Charles III (début du XVIe siècle). Le dernier connétable marquant, Anne Ier de Montmorency, occupe cette charge de 1538 à 1567. L’office reste vacant jusqu’en 1594 ; il est finalement supprimé par Richelieu en 1626, après la mort de son dernier titulaire, le duc de Lesdiguières. conscription, système de recrutement pour le service militaire obligatoire, établi sous le Directoire par la loi Jourdan-Delbrel (5 septembre 1798), et fondé sur l’appel annuel d’un contingent constitué de tous les jeunes gens atteignant dans l’année l’âge fixé par la loi.
• La genèse d’un service militaire obligatoire. Menacée de toutes parts, la Ire République a besoin de soldats. Très vite, toutefois, les volontaires ne suffisent plus. Le 23 août 1793 est donc décrétée la « levée en masse ». Si, à des titres divers, tous les Français peuvent être conduits à défendre la patrie, cette décision prévoit downloadModeText.vue.download 225 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 214 une « réquisition » de tous les célibataires et veufs sans enfants, âgés de 18 à 25 ans à cette date : elle permet de mobiliser plus de 800 000 hommes. Mais, l’appel n’étant pas renouvelé les années suivantes, la France ne compte plus que 365 000 soldats environ en 1797, alors que le danger persiste. Le 23 nivôse an VI (12 janvier 1798), au Conseil des Cinq-Cents, le général Jourdan propose un service militaire obligatoire. Son projet s’inspire du modèle de réquisition par classes d’âge de la levée en masse et le rend permanent : en cas de guerre, les jeunes gens âgés de 18 à 24 ans seraient enrôlés jusqu’à la fin du conflit ; en temps de paix, la limite d’âge serait abaissée à 21 ans, et le service durerait de quatre à six ans ; néanmoins, lorsque les besoins militaires seraient plus faibles, les soldats susceptibles de servir seraient désignés par tirage au sort. Cependant, le député du Tarn Delbrel s’insurge contre un tel procédé, qui lui paraît antidémocratique. Il participe alors aux travaux de préparation d’un nouveau projet. Le 19 fructidor an VI (5 septembre 1798), la loi Jourdan-Delbrel institue en France le régime de la conscription : tous les Français âgés de 20 à 25 ans doivent être « inscrits ensemble » (« conscrits ») sur les tableaux de recrutement de l’armée. Les conscrits se répartissent en « classes » selon leur année de naissance. En temps de paix, le service dure cinq ans et ne concerne que les plus jeunes de chaque classe. Les hommes mariés et les inscrits maritimes sont exemptés. Pour lutter contre l’insoumission et la désertion, tous les hommes de 20 à 25 ans doivent porter sur eux un passeport où est mentionnée leur situation militaire. Tout changement de domicile doit être signalé et seuls les conscrits en règle peuvent exercer une fonction publique ou leurs droits de citoyen. Ce sont les municipalités qui dressent les
tableaux de conscription. Mais la première mobilisation ne donne pas les résultats escomptés. Dans la première classe (an VI), 143 000 des 202 000 conscrits sont déclarés aptes par les conseils de révision (constitués de médecins et de pères de famille ayant des fils sous les drapeaux), et ils sont 93 000 à partir réellement. En 1799, malgré certaines protestations, tirage au sort et remplacement sont remis en usage : la loi du 28 germinal an VII (17 avril 1799) permet en effet aux conscrits désignés de présenter des remplaçants âgés de 18 à 20 ans. Les cinq classes de l’an VII fournissent 400 000 soldats. Comme la levée en masse de 1793, la conscription entraîne des soulèvements dans les départements de l’Ouest et ravive l’insurrection contre-révolutionnaire. • L’instrument des conquêtes de Napoléon. Sous le Consulat et l’Empire, les dispositions de la loi Jourdan-Delbrel restent la base du recrutement militaire, moyennant quelques adaptations. À partir de 1805, la guerre continentale reprend. L’Empereur augmente le nombre des conscrits et anticipe de plus en plus les levées. La situation s’aggrave avec les pertes énormes de la campagne de Russie en 1812. La conscription est devenue extrêmement impopulaire et, malgré la répression, les insoumis sont nombreux. De 1800 à 1814, Napoléon (surnommé « l’Ogre ») lève environ deux millions d’hommes, ce qui représente environ 36 % des mobilisables et 7 % de la population totale. La conscription, supprimée en 1814 par la Restauration, est remplacée par un nouveau système de recrutement régi par la loi Gouvion-Saint-Cyr. Conseil constitutionnel, organe spécialisé, indépendant de l’appareil judiciaire, et chargé de vérifier la conformité des lois à la Constitution, ainsi que la régularité des élections nationales et des scrutins référendaires. Innovation majeure de la Ve République, cette haute instance comprend les anciens présidents de la République, membres de droit, ainsi que neuf autres membres nommés pour neuf ans, et renouvelables par tiers tous les trois ans : trois d’entre eux sont nommés par le président de la République ; trois, par celui de l’Assemblée nationale ; trois, par celui du Sénat. Le président du Conseil constitutionnel est choisi, parmi eux, par le chef de l’État. À l’origine, le Conseil constitutionnel est surtout chargé de garantir la répartition des
compétences entre le pouvoir législatif du Parlement et le pouvoir réglementaire du gouvernement, selon les principes fixés par les articles 34 et 37 de la Constitution. Mais, dès 1971, il exerce ses fonctions dans l’intérêt des citoyens, et non plus seulement des pouvoirs publics : en s’appuyant sur « les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », c’est-à-dire en incorporant le préambule de la Constitution au principe de constitutionnalité, il déclare anticonstitutionnelle une loi limitant le droit d’association. En outre, depuis la révision constitutionnelle de 1974, soixante députés ou soixante sénateurs peuvent soumettre à l’examen du Conseil la constitutionnalité d’une loi avant sa promulgation. Cet élargissement de la saisine offre à la minorité parlementaire une possibilité de recours. Même si le projet de saisine par les citoyens eux-mêmes, envisagé sous la présidence de François Mitterrand, n’a pas abouti, le Conseil constitutionnel fait figure de gardien des libertés publiques : il peut non seulement sauvegarder les droits du Parlement face aux abus de l’exécutif, mais également servir d’instance d’appel pour l’opposition contre la majorité. Ainsi, en janvier 1982, sous la présidence de Roger Frey, impose-t-il au gouvernement de revoir certaines dispositions de la loi sur les nationalisations, notamment pour réviser le mode de calcul des indemnisations. Dans les années quatre-vingt, les rapports entre le Conseil constitutionnel et le gouvernement se sont sensiblement modifiés, comme en témoignent, par exemple, les réserves émises par le Conseil concernant les privatisations. Présidé par Robert Badinter (1986-1995), Roland Dumas (1995-2000) - personnalités nommées par François Mitterrand -, puis par Yves Guéna (2000-2004) et Pierre Mazeaud, nommés par Jacques Chirac, le Conseil constitutionnel fait figure de garde-fou contre les excès du fait majoritaire, obligeant le gouvernement et la majorité parlementaire à s’entourer de toutes les précautions avant d’édicter ou de voter un texte normatif. Conseil de conscience, organe restreint, extérieur au Conseil du roi et destiné, selon Richelieu, à « délibérer et donner avis tant de tout ce en quoi le roi peut craindre que sa conscience soit intéressée, que du mérite de ceux qui prétendront être nommés aux prélatures et bénéfices ». Dans le contexte de renforcement royal et de renouveau religieux qui marque le XVIIe siècle, ce Conseil, informel sous Louis XIII, puis
officiellement constitué par Anne d’Autriche en 1643 (avec, à ses débuts, la présence de Vincent de Paul), devait aider la monarchie dans les décisions concernant ses prérogatives religieuses. De 1643 à 1661, il s’occupe de la nomination des évêques et des grands abbés selon les dispositions du concordat de Bologne (1516), de la question protestante, de la discipline. Louis XIV limite toutefois son rôle à la collation des bénéfices ecclésiastiques. Les grands prélats y participent alors de moins en moins, laissant la place à l’archevêque de Paris et au confesseur du roi, puis au seul confesseur, en particulier le Père La Chaize (entre 1675 et 1709). Le roi le reçoit en audience le vendredi et débat avec lui de la distribution des bénéfices. Sous la Régence, le Conseil de conscience est conservé dans le cadre de la « polysynodie ». Conseil d’État, corps consultatif créé par la Constitution de l’an VIII (1799). À l’origine, ses membres sont de hauts fonctionnaires, souvent juristes, choisis par Napoléon sur la liste des citoyens éligibles. Ils sont répartis en cinq sections : finances, législation, guerre, marine, intérieur. La pratique gouvernementale du Consulat et de l’Empire a assuré au Conseil d’État un rôle important : consulté sur la rédaction de tout projet de loi, de décret ou de règlement administratif, il assume également le rôle d’un tribunal administratif et la charge de l’interprétation des lois ; en outre, à partir de 1803, il juge des contestations en matière électorale. Son action est toutefois subordonnée à la décision du chef de l’État : seul ce dernier peut lui soumettre un projet. Libre de sa décision, Napoléon Bonaparte s’est ainsi parfois rallié à un avis du Conseil contraire à son opinion initiale. La loi du 9 avril 1803 modifie quelque peu le fonctionnement du Conseil : elle crée la catégorie des auditeurs, chargés de présenter des rapports devant les sections. Ils sont, à partir de 1809, répartis en deux catégories : la première classe compte 40 auditeurs, la seconde, 120, chargés notamment de porter à l’Empereur en campagne le portefeuille du Conseil. L’accès à l’auditorat est réservé aux jeunes gens de 20 ans jouissant d’un revenu de 6 000 francs par an : cette pépinière de hauts fonctionnaires est donc constituée de membres d’une élite fortunée. L’activité du Conseil d’État sous le Consulat et au début de l’Empire est considérable : le Code civil, le Code pénal, le Code de commerce, sont préparés ; au cours de la seule
année 1804, 3 365 lois, décrets ou arrêtés sont discutés. Le traitement du contentieux administratif représente également une lourde tâche. Le Conseil se montre alors toujours favorable à l’extension des pouvoirs du goudownloadModeText.vue.download 226 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 215 vernement et à l’accroissement de la centralisation. Du reste, il est de plus en plus un corps de techniciens étroitement soumis aux ordres de l’Empereur. Sous la monarchie censitaire, le Conseil d’État est maintenu en tant que tribunal administratif supérieur mais il perd de son autorité : il se contente d’assister les ministres dans la préparation des projets de loi. La IIe République en fait, en revanche, un organisme puissant pour la confection des lois et le contrôle de l’administration. Ses membres sont alors élus par l’Assemblée nationale. Réorganisé en 1852, s’il prépare toutes les lois soumises au Corps législatif, il devient totalement dépendant de l’empereur. Après 1870, les régimes républicains lui conservent sa double fonction de conseil en matière législative et de juge suprême des affaires administratives. Il doit être, aujourd’hui encore, obligatoirement consulté par le gouvernement sur la légalité des projets de loi. Conseil du roi, principal organisme de gouvernement de la monarchie ; lieu de débats et d’arbitrages, qui fait l’objet d’un éclatement progressif lié à l’accroissement des tâches et à leur répartition. • Les origines médiévales. Le Conseil du roi est issu de la curia regis (« cour du roi ») médiévale, réunion des grands vassaux du roi et des personnalités les plus marquantes de son entourage. Dans la société féodale, le conseil est un devoir du vassal envers son seigneur. Auprès des premiers Capétiens, il est exercé par divers groupes : d’abord évêques et comtes, puis châtelains de l’Île-de-France, grands officiers, et, enfin, chevaliers royaux. Le terme de consiliarus s’applique, à partir de Louis VII (1137-1180), aux familiers du roi qui le servent de façon régulière au sein de la curia regis. Les affaires de plus en plus nombreuses et spécialisées qui y sont traitées imposent une répartition progressive des tâches : s’en détachent ainsi, au XIIIe siècle, le parlement pour la justice et la Chambre des
comptes pour les finances. Cependant, ces organes se réclament toujours du Conseil, car celui-ci est, en théorie, unique. Le Conseil du roi conserve les affaires générales : en effet, la tradition politique insiste sur le fait que le roi ne doit pas agir sans conseil. Toutefois, le Conseil n’a pas d’existence propre : il ne tient son autorité que du souverain, et celuici n’est pas tenu de suivre ses avis. Selon les jours, il aborde différentes matières, de façon assez informelle dans un premier temps, et sa composition n’est pas fixée mais dépend d’un appel. Siéger au Conseil est un enjeu sérieux de luttes à la fin du Moyen Âge. La complexité et l’ampleur du labeur obligent à établir un calendrier, et empêchent bientôt le roi de pouvoir assister à toutes les séances. Il en résulte une organisation élaborée, où se distinguent deux grands types de conseils. • Une organisation complexe. Le roi assiste en personne aux conseils de gouvernement. Il y appelle qui bon lui semble. Le nombre de participants reflète l’autorité du monarque : à la cohue relative des époques de régence répond la sévère fermeture de 1661, lorsque Louis XIV impose sa marque. Le Conseil secret (ou étroit) du XVIe siècle devient « Conseil d’en haut » en 1643. S’y ajoutent un Conseil financier, à éclipses au XVIe siècle, stabilisé sous Louis XIV, puis le Conseil des dépêches, né sous la Fronde. Ce dernier, chargé des affaires intérieures du royaume, joue un rôle croissant, et le Conseil d’en haut se limite bientôt aux (très importantes) affaires étrangères. Plus restreint encore que ces structures officielles apparaît souvent un conseil suprême informel réunissant autour du roi une, deux ou trois personnes, pour des questions particulièrement délicates ou secrètes. À l’inverse se développent des conseils où le roi ne siège pas, mais où toutes les décisions sont prises en son nom. Ils sont présidés par un chancelier, et chargés de tâches ordinaires de gestion et d’administration. Un personnel stable et spécialisé de conseillers d’État et de maîtres des requêtes y travaille. La section judiciaire, la plus ancienne, traite des problèmes de justice retenue ou de cassation, et met en forme édits et ordonnances. Ce Conseil privé - ou « des parties » - joue un rôle important jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. La section chargée du contentieux financier, appelée « Conseil d’État et des finances » ou « Conseil ordinaire des finances », prend son essor au XVIIe siècle, mais voit, en revanche, son rôle de plus en plus limité par les services du contrôle général des finances. C’est, en fait, un trait général de l’évolution à partir de Louis XIV : les conseils
sont maintenus, mais leur rôle effectif se réduit. D’une part, le roi traite de plus en plus directement avec les responsables des divers « ministères ». D’autre part, les comités, les commissions spécialisées et les bureaux s’emparent d’un nombre croissant de responsabilités, voire de décisions. À la mort du Roi-Soleil (1715), une tentative systématique de gouvernement par conseils, la polysynodie, échoue rapidement (1718), marquant l’impossibilité d’un retour radical aux formes anciennes de la monarchie. Le Conseil du roi disparaît avec la Révolution, et c’est vainement qu’en 1814 le Premier chancelier de Louis XVIII essaie d’en ranimer les structures. Conseil national de la Résistance (CNR), organisme qui réunit les principaux mouvements, syndicats, et partis clandestins à partir de mai 1943. La fondation du CNR s’inscrit dans le processus d’unification de la Résistance. Le général de Gaulle, qui cherche à affermir sa légitimité face aux Alliés et au général Giraud, souhaite la création d’un organe qui exprimerait l’unité de la nation derrière sa personne. Les résistants de l’intérieur, quant à eux, attendent une aide accrue ainsi que l’émergence d’un fédérateur politique. Toutefois, les modalités de l’unification suscitent d’âpres conflits, les dirigeants des mouvements de résistance refusant d’abord de voir siéger au CNR les partis politiques qu’ils rendent responsables de la défaite. Plus profondément, un malentendu oppose les résistants de l’intérieur, qui conçoivent le CNR comme l’embryon du gouvernement de la Libération, à de Gaulle, qui ne voit dans le CNR qu’un instrument de légitimation. En 1942, Jean Moulin réunit les principaux mouvements de la zone sud, tandis que, au début de 1943, Passy et Brossolette jettent les bases de la coordination en zone nord. La perspective de voir Giraud - considéré trop conciliant à l’égard de la « révolution nationale » du maréchal Pétain - porté au pouvoir par les Américains en Afrique du Nord triomphe des dernières réticences. Le 27 mai 1943, à Paris, Moulin préside la première réunion du CNR. Celui-ci regroupe les huit principaux mouvements de Résistance (trois de zone sud, cinq de zone nord), six « tendances politiques » (Parti communiste, SFIO, radicaux, démocratie-chrétienne, Fédération républicaine et Alliance démocratique) et deux syndicats (CGT et CFTC).
Le CNR proclame son soutien au général de Gaulle, reconnu seul chef de la Résistance. Pourtant, sitôt Jean Moulin disparu (juin 1943), un conflit surgit entre cette institution et le Comité français de libération nationale (CFLN), et s’accroît à mesure que le PCF étend son influence sur la Résistance. Le PCF, qui domine les organes dirigeants du CNR, malgré la présence de Georges Bidault, oppose la légitimité de la Résistance aux prétentions gaulliennes. Au début de 1944, le CNR impose ainsi un statut des comités départementaux de la Libération (CDL), ce qui revient à confier à ces derniers le pouvoir local à la Libération ; il défend, contre l’avis du CFLN, la thèse d’une insurrection populaire préparée par l’action immédiate ; enfin, il tente, sans succès, d’obtenir le commandement des forces militaires de la Résistance, réunies, en février 1944, dans les Forces françaises de l’intérieur (FFI). Malgré ces conflits, le CNR parvient à dégager, dans sa charte de mars 1944, un large accord sur les réformes de structure de la Libération. Tenu éloigné du pouvoir par de Gaulle, il sombre dans l’inaction et disparaît en 1947. Considérant (Victor), philosophe, économiste et homme politique (Salins, Jura, 1808 - Paris 1893). Polytechnicien, il abandonne rapidement la carrière militaire, pour devenir, tout au long des années 1830 et 1840, l’un des propagandistes les plus actifs du mode d’organisation sociale prôné par Charles Fourier (1772-1837). Directeur de l’hebdomadaire le Phalanstère, puis de la Phalange, il fonde, en 1843, le journal Démocratie pacifique. C’est alors qu’il formule, dans ses articles et ses ouvrages - Destinées sociales (1834-1844), Théorie du droit de propriété et du droit au travail (1845), Principes du socialisme (1847) -, la notion de « droit au travail », qui s’impose comme l’une des idées maîtresses du socialisme français d’avant 1848. Élu député à la Constituante en 1848, puis à l’Assemblée législative en 1849, il est exilé pour avoir participé à la journée du 13 juin 1849 aux côtés des députés de l’extrême gauche. Il gagne alors la Belgique, puis le Texas. En 1853, il fonde, à Dallas, une colonie agricole communautaire sur le modèle fouriériste ; l’expérience se soldant par un échec, il rentre en France en 1869, et se rallie, deux ans plus tard, à la Commune de Paris. Caractéristique du socialisme utopique, son oeuvre mêle à une critique lucide du système capitaliste une vision souvent candide
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DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 216 des rapports sociaux. Marx ne manquera pas de stigmatiser une doctrine, commune à Fourier et à Considérant, selon laquelle le succès de quelques phalanstères ou communautés peut constituer le levier de la régénération sociale. Constant (Benjamin Henri Constant de Rebecque, dit Benjamin), homme politique et écrivain (Lausanne 1767 - Paris 1830). Originaire de Suisse romande, prématurément orphelin de mère, Benjamin Constant est un enfant prodige qui reçoit une solide éducation, en même temps qu’il sillonne l’Europe. Adolescent, il fréquente la haute société parisienne. Ses premières aventures sentimentales annoncent une succession de liaisons avec des femmes plus âgées que lui, notamment, à partir de 1894, Mme de Staël - dont l’influence sera décisive -, puis Mme Récamier (1814). Faible et irrésolu, « Benjamin l’Inconstant » a également la passion du jeu. Attiré par le pouvoir, il s’engage dans la politique en défendant le Directoire, puis en siégeant au Tribunat (décembre 1799-janvier 1802) ; son opposition au régime autoritaire de Bonaparte lui vaut d’être exclu de la scène publique et il partage l’ostracisme qui frappe Mme de Staël (1803-1814). Même s’il se satisfait de la Charte constitutionnelle (1814), il n’en accepte pas moins, lors des Cent-Jours, de rédiger l’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire (1815). Après Waterloo, il séjourne en Angleterre, puis rentre en France, où ses talents de pamphlétaire et de débatteur s’expriment dans de multiples publications, ainsi qu’à la Chambre des députés (1819-1830). Figure de proue du parti libéral, il jouit alors d’une immense popularité. Ses nombreux ouvrages politiques - notamment De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes (1819), ou ses Mélanges de littérature et de politique (1829) - le consacrent comme l’un des théoriciens du libéralisme. Partisan d’une monarchie à l’anglaise et d’une limitation du pouvoir de l’État, il manifeste sa volonté d’empêcher l’avènement d’une démocratie dont il craint - contrairement à Rousseau - les dérives despotiques. Quelques mois avant sa mort, son idéal politique a triomphé avec la monarchie de Juillet, régime sous lequel il est devenu président de section
au Conseil d’État. On lui fait des funérailles nationales. Son intense activité politique s’est doublée, très tôt, d’une carrière littéraire qui lui a apporté la célébrité : en 1816, Adolphe révèle au public un maître du roman d’analyse psychologique, tandis que Cécile, le Cahier rouge et les Journaux intimes (publications posthumes) dévoileront un écrivain sceptique et anticonformiste, au ton passionné et personnel. La postérité a tendance à ne voir en Benjamin Constant que l’auteur d’Adolphe. C’est oublier que Constant, même s’il s’est souvent démarqué de Rousseau, a tenu - comme lui - à conjuguer analyse existentielle et méditation politique. Constantinople (capitulations de), accords de coopération militaire (octobre 1535-février 1536), assortis, probablement, de privilèges commerciaux, négociés entre Jean de La Forest, ambassadeur de François Ier, et Ibrahim Pacha, grand vizir de Soliman le Magnifique. Le terme de « capitulations » (au pluriel) désigne, dans le langage diplomatique, les conventions régentant le statut des marchands chrétiens dans les pays ottomans ; toutefois, les capitulations de 1535-1536 - préparées par de multiples ambassades - étaient d’abord d’ordre militaire. C’est pourquoi cette dénomination a été remise en cause par certains historiens, d’autant que le contenu, la datation, voire l’existence même de ces accords restent encore sujets à discussions. Quoi qu’il en soit, des négociations entre la France et la Sublime Porte sont avérées. Elles manifestent l’indéniable volonté française de développer une nouvelle politique en Méditerranée. En effet, après avoir subi des déboires en Italie et alors qu’un nouveau conflit avec l’Empire de Charles Quint s’annonce, François Ier cherche à tout prix des alliés, fussent-ils luthériens ou infidèles. De leur côté, les Ottomans viennent d’essuyer un sérieux revers avec la prise de Tunis par Charles Quint en juillet 1535. Scandaleux au regard des relations traditionnelles entre la chrétienté et l’islam, le rapprochement avec les Turcs permet surtout à François Ier de faire peser une menace constante sur les liaisons maritimes entre l’Espagne et l’Italie, grâce aux galères corsaires d’Alger commandées par Barberousse (Khayr ad-Din). Symboles de la primauté proclamée des intérêts supérieurs de l’État territorial sur ceux de la communauté catholique, les capitulations de Constantinople sont aussi le premier exemple
de ce qui sera l’une des constantes de la diplomatie française dans l’histoire moderne : la recherche d’une alliance de revers contre les Empires centraux. Pour certains historiens, elles constituent également un modèle juridique - suivi jusqu’au XIXe siècle -, puisque, pour la première fois, elles n’étaient pas unilatérales et révocables par le Grand Turc. Constituante ou Assemblée nationale constituante, première Assemblée nationale française (17 juin 1789-30 septembre 1791). Le 17 juin 1789, considérant qu’ils représentent les quatre-vingt-seize centièmes de la nation, les députés du Tiers, rejoints par dix-neuf curés, décident, sur proposition de Sieyès, d’abandonner le nom d’« états généraux » pour celui - avancé par Legrand, député du Berry - d’« Assemblée nationale ». Ce faisant, ils opèrent un véritable transfert symbolique de souveraineté : ils ne sont plus les députés d’un ordre, convoqués par le roi pour le conseiller et pouvant être renvoyés par lui, mais deviennent les représentants de l’ensemble de la nation, détentrice de la souveraineté. En tant que tels, le même jour, ils s’arrogent le droit de consentir l’impôt sans l’accord du roi. • Une révolution juridique. Premier acte fondamentalement révolutionnaire de 1789, cette transformation ouvre la voie à la « révolution juridique » (ou « parlementaire ») : le 20 juin, par le serment du Jeu de paume, les députés du Tiers jurent de ne pas se séparer avant d’avoir « établi » une Constitution ; le 23, ils refusent d’obéir au roi qui leur ordonne de siéger par ordre. Finalement, Louis XVI cède : le 27, il invite le clergé et la noblesse à se joindre au Tiers. Après avoir créé un comité de Constitution le 7 juillet, l’Assemblée nationale se proclame « Assemblée nationale constituante » le 9 juillet. Siégeant d’abord à Versailles, où avaient été réunis les États généraux, elle suit le roi à Paris en octobre 1789, et s’installe dans la salle du Manège du palais des Tuileries. Elle est composée des 1 315 députés aux États généraux : 25 % d’entre eux sont des membres du clergé ; 18 %, des militaires (nobles, en grande majorité) ; 40 %, des avocats, hommes de loi ou titulaires de charges publiques ; seulement 7 % des députés appartiennent aux milieux d’affaires ; les campagnes sont sous-représentées, et le peuple urbain est absent. Très vite apparaissent des divergences d’opinion. Les députés les plus favorables à la Révolution siègent à la gauche du président,
alors que les « aristocrates » se regroupent à sa droite. Mais les positions évoluent vite, et nombreux sont ceux qui, figurant à gauche en 1789, se retrouvent à droite en 1791. • Les fondements d’une nouvelle société. La Constituante n’a pas seulement légué un vocabulaire politique : en deux ans, elle accomplit une oeuvre immense, rompant avec l’Ancien Régime et construisant une société nouvelle. Durant la nuit du 4 août 1789, alors que les campagnes sont en révolte (la Grande Peur), elle abolit les privilèges et la féodalité : même si le décret du 11 août limite ces mesures (la majorité des droits seigneuriaux sont déclarés rachetables), les fondements de l’Ancien Régime sont mis à bas. Dans le même élan, les députés décident de déclarer solennellement de nouveaux principes, ceux du droit naturel : le 26 août, ils votent la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, fondement (théorique) de la Constitution. Ce double mouvement de destruction et de reconstruction se retrouve dans tout le travail législatif et constitutionnel de l’Assemblée : réformes fiscale, judiciaire, administrative ; unification du territoire national ; affirmation du libéralisme économique ; avènement d’une monarchie constitutionnelle, etc. Les débats sont parfois longs et animés, notamment lorsque la majorité de la Constituante contrevient aux principes qu’elle a elle-même affirmés dans la Déclaration des droits (en adoptant le suffrage censitaire ou en maintenant l’esclavage dans les colonies, par exemple). La Constituante est aussi confrontée aux premières crises de l’histoire révolutionnaire : problèmes économiques et sociaux, conflit religieux ouvert par la Constitution civile du clergé (12 juillet 1790), organisation de la Contre-Révolution, fuite du roi (juin 1791) et montée d’un sentiment républicain réprimé dans le sang le 17 juillet 1791 (fusillade du Champ-de-Mars). Le 3 septembre 1791, les constituants adoptent une Constitution qui est acceptée par le roi dix jours plus tard. Après avoir décidé leur non-rééligibilité, ils se séparent, le 30, aux cris de « Vive le roi ! Vive la nation ! », pour laisser place à l’Assemblée législative. Constitution civile du clergé, décret de l’Assemblée constituante (12 juillet 1790) downloadModeText.vue.download 228 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 217 qui organise, selon des principes gallicans, le
clergé séculier en service public et provoque un schisme dans l’Église de France. • Vers un clergé régénéré. La décision d’abolir les dîmes, prise en août 1789, et la mise à la disposition de la nation des biens du clergé, votée en novembre de la même année, conduisent l’État à prendre en charge les frais de l’Église, qui se trouve démunie de toute ressource. Pour l’Assemblée constituante, les prêtres assurent un service public. La révision de leur statut s’intègre donc dans la vaste réforme de l’administration française. Élaborée par un comité ecclésiastique composé majoritairement de patriotes affirmés, la Constitution civile du clergé est adoptée le 12 juillet 1790. Ce décret est marqué par la volonté d’un retour à la discipline de l’Église primitive. Ainsi, de nombreux postes, jugés inutiles, sont supprimés et les circonscriptions religieuses, redécoupées de manière plus rationnelle : un évêque par département et un curé pour 6 000 habitants. En outre, le salaire des curés est revu à la hausse, tandis que celui des évêques est fortement diminué. Enfin, afin que cessent les abus de l’Ancien Régime, notamment l’absentéisme des clercs, le versement du traitement est soumis à l’obligation de résidence. Mais le principal bouleversement concerne l’élection des curés et des évêques - véritables fonctionnaires ecclésiastiques - par les citoyens actifs, à l’issue d’une messe dominicale. Les élus reçoivent ensuite l’investiture canonique de leur supérieur (l’évêque pour le curé, l’archevêque pour l’évêque), le pape étant simplement tenu informé des élections. Enfin, un serment de fidélité à la nation, à la loi, au roi et à la Constitution est exigé des prêtres. • Une profonde déchirure. Lors des débats, certains députés contestent la compétence de l’Assemblée sur une question d’ordre religieux. La réforme suppose, en effet, confusion entre Église et nation. La religion catholique est considérée, de fait, comme religion d’État. Les quelques opposants à la Constitution civile critiquent surtout le système d’élection. Ils proposent la tenue d’un concile national ou l’intervention du pape. Mais la réunion d’un tel concile reviendrait à reformer le clergé en ordre, alors que les ordres ont été abolis en février 1790, et les gallicans s’opposent à toute intrusion de Rome. Dans les jours qui suivent le vote du décret, il n’y a pas de rupture franche. Si la majorité du haut clergé exprime son opposition dans un texte diffusé en octobre 1790 - l’Exposition des principes sur la Constitution civile du
clergé -, elle souhaite éviter le schisme et attend l’avis du pape. C’est également avec le souci de préserver l’unité que le roi accepte le décret, le 22 juillet 1790. Mais, la réforme tardant à être appliquée, l’Assemblée décide de mettre le clergé à l’épreuve. La loi du 27 novembre 1790 exige des ecclésiastiques qu’ils prêtent serment sous huit jours. Le haut clergé est massivement « réfractaire » au serment, mais environ 52 % des prêtres et vicaires se conforment à la loi. La scission entre prêtres assermentés ou constitutionnels et prêtres insermentés ou réfractaires se dessine donc avant que la condamnation tardive de Pie VI soit rendue publique. Les brefs Quod aliquantum (10 mars 1791) et Caritas (13 avril 1791) condamnent la Constitution civile du clergé, mais aussi les principes de 1789. Dès lors, la rupture entre une Église constitutionnelle et une Église romaine est consommée. Les prêtres réfractaires sont tolérés jusqu’au printemps 1792. Puis, avec la guerre et la chute de la royauté, leur situation se dégrade. La vague de déchristianisation de l’an II nuit également à l’implantation du clergé constitutionnel. Malgré la séparation de l’Église et de l’État de 1795, les tensions religieuses ne s’apaisent qu’avec le Concordat de 1801. Pour certains historiens, la Constitution civile du clergé est la plus grave erreur commise par les révolutionnaires : cette réforme est, en effet, l’une des principales causes d’opposition populaire à la Révolution. Cependant, il faut reconnaître que ce décret n’est pas antireligieux dans la mesure où il s’interdit de toucher au domaine proprement spirituel. Constitution de 1946, loi fondamentale de la IVe République, ratifiée par référendum le 13 octobre 1946 et promulguée le 27. Elle résulte d’un difficile compromis. • D’un référendum à l’autre. À la Libération, l’espoir d’un renouveau, largement partagé par les Français, se traduit par « le double rejet de la IIIe République et du régime de Vichy » (Serge Berstein). Le référendum du 21 octobre 1945 confirme cette tendance de l’opinion, puisque 96 % des électeurs répondent « oui » à la première question posée : « Voulez-vous que l’Assemblée élue ce jour soit constituante ? » Il s’agit d’une victoire du général de Gaulle et des trois grands partis (PCF, SFIO, MRP), qui, tous, ont appelé à l’élaboration d’une nouvelle Constitution. Cette tâche s’avère plus longue et plus ardue que prévu. Après la démission du géné-
ral de Gaulle (20 janvier 1946) et l’accord sur le « tripartisme » (coalition gouvernementale) conclu entre le PCF, le MRP et la SFIO, un premier projet de Constitution est adopté par l’Assemblée le 19 avril 1946. Il se caractérise par un esprit « progressiste », insufflé par la forte poussée des partis de gauche : une Assemblée unique issue du suffrage universel y apparaît comme « l’organe politique essentiel et souverain » (André Siegfried) ; elle élit le président de la République et le président du Conseil, et dispose de pouvoirs presque sans limites. Pour la première fois dans l’histoire du pays, un projet soumis aux citoyens par référendum est repoussé le 5 mai 1946 : les « non » (10 584 359) l’emportent assez nettement sur les « oui » (9 454 034). Ce refus, imputable en partie à une peur du communisme, provoque l’élection d’une seconde Assemblée constituante, le 2 juin 1946. Le deuxième projet de Constitution ne s’écarte pas fondamentalement du premier. Après le plaidoyer du général de Gaulle en faveur d’un exécutif fort (discours de Bayeux, 16 juin 1946), les parlementaires tiennent à affirmer la prééminence du pouvoir législatif. Le nouveau texte adopté par l’Assemblée le 30 septembre 1946 est soumis aux Français par référendum, le 13 octobre. Le « oui » l’emporte, mais de justesse, avec 53,5 % des suffrages exprimés (soit 36,1 % des inscrits), contre 46,5 % (31,3 % des inscrits), le taux d’abstention étant très élevé (31,2 % des inscrits). • Parenté avec les textes constitutionnels de 1875. Cette Constitution, acceptée par lassitude, définit un régime assez peu différent de celui de la IIIe République. Le préambule, qui fait référence à la Déclaration des droits de l’homme de 1789, est d’inspiration très généreuse. Mais l’équilibre des pouvoirs n’est pas établi. Le pouvoir législatif, composé de l’Assemblée nationale et du Conseil de la République, avatar du Sénat, n’est bicaméral qu’en apparence. De fait, le Conseil de la République joue surtout un rôle consultatif. Bien plus, l’effort de rationalisation du parlementarisme, censé lutter contre l’instabilité gouvernementale de la IIIe République, s’efface devant l’affirmation de la souveraineté parlementaire. Le pouvoir exécutif est en position de faiblesse face à l’Assemblée. Même si le droit de dissolution est affirmé, sa mise en oeuvre s’avère difficile, compte tenu de conditions préalables assez draconiennes. Le président de la République, élu par les deux Chambres réunies, dispose cependant d’un pouvoir d’influence, en désignant le candidat à la présidence du Conseil. Ici réside
l’une des principales innovations du texte : aussitôt désigné, le président du Conseil doit être investi personnellement par l’Assemblée, à la majorité absolue. Cette disposition (article 45) devrait le consacrer comme le véritable chef de la majorité parlementaire. Dès 1947, cependant, la pratique de la double investiture - du président du Conseil et du gouvernement - rompt avec la lettre de la Constitution de 1946, et entraîne un retour aux usages de la IIIe République. Instaurant un quasirégime d’assemblée, où le gouvernement ne peut s’imposer à l’Assemblée dont il procède, la Constitution de 1946, élaborée par les partis politiques, contribue à l’instabilité ministérielle chronique dont souffre la France de 1947 à 1958. Dès son entrée en vigueur, elle est sévèrement jugée, et sera souvent rendue responsable de la faillite de la IVe République. Constitution de 1958, texte constitutionnel fondateur de la Ve République. La crise ouverte par le 13 mai 1958 est celle de la IVe République tout entière, dont les institutions n’ont pu résister aux effets de la guerre d’Algérie. L’un des engagements pris par Charles de Gaulle, à son retour au pouvoir, consiste à mettre en oeuvre une nouvelle Constitution qui réponde mieux aux exigences de stabilité et d’efficacité politiques. • La réforme constitutionnelle de 1958. Une procédure originale préside à l’élaboration et à l’adoption des institutions qui fondent la Ve République. Tout d’abord, la loi constitutionnelle du 3 juin prend acte des projets de révision esquissés en 1955, et définit le cadre juridique du texte à proposer : le suffrage universel en tant que source exclusive du pouvoir, la séparation des pouvoirs, la responsabilité du gouvernement devant le Parlement, l’indépendance de l’autorité judiciaire, la redéfinition des rapports entre la République et les États associés. Ce canevas downloadModeText.vue.download 229 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 218 permet à un comité d’experts de préparer un avant-projet, sous la responsabilité du garde des Sceaux, Michel Debré. Puis un comité ministériel élabore le projet constitutionnel, que Charles de Gaulle soumet au Conseil des ministres pour approbation, après avis du Conseil d’État. Lors du référendum du 28 septembre 1958, ce texte est approuvé
par près des quatre cinquièmes des votants. Seuls les communistes, une fraction du parti socialiste (SFIO), des radicaux, quelques personnalités comme Pierre Mendès France ou François Mitterrand, ont appelé à voter contre. Le 4 octobre, la nouvelle Constitution est promulguée. Sa mise en oeuvre commence avec l’élection de l’Assemblée nationale, à la fin de novembre. Le 9 décembre, Charles de Gaulle est élu président de la République par le Parlement et un collège de grands électeurs. Par rapport aux systèmes politiques antérieurs, la Constitution de 1958 apporte plusieurs innovations. À la souveraineté parlementaire se substitue le pouvoir d’État, que symbolise et incarne le président de la République. Même si celui-ci n’est pas, dans le texte, la clé de voûte du système, il dispose de prérogatives essentielles, conformément à des objectifs définis dans le discours du général de Gaulle à Bayeux (1946). Il arrête les décisions prises en Conseil des ministres, promulgue les lois, négocie et signe les traités, décrète - ou non - les mesures qui lui sont proposées, nomme aux emplois publics, et assume la fonction de chef des armées. En cas de crise grave, il peut disposer des pleins pouvoirs (article 16). Élu par un collège de notables - et non par les seuls parlementaires -, il peut se libérer de la pression politique des partis. Il nomme le Premier ministre, qui compose le gouvernement avec son approbation. Quant au gouvernement, il conduit collectivement la politique de la nation ; il partage, avec le Parlement, l’initiative des lois ; il peut utiliser la procédure réglementaire (ordonnances et décrets), tout en participant à l’élaboration du calendrier de travail des assemblées parlementaires. À l’évidence, la primauté revient à l’exécutif. Le Parlement conserve des compétences classiques : le vote de la loi et du budget ; le contrôle, par la censure, de l’action gouvernementale. Mais, dans les faits, ces capacités sont rigoureusement encadrées dans un parlementarisme rationalisé. La Constitution de 1958 instaure donc une double séparation des pouvoirs. Au niveau de l’exécutif, le président se porte garant des institutions et inspire les choix qui guident l’action du gouvernement. Exécutif et législatif s’avèrent bien distincts : la fonction de ministre est incompatible avec celle de parlementaire. Surtout, le législatif occupe une position subordonnée. Le Conseil constitutionnel, qui veille à la constitutionnalité des lois, contribue à cet affaiblissement. L’indépendance du pouvoir judiciaire n’est
pas totalement assurée, car la justice est assimilée à une autorité dont la fonction consiste à protéger les libertés, mais dont les acteurs principaux dépendent du gouvernement. En ce sens, la Constitution de 1958 marque une régression par rapport aux régimes antérieurs. • La « monarchie républicaine ». La pratique imposée par de Gaulle et par le premier gouvernement de la Ve République, que dirige Michel Debré, détermine pour longtemps un type de régime nouveau pour la France, que critiquent les partisans du parlementarisme classique. En effet, dans la conduite de sa politique algérienne, le président est libéré de tout contrôle effectif, hormis de celui de l’électorat lors des référendums-plébiscites. Par ailleurs, l’importance des problèmes internationaux lui laisse la marge de manoeuvre nécessaire. Dès lors, Charles de Gaulle troque progressivement ses compétences d’« arbitre » contre celles de « capitaine ». Son statut personnel, sa légitimité historique, lui permettent de devenir un « monarque républicain » qui tire son pouvoir du vote populaire. Le fréquent recours aux référendums, dans une conjoncture particulière, vise à ressourcer régulièrement le pouvoir présidentiel et à conférer un statut éminent à son titulaire. Le chef de l’État instaure un dialogue permanent avec le peuple, notamment par des voyages en province et une utilisation judicieuse des moyens audiovisuels. Il se place désormais au-dessus des partis en s’aménageant un « domaine réservé » en matières diplomatique et militaire. En dehors de ces compétences clairement revendiquées, il laisse agir le gouvernement, notamment dans les domaines économique et social. Mais ce dernier reste subordonné. Nommé par le président, le Premier ministre peut être révoqué par lui, sans attendre la sanction parlementaire, comme le souligne la démission de Michel Debré, en avril 1962. De même, la censure parlementaire ne constitue pas un critère suffisant pour remplacer le Premier ministre ; c’est ce que révèle le maintien de Georges Pompidou au printemps 1962. Le président devient donc la clé de voûte de l’ensemble, d’autant que le Parlement, après quelques tentatives de résistance, se résigne à la lecture et à la pratique gaulliennes, même si les parlementaires les plus chevronnés et les plus actifs contestent avec force cette évolution. L’année 1962 marque une accélération du processus. En faisant ratifier, par référendum, l’élection du président de la République au suffrage universel, Charles de Gaulle entend construire une présidence active, politiquement responsable devant le peuple tout entier. Le soutien d’une majo-
rité parlementaire cohérente, acquis lors des élections de novembre 1962, lui offre le relais nécessaire, et lui assure une marge de manoeuvre importante. Fait présidentiel et fait majoritaire conjuguent leurs effets pour renforcer le système gaulliste. Cependant, la « monarchie républicaine » montre ses limites : le pouvoir charismatique de Charles de Gaulle tend à s’effriter. La grève des mineurs, durant l’hiver 1963, souligne la montée des revendications populaires, tout comme l’avaient illustrée, antérieurement, les manifestations paysannes ; la contestation s’exprime en dehors du cadre institutionnel. Par ailleurs, le corps électoral, sur lequel de Gaulle s’appuie, tend à se détourner, ainsi qu’en témoigne le scrutin de décembre 1965, qui met en ballottage le Général, opposé à François Mitterrand. Même si l’élection au suffrage universel offre une assise électorale large, elle tend à transformer le président en chef d’une majorité politique. Enfin, le dialogue direct avec le peuple est mis à mal en mai-juin 1968 : la crise sociale révèle le divorce d’avec la jeunesse, et souligne la prise de distance des catégories populaires, et même d’une fraction des classes moyennes, à l’égard du régime. Le référendum du 27 avril 1969 sur la transformation du Sénat et la régionalisation est un échec. Les notables traditionnels s’opposent à ces mutations, suivis par une large frange de l’électorat populaire. Le 28 avril, de Gaulle donne sa démission. • La pratique présidentialiste au service de la pérennisation du régime. Contrairement à bien des prévisions, les institutions ont survécu au départ de Charles de Gaulle, et l’élection, sans problèmes majeurs, de ses successeurs a confirmé la solidité du système. Même les partis de gauche, qui, depuis 1958, dénonçaient l’abandon de la démocratie parlementaire et la personnalisation du pouvoir, se sont inscrits, avec la stratégie de François Mitterrand, dans la perspective tracée par le fondateur de la Ve République. Les succès gaullistes expliquent ces choix. Le texte de 1958 a apporté la stabilité politique attendue. Par ailleurs, les mutations socioculturelles ont entraîné de nouveaux comportements, donnant aux électeurs la capacité de peser sur les grandes orientations. Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing vont adopter une démarche assez proche de celle de Charles de Gaulle, tout en
imprimant une direction politique plus présidentialiste. En multipliant les interventions, les lettres directives pour définir les axes de l’action gouvernementale ; en accroissant le nombre de leurs collaborateurs directs et celui des nominations dans la haute administration, les deux présidents entendent affirmer leur primauté dans le fonctionnement des institutions. Dès lors, le chef du gouvernement devient un exécutant qui doit appliquer une politique qu’il n’élabore pas vraiment. Pour avoir feint de l’ignorer, Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre depuis juin 1969, doit démissionner en juillet 1972, alors qu’il dispose d’une majorité parlementaire. De même, Jacques Chirac, Premier ministre en 1974, se retire en août 1976, parce qu’il ne jouit pas des moyens de mener son action gouvernementale. Cependant, Valéry Giscard d’Estaing, qui a proclamé, lors de son élection, sa volonté de « décrisper les institutions », introduit quelques modifications institutionnelles, dans une conjoncture de faiblesse politique relative, due à l’absence de soutien d’un parti puissant. Ainsi, il élargit la saisine du Conseil constitutionnel, et, avec son gouvernement, manifeste plus d’égards pour le Parlement : recours plus fréquent aux commissions, convocation de sessions extraordinaires. Mais les principes fondateurs du régime subsistent, tandis que la « présidentialisation » gagne même l’organisation et le fonctionnement des partis, dont la crédibilité dépend de leur capacité à proposer un candidat à l’élection présidentielle. Le pouvoir présidentiel s’étend à tous les secteurs d’activité - économie, monnaie, finances, affaires sociales -, bien qu’aucune urgence ne l’impose. Seule l’importance politique des problèmes détermine ses limites. En disposant d’une majorité parlementaire, le downloadModeText.vue.download 230 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 219 président assure la direction effective du pays. Mais, ce faisant, la question d’une éventuelle alternance est posée. • Les effets de l’alternance. L’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, en mai 1981, confirme pourtant la force des institutions ; le nouveau chef de l’État, qui a tant combattu la Ve République et ses pratiques institutionnelles, s’installe dans ses fonctions, utilisant tous les instruments
que lui offre la Constitution. Il confirme la prééminence présidentielle en dissolvant l’Assemblée élue en 1978 et en obtenant la majorité absolue au sein de la nouvelle Assemblée. De même, son programme électoral - « Les 110 propositions » - définit les orientations pour le gouvernement tandis que l’Assemblée nationale - où le Parti socialiste dispose, à lui seul, de la majorité absolue - continue à voir son activité encadrée par l’exécutif. Cependant, par rapport aux septennats précédents, plusieurs infléchissements sont donnés. François Mitterrand revient, pour l’essentiel, à la pratique de la « monarchie républicaine » : il s’intéresse au « domaine réservé » et laisse au gouvernement, composé d’hommes de confiance, le soin d’agir au quotidien. Le « socle du changement » des années 1981-1982 est bâti sur l’initiative du gouvernement dirigé par Pierre Mauroy en tenant compte des propositions présidentielles. De même, à partir de 1984, la politique de modernisation économique est élaborée par le gouvernement de Laurent Fabius. Enfin, le Parti socialiste est associé à toutes les prises de décision, ce qui implique parfois de difficiles discussions avec le groupe parlementaire. Ces infléchissements n’empêchent nullement le pouvoir exécutif de disposer des relais administratifs nécessaires à la mise en oeuvre de sa politique (le « système des dépouilles » prend de l’ampleur). En revanche, l’application de la décentralisation, à partir de 1982-1983, crée des contre-pouvoirs à la gestion centrale du pays, d’autant que 20 des 22 Régions sont dirigées par des partis de droite. Le véritable rééquilibrage des pouvoirs s’opère lors de deux épisodes de cohabitation d’un président socialiste et d’une majorité de droite, entre 1986 et 1988, puis entre 1993 et 1995. En effet, face à une majorité parlementaire qui détermine le choix du Premier ministre, François Mitterrand doit laisser le gouvernement diriger la politique de la nation. Cependant, il sauvegarde les compétences présidentielles inscrites dans le texte de 1958 : arbitre et garant de la Constitution, il assume la sauvegarde de l’unité nationale, et se veut le défenseur des « faibles ». Le gouvernement peut agir librement, mais il doit, lui aussi, respecter le texte constitutionnel : François Mitterrand lui impose de procéder plus souvent par voie législative que par voie réglementaire. De même, sur la scène internationale, le président défend et promeut les choix diplomatiques nationaux. La troisième et très longue (1997-2002)
cohabitation (entre Jacques Chirac et Lionel Jospin) a eu pour effet, non seulement d’affaiblir la fonction présidentielle, mais aussi d’installer l’idée qu’une remise à plat des institutions de 1958 était nécessaire. En faisant adopter, en 2000, le raccourcissement du mandat présidentiel de sept à cinq ans, afin de s’aligner sur la pratique des autres grandes démocraties, Jacques Chirac a ouvert la boîte de Pandore constitutionnelle. Ainsi, des voix de plus en plus nombreuses se font entendre pour réclamer le passage à une « sixième République ». Certains, comme le député socialiste Arnaud Montebourg, proposent de revenir à un régime parlementaire dans lequel le Premier ministre, chef de la majorité, aurait l’essentiel des pouvoirs face à un chef de l’Exécutif, cantonné, pour l’essentiel, à un rôle de représentation, ce qui semble difficilement concevable si celui-ci continue d’être élu au suffrage universel. D’autres, à l’inverse, militent en faveur d’une présidentialisation accrue du régime, soit en supprimant la responsabilité politique du Premier ministre devant l’Assemblée nationale, soit, carrément, en supprimant le poste de chef du gouvernement. D’autres encore préféreraient se cantonner à un « toilettage » important des institutions de 1958 et qui consisterait surtout en un renforcement des pouvoirs du Parlement (en matière d’initiative politique et de contrôle du gouvernement). Constitutionnel (le), journal national d’information générale publié entre 1815 et 1914. Créé pendant les Cent-Jours, le Constitutionnel, libéral, modéré, anticlérical et plutôt favorable à l’Empire, se développe sous la Restauration, malgré la répression dont la presse est victime, car il accepte la Charte, même s’il refuse les doctrines monarchistes. Il touche une opinion majoritairement bourgeoise, qui reste son public sous la monarchie de Juillet. Le journal soutient alors le régime, et voit son nombre d’abonnés augmenter au début des années 1830. Mais il s’affaiblit à partir de 1832, et se trouve menacé peu après par l’arrivée d’une nouvelle presse à bon marché (la Presse et le Siècle), qui utilise la publicité pour baisser le prix de l’abonnement et attire la clientèle par la publication de romansfeuilletons. Lorsque le Dr Véron, qui reprend le journal en 1844, introduit la publicité et achète à Eugène Sue un feuilleton à succès, « Le Juif errant », le Constitutionnel se relève : il est tiré à 25 000 exemplaires en 1846. Sous Napoléon III, le titre devient l’un des organes
officieux du régime. Mais ses tirages chutent progressivement. À la fin du Second Empire, il ne pèse plus guère face aux journaux officiels et, surtout, à la presse non politique (le Petit Journal, par exemple, tire à 285 000 exemplaires). Le Constitutionnel poursuit son déclin après 1870 et, malgré son ralliement à la République modérée en 1877, il n’a plus qu’une diffusion confidentielle après 1882, et disparaît en 1914. Constitutions consulaires et impériales, Constitutions de l’an VIII (13 décembre 1799), de l’an X (4 août 1802) et de l’an XII (18 mai 1804) qui organisent le régime consulaire et impérial. Ces trois textes forment un ensemble qui établit le pouvoir personnel de Bonaparte. Aussi s’agit-il, en fait, de différentes étapes dans la mise en place d’un régime unique. • L’affaiblissement des organes législatifs. Au lendemain du coup d’État des 18 et 19 brumaire an VIII (9 et 10 novembre 1799), qui met fin au Directoire, les commissions législatives se réunissent pour élaborer un nouveau texte constitutionnel. Le projet de Sieyès est rejeté par Bonaparte, qui entend construire un régime à la mesure de ses ambitions. La Constitution de l’an VIII est adoptée par un petit comité - et non par une assemblée élue - le 22 frimaire (13 décembre 1799). Ce texte bref, qui ne compte que quatre-vingt-quinze articles, est marqué par plusieurs ruptures avec les Constitutions de l’époque révolutionnaire : il ne comprend aucune déclaration des droits, ni des devoirs. Les « droits de cité » deviennent des droits subjectifs des citoyens face à l’État, et ne sont donc pas des droits naturels comme en 1789 et en 1793. La qualité de citoyen n’est pas soumise à un cens (montant d’impôts nécessaire pour être électeur) : tous les Français de plus de 21 ans ont le droit de vote ; mais le système de représentation favorise l’influence des notables puisque les électeurs établissent des « listes de confiance » aux niveaux communal, départemental et national, listes dans lesquelles sont choisis les membres des assemblées. Ce système - qui n’est pas sans rappeler celui des promotions militaires - est une application du principe énoncé par Sieyès selon lequel « l’autorité vient d’en haut, la confiance d’en bas ». L’organisation des pouvoirs - deux organes législatifs (le Tribunat, composé de 100 membres, et le Corps législatif, de 300), un Conseil d’État et un gouvernement confié à trois consuls - n’offre qu’un semblant de
continuité avec les principes de la séparation des pouvoirs. En effet, les organes législatifs ne sont plus souverains, car le Sénat conservateur, formé de membres inamovibles, devient le gardien de la constitutionnalité des lois. Le Conseil d’État élabore les projets de lois, le Tribunat les discute et les transmet au Corps législatif qui doit les voter ou les refuser sans pouvoir les discuter. Les organes législatifs sont en réalité bien faibles par rapport au gouvernement, dont le rôle dépasse très largement les compétences exécutives : non seulement celui-ci est le seul à posséder l’initiative des lois, mais il nomme également, et sans contrôle, à tous les emplois administratifs et militaires. Le système des trois consuls (Bonaparte, Cambacérès et Lebrun) installés pour dix ans n’est qu’une fiction destinée à rendre plus acceptable le pouvoir du Premier consul, Bonaparte. L’article 95 précise que la « Constitution sera offerte [...] à l’acceptation du peuple français ». Les résultats du plébiscite (proclamés seulement le 7 février 1800) - plus de trois millions de « oui » et 1 562 « non » - sont révélateurs de l’état d’une opinion qui cherche à jouir paisiblement des acquis bourgeois de la Révolution : la sûreté des personnes et des propriétés, l’égalité civile et, surtout, l’irrévocabilité de la vente des biens nationaux sont réaffirmées dans le texte soumis à la ratification. • Vers l’Empire. De l’an VIII à l’an X, le Sénat s’investit du droit de modifier la Constitution downloadModeText.vue.download 231 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 220 par des sénatus-consultes. En mai 1802, Bonaparte fait approuver le Consulat à vie par plébiscite. Le sénatus-consulte du 16 thermidor an X (4 août 1802) tire les conséquences de ce vote en réorganisant les pouvoirs. En effet, la Constitution de l’an X affaiblit encore les organes législatifs (le Tribunat est réduit à 50 membres et divisé en sections), renforce le contrôle de Bonaparte sur le processus électoral et, surtout, lui donne l’initiative des modifications constitutionnelles. Elle marque un tournant vers un régime de plus en plus personnel. Cette évolution trouve son expression ultime dans le sénatus-consulte du 28 floréal an XII (18 mai 1804) par lequel Bonaparte devient « Napoléon Ier, empereur des Français ». S’agit-il d’un régime nouveau ? En fait, dans ce texte de mai 1804, on assiste à un renforcement des aspects centralisateurs et
monocratiques du régime, auquel est conféré le décorum de la cour impériale et du principe d’hérédité. Les attributions du Sénat et du Conseil d’État sont encore augmentées, tandis que les organes législatifs deviennent de simples chambres d’enregistrement (le Tribunat est même supprimé en 1807). Constitutions révolutionnaires, premières Constitutions écrites de la France, adoptées en 1791, 1793 et 1795. Avant la Révolution, le roi est source de tout pouvoir et détient la souveraineté ; non écrites, les « lois fondamentales du royaume », qu’il doit suivre et ne peut modifier, ne sont aucunement assimilables à une Constitution. Mais, à la fin du XVIIIe siècle, dans la continuité des principes émis par les philosophes des Lumières, s’affirme l’idée qu’un État moderne doit posséder une Constitution écrite et rationnelle définissant le statut politique de la nation ; de nombreux cahiers de doléances en réclament la rédaction. Aussi, dès juin 1789, par le serment du Jeu de paume, les députés du tiers état jurent de donner une Constitution écrite à la France, fondée sur les principes de souveraineté de la nation et de séparation des pouvoirs. Après des hésitations, ils décident finalement, lors de la nuit du 4 août, de la faire précéder d’une « Déclaration des droits naturels « (reconnus à tous les êtres humains en tant que tels), qui, « loi fondamentale des lois » (Dupont de Nemours), doit lui servir de base. Parallèlement aux changements politiques, trois Constitutions et Déclarations des droits sont adoptées pendant la Révolution. Toutes trois ont des points communs : elles rompent avec l’Ancien Régime et marquent la création d’un État démocratique ; mais leurs différences soulignent l’évolution de l’idéal politique révolutionnaire. • La Constitution de 1791. La « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen », votée par les députés le 26 août 1789, se distingue de ses précédents américains par son caractère d’universalité - qui en fait aujourd’hui encore une référence, en France (Constitution de 1958) comme à l’étranger. Mais la Constitution, rédigée par le Comité de constitution de l’Assemblée, votée par celle-ci le 3 septembre 1791 et acceptée par le roi le 13, viole ces principes fondateurs en distinguant deux types de citoyens, inégaux : les « actifs », qui possèdent les droits politiques, et les « passifs » (pauvres, femmes, domestiques), qui
en sont exclus. Dans les colonies, l’esclavage est maintenu et la citoyenneté, refusée aux affranchis. Le pouvoir législatif est confié à une Assemblée forte de 745 députés élus au suffrage censitaire pour deux ans non reconductibles. Elle ne peut être dissoute par le roi et détient l’initiative des lois et de la révision constitutionnelle. L’exécutif est « délégué » au roi et à ses ministres (non députés), choisis et révoqués par lui. « La personne du roi est inviolable et sacrée », mais son autorité est subordonnée à la loi, expression de la souveraineté nationale : il « ne règne que par elle, et ce n’est qu’au nom de la loi qu’il peut exiger l’obéissance » ; il doit lui prêter serment de fidélité, ainsi qu’à la nation. Il dispose cependant d’un droit de veto suspensif sur les décrets de l’Assemblée. La chute de la monarchie, le 10 août 1792, rend caduque cette Constitution, et une Convention est chargée de rédiger un nouveau texte. • La Constitution de 1793. Une « Déclaration des droits » d’inspiration girondine est votée le 29 mai par la Convention : sans préambule ni référence au citoyen dans le titre, elle n’évoque plus les droits naturels mais les « droits de l’homme en société ». Après la chute des girondins, le 2 juin 1793, la Convention « montagnarde » donne priorité à la rédaction de la Constitution, adoptée par les députés le 24 juin. Elle est précédée d’une nouvelle « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen », qui affirme que « le but de la société est le bonheur commun » (article 1er) et revient fermement, comme en 1789, aux droits naturels, dont le gouvernement doit assurer la jouissance à l’homme. Les droits à l’instruction, à l’assistance, au travail et de propriété y sont assurés. La souveraineté réside désormais dans le peuple et non plus dans la nation. Le droit de résistance à l’oppression, présent en 1789, est complété par le droit à l’insurrection « quand le gouvernement viole les droits du peuple ». L’esclavage est rejeté car nul homme « ne peut se vendre ni être vendu ». Cette Constitution donne la prépondérance au législatif, représenté par une Assemblée nationale élue au suffrage universel masculin pour un an. L’exécutif, assez faible, est confié à un Conseil de vingt-quatre membres proposés par les départements sur élection, puis choisis par l’Assemblée. Les citoyens sont associés au pouvoir législatif : la loi est simplement « proposée » par l’Assemblée, puis soumise à la sanction populaire ; si les récla-
mations sont importantes (ou si un nombre suffisant de citoyens demande la révision de la Constitution), un référendum est organisé. Après avoir été elle-même soumise à un référendum, la Constitution de 1793, est solennellement acceptée le 10 août 1793, mais elle est enfermée dans une « Arche sainte » par la Convention, et son entrée en vigueur, reportée à la paix. Jamais appliquée, elle représente pourtant un idéal de démocratie pendant et après la Révolution. • La Constitution de l’an III. En l’an III (1795), une Commission des onze est chargée d’élaborer des lois organiques pour appliquer la Constitution, tout en modifiant le sens de ses dispositions, jugées trop démocratiques. Or, après l’échec de l’insurrection de prairial - dont le mot d’ordre était « du pain et la constitution de 1793 » -, la Commission décide de rédiger un texte entièrement nouveau, destiné à rompre définitivement avec la période antérieure et à organiser un « pays gouverné par les propriétaires » (Boissy d’Anglas, rapporteur de la Commission). Voté par la Convention le 5 fructidor an III (22 août 1795), il est adopté le 1er vendémiaire an IV (23 septembre 1795) à la suite d’un référendum. Il est précédé d’une « Déclaration des droits et des devoirs » qui rompt avec celles de 1789 et 1793, et qui ne se réfère plus au droit naturel mais aux seuls « droits de l’homme en société ». L’égalité n’est que civile : ferment de révolte potentielle des exclus, l’article 1er de la Déclaration de 1789 disparaît, tout comme les droits à l’instruction, aux secours, de résistance à l’oppression et d’insurrection. En revanche, il est affirmé que « c’est sur le maintien des propriétés que repose [...] tout l’ordre social ». La Constitution rétablit, en outre, le suffrage censitaire et limite les libertés de la presse, d’association, de pétition. La peur de voir un individu ou l’Assemblée prendre trop d’importance (« ni 89 ni 93 ») conduit à fractionner les pouvoirs. Le législatif est confié à deux assemblées élues et renouvelables par tiers chaque année : le Conseil des CinqCents a l’initative des lois et celui des Anciens les adopte ou les rejette. L’exécutif est formé par un Directoire de cinq membres élus par les Anciens sur proposition des Cinq-Cents, renouvelé par cinquième tous les ans, et qui détient d’importantes prérogatives (politique étrangère, exécution des lois). Cette séparation des pouvoirs est strictement observée : l’exécutif ne peut être renversé par le législatif, qu’il ne peut dissoudre. Plusieurs fois violée par des coups d’État
dus à l’instabilité de la période, la Constitution de l’an III est supprimée après le 18 brumaire an VIII, qui conduit au Consulat. Consulat, régime politique de la France du coup d’État des 18 et 19 brumaire an VIII (9 et 10 novembre 1799) à la proclamation de l’Empire (18 mai 1804). Le coup d’État de brumaire est accueilli avec scepticisme. Il ne paraît pas différer de ceux qui l’ont précédé sous le Directoire, laissant augurer un simple changement d’équipe politique, au demeurant limité. Le passage du Directoire au nouveau régime, le Consulat, se fait ainsi dans l’indifférence de l’opinion. Après avoir donné aux vainqueurs de Robespierre, qui ont dominé l’époque du Directoire, le nom de « thermidoriens », on appelle « brumairiens » ceux (la majorité) qui se rallient au coup d’État. • La Constitution de l’an VIII. Il ne faut pourtant que quelques semaines aux Français pour découvrir l’ampleur du changement. Le projet de révision constitutionnelle proposé par Sieyès, inspirateur du coup d’État, ayant été écarté, Bonaparte apparaît rapidement downloadModeText.vue.download 232 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 221 comme l’homme fort du nouveau régime. Trois consuls provisoires sont désignés : Bonaparte, Sieyès et Ducos. Les deux derniers s’effacent lorsque la nouvelle Constitution (la quatrième depuis 1789) est mise en place le 13 décembre 1799. Celle-ci établit quatre assemblées : le Conseil d’État, qui rédige les projets de loi ; le Tribunat, formé de 100 membres renouvelés par cinquième tous les ans, qui les discute ; le Corps législatif, composé de 300 députés, également renouvelés par cinquième tous les ans, qui les vote ; le Sénat enfin, constitué de 80 sénateurs inamovibles et recrutés par cooptation, qui vérifie la constitutionnalité des textes et choisit sur des listes de notabilités tribuns et députés. Le pouvoir exécutif est attribué à trois consuls, nommés par le Sénat pour dix ans et rééligibles, dont le nom figure dans la Constitution : Bonaparte, Premier consul, Cambacérès, deuxième consul, Lebrun, troisième consul. Mais, derrière cette façade collégiale, la réalité du pouvoir appartient au Premier consul, qui détient seul l’initiative des lois,
nomme les conseillers d’État, les ministres, les officiers et les fonctionnaires. Comme celles de 1793 et de 1795, la nouvelle Constitution est soumise à référendum et recueille quelque 3 011 007 « oui » contre 1 562 « non ». En réalité, Lucien Bonaparte, ministre de l’Intérieur, a gonflé les chiffres : il n’y aurait eu qu’un million et demi de « oui » sur cinq millions d’électeurs. Le scepticisme persiste à l’égard du nouveau régime. La Constitution est complétée par la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) - qui institue les préfets dans les départements, donnant au pays une armature centralisée et par celle du 27 ventôse an VIII (18 mars 1800) - qui établit une nouvelle hiérarchie de juges, tous nommés par le Premier consul. • La pacification intérieure. « La Révolution est finie », annonçait une proclamation des consuls accompagnant la Constitution. Le gouvernement, sans tarder, s’est mis au travail. Les consuls s’entourent de ministres : Talleyrand aux Relations extérieures, Carnot, puis Berthier à la Guerre, Abrial, puis Regnier à la Justice, Gaudin aux Finances, Barbé-Marbois au Trésor et Fouché à la Police. Le principal souci de Bonaparte est alors de rétablir la paix civile. Aussi, ses premiers gestes visentils à apaiser les passions : rappel des victimes des coups d’État du Directoire, suppression de la fête du 21 Janvier - anniversaire de l’exécution du roi -, radiations de la liste des émigrés... L’Ouest s’est à nouveau insurgé sous le Directoire : une proclamation du Premier consul, le 28 décembre 1799, offre le pardon aux rebelles contre leur soumission. La Vendée, épuisée, ne peut affronter une nouvelle guerre : les principaux chefs déposent donc les armes et signent la paix de Montfaucon. Louis XVIII a cru que Bonaparte rétablirait la monarchie. Il écrit deux fois au Premier consul (le 20 janvier, puis le 4 juin 1800), mais celui-ci attend l’affermissement de son pouvoir pour lui répondre : « Vous ne devez pas souhaiter votre retour en France. Il vous faudrait marcher sur 100 000 cadavres. Sacrifiez votre intérêt au bonheur de la France. » Les réseaux chouans de la capitale sont aussitôt réactivés. Le 24 décembre 1800, une machine infernale explose sur le passage de la voiture du Premier consul, rue Saint-Nicaise. Il y a plusieurs morts, mais Bonaparte sort indemne de l’attentat, qui lui fournit un prétexte pour se débarrasser et des jacobins (rendus initialement responsables de l’attentat) et des royalistes (auteurs avérés du com-
plot). L’opinion lui est surtout reconnaissante d’avoir mis fin au brigandage en instituant, par la loi du 17 février 1801, des tribunaux criminels spéciaux sans jury. La pacification religieuse est la condition essentielle d’un retour à l’ordre. « Ma politique, affirme Bonaparte le 16 août 1800, est de gouverner les hommes comme le grand nombre veut l’être. C’est en me faisant catholique que j’ai gagné la guerre de Vendée, en me faisant musulman que je me suis établi en Égypte, en me faisant ultramontain que j’ai gagné les esprits en Italie... » Il ouvre donc des négociations avec le pape. Le 5 novembre 1800, le représentant de Pie VII est à Paris. Plusieurs problèmes retardent l’accord final. Mais le pape, conscient que le Premier consul doit compter avec les réticences de l’armée et de certains de ses ministres (Talleyrand et Fouché), fait des concessions : il reconnaît la vente des biens d’Église par la Révolution, accepte que le catholicisme ne soit plus religion d’État mais de la majorité des Français, invite les anciens réfractaires à la Constitution civile du clergé, comme ceux qui avaient prêté le serment, à remettre leur démission dans un souci d’apaisement. Le Concordat est signé le 15 juillet 1801 : une nouvelle carte des diocèses est établie ; le Premier consul nomme les évêques et le pape leur accorde l’investiture canonique ; évêques et curés touchent un traitement de l’État. Dès lors, malgré le maintien d’une « petite Église » schismatique, la paix religieuse est rétablie. D’autant que Bonaparte renforce son emprise sur le clergé par les articles organiques qui attribuent aux pasteurs un traitement, à l’instar des curés. • La pacification extérieure et le redressement financier. Depuis 1792, la France est en guerre avec l’Europe, mais la deuxième coalition ne comprend plus que l’Autriche et l’Angleterre. Bonaparte, passant les Alpes au Saint-Bernard, attaque les Autrichiens en Italie du Nord et les bat à Marengo, le 14 juin 1800 ; de son côté, le général Moreau leur porte un coup décisif à Hohenlinden, le 3 décembre 1800. Vienne signe la paix de Lunéville, le 9 février 1801. La France n’a plus d’adversaires sur le continent. Quant à l’Angleterre, épuisée financièrement, elle se résigne à la paix le 25 mars 1802 : « À Amiens, je crus de bonne foi, dira Bonaparte, le sort de la France et le mien fixés. J’allais me dévouer uniquement à l’administration de la France. » Une fois la confiance revenue, Bonaparte s’emploie à redresser financièrement l’État : fondation, le 13 février 1800, de la Banque
de France, avec pour mission de régulariser le marché de l’argent et d’offrir des facilités de crédit ; lors de la réforme monétaire de germinal an XI (14 avril 1803) qui institue le franc-germinal, la banque reçoit le monopole d’émission des billets. De nouveaux fondements sont donnés à la société par ce que Bonaparte appelle les « masses de granit » : les lycées (1er mai 1802), la Légion d’honneur (19 mai 1802) et, surtout, le Code civil (21 mars 1804), qui entend restaurer la cohésion de la famille et confirme le droit de propriété déjà proclamé dans les Constitutions révolutionnaires. • Du Consulat à l’Empire. Bonaparte gouverne jusqu’en 1802 à la façon d’un dictateur de salut public romain. Parvenant à surmonter la crise économique qui frappe le pays cette année-là, il renforce son assise politique. Un plébiscite est alors organisé sur la question : « Napoléon Bonaparte sera-t-il consul à vie ? » On compte 3 568 885 « oui » contre 8 374 « non ». La Constitution est modifiée en ce sens le 4 août 1802. Le pouvoir de l’ancien officier jacobin est consolidé mais, sans bien héréditaire, ce n’est pas encore la monarchie. L’année suivante, la situation politique semble se dégrader. La guerre reprend avec l’Angleterre, qui n’accepte pas l’emprise de la France sur le continent et son expansion coloniale - même si l’expédition de Leclerc à Saint-Domingue tourne mal et si la Louisiane est vendue aux États-Unis. En outre, une conspiration d’envergure est montée contre Bonaparte par le chef chouan Cadoudal ; y sont impliqués l’ancien général Pichegru et Moreau, rival en gloire de Bonaparte, qui doit faire basculer l’armée dans le camp royaliste. Le complot est découvert tardivement, et les principaux acteurs sont arrêtés. Dans les aveux recueillis, il est fait mention d’un prince. Serait-ce le duc d’Enghien qui se trouve à Ettenheim, sur le territoire de Bade ? Bonaparte n’hésite pas à le faire enlever et fusiller (21 mars 1804). Ayant fait couler le sang d’un Bourbon, le consul à vie a rassuré les anciens révolutionnaires, qui acceptent désormais l’établissement d’un régime héréditaire en sa faveur. Un nouveau référendum le fait « empereur des Français » par 3 572 329 « oui » contre 2 579 « non ». Une nouvelle Constitution, proclamée le 18 mai 1804, confie ainsi « le gouvernement de la République à un empereur » ! La dignité impériale est héréditaire dans « la descendance directe, naturelle et légitime de Napoléon Bo-
naparte. » Il n’a fallu que quatre années pour que « le front de l’Empereur bris[e] le masque étroit [du Premier consul] » (Victor Hugo). Conti (Armand de Bourbon, prince de), prince du sang (Paris 1629 - Pézenas 1666). Frère cadet du Grand Condé, Armand doit son titre à sa bisaïeule, Éléonore de Roye, qui apporta en dot (1551) le fief picard de Conti à son époux, Louis de Bourbon, prince de Condé (1530-1569). Le fils cadet du couple, François, marquis, puis prince de Conti (1558-1614), étant mort sans postérité, le titre revient à Armand, filleul de Richelieu, destiné à l’Église. Abbé et docteur en théologie, il suit dans la Fronde des princes son frère aîné Condé et le mari de leur soeur, le duc de Longueville. Arrêté avec eux en 1650, enfermé à Vincennes puis au Havre, libéré l’année suivante, il se rallie à Mazarin, épouse en 1654 une nièce du cardinal, Anne-Marie Martinozzi, nommée surintendante de la reine Anne d’Autriche. Il commande ensuite les armées de Catalogne, occupant la Cerdagne en 1655, puis celles d’Italie. Devenu gouverneur downloadModeText.vue.download 233 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 222 du Languedoc en 1660, il s’installe à Pézenas. Atteint de syphilis, tombé en dévotion après avoir été le premier protecteur de Molière, très proche du jansénisme, membre de la Compagnie du Saint-Sacrement, il meurt à 37 ans en portant le cilice. Il laisse deux fils, Louis-Armand (1661-1685) et FrançoisLouis (1664-1709), princes de Conti. Le second, après avoir combattu aux Pays-Bas, est élu roi de Pologne en 1697 mais ne peut prendre possession de son trône, occupé par Auguste II de Saxe. contraception. L’emploi de méthodes anticonceptionnelles est ancien, et a entraîné en France de vifs débats idéologiques et juridiques. On trouve trace de philtres et de potions dès l’Antiquité, et d’actes « contre nature » dans les pénitentiels médiévaux, mais ces techniques semblent réservées à la sexualité illicite des prostituées et des clercs. En outre, le condom, ou préservatif, mentionné dès 1564, est plus antivénérien qu’anticonceptionnel. • Diffusion des pratiques restrictives.
C’est à partir du XVIIe siècle que les élites commencent à limiter leur descendance, au nom du contrôle des instincts que prône par exemple Mme de Sévigné. Au cours du XVIIIe siècle, cette pratique se répand dans les moeurs. L’intendant Montyon ne notet-il pas, en 1778, que « ces funestes secrets inconnus à tout animal autre que l’homme ont pénétré dans la campagne » ? Il s’agit du coitus interruptus, le retrait sexuel, procédé élémentaire mais certainement connu depuis des temps anciens, qui devient une habitude commune. Pourquoi a-t-on voulu alors limiter les naissances autrement que par le retard de l’âge du mariage ? La volonté d’éviter les conséquences de l’acte sexuel est sans doute motivée par ce que l’historien Philippe Ariès qualifie de « calcul sur la génération future », dans une période de relative prospérité qui donne l’habitude de la prévision. En outre, la mortalité infantile diminue ; de nombreuses naissances ne sont donc plus nécessaires pour s’assurer une descendance. Même si les révolutionnaires sont populationnistes, la Révolution - période de mutation culturelle et de déchristianisation - favorise une généralisation du processus de restriction volontaire des naissances. Ce malthusianisme persiste dans la première moitié du XIXe siècle et s’accentue par la suite : la population augmente, en effet, bien moins en France que dans d’autres pays en Europe et la fécondité décline, si bien que le taux de reproduction tombe au-dessous de l’unité dans les années 1851-1860, alors qu’il est de 1,34 en Angleterre et de 1,29 en Allemagne. Les nouveaux procédés anticonceptionnels ne sont pourtant diffusés en France qu’après 1914 (préservatif en caoutchouc vulcanisé apparu vers 1845, diaphragme inventé en 1880 aux États-Unis, puis, à la fin des années vingt, stérilet produit en Allemagne et « méthode Ogino » venue du Japon). Le processus de dépopulation, aggravé par les effets de la Première Guerre mondiale, suscite l’inquiétude des autorités : en 1920 est votée une loi réprimant l’avortement mais aussi la « propagande antinataliste » ou le fait d’avoir « décrit ou divulgué ou offert de révéler des procédés propres à prévenir la grossesse ou encore facilité l’usage de ces procédés ». Toutefois, ces mesures n’ont guère de résultats sur la natalité. Des amendements sont réclamés en vain par les premiers partisans du planning familial et une partie de la gauche, qui défendent l’idée que la contraception limiterait les avortements. • Vers la libéralisation. La polémique est relancée avec l’invention de la « pilule » en
1953 et la mise en vente de ce procédé contraceptif aux États-Unis en 1960. La campagne de l’élection présidentielle de 1965 est l’occasion d’un débat public. Selon des sondages, la majorité des Français souhaite alors une libéralisation de la contraception. À la fin de l’année 1967, la loi Neuwirth (du nom du député gaulliste qui l’a défendue) est votée par la droite modérée, le centre et la gauche, malgré l’hostilité d’une partie des gaullistes qui avancent des arguments nationalistes, religieux ou moraux (telle la nécessité de ne pas banaliser l’acte sexuel). Si cette loi autorise la vente de la pilule dans les pharmacies sur prescription médicale, les décrets d’application ne sont pas promulgués avant 1969 et 1972. Malgré les résistances des milieux catholiques (encyclique Humanae vitae, juillet 1968), la libéralisation de la contraception est finalement imposée par l’évolution générale de la société. En 1974, alors qu’est votée la loi Veil rendant licite l’interruption volontaire de grossesse, une loi supprime l’autorisation parentale pour les mineures qui souhaitent prendre la pilule et permet le remboursement par la Sécurité sociale des frais relatifs à la contraception orale. Aussi, la contraception se développe-t-elle : 6 % des femmes de 20 à 44 ans utilisent la pilule en 1970, 25 % en 1975, 32 % en 1988 ; 9 % des femmes portent un stérilet en 1975, 17 % en 1988. Avec l’apparition du sida, le préservatif retrouve son rôle prophylactique à partir des années 1980 ; la publicité pour les contraceptifs est autorisée en 1990. À cette date, pourtant, 40 % des premiers rapports sexuels auraient lieu sans aucune contraception ; cela est sans doute dû plus à des problèmes d’information et d’éducation en la matière qu’à l’opposition doctrinale, fortement réaffirmée, de l’Église catholique. La libéralisation se poursuit dans les années 2000 avec la mise en vente libre de la « pilule du lendemain », distribuée gratuitement aux mineures. Contre-Réforme ! Réforme catholique Contre-Révolution, désigne à la fois un mouvement politique et une doctrine qui se sont opposés à la marche de la Révolution française. Le terme recouvre cependant un ensemble disparate, dont l’examen historique permet de rendre compte. • Émigrés et militants. « Contre-Révolution » est forgé à partir de 1790, pour qualifier les premières oppositions à toutes les
mutations politiques et sociales qui viennent de se produire : l’expression désigne alors les premiers « émigrés » - tels le comte d’Artois, le prince de Condé - qui ont quitté la France pour protester contre la puissance nouvelle de l’Assemblée constituante, la violence populaire exprimée lors du 14 juillet et des 5 et 6 octobre 1789, et la diminution du rôle du roi. Ce refus des mesures libérales s’enracine dans un courant historique et idéologique très organisé, qui a mené campagne depuis 1788, afin de limiter le pouvoir royal au profit des parlements et des corps intermédiaires conduits par les nobles et les élites traditionnelles, et qui a exclu le doublement de la représentation du tiers état aux États généraux. En Bretagne, dans le Poitou, en Provence, cette position a entraîné des affrontements, parfois violents, avec les réformateurs. En 1789, ces hommes, déçus de la faiblesse royale face à leurs adversaires politiques, rejettent toutes les demandes du Tiers, incitent le roi à résister, s’érigent en un groupe à l’Assemblée et constituent des réseaux dans le pays. En 1790, c’est autour d’eux que s’organisent, aux frontières, avec l’aide de princes allemands, des armées d’émigrés. À l’intérieur du pays, leur influence reste grande, grâce à des journaux, tels l’Ami du roi ou la Gazette de Paris, qui font connaître leurs positions et ridiculisent les mutations révolutionnaires. Ils sont en relation avec des agitateurs - Froment dans le Midi, La Rouërie en Bretagne - qui poussent les mécontents à l’insurrection. Ils tentent d’infléchir la politique étrangère des souverains européens, pour les amener à déclarer la guerre à la France, et restaurer la monarchie absolue. Jusqu’en 1792, ils n’obtiennent que des résultats limités, mais ils réussissent, cependant, à rassembler autour d’eux tous les déçus de la Révolution et à radicaliser les luttes politiques. La guerre que la France déclare à l’Autriche (20 avril 1792) et à la Prusse représente pour eux une opportunité. L’armée des émigrés, sous les ordres de Condé, entre dans les provinces de l’Est. Leur désunion, leur volonté de revenir à la situation d’avant 1789, leur médiocre valeur militaire, ne leur permettent pas, toutefois, de jouer le rôle qu’ils espéraient, et ils doivent rentrer en Allemagne, après la bataille de Valmy. Déconsidérés, divisés en groupes rivaux, progressivement rejetés par les populations locales, ils rencontrent des difficultés croissantes, alimentées par les victoires régulièrement remportées par les troupes révolutionnaires. Les émigrés, dont les frères du roi, doivent
s’enfoncer à l’intérieur de l’Europe, perdant prestige et argent, dépendant de plus en plus du bon vouloir des souverains étrangers - l’Angleterre, partisane d’une royauté parlementaire, leur est hostile -, abandonnant peu à peu l’espoir d’une restauration rapide de la monarchie par les armes. Cependant, ils demeurent mobilisés dans une lutte quotidienne, par tous les moyens, contre la France révolutionnaire. En 1795, les échecs des débarquements de Quiberon et de l’île d’Yeu, ainsi que de l’insurrection royaliste à Paris, sonnent le glas de leurs espérances. Les réseaux d’espionnage - notamment autour du comte d’Antraigues - et d’agitation occupent une place prépondérante dans leurs activités, mais le recours au jeu politicien n’est pas downloadModeText.vue.download 234 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 223 exclu, comme l’atteste l’action du Club de Clichy. Le comte de Provence se proclame roi, sous le nom de Louis XVIII, à la mort du dauphin dans la prison du Temple (8 juin 1795) ; mais le régime républicain, secoué par des coups d’État, résiste. La politique de Bonaparte confirme la rupture révolutionnaire. Politiquement, la Contre-Révolution nobiliaire échoue à reconquérir le pouvoir avant 1814. • Réfractaires et mécontents. Mais l’appui le plus indéfectible à la Contre-Révolution est apporté par les mécontents de tous bords qu’engendre la Révolution, et dont les principales cohortes se composent de membres du clergé réfractaire au serment, à partir de 1791. Ce ralliement est essentiel, puisque la cause de la monarchie absolue fait corps avec la défense de la catholicité : une alliance qui constituera l’un des axes de la vie politique française au XIXe siècle. Même si la majorité des prêtres partent en exil, une minorité plus ou moins active cristallise l’opinion, notamment dans l’Ouest insurgé. À partir de 1792, le deuxième groupe d’opposants s’organise dans les campagnes, refusant les mesures économiques et religieuses de la Révolution. La Contre-Révolution spontanée connaît son apogée avec la guerre de Vendée, les chouanneries bretonne et normande, les agitations rurales dans le sud et l’est du Massif central. Ces soulèvements se politisent rapidement et composent, à partir de 1794, la Contre-Révolution populaire, qui tient nombre de campagnes, et dont la trace perdure au XIXe siècle.
Les élections de 1795 montrent que les idées contre-révolutionnaires influencent la majorité des Français. Les contre-révolutionnaires exploitent également le refus des mesures montagnardes exprimé par les Lyonnais ou les Toulonnais en canalisant les insurrections et en leur donnant une tonalité royaliste. • Les exclus de la Révolution. À ces groupes hétéroclites, unifiés par leur lutte acharnée contre les principes révolutionnaires, le terme « Contre-Révolution » adjoint les révolutionnaires modérés - feuillants, monarchiens -, rejetés par leurs rivaux plus radicaux. Les « patriotes » qui refusent la violence populaire, tel Jean-Joseph Mounier, abandonnent le pouvoir et émigrent : ils sont considérés comme des contre-révolutionnaires par les hommes demeurés au pouvoir. Mais ils ne sont pas pour autant acceptés par les contrerévolutionnaires avérés, qui leur reprochent leur réformisme initial et leur volonté de conserver une monarchie parlementaire. À cet égard, la trajectoire du général La Fayette est exemplaire : patriote reconnu, mais qui échoue dans sa tentative de contenir la Révolution, il passe à l’étranger en 1792 ; les Autrichiens l’incarcèrent alors pendant cinq ans, à la demande des émigrés. En 1793, quelques révolutionnaires « fédéralistes » mis en difficulté par les montagnards intègrent les rangs de la Contre-Révolution ; l’un d’eux, Puisaye, réussit à devenir commandant de la chouannerie bretonne. Après 1795, les contre-révolutionnaires entreprennent d’attirer dans leur camp des notabilités révolutionnaires déçues par la tournure des événements, tels Carnot ou le général Pichegru. • Du « fourre-tout » à la Contre-Révolution théorisée. Ainsi, la Contre-Révolution n’a pas formé un bloc, mais elle a rassemblé, selon les époques, des courants plus ou moins convergents, sans réelle unité. Cette hétérogénéité correspond à l’usage du mot dans le cours même de la Révolution. Le terme « Contre-Révolution » est forgé pour exclure les opposants et les stigmatiser. Hormis les militants hostiles à toute réforme, rares sont ceux qui auront revendiqué l’appellation. En revanche, la qualification de « Contre-Révolution » est employée pour retrancher de la communauté nationale les éléments susceptibles d’en rompre l’unité recherchée. L’adéquation du mot avec la réalité idéologique compte moins que les rivalités et les calculs. Ainsi, l’ostracisme dont les patriotes modérés sont frappés par les jacobins en 1790-1791 les incite à émigrer, alors qu’ils n’arriveront jamais à s’intégrer aux réseaux de la Contre-
Révolution active. De même, les ruraux de l’Ouest insurgés en 1793 procèdent plus d’un courant antirévolutionnaire que vraiment contre-révolutionnaire. Mais leur proximité avec d’authentiques militants de la Contre-Révolution - autant que le refus de toute concession de la part des autorités révolutionnaires - les conduira à soumettre leurs objectifs aux visées idéologiques des contre-révolutionnaires avérés. Ainsi, de façon paradoxale mais logique dans le cours des affrontements politiques, les girondins et les fédéralistes de l’été 1793 sont assimilés à la Contre-Révolution, ce qui conduit une partie d’entre eux en prison ou à la mort, avant qu’ils soient réhabilités après la chute de Robespierre. Enfin, cet usage du mot explique que l’Incorruptible ait pu accuser les hébertistes, représentants extrémistes des sans-culottes, d’être contrerévolutionnaires, parce qu’ils étaient athées, et soupçonnés de recevoir de l’argent du gouvernement anglais. Le mot « Contre-Révolution » a donc désigné, jusqu’en 1794, un ensemble de plus en plus incohérent et de moins en moins précis d’opposants aux hommes en place. Après le 10 Thermidor, la confusion est progressivement levée : le noyau des contrerévolutionnaires de la première heure, incarnation de la nostalgie d’une France absolutiste alliée dorénavant à la catholicité et à la ruralité traditionnelles, est définitivement constitué. Dans cette perspective, l’activité proprement idéologique a suivi plutôt que précédé l’action. Le premier représentant du courant contre-révolutionnaire est certainement l’Anglais Edmond Burke, qui, dès 1790, dans ses Réflexions sur la Révolution française, condamne, au nom du respect des traditions, les innovations politiques françaises reposant sur un système - philosophique autant que politique - inédit. À partir de 1797, le Savoyard Joseph de Maistre voit dans la Révolution une punition divine. Ainsi, l’opposition Révolution/Contre-Révolution est perçue comme l’affrontement philosophique et métaphysique de deux entités, au mépris des subtilités de l’histoire. Dans les faits, les principes des contre-révolutionnaires conséquents s’articulent autour de la volonté de revenir à une monarchie respectueuse des corps intermédiaires et des pouvoirs des élites nobiliaires, en refusant totalement toutes les réformes introduites à partir de 1788. Cette intransigeance des chefs - notamment des deux frères du roi - constitue incontestablement l’une des faiblesses du mouvement, qui n’a pas pu ni su rallier à sa cause nombre de
déçus de la Révolution. À long terme, cependant, elle façonne le camp contre-révolutionnaire, au point de marquer durablement la vie politique française. contrôleur général des Finances, principal ministre du gouvernement royal aux XVIIe et XVIIIe siècles. La fonction est créée par Henri II en 1547 : deux contrôleurs généraux des Finances sont alors chargés de vérifier les sommes encaissées, ou dépensées, par le trésorier de l’Épargne. Ces deux postes, institués sous forme d’offices, connaissent divers aléas : ils sont parfois réunis, ou supprimés au profit des intendants des Finances. Dans tous les cas, contrôleurs et intendants demeurent subordonnés au surintendant des Finances, qui, tel Sully, a rang de ministre. En 1661, le surintendant Fouquet est destitué par Louis XIV, et sa fonction, supprimée. Désormais, le roi ordonne lui-même les dépenses, tout en confiant la gestion quotidienne à l’intendant des Finances JeanBaptiste Colbert, qui a tout fait pour abattre Fouquet. En 1665, Colbert reçoit le titre de contrôleur général, sous la forme d’une commission (les offices de contrôleur disparaissent). Avec lui, le contrôleur général s’impose comme le chef des intendants et de toute l’administration des Finances. Artisan et principal bénéficiaire de cette promotion, Colbert insuffle beaucoup de dynamisme à l’institution. Cumulant plusieurs postes ministériels, il concentre entre ses mains non seulement l’administration financière mais aussi la direction de toute l’économie du pays, imposant de fait la prééminence des bureaux du contrôle général, qu’après sa mort l’institution conservera. Depuis le règne de Louis XIV jusqu’à la Révolution, le contrôleur général constitue donc le personnage clé du gouvernement. Outre la fiscalité et le budget, sa compétence s’étend à la monnaie, au domaine royal, aux eaux et forêts, aux mines, à l’industrie et au commerce, à l’agriculture, aux ponts et chaussées, à l’assistance, etc. Il est à la fois le ministre des Finances et de l’Économie, et, par le biais des Finances, il place les autres ministres sous sa dépendance. Aussi, dans la gestion administrative, le chancelier est-il totalement éclipsé : le contrôleur général correspond avec les intendants des provinces, qu’il nomme luimême le plus souvent, leur adressant des instructions détaillées.
Pourtant, à la fin du XVIIIe siècle, la fonction est fragilisée par la très grave crise financière, et par l’incapacité des contrôleurs généraux d’imposer les réformes nécessaires. Aussi, ceux-ci se succèdent-ils à un rythme accéléré (Silhouette, Terray, Turgot, Calonne sont les plus célèbres), sans pouvoir engager une oeuvre de longue haleine. downloadModeText.vue.download 235 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 224 Convention des institutions républicaines ! CIR Convention nationale, troisième Assemblée révolutionnaire, qui a siégé du 20 septembre 1792 au 26 octobre 1795. Après le 10 août 1792, l’Assemblée législative suspend le roi de ses fonctions, et décide de laisser place à une Convention, élue au suffrage universel masculin, chargée d’établir une nouvelle Constitution. Réunie pour la première fois le 20 septembre, la Convention abolit à l’unanimité la royauté le 21, et décide, le 22, de dater désormais les actes publics de l’an I de la République. Le 25, elle déclare : « La République française est une et indivisible. » • Girondins et montagnards. L’origine sociale des 749 conventionnels diffère peu de celle de leurs prédécesseurs (plus d’un tiers d’hommes de loi). Près du quart ont déjà été députés, et plus de la moitié ont exercé des fonctions locales. À « droite », les girondins forment 18 à 22 % de l’Assemblée, alors que, à « gauche », les montagnards en représentent environ 35 %. Au centre, une majorité de députés constitue la Plaine (ou le Marais), qui, en suivant girondins ou montagnards, fait pencher la décision d’un côté ou de l’autre. Aucun de ces groupes n’est homogène, et les frontières qui les séparent ne sont pas toujours tranchées, certains députés étant, tour à tour, proches des girondins et des montagnards, selon les sujets débattus. L’opposition entre la Gironde et la Montagne, qui recoupe les luttes sociales et politiques dans le pays entre modérés et sansculottes, domine les débuts de la Convention. Députés girondins et montagnards s’affrontent lors du procès du roi (jugé par la Convention), et aussi à propos de l’articulation entre droit à l’existence et droit de propriété, ou encore de la politique à mener pour conduire la guerre, terminer la Révolution, asseoir la République, etc.
L’insurrection des 31 mai-2 juin 1793 entraîne la chute de la Gironde et la victoire de la Montagne à la Convention. • Le gouvernement révolutionnaire. Le 24 juin, les conventionnels adoptent une nouvelle Constitution, d’inspiration très démocratique ; mais son application est reportée à la paix, et l’Assemblée décide de ne pas se séparer avant que la République soit solidement établie : « Le but du gouvernement constitutionnel est de conserver la République, celui du gouvernement révolutionnaire, de la fonder » (Robespierre). Les députés décrètent donc, le 10 octobre, que « le gouvernement est révolutionnaire jusqu’à la paix » et, le 14 frimaire an II (4 décembre 1793), que « la Convention est le centre unique de l’impulsion révolutionnaire ». Pendant l’an II, la Convention montagnarde vote une série de lois sociales et politiques destinées à « fonder » une République démocratique soucieuse du « bonheur du peuple » : décrets de ventôse, organisation d’un système d’assistance et de soins (grand livre de la bienfaisance nationale), instruction primaire gratuite et obligatoire, abolition de l’esclavage... Parallèlement, elle continue la lutte contre les « ennemis » de la Révolution, ceux qui s’opposent à la fondation de cette République : poursuite de la guerre à l’extérieur et à l’intérieur (Vendée), renforcement de la justice révolutionnaire et de la Terreur (loi du 22 prairial an II). Mais des divergences au sein même de la Montagne aboutissent au 9 Thermidor (27 juillet 1794) et à l’élimination des robespierristes. • La convention thermidorienne. La réaction, menée par les thermidoriens favorables à l’abandon de la politique de l’an II, s’impose à la Convention dans les mois qui suivent : le Club des jacobins est fermé (12 novembre 1794), les députés girondins proscrits en juin 1793 sont rappelés (8 décembre), et le maximum (limite fixée par la loi au prix des produits et denrées de première nécessité) est abrogé (24 décembre). Les « derniers montagnards » s’opposent à ces mesures, et la sans-culotterie parisienne se soulève en germinal et prairial an III (avril et mai 1795) contre la Convention, envahie par les insurgés le 1er prairial. Ces insurrections échouent : la Convention organise la répression contre les derniers montagnards et les sans-culottes, et rédige une nouvelle Constitution, celle d’un « pays gouverné par les propriétaires » (Boissy d’Anglas). Après le vote de cette dernière, le 5 fructidor an III (22 août 1795), et après la répression de l’insurrection royaliste du 13 vendémiaire an IV
(5 septembre 1795), la Convention se sépare le 4 brumaire an IV (26 octobre 1795), laissant place au Directoire. coq gaulois, emblème officieux de la France. L’association de la France et du coq constitue, en cette fin du XXe siècle, un lieu commun, qui, cependant, n’appartient pas à la symbolique officielle de la République. Elle est née du regard des étrangers, avant de prendre place dans l’imaginaire national. Le point de départ en est un calembour latin, présent chez César et Suétone, et jouant de l’homophonie entre gallus (« coq ») et Gallus (« Gaulois »). Cependant, le volatile n’est jamais considéré comme emblème de la Gaule. Il faudra attendre le XIIe siècle pour que les chancelleries anglaises et impériales réactivent ce jeu de mots à des fins de propagande anticapétienne. En effet, la symbolique médiévale du coq est fortement dévalorisante : celui-ci est à la fois lubrique, sot, fanfaron, vaniteux et colérique. « Roi de la basse-cour », il fait, en outre, piètre figure face à l’aigle (Empire) et au lion (Angleterre, Flandres, Espagne, Venise...). Dès cette époque, les textes se multiplient, bientôt relayés par l’image - coq dévoré par un lion, plumé par un aigle... Les guerres d’Italie, puis la guerre de Trente Ans, sont sans doute deux des sommets de cette propagande antifrançaise. Pourtant, depuis Charles V, l’emblème est assumé par la monarchie française. Les règnes de François Ier et de Louis XIV représentent deux moments forts : le volatile figure, par exemple, sur les chapiteaux d’ordre français des colonnes de la Galerie des glaces, au château de Versailles. Ce n’est plus le coq des bestiaires, mais celui des Pères de l’Église - le coq qui veille dans la nuit et protège la basse-cour -, mêlé à celui de la mythologie romaine (oiseau de Mercure, de Mars ou d’Apollon). Il bénéficie du regain d’intérêt historiographique pour les Gaulois, dont les érudits prétendent qu’il était l’emblème. Ceux-ci s’appuient sur la découverte de nombreux objets gallo-romains en forme de coq ; en fait, il s’agit de coqs votifs offerts à Mercure-Lug, et non d’emblèmes. La Révolution est la première apothéose du coq, que l’on rencontre sur des monnaies, des papiers officiels, les hampes de drapeau... Et ce succès est durable. Le 12 juin 1804, le Conseil d’État le propose comme emblème officiel de l’Empire. Seules les réticences de Napoléon face à la « volaille » font échec au
projet. Une chance pour le coq, qui reste l’emblème de la nation française, sans se compromettre avec le régime. Dès lors, il ne connaîtd’éclipses que sous la Restauration, le Second Empire et le régime de Vichy. Son sort est lié à l’idée républicaine ; il figure d’ailleurs, depuis 1848, sur le grand sceau des Républiques successives et connaît son heure de gloire sous la IIIe, grâce à la propagande pendant la Première Guerre mondiale. Coq patriotique, il est alors également coq du terroir, de la « petite patrie » rurale. Depuis les années cinquante, il connaît une baisse de popularité relative, liée au déclin de la France rurale. Corbie (siège de), siège mené par les troupes espagnoles en 1636, durant la guerre de Trente Ans, afin de prendre le contrôle de cette ville fortifiée qui gardait le passage sur la Somme, à l’est d’Amiens. Entrés en France depuis six semaines, les Espagnols, commandés par Thomas de Savoie, s’emparent de la ville le 15 août 1636 sans rencontrer de résistance. Paris, où règne la panique, est à portée de l’ennemi. Comme toutes les armées de l’époque, l’armée française compte peu de régiments permanents. Mal préparée, ne pouvant pour l’heure recruter des mercenaires, elle doit trouver rapidement des hommes, alors que la Bourgogne est aussi menacée. On lève des volontaires et on réquisitionne laquais, artisans et vagabonds de la capitale. Les gouverneurs des provinces convoquent le ban et l’arrière-ban, obligeant les gentilshommes à rejoindre l’armée. Les grands seigneurs battent le rappel de leurs fidèles. En un élan où voisinent patriotisme et clientélisme nobiliaire, 30 000 fantassins et 12 000 cavaliers sont réunis sous le commandement du comte de Soissons et de Gaston d’Orléans. Thomas de Savoie, peu assuré de ses arrières, fait retraite en laissant derrière lui une garnison à Corbie pour fixer la contreoffensive. Investie le 29 septembre, la ville tombe le 9 novembre. « C’est un coup de Dieu », peut écrire Richelieu. L’événement souligne la fragilité de la frontière picarde, trop proche de Paris : la repousser vers le nord va devenir dès lors un objectif constant du pouvoir royal. « L’année de Corbie » -qui est aussi celle du Cid de Corneille devient un exemple de sursaut français face à l’adversité. Corday d’Armont (Marie Anne Charlotte), assassin de Marat, morte guillotinée (Saint-Saturnin-des-Ligneries, Orne, 1768 - Paris 1793).
Cette jeune femme énigmatique inspire souvent un sentiment mêlé d’admiration et de mépris, les uns louant son courage, les autres downloadModeText.vue.download 236 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 225 soulignant l’indigence de sa conscience politique. Issue d’une famille de petite noblesse, elle se passionne pour Rousseau et l’Antiquité gréco-romaine, et se déclare républicaine bien avant la Révolution. Mais la mort de Louis XVI l’indigne. Cette lectrice de journaux modérés semble alors chercher sa voie lorsque, à la suite des journées des 31 mai et 2 juin 1793, les députés girondins réfugiés à Caen - où elle demeure - tentent de soulever les départements contre Paris. Ils prétendent que la capitale est livrée à l’anarchie et à la dictature montagnarde, dénoncent Marat, responsable à leurs yeux des massacres de Septembre et promoteur de leur chute. Fréquentant les girondins, parmi lesquels Charles Barbaroux, Charlotte Corday assiste avec enthousiasme, le 7 juillet, à l’enrôlement des volontaires caennais pour délivrer Paris et décide alors, seule et secrètement, d’agir. Elle arrive dans la capitale le 11 juillet, rédige le 12 une « Adresse aux Français, amis des lois et de la paix », qui appelle au soulèvement contre l’oppression montagnarde, et parvient le 13, sous prétexte de lui faire des révélations sur les affaires de Caen, à s’introduire chez Marat. Ce dernier, souffrant d’une grave maladie de peau, la reçoit dans son bain ; tandis qu’il note ses propos, elle le poignarde. Traduite devant le Tribunal révolutionnaire, elle revendique son acte, avec une sérénité et une détermination qui impressionnent, assurant avoir tué le « monstre » pour faire cesser les troubles et sauver la patrie : sa démarche rejoint la logique sacrificielle de Marat, réclamant sans cesse des têtes pour éviter un carnage. Le 17 juillet 1793, elle monte sur l’échafaud revêtue de la chemise rouge des parricides. Sa douceur et sa fermeté subjuguent le public. Dans la presse modérée, le portrait héroïque de la belle Charlotte s’oppose d’emblée à celui de Marat, dont le corps en putréfaction est resté exposé pendant sept heures lors de la grande pompe funèbre du 16 juillet. Confrontées à un tel contraste, les autorités parisiennes dénoncent, le 21 juillet, « l’éloge imposteur » de l’assassin et favorisent le culte de
l’« ami du peuple », préambule à celui des martyrs de la liberté, qui élargit le consensus en faveur des montagnards. Les espoirs de Charlotte Corday se révèlent ainsi un échec, d’autant que c’est avec la mort de Marat que débute le processus qui mettra la Terreur à l’ordre du jour. cordeliers (Club des), club révolutionnaire fondé en avril 1790 et bientôt baptisé « Société des amis des droits de l’homme et du citoyen ». Il tient ses premières séances au couvent des Cordeliers, et se donne pour objectifs la surveillance des autorités constituées, la « défense des victimes de l’oppression » et le « soulagement des infortunés ». Son ambition est de rendre possible un véritable débat public qui inclue tous les citoyens. La cotisation est modique et chacun, homme ou femme, citoyen actif ou passif, peut venir y exercer son esprit de vigilance, réagir à toute action ou proposition qui entrerait en contradiction avec les principes des droits de l’homme et du citoyen. La déclaration en est affichée dans la salle des débats, où l’on vient écouter Danton, Hébert, Vincent, Legendre, Momoro, Marat, Chaumette. Après la fuite du roi, à la tête du mouvement républicain et démocratique, le club affirme qu’il faut « procéder au remplacement et à l’organisation d’un nouveau pouvoir exécutif », mais la fusillade du Champ-de-Mars du 17 juillet 1791 l’affaiblit. C’est en prenant place dans le réseau des sociétés populaires de province et en se faisant le porte-parole des fédérés du 10 août 1792 que le club redevient un acteur politique de premier plan. À l’hiver 1792-1793, Hébert, rédacteur du Père Duchesne, et Marat, rédacteur de l’Ami du peuple, sont des figures fondamentales du mouvement parisien. Les cordeliers bénéficient alors d’une certaine tranquillité, les jacobins s’opposant plutôt aux enragés. L’insurrection des 31 mai et 2 juin 1793 permet aux cordeliers d’occuper une position centrale dans la Commune de Paris, au ministère de la Guerre, dans les sections et les sociétés populaires. Très vite, le Père Duchesne définit les mots d’ordre du mouvement populaire. Cependant, même s’ils sont favorables à un système de pouvoir exécutif disséminé sous la forme de comités centraux provinciaux, les cordeliers ne soutiennent pas les revendications de démocratie directe des sans-culottes. Et si la mise à l’ordre du jour de la Terreur et la création d’une armée révolutionnaire à la suite des
journées des 4 et 5 septembre 1793 peuvent être considérées comme des victoires, ils sont devenus suspects. Vincent, ministre de la Guerre, et Ronsin, général en chef de l’armée révolutionnaire, sont arrêtés en décembre et les comités centraux, dissous. En 1794, le club n’a plus d’ambition nationale. Lorsque Hébert, en ventôse, appelle à l’« insurrection morale », on l’accuse de fomenter une insurrection cordelière. Il est arrêté le 14 mars 1794, exécuté le 24 avec d’autres meneurs (Vincent, Ronsin, Momoro). L’élimination des hébertistes sonne le glas des cordeliers. corporations, organisations groupant les artisans par corps de métiers, présentes dans l’ensemble des pays européens à partir du Moyen Âge. Elles existent en France dès le IXe siècle, et perdurent jusqu’en 1791, année de leur suppression par l’Assemblée constituante. Pourtant, le mot « corporation » n’apparaît dans la langue française qu’au XVIe siècle, et désigne les institutions corporatives anglaises. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que l’on commence à l’appliquer aux corps de métiers français dotés d’un statut juridique. Mais, jusqu’à la disparition de ceuxci sous la Révolution, sont employés de préférence les termes ou expressions « maîtrises », « jurandes », « art », « corps de métiers » ou, tout simplement, « métiers ». • Un système juridique non unifié. Le système des corporations s’inscrit dans le contexte d’une société, féodale ou moderne, qui fait peu de place à l’ individu. Celui-ci n’a d’existence qu’au sein de groupes structurés, et est donc représenté par des corps ou communautés, religieuses, d’habitants, ou de métiers. Du point de vue juridique, ces communautés de métiers sont des associations professionnelles pourvues d’un privilège. Certaines sont organisées par le pouvoir royal, par lettres patentes : ce sont les jurandes, ou métiers jurés. D’autres le sont par les autorités urbaines : ce sont les métiers réglés. Des communautés coutumières, enfin, ne sont régies par aucun texte officiel écrit. À Lyon, on compte surtout des métiers réglés, tandis qu’à Paris les 101 communautés recensées par le Livre des métiers, d’Étienne Boileau, rédigé au XIIIe siècle, sont des communautés jurées. À Montauban et à Toulouse, les deux formes d’organisation coexistent. Les corporations ont structuré avant tout les métiers de l’artisanat, même si l’on compte aussi des communautés de marchands, telle la prestigieuse corporation des marchands-merciers parisiens.
Pour des raisons fiscales et politiques, la monarchie a tenté à plusieurs reprises de favoriser le regroupement corporatif. Cependant, malgré des édits renouvelés qui poussaient à leur généralisation (1576, 1581, 1597, 1673), jamais les corporations n’ont rassemblé l’ensemble des métiers ou des artisans. Le travail artisanal rural est toujours demeuré hors de leur emprise, ainsi qu’une partie des métiers urbains, dits « libres », qui leur opposaient une vive résistance. Certaines provinces, tel le Béarn, ont complètement échappé au système. • Des fonctions multiples. Les corporations sont des organisations professionnelles dans lesquelles les artisans ou les marchands s’associent pour réglementer leurs pratiques et défendre leurs intérêts. Mais leur rôle religieux, social, moral, n’est pas moins important que leur fonction économique. Ainsi, la corporation se double souvent d’une confrérie pieuse, dédiée à un saint patron, signe d’une dimension religieuse non négligeable. De même, elle prend en charge l’organisation de secours à ceux de ses membres ou de leurs proches qui sont dans le besoin : malades, veuves, orphelins... Enfin, malgré des différences entre les formes juridiques d’association, les artisans partagent au sein des communautés de métiers des gestes, des rituels, des manières de penser qui leur confèrent une certaine cohésion et constituent une forte composante de leur identité. L’abolition de l’édifice juridique corporatif sous la Révolution, qui marque le triomphe de l’individualisme, n’a pas fait disparaître l’idéal, en partie mythique, d’une organisation collective où l’ordre et la solidarité l’emportent sur la concurrence et la compétition. Il a subsisté, dans le monde des métiers, une nostalgie des corporations, sur laquelle s’est édifiée une véritable idéologie politique, le « corporatisme », qui n’a rien de commun avec la réalité des corporations. • Les règles du jeu. L’origine des corporations et leur rôle dans l’essor économique urbain du Moyen Âge sont mal élucidés. On ne peut que se borner à constater que la structuration véritable des communautés de métiers est contemporaine du démarrage économique au XIe siècle. Aux XIIe et XIIIe siècles, les corporations se multiplient dans l’Occident médiéval. Quelles que soient les variantes, le dispositif juridique est sensiblement le même. Les statuts règlent l’accès au corps et octroient aux membres le droit exclusif d’exercer le downloadModeText.vue.download 237 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 226 métier dans la ville. Les membres sont répartis en trois catégories : maîtres, compagnons, apprentis. Les maîtres doivent acquitter un droit d’entrée pour ouvrir un atelier ou tenir boutique, et faire la preuve de leur compétence technique. Les compagnons, ou valets, travaillent sous leurs ordres comme salariés. Enfin, les apprentis, placés vers l’âge de 12 ou 14 ans pour acquérir le métier, sont en principe destinés à devenir maîtres. La réglementation fixe aussi les normes de fabrication qui doivent garantir la qualité des produits. La corporation prétend donc à une triple fonction : elle régule la concurrence, protège le consommateur, exerce un pouvoir disciplinaire et contrôle les flux de main-d’oeuvre. En théorie, l’assemblée générale de tous les artisans du métier prend les décisions et règle les problèmes. En fait, les jurés, gardes, syndics, désignés parmi les notables, exercent le pouvoir. Ils gèrent les finances de la communauté, tranchent les conflits. Certaines corporations, réputées les plus prestigieuses, telle celle des drapiers, hissent certains de leurs membres au rang du patriciat urbain. Mais, dans la hiérarchie urbaine, les métiers demeurent le plus souvent subordonnés à la bourgeoisie marchande ou officière. • Un ordre de plus en plus figé. Dès la fin du Moyen Âge, le système tend à se fermer : l’accès à la maîtrise devient plus difficile, la pratique du chef-d’oeuvre, coûteux à réaliser, favorise ceux qui disposent d’un capital, en particulier les fils de maîtres. Un ensemble de crises - révoltes de compagnons contre les maîtres, des maîtres contre la domination des oligarchies urbaines - secoue et divise le monde corporatif. L’époque moderne est considérée comme une période de déclin ou d’essoufflement, bien que l’organisation en métiers statués se poursuive jusqu’à la fin du XVIIe siècle, et même jusqu’au début du XVIIIe. Mais le travail urbain est alors de plus en plus concurrencé par la production domestique rurale, moins chère, qui échappe au contrôle corporatif. Une tendance à la concentration semble se dessiner, dans le métier du tissage par exemple, au profit de gros ateliers employant plus de cinq compagnons. Le modèle initial de l’artisan maniant lui-même les outils, aidé d’un compagnon et d’un apprenti, s’affaiblit. La tendance à l’hérédité des maîtrises, elle, s’accentue. Par ailleurs, les conflits se multiplient : entre maîtres et compagnons,
entre corporations se reprochant débauchages ou empiétements. Les procès grèvent lourdement leurs finances. Plus grave, la rigidité des règlements, qui fixent, par exemple dans le domaine du textile, le nombre des métiers à tisser autorisés et leurs caractéristiques techniques, n’incite pas à l’innovation ou à la diversification des activités. De ces blocages, les libéraux du XVIIIe siècle, favorables à la libération du travail et de la production, sont pleinement conscients. Ils les exagèrent même pour justifier la revendication de l’abolition des corporations, dont l’Encyclopédie se fait l’écho. En 1776, Turgot fait supprimer les corporations par un édit royal, mais, devant l’opposition des métiers et des parlements, celles-ci sont rétablies peu de temps après, sous une forme simplifiée, avec de nombreux regroupements. La pression libérale l’emporte néanmoins sous la Constituante, et, le 2 mars 1791, le décret d’Allarde supprime définitivement les corporations. Corps législatif, nom donné à l’Assemblée législative créée par la Constitution de l’an VIII (1799), puis repris sous le Second Empire. Sous le Consulat, le Corps législatif est l’une des trois assemblées qui se neutralisent les unes les autres, privant ainsi de tout effet le rétablissement du suffrage universel, qui avait été supprimé en 1795. Les projets de loi sont proposés par le Premier consul, le Conseil d’État donne son avis, le Tribunat débat et le Corps législatif vote sans délibérer. Les trois cents députés qui composent ce dernier, élus pour cinq ans par les sénateurs sur une liste nationale de citoyens, sont donc en fait des « muets » : ils se bornent à adopter ou à repousser les textes qui leur sont présentés. Dans la Constitution de l’an X (1802), les attributions du Corps législatif sont encore réduites : l’assemblée ne se réunit plus de plein droit mais seulement sur convocation de l’exécutif, qui en nomme le président et les quatre questeurs. En revanche, le chef de l’État ne peut théoriquement toujours pas déclarer la guerre ni conclure un traité de commerce sans l’intervention du Corps législatif. Celui-ci profitera de cette compétence pour proclamer, en 1814, en accord avec le Sénat, la déchéance de Napoléon. Sous le Second Empire, le Corps législatif, élu au suffrage universel, discute et vote les projets de loi et l’impôt, mais ne dispose
en fait que de pouvoirs limités, jusqu’à la libéralisation du régime : en 1860, le droit d’adresse est rétabli, puis est autorisée la publicité des débats parlementaires et interdit l’engagement de crédits extraordinaires sans consentement de cette assemblée ; en 1867, l’empereur accorde aux députés le droit d’interpellation, puis enfin, en 1869, l’initiative des lois. Le Corps législatif disparaîtra avec le régime. corsaires et pirates, hommes de mer et de légende qui accomplissent des métiers voisins mais juridiquement différents. Le pirate est un bandit, un écumeur des mers sans foi ni loi qui attaque tous les bâtiments dont il est susceptible de se rendre maître, ennemis ou non de son pays. Le corsaire, lui, est un homme d’honneur : il exerce une activité légale, car son pays lui a officiellement remis des « lettres de marque », ou autorisations d’assaillir les vaisseaux marchands des puissances avec lesquelles le pays est en guerre. Seuls, du reste, les corsaires dûment patentés sont passés à la postérité : le Dieppois Abraham Duquesne (vers 16101688), le Dunkerquois Jean Bart (16501702), le Nantais Cassard (1679-1740), le Malouin Duguay-Trouin (1673-1736) et son cousin Surcouf (1773-1827). Néanmoins, la situation s’avère plus complexe : ainsi, le premier Duquesne à s’illustrer en mer estil Abraham le Vieux (vers 1570-1635), qui débute sa carrière de marin huguenot en tant que pirate, rançonnant au large du Havre les cargaisons de ses compatriotes, honnêtes marins du commerce rouennais ou bretons. • La piraterie : un crime ? Certes, la piraterie constitue un crime et, lorsqu’il est pris, le pirate est pendu au mât de son navire, et sa cargaison, confisquée. Mais, conduite avec succès, elle peut être un moyen de se faire connaître. Ainsi, en créant la marine royale, Richelieu cherche, en 1626, des hommes « nourris dans l’eau de mer et la bouteille », bons navigateurs, capables de prendre l’adversaire à l’abordage : et Duquesne le Vieux, de pirate, devient capitaine des vaisseaux du roi ; quelques pirates notoires, honfleurais et rochelais, partagent son ascension. Mais le statut du pirate-corsaire-officier se complique encore selon que le royaume est ou non en guerre. En effet, la paix prive d’activité tout officier des vaisseaux du roi. Gentilhomme, celui-ci rentre sur ses terres ou prend du service dans la cavalerie. Roturier, il retrouve ses occupations antérieures : armement, construction navale, recrutement des équipages, piraterie. D’autant plus volontiers
que la solde d’un capitaine, accordée par le roi uniquement en période de guerre, n’excède pas, sous Louis XIII, les 2 000 livres annuelles, alors que la capture d’une riche cargaison de marchandises peut rapporter en une seule fois 30 000 à 50 000 livres, soit l’équivalent de vingt-cinq années de solde. Dans ces conditions, à partir de Colbert, le roi tend de plus en plus à transformer les pirates en officiers rémunérés à vie, en temps de paix et de guerre, et à les munir de lettres de course lorsque s’ouvre le conflit, pour courir sus au commerce anglais, hollandais ou espagnol, ou pour attaquer les colonies des ennemis ou de leurs alliés (les colonies portugaises). Ainsi absorbée par l’État dans le cadre de ce que l’on appelle la « montée de l’absolutisme », la piraterie - interdite mais transformée en course légale - est régie par un ensemble de règles : nécessité, à l’appareillage, d’être muni de lettres de marque, et, au retour, de prouver la légitimité de ses prises devant les tribunaux d’amirauté. • La course : une activité lucrative. Aussi la course a-t-elle ses défenseurs, corsaires (Duguay-Trouin) ou hommes politiques (l’amiral de Toulouse, le maréchal de Vauban), car, bien conduite, elle coûte moins cher que l’armement de grandes escadres, et peut - en ruinant le commerce de l’ennemi - rapporter des bénéfices considérables à l’État, des lettres de noblesse aux corsaires (Bart [1694] ou Duguay-Trouin [1709]), et des alliances prestigieuses : la fille de Ducasse (1646-1715) - fils d’un marchand de jambons de Bayonne épouse ainsi un La Rochefoucauld ! Certes, la course apporte parfois des revers de fortune : en témoigne Cassard, mort en prison et ruiné, à la suite de ses démêlés avec ses armateurs ; néanmoins, considérée comme fructueuse, elle n’est que tardivement supprimée, en 1856. Corse, île du bassin occidental de la Méditerranée, conquise par la France à la fin du XVIIIe siècle, aujourd’hui Région constituée de deux départements. Après une brève intervention au XVIe siècle, la France annexe l’île de fait en 1768, puis en droit à la fin du XVIIIe siècle non sans plusieurs downloadModeText.vue.download 238 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 227 tentations de désengagement. Hormis l’épisode du royaume anglo-corse (1794-1796),
cette possession a été continue, et la Corse a été dotée d’institutions françaises de type provincial (états, intendants...), municipal (depuis 1771), puis départemental à partir de la Révolution. Devenue une Région en 1970, elle jouit en outre, depuis 1982, d’un statut particulier. • L’évolution des rapports avec le pouvoir central. La Corse semble s’être très rapidement intégrée au jeu politique du continent, dont les clivages et les temps forts se retrouvent sur l’île, avec, le plus souvent, une prééminence des tendances conservatrices ou modérées. Ainsi, les Sebastiani, Farinole, Arène, au XIXe siècle, les Landry, Pietri, Giaccobi ou Roccaserra, au XXe siècle, peuvent-ils s’inscrire dans la lignée du bonapartisme, du libéralisme, du radicalisme, de l’opportunisme, ou des traditionnelles distinctions droite-gauche. Les différences sont dues aux conditions locales du jeu politique - clans et clientèles pesant plus que programmes et idées - et, surtout, à des attitudes de rejet à l’égard des choix parisiens, de l’autorité étatique, de l’assimilation, ou même de l’appartenance à la France. Ces refus peuvent s’exprimer violemment, soit lors de révoltes (1774, 1796-1797), soit à travers le banditisme ou les délits champêtres. Néanmoins, leur forme est, le plus souvent, pacifique : maintien des structures traditionnelles des clans, ou affirmation d’un régionalisme culturel, de Viale ou Multedo à Santu Casanova, P. Rocca ou Maiastrale, de A Muvra à U Muntese. Dans l’entre-deux-guerres et, surtout, depuis une quarantaine d’années, l’opposition s’est étendue à d’autres domaines et s’est quelque peu radicalisée. • Le poids des facteurs économiques. L’histoire économique de l’île fournit nombre de clés pour la compréhension de cette évolution. La royauté, soucieuse avant tout de rentrées fiscales, a entamé le processus de désagrégation de l’ancienne économie agropastorale, fondée sur le libre parcours des troupeaux et sur l’exploitation des communaux. La nette reprise, perceptible au début du XIXe siècle (céréales, vigne, olivier, châtaignier, savonnerie, métallurgie, tannerie...), n’a pas résisté aux mutations, et l’économie insulaire s’est effondrée entre 1880 et 1914. C’est seulement après 1950 qu’un renouveau s’amorce, grâce à l’intervention de l’État et aux investissements des banques. Mais il privilégie dangereusement deux axes : la monoculture viticole, dans la plaine orientale, et l’exploitation touristique du littoral, sans que les Corses soient toujours les bénéficiaires des
mesures prises. Aux victimes de l’évolution économique, la solidarité clanique a offert une voie de recours, sur place - avec les conséquences politiques que l’on connaît -, ou dans l’émigration. En effet, l’expatriation a privé l’île d’une partie considérable de sa population : de 120 000 habitants vers 1790 et 295 000 en 1901, celleci tombe à 165 000 en 1951 pour remonter à 250 000 de nos jours. La chute est enrayée, mais c’est notamment grâce à une forte immigration aux origines variées, qui compose à présent un tiers de la population. En outre, ces chiffres ne traduisent pas la désertification de l’intérieur, ni le vieillissement global. • La recherche de solutions à la crise. Le souvenir d’un passé rural idéalisé, la prise de conscience des origines de la crise insulaire et des menaces qui pèsent sur l’avenir du peuple corse et de sa culture, ont poussé certains Corses à agir. Quelques-uns ont entamé un long combat culturel, qui a abouti au rétablissement de l’université de Corte en 1981 et à l’enseignement de la langue corse. D’autres se sont bornés à revendiquer une décentralisation multiforme, ou à mettre l’accent sur les aspects économiques (aménagement du territoire, meilleure prise en compte du problème de l’insularité, appel aux capitaux extérieurs). À partir des années soixante-dix, l’action directe est apparue à des organisations tels l’Action pour la renaissance de la corse (ARC), puis l’Union du peuple corse (UPC), le Front de libération nationale de la Corse (FLNC), le Mouvement corse pour l’autodétermination (MCA), A Cuncolta, comme le seul moyen de se faire entendre d’un État lointain, des hommes politiques, des financiers et des spéculateurs. D’aucuns ont prôné l’action politique classique autour de programmes réformateurs, autonomistes voire indépendantistes ; d’autres ont fait le choix de la violence, recours ultime et récurrent dans l’histoire de l’île contre le pouvoir central. L’option d’un rattachement à l’Italie n’a jamais rencontré de succès, et celle de l’indépendance semble très minoritaire. Au lendemain de l’assassinat du préfet Érignac en 1998, l’île connaît une crise certaine, posant le problème de la garantie de l’État de droit en Corse et malgré le nouveau contrat entre la République et l’île, le malaise persiste. corvée, prélèvement opéré directement sur la force de travail des paysans dans le cadre du système domanial ou de la seigneu-
rie foncière. Le recours au système de la corvée est lié à la structure foncière du haut Moyen Âge. Le grand domaine, comme la seigneurie foncière qui lui succède à partir du XIe siècle, est divisé en deux parties organiquement dépendantes : la réserve et les tenures. La première est destinée à être exploitée directement par le seigneur foncier. Il le fait principalement grâce à la main-d’oeuvre corvéable installée sur les tenures. Ces dernières sont des exploitations dépendantes, confiées par le détenteur du sol à des hommes qui les cultivent en échange du versement d’un cens et des prestations en travail plus ou moins lourdes. La corvée n’est jamais totalement arbitraire et illimitée : une coutume la détermine, définit ses modalités et limite sa durée. Les grands polyptyques du IXe siècle ont aussi pour fonction de fixer, et donc de figer, les obligations en travail des paysans. Le tenancier doit de un à trois jours de travail par semaine, qu’il effectue sur la réserve. Il s’y rend avec ses propres outils et son train d’attelage, dispensant ainsi le maître d’investissements productifs trop pesants. L’intérêt économique de la corvée est d’assurer en permanence l’existence d’une maind’oeuvre disponible permettant de mettre en valeur la réserve. Le choix d’installer les paysans sur des exploitations satellites a, d’autre part, comme conséquence de rendre moins indispensable le groupe des esclaves prébendiers entretenus au domaine, et qui doivent l’intégralité de leur force de travail au maître. La corvée joue donc un rôle dans le processus par lequel s’est constituée une paysannerie homogène. En revanche, l’efficience du système suppose l’existence d’une capacité de contrôle et de coercition du seigneur sur ses dépendants : il faut pouvoir contraindre les corvéables et, éventuellement, être en mesure de les punir. Dès le XIIe siècle, les seigneurs commencent à asseoir leurs revenus fonciers sur les prélèvements effectués en argent et en nature, et non plus sur l’exploitation en faire-valoir direct de leurs terres. Ils sacrifient donc leurs réserves, qu’ils allotissent et transforment en tenures, rendant ainsi superflu le recours au travail forcé. Un relatif enrichissement permet, en outre, aux tenanciers de se racheter de la corvée et de se libérer d’obligations dont le caractère humiliant est très fortement ressenti. La corvée sera abolie en août 1789. corvée royale, contribution en nature,
parfois utilisée au XVIIe siècle pour l’entretien des chemins et les transports militaires. Elle est généralisée, en 1738, dans le cadre de la politique d’équipement routier du royaume menée par le contrôleur général des finances Orry. Obligation est faite aux habitants des paroisses rurales de consacrer, au printemps et à l’automne, une à deux semaines de travail gratuit à la construction ou à l’entretien de tronçons de route locaux, sous la direction d’employés des Ponts et Chaussées, et selon des modalités (durée, rayon d’action, etc.) variables d’une province à l’autre. Ainsi, le Languedoc n’a jamais connu la corvée royale. Mal acceptée, symbole d’arbitraire, cette prestation se situe au centre des controverses réformatrices de la fin de l’Ancien Régime. À partir de 1758, sous l’impulsion d’intendants - dont Turgot, en Limousin -, son « rachat » moyennant une contribution pécuniaire permet, dans plusieurs provinces, l’emploi d’une main-d’oeuvre salariée plus efficace. Devenu contrôleur général des finances, Turgot remplace, en février 1776, la corvée royale par une taxe due par tous les propriétaires fonciers. Cette atteinte aux privilèges fiscaux suscite l’opposition des parlements. Six mois plus tard, lors de la chute du ministre, le rachat devient facultatif, mais il progresse, jusqu’à son rétablissement général, ordonné en 1786. La corvée royale a contribué à la constitution, après 1740, d’un excellent réseau de grands axes routiers, qui améliore sensiblement la vitesse et la sûreté de circulation entre les grandes villes du royaume. Cosquer (grotte), grotte peinte paléolithique, située près de Marseille, et qui n’est accessible que par une galerie sous-marine. Découverte en 1985 par Henri Cosquer, un plongeur professionnel, mais portée à la connaissance du public en 1991, elle se présente comme une vaste salle ornée de stalagmites, à l’issue d’une galerie oblique de downloadModeText.vue.download 239 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 228 plusieurs centaines de mètres, dont l’entrée est aujourd’hui couverte par la mer, à près de 40 mètres de profondeur. À l’époque de l’occupation de la grotte, durant la dernière glaciation, le niveau marin se situait à une centaine de mètres au-dessous du niveau actuel. La salle principale de la grotte, tout juste hors d’eau, comporte une cinquantaine
de peintures, de multiples gravures et un grand nombre de signes tracés au doigt dans l’argile tendre. Les peintures sont, pour moitié, des « mains négatives », obtenues par la projection de couleur tout autour d’une main posée à plat sur la paroi, et, pour moitié, des représentations d’animaux (bisons, chevaux, cerf, bouquetin, mais aussi pingouins - une espèce figurant exceptionnellement dans l’art paléolithique). Les gravures représentent également des animaux, ainsi que des motifs qui demeurent difficiles à interpréter. À l’instar de celui de Lascaux, l’art de la grotte Cosquer date du solutréen, une civilisation du paléolithique supérieur comprise entre 15 000 et 20 000 ans avant J.- C. environ. Côte d’Ivoire ! AfriqueOccidentale française Coty (René), homme politique, président de la République de 1953 à 1959 (Le Havre, SeineInférieure, 1882 - id. 1962). Fils d’un directeur d’école privée, René Coty, inscrit au barreau de sa ville natale en 1902, débute dans la carrière politique sous la houlette de Jules Siegfried, notable républicain modéré du Havre. D’abord élu local, il devient député en 1923, et siège à la Chambre en tant que « républicain de gauche » (en fait, modéré de centre droit) jusqu’à son accession au Sénat, en 1935. Partisan d’une rationalisation du travail parlementaire, il figure à la commission de réforme de l’État instituée en 1934, mais il ne peut faire aboutir ses propositions, qui tendaient, notamment, à limiter le droit d’amendement. Ayant émis un vote en faveur des pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940, il est, à la Libération, relevé de son inéligibilité pour faits de Résistance. Membre du Conseil de la République, dont il devient vice-président en 1952, René Coty, qui siège parmi les Indépendants, est choisi par son parti comme candidat à la présidence de la République, en 1953. Le vote s’avère particulièrement difficile : Coty, désigné au onzième tour, peu connu du public mais resté sur la réserve durant la querelle de la CED, est élu le 23 décembre. Scrupuleux gardien du texte constitutionnel, il n’en déplore pas moins le dérèglement des institutions. Au cours de la crise de mai 1958, il joue un rôle décisif dans le rappel du général de Gaulle, qui lui apparaît comme le seul recours, et qui lui succède à la présidence, le 8 janvier 1959. Toutefois, demeuré fidèle au régime parlementaire, Coty désapprouve la réforme de 1962, qui, en instituant l’élection du président de la République au suffrage universel, déséquilibre les pouvoirs
au profit de l’exécutif. Coubertin (Pierre de Fredy, baron de) rénovateur des jeux Olympiques (Paris 1863 - Genève 1937). Le nom de Pierre de Coubertin reste attaché à la renaissance des Jeux ; l’image mythique d’un humaniste, pacifiste et promoteur de la démocratisation de la pratique sportive, lui vaut un éloge rituel lors des discours conventionnels. En fait, la réalité est plus complexe : elle ressort de son parcours personnel - son milieu, ses 70 000 pages de publications quasi ignorées - et de son action en faveur de la rénovation pédagogique. Jeune aristocrate issu d’une famille monarchiste, formé par les jésuites, et ayant poursuivi des études de sciences politiques, Coubertin se reconnaît vite dans la grande bourgeoisie républicaine et libérale, influencée par Le Play. À 20 ans, il découvre le système éducatif britannique, moderne et ouvert à l’initiative, intégrant les sports, dans lesquels il voit un instrument pour la formation d’un homme libre, entreprenant, dynamique, ainsi qu’un moyen d’harmonisation sociale. Plus qu’un promoteur « mondain » des sports, Coubertin est avant tout un grand organisateur qui participe à la vie de l’Union des sociétés françaises de sport athlétique (USFSA), et parvient à faire renaître les jeux Olympiques, à partir de 1896. Il dirige le Comité international olympique jusqu’en 1925. Cependant, les louanges qui lui sont adressées méritent un bémol : tout en préconisant la démocratisation de la pratique sportive, il s’oppose aux compétitions féminines, et se montre élitiste, souhaitant que les jeunes « bien éduqués » demeurent entre eux. Enfin, admirateur de Hitler, il défend le choix de Berlin pour les Olympiades de 1936. Coudray (Marguerite du), sage-femme (Clermont-Ferrand vers 1712 - Bordeaux vers 1792). Mme du Coudray a joué un rôle important dans la diffusion d’une nouvelle approche de l’accouchement, adaptée au refus grandissant de la surmortalité infantile et maternelle et conforme au souci populationniste de l’État. En dehors de son enseignement, on dispose de peu d’informations sur elle : née Le Boursier, elle monte à Paris en 1737, pour y suivre l’une des meilleures formations d’accoucheuse. Nommée « jurée sage-femme » en 1740, elle officie auprès d’une clientèle aisée. En 1755, M. de Tiers lui demande de venir exercer ses
talents dans sa province natale. Elle découvre alors la misère des couches en milieu rural, et décide de se consacrer à l’instruction des sages-femmes. Elle élabore une méthode pédagogique simple : « C’était à leurs yeux, à leurs mains, qu’il fallait parler, en y ajoutant de la patience et de la douceur. » Elle s’aide dans ses démonstrations d’un mannequin souple - qu’elle a fait breveter en 1756. Son effort est bientôt remarqué, et, en 1759, un brevet royal l’autorise à enseigner dans tout le royaume. Soutenue par des personnes influentes (Bertin, Turgot, Necker, La Fayette), elle parcourt la France, jusqu’en 1783, pour former des accoucheuses et des démonstrateurs. Malgré l’opposition des corporations médicales, jalouses de leurs privilèges, elle a instruit plus de cinq mille personnes, contribuant ainsi à l’émergence d’une sensibilité nouvelle face aux douloureuses réalités de la venue au monde. Coulaines (assemblée de), réunion des grands laïcs et ecclésiastiques, de la Francie occidentale autour de Charles le Chauve, en novembre 843, près du Mans. Charles s’est vu attribuer son royaume lors du traité de Verdun, au mois d’août précédent, mais n’est pas encore reconnu partout comme souverain légitime. S’associant probablement à une initiative de l’aristocratie pour rétablir la paix dans le royaume déchiré par la guerre civile, il fait rédiger un « traité » dans lequel chaque partie - le roi, les grands laïcs et les grands ecclésiastiques - s’engage envers les deux autres. Charles se doit ainsi de protéger les biens de l’Église et de respecter ses préceptes et ses privilèges, c’est-à-dire de se comporter comme un « roi juste » et non pas comme un tyran. Aux laïcs, il promet de maintenir chacun dans son bon droit, et de ne léser personne de ses biens ni de ses charges publiques. En échange, il demande aux grands de collaborer à la bonne marche du gouvernement et de l’assister par leur aide et leurs conseils. Ce pacte « de concorde et d’amitié » est une innovation, qu’on peut interpréter comme un véritable contrat passé entre le souverain et ses sujets. C’est une particularité du royaume de Francie occidentale, où le roi reconnaît désormais des droits aux grands laïcs et ecclésiastiques, donnant ainsi de nouvelles bases au pouvoir royal. l COUR. La cour de France a exercé sur ses contemporains une véritable fascination : lieu privilégié du culte royal, d’une société et d’un mode de vie élégants et raffinés, elle est devenue le modèle que tous les princes euro-
péens ont rêvé d’imiter. Mais elle a aussi été un objet d’exécration pour le reste de la société. C’est à elle - « sangsue de l’État » par ses dépenses inconsidérées - et à ses courtisans parasites que l’on a attribué tous les maux dont souffrait le royaume. À la fin de l’Ancien Régime, on reprochait à une noblesse de cour frivole, corrompue et égoïste de s’attribuer le monopole des charges et des fonctions aux dépens de tous ceux qui eussent dû les occuper par leur mérite et leur valeur, et, donc, aux dépens des intérêts du roi et du royaume. UNE DÉFINITION DE LA COUR La cour est d’abord la résidence du roi - le « lieu où habite un roy ou un prince souverain » (Dictionnaire de Furetière, 1690) -, de son entourage et de tous ceux qui sont à son service domestique : la Maison du roi, appelée l’« Hôtel » à l’époque médiévale, est composée de « tous les officiers et [de] la suite du prince ». Elle constitue aussi le siège du pouvoir et du gouvernement ; elle est donc synonyme de l’État royal lui-même, du « corps de l’État que le prince représente » (on parle ainsi de la « politique de la cour de France », ou d’un « ordre venu de la cour »). Par conséquent, dans cette monarchie de droit divin, elle représente le lieu par excellence où l’on célèbre le culte royal, avec tout un cérémonial qui préside aux actes les plus intimes du souverain comme aux plus grands événements. La cour n’est pas une création du Roi-Soleil, ni même des Valois au temps de la RenaisdownloadModeText.vue.download 240 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 229 sance : elle a existé dès que des monarques ont voulu entourer leur pouvoir d’une aura de sacré, et leur personne, d’un cérémonial proche d’un rituel liturgique. Le « cérémonial français » de la monarchie des Valois et des Bourbons résulte donc de l’héritage composite de cette tradition, à laquelle deux souverains, Henri III et Louis XIV, qui avaient au plus haut point le sens de la dignité de la fonction royale, ont fortement imprimé leur marque. Parmi les règles qui rythment la vie quotidienne du roi, citons l’exemple du rituel du lever, qui observe un ordonnancement méticuleux, le roi et les « officiants » du culte royal accomplissant toute une série de gestes précis.
D’après un manuscrit des Archives nationales pour l’année 1769, on distingue sept sortes d’entrées différentes dans la chambre du roi : entrée familière, grande entrée - ou entrée de la garde-robe -, premières entrées - ou entrées des brevets -, entrée du cabinet - ou grande entrée de la chambre -, entrée de la chambre, entrée après la chambre - dite aussi « entrée des annonces » -, et entrée générale. Les bénéficiaires de ces honneurs le sont par droit de charges ou par faveur accordée par le souverain. Tout autre instant de la vie quotidienne et les grands événements de la cour sont aussi strictement réglés, avec un respect méticuleux des préséances. Ce protocole n’empêche pas - dans cette société de dignités et de rangs, où chacun occupe sa place par rapport à l’« astre royal » - des querelles incessantes, dont SaintSimon s’est fait l’historiographe passionné pour le règne de Louis XIV. Les exemples de tels incidents ne manquent pas, tant dans la cour des derniers Valois que dans celle des derniers Bourbons. La cour forme aussi une société, avec son mode de vie, sa mentalité, ses plaisirs et divertissements : « cour se dit encore des manières de vivre à la cour. Cet homme sait bien la cour, sait faire la cour, il a bien pris l’air de cour. C’est un esprit de cour. Il sait toutes les intrigues de la cour. Cet homme n’est plus à la mode, il est de la vieille cour. On appelle aussi un air de cour, une chanson qu’on chante à la cour » (Furetière). Les Valois ont créé cette société et cette civilisation de cour. Le soir, l’on danse au son d’une « bande » de musiciens, joueurs de luth, de hautbois, de cornet et de flûte. Après le bal vient l’heure des jeux de société, où l’on risque beaucoup d’argent : jeux de cartes (tarots), de dés, d’échecs, et de multiples variétés du jeu de dames. Pendant la journée, les courtisans s’adonnent au sport. Outre la chasse, le plus prisé et le plus répandu est le jeu de paume, où excellent les souverains eux-mêmes, qui lui ont toujours réservé un emplacement dans chacune de leurs résidences. La cour pratique d’autres jeux : le mail, les boules ou les quilles. Exercices nobles par définition, les joutes et les tournois, auxquels on se prépare quotidiennement par la course à la bague ou à la quintaine, ont été quelque peu découragés par l’accident mortel dont a été victime Henri II en 1559. Au cours des deux siècles suivants, les formes de divertissement varient : le ballet de cour, où le roi se produit lui-même, triomphe sous Louis XIII et, surtout, sous Louis XIV ; puis, au XVIIIe siècle, la faveur se porte sur l’opéra et la comédie, qui compte parmi ses acteurs
la reine Marie-Antoinette. Enfin, la cour est un foyer d’art et de culture ; elle exerce un mécénat durant les trois derniers siècles de l’Ancien Régime. Ce microcosme particulier constitue le royaume des courtisans, dont de véritables manuels de civilité brossent des portraits exemplaires : le Libro del cortegiano (1528, traduit en 1537), « code de la politesse et de l’élégance » humanistes, composé à la demande de François Ier, par un diplomate originaire de Mantoue, Baldassare Castiglione, a inspiré tous ceux qui lui ont succédé. La cour ambulante des Valois conserve la tradition de la royauté capétienne, soucieuse de ne pas perdre le contact avec le pays, et de régler les conflits directement (le roi vient rendre la justice dans ses parlements). Elle est donc en perpétuel déplacement, surtout au temps des guerres de Religion, pour faire respecter les édits de pacification. Signalons seulement les voyages de François Ier - dont se plaint l’ambassadeur de Venise, Marino Giustiniano, en 1535 - et le tour de France de Charles IX - qui dure près de deux ans -, au cours duquel Catherine de Médicis présente le roi à ses sujets, et les sujets à leur roi. C’est un vrai caravansérail qui sillonne ainsi le royaume : 10 000 à 15 000 chevaux pour autant de personnes (dont près de 6 000 pour la Maison du roi, de la reine et de ses frères, soit, en tenant compte du service par quartier, un noyau permanent de 1 500 à 2 000 individus), c’est-à-dire plus que le nombre d’habitants d’une ville moyenne de l’époque. Mais ces fréquents déplacements n’ont pas empêché les Valois de planter les décors prestigieux et éblouissants de la majesté royale : les châteaux d’Amboise, de Blois, de Chambord, de Fontainebleau, de Saint-Germain et du Louvre en portent encore témoignage. Perdant le contact avec ses sujets, la cour devient sédentaire lorsque Louis XIV la fixe à Versailles (il effectue seulement quelques voyages dans les autres maisons d’agrément, comme Marly ou Choisy, Fontainebleau ou Compiègne), qui s’érige en temple de la monarchie absolue, où une noblesse turbulente paraît enfin domestiquée. On estime que 7 000 à 8 000 personnes vivent à Versailles en 1690, et environ 10 000 en 1744, y compris les domestiques des gens de cour. LA COMPOSITION DE LA COUR Les « officiants » du culte royal forment l’ossature de ce que l’on a appelé par commodité la noblesse de cour. Parlons plutôt de « nobles de cour », car, beaucoup trop hétérogènes, ils ne sauraient constituer un véritable groupe social. Pour appartenir à la
cour, deux conditions sont indispensables, mais non suffisantes : une cérémonie - la présentation au roi (les honneurs de la cour) -, pour laquelle sont exigées, au XVIIIe siècle, des preuves de noblesse depuis l’an 1400. Une condition qui souffre cependant bien des exceptions, tant pour les favorites que pour les familles des ministres (les Colbert, Chauvelin ou Gravier de Vergennes). Il convient aussi d’assurer une présence permanente à la cour, ce qui écarte tous les provinciaux, qui n’y viennent que pour la cérémonie de la présentation. Les membres de la cour sont donc d’abord ceux qui détiennent une charge dans la Maison du roi, de la reine et des princes, et, par conséquent, un logement à Versailles et dans les autres châteaux royaux. Mais que de différences entre les officiers domestiques (un duc de La Trémoille, premier gentilhomme de la chambre, ou un prince de Lambesc, de la maison de Lorraine, grand écuyer de France) et les premiers valets de chambre, tels Bontemps, Quentin de Champcenetz, Marchais ou Lebel ! Coexistent donc au moins deux sociétés de cour : celle des grands et premiers offices, monopole des grands seigneurs, et celle des offices moins prestigieux, tels ceux de premier valet de chambre, d’introducteur des ambassadeurs, de maître des cérémonies ou de maître d’hôtel. Ces derniers sont souvent détenus par des nobles de souche plus récente, voire, au XVIIIe siècle, par des anoblis de la finance (Marchais, Lallemant, La Live, Chapoux de Verneuil), qui forment à Versailles des sociétés particulières, si bien décrites dans ses Mémoires par l’introducteur des ambassadeurs, Dufort de Cheverny. On ne peut, en revanche, quelle que soit l’ancienneté de leur noblesse, considérer comme des nobles de cour les possesseurs des charges inférieures de la Maison militaire du roi (simples officiers des gardes du corps, par exemple), de l’écurie et de la vénerie, ou encore de la Maison des princes du sang autres que les fils et petitsfils de France. Et encore moins les spécialistes, issus de la robe ou de la finance, qui exercent des charges administratives ou financières, telles celles de contrôleur de la Maison du roi, de chancelier ou de secrétaire des commandements de la reine et des autres princes. Cependant, l’appartenance à la cour n’est pas nécessairement liée à la détention d’une charge : nombre de gens de cour sont admis dans l’intimité royale sans autre titre que la faveur dont ils jouissent ou le prestige de leur nom et de leur rang : ainsi des ducs et pairs, et des maréchaux de France. Il en va de même de ceux qui, sous Louis XV, soupent
dans les cabinets du roi, tels le prince de Croÿ, le duc d’Havré ou les marquis de Crillon, de Poyanne, de Meuse et de Gontaut ; ou encore de la société intime de la reine (le comte de Tressan auprès de Marie Leszczynska, ou le duc de Guînes auprès de Marie-Antoinette). Des ministres, tel Vergennes, qui, de par leurs origines trop modestes, n’auraient pas dû avoir accès à la cour, s’y agrègent tout naturellement, avec leur famille. À cet égard, un autre critère de l’appartenance à la cour est l’attribution d’un logement à Versailles : sa localisation et le nombre de pièces fournissent un excellent moyen de mesurer la faveur et le crédit de son bénéficiaire. LA COUR ET LA POLITIQUE Qu’il y ait eu confusion entre la cour des courtisans et celle des politiques est une réalité de toujours : ceux qui exercent le pouvoir sous l’autorité du souverain, ceux qui forment son conseil, ont, en règle générale, occupé des fonctions palatines. Sous les règnes de François Ier et d’Henri II, l’un des personnages jouissant du plus grand crédit politique, Anne de Montmorency, détient le premier office de la Maison du roi, celui de grand maître ; une charge dont le dépouillera François II, qui veut attribuer la première place dans son conseil à François de Guise. Catherine de downloadModeText.vue.download 241 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 230 Médicis et Charles IX donnent des charges domestiques aux Gondi qui figurent parmi leurs principaux conseillers. Au XVIe siècle, les officiers de la Maison du roi, notamment ses gentilshommes de la chambre, constituent le vivier où le souverain choisit ses ambassadeurs, ses gouverneurs et ses capitaines. Pourtant, la cour devient le champ clos où s’affrontent, avant que le conflit ne s’étende à tout le royaume, le parti des catholiques, autour des Guises, celui des huguenots, autour des Bourbons et des Châtillon, et celui des politiques, autour de François d’Alençon et des Montmorency. Les mémorialistes dénoncent alors l’influence néfaste de la cour - des femmes notamment - dans les nominations aux charges militaires et civiles. Il est avéré que tout a changé avec Louis XIV et son « règne de vile bourgeoisie », que la turbulente noblesse a été domestiquée, et que la « centralisation des fidélités »
- le roi étant désormais le seul dispensateur des grâces - l’a privée d’une grande partie de son influence politique. Il n’en demeure pas moins que, au cours de la dernière partie du règne, s’esquissent des partis, et naît une véritable opposition politique avec, notamment, le « petit troupeau » de l’héritier du trône, le duc de Bourgogne, animé par les ducs de Beauvillier et de Saint-Simon, et par Fénelon. Cette tendance s’accentue au XVIIIe siècle, sous les règnes de Louis XV et Louis XVI, qui n’ont pas su ni voulu rester le centre autour duquel s’ordonnaient tous les gens de cour. En effet, ils maintiennent le rituel monarchique, mais ne font plus que le subir : avec Louis XIV, le roi et l’homme privé se confondaient ; Louis XV, au contraire, veut se ménager une vie privée en créant à Versailles de petits appartements où il se retire, après son coucher dans la chambre de parade qu’il regagne le matin pour son lever. La vie de la cour se dilue alors en plusieurs cercles : celui du roi ne forme plus que le premier à côté de ceux de la reine, du dauphin, de ses filles, voire des ministres ou de quelques grands officiers de sa maison. Autour de sa « maîtresse déclarée » (Mme de Pompadour ou Mme du Barry), véritable épouse privée, Louis XV réunit ses amis intimes ; ceux qui chassent avec lui, soupent dans les cabinets « en habit vert », participent à ses loisirs (jeu, théâtre et musique, dans les cabinets), ou le suivent dans ses « voyages » à Choisy, la Meutte, Crécy, Marly ou le Vivier Coras, le souverain préférant à Versailles les châteaux plus modestes, au milieu des bois. Ces cercles deviennent de véritables partis politiques (dévots contre philosophes, tenants de la prérogative royale contre parlementaires, partisans de l’alliance autrichienne contre défenseurs des principes traditionnels de la diplomatie française), foyers d’intrigues, faisant et défaisant les ministres. À cela s’ajoute le retour en force des gens de cour dans le Conseil du roi (les Noailles, Belle-Isle, Soubise, Choiseul, d’Aiguillon, Ségur, Castries, etc.) ou dans les ambassades : Vergennes agit en ministre courtisan lorsqu’il cède aux sollicitations de Marie-Antoinette et de sa coterie pour gagner la faveur ou la neutralité politique de la reine. Cependant, il ne faut pas exagérer la part qu’occupent les intrigues de cour dans la définition de la politique ou dans les disgrâces et nominations de ministres. Ces manoeuvres ne jouent souvent qu’un rôle anecdotique, et ne font que précipiter une décision déjà prise, comme dans les cas de Choiseul, en 1770, ou de Turgot, en 1776. Les mémorialistes ont souvent exprimé des doutes à cet égard : « Vous savez que c’est à la cour, écrit le duc
de Luynes en 1755, que l’on parle le moins des affaires intéressantes. » Le duc de Croÿ se donne bien du mal pour chasser avec le roi et souper dans ses cabinets ; or, lorsque son objectif est atteint, il constate avec déception que ce n’est pas par ce moyen que l’on peut « aller au grand », car dans les cabinets on parle de tout, sauf des grandes affaires. Pour se faire connaître, mieux vaut travailler et abreuver les ministres de mémoires qui parviendront peut-être jusqu’au roi, lequel apprécie de la sorte le mérite de chacun. Ainsi est née la légende noire de la cour, dénoncée, dès le XVIe siècle, comme la « sangsue du peuple » qui entretient un monde de courtisans futiles, dépravés et inutiles autour d’une favorite ou d’un mignon royaux, qui font et défont les ministres et les généraux, au prix de graves déboires pour le royaume. En effet, la cour coûte cher. En 1537, l’ambassadeur vénitien Giustiniano évalue les frais de la Maison du roi à 1 500 000 livres, sur une dépense totale de 5 110 000 (soit près de 30 %), tandis que les recettes s’élèvent à 5 550 000 livres. S’y ajoutent, dit Giustiniano, « les frais des bâtiments, des tournois, des banquets, des présents de Noël, des visites du roi et des princes. [...] On ne pourrait en évaluer le montant ». En 1561, Michiel estime que, sur les revenus du roi Henri II, d’un montant de 13 millions de francs, les dépenses de la cour prélèvent 2,5 millions (soit 19 %), « somme énorme et telle qu’aucun autre roi ne l’atteint, pas même peut-être plusieurs rois ensemble ». Le successeur d’Henri II, François II, les réduit de 500 000 francs ; sous Charles IX, elles sont ramenées à 1 250 000 francs. Dans le budget de Calonne, en 1787, elles s’élèvent à 36 millions de livres, sur des dépenses totales de 591 millions (soit 6 %), et des recettes de 479 millions (soit 7,5 %), confirmant que c’est la guerre d’Amérique - et non la cour qui a entraîné la banqueroute de la monarchie. En outre, il ne faut pas négliger les retombées bénéfiques pour tout un peuple de marchands, d’artisans et d’artistes « à la suite de la cour » : à la fin de l’Ancien Régime, une ville entière, Versailles, vit par et pour la cour, et tout un quartier de Paris, le faubourg SaintAntoine, s’active à satisfaire ses commandes. On peut dater la fin de la cour de France des 5 et 6 octobre 1789, lorsque le peuple en armes vient la chercher à Versailles pour l’installer aux Tuileries, à Paris, où elle ne sera plus que l’ombre d’elle-même jusqu’au 10 août 1792. La cour-caserne du Premier Empire, la cour fossile de la Restauration, la cour bourgeoise de Louis-Philippe et la cour mondaine
du Second Empire n’ont été que de pâles reflets de la cour des Valois et des Bourbons. Courbet (Gustave), peintre (Ornans, Doubs, 1819 - La Tour-de-Peilz, Suisse, 1877). Après un premier apprentissage auprès d’un élève d’Antoine Gros, qui l’incite à travailler d’après nature, Courbet reçoit les enseignements d’un élève de David, puis, en 1839, rejoint la bohème parisienne. Son Autoportrait au chien noir est accepté au Salon de 1844. À partir de 1847, il ambitionne, s’élevant contre la tradition, d’appliquer les dimensions de la grande peinture à la représentation de la société de son temps. Il connaît son premier succès au Salon de 1849 : son Aprèsdînée à Ornans, médaille d’or, est acheté par l’État. Séduit par les idées socialistes tout en demeurant attaché à un « républicanisme de notable » (Jean-Luc Mayaud), il dédaigne, en 1848 comme en 1851, les manifestations politiques, préférant le combat d’un réalisme assimilé à la révolution. Les Casseurs de pierres, les Paysans de Flagey revenant de la foire et Un enterrement à Ornans, exposés au Salon de 1850, en sont un manifeste. Ces toiles effraient toutefois le public conservateur, qui juge d’un très mauvais goût le choix de peindre ce qu’il croit être les classes laborieuses. Un pavillon personnel permet néanmoins à celui qui est désormais considéré comme le chef de file du réalisme de présenter l’Atelier du peintre, en 1855. Son oeuvre est ensuite davantage consacrée à la représentation de la nature (Marée basse à Trouville, 1865 ; la Vague, 1870) ou de la nudité féminine (l’Origine du monde, 1865 ; Femme au perroquet, 1866), quand elle n’entremêle pas les deux (la Femme à la vague, 1868). Chargé, durant la Commune, des fonctions de président de la Fédération des artistes, Courbet est emprisonné après la « semaine sanglante » et rendu responsable de la destruction de la colonne Vendôme. Condamné à financer sa reconstruction, il s’exile en Suisse, où il meurt en 1877. Ses combats contre l’académisme et son retour à la nature ont ouvert la voie aux impressionnistes. Cour de justice (Haute) ! Haute Cour de justice Cour des comptes, juridiction financière née sous l’Ancien Régime, supprimée lors de la Révolution française, puis rétablie par l’Empire et dont les compétences sont élargies sous la Restauration. Les juridictions des comptes publics sont devenues
aujourd’hui une institution de la République et de l’État de droit. Dès le Moyen Âge, en France comme en Angleterre, sont créées, dans les principautés et auprès du roi, des chambres (curiae) ayant le pouvoir de juger de la régularité des opérations financières des « gens députés aux comptes », c’est-à-dire des comptables publics, qui répondent sur leurs biens propres de l’exactitude de leur gestion. Sous la Révolution, les juges des comptes sont victimes de la défiance des révolutionnaires à l’égard de la magistrature d’Ancien Régime, suspecte de faire obstacle à la souveraineté du législateur : par la loi des 17-29 septembre 1791, la Constituante transfère à l’Assemblée nationale toutes les attributions des chambres des comptes. Avec la création de la Cour des comptes, par la loi du 16 septembre 1807, l’Empire « rétablit » (selon le terme de l’époque) une juridiction nationale strictement spécialisée dans downloadModeText.vue.download 242 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 231 le contrôle des comptables. La naissance du régime parlementaire sous la Restauration et la monarchie de Juillet ainsi que le vote du budget de l’État étendent alors les compétences de la Cour des comptes à la vérification de l’exécution des lois de finances, qui font l’objet d’un « rapport public » annuel. Au XXe siècle, les attributions de la haute juridiction sont continûment élargies : contrôle des associations bénéficiant de concours financiers publics ou de lagénérosité publique, des entreprises publiques et des organismes de Sécurité sociale. Avec la réforme constitutionnelle de 1996 créant la catégorie des « lois de financement de la Sécurité sociale », la Cour reçoit la charge d’un rapport public annuel spécifique sur la gestion des finances de la protection sociale. En revanche, depuis la loi de décentralisation administrative du 2 mars 1982, les collectivités locales ne sont plus directement contrôlées par la Cour des comptes, mais par des chambres régionales des comptes. Cependant, la Cour examine en appel les jugements des chambres, dont le Conseil d’État est juge de cassation. couronne, principal attribut du pouvoir royal, remis dès le IXe siècle au roi (ou à l’empereur) lors d’une cérémonie très ritualisée, qui allie le sacre au couronnement.
Chaque roi possède plusieurs couronnes, qu’il revêt à l’occasion de toutes les grandes cérémonies politiques (entrées royales, lits de justice), mais la plus importante est celle du sacre. Il semble qu’à l’origine chaque souverain fasse réaliser - pour l’occasion - une couronne qui lui est propre. Puis, progressivement, celle du sacre, dite « de Charlemagne », et celle de Saint Louis acquièrent une valeur particulière et sont réutilisées. Cette dernière, fondue en 1793, remontait à la première moitié du XIIIe siècle et était censée contenir des épines de la couronne du Christ. L’année de fabrication de la couronne de Charlemagne demeure incertaine (fin du XIIe, ou seconde moitié du XIIIe siècle), et l’on n’en possède qu’une représentation : en or, ouverte, elle est ornée de quatre fleurons en forme de fleurs de lis et rehaussée par de nombreuses pierres précieuses. La plupart des rois de France l’ont portée jusqu’à la Révolution. Au Moyen Âge, la remise de la couronne a une grande valeur constitutionnelle et juridique, car elle consacre la dignité royale de son destinataire et l’investit de ses droits. Toutefois, quand le principe héréditaire de la monarchie capétienne s’affirme, la cérémonie du couronnement perd de son importance, le fils aîné devenant automatiquement le nouveau roi à la mort de son père. La couronne, insigne matériel, désigne par extension le domaine royal ou symbolise le pouvoir souverain, sans pour autant faire référence au roi en tant qu’individu. Cette couronne est alors invisible, immatérielle et perpétuelle. Courrier de Lyon (affaire du), crime commis le 27 avril 1796 (8 floréal an IV), suivi d’une retentissante affaire judiciaire. Quelques heures après avoir quitté Paris pour Lyon, une malle-poste transportant des dépêches, 7 millions en assignats (dépréciés) et 16 000 francs en numéraire est retrouvée vide sur la route de Lieusaint à Melun, le postillon et le courrier gisant morts à côté. Très vite, sur les témoignages d’aubergistes, six suspects sont arrêtés, dont Joseph Lesurques, qui clame son innocence. Il est néanmoins traduit devant le tribunal criminel de la Seine et condamné à mort le 5 août 1796 ; de même que deux autres accusés, Couriol et Bernard. Survenant dans une période où les attaques de diligences et les exactions de chauffeurs sont en recrudescence, cette affaire banale tire sa célébrité de la certitude qu’il s’agit d’une
erreur judiciaire. Des débats passionnés animent tant la presse à sensation que la presse politique, émouvant durablement l’opinion publique. Malgré de solides alibis et les aveux de Couriol, qui, une fois la sentence prononcée, dénonce ses complices et crie l’innocence de Lesurques, malgré, aussi, la décision du Directoire, qui porte l’affaire devant le Conseil des Cinq-Cents, Lesurques est exécuté le 30 octobre. Par la suite, les coupables désignés par Couriol sont arrêtés et condamnés : parmi eux, Dubosq, qui ressemble à Lesurques et qui sera guillotiné en 1801. Si, en 1824, la famille Lesurques obtient la restitution d’une partie de ses biens confisqués, elle demandera vainement, tout au long du XIXe siècle, la réhabilitation du condamné. Courrières (catastrophe de), accident qui provoque la mort de 1 100 à 1 200 mineurs dans le bassin houiller de Courrières (Pas-deCalais), le 10 mars 1906. Un coup de grisou ravage 110 kilomètres de galeries, provoquant la plus terrible des tragédies de la mine survenues en France. S’ensuit une très vive tension sociale, car les ingénieurs de la compagnie concessionnaire nient l’origine de l’accident pour ne pas mettre en cause des mesures de sécurité honteusement insuffisantes. Pire, ils arrêtent très vite les opérations de secours afin que le travail reprenne au plus tôt. Or, la découverte de treize survivants laisse penser que d’autres mineurs auraient pu être sauvés. Une grève éclate. Clemenceau, qui vient d’être nommé ministre de l’Intérieur, se rend sur place, manifeste sa compréhension, tout en demandant le respect de la légalité. Mais des débordements se produisent et la mairie de Lens est assiégée. Clemenceau y voit un affront personnel. 20 000 soldats, plus d’un pour deux grévistes, occupent alors la région. Les pierres répondent aux charges, le sang coule, la répression s’ajoute à la catastrophe et la haine s’installe, réciproque, entre le leader radical et les anarcho-syndicalistes de la CGT. En outre, la tragédie devient symbole du malheur ouvrier : un dessin de Grand jouan représente un homme aux traits tirés qui a ces mots : « Courrières ou Fourmies, il n’y a qu’à choisir. » Et l’événement marque suffisamment les esprits pour que, encore en 1994, le Parti socialiste réuni en congrès à Liévin le commémore, donnant à l’opinion le signe d’un virage à gauche. courtisan, terme issu de l’italien ancien cortegiano, attesté en français dès le XVe siècle, et qui désigne, initialement, celui
qui appartient à la cour d’un prince ou d’un roi. Ce n’est qu’avec la cour brillante et raffinée des Valois qu’il commence à s’enrichir de significations psychologiques, morales et culturelles. • Une figure complexe. Le Livre du courtisan, de Baldassare Castiglione, publié en Italie en 1528, et traduit en français en 1537 sur la demande de François Ier, est la première codification écrite d’une nouvelle sociabilité née dans les petites cours italiennes. Cet ouvrage à succès connaîtra plusieurs rééditions au fil du siècle : en déclinant les articles d’une morale et d’une esthétique du comportement, il entend favoriser aussi bien l’épanouissement personnel du courtisan que ses évolutions sur la scène du monde. À la croisée de l’influence courtoise et du mouvement néoplatonicien, le système prescriptif forgé par Castiglione aide la noblesse française à acquérir la faculté de plaire, à pratiquer une « douce civilité » qui conjugue maîtrise de soi et absence d’affectation. « Savoir le courtisan » est bientôt une injonction à laquelle se soumettent tous ceux qui gravitent autour de la personne royale. Une soumission d’autant plus nécessaire que, avec la fin des « clientélismes » féodaux, la cour devient le centre unique de distribution des charges, des honneurs et des récompenses : dans cette quête des gratifications matérielles ou symboliques, nul n’échappe à l’obligation d’attirer l’attention du monarque. L’écrivain lui-même est prisonnier de cette nécessité : et si du Bellay, dans un opuscule incisif, stigmatise le « poète courtisan », comment nier l’allégeance de la plupart des grands poètes de la Renaissance aux souverains successifs ? Ronsard, éminent pourvoyeur de célébrations et de panégyriques officiels, en est l’exemple le plus éclatant. Le XVIIe siècle prolonge la tradition inaugurée par Castiglione. En 1630, l’Honnête Homme ou l’Art de plaire à la cour, de Nicolas Faret, se présente à la fois comme un traité de morale et un manuel de civilité, et prétend qu’il est « possible de faire fleurir les vertus au milieu des corruptions de la cour » ; le titre même de l’ouvrage renvoie à la possibilité de concilier tactiques mondaines, culture sans pédantisme, et exigences morales. Cette triade n’est-elle pas trop belle, néanmoins, pour s’inscrire dans une réalité de plus en plus annexée par les techniques du paraître ? • Le courtisan victime de la cour. À partir des années 1680, alors que la cour s’installe à Versailles, le courtisan n’est plus qu’un figurant domestiqué, intégré à un cérémonial dont la stricte étiquette contient mal les rapports de
concurrence sauvage. Traduit de l’espagnol en 1684, l’Homme de cour, de Baltasar Gracian y Morales, entérine cette évolution et offre aux courtisans français une pédagogie désenchantée de la survie : la maîtrise souple de l’apparence, dans un univers d’illusions, devient la condition d’élaboration d’une stratégie défensive. Avec Louis XIV s’impose une hypertrophie du paraître, qui enferme les courtisans dans un microcosme étouffant : enchaînés, en quelque sorte, à la personne royale, ils vivent dans l’attente obsessionnelle d’un mot ou d’un geste, et savent ce que coûte une absence dans les occasions où le roi recense son monde downloadModeText.vue.download 243 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 232 - réceptions d’ambassadeurs, audiences solennelles, grands et petits soupers. Saint-Simon a brossé, dans ses Mémoires, un tableau impitoyable - quoique non exempt de fascination - du réseau d’intrigues qui compose la vie quotidienne du courtisan. À ce dernier s’offre toutefois un modèle de sociabilité alternatif, celui de la ville et des salons : attestée par de nombreux textes littéraires, dont les Caractères, de La Bruyère, l’opposition de la cour et de la ville témoigne de la volonté d’inscrire les normes de la bienséance et du raffinement dans un univers moins suffocant que celui de Versailles. Il faut se garder, néanmoins, de radicaliser une telle opposition : les salons mondains sont également des lieux de pouvoir et d’intérêts, où le courtisan peut se ménager des appuis et affiner une stratégie. Type indissociablement psychologique, moral et social, le courtisan ne survit pas à l’effondrement de l’Ancien Régime : Napoléon Ier échoue dans sa tentative de créer une cour impériale, et les sollicitations incessantes des campagnes militaires empêchent la cristallisation des rapports qui unissaient naguère les monarques et leurs cercles empressés. L’usage du terme se perpétue sous les régimes démocratiques ultérieurs, mais les strates de signification qui ont fait sa richesse et sa complexité près de trois siècles durant appartiennent désormais au passé : seule demeure l’acception péjorative, apparue dès le milieu du XVIe siècle, et réactivée par les innombrables formes de servilité qu’ont pu susciter autour d’eux les détenteurs du pouvoir. Courtrai (bataille de), bataille, dite aussi « des Éperons d’or », à l’issue de laquelle
l’armée royale française est vaincue par les milices populaires flamandes (11 juillet 1302). Entraînées par Bruges (depuis les « Matines de Bruges », mai 1302), les villes flamandes, soudées par un fort sentiment communautaire et révoltées contre le gouverneur français Jacques de Châtillon, ont levé une infanterie, commandée par les fils du comte de Flandre, Gui de Dampierre. À un peu moins de cent ans d’écart, le scénario de Bouvines (1214) se répète, mais inversé : cette fois, ce sont les lourds cavaliers français qui s’empêtrent dans les marécages et les fossés creusés les jours précédents par les Flamands, et qui tombent sous les couteaux et les piques des milices urbaines. Plus que d’une défaite, il s’agit, pour l’armée de Philippe le Bel, d’une humiliation. Les chroniques de l’époque parlent de milliers de morts. Sans doute un tel chiffre est-il exagéré, mais il est vrai que, contrairement à l’usage féodal, les Flamands n’ont pas cherché à capturer les chevaliers français « à rançon ». Notre-Dame de Courtrai est tapissée, dans les jours qui suivent, des éperons d’or arrachés aux chevaliers massacrés, parmi lesquels les meilleurs capitaines de France et leur chef, Robert d’Artois. Il fallut deux années à Philippe le Bel pour venger l’affront et rétablir son autorité sur cette région. La rivalité entre le comte, allié au menu peuple de Flandre, et le roi de France, qui s’appuie sur ses « collaborateurs » - les leliaerts ou « gens des lys », c’est-à-dire le patriciat urbain -, est très ancienne, et due à des facteurs autant politiques qu’économiques. L’expansion et la centralisation capétiennes menacent en effet cette vieille principauté, et provoquent la rupture du schéma féodal classique : les riches gouvernants des villes flamandes s’opposent au pouvoir de leur seigneur, le comte, en nouant alliance avec le suzerain plus lointain, le roi de France, lequel paraît moins menaçant. Le comte n’a plus, pour résister, qu’à rechercher le soutien des métiers opprimés par la gestion municipale des leliaerts. Le phénomène se complique tout au long du XIIIe siècle de la rivalité franco-anglaise. Les rois de France et d’Angleterre font assaut auprès des vassaux du comte de Flandre pour les attirer dans leur dépendance respective. Sous-jacents, le développement économique de la Flandre et les enjeux qu’il suscite : si le comté importe en effet massivement la laine anglaise pour ses draperies, son principal débouché est le marché français. Depuis Bouvines, où le comte de Flandre appartenait à la coalition adverse et fut fait prisonnier, jusqu’à Courtrai, le roi de France avait pu, dans l’ensemble, préserver ses intérêts. D’où l’effet symbolique du coup
d’arrêt mis par les Brugeois en 1302. Couthon (Georges Auguste), homme politique (Orcet, Puy-de-Dôme, 1755 - Paris 1794). Membre du petit groupe des fidèles de Robespierre en l’an II - avec Saint-Just et Lebas -, il joue un rôle de premier plan parmi les montagnards. Avocat et franc-maçon, actif défenseur des humbles et lecteur attentif de Rousseau, il s’engage d’emblée dans la Révolution, malgré une paralysie qui le prive de l’usage de ses jambes en 1791. Membre de la municipalité de Clermont-Ferrand, où il fonde un club jacobin en 1790 et préside le tribunal du district, il est élu député à l’Assemblée législative en 1791, puis, l’année suivante, à la Convention, où il intervient peu. Régicide, il entre au Comité de salut public le 30 mai 1793, fait décréter d’arrestation les girondins le 2 juin. Puis, envoyé en mission en août au siège de Lyon insurgé, il se refuse à exécuter le décret du 12 octobre qui ordonne de détruire la ville. Il fait alors figure de montagnard modéré. Pourtant, après avoir participé activement à la chute des hébertistes et des indulgents, il rédige et fait adopter la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794) qui, réformant la procédure du Tribunal révolutionnaire, établit la Grande Terreur : un acte que ses ennemis politiques ne lui pardonneront pas. Le 9 thermidor (27 juillet 1794), il est décrété d’accusation avec Robespierre et Saint-Just, qu’il rejoint à la Commune. Après l’assaut des troupes de la Convention, il est arrêté mais fait une grave chute dans un escalier. Le lendemain, à l’agonie, il est le premier des vingtdeux robespierristes condamnés à périr sur l’échafaud. coutume. La coutume représente l’une des formes d’expression du droit positif. Contrairement à la loi, qui est l’imposition d’une règle à la société par l’autorité souveraine, la coutume est constituée par « un ensemble d’usages d’ordre juridique, qui ont acquis une force obligatoire dans un groupe sociopolitique donné, par la répétition d’actes publics et paisibles pendant un laps de temps relativement long » (John Gillisen). Son importance varie au cours de l’histoire. On peut considérer qu’au XIe siècle, en Europe occidentale, 90 % du droit est coutumier, et 10 %, législatif. Aujourd’hui, les proportions sont inversées, le point de retournement étant situé au XVIe siècle. • Primauté de la coutume. Réfléchir sur la coutume suppose que l’on s’arrête sur la
France médiévale, son âge d’or. Les sociétés sans écriture ne connaissent nécessairement que le droit coutumier. Aussi, le droit écrit de l’Empire romain laisse-t-il une large place à la coutume en tant que source du droit. La désagrégation des cadres impériaux a pour conséquence la disparition quasi totale de la loi, les « lois barbares » étant plutôt des coutumes mises par écrit (listes de tarifs compensatoires correspondant à certaines infractions). Malgré la volonté législative des premiers Carolingiens, cette situation perdure jusqu’au XIIe siècle. La période qui s’ouvre alors, dans la seconde moitié du XIIe siècle, et se prolonge jusque vers 1280, marque un véritable tournant dans le domaine juridique : multiplication des actes législatifs, seigneuriaux, urbains ou royaux, redécouverte du droit romain, codification du droit canonique, formulation d’un droit objectif (territorial) au détriment du droit subjectif, qui dépend de la personne à qui il est appliqué. Ces éléments tendent à imposer un droit rationnel, et impliquent le passage d’une coutume dont les règles ne sont pas énoncées préalablement à leur application à une coutume réfléchie et mise par écrit. Ce processus se concrétise via une première vague de rédaction de coutumiers, depuis le Très Ancien Coutumier de Normandie (vers 1190), jusqu’à la Coutume de la comté de Clermont-en-Beauvaisis, de Philippe de Beaumanoir (1283). Le mouvement reprend ensuite au XIVe siècle, notamment avec la Très Ancienne Coutume de Bretagne (1330), le Grand Coutumier de France, de Jacques d’Ableiges, et la Somme rurale, de Jean Boutillier, à la fin du siècle. En l’occurrence, il s’agit d’initiatives privées, d’oeuvres de praticiens de la justice royale (baillis) ou princière ; elles représentent une tentative, plus ou moins concluante, de dire rationnellement le droit coutumier dans les termes savants et universels du droit romain. La rédaction des coutumes va freiner l’introduction du droit romain en France. En effet, le partage du royaume entre pays de droit écrit (le Midi) et pays de coutumes (le Nord) date du règne de Saint Louis ; cette démarcation ne signifie pas, au demeurant, que le Midi méconnaît le droit coutumier, mais indique que le droit romain y a force supplétoire. Aux XVe et XVIe siècles, le mouvement de rédaction est réactivé, cette fois sur instructions officielles. L’ordonnance de Montils-lèsTours, sous Charles VII (1454), demande de consigner toutes les coutumes du royaume ;
elles devront être enregistrées au parlement, et auront donc force de loi. Après la rédaction de la coutume de Bourgogne (1459), et la confirmation de celle de Touraine (1463), il faudra attendre les années 1500 pour que la pratique se généralise : Chartres (1508), Orléans (1509), Paris et Auvergne (1510), downloadModeText.vue.download 244 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 233 Poitou (1514), Bretagne et Berry (1534), etc. Une première étape est franchie dans l’unification du droit, qui va s’accélérant au cours des siècles suivants. • L’effacement du droit coutumier. La réflexion des légistes royaux fait reculer peu à peu la part coutumière du droit, au profit du pouvoir législatif souverain, lié à la construction de l’État moderne. L’aboutissement de leurs théories se rencontre chez les philosophes et les juristes du XVIIIe siècle : les idées de souveraineté du peuple, de régime représentatif et de séparation des pouvoirs conduisent à reconnaître la loi comme source unique du droit. Le Code civil (1804) ignore le mot « coutume », remplacé par le terme, proche, d’« usage », qui s’en distingue, car il n’inclut pas d’obligation. Au XXe siècle, cependant, on assiste à une réhabilitation du droit coutumier dans des domaines particuliers (règlement de certains contentieux de voisinage, droit disciplinaire, droit international, etc.). Couve de Murville (Maurice), diplomate et homme politique (Reims 1907- Paris 1999). Inspecteur des finances en 1930, ce haut fonctionnaire, image de la rigueur protestante, est attaché financier à Bruxelles, puis directeur des finances extérieures et des changes en 1940, après un passage au cabinet de Paul Reynaud. Révoqué par le gouvernement de Vichy, il gagne Alger en 1943. C’est en tant que partisan de Giraud qu’il est nommé commissaire aux Finances dans le Comité français de libération nationale (CFLN), avant de se rallier aux points de vue du général de Gaulle. Il passe alors des Finances à la diplomatie : il est le représentant du CFLN, puis, après la Libération, ambassadeur en Italie, responsable des affaires politiques au Quai d’Orsay, ambassadeur en Égypte, auprès de l’OTAN, aux États-Unis et en Allemagne. Il fait figure d’expert en diplomatie lorsqu’en juin 1958 il devient ministre des Affaires étrangères, poste qu’il occupera pendant dix ans en tech-
nicien inventif et en porte-parole scrupuleux de la diplomatie gaullienne. Nommé Premier ministre en juillet 1968, après quelques semaines aux Finances, il est chargé de ramener le gouvernement à l’orthodoxie gaullienne, après une dérive pompidolienne, conservatrice et libérale. Mais il ne peut éviter l’échec du référendum de 1969 et la démission de de Gaulle, qui met fin à sa carrière ministérielle. Député de Paris en 1973, président de la commission des Affaires étrangères, sénateur en 1986, il continue d’incarner l’héritage gaulliste, condamnant le projet de quinquennat ou l’alignement sur les États-Unis lors de la guerre du Golfe. Crécy (bataille de), bataille conclue par la défaite du roi de France Philippe VI face au roi d’Angleterre Édouard III, le 26 août 1346. Première bataille rangée de la guerre de Cent Ans, l’affrontement qui oppose, sur les plateaux de Picardie, la nombreuse mais désordonnée armée du roi de France à la petite armée du roi d’Angleterre, tourne au profit des Anglais. Débarqué à Saint-Vaast-la-Hougue (Normandie) le 11 juillet 1346, Édouard III aspire à effectuer une simple chevauchée sur le continent. Mais le roi de France, qui entend l’empêcher de gagner le Nord, veut en découdre. Le choc se produit en Picardie, près d’Abbeville, où les Anglais cherchent un port de rembarquement. Bien organisée, l’armée anglaise dispose d’un corps d’archers très efficace et, pour la première fois sur un champ de bataille occidental, d’une artillerie à feu, alors que l’armée du roi de France, appuyée par des arbalétriers gênois, arrive fourbue, dans le plus grand désordre, au coucher du soleil. Le combat est un véritable massacre de chevaliers français. Disparaissent dans la mêlée le roi de Bohême Jean l’Aveugle, le comte de Flandre Louis de Nevers, le frère du roi, Charles comte d’Alençon. L’armée du roi de France, défaite, est incapable de s’opposer plus avant à la chevauchée anglaise. En août 1347, l’armée anglaise s’emparera de Calais, qui, pendant plus de deux siècles, lui servira de tête de pont. Crédit agricole (Caisse nationale de), établissement de crédit dont l’origine remonte à l’année 1894, quand sont reconnues officiellement les premières caisses mutuelles créées par des membres de syndicats paysans.
C’est la loi du 5 août 1920, devenue titre V du Code rural, qui donne à cette branche du crédit les traits essentiels qui resteront les siens jusqu’à la fin des années quatrevingt. La « banque verte » est organisée selon trois échelons : local, régional et national. Les caisses locales ont une forme coopérative et leur activité consiste en l’examen des demandes de prêts (à taux bonifiés par l’État jusqu’au milieu des années quatre-vingt) et en la transmission des dossiers aux caisses régionales, lesquelles prennent les décisions d’octroi ou de refus. La Caisse nationale de Crédit agricole (CNCA), confirmée dans son rôle d’organe central du réseau par la loi « bancaire » du 24 janvier 1984, est un établissement public, avant d’être transformée par la loi de janvier 1988 en société anonyme - la nomination de son directeur général restant toutefois soumise à l’agrément des ministères de tutelle (Agriculture et Finances). Cette même loi organise la « mutualisation » de la CNCA en transférant aux caisses régionales la totalité de ses actions. Le réseau, qui jouit d’un quasi-monopole dans le monde agricole, est également le premier distributeur de crédit immobilier. Si, jusqu’à l’orée des années quatre-vingt, le Crédit agricole ne pouvait prospecter la clientèle des entreprises, son statut s’est depuis lors banalisé : ayant perdu ses privilèges fiscaux, il est devenu l’une des premières banques urbaines et l’un des plus grands ensembles bancaires au monde avec l’acquisition de la totalité du capital du Crédit lyonnais. Crédit lyonnais, banque par actions créée en 1863 par des hommes d’affaires de la région lyonnaise d’esprit saint-simonien, qui s’inspirent de l’expérience des frères Pereire, fondateurs du Crédit mobilier. Henri Germain en est le président jusqu’en 1905. En attirant l’épargne du public avec force publicité sur les multiples formes de dépôts rémunérés, en proposant l’usage du chèque (introduit par la loi du 14 juin 1865) et grâce à la création d’un réseau de succursales (1 460 en 1913), la banque devient, dès 1878, le premier établissement de crédit de France. En 1892, il détient 38 % des dépôts des 42 banques publiant un bilan. En 1913, il possède encore 23 % des avoirs des 99 plus grandes banques. En 1914, drainant une épargne bourgeoise considérable, il se place, par son bilan, non seulement devant les autres banques françaises (notamment la Société générale) mais également devant la prestigieuse Lloyds Bank anglaise. Il n’est devancé que par la Société générale, de 1918 à 1929, et par
la Banque nationale de Paris (BNP) depuis la création de cette dernière en 1966 (par fusion de la BNCI - Banque nationale pour le commerce et l’industrie - et du Comptoir national d’escompte de Paris). Par la loi du 2 décembre 1946, le Crédit lyonnais est nationalisé, en même temps que les trois autres principales banques de dépôts (Société générale, BNCI, Comptoir national d’escompte). Dans les années quatre-vingt-dix, il connaît une crise exceptionnellement grave, due à des pertes dans l’immobilier et à une politique de diversification dans des opérations d’investissement internationales aventureuses, menée dans la décennie précédente. Retourné au secteur privé en 1999, le Crédit lyonnais a été repris en totalité par le Crédit agricole en 2003. Crémieu (édit de), édit de François Ier portant sur l’organisation de la justice (19 juin 1536). Le système judiciaire hérité du Moyen Âge se caractérisait par une extrême complexité. Aux juges seigneuriaux étaient venus s’ajouter, à mesure que le domaine royal s’agrandissait, des prévôts royaux et, à un échelon supérieur, des baillis ou sénéchaux, sans que leurs rapports aient été clairement définis, ce qui était source d’innombrables conflits de juridiction. C’est à cette confusion que tente de remédier l’édit de Crémieu, qui délimite les compétences respectives des prévôtés et des bailliages : ces derniers deviennent l’instance ordinaire pour toutes les causes concernant les nobles, les bénéfices ecclésiastiques, le domaine royal ainsi que les cas royaux (lèse-majesté, faux monnayage, assemblées illicites, révoltes, etc.) ; quant aux prévôtés, elles conservent, en première instance, les causes des non-nobles, mais leurs sentences sont susceptibles d’appel devant les bailliages. Ceux-ci peuvent même, en certaines occasions, se saisir directement de certaines causes prévôtales. En limitant la juridiction des prévôtés, l’édit de Crémieu simplifie la hiérarchie judiciaire au profit des bailliages ; il s’inscrit dans l’action législative des Valois-Angoulême, qui entendent renforcer l’emprise de l’administration royale. Mais, comme tant d’autres, il restera en partie lettre morte et nécessitera des rappels ultérieurs (1559, 1574, 1581), tant à cause de la résistance des officiers de justice que de la monarchie elle-même, laquelle, surtout pour des raisons financières, s’accommode de la multiplicité des offices judiciaires. downloadModeText.vue.download 245 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 234 Crémieux (Isaac Moïse, dit Adolphe), avocat et homme politique (Nîmes 1796 - Paris 1880). Issu d’une famille juive séfarade pleinement intégrée à la société française, Crémieux est resté célèbre pour le décret portant son nom, qui donne la citoyenneté française aux juifs d’Algérie. Avocat brillant, libéral convaincu, pétri des idéaux de la Révolution, il se bat sur deux fronts : la défense de la République, d’une part ; l’intégration de ses coreligionnaires, d’autre part. Il acquiert sa stature publique sous la monarchie de Juillet, en tant qu’avocat à la Cour de cassation. Député de Chinon en 1842, ministre de la Justice dans le gouvernement provisoire en 1848, il est vite écarté de la vie politique, puis entre dans l’opposition, après avoir condamné le coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte (dont il avait soutenu la candidature à la présidence de la République). Lié à la franc-maçonnerie, il est également président du Consistoire, et milite en faveur des juifs de France et d’Orient : il obtient ainsi la suppression du more judaico (serment spécifique imposé aux juifs amenés à plaider devant un tribunal), fait libérer plusieurs israélites arrêtés à Damas, crée la première école talmudique au Caire, et contribue à la fondation de l’Alliance israélite universelle, qu’il préside à partir de 1864. Réélu député à Paris en 1869, il retrouve le poste de ministre de la Justice dans le gouvernement de la Défense nationale en 1870, année où il s’illustre par son célèbre décret. Creusot (Le), grand ensemble sidérurgique et grande ville industrielle situés en Saône-et-Loire, dont la principale phase de développement s’ouvre dans les années 1830. L’histoire industrielle du Creusot commence à la fin du XVIIIe siècle, avec l’exploitation systématique du charbon local pour fondre le fer. Travaillant essentiellement pour la marine, la Fonderie royale, qui compte 4 hauts fourneaux et quelque 1 500 ouvriers en 1785, fait déjà figure de géante industrielle. Mais Le Creusot prend son véritable essor après le rachat des usines par un groupe d’hommes d’affaires, dont deux Lorrains, les frères Schneider. En 1836, ils fondent la Société des forges et ateliers du Creusot. • L’âge d’or. Le développement du Creusot est étroitement lié à l’histoire de la dynastie
Schneider. En 1838, on y construit la première locomotive française. Symbole de l’industrialisation de la France dans la seconde moitié du XIXe siècle, la compagnie connaît une croissance quasi ininterrompue jusqu’à la Première Guerre mondiale. Sous la présidence d’Eugène Schneider, qui fut aussi maire et député du Creusot, ainsi que vice-président puis président du Corps législatif sous le Second Empire, la variété et la qualité de ses produits (matériel ferroviaire, artillerie) permettent de concurrencer la très puissante sidérurgie anglaise. Après la mort d’Eugène Schneider, en 1875, la croissance se poursuit, sous la houlette de son fils Henri, puis de son petit-fils Eugène, malgré une période de crise entre 1882 et 1887. En 1914, les usines du Creusot emploient 15 000 ouvriers - sur une population de 38 000 habitants. L’acier occupe alors une place prépondérante dans la production. • Un capitalisme paternaliste. Ce développement ne saurait être compris indépendamment du système mis en place par les Schneider, et qui peut être considéré comme l’un des sommets du paternalisme industriel. Alors que, jusqu’à la fin du XIXe siècle, la majeure partie de la production industrielle française dépend encore de petits ateliers ruraux ou urbains, le souci constant des Schneider est de fixer, discipliner et former la main-d’oeuvre dans une grande ville-usine constituant un système clos. Dès 1837, des écoles sont créées pour assurer la formation des futurs employés de la compagnie, une initiative en rupture avec la tradition de transmission du savoirfaire ouvrier dans l’atelier. D’autre part, considérant que la préservation de la famille et de la propriété sont les meilleurs moyens d’assurer la moralisation et la « reproduction » de la main-d’oeuvre sur place, les Schneider prennent progressivement en charge tous les aspects de la vie des Creusotins : santé, logement, retraite, allocations familiales. La dépendance de la population à l’égard des Schneider, le poids politique de la dynastie, rendent toute opposition difficile, ou radicale. Les grèves sont peu nombreuses, mais dures : en 1870, les ateliers, puis les mines, sont paralysés ; la grève de 1899 donne lieu à un arbitrage du gouvernement et à la création des premiers délégués ouvriers, et celle de 1900, à l’exil de nombreux ouvriers hostiles aux Schneider.
• Crises et déclin. Après la Première Guerre mondiale, tout en restant une grande ville industrielle, Le Creusot, concurrencé par d’autres sites, perd de son importance. En 1936, la nationalisation de la fabrication des armes et les lois sociales du Front populaire, qui rendent le paternalisme obsolète, réduisent l’emprise des Schneider sur la ville. La reconstruction au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, puis l’édification européenne, la concurrence de nouveaux pays et de nouveaux matériaux, conduisent à d’importantes concentrations dans la sidérurgie française. Après la mort, en 1960, de Charles Schneider, dernier membre de la famille à la tête du groupe, la fusion des Forges et ateliers du Creusot avec les Ateliers et forges de la Loire donne naissance, en 1970, à Creusot-Loire, qui devient le premier groupe national pour les aciers spéciaux. Mais la crise frappe durement cette nouvelle société, qui fait faillite en 1984. Déclaré « pôle de conversion », Le Creusot doit faire face à la suppression progressive de 3 000 emplois, ainsi qu’à une reconversion douloureuse. Pour partie, ses usines, emblématiques de la croissance industrielle française au tournant du siècle, ont été transformées en musée. Crimée (guerre de), guerre qui dure, pour la France, de mars 1854 à septembre 1855, et qui a pour origine une crise religieuse et diplomatique, dont les enjeux directs sont le contrôle des détroits de la mer Noire et le maintien de l’influence française dans les régions ottomanes du Levant. Elle s’insère dans un conflit qui oppose la Russie à l’Empire ottoman soutenu par l’Angleterre, la France, le Piémont et l’Autriche. • L’enjeu ottoman. Depuis Louis XV, la France se considère comme la protectrice attitrée des chrétiens latins de Palestine. Ce protectorat sur les Lieux saints se heurte cependant aux revendications des chrétiens orthodoxes, protégés par la Russie. Après les incidents qui opposent des religieux catholiques et des moines orthodoxes à Jérusalem et à Bethléem, le tsar Nicolas Ier, qui reproche au gouvernement turc d’avoir accordé de nouveaux privilèges aux chrétiens latins (décembre 1852), imagine un plan de partage de l’Empire ottoman. Celui-ci, remanié et proposé au gouvernement anglais entre janvier et juillet 1853, démembrerait « l’homme malade de l’Europe » et permettrait à la Russie de contrôler la péninsule Balkanique en partageant avec l’Angleterre son influence
sur les Détroits. Contrairement aux attentes de Nicolas Ier, cette politique suscite l’opposition conjointe des Anglais et des Français, qui soutiennent la Porte. Lorsque les armées russes envahissent, en juillet 1853, les principautés ottomanes de Moldavie et de Valachie, Napoléon III a déjà fait aux Anglais des propositions d’alliance contre la Russie. La guerre russo-turque éclate officiellement en octobre 1853. Dès mars 1854, les Franco-Anglais entrent en lice aux côtés des Turcs, puis sont rejoints par le royaume de Piémont-Sardaigne en avril 1855 et, enfin, quelques jours avant la capitulation russe (décembre 1855), par l’Autriche, dont l’engagement avait été décidé un an auparavant. • Redonner du prestige à la France. On distingue deux grandes phases dans l’intervention militaire, présentée par Napoléon III comme l’occasion de mettre la France « à la tête des idées généreuses ». De la fin avril au début septembre 1854, le corps expéditionnaire français, commandé par le maréchal Saint-Arnaud, s’achemine de Marseille à Gallipoli et à Constantinople, où le rejoint le contingent anglais du général Raglan. Durant cette période d’attente et d’incertitudes, les armées franco-anglaises sont décimées par une épidémie de choléra, avant de mettre le cap sur la Crimée. Dans une seconde phase, du 1er septembre 1854 au 10 septembre 1855, ont lieu les principaux combats de l’expédition de Crimée proprement dite. Après la victoire de l’Alma (20 septembre 1854), les troupes françaises, anglaises et sardes fondent sur Sébastopol. Le siège de cette place forte défendue par Gortchakov et Todleben - épisode le plus marquant de la guerre - illustre la geste des sacrifices héroïques de l’armée française, commandée par Canrobert et Pélissier. La durée des opérations, la volonté de Napoléon III d’assurer le commandement en personne (auquel il renonce sous la pression des ministres), les rigueurs de l’hiver (malgré la « criméenne », pèlerine créée pour la circonstance), les difficultés de ravitaillement des troupes, la participation des zouaves de l’armée d’Afrique, sont autant de faits qui impressionnent l’opinion française. C’est la menace de l’intervention autrichienne qui incite les Russes à abandondownloadModeText.vue.download 246 sur 975
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ner la place, après la prise par Mac-Mahon de la tour Malakoff (8 septembre 1855), deux jours avant l’entrée des troupes françaises victorieuses. Le congrès de Paris réunit de février à avril 1856 les belligérants : le traité, signé le 30 mars, met fin officiellement au conflit en garantissant l’intégrité de l’Empire ottoman, sous le contrôle des grandes puissances. Le rôle joué par la France et le règlement du conflit sont interprétés comme un succès diplomatique de Napoléon III. Ce dernier a en effet réussi à bouleverser les rapports de force internationaux, instaurés par le congrès de Vienne et la Sainte-Alliance, en isolant la Russie, en se rapprochant de l’Angleterre et en donnant au Piémont-Sardaigne la possibilité de s’exprimer militairement et politiquement dans le concert des puissances européennes. l CRISE DES ANNÉES TRENTE. La crise française des années trente s’inscrit dans le contexte mondial de la Grande Dépression. Celle-ci, selon l’historiographie traditionnelle, débute avec le krach boursier de Wall Street du 29 octobre 1929, puis gagne l’ensemble des pays d’économie libérale au cours des deux années suivantes, provoquant un véritable effondrement social et une déstabilisation des démocraties européennes, générateurs du conflit mondial de 1939-1945. Malgré quelques signes annonciateurs, peu ou mal perçus, dès la fin des années vingt, la France est frappée par le marasme économique au cours de l’année 1931. Mais il est nécessaire de souligner la singularité du cas français. Le pays connaît en effet une crise multiforme - sociale, politique, morale, idéologique - qui culmine lors des événements du 6 février 1934 et qui révèle l’exaspération des passions. LA CRISE ÉCONOMIQUE ET SES EFFETS SOCIAUX Le premier problème que l’on rencontre à propos de la crise économique française des années trente concerne la chronologie de son déclenchement. Contrairement à la thèse longtemps soutenue d’une crise qui n’aurait touché la France que tardivement, durant le second semestre de l’année 1931, des recherches récentes ont montré le caractère précoce du retournement de conjoncture dans l’Hexagone : dès 1928, la production textile, suivie en 1929 par les activités sidérurgique et automobile, amorce un repli ; le solde de la balance commerciale se dégrade à partir
de 1928, tandis que les cours en Bourse fléchissent à partir de février 1929. Ces signes d’un ralentissement, attribué pour partie à la stabilisation du franc par Raymond Poincaré en 1928, qui aurait réduit l’avantage de change résultant de la dépréciation monétaire, restent toutefois invisibles : dans des secteurs traditionnels, tel le textile, activité en osmose avec le milieu rural, le sous-emploi peut être aisément absorbé par les tâches agricoles. En outre, les statistiques concernant les chômeurs ne seront élaborées qu’à partir de 1931. La propagation de la dépression, toutefois, n’intervient qu’à partir du troisième trimestre de 1931, en liaison avec la dévaluation de la livre sterling, le 21 septembre 1931, qui rend attractifs les produits étrangers et renchérit les exportations françaises. Tout indique que la crise s’accuse : le recul de la production industrielle, l’accroissement du nombre de chômeurs, la diminution du volume des échanges et le déficit extérieur, et, enfin, résultant de tout cela, le déficit budgétaire, qui devient chronique. Si la chronologie de l’entrée dans la crise reste un sujet de controverses, les historiens s’accordent sur la moindre ampleur du phénomène - plus limitée qu’ailleurs - et sur sa persistance exceptionnelle. Contrairement aux autres grands pays industriels, le recul de la production industrielle entre 1930 et 1935 n’a en effet pas dépassé 27 % ; le nombre de chômeurs, aux alentours d’un million, reste bien en deçà du chômage massif qui frappe les États-Unis et l’Allemagne. En outre, alors qu’à partir de 1933 des signes de reprise apparaissent dans d’autres pays, la France s’enfonce plus profondément dans la crise, et atteint le creux de la vague en 1935. Ces deux caractéristiques - moindre brutalité et prolongement de la crise - résultent de la faiblesse des structures de l’économie française (dont les entreprises, de taille réduite, sont moins intégrées au échanges internationaux et moins dépendantes du crédit) mais aussi de la politique adoptée par les gouvernements successifs. Ceux-ci recourent en effet au protectionnisme autant pour assurer la survie d’un appareil productif menacé que pour maintenir un équilibre social fondé sur la prédominance d’une classe moyenne indépendante de petits et moyens producteurs : à partir de 1931, un système de contingentements limite la quantité de produits importables. Pour freiner la baisse des prix, l’État encourage un certain malthusianisme, en incitant, par exemple, les agriculteurs à dénaturer une partie de la production de vin ou de sucre (distillations),
ou en poussant les producteurs industriels à conclure des accords de cartellisation. Si ces mesures parviennent à ralentir le mouvement des faillites, elles figent les situations acquises et freinent l’investissement : l’effet immédiat de la crise est amorti, mais l’avenir est obéré et la fin des difficultés, retardée. Un autre choix politique - le maintien de la valeur du franc - a également pesé dans l’approfondissement de la crise. L’économie française s’est trouvée particulièrement pénalisée par la dévaluation de la livre sterling : le changement de valeur de la monnaie britannique, suivi par la dépréciation de quarante autres monnaies, introduit un écart important entre les prix mondiaux et les prix français, surévalués de 20 %. Le flottement et la dévaluation du dollar, en 1933-1934, accroissent encore la différence. Mais, dans le domaine monétaire, il existe alors en France un sentiment quasi unanime, chez les gouvernants de droite ou de gauche et dans l’opinion publique, pour repousser l’idée de dévaluation, jugée à la fois « malhonnête », puisque portant atteinte à l’épargne, et « dangereuse », car susceptible de déchaîner l’inflation. Aussi, les gouvernements recourent-ils dès 1933 à des pratiques déflationnistes destinées, par la réduction de la masse monétaire, à provoquer une baisse du niveau des prix français. Édouard Daladier en 1933, Gaston Doumergue en 1934 et, surtout, Pierre Laval en 1935 mettent en oeuvre une politique de réduction des dépenses publiques en décrétant la baisse des traitements des fonctionnaires ; Laval décide même une diminution autoritaire des prix des produits de première nécessité afin de permettre aux entreprises d’alléger leurs coûts salariaux. Ces efforts n’aboutissent guère ; il semble même que, du fait de la crise de pouvoir d’achat qui résulte de la politique déflationniste, la sousconsommation ait encore aggravé la situation économique. La dépression atteint l’ensemble des Français, soit directement, par la crise du système productif, soit indirectement, par l’effet des mesures prises pour lutter contre elle. Si certaines catégories - titulaires de pensions et retraites, propriétaires fonciers, membres des professions libérales - sont plus épargnées que d’autres, la dépression et ses conséquences atteignent plus particulièrement les producteurs indépendants et les salariés. Certes, le nombre des cultivateurs, petits entrepreneurs et commerçants ne diminue pas, les dirigeants se montrant soucieux de sauvegarder ces catégories, considérées comme une des bases sociales du
régime, mais leur pouvoir d’achat se trouve amputé de 20 à 30 % en raison de la baisse des prix. Les salariés de l’industrie, quant à eux, perdent beaucoup moins en termes de pouvoir d’achat, mais ils sont durement touchés par le chômage qui frappe, à la veille des élections de 1936, plus de 860 000 travailleurs, dont la moitié seulement bénéficie de secours ; cette précarité et la crainte de perdre son emploi dissuadent par ailleurs les éventuels mouvements de contestation et de grève. Enfin, les fonctionnaires bénéficient, dans un premier temps, de la baisse des prix, mais ils sont ensuite directement atteints par les mesures de compression budgétaire. Cet appauvrissement conjoint des classes populaires et des classes moyennes suscite un mécontement et une aspiration à une autre politique, qui explique en partie la formation du Front populaire à partir de 1934. LA CRISE DU RÉGIME PARLEMENTAIRE Comme en d’autres pays, le trouble provoqué par la dépression ne reste pas sans effet sur la sphère politique. Alors que le régime se révèle incapable de remédier aux difficultés du moment, des mouvements multiformes remettent en cause ses principes et son fonctionnement, tandis que les forces politiques traditionnelles subissent le contrecoup du désarroi politique et moral. Alors que, pendant la législature 1928-1932, des gouvernements de centre droit (Poincaré, Tardieu, puis Laval) dirigent le pays durant les dernières années de prospérité, les élections de 1932 sont remportées par une coalition « cartelliste », regroupant les radicaux et le Parti socialiste (SFIO). Ces deux composantes de la gauche n’ont toutefois pas de programme commun et divergent quant aux mesures à prendre : la SFIO est favorable à des nationalisations et à l’établissement d’un impôt sur le capital, auxquels s’opposent les radicaux, défenseurs de la propriété et partisans d’une politique financière « orthodoxe ». Les socialistes n’entrent pas dans le gouvernement d’Édouard Herriot. downloadModeText.vue.download 247 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 236 Nommé président du Conseil en juin 1932, il ne recueille pas une majorité suffisante pour faire passer ses propositions d’économies et de rigueur budgétaire, et il démissionne en décembre 1932. Pas moins de cinq ministères à dominante radicale (Paul-Boncour, Dala-
dier, Sarraut, Chautemps, puis de nouveau Daladier) se succèdent de décembre 1932 à février 1934, sans qu’aucun ne puisse résoudre les contradictions au sein de la gauche parlementaire. À la fréquence des crises ministérielles et à l’absence d’une ligne politique claire s’ajoutent les effets négatifs dans l’opinion de la révélation de scandales financiers (Hanau, Oustric et Stavisky). Même s’ils ne concernent qu’une frange limitée de la classe politique, ils sont exploités par une grande partie de la presse, et jettent un discrédit sur l’ensemble du personnel parlementaire. Il n’est donc pas étonnant, dans ces conditions, qu’en dehors du Parlement et des partis traditionnels, apparaissent des organisations contestataires qui mettent en cause, non seulement la manière dont le pays est gouverné, mais encore le régime lui-même. Ces formations - les ligues ne cherchent pas à participer directement à l’action électorale, mais à exercer une pression par la rue. Héritières du boulangisme, des ligues antidreyfusardes, des groupes des années 1924-1926 hostiles au Cartel des gauches, elles sont un avatar du courant de droite antiparlementaire qui, périodiquement, durant les phases de troubles, s’était déjà dressé contre la République. Si elles affichent un goût commun pour les démonstrations de rue d’allure militaire (défilés en uniformes avec bannières et drapeaux, rassemblements motorisés), les ligues n’ont guère de projet cohérent en matière politique. Unanimes dans la condamnation du parlementarisme, jugé corrompu et inefficace, elles divergent quant à la nature du régime à instaurer... quand elles ont une idée sur la question. La plus ancienne, l’Action française, prône la restauration d’une monarchie traditionnelle et autoritaire, en rupture avec les principes de la Révolution française : mais, malgré le prestige intellectuel de son maître à penser, Charles Maurras, l’organisation est devenue très minoritaire dans les rangs de la droite antiparlementaire. L’influence proprement « fasciste » - visant à établir un régime appuyé sur un encadrement totalitaire - est restée cantonnée à quelques groupes (Francisme de Marcel Bucard). Les Jeunesses patriotes de Pierre Taittinger, fondées dans les années vingt et issues de la vieille Ligue des patriotes de Paul Déroulède, militent pour un renforcement du pouvoir du président de la République face à un Parlement dont les droits d’initiative et d’amendement seraient limités. Les déclarations, souvent vagues en matière institutionnelle, du colonel de La Rocque, chef des Croix-deFeu (formation issue d’un groupe d’anciens
combattants), laissent également supposer que les préférences de celui-ci allaient à une République à forte prédominance présidentielle. Dans le cas des Jeunesses patriotes comme dans celui des Croix-de-Feu, on se trouverait, selon l’interprétation classique de l’historien René Rémond, en présence d’une sensibilité de type « bonapartiste ». Les ligues, influentes chez les anciens combattants et dans les milieux catholiques conservateurs et nationalistes, ne jouèrent cependant qu’un rôle beaucoup plus limité que celui auquel elles aspiraient : l’émeute du 6 février 1934, moment culminant de la crise politique, n’aboutit qu’à un changement de majorité parlementaire. Une coalition dite « d’Union nationale », qui regroupe les députés radicaux et ceux de la droite et du centre droit, remplace en effet, sous la houlette de Gaston Doumergue, la majorité cartelliste issue des élections de 1932. Toutefois, l’agitation ligueuse n’est pas la seule réaction politique aux insuffisances, réelles ou supposées, du régime parlementaire. En effet, les difficultés des années trente remettent à l’ordre du jour la campagne pour la « réforme de l’État », critique fort ancienne du poids excessif du Parlement dans l’équilibre général des pouvoirs. En fait, ce terme très général désigne des propositions de nature très variées, visant notamment à modifier les dispositions constitutionnelles : extension du corps électoral par l’instauration du vote féminin et du « vote familial », cher à la droite parlementaire, catholique et conservatrice ; élargissement du collège présidentiel ; établissement du référendum ; restauration du droit de dissolution de la Chambre des députés par suppression de l’avis conforme du Sénat, exigé par les textes de 1875 ; promotion d’une Chambre assurant la représentation des intérêts économiques. Toutes ces propositions sont défendues par des fractions réformistes de la classe politique. Au centre droit, André Tardieu se fait le propagandiste acharné de certains de ces thèmes au cours de plusieurs campagnes de presse et dans diverses publications (l’Heure de la décision, 1934). À gauche, les Jeunes-Turcs du Parti radical (Gaston Bergery, Pierre Cot, Pierre Mendès France, Jean Zay...) réclament eux aussi un renforcement de l’exécutif. Ils restent toutefois minoritaires. Plus modestement, certains se bornent à réclamer une rationalisation du travail parlementaire - respect des échéances, délimitation du rôle des commissions, limitation de l’initiative en matière de dépenses - et la création d’une véritable présidence du Conseil, institution
coutumière non prévue par les textes constitutionnels de 1875. Alors que ces projets de réforme soulèvent de vives oppositions des députés et des sénateurs, le pouvoir exécutif parvient à s’imposer par l’organisation officielle des services de la présidence du Conseil à partir de 1935 et par la pratique fréquente des décrets-lois après 1934. La crise des années trente s’est donc soldée en ce domaine par une importante mutation, passée alors inaperçue. LA CRISE DU LIBÉRALISME Au-delà des aspects matériels et de l’aménagement des institutions, c’est bien une réflexion globale sur l’organisation et les finalités du corps social qui traverse les années trente. La philosophie libérale, fondée sur l’individualisme rationaliste, et son système économique, respectueux des mécanismes de régulation par le marché, font l’objet de critiques diverses : les uns veulent « organiser » le libéralisme ; d’autres le rejettent, donnant à leur refus un caractère romantique ou spiritualiste ; la crise, enfin, suscite des réflexions nouvelles chez les socialistes, ennemis de toujours du libéralisme. Les tenants du « libéralisme organisé » se recrutent dans des cercles de hauts fonctionnaires et de cadres supérieurs, tel le Centre polytechnicien d’études économiques (X Crise) de l’industriel Jean Coutrot. Constatant les évidentes défaillances des mécanismes du marché, ils préconisent, pour les secteurs concentrés de la grande industrie, des accords de cartel qui permettraient une coordination rationnelle de l’activité industrielle et une croissance équilibrée. Cette planification souple, qui ne mettrait pas en cause la propriété des entreprises, conduirait à donner une place croissante aux dirigeants de l’économie dans la conduite des affaires publiques. On discerne sans peine, dans cette conception, l’origine de la pratique technocratique du pouvoir qui, après Vichy, va s’épanouir sous les IVe et Ve Républiques. Il faut toutefois remarquer que ces idées, encore confinées dans des milieux restreints, visaient à améliorer le système libéral, et non à l’abolir. Le refus du libéralisme est, au contraire, beaucoup plus profond dans d’autres cercles d’intellectuels, inspirés par le catholicisme, les « non-conformistes ». Certains d’entre eux, dans la lignée réactionnaire de l’Action française, réclament une restauration traditionaliste des corporations, censées abolir les conflits de classe, et souhaitent une remise en honneur officielle des valeurs religieuses,
au mépris de la laïcité. D’autres encore entreprennent une démarche toute nouvelle, conciliant critique du libéralisme et réflexion sur la modernité. Groupés autour de la revue Esprit, créée en 1932, et d’Emmanuel Mounier, ils se font les apologistes du « personnalisme », fondé sur le rejet de toutes les oppressions - capitaliste, communiste ou fasciste -, mais aussi sur la promotion de l’homme comme être social, en opposition avec la sèche abstraction du libéralisme rationaliste. La réflexion de Mounier aboutit donc à un renouvellement de la pensée sur la démocratie. Le socialisme n’est pas absent du débat des années trente. Mais, pour la SFIO, qui se réfère toujours officiellement à la doctrine marxiste orthodoxe, le seul problème posé reste de nature stratégique : comment arriver au pouvoir et y assurer le passage à la société nouvelle ? Au début des années trente, certains intellectuels socialistes subissent l’influence des thèses de Marcel Déat, qui préconise la constitution d’un pouvoir fort, fondé sur l’alliance du prolétariat et des classes moyennes, organisé dans le cadre national. Pensant y discerner une apologie de l’État autoritaire, la majorité du parti suit Léon Blum quand celui-ci demande, en 1933, l’exclusion de ces « néo-socialistes ». Par ailleurs, tout un courant planiste, groupé autour de Georges Lefranc et de Révolution constructive, inspiré par les théories du Belge Henri de Man, prône la mise en place d’une économie mixte, fondée sur la nationalisation des secteurs clés et une planification placée sous le contrôle d’un conseil économique. Ces idées, essentiellement axées sur le thème du passage du libéralisme au socialisme, connaissent une certaine vogue à la CGT. downloadModeText.vue.download 248 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 237 Enfin, la recherche d’une solution radicale, susceptible d’aboutir à la destruction totale du vieux monde libéral, a animé d’autres intellectuels. Certains, tels Robert Brasillach et la rédaction de Je suis partout, notamment à partir de 1936, affichent leur sympathie pour le fascisme. Cette adhésion relève surtout d’une mystique qui exalte romantiquement le vitalisme, le sens de la « camaraderie » et de la jeunesse, mais elle ne les conduira pas moins, quelques années plus tard, à se faire les complices des crimes commis par les hitlériens. D’autres, tel Paul Nizan, révoltés contre le
monde bourgeois, choisissent la bannière du communisme, porteur d’une promesse révolutionnaire. Mais, malgré la création de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR) en 1932, les rapports entre les intellectuels et le PCF resteront complexes : André Gide ne prend-il pas ses distances avec le parti au retour de son voyage en URSS, en 1936 ? « L’esprit des années trente » (Jean Touchard), caractérisé par un foisonnement idéologique parfois confus et contradictoire, perdure jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Mais, à partir de 1936, la vie politique se bipolarise. Les forces de gauche, en réaction à ce qu’elles dénoncent comme un danger « fasciste », se coalisent. Des reclassements s’opèrent. On entre alors dans une nouvelle phase, celle du Front populaire. crise de subsistances, crise résultant d’une raréfaction des céréales panifiables (les « bleds »), qui entraîne une hausse rapide et durable des prix. Elle est liée à la place dominante qu’occupent les grains (froment, seigle, sarrasin, maïs) dans l’alimentation populaire de l’Ancien Régime. Derrière le problème de la crise se profilent trois questions essentielles : la relation entre crise et mortalité, la hantise de la famine et la politique des pouvoirs publics. Certains historiens (Jean Meuvret, 1946 ; Pierre Goubert, 1952) ont affirmé qu’il existait jusqu’en 1720 un système de production fragile auquel se serait appliquée la théorie des ciseaux malthusiens : la mortalité extraordinaire règle tout déséquilibre entre niveau de population et niveau des subsistances. Mais, depuis les années soixante, d’autres dénoncent « la légende noire de la faim de l’Europe moderne » (Pierre Chaunu). La crise de 16931694, qui affecte l’ensemble du royaume avec la mort de 10 à 15 % des Français, correspond à un fort déficit en grains qui fait suite à deux étés frais et pluvieux. Mais la faim ne tue pas directement. Elle accentue la mortalité épidémique, et le mécanisme régulateur est la nuptialité. À partir de 1720, la famine disparaît grâce au progrès des systèmes de stockage et de conservation des grains, lié à l’amélioration des moyens de communication. Paradoxalement, « l’émeute remplace la famine » (André Burguière). Le peuple réclame le juste prix et condamne les « accapareurs », complices dans le « pacte de famine » (Jacques Dupâ-
quier). Rentiers de la terre, marchands, voituriers, boulangers, sont soupçonnés de stocker les grains et de spéculer sur les prix. Les pouvoirs publics veillent donc à assurer en permanence l’approvisionnement des marchés urbains et ruraux par un strict contrôle de la circulation, du prix et du débit des céréales. En cas de crise, les intendants n’hésitent pas à faire réquisitionner les grains, à acheter du blé, à l’étranger s’il le faut, et à organiser des distributions. À partir de 1760, une expérience libérale est menée sur le modèle anglais. Le « bon prix » des blés est fondé sur la loi de l’offre et de la demande. La libre-circulation est autorisée avant qu’une série de crises, de 1764 à 1776, ne fassent flamber les prix et ruinent ce projet (la « guerre des farines », en 1775). Les cris de la foule, qui conduit le 6 octobre 1789, de Versailles à Paris, le roi, la reine et le dauphin, devenus « le boulanger, la boulangère et le petit mitron », sont révélateurs des liens unissant le roi « nourricier » et son peuple tout au long de l’Ancien Régime. crises démographiques. En quelques semaines, en quelques mois, la mort fauche une part notable de la population d’une paroisse rurale, d’une ville, d’une région : voilà, avant les indispensables et nombreuses nuances, ce qu’est d’abord une crise démographique dans la France du Moyen Âge - nous en savons très peu -, et des temps modernes. Cette envolée de la mortalité s’accompagne, en général, d’une raréfaction - voire de l’interruption [---] des mariages pendant plusieurs mois, pour des raisons faciles à comprendre quand on pense à la fête, dispendieuse, qu’il est de tradition d’organiser. Elle s’accompagne aussi d’une diminution des naissances, en raison du décès de femmes enceintes et, surtout, d’un déficit de conceptions. Maladie qui désunit quelque temps le couple, aménorrhée de famine pour une partie des femmes, voire abstinence ou pratiques contraceptives, peuvent se combiner pour expliquer ce phénomène, en partie compensé par une reprise des naissances dès la fin de la crise. Ainsi définie, la crise démographique entre de manière spectaculaire dans l’histoire, en 1946 seulement, avec un article de Jean Meuvret, puis de manière irréversible avec la célèbre thèse que Pierre Goubert consacre au Beauvaisis (1958). C’est à partir de cette époque que
les historiens découvrent les extraordinaires richesses des registres paroissiaux, ancêtres de notre état civil, et que la notion de crise démographique commence à figurer dans les manuels scolaires. • « C’est la misère qui tue. » Cependant, la définition technique et statistique, essentielle, ne suffit pas à rendre compte des véritables dimensions de cette réalité fondamentale que chaque Français vit, jusqu’au XVIIIe siècle, une fois tous les trente ans en moyenne, pour les très graves crises, et bien plus souvent à certains moments. Il manque, tout d’abord, la dimension concrète, humaine, qui varie considérablement en fonction de la nature des crises. Les plus classiques naissent d’une mauvaise récolte de céréales. Un accident climatique - hiver trop rigoureux ou, plus souvent, printemps pourri - en est le responsable initial. La récolte s’avère mauvaise, parfois catastrophique, et chacun sait, dès lors, que l’année à venir sera difficile. La crise de subsistances représente donc la chronique d’une mort annoncée : faire venir des céréales de régions moins affectées ou de l’étranger est long et, surtout, coûteux, car il faudrait les distribuer à prix bradés à des miséreux incapables de les payer. La rareté des vivres provoque une hausse des prix, accentuée par la spéculation, qui touche de plein fouet les plus pauvres, lesquels ne peuvent acheter en gros au lendemain de la récolte, et vivent au jour le jour. Ce sont ceux-là que la mort frappe parmi les foules qui errent dans les campagnes et surtout aux abords des villes en espérant quelque secours. Le pire est atteint à la fin du printemps, quand la récolte précédente est totalement épuisée, et avant l’arrivée de la nouvelle : moment de la « soudure », de la flambée maximale des prix, du recours aux aliments les plus détestables, des corps décharnés et des ventres gonflés, des cadavres sur les chemins... La crise de subsistances se révèle donc très inégalitaire sur le plan social : elle ne touche les classes moyennes que dans leur bourse, et pas du tout les plus riches, qui, parfois même, en profitent, grâce à la vente spéculative de grain. Cependant, la réalité est rarement aussi simple. En effet, l’entassement de miséreux vivant dans des conditions d’hygiène épouvantables entraîne souvent le développement de maladies contagieuses, si bien qu’il s’avère très difficile de déterminer avec précision ce qui tue réellement, sinon en recourant à la très juste formule de l’historien
Marcel Lachiver : « C’est la misère qui tue », tout simplement. • « A peste, fame et bello, libera nos, Domine ! » Dans ce contexte, mais, parfois, indépendamment de tout problème de subsistances, se répandent, à certains moments, de terribles épidémies de peste. La plus célèbre, la Peste noire (1348), a pu faire disparaître, localement, jusqu’au tiers de la population. La maladie reste endémique jusque vers 1640, avec des poussées souvent locales mais responsables de pertes terribles, atteignant 10 % et, parfois, jusqu’à 20 % de la population d’une paroisse : une violence qu’illustre bien le retour localisé de la peste à Marseille, en 1720. La gloire macabre de la peste - telle que le terme entre dans l’usage pour désigner à peu près toutes les maladies contagieuses ne doit pas, cependant, faire oublier l’autre terrible tueuse qu’est la dysenterie. Cette dernière ravage en particulier les provinces de l’Ouest, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Si l’on ajoute que les soldats peuvent propager l’épidémie, et, parfois, provoquer une crise de subsistances localisée en détruisant les récoltes, on comprend la prière qui associe les trois maux : « De la peste, de la faim et de la guerre, libère-nous, Seigneur ! » • Un terrible bilan, à nuancer. Il est difficile de mesurer avec précision l’effet global de ces crises démographiques, faute, on s’en doute, de documents statistiques ; cette ignorance nuit certainement encore à une juste perception de leur importance. Une dysenterie telle que celle qui frappe la haute Bretagne, downloadModeText.vue.download 249 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 238 le Maine et l’Anjou en 1639 fait quelque 100 000 victimes. Il s’agit d’une petite crise, à l’échelle régionale, qui ne laisse des traces que dans les ouvrages spécialisés. La grande crise de subsistances de 1693-1694 entraîne, quant à elle, un déficit d’environ 280 000 naissances et, surtout, tue quelque 1 300 000 personnes dans une France qui compte à peu près 22 millions d’habitants. Marcel Lachiver souligne que, toutes proportions gardées, c’est autant, en deux ans, que les victimes françaises de la Première Guerre mondiale, et sensiblement autant que toutes celles des guerres de la Révolution et de l’Empire... Un tel exemple - probablement la plus terrible
des crises de subsistances - permet de mesurer à quel point la découverte de la réalité des crises démographiques conduit à réévaluer notre perception du passé, en particulier celle du « Grand Siècle » de Louis XIV. • La disparition des crises dues à la famine. Il est vrai, cependant, que la comparaison avec des drames plus récents rencontre vite ses limites. Ces crises démographiques frappent, en effet, des populations capables de combler rapidement au moins une partie des vides, grâce à une très forte natalité. En outre, une bonne partie de la France voit disparaître ces crises à partir du milieu du XVIIIe siècle. Les progrès, si modestes soient-ils, de l’hygiène, de la médecine, de l’agriculture, des transports, de l’administration, en cumulant leurs effets, expliquent largement une évolution essentielle dans un domaine au moins : après l’effroyable hiver de 1709, on ne meurt plus de faim en France, et les famines deviennent de simples disettes. Le reste est une question d’hygiène, d’état sanitaire - les terribles effets du choléra en 1832, et à plusieurs autres reprises au XIXe siècle, apparaissent comme la rançon de l’entassement urbain -, ou bien le fruit des guerres, qui, à partir de la Révolution et de ses armées de conscription, commencent à tuer beaucoup d’hommes. Les esprits, eux, demeurent marqués bien plus longtemps. L’émotivité des populations face à la moindre menace de famine joue ainsi un rôle très important au XVIIIe siècle, y compris durant la Révolution : la foule qui, en octobre 1789, ramène de Versailles à Paris « le boulanger, la boulangère et le petit mitron » (le roi et sa famille), fait déterminant pour la suite des événements révolutionnaires, prouve que la mémoire des ventres est bien plus forte que les constats cliniques tirés des registres paroissiaux. croisade des enfants ! enfants (croisade des) croisade des pastoureaux ! pastoureaux (croisade des) l CROISADES. Expéditions massives menées par l’Occident chrétien contre les musulmans d’Orient, les croisades ont d’abord pour but la reconquête de la Terre sainte et la libération des Lieux saints de Jérusalem. On distingue traditionnellement huit croisades entre 1095 et 1270, auxquelles il convient d’ajouter de nombreuses autres expéditions, de moindre envergure. Des premières
bandes de pèlerins à l’organisation militaire des expéditions, l’esprit des croisades - voeu de pénitence, promesse de récompenses spirituelles - marque de son sceau la Chrétienté ; il correspond à ce moment, à la fois mémorable et sans lendemain, où la papauté tente d’unifier l’Europe sous la bannière théocratique. L’idée de croisade naît à la fin du XIe siècle de la conjonction de facteurs politiques, sociaux et religieux. Sur le plan politique, il s’agit de la menace que font peser sur l’Empire byzantin les Turcs Seldjoukides récemment convertis à l’islam et qui mettent en déroute à Manzikert (1071) les armées byzantines. L’avance des Turcs jusqu’aux rives du Bosphore conduit l’empereur de Constantinople à demander une aide militaire à l’Occident chrétien. Dès 1074, le pape Grégoire VII envisage d’organiser une expédition pour secourir l’Empire d’Orient et reconquérir Jérusalem, aux mains des musulmans depuis 638. Toutefois, le conflit qui oppose, sous son pontificat, la papauté à l’Empire germanique (Henri IV) ne permet pas la réalisation de ce projet. Son successeur, le pape français Urbain II, répond favorablement à une probable demande d’aide militaire de l’empereur grec Alexis Comnène (1095), espérant sans doute obtenir par ce moyen une réconciliation avec l’Église d’Orient (orthodoxe), brouillée depuis l’excommunication par Rome du patriarche de Constantinople en 1054. À la fin du concile de Clermont, le 27 novembre 1095, Urbain II lance aux chevaliers présents un appel à partir pour Jérusalem afin d’y libérer les Lieux saints et, en particulier, le Saint-Sépulcre, et de venir ainsi au secours des chrétiens d’Orient récemment chassés de leurs terres par les Turcs. L’aspect social de cet appel rejoint les questions de paix abordées au concile de Clermont : faute de pouvoir extirper la « guerre privée » des moeurs des chevaliers, le pape tente de leur fournir un exutoire en rappelant que la guerre entre chrétiens est périlleuse pour l’âme alors que le combat contre les infidèles est méritoire. Ce faisant, il oppose la chevalerie du siècle (militia saeculi) à la nouvelle chevalerie du Christ que constituent les croisés. L’expédition revêt ainsi un double aspect religieux, à la fois pèlerinage et guerre sacralisée. C’est un pèlerinage, car l’expédition a pour but Jérusalem, le tombeau du Christ ; ceux qui y prennent part se nomment eux-mêmes pèlerins. Urbain II, tant à Clermont que dans ses lettres ultérieures, insiste sur ce caractère de pèlerinage pénitentiel ; il a en effet prescrit aux chevaliers d’entreprendre ce voyage « pour le pardon de leurs péchés ». Mais c’est aussi une « guerre juste », selon les critères de saint Augustin, précisés et systématisés par les canonistes des XIe et XIIe siècles
(Gratien). Elle a pour but l’aide aux frères d’Orient et la reconquête des terres jadis chrétiennes prises par la force ; elle doit, en outre, être entreprise sans mobiles d’intérêts matériels, sur les ordres d’une autorité légitime, celle du pape, qui prétend ici agir en tant que chef d’une Église confondue avec la chrétienté tout entière. Pour cette même raison, la croisade revêt des traits de « guerre sainte » (ou, mieux, « sacralisée ») et, en tant que telle, elle donne lieu à des promesses de récompenses spirituelles : l’indulgence des péchés confessés pour ceux qui partent et, très probablement, la promesse du paradis, à l’instar des martyrs, pour ceux qui viendraient à périr sous les coups des infidèles. LA PREMIÈRE CROISADE (1095-1099) À Clermont, le pape fixe au 15 août 1096 le départ des croisés du Puy. Mais, bien avant cette date, plusieurs bandes de croisés partent du nord de la France et de l’Allemagne, à l’appel de prédicateurs dont nous ignorons le message. Le plus connu de ceux-ci, Pierre l’Ermite, jouit auprès des foules d’un prestige considérable. Il entraîne derrière lui de nombreuses troupes de gens désarmés, mais aussi de guerriers et même de chevaliers, dans un ensemble hétérogène que l’on a coutume d’appeler la « croisade populaire ». D’autres bandes de guerriers s’ébranlent à travers l’Allemagne sous la direction d’autres « inspirés », tels Gottschalk, Volkmar ou Emich de Leiningen. Ces groupes se livrent en cours de route à des pogroms, cherchant à convertir de force les juifs des communautés du Rhin et du Danube, et massacrant ceux qui s’y refusent. Il y a très probablement à ce comportement une signification eschatologique : selon des traditions prophétiques (non bibliques), dont Emich de Leiningen se croit le destinataire, certains pensent en effet qu’à la fin des temps se lèverait un roi franc qui convertirait tous les juifs, unirait l’Occident à l’Orient, et se rendrait à Jérusalem pour y remettre au Christ revenu son pouvoir terrestre. Ces troupes commettent de telles déprédations que les populations et les armées des territoires traversés (Hongrie) se dressent contre elles et les déciment ; seuls quelques survivants peuvent en réchapper et rejoignent l’armée de Pierre l’Ermite. Celle-ci arrive à Constantinople le 1er août 1096, traverse le Bosphore sans attendre les armées des princes (qui n’étaient pas encore rassemblées en Occident à cette date) et est exterminée par les musulmans. Les survivants, parmi lesquels Pierre
lui-même, rejoignent les troupes de Godefroi de Bouillon à Constantinople, où arrivent successivement les armées des princes (novembre-décembre 1096) : Godefroi, qui a suivi la même route que Pierre, puis le Normand Bohémond de Tarente, qui a traversé l’Adriatique, Raimond de Saint-Gilles et le légat du pape Adhémar de Monteil, venus par terre le long des côtes dalmates, Robert de Flandre, Robert de Normandie, Étienne de Blois, etc. Non sans réticences, ces princes prêtent serment de fidélité à l’empereur byzantin pour les terres à reconquérir, contre promesse de ce dernier de prendre part à l’expédition. Les croisés sont victorieux à Nicée, qu’ils assiègent et qui se rend aux contingents grecs (19 juin 1097), puis à Dorylée (1er juillet 1097). Ils traversent difficilement l’Anatolie, avant de faire le siège d’Antioche ; la famine et la maladie font ici des ravages. La ville est toutefois prise sept mois plus tard grâce aux tractations secrètes de Bohémond avec un habitant de la ville (3 juin 1098). Mais, dès le lendemain, les chrétiens y sont à leur tour assiégés par une grande armée musulmane dirigée par Karbuca, prince de Mossoul. Affaiblis, les croisés sont toutefois encouragés par la « découverte » de la sainte lance, « retrouvée » enfouie dans le sol de downloadModeText.vue.download 250 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 239 l’église Saint-Pierre à Antioche, selon les indications d’un « inspiré ». Ils défient Karbuca, qui, dans l’espoir de les exterminer, les laisse sortir pour livrer bataille. Les croisés chargent et mettent en déroute les troupes ennemies. Les Occidentaux attribuent cette victoire à l’intervention des armées célestes, les musulmans, à la défection subite et volontaire des alliés de Karbuca. Le monde musulman est en effet alors très divisé entre chiites (Égyptiens par exemple) et sunnites (Turcs) ; ceux-ci sont d’ailleurs eux-mêmes divisés en principautés rivales. Les croisés profitent de ces rivalités et se constituent eux aussi des principautés : Baudouin à Édesse, Bohémond à Antioche, avant de se diriger vers Jérusalem, qu’ils assiègent et prennent le 15 juillet 1099, et dont ils massacrent presque tous les habitants. Le 12 août 1099, ils écrasent à Ascalon une armée égyptienne venue pour reprendre la ville. Estimant être parvenus au terme de leur pèlerinage, la plupart des croisés s’en retournent chez eux ; ils seront peu à rester pour protéger les États latins du Levant
d’Orient que sont les principautés d’Édesse, d’Antioche, de Tripoli et le futur royaume de Jérusalem (institué en 1100). LES CROISADES AUX XIIe ET XIIIe SIÈCLES La faiblesse militaire de ces États latins pose alors un grave problème. Pour résister aux musulmans d’alentour, ils ne disposent que des armées féodales des princes d’Outremer, de contingents autochtones - pas toujours très fiables - recrutés par les princes, et des moines guerriers des ordres militaires créés au début du XIIe siècle (Templiers, Hospitaliers, Teutoniques). Après l’extermination presque totale, par les Turcs, d’une croisade de secours en 1101, la défense de ces États latins ne diffère désormais plus beaucoup (sinon par la sacralité éminente du Sépulcre) de celle des autres États chrétiens menacés par leurs ennemis païens (dans les régions baltiques) ou musulmans (en Espagne). C’est la raison pour laquelle les papes proclament des indulgences de croisade identiques pour les expéditions en Espagne ou en Terre sainte (Calixte II, 1125-1128). Il en sera de même au début du XIIIe siècle, mais, cette fois-ci, non plus contre des païens ou des musulmans, mais contre des hérétiques (cathares). Après la prise d’Édesse par les musulmans rassemblés par Zengi (1144), le pape Eugène III lance une deuxième croisade générale (1146-1149) et nomme comme prédicateur principal Bernard de Clairvaux. Celui-ci, qui la considère comme un moyen divin donné aux pécheurs de se racheter, doit intervenir dans le nord de la France et en Allemagne pour mettre fin à de nouveaux pogroms suscités par la prédication antisémite du moine cistercien Raoul. À l’appel du pape, cinq armées (dont celles du roi de France Louis VII et de l’empereur germanique Conrad III) convergent vers l’Orient, tandis que quatre autres vont combattre les Wendes (païens) vers la Baltique, et quatre autres encore en Espagne et au Portugal, à Minorque, Almería, Tortosa et Lisbonne. Néanmoins, la croisade en Terre sainte échoue : après avoir subi en Anatolie des revers militaires sans guère recevoir d’appui des Grecs, Conrad gagne Acre par mer, tandis que Louis VII se rend à Antioche, où Raymond de Poitiers, oncle de la reine de France Aliénor, lui conseille vainement d’attaquer Alep. Jaloux des rapports trop étroits qui semblent s’établir entre Aliénor et Raymond, le roi entraîne la reine et le reste de son armée vers Jérusalem, où il retrouve Conrad. Une expédition
commune contre Damas échoue piteusement (juillet 1148). Conrad, puis Louis VII rentrent en Occident sans avoir rien obtenu. Le roi de France échappe à une flotte de Byzantins, alors qu’Aliénor, voyageant sur un autre navire, tombe quelque temps entre leurs mains ; cet épisode illustre à la fois la mésentente qui règne désormais dans le couple royal (et qui doit conduire au divorce), et l’animosité accrue entre Grecs et Occidentaux. La croisade d’Espagne, en revanche a davantage de succès : Lisbonne, Almería, Lérida, sont prises par les croisés de la Péninsule, mais aussi par ceux de France, d’Italie, d’Allemagne et des PaysBas. L’échec de la croisade en Terre sainte a un énorme retentissement et provoque une profonde désillusion en Occident. Saint Bernard, qui l’avait prêchée, en subit l’opprobre et invoque, pour expliquer le désastre, les voies impénétrables de Dieu ; il ne peut toutefois atténuer le désenchantement et le durable affaiblissement de l’esprit de croisade. Celui-ci renaît pourtant, en 1187, après la déroute des armées d’Outremer à Hattin (4 juillet) et la prise de Jérusalem par le sultan Saladin (2 octobre), qui s’empare de la relique de la vraie croix. Le pape Clément III fait alors prêcher la troisième croisade (1188-1192) par son légat Henri d’Albano. Les principaux souverains d’Occident y prennent part : l’empereur germanique Frédéric Ier Barberousse suit la voie de terre de la première croisade, remporte quelques succès, mais se noie en traversant à gué une rivière de Cilicie (10 juin 1190), et son armée se désagrège. Le roi de France Philippe Auguste débarque à Acre assiégée le 20 avril 1191, où le roi d’Angleterre Richard Coeur de Lion le rejoint le 8 juin, après avoir conquis Chypre sur un usurpateur byzantin. Les croisés obtiennent la levée du siège, la restitution de la vraie croix et la libération de prisonniers chrétiens. Philippe Auguste regagne alors la France, laissant son rival anglais démontrer sa prouesse chevaleresque en Terre sainte. Toutefois, apprenant que son frère Jean complote contre lui, Richard rembarque à Acre le 9 octobre 1192, après avoir obtenu de Saladin la reconnaissance du royaume chrétien sur une frange côtière de Tyr à Jaffa, et le droit pour les pèlerins sans armes de se rendre à Jérusalem. Une nouvelle croisade allemande, en 1197, reprend aussi Beyrouth. La quatrième croisade (1202-1204), à l’initiative du pape Innocent III (qui lui attribue une indulgence élargie), est prêchée principalement en France par Foulques de Neuilly. Le passage par voie maritime a lieu
à Venise ; mais les croisés sont si nombreux qu’ils ne peuvent payer le prix exigé. Pour s’en acquitter, les chefs de la croisade acceptent de prendre pour les Vénitiens la ville chrétienne de Zadar, en Dalmatie, qu’ils pillent (novembre 1202) et où ils hibernent. Ils s’engagent peu après à rétablir sur le trône de Constantinople Isaac II Ange, renversé par un usurpateur. Toutefois, leurs exactions rendent l’empereur rétabli hostile aux Occidentaux. C’est la raison pour laquelle les croisés l’évincent et établissent un Empire latin, attribué à Baudouin de Flandre, qui durera jusqu’en 1261. Ainsi, au lieu de la libération de Jérusalem, la quatrième croisade aboutit au siège, à la prise, puis au pillage de Constantinople, capitale de l’Empire grec chrétien orthodoxe. De très nombreuses reliques y sont dérobées et emportées en Occident. Innocent III suscite également une croisade vers la région baltique (Livonie), présentée comme une contribution à la défense des missions chrétiennes dans cette région. En France, après l’assassinat de son légat Pierre de Castelnau, il exhorte les barons du Nord à une croisade contre les albigeois. Si celle-ci n’entraîne pas la totale disparition de l’hérésie, elle contribue à la mainmise du royaume de France sur les terres occitanes (traité de Paris, 1229). Innocent III proclame aussi une croisade en Espagne, qui aboutit à la victoire de Las Navas de Tolosa (1212), tournant décisif de la Reconquista. Toutefois, au grand scandale de nombreux croyants, Jérusalem demeure encore entre les mains des musulmans. En 1212, en Allemagne, puis en France, naît un mouvement populaire qui réclame sa « libération ». Cette « croisade des enfants » (peut-être faut-il entendre par « enfants » des petites gens) présente de nombreuses similitudes avec la première croisade populaire : aucunement soutenus par les autorités ecclésiastiques, ces « enfants » sont en partie détournés vers la croisade albigeoise, en partie dispersés en Lombardie, tandis que d’autres sont capturés en mer et vendus comme esclaves. Quant à la cinquième croisade (12171221), elle est surtout le fait d’éléments germaniques. Après quelques opérations militaires en Terre sainte, puis en Égypte (prise de Damiette), les croisés se font battre près du Caire et doivent rendre Damiette. La sixième croisade (1227-1229), est lancée par l’empereur germanique Frédéric II, pourtant excommunié. Celui-ci traite avec le sultan d’Égypte al-Kamil et obtient Bethléem, Nazareth et même Jérusalem, qui ne devait toutefois pas être fortifiée ;
cet accord avantageux dû à la diplomatie est mal accueilli par les chrétiens, qui y voient une trahison et la négation de l’idéal de croisade. D’ailleurs, en 1244, Jérusalem est reprise définitivement par les musulmans. Les croisades de Saint Louis (1248 et 1270) sont directement dictées par la perte de la Ville sainte. Prenant à sa charge les frais de l’expédition, le roi s’embarque à Aigues-Mortes en août 1248, et débarque en Égypte pour y affronter les musulmans. Le succès de Damiette (juin 1249) est suivi d’une défaite à Mansourah. Les croisés doivent se rendre ; Louis IX est fait prisonnier (avril 1250) ; libéré contre forte rançon, il demeure en Terre sainte plus de quatre ans, faisant fortifier plusieurs châteaux et laissant une centaine d’hommes en garnison. Après la reconquête systématique de la Palestine par les Mamelouks d’Égypte, Louis IX prend de nouveau la croix en 1267 ; il s’embarque en 1270 pour Tunis, imaginant peut-être que la ville est proche de l’Égypte, mais il meurt de maladie à Carthage, le 25 août 1270. En Terre sainte, les Mamelouks reprennent toutes les forteresses downloadModeText.vue.download 251 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 240 des chrétiens. La dernière, Acre, tombe en 1291. La mission et l’action des ordres religieux militaires en sont profondément modifiées : les Hospitaliers s’établissent à Rhodes, puis à Malte, continuant la lutte contre les musulmans sur mer, tandis que les Teutoniques se tournent contre les païens de la région baltique et constituent un État en Prusse. Les Templiers, quant à eux, accusés d’hérésie par Philippe IV le Bel et ses juristes, voient leur ordre supprimé en 1312. Dès lors, si la croisade en Terre sainte occupe toujours les esprits, elle demeure à l’état de projet ; désormais, on utilise la notion (et les privilèges) de croisade pour des opérations militaires de toutes sortes dirigées contre les musulmans, les hérétiques, les schismatiques et, plus généralement, tous les ennemis de la papauté, laquelle est souvent confondue avec la chrétienté. Le bilan des croisades est donc mince. L’historien Jacques Le Goff, en une boutade bien connue, le limitait à... l’abricot. D’un point de vue politique, il est clair que les États latins d’outre-mer n’ont pas survécu après 1291. Au niveau socioéconomique, le bilan n’est pas meilleur. L’Occident chrétien, de même que son adversaire musulman, a englouti dans ces expéditions lointaines, tou-
jours à recommencer, de nombreuses vies humaines et de grandes richesses. Les échanges commerciaux qui se sont développés alors entre l’Occident et le Proche-Orient sont pourtant bien réels : ils ont surtout profité aux villes marchandes d’Italie (Venise, Gênes, Pise...). On a souvent évoqué l’attrait pour les épices qui, venu d’Orient, se serait répandu en Occident à l’époque des croisades ; il n’est pas exclu de penser que cet attrait serait redevable aux seuls pèlerinages, et acquis d’une manière moins violente. En revanche, on peut dire que la perte des États latins d’outre-mer a contraint l’Occident à se procurer des épices, devenues indispensables, sans l’intermédiaire des États musulmans. En ce sens, c’est plus l’échec des croisades que les croisades ellesmêmes qui a suscité les grands voyages de découverte destinés à trouver la « route des Indes », et qui a conduit à la suprématie de l’Occident à partir du XVe siècle. En matière culturelle, il ne semble pas que les croisades aient beaucoup contribué aux échanges entre l’Islam et la Chrétienté : la société chrétienne d’outre-mer, comme toute les sociétés de type « colonial », avait somme toute peu de rapports avec les autochtones. Les échanges culturels furent plus intenses en Espagne ou en Sicile. En revanche la croisade, comme la Reconquista, a poussé l’Occident à mieux s’informer sur l’Islam, ne serait-ce que pour mieux s’y opposer : cet élan d’intérêt, né au XIIe siècle avec l’abbé de Cluny Pierre le Vénérable, s’amplifia par la suite avec le Catalan Raymond Lulle, mais il se développa plus encore avec l’idée franciscaine de « conversion » des infidèles qu’avec l’idée de croisade, à laquelle elle se substitua peu à peu. Au plan religieux, la croisade a évidemment creusé davantage l’antagonisme entre Chrétienté et Islam, plus que la reconquête de l’Espagne, mieux admise par les musulmans, car relevant de la guerre entre voisins. Mais elle a aussi durablement écartelé le monde chrétien : après la première croisade, et surtout après 1204 et la prise de Constantinople, catholicisme et orthodoxie se dissocient pour plusieurs siècles. Enfin, dans le domaine des idéologies et des mentalités, les croisades eurent une formidable et durable influence. En Occident, elles marquent le point culminant de la sacralisation de la guerre menée au nom de la religion, l’aboutissement d’une véritable révolution doctrinale. En mettant en avant la nécessité de délivrer les Lieux saints, l’Église se dotait d’une idéologie de la guerre sainte qui, curieusement, rejoignait une doctrine depuis longtemps admise dans l’Islam :
celle du jihad. Dans le monde musulman, les croisades provoquèrent - et provoquent toujours - un profond traumatisme. La croisade y apparaît en effet comme une conquête de type colonialiste menée sous le couvert de la religion, et non comme une expédition de reconquête de la Terre sainte. Tandis que le mot s’est associé, dans le monde musulman, à l’idée d’un expansionnisme hypocrite, il en est venu, en Occident, à désigner un juste combat contre l’erreur ou l’obscurantisme. Croix (la), mensuel lancé, en avril 1880, par le Père d’Alzon, fondateur de la congrégation des Augustins de l’Assomption, au moment où l’Église catholique souhaite disposer d’un organe de combat face aux républicains triomphants. Devenue un quotidien en 1883, la Croix gagne lentement en audience, et dépasse les 100 000 exemplaires en 1889. Fort conservatrice, boulangiste, antidreyfusarde, antisémite, elle fait campagne contre Waldeck-Rousseau en 1898. Menacée dans son existence après l’interdiction des assomptionnistes, elle reste fidèle à la ligne définie par l’Église, tout en modérant sa virulence. Proche de l’Action française après la Grande Guerre, le quotidien est en plein désarroi lorsque, en 1926, le Vatican condamne le mouvement maurrassien ; ses ventes chutent alors brusquement, mais le journal retrouve très vite un tirage à 140 000 exemplaires. Jusqu’en 1939, il s’efforce de demeurer à l’écart des controverses politiques, même s’il témoigne de la bienveillance à l’égard de Mussolini ou de Franco. Sous l’Occupation, la Croix s’installe à Limoges. Autorisée à reparaître en février 1945 (le tirage avoisine alors 160 000 exemplaires), elle tend, au fil des années, à refléter tous les courants de pensée du catholicisme français. En novembre 1956, elle supprime le crucifix qui ornait la manchette. Rebaptisée en mars 1968 le Journal la Croix, et optant pour le demi-format, elle devient la Croix-l’Événement en février 1975. Témoin de l’érosion du lectorat catholique, le quotidien du soir du groupe Bayard Presse connaît un net déclin au fil des années, passant de 133 000 exemplaires en 1971 à 65 000 en 1995. Croix-de-Feu, organisation d’anciens combattants créée en 1927, et transformée en ligue dans les années trente. L’Association nationale des combattants et des blessés de guerre cités pour action d’éclat, ou Croix-de-Feu, se veut « antirévolutionnaire et antidéfaitiste ». Elle ne compte à l’origine que
2 000 adhérents, bien qu’elle modère son élitisme et s’ouvre en 1929 aux « briscards » qui ont passé six mois en première ligne. En 1931, le colonel de La Rocque accède à la présidence et, en 1932, étend le recrutement aux « fils et filles des Croix-de-Feu », puis, en 1933, à la « Ligue des volontaires nationaux ». L’association connaît enfin le succès avec plus de 30 000 inscrits fin 1932, sans doute 300 000 fin 1935. C’est la plus puissante des ligues de droite et, pour la gauche de l’époque, le symbole d’un fascisme français. Cependant, malgré le culte du chef, les manoeuvres en ordre serré et les troupes de choc, son programme, présenté par La Rocque dans Service public (1934), ne relève pas du fascisme mais d’une droite patriote, paternaliste, d’inspiration catholique. Républicaine et légaliste en dépit de son antiparlementarisme, elle appuie les gouvernements modérés, se mêle peu aux autres ligues, manifeste séparément et dans le calme le 6 février 1934 ; son aile réellement fasciste, dirigée par Pierre Pucheu, préfère rejoindre Doriot en 1935. Dissoute en juin 1936, transformée en Mouvement social français, puis, en juillet, en Parti social français (PSF), l’organisation attire une vingtaine de députés et abandonne tout aspect paramilitaire. Premier parti français de masse à droite, ayant ses syndicats, ses groupes universitaires et ses associations de loisirs, le PSF s’implante chez les paysans et les ouvriers. En 1937, il compte plus de 800 000 adhérents, peut-être un million et demi en 1939, fédère les droites conservatrices et pourrait espérer cent députés aux élections prévues pour 1940. Sous le gouvernement de Vichy, rebaptisé « Progrès social français » et interdit en zone occupée, il est maréchaliste mais anti-allemand. Quant à La Rocque, il se rallie à la Résistance et sera déporté. À la Libération, suite à l’effondrement de la droite et à la mort de son chef, le PSF devient le petit Parti républicain et social de la réconciliation française. Il défend les valeurs chrétiennes, la participation populaire et une rénovation des institutions. Représenté par quelques députés en 1951, il rejoint le Centre national des indépendants en 1959. Réponse non pas fasciste mais conservatrice et sociale à la crise des années trente, le mouvement, même s’il n’a pu s’adapter à de nouvelles conjonctures, préfigure certains aspects du gaullisme, et en particulier du RPF. Cro-Magnon, célèbre abri paléolithique situé sur la commune des Eyzies-de-TayacSireuil (Dordogne), où furent définies, sous le nom d’« hommes de Cro-Magnon », les formes les plus anciennes de l’homme mo-
derne. En 1868, au cours de la construction d’une voie ferrée, sont découverts un abri sous roche et cinq squelettes - de trois hommes, d’une femme et d’un enfant -, ainsi que divers autres fragments humains. Sans doute s’agit-il de sépultures. De nombreuses fouilles, plus ou moins systématiques, sont alors menées, dont celles de l’abbé Breuil. Une demi-douzaine de couches sont reconnues sur près de 2 mètres de hauteur, toutes attribuables à l’aurignacien, la première civilisation du paléolithique supérieur en France (entre 30 000 et 25 000 ans avant notre ère). De l’étude des squelettes, notamment celui d’un homme downloadModeText.vue.download 252 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 241 assez âgé, baptisé « le Vieillard », les anthropologues du XIXe siècle ont cru pouvoir définir une « race de Cro-Magnon ». Il s’agit, en fait, de la première forme connue de l’homme moderne - ou Homo sapiens sapiens - en Europe occidentale. Issue du Proche-Orient, elle est caractérisée par une charpente corporelle encore relativement robuste. Son évolution, durant tout le paléolithique supérieur et jusqu’à nos jours, tendra vers une « gracilité » progressive de l’ensemble du squelette. Pour le mésolithique, on parle parfois de formes « cro-magnonoïdes ». croquants, sobriquet apparu en 1608 et désignant les paysans pauvres du Sud-Ouest, insurgés contre la fiscalité royale en 1594. Par extension, ce nom est appliqué à tous les mouvements insurrectionnels populaires qui ont agité les campagnes au XVIe et, surtout, au XVIIe siècle. En 1548, les paysans d’Aquitaine se soulèvent contre les « gabeleurs », percepteurs qui se sont enrichis grâce à l’impôt sur le sel. En 1594-1595, dans le Limousin et le Périgord, les « tards avisés » (ainsi appelés car les guerres de Religion s’apaisent alors) prennent les armes pour s’opposer aux gens de guerre qui, présents depuis trente ans dans le Sud-Ouest, causent des ravages. Enfin, dans les années 1630-1660, se déroule une grande vague de révoltes antifiscales d’ampleur inédite, marquée, notamment, par les « croquants » aquitains en 1636-1637, les « nu-pieds » de Normandie en 1639-1640, les « lustucrus » du Boulonnais en 1662. L’agitation est endémique, jusqu’à l’ultime
flambée de 1675 en Bretagne, lors de la révolte des « bonnets rouges » contre le papier timbré. Contrairement aux grandes jacqueries des années 1330-1420, d’essence antinobiliaire, ces brusques révoltes violentes procèdent principalement d’un refus de l’impôt. La fiscalité royale, en effet, ne cesse d’augmenter, en particulier sous le poids des guerres. Dans les années 1630-1640, Richelieu impose un sévère « tour de vis » fiscal au pays : la taille, principal impôt direct, qui pèse surtout sur les campagnes (bien des villes en sont en effet exemptées), est multipliée par cinq, dans un contexte de dépression économique, après une épidémie de peste. En outre, la monarchie tente de généraliser le mode de répartition de l’impôt qui lui est le plus favorable. L’exaspération est telle qu’un rien suffit à déclencher la colère de la population. Le tocsin sonne, une foule se rassemble sur la place du village, s’arme et part en chasse contre les agents du fisc. La violence, les pillages, revêtent alors une dimension punitive : l’impôt, ou son mode de perception transformé, est perçu comme une agression contre la communauté et ses traditions. De fait, les régions insurgées sont toutes des provinces périphériques ou tardivement intégrées au royaume, et qui bénéficiaient à ce titre de franchises fiscales importantes. En s’opposant aux tentatives royales de réduction de ces privilèges, les paysans défendent leur identité communautaire en même temps que leurs intérêts matériels. Mais, sous Louis XIV, la répression armée est telle que les révoltes cessent. Des croquants, il restera l’image de paysans misérables popularisée par le roman d’Eugène Le Roy, Jacquou le croquant (publié en feuilleton en 1899, et en volume en 1900), et l’adaptation télévisée de Stellio Lorenzi en 1969. Croÿ (Emmanuel, duc de), maréchal de France et mémorialiste (Condé, Nord, 1718 - Paris 1784). Les Croÿ sont une vieille famille d’origine picarde, qui s’est illustrée à la cour de Bourgogne, puis au service des Habsbourg. Prince du Saint Empire, Emmanuel de Cröy appartient à la branche des Croÿ-Solre, revenue en France à la fin du XVIIe siècle. Après une éducation soignée, il commence une classique carrière militaire, au cours de laquelle il est nommé brigadier à Fontenoy, en 1745. Il fréquente Versailles, et devient selon ses dires « demi-courtisan intime » de Louis XV.
Cependant, veuf, à peine nommé maréchal de camp en 1748, il décide de se retirer pour élever ses enfants. Se partageant entre Paris et le Hainaut, il donne l’image d’un grand seigneur actif et bienfaisant. Sa fonction de commandant militaire en Picardie et en Artois lui vaut enfin, en 1783, un bâton de maréchal de France longtemps espéré. Par ailleurs, il exploite aussi ses terres avec soin. « Noble capitaliste », il investit dans l’exploitation du charbon tout en se préoccupant de l’ouverture d’ateliers de charité. Grand lecteur dont la bibliothèque compte plus de 8 000 volumes, il est ouvert aux Lumières, curieux de sciences, de littérature, d’histoire. Mais il reste attaché à un catholicisme sincère. S’il aspire à des réformes politiques, il n’en est pas moins défenseur des privilèges de la noblesse. Il a laissé des Mémoires, en partie publiés, précieux document sur la vie à la cour de Louis XV et sur l’intimité d’un aristocrate éclairé et fidèle aux traditions de sa caste. Cuiry-lès-Chaudardes, site correspondant à l’un des plus anciens villages d’agriculteurs néolithiques du Bassin parisien (Ve millénaire), appartenant à la culture du rubané. Implanté dans le département de l’Aisne, sur la rive droite de la rivière du même nom, le village néolithique de Cuiry-lès-Chaudardes a fait l’objet, à partir de 1972, d’une fouille intégrale : elle a révélé, sur plus de 6 hectares, une trentaine d’habitations. Ces constructions, toutes orientées est-ouest, étaient de forme légèrement trapézoïdale, le petit côté étant dirigé vers les vents dominants. Leur longueur variait entre 12 à 45 mètres environ, et leur largeur, entre 5 à 8 mètres. Les murs étaient construits en clayonnage et en torchis ; le toit, en matière périssable, était soutenu par trois rangées de poteaux de bois. Le long de ces maisons avaient été creusées des fosses destinées à extraire le matériau de construction des parois, et utilisées ensuite pour le rejet des détritus. C’est là que l’on a retrouvé des récipients brisés au décor gravé, des ossements des animaux consommés, des outils de pierre ou d’os, etc. L’économie reposait sur la culture du blé et de l’orge, et sur l’élevage (boeufs, moutons, chèvres, porcs), la chasse occupant une place mineure. Selon les quartiers du village, selon les maisons, des différences quant aux préférences alimentaires et aux activités artisanales ont été mises en évidence. L’outillage comprenait des instruments de silex et d’os, ainsi que des meules ; les haches en pierre polie étaient exceptionnelles. Plu-
sieurs tombes d’enfants ont été découvertes à proximité immédiate des habitations, la nécropole des adultes restant introuvable. Il s’agit du principal village, parmi ceux connus dans cette vallée - une douzaine -, le long de laquelle ils s’échelonnent régulièrement. Cinq phases d’habitations s’y sont succédé, sans doute sans interruption, pendant deux siècles environ, vers le milieu du Ve millénaire. L’une des habitations a été reconstituée sur le site. cuissage (droit de), appelé aussi « droit du seigneur », droit qui aurait permis à celui-ci de passer la nuit de noces avec la mariée, en cas d’union entre serfs. Il est l’une des composantes de l’imaginaire français de l’oppression, élément d’un savoir commun si bien implanté qu’on le rencontre encore parfois sous la plume de certains historiens éminents. Cependant, il n’a aucune réalité autre que discursive, ainsi que l’a montré Alain Boureau dans son Droit de cuissage (1995), au sous-titre explicite : la Fabrication d’un mythe. Sur les soixante-douze preuves réunies par Jules Delpit en faveur de l’existence du droit de cuissage, dans un ouvrage publié en 1857, cinq seulement peuvent se référer à un éventuel droit médiéval. La première apparition de l’expression - dans un fragment de cartulaire de l’abbaye du Mont-Saint-Michel - date de 1247. Cet extrait comporte une série de 235 vers énumérant les redevances et les corvées dues par les vilains du village de Verson. Il s’agit, en fait, d’un texte de propagande monastique dirigé contre les menées du vicomte Osbert de Fontenay-le-Pesnel, qui tente de faire passer la communauté villageoise sous sa domination. Le cullage (droit que le serf doit payer pour marier sa fille hors des terres de son seigneur) est rapporté à un usage ancien et monstrueux : « Sire, je vous le dis par ma foi, il arrivait jadis que le vilain prît sa fille par la main et la livrât à son seigneur pour qu’il en fasse à sa volonté, à moins qu’il ne lui eût donné une rente, ou bien un héritage pour consentir au mariage. » Ce mythe d’origine de la seule redevance personnelle payée par les vilains de Verson introduit une condamnation morale du seigneur laïc, dont l’image est ramenée à un tyran ancestral. Le droit de cuissage est donc inventé dans un but polémique. Les quatre autres mentions médiévales figurent dans des aveux ou dénombrements féodaux (entre 1419 et 1538). Dans ces écrits, le seigneur dresse la liste de ses droits, qui doit être vérifiée et enregistrée par la cour du suzerain. Or le vassal a souvent tendance à
exagérer ses prétentions, dans des textes qui constituent des éléments de négociation. Toutefois, c’est par ce biais que le droit de cuissage entre dans la tradition juridique royale : on le cite fréquemment, à partir du milieu du XVIe siècle, comme exemple de la mauvaise coutume. Il rencontre également le succès dans le domaine littéraire. Déjà présent dans les Cent nouvelles nouvelles (Bourgogne, vers 1462), il downloadModeText.vue.download 253 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 242 connaît son plein essor au siècle des Lumières, notamment au théâtre. Beaumarchais, dans le Mariage de Figaro (1784), lui donne ses lettres de noblesse. Dans ce courant qui utilise la sexualité comme moyen heuristique pour comprendre ou dénoncer le politique, le droit de cuissage est l’emblème du despotisme. Mais c’est entre 1854 et 1881 qu’il occupe le devant de la scène. Une polémique éclate entre Charles Dupin, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, partisan de son existence, et Louis Veuillot, porte-drapeau du « parti de Dieu », farouchement opposé à cette idée : l’enjeu est l’image du Moyen Âge, alors disputée entre libéraux et conservateurs catholiques. La parution, en 1881, du travail scientifique du juriste alsacien Karl Schmidt peut être retenue pour marquer la fin de cette longue querelle. Le droit de cuissage et, plus largement, le Moyen Âge quittent alors le champ idéologique pour entrer dans l’ordre historique. Curie (Marie et Pierre), physiciens (Marie : Varsovie 1867 - Sancellemoz, près de Sallanches, 1934 ; Pierre : Paris 1859 - id. 1906). Leurs travaux - pour lesquels ils ont reçu le prix Nobel - ont joué un rôle fondamental dans la découverte et l’étude de la radioactivité. • Une rencontre. Née Maria Sklodowska, Marie Curie est, dès son plus jeune âge, une brillante élève à laquelle sa Pologne natale offre peu de perspectives : le tsar règne sur Varsovie, l’accès à l’Université reste interdit aux femmes. Défiant l’occupant russe, elle fréquente l’« université volante », structure clandestine qui dispense des cours - essentiellement à des femmes -, tout en attisant la flamme patriotique des étudiants. Après avoir accepté un poste de préceptrice dans une
famille noble, elle prend le train pour Paris, à la fin de l’année 1891. Inscrite à la Sorbonne, elle y suit les cours de quelques maîtres illustres : les mathématiciens Henri Poincaré et Paul Appell, le promoteur de la photographie en couleurs Gabriel Lippmann, le physicien Joseph Boussinesq. Elle dira de cette période : « C’était comme un monde nouveau qui s’offrait à moi, un monde de science que je pouvais enfin connaître en toute liberté. » Une infime minorité de femmes fréquente alors la Sorbonne, et leur cursus universitaire ne dépasse que très exceptionnellement la licence. Après avoir obtenu une licence de mathématiques (1893) et une licence de physique (1894), Maria Sklodowska rencontre un professeur de l’École de physique et de chimie de Paris, Pierre Curie. Ce jeune chercheur, déjà auréolé d’une réputation flatteuse, a reçu une éducation anticonformiste qui a su éveiller très tôt sa curiosité. Fils d’un médecin farouchement républicain et ancien communard, il n’a pas été inscrit à l’école, et a pu à loisir, en compagnie de son frère Jacques, développer son intelligence à son propre rythme. En 1880, les deux frères ont découvert la piézoélectricité (certains cristaux produisent un courant lorsqu’ils sont soumis à une pression) ; ce phénomène les a amenés à inventer un instrument de mesure nommé « quartz piézoélectrique ». Cinq ans plus tard, Pierre s’est illustré par ses travaux sur la physique des cristaux. Féru de recherche scientifique, il s’est promis de rester célibataire et de consacrer toute son énergie à ses recherches. Mais la rencontre de Maria le fait changer d’avis. Il dissuade la jeune femme de rentrer dans son pays natal, et l’épouse le 26 juillet 1895. • En route vers le Nobel. Une collaboration remarquablement féconde s’amorce alors, favorisée par la complémentarité des modes d’approche et par le soutien moral que les conjoints apporteront l’un à l’autre dans les circonstances difficiles. Abandonnant ses propres études sur les cristaux, Pierre conjugue ses efforts à ceux de Marie, qui a choisi les rayons uraniques comme sujet de doctorat. Naturellement, Marie a entendu parler des travaux d’Henri Becquerel : en 1896, le savant a observé que certains minerais contenant de l’uranium présentent la propriété d’émettre un rayonnement doué de caractères communs avec les rayons X. En l’espace d’une année, et malgré des conditions de travail peu propices, Pierre et Marie Curie parviennent à des résultats considérables : en juillet et décembre 1898, du minerai d’uranium ils extraient deux éléments beaucoup
plus actifs que celui-ci, le polonium - ainsi nommé en hommage au pays natal de Marie - et le radium. Marie soutient sa thèse en 1903. Lorsque le nom de Pierre Curie est proposé au comité Nobel, pour la découverte de la radioactivité, Pierre écrit à l’Académie des sciences suédoise, et fait état du rôle essentiel joué par sa femme dans ses recherches. Le prix Nobel de physique est décerné, conjointement, à Henri Becquerel, Pierre et Marie Curie. La même année, une chaire est créée à la Sorbonne pour Pierre Curie. Commence alors pour le couple, devenu célèbre, une vie exposée à la curiosité journalistique ; la presse française se passionne pour cette « idylle de laboratoire », au point que Marie écrit, dans une lettre à sa famille : « On voudrait se cacher sous terre pour avoir la paix. » Professeur à l’École normale supérieure de Sèvres, Marie doit combiner ses tâches d’enseignement avec ses attributions de mère, qu’elle prend particulièrement à coeur : après la naissance d’Irène, en 1897, une seconde fille, Ève, voit le jour en 1904. Mais, en 1906, Pierre est renversé par un camion, et meurt sur le coup. Profondément ébranlée, Marie se remet difficilement de la perte de son époux. • De la détresse à la reconnaissance mondiale. Au terme d’une dépression qui a inquiété tous ses proches, Marie se voit octroyer la charge d’enseignement de son mari à la Sorbonne. L’événement est d’importance : c’est la première fois, en effet, qu’une femme professe dans cette vénérable institution, et la foule se presse pour assister à son premier cours. Encouragée par ses collègues, Marie fait acte de candidature à l’Académie des sciences en 1911, mais on lui préfère Édouard Branly, l’inventeur de la TSF. La presse, qui l’a adulée quelques années plus tôt, lui reproche alors de pousser trop loin le goût des récompenses et des honneurs. Ce dénigrement sournois ne tarde pas à se transformer en campagne d’hostilité lorsqu’un journal dévoile, à la fin de l’année 1911, l’idylle de Marie Curie et du physicien Paul Langevin. L’extrême droite s’empare de l’affaire, et dénonce la destruction d’un honorable foyer français par une « apatride sans scrupules ». Au cours de cette même année, l’attribution à Marie d’un second prix Nobel - de chimie -, pour ses travaux sur l’isolement du radium, relègue à l’arrière-plan ces polémiques indignes. Mais, de retour de Suède, où elle a reçu du roi Gustave V sa récompense, Marie tombe gravement malade et doit être hospitalisée. Souffrant de troubles rénaux, elle ne recouvrera jamais véritablement la santé.
Dès cette époque, sa fille Irène est de plus en plus fréquemment associée à ses travaux scientifiques. La collaboration familiale prend, après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, une orientation nettement humanitaire. Au début du conflit, seuls les grands hôpitaux éloignés du front possèdent des appareils à rayons X. Marie met alors au point une unité radiologique mobile capable de se déplacer. Dix-huit véhicules de ce genre sont construits, et deux cents postes permanents de radiologie, établis ; une école d’infirmières radiologistes est également créée à cet effet. À l’issue du conflit, Marie jouit d’une renommée mondiale. Les critiques ont cédé la place aux honneurs et à la reconnaissance internationale. En 1921, le président des États-Unis, Warren Harding, lui remet solennellement un gramme de radium acquis grâce à une collecte de 100 000 dollars. L’énergie que Marie déploie inlassablement pour obtenir des financements porte ses fruits. Les laboratoires de l’Institut du radium sont, en effet, opérationnels dès la fin de la guerre, et en 1921 leur sont adjoints les services thérapeutiques de la Fondation Curie ; la recherche est financée par des dons des Fondations Rothschild, Carnegie et Rockefeller. Durant les dernières années de sa vie, Marie est de plus en plus affectée par les expositions prolongées à des doses massives de radioactivité. Au sanatorium de Sancellemoz, où les médecins l’envoient en 1934, on diagnostique rapidement une leucémie. Marie Curie meurt le 4 juillet de la même année, et est enterrée au cimetière de Sceaux, où repose Pierre. En 1995, ses cendres sont transférées au Panthéon. • De la science au mythe. Figures fondatrices de la science moderne, Pierre et Marie Curie ont apporté, par leurs travaux sur la radioactivité, des moyens essentiels à l’étude de la constitution de l’atome et du noyau atomique. En outre, les applications thérapeutiques de la découverte du radium sont considérables, notamment dans le traitement des tumeurs cancéreuses (curiethérapie). Même si la radioactivité reste mal connue du grand public - souvent partagé, cent ans après, entre l’effroi et la fascination -, Pierre et Marie Curie n’en appartiennent pas moins à ce petit nombre de savants dont les recherches s’inscrivent en lettres mythiques dans la mémoire collective. « Il semble, écrivait Camille Flammarion en 1900, que M. et Mme Curie, au fond de leur laboratoire aux planches mal jointes, aient reculé les frontières de l’impossible. » L’image d’un couple opiniâtrement soudé dans la passion de la recherche est un élément non négligeable des hagiographies
qui ont fleuri depuis près d’un siècle. Mais les travaux sur la radioactivité n’auraient pas joui downloadModeText.vue.download 254 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 243 d’une telle aura sociale s’ils n’avaient inauguré la participation des femmes aux progrès scientifique et technologique. De Marie à sa fille Irène s’affirme un axe émancipateur qui consacre l’entrée des femmes à l’Université et dans les laboratoires. Marie éclipse Pierre dans l’épopée scientifique du XXe siècle. Célébrée sur tous les tons, comblée de distinctions honorifiques, traquée par la presse populaire, elle est devenue - avant la lettre - une figure médiatique, dont l’éternelle petite robe de coton noire et le visage austère ont pris valeur de symboles. Ce n’est pas ternir sa réputation que de reconnaître, aujourd’hui, qu’elle a su jouer de ces symboles et administrer efficacement sa propre image : vilipendée par la presse à la veille de la Première Guerre mondiale, elle a rapidement compris l’importance des nouveaux moyens de communication, et n’a pas dédaigné les manoeuvres médiatiques, dès lors qu’il s’agissait d’obtenir des fonds pour son laboratoire. Tout comme elle a compris la nécessité de tisser des liens avec l’industrie, afin de bénéficier de son soutien. Les fameuses photographies qui la représentent dans son laboratoire alimentent un mythe un peu réducteur : Marie Curie n’a-t-elle pas pris, très lucidement, la mesure des relais et des appuis avec lesquels la science la plus « pure » devait désormais compter ? Cyrano de Bergerac (Savinien de), écrivain et philosophe (Paris 1619 - Sannois, aujourd’hui dans le Val-d’Oise, 1655). D’humeur indépendante et de tempérament impétueux, Cyrano est très tôt attiré par le métier des armes. Blessé lors des sièges de Mouzon (1639) et d’Arras (1640), il abandonne la carrière militaire, et regagne Paris, où il fréquente la bohème littéraire. Il n’est pas sûr qu’il ait suivi les leçons du philosophe Gassendi, mais il s’est du moins initié à sa doctrine épicurienne. Auteur d’une tragédie, la Mort d’Agrippine (1653) et d’une comédie pleine de verve, le Pédant joué (1654), il rédige également des Lettres, recueils d’épîtres fictives dans le goût de l’époque. Mais c’est surtout dans ses deux romans utopiques pos-
thumes - Histoire comique des États et Empires de la Lune (1657) et Histoire comique des États et Empires du Soleil (1662) - qu’il donne la mesure de son imagination fantasque et de ses facultés d’anticipation. Sa manière de greffer des idées audacieuses sur un récit de voyage extraordinaire annonce le roman philosophique du XVIIIe siècle. Esprit sceptique et libertin, hostile à l’aristotélisme autant qu’à toute forme d’autorité intellectuelle, Cyrano affirme le mouvement de la Terre, critique les preuves de l’immortalité de l’âme, et invente, du moins sur le papier, l’aérostat et le parachute. La comédie héroïque d’Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac (1897), ne lui a assuré l’immortalité littéraire qu’au prix d’un gauchissement historique : mêlant truculence cocardière et élans post-romantiques, elle n’entretient qu’un lointain rapport avec ce personnage dont l’oeuvre et la vie concentrent toutes les audaces de l’époque baroque. downloadModeText.vue.download 255 sur 975 downloadModeText.vue.download 256 sur 975
Dagobert Ier, roi des Francs de 629 à 639 (vers 605 - Saint-Denis 639). • Le règne de Dagobert. Dès 623, afin de satisfaire le particularisme de l’aristocratie austrasienne, Clotaire II associe son fils Dagobert au pouvoir et le fait roi d’Austrasie. Envoyé à Metz, le jeune roi est confié à l’évêque Arnoul et au maire du palais, Pépin de Landen. Jusqu’en 629, ces deux tuteurs lui assurent le soutien de l’aristocratie austrasienne et l’encouragent dans sa politique d’expansion territoriale vers l’est. En 629, à la mort de son père, Dagobert hérite des royaumes de Bourgogne et de Neustrie, et, en 632, il récupère l’Aquitaine, jusque-là aux mains de son frère Charibert. Pour satisfaire les particularismes aristocratiques régionaux, Dagobert nomme ses fils Sigebert III (632) et Clovis II (634) à la tête des différents royaumes, tout en conservant la réalité du pouvoir. Ses dix années de gouvernement sont dominées par la volonté de rétablir l’unité de la Gaule autour de la Neustrie et par le désir de renforcer la domination franque à la périphérie du royaume, notamment à l’est. Dagobert fixe sa résidence et son pouvoir à Paris et dans les villae royales de la région parisienne (Creil, Compiègne, Clichy, Nogent). Son principal conseiller est le Neustrien Aega, maire du palais ; mais il gouverne aussi avec l’aide de jeunes aristocrates, issus tant de la noblesse méridionale (Éloi ou Didier, ses trésoriers) que de la noblesse franque (le Neustrien Dadon, son
chancelier, ou l’Austrasien Wandrille, juge palatin). Avec leur aide et celle des comtes et des évêques, Dagobert s’efforce de consolider l’unité du royaume en soumettant l’aristocratie guerrière et en intégrant les peuples d’outre-Rhin au royaume franc : le roi exerce un contrôle direct sur le duc des Alamans et le duc des Thuringiens ; il intervient à maintes reprises en Bavière pour lutter contre les incursions bulgares et mène plusieurs campagnes contre les Slaves, au-delà de l’Elbe. Dagobert obtient aussi vers 630 la soumission des Frisons, celle des Basques et celle du roi breton Judicaël. Cette extension du royaume D demeure précaire, mais elle garantit au roi un rayonnement dont le signe est la reconnaissance de sa puissance par l’empereur de Byzance Héraclius Ier. • L’élaboration du mythe. Le souvenir du roi serait demeuré modeste sans l’élaboration d’une légende posthume, qui associe durablement le roi aux saints évêques et à la basilique Saint-Denis. De son vivant, Dagobert soutient en effet les efforts missionnaires des évêques et s’entoure d’officiers palatins qui terminent souvent leur carrière dans l’épiscopat et la sainteté. Dans les récits hagiographiques, le roi se retrouve ainsi associé à saint Éloi, évêque de Noyon, saint Didier, évêque de Cahors, ou saint Ouen, évêque de Rouen. Par ailleurs, Dagobert favorise la basilique SaintDenis, jusque-là sanctuaire secondaire : il embellit l’église, ordonne la réalisation d’une somptueuse châsse pour les reliques du saint et de ses compagnons, et décide de s’y faire inhumer, plutôt qu’à Saint-Vincent-de-Paris, nécropole de ses prédécesseurs. Par la suite, les moines de Saint-Denis, liés aux Carolingiens, puis aux Capétiens, donnent toute son ampleur à la figure de Dagobert : l’essor de l’abbaye s’accompagne de la glorification du roi. Vers 830, on y rédige les Gesta Dagoberti, éloge des hauts faits et de la piété du roi considéré désormais comme le fondateur de l’abbaye. Par de savantes constructions généalogiques, on cherche à établir la parenté de saint Arnoul (vers 582-vers 640), ancêtre des Carolingiens, et de Dagobert, contribuant ainsi à légitimer la substitution dynastique des Carolingiens aux Mérovingiens en 751. Sous les Capétiens, de nouvelles constructions généalogiques font de Dagobert le père des rois de France. Sous l’abbatiat de Suger (1122-1151), la liturgie de l’anniversaire du roi est enrichie, et, vers 1250, Saint Louis, qui réorganise alors la nécropole, lui fait élever un
majestueux tombeau. Les Grandes Chroniques de France, rédigées à Saint-Denis, célèbrent sa sagesse et sa piété. Enfin, aux XIVe et XVe siècles, la figure de Dagobert devient une arme politique dans le conflit dynastique qui oppose les Valois aux rois d’Angleterre. Peu à peu intégrée à la culture populaire, elle connaît son dernier avatar dans la chanson folklorique qui apparaît dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Dahomey ! Afrique-Occidentale française Daladier (Édouard), homme politique (Carpentras, Vaucluse, 1884 - Paris 1970), président du Conseil en 1933, 1934 et 1938-1940. Fils de boulanger, boursier, agrégé d’histoire en 1909, Édouard Daladier débute dans la vie politique en tant que maire de Carpentras, en 1912. Mobilisé en 1914, il est trois fois cité, et termine la guerre avec le grade de lieutenant. Élu député en novembre 1919 sur une liste radicale, il fait figure d’opposant au Bloc national. La victoire du Cartel des gauches lui permet d’accéder à des responsabilités ministérielles de 1924 à 1926. Après la formation de la coalition dite « d’Union nationale », qui regroupe, à partir de 1926, le centre, la droite et les radicaux, Daladier se prononce en faveur du retrait des ministres radicaux du gouvernement, s’opposant ainsi au président de son parti, Édouard Herriot. Il arrive à ses fins au congrès d’Angers, en novembre 1928. Cette ligne de gauche est maintenue pour les élections de 1932, à l’issue desquelles, grâce à une alliance électorale des socialistes et des radicaux, ces derniers se retrouvent au pouvoir. Président du Conseil de janvier à octobre 1933, Daladier ne parvient pas, étant donné les désaccords au sein de sa majorité, à résoudre les graves problèmes financiers que pose au pays la dépression économique. À la suite de la démission de Camille Chautemps, Daladier, appelé de nouveau à la présidence du Conseil en janvier 1934, tente de s’opposer à l’action des ligues, mais il doit, à l’issue de la journée du 6 février 1934, donner sa démission, alors que se reconstitue une majorité d’ « union nationale ». Dès lors, il milite pour l’adhésion au Front populaire, considéré avant tout comme un rassemblement antifasdownloadModeText.vue.download 257 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
246 ciste. Ministre de la Guerre dans les gouvernements dirigés alternativement par Léon Blum et Camille Chautemps de juin 1936 à avril 1938, il oeuvre activement en faveur du réarmement. Rappelé à la tête du gouvernement en avril 1938, il se préoccupe surtout de la reprise économique, qui lui semble la condition nécessaire au réarmement, et parvient à un aménagement de la semaine de quarante heures, au prix d’un infléchissement vers la droite de sa majorité. Sans illusions, dans le domaine extérieur, et par souci de sauvegarder l’alliance franco-britannique, il signe les accords de Munich, en septembre 1938, mais prône une ligne de fermeté à l’égard de Hitler à partir de l’hiver 1938-1939. Toutefois, après l’entrée en guerre, par suite de la mise en oeuvre d’une stratégie purement défensive, il fait figure d’attentiste, et doit quitter la présidence du Conseil en mars 1940. Après la débâcle des armées françaises, partisan d’un départ vers l’Afrique du Nord, il s’embarque sur le Massilia. À son retour en métropole, il est arrêté sur ordre du gouvernement de Vichy, incarcéré, traduit devant la cour de Riom, puis déporté en Allemagne de 1943 à 1945. Après la guerre, Daladier retrouve son siège de député en 1946. Mais, hostile à la Constitution de 1958, il est battu aux élections de novembre 1958, et se retire de la vie politique. d’Alembert (Jean Le Rond) ! Alembert (Jean Le Rond d’) Dame à la licorne (tapisserie de la), ensemble de six tapisseries réalisées à la fin du XVe siècle et conservées au Musée de Cluny, à Paris. Elles ornaient auparavant le château de Boussac, dans la Creuse. Il semble qu’elles aient été exécutées entre 1484 et 1500, dans la région d’Aubusson, peut-être à l’occasion du mariage d’une jeune fille. Elles portent les armes de la famille Le Viste, notamment de Jean Le Viste, président de la Chambre des aides de Paris vers 1500. Chacune des six tapisseries, très colorées, représente, sur un fond rouge semé de fleurs (fond « mille-fleurs »), une jeune femme élégante, seule ou accompagnée d’une servante, entourée d’un lion et d’une licorne. Les cinq premiers panneaux illustrent de façon évidente les cinq sens. Le sixième est d’une signification plus mystérieuse et a donné lieu à diverses interprétations. On y voit, devant une tente qui porte l’inscription « À mon seul désir », la jeune femme debout,
sans aucune parure, déposant ses bijoux dans un coffret tenu par une servante. Ce renoncement aux bijoux signifie peut-être le refus des plaisirs des sens, le choix de la chasteté, tandis que la licorne, présente sur tous les panneaux, symbolise, à la fin du Moyen Âge, la virginité du corps associée à la fécondité de l’esprit. Ce chef-d’oeuvre en fils de laine d’un artiste anonyme s’inspire du sujet d’un roman d’aventures datant du début du XIVe siècle, intitulé la Dame à la licorne. Dames (paix des), dite aussi traité de Cambrai, paix signée le 3 août 1529, à Cambrai, entre Louise de Savoie, mère de François Ier, et Marguerite de Habsbourg, gouverneur des Flandres et tante de Charles Quint, mandataires des deux souverains. Ces derniers, épuisés financièrement et confrontés tous deux à l’agitation religieuse - et, pour Charles, à la montée du péril turc -, sont conduits à négocier, au bout de huit ans de guerre marqués par une succession de défaites françaises en Italie mais aussi par la nécessité de préserver des frontières du royaume. À Cambrai, ville libre d’Empire restée en dehors du conflit, les discussions durent un bon mois avant que ne soit trouvé un accord. Le traité reprend pour l’essentiel les clauses acceptées à Madrid en janvier 1526, sauf celle concernant la Bourgogne : le roi renonce à Hesdin et Tournai, à la suzeraineté sur les comtés d’Artois et de Flandre, ainsi qu’à tous ses droits sur le Milanais, le comté d’Asti et le royaume de Naples, abandonnant, en dépit de toutes ses promesses, ses alliés italiens. En outre, François Ier s’engage à réhabiliter le connétable de Bourbon, à verser une importante somme d’argent et à épouser Éléonore de Habsbourg, soeur de Charles Quint. Les deux souverains ratifient en octobre un traité qui marque la fin des illusions françaises en Italie et le triomphe de Charles Quint, couronné solennellement empereur par Clément VII à Bologne, quelques mois plus tard. Damiens (attentat de), agression contre Louis XV, perpétrée le 5 janvier 1757, à Versailles, par un ancien domestique, qui sera jugé en tant que régicide, et exécuté. Cet événement, qui suscite l’attention passionnée de l’opinion, intervient dans un climat de tension extrême où, de toutes parts, l’autorité de l’État est vivement contestée. Tandis que les parlements ne cessent de s’opposer au pouvoir royal, la longue querelle
entre jésuites et jansénistes connaît un nouveau regain, à Paris, avec l’affaire des Billets de confession : Louis XV prend le parti du clergé contre le parlement de Paris, favorable aux jansénistes, et qui fait figure de défenseur du peuple. L’agitation entre dans une phase aiguë en 1756, alors que débute la guerre de Sept Ans. C’est dans cette atmosphère de division et d’hostilité au souverain - dénoncé par les jansénistes comme impie et impur - que Robert François Damiens, un ancien valet de parlementaires sensible à la misère populaire, atteint légèrement Louis XV d’un coup de canif. Damiens apparaît très vite comme un déséquilibré. Bien qu’incohérent, il ne varie jamais sur un point : il n’a pas voulu tuer le roi, mais seulement le ramener à ses devoirs. Son procès se tient du 12 février au 26 mars 1757 devant la Grand-Chambre du parlement de Paris. Celle-ci minimise l’influence sur l’accusé des propos séditieux des parlementaires, et recherche obstinément ses complices - bien qu’à l’évidence il ait agi seul - afin d’écarter tout soupçon de complaisance. Le geste de Damiens horrifie l’ensemble de la société, qui se réconcilie, pour peu de temps, dans une réaction de culpabilité collective nécessitant une victime expiatoire. Quant à la monarchie, « profanée », elle se doit d’affirmer son pouvoir ; c’est le sens du supplice infligé à Damiens, le 28 mars, en place de Grève, véritable cérémonial d’une cruauté anachronique en ce siècle des Lumières, spectacle offert à une foule nombreuse et sans compassion pour l’accusé, torturé et écartelé. Cette ultime exhibition de la puissance punitive du pouvoir masque néanmoins la déchirure entre le roi et son peuple, car l’attentat de Damiens illustre une certaine désacralisation du souverain. Enrôlée dans les luttes entre les partis, qui s’accusent mutuellement d’avoir voulu la mort du monarque, une partie de l’opinion populaire n’assimile plus à des blasphèmes les propos et les écrits contre le roi, et voit dans l’attentat une juste punition. Moralement atteint, et prenant conscience de l’hostilité à son égard, Louis XV se fait plus autoritaire, mais il ne saura dominer ni les parlements ni les différentes coteries qui divisent la cour. Danton (Georges, Jacques), homme politique (Arcis-sur-Aube, Aube, 1759 - Paris 1794). Homme du verbe et de l’action, Danton crée lui-même sa figure et sa légende, à partir de quelques formules : avec l’une - « De
l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace » -, il engage le pays dans l’aventure militaire ; avec une autre - « On n’emporte pas la patrie à la semelle de ses souliers » -, il se fait le héraut du sol natal ; avec une troisième - « Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut la peine » -, prononcée au pied de la guillotine, il scelle son personnage de sacrifié sur l’autel de la nation. Pour les romantiques, Michelet en tête, ce colosse aimant la bonne chère, les femmes et l’argent incarne la Révolution, par son génie spontané, son goût pour l’action, tout comme par sa destinée tragique. Pour tout un courant historiographique républicain, il aurait électrisé les foules lors des « journées révolutionnaires », aurait été disciple des Encyclopédistes, visionnaire et pragmatique, et aurait unifié la nation. Ainsi, Aulard, premier titulaire de la chaire d’histoire de la Révolution, à la fin du XIXe siècle, le présente-t-il comme le précurseur de Gambetta. Mais le XXe siècle, renversant les perspectives, lui est plutôt défavorable : Albert Mathiez, le premier, dénonce la corruption et les incohérences, les indécisions et les faiblesses de ce « Mirabeau de la populace » ; lui emboîtant le pas, Georges Lefebvre n’a vu en lui qu’un héros pour Français moyen, audacieux sans morale, éloquent sans système, homme d’État sans grandeur. • L’engagement. Fils d’un paysan devenu procureur de bailliage et petit-fils d’un charpentier entrepreneur de ponts royaux, Danton prolonge cette ascension familiale par des études chez les oratoriens de Troyes, occupe une place de clerc chez un procureur, puis obtient une licence en droit à Reims ; il s’établit, enfin, grâce à des aides familiales, comme avocat à Paris. En 1787, il épouse la fille d’un limonadier aisé de la capitale. La Révolution fait basculer cette trajectoire jusqu’alors dépourvue d’engagement politique ou philosophique particulier. Danton ne participe pas à la campagne électorale de 1789, mais il s’implique rapidement dans le downloadModeText.vue.download 258 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 247 mouvement populaire : absent le 14 juillet, il entraîne, dès le lendemain, des Parisiens, pour arrêter le gouverneur provisoire de la Bastille - un proche de La Fayette -, puis il se fait connaître par ses accusations à l’encontre de la municipalité de Paris, qui attaque Marat. Sa carrière politique commence dans le camp
patriote, même si des rumeurs le disent agent du duc d’Orléans : président du district des Cordeliers, député à la Commune de Paris (janvier-septembre 1790), il devient administrateur du département (janvier-septembre 1791). Cependant, les formes et les réalités de cet engagement apparaissent souvent contradictoires et tortueuses, davantage guidées par le pragmatisme et le goût de l’action que par les exigences d’un idéal invariable. Son image est ainsi brouillée : il adhère au Club des cordeliers, mais est plus assidu aux Jacobins, club moins populaire et plus porté vers la pratique d’assemblée ; virulent envers le roi en avril et, surtout, en juin 1791, il ne propose pourtant que de faibles sanctions après l’arrestation de celui-ci à Varennes ; il est l’un des auteurs de la pétition de juillet 1791 réclamant la déchéance royale, mais il est inquiété lors du massacre du Champ-deMars (17 juillet 1791), fuit Paris, se réfugie en août en Angleterre, et ne rentre en France, le 9 septembre, qu’après le vote de la loi d’amnistie. Élu second substitut du procureur de la Commune de Paris à la fin de 1791, il réalise de profitables achats de biens nationaux, qui lui assurent une réelle aisance et font déjà murmurer quant à son honnêteté ; présent lors du débat sur la déclaration de guerre en avril 1792, il n’intervient pourtant pas, et il assiste plus qu’il ne participe aux journées révolutionnaires du 20 juin et du 10 août 1792. Danton n’en obtient pas moins le surnom d’« athlète de la liberté », traduction de sa popularité et de son pouvoir. • La consécration. Délégué au Conseil exécutif provisoire qui dirige la France après le 10 août 1792, il devient ministre de la Justice, et attribue des postes à ses amis Desmoulins, Fabre d’Églantine, Paré. En butte à l’hostilité des girondins et de Mme Roland, en rivalité avec Robespierre, il est le seul montagnard dans un ministère girondin. Acceptant les massacres de Septembre, il interdit aux girondins de tirer avantage du retournement de l’opinion contre la Commune et la Montagne, jugées coupables de ces tueries, en devenant l’oracle de la défense de la patrie menacée par l’invasion étrangère. Il incarne alors la volonté nationale, et permet le sursaut qui donne un sens nouveau à la mobilisation révolutionnaire. La victoire de Valmy (20 septembre 1792), dont il apparaît comme l’un des instigateurs, assure son élection à la Convention : il s’y fait le défenseur de l’unité et de l’intégrité du territoire national, le propagandiste de la Révolution conquérante et le chantre des frontières naturelles (il plaide pour la réunion de la Belgique à la République française). L’urgence et l’importance de ses
missions militaires et diplomatiques ne lui permettent pas de prendre part aux violents débats qui déchirent la Convention à l’occasion du procès du roi. Il ne rentre en France que pour voter « la mort du tyran » sans le sursis, adoptant la position de la Montagne et évitant l’affrontement direct avec les girondins. Mais son amitié avec Dumouriez, qui passe à l’ennemi le 5 avril 1793, lui vaut de nouvelles inimitiés girondines. Montagnard déclaré, il entre, le 6 avril 1793, dans le premier Comité de salut public, qui est soumis à son influence. Il renoue alors avec la politique de compromis et de relations secrètes qu’il a menée auparavant : avec les puissances étrangères, il recherche, via des tractations compliquées, une paix qu’il désire. Ennemi des girondins, il soutient Hanriot en mai 1793, et accepte le coup d’État organisé contre eux le 31 mai. Mais, au cours de cette période, il brouille les cartes du jeu politique : il propose d’ériger le Comité de salut public en gouvernement provisoire indépendant des factions, ce qui revient à placer cet organisme hors de la Convention, cela en opposition avec les discours des montagnards ; il suscite la levée en masse, ce qui semble donner raison aux « enragés », partisans de procédures « populaires », tout en contrant leurs autres demandes, et en reculant les procès des girondins arrêtés et de la reine. Il est finalement exclu du Comité de salut public le 10 juillet. Son action politique semble alors prendre fin : bien qu’élu président de la Convention le 25 juillet, et soutenu par la partie de la Montagne qui veut barrer la route aux enragés et aux hébertistes, il refuse de réintégrer le Comité, quitte Paris en octobre, et se retire à Arcis, où il fait bénir par un prêtre réfractaire son remariage avec une jeune fille, jusqu’alors gouvernante de son fils aîné. Il y reste à Arcis jusqu’au 19 novembre, se reposant et gérant ses biens. • La chute. Il abandonne sa retraite pour participer à la lutte qui oppose entre elles les factions révolutionnaires. Avec Robespierre, il fait campagne contre l’athéisme des sans-culottes, campagne dont le Vieux Cordelier, journal de son ami Desmoulins, est le fer de lance. Un groupe de députés et de révolutionnaires, nommés « indulgents » ou « dantonistes », se constitue progressivement autour de lui, pour lutter contre les hébertistes et pour appeler à la modération, tant politique qu’économique. Ses succès initiaux (arrestation du chef de file hébertiste Ronsin, le 17 décembre 1793, puis une deuxième fois, le 14 mars 1794) sont cependant affaiblis par l’arrestation de Fabre d’Églantine et par la persistance des rumeurs
de corruption dont Danton est l’objet : si bien que l’exécution des hébertistes (24 mars 1794) ne renforce pas les indulgents, mais les montagnards, qui savent mieux tirer parti de la situation. Soupçonné de collusion avec la ContreRévolution, mêlé aux scandales financiers liés à la liquidation de la Compagnie des Indes, accusé d’enrichissement trop rapide, qualifié, enfin, de « déserteur des périls » par SaintJust, Danton est arrêté dans la nuit du 29 mars 1794. Trois jours plus tard, il est traduit devant le Tribunal révolutionnaire en même temps que plusieurs coaccusés, des proches, mais aussi des « étrangers » suspectés d’« agiotage ». Le procès tourne en sa défaveur : il provoque ses juges, puis est exclu des débats, ce qui le prive de toute possibilité de se défendre et de faire appel aux Parisiens. Le 16 germinal an II (5 avril 1794), il est guillotiné avec ses amis. Sa mort donne le pouvoir aux montagnards, en même temps qu’elle fait craindre aux députés la puissance nouvelle de Robespierre. Le personnage de Danton reste chargé de contradictions et de mystère. Il s’est indiscutablement enrichi grâce à la Révolution, mais ses revenus demeurent mal connus ; patriote belliciste, il n’a cessé de négocier avec les puissances étrangères ; révolutionnaire radical, puis indulgent, il n’a jamais adopté de ligne de pensée claire ; et son pragmatisme peut aussi bien correspondre à ses propres irrésolutions, à son incapacité de détenir le pouvoir, qu’à une propension authentique à l’indulgence ! Quoi qu’il en soit, Danton, ami de la vie, révolutionnaire enrichi, amoureux de ses épouses jusque dans l’excès, est devenu l’un des symboles de l’histoire révolutionnaire, figure légendaire aux aspects multiformes et contradictoires, qui influencent d’emblée toutes les approches scientifiques de l’homme tel qu’il a été. Dardanelles (opération des), expédition militaire franco-britannique, menée en 1915 contre l’Empire ottoman. Née de la volonté d’échapper à l’impasse de la guerre de positions à l’ouest, l’opération des Dardanelles figure parmi les attaques désastreuses de la Grande Guerre. Les partisans de la stratégie indirecte, et en premier chef Churchill, tentent d’imposer l’idée qu’il faut affaiblir l’Empire ottoman, considéré comme le maillon le plus fragile des alliés des puissances centrales, tout en préservant les intérêts économiques et stratégiques en Méditerranée orientale. Mais les généraux sont sceptiques. C’est la raison pour laquelle la première action tentée dans les Dardanelles est uniquement
navale ; c’est seulement après son échec qu’un débarquement dans la péninsule de Gallipoli est organisé, cependant trop hâtivement. Il est en effet facile aux Turcs, installés solidement en hauteur, de repousser les assaillants venus de la mer. Les Français et leurs alliés britanniques, principalement les troupes de l’ANZAC (Australiens et Néo-Zélandais), ne peuvent, pas plus que sur le front occidental, briser les lignes de défense par les assauts de l’infanterie, d’autant que l’apport de l’artillerie est insignifiant. Les assaillants restent bloqués à proximité des plages où ils ont débarqué le 25 avril 1915. La logique aurait consisté à reconnaître l’échec de l’opération le soir même ; mais l’ordre d’évacuation ne sera donné qu’en décembre. À quelques encablures de la Troie antique, l’« Iliade » s’est transformée en un enfer de pourriture : dysenterie, rats, mouches, manque d’eau et manque de place pour enterrer les cadavres. En janvier 1916, les Français doivent abandonner 27 000 morts sur les 80 000 soldats engagés. Ils reposent toujours dans l’immense cimetière militaire de la baie de Morto. Darlan (François), amiral et homme politique (Nérac, Lot-et-Garonne, 1881 - Alger 1942). Après l’École navale, Darlan s’illustre pendant la Première Guerre mondiale, puis alterne, sous la protection de Georges Leygues, grands commandements et participations aux cabinets ministériels. Il joue un rôle important dans la modernisation de la flotte française. En 1937, il est chef d’état-major de la madownloadModeText.vue.download 259 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 248 rine et, en 1939, amiral de la flotte. En juin 1940, commandant la seule arme invaincue, il occupe une position politique stratégique. Prônant d’abord la résistance, il se rallie rapidement à l’armistice et obtient le ministère de la Marine. En février 1941, après le renvoi de Laval, il accède à la vice-présidence du Conseil et devient le successeur désigné du maréchal Pétain. Cumulant plusieurs portefeuilles ministériels (Affaires étrangères, Marine, Information, Intérieur, puis Défense), il poursuit, avec un enthousiasme modéré, l’oeuvre de la « révolution nationale ». Par la promotion de jeunes technocrates (Pucheu, Marion, Lehideux), souvent gagnés aux idées planistes, il privilégie la modernisation éco-
nomique. Son gouvernement renforce les comités d’organisation et crée le service national de la statistique. Dans le même temps, il promulgue le second statut des juifs (juin 1941) et la Charte du travail (octobre 1941), et cautionne le virage répressif du régime en août 1941. Mais la grande affaire de Darlan reste la Collaboration. Persuadé que l’Allemagne a gagné la guerre et qu’une reprise des hostilités serait catastrophique pour la France, il recherche un accord politique, préalable à une révision de l’armistice. Il signe ainsi les protocoles de Paris (mai 1941), qui ouvrent la voie à une collaboration militaire. Sa politique se solde par un cinglant échec : il assume la responsabilité de la perte du Levant (juin 1941), subit l’hostilité des collaborationnistes parisiens (Doriot, Déat) et des pétainistes patriotes (Weygand), demeure impuissant devant l’inexorable dégradation des conditions de vie et, surtout, constate que les Allemands n’envisagent aucune réelle concession. En avril 1942, il s’efface devant Laval, mais reste à la tête de l’armée de l’armistice. En novembre 1942, il est fortuitement présent à Alger au moment du débarquement angloaméricain. Ayant d’abord donné l’ordre aux forces vichystes de résister, il se rallie aux Américains, qui lui confient l’administration de l’empire libéré. En butte à l’hostilité radicale des gaullistes, il engage alors la politique qui sera celle du premier giraudisme : la reprise de la guerre sans le désaveu du régime de Vichy. Le 24 décembre 1942, il est assassiné par un jeune résistant royaliste, Fernand Bonnier de La Chapelle, dans des circonstances fort troubles. Daunou (Pierre Claude François), homme politique et historien (Boulogne-sur-Mer 1761 - Paris 1840). Grand érudit, ce républicain modéré, libéral, proche des Idéologues, est l’un des plus influents techniciens de la Convention thermidorienne et du Directoire. Élève de l’Oratoire, professeur de philosophie et de théologie dans des collèges oratoriens, ordonné prêtre en 1787 et adepte de Rousseau, il s’engage dès 1789 dans la Révolution, défendant notamment la Constitution civile du clergé et l’éducation civique, l’une de ses préoccupations majeures. En 1792, il abandonne la prêtrise lorsque le département du Pas-de-Calais l’élit député à la Convention. Proche des girondins, il vote pour la réclusion et le sursis lors du procès de Louis XVI mais, s’il est hostile au
mouvement populaire, il n’entre guère dans la lutte contre les montagnards. Spécialiste des questions juridiques, il défend la Constitution girondine, combat vigoureusement celle de 1793 et proteste contre les journées des 31 mai au 2 juin, ce qui lui vaut d’être arrêté et emprisonné en octobre 1793. Libéré après la chute de Robespierre et réintégré à la Convention en décembre 1794, il est le père, avec Boissy d’Anglas, de la Constitution de l’an III. Député au Conseil des Cinq-Cents, il est, entre autres, l’auteur de la loi du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795), qui organise l’instruction publique et crée les écoles centrales, ainsi que l’Institut national, dont il devient membre. En 1798, sur la demande du Directoire, il rédige la Constitution de la République romaine, réplique de celle de l’an III. Mais, conscient des insuffisances du régime, il se fait révisionniste et plaide, peu de jours avant le 18 Brumaire, pour le renforcement de l’exécutif dans un important article de la Décade philosophique. Après le coup d’État, il participe à la commission chargée de rédiger une nouvelle Constitution ; toutefois, son projet libéral n’est pas retenu. Dès lors, critiquant le pouvoir personnel de Bonaparte, il devient l’un des principaux opposants au Consulat au sein du Tribunat, qu’il préside avant d’en être écarté en 1802. L’Empire instauré, il se consacre à ses travaux historiques à l’Institut ou aux Archives, dont il prend la direction en 1804, avant d’en être exclu sous la Restauration. Fondateur de l’archivistique et de l’historiographie modernes, membre du Collège de France en 1818, directeur du Journal des savants, il est élu député libéral en 1819 et en 1830. Comblé d’honneurs par la monarchie de Juillet, qui lui rend la direction des Archives et le fait pair de France en 1839, il laisse une oeuvre considérable. Dauphiné, ancienne province de France qui s’étend des Alpes au Rhône, entre la Savoie, au nord, et la Provence, au sud. Formé de la partie septentrionale de la province romaine de Narbonnaise, le Dauphiné est dominé durant le haut Moyen Âge par les Burgondes, puis par les Francs, avant d’être inclus, en 843, dans le royaume de Lothaire. Il n’acquiert son identité qu’à partir du XIe siècle, lorsqu’en 1029 le comté de Vienne, détaché du royaume de Bourgogne, est inféodé pour sa partie méridionale au comte d’Albon, Guigues Ier le Vieux. Agrandi à partir de ce noyau initial, le Dauphiné, situé dans la mouvance impériale, en vient, sous l’autorité des maisons d’Albon, de Bourgogne et de La Tour du Pin, à former une principauté remarquable-
ment organisée, surtout en matière de justice et d’administration. Son existence autonome est cependant de courte durée : en 1349, par le traité de Romans, Humbert II, endetté et privé de descendance, est conduit à céder son État au petit-fils de Philippe VI, le futur Charles V, en échange de 200 000 florins. Dès lors, le Dauphiné constitue l’apanage traditionnel du fils aîné du roi de France, qui prend le titre de dauphin sans pour autant y résider. Seul le futur Louis XI, écarté par son père après le soulèvement avorté de la Praguerie, se consacre en personne au gouvernement de la province. Devenu roi, il en conserve l’administration et prépare ainsi son intégration au royaume. Cette pratique, reprise par ses successeurs, aboutit à l’union définitive du Dauphiné à la couronne en 1560. David (Jacques Louis), peintre et homme politique (Paris 1748 - Bruxelles 1825). « Citoyen-artiste » au service de la Révolution, puis peintre officiel de l’Empire, David est un personnage controversé. Prix de Rome en 1774, il s’impose dans les années 1780 comme le chef de file du néoclassicisme, s’opposant au style rococo et remettant à la mode l’Antiquité classique, notamment avec le Serment des Horaces (1784), qui le rend célèbre. S’il n’est guère théoricien, il est ambitieux et s’enthousiasme d’emblée pour la Révolution, exposant après la prise de la Bastille un Brutus, héros de la République romaine, resté fameux. En 1790, tandis qu’il ébauche la grande toile du Serment du Jeu de paume, qui restera inachevée, il combat l’Académie royale de peinture au sein de la Commune des arts, groupe d’artistes réunis sur son initiative. Membre du Club des jacobins, signataire, après Varennes, d’une pétition républicaine, il est élu en septembre 1792 à la Convention, où, député montagnard, il joue un rôle important au sein du Comité d’instruction publique. Il régente alors la politique artistique, participe à l’élaboration du calendrier républicain, oeuvre à l’« épuration » et à la suppression des Académies et de sociétés littéraires, et conçoit les scénographies des grandes fêtes révolutionnaires de l’an II. Parallèlement, il continue d’exalter dans ses toiles les vertus civiques et les martyrs de la liberté : Lepeletier de Saint-Fargeau, Joseph Bara, et surtout Marat assassiné, représenté mort dans sa baignoire (1794). Membre à partir de septembre 1793 du Comité de sûreté générale, où, s’il est responsable des arrestations, il est peu influent et souvent absent. Il échappe à la guillotine après la chute de Robespierre, peut-
être grâce à sa neutralité lors du 9 Thermidor, puis est incarcéré en 1795. Sous le Directoire, il abandonne la politique pour se consacrer à la peinture, mais il lit Babeuf et lance des pétitions en faveur des jacobins ou contre le pillage des objets d’arts par l’armée d’Italie. Il est cependant fasciné par Bonaparte, qu’il peint comme un héros antique et qui le nomme en 1804 premier peintre de l’Empire. Dès lors, David glorifie le règne, réalisant portraits et oeuvres d’apparat, tels le Sacre (1807) ou la Distribution des aigles (1810). En 1816, au retour de Louis XVIII, ce régicide demeuré fidèle à Napoléon est contraint de s’exiler en Belgique, où il finit ses jours après avoir dominé la peinture révolutionnaire et impériale et formé dans son atelier nombre d’élèves, tels Topino-Lebrun, Gros, Gérard, Girodet ou Ingres. Davout (Louis Nicolas), maréchal de France, duc d’Auerstaedt et prince d’Eckmühl (Annoux, Yonne, 1770 - Paris 1823). Né dans une famille de noblesse ancienne mais sans gloire, Davout entre en 1785 à l’École militaire de Paris et commence sa carrière en 1788 comme sous-lieutenant dans le régiment de Royal-Champagne cavalerie. Il soutient avec downloadModeText.vue.download 260 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 249 enthousiasme la cause de la Révolution et s’enrôle, en 1791, parmi les volontaires de l’Yonne, où il est bientôt élu chef de bataillon. Fait général de division dans l’armée du Nord en 1793, il refuse cette promotion, se conformant en cela au décret qui exclut les nobles de l’armée. Il reprend du service après le 9 Thermidor et se lie d’amitié avec Desaix, qui le présente à Bonaparte en 1798. Désigné pour commander une brigade de cavalerie à l’armée d’Orient, il s’illustre durant la campagne d’Égypte. Après son retour, il est promu général de division dès le 3 juillet 1800. En 1801, il devient général de la Garde des consuls et épouse la soeur du général Leclerc. Il s’affirme comme l’un des véritables hommes de guerre de l’entourage de Napoléon et joue un rôle décisif à Austerlitz. En 1806, par ses succès à Auerstaedt, il facilite la victoire d’Iéna. Il est nommé gouverneur général du grand-duché de Varsovie en 1807. Il se distingue particulièrement à Eckmühl en 1809. Maréchal d’Empire en 1804, duc en 1808, prince en 1809, il est alors au faîte de la société impériale. Chargé de la défense de
Hambourg en 1813, il n’évacue la place que le 27 mai 1814, sur ordre du roi, après la chute de Napoléon. Il est le seul des maréchaux à ne pas prêter serment à Louis XVIII. Ministre de la Guerre et pair de France durant les CentJours, il est exilé à Louviers en décembre 1815. Toutefois, il reçoit le bâton de maréchal fleur de lys en 1817 et reprend place à la Chambre des pairs en 1819. Déat (Marcel), homme politique (Guérigny, Nièvre, 1894 - San Vito, près de Turin, 1955). Intellectuel doctrinaire, normalien revenu pacifiste de la guerre, qu’il a faite à 20 ans, Marcel Déat est l’une des figures montantes de la SFIO au début des années vingt. Élu député de la Marne en 1926, il fait parti, quelques années plus tard, des théoriciens d’un « néosocialisme » qui prône l’union anticapitaliste des classes moyenne et ouvrière, et la participation des socialistes au gouvernement. Il se marginalise peu à peu, rompt avec Léon Blum, et finit par être exclu du parti en 1933. Éphémère ministre de l’Air dans le gouvernement Sarraut (janvier-juin 1936), hostile au Front populaire, Déat est alors à la recherche d’un modèle, et, tels le radical Gaston Bergery et l’ex-communiste Jacques Doriot, s’oriente vers un régime de type autoritaire. Le 4 mai 1939, il retrouve des accents pacifistes dans un article publié par l’OEuvre sous le titre « Faut-il mourir pour Dantzig ? ». Le 10 juillet 1940, il vote les pleins pouvoirs à Pétain, appuie ensuite Pierre Laval, crée le Rassemblement national populaire (RNP) en 1941, et, au terme d’une « dérive fasciste » (Philippe Burrin), joue finalement la carte allemande. Le RNP, qui compte tout au plus 20 000 adhérents actifs à son apogée en 1942, permet néanmoins à Déat de diffuser un programme favorable au parti unique, au corporatisme, à « l’épuration et à la protection de la race ». Nommé ministre du Travail et de la Solidarité nationale par Laval en 1944, passé en Allemagne à la Libération, Marcel Déat trouve refuge, ensuite, dans un couvent en Italie, où il finit ses jours. débarquement ! Normandie (débarquement de), Provence (débarquement de) Debré (Michel), homme politique (Paris 1912 - id. 1996). Sa carrière est marquée par une fidélité indéfectible au général de Gaulle. Son ralliement à la Résistance lui vaut d’être nommé commissaire de la République à Angers en 1944. Chargé de mission auprès de l’homme du
18 Juin, il fonde alors l’École nationale d’administration (ENA). Sénateur RPF de 1948 à 1958, Debré figure parmi les adversaires du Marché commun et les partisans les plus résolus de l’Algérie française. Le retour au pouvoir du général, à la suite des événements du 13 mai 1958, le ramène à des postes de responsabilité : garde des Sceaux en juin 1958, il est chargé d’élaborer la nouvelle Constitution ; puis il devient Premier ministre du premier gouvernement de la Ve République (1959-1962), devant alors, à contrecoeur, préparer l’indépendance de l’Algérie. Ministre de l’Économie et des Finances, puis des Affaires étrangères dans les cabinets de Pompidou et de Couve de Murville, il s’attache à défendre l’idée d’indépendance nationale, puis celle de la dissuasion nucléaire au ministère de la Défense (1966-1973) dans les gouvernements Chaban-Delmas, puis Messmer. Hostile à l’évolution du régime durant le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, ainsi qu’à celle du gaullisme sous l’impulsion de Jacques Chirac, il se présente à l’élection présidentielle de 1981, où il obtient 1,65 % des voix. Debré (loi), loi scolaire votée en 1959. Elle donne aux écoles privées le choix entre le statu quo (sans subventions), l’intégration à l’enseignement public ou l’établissement d’un contrat dit « simple » ou « d’association », les salaires des maîtres et/ou les frais de fonctionnement étant dans ces deux derniers cas pris en charge par l’État, en contrepartie du respect de certaines normes. Amendée par plusieurs textes législatifs, notamment en 1971, pour faciliter la transformation des contrats simples en contrats d’association, et en 1974 par la loi Guermeur, la loi Debré, malgré l’incessante opposition des défenseurs de la laïcité, continue de réguler pour l’essentiel les rapports entre l’État et les établissements d’enseignement privé. Le principe de parité qu’elle établit se trouve pleinement confirmé par les accords signés, à l’initiative de Jack Lang, en 1992 et 1993 entre le ministère de l’Éducation nationale et l’enseignement catholique, accords qui reconnaissent l’enseignement privé comme partenaire du système éducatif. Decazes et de Glücksberg (Élie, duc), homme politique (Saint-Martin-de-Laye, près de Libourne, 1780 - Decazeville, Aveyron, 1860). Celui qui fut le dernier favori d’un roi de France, et qui aurait peut-être inspiré à Balzac le personnage de Rastignac de la Comédie humaine, souffre depuis toujours d’une mé-
sestimation de son projet politique : réconcilier la monarchie et la nation à l’aube de la Restauration. Fils d’un lieutenant particulier de la sénéchaussée et présidial de Libourne, élève de l’école militaire de Vendôme, où il a pour condisciple le philosophe Maine de Biran, Decazes poursuit à Paris ses études de droit et devient avocat. Un premier mariage en 1805 avec la fille du comte Muraire, premier président de la Cour de cassation, lui ouvre une carrière sous l’Empire : il est juge au tribunal de la Seine (1806), puis conseiller du cabinet parisien du roi de Hollande Louis Bonaparte (1808), et devient ensuite secrétaire aux commandements de Madame Mère, Letizia Bonaparte. Au début de la Restauration, il se rallie aux Bourbons et prend le commandement de la Garde nationale du boulevard des Italiens ; il se retire à Libourne durant les Cent-Jours. C’est par l’entremise de Talleyrand qu’il se voit promu, en juillet 1815, à l’âge de 35 ans, préfet de police de la Ville de Paris sous les ordres de Fouché. S’ouvre alors une brève mais exceptionnelle carrière politique, qui conduit Decazes à gagner à la fois la confiance du roi Louis XVIII, dont il devient le confident, et à combattre résolument le parti ultraroyaliste. Successivement ministre de la Police (septembre 1815) - après l’éviction de Fouché -, puis ministre de l’Intérieur (décembre 1818) dans le gouvernement Dessolles, enfin Premier ministre de novembre 1819 à février 1820, il est, par son intelligence des réalités françaises, son habileté et sa souplesse, l’homme clé du parti constitutionnel ; il peut en outre se prévaloir de l’affection du roi, qui entretient avec lui une intense correspondance politique et familière, émaillée d’étonnantes tendresses épistolaires. Principal protagoniste de la dissolution de la « Chambre introuvable » en septembre 1816, il contribue au vote des grandes lois libérales sur les élections (1817), sur l’armée (loi Gouvion-SaintCyr, 1818) et sur la presse (lois Serre, 1819). En mars 1819, il parvient à contrer l’opposition de la Chambre des pairs par la nomination de soixante nouveaux membres. Mais il est poursuivi par la vindicte des ultraroyalistes, qui le rendent responsable de l’assassinat du duc de Berry, neveu de Louis XVIII, et ce dernier l’abandonne. Fait duc et pair de France, Decazes est nommé ambassadeur à Londres. Grand référendaire de la Chambre des pairs sous la monarchie de Juillet, il consacre désormais son activité au développement des mines et de la ville de Decazeville, fondées par lui en
1826. Decazeville (grève de), grève qui éclate le 26 janvier 1886 à la Société nouvelle des houillères et fonderies de l’Aveyron, à Decazeville. C’est l’une des multiples manifestations sociales qui accompagnent la dépression économique des années 1880. Motivée, comme partout, par le chômage, la pression sur les salaires, et la misère quotidienne, la grève est nourrie par le contexte local : la situation de la compagnie ne justifie pas la baisse des salaires, et la personnalité de l’ingénieur Watrin attise les haines. Watrin, seul responsable présent ce jour-là, refuse de négocier, et les propos apaisants du maire ne font pas retomber la tension. Réfugié dans un bâtiment de la mine que les manifesdownloadModeText.vue.download 261 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 250 tants prennent d’assaut, l’ingénieur est blessé ; il accepte de démissionner. Mais l’émeute est trop puissante, et il est défenestré. Ces événements suscitent un grand émoi dans le pays. Alors que la grève se prolonge jusqu’au 12 juin, le gouvernement envoie la troupe, procède à un certain nombre d’arrestations, et intente un procès aux responsables présumés de la mort de Watrin. La grève de Decazeville, mise en valeur par la presse anarchiste et socialiste, devient rapidement un haut fait du mouvement ouvrier ; l’action de ces « martyrs » est glorifiée : le terme « watriner » se répand pour signifier « faire justice ». C’est aussi la première fois que la République réplique si brutalement à un mouvement social de cette ampleur, nourrissant pour longtemps l’antagonisme entre le monde ouvrier et les dirigeants politiques. décembre 1851 (coup d’État du 2), coup de force militaire par lequel le président de la IIe République, Louis Napoléon Bonaparte, s’est maintenu au pouvoir et a installé un régime dictatorial. La Constitution de 1848 interdisait au président sortant de solliciter un nouveau mandat, si bien que Louis Napoléon Bonaparte, élu le 10 décembre 1848, devrait quitter le pouvoir en mai 1852. Dès août 1850, il se rend dans les « régions républicaines » afin de tenter de séduire l’électorat. À partir de mars 1851, les préfets, nommés par lui, se lancent dans une active campagne en faveur d’une révision constitutionnelle. Le 19 juillet, 446 députés votent
pour la révision, mais la majorité requise des trois quarts n’est pas atteinte : le conflit entre l’Assemblée et le président reste entier. • La préparation du coup d’État. Elle est engagée, dès l’été 1851, par un petit nombre de conjurés : Fialin de Persigny, Fleury, Rouher et Edgar Ney sont les plus fidèles, mais des rôles importants reviennent à Morny, ministre de l’Intérieur, à Maupas, préfet de police, et aux généraux Leroy de Saint-Arnaud, ministre de la Guerre, et Magnan, commandant de l’armée de Paris. Par ailleurs, en demandant l’abrogation de la loi du 31 mai 1850, qui restreint le suffrage universel, Louis Napoléon Bonaparte s’efforce de briser l’alliance entre républicains et orléanistes. Enfin, sous la direction de Granier de Cassagnac, la propagande s’emploie à effrayer les électeurs quant aux conséquences de l’arrivée au pouvoir des démocrates socialistes, et à présenter Louis Napoléon comme le seul rempart contre le désordre. Initialement prévu pour la mi-septembre, le coup de force est fixé au 2 décembre 1851, date à laquelle les députés sont réunis à Paris. • Le coup de force parisien. Au matin du 2 décembre, jour anniversaire du sacre de Napoléon Ier et de la victoire d’Austerlitz, 78 personnes sont arrêtées, dont 69 républicains mais aussi quelques orléanistes, tel Thiers. 16 députés sont mis sous les verrous, de même que les généraux susceptibles de prendre la tête de la résistance, tels Changarnier ou Cavaignac. À leur réveil, les Parisiens découvrent, placardée sur les murs de la capitale, une proclamation du président annonçant la dissolution de l’Assemblée et le rétablissement du suffrage universel : les électeurs sont appelés aux urnes afin d’approuver ces décisions. Un appel au peuple est également affiché : le coup de force y est présenté comme une action contre la majorité royaliste et réactionnaire, et les bases d’une nouvelle Constitution y sont proposées, en faisant référence au régime de Napoléon Ier. Louis Napoléon se pose en rempart contre l’anarchie. L’opposition parlementaire s’organise, et 220 députés, pour la plupart orléanistes, votent la déchéance du président avant d’être arrêtés. Par ailleurs, les républicains, dont Victor Hugo, Victor Schoelcher et JeanBaptiste Baudin, tentent de répondre en soulevant le faubourg Saint-Antoine ; mais ils se heurtent à l’immobilisme des ouvriers, sensibles à la propagande antiparlementaire des bonapartistes. Toutefois, le 3 décembre, des barricades sont dressées dans les faubourgs
du Temple, de Saint-Antoine et de Saint-Denis, tandis qu’une foule hostile, socialement hétérogène, s’amasse sur les boulevards. Le 4, la répression est engagée contre une population désarmée, faisant 380 morts. • Les réactions en province. Dans l’Ouest, le Nord, le Nord-Est et la région parisienne, la propagande des républicains a peu touché les populations, qui ne réagissent guère au coup d’État. En revanche, dans le Centre et le Midi, où les élections de 1849 ont révélé une France « rouge », la résistance se met en place, sans mots d’ordre nationaux, stimulée par le refus de voir ruiné l’espoir d’une République des « petits ». Dans le centre du pays, des paysans répondent aux appels lancés par des républicains. Dans le Gers, les insurgés tiennent en échec durant plusieurs jours les fonctionnaires ralliés à Louis Napoléon. Dans le Lotet-Garonne, la révolte risque de couper l’axe Bordeaux-Toulouse et de conduire à la guerre civile ; elle s’étend également en Dordogne, dans l’Aveyron, l’Hérault et le Tarn-et-Garonne. La résistance est particulièrement vive dans le Sud-Est : les Basses-Alpes, la Drôme et le Var connaissent une insurrection généralisée jusqu’au 10 décembre, notamment grâce à l’action des sociétés secrètes. La répression qui s’ensuit est sévère : plus de 30 000 personnes sont arrêtées, 15 000, condamnées, et 60 députés, exilés. Pour les conservateurs, Louis Napoléon a sauvé la France du « péril rouge », et 7 millions d’électeurs semblent donner raison au prince à l’occasion du plébiscite du 21 décembre. déchristianisation. Le terme de déchristianisation ne semble pas être apparu dans la langue française avant les dernières décennies du XIXe siècle ; il n’est mentionné par Émile Littré que dans le Supplément (1877) de son Dictionnaire de la langue française, avec l’exemple suivant, tiré d’une publication de circonstance de Mgr Dupanloup, Où allons-nous ? (1876) : « Sous le nom de cléricalisme, écrit l’évêque d’Orléans, c’est le christianisme qu’ils attaquent, c’est à l’Église qu’ils en veulent, c’est la religion qu’ils outragent, c’est la déchristianisation de la France qu’ils poursuivent. » • Déchristianisation active : la déchristianisation révolutionnaire. « Déchristianisation : action de déchristianiser. » Dans sa sobre définition, Littré privilégie un sens actif, offensif, prospectif, lié aux intenses polémiques politico-religieuses de l’époque de Léon Gambetta et de Louis Veuillot et aux événements violents de l’histoire religieuse de
la Révolution française. L’expression, d’origine catholique, reprend, en inversant le point de vue, le vocabulaire des promoteurs de la persécution antichrétienne de l’an II, lorsqu’ils se proposaient de « défanatiser » les Français et de « déprêtriser » la France. Le terme de « déchristianisation révolutionnaire » s’est ainsi imposé aux historiens de la Révolution pour décrire la politique religieuse conduite depuis la mise en place de la Terreur à l’automne 1793 jusqu’à la tentative de pacification menée par Bonaparte à partir de 1800. On parle de « déchristianisation négative » pour désigner la fermeture des lieux de culte, la vente des chapelles et des sanctuaires, la destruction ou la fonte des reliques, des statues et du mobilier liturgique et ecclésiastique, la réquisition des lettres de prêtrise, l’abdication volontaire ou contrainte des ministres du culte, l’incitation parfois violente au mariage des anciens desservants catholiques, l’expulsion, l’arrestation, l’emprisonnement, la déportation ou l’exécution (pour un millier d’entre eux environ) de nombreux prêtres. La « déchristianisation positive » s’exerce à travers l’introduction d’un nouveau calendrier partagé en décades (ce qui exclut le repos dominical du jour du Seigneur) et laïcisé, l’instauration de nouveaux cultes (culte de la Raison, puis de l’Être suprême, en l’an II ; culte décadaire et culte théophilanthropique, sous le Directoire) promus et encouragés par l’État républicain, et l’avènement d’une éthique et de formes de sacralité laïques (catéchismes républicains, liturgies civiques, fêtes révolutionnaires, culte des martyrs de la Révolution, « saintes patriotes » de l’Ouest). • Déchristianisation passive : la mesure du détachement religieux. Le terme de déchristianisation a cependant glissé, dès l’aube du XXe siècle, vers une seconde acception, non plus active mais passive, non plus offensive mais purement descriptive. « Déchristianisation : action de déchristianiser, de se déchristianiser », indique désormais le Larousse du XXe siècle. Le passage à la forme pronominale conduit ainsi d’une incrimination de l’action des adversaires du christianisme à une constatation de l’ampleur prise par le processus de détachement religieux qui éloigne une partie grandissante des fidèles de l’Église catholique d’une pratique régulière de ses sacrements et d’une observation effective de ses commandements. Une abondante littérature d’origine cléricale - depuis les interventions amères des prêtres de paroisse aux congrès ecclésiastiques de Reims (1896) et de Bourges (1900) jusqu’aux reportages alarmants du Père Lhandes sur la
situation religieuse de la périphérie de Paris dans l’entre-deux-guerres (le Christ dans la banlieue, la Croix sur les fortifs) - s’efforce d’attirer l’attention des autorités religieuses et des croyants sur la profondeur et la gravité que revêt la déchristianisation des masses, urbaines et ouvrières en premier lieu, mais aussi rurales. Le livre décisif que publient en 1943 les abbés Godin et Daniel, la France, pays de mission ?, marque l’apogée d’une prise de conscience des phénomènes de détachement religieux en downloadModeText.vue.download 262 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 251 milieu urbain. Dans ces « pays de mission », constatent les deux auteurs, « les institutions sont païennes, le climat est païen, les individus sont païens ; la loi naturelle se trouve ramenée à si peu de chose que la conscience ne réagit qu’irrégulièrement et incomplètement. Des traditions chrétiennes, pas de traces ; elles sont restées en Bretagne, en Auvergne ». Et de proposer, pour la France métropolitaine, une stratégie de reconquête spirituelle fondée sur l’expérience des mouvements d’Action catholique ouvrière et sur le recours au modèle de la mission entendue comme « annonce de la Bonne Nouvelle à des hommes qui l’ignorent ». Dans le lexique catholique des années trente et quarante, la référence à la déchristianisation est à la fois entendue comme un constat de défaite et une exigence de renouvellement. • La déchristianisation mesurée : genèse de la sociologie religieuse. C’est dans ce contexte culturel que naît et s’affirme une discipline nouvelle, qui prendra le nom de sociologie religieuse. Ses fondateurs, le juriste Gabriel Le Bras (1891-1970), historien du droit canon, et son principal disciple, le chanoine Fernand Boulard (1898-1977), appartiennent tous deux à un milieu d’intellectuels catholiques militants, soucieux de passer du constat à la mesure, de la déploration des « temps mauvais » à la description quantitative des phénomènes, et de faire bénéficier la réflexion pastorale des acquis de la sociologie. Dans un article publié en 1931 dans la Revue d’histoire de l’Église de France, Le Bras appelle ainsi à « une enquête sur la pratique et la vitalité religieuses du catholicisme en France » et propose un vaste programme de relevé systématique des indices permettant de mesurer l’état de la déchristianisation. L’assistance à la messe dominicale (les « messalisants ») et, surtout, la participation à la communion pascale, prescrite par les com-
mandements de l’Église (les « pascalisants »), constituent les deux critères principaux d’une approche statistique rigoureuse des comportements religieux, auxquels viendront s’ajouter plus tard d’autres indices : les baptêmes, mariages et sépultures civils, le recrutement sacerdotal, le respect du délai de baptême et des interdits pour les mariages, l’ampleur des pratiques contraceptives réprouvées par l’Église, etc. • Un instrument de mesure de la déchristianisation : la Carte Boulard. Dès 1947, le chanoine Boulard est à même de fournir une Carte religieuse de la France rurale qu’il ne cessera d’affiner. Celle-ci met en évidence l’extraordinaire disparité de la pratique religieuse dans les campagnes. On y distingue nettement les « pays chrétiens » (au moins 45 % d’adultes pratiquants) de la Bretagne et de l’Ouest intérieur, du Cotentin et du pays de Caux, de la Flandre et du Boulonnais, de la Lorraine, de l’Alsace et de la Franche-Comté, de la Savoie, du Forez, des hautes terres du sud-est du Massif central, du Pays basque et du Béarn ; les « pays indifférents à traditions chrétiennes », marqués par un « conformisme saisonnier » ; et, surtout, les « pays de mission » (au moins 20 % d’enfants non baptisés) de certains cantons du Limousin, de la basse Bourgogne, de la Champagne méridionale, de la Brie et du Beauvaisis. La fidélité au catholicisme dans la France rurale se caractérise ainsi par une distribution périphérique qui privilégie les marges de l’Ouest, du Nord-Ouest, de l’Est, du sud-est du Massif central et de l’extrême Sud-Ouest, par rapport à l’ensemble plus ou moins profondément déchristianisé du grand Bassin parisien, prolongé par le Limousin et l’Aquitaine, et, dans une moindre mesure, par la Provence. La publication des Matériaux Boulard, entreprise depuis 1982 à l’échelle des grandes régions françaises, ainsi que la convergence d’autres enquêtes contribuent à faire de la carte religieuse de la France un formidable instrument d’investigation et de questionnement. Pourquoi y a-t-il eu déchristianisation ? Depuis quand ? Et comment rendre compte de telles disparités géographiques ? Depuis plusieurs décennies, la Carte Boulard invite les historiens à une recherche rétrospective qui s’efforce de dater, quantifier et cartographier le phénomène en fonction des sources disponibles et de suggérer des interprétations. Ainsi, la distribution périphérique des dynamiques du catholicisme français a-t-elle été tour à tour
vérifiée, pour le XIXe siècle, par des indices aussi divers que le recrutement des prêtres, des religieux et des religieuses, les dons à l’OEuvre de la propagation de la foi, la demande d’indulgences en cour de Rome ou le recrutement des zouaves pontificaux. La confrontation cartographique la plus saisissante est celle établie par l’historien américain Timothy Tackett à partir des statistiques du serment imposé en 1791 au clergé paroissial lors de la mise en place de la Constitution civile du clergé. Prêtres constitutionnels et prêtres réfractaires occupent, à peu de chose près, l’espace des futures régions déchristianisées et fidèles des XIXe et XXe siècles : la Bretagne et l’Ouest intérieur, la Flandre, la Franche-Comté, les hautes terres du Massif central, le Pays basque, sont massivement réfractaires, quand le Bassin parisien, la Bourgogne, le Limousin, la Provence, s’engagent non moins massivement dans l’Église « nationale » et « régénérée » mise en place par l’Assemblée constituante. Le choix effectué par le clergé à l’aube de la Révolution sera ensuite consacré par la déchristianisation de l’an II (émigration ou persécution des réfractaires d’une part, déprêtrisation des constitutionnels de l’autre). L’État, sa politique religieuse et ses doctrines ont ainsi pesé lourd dans les fidélités ou les détachements religieux : c’est dans les régions tardivement agrégées à l’espace français que la déchristianisation semble, dans le long terme, avoir été en définitive la plus faible. décime, imposition sur les revenus des biens ecclésiastiques, établie par le pape Clément III en 1188 afin de financer la troisième croisade. Pour en fixer le montant, il faut connaître le revenu annuel et les charges, car le titulaire d’un bénéfice doit payer non pas la dixième partie de tous ses revenus bruts, mais la dixième partie après déduction des charges. L’estimation est faite par les agents du fisc pontifical, et la perception, assurée par des agents spéciaux, les collecteurs. D’exceptionnelle à l’origine, la décime tend à devenir, dans le courant du XIIIe siècle, un impôt plus ou moins régulier, que le renforcement de la centralisation pontificale et les besoins financiers sans cesse accrus semblent justifier. Les souverains pontifes peuvent ainsi décréter de lever une ou plusieurs décimes pour une ou plusieurs années. Mais il leur arrive aussi, pour diminuer les charges du clergé, et en tenant compte de l’appauvrissement des temporels, d’accorder détaxes
ou exemptions : en 1363, Urbain V réduit de moitié la décime de certains diocèses du royaume de France, une mesure qu’étendra Grégoire XI en 1372-1374. Impôt papal, la décime est fréquemment concédée aux souverains pour qu’ils mènent diverses entreprises. Mais il arrive que ceux-ci la lèvent sans en référer au pape, provoquant ainsi une grave crise - par exemple, en 1296-1298, entre Philippe le Bel et Boniface VIII. À partir de la seconde moitié du XVIe siècle, les assemblées du clergé de France votent le « contrat de décime », c’est-à-dire la taxe « accordée » au roi, en réalité à sa demande, et pour laquelle une entente a été préalablement conclue. Son montant annuel s’élève à 1,3 million de livres. Dès 1621, le roi exige une subvention supplémentaire : le « don gratuit ». La Constitution civile du clergé mettra fin à ce système en 1790. Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ! droits de l’homme et du citoyen (Déclaration des) l DÉCOLONISATION. La dislocation de l’empire colonial français a suivi de peu la Seconde Guerre mondiale. Entre 1945 et 1962, la France renonce à sa souveraineté sur la majeure partie de ses possessions hors d’Europe. Elle conserve pourtant les départements et territoires d’ outremer, et une vaste zone d’influence en Afrique. LE FRAGILE APOGÉE DE L’EMPIRE COLONIAL Les lendemains de la Seconde Guerre mondiale apparaissent, à la fois, comme l’apogée et le commencement de la fin de l’empire colonial. Après une tentative pour lui donner une organisation constitutionnelle durable sous le nom d’« Union française », en 1945 et 1946, celui-ci a été miné par une succession ininterrompue de conflits sanglants, entre 1945 et 1962 : guerre d’Indochine (1946-1954), troubles en Tunisie et au Maroc (1952-1955), guerre d’Algérie (1954-1962). Cependant, la politique française a su évoluer assez tôt pour émanciper les pays d’Afrique noire sans crise majeure. La Seconde Guerre mondiale a simultanément parachevé le ralliement de l’opinion publique française à l’idée coloniale, et déclenché un processus inéluctable de décolonisation. Plus encore que le premier, le second conflit mondial a démontré l’importance de
l’empire pour la puissance française. Durant « la drôle de guerre », l’empire se prépare à jouer le même rôle que pendant la Grande Guerre : un réservoir d’hommes (soldats et downloadModeText.vue.download 263 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 252 travailleurs), de produits et de capitaux. Puis l’invasion allemande du 10 mai 1940 et l’entrée en guerre de l’Italie, le 10 juin, en font un enjeu stratégique et politique majeur. L’éventualité de prolonger la Résistance, après l’occupation de la métropole, en transférant en Afrique du Nord le siège du pouvoir politique et le maximum de moyens militaires (aviation, flotte, troupes terrestres) venant étoffer les forces coloniales, divise le gouvernement de Paul Reynaud. Quand Pétain demande et accepte l’armistice (signé le 22 juin 1940 avec l’Allemagne, et le 24 juin avec l’Italie), il se conforme à l’idée que quitter la métropole reviendrait à déserter le territoire national : le maréchal considère l’empire comme une possession de la France, et non comme la « France d’outre-mer ». La suite des événements va encore accentuer l’importance de l’empire pour les deux pouvoirs rivaux : l’État français de Vichy, et la France libre. Pétain a jugé l’armistice acceptable, parce qu’il conserve à la France sa flotte et son empire ; il y voit un atout indispensable pour garder une certaine indépendance face aux occupants. En revanche, le général de Gaulle s’efforce d’entraîner les gouverneurs des colonies à refuser l’armistice, pour maintenir la France dans la guerre jusqu’à la victoire aux côtés de l’Empire britannique et avec l’appui des États-Unis ; il rallie ainsi à sa cause, de gré ou de force, un nombre grandissant de colonies : le Tchad, puis toute l’Afrique-Équatoriale française (A-ÉF), où il installe un Conseil de défense de l’empire, en octobre 1940 (après avoir été repoussé devant Dakar en septembre) ; enfin, en juin-juillet 1941, la Syrie et le Liban, arrachés aux forces de Vichy avec le soutien des Britanniques. L’évolution de la guerre finit par lui donner raison. Après le débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942 au Maroc et en Algérie (suivi d’une invasion germano-italienne en Tunisie, puis de la zone libre en métropole, le 11 novembre), les troupes d’Afrique du Nord et d’Afrique-Occidentale française (A-OF), restées fidèles à Vichy, rejoignent le camp allié et entrent dans la guerre sous le
commandement de l’amiral Darlan (ancien partisan de la coopération militaire avec l’Allemagne), puis du général Giraud. Grâce à l’appui de la Résistance intérieure, de Gaulle écarte rapidement ce dernier. Précédemment vichyste, l’armée d’Afrique, complétée par une mobilisation sans précédent des populations française et indigène et par l’arrivée de volontaires métropolitains, joue un rôle croissant dans les opérations militaires en Tunisie, en Italie, en Corse, dans le débarquement de Provence (15 août 1944), puis dans la remontée vers le Rhin et le Danube. Ainsi, comme le déclare le député guyanais Gaston Monnerville à l’Assemblée consultative le 25 mai 1945 : « Sans son empire, la France ne serait qu’un pays libéré. Grâce à son empire, la France est un pays vainqueur. » C’est alors l’apogée de l’idée coloniale, dans les milieux politiques issus de la Résistance et dans l’opinion publique. Pourtant, la guerre a gravement affaibli le prestige de la France et le loyalisme des populations indigènes (dont les autorités coloniales se félicitent jusqu’en juin 1940). La défaite militaire, les appels du gouvernement de Vichy à la collaboration avec l’Allemagne et son acceptation de l’occupation japonaise en Indochine, ont ruiné la foi en la puissance française. La détérioration continue des conditions de vie et l’aggravation des inégalités de ravitaillement entre Français et indigènes ont miné la confiance en la richesse et la générosité de la France. Les élites et les masses des peuples colonisés se tournent vers les propagandes étrangères : d’abord celles des puissances de l’Axe (panasiatisme japonais, arabophilies allemande et italienne) - limitées par leurs propres ambitions impérialistes et par le souci de ne pas inquiéter les autorités coloniales vichystes -, puis celle des alliés angloaméricains, qui proclament, dans la charte de l’Atlantique (août 1941), le droit de tous les peuples soumis à une domination étrangère à recouvrer leur indépendance. Les mouvements nationalistes ainsi encouragés s’expriment au grand jour dès que le tête-à-tête entre colonisateurs et colonisés est interrompu par des armées étrangères : Britanniques en Syrie et au Liban (juin 1941), et à Madagascar (mai 1942), Anglo-Américains en Afrique du Nord (8 novembre 1942), Germano-Italiens en Tunisie, de novembre 1942 à mai 1943, Japonais présents depuis septembre 1940 en Indochine, d’où ils éliminent l’armée et l’administration vichystes le 9 mars 1945. Confrontées aux revendications indépen-
dantistes, les autorités françaises réagissent par la force dès qu’elles cessent de craindre l’intervention des Alliés. Le général Giraud temporise face au Manifeste du peuple algérien de Ferhat Abbas (qui réclame une nationalité et un État algériens), mais, en Tunisie, libérée de l’occupation germano-italienne en mai 1943, il réprime le Néo-Destour, compromis avec les occupants, et dépose le bey Moncef sous la même accusation. La France libre a reconnu, dès juin 1941, l’indépendance (but final du mandat donné par la Société des nations [SDN]) du Liban et de la Syrie, mais elle veut retarder le transfert complet des compétences et l’évacuation des troupes françaises jusqu’à la fin de la guerre et la remise du mandat à l’ONU, ce qui provoque une grave crise franco-libanaise en novembre 1943, et un affrontement franco-syrien arrêté par un ultimatum britannique en mai 1945. En Afrique du Nord, le général Catroux, commissaire aux Affaires musulmanes du Comité français de libération nationale (CFLN), repousse le Manifeste du peuple algérien (nationaliste modéré), puis fait désavouer le Manifeste du parti de l’indépendance (Istiqlal) marocain par le sultan Mohammed Ben Youssef (qui l’a d’abord approuvé). Des émeutes et des répressions violentes s’ensuivent rapidement au Maroc (février 1944) et, plus tardivement, en Algérie (le 8 mai 1945, autour de Sétif et de Guelma). Pourtant, le CFLN compte également sur des réformes pour rétablir un ordre durable. À Brazzaville, une conférence réunit, en janvier et février 1944, les gouverneurs des colonies d’Afrique noire et de Madagascar autour du général de Gaulle et du commissaire aux Colonies René Pleven, pour définir une nouvelle politique coloniale et impériale. Cette conférence exclut toute évolution vers l’indépendance, mais de Gaulle propose de préparer chaque peuple d’outre-mer à s’administrer et, plus tard, à se gouverner lui-même dans un « ensemble français de forme fédérale » ; le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) le nomme « Union française » dans une déclaration du 25 mars 1945 qui promet l’autonomie aux peuples de l’Indochine occupée (où les Japonais ont incité les souverains locaux à proclamer leur indépendance). DE L’UNION FRANÇAISE À LA COMMUNAUTÉ Bien que la guerre se solde par la perte de l’Indochine, de la Syrie et du Liban, non compensée par l’occupation provisoire du Fezzan libyen, le GPRF croit pouvoir organiser dura-
blement l’Union française. L’Assemblée nationale constituante élue le 21 octobre 1945 comporte, pour la première fois, une représentation de tous les territoires d’outre-mer (divisée, paradoxalement, en deux collèges égaux, celui des citoyens et celui des « non-citoyens », sauf dans les vieilles colonies où existe le suffrage universel dans un collège unique), à l’exception de l’Indochine, dont la reconquête est inachevée. L’Assemblée, orientée très à gauche, vote des mesures égalitaires (transformation des vieilles colonies en départements d’outre-mer, abolition du travail forcé, citoyenneté pour tous les habitants de l’empire), et adopte une définition très « assimilationniste » de l’Union française ; mais son projet de Constitution est rejeté par le référendum du 5 mai 1946. La seconde Constituante, élue en juin 1946, voit s’affronter les députés des deuxièmes collèges d’outre-mer, qui revendiquent le droit pour chaque territoire de choisir entre l’assimilation, l’autonomie et l’indépendance, et les défenseurs de la souveraineté française - soutenus par une déclaration du général de Gaulle, le 27 août 1946. Le gouvernement de Georges Bidault impose une solution de compromis, ratifiée, en même temps que la Constitution, par le référendum du 13 octobre 1946, auquel le collège des « non-citoyens » n’est pas admis à participer. L’Union française est beaucoup plus unitaire que fédéraliste, sans être pour autant égalitaire. Le fédéralisme ne concerne que les relations entre la République française et les États associés d’Indochine ; les organes fédéraux (présidence, Haut Conseil, Assemblée de l’Union française) ne se distinguent pas nettement des institutions de la République française. L’unité de la République est pourtant battue en brèche par la sous-représentation des territoires d’outre-mer à l’Assemblée nationale, et par le maintien des lois électorales spéciales qui permettent la sousreprésentation de la majorité de la population d’un territoire au moyen du double collège. Ce fragile édifice est ébranlé par une série de guerres coloniales ininterrompues, de 1946 à 1962. La première, la guerre d’Indochine, a débuté, dès septembre 1945, par l’envoi d’un corps expéditionnaire chargé de rétablir partout l’autorité française, et qui s’est heurté à la République démocratique du Viêt Nam, proclamée, le 2 septembre 1945, par un front national à direction communiste, le Viêt-minh. Après les accords du 6 mars 1946 reconnaissant le Viêt Nam comme un État libre dans le cadre de la Fédération indownloadModeText.vue.download 264 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 253 dochinoise et de l’Union française, le conflit reprend le 19 décembre 1946. Cette guerre de reconquête coloniale - doublée d’une guerre idéologique - s’insère de plus en plus dans la guerre froide entre l’Est et l’Ouest. Elle oblige la France à transmettre progressivement ses pouvoirs aux États associés (Viêt Nam anticommuniste de l’empereur Bao Dai, Cambodge et Laos), et à internationaliser la recherche d’une solution diplomatique, à la conférence de Genève (mars-juillet 1954), qui ne peut lui éviter la défaite de Diên Biên Phu (7 mai 1954). La guerre d’Indochine, qui a coûté au camp français 92 000 morts et 114 000 blessés de toutes origines, a profondément humilié et mécontenté l’armée, balayé l’influence de l’ancienne métropole en Indochine, rendu caduque la Constitution de l’Union française, et encouragé les mouvements nationalistes. Plus tardifs et moins sanglants, des troubles éclatent, en janvier 1952 en Tunisie, et en août 1953 au Maroc. Leurs causes sont les mêmes : les souverains et les partis nationalistes veulent la restitution de l’autonomie interne, puis de l’indépendance, alors que l’autorité française entend maintenir une cosouveraineté franco-tunisienne et francomarocaine. Pour éviter que les troubles ne dégénèrent en une véritable guerre d’Afrique du Nord (fomentée par le Comité de libération du Maghreb arabe, installé au Caire), Pierre Mendès France, président du Conseil, renoue en juillet 1954 les négociations franco-tunisiennes sur la base de l’autonomie interne ; son successeur, Edgar Faure, les fait aboutir, en avril 1955 ; il règle plus difficilement la crise marocaine, en rappelant d’exil le sultan Mohammed Ben Youssef (déposé par ses adversaires marocains, avec l’appui de la résidence générale), et en admettant le principe de « l’indépendance dans l’interdépendance ». En mars 1956, le gouvernement de Guy Mollet reconnaît l’indépendance totale du Maroc, puis de la Tunisie. La guerre d’Algérie constitue l’épisode majeur et décisif de la décolonisation française. En sept ans et demi de guérilla et de terrorisme, elle a retourné le consensus colonial de la majorité de l’opinion métropolitaine en un consensus « décolonisateur ». Elle a aussi favorisé indirectement l’émancipation pacifique de l’Afrique noire, par des mesures législatives
et constitutionnelles censées servir également au règlement du problème algérien. Après la répression de l’insurrection malgache de mars 1947 (qui a fait environ 12 000 morts) et l’agitation du Rassemblement démocratique africain (RDA) apparenté au Parti communiste de 1946 à 1950, le ralliement du président du RDA Félix Houphouët-Boigny à la coopération avec les autorités apaise la vie politique dans presque tous les territoires africains, à l’exception du Cameroun, où l’Union des populations du Cameroun (UPC) poursuit une insurrection dans les régions côtières de 1955 à 1960, et au-delà. La loi-cadre Defferre du 23 juin 1956 (inspirée par le ministre d’État Houphouët-Boigny) dote les territoires d’outre-mer d’assemblées territoriales élues au suffrage universel par un collège unique, qui désignent un conseil de gouvernement présidé par le représentant de la République française, mais dont le vrai chef est le vice-président élu. Ce texte - qui inspire les dispositions de la loicadre sur l’Algérie votée le 31 janvier 1958 - autorise le transfert du pouvoir local aux partis africains, et prépare la dislocation des fédérations de territoires (A-OF et A-ÉF). Après le retour du général de Gaulle au pouvoir, la Constitution de 1958 permet aux peuples africains de choisir leur destin en votant « oui » ou « non » lors du référendum du 28 septembre. Ils peuvent opter entre l’appartenance à la nouvelle Communauté qui remplace l’Union française et l’indépendance totale, en rupture avec la France (choisie par la Guinée de Sékou Touré) ; puis entre les statuts de territoire ou département d’outre-mer et le nouveau statut d’État autonome au sein de la Communauté (retenu par les 14 territoires de l’A-OF et de l’A-ÉF, et par Madagascar). La Communauté se dote d’institutions (la présidence, le Conseil exécutif, le Sénat et la Cour de justice) qui se distinguent mal de celles de la République française. Ses États membres peuvent en sortir à tout moment. De Gaulle ne croit guère à sa durée ; il y voit un cadre juridique pour régler le problème algérien suivant le même principe de l’autodétermination. Dès septembre 1959, la Fédération du Mali - regroupant le Sénégal et le Soudan - et la République malgache demandent à devenir souveraines dans la Communauté ; l’acceptation de leur requête par le gouvernement français transforme la « Communauté rénovée » en une simple confédération. Mais le président de la Côte-d’Ivoire, Houphouët-Boigny, jusqu’alors partisan d’une vraie fédération franco-africaine, réclame l’indépendance pure
et simple. Durant l’été 1960, tous les États de la Communauté accèdent ainsi à l’indépendance, puis négocient des accords de coopération avec la France. C’est la fin de la Communauté et de tout lien constitutionnel entre la France et ses anciennes possessions africaines. FACTEURS ET LIMITES DE LA DÉCOLONISATION FRANÇAISE Le revirement de la politique coloniale française s’explique par une inversion de tous les facteurs - internationaux, internes aux colonies et à la métropole - jusqu’alors favorables à la colonisation. La Seconde Guerre mondiale a diminué la puissance française et déclassé le pays par rapport aux deux nouvelles superpuissances, qui se réclament de l’anticolonialisme ou de l’anti-impérialisme : les États-Unis et l’Union soviétique. Leur rivalité dans le cadre de la guerre froide les pousse à se disputer les faveurs des nationalismes anticoloniaux. Les dirigeants français tentent alors de persuader leurs alliés américains que la subversion communiste manipule tous les « mouvements de libération nationale », avec un certain succès en Indochine de 1950 à 1954. Mais en Afrique du Nord, particulièrement en Algérie, les Américains reprochent à la politique française de rejeter de plus en plus, par son intransigeance, les nationalismes arabes vers le camp communiste et tentent d’imposer leurs bons offices lors de la crise franco-tunisienne de février 1958. L’ONU, où entrent en nombre croissant les nouveaux États africains et asiatiques nés de la décolonisation, met la France en accusation sur sa politique nordafricaine, presque chaque année de 1952 à 1961. Autour de ces États se forme, en outre, un courant d’idées hostile à toute forme de dépendance, qui appelle à la décolonisation, et apporte aux peuples en lutte une légitimité internationale. La conférence de Bandoung, en avril 1955, constitue l’acte de naissance de ce mouvement dont l’influence est loin d’être négligeable dans les colonies ainsi qu’en métropole. Ainsi, soumis au regard vigilant de la communauté internationale, l’écrasement des révoltes devient de plus en plus difficile. Dans le même temps, l’équilibre fragile et artificiel des sociétés coloniales est ébranlé quantitativement par l’explosion démographique des populations « indigènes » et leur afflux vers les villes, et qualitativement par le développement d’élites modernes et de nou-
velles couches sociales intermédiaires, plus ou moins acculturées par l’enseignement, l’armée, le travail (sur place, ou en métropole). Ce sont elles qui fournissent les cadres des mouvements nationaux. Les élites intellectuelles, souvent acquises - particulièrement en Afrique - à l’universalisme républicain, ont tôt fait d’en percevoir les ambiguïtés et d’en dénoncer l’inapplication : elles ont ainsi retourné à leur profit le discours qui avait servi à justifier l’entreprise coloniale. En outre, la volonté colonisatrice de la métropole finit par être elle-même remise en question. L’explosion démographique des peuples dominés rend l’idéal d’assimilation économiquement irréalisable et politiquement indésirable. Les relations commerciales privilégiées avec les colonies nuisent à la compétitivité de l’économie française sur les marchés européens et mondiaux. Les capitaux privés tendent à se replier de l’outre-mer vers l’Europe, et les investissements publics, prenant le relais pour financer les plans d’équipement coloniaux, obèrent de plus en plus le budget métropolitain. À partir de 1956, d’aucuns s’interrogent quant à la rentabilité des possessions coloniales : le journaliste Raymond Cartier dénonce ce qu’il appelle l’inversion du vieux pacte colonial aux dépens de la métropole ; Raymond Aron démontre, en 1957, dans la Tragédie algérienne, l’impossibilité d’intégrer l’Algérie à la France. Un seul fait nouveau milite en sens contraire : la découverte de pétrole et de gaz naturel au Sahara (1956) semble garantir à la France son autonomie énergétique, et incite le général de Gaulle à tenter de disjoindre, jusqu’en septembre 1961, le sort du Sahara et celui de l’Algérie. Cependant, les facteurs politiques restent décisifs. L’opinion publique métropolitaine s’est détachée de l’idée coloniale quand elle a cessé de voir dans l’empire une source d’avantages, et du fait de la multiplication de guerres interminables. Plus que la guerre d’Indochine, restée l’affaire de soldats de métier et de troupes indigènes, ce sont le rappel des disponibles, l’envoi du contingent en Algérie (avril 1956) et l’allongement de la durée du service militaire qui ont fait basculer l’opinion métropolitaine en faveur de la décolonisation ; les troubles de conscience suscités par la révélation de l’usage de la torture en Algérie et les arguments économiques ont, downloadModeText.vue.download 265 sur 975
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254 semble-t-il, pesé moins lourd. Les dirigeants de la IVe République ont surestimé l’attachement des Français à leurs colonies, malgré les sondages indiquant, depuis 1956, l’accroissement du pourcentage d’opinions favorables à une paix négociée en Algérie. Au contraire, le général de Gaulle, après avoir relancé une guerre visant à anéantir le Front de libération nationale algérien, a mené la politique souhaitée par la grande majorité des « Français de France » (sinon de leurs élites, beaucoup plus divisées), afin de moderniser le pays et son armée, et de restaurer sa liberté d’action dans le monde. Même s’il n’a pu éviter la révolte des Français d’Algérie et celle d’une partie de l’armée contre sa politique, il a réussi, sans rencontrer d’opposition, une décolonisation de l’Afrique noire présentée comme la continuation de l’oeuvre coloniale sous une nouvelle forme : la coopération économique, militaire et culturelle. Cette « coopération » est qualifiée de « néo colonialisme » par certains auteurs marxistes ou tiers-mondistes. En effet, la France a conservé des départements et des territoires d’outre-mer (sauf les Comores et Djibouti, émancipés en 1975 et 1977), et une vaste zone d’influence en Afrique (étendue à l’ancien domaine belge : Zaïre, Rwanda et Burundi). Mais la rentabilité et la nécessité de ces survivances de l’empire restent discutées : la France dépend beaucoup moins de ses anciennes colonies que celles-ci ne dépendent d’elle. Décorations (affaire des), scandale qui éclate en novembre 1887, et conduit à la démission du président de la République, Jules Grévy, le 2 décembre. Alors qu’en 1886 il a été réélu pour un nouveau septennat, Grévy, premier président de conviction républicaine de la IIIe République, est éclaboussé par un scandale auquel est mêlé son gendre Daniel Wilson, homme d’affaires, député et sous-secrétaire d’État aux Finances, convaincu d’avoir fait accorder la Légion d’honneur à des fournisseurs complaisants. À la Chambre des députés, une interpellation de Clemenceau fait tomber le cabinet Rouvier, le 19 novembre 1887. En excluant la démission qui désamorcerait le scandale, Grévy le mue en crise politique. Contre le président, qui fait valoir son irresponsabilité devant eux, les parlementaires, impuissants à le renverser, bloquent le fonctionnement des institutions
par leur refus de former un nouveau gouvernement. Grévy finit par se démettre, le 2 décembre 1887. En 1879 déjà, un président de la République avait démissionné, le monarchiste Mac-Mahon, opposé au Parlement républicain depuis le 16 mai 1877. C’est donc la deuxième fois que l’institution parlementaire affirme sa prééminence politique de fait sur le président de la République : la fonction présidentielle tend à être cantonnée à « l’inauguration des chrysanthèmes », même si le chef de l’État continue à exercer une influence officieuse sur les affaires du pays. défaite de 1940, déroute des armées alliées face à l’offensive lancée à l’ouest par Hitler le 10 mai 1940. Depuis le 3 septembre 1939, la France et la Grande-Bretagne sont en guerre contre l’Allemagne. Les deux démocraties disposent d’atouts économiques et militaires considérables, mais elles souffrent d’un manque de cohésion politique et diplomatique, et, surtout, d’une conception périmée de la guerre. • Les choix stratégiques. La France opte pour la guerre défensive, comme l’a illustré la construction de la ligne Maginot à partir de 1928. Ce choix, qui répond au souci d’éviter la répétition des hécatombes de 1914-1918, permet de dégager un compromis acceptable pour une classe politique très divisée et pour une opinion largement pénétrée par le pacifisme. Surtout, la stratégie défensive est le fruit de la pensée fossilisée d’un état-major - dirigé par Maurice Gamelin - qui demeure prisonnier de l’héritage de 1918 (front continu, suprématie de l’infanterie et de l’artillerie), et refuse de considérer le rôle moderne des blindés ou de l’aviation tactique. Dès avant la guerre, cette orientation a contribué à ruiner le système français élaboré dans les années vingt, et fondé sur des alliances de revers à l’est : le destin de la France est désormais lié à celui de la Grande-Bretagne. Le choix défensif s’inscrit dans la stratégie d’ensemble des deux grandes démocraties. S’appuyant sur leurs empires coloniaux, leur écrasante supériorité navale, le soutien industriel des États-Unis et les potentialités de leurs économies propres, elles veulent contraindre l’Allemagne à une guerre longue. Étranglée par le blocus maritime, privée de matières premières, bloquée par la ligne Maginot, l’armée allemande ne pourra que s’effondrer à mesure qu’un gigantesque effort productif redonnera l’avantage militaire aux démocraties. Dans l’immédiat ne sont envisagées que des offensives périphériques destinées à affaiblir
l’économie allemande. Après des projets irréalistes (opérations dans les Balkans, bombardement des champs pétrolifères soviétiques depuis le Levant), une offensive est lancée en Norvège (avril 1940) pour « couper la route du fer suédois » à l’Allemagne. La stratégie défensive n’était pas sans fondements (les AngloAméricains ont ensuite appliqué un schéma semblable), mais elle supposait une série de conditions qui n’étaient pas réunies en 1940. En premier lieu, la logique adoptée n’est pas poussée jusqu’à son terme, comme en témoigne l’absence de fortifications dans la région des Ardennes ou dans la plaine flamande. En outre, le programme de réarmement français souffre d’inquiétants retards, en particulier dans le domaine aérien, tandis que la Grande-Bretagne ne dispose que de maigres forces (cinq, puis dix divisions, péniblement réunies au sein d’un corps expéditionnaire en France [CEF]). Plus grave, le pacte germanosoviétique (23 août 1939) ruine l’efficacité du blocus. Enfin, la coalition alliée manque de cohésion : Français et Anglais ont formé un Conseil suprême de guerre interallié et un Comité de coordination économique, et se sont engagés à ne pas conclure de paix séparée ; mais il n’existe pas d’état-major commun, et le CEF, bien que placé sous commandement français, peut en appeler à son gouvernement. Les relations se révèlent plus imparfaites avec les Pays-Bas et la Belgique. Celle-ci, qui a proclamé sa neutralité en 1936, refuse d’engager des négociations militaires avec les Alliés, alors que les Français envisagent une poussée sur son territoire pour bloquer l’avance allemande. Finalement, les Belges acceptent le principe d’une aide française, mais aucune coordination militaire n’est mise en place. • Plans et forces en présence. Hitler, qui connaît la faiblesse de l’économie allemande, a tout misé sur une guerre de courte durée pour satisfaire les visées expansionnistes nazies, et a forgé une armée et une doctrine militaire (Blitzkrieg, « guerre éclair ») adéquates. Après avoir envisagé une attaque par la Belgique selon le plan Schlieffen de 1914, les Allemands décident de concentrer leurs efforts sur le point faible du dispositif français : les Ardennes (plan Manstein, mars 1940). Une attaque sera lancée à travers les Pays-Bas et la Belgique afin d’y attirer le gros des troupes alliées pendant que les blindés allemands franchiront les Ardennes, avant d’obliquer vers le nord-ouest pour prendre à revers les forces alliées.
Les Français, confiants dans l’invulnérabilité de la ligne Maginot et dans les défenses naturelles des Ardennes, ont décidé de porter la guerre en Belgique, afin d’arrêter les Allemands le plus au nord possible (manoeuvre Dyle-Breda). Mais ce genre de manoeuvre suppose une étroite coordination avec les Belges et l’organisation d’une offensive de grand style, contraire à l’esprit et aux moyens de l’armée française. Au total, la surprise sera complète pour les chefs militaires français, incapables de reprendre la maîtrise des événements. Sur le papier, les forces sont pourtant équilibrées : les Allemands massent à l’ouest 114 divisions, dont 12 blindées et 6 motorisées : les Alliés disposent de 135 divisions (94 françaises, 22 belges, 10 britanniques, 9 néerlandaises) et d’un net avantage en matière d’artillerie. Toutefois, ce rapport de forces théorique masque une réalité plus inquiétante : les forces alliées sont médiocrement coordonnées, et leur écrasante supériorité navale ne sera d’aucun effet. L’Allemagne détient un faible avantage quantitatif en blindés (2 800, contre 2 300) ; mais, les FrancoBritanniques manquent de blindés modernes, et, surtout, leur doctrine d’emploi est archaïque : alors que les Allemands regroupent leurs panzers et les conçoivent comme des éléments de pénétration, les Français les dispersent (à peine 4 divisions cuirassées de réserve, ou « DCR ») et les relèguent à une mission de soutien de l’infanterie. Enfin, sur le plan aérien, la domination allemande est évidente : aux 1 800 appareils modernes français et britanniques (auxquels s’ajoutent 1 400 appareils que la Royal Air Force [RAF] tient en réserve, et qu’elle n’engagera pas) répondent les 4 800 avions allemands, qui disposeront d’une complète maîtrise du ciel. • La débâcle. Le 10 mai 1940, Hitler lance à l’ouest l’offensive qu’il a déjà plusieurs fois retardée à l’automne 1939. Les troupes downloadModeText.vue.download 266 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 255 allemandes envahissent les Pays-Bas, où, le 15 mai, le général Winkelmar capitule. La VIIe armée française est bien parvenue jusqu’à Breda, mais pour y découvrir une armée néerlandaise taillée en pièces. Pour que la manoeuvre ardennaise réussît, il était nécessaire aux Allemands de s’emparer des fortifications
belges érigées le long du canal Albert. Dès le 11 mai, le fort d’Eben Emaël est pris, et tout le dispositif belge se trouve menacé. L’armée belge se replie sur la ligne Anvers-Namur, réalisant une jonction très imparfaite avec la VIIe armée française et le CEF britannique. L’attaque principale a lieu dans les Ardennes, secteur mal défendu, à la jonction des IIe et IXe armées françaises. Von Kleist y engage trois Panzerkorps (dont celui de Heinz Guderian), soutenus par l’aviation, et perce le front français dans la région de Sedan. Le 14 mai, Guderian franchit la Meuse, et, après cinq jours de combats, l’armée française est potentiellement vaincue. Gamelin doit alors contre-attaquer pour éviter l’encerclement des 47 divisions franco-britanniques aventurées en Belgique. Mais, plutôt que de lancer les DCR dans une attaque frontale, l’état-major français, prisonnier des « leçons » de 1918, s’obstine à « colmater les brèches », et engage la 3e DCR par « petits paquets ». La 4e DCR, sous les ordres du colonel de Gaulle, stoppe durant quelques jours les blindés de Guderian, mais ceux-ci reprennent vite leur course à la mer. Le 19, Guderian est à Péronne ; le 20, à Abbeville. Devant l’imminence du désastre, le président du Conseil Paul Reynaud tente de faire face. Le 19 mai, il limoge Gamelin, et le remplace par Weygand, l’ancien adjoint de Foch. Le 5 juin, il remanie son gouvernement. Mais la décision est contradictoire, puisque, aux « bellicistes » Mandel et de Gaulle, il associe le maréchal Pétain, dont les options pacifistes sont notoires. Weygand, reprenant l’ultime plan de Gamelin, engage la manoeuvre de la dernière chance. Il s’agit, pour percer les lignes allemandes et pour rompre l’encerclement, de mener une double attaque, par le nord avec les Ire et VIIe armées, l’armée belge et le CEF, et par le sud avec les « débris » des IIe et IXe armées. C’est dans ce but que Weygand convoque la conférence interalliée d’Ypres (21 mai), à laquelle assistent le Britannique Gort et le roi des Belges Léopold III. Mais la fragilité de la coalition éclate au lendemain de la conférence. Le général Gort, à la tête de la seule armée dont dispose alors l’Empire britannique, ne songe qu’au rembarquement de ses troupes. Le 25 mai, il ordonne le repli vers Dunkerque, une opération qui plonge les Belges dans une situation désespérée : le 27, sans prendre l’avis des Français, Léopold capitule. Le même jour, la 4e DCR lance, en vain, une offensive sur Abbeville : la bataille est perdue. Dès lors, il s’agit de sauver ce qui peut l’être. Le 26, l’amirauté britannique a commencé à évacuer par la mer
les troupes du CEF repliées dans la poche de Dunkerque (opération Dynamo). Profitant de l’arrêt inattendu des blindés allemands, du sacrifice des soldats français, et du soutien de la RAF, qui déploie enfin tous ses appareils, les Britanniques parviennent, jusqu’au 4 juin, à évacuer 230 000 des leurs, ainsi que 110 000 Français, mais au prix de l’abandon de monceaux de matériels (1 200 canons, 80 000 véhicules). Weygand tente alors d’établir un dernier front sur la Somme et l’Aisne (4 juin). Mais il ne dispose plus que de troupes faibles et disparates privées de tout soutien aérien. Ce front est disloqué : le 9 juin, Rommel entre dans Rouen. Alors que plus de 8 millions de personnes prennent le chemin de l’exode, l’armée française achève de s’effondrer. Le territoire est livré à l’invasion, et l’armée allemande rafle quelque 1,8 million de prisonniers. La ligne Maginot, qui a englouti des millions de francs, et immobilisé 48 divisions, n’aura servi à rien. Seul point positif dans cette déroute, l’Italie, venue à la curée, voit son offensive, lancée le 10 juin, stoppée net par l’armée française des Alpes. Le 10 juin, le gouvernement Reynaud quitte Paris, qui est pris le 14. Ne subsistent que des poches de résistance isolées : sur la Loire, dans le NordEst, sur la ligne Maginot. Le 16 juin, Reynaud démissionne. Pétain lui succède aussitôt, et, le 22 juin, il conclut l’armistice de Rethondes. Défense de la France, mouvement de Résistance fondé à l’automne 1940 par Philippe Viannay, Marcel Lebon et Robert Salmon. Se plaçant d’emblée sur le terrain culturel et moral, ces derniers optent pour une intense propagande, menée grâce à l’édition, dès l’été 1941, du journal Défense de la France, dont le tirage devient rapidement l’un des plus importants de la presse clandestine sous l’Occupation (450 000 exemplaires imprimés en janvier 1944). Par ailleurs, ne cachant pas ses penchants « maréchalistes » puis « giraudistes », le mouvement se distingue par son refus, longtemps marqué, de reconnaître l’autorité du général de Gaulle. L’activité qu’il déploie autour de la fabrication et de la diffusion du journal lui impose une extension géographique qui va de l’Est à la Bretagne, en passant par le Loiret, le Poitou, la Normandie et la région parisienne. Olivier Wieviorka, dans Une certaine idée de la Résistance, attribue près de trois mille membres à Défense de la France, qu’il qualifie de « mouvement de jeunes ». Une centrale de faux papiers, dont
le rayonnement devient national, est mise en place dès février 1942 ; enfin, à partir de 1943, le mouvement étend ses activités au domaine paramilitaire en créant quelques corps francs et maquis. Non représentée au Conseil national de la Résistance, Défense de la France adhère au Mouvement de libération nationale, et tente de propager les idéaux de la Résistance, après la Libération, en éditant France-Soir. Défense nationale (gouvernement de la), gouvernement provisoire de la République, au pouvoir du 4 septembre 1870 jusqu’à l’élection de l’Assemblée nationale en février 1871. Ce gouvernement est directement issu de la révolution du 4 septembre : une fois la déchéance de Napoléon III prononcée par Gambetta dans la salle des séances du Corps législatif envahie par la foule, des manifestants, conduits par Jules Favre et Gambetta, se rendent à l’Hôtel de Ville, où ils font proclamer la République. Un gouvernement de la Défense nationale est aussitôt constitué, uniquement composé des députés de Paris élus en 1869 (y compris ceux qui, élus par plusieurs circonscriptions, avaient alors opté pour la province), choix qui suspend la question de sa légitimité et en écarte les révolutionnaires les plus radicaux. Ces députés de Paris sont Emmanuel Arago, Adolphe Crémieux, Jules Favre, Jules Ferry, Léon Gambetta, Alexandre Glais-Bizoin, Louis GarnierPagès, Eugène Pelletan, Ernest Picard, Henri Rochefort et Jules Simon. Le général Trochu, gouverneur militaire de Paris, accepte d’entrer dans ce gouvernement, mais à la condition d’en être le président. On désigne alors le ministère, qui comprend des membres du gouvernement (Gambetta à l’Intérieur, Jules Favre aux Affaires étrangères) mais aussi des ministres qui lui sont extérieurs (Dorian aux Travaux publics, ou Magnin au Commerce). Cet exécutif provisoire a une double tâche, militaire et politique : vaincre les Prussiens et leurs alliés, affirmer le pouvoir de la République qu’il représente. La difficulté de s’acquitter à la fois de ces deux missions ne va cesser de s’accroître. • La Défense nationale entre détermination et attentisme. Une fois le Corps législatif et le Sénat dissous, Gambetta remplace les préfets de l’Empire par des républicains, qui se heurtent, à Lyon et à Marseille, à des comités républicains radicaux autoproclamés. Jules Favre, qui rencontre Bismarck à Ferrières (19-20 septembre), tente, sans succès, de négocier un armistice à des conditions honorables.
Le siège de Paris par les Prussiens à partir du 19 septembre conduit le gouvernement de la Défense nationale à envoyer à Tours une délégation, que Gambetta rejoint en octobre, et dont il prend la direction pour tenter de donner un élan énergique à la lutte. Mais le général Bazaine, encerclé dans Metz, capitule le 27 octobre, livrant quelque 173 000 hommes et 1 700 pièces d’artillerie, ce qui compromet les chances de victoire. La nouvelle de cette capitulation et l’échec d’une sortie pour forcer le blocus prussien au Bourget provoquent, le 31 octobre, une tentative d’insurrection contre le gouvernement. Celui-ci organise à Paris un plébiscite début novembre : la victoire du « oui » (321 373 contre 53 584 « non ») raffermit son autorité pour plusieurs mois. À Tours, Gambetta fait remplacer les conseils municipaux et les conseils généraux élus sous l’Empire par des commissions provisoires composées de républicains. Il doit lutter à la fois contre la passivité des partisans de la paix et contre l’activisme révolutionnaire et patriotique des comités de Lyon, de Marseille et des ligues (notamment celle du Midi). Il organise une armée de la Loire, qui prend Orléans en novembre, mais doit l’évacuer et se replier sur Le Mans, tandis que la délégation se réfugie à Bordeaux. À Paris, l’attentisme de Trochu, son refus d’engager la Garde nationale dans les combats, l’échec des rares sorties (prise et évacuation de Champigny, début décembre), auxquels s’ajoutent l’apparition de la famine et le bombardement de Paris en janvier, contribuent à accroître la lassitude et l’exaspération de la population. La Garde nationale est enfin employée à Buzenval, mais l’échec de cette ultime sortie, ses nombreuses victimes, prodownloadModeText.vue.download 267 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 256 voquent, le 22 janvier, une nouvelle tentative d’insurrection et la démission de Trochu. • L’armistice et la démission du gouvernement. Confronté à cette situation sans issue, les dernières armées du Nord et de l’Est ayant été vaincues ou repoussées, le gouvernement envoie Jules Favre négocier la capitulation et un armistice pour élire une Assemblée nationale chargée de signer la paix. Gambetta refuse la convention d’armistice du 28 janvier, appelle à la guerre à outrance et déclare l’ancien personnel impérial iné-
ligible, mais, désavoué par ses collègues de Paris, qui abrogent son décret, il démissionne le 6 février. Le 13, au lendemain d’élections remportées par les partisans de la paix, Jules Favre remet à l’Assemblée réunie à Bordeaux la démission du gouvernement. • La Défense nationale en question. La politique du gouvernement de la Défense nationale et de la délégation ont été l’objet de vives polémiques dès l’élection de l’Assemblée. En juin 1871, la majorité, monarchiste, reprenant une proposition de l’extrême gauche faite dès le 6 mars, ouvre une enquête parlementaire dont les rapports, publiés les années suivantes, mettent en cause « les hommes du 4 septembre » et provoquent des débats dans la presse. La commission d’enquête reproche au gouvernement de la Défense nationale sa participation à la révolution du 4 septembre, qu’elle estime être à l’origine de la Commune. Elle l’accuse également de ne pas avoir cherché à faire la paix au lendemain de la bataille de Sedan, et d’avoir tardé à organiser des élections législatives. On critique la « dictature » de Gambetta, les échecs militaires de ses armées, mais aussi ce qu’on juge être un manque de sévérité à l’égard des comités radicaux de province. Si la menace des bonapartistes en 1874 et le vote des lois constitutionnelles de 1875 suspendent le débat, celui-ci n’est pas complètement clos. Malgré la distance temporelle, et même si le coeur de Gambetta est finalement placé au Panthéon le 11 novembre 1920, les jugements d’une partie de l’historiographie ont longtemps été marqués par la controverse : des historiens favorables à la Commune ont critiqué le manque de résolution du gouvernement et sa crainte du mouvement populaire ; d’autres, conservateurs, reprenaient encore récemment des reproches de la commission d’enquête de 1871. Deffand (Marie-Anne de Vichy-Chamrond, marquise du), femme de lettres (château de Chamrond, Mâconnais, 1697 - Paris 1780). Épistolière et hôtesse d’un célèbre salon, la marquise est entrée dans l’histoire des moeurs et de la littérature par la conversation. Destin conforme à ce que la société d’Ancien Régime, les philosophes et les médecins des Lumières concédaient à la nature féminine : le tact subtil, l’intuition immédiate, le don de la conversation, le talent des échanges épistolaires et du roman, bref, une sensibilité en accord avec la fugacité des choses quotidiennes et des sentiments, mais rebelle aux méditations réfléchies de la raison masculine.
À partir de 1747, après des années de préparation auprès de la duchesse du Maine, Mme du Deffand ouvre son propre salon à SaintGermain-des-Prés, deux ans avant sa principale rivale, Mme Geoffrin. Comme auparavant celui de Mme de Lambert, son salon mêle aristocrates et intellectuels (d’Alembert, Montesquieu, Turgot, etc.). Mais l’originalité de la marquise est que, loin de s’effacer, elle adopte un ton détaché, élégamment ironique, et se pose elle-même comme l’attraction principale, par la variété et la subtilité de son esprit, par une franchise inattendue, en rupture savante avec les normes de la sociabilité mondaine. Frappée de cécité à partir de 1754, elle accueille auprès d’elle Julie de Lespinasse (17321776). C’est alors, dans la conjugaison des talents acides et de la grâce juvénile, l’apogée de son salon, avant que Julie ne fonde en 1764 son propre cercle, avec l’aide de d’Alembert et de Turgot. La tonalité aristocratique et de plus en plus anti-encyclopédique du salon s’accentue, tandis que la marquise épanche dans ses lettres son noir désenchantement à l’égard des idées et des hommes, cibles d’une ironie féroce. Mais son abondante correspondance (qui sera publiée en 1809) n’est pas seulement l’exutoire de la discipline mondaine : la contrainte douloureuse du masque s’y retrouve également, au coeur même de la passion. Dure et blasée, au fond indifférente à tout - le siècle et elle-même appellent cela « l’ennui » -, Mme du Deffand doit maquiller en amitié sa passion pour le flegmatique Horace Walpole (1717-1797), auquel elle légua ses lettres. Elle savait la valeur de ces lettres : à la fois, miroir cruel des salonniers et remède contre l’ennui - mal qui, en rongeant son existence, donne un peu de chaleur noire à cette aristocrate brillante, attachée à Voltaire et à d’Alembert, hostile à l’Encyclopédie et à Rousseau. Defferre (loi-cadre), loi votée le 23 juin 1956 et entrée en application en février 1957, qui permet l’accession à l’autonomie des territoires d’outre-mer et leur marche pacifique et rapide vers l’indépendance. Elle est reconnue comme l’un des succès de la IVe République. À partir de 1955, après la conférence des pays non alignés à Bandoung et l’annonce de l’indépendance de la Gold Coast et du Nigeria britanniques, le statu quo semble difficile à conserver en Afrique noire française. Le Rassemblement
démocratique africain (RDA), puissant parti animé par Houphouët-Boigny et allié à la SFIO, pousse en effet à des réformes profondes. Il revient à Gaston Defferre, qui connaît bien l’Afrique, et alors ministre de la France d’outremer dans le gouvernement Mollet, de proposer ces réformes. Les assemblées territoriales d’Afrique-Occidentale et d’Afrique-Équatoriale françaises et de Madagascar sont désormais élues au suffrage universel avec collège unique, ce qui ôte toute influence politique aux Français locaux, du reste peu nombreux. Elles disposent de compétences considérablement élargies et élisent un « conseil de gouvernement » responsable devant elles, présidé par le représentant de la République française, mais dont le vice-président, africain, est élu. Si ces institutions, prévues pour durer, ne fonctionnèrent qu’un an et demi comme telles, elles permirent aux peuples africains d’expérimenter une véritable autonomie, avant d’accéder à l’indépendance complète. Delcassé (Théophile), homme politique (Pamiers, Ariège, 1852 - Nice 1923). D’abord journaliste, Delcassé gravite dans l’entourage de Gambetta, puis se joint aux radicaux. En 1889, il est élu député de Foix et siège avec les modérés du Parti radical. En janvier 1893, sa carrière politique prend un tour nouveau : il est nommé sous-secrétaire d’État, puis ministre des Colonies, poste qu’il occupe jusqu’en janvier 1895. Il incarne alors, avec d’autres (Poincaré, Barthou), une nouvelle génération d’hommes politiques qui prend la relève aux affaires d’un personnel laminé par le scandale de Panamá. Il est le type même du républicain ministériel. Son action s’inscrit dans un contexte favorable à l’expansion outre-mer, qui n’est plus jugée inconciliable avec l’espoir de reconquérir sur l’Allemagne les provinces perdues. Cette politique se traduit par la constitution de l’Afrique-Occidentale française et l’expédition de reconquête à Madagascar. En 1898, Delcassé est nommé ministre des Affaires étrangères, poste qu’il occupera pendant sept ans. Il mène alors seul - ou presque - la politique extérieure de la France, bénéficiant de la confiance quasi aveugle des présidents du Conseil successifs, de l’indifférence de la Chambre comme de la nation, plongées dans des luttes intestines (affaire Dreyfus, combisme), mais aussi du soutien d’un excellent réseau d’ambassadeurs, tels les frères Cambon. Parvenu aux affaires dans une phase de relative détente avec l’Allemagne et de conflit latent avec l’Angleterre, adversaire outre-mer, Delcassé va modifier profondément les orien-
tations diplomatiques de la France. Hostile aux Empires centraux, il cherche à les isoler par un jeu d’alliances. Il resserre - imprudemment - les liens avec l’Empire russe (1899) et négocie un accord secret avec l’Italie (1900), qu’il espère éloigner de l’Allemagne. Surtout, après avoir mis un terme définitif à l’affaire de Fachoda, il répond au souhait d’Édouard VII de ressusciter l’Entente cordiale et signe, en avril 1904, un accord qui reconnaît l’influence anglaise en Égypte et le protectorat français au Maroc. Cette politique entraîne toutefois un risque de conflit : lorsqu’en 1905 Guillaume II intervient brutalement au Maroc pour contrer les ambitions de la France, Delcassé cherche l’affrontement. Mais le président du Conseil Maurice Rouvier désavoue son ministre, qui doit démissionner. La carrière de Delcassé redémarre en 1911. Il obtient alors le ministère de la Marine. Ambassadeur en Russie en 1913, il reprend dès la guerre le portefeuille des Affaires étrangères. S’il parvient à rapprocher l’Italie de l’Entente, il échoue à gagner la Bulgarie à la cause des Alliés. Il démissionne en octobre 1915, et se retire dès lors de la vie publique. Delescluze (Louis Charles), homme politique (Dreux, Eure-et-Loir, 1809 - Paris 1871). Étudiant en droit à Paris et clerc d’avoué, puis journaliste, il se fait bientôt connaître pour ses opinions républicaines. Poursuivi pour complot en 1836, il se réfugie en Belgique. À son retour en France, il s’installe à Valenciennes où, grâce à son journal l’Impartial du Nord, il devient l’une des figures importantes du mouvement républicain, jacobin, démodownloadModeText.vue.download 268 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 257 crate-socialiste. En février 1848, le Gouvernement provisoire le nomme commissaire de la République pour le département du Nord. Battu aux élections à l’Assemblée constituante, il renoue très vite avec ses activités d’opposant. Recherché après les journées de juin 1848, il fuit en Angleterre. Rentré en France en 1853, il est arrêté et condamné à la déportation, et ne retrouve la liberté qu’en 1860. Il dirige le Réveil, qui s’illustre par la souscription ouverte dans ses colonnes pour l’érection d’un monument au député Jean-Baptiste Baudin. Durant la guerre de 1870 et le siège de Paris, il est maire du XIXe arrondissement, et s’oppose à la capitulation. Élu député de Paris à l’Assemblée nationale en février 1871, il refuse d’aller
siéger à Versailles. Au sein de la Commune, qui l’élit bientôt au Comité de salut public, il anime le groupe le plus nombreux : celui des jacobins de tradition robespierriste. Membre des commissions du gouvernement, puis délégué à la Guerre, il organise la résistance face à l’armée versaillaise ; il est tué le 25 mai 1871 sur la barricade de la rue du Château-d’Eau. Symbolisant la lutte incessante pour la république, modèle du républicain rigoureux et vertueux, il focalise la haine du gouvernement versaillais, au point d’être condamné à mort par contumace en 1874. Délicieux (Bernard Deliciosi, dit), moine franciscain (Montpellier, entre 1265 et 1270 - Avignon 1320). « Lecteur », c’est-à-dire professeur en théologie, au couvent de Carcassonne, puis de Narbonne, Bernard Délicieux acquiert rapidement la célébrité : il prêche avec véhémence contre la papauté, contre l’Inquisition, contrôlée par l’ordre rival des dominicains, et contre certains évêques qui persécutent les habitants du midi de la France et leurs protecteurs franciscains. Le contexte historique semble lui être favorable : depuis le début du XIIIe siècle, le Midi a été mis au pas par les barons du Nord et les tribunaux de l’Inquisition. Mais, si Philippe le Bel n’entend pas renoncer à cette politique, il sait que la réussite de son action repose sur le respect des droits et usages de ses récents sujets. En outre, le conflit entre le roi et la papauté est alors amorcé. Bernard Délicieux, entré dans la mouvance franciscaine spirituelle, reçoit donc dans un premier temps l’appui des commissaires royaux, qui démettent l’inquisiteur de Toulouse et libèrent en août 1303 des bourgeois de Carcassonne emprisonnés pour hérésie. Mais Délicieux, qui n’est pas un politique, redouble d’ardeur oratoire : l’anarchie menace le Midi. Philippe le Bel y effectue un voyage à la Noël 1303. Ses anciens alliés de circonstance vont alors commettre une erreur qui leur sera fatale : ils intriguent contre le souverain en faveur de Fernand, troisième fils du roi d’Aragon, seigneur à Montpellier et, à ce titre, vassal du roi de France. Le complot découvert, Philippe le Bel fait juger et pendre le « roi » des bourgeois de Carcassonne et ses complices, et remet le franciscain à Clément V, qui le libère en 1307. De retour en Languedoc, Délicieux reprend le combat, malgré la défection de la plupart de ses partisans. De nouveau arrêté en 1318, au cours d’une ambassade auprès du pape Jean XXII, il est condamné à la prison perpétuelle, et meurt
oublié en 1320. démarcation (ligne de), ligne séparant la France, aux termes de l’article 2 de l’armistice du 22 juin 1940, en une zone occupée et une zone non occupée. Elle laisse sous contrôle allemand toute la façade atlantique. D’autres lignes de démarcation traversent le pays : le Nord et le Pasde-Calais sont rattachés aux autorités d’occupation installées en Belgique, l’Alsace et la Lorraine sont annexées à l’Allemagne, une zone interdite est instituée dans le Nord-Est (Aisne, Ardennes, Meuse, Meurthe-et-Moselle, Vosges), et une zone rouge, très surveillée, longe la frontière franco-suisse. Frontière militaire, bien qu’elle ne coïncide pas exactement avec la ligne de front, la ligne de démarcation joue aussi le rôle d’une frontière économique, administrative et politique, longue de 1 200 kilomètres, et conçue par les Allemands comme un moyen de pression sur le gouvernement de Vichy. Les vainqueurs en modifient arbitrairement le tracé et le degré de perméabilité, au gré des fluctuations de leurs relations avec les vaincus. Elle est l’objet d’une surveillance rigoureuse et, même après le 11 novembre 1942, elle est maintenue, avant d’être ouverte - et non supprimée -, le 1er mars 1943. Jusqu’à cette date, un laissezpasser (Ausweis), qui est parcimonieusement accordé par les Allemands, est obligatoire pour la franchir (en quatorze points). Elle marque une coupure dans le trafic ferroviaire, entrave les communications télégraphiques, téléphoniques et postales (jusqu’en octobre 1941, seules les cartes interzones préimprimées permettent aux familles d’échanger des nouvelles), et interdit les mouvements de capitaux d’une zone à l’autre. Démia (Charles), prêtre, fondateur des « petites écoles » (Bourg-en-Bresse 1637 - Lyon 1689). Éduqué par les jésuites, il se rend à Paris en 1660 et y reçoit la prêtrise en 1663. Persuadé de la nécessité de donner une éducation élémentaire aux jeunes garçons pauvres des villes, il présente en 1666 un premier projet allant en ce sens aux autorités lyonnaises. Grâce à l’appui de l’archevêque, de la municipalité et d’anciens membres de la Compagnie du TrèsSaint-Sacrement de l’Autel, il peut ouvrir plusieurs écoles gratuites à Lyon, au cours des années suivantes : on en compte seize en 1689. L’enseignement dispensé insiste, à travers l’apprentissage de la lecture et de l’écriture,
sur la morale chrétienne : il s’agit de détourner les enfants du libertinage et de l’oisiveté. En 1689, Démia se voit confier la direction du bureau des écoles qui contrôle tous les établissements du diocèse de Lyon, même payants, et qui reçoit les donations. Pour assurer la formation des futurs maîtres, il crée en 1671 la Communauté Saint-Charles, composée de séminaristes qui consacrent une partie de leur temps à l’enseignement dans les écoles de charité. Parallèlement, il fonde la congrégation des Soeurs de Saint-Charles de Lyon, qui se vouent à l’instruction des filles. Son oeuvre, reprise par Jean-Baptiste de La Salle à Reims, est à l’origine du développement de l’enseignement charitable dans les villes sous l’Ancien Régime. demi-solde, officier de la Grande Armée qui est placé en non-activité et ne touche plus que la moitié de sa solde. Ils sont 20 000 en 1815. La démobilisation a ainsi rendu à la vie civile des officiers dont l’existence était vouée au métier militaire, partagés entre l’aventure des campagnes et un train de vie aisé durant les rares périodes de paix. C’est pourquoi certains ont choisi l’exil et repris du service dans des armées étrangères. Quelques-uns se complaisent dans une bohème militaire, dépensant leur solde réduite dans le jeu et la boisson. Assignés à résidence sur leur lieu de naissance, nombreux sont ceux qui se réinsèrent dans la vie civile en reprenant une exploitation familiale ou en complétant leur demi-solde par l’exercice d’une profession souvent libérale. Ainsi, le chirurgien en chef et baron Larrey se reconstitue une clientèle pour entretenir son ménage. Toutefois, Jean Vidalenc a démontré que l’image du demi-solde bonapartiste et éternel conspirateur relève largement de la légende. Le groupe compterait finalement un nombre restreint d’opposants à la monarchie restaurée. Du reste, ils ne sont plus que 5 400 en 1823, bien des officiers généraux ayant été finalement réintégrés, tandis que des royalistes trop zélés ont été placés en demi-solde en 1818. démocratie chrétienne, courant politique inspiré du catholicisme libéral de Félicité de Lamennais et de l’encyclique Rerum novarum (1891), dans laquelle le pape Léon XIII condamne le socialisme, les excès du capitalisme, et définit la doctrine sociale de l’Église. Les abbés démocrates, tels l’abbé Trochu ou l’abbé Lemire, élu député d’Hazebrouck en 1893, implantent ce courant dans les terres
de la chrétienté rurale. En 1896, l’Association catholique de la jeunesse française fonde à Reims le Parti démocratique chrétien, combattu par les catholiques traditionalistes. L’inorganisation du parti et l’intervention du pape désireux d’éviter la division des catholiques vouent cette tentative à l’échec. Marc Sangnier est confronté à la même opposition : son journal et mouvement, le Sillon, qui a pour but de réaliser la république démocratique, tenue pour le régime politique chrétien par excellence, est condamné par Pie X en 1910. Sangnier s’incline et lance, sans référence à l’Église, la Jeune République, qui végète. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, Champetier de Ribes et Raymond Laurent fondent le Parti démocrate-populaire et le Petit Démocrate, journal qui tire à 20 000 exemplaires. Le parti n’obtient que 2 à 3 % des voix, et une vingtaine de députés, qui participent aux majorités de droite, s’opposent au Cartel des gauches en 1924 et au Front populaire. Hostiles aux accords de Munich, puis au maréchal Pétain, les démocrates-chrétiens sont présents dans la Résistance à travers le mouvement Combat, où se retrouvent Georges Bidault, François de Menthon, Pierre-Henri Teitgen. En 1944, ceux-ci comptent parmi les fondateurs du Mouvement républicain populaire (MRP), downloadModeText.vue.download 269 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 258 qui s’impose comme l’une des composantes du tripartisme aux côtés de la SFIO et du PCF, et remporte 25,9 % des suffrages en novembre 1946. Après 1947, le MRP devient le pivot des majorités de troisième force, et défend ardemment la construction européenne à travers l’action de Bidault et de Robert Schuman. Mais, face à la concurrence gaulliste, il voit son audience s’effriter. Ce déclin s’accentue sous la Ve République : le MRP disparaît, en 1966, au profit du Centre démocrate, mené par l’antigaulliste Jean Lecanuet. Ce dernier fonde en 1976 le Centre des démocrates sociaux (CDS), qui participe à la création de l’UDF en 1978. Formation d’opposition en 1981, le CDS participe ensuite aux gouvernements de cohabitation. En 1996, François Bayrou transforme le CDS en Force démocrate, ultime métamorphose qui masque mal les difficultés d’implantation de la démocratie chrétienne dans une France laïque où elle ne parvient pas à former un grand parti du centre.
Denain (bataille de), bataille décisive de la guerre de la Succession d’Espagne, remportée le 24 juillet 1712 par les troupes françaises. Depuis 1708, celles-ci ont accumulé les revers sur le front du Nord. Chef des coalisés, le prince Eugène de Savoie veut, lors de la campagne de 1712, enfoncer la ligne de défense française et marcher sur Paris. Après la prise du Quesnoy le 6 juillet, Landrecies, sur la Sambre, est le dernier verrou qui lui résiste. Pour l’assiéger, il a été contraint d’étirer ses lignes ; entre son camp de Marchiennes, sur la Scarpe, au nord, et Landrecies, Denain contrôle le passage sur l’Escaut et la voie du ravitaillement. Sur les avis d’un magistrat de Douai, Robert Lefebvre d’Orval, le maréchal de Villars met au point une audacieuse manoeuvre. Le 23 juillet, des attaques de diversion font croire que les Français veulent dégager Landrecies. Mais, dans la nuit, Villars entreprend une marche de vingt kilomètres avec le gros de ses troupes qui, au matin, le mène sur l’Escaut. Le prince Eugène sousestime le danger, et, quand l’attaque se déclenche, il est trop tard. L’infanterie française enlève le camp de Denain au prix de quelque 500 morts. Eugène doit se retirer, laissant 2 000 morts et 3 000 prisonniers. Dans la foulée, Marchiennes est emportée. La « surprise de Denain » sauve la France de l’invasion, et ouvre la voie à la reconquête de la Flandre. Surtout, elle survient à un moment où l’Angleterre décide d’abandonner la coalition contre la France, et hâte la marche vers la paix, scellée l’année suivante par le traité d’Utrecht. départements, unités territoriales, administratives et électorales créées en 1789. Avant cette date, la division administrative de la France est caractérisée par la multiplicité et l’enchevêtrement des différentes circonscriptions, par la variété de leur taille, de leur statut, de leurs privilèges, de leur droit (coutumes) et de leurs institutions. Les esprits éclairés du XVIIIe siècle prônent une réforme unificatrice, mais seule la rupture révolutionnaire permettra une refonte totale du système : en quelques mois, les constituants en définissent un nouveau, qui, dans ses grandes lignes, demeure le nôtre aujourd’hui. • Unifier l’espace pour unifier la nation. Touchant à la construction de la nation, la réforme administrative est l’une des premières qu’entreprend la Constituante. Contre les pri-
vilèges et les particularismes de l’Ancien Régime, il faut en effet « révolutionner l’espace français » (Jacques Revel), remodeler le territoire, pour réaliser l’unité nationale et permettre le développement de nouveaux rapports sociaux et politiques fondés sur l’égalité devant la loi. Réforme égalitaire, la création des départements apparaît comme la suite logique de la nuit du 4 août. Le 29 septembre 1789, au nom du Comité de constitution, le député Thouret présente un projet de division géométrique : 80 départements (plus Paris) de forme carrée (sauf aux frontières du pays) et de superficie égale, chacun se subdivisant en 9 districts composés de 9 cantons. Ce plan soulève plusieurs oppositions, notamment celle de Mirabeau, qui lui reproche de ne pas tenir compte de l’histoire ni des traditions. Le 22 décembre, les députés votent le décret créant les départements et, le 26 février 1790, celui qui en précise le découpage. Finalement, les limites des 83 départements ne sont pas fixées géométriquement mais en tenant compte de la géographie et des anciennes frontières provinciales. Leur taille correspond à un ensemble ville-territoire : la distance entre la périphérie et le chef-lieu - dont le choix provoque d’âpres rivalités entre villes concurrentes - ne doit pas excéder une journée de voyage. Pour éviter tout rappel de l’Ancien Régime, leurs noms n’évoquent pas l’histoire, mais sont fondés sur la nature, la géographie qui permet la localisation. Chacun est subdivisé en districts (de 6 à 9), cantons et communes. • Entre pouvoir local et centralisation. L’administration départementale est confiée à un conseil général élu, composé de 36 membres, dont 8 forment le directoire chargé de l’exécution des arrêtés du conseil. Le procureur général syndic, également élu, représente le pouvoir central. Le département, qui n’est pas doté de la personnalité morale, est chargé de la répartition de l’impôt, de l’assistance, de l’enseignement, des travaux importants, etc. Suspectes de fédéralisme aux yeux du gouvernement révolutionnaire, les administrations départementales voient leurs attributions passer aux mains des districts et des communes, puis les retrouvent avec la réaction thermidorienne, avant que le Directoire, dès 1795, n’amorce une centralisation et le renforcement de l’autorité : l’administration départementale, limitée à 5 membres, est placée sous le contrôle d’un commissaire nommé - et non plus élu - par le pouvoir exécutif,
et qui peut destituer les administrateurs. Ce processus centralisateur est parachevé, sous le Consulat, par la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800), qui réduit à néant le rôle du conseil général et crée les préfets et les sous-préfets, dépendants du pouvoir central et dotés d’attributions étendues. Le cadre départemental tracé par les constituants survit aux changements de régime : le nombre de départements peut varier suivant les aléas de l’histoire et l’étendue du territoire national, mais leur tracé ne change guère. Au XIXe siècle, ils deviennent peu à peu un espace de référence de la vie quotidienne des Français. Et ils résistent aux propositions de suppression avancées, vers 1900, par ceux, géographes, politiques ou industriels, qui leur opposent le petit « pays » ou la région. Mais l’évolution vers la décentralisation est lente : la rupture est marquée par la loi de mars 1982, qui transfère le pouvoir exécutif départemental du préfet au conseil général élu, dont les compétences, notamment financières, sont accrues. déportation, « peine politique perpétuelle, afflictive et infamante qui consiste à exiler un condamné dans un lieu déterminé » (Petit Larousse). Au XIXe siècle, cette peine est fréquemment prononcée pour des détenus de droit commun, qui la purgent dans les bagnes de Cayenne ou de Nouméa, ou pour des prisonniers politiques, après le coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte ou l’écrasement de la Commune de Paris. Le déporté le plus célèbre reste incontestablement le capitaine Dreyfus. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, en France comme dans les autres pays occupés par l’Allemagne nazie, le phénomène devient massif et touche diverses catégories de la population : sont soumis au transport forcé hors du territoire français des parlementaires communistes condamnés à la suite de l’interdiction du PCF et envoyés en mars 1941 en Algérie, les hommes contraints, à partir de 1943, d’aller travailler en Allemagne dans le cadre du Service du travail obligatoire (STO), les personnes arrêtées au cours de rafles, des droits communs, des prisonniers politiques, des résistants. Au fil des décennies qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, le terme de « déportation » en est venu à désigner l’internement dans un camp de concentration nazi ou l’acheminement des juifs de France vers les centres d’extermination, principalement celui d’Auschwitz-Birkenau.
Le 25 juillet 1941, un convoi quitte le Nord, transportant 244 mineurs vers Sachsenhausen : ce sont les premiers déportés de France, qui seront envoyés dans les camps de concentration du IIIe Reich : Buchenwald, Dachau, Mauthausen, etc., et Ravensbrück pour les femmes. Le 27 mars 1942, un premier convoi de 1 112 juifs quitte la France pour le camp d’Auschwitz. À partir de juillet 1942, les déportés sont « sélectionnés » à l’arrivée des trains. Une infime minorité est alors dirigée dans les camps. Les autres sont conduits directement vers les chambres à gaz couplées aux fours crématoires et gazés. La guerre finie, sur les 140 000 déportés de France, dont plus de 75 000 juifs, 40 000 environ sont rapatriés. Parmi eux ne figurent que 2 500 juifs. Le terme de déportation recouvre donc des réalités différentes, selon la destination : camp de concentration ou centre de mise à mort. • La déportation dans les camps de concentration. Dès leur arrivée au pouvoir, downloadModeText.vue.download 270 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 259 les nazis ont construit un véritable réseau de camps sur tout le territoire du Reich. Le premier est celui de Dachau, non loin de Munich. Leur personnel provient d’un double essaimage : celui des membres de la SchutzStaffel (SS), déjà rôdés par des années de service ; celui des détenus, eux aussi rôdés par un long séjour concentrationnaire. C’est cet essaimage qui explique une sorte de culture commune à tous les camps de concentration, de celui du Struthof, dans l’Alsace annexée au Reich, à ceux de Buchenwald, Dachau ou Auschwitz. Avant le déclenchement de la guerre y sont internés les ennemis réels ou supposés du régime : socialistes, communistes, ainsi que les « asociaux », les témoins de Jéhovah..., désignés du terme générique de Häftlinge, « détenus de sécurité ». Pendant la guerre, les effectifs s’accroissent, en provenance de tous les pays que l’Allemagne occupe. Les déportés de France ont été généralement conduits, depuis la prison où ils étaient détenus, au camp de Compiègne-Royallieu, avant d’être entassés dans des wagons à bestiaux. Au terme d’un terrible voyage, long souvent de plusieurs jours, sans nourriture, sans boisson, ne disposant que d’un simple
seau pour les besoins naturels, et qui conduit certains à la folie ou la mort, ils arrivent à destination, accueillis par les hurlements des SS et les aboiements des chiens. C’est alors la confiscation de tous les biens personnels, la douche, le rasage de la tête et du corps, la distribution de vêtements rayés. Le Häftling se voit attribuer un numéro matricule qui remplace son nom, et qui est inscrit à la base d’un triangle, toujours rouge - le triangle qui désigne les politiques - pour les déportés de France, cousu sur le vêtement rayé. Il a perdu tout repère le rattachant à sa vie antérieure, toute identité. La situation des déportés varie cependant selon les camps de concentration - ainsi, la mortalité touche à Mauthausen 50 % des détenus, contre 25 % à Buchenwald -, et même à l’intérieur de chacun d’eux : « Un jour, écrit Germaine Tillion, ethnologue, résistante, déportée à Ravensbrück, on collectionnera les témoignages sur les camps de concentration et, ce jour-là, il faudra se souvenir qu’il y eut mille camps dans chaque camp. » De fait, les différences entre détenus sont considérables. Différences entre les nationalités, d’abord : ainsi, les Français se trouvent tout en bas de la hiérarchie, devançant néanmoins les Russes, les Tziganes et les juifs, qui sont les plus maltraités. Différences entre les individus, ensuite, car, si les camps de concentration sont gardés par la SS, qui y assume le véritable pouvoir, cette dernière a mis en place une hiérarchie parallèle de détenus qui gèrent le camp au quotidien, et qui constitue ce que Primo Levi, juif italien déporté à Monowicz, un camp du complexe d’Auschwitz, appelle « la zone grise » ; parmi eux, le Kapo, détenu qui dirige les Kommandos de travail, ou le Blokältester, détenu chef de Block. Il n’en reste pas moins que tous les prisonniers, à des degrés divers, connaissent la faim, la soif, les mauvais traitements, le travail forcé, que certains, à Buchenwald ou à Dachau, sont l’objet d’expériences médicales ; la mortalité globale des Français dans les camps est considérable : 40 %. • Déportation et extermination des juifs. La déportation des juifs obéit à une autre logique. Dès l’occupation de la France, étrangers ou français, ils sont exclus de la communauté nationale par une série d’ordonnances allemandes et par les lois de Vichy. À partir de 1941, ils sont victimes de rafles, menées d’abord à Paris contre les juifs polonais, tchèques et ex-autrichiens, qui sont internés par la suite dans les camps du Loiret, Pithiviers et Beaune-la-Rolande. Le 20 août 1941, près de 6 000 juifs étrangers du XIe arrondissement de Paris sont arrêtés et conduits
à Drancy. Suivront, le 12 décembre 1941, 743 hommes de nationalité française - industriels, médecins, avocats... -, qui seront enfermés, quant à eux, au camp de Compiègne. Les rafles reprennent à l’été 1942 : les 16 et 17 juillet, la rafle dite « du Vel’d’hiv’ » touche quelque 13 000 personnes, dont, pour la première fois, des femmes et des enfants ; les personnes seules sont emmenées à Drancy, tandis que les familles sont parquées au vélodrome, avant d’être déportées vers Auschwitz. En août, des opérations semblables sont menées en zone libre : 11 000 personnes environ y sont arrêtées et conduites à Drancy. Les arrestations continuent pendant les années 1943 et 1944, étape dans la « solution finale » qui vise à l’extermination des juifs. Le premier convoi de la mort quitte la France le 27 mars 1942 ; le dernier, le 17 août 1944. 75 721 juifs ont été déportés de France vers les centres de mise à mort nazis, dont 42 655 en 1942, 17 041 en 1943, 16 025 en 1944. Parmi eux, 6 012 avaient moins de 12 ans, 13 104, de 13 à 29 ans, et 8 687, plus de 60 ans. La grande majorité de ces juifs sont dirigés vers le complexe concentrationnaire d’Auschwitz-Birkenau. C’est là, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Cracovie, qu’en 1940 la SS a installé un camp de concentration, dans les bâtiments en brique d’une ancienne caserne désaffectée, près de la petite ville polonaise d’Oswieçim, qui a repris le nom germanique qu’elle portait sous la domination des Habsbourg, Auschwitz. À l’origine, Auschwitz est conçu comme un camp de concentration. Jusqu’au début de l’année 1942, les Polonais y sont largement majoritaires, même si, dès la mi-juin 1941, des détenus arrivent d’autres pays. En janvier 1941, à la demande de la direction de l’IG Farben, il est décidé de construire une usine produisant du méthanol et du caoutchouc synthétique (Buna, en allemand) dans le village de Monowicz, à sept kilomètres environ du camp d’Auschwitz. À l’automne 1942, des baraques sont construites à proximité de l’usine, et Monowicz devient à son tour un camp : Auschwitz III, où travaillent une dizaine de milliers de déportés de toute l’Europe, juifs en immense majorité. Des détenus seront aussi, plus tard, affectés à une quarantaine de camps annexes, installés autour d’une usine ou d’une mine. En mars 1941, le Reichsführer SS Heinrich Himmler a décidé d’établir un nouveau camp dans le hameau de Brzezinka (Birkenau, en allemand), destiné à accueillir 100 000 prisonniers de guerre en prévision de l’invasion de l’Union soviétique. Environ 250 baraques en bois sont installées, calquées sur le modèle des écuries militaires
mobiles, chacune devant abriter au moins 400 détenus. Alors même que Birkenau est en cours d’aménagement, à l’été ou à l’automne 1941, Auschwitz-Birkenau est choisi comme lieu de la « Solution finale de la question juive en Europe ». L’endroit est adéquat, situé près du noeud ferroviaire de Katowice, et, en outre, facile à isoler. En mars 1942, les premiers prisonniers sont conduits à Birkenau. Dans le courant du mois de mai, une fermette de Birkenau est transformée en chambre à gaz, puis une seconde le mois suivant. Les premiers gazages homicides ont eu lieu dès septembre 1941, dans les sous-sols du bloc 11 d’Auschwitz I : des malades jugés incurables et des prisonniers soviétiques qualifiés de « fanatiques » ont été asphyxiés à l’aide de zyklon B. Mais c’est à partir de juillet 1942 que les gazages prennent une tournure systématique. Le 4 juillet, une première « sélection » est opérée sur un convoi de juifs slovaques : les prisonniers déclarés « aptes » au travail sont séparés des « inaptes » - tous les enfants, vieillards, femmes enceintes -, destinés à être exécutés immédiatement. Dès lors, tous les convois de déportés juifs de France seront soumis à cette sélection, un nombre variable, mais toujours faible, de déportés étant admis dans le camp. Sont mis alors en chantier quatre crématoires d’une conception nouvelle puisqu’ils comportent, outre les installations de crémation, une salle de déshabillage et une chambre à gaz ; ils fonctionneront, en totalité ou partiellement, de mars 1943 à novembre 1944, date à laquelle Himmler donne verbalement l’ordre d’arrêter les gazages. Le 7 octobre 1944, les détenus chargés de faire fonctionner la chambre à gaz-crématoire IV, un des Sonderkommandos (commandos spéciaux), se révoltent et la détruisent. À partir de décembre 1944, les Allemands font procéder au démantèlement des chambres à gaz-crématoires II et III. Le 18 janvier 1945, devant l’avancée de l’Armée rouge, ils jettent sur les routes quelque 60 000 détenus déjà exténués, les dirigeant par un froid polaire, tantôt à pied, tantôt en wagons à bestiaux découverts, vers les camps de concentration de l’Ouest : Buchenwald, Dachau, BergenBelsen... Cet épisode est resté dans les mémoires comme la « Marche de la mort ». Le 27 janvier 1945, les avant-gardes soviétiques libèrent les camps du complexe d’Auschwitz. Il ne reste plus alors que 6 000 détenus environ - dont quelques centaines de déportés de France -, ceux qui étaient trop faibles pour se
déplacer ou qui avaient réussi à se soustraire aux évacuations. Aussi, l’immense majorité des survivants d’Auschwitz sont-ils libérés dans d’autres camps, en avril ou mai 1945. • Le retour. Le rapatriement des déportés, toutes catégories confondues, commence en mars 1945. Il est quasiment terminé en août. La grande majorité d’entre eux arrivent à Paris, à l’hôtel Lutétia, principal centre de rapatriement. Ils sont pour la plupart très diminués et doivent séjourner dans des hôpitaux ou des maisons de repos. Presque tous souffriront, leur vie durant, des séquelles psychiques ou physiques de leur déportation. Dès leur retour, les déportés témoignent, rédigeant notamment de nombreux récits. downloadModeText.vue.download 271 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 260 Ils se regroupent en associations, pour se retrouver, défendre leurs droits, aider les plus démunis, organiser des cérémonies commémoratives et ériger des mémoriaux. Dans ces années d’après-guerre, la déportation est largement assimilée à la Résistance, et la spécificité du sort des juifs est peu évoquée. Le camp-symbole est alors Buchenwald, celui où la Résistance, organisée principalement par les communistes allemands, fut la plus importante. Le réveil de la mémoire juive s’affirme dans les années soixante. Dès lors, la déportation des juifs de France, effectuée avec la complicité du gouvernement de Vichy, donne lieu à plusieurs affaires judiciaires. Auschwitz a désormais remplacé, dans la mémoire collective, Buchenwald comme symbole des crimes nazis. dérogeance, manquement, sous l’Ancien Régime, à l’incompatibilité coutumière entre l’exercice d’une activité manuelle ou mercantile et l’état de noblesse, qui entraîne la perte de celui-ci. Cette règle souffre néanmoins des exceptions professionnelles - dont profitent verriers, métallurgistes et, après 1544, avocats - ainsi que provinciales : au XVe siècle, la coutume de Champagne autorise les nobles à vivre « noblement ou marchandement » selon leur convenance ; en Bretagne, la dormition de noblesse permet à un gentilhomme d’« assoupir » sa qualité pendant qu’il se livre aux « trafic de marchandises et usage de bourse
commune », à charge pour lui de s’acquitter des impôts roturiers et de la « réveiller » dès qu’il déclare mettre fin à sa dérogeance, alors que, dans les autres provinces, il doit solliciter du roi des lettres de réhabilitation. Voulant, tour à tour, maintenir la cohésion de la société d’ordres et stimuler le grand commerce, la monarchie a longtemps louvoyé : à l’édit de 1462, qui autorise les nobles à « user de marchandise sans préjudice de leur nom et de leur état », s’oppose l’ordonnance d’Orléans de 1560, dont, en réponse aux doléances du tiers état, l’article 119 défend « à tous gentilshommes et officiers de justice le fait et trafic de marchandises et de prendre ou tenir ferme par eux ou personnes interposées », sous peine d’être privés, les uns de leurs privilèges et les autres de leur charge. Pour attirer la noblesse vers le grand large, le Code Michau (1629), l’arrêt du Conseil du 5 décembre 1664 et les édits d’août 1669, décembre 1701 et mars 1765 affirment la non-dérogeance du commerce maritime. Mais, sauf en Bretagne, l’ancienne noblesse y répugne, tandis que, une fois anoblis, nombre de négociants investissent leur fortune en terres et en offices. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la « noblesse d’affaires » se borne à un millier de personnes, dont environ 300 armateurs, alors que le refus de la marchandise est au coeur de la réaction nobiliaire : face à l’abbé Coyer qui, dans la Noblesse commerçante (1756), prône l’abolition de « cette loi singulière et gothique de dérogeance » pour permettre aux gentilshommes pauvres de relever leur condition, le chevalier d’Arc exalte les vertus de la Noblesse militaire. La vigueur de ce préjugé nourrit les accusations d’inutilité sociale portées contre la noblesse, jusqu’au décret des 4-11 août 1789 stipulant que « nulle profession utile n’emportera dérogeance ». Déroulède (Paul), poète et homme politique (Paris 1846 - Nice 1914). Fils d’un avoué parisien, Paul Déroulède poursuit des études d’avocat, mais ses faveurs vont à la poésie. Volontaire lors de la guerre de 1870, prisonnier, évadé, il s’engage dans l’armée de Bourbaki, où il est remarqué pour sa combativité. Il participe ensuite aux combats contre la Commune, puis quitte le service actif en 1874. Comme bien des hommes de sa génération, il est profondément humilié par la défaite, et par la perte de l’Alsace-Lorraine. Très vite, au travers des Chants du soldat (1872), il met son talent littéraire au service de la cause qui apparaît essentielle à ses yeux : la grandeur de la patrie et la gloire de son armée
- instrument d’une future revanche sur l’Allemagne. En 1882, il participe à la fondation, dans les milieux gambettistes, de la Ligue des patriotes, et devient une sorte de poète officiel. La montée en puissance du socialisme provoque chez lui une réaction hostile, et il glisse progressivement du patriotisme républicain vers un nationalisme critique. La crise boulangiste marque une première inflexion dans son itinéraire. Persuadé que la république parlementaire ne permettra pas « la revanche », il souhaite une réforme des institutions et, pour l’obtenir, il apporte au général Boulanger le concours de la Ligue des patriotes ainsi que de son hebdomadaire, le Drapeau. Élu député en 1889, Déroulède jouit alors d’une popularité considérable. Après la mort de Boulanger, il incarne la ligne révisionniste prônant une république plébiscitaire dotée d’un exécutif renforcé. Son antiparlementarisme forcené le conduit à se dresser contre les scandales qui entachent la République. Il franchit un pas supplémentaire au moment de l’affaire Dreyfus en participant aux campagnes antidreyfusardes avec les nationalistes les plus extrémistes. Il a alors acquis la conviction qu’on ne changera pas le régime par la voie légale, et qu’il est légitime de recourir à un coup d’État. Il passe à l’acte en 1899, lors des obsèques du président de la République Félix Faure, mais échoue, le général Roget refusant de le suivre. Arrêté, il est d’abord acquitté, puis, traduit de nouveau devant la Haute Cour, il est condamné à dix ans de bannissement. Réfugié en Espagne, il rentre en France après l’amnistie de 1905. Il demeure jusqu’à sa mort le militant d’un nationalisme intransigeant, même si, peu porté lui-même à l’antisémitisme, il ne partage pas toutes les positions idéologiques des milieux nationalistes. Desaix (Louis Charles Antoine des Aix, dit), chevalier de Veygout, général (Saint-Hilaire d’Ayat, Puy-de-Dôme, 1768 - Marengo 1800). En 1791, Desaix est sous-lieutenant. Ayant refusé d’émigrer, il fait partie en 1792 de l’état-major de l’armée du Rhin. À la suite du 10 août 1792, emprisonné quelques semaines, il retrouve vite sa place et se distingue notamment dans la défense de Worms. À l’image de celle de nombre d’autres officiers républicains, sa carrière suit alors une progression spectaculaire : il est nommé général de brigade en août 1793, puis de division en octobre. Son origine noble lui vaut d’être suspendu le mois suivant, mais il demeure à son poste. De 1794 à 1797, Desaix s’affirme dans l’armée du Rhin comme un officier de
tout premier plan. En juillet 1797, il sert dans l’armée d’Italie sous les ordres de Bonaparte. L’année suivante, il est engagé dans l’armée d’Orient, et participe à la campagne d’Égypte ; il y joue un rôle important, gagnant même par son administration de la Haute-Égypte le surnom de « Sultan juste ». Après le départ de Bonaparte, c’est Desaix qui signe la convention d’El-Arich (janvier 1800), mettant au point les conditions d’évacuation des troupes françaises. Revenu en France, il rejoint aussitôt l’armée d’Italie. Le 14 juin 1800, son intervention pendant la bataille de Marengo est décisive : le combat, mal engagé, se transforme en victoire éclatante, mais Desaix est tué au cours de la charge. Descartes (René), philosophe et savant (La Haye, aujourd’hui La Haye-Descartes, Indre-et-Loire, 1596 - Stock-holm 1650). Éduqué au collège jésuite de La Flèche (16071615), où il se lie avec Marin Mersenne, bachelier, puis licencié en droit à Poitiers (1616), il garde du cours d’étude scolastique une insatisfaction profonde, car il n’en reçoit aucune « connaissance claire et assurée de ce qui est utile à la vie ». En 1618, il quitte la France pour s’engager en Hollande dans l’armée de Maurice de Nassau, puis dans les troupes du duc de Bavière. Le 10 novembre 1619, à Ulm, il fait le rêve - relaté par lui-même dans les Olympica - d’une « science admirable » qui scelle sa vocation de philosophe en lui représentant pour tâche la constitution d’une science unifiée et mathématisée de la nature. Descartes renonce alors à la carrière militaire et, résolu à s’instruire par lui-même et « dans le grand livre du monde », il consacre plusieurs années à voyager. En 1628, il compose les Règles pour la direction de l’esprit, première ébauche de la méthode, qui ne seront publiées qu’au début du XVIIIe siècle. L’année suivante, il se retire en Hollande, où il pense trouver le calme politique et social nécessaire à l’étude. La condamnation de Galilée en juin 1633 le dissuade de faire paraître son Traité du monde, où il se déclarait prudemment en faveur des thèses coperniciennes. Il publie cependant certains de ses résultats scientifiques dans les trois Essais, qui font suite au Discours de la méthode (1637), notamment sa Géométrie, où il expose la manière d’appliquer les procédures de résolution algébrique à l’analyse des courbes géométriques, et sa Dioptrique, qui contient l’énoncé exact de la loi de la réfraction. Le Discours qui sert de préface à ces Essais est, comme eux, rédigé en français et, par son ton autobiographique, donne l’image d’une philosophie enracinée dans l’existence
et accessible à tout homme (ou femme) de bon sens. On y trouve un résumé de métaphysique que Descartes développe magistralement dans les Méditations métaphysiques (1641) et dans ses réponses aux objections formulées par plusieurs théologiens et philosophes, dont Mersenne, Hobbes, Arnauld, Gassendi. Les Principes de la philosophie (1644) comprennent un exposé systémadownloadModeText.vue.download 272 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 261 tique de sa philosophie et de sa physique, mais l’espoir nourri par Descartes que ce livre puisse remplacer l’enseignement d’Aristote dans les collèges jésuites est vite déçu. En 1649, le traité des Passions de l’âme, écrit à la demande de son amie la princesse Élisabeth de Bohême, témoigne d’une réflexion renouvelée sur les problèmes de la morale et de la vie de l’homme concret. En Hollande, Descartes est à plusieurs reprises engagé dans des polémiques violentes, où il doit défendre son orthodoxie religieuse contre des accusations d’athéisme ou de pélagianisme, parfois contre ses propres disciples (Régius). Il revient trois fois en France, où il rencontre notamment Pascal en 1647. En 1649, à l’invitation de la reine Christine de Suède, il se rend à Stockholm, où il contracte une pneumonie et meurt en février 1650. • Le projet philosophique cartésien. Il est certainement, à l’origine, d’ordre éthique : l’invention méthodique des sciences et le désir de se rendre par elles « comme maître et possesseur de la nature » se fondent sur une exigence d’amélioration de la vie humaine. Le développement d’une médecine et d’une morale rationnelles sont les fruits attendus d’une réforme philosophique qui commence en profondeur, avec le déracinement des préjugés sensualistes d’une « enfance abusive » (Gouhier) et la recherche d’une première vérité absolument certaine. Celle-ci est obtenue au terme d’une mise en doute radicale de toutes les opinions reçues, même les plus vraisemblables. Le « je pense, je suis », seule vérité dont on ne puisse douter, offre au philosophe un point d’appui en même temps qu’un modèle d’évidence pour la constitution d’une philosophie rationnelle entièrement déductive, démontrant tour à tour l’existence de Dieu, la distinction réelle de l’âme et du corps, l’identification de la substance matérielle à la seule étendue géométrique, condition d’une
physique mathématisée et mécaniste. • Le cartésianisme. La doctrine de Descartes irrigue la pensée française et européenne au XVIIe siècle. Sa physique, sa théorie du ciel fondée sur l’hypothèse des tourbillons, et son approche du problème de l’union en l’homme de l’âme et du corps font certes l’objet, très tôt, de vives contestations, y compris chez ceux qui s’en réclament explicitement, tel Malebranche. Mais l’idéal d’une science de la nature unifiée qui trouve dans le sujet pensant son véritable fondement imprime une marque durable à la philosophie, inaugurant l’idéalisme et le rationalisme modernes. Reste qu’aujourd’hui la fortune de Descartes dépasse l’aire de la seule philosophie : du billet de 100 francs à l’adjectif dérivé, il participe d’une mythologie quotidienne qui l’associe étroitement aux Français - « cartésiens comme des boeufs », disait Marcel Aymé - dans l’imaginaire des nations. Deschanel (Paul), homme politique (Schaerbeek, Belgique, 1855 - Paris 1922) ; président de la République de février à septembre 1920. Fils d’Émile Deschanel, sénateur exilé sous le Second Empire, Paul Deschanel reçoit une formation de juriste. D’abord sous-préfet à Dreux, Brest et Meaux, il est élu député d’Eure-et-Loir en 1885, et le restera jusqu’en 1920. Vice-président de la Chambre en 1896, il entreprend, l’année suivante, une campagne en faveur des « républicains sans épithète ». Président de la Chambre de 1898 à 1902, il s’oppose fréquemment à Jaurès, défendant, face au socialiste, une République « progressiste ». Candidat malheureux à la présidence de la Chambre en 1902, puis à la magistrature suprême en 1906, il sera de nouveau à la tête de la Chambre de 1912 à 1920. Le 16 février 1920, une majorité de parlementaires se prononce pour son élection à la présidence de la République, face à Georges Clemenceau, accusé de « dictature ». Élu le lendemain, Paul Deschanel occupera fort peu de temps l’Élysée. De santé mentale fragile, il doit remettre sa démission en septembre 1920. Élu sénateur d’Eure-et-Loir en janvier 1921, il meurt en avril de l’année suivante. Chef d’État fugitif, républicain centriste, modéré, mais convaincu, homme d’arbitrages plus que de responsabilités, Paul Deschanel a suivi un parcours qui, selon Nicolas Roussellier, « fait figure de modèle d’une promotion
honorifique comme seule la République parlementaire pouvait en assurer la réussite et la légitimité ». Désert (assemblées du), réunions tenues par les protestants pour célébrer leur culte, après la révocation de l’édit de Nantes en 1685. L’expression rappelle la traversée du désert par les Hébreux, et les « solitudes sacrées » dans lesquelles ces réunions se déroulent renforcent cette image. En effet, aux « nouveaux convertis », restés protestants de coeur, le culte familial discret ne peut suffire, notamment pour les baptêmes et les mariages, engagements pris devant la communauté. Privés de pasteurs, de temples, d’état civil, ils se réunissent, dès 1685, en des lieux retirés, parfois même dans des grottes. Garrigues et combes languedociennes se prêtent particulièrement à ces rassemblements, dont toutes les régions protestantes (Dauphiné, Poitou, Normandie) offrent néanmoins des exemples. Hommes, femmes et enfants y écoutent des prédicateurs « improvisés », parfois des « prophètes », dont l’enthousiasme prépare la révolte des camisards. Après la défaite de ces derniers, Antoine Court, jeune « prédicant » du Vivarais, convoque, le 27 août 1715, le premier synode (assemblée de délégués des églises) du Désert. Il rejette la violence, restaure l’autorité des consistoires et l’unité de foi. Des pasteurs reviennent de l’étranger, et des Languedociens sont envoyés à Lausanne pour se former. Ces églises clandestines mais bien encadrées confortent les « nouveaux convertis » dans leur refus des pratiques catholiques, ce qui les désigne aux autorités. Un « premier Désert » (1685-1760) affronte une répression constante. Dans les années 1720, les arrestations redoublent, les hommes sont condamnés aux galères et les femmes sont enfermées, notamment dans la tour de Constance à Aigues-Mortes. Des pasteurs sont exécutés. Le clergé catholique pousse à la sévérité, mais, de peur d’une révolte ouverte, le pouvoir reste prudent - sauf de 1748 à 1756, lorsque la paix extérieure lui laisse les mains libres. À des réformés privés de personnalité juridique, les assemblées du Désert conservent une identité collective. En perpétuant un désordre civil - les mariés « au Désert » sont considérés comme des concubins, et les baptisés sont parfois rebaptisés de force par les curés -, en s’en tenant à une résistance non violente, elles posent un cas de conscience
aux autorités éclairées. À partir de 1760, la surveillance se relâche sur le « second Désert ». Les assemblées ne se cachent plus. Contrairement aux parlements de Rouen, de Grenoble ou de Toulouse, qui demeurent intransigeants, les ministres du roi Louis XVI, Turgot en tête, se montrent mieux disposés. En 1787, l’édit de Tolérance met fin à la fiction d’une France toute catholique en restituant un état civil aux protestants. Mais c’est la Révolution qui rétablit la liberté de culte. Desmoulins (Camille), homme politique (Guise, Aisne, 1760 - Paris 1794). Condisciple de Robespierre au collège Louisle-Grand, il est avocat depuis quatre ans lorsque commence la Révolution. Les premiers événements - et l’historiographie - en font d’emblée une figure centrale de cette période fondatrice : célèbre est l’épisode du 12 juillet, au Palais-Royal, où, à l’annonce du renvoi de Necker, le jeune homme - qui bégaye - appelle les Parisiens à prendre les armes. Dans son journal, les Révolutions de France et de Brabant (1789-1791), il attaque Lafayette et Mirabeau. Le héros révolutionnaire, tel que Michelet l’a immortalisé, trouve son achèvement dans le rôle de l’amoureux - de sa femme (Lucile Duplessis, épousée en 1790), mais aussi de la patrie -, celui qui proclame son « amour du gouvernement républicain [...], seule constitution qui convienne à quiconque n’est pas indigne du nom d’homme ». Il est inscrit aux Clubs des cordeliers et des jacobins, et défend la légitimité et l’efficacité de l’insurrection populaire : il est ainsi l’un des acteurs de la prise des Tuileries (10 août 1792). Il partage avec Fabre d’Églantine la fonction de secrétaire du ministère de la Justice (dirigé par Danton) au moment des massacres de Septembre. Élu député de Paris à la Convention, proche de Danton, il s’oppose farouchement aux girondins, et demande leur éviction de l’Assemblée dans son libelle Histoire des brissotins ou Fragment de l’histoire secrète de la Révolution (mai 1793). • « Un égaré » (Robespierre). Il se tient ensuite à l’écart des séances de la Convention et, avec le Vieux Cordelier, journal qu’il lance en frimaire an II (décembre 1793), il s’engage dans la lutte contre les hébertistes et les ultrarévolutionnaires, devenus « le seul danger de la République ». Il les accuse de « tuer les principes et le patriotisme par les principes et le patriotisme poussés jusqu’à l’extravagance », et les qualifie d’agents de Pitt (le Premier ministre anglais) qui « a entrepris de faire par l’exagération ce qu’il n’avait pu faire par le modérantisme ». Pour Desmoulins,
« la contre-révolution en bonnets aussi fatale à la liberté que les été. Ces positions lui valent une downloadModeText.vue.download 273
rouges » est girondins l’ont vive critique sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 262 des cordeliers (il en est radié) et des jacobins (Robespierre lui en évite l’exclusion). Éclaboussé par les intrigues d’agiotage de Fabre d’Églantine, qui est impliqué dans la falsification du décret de liquidation de la Compagnie des Indes, il est arrêté avec les dantonistes dans la nuit du 10-11 germinal an II (30-31 mars 1794), avant d’avoir pu publier le no 7 du Vieux Cordelier, dans lequel il mettait en cause certains membres des comités. Dans son rapport d’accusation, Saint-Just stigmatise les partisans d’un « comité de clémence pour l’aristocratie », « l’indulgence qui est féroce puisqu’elle menace la patrie » et « Camille Desmoulins qui fut d’abord dupe et finit par être complice », « instrument de Fabre et de Danton ». Il est guillotiné le 17 germinal (6 avril). Lucile est exécutée huit jours plus tard. • « Un libre génie d’inspiration naïve et soudaine » (Michelet). Dans l’historiographie de la Révolution française, Desmoulins, qui est à la fois l’ami de Robespierre (témoin à son mariage) et celui de Danton, tient la place du révolutionnaire emblématique, du romantique idéalisé, au carrefour des tensions, des luttes, des paradoxes de l’an II et de la Terreur. Selon les courants, on insistera sur l’aveuglement de l’homme politique manipulé par Danton (« le naïf ») ou sur la lucidité du défenseur de la liberté de la presse (« le génie ») qui, avant d’être arrêté, écrit que « l’âme des républiques, leur pouls, leur respiration, et si l’on peut parler ainsi, le souffle auquel on reconnaît que la liberté vit encore, c’est la franchise du discours » (le Vieux Cordelier, no 7). À sa charge pour les uns, à sa décharge pour les autres. Il fut l’un des rares dantonistes à avoir été réhabilité par les thermidoriens. despotisme éclairé, formule désignant le mode d’exercice du pouvoir propre aux monarques ou ministres européens qui, adeptes des Lumières et influencés par les philosophes français du XVIIIe siècle, ont tenté de moderniser leur pays par la voie autoritaire.
• Philosophes et souverains. La formule marque la rencontre, autour d’un programme réformateur, de souverains soucieux d’ordre, de fonctionnaires soucieux d’efficacité et de philosophes soucieux du bien public et du progrès. Il s’agit de moderniser la société, de subordonner les intérêts particuliers et les coutumes à un État censé représenter l’intérêt général. Éclairé, le gouvernement d’un tel État ferait de l’accroissement de la population, de la prospérité économique et de la diffusion de l’éducation les vrais critères de son action. Ainsi, la conduite des affaires publiques échapperait aux préjugés religieux pour se conformer aux principes de la raison. « J’ai fait de la philosophie la législatrice de mon empire », déclare, par exemple, Joseph II en 1781. Ce mouvement de réformes imposées d’en haut est apparu aux philosophes des Lumières comme le seul moyen de faire sortir de leur arriération les pays de l’Europe centrale, orientale et méditerranéenne. En effet, faute d’une opinion publique avertie et d’une bourgeoisie suffisamment forte, le plus simple leur paraît de persuader le souverain. L’accord se fait autour d’une commune hostilité aux prétentions de l’Église, tandis que les monarques se flattent d’accueillir et d’écouter les Philosophes qui, réciproquement, louent leur action : Voltaire louange Frédéric II de Prusse (1740-1786), Diderot conseille Catherine de Russie (1762-1796). De même, MarieThérèse d’Autriche (1740-1780) et son fils Joseph II (1780-1790), le grand-duc de Toscane Léopold (1765-1790) et le roi d’Espagne Charles III (1759-1788) reçoivent-ils le soutien des élites éclairées. De fait, ces souverains ont mis en oeuvre une politique de réformes inspirées par les idées des Lumières : rationalisation de l’appareil administratif et fiscal, tolérance religieuse, humanisation de la justice, laïcisation de l’enseignement et de l’assistance charitable. • Un projet contradictoire dans les termes. Mais le cadre général de leur action demeure celui du mercantilisme, au service de la gloire du souverain et non du bonheur des peuples. La réforme n’est en fait que l’instrument d’une politique de grandeur que rien ne distingue de l’absolutisme du siècle précédent. Pour éclairés qu’ils se déclarent, ces monarques n’en restent pas moins des despotes, à la façon d’un Louis XIV. Aussi, le rapprochement qui s’opère à partir de 1740 entre Philosophes et monarques
« éclairés », sur la base d’une lutte commune contre les vieilles structures féodales et l’obscurantisme de l’Église, s’avère-t-il très ambigu. La modernisation forcée apparaît comme un raccourci illusoire. Le bonheur des peuples ne peut guère s’octroyer d’en haut, sans leur consentement. Or le despotisme éclairé peut accepter la liberté civile, mais nullement la liberté politique. Pendant longtemps, cela n’a guère gêné les Philosophes, qui n’imaginaient pas que les peuples, pour l’heure insuffisamment éduqués et englués dans leurs préjugés, puissent avoir leur mot à dire. Mais, séjournant en Prusse ou en Russie, ils finissent par prendre conscience que ce qu’ils ont tenu pour l’avènement de la raison et de l’État n’est que le triomphe de la raison d’État. Loin d’être les purs instruments du progrès vers la constitution un État moderne bientôt soumis à la seule loi de la Raison, les souverains privilégient leurs intérêts dynastiques. En outre, s’ils combattent le pouvoir ecclésiastique, ils s’appuient sur l’aristocratie, confortent son assise sociale, étendent le servage, à rebours des idéaux émancipateurs des Lumières. À la fin du siècle, quand s’affirme à travers toute l’Europe une aspiration générale à la liberté, le réformisme autoritaire n’est plus supporté. En 1789, les provinces belges se soulèvent contre Joseph II. L’échec de la formule du despotisme éclairé était inscrit dans sa teneur même. Dès 1770, les Philosophes ont dû déchanter. Destour, parti libéral constitutionnel tunisien - destour signifie Constitution -, qui apparaît sur la scène politique en juin 1920. Ses fondateurs, les bourgeois nationalistes Abdelaziz Taalbi et Ahmed Sakka, réclamant un allègement du protectorat de la France et, surtout, la mise en place d’une Constitution avec Assemblée élue et séparation des pouvoirs. En dépit d’une consultation rendue en sa faveur par deux juristes parisiens, et d’une large implantation dans le pays, ce parti, officiellement organisé en mai 1921, connaît des débuts difficiles (conflit avec le bey Naceur, création par les autorités françaises de conseils élus) et, à partir de 1926, entre en léthargie. Il reprend vie à partir de 1930, sous l’impulsion de jeunes intellectuels de formation française, tel l’avocat Habib Bourguiba. Au congrès de Ksar Hellal (mars 1934), ces éléments rompent avec la direction et fondent le Néo-Destour, qui organise bientôt d’importantes manifestations auxquelles le résident général, haut fonctionnaire français, réplique
par diverses mesures de rigueur. La « guerre des deux Destours » tourne bientôt à l’avantage des novateurs, partisans d’une modernisation et d’une laïcisation de l’État. À la suite des émeutes d’avril 1938, le Néo-Destour est dissous et ses dirigeants sont arrêtés. Après une période d’effacement pendant la guerre, il retrouve son influence à partir du congrès clandestin d’août 1946 et du deuxième retour de Bourguiba (1947). Sous l’impulsion de ce dernier, il va s’imposer comme la principale formation nationaliste du pays et jouer un rôle déterminant dans sa marche vers l’indépendance. Parti unique de la Tunisie indépendante de 1957 à 1981, il a pris le nom de Parti socialiste destourien en 1964, puis celui de Rassemblement constitutionnel démocratique en 1988. Dettingen (bataille de), bataille perdue par les Français face aux Anglais, le 27 juin 1743, durant la guerre de la Succession d’Autriche. Après l’abandon de la Bavière par le maréchal de Broglie, qui désobéissait ainsi aux ordres de Versailles, les opérations se portent au nord, dans l’Électorat de Mayence. Nommé à la place de de Broglie, le maréchal de Noailles contraint lord Stairs et George II d’Angleterre à évacuer Aschaffenburg pour faire retraite vers Francfort. Noailles veut couper la route à l’ennemi en faisant franchir le Main à son neveu, le duc de Gramont, qui doit s’établir sur la rive gauche, à Dettingen, et n’en plus bouger. Mais, désireux de briller, Gramont se lance à l’attaque à découvert avec le régiment des gardes-françaises. Accueillie par l’artillerie, la troupe cède à la panique. Les officiers tentent vainement de rallier leurs hommes ; le marquis de Puységur tue des fuyards de sa propre main. Cependant, Noailles évite le pire en battant en retraite avec le gros de ses forces. Les pertes sont égales dans les deux camps, et les conséquences stratégiques, minces. Mais le gouvernement veut cacher la défaite, ce qui accentue l’indignation de l’opinion. Frédéric II de Prusse peut écrire à Voltaire : « Vos Français se laissent battre comme des lâches. » Autant que l’indiscipline de la troupe, c’est celle de certains chefs que révèle cette campagne de 1743 ; une crise morale dont l’armée française ne sortira qu’avec la victoire de Fontenoy. downloadModeText.vue.download 274 sur 975
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263 deux cents familles (les), désignation péjorative - particulièrement utilisée dans l’entre-deux-guerres - d’une oligarchie économique supposée détenir des pouvoirs démesurés. Le thème fait son entrée en politique en 1934, au congrès du Parti radical, où Édouard Daladier clame : « Deux cents familles tiennent les rênes de l’économie française et, en fait, de la vie politique française [...], placent leurs mandataires dans les cabinets politiques, [...] contrôlent la presse. » Cette dénonciation se rencontre aussi au Parti communiste, et, le 2 mai 1936, à la veille des élections législatives, l’Humanité titre : « Assurer la défaite des deux cents familles ». Mais Paul Reynaud s’y réfère également, et on trouve l’expression jusque sous la plume de Bertrand de Jouvenel, alors proche de Jacques Doriot. C’est, à l’époque, le lieu commun le plus répandu, même s’il n’est pas nouveau : en 1869, dans l’Empire industriel, le proudhonien Georges Duchêne s’en prenait déjà à « deux cents nababs » et, en 1910, selon l’économiste François Delaisi, cinquante-cinq personnes contrôlent le pays (la Démocratie et les financiers). Le nombre précis de « deux cents » désigne les deux cents principaux actionnaires de la Banque de France, qui, seuls, siègent à l’Assemblée générale. Par extension, il englobe les grands conseils d’administration, où se retrouvent souvent les mêmes noms. Et l’exemple de la Banque de France peut illustrer la mainmise de quelques-uns sur les rouages fondamentaux du pays. Sans doute peut-on débattre à propos de leur nombre exact, discuter de leur poids réel sur les choix politiques en invoquant les échecs du sidérurgiste François de Wendel, ou s’interroger sur le rôle des liens familiaux - par exemple, entre les Schneider, les de Wendel, les Citroën, les Mame, etc. Mais, tout comme d’autres slogans, celui des « deux cents familles » doit son importance à son utilisation politique au moins autant qu’à son fondement réel : il offre un moyen de rassembler la nation entière contre une poignée d’hommes, pour élargir des bases électorales, affronter une menace extérieure (l’Allemagne nazie), ou créer un unanimisme politique. Pour les communistes, il est plus simple à manier que le concept de lutte des classes, et plus conforme à leur désir de toucher les classes moyennes après 1934 ; les radicaux y retrouvent la défense des
« petits » face aux « gros », tout en visant la Banque de France, qui a fait échouer le Cartel des gauches ; quant à l’extrême droite, elle y projette souvent ses fantasmes antisémites. Bien des facteurs expliquent donc le succès de ce slogan populiste dans la France en crise des années trente. 2 Décembre ! décembre 1851 (coup d’État du 2) deuxième division blindée (2e DB), division créée en Afrique du Nord le 24 août 1943 et constituée d’éléments issus des forces françaises libres du Tchad, sous le nom de « deuxième division légère française libre ». Rassemblée dès le mois de septembre à Temara, près de Rabat, au Maroc, elle compte 16 000 hommes et environ 4 500 véhicules. Équipée et inspectée par les Américains, la 2e DB s’entraîne au combat entre septembre 1943 et avril 1944, avant d’être transférée en Grande-Bretagne. Partie de Southampton le 29 juillet, elle est la seule division française qui débarque en Normandie, à Utah Beach, le 1er août 1944. Intégrée à la IIIe armée du général Patton, elle est cette grande unité blindée voulue par le général de Gaulle pour représenter la France, aux côtés des Alliés, dans les combats pour la libération du territoire. « La 2e DB, déclara-t-il le 7 avril 1944 à Temara, débarquera et sera engagée en France. Elle y vaincra puis elle portera le fer et le feu de l’autre côté du Rhin. » Sous les ordres du général Leclerc, la 2e DB prend part à la campagne de France : elle combat en Normandie, puis libère Paris - épisode mémorable entre tous -, poussant ensuite son avantage vers la Moselle (du 8 septembre au 31 octobre). Après la prise de Baccarat, le 31 octobre, elle participe aux combats pour la libération de Strasbourg (du 16 au 27 novembre), avant d’être engagée en Alsace et en Lorraine au cours des campagnes de l’hiver ; une partie de ses éléments participent ensuite à la réduction de la poche de Royan (du 14 au 18 avril). Dès le 22 avril, elle combat en Allemagne et occupe Berchtesgaden le 5 mai 1945. Elle est dissoute le 31 mars 1946 ; elle a perdu 4 987 hommes. Dévolution (guerre de), conflit entre la France et l’Espagne pour le contrôle d’une partie des Pays-Bas espagnols (1667-1668). La première guerre menée par Louis XIV est d’abord une opération de prestige : le jeune roi cherche à remporter des victoires faciles. L’armée, réorganisée par Le Tellier et
Turenne, ne demande qu’à servir. L’Espagne, en paix avec la France depuis 1659, apparaît comme une proie tentante : Charles II n’a que 4 ans lorsqu’il succède à Philippe IV, en 1665, et l’administration et l’armée sont alors en déclin. Il reste à trouver un prétexte. Un article du droit privé brabançon avantage, en cas d’héritage, les enfants du premier lit : c’est le droit de dévolution. La reine de France, Marie-Thérèse d’Autriche, fille née du premier mariage de Philippe IV, peut donc faire valoir ses prétentions sur les Pays-Bas espagnols - quoique ce droit ne s’applique pas au domaine public. La renonciation à son héritage moyennant 500 000 écus, stipulée dans son contrat de mariage, est caduque, car la dot n’a jamais été versée. Fort de ce prétexte, Louis XIV revendique le Brabant, le Limbourg, une partie de la Flandre, de la Franche-Comté et du Luxembourg. Sans plus attendre, il entre en Flandre ; l’Espagne lui déclare la guerre le 14 juillet 1667. Accompagné de sa femme et de ses deux maîtresses, il met le siège devant Lille, qui tombe au bout de quinze jours, le 27 août. La Flandre est occupée, mais les maladies qui frappent l’armée et le harcèlement de francs-tireurs empêchent Turenne de s’emparer de Bruxelles. La campagne est interrompue dès la mi-septembre. Tout en négociant avec l’Autriche un partage des possessions espagnoles (traité secret du 19 janvier 1668), Louis XIV organise avec Condé une campagne d’hiver, saison où les armées sont d’ordinaire au repos. En février 1668, Condé entre en Franche-Comté : en vingt jours, Dole, Salins et Besançon tombent aux mains des Français. Les Provinces-Unies, alliées de la France, s’inquiètent alors de la puissance nouvelle de Louis XIV. Avec l’Angleterre, qu’elles viennent pourtant de combattre, et la Suède, elles concluent à La Haye la Triple-Alliance défensive du 23 janvier 1668. Devant cette redistribution du jeu européen, Hugues de Lionne, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, partisan de la paix, et qui, depuis l’automne, propose à l’Espagne « l’alternative » (céder une partie de la Flandre ou bien de la Franche-Comté), l’emporte sur Turenne et Condé, favorables à la guerre. La paix est signée à Aix-la-Chapelle, le 2 mai 1668. La France gagne plusieurs places fortes, dont Lille, Douai et Tournai, ce qui laisse présager de futures avancées. dévot (parti), courant catholique politique-
ment influent sous le règne de Louis XIII. Après les guerres de Religion s’affirme un renouveau de la piété catholique, dont témoigne l’Introduction à la vie dévote de François de Sales (1609). Les élites y sont sensibles : dans le salon de Mme Acarie, veuve d’un parlementaire ligueur et qui finira carmélite, se rencontrent clercs et laïcs férus de spiritualité. Pierre de Bérulle y fait figure de guide ; on y a le souci de bâtir une société chrétienne, dans l’esprit du concile de Trente, préoccupation qui conduit à des engagements politiques. La régence de Marie de Médicis, bien disposée à l’égard des dévots, souvent d’anciens ligueurs, leur permet de déployer leur zèle antiprotestant. En politique étrangère, ils poussent à un rapprochement avec l’Espagne, ennemie traditionnelle mais puissance catholique. Ils applaudissent au mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche, symbole de cette évolution, et au conflit engagé contre les réformés du Midi. L’entrée de Richelieu au Conseil (1624) leur agrée : le cardinal, protégé de la reine mère, a contribué, en tant qu’évêque de Luçon, au renouveau catholique. La même année, Michel de Marillac, issu d’une grande famille dévote, devient surintendant des Finances, avant d’être nommé garde des Sceaux en 1626. Le contexte international va pourtant mettre au jour des divergences. En effet, Richelieu comprend que la victoire des Habsbourg dans la guerre de Trente Ans déséquilibrerait le jeu européen. Il se rapproche donc des puissances protestantes (Danemark, Suède), qu’il finance, au nom de la « raison d’État ». Les « bons Français », catholiques mais patriotes, s’opposent aux dévots, qui rêvent d’une union des princes catholiques et placent la religion au-dessus de l’État. Le divorce entre Richelieu et le parti pro-espagnol culmine, en novembre 1630, avec la journée des Dupes : Marillac et Marie de Médicis, tout près d’obtenir de Louis XIII le renvoi du cardinal, en sortent vaincus. La disgrâce de Marillac ne marque pas la fin du parti dévot, pourtant affaibli par la mort downloadModeText.vue.download 275 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 264 de Bérulle, en 1629. Son disciple Saint-Cyran poursuit le combat. Le jésuite Caussin, auteur en vogue de la Cour sainte (1635),
paie par l’exil son hostilité à l’entrée en guerre contre l’Espagne. Mais la querelle janséniste brise l’unité des dévots. Leur poids politique décline ; cependant, leur influence sociale est relayée par les associations vouées à la « reconquête des âmes » : en 1629 est fondée la Compagnie du Très-Saint-Sacrement de l’Autel, et, en 1630, la congrégation des Messieurs, liée aux jésuites parisiens. Peuvent encore y cohabiter partisans du cardinal et amis de Marillac. diable. L’histoire du diable se confond avec celle des institutions ecclésiastique et politique affirmant une orthodoxie par le rejet des « déviants » qui sont assignés à la puissance du Malin. C’est pourquoi l’usage de la figure du diable est à son apogée durant la genèse de l’État moderne, depuis le Moyen Âge tardif jusqu’au premier XVIIe siècle. Dans l’Ancien Testament, Satan n’est qu’une création divine qui met l’homme à l’épreuve. En revanche, dans le Nouveau Testament, le diable et sa cohorte de démons figurent le mal, et s’efforcent d’empêcher le triomphe de l’Église. La théologie chrétienne des premiers siècles intègre Lucifer au dogme - central - du péché originel : l’ange fut chassé du royaume céleste pour s’être rebellé et avoir incité Ève à la désobéissance en ayant parlé par la bouche du serpent. Néanmoins, l’Église primitive considère le démon, principalement incarné dans le paganisme, comme facile à vaincre. Et, jusqu’au XIe siècle, les clercs mettent en garde les fidèles contre ces tentations considérées comme de simples illusions à combattre par la pénitence. Aux XIIe et XIIIe siècles, lorsque se développent les protestations vaudoise et cathare contre la puissance de l’Église de Rome, celle-ci impose un monodémonisme au centre de sa pastorale : le diable devient le seigneur d’une secte de disciples, en vertu d’un pacte librement consenti durant une « messe à l’envers » appelée « synagogue », puis « sabbat » (XIVe siècle). Le diable projette d’amener le chrétien à renier Dieu, et à oeuvrer pour son propre royaume. Bien qu’il soit un être spirituel, il peut prendre une forme corporelle (homme noir, chat ou bouc), ou s’introduire dans un fidèle (possession). La poursuite de ses serviteurs justifie les procès politiques (depuis l’ordre des templiers à Éléonore Galigaï), les persécutions des hérétiques (des albigeois aux calvinistes), la lutte contre la religion populaire (du Dauphiné, au XVe siècle, au Labourd, au XVIIe siècle). L’originalité française procède de la prise en charge de cette « croisade » par le souverain temporel.
En effet, les officiers du roi mènent les chasses aux sorcières du premier tiers du XVIIe siècle, et sont aussi les responsables de la disparition de ces dernières. Le retrait du diable s’exprime à travers la construction d’une figure mythique. Le XIXe siècle romantique, qui rêve le Moyen Âge, ou s’insurge contre l’ordre bourgeois, érigera Satan en héros contestataire (la Sorcière, de Michelet, 1862). Diane de Poitiers, favorite du roi Henri II ( ? 1499 - château d’Anet, aujourd’hui en Eureet-Loir, 1566). Fille de Jean de Poitiers, comte de SaintVallier, elle épouse à 15 ans Louis de Brézé, grand sénéchal de Normandie, qui meurt en 1531. Le roi François Ier confie alors à la jeune veuve, dame d’honneur de la reine Claude, l’éducation de son second fils, Henri, âgé de 12 ans. Dès cette époque, elle exerce à la cour une influence qui lui vaut de nombreuses querelles avec la duchesse d’Étampes, maîtresse de François Ier ; c’est elle qui aurait poussé Henri à épouser Catherine de Médicis en 1533. Vers 1538-1539, Henri, héritier de la couronne depuis 1536 (date de la mort du dauphin François), fait de Diane, de 19 ans son aînée, sa maîtresse attitrée. Quand François Ier meurt (1547), la favorite fait exiler la duchesse d’Étampes et, toute-puissante, éclipse Catherine de Médicis ; en 1548, Henri II lui confère le titre de duchesse de Valentinois, fait construire pour elle le château d’Anet et lui offre celui de Chenonceaux, qu’elle contribue à embellir. Son action politique est surtout marquée par une hostilité envers les protestants ; elle favorise les Guises et le connétable Anne de Montmorency. Dans le domaine des arts, elle inspire une cour d’artistes brillants, parmi lesquels Philibert Delorme ; elle est partout associée à la Diane de la mythologie, déesse de la chasse, alors qu’Henri II est représenté sous les traits de divers dieux, conférant ainsi à leur « union » une dimension légendaire. Cette ère de gloire prend fin au lendemain de la mort accidentelle du roi, en 1559. Catherine de Médicis prend sa revanche : elle oblige Diane à se retirer à Anet, à rendre tous les bijoux que lui avait offerts son royal amant et à échanger Chenonceaux contre Chaumont. Diderot (Denis), philosophe et écrivain (Langres 1713 - Paris 1784). Fils d’un artisan de province, et destiné à l’état ecclésiastique, il fait ses humanités chez les jésuites de Langres, mais interrompt ses études
de théologie à la Sorbonne pour se marier et se lancer dans une carrière littéraire. • Du bohème au directeur de l’« Encyclopédie ». Il fréquente alors la bohème de la capitale, et commence à se faire connaître comme traducteur d’anglais. En 1745, il adapte ainsi l’Essai sur le mérite et la vertu, de Shaftesbury, et transforme progressivement le projet de traduction d’un dictionnaire anglais en une Encyclopédie originale, dont il prend la tête avec d’Alembert. Parallèlement à l’élaboration de cette encyclopédie, qui l’occupe pendant plus de quinze ans, il compose une oeuvre littéraire et philosophique d’importance. Son itinéraire va d’un roman libertin, les Bijoux indiscrets (1748), jusqu’au théâtre - le Fils naturel (1757) et le Père de famille, (1758), qui lancent le genre nouveau du « drame » - et ses essais affirment un empirisme qui s’oriente rapidement vers le matérialisme : Pensées philosophiques (1746), Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient (1749), qui lui vaut une incarcération à Vincennes, Lettre sur les sourds et muets (1751), Pensées sur l’interprétation de la nature (1753). Diderot manifeste la plus grande originalité quand il dépasse l’opposition entre littérature et philosophie, et adopte la création esthétique comme métaphore du fonctionnement de l’univers : ses romans deviennent d’ironiques critiques du genre - la Religieuse (1780-1782), Jacques le Fataliste (1778) -, et ses dialogues philosophiques transforment le genre antique traditionnel, pour exposer une pensée en recherche - le Rêve de d’Alembert (1782), le Neveu de Rameau, Supplément au Voyage de Bougainville. Il affine son déterminisme physiologique dans sa Réfutation d’Helvétius (1774), une critique des déterminismes de l’éducation et de l’habitude. • Un Sénèque moderne. Grimm l’entraîne dans l’entreprise journalistique de la Correspondance littéraire, pour laquelle Diderot rédige, de 1759 à 1781, les comptes rendus de neuf salons de peinture, et esquisse les éléments d’une esthétique nouvelle. Il le pousse aussi à se rendre en Russie pour remercier Catherine II de son aide matérielle : ce voyage mène Diderot à La Haye (1773), puis à SaintPétersbourg (1773-1774), et correspond à un approfondissement de sa pensée politique, qui est sensible à travers les Mémoires pour Catherine II et Observations sur le Nakaz. Diderot consacre les dernières années de sa vie à la collaboration avec l’abbé Raynal, qui coordonne une Histoire des deux Indes, à la fois manuel de la colonisation et violent plai-
doyer pour l’émancipation des colonies et la libération des esclaves, ainsi qu’à la rédaction d’un Essai sur la vie de Sénèque (1778), devenu Essai sur les règnes de Claude et de Néron. Il y répond indirectement aux Confessions de Rousseau, et propose un autoportrait, sous les traits de Sénèque, philosophe engagé, précepteur puis ministre de Néron. Les contemporains n’ont connu de Diderot que le maître d’oeuvre de l’Encyclopédie, le dramaturge et le philosophe auteur des traités. Plusieurs inédits paraissent sous la Révolution, mais il faudra attendre le XIXe siècle, puis le XXe, pour découvrir l’épistolier des Lettres à sa maîtresse Sophie Volland, le matérialiste radical du Rêve de d’Alembert, et, plus généralement, pour prendre conscience de la diversité et de l’originalité d’un penseur qui joue avec les paradoxes et se plaît à développer une pensée éternellement en mouvement. Aujourd’hui, Diderot est devenu le quatrième grand nom des Lumières, aux côtés de Montesquieu, Voltaire et Rousseau, et à la place de Buffon. Diên Biên Phu, site en forme de cuvette dans le nord du Viêt Nam, qui a été le théâtre d’une défaite décisive du corps expéditionnaire français face au Viêt-minh, le 7 mai 1954, prélude à la fin de la guerre d’Indochine. Pour la France, la bataille de Diên Biên Phu apparaît à la fois comme le terme et le symbole d’une guerre de plus de sept ans, conflit mal engagé, mal conduit, qui a requis des moyens coûteux - et néanmoins insuffisants -, tôt mené sans espoir, tant l’issue inéluctable s’est vite imposée aux forces en présence : la victoire du Viêt-minh, et l’émancipation des colonies d’Extrême-Orient. En 1953, l’objectif du chef de gouvernement, René Mayer, est de trouver pour les downloadModeText.vue.download 276 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 265 Français une « sortie honorable » du conflit. Le général Navarre, nommé commandant en chef en Indochine en mai, propose un plan pour verrouiller le delta du Tonkin, contenir le Viêt-minh (dont les forces sont commandées par le général Giap) au nord du 18e parallèle, et poursuivre la « pacification » dans le Sud. Ce plan, réaliste mais attentiste, s’avère désastreux pour le moral du corps expéditionnaire engagé dans une guerre généralement jugée ruineuse et impopulaire.
• Un choix tactique malencontreux. L’armée française, exaspérée par l’attente, cherche l’occasion de porter un grand coup au Viêt-minh. Celui-ci, prenant la mesure de la menace, relance l’offensive au Laos, pour éloigner son adversaire de ses bases du delta : le 13 avril 1953, la chute de Sam Neua lui ouvre la route du Sud. Le général Navarre tombe dans le piège : il décide de livrer une bataille d’arrêt, qu’il veut décisive, et choisit d’installer un camp retranché, très bien équipé, à Diên Biên Phu, le 3 décembre. Le choix du site est récusé par certains experts qui se méfient de cette cuvette isolée, difficile à ravitailler, et bordée de collines où l’ennemi pourra s’abriter. Le commandement français passe outre, doutant de la capacité de Giap d’acheminer des moyens suffisants pour être vraiment menaçant. Le général vietnamien va déjouer ce pronostic : il a compris l’enjeu du combat, majeur pour négocier en position de force à Genève, où des pourparlers sont en cours. Il réussit l’exploit de faire transporter, à dos d’homme, l’ensemble de son artillerie autour de la cuvette, et fait creuser un réseau de tranchées qui permet à ses troupes de relier tous les points d’encerclement. Dès lors, le sort de la bataille est réglé. Noyés sous un déluge de feu, incapables d’enrayer l’avancée de l’adversaire, les soldats du corps expéditionnaire français (constitué de 17 nationalités) perdent une à une leurs positions. En outre, la mise hors d’usage du terrain d’aviation par les canons de Giap bloque leur ravitaillement. Sans l’aide des Anglais et des Américains, qui tablent désormais sur une issue négociée du conflit, les Français ne peuvent résister longtemps. Ils se rendent, le 7 mai 1954, après 57 jours de siège. La victoire est très coûteuse pour le Viêt-minh, dont les pertes s’élèvent à environ 8 000 morts. Sur les quelque 15 000 combattants engagés dans le camp français, on compte 3 000 morts, et près de 10 000 prisonniers, dont seuls 3 900 reviendront de captivité. L’opinion publique française, tenue en haleine pendant toute la bataille, est abasourdie par la défaite, qui rencontre un retentissement énorme. Le gouvernement Laniel est renversé, et Pierre Mendès France, qui a stigmatisé la politique indochinoise de ses prédécesseurs, est investi, le 18 juin. En outre, la chute de Diên Biên Phu humilie l’armée, et nombre de ses membres en tiendront rancoeur au régime. Elle porte donc un coup supplémentaire à la IVe République, contribuant à son affaiblissement. À Genève, les Vietnamiens gagnent leur indépendance. Le prestige de la France
est atteint, notamment vis-à-vis des peuples des autres colonies : à Diên Biên Phu, le pays a perdu bien plus que la seule bataille rangée de l’histoire de la décolonisation. dîme, impôt correspondant en principe au dixième du revenu, versé par tous les fidèles aux autorités religieuses. Dans l’Israël ancien, la dîme devait être acquittée à Dieu tous les trois ans. Dans le Nouveau Testament, elle est mentionnée parmi les obligations formelles condamnées par le Christ ; toutefois, l’idée d’un soutien aux guides spirituels réapparaît dès saint Paul. À la fin du IVe siècle, la dîme devient une obligation morale pour les chrétiens, et, en 585, le concile de Mâcon établit la sanction d’excommunication pour ceux qui ne s’en acquittent pas. Au VIIIe siècle, elle se transforme en un véritable impôt, instauré par Charlemagne dans le capitulaire de Herstal (779). Dès lors, les autorités séculières sanctionnent ceux qui manquent à leur obligation. Avec le développement de la féodalité et la mainmise des laïcs sur les biens et charges ecclésiastiques, les dîmes deviennent l’objet de dons, d’inféodations, de partages, le clergé paroissial tombant sous la dépendance matérielle des seigneurs. En outre, l’appropriation ou la construction d’églises paroissiales par les moines aboutit au détournement des dîmes au profit des monastères. De telles situations sont source de litiges entre les branches séculière et régulière de l’Église, comme entre le clergé et les laïcs. La réforme de l’Église au XIe siècle comprend ainsi le contrôle des dîmes. L’usurpation par des laïcs, interdite par Léon IX en 1050, est déclarée sacrilège par Grégoire VII en 1078. Mais la restitution des églises et des dîmes usurpées s’effectue souvent au profit des abbayes ; les anciens propriétaires gardent un droit de patronage et certains revenus. Au concile du Latran IV (1215), un compromis est tenté, demandant le retour partiel des revenus des dîmes aux paroisses, avec un succès variable. En effet, on entérine souvent la possession laïque, l’émiettement réel des dîmes. Selon le Décret de Gratien (XIIe siècle), les dîmes perçues sont divisées en trois ou quatre parts destinées à l’évêque, au clergé paroissial, à l’entretien des bâtiments ecclésiastiques et à l’aide aux pauvres (système romain), à la fabrique de l’église (système espagnol). Frappant nobles, ecclésiastiques et roturiers, elles sont personnelles (10 % des revenus de toute activité individuelle), réelles (perçues sur les revenus du sol) ou mixtes (sur les produits du bétail).
Les résistances ouvertes au paiement des dîmes furent rares (groupes hérétiques, nouveaux convertis), mais les fraudes paysannes étaient répandues. Seuls les lépreux et certains établissements monastiques en étaient exemptés. Néanmoins, la perception de la dîme devient de plus en plus difficile à assurer à la fin du Moyen Âge. Elle est imposée aux protestants par l’édit de Nantes en 1598, et n’est supprimée que par la Révolution. Aux alentours de 1700, la mise en place d’une dîme royale est proposée, destinée à remplacer les taxes diverses dues au roi ; d’où la capitation, établie en 1695, puis le dixième, en 1710. Directoire, régime politique mis en place à partir d’octobre 1795 et aboli en 1799 par le coup d’État du 18 brumaire de Bonaparte. Ce système politique, en vigueur pendant plus de quatre années - soit près de la moitié de la période révolutionnaire -, a contribué à asseoir définitivement les innovations de la Révolution ; il n’en est pas moins considéré, le plus souvent, comme une période hybride, entre dégénérescence des idéaux et bricolage politicien. • Un équilibre politique subtil. Le Directoire est d’abord un système politique particulier élaboré par la Convention thermidorienne durant le printemps et l’été 1795, et dont la Constitution est adoptée le 22 août. Le législatif est divisé en deux Chambres (Conseil des Cinq-Cents et Conseil des Anciens), qui doivent prendre des décisions conjointes : la première propose des lois que la seconde ne peut qu’accepter ou rejeter en bloc ; elle établit aussi la liste des personnalités au sein de laquelle la seconde élit les cinq directeurs. L’exécutif est composé d’un Directoire de cinq membres, dont l’un est remplacé chaque année. Treize directeurs se sont ainsi succédé, un seul, le très influent Barras, ayant conservé son siège pendant toute la période. Ministres et commissaires dans les départements, nommés, font appliquer les décisions prises. Les administrations départementales, profitant de la disparition des comités révolutionnaires, demeurent cependant élues et puissantes. La Révolution semble stabilisée sur les principes de 1789. Pour les Français ordinaires, le changement tient à l’abandon du suffrage universel masculin, remplacé par un suffrage censitaire à deux degrés, qui ne concerne que les propriétaires : seuls 30 000 électeurs du deuxième degré
élisent les membres des institutions législatives. Enfin, des « devoirs » sont ajoutés aux « droits » des citoyens dans la Constitution. Un régime libéral, inspiré des Lumières, est mis en place, sur fond de rivalités entre les différentes composantes majeures du personnel politique (anciens girondins devenus majoritaires, ex-montagnards, partisans de la Terreur reconvertis, modérés et royalistes du club dit « de Clichy »). Les révolutionnaires qui se réclament des idées de 1789 paraissent ainsi avoir triomphé sur leur gauche comme sur leur droite, et semblent en mesure de terminer la Révolution. Le régime qui dirige la France à partir de 1795 se veut un subtil équilibre fondé sur les élections, alors que la guerre de Vendée, principale menace intérieure jusqu’alors, s’épuise, et que des traités de paix sont signés avec les pays européens. La réorganisation de la vie publique est générale, reprenant souvent des idées de la Convention, mais les appliquant selon des principes libéraux. Dès 1795, des écoles centrales sont installées dans chaque département, pour les élèves du secondaire ; avec les écoles de santé, un Conservatoire des arts et métiers, une École normale, une École polytechnique, elles forment un système chargé de faire émerger des élites, système couronné par un Institut qui, remplaçant l’Académie royale, regroupe les savants. Les hôpitaux et les hospices civils retrouvent leur autonomie et leurs propriétés non vendues, mais ne bénéficient plus d’aides de l’État, ce qui aggrave leurs charges. Malgré quantité de désertions, l’armée reste l’une des institutions impordownloadModeText.vue.download 277 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 266 tantes ; elle est réorganisée, en 1798, autour de la conscription (avec la possibilité, pour les riches désignés, de se faire remplacer par le tirage au sort). Les catégories de Français les plus pauvres restent en marge des évolutions qui affectent ainsi l’instruction, la santé et l’armée. • Divisions intérieures et guerres extérieures. Les problèmes majeurs demeurent la crise financière et les graves difficultés économiques. L’assignat, qui a perdu presque toute sa valeur, est remplacé par le « mandat territorial » en mars 1796, mandat qui sera luimême démonétisé un an plus tard. Les impôts ne rentrent plus, obligeant l’État à lancer des
emprunts à l’étranger, et à vivre aux dépens des pays conquis (Belgique, Italie investie par le général Bonaparte). Toutes ces mesures ne permettent pourtant pas d’éviter la banqueroute, au détriment des créanciers de l’État, tandis que les fournisseurs des armées obtiennent de véritables monopoles. Cet échec s’accompagne de difficultés économiques et sociales. Après les années de disette 1794-1795, les récoltes sont abondantes en 1796, entraînant une baisse des prix des denrées, ce qui affaiblit la demande de produits manufacturés, mais soulage les couches populaires urbaines. Globalement, les inégalités ne cessent de se creuser entre celles-ci et les profiteurs du régime, dont les plus voyants sont ces « incroyables » et ces « merveilleuses » qui composent un demimonde particulièrement tapageur. Dernière tension grave : les rivalités concernant la religion, puisque quatre courants s’affrontent. L’Église constitutionnelle essaie de s’établir, mais il lui manque le soutien de l’État. De leur côté, les prêtres réfractaires, restés fidèles à Rome, entament une reconquête de l’opinion dans une conjoncture difficile. Un directeur, La Revellière-Lépeaux, souhaite diffuser une religion morale inédite, la théophilanthropie, tandis que certains de ses collègues, plus radicaux, veulent instaurer un régime entièrement laïque, et imposent à nouveau le calendrier républicain, avec ses décades et ses fêtes, sur fond de répression armée. Les années 17971798 voient renaître une persécution religieuse virulente, notamment avec l’incarcération de prêtres belges. La force du régime procède, en définitive, de ses succès militaires. La guerre se poursuit avec l’Angleterre et l’Autriche, mais les prouesses du général Bonaparte, commandant de l’armée d’Italie, font basculer les équilibres européens. Devant la menace d’invasion du Tyrol, l’empereur d’Autriche est obligé de réclamer, aux préliminaires de Leoben, une paix, signée à Campoformio le 17 octobre 1797, aux conditions d’un Bonaparte qui impose ses vues politiques sans en référer au gouvernement français. L’Italie du Nord est partagée : l’Autriche conserve le contrôle de la Vénétie - conquise pourtant par Bonaparte, qui garde les côtes ioniennes - ; la France annexe la Lombardie, et pousse à la création de « Républiques soeurs » - République Cisalpine et République de Ligurie -, en même temps qu’elle contrôle la rive gauche du Rhin, et qu’elle s’empare de la Belgique. Cette politique expansionniste se poursuit, même si les armées piétinent sur le Rhin, et si les Anglais
gardent le contrôle des colonies (excepté de Saint-Domingue). La Suisse est transformée en République helvétique ; les États du pape sont érigés en République romaine ; les PaysBas, en République batave, et le royaume de Naples, conquis à son tour, devient République parthénopéenne. La « grande nation » française peut ainsi incarner les espoirs qui avaient mobilisé les soldats de l’an II, et, donc, unifier le pays autour de cette expansion qui, enfin, assure des ressources financières essentielles. • Le temps des coups d’État. Aux prises avec des ennemis de gauche et de droite, des difficultés économiques et sociales continuelles, le Directoire est un régime instable, qui connaît plusieurs tentatives de prise de pouvoir. Le brutal coup d’arrêt porté aux progrès des royalistes en 1795 a favorisé le retour des idées jacobines ; celles-ci trouvent un nouveau dynamisme avec l’action clandestine de Gracchus Babeuf. Ce publiciste fonde un « parti plébéien » réclamant « l’égalité sociale », puis un parti clandestin, infiltré par des agents provocateurs, qui organise la conjuration des Égaux. Le 10 mai 1796, Babeuf est arrêté ; il est jugé un an plus tard, puis exécuté. Son procès coïncide avec la découverte d’un complot militaire qui met en cause des opposants de gauche et qui permet au Directoire de réprimer violemment les derniers représentants de la gauche jacobine. Les royalistes tentent de profiter de cette situation : en effet, même si la Vendée est « morte », leurs réseaux d’espionnage restent puissants, et les chouans de Bretagne constituent toujours une menace ; les déserteurs sont soutenus par l’Institut philanthropique, qui diffuse des idées royalistes dans l’opinion ; les demandes de réouvertures d’églises se multiplient ; le club de Clichy rallie des personnalités désabusées, tels Carnot et le général Pichegru. Les élections de mars 1797 sont à nouveau favorables à ce courant. Les présidents des deux Assemblées sont élus dans leurs rangs, tout comme l’un des directeurs, Barthélemy. Contre cette présence royaliste, deux autres directeurs, Barras et Reubell, exécutent un nouveau coup d’État, le 4 septembre 1797 (18 fructidor an IV), cassent les élections, déportent 65 personnes (dont Pichegru et Barthélemy), et pratiquent la « Terreur sèche » contre les Églises. Le Directoire paraît renouer avec la politique jacobine. Mais en 1798-1799 la situation échappe au pouvoir. Bonaparte se lance dans l’expédition d’Égypte, qui tourne court. Par ailleurs, les
populations soumises se révoltent : en Suisse, une répression sévère est appliquée ; en Belgique, la « guerre des paysans » embrase les campagnes catholiques ; en Italie du Sud, des bandes se soulèvent au nom de la religion. Les troupes françaises capitulent dans Naples, assiégée sur terre par les ruraux armés et, par mer, par l’amiral Nelson. Enfin, un vaste mouvement contre-révolutionnaire essaie, en vain, de coordonner des soulèvements en France même, et des villes sont prises momentanément en Bretagne à l’automne 1799. La crise militaire met ainsi à nouveau en jeu l’existence du régime. Dans cette situation qu’aggravent une mauvaise conjoncture économique et l’accroissement du déficit, un nouveau coup d’État est préparé, dans l’entourage de Sieyès, pour établir un exécutif fort. En juin 1799, celui-ci impose un remaniement du collège directorial, mettant en place des directeurs jacobins, grâce à l’appui de l’armée. Celle-ci a besoin de mesures drastiques (levée en masse, emprunt forcé, loi des otages) pour faire face aux multiples agressions. Le général Bernadotte est pressenti pour prendre la tête du complot. En vain. Le retour de Bonaparte en France, le 9 octobre, offre un chef prestigieux aux conjurés, aidés par les directeurs et par le propre frère du général, Lucien Bonaparte, alors président des Cinq-Cents. Le coup d’État se déroule les 9 et 10 novembre 1799 (18 et 19 brumaire an VIII) : les Chambres sont transférées à SaintCloud, le commandement militaire de Paris est confié à Bonaparte, dont les soldats dispersent les députés insoumis. Au soir du 10, le Directoire est aboli par le vote des Anciens et des députés des Cinq-Cents restants, au profit d’un régime nouveau, le Consulat, qui donne les pleins pouvoirs à un triumvirat de trois consuls dirigé de fait par le premier d’entre eux, Bonaparte. Le Directoire n’apparaît plus, dès lors, que comme un régime de transition dont l’échec consacre celui des principes révolutionnaires, sur lesquels une société stable n’a pu se bâtir. dissuasion nucléaire, stratégie militaire consistant à empêcher une agression contre le territoire national par la peur d’une riposte avec des armes nucléaires. La politique française en la matière est ébauchée sous la IVe République, avec des projets atomiques dont le général de Gaulle va accélérer la réalisation, pour faire de l’arme nucléaire l’instrument d’une politique d’indépendance nationale. Il s’oppose alors aux
États-Unis, dont la théorie de la « riposte graduée » sous-tend la possibilité d’un conflit en Europe, et défend l’idée d’une « sanctuarisation » du territoire français, grâce à la dissuasion nucléaire. La théorie française affirme, en effet, qu’une force de frappe, même limitée, menace l’agresseur éventuel (c’est-à-dire, dans le contexte international de l’époque, l’URSS) d’une destruction telle qu’il est dissuadé d’attaquer. Aussi la France se dote-t-elle, après l’explosion de sa première bombe atomique au Sahara, en février 1960, de la bombe H, mise au point en 1968, lors d’essais à Mururoa. De 1967 à 1971 viennent s’ajouter aux soixante-deux Mirage porteurs de la bombe A les dix-huit missiles sol-sol balistiques stratégiques (SSBS) installés sur le plateau d’Albion et les missiles balistiques mer-sol (MBMS), qui équipent le sous-marin nucléaire le Redoutable. La constitution de cette force de frappe aérienne, terrestre et maritime permet, surtout après le retrait de la France des structures militaires de l’OTAN, en 1966, une orientation stratégique débouchant sur une défense tous azimuts qui n’exclut, a priori, aucun agresseur. Vu les implications politiques de la dissuasion, le président de la République assume la responsabilité de l’engagement des forces nucléaires (décret du 4 janvier 1964). Poursuivant l’action du général de Gaulle, ses successeurs cherchent à moderniser l’arsenal nucléaire en dotant l’armée, dans les années downloadModeText.vue.download 278 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 267 soixante-dix, d’armes tactiques - les missiles Pluton - et maintiennent le principe de la stratégie « du faible au fort ». La France refuse ainsi que soit prise en compte sa force de frappe dans les négociations Est-Ouest concernant le désarmement. Mais le coût élevé de la modernisation de la force stratégique, l’éclatement de l’Union soviétique, les risques de prolifération nucléaire dans le monde, et l’opposition des écologistes, qui obtiennent, en 1992, un moratoire sur les essais à Mururoa, suscitent des débats relatifs à la doctrine de la dissuasion : faut-il continuer à privilégier une stratégie dite de « non-guerre » via la détention d’une force de frappe massive, ou bien doit-on s’orienter vers une stratégie dite « du fort au fou », privilégiant l’emploi d’armes nucléaires sélectives ? Le président Mitterrand conserve les trois composantes (air, terre, mer) de la dissua-
sion ; en revanche, Jacques Chirac - qui a en 1995-1996 fait procéder à la reprise des essais nucléaires dans le Pacifique pour une période limitée - décide, en 1996, de ne garder que les éléments mobiles (avions bombardiers et sous-marins), redoutant que le plateau d’Albion devienne de plus en plus vulnérable. Pour autant, la stratégie de « non-guerre » n’est pas remise en cause par la France, ni par les autres membres du « club » nucléaire. divorce, rupture d’un mariage du vivant des époux. Le divorce est autorisé par la loi en 1792, aboli en 1816, rétabli en 1884. • L’indissolubilité du mariage avant la Révolution. Au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, le mariage ressortit principalement au droit canon : considéré comme un sacrement par l’Église catholique, il ne peut être dissous, et le divorce est donc interdit. Les époux peuvent cependant s’adresser au tribunal (théoriquement ecclésiastique ; dans les faits, souvent civil) pour demander une séparation de corps en cas de « fornication spirituelle » (hérésie ou apostasie), folie, sévices ou mauvais traitements ; le droit canon reconnaît la possibilité de séparation en cas d’adultère d’un des époux, mais le droit civil n’en accorde alors l’initiative qu’au mari. La séparation peut se faire à l’amiable si l’un des conjoints décide d’entrer en religion. L’union des époux séparés n’est pas rompue, ce qui empêche tout remariage. L’inobservation de certaines conditions peut par ailleurs frapper un mariage de nullité : absence de libre consentement, impuissance prouvée par expertise, impuberté (moins de 12 ans pour une fille et 14 pour un garçon), existence d’un engagement préalable (précédent mariage non rompu par la mort, voeux de chasteté), non appartenance à la foi chrétienne d’un des époux. Dans ce cas, l’annulation n’est pas divorce et ne remet pas en cause le caractère indissoluble du mariage : l’Église « reconnaît » seulement que ce mariage n’a jamais existé. • Vers la légalisation. Un mouvement d’opinion en faveur du divorce apparaît dans les années 1770 : on reproche à l’indissolubilité d’être néfaste aux moeurs et à l’ordre familial et social (haine conjugale et risque de naissances adultérines) et une entrave à la liberté naturelle de chacun à disposer de lui-même. Le mariage est alors conçu comme un contrat (un accord) civil entre deux individus libres de le rompre. C’est finalement la
Constitution de 1791 qui donne une définition contractuelle du mariage : « La loi ne considère le mariage que comme un contrat civil. » La possibilité de divorcer, induite par ce constat, est légalisée par la loi, votée par la Législative le 20 septembre 1792, qui rend aux époux divorcés « leur entière indépendance, avec la faculté de contracter un nouveau mariage ». Égalitaire pour les deux sexes, le divorce peut se faire par consentement mutuel (modèle idéal pour les révolutionnaires), ou pour incompatibilité d’humeur et de caractère. Il peut également être motivé par l’une au moins des sept situations suivantes : démence, condamnation à une peine infamante, sévices ou injures graves, dérèglement des moeurs, abandon depuis deux ans, absence sans nouvelles depuis cinq ans, émigration. Après la demande de divorce, les époux passent devant un tribunal de famille, composé de parents ou de leurs représentants juridiques, qui tente de les réconcilier ; si, au bout de quelques mois, ils persistent dans leur décision, le divorce, simple acte d’état civil, est prononcé. Théoriquement, il ne nécessite pas de recours à un avocat et est gratuit, sauf dans le cas de certains motifs déterminés. Pendant la Révolution, le divorce, phénomène essentiellement urbain, est surtout demandé par des femmes (dans les deux tiers des cas) et régularise souvent des situations de fait (abandon...). Le Code civil de 1804 multiplie les entraves au consentement mutuel, supprime l’incompatibilité d’humeur, ne reconnaît plus que trois motifs au divorce (adultère, sévices ou injures graves, condamnation), limite les possibilités de remariage et revient sur l’égalité des sexes, en prenant en compte l’adultère de la femme mais non celui du mari (sauf entretien d’une concubine au domicile conjugal). La Restauration abolit le divorce le 8 mai 1816 : seule demeure la séparation de corps (qui avait été rétablie en 1804). Après une longue bataille, surtout menée par les femmes, le 27 juillet 1884 la loi Naquet autorise de nouveau le divorce, mais uniquement pour fautes (les mêmes qu’en 1804, avec cependant égalité dans l’adultère). Il faut attendre la loi du 4 juin 1975 (qui ne mentionne, par ailleurs, plus l’adultère) pour que le divorce par consentement mutuel soit admis : mais, à la différence de 1792, le recours à un avocat reste nécessaire. Une simplification des procédures est adoptée en mai 2004. dixième ! vingtième Djibouti, ancienne colonie française, puis
territoire d’outre-mer, devenu République indépendante en 1977. En 1862, la France se fait céder le petit territoire d’Obock, au débouché de la mer Rouge, qu’elle n’occupe qu’à partir de 1884. Le gouverneur Léonce Lagarde de Rouffeyroux acquiert de nouveaux territoires et, en 1888, fonde la ville de Djibouti. La colonie de Côte française des Somalis, constituée en 1896, se compose d’une agglomération portuaire assez active, escale sur les routes maritimes de l’océan Indien et de l’Extrême-Orient, tête de pont du chemin de fer franco-éthiopien (inauguré en 1917) et capitale d’un territoire quasi désertique de 23 000 kilomètres carrés. Ralliée à la France libre en décembre 1942, la colonie est érigée en territoire d’outre-mer en 1946 et choisit de conserver ce statut en 1958. Elle va dès lors bénéficier d’une autonomie progressivement accrue, notamment après sa transformation en Territoire français des Afars et des Issas, à la suite du référendum de mars 1967. Son évolution politique est cependant entravée par de graves tensions entre Afars (apparentés aux Éthiopiens) et Issas (Somalis). De sérieux incidents se produisent en 1975 (enlèvement de l’ambassadeur de France en Éthiopie) et en 1976 (prise en otages d’enfants français). À la suite d’un référendum d’autodétermination, l’indépendance est proclamée le 27 juin 1977, et Hassan Gouled Aptidon devient le premier chef de l’État. La République de Djibouti reste néanmoins dépendante de l’aide de la France, qui a maintenu sur place une base militaire forte d’environ 4 000 hommes. Doctrinaires, terme désignant les théoriciens et hommes politiques qui, sous la Restauration et la monarchie de Juillet, ont préconisé une application intégrale des dispositions de la Charte constitutionnelle octroyée par Louis XVIII le 4 juin 1814, et révisée par Louis-Philippe dans un sens plus libéral le 9 août 1830. Leur chef incontesté et leur principal porteparole est Pierre Paul Royer-Collard, tenant d’une monarchie parlementaire, censitaire et tempérée ; on classe aussi parmi les Doctrinaires des hommes appartenant à la mouvance intellectuelle du libéralisme conservateur, tels Guizot, Barante, Rémusat, du Vergier de Hauranne, Victor de Broglie ; ils publient en 1819 un journal confidentiel, le Courrier, et se réunissent dans le salon de la duchesse de Broglie, fille de la défunte Germaine de Staël.
Adversaires déterminés de l’interprétation restrictive de la Charte défendue par les ultraroyalistes, les Doctrinaires soutiennent jusqu’en 1820 les efforts de Decazes, ministre et favori de Louis XVIII, puis combattent les lois sur le sacrilège (1825) et sur le droit d’aînesse (1826), et appuient le gouvernement Martignac ; c’est Royer-Collard qui présente en 1830 à Charles X l’« adresse des 221 » contre le ministère ultra de Polignac. Les Doctrinaires se rallient ensuite à LouisPhilippe, auprès duquel François Guizot, principal ministre de 1840 à 1848, incarne, jusque dans son évolution conservatrice, la continuité entre la pensée politique des Doctrinaires et l’orléanisme. Dolet (Étienne), imprimeur et humaniste (Orléans 1509 - Paris 1546). À 17 ans, après avoir fait à Paris des humanités classiques, il part étudier à l’université de Padoue, l’un des centres les plus éminents de la réflexion philosophique et philologique. De 1534 à 1536, il se forme auprès de l’un downloadModeText.vue.download 279 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 268 des principaux imprimeurs du siècle, Sébastien Gryphe. Devenu imprimeur à son tour, il publie des textes qui s’inscrivent dans les grandes controverses idéologiques du temps : c’est chez lui que paraissent, de 1538 à 1544, les Psaumes de Marot, la réédition du Gargantua (1542), désavouée aussitôt par Rabelais, le Manuel du chevalier chrétien d’Érasme, les traductions de Platon, Cicéron et Sénèque. Défenseur, contre Érasme, d’un latin classique et cicéronien, Dolet est l’auteur du Dialogus de imitatione ciceroniana (1535) et des Commentarii linguae latinae (1536-1538). Personnage aussi impulsif que tourmenté, difficilement contrôlable par ses amis même, il a mené une existence aux antipodes de la sérénité philologique et érudite. Emprisonné à plusieurs reprises entre 1533 et 1546, il est tour à tour soupçonné d’avoir prononcé des discours peu orthodoxes, inculpé de meurtre, accusé d’avoir publié des livres prohibés. Finalement incarcéré à la demande de l’Inquisition, il est brûlé sur la place Maubert avec ses livres, le 3 août 1546. Esprit foisonnant auquel il manqua le temps de réaliser ses immenses projets,
Dolet est sans doute l’une des figures les plus controversées de la Renaissance française, à la fois défenseur passionné de la tolérance religieuse et provocateur, souvent maladroit, qui s’aliéna ses meilleurs alliés. dolmen, chambre funéraire datant de la période néolithique, formée de gros blocs de pierre et, à l’origine, recouverte d’un tertre en pierre ou en terre. Le terme de dolmen est emprunté au breton et signifie « table de pierre ». En effet, l’érosion a souvent entraîné la disparition du tertre, conférant au dolmen l’aspect d’une table (assimilée à l’époque romantique, sans aucun argument scientifique, à un autel réservé à des sacrifices humains). Typiques de l’architecture mégalithique, les dolmens apparaissent vers la fin du Ve millénaire avant notre ère sur toute la façade atlantique de l’Europe à un moment où - de nombreux signes l’attestent - les sociétés néolithiques européennes connaissent un début de hiérarchisation sociale. C’est pourquoi les dolmens sont considérés à la fois comme des tombeaux monumentaux réservés aux chefs, et comme des manifestations de l’existence d’une communauté attachée à un terroir. Si les formes de ces monuments ont évolué selon les régions, les dolmens classiques comportent tous un « couloir », qui permet d’accéder à la chambre funéraire à travers la masse du tertre : ils sont en effet destinés à recevoir un groupe de défunts, lesquels étaient introduits au fur et à mesure des décès. Parfois, comme à Barnenez, un même tertre recouvre plusieurs dolmens. Les dolmens bretons ont souvent livré un riche mobilier funéraire (parures, haches d’apparat) et, dans certains cas, des gravures, comme à Gavr’inis ou à Locmariaquer. domaine carolingien, unité de propriété et d’exploitation connue par de nombreux documents datant de la fin du VIIIe siècle et du début du IXe, notamment les célèbres polyptyques. Ces documents révèlent un phénomène majeur et récent : la mise en place, principalement entre Loire et Rhin, du domaine biparti comme mode fondamental d’exploitation de la terre. Aux mains de l’aristocratie ecclésiastique et laïque, ces domaines sont composés d’une réserve, ou terre du maître, qui est exploitée partiellement par des esclaves, mais surtout par des tenanciers, auxquels a été concédé en outre, sous forme de tenures dénommées manses, le reste de l’exploitation, contre redevances en nature, en travail, en argent.
La zone de diffusion la plus dense de la structure du domaine carolingien et de sa documentation correspond aux régions où le pouvoir royal est le plus proche. Il s’agit en effet d’une formule modèle que les Carolingiens ont cherché à diffuser, mais le document n’est qu’une photographie d’une réalité évolutive. Se lisent ainsi une propriété et une occupation du sol fluctuantes, évoluant en général vers une densification de la population sur les meilleurs sols, et une grande mobilité des paysans. Apparaît aussi, par la transformation progressive des redevances en nature en redevances en argent, le signe d’insertion dans une économie d’échanges. Certains historiens sont même allés plus loin : la villa et le manse seraient en réalité des unités d’administration et d’assiette fiscale, dont les documents constitueraient des registres de perception. Une hypothèse médiane consiste à considérer le domaine comme un outil étatique plus que strictement fiscal, mis au service de l’armée (via l’installation de vassaux) et de la politique annonaire, grâce à une rationalisation de sa gestion. La multiplication des paysans tenanciers au détriment de la réserve du maître confirmerait que la tendance générale de l’agriculture carolingienne est bien au développement. Mais le débat rebondit à propos du statut des manses et des tenanciers : les uns et les autres sont dits tantôt « libres », tantôt « serviles », mais terres et hommes n’ont que rarement un statut correspondant. La question rejoint celle, plus générale, du sort des paysans carolingiens sur les domaines : amélioration ou dégradation préfigurant leur situation ultérieure dans la seigneurie banale ? Il semble bien qu’un consensus se soit fait sur la disparition progressive de l’esclavage. Mais qu’advient-il du petit paysan libre, dont le sort n’est connu que lorsqu’il intègre un domaine ? En fait, bien des éléments du fonctionnement de détail comme du sens général de ce type d’exploitation continuent de nous échapper, ce qui explique la vigueur des recherches actuelles. domaine royal, ensemble des terres et des droits dont le roi est seigneur direct et haut justicier. Sous les Capétiens, un adage juridique énonce que le roi, afin de subvenir à ses besoins et à ceux de l’État, doit « vivre du sien », c’est-àdire qu’il doit se contenter des revenus de son domaine. Celui-ci n’est pas d’un seul tenant, il est hétérogène par les types de revenus qu’il procure, car son seigneur est aussi souverain : des lambeaux de droits régaliens se mêlent indistinctement à son patrimoine foncier. Négati-
vement, le domaine royal se différencie de deux autres assises juridiques territoriales : le fief, rattaché indirectement au roi, et le royaume. Si elle fut longue à s’affirmer dans les faits, on peut avancer que la dissociation entre domaine et royaume constituait un préalable juridique nécessaire à l’affirmation de la souveraineté et, en retour, à une définition positive de la notion de domaine royal. Significativement, c’est sous Philippe Auguste que la distinction se met nettement en place : reconnu empereur en son royaume par le pape Innocent III, il lègue à son successeur un domaine multiplié par quatre. En 1328, lorsque s’éteignent les Capétiens directs, celui-ci couvre les deux tiers du royaume. L’adéquation domaine/royaume devient complète au cours du XVIe siècle. Parallèlement à la construction territoriale s’élabore la théorie juridique : du domaine en tant que fisc du roi, on glisse à la notion de domaine éminent, puis à celle de domaine public, lorsque ces biens sont attribués à la couronne, concept abstrait né au XIIIe siècle. De même que la couronne est inaliénable, de même le domaine relève du triple principe d’inaliénabilité, d’indisponibilité et d’imprescriptibilité. Ces règles commencent cependant d’être violées au moment même où elles sont conçues : en 1316 apparaît le mot apanage, qui désigne des terres appartenant au domaine royal et données par le roi à ses enfants puînés. Leur réagrégation au domaine en cas d’absence d’héritier direct, imposée pour éviter la dislocation de celui-ci, devient difficile à appliquer durant la guerre de Cent Ans. S’agit-il d’une « seconde féodalité » menaçant l’unité du royaume ? Les recherches récentes montrent qu’il y a certes eu un ralentissement de l’unification, dont le domaine est le socle, mais non une mise en cause véritable. En effet, autant qu’un concurrent, l’apanagiste apparaît comme un coadministrateur du royaume, qui participe finalement à la stratégie intégratrice. L’adéquation domaine/royaume progressant, la part des revenus du domaine (dits ordinaires) pèse de moins en moins dans l’ensemble des revenus royaux, car, à partir du XIVe siècle, le roi peut exiger de plus en plus d’impôts. À l’époque moderne, l’« extraordinaire » (l’impôt) constitue l’essentiel des revenus du domaine, lequel englobe, au plan juridique, l’ensemble des revenus de l’État. C’est la raison pour laquelle les ministres ont oscillé entre le désir d’aliénation du domaine corporel (le « domaine » médiéval) et la fidélité symbolique au vieux principe capétien d’inaliénabilité. Et ce n’est qu’à la veille de
la Révolution que l’entourage de Turgot s’attaque de front à ce dogme, de nombreux cahiers de doléances reflétant le même point de vue. La Révolution hérite, au terme de la lente mutation accomplie depuis 987, de la notion de domaine public ou national, demeurée en vigueur jusqu’à nos jours. Dombasle (Christophe Joseph Alexandre Mathieu de), officier de carrière, puis savant et agronome (Nancy 1777 - id. 1843). Contraint de quitter l’armée pour raison de santé, Mathieu de Dombasle se tourne vers la chimie, puis, durant le Blocus continental, fonde une fabrique de sucre de betterave. Mais, la paix ayant permis de rétablir les échanges commerciaux, ses entreprises sont ruinées. Il s’intéresse alors à l’exploitation des terres et au renouveau des méthodes agronomiques, downloadModeText.vue.download 280 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 269 thèmes alors en vogue. Sous l’Empire, l’abbé de Pradt avait publié De l’état de la culture en France, ouvrage inspiré d’Arthur Young et de l’agronomie anglaise, qui incitait les exploitants français à améliorer leurs techniques. Les sociétés d’agriculture s’étaient reconstituées, et le pouvoir encourageait la modernisation des pratiques. Surtout, le renouveau de l’agriculture française est alors favorisé par les initiatives de grands propriétaires, tel Dombasle. En 1822, ce dernier crée à Roville, dans la Meurthe, une ferme-école où il met en oeuvre ses idées : il y présente un nouveau modèle de charrue, révèle l’importance du chaulage sur les terres argileuses. Il poursuit en parallèle ses recherches, publiées dans les Annales de Roville, revue savante dont il est le fondateur. En 1826, le gouvernement s’inspire de ses expériences pour créer la ferme-école de Grignon. Le mérite majeur de Dombasle est d’avoir allié la pratique à la théorie, et permis par l’exemple la diffusion de méthodes nouvelles. Il est considéré, à ce titre, comme le père de l’agronomie française du XIXe siècle. domestiques, terme qui qualifie, jusqu’au début du XVIIIe siècle, toutes les personnes appartenant à une maison, avant de s’appliquer aux seuls serviteurs. Sous l’Ancien Régime, la population ancillaire représente de 5 à 10 % de la population ur-
baine. En 1846, elle constitue près de 8 % de la population parisienne et est alors féminine à 75 %. Les domestiques, pour la plupart, sont issus du monde rural, mais pas nécessairement de ses couches les plus basses. L’existence de la domesticité revêt une signification sociale fondamentale, marquant la distinction des conditions : les plus prestigieuses maisons, au cours du XIXe siècle, emploient plus de trente domestiques. • Un monde hiérarchisé. Le monde ancillaire comprend les domestiques agricoles, les salariés des métiers et les serviteurs privés. Parmi ces derniers, intendants et secrétaires, précepteurs et institutrices, souvent anglais ou allemands à partir de 1850, distinguent l’aristocratie. Puis viennent les maîtres d’hôtel et les cochers, suivis des valets et des femmes de chambre, les bonnes à tout faire occupant le bas de la hiérarchie. Les serviteurs masculins jouissent de plus d’honorabilité : la part qu’ils occupent dans la domesticité d’une maison grandit avec le prestige de celle-ci. Le serviteur modèle, totalement dévoué à son maître, lui donne à la fois son corps et son temps. Son être même est nié : portant livrée, il reçoit parfois un prénom autre que le sien. Il ne dispose guère de la possibilité de mener une vie conjugale. Les bonnes engrossées - il n’est pas rare qu’elles le soient par le maître - recourent souvent à l’infanticide. Elles risquent également un renvoi, qui les met dans une situation misérable si elles sont privées du certificat de bonne conduite : elles ne peuvent plus alors être employées et sont souvent vouées à la mendicité ou à la prostitution. La Révolution ne change en rien la condition des serviteurs, qui sont exclus du droit de vote par les Constitutions de 1791 et 1793. • Des conditions de vie inégales. Issus des classes populaires, les domestiques vivent en permanence au contact des groupes sociaux les plus aisés. Ils s’élèvent par l’instruction, à laquelle ils ont accès, et par le mode de vie, auquel ils participent indirectement, allant jusqu’au mimétisme du langage et des opinions politiques de leur maître. Indispensables au prestige de ce dernier, ils n’en sont pas moins l’objet d’un certain mépris. Ils sont au coeur de la famille sans lui appartenir vraiment, connaissent presque tout de son intimité, mais sont censés n’en rien voir, et ne doivent rien en dire. Parfois souffre-douleur de leur maître, ils sont aussi leur faire-valoir : celui-ci assume son devoir de bon chrétien en assurant leur instruction religieuse, et en sur-
veillant leurs moeurs. Ainsi, les oeuvres catholiques prennent-elles quelques initiatives paternalistes en leur faveur dès les années 1820. Les conditions de vie varient avec le rang social du maître. Mais les tâches ménagères impliquent de toute façon une peine quotidienne. Astreintes à monter l’eau, le bois, puis le charbon, aux étages, à cirer les parquets, à entretenir le linge et à faire la cuisine, les bonnes à tout faire voient leur santé se dégrader rapidement. Elles vivent dans des chambres exiguës, mal isolées contre le froid, la chaleur ou les bruits ; parfois même, elles ne sont pas à l’abri des regards indiscrets. Les gages varient selon les catégories : en 1910, un maître d’hôtel parisien peut gagner 500 francs par an, tandis qu’une bonne à tout faire reçoit entre 30 et 60 francs. Mais les bonnes ou les femmes de chambre les mieux placées parviennent à épargner le montant d’une dot qui leur permet un mariage au-dessus de leur condition. En outre, des serviteurs fidèles reçoivent étrennes et gratifications, qui arrondissent leurs gages. Ainsi, l’état de domestique a pu être le moyen d’une modeste promotion sociale. Il n’en est pas moins en contradiction avec une société qui se veut démocratique : les plaintes des maîtresses de maison à propos de la difficulté de se faire servir annoncent, à partir de 1880, la crise de la domesticité, qui se traduit par l’inflation des offres d’emploi et l’augmentation des gages, le développement timide du syndicalisme des gens de maison, et l’apparition tardive d’une législation protectrice. Toutefois, la disparition de ce groupe social ne s’amorce qu’à partir de 1920-1930. Si les Figaro de théâtre ont nourri l’imaginaire des maîtres, le Journal d’une femme de chambre, dans lequel Octave Mirbeau laisse la parole à Célestine, a mis en lumière les difficultés de la condition ancillaire. dominicains ou frères prêcheurs, religieux appartenant à l’ordre fondé à Toulouse en avril 1215 par le chanoine castillan Dominique de Caleruega (1170-1221), futur saint Dominique. La volonté de retrouver la vie apostolique décrite dans les Actes des Apôtres et d’offrir, par la parole et par l’exemple, un modèle de vie chrétienne à l’ensemble des laïcs, en particulier à ceux qui se laissaient alors tenter par l’hérésie cathare, est à l’origine de la fondation du nouvel ordre. En 1216 et 1217, les dominicains reçoivent l’approbation du pape Honorius III, adoptent la règle de saint Augus-
tin et prennent le nom de Frères prêcheurs, qui souligne l’importance qu’ils accordent à la prédication. Comme les autres ordres mendiants (franciscains, carmes, augustins), ils sont profondément attachés à la pauvreté et à l’action pastorale, jusque-là essentiellement dévolue au clergé séculier. En 1217, à Toulouse, Dominique envoie ses premiers disciples prêcher de par le monde. L’essor du nouvel ordre est très rapide, en particulier en France et en Italie. Dès 1218, un couvent est fondé à Paris, rue Saint-Jacques. À la fin du XIIIe siècle, les provinces de France, de Toulouse et de Provence comptent une centaine de couvents. Les dominicains s’installent presque toujours dans les villes, où se trouvent à la fois les ressources nécessaires à leur mode de vie mendiant et les nombreuses populations urbaines dont il s’agit d’encadrer la piété. Dans ce contexte, la formation intellectuelle des frères prêcheurs prend de plus en plus d’importance. Les grandes écoles conventuelles de Bologne, d’Oxford et surtout de Paris assurent le prestige de l’ordre, que vient consacrer le rayonnement européen de grands universitaires, tels Albert le Grand (1193 ou 1206-1280) et Thomas d’Aquin (1225-1274). L’organisation, l’efficacité de l’ordre et sa docilité absolue envers la papauté expliquent que lui soient confiés les tribunaux de l’Inquisition, comme dans le royaume de France dès 1233. Jusqu’à la Réforme catholique, les dominicains et les autres ordres mendiants dominent ainsi la vie religieuse urbaine. Après la période révolutionnaire (toutes les congrégations religieuses ont été supprimées en avril 1792), la restauration de l’ordre en France est l’oeuvre du Père Lacordaire (1802-1861). L’activité missionnaire, l’encadrement d’associations de jeunesse et l’essor des recherches théologiques (le néothomisme) et exégétiques (l’école biblique de Jérusalem) contribuent au nouveau rayonnement de l’ordre. Dans les années 1950-1960, les dominicains se distinguent de nouveau par leur engagement dans le mouvement des prêtres-ouvriers et par l’influence de leurs théologiens au concile de Vatican II. Dominici (affaire), fait divers criminel. Le 5 août 1952 sont découverts à Lurs (Alpesde-Haute-Provence) les corps d’un couple d’Anglais, Mr. et Mrs. Drummond, et de leur fille, qui s’étaient installés la veille au soir pour camper. Soupçonné, à la suite de l’accusation portée par ses fils Gustave et Clovis, d’être l’auteur de l’assassinat, Gaston Dominici est condamné à mort, alors que sa culpabilité n’est pas formelle-
ment établie. Sa peine est commuée, puis il est gracié en raison de son âge, et libéré en 1960. Il meurt en 1967, sans que le mystère soit éclairci. Les conditions confuses de l’enquête, les dires contradictoires de Gaston Dominici, ses moeurs patriarcales et sa personnalité controversée (rustre buté pour les uns, paysan madré pour les autres), tout comme l’attitude des siens, qui ne cesseront eux aussi de se contredire, ont suscité bien des débats passionnés. Gaston Dominici a été incarné à l’écran par Jean Gabin (l’Affaire Dominici, 1973). downloadModeText.vue.download 281 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 270 DOM-TOM ! outre-mer (départements et territoires d’) don gratuit, contribution financière, théoriquement volontaire, acquittée sous l’Ancien Régime par le clergé et les pays d’états. La prétention ancienne de l’Église, maintes fois réaffirmée, était de ne contribuer aux charges de l’État que par ses oeuvres et ses prières, et par des contributions extraordinaires pour aider au financement de la croisade. Tout aussi constante était la position de la monarchie qui prétendait avoir « la disposition pleine et libre de tous les biens, tant des séculiers que des ecclésiastiques » (Louis XIV). Au XVIe siècle, l’accroissement vertigineux des dépenses de l’État et de la dette publique rend d’autant plus tentante la mise à contribution du clergé que la Réforme jette la suspicion sur la richesse temporelle de l’Église. Menacé aux états généraux d’Orléans (1560) et de Pontoise (1561) d’une sécularisation partielle ou totale de ses biens, le clergé est contraint d’accepter une contribution « spontanée », moyennant la réaffirmation de son immunité fiscale et l’obtention d’un statut particulier. Par le « contrat de Poissy » (1561), il s’engage à verser en seize ans 17 millions de livres destinées à éteindre la dette royale. Mais le roi ayant contracté de nouveaux emprunts, le clergé s’engage par un second contrat (Melun, 1580) à verser 1,3 million de livres annuelles pendant dix ans ; en contrepartie, il obtient la création d’une représentation régulière, l’Assemblée du clergé, chargée de voter, de répartir et d’administrer les subsides. Le clergé n’échappe pas au « tour de vis
fiscal » de la première moitié du XVIIe siècle et doit, non sans résistance, consentir à des « dons extraordinaires » de plus en plus fréquents. Le don gratuit ne cesse de croître et dépasse, au XVIIIe siècle, les 3 millions de livres annuelles. Au total, l’ordre a versé plus de 500 millions de livres de 1568 à 1788, dont 268 millions pour la seule période 1715-1788. Mais, si l’on tient compte de l’érosion monétaire, la charge fiscale réelle imposée au clergé n’aura cessé de diminuer, passant de 10 % des recettes de l’État au XVIe siècle à 2 % environ à la fin de l’Ancien Régime, une part infime eu égard aux revenus estimés à 150 ou 200 millions de livres, annuelles, et aux besoins de l’État. Tout comme le clergé, les pays d’états prétendaient lier leur contribution au consentement de leurs assemblées représentatives. En réalité, ils ne pouvaient guère intervenir que sur les modalités de répartition et de perception de l’impôt. Néanmoins, clergé et pays d’états ont pu, dans la mesure où l’État devait négocier avec des assemblées parfois indociles, obtenir sinon une exemption totale, du moins une modération sensible de la pression fiscale. Doriot (Jacques), homme politique (Bresle, Oise, 1898 - Allemagne 1945). Ouvrier métallurgiste, socialiste à partir de 1916, communiste dès 1920, remarqué à Moscou, Doriot prend la direction des Jeunesses communistes en 1923, puis est élu député en 1924, alors qu’il purge une peine de prison pour antimilitarisme. En 1925, il entre au bureau politique du Parti communiste et mène le combat contre la guerre du Rif. Il semble alors promis aux plus hautes responsabilités, mais, dès 1928, il s’oppose à la direction du parti en prônant l’alliance avec les socialistes. Sa grande popularité lui vaut néanmoins d’emporter la mairie de SaintDenis en 1931. Après le 6 février 1934, il réclame l’unité d’action à gauche, d’où son exclusion en juin pour indiscipline, alors même que sa politique est mise en oeuvre par son rival, Maurice Thorez. Doriot conserve son bastion de Saint-Denis, mais il est toutefois marginalisé. Il attire des communistes dissidents, mais aussi des déçus des Croix-de-Feu, tel Pierre Pucheu, lié au patronat, et des intellectuels, tels Fabre-Luce ou Drieu La Rochelle. Son anticommunisme, né d’une volonté de revanche, et l’argent de grandes entreprises et du fascisme italien sont à l’origine, le 28 juin 1936, de la création du Parti populaire français (PPF), qui revendique 200 000 adhérents
en 1937. En réalité, ils ne sont pas plus de 100 000, dont 15 000 militants actifs, dotés cependant d’une véritable organisation de masse qui imite celle des fascistes et des nazis, avec qui Doriot prône le dialogue. Bien vite, son discours « révolutionnaire » est remplacé par un corporatisme procapitaliste et une défense des travailleurs indépendants et du colonialisme. En mars 1937, il propose un « front de la liberté » qui n’attire que les ex-Jeunesses patriotes, la Fédération républicaine, des isolés tels que Tixier-Vignancourt. Cet échec et la fin du Front populaire, qui rassure les entreprises et donc tarit ses financements, le radicalisent. Le PPF devient totalitaire, xénophobe, antisémite. Mais sa complaisance face aux revendications irrédentistes de Mussolini le prive de maints adhérents nationalistes et entraîne la désertion des intellectuels. Sans avenir, le parti dérive entre fascisme et ultraconservatisme. La défaite de 1940 relance la carrière de Doriot. Il se veut d’abord l’« homme du Maréchal », puis joue la carte allemande contre les ministres en place, applaudit à la guerre contre l’Union soviétique, est l’un des fondateurs de la Légion des volontaires français, part sur le front russe, espérant y trouver les clés du pouvoir. Si Hitler le choisit comme chef du gouvernement français, c’est en août 1944, et dans l’hypothèse d’une victoire allemande. Et c’est en Allemagne, où il a fui, qu’est tué - par un avion allié, semble-t-il - celui qui pourrait le plus exactement incarner un fascisme français. dot, masse de biens constituée en vue du mariage. Vestige du temps où celui-ci était conclu par achat, désir du mari d’afficher la dépendance de sa femme, la dot est alors offerte par le fiancé à sa promise. Juifs, Hébreux, Germains, Francs procèdent ainsi. Dans la tradition romaine, la dot désigne, en revanche, les biens de la femme affectés aux dépenses du ménage : depuis la loi des Douze Tables, elle permet à l’épouse de participer équitablement aux charges du mariage, tout en soustrayant ses autres biens à la puissance maritale. Liberté des moeurs et multiplication des divorces conduiront Rome à organiser peu à peu le régime des biens dotaux, et à édicter des règles promises à un grand avenir : administration maritale de la dot, restitution à l’issue du mariage, inaliénabilité de l’immeuble dotal, et incapacité juridique de la femme mariée, afin de la protéger... contre elle-même.
La dot constitue la clé de voûte d’un régime matrimonial aménageant les rapports patrimoniaux des conjoints : le régime dotal. Dès le VIe siècle, Germains et Gallo-Romains mêlent, en Gaule, leurs usages. L’établissement de la fille en vue du mariage s’y généralise, imposé ou non par les coutumes : presque partout il est qualifié de « dot ». Puis, le sens du mot s’étend à la gratification accordée à tout enfant quittant le toit familial : la dot devient le moyen d’organiser l’avenir en désintéressant ceux qui partent de la succession parentale ; elle est affaire de patrimoine... et le régime dotal, dont elle est le pivot, est propre aux pays du Midi. Au XVIe siècle, la justice restaure les règles romaines : la dot, dans le langage courant tout du moins, se réduit à son sens initial, mais conserve ses avantages patrimoniaux et successoraux. Ceux-ci lui seront partiellement soustraits par la Révolution et la proclamation de l’égalité entre enfants. Néanmoins, pour respecter la tradition méridionale, le Code civil propose aux familles, à côté du régime matrimonial légal, un régime dotal, contractuel, et définit la dot comme « le bien que la femme apporte au mari pour supporter les charges du mariage ». L’usage en reste encore pendant environ un demi-siècle. Les ruraux y sont attachés, quel que soit leur niveau de fortune, alors que les milieux urbains l’abandonnent plus volontiers : en effet, à la ville, le salaire, souvent perçu par chacun des fiancés, concurrence le patrimoine, tandis que l’érosion monétaire neutralise les avantages d’un régime de biens conservateur. À la fin du XIXe siècle, le vieux régime n’intéresse plus que les classes bourgeoises. Puis il tombe en désuétude, avant de disparaître de la loi du 13 juillet 1965. Le mot « dot » figure toujours dans le Code civil : il y désigne l’établissement de l’enfant (articles 1438 à 1440). douane. La douane française moderne naît à la fin du XVIIIe siècle, mais le contrôle des relations commerciales entre le pays et l’extérieur remonte aux Gaulois, et, même après la conquête romaine, les Gaules demeurent une circonscription douanière autonome. Après la désagrégation de l’Empire romain, puis de l’Empire carolingien, le droit de douane renaît en 1304, sous Philippe le Bel, qui décide de n’autoriser les exportations qu’à la condition d’obtenir une licence délivrée par un officier royal contre paiement d’une taxe. Par la suite, la monarchie met en place des postes douaniers entre provinces du royaume,
selon un système extrêmement complexe, et recourt à la technique de l’affermage de l’impôt de douane. • L’unification législative. Sous la Révolution, la Ferme générale créée par Sully et réorganisée par Colbert, qui prenait en charge l’ensemble des impôts indirects et dont l’impopularité était grande, est supprimée, ainsi que les barrières intérieures qui entravaient le downloadModeText.vue.download 282 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 271 commerce. Toutefois, une Régie nationale des douanes la remplace aussitôt, destinée à assurer le prélèvement d’un « tarif » sur les seuls échanges internationaux. Et la loi du 22 août 1791 crée un code des douanes qui confirme les principales prérogatives reconnues à l’administration d’Ancien Régime - droit de saisir les marchandises, droit de procéder à des visites domiciliaires, droit d’arrêter et de fouiller les véhicules -, même si les infractions douanières ne sont plus sanctionnées par des peines d’emprisonnement ou de travaux forcés mais par de simples amendes. Les guerres révolutionnaires, puis celles de l’Empire provoquent le renforcement de la législation d’exception (peines corporelles : prison, « fers », marquage au fer ; peine capitale) et un accroissement considérable et durable des effectifs de la douane : en 1845, un fonctionnaire de l’État sur 5 ou sur 8 (selon les bases de référence) est un douanier. • Une longue tradition protectionniste. La politique économique protectionniste de la Restauration et de la monarchie de Juillet, qui s’appuie sur la force de l’administration douanière, n’est pas remise en cause par la IIe République. En revanche, le libre-échangisme de Napoléon III et les difficultés budgétaires conduisent dès 1860 à la réduction des effectifs de la douane et à la substitution progressive au « tarif général » de tarifs « conventionnels » issus des traités internationaux. L’accroissement des transports internationaux maritimes et, surtout, terrestres provoque également un allègement et une simplification des procédures et des régimes douaniers, devenus par sédimentation d’une extrême complexité. La politique protectionniste de la IIIe République - qu’illustre la loi Méline de 1892, instituant un double tarif douanier -, les réformes fiscales et, surtout, la poursuite de l’effort de guerre contre l’Allemagne ont
cependant pour effet d’accroître le contrôle des échanges de capitaux. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les nécessités du contrôle des changes et du commerce extérieur justifient la reconstitution d’une administration nombreuse et le maintien d’un droit d’exception. • Les conséquences de la construction européenne. Cette continuité entre le droit révolutionnaire de 1791 et l’époque contemporaine est néanmoins remise en cause avec la création de la Communauté économique européenne, qui entraîne l’abaissement, puis la suppression en 1968 des droits de douanes entre pays membres et l’établissement d’un tarif douanier extérieur commun. Les douanes françaises doivent ainsi évoluer avec la construction d’un espace économique unifié qui efface les frontières commerciales entre pays membres et fait de chacune des douanes nationales le gardien des ressources propres de la Communauté européenne. En outre, les exigences de la Cour de justice - qui siège à Luxembourg - en matière de protection des droits de l’homme provoquent une évolution progressive des procédures douanières aussi bien que fiscales dans le sens d’une atténuation des prérogatives de l’administration au profit des droits de la défense. Doumer (Paul), homme politique, président de la République de 1931 à 1932 (Aurillac, Cantal, 1857 - Paris 1932). Fils d’un poseur de rails, et tôt orphelin, bachelier puis professeur de mathématiques grâce aux cours du soir, et lancé dans le journalisme par Waddington, Doumer est élu député radical de l’Aisne (1888-1889), puis de l’Yonne (1890-1896). Il entre en tant que ministre des Finances dans le premier cabinet radical, celui de Léon Bourgeois (18951896), avant de se rapprocher des modérés. Nommé gouverneur général de l’Indochine en 1896, il lance de grands travaux et finance une administration efficace, mettant en régies le sel, l’opium et le riz, et augmentant les impôts, ce qui provoque des tensions. À son retour en France, en 1902, il est réélu député de l’Aisne, et prend la tête de l’opposition à Combes, au sein du Bloc des gauches, dans l’affaire des Fiches. Élu président de la Chambre en janvier 1905 par la droite, il est exclu du parti radical. L’année suivante, il est battu par Armand Fallières à l’élection présidentielle, peut-être parce qu’il entend renforcer les pouvoirs du chef de l’État, et par Henri Brisson à la présidence de la Chambre. Il perd même son siège de député en 1910,
avant d’être sénateur de la Corse de 1912 à 1931. Ministre d’État de Painlevé en 1917, aux Finances sous Briand en 1921-1922 et 1925-1926, président du Sénat en 1927, il est enfin élu président de la République en 1931, face à Briand, le candidat des gauches. Son mandat sera bref : Doumer est assassiné en mai 1932 par Gorgoulov, un Russe blanc qui le croit responsable d’une entente avec l’Union soviétique, et que le gouvernement Tardieu, en pleine campagne électorale, veut faire passer pour un bolchevik. Doumergue (Gaston), homme politique, président de la République de 1924 à 1931 (Aigues-Vives, Gard, 1863 - id. 1937). Protestant languedocien, avocat, magistrat en Indochine et en Algérie de 1890 à 1893, puis député radical du Gard jusqu’en 1910, et sénateur jusqu’en 1924, il est ministre des Colonies de 1902 à 1905 et de 1914 à 1917, organisant à ce titre l’appel aux troupes africaines. Entretemps, il a été ministre du Commerce et de l’Industrie, puis de l’Instruction, et président du Conseil en 1913-1914. Radical très modéré, il préside le Sénat en 1923. En 1924, une coalition des droites et des sénateurs radicaux le porte à l’Élysée, face à Paul Painlevé, candidat du Cartel des gauches. Il intervient beaucoup, avec un tact et une jovialité qui assurent sa popularité. Son mandat se termine avant que la crise mondiale affecte le pays, et ne laisse donc que de bons souvenirs. Les événements du 6 février 1934 permettent à Albert Lebrun de tirer « Gastounet » de sa retraite, pour le charger de diriger un gouvernement associant droite et radicaux. Plus proche d’André Tardieu que d’Édouard Herriot, Doumergue obtient de légiférer par décrets, souhaite faciliter la dissolution de la Chambre, s’adresse au pays à la radio, par-dessus les élus, mais il attend huit mois pour proposer des réformes, et les associe à des mesures antisyndicales. Les radicaux se ressaisissent, et il doit démissionner. Ainsi s’achève, en novembre 1934, une carrière bien remplie mais qui, au total, laissera peu de traces durables. En 1937, ses funérailles nationales laïques sont célébrées à Nîmes. dragonnades, persécutions subies par les protestants sous le règne de Louis XIV. Malgré l’action des missionnaires catholiques et quelques conversions spectaculaires, telle celle de Turenne (1668), si la minorité protestante décroît, elle ne semble pas vouée à disparaître : comptant un million de fidèles vers 1600, elle en conserve 850 000 vers 1680. En
Languedoc, la Caisse de conversion ne gagne au catholicisme que moins de 1 % des protestants de 1676 à 1685. Dans les régions où les réformés sont majoritaires, les abjurations sont très rares. Il apparaît alors aux évêques que, pour atteindre les individus, il faut briser l’encadrement des élites et des pasteurs. Renonçant à la persuasion, le pouvoir opte alors pour des solutions expéditives. En mars 1681, l’intendant du Poitou, Marillac, est autorisé par le secrétaire d’État à la Guerre, Louvois, à loger chez les protestants les gens de guerre, en particulier les dragons. Cet usage abusif d’une obligation des sujets avait déjà servi pour châtier des populations révoltées, par exemple en Bretagne en 1675. Se convertir est alors le seul moyen d’éviter les brimades de la troupe : vols, saccages, coups, privation de sommeil... L’intendant prétend ainsi avoir obtenu en quelques mois 38 000 abjurations. Cependant, l’opinion européenne s’indigne ; des officiers s’inquiètent du relâchement de la discipline. Marillac est déplacé en 1682. En juillet 1683 toutefois, quand les protestants du Midi se rassemblent sur les lieux de leurs temples détruits, le pouvoir fait de nouveau appel à l’armée. En mai 1685, en Béarn, l’intendant Foucault reprend les dragonnades, bientôt imité en Languedoc, Guyenne, Saintonge, Poitou, Normandie, Dauphiné. Pour que la conversion ne soit pas uniquement le fait des soldats, l’Église catholique organise parallèlement une campagne de missions pacifiques. L’ensemble de ces actions accompagne et justifie la révocation de l’édit de Nantes (octobre 1685) : à quoi bon maintenir le culte protestant quand ses fidèles abjuraient par dizaines de milliers ? Si elles se raréfient après 1686, les dragonnades ne prennent néanmoins fin qu’en 1698 : ce zèle contre les opiniâtres montre que la liberté de conscience garantie par la révocation n’est qu’un leurre. Les dragonnades suscitèrent dans toute l’Europe une campagne de protestations contre les « missionnaires bottés ». Quelques catholiques français se sont également indignés. Ainsi, pour Étienne Le Camus, évêque de Grenoble, les conversions forcées déracinent le sentiment religieux en même temps que l’hérésie : un remède pire que le mal. Drancy (camp de), camp d’internement situé dans la banlieue nord-est de Paris, exclusivement réservé aux Juifs à partir de 1941. D’abord destiné à la détention de prisonniers de guerre britanniques, il accueille plus de
4 000 Juifs - polonais pour la plupart -, arrêtés sur ordre des Allemands par des policiers downloadModeText.vue.download 283 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 272 français à Paris du 20 au 25 août 1941. Le camp est placé sous la responsabilité du préfet de police, tandis que la préfecture de la Seine est chargée du ravitaillement. La misère y est indescriptible : ni paillasse ni couverture, famine, isolement. Effrayés par une succession de décès, les médecins de la préfecture profitent de l’absence de Theodor Dannecker, chef du service des Questions juives à la Gestapo, pour faire libérer quelques centaines de Juifs, début novembre 1941. Puis l’organisation succède à l’improvisation et les conditions d’internement s’améliorent légèrement. Mais Drancy devient alors pour l’occupant une réserve d’otages, qui sont fusillés en représailles d’attentats visant des officiers allemands. Le 27 mars 1942, 565 internés du camp de Drancy se trouvent dans le premier convoi de déportés pour Auschwitz. Le tournant est amorcé, qui voit la transformation de Drancy, à l’été 1942, en camp de transit pour les camps d’extermination. Après la rafle du Vel’d’hiv’, puis celles perpétrées en zone occupée ou en zone sud, la vie du camp - par lequel transitent aussi désormais, femmes et enfants - est rythmée par les déportations : trois convois de 1 000 Juifs par semaine de juin à novembre 1942, puis une nouvelle « pointe » en février-mars 1943, une autre encore en juin-juillet1943, et enfin un flux régulier de septembre 1943 à la Libération. Dès la mi-1943, les internés juifs français subissent le même sort que les apatrides ou autres étrangers (seuls échappent à la déportation les Turcs, les Italiens ou les Suisses, ainsi que les conjoints d’« aryennes »). Le 2 juillet 1943, les Allemands prennent officiellement la direction de Drancy, sous le commandement d’Aloïs Brunner, instaurant un climat de terreur jusqu’au 17 août 1944, date à laquelle ils quittent le camp avec un dernier convoi de 51 déportés. La CroixRouge libère les derniers 1 386 internés. Le camp de Drancy, où sont passés la grande majorité des 75 721 Juifs déportés de France, reçoit dès lors les collaborateurs arrêtés par les résistants.
Drap d’or (camp du), camp dressé par François Ier pour recevoir - du 7 au 24 juin 1520 - le roi d’Angleterre Henri VIII Tudor, dans le but d’en faire un allié contre Charles Quint. Ce dernier, roi de Castille et d’Aragon, vient en effet d’être élu au trône du Saint Empire romain germanique (1519) ; la France des Valois est dès lors encerclée entre les possessions des Habsbourg. Aussi François Ier, candidat malheureux à l’élection, cherche-til à impressionner Henri VIII afin de gagner son amitié : près du port de Calais sous domination anglaise, dans une plaine entre Guînes et Ardres, il fait monter un camp pour le recevoir, sous sa tente tissée de drap d’or et doublée de velours bleu. Mais, loin d’être conquis, le souverain anglais se montre indisposé par ce faste, par le luxe que déploie la cour du souverain du royaume le plus peuplé d’Europe et par la prestance même du monarque. Henri VIII poursuit son voyage, rencontre Charles Quint à Gravelines et signe avec lui le traité de Calais le 14 juillet 1520 ! Ces deux entrevues séparées, mais impliquant trois jeunes souverains qui commencent chacun leur long règne, constituent l’une des premières démarches dans lesquelles s’esquisse le futur souci d’équilibre européen entre grandes puissances : France, Angleterre, Espagne, Empire. drapeau. D’abord simple signe de ralliement des troupes, le drapeau devient, avec la Révolution et l’affirmation de l’idée de nation, le symbole même du pays. Au XIXe siècle, ses couleurs représentent un enjeu politique. • Du blanc au tricolore. Longtemps, l’étendard, sur lequel figurent les armes des chefs de régiment, ou une croix sur fond uni, permet au soldat de retrouver son unité. Le drapeau blanc des colonels généraux, quand ceux-ci commandent en l’absence du roi, signifie que les troupes sont placées sous leur seule autorité ; puis il devient prérogative royale lorsque Louis XIV abolit leurs charges en 1661. Mais la monarchie reconnaît pour seuls emblèmes l’azur, réputé remonter aux Mérovingiens, et les lys, apparus au XIIe siècle, encore que les Capétiens directs aient porté le rouge de saint Denis, protecteur du royaume. La Révolution a besoin d’un signe de ralliement, et la tradition veut que, le 17 juillet 1789, Louis XVI, reçu par Jean Bailly, maire de Paris, ait ajouté un ruban bleu et rouge - les couleurs de la ville - à la cocarde blanche de
son chapeau. En fait, ces trois couleurs ont été adoptées auparavant par La Fayette pour la Garde nationale, mêlant le blanc des gardesfrançaises ralliées au bleu et au rouge de la milice parisienne. La fête de la Fédération consacre ces trois couleurs et les premières victoires remportées sous le signe de l’étendard tricolore assurent leur pérennité, malgré quelques réticences de conventionnels, lorsque s’effondre la monarchie constitutionnelle. Leur ordre reste imprécis jusqu’au décret du 15 février 1795, qui le fixe définitivement, et est copié ensuite par nombre de pays. Napoléon rêve, un temps, de vert et d’or, mais l’armée est si attachée au drapeau tricolore de ses victoires que l’Empereur se contente de remplacer le fer de lance de la hampe par un aigle. • Des conflits au consensus. Le 18 avril 1816, la Restauration impose le drapeau blanc, qu’émigrés et vendéens ont arboré en l’absence du roi, comme avant 1661. Mais il est identifié à la réaction ultra, de sorte que l’ancien drapeau tricolore reste cher aux libéraux, et réapparaît en 1830. Louis-Philippe Ier déclare : « La nation reprend ses couleurs. » Celles-ci ne sont plus assimilées à un régime, mais au pays. Lamartine les défend en 1848, au nom des souvenirs révolutionnaires et impériaux ; elles sont conservées par Napoléon III, puis par les républiques successives, et même par le régime de Vichy. Les tentatives de restauration du comte de Chambord, en 1873 principalement, échouent en partie à cause de l’attachement du prétendant au trône au drapeau blanc et à ce qu’il symbolise. Le drapeau tricolore est alors réputé transcender la politique et les régimes. Peut-être parce que, plus qu’au drapeau blanc, il s’oppose désormais au drapeau rouge : signe de l’instauration de la loi martiale, ce dernier a été hissé par les forces de l’ordre avant l’assaut, lors de la fusillade du Champ-de-Mars (juillet 1791) ; en souvenir, Paris le déploie en juillet 1792 pour marquer son hostilité à la monarchie. Il flotte ensuite sur les barricades en 1832. En 1848, Lamartine le repousse, contre ceux qui y voient le « symbole de [leurs] misères et de la rupture avec le passé ». La Commune l’adopte, et il demeure le drapeau de la révolution sociale face à la France « bourgeoise ». Mais les socialistes dès août 1914, puis les communistes à partir de 1934, lui associent - voire lui substituent - les trois couleurs. Par ailleurs, l’aura du drapeau noir, signifiant à l’origine « pas de quartier », ne dépasse pas les frontières du mouvement
anarchiste. Le drapeau tricolore, quant à lui, a longtemps fait l’objet d’un culte, développé avec les guerres de la Révolution et de l’Empire, culminant sous la IIIe République, mais s’affaiblissant à la fin du XXe siècle. Ainsi, il n’est plus scandaleux ni étrange aujourd’hui que des mairies mêlent les couleurs régionales à celles de la France, ou que, depuis 1988, le président de la République s’adresse aux Français sur fond de drapeaux français et européen. Mais est-ce l’attitude envers le drapeau qui change, ou celle envers la nation ? Draveil et Villeneuve-SaintGeorges (grève de), mouvement social déclenché le 2 mai 1908 par les ouvriers de la Société des sablières de la Seine, qui regroupe différentes carrières du sud de Paris, pour obtenir une augmentation de salaire et une amélioration des conditions de travail. Refusant de discuter avec le syndicat, les patrons tentent, par tous les moyens, de faire redémarrer l’activité. Aux tensions entre grévistes et non-grévistes s’ajoutent les heurts entre ouvriers et gendarmes : 2 ouvriers sont tués et 10 autres, blessés, le 2 juin. Le gouvernement Clemenceau est mis en accusation à la Chambre, mais sa majorité le soutient. La grève se poursuit ; le 30 juillet, la marche des chômeurs organisée par la CGT à Draveil dégénère, et les barricades élevées par les manifestants à Villeneuve-Saint-Georges sont chargées par la cavalerie. On déplore 4 morts et 200 blessés. Le lendemain, les chefs de file de la CGT sont arrêtés, et une nouvelle grève est décidée pour le 3 août, mais elle échoue : le 4, le comité de grève accepte les propositions de la compagnie. Ce conflit marque une nouvelle étape dans l’affrontement entre Clemenceau et la CGT. Par son intransigeance, le chef du gouvernement renforce sa réputation de « briseur de grèves » et d’ennemi du prolétariat. En outre, les événements de Villeneuve-Saint-Georges offrent aux socialistes une nouvelle occasion de souligner la nécessité de la lutte des classes, et de rejeter la « république bourgeoise ». Enfin, l’échec de la grève du 3 août met un terme à la crise qui secoue la CGT depuis plusieurs mois : Victor Griffuelhes est remplacé par Léon Jouhaux à la tête du syndicat. l DREYFUS (AFFAIRE). L’erreur judiciaire commise en décembre 1894 sur la downloadModeText.vue.download 284 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
273 personne du capitaine Alfred Dreyfus ouvre, trois ans plus tard, l’une des crises les plus profondes de l’histoire de la IIIe République. Elle met au jour de graves dysfonctionnements dans les rapports entre l’armée, la justice et le pouvoir, mais contribue aussi à une recomposition de la vie politique. De nouvelles forces s’organisent, nationalistes à l’extrême droite, et socialistes à l’extrême gauche. De nouveaux acteurs, les intellectuels, entrent en scène. D’un épisode important dans l’histoire des préjugés antisémites, la tradition républicaine, reposant sur la défense des droits de l’homme, est sortie, malgré tout, renforcée. En dépit des pressions, l’État reconnaît l’innocence du capitaine, qui sera finalement réhabilité en juillet 1906. UNE AFFAIRE D’ESPIONNAGE Le 26 septembre 1894 parvient dans les bureaux de la Section de statistique (service des renseignements de l’armée) un document manuscrit déchiré (le « bordereau ») provenant de l’ambassade d’Allemagne à Paris. Cette pièce, récupérée par un agent français, Marie Bastian, employée comme femme de ménage à l’ambassade, prouve l’existence d’activités d’espionnage au profit de l’Allemagne : l’auteur du bordereau annonce la livraison de plusieurs informations concernant, notamment, l’armement français (le canon de 120) et quelques modifications stratégiques. Affecté par ces fuites, qui ne sont pas les premières, et en butte à une campagne de presse hostile, le général Mercier, ministre de la Guerre, exige que le coupable soit démasqué dans les plus brefs délais. Il oriente l’enquête en direction des officiers stagiaires de l’état-major susceptibles d’avoir fréquenté plusieurs services. Les soupçons, fondés sur les renseignements annoncés dans le bordereau, se portent sur quelques artilleurs. Hâtivement conduite, l’enquête révèle une similitude - d’ailleurs contestée par l’un des experts graphologues entre l’écriture du capitaine Dreyfus et celle de l’auteur du bordereau. Alfred Dreyfus (1859-1935), ancien élève de l’École polytechnique, est issu d’une famille de riches industriels juifs de Mulhouse ayant opté pour la nationalité française après la guerre de 1870. Brillant officier, il a complété sa formation première dans l’artillerie à l’École de guerre, avant d’être attaché à l’état-major de l’armée, en 1893, en tant que capitaine sta-
giaire. Le 15 octobre 1894, il est convoqué, pour une inspection, au bureau du chef d’étatmajor. Le commandant du Paty de Clam, responsable de l’enquête et déjà convaincu de la culpabilité de Dreyfus, lui fait écrire un texte comprenant quelques mots du bordereau. Trois nouveaux experts graphologues - parmi lesquels Alphonse Bertillon, le célèbre chef du laboratoire d’anthropologie de la Préfecture de police - pensent reconnaître une identité des écritures. L’enquête n’ayant rien éclairci des mobiles éventuels de Dreyfus, ni même ajouté l’ombre d’une preuve, le résultat de cette expertise constitue le seul élément pour accabler le capitaine. Immédiatement arrêté après l’épreuve de cette « dictée », et ayant refusé de se suicider, comme on l’y poussait, Dreyfus est incarcéré à la prison militaire du Cherche-Midi, et mis au secret. L’instruction se déroule du 7 novembre au 3 décembre 1894, sans apporter d’éléments nouveaux. En revanche, elle est l’occasion d’une très violente campagne de presse contre Dreyfus. Le colonel Sandherr, chef de la Section de statistique, décide d’étayer le dossier vide de Dreyfus en constituant un « dossier secret », dans lequel il rassemble différentes pièces susceptibles de corroborer artificiellement la « culpabilité » de l’accusé. Ce dossier, non transmis à la défense, est communiqué en toute illégalité aux juges du conseil de guerre réuni à huis clos du 19 au 22 décembre 1894, et emporte leur conviction : Dreyfus est reconnu coupable de trahison, et condamné à la déportation à perpétuité. Le 5 janvier 1895, il doit subir l’humiliante cérémonie de la dégradation dans la cour de l’École militaire : ses épaulettes sont arrachées ; son sabre, brisé. La foule massée au loin le hue aux cris de « À mort les traîtres ! À mort les juifs ! ». Le 18 janvier, il quitte la métropole pour les îles du Salut, situées au large des côtes de la Guyane. Le 13 avril, il est transféré à l’île du Diable, où il passera, dans des conditions extrêmement éprouvantes, le reste de sa détention. LA NAISSANCE D’UNE CAUSE Hormis la famille de Dreyfus, qui ne cesse de clamer son innocence, nul ne doute alors de la culpabilité du capitaine. Quitte à les inventer de toutes pièces, la presse présente les mobiles qui manquaient à cet officier patriote et trop parfait. Cependant, touché par la détresse de son prisonnier, le commandant Forzinetti, directeur de la prison du Cherche-Midi, a encouragé Mathieu, frère d’Alfred Dreyfus, à prendre langue avec Bernard-Lazare. Ce journaliste de talent, fondateur d’une revue
de tendance symboliste, est très lié à l’avantgarde littéraire et libertaire. Il est également l’auteur d’un livre, l’Antisémitisme, publié en 1894, qui entend engager le débat avec le publiciste antisémite Édouard Drumont. Mathieu Dreyfus parvient à écarter les préventions de Bernard-Lazare à l’égard de cette famille d’industriels juifs, et à le convaincre de l’innocence de son frère. Ce ralliement est alors le seul. Mathieu, aidé par BernardLazare, se heurte à l’indifférence ou à l’hostilité de la plupart des hommes publics avec lesquels il entre en contact. De futurs grands dreyfusards, tels Auguste Scheurer-Kestner, premier vice-président du Sénat, ou Jean Jaurès, sont encore loin de répondre à l’appel. En juillet 1895 survient un fait apparemment mineur, qui va se révéler être de première importance : le lieutenant-colonel Georges Picquart succède au colonel Sandherr à la tête de la Section de statistique. Chargé par Mercier de suivre les débats du procès de 1894, Picquart n’a jamais manifesté le moindre doute quant à la culpabilité de Dreyfus. Mais en mars 1896 lui parvient un « petit bleu », une lettre-télégramme déchirée en plus de trente morceaux. Après l’avoir fait reconstituer, Picquart découvre qu’un officier de l’armée française, Ferdinand Walsin-Esterhazy, entretient des contacts avec l’ambassade d’Allemagne. Il ordonne une enquête, qu’il garde secrète quatre mois durant, et finit par établir l’identité absolue entre l’écriture du bordereau et celle d’Esterhazy. S’étant fait communiquer le « dossier secret », il constate que celui-ci est constitué de pièces nulles, voire fabriquées. Durant l’été 1896, Picquart acquiert la conviction que Dreyfus est innocent. En septembre, il en informe le chef d’état-major de l’armée, le général de Boisdeffre, qui lui impose la discrétion. Picquart s’entête : en octobre, il finit par être écarté de la Section de statistique, tandis que son adjoint, le colonel Henry, qui lui est très hostile, forge un nouveau faux, afin de charger davantage Dreyfus. Le 6 novembre, Bernard-Lazare expédie, depuis Bruxelles, à 3 500 personnalités - parlementaires, écrivains et universitaires - un mémoire, la Vérité sur l’affaire Dreyfus, dans lequel il démontre l’innocence du capitaine. Le 12 novembre de l’année suivante, il récidive avec Une erreur judiciaire. L’Affaire Dreyfus. Les premiers dreyfusards, auxquels s’est finalement joint Scheurer-Kestner, disposent désormais de quelques atouts. « LA VÉRITÉ EST EN MARCHE »
Le travail de réfutation méthodique accompli par Bernard-Lazare emporte la conviction de nombreux intellectuels épris de raison et de science. L’historien Gabriel Monod, pourtant d’opinion modérée, est l’un des premiers convaincus par la critique documentaire de Bernard-Lazare. De même que Lucien Herr, le bibliothécaire socialiste de l’École normale supérieure, qui oeuvre à mobiliser le réseau normalien constitué d’élèves (Charles Péguy, Albert Mathiez, Paul Langevin) ou d’anciens élèves (Léon Blum, Charles Andler, Jean Jaurès). Le 15 novembre 1897, fort de ces nouveaux soutiens, auxquels se joignent les écrivains Émile Zola et Marcel Prévost, et grâce à des révélations extraites de la correspondance d’Esterhazy, Mathieu Dreyfus dénonce publiquement l’officier. Cependant, une enquête confiée au général de Pellieux met Esterhazy hors de cause, le 20 novembre. Le 11 janvier 1898, celui-ci est acquitté à l’unanimité par le deuxième conseil de guerre de Paris. Il sort du tribunal sous les acclamations de la foule, tandis que Picquart est arrêté sur ordre du ministre de la Guerre, et Scheurer-Kestner, écarté de la vice-présidence du Sénat. Pour les dreyfusards, la déroute est complète. Ils comprennent qu’il leur faut changer de modes d’action. Dans les milieux universitaires, dans la haute administration, parmi les artistes et les écrivains, se développe un front dreyfusard, que nationalistes et antisémites désignent sous le nom de « syndicat ». Les réseaux se structurent autour de pétitions, de revues d’avant-garde (la Revue blanche) ou de journaux (l’Aurore, le Siècle), de grandes écoles (l’École normale supérieure, l’École des chartes). Le 13 janvier 1898, dans l’Aurore, Zola publie une « Lettre au président de la République » titrée « J’accuse... ! », sur une idée de Georges Clemenceau. En quelques heures, 200 000 exemplaires du journal sont vendus. Le 18 janvier, le Conseil des ministres décide de déposer plainte contre Zola pour diffamation. Le procès est activement préparé par un petit groupe de dreyfusards. Fernand Labori, défenseur du frère et de l’épouse de l’accusé (Mathieu et Lucie Dreyfus), parties civiles dans le procès Esterhazy, accepte de plaider downloadModeText.vue.download 285 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 274 pour le célèbre écrivain. Le 7 février, le procès de Zola s’ouvre devant la cour d’assises de la Seine. Chaque jour, de violentes bagarres
éclatent aux abords du palais de justice. Les débats sont toujours tendus, et le président Delegorgue s’efforce d’éviter toute incursion dans le procès de Dreyfus de 1894, répétant régulièrement : « La question ne sera pas posée. » Mais les dreyfusards dominent ; ils se rassemblent, le 20 février, au sein de la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen, fondée par l’avocat et sénateur Ludovic Trarieux. Il n’empêche : la révélation du « faux Henry », présenté comme « une pièce d’une origine incontestée », fait soudain basculer le procès. Le jury y voit une preuve accablante, et condamne à la peine maximale - un an de prison - Zola et Perrenx, le gérant de l’Aurore. Le 2 avril, la chambre criminelle de la Cour de cassation retient un vice de forme. Le 18 juillet, Zola est une nouvelle fois assigné devant la cour d’assises de Versailles. Ne pouvant développer tous ses arguments, l’écrivain finit par quitter l’audience, et s’enfuit en Angleterre. Quelques jours auparavant, le nouveau ministre de la Guerre, Godefroy Cavaignac, a remporté un immense succès à la Chambre en révélant l’existence du « dossier secret », censé établir la culpabilité de Dreyfus. Les dreyfusards sont de nouveau vaincus. LES FORCES EN PRÉSENCE Plusieurs historiens insistent désormais sur la complexité des engagements dans l’affaire Dreyfus, et mettent en évidence la multiplicité des mobiles comme les ralliements inattendus. Ainsi, l’antisémitisme, qui, certes, tient une place importante dans le discours antidreyfusard, est bien loin d’en constituer le seul ressort. L’attachement à la patrie et à la nation s’avère prééminent. On relève même des dreyfusards de premier plan qui partagent quelques préjugés antisémites, auxquels n’adhè rent pas tous les antidreyfusards... Enfin, il convient de rappeler que l’armée ellemême compte d’ardents dreyfusards, au-delà du seul cas de Picquart. Néanmoins, l’importance des choix personnels, qui déjoue toute explication trop globale, ne doit pas masquer quelques tendances qui se dégagent nettement. L’extrême gauche socialiste s’affirme plutôt dreyfusarde, malgré les divisions entre ses dirigeants (Jules Guesde et ses partisans refusent de s’engager dans cette cause « bourgeoise » quand Jaurès devient une figure du « dreyfusisme », après avoir quelque peu hésité). En revanche, à quelques exceptions près (Yves Guyot, Henri de Kérohant, Raymond Poincaré, etc.), la droite conservatrice et modérée va dans le
sens d’une opinion publique très majoritairement antidreyfusarde. Il en est de même pour la majeure partie de l’opinion catholique, représentée par les journaux le Pèlerin ou la Croix, et pour la plupart des radicaux, hantés par le spectre d’une défaite lors des élections législatives de mai 1898. Quant à la presse, elle suit, se cantonnant dans un conformisme antidreyfusard. De même faut-il rappeler que, si l’affaire Dreyfus propulse les « intellectuels » sur le devant de la scène sociale et politique, notamment en sanctionnant une appellation qui commençait à avoir cours depuis le début des années 1890, elle contribue à opposer deux familles. Des historiens (Gabriel Monod ou Alphonse Aulard), des sociologues (Émile Durkheim ou Célestin Bouglé), des savants (Émile Duclaux, le directeur de l’Institut Pasteur, ou le chimiste Édouard Grimaux), mettent au service des droits de l’homme les valeurs de la science, dont ils sont les représentants. D’autres intellectuels, notamment ceux qui se réunissent au sein de la Ligue de la patrie française, créée en décembre 1898, dénoncent le coup que l’Affaire porte à l’armée et, donc, à la nation. Parmi ces derniers, on compte beaucoup d’écrivains reconnus (Maurice Barrès, François Coppée, Jules Lemaître, Ferdinand Brunetière), souvent membres de l’Académie française. Les avant-gardes, rassemblées en petits cénacles, comme les groupes de la Conque ou du Banquet, sont plutôt dreyfusardes. Plusieurs féministes, telle la journaliste Séverine, ont également rallié le camp des dreyfusards. LA RÉVISION Depuis « J’accuse... ! », la France s’est enflammée. Plutôt antidreyfusarde, elle suscite une certaine indignation dans la presse étrangère, souvent gagnée à la cause de Dreyfus. Cependant, plusieurs événements rendent peu à peu la révision du procès de 1894 juridiquement inéluctable. Ainsi, le 13 août 1898, la falsification opérée par Henry est-elle découverte. Cavaignac, le ministre de la Guerre, la couvre quelques jours, mais, le 30 août, il est dans l’obligation d’interroger Henry. Celui-ci avoue tout, précisant avoir agi « dans l’intérêt de son pays ». Son suicide, le lendemain, fait avancer la cause de la révision. Il faudra pourtant attendre le 27 septembre pour que la Cour de cassation soit enfin officiellement saisie. Les antidreyfusards ne désarment pas pour autant, et s’engagent dans des campagnes très
violentes, animées, notamment, par Paul Déroulède, poète et publiciste nationaliste, dirigeant de la Ligue des patriotes. Le 8 décembre, le journal antisémite la Libre Parole lance une souscription pour venir en aide à la veuve du colonel Henry, et pour édifier un monument à la mémoire de l’officier. Les commentaires qui accompagnent les dons font du « monument Henry » une illustration éclatante de l’esprit antidreyfusard. Cette campagne de grande ampleur débouche sur un succès : le 10 février 1899, les députés nationalistes votent, avec l’appoint d’une partie des radicaux et les modérés, le dessaisissement de la chambre criminelle de la Cour de cassation. La révision semble reportée une nouvelle fois. Les incohérences du gouvernement, les menaces que les nationalistes font peser sur les institutions républicaines (le 23 février, lors des obsèques du président de la République Félix Faure, qui s’était toujours montré opposé à la révision, Paul Déroulède tente, vainement, de déclencher un coup d’État), la résistance opiniâtre des juges de la chambre criminelle, conduisent à une victoire décisive des dreyfusards. Le 3 juin, la Cour de cassation rend enfin un arrêt de révision. L’accession du libéral Waldeck-Rousseau à la présidence du Conseil, le 22 juin, permet à la justice de suivre normalement son cours, grâce à une politique de « défense républicaine » qui contrecarre l’agitation nationaliste. Le 30 juin, Dreyfus rentre en France, afin d’être jugé devant un nouveau conseil de guerre réuni à Rennes. Le 7 août, le procès s’ouvre dans une ville envahie par les journalistes de la presse internationale, les témoins, les militants, les hommes politiques. Les dreyfusards ont mal préparé le procès. Les divisions s’affichent ouvertement entre les temporisateurs, qui n’aspirent qu’à la reconnaissance de l’innocence du capitaine, et ceux, plus radicaux, qui souhaitent faire de l’Affaire un moment d’approfondissement des valeurs républicaines. Les deux avocats de Dreyfus, Labori et Demange, s’affrontent même en pleine audience. Le verdict tombe le 9 septembre : Dreyfus est de nouveau reconnu coupable, mais avec des circonstances atténuantes. Il est condamné à dix ans de prison et à une nouvelle dégradation, à la plus grande indignation de la presse étrangère. Les nationalistes exultent. Les partisans du capitaine engagent alors le combat en faveur du pardon. Joseph Reinach, dreyfusard de la première heure, et premier historien de l’Affaire (Histoire de l’affaire Dreyfus), demande à Wal-
deck-Rousseau d’obtenir la grâce présidentielle. Après des tergiversations, le nouveau président de la République, Émile Loubet, accorde sa grâce à Dreyfus, le 19 septembre. Mais ce n’est pas reconnaître l’innocence de l’accusé. Aussi, un petit groupe de dreyfusards s’engage-t-il très vite dans la recherche d’un élément nouveau susceptible de relancer l’Affaire, afin d’obtenir la réhabilitation du capitaine. En avril 1903, Jaurès prononce un discours important à la Chambre qui contraint le gouvernement à rouvrir une enquête. La Cour de cassation est une nouvelle fois saisie. Une longue procédure judiciaire s’ensuit. Il faudra attendre le 12 juillet 1906 pour que cette cour reconnaisse, en séance publique, que « de l’accusation portée contre Dreyfus rien ne reste debout », et réhabilite l’officier. Celui-ci est promu chef d’escadron (mais la durée de sa déportation n’est pas comptée comme ancienneté), et décoré de la Légion d’honneur dans la petite cour de l’École militaire, le 20 juillet. L’affaire Dreyfus constitue un moment clé dans l’histoire de la France contemporaine. Son étude permet de dégager les forces intellectuelles, sociales et politiques qui jouent désormais un rôle nouveau dans la société française. L’enjeu dépasse largement le sort personnel du capitaine : l’affaire Dreyfus traduit une crise globale de la République à la fin du XIXe siècle, à la fois politique, sociale et culturelle. La réhabilitation du capitaine n’y a pas mis un terme : les failles révélées par l’épisode n’ont peut-être pas fini de travailler la société française. l DROITE. À l’époque révolutionnaire, le mot « droite », dans son usage politique, appartient au seul vocabulaire parlementaire - désignant le côté droit de l’Assemblée, où siègent les adversaires de la Révolution. Progressivement, les termes de « droite » et downloadModeText.vue.download 286 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 275 de « gauche » en sont venus à désigner en France (puis dans bien d’autres pays) les deux grandes tendances opposées de l’opinion. Après 1820, avec l’opposition frontale entre ultras et libéraux, l’emploi du mot « droite » devient plus courant. Mais, associée à l’idée d’opposition antirépublicaine, l’appellation
acquiert une connotation péjorative et cesse d’être revendiquée au XXe siècle par les « modérés ». Les gaullistes refusent d’être classés à droite. C’est dans la lutte, durant les années quatre-vingt, contre la gauche au pouvoir que l’identité de droite est à nouveau assez volontiers assumée. LES DROITES DU XIXe SIÈCLE En 1954, l’historien René Rémond a identifié trois courants distincts dans la droite française. Usant d’une terminologie empruntée au XIXe siècle, il les a baptisés « légitimiste », « orléaniste » et « bonapartiste ». • Légitimisme ou traditionalisme. Dès la fin de 1788, les « aristocrates », hostiles à l’égalité des droits, s’étaient dressés contre les « patriotes ». Ils se retrouvent à droite dans l’Assemblée constituante, et forment alors le noyau d’un parti contre-révolutionnaire. Ils sont à l’origine de l’ultraroyalisme de la Restauration. Presque toujours au pouvoir de 1820 à 1830, les ultras, qui se désignent eux-mêmes simplement comme « royalistes », s’inspirent des idées de Joseph de Maistre et Louis de Bonald. Jugeant la Révolution destructrice, déchaînée au nom d’une raison abstraite contre un ordre naturel et providentiel, ils souhaitent une restauration religieuse (l’Église catholique doit recouvrer son magistère spirituel), sociale (l’individualisme s’effacera devant les communautés hiérarchiques) et politique (Dieu a conféré la souveraineté au roi, qui gouverne sans être soumis à une Constitution écrite artificielle). Ce courant s’appuie sur des forces puissantes : majorité de la noblesse et du clergé ; fraction la plus conservatrice de la bourgeoisie ; classes populaires de certaines régions (les campagnes de l’Ouest, surtout) traumatisées par la Révolution. Mais il se heurte aussi à une vigoureuse opposition, et ses imprudences provoquent les journées de juillet 1830. Si elle perd alors - et définitivement - le pouvoir, cette tendance traditionaliste conserve une influence : jusqu’aux années 1880, en effet, les légitimistes (les « blancs ») restent une force politique importante, capable, en mai 1849 et février 1871, d’obtenir de bons résultats électoraux au suffrage universel. L’intransigeance du prétendant au trône, le comte de Chambord - qui refuse, avec le drapeau tricolore, la « société moderne » -, puis sa mort sans héritier direct, en 1883, provoquent cependant le déclin du parti. Sa survie idéologique au cours des décennies suivantes n’en est que plus remarquable. La doctrine traditionaliste continue d’inspirer une partie du clergé et des fidèles. Le positivisme conservateur propagé par Taine et ses disciples lui apporte un fondement « scien-
tifique ». C’est dans cette perspective que, vers 1900, Charles Maurras réalise la synthèse d’un légitimisme rénové et du nationalisme : la France n’échappera au déclin qu’en renonçant à la République, règne de l’étranger, pour revenir enfin à sa constitution naturelle, la monarchie héréditaire, catholique, décentralisée, corporative. Certes, l’Action française (ligue et journal) n’influence directement qu’une minorité aristocratique, intellectuelle et petite-bourgeoise, volontiers activiste. Mais plusieurs de ses thèmes sont familiers à nombre de catholiques militants, même ralliés à la République. Ainsi, au début du XXe siècle, le premier parti de masse de la droite française, l’Action libérale populaire, propage une version traditionaliste de la doctrine sociale de l’Église. • Orléanisme ou libéralisme conservateur. À cette époque, cependant, les principales forces de droite sont ailleurs, et d’abord dans le courant libéral conservateur, héritier de l’« orléanisme ». Il trouve lui aussi son origine à la fin du XVIIIe siècle : dès 1789, des nobles éclairés et des membres du tiers état (les monarchiens), inquiets des excès populaires, ont souhaité un compromis « à l’anglaise » avec l’Ancien Régime. Ce libéralisme, méfiant à l’égard de la démocratie, se retrouve, nuancé, chez les feuillants après la fuite du roi, et chez nombre de républicains thermidoriens et de royalistes modérés à l’époque du Directoire. Sous la Restauration, les libéraux de toutes nuances (le parti « bleu », fidèle aux principes de 1789) s’unissent afin de contrer les tentatives de revanche des ultras : ils sont alors à gauche ou au centre gauche. La révolution de juillet 1830, avec l’avènement de Louis-Philippe d’Orléans, est leur victoire. Mais ils se divisent quant aux suites à lui donner. Ceux qui restent à gauche (le parti du Mouvement) souhaitent poursuivre le processus réformateur issu de 1789, tandis que la majorité des orléanistes (le parti de la Résistance) est désormais située à droite, et gouverne de 1831 à 1848. Ses théoriciens, tel Guizot, justifient l’avènement de la « classe moyenne » : ouverte aux ralliés venus de la noblesse comme aux capacités sorties du peuple, elle leur paraît être la plus apte à concevoir et à faire prévaloir l’intérêt général. Dans la pratique, la ploutocratie, symbolisée par un cens très restrictif, l’emporte sur la méritocratie. L’orléanisme conservateur s’appuie sur une partie de la noblesse libérale et, plus encore, sur toute une haute et moyenne bourgeoisie de la propriété foncière et des affaires. Ce système, fondé sur les notables, s’effondre néanmoins en février 1848. Confrontés au
péril « démocratique et social », presque tous les orléanistes s’unissent aux légitimistes dans le parti de l’Ordre, sans pouvoir reprendre le contrôle de la situation. Leurs chefs sont condamnés à rejoindre l’opposition au début du Second Empire, alors que le gros de leurs troupes est séduit par ce régime, qui assure l’ordre et l’expansion économique. Mais lorsque l’Empire se libéralise, nombreux sont ceux qui, rassemblés dans le « tiers parti », sont prêts à se rallier à lui. Après 1870, une partie d’entre eux, avec Thiers, se rallie à la République pour l’empêcher de glisser vers le radicalisme ; d’autres, autour du duc de Broglie, préfèrent, comme en 1848, l’alliance légitimiste pour préparer une hypothétique restauration. Après leurs défaites de 1876-1877, ces tenants de l’Ordre moral s’affaiblissent peu à peu, certains allant jusqu’à abandonner leur identité libérale pour se rapprocher du nationalisme. Mais le courant libéral conservateur se survit sous une autre forme. Face à la montée de l’extrême gauche, les républicains « progressistes » des années 1890 deviennent avant tout des défenseurs de l’ordre établi. Dès l’affaire Dreyfus, certains d’entre eux se rapprochent de la droite catholique ralliée. Presque tous refusent ensuite l’anticléricalisme virulent du Bloc des gauches et s’opposent à l’impôt sur le revenu. À la veille de la Première Guerre mondiale, la Fédération républicaine est nettement orientée à droite. L’Alliance démocratique, incontestablement républicaine et laïque, mais avant tout hostile au « collectivisme », prend place au centre droit. • Bonapartisme et nationalisme. Comme l’orléanisme, le bonapartisme a d’abord été situé à gauche. Bonaparte, soldat de la République, lié à des notables bénéficiaires de la Révolution, n’est assurément pas un « blanc ». Il combat les royalistes qui refusent de se rallier au régime impérial. Même quand ce dernier évolue vers une monarchie absolue, le système politique n’équivaut pas à une restauration de l’Ancien Régime. D’ailleurs, revenu de l’île d’Elbe (mars 1815), Napoléon apparaît avant tout comme le défenseur de l’héritage de 1789. Sous la monarchie de Juillet, les valeurs bonapartistes sont, à part le culte de l’autorité, proches de celles du parti du Mouvement : gloire nationale, attachement au legs de la Révolution, condamnation de l’exclusivisme professé par le parti de la Résistance. Pour élire Louis Napoléon Bona-
parte président de la République en décembre 1848, les « rouges », qui voient en lui un César populaire, mêlent leurs voix à celles des « bleus » et des « blancs ». Si Louis Napoléon Bonaparte collabore ensuite avec le parti de l’Ordre, il cherche aussi à s’en dissocier. Mais son coup d’État de décembre 1851 ne peut réussir qu’en brisant la résistance républicaine. Acclamé comme un sauveur par la grande majorité des bourgeois et des paysans et par le clergé, Napoléon III incarne désormais un centre droit autoritaire. Privilégiant les rapports directs entre le chef providentiel, qui abaisse le Parlement, et le peuple par la pratique du plébiscite, le bonapartisme entend dépasser les oppositions stériles des classes et des partis pour mieux assurer le bonheur des Français et la gloire de la France. Il s’oriente in fine vers un compromis avec l’orléanisme. Mais il ne se relèvera pas du désastre de 1870. Abandonné par les notables, il perd aussi peu à peu les solides appuis qu’il avait acquis dans le monde paysan. Contre les républicains victorieux, il s’allie aux conservateurs, et glisse de plus en plus vers la droite. À la fin du siècle, il ne constitue plus une force politique à l’échelon national mais une survivance localisée. Mais, comme les autres droites, il n’est pas sans postérité. Il a été, en effet, relayé par le nationalisme antiparlementaire, dans le sillage du général Boulanger, de Déroulède et de Barrès. Certes, le nationalisme se distingue du bonapartisme : le sentiment dynastique a disparu ; l’antisémitisme et l’antimaçonnisme jouent un rôle grandissant ; les adhérents sont issus des classes moyennes et du peuple des villes plutôt que de la paysannerie. Pourtant, les ressemblances entre les deux mouvements sont évidentes : même appel à l’homme fort, censé chasser les parlementaires inefficaces et downloadModeText.vue.download 287 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 276 corrompus, rassembler les Français sans distinction de classe et préparer « la revanche » contre l’Allemagne. Ce « national-populisme » se structure volontiers en ligues. Ces dernières sont néanmoins très diverses : il y a loin du légalisme conservateur de la Ligue de la patrie française à l’activisme de la Ligue des patriotes et à l’extrémisme violent de la Ligue antisémitique ou du syndicalisme « jaune », où certains historiens, tel Zeev Sternhell, ont pu déceler les prémices du fascisme. Tout
bien pesé, c’est pourtant l’héritage bonapartiste qui est le plus évident. L’ÉVOLUTION DES DROITES AU XXe SIÈCLE Les trois grandes traditions de droite présentes à la Belle Époque ont-elles survécu aux bouleversements du XXe siècle ? En 1914-1918, la République a su réaliser l’union nationale et gagner la guerre : la mise en question du régime par les monarchistes paraît désormais hors de saison. Le loyalisme patriotique de l’Église, la « fraternité des tranchées » ont atténué les méfiances et les haines entre catholiques et anticléricaux : malgré de nombreuses récurrences, la « question religieuse » perd une partie de son acuité. Dans un contexte international d’extrêmes tensions, la politique extérieure devient une préoccupation essentielle, et elle le restera après 1945. Enfin, avec la révolution russe de 1917, la « question sociale », déjà très présente dans la seconde moitié du XIXe siècle et à la veille de 1914, suscite de très vifs débats. Ces changements dans la hiérarchie et la nature même des enjeux ont des répercussions sur les forces politiques en présence. • Survivance du traditionalisme. Dominé désormais par Charles Maurras, le courant traditionaliste de la droite s’est maintenu. Bien qu’affaiblie par la condamnation pontificale (1926), l’Action française repart très vite à l’assaut du régime. Durant la crise des années trente, les idées maurrassiennes contribuent à saper la confiance qu’une partie des élites avaient en la République. Avec le catholicisme social conservateur, ces idées inspireront le régime de Vichy : répudiation de l’individualisme et du parlementarisme, exaltation de la famille et des valeurs agrariennes, corporatisme, faveurs accordées à l’Église, culte du chef, antisémitisme. Tous ces principes, mis en oeuvre par le maréchal Pétain, comblent l’attente des traditionalistes. Mais, solidaire de l’Allemagne dans la lutte contre le « bolchevisme » et contre la Résistance, la droite vichyste est entraînée dans la défaite du IIIe Reich. Elle connaît cependant des résurgences à la faveur des guerres coloniales, de l’opposition à l’aggiornamento de l’Église et, surtout, de la crise de la fin du XXe siècle. • Vigueur du libéralisme. La droite libérale, a contrario, s’est maintenue au premier plan. En 1919, elle s’est présentée en continuatrice de l’« union sacrée » pour gagner la paix, relever le pays et le « sauver du bolchevisme », et a pu ainsi accueillir une partie des radicaux dans le Bloc national (1919-1924), qu’elle
a dominé. Après la victoire du Cartel des gauches en 1924, Raymond Poincaré revient au pouvoir dès 1926. Dans les années trente, l’Alliance démocratique et la Fédération républicaine, sans jamais être majoritaires (la droite, dans son ensemble, obtient environ 45 % des voix), jouent un rôle important au pouvoir ou dans l’opposition. Bien implantées dans la bourgeoisie et la paysannerie, ces forces politiques sont attachées à l’orthodoxie économique et budgétaire, et ne manquent pas de condamner les « folies » du Front populaire. Unanimes contre le bolchevisme, elles sont divisées jusqu’en 1939 face à l’Allemagne nazie, et de 1940 à 1944 face au régime de Vichy. L’après-guerre, placé sous le signe du changement, est d’abord désastreux pour la droite classique, qui, discréditée par l’engagement pétainiste de certains de ses membres, tombe à quelque 15 % des voix, nombre de ses électeurs lui ayant préféré le MRP démocrate-chrétien. C’est ensuite une renaissance entrecoupée de rechutes. Grâce à une conjoncture à nouveau favorable (la guerre froide, le retour progressif à la liberté économique, bientôt la rupture entre SFIO et MRP), les libéraux, rassemblés depuis 1949 dans le Centre national des indépendants, redeviennent de 1951 à 1956 une composante indispensable de la majorité parlementaire. Victorieux en 1958, dans le sillage du gaullisme, ils se divisent ensuite face à celui-ci : en 1962, tandis que le CNI, hostile à l’indépendance algérienne et au « pouvoir personnel » du chef de l’État, prend ses distances et s’engage dans une voie de plus en plus conservatrice, d’autres, réunis autour de Valéry Giscard d’Estaing, restent dans la majorité, qu’ils voudraient plus européenne et plus libérale. Ils finissent par remporter de grands succès : élection de leur leader à la présidence de la République en 1974 ; désignation de Raymond Barre comme Premier ministre en 1976 ; naissance d’une organisation plus structurée, le Parti républicain, en 1977 ; rassemblement à ses côtés de groupements issus de la démocratie chrétienne (le Centre des démocrates sociaux) et du radicalisme dans l’Union pour la démocratie française (UDF) en 1978. Il s’agit alors de prendre appui sur le « groupe central à vocation majoritaire » apparu dans la société pour mettre en oeuvre un « libéralisme avancé » à contenu social. En fait, l’UDF se heurte à la concurrence néogaulliste et ne séduit guère plus d’un Français sur cinq. Valéry Giscard d’Estaing ayant perdu la présidence en 1981, on assiste ensuite à un net rapprochement avec le
RPR sur la base d’une commune hostilité au « socialisme » et d’une évolution vers l’ultralibéralisme économique. Mais, en raison de la faiblesse de ses structures et de son recrutement militant, l’UDF reste moins puissante que son allié et rival. Et ce d’autant plus qu’en 2002, une partie de l’UDF, Démocratie libérale, rejoint le RPR pour fonder l’UMP (Union pour un mouvement populaire), tandis que le Parti radical, autre composante de l’UDF, a un statut de membre associé. • Du nationalisme au gaullisme. Ce dernier est-il l’héritier de la droite autoritaire, aux lointaines origines bonapartiste ? Cette droite s’est incarnée entre les deux guerres dans de multiples formations, dont la crise des années trente a favorisé l’activité. Elles ont évolué dans deux directions différentes : d’une part, une radicalisation qui a pu, dans certains cas, aller jusqu’au fascisme (tel fut le cas de la Solidarité française, du Francisme ou du Parti populaire français de Jacques Doriot) ; d’autre part, un ralliement à l’action légale et électorale, qui caractérise avant tout les Croixde-Feu du colonel de La Rocque, transformés en 1936 en Parti social français (PSF). La thématique de ce parti l’apparente à un nationalpopulisme modéré. Son succès a contribué à l’échec du fascisme en France. L’adhésion au vichysme et à la Collaboration d’une bonne partie de la droite extrême a entraîné sa quasi-disparition en 1945. Il lui faudra dès lors plusieurs décennies pour se reconstituer. Mais l’année 1947 a vu l’apparition d’une force bien différente : le gaullisme. Patriote avant tout, démocrate, mais homme d’autorité, le général de Gaulle a exposé ses idées constitutionnelles dans son discours de Bayeux dès juin 1946. Le Rassemblement du peuple français (RPF), parti de masse fondé l’année suivante pour les faire prévaloir, a compté plus de 400 000 adhérents. Certains historiens ont pu y voir une ressemblance avec le PSF d’avant-guerre. Il n’a pas mieux réussi que ce dernier : la consolidation de la « troisième force », à laquelle il s’oppose, a enrayé sa progression ; et le retour de la droite libérale a provoqué son éclatement. Ce n’est qu’en 1958 que le général de Gaulle, revenu à la tête de l’État, a pu créer un régime nouveau. Celui-ci présente des traits « bonapartistes » : renforcement de l’exécutif entre les mains d’un homme qui, à partir de 1962, devra être l’élu direct du peuple et peut, dans certains cas, retremper sa légitimité par
voie de référendum ; gouvernement dépendant à la fois du président de la République et d’un Parlement aux pouvoirs limités. Chef charismatique, de Gaulle fait appel à l’unité nationale, par-delà les querelles des partis, et proclame sa volonté de réaliser le progrès social par l’union des classes, aspirant ainsi à suivre une troisième voie entre libéralisme et marxisme. Le maintien d’un régime politique de type parlementaire et le respect des libertés fondamentales suggèrent un rapprochement avec la période « libérale » du Second Empire. Le gaullisme, par ailleurs, s’appuie sur un parti organisé : l’UNR, puis l’UDR. Malgré la présence d’une aile gauche, on peut le situer clairement à droite, où il trouve ses seuls alliés fidèles, les Républicains indépendants. Après le départ du Général, qui avait su attirer à lui une partie de l’électorat de gauche, une évolution conservatrice est perceptible sous la présidence de Georges Pompidou. Elle est suivie, à partir de 1974, d’un rééquilibrage de la droite, au détriment du gaullisme : malgré la création, en 1976, par Jacques Chirac, d’un parti de masse très solidement structuré (le RPR), le mouvement gaulliste n’obtient désormais guère plus de 22 % des voix aux élections législatives. Passé en 1981 d’une demiopposition au giscardisme à un affrontement direct avec la gauche au pouvoir, le RPR se rallie au libéralisme économique, paraissant abandonner la « troisième voie » gaulliste. Au cours des années quatre-vingt-dix, enquêtes et sondages montrent que ses militants et ses électeurs sont globalement plus conservateurs que ceux de l’UDF. Des hommes tels que Philippe Séguin et Jacques Chirac ont cherché downloadModeText.vue.download 288 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 277 par la suite à réaffirmer la vocation sociale du mouvement gaulliste. Dans le but de renouer avec une grande formation populaire, allant de la droite au centre, le RPR avec une partie de l’UDF cède la place à l’UMP en 2002. Conçue à l’origine comme un mouvement destiné à soutenir Jacques Chirac, l’UMP est depuis 2004 dirigée par Nicolas Sarkozy. Depuis les années cinquante, c’est pour l’essentiel en dehors du gaullisme et souvent contre lui que s’est affirmée la tendance la plus dure du national-populisme. Le mouvement Poujade est à la fois antifiscal et violemment antiparlementaire. Au nom de l’Algérie française, des militaires tentent un coup d’État
(1961), et les hommes de l’Organisation armée secrète (OAS) pratiquent un activisme qui les mène à l’organisation d’attentats terroristes. Leur échec en 1962 réduit alors l’extrême droite, pour deux décennies, à une existence groupusculaire. Mais, à partir de 1983-1984, le rejet violent par une partie de l’opinion de l’expérience socialiste ou, au contraire, les déceptions que celle-ci a provoquées, et surtout la persistance d’une crise que ni la gauche ni la droite modérée ne parviennent à juguler lui ont ouvert un espace politique. En exploitant les thèmes de l’immigration, de l’insécurité, de l’identité française menacée, en mettant en avant ses projets de « préférence nationale », le Front national de Jean-Marie Le Pen parvient, avec des scores de 10 à 15 % des voix, à s’imposer comme une composante stable de la vie politique. Il obtient de grands succès dans l’ancienne clientèle « poujadiste » des PME, mais plus encore parmi les employés, les ouvriers et les chômeurs. S’il ne s’agit pas de fascisme, son appartenance au « nationalpopulisme » ne fait pas de doute. PERSISTANCE DES CLIVAGES ? On peut, en conclusion, évoquer trois grands problèmes. Celui de la persistance du clivage droite-gauche, tout d’abord. On annonce son effacement en invoquant l’effondrement des idéologies « totalisantes », ainsi que les contraintes de l’économie mondialisée qui limitent la liberté des choix politiques. Mais, même si c’est parfois avec scepticisme, la grande majorité des Français continuent de s’inscrire dans le cadre de l’affrontement droite-gauche : la plupart des élections révèlent, surtout au second tour, la persistance de cette bipolarisation. On a, d’autre part, remis en cause la tripartition de la droite française. Jean Touchard et Jean Charlot, l’un et l’autre fins connaisseurs du gaullisme, ont ainsi contesté son rattachement au « bonapartisme ». Certes, des nuances s’imposent. L’influence relative des trois grands courants a changé. Le « légitimisme » est devenu résiduel. Le rapprochement, depuis le début des années quatre-vingt, du libéralisme conservateur d’ascendance « orléaniste » et du gaullisme aux lointaines affinités « bonapartistes » est incontestable. La division de la droite autoritaire, déjà notée par René Rémond, entre une tendance plutôt conservatrice et une autre plus violemment protestataire se concrétise dans l’opposition actuelle entre le néogaullisme et le Front national. Mais, globalement, la cohérence et la valeur explicative de la
théorie des « trois droites » paraissent peu contestables à nombre d’historiens et de politologues. Enfin, une évolution du rapport des forces entre droite et gauche a marqué les deux siècles de leur existence. La Révolution a été une défaite de la droite traditionaliste, dont la revanche n’a guère duré qu’une dizaine d’années (1820-1830). Ce sont l’orléanisme puis le bonapartisme qui lui ont succédé de 1830 à 1870-1848 n’ayant été qu’une parenthèse. De la crise du 16 mai 1877 (quand les tenants de l’Ordre moral sont remplacés par des républicains) jusqu’à la Première Guerre mondiale, les droites sont restées minoritaires et écartées du pouvoir, si l’on excepte quelques années de gouvernement des « progressistes ». L’entredeux-guerres leur a été plus favorable : alliées ou non aux radicaux, elles ont dominé durant une quinzaine d’années sur vingt. À partir de 1946, et sauf à quatre reprises (1956, 1981, 1988, 1997), elles ont été toujours majoritaires dans le corps électoral. Très solidement implantées dans les classes dirigeantes, la paysannerie, les classes moyennes non salariées, elles peuvent en effet s’appuyer aussi sur une minorité appréciable des salariés non manuels et même de la classe ouvrière. droit naturel, théorie philosophique et juridique. L’idée de droit naturel est probablement aussi ancienne que la pensée juridique et philosophique. On la trouve déjà chez les stoïciens et chez saint Thomas d’Aquin, mais on admet généralement que c’est aux XVIe et XVIIe siècles, dans la lignée de Grotius (1583-1645) et de Pufendorf (1632-1694), que se produit une rupture épistémologique fondamentale entre le droit naturel théologique et le droit naturel laïc et moderne. À l’origine de l’école du droit naturel (ou jusnaturalisme), il y a la conviction qu’une loi non écrite, supérieure au droit humain positif, et compréhensible par la raison, s’impose à tous les hommes. Le droit naturel est cette loi universelle qui ne peut se réduire ni aux commandements divins ni aux lois civiles de chaque société humaine. Ainsi, Grotius écrit : « Le droit naturel consiste dans certains principes de la Droite Raison, qui nous font connaître qu’une action est moralement honnête ou déshonnête, selon la convenance ou la disconvenance nécessaire qu’elle entretient avec une nature raisonnable et sociable » (De jure belli ac pacis, 1625). La nature est source de principes, et détermine aussi ceux de la morale et de l’ordre politique. Le droit
naturel est donc le référent auquel doivent se mesurer les actions des hommes et leurs institutions sociales et politiques pour éprouver leur caractère juste ou injuste. Parce qu’il est supérieur au droit civil, il est donc un formidable instrument de critique philosophique. Il confère ainsi une nouvelle légitimité théorique à l’idée de contrat social entre les gouvernants et les gouvernés, de même qu’il justifie le droit de résistance à l’oppression lorsque les droits naturels des hommes sont bafoués. L’idée de droit naturel influence en profondeur la pensée politique du XVIIe siècle, et notamment celle de Locke. Au XVIIIe siècle, l’interprétation du droit naturel donnée par Grotius et Pufendorf est l’objet de vives critiques de la part des philosophes des Lumières : Rousseau s’éloigne du droit naturel, tandis que d’autres, tel Mably, radicalisent les conclusions des fondateurs du jusnaturalisme. De ce débat, souvent complexe, émerge néanmoins l’idée qu’il existe des droits inhérents à l’homme, que la société civile a pour devoir de garantir. C’est là l’origine des « droits naturels, inaliénables et sacrés » proclamés dans les Déclarations des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de 1793. droit romain, droit de l’Empire romain rassemblé dans de grandes compilations par les empereurs Théodose Ier le Grand (379/394) et Justinien Ier (527/565), et dont la redécouverte en Europe, à partir du XIIe siècle, transforme profondément les structures juridictionnelles et institutionnelles de la société médiévale. • L’abandon progressif du droit romain. L’effondrement de l’État romain et l’essor de l’aristocratie en Gaule franque entre le VIe et le VIIIe siècle entraînent l’effacement du droit public et l’oubli des textes juridiques impériaux. Toutefois, dans les régions fortement romanisées telles que le royaume de Burgondie, l’Aquitaine, la Septimanie wisigothique ou la Provence, des éléments du Code théodosien sont repris par les législations barbares (Loi romaine des Burgondes, Bréviaire d’Alaric), et continuent à être utilisés. Par l’édit de Pîtres (864), le roi carolingien Charles II le Chauve reconnaît d’ailleurs le droit romain - qui est encore appliqué par les tribunaux publics en Provence aux VIIIe et IXe siècles - comme prépondérant dans le Midi. Cependant, les troubles des IXe et Xe siècles finissent par faire disparaître, à leur tour, ces survivances méridionales du droit romain.
• La redécouverte du droit romain. Dans la seconde moitié du XIe siècle, des manuscrits de la législation justinienne - que l’Occident n’avait jamais connue - sont retrouvés en Italie du Nord. Vers 1070, un premier enseignement, fondé sur le commentaire de ce que l’on appelle bientôt le corpus juris civilis (à savoir le Code, le Digeste, les Institutes, les Novelles), est attesté à Bologne. En un siècle, étudiants et maîtres diffusent l’enseignement du nouveau droit en Languedoc et en Provence. À la fin du XIIe siècle, l’école de Montpellier apparaît comme la plus réputée hors d’Italie. Parallèlement, le droit romain commence à être appliqué par les juridictions des communes urbaines méridionales, qui, à l’exemple des cités italiennes, prennent le nom significatif de « consulats ». L’Église se montre d’abord réticente devant ce qu’elle considère comme une législation concurrente du droit canonique : ainsi, l’enseignement du droit romain est prohibé à l’Université de Paris en 1219 ; mais elle finit par en adopter rapidement certains éléments, telle la procédure inquisitoire, utilisée systématiquement par l’Inquisition à partir des années 1230. Dès la seconde moitié du XIIIe siècle, le droit romain commence aussi à influencer la justice royale, et accompagne les progrès réguliers de celle-ci tout au long des XIVe et XVe siècles, aux dépens des juridictions ecclésiastiques, urbaines ou seigneuriales. Au début du XVIe siècle, les principes du droit romain sont downloadModeText.vue.download 289 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 278 appliqués dans tout le royaume dans le domaine du droit pénal. En outre, dans les régions méditerranéennes, ils imprègnent le droit privé. • Les effets de la diffusion du droit romain. Cette diffusion assure tout d’abord le renouveau du droit public, qui définit strictement les prérogatives de l’État, et sert ainsi de fondement à l’affermissement des pouvoirs princiers et royaux à partir du XIIIe siècle, aux dépens des juridictions privées. De plus, l’adoption de la procédure inquisitoire, procédure pénale d’origine romaine, confère à la puissance publique l’initiative de l’enquête et du jugement. De même, la promotion de la théorie de l’exemplarité des peines fait de la justice la garante de l’ordre public, et non plus seulement l’instance de règlement de contentieux privés. Par ailleurs, la définition du crime de majesté (« crime contre l’État », dans l’Antiquité romaine) est étendue, dès le XIIIe siècle, à tout attentat contre la personne
du roi, et, rapidement, aux crimes blasphématoires (sacrilège, hérésie, sorcellerie). Cette confusion volontaire renforce l’autorité de la monarchie sacrée. Le droit romain modifie également certaines pratiques du droit privé, notamment dans les régions méridionales. Ainsi, à partir du XIIe siècle, il est à l’origine de la diffusion du testament, et contribue à affermir l’autorité paternelle et maritale aux dépens des enfants, et surtout de l’épouse, dont la situation économique et sociale se détériore considérablement à partir du XIIIe siècle. Enfin, la propagation du droit romain favorise l’essor du notariat dans le Midi, et du monde des juristes dans tout le royaume. Aux XIVe et XVe siècles, les juristes formés aux universités d’Orléans, de Montpellier ou de Toulouse sont de plus en plus nombreux à siéger dans les cours juridictionnelles et à conseiller les princes et le roi. Ainsi, la redécouverte et la diffusion du droit romain contribuent à la naissance de l’État moderne et de la « monarchie administrative ». droits de l’homme (Ligue des), ligue née en février 1898, en pleine affaire Dreyfus, et officiellement constituée en juin. Au cours du procès d’Émile Zola, Ludovic Trarieux, sénateur républicain modéré, ancien garde des Sceaux, propose à quelques amis, intellectuels et hommes politiques, de fonder une ligue pour « la sauvegarde des libertés individuelles ». Celle-ci devient le fer de lance du combat dreyfusard, et se fixe pour but, par-delà la réhabilitation de Dreyfus, la défense de la République et de ses valeurs fondamentales. Cénacle de réflexion et d’organisation de lutte, elle définit alors des objectifs qui constituent la base de tous ses engagements ultérieurs : l’application vigilante des principes contenus dans les Déclarations de 1789 et de 1793, la défense des personnes victimes de l’arbitraire, la promotion de l’État de droit. À l’issue de l’affaire Dreyfus, elle compte près de 50 000 membres. Elle inscrit son combat dans la thématique radicale de séparation des Églises et de l’État, et intervient pour dénoncer les conseils de guerre, ainsi que les procès intentés aux syndicalistes lors des grèves des années 1910. La période de l’entre-deux-guerres et la présidence de Victor Basch marquent l’apogée de la Ligue des droits de l’homme, forte de
180 000 adhérents en 1933. Délaissée par les communistes en 1923, elle est traversée par les tensions qui opposent radicaux et socialistes. De plus en plus proche de la SFIO, elle constitue l’un des piliers du Rassemblement populaire de 1935-1936. En 1940, parce qu’elle défend les idéaux démocratiques, elle est l’une des premières cibles des nazis, qui ravagent son siège parisien. Nombre de ses membres se retrouvent dans la Résistance, et Victor Basch est assassiné par la Milice en janvier 1944. Après la guerre, ajoutant à ses références la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Ligue engage la lutte contre les méfaits de la colonisation : dénonciations de la répression de Sétif en 1945, des procès de Madagascar en 1947, de la torture et de la censure lors de la guerre d’Algérie. Elle milite pour la défense de l’école laïque et pour les soldats ou les citoyens victimes de l’appareil d’État. En outre, elle se montre vigilante lorsque les progrès techniques menacent les individus. Elle dénonce, dès 1949, les camps de travail en Union soviétique, et, au cours des décennies suivantes, les dictatures d’Amérique latine, l’apartheid en Afrique du Sud, l’intégrisme en Iran, le totalitarisme chinois. Ayant soutenu le candidat Mitterrand à l’élection présidentielle en 1981 et 1988, la Ligue, réduite à une dizaine de milliers d’adhérents, se mobilise, dans les années 1990, pour la défense du droit d’asile, des étrangers résidant en France, et contre le racisme. droits de l’homme (Société des), société politique républicaine née en 1833 d’une section des Amis du peuple. Animatrice de l’opposition à la monarchie de Juillet, la Société des droits de l’homme est composée de groupes réduits afin d’échapper à la répression. Ses revendications s’inscrivent dans la tradition jacobine, à laquelle se réfère son manifeste, publié dans le journal la Tribune du 22 octobre 1833. Ce texte reflète également la pénétration des idées socialistes à la suite des émeutes de juin 1832, prônant la limitation du droit de propriété, l’organisation du travail, l’introduction d’un impôt progressif, des interventions de l’État dans tous les domaines. Le mouvement s’implante surtout dans l’est de la France, particulièrement en Alsace et dans la région lyonnaise. Bientôt dissous, il doit se transformer en société secrète et subit les poursuites du ministre de l’Intérieur, Adolphe Thiers, qui fait arrêter 150 de ses dirigeants en avril 1834. La société est décapitée, même si certains de ses militants participent au soulèvement parisien du
13 avril, qui s’achève par le massacre de la rue Transnonain. droits de l’homme et du citoyen (Déclaration des), texte adopté par l’Assemblée nationale constituante le 26 août 1789, et énonçant les droits et devoirs de tout citoyen. Placée en tête de la Constitution de 1791, cette déclaration fondatrice est reprise en préambule des Constitutions de 1946 et de 1958. • Une généalogie complexe. En 1902, un vif débat oppose Émile Boutmy, fondateur de l’École libre des sciences politiques, au grand juriste allemand Georg Jellinek. Ce dernier prétend retracer la généalogie de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : elle serait fille des premières déclarations américaines, elles-mêmes enfantées par la Réforme protestante. Dans un contexte de rivalité intellectuelle franco-allemande, cette interprétation provoque un tollé : Jellinek tente de démontrer que les « droits de l’homme », dont la IIIe République française est si fière, sont issus de la Réforme, fruit de l’esprit allemand et des premières affirmations de la liberté de conscience. Boutmy réplique alors, non pas en attaquant le modèle protestant - auquel il est attaché -, mais en réaffirmant l’originalité radicale de la Déclaration française, universelle, au regard de ses devancières américaines. Cette polémique illustre au plus haut point l’un des rôles historiques des droits de l’homme : ils ont pris forme à travers un corpus de textes dont les origines sont extrêmement diverses, et dont la force de légitimité joue pleinement dans l’affirmation politique des démocraties occidentales. La quête des origines, les filiations, les oublis, les contournements et les résurgences : autant de formes possibles pour l’étude des genèses contrastées des droits de l’homme ont ainsi agité périodiquement les milieux intellectuels occidentaux depuis le XIXe siècle. Les généalogies défendues par Jellinek et Boutmy peuvent être à la fois confirmées et contestées. Elles peuvent également être concurrencées par d’autres. Stéphane Rials (la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1988), en posant à l’Ancien Régime religieux et monarchique la question : « L’homme a-t-il des droits face à Dieu et face au roi ? », soutient ainsi, textes à l’appui, que les racines de la Déclaration des droits de l’homme plongent jusqu’aux écrits théologiques de la fin du Moyen Âge, puis jusqu’au coeur des problématiques de la Contre-Réforme catholique du XVIIe siècle. En rencontrant les Indiens des
Amériques, certains missionnaires n’ont cessé, en effet, de s’interroger sur la nature humaine de ces êtres, sur leurs droits, sur un monde où l’homme serait propriétaire de sa personne et de ses libertés. De la même manière, l’on peut chercher des sources à la Déclaration des droits de l’homme dans les chartes que se sont octroyées certaines cités européennes depuis le Moyen Âge, et parfois certaines communautés villageoises. On pourrait également en déceler des prémices dans les règles de protection de l’intégrité de la personne humaine - tel l’habeas corpus (1679) - que la tradition politique anglaise a mises en place tout au long du XVIIe siècle, tradition dont Locke expose clairement les éléments dans des traités qui influenceront profondément le mouvement des Lumières au siècle suivant. Comme l’écrit Marcel Gauchet, « les droits de l’homme sont faits de ces conjonctions impures, de ces emprunts et de ces emboîtements efficaces » (article « droits de l’homme » du Dictionnaire critique de la Révolution française, 1988). L’héritage histodownloadModeText.vue.download 290 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 279 rique se projette alors dans le schéma philosophique, pour donner aux droits une forme : cette dernière se nomme « Déclaration des droits de l’homme ». • Des déclarations américaines à la Déclaration universelle. Dans cette mise en forme, il ne fait aucun doute que l’exemple américain a joué un rôle historique majeur. L’ensemble des « déclarations » qui se sont succédé outre-Atlantique entre 1776 et 1780 constitue un corpus fondateur quant à l’affirmation et à la reconnaissance des droits de l’homme. Plus encore, ces textes figurent explicitement à la base d’un système politique, acquérant rapidement une valeur aussi importante et aussi sacrée que les appels à la protection divine. La Déclaration d’indépendance des États-Unis (4 juillet 1776), la Déclaration des droits de la Virginie (juin 1776), le préambule de la Constitution et la Déclaration des droits de la Pennsylvanie (septembre 1776), la Déclaration des droits du Delaware (id.), celles du Maryland (novembre 1776), de la Caroline septentrionale (décembre 1776), le préambule de la Constitution et la Déclaration des droits du Massachusetts (mars 1780) : tous ces textes inscrivent dans l’his-
toire les principes affirmés par les philosophes du siècle des Lumières. Pour les Américains (et pour les Anglais), ils ne sont plus seulement le support d’idées, mais représentent le signe tangible d’une émancipation radicale. Des « citoyens » - désormais - se sont battus les armes à la main pour l’émergence et la défense des droits, des hommes politiques ont combattu pour leur donner la forme de textes : ces droits ont fait irruption dans l’histoire. Il est d’ailleurs symbolique que le premier à présenter un projet de « déclaration » devant les députés français réunis à Versailles, en juillet 1789, soit La Fayette, héros de l’indépendance américaine. Il a même élaboré son texte avec l’aide de Thomas Jefferson, auteur de la Déclaration d’indépendance américaine, et alors ambassadeur des États-Unis à Paris. Comme le précise Denis Lacorne, cet intérêt est cependant davantage l’occasion d’une émulation que celle d’une imitation. En effet, les contextes américain et français sont très différents, et la Déclaration française doit « briser les chaînes d’un long esclavage ». La France ne reconnaît pas des déclarations, mais une Déclaration, qu’elle impose à l’Ancien Régime, élève au rang de Révolution, et offre ensuite à l’univers. Sieyès, le véritable père de l’Assemblée nationale française, reproche ainsi aux déclarations américaines leur pragmatisme, leur caractère localisé et leurs limites théoriques. Il ne s’agit plus, pour lui, d’énumérer des prérogatives particulières, mais d’affirmer de manière universelle les principes de la meilleure constitution politique possible. Seul un texte de cette ambition est susceptible d’incarner la rupture historique propre à la Révolution, et de contenter « un peuple qui rentre en possession de sa souveraineté complète. » En travaillant ainsi à une Déclaration de type universel, les constituants ne sacrifient pourtant pas aux idées abstraites. Cette « abstraction métaphysique » est une accusation portée au moment même du travail déclaratoire, mais elle semble largement erronée, car, au cours de l’été 1789, les principes de la Déclaration des droits de l’homme sont les premiers leviers de l’action révolutionnaire. Ils offrent aux constituants leur meilleure arme dans la bataille pour le pouvoir, qui passe par la lutte pour la légitimité politique : alors que la légitimité traditionnelle est établie selon les principes monarchiques et divins, la légitimité nouvelle se fonde, a contrario, sur l’existence d’une Déclaration des droits
qui figurera en tête de la Constitution à venir. Ce texte est donc à la fois l’illustration d’un fonctionnement pragmatique de la politique et l’emblème par excellence de l’affirmation des principes philosophiques. • Le long débat de l’été 1789. Ces principes sont posés dans un texte comportant un court préambule et dix-sept articles, travaillés, amendés et adoptés entre le 20 et le 26 août 1789 par l’Assemblée constituante. Placée sous les auspices de l’« Être suprême », l’idée maîtresse de ce texte pourrait être résumée par la célèbre formule de l’article 1er : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Ainsi, le droit ne s’impose dans l’ordre social que si les relations entre les hommes sont régies par des engagements inviolables. C’est pourquoi l’État doit se fonder sur un contrat réciproque et volontaire entre parties indépendantes. Le but de cette association est « la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression » (article 2). L’état social assure l’usage de ces différents droits fondamentaux en ne les bornant que par les droits d’autrui (articles 4 et 5). Ainsi protégés de leurs semblables, les individus ne peuvent pas non plus être inquiétés injustement par le gouvernement. À cet effet figurent une série de dispositions sur la légalité des délits et des peines (articles 7 et 8), la non-rétroactivité de la loi (article 8), la présomption d’innocence (article 9), la liberté des opinions et de leur communication (articles 10 et 11) et la tolérance religieuse (article 10). Tous ces droits ne sauraient être garantis sans une « force publique [...] instituée pour l’avantage de tous » (article 12). Certains articles ont engendré de longs et parfois houleux débats, particulièrement sur la liberté des cultes et la liberté de la presse. La discussion s’achève enfin lorsqu’un député, Adrien Du Port, s’aperçoit que la propriété, « inviolable et sacrée », considérée comme un droit fondamental, a été oubliée. Les représentants de la nation rédigent alors l’article 17, bizarrement situé en fin de texte. Le lendemain, 27 août, l’Assemblée décide de suspendre « provisoirement » les discussions jusqu’à l’achèvement de la Constitution. Il est de ces « provisoires » qui durent une éternité : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’a, depuis lors, plus changé, façonnée, de manière certes imparfaite, par ce long débat de l’été 1789. • Principes politiques et systèmes de
gouvernement. Les ambiguïtés du texte cependant bien réelles. Les principes posés, mais quel système politique et tionnel permettra de les appliquer au
sont sont institumieux ?
La Déclaration n’implique, de façon explicite, aucune forme d’organisation des pouvoirs. C’est une force, car elle peut être source de légitimité universelle ; c’est aussi une faiblesse, car tous, même ceux qui, dans les faits, la bafouent obstinément, peuvent s’en réclamer. La Déclaration s’offre donc comme un texte de référence à l’aune duquel tous les hommes engagés sur la scène publique peuvent être jugés, en conformité ou en contradiction avec les principes fondateurs. Le respect des droits de l’homme devient une source de reconnaissance et une forme de revendication politiques. Mais aucune autorité supérieure aux enjeux de pouvoir, et chargée de veiller à l’application réelle des principes énoncés, n’a été mise en place. La grande question, posée mais non résolue par cette Déclaration, sera donc de penser le passage des principes à la Constitution, puis des principes à l’action politique. Les différentes Déclarations qui lui succéderont peuvent être comprises de ce point de vue. En 1793 (Déclaration de l’an I), le droit à l’insurrection contre un pouvoir arbitraire, les droits sociaux (secours publics, instruction), sont intégrés au document, témoignant de la radicalisation du mouvement révolutionnaire. En 1795 (Déclaration de l’an III), le texte écarte les droits les plus revendicatifs, tout en réaffirmant son attachement aux « principes de 1789 ». Depuis lors, cette formule figure en tête de la plupart des textes constitutionnels français ou internationaux de tradition démocratique - notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme (adoptée en 1948 par l’Unesco, sous l’influence de René Cassin) et la Constitution de la Ve République, votée en 1958. droits seigneuriaux, ensemble de droits détenus sur la terre et sur les hommes à l’intérieur d’une seigneurie. Ils résultent à la fois du statut du sol et du pouvoir général de commandement (ban) exercé par le seigneur. Les droits issus du foncier sont des redevances fixes (cens) ou proportionnelles à la récolte (champarts) dues par les exploitants au titre de leur tenure. Ce peuvent être également des corvées imposées aux tenanciers pour mettre en valeur la réserve du maître du sol. Ces prélèvements ne sont pas nouveaux et existaient déjà dans la villa carolingienne, dont la seigneurie prend la succession sans que la structure foncière soit véritablement altérée.
À partir du XIe siècle, de nouvelles taxes viennent s’ajouter à celles-ci. Leur originalité est double : elles débordent le cadre traditionnel du domaine et sont imposées à l’ensemble de la population d’un ressort territorial, en règle générale beaucoup plus vaste que le territoire domanial ; elles ont un caractère fréquemment arbitraire, et sont exigées par la violence. Leur apparition s’accompagne d’un transfert massif de la propriété des terres vers les détenteurs du ban : les paysans alleutiers, c’est-à-dire libres propriétaires de leur exploitation, qui constituaient vraisemblablement la majeure partie de la population paysanne jusqu’au XIe siècle, se voient contraints de vendre leurs terres à vil prix - voire de les donner - au détenteur du ban, qui les leur rétrocède en tenures grevées de charges. Le downloadModeText.vue.download 291 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 280 seigneur, parce qu’il détient la force, devient finalement l’unique propriétaire du sol à l’intérieur de sa seigneurie. C’est la dislocation générale de la puissance publique - elle culmine dans le premier tiers du XIe siècle - qui a rendu possibles ces exactions. Ayant parfois bénéficié de délégations de la puissance publique, les seigneurs réclament pour eux des prestations autrefois requises pour le seul souverain. Le plus souvent, les surprélèvements (appelés fréquemment les « mauvaises coutumes ») ne sont que la traduction matérielle de leur force militaire, qui s’exerce aux dépens des paysans. Les redevances sont innombrables ; les plus fameuses portent des noms évocateurs : par exemple, « tolte » ou « taille », du verbe latin tollere, qui signifie « ôter », « enlever ». En Catalogne, au XIe siècle, le simple fait de prélever une taxe se dit facere forcia, « faire violence ». Font également partie intégrante de ces droits des monopoles économiques liés à la possession d’équipements lourds et coûteux - le four et le moulin banaux. Le seigneur confisque ceux qui existent et interdit d’en construire de nouveaux. Il contraint ainsi les paysans à se servir des siens - un service qui n’est pas gratuit. À partir du XIIe siècle, les paysans peuvent s’abonner à la plupart de ces charges. C’est encore l’occasion d’un surprélè-
vement pour le seigneur qui vend très cher cet abonnement, ce qui lui permet de réaliser son capital et de s’assurer d’une rente. Les communautés doivent alors s’endetter. Les seigneurs prélèvent tout ce qui n’est pas indispensable à la simple survie des paysans et à la reproduction de leur force de travail. Ils ont recours, pour se faire obéir, aux services de spécialistes de la guerre, les chevaliers. Ceux-ci font régner sur la paysannerie une véritable terreur qui lui ôte toute velléité de résistance. Les droits seigneuriaux ont été appelés par les juristes de l’époque moderne « droits féodaux », même si la féodalité n’était plus qu’un souvenir. Leur caractère arbitraire les a rendus d’autant plus odieux qu’ils entravaient la vie économique. Les droits seigneuriaux plus symboliques - le monopole de la chasse ou le droit de justice - furent également de moins en moins acceptés par les non-privilégiés au XVIIIe siècle. La célèbre nuit du 4 août 1789 sera l’aboutissement de cette contestation antiféodale. drôle de guerre (la), période de la Seconde Guerre mondiale qui s’étend du 3 septembre 1939 au 10 mai 1940, caractérisée par l’absence de combats. En septembre 1939, le général Maurice Gamelin mobilise toutes les classes d’âge jusqu’à 50 ans, soit cinq millions d’hommes : deux millions d’« affectés spéciaux » travaillent dans les usines de l’arrière pour satisfaire les besoins économiques ; trois millions sont maintenus sur le front, derrière la ligne Maginot, dans une inactivité totale. Daladier leur fait distribuer des milliers de ballons, Joséphine Baker et Maurice Chevalier animent des soirées, certains soldats plantent des rosiers sur la ligne Maginot. Cette inaction est due à la priorité accordée par les généraux à une stratégie défensive qu’approuvent les hommes politiques - Édouard Daladier exalte « l’héroïsme de la défense » - et les Français. En effet, tous sont marqués par la saignée de la Grande Guerre et entendent épargner le sang français. Gagner du temps permettra, espère-t-on, de pallier l’infériorité aérienne des armées franco-britanniques, d’équiper les régiments d’outreManche, d’asphyxier l’économie du Reich en la privant de ses approvisionnements en fer (opération sur Narvik) et en pétrole (projet de bombardement de Bakou), voire d’attendre une aide américaine.
Mais le moral des hommes se détériore peu à peu : les cantonnements sont inconfortables, les permissions rares, et l’ennui gagne. À l’arrière, l’opinion accepte mal les mesures prises pour la mettre en condition : affiches de propagande, distribution de masques à gaz, exercices d’alerte, suppression des bals, cartes de rationnement (mars 1940), n’entraînent pas une adhésion sans faille à la guerre. L’union sacrée n’existe pas. Une partie de la droite profasciste, le ministre des Affaires étrangères Georges Bonnet, partisan de l’apaisement, la CGT, souhaitent la paix, tout comme le Parti communiste, lié par le pacte germano-soviétique et dissous le 17 septembre 1939 ; quant à la SFIO, elle est divisée entre le pacifiste Paul Faure et Léon Blum. Le Parlement se déchire ; Daladier - « sans boussole », selon le président du Sénat Jules Jeanneney - perd sa popularité et démissionne en mars 1940 sous la pression conjointe des pacifistes et des bellicistes. Paul Reynaud le remplace, sans pouvoir néanmoins imposer sa politique. Il démissionne le 9 mai, puis revient sur sa décision le 10, quand les Allemands déclenchent l’offensive à l’ouest. Selon les mots de François Bédarida, « face à une stratégie allemande audacieuse, mêlant professionnalisme et esprit d’innovation, le pivot de la stratégie alliée a été de vouloir faire la guerre en s’efforçant de prendre les moyens de ne pas la faire ». Drouet (Jean-Baptiste), homme politique (Sainte-Menehould, Marne, 1763 - Mâcon, Saône-et-Loire, 1824). Ce modeste maître de poste doit sa carrière politique au rôle qu’il joue en 1791 dans l’arrestation de Louis XVI lors de sa fuite. C’est en effet lui qui, dans la soirée du 21 juin, identifie le fugitif, qui a fait une halte à son relais, et qui court avertir les autorités de Varennes. Célébré comme un héros, il est élu député suppléant de la Marne à la Législative, puis entre, en 1792, à la Convention, où il siège avec les montagnards. Membre du premier Comité de sûreté générale en octobre 1792, régicide, envoyé en mission à l’armée du Nord, il est fait prisonnier en octobre 1793 par les Autrichiens, qui l’échangent, avec sept autres conventionnels, contre la fille de Louis XVI en décembre 1795. Réélu député au Conseil des Cinq-Cents, il participe à la conjuration des Égaux, ce qui lui vaut d’être arrêté en mai 1796 avec les babouvistes. Cependant, il s’évade avant le procès - sans doute grâce à la complicité de Barras, sou-
cieux de ménager l’opinion publique émue par l’arrestation de l’homme de Varennes -, se réfugie aux Canaries et, jugé par contumace, est acquitté en mai 1797. Il ne revient à Paris qu’en octobre, après le coup d’État du 18 fructidor an V, et retrouve les néojacobins à la Société du Manège, qu’il préside. Commissaire du Directoire à Châlons-sur-Marne en 1799, il devient, de 1800 à 1814, souspréfet de Sainte-Menehould, arrondissement où il place d’anciens révolutionnaires. Fidèle à Napoléon et élu député pendant les CentJours, il est proscrit sous la Restauration et finit ses jours dans la clandestinité. druide, nom donné par les Romains aux prêtres gaulois. Nos connaissances sur la religion celtique et ses prêtres sont très limitées, puisque nous ne disposons que de rares et courtes inscriptions et d’un certain nombre de figurations, difficilement interprétables. Notre principale source d’information repose donc sur les témoignages des auteurs grecs et romains. Or ces derniers, et notamment César, ont plaqué leurs croyances, qu’ils estimaient universelles, sur la réalité celtique, assimilant les dieux celtes aux dieux romains et insistant sur les traits « barbares » de la religion des vaincus - surtout, sur les sacrifices humains. Rien ne prouve d’ailleurs qu’il y ait eu unité de croyances et de cultes à travers l’ensemble des peuples gaulois. Il semble néanmoins que les druides aient généralement bénéficié d’un statut social élevé, comme celui de l’aristocratie foncière et guerrière, à laquelle ils appartenaient sans doute. Ils étaient organisés en collèges, que l’on a parfois pu rapprocher de ceux des brahmanes hindous ou des flamines romains. C’est au sein de ces collèges qu’étaient transmises les croyances, dont la transcription écrite était, comme en Inde, interdite. Ils intervenaient également dans les différends entre individus ou entre peuples. Leur poids social et idéologique était suffisamment fort pour que toute activité leur ait été interdite dès le règne d’Auguste. Drumont (Édouard), écrivain journaliste et homme politique (Paris 1844 - id. 1917). Petit-fils d’ouvrier, fils d’un modeste employé à l’Hôtel de Ville de Paris, animé par une vocation d’écrivain, Drumont mène la vie d’un journaliste besogneux avant d’acquérir la célébrité comme polémiste. Ayant amassé pendant plusieurs année une documentation sur les juifs de France, il publie en 1886 un
pamphlet à prétention sociologique : la France juive, essai d’histoire contemporaine. Un article d’Alphonse Daudet dans le Figaro permet une large diffusion de l’ouvrage qui, en deux ans, se vend à 100 000 exemplaires. La thèse exposée répond à l’angoisse d’une France entrée dans une crise économique et sociale depuis environ une dizaine d’années : les juifs, physiquement et psychologiquement décrits, travaillent à la ruine de la France en l’exploitant. Conjuguant plusieurs types de préjugés antisémites, notamment l’antijudaïsme catholique et une certaine forme d’anticapitalisme socialiste, Drumont professe à la fois un attachement au catholicisme et une sensibilité socialiste. Toute sa carrière est désormais downloadModeText.vue.download 292 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 281 vouée à l’antisémitisme. Les ouvrages se multiplient (la Dernière Bataille, Nouvelle étude psychologique et sociale en 1890, le Testament d’un antisémite en 1891). En 1889, il fonde la Ligue nationale antisémitique, qui s’avère rapidement être un échec. Mais, en 1892, il lance un journal, la Libre Parole. Ce quotidien, consacré à la dénonciation de la « corruption juive » dont Drumont voit la plus parfaite illustration dans le scandale de Panamá (1892), tire à 200 000 exemplaires dès 1893. Il joue un rôle décisif durant l’affaire Dreyfus : le 1er novembre 1894, c’est dans les colonnes de la Libre Parole qu’est annoncée la prétendue culpabilité du capitaine. La vindicte de Drumont parvient à échauffer les esprits. Des violences s’exercent contre les juifs en son nom. Des pogroms sanglants éclatent même à Alger, où il est élu député en 1898. Lui-même ne rechigne pas à la confrontation physique. Amateur de duels, il est conduit sur le pré à la suite d’une algarade avec Georges Clemenceau. Après 1900, l’étoile de Drumont commence à pâlir. Les tirages de la Libre Parole s’effondrent, et le journal disparaît en 1910. Drumont est vite oublié mais son influence a marqué plusieurs grandes figures, de Maurice Barrès à Charles Maurras. Dans l’entre-deuxguerres, le titre de son journal est repris et, dans la Grande Peur des bien-pensants (1931), l’écrivain catholique Georges Bernanos consacre à Édouard Drumont un essai retentissant, où il rend compte de toute l’admiration qu’il porte au polémiste. du Barry (Jeanne Bécu comtesse)
! Barry (Jeanne Bécu comtesse du) Dubois (Guillaume), cardinal et homme politique (Brive-la-Gaillarde, Corrèze, 1656 - Versailles 1723). Fils d’un apothicaire pauvre, il fait ses études à Paris, au collège Saint-Michel, et devient précepteur. Sa fortune commence lorsqu’on lui confie l’éducation du duc d’Orléans, futur régent, dont, en 1692, il arrange habilement le mariage avec Mlle de Blois, fille légitimée de Louis XIV. Dès lors, il va cumuler titres et honneurs : il est nommé conseiller d’État en 1716, puis secrétaire d’État aux Affaires étrangères en 1718 ; en 1720, il reçoit l’archevêché de Cambrai et, l’année suivante, est créé cardinal, avant d’accéder à la fonction de « principal ministre » en 1722. À la même époque, il est admis à l’Académie française, et nommé président de l’Assemblée du clergé. Grand travailleur et fin diplomate, Dubois a marqué profondément la politique de la Régence, tant sur le plan extérieur qu’intérieur. Pour renforcer la paix d’Utrecht, il signe à La Haye une alliance avec l’Angleterre et les Provinces-Unies contre l’Espagne (1717), alliance à laquelle se rallie l’Autriche en 1718. En 1720, après une courte guerre, il contraint Philippe V d’Espagne à renvoyer son ministre Alberoni, à renoncer définitivement à ses droits sur le trône de France, et à adhérer à la Quadruple-Alliance. Les jalons d’une paix européenne durable semblent posés. En politique intérieure, son oeuvre n’est pas moins grande, puisqu’il supprime la polysynodie (système mis en place par le Régent, et consistant à remplacer les secrétaires d’État par des conseils), rappelle en 1723 le Conseil d’en haut (où siègent le roi, le duc d’Orléans, le duc de Bourgogne, Villars, Fleury et luimême), et rétablit un pouvoir monarchique autoritaire. Enfin, son ère ministérielle est marquée par un retour à la lutte contre le jansénisme. En 1720, Dubois n’hésite pas à exiler les parlementaires, pour les contraindre à enregistrer la bulle Unigenitus condamnant la religion prêchée par Jansénius. Saint-Simon donne de Dubois l’image d’un homme habile, très ambitieux et déterminé. Pourtant, son oeuvre est de courte durée : les hostilités reprennent rapidement en Europe, et le jansénisme restera, pour les parlementaires du XVIIIe siècle, un moyen de pression sur la monarchie.
Dubois-Crancé ou Dubois de Crancé (Edmond Louis Alexis), militaire et homme politique (Charleville 1747 - Rethel 1814). Issu d’une famille déchue de ses titres de noblesse pour dérogeance, lieutenant des maréchaux de France en 1789, il est élu député du Tiers aux États généraux et prête le serment du Jeu de paume. Patriote (il siège à gauche), membre du Club des jacobins, il est à l’Assemblée nationale constituante l’un des plus ardents défenseurs d’une « conscription vraiment nationale ». Selon lui, « tout citoyen doit être soldat et tout soldat citoyen ». Il dénonce donc le tirage au sort, « cette odieuse pratique qui est un véritable outrage » (12 décembre 1789). Élu à la Convention, il est à l’origine du principe de l’« amalgame » entre l’ancienne armée royale et les volontaires, prônant un recrutement et une organisation identiques afin de souder les deux composantes de l’armée républicaine. Il est membre du Comité de la guerre, général de brigade, commissaire auprès de l’armée des Alpes et participe au siège de Lyon insurgée (août-octobre 1793). Représentant du peuple auprès des armées de l’Ouest, il combat les Chouans (février-juin 1794). Suspect de « modérantisme » aux yeux de Couthon et de Robespierre, il doit au 9 Thermidor de ne pas être arrêté. Il entre alors au Comité de salut public, où il est en charge de la guerre. Au cours du débat sur la Constitution de l’an III, il défend le principe de l’égalité et la Déclaration des droits contre la Convention. Député des Cinq-Cents jusqu’en 1797, il devient ministre de la Guerre en septembre 1799. Hostile au coup d’État de Bonaparte, il se retire de la vie politique et militaire. duc, titre qui désigne, à partir du IIIe siècle, un chef militaire de l’armée romaine pourvu d’un commandement exceptionnel, dont la fonction principale est d’assurer la défense des provinces frontières de l’Empire. Bien que l’organisation provinciale romaine ait disparu à l’époque mérovingienne, les ducs remplissent la même fonction de défense sur des territoires bien précis. Mais, au cours de la seconde moitié du VIIe siècle, on voit apparaître, dans les régions périphériques telles que l’Aquitaine, de grands personnages de l’aristocratie qui prennent le titre ducal pour signifier qu’ils exercent un commandement légitime et équivalent à celui du maire du palais. Les Carolingiens tentent de supprimer ce titre concurrent,
ne lui reconnaissant que la signification de « chef militaire supérieur ». Cependant, parmi les comtes qui deviennent indépendants au Xe siècle, les plus puissants prennent le titre ducal pour marquer leur supériorité sur tous les comtes de la région, et exercent les pouvoirs souverains sur leur duché. Ils font directement hommage au roi, qui finit par reconnaître leur titre ; tous ces duchés font cependant retour à la couronne entre le XIIIe (Normandie) et le XVIe siècle (Bretagne). Le roi peut aussi créer des duchés héréditaires, qu’il concède en apanage aux princes du sang. À partir du XVIe siècle, le titre de duc devient purement honorifique, même si les « ducs et pairs » ont le privilège de relever directement du parlement. On en comptait 43 en 1789. Il existait également des « ducs à brevet », créés par le roi à titre viager. Le titre ducal, aboli par la Révolution, fut rétabli par Napoléon Ier en 1806 : il en créa 35, dont 12 hors de France, et se réserva l’investiture de tous les duchés. Duclos (Jacques), homme politique (Louey, Hautes-Pyrénées, 1896 - Montreuil-sousBois, Seine-Saint-Denis, 1975). Issu d’une famille paysanne pauvre, apprenti pâtissier monté à Paris en 1912, mobilisé en 1915 et fait prisonnier en 1917, le jeune Duclos est profondément marqué par l’expérience de la Grande Guerre. Sa vie militante débute en 1919, à l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC), et se poursuit au Parti communiste, auquel il adhère dès 1920. Ses dons de propagandiste et son éloquence chaleureuse lui assurent une promotion rapide : membre du comité central dès 1926, député de la Seine de 1926 à 1932, il accède au bureau politique en 1931. Obéissant aux directives de l’Internationale communiste, il milite avec ardeur pour la formation du Front populaire, à partir de 1934 ; élu à nouveau député en mai 1936, devenu vice-président de la Chambre, il joue un rôle clé dans le fonctionnement de la coalition au pouvoir, tout en appliquant, sans faillir, la politique de stalinisation du parti. Après la signature du pacte germano-soviétique (août 1939) et la dissolution du Parti communiste en septembre, il contribue, en tant que responsable du PCF clandestin, de 1940 à la Libération, à mettre en oeuvre les consignes successives dictées par Moscou. Après la brève expérience de la participation communiste au gouvernement (tripartisme formé par le PCF, la SFIO et le MRP), il prend une part active dans le durcissement des années 1947-1952, jouant notamment un rôle déterminant dans l’éviction de deux dirigeants historiques du parti, André Marty et Charles
Tillon. À la mort de Maurice Thorez (1964), Jacques Duclos reste le représentant de la vieille garde de l’appareil communiste, qui se montre réservée à l’égard de la déstalinisation. Candidat à l’élection présidentielle de 1969, il réalise une brillante prestation (21,5 % des voix), et exerce jusqu’à sa mort une grande influence sur la nouvelle direction du PCF et sur son chef, Georges Marchais. downloadModeText.vue.download 293 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 282 Ducos (Pierre Roger), homme politique (Montfort, Landes, 1747 - Ulm, Allemagne, 1816). Député effacé sous la Révolution, Ducos est surtout connu pour avoir favorisé, avec Sieyès, le coup d’État des 18 et 19 brumaire an VIII (9 et 10 novembre 1799). Cet avocat ne joue qu’un rôle local de 1789 à 1792 - il est alors procureur de la commune de Dax et président du tribunal criminel des Landes -, avant d’être élu à la Convention, où il fait partie de la Plaine, et d’entrer au Comité des secours publics. S’il vote pour la mort et contre le sursis lors du procès de Louis XVI, il se fait discret pendant la Terreur. Cependant, sous le Directoire, il s’oppose à l’élection de députés royalistes. Réélu en 1795, il siège au Conseil des Anciens jusqu’en 1798, voit ses deux réélections suivantes invalidées et reprend ses fonctions au tribunal criminel du département des Landes. Après le coup d’État du 30 prairial an VII (18 juin 1799), il entre au Directoire sur proposition de Sieyès, qu’il sert fidèlement. Le 18 brumaire an VIII, il rejoint les conjurés et démissionne du Directoire, permettant ainsi le vide institutionnel. Sa docilité lui vaut d’être choisi comme l’un des trois consuls provisoires, avec Sieyès et Bonaparte. Sans envergure politique, il est par la suite couvert d’honneurs, devient sénateur en 1800, grand officier de la Légion d’honneur en 1804 et comte de l’Empire en 1808. En 1815, il se rallie à Napoléon et siège à la Chambre des pairs. Sous la seconde Restauration, il est proscrit comme régicide. Il meurt dans un accident, près d’Ulm. du Coudray (Marguerite Le Boursier Mme) ! Coudray (Marguerite Le Boursier Mme du) duel. Combat singulier entre deux adver-
saires. Il existe plusieurs types de duels. À l’époque féodale, le duel judiciaire, attesté depuis le haut Moyen Âge, est l’une des formes de l’ordalie (jugement de Dieu). Malgré les condamnations de l’Église, notamment au concile du Latran (1215), il persiste de manière ponctuelle jusqu’en 1550. En revanche, les duels du point d’honneur se multiplient à l’époque baroque, jusque vers 1650. Ce sont ces affrontements, exécutés de manière autonome à l’égard du pouvoir et révélant une éthique nobiliaire originale, qui fondent la mythologie du duel. • Les règles du duel. Le duel est « un combat entre deux ou plusieurs individus (toujours en nombre égal), à armes égales, pour prouver soit la vérité d’une cause disputée, soit la valeur, le courage, l’honneur de chaque combattant. La rencontre doit être décidée ou acceptée conjointement par les deux parties et respecter certaines règles formelles (tacites, verbales ou écrites) qui lui donnent force de procédure pour le moins aux yeux des deux adversaires » (François Billacois). Le duel résulte du démenti liant, parfois par un cartel (lettre), un offensé et un défendeur de même dignité. Lors du duel de Jarnac (1547), Guy Chabot de Jarnac avait lancé un défi à ceux (le clan d’Henri, alors dauphin) qui insinuaient qu’il entretenait des relations incestueuses avec sa belle-mère. François de La Châtaigneraye releva la provocation. Dans le cadre du duel judiciaire, Henri II autorisa le combat et fixa le camp d’honneur (champ clos). Alors qu’il pouvait interrompre la lutte en jetant son sceptre ou un bâton, le nouveau souverain hésita à protéger son champion officieux, blessé à mort par un surprenant coup au jarret (d’où l’expression « coup de Jarnac »). À cette occasion, le monarque reconnaissait donc un pouvoir supérieur au sien : celui du Dieu caché. À l’époque baroque, le duel extrajudiciaire se développe (au moins trois cent cinquante affrontements par an au début du XVIIe siècle). Désormais, le courage individuel est exalté alors que le pouvoir du roi est occulté. Les duellistes sont généralement des nobles d’épée, plutôt jeunes, faisant profession des armes. Le cérémonial disparaît au profit d’une rencontre immédiate et sans formalités, dans un pré en marge de la cité. Influencés par l’art de l’escrime importé d’Italie, les guerriers se battent le plus souvent à pied, avec une dague ou une épée. La simple chemise dénote l’attrait du danger, les protagonistes s’en
remettant à la Providence, qui se manifeste à travers le coup d’estoc. La généralisation des seconds traduit le succès de la solidarité nobiliaire autour du duel. Ces témoins combattent dorénavant au côté de leur champion, et transforment la lutte en bataille collective. • Le duel et les pouvoirs. L’Église et l’État s’opposent au duel qu’ils jugent contraire au dessein de Dieu et à la chose publique. La première le considère comme un crime entraînant l’excommunication parce que les duellistes se donnent au Diable par un sacrifice volontaire, pour la valeur terrestre de l’honneur. La justice royale tente d’abord de contrôler le duel extrajudiciaire en désignant des grands officiers de la couronne pour trancher les cas d’honneur (1566). Inspiré par une condamnation du parlement de Paris qualifiant le duel de crime de lèse-majesté (1599), Henri IV inaugure en 1602 une série d’édits contre le duel, dont la récurrence révèle l’inefficacité (six édits et huit déclarations en un demi-siècle). En tant que lieutenant de Dieu, le monarque doit poursuivre cette fausse religion assimilée au satanisme et, en tant que père de ses sujets, il doit protéger le premier des ordres du royaume. La pratique de la coercition est plus ambiguë. Malgré l’exemplaire décapitation du comte François de Montmorency-Bouteville (1627), coupable de vingt-deux duels, dont le dernier se déroula sur la place Royale, à Paris, les lettres de rémission préservent la vie des bretteurs, les condamnant seulement à une amende ou à un bannissement temporaire. Le duel disparaît dans la seconde partie du XVIIe siècle, victime de son archaïsme, déclassé par le modèle du noble dévot ou du courtisan, fin dissimulateur. Il connaîtra néanmoins des résurgences sous la forme des duels politiques, notamment à la fin du XIXe siècle : Gambetta, Drumont, Déroulède ou encore Clemenceau s’y illustreront. Dufaure (Jules Armand Stanislas), homme politique (Saujon, Charente-Maritime, 1798 - Rueil 1881). Avocat à Bordeaux, élu député libéral en 1834, ministre des Travaux publics (1839-1840), Dufaure refuse de participer à la « campagne des banquets », qui conteste Louis-Philippe, mais se rallie à la République en 1848, et se voit confier par Cavaignac le ministère de l’Intérieur. Après le coup d’État bonapartiste le 2 décembre 1851, il se retire de la politique jusqu’à l’instauration de la IIIe République. Proche d’Adolphe Thiers, il est alors nommé
ministre de la Justice (1871). Appelé à former le gouvernement en février 1876, ce partisan d’une république parlementaire conservatrice s’oppose au président de la République Mac-Mahon, défenseur d’un régime présidentiel : Dufaure prend alors le titre de président du Conseil, signifiant ainsi que Mac-Mahon n’est pas membre du cabinet. Conformément à la tradition parlementaire, il démissionne en décembre, lorsqu’il est mis en minorité à la Chambre. Après la crise du 16 mai 1877 et les élections d’octobre, qui aboutissent à une nouvelle majorité républicaine, Mac-Mahon se soumet et charge Dufaure de former un nouveau cabinet de centre gauche. Ce dernier pacifie la vie politique, marginalise le président de la République et organise l’Exposition universelle de 1878. La démission de Mac-Mahon en janvier 1879 entraîne la fin du ministère de Dufaure. Dans les derniers mois de sa vie, il lutte contre la République opportuniste et les mesures anticléricales prises par Jules Ferry. Duguay-Trouin (René Trouin, sieur du Guay, dit), corsaire (Saint-Malo 1673 - Paris 1736). Fils d’un armateur malouin fortuné, DuguayTrouin s’engage dans la guerre de course à l’âge de 16 ans, et obtient son premier commandement à 18 ans. En 1697, la prise de la flotte de l’amiral hollandais Wassenaër lui vaut d’être admis par Louis XIV dans la Marine royale avec le titre de capitaine de frégate. Ses exploits durant la guerre de la Succession d’Espagne sont restés célèbres : en 1705, il met en déroute, près de Lisbonne, une flotte portugaise de 200 navires ; en 1707, il s’empare d’un convoi de 64 navires escortés par 6 bateaux de guerre. Mais c’est sans doute la prise - réputée extrêmement difficile - de Rio de Janeiro, en 1711, qui constitue sa victoire la plus éclatante. Fait assez inhabituel, cette expédition est financée par des fonds privés, le Trésor royal étant vide. Les combats durent seulement onze jours ; le butin est énorme : 1 350 kilos d’or, des marchandises précieuses, 2 vaisseaux portugais et 60 navires marchands. Fait chevalier de Saint-Louis en 1707, anobli en 1709, chef d’escadre en 1715, lieutenant général des armées en 1728, membre du Conseil des Indes, Duguay-Trouin met fin à sa carrière après une dernière expédition, couronnée de succès, contre les Barbaresques,
en 1731. Ses Mémoires paraissent en 1740. Digne successeur de Jean Bart, il compte parmi les grands marins français. downloadModeText.vue.download 294 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 283 du Guesclin (Bertrand) ! Guesclin (Bertrand du) Dumont d’Urville (Jules Sébastien César), navigateur et explorateur (Condé-surNoireau, Calvados, 1790 - Meudon 1842). Entré dans la marine en 1807, Dumont d’Urville participe, en 1819-1820, à des missions destinées à améliorer les connaissances hydrographiques relatives à la mer Égée et à la mer Noire ; c’est au cours d’une de ces missions qu’il admire la Vénus de Milo, tout juste découverte, et incite le gouvernement français à l’acquérir. De 1822 à 1825, il effectue un tour du monde aux côtés du marin et hydrographe Duperrey, avant d’entreprendre les deux grands voyages dans le Pacifique qui assureront sa célébrité. Son périple en Océanie, à bord de l’Astrolabe (1826-1829), lui permet à la fois d’étudier l’hydrographie de plusieurs îles (Nouvelle-Zélande, NouvelleBretagne, Nouvelle-Guinée) et de retrouver dans l’île de Vanikoro, sur les renseignements d’un capitaine anglais, l’épave du navire de La Pérouse. Il tirera de cette expédition un ouvrage en 22 volumes, les Voyages de l’« Astrolabe ». De 1837 à 1840, avec l’Astrolabe et la Zélée, il explore les régions antarctiques et découvre la terre Louis-Philippe, l’île Joinville et la terre Adélie, ainsi baptisée en hommage à sa femme. Nommé contre-amiral à son retour en France, il meurt, peu de temps après, dans la première catastrophe ferroviaire, sur la ligne Paris-Versailles. Étapes majeures de l’exploration maritime, les deux dernières expéditions de Dumont d’Urville se soldent par un bilan scientifique considérable, qui intéresse à la fois la cartographie, l’ethnologie et les sciences naturelles. Dumouriez (Charles-François du Perrier, dit), général (Cambrai, Nord, 1739 - Turville Park, Angleterre, 1823). D’ancienne noblesse, cet officier fait une carrière honorable sous l’Ancien Régime et accomplit différentes missions diploma-
tiques et militaires. Sous la Révolution, il affiche des idées patriotes qui servent sa carrière, se lie avec les girondins et devient ministre des Affaires étrangères en mars 1792. Nommé lieutenant général, il remplace La Fayette à la tête de l’armée du Nord en août et remporte les victoires de Valmy et de Jemmapes qui lui permettent d’occuper la Belgique, puis de pénétrer en Hollande en février 1793. Malmené par la contre-attaque autrichienne de mars, il doit se replier en Belgique sur ordre de la Convention, dont il conteste vigoureusement les choix stratégiques. Battu à Neerwinden le 18 mars, il négocie avec le général autrichien Saxe-Cobourg dans le but de retourner ses troupes contre Paris et de rétablir la monarchie au profit de Louis XVII. Le 30 mars, la Convention le convoque à la barre et lui envoie quatre commissaires et le ministre de la Guerre Beurnonville, qu’il livre aux Autrichiens. Mis « hors la loi », Dumouriez tente en vain d’entraîner son armée sur la capitale et passe à l’ennemi le 5 avril. Cette retentissante trahison, qui marque le retour des coalisés sur le territoire national et intervient au début de l’insurrection vendéenne, déstabilise l’armée, provoque les premières mesures de la Terreur et précipite la chute des girondins. Après avoir erré en Europe, Dumouriez devient le conseiller des Anglais, qui le pensionnent en 1800, et finit ses jours en Angleterre. Dunkerque (bataille de), opération qui, du 27 mai à la nuit du 3 au 4 juin 1940, permet l’évacuation de contingents britanniques et français face à l’avancée des troupes allemandes. Cet épisode marque la fin de la première phase de l’offensive à l’ouest engagée le 10 mai par la Wehrmacht. Le 20, alors que le général Weygand remplace Gamelin, les blindés allemands prennent Amiens et Abbeville, et se dirigent vers Boulogne et Calais, menaçant de couper l’accès des côtes aux Alliés. La rupture du front belge oblige les Britanniques à abandonner Arras dans la nuit du 23 au 24 mai. Jugeant la situation désesperée, lord Gort, commandant du corps expéditionnaire britannique, décide de se replier sur Dunkerque afin d’évacuer ses unités par voie maritime. Cette décision compromet définitivement le plan de contre-attaque conçu par Weygand et contraint l’armée belge à la capitulation, le 28. Entre-temps, Hitler a arrêté, depuis le 24 mai, l’avance de ses blindés, arrivés à 15 kilomètres
du port de Dunkerque, une erreur tactique qui profite aux Britanniques. C’est seulement le 26 qu’il autorise les troupes de von Kleist à progresser jusqu’à ce que la ville se trouve à la portée de son artillerie. Le 27, l’évacuation des troupes britanniques (opération Dynamo) commence sous une pluie de grenades et de bombes. Les contingents français ne reçoivent l’ordre de repli que le 29 mai au matin. Le 3 juin, la Luftwaffe cesse son attaque sur Dunkerque, qui tombe le lendemain. Le bilan de l’opération Dynamo est impressionnant : 370 000 soldats alliés, dont 139 000 français, sont rembarqués. Mais 35 000 soldats français sont faits prisonniers et les pertes matérielles sont énormes. Dupanloup (Félix Antoine Philibert), prélat et homme politique (Saint-Félix, HauteSavoie, 1802 - château de Lacombe, Savoie, 1878). Figure majeure de l’épiscopat français au XIXe siècle, Mgr Dupanloup, né d’une paysanne et d’un père inconnu vraisemblablement d’origine aristocratique, est ordonné prêtre en 1825. Vicaire et catéchiste à l’église de la Madeleine à Paris, puis supérieur du petit séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet (1837), il prend part à la bataille pour la liberté de l’enseignement. Nommé évêque d’Orléans en 1849, il effectue une remarquable enquête sur l’état spirituel des populations et s’emploie à réorganiser et à ranimer la vie religieuse du diocèse. Il participe également avec fougue aux affrontements politico-religieux du Second Empire et de la IIIe République naissante : après avoir contribué à l’élaboration de la loi Falloux sur la liberté de l’enseignement (1850), il soutient la cause de l’État pontifical contre la politique italienne de Napoléon III, est élu député du Loiret à l’Assemblée nationale de 1871, oeuvre en vain à la tentative de restauration de la monarchie, démissionne en 1872 de l’Académie française pour protester contre l’élection de Littré et est nommé sénateur inamovible en 1875. À l’intérieur de l’Église, il combat l’influence du journal l’Univers de Louis Veuillot et du catholicisme intransigeant, tente d’atténuer les aspérités du Syllabus des erreurs modernes de 1864 et participe au concile Vatican I, où il appartient à la minorité hostile à la proclamation de l’infaillibilité pontificale. Léon XIII songeait à le faire cardinal lorsqu’il meurt en 1878. Dupes (journée des), journée du 11 novembre 1630, marquée par l’échec du complot fomenté par le parti dévot et Marie de Médicis,
mère de Louis XIII, contre Richelieu. Durant la guerre de Mantoue (1627), Marie de Médicis, imbue d’un pouvoir dont elle ne jouit plus depuis la fin de la régence (1610-1617), profite d’une grave maladie du roi pour lui faire promettre de renvoyer son tout-puissant ministre, le cardinal de Richelieu, à la fin de la guerre. La paix est signée le 13 octobre 1629, mais Louis XIII ne manifeste aucun signe de mécontentement à l’égard de son ministre. La reine mère s’allie alors au parti dévot, dirigé par Louis et Michel de Marillac, qui critique violemment la coûteuse politique de lutte contre les Habsbourg que mène Richelieu, réclame l’arrêt des hostilités et la réorganisation de l’administration et des finances du royaume. Forte de ce soutien, Marie de Médicis s’entretient, le 10 novembre 1630, avec le roi et Richelieu, paraissant obtenir la disgrâce du Cardinal. Le lendemain, ce dernier se rend au Luxembourg pour « prendre congé de la reine », qu’il surprend en conversation avec son fils. À l’issue d’une scène mémorable, Richelieu se retire, et le roi gagne Versailles sans s’être prononcé. Marie de Médicis, certaine de sa victoire, commence à rassembler autour d’elle ses partisans. Mais, quelques heures plus tard, Louis XIII reçoit Richelieu à Versailles, et lui renouvelle sa confiance. Les comploteurs sont poursuivis : Marie de Médicis est reléguée au château de Compiègne, dont elle s’enfuira en 1631 pour gagner les Pays-Bas ; Michel de Marillac est enfermé à Châteaudun ; quant à son frère Louis, arrêté en Italie, il sera décapité en 1632. Richelieu, qui s’empresse de placer ses fidèles, n’aura plus à affronter d’opposition dangereuse. En optant pour la politique du Cardinal, Louis XIII affirme son désir d’établir une monarchie autoritaire et puissante face aux Habsbourg, quelles qu’en soient les conséquences sur les finances du pays ; la politique du parti dévot est donc rejetée. L’idée d’une France indépendante et forte en Europe l’emporte sur celle d’une France plus juste et mieux gérée, alliée à l’autre grande puissance catholique, l’Espagne. Dupleix (Joseph François), administrateur colonial (Landrecies, Nord, 1697 - Paris 1763). Grâce aux appuis de son père, Dupleix est nommé membre du Conseil supérieur et commissaire de la guerre à Pondichéry, en downloadModeText.vue.download 295 sur 975
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284 1720. Il y constitue une importante fortune personnelle, tout en faisant preuve de talents d’administrateur qui lui valent d’être nommé gouverneur de Chandernagor (1731), puis de Pondichéry. En 1742, il devient gouverneur général des établissements français de l’Inde, et reçoit, tout comme son prédécesseur Benoît Dumas, le titre de nabab. En 1746, alors que la France et l’Angleterre s’opposent dans la guerre de la Succession d’Autriche, Dupleix enlève Madras aux Anglais, grâce à la flotte de Bertrand de La Bourdonnais, gouverneur des îles Bourbon et de France, auquel il impose de ne pas rendre la ville contre une rançon ; il est néanmoins obligé de la restituer en 1748, après la signature du traité d’Aix-la-Chapelle. Le grand dessein de Dupleix, auquel la paix avec l’Angleterre lui permet de se consacrer, est d’établir en Inde une sorte de protectorat français. Aussi met-il à profit les querelles de succession entre les multiples principautés pour obtenir des vainqueurs des avantages territoriaux et commerciaux, en échange de son aide militaire. Il parvient ainsi à étendre l’influence française sur un immense territoire - la moitié du Deccan - peuplé par quelque 30 millions de personnes. Pourtant, le projet de Dupleix avorte. Il se heurte aux ambitions anglaises et, surtout, aux réticences de la Compagnie française des Indes, qui refuse de soutenir une politique d’expansion, entendant se limiter à des activités commerciales. Après plusieurs défaites infligées par l’Anglais Robert Clive entre 1751 et 1754, Dupleix, ruiné et désavoué, est rappelé en France par Louis XV. Il meurt dans la pauvreté. Dupont de l’Eure (Jacques Charles Dupont, dit), homme politique (Le Neubourg, Eure, 1767 - Rouge-Perriers, id., 1855). Reçu avocat au parlement de Normandie en 1789, favorable à la Révolution, il est successivement maire, accusateur public, député au Conseil des Cinq-Cents en 1797, puis président de la cour impériale de Rouen, et député en 1813 et 1814. Après Waterloo, il adresse une déclaration aux puissances étrangères en faveur des libertés et proteste contre la dispersion de l’Assemblée par la force. Sous la Restauration, il compte parmi les chefs de l’opposition libérale à la Chambre, ce qui lui vaut d’être célébré par le chansonnier Béranger et d’être destitué de ses fonctions à la cour de Rouen. Après les journées de juillet 1830, il devient commissaire à la Justice dans le cabi-
net provisoire et reçoit le serment de LouisPhilippe à la Charte révisée qui le proclame « roi des Français » (9 août). Ministre dans le gouvernement Laffitte, il démissionne en décembre quand La Fayette est destitué du commandement de la Garde nationale, et rejoint de nouveau l’opposition en tant que député. Le 24 février 1848, il est élu président de l’Assemblée envahie par les insurgés, proclame la République, puis est choisi comme président du Gouvernement provisoire, dont il est le doyen. Ayant remis la démission de son gouvernement et refusé d’entrer à la Commission exécutive du fait de son grand âge, il redevient député mais ne siège pas régulièrement. Il renonce peu après à la vie politique. Gambetta lui rendra hommage, le 4 septembre 1881 au Neubourg, lors de l’inauguration d’un monument en son honneur. Dupont de Nemours (Pierre Samuel), économiste et homme politique (Paris 1739 - Eleutherian Mills, États-Unis, 1817). Fils d’un horloger calviniste, autodidacte, Dupont se révèle un « bourgeois conquérant » aux convictions profondément libérales. Disciple de Quesnay - il est un des animateurs de l’école physiocratique - et ami de Turgot, il est nommé par ce dernier inspecteur général des manufactures en 1774. Après la disgrâce de Turgot, il est protégé par Vergennes et prend en charge le commerce extérieur, participant à ce titre à la négociation du traité de libreéchange avec l’Angleterre (1786). Secrétaire de l’Assemblée des notables en 1787, il réapparaît comme député du tiers état de Nemours aux états généraux de 1789 : le cahiers de doléances qu’il rédige annonce largement l’oeuvre de la Constituante, où il se montre très actif. Demeuré fidèle au roi, il se fait discret en 1792-1793, avant de revenir à la vie publique comme membre de l’Institut et du Conseil des Anciens. Mais le coup d’État du 18 fructidor le pousse à rejoindre son fils Victor aux États-Unis. À défaut de la colonie agricole initialement projetée, il fonde une poudrerie dans le Delaware, et devient un proche de Thomas Jefferson et de James Monroe. Rentré en France en 1802, il est secrétaire de la chambre de commerce de Paris, tandis que ses affaires prospèrent. En 1814, il occupe brièvement les fonctions de secrétaire général du Gouvernement provisoire, mais repart pour l’Amérique pendant les Cent-Jours. Il y meurt en 1817, laissant à ses fils une firme appelée à une grande fortune.
Duport ou Du Port (Adrien Jean François), homme politique (Paris 1759 - Gais, Suisse, 1798). Issu d’une famille de parlementaires anoblie, conseiller au parlement de Paris, Duport joue pendant la Révolution un rôle essentiel à la Constituante. Hostile à l’absolutisme, il fonde dès 1787 le parti national (ou « patriote »), puis en 1788 la Société des Trente, qui milite en faveur du tiers état, pour l’égalité des droits et la souveraineté de la nation. Élu député de la noblesse aux états généraux de 1789, il rejoint le Tiers dès le 25 juin, et prend part de façon déterminante à l’abolition du régime féodal et à la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. À la fin de 1789, il se lie à Barnave et à Alexandre Lameth, avec lesquels il forme le très influent triumvirat. Intervenant dans tous les débats importants de la Constituante, il est le principal architecte de la réforme judiciaire. Dès le printemps 1791, cependant, hostile au mouvement populaire et soucieux de stabiliser la Révolution, il se rapproche de la cour et cherche à renforcer le pouvoir royal, ce qui est chose faite après Varennes et la révision de la Constitution de 1791, dont il est l’un des promoteurs. Personnalité dominante du Club des feuillants, et sans mandat sous la Législative, il ne peut empêcher la guerre, mais oeuvre au renvoi du ministère girondin en juin 1792, espérant négocier la paix et renverser les jacobins. Après l’échec de cette politique et la chute de la monarchie, il est arrêté en septembre 1792, puis, libéré grâce à Danton ; il émigre en Angleterre, où il se met au service de la Coalition. Installé en Suisse, il meurt prématurément de tuberculose. Dupuy (Charles), homme politique (Le Puy, Haute-Loire, 1851 - Ille-sur-Têt, PyrénéesOrientales, 1923). Normalien, agrégé de philosophie, député républicain modéré de Haute-Loire en 1885, Dupuy devient ministre de l’Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes dans le gouvernement Ribot (décembre 1892-avril 1893), puis président du Conseil (1893). Présidant la Chambre des députés en décembre 1893, lorsque l’anarchiste Auguste Vaillant y lance une bombe, il déclare : « Messieurs, la séance continue. » Il défend ensuite l’adoption des lois scélérates, qui assimilent les anarchistes à des malfaiteurs et soumettent les délits de presse aux tribunaux correctionnels. En 1894, de nouveau chargé de la
présidence du Conseil, il gère les effets de la crise de Panamá et le discrédit qui frappe la classe politique. Lors de l’affaire Dreyfus, en 1898, il retrouve la direction du gouvernement, s’oppose à toute révision pour regagner la confiance de l’armée, affirmer l’autorité civile et la raison d’État. Au même moment, il fait face à la crise de Fachoda, et négocie avec la Grande-Bretagne l’abandon de la vallée du Nil. Le gouvernement de Défense républicaine, sous la direction du dreyfusard Waldeck-Rousseau, l’écarte du pouvoir. Dupuy devient sénateur en 1900, siège qu’il occupe jusqu’à sa mort. Notable de la République, qu’il souhaite conservatrice, il n’exerce plus de responsabilités ministérielles. Duquesne (Abraham, marquis), marin (Dieppe, Seine-Maritime, 1610 - Paris 1688). Fils d’un officier marchand protestant qui l’embarque dès l’enfance sur son navire, Duquesne fait ses premières armes de marin à l’âge de 17 ans. Capitaine de vaisseau durant la guerre de Trente Ans, il s’illustre aux îles de Lérins, à Tarragone (1641) et à Carthagène (1643). De 1644 à 1647, il combat dans la marine suédoise, et remporte notamment la bataille de Femern contre la flotte danoise. À son retour en France, en 1647, il est nommé chef d’escadre, puis intervient dans la lutte contre la Fronde bordelaise. Lieutenant général des armées de mer en 1667, il guerroie contre les flottes hispano-hollandaises en Méditerranée (1675), expédition qui se solde par quatre victoires décisives : Stromboli (janvier 1676), Augusta (avril 1676), Palerme (juin 1676) et Syracuse. En guise de récompense, Louis XIV lui offre la terre du Bouchet (1681), près d’Étampes, et le marquisat ; il le charge également de bombarder Alger et Tripoli, repaires de pirates (16821683). En 1684, après être allé soumettre Gênes, qui fournissait des armes et des navires aux ennemis du roi, Duquesne prend sa retraite. Entre 1684 et 1688, il travaille avec Vauban à la fortification des côtes françaises. Calviniste convaincu, Duquesne refuse d’abjurer sa foi contre le titre d’amiral que lui downloadModeText.vue.download 296 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 285 offre le roi. Il est néanmoins le seul protestant à avoir été nommément exempté des mesures
imposées par la révocation de l’édit de Nantes. Durand (Marguerite), féministe (Paris 1864 - id. 1936). Issue d’un milieu bourgeois, Marguerite Durand s’illustre d’abord comme comédienne. Elle entre au Conservatoire en 1879, puis à la Comédie-Française, en 1882, qu’elle quitte en 1888 pour épouser le député Georges Laguerre, partisan du boulangisme, mouvement dont elle devient la « muse ». Sous l’égide de celui-ci, elle se lance dans le journalisme et dirige la Presse. En 1891, séparée de son mari, elle entre au Figaro. Sa conversion au féminisme date du Congrès féministe de 1896, auquel elle assiste en tant que journaliste. Elle crée alors un journal unique dans l’histoire de la presse, entièrement rédigé, composé et distribué par des femmes, à la fois grand quotidien d’information générale et porte-parole de la revendication féministe : la Fronde (18971905), qui joue un rôle majeur dans l’avancée du féminisme. Belle femme élégante, républicaine et dreyfusarde, Marguerite Durand fréquente le Tout-Paris et mène sa vie sans souci des préjugés. Candidate aux législatives de 1910 et aux municipales de 1927, organisatrice en 1907 d’un congrès pour la création d’un office du travail féminin, elle crée également plusieurs syndicats féminins. Cette figure pionnière des luttes féministes a aussi oeuvré pour perpétuer leur mémoire. En 1931, elle fait don à la Ville de Paris de la documentation qu’elle a réunie : naît ainsi la première bibliothèque féministe officielle, qui porte son nom et qu’elle dirigera jusqu’à sa mort. Durkheim (Émile), fondateur de la sociologie universitaire en France (Épinal 1858 - Paris 1917). Normalien, agrégé de philosophie, Émile Durkheim se donne pour tâche de fonder une science des sociétés humaines : la sociologie. Avec sa thèse, De la division du travail social (1893), des études pionnières sur la détermination sociale des conduites (le Suicide, 1897) et son ouvrage sur les Règles de la méthode sociologique (1895), il développe les principes d’une sociologie scientifique, science des faits sociaux (« manières d’agir, de penser, de sentir, extérieures à l’individu ») traités comme des choses. Sa rigueur dans l’emploi de la méthode statistique (étude des variations et des corrélations dans le cas du suicide) fait de ce travail un modèle d’analyse pour des générations de sociologues, qui délaisseront la tradition de l’enquête par entretiens prônée
par la sociologie catholique de Le Play. Plus tard, l’élargissement de son champ d’études conduit Durkheim à s’intéresser aux sociétés primitives, avec les Formes élémentaires de la vie religieuse (1912). Sa démarche repose sur le comparatisme ; elle vise à dégager des régularités dans la diversité des données de l’expérience, s’opposant à la fois à l’histoire événementielle et au modèle déductif de l’économie théorique. Cette description tend à cerner l’histoire des sociétés humaines comme celle d’une solidarité croissante, que la division du travail accentue dans une société devenue un système de fonctions. En outre, le projet scientifique se double d’un arrière-plan idéologique : distinguant les conduites pathologiques de celles normales, stigmatisant la décomposition des groupes sociaux en proie à l’anomie (dérèglement de l’organisme social), Durkheim offre une vision de la société empreinte de morale républicaine, privilégiant le respect des règles au détriment des conflits, ce que lui-même n’hésitait pas à relier à son éducation religieuse de fils de rabbin. L’influence de Durkheim provient de son autorité sur des disciples qui abordent l’anthropologie (Marcel Mauss), l’économie (François Simiand), la démographie et les représentations collectives (Maurice Halbwachs), la civilisation chinoise (Marcel Granet), voire la civilisation grecque (Louis Gernet). Elle découle aussi d’une véritable stratégie de conquête du pouvoir intellectuel par le biais de sa revue, l’Année sociologique, fondée en 1898. Cet impérialisme conduit les sociologues durkheimiens à contester l’hégémonie sur les sciences humaines des historiens, auxquels ils reprochent le culte de l’événement, de la chronologie et du politique (François Simiand, 1903), ce qui incitera plus tard Lucien Febvre et Marc Bloch à renouveler la discipline historique. Toutefois, le prestige et l’autorité morale d’un homme qui semble influencer l’évolution des facultés de lettres autant qu’un Ernest Lavisse ne suffiront pas à conforter l’institutionnalisation de la sociologie dans l’entre-deux-guerres. Duruy (Victor), universitaire et homme politique (Paris 1811 - id. 1894). Né d’un père artiste-tapissier à la manufacture des Gobelins, Victor Duruy commence là son apprentissage avant d’entrer, à 19 ans, à l’École normale supérieure. Docteur en 1853, il a déjà entamé une oeuvre importante d’his-
torien de Rome, qui lui a valu des succès de carrière et de librairie, et aussi la faveur de Napoléon III, dont on sait l’intérêt pour César. Appelé au ministère de l’Instruction publique le 23 juin 1863, Duruy se fixe pour priorité d’éclairer le suffrage universel par la généralisation de l’enseignement primaire. Mais son premier projet de loi, relatif à l’obligation scolaire, n’aboutit pas. Il s’attache alors à créer, entre l’école élémentaire et le lycée classique, un enseignement secondaire spécial, susceptible de dispenser un savoir professionnel utile et diversifié (loi du 21 juin 1865). Il travaille ensuite au développement des cours d’adultes et des bibliothèques communales. La loi du 10 avril 1867 incite les communes à créer des « caisses des écoles » afin de favoriser la scolarisation, et prescrit à celles qui comptent plus de 500 habitants d’ouvrir une école de filles. En 1868, il crée dans les locaux de la faculté de Paris l’École pratique des hautes études. Critiqué par le parti clérical, Duruy ne figure plus dans le gouvernement formé en juillet 1869. Il reprend dès lors ses travaux historiques. Sa longue retraite est jalonnée de triomphes académiques, et c’est couvert d’éloges par ses successeurs républicains qu’il meurt le 25 novembre 1894. downloadModeText.vue.download 297 sur 975 downloadModeText.vue.download 298 sur 975
E eau. Longtemps considérée, avec l’air, la terre et le feu, comme l’un des quatre éléments constitutifs de la réalité universelle, l’eau est un des objets d’étude de la chimie moderne naissante. En 1785, Lavoisier et Laplace réalisent sa synthèse à partir d’oxygène et d’hydrogène, puis, en 1800, deux Anglais expérimentent l’électrolyse. C’est aussi au XVIIIe siècle qu’Anglais et Français (dont Buffon) imaginent un circuit général cyclique et permanent de l’eau entre l’atmosphère et la Terre. Ses modalités, précisées au cours du XXe siècle, mettent en jeu les trois états de l’élément aqueux : liquide (eau), solide (neige, glace) et gazeux (vapeur d’eau). Ces connaissances scientifiques s’intègrent peu à peu à la gestion d’une eau considérée comme une « ressource », exploitable grâce au contrôle des flux et à l’augmentation des débits. • Exploitation. Les rivières, dès le néolithique et jusqu’à une époque très récente auxquelles s’ajoutent les canaux, au milieu du XVIIe siècle -, ont joué un rôle primordial dans
les transports. Par ailleurs, des aménagements mettent en valeur des sols que l’abondant réseau hydrographique rend naturellement propices à l’agriculture. Moines au XIIe siècle, ingénieurs néerlandais au XVIIe, experts contemporains, ont progressivement assuré le drainage de deux millions d’hectares, avant tout dans l’Ouest océanique. Inversement, l’irrigation a permis depuis deux siècles l’extension de cultures telles que celle du maïs, ou des produits maraîchers en zone périurbaine et dans le Midi. Enfin, l’industrie a reposé, jusqu’au XIXe siècle, sur l’association du bois et de l’eau. Cette dernière intervenait comme matière brute dans des opérations telles que le nettoyage des peaux ou la dilution de colorants mais, surtout, elle constituait l’énergie motrice des nombreux moulins qui animaient, depuis le Moyen Âge, l’outillage des industries de transformation. Vers 1900, aux roues des moulins ont succédé des turbines productrices d’électricité, cependant que les machines à vapeur d’eau ont démultiplié les capacités productives. Aujourd’hui, la moitié de l’eau consommée en France l’est par l’industrie, non seulement sur les sites naturels, mais aussi grâce au réseau d’adduction jusqu’aux lieux de son emploi. • Adduction et déjections dans les sociétés préindustrielles. Du Ier au Ve siècle, dans toute cité gallo-romaine de quelque importance, des aqueducs alimentent et des égouts débarrassent de leurs eaux usées les thermes publics, les fontaines de puisage destinées aux besoins quotidiens, les fontaines monumentales et celles, privées, des demeures patriciennes. Les conditions d’accès à l’édilité autant que la recherche de l’illustration personnelle et collective obligent les notables à pourvoir leur cité de tels équipements. Mais les mutations qui bouleversent la société gauloise des Ve et VIe siècles conduisent à l’abandon des réseaux urbains d’alimentation en eau courante : les thermes servent de bâtiments ecclésiaux, les aqueducs, de carrières de pierres. Les conditions sanitaires, que caractérise l’interruption de la « chasse » des eaux sales par les flux d’eau vive, évoluent peu pendant plus d’un millénaire. Le défaut d’hygiène par manque d’eau favorise l’apparition de la gale, de la lèpre et du typhus, alors même que la fréquente proximité des puits d’alimentation et des puisards où s’accumulent les déchets multiplie les maladies telles que les dysenteries, la poliomyélite ou le choléra. La peur de la contamination des puits s’exprime régulièrement dans la recherche de boucs émissaires : juifs jusqu’au XIVe siècle, protestants et catholiques
lors des guerres de Religion... Parallèlement, la conservation de l’eau potable demeure, jusqu’au XIXe siècle, un problème crucial. De sorte que la consommation régulière de vin, de bière ou de cidre, qui est un substitut à l’absorption d’une eau souvent dangereuse pour la santé, est, dans l’ancienne France, un facteur d’allongement de l’existence. À partir de la fin du XVe siècle, la douve défensive des forteresses médiévales s’élargit en ces miroirs d’eau qui font l’agrément des châteaux du Val de Loire et d’Île-de-France. Le faste des jardins palatiaux crée alors de nouveau un besoin d’adduction, et les aqueducs réapparaissent : à Paris, en 1623, celui d’Arcueil fournit en eau le palais du Luxembourg et le Quartier latin. Soixante ans plus tard, Louis XIV laisse inachevé l’aqueduc de Maintenon, mais fait édifier la gigantesque « machine de Marly », qui propulse l’eau de la Seine vers les 250 kilomètres de canalisations des jardins de Versailles. Déjà, à l’orée du XVIIe siècle, Henri IV a fait construire à la hauteur du Pont-Neuf la pompe de « la Samaritaine », qui alimente en eau de la Seine des fontaines publiques ainsi que celles des Tuileries, du Louvre et de quelques hôtels aristocratiques. Les ingénieurs français se mettent à l’école des hydrauliciens flamands et italiens ; tout au long du XVIIe siècle, les Francini oeuvrent pour les premiers rois Bourbons (château de Saint-Germain-en-Laye) et la haute aristocratie (tel Gondi, archevêque de Paris, à Saint-Cloud). Au seuil du XIXe siècle, l’adduction d’eau subit une mutation quantitative et qualitative : elle accompagne désormais le mouvement d’industrialisation, permet des gains de productivité dans l’agriculture et s’adapte à la croissance d’agglomérations où se diffusent les règles sanitaires contemporaines. • L’eau dans la civilisation industrielle. Depuis le XVIIIe siècle, la préoccupation de l’assainissement et de l’hygiène n’a cessé de grandir chez les autorités et les particuliers, de concert avec les progrès techniques, la croissance démographique et celle des volumes d’eaux usées. Aux fontaines de l’urbanisme classique, puis aux complexes dispositifs circulatoires qui transforment au cours du XIXe siècle la « ville-dépotoir » en une ville salubre, répondent les aménagements domestiques : les salles de bains, dont les élites sociales se dotent à partir de 1730, se démocratisent lentement jusqu’à la fin des années 1960. Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, l’eau à domicile se fait « courante » dans les grandes villes ; la
mention « eau et gaz à tous les étages » apposée sur les récents immeubles bourgeois y signale downloadModeText.vue.download 299 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 288 ce confort moderne, dont la France rurale ne bénéficiera que dans la seconde moitié du XXe siècle. Les maladies épidémiques reculent : le choléra et la typhoïde disparaissent à Paris après 1850, bien que le tout-à-l’égout n’y soit définitivement adopté qu’en 1894. Aujourd’hui, 3 300 kilomètres de canalisations et 600 kilomètres d’aqueducs apportent quotidiennement au domicile de plus de deux millions de Parisiens 300 litres d’eau courante par personne. Deux siècles plus tôt, chacun des 600 000 Parisiens disposait de 15 litres, à recueillir aux fontaines ou livrés par 2 000 porteurs d’eau. Pour répondre aux besoins, des sociétés privées gèrent la captation, le traitement, le stockage, la distribution et la récupération de l’eau. La Compagnie générale des eaux, fondée en 1853, développe l’irrigation et alimente les plus riches quartiers urbains de Lyon (1858), Nice (1864), Paris (1867). Elle et sa rivale, la Société lyonnaise des eaux et de l’éclairage, constituée en 1881, sont devenues des firmes transnationales diversifiées qui comptent en France parmi les plus gros employeurs. Ressource stratégique, l’eau est en outre placée sous la responsabilité de l’État et des collectivités locales. Si la dernière grande crue à Paris remonte à 1910, c’est que le cours des fleuves a depuis été régularisé, grâce à l’équipement du territoire en barrages qui assurent souvent, par ailleurs, une production hydroélectrique. De plus, six agences de bassin créées par l’État en 1964 surveillent la qualité et la quantité de l’eau distribuée et perçoivent des redevances. Le prix de l’eau potable, variable selon les régions, a considérablement augmenté entre 1990 et l’an 2000, afin de rentabiliser les investissements indispensables à l’amélioration ou à la préservation de la qualité des approvisionnements. Car à la « corruption » de l’eau, fléau des sociétés traditionnelles, a succédé la pollution engendrée par la civilisation industrielle, telle la contamination des nappes phréatiques par les nitrates contenus dans les engrais. Aujourd’hui, le seul milieu naturel n’est plus en mesure d’assurer la purification des eaux usées rejetées à l’écart, dans les rivières et la mer. La peur de la pollu-
tion et la recherche d’un meilleur goût ne sont pas étrangères à l’essor du marché de l’eau en bouteille. La France, où la consommation a été multipliée par 45 depuis 1950, en est le premier producteur et le premier exportateur mondial. Ce « thermalisme domestique » bénéficie, de même que les activités nautiques, d’une symbolique purificatrice plurimillénaire, que renouvelle l’exaltation publicitaire de la liberté par le bien-être, la jeunesse et le contact avec la nature. Eaux et Forêts (administration des), service chargé de la gestion des rivières et des forêts. Sous l’Ancien Régime, la forêt revêt une grande importance : le bois est un combustible essentiel et un matériau indispensable pour le bâtiment et la construction navale. Or la pression économique et démographique entraîne des déprédations, une exploitation sauvage ou des abus dans les droits d’usage traditionnels (pâturage, prélèvement du bois de chauffage, etc.). Consciente de la nécessité de protéger le capital forestier, la monarchie prend des mesures conservatoires dès le règne de François Ier, et renforce son appareil de surveillance, qui a été institutionnalisé au XIVe siècle : les Eaux et Forêts constituent une juridiction extraordinaire, composée d’officiers qui sont à la fois administrateurs et juges. Ils ont en charge les forêts du domaine royal, et exercent un droit de regard sur tous les bois des particuliers et sur les rivières (navigation, pêche, entretien des rives...). Cette administration spécialisée comporte trois échelons. Les « gruyers » et « verdiers », secondés par des sergents et des gardes, en forment la base. Au niveau du bailliage ou de la sénéchaussée, les maîtres particuliers des Eaux et Forêts, dont l’institution a été systématisée depuis 1555, gèrent l’organisation des coupes, procèdent aux arpentages et surveillent l’application des règlements (pêche, chasse, droits d’usage). Enfin, une vingtaine de grands maîtres supervisent le tout, et siègent auprès des différents parlements dans les « tables de marbre », tribunaux d’appel spécialisés. Mais les guerres de Religion et les troubles de la première moitié du XVIIe siècle ont entraîné déprédations, gaspillages et usurpations. Les forêts ne sont pas entretenues, et leur superficie a fortement reculé : elle est passée d’un tiers à un quart du territoire en cent cinquante ans. Pour lutter contre le déboisement, Colbert
entreprend en 1661 une « réformation » des forêts domaniales. En 1669, l’ordonnance de Saint-Germain-en-Laye pose, pour longtemps, les bases d’une politique de conservation patrimoniale. Ce code forestier accroît les compétences des officiers royaux, limite les droits d’usage et impose des règles d’exploitation précises à tous les propriétaires d’espaces boisés. Ces efforts portent leurs fruits au XVIIIe siècle, avant que la pression démographique et les besoins conjugués de la marine et de l’industrie, puis les urgences de la Révolution ne mettent à nouveau les forêts en péril. Mais la loi de 1801 et, surtout, le Code forestier de 1827 permettent de reconstituer une solide administration des Eaux et Forêts. L’exploitation est à nouveau soumise à des règles de conservation et de gestion à long terme, dont les principes restent largement valables aujourd’hui. Éboué (Félix), haut fonctionnaire et homme politique (Cayenne 1884 - Le Caire 1944). Ancien élève de l’ École coloniale, Félix Éboué est en 1936 le premier Noir à accéder aux fonctions de gouverneur des colonies, en Guadeloupe. Gouverneur du Tchad à partir de 1938, il répond à l’appel du 18 juin 1940 et se fait l’artisan du ralliement de L’A-ÉF et du Cameroun à la France libre. Nommé gouverneur général à Brazzaville en décembre 1940, il affronte une situation très difficile avec des effectifs fort réduits. Sa doctrine coloniale est exposée dans une circulaire générale de novembre 1941 : il y préconise notamment la décentralisation, le respect et la modernisation des structures traditionnelles africaines (chefferies), ainsi que l’éducation des masses et la formation d’une élite autochtone. Il encourage l’africanisation des cadres administratifs, promulguant notamment un « statut du notable évolué » (29 juillet 1942), qu’il attribue à 425 personnes. Il est, avec Henri Laurentie, le grand promoteur de la conférence de Brazzaville de janvier 1944, par laquelle la France libre entend jeter les bases d’une nouvelle organisation de l’empire colonial. Toutefois, déjà fort malade, il ne peut y faire prévaloir ses positions fédéralistes, que repoussent les partisans de la centralisation conduits par le gouverneur Raphaël Saller. Néanmoins, ses thèses inspireront en partie la politique coloniale de la IVe République. Éboué s’éteint au Caire le 17 mai 1944. Ses cendres ont été transférées au Panthéon en 1949.
Ébroïn, maire du palais de Neustrie ( ? - 680). On ignore quasiment tout de lui jusqu’en 658, date à laquelle il est choisi par la régente Bathilde pour exercer la fonction de major domus. Les aristocrates neustriens ne sont pas étrangers à ce choix, car ils espèrent trouver en lui un chef conciliant. Mais c’est une tout autre figure qu’impose d’emblée Ébroïn, qui met en place un pouvoir fort et centralisé, profitant de la médiocrité du roi Clotaire III. Il écarte ainsi les aristocraties bourguignonnes du palais neustrien, et combat tous les grands de son regnum qui ont tenté de le contrer, tel l’évêque de Paris Sigebert, qu’il fait exécuter. À la mort du roi, en 673, il se passe de l’assentiment des grands pour lui choisir un successeur en la personne du dernier fils de Bathilde, Thierry III. La révolte des Neustriens et des Bourguignons, soutenus par le roi d’Austrasie Childéric II, ne se fait pas attendre : Ébroïn est relégué à Luxeuil, et Thierry III à SaintDenis. L’assassinat de Childéric II permet à Ébroïn de recouvrer la liberté en 675. Il fait supprimer le nouveau maire de Thierry III revenu au pouvoir, et reprend sa lutte contre les opposants. Léger, l’évêque d’Autun, chef de file des grands bourguignons, est l’une de ses premières cibles : après avoir fait assiéger sa ville et lui avoir fait crever les yeux, il le traduit devant un synode, et obtient son exécution en 678. Puis il s’attaque à l’Austrasie, et réussit à vaincre son maire Pépin de Herstal, lorsque, objet d’une vengeance privée, il est assassiné par un grand de Neustrie. l ÉCOLE. Il n’est pas abusif d’appliquer à l’école quelques-uns des propos de Paul Valéry sur la liberté : il s’agit d’un de ces mots « desquels la mémoire est barbouillée de théologie, de Morale et de Politique ; mots très bons pour la controverse, la dialectique, l’éloquence », et aussi pour la nostalgie. La pluralité de sens soulève un ensemble de questions concernant les conditions de l’alphabétisation du peuple et les fondations de l’édifice national, le mélange qui s’y est fait entre l’héritage gréco-latin et les apports du christianisme, puis les développements ultérieurs d’une culture laïque, affranchie peu à peu de la tutelle cléricale, et devenue, à mesure que l’État moderne prenait forme, le premier aimant social, le foyer de la « cité harmonieuse », en somme, la fabrique de la France. « École » a d’abord désigné tout étadownloadModeText.vue.download 300 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 289 blissement d’enseignement, quel qu’en fût le statut ou le niveau. Cette définition extensive a laissé des traces dans notre langue, puisque, aujourd’hui encore, le terme s’applique à la fois aux établissements élémentaires et à ceux qui font la spécificité de notre enseignement supérieur, les grandes écoles. Il vient du grec scholê, qui signifie « loisir », moment propice aux activités de l’esprit, études ou arts, et du latin schola, lieu d’étude, de lecture, d’exercice intellectuel. Il est notable que le maître d’école ait été longtemps qualifié de magister ludi, « maître de jeu », donc que l’école ait été considérée par les Romains comme un lieu de repos, séparé de la vie et de ses rudes activités. Le Moyen Âge a vu se déployer lentement un savoir qui prétendait englober la « science antique dans la sagesse chrétienne » (Michel Rouche), donc rompre avec l’opposition romaine entre l’otium et le negotium, rendre au travail sa valeur éminente, et ne laisser hors de l’enseignement rien qui parût digne de connaissance. DE L’ÉCOLE ANTIQUE AUX RENAISSANCES CAROLINGIENNES Nonobstant la rareté et la dispersion des sources et des travaux sur l’éducation durant le haut Moyen Âge, Henri Irénée Marrou puis son disciple Pierre Riché ont eu le grand mérite de jeter quelque lumière sur les siècles obscurs pendant lesquels l’école antique a été remplacée par l’école chrétienne. Entre elles, il n’y a jamais eu de solution de continuité. Marrou a montré comment les chrétiens ont accepté l’école classique, et y ont envoyé leurs enfants. Pour lui, l’école ecclésiastique de type épiscopal ou presbytéral est née des « malheurs du temps », en lieu et place de l’école antique disparue. Pierre Riché voit plutôt dans ses progrès les signes d’une « réaction contre l’enseignement donné par les maîtres traditionnels », d’une « concurrence entre deux types d’écoles » - l’ancienne, vouée à la transmission d’une culture élitiste, qui ouvrait à une minorité l’accès à l’administration, et la nouvelle, destinée à faire connaître la Bible au plus grand nombre. Le portrait du Petit Lavisse qui érigeait Charlemagne en précurseur des pédagogues républicains, prodigue d’encouragements pour les enfants pauvres et travailleurs comme de sévérités pour les enfants riches et
paresseux, a connu dans notre imagerie scolaire une longue fortune. La renaissance carolingienne n’est plus aujourd’hui dissociée du faisceau des signes qui attestent en Occident, aux VIIIe et IXe siècles, un renouveau des études. Renaissance, ou restauration ? Le retour partiel, imparfait, au programme et aux procédés antiques d’enseignement indique l’orientation et les limites de ce réveil. Mû par le sentiment chrétien de ses devoirs de souverain, et par le souci de faire de la religion le lien moral unissant ses États, Charlemagne a attaché d’autant plus d’importance à l’instruction que ses ordres rencontraient d’innombrables obstacles. Son règne a vu fleurir, note Pierre Riché, plus d’ateliers de scribes que d’écoles, en dehors de celles de Metz, Lyon, Orléans, où vint se fixer Théodulf, et Tours, où enseignait Alcuin. Cette renaissance, continuée, amplifiée même par ses successeurs - c’est au IXe siècle qu’ont été recopiés, irremplaçable relais dans la transmission des textes anciens, la plupart des huit mille manuscrits carolingiens conservés de nos jours -, n’a concerné qu’un petit nombre d’hommes. ÉCOLES MONASTIQUES, ÉCOLES URBAINES, PROGRÈS ET CONTRASTES MÉDIÉVAUX Dans l’Enfant et la Vie familiale sous l’Ancien Régime (1960), Philippe Ariès affirme que la civilisation médiévale « n’avait pas l’idée de l’éducation ». Longtemps, on l’a cru sur parole. Mais le bel ouvrage de Pierre Riché et Danièle Alexandre-Bidon, l’Enfance au Moyen Âge (1994), permet d’en finir avec ces vues périmées. L’entrée dans la pueritia marquait pour l’enfant - maintenu jusqu’à 7 ans dans le cercle de la famille, comme le voulait Aristote - le moment où il pouvait commencer à apprendre ses lettres et ses prières, sous la conduite d’un précepteur, ou dans une école monastique. Quelque perturbation que l’arrivée d’enfants pût causer dans la vie religieuse des monastères, les abbés recevaient, pour les instruire, de l’argent ou des terres, en vertu d’un contrat où était précisée la durée de leur séjour. Moines et moniales ont longtemps été considérés comme les plus qualifiés pour assurer à l’enfant, garçon ou fille, outre le gîte et le couvert, l’apprentissage des rudiments, la formation religieuse, donc le salut personnel et familial. Les règles et leurs commentaires nous apprennent maint détail sur la vie de ces petits moines, où alternaient les classes et les offices, mais aussi les jeux et les bains, qu’ils jugeaient trop rares, ainsi que des repas qui les préparaient tôt à l’ascétisme. Une éduca-
tion austère, assurément, mais dont la dureté - étudier revenait souvent à « tendre la main à la férule » - n’était pas propre aux écoles monastiques. Quelques grandes abbayes ont joui d’une notoriété particulière : celle de SaintDenis, où les souverains envoyaient leurs fils ; celle du Bec, en Normandie ; ou celle de Cluny, fondée en 909 et vite devenue un foyer de culture autant qu’un centre religieux. Ce type de scolarisation présentait toutefois un risque, de plus en plus mal vécu à mesure que la société médiévale s’ouvrait et se développait : les enfants dont l’instruction était confiée aux moines n’étaient pas tous voués par leurs parents à devenir des clercs. Or la réforme grégorienne provoqua un retour des écoles monastiques à l’isolement mystique, où l’accès aux textes sacrés devait s’accompagner d’un retrait volontaire du monde. Cette évolution a favorisé l’essor des écoles urbaines, ou « petites écoles ». Fidèle au voeu de Charlemagne, Théodulf d’Orléans avait demandé aux prêtres de son diocèse d’ouvrir des écoles gratuites jusque dans les villages. Pouvait-il être obéi ? L’école de Reims, rétablie par l’archevêque Foulques, qui avait eu pour maître Gerbert d’Aurillac, le pape de l’an mil, connut un succès durable. Pourtant, à en croire Guibert de Nogent, vers 1060 encore « on ne rencontrait pour ainsi dire pas de maître de grammaire dans les bourgs ; c’est à peine si on pouvait en trouver dans les grandes villes : encore leur science était-elle bien courte ». Mais, « au début du XIIe siècle, dit-il, la grammaire fleurit de tous côtés, et le grand nombre des écoles la met à la portée des plus pauvres ». Le mouvement de création des petites écoles accompagne l’essor des villes et du commerce entre les hommes. Une école est ouverte partout où se tient un chapitre de chanoines, dans une cathédrale ou dans une collégiale, à charge pour son « écolâtre » d’en recruter les maîtres. Le plus ancien texte connu sur l’organisation des petites écoles parisiennes, qui date de 1337, mentionne les obligations qui leur sont imposées par serment. En 1380, on compte à Paris quarante et un maîtres et vingt-deux maîtresses. Est-ce à dire que les garçons sont séparés des filles ? Pas partout, puisque Jean Froissart évoque, dans l’Épinette amoureuse, « l’école où sont mêlés bachelettes et puchiaux ». De trop rares documents laissent aussi entrevoir un semis d’écoles rurales, plus dense, apparemment, dans les provinces du Nord et du Nord-Est que dans celles du Midi. Schola scala « l’école est une échelle » : cet enseignement, où le rôle essentiel est dévolu à la mémoire, en a conscience
et fait la distinction entre l’acquisition des rudiments et l’accès à la science. De tout cela, il ne faut point tirer de conclusion trop optimiste. Les débuts de l’école élémentaire en France restent mal connus, tout comme ceux de l’alphabétisation, si tant est, note lucidement Jacques Verger, « que ce phénomène soit saisissable au Moyen Âge ». Le tissu scolaire était loin d’être stabilisé : il n’est pas certain, estime Marc Venard, que sa densité ait été, au XVIe siècle, supérieure à ce qu’elle était au XIIIe, avant les grandes calamités qui ont nom Peste noire et guerre de Cent Ans. Combien de mères auraient pu dire encore, comme celle de Villon : « Femme je suis povrette et ancienne, Qui riens ne sçay ; oncques lettre ne lus. Au moustier voy dont suis paroissienne Paradis peint où sont harpes et lus, Et ung enfer où dampnez sont boullus. » LES APPRENTISSAGES ÉLÉMENTAIRES, DE LA RÉFORME AUX LUMIÈRES Le lien indissoluble qui unissait alors l’acquisition des rudiments à l’initiation religieuse et morale devint, à la faveur de la lutte d’influence entre catholiques et protestants, un facteur décisif des progrès de l’alphabétisation et de la scolarisation. Il faut distinguer les deux, car le devoir d’instruire les enfants incombait aux parents, et ceux qui le pouvaient préféraient engager un précepteur. Montaigne, que son père avait confié à un précepteur allemand « du tout ignorant de notre langue et très bien versé en la latine », demandait que l’on choisît pour l’enfant « un conducteur qui eût plutôt la tête bien faite que bien pleine », et qu’on ne l’abandonnât point à « l’humeur mélancolique d’un furieux maître d’école ». Il n’empêche, pour tous ceux à qui ce luxe est interdit, l’école reste le cadre normal de « l’institution des enfants ». Marc Venard a utilement corrigé une idée reçue : l’école n’est pas alors exclusivement l’affaire de l’Église, même si, au siècle dernier, cléricaux et anticléricaux eurent intérêt, pour des raisons inverses, à le faire croire. Deux régimes distincts coexistent dans la France des temps modernes : l’un, que l’on peut dire ecclésiastique ou paroissial, prédominant dans le nord du pays ; l’autre, laïque
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DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 290 ou communal, majoritaire dans le Midi. En revanche, il est clair que l’école constitue très tôt un enjeu central dans la concurrence entre catholiques et protestants. Les premiers furent stimulés par les seconds, pour qui la foi imposait la lecture personnelle de la Bible. C’est pourquoi l’Église établie, forte de l’appui du pouvoir royal, tint à s’affirmer, au fil du siècle, comme la surveillante et la propagatrice de l’école, consciente de l’utilité de cette dernière pour l’ordre social autant que pour le rayonnement de la foi. Certes, les écoles de charité, gratuites, ne furent pas créées en nombre suffisant, et se heurtèrent partout à de grandes difficultés. Il faudra attendre, au XVIIe siècle, l’action de Vincent de Paul et surtout de JeanBaptiste de La Salle pour voir ce type d’établissements connaître enfin le développement qu’imposait l’existence de masses urbaines misérables, toujours plus nombreuses, donc plus redoutables. Au vrai, l’idée de rendre le savoir pleinement accessible au peuple a longtemps été réfutée par les élites. Après Richelieu, Colbert a souhaité que l’enseignement dispensé dans les petites écoles fût réduit au minimum. Et si Diderot ironise sur le fait qu’« un paysan qui sait lire et écrire est plus malaisé à opprimer qu’un autre », Voltaire, quant à lui, tient pour « essentiel qu’il y ait des gueux ignorants » ; Rousseau lui-même, au nom de son souci de maintenir l’homme au plus près de l’état de nature, ne destine pas à « l’enfant du villageois » le programme de son Émile. Au demeurant, François Lebrun l’a souligné : s’agissant de la France de la fin de l’Ancien Régime, où 80 à 90 % de la population vit à la campagne, « se borner à parler d’écoles au sens strict du terme, en ayant présentes à l’esprit les formes structurées et régulières qui se mettent en place au XIXe siècle », c’est pécher par anachronisme. Incontestablement, l’Église reste alors le principal soutien de l’instruction populaire. Mais, une fois retombé l’élan de la Contre-Réforme, c’est à l’« utilité profane » de l’instruction que la société a attribué toujours plus d’importance. De là les vues nouvelles défendues par les hommes des Lumières : l’école ne doit pas seulement répondre à des préoccupations charitables, ni même étroitement économiques, comme dans la pensée des physiocrates, mais créer les conditions de
l’émancipation. Ce souci de régénération de l’homme, la Révolution française le fait sien, ce qui lui impose de donner à l’État, en matière d’enseignement, un pouvoir que l’Église n’était pas disposée à lui reconnaître. L’ÉCOLE DEPUIS LA RÉVOLUTION Les dix années de la période révolutionnaire ont laissé à la France, non le dense et stable réseau d’écoles publiques qui lui manquait, mais un ensemble de principes et de questions qui inspirent toujours les réflexions des pédagogues. La mission de veiller à l’instruction des enfants doit-elle ou non revenir à l’État ? Quelle part d’autorité les parents doivent-ils déléguer à l’instituteur ? Suivant quelles modalités l’instruction et l’éducation peuvent-elles être conciliées ? Quelle place faut-il attribuer, dans le programme de l’école, à une instruction morale et civique affranchie des dogmes religieux ? Mona Ozouf et Dominique Julia ont souligné, après Michelet, combien la Révolution, à ses heures les plus heureuses, s’est voulu en elle-même pédagogie, dans ses fêtes autant que dans ses assemblées. Parce qu’ils se sont donné les moyens de réussir où leurs prédécesseurs, en 1792 comme en 1848, avaient échoué, les fondateurs de la IIIe République ont en quelque sorte éclipsé ceux qui, au cours du XIXe siècle, avaient préparé leur action. F. Guizot, d’abord, qui a fait adopter en 1833 une loi imposant à toutes les communes d’entretenir une école. Victor Duruy, ensuite, qui, en 1867, a fait obligation à toutes les communes de plus de cinq cents habitants d’ouvrir une école de filles. Mais le retard de la scolarisation féminine, ce sont bien les républicains qui l’ont comblé. Lorsqu’en 1870 Jules Ferry a fait le serment de consacrer ses forces à « l’éducation du peuple », il a mis l’accent sur cet enjeu décisif : « Il faut que la femme appartienne à la science, ou qu’elle appartienne à l’Église. » Gratuite, en vertu de la loi du 16 juin 1881, la scolarisation primaire devient obligatoire pour tous les enfants de 6 à 13 ans, sauf s’ils obtiennent avant cet âge le certificat d’études, qui en marque l’aboutissement. Par ailleurs, la loi du 28 mars 1882 supprime des programmes l’enseignement religieux, et le remplace par l’« instruction morale et civique », avant que celle du 30 octobre 1886 vienne confirmer l’intention du gouvernement d’installer, dans toutes les écoles publiques, des enseignants laïques. Les conditions d’une « guerre scolaire » - qui n’a pas encore trouvé d’issue définitive - sont donc réunies. D’un
côté, l’alliance du trône et de l’autel : elle a cru triompher, en 1850, avec l’adoption de la loi Falloux, qui a redonné à l’Église un pouvoir de surveillance sur les instituteurs publics, mais elle a montré, au temps de l’Ordre moral, son impuissance à renverser le cours du siècle. De l’autre, la République, c’est-àdire, à cette époque, la gauche - une gauche préoccupée de refermer le cycle des révolutions, d’asseoir l’ordre social sur les ruines de la Commune, d’enraciner enfin dans le pays l’institution qui doit former des citoyens libres et éclairés, conscients d’appartenir à la Grande Nation, et prêts à lui assurer, demain, « la revanche » qu’elle attend sur l’ennemi qui lui a pris l’Alsace et la Lorraine. Voilà pourquoi les républicains ont voulu voir la France revêtue d’une « blanche robe » d’écoles neuves, tout comme la chrétienté de l’an mil s’était couverte d’églises. « Cette école égalise et délivre », disait Alain, du même mouvement. Le XXe siècle a ajouté pourtant au cahier des charges de la « démocratisation » des exigences nouvelles. Instrument d’émancipation et d’ascension sociale, l’école de Jules Ferry l’est dans des limites rigides : certes, le certificat d’études donne accès aux emplois publics, mais il faudra attendre 1930 pour que les portes des lycées soient gratuitement ouvertes aux enfants du peuple. Cadre d’intégration, elle l’est aussi, en raison de sa force assimilatrice : la différence n’y est admise que pour se fondre, au creuset national, dans le même, dans l’un, et non pour obtenir la reconnaissance de quelque autonomie. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes de notre temps que, après avoir favorisé l’intégration des minorités protestantes ou juives, la laïcité républicaine, tolérante et souple dans son principe, puisqu’elle n’a jamais exclu la liberté d’enseignement, soit parfois considérée, par ceux-là mêmes qui devraient la défendre et la promouvoir, comme un obstacle au respect des particularités. Au citoyen d’aujourd’hui, qu’enseigne donc l’histoire de l’école ? Sous sa forme républicaine, l’école est le fruit d’une très longue patience, de conquêtes qui ne peuvent être mieux affermies qu’en étant poursuivies. Sa fonction ne consiste sans doute pas à fournir, aux enfants ni à leurs parents, des formules infaillibles propres à « changer la vie », mais plutôt à être, conformément au voeu de Ferdinand Buisson, l’institution capable de « façonner les générations nouvelles, non au gré du hasard, des caprices individuels ou des vues étroites de la famille, mais en vue de la vie
commune ultérieure, et en raison des besoins de la société ». École militaire de Paris, institution de formation militaire créée sous Louis XV. Depuis le XVIIe siècle, la nécessité se fait sentir d’améliorer le niveau intellectuel des officiers et, surtout, de permettre aux fils de la petite noblesse de province désargentée « d’occuper des postes dignes de leur naissance ». À l’initiative de Mme de Pompadour et du financier philanthrope Pâris-Duverney, Louis XV crée en 1751 une École royale militaire, dont la conception architecturale est confiée à Gabriel. L’école, édifiée face au Champ-deMars, peut accueillir 500 boursiers, fils de militaires. Ils sont admis, sans concours, à partir de 8-9 ans, à condition de justifier de quatre générations de noblesse, d’un certificat d’indigence, et de savoir, en principe, lire et écrire. Le programme, étalé sur huit ans, apparaît extrêmement ambitieux : mathématiques, dessin, logique, géographie, topographie, histoire, droit de la guerre, notions de tactique, danse, escrime, manège, mais aussi grammaire française, latin, allemand, italien. La discipline est sévère, et les châtiments sont rudes : prison, cachot, habit de bure, privations pour les paresseux, les élèves malpropres ou indociles. Le succès de l’école est mitigé. En raison du niveau extrêmement inégal des élèves, une école de préparation est créée en 1764 et installée dans le collège de La Flèche, avant qu’en 1776 le comte de Saint-Germain ne se décide à fermer l’établissement parisien, qui formait des élèves condamnés à végéter dans les grades subalternes. Il répartit alors les cadets-gentilhommes, portés au nombre de 600, dans 12 « écoles royales militaires », qui ne sont, en réalité, que des collèges dirigés par des religieux, comme Sorèze, Tournon, Auxerre, Vendôme, La Flèche ou Brienne. Les « élèves du roi » côtoient ainsi nobles et roturiers, qui ne se destinent pas tous à la carrière des armes. Les programmes accordent cependant la primauté à l’enseignement militaire, incluant des notions d’artillerie, de guerre de siège, de maniement d’armes. Les meilleurs éléments, tel le jeune Napoléon Bonaparte, complètent leur formation à l’École militaire downloadModeText.vue.download 302 sur 975
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de Paris, rétablie dès le 17 juillet 1777, avant sa suppression définitive en 1788. Depuis, l’École militaire a abrité successivement la Garde consulaire, la Garde impériale et la Garde royale sous la Restauration. Elle a accueilli, à la fin du XIXe siècle, les écoles supérieures de guerre, jusqu’à leur fusion en 1994 dans le Collège interarmées de défense (CID) ; elle est le siège du Centre des hautes études militaires (CHEM) et de l’Institut des hautes études de la Défense nationale (IHEDN). École normale supérieure, établissement d’enseignement supérieur destiné à former des professeurs et des chercheurs, littéraires et scientifiques. Inspirée de l’expérience autrichienne des Normal-Haupt und Trivialschulen organisées en 1774 par Marie-Thérèse pour former les maîtres d’une instruction devenue publique après la suppression de l’ordre des Jésuites, une première École normale est créée par la Convention nationale, le 9 brumaire an III (30 octobre 1794). Regroupant certains des meilleurs savants de l’époque (Monge, Laplace, Lagrange, Berthollet), elle reçoit pour mission de former les instituteurs de la République selon la « méthode révolutionnaire », déjà éprouvée à l’École des armes, et qui consiste en un enseignement de qualité, à la fois centralisé et accéléré. Mais cette première expérience échoue, et l’école ferme en mai 1795. Son souvenir, attaché aux personnalités qui y ont enseigné, se perpétue pourtant, et, le 17 mars 1808, un décret impérial fonde un établissement similaire, sous le nom de « pensionnat normal ». Dès lors, malgré des changements d’appellation - elle reprend le nom d’École normale en 1830, auquel s’ajoute « supérieure » en 1845 - et une brève suspension entre 1822 et 1826, l’ENS devient un élément essentiel de l’enseignement supérieur. En 1847, après avoir été hébergée en divers lieux - amphithéâtre du Muséum, séminaire du Saint-Esprit, lycée Louis-le-Grand, etc. -, elle s’installe dans ses murs, rue d’Ulm. À partir des années 1890, la stabilisation du régime républicain contribue à l’élever au rang de véritable institution nationale : connue du grand public, elle s’impose aussi dans l’imagerie littéraire, notamment à travers les oeuvres de Romain Rolland, Jules Romains ou Roger Martin du Gard. L’influence des normaliens culmine dans l’entre-deux-guerres : puissants au sein de l’Université, ils investissent le milieu littéraire ; l’Académie française, par exemple, comprend alors régulièrement un
quart d’anciens élèves. Cependant, c’est en politique que leur ascendant s’affirme le plus : le nombre de députés normaliens reste sans doute modeste (9 en 1924, 13 en 1928), mais certaines des personnalités politiques les plus en vue, particulièrement dans les rangs de la gauche, sont issues de l’institution. Après Jean Jaurès, Édouard Herriot, Paul Painlevé et Léon Blum incarnent ce que d’aucuns considèrent comme une emprise de l’École normale sur la vie politique. Cette influence décroît lentement après 1945, malgré l’élection de Georges Pompidou à la tête de l’État en 1969. Subsiste alors l’éclat intellectuel de quelques figures emblématiques : Sartre, Althusser, Foucault. Mais, dans les années soixante-dix, l’ENS perd son aura dans l’imaginaire collectif. écoles normales d’instituteurs, établissements chargés de la formation des maîtres d’école, dont les premières apparaissent en Alsace et en Lorraine à partir de 1810. « Les départements placés à l’avant-garde de la défense nationale furent aussi à l’avantgarde de la diffusion de l’enseignement populaire », soulignait en 1900 l’inspection générale. Guizot, pour qui l’État ne devait pas se dérober à sa fonction d’instituteur national, fit adopter en 1833 une loi obligeant chaque département à ouvrir une école normale de garçons. Mais l’Église et les conservateurs, considérant que le demi-savoir acquis par les élèves-maîtres était une menace pour l’ordre, les critiquaient sans relâche. En 1850, Falloux n’empêcha leur suppression qu’en laissant aux conseils généraux le choix de les conserver. Aucune école ne fut fermée sous le second Empire. En 1879, la loi Paul Bert marqua un tournant décisif : désormais tout département devait se doter de deux écoles normales, l’une pour les garçons et l’autre pour les filles. Leur organisation n’allait plus connaître de bouleversements avant que le régime de Vichy ne décide de les remplacer, dès septembre 1940, par des instituts régionaux de formation professionnelle. Après 1945, l’abolition de la barrière entre les ordres d’enseignement, le souci de revaloriser, fût-ce sur un mode symbolique, le métier d’instituteur et de mieux l’adapter aux transformations de la société ont conduit, de réforme en réforme, à la suppression des écoles normales, remplacées à partir de 1991 par des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM).
Écouen (édit d’), édit promulgué par Henri II le 2 juin 1559, par lequel le roi nomme des commissaires qu’il charge de poursuivre les protestants et auxquels il demande à tous ses officiers d’apporter leur concours. Cette intransigeance monarchique face à l’Église réformée, inspirée par le connétable Anne de Montmorency, s’inscrit dans la politique catholique affirmée depuis l’édit de Fontainebleau (1540) et réactivée par le traité de Cateau-Cambrésis (2 avril 1559), scellant la paix franco-espagnole au nom de la guerre à outrance contre les hétérodoxes. L’édit de Compiègne (1557) condamnait déjà à mort tout individu coupable d’hérésie. Mais la nouvelle Église ne cesse de se développer, et n’hésite pas à se manifester ouvertement (réunion calviniste au Pré-aux-Clercs du 13 au 19 mai 1558). En vertu du nouvel édit, Henri II décide alors l’envoi dans toutes les provinces du royaume de « certains bons et notables personnages, pour procéder à l’expulsion, punition et correction desdits hérétiques ». Ces commissaires doivent accélérer la procédure, sorte d’Inquisition civile. Mais certains conseillers au parlement de Paris protestent contre cet absolutisme religieux qui heurte autant leurs privilèges que leur conviction religieuse. Le souverain réagit brutalement en embastillant les magistrats les plus contestataires (10 juin 1559). Malgré la mort du roi (10 juillet 1559), la ligne définie par l’édit d’Écouen est maintenue. L’édit de Villers-Cotterêts (4 septembre 1559) ordonne que les maisons accueillant des réunions de réformés soient rasées. Dans l’année, dix-sept réformés sont exécutés à Paris ainsi que le conseiller au parlement Anne du Bourg (23 décembre 1559), qui a recommandé la clémence envers les hérétiques. écrouelles, maladie que les rois capétiens avaient la réputation de guérir, depuis le XIIe siècle, au moins. Souvent associée à une tuberculose génitale, cette affection se caractérise par une inflammation des ganglions lymphatiques, notamment au niveau du cou ; spectaculaire mais rarement mortelle, elle peut être guérie à la suite d’un choc psychologique. Guibert de Nogent (vers 1053-vers 1124) est le premier à mentionner, à propos de Louis VI le Gros, le rite de guérison des écrouelles par le roi de France, rite qu’il présente comme coutumier depuis le règne de
Philippe Ier (1060/1108). Il est possible que la tradition remonte encore plus loin : Helgaud de Fleury, biographe de Robert II le Pieux (roi de 996 à 1031), rapporte les nombreuses guérisons dues à ce souverain, mais rien n’indique qu’elles aient bénéficié à des scrofuleux. Le pouvoir thaumaturgique des Capétiens est évidemment lié au sacre, qui, par l’onction, leur confère une aura surnaturelle. La propagande royale du XIIe siècle utilise sans doute aussi un vieux fonds de croyances populaires concernant les rois magiciens ou les saints guérisseurs, tel Marcoul, dont le culte paraît singulièrement lié aux origines du toucher des écrouelles. À la même époque, les souverains normands, puis les Plantagenêts d’Angleterre, s’affirment aussi guérisseurs d’écrouelles, et prétendent avoir hérité ce pouvoir du dernier roi anglo-saxon, Édouard le Confesseur (1003-1066). À partir du XIIIe siècle, le rite prend sa forme définitive. Tout en touchant le malade et en faisant un signe de croix, le roi prononce la formule « Le roi te touche, Dieu te guérit ». La pièce de monnaie remise en aumône aux scrofuleux acquiert à son tour des pouvoirs thaumaturgiques. Saint Louis « touche » ainsi tous les jours des malades qui, parfois, viennent de fort loin pour solliciter leur guérison. Malgré les critiques dont il fait l’objet de la part d’une Église gagnée à la réforme grégorienne, et, des siècles plus tard, de la part des philosophes des Lumières (en particulier de Montesquieu dans ses Lettres persanes), le rite de guérison des écrouelles se maintient jusqu’à la Révolution, et même au-delà. Charles X est le dernier roi à s’y prêter, juste après son sacre en 1825, mais la formule qu’il prononce à cette occasion est devenue « Le roi te touche, Dieu te guérisse ». Le roi-guérisseur s’est mué désormais en roi-intercesseur. écu, une des principales monnaies françaises, frappée en or puis en argent, ayant cours du XIIIe au XIXe siècle. downloadModeText.vue.download 303 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 292 Émis vers 1266, l’écu de Saint-Louis est la première monnaie d’or royale depuis des siècles. Il tire son nom de l’écu (bouclier) semé de fleurs de lis qui figure sur la pièce. Parmi d’autres monnaies, l’écu réapparaît régulièrement sous Philippe VI, puis Charles VI (écu à la couronne). Mais c’est Louis XI qui assoit
la célébrité de la pièce en frappant en 1475 l’« écu au soleil », qui connaît un immense succès pendant tout le XVIe siècle. Sa valeur (33 sous tournois à l’origine) croît progressivement (45 sous tournois en 1533, 60 en 1575). En 1577, Henri III tente de faire de l’écu l’unité de référence du système monétaire français, en supprimant le compte par livre, et donc la distinction entre les espèces et une monnaie de compte. L’expérience échoue, mais l’écu d’or lui survit. Les dernières frappes ont lieu en 1656, et la pièce, évaluée 120 sous tournois en 1689, est officiellement retirée de la circulation (« décriée ») peu après. Le louis d’or lui a déjà succédé. Pour permettre le compte par écu, un écu d’argent est également frappé à partir de 1580. Valant un quart de l’écu d’or, il reçoit le nom de « quart d’écu ». Mais c’est à partir de 1641 qu’est frappé le plus célèbre écu d’argent. Après une série de mutations, sa valeur est définitivement stabilisée en 1726 à 120 sous. Si la pièce de 5 francs (appelée d’ailleurs « écu de 5 francs ») prend sa suite sous la Révolution, l’écu d’argent royal n’est officiellement démonétisé qu’en 1829. écuyer, terme apparu dans la langue française au XIe siècle et désignant celui qui porte l’écu (« bouclier ») d’un chevalier. Jeune homme placé par ses parents auprès d’un chevalier pour être éduqué, l’écuyer accompagne celui-ci à la chasse, en tournoi ou à la guerre, porte et entretient ses armes, s’occupe de l’écurie et prépare le gîte et la table ; activités subalternes dont il s’acquitte avant d’être lui-même armé chevalier. Entré dans cette fonction vers l’âge de 12 ou 15 ans, l’adolescent l’exerce habituellement durant cinq à sept années ; il est ensuite adoubé. Jusqu’à la fin du XIIe siècle au moins, le mot « escuier » désigne plus une fonction qu’un statut social. Puis, à la fin du Moyen Âge, avec les modifications du monde féodal, il en vient à désigner un noble de seconde zone qui, n’ayant pas les moyens de s’établir chevalier, retarde l’âge de l’adoubement. En 1293, Philippe le Bel punit d’une forte amende tout damoiseau âgé de 24 ans resté écuyer. Au cours des derniers siècles médiévaux, le nombre d’écuyers s’accroît considérablement. C’est en partie pour cette raison que leur charge auprès des princes se spécialise : écuyer de bouche ou de cuisine, écuyer tranchant (qui coupe les viandes à la table), etc. Il s’agit alors d’un service domestique qui perd tout caractère militaire et cesse d’être une préparation
à la vie de chevalier. Au XVIe siècle, le terme écuyer est employé comme synonyme de gentilhomme de simple noblesse, par opposition au chevalier et au seigneur titré. Edgar Faure (loi) ! Faure (loi Edgar) éducation nationale ! instruction publique Éduens, puissant peuple gaulois, le plus souvent allié des Romains. Le pays éduen recouvre les départements actuels de la Nièvre et de la Saône-et-Loire, et une partie de ceux de la Côte-d’Or, de la Loire, du Rhône et de l’Yonne. Les Éduens contrôlent donc l’axe nord-sud qui, par la Saône, met en relation le monde méditerranéen avec le nord de la Gaule et, au-delà, les îles Britanniques, d’où provient en particulier l’étain ; mais ils commandent également un axe de communication est-ouest, entre le Bassin parisien, les pays rhénans et alpins. C’est une riche région de culture, mais aussi d’élevage (Morvan), notamment de chevaux (la cavalerie éduenne est très puissante) ; les forêts fournissent du bois de charpente, les sols et sous-sols, de l’argile pour la poterie et divers métaux (cuivre, or, fer, argent, etc.), que les artisans - des métallurgistes et des orfèvres renommés - transforment. Ce peuple occupe donc une position stratégique, qui incite très tôt le monde méditerranéen à rechercher son alliance. Dès le IIe siècle avant notre ère, les Éduens sont officiellement proclamés « amis et frères du peuple romain ». Ils alignent leur monnayage sur celui de Rome, et s’honorent de leur amitié avec les Romains, qui les protègent contre les convoitises de leurs voisins : Arvernes au sud-ouest, mais aussi Séquanes ou Helvètes à l’est. C’est d’ailleurs la menace helvète qui sert à César de prétexte pour sa première intervention en Gaule, à l’appel des Éduens, en 58 avant notre ère. Pendant la guerre des Gaules, ceux-ci misent presque toujours sur Rome, sauf au moment de l’ultime insurrection générale conduite par Vercingétorix. César ne leur en tiendra d’ailleurs pas longtemps rigueur. Les fouilles archéologiques menées sur le mont Beuvray, dans le Morvan, ont révélé l’importance de l’oppidum de Bibracte, capitale des Éduens. Elles ont aussi montré l’influence très précoce de Rome, notamment dans l’architecture, même si, après la conquête, Bibracte est abandonnée au profit
de la ville nouvelle d’Augustodunum (Autun). Des opérations de dragages de la Saône ont en outre permis de retrouver des milliers d’amphores romaines, preuve que Chalon était alors un actif port fluvial. Égaux (conjuration des), complot babouviste contre le Directoire, découvert en mai 1796. À l’automne 1795, alors que le Directoire s’installe, l’opposition de gauche, réprimée par la Convention thermidorienne, se reforme. Le club du Panthéon, où se réunissent les démocrates depuis le 16 novembre, mène l’attaque contre la République bourgeoise fondée sur le suffrage censitaire. Par crainte d’un renouveau du mouvement populaire, à un moment où l’inflation et la pénurie provoquent des émeutes en province, le gouvernement ordonne la fermeture du club (février 1796). Les républicains les plus radicaux sont donc rejetés dans la clandestinité, où ils rejoignent Gracchus Babeuf. Ils préparent le renversement du Directoire en constituant, le 30 mars 1796, un directoire secret exécutif de salut public - ou comité insurrecteur, sommet d’une structure insurrectionnelle et cloisonnée -, qui comprend Babeuf, Antonelle, Maréchal, Lepeletier, Darthé, Buonarroti et Debon. Leur programme politique, égalitariste, prévoit une dictature provisoire d’une « convention d’Égaux ». L’organisation s’appuie sur des agents et des militants, chargés de nouer des contacts dans l’armée et la police, d’agiter les milieux populaires et de propager les idées babouvistes. Peu discrète, la conjuration est vite connue du Directoire qui fait voter, le 16 avril 1796, une loi punissant de mort les auteurs de discours ou d’écrits prônant le renversement du régime ou la loi agraire, et dissout, le 30 avril, la Légion de police (chargée de la sécurité de Paris), noyautée par les babouvistes. Le 10 mai, trahis par un de leurs agents militaires, les conjurés sont arrêtés, puis déférés à la Haute Cour de justice, établie à Vendôme, sans que cela entraîne aucune réaction populaire. La conjuration, qui se prolonge avec l’affaire du camp de Grenelle (tentative d’inciter des soldats à se rebeller, en septembre 1796), est, pour le Directoire, l’occasion de lancer une bruyante campagne de presse exagérant le péril babouviste à des fins électoralistes. En fait, la conjuration élitiste n’a pas de réel soutien populaire et s’est abusée tant sur le nombre que sur les motivations de ses sympathisants, plus attachés à la Constitution de
1793 qu’au babouvisme. Parmi la cinquantaine d’inculpés présents au procès de Vendôme (20 février-26 mai 1797), la moitié sont étrangers au complot. Pour les épargner, les babouvistes choisissent de nier leurs projets. Concentrant sur eux l’accusation, Babeuf et Darthé sont condamnés à mort et exécutés le 27 mai. Sans réelle audience, la conjuration des Égaux ne serait qu’une péripétie si, en 1828, Buonarroti ne lui consacrait un livre, qui inspirera les socialistes du XIXe siècle. Éginhard ou Einhard, homme de cour et écrivain (Franconie vers 770 - abbaye de Seligenstadt 840). Eginhard fut élevé à Fulda, puis envoyé à Aix, où il put parfaire son éducation dans l’entourage d’Alcuin. Il appartint ce que l’on appelle l’Académie palatine et acquit une position de premier plan dans l’entourage de Charlemagne, qui fit appel à ses talents d’architecte - notamment lors de la construction du palais d’Aix-la-Chapelle - et à ses capacités de diplomate. Il fut le secrétaire de Louis Le Pieux et le précepteur de son fils aîné, Lothaire. En 830, il se retira dans l’abbaye qu’il avait fait construire à Seligenstadt, dans le Maingau. Homme de très haute culture, Éginhard est surtout connu pour sa Vie de Charlemagne, composée entre 830 et 835, et qui constitue une source de première importance. L’auteur emprunte à Suétone la forme littéraire de la biographie et jusqu’à certaines tournures de phrase. L’information est en règle générale d’excellente qualité, fondée sur l’utilisation des annales du royaume et sur le recours à des souvenirs personnels. Il en résulte une oeuvre de propagande, certes, mais d’une remarquable fraîcheur et, dans l’ensemble, fiable. downloadModeText.vue.download 304 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 293 Éginhard est également l’auteur de soixantedix lettres qui, réunies en un recueil destiné à fournir des modèles, nous sont parvenues. Elles apportent des informations uniques sur le développement des relations vassaliques et contiennent également des renseignements sur l’attitude politique de leur auteur durant les luttes civiles qui marquèrent le règne de Louis le Pieux. l ÉGLISE. C’est à partir du grec ekklesia (« convocation »), à travers son décalque
latin, ecclesia, que le français a forgé le mot « église ». L’ekklesia désigne, dans les versions grecques de la Bible des Septante, l’assemblée du peuple hébreu convoquée par ses guides (Moïse, Salomon) pour célébrer l’alliance d’Israël avec Yahvé. C’est encore par le terme ekklesia que le premier christianisme a traduit, de l’araméen en grec, la parole de Jésus dans l’Évangile de Matthieu (XVI, 18) : « Je bâtirai mon Église » ; la métaphore de la construction prend ici valeur de promesse messianique et d’espérance eschatologique dans l’édification d’un « nouveau Temple » et d’une « Jérusalem céleste ». La triple signification que le mot « église » assume aujourd’hui dans la langue française - bâtiment destiné au culte divin (sens pour lequel on a réservé la minuscule) ; assemblée des fidèles (qu’elle soit particulière ou universelle) ; corps mystique du Christ réunissant dans l’unité de la foi et l’espérance de la résurrection les vivants et les morts - découle de cette polysémie originelle, source de toutes les tensions historiques et religieuses qui ont affecté l’Église : entre cité terrestre et cité céleste, promesse et institution, construction humaine et projection eschatologique. AUX ORIGINES DE L’ÉGLISE CHRÉTIENNE Des premières communautés chrétiennes attestées en Gaule au début de l’évangélisation (martyrs de Lyon et de Vienne, 177) au moment où apparaissent les plus anciennes élaborations d’une doctrine de l’Église (ou ecclésiologie) s’écoulent plusieurs siècles, marqués à la fois par les conditions sociales et historiques de la christianisation, l’expérimentation de formes institutionnelles importées d’Orient ou inédites et la recherche d’équilibres encore fragiles. Les communautés de la Gaule romanisée réunissent des groupes restreints de fidèles, principalement urbains, autour d’un presbyterium réduit (l’évêque, les prêtres, les diacres) ; c’est le temps aussi des premières expériences érémitiques ou monastiques (Tours, Lérins). L’âge mérovingien, à l’aube duquel émerge la figure du roi chrétien (baptême de Clovis, roi des Francs, vers 496), voit la mise en place de structures ecclésiastiques plus affirmées et plus diversifiées : le diocèse, calqué sur la délimitation des anciens pagi (pays) romains, à la tête duquel se place l’évêque (généralement issu des familles de l’ancienne aristocratie gallo-romaine, en voie de fusion avec l’aristocratie germanique) ; le presbyterium, groupe de prêtres, de chantres et de diacres, qui assure le service liturgique à l’église cathédrale ; la paroisse rurale, en voie
de constitution sous la protection des propriétaires des grandes exploitations agricoles ou forestières (villae) ; le monachisme, d’origine irlandaise ou bénédictine - bientôt étendu aux femmes à l’initiative de sainte Radegonde -, au sein duquel se détache la puissante figure de l’abbé ; l’érémitisme enfin. L’âge carolingien est celui d’une première synthèse ecclésiologique élaborée à la cour de Charlemagne et de ses premiers descendants par leurs conseillers lettrés, clercs ou évêques (Raban Maur, Alcuin, Benoît d’Aniane, Agobard de Lyon, Hincmar de Reims). Placé en clef de voûte de l’ordre politique, social et religieux, l’empereur d’Occident, « nouveau David », protecteur du pape et défenseur de l’Église, est le garant d’un ordre chrétien qui distingue selon leurs privilèges et leurs obligations respectives les moines, les clercs et l’ordre des gens mariés. Ces groupes sont ordonnés selon une stricte hiérarchie qui sacralise les rapports juridiques et économiques de la société franque, mais également subordonnés à une exigence réciproque de charité et de concorde. L’Église renforce dans le même temps ses structures, accentue l’autorité de l’évêque au sein de chaque diocèse, étend à tous les monastères la règle bénédictine et aux églises cathédrales les règles canoniales, multiplie les paroisses rurales, intensifie la vie liturgique et sacramentelle ainsi que la prédication et la catéchèse, à la faveur d’une renaissance littéraire latine dont les effets se font sentir sur le plan scripturaire, théologique et spirituel. LES SYNTHÈSES MÉDIÉVALES À l’aube du XIe siècle, avec l’effondrement de l’Empire carolingien et l’émergence de la société féodale, s’élabore autour des évêques Adalbéron de Laon et Gérard de Cambrai la doctrine qui permettra de définir le statut de l’Église jusqu’à la fin de l’Ancien Régime en structurant la société en trois ordres : ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux qui travaillent. À l’Église et à ses clercs, qui constituent le premier ordre en privilèges et en dignité au sein de la société chrétienne, est ainsi dévolue la fonction sacrale de la médiation avec Dieu, dans la perspective du salut par la sanctification des oeuvres humaines. L’Église médiévale connaît dans le même temps des mutations décisives. La réforme engagée par le pape Grégoire VII (1073-1085) et ses successeurs vise à distinguer les domaines du spirituel et du temporel, à libérer évêques et abbés de la tutelle des aristocraties féodales, à
imposer le célibat ecclésiastique et le caractère sacramentel et indissoluble du mariage chrétien. Le quatrième concile du Latran (1215) étend à l’universalité des fidèles l’obligation de la confession et de la communion pascales. Le monachisme, parcouru par des mouvements successifs de réforme de l’ordre bénédictin (Cluny, Cîteaux) ou de créations (Prémontré, la Grande-Chartreuse), est profondément renouvelé au XIIIe siècle par l’apparition des ordres mendiants (franciscains, dominicains), qui exercent dans les villes une mission de prédication populaire à travers un témoignage de pauvreté volontaire. L’entreprise violente des croisades dans l’Orient musulman (prise de Jérusalem, 1099), le renouveau des pèlerinages proches ou lointains et de l’effort missionnaire attestent une nouvelle dynamique, relayée par l’affirmation de la papauté comme centre d’unité de la chrétienté. Une renaissance intellectuelle entraîne la multiplication des universités et l’élaboration de puissantes synthèses théologiques et philosophiques du savoir chrétien (la Somme théologique, de Thomas d’Aquin). Dans le cadre de la vie paroissiale enfin, la vie religieuse des laïcs est structurée par le calendrier des fêtes et des célébrations liturgiques, la périodicité des rites agraires, la multiplication des confréries de quartier, de métier ou de dévotion. L’Église médiévale, son clergé et ses établissements, ses institutions matérielles (le bénéfice, la dîme, le casuel) et spirituelles, son enseignement, ses commandements, ses sacrements et ses cérémonies enserrent étroitement la vie religieuse, morale, politique et sociale des populations françaises. CRISE DE LA CHRÉTIENTÉ ET RÉFORME DE L’ÉGLISE L’ecclésiologie médiévale se heurte, à partir du XIVe siècle, à un ensemble de remises en cause. L’affirmation du pouvoir monarchique limite les prérogatives universelles du Saint-Siège : à la faveur de l’affaiblissement politique de la papauté durant son séjour à Avignon (13091377), puis du grand schisme d’Occident et des guerres d’Italie, le roi impose progressivement (pragmatique sanction de Bourges, 1438 ; concordat de Bologne, 1516) son pouvoir de nomination à la tête des diocèses et des abbayes, au détriment de l’élection par les chapitres : choisi par le monarque, puis préconisé au spirituel par le pape, l’épiscopat constitue l’armature d’une Église gallicane, profondément insérée dans les structures sociales et politiques de l’État. Dans le même temps, l’institution ecclésiale renforce considérable-
ment sa puissance, ses structures et sa fiscalité, tandis que le système de la commende laïque confère à l’aristocratie l’essentiel du revenu des abbayes et accentue la crise du monachisme ancien. Enfin, des courants spirituels issus de la Devotio moderna (Dévotion moderne) et de l’humanisme chrétien expriment des exigences de retour à l’Écriture dans son texte original et de renouvellement intérieur. Aussi, la Réforme de Luther et de Calvin, qui se propage en France durant le deuxième tiers du XVIe siècle, constitue-t-elle, à bien des égards, une ecclésiologie alternative. En plaçant au coeur de la vie religieuse la foi et l’Écriture (sola fide, sola scriptura), et en affirmant le principe du sacerdoce universel des fidèles, les réformateurs privilégient la lecture et la méditation de la parole de Dieu par rapport à la vie sacramentelle (bientôt restreinte au baptême et à la célébration de la Cène) ; ils abolissent toute forme de hiérarchie sacrale entre clercs et fidèles, nient l’autorité des évêques et du pape, réduisent pour l’essentiel le ministère pastoral à l’enseignement et à la prédication, récusent (jusqu’à l’iconoclasme) tout mode de médiation ou d’intercession à travers le culte de la Vierge et des saints, la pratique de la confession auriculaire, la piété indulgenciaire ou le pèlerinage, dénient toute efficacité salutaire à la comptabilité des messes, des prières et des oeuvres. La structure ecclésiale du protestantisme français, telle que la met en place le premier synode des Églises réformées (1559), se fonde sur les articles de la confession de foi calvinienne (symbole de La downloadModeText.vue.download 305 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 294 Rochelle, 1571). Elle institue un système décentralisé de communautés de fidèles, dotées d’une très large autonomie et organisées en synodes provinciaux et nationaux. L’ÉGLISE DU CONCILE DE TRENTE Face à l’ecclésiologie réformée, le concile convoqué par la papauté de 1545 à 1563, avec la participation tardive mais décisive de l’épiscopat français, développe une ecclésiologie traditionnelle (au sens où elle revendique la continuité de la tradition de l’Église antique et médiévale) dont les lignes de force, les formules et les équilibres vont nourrir l’ecclésiologie catholique jusqu’au milieu du XXe siècle. La doctrine tridentine réaffirme ainsi avec vi-
gueur les principes d’unité, d’universalité, de perpétuité et de visibilité d’une Église fondée sur l’enseignement de Jésus-Christ et la tradition ininterrompue des Pères et des papes, successeurs de Pierre sur le siège apostolique, indéfectiblement assistée de l’Esprit saint. Le concile définit une société hiérarchique formée à partir d’une distinction d’ordre sacramentel (la consécration sacerdotale ou sacrement de l’ordre) ; il consolide l’autorité du pape sur l’Église universelle et l’autorité ordinaire des évêques dans leurs diocèses, confirme l’excellence de la vie religieuse monacale ou conventuelle, accentue l’importance de la formation théologique et intellectuelle des clercs à travers l’institution des séminaires ainsi que l’exigence de la catéchèse et de la prédication ; il place la pratique des sacrements (confession et eucharistie ; baptême, confirmation, mariage et extrême-onction) au coeur de la vie religieuse des fidèles, réaffirme la pleine légitimité du culte de la Vierge et des saints, des images et des reliques, de la prière pour les vivants et pour les morts, des oeuvres de charité et des pèlerinages dans la quête du salut. L’Église gallicane - l’ordre du clergé reçoit solennellement les décrets du concile de Trente aux états généraux de 1615 - va s’efforcer, durant deux siècles, de faire pénétrer l’ensemble de l’édifice doctrinal et des prescriptions du concile dans son organisation et sa pratique. La multiplication des séminaires diocésains et le relèvement de la formation du clergé séculier, la catéchèse et la prédication, le renouveau des instituts réguliers d’hommes et de femmes ainsi que de la vie spirituelle et dévotionnelle, la mission intérieure et étrangère constituent les principaux axes de la réforme catholique en France. L’Église gallicane se singularise cependant, au sein de la catholicité, par son étroite subordination au pouvoir monarchique (déclaration des Quatre Articles, 1682) et sa rigidité en matière de théologie morale (condamnation du laxisme et de la casuistique par l’Assemblée du clergé de 1700) ; elle conduit un âpre et intolérant combat contre la minorité protestante (révocation de l’édit de Nantes, 1685) et contre le parti janséniste (destruction de l’abbaye de Port-Royal-des-Champs, 1709). La crise de cette Église gallicane est déjà perceptible dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Face aux projets réformateurs de la monarchie administrative (institution, en 1766, de la « commission des réguliers », chargée de la réforme du clergé régulier), au
jansénisme parlementaire (expulsion de la Compagnie de Jésus en 1764) et aux contestations radicales des philosophes des Lumières, l’Église est déchirée par des tensions internes, mais aussi par les changements politiques et sociaux. La Révolution provoque en effet un profond bouleversement : nationalisation des biens du clergé (novembre 1789), suppression des ordres religieux (février 1790) et institution, à travers la Constitution civile du clergé (juillet 1790), d’une forme d’Église nationale, séparée de Rome, profondément transformée dans ses structures et sa discipline, et placée sous le régime de l’élection des évêques et des prêtres par les fidèles. Cependant, au terme d’une sanglante phase de persécution religieuse (3 évêques et 230 prêtres sont massacrés à Paris en septembre 1792, plus d’un millier de prêtres, religieux et religieuses, exécutés en l’an II et sous le Directoire), et à travers les missions clandestines du clergé réfractaire, l’ecclésiologie tridentine s’impose. Elle est consacrée à nouveau par le cadre du Concordat et des articles organiques de 1802, conclus entre le pape Pie VII et le Premier consul Bonaparte. Sous la tutelle tantôt libérale, tantôt hostile de l’État, le catholicisme intransigeant vit un « été de la Saint-Martin du catholicisme tridentin » (Charles Hippolyte Pouthas), marqué par le renforcement de l’autorité de Rome comme centre de l’unité catholique (concile Vatican I et proclamation du dogme de l’infaillibilité pontificale, 1870), la consolidation de la structure cléricale, sacramentelle et dévotionnelle de la vie religieuse, le développement exceptionnel des missions. Les lois de laïcisation des années 1880, puis de la séparation des Églises et de l’État de 1905, contraignent les autorités ecclésiastiques à rechercher de nouveaux équilibres avec l’État (refus des associations cultuelles, 1906 ; organisation des associations diocésaines et « second ralliement », 1922). Néanmoins, elles ne viennent pas bouleverser fondamentalement l’organisation interne de l’Église. VATICAN II ET SES CONSÉQUENCES ECCLÉSIOLOGIQUES Le concile Vatican II apparaît au contraire comme un infléchissement majeur de l’ecclésiologie catholique. En réévaluant, à la suite de l’encyclique Mystici corporis (1943) du pape Pie XII, le rôle des laïcs et le caractère collégial de l’autorité dans une Église conçue en premier lieu comme « corps mystique » du Christ, en abandonnant certains usages
exclusifs (le latin liturgique) et certaines rigidités doctrinales au profit d’un rapprochement oecuménique, le concile a, tout à la fois, renouvelé les équilibres institutionnels du catholicisme français (en renforçant notablement le rôle et l’autonomie de l’Assemblée de l’épiscopat français) et préludé à une crise de vaste amplitude. Celle-ci est caractérisée par l’accélération des processus de déchristianisation, l’effondrement du recrutement sacerdotal, un affaiblissement certain de l’influence de l’Église sur la société et la fragmentation des anciennes cohérences religieuses. Le pontificat intransigeant du pape Jean-Paul II a semble-t-il marqué à cet égard, une nouvelle étape dans l’ecclésiologie en devenir du catholicisme français, à travers innovations institutionnelles (ordination de diacres, mouvements charismatiques) et réaffirmation de l’unité de foi catholique dans la tradition plurimillénaire de son Église. Égypte (expédition et campagne d’), mission à but militaire, mais aussi scientifique, conduite par Bonaparte de 1798 à 1801 pour combattre l’Angleterre sur un terrain extraeuropéen. En 1798, l’Angleterre reste le seul adversaire de la République française. Un débarquement outre-Manche n’étant pas envisageable, Bonaparte se propose d’affaiblir l’ennemi par la conquête de l’Égypte, afin de lui couper la route des Indes, tout en permettant d’imposer la puissance française en Méditerranée. Selon la légende napoléonienne, le projet de Bonaparte se conjugue à la volonté du Directoire d’éloigner du pouvoir le général ambitieux. L’expédition est préparée dans le plus grand secret : la flotte française n’est en effet pas en mesure d’affronter celle de l’Angleterre. Mais, déjouant la surveillance des navires de Nelson, le vice-amiral Brueys parvient à quitter Toulon le 19 mai 1798 et à débarquer 35 000 soldats à l’ouest d’Alexandrie le 1er juillet. Bonaparte dispose de brillants officiers tels que Berthier, Murat, Kléber ou Desaix, et, en peu de temps, il conquiert la Basse- et la Moyenne-Égypte. Alexandrie est rapidement occupée. Le Caire est envahi après la victoire de la bataille dite « des Pyramides » (ou « d’Embabèh »), le 24 juillet. Mais Nelson retrouve et détruit l’escadre française à Aboukir, le 1er août. Les Français sont ainsi prisonniers de leur conquête. De septembre 1798 à juin 1799, Desaix pacifie la Haute-Égypte, tandis que Bonaparte
part au-devant de l’armée de reconquête ottomane, qui est soutenue par les Anglais. Les Français pénètrent en Syrie, occupent Gaza et Jaffa, et mettent le siège devant Saint-Jeand’Acre, le 19 mars 1799. Mais, échouant à prendre la ville, Bonaparte ordonne la retraite deux mois plus tard. De retour en Basse-Égypte, il repousse les Turcs à Aboukir le 25 juillet 1799. Ayant eu connaissance des difficultés du Directoire, il décide de rentrer en France. Il s’embarque le 22 août, laissant le commandement à Kléber, qui est assassiné au Caire en juin 1800. Faute de renforts, les Français doivent capituler face aux Anglais en septembre 1801. Néanmoins, Bonaparte, qui n’est pas responsable de ces derniers échecs, bénéficie d’un surcroît de prestige grâce à l’expédition d’Égypte. Cette expédition ne fut pas qu’une opération militaire. Bonaparte a, en effet, emmené avec lui un groupe de savants, parmi lesquels Monge et Berthollet. Ils créent l’Institut d’Égypte le 22 août 1798, et publient de nombreux travaux, dont une importante Description de l’Égypte en 23 volumes. En 1799, des fouilles mettent au jour la « pierre de Rosette », dont le texte en hiéroglyphes, démotique et grec permet à Champollion de déchiffrer les hiéroglyphes quelques années plus tard. Durant leur brève tentative de colonisation de l’Égypte, les Français ont aussi réorganisé downloadModeText.vue.download 306 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 295 l’administration locale en y faisant participer les populations indigènes. Le pays est mis en valeur, et des mesures en faveur de la santé publique sont prises. Mais l’intervention française est surtout à l’origine du réveil de l’idée nationale en Égypte. Eiffel (Alexandre Gustave), ingénieur (Dijon 1832 - Paris 1923). Originaire d’une famille allemande installée au XVIIIe siècle en France, Gustave Eiffel poursuit ses études à l’École centrale des arts et manufactures, et se fait connaître comme constructeur de matériel de chemin de fer, en particulier de viaducs métalliques. Il fonde sa propre compagnie, les Ateliers de construction mécanique de Levallois, en 1867, année où il édifie la charpente métallique de la Ga-
lerie des beaux-arts de l’Exposition universelle. Le pont Maria-Pia, à Porto (1876), avec une arche unique de 160 mètres, le viaduc de Garabit, long de 564 mètres, la gare de Pesth (Hongrie), ou encore l’infrastructure de la statue de la Liberté de Bartholdi (1886), témoignent de la réussite d’une entreprise qui travaille aussi bien en Chine qu’au Pérou, à Madagascar qu’en Espagne. Eiffel est l’un des premiers à se servir d’éléments normalisés et préfabriqués dans ses ateliers de Levallois-Perret. Sa plus grande réussite demeure, bien sûr, la tour qui porte son nom, et par laquelle l’ingénieur entend résumer « le siècle de l’industrie et de la science ». Le monument est achevé le 31 mars 1889, pour l’inauguration de l’Exposition universelle. Par la suite, Eiffel l’utilise pour mener des expériences scientifiques, en météorologie et en aérodynamique. Cependant, sa carrière de constructeur est écourtée par le scandale de Panam[‘]a : s’étant vu attribuer le contrat des écluses du canal, Eiffel est impliqué dans la faillite de Ferdinand de Lesseps et doit céder, en 1893, la direction de son entreprise. Il n’en demeure pas moins une gloire nationale. élections présidentielles. En France, les élections présidentielles, organisées pour la première fois en 1848, ont pris toute leur importance sous la Ve République. • Un scrutin secondaire. En créant la fonction présidentielle, les fondateurs de la IIe République s’inspirent davantage de la démocratie américaine que de la tradition révolutionnaire française, favorable à un exécutif collégial ; sous l’impulsion de Tocqueville et de Lamartine, la Constitution de novembre 1848 opte pour l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Mais l’ampleur de la victoire de Louis Napoléon Bonaparte - élu le 10 décembre 1848 avec 74,5 % des suffrages - et le coup d’État du 2 décembre 1851 jettent la suspicion, aux yeux de nombreux républicains, sur ce mode d’élection. Après la chute du second Empire, l’Assemblée de 1871, d’abord dominée par les monarchistes, désigne successivement Thiers et Mac-Mahon à la présidence de la République. En 1873, elle fixe à sept ans la durée du mandat présidentiel, durée qui ne sera pas remise en cause par la suite. Mais les républicains l’emportent en 1875 grâce à l’adoption de l’amendement Wallon, acte fondateur de la IIIe République, selon lequel « le président
de la République est élu par le Sénat et la Chambre réunis en Assemblée nationale ». Est ainsi affirmée dans les lois constitutionnelles la prééminence du Parlement sur le président, qui ne peut aller désormais contre la volonté de cette Assemblée : Mac-Mahon, Casimir-Perier et Millerand ont ainsi dû démissionner après s’être opposés aux députés. La vie politique s’ordonne alors autour des élections législatives, celle du président restant secondaire. Adoptée en 1946, la Constitution de la IVe République ne modifie pas le mode d’élection du chef de l’État : les treize tours nécessaires à la désignation de René Coty en 1953 entachent gravement l’autorité de la fonction. • Un enjeu central de la vie politique sous la Ve République. Dès son retour aux affaires, le général de Gaulle met au rang des priorités la restauration du pouvoir présidentiel. La Constitution de 1958 institue un collège de 80 000 grands électeurs, qui portent de Gaulle à la présidence au mois de décembre. En 1962, après la fin de la guerre d’Algérie, le général engage une révision constitutionnelle pour proposer l’élection du président au suffrage universel, couronnement logique des institutions. Consultés par référendum, plus de 61,7 % des Français approuvent la réforme, malgré l’opposition des partis politiques qui dénoncent une atteinte à la tradition républicaine. Le chef de l’État est ainsi doté d’une légitimité démocratique supérieure, même à celle des députés : « monarque républicain », il reçoit désormais le « sacre » de la nation tout entière. Première de toutes les consultations électorales, l’élection présidentielle structure désormais la vie politique française. Durant la campagne, le jeu des médias et, surtout, de la télévision accentue la personnalisation du scrutin. Chaque candidat s’engage sur un projet, qu’il résume par un slogan - par exemple, « les 110 propositions » et « la force tranquille » de François Mitterrand, en 1981. La dynamique du second tour, qui oppose les deux candidats arrivés en tête à l’issue du premier tour, contraint les forces politiques à s’organiser autour de deux pôles : c’est la bipolarisation droite-gauche, à laquelle l’élection de 1969 (Pompidou-Poher) constitue la seule exception. Un enjeu essentiel domine chaque élection : en 1965, c’est la mise en ballottage par François Mitterand du général de Gaulle (finalement élu avec 54,5 % des suffrages exprimés) ; en 1969, c’est la continuité ins-
titutionnelle, qu’incarne Georges Pompidou, élu avec 57,5 % des voix ; en 1974, Valéry Giscard d’Estaing introduit une première rupture, donnant une courte victoire à la droite non gaulliste ; en 1981, François Mitterrand (51,7 %) est le président de l’alternance, mais, confortablement réélu (54 %) en 1988, il devient alors celui de la « France unie » ; en 1995, Jacques Chirac (52,6 %) se place en héritier du gaullisme, avant de se présenter comme le candidat garant de l’identité et des valeurs républicaines en 2002, où, recevant le soutien de la gauche, il triomphe du candidat du Front national avec 82,21% des voix au second tour. Si certaines conséquences néfastes de l’élection présidentielle au suffrage universel ont pu être soulignées - présidentialisation des partis, renouvellement limité des candidats d’une élection à l’autre, démagogie des promesses électorales -, les Français demeurent néanmoins très attachés à ce rituel républicain. Éloi, en latin Eligius, saint (Chaptelat, au nord de Limoges, vers 588 - Noyon 660). Issu d’une famille gallo-romaine de petits propriétaires, placé en apprentissage dans un atelier d’orfèvrerie, il se fait remarquer par son habileté technique. Son maître le présente au trésorier du roi mérovingien Clotaire II, Bobbo, qui lui commande un trône royal en or. Avec la quantité de métal précieux qu’il reçoit, Éloi réussit à confectionner non pas un mais deux trônes, de facture tout à fait remarquable. Confondu par tant de dextérité et d’honnêteté, Bobbo décide de se l’attacher. Éloi dirige alors les frappes monétaires de Clotaire II, puis de son successeur, Dagobert Ier, et devient rapidement l’un des principaux conseillers du roi. Il est chargé de plusieurs ambassades pour les princes mérovingiens et jouit d’une grande considération dans toute la Gaule. Éloi se fait également remarquer par sa grande piété. Il consacre en effet une partie de ses richesses à racheter des esclaves maures, bretons ou saxons, qui sont à l’époque vendus en grand nombre dans les ports provençaux. En 632, il fonde le monastère de Solignac, près de Limoges, et, l’année suivante, crée, dans l’île de la Cité à Paris, celui de Saint-Martial (patron de Limoges), destiné à accueillir des moniales. Après le décès de Dagobert (639), il quitte définitivement la cour pour entrer dans le clergé. Le 13 mai 641, il est
sacré évêque de Noyon. Converti à la spiritualité colombanienne, il consacre son temps à prêcher, toujours dans une langue simple afin d’être compris du plus grand nombre, et s’engage, comme nombre d’évêques de l’époque, dans la voie de l’évangélisation du nord de la Gaule (Flandre, régions de Boulogne et Anvers). Il crée de nouveaux monastères autour de Noyon, ville dans laquelle il meurt le 1er décembre 660. Le culte d’Éloi se répand très vite dans les campagnes de la Gaule, et il est bientôt considéré comme un saint. Saint patron des orfèvres, des forgerons, des bijoutiers, des maréchaux-ferrants et des charretiers, il a donné son nom à nombre de communes de France. Il est fêté deux fois dans l’année : le 1er décembre, date de sa mort, et le 25 juin, où l’on commémore la translation de ses reliques à la cathédrale de Noyon, en 1066. Élysée (palais de l’), palais situé à Paris, à l’angle de la rue du Faubourg-Saint-Honoré et de l’avenue de Marigny, résidence du président de la République depuis 1873. Construit en 1718, le palais est restauré après son acquisition par Mme de Pompadour en 1753. Revenu au roi en 1764, acheté par un financier en 1773, il est acquis par Louis XVI downloadModeText.vue.download 307 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 296 en 1786. Pour peu de temps : la Révolution en fait une propriété nationale, et il devient un lieu de divertissements publics sous le nom de « Hameau de Chantilly ». En 1805, Napoléon l’offre à sa soeur Caroline Murat. Restitué trois ans plus tard par celle-ci, habité temporairement par Joséphine, et par Napoléon, qui y signe sa seconde abdication le 22 juin 1815, il est ensuite donné par Louis XVIII au duc de Berry. Sous Louis-Philippe, on y accueille les hôtes étrangers du monarque, avant qu’il ne devienne, durant l’éphémère IIe République, la demeure du président. Remanié et agrandi sous le règne de Napoléon III, il devient en 1873 la résidence officielle du président de la République. Le palais a subi, au cours du dernier siècle, divers réaménagements. L’histoire du lieu s’efface aujourd’hui derrière sa fonction institutionnelle et son rôle symbolique. Dans les commentaires politiques, le mot désigne
désormais la présidence et l’ensemble de ses services. Depuis l’avènement de la Ve République, l’Élysée polarise les stratégies de conquête du pouvoir des différents partis ; mais il symbolise également - comme l’ont prouvé les périodes de cohabitation et les fréquents antagonismes entre l’Élysée et Matignon - l’exigence nationale d’une autorité transcendant les partis. émigrés, Français exilés entre 1789 et 1814, à cause de la Révolution. Considérés comme des ennemis et des traîtres à la patrie, les émigrés, volontiers confondus avec les aristocrates, symbolisent, dans la France révolutionnaire, l’Ancien Régime et la Contre-Révolution, et sont combattus par une législation de plus en plus répressive, jusqu’à la politique d’apaisement du Consulat. Contrairement à une idée reçue, les émigrés, dont on estime le nombre à environ 150 000 - soit 0,6 % de la population -, appartiennent surtout au tiers état (51 %), le clergé ne représentant que 25 % de l’ensemble, et les nobles 17 %. Phénomène hétérogène, socialement et politiquement, l’exode, qui croît par vagues successives de l’été 1789 à l’été 1794, connaît deux phases principales, dont la ligne de partage correspond à la chute de la monarchie, en août 1792. • La première émigration. Avant l’été 1792, l’émigration, motivée par la volonté de combattre la Révolution ou de fuir les troubles, est surtout nobiliaire. Elle s’organise autour des frères de Louis XVI, et, dans un premier temps, du comte d’Artois, futur Charles X, qui s’exile dès le 16 juillet 1789. Suivi par les principales personnalités de la cour, il complote pour soulever le pays et obtenir l’intervention étrangère, d’abord en Italie, avec le comité de Turin, puis en Rhénanie, à Coblence. Rejoint en 1791 par le comte de Provence, futur Louis XVIII, il supervise la formation d’une armée composée d’officiers de l’armée royale mais aussi de roturiers. Le 9 novembre 1791, l’Assemblée nationale, qui s’est d’abord montrée indulgente, somme les émigrés de rentrer en France sous peine de mort, une peine qui est annulée par le veto royal. Le 8 avril 1792, à la veille de la guerre, elle vote la confiscation de leurs biens, futurs biens nationaux, tandis qu’une liste officielle des émigrés commence à être dressée. Cause de la guerre en 1792, cette émigration contre-révolutionnaire, favorable à une restauration monarchique intégrale, turbulente, futile et divisée, est un échec : tenue à l’écart lors de
la campagne militaire de 1792, l’armée émigrée est dispersée après la bataille de Valmy. Dès lors, une partie des émigrés se met au service des coalisés, tente des opérations dans l’Ouest, complote ou espionne, tandis que nombre d’entre eux errent à travers l’Europe. • La deuxième émigration. Après août 1792, dans une période où le nombre d’exilés double, les départs sont surtout forcés et concernent toutes les classes de la société. Dans un climat de guerre et de troubles intérieurs, et à la suite de la radicalisation politique et de la Terreur, toutes sortes d’opposants ou de proscrits, aux options politiques divergentes, quittent la France : prêtres réfractaires menacés de déportation par le décret du 26 août 1792, girondins, vendéens, habitants des frontières, paysans, bourgeois et suspects divers. Le décret du 25 octobre 1792 prévoit leur bannissement ou leur condamnation à mort ; il est ensuite renforcé par celui du 28 mars 1793, qui impose l’exécution immédiate des exilés de retour en France, et par la « loi des suspects » du 17 septembre, qui frappe leurs parents. • L’apaisement. Si la chute de Robespierre et la fin de la Terreur portent un coup d’arrêt à l’exil massif et entraînent des retours clandestins, la législation punissant de mort les émigrés reste en vigueur sous le Directoire, en butte au péril royaliste. Toutefois, ce régime autorise dès février 1796 les demandes de radiation de la liste des émigrés. Sur l’impulsion de Bonaparte, soucieux de rallier les révolutionnaires modérés et l’ancienne noblesse, le Consulat adopte une politique de réconciliation nationale. En octobre 1800, une série d’arrêtés permettent de radier la moitié des noms de la liste officielle et de restituer des biens saisis non vendus. Puis le Concordat de 1801 entraîne le retour des prêtres exilés. Enfin, le sénatus-consulte du 6 floréal an X (26 avril 1802) accorde une amnistie générale - à l’exception des auteurs d’opérations militaires contre la France -, provoquant des retours massifs. Seuls restent exilés quelques irréductibles, ultras et fidèles, qui ne rentrent qu’à la Restauration. Quant à la question très débattue des biens nationaux, dont la vente est garantie par la charte de 1814, elle est définitivement résolue par la loi d’indemnisation - le « milliard des émigrés » - du 27 avril 1825. empereurs gaulois, nom donné à des généraux gallo-romains qui prennent le titre impérial en Gaule entre 258 et 273.
La crise économique et politique qui touche l’Empire romain dans le courant du IIIe siècle suscite, à chaque extrémité de l’Empire, des sécessions provinciales. À l’instar de la reine Zénobie, qui conteste la tutelle de Rome sur Palmyre, des généraux gallo-romains en lutte contre les Barbares prennent le titre impérial en Gaule pour défendre avec plus d’efficacité la frontière rhénane. Lorsqu’en 260 l’empereur Valérien est fait prisonnier par le roi des Perses Sapor Ier, l’armée rhénane proclame empereur le général gallo-romain Postumus. Les pièces de monnaie que ce dernier fait frapper portent une mention impériale et le titre de « restaurateur des Gaules ». Installé à Trèves et à Cologne, Postumus doit en effet combattre les Alamans et les Francs au cours de campagnes annuelles. S’il a derrière lui les provinces du nord de la Gaule – Belgique et Germanie –, les provinces du Sud – Narbonnaise, Aquitaine et Lyonnaise – restent en grande partie favorables à l’empereur légitime Gallien, fils et successeur de Valérien. À partir de 265, les offensives de Gallien en Gaule affaiblissent Postumus, qui est assassiné par ses soldats en 268. Après quelques mois d’anarchie, Victorinus prend à son tour le titre d’empereur et dévaste en 269 la ville d’Autun, en lutte contre les empereurs de Gaule et ralliée à l’empereur légitime Claude II le Gothique. En 270, Tétricus, gouverneur d’Aquitaine, succède à Victorinus, et reprend les expéditions contre les Alamans. Issu de la grande aristocratie foncière de Gaule, et non de l’armée du Rhin comme ses prédécesseurs, c’est presque naturellement qu’il se rend en 273 à l’empereur Aurélien, qui a entrepris la réunification de l’Empire. Loin d’être un soulèvement national, l’action des empereurs gaulois témoigne au contraire de l’attachement de ceux-ci à la paix romaine : si les généraux gallo-romains prennent le pouvoir, c’est afin d’assurer une défense énergique de la Gaule contre les rapines des Barbares. Tout au long du IIIe siècle, en effet, la frontière rhénane a été dégarnie de ses troupes, qui avaient été envoyées livrer ailleurs des guerres civiles. Les empereurs gaulois n’ont donc pas de visée sur Rome, mais veulent défendre localement l’Empire romain contre les menaces d’invasions. Leur entreprise se heurte toutefois à l’aristocratie foncière du sud de la Gaule, hostile à une armée de soldats germaniques qui fait pourtant toute la force des empereurs gaulois. l EMPIRE (PREMIER). Le premier Em-
pire est le régime politique de la France de décembre 1804 à juillet 1815, avec une interruption entre avril 1814 et mars 1815 (première Restauration). Proclamé empereur en 1804, Napoléon Bonaparte règne sur la France sans opposition, jusqu’en 1814. Son règne correspond à dix années de guerre ininterrompue, marquées par d’éclatantes victoires telles qu’Austerlitz, Iéna et Wagram. En 1811, Napoléon est à l’apogée de son pouvoir. Le Grand Empire englobe alors sous sa domination près de la moitié de l’Europe continentale, et la France n’a plus d’adversaires, à l’exception de l’Angleterre. La naissance d’un fils, le roi de Rome, peut faire croire à Napoléon qu’il a fondé une nouvelle dynastie, celle des Bonaparte, dont des représentants règnent à Naples, Madrid et Cassel. Pourtant, l’écroulement de cet Empire, à la suite de la désastreuse campagne de Russie, est rapide. Partout en Europe éclot le sentiment national. Exilé à l’île d’Elbe après son abdication en avril 1814, Napoléon tente un downloadModeText.vue.download 308 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 297 retour, qui s’achève, cent jours plus tard, en juin 1815, à la défaite de Waterloo. LES FONDEMENTS DE L’EMPIRE Les fondements de l’Empire sont contradictoires. D’un côté, Napoléon recherche par le sacre, célébré en présence du pape à NotreDame le 2 décembre 1804, une légitimité qui le placerait sur le même plan que les autres souverains. Il souhaite fonder en France une nouvelle dynastie, la quatrième, celle des Bonaparte, qui prendrait la suite des Mérovingiens, des Carolingiens et des Capétiens. Il espère aussi, par ce geste, priver les Bourbons du soutien de l’Église, consolider son influence dans les pays catholiques annexés à la France (tels la Belgique ou le Piémont) et désarmer la Vendée. Mais, d’un autre côté, le fait qu’il se couronne lui-même souligne qu’il ne tient son pouvoir que de lui, et le serment qu’il prête à l’issue de la cérémonie confirme qu’il est le rempart des conquêtes de la Révolution. Il jure, en effet, de faire respecter « l’égalité des droits, la liberté politique et civile, l’irrévocabilité des ventes des biens nationaux » et promet de « ne lever aucun impôt, de n’établir aucune taxe qu’en vertu de la loi ». Le sacre a en outre été précédé
d’un plébiscite par lequel les Français reconnaissent le pouvoir impérial. La Constitution de 1804 est l’autre fondement de l’Empire. Napoléon veut donc bénéficier d’une double légitimité : Dieu et la nation. À l’origine, le régime conserve les apparences républicaines. Ce n’est qu’en 1806 que disparaît le calendrier républicain ; et ce n’est qu’à partir de 1809 que les monnaies portent pour légende, sur le revers, la mention « Empire français » au lieu de « République française ». En réalité, Napoléon n’a qu’une légitimité : la victoire. LA TROISIÈME ET LA QUATRIÈME COALITION La guerre reprend avec l’Angleterre en 1803. Napoléon prépare un débarquement sur les côtes anglaises et concentre à cet effet des troupes à Boulogne-sur-Mer : pour leur faire franchir la Manche en toute sécurité, l’escadre de l’amiral Villeneuve est chargée d’attirer l’ennemi aux Antilles et de revenir à la hâte afin d’assurer leur embarquement. La manoeuvre échoue, et Villeneuve s’enferme dans Cadix. Excédé par les reproches de Napoléon, il se décide à affronter Nelson au large du cap Trafalgar, le 21 octobre 1805, où il est battu. Sa flotte anéantie, Napoléon doit renoncer à ses projets de débarquement. Les Anglais en profitent pour reprendre l’initiative : ils mettent sur pied une nouvelle coalition (la troisième, après celles de 1793 et 1798) - qui comprend l’Autriche, la Russie et Naples - contre la France. Les Autrichiens attaquent en Bavière sans déclaration de guerre. Napoléon se porte à leur rencontre ; il oblige le général Mack à s’enfermer dans Ulm, où ce dernier capitule le 20 octobre 1805. Les Français s’emparent de Vienne et le choc décisif a lieu à Austerlitz, le 2 décembre 1805. Les forces austrorusses sont anéanties. Les conséquences de cette bataille sont considérables : la carte de l’Europe en est bouleversée. Par le traité de Presbourg du 26 décembre 1805 l’Autriche renonce à Venise, à l’Istrie et à la Dalmatie, désormais annexées au royaume d’Italie dont Napoléon est le souverain. Avec les États du sud de l’Allemagne, Napoléon crée la Confédération du Rhin, dont Francfort est la capitale et lui-même, le protecteur. François II en tire la conclusion que le Saint Empire romain germanique a vécu : il se contente désormais du titre d’empereur d’Autriche. Les Bourbons de Naples, coupables de s’être joints à la coalition, sont destitués par simple décret, le 27 décembre 1805. Napoléon envoie une armée contre eux et place sur le trône son frère aîné Joseph. Enfin, le 5 juin 1806, l’Empereur transforme la République batave en un royaume de Hollande confié à son frère Louis.
L’Angleterre ne désarme pas pour autant : elle forme une quatrième coalition. La Prusse, jalouse de l’extension française en Allemagne, prend la place de l’Autriche aux côtés de la Russie. Le 7 octobre 1806, le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume III, adresse un ultimatum à la France, l’invitant à évacuer l’Allemagne. La riposte de Napoléon est foudroyante : l’armée prussienne, pourtant considérée depuis Frédéric II comme invincible, est écrasée à Iéna et à Auerstetd le 14 octobre 1806. La Prusse s’effondre en quelques jours, avant même que les Russes aient le temps d’intervenir. Napoléon part les affronter en Pologne. Le combat, qui a lieu à Eylau le 8 février 1807, est particulièrement sanglant. Interrompues pendant l’hiver, les opérations reprennent au printemps, et Napoléon l’emporte à Friedland le 14 juin 1807. Le tsar se résigne à traiter : la paix de Tilsit, signée le 7 juillet 1807, établit une alliance franco-russe par laquelle Alexandre Ier reconnaît les conquêtes de Napoléon, propose sa médiation dans le conflit franco-anglais et, en cas de refus de Londres, accepte de se joindre à la France contre l’Angleterre. En retour, Napoléon offre sa médiation dans le conflit russo-turc et, si Constantinople refuse, envisage de concert avec la Russie un démembrement de l’empire turc. Réduit à la Prusse proprement dite, à la Silésie, à la Poméranie et au Brandebourg, le royaume de Prusse est démantelé au profit du royaume de Westphalie, confié à Jérôme Bonaparte. À la Saxe, dont l’Électeur, bien qu’entré dans la quatrième coalition, reçoit le titre de roi, est rattaché le duché de Varsovie, constitué par les territoires polonais annexés par la Prusse à la suite des partages. La Saxe et la Westphalie font désormais partie de la Confédération du Rhin, qui englobe toute l’Allemagne, à l’exception de la Prusse. LES CAUSES DES VICTOIRES Comment expliquer ces rapides et éclatantes victoires françaises ? Face à des forces constituées le plus souvent de mercenaires, Napoléon dispose d’une armée nationale : la Grande Armée est en effet recrutée selon le système de la conscription établi sous le Directoire et qui concerne tous les Français de 20 à 25 ans révolus. Un contingent - car tous les conscrits ne partent pas - est fixé par la loi et le remplacement est autorisé. Pays jeune, la France est un véritable réservoir de soldats. En outre, Napoléon, à partir de 1806, fait appel à des contingents étrangers. Il dispose donc d’effectifs nombreux. Son armée est formée de divisions de dix mille hommes
environ, cavaliers, fantassins et artilleurs lui assurant son autonomie. Rapidité et effet de surprise sont les bases de la stratégie napoléonienne. L’Empereur attache aussi une grande importance à la topographie : à cet égard, les grandes plaines de Pologne ou de Russie lui conviennent moins bien que les pays accidentés. En revanche, il ne porte aucun intérêt au climat et il se soucie peu d’éclairer le terrain, ce qui a failli le perdre à Marengo. Il ne perfectionne pas non plus l’armement : le canon de Gribeauval et le fusil modèle 1777, corrigé en l’an IX, d’une portée de 600 mètres et permettant trois coups à la minute, équipent encore son armée. LE BLOCUS CONTINENTAL Faute de pouvoir débarquer en Angleterre après le désastre de Trafalgar, Napoléon imagine de porter la guerre sur le plan économique. Il entend ruiner son adversaire et l’empêcher ainsi de former de nouvelles coalitions. La prospérité de l’Angleterre repose en effet sur ses exportations : denrées exotiques venues de ses colonies et produits manufacturés que son avance technologique sur le continent permet de vendre à bas prix. Lui fermer les ports européens serait donc la condamner à l’asphyxie. Les Anglais ayant prétendu, lors de la reprise de la guerre, bloquer les ports français, Napoléon riposte par le décret de Berlin du 21 novembre 1806 : « Les îles Britanniques sont en état de blocus. » Mais, comme l’Empereur n’a pas les moyens de bloquer les ports anglais, il ferme le continent à la flotte britannique. Toutefois, il ne parvient pas à mettre en place un blocus total. La contrebande se développe en Hollande, en Italie, en mer du Nord. La fonction de douanier joue désormais un rôle essentiel dans l’Empire. LA GUERRE D’ESPAGNE Le Blocus continental est l’une des causes de l’intervention française en Espagne. En effet, malgré les remontrances françaises, le Portugal continue d’accueillir des navires anglais : Napoléon, qui ne peut intervenir par la mer, est contraint de passer par l’Espagne. Aussi signe-t-il avec le gouvernement de Madrid, le 27 octobre 1807, le traité de Fontainebleau qui prévoit le partage du Portugal. Dès lors, les troupes françaises commandées par Junot, après avoir franchi la frontière espagnole, envahissent le Portugal ; le 30 novembre 1807, Junot entre dans Lisbonne. À la suite de cette facile intervention, Napoléon convoque le roi
Charles IV, son fils Ferdinand et le Premier ministre Godoy à Bayonne en mai 1808, arrache aux souverains espagnols leur abdication et confie le trône d’Espagne à son frère aîné Joseph, envoyant son beau-frère Murat à Naples. Mais, le 2 mai 1808, une insurrection éclate à Madrid, immortalisée par le tableau de Goya : malgré une Constitution libérale rédigée par des notables, le peuple espagnol rejette Joseph. Seule la victoire de Medina del Rio Seco, le 14 juillet 1808, lui permet d’entrer à Madrid. Victoire, d’ailleurs, de courte durée : le 22 juillet, le général Dupont est défait à Baylen, en Andalousie, et Joseph s’enfuit de sa capitale, tandis qu’au Portugal, Junot est battu par les Anglais à Vimeiro et doit quitter le pays. Napoléon décide alors de se rendre downloadModeText.vue.download 309 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 298 lui-même dans la péninsule Ibérique. Mais il lui fallait tenir compte d’un réarmement de l’Autriche encouragé par Londres. Pour neutraliser Vienne, il a besoin de la Russie : de là l’entrevue d’Erfurt avec Alexandre Ier en septembre 1808. Prévenu par Talleyrand de l’impopularité en France de l’expédition d’Espagne, le tsar ne s’engage cependant à intervenir qu’au cas où l’Autriche prendrait l’initiative du conflit. C’est donc sans autre garantie que Napoléon gagne l’Espagne. Il s’empare de Madrid, poursuit les Anglais, qui utilisent le Portugal comme base de leurs opérations, mais doit quitter brusquement le pays à l’annonce des réarmements autrichiens et d’un rapprochement Talleyrand-Fouché, qui laisse deviner une opposition en France à la guerre d’Espagne. LA CINQUIÈME COALITION En entrant en guerre contre la France en avril 1809, l’Autriche souhaite entraîner derrière elle toute l’Allemagne. Il n’en est rien. Napoléon triomphe à Eckmühl, le 22 avril, et s’empare une nouvelle fois de Vienne. S’il échoue à Aspern-Essling, le 21 mai 1809, il parvient néanmoins à franchir le Danube dans la nuit du 4 au 5 juillet et triomphe à Wagram. La paix de Vienne est signée le 14 octobre 1809. Les conditions s’avèrent dures pour l’Autriche, quoique atténuées par le mariage de Napoléon avec la fille de l’empereur, MarieLouise. LE GRAND EMPIRE
La naissance du fils de Napoléon, le roi de Rome, le 20 mars 1811, marque l’apogée de l’Empire. La France proprement dite comprend alors 130 départements englobant la Belgique, la Hollande (enlevée à Louis Bonaparte), Hambourg et les villes de la Hanse, le Luxembourg, la rive gauche du Rhin, Genève, le Piémont, Gênes, la Toscane et Rome. S’y ajoutera la Catalogne, par décret du 26 janvier 1812. Napoléon est protecteur de la Confédération du Rhin, qui regroupe tous les États allemands - à l’exception de la Prusse - et à laquelle est rattaché le duché de Varsovie, marche slave du Grand Empire ; il est médiateur de la Confédération helvétique et roi d’Italie (le royaume englobant le Milanais et la Vénétie). L’Empereur a pour vassaux son frère Joseph, roi d’Espagne, Murat, roi de Naples, et Jérôme, roi de Westphalie, au coeur de l’Allemagne. Ses alliés sont le Danemark (auquel appartient la Norvège) depuis 1807, la Suède, qui a choisi en 1810 pour prince héritier le maréchal Bernadotte, l’Autriche (Napoléon est le gendre de son souverain) et la Russie. A cet empire continental échappent, outre l’Angleterre, la Sicile (où les Bourbons de Naples ont trouvé refuge) et la Sardaigne. Les colonies françaises (Martinique, Guadeloupe, Sénégal, etc.) sont perdues. Pour unifier cet Empire, Napoléon compte sur le réseau routier, sur le Code civil - qu’il impose à tous les pays sous sa domination -, et sur ses armées, qui brassent des contingents croates (les Provinces Illyriennes, dont Trieste, sont rattachées à l’Empire) comme suisses, bavarois comme italiens. L’Europe est faite : elle est napoléonienne. LA FRANCE DES NOTABLES Cette emprise sur l’Europe se double d’une solide assise en France même. Jusqu’à la guerre d’Espagne, en effet, l’entente entre Napoléon et la nation reste parfaite. Le Blocus continental, qui institue un protectionnisme rigoureux, stimule une industrie française débarrassée de la concurrence anglaise, les exigences en soldats demeurent modérées, les conquêtes sociales de la Révolution sont préservées. Si l’agriculture ne fait que peu de progrès (la jachère ne recule que dans les régions riches et les nouvelles cultures - betterave sucrière, pomme de terre ou pastel - n’ont encore qu’une expansion limitée), la géographie industrielle et commerciale de la France se transforme : à la suite de la guerre maritime, la façade atlantique perd l’importance que lui
avait donnée le commerce colonial, avant la Révolution ; c’est désormais l’axe rhénan avec Strasbourg comme principal centre qui domine une économie plus continentale. L’Exposition industrielle de 1806 à Paris illustre l’état de développement de l’industrie française, particulièrement dans les trois secteurs de pointe que sont le coton (malgré les difficultés d’importation de la matière première et la préférence de Napoléon pour la soie), la chimie (soude, eau de Javel) et l’armement (aux manufactures d’armes de Maubeuge, Charleroi, Saint-Étienne ou Tulle s’ajoutent celles de Liège, Turin et Culembourg). L’activité est soutenue par une législation favorable à l’essor du capitalisme : Code du commerce de 1807, loi du 21 avril 1810 sur la propriété du sol, refus de rétablir les corporations. Peu à peu se dessine alors une nouvelle société, fondée sur la prééminence des notables. Le terme « notable » apparaît dès la Constitution de l’an VIII, et correspond à une ploutocratie. Solidaire par sa fortune, ce groupe apparaît cependant divers quant à sa composition. Le notable peut en effet être un propriétaire aisé, un rentier, un négociant ou un homme de loi : il figure parmi les personnes les plus imposées de son département, ses revenus se situant au-dessus de 5 000 F, ce qui suppose un capital d’au moins 100 000 F (à titre de comparaison, le salaire à la journée d’un ouvrier parisien est d’environ 3 F). Le notable peut aussi être un fonctionnaire. On assiste sous l’Empire à la naissance de la fonction publique, dont le prestige est alors considérable. Désormais, tous les fonctionnaires sont nommés. Un barème des traitements est élaboré : un préfet à Paris touche 30 000 F, un conseiller d’État 25 000 F et un chef de division 12 000 F. De tels revenus leur permettent d’appartenir à la nouvelle élite sociale. En 1808, Napoléon juge le moment venu de rétablir une noblesse qui réunirait la ploutocratie issue de la Révolution et l’aristocratie de l’Ancien Régime, sans toucher au dogme de l’égalité. Le décret du 1er mars 1808 rétablit les anciennes dénominations nobiliaires de prince, duc, comte, baron et chevalier. Mais ces titres n’entraînent, à l’inverse des anciens, aucun privilège. Ils sont simplement honorifiques. Toutefois, des donations impériales peuvent les accompagner. Entre 1808 et 1814, on compte 3 268 anoblissements, soit un chef de famille sur 10 000 citoyens, contre sept pour 10 000 en 1789. 59 % des nouveaux nobles viennent de l’armée, 22 % sont de hauts fonctionnaires et 17 %, des notables. Les élites intellectuelles et artistiques
ne dépassent pas les 2 %. Si Napoléon s’est appuyé sur les notables, il a également été soutenu par les classes populaires, longtemps attachées à l’Empire. Pour les ouvriers, les ponctions humaines qu’entraîne la conscription assurent le plein emploi et la montée des salaires (25 % environ), alors que, parallèlement, le prix du pain reste très bas. À Paris, les salaires, plus élevés qu’en province, varient entre 3 et 4 F par jour, soit moins de 900 F par an (à titre de comparaison, la principauté d’Essling rapporte à Masséna une rente de 500 000 F). Ainsi, malgré une surveillance accrue (la loi du 22 germinal an XI impose aux ouvriers un livret qu’ils doivent remettre à leur patron au moment de l’embauche) et l’interdiction des coalitions (qui n’empêche pas qu’aient lieu des grèves à Paris au moment du sacre ou lors de la construction de l’arc de triomphe de l’Étoile), le monde ouvrier ne bouge pas. Dans les campagnes, la conjoncture s’est améliorée pour le journalier, simple salarié qui bénéficie, là encore, de la rareté de la main-d’oeuvre en raison des levées d’hommes. Les salaires augmentent de 20 %. Quant au fermier, s’il doit désormais payer ses fermages dans une monnaie stable, la hausse du prix du blé le favorise. De façon générale, on mange mieux et on s’habille avec plus de soin en milieu rural. Comme les ouvriers, et malgré la conscription, les paysans sont attachés à Napoléon, qui les protège d’un retour toujours redouté des droits féodaux. LA CRÉATION ARTISTIQUE SOUS L’EMPIRE Relativement prospère, auréolée des victoires qu’un chef charismatique lui offre sur les champs de bataille de l’Europe entière, la France du premier Empire tourne-t-elle le dos à la tradition intellectuelle et artistique dont elle est l’héritière ? Il est, à cet égard, de bon ton d’opposer le siècle de Louis XIV au règne de Napoléon. Comparaison injuste, non seulement parce que l’Empire est de courte durée, mais aussi parce qu’il est faux d’affirmer que Napoléon a étouffé les lettres et les arts en France. Certes, la censure a existé : le marquis de Sade demeure interné à Charenton (il a déjà été incarcéré sous l’Ancien Régime et sous la Révolution), Mme de Staël s’exile (mais nul ne l’empêche d’écrire), Chateaubriand ne peut prononcer son discours de réception à l’Institut (mais il publie sans problème en 1809 les Martyrs). Certes, le bilan littéraire est décevant : on ne joue plus aujourd’hui les pièces de Picard (admiré par Stendhal) ni celles de Raynouard, mais elles méritent d’être redécouvertes, comme la poé-
sie de Berchoux ou de Chênedollé. On ne peut en outre ignorer que le roman de Senancour Obermann et les écrits philosophiques de Maine de Biran datent de cette époque. De la même façon, la peinture, dominée par l’école de David, de tendance néoclassique (nourrie d’influences égyptiennes), est considérée comme froide et pompeuse. Mais les principaux peintres de cette période, Antoine Gros (les Pestiférés de Jaffa, le Champ de bataille downloadModeText.vue.download 310 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 299 d’Eylau), Prud’hon, Ingres, Isabey, Gérard, Girodet et surtout Géricault, dont le Cavalier blessé de 1814 annonce par son mouvement le romantisme, ne peuvent être esthétiquement négligés. La création musicale sous l’Empire, comme celle de la Révolution, est depuis peu redécouverte avec intérêt. Si la Marche triomphale de Jean-François Lesueur est, selon un mot de Napoléon qui la commanda pour le jour de son sacre, « triste comme la gloire », certaines de ses oeuvres, ainsi que les symphonies de Méhul et de Gossec, ont des accents novateurs dont Berlioz a su s’inspirer. Il est vrai, toutefois, que les Italiens dominent la scène et l’orchestre : Gaspare Spontini (la Vestale), Luigi Cherubini et Gioachino Rossini, alors à ses débuts. Quant à l’architecture, que régentent Charles Percier et Pierre Fontaine auxquels on doit l’arc de triomphe du Carrousel, elle compte alors dans ses rangs Jean Chalgrin (l’arc de l’Étoile), Poyet, Alexandre Théodore Brongniart... Mais c’est sans doute dans les arts mineurs touchant à la décoration que s’affirme le mieux le style Empire : prédilection pour l’acajou et le bronze dans le mobilier, thème répétitif des aigles, des abeilles et des motifs égyptiens dans l’orfèvrerie. Le luxe dans lequel vivent la cour et la noblesse explique cet épanouissement, ainsi que l’essor des manufactures d’État : porcelaine de Sèvres, tapisseries des Gobelins, tapis de la Savonnerie. La France impériale n’a, en somme, pas à rougir de ses créateurs. LES PREMIERS CRAQUEMENTS DE L’EMPIRE Maître de la France et de l’Europe, Napoléon est en 1811 au faîte de sa puissance. Le pouvoir impérial devient alors de plus en plus monarchique, voire tyrannique. Les ministres à forte personnalité sont disgraciés, le rôle du Conseil d’État se réduit, le Corps législatif n’est pas écouté. On est véritablement passé d’une dictature de salut public à la IVe dynas-
tie. Mais Napoléon ne peut invoquer que la victoire comme légitimité. Or, dès 1809, les premiers craquements de l’Empire sont perceptibles : ils ont pour motifs la guerre d’Espagne, dans laquelle Napoléon s’enlise, et le Blocus continental, qui se révèle une arme à double tranchant. Il contraint Napoléon à entrer en conflit avec le pape, qui entend rester neutre dans le conflit franco-anglais : les États pontificaux sont occupés en 1808, puis annexés ; le pape est arrêté en 1809. Pie VII riposte en excommuniant Napoléon et en paralysant la vie religieuse de l’Empire par son refus d’accorder son investiture aux nouveaux évêques. En outre, une crise économique survient en 1810, née de la spéculation sur les denrées coloniales (sucre, café, coton...) proscrites par le Blocus continental. La crise naît en Allemagne et s’étend à la place financière de Paris, particulièrement vulnérable. Les banqueroutes se multiplient en 1811 ; l’industrie est frappée : 20 000 chômeurs à Paris sur 50 000 ouvriers. Cette même année, la récolte est mauvaise : le prix du pain monte dans la capitale à partir de mars 1812. Dans les villes, les grains disparaissent. Une émeute éclate à Caen, où est envoyée l’armée. La situation sociale se détériore d’autant plus que, depuis la guerre d’Espagne, le poids de la conscription se fait trop lourd : réfractaires et déserteurs se multiplient, créant un climat de fronde et d’insécurité. Heureusement, la récolte de 1812 est satisfaisante. Mais l’économie a été ébranlée. Partout en Europe, les contraintes du Blocus continental sont de moins en moins supportées (privation de sucre, de café, de coton), et les sentiments nationaux s’exacerbent (ce que traduisent les Discours à la nation allemande, de Fichte). Le complot du général Malet, en octobre 1812, révèle la fragilité du pouvoir impérial. À l’annonce (fausse) de la mort de Napoléon, alors en Russie, personne ne songe au roi de Rome pour le remplacer. La tourmente s’annonce, issue de Russie. LES DÉFAITES L’empire des tsars, qui rêve d’une Constantinople que Napoléon refuse de lui abandonner, et dont l’économie souffre du Blocus continental, prend ses distances avec la France. La guerre, devenue inévitable, éclate en 1812. Napoléon marche sur Moscou avec une armée de 500 000 hommes. Mais il est vaincu par l’immensité du pays et les rigueurs de l’hiver : le 13 décembre 1812, 20 000 soldats seulement repassent le Niémen. L’Alle-
magne se soulève alors sous l’impulsion de la Prusse, que rejoint en août 1813 l’Autriche. Napoléon est battu à Leipzig (16-19 octobre 1813). L’Allemagne napoléonienne a vécu. La Hollande se soulève à son tour et chasse les autorités françaises. La Suisse s’ouvre aux Autrichiens. En Espagne, Wellington triomphe à Vitoria le 21 juin 1813, puis envahit le midi de la France. À Naples, Murat s’entend avec les Anglais et menace le royaume d’Italie attaqué par les Autrichiens. Au début de 1814, Napoléon livre la campagne de France mais ne peut empêcher l’entrée des Alliés dans Paris le 31 mars. Talleyrand favorise la restauration de Louis XVIII. Napoléon abdique le 6 avril. La France est ramenée par le traité de Paris à ses limites de 1792. Le sort du Grand Empire est tranché aux congrès de Paris puis de Vienne, sans que les problèmes de nationalités soient pris en compte. L’Angleterre, qui a été la principale instigatrice de toutes les coalitions contre la France, s’y taille la part du lion : elle prend Malte et Le Cap et impose la réunion de la Belgique à la Hollande. Exilé à l’île d’Elbe, Napoléon est instruit des mécontentements suscités par la restauration de Louis XVIII, et revient en France le 1er mars 1815. Ses chances de succès étaient toutefois nulles face à la coalition de l’ensemble des puissances européennes, de l’avis des stratèges Henri de Jomini et Carl von Clausewitz. Napoléon est vaincu à Waterloo, en Belgique, le 18 juin 1815. Il doit abdiquer une seconde fois tandis que Fouché prépare le retour de Louis XVIII. La durée de l’Empire napoléonien n’a pas excédé une décennie. Un moment unifiée grâce au Blocus continental, l’Europe se trouve livrée, après 1815, aux nouveaux démons du nationalisme, que les discours de la Révolution et les armées de la République et de l’Empire ont contribué à faire émerger. l EMPIRE (SECOND). Le second Empire est issu du coup d’État du 2 décembre 1851, rapidement suivi d’une procédure de « régularisation » : moins d’un mois plus tard, le 14 janvier 1852, est promulguée une nouvelle Constitution. À la faveur d’une excellente conjoncture économique, les premières années du régime se caractérisent par la prospérité : la France connaît alors une modernisation remarquable, qui s’accompagne toutefois de difficultés sociales. Mais l’opposition républicaine, toujours latente, se réveille, mettant à profit une libéralisation progressive des institutions, due à des dissensions
au sein du camp gouvernemental. En outre, les échecs extérieurs de la fin du règne viennent effacer les succès initiaux. La guerre de 1870 interrompt une expérience politique nouvelle, et le désastre qui s’ensuit jette pour longtemps le discrédit sur le règne de « Napoléon le Petit ». Le second Empire a gardé très longtemps une image négative. Sa légende noire a été véhiculée par les républicains de la IIIe République, qui n’ont jamais pardonné le coup d’État du 2 décembre ni le désastre final qui a coûté à la France l’Alsace et la Lorraine. Par ailleurs, ces derniers partagent avec les milieux monarchistes traditionnels un mépris à l’égard des parvenus enrichis par la spéculation, et dénoncent la « fête impériale » à l’heure du rigorisme de la génération Ferry. Le militarisme du régime est critiqué lors de la montée du pacifisme, et le cléricalisme des débuts n’est pas épargné, non plus qu’une politique extérieure, jugée contraire aux intérêts français. Le procès de l’Empire est mené par les grands écrivains - Victor Hugo, Émile Zola, Alphonse Daudet -, qui transparaît aussi dans la littérature populaire. Les historiens, tels Seignobos, Malet et Isaac ou Lavisse, publient des manuels où perce leur hostilité. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que s’opère une véritable « révision » : le second désastre de Sedan, en 1940, a relativisé le premier ; les excès du parlementarisme dédouanent le régime impérial ; la procédure du référendum est restaurée. La prospérité des « Trente Glorieuses », la modernisation de la France, font enfin découvrir, par comparaison récurrente, la réussite économique du second Empire. À l’heure de la guerre d’Algérie, la politique de Napoléon III concernant le royaume arabe apparaît plus progressiste que celle conduite sous la IIIe République. La recherche universitaire, en particulier l’historiographie anglo-saxonne (Théodore Zeldin, Vincent Wright et H. C. Smith), a fortement contribué à la « réévaluation » de cette période controversée. LES FONDEMENTS POLITIQUES DE L’EMPIRE Si le second Empire a été proclamé le 2 décembre 1852, l’opinion n’a pas retenu cette date comme celle d’une rupture fondamentale. En effet, tout est joué au lendemain du coup d’État du 2 décembre 1851 et du plébiscite des 21 et 22 décembre qui l’approuve ; les institutions du nouveau régime sont déjà en place. Mais le rétablissement de l’Empire, downloadModeText.vue.download 311 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 300 outre sa dimension symbolique, n’est pas sans incidences institutionnelles, et ne s’inscrit pas dans un processus automatique. Louis Napoléon Bonaparte semble avoir hésité, incertain de l’adhésion de l’opinion. Son voyage triomphal dans les départements du Centre et du Midi, soigneusement orchestré par Persigny, emporte sa décision, annoncée lors du discours de Bordeaux du 9 octobre 1852. La suite est une formalité : vote par le Sénat du senatus-consulte du 7 novembre rétablissant la dignité impériale héréditaire, plébiscite de ratification du 21 novembre. Ce dernier est marqué par l’écrasant succès des « oui » (près de 97 % des votants), mais aussi par le niveau élevé des abstentions, traduisant l’hostilité des légitimistes et de certains milieux conservateurs à un retour de l’Empire - des défections toutefois compensées par de nombreux ralliements à gauche. Ces formalités réglées, le principal problème reste celui de la succession : faute d’héritier direct, le trône doit revenir, conformément au décret du 18 décembre 1852, au cousin du nouvel empereur, Napoléon Jérôme, détesté dans les milieux conservateurs pour ses idées démocratiques et anticléricales. Aussi, le mariage du souverain devient-il une nécessité politique : il est annoncé le 22 janvier 1853, Napoléon III portant son choix sur Eugénie de Montijo, issue de la haute noblesse espagnole. La naissance du prince impérial, le 16 mars 1856, fonde la nouvelle dynastie, qui semble alors promise à un bel avenir. La Constitution du 14 janvier 1852 concentre les pouvoirs entre les mains du chef de l’État, et réduit au minimum les prérogatives des Assemblées. La vie politique est verrouillée, de surcroît, par la domestication de la presse, grâce au décret organique du 17 février 1852 soumettant à autorisation la création de tout journal politique, et inventant le système des avertissements administratifs à côté des délits de presse. Désormais, dans la crainte d’une suspension du titre après deux avertissements, les journalistes sont contraints à l’autocensure. Le pouvoir peut également compter sur la docilité d’une administration aux effectifs accrus, notamment dans la police, et qui le renseigne sur l’état de l’opinion publique. De nombreux fonctionnaires sont placés sous l’autorité des préfets par le décret du 25 mars 1852, qui donne à ces derniers la haute main sur les emplois subalternes et leur permet d’exercer un contrôle sévère sur
les collectivités locales. Le préfet est appelé à jouer un rôle social important afin de rallier les notables et divers corps sociaux : tournées de conseil de révision, comices agricoles, réceptions à la préfecture, constituent autant de moyens d’entrer en contact avec la population. Le corps préfectoral, loin d’être composé de tyranneaux médiocres (contrairement à la vision de Zola), allie, dans l’ensemble, compétence, labeur et désintéressement. L’empereur, quant à lui, inaugure la pratique des nombreux voyages en province, soigneusement préparés, au caractère festif, et qui enracinent un bonapartisme populaire, que la propagande officielle véhicule aussi à travers les vecteurs que sont les almanachs, les chansons et les images d’Épinal. Le système impérial, qui s’appuie solidement sur la candidature officielle et sur l’obligation du serment de fidélité au chef de l’État, a su éliminer toute forme d’opposition : les républicains sont bâillonnés et privés de leurs chefs, contraints à l’exil ; les légitimistes ont perdu une partie importante de leur clientèle, en raison du soutien qu’apportent au régime le clergé et le parti catholique, comblés de faveurs (augmentation du budget des cultes, application libérale de la législation sur les congrégations) ; les orléanistes sont réduits à une opposition de salon. Toutefois, des éléments de faiblesse sont a posteriori discernables. L’absence de parti bonapartiste a contraint le régime à s’appuyer sur des notables conservateurs, ralliés plus qu’idéologiquement attachés à l’Empire, présents au sein du gouvernement, du corps préfectoral et des assemblées. Le parti républicain est, quant à lui, « plus contenu que corrigé », comme le montrent les élections de 1857, où il gagne cinq circonscriptions sur neuf à Paris, et enregistre de bons résultats dans les grandes villes de province. À ces nuances près, l’Empire apparaît comme une construction politique stable qui dispose de la confiance des élites, notamment économiques. CROISSANCE ÉCONOMIQUE ET MODERNISATION Le second Empire est marqué par une expansion économique sans précédent et par l’affirmation de la révolution industrielle. L’impulsion est venue de Napoléon III : influencé par les idées saint-simoniennes, il aspire à donner à l’État un rôle essentiel dans le développement économique via une politique de dépenses productives finançant les grands travaux et la modernisation de l’appareil industriel. Il entend ainsi résorber le chômage, améliorer la productivité, faire progresser la consommation. Le régime est servi par une
conjoncture mondiale favorable : doublement de la masse monétaire, accroissement de la circulation financière, afflux des capitaux stimulant une Bourse rassurée par la stabilité politique retrouvée. La France connaît alors quatre révolutions économiques décisives. Le crédit se transforme, avec l’extension des succursales en province, l’amplification des opérations de la Banque de France, et la création de banques de dépôt mettant en relation épargnants et investisseurs. Le Crédit mobilier des frères Pereire en fournit l’exemple le plus spectaculaire, malgré son échec final. Plus durables seront le Crédit industriel et commercial (1859), le Crédit lyonnais (1863), et la Société générale (1864), qui profitent de l’amélioration des techniques de drainage des capitaux, facilité par l’introduction du chèque bancaire (1865). La deuxième révolution concerne les transports, et d’abord le chemin de fer. Le réseau exploité passe de 3 248 à 16 465 kilomètres. L’État favorise la concentration des compagnies, après leur avoir concédé des lignes pour une longue durée d’exploitation (99 ans). Les axes principaux sont achevés, dès la fin des années 1850, par six grandes compagnies. Cet accroissement du réseau ferroviaire permet l’unification du marché agricole français, la commercialisation des produits de l’agriculture, l’accélération de la croissance industrielle par les commandes induites dans la métallurgie et le bâtiment. La même concentration s’observe dans le transport maritime (fondations de la Compagnie générale transatlantique et des Messageries maritimes), malgré une modernisation plus lente. L’évolution de la politique douanière est plus progressive, en raison de l’opposition des milieux protectionnistes. Elle est imposée par le traité de commerce franco-anglais du 23 janvier 1860 qui supprime la prohibition, la remplaçant par des droits inférieurs à 30 puis à 25 % de la valeur des marchandises, la France bénéficiant en retour d’une réduction de tarifs sur les vins, et d’une franchise concernant les produits manufacturés. Ce traité est suivi d’accords semblables avec la plupart des États européens. La libéralisation des échanges permet de freiner la hausse des prix industriels et de moderniser les entreprises financières qui, contraintes de s’adapter à la concurrence étrangère, bénéficient d’une aide de l’État ; ses effets sur le commerce extérieur sont plus difficiles à mesurer, en raison
du ralentissement de la croissance dans les années 1860. La révolution de l’urbanisme est la plus spectaculaire. Elle concerne surtout Paris, que l’empereur entend transformer, pour des raisons de prestige, mais aussi par nécessités économique, sanitaire et stratégique. Secondé par l’énergique préfet de la Seine, le baron Haussmann, dont les conceptions architecturales ont par ailleurs été discutées, il engage une audacieuse entreprise. D’imposantes artères se substituent aux rues tortueuses du centre de Paris ; les grands boulevards sont percés ; les édifices publics, utilitaires ou culturels se multiplient : reconstruction des Halles avec l’édification des pavillons de Baltard, construction des gares, du nouveau Louvre, de l’Opéra Garnier. L’aménagement d’espaces verts (les bois de Boulogne et de Vincennes ; les parcs Monceau, Montsouris et des Buttes-Chaumont) constitue une innovation en matière d’urbanisme. Agrandi par l’annexion des communes périphériques, le Paris du second Empire va peu changer jusqu’au milieu du XXe siècle. L’ensemble est cependant réalisé au prix d’un endettement considérable : l’opposition dénonce « les comptes fantastiques d’Haussmann », tandis que le Tout-Paris, grisé par la fête impériale, réserve un triomphe aux Contes d’Hoffmann, l’opéra d’Offenbach. En province, l’« haussmannisation » concerne plusieurs villes (Marseille, Lyon, Bordeaux), mais les élus locaux se plaignent d’être peu soutenus dans leur politique urbaine. Ces évolutions importantes ont permis l’achèvement de la première révolution industrielle, marquée par la mécanisation et la concentration. Cette dernière est favorisée par l’adaptation de la législation : les sociétés anonymes par actions peuvent être constituées sans autorisation, grâce aux lois de 1863 et 1867. La modernisation industrielle s’opère surtout dans la sidérurgie, révolutionnée par le convertisseur Bessemer (1855), et dominée par quelques grandes firmes telles que de Wendel et Schneider, dans l’industrie mécanique lourde et dans l’industrie chimique downloadModeText.vue.download 312 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 301 minérale. Elle est moins affirmée dans le bâtiment et le textile, où le « capitalisme familial » persiste ; la mécanisation du peignage et du
tissage de la laine provoque, toutefois, la régression du tissage à bras. Cependant, la croissance industrielle réelle - est inégale selon les régions, les années et les secteurs d’activité ; les industries de consommation représentent encore l’essentiel de la production, et ne connaissent qu’une progression limitée, à l’exception du bâtiment. L’exportation de capitaux, profitable à la balance des changes, freine la croissance intérieure. Le commerce présente un contraste analogue entre les grands magasins, qui font leur apparition à Paris (Au Bon Marché, puis le Louvre et le Printemps), et le petit commerce de détail. Ainsi, en dépit de mutations spectaculaires, le poids du passé l’emporte encore à la fin de l’Empire : prépondérance de la population rurale (69 %) malgré un début d’exode vers les villes, part dominante de l’agriculture dans l’activité (50 %). Le second Empire n’en constitue pas moins une étape décisive dans le processus de modernisation de l’économie. UNE POLITIQUE SOCIALE AUDACIEUSE MAIS DÉCEVANTE Parallèlement à une politique économique dynamique, Napoléon III mène une politique sociale audacieuse, déterminée aussi bien par l’intérêt que porte l’empereur à la question ouvrière (il a publié, en 1844, un ouvrage intitulé l’Extinction du paupérisme) que par le calcul politique, afin de préserver les chances du bonapartisme populaire. Freinée, au début de l’Empire, sous la pression des milieux conservateurs - priorité est alors donnée au maintien de l’ordre -, elle s’affirme dans les années 1860 : la défection de certains conservateurs pousse alors l’empereur à reprendre l’initiative, en utilisant les services du groupe du Palais-Royal, où se rassemblent des anciens saint-simoniens et des publicistes. Elle se traduit par l’envoi d’une délégation ouvrière à l’Exposition universelle de Londres en 1862, et par la satisfaction de sa principale revendication : le droit de grève, obtenu par la loi de 1864, qui entraîne la tolérance du droit de réunion (1866) et des associations à caractère syndical (1868). Après la formation d’une commission ouvrière consécutive à l’Exposition universelle de 1867, la relance de la politique sociale est marquée par l’abrogation de l’article 1781 du Code civil, relatif à l’inégalité du témoignage du patron et de l’ouvrier, en cas de contestation (1868), par la création de deux caisses facultatives d’assurances sur la vie et les accidents du travail, par l’annonce
de la suppression du livret ouvrier en 1870, et par le dépôt de deux projets de loi sur la création d’une inspection du travail et sur l’instauration de caisses de retraite facultatives. La hardiesse de cette politique contraste avec la timidité de la IIIe République. Le régime n’en tire pas, cependant, les bénéfices. Certes, il a tiré profit de l’apolitisme des principaux dirigeants des chambres syndicales, influencés par Proudhon, et qui contrôlent initialement la Section française de la Ire Internationale, fondée en 1864. Mais, après 1867 et la dissolution de la section parisienne, elle passe sous le contrôle de militants plus radicaux, futurs leaders de la Commune, qui souhaitent mêler les luttes politiques et sociales. Les grèves se multiplient en 1869 et 1870, revêtant parfois un caractère violent, comme à La Ricamarie, et à Aubin, dans le Massif central. Dans les grandes villes, les ouvriers votent majoritairement avec l’opposition républicaine, en 1869 et 1870. L’échec de l’Empire peut s’expliquer par une paupérisation relative du monde ouvrier : son pouvoir d’achat a connu un début de progression, mais les écarts sociaux se sont creusés, et la promotion est devenue impossible dans l’entreprise. Les avancées sociales sont trop tardives et interviennent à un moment de ralentissement de la croissance et de crises cycliques accentuant la misère. Il est possible, malgré tout, que la politique sociale de l’Empire ait préservé un certain bonapartisme populaire dans des centres industriels ou miniers du nord et de l’est de la France. UNE POLITIQUE EXTÉRIEURE INTERVENTIONNISTE, AUX RÉSULTATS INÉGAUX Les bonapartistes n’avaient cessé de dénoncer la politique de Louis-Philippe, jugée pusillanime. Napoléon III mène donc une politique extérieure active, marquée par trois guerres continentales et diverses expéditions lointaines. En effet, son horizon est mondial, et tous les continents sont concernés : le SudEst asiatique, qu’il s’agisse de l’expédition franco-britannique en Chine (1860) ou de la conquête de la Cochinchine (1857-1867) ; le Moyen-Orient, avec l’intervention en Syrie (1860) et le percement du canal de Suez (1859-1869) ; l’Afrique, avec la colonisation du Sénégal (à partir de 1855) ; l’Amérique, où s’aventure l’expédition du Mexique (18611867). Les motivations sont diverses : stratégiques, religieuses (protection des chrétiens du Liban), économiques (pénétration des
marchés asiatique et américain). En Europe, Napoléon III entend revenir sur les traités de 1815, ressentis comme une humiliation pour la France et les Bonaparte, et instaurer un nouvel ordre européen fondé sur le principe des nationalités. Cette politique n’est pas aussi aveugle que ses détracteurs l’ont prétendu. L’empereur répudie le romantisme révolutionnaire, et souhaite asseoir le principe national sur le suffrage universel et le plébiscite. Il n’est pas favorable à la multiplication d’États-nations, auxquels il préfère des confédérations d’États, préludes à une confédération européenne. À la différence de son oncle, il privilégie la négociation sur la guerre, qui est conçue comme un ultime recours. Il veut à tout prix éviter l’isolement de la France et ménager la Grande-Bretagne, artisane de la chute du premier Empire. Prudent en matière d’acquisitions territoriales, il renonce à son rêve de jeunesse de récupérer la rive gauche du Rhin, ne souhaitant qu’un remaniement des frontières de 1815. La réussite est-elle à la hauteur des ambitions ? À l’actif du régime, on peut porter la rupture du front des puissances conservatrices qui isole la France depuis 1815, via l’intervention dans le conflit anglo-russe au Moyen-Orient, où la France n’a pas d’intérêts. La guerre de Crimée (1854-1856) consacre l’alliance franco-britannique et la rupture de l’entente austro-russe, et donne à la France une influence diplomatique prépondérante sur le continent, qui est symbolisée par la tenue à Paris du congrès rétablissant la paix. Si les traités de 1815 perdurent, le jeu diplomatique est désormais plus ouvert. L’intervention militaire en Italie constitue cependant la grande affaire du régime et, malgré les hésitations et les prudences, sa principale réussite. Les victoires de Magenta et de Solférino, en 1859, délivrent l’Italie de la domination autrichienne. Certes, le programme élaboré l’année précédente à Plombières entre Cavour et Napoléon III n’a pu être honoré, les hostilités ayant été rapidement interrompues par crainte d’une intervention prussienne, et en raison d’une opposition catholique intérieure inquiète du sort réservé au pouvoir temporel du pape. La Vénétie n’est rattachée à l’Italie qu’en 1866, et les États de l’Église (réduits à Rome et au Latium) sont défendus par le corps expéditionnaire français, jusqu’en 1870, après la capitulation de Sedan. Mais le royaume d’Italie est né, en mars 1861, des conséquences de la victoire franco-piémontaise sur les Autrichiens, et du bon vouloir
de Napoléon III, récompensé en 1860 par la cession de Nice et de la Savoie à la France. Dans les années 1860, la politique étrangère devient plus incertaine. L’expédition du Mexique, « la grande pensée du règne », est politiquement mal engagée, et militairement maladroite : le nouvel empire mexicain s’effondre, et l’exécution de Maximilien, en 1867, est une humiliation pour la France. De la même façon, l’insurrection polonaise de 1863 se solde par un échec diplomatique : d’abord hostile au soulèvement, Napoléon III s’efforce bientôt de soutenir une cause polonaise qui bénéficie de la sympathie de l’opinion, et qui illustre son attachement au principe des nationalités. Mais, incapable d’imposer ses vues, il se brouille avec la Russie (dont il s’était rapproché depuis 1859), sans parvenir à établir un front commun franco-anglais, la Grande-Bretagne s’irritant, à cette occasion, de ses projets de remaniements territoriaux européens. Soucieux, ensuite, de ménager la Prusse, qui a renforcé ses positions lors de l’affaire polonaise, il la laisse occuper les duchés danois du Schleswig et de Holstein (1864). La politique allemande révèle les erreurs de la diplomatie française. En 1866, Napoléon III escompte une guerre longue entre l’Autriche et la Prusse, en rivalité pour asseoir leur domination en Allemagne, à l’issue de laquelle il pourra imposer ses conditions. Or, le triomphe prussien de Sadowa (3 juillet 1866) l’oblige à une médiation improvisée et bâclée : il entérine les acquisitions territoriales de la Prusse, et lui laisse le champ libre pour unifier l’Allemagne, à condition de ne pas dépasser la ligne du Main. Les demandes de compensation sont présentées tardivement et maladroitement. La dernière d’entre elles (revendication concernant le Luxembourg, en 1867) manque de provoquer une guerre immédiate avec la Prusse. Le conflit de 1870 est né, en partie, de cette faillite diplomatique. On peut imputer ces échecs à la personnalité de l’empereur, inconstant, trop ambitieux, affaibli aussi par la maladie à partir de downloadModeText.vue.download 313 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 302 1866. En outre, son entourage, favorable au statu quo stratégique en Europe, ne l’a pas toujours soutenu. Le second Empire n’a pas eu les moyens de sa politique extérieure : l’armée française est alors dotée d’effectifs
insuffisants, d’une organisation déficiente et d’un commandement médiocre. L’empereur en a pris conscience tardivement, et il échoue dans sa tentative de réforme militaire en 1867 et 1868. Enfin, il a eu trop tendance à faire dépendre sa politique d’une opinion publique versatile. LA LENTE LIBÉRALISATION D’UN RÉGIME AUTORITAIRE Les orientations de la politique étrangère, ses échecs, mais aussi l’ouverture commerciale décidée en 1860, génèrent une opposition cléricale et protectionniste au sein du Corps législatif. Napoléon III s’efforce de la canaliser par quelques concessions en 1860 et 1861 : rétablissement du droit d’adresse, publicité des débats parlementaires, fin des crédits extraordinaires sans consentement du Corps législatif. Ces mesures ne changent pas la nature du régime, mais elles raniment la vie politique. Les élections de 1863, plus disputées, se soldent par le succès de 32 opposants et le triomphe complet des républicains à Paris. Thiers fait sa rentrée politique. L’absence d’autres concessions impériales provoque la formation, en 1866, du Tiers Parti, favorable au bonapartisme libéral. Les échecs extérieurs de 1866 conduisent l’empereur à faire de nouvelles propositions, annoncées en 1867 : rétablissement du droit d’interpellation, libertés contrôlées de la presse et de réunion. Elles enhardissent l’opposition républicaine menée par une nouvelle génération, critique à l’égard de ses aînés, dont le programme se radicalise, et qui trouve un chef de file en la personne de Léon Gambetta. Le Tiers Parti n’est pas satisfait pour autant, car les bonapartistes autoritaires, avec Eugène Rouher, demeurent au pouvoir. Les élections de 1869 voient le succès de la tendance libérale, au sein ou hors de la majorité, qui s’illustre lors de l’« interpellation des 116 », quand, à l’initiative d’Émile Ollivier, cent seize députés évoquent « la nécessité de donner satisfaction au sentiment du pays en l’associant de manière plus efficace à la direction de ses affaires ». Napoléon III est contraint de lui accorder satisfaction : le sénatus-consulte du 8 septembre 1869 redonne au Corps législatif les attributions normales d’une Assemblée, et établit un régime semi-parlementaire de fait, avec double responsabilité des ministres devant le Corps législatif et devant l’empereur. Le choix d’Émile Ollivier en tant que chef du gouvernement, le 2 janvier 1870, confirme cette orientation, parachevée par le sénatus-consulte du 20 avril 1870 transfor-
mant le Sénat en seconde chambre législative. L’empereur garde néanmoins le droit de faire appel au peuple, et il en use en soumettant à un plébiscite les transformations constitutionnelles. Il réussit ainsi à regrouper ses partisans - les défenseurs de la dynastie - mais aussi ses adversaires de l’opposition républicaine. Le 8 mai 1870, le « oui » obtient 68 % des inscrits presque autant qu’en 1852 -, et le régime paraît une nouvelle fois fondé. Pourtant, quelques mois plus tard, il s’effondre, à la suite du désastre de Sedan. La guerre contre la Prusse est engagée imprudemment, à l’occasion de la candidature d’un Hohenzollern au trône d’Espagne, sous la pression des bonapartistes autoritaires, qui souhaitent un succès à l’extérieur pour revenir sur les mesures libérales. Même si une atmosphère d’union nationale peut être observée au début du conflit, la situation intérieure se dégrade rapidement à l’annonce des premiers revers. Le cabinet Ollivier est renversé, et remplacé par une équipe autoritaire regroupée autour du comte Palikao. La révolte gronde à Paris, désertée par l’empereur, parti rejoindre l’armée, et où l’impopulaire impératrice exerce la régence. À l’annonce du désastre de Sedan, le Corps législatif est envahi, et la République est proclamée à l’Hôtel de Ville (4 septembre 1870). Le régime s’effondre sans aucune résistance, abandonné de tous au lendemain d’une défaite qui devait être chèrement payée. Empire latin d’Orient (ou de Constantinople), État fondé en 1204 par les croisés, dans l’Empire byzantin. L’histoire de l’Empire latin d’Orient ne peut être séparée de celle de la quatrième croisade. Rassemblés à Venise en 1202 pour traverser la Méditerranée, les croisés, à court d’argent, sont contraints de payer leur passage en nature, en s’emparant de la ville chrétienne de Zara, sur l’Adriatique, pour le compte des Vénitiens. Détournée une première fois, la croisade l’est de nouveau, à la suite des propositions de l’empereur byzantin détrôné Isaac II Ange : reconquérir Constantinople moyennant une forte somme d’argent, une aide militaire et l’union des Églises orthodoxe et catholique. Les croisés s’emparent donc de la ville, au nom de son empereur, en 1203, mais les relations entre Latins et Byzantins s’enveniment rapidement. Le 15 avril 1204, après trois jours d’effroyables pillages, les Latins reprennent Constantinople pour leur propre compte, sous l’oeil bienveillant des Vénitiens, qui y voient une aubaine pour leur
commerce. Un mois plus tard, le comte de Flandre Baudouin Ier est couronné empereur dans la basilique Sainte-Sophie. La conquête de la Grèce par les croisés, durant l’hiver 1204-1205, donne naissance à plusieurs États, vassaux théoriques de l’Empire latin : le royaume de Thessalonique est attribué au marquis italien Boniface de Montferrat ; le duché d’Athènes, au seigneur franccomtois Otton de la Roche ; la principauté de Morée, conquise par Guillaume de Champlitte, revient à la famille de Villehardouin, qui y établit le plus stable des États francs. Malgré cela, les Francs ne sont que partiellement maîtres de la Grèce, et une bonne partie de l’Empire byzantin leur échappe. En 1205, le désastre d’Andrinople face aux Bulgares, où périt Baudouin Ier, arrête la conquête franque, alors que subsistent de solides implantations byzantines : l’Empire de Nicée, en Asie Mineure, et le despotat d’Épire, dans l’ouest de la Grèce. Henri de Hainaut, empereur après son frère Baudouin, parvient à repousser les Bulgares à Philippopolis en 1208, mais, peu à peu, l’Empire latin se réduit considérablement. Le beau-frère d’Henri de Hainaut, Pierre de Courtenay, puis son fils Robert, doivent encore céder du terrain : Thessalonique est prise en 1222 par le despote d’Épire Théodore, et, en 1225, il ne reste de l’Empire latin que Constantinople et ses environs. De 1228 à 1261, Baudouin II de Courtenay résiste courageusement, mais Constantinople est reprise, en 1261, par l’empereur byzantin Michel VIII Paléologue. Tandis que la famille de Courtenay rejoint l’Occident tout en ayant pendant quelques années des prétentions sur l’Empire d’Orient, la présence franque en Grèce demeure jusqu’en 1311 grâce au duché d’Athènes et, surtout, à la brillante principauté de Morée des Villehardouin, liés aux Angevins de Naples. La principauté de Morée n’est prise par les Byzantins qu’au XVe siècle, avant d’être conquise par les Turcs en 1463. L’affrontement direct entre Latins et Byzantins, ultime aboutissement d’une incompréhension totale et réciproque, a débouché, fortuitement, à la création d’un éphémère Empire latin. Alors que l’implantation franque réussit durablement en Grèce, l’Empire latin d’Orient, né dans les massacres de Constantinople en 1204, ne peut échapper à cette
défiance fratricide. emprunts russes, série d’emprunts lancés par la France au profit de la Russie tsariste entre 1888 et 1914. À la fin du XIXe siècle, cette dernière entre en conflit avec ses alliés traditionnels, l’AutricheHongrie et l’Allemagne ; la Reichsbank prive alors la Russie de son soutien financier, afin d’éviter l’intervention militaire de celle-ci en Bulgarie pour contrer la politique autrichienne. C’est dans ce contexte que le gouvernement français propose au tsar une aide, qui se traduit par le lancement, en novembre 1888, d’un emprunt d’État de 125 millions de roubles, couvert par les grandes banques françaises. Il sera suivi, jusqu’en 1914, d’une quinzaine d’autres emprunts garantis par l’État russe et émis par des compagnies ferroviaires et des collectivités locales, pour un montant total de 16 milliards de francs (200 milliards actuels). Dans le même temps, la Russie devient le premier débouché extérieur des sociétés françaises, qui détiennent un tiers du total des capitaux étrangers, devançant les Britanniques. Les émissions de titres de sociétés implantées en Russie croissent de 26 millions par an entre 1888 et 1894, atteignant 83 millions entre 1895 et 1904 et 112 millions entre 1905 et 1913. Ce rapprochement financier se traduit donc au début du siècle par un véritable impérialisme économique. Sur le plan diplomatique, en revanche, on en vient progressivement à la constitution d’une entente conçue comme une alliance de revers contre l’Allemagne, essentielle dans la stratégie française. En 1914, la Russie entre en guerre aux côtés de la France, avant que la révolution bolchévique de 1917 n’entraîne la signature de l’armistice de Brest-Litovsk, le refus du nouveau gouvernement de reconnaître les dettes de l’État tsariste et la confiscation du réseau bancaire : dès lors, les titres détenus downloadModeText.vue.download 314 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 303 par les Français n’ont plus qu’une valeur de pièces de collection. Malgré la reconnaissance officielle de l’Union soviétique par la France en 1924, le gouvernement communiste refusera toujours d’ouvrir des négociations sur l’indemnisation des titulaires français d’emprunts russes. Les dédommagements promis, en 1996, aux
héritiers des Français spoliés seront-ils versés ? Les difficultés financières du nouvel État russe sont en effet considérables. La mésaventure subie par de nombreux petits porteurs a marqué durablement l’imaginaire des Français aux ressources modestes et contribué à les éloigner pour longtemps des placements boursiers. Ems (dépêche d’), dépêche télégraphique tronquée qui servit de détonateur à la guerre franco-allemande de 1870-1871. Dès sa victoire militaire sur l’Autriche en 1866, la Prusse entre en rivalité avec la France. Les deux pays s’interdisent mutuellement d’accroître leur puissance. Ainsi, en 1867, une conférence européenne réunie à l’initiative de la Prusse empêche l’acquisition du Luxembourg par Napoléon III. À son tour, l’empereur français, suivi d’autres chefs d’État européens, proteste le 3 juillet 1870 contre la candidature au trône d’Espagne (vacant) de Léopold de Hohenzollern, cousin du roi de Prusse. Le prince renonce dès le 12 juillet, mais la diplomatie française tente alors d’obtenir du roi de Prusse l’assurance qu’une telle situation ne se produira plus. Le 13 juillet à Ems, ville rhénane où il prend les eaux, le roi Guillaume Ier élude courtoisement la démarche française, puis en télégraphie le compte rendu à son chancelier Bismarck. Celui-ci rediffuse aussitôt la dépêche, mais tronquée, de telle sorte que la demande française paraisse humiliante, et la réponse prussienne, injurieuse. Son souhait : que l’outrage entraîne en réaction une agression française. La Prusse fédérerait alors autour d’elle les États allemands qui lui sont liés par des traités défensifs. De fait, un élan de xénophobie patriotique saisit la presse et les milieux politiques français et allemands. Et, le 19 juillet 1870, à l’issue d’une escalade verbale, le gouvernement français déclare la guerre à la Prusse, derrière laquelle s’engagent les autres États allemands. ENA (École nationale d’administration), établissement public d’enseignement supérieur fondé en 1945 et destiné à assurer le recrutement et la formation des hauts fonctionnaires. Le projet de constituer une école d’administration qui, sur le modèle de l’École polytechnique, formerait l’élite des fonctionnaires de la République n’est pas nouveau : Carnot en 1848, Jean Zay en 1936, l’avaient esquissé, mais les rivalités de corps et l’hostilité des administrations avaient tenu en échec ces
tentatives. À la Libération, les réflexions de la Résistance sur le rôle des élites et la reconstruction de l’État bénéficient d’un contexte politique favorable. Michel Debré est alors le père de l’ordonnance du 9 octobre 1945 relative à la création de l’ENA. La nouvelle école a pour buts de démocratiser et d’unifier le recrutement de la haute fonction publique, de décloisonner les administrations, de professionnaliser les serviteurs de l’État, et d’assurer leur indépendance à l’égard du pouvoir politique. L’ENA recrute à parité des étudiants titulaires d’une licence, le plus souvent diplômés de l’Institut d’études politiques de Paris, et des fonctionnaires auxquels est réservé un concours interne. Le choix des affectations est déterminé par le rang de sortie : Conseil d’État, Inspection des finances, Cour des comptes, corps préfectoral, ainsi que le corps des administrateurs civils, théoriquement aussi prestigieux, créé par l’ordonnance du 9 octobre 1945. Si l’ENA a doté la France d’un corps de hauts fonctionnaires compétent et intègre envié à l’étranger, ses objectifs initiaux n’ont pas toujours été atteints. L’unification de la haute fonction publique se heurte en effet à l’inégalité entre les carrières des élèves sortis dans la « botte » et celles des administrateurs civils. La démocratisation du recrutement est restée limitée, les candidats du concours interne, souvent d’origine plus modeste, accédant rarement aux premières places. Surtout, certains « énarques » ont peu à peu délaissé la haute fonction publique pour occuper des responsabilités importantes dans l’entreprise et dans la vie politique : bien que minoritaire, cette pratique, dite « du pantouflage », a suscité de nombreuses critiques. Pour éviter la formation d’une technocratie coupée du pays, le pouvoir socialiste a tenté d’élargir le recrutement par un troisième concours (créé en 1983, supprimé en 1986 et rétabli sous une forme nouvelle en 1990) et décidé en 1991 la délocalisation de l’ENA à Strasbourg. Mais l’ouverture de l’école à des professionnels et à des élus demeure très marginale. La dénonciation de l’« énarchie » témoigne toutefois des rapports difficiles qu’entretient la société française avec ses élites dans un contexte de crise économique et sociale persistante. Encyclopédie, appelée aussi Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, élaboré sous la direction du mathématicien d’Alembert et du philosophe Diderot, et publié entre 1751 et 1772. Ce qui ne devait être, à l’origine, qu’une traduction de l’ency-
clopédie anglaise d’Ephraïm Chambers devint une entreprise originale qui cristallisa la prise de conscience des Lumières françaises. Le « Prospectus » rédigé par Diderot (1750), ainsi que le « Discours préliminaire » écrit par d’Alembert (figurant dans le tome I, publié en 1751) se présentent comme de véritables manifestes de la pensée nouvelle, à la fois rationaliste, empiriste et expérimentale, tournée vers la réalité pratique et économique, et contre la tradition et le principe d’autorité. Par ailleurs, le dictionnaire rassemble une pléiade d’écrivains, depuis les plus connus, tels Montesquieu et Voltaire, jusqu’aux nouveaux venus, appelés à se faire connaître, tels Jean-Jacques Rousseau, chargé des articles de musique, ou le baron d’Holbach, auteur de ceux de chimie. D’Alembert rédige la partie mathématique du dictionnaire, et Diderot, ce qui concerne l’histoire de la philosophie, ainsi que de nombreux articles dans les domaines les plus divers. Des collaborateurs, tel le chevalier de Jaucourt, mettent au service de Diderot leur dévouement de polygraphes. La dimension pratique de ce dictionnaire des arts et métiers est sensible dans les volumes de planches, qui suivent ceux de textes, et constituent un outil de travail pour nombre de professionnels, à une époque où les secrets de métier restaient jalousement gardés par les corporations. Une telle entreprise, qui s’étendit sur une vingtaine d’années, supposait la collaboration d’éditeurs, et ne put se réaliser sans crises ni scandales. Le premier volume parut avec un privilège du roi, mais suscita les critiques de la Sorbonne. La publication des 17 volumes d’articles et des 11 de planches se poursuivit à l’aide de subterfuges et d’autocensures, malgré la révocation du privilège et le départ de d’Alembert, et grâce au soutien discret de Malesherbes, le directeur de la librairie. Le premier tirage, sous forme de luxueux in-folio, ne pouvait toucher qu’une élite restreinte, mais, rapidement, les éditions in-4o puis in-8o se multiplièrent, ainsi que de nombreuses éditions en Italie et en Suisse : à Lucques (1758-1775), Livourne (1770-1776), Genève (1771-1773), puis Neuchâtel, Berne, Lausanne, Yverdon. L’Encyclopédie de Diderot fut complétée par un supplément et une table, puis refondue dans une nouvelle entreprise monumentale, classée, cette fois, par disciplines, l’Encyclopédie méthodique, qui comptera 157 volumes de
textes et 53 de planches, et dont la publication s’étalera jusqu’en 1832. Enfantin (Barthélemy Prosper), dit le Père Enfantin, ingénieur et réformateur socialiste (Paris 1796 - id. 1864). Après des études à l’École polytechnique, puis diverses expériences professionnelles à travers l’Europe (négoce des vins, banque), Enfantin se fixe à Paris en 1823. La lecture du Catéchisme des industriels le sensibilise au saint-simonisme, dont il devient un fervent adepte. Passionné par les questions d’économie politique et de spiritualité, il engage la transformation de la doctrine saint-simonienne en une église dont il devient « Père », avec Saint-Amand Bazard, en décembre 1829. Un an plus tard, il participe à l’acquisition du Globe, journal d’opposition libérale. Peu à peu se forme autour de lui une communauté dont les membres, vêtus de bleu, sont séduits par son éloquence. La question de la femme prend une place croissante dans sa pensée : il appelle à son émancipation et la présente comme la prophétesse de la religion nouvelle. Ces théories entraînent le schisme de Bazard (1831), suivi de quelques autres. Enfantin décide alors de mettre en pratique la fraternité saint-simonienne, et fonde au printemps 1832 un monastère à Ménilmontant. Toutefois ses écrits et ses expériences communautaires le conduisent en cour d’assises pour infraction à la loi sur les associations et outrage aux moeurs ; malgré le sermon bienveillant qu’il adresse à ses juges dans son costume de « Père suprême », il est condamné à un an de prison. À sa sortie, à l’automne 1833, il s’embarque pour l’Égypte avec une douzaine de downloadModeText.vue.download 315 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 304 fidèles, espérant à la fois y trouver la « Mère » et convaincre Méhémet Ali de percer un canal à Suez. C’est un double échec. Isolé à son retour en France en 1837, Enfantin participe à une mission décevante en Algérie (1839-1841), avant de s’engager avec enthousiasme dans l’aventure du chemin de fer et de devenir administrateur d’une compagnie. Il n’abandonne pas pour autant son projet de percement d’un canal dans l’isthme de Suez : il fonde à cet effet en 1846 une Société d’études avec des ingénieurs français, anglais et allemands. L’accession de Louis Napoléon
Bonaparte au pouvoir, puis la proclamation du second Empire le persuadent que le contexte est enfin favorable à la réalisation de son rêve. Il fait cause commune avec Ferdinand de Lesseps, mais ce dernier l’écarte après avoir obtenu en 1854 la concession du canal. Enfantin se lance alors de nouveau dans les affaires, écrit (la Vie éternelle, 1858 ; la Science de l’homme, 1861), projette de fonder un Crédit intellectuel, décide en 1863 de rassembler les archives saint-simoniennes. Même s’il ne conserve plus à cette date qu’une poignée de fidèles que son enthousiasme et son obstination continuent à séduire, sa pensée trouve des échos parmi les théoriciens de l’utopie ou les ingénieurs saint-simoniens du second Empire. enfants (croisade des), mouvement populaire spontané apparu simultanément en Vendômois et dans la région de Cologne durant l’été 1212, et composé en partie de jeunes gens (juvenes). De leur propre initiative, des troupes de pauvres gens se constituent dans l’espoir de reconquérir Jérusalem par les seules armes de la foi et de la pureté. Mais ces rassemblements, qui mêlent indistinctement des personnes de tous âges et des deux sexes, et qui échappent totalement aux autorités ecclésiastiques et laïques, se heurtent à l’hostilité de l’Église et des institutions civiles. La troupe partie de la région de Vendôme et de Chartres en direction de Paris est ainsi dissoute sur l’ordre du roi Philippe Auguste. Quant au mouvement parti de Rhénanie vers la Méditerranée, il se heurte à l’hostilité des villes (Venise, Pise, Gênes, Marseille) et finit décimé par l’hiver, la famine, les naufrages en mer ou les pirates musulmans. La spontanéité et la vigueur de ces mouvements, qui ont profondément surpris les chroniqueurs contemporains, s’expliquent en partie par l’échec, en 1204, de la quatrième croisade voulue par le pape Innocent III, et par la tension qu’instaure la répression du catharisme depuis 1209. En outre, les processions générales ordonnées par le pape Innocent III dans toute l’Europe chrétienne, à la Pentecôte de l’année 1212, afin d’aider les chrétiens dans la lutte contre les Sarrasins d’Espagne, ont contribué à entretenir un climat de ferveur propice à l’essor de ces mouvements. Enfin, ceux-ci témoignent de la profonde adhésion des populations à l’idée de croisade, et de la diffusion des espérances millénaristes, de la sévérité avec laquelle sont jugées les défaillances des puissants.
Enfer, lieu dans lequel, pour la religion chrétienne, les damnés subissent des peines éternelles, châtiments de leurs fautes. La spécificité de l’Enfer chrétien réside dans la place centrale que lui réserve le système de croyance - il peut concerner chaque homme et dans son caractère éternel. Les autres religions de l’Antiquité imaginent soit un au-delà indifférencié, où se retrouvent tous les morts, soit un lieu de tourments temporaires ou exceptionnels. Au contraire, le christianisme fait de la sanction des actes humains - par une récompense ou un châtiment éternels, différés après la mort - un principe général. En cela, il systématise les tendances de l’Apocalyptique juive des IIe et Ier siècles avant J.-C., qui rompaient avec le Shéol, séjour indifférencié des morts selon la conception judaïque ancienne. L’éternité de l’Enfer est objet de débat théologique jusqu’à saint Augustin, qui réfute définitivement l’apocatastase d’Origène, selon laquelle toutes les créatures seront sauvées en fin de compte, y compris Satan. La question de la nature des peines subies par l’âme avant la Résurrection des corps se pose également à partir du moment où l’on estime que le châtiment s’exerce dès le lendemain de la mort, sans attendre le Jugement dernier. La tradition, dans sa majorité, considère que les peines subies par l’âme sont spirituelles mais provoquées par des éléments matériels, tel le feu. Aux XIIe et XIIIe siècles, les théologiens décrivent succinctement les souffrances endurées par les âmes damnées : corporellement, le feu, le froid, la puanteur, les vers, les ténèbres, les pleurs, les cris et la vision des démons ; psychologiquement, le dam (privation absolue de la vue de Dieu et de la grâce rédemptrice), la culpabilité sans repentir et le spectacle de la gloire des élus qui se réjouissent de leurs tourments. Les voyages dans l’Au-delà et les exempla des prédicateurs affinent la description et peuplent l’Enfer d’instruments de torture servant à supplicier les damnés. Ces textes conduisent à une conception judiciaire de l’Enfer, à la fin du Moyen Âge. L’Enfer n’est plus alors le lieu d’où l’ordre est absent mais le Royaume d’en-bas, inversé, où Satan-roi rend sa justice. Cette mutation correspond à celle du pouvoir terrestre, engagé dans la construction de l’État moderne. Des peines spécifiques sont appliquées aux damnés, en fonction de leurs péchés : avares, gavés d’or fondu ; gloutons, soumis au supplice de Tantale ; sodomites, empalés... Les images infernales, qui se multiplient aux XIVe et XVe siècles, expriment cet
ordre par un net compartimentage, identifiant clairement les péchés punis (le Jugement dernier d’Albi, 1493-1503). Modérant l’idée d’un « christianisme de la peur », l’historien Jérôme Baschet voit dans ces images un « miroir qui renvoie au sujet l’image d’un moi coupable » (les Justices de l’Au-delà. Les représentations de l’Enfer en France et en Italie, du XIIe au XVe siècle, Paris-Rome, 1993) : l’Enfer ne sert pas tant à faire peur qu’à promouvoir une pastorale de la confession. Les siècles suivants marquent un recul de la thématique de l’Enfer, d’abord dans les images, puis dans les textes et, enfin, dans les esprits... jusqu’à sa quasi-disparition, aujourd’hui. Enghien (Louis Antoine Henri de Bourbon-Condé, duc d’), prince du sang, dernier héritier des Condé (Chantilly 1772 - Vincennes 1804). Petit-fils du prince de Condé, cousin de Louis XVI, ayant émigré avec son père et son grand-père dès le 16 juillet 1789 et combattant la Révolution dans l’armée de Condé, puis dans celle des coalisés, il est surtout célèbre pour son exécution, qui marque la fin du Consulat et l’établissement du premier Empire. Alors que la rupture de la paix d’Amiens en 1803 s’accompagne d’une recrudescence de l’agitation royaliste, la police découvre en 1804 le complot de Cadoudal, fomenté par l’Angleterre et visant à faire disparaître Bonaparte pour installer un gouvernement provisoire avec les généraux Pichegru et Moreau ainsi qu’un prince de la maison de Bourbon. Pour la police, ce prince n’est autre que le duc d’Enghien, retiré à Ettenheim dans le pays de Bade. Bonaparte le fait enlever, au mépris du droit international, le 15 mars 1804. Le duc, en fait étranger au complot, est fusillé dans les douves du château de Vincennes dans la nuit du 20 au 21 mars, après un procès sommaire conduit par une commission militaire sans compétence. Cette exécution, dont les circonstances - notamment le rôle de Bonaparte - divisent les historiens, prépare l’opinion publique à l’instauration d’un Empire héréditaire et autoritaire (sénatus-consulte du 18 mai 1804), présenté comme étant le seul capable d’empêcher un retour des Bourbons et de l’Ancien Régime. Napoléon apparaît donc fermement décidé à préserver les acquis de la Révolution, même au prix du sang d’un membre de la dynastie capétienne.
enluminure, décoration et illustration peintes utilisées au Moyen Âge dans les livres manuscrits et les premiers imprimés pour la mise en valeur de certaines lettres, notamment les initiales, pour l’ornementation des bordures marginales ainsi que pour l’illustration proprement dite du texte. Les artistes de la Gaule mérovingienne subissent au VIIe siècle l’influence des réalisations insulaires, caractérisées notamment par l’art des entrelacs. Dans les scriptoria monastiques de Luxeuil, Corbie ou Laon en particulier, ils produisent des décors stylisés, où les motifs zoomorphes, nombreux et divers, éclipsent les rares représentations humaines. Le développement de la culture écrite à l’époque de la renaissance carolingienne favorise la production de livres enluminés : Charlemagne passe commande de nombreux manuscrits de luxe, tels les Évangiles de Godescalc aux lettres d’or sur fond pourpre, dans lesquels s’expriment de multiples courants d’influence. Mais, au IXe siècle, l’atelier du palais d’Aix-la-Chapelle est définitivement supplanté par les grands centres épiscopaux (Reims, Metz) ou monastiques (Tours) concentrés au nord de la Loire. À partir de l’an mil, de nouveaux centres de production apparaissent, tels Cluny ou Cîteaux, sous l’impulsion d’abbés et de moines, qui sont parfois eux-mêmes peintres ; les remarquables réalisations romanes, destinées downloadModeText.vue.download 316 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 305 en priorité aux besoins des monastères ou des cathédrales en livres liturgiques, commencent aussi à fournir les laïcs en livres de piété, tel le psautier. Lorsque les ateliers de production du livre se multiplient et s’organisent en dehors du milieu monastique ou épiscopal, Paris devient l’un des principaux foyers de l’enluminure occidentale, et exerce un rayonnement exceptionnel à partir du XIIIe siècle : tour à tour, maître Honoré, puis Jean Pucelle et Jean Le Noir au XIVe siècle influencent d’autres artistes laïcs, demeurés anonymes, qui décorent pour la cour et pour une riche clientèle bourgeoise des livres d’heures ainsi que de plus en plus de livres profanes. À la fin du XIVe et au XVe siècle, des bibliophiles passionnés, tels le duc Jean de Berry ou le duc Philippe II de Bourgogne, sont les principaux mécènes de cet art, qui connaît alors un épanouissement unique
grâce à Jacquemart de Hesdin (Très Grandes Heures du duc de Berry, 1409), aux frères Pol, Jean et Hermann de Limbourg (Très Riches Heures du duc de Berry, 1416), au Maître de Boucicaut et aux nombreux artistes qu’ils ont durablement inspirés. Dans la seconde moitié du siècle, si Jean Fouquet donne encore des oeuvres remarquables (Grandes Chroniques de France, Heures d’Étienne Chevalier, Antiquités judaïques), la naissance de l’imprimerie condamne progressivement l’art délicat de l’enluminure, incompatible avec une production de livres plus massive. enragés, dénomination péjorative désignant, pendant la Révolution, ceux qui réclament des mesures sociales et économiques - voire politiques - radicales. Elle a été utilisée par les aristocrates contre des patriotes, puis par les girondins modérés contre des jacobins ou des cordeliers. Mais l’expression consacrée s’applique ensuite aux porte-parole du mouvement sans-culotte, disqualifiés par les montagnards, de l’été 1792 au printemps 1794. Les principales figures des enragés sont le curé « rouge » Jacques Roux, les commis des postes Jean Varlet et Jean Théophile Leclerc, l’actrice Claire Lacombe et la commerçante Pauline Léon, ces deux dernières étant membres du Club des citoyennes républicaines révolutionnaires, créé en mai 1793. Transfuges sociaux plutôt jeunes, ces personnalités s’identifient au mouvement populaire sans-culotte, sans en être issues socialement ni culturellement. L’égalité forme l’horizon essentiel de leurs revendications. Sensibles à la misère due à l’inflation et à la disette, elles ne cessent de réclamer, de mai 1792 à juin 1793, un maximum des prix du blé, le cours forcé de l’assignat, la peine de mort contre les accapareurs. Leur influence grandit surtout pendant l’hiver 1792-1793, alors que la situation économique se détériore. En témoignent les pétitions des sections qui dénoncent la liberté du commerce des grains, et qui sont inspirées par l’ensemble des revendications des enragés. Cependant, la question sociale et économique du « droit à l’existence » n’est pas dissociée de la question politique ; Varlet rédige en décembre 1792 le Projet d’un mandat spécial et impératif aux mandataires du peuple, où il affirme qu’il faut faire pression sur les députés, que ces derniers aient ou non réuni les suffrages populaires, pour les inciter
à lutter contre la pauvreté et à faire disparaître les trop grandes inégalités de fortune. Jacques Roux s’adresse aux femmes, pour qu’elles rejoignent les sans-culottes. En février 1792, ces revendications sont jugées par Marat comme « excessives », « étranges », « subversives de tout bon ordre ». Toutefois, à la veille de l’élimination de la Gironde, les montagnards concèdent un cours forcé de l’assignat, un prix maximum des grains à l’échelon départemental, et un emprunt d’un milliard auprès des riches. Le 25 juin, Jacques Roux, au nom des sections des Gravilliers et de Bonne-Nouvelle, du Club des cordeliers, vient pourtant lire à la barre de la Convention une pétition qui prend valeur de manifeste. Il admoneste les conventionnels : « Mandataires du peuple, l’insouciance que vous montreriez plus longtemps serait un acte de lâcheté, un crime de lèse-nation. » Désormais, les enragés constituent l’une des cibles de la Montagne : Jean Varlet et Jacques Roux (qui se suicidera en prison) sont arrêtés en septembre 1793 ; Jean Théophile Leclerc et Pauline Léon, en avril 1794. Varlet recouvre la liberté en novembre 1793, et ses compagnons, après Thermidor. Ensérune, importante place forte protohistorique de l’Hérault, habitée durant tout l’âge du fer. Situé sur la commune de Nissan-les-Ensérune, près de Narbonne et de Béziers, l’oppidum d’Ensérune occupe une position stratégique, sur une colline qui domine la plaine d’une centaine de mètres, à proximité de la mer et des étangs, et le long d’une route antique qui deviendra la « voie domitienne ». Il est habité dès le VIe siècle avant J.-C. ; les maisons de cette période sont encore assez modestes et construites en terre. À partir de la fin du Ve siècle, un rempart de gros blocs de pierre est édifié, avec poternes et escaliers, et la pierre intervient aussi dans l’architecture domestique. C’est aussi le moment où la nécropole d’Ensérune, implantée à l’ouest de l’habitat, commence à être utilisée. Plus de cinq cents sépultures y ont été découvertes ; il s’agit de tombes à crémation, où les cendres du mort étaient déposées dans un vase, souvent importé du monde hellénique, et accompagnées de récipients, d’offrandes alimentaires (viandes et poissons) et, dans les tombes masculines, d’armes. Typiquement celtiques, celles-ci témoignent de l’arrivée des Celtes dans le midi de la France. Au cours des siècles suivants, le site s’étend encore, l’habitat s’organise en damier, le rempart est plusieurs fois rebâti, tandis que
l’influence de Rome, qui conquiert la région à partir de 125 avant J.-C., ne cesse de croître. Néanmoins, les inscriptions indiquent que c’est une langue ibérique qui continue à être utilisée. Un musée a été ouvert sur le site. Entente cordiale, nom donné au rapprochement franco-britannique mis en oeuvre au début du XXe siècle et concrétisé par les accords du 8 avril 1904. • Mettre fin aux différends coloniaux franco-britanniques. À la fin du XIXe siècle, les rivalités coloniales entre la France et l’Angleterre s’exacerbent et menacent la paix européenne. Après l’incident de Fachoda (1898), la Grande-Bretagne rompt avec sa politique du « splendide isolement » et cherche à se rapprocher de l’Allemagne, mais échoue dans sa tentative d’alliance. L’épisode de Fachoda, puis la guerre des Boers (livrée, de 1899 à 1902, par les Britanniques contre les descendants des colons néerlandais établis en Afrique australe) suscitent une vive hostilité de l’opinion à l’égard de l’Angleterre. Vers 1902, toutefois, la France, qui a renforcé l’alliance scellée en 1893 avec la Russie, est prête à se rapprocher de Londres. Théophile Delcassé, ministre français des Affaires étrangères, croit en effet que l’on peut liquider les différends coloniaux franco-anglais. En outre, les milieux économiques souhaitent développer le commerce avec la Grande-Bretagne et le « parti colonial », obtenir l’accord britannique pour une éventuelle conquête française du Maroc. Au même moment, outre-Manche, l’opinion, inquiète des progrès économiques et navals allemands, se prononce de plus en plus pour un rapprochement avec la France. • Les conséquences de l’Entente. L’initiative est prise par la France en août 1902. Les négociations, accélérées par la visite du roi Édouard VII à Paris en mai 1903, aboutissent à un accord, le 8 avril 1904, dont la clause essentielle réside dans le « troc » Égypte-Maroc : la France renonce à contester la domination britannique en Égypte, et, en échange, l’Angleterre admet l’établissement éventuel d’un protectorat français sur le Maroc. Les autres clauses permettent de départager les zones d’influence française et britannique au Siam et aux Nouvelles-Hébrides, règlent la question des privilèges de pêche français à Terre-Neuve, et accordent à la France de petites concessions territoriales en Afrique noire. En somme, ces accords se présentent comme le simple règlement d’une série de différends coloniaux. Cependant, par le fait même qu’ils mettent un terme à la rivalité franco-anglaise, ils préparent la voie d’un rapprochement di-
plomatique durable, prélude à la formation d’un nouveau groupe de puissances. L’Entente cordiale sera appelée à se renforcer ; la Russie s’y associera par la signature d’un accord anglo-russe (1907), donnant naissance à la Triple-Entente, qui, elle-même, suscitera en 1912 le renouvellement de la Triple-Alliance, bloc européen antagoniste formé de l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie. Ainsi, la « révolution diplomatique de 1904 », tout en résorbant les rivalités franco-anglaises, inaugure une période de tension internationale. Entremont, place forte gauloise, capitale du peuple des Salyens (Saluvii), située sur la commune d’Aix-en-Provence et détruite en 124 avant notre ère par les armées romaines. L’oppidum celto-ligure d’Entremont n’a été occupé que pendant environ un siècle. Aussi, la lecture de son plan n’est-elle pas perturbée par de multiples transformations ultérieures. L’implantation s’est néanmoins déroulée en deux étapes successives. Une « ville haute », downloadModeText.vue.download 317 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 306 qui couvre un hectare, a d’abord été édifiée dans la partie sud-ouest de la colline calcaire. Naturellement fortifiée par un escarpement sur ses flancs sud et ouest, elle est protégée sur les deux autres côtés par un rempart renforcé de tours carrées. À l’intérieur de cette enceinte règne un strict urbanisme orthogonal, délimitant des îlots rectangulaires, eux-mêmes divisés par des rues en cellules d’environ quinze mètres carrés. Vers le milieu du IIe siècle avant notre ère, la surface du site est plus que triplée par la formation d’une « ville basse », qui s’étend au nord et à l’est de la « ville haute ». Elle est délimitée au nord par un imposant rempart de plus de trois mètres d’épaisseur, renforcé de tours carrées aux angles arrondis. Un urbanisme plus vaste et aéré que celui de la partie haute régit l’organisation des nouveaux quartiers. Les rues sont pavées. Un réseau d’égouts a d’ailleurs été exhumé. Les maisons, construites en brique crue sur soubassements de pierre, comportaient au moins un étage, réservé à l’habitation, le rez-de-chaussée étant voué à des activités artisanales ou utilitaires : stockage des aliments, fours, pressoirs à huile, etc. De telles caractéristiques révèlent donc que cette société avait atteint un degré technique assez élevé et que les activités de production étaient diversifiées.
À la limite des deux « villes » ont été mis au jour les vestiges d’un portique construit en deux étapes, dont les piliers de bois supportaient des têtes humaines coupées et qui avait abrité des sculptures de pierre, représentant notamment des guerriers accroupis tenant des têtes coupées. Textes antiques et archéologie permettent d’identifier Entremont comme la capitale des Salyens, dont la puissante confédération fut écrasée en 124 avant J.-C. par Rome ; mais une seconde destruction semble avoir eu lieu vers 90 avant notre ère. Éon (Charles de Beaumont, chevalier d’Éon), agent secret et diplomate (Tonnerre, Yonne, 1728 - Londres 1810). D’abord avocat au parlement de Paris, il accomplit, en 1755, une mission secrète pour Louis XV à la cour de Russie : sous un déguisement féminin, il s’insinue dans l’entourage de l’impératrice Élisabeth en qualité de « lectrice ». Il permet ainsi à la France, à la veille de la guerre de Sept Ans, de renouer des relations diplomatiques avec la Russie. Entré dans la carrière des armes en 1759, il sert en Allemagne comme capitaine de dragons sous les ordres du maréchal de Broglie, avant d’être nommé, en 1762, secrétaire d’ambassade, puis ministre plénipotentiaire à Londres. Victime de menées hostiles et de médisances relatives à son identité sexuelle, il doit abandonner son poste, mais demeure toutefois dans la capitale anglaise en tant qu’émissaire secret de Louis XV, avec lequel il entretient une correspondance confidentielle jusqu’en 1774. Rentré en France en 1777, il reçoit de la reine l’ordre de ne plus quitter les habits féminins. Aussi étrange que cela puisse paraître, il s’exécute, et ce n’est plus que sous les traits de la « chevalière d’Éon » qu’il se présente désormais. En 1784, il retourne à Londres, où il mourra dans l’oubli et la misère. Personnage énigmatique - quelles raisons l’ont poussé à entretenir l’ambiguïté sexuelle et à ainsi alimenter les controverses ? -, le chevalier d’Éon est un observateur avisé et critique de son époque : sa collaboration à l’Année littéraire de Fréron et ses ouvrages consacrés à l’économie, au commerce et à la politique en témoignent largement. épée. Bien que le gladius - épée assez courte du légionnaire - et la longue spatha du cavalier figurent déjà dans l’équipement des armées romaines, c’est au Moyen Âge que l’épée devient l’arme offensive par excellence.
L’habileté des forgerons barbares n’y est sans doute pas étrangère : en effet, grâce à leur maîtrise empirique de la carburation du fer, ils sont en mesure de fabriquer des lames qui allient une âme de fer damassé (constituée de plusieurs bandes alternées de composition et de résistance différentes), gage d’une grande élasticité, et des tranchants en acier trempé. Mince (5 millimètres d’épaisseur) et longue d’environ 80 centimètres, une telle épée est d’une efficacité redoutable, ainsi qu’en témoignent les crânes proprement décalottés que l’on a retrouvés dans les tombes. Cette arme de luxe, censée accompagner les guerriers germaniques dans l’au-delà, est utilisée par les chevaliers du Moyen Âge central, dont elle devient l’emblème : l’épée n’est-elle pas la seule arme à recevoir un nom propre dans les chansons de geste (par exemple, « Durandal » pour Roland ou « Joyeuse » pour Charlemagne) ? De plus en plus longue (elle atteint bientôt plus d’un mètre), elle doit être tenue à deux mains à partir de la fin du XIIIe siècle, est ornée d’un pommeau décoré, et devient l’insigne du statut nobiliaire auquel les chevaliers ont accédé. Pour parer les coups meurtriers de l’épée, on renforce l’armure et, à la fin du Moyen Âge, la cotte de mailles est remplacée par des plates de fer plain qui, couvrant entièrement le corps, ne peuvent être entamées par un coup de taille. C’est ainsi qu’au XVe siècle est mis au point l’estoc, épée destinée à frapper de pointe, et qui trouvera son prolongement dans la rapière, utilisée durant toute la Renaissance. Cependant, avec l’adoption des arcs longs dès le XIVe siècle, puis avec l’apparition des armes à feu, l’épée n’a plus la primauté sur le champ de bataille : elle sert à achever les adversaires atteints par les armes de jet et des pièces d’artillerie, et redevient une arme d’appoint, n’étant plus utilisée que dans les duels. Épée (Charles Michel, abbé de l’), philanthrope (Versailles 1712 - Paris 1789). L’abbé de l’Épée est surtout connu pour son action en faveur de l’enfance et, en particulier, des sourds-muets. Sous le règne de Louis XVI, un mouvement philanthropique s’attache en effet, avec quelque succès, à l’amélioration des conditions des enfants trouvés et des infirmes, et il bénéficie d’une certaine attention de la part du pouvoir royal. L’abbé de l’Épée, sans être l’inventeur du langage par signes pour les sourds-muets, propage et perfectionne cette méthode d’instruction et de communication. Un arrêt du Conseil royal de novembre
1778 met à sa disposition une partie des bâtiments de l’ancien couvent des Célestins, afin d’y installer un établissement. Celui-ci devient, à partir de 1785, l’hospice permanent d’éducation et d’enseignement pour les sourds-muets, qui bénéficie d’une dotation annuelle de 3 400 livres. Après la mort de l’abbé, l’Assemblée constituante poursuit son oeuvre. Parallèlement aux travaux de l’abbé de l’Épée, Valentin Haüy (1745-1822) se consacre à l’éducation des aveugles, inventant un système de caractères en relief qui sera perfectionné par Louis Braille (1809-1852). Devant le succès de l’entreprise, la Maison philan thropique fonde un établissement, qui sera lui aussi pris en charge par l’État en 1791. épices. Bien que les marchands du Moyen Âge aient utilisé le terme d’épices pour qualifier tous les produits du grand commerce avec l’Orient, le mot désigne plus particulièrement les substances aromatiques d’origine végétale et de provenance généralement lointaine qui ont joué un grand rôle dans l’alimentation médiévale. Hérité des élites de l’Antiquité tardive, le goût pour les épices s’affirme plus encore durant le haut Moyen Âge, où de nouvelles espèces sont importées d’Orient, tels le clou de girofle ou le galanga, avant qu’au XIIe siècle la noix de muscade et la maniguette soient à leur tour introduites. De sorte qu’à la fin du Moyen Âge, véritable âge d’or de la cuisine épicée, les maîtres queux disposent d’un éventail très large, qui comprend une quinzaine de produits couramment utilisés : ce dont témoignent les recettes conservées de cette époque, et qui est corroboré par les comptes d’approvisionnement, lesquels attestent la consommation d’importantes quantités d’épices, au moins par les élites ; les autres catégories sociales doivent en effet se contenter des trois ou quatre substances de base, gingembre, cannelle, poivre et safran, voire, pour les plus humbles, d’un peu de poivre. Contrairement à une idée reçue, les épices n’ont nullement pour fonction de masquer les douteux parfums de viandes avariées ; en revanche, elles occupent une place certaine dans la pharmacopée médiévale. La prédilection des hommes des XIVe et XVe siècles pour elles tient également à leur origine orientale, qui en fait en quelque sorte les fruits du Paradis. L’ampleur et les exigences de la demande entretiennent un commerce prospère, sur
lequel repose en grande partie la fortune de Venise. C’est, entre autres raisons, pour courtcircuiter les pays musulmans qui assurent le transit des épices que Portugais et Espagnols cherchent au XVe siècle à atteindre directement les lieux de production orientaux, conduisant ainsi aux Grandes Découvertes. Alors que l’Amérique ne fournit que deux produits nouveaux - le piment et la vanille -, le monopole des importations orientales est désormais assuré par les Portugais, puis par les Hollandais, installés en Inde ou dans les Moluques. Ces derniers exploitent des plantations de girofliers ou de canneliers dans leurs colonies, donnant à la production des épices une dimension industrielle. C’est au moment où elles disposent enfin d’épices en abondance que les élites françaises downloadModeText.vue.download 318 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 307 s’en détournent : devenues trop bon marché et trop populaires, elles ne constituent plus désormais un signe de distinction sociale. À partir du XVIIe siècle, les livres de cuisine se réduisent à la gamme limitée qui est la nôtre, et les voyageurs français s’effraient des plats couverts de safran que goûtent Espagnols ou Polonais. Commence alors une longue désaffection, plus accentuée en France que dans les cuisines voisines, anglaise ou allemande, qui sont restées assez attachées aux épices. Épinal (image d’), illustration au caractère souvent naïf, créée à la fin du XVIIIe siècle dans l’imprimerie Pellerin, à Épinal, et devenue l’archétype de l’image populaire. C’est Jean-Charles Pellerin (1756-1836) qui diversifie les activités de l’entreprise paternelle, dont la production se répand dans la France entière, grâce au colportage. Les estampes religieuses apparaissent les premières (vie de Jésus et de la Vierge, protection des saints et des saintes), et sont accompagnées de quelques lignes de texte (complainte, oraison). Puis sont repris les thèmes traditionnels de l’imagerie populaire : scènes de la vie conjugale et récits légendaires (les Quatre Fils Aymon, le Juif errant). Enfin, le catalogue s’enrichit de gravures militaires et historiques, notamment de celles consacrées aux batailles napoléoniennes, qui contribuent à la notoriété de l’entreprise.
Ces premières images sont imprimées sur papier vergé, à partir d’une gravure sur bois, et coloriées au pochoir. Les descendants du fondateur modernisent les techniques de fabrication (adoptions du papier mécanique, de la stéréotypie, puis, après 1850, de la lithographie), et mettent en place un réseau commercial qui s’étoffe non seulement en province mais aussi dans les colonies et à l’étranger, en Belgique, en Suisse et au Canada. Tout au long du XIXe siècle, les changements politiques scandent la thématique : Louis XVIII, Louis-Philippe, les journées de 1848, le second Empire, les présidents de la IIIe République, sont successivement mis en images. Néanmoins, ce sont les illustrations enfantines, parfois réalisées par de célèbres dessinateurs parisiens, tels Job, Benjamin Rabier ou Albert Robida, qui assurent à l’imagerie sa prospérité, dans la seconde moitié du XIXe siècle, avant de garantir sa survie. Leur composition est modifiée pour répondre aux besoins de la nouvelle clientèle : à la représentation unique succède une planche de 12 ou 16 vignettes qui permet d’illustrer un récit (contes de fées, histoires morales), rendu ainsi plus attrayant et plus accessible. La gamme des produits s’élargit avec les images à colorier, les constructions à découper et à coller (décors de théâtre), les soldats alignés... Dans les années 1880, l’association avec l’éditeur parisien Glucq donne naissance à des estampes ayant des visées pédagogiques (série encyclopédique « Glucq »), à des images de « réclame » et de propagande politique (pour les élections législatives de 1902). La guerre de 1914-1918 donne lieu à la création de nouvelles planches (exploits de soldats, atrocités allemandes), parmi lesquelles trois compositions du dessinateur alsacien Hansi. Après le conflit, l’imagerie spinalienne, de plus en plus concurrencée, amorce un lent déclin (sous l’Occupation, l’imagerie du maréchal Pétain est produite à Vichy et à Limoges). En 1985, un groupe d’industriels vosgiens assure le sauvetage de l’entreprise et d’un catalogue riche de plus de 7 500 titres. Épinay (congrès d’), congrès du Parti socialiste organisé à Épinay (Seine-Saint-Denis) du 11 au 13 juin 1971, et qui permet à François Mitterrand d’en prendre la direction. Symbolisant la rupture avec la vieille SFIO, ce congrès peut être considéré comme un épisode fondateur dans l’histoire du Parti socialiste. Le processus de transformation de la SFIO s’est amorcé en mai 1969, au congrès d’Alfort-
ville, lorsque le vieux parti, né en 1905, devenu Parti socialiste, a reçu le renfort d’Alain Savary et de ses amis de l’UCRG (qui avaient fait scission en 1958). Après l’échec cuisant de Gaston Defferre à l’élection présidentielle de juin 1969, puis le ralliement de Jean Poperen, Savary est élu premier secrétaire du PS, grâce à l’appui de Guy Mollet, leader de la SFIO depuis l’après-guerre. Néanmoins, le nouveau parti stagne sur le plan électoral, et une minorité de responsables souhaite rompre avec l’ère molletiste. L’occasion lui en est donnée au congrès d’Épinay, qui voit l’adhésion au PS de François Mitterrand et de ses compagnons de la Convention des institutions républicaines (CIR). Proposant d’engager des discussions avec le PCF, en vue de la signature d’un programme commun de gouvernement (alors que Mollet et Savary affirment la nécessité d’éclaircir d’abord les questions doctrinales entre les deux partis), Mitterrand parvient à fédérer les différentes oppositions à la direction sortante, qui dispose seulement de 30 % des mandats. La proportionnelle intégrale en tant que mode de désignation des responsables du parti est inscrite dans les statuts, et la motion des anciens dirigeants est mise en minorité. La nouvelle majorité, conduite par Mitterrand, obtient 43 des 81 sièges au comité directeur. Élu premier secrétaire au scrutin majoritaire, Mitterrand regroupe autour de lui une équipe composée de ses amis de la CIR (Claude Estier, Pierre Joxe) et de ses nouveaux alliés (Pierre Mauroy et JeanPierre Chevènement, dirigeant du CERES). Guy Mollet et ses partisans sont désormais marginalisés. épuration, processus judiciaire et extrajudiciaire visant à juger, voire à éliminer, les personnes soupçonnées d’avoir collaboré avec l’occupant et le gouvernement de Vichy. Commencée au coeur des affrontements de l’été 1944, l’épuration atteint sa plus grande intensité en 1944-1945, pour connaître un terme quasi définitif en 1953 avec la seconde loi d’amnistie générale. Phénomène complexe, elle obéit à différents impératifs, qu’il s’agisse de raffermir la victoire de la Résistance, de rendre justice aux victimes directes des collaborateurs, de restaurer la morale et l’État républicains, ou encore de légitimer la prise du pouvoir par de nouveaux responsables. On distingue généralement l’épuration extrajudiciaire, dite « sauvage », de l’épuration légale, qu’elle soit judiciaire ou professionnelle. • L’épuration « sauvage ». Elle apparaît comme la réponse de la Résistance intérieure et d’une partie de la population à la répression or-
chestrée par le régime de Vichy et la Milice. Elle recouvre des actes très différents, dont le seul point commun est de se dérouler hors de toute instance régulière de jugement, et s’apparente parfois à des défoulements collectifs : ainsi la tonte humiliante de femmes compromises, stigmatisation publique qui permet à une population qui n’a pas toujours été résistante de se dédouaner à bon compte de sa propre passivité et de refaire son unité. Mais l’essentiel de cette première épuration s’inscrit dans le contexte des combats pour la libération complète du territoire : les hommes des maquis, FTP et FFI, s’en prennent d’abord aux supplétifs des nazis (les miliciens, des gendarmes et des policiers). Selon les cas, on pourra considérer qu’il s’agit d’actes de guerre ou de simple vengeance, plus ou moins justifiée : 8 000 à 9 000 exécutions sommaires ont ainsi été perpétrées, dont 80 % avant la mise en place, à l’automne 1944, des juridictions légales. • L’épuration légale. Soucieux de restaurer la légalité républicaine, le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) du général de Gaulle entend imposer sa conception de l’épuration à la Résistance intérieure et aux mouvements communistes. Elle trouve son fondement juridique dans la non-reconnaissance par la France libre de la légalité de l’armistice et du régime de Vichy. Si les articles 75 à 89 du Code pénal en vigueur en 1939 permettent de réprimer les collaborateurs, certains ajouts sont nécessaires : la délation ainsi que les actes commis contre les armées alliées sont désormais considérés comme des crimes ; le délit d’indignité nationale, passible d’une peine de dégradation nationale (privation des droits civiques et politiques), sanctionne ceux qui ont apporté ouvertement leur soutien à l’occupant et au régime de Vichy. Outre les tribunaux militaires, trois juridictions spéciales, composées de magistrats et de résistants, sont instituées : les cours de justice, les chambres civiques et la Haute Cour de justice. Si cette dernière se montre relativement clémente à l’égard des principaux responsables de l’État français - 45 non-lieux ou acquittements simples, 3 exécutions effectives pour 108 dossiers examinés -, le bilan des cours de justice et des chambres civiques est plus lourd : 310 000 dossiers ouverts, près de 40 000 individus condamnés à des peines de prison ou bien de travaux forcés, 50 000 autres frappés par la dégradation nationale, et 6 763 peines de mort prononcées, dont 767 suivies d’exécution. Les tribunaux militaires, dont le détail des sentences reste mal connu, procèdent aussi à l’exécution effective de près de 800 personnes. L’épura-
tion légale a donc entraîné la mort de plus de 1 500 personnes. • L’épuration professionnelle. En marge de l’épuration judiciaire, des structures spécifiques se mettent en place au sein des professions afin d’infliger des sanctions disciplinaires à ceux qui se sont compromis avec l’ennemi dans le cadre de leurs fonctions. Il s’agit d’écarter les personnes qui pourraient faire obstacle à la restauration d’un ordre dédownloadModeText.vue.download 319 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 308 mocratique comme à l’application de certaines réformes. Mais ces principes se heurtent à la volonté d’assurer la continuité de l’État et la relève rapide de l’économie du pays. L’épuration administrative achoppe aussi sur le problème de l’obéissance des fonctionnaires à un régime qui fut considéré comme légal. Elle n’en a pas moins été importante, et a provoqué plusieurs milliers de mises à la retraite. Malgré la pression sociale exercée par les syndicats et les communistes, l’épuration économique est en revanche plus limitée. À l’exception de la nationalisation-sanction de Renault, le patronat est peu touché. À l’inverse, les exclusions prononcées par le Comité national des écrivains sont d’autant plus importantes qu’elles touchent des personnes dont l’engagement en faveur de la Collaboration est connu de tous. • Enjeux et controverses. Guerre francofrançaise, l’épuration a suscité de nombreuses polémiques. Ses mécanismes et son ampleur étant à présent mieux connus, certaines conclusions s’imposent. La frontière entre l’épuration sauvage et l’épuration légale n’est pas toujours franche : les juges sont souvent les mêmes, le degré de légalité de certaines juridictions militaires reste mal établi, et les officiants de l’épuration légale ont souvent ajusté leur attitude en fonction de la faiblesse ou, au contraire, de la sévérité de l’épuration sauvage dans une région ou un secteur. En comparaison avec les autres pays d’Europe occupés, la France a davantage recouru à l’exécution, mais moins à la prison ; elle est la seule nation occidentale, avec l’Italie, a avoir connu une épuration extrajudiciaire, dont le nombre des victimes reste néanmoins nettement inférieur à celui des pays déchirés par une véritable guerre civile. Si l’épuration a bien été un « phénomène social majeur » (Henry Rousso), elle n’en a pas moins été inégale dans le temps - la durée profitant aux accusés -,
selon les régions ou les conditions sociales et les professions - les ouvriers et les paysans ayant été plus sévèrement condamnés que les classes moyennes et les élites. Surtout, la participation française à la « solution finale » n’a pas été sanctionnée en tant que telle à la Libération : cet « oubli » n’a été réparé qu’en 1979, lors de la première inculpation pour crimes contre l’humanité d’un haut fonctionnaire de Vichy, Jean Leguay, suivie ensuite par celles de René Bousquet et de Maurice Papon. Erfurt (entrevue d’), rencontre entre Napoléon Ier et le tsar Alexandre Ier (27 septembre - 14 octobre 1808), destinée à renforcer l’alliance conclue à Tilsit l’année précédente. Quelque temps avant la rencontre, Napoléon écrit à Talleyrand : « Nous allons à Erfurt, et je veux en revenir libre de faire en Espagne ce que je voudrai ; je veux être sûr que l’Autriche sera inquiète et contenue [...]. » Manifestement, l’Empereur tient à voir les négociations s’inscrire dans un contexte de faste - il convoque donc à cette entrevue les princes allemands, qui sont ses alliés ou ses vassaux - et de prestige culturel : aux représentations données par la Comédie-Française s’ajoutent les remises de décorations aux écrivains allemands Goethe et Wieland. Mais la pompe déployée ne peut masquer l’ébranlement de l’alliance franco-russe et l’échec de la diplomatie impériale. Pressé par Napoléon de tenir l’Autriche en respect, Alexandre Ier se dérobe, et n’accepte de soutenir la France que dans l’éventualité où l’Autriche lui déclarerait la guerre. Le rôle ambigu joué par Talleyrand au cours de la rencontre - certains historiens parlent de « trahison » - explique partiellement cette dérobade : informé des difficultés de Napoléon en Espagne et du mécontentement croissant de l’opinion française, Alexandre Ier préfère refuser tout engagement trop net. Une convention secrète ne lui assure pas moins la Finlande, ainsi que les provinces roumaines de Moldavie et de Valachie. Avec l’entrevue d’Erfurt s’estompe la perspective, esquissée à Tilsit, d’un partage de l’Europe entre les deux grands de l’époque. esclavage ! traite des Noirs Espagne (guerre d’), campagne militaire engagée par Napoléon pour imposer son frère Joseph sur le trône d’Espagne (1807-1814). Pour la France napoléonienne, l’Espagne est une alliée de longue date. Mais, depuis 1801, elle n’est pas d’une grande utilité dans
la lutte contre l’Angleterre. L’Empereur souhaite donc placer sur le trône madrilène un monarque tout dévoué à sa politique. En octobre 1807, le très impopulaire ministre de Charles IV, Godoy, désireux de retrouver à la fois la faveur de l’opinion publique et la confiance de Napoléon, conclut avec l’Empereur le traité de Fontainebleau, qui prévoit la conquête et le partage du Portugal. Le 30 novembre, Junot entre dans Lisbonne, tandis que d’autres troupes françaises stationnent en Espagne. En mars 1808, l’infant Ferdinand VII contraint son père à abdiquer : c’est la conjuration d’Aranjuez. À la surprise des Espagnols, Napoléon ne reconnaît pas Ferdinand et confisque la couronne d’Espagne au profit de son frère Joseph. Mais, dès le 2 mai, les Madrilènes, contrôlés par une partie de la noblesse et du clergé, se sont révoltés contre les soldats français. Murat conduit une cruelle répression, dont témoigne l’oeuvre de Goya (Désastres de la guerre). Les rebelles espagnols forment à Séville un gouvernement provisoire, la Junte centrale. C’est le début de la guerre d’indépendance. Les Français envahissent la péninsule, mais subissent de nombreux revers, dus à la résistance espagnole et à l’intervention d’un corps expéditionnaire anglais débarqué au Portugal. Comprenant qu’il a sous-estimé la difficulté, l’Empereur intervient personnellement à l’automne 1808. Après quelques victoires, il doit regagner Paris dès janvier 1809 pour contrer les intrigues de Talleyrand et de Fouché, et faire face à la menace autrichienne. Jusqu’en 1810, les Français conservent l’initiative des combats. Mais les meilleures troupes s’épuisent et subissent de lourdes pertes face à la « petite guerre », ou guerilla ; l’autorité de Joseph reste limitée à la région de Madrid, et la coordination entre généraux est inexistante en l’absence de l’Empereur. En 1811, Wellington prend l’initiative : l’année suivante, les troupes anglo-portugaises s’emparent de Madrid ; la déroute de Joseph à Vitoria, le 21 juin 1813, marque l’achèvement de la libération de l’Espagne. Par le traité de Valençay (11 décembre 1813), Napoléon rétablit sur le trône Ferdinand VII, qui impose un régime réactionnaire. La guerre d’Espagne a été une catastrophe pour la France. Outre d’importantes pertes humaines, elle constitue une erreur politique dont Napoléon lui-même reconnaîtra que « cette malheureuse guerre d’Espagne a été la cause première de tous les malheurs de la France ».
espionnage ! renseignement Estienne (famille), famille d’imprimeurs actifs à Paris, puis à Genève, à partir du début du XVIe siècle et durant une grande partie du XVIIe siècle. Leur marque typographique la plus fréquente représente un olivier. À l’image de maints typographes de leur époque, les Estienne savent allier technique artisanale et rigueur de l’érudition, en conciliant innovation technique (utilisation des caractères d’imprimerie Garamond), diffusion des langues anciennes (éditions de textes grecs et latins, dictionnaires), réglementation de la langue (orthographe et grammaire françaises) et éditions savantes pourvues de notes, de commentaires et d’un examen des variantes. Le premier des Estienne, Henri (vers 14651520), est lié à Lefèvre d’Étaples et édite surtout des textes scientifiques (médecine, mathématiques) ou bibliques. Son fils Robert (1503-1559) entretient un contact constant avec les lecteurs par ses catalogues et ses avis ou lettres liminaires. Maîtrisant le latin, l’hébreu et le grec, cet ami de Budé publie à la fois, non sans succès commercial, des instruments de travail (dictionnaires ou grammaires), les oeuvres d’auteurs classiques (Térence, Plaute, Cicéron) ou d’humanistes contemporains (Lorenzo Valla, Dolet, Érasme), ainsi que des textes religieux. Ce sont d’ailleurs ses éditions latine (1523), puis grecque (1546) du Nouveau Testament et la publication en 1527 de sa Bible - maintes fois rééditée - qui lui attirent les foudres de la Sorbonne et les censures de l’Église. Trois ans après la mort de son protecteur François Ier, il rallie les réformés et s’exile à Genève. Ses frères François (1502-1550) et Charles (1504-1564), puis son fils cadet Robert (1533-1571) continuent à s’occuper de la maison mère parisienne. De son côté, le fils aîné de Robert, Henri (1531-1598), prend la direction de l’imprimerie genevoise. Féru, comme son père, de travaux linguistiques, il édite un célèbre Thesaurus linguae graecae en 1572, tout en entreprenant, avec une grande verve satirique, de défendre la jeune langue vulgaire. Inquiété par la censure genevoise, il songe à revenir à Paris, mais ce projet échoue malgré les bonnes relations qu’il entretient avec Henri III. Son petit-fils, Antoine, abjure le calvinisme, se rend à Paris et reprend en 1615 le titre d’« imprimeur du roi » que détenaient les premiers Estienne. Il meurt ruiné en 1674.
Les complexes vicissitudes de l’histoire familiale des Estienne montrent toute la place que les imprimeurs occupèrent au XVIe siècle downloadModeText.vue.download 320 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 309 dans l’histoire des naissantes sciences du langage, dans la défense, la diffusion et la réglementation de la langue vulgaire, mais aussi dans les controverses religieuses. Estrées (Gabrielle d’), favorite d’Henri IV (Coeuvres, Aisne, ou La Bourdaisière, en Touraine, 1573 - Paris 1599). Issue d’une famille connue en Picardie depuis 1457, elle est la fille d’Antoine d’Estrées, seigneur de Coeuvres (fils d’une Bourbon-Vendôme), et de Françoise Babou de La Bourdaisière. Elle était aussi ravissante et légère que ses six soeurs - au point qu’elles furent appelées « les Sept Péchés mortels » (une lettre de Mme de Sévigné, datée de 1689, fait référence à ce surnom). Issue de « la race la plus fertile en femmes galantes qui ait jamais été » (Tallemant des Réaux), Gabrielle inspire à l’âge de 18 ans une passion si vive à Henri IV que celui-ci comble son père d’honneurs. Faite ellemême marquise de Montceaux (1595), puis duchesse de Beaufort (1597), cette maîtresse infidèle donne au roi trois enfants légitimés, dont César (1594-1665), chef de la maison des Bourbon-Vendôme. Son mariage blanc en 1592 avec Nicolas d’Amerval, seigneur de Liancourt, a été annulé en 1594 par l’official d’Amiens grâce à Henri IV, lequel cherche également à obtenir l’annulation de son propre mariage avec Marguerite de Valois. Le roi songe peut-être à l’épouser lorsqu’elle meurt en couches. Louis XV, libertin, et fils de Marie-Adélaïde de Savoie (1685-1712) - descendante de César -, rappelait souvent qu’il était issu de Gabrielle et, par elle, d’un simple notaire - Babou -, le premier des La Bourdaisière connu. étalon or, système dans lequel la monnaie est définie uniquement par rapport à l’or qui circule à l’intérieur du pays (frappe libre), forme le gage de la monnaie fiduciaire (convertibilité), et assure le règlement des paiements internationaux.
En France, l’étalon or n’a existé en tant que tel qu’à partir de 1878. Jusqu’à cette date, en effet, le franc, tout comme la livre tournois qui l’avait précédé, était défini à la fois par rapport à l’or et à l’argent. Ce bimétallisme est abandonné à la fin du XIXe siècle, l’argent ayant été déprécié en raison d’une production surabondante dans les mines américaines. La France a alors une monnaie qui, fondée uniquement sur l’or, comme la livre sterling (depuis 1816) et le mark (depuis 1871), est l’une des plus solides du monde. En outre, excepté lors de brefs épisodes où il a fallu imposer le cours forcé (en 1848-1850 ou en 1870-1878), les billets de banque sont intégralement remboursables en un poids d’or correspondant à leur valeur. Les pièces d’or, qui circulent librement à l’intérieur du pays, forment une part importante (un tiers environ) de la masse monétaire. Enfin, l’or étant seul admis entre les pays pour solder leur balance des paiements, le cours des changes ne s’écarte jamais durablement du « pair », c’est-à-dire du rapport entre les poids d’or respectifs contenus dans les monnaies. L’étalon or est ruiné par la Première Guerre mondiale : dès août 1914, l’État proclame le cours forcé, et interdit aux particuliers la détention d’or ; le cours du franc, artificiellement soutenu par les trésoreries alliées, s’effondre sur le marché des changes après 1919. Le fait que le système ait longtemps assuré la stabilité monétaire explique que l’on ait tenté de le rétablir. En 1928, Raymond Poincaré envisage la frappe de nouvelles pièces d’or, qui ne verront jamais le jour. En 1933, la conférence de Londres évoque la possibilité d’un retour à l’or comme moyen de paiement entre les pays, mais elle se sépare sans avoir pris de décision. Cependant, la France essaie de regrouper autour d’elle cinq pays fidèles à leur ancienne parité : dès 1935, la défection de la Belgique effrite ce « bloc or », qui disparaît l’année suivante lors de la dévaluation du franc. Pourtant, le mythe du retour à l’étalon or persiste : en 1965, encore, les critiques formulées par le général de Gaulle concernant la suprématie du dollar et l’afflux de liquidités internationales qui en résulte en sont la dernière - mais vaine - illustration. État, entité incarnée dans un ensemble d’institutions, ayant en toute souveraineté la charge des intérêts collectifs d’une population indépendante. La spécificité française résiderait dans un processus combiné d’exaltation de l’État et de centralisation dans la très longue durée.
L’assise territoriale de l’État français a beaucoup varié entre son apparition à la fin du Ve siècle et 1947, année des dernières rectifications frontalières. Les principaux épisodes ont été le règne de Clovis, les partages de 843 et 870, le XVe siècle (annexion du Dauphiné et de la Provence), les règnes de François Ier (Bretagne), Louis XIV (Franche-Comté, Roussillon, Nord, Alsace), Louis XV (Corse, Lorraine) et Napoléon III (Savoie, Nice). Monarchie - fût-elle consulaire ou impériale - jusqu’en 1870 (à l’exception de deux épisodes républicains : 1792-1799, 18481851), puis république représentative (sauf sous Vichy, de 1940 à 1944), cet État a été dépourvu de Constitution écrite jusqu’en 1790. Depuis, il en a connu une douzaine. On peut lire néanmoins derrière ces variations les signes d’une profonde continuité. • Suprématie de l’État. Legs de l’Antiquité, l’idée d’un État abstrait, permanent, a d’abord été un temps oubliée au profit d’une conception patrimoniale et héréditaire du royaume et de la fonction royale. Elle a été contrebalancée par la vision germanique des rapports entre hommes libres - le roi doit protéger ses sujets qui, en retour, sont tenus à l’obéissance et à la fidélité personnelle - et, jusqu’à Philippe Auguste, par la présence d’un élément électif dans la succession au trône. Sous les Carolingiens a commencé un processus de séparation entre État et société, lorsque la pratique du sacre a fait du roi l’élu de Dieu, ne devant rendre de comptes qu’à celui-ci et chargé de guider le peuple vers le salut tout en se conformant aux principes chrétiens. Sous les premiers Capétiens, des légendes renforcent la dimension surhumaine de la monarchie, notamment celle des pouvoirs thaumaturgiques du roi de France. L’influence de l’Église dès le IXe siècle, puis celle du droit romain à partir de la fin du XIIe siècle, ont fait redécouvrir le concept d’un État indépendant de la personne du roi et institué pour le « commun profit », concept qui rejoignait la vision germanique des temps mérovingiens et conduisit, à partir du XIIIe siècle, à mettre l’accent sur la fonction judiciaire du souverain. Les faiblesses dues à la structure féodale de la société et au manque de moyens financiers et militaires furent ainsi compensées par l’implantation progressive d’un dense réseau de judicatures royales, tandis que s’élargissait le champ d’application des ordonnances royales. À cet État justicier,
la guerre de Cent Ans apporta les premiers éléments d’une fiscalité permanente largement étendue, d’une administration étatique (les officiers) et, sur la fin, d’une forte armée royale. Désormais, l’armée et la guerre allaient commander l’évolution de l’appareil étatique, dans ses structures comme dans son rôle, et entraîner logiquement un approfondissement de la réflexion sur l’État. En effet, le souci de l’efficacité financière et du nécessaire maintien de l’ordre pendant des guerres de plus en plus longues et de plus en plus coûteuses provoqua l’étoffement de l’encadrement administratif, le développement et l’extension sociale de l’impôt, la mise en place d’un service militaire, d’une administration de la guerre - aussi lourde d’unification que la fiscalité - et l’intervention de l’État dans l’économie. Ces processus relèvent de ce qu’on a appelé la « centralisation royale », symbolisée par l’intendant, la Ferme générale, le colbertisme, les bureaux de Versailles. Plus importante pour l’avenir a peut-être été la réflexion politique de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle, menée notamment par un Jean Bodin ou, plus tardivement, par les juristes Loiseau et Le Bret. Elle a caractérisé rationnellement le pouvoir d’État par la souveraineté, indivisible, incommunicable, illimitée, tout en séparant nettement le roi de l’État (le terme date du XVIe siècle) et en faisant du pouvoir législatif la principale prérogative de celui-ci, à la place du judiciaire. La Révolution n’a pas totalement rompu avec l’ancien système. Expression de la nation (corps des citoyens associés, seul détenteur de la souveraineté), l’État, devenu source unique du droit, débarrassé de tous les anciens obstacles institutionnels à son action, bénéficiant du véritable culte attaché à la loi, s’est imposé au sujet, rebaptisé « citoyen ». Ce dernier ne dispose cependant que de deux droits politiques (le second étant à éclipse) : celui de déléguer et celui de se prononcer sur l’organisation des pouvoirs publics. Écrasant, jusqu’à une date récente, la vie locale à un degré encore inconnu, l’État a d’abord privilégié le maintien de l’ordre, l’organisation des finances, le libéralisme économique. Cependant, dès le début du XIXe siècle, il a renoué avec les voeux des philosophes du XVIIIe siècle et l’essence du programme jacobin : créer un homme nouveau en « fabriquant » la nation, en formant la jeunesse, en essayant de résoudre les maux de la société. À partir des années 1850, puis beaucoup plus fortement downloadModeText.vue.download 321 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 310 au XXe siècle, il s’est immiscé dans la vie économique, sociale, culturelle, jusqu’à prendre, après la Seconde Guerre mondiale, la forme de l’État-providence, imposant par diverses procédures une solidarité de plus en plus étendue pour faire face aux risques sociaux. • Une opposition limitée. Jusqu’à la Révolution, la forme monarchique de l’État n’a jamais été sérieusement remise en cause, pas plus d’ailleurs que le pouvoir illimité du roi. Ce qu’ont réclamé, dans des propositions théoriques ou sous des formes violentes, la noblesse (IXe, Xe et XIVe siècles, et du XVIe au XVIIIe siècle) ou la bourgeoisie (troubles du XIVe, états généraux du XVIe siècle), c’était la participation à l’exercice du pouvoir ; ce qu’ont condamné ces groupes et des éléments populaires aux XVIIe et XVIIIe siècles (« émotions », libelles, remontrances), c’était le « despotisme ministériel », système de gouvernement qui entendait briser les obstacles au pouvoir d’État (libertés des corps, prérogatives des tribunaux ordinaires, coutumes « constitutionnelles » en matière fiscale, pouvoirs des états provinciaux), et le déséquilibre des pouvoirs (Montesquieu). Mais le droit de résistance à la tyrannie n’a guère été formulé, sinon au IXe siècle, par les « monarchomaques » du XVIe, par les protestants au XVIIe, peut-être parce que, dans la vie quotidienne, le pouvoir monarchique laissait beaucoup de liberté aux individus, pourvu qu’ils appartinssent à un corps. Même les révolutionnaires ont évoqué ce droit avec circonspection. Ils ont préféré, dans un premier temps, corriger les abus du pouvoir d’État en supprimant l’administration fiscale, en mettant sous tutelle les ministères, en supprimant les relais régionaux du pouvoir central, en introduisant partout le principe électif et en faisant de la toute-puissance de l’État le garant de la liberté et de l’égalité. Mais, peu à peu reconstitué à la fin de la Révolution et commençant à se doter d’un corps de fonctionnaires, l’État a manifesté les mêmes dérives autoritaires qu’auparavant, aggravées par ses tendances interventionnistes. Les principaux débats ont donc porté sur la place de l’exécutif (le couple gouvernement-administration déséquilibrant par trop la balance du pouvoir), sur le poids financier des collectivités et de l’État, et sur le rôle effectif de ce dernier. Dans ce contexte, les questions du suffrage universel (instauré
en deux temps : 1848 et 1944) et des types de scrutin ont pu paraître essentielles, quoique le citoyen n’ait pas davantage été associé à l’élaboration des décisions. Aussi socialistes et communistes ont-ils milité en faveur de sa participation active au fonctionnement de l’État. Un même rejet de la nouvelle réalité étatique transparaît dans les divers programmes décentralisateurs ou même anti-étatistes qui jalonnent la vie politique française à partir de 1815, qu’ils émanent des traditionalistes ou bien des régionalistes d’aujourd’hui, sans omettre les fouriéristes, les proudhoniens, Le Play, Taine, les radicaux, Barrès et Maurras, ou encore les anarchistes. En revanche, on ne peut pas dire que le débat de fond sur la prise en main de la vie du pays par l’État ait influencé véritablement la pratique des hommes politiques. C’est plutôt dans les théories qu’il faut chercher les prises de position catégoriques des libéraux (Constant, Tocqueville, Prévost-Paradol, Baudin, Jouvenel, Rougier, ou Rueff) et des interventionnistes (saint-simoniens, blanquistes, marxistes, socialistes). Les principales menaces qui ont pesé et pèsent encore sur l’État français sont venues et viennent de l’extérieur : il s’est constitué en partie contre l’empereur et le pape au Moyen Âge, contre l’Église sous la Révolution, puis sous la République radicale. Dans les dernières décennies, ses représentants ont consenti des abandons de souveraineté en politique étrangère comme en politique intérieure, du fait notamment de la construction européenne. Néanmoins, ce ne sont pas les mesures de décentralisation prises depuis un quart de siècle qui peuvent ébranler l’édifice multiséculaire d’un État qui a conservé jusqu’à présent l’essentiel de ses prérogatives intérieures. Toutefois, ces dernières années, sa remise en cause s’est accélérée, notamment à travers une accélération de la décentralisation et les interrogations concernant le « modèle social français ». état civil. Tenu par le clergé catholique sous l’Ancien Régime, l’état civil est laïcisé en 1792, en vertu d’une loi qui demeure à la base du système actuel. En 1539, par l’ordonnance de Villers-Cotterêts, François Ier oblige les curés à tenir les registres paroissiaux des baptêmes et des sépultures ; en 1579, l’ordonnance de Blois étend l’obligation aux mariages. Les ordonnances de 1667 et 1736 complètent ces mesures, qui
tardent cependant à devenir effectives. En 1787, pour résoudre le problème posé par le cas des protestants, le roi autorise les officiers de justice à tenir des registres pour les noncatholiques, amorçant ainsi une sécularisation de l’état civil. Sous la Révolution, la Constitution de 1791 prévoit que les naissances, mariages et décès de « tous les habitants, sans distinction » devront être enregistrés par des officiers publics. Et, le 20 septembre 1792, la Législative vote la loi qui laïcise l’état civil, en confiant l’établissement aux officiers publics des municipalités. À part des modifications sur la désignation des « officiers publics », cette loi fondamentale, considérée par l’historien Aulard comme la « première étape de la séparation de l’Église et de l’État », n’est pas remise en cause par les régimes qui suivent la Révolution. Ses principes sont repris par le Code civil de 1804, qui entérine la loi interdisant aux prêtres de bénir un mariage qui n’aurait pas été contracté civilement. Et, malgré quelques velléités, la Restauration ne revient pas sur le principe de laïcisation de la loi de 1792. État français ! Vichy (régime de) État-providence, conception de l’État selon laquelle ce dernier est responsable du bien-être collectif. L’expression « État-providence » a été forgée par Émile Ollivier en 1860, alors que la révolution industrielle a d’importantes conséquences sociales - enrichissement pour les uns, paupérisation pour les autres –, et met en cause les anciens équilibres d’une société agraire. • La lente mise en place de solidarités nouvelles. Pour maintenir ces équilibres et éviter les mouvements révolutionnaires, un nouveau pacte social doit être inventé : la société garantit l’individu contre les risques et l’insécurité, ce qui suppose une confiance dans un État capable d’assurer bonheur et sécurité et de conduire les individus sur le chemin du progrès social. Justice et solidarité doivent remédier aux inégalités et modifier les rapports de classes, notamment par la mise en place d’un système de prélèvements et de redistribution. L’article 21 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 stipule déjà que « la société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler ». Les mentalités libérales du XIXe siècle
sont toutefois réticentes à l’intervention de l’État. En effet, alors que Bismarck impose une législation sociale en Allemagne, la France renâcle : la loi sur les accidents du travail n’est votée qu’en 1898 ; le système des retraites, daté de 1910, repose sur un principe de capitalisation individuelle et non de répartition, ainsi que le réclamaient Léon Jouhaux et la CGT. Les pensions, faibles, profitent à peu d’ouvriers, qui décèdent le plus souvent avant l’âge de la retraite. La crise économique des années trente relance la construction de l’Étatprovidence, malgré l’opposition des libéraux, tel l’économiste Jacques Rueff, qui estime que l’assurance est un facteur d’aggravation du chômage, et qu’il conviendrait d’abaisser les salaires. En 1930 est adoptée la loi sur les assurances sociales, lesquelles couvrent les risques de maladie, maternité, vieillesse, invalidité, décès pour les seuls ouvriers ; en 1932 sont créées les allocations familiales ; en 1935, dix millions de salariés sont concernés. • Le tournant de la seconde moitié du XXe siècle. À partir de la Seconde Guerre mondiale, progrès social, justice, solidarité, servent d’emblèmes aux démocraties libérales : dès 1942, les Britanniques adoptent le plan Beveridge qui crée le Welfare State, modèle de sécurité sociale qui inspirera les autres pays d’Europe. En France, le Conseil national de la Résistance (CNR) prépare un « plan complet de sécurité sociale », synthèse entre droits sociaux et droits politiques. Alexandre Parodi, ministre du Travail et de la Sécurité sociale, en reprend les propositions pour rédiger l’ordonnance du 4 octobre 1945 qui crée la Sécurité sociale : le système par répartition s’impose contre la capitalisation ; les organismes privés sont écartés et la gestion est assurée par les syndicats. La solidarité nationale assure la sécurité et pallie les risques individuels ; elle substitue au salaire, fruit du travail de chacun, la notion de revenu, garanti par des transferts sociaux. À partir de 1958, le chômage est pris en charge par les Assedic (Association pour l’emploi dans l’industrie et le commerce), fédérées par une union nationale, l’Unedic. La garantie sociale est alors étendue à tous les acteurs économiques et assurée depuis 1967 par la gestion paritaire des caisses entre salariés et employeurs. downloadModeText.vue.download 322 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 311 Mais la croissance du chômage après 1974
remet en cause l’équilibre financier de ces organismes. En outre, l’État-providence est critiqué par les marxistes, car il n’empêche pas les inégalités, et par les libéraux, aux yeux desquels il est une entrave à l’initiative individuelle. Cette conjoncture nouvelle a conduit à diverses tentatives de réforme au cours des décennies 1980-1990, même si l’État continue d’accroître ses interventions par des instruments tels que le revenu minimum d’insertion (RMI), instauré par le gouvernement Rocard en 1988 et conservé par ses successeurs. Confronté à la métamorphose du salariat, l’État-providence est en crise. Les différents projets de réforme notamment ceux concernant la Sécurité sociale et les retraites ont ainsi contribué à remettre en cause le « modèle social français ». états généraux, assemblées consultatives convoquées par le souverain pour obtenir le consentement de ses sujets. • Les origines de l’institution. Il est difficile de dater précisément la naissance des premiers états généraux du royaume de France ; il est vrai qu’à partir du début du XIVe siècle, le roi consulte plus fréquemment des représentants des clercs, des nobles et des villes, soit tous ensemble, soit séparément, par provinces ou principautés (on parlera alors d’états particuliers) ou par langues (états de « Languedoc » pour le Midi, états de « Languedoïl » pour le Nord). Dans leur forme moderne, les états naissent de l’élargissement du Conseil royal, provenant lui-même du droit féodal à demander conseil à ses vassaux. C’est pourquoi il est difficile de distinguer précisément les derniers Conseils élargis (tel celui du 10 avril 1302, dans le contexte du conflit qui oppose Philippe le Bel au pape Boniface VIII) des premiers états proprement dits (tels ceux d’août 1343, destinés notamment à pérenniser la gabelle sur le sel). • États généraux et fiscalité du royaume. Ce dialogue entre le prince et ses sujets est rendu nécessaire par les exigences financières sans cesse grandissantes de la monarchie. En effet, pour lever des impôts, le roi doit obtenir le consentement de ses sujets, en vertu du principe de droit romain selon lequel « ce qui intéresse tout le monde doit être approuvé par tout le monde ». Ainsi, l’histoire des assemblées représentatives est parallèle à celle de la fiscalité d’État, celle-ci étant liée aux exigences du financement de la guerre contre l’Angleterre. La crise politique et financière de 1356-1358 (qui s’ouvre avec la défaite de Jean le Bon à Poitiers et s’achève avec la révolte des Jacques et le mouvement parisien d’Étienne Marcel) assoit l’autorité
des états, qui, en échange de leur consentement à l’impôt, mettent la monarchie sous contrôle. À partir de ces années, le déroulement des états obéit à un scénario presque immuable : le roi demande des subsides, les états finissent par les lui accorder en exprimant leurs doléances, le roi répondant quant à lui par une grande ordonnance de réformation du royaume. Selon la gravité de la situation et le rapport des forces, cette aspiration à la réforme est plus ou moins subversive. Ainsi, dans le contexte des luttes entre Armagnacs et Bourguignons, la réunion de l’assemblée de 1413 et la publication de l’ordonnance dite « cabochienne » prennent un tour dramatique, et se soldent par l’échec des propositions avancées par les états. Mais, par la suite, Charles VII obtient plus facilement le vote des levées d’impôts, comme à Tours, en 1434, où il manifeste également la cohésion du royaume autour de son souverain et use ainsi d’un mode efficace de propagande. • Une institution d’exception. Pourtant, Charles VII dès 1439, puis Louis XI se passent de plus en plus volontiers des états pour lever les impôts. Leur rôle financier ne se maintient que dans le cadre des provinces, contrairement à la situation de l’Angleterre, qui poursuit son évolution vers une monarchie contrôlée. De ce fait, les états généraux deviennent une institution d’exception. Leur réunion est dès lors motivée par la gravité de la situation politique : c’est le cas à Tours, en 1484, où Louis XI doit défendre la pragmatique sanction de Bourges et les libertés gallicanes. Mais c’est le cas également des sessions d’Orléans en 1560, et de Blois en 1576 et 1588, lorsque la crise religieuse se conjugue avec la détresse financière de la monarchie. Celle-ci parvient alors à utiliser les divisions partisanes des états pour en limiter l’autorité politique. Les représentants de la noblesse, du clergé et de la bourgeoisie n’arrivent à s’accorder que sur une seule chose : la nostalgie d’un âge d’or révolu. C’est pourquoi la convocation des états généraux ne provoque souvent, du XIVe au XVIe siècle, que des appels unanimes mais vains au retour « du temps du bon roi Saint Louis ». Il en est de même, à nouveau, en 1614, lorsqu’ils sont convoqués pour résoudre les problèmes posés par la mort d’Henri IV. La vieille noblesse d’épée y affronte la classe montante des officiers. Or, ces derniers contrôlent la nouvelle procédure de 1614 : des cahiers de doléances sont rédigés dans chaque paroisse et servent à composer ceux du bailliage, où sont élus les députés du tiers état. Lorsque Louis XVI se résout à convoquer les états généraux, il renoue avec une pratique politique presque oubliée, puisque entre 1614 et 1789, et malgré les
pressions du clan nobiliaire lors de la Fronde, ils n’avaient jamais été réunis. états généraux de 1789, assemblée représentative réunie le 5 mai 1789, dont la conversion en Assemblée nationale constituante marque le début de la Révolution. Dans un contexte de grave crise financière, après l’échec de l’Assemblée des notables et la résistance des parlements à toute réforme fiscale, la convocation des états généraux est imposée, en août 1788, à Louis XVI par un véritable front anti-absolutiste, formé de bourgeois et de privilégiés. Toutefois, cette unité ne résiste pas longtemps : une polémique s’engage à propos de l’organisation de cette assemblée. En effet, la bourgeoisie demande le doublement de la représentation du tiers état et, surtout, le vote par tête - et non par ordre. Même si, en décembre 1788, sous la pression de Necker, qui espère faire accepter les réformes refusées par les privilégiés, le Conseil du roi concède le doublement du Tiers, la modalité du vote est laissée en suspens. Cette question domine la campagne électorale, marquée par la rédaction des cahiers de doléances, et menée, dans les premiers mois de 1789, par le parti patriote, ou national. 1 139 députés sont élus : 291 pour le clergé, 270 pour la noblesse, 578 pour le tiers état. Dès la séance d’ouverture du 5 mai 1789, les discours du roi, du garde des Sceaux et du ministre des Finances, qui n’abordent pas la question du vote, déçoivent les représentants du Tiers. Ceux-ci exigent alors que la vérification des pouvoirs des élus se déroule en commun, et non par chambres séparées ; ils adoptent, à l’exemple de l’Angleterre, le nom d’« Assemblée des communes », espérant ainsi attirer les libéraux des deux autres ordres. Après avoir longtemps bloqué les états généraux par cette querelle de procédure, le tiers état passe à l’offensive, le 10 juin, en invitant les autres groupes à se joindre à lui, et en commençant seul, le 12, la vérification des pouvoirs de tous les députés. Bientôt rejointe par quelques membres du bas clergé, la chambre du Tiers prend, le 17 juin, le nom d’« Assemblée nationale ». L’assemblée consultative d’Ancien Régime se transforme donc en une véritable Chambre législative. Le 19 juin, la majorité du clergé décide de siéger avec le tiers état, tandis que la noblesse en appelle au roi. Mais les différentes manoeuvres de Louis XVI pour tenter de briser l’élan du Tiers et de casser ses décisions échouent. Le 20, à la fermeture de la salle de ses réunions, la nouvelle assemblée répond par le serment du Jeu de paume. Quant à la séance royale
du 23 juin, au cours de laquelle Louis XVI fait quelques concessions, mais ordonne aux ordres de se séparer, elle se termine sur la fameuse formule - réelle ou forgée a posteriori de Mirabeau : « Nous ne quitterons nos places que par la force des baïonnettes. » Le 27, ne disposant pas d’une force armée suffisante pour disperser l’Assemblée, que 47 députés de la noblesse ont ralliée le 25, Louis XVI capitule, et il invite tous les députés à se joindre à l’Assemblée nationale. Celle-ci se proclame « Constituante » le 9 juillet. États latins d’Orient, États fondés au Levant lors de la première croisade (10951099), puis à Chypre lors de la troisième croisade (1188-1192). Les États latins d’Orient sont issus de la volonté des chefs de la première croisade, presque tous originaires de France, de fonder de véritables principautés, sans tenir compte des réclamations formulées par l’empereur d’Orient au sujet de terres autrefois byzantines. La progression des croisés aux dépens des Arabes s’accompagne ainsi, de manière assez désordonnée, de la fondation de plusieurs États où s’enracinent bientôt de véritables dynasties : le comté d’Édesse (1097), aux mains de la maison de Boulogne puis de Parthenay, la principauté d’Antioche (1098), contrôlée par les Normands d’Italie du Sud, le royaume de Jérusalem (1099), dévolu à la maison de Boulogne et de Lorraine, et le comté de Tripoli (1102), placé sous le pouvoir de la maison de Toulouse. Godefroi de Bouillon, qui prend le titre d’« avoué du Saint-Sépulcre », puis ses successeurs, les rois de Jérusalem, parviennent à imposer leur suzeraineté sur le comté de Tripoli au cours du XIIe siècle, et peut-être aussi sur les deux autres États syriens (Édesse et Antioche). Enfin, en 1191, Chypre est conquise sur l’Empire byzantin par Richard Coeur de downloadModeText.vue.download 323 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 312 Lion : en 1192, l’île est confiée à la maison de Lusignan et devient un royaume. Aux XIIe et XIIIe siècles, les États latins d’Orient constituent des principautés ainsi que des sociétés originales. Les croisés construisent de nombreuses forteresses et instituent un système féodal rigoureux, imposé par les exigences de la guerre et par la puissance des barons. Des colons latins, c’est-à-dire des Occidentaux, viennent s’ins-
taller, surtout dans le royaume de Jérusalem, à l’exception des Normands et des Provençaux, qui préfèrent la principauté d’Antioche ou le comté de Tripoli. Les Latins demeurent toutefois partout minoritaires dans les populations. Une hiérarchie ecclésiastique latine est instituée et de nombreux monastères s’implantent à proximité des lieux saints. Des ordres militaires - les Templiers et les Hospitaliers, notamment - sont fondés, et voient leur rôle s’accroître dans la défense des États latins et dans les transferts monétaires et commerciaux avec l’Occident, où ils disposent rapidement de vastes réseaux de commanderies. Les échanges entre l’Orient et l’Occident sont d’ailleurs à l’origine d’une réelle prospérité économique des États latins d’Orient, prospérité amplement favorisée par les importantes communautés marchandes italiennes (pisane, gênoise et vénitienne) qui s’établissent dans les ports. Cependant, dès le milieu du XIIe siècle, la pression arabe contraint les États latins d’Orient à la défensive : Édesse tombe dès 1144, et les victoires du sultan d’Égypte et de Syrie Saladin en 1187-1190 repoussent les Latins sur la côte. Plusieurs croisades et surtout le rôle accru des ordres militaires permettent un certain redressement dans la première moitié du XIIIe siècle, mais les années 1263-1291 sont celles du reflux. La chute de Saint-Jean d’Acre en 1291 marque la fin des États latins d’Orient, à l’exception de Chypre, qui conserve son indépendance jusqu’en 1426 et demeure sous l’autorité de la dynastie des Lusignan jusqu’en 1489. Être suprême (culte de l’), culte révolutionnaire instauré par le décret du 18 floréal an II (7 mai 1794), et disparu après la chute de Robespierre, en juillet 1794. Contre le mouvement de déchristianisation, dont le culte de la raison marque l’apogée, la Convention nationale, sous l’influence de Robespierre, prend, le 16 frimaire an II (6 décembre 1793), un premier décret affirmant la liberté des cultes, puis instaure, au printemps 1794, le culte de l’Être suprême. Voté en plein coeur de la Terreur, le décret du 18 floréal spécifie, dans son article premier, que « le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme », et précise, dans le deuxième, que « le culte digne de l’Être suprême est la pratique des droits de l’homme ». Il institue en même temps toute une série de fêtes nationales, dont la plus importante est consacrée à l’Être suprême. Célébrée le 20 prairial an II (8 juin 1794), cette fête est conduite par Robespierre - alors président de la Convention -, qui met symbo-
liquement le feu à une allégorie de l’athéisme, dévoilant celle de la sagesse, puis marche en tête d’une grande procession allant de l’Hôtel de Ville jusqu’à une « montagne » élevée au Champ-de-Mars. Cette cérémonie est imitée dans tout le pays. Cette « religion nationale », qui repose sur la vertu républicaine, occupe, dans l’esprit de Robespierre, une fonction sociale. Elle met un terme à la déchristianisation menée par les hébertistes, qui sont accusés de faire le jeu des contre-révolutionnaires. Elle est surtout censée assurer la cohésion sociale en maintenant les bases d’une morale publique, en l’occurence civique, et en satisfaisant la religiosité populaire. Mais sans doute a-t-elle une autre raison d’être : en effet, la cérémonie précède de deux jours le décret du 22 prairial, qui renforce la Terreur. Il s’agit donc aussi de rétablir l’idée consolante de Dieu et de la justice divine, désormais liée à la justice révolutionnaire, supposée clémente pour les innocents, et inflexible pour les coupables. Il est difficile de mesurer l’impact qu’a eu cette religion décrétée par l’État, et qui fait ainsi dépendre du droit l’existence de Dieu. Religion naturelle sans églises et sans prêtres qui bannit tant la superstition que l’athéisme, elle paraît sans doute bien abstraite. Le culte de l’Être suprême ne survit pas à Robespierre, renversé le 9 thermidor an II (27 juillet 1794) et présenté par ses adversaires comme un pontife aspirant à la dictature. Eudes, comte de Paris, puis roi des Francs de 888 à 898 (vers 860 - La Fère 898). Trop jeune pour succéder à son père, Robert le Fort, comte et marquis de Neustrie tué à la bataille de Brissarthe en 866, Eudes se voit attribuer le comté de Paris, vers 883, par le roi Carloman. Il s’illustre en défendant la cité assiégée par les Normands d’octobre 885 à septembre 886. Ses qualités de chef de guerre lui valent d’être reconnu par Charles le Gros (empereur d’Occident et roi des Francs) comme le chef de la Neustrie, c’est-à-dire le principal responsable politique et militaire de la partie nord du royaume occidental. C’est la première étape vers la royauté. Charles le Gros, déchu de son titre impérial en 887, meurt en janvier 888. Le 29 février, à Compiègne, une assemblée de comtes et d’évêques du nord du royaume acclame Eudes, aussitôt sacré par l’archevêque de Sens. Si ce premier roi non carolingien est contesté par certains grands du royaume, son autorité est rapidement confortée par la victoire qu’il remporte
sur les Normands à Montfaucon-en-Argonne, le 24 juin 888. Elle lui apporte la reconnaissance du roi carolingien de l’Est, Arnulf, et les suffrages des partisans de ce dernier. Mais plusieurs défaites successives d’Eudes face aux Normands font renaître un parti favorable à l’héritier carolingien, Charles le Simple, qui vient d’atteindre la majorité, et qui est sacré à Reims le 28 janvier 893. Après une longue lutte, Eudes finit par reconnaître Charles comme son successeur en 897, avant de s’éteindre quelques mois plus tard. Eudes Rigaud, frère franciscain devenu archevêque de Rouen (début du XIIIe siècle - Rouen 1275). Il est issu d’une famille de la petite noblesse d’Île-de-France, et entre au couvent franciscain de Paris en 1236. Il poursuit des études de théologie, et devient maître de l’Université en 1246. En 1247, il est élu archevêque de Rouen, avec le soutien de Louis IX et d’Innocent IV : à la tête des sept évêchés de Normandie, il est alors l’un des principaux prélats du royaume. Premier universitaire et premier membre d’un ordre mendiant à la tête d’une aussi grande province ecclésiastique, il se consacre activement aux fonctions pastorales de l’évêque telles que redéfinies au concile du Latran IV (1215) : il réunit des synodes et des conciles, promulgue des statuts synodaux, multiplie les visites pastorales... En 1255, il est nommé archidiacre de Pontoise, et devient rapidement un familier du roi. Ce dernier, très proche des religieux mendiants, le sollicite pour les mariages de ses enfants, et l’invite à prêcher ou à célébrer la messe à la Sainte-Chapelle ou à Royaumont. Eudes Rigaud se voit aussi confier des responsabilités politiques : en 1259, il prend part à l’élaboration du traité de Paris entre Louis IX et Henri III d’Angleterre. En 1270, il participe à la croisade de Tunis, et, après la mort du roi, il est chargé des premières informations en vue de sa canonisation. Ainsi, par ses fonctions pastorales comme par son action politique, Eudes Rigaud apparaît comme le meilleur exemple de l’âge d’or épiscopal du royaume au XIIIe siècle. Eugénie (Eugenia Maria de Montijo de Guzmán, comtesse de Teba, dite), impératrice (Grenade, Espagne, 1826 - Madrid 1920), fille d’un grand d’Espagne, et descendante, par sa mère, d’une famille écossaise catholique. Eugénie se fait remarquer par sa beauté aux fêtes de l’Élysée en 1851.
Au lendemain du rétablissement de l’Empire, c’est elle que Napoléon III, soucieux d’assurer la pérennité de sa dynastie, choisit pour épouse. La famille Bonaparte et les cours d’Europe sont surprises, mais le peuple, pour sa part, est séduit par ce mariage d’amour présenté par l’empereur comme une simple « affaire privée ». De surcroît, la jeune femme emploie en oeuvres de charité les 600 000 francs offerts par la Commission municipale de Paris pour sa parure de mariage. Ce dernier est célébré en grande pompe à Notre-Dame, le 30 janvier 1853. Dès lors, l’impératrice se partage entre les Tuileries, Saint-Cloud et Biarritz. Vite délaissée par son mari, elle donne cependant le jour au prince impérial, Eugène Louis-Napoléon, le 16 mars 1856, et accompagne l’empereur dans plusieurs voyages (Angleterre, Savoie). • L’impératrice est-elle influente ? Pendant la guerre d’Italie contre l’Autriche (1859), elle assume la régence et prend goût à la politique. Elle est de nouveau régente en 1865, lors du voyage de Napoléon III en Algérie. La maladie de son époux accroît ses ambitions en lui laissant une certaine marge de manoeuvre, certes faible. Eugénie intervient en faveur du pouvoir temporel du pape et de la présence française au Mexique ; elle s’allie à Eugène Rouher pour s’élever contre la libéralisation du régime. À la fin de 1869, elle inaugure - seule - le canal de Suez. La guerre contre la Prusse, à laquelle elle s’est montrée favorable, lui permet de redevenir downloadModeText.vue.download 324 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 313 régente, le 27 juillet 1870. À l’annonce des premières défaites, elle remplace, le 9 août, le ministère Ollivier par un cabinet dirigé par le très conservateur comte de Palikao. Cependant, le régime se délite, et, presque abandonnée de tous, elle doit fuir, le 4 septembre. Elle se réfugie en Angleterre, où l’empereur déchu la rejoint : ils séjournent à Camden Place, près de Chislehurst, dans le Kent. C’est là que Louis Napoléon Bonaparte décède, le 9 janvier 1873. Quelques années plus tard, Eugénie est profondément affectée par la mort de son fils, tué le 1er juin 1879, alors qu’il participait à une guerre de la GrandeBretagne contre les Zoulous. À l’issue de la Première Guerre mondiale, Eugénie sort de sa réserve, pour aider Clemenceau à persuader les Alliés de restituer l’Alsace-Lorraine à la
France : elle communique, en effet, une lettre de Guillaume Ier de Prusse datée de 1870 et faisant état des motivations purement militaires de l’annexion de ces territoires. L’action de l’impératrice Eugénie a été jugée avec sévérité, tant par ses contemporains que par les historiens. Elle a participé amplement de cette « légende noire » qui a longtemps pesé sur le second Empire. Toutefois, même si les choix politiques d’Eugénie apparaissent assez malheureux, il est peu probable qu’elle ait véritablement orienté la politique de Napoléon III, farouche adepte du gouvernement personnel. Euratom ! européenne (construction) européenne (construction). Son histoire est surtout celle de l’unité de l’Europe occidentale depuis 1945, et, depuis 1989, celle de l’Europe entière. La construction européenne constitue un formidable défi pour les peuples du Vieux Continent : de son succès ou de son échec dépend la place que l’Europe occupera dans les relations internationales au XXIe siècle. • Bilan des institutions européennes. La volonté d’unifier l’Europe ne date pas de 1945. En effet, la Société des nations (SDN), organisation mondiale de sécurité créée en 1920, a pu apparaître comme une organisation européenne en l’absence des États-Unis. Des chefs d’entreprise ont également tenté d’organiser un marché commun européen par le biais d’ententes privées. Coudenhove-Kalergi, fondateur du mouvement Paneuropa, a quant à lui popularisé l’idée d’une confédération de l’Europe continentale. La question de l’unité est à nouveau posée après la Seconde Guerre mondiale. Les mouvements proeuropéens obtiennent la création, en mai 1949, du Conseil de l’Europe, organisation de coopération intergouvernementale sans pouvoirs, mais dotée d’une Assemblée consultative remuante. La nécessité de relever l’Europe de ses ruines entraîne la fondation, le 16 avril 1948, de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE), qui rassemble seize pays d’Europe occidentale. Elle va contribuer, dans un climat de guerre froide, à gérer l’aide dans le cadre du plan Marshall. En outre, elle va régler la question des paiements intereuropéens par l’intermédiaire de l’Union européenne des paiements (UEP), faisant ainsi disparaître nombre d’obs-
tacles aux échanges. Le 9 mai 1950, la déclaration Schuman en faveur d’une mise en commun du charbon et de l’acier est acceptée par six pays (France, Italie, RFA, Belgique, Luxembourg, PaysBas). Naît ainsi la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), dotée d’un exécutif supranational présidé par Jean Monnet - la Haute Autorité -, qui préfigure aux yeux des plus ardents fédéralistes une fédération européenne. Sur le modèle de la CECA, le président du Conseil René Pleven propose, le 25 octobre 1950, de constituer une Armée européenne, qui devient, par le traité de Paris du 27 mai 1952, la Communauté européenne de défense. À cette CED se serait ajoutée une Autorité politique européenne qui aurait coiffé la CECA, la CED et un Marché commun. Mais l’Assemblée nationale française rejette la CED le 30 août 1954, au terme de deux années de débats portant sur le réarmement allemand. Une solution de rechange est néanmoins trouvée : Pierre Mendès France, président du Conseil, et Anthony Eden, Premier ministre britannique, créent en octobre 1954 l’Union de l’Europe occidentale (UEO). Cette organisation de coopération n’est finalement pas devenue le coeur d’une défense européenne, liée à l’OTAN, mais elle a permis à la RFA d’adhérer à l’OTAN. L’aventure européenne de l’après-guerre est ensuite marquée par une étape essentielle avec la création, le 25 mars 1957 à Rome, de l’Euratom et du Marché commun, ou Communauté économique européenne (CEE). Euratom, organisation destinée à donner à l’Europe les moyens de la puissance atomique civile, sera ignorée par de Gaulle, car elle semble faire obstacle aux ambitions militaires de la France dans le domaine nucléaire. En revanche, de Gaulle tente en 1961 de relancer l’Union politique par un plan d’union des États, le plan Fouchet, qui donne à la France un rôle prééminent. Ses partenaires ne croient pas aux garanties de sécurité que seuls les Américains sont en mesure d’offrir. Ce projet échoue donc, et l’Europe politique piétine : en juin 1965, de Gaulle s’oppose au passage au vote à la majorité qualifiée, prévu dans les traités de Rome, une procédure qui aurait supprimé le droit de veto des États. Il s’oppose aussi par deux fois, en 1963 et en 1967, à l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, estimant qu’elle serait le cheval de Troie des États-Unis. Aussi faudra-t-il attendre la présidence de Georges
Pompidou pour que la Grande-Bretagne rejoigne l’Europe communautaire, avec le Danemark et l’Irlande, en janvier 1973. Dans les années 1969-1973, les difficultés du système monétaire international conduisent à la mise en place d’un système monétaire européen stable, à l’intérieur duquel les monnaies deviennent de plus en plus solidaires, fluctuant à l’égard du dollar dans un même rapport, jusqu’à la crise de l’été 1993. Entre-temps, une nouvelle étape a été franchie lors du sommet de Madrid de juin 1989 : les pays de la CEE, au nombre de douze depuis l’adhésion de la Grèce (janvier 1981), de l’Espagne et du Portugal (janvier 1986), ont décidé de créer une Union économique et monétaire dotée d’une monnaie unique (l’euro) qui voit le jour au 1er janvier 1999, tandis que l’euro entre en circulation au 1er janvier 2002. L’Europe communautaire s’est encore élargie en janvier 1995, passant de douze à quinze membres (Finlande, Autriche et Suède), puis au 1er mai 2004 à vingt-cinq membres (Estonie, Lettonie, Lituanie, Hongrie, Pologne, Slovaquie, Slovénie, République tchèque, Chypre et Malte). À côté de l’Union européenne, d’autres organisations fonctionnent. Le Conseil de l’Europe accueille les pays de l’Est européen en quête de reconnaissance internationale. L’OECE s’est transformée en 1960 en OCDE, organisation économique rassemblant les grands pays industrialisés. Quant à l’Union de l’Europe occidentale (UEO), elle cherche une nouvelle légitimité dans le cadre d’une défense européenne commune. Une Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), issue de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) tenue à Helsinki en août 1975, rassemble en outre tous les pays d’Europe, les États-Unis et le Canada, en vue de préserver le statu quo frontalier en Europe. L’Association européenne de libre-échange (AELE), créée en 1959, perd progressivement son objet avec l’intégration des pays qui en sont membres dans les institutions communautaires. L’Union européenne à vingt-cinq émerge désormais comme le pôle de rassemblement de tous les États européens. • Les enjeux de l’unité européenne. Ce n’est pas l’idéal qui a fait l’unité européenne mais l’intérêt pour un grand marché unique. L’Acte unique européen de 1986 et la promesse de la monnaie unique ont permis d’atteindre cet objectif. Aussi, la légitimation du processus d’unité passe-t-elle par l’élévation du niveau de vie des Européens et par la lutte contre le chômage.
L’unité européenne a servi les intérêts du libéralisme économique et permis de contourner les protectionnismes nationaux. Les Américains ont donc approuvé le Marché commun. Cependant, alors que l’Europe est invitée, dans le cadre du GATT, à s’aligner sur le modèle américain, les défenseurs d’une identité économique, culturelle et sociale européenne demandent la prise en compte de cette spécificité. L’unité de l’Europe occidentale était liée, à l’origine, à la défense du « monde libre » contre la menace soviétique. Ce ciment a disparu, ouvrant l’Europe unie sur l’espace géographique européen traditionnel. S’il a constitué une avancée importante, l’élargissement de 2004 à dix nouveaux membres a aussi suscité nombre d’interrogations. Comment intégrer à un marché unique des économies faibles ? Comment gérer vingt-cinq pays au lieu de quinze ? Comment rassembler dans l’Union des pays issus du système communiste ou marqués par une culture différente ? L’Union européenne saura-t-elle relever les défis technologiques et scientifiques du XXIe siècle ? La Commission de Bruxelles a choisi de favoriser la coopération scientifique et technique intereuropéenne. Mais l’Union n’a pas donné d’impulsion suffisante aux industries de l’espace, à l’informatique et à la génétique. Dans le domaine des sciences downloadModeText.vue.download 325 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 314 humaines, elle gagnerait à promouvoir la recherche sociologique, historique et culturelle pour mieux définir les conditions dans lesquelles les peuples européens peuvent vivre ensemble. Les enjeux de l’unité sont également institutionnels. L’Europe sera-t-elle administrée par un gouvernement fédéral ou par une commission de délégués des États ? Le débat sur la CED ou l’APE, la politique de Charles de Gaulle, le vote difficile du traité de Maastricht, ont montré combien la France craignait les abandons de souveraineté. D’autres nations sont tout aussi hésitantes, telle la Grande-Bretagne, qui a obtenu que des mesures dérogatoires en matière sociale et monétaire soient inscrites dans le traité de Maastricht. L’unité européenne bute donc sur la question de la souveraineté nationale. En outre, elle apparaît
comme un concept manipulé par les Étatsnations au gré de leurs intérêts : la GrandeBretagne a adhéré au Marché commun dans l’espoir de fortifier ses échanges commerciaux avec le continent. De Gaulle a accepté ces institutions pour mieux imposer à Adenauer son projet d’union politique et pour satisfaire les agriculteurs français. Le rejet par référendum en France et aux Pays-Bas du projet de traité constitutionnel européen en 2005 marque un coup d’arrêt à la construction politique de l’Europe. L’unité de l’Europe est aussi un enjeu des relations internationales. Depuis le reflux colonial, l’Europe doute de son destin. Doit-elle se distinguer du monde atlantique, du reste du monde libéral et industrialisé ? L’Union européenne a choisi de ne pas s’isoler. Elle a signé des accords d’association avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). Elle se montre soucieuse de peser dans les relations internationales mais n’a pas su prévenir les convulsions des nouveaux États européens, ni répondre aux besoins en matière de développement des pays de l’Est européen. Elle ne sait guère non plus réagir aux nouvelles menaces intégristes et terroristes. Elle n’a pas su inventer une réponse cohérente au fléau du chômage. En revanche, les pays membres ont inscrit dans le traité de Maastricht une Politique européenne de sécurité commune (PESC). Mais l’Europe unie peut-elle agir en dehors de l’OTAN ? Une défense européenne au sein de l’OTAN n’est pas crédible si l’Europe ne dispose pas des instruments militaires adéquats. Les désaccords persistants sur le degré d’autonomie de l’Europe unie au sein de la communauté atlantique limitent son influence dans les relations internationales. La crise de 2003 au cours de laquelle les pays de l’UE se sont montrés divisés face à l’intervention américaine en Irak, la France, l’Allemagne et la Belgique s’y opposant, a révélé au grand jour l’ampleur de ces désaccords. L’histoire de l’unité européenne depuis 1945 est intimement liée à l’action de militants attachés à une cause exceptionnelle. En effet, si la nécessité a conduit les États à accepter des formes d’unité, des personnalités politiques ont su en expliquer l’intérêt aux décideurs et aux peuples. La CECA est l’oeuvre de quatre « pères fondateurs » : les Français Jean Monnet et Robert Schuman, l’Allemand Konrad Adenauer et l’Italien Alcide De Gasperi. L’idée d’unité européenne a été prise en charge par les fédéralistes, tel Altiero Spinelli et Ernesto Rossi. Elle a été popularisée par
les organisations favorables à une Europe des États, inspirées par Churchill, Couden-hoveKalergi ou de Gaulle. Les nouvelles organisations européennes ont favorisé l’action proeuropéenne de certaines personnalités telles que Robert Marjolin, secrétaire général de l’OECE, ou, plus récemment, Jacques Delors, qui, durant dix ans (1985-1995), a fait de la Commission européenne un centre efficace d’initiatives et légitimé auprès des peuples européens l’action de la Commission. L’Europe du début du XXIe siècle se trouve à un tournant majeur. La question de son élargissement aux pays du pourtour méditerranéen, comme la Turquie, est posée. Elle doit répondre aux défis de la mondialisation. Le choix de créer une monnaie unique offre enfin l’opportunité aux gouvernements européens de constituer un « gouvernement économique » de l’Europe unie. La construction de l’Europe est un gage d’avenir pour les peuples du Vieux Continent parce qu’elle est le produit de la démocratie et de la liberté et parce qu’elle a maintenu la paix entre les nations européennes. évêque. Successeur des Apôtres, placé à la tête d’une circonscription religieuse appelée « diocèse », l’évêque représente, entre le curé et le pape, un échelon essentiel dans la hiérarchie de l’Église catholique. • Les fonctions de l’évêque. Le clerc qui postule à l’épiscopat doit être âgé de plus de 30 ans et avoir gravi, au préalable, les différents degrés des ordres mineurs et majeurs. Installé dans ses fonctions, il doit prêter serment au métropolitain (archevêque), qui a autorité sur lui et dont il devient suffragant. Il assume alors trois fonctions majeures : l’ordre, le magistère et la juridiction. En vertu de la première, il est le seul à pouvoir ordonner des prêtres, confirmer les enfants, bénir les abbés et les abbesses, recevoir les voeux des moniales, consacrer les cimetières ou les saintes huiles et contrôler la véracité des reliques ; les curés de paroisse lui réservent l’administration des pénitences qui sanctionnent les crimes les plus graves. Par son magistère, l’évêque est responsable de toute la vie intellectuelle du diocèse. À l’intérieur de celui-ci, il doit donc veiller à la formation des clercs, à l’instruction des laïcs, et surveiller le clergé régulier. C’est la raison pour laquelle se développent, surtout à partir du XIIIe siècle, les visites pastorales au cours desquelles l’évêque, au moins une fois par an, inspecte les paroisses.
Enfin, en vertu de son pouvoir de juridiction, il érige, divise ou circonscrit les paroisses ou les doyennés, autorise ou ordonne la construction de bâtiments religieux dans son diocèse ou dans sa cité (cathédrales), juge en tribunal. Il doit aussi, deux fois par an, réunir en synode tous les prêtres de son diocèse afin de donner communication des décisions pontificales, proclamer les excommunications et régler les litiges. Dans l’ensemble de ses tâches, l’évêque est secondé par les chanoines, qui forment le chapitre cathédral. Bien que l’époque médiévale ait compté des évêques de valeur (Eudes Rigaud, archevêque de Rouen de 1247 à 1275), c’est à partir de la fin du XVIe siècle, dans l’élan de la Réforme tridentine, que la qualité des évêques s’améliore sensiblement. Certains d’entre eux deviennent même des modèles de vertu, à l’image de François de Sales, évêque de Genève résidant à Annecy (1602-1622). • Le statut social de l’évêque. L’évêque ne détient pas seulement un pouvoir spirituel. En effet, il a longtemps été un puissant seigneur. Au haut Moyen Âge, il est souvent issu des riches familles sénatoriales galloromaines. À l’époque carolingienne, le plus souvent nommé ou confirmé par l’empereur, il représente un des instruments principaux de l’administration de l’Empire. Au cours de l’époque médiévale et moderne, sa richesse s’accroît considérablement par dons, confiscations, exactions, impôts et taxes diverses. Après la Révolution, le recrutement social de l’épiscopat concordataire se démocratise. Si plus de 80 % des évêques sont encore des nobles sous la Restauration, sur les 167 évêques vivant entre 1870 et 1883, plus de la moitié est issue du peuple. • Un enjeu entre l’État et la papauté. L’histoire des évêques de France se résume, le plus souvent, à l’histoire d’une opposition entre l’État et la papauté pour contrôler l’élection épiscopale (querelle des Investitures aux XIe et XIIe siècles). Au cours de l’époque médiévale, l’évêque est théoriquement désigné par une assemblée de clercs, avant de recevoir l’acclamation populaire. De fait, son nom est très souvent proposé par les seigneurs féodaux, puis par le roi ou par le pape. Il faut attendre le concordat de Bologne, en 1516, signé par François Ier et Léon X, pour qu’officiellement le souverain dispose du droit de nomination à tous les évêchés de France, le pape se réservant l’investiture, c’est-à-dire la remise à l’évêque des symboles de son pou-
voir spirituel : la crosse et l’anneau. Cette situation reste inchangée jusqu’en 1790, même si, après le concile de Trente, le contrôle de Rome sur l’épiscopat (choisi encore majoritairement dans l’entourage du roi de France) s’accroît. Le Concordat de 1801 accorde la nomination des évêques à l’Empereur, qui veut en faire des « préfets violets ». Avec la loi de séparation des Églises et de l’État (1905), l’épiscopat français est devenu « une fonction de l’Église exercée au nom et sous le contrôle absolu de l’État ». Les évêques ont dû se soumettre, bon gré mal gré, aux lois républicaines. Évian (accords d’), accords de cessezle-feu, signés le 18 mars 1962 à Évian, qui mettent fin à la guerre d’Algérie, et qui sont complétés par une série de « déclarations gouvernementales ». Ils sont l’aboutissement de longues négociations, plusieurs fois interrompues et jalonnées par les entretiens de Melun (juin 1960), d’Évian (mai-juin 1961) et de Lugrin (juillet 1961). L’ambiguïté juridique de ces accords, conclus avec le Front de Libération nationale (FLN) et non avec le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), downloadModeText.vue.download 326 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 315 que la France refuse de reconnaître, n’ôte rien à leur importance : ils posent les bases d’un État algérien indépendant et souverain, et définissent les principes de collaboration entre la France et l’Algérie. La déclaration générale prévoit, dans un premier temps, l’organisation, dans un délai de trois à six mois, d’un scrutin d’autodétermination. Y sont également précisés le fonctionnement des pouvoirs publics durant la période transitoire précédant ce scrutin et la définition des principes régissant le nouvel État algérien : il s’agissait alors, pour les négociateurs français, d’obtenir des garanties en faveur des Français qui souhaiteraient rester en Algérie après l’indépendance. Les concessions algériennes dans ce domaine sont compensées par des engagements économiques, financiers et culturels de la part de la France : poursuite, pendant une première période de trois ans, de l’assistance consentie à l’Algérie française depuis le plan de Constantine
(plan de développement annoncé par le général de Gaulle en octobre 1958) ; intégration de l’Algérie française à la zone franc ; coopération pour l’exploitation des richesses du sous-sol saharien ; envoi de personnel enseignant et de techniciens... Du point de vue militaire, la réduction de l’armée française à 80 000 hommes dans un délai d’un an après le scrutin d’autodétermination doit aboutir à un rapatriement total des troupes dans un délai de vingt-quatre mois. S’ils mettent fin officiellement à une guerre qui dure depuis plus de sept ans, les accords d’Évian ne brisent pas le cycle des violences. L’Organisation armée secrète (OAS) lance en effet une « offensive généralisée » pour s’opposer à l’application du cessez-le-feu et tenter - en vain - d’entraîner l’armée. Elle multiplie les attentats et interdit aux pieds-noirs de quitter l’Algérie, exposant ces derniers aux représailles du FLN (fusillades, enlèvements de plus de 1 160 personnes). Ce climat d’extrême tension provoque l’exode massif des Européens d’Algérie entre mars et décembre 1962. En France, les accords d’Évian sont ratifiés par plus de 90 % de « oui » lors du référendum du 8 avril 1962 (pour lequel les suffrages des Européens d’Algérie ne sont pas sollicités). En Algérie, le scrutin d’autodétermination se déroule le 1er juillet 1962 : les résultats sont massivement favorables à l’indépendance (plus de 99 % des suffrages exprimés). Le général de Gaulle reconnaît donc l’indépendance de l’Algérie - Sahara inclus -, laquelle est proclamée solennellement le 3 juillet 1962. Les clauses économiques des accords seront ensuite condamnés comme « néo-colonialistes » par les gouvernements Ben Bella et Boumediene. Mais, si leur application a globalement échoué, les accords d’Évian ont néanmoins permis à la France d’achever la décolonisation et à l’Algérie de recevoir, entre 1963 et 1969, près d’un tiers des crédits français alloués au tiers-monde. exagérés, terme désignant, sous la Convention, ceux qui s’opposent aux modérés - les indulgents - et qui estiment que l’Assemblée et les comités ne sont pas assez radicaux. Le 25 décembre 1793, Robespierre affirme que le gouvernement révolutionnaire « doit voguer entre deux écueils, la faiblesse et la témérité, le modérantisme et l’excès ». « Ce qu’on appelle exagération » pourrait faire expirer la République dans un « mouvement convulsif », quand le modérantisme la ferait
« périr de vance de « d’abord un gérés sont
langueur ». En évoquant la moul’exagération », Robespierre décrit comportement politique : les exadonc difficilement identifiables.
Qu’est-ce alors que l’excès redouté ? C’est d’abord la déchristianisation violente, orchestrée par Fouché, Chaumette, Léonard Bourdon et les étrangers Anacharsis Cloots, Desfieux, Proli et Pereira. C’est encore la guerre à outrance réclamée par Vincent, Charles Ronsin et Anacharsis Cloots, qui espèrent fonder, grâce à elle, la République universelle. Ce sont enfin ceux qui, comme Hébert et Momoro, réclament l’application la plus rigoureuse de la Terreur, le renforcement du maximum et l’épuration de la Convention. En ventôse an II (mars 1794), les mêmes proclament la nécessité d’une insurrection aux Cordeliers, où la Déclaration des droits a été voilée en signe de deuil. Mais, le 23 ventôse (13 mars), la riposte est annoncée par le rapport de Saint-Just sur les factions de l’étranger ; le 24, les exagérés sont arrêtés. Dans la charrette du 4 germinal, on les retrouve en compagnie de petits militants populaires, patriotes avancés ou cordeliers. excommunication, sentence émise par une autorité ecclésiastique (généralement l’évêque) à l’encontre d’un fidèle ayant prononcé des paroles ou commis des actes jugés irrévérencieux à l’égard de Dieu, et qui met le coupable au ban de l’Église et le prive ainsi de ses droits à la communion des fidèles. Depuis le XIIIe siècle, le droit canonique distingue nettement l’excommunication mineure de l’excommunication majeure. La première, en privant le fidèle du droit de recevoir les sacrements, s’apparente, dès le début du christianisme, à une pénitence, puisque le but est avant tout de provoquer l’amendement du coupable. L’excommunication majeure est beaucoup plus grave, se confondant avec l’anathème : non seulement le condamné (hérétique, violeur ou incestueux, par exemple) est exclu de tous les rites sacramentels, mais il est aussi privé de sépulture en terre consacrée, et les autres fidèles ont interdiction formelle d’entretenir des relations avec lui sous peine de châtiment. Les portes de l’église et du cimetière comme celles du Ciel lui sont fermées car, s’il ne se rachète pas, il est voué à la damnation éternelle. S’il s’agit d’un clerc, il se voit retirer l’ensemble de ses fonctions et prérogatives. Cette peine n’est jamais définitive, et le pécheur repentant peut toujours être absous et réintégré par l’évêque au sein de l’Église.
L’excommunication peut être vue comme une anticipation du Jugement dernier : permettant à l’Église d’exercer un chantage au salut, elle est un instrument puissant pour faire respecter sa doctrine. Elle a également été une arme redoutable dans la lutte menée par les papes à l’encontre du pouvoir monarchique qui cherchait à s’exercer sur l’Église de France, ou dans le combat des réformateurs grégoriens pour imposer la morale chrétienne : Philippe Ier (roi de France de 1060 à 1108), par exemple, accusé d’adultère, de polygamie et d’inceste fut excommunié par Urbain II au fameux concile de Clermont (1095). Dans ce cas, non seulement le monarque subit les interdits afférents à cette sanction mais, de plus, les sujets du royaume de France sont alors déliés de leur serment de fidélité. C’est donc tout un peuple qui tombe sous le joug d’une telle sentence. Consciente des dangers et de l’inefficacité qu’entraîne l’utilisation abusive de cette censure, la papauté, dès la fin du Moyen Âge, en adoucit les effets par la constitution Ad evitandum de Martin V au concile de Constance (1418). Les réformateurs du concile de Trente ordonnent ensuite « de ne pas se servir à la légère du glaive de l’excommunication », qui devient alors une mesure exceptionnelle. Le nouveau code de loi de droit canonique de 1917 ne comprend plus de définition de l’excommunication, qui continue de sanctionner pourtant quelques délits tels que l’apostasie, l’hérésie, la profanation des hosties consacrées ou l’avortement. exode, épisode de la Seconde Guerre mondiale qui fait suite à l’offensive allemande du 10 mai 1940 et se prolonge jusqu’au 22 juin. Entre 6 et 7 millions de Français, désemparés par la débâcle de l’armée française, quittent alors le nord du pays et la région parisienne, se jetant sur les routes dans le plus grand désordre pour échapper à l’avance de l’armée allemande. Le terme « exode », employé à l’époque pour désigner la fuite des populations civiles, renvoie à la sortie des Hébreux hors d’Égypte. Il souligne l’ampleur du phénomène et la gravité du traumatisme vécu par les populations. • Les étapes d’une fuite en avant. Il faut d’abord mettre à part un premier mouvement, organisé celui-là, qui vise, compte tenu de l’expérience de la Première Guerre mondiale, à mettre à l’abri d’une occupation ennemie les
administrations, les industries et une partie de la population civile. Un plan d’évacuation a été élaboré, qui attribue à chacun une zone de repli dans le centre et l’ouest de la France, et qui commence à être appliqué dès l’automne 1939. Mais les opérations militaires, qui débutent le 10 mai 1940, et les défaites françaises donnent à ce mouvement une ampleur considérable et un aspect anarchique. Les Belges et les Luxembourgeois se sont mis en marche à la fin mai et sont suivis, au début du mois de juin, par les habitants du nord de la France. Ensuite, la grande masse des réfugiés - au moins 2 millions de personnes est constituée par les habitants de la région parisienne, qui prennent la route le 10 juin à l’annonce de la rupture de la ligne Weygand, censée protéger la capitale. Les voies menant à la Loire, « parée des plus grandes vertus stratégiques » (Jean-Pierre Azéma), sont encombrées par des équipages hétéroclites, des files ininterrompues qui avancent sous la menace de l’aviation allemande et où se mêlent population civile et lambeaux d’armée en déroute. La destruction progressive des ponts sur la Loire afin de freiner l’armée ennemie accroît downloadModeText.vue.download 327 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 316 encore le désordre : le 17 juin, le fleuve devient infranchissable et les populations ont le sentiment d’être prises au piège. Dans la même période, l’annonce de l’entrée en guerre de l’Italie provoque dans le Sud-Est un exode d’une moindre ampleur. • Drames individuels et effondrement collectif. Moment terrible où se jouent un nombre incalculable de drames individuels, l’exode voit s’exprimer une grande variété de comportements, qui vont de la solidarité à l’égoïsme le plus étroit. À côté de l’accueil chaleureux de certains, les témoignages ne manquent pas sur d’autres qui profitent du passage de populations en détresse pour monnayer leurs services. Dans les zones abandonnées, les scènes de pillage se multiplient, et qui ne sont pas toujours le fait de l’armée allemande. Cet exode massif et anarchique est alimenté par des peurs ancestrales et par des rumeurs sur la brutalité des envahisseurs, par le souvenir des guerres de 1870 et de 1914, et par les images d’actualité qui ont présenté l’invasion
de la Pologne et de la Tchécoslovaquie ainsi que les destructions de la guerre d’Espagne. Les bombardements allemands, soigneusement ciblés, accentuent la panique. L’exode se nourrit en outre du désarroi des populations, qui constatent la faible résistance de l’armée française, l’incapacité du gouvernement - qui lui-même se replie à Tours, puis à Bordeaux à régler la situation, la défaillance des autorités civiles qui déménagent avant même les habitants au lieu d’en encadrer le flux, et la démission des élites économiques, politiques et intellectuelles qui ont fait leurs valises dès la fin du mois de mai. Ce moment de panique collective, révélateur de la décomposition générale du pays, de son manque de préparation psychologique et, finalement, de son refus de la guerre déjà si perceptible au moment des accords de Munich, permet de mieux comprendre pourquoi la chute de la République et l’installation du régime de Vichy sont si facilement acceptées. Pour beaucoup, l’armistice apporte un soulagement, la nouvelle de sa signature marquant d’ailleurs le signal du reflux. exode rural. Pris au sens d’émigration massive, le terme « exode » est peu adapté à ce que furent en France, jusqu’à la Première Guerre mondiale, les déplacements de population de la campagne vers la ville. Si la population urbaine passe, entre 1851 et 1911, de 9 à 17,4 millions, celle des campagnes ne chute que de 26,6 à 22 millions. En 1911, les villes de plus de 5 000 habitants ne représentent en France que 38 % de la population, contre 69 % au Royaume-Uni et 49 % en Allemagne. Le mouvement ne s’accélère que faiblement dans l’entre-deux-guerres, et tend même à s’inverser entre les recensements de 1931 et de 1936, les campagnes apparaissant alors comme un abri contre la crise. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Français ont été peu sensibles à l’appel au « retour à la terre » lancé par le gouvernement de Vichy, et c’est un véritable exode rural qui s’amorce après 1945. En 1975, 75 % de la population vit en ville ; mais une inversion de cette évolution se fait jour en 1982 et les communes rurales croissent alors plus vite que les grandes villes. Depuis, villes et campagnes évoluent démographiquement au même rythme. • Des causes multiples. Les chiffres du XIXe siècle traduisent la traditionnelle résistance du monde agricole français, et ceux de l’après-guerre recouvrent l’effondrement de la
population active agricole. Cependant, il faut bien distinguer population rurale (les habitants des communes de moins de 2 000 habitants) et population agricole (ceux qui vivent de l’agriculture) : l’effondrement de la seconde est beaucoup plus important que la diminution de la première. Les mouvements constatés après 1975 ne signifient pas un retour à l’agriculture mais le développement de ce que l’on désigne sous le nom d’habitat périurbain, alors que les villes-centres se dépeuplent. Les néo-ruraux habitent la campagne et travaillent en ville. Les déplacements de la seconde moitié du XIXe siècle s’expliquent par l’attraction de la ville, où le travail est souvent moins pénible, même à l’heure de la première révolution industrielle, et surtout plus régulier que dans les campagnes : on ne saurait en effet oublier que le mal social le plus répandu dans l’économie préindustrielle ne résidait pas dans la pénibilité du travail, mais dans le sous-emploi. C’est également en ville que se concentrent les institutions d’assistance et de soins, les structures éducatives et culturelles. La ville apparaît aussi comme un espace de liberté qui permet d’échapper au contrôle social qu’exercent dans les campagnes petits notables, curés et familles. Enfin, le développement du machinisme réduit les besoins en main-d’oeuvre rurale dans le même temps que la disparition des pratiques communautaires rend plus précaire la vie des plus pauvres. Toutefois, ces évolutions ont pu être lues en termes, non de causes, mais de conséquences des départs, la mécanisation répondant au manque de bras, la disparition des communaux à celle de leurs utilisateurs. La tentation du départ n’a pas été la même pour tous : si la propriété du sol a retenu bien des individus, la maîtrise d’un métier pouvant s’exercer à la ville incitait à quitter la campagne, à l’heure même où l’industrialisation rendait précaire la survie de l’artisanat rural traditionnel. Quoi qu’il en soit, il apparaît, à terme, que la communauté paysanne a gagné en homogénéité avec le départ des éléments qui y étaient les moins bien intégrés. • Des migrations diverses. Cependant, l’évolution de la population rurale n’a pas été linéaire. Au XIXe siècle, l’univers agricole a vu se développer des activités nouvelles, apparaître des acteurs inconnus de la vie locale : hommes du chemin de fer, puis de la route, petits fonctionnaires (postiers, instituteurs), membres des professions libérales (médecins, notaires), et commerçants sédentaires
se substituant aux antiques colporteurs. Mais, après la Seconde Guerre mondiale, la communauté villageoise s’est appauvrie alors que s’amenuisait la clientèle des services implantés un siècle plus tôt. Le départ des femmes ne s’est pas fait au même rythme que celui des hommes : au XIXe siècle, nombreuses étaient les jeunes rurales qui se plaçaient comme domestiques dans un périmètre limité, avec le projet de revenir se marier au village ; les hommes, souvent migrants temporaires également, se déplaçaient plus loin, ainsi qu’en témoigne l’exemple des maçons de la Creuse venus massivement travailler sur les chantiers parisiens. Ces déplacements se situaient essentiellement dans le cadre des bassins démographiques des villes, bassins qu’a fait éclater le développement des transports. Le chemin de fer a donné une liberté de choix inconnue auparavant et a, notamment, considérablement élargi la zone d’attraction de Paris, devenue lieu de migration, par exemple, des Bretons et des Auvergnats. Après 1945, l’exode des femmes s’est accéléré en raison de la pénibilité de la vie rurale. Il est à remarquer que les candidats au départ n’ont pas choisi ici, comme nombre de leurs homologues étrangers, les mondes extra-européens - et que même l’Algérie n’exerça qu’un très faible pouvoir d’attraction, malgré les encouragements gouvernementaux et les primes. • De l’archaïsme à la modernité. La relative faiblesse de l’urbanisation jusqu’au milieu du XIXe siècle a perpétué la pesanteur du monde rural, laissant à l’écart de l’économie de marché une large fraction de la population nationale, constituant par là même un handicap pour l’industrie et le commerce. Largement représenté à la Chambre, et surreprésenté au Sénat, l’électorat rural a donné une inflexion conservatrice à la décision politique, dont témoignent les tarifs Méline de 1892. Dans l’entre-deux-guerres encore, le « mythe » de l’équilibre nécessaire entre monde rural et monde urbain a servi à couvrir les archaïsmes de la société et de l’économie françaises. Ainsi, il a fallu attendre 1960 pour qu’une politique de modernisation des structures remplace celle du soutien systématique des prix agricoles, dont l’une des pièces maîtresses avait été la création de l’Office du blé par le Front Populaire. L’exode rural postérieur à 1945 a fourni au pays une large part de la population active dont il avait alors besoin dans les secteurs
secondaire et tertiaire et a ainsi fortement contribué aux succès des « Trente Glorieuses ». Il a également permis la modernisation d’une agriculture, longtemps immobile et devenue, depuis, le secteur de production aux gains de productivité les plus élevés. Mais cela n’a été possible qu’au prix d’un regroupement des exploitations et d’une modernisation de l’équipement qui ont entraîné un très lourd endettement. Touchant particulièrement les femmes et les hommes jeunes, l’exode rural a créé de forts déséquilibres démographiques, avec pour conséquence un taux de célibat masculin important dans les campagnes, un vieillissement très sensible de l’ensemble de la population - surtout des chefs d’exploitation - nécessitant la création, en 1962, d’une indemnité viagère de départ pour permettre aux plus jeunes d’accéder aux responsabilités. Cependant, on ne saurait évaluer l’exode rural en termes exclusivement négatifs : il a certes entraîné l’abandon de formes d’exploitation traditionnelles, dans les régions les plus downloadModeText.vue.download 328 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 317 difficiles, en montagne notamment (abandon des terrasses, réduction de la transhumance). Mais, en contrepartie, la mobilité rurale née de l’automobile tend à mettre les campagnes sur un pied d’égalité avec la ville : privés du médecin de campagne traditionnel, les ruraux ont accès, désormais, à toutes les formes de médecine sophistiquée ; le supermarché voisin leur offre une diversité de produits et des prix qui n’ont rien de commun avec ce que pouvait proposer le petit commerçant maître d’une clientèle captive ; la disparition de l’école unique de hameau a entraîné la création du ramassage scolaire, rendant l’accès possible de tous les enfants de la campagne au collège et au lycée ; et, malgré la disparition du bureau de poste, de la gare ou de l’école, qui étaient, il est vrai, tout comme la forge ou le lavoir, des lieux de sociabilité, le rural bénéficie aujourd’hui d’un éventail de services, totalement ignorés avant la Seconde Guerre mondiale - y compris ceux que lui offre, non sans danger, l’agence du Crédit agricole... Quant à l’investissement de bien des communes rurales par des citadins, il n’est pas non plus sans ambiguïté. Il entraîne une revitalisation des communes, englobées dans
les zones de peuplement industriel et urbain (ZPIU), sans toucher celles que l’on dit relever du rural profond. L’arrivée de ces néoruraux bouleverse les équilibres anciens et il n’est pas rare qu’ils accèdent à des postes de responsabilité dans les mairies. En matière d’équipement comme d’animation, les choix des nouveaux venus ne sont évidemment pas ceux de leurs prédécesseurs - et bien des conflits en résultent, qui font la vie publique des campagnes. Exposition coloniale, exposition internationale organisée à Paris en 1931 pour montrer la grandeur des empires coloniaux européens, notamment français. Alors que les Expositions nationales ou internationales sont en vogue en Europe, le projet d’organiser à Paris une manifestation entièrement consacrée aux colonies remonte à 1913. Mais, devant le refus de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne de s’y associer, l’entreprise, placée sous la direction du maréchal Lyautey, est avant tout une défense et une illustration de l’oeuvre coloniale de la République française. Inaugurée le 6 mai 1931, l’exposition se tient dans le Bois de Vincennes durant six mois : architecture, musique, objets d’art, parc zoologique, tout l’exotisme de « la plus grande France » fait l’objet d’une mise en scène spectaculaire. On estime à 8 millions le nombre de visiteurs, dont 1 million d’étrangers. Conçue pour développer l’attachement des Français à leur empire, l’exposition semble avoir atteint son objectif. Mais les membres du « parti » ou du « lobby » colonial s’inquiètent du caractère éphémère de cet engouement. En 1933, on peut lire dans la revue coloniale l’Afrique française : « Tout reste à entreprendre pour faire l’éducation de ce pays qui a reconstitué un empire et n’en a encore pris aucune conscience précise. » En outre, socialistes et communistes critiquent ce qui leur apparaît seulement comme une représentation pittoresque de réalités bien plus complexes, et la domination coloniale connaît alors ses premières remises en cause : de ce point de vue, l’Exposition coloniale de 1931 célèbre moins l’avenir que le passé. Expositions universelles, expositions ouvertes à tous les domaines de l’activité humaine, où sont présentés des produits provenant de toutes les nations. L’idée voit le jour au XIXe siècle, avec l’avènement de l’ère industrielle et l’affirmation du culte du progrès. Mise en oeuvre d’abord par
l’Angleterre, qui organise à Londres, en 1851, la première de ces manifestations internationales, elle est reprise dès 1855 par la France. Paris va même établir le record du nombre d’Expositions universelles accueillies, six en tout, en 1855, 1867, 1878, 1889, 1900 et 1937. • Économie, techniques, pédagogie, divertissement. Les Expositions universelles sont nées de la rivalité entre France et Angleterre. Cette dernière apporte, en 1851, la preuve des progrès accomplis par l’industrie britannique, notamment dans les produits de luxe, domaine-phare de l’économie française. Reflet de l’état d’une nation, de sa vitalité économique et de sa maîtrise technologique, terrain d’émulation, opération de propagande pour le pays organisateur, les Expositions universelles ont permis aux créateurs français de se confronter avec leurs concurrents étrangers. Dès le début, elles répondent à des programmes économiques et politiques - destinés, surtout, à glorifier la grandeur de la nation - mais aussi didactiques : ces vastes panoramas ont pour ambition de contribuer au progrès des connaissances. Conférences et congrès marquent des temps forts, où sont abordés tous les sujets : hygiène, démographie, condition féminine. Les visites guidées complètent la démarche. Déjà, en 1900, elles se font en anglais, russe et allemand. Puis, peu à peu, le souci d’enseignement est concurrencé par la nécessité de distraire, pour attirer le public et faire des recettes. Dès 1889, une gamme variée de divertissements est offerte. Les colonies deviennent également sources d’attraction. Mais les Expositions atteignent rarement l’équilibre financier, les recettes (produits des entrées, concessions et revente des matériaux) ne couvrant pas les dépenses (administration, travaux et exploitation). • Démonstrations architecturales. C’est l’architecture qui imprime dans la mémoire collective l’image de ces manifestations. Parfois éphémère, parfois durable, elle s’est voulue symbolique et spectaculaire, souvent prétexte à prouesses, induisant la tentation d’en conserver le témoignage ; en 1889, la tour Eiffel, en 1900, le Petit et le Grand Palais, le pont Alexandre-III ; en 1937, les palais de Tokyo et de Chaillot. La taille des Expositions s’accroît, d’événement en événement. En 1855, on construit des palais isolés (Palais de l’industrie aux Champs-Élysées, Palais des beaux-arts sur l’avenue Montaigne, Galerie des machines le long de la Seine). Dès 1867, l’architecture franchit le fleuve et gagne le Champ-de-Mars, qui accueille, à côté de l’écrasant palais de Le
Play et Krantz, de forme concentrique, les pavillons des pays étrangers ou des compagnies commerciales. En 1878, toujours sur le Champ-de-Mars, un grand rectangle est occupé par des galeries perpendiculaires en forme de damiers, classées par nature dans un sens, par nation dans l’autre. Dans la rue des Nations se côtoient les pavillons étrangers, ou plutôt leurs façades, évocatrices des traditions architecturales nationales. Et, afin d’éviter l’écueil d’un décor factice, des autochtones sont appelés à conforter par leur présence l’authenticité de cette évocation. En 1889, l’Exposition s’empare de l’esplanade des Invalides et du quai d’Orsay avec trois bâtiments : le Palais des beaux-arts, la Galerie des machines et le Palais de l’industrie. La rue du Caire frappe les esprits, reconstruction d’une rue idéale avec des types d’architecture empruntés à toutes les époques. Quant à l’Exposition de 1900, la plus controversée, elle voit Petit et Grand Palais remplacer le Palais de l’industrie de 1855. La rue des Nations accueille cette fois, non plus des façades mais de véritables bâtiments. 1925 marque la coupure entre XIXe et XXe siècle. En même temps que l’Art déco s’affirme, on voit émerger des pavillons modernes : le Théâtre de Perret, les deux pavillons de Mallet-Stevens, celui de l’URSS dû à Melnikov et celui de l’« Esprit nouveau » à Le Corbusier. La fonction de l’architecture est intégrée au programme avec son apport urbanistique et monumental. Le style moderne international est lancé et, en 1937, lors de l’Exposition internationale « Arts et Techniques dans la vie moderne », il s’affiche avec ses deux cents pavillons répartis en îlots, reliés par des passerelles. • S’inscrire dans le siècle. Jusqu’à 1900, les Expositions universelles obéissent, pour leur contenu, à un mode de présentation constant. Elles mettent en scène le processus de transformation des matières premières en produits finis, habitat ou mobilier par exemple. L’économie sociale et les beaux-arts parachèvent le parcours. Dans les expositions parisiennes, ces derniers ont toujours eu une place de choix ; il s’agit surtout de rétrospectives qui concrétisent l’enracinement ou l’explosion d’une tendance ou d’un mouvement, d’abord le japonisme et, en 1900, l’Art nouveau. Pour certains pavillons, le choix d’un thème précis est inscrit dans un contexte historique et culturel : 1878, eaux et forêts ; 1889, gaz ; 1900, électricité ; 1937, publicité, photo, cinéma, phonographie.
Chaque Exposition a été un événement attirant les foules. L’Exposition de 1900 se place en tête avec 50 millions de visiteurs, contre 16 millions en 1878 et 30 millions en 1889 et 1937. Ces déploiements de fastes ne laissent pas indifférents : écrivains, journalistes, ouvriers, manifestent leur admiration ou leur indignation, une façon de glorifier ou de rejeter son siècle. Certains y voient seulement des dépenses somptuaires, d’autres jugent leur effet catalyseur sur l’industrie, l’économie, les sciences et la pensée. Facteurs de progrès, les Expositions universelles ont résolu en amont certains problèmes d’urbanisme liés à la croissance démographique. Ainsi, le métro parisien est né des difficultés de circulation lors de l’Exposition de 1889. Aujourd’hui, à l’heure où la diffusion des informations est devenue quasiment instantanée, ce type de manifestations se justifie moins. Depuis la Seconde downloadModeText.vue.download 329 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 318 Guerre mondiale, elles se sont espacées et dispersées géographiquement (Bruxelles, 1958 ; Montréal, 1967 ; Osaka, 1970 ; Séville, 1992, Hanovre, 2000), et Paris a renoncé à célébrer le bicentenaire de la Révolution de 1989 par une Exposition universelle. Express (l’), hebdomadaire d’opinion lancé en mai 1953 par Jean-Jacques ServanSchreiber et Françoise Giroud, avec comme rédacteur en chef Pierre Viansson-Ponté. Soutenant à l’origine Pierre Mendès France, favorable à la rénovation des fondements de la gauche française, fort critique aussi à l’égard du fonctionnement de la IVe République, l’Express prend position contre les guerres coloniales et, en particulier, contre la guerre d’Algérie. Hostile au général de Gaulle, il cherche ensuite à rassembler le centre et la gauche non marxiste autour de Gaston Defferre avant l’élection présidentielle de 1965 (ce dernier renoncera finalement à se porter candidat). Malgré cet échec, et la concurrence du Nouvel Observateur, né en 1964, le tirage de l’Express, qui a adopté la formule du news magazine en septembre de la même année, ne cesse d’augmenter, jusqu’à franchir la barre des 500 000 exemplaires à la fin des années soixante. En juillet 1969 est fondé le Groupe Express. L’hebdomadaire va alors traverser plu-
sieurs crises, notamment liées à l’accession de Jean-Jacques Servan-Schreiber à la tête du Parti radical. Le journal, dont la diffusion stagne, est vendu en mars 1977 au P-DG de la multinationale Générale occidentale, James Goldsmith, qui accentue la ligne éditoriale néo-libérale. Raymond Aron est appelé à la direction politique de l’Express, tandis que Jean-François Revel se voit confier la direction de la rédaction. De nouveau en crise au moment de l’élection présidentielle de 1981 (départs de Jean-François Revel et d’Olivier Todd), l’hebdomadaire est repris en main par Willy Stricker puis par Françoise Sampermans, qui cherche à en faire un grand journal d’informations générales, fidèle à la ligne néo-libérale. Malgré une évolution parfois heurtée (nouvel actionnaire, changements successifs des responsables de la rédaction), l’Express, qui fait partie du groupe ExpressExpansion depuis 2002 comptait, en 2004, plus de 2 millions de lecteurs pour une diffusion de 430 000 exemplaires environ. Eylau (bataille d’), victoire remportée par les troupes françaises sur l’armée russe, le 8 février 1807. Si Napoléon Ier, engagé contre la quatrième coalition, mène une véritable guerre éclair contre la Prusse, qui s’effondre après Iéna (14 octobre 1806), la campagne de Pologne contre les Russes - campagne d’hiver dans les plaines du Nord enneigées et boueuses - est au contraire longue et difficile. Ne parvenant pas à imposer sa stratégie - qui consiste à diviser ses adversaires et à les battre isolément par de rapides mouvements tournants -, l’Empereur doit se résoudre, après onze jours de marche épuisante, à combattre de front au village d’Eylau, au sud de Königsberg. Opposant 60 000 Russes à 40 000 Français, la bataille, entrecoupée de charges de cavalerie et de tirs d’artillerie d’une rare violence, commence à 7 heures du matin et s’achève, douze heures plus tard, par la retraite russe. C’est un véritable carnage : 25 000 Français, dont 6 généraux, et 30 000 Russes sont mis hors de combat. Le « cimetière d’Eylau » marquera durablement la mémoire collective - c’est à Eylau que le colonel Chabert, personnage de Balzac, est enterré vif dans un charnier. Fait unique, Napoléon, choqué, reste huit jours sur le champ de bataille pour veiller à l’enlèvement des blessés mais aussi à la récupération des trophées. Le très officiel Bulletin de la Grande Armée rapporte que « ce spec-
tacle est fait pour inspirer aux princes l’amour de la paix et l’horreur de la guerre ». La guerre cependant ne s’achève qu’après la victoire de Friedland (14 juin 1807), avant la paix, toute provisoire, de Tilsit (7 juillet 1807). Eyzies-de-Tayac-Sireuil (Les), commune du département de la Dordogne, où de nombreuses et célèbres grottes préhistoriques ont été découvertes, et qui abrite un Musée national de la préhistoire. Situé sur les rives de la Vézère, le village des Eyzies est dominé par son château, aménagé dès 1918 en Musée national de la préhistoire par l’instituteur local, Denis Peyrony (1869-1954), qui a réalisé de très nombreuses fouilles. C’est sur les flancs des collines calcaires, creusés par la rivière, que se trouvent les nombreux sites préhistoriques. Si la plupart datent du paléolithique supérieur, le gisement de plein-air de la Micoque, à la confluence du Manaurie et de la Vézère, est plus ancien, puisqu’il remonte au paléolithique inférieur ; il a permis de définir le « micoquien », évolution de l’acheuléen attestée dans une grande partie de l’Europe. Les débuts du paléolithique supérieur sont illustrés par l’abri aurignacien de Cro-Magnon, où plusieurs squelettes ont été mis au jour, formes les plus anciennes d’Homo sapiens sapiens en Europe occidentale. C’est aussi de l’aurignacien que datent certaines des couches de l’abri Pataud. Mais le magdalénien est la période la mieux représentée : sont en effet caractéristiques de cette culture des grottes d’habitat, comme celle située au coeur même du château, ou la grotte Richard, dite aussi « grotte classique des Eyzies », mais surtout des grottes peintes, telles celles des Combarelles ou de Font-de-Gaume. Des deux grottes des Combarelles, la première (les Combarelles I), découverte en 1901, est la plus spectaculaire : c’est un couloir de 237 mètres de long, sur les parois duquel plusieurs centaines de dessins - des gravures, pour la plupart - ont été tracés. Les peintures rupestres de Font-de-Gaume, réalisées dans un style similaire, représentent de très nombreuses figures animales. Les différents sites ont également révélé quelques beaux exemples de l’art mobilier, dont la « Vénus de Sireuil », découverte à la surface d’un champ. downloadModeText.vue.download 330 sur 975 downloadModeText.vue.download 331 sur 975 downloadModeText.vue.download 332 sur 975
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Fabre d’Églantine (Philippe François Nazaire Fabre, dit), auteur dramatique et homme politique (Carcassonne, Aude, 1750 - Paris 1794). Poète et comédien, auteur de la romance Il pleut, il pleut, bergère, Fabre d’Eglantine mène longtemps une vie d’artiste sur les routes de France, avant de s’établir à Paris en 1787. Si les pièces de théâtre de ce séduisant aventurier ne rencontrent de succès que sous la Révolution (le Philinte de Molière, 1790), il doit surtout sa célébrité aux noms des mois et des jours du calendrier républicain dont il est l’auteur. Ami de Danton, un temps secrétaire du ministre de la Justice, puis député à la Convention en 1792, il ne joue guère de rôle politique. En octobre 1793, stigmatisant l’agiotage, il présente à la Convention, qui l’adopte, un projet de liquidation de la Compagnie des Indes. En fait, il ne s’agit de sa part que d’une manoeuvre destinée à faire baisser les actions de la société afin de les racheter à bas prix, Fabre falsifiant le texte de liquidation, qui maintient en définitive la compagnie. Cette retentissante affaire, qui lui vaut d’être arrêté en janvier 1794, permet de discréditer Danton lors du procès des indulgents, auquel comparaissent également Fabre et ses complices. Condamné à mort, Fabre d’Églantine est guillotiné le 5 avril 1794. fabrique, groupement de laïcs chargé, au Moyen Âge et à l’époque moderne, de la gestion financière d’une paroisse, d’un chapitre ou d’une oeuvre de construction religieuse. À un niveau modeste - celui d’une fabrique de village -, les fabriciens (que l’on appelle parfois des marguilliers) s’occupent du mobilier et du luminaire de l’église ; mais ils peuvent également décider, financer et mettre en oeuvre sa construction. Le cas est fréquent au XIIIe siècle, où la fabrique fait souvent figure de modèle pour la mise en place d’institutions communautaires et participe ainsi à la « paix au village ». Ce phénomène prend une tout autre ampleur en ville, en particulier lors de la construction de cathédrales. Celles-ci sont, par définition, les églises des évêques et de leur chapitre. Mais elles exigent, dès le XIIIe siècle, la mise en place d’administrations complexes chargées à la fois de collecter les recettes et de financer le chantier : les fabriques des cathédrales sont parmi les plus
importantes des entreprises de l’économie médiévale. Leur puissance financière en fait un enjeu important des concurrences politiques entre l’évêque, le chapitre et la communauté urbaine. Il n’est pas rare, à partir du XIVe siècle, que les élites urbaines parviennent à contrôler les fabriques. Ainsi, celle de la cathédrale de Strasbourg est-elle intégrée dans les institutions municipales à la fin du XVe siècle ; elle y jouit, aujourd’hui encore, d’un statut particulier (défini en 1803) qui garantit ses responsabilités en matière d’entretien et de restauration, ainsi que ses revenus et propriétés, telle cette « maison de l’oeuvre » construite à la fin du XIIIe siècle non loin de la cathédrale, et qui accueille désormais son musée. Fachoda (incident de), incident colonial survenu au Soudan, qui oppose la France et l’Angleterre, et est à l’origine d’une grave crise diplomatique entre les deux pays (septembre 1898-mars 1899). C’est au début des années 1880 que les puissances coloniales européennes commencent à s’intéresser à la zone du Sahara et du Soudan : tandis que la France espère unifier ses colonies en un seul vaste bloc territorial étendu d’ouest en est, l’Angleterre souhaite établir une voie nord-sud reliant ses possessions africaines ; en outre, pour assurer la sécurité de son protectorat d’Égypte, elle entend contrôler la haute vallée du Nil. Elle est repoussée une première fois du Soudan en 1883-1884 par l’offensive des religieux musulmans mahdistes. En 1896, elle en décide la reconquête, après la défaite italienne à Adoua contre les Éthiopiens, et à la suite de la multiplication des missions françaises d’exploration en direction du Nil supérieur. La France, en effet, n’a toujours pas accepté la mainmise de l’Angleterre sur l’Égypte, et elle n’entend pas lui laisser élargir sa zone d’influence dans ce pays sans contrepartie. Aussi laisse-t-elle ses expéditions « scientifiques » en Afrique centrale se prolonger jusqu’au Soudan, dans l’espoir de se saisir d’un gage. En juillet 1898, la mission du capitaine Jean-Baptiste Marchand, partie du Gabon, atteint Fachoda, sur la rive gauche du haut Nil, et y construit un fortin sous pavillon français. Au mois de septembre, les troupes anglo-égyptiennes de lord Kitchener, qui ont entrepris de reconquérir le Soudan en remontant le Nil, y installent un détachement. Marchand refuse de quitter les lieux, et l’incident se transforme en crise diplomatique. Delcassé,
ministre des Affaires étrangères, lord Salisbury, en charge du Foreign Office, échangent ultimatums et mises en garde, tandis que les journaux se déchaînent. Finalement, le gouvernement français, conscient qu’une guerre avec l’Angleterre, sans appui extérieur, risque d’être désastreuse, cède. Le 3 novembre 1898, il ordonne l’évacuation de Fachoda. Un accord franco-britannique, signé en mars 1899, vient clore la crise, accordant à l’Angleterre la vallée du haut Nil. L’incident de Fachoda reste l’un des moments de tension les plus aigus entre les deux puissances au tournant du XXe siècle ; né d’une rivalité coloniale, il a provoqué une montée du nationalisme parmi les opinions publiques française et anglaise, qui exprimeront un fort ressentiment réciproque, avant que l’apaisement diplomatique ne conduise à la conclusion de l’Entente cordiale, en 1904. faide royale, expression tirant son origine du terme germanique faida, et qui désigne, dans la société franque, la vengeance privée exercée par le clan familial en vertu des liens du sang. downloadModeText.vue.download 333 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 322 Elle fait référence à la guerre civile qui oppose les petits-fils de Clovis, et qui déchire la famille royale mérovingienne entre 570 et 613. • Les origines de la faide. En 561, le royaume franc est partagé entre les petits-fils de Clovis, Charibert, Gontran et Sigebert Ier, et leur demi-frère Chilpéric Ier. Dès 567, la mort de Charibert et la répartition de son héritage suscitent des tensions entre Chilpéric Ier, roi de Neustrie, et Sigebert Ier, roi d’Austrasie. Ces derniers se sont mariés avec les deux filles du roi de l’Espagne wisigothique, Galswinthe et Brunehaut. En 570, Chilpéric confisque la dot de sa femme Galswinthe, et fait assassiner celle-ci pour épouser son ancienne concubine, Frédégonde. Sigebert et Brunehaut, respectivement beau-frère et soeur de la victime, décident alors de laver l’affront qui leur a été fait et guerroient contre Chilpéric. Plusieurs campagnes militaires jalonnent les années 570-575, mais, en 575, Sigebert est assassiné par des hommes de Chilpéric ; il laisse une veuve et un fils, proclamé roi d’Austrasie sous le nom de Childebert II, tous deux déterminés à venger Sigebert. La rivalité entre les deux demi-frères, dont l’enjeu était d’abord
territorial, s’est donc transformée en guerre fratricide, entretenue par le cycle sans fin de la faide. • La guerre civile. Après la mort de Sigebert, la crise s’aggrave, et des dissensions apparaissent au sein même de la famille de Chilpéric : plusieurs des fils de ce dernier sont tués, et il est lui-même assassiné en 584, laissant son royaume à son dernier héritier, Clotaire II. En 587, Gontran, roi de Burgondie, son neveu Childebert II, roi d’Austrasie, et la reine Brunehaut scellent, contre Clotaire II, une alliance appelée « pacte d’Andelot ». Ce n’est qu’en 600 que les fils de Childebert II, Théodebert II et Thierry II, reprennent la guerre contre Clotaire II. Celleci est néanmoins marquée par les dissensions qui opposent bientôt entre eux Brunehaut, Théodebert et Thierry. Elle ne prend fin qu’en 613, à la suite de la mort de Théodebert et de Thierry, et des assassinats, commandités par Clotaire, du jeune fils de Thierry et de la reine Brunehaut. Le royaume franc est alors réunifié entre les mains de Clotaire. Mais la faide a duré quarante ans, opposé trois générations, et provoqué la mort de dix rois et de deux reines. • Les conséquences de la faide. Ces longues années de guerre civile ont profondément atteint le pouvoir royal. Dès les années 580, des défections et des trahisons ont lieu dans les rangs des « leudes », c’est-à-dire des fidèles du roi. Elles se multiplient dans les années 600, et provoquent une véritable crise de la fidélité envers le roi. Cette situation favorise le développement des forces centrifuges aux dépens de l’unité du royaume franc. Durant la faide, les royaumes de Neustrie, d’Austrasie et de Burgondie prennent progressivement conscience de leurs particularismes. L’aristocratie austrasienne, notamment, derrière Pépin de Landen et l’évêque de Metz Arnoul, fait valoir des intérêts régionaux, qui ressurgiront avec acuité dans la seconde moitié du VIIe siècle. En effet, la faide royale profite surtout aux aristocraties. La surenchère à laquelle se livrent les rivaux royaux conduit ces dernières à monnayer leur soutien et à accroître leur puissance aux dépens du pouvoir du roi. L’échec final de Brunehaut et de ses petits-fils face à Clotaire II est dû en grande partie à la défection des aristocraties burgonde et austrasienne, hostiles à l’action de la reine. En effet, celle-ci a tenté de restaurer un État fort et une fiscalité directe de type romano-wisigothique. L’édit général que promulgue Clotaire II en 614 essaie de fonder un nouvel équilibre entre
pouvoir royal et aristocratie, mais plusieurs de ses articles sanctionnent la puissance acquise par cette dernière au cours de la première grande crise de la royauté mérovingienne. Faidherbe (Louis Léon César), général (Lille 1818 - Paris 1889). Polytechnicien, officier du génie, Faidherbe demande, en 1843, son affectation pour l’Algérie ; il y découvre, à l’école de Bugeaud, les méthodes d’expansion coloniale qu’il appliquera ensuite au Sénégal. En 1848, il sert en Guadeloupe, où il se passionne pour l’abolition de l’esclavage et acquiert une réputation de républicain avancé. Après une nouvelle affectation en Algérie, il est nommé, en 1852, chef du génie et directeur des Ponts et Chaussées au Sénégal. Son dynamisme et ses propositions de développement économique lui valent le soutien de la colonie commerçante de Saint-Louis et la nomination au poste de gouverneur du Sénégal (18541861 et 1863-1865). Faidherbe poursuit la colonisation du pays, réduite avant son arrivée aux seuls comptoirs de Saint-Louis et de Gorée. Il soumet les Maures, et notamment le leader islamique El-Hadj Omar, crée le corps des tirailleurs sénégalais, organise l’administration en s’appuyant sur les chefs de tribus, donne à Saint-Louis les dimensions d’une véritable ville et engage les premiers travaux du port de Dakar. Il multiplie enfin les explorations aux confins du Sénégal, dont l’économie se développe grâce à la prospérité du commerce des gommes et de la culture des arachides. Si l’audience nationale de Faidherbe est due à son oeuvre au Sénégal, sa popularité et sa gloire sont imputables au rôle qu’il joue pendant la guerre franco-allemande de 1870, à la tête de l’armée du Nord. L’habileté stratégique dont il fait preuve aux combats de Pont-Noyelles (23 décembre 1870), Bapaume (3 janvier 1871) et Saint-Quentin (19 janvier 1871), où il évite l’encerclement, lui vaut le surnom de « Chiendent » chez les Prussiens. Après avoir obtenu sa mise en disponibilité pour raisons de santé le 24 avril 1871, il ne cède pas à la tentation d’exploiter politiquement sa popularité. Certes, sous la pression de ses amis, il se fait élire dans le Nord aux élections partielles du 2 juillet 1871. Mais il démissionne peu après pour protester contre le mandat constituant de l’Assemblée nationale. Élu sénateur du Nord en 1879, il est trop handicapé physiquement pour participer activement aux débats et préfère poursuivre ses études d’eth-
nographie et d’archéologie. L’État lui fait des funérailles nationales le 2 octobre 1889. Faisceau (le), organisation inspirée par le fascisme italien, créée le 11 novembre 1925 par Georges Gressent, dit « Georges Valois ». Né en 1878, cet ancien ouvrier du Livre proche de Fernand Pelloutier, puis de Georges Sorel, devient le spécialiste en économie de l’Action française, mouvement qu’il quitte en 1925, le trouvant trop conservateur en matière sociale. Dans le Faisceau, Valois attire 25 000 « chemises bleues », dont 15 000 en région parisienne, autant que l’Action française. Mais les maurrassiens qui l’ont rejoint se détournent bientôt de lui, comme ses bailleurs de fonds (François Coty, notamment). Créé pour s’opposer au Cartel des gauches, qui était supposé mettre en péril les valeurs nationales, le Faisceau s’effondre en 1927, et devient, en 1928, un éphémère Parti fasciste révolutionnaire, qui ne survit pas après le retour de la droite au pouvoir. Valois luimême en est exclu ; il se rapproche des jeunes radicaux, tente d’adhérer à la SFIO, crée les éditions Valois, où il édite Mendès France et des exilés italiens antifascistes, entre dans la Résistance et meurt en déportation, à BergenBelsen, début 1945. Valois espérait une « nouvelle alliance du patriotisme et de la vie ouvrière », rêvait d’un syndicalisme anti-individualiste, plaidait pour de hauts salaires et un État coordinateur, blâmait Mussolini de s’être compromis avec les possédants. De telles positions ne pouvaient que heurter son public, qui voyait dans le fascisme une milice conservatrice. Il n’a pas davantage réussi à convaincre le monde ouvrier, malgré la spectaculaire adhésion à son mouvement de Marcel Delagrange, maire communiste de Périgueux. Cette vision idéaliste et sociale du fascisme, fort éloignée de sa réalité historique, ne pouvait se concrétiser durablement. Fallières (Armand), homme politique, président de la République de 1906 à 1913 (Mézin, Lot-et-Garonne, 1841 - id. 1931). La carrière politique de Fallières est typique de la IIIe République ; d’origine paysanne, avocat, républicain, il suit le parcours habituel à partir de 1870 : conseiller municipal, maire (révoqué en 1873), conseiller général (1871), député (1876), sénateur (1890). Plusieurs fois ministre - de l’Intérieur, des Cultes, de la Justice, de l’Instruction publique et des Beaux-arts (1880-1885, 1887-1892) -, il est le premier président du Conseil (29 janvier
1883-20 février 1883) renversé par le Sénat, dont il devient président, à la suite de Loubet, le 3 mars 1899, avant de lui succéder à la présidence de la République, le 18 février 1906. Ce républicain modéré - que les gauches ont préféré à l’ancien radical Doumer -, cultivé et discret, jouit d’une réelle popularité, à laquelle contribuent sa simplicité, son physique avenant, son accent. Président-arbitre hostile à la peine de mort, bien informé et au jugement sûr, il désigne à la tête du gouvernement plusieurs personnalités éminentes : Clemenceau, Briand, Caillaux, Poincaré, qui doivent faire face à une situation intérieure souvent troublée (querelle des Inventaires, agitation sociale). Ses visites officielles à l’étranger (Angleterre, Belgique...) confortent la position downloadModeText.vue.download 334 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 323 diplomatique de la France (Triple-Entente en 1907). En février 1913, Fallières se retire définitivement de la vie politique. Falloux (loi), loi votée en 1850 qui organise la liberté de l’enseignement confessionnel et congréganiste. • Le contexte de son élaboration. La question scolaire est pour les républicains de 1848 une question décisive. Hippolyte Carnot dépose le 30 juin un projet de décret relatif à l’obligation et à la gratuité de l’enseignement primaire. Les conservateurs, qui rendent les instituteurs responsables des risques de révolution, font du retrait de ce projet l’une des conditions de leur soutien à Louis Napoléon Bonaparte. À peine élu, celui-ci leur donne satisfaction. Dans le ministère du 20 décembre, le comte de Falloux, qui est ministre de l’Instruction publique, représente, plus encore que les légitimistes, les évêques. Pour préparer la nouvelle loi, il nomme une commission dont la présidence est confiée à Adolphe Thiers. Naguère voltairien et anticlérical, celui-ci veut désormais confier l’instruction primaire à l’Église. Ce revirement trahit la grande peur qui a saisi les bourgeois après les journées de juin 1848. Mais, pour le catholique libéral Montalembert ou le philosophe Victor Cousin, qui sont membres de la commission, ce serait violer le principe de la liberté que d’attribuer au clergé ce monopole. Le projet de loi est mis en discussion au début de l’année 1850, alors que Louis de Parieu est ministre de l’Instruction publique. Le 15 jan-
vier, Victor Hugo prononce contre le texte un de ses plus célèbres discours. La loi est votée le 15 mars par 399 voix contre 237. • Loi cléricale ou loi de compromis ? La liberté de l’enseignement est moins réglementée que jamais. Aucun titre n’est exigé des maîtres : ainsi, le brevet de capacité peut être remplacé par la qualité de ministre d’un culte ou par un certificat de stage, ce qui favorise les Frères ; pour l’enseignement féminin, une lettre d’obédience remise aux religieuses par leur supérieure et attestant leur appartenance à une congrégation peut suffire. « Le résultat, résume Charles Seignobos, fut de couper la jeunesse française en deux fractions élevées dans un esprit opposé. » Si elle place l’instituteur sous la surveillance tracassière du curé, la loi n’entraîne pas la fermeture des écoles normales. Elle ne rompt pas davantage avec les fondements du monopole de l’Université, hérité du Premier Empire. En ce qui concerne l’enseignement secondaire, l’article 69 prévoit que « les établissements libres peuvent obtenir des communes, des départements ou de l’État un local et une subvention, sans que cette subvention puisse excéder le dixième des dépenses annuelles de l’établissement ». C’est cette disposition que François Bayrou, ministre de l’Éducation nationale dans le gouvernement d’Édouard Balladur, a en vain tenté d’abroger en 1993, provoquant une grande manifestation des défenseurs de l’école publique, le 16 janvier 1994. Cet épisode (paradoxal, puisque c’est alors le camp laïc qui défend une loi réputée cléricale) permet ainsi de vérifier que la loi Falloux n’est pas un texte absolument réactionnaire, mais le fruit d’un compromis, inacceptable pour les républicains et cependant en deçà des prétentions extrêmes du clergé. Famille (pacte de), nom donné au traité, signé en 1761, qui établit une union étroite entre les Bourbons de France (Louis XV), d’Espagne (Charles III), de Naples (Ferdinand IV) et de Parme (Philippe de Bourbon). Depuis 1756, la guerre de Sept Ans met aux prises les Anglais et les Français. À la mort du roi Ferdinand VI (1759), le demi-frère de ce dernier, Charles III, accède au trône d’Espagne. Le nouveau roi s’inquiète de l’hégémonie anglaise en Amérique du Nord et cherche à se rapprocher de la France. Au printemps de 1761, des négociations s’engagent entre Choiseul et l’envoyé espagnol Grimaldi ; elles aboutissent le 15 août à la signature du pacte de Famille. Ce texte est plus qu’un simple traité d’al-
liance : il devient progressivement l’un des axes majeurs de la politique extérieure française. Les deux cours souhaitent s’appuyer sur « les liens du sang » pour faire « subsister à jamais un monument solennel de l’intérêt réciproque ». Le pacte garantit toutes les possessions territoriales des parties contractantes et pose comme principe que tout ennemi de l’une des branches de la maison de Bourbon devient ipso facto l’ennemi de toutes les autres ; les cours de Naples et de Parme sont appelées à se joindre à cette union. L’Espagne s’engage à entrer en guerre contre l’Angleterre, et Louis XV, à soutenir les revendications espagnoles lors des futurs traités de paix avec Londres. Le pacte de Famille prévoit également une série de privilèges économiques réciproques. Il subsistera jusqu’à la Révolution française. famine. Avec la peste et la guerre, la famine est l’un des trois fléaux, terriblement redoutés, qui sévissent périodiquement, quasi régulièrement, jusqu’au XIXe siècle. L’angoisse de ne pas trouver son pain quotidien a longtemps été très forte : les mots mêmes de la prière Pater Noster ou le conte du Petit Poucet (paru en 1697) en témoignent. Dans une société où chaque adulte consommait deux à trois livres de pain par jour, et où peu de gens - même chez les paysans - disposaient de réserves suffisantes pour assurer la nourriture du lendemain, tout déséquilibre entre la population et les « subsistances » déclenchait une pénurie momentanée : la disette. Celle-ci venait-elle à se prolonger, on entrait alors dans une véritable crise : la famine. • Treize siècles de famines périodiques. L’on connaît, grâce aux sources historiques, les années de grandes famines depuis le haut Moyen Âge. En l’an 584, Grégoire de Tours rapporte qu’« une grande famine ravagea presque toutes les Gaules : bien des gens firent du pain avec des pépins de raisin, des fleurs de noisetier, quelques-uns même avec des racines de fougère ». Au cours des IXe et Xe siècles, la gravité de certaines famines est telle qu’elle entraîne des pratiques de cannibalisme. En 1032, Raoul Glaber signale qu’on vit quelqu’un apporter de la chair humaine cuite au marché de Tournus. Après quelques siècles de relative accalmie, le fléau frappe de nouveau : lors de la crise de 1315-1317 d’ampleur européenne -, puis au cours de la guerre de Cent Ans. Au XVIe siècle, les années 1515, 1521, 1531, 1563 et les deux dernières décennies des guerres de Religion sont mar-
quées par la famine. Hormis des crises localisées mais chroniques - ainsi en Bourgogne, en Lorraine et en Champagne, ravagées par la guerre de Trente Ans, entre 1636 et 1648 -, le XVIIe siècle connaît des famines aiguës en 1630-1631, 1649-1652, 1661-1662 (la famine dite « de l’Avènement ») et 1693-1694. Cette dernière est une véritable hécatombe : 2 836 000 morts (soit une surmortalité de 1,3 million), un déficit de plus de 1,5 million de naissances et de 83 000 mariages. Avec un recul de la population de 7,65 %, elle fait presque autant de morts que la Première Guerre mondiale, dans une France à moitié moins peuplée. En comparaison, la crise de 1709-1710, malgré le Grand Hiver, est moins sévère : il en coûte néanmoins au royaume environ 650 000 décès supplémentaires, 420 000 naissances « perdues » et une chute de 140 000 mariages ; au total, un déficit de 810 000 habitants, soit un peu plus de 3,5 % de la population. Les crises s’atténuent ensuite, faisant place à des disettes (1725, 1737-1738, 1789, 1795 ; puis 1812, 1817, 1829-1832, 18461847). Après 1817, si les crises agricoles ne sont pas accompagnées d’un nombre de morts élevé, la malnutrition continue néanmoins de sévir : ainsi, au milieu du XIXe siècle, on compte encore, en Alsace par exemple, une forte proportion de réformés pour faiblesse de constitution lors de la conscription. Face à la pénurie, les différentes catégories sociales ne sont évidemment pas sur un pied d’égalité. Les errants sont les premières victimes. Les témoignages ne manquent pas : en 1694, à Saint-Germain-de-Fly (Oise), des mendiants venus du Pays de Caux sont « tellement épuisés et abattus de la faim qu’ils ne pouvaient pas même desserrer les dents pour manger » ; en 1575, dans le Velay, « les pauvres mouraient de faim par les chemins, ne mangeant que de l’herbe qu’on leur trouvait à la gorge ». La vulnérabilité est aussi différente selon les lieux géographiques : une province telle que la Bretagne, grâce à la culture du sarrasin et à la proximité des ports d’importation de grains, a davantage été préservée que les plateaux céréaliers, voués à la monoculture, ou des régions isolées et surpeuplées, telles que le Craonnais, le Perche et la majeure partie du Massif central à la fin du XVIIe siècle. Quant aux villes closes, elles peuvent connaître des situations dramatiques. Qu’advienne un siège et les tabous alimentaires tombent : à Sancerre, assiégée par les catholiques en 1573, les habitants se replient successivement sur la viande de cheval - non
consommée jusqu’à la fin du Second Empire - avant d’absorber chats, rats, taupes, cuir, parchemin bouilli, fiente, racines de ciguë... et l’on surprend un couple de vignerons s’apprêtant à consommer de la chair humaine. Semblables scènes se retrouvent en FrancheComté en 1637 et en Livradois en 1694. • Les racines du fléau. Une mauvaise récolte entraîne une élévation du cours des grains, et, par suite, du prix du pain, encore downloadModeText.vue.download 335 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 324 accentuée par la spéculation : les marchands qui disposent de stocks retardent les ventes pour profiter de la hausse qui culmine pendant la soudure, dans les mois qui précèdent la future récolte. Que celle-ci vienne à son tour à manquer et les prix flambent, l’accaparement s’accentue et les marchés se vident. Concernant les céréales d’hiver, si essentielles, c’est l’excès d’humidité - qui empêche le mûrissement ou entraîne le pourrissement des grains - qui est le plus à craindre en dehors des régions méditerranéennes. Que deux étés trop pluvieux se succèdent et c’est le désastre : ainsi en 1315-1316, en 1660-1661 ou en 1693-1694. La vulnérabilité des récoltes aux aléas climatiques, alors que les rendements, déjà irréguliers, n’atteignent pas toujours les dix quintaux à l’hectare, est l’une des raisons des « chertés ». Mais, plus que la rareté des denrées, ce sont la rapidité et la soudaineté de la montée des prix - caractéristiques d’un marché trop étroit - qui entraînent des famines. La difficulté des communications, la multitude des péages intérieurs, la lenteur des arrivages extérieurs, la résistance des populations à tout départ de convois, entravent en effet la circulation des grains. Les épidémies elles-mêmes peuvent susciter les famines par la mort ou l’exode des travailleurs agricoles, le manque d’entretien du sol, la fermeture de certains marchés. Les méfaits des gens de guerre, enfin, aggravent tout : les champs ne sont plus ensemencés, les jachères ne reçoivent plus aucun labour, le cheptel de trait est décimé. Même en période de paix, les réquisitions abusives des troupes, au moins jusqu’aux réorganisations des armées par Louis XIV, sont insupportables quand elles suivent une mauvaise récolte (comme en basse Bretagne entre 1591
et 1597, ou au sud de Paris, lors de la Fronde des princes en 1652). • Les stigmates de la famine. La plupart du temps, famine et épidémie conjuguent leurs effets. En multipliant le déplacement des traîne-misère, en diminuant les capacités de résistance physique, en provoquant la consommation de nourritures nocives (tel ce pain de fougère que les crève-la-faim du Craonnais firent porter à Versailles en 1683), la crise de subsistance est le terrain propice à de multiples contagions : une fois l’épidémie assoupie, les fièvres malignes (typhoïde) ou les flux de sang (dysenteries) donnent le coup de grâce. Comme toute crise démographique, une famine s’accompagne d’une chute des conceptions et de la nuptialité, d’un accroissement des migrations, d’une poussée de mortalité. Les malades affluent alors vers les hôtels-Dieu et les hôpitaux généraux, et les abandons d’enfants sont multipliés (par cinq à Lyon, en 1709). Au bout de quelques mois, ou années, la tendance s’inverse : les migrations s’apaisent, la nuptialité et la natalité augmentent et, bien sûr, la mortalité chute. En dehors des crises à répétition, la récupération est donc rapide et le relèvement de la fécondité parvient à modérer le phénomène de classes creuses. Les famines débouchent aussi sur des crises économiques. La cherté du pain conduit les plus modestes à différer les dépenses qui ne relèvent pas de la stricte subsistance, ce qui entraîne le chômage de nombreux ouvriers. Dès que monte le prix du blé s’abat le tragique « silence des métiers ». En outre, les famines entraînent un accroissement de l’endettement et une élévation du taux du crédit qui précèdent les aliénations de biens-fonds au profit d’heureux créanciers. À la dislocation des familles et à la multiplication de l’errance répond l’expropriation des plus démunis. Si ces famines n’ont pas des effets négatifs pour tous (en libérant des exploitations, elles favorisent de nouvelles installations), elles ont de redoutables conséquences psychologiques. Longtemps ancrée en Occident, la peur de mourir de faim donne lieu à des violences collectives : pillages de convois de grains ; achats forcés à prix taxé chez les meuniers, les boulangers, les marchands de céréales, volontiers qualifiés d’affameurs. Les femmes jouent un rôle important lors des « émotions populaires » : ainsi en 1775, lors de la guerre
des Farines, ou en octobre 1789, lorsqu’on va chercher à Versailles « le boulanger, la boulangère et le petit mitron ». La hantise de manquer de pain eut - paradoxalement et longtemps - pour conséquence de maintenir une économie étroitement domestique. Les partisans de la liberté économique, soucieux d’élargir les marchés, tel Turgot en 1774, passeront, auprès des foules favorables à la réglementation des prix et hostiles au « laissez-faire », pour responsables d’un « complot de famine ». • L’éradication du fléau. En dehors des interdictions répétées d’exporter les grains, l’État n’intervient qu’au coup par coup : la lutte contre la famine reste l’affaire de la charité chrétienne et des autorités locales ; les municipalités urbaines taxent le pain tout en subventionnant les boulangers et en organisant des bureaux d’assistance. À la fin du règne de Louis XIV, on procède aux premiers recensements des stocks et des bouches à nourrir. Les intendants adoptent des habitudes interventionnistes, lesquelles prendront un tout autre sens, provisoirement, au cours de l’an II. En 1817, le gouvernement crée une caisse de compensation destinée à subventionner les boulangers obligés de vendre le pain à bas prix. Cependant, les fraudes sont légion, et la meilleure forme de lutte contre la pénurie est le développement de cultures nouvelles : légumineuses en Flandre dès 1125, sarrasin dans l’Ouest à partir du XVe siècle, maïs dans le Midi au XVIIe siècle, pomme de terre au XVIIIe siècle. Ce n’est qu’ensuite, grâce à la mise en place progressive d’un marché des céréales plus ouvert, que la France voit disparaître les famines. famine (complot ou pacte de), rumeur qui circule dans les dernières décennies de l’Ancien Régime, et selon laquelle le roi chercherait à affamer le peuple en spéculant sur le commerce des grains. L’idée du complot ou du pacte de famine apparaît en 1768 sous la plume du légiste Le Prévost de Beaumont dans un pamphlet intitulé Dénonciation d’un pacte de famine. Reprise par les milieux parlementaires, cette idée trouve rapidement un écho favorable dans l’opinion : elle se situe en effet au point de convergence de plusieurs mouvements, structurels et conjoncturels. En premier lieu, la crainte de la faim demeure tenace dans des populations qui vivent constamment au seuil de l’équilibre alimentaire et qui sont soumises
aux fluctuations sensibles de la production agricole. Cette crainte ancestrale est avivée dans les années 1770 par une situation de disette larvée qui touche le royaume. En outre, la fin du règne de Louis XV est marquée par l’extrême impopularité du souverain et par les premières manifestations de désacralisation de la personne du roi : dans ce contexte, la mystique du monarque nourricier, chargé d’assurer le juste approvisionnement de ses sujets, tend à disparaître. Dans l’esprit du public, le roi a en effet brisé ce pacte de protection alimentaire en autorisant, par la déclaration de mai 1763 et l’édit de juillet 1764, la libre circulation des grains à l’intérieur et à l’extérieur du royaume. Assouplie par Terray en 1770, mais reprise par Turgot entre 1774 et 1775, cette législation est perçue comme une menace par le peuple. Révélatrice d’un état de l’opinion dans les décennies pré-révolutionnaires, la rumeur du « complot de famine » marque une étape importante de la dégradation du lien traditionnel qui unit le souverain à ses sujets, de la désaffection progressive que subit la monarchie et de la politisation que connaît la société française dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Véhiculée par tous les vecteurs de l’information populaire, et notamment par la chanson, elle trouve ainsi sa place dans la modification des conditions psychologiques qui a rendu possible la Révolution. Farines (guerre des), nom donné aux émeutes frumentaires qui se sont déroulées dans le Bassin parisien en avril et en mai 1775. Elles trouvent leur origine dans la mauvaise récolte de 1774 et dans la libéralisation du commerce des grains décidée par le contrôleur général des Finances Turgot le 13 septembre 1774. Au milieu du mois d’avril 1775, alors que les réserves de grains commencent à s’épuiser, la crainte d’une famine se propage. Dès le 18, des troubles éclatent sur le marché de Dijon. Bientôt, le mouvement gagne les pays de grandes cultures du Bassin parisien : manouvriers, journaliers, petits propriétaires, s’emparent des marchés et imposent des prix de vente des blés et du pain accessibles à tous. Parallèlement, la foule s’en prend aux réserves constituées : magasins privés, moulins, boulangeries, greniers des propriétaires aisés, des gros laboureurs ou des communautés religieuses, sont pris d’assaut, tandis que la circulation du grain est entravée le long des principaux axes de communication. L’agitation gagne Versailles le 2 mai, et Paris
le lendemain : les faubourgs Saint-Martin et Saint-Antoine sont le théâtre de violents affrontements. Mais l’autorité dont fait preuve Turgot et le soutien dont il bénéficie de la part du roi mettent fin rapidement aux troubles. La guerre des Farines constitue, par les formes qu’elle a revêtues, un ensemble d’émeutes frumentaires caractéristique de l’Ancien Régime. Elle reflète, en effet, l’éconodownloadModeText.vue.download 336 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 325 mie morale traditionnelle du peuple attaché à la fois à une juste répartition des ressources élémentaires et à l’intervention des pouvoirs publics dans le domaine sensible des subsistances. De ce point de vue, la libre circulation des grains décrétée quelques mois plus tôt a été perçue comme une décision en rupture avec les règles du bon gouvernement monarchique. Mais cette explosion de violence populaire intervenue quinze ans avant la Révolution reflète aussi le malaise social propre aux dernières décennies du XVIIIe siècle, et annonce, par certaines de ses exigences et certains de ses slogans (à Paris, un placard avertit : « Si le pain ne diminue pas, si le ministère n’est pas changé, nous exterminerons le roi et toute la race des Bourbons »), des formes de culture politique qui s’épanouiront après 1789. fascisme français. L’importance de cette doctrine ou des mouvements politiques qui s’y rattachent, voire l’existence même d’un fascisme en France sont l’objet d’un débat entre historiens, compliqué par l’ambiguïté du mot « fascisme ». Ce terme a en effet été appliqué à des groupes très divers, qui peuvent relever d’une droite autoritaire ou antiparlementaire, mais en être parfois fort éloignés, puisque le PCF d’avant 1934 qualifie de « fascistes » tous ses adversaires, SFIO comprise, et que, pour les libertaires, le stalinisme est un « fascisme rouge ». Mais le fascisme, au sens strict, ne se confond pas avec toute réaction ou tout autoritarisme ; il suppose une volonté totalitaire, une référence à la souveraineté populaire au travers du culte d’un chef, ainsi qu’un rejet des valeurs et des élites traditionnelles. Cela l’oppose, par exemple, à la tradition ultramonarchiste, pourtant tout aussi antilibérale et antidémocrate. Si un tel distinguo peut sem-
bler dérisoire dans une polémique politique, il est fondamental pour l’analyse. Un premier débat porte sur les origines du fascisme, avant 1914. L’historien israélien Zeev Sternhell souligne que Maurice Barrès intègre l’héritage démocratique, en appelle aux masses mais aussi au chef susceptible de les incarner, et qu’il mêle romantisme et vitalisme, s’éloignant ainsi du traditionalisme de l’Action française. À partir de ce constat, Sternhell montre l’émergence d’une « droite révolutionnaire », populiste, sociale et nationale, souvent antisémite, ayant une clientèle plébéienne et s’inspirant parfois de Georges Sorel. Il y voit l’origine même du fascisme. Mais ces courants, très minoritaires, existent toutefois dans d’autres pays, en particulier en Italie ; la France ne saurait donc être le seul berceau du fascisme, même si elle a effectivement connu un pré-fascisme. • L’entre-deux-guerres. Pour cette période, Sternhell et les historiens américains insistent sur l’importance du fascisme en France, représenté par les ligues d’extrême droite. Celles-ci pratiquent en effet les réunions de masse, la violence verbale et physique, le culte du chef charismatique ; elles professent un antiparlementarisme virulent, recrutent parmi la classe moyenne victime de la crise et ont une organisation paramilitaire. Toutes ces caractéristiques sont autant de ressemblances avec le fascisme de Mussolini. En outre, le Faisceau de Georges Valois ou le Francisme créé en 1933 par Marcel Bucard se réfèrent explicitement au dictateur italien, qui les finance, de même qu’il finance Doriot après 1934. Toutefois, la majorité des historiens français insiste, au contraire, sur la diversité des ligues et les différences de la plupart d’entre elles avec le fascisme. Ils voient également dans l’échec des mouvements réellement fascistes la preuve de la faible influence du fascisme en France : de fait, le Faisceau périclite rapidement et la Solidarité française ou le Francisme ne comptent que 3 000 ou 4 000 militants, souvent de purs mercenaires. Les ligues puissantes ont, quant à elles, d’autres filiations idéologiques : les Croix-deFeu relèvent de la droite catholique ; les Jeunesses patriotes, créées en 1924 par le député Pierre Taittinger, sont purement conservatrices et nationalistes ; l’Action française est ultratraditionaliste, et, si des écrivains comme Brasillach ou Rebatet s’y sont formés, ils l’ont quittée du fait même de leur fascisme. Seul le PPF de Doriot peut être considéré comme un parti fasciste de masse, mais il est également
tenté par un conservatisme catholique, et s’effondre avant 1940. Les convergences avec le fascisme relèvent donc surtout de l’apparence : René Rémond parle « d’un badigeon à la romaine ». Significativement, l’agitation des ligues s’essouffle quand sont au pouvoir des démocrates modérés : en fait de dictature, le gros du « fascisme français » se satisfait de Poincaré en 1926, de Doumergue en 1934, de Daladier en 1938. Restent des groupuscules, et des intellectuels, tel Drieu la Rochelle, obsédés par l’idée de décadence et cherchant dans le « fascisme immense et rouge », italien ou allemand, chanté par Brasillach, une réponse à leurs problèmes personnels. Ils attribuent volontiers leur propre isolement au fait que la France, vieillie et épuisée, n’a pas l’énergie, le dynamisme, qu’ils associent au fascisme. En fait, le pays a été préservé de cette doctrine révolutionnaire grâce à l’ancienneté de sa tradition républicaine ; il n’a pas connu de crise aussi profonde que l’Italie ou l’Allemagne, et les classes moyennes n’y ont jamais été assez désespérées pour rejeter la démocratie en lui attribuant tous leurs maux. Bref, il y a bien eu un fascisme en France, mais isolé et impuissant. • De Vichy à nos jours. L’effondrement de 1940 lui-même ne l’a guère favorisé. La dictature du régime de Vichy relève plutôt de la contre-révolution, d’un traditionalisme proche de l’« ordre moral ». Les groupes fascistes collaborationnistes parisiens, qui gravitent autour de Déat, de Doriot, etc., sont entièrement soutenus par l’occupant, et se disputent une clientèle restreinte. Ils ne participent au gouvernement et n’investissent l’appareil répressif qu’à partir de 1943 - avec la Milice -, mais l’État français est alors coupé de la société civile et ne reste en place que par la volonté de Hitler. Si cela n’enlève rien à la gravité des crimes commis, cela ne permet pas de décrire le fascisme comme enraciné dans le pays. On peut d’ailleurs, comme Pierre Milza, « considérer [le fascisme] comme une forme de pouvoir politique appartenant au passé et qui ne correspond plus aux besoins des sociétés hyperindustrialisées ». En dehors de théoriciens comme Maurice Bardèche et de groupuscules intransigeants sans importance réelle, ses partisans sont devenus les éléments minoritaires d’un courant où leur sont associés des nostalgiques de Vichy, des traditionalistes, des intégristes, des nationalistes, etc. Cette coalition de fait a connu des fortunes variées, jouant sur l’anticommunisme de la guerre
froide, les frustrations de la décolonisation, les difficultés des victimes de la modernisation des années cinquante, ou la crise économique. Cela a donné l’OAS, le mouvement Poujade, ou le Front national, dont on peut penser qu’ils ont été ou sont un danger pour la démocratie, mais qui, dans leur globalité, ne relèvent pas du fascisme au sens strict du terme. Faure (Edgar), homme politique (Béziers 1908 - Paris 1988). Avocat dès 1927, il est membre du Comité français de libération nationale (CFLN), puis du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), et délégué au Tribunal international de Nuremberg. Député radical en 1946, secrétaire d’État (1949-1950) et plusieurs fois ministre à partir de 1950, il est président du Conseil une première fois en janvier-février 1952, puis succède à Pierre Mendès France de février 1955 à janvier 1956. Son gouvernement est alors confronté aux problèmes d’Afrique du Nord : il favorise le retour du sultan Mohammed ben Youssef au Maroc, préparant ainsi l’indépendance du pays, et fait aboutir les accords relatifs à l’autonomie interne de la Tunisie (avril 1955). Il avance les élections par dissolution de l’Assemblée nationale (2 décembre 1955), et cette transgression de ce qui est alors un tabou républicain lui vaut d’être écarté du Parti radical. Il s’oppose au Front républicain, formé de mendésistes, de socialistes et de républicains sociaux, qui remporte pourtant les élections de 1956. En 1958, il vote l’investiture du général de Gaulle, et, un temps éloigné du pouvoir, devient professeur de droit public, avant d’être réintégré au Parti radical (1961). En 1963, il négocie la reconnaissance de la Chine populaire par la France. Il devient ministre de l’Agriculture en 1966, mais c’est surtout à l’Éducation nationale qu’il imprime sa marque au lendemain de mai 68 grâce à des réformes profondes (loi Faure). En 1973, il est élu pour cinq ans au « perchoir » de l’Assemblée nationale, où il manifeste son talent oratoire. Auteur d’essais et d’ouvrages historiques, il a aussi publié des romans policiers sous le pseudonyme d’Edgar Sanday (« Edgar sans d »). Faure (Félix), homme politique, président de la République de 1895 à 1899 (Paris 1841 - id. 1899). La petite histoire a surtout retenu de ce personnage sa mort à l’Élysée, après une visite galante de Meg Steinheil, épouse d’un peintre pompier ; mais, fils d’un artisan parisien, fier
de sa réussite dans la tannerie, Félix Faure incarne les « couches nouvelles » chères à Gambetta. Adjoint au maire du Havre à partir downloadModeText.vue.download 337 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 326 de 1870, soucieux des intérêts économiques de sa cité, député en 1881, sous-secrétaire d’État aux Colonies trois mois plus tard, il se veut « républicain conservateur », hostile aux radicaux. Il est vice-président de la Ligue des patriotes, fondée en 1882, qu’il quitte dès 1883 quand Déroulède prend violemment à partie la politique coloniale de Jules Ferry. Il occupe plusieurs postes ministériels (Commerce, Colonies, Marine) avant d’être élu président de la République, le 17 janvier 1895, contre le radical Henri Brisson. C’est précisément parce qu’il n’est pas un homme de premier plan qu’il a pu rassembler tous les adversaires des radicaux. Surnommé le « Président-Soleil » pour son amour du faste, il multiplie les voyages en province, et souhaite une République forte face aux monarchies. Il sait à cet effet user de son influence, facilite l’entente avec la Russie, aide à apaiser la crise de Fachoda. Mais il ne comprend pas la portée de l’affaire Dreyfus, et sa neutralité favorise les mouvements nationalistes. Son conservatisme, un certain manque de brio intellectuel, mais aussi son antidreyfusisme de fait, ont contribué à le faire oublier, ou à ne laisser de lui que le souvenir des circonstances de son décès. Faure (loi), loi d’orientation de l’enseignement supérieur votée le 12 novembre 1968. Conçu par Edgar Faure, appelé au ministère de l’Éducation nationale au lendemain de mai 68, ce texte pose les principes de la participation des différents acteurs de la vie universitaire (étudiants, enseignants, personnels administratifs et de service) à la gestion, et celui de l’autonomie administrative, pédagogique et financière des unités d’enseignement et de recherche (UER), et des universités. Les conseils d’UER et d’université sont désormais élus et accessibles à des personnalités extérieures, mais surtout aux représentants des étudiants. Cette réforme marque la fin d’une certaine forme de mandarinat. Par ailleurs, l’introduction du contrôle continu réduit la sélection, l’activité syndicale et politique n’est plus proscrite à l’intérieur des universités, tandis que la recherche de la pluridisciplinarité et d’une meilleure ouverture sur le monde
extérieur aboutira à la création de nouvelles filières, voire d’universités comme celle de Paris VIII-Vincennes (aujourd’hui Saint-Denis). Faure (Paul), homme politique (Périgueux 1878 - Paris 1960). Fils d’un avocat républicain, Paul Faure milite, à partir de 1901, dans les rangs du socialisme guesdiste. Tout au long de sa carrière politique, il se fera propagandiste : par le journalisme, mais aussi par les discours, brochures et ouvrages divers. Maire du Creusot (1925-1929), il est plusieurs fois député, et, après la scission de Tours en décembre 1920, devient, pour vingt ans, secrétaire général du Parti socialiste (SFIO). Il incarne, dès lors, l’appareil du parti, tandis que Léon Blum en est le leader intellectuel. Face aux courants d’opposition, il se pose en gardien de la doctrine, participant à l’exclusion des contestataires. Ministre d’État dans les gouvernements de Front populaire (1936-1938), il y assure la liaison avec le parti. Avec la montée des tensions internationales, il devient l’animateur d’une tendance de la SFIO anticommuniste favorable au maintien de la paix à tout prix. En 1938, la rupture est consommée avec la mouvance Blum, plus soucieuse de fermeté antifasciste. Plusieurs partisans de Paul Faure soutiennent, à des degrés divers, le régime de Vichy. Paul Faure lui-même sert un temps d’émissaire entre le gouvernement et l’occupant, et siège au Conseil national. Exclu de la SFIO en 1944, il recrée la sociabilité « paul-fauriste » au sein du Parti socialiste démocratique, mais n’exerce plus, désormais, d’influence. Il a justifié son parcours politique dans De Munich à la Ve République, fustigeant la IVe République qui l’avait marginalisé. faux-monnayeurs. L’une des caractéristiques de la circulation monétaire médiévale est son insuffisance, les États se trouvant dans l’incapacité d’alimenter une frappe régulière qui permette de satisfaire aux besoins des échanges. Il en résulte, de façon structurelle, en dehors même des périodes de troubles politiques ou de crises économiques, un « état de famine » monétaire. Par ailleurs, les techniques de fabrication des monnaies sont telles qu’il est aisé, en apparence, de contrefaire les espèces en circulation. Un bon orfèvre dispose forcément des outils nécessaires à la fabrication des
coins monétaires et des matériaux lui permettant de masquer l’imposture en recouvrant les pièces d’une couche de métal précieux. Pour toutes ces raisons, le faux-monnayage est l’une des données permanentes de l’économie médiévale, et l’une de ses plaies. La nécessité d’obtenir des monnaies à faible valeur libératoire est tellement pressante que le public n’est pas très soucieux de leur origine ni de leur authenticité. Deux types de trafic existent. Le premier est ponctuel et artisanal. Les malfaiteurs se cachent aux marges d’un finage, dans un lieu reculé mais assez proche tout de même d’un centre de consommation et d’échanges ; ils alimentent un marché local. La principale difficulté est alors d’écouler la marchandise sans que les autorités puissent remonter à l’atelier. Un second genre de trafic, beaucoup plus périlleux parce qu’international, porte sur de très grosses quantités. Un atelier installé près d’une frontière contrefait les monnaies d’un État voisin et prend la tête d’un trafic qui peut durer des décennies. Des marchands viennent y acheter à bon prix de fausses espèces en quantités impressionnantes et les écoulent sur le marché. Des bandes de passeurs et de revendeurs s’organisent et alimentent un véritable courant commercial. Par exemple, au XVe siècle, un atelier de faux-monnayeurs, installé à Maastricht, inonda le marché français durant près d’un demi-siècle sans qu’aucune intervention soit possible, cette ville se trouvant dans la principauté de Liège, alors indépendante. Ces trafics réapparaissent chaque fois que l’État traverse de fortes crises : ainsi, des traces d’ateliers de contrefacteurs datant de l’époque moderne, et en particulier des années difficiles du règne de Louis XIV, sont régulièrement retrouvées par les archéologues. La contrefaçon cesse d’être une industrie payante dès le retour de l’abondance monétaire, qui se conjugue toujours avec une efficacité croissante de la répression, le public n’ayant alors plus aucun intérêt à fermer les yeux sur les monnaies d’origine douteuse. Des peines, tels l’essorillage, la flétrissure, le versement d’amendes aux montants exorbitants, sont prévues pour les complices. Quant aux coupables principaux, ils sont, jusqu’à la fin de l’époque moderne, jetés vifs dans une marmite d’eau bouillante. faux sauniers, dans la France d’Ancien Régime, contrebandiers du sel, produit de première nécessité employé pour la conser-
vation des aliments. Les faux sauniers trafiquent le « faux sel », et concurrencent ainsi le sel taxé par l’État royal en profitant des régimes particuliers des provinces. En Bretagne, exemptée de gabelle, la vente du sel est libre, et son prix, modique. En revanche, dans le Maine voisin, pays de grande gabelle, les habitants doivent se fournir au grenier à sel de leur ressort, à un tarif beaucoup plus élevé. Il s’ensuit une active contrebande : on achète du sel dans les provinces périphériques, où la gabelle est inexistante ou peu élevée, pour le revendre aux bandes de faux sauniers, ou en faire commerce directement, en petites quantités, dans les pays de grande gabelle, qui sont les plus anciens du royaume. Déjà, en 1518, François Ier se plaint de cette contrebande : « Il y a, en nos pays d’Anjou et de Maine, plusieurs hommes et femmes qui achètent le sel des faux sauniers et le portent en poches, panetières, chapelets ou autrement, vendre d’huis en huis et de maisons en maisons, où ils font de grands larcins, abus et fraudes. » À la fin du XVIIIe siècle, dans le ressort de Laval (grande gabelle), les sujets achètent en moyenne 4,4 kilos de sel par année et par habitant, alors que dans les pays bretons de Vitré et de Fougères, ils en acquièrent 48 kilos, quantité révélant des activités de faux saunage, puisqu’elle est supérieure à ce qu’ils peuvent consommer. « Le sport national des Français » (J.-C. Waquet) symbolise la résistance populaire face à l’État percepteur. Au XVIIIe siècle, la répression organisée par la Ferme générale est largement inefficace, alors que celle-ci ponctionne la moitié des recettes de la gabelle. Les gabelous (gardesfrontières des pays de grande gabelle) arrêtent hommes, femmes, enfants, voire chiens dressés pour le faux saunage. Mais les officiers du roi affrontent également des bandes armées, telle celle de Jean Cottereau, dit Jean Chouan. Vivant dans le Maine, près de la frontière bretonne, Jean Chouan est arrêté une première fois pour faux saunage en 1772, à l’âge de 15 ans. Huit ans plus tard, il est recherché pour le meurtre d’un gabelou, et condamné à la pendaison par effigie. Il est emprisonné en 1785, et libéré au cours de l’été 1789, à la faveur des événements parisiens. Mais, en 1792, il réapparaît à la tête de la révolte contre-révolutionnaire du Maine, témoignant de la communauté d’intérêts entre monarchistes et faux sauniers, ces derdownloadModeText.vue.download 338 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 327 niers désirant sauvegarder leur gagne-pain, la gabelle, abolie en 1790. Favras (conspiration de), complot contrerévolutionnaire visant à enlever Louis XVI, découvert en décembre 1789. Peu après les journées d’octobre 1789, alors que le roi apparaît, aux yeux des royalistes, comme passif et trop conciliant, et que les députés aristocrates (les « noirs ») sont impuissants à la Constituante, un complot est ourdi pour tenter de mettre un terme à la Révolution. Son principal protagoniste, le marquis de Favras, est un ancien officier des gardes de Monsieur, comte de Provence (futur Louis XVIII), dont il est probablement l’agent. Son dessein est d’enlever Louis XVI aux Tuileries et de le conduire à Metz, puis à Péronne, où il dissoudrait la Constituante. Trop bavard, Favras, qui tente d’obtenir un prêt de deux millions pour le compte de Monsieur, est arrêté le 24 décembre 1789, ayant été dénoncé par des complices qui l’accusent de projeter l’assassinat de La Fayette et de Bailly. Mis en cause par des libelles, Monsieur désavoue aussitôt Favras. Quant au roi, étranger à l’affaire, il se rend le 4 février 1790 à l’Assemblée nationale où, afin d’écarter tout soupçon, il affirme son attachement à la Constitution et désapprouve tous les complots. Condamné à mort par le tribunal du Châtelet, le marquis est pendu place de Grève, après avoir fait amende honorable, le 19 février 1790. Si Favras, devenu un héros royaliste, a refusé de livrer les noms de ses complices, on sait que l’abbé Maury et le comte d’Antraigues, tous deux députés, ont été compromis dans l’affaire. D’Antraigues, d’ailleurs, émigre dès le 27 février. Cependant, cette conspiration visant à tenter de soustraire Louis XVI à la Révolution, conçue comme une action isolée, ne sera pas la dernière. Favre (Jules), avocat et homme politique républicain (Lyon 1809 - Versailles 1880). Inscrit à la faculté de droit de Paris en 1827 et 1828, Jules Favre obtient sa licence au moment de la révolution de Juillet et rentre à Lyon, où il s’inscrit au barreau. Il se fait alors le défenseur des chefs d’atelier du tex-
tile exploités par les fabricants et jugés pour coalition. En 1834, il passe lui-même en jugement pour un article très virulent contre un tribunal qui a sévèrement condamné un jeune étudiant. Un mois plus tard, en avril, il est l’un des défenseurs de six mutuellistes arrêtés lors d’une grève générale, mais le procès est interrompu par l’insurrection ouvrière. L’année suivante, il s’installe dans la capitale, où il assure la défense des insurgés. Lors de la révolution de février 1848, il devient le secrétaire général de Ledru-Rollin, ministre de l’Intérieur, avant d’être élu député à l’Assemblée constituante. Devenu l’un des dirigeants de l’opposition à Louis Napoléon Bonaparte, il doit se cacher après le coup d’État du 2 décembre 1851. À nouveau élu député en 1857, il prend la tête des « Cinq », noyau d’opposants républicains, et intervient notamment contre les expéditions d’Italie et du Mexique. Lors des élections législatives de 1869, il doit faire face dans le département de la Seine à des candidatures plus radicales, comme celle de Rochefort, et remporte plus difficilement la victoire. Hostile à la guerre avec la Prusse en juillet 1870, il demande l’armement de la Garde nationale après les premières défaites. À l’annonce du désastre de Sedan, il dépose une proposition de déchéance mais, le 4 septembre, le Palais-Bourbon est envahi avant le vote. Conduisant la foule à l’Hôtel de Ville pour y proclamer la République, Favre constitue le gouvernement de la Défense nationale avec les autres députés de la Seine. En tant que ministre des Affaires étrangères, il tente d’abord, à Ferrières (20 septembre), de concilier fermeté et diplomatie avec Bismarck. Mais il est finalement contraint d’accepter les conditions de la Prusse à la signature de la convention d’armistice (28 janvier 1871), lors des préliminaires de paix (26 février) et, enfin, à la signature du traité définitif à Francfort (10 mai). Démissionnaire trois mois plus tard, Favre siège à nouveau à l’Assemblée jusqu’au vote des lois constitutionnelles, puis est élu sénateur (1876). fédéralisme, nom donné par la Montagne aux soulèvements contre la Convention montagnarde qui éclatent dans plusieurs départements entre juin et octobre 1793. Nombre d’interrogations subsistent à propos de ce mouvement insurrectionnel, qui, loin de former un bloc, a des origines et des significations multiples. Aussi est-il plus juste de parler des fédéralismes. L’accusation de « fé-
déralisme » portée contre les girondins par la Montagne, et présentée comme un complot contre l’unité et l’indivisibilité de la jeune République qui vise à restaurer la royauté, s’inscrit en fait dans la lutte des partis pour le pouvoir. En effet, il n’existe ni projet ni conspiration tendant à provoquer des sécessions, et les girondins ne sont pas hostiles au centralisme jacobin. Mais il est vrai qu’au lendemain des journées des 31 mai-2 juin 1793, qui voient la chute de la Gironde, ceux des députés girondins qui échappent à l’arrestation appellent les départements à s’insurger contre la Convention, coupable à leurs yeux d’un coup de force contre des représentants du peuple et prisonnière du mouvement populaire parisien. On compte cinq principaux foyers d’insurrection : Caen, où se sont réfugiés des députés girondins, Bordeaux, Marseille, Lyon et Toulon. Dans les deux premières villes, le soulèvement est une réponse directe aux événements du 2 juin 1793. Mais, ailleurs, il est à la fois le fait de républicains modérés, hostiles aux montagnards, et d’extrémistes partisans de la démocratie directe, souvent infiltrés et relayés par des royalistes. D’anciens conflits politiques, sociaux ou religieux se greffent donc sur un mouvement où domine toutefois une hostilité envers la capitale, réputée autoritaire et subjuguée par les « anarchistes ». Les révoltés rencontrent souvent des difficultés pour lever des armées départementales. Une partie de la Provence se soulève, mais la jonction avec la région lyonnaise est empêchée par la Drôme, restée fidèle à la Convention. De même, malgré la révolte de Montpellier, Toulouse ou Montauban font obstacle à tout rapprochement entre les insurgés marseillais et bordelais. Les troupes « fédéralistes » de Normandie sont battues dès le 13 juillet ; en Provence, les villes tombent une à une de juillet à août. Lyon capitule le 9 octobre, après un siège de deux mois, et Bordeaux, qui refuse de se joindre à la Vendée, se rend le 16 octobre. L’insurrection, déjà vaincue lorsque Toulon, ville royaliste, est reprise le 19 décembre, est suivie d’une répression féroce, notamment à Lyon. Cette guerre civile, qui s’est ajoutée aux défaites militaires et au soulèvement vendéen, condamne à mort les principaux chefs girondins : le 31 octobre 1793, vingt et un d’entre eux sont exécutés. fédération, pendant la Révolution, union des « citoyens militaires » de villes, puis de provinces voisines, constituée dans le but de
se porter réciproquement secours face à des ennemis intérieurs ou extérieurs. Dès l’été 1789, les nouvelles municipalités concluent des pactes d’entraide avec leurs Gardes nationales. Ces réseaux de solidarité se multiplient de l’automne 1789 au printemps 1790. Naît alors le projet de couronner ces « pactes fédératifs » par une Fédération nationale qui doit se réunir au Champ-de-Mars, le 14 juillet 1790. Les fédérations sont l’expression du projet politique qui anime les fédérés. Il s’agit de démontrer que la citoyenneté révolutionnaire est indissociable de la prise d’armes, capable d’en défendre les valeurs. Des phalanges sont formées pour « resserrer les liens de l’amitié fraternelle », « maintenir les droits de l’homme et du citoyen », « soutenir la nouvelle Constitution du royaume ». La liberté est présentée comme la « base de la félicité des nations ». La formule « Vivre libre ou mourir » révèle la dimension sacrée du pacte. Des cérémonies sont organisées pour manifester cette sacralité : sur l’autel de la Patrie, les fédérés prêtent serment « à la nation, à la loi et au roi », mais aussi à l’amitié ; les ennemis de la Révolution sont déclarés « ennemis irréconciliables de Dieu, de la nature et des hommes » ; des messes sont célébrées en plein champ devant des centaines, voire des milliers, de spectateurs. Toutefois, la fête de la Fédération du 14 juillet 1790, par son caractère commémoratif, occulte le ressort révolutionnaire du mouvement fédératif. Cet esprit politique réapparaît toutefois, dans toute sa force, du 20 juin au 10 août 1792. Vingt mille fédérés viennent alors défendre Paris en affirmant à nouveau : « La liberté ou la mort ! » Fédération (fête de la), première grande fête révolutionnaire, célébrée à Paris le 14 juillet 1790. Décrétée en juin 1790 par la Constituante, la Fédération nationale hérite, en apparence, du mouvement des fédérations provinciales. Cependant, la grandiose fête parisienne n’a plus rien de commun avec ces pactes défensifs, nés de la peur, qu’étaient les fédérations. Commémorative davantage que révolutionnaire, elle est conçue comme un spectacle visant à célébrer le début d’une ère nouvelle (la prise de la Bastille) et la fin de la Révolution, mais aussi à démontrer l’unanimité des Français et de leur roi. downloadModeText.vue.download 339 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 328 Dans l’immense espace quadrangulaire aménagé au Champ-de-Mars, le trône royal est placé à une extrémité et un arc de triomphe, à l’autre. 50 000 délégués des Gardes nationales et des troupes de ligne de tout le pays, formant un cortège civique et militaire, défilent devant quelque 400 000 personnes pressées sur les gradins. Puis, sur l’autel de la patrie élevé au centre, Talleyrand, évêque d’Autun, dit une messe, assisté par 300 prêtres. Enfin, au nom de toutes les Gardes nationales, La Fayette prête serment de fidélité « à la nation, à la loi et au roi », avant que les députés de la Constituante et Louis XVI ne prêtent serment à leur tour. Malgré la pluie, le peu d’enthousiasme de la part du roi, l’austérité et la longueur du spectacle, la fête laisse un souvenir durable. Cependant, l’unanimité nationale, que symbolisent peut-être davantage les fêtes qui se déroulent simultanément en province, n’est qu’illusion. En effet, les notables, principaux acteurs d’une cérémonie qui exclut l’aristocratie et le peuple, souhaiteraient ignorer les antagonismes. Ceuxci sont pourtant manifestes, ainsi que l’illustrent les tensions de la fête de 1791, suivie de la fusillade du Champ-de-Mars (17 juillet), et de celle de 1792, précédant d’un mois la chute de la monarchie. Fédération nationale catholique, organisation catholique créée en 1925. Le Cartel des gauches, vainqueur des élections de 1924, ayant fait campagne sur la suppression de l’ambassade auprès du Saint-Siège et la stricte application des lois républicaines, notamment en matière de congrégations, les catholiques craignent un renouveau de l’anticléricalisme. Un vaste mouvement de protestation s’organise alors, coiffé par la Fédération nationale catholique (FNC), qui tient sa première assemblée générale le 18 février 1925. L’action de masse - pétitions, rassemblements de dizaines de milliers de citoyens - aboutit au recul des gouvernements « cartellistes ». Mais l’action de la FNC, présidée par le général de Castelnau, ne cesse pas pour autant : alors que la querelle relative aux lois laïques s’apaise, la FNC contribue à limiter l’influence de l’Action française sur la frange nationaliste de l’opinion catholique. Toutefois, dans les années trente, elle reste cantonnée dans un rôle de défense religieuse dont l’importance décroît avec l’amélioration des relations entre l’Église et la République, et n’occupe plus la même place dans le militantisme catholique.
Les organisations spécialisées, tels les mouvements de jeunesse, sont plus soucieuses d’apostolat que d’action politique ; l’essor du Parti démocrate populaire, très critique à l’égard du nationalisme et du conservatisme social des dirigeants de la FNC, provoque de fréquentes tensions entre Castelnau et les catholiques démocrates et européens qui dirigent cette formation. Cette tendance militante va l’emporter après la Seconde Guerre mondiale, à laquelle la FNC ne survit pas. Fédération républicaine, formation politique créée en 1903, dont l’activité a cessé définitivement après 1948. Elle regroupe, à l’origine, les républicains « progressistes » qui ont refusé d’entrer dans le Bloc des gauches. Formée de vieux parlementaires libéraux (Jules Méline) et de représentants des milieux d’affaires, elle incarne avant 1914 une droite républicaine, modérée en matière religieuse, favorable au libéralisme économique, prompte à la surenchère patriotique. Réorganisé dans l’après-guerre, passé en 1925 sous la présidence de Louis Marin, le parti adopte une orientation nettement conservatrice du fait de l’arrivée de catholiques ralliés, soucieux de renforcer les cellules de base de la société, la famille et le métier. Marin tente par ailleurs de faire du nationalisme intransigeant le ciment de sa formation, en s’opposant à la politique d’apaisement défendue par Briand pendant les années vingt ; cela contribue à le marginaliser dans les majorités d’Union nationale (1926-1928) et à dominante modérée (1928-1932), avant de provoquer des divergences qui aboutissent à l’éclatement de son groupe parlementaire. Pendant la crise des années trente, la Fédération, menacée par la concurrence des Ligues et, surtout, après 1936, par l’apparition de partis incarnant une droite autoritaire et conservatrice, tel le Parti social français, durcit son discours politique et social. Mais la politique extérieure la divise à nouveau : hésitant entre sa germanophobie traditionnelle et son anticommunisme virulent, elle ne parvient pas à définir une ligne claire. Pendant la guerre, certains de ses dirigeants se rallient au régime de Vichy, d’autres inclinent vers la Résistance, ce qui achève de la disloquer. Fédérés (mur des), mur clôturant au sud-est le cimetière du Père-Lachaise, au pied duquel furent fusillés, le 27 mai 1871, les survivants d’une des ultimes batailles de la Commune.
Le 27 mai 1871, la Commune de Paris agonise. Les versaillais attaquent le cimetière du Père-Lachaise, l’un des derniers points d’appui de celle-ci, et s’en rendent maîtres après de durs combats. Exaspérés par la résistance rencontrée, ils fusillent immédiatement les derniers survivants. Malgré l’existence d’autres nécropoles et de combats ultérieurs le 28 mai, cet épisode a donné naissance à « un lieu de mémoire » privilégié des militants de la Commune, analysé par Madeleine Rebérioux dans les Lieux de mémoire (tome I, la République). Le mur des Fédérés est devenu emblématique grâce à des poèmes, en particulier ceux d’Eugène Pottier, auteur des paroles de l’Internationale, qui institua le rite du pèlerinage annuel, grâce aussi aux représentations telles que le Triomphe de l’Ordre (1880), de Pichio. Lorsque les premières manifestations du souvenir s’organisent en 1880, au lendemain de l’amnistie, la presse militante propose de se réunir près de la fosse commune où sont enterrés les fusillés du Père-Lachaise et d’autres victimes de la répression. La verticalité du mur, image de la lutte, est désormais associée à la fosse commune, image de la mort. Les manifestations de 1880 et de 1885 sont sévèrement réprimées. Mais, dans l’intervalle, la police républicaine tolère des rassemblements pacifiques au cimetière, avec prises de parole dès 1882 et port de drapeaux rouges - qui sont interdits ailleurs. Après 1893 et la nomination du préfet de police Louis Lépine, des mesures restrictives sont prises, qui ne seront levées qu’en 1908 : interdiction des prises de parole, fractionnement des cortèges. Ce durcissement est sans doute imputable à la crainte qu’inspirent les socialistes après leur percée aux élections législatives d’août 1893 et à un glissement vers la droite de la majorité gouvernementale. Le mur des Fédérés joue à l’origine un rôle de réconciliation entre les fractions rivales du socialisme français. Mais, bientôt, il exacerbe les oppositions, par exemple entre socialistes nationalistes fidèles à Rochefort, l’ancien communard passé dans le camp de la droite nationaliste, et militants de la IIe Internationale. À partir de 1908, c’est la SFIO qui prend le contrôle de la manifestation. À l’heure où les rangs des anciens combattants de la Commune s’éclaircissent, la fonction politique du pèlerinage l’emporte désormais sur la manifestation de deuil. Après la scission de Tours (1920), le Parti
communiste prend le relais de la SFIO, aisément supplantée grâce à un discours plus révolutionnaire et à des mots d’ordre plus concrets. La légitimité de la mémoire communiste est encore renforcée par la Résistance, et le souvenir des martyrs des camps, matérialisé par des monuments voisins du mur, prolonge celui des morts anonymes de la « semaine sanglante ». Mais le mur est aussi, à l’occasion, le lieu de rassemblement unitaires impressionnants, au moment du Front Populaire ou à la Libération. La déprolétarisation de Paris et la pratique du week-end, tout comme l’éclatement des forces politiques et syndicales, ont considérablement affaibli la capacité mobilisatrice du mur à partir des années cinquante, comme l’a illustré la célébration du centenaire de la Commune, organisée dans la dispersion. Le mur des Fédérés a été classé monument historique en 1983. fédérés (peuples), peuples barbares ayant passé un traité (foedus) avec les autorités romaines dans le cadre de la défense de l’Empire. Au IVe siècle, dans le contexte de la restructuration militaire mise en oeuvre après les invasions du IIIe siècle, Rome permet à quelques tribus barbares de s’installer à l’intérieur des frontières (limes) de l’Empire. Sous le haut commandement d’officiers romains, ces tribus doivent lutter contre les intrusions d’autres Barbares. En échange, elles reçoivent une solde, des subsides, des terres prélevées sur le fisc (domaine impérial), et peuvent être régies par leurs propres lois. Les Francs Rhénans sont ainsi cantonnés dans la moyenne vallée du Rhin, et les Francs Saliens, dans la province de Belgique, entre la Somme et le Rhin. Au Ve siècle, l’effondrement de l’Empire entraîne un nouvel essor du système des fédérés, destiné à perpétuer, du moins théoriquement, la reconnaissance de l’autorité romaine en Occident, et notamment en Gaule. Cependant, ce sont des peuples entiers qui s’installent désormais à l’intérieur des terres : en 418, les Wisigoths obtiennent le statut de fédérés et doivent combattre les bagaudes en Aquitaine. En 443, les Burgondes sont autoridownloadModeText.vue.download 340 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 329
sés à demeurer dans le Jura, en Genevois et en Lyonnais. La mort du dernier empereur d’Occident, en 476, achève de ruiner la fiction du maintien de l’autorité romaine : les peuples fédérés se transforment alors en royaumes romano-barbares. fédérés de 1792, gardes nationaux de province, qui participent à la prise des Tuileries le 10 août 1792. Le 8 juin 1792, dans un contexte de défaites militaires françaises et de radicalisation politique, la Législative, « considérant qu’il est avantageux de resserrer les liens de fraternité qui unissent les Gardes nationales de tous les autres départements avec celle de Paris », décrète que 20 000 gardes nationaux se réuniront à Paris le 14 juillet. Cette force révolutionnaire est destinée à protéger la capitale. Mais le roi met son veto à ce décret et persiste dans son refus malgré la journée du 20 juin. Le 2 juillet, l’Assemblée passe outre et autorise les fédérés à se rendre à Paris pour y célébrer le 14 Juillet. Dans une atmosphère exaltée de mobilisation nationale, les fédérés affluent vers la capitale. Sur leur chemin, les Marseillais, qui, avec les Bretons, forment les plus gros bataillons, popularisent le Chant de guerre pour l’armée du Rhin, auquel on donne alors le nom de « Marseillaise ». Le 17 juillet, les fédérés arrivés à Paris (les Bretons et Marseillais n’y entreront que les 25 et 30 juillet) présentent à l’Assemblée la première pétition, rédigée par Robespierre, demandant la déchéance du roi. Puis, unis aux sections et à la Garde nationale parisiennes, les fédérés, notamment brestois et marseillais, jouent un rôle prépondérant dans la préparation et le déroulement de l’insurrection du 10 août, lui donnant symboliquement son caractère « national ». féminisme. Quand, en 1882, Hubertine Auclert, suffragette avant l’heure, utilise l’adjectif « féministe » pour désigner ceux qui se battent à ses côtés, elle lui attribue un sens nouveau, qu’il a conservé depuis. Ce terme et le substantif correspondant désignent alors le courant de pensée qui postule l’égalité entre hommes et femmes, et réclame le respect de ce principe dans des domaines plus ou moins étendus. L’emploi rétrospectif de « féministe » est aujourd’hui discuté. Toujours est-il que, depuis l’Antiquité, la polémique est engagée à propos de la nature féminine et des rôles que chacun des sexes doit jouer dans la société. L’idée d’égalité des sexes a déjà ses défenseurs au début du
XVe siècle, avec Christine de Pisan, femme de lettres qui s’oppose aux auteurs du Roman de la Rosele Deuxième Sexe (1949), de Simone de Beauvoir. La libération de toutes les entraves à l’épanouissement individuel, y compris de celles qui pèsent sur la sexualité féminine, est à l’ordre du jour. Les droits à l’avortement et à la contraception, la dénonciation du viol comme crime, comptent parmi les principaux acquis. La critique féministe, qui s’attache à dénoncer les effets du sexisme dans la société française, se porte aujourd’hui plus nettement sur la vie politique. FEN (Fédération de l’Éducation nationale), organisation regroupant plusieurs syndicats enseignants, qui succède, en 1946, à la Fédération générale de l’enseignement. Elle défend l’école républicaine et la laïcité, et syndique enseignants, ainsi que personnels administratifs et techniques de l’Éducation nationale. Membre de la CGT, elle acquiert son indépendance lors de la scission syndicale de 1948, mais accepte en son sein des tendances organisées : le Syndicat national des instituteurs (SNI), dominé par Unité, indépendance et démocratie (UID), est proche des socialistes ; le Syndicat national des enseignants du second degré (SNES) et le SNESup (enseignants du supérieur), dirigés après 1967 par Unité et Action (UA), sont proches des communistes ; quant à la sensibilité trotskiste et syndicaliste révolutionnaire, elle s’exprime dans École émancipée. À ces courants s’ajoutent des rivalités entre professeurs et instituteurs, qui s’opposent sur la politique salariale ou sur la pédagogie. UID, maîtresse du SNI, syndicat le plus nombreux, contrôle la direction de la Fédération. Partenaire des pouvoirs publics, la FEN négocie la politique contractuelle, s’appuyant sur la Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN), et soutenant la Fédération des conseils de parents d’Élèves (FCPE). Après l’arrivée de la gauche au pouvoir, Alain Savary, ministre de l’Éducation nationale, applique une politique de rigueur salariale, et retire, en 1984, son projet de service public unifié, défendu par la FEN. Au même moment, l’augmentation du nombre des professeurs, liée à l’objectif d’amener 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat, accroît les possibilités de syndicalisation du SNES, le SNI risquant de perdre la direction de la FEN. La rivalité syndicale se fait plus âpre. Le secrétaire général de la FEN propose un corps enseignant unifié, de la maternelle à la terminale, pour étoffer la « clientèle » du SNI et enrayer
la progression du SNES, mais c’est un échec, tout comme la revalorisation salariale. La seule réussite, la création des Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), qui forment professeurs et instituteurs, ne suffit pas à faire taire les critiques du SNES. En 1992, le nouveau secrétaire général, Guy Le Néouannic, précipite la crise : le SNES est exclu de la FEN avec le SNEP (éducation physique), et fonde la Fédération syndicales unitaire (FSU), tandis que le SNI modifie ses statuts pour pouvoir syndiquer tous les enseignants. En 1994, la FEN, qui comptait 550 000 adhérents en 1978, ne réunit plus que 220 000 membres ; elle n’a pas réussi à s’implanter auprès des professeurs de lycée. L’unité syndicale des enseignants a vécu ; elle ne constitue plus un enjeu politique. En 2000, elle devient l’UNSAÉducation, rejoignant ainsi une structure de syndicats autonomes interprofessionnels. Fénelon (François de Salignac de La Mothe), archevêque et écrivain (château de Fénelon, Périgord, 1651 - Cambrai 1715). D’ascendance aristocratique ancienne, Fénelon trouve dans sa famille des appuis qui permettront à sa vocation sacerdotale de se doubler d’une carrière ecclésiastique. • L’ascension. Fénelon étudie auprès de son oncle, l’évêque de Sarlat, qui fait de lui un chanoine de sa cathédrale (1671), et lui confère le sacrement de l’ordre (1677). Un autre oncle, marquis, lui assure à Paris un premier réseau de relations mondaines et dévotes. Pendant trois ans, Fénelon exerce le ministère paroissial à Saint-Sulpice, puis est nommé, en 1679, supérieur des Nouvelles Catholiques, congrégation fondée pour conduire de jeunes protestantes à la foi catholique. Il participe d’ailleurs directement, après la révocation de l’édit de Nantes (1685), à l’entreprise de conversion des réformés ; son refus de la contrainte et la « douceur » de sa prédication lui valent de notables succès. Dans ces mêmes années 1680, l’abbé Fénelon, déférent ami de Bossuet, devient directeur de conscience des gendres de Colbert, les ducs de Beauvillier et de Chevreuse. C’est à l’intention de Mme de Beauvillier qu’il écrit son traité De l’éducation des filles (1687), où un ton nouveau se fait entendre : « Laissez donc jouer un enfant, et mêlez l’instruction avec le plaisir ; que la sagesse ne se montre à lui que par intervalles et avec un visage riant. » Soutenu par les cercles dévots de la cour, notamment par Mme de Maintenon, Fénelon est choisi en 1689 pour être le précepteur du duc de Bourgogne, petitfils de Louis XIV et fils du Grand Dauphin.
Son ascension culmine avec sa nomination, en 1695, à l’archevêché de Cambrai. Mais la rupture s’annonce. • La disgrâce. Fénelon est hostile à la politique guerrière du roi, qui plonge le pays dans la misère (Lettre à Louis XIV, 1693), et, surtout, il éveille la suspicion de Mme de Maintenon et de Bossuet, en raison de l’aval qu’il donne aux thèses de Jeanne Guyon. Celleci, apôtre - aventurière, peut-être - de la vie mystique, prône une oraison de quiétude, dans laquelle on « repose » passivement en Dieu : une telle attitude ne risque-t-elle pas de détourner le chrétien de l’effort personnel nécessaire à sa vie morale et spirituelle ? Pour Bossuet, elle paraît, en tout cas, renouveler l’hérésie du quiétisme, récemment condamnée par le Saint-Siège. Fénelon a beau se justifier, le roi prend le parti de Bossuet : l’archevêque de Cambrai doit se retirer dans son diocèse. Une réprobation pontificale, aussi légère que possible, l’y atteint en 1699, l’année même où commence à paraître l’ouvrage qui lui vaudra la gloire en même temps que la perpétuation de son exil, les Aventures de Télémaque. Ce chef-d’oeuvre du roman d’apprentissage, écrit des années auparavant pour le duc de Bourgogne, fait parcourir la Méditerranée antique au fils d’Ulysse, pour son éducation politique, morale et religieuse. Jusqu’en 1914, Télémaque sera l’un des ouvrages les plus lus de toute la littérature. Dans son diocèse, pourtant, Fénelon ne songe à rien moins qu’à une carrière littéraire. Il est accaparé par ses tâches pastorales et par ses projets de réforme politique (Tables de Chaulnes, 1711), qui vont dans le sens d’un « socialisme » agrarien imposé par une aristocratie chrétienne, elle-même présidée par le roi. Mais le duc de Bourgogne, sensible aux idées de son ancien précepteur, meurt en 1712, avant d’avoir pu accéder au trône. Fénelon décède trois ans plus tard, après avoir employé ses dernières forces à lutdownloadModeText.vue.download 341 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 330 ter contre le jansénisme et à rédiger son testament littéraire sous la forme d’une Lettre à l’Académie (1714) consacrée à la rhétorique et à la poétique. Empêché par la disgrâce de donner sa pleine mesure, Fénelon a remporté une double victoire posthume : auprès des philosophes du XVIIIe siècle, qui ont considéré
ce pacifiste brimé par l’absolutisme comme l’un de leurs prédécesseurs, et auprès des historiens de la spiritualité, qui estiment que sa condamnation a jeté pour deux siècles la suspicion sur la mystique, au profit d’une conception moralisatrice de la religion. l FÉODALITÉ. Phénomène complexe, qui ne se limite pas au système juridique du fief, la féodalité est un aspect majeur de la France médiévale : elle concerne les institutions et les structures politiques, autant que l’état de la société et de l’économie. Si les révolutionnaires de 1789 ont fait de cette notion l’emblème d’un ordre archaïque, dont la destruction, à leurs yeux, s’imposait, les historiens contemporains sont de plus en plus sensibles aux rapports subtils qu’ont entretenus au fil des siècles féodalité et développement du pouvoir central. Au sens strict, le terme « féodalité » désigne une réalité d’ordre juridique : un ensemble d’institutions régissant les liens réels établis entre deux hommes libres - le seigneur et son vassal - et impliquant des devoirs et des services réciproques. Ces obligations sont définies dans un contrat souligné par des rites publics (hommage, serment, investiture), la remise au vassal par son seigneur d’un bien, à l’origine temporaire, appelé « fief », étant destinée à permettre au vassal d’accomplir ces services. Au-delà de cette définition juridique, le mot féodalité évoque souvent un type de société. Pour les historiens marxistes, qui utilisent plutôt la notion de « féodalisme », la féodalité constitue un stade d’organisation économique et sociale intermédiaire entre l’esclavagisme et le capitalisme, les modes de production et d’exploitation des hommes mis en place entre le IXe et le XIIIe siècle ayant perduré, dans certains de leurs aspects, jusqu’à l’époque moderne. Pour comprendre les caractéristiques de la féodalité, on étudiera les éléments historiques ayant conduit à l’émergence d’un « régime féodal ». On considère souvent que ce régime, caractérisé par la généralisation des liens d’homme à homme, est venu se substituer, dans une période marquée par la domination des « seigneurs » et de leurs chevaliers, à un État et à un service public défaillants ou inexistants. Pourtant, l’émergence des seigneuries et la formation d’une classe dominante pourvue de privilèges - la noblesse - sont liées à des conditions économiques, sociales et politiques au sein desquelles les institutions féodo-vassaliques ne sont qu’un élément, dont il ne faut sans doute
pas exagérer l’importance. CONDITIONS D’APPARITION DE LA « FÉODALITÉ » Dès l’Antiquité tardive apparaît le phénomène de la recommandation, que l’on retrouvera, à un niveau plus élevé, dans la féodalité : pour faire face à l’insécurité de ces temps troublés par les invasions germaniques et par les tensions sociales, des paysans libres se mettent sous la protection et le patronage des grands propriétaires terriens, lesquels, par ce moyen, se constituent des clientèles de dépendants. La disparition de l’Empire romain et l’apparition des royautés « barbares » entraînent, surtout dans la France du Nord, le développement des relations privées, d’homme à homme, comme système de gestion et de transmission du pouvoir. En fait, cette forme de gouvernement monarchique dérive à la fois de la conception germanique du roi - chef de guerre auquel ses guerriers ont juré fidélité et de la conception d’origine romaine d’un service public qui confère à celui qui gouverne le statut de garant de l’ordre, du droit et de la justice. Le roi (plus tard l’empereur) délègue l’exercice de ces fonctions à des personnages qu’il nomme et qui jouent le rôle de véritables fonctionnaires : ce sont les comtes et les évêques, issus des aristocraties galloromaine et franque. Dans une société essentiellement rurale, la rémunération de ces fonctions est principalement foncière. Par ailleurs, pour se concilier l’appui des aristocraties locales, les rois achètent, en quelque sorte, la fidélité de ces aristocraties en leur attribuant à titre de bienfait (beneficium, « bénéfice ») des terres du fisc (c’est-à-dire, les domaines de l’ancien Empire romain). Cette société rurale est également guerrière : les rois, mais aussi les grands, sont entourés de leurs dépendants armés (« clientes », « satellites »), hommes libres qu’ils font vivre et dont ils rémunèrent les services par la concession d’un revenu appelé lui aussi « bienfait » ou « bénéfice ». Il s’agit généralement d’une tenure, d’une terre, remise à ces guerriers qui deviennent leurs vassaux (du latin vassus, ou vassallus, « subalterne »). À la fin de l’ère mérovingienne, Charles Martel, premier des aristocrates, maire du palais et vainqueur des Arabes à Poitiers (732), accentue ce phénomène. Pour s’assurer la fidélité des grands dans sa conquête du pouvoir, et disposer ainsi de leurs guerriers, il généralise la vassalité au sein de l’aristocratie et distribue à ces vassaux des terres confis-
quées à l’Église, qui est à l’époque le plus riche propriétaire terrien. Toutefois, pour ne pas spolier totalement l’Église, trop puissante et utile, il lui laisse la « nue propriété » de ces terres, dont il concède seulement l’usage (sorte d’usufruit) en bénéfice à ses vassaux. Cette pratique aurait ainsi généralisé l’union de la vassalité et du bénéfice, multiplié le nombre des vassaux et élevé leur niveau social à l’époque carolingienne, en particulier sous le règne de Charlemagne. LA VASSALITÉ CAROLINGIENNE Charlemagne s’est heurté au difficile problème de l’administration de son vaste Empire. Pour y assurer l’ordre, la justice, la levée des impôts, il nomme plus de trois cents comtes et évêques, et encourage le système des relations vassaliques, renforcé par le serment de fidélité qu’il exige de tous les hommes libres de l’Empire. Après sa mort, celui-ci est partagé, l’autorité centrale décroît et les grands vassaux - comtes et évêques - parviennent à rendre héréditaires d’abord les charges « publiques », puis les bénéfices qui en étaient primitivement la rémunération. Ainsi, les institutions vassaliques, au lieu de renforcer le pouvoir central, contribuent à l’affaiblir. Cet affaiblissement, accru par l’insécurité que font peser sur la France de nouvelles vagues d’invasions (Hongrois à l’est, Sarrasins au sud, Normands le long des fleuves), conduit, au début du Xe siècle, à la formation des grandes principautés territoriales, moins difficiles à gérer et à protéger : les duchés (par exemple, Aquitaine, Bourgogne, Normandie, celle-ci étant concédée aux Vikings en 911 pour transformer, avec succès, ces pillards en sédentaires). La haute aristocratie locale est alors assez puissante pour imposer le principe de l’élection royale, qui supplante celui de l’hérédité de la couronne. Le principe monarchique n’est pas remis en cause, mais la fonction royale a davantage un caractère quasi religieux que politique. Comme tous les autres grands, le roi n’exerce directement son pouvoir politique réel que sur son propre domaine. En 987, les grands choisissent pour roi Hugues Capet, descendant d’une lignée illustre, mais qui est loin d’être le prince le plus puissant du royaume. Ce choix résulte peut-être de sa relative faiblesse. DE LA VASSALITÉ À LA FÉODALITÉ ? L’époque de la fin des Carolingiens et des débuts des Capétiens (fin IXe-début Xe siècle)
voit une désagrégation du pouvoir central qui conduit à ce que l’on a souvent appelé la féodalité, voire l’anarchie féodale. Même si les Capétiens rétablissent la transmission héréditaire de la couronne, le renforcement des liens personnels, fondés sur la vassalité et le bénéfice, profite en effet aux vassaux, qui les utilisent à leur profit et tendent à se rendre indépendants. Le bénéfice (que l’on nommera « fief » à la fin du XIe siècle) n’est plus perçu comme la rémunération d’une fonction devenue héréditaire depuis le milieu du IXe siècle et impliquant des services, surtout militaires, mais bien comme la cause et la condition de la fidélité, symbolisée par l’hommage vassalique ; l’élément matériel (le bénéfice, le fief) l’emporte sur l’élément personnel (la vassalité, qui implique fidélité et subordination), non seulement en importance, mais dans la structure même de la pensée. En d’autres termes, un vassal ne reçoit plus un bénéfice parce qu’il est entré en dépendance en prêtant hommage et serment de fidélité à son seigneur ; par un renversement de l’ordre des termes, il prête hommage parce qu’il tient d’un seigneur un bénéfice désormais intégré dans le patrimoine familial. Cette conception mène à la pluralité des hommages, négation même de l’idée originelle de la vassalité. Un même homme peut alors devenir l’homme d’un seigneur pour un domaine que celui-ci lui a concédé et l’homme d’un autre seigneur (ou de plusieurs) pour d’autres domaines. Ainsi se forment des réseaux compliqués et enchevêtrés de subordinations théoriques qu’il est bien difficile de démêler, et qui permettent souvent aux vassaux de se soustraire à leurs obligations ou de choisir leurs engagements selon leurs propres intérêts, par exemple en cas de conflit entre deux de leurs seigneurs. downloadModeText.vue.download 342 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 331 Cette multiplication des liens dits « féodaux » a longtemps fait croire que la France entière était alors enserrée dans ce type de rapports et que toutes les terres, ou presque, étaient soumises à ce régime féodal. On y voyait l’origine de l’adage « pas de seigneur sans terre, pas de terre sans seigneur ». C’est en vertu de ces liens dus à la féodalité que, pensait-on, les terres étaient passées aux mains des seigneurs « féodaux », qui maintenaient leurs tenanciers paysans (auxquels ils avaient à leur tour concédé une partie de leur domaine en tenures, moyennant redevances
en espèce et en nature, taxes, corvées et droits divers) dans une soumission très rude, totalement arbitraire. Ce schéma trop radical doit être fortement nuancé. LE TEMPS DES CHÂTELLENIES Il n’en reste pas moins vrai que les Xe et XIe siècles connaissent un nouvel émiettement de l’autorité publique ; les grandes principautés territoriales doivent à leur tour accorder une assez large autonomie à des circonscriptions plus petites, détenues par des « comtes d’un seul comté » puis, plus tard (XIe siècle), aux châtelains. Ces derniers sont d’abord des subordonnés que les grands investissent de la garde d’une ou plusieurs de leurs forteresses, signes et sièges de leur autorité et de la fonction « publique » qu’ils exercent. Au XIe siècle, véritable époque des châtellenies, les châtelains, ou sires, sont omniprésents. Ils s’entourent de guerriers, les milites (vassaux, au sens large du terme), entretenus au château, ou chasés, c’est-à-dire pourvus d’un revenu (terre, moulin, église, biens divers, voire rente) suffisant pour permettre d’acquérir et d’entretenir monture et équipement. Ainsi naît la chevalerie, qui marquera profondément de son empreinte la civilisation médiévale en Occident. On a longtemps considéré qu’à cette époque (XIe et XIIe siècles) s’était mise en place ce que l’on appelait la « féodalité classique », dans laquelle on voyait un système de gouvernement hiérarchisé, sorte de « pyramide féodale » aboutissant au roi. On sait maintenant que cette structure pyramidale est davantage une vue de l’esprit qu’une réalité. DE LA FÉODALITÉ À LA MONARCHIE ABSOLUE En fait, l’essor des châtellenies entraîne, non pas une anarchie, mais une concentration des pouvoirs entre les mains des châtelains. Les rois capétiens Philippe Ier (1060/1108) et, surtout, Louis VI le Gros (1108/1137) luttent contre cette parcellisation de l’autorité publique. Ainsi, ils interviennent d’abord militairement, au nom de la justice et de la défense des églises (conformément au serment du sacre royal), contre les seigneurs plus ou moins pillards de leur propre domaine, puis du royaume. Ils utilisent ensuite à leur tour le « droit féodal » - qui, à l’instigation des juristes, s’élabore seulement à cette époque - pour en faire un instrument de gouvernement et pour justifier des interventions juridiques (saisine de fiefs de vassaux défaillants) ou militaires (conquêtes des fiefs de vassaux infidèles ou révoltés). Le roi apparaît alors comme un suzerain dans son royaume ; tous les grands féodaux sont ses
vassaux pour les terres qu’ils y détiennent, luimême n’étant le vassal de personne. C’est particulièrement le cas sous le règne de Philippe Auguste (1180/1223), et sous celui de Saint Louis (1226/1270), que l’on considère comme le type même du souverain « féodal » et qui passait en son temps pour incarner la justice selon ces normes. C’est au nom du droit féodal que les Capétiens entreprennent la lutte contre l’empire des Plantagenêts et que Saint Louis conclut en 1259 le traité de Paris qui replace le Plantagenêt dans la vassalité du roi de France pour le fief que le roi d’Angleterre possède encore dans le royaume de France (Aquitaine). Avec Philippe le Bel (1285/1314), qui s’appuie sur ses légistes et sur les bourgeois pour brider l’aristocratie laïque ou ecclésiastique, l’autorité monarchique progresse davantage. La noblesse se réfugie alors dans une certaine nostalgie des temps passés en cultivant les valeurs, probablement désuètes, de la chevalerie, ainsi qu’en témoignent le succès des romans de chevalerie et la création des ordres de chevalerie. La guerre de Cent Ans est l’occasion de mutations sociales et politiques importantes, accentuant le déclin de l’indépendance de la noblesse et favorisant la montée du pouvoir monarchique centralisé, sous le règne de Charles V (1364/1380) - grâce, notamment, à la formation d’une armée permanente - et, plus encore, sous celui de Louis XI (1461/1483), roi bourgeois, « ennemi de tous grands qui se pouvaient passer de lui » (Philippe de Commynes). Cette évolution se poursuit et aboutit au centralisme de la monarchie absolue sous le règne de Louis XIV (1643/1715) qui, par les pensions honorifiques et la vie de cour, parvient, malgré la Fronde, à domestiquer « sa » noblesse. La Révolution est d’ailleurs initiée par une réaction de la noblesse, désireuse de réaffirmer et d’affermir les droits et privilèges anciens érodés par le pouvoir monarchique. Entre-temps, cependant, grâce à l’idéologie issue de ces « temps féodaux », s’était constituée la structure juridique fondamentale et permanente de la société d’Ancien Régime, fondée sur la distinction des trois ordres - clergé, noblesse et tiers état ; une structure née de ce que Georges Duby a appelé fort justement « l’imaginaire du féodalisme » et qui, d’autorité divine, attribuait aux hommes de cette société trois fonctions distinctes : prier, combattre, travailler. FÉODALITÉ ET POUVOIR CENTRAL L’historiographie contemporaine, sans bouleverser totalement le schéma traditionnel de la féodalité, lui a cependant apporté de
nombreuses retouches, en révélant que plusieurs éléments fondamentaux, longtemps considérés comme sûrs, devaient au contraire être fortement mis en doute. Ainsi, pensait-on que la féodalité était liée à la disparition de la notion de fonction publique. Or c’est en s’appuyant sur cette notion, bien plus que sur le droit foncier des fiefs, que les comtes, héritiers de cette ancienne puissance publique, et, plus tard, les châtelains, détenteurs des châteaux qui représentent le lieu d’exercice de cette puissance publique, ont pu exercer sur les populations leur autorité - au titre de la seigneurie banale, beaucoup plus que de la seigneurie foncière. C’est en effet au château que se tient la cour de justice, que s’exerce le ban, c’est-à-dire le pouvoir de coercition, droit de commander, de contraindre et de punir, ou de rassembler les guerriers, l’ost féodal. En outre, contrairement à ce que l’on croyait, la plupart des guerriers ne devaient pas le service militaire au seigneur ou au roi suzerain au titre des fiefs ou bénéfices qu’ils tenaient d’eux, mais à titre de sujet obéissant à une réquisition du pouvoir « public » représenté par le roi ou ses agents. Par ailleurs, on a pu démontrer que les liens de la féodalité ont enserré, aux XIe et XIIe siècles, beaucoup moins de terres et d’hommes qu’on ne l’imaginait. Loin d’être un ensemble de terres détenues en bénéfice ou en fief, la France des temps féodaux comptait nombre d’alleux. Les alleux, terres possédées en toute propriété (donc ne supportant aucun service de type féodal), demeurent en effet nombreux, non seulement dans le Midi - où l’on sait depuis longtemps que les rites de la féodalité s’établissent peu avant la fin du XIIe siècle –, mais aussi dans les régions que l’on considérait comme le « berceau de la féodalité », entre Seine et Meuse. On en vient aujourd’hui à se demander s’il ne faut pas considérer l’alleu comme la règle, et non l’exception. En revanche, c’est dans le Midi, où l’autorité royale se fait plus lointaine, que se développe précocement le phénomène d’émancipation des châtellenies. Ici, ce n’est donc pas la féodalité qui a affaibli le pouvoir royal, ni la faiblesse de ce pouvoir qui a conduit à la féodalité. Inversement, en Angleterre, la féodalité a été implantée d’en haut, après 1066, par un pouvoir central particulièrement fort, celui des ducs normands conquérants. Le développement de la féodalité au sens strict du terme n’est donc pas entièrement lié au déclin du pouvoir central. On s’interroge aussi sur l’ampleur du phé-
nomène féodo-vassalique, dont les rites, si souvent décrits, ne concernaient somme toute qu’un petit nombre d’hommes. Au terme d’un livre érudit et vigoureux, Robert Fossier pouvait conclure - et pas seulement sous forme de boutade - qu’au sens juridique du terme, aux XIe et XIIe siècles, « la féodalité n’existe pas ». Plus récemment encore, d’autres travaux ont renouvelé notre conception même des « temps féodaux », en soulignant combien la lecture que nous avons de la féodalité s’inspire de mentalités jacobines, qui nous conduisent à considérer comme « nécessairement bénéfique » l’existence d’un pouvoir central fort et comme un indice de « déclin de la civilisation » l’affaiblissement de ce pouvoir central au profit d’entités plus locales. En outre, en raison des difficultés administratives de l’époque, le système seigneurial (expression qu’il faut désormais préférer à système féodal) était peut-être le seul viable. Enfin, certains historiens remettent en cause la connaissance même que nous croyions avoir de la « féodalité », notion juridique qui serait née non pas aux Xe et XIe siècles, mais bien plus tard, après le XIIe siècle, au moment où les juristes ont plaqué sur les réalités de leur temps un modèle juridique abstrait élaboré à partir des relations entre l’Église et ses vassaux laïcs, et non entre princes laïcs. Dans cette perspective, qui reste à explorer, le mot « fief », si fréquent aux XIIIe downloadModeText.vue.download 343 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 332 et XIVe siècles, n’aurait plus rien de commun avec les bénéfices de l’époque carolingienne, d’autant plus que nombre de domaines désignés alors par le mot fief sont en réalité des alleux. Bien plus, la « féodalité », loin d’être le résultat du déclin du pouvoir central et de l’administration, serait au contraire le produit du renouveau de ce pouvoir central et, surtout, du développement de la bureaucratie administrative à partir du XIIe siècle. Ces remises en question montrent bien la complexité du terme « féodalité » et l’ambiguïté des notions qu’il recouvre pour les historiens. fer (âge du) ! âge du fer Fermat (Pierre de), mathématicien (Beaumont-de-Lomagne 1601 - Castres 1665). Conseiller au parlement de Toulouse, Pierre
de Fermat doit sa postérité à ses recherches en mathématiques, qu’il effectue en « amateur ». Son oeuvre, pourtant essentielle, est surtout constituée de notes éparses, en marge d’ouvrages qu’il lisait ou dans la correspondance qu’il échangeait avec Pascal et d’autres savants. Introduisant le calcul afin de résoudre des problèmes de géométrie (géométrie analytique), Fermat forge avec Descartes, en 1637, la méthode des coordonnées, telle qu’il l’expose dans sa lettre à Descartes par sa Démonstration du lieu à trois droites. Ayant eu à se pencher sur un problème proposé à Pascal par le chevalier de Méré, Fermat est l’un des inventeurs du calcul des probabilités. En 1654, il soumet sa méthode de résolution à Pascal, qui la critique ... avant de reconnaître son erreur : « La vérité [écrit-il à Fermat] est la même à Toulouse qu’à Paris. » Fermat est également l’artisan du renouveau de la théorie des nombres, domaine central des mathématiques, et c’est en cela surtout que ses travaux suscitèrent une grande curiosité. Étudiant les Arithmétiques de Diophante d’Alexandrie (qui vécut entre le IIe et le IVe siècle après J.-C.), il découvre en effet un théorème, dit « grand théorème de Fermat », selon lequel : si n = 2, l’équation xn + yn = zn est vraie ; mais, si n ≥ 3, la même équation n’a pas de solutions positives entières. Et il ajoute : « J’en ai découvert une démonstration véritablement merveilleuse que cette marge est trop étroite pour contenir. » Plusieurs générations de mathématiciens, assistés par des ordinateurs à la fin du XXe siècle, se sont évertués à démontrer cette conjecture. C’est seulement en juin 1993 que le Britannique Andrew Wiles en donne une démonstration. Cette longue quête a permis, entre-temps, un grand développement de la théorie des nombres, et Wiles a utilisé tous ces nouveaux outils pour prouver l’assertion de Fermat. Ferme générale, sous l’Ancien Régime, compagnie privilégiée chargée de la collecte des impôts indirects. L’affermage consiste à concéder par bail la perception des revenus fiscaux à des particuliers : ceux-ci en avancent le produit attendu, et se remboursent auprès des contribuables, moyennant de gros bénéfices. Le roi dispose ainsi de rentrées d’argent garanties sans avoir à se soucier des modalités de collecte ni à entretenir le personnel nécessaire, au risque d’accroître la pression fiscale.
• Un rouage essentiel du système financier. La pratique de l’adjudication des Fermes remonte aux Capétiens. Longtemps, la diversité des droits affermés en baux différents a entraîné une multiplication du nombre des fermiers généraux (appelés aussi « traitants » ou « partisans »). Mais, à partir du XVIe siècle, la monarchie s’efforce de concentrer ces baux. Les taxes des treize provinces centrales constituent, en 1584, l’ensemble des « Cinq Grosses Fermes », auxquelles Colbert ajoute en 1680 les gabelles (impôts surle sel), les aides (sur les boissons), les traites et entrées (taxes sur la circulation des denrées), et les revenus des domaines royaux. Enfin, la Ferme générale des droits du roi est établie en 1726, après l’intermède de la banqueroute de John Law. La Ferme est une compagnie de finance privée dont la concession repose sur un bail unique, valable six ans. En principe, à l’expiration du bail, la société se dissout, et de nouvelles enchères ont lieu. En réalité, l’adjudication aux enchères est une fiction : le concessionnaire officiel du bail change, mais les financiers qui le cautionnent restent souvent les mêmes. La compagnie se perpétue ainsi derrière chaque prête-nom. Le montant du bail - 80 millions de livres en 1726, 152 millions en 1774, puis 144 millions après 1780, quand les aides sont organisées en régie nationale, et les droits domaniaux, retirés de la Ferme - représente 55 % des recettes fiscales royales en 1726, et environ 45 % au milieu du siècle. Le roi exige des fermiers un cautionnement élevé - 90 millions de livres -, qui forme le capital de leur société, et est divisé en parts égales. Ces fonds, puisés dans leur fortune personnelle ou empruntés, rapportent à chaque fermier général 10 % d’intérêts sur le premier million avancé, et 6 % au-delà. S’y ajoutent une rémunération fixe de 24 000 livres, 42 000 livres pour « frais de bureau », et bien sûr les bénéfices directs de l’exploitation fiscale du pays. Globalement, les gains peuvent atteindre 35 % du capital investi. Les fermiers généraux sont 40 de 1726 à 1756, 60 voire 80 ensuite, et à nouveau une quarantaine dans les années 1780. Au total, de 1726 à 1791, on dénombre 226 fermiers, qui appartiennent à 156 familles. Issus des milieux de la finance ou de la haute administration, plus rarement du commerce ou de la banque, parisiens pour un tiers, ils constituent une sorte de haute bourgeoisie anoblie, parfois depuis plusieurs générations. Seulement 10 % d’entre eux sont des roturiers. La
réalité diffère donc de la description satirique qu’en donnent de nombreux pamphlets, et la pièce d’Alain René Lesage, Turcaret, monté en 1709, où des fils de laquais sans scrupules deviennent des financiers. Les hôtels cossus que se font construire les fermiers dans les nouveaux quartiers à la mode dans le nord-ouest de Paris attestent la solidité de leur fortune. La Ferme constitue une institution originale, entre administration publique et entreprise privée. La Compagnie des fermiers généraux est provisoire, ne durant en principe que le temps du bail, mais ses services sont permanents : à chaque nouvelle concession, les bâtiments, les bureaux et le personnel de cette quasi-administration changent simplement de propriétaires. Avec 700 employés dans ses services parisiens et une « armée » de 30 000 gabelous dans le pays, la Ferme est une organisation complexe, qui a mis en place des règles de gestion du personnel très modernes : profil de carrière, tableau d’avancement, formation et notation des employés, caisse de retraite. Même si elle n’est pas, à proprement parler, une administration d’État, ses agents présentent tous les caractères des futurs fonctionnaires. Mais l’affermage des impôts et l’injustice de la fiscalité suscitent de nombreuses critiques, qui s’exacerbent à la fin du XVIIIe siècle. Malgré la réforme de Necker, qui lui impose une tutelle renforcée en 1780, la Ferme reste très impopulaire, et ses profits exorbitants la condamnent : elle disparaît en 1791, quand la Révolution refond tout le système fiscal. fermier, locataire d’un bien rural pour une durée déterminée et moyennant le versement d’un loyer fixe (fermage). Pratique courante dès le règne de Louis IX en Soissonnais, le fermage s’impose ensuite progressivement dans les régions les plus riches. Le mouvement de « restauration rurale » né des crises des XIVe et XVe siècles fait apparaître une « aristocratie villageoise » dont le fermier représente l’une des principales figures. Le petit monde des fermiers se partage la mise en valeur des grands domaines ou seigneuries appartenant à des rentiers urbains, pour une durée de trois, six ou neuf ans, voire davantage. Ainsi, en 1507, l’abbé de Saint-Denis confie, pour vingt-cinq ans, au laboureur Lucas Pichon son manoir de Beaurain, situé dans la vallée de Chevreuse, au sud de Paris. Véritable entrepreneur, Pichon, qui exploite
plus de 60 hectares et dispose de capitaux et d’un cheptel, est donc un personnage des plus marquants de l’horizon villageois. Il représente le seigneur-abbé pour la gestion de ses biens ; il lève les dîmes, est « garde-bois » de la forêt, et possède le bail de la prison seigneuriale. Il emploie aussi la main-d’oeuvre locale, valets et saisonniers, et loue ses instruments aratoires. Dégageant des surplus, il est marchand de grains et prêteur de semences ou d’argent, alors que le monde agricole, toujours à la merci d’une mauvaise récolte, souffre d’un manque de numéraire. Formant un groupe de plus en plus fermé et différencié, les fermiers aspirent au titre de « marchands » et « laboureurs » et à l’appellation d’« honorables hommes ». Cumulant les baux, ils sont receveurs seigneuriaux, et accaparent les charges de la communauté et de la paroisse. Selon l’historien Jean-Marc Moriceau, ils « entrent en notabilité ». Tel est le cas du père de Rétif de La Bretonne, Edme, l’un des modèles du fermier sous le règne de Louis XV : exploitant aisé, il devient successivement procureur fiscal, juge seigneurial, prévôt du village, receveur de l’évêque et du chapitre d’Auxerre, enfin juge-prévôt. Toutefois Edme est, selon Emmanuel Le Roy Ladurie, « un vrai paysan, et pas un propriétaire aux mains blanches ». downloadModeText.vue.download 344 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 333 Au début du XIXe siècle, avec les fermiers de la Beauce « on se situe, selon Jean-Marc Moriceau, au sommet du capitalisme agricole ». À la fin du XXe siècle, un peu moins de 40 % de la surface agricole utile est en faire-valoir direct (le propriétaire est lui-même exploitant), et quelque 60 %, en fermage, le métayage ne constituant plus qu’une pratique résiduelle. Cependant, les systèmes mixtes ne sont pas rares : des fermiers achètent des terres, tandis que des propriétaires agrandissent leur exploitation en louant des parcelles libérées par l’exode rural. fermiers généraux (mur des), « enceinte fiscale » parisienne édifiée par la Ferme générale entre 1784 et 1787. Conçu pour réduire la fraude sur les octrois (droits d’entrée sur les marchandises), ce mur de pierre, haut de plus de 3 mètres et long de 23 kilomètres, se substitue à la
simple palissade qui séparait la ville de la campagne depuis le règne de Louis XIV. Il définit un nouveau périmètre - celui du Paris révolutionnaire - qui, annexant faubourgs et quartiers des guinguettes, passe de 1 000 à 3 400 hectares, et comprend une population très inégalement répartie. D’emblée, le mur et ses trop somptueuses barrières provoquent un très vif mécontentement parmi les producteurs de vin, les commerçants, les consommateurs et les tenants de la libre circulation des marchandises, tel Louis Sébastien Mercier, qui tonne contre l’« inconcevable muraille » et la « rapacité financière ». Et, tandis que la célèbre formule populaire « Le mur murant Paris rend Paris murmurant » court la capitale, les fraudeurs inventent mille stratagèmes pour passer le mur. Symbole de la fiscalité abusive de l’Ancien Régime, à un moment où les prix des denrées ne cessent d’augmenter, il est la cible des Parisiens, qui incendient une quarantaine de barrières et mettent à sac les bureaux, dans la nuit du 12 au 13 juillet 1789. Reconstruites, ces dernières sont inaugurées en juin 1790 par les fermiers généraux, puis, les octrois et la Ferme générale étant supprimés en 1791, le mur est laissé un temps à l’abandon. Il reprend du service avec le rétablissement des impôts indirects sous le Directoire, en 1798 ; même si, après la création de la Régie des droits réunis (1804), les barrières ne jouent plus de rôle fiscal, elles demeurent utiles à la police. Ferry (Jules François Camille), homme politique (Saint-Dié, Vosges, 1832 - Paris 1893). Il est peu d’hommes d’État dont la gloire posthume offre un contraste aussi marqué avec l’hostilité qu’ils ont subie lorsqu’ils détenaient le pouvoir. Jules Ferry est l’un des rares dirigeants de la IIIe République dont le nom soit toujours familier aux Français, ne fût-ce que parce qu’on l’a donné à nombre d’établissements scolaires ; il est aussi considéré par les historiens comme l’un des plus grands. Mais l’unanimité qui s’est faite sur la valeur de l’homme n’empêche pas son oeuvre et son héritage politique d’être encore objets de débats. • Les années de formation. À la mort de sa mère, en 1836, Jules Ferry n’avait que 4 ans ; son père Charles-Édouard, avocat au barreau de Saint-Dié, a su veiller à l’éducation de ses trois enfants. Tout au long de sa vie, il trouvera en Charles, frère admirable, une affection, un dévouement, un appui matériel et moral indéfectibles. À son père, il doit, pour partie, son goût des études juridiques,
où il s’est engagé au terme d’une scolarité exemplaire. Mais il lui doit surtout l’orientation de ses idées - aussi sa vocation peut-elle être comparée à celles de Clemenceau ou de Waldeck-Rousseau. Les Ferry appartenaient à la famille libérale. « Nos saints, les voici », aimait à dire son oncle Émile en montrant les bustes de Voltaire et de Rousseau. L’entrée de Jules dans la carrière politique a sans doute été facilitée par la réputation dont son père, libre penseur, conseiller général d’opposition sous la monarchie de Juillet, jouissait dans les milieux républicains. En 1850, Charles-Édouard se fixe à Paris. Jules s’inscrit à la faculté de droit. Au lendemain du coup d’État, il s’enflamme pour Valette, son maître préféré, qui a lancé aux policiers : « J’ai deux titres à être arrêté aujourd’hui : je suis représentant du peuple et professeur de droit. » Ce qu’il a vu et entendu alors, Ferry ne l’oubliera jamais. Préoccupé d’assurer son indépendance à l’égard du nouveau pouvoir, le 20 décembre 1851, jour même du plébiscite, il s’inscrit au barreau de Paris. À la Conférence Molé, la plus ancienne des associations de juristes qui se proposent d’étudier les institutions françaises, et deviennent, de ce fait, un vivier de ministres, il s’affirme peu à peu comme l’un des chefs de file de la jeunesse républicaine. Il réunit tous les traits d’une culture où se mêlent les idées de Kant et de Condorcet, d’Auguste Comte (mort en 1853), de Stuart Mill, de Michelet et de Renan ; les voix des grands proscrits, Hugo, bien sûr - Ferry savait par coeur les Châtiments -, et Edgar Quinet ; mais aussi la poésie, la peinture et la musique romantique. • L’entrée en politique. Charles-Édouard meurt en 1856, et laisse une fortune qui permet à Jules de se consacrer de plus en plus activement à la politique. En ces temps où la presse, quoique étroitement surveillée, gagne chaque jour en influence sur l’opinion, il se révèle un polémiste de premier ordre. En 1864, sa condamnation au procès des « Treize » - treize opposants poursuivis au motif d’association illicite - le hisse au premier rang de l’état-major républicain. À la fin de 1865, il entre au journal le Temps. La série d’articles qu’il publie de décembre 1867 à mai 1868 sous le titre les Comptes fantastiques d’Haussmann, où il s’en prend à l’administration du préfet et, en particulier, au financement des grands travaux que celui-ci dirige dans Paris, lui assure un début de notoriété. On commence alors, note Maurice Reclus, à reconnaître l’homme aux grands favoris noirs - signe distinctif tant exploité, plus tard, par les caricaturistes.
Après avoir conquis de haute lutte la 6e circonscription de Paris aux élections législatives de 1869, il manifeste dans son opposition au régime une fermeté qui n’a d’égale que sa clairvoyance. Conscient de la menace que fait peser sur l’équilibre européen la défaite de l’Autriche à Sadowa, en 1866, il rompt avec son ami Émile Ollivier lorsque celui-ci se rallie à l’Empire libéral et se lance « d’un coeur léger » dans la guerre contre la Prusse. Combattant de la liberté, patriote rigoureux, Ferry se montre aussi, à partir du 4 septembre 1870, homme d’ordre et d’autorité. « Porté », suivant son propre mot, du Palais-Bourbon à l’Hôtel de Ville, aux côtés de Gambetta, pour y proclamer la République, il fait écarter du gouvernement de la Défense nationale les démagogues extrémistes. À partir de novembre, il cumule les fonctions de maire et de préfet de Paris. Du pouvoir il ne connaît d’abord que les charges les plus ingrates et l’impopularité. Sa première tâche, en effet, consiste à assurer le ravitaillement et le maintien de l’ordre. De là le surnom « Ferry-Famine », qui lui restera. • L’ascension de l’homme d’État. Haï par le Paris de la Commune, Ferry, tout comme Gambetta, a analysé les raisons de l’échec des républicains de 1848. Avant même les élections du 8 février 1871, qui donnent à la France une majorité monarchiste, il pense que la République ne s’enracinera dans les campagnes qu’en y installant des écoles où régneront la raison et la morale laïque, et non plus la religion. « Lorsqu’il m’échut ce suprême honneur de représenter une portion de la population parisienne dans la Chambre des députés, je me suis fait un serment : entre toutes les nécessités du temps présent, entre tous les problèmes, j’en choisirai un auquel je consacrerai tout ce que j’ai d’intelligence, tout ce que j’ai d’âme, de coeur, de puissance physique et morale, c’est le problème de l’éducation du peuple. » Mais ce serment prononcé en 1870, Ferry doit attendre neuf années avant de le mettre à exécution. Neuf années au cours desquelles il apporte une contribution éminente à la consolidation institutionnelle et aux progrès électoraux du régime républicain. Son mariage, célébré le 24 octobre 1875, n’apparaît pas seulement comme un événement heureux dans sa vie privée mais aussi comme un tournant dans sa carrière politique : il trouve en Eugénie Risler une compagne exemplaire et, du fait de ses liens avec la famille Kestner, dynastie d’industriels alsaciens, un attachement plus intime à la « province perdue ». Au lendemain du 16 mai 1877, il devine que la tentative de
Mac-Mahon arrive trop tard. « On nous présente la dissolution comme une menace : nous l’acceptons comme une délivrance », déclare-t-il aux électeurs de Saint-Dié. De fait, réélu triomphalement le 14 octobre, il préside, dans la nouvelle Chambre, le groupe le plus important, et il reçoit enfin, à 47 ans, dans le gouvernement formé le 4 février 1879, le portefeuille de l’Instruction publique. • Une oeuvre d’importance. Ferry domine la vie politique de 1879 à 1885. Cinq ans ministre de l’Instruction publique, il est aussi président du Conseil pendant un peu plus de trois ans, de septembre 1880 à novembre 1881, puis de février 1883 au 30 mars 1885. Cela peut sembler court aujourd’hui. En vérité, il eut les moyens de prouver, pendant une période brève mais décisive, que « la République doit être un gouvernement ». L’ampleur de son oeuvre en matière scolaire est connue. C’est à lui que la France downloadModeText.vue.download 345 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 334 doit la promulgation des lois sur les écoles normales primaires (9 août 1879), sur le Conseil supérieur de l’Instruction publique (27 février 1880), sur l’enseignement secondaire des jeunes filles (21 décembre 1880), sur la gratuité (16 juin 1881), l’obligation et la laïcité (28 mars 1882) de l’enseignement primaire, pour n’en citer que les principales. Soucieux d’inscrire dans les moeurs, en même temps que « l’égalité d’éducation », la liberté de conscience, c’est-à-dire de transférer dans la sphère privée les croyances religieuses, Ferry conçoit l’école comme un instrument de civilisation, d’unification nationale et de pacification sociale. Il entend, à la fois, refermer la « boîte de Pandore » de la Révolution et rendre à la patrie son rang. Héritier proclamé des constituants de 1789, et non des jacobins de 1793, il se veut aussi le restaurateur de la « Grande Nation ». C’est pourquoi la France humiliée par la défaite de 1871 doit, à ses yeux, reprendre son expansion coloniale en Tunisie, à Madagascar, en Indochine. Mais sa politique coloniale, combattue avec passion dans son propre camp, ne cesse de l’affaiblir, jusqu’à l’hallali sonné par Clemenceau le 30 mars 1885. Ferry n’a jamais été plus admirable homme d’État qu’en ce jour où il a gardé le silence face à ses interpellateurs, pour ne pas trahir le secret des négociations avec
la Chine, qui allaient aboutir à la cession du Tonkin à la France. Amer succès pour celui que l’on ne surnommait plus que « le Tonkinois », à qui l’on reprochait d’avoir trahi la cause de « la revanche », et qui demandera de reposer « en face de cette ligne bleue des Vosges, d’où monte jusqu’à mon coeur fidèle la plainte touchante des vaincus ». Jules Ferry meurt le 17 mars 1893, sans avoir pu accéder à la présidence de la République, au terme d’un dernier combat perdu. Provisoirement perdu, si l’on veut voir, avec Odile Rudelle, dans les institutions de la Ve République une interprétation fidèle et efficace de ses ultima verba. Ferry doit-il être aujourd’hui rangé à droite, comme le voudraient ceux qui se plaisent à opposer à l’esprit républicain les aspirations démocratiques ? La distinction est, pour le moins, anachronique, si l’on consent à se rappeler que, dans tous les débats sur les lois scolaires, Ferry a eu avec lui la gauche - républicaine - et contre lui la droite - qui ne l’était pas. Si tous les républicains se considèrent à présent comme ses héritiers, c’est d’abord, ainsi que le souligne Maurice Agulhon, parce que la nature du régime a cessé d’être contestée, ce qui constitue en soi, pour l’homme que ses adversaires qualifiaient d’« opportuniste », la plus sûre des victoires. Fesch (Joseph), cardinal (Ajaccio, Corse, 1763 - Rome 1839). Demi-frère de Letizia Ramolino, mère de Napoléon Ier, Joseph Fesch doit toute sa carrière à son neveu. Ordonné prêtre en 1785, il prête le serment constitutionnel pendant la Révolution, mais abandonne prudemment la prêtrise sous la Terreur, devenant attaché aux fournitures de l’armée des Alpes, puis de celle d’Italie sous le Directoire. Sous le Consulat, il reprend ses fonctions ecclésiastiques, à la suite du concordat de 1801. Bonaparte, Premier consul, le fait nommer en 1803 archevêque de Lyon, primat des Gaules, puis cardinal, et l’envoie en ambassade à Rome, où il obtient la venue du pape à Paris pour le sacre de l’Empereur. C’est lui qui, la veille de la cérémonie, bénit l’union de Joséphine de Beauharnais et de Napoléon, mariés civilement en mars 1796 ; il célébrera aussi, en 1810, le second mariage avec Marie-Louise. Voyant en son oncle un allié utile, Napoléon Ier le couvre d’honneurs et l’élève au rang de grand dignitaire de l’Empire. Fait sénateur et grand aumônier de l’Empereur en 1805,
Fesch se montre cependant principalement soucieux de s’attirer les bonnes grâces du pape, non sans encourir les foudres de Napoléon, notamment lors de la crise religieuse et du concile national de 1811 relatif à l’institution des évêques. Présidant le concile, Fesch y ménage partisans et adversaires de Pie VII, mais n’hésite pas à s’opposer à Napoléon. Réfugié à Rome en 1814, membre de la Chambre des pairs durant les Cent-Jours, il quitte définitivement la France après Waterloo. l FÊTES. Les fêtes ont attiré l’attention des historiens dans la seconde moitié du XXe siècle, après avoir suscité les travaux des folkloristes. À travers elles, en effet, c’est la culture populaire dans sa foisonnante diversité, habituellement si difficile à saisir, que les uns et les autres découvrent. Or, tant dans leurs apparences que dans leur sens profond, les fêtes anciennes, entre l’an mil et les deux derniers siècles de l’Ancien Régime, sont très différentes des nôtres. L’ÉVENTAIL DES FÊTES ANCIENNES • Un calendrier fourni. À Paris au XIIIe siècle, à Toulouse au XVIIe, il y a presque autant de fêtes chômées que de dimanches ; à Marseille, au temps de Louis XIV, on en compte trentedeux, outre les dimanches, et une soixantaine de fêtes particulières, demeurées ouvrables. Ces chiffres ne valent que pour les grandes villes, où les fêtes sont plus nombreuses que dans les campagnes. Toutefois, le nombre des jours de fête a partout diminué à partir du XVe ou du XVIe siècle ; néanmoins, si l’on en juge d’après les exemples urbains, les occasions de liesse, qui tranchent pour beaucoup avec une existence difficile, ne sont pas rares. Toutes les réjouissances ne figurent pas au calendrier. Ainsi pour la célébration des événements familiaux : baptêmes et enterrements sont l’occasion de banquets (« Croquer la tête du mort », dit-on en Flandre), de même que les noces, pour lesquelles les invités à table dépassent parfois la centaine ; ripaille et beuveries, musique et danses s’étendent alors sur deux ou trois jours. La fête devrait être plus recueillie lorsqu’il s’agit de célébrer l’anniversaire de la dédicace d’une église. Mais « ducasses » et « kermesses » des Pays-Bas, qui s’étalent sur une huitaine de jours et attirent un grand concours de peuple, sont déjà des fêtes profanes aux XVe et XVIe siècles : les processions, avec les chars
et les « histoires » - tableaux vivants ou saynètes à sujets religieux -, parties de l’église, finissent en banquets, rixes et « obscénités » qui fâchent les autorités. Les « romérages » des villages provençaux, qui célèbrent un saint patron, se préparent plusieurs jours à l’avance ; au XVIIIe siècle, ces jours sont surtout l’occasion d’exhiber les « joyes », c’est-à-dire les prix ; et, après avoir promené la châsse du saint, quelquefois avec les animaux, les habitants couronnent la fête par des jeux sportifs, un banquet et des danses. • Humbles et puissants. En milieu urbain, les festivités sont multipliées par le nombre des paroisses, des confréries religieuses ou professionnelles. Ainsi, le jour venu, charpentiers ou boulangers, par exemple, manifestent leur dévotion pour saint Joseph ou Saint Honoré. Ils processionnent avec l’image du saint, la bannière ou la statue. Une belle occasion de se rappeler au bon souvenir de toute la ville, avant de festoyer. Quant aux élites urbaines ou à l’aristocratie, elles ont aussi leurs bals et leurs tournois. Les uns et les autres tiendront leur place dans les grandes démonstrations collectives que sont les fêtes solennelles de l’Église, les cérémonies expiatoires ou d’action de grâce, les entrées royales ou princières. Du corps de ville et du clergé au plus humble métier, chacun veillant à garder son rang, tous figurent dans l’inévitable cortège. Costumes colorés, fontaines de vin aux carrefours, tapisseries aux fenêtres, arcs de triomphe et scènes de théâtre proclament la puissance du roi ou du saint. À ce jeu de l’ostentation, villes ou confréries peuvent d’ailleurs se ruiner. Certaines fêtes atteignent à un faste qui traduit la supériorité des villes sur les campagnes et contribue à façonner l’image même de la cité. À Rouen, en 1527, pour l’entrée de François Ier, on reconstitue une forêt brésilienne dans l’île Lacroix, sur la Seine ; et, en 1550, pour celle d’Henri II, ce sont de véritables Indiens qui dansent à côté de Normands déguisés ! À Metz et à Tarascon, des dragons terrorisent la population avant d’être vaincus : le Grawli messin, aux Rogations, par saint Clément, et la Tarasque par sainte Marthe, à la Pentecôte, puis au jour de fête de la sainte. Il faudrait évoquer aussi l’Épinette lilloise, la Fête-Dieu de Marseille, et bien d’autres... • Des registres mêlés. Si ces fêtes sont connues de longue date, ce n’est qu’à une date récente (à partir des années soixante) que les historiens découvrent un autre registre. Il n’est pas séparé du précédent, bien
au contraire. Le boeuf gras - le Grawli qu’on mène au sacrifice lors de la Fête-Dieu marseillaise -, la Tarasque, rappellent que la fête ancienne mêle non seulement le profane et le chrétien, mais aussi les réminiscences d’un vieux fonds religieux païen, qui s’exprime surtout lors de certains épisodes festifs. La fête des fous s’affirme, au moins dès le XIIIe siècle, autour des chapitres cathédraux, de Flandre et de Bourgogne notamment. Enfants de choeur et petits clercs, diacres, au jour de la fête des Innocents (28 décembre), élisent parmi eux un « évêque », voire un « pape », qui donne sa bénédiction à tort et à travers. Ils brûlent des souliers dans les encensoirs, jouent aux dés ou mangent du boudin sur l’autel, promènent leur évêque sur un âne, le visage tourné vers la queue, quand il n’est pas remplacé par l’âne lui-même, coiffé downloadModeText.vue.download 346 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 335 de la mitre ! Au XVe siècle, les clercs paradent en ville, parfois nus, criant des obscénités et jetant de la cendre sur les badauds. Dans le même temps, cette mômerie devient vraie fête des fous, avec l’apparition des costumes et des attributs - la marotte - donnés aux êtres privés de raison. Dès lors, la hiérarchie interdit ces fêtes dans les églises, et la plupart d’entre elles disparaissent au XVIe siècle. Les « fous » se pérennisent ici ou là en se laïcisant et en formant des compagnies : ainsi « l’Infanterie dijonnaise de la Mère folle », ou « l’Abbaye des conards » de Rouen ou d’Évreux. Carnaval connaît son apogée aux XVe et XVIe siècles, quand la fête des fous disparaît ; toutefois, son existence est aussi ancienne. C’est une fête laïque liée au temps de carême - le nom de « carnaval » renvoie au « charnage », dernier moment où l’on mange de la viande avant le jeûne - et, par là, caractéristique des sociétés chrétiennes. Elle commence le plus souvent en février (la Chandeleur, la Saint-Blaise) ou se resserre sur le seul mardigras, point culminant du cycle. Les détails de son déroulement varient dans le temps et dans l’espace, mais on retrouve toujours les mêmes grands traits : danses et cris, instruments de la vie agricole en main ; jeux sportifs et courses dont le vainqueur reçoit comme prix un animal (« courir le mouton », « la perdrix ») ; masques, dégui-
sements et cortèges, le bonhomme Carnaval - Caremantran - apparaissant sous la forme d’un mannequin mis à mort, brûlé ou noyé, avant les ripailles finales. Les villes, quant à elles, offrent une version amplifiée : multiples cortèges de chars et, dans le Nord, à partir de la fin du XVe siècle, « défilés de géants ». Partout, Carnaval est le moment de la licence, des excès, et celui du renversement du cours habituel des choses : exaspération païenne avant carême, défoulement social - qui peut aller jusqu’à la révolte - avant le retour à la soumission ordinaire. C’est aussi la mort annoncée des froidures, la promesse du renouveau vital, que rappellent les soufflaculs occitans et catalans ; ceux-ci évoquent l’ours qui, au sortir de sa tanière, lâche un pet de « déshibernation » pour évacuer le bouchon d’herbes qui lui obstruait l’anus, avant de contempler le ciel et de décider si le temps est suffisamment beau pour que le printemps commence sans attendre, ou s’il peut encore dormir quarante jours ! De toute manière, la renaissance est annoncée. Avant le cycle de Carnaval viennent les Douze Jours, de Noël à l’Épiphanie, marqués par la fête des Innocents ou l’Aguilanneuf ; au-delà, c’est le temps des Rogations, fête chrétienne où l’on chasse tout de même les mauvais esprits pour attirer fertilité et fécondité, puis l’Ascension et la Pentecôte, les arbres de Mai qui honorent les filles à marier et les feux de la Saint-Jean, propices à la cueillette de plantes aux vertus magiques, les jeux des moissons proches de l’Assomption ; enfin, la Toussaint et le jour des Morts. Si chaque cycle a sa marque, il peut aussi emprunter aux autres : la fête des Brandons a parfois lieu au coeur même des réjouissances de Carnaval, ou est parfois repoussée à la Saint-Jean. Le charivari traverse Moyen Âge et Temps modernes. Avec lui, la fête tourne à l’aigre : c’est d’abord et avant tout un chahut, qui rappelle les droits des enfants du premier lit avant de permettre un remariage, ou qui vise les unions mal assorties, lorsqu’il y a par exemple une grande différence d’âge entre les époux. Le mari est promené sur un âne, assis à l’envers bien sûr, et ridiculisé pendant ce tour de ville ou de village grotesque ; s’il ne se laisse pas faire, c’est à un voisin qu’on demande de jouer son pauvre rôle. Si certains charivaris sont violents, il est normalement possible de composer, moyennant argent ou boisson offerts par la victime désignée ; le chahut peut même être évité. Il y a d’autres occasions de se rattraper : les maris qui se laissent battre par leurs
femmes sont promis à un sort voisin, alors que les belles dont la vertu est sujette à soupçons se voient offrir en mai des bouquets malodorants. Ces gestes sont précieux parce qu’ils révèlent des pans entiers de la culture populaire. Encore faut-il pouvoir les interpréter. CARACTÈRES ET FONCTIONS DES FÊTES ANCIENNES Malgré la profusion de leurs formes et leur diversité dans le temps et l’espace, les fêtes présentent des traits communs. • Structures d’encadrement. Le premier est l’omniprésence de ces royaumes ou abbayes de jeunesse, ou bachelleries, constituées dès le XIIe siècle, qui rassemblent les hommes pubères et non mariés du village. L’« abbé » ou le « roi », désigné dans un reynage - concours sportif, ou papegai -, acquiert l’autorité pour un an, et sa juridiction n’est pas pure plaisanterie, car il gouverne fêtes et charivaris. En ville, à partir du XVIe siècle, les abbayes accueillent des hommes mariés et s’intéressent dès lors moins aux charivaris. Elles recrutent plutôt dans la même paroisse ou dans la même profession pour organiser carnavals et autres réjouissances. Elles sont alors plus nombreuses (vingt à Lyon au XVIe siècle), recourent aux chars et aux sotties théâtrales, voire à l’imprimé qui immortalise leurs exploits. Les municipalités leur font longtemps bonne figure : l’Infanterie dijonnaise, qui reçoit en 1626 le prince de Condé aux cris de « hurelu, berelu », fournit un exemple significatif de ces bons rapports. • Rites festifs et cycles agraires. Ces groupes renaissent chaque année entre Avent et Carême, période dans laquelle le comput, chrétien ou païen, inscrit le début du renouveau. Le cycle pascal, clos par la fête de la Résurrection, commence entre la Chandeleur, première date possible du mardi-gras dans le calendrier julien, et le mercredi des Cendres. En pays occitan, c’est au jour de la Chandeleur que la démonstration sonore de l’ours annonce le printemps ; et c’est souvent le lendemain, fête de Saint-Blaise, que commence Carnaval. Or, saint Blaise participe au renouveau vital : il protège les semences de printemps, les récoltes à venir, et promet un mari aux filles qui viennent le prier. De telles empreintes païennes renvoient presque toujours à des cultes agraires. La fête des Brandons chasse, par le spectacle de torches enflammées, les esprits mauvais qui
menacent les champs et les femmes de stérilité. Les Rogations appellent la bénédiction divine sur les récoltes qui commencent à lever tout en faisant place à l’exhibition de monstres de bois et de tissu qui effrayent les esprits malfaisants. Au coeur de ces rites agraires se nouent les liens qui unissent la fertilité des champs à la fécondité des femmes : l’une est indissociable de l’autre, quand la vie dépend des récoltes. • Les rites d’inversion. Ils sont un moyen simple sinon de concilier, du moins de faire cohabiter références païennes et valeurs chrétiennes. Carnaval obéit ainsi à un rythme ternaire significatif : à Romans, en 1580, les mascarades et les danses de la Saint-Blaise arrêtent d’abord le temps ; puis tout est inversé : l’autorité glisse aux mains de ces « rois » tirés de la foule par la grâce d’un concours, pour célébrer dans la dérision la gloire de Maugouvert, le mauvais gouvernement ; le hareng coûte alors plus cher que les mets raffinés. Le délire dionysiaque propre à cette deuxième époque chasse le souvenir de l’austère Carême : le temps lui-même a changé de sens. Au troisième moment, le défilé de « Dame Justice » prépare le retour à l’ordre normal des choses, et le temps reprend son cours. L’inversion est aussi contestation, que ce soit durant la fête des fous ou le charivari. Le carnaval de Romans offre ainsi l’exemple le mieux connu d’une fête qui porte les antagonismes à leur point de rupture et fait exploser la révolte. Mais, dans la plupart des cas, l’épisode festif reste cantonné dans les limites que chacun lui accorde, à commencer par les autorités : une thèse souvent admise en fait une sorte d’exutoire qui fortifierait la société dans ses structures habituelles, puisque, une fois la catharsis passée, les risques de remise en cause seraient diminués. • Spécificités de la fête médiévale. Le rapprochement avec les fêtes de la Rome antique est parfois invoqué pour expliquer ces caractères. La fête des fous en dériverait, du fait des clercs qui lisent dans les Saturnales de Macrobe le récit de ces fêtes antiques où les maîtres servaient les esclaves. La filiation est aussi envisagée pour les fêtes de printemps, qui perpétueraient les jeux offerts à Cérès ou à Flore. Ne considérer le système festif que comme la trace obscurcie des religions antérieures à l’évangélisation serait pourtant une grave erreur. L’empreinte chrétienne et médiévale est considérable, dans le vocabulaire, les formes de sociabilité des abbayes et
royaumes, ou dans le lien essentiel entre Carnaval et Carême. Surtout, à force de renvoyer à un passé si lointain, on se dispense de montrer en quoi le système festif répond d’abord aux besoins de ceux qui le vivent. Il permet d’abord à ceux qui peinent de s’évader du quotidien. Fêter Saint-Pansard en mangeant et en buvant plus que de raison, quand on vient de tuer le cochon, voilà qui rompt avec la soupe et le pain des jours de frugalité. Évasion aussi par les jeux et la danse - dans laquelle le clergé voit l’occasion de gestes « deshonnestes » et le début d’une licence que la bière ou le vin aggravent. La fête scande l’année, puisqu’à son rythme apparaissent les possibilités de rencontres et d’échanges, pour des contrats d’embauche ou des promesses de mariage. Elle est aussi un moyen de contact avec un monde extraordidownloadModeText.vue.download 347 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 336 naire, réel ou imaginé, pour une fois construit par le geste ou le décor : on songe aux Indiens des entrées royales de Rouen, aux géants et aux dragons qui peuplent les cortèges de Carnaval. Le théâtre permet une approche de cet univers mental : des mystères aux sotties, ce sont des spectacles attendus, suivis par des foules nombreuses. • Un moyen de régulation des pulsions. Cet aspect est plus subtil. Ainsi, la violence du charivari, qui peut n’être pas seulement celle de la dérision, répond à celle du barbon ou de l’étranger qui vient « marier une fille » du village ; elle contribue à maintenir un équilibre social que le caractère tardif du mariage dans la France d’Ancien Régime rendait fragile. L’abbaye de jeunesse constitue aussi un cadre pour l’apprentissage des jeunes hommes. Ses débordements remplacent d’autres violences, tels ces viols collectifs qu’on repère dans les villes du Sud-Est, à la fin du Moyen Âge. L’appartenance au groupe suppose d’ailleurs qu’on en ait accepté la règle. En ville, la transformation des abbayes en communautés à caractère militaire, sous la houlette d’un « capitaine de la jeunesse » par exemple, révèle l’importance donnée à ce contrôle de l’individu par le groupe. La fête servirait d’exutoire : il faut pourtant se garder d’opposer un temps propre à la libération de la violence - celui des fêtes - et
un temps banal, policé et non violent. La brutalité est ordinaire dans une société qui n’apprendra la civilité des moeurs qu’aux derniers siècles de l’Ancien Régime, et pour ses élites surtout. L’essentiel est peut-être ailleurs : en renversant la distribution de l’autorité, ne serait-ce que pour une durée limitée, on lui assure une continuité par-delà les hommes qui l’incarnent habituellement ; elle se trouve ainsi légitimée. L’inversion conduit à la consolidation paradoxale des structures sociales et politiques. Par la fête, la société reconstruit ses structures et ses frontières. Chaque sortie d’une confrérie, d’une abbaye de jeunesse, valorise le groupe et renforce sa cohésion. Il n’est pas sans intérêt que dans des villages provençaux, au XVIIIe siècle, on organise des courses de jeunes, puis de vieillards, et enfin de femmes ; cas exceptionnels, car celles-ci sont habituellement écartées des abbayes de jeunesse comme des manifestations de Carnaval. Aux feux de la Saint-Jean, hommes et femmes sont présents, et ces dernières sont aussi invitées à sauter par-dessus les braises. La Toussaint permet de recréer un cercle plus large encore, en réintégrant les morts dans l’univers villageois ; elle apaise les âmes errantes pour protéger les vivants. Les risques de conflit ne sont pas pour autant écartés. La fête n’échappe pas aux déterminations plus amples qui peuvent conduire à l’affrontement. Au contraire, parce qu’elle est occasion de rencontre et qu’elle nécessite des formes d’organisation, elle est susceptible d’accélérer la maturation des crises. En ville, la violence peut être le fait de ruraux, attirés par les réjouissances, comme de mendiants, voire de bannis autorisés à rentrer chez eux pour quelques jours. Barbouillés, cachés sous les masques, les malintentionnés échappent facilement aux autorités. Telle qu’elle s’est construite dans la culture médiévale, la fête heurte de plus en plus les exigences de rationalité des élites. Dans le même temps, le système festif doit répondre à l’évolution des attentes de ceux qui longtemps l’ont porté. LES FÊTES CONTEMPORAINES • La fête traditionnelle menacée. L’hostilité aux fêtes vient de loin. Si le clergé médiéval participe à la culture festive ancienne - on le constate avec la fête des fous -, en même temps, il s’efforce de noyer les restes de paganisme dans des célébrations chrétiennes. Au
XVIe siècle, l’offensive vient aussi des autorités politiques : elles se soucient en Flandre de limiter le nombre des convives aux banquets des fêtes privées ! Ce siècle est surtout marqué par la Réforme, hostile aux cultes païens autant qu’aux fêtes de l’Église romaine. Là où elle triomphe, Carnaval disparaît. Pour lui faire pièce, on n’est donc pas mécontent d’user, dans un premier temps, de ces formes festives qui l’irritent. L’ambiguïté toutefois, ne dure pas. Au XVIIe siècle, l’Église combat Carnaval, et les évêques suppriment des fêtes du calendrier, ou les repoussent au prochain dimanche pour les banaliser. Les Lumières prennent le relais : continuité assez rare pour être soulignée ! La critique de la superstition vise avec une sévérité accrue ces manifestations « gothiques ». La fête décrite par les érudits est dénoncée pour l’oisiveté qu’elle engendre et pour son mauvais goût. JeanJacques Rousseau rêve, lui, d’une autre fête, imitée d’une Antiquité simple et vertueuse. Dans le même temps, Noël se referme sur l’univers familial : naissent bientôt ces échanges de cadeaux qui ont pris, de nos jours, une importance si grande. En Provence, au XVIIIe siècle, les crèches passent des églises aux intérieurs domestiques, et justifient désormais la Foire aux santons, qui se tient à Marseille. Les fêtes d’hiver reculent, les rites carnavalesques se déplacent vers la Fête-Dieu, le charivari se fait plus rare, le romérage se laïcise. La fête est de plus en plus spectacle, comme en témoigne partout la multiplication des Te Deum, des feux d’artifice qui attirent les foules, comme lors du mariage du futur Louis XVI avec Marie-Antoinette : la presse dans les rues de Paris fait au moins 132 morts ! Pendant la Révolution, le mouvement populaire emprunte au carnaval, désormais mal compris, la forme des mascarades antireligieuses. Mais, pour l’essentiel, c’est alors qu’est accélérée la disparition d’un système de fêtes déjà vieilli. Si, à la Restauration, celles-ci semblent renaître, les abbayes de jeunesse, elles, ont vécu, et les rites agraires n’alimentent plus qu’un registre folklorique ; c’est au titre de spectacles ou de fêtes foraines que romérages ou ducasses survivent. Les grandes cérémonies religieuses perdent aussi leur contenu festif, pour ne plus être que solennités recueillies. Rares sont les créations. La Sainte-Catherine, fête née au XIXe siècle, donne lieu à des réjouissances qui, parfois, rappellent les arbres de Mai : les filles de 25 ans encore
célibataires sont coiffées d’un chapeau vert et jaune ! Mais la fête a lieu en novembre, au bureau et non aux champs ; et aujourd’hui, à l’époque où le mariage est redevenu tardif, ou rare, elle survit difficilement, après avoir failli disparaître, reconduite comme rite d’intégration dans l’entreprise. • La naissance de la fête politique. Elle correspond à l’évolution d’une société en voie de démocratisation. Les fondements en sont triples : le 14 juillet 1790, pèlerinage de la France entière vers son centre, le roi ; le triomphe impérial, qui s’accompagne des défilés ou des revues de l’armée, image de la nation ; les obsèques solennelles, qui donnent aux grandes cérémonies leur aspect de commémoration. Le produit de cette synthèse est la « fête de souveraineté », qui connaît sa plus belle expression au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe, à l’occasion des victoires militaires, des Expositions universelles ou des anniversaires de la fondation du régime. Le canevas en est toujours le même : le matin, défilé ou revue, puis célébration religieuse ; vin d’honneur ou banquet au milieu de la journée ; l’après-midi est réservé aux jeux, aux spectacles, avant que, le soir, ne s’ouvre le bal. Le 14 Juillet devient fête nationale en 1880 avec un succès populaire quasi immédiat, signe du ralliement du pays à la République. Le banquet prend une ampleur considérable, organisé autour du président de la République, ou, dans les départements, autour du préfet ; au village, il se réduit quelquefois au tonneau que l’on met en perce sur la place ; la fête elle-même est parfois célébrée... en juin ou en août pour ne pas entraver les travaux des moissons ! La distribution de vivres aux indigents, prolongement tardif des Te Deum royaux, ne disparaît tout à fait qu’après la Première Guerre mondiale. La République laïque se passe des solennités religieuses. Inversement, le sport fait son entrée : courses vélocipédiques dès les années 1880, démonstrations gymniques, puis matchs de football au XXe siècle. L’hommage aux morts prend plus d’importance après la Grande Guerre. La fête, centrée autour de la figure du chef de l’État, célèbre le régime, son ancrage dans le temps long, signe de légitimité : ainsi pour le sacre de Charles X ou, sous la IIIe République, le 14 Juillet. Le modèle est parfois copié à d’autres fins. Au Creusot, les Schneider invitent, pour l’inauguration d’une statue à l’effigie du chef de famille ou pour un événement familial, le clergé, l’armée, et leurs
ouvriers - tout le Creusot, ou peu s’en faut -, mais aucun représentant de la République. La souveraineté qu’ils célèbrent, c’est la leur ! • Fêtes d’opposition. Entre 1880 et l’époque du Front populaire, les forces de gauche, qui font appel à des masses qu’elles doivent convaincre, créent un autre type de fête. Pour développer le sentiment identitaire de la classe ouvrière et mettre en scène la légitimité de son action, on reprend le canevas des fêtes de souveraineté : défilé avec fanfares socialistes, visite aux tombes des victimes du travail, banquet, compétitions sportives, bal enfin. Le 1er Mai est la grande fête ouvrière, antithétique de la fête « bourgeoise » du 14 Juillet, et reposant pourtant sur les mêmes structures. Mais on sait aussi réutiliser les manifestations folkloriques, qu’on ranime ici ou là. Le 1er Mai est une fête fleurie, downloadModeText.vue.download 348 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 337 et certains rites rappellent les anciennes fêtes du printemps. L’enrichissement vient aussi de la modernité : le cinéma et le jazz, dès les années vingt et trente, apparaissent lors du 1er Mai. Cette ouverture atténue les aspects de « culture de bastion », fermée sur l’extérieur, qui marque certaines municipalités communistes. Les différences entre les deux fêtes s’atténuent avec la victoire du Front populaire. La fête de l’Humanité, à partir de 1934, donne la « centralité » qui manquait encore aux fêtes du Parti communiste. Le 1er Mai est accordé comme jour chômé aux employés de l’État en 1937, avant d’être déclaré, non pas « fête des travailleurs », mais « du travail » par le régime de Vichy en 1941 ! Inversement, la droite affronte le problème d’une reconquête du pouvoir, en 1936, puis à la Libération. Tout en continuant de se donner pour des fêtes de souveraineté, ses manifestations sont bien d’opposition. L’Église catholique, soucieuse de conserver ses fidèles ou de convaincre, modèle ses patronages en s’inspirant des associations laïques ou des organisations syndicales chrétiennes, la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) ou la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC). • Les débris de la fête. À partir des années cinquante, la fête officielle est surtout un spectacle auquel on assiste derrière des barrières ou... à la télévision. Le défilé populaire du 14 Juillet est interdit après 1953. Reste la fête d’opposition, avec pour modèle celle de
l’Humanité, que s’efforcent de copier d’autres organisations politiques, Lutte ouvrière, voire le Front national. Demeurent aussi les restes épars de la fête ancienne, qu’ils soient ou non réutilisés dans d’autres cadres, devenus occasion de sorties en famille, entre jeunes d’une même bande. Le stand d’attraction ou la braderie offrent un simulacre de participation qui ne survit plus guère que dans le bal du soir. Parlera-t-on, désabusé, d’une mort de la fête, victime de la multiplication des loisirs, de la concurrence du sport et de la télévision ? Les explosions de joie spontanées, à l’occasion d’un mouvement social (mai 68), d’une victoire électorale (10 mai 1981) ou sportive, la commémoration, pour une fois populaire, du 14 juillet 1789 lors du bicentenaire de la Révolution, attestent que le plaisir de la fête existe encore ! La création d’une Fête de la musique, en 1982, tendait à rompre avec le simple spectacle en invitant à une participation active. Est-ce là tentative artificielle ? Les fêtes demeurent à l’image des sociétés qu’elles réjouissent... fêtes révolutionnaires. Durant la décennie révolutionnaire (1789-1799), les gouvernements successifs imposent progressivement différentes fêtes, qui visent, par leur caractère symbolique et commémoratif, à fixer un nouveau système de valeurs. Tandis que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen devient un objet rituel, ces fêtes opèrent un « transfert de sacralité » (Mona Ozouf) au profit du politique, du social et, finalement, de l’être humain. • Le rêve d’unanimité. Sous la monarchie constitutionnelle (1789-1792), la tradition et la fête populaire spontanée dominent. De nouveaux symboles apparaissent - arbres de la liberté ou autels de la patrie, nés des fédérations de 1789-1790. Les fêtes officielles, qui intègrent ces innovations, gardent toutefois un caractère religieux : ainsi la cérémonie en l’honneur des morts de la Bastille (1789), l’inhumation de Mirabeau et le transfert des cendres de Voltaire au très laïque Panthéon (1791), mais aussi la fête de la Fédération (14 juillet 1790), première des grandes fêtes annuelles, où une messe en plein air précède la prestation du serment civique. Cependant, l’unanimité recherchée est un échec comme le montre la fête organisée, le 15 avril 1792, par les jacobins en l’honneur des suisses de Châteauvieux - véritable glorification de l’émeute -, à laquelle les feuillants répliquent,
le 3 juin suivant, en célébrant Simoneau, maire d’Étampes, tué lors d’une émeute de subsistances. • Exalter les temps nouveaux. La chute de la monarchie (10 août 1792) et la proclamation de la République ouvrent l’ère des grandes fêtes nationales qui, placées sous le signe de la rupture et de la régénération, canonisent les événements fondateurs de l’ordre nouveau. Ainsi, la fête de l’Unité et de l’Indivisibilité (10 août 1793) prend la forme d’un long cortège qui traverse Paris, depuis la fontaine de la Régénération, à la Bastille, jusqu’au Champ-de-Mars, où l’on prête serment, en passant par la place de la Révolution, où l’on brûle au pied de la statue de la Liberté les symboles monarchiques et féodaux. La fête populaire reprend toutefois le dessus lors de l’hiver 1793-1794, avec les célébrations des martyrs de la liberté et les mascarades de la déchristianisation, dont la fête de la Raison, organisée le 10 novembre 1793 par la Commune de Paris, marque l’apogée. • Fêtes commémoratives et fêtes morales. À ces manifestations plus ou moins débridées, la Convention nationale répond par le décret du 18 floréal an II (7 mai 1794), qui marque un tournant important en instituant, en même temps que le culte de l’Être suprême, quatre fêtes nationales commémoratives - 14 juillet, 10 août, 21 janvier (exécution de Louis XVI) et 31 mai (chute des girondins) -, ainsi que trente-six fêtes morales et civiques. Ces dernières sont dédiées, entre autres, au genre humain, aux bienfaiteurs de l’humanité, aux martyrs de la liberté, à la liberté, l’égalité, la vérité, la justice, l’amitié, l’amour conjugal... Leur organisation est confiée au Comité d’instruction publique. La fête de l’Être suprême (8 juin 1794) marque alors l’apogée des grandes scénographies parisiennes, orchestrées par le peintre David, où le cortège populaire, ordonnancé selon les âges et les sexes, donne l’image d’une fête assagie et grave promouvant la nouvelle harmonie sociale. Ce système pédagogique, élaboré en l’an II, demeure la préoccupation majeure de la Convention thermidorienne et du Directoire. La loi du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795) sur l’instruction publique institue ainsi sept grandes fêtes commémoratives et morales - République (22 septembre), jeunesse, époux, reconnaissance, agriculture, liberté (9 et 10 thermidor), vieillards -, auxquelles s’ajoutent par la suite, au gré de la lutte contre les royalistes, les commémorations des 21 janvier, 14 juillet,
10 août et 18 fructidor (coup d’État). Mais ces fêtes, tendant à l’uniformisation, deviennent routinières et leur succès décline. Le Consulat ne conserve que les dates du 14 juillet et du 22 septembre, supplantées sous l’Empire par la « Saint-Napoléon » (15 août) et l’anniversaire du sacre (2 décembre). Sans cesse bouleversée, la fête révolutionnaire ne parvient pas à s’imposer, surtout dans les campagnes, où les paysans continuent de respecter l’arrêt dominical et de célébrer les fêtes traditionnelles, mais la symbolique renaît sans peine tout au long du XIXe siècle. feu, unité de base de l’impôt au Moyen-Âge et sous l’Ancien Régime, fondée sur le recensement des familles. Au sens primitif, le « feu » est l’habitation, le foyer et, par extension, désigne la famille qui y réside. C’est ainsi qu’il devient pour l’administration l’unité de compte de la population. Le premier recensement de ce type a lieu en 1328, à la demande de Philippe VI de Valois : le nouveau roi veut connaître l’assiette sur laquelle répartir l’impôt qu’il lève pour financer sa campagne militaire dans les Flandres. Dès l’origine, le dénombrement a donc un motif fiscal. Cet état est cependant intéressant à plus d’un titre : en premier lieu, il témoigne de l’emprise de l’administration capétienne, qui a désormais les moyens d’enquêter sur ses bailliages et sénéchaussées. Il permet ensuite, même limité au domaine royal, d’estimer par extrapolation la population du royaume au début du XIVe siècle : Ferdinand Lot l’a évaluée à 16 millions d’habitants, soit 20 à 22 millions dans les limites actuelles. Les dénombrements ultérieurs des feux s’inscrivent dans la même logique fiscale et fournissent des résultats - souvent peu précis - qui ont pu être utilisés à des fins démographiques. Le premier problème posé est celui de la définition du feu : selon les cas et les époques, il peut désigner une famille nombreuse, un célibataire, un veuf ou une veuve. À ce feu réel, qui nécessite un recensement exhaustif de la population, va bientôt se substituer un feu fictif - feu de compoix -, simple coefficient démultiplicateur du montant attendu de l’impôt. Cette évolution sert les desseins du pouvoir royal, qui fixe a priori le volume de la somme à répartir, à charge pour les collecteurs ou les états provinciaux de la réunir : selon sa richesse estimée, telle province, tel bailliage ou telle paroisse paiera pour un nombre déterminé de feux. Ainsi, au XVIIIe siècle, la Provence est réputée compter pour 3 032 feux de 55 000 livres ; de
même, la Bretagne a un fouage - impôt direct - de 214 000 livres à répartir entre 32 441 feux. Ce système laisse place à l’arbitraire, d’autant plus qu’il repose sur une statistique impossible à dresser : l’incapacité du pouvoir royal à renouveler l’opération de 1328 est patente. En 1490, Charles VIII renonce à sa « recherche générale des feux ». Sous l’Ancien Régime, toute révision de la liste des foyers, appelée « répartition » ou « réparation », passe vite d’un recensement des feux réels à une négociation sur le nombre des feux fictifs, donc sur l’appréciation de la richesse collective imposable. downloadModeText.vue.download 349 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 338 C’est dire que les études démographiques menées sur la seule base du recensement des feux recèlent une grande marge d’incertitude. Même si tel ou tel village offre des sources sûres, toute estimation de la population du royaume est très difficile à faire avant le XVIIIe siècle, où seront menées les enquêtes destinées à connaître le nombre d’habitants du pays. feuillants (Club des), société politique révolutionnaire modérée née de la scission du Club des jacobins, le 16 juillet 1791. Face à l’agitation républicaine consécutive à la fuite du roi et à son arrestation à Varennes, le triumvirat formé par Adrien Duport, Antoine Barnave et Alexandre Lameth fait voter, le 15 juillet, un décret innocentant Louis XVI et le déclarant inviolable. En réponse, une partie du Club des jacobins rédige, dès le lendemain, une pétition demandant le remplacement du roi. Cette attitude antilégaliste est aussitôt dénoncée par les triumvirs, qui quittent le Club des jacobins pour s’installer non loin de là, au couvent des Feuillants. Le retrait de la pétition, après le vote par l’Assemblée du décret du 16 juillet rétablissant Louis XVI sur le trône, n’interrompt pas les départs, qu’accélère la fusillade du Champde-Mars, le 17 (la Garde nationale tire sur un attroupement interdit de pétitionnaires hostiles au roi). Les scissionnistes entraînent avec eux des centaines d’adhérents, dont la quasi-totalité des députés, parmi lesquels La Fayette ; ne reste alors au Club des jacobins qu’un petit groupe animé par quatre députés, dont Robespierre.
En fait, cette scission entérine le clivage, au sein de la Constituante, entre « démocrates » et « conservateurs ». Ces derniers, soucieux de terminer la Révolution et de consolider la monarchie constitutionnelle, veulent renforcer les pouvoirs du roi et restreindre le droit de suffrage. Sur ces derniers points, les feuillants l’emportent, en faisant inscrire dans la Constitution révisée durant l’été 1791 le droit de grâce pour le roi et l’élévation du cens électoral. Mais cette victoire est de courte durée. Tandis que la menace étrangère, avec la déclaration de Pillnitz, et la crise religieuse relancent le mouvement populaire, les clubs de province restent massivement affiliés aux jacobins, et ne rallient pas les feuillants. À l’automne 1791, lorsque se réunit la Législative, composée d’hommes neufs (les députés de la Constituante n’étant pas rééligibles), nombre de scissionnistes prestigieux ont quitté les feuillants, et, même si 264 des nouveaux représentants sont inscrits à ce club, la politique révolutionnaire se fait alors moins à l’Assemblée qu’aux jacobins et dans les sociétés populaires. Avec la marche vers la guerre, les feuillants n’apparaissent plus que comme un groupe divisé - les « fayettistes », au contraire des triumvirs, appuient la politique belliciste de Brissot -, sans autre programme que la Constitution, et menant une politique de couloirs. Le remplacement du ministère feuillant, par un ministère jacobin, en mars 1792, marque l’échec de sa politique de collaboration avec le roi, qui continue à mener double jeu. Malgré un second ministère feuillant, formé le 13 juin, après le renvoi par le roi des ministres girondins, les feuillants, sans influence et discrédités, ne peuvent empêcher la chute de la monarchie, à laquelle leur club ne survit pas. février 1848 (journées des 22 23 et 24) ! révolution de 1848 février 1934 (journée du 6), émeute parisienne qui provoque l’une des crises politiques les plus graves qu’a connue la IIIe République, et qui suscite des interrogations, aujourd’hui encore, quant à l’existence, dans les années trente, d’un fascisme français. • Les prémices. Depuis le mois de janvier 1934, l’Action française, puis d’autres ligues d’extrême droite - les Jeunesses patriotes, la Solidarité française - s’ingénient à transformer en crise de régime l’affaire Stavisky, escroquerie couverte par le Crédit municipal de
Bayonne et par le député radical de cette ville. Dans cette affaire, les personnalités corrompues sont peu nombreuses, mais la presse et les mouvements d’extrême droite tentent de faire accroire que l’ensemble du Parti radical est compromis. Maintes fois, le slogan « À bas les voleurs ! » est scandé sur le boulevard Saint-Germain ou les Champs-Élysées. Par ailleurs, les journaux s’interrogent sur le mystérieux suicide de Stavisky. Accusé par l’Action française d’avoir fait assassiner le banquier escroc, le président du Conseil Camille Chautemps démissionne le 28 janvier, deux mois seulement après son investiture. Pour le remplacer, le président Lebrun appelle Édouard Daladier, réputé pour son intégrité et pour son énergie. Le nouveau président du Conseil forme, le 30 janvier, un gouvernement radical ouvert au centre, et décide, le 3 février, de limoger le préfet de police Jean Chiappe, jugé trop indulgent envers les ligues. Cette sanction soulève les protestations de la droite à la Chambre et, surtout, redouble la contestation des ligues. • La manifestation. Le soir du 6 février, des groupes et ligues d’extrême droite, mais aussi des mouvements d’anciens combattants - représentés notamment par la puissante Union nationale des combattants (UNC) et par l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC), proche du Parti communiste -, ainsi que de simples mécontents sans appartenance politique clairement définie convergent vers la place de la Concorde et la Chambre des députés. Les motivations des manifestants sont des plus diverses : les anciens combattants entendent surtout exprimer leur indignation et, peut-être, dans le cas de l’UNC, apporter un soutien moral aux ligues ; les Croix-de-Feu du colonel de La Rocque semblent avoir pour but de faire une démonstration de force ; les ligues d’extrême droite, quant à elles - Action française, Jeunesses patriotes, Solidarité française -, cherchent délibérément l’affrontement pour mettre fin au « régime du profit et du scandale » (dans leurs tracts, les Jeunesses patriotes appellent leurs militants à « aller au Parlement crier leur manière de voir »). La manifestation est plus violente que les précédentes : aux habituels jets de pavés s’ajoutent les incendies de kiosques à journaux et d’autobus. Dès 17 heures, la Garde républicaine barre le pont de la Concorde pour empêcher toute invasion du Palais-Bourbon. Mais, vers 19 heures 30, des coups de feu sont échangés. Arrivé avec ses Croix-de-Feu boulevard Saint-Germain vers 20 heures 45, le colo-
nel de La Rocque ordonne à sa colonne, qui n’a pas participé aux affrontements, de se disperser. Après cette accalmie de courte durée, l’émeute reprend de plus belle jusque vers 2 heures 30 du matin, et les forces de l’ordre ouvrent le feu sur les manifestants. Le bilan est lourd : selon les chiffres officiels, 15 morts, dont 14 parmi les membres des trois ligues activistes, et 328 blessés hospitalisés. • Les conséquences de la nuit d’émeute. Le 7 février, Daladier, qui a obtenu la veille un vote de confiance par 360 voix contre 220, est contraint à la démission : seul Léon Blum l’exhorte à résister. La droite revient aux affaires : Gaston Doumergue est président du Conseil. Pour la première fois dans l’histoire de la IIIe République, un gouvernement cède devant la pression de la rue. Les militants de gauche, qui voient dans l’émeute un complot fasciste, aspirent à l’union afin de contrer ce danger ; mais, en raison des réticences des états-majors des partis, la riposte s’effectue d’abord en ordre dispersé. Le 9 février, les communistes appellent à une grande manifestation, dirigée à la fois contre les ligues et contre le gouvernement, et qui, en raison de la réaction policière, donne lieu à des affrontements très violents. La CGT lance, pour le 12, un mot d’ordre de grève générale, auquel s’associe la CGTU (communiste), tandis la SFIO organise un vaste défilé, au cours duquel on voit les cortèges socialiste et communiste fusionner. Ces rapprochements annoncent l’alliance des forces de gauche que sera le Front populaire. Mais si, dans l’imaginaire politique de la gauche, l’existence d’un fascisme français ne fait aucun doute, plusieurs interprétations des événements du 6 février 1934 ont été fournies : pour l’historien israélien Zeev Sternhell, la dérive fasciste des ligues explique en grande partie la violence de l’émeute ; à l’inverse, pour Raoul Girardet et pour Serge Berstein, on ne saurait parler que d’un « fascisme diffus » - c’est-à-dire d’une utilisation, par les ligues, des formes extérieures du fascisme sans que la doctrine fasciste elle-même eût été reprise. Cependant, tous s’accordent à considérer la journée du 6 février 1934 comme l’expression paroxystique de l’antiparlementarisme français. FFI (Forces françaises de l’intérieur), unités créées le 1er février 1944 par un décret du Comité français de libération nationale (CFLN) en vue de parachever l’unification des forces clandestines de la Résistance.
Au noyau ancien de l’Armée secrète des mouvements de résistance s’ajoutent les maquis, les FTP communistes et des éléments de l’Organisation de résistance de l’armée (ORA), formée d’anciens militaires de l’armée de l’armistice. L’unification demeure cependant downloadModeText.vue.download 350 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 339 largement théorique, les FTP conservant une réelle autonomie et les membres de l’ORA étant souvent rejetés. Les FFI sont placées sous le commandement du général Koenig, installé à Londres et secondé, en France, par douze délégués militaires régionaux et un délégué militaire national (Jacques Chaban-Delmas). Mais un violent conflit surgit entre le CFLN et le Conseil national de la Résistance (CNR), qui prétend contrôler les FFI et exercer leur commandement depuis la France, par l’intermédiaire de son comité militaire (le COMAC). La doctrine d’emploi des FFI suscite un conflit tout aussi violent, aux relents très politiques, entre partisans de « l’activisme » (pour l’essentiel les communistes) et de « l’attentisme » (le CFLN). Il est difficile d’évaluer le nombre des FFI. Au début de 1944, on peut estimer qu’environ 80 000 volontaires sont mobilisables, mais la plupart ne sont pas armés. À l’été 1944, lors des combats de la Libération, les effectifs croîtront brusquement (390 000 selon certaines estimations, de l’ordre de 200 000 plus vraisemblablement), et 137 000 membres des FFI finiront par être incorporés dans l’armée régulière du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF). FFL (Forces françaises libres), bras armé de la France libre, constitué des officiers, des soldats et des volontaires qui se mettent sous les ordres du général de Gaulle après l’appel à la poursuite du combat lancé par ce dernier sur les ondes de la BBC, le 18 juin 1940. Faibles à l’échelle des effectifs engagés dans le conflit (on ne compte dans leurs rangs que 70 000 soldats en 1943) et soumises à la stratégie des Alliés, les FFL représentent toutefois pour de Gaulle un précieux atout politique. L’enrôlement de soldats rapatriés de Dunkerque ainsi que les ralliements de territoires
coloniaux permettent, dès l’été 1940, la création d’une petite armée. Au Moyen-Orient, deux brigades sont constituées et combattent, aux côtés des Britanniques, en Érythrée (début 1941), au Levant (juin 1941), et s’illustrent, sous les ordres de Koenig, à Bir Hakeim (mai-juin 1942). En février 1943, les deux brigades forment la Ire division française libre (DFL). En Afrique-Équatoriale française, le colonel Leclerc, même s’il ne dispose que de moyens dérisoires, s’empare pourtant de l’oasis de Koufra (mars 1941), où il prononce le serment solennel de ne cesser le combat qu’une fois Strasbourg libéré, puis du Fezzan italien (février 1942), avant de participer à la campagne de Tunisie au printemps 1943 et de fondre ses forces dans la 2e DB. Les Forces navales françaises libres (FNFL), commandées par les amiraux Muselier puis Auboyneau, et essentiellement engagées dans la Manche, comptent, au début de 1943, 5 000 marins. Les Forces aériennes françaises libres (FAFL), constituées à l’été 1941, réunissent plusieurs groupes d’aviation, parmi lesquels le fameux Normandie-Niémen, qui combat sur le front de l’Est, aux côtés des Russes. À l’été 1943, après la création du Comité français de Libération nationale (CFLN), les FFL s’unissent aux forces giraudistes. Certaines unités, comme la 2e DB, demeurent cependant des bastions autant que des symboles du gaullisme. FGDS (Fédération de la gauche démocrate et socialiste), formation créée le 10 septembre 1965, et qui a constitué le pôle de rassemblement de la gauche non communiste, jusqu’à son éclatement en 1969. Au début des années soixante, face à la nouvelle donne introduite par l’élection du président de la République au suffrage universel, l’opposition de gauche cherche un renouveau. Gaston Defferre échoue toutefois à l’incarner, ne pouvant concilier dans son projet de « grande fédération » les vues antagonistes de la SFIO et des centristes. François Mitterrand reprend l’idée, avec succès : il favorise la création d’une fédération résolument ancrée à gauche, associant la SFIO, la Convention des institutions républicaines (CIR), qu’il dirige, le Parti radical ainsi que divers clubs. S’appuyant sur cette union et fort du soutien communiste, le leader de la CIR contraint de Gaulle à un second tour - inattendu - à l’élection présidentielle (décembre 1965).
Après ce premier succès, la FGDS renforce ses positions lors des législatives de mars 1967, qui témoignent de l’assise retrouvée des partis de gauche : la FGDS compte 121 députés, le PC, 73, les gaullistes ne conservant qu’une faible majorité. Mitterrand, président de la coalition, en renforce les structures et engage des négociations avec les communistes. Les événements de mai 68 vont briser cette dynamique : la gauche se divise, et l’opinion, dans un réflexe de peur, se retourne bientôt vers le parti gaulliste. La lourde défaite aux élections législatives qui s’ensuit au mois de juin provoque une crise dont la FGDS ne se remet pas : François Mitterrand en abandonne la présidence en novembre ; la dissolution survient l’année suivante. Fiches (affaire des), scandale suscité par la révélation, en 1904, d’un système de renseignement sur les convictions politiques et religieuses des officiers de l’armée. Au lendemain de l’affaire Dreyfus, les républicains se méfient de l’armée, apparue comme un État dans l’État, et bien peu républicaine. Sous le ministère Waldeck-Rousseau, Galliffet, le ministre de la Guerre, fait passer l’avancement des officiers supérieurs sous son contrôle direct. Dans le gouvernement Combes, son successeur, le général André, veut bloquer la carrière des éléments les plus réactionnaires et favoriser celle des républicains. Il accepte la proposition du Grand Orient, dont les loges maçonniques créent un réseau d’information dans les villes de garnison. 18 818 fiches sont ainsi rédigées. Mais un responsable franc-maçon en rupture de ban révèle l’affaire aux chefs de la Ligue antimaçonnique. Une campagne de presse commence, suivie d’une interpellation à la Chambre le 28 octobre 1904. André nie être au courant, puis Combes le force à démissionner, croyant sauver son ministère, qui est pourtant renversé le 18 janvier 1905. On a souvent retenu le côté mesquin de nombre de fiches (« Va à la messe avec un gros livre sous le bras », « A assisté à la messe de première communion de sa fille » ou « Quand on porte un nom pareil, on ne peut pas être républicain »). C’est du « jésuitisme retourné », lance Clemenceau au Sénat. De fait, Jean Jaurès, qui tente jusqu’au bout de sauver le gouvernement du Bloc des gauches, dénonce la « paralysie de mémoire » et rappelle que peu de temps auparavant c’étaient les officiers républicains qui étaient brimés pour leurs idées.
fidélité (serment de), promesse solennelle faite par le vassal à son seigneur après le rite de l’hommage, et qui crée une subordination. Prêté sur des reliques ou sur les Évangiles, le serment de fidélité engage donc le salut de l’âme de celui qui le prononce, et place les obligations vassaliques dans la sphère du religieux. Il contribue à christianiser les relations d’homme à homme, demeurées, sans doute jusqu’au Xe siècle, largement hors du contrôle de l’Église. Du serment résultent des obligations négatives : ne pas nuire au seigneur, c’est-à-dire ne pas participer à une action qui pourrait porter atteinte à sa personne, à ses biens, à son honneur. Au XIe siècle, toutefois, les seigneurs s’efforcent de transformer cet engagement en une obligation positive de servir. En témoigne une lettre que Fulbert, évêque de Chartres, adresse au duc d’Aquitaine Guillaume V en 1024. Répondant au duc pour l’aider à résoudre un cas concret difficile, Fulbert définit les droits et devoirs nés du contrat vassalique. Il recommande une étroite subordination : selon lui, en effet, le vassal ne doit pas seulement s’abstenir de nuire, il lui faut également faire le bien, c’est-à-dire obéir scrupuleusement aux ordres du seigneur, participer activement à son conseil et au service militaire. Si, en théorie, du moins, et dans quelques cas très particuliers, l’hommage peut être brisé, le serment de fidélité est, en revanche, irrévocable. Selon Fulbert, tout refus de remplir les obligations positives inhérentes au serment est assimilable à un parjure. L’évêque exprime ainsi le désir de la haute aristocratie de se donner les moyens juridiques de commander à des hommes extrêmement turbulents et portés à l’insoumission ou à la révolte. La fidélité confirme l’inégalité de principe induite par la cérémonie de l’hommage, où le vassal fait don de soi-même au seigneur. La relation dissymétrique ainsi établie constitue le fondement même du système féodal : elle permet d’exiger du vassal un dévouement sans limites, que le seigneur n’est pas tenu de récompenser d’une façon particulière, puisque le fief rémunère par avance tous les services. fief, bien assigné par le seigneur à son vassal en récompense de l’hommage que celuici lui prête et en rémunération des services d’aide et de conseil qu’il lui rend. Le mot « fief » dériverait du vieux germanique feo (« bien », « objet de prix »). Il commence à se substituer au mot « bénéfice » dans le
courant du Xe siècle, et, dès le XIe siècle, les chartes ne font plus de différence entre les deux notions. downloadModeText.vue.download 351 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 340 • Du « bénéfice » au « fief ». Au début des temps carolingiens, Charlemagne est parvenu à imposer à l’aristocratie l’usage de la « recommandation » (faire acte de soumission envers un protecteur) afin de consolider la structure hiérarchique de cette classe dominante. Le bénéfice est alors un don gratuit et conditionnel, qui n’est pas lié directement à l’exécution d’un service. Octroyé en toute libéralité par le seigneur, il est aléatoire, viager, et révocable à tout instant. En outre, la concession prend fin à la mort du seigneur. Le successeur de ce dernier peut la renouveler comme décider de ne pas le faire. Bien évidemment, ce renouvellement est lié à celui de la recommandation. Pour le bénéficiaire, deux problèmes généraux se posent : celui de la stabilité du bien concédé (comment être maintenu dans la jouissance de la terre ?) et, en corollaire, celui de son insertion dans le patrimoine familial (comment en faire hériter ses enfants ?). Cependant, par divers glissements, ce bien devient, dans le courant du Xe siècle, la justification des obligations vassaliques. Dès lors, une forme de contrat s’instaure entre le seigneur et son vassal, qui suppose une parité : le service ne découle plus d’un état, la vassalité, mais de la rémunération anticipée que constitue le fief. Ce dernier n’est donc plus le résultat d’un geste de générosité du seigneur, mais un « don qui oblige ». Le bénéficiaire est contraint d’exécuter un certain nombre de prestations par le fait même qu’il a reçu la jouissance d’un bien. Le fief ne s’inscrit donc plus dans la même réalité juridique que le bénéfice. Le détenteur d’un bénéfice n’a toujours aucun droit réel sur la terre qui lui assure son revenu ; ce bénéfice peut être remplacé au gré du seigneur et, surtout, il n’est pas héréditaire. Le droit du vassal sur le bien considéré demeure donc précaire, même si les chances de transmission aux descendants s’accroissent progressivement. • Hérédité des fiefs. Elle est acquise, au plus tard, au début du XIe siècle. En outre, l’attribution d’un fief devient alors irrévocable. Les
vassaux ne sont cependant toujours pas pleinement propriétaires : ils n’ont que ce que les juristes appellent « un droit utile », le seigneur conservant le droit éminent. Ainsi, le vassal ne peut aliéner la terre qu’avec le consentement du seigneur, qui ne l’accorde que s’il a la garantie de la continuité du service. Et, dans la mesure où le service est dû en contrepartie d’une terre, et non d’une allégeance personnelle, il n’existe aucune objection majeure à ce qu’un vassal prête des hommages multiples et obtienne des fiefs de plusieurs seigneurs. Il y a là un élément important si l’on veut comprendre le système féodal : un même personnage peut être le vassal de deux hommes ennemis. Ces positions d’intermédiaires peuvent sembler paradoxales : en apparence, elles créent une grande instabilité et empêchent la mise en place d’une véritable organisation hiérarchique ; en réalité, elles sont garantes de la stabilité de l’ensemble, chacun ayant toujours intérêt à la pacification des conflits et, lorsque ceux-ci éclatent, à empêcher qu’ils ne s’enveniment. À partir du XIIe siècle, et jusqu’à la Révolution, le fief est la forme normale de la propriété noble. Fieschi (attentat de), tentative d’assassinat du roi Louis-Philippe. Le 28 juillet 1835, vers midi, alors qu’il passe en revue la Garde nationale sur les boulevards pour fêter, comme chaque année, l’anniversaire des Trois Glorieuses, Louis-Philippe échappe au feu meurtrier d’une machine infernale. Autour de lui sont fauchées des dizaines de personnes : dix-huit d’entre elles succombent, parmi lesquelles le maréchal Mortier, plusieurs officiers supérieurs, des gardes nationaux, des spectateurs de tous âges et de toutes conditions. C’est un aventurier corse de 45 ans nommé Giuseppe Fieschi qui, installé dans une maison du boulevard du Temple, a simultanément actionné vingtquatre canons de fusil bourrés de mitraille, liés sur un châssis incliné. Il est arrêté, ainsi que deux complices, l’épicier Pépin et le bourrelier Morey, membres de la Société des droits de l’homme. Les trois individus sont condamnés à mort, et exécutés le 19 février 1836, sans que soit démontrée l’implication directe du parti républicain. Ce drame donne lieu à de multiples manifestations d’attachement au roi et de fidélité au régime. Il fournit le prétexte d’un ensemble de lois, votées en septembre 1835, qui brident notamment la liberté de la presse. Il repré-
sente aussi une étape importante dans l’histoire de la monarchie de Juillet : Louis-Philippe commence à prendre ses distances par rapport à une capitale qu’il aimait parcourir à pied ou à cheval. Plusieurs autres attentats manqués, dans les années suivantes, ne feront qu’accentuer ce divorce. Figaro (le), périodique repris en 1854 par Hippolyte de Villemessant, et devenu au XXe siècle l’un des grands quotidiens nationaux. • Un journal à l’identité incertaine. Avant le Figaro existait Figaro : créé en 1826 par un chansonnier (Étienne Arago) et un vaudevilliste (Maurice Alhoy), ce bihebdomadaire s’attira, dans les dernières années de la Restauration, les foudres du pouvoir en raison de ses attaques anticléricales et de son persiflage politique ; sous la monarchie de Juillet, le journal passa aux mains du républicain Henri de Latouche, qui s’entoura de plumes de talent (George Sand, Jules Sandeau, Alphonse Karr, etc.). En 1854, Figaro est racheté par Villemessant, jusqu’alors chroniqueur de mode et fondateur de journaux féminins. Sous sa direction, le titre - hebdomadaire, puis quotidien à partir de 1866 - devient l’un des fleurons de la presse « littéraire » : traitant, d’un style alerte et élégant, le fait divers comme la politique, ses journalistes s’attachent un lectorat bourgeois, qui s’encanaille gentiment en lisant ses « petites correspondances » : de moins de 25 000 en 1866, le tirage moyen grimpe à plus de 80 000 au début des années 1880 ! Le Figaro a-t-il alors une ligne politique ferme, lui qui accueille un temps Jules Vallès et songe à recueillir Louis Veuillot ? À en croire Louis Ulbach, il « ne trahit personne puisqu’il ne défend rien ». Pourtant, la fibre légitimiste domine, l’anti-républicanisme y fleurit, jusqu’à ce que les successeurs de Villemessant opèrent un recentrage : c’est ainsi que Zola va y signer divers articles entre 1895 - « La vertu de la République » - et 1897 où, dans une série intitulée « La vérité en marche », il mène campagne en faveur de Dreyfus. Mais, la clientèle modérée se détournant, le titre perd plus de la moitié de ses lecteurs, et Gaston Calmette (nommé directeur en 1902) doit réorienter la ligne politique du journal en menant de vigoureuses campagnes conservatrices (l’une d’elles lui vaudra d’ailleurs d’être assassiné par l’épouse du ministre Joseph Caillaux). Sous la houlette littéraire de Robert de Flers et d’Alfred Capus, le Figaro traverse la Grande Guerre en affichant un patriotisme à toute épreuve, qui lui permet
de redorer partiellement son blason. Mais le capital, fragilisé, tombe entre les mains du parfumeur François Coty (1922), qui soumet le titre à ses humeurs politiques fluctuantes et par trop orientées vers l’extrémisme droitier ; une nouvelle fois, le lectorat modéré s’éloigne, et le quotidien atteint son étiage (moins de 10 000 exemplaires en 1932). • « Le Figaro » de Pierre Brisson. À la mort de Coty, en 1934, le capital passe entre les mains de sa veuve, remariée au milliardaire roumain Cotnareanu. Autour de Lucien Romier et de Pierre Brisson, un comité éditorial rassemble journalistes de talent et écrivains de renom : Mauriac, Giraudoux, Morand, Carco, Claudel, Montherlant, etc. Situé à droite, clairvoyant, critique à l’égard des fascismes, discrètement munichois, le journal doit installer ses locaux à Lyon dès 1940. Deux ans plus tard, Brisson - qui après son évasion a pris la tête de la rédaction - refuse de dénoncer « l’agression anglo-américaine » et décide de saborder le journal, qui reparaît en août 1944. S’ouvre alors un premier conflit entre Mme Cotnareanu, détentrice du capital, et les journalistes : au terme de nombreuses années de procédure, Pierre Brisson, s’appuyant sur le soutien de l’industriel lainier (et ancien propriétaire de Paris-Soir) Jean Prouvost, obtient de prendre la direction d’une société chargée de gérer le journal : l’indépendance du titre est sauvegardée. Défenseur des idées de la droite libérale, atlantiste et foncièrement anticommuniste, accompagnant la politique économique de Pinay, le Figaro de Brisson devient le grand quotidien de référence du matin. Favorable au retour de De Gaulle, il suit les retournements de politique intérieure (guerre d’Algérie) et extérieures (rapprochement avec la « Russie soviétique », refus de l’atlantisme systématique, etc.) auxquels procède le Général. • Crises et rebondissements. À la mort de Brisson en 1964, le Figaro a un tirage de plus de 500 000 exemplaires. Mais une nouvelle crise s’ouvre entre les détenteurs du capital, désormais contrôlé par Prouvost et le sucrier Béghin, et la rédaction. Craignant pour son indépendance, celle-ci obtient finalement d’être représentée au sein d’un directoire dont le président a titre de directeur de la rédaction : le cap est ainsi maintenu d’un journal globalement progouvernemental dès lors que les principes libéraux ne sont pas en danger. downloadModeText.vue.download 352 sur 975
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341 En 1975, Prouvost vend ses parts au « papivore » Robert Hersant, qui fusionne peu après le titre avec l’Aurore : le journal accentue son orientation à droite, ce qui provoque des départs, dont celui de Raymond Aron (1977). L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 en fait le porte-parole d’une opposition au ton polémique. Le recrutement surprise de FranzOlivier Giesbert (1988), transfuge du Nouvel Observateur, semble redonner quelque crédit à un quotidien dont le lectorat n’a cessé de fondre, en dépit d’une politique de marketing très active. Filitosa, monumentale fortification (ou castellu) de l’âge du bronze, située sur la commune de Sollacaro (Corse-du-Sud) et datant de la seconde moitié du IIe millénaire avant notre ère. Située à 10 kilomètres au nord de Propriano, la colline dite de Turricchju (« les petites tours ») est constituée d’un chaos rocheux qui domine d’une soixantaine de mètres la vallée du Taravo. Elle est occupée dès le début du néolithique et présente des traces d’habitat de l’époque cardiale ainsi que, plus discrètement, des phases ultérieures du néolithique (basien et terrinien). Toutefois, les principaux vestiges datent de l’âge du bronze. Il s’agit d’une enceinte de forme elliptique - maintenant, en ruine - faite de gros blocs de pierre, enserrant un village et trois tours. Le village se compose de petites maisons en pierres sèches, aux murs curvilignes, appuyées sur la partie est du rempart. Les tours sont implantées respectivement au sud-est, au nord-ouest et au centre de l’enceinte, les deux dernières présentant également des murs curvilignes. Avec Araghiu, Cucuruzzu, Castellucciu ou Tappa, Filitosa est donc l’un de ces castelli caractéristiques de l’âge du bronze en Corse méridionale, témoignant de fortes tensions entre les chefferies naissantes, dans un milieu insulaire aux ressources limitées. Mais la célébrité du site tient aussi à la découverte de plusieurs statues-menhirs, retrouvées en réemploi dans le mur de la tour centrale, et dont certaines représentent des guerriers armés. Filles de la Charité, congrégation religieuse féminine fondée en 1634 par saint Vincent de Paul et Louise de Marillac, et vouée à l’assistance aux pauvres et aux orphelins. Dans la première moitié du XVIIe siècle, la mise
en place de la réforme tridentine en France suscite la naissance de nombreuses congrégations religieuses, qui, conformément aux nouvelles aspirations, cherchent à associer à la vie contemplative les actions caritatives ou éducatives. Les institutions féminines doivent donc s’adapter et assouplir les contraintes du voeu de clôture pour s’ouvrir davantage au siècle. Saint Vincent de Paul et Louise de Marillac désirent rendre plus efficace l’oeuvre de la congrégation parisienne des Dames de la Charité, dont les membres, issues de l’élite sociale, sont peu formées à l’accomplissement de certaines tâches matérielles. Les Filles de la Charité sont, elles, surtout recrutées dans les milieux populaires de la campagne ; elles doivent seconder les Dames de la Charité et compléter leur action. Louise de Marillac, leur première supérieure, se charge de leur formation et apprend à lire aux illettrées. Certaines religieuses peuvent ainsi assurer un enseignement dans le monde rural, qu’elles connaissent bien et dont elles ont conservé le costume. À partir du XIXe siècle, on les reconnaît grâce à leur célèbre cornette, qui n’est plus en usage de nos jours. finances publiques. On entend par finances publiques les ressources et les dépenses gérées par des institutions détenant un pouvoir public, principalement l’État central, à partir du moment où celui-ci commence à s’autonomiser par rapport au pouvoir féodal - processus dont l’origine se situe sous le règne de Philippe Auguste et qui est clairement à l’oeuvre sous celui de Philippe le Bel. Mais une étude des finances publiques doit également inclure les finances des villes (et, de ce point de vue, leur histoire est plus précoce), des provinces (du moins, des pays d’états) jusqu’en 1789 et des collectivités territoriales des XIXe et XXe siècles. Cependant, on doit en exclure les ressources et les dépenses des organismes sociaux et des entreprises publiques actuels, bien qu’une partie de leurs ressources proviennent des dépenses de l’État. On peut distinguer trois types principaux de ressources publiques : la fiscalité (on se reportera, pour cette partie, à l’article « impôt »), les ressources domaniales et l’emprunt. En outre, on peut considérer comme des ressources publiques - mais il s’agit de cas rares - des fonds provenant de l’étranger : taxation des régions militairement conquises, par exemple sous la Révolution et l’Empire ; « réparations » versées par les ennemis vain-
cus, telle l’Allemagne après 1919. • Les ressources domaniales. Elles peuvent être tirées des propriétés du roi, puis de l’État : ainsi la vente du bois des forêts domaniales. Il s’agit aussi des droits en argent issus de l’exercice des pouvoirs régaliens : par exemple, le profit réalisé à l’occasion des émissions monétaires ou de la vente de papier timbré, la perception des frais de justice, les bénéfices des loteries, etc. À l’origine, les ressources du domaine constituent les plus importantes - et de loin - des recettes du Trésor du roi, car ce dernier a encore quelque chose d’un seigneur « vivant du sien ». Par la suite, elles ne seront jamais négligeables : 12 % des ressources publiques en 1788, 5 % en 1980. • L’emprunt. Jusque sous l’Empire, l’État ne cesse jamais d’emprunter à de riches particuliers (marchands, négociants, fournisseurs aux armées), selon des procédures occultes et pour des montants considérables. En contrepartie, ces créanciers reçoivent la gestion - et les profits afférents - de ressources domaniales ou fiscales, mais aussi des privilèges commerciaux et des positions de pouvoir. Jacques Coeur sous Charles VII, Semblançay sous François Ier, Samuel Bernard sous Louis XIV ou Ouvrard sous Napoléon sont des exemples de ce genre de prêteurs. À partir de Richelieu, les agents de la gestion des finances royales sont à compter au nombre des créanciers de l’État, même si, par définition, ils manient les deniers publics. Ils prêtent en effet au Trésor tout ou partie de ces fonds qui, théoriquement, appartiennent déjà au Trésor... Ce mécanisme atteint son apogée sous Louis XIV. L’emprunt public moderne, lancé au grand jour à la suite d’une décision législative prise au Conseil du roi ou votée par le parlement, apparaît en 1522 : la municipalité de Paris, plus rassurante que le Trésor royal pour les épargnants, émet alors des emprunts garantis par les ressources de la ville, qu’elle revend au Trésor à un taux légèrement supérieur (on parle donc de rentes sur l’Hôtel de Ville). D’autres villes imitent Paris. Après 1815, l’État émet des emprunts directement - sans passer par l’intermédiaire d’une ville - selon des modalités variables (durée, taux d’intérêt, avantages annexes consentis aux souscripteurs). La part de cette dette, dite « constituée », dans les ressources connaît des flux (durant la guerre de la Succession d’Espagne, la guerre d’Amérique et pendant tout le XIXe siècle) et des reflux (sous l’Empire, après la Seconde Guerre mondiale).
Sous l’Ancien Régime, la part de l’emprunt est toujours majoritaire dans les ressources des villes et des collectivités locales, sauf durant la période allant du ministère de Colbert à 1789, au cours de laquelle les intendants reçoivent la consigne de mettre sous étroite tutelle les finances des villes, dont la propension à emprunter entre en concurrence avec les besoins du Trésor royal. • Les dépenses publiques. Elles peuvent être décomposées selon des critères institutionnels, fonctionnels ou économiques. Pour savoir qui engage les dépenses publiques - point de vue institutionnel -, il suffit d’examiner la nomenclature des départements ministériels d’une période donnée : par exemple, les dépenses de la Maison du roi sous la monarchie absolue. Le critère fonctionnel permet de procéder à des comparaisons sur la longue durée, puisque, en toutes périodes, les dépenses publiques peuvent être réparties de la façon suivante : service de la dette ; dépenses militaires et assimilées (Marine, Affaires étrangères) ; dépenses de fonctionnement de l’appareil d’État (ainsi, sous l’Ancien Régime, les dépenses de cour) ; dépenses civiles se ramifiant à l’infini (éducation, santé, culture, etc.), au fur et à mesure que les fonctions de l’État s’étendent bien au-delà des fonctions régaliennes traditionnelles que sont la défense, la police et la justice. Sur près de deux cents ans - entre 1788 et 1980 -, le fait majeur, comme le montre le tableau ci-dessous, réside dans l’augmentation très importante des dépenses civiles. Si l’on tente une approche contemporaine - et qu’on l’applique rétrospectivement -, plusieurs types de dépenses peuvent être distingués selon des critères économiques : les dépenses de fonctionnement et le service de la dette, qui ont peu d’effets directs sur la conjoncture économique ; les dépenses de transfert (salaires des agents de l’État, pensions des anciens combattants, secours en cas de calamités, etc.), qui permettent une redistribution des possibilités de consommation et d’épargne entre les différentes catégories sociales et professionnelles ; les dépenses dites « liées » au développement (subventions aux entreprises, investissements des adminisdownloadModeText.vue.download 353 sur 975
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trations, commandes publiques). La mesure de ces dernières fait l’objet de controverses, pour le passé comme pour le présent. On peut cependant considérer qu’aujourd’hui elles représentent environ un tiers de l’ensemble des dépenses. Elles n’ont jamais été négligeables, car on doit considérer comme « liées » les dépenses de construction des bâtiments royaux, des fortifications, de la marine de guerre. On peut comparer les finances publiques au produit intérieur, à partir du moment où celui-ci peut être calculé de façon fiable, c’est-à-dire dès la fin du XIXe siècle : les ressources et les dépenses s’équilibrant, elles représentent 15 % du produit intérieur en 1880, 33 % en 1920, 40 % en 1958, 32 % en 1980 (non compris les finances des organismes sociaux, dont la part dans le produit intérieur ne cesse de grandir tandis que diminue celle des finances publiques stricto sensu). • La gestion des finances publiques. L’établissement d’un budget sous la forme élémentaire d’« état de prévoyance » établi par les services du « ministre des Finances » date de Colbert. C’est entre 1816 et 1820 que la procédure budgétaire moderne, imitée de l’Angleterre, se met en place ; elle demeure sensiblement la même aujourd’hui : discussion publique et vote par le Parlement d’une loi de finances, mais, à la différence de l’Ancien Régime, l’examen de la partie « recettes » précède celui de la partie « dépenses ». Bien que l’existence d’un département ministériel des finances ait été tardive (son titulaire est appelé « surintendant », du règne de François Ier jusqu’à la disgrâce de Nicolas Fouquet, en 1661, puis « contrôleur général » jusqu’à la fin de l’Ancien Régime), une administration financière spécifique apparaît dès le règne de Philippe le Bel : un Trésor se distingue alors de la cassette personnelle du roi ; un corps de trésoriers et de comptables est constitué dans l’administration centrale comme dans les provinces. Ces personnages sont d’abord nommés ; progressivement plus nombreux, ils sont, à partir du règne d’Henri II, des officiers qui acquièrent leurs charges. De 1789 à 1796, ils sont élus, tandis que, à la base, ce sont les municipalités elles-mêmes qui exercent les tâches fiscales. La période qui s’étend du Directoire à la Restauration est celle de l’édification d’une administration financière composée de fonctionnaires, tant à l’échelon national que local. Les treize chambres des comptes de la monarchie ne jouent aucunement le rôle de
contrôle des finances et des financiers qui leur est théoriquement imparti. Créée en 1807, l’actuelle Cour des comptes, qui est un tribunal, a une compétence juridictionnelle à l’égard des comptables publics. Elle exerce également des missions de contrôle des comptes du Trésor, des entreprises publiques et des organismes sociaux, dont les résultats sont rendus publics par des rapports annuels. Depuis les lois de décentralisation de 1982, des chambres régionales des comptes s’acquittent des mêmes fonctions à l’égard des finances publiques locales. flagellants, membres de mouvements de piété qui apparaissent d’abord en Italie, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, puis dans toute l’Europe après la Peste noire (1348). Le terme « flagellants » fait en réalité référence à deux mouvements assez différents, en dépit de leur pratique commune de la flagellation. Le premier naît au printemps 1260, à Pérouse, dans une Italie urbaine déchirée par les luttes entre guelfes et gibelins et traversée par les espérances millénaristes. Les processions de flagellants sont alors conçues comme un rite pénitentiel collectif destiné à ramener la paix dans les cités. Elles sont encadrées par les ordres mendiants, notamment les franciscains, et reçoivent l’approbation des institutions civiles et du clergé urbains. Bientôt sont organisées des confréries de flagellants, que l’on retrouve au XIVe siècle dans de nombreuses villes d’Italie. Ce premier mouvement n’a que peu d’écho hors de la Péninsule, à l’exception de Strasbourg en 1296 et de Montpellier en 1313. Un second mouvement de flagellants, d’une plus grande ampleur, apparaît après la Peste noire. D’abord venu de Pologne et de Hongrie, il gagne très rapidement la Rhénanie, la Flandre, la Champagne et la Provence. La flagellation est de nouveau conçue comme un acte de pénitence : il s’agit d’expier les péchés de la chrétienté, à l’origine de la colère de Dieu manifestée par la peste. Le mouvement témoigne aussi de réminiscences millénaristes : la peste est considérée comme un des signes annonciateurs de la fin des temps. Mais, contrairement aux flagellants italiens, ces mouvements ne tardent pas à se distinguer par leur hétérodoxie : ils rassemblent hommes et femmes errant de ville en ville, mêlent clercs et laïcs sans hiérarchie ni discipline, critiquent les sacrements et les offices religieux et font preuve d’un anticléricalisme virulent. Dès le 20 octobre 1349, par la bulle Inter sollicitudines, le pape Clément VI condamne
fermement les flagellants et demande l’appui des rois de France et d’Angleterre. Le roi Philippe VI fait ainsi disperser par le sénéchal de Champagne les flagellants venus de l’Est jusqu’aux environs de Troyes. Cependant, le mouvement reprend régulièrement vigueur jusqu’au XVe siècle, en particulier au temps du grand schisme d’Occident (1378-1417). Les déviations morbides et les espérances millénaristes qui caractérisent les flagellants des XIVe et XVe siècles témoignent du terrible choc qu’ont provoqué les fléaux de la fin du Moyen Âge : les guerres, la division de l’Église et, surtout, les retours des famines et de la Peste noire. Flagellation (séance de la), séance tenue par Louis XV au parlement de Paris le 3 mars 1766. Depuis l’affaire des Billets de confession, les parlements mènent contre l’autorité royale une lutte qu’aggrave leur prétention à agir comme les « classes » d’une seule cour, siégeant en plusieurs villes. L’un exprime des remontrances au roi, qui sont reprises par les autres, les juges se posant ainsi en représentants de la nation. Quand, le 11 novembre 1765, Louis XV fait arrêter le procureur du roi au parlement de Rennes, La Chalotais, les parlements de Paris et de Rouen protestent aussitôt, ce dernier allant jusqu’à rappeler au souverain « le serment fait à la nation » lors du sacre. Excédé, Louis XV fait préparer par les conseillers d’État Joly de Fleury et, surtout, Gilbert de Voisins un discours qui rappelle les fondements de la monarchie de droit divin et la subordination de la justice. Le texte, lu en présence du roi devant les ducs et pairs et tous les parlementaires, insiste sur le fait que c’est en la personne du roi que « réside la puissance souveraine, dont le caractère propre est l’esprit de conseil, de justice et de raison » et que « les intérêts de la nation, dont on ose faire un corps séparé du monarque », se confondent avec les siens. Diffusé par l’Imprimerie royale, le sévère discours de la Flagellation ne calma l’agitation que quelques semaines ; mais il reste, par la précision du style et des idées, un résumé parfait de la pensée absolutiste. Flandin (Pierre Étienne), homme politique (Paris 1889 - Saint-Jean-Cap-Ferrat, AlpesMaritimes, 1958). Issu d’une dynastie de parlementaires, Flan-
din siège comme député d’Avallon de 1914 à 1940. Situé au centre droit, il figure pour la première fois dans un gouvernement en 1920 comme sous-secrétaire d’État à l’Aéronautique. Président de l’Alliance démocratique en 1933, favorable à une « concentration » unissant modérés et radicaux, il entre dans le gouvernement de « trêve » formé par Doumergue au lendemain de l’émeute du 6 février 1934, avant de devenir lui-même président du Conseil (novembre 1934-juin 1935). Il mène alors une politique économique déflationniste et s’efforce de promouvoir une politique extérieure « réaliste » : rapprochement avec l’Italie, ratification du pacte franco-soviétique, souci poussé à l’extrême de consolider l’entente franco-britannique. Ministre des Affaires étrangères au moment de la remilitarisation de la Rhénanie, il devient après la victoire du Front populaire l’un des chefs de l’opposition parlementaire, et adopte, par peur du communisme, une attitude ultrapacificiste qui fait de lui un ardent défenseur des accords de Munich. Il vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain (juillet 1940), puis, en décembre, après l’éviction de Laval, est nommé au ministère des Affaires étrangères, où il ne reste que sept semaines en raison de l’hostilité des Allemands. Condamné en 1946 par la Haute Cour de justice à cinq ans d’indignité nationale, Flandin est aussitôt relevé de sa peine pour services rendus à la Résistance, mais ne joue plus qu’un rôle effacé sur la scène politique nationale. Flandre. Le terme désigne aujourd’hui plusieurs entités géographiques aussi bien en France qu’en Belgique et aux Pays-Bas. La Flandre française correspond à la partie ouest du département du Nord, dont la limite méridionale est mal définie - Lille, où le flamand n’a jamais été parlé, possède une gare dénommée « Lille-Flandres » - et dont le coeur historique et linguistique forme la petite région « des Flandres », limitée au sud-est par la Lys et au nord-ouest par la mer du Nord. Dans cette région, qui comprend le houtland (« pays boisé ») et le blooteland (« pays nu »), downloadModeText.vue.download 354 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 343 le dialecte flamand était encore répandu dans les campagnes au début du XXe siècle. En Belgique, le mot « Flandre » s’applique,
au niveau administratif, aux deux provinces les plus occidentales du royaume : la FlandreOccidentale, située autour de Bruges, et la Flandre-Orientale, autour de Gand. D’un point de vue politique, la Flandre est beaucoup plus vaste, englobant la moitié nord de la Belgique, à l’exception de Bruxelles, au nord de la frontière linguistique ; la langue officielle de la Flandre est le néerlandais. Il existe aussi une Flandre zélandaise aux PaysBas, au sud de l’estuaire de l’Escaut. L’usage d’un mot unique pour nommer des ensembles territoriaux aussi variés est le résultat d’un long processus historique engagé à la fin de l’Empire romain, lorsque des populations de langue germanique, les Francs Saliens, se sont avancées progressivement vers le sud. • La Flandre avant la conquête française. Au Moyen Âge, le mot « Flandre » sert à désigner une importante principauté féodale, le comté de Flandre, vaste territoire situé entre Escaut, mer du Nord et collines de l’Artois ; il recouvre, dès l’an mil, l’ouest de l’actuel département du Nord et l’ouest de la Belgique. Le long de la mer du Nord, le Pagus Flandrensis, centré autour de Bruges, forme le noyau historique. Ce comté se trouve dans la mouvance du royaume de France, dont l’Escaut forme alors la frontière orientale. Néanmoins, l’autorité des rois capétiens s’y exerce de manière ténue et sporadique. Lorsque, au début du XIIIe siècle, le comte de Flandre Ferrand prend le parti du Saint Empire dans le conflit qui oppose celui-ci à la France, Philippe Auguste rétablit son autorité par les armes : il remporte la bataille de Bouvines, le 27 juillet 1214 ; Ferrand, coupable de félonie, est fait prisonnier, et le comté est ensuite rattaché plus étroitement au royaume jusqu’en 1369. La Flandre connaît son apogée au cours des « beaux siècles du Moyen Âge », du XIe au XIIIe siècle ; les draps flamands écarlates s’exportent à prix d’or vers les villes d’Italie et, de là, vers l’Orient, où ils sont échangés contre soieries, épices et parfums. De Bruges à Lille et à Douai, les villes de Flandre entretiennent des relations économiques privilégiées avec les deux autres grands centres économiques de l’époque, l’Italie et les villes de la Hanse germanique, dont Bruges est un comptoir actif. La richesse générée par l’industrie textile favorise l’essor urbain. L’édification de nouvelles murailles emprisonnant les anciens faubourgs accompagne la construction d’églises
gothiques en brique, richement décorées dans les dernières décennies du Moyen Âge par les grands peintres de la Renaissance flamande, Jan Van Eyck, Hans Memling, Quentin Metsys ou Jérôme Bosch. À la fin de l’époque médiévale, la Flandre est absorbée par des ensembles politiques de plus en plus vastes, au gré des mariages princiers et de la diplomatie. En 1369, les noces de la comtesse de Flandre et de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, ont fait passer le comté dans l’héritage bourguignon. Un peu plus d’un siècle plus tard, le 28 août 1477, est célébré en Flandre « le mariage le plus important de l’histoire », selon l’historien Jean Lestocquoy : l’union de la fille de Charles le Téméraire, Marie de Bourgogne, et de l’archiduc Maximilien d’Autriche. La Flandre entre alors dans l’univers des Habsbourg. Mais, jusqu’au début du XVIe siècle, du point de vue du strict droit féodal, le comté reste dans la mouvance du roi de France, dont le comte de Flandre est vassal et auquel il doit hommage et foi, même s’il est en même temps duc de Bourgogne et souverain du puissant royaume d’Espagne. Cette situation juridique est difficile à accepter pour un prince de l’importance de Charles Quint, né en Flandre et de culture flamande, roi d’Espagne et souverain d’un Empire « où le soleil ne se couche jamais ». Aux traités de Madrid (1526) et de Cambrai (1529), François Ier lui abandonne sa souveraineté sur le comté. À partir de 1525, la Flandre fait ainsi partie intégrante des PaysBas espagnols, vaste ensemble de provinces s’étendant de l’Artois à la Frise, pays riches, densément peuplés, bientôt gagnés par la Réforme protestante. • La conquête française. Au XVIIe siècle, la partie méridionale du comté de Flandre est conquise par la France, principalement au cours des guerres menées par Louis XIV. Au traité des Pyrénées, en 1659, Gravelines et Bourbourg, villes de Flandre maritime, sont annexées ; trois ans plus tard, Dunkerque est achetée aux Anglais. À l’issue de la courte guerre de Dévolution, le traité d’Aix-la-Chapelle, signé en 1668, accorde à la France Bergues et Furnes, les riches châtellenies de Lille, Douai et Orchies, ainsi que Menin, Courtrai et Tournai, ouvrant ainsi à l’influence française la vallée de la Lys et la haute vallée de l’Escaut. La conquête est parachevée à l’issue de la guerre de Hollande par l’acquisition de Cassel, Hazebrouck, Bailleul et Ypres lors du traité de Nimègue, en 1678.
Une partie de ces conquêtes est néanmoins perdue au traité d’Utrecht (1713) : Furnes, Menin, Courtrai, Ypres et Tournai passent sous domination autrichienne, les Habsbourg d’Autriche ayant pris la succession des Habsbourg d’Espagne dans ce qui restait des PaysBas espagnols. La frontière nord de la France est alors fixée dans ses grandes lignes, mais ce n’est qu’à la fin du XVIIe siècle qu’elle est délimitée précisément, lorsque les enclaves françaises et autrichiennes sont échangées en 1769 et 1779. Le XVIIIe siècle est marqué par l’intégration de la Flandre conquise à l’espace économique, politique et administratif français. Les villes se détachent peu à peu de leurs débouchés naturels demeurés en territoire autrichien, Gand et Anvers, pour se tourner vers le port de Dunkerque et le Bassin parisien. Lors de l’invasion autrichienne de 1792, les populations des territoires flamands expriment, par leur fidélité à la France, leur acceptation de la conquête française au siècle précédent. • Flandre ou Flandres ? Avant les conquêtes de Louis XIV, le comté de Flandre s’étendait de la mer du Nord à la Scarpe et à l’Escaut. Le mot « Flandre » - au singulier - possédait un sens politique et géographique mais ne recouvrait aucun ensemble linguistique précis. Avec la conquête française, le pluriel apparaît : une Flandre française se différencie de la Flandre espagnole, possession des Habsbourg. De 1668 à 1715, la Flandre française est divisée en deux généralités, séparées par la Lys. La Flandre maritime comprend les villes de Dunkerque et de Bergues, ainsi que leurs dépendances, les bailliages de Bailleul, Bourbourg, Bergues, Furnes, les châtellenies de Cassel et Ypres. Cette généralité, dont les habitants parlent principalement une langue d’origine germanique - un des nombreux dialectes flamands -, est aussi appelée au XVIIe siècle « Flandre flamingante », par opposition à la deuxième généralité de Flandre, improprement appelée « wallonne » - le substantif « Wallonie » n’apparaissant qu’au XIXe siècle pour désigner la partie non flamande de la Belgique. En Flandre wallonne, la grande majorité de la population s’exprime non pas en wallon, dialecte utilisé dans le comté de Hainaut, mais dans une langue romane, le picard. Cette langue sera plus connue au XXe siècle, particulièrement à partir de la Première
Guerre mondiale, sous le nom de « ch’timi », en raison de la prononciation des pronoms « ce » (ch’), « toi » (ti) et « moi » (mi). La Flandre wallonne du XVIIe siècle rassemble le Tournaisis, les châtellenies de Lille, Douai, Orchies, des villes non flamandes telles que Valenciennes, Bouchain, Cambrai, Condésur-l’Escaut et, enfin, deux petits territoires de langue flamande, Menin et Courtrai. Après le traité d’Utrecht de 1713, les deux généralités sont réunies en une seule, la généralité des Flandres. La géographie administrative de la Flandre au XVIIe siècle ne recoupe donc en rien les divisions linguistiques entre pays flamands et pays picard - l’État royal et l’Église utilisant d’ailleurs respectivement le français et le latin -, mais elle est en grande partie à l’origine de l’utilisation du pluriel pour désigner « les Flandres », anciens territoires du comté de Flandre. Lors de la mise en place, sous la Révolution, d’un nouveau découpage administratif, les noms de provinces, considérés comme des vestiges de l’Ancien Régime, sont supprimés ; la Flandre disparaît comme entité géographique et administrative, et le nouveau département du Nord rassemble l’ancienne généralité des Flandres, le Hainaut français et le Cambrésis. Fleurus (bataille de) [1er juillet 1690], victoire remportée par les Français pendant la guerre de la ligue d’Augsbourg. Entré en Flandre dès le début de la guerre, le maréchal d’Humières fut battu à Walcourt par le prince de Waldeck, commandant l’armée néerlandaise et impériale (1689). Pour la campagne de 1690, ce dernier espère chasser les Français des Pays-Bas. D’Humières s’établit sur l’Escaut, tandis que le maréchal de Luxembourg, disposant d’une provisoire supériorité numérique (41 000 hommes, contre 38 000 aux alliés), se porte rapidement sur la Sambre. Le 30 juin, Waldeck répartit son armée en trois corps devant le village de Fleurus, au nord-est de Charleroi. Le lendemain, Luxembourg lance ses cinq colonnes à l’assaut. Il feint de porter son effort sur le centre, mais, downloadModeText.vue.download 355 sur 975
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en fait, sa manoeuvre repose sur un large mouvement tournant sur la droite. Son aile gauche fixe la cavalerie ennemie, mais doit céder du terrain après des succès initiaux ; cependant, son centre résiste à l’attaque de Waldeck. Déployant soudain ses forces sur les arrières des alliés, Luxembourg contraint ces derniers à faire volte-face, ce qui les place entre deux feux. La cavalerie ennemie est disloquée, mais Waldeck réussit à se replier en bon ordre, laissant 5 000 morts (contre 2 000 pour les Français), 9 000 prisonniers et 150 drapeaux, qui vont orner les voûtes de Notre-Dame. Luxembourg y gagne un surnom (« le Tapissier de Notre-Dame »). Sa manoeuvre tournante, par son audace et sa belle exécution, fait l’admiration des théoriciens militaires. Mais le succès n’a finalement guère d’impact : la guerre ne s’achève qu’en 1697, par la paix de Ryswick. Fleurus (bataille de) [26 juin 1794], épisode de la guerre entre la France révolutionnaire et la première coalition, qui voit la victoire, en Belgique, de l’armée française sur les Autrichiens. La Belgique est occupée par les Français de novembre 1792 à mars 1793 ; ils en sont chassés après leur défaite à Neerwinden. Région de jonction des armées coalisées, et tête de pont des invasions par le nord, la Belgique est l’enjeu de l’offensive française lancée au printemps 1794 en Flandre et dans le Hainaut. Pichegru commande alors l’armée du Nord, et Jourdan, celle de Sambre-et-Meuse. Après quatre tentatives pour prendre Charleroi, sur la Sambre, Jourdan, pressé par Saint-Just, parvient à enlever la ville le 25 juin, alors que Pichegru, vainqueur à Ypres le même jour, fait reculer l’armée autrichienne commandée par le duc de Saxe-Cobourg. Le 26 juin, celui-ci attaque Jourdan devant Charleroi, à Fleurus. Les opérations se déroulant sur plusieurs points, les Français utilisent pour la première fois des aérostats captifs, afin d’observer les mouvements des ennemis. Bien que son issue soit restée longtemps incertaine, la bataille s’achève, après seize heures de combats, par la retraite des Autrichiens, que les Français, épuisés, ne pourchassent pas. Cette victoire retentissante - qui fait 5 000 morts de part et d’autre - renverse de façon spectaculaire la situation militaire. En effet, elle permet à la France de poursuivre l’offensive et de reprendre la Belgique. La victoire à Fleurus - considérée comme la victoire de la Révolution - a également des conséquences sur la scène politique française : pour beaucoup de membres de la Convention, la Terreur, motivée par la guerre
et renforcée au début de juin, ne paraît plus justifiée. C’est en partie autour de cette opinion que se forme la coalition qui renverse Robespierre le 9 thermidor, un mois après la bataille de Fleurus. Fleury (André Hercule, cardinal de), prélat, précepteur, puis ministre de Louis XV de 1726 à 1743 (Lodève 1653 - Issy-les-Moulineaux 1743). Ce fils d’un receveur d’impôt entre dans les ordres en 1666, devient chanoine de Montpellier (1668), aumônier de la reine MarieThérèse (1675), puis de Louis XIV (1678), et évêque de Fréjus (1698-1715). En 1715, il est nommé précepteur du dauphin (le futur Louis XV), fonction qui lui vaut d’être membre de l’Académie française à partir de 1717. Il sait s’attirer la sympathie du jeune roi comme du régent, et son ascension politique commence. Il entre au Conseil de conscience en 1720, puis au Conseil d’État en 1723. En 1726 - il est alors âgé de 73 ans -, il remplace le duc de Bourbon, sans porter, toutefois, le titre de principal ministre de son prédécesseur. La même année, le pape le crée cardinal. Entouré d’hommes compétents (Le Peletier des Forts, Orry...), il gouverne la France jusqu’à sa mort, avec fermeté mais également avec prudence, prônant une politique de paix qui favorise l’enrichissement du royaume. • Dix-sept années de gouvernement. Soucieux de maintenir l’autorité du souverain, il s’attache à briser les oppositions jansénistes en faisant enregistrer, au cours d’un lit de justice (3 avril 1730), la bulle Unigenitus, qui devient loi du royaume. Il exile les parlementaires réticents (1732) et interdit toute manifestation janséniste, telle que celles des convulsionnaires du cimetière Saint-Médard. Le retour de la prospérité économique (dû à l’arrêt des hostilités avec les puissances étrangères) et la stabilisation de la monnaie (réalisée le 15 juin 1726) - dont le cours n’évoluera plus jusqu’à la Révolution - permettent à Fleury de rétablir l’équilibre budgétaire en 1738-1739 et de lancer de grands programmes de développement des routes. En politique extérieure, il maintient l’alliance avec l’Angleterre et recherche un accord avec l’Autriche pour sauver la paix européenne, instaurée, à la fin du règne de Louis XIV, par les traités d’Utrecht (1713). Il ne peut toutefois éviter le déclenchement de la guerre de la Succession de Pologne (1733-
1738), mais c’est avec habileté qu’il mène ce conflit : la France y perd peu d’hommes et d’argent, et gagne l’assurance d’obtenir la Lorraine à la mort de son nouveau duc (Stanislas Leszczynski, beau-père de Louis XV). C’est en vain, également, qu’il s’oppose à la guerre de la Succession d’Autriche (1740-1748). Lorsqu’il meurt, le 29 janvier 1743, sa politique de paix a donc échoué et la querelle janséniste n’est pas encore apaisée. Il n’a su ni imposer une réforme fiscale profonde ni renoncer au protectionnisme prôné par Colbert : aussi, une nouvelle crise économique se dessine-t-elle. Mais, personnage de grande envergure, intègre et attaché au bien public, jouissant d’une réelle autorité sur le roi, Fleury est le dernier ministre d’une monarchie absolue encore incontestée. FLN (Front de libération nationale), parti nationaliste algérien vainqueur de la guerre d’indépendance, et parti unique de la République algérienne jusqu’à la fin des années quatre-vingt. En 1946, le nationalisme algérien est divisé sur les objectifs à atteindre et sur la stratégie à mener : au mouvement religieux des oulémas, qui milite pour un retour à l’orthodoxie musulmane, et à l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA) de Ferhat Abbas, partisan d’une action par la voie légale pour obtenir l’autonomie, s’oppose le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) de Messali Hadj, qui préconise l’indépendance et la réforme sociale par la révolution. Le FLN, qui naît, en octobre 1954, du regroupement des tendances activistes du MTLD au sein de l’Organisation secrète (OS), organise la série d’attentats du 1er novembre qui marque le début de la guerre d’Algérie. Le passage à la lutte armée provoque l’éclatement du MTLD, interdit par les autorités françaises le 4 novembre. Peu après, Messali Hadj fonde le Mouvement national algérien (MNA), qui s’engage lui aussi dans la lutte armée. Tout au long de la guerre, le FLN structure l’action militaire autour de l’Armée de libération nationale (ALN) et s’efforce de regrouper toutes les tendances du nationalisme algérien. La résistance du MNA à cette domination du FLN débouche sur une guerre civile cruelle, dont ce dernier sort vainqueur. Ayant fondé un Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) en septembre 1958, il est choisi comme seul interlocuteur par le gouvernement français pour les négociations
qui débouchent, le 18 mars 1962, sur les accords d’Évian. Flodoard, chroniqueur et homme d’Église (Épernay 893 ou 894 - Reims 966). Entré très jeune à l’école cathédrale de Reims, Flodoard bénéficie du renouveau des études impulsé par l’archevêque Hincmar. Il devient chanoine, prêtre, archiviste et peut-être écolâtre de la cathédrale, mais son horizon dépasse largement le cadre de la cité rémoise, car il est mêlé aux grands conflits politiques de son temps. Flodoard est avant tout un historien : il rédige des Annales, qui couvrent les années 919-966, c’est-à-dire une époque dont il est le témoin direct, mais aussi une Histoire de l’église de Reims (952), qui retrace la succession des évêques des origines à 948, et pour laquelle il s’est appuyé sur les archives dont il avait la garde. Enfin, il est l’auteur d’un poème de 20 000 vers, les Triomphes du Christ, qui brosse le tableau de l’épopée chrétienne des martyrs et donne à son oeuvre tout son sens : selon lui, en effet, toute histoire est à replacer dans la grande histoire chrétienne, celle du salut. Floquet (Charles), homme politique (SaintJean-Pied-de-Port, Pyrénées-Atlantiques, 1828 - Paris 1896). Républicain résolu, insurgé de 1848, Charles Floquet s’affirme dès le 2 décembre 1851 comme un opposant déterminé au régime bonapartiste : journaliste au Temps et au Siècle, avocat, il défend les démocrates poursuivis par le pouvoir. En 1863, puis en 1869, il se présente aux élections législatives face au candidat officiel. Sa renommée s’accroît, et on lui prête cette apostrophe au tsar Alexandre II en visite à Paris : « Vive la Pologne, monsieur ! » Dès le 4 septembre 1870, il participe au gouvernement républicain et prend part à la défense de la capitale. Élu en février 1871 à l’Assemblée nationale, il est ensuite de ceux qui vont tenter, sans succès, la conciliation entre les versaillais et la Commune. Sa carrière politique se construit dès lors à Paris : élu du quartier Saint-Ambroise (1872), président du downloadModeText.vue.download 356 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 345 conseil municipal (1874), préfet de la capitale en 1882, il se fait le défenseur des libertés municipales ; député du XIe arrondissement en
1876, il siège à l’extrême gauche. Les thèmes de ses interventions à la Chambre témoignent de son engagement radical : amnistie des communards, bannissement des familles régnantes, élection des sénateurs au suffrage universel. En 1885, il est président de la Chambre, poste qu’il occupera jusqu’en 1893, excepté le temps de sa carrière ministérielle. En effet, le 31 mars 1888, en pleine crise boulangiste, il est chargé de constituer le cabinet : Floquet s’oppose au général Boulanger - qu’il blessera même grièvement en duel - et, pour parer le danger plébiscitaire, fait rétablir le scrutin d’arrondissement. Il démissionne le 14 février 1889, l’Assemblée refusant de le suivre dans ses projets de révision constitutionnelle. Sa fin de carrière est assombrie par le scandale de Panamá : cherchant à financer sa campagne électorale contre les boulangistes, il s’est compromis auprès de la Compagnie. En 1893, il ne peut retrouver son siège de député et entre au Sénat en 1894. floréal an VI (coup d’État du 22), second coup d’État du Directoire, réalisé le 11 mai 1798 par le vote d’une loi annulant l’élection de députés jacobins. Après le premier coup d’État du Directoire, le 18 fructidor an V (4 septembre 1797), dirigé contre les royalistes, les jacobins reprennent de l’importance dans la vie politique. Or, des élections législatives sont prévues en avril 1798 afin de pourvoir 437 sièges sur 750. Pour se prémunir contre une victoire - prévisible - des jacobins, le Directoire fait voter la loi du 12 pluviôse an VI (31 janvier 1798), qui stipule que les résultats électoraux seront vérifiés, avant le 20 mai, par le Conseil des Anciens et le Conseil des Cinq-Cents sortants. En outre, entretenant une intense propagande contre le « royalisme à bonnet rouge », il incite ses commissaires à provoquer des scissions dans les assemblées électorales entre opposants et fidèles au régime, scissions qui ont lieu dans vingt-cinq départements et qui conduisent les Conseils à trancher les litiges. Le 4 mai, pour pallier la lenteur des opérations de vérification des votes, une commission de cinq membres, travaillant étroitement avec le Directoire, est chargée d’établir un rapport général. C’est ce rapport qui est adopté par la loi du 22 floréal : l’élection de 106 députés, en majorité jacobins, est invalidée, et près de 200 fonctionnaires et administrateurs sont exclus. Cette manoeuvre « légale », qui enfreint pourtant la volonté des électeurs, ne rencontre guère d’opposition. Mais les jacobins, qui remporteront les élections de mars 1799, sauront à leur tour épurer le Directoire lors du coup
d’État du 30 prairial an VII (18 juin 1799). Flote ou Flotte (Pierre), légiste et conseiller du roi Philippe le Bel ( ? - Courtrai 1302). Né d’une famille noble du Dauphiné, il étudie le droit romain à Montpellier. D’abord conseiller du dauphin Humbert Ier de Viennois, il siège au parlement de Toulouse en 1291, et effectue dès lors de nombreuses missions pour le roi de France en Guyenne, en Languedoc, voire en Angleterre, auprès du roi Édouard Ier (1293). Ses services sont reconnus par Philippe le Bel, qui lui donne en 1294 la seigneurie de Revel, en Auvergne. À partir de 1296, le rôle politique de Pierre Flotte ne cesse de croître. Membre du Conseil royal, il contribue à mettre le droit romain au service de la monarchie capétienne et défend les prétentions du roi à vouloir gouverner le clergé de France. Chargé de plusieurs missions diplomatiques auprès du pape Boniface VIII, il négocie notamment la canonisation de Louis IX en 1297. Fer de lance de la monarchie capétienne contre la papauté, il dirige en 1301 la procédure lancée contre l’évêque de Pamiers, Bernard Saisset, inculpé d’hérésie, de trahison et de lèsemajesté. En 1299, Philippe le Bel nomme ce fidèle légiste à l’office envié de garde du Sceau, mais c’est en chevalier que meurt Pierre Flotte, le 11 juillet 1302, à la bataille de Courtrai. Son fils spirituel, Guillaume de Nogaret, lui succède dans tous ses rôles. Flourens (Gustave), homme politique (Paris 1838 - Chatou 1871). Issu d’une famille d’intellectuels libéraux, il fait de brillantes études et, à l’âge de 25 ans, il est suppléant de son père, le physiologiste Pierre Flourens, au Collège de France (chaire d’histoire naturelle des corps organisés), et chargé d’enseigner l’histoire des races humaines. Ne faisant mystère ni de ses convictions antireligieuses ni de son hostilité au bonapartisme, il est suspendu par le ministre de l’Instruction, Victor Duruy. Préférant l’exil à la disgrâce, Flourens poursuit ses recherches et son enseignement à Bruxelles, puis à Londres, et met son ardeur républicaine au service des grandes causes du moment : la libération des peuples d’Europe orientale, d’Italie et d’Irlande. Après la révolte polonaise de 1863, qu’il abandonne en raison
du rôle qu’y jouent les nobles et les catholiques, il s’engage au côté des Crétois durant l’insurrection de 1866 contre les Turcs, est nommé représentant de la Crète au Parlement hellénique, avant d’être chassé d’Athènes par le gouvernement grec. De retour en France, il est avec Henri Rochefort l’un des grands propagandistes républicains. Il proclame son hostilité à l’armistice de 1870 (Paris livré, 1871) et organise la Garde nationale durant la Commune, mais ne participe pas aux combats de mars 1871. En avril, ce colonel de l’armée fédérée est contraint de se replier dans une auberge de Chatou, où il est assassiné par un officier de gendarmerie. Enterré au cimetière du Père-Lachaise, Flourens représente une tradition républicaine insurrectionnelle mais opposée à la guerre civile, et dont le patriotisme est encore conciliable avec l’universalisme. FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), organisation syndicale constituée le 13 mars 1946 au sein d’un groupement contrôlé par la gauche, la Confédération générale de l’agriculture, qu’elle quitte en 1954 sous l’impulsion de son premier président, Eugène Forget. En 1956, le Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA), issu de la Jeunesse agricole chrétienne, rejoint la FNSEA et appuie les réformes du ministre Edgard Pisani, qui entend moderniser l’agriculture et appliquer le programme de politique agricole commune (PAC). En 1972, l’ancien président du CNJA, Michel Debatisse, est élu à la tête de la FNSEA, avant de devenir, en 1974, ministre de l’Agriculture : une trajectoire que suivra également son successeur, François Guillaume. Proche de la droite, elle reste le seul syndicat agricole interlocuteur des gouvernements jusqu’en 1983, lorsque Édith Cresson reconnaît la représentativité des organisations minoritaires. Quant à Michel Rocard, il ne remet d’ailleurs pas en cause la pratique de la cogestion avec la FNSEA, renforcée par François Guillaume, nommé ministre de l’Agriculture en 1986 dans le gouvernement de cohabitation de Jacques Chirac. Grâce à sa structure souple, la FNSEA, pourtant dominée par les associations de producteurs de blé et betteraves, représente l’ensemble des agriculteurs, quels que soient l’étendue de l’exploitation, le mode de faire-valoir ou le type de production : elle comptait 1,1 million d’adhérents en 1946, 750 000 en 1950, 690 000 en 1963, effectifs qui se sont stabilisés depuis.
FO ou CGT-FO (Confédération générale du travail-Force ouvrière), confédération syndicale, qui se constitue au début de la guerre froide, en 1947. Opposés à l’influence communiste au sein de la CGT, et considérant que la flambée de grèves ouvrières de l’automne 1947 résulte du noyautage communiste, le secrétaire général Léon Jouhaux et les minoritaires du syndicat quittent la CGT en décembre 1947 et, au nom de la continuité avec la confédération d’avantguerre, donnent à leur organisation le nom de CGT-FO en avril 1948. FO se réclame de la Charte d’Amiens de 1906 : réformisme, indépendance syndicale, condamnation de l’intervention directe des syndicats dans le politique. Elle accepte le cadre de la démocratie libérale, renonce au neutralisme, se montre favorable à l’Alliance atlantique et à la construction européenne. Son anticommunisme lui permet de recevoir des financements des gouvernements français et américain. En 1950, forte de 350 000 adhérents, issus principalement de la fonction publique et du secteur public, FO est le troisième syndicat de France, derrière la CGT et la CFTC. Léon Jouhaux et ses successeurs - Robert Bothereau de 1954 à 1963, puis André Bergeron de 1963 à 1989 - récusent la cogestion comme l’autogestion, se veulent contrepoids et non contre-pouvoir. L’action de FO, aux côtés de celle de la CFTC, débouche, en 1955, sur l’obtention d’une troisième semaine de congés payés et sur la création de retraites complémentaires. Des grandes centrales syndicales, FO est la plus hétérogène sur le plan politique : même si ses dirigeants sont, pour la plupart, proches des socialistes, ses militants vont « des anarchistes aux gaullistes », et elle se compose d’une majorité réformiste et de minorités gaullistes, syndicalistes-révolutionnaires ou trotskystes. Le consensus interne à l’organisation repose sur l’hostilité envers le downloadModeText.vue.download 357 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 346 Parti communiste et sur trois revendications : progression du pouvoir d’achat, renforcement de la protection sociale, paritarisme dans la gestion des institutions sociales. FO s’appuie sur la loi du 11 février 1950 pour négocier des conventions collectives dans le secteur privé, puis dans le secteur nationalisé et pu-
blic après la grève des mineurs de 1963. Le syndicat accueille alors un courant qui prône l’autogestion, mais dont le dirigeant, Maurice Labi, rejoint la CFDT en 1973. Hostile au mouvement étudiant de 1968, FO maintient son action sur un terrain revendicatif et favorise des accords. Fortement implantée dans le sud-ouest et le nord de la France, elle revendique 600 000 membres en 1970, un million en 1980, qui se reconnaissent dans la phrase d’André Bergeron en 1973 : « La politique contractuelle [...] est un aspect de la démocratie. » Interlocuteur privilégié du patronat et du gouvernement, André Bergeron refuse cependant la politique de rigueur de Raymond Barre et s’écrie en 1977 : « Il faut trouver du grain à moudre ! » Il marque son opposition à l’entrée de communistes au gouvernement en 1981, dénonce la rigueur salariale en 1983, insiste sur l’indépendance syndicale et refuse « tout compromis historique à la française ». Niant, contre toute évidence, être atteinte par la désyndicalisation, FO fait face, à partir de 1989, à la recomposition syndicale : son nouveau secrétaire général, Marc Blondel, définit un « syndicalisme de contestation ». FO met l’accent sur la défense des acquis sociaux, refuse la diminution du temps de travail, la fiscalisation de la Sécurité sociale par la contribution sociale généralisée (CSG). Elle soutient, aux côtés de la CGT de Louis Viannet, les grandes grèves de décembre 1995, puis perd la présidence de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), qui échoit à la CFDT. L’anticommunisme étant dépassé, FO se cherche une nouvelle identité, notamment sous l’impulsion de Jean-Claude Mailly qui succède à Marc Blondel en 2004. Foch (Ferdinand), maréchal (Tarbes 1851 Paris 1929). Sorti de l’École polytechnique en 1873, il sert dans l’artillerie, avant d’enseigner, à partir de 1895, l’histoire militaire, la stratégie et la tactique à l’École supérieure de guerre. Général en 1907, il est commandant de l’École de guerre jusqu’en 1911, et dirige le 20e corps d’armée au début de la Grande Guerre. Nourri de la pensée napoléonienne, adepte de l’offensive, faisant preuve d’une grande énergie, il contribue à la victoire française lors de la première bataille de la Marne (septembre 1914), puis coordonne les opérations alliées pour contrer l’avance des Allemands vers la mer (bataille de l’Yser, octobre 1914). Il dirige les troupes françaises engagées dans l’offensive de la Somme (été 1916), mais, le généralis-
sime Joffre étant écarté en décembre 1916, il est lui-même relevé de son commandement. Grâce à Clemenceau, il reprend du service, en mai 1917, à la tête de l’état-major général des armées. Ayant redressé la situation en Italie, après l’offensive austro-allemande de Caporetto, il est chargé, en novembre 1917, de diriger le Conseil supérieur de guerre interallié, tremplin vers le commandement en chef des forces alliées sur le front occidental, qui lui revient, en avril 1918, alors que les Allemands repartent à l’offensive en France. À ce poste, s’opposant parfois à Pétain, commandant en chef, sur certaines options stratégiques, Foch contient les percées ennemies, et reprend l’initiative par une série d’offensives puissantes et méthodiques, à partir de juillet. Devenu maréchal en août 1918, il signe, pour la France, en novembre, l’armistice de Rethondes. Il préconise alors des conditions de paix très dures à l’encontre de l’Allemagne, allant même jusqu’à réclamer l’annexion de la rive gauche du Rhin - sans succès. Ce chef prestigieux est également élevé à la dignité de maréchal par la Grande-Bretagne et par la Pologne. foires et marchés. Les marchés, voués au commerce de proximité, existent depuis l’Antiquité. Quant aux foires, elles sont attestées dès le haut Moyen Âge. • Problèmes de définition. La différenciation entre les deux formes d’assemblées est subtile, d’autant que les nuances régionales sont infinies. Et l’étymologie ne nous aide guère sur ce point. Selon certaine tradition, relevée encore récemment par le Dictionnaire historique de la langue française, le mot « foire » est l’aboutissement du latin classique feriae : « fêtes » ou « jours de fête ». L’Encyclopédie lui préférait une autre origine : « Foire, ce mot vient du latin forum, place publique, affirme Turgot ; il a été synonyme de celui de marché et l’est encore à certains égards : l’un et l’autre signifient concours de marchands et d’acheteurs dans des lieux et dans des temps marqués. » Foires et marchés se distinguent par leur périodicité, leur aire de rayonnement et les produits commercialisés. Les foires ont lieu entre une et douze fois par an, et concernent traditionnellement des échanges à moyenne ou longue distance ; producteurs ou marchands y vendent des produits finis, en particulier textiles, des matières premières ou des bestiaux. Les marchés assurent, une fois par semaine, le gros de l’approvisionnement urbain en denrées alimentaires depuis le Moyen
Âge. Ils se limitent donc aux échanges locaux. • L’évolution des fonctions économiques. Les deux institutions relèvent du pouvoir du prince, qui favorise leur création pour encourager le commerce. Les marchands y jouissent d’une protection particulière, et, pour attirer les étrangers, certaines grandes foires sont « franches », c’est-à-dire que les transactions y sont exemptées de droits. Jusqu’au XIXe siècle, le réseau des foires et des marchés tend à s’étoffer. Mais leur rôle se transforme, perdant peu à peu de son exclusivité. Les marchés se spécialisent : marchés à la viande, aux légumes, aux grains. Par ailleurs, la concurrence des boutiques, de plus en plus nombreuses à partir de l’époque moderne, contribue à diminuer leur part relative dans les échanges. Toutefois, la surveillance dont ils font l’objet, la publicité des transactions et leur contrôle par les autorités urbaines expliquent l’attachement des consommateurs à cette forme publique d’organisation du commerce. Jusqu’au XIXe siècle, les halles sont périodiquement agrandies, réaménagées ; les règles d’hygiène, renforcées. Quant aux foires, elles connaissent des évolutions très différenciées. Les foires de Champagne, par exemple, sont devenues précocement des foires de change, suivies, plus tardivement, par celles de Lyon, au XVIIe siècle. Les grandes foires de marchandises, concurrencées par l’essor des approvisionnements directs dans les fabriques et par la vente sur échantillon, connaissent presque toutes des mutations lentes, mais importantes. Au XVIIIe siècle, rares sont celles qui attirent encore beaucoup d’étrangers, comme Beaucaire où Espagnols et Italiens sont assidus. Mais la plupart deviennent des places nationales, voire régionales. Par ailleurs, leur rôle dans le commerce de gros est amoindri : elles drainent la part la plus dispersée de la production, souvent de moindre qualité. Le détail prend en revanche une place croissante. Un public nombreux, comme à Caen et à Guibray, vient y faire ses emplettes et jouir des divertissements et des spectacles qui lui sont offerts. Au XIXe siècle, le chemin de fer et l’essor des formes modernes de distribution rendent irréversible le déclin de ces grands rendez-vous, même si les foires rurales demeurent très vivaces. De plus en plus spécialisées - bestiaux, soie, amandes, huile, etc. -, elles jouent un rôle non négligeable dans la commercialisation des produits, la fixation des prix et, en définitive, dans l’essor agricole de la France au siècle dernier. Foix (Gaston III, comte de), dit Gaston Phébus ou Fébus, comte de Foix et vicomte de
Béarn (1331 - Sauveterre-de-Béarn 1391). Il hérite à la mort de son père, en 1343, d’un ensemble territorial considérable mais disparate le long des Pyrénées, comprenant, à l’ouest, le Béarn et, à l’est, le comté de Foix. La guerre de Cent Ans le met dans une position difficile, car le Béarn est sous la suzeraineté du roi d’Angleterre et le comté de Foix, sous celle du roi de France. Il choisit la neutralité et, dès 1347, transforme le Béarn en une principauté souveraine. Il a les moyens de mener cette politique indépendante puisque les deux rois cherchent avant tout à s’en faire un allié. Selon ses intérêts, il se rapproche de l’un ou de l’autre camp, ne poursuivant qu’un seul but, l’unification de ses terres séparées par deux ensembles, la Bigorre et le Comminges. Pour les acquérir, il guerroie contre l’autre grande famille de la région, les Armagnacs. Entre 1358 et 1362, les combats sont nombreux et s’achèvent par la bataille de Launac, au cours de laquelle Gaston Phébus fait de nombreux prisonniers, parmi lesquels Jean Ier d’Armagnac. La lutte reprend en 1376 jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé : en échange de la renonciation au Comminges, qui revient au comte d’Armagnac, Gaston III obtient diverses seigneuries dans cette région. Enfin, il place peu à peu sous son contrôle la Bigorre, qui appartient au roi de France, ce qui est source de multiples conflits. Mais, à partir de 1388, Charles VI entreprend un rapprochement avec Phébus, qui aboutit à la signature du traité de Toulouse : contre l’octroi de la Bigorre à titre viager et de 100 000 francs or, Gaston fait du roi de France son héritier. Le comte de Foix-Béarn a donc réussi à rassembler sous son autorité, directe ou indirecte, downloadModeText.vue.download 358 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 347 l’ensemble des régions s’étendant, le long des Pyrénées, d’Orthez à Foix. Il y entretient une administration solide, une armée importante et y bat monnaie. Il dispose, en outre, d’une fortune considérable qui provient des rançons de Launac et de la fiscalité permanente qu’il a instaurée sur ses terres. Seigneur très puissant et chevalier accompli, dont le surnom fait référence à Phoibos (dieu du Soleil), Gaston est aussi un prince fastueux, qui rassemble une cour brillante à Orthez. Passionné de chasse, poète et homme de lettres, il écrit, en 1387, un traité de vénerie.
Mais il peut aussi faire preuve de cruauté : il renvoie son épouse dans sa famille en 1362, et, en 1380, tue son fils, qu’il soupçonne d’avoir voulu l’empoisonner. Hanté par son geste, il écrit le Livre des oraisons, où il adresse directement des prières à Dieu pour obtenir son absolution. Il meurt brusquement le 1er août 1391, enlevé par une attaque d’apoplexie. folie. Si l’adjectif « fou » est attesté dans notre langue dès le VIe siècle, le substantif « folie » n’apparaît que cinq siècles plus tard. Du Moyen Âge à l’époque contemporaine, le champ sémantique de ces deux termes se caractérise par une richesse et une complexité liées à la diversification précoce de leur usage : de la simple illusion au dérèglement des sens, du caprice inoffensif à la dérive criminelle de la raison, nombreux sont les modes de l’écart et du déséquilibre qu’enveloppe la notion unificatrice de « folie ». Par-delà l’hétérogénéité de sens et les fluctuations historiques se fait jour un paradoxe structurel : phénomène pathologique qui appelle un traitement, la folie est cependant créditée d’une vérité ou d’une puissance de « remise en question » ; à ce titre, elle imprègne les stéréotypes du langage quotidien autant qu’elle hante l’expression artistique et l’interrogation philosophique. Figure de l’altérité psychique, elle n’en est pas moins intégrée aux grands mouvements par lesquels une culture se définit et se transforme. En inscrivant la folie dans le champ des études historiques, le livre inaugural de Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique (1961), a apporté une contribution précieuse - et controversée - à l’analyse de cette double dimension. • De l’intégration à l’exclusion. L’Antiquité classique, sous l’impulsion d’Hippocrate et de Galien, avait su arracher la folie aux explications magiques ou mystiques. Le Moyen Âge, contrairement à des légendes tenaces, ne marque pas un retour à l’obscurantisme. Certes, le traitement de la folie passe par des thérapeutiques hétéroclites qui mêlent exorcismes, pèlerinages, prières aux saints guérisseurs, administration de mixtures à base de plantes. Une tradition de prise en charge collective s’instaure néanmoins. Si les fous les plus dangereux sont enfermés pour d’évidentes raisons de sécurité, des structures d’assistance - dont certains indices permettent de faire remonter la création au VIIe siècle - accueillent les aliénés, l’esprit charitable suppléant tant bien que mal au manque de moyens matériels. Tel est vraisemblablement le cas de l’Hôtel-Dieu de Paris.
La folie inspire au christianisme médiéval une attitude ambivalente. L’hystérie, assimilée à la sorcellerie et à la possession démoniaque, ne relève guère que du bûcher. Mais la tradition paulinienne, qui assimile le fou à un innocent dépositaire de la sagesse divine, explique que l’Église se soit souvent montrée pleine de sollicitude à l’égard des malades mentaux. La même ambivalence caractérise l’attitude des autorités religieuses à l’égard de la folie simulée qui se donne libre cours dans les manifestations folkloriques : les célèbres fêtes des fous ou de l’âne, réjouissances populaires qui renversent parodiquement la hiérarchie sociale et l’échelle des valeurs, sont tolérées jusqu’à ce que les interdictions finissent par en avoir raison au début du XVIe siècle. La folie est également installée à demeure dans les cours royales, sous les traits du bouffon : à l’origine véritable débile mental, le fou à gages ne donne le spectacle de l’aliénation que pour mieux renvoyer chacun à sa propre vérité. Si la Renaissance, comme le Moyen Âge, accorde droit de cité à la folie, c’est pour l’annexer à des fins de critique sociale, morale ou théologique, et donc en domestiquer la violence. Tandis que la compréhension du phénomène pathologique progresse relativement peu - la théorie de la « mélancolie », ou « excès de bile noire », domine largement les explications -, philosophes, moralistes et savants s’engouffrent dans la voie magistralement ouverte par l’Éloge de la folie d’Érasme (1511) : de Rabelais à Montaigne, nombreux sont les auteurs à décliner les rapports de réversibilité qui unissent sagesse et folie, raison et non-sens. Cette dialectique est victime du coup d’arrêt culturel, social et institutionnel que Michel Foucault a appelé le « grand renfermement » de l’âge classique. Descartes, dans ses Méditations (1641), exclut la folie de l’activité du sujet pensant : exercice d’une souveraineté subjective qui aspire à la vérité, la pensée ne saurait être insensée. Corrélativement à ce partage philosophique, qui bannit toute complicité entre raison et folie, un processus de ségrégation se met en place : l’édit du 22 avril 1656 prévoit l’aménagement de lieux d’accueil - groupés sous la dénomination d’« hôpital général » - où les malades mentaux seront rassemblés aux côtés des prostituées, mendiants, malandrins et infirmes. La folie se voit assimilée à toutes les formes d’asociabilité improductive. La France, comme l’ensemble de l’Europe, se couvre d’établissements d’internement dont la fonction relève à la fois de
l’assistance et de la répression. Témoins de cette prise en charge, les hospices des Frères de Charité - dont le plus célèbre est Charenton, fondé en 1641 -, la Salpêtrière, Bicêtre et les célèbres petites-maisons. Si la situation matérielle des internés reste souvent pitoyable - chaînes, paires de menottes ou fausses manches sont utilisées pour les plus agités -, certains principes, qui prévaudront au siècle suivant, telle la répartition des malades par catégories, contribuent cependant à l’ébauche d’un cadre thérapeutique. • L’institution thérapeutique. Le siècle des Lumières marque un progrès dans l’observation du fait clinique, et plus encore dans l’humanisation du sort des malades. Si le statut scientifique des méthodes de Mesmer (17341815) et du « magnétisme animal » reste douteux, le mesmérisme n’en aborde pas moins l’hystérie d’une manière qui ouvre la voie à l’hypnose et aux psychothérapies modernes. Mais le grand nom du siècle est incontestablement Philippe Pinel (1745-1826), nommé médecin des aliénés de Bicêtre en pleine Terreur. Bouleversé par les cris et vociférations des malades, il décide de leur faire ôter les fers, puis supprime les saignées répétées et l’arsenal de médications inutiles, qui ne font qu’affaiblir les internés. Dans son Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale (1801), il propose une classification fondée sur le degré de perturbation du comportement - délire partiel, délire généralisé, démence, idiotisme - et insiste sur la nécessité d’établir une relation de parole avec le malade. La rupture théorique et pratique introduite par Pinel fonde la psychiatrie moderne : désormais considérée comme une maladie, la folie est étudiée et traitée dans le cadre d’une nouvelle spécialité médicale. Pinel et son élève Esquirol (1772-1840) sont les initiateurs de l’asile d’aliénés, établissement d’internement qui ne se veut plus un lieu de réclusion, mais d’isolement dans des conditions propices, en principe, à l’action thérapeutique. À la construction des asiles répond la loi du 30 juin 1838, véritable charte des malades mentaux, que les esprits éclairés réclamaient depuis la fin du XVIIIe siècle. Elle vise un triple objectif : prévoir des moyens d’hospitalisation en asile dans chaque département ; déterminer les modalités d’admission et de sortie de manière à empêcher l’internement abusif ; protéger les biens des aliénés. Demeurée inchangée pendant plus d’un siècle et demi, elle a été récemment modifiée par la loi du 27 juin 1990, qui régit les modalités d’hospitalisation des malades mentaux.
• Vers la fin des structures d’enfermement ? Plusieurs auteurs ont fait remarquer que l’expression « grand renfermement » s’appliquerait davantage au XIXe siècle qu’au XVIIe. En effet, le nombre des internements passe de 10 000 en 1834 à 43 000 en 1874. Les conditions sanitaires souvent déplorables, la misère physique et morale engendrée par l’emploi fréquent de la camisole de force, contredisent les principes philanthropiques affichés quelques décennies plus tôt, et justifient les protestations contre la « prison asilaire » qui s’élèveront dans la première moitié du XXe siècle. La situation des établissements est, certes, très contrastée : dans le nouvel hôpital Sainte-Anne, ouvert en 1867, le docteur Magnan supprime la camisole de force et préconise la fin de l’isolement cellulaire. Si l’efficacité de l’institution thérapeutique s’avère très limitée - des statistiques des années 1870 donnent une moyenne de 6 % d’aliénés sortis guéris des asiles ! -, l’observation détaillée des cas cliniques se développe sous l’impulsion de Falret, Baillarger, Morel et surtout Jean Martin Charcot (1825-1893), qui identifie les phases des crises d’hystérie et fait d’importantes découvertes neurologiques. Charcot utilise l’hypnose, et prépare le terrain aux découvertes de Freud, qui vient d’ailleurs lui rendre visite à la Salpêtrière en 1885-1886. Marqué par l’essor fulgurant de la psychanalyse, le XXe siècle ouvre la voie à une comdownloadModeText.vue.download 359 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 348 préhension nouvelle des mécanismes de l’aliénation mentale. À la faveur du romantisme, puis des expériences extrêmes de la littérature moderne (surréalisme, notamment), la folie se réintroduit dans le champ culturel. De Gérard de Nerval à Antonin Artaud, elle hante une lignée d’écrivains qui témoignent de sa parenté profonde avec les sources de la pensée et de la création. À des titres divers, Pierre Janet (18591947), Jean Delay (1907-1987) ou Jacques Lacan (1901-1981) contribuent à diffuser de nouvelles conceptions qui vont transformer la situation des asiles, saturés au seuil de la Seconde Guerre mondiale. On considère désormais que le psychiatre n’a pas seulement pour tâche de protéger la société du malade, mais de lui restituer un individu capable d’adaptation. Sa fonction médiatrice devient essentielle. Un mouvement de dépeuplement des asiles
s’amorce, favorisé par les découvertes de la psychopharmacologie dans les années cinquante. Les thérapeutiques de choc employées durant la première moitié du siècle - de l’électrochoc à la lobotomie - font l’objet d’un discrédit croissant, et sont remplacés par les psychotropes. L’utilisation de médicaments comme les neuroleptiques permet désormais à un nombre croissant de malades d’échapper à la « prison asilaire ». En dénonçant la violence sociale perpétrée par l’acte d’internement, le mouvement de l’antipsychiatrie (Michel Foucault, Maud Mannoni, Gilles Deleuze) a tenté de précipiter (et de déborder) une évolution générale relayée par le ministère de la Santé. Depuis le début des années soixante en effet, une politique de la santé mentale s’est mise en place. La « sectorisation psychiatrique » permet à un territoire géographique de 100 000 habitants de disposer d’un éventail complet de soins intra et extra-hospitaliers ; l’hôpital travaille en liaison étroite avec les structures d’accueil, de postcure et de prévention. En ce début du XXIe siècle, le mot « folie » dans son acception pathologique est à peu près sorti de l’usage courant. Cette marginalisation tient d’abord à un moindre recours à l’internement psychiatrique, mais aussi à la montée en puissance des diverses formes de dépression. La très forte consommation de psychotropes, dont la France détient le record européen, renvoie en définitive à un déplacement des perturbations mentales. Comme si la « folie » et ses formes redoutables s’étaient diffractées en une multitude de malaises, de troubles et d’angoisses, inscrits dans le quotidien psychologique et social des Français. foncière (contribution) ! Quatre Vieilles (les) Fontainebleau (adieux de), cérémonie tenue au château de Fontainebleau, le 20 avril 1814, marquant le départ de Napoléon Ier pour l’île d’Elbe. Au lendemain de la capitulation de Paris (30 mars 1814), terme de la campagne de France qui voit l’invasion du pays par l’Europe coalisée, l’Empereur se replie au château de Fontainebleau. Déchu par le Sénat et par le Corps législatif, qui appellent Louis XVIII au pouvoir, et abandonné par ses maréchaux, il renonce à ses plans d’attaque, et abdique sans conditions le 6 avril. Après avoir tenté de se suicider, il se résigne à l’exil. Au moment du départ, il fait ses adieux à la Garde impériale réunie dans la cour du château : « La guerre
était interminable, déclare-t-il dans une brève allocution ; c’eût été la guerre civile, et la France n’en serait devenue que plus malheureuse. » Devant ses soldats en pleurs, Napoléon embrasse le drapeau, puis monte dans la voiture qui l’emporte vers l’île d’Elbe. L’estampe reproduisant à des millions d’exemplaires la cérémonie des adieux est devenue sujet de propagande : digne et émouvante, la scène, souvent représentée dans les manuels scolaires, suggère le sacrifice personnel de Napoléon, à la fois héros et martyr, s’effaçant devant les intérêts de la patrie, emportant les regrets de ses troupes et, en apparence, du pays. L’événement, entré dans la légende napoléonienne, appelle la revanche sur un Louis XVIII qui doit son trône à l’invasion étrangère. Ce sera chose faite, près d’un an plus tard, avec le retour de l’île d’Elbe - le « vol de l’Aigle » -, nouvel épisode du mythe napoléonien. Fontainebleau (château de), illustre résidence royale devenue propriété de l’État, composée de plusieurs bâtiments hétéroclites qui témoignent de tous les styles du XVIe au XIXe siècle. C’est sous l’impulsion de Saint Louis que le modeste rendez-vous de chasse de Louis VII se transforme en château : dominés par un donjon rectangulaire, les bâtiments encadrent la cour dite « Ovale ». Trois siècles plus tard, François Ier, fasciné par l’exemple des princes italiens, entend créer un ensemble palatial à l’architecture éclatante. Il décide de ne conserver des bâtiments médiévaux que le donjon, tout en respectant le plan de la cour. Le maître maçon Gilles Le Breton trace les plans, tandis que la décoration intérieure est exécutée par des artistes italiens, dont le Primatice et le Rosso ; ces derniers forment, avec leurs collaborateurs français, ce qu’il est convenu d’appeler l’école de Fontainebleau. Entre 1530 et 1540, un château entièrement neuf surgit, articulé autour de la vaste cour rectangulaire dite « du Cheval-Blanc ». Les jardins sont également aménagés. Sous Henri II, c’est Philibert Delorme qui oeuvre à la poursuite des travaux d’architecture. Délaissé pendant la période des guerres de Religion, l’édifice s’agrandit considérablement sous Henri IV (cour des Offices, cour des Princes, salle de jeu de paume) ; le grand canal creusé en direction de l’est ouvre une imposante perspective. Il devient résidence d’automne sous Louis XIV, et ses jardins sont redessinés par Le Vau et Le Nôtre dans un style sobre et majestueux. Louis XV et Louis XVI inscrivent également la
marque de leurs règnes dans des travaux de réaménagement et de décoration. Épargné par la Révolution, Fontainebleau devient la principale résidence de Napoléon hors de Paris ; l’Empereur y fait modifier l’architecture intérieure et l’ameublement. Sous la Restauration et le Second Empire, les interventions n’ont pas toujours été heureuses - suppression, par exemple, des fresques de la Renaissance. L’ancienne résidence royale, riche des marques apposées par les souverains successifs, est devenue aujourd’hui un musée de peinture, mobilier et tapisserie. Par-delà sa fonction résidentielle, le château de Fontainebleau a été à plusieurs reprises le théâtre de décisions qui ont scellé le destin national : Louis XIV y a signé la révocation de l’édit de Nantes en 1685, et Napoléon, sa première abdication en 1814. Fontaine-Française (bataille de), victoire d’Henri IV sur les Espagnols et les troupes de la Ligue, le 5 juin 1595. Allié de la Ligue depuis 1584, Philippe II d’Espagne lutte aux côtés des ligueurs contre Henri IV dès l’avènement de ce dernier (1589). Mais Henri IV ne lui déclare officiellement la guerre que le 17 janvier 1595 ; il espère ainsi bénéficier d’un large soutien national et discréditer les princes ligueurs en les faisant apparaître comme des traîtres. La menace militaire espagnole est diffuse, de la Bretagne à la Picardie. Henri IV choisit d’intervenir sur le front bourguignon avec 3 000 hommes, au moment où plus de 12 000 soldats traversent la Saône sous le commandement du connétable de Castille. Le 5 juin, les Espagnols franchissent la Vingeanne près de Fontaine-Française, à 30 kilomètres au nord de Dijon. Le roi s’interpose avec quelques centaines d’hommes ; l’affrontement est bref, mais les Espagnols, croyant à la présence de toute l’armée royale, se replient vers la Franche-Comté. Ce bel exemple d’« intoxication » réussie est habilement transformé par la propagande en une éclatante victoire, dont l’écho est plus grand, semble-t-il, que celui de tous les succès précédents d’Henri IV. Le roi de France peut ainsi assurer la reprise en main de la Bourgogne, tenue jusque-là par le duc de Mayenne, frère d’Henri de Guise, et successeur de ce dernier à la tête de la Ligue. Mais la paix se fera attendre encore trois ans. Fontanes (Louis de), homme de lettres et homme politique (Niort 1757 - Paris 1821).
Monarchiste rallié au Consulat et personnage de premier plan sous l’Empire, ce bel esprit, poète d’Ancien Régime, entre en politique par le biais du journalisme. Après avoir dirigé, au début de la Révolution, l’éphémère journal monarchien le Modérateur et la feuille du Club monarchique, il se cache pendant la Terreur, puis collabore, sous le Directoire, à la Quotidienne, interdite en septembre 1799. Proscrit, un temps réfugié en Angleterre, où il se lie d’amitié avec Chateaubriand, il rentre en France après le coup d’État du 18 brumaire (novembre 1799). Avec l’aide de Lucien Bonaparte, il ressuscite, en juin 1800, le Mercure, dans lequel écrivent La Harpe, Chateaubriand et Louis de Bonald. Le journal, qui appelle le régime consulaire à rompre avec la Révolution, prône la renaissance religieuse et la réhabilitation de l’idée monarchique. Fontanes est alors l’amant d’Élisa, soeur de Napoléon, et se fait courtisan. Membre de l’Institut en 1803, président du Corps législatif en 1804, il est nommé grand maître de l’Université impériale en 1808, et dirige, à ce titre, l’Instruction publique. Cependant, peu dévoué à l’Empereur, il réorganise l’enseignement dans un sens conservateur, introduit nombre d’opposants downloadModeText.vue.download 360 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 349 - royalistes et prêtres - à l’Université et place l’enseignement primaire - laissé-pour-compte de l’Empire - sous le contrôle de l’Église. Sénateur en 1810, il vote la déchéance de Napoléon en 1814 et se rallie à Louis XVIII, qui le fait pair de France mais l’écarte de l’Université en 1815. Au début de la Restauration, ce modéré soutient Élie Decazes, mais se rapproche des ultras peu avant sa mort. Fontenelle (Bernard Le Bovier de), philosophe et homme de lettres (Rouen 1657 - Paris 1757). Fils d’un avocat au parlement de Rouen et de la soeur de Pierre et Thomas Corneille, il fait, après des études chez les jésuites, ses débuts dans le monde des lettres au Mercure galant, que dirige Thomas Corneille, en composant, sans grand succès, des oeuvres mondaines et variées. De retour à Rouen entre 1682 et 1687, il se fait connaître en publiant la République des philosophes (1682) et, surtout, les Entretiens sur la pluralité des mondes (1686). Dans le contexte de la fin du règne de
Louis XIV, marquée par un durcissement religieux et la révocation de l’édit de Nantes, Fontenelle expose prudemment, mais subtilement, son relativisme et ses convictions antireligieuses. Sans être athée, il remet en cause certains dogmes chrétiens et l’importance de l’intervention divine dans la destinée humaine. C’est aussi durant cette période qu’il prend parti pour les Modernes dans la querelle qui oppose ces derniers aux Anciens, partisans d’une stricte fidélité aux auteurs classiques. En 1688, dans Digression sur les Anciens et les Modernes, Fontenelle défend l’idée d’une poésie ouverte aux changements du langage et au renouvellement de l’inspiration, et y compare la maturation de la société aux différents âges de l’homme, sources de multiples transformations. En 1691, Fontenelle est élu à l’Académie française, ce qui, d’une certaine manière, marque la victoire des modernistes. En 1697, il est reçu à l’Académie des sciences, dont il est le secrétaire perpétuel de 1699 à 1740. Son intérêt pour les sciences s’approfondit. Il se fait le vulgarisateur des travaux de Descartes, Leibniz ou Newton. La qualité de ses synthèses influence alors les cercles mondains et l’élite sociale, où le goût des sciences se développe. Ses Éloges des académiciens (1715) sont un plaidoyer pour le rôle que doivent jouer les sciences. L’arrivée au pouvoir de son ami Philippe d’Orléans ne le détourne pas de ses activités. En matière religieuse, il ne désarme pas, exposant, dans ses Réflexions sur l’argument de M. Pascal et de M. Locke concernant la possibilité d’une vie à venir (1743), l’idée que le bonheur est possible, même si l’on admet la mortalité de l’âme. Contemporaine du Grand Siècle et de la première génération des Lumières, l’oeuvre de Fontenelle est souvent considérée comme transitoire et n’a pas rencontré de réelle reconnaissance. Fontenoy (bataille de), victoire remportée par les Français, le 11 mai 1745, durant la guerre de la Succession d’Autriche, près du village de Fontenoy, dans l’actuelle province belge du Hainaut. Alors qu’elles assiégeaient Tournai, les troupes françaises, commandées par le maréchal de Saxe et par Louis XV en personne, sont menacées par l’armée des coalisés (composée d’Anglais, de Hollandais, de Hanovriens et d’Autrichiens), conduite par le duc de Cumberland. Après un duel d’artillerie, les belligérants se retrouvent face à face dans un champ clos de 2 kilomètres carrés. C’est alors que lord Hay, criant au comte d’Auteroche,
lieutenant des grenadiers, « Monsieur, faites tirer vos gens ! », se serait entendu répondre : « Messieurs les Anglais, nous ne tirons jamais les premiers. » De cette réplique, souvent mal comprise, vient l’expression de « guerre en dentelles ». Pourtant, il ne s’agissait nullement d’un échange de politesses mais d’une stratégie élémentaire : les fusils étant très longs à recharger, les lignes qui tiraient les premières se trouvaient sans protection face aux adversaires pendant plusieurs minutes. Finalement, on ne sait pas, au juste, qui a ouvert le feu. Les coalisés prennent rapidement l’avantage. Alors que tout semble perdu, Maurice de Saxe lance une contre-offensive massive, mêlant artillerie, infanterie et cavalerie, qui paralyse les ennemis et les met en fuite. Ce retournement de situation permet aux troupes de Louis XV d’envahir les Pays-Bas autrichiens puis les Provinces-Unies. Survenue après une série de défaites, cette victoire flatteuse, remportée par un roi valeureux, sera célébrée comme l’un des grands moments de l’histoire nationale. Fontevraud (abbaye de), abbaye située près de Saumur qui, dès sa création en 1101, s’affirme comme le lieu d’une expérience originale, tout en se rapprochant rapidement du régime bénédictin. Robert d’Arbrissel, son fondateur, choisit en effet d’instaurer un monastère double accueillant à la fois des hommes et des femmes. La communauté se répartit en cinq ensembles : le Grand Cloître, ou Grand Moutier, avec l’église Notre-Dame, abrite les moniales ; les frères (prêtres ou laïcs) se regroupent à Saint-Jean-de-l’Habit ; Sainte-Marie-Madeleine est destinée aux repenties ; Saint-Lazare, aux lépreux ; et Saint-Benoît, aux malades. Robert d’Arbrissel désire que la communauté soit égalitaire ; lui-même n’accepte que le titre de « maître » et se fait assister par une prieure. En 1115, il désigne comme supérieur une femme, Pétronille de Chemillé (morte en 1149), qui devient la première abbesse de Fontevraud. Issues pour la plupart de l’aristocratie, les moniales affirment leur prééminence par leur nombre et par leur vocation contemplative. Les statuts, souvent remaniés, accentuent la séparation des moniales et des frères, en renforçant l’assujettissement des seconds, ce qui suscite quelques réactions. L’abbesse dispose de tous les pouvoirs. Fontevraud présente
donc la particularité d’être un ordre double, mais où l’égalité primitive a laissé la place à une subordination des religieux aux religieuses et à l’abbesse, qui dirige la congrégation. L’abbaye de Fontevraud a bénéficié de la protection des Plantagenêts, qui en ont fait leur nécropole : l’église renferme les gisants d’Henri II, d’Aliénor d’Aquitaine et de Richard Coeur de Lion. L’ordre a été supprimé pendant la Révolution, en 1792. Formigny (bataille de), bataille, qui, le 15 avril 1450, voit la victoire des troupes françaises de Charles VII sur l’armée anglaise commandée par sir Thomas Kyriel, dans le village normand de Formigny, près de Bayeux. C’est un épisode important de la campagne de Normandie, dernière phase de la guerre de Cent Ans. Face aux succès remportés par les Français dans les derniers mois de 1449 en haute Normandie et dans le Cotentin, les Anglais envoient sur le continent une armée commandée par Kyriel, qui débarque à Cherbourg le 15 mars 1450. Celui-ci reprend plusieurs places du Cotentin avant d’envahir le Bessin. Le comte de Clermont, Jean de Bourbon, est alors nommé lieutenant général par Charles VII et reçoit pour mission de stopper la progression anglaise. Le 15 avril, il quitte Carentan et se dirige vers Bayeux pour éviter la jonction de Kyriel et du duc de Somerset, lieutenant du roi Henri VI d’Angleterre. En route, son armée rencontre les Anglais à Formigny. Le combat s’engage sans tarder. L’issue en reste indécise jusqu’à l’arrivée, vers midi, du connétable Arthur de Richemont, qui permet la victoire française. Selon un relevé officiel dressé par les hérauts français, les Anglais auraient perdu près de 4 000 hommes dans la bataille. La victoire ouvre à Charles VII la route de Bayeux et de Caen, qui capitule le 1er juillet, puis celle de Cherbourg, qui tombe le 12 août. Fort-Chabrol, nom donné à un événement qui illustre l’agitation nationaliste entourant l’affaire Dreyfus à l’extrême fin du XIXe siècle. Le 23 février 1899, Paul Déroulède et ses troupes de la Ligue des patriotes ont tenté en vain de déclencher un putsch. Au début du mois d’août, Déroulède prépare une nouveau coup de force et mobilise divers groupements, parmi lesquels figurent en bonne place les antisémites conduits par Jules Guérin, directeur du journal l’Antijuif. Des contacts sont pris
avec des milieux militaires restés farouchement antidreyfusards. Le général de Négrier, qui vient d’être relevé de ses fonctions, semble bien avoir été pressenti comme chef militaire de la rébellion, chargé d’entraîner la foule vers l’Élysée le moment venu. Un gouvernement est même prévu en cas de victoire, dans lequel on retrouve nombre de héros de la cause antidreyfusarde. Mais, face à cette tentative de coup d’État fort bien bien préparée, le gouvernement de Waldeck-Rousseau riposte rapidement : le 12 août, 37 nationalistes, parmi lesquels Déroulède, sont arrêtés. Des perquisitions sont effectuées chez les chefs royalistes et 17 prévenus sont déférés devant la Haute Cour. Dans le même temps, Jules Guérin, entouré de militants antisémites, se retranche dans une maison de l’impasse Chabrol, acte de « résistance » qui lui vaut une certaine popularité. Waldeck-Rousseau ayant refusé de faire donner l’assaut, les assiégés ne se rendent que le 20 septembre. Cet épisode tragi-comique met fin à une agitation nationaliste parisienne commencée depuis septembre 1898. downloadModeText.vue.download 361 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 350 fortifications. Au gré d’une longue histoire militaire, la France s’est dotée de tout l’éventail des systèmes de fortifications occidentaux. • De la tour aux fortifications bastionnées. Les premiers châteaux forts apparaissent au Xe siècle, limités à une simple tour de bois édifiée sur une butte de terre, la « motte ». Au cours des siècles suivants, la tour, devenue donjon, est construite en pierre et peut atteindre jusqu’à 30 mètres de hauteur. Le donjon est, quant à lui, entouré d’une enceinte carrée ou rectangulaire associée à des tours d’angle. Pour la défense du domaine royal, les premiers Capétiens font ainsi construire les châteaux forts du Louvre, de Montlhéry, de Dourdan et d’Étampes. Les villes sont également protégées, les portes faisant l’objet d’un soin particulier, comme celles des châteaux : dotées d’un pont-levis, elles sont précédées d’un système défensif, l’échauguette. À partir du XVe siècle, l’apparition du boulet métallique remet en cause la fortification médiévale verticale. Allemands et, surtout, Italiens sont alors à l’origine d’innovations appliquées par la suite en France. Tours et murailles s’abaissent ; les fossés gagnent en profondeur ;
les terres de déblai sont utilisées pour remparer, c’est-à-dire pour renforcer les murs. Des plates-formes surmontent les tours et sont dotées de pièces d’artillerie. Pour le flanquement, c’est-à-dire la défense latérale des villes ou des forteresses, les Italiens adoptent le tracé bastionné inauguré en France à Cambrai. • Vauban et sa postérité. À partir du XVIIe siècle, l’école française, représentée par le chevalier de Ville, le comte de Pagan et, surtout, le maréchal de Vauban, assure la relève. Nommé commissaire général des fortifications, Vauban organise la défense des nouvelles frontières du royaume en FrancheComté, en Alsace et en particulier dans le Nord, avec le célèbre « Pré carré », ainsi que sur certains points du littoral. Il fait preuve d’éclectisme, se libère souvent du tracé bastionné et sait s’adapter à la nature du terrain. Par une ironie de l’histoire, cet artilleur de talent met au point un système d’attaque efficace des nouvelles fortifications, qu’il s’efforce lui-même de neutraliser par l’édification d’une seconde enceinte extérieure, constituée de bastions indépendants portant l’artillerie. Au XVIIIe siècle, cette conception est développée par Montalembert et aboutit à la construction de forts détachés concentrant les moyens de défense. Ce système, qui n’exclut pas le maintien d’une enceinte bastionnée, est adopté pour la fortification de Lyon en 1830 et de Paris en 1840. Le siège de la capitale en 1870-1871 démontre néanmoins que ces forts sont trop proches de l’enceinte et n’empêchent pas l’artillerie allemande de bombarder les quartiers de la rive gauche. • La survivance des fortifications fixes à l’époque contemporaine. Au lendemain de la perte de l’Alsace-Lorraine, le général Séré de Rivière établit des « rideaux défensifs » le long des Hauts de Meuse, autour de Toul et de Verdun ainsi qu’entre Épinal et Belfort. Mais, à peine achevés, ces forts construits en maçonnerie se révèlent inutiles, du fait des progrès extrêmement rapides de l’artillerie. Aussi faut-il renforcer les ouvrages par des carapaces en béton ou par des cuirassements en acier. Pourtant, pendant la bataille de Verdun, ces forts feront preuve d’une résistance bien supérieure à celle que l’on attendait. Au lendemain de la guerre, en dépit des garanties offertes par le traité de Versailles, la France décide la construction d’un nouvel ensemble fortifié, la ligne Maginot. Ce système, qui ne couvre que la frontière du nord-
est, comporte deux séries de fortifications. Tout d’abord de gros ouvrages, construits de 1929 à 1935, dotés de « blocs d’entrée » et de « blocs actifs » équipés d’armes automatiques, de mortiers et de lance-grenades. Ces blocs sont associés à d’imposantes installations souterraines, qui abritent des casernements et des magasins à l’abri des gaz. À partir de 1935, grâce à la priorité accordée au réarmement de l’armée et de l’aviation, le génie entreprend la construction d’ouvrages d’infanterie beaucoup plus réduits et vulnérables. En fait, la ligne Maginot est révélatrice d’une stratégie éminemment défensive, sans efficacité lors de l’attaque allemande de mai 1940. De la Seconde Guerre mondiale, la France a encore hérité des fortifications allemandes du « mur de l’Atlantique » et, surtout, les remarquables bases de sous-marins de Brest, Saint-Nazaire, Lorient ou La Pallice, qui se révélèrent quasiment invulnérables jusqu’à la fin du conflit. Foucauld (Charles Eugène, vicomte de Foucauld de Pont-Briand, puis le Père de), officier et prêtre (Strasbourg 1858 - Tamanrasset, Algérie, 1916). L’itinéraire religieux et la personnalité de Charles de Foucauld, au carrefour de la vie militaire et de l’expérience mystique, du christianisme et de l’islam, demeurent un objet de controverse et de mystère. Issu d’une famille de l’aristocratie, très tôt orphelin, élève du lycée de Nancy, où il perd toute foi religieuse, puis des écoles militaires de Saint-Cyr et de Saumur, le sous-lieutenant de Foucauld expérimente en garnison (Pontà-Mousson, Sétif) la vacuité d’une vie de débauche et de désoeuvrement, avant une première expérience saharienne (1881-1884), où il découvre, à l’occasion d’une exploration du Maroc encore indépendant, la fascination du désert et de l’islam. De retour en France, sous la double influence de sa cousine Marie de Bondy et de l’abbé Huvelin, vicaire de SaintAugustin à Paris, il retrouve la foi en octobre 1886 : « Aussitôt que je crus qu’il y avait un Dieu, je compris que je ne pouvais faire autrement que de ne vivre que pour lui. » Sa conversion, entière, violente, définitive, lui ouvre un chemin d’itinérance et de recherche, émaillé de tentatives infructueuses et d’intenses expériences spirituelles. Placé sous la direction de l’abbé Huvelin, puis entré à la Trappe de Notre-Dame-des Neiges, il gagne l’Orient sous le nom de frère Marie-Albéric et
vit pauvrement, de juillet 1890 à septembre 1896, au prieuré de Notre-Dame d’Akbès (Syrie). Envoyé ensuite à Rome, il obtient de s’établir à Nazareth en qualité de domestique d’un couvent de clarisses (mars 1897août 1900) et part sur les traces de Jésus ; de retour à la Trappe des Neiges, il est ordonné prêtre à Viviers, en juin 1901. C’est au Sahara qu’il entend conduire la « vie de Nazareth » au contact de l’islam : grâce à l’appui des autorités militaires françaises, il établit deux ermitages, à Béni-Abbès, près de la frontière marocaine, puis à Tamanrasset, au coeur du Hoggar. Celui qui se veut le « frère universel » des musulmans et des chrétiens, des militaires français et des hommes du désert, quoique dépourvu de disciples et dénué de ressources, s’emploie à rédiger un dictionnaire francotouareg, une traduction de l’Évangile, des recueils de poésie touarègue, de nombreux écrits spirituels et les statuts d’un nouvel ordre des Frères et Soeurs du Sacré-Coeur de Jésus (1909). Il est assassiné au cours d’une razzia, le 1er décembre 1916, dans son ermitage de Tamanrasset. Fouché (Joseph), duc d’Otrante, homme politique (Le Pellerin, Loire-Atlantique, 1759 - Trieste, Italie, 1820). Ministre de la Police, intrigant et secret, craint et méprisé à la fois, Fouché inspire, du fait de ses multiples revirements et de sa longévité politique, une méfiance générale mêlée de fascination. Cultivant des amitiés et des clientèles dans tous les partis, il passe tantôt pour un grand homme d’État et un jacobin sincère, tantôt pour un opportuniste, voire un traître uniquement préoccupé de ses intérêts. Il est, de fait, l’une des figures les plus énigmatiques de la Révolution et de l’Empire. Ses Mémoires (1824), d’une authenticité douteuse, présentent d’importantes lacunes et visent surtout à rendre cohérent un parcours chaotique. • La Révolution : hésitations, actions, esquives. Fils d’un armateur nantais, Fouché entre au séminaire de l’Oratoire en 1781, puis enseigne dans différents collèges. Membre du Club des jacobins de Nantes en 1790 - qu’il préside en 1791 -, il reste un modéré jusqu’en 1793. Proche des girondins à la Convention, où il a été élu député en septembre 1792, il ne devient montagnard que lors du procès de Louis XVI, votant au dernier moment pour la mort de celui-ci, et se rapproche des extrémistes, tels Hébert et Chaumette. Cependant, de mars 1793 à mars 1794, il ne fréquente guère la capitale : représentant en mission, il
se forge une sombre réputation, notamment dans la Nièvre et l’Allier, où il organise, de juin à octobre 1793, une déchristianisation systématique et s’en prend aux propriétaires, puis à Lyon, où, après la fin du siège et sous les ordres de Collot d’Herbois, il participe à une répression féroce. Rappelé à Paris, il est exclu des Jacobins en juin 1794 et, surveillé, vit dans une semi-clandestinité. Intriguant alors parmi les députés menacés, dénoncé par Robespierre pour son oeuvre déchristianisatrice, il ne joue pourtant aucun rôle ni dans la journée du 9 thermidor an II (27 juillet 1794), ni lors de la réaction thermidorienne, durant laquelle il demeure proche de la gauche extrême. Sans doute arrêté à l’été 1795, il est amnistié à l’automne, et vit dès lors de petits emplois. Lié successivement à deux hommes forts du Directoire - Barras et Sieyès -, il occupe très brièvement le poste d’ambassadeur auprès de la République cisalpine (1798) - où il s’enrichit -, puis de la République batave (1799), et downloadModeText.vue.download 362 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 351 devient, le 20 juillet 1799, ministre de la Police générale, chargé de mettre un terme à l’agitation jacobine, tâche dont il s’acquitte avec zèle. • Une figure clé de l’ère napoléonienne. Prudent lors du coup d’État de brumaire an VIII (novembre 1799), Fouché conserve sous le Consulat son ministère, qu’il modernise et auquel il donne une extension considérable. Il crée une police secrète et un réseau d’espionnage en France comme à l’étranger, constitue un fichier de notices biographiques, incluant jusqu’à celle de Bonaparte, et obtient le renfort de la gendarmerie, détachée du ministère de la Guerre. Inquiet d’une telle puissance, Bonaparte démembre le ministère en 1802, mais Fouché, devenu sénateur, demeure influent. En 1804, il pousse à l’exécution du duc d’Enghien, puis incite le Sénat à approuver l’Empire héréditaire, ce qui lui vaut de retrouver son ministère le 10 juillet. Fouché ne cesse néanmoins d’intriguer, parfois avec Talleyrand, comme en 1808 lorsque les deux ministres cherchent un successeur éventuel à Napoléon 1er, qui guerroie alors en Espagne. En 1809, durant la campagne d’Autriche, il décide, en l’absence de l’Empereur, de lever des gardes nationales pour défendre le Nord contre les Anglais. Malgré sa méfiance, Napoléon lui accorde alors le titre de duc d’Otrante. Mais l’année suivante, ayant
découvert les négociations secrètes de Fouché avec l’Angleterre, n’acceptant pas l’hostilité de celui-ci à son mariage avec Marie-Louise ainsi qu’à la présence d’anciens aristocrates à la cour, l’Empereur le renvoie, puis le nomme gouverneur des Provinces Illyriennes à Dresde (1813). Rallié aux Cent-Jours, après avoir vainement proposé ses services à Louis XVIII en 1814, Fouché redevient ministre en mars 1815, et continue de négocier avec les Bourbons et l’Angleterre. Après Waterloo, il organise l’abdication de Napoléon ainsi que le retour de Louis XVIII, et conserve son ministère en juillet 1815 grâce à l’appui des Anglais. Élu député à la Chambre un mois plus tard mais détesté des ultras, il est définitivement écarté du pouvoir en septembre 1815, avant d’être révoqué et banni en application de la loi de 1816 frappant les régicides ralliés aux Cent-Jours. fou de cour, durant le Moyen Âge et la Renaissance, bouffon attaché à la personne d’un prince pour le divertir et amuser la cour. Il peut être affligé d’une difformité physique ou présenter une pathologie mentale qui prêtent à rire, ou, au contraire, être particulièrement habile à « faire le fou ». Comme les jongleurs ou les histrions, il raconte des histoires drôles, fait le pitre, réalise des tours d’adresse, déclame des lais ou des fabliaux, invente des jeux ou des devinettes. Souvent, il sait aussi chanter, jouer d’un instrument, danser, faire des acrobaties, et il possède parfois des dons de voyance. L’habitude d’entretenir des amuseurs de ce type à la cour est ancienne. En France, on relève la présence d’un « fol », nommé Jean, dans l’entourage de Charles le Simple, vers 894. Mais c’est surtout avec l’essor des cours féodales que se développe la pratique d’employer un ou plusieurs fous à gages, usage qui, dans les derniers siècles médiévaux et à la Renaissance, devient une véritable mode. En 1316, Philippe V institutionnalise cette fonction : désormais, les fous de la cour royale sont des agents de l’État qui possèdent un office héréditaire. Parmi les plus célèbres fous des rois de France, on peut citer Hainselin Coq et Colart, respectivement bouffons de Charles VI et de Charles VII. La fin du Moyen Âge est aussi l’époque où la représentation du fou de cour se fige : vêtu de vert et de jaune (association de couleurs qui symbolise la transgression), le visage entouré d’un capuchon à oreilles d’âne orné de grelots, il porte à la main une marotte, bâton surmonté d’une tête grotesque, et parfois une vessie à la ceinture.
Le fou est le seul personnage de la cour à pouvoir tout faire et tout dire, et à parler librement au prince. Il révèle l’hypocrisie en dénonçant les travers des uns et des autres sur un mode humoristique ou burlesque. Il peut devenir le confident et l’ami du prince, qui dépense toujours des sommes considérables pour son entretien. La grande mode des bouffons est contemporaine de l’engouement pour la « fête des fous », qui se caractérise par une permissivité totale et répond à un besoin de banaliser la folie en la contrôlant et en en faisant l’éloge. Le fou de cour est ainsi une sorte de double inséparable du souverain. Sa marotte rivalise avec le sceptre et incarne la puissance illimitée de la folie face au pouvoir temporel du prince. Fould (Achille), homme politique et financier (Paris 1800 - La Poubère, Hautes-Pyrénées, 1867). Achille Fould est issu de l’aristocratie financière : la banque de son père est l’une des toutes premières sur la place parisienne. Fils cadet, il n’est pas destiné à reprendre l’affaire familiale, mais est très tôt initié à la pratique des affaires. Au terme de ses études secondaires, Achille Fould mène une existence mondaine avant d’opter pour la carrière politique : familier des princes d’Orléans, il siège à partir de 1842 à la Chambre, où il s’impose comme un spécialiste des problèmes financiers. Resté à l’écart des événements de février 1848, il est élu à la Constituante au mois de septembre. Rallié à Louis Napoléon Bonaparte, il devient l’un de ses premiers serviteurs : trois fois ministre des Finances entre 1849 et 1852, puis ministre d’État chargé, entre autres, de la Culture jusqu’en 1860, il retrouve son portefeuille des Finances de 1861 à 1867. Soucieux de limiter les dépenses de l’État et hostile à toute taxation des revenus, Fould bénéficie de la confiance des milieux financiers et participe même, avec les frères Pereire, à la création du Crédit mobilier en 1852. Il n’hésite pas à user de son influence pour faire prospérer ses affaires privées et celles de sa famille, ce qui lui vaut de nombreuses critiques, parfois inspirées par un antisémitisme latent - d’origine juive, il s’est tardivement converti au protestantisme. Dénigrée par les historiens de la IIIe République, l’action de ce « conservateur par instinct, libéral par réflexion » a ensuite été appréciée de façon plus nuancée.
Foulques Ier le Roux, vicomte, puis comte d’Anjou ( ? - 942). Probablement descendant d’Adalard, sénéchal de l’empereur Louis le Pieux, Foulques est nommé vicomte d’Angers par le roi carolingien Charles le Simple, avec l’accord de Robert de Neustrie, duc des Francs, qui détient alors la réalité du pouvoir dans la France du Nord, et doit s’appuyer sur des personnages tels Foulques le Roux, détenteur local de l’autorité publique. De Foulques, on sait qu’il occupe en 907 le comté de Nantes, qui sera abandonné aux Bretons en 919, et qu’il tente de s’approprier en vain le titre comtal en 920 et en 929. Profitant de la lutte entre les derniers Carolingiens et les Robertiens ancêtres d’Hugues Capet, il parvient à une indépendance de fait, étend sa domination dans la région de Loches, se comporte en chef politique autonome et manifeste son pouvoir par la rédaction de chartes en son nom. Ses relations avec les rois des Francs sont excellentes, et à sa mort, en 942, il transmet le titre de comte d’Anjou, finalement reconnu, à ses héritiers. Si on ne peut totalement reconnaître en Foulques Ier le fondateur de la puissance angevine du XIIe siècle, du moins ses successeurs lui doivent-ils l’émancipation. Foulques III Nerra, comte d’Anjou de 987 à 1040 ( ? 972 - Metz 1040). Fils du comte d’Anjou Geoffroi Grisegonnelle et d’Adélaïde de Vermandois, Foulques Nerra (« le Noir »), hérite en 987 de son père un comté d’Anjou augmenté de la région de Loudun. Il combat sans merci ses voisins, pille villes et abbayes pour augmenter son domaine et asseoir sa puissance. Aussi spectaculaire dans ses pénitences que dans ses actes de violence, il fait quatre fois le pèlerinage de Jérusalem pour se racheter et multiplie ou enrichit les fondations pieuses, comme la Trinité de Vendôme ou l’abbaye de Bourgueil. C’est lui qui établit la puissance territoriale angevine : il étend sa domination au nord, en contraignant le comte du Maine à devenir son vassal, à l’est, en conquérant Vendôme et le Gâtinais, et, vers l’ouest, en prenant Nantes, où il place comme vassal un de ses fidèles. Contemporain des premiers Capétiens, il profite de leur extrême faiblesse mais conserve avec eux de bonnes relations, contrairement à son rival direct, Eudes de Blois.
Foulques Nerra, qui peut prendre le titre de « comte des Angevins par la grâce de Dieu », est l’archétype du seigneur féodal dont la légitimité repose sur la violence, qui exerce son pouvoir aux confins du domaine royal et des grandes principautés, à coups de guerres, de rapines et de pillages. C’est à de tels seigneurs que s’oppose l’Église en instituant la Paix et la Trêve de Dieu. Foulques IV le Réchin, comte d’Anjou de 1067 à 1109 (Château-Landon 1043 - Angers 1109). Second fils d’Ermengarde d’Anjou et de Geoffroi de Gâtinais, Foulques IV est petit-fils, par sa mère, de Foulques Nerra, dont il a le caractère vindicatif, que marque son surnom de « Réchin », querelleur. Il partage d’abord downloadModeText.vue.download 363 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 352 le pouvoir avec son oncle Geoffroi II Martel, mais, à la mort de ce dernier, une querelle de succession oppose les deux neveux héritiers, Geoffroi III le Barbu et Foulques. Si le second se contente d’abord de la Saintonge dont il a hérité, il cherche à accroître ses possessions dès qu’il perd Saintes contre le duc d’Aquitaine, en 1062. Il exploite le mécontentement qu’a suscité Geoffroi le Barbu par sa politique hostile à l’Église et, en 1067, prend Saumur et Angers, enferme son frère et gouverne à sa place. À partir de 1068, et jusqu’à sa mort en 1109, il est seul comte d’Anjou, malgré une révolte menée par son fils aîné Geoffroi IV Martel, qui périt assassiné en 1106. Au cours de ce long règne, Foulques le Réchin abandonne le Maine au duc de Normandie, et le Gâtinais au roi de France Philippe Ier. Il affirme néanmoins le pouvoir comtal sur le haut clergé et met en place les grands offices de la future cour angevine. Décrit par les chroniqueurs comme « glouton, débauché et inerte », il est resté célèbre pour ses déboires conjugaux : en 1092, sa femme Bertrade de Montfort, probablement consentante, est enlevée par Philippe Ier. Fouquet ou Foucquet (Nicolas), financier, mécène et homme politique (Paris 1615 - forteresse de Pignerol, Italie, 1680). Son père fut conseiller au parlement de Rennes, puis de Paris, conseiller d’État et
maître des requêtes. Lui-même devient conseiller au parlement de Metz (1631), maître des requêtes (1635), procureur général au parlement de Paris (1650) et, enfin, surintendant général des finances, fonction qu’il assure avec Abel Servien de 1653 à 1659, puis seul. Pourtant, le 5 septembre 1661, alors que le roi et Colbert sont à Nantes, le chevalier d’Artagnan y arrête Fouquet. Ce dernier est jugé, banni (20 décembre 1664), et ses biens sont confisqués ; mais Louis XIV alourdit sa peine en la commuant en prison à vie. • Les raisons d’une disgrâce. Peut-on invoquer le luxe étalé lors de la fête donnée par Fouquet au château de Vaux, le 17 août 1661, et qui aurait blessé le roi dans son orgueil ? Ses irrégularités comptables ? Son attirance pour Mme de La Vallière ? La vérité diffère de cette vulgate. Les Fouquet se sont trop intéressés à la mer : le père de Nicolas, armateur occasionnel, était devenu co-seigneur de Beaupré en Canada (1636) et de l’île d’Orléans, et Nicolas a constitué une flotte personnelle, qui se ravitaillait à Göteborg (Suède) en canons, chanvre, agrès, bois et munitions. Très tôt, Fouquet a voulu imiter Richelieu, lequel était devenu propriétaire, en 1635, des îles d’Hyères et du généralat des galères : aussi a-t-il acheté Belle-Isle aux Gondi pour 1,3 million de livres (1658). Il obtient, en 1646, le gouvernement de Concarneau, au nom d’un cousin germain de son père, Fouquet de Chalain, puis acquiert une vingtaine de seigneuries des environs de Vannes et, en 1661, le port de cette ville. En outre, il achète, au nom de ses hommes de paille, toutes les grandes charges maritimes de l’État : la viceroyauté d’Amérique (30 000 écus), en 1660 ; l’intendance générale de la navigation et commerce de France - ou vice-amirauté - et le généralat des galères (200 000 livres), en 1661. • La chute. Face à autant d’ambitions maritimes, Colbert, chargé des marines du Levant et du Ponant depuis janvier 1661 - en attendant d’être secrétaire d’État à la Marine en 1669 -, décide de perdre Fouquet. Après la mort de Mazarin (7 mars 1661), il convainc le roi de mettre fin à la puissance du surintendant. Une légion d’ouvriers travaille à BelleIsle pour Fouquet, et la mère de ce dernier a des amis protestants. Or, deux ans après avoir pardonné au frondeur Condé, Louis XIV ne peut courir le risque d’une nouvelle insurrection, menée cette fois à partir de Belle-Isle. D’autres ports n’ont-ils pas été naguère des foyers de rébellion (La Rochelle en 16211628, Brouage en 1649-1653) ? Aussi, Colbert dépêche-t-il Duquesne à Concarneau :
dix vaisseaux du surintendant sont saisis et 70 canons mis sous séquestre (le roi, à Rocroi, en 1643, n’en avait que 14 !). Fouquet fut donc puni, non pour avoir fait le mal mais parce qu’il était susceptible d’en faire. Nombre d’historiens, trop influencés par des personnalités de l’époque - certaines favorables à Fouquet, tels Lefèvre d’Ormesson, La Fontaine, Saint-Évremond, Mme de Sévigné, Melle de Scudéry, Pellisson ; d’autres hostiles, tels Henri Pussort (oncle de Colbert) ou Denis Talon –, n’ont pas compris que l’« affaire Fouquet » était liée à la détermination de Colbert de devenir - comme Richelieu - le maître du littoral. La lutte acharnée qu’a livrée la « couleuvre à l’écureuil » (Fouquets signifie « écureuil » en patois angevin) était, en réalité, le prolongement de celle menée par Richelieu contre les amiraux de Vendôme, de Guise et de Montmorency pour exactement la même raison. Richelieu et Colbert parvinrent, difficilement, à satisfaire leurs ambitions maritimes. Fouquet, pour avoir eu la même volonté, acheva sa vie à Pignerol. Fouquier-Tinville (Antoine Quentin), magistrat (Hérouel, Aisne, 1746 - Paris 1795). Accusateur public auprès du Tribunal révolutionnaire, réputé pour son extrême sévérité et son attitude sans nuances, Fouquier-Tinville compte parmi les figures les plus honnies de la Révolution. Ancien procureur au Châtelet (1774-1783), membre du jury d’accusation du Tribunal du 17 août (1792), puis substitut de l’accusateur public au tribunal criminel du département de Paris, il est désigné par la Convention pour siéger au Tribunal révolutionnaire, en avril 1793. Depuis son bureau de la Conciergerie, il étudie les dossiers des prévenus et rédige les actes d’accusation, une tâche qui nécessite l’assistance de cinq substituts avec l’application de la « loi des suspects » (17 septembre 1793). Rouage essentiel des grands procès politiques de l’an II, notamment de celui des partisans de Danton (avril 1794), où les accusés sont exclus des débats, Fouquier-Tinville est aussi l’homme des « fournées » consécutives à la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794), qui simplifie la procédure du Tribunal et institue la Grande Terreur, durant laquelle, selon ses propres termes, « les têtes tombaient comme des ardoises ». Secondant le Comité de sûreté générale dans le conflit qui l’oppose au Comité de salut public, il dispose d’agents dans les prisons qui dénoncent des conspirations imaginaires permettant d’éliminer plus
sûrement nombre de prisonniers. Devenu le symbole de la Terreur, l’accusateur public est arrêté le 14 thermidor an II (1er août 1794), au lendemain de la chute de Robespierre - contre lequel il a requis la mort -, et se défend en se présentant comme un simple exécutant. Il est guillotiné le 6 mai 1795, en place de Grève, avec d’autres membres du Tribunal. Fourcroy (Antoine François, comte de), chimiste et homme politique (Paris 1755 - id. 1809). Il est l’un des quatre rédacteurs de la Nouvelle méthode de nomenclature chimique (1787), et on lui doit une importante contribution à la théorie de l’éthérification, ainsi que la première description de l’urée en 1799. Au-delà de son apport scientifique à la chimie moderne, Fourcroy est surtout représentatif de la génération des savants qui, par leur parcours intellectuel et par leur carrière politique, ont contribué à associer des savoirs scientifiques novateurs aux formes contemporaines du pouvoir issues de la Révolution. Né dans une famille de petite noblesse sur le déclin, il fait ses études de médecine à Paris, grâce aux encouragements et au soutien de l’anatomiste Félix Vicq d’Azyr. Docteur en 1780, il s’oriente rapidement vers la chimie, et, dès lors, poursuit ses travaux dans des institutions qui, en marge d’une université devenue archaïque, sont ouvertes aux conceptions modernes : la Société royale de médecine (1780), l’École vétérinaire d’Alfort (1783), le Jardin du roi (1784), l’Académie des sciences (1785), le Lycée (1787). À partir de 1789, son engagement politique prend le pas sur ses recherches : il est associé à différentes commissions entre 1789 et 1792, et devient député de la Convention nationale le 22 juillet 1793, en remplacement de Marat, assassiné le 13. Dans les années suivantes, membre du Comité d’instruction publique et du Comité de salut public, il joue un rôle important dans l’organisation de l’Instruction publique : il est ainsi à l’origine de l’École polytechnique et des Écoles de santé en 1794 (dans lesquelles il occupe la chaire de chimie), de l’Institut, en 1795, et des Écoles centrales. Membre du Conseil des Anciens sous le Directoire, il entre au Conseil d’État sous le Consulat. Il poursuit alors parallèlement ses activités de réformateur scolaire et de chimiste, publiant les résultats des travaux qu’il mène avec Nicolas Vauquelin. Napoléon le fait comte d’Empire en 1808, consacrant ainsi, à travers lui et quelques autres, l’inté-
gration de la science aux fondements idéologiques du pouvoir public. Fourier (Charles), écrivain et théoricien socialiste (Besançon 1772 - Paris 1837). Né dans un milieu de commerçants aisés - son père est marchand de draps, et préside le tribunal de commerce de Besançon -, Fourier prend vite en horreur la profession, cette « bergerie mercantile » qui nécessite tricheries et menteries. Pour subvenir à ses besoins, downloadModeText.vue.download 364 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 353 il doit pourtant en accepter les lois. Installé à Lyon grâce à la fortune de son père, il se spécialise dans les denrées exotiques. En 1793, il prend part à l’insurrection fédéraliste de Lyon ; il voit ses marchandises détruites par les troupes de la Convention qui s’emparent de la ville, et est arrêté. À sa libération, il est complètement ruiné, et doit affronter une vie difficile, faite d’aventures diverses - il est soldat au 8e régiment de chasseurs à cheval, ou salarié du commerce. C’est à une oeuvre philosophique baroque, illuminée, pleine de néologismes étranges, que Charles Fourier doit sa célébrité. Son premier ouvrage, paru en 1808 sans nom d’auteur, Théorie des quatre mouvements et des destinées générales, développe une théorie totale et unitaire du monde, embrassant à la fois la nature et les sociétés humaines. Livres et articles concernant les sujets les plus divers se multiplient ensuite. Les observations de Fourier le conduisent à ce constat : dans la société règne le désordre absolu. Ce « monde à l’envers » ne peut être maintenu que par la force d’un État contrôlé par une aristocratie mercantile et financière armée d’une morale oppressive qui refoule les passions. Mais cet état de civilisation doit être bientôt dépassé par un nouveau stade historique : « l’industrie sociétaire, véridique et attrayante », société communautaire dont Fourier règle le fonctionnement jusque dans les moindres détails. Dans ce phalanstère, composé de 1 620 personnes, le travail sera « attrayant », chacun devant oeuvrer selon ses passions. La distinction entre les sexes et les races sera abolie mais les hiérarchies subsisteront : riches et pauvres ne disparaîtront pas.
L’école de Fourier - l’École sociétaire - n’exerce guère d’influence du vivant de son fondateur, et elle entreprend peu de réalisations, se développant surtout entre 1830 et 1848. Quelques associations conçues sur le modèle du phalanstère voient néanmoins le jour : l’Union industrielle du Sahy, au Brésil (1841-1845), l’Union agricole de Saint-Denis-du-Sig, en Algérie (1846), et, surtout, la Société de colonisation, créée au Texas par deux des principaux disciples de Fourier, dont Victor Considérant, et le familistère de Guise, installé dans les Vosges sur l’initiative de Jean-Baptiste Godin, fabricant des poêles du même nom. Charles Fourier est également le philosophe fétiche de Sigmund Freud et de l’écrivain surréaliste André Breton : l’un et l’autre ont reconnu en lui un grand libérateur des passions. Fourmies (fusillade de), fusillade survenue lors de la célébration du 1er Mai à Fourmies (Nord), en 1891, et qui constitue l’un des grands événements de la mémoire du mouvement ouvrier français. À la fin du XIXe siècle, Fourmies est une ville textile de 15 000 habitants située à 200 kilomètres au nord de Paris. Plusieurs grèves y ont déjà éclaté. Les socialistes guesdistes, très implantés dans le nord de la France, tentent d’y organiser les ouvriers. L’un de leurs dirigeants nationaux, Paul Lafargue, vient de Paris, au printemps 1891, pour inciter à la grève générale du premier 1er Mai consacré à la revendication de la journée de huit heures et d’augmentations de salaire. Les patrons se sont rassemblés pour résister à la pression ouvrière, et ont fait apposer sur les murs de Fourmies une affiche affirmant leur détermination à ne point céder. Au 1er mai, la tension est extrême. Le préfet et le maire de la ville ont réclamé l’envoi de deux compagnies d’infanterie. Face à une manifestation composée d’hommes, de femmes et d’enfants qui refusent de se disperser, la troupe fait feu avec une nouvelle arme : le fusil Lebel. L’efficacité de celle-ci est redoutable : on compte neuf morts (parmi lesquels sept jeunes de moins de 21 ans, et un enfant de 12 ans), ainsi que plusieurs dizaines de blessés. L’événement a un très fort retentissement. L’écrivain antisémite Édouard Drumont y voit l’occasion de déployer, une nouvelle fois, ses thèses obsessionnelles. Dans le Secret de Fourmies (1892), il explique la fusillade par
la présence d’un sous-préfet juif, Isaac, supposé agir sur l’ordre des Allemands, désireux de connaître les performances du fusil Lebel. Il ajoute : « Peut-être Isaac a-t-il voulu simplement célébrer à sa façon le centenaire de l’émancipation des juifs en 1791, que certains journaux toute honte bue ont eu l’aplomb de rappeler comme une date glorieuse ? » À la Chambre des députés, le socialiste Ernest Roche fait le récit de la tragédie en déployant une chemise ensanglantée percée de six balles. Georges Clemenceau s’écrie, à son tour, à la tribune : « Il y a quelque part, sur le pavé de Fourmies, une tache de sang innocent qu’il faut laver à tout prix... Prenez garde ! Les morts sont des grands convertisseurs ; il faut s’occuper des morts. » Mais ce sont les socialistes que l’on condamne : Culine, le dirigeant guesdiste de Fourmies, et Lafargue sont jugés pour « provocation directe au meurtre », et condamnés, le premier à six ans de réclusion, et le second à un an. Lafargue est libéré grâce à son élection comme député lors d’un scrutin partiel de novembre 1891, une élection qui doit beaucoup à l’émotion suscitée par l’épisode de Fourmies. Frachon (Benoît), syndicaliste et homme politique (Le Chambon-Feugerolles, Loire, 1893 - Les Bordes, Loiret, 1975). Ce fils de mineur, titulaire du certificat d’études en 1904, devient lui-même, à 13 ans, apprenti ouvrier métallurgiste. Il se syndique dès 1909 et s’initie à la politique au sein d’un groupe de jeunes anarchistes et anarcho-syndicalistes. Ébloui par la révolution russe d’Octobre, il milite, en 1917, contre la guerre. Après sa démobilisation, il adhère à la SFIO en 1919, puis au Parti communiste en 1922. À cette date, il est à la fois secrétaire du syndicat des métaux et maire adjoint du Chambon. En 1924, il abandonne cette dernière fonction, lui préférant celle de secrétaire permanent de l’union des syndicats CGTU de la Loire. En 1926, il est membre du comité central du Parti communiste, puis, parrainé par Maurice Thorez, entre au bureau politique en 1928, et appartient au secrétariat du parti de 1929 à 1933. En octobre 1932, il est désigné secrétaire général de la CGTU et milite, dès 1934, en faveur de l’unité syndicale, soutenant la politique du Front populaire. En octobre 1939, son refus de dénoncer le pacte germano-soviétique lui vaut d’être exclu de la CGT. Dans la clandestinité, il se retrouve, avec Jacques Duclos, à la tête du PCF, oeuvrant pour la réunification syndicale symbolisée par les accords du Perreux (avril
1943). À la Libération, il est cosecrétaire général de la CGT avec Léon Jouhaux, mais, tandis que le courant communiste devient majoritaire au sein de la confédération, sa position apparaît rapidement supérieure à celle de Jouhaux. Après la scission syndicale de 1947 (Jouhaux fonde alors la CGT-FO), Benoît Frachon assume - jusqu’en 1957 avec Alain Le Léap, puis seul - la fonction de secrétaire général de la CGT. En 1967, Georges Séguy lui succède, et il occupe alors le poste, honorifique, de président de la CGT. franc. Unité monétaire de la France depuis 1795, le franc est défini par la loi du 17 germinal an XI (7 avril 1803), à la fois par rapport à l’or et à l’argent. Il contient alors 5 grammes d’argent ou 322 milligrammes d’or à 9/10 de fin. • Une monnaie forte. Son nom reprend celui d’une ancienne pièce d’or frappée en 1360. Son poids de métal précieux est presque identique à celui qui avait été fixé en 1726 pour la monnaie de compte de l’Ancien Régime, la livre tournois. La volonté de continuité et de stabilité qui préside à sa création est donc manifeste. Pendant tout le XIXe siècle, la valeur du franc germinal reste immuable, gagée sur un stock d’or abondant et sur la prudence des dirigeants de la Banque de France dans leur politique d’émission de billets de banque intégralement convertibles au porteur, sauf pendant les rares périodes où le cours forcé doit être proclamé (1848-1850, 1870-1878). La seule modification d’importance apportée au système consiste à supprimer le double rattachement à l’or et à l’argent. La valeur du métal argent se déprécie en effet rapidement après 1870 du fait de la surproduction des mines d’Amérique du Nord. L’or tend alors à quitter la France, les spéculateurs le revendant à l’étranger contre de l’argent, à un cours très supérieur au rapport légal. En 1878, l’arrêt de la frappe libre des pièces d’argent met fin à ce trafic, instaurant, de fait sinon de droit, le monométallisme-or. La Belgique, la Suisse, l’Italie, la Grèce, regroupées dans l’Union monétaire latine, adoptent le système français et fixent la valeur de leurs monnaies à parité avec le franc, qui est alors l’une des grandes monnaies mondiales. • La fin de la stabilité. À partir de 1914, la proclamation du cours forcé du billet de banque ruine cette stabilité. Le franc est soutenu artificiellement par les trésoreries anglosaxonnes pendant la guerre, mais il se déprécie de manière spectaculaire à partir de 1919, lors de plusieurs crises entretenues par l’inflation fiduciaire et la spéculation sur le marché
des changes, étroitement liées aux péripéties de la vie politique. Le rappel au pouvoir de Raymond Poincaré, en juillet 1926, permet de réunir les conditions d’un retour à l’équilibre, tardif par rapport aux autres grandes monnaies européennes. En juin 1928, le franc est dévalué des quatre cinquièmes. La convertibidownloadModeText.vue.download 365 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 354 lité du billet est rétablie, mais, pour freiner la spéculation, limitée à l’achat de lingots. Cette première dévaluation inaugure une longue série d’opérations successives qui fixent de nouvelles parités, tantôt par rapport à l’or, tantôt par rapport au dollar. La plupart se bornent à enregistrer l’ampleur de la dépréciation survenue sur le marché des changes, lorsque les opérateurs jugent le franc surévalué, comme dans les années 1930, ou lorsque le rythme de l’inflation s’emballe par rapport à celui des pays voisins, comme de 1944 à 1958 ou de 1973 à 1983. D’autres dévaluations, plus rares, visent à rééquilibrer les échanges extérieurs et à placer l’économie dans de bonnes conditions face à la concurrence étrangère : il en est ainsi des francs Pinay (décembre 1958) et Giscard (août 1969). Depuis 1972, les dévaluations prennent la forme de simples réaménagements de parités dans le cadre du serpent, puis du système monétaire européen ou de mises en flottement du franc sur le marché des changes (1974-1975, 19761979). Toutes ces opérations ont pour résultat de créer des francs plus ou moins durables, qui prennent le nom du ministre des Finances en fonctions. Par rapport aux grandes monnaies étrangères, l’affaiblissement est spectaculaire, même si le franc, totalement inconvertible de 1939 à 1958, est redevenu librement négociable en or et en devises au début de la Ve République, d’abord pour les détenteurs étrangers, puis pour les détenteurs français, depuis l’abolition du contrôle des changes en 1990. En janvier 1960, pour rapprocher la valeur nominale du franc de celle des grandes monnaies étrangères, le général de Gaulle a créé le nouveau franc, égal à 100 anciens francs. Cette mesure, qui revient à exprimer les prix en une nouvelle unité cent fois plus forte qu’auparavant, n’est qu’une simple opération comptable, non une réévaluation.
• La zone franc. Les tentatives pour construire autour de la France un espace monétaire commun à plusieurs pays ont subi de fréquents échecs au cours du XXe siècle. L’Union monétaire latine, créée en 1865, n’a pas survécu à la Première Guerre mondiale. Le Bloc-or, fondé en 1933 par les pays restés fidèles à l’étalon-or au cours de la crise, a disparu au bout de trois années d’existence. La zone franc, instituée en 1939, paraît plus durable. Elle regroupe encore aujourd’hui autour de la France quatorze États : sept en Afrique occidentale (Sénégal, Côte-d’Ivoire, Mali, Niger, Burkina Faso, Bénin, Togo), six en Afrique équatoriale (Gabon, Cameroun, Congo, Tchad, République centrafricaine, Guinée-Équatoriale), un dans l’océan Indien (République des Comores). Mais son contenu a profondément changé. Il s’agissait initialement de rattacher par une parité fixe toutes les monnaies en circulation dans l’empire colonial, de centraliser à Paris les mouvements d’or et de devises, et de libéraliser les mouvements de capitaux libellés en francs. La décolonisation a provoqué le réaménagement de la zone. Plusieurs pays nouvellement indépendants, ceux de l’ancienne Indochine, puis ceux du Maghreb, ainsi que la Guinée, Madagascar, la Mauritanie ont refusé d’y adhérer. Principale monnaie en circulation, le franc CFA (Communauté financière africaine) conserve une parité fixe avec le franc français, mais la centralisation obligatoire des mouvements de devises et la libre transférabilité des capitaux ont disparu. En janvier 1994, la parité du franc CFA, inchangée depuis 1948, a été diminuée de moitié (de 0,02 à 0,01 franc français) afin de restaurer la compétitivité des exportations des pays membres. Malgré les efforts de nombreux gouvernements pour fonder la politique économique sur le maintien de la stabilité monétaire, le poids international du franc est bien affaibli au début des années quatre-vingt-dix : 9 % seulement des emprunts libellés en devises le sont dans cette monnaie. Prévu par le traité de Maastricht, signé en 1992, le franc disparaît au 1er janvier 2002. La France ayant satisfait aux critères de convergence fixés, la monnaie unique européenne est mise en circulation, se substituant au franc en tant qu’unité de compte, instrument de paiement et réserve de valeur.
franc (partages du royaume) ! partages du royaume franc France. Le nom « France » (en latin Francia) provient du royaume des Francs, regnum Francorum. Au cours du Moyen Âge, on oublie cette référence, et, en même temps que s’élabore le mythe des origines troyennes de la France, se développe l’étymologie faisant de la France le pays des « francs » (au sens de « libres »). Pourtant, durant le haut Moyen Âge, la France est bien le regnum Francorum, c’est-àdire l’ensemble du territoire soumis à l’autorité des rois francs, y compris à l’est du Rhin. Fort logiquement, le terme recouvre la totalité de l’empire de Charlemagne et le partage de Verdun de 843 définit les contours de trois entités politiques : Francia occidentalis, Francia media, Francia orientalis. Commentant cet événement dans sa Chronique rédigée vers 1100, Hugues de Fleury y voit la naissance de la Francia, de l’Italia et de l’Alamania. À ce moment-là, et depuis un siècle environ, le nom « France » ne recouvre donc plus que l’ancienne partie occidentale du royaume des Francs. Mais ce terme désigne également, dans un sens encore plus restreint, le pays de la Seine moyenne, berceau du pouvoir capétien, et qui correspond plus ou moins à ce que l’on nomme aujourd’hui l’« Île-de-France ». Jusqu’au XIIIe siècle, c’est cette signification étroite qui domine, la Francia étant généralement considérée comme une partie du regnum Franciae (royaume de France). Mais avec l’affirmation du pouvoir capétien progresse la conception élargie du nom « France ». La chancellerie de Philippe Auguste l’utilise de plus en plus fréquemment, et celle de Saint Louis abandonne le vieux titre - désormais ambigu - de rex Francorum (roi des Francs) pour celui de rex Franciae (roi de France). « France » est un nom de pays ; c’est aussi, dès la fin du Moyen Âge, une allégorie. D’abord voix désincarnée des nombreuses déplorations du XIVe siècle (telles les Lamentations de France, d’Eustache Deschamps), elle prend peu à peu les traits d’une dame, la « douce France » de la littérature courtoise, et est bientôt parée des atours de différentes vertus. Guerrière et royale, on la représente généralement vêtue d’une robe blanche recouverte d’un manteau bleu semé de lys sur lequel tombent ses longs cheveux blonds ceints d’une couronne. Mais elle peut également prendre la forme d’un jardin, autre
image de l’idéal au XVe siècle. Le « Jardin de France » emprunte certains de ses traits (tels sa clôture, sa fontaine centrale et ses quatre fleuves) au paradis. La France apparaît bien, dans cette mythologie nationale en train de se construire, comme la rencontre entre un territoire et un roi très chrétien. France (campagne de), campagne de Napoléon Ier, de janvier à mars 1814, face aux armées d’invasion des Alliés (principalement la Russie, la Prusse, l’Autriche et l’Angleterre). Après la défaite de Leipzig (1813), ce qui reste de la Grande Armée s’est replié sur le Rhin. Cette fois-ci, toutes les puissances européennes participent à l’assaut contre Napoléon. L’Empereur ne dispose que de troupes épuisées, renforcées par des contingents de jeunes hommes levés par anticipation. Le plan d’invasion des coalisés est adopté le 7 novembre 1813 : deux armées doivent se porter sur le Rhin. Napoléon décide de pallier son infériorité numérique en faisant retraite pour regrouper ses forces en Champagne. La première offensive française (janvier 1814) vise à séparer les armées de Blücher et de Schwartzenberg. C’est un échec. Mais Napoléon réussit à profiter des divisions entre les commandants alliés : il écrase une partie de l’armée de Blücher à Champaubert le 10 février, puis le lendemain à Montmirail, et enfin, le 12 février, à Château-Thierry. Pourtant, les opérations menées contre les Autrichiens à la fin du mois de février ne connaissent pas le même succès ; début mars, l’Empereur doit se lancer à la poursuite de Blücher, qui a reçu des renforts. La suite de la campagne se résume à une série d’engagements qui ne font que retarder les armées d’invasion. Napoléon doit se replier sur Paris à la fin du mois de mars. Les opérations de la campagne de France passent pour être l’un des exemples les plus réussis de lutte contre des forces supérieures en nombre, mais ce ne sont que des « victoires à la Pyrrhus » : Napoléon doit abdiquer le 11 avril. France (île de), nom donné par les Français à l’île Maurice, colonie française de 1722 à 1810. Après l’avoir occupée à la fin du XVIe siècle, les Hollandais, qui l’ont appelée « Mauritius » en l’honneur du stathouder Maurice de Nassau, abandonnent cette île en 1710. En 1715, le gouverneur de l’île Bourbon en ordonne la prise de possession, et lui donne le nom d’« île de France », mais l’occupation n’est effective qu’en 1722, lorsque le cheva-
lier de Nyon devient gouverneur. La mise en valeur du territoire reste alors très modeste. Toutefois, François Mahé de La Bourdonnais, gouverneur de 1735 à 1740, donne une vive impulsion à la colonie : aménagement du downloadModeText.vue.download 366 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 355 port, construction d’une citadelle et transfert du siège de l’administration des îles Mascareignes à Port-Louis, la capitale. Le monopole du gouvernement de l’île par la Compagnie des Indes prend fin en 1767, et l’administration royale encourage le développement des plantations et le peuplement - 20 000 habitants (dont 18 000 esclaves) en 1766, 43 000 (dont 36 000 esclaves) en 1788. Cependant, les efforts de l’intendant Pierre Poivre pour acclimater des épices n’aboutissent pas. Les planteurs se rebellent contre le Directoire en 1796 ; aussi la population servile n’at-elle pas connaissance du décret d’abolition de l’esclavage que la Convention a adopté en 1794. Sous l’Empire, Port-Louis devient un redoutable nid de corsaires (Surcouf, Deschiens) qui réussissent à prendre plus de 200 vaisseaux aux Anglais. La victoire navale française de Vieux-Grand-Port (août 1810) et la brillante défense terrestre du gouverneur Decaen ne peuvent empêcher la capitulation devant un corps expéditionnaire anglais, le 3 décembre 1810. Devenue colonie britannique au traité de Paris (1814), l’île de France prend le nom d’« île Maurice », mais demeure, jusqu’à son indépendance (1968), et au-delà, un foyer de francophonie dans l’océan Indien. l FRANCE (TERRITOIRE DE LA). Royaume franc dès 511, Francia occidentalis en 843 (à partir de la signature du traité de Verdun), la France s’est édifiée progressivement ; son territoire s’est consolidé sous la dynastie capétienne, bien que ses frontières orientales aient fluctué encore aux XIXe et XXe siècles. Le cadre schématique d’un hexagone dans lequel elle s’inscrit ne saurait traduire la complexité des particularismes géographiques, économiques ou culturels des anciennes provinces ou des régions actuelles, des pays ou des terroirs. L’unité politique a menacé souvent cette France plurielle, sans pour autant la faire disparaître. Les nouveaux pouvoirs
accordés aux communautés locales et régionales tendent a garantir, aujourd’hui, l’expression d’appartenances multiples au territoire français. UNE LENTE RECONNAISSANCE DU TERRITOIRE FRANÇAIS • Des territoires gallo-francs. Épargné par les grandes avancées glaciaires du quaternaire, à l’exception de ses massifs montagneux, l’espace qui constitue aujourd’hui la France s’est trouvé constamment peuplé durant le paléolithique, depuis un million d’années au moins. Au néolithique, la maîtrise de l’élevage et des cultures accroît les densités de peuplement. La France s’agence au fil du temps à partir de la Gaule et du monde celtique conquis par César, entre Rhin et Pyrénées. S’agrégeant à cette première identité romaine s’épanouissent, dès le Ve siècle, les Gallo-Francs, mélange de Barbares germains et de GalloRomains. Aucune homogénéité ethnique n’existe avant la conquête romaine. La Gaule se caractérise alors par la forte proportion de populations celtes, probablement parvenues sur son territoire au début de l’âge du bronze. Vers 400 avant J.-C., les Celtes atteignent la colonie grecque de Massilia (Marseille). Ils se mêlent aux Ibères en franchissant les Pyrénées. À leur apogée (Ier siècle avant J.-C.), ils sont organisés en un grand nombre de tribus associées de manière variable sur l’ensemble du territoire de la Gaule. Celle-ci est alors divisée en groupes qui se défont et se reforment sans cesse : les Éduens occupent les actuels Morvan et Bourgogne, puis, plus tard, Lutèce ; les Arvernes dominent l’actuelle Auvergne, tandis que les Atrébates donnent naissance à l’Artois, et les Pictons, au Poitou... Déjà, cependant, les places fortes (oppidums), les ports et les marchés signalent l’emplacement des futures grandes villes. Certaines cités, telles Lyon, fondée par les Romains, ou Sens, deviennent des évêchés au Bas-Empire. La Gaule est organisée et relativement prospère grâce à une population estimée à quelque 15 millions d’habitants. Peut-on néanmoins parler d’une unité gauloise ? Les peuples gaulois sont reliés entre eux par un bon réseau routier, bien entretenu, et se réunissent une fois par an à l’occasion de la grande assemblée des druides sur le territoire des Carnutes (coude de la Loire), considéré comme le centre de toute la Gaule. En outre, on pense que la langue
gauloise était comprise sur tout le territoire. Cependant, César distinguait Gaulois, Belges et Aquitains « par la langue, les institutions et les lois ». La mainmise de Rome se manifeste dès 121 avant J.-C., avec la délimitation de la première province romaine dans le sud de la Gaule. La cité de Narbonne contrôle le territoire conquis de l’actuelle Provence et la plaine du Languedoc, la vallée du Rhône jusqu’à la confluence de la Saône et le rivage méridional du lac Léman, à l’ouest les hauts plateaux du Vivarais, la crête des Cévennes ainsi que la région toulousaine au-delà du seuil du Lauragais. L’ancienne Gaule est partagée en trois territoires, dont les limites ne correspondent que d’assez loin aux divisions ethniques plusieurs fois citées par César : au nord de la Seine, la Belgique, au sud-ouest l’Aquitaine étendue aux régions du sud de la Loire, entre les deux la Celtique (ou Lyonnaise), située entre Seine et Loire. Après la conquête romaine, les cités gauloises sont maintenues et enrichies de nouveaux quartiers ; quelques villes d’eaux et de cure sont créées (Aix-en-Provence, Aix-lesBains...). Les villes les plus favorables au commerce (Chalon-sur-Saône, Orléans, Tours, Bordeaux...) prennent rapidement de l’importance. De nouvelles cultures sont introduites par les Romains : vigne, arbres fruitiers méditerranéens, mais aussi cerisiers et pêchers venus d’Orient. Le latin progresse tandis que le gaulois disparaît progressivement entre le Ier et le Ve siècle. • Grandes Invasions et remaniements territoriaux. La première pénétration en masse, au milieu du IIIe siècle, est celle des peuples germaniques, auxquels succéderont, aux IXe et Xe siècles, des populations d’origine scandinave et, dans une moindre mesure, hongroise. Du VIIIe au XIe siècle, les provinces méridionales subissent la poussée musulmane. Ces époques troublées sont décisives pour la formation de la France, dont le nom apparaît alors. Le territoire de la Gaule est réorganisé, fortement marqué par l’opposition Nord-Sud, encore caractéristique de l’espace français actuel. À partir du Ve siècle, les Francs, qui occupaient les rives du Rhin, déplacent le centre de gravité politique vers le nord de la Gaule, dans les plaines du Bassin parisien. Le royaume mérovingien et les royaumes issus des partages entre différents héritiers ont tous établi leurs capitales dans des villes du nord. De la période précédente,
seule l’Aquitaine conserve la circonscription héritée des Romains. Au début du VIe siècle, le royaume burgonde est envahi et partagé par les Francs, mais son nom persiste, Burgundia. Quant aux Bretons et aux Normands, ils forgent des individualités régionales durables. Les premiers, venus de Grande-Bretagne, atteignent le Cotentin, le Maine et l’Anjou (fin IXe -début Xe siècle), s’avançant bien au-delà des frontières politiques de la Bretagne actuelle. L’emprise territoriale normande s’établit de manière analogue, plus au nord : au Xe siècle, les Vikings s’installent du Cotentin au pays de Caux. Alors que les Francs s’implantent durablement, Saxons et musulmans ne prennent pas définitivement possession des terres qu’ils conquièrent. Dès la fin du IIIe siècle, les Saxons étaient signalés en différents points de la Gaule occidentale, dans le Boulonnais, le Cotentin, la région de la Charente et de l’embouchure de la Loire. Les musulmans, eux, se succèdent dans le Midi, occupant la Septimanie wisigothique, et particulièrement Narbonne, jusqu’en 759. Leurs raids militaires se déploient dans le sud-ouest, jusqu’à Poitiers (732), et vers l’est, jusqu’à la vallée du Rhône (Lyon, 735-737). Leurs établissements les plus durables sont ceux de la Camargue (seconde moitié du IXe siècle) et du massif des Maures (de 880 à 972). • Origines de la nation, origines de l’État. Se pose alors la question du véritable acte de naissance de la France. À l’extrême fin du Ve siècle, le baptême de Clovis, chef d’un État barbare mais allié à l’Église catholique, marque-t-il la fondation de la nation française ? Si oui, alors la France perd son statut d’État laïque. Le nier revient à occulter la symbolique de ce geste longtemps reconnu comme acte fondateur du royaume. Par opposition à la Germanie, hostile au pouvoir pontifical, la nation française se forge à partir de l’appartenance religieuse : elle est la terre d’élection des croisés, et le roi de France prend au XIIIe siècle le titre de « Roi Très-Chrétien ». Faut-il plutôt dater de Charlemagne puis du traité de Verdun de 843 l’origine véritable de l’État français ? Sous Charlemagne, le terme Francia définit le vaste empire constitué par le fils de Pépin, à l’exception de l’Italie, qui reste un royaume séparé. C’est le partage au IXe siècle qui restreint ce concept. Cet acte définit le fondement non plus politique mais territorial de l’espace géographique dont la France actuelle est issue. La Francia occidentalis, héritage de Charles le Chauve, devient progressivement la Francia latina ou Francia gallica ou romana, par opposition à la Ger-
manie. Ses limites sont définies par le Rhône, la Saône, la Meuse et l’Escaut. Elle se voit réserver progressivement le nom de France. downloadModeText.vue.download 367 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 356 La filiation est ensuite continue jusqu’à nos jours. Pour autant, ses frontières n’en sont pas moins mobiles. L’ÉMERGENCE DE L’UNITÉ NATIONALE • Le mot et la chose. Le mot « France », employé dès le XIIe siècle, reste encore associé, au début du XIIIe siècle, à celui de royaume. C’est très progressivement que les habitants de ce royaume qu’ils appellent France commencent à le considérer comme leur pays. Le titre royal évolue insensiblement de rex Francorum (roi des Francs) à rex Franciae (roi de France), titre qui devient officiel en 1254. Néanmoins, le débat reste ouvert entre historiens pour déterminer la période où naît un véritable sentiment national. Sans doute, la guerre de Cent Ans marque-t-elle une étape importante de ce processus. L’idée de nation se précise au cours des siècles suivants, prenant tout son sens à la Révolution : Mirabeau déclare alors que « la nation assemblée ne peut recevoir d’ordres ». • La lente fixation des frontières. La France est définie en tant que nation avant de l’être par son territoire. Car, pendant plus de huit siècles, ses frontières demeurent mouvantes. Elles dessinent de nombreuses enclaves, entailles et redans. Au Moyen Âge et aux temps modernes, le concept de frontière naturelle a peu de sens. Le territoire, considéré comme une propriété domestique, évolue au gré des mariages, des héritages, en de multiples partitions soumises au jeu des alliances politiques. C’est seulement au XVIIe siècle que Vauban, le ministre de Louis XIV, invente l’idée de « pré carré », une France géographique qui répondrait aux nécessités stratégiques de l’État. Cette France idéale s’inscrit entre les mers, les montagnes et le Rhin, ces obstacles naturels favorisant sa défense. Les montagnes deviennent assez rapidement de véritables frontières naturelles, par le traité des Pyrénées en 1659, puis par le traité de Nimègue en 1678. La FrancheComté est ainsi annexée, et la frontière fixée sur le haut Jura. En 1697, le traité de Ryswick arrête la frontière orientale de la France à la rive gauche du Rhin, les avant-postes de la rive droite étant perdus. L’Hexagone est
ensuite complété en 1766 - à la mort du roi Stanislas Leszczynski, la Lorraine et le Barrois sont rattachés au royaume -, puis en 1860, lorsque la France reçoit la Savoie et le comté de Nice en échange de la reconnaissance de Victor Emmanuel comme roi d’Italie. Mais la figure géométrique emblématique du pays ne sera définitivement parfaite qu’après le retour dans le giron français de l’Alsace et de la Lorraine, perdues en 1870 et regagnées en 1918. Ces deux régions annexées sont devenues le symbole des « provinces perdues » et, sur les cartes de France, leur territoire est alors colorié en violet, couleur de deuil. La croix lorraine à double traverse, symbole patriotique de la province, devient l’emblème de la nation tout entière après la Seconde Guerre mondiale, quand la France libre du général de Gaulle fête sa victoire. DIVERSITÉ DES TERRITOIRES FRANÇAIS Unifiée beaucoup plus tôt que nombre des pays voisins européens, la France n’en a pas moins gardé une très grande diversité tant physique que culturelle, à laquelle se superposent des contrastes économiques et sociaux de plus en plus marqués. • Contrastes juridiques et socio-économiques. À la fin du XVIIIe siècle, le cadre territorial a plus ou moins atteint les limites des frontières actuelles. Pourtant, centralisée en droit, l’administration n’est pas uniforme. On est breton, béarnais ou provençal avant d’être français. Certaines lois ne s’appliquent qu’à certaines régions, les poids et les mesures changent de nom et de valeur selon les lieux, et des droits différents sont exigés sur la circulation des marchandises d’une région à l’autre. Les Français du Midi sont jugés selon un droit écrit, le droit romain, ceux du Nord, d’après plus de trois cents coutumes, droit coutumier d’origine germanique ! Les ethnogéographes décrivent également une multitude de contrastes encore visibles dans le paysage contemporain. Ainsi, en 1920, Jean Brunhes dessinait une carte des différents types de toits, mettant en évidence de grandes variétés architecturales entre les régions : toits à faibles pentes et à tuiles courbes du Midi, charpentes imposantes aux fortes pentes, toits recouverts de chaume, d’ardoises ou de tuiles plates typiques surtout du Nord, au-delà d’une ligne qui relierait le Poitou à la Bresse. Nombreuses sont les différences architecturales, grande aussi la diversité des techniques et des objets agricoles, aujourd’hui mis en valeur par les écomusées. L’habitat, qui traduit dans
le paysage l’évolution économique et sociale locale, est lui-même un indice d’appartenance régionale hérité du bas Moyen Âge. Le système communautaire à champs ouverts et habitat groupé s’est développé dans les régions à vocation céréalière du Nord et du Nord-Est, tandis que les pays brumeux de la façade atlantique, favorables à l’herbe et donc à l’élevage, ont engendré un habitat dispersé dans un paysage cloisonné de bocage. L’openfield s’étend, mais reste encore l’apanage du Bassin parisien. • Particularismes culturels et linguistiques. Plusieurs siècles de centralisation ne les ont pas fait disparaître. Ils sont autant d’éléments hérités d’un passé souvent lointain, de plus en plus revendiqués aujourd’hui au nom d’une personnalité culturelle, d’un régionalisme, d’une plus grande authenticité de terroir, au nom des traditions, au nom d’une qualité de vie ou de produit qui valorise tel ou tel « pays ». L’opposition Nord-Sud entre la France de langue d’oïl et celle de langue d’oc demeure aujourd’hui la division territoriale la plus visible. Les différences de nature spirituelle renforcent ces contrastes régionaux. Alors qu’aux XIe et XIIe siècles, la poésie lyrique des troubadours traduit l’héritage culturel arabe du Midi, la chanson de geste est issue de la France du Nord. À l’époque moderne, les appartenances religieuses ont elles aussi forgé des clivages géographiques, les régions de forte tradition catholique jouxtant des bastions protestants (la Vendée papiste, La Rochelle huguenote). Aujourd’hui encore, la géographie urbaine doit tenir compte des implantations nouvelles des mosquées tandis que d’autres quartiers, généralement plus centraux, abritent, souvent depuis longtemps, des synagogues. L’espace français ne s’est donc véritablement unifié que très tardivement, au lendemain de la Révolution. L’enjeu linguistique fut sans doute le symbole le plus marquant de la politique centralisatrice qui devait assurer l’uniformisation des us et coutumes de la nation tout entière. Constituée de peuples divers, au cours des siècles, la France a enrichi sa langue de termes d’origine non indo-européenne au Pays basque, d’origine celtique en Bretagne et dans le Nord de langue d’oïl, d’origine latine dans les régions de langue occitane. Le latin parlé, progressivement abandonné à partir du XIe siècle, a évolué en une centaine de dialectes plus ou moins proches. L’unité linguistique est récente. En 1539, l’édit de Villers-Cotterêts fait du français la langue officielle, selon le voeu de François Ier
qui entend promouvoir le « langage maternel françois ». Mais ce n’est qu’au début du XVIIe siècle que la « langue vulgaire » l’emporte sur le latin. L’unicité linguistique est renforcée par la Révolution au nom de la souveraineté de la nation, désormais représentée par le peuple et non plus par la seule famille royale. Au fil de l’histoire, conscient que la langue fonde la nation, le pouvoir restreint le droit à l’usage des langues régionales. Cependant, l’emploi de la langue française ne se généralise qu’à la fin du XIXe siècle, sous l’influence de l’école primaire rendue obligatoire. Pourtant, en 1920, une enquête faisait apparaître que 13 millions de Français (sur 38) avaient pour langue maternelle l’occitan ou un parler alémanique, plus minoritairement le corse, le basque ou le catalan. De nos jours encore, les régions périphériques, de parlers breton, flamand, allemand, italien, catalan ou basque, restent les plus différenciées culturellement. LES DIVISIONS DU TERRITOIRE FRANÇAIS • L’héritage topographique. Les frontières naturelles définissent, au coeur des milieux tempérés (entre 42o 20’ et 51o 5’ de latitude nord, 5o 56’ de longitude ouest, et 7o 9’ de longitude est), des territoires plus ou moins occupés par les hommes. Les montagnes peuplées de paysans, vivantes dans le passé, subissent aujourd’hui une très forte déprise. Regroupées dans la moitié sud-orientale du pays, ces hautes terres, loin de former un ensemble homogène, constituent une série de massifs très différents. À la fin du primaire émerge la chaîne hercynienne qui dessine un V depuis le Massif central vers la Bretagne et la Cornouailles britannique d’une part, vers les Vosges et la ForêtNoire d’autre part. Au secondaire, les terres les plus basses ont été successivement inondées et découvertes au gré des abaissements et des soulèvements du socle ; les Bassins parisien et aquitain ont été progressivement et partiellement colmatés par des sédiments. C’est au tertiaire que se produisent les plissements les plus importants : les Pyrénées (pic d’Aneto, en Espagne, 3 404 mètres ; pic Vignemale, en France, 3 298 mètres) se forment à l’éocène, les Alpes (mont Blanc, 4 808 mètres) et le Jura (crêt de la Neige, 1 723 mètres), au pliocène. Parallèlement, le vieux socle primitif - Ardennes, Vosges, Morvan - se soulève une seconde fois. Des fractures séparent les Vosges de la Forêt-Noire. Ces mouvements tectoniques provoquent la formation de basdownloadModeText.vue.download 368 sur 975
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357 sins d’effondrement (Alsace, Limagnes...). Le volcanisme se développe, entraînant la poussée des plus hauts sommets du Massif central : puy de Sancy (1886 mètres), plomb du Cantal (1855 mètres). La période glaciaire du quaternaire a laissé elle aussi des traces profondes dans le paysage actuel. Les alluvions fluviales comblent les anciens golfes marins : Bassin parisien, Bassin aquitain, Sillon rhodanien et Alsace. Les rias bretonnes sont noyées par la fonte des glaces. • Les massifs montagneux : des espaces en déclin. L’altitude joue un rôle déterminant dans la mise en valeur de ces montagnes. Les bas de versants portent quelques cultures audessus des prairies de fonds de vallée, tandis que les pentes en aval des alpages sont toutes forestières. Milieux particulièrement rudes, de moins en moins adaptés aux contraintes économiques exigeant une forte productivité, ces hautes terres ont été les premières affectées par l’exode rural. L’équilibre précaire entre ressources et population a été rompu, l’effondrement s’amorçant au milieu du XIXe siècle. Ainsi, de 1831 à 1911, 1,5 million de départs sont comptabilisés (Corse non comprise). La Grande Guerre accentue cet exode, dont les effets sont renforcés par la baisse de la natalité et par la surmortalité masculine. Il se poursuit, très important dans les années cinquante, ralenti depuis les années soixante-dix. Les populations ont vieilli ; les jeunes qui sont restés ont diversifié leurs activités, partagées entre agriculture et tourisme. Les éleveurs ont abandonné nombre d’alpages pyrénéens ou alpins ; la production laitière régresse ou disparaît. L’économie rurale s’éteint dans une bonne partie des Cévennes ou des Pyrénées orientales, dans les Préalpes de Digne ou les Baronnies. Certaines régions, cependant, refusent de sombrer dans l’inertie et valorisent leurs productions par des fabrications de haut niveau reconnues par de multiples appellations d’origine contrôlée. Ces AOC garantissent des revenus beaucoup plus élevés aux producteurs de beaufort en Tarentaise, à ceux des fruitières à comté dans le haut Jura, aux producteurs des nombreuses AOC du Massif central. Ces réussites économiques inégales opposent quelques régions vivantes (haut Jura, Savoie...) à d’autres fortement touchées par la crise (Aveyron, Auvergne) ou par un dépeuplement accéléré (Vosges, Pyrénées, l’essentiel des Alpes, les prairies et alpages du Massif central). L’engouement pour les sports d’hiver, mais aussi pour la découverte des
milieux naturels, ont un impact important sur l’espace lui-même et sur l’économie des pays de montagne, avec la création d’infrastructures routières et sportives, la construction et la réhabilitation de nombreux hébergements ou l’ouverture de parcs, régionaux notamment. Le renouveau et la diversification que suscite le tourisme permettent de freiner, ces dernières années, le fort exode rural qu’ont connu ces régions. • La prédominance économique des grands bassins. Ces montagnes offrent un contraste net avec le vaste domaine de plaines, plateaux et collines des bassins sédimentaires, qui s’étendent sur plus de la moitié du territoire. Ces profondes cuvettes du socle hercynien, inférieures à 200 mètres d’altitude, sont largement ouvertes sur l’Atlantique. Les différentes nuances du climat océanique (doux et humide) ont ici modelé des paysages assez verdoyants, favorisé une agriculture variée, engendré de vastes forêts de feuillus. Les grandes vallées fluviales qui les traversent (Seine, Loire, Garonne) et l’absence d’enclavement dû au relief y ont facilité les communications et, par là même, la modernisation. Le Bassin parisien est l’exemple type d’une vaste région structurée par un réseau étoilé et centré, à la convergence de grandes vallées qui marquent l’emplacement de la capitale. À un moindre degré, Bordeaux et Toulouse sont les deux « noyaux » du Bassin aquitain. Les populations, les grandes villes, les régions d’intense activité industrielle, les campagnes aux cultures intensives, occupent plus que jamais ces espaces occidentaux et septentrionaux, dont les grandes vallées et les littoraux constituent les milieux de loin les plus attractifs, les plus densément peuplés. • Effets spatiaux de l’industrialisation et de la centralisation. Alors qu’au XIXe siècle la répartition des activités et des hommes sur le territoire est assez homogène, la révolution industrielle rompt cet équilibre. Les régions purement agricoles s’appauvrissent tandis que les régions minières s’enrichissent (Nord, Bassin lorrain...). L’industrie y fait vivre des populations de plus en plus nombreuses, logées dans de nouveaux quartiers ouvriers construits à proximité des usines. Désormais, le territoire français oppose, de part et d’autre d’une ligne fictive Le Havre-Marseille, une France du Nord-Est riche, industrielle et urbanisée, et une France du Sud-Ouest beaucoup plus pauvre, marquée par une économie rurale familiale. À l’intérieur de la France la plus dynamique, une ville domine de plus en plus
le reste du pays : Paris. En effet, au cours du XXe siècle, la centralisation parisienne renforce ses effets géographiques. La capitale remodèle le paysage agraire à sa périphérie et fait converger vers elle les axes majeurs de transport. En regroupant les principaux acteurs politiques du pays, elle réunit l’essentiel des acteurs sociaux et économiques de la nation. En 1950, elle concentre 80 % des sièges sociaux des entreprises et produit plus du quart de la richesse nationale. Dès 1947, Jean-François Gravier a dénoncé cette trop forte suprématie : la capitale a, selon lui, vidé la province de ses forces vives, situation résumée par la formule « Paris et le désert français ». La gestion du territoire doit être repensée. • La régionalisation : objectifs et problèmes. Le plus vaste des États européens (551 695 kilomètres carrés), Russie exclue, bénéficie de deux atouts majeurs : une position charnière entre la mer du Nord, l’océan Atlantique et la mer Méditerranée, une situation stratégique au sein de l’Union européenne. Toutefois, toutes les régions françaises ne bénéficient pas également de ces avantages géographiques. Aujourd’hui encore, le territoire national est pluriel, malgré les efforts mis en oeuvre pour l’unifier. Historiques, les provinces ont été découpées par la Constituante de 1789 en départements, puis ces derniers ont été regroupés par l’arrêté du 28 octobre 1956 en vingt-deux « régions de programme » ; naturelles, les régions sont subdivisées par l’INSEE en « petites régions agricoles », en fonction de qualités pédologiques ou agricoles. Économiques, les régions empiètent sur plusieurs espaces naturels ou rassemblent différentes anciennes provinces. La région du Nord regroupe ainsi la Flandre, l’Artois, le Hainaut et le Cambrésis. La région lyonnaise constitue ce qu’il convient d’appeler un espace économique, fortement structuré par une métropole, Lyon ; elle n’est ni naturelle - elle regroupe à la fois les plaines de la Saône et du Rhône, l’avant-pays alpin et le rebord du Massif central - ni historique, car elle se définit plutôt comme un carrefour d’influences diverses accumulées au cours des siècles. La régionalisation du Plan, dans les années cinquante, vise à rééquilibrer l’espace au nom d’une plus grande solidarité nationale. C’est pour planifier et aménager le développement économique, pour réduire l’influence de la capitale, sans pour autant favoriser les aspirations régionalistes les plus revendicatives, que la carte de France est redécoupée
en régions de programme. Cependant, cette nouvelle répartition territoriale peut être contestée. En effet, pour satisfaire les revendications de villes d’importance à peu près comparable, certaines régions ont été divisées, telle la Normandie, partagée en deux unités, l’une, la Haute-Normandie, autour de Caen, l’autre, la Basse-Normandie, autour de Rouen. En outre, le territoire des Régions administratives coïncide souvent mal avec celui de régions polarisées autour d’une grande métropole économique. Les aires d’influence de Bordeaux et de Toulouse débordent sur les Régions administratives voisines. À l’inverse, dans le Sud-Est, l’aire d’influence de Marseille ne couvre pas toute la Région Provence-AlpesCôte d’Azur. Parfois, les contradictions sont plus graves encore : alors que Nantes exerce son influence économique sur la façade atlantique voisine, elle dirige administrativement la Région Pays de la Loire, qui s’étend profondément à l’intérieur des terres puisque seulement deux départements (Loire-Atlantique et Vendée) sur cinq sont ouverts sur l’océan. Elle est exclue de la Bretagne, alors même qu’elle fut sa capitale historique. Quinze Régions portent le nom d’anciennes provinces, sans en respecter pour autant les limites. Les solidarités régionales s’expriment difficilement à l’intérieur d’un découpage artificiel, souvent trop indépendant des frontières culturelles. La Région Centre, ensemble composite qui regroupe, notamment, la Beauce, l’Orléanais, la Touraine et le Berry, n’a pas de véritable identité. La Corse, qui a obtenu son détachement de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, est devenue une région de programme à part entière en 1970. Seuls peut-être le Nord-Pasde-Calais et l’Alsace s’inscrivent harmonieusement dans les contours de leurs frontières administratives et économiques. Dans le cadre de l’aménagement du territoire, certaines de ces Régions ont reçu des aides gouvernementales destinées à favoriser leur essor économique ; ailleurs, principalement en Île-de-France, les industries ont été dissuadées de s’implanter. Conçue pour rééquilibrer les espaces économiques nationaux, downloadModeText.vue.download 369 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 358 la décentralisation des activités parisiennes s’est finalement limitée à une déconcentration des entreprises dans un rayon de 50 à 200 kilomètres autour de la capitale.
• La géographie régionale de l’industrie française. Elle dessine cinq grands ensembles. L’arc nord-est regroupe les régions les plus anciennement industrialisées mais aussi les plus fortement touchées par la crise. La Lorraine a ainsi perdu plus de 45 % de ses effectifs en vingt ans, dans les décennies 19701980. La relève y est insuffisamment assurée par les entreprises de matériel de transport et par les industries électriques et électroniques. Le centre du pays - les hautes terres du Massif central et les plateaux dépeuplés de Bourgogne et de Champagne - rassemble des régions « hésitantes ». L’industrie s’y concentre dans les capitales régionales aux dépens des localisations traditionnelles. Le vaste croissant des régions de la façade atlantique résiste assez bien au déclin général, mais l’espace industriel y est resté très discontinu. La Bretagne est la principale bénéficiaire des aides au développement économique. Les délocalisations des industries de l’automobile, de matériel électrique et électronique ou de chimie y ont assez bien réussi. Cependant, certaines activités demeurent fragiles, principalement la construction navale et le textile. Le quatrième ensemble géographique, discontinu par rapport aux précédents, regroupe les grandes vallées fluviales. La proximité des régions riches, allemandes et italiennes, a permis à la région lyonnaise et à l’Alsace de devenir très attractives. À une moindre échelle, le Val de Loire tire profit de la proximité de l’Île-de-France. Ces régions conservent un tissu industriel diversifié. Enfin, malgré une forte désindustrialisation (- 20 % de l’emploi industriel), la région parisienne constitue toujours le principal foyer français d’activités. Elle bénéficie en particulier de la présence des industries de pointe. Ainsi, la composition sociale de sa population industrielle est originale : les cadres administratifs et commerciaux représentent environ 10 % de l’emploi industriel, contre 2,3 % en province ! À l’inverse, les ouvriers n’en représentent plus qu’un tiers, contre deux tiers en province. Enfin et toujours, la moitié des sièges sociaux des grandes entreprises se trouvent en Île-de-France. Non seulement le territoire français conserve sa diversité physique et culturelle mais, quels que soient les efforts de planification, son aménagement n’a pas permis de combler les écarts géographiques considérables en matière de développement économique. L’héliotropisme a largement profité aux régions les plus méridionales, l’Ouest se maintient difficilement, le Nord et l’Est se redressent péniblement. Paris continue d’exercer une domination sur l’espace national. Les divisions culturelles Nord-Sud et les divisions naturelles Sud-Est-Nord-Ouest s’estompent ;
les contrastes territoriaux les plus marquants opposent la « diagonale du vide » (large bande des Vosges aux Pyrénées) au reste du pays, les espaces ruraux de la « France profonde » aux espaces urbains qui ne cessent de s’étendre bien au-delà de leurs limites traditionnelles, aux dépens des proches campagnes, « mitées » par une urbanisation rarement bien contrôlée. France libre, nom donné au mouvement de résistance fondé par le général de Gaulle à Londres, à la suite de l’appel du 18 Juin. À l’origine simple regroupement autour du général de volontaires qui refusent l’armistice, la France libre devient progressivement l’élément fédérateur de la Résistance, et se transforme en gouvernement provisoire. • Faiblesse des moyens, grandeur des ambitions. La France libre des premières heures frappe par la faiblesse de ses moyens. Très rares sont, en effet, les représentants des élites qui répondent à l’Appel. Le ralliement général de l’empire ne se produit pas, seuls quelques territoires secondaires, telle l’A-ÉF, basculant dans la « dissidence ». Sur le plan militaire, une poignée d’officiers (Leclerc, Catroux, Legentilhomme, Muselier) et quelques milliers de volontaires s’engagent dans les Forces françaises libres (FFL). De fait, le premier entourage de de Gaulle se caractérise par son hétérogénéité : un solide noyau issu de la droite nationaliste (en particulier autour de Passy et du 2e Bureau, qui est chargé d’établir des liens avec la France métropolitaine), mais aussi de fervents républicains (René Cassin), des démocrates-chrétiens (Maurice Schumann) et des socialistes (Georges Boris). Cela explique l’importance des dissidences, comme celle de l’amiral Muselier en 1942, motivée par la défense de la démocratie. De Gaulle n’entend pas faire de son mouvement une légion au service de la GrandeBretagne. À ses yeux, la France libre, devenue la légitime dépositaire de la flamme nationale, a vocation à se transformer en gouvernement provisoire. Un accord conclu avec la GrandeBretagne, en août 1940, règle la question du financement du mouvement, et lui offre un premier cadre légal. En octobre, un nouveau pas est franchi à Brazzaville, où de Gaulle édicte ses premières ordonnances et forme un Conseil de défense de l’Empire qui traduit sa prétention à exercer la souveraineté dans les territoires ralliés. En septembre 1941, est constitué le Comité national français (CNF), présidé par de Gaulle, et composé de commissaires (dont Pleven, Cassin, Dejean). Le
CNF, qui se maintiendra jusqu’à la formation du Comité français de libération nationale (CFLN, juin 1943), et qui a toutes les apparences d’un gouvernement provisoire, précise les ambitions politiques des gaullistes : face à des Alliés réticents, affirmer la présence de la France dans la guerre, et préserver ainsi ses intérêts une fois la paix revenue ; contre Vichy, assurer la continuité politique de la République française. La question du gouvernement provisoire est au centre de la querelle qui oppose de Gaulle à Giraud en 1943. • Une France patriotique et républicaine. La France libre exprime d’abord le rejet patriotique de l’armistice. Un rejet qui provoque, dès l’été 1940, la rupture avec Vichy. Toutefois, le divorce entre les « deux France » se colore de considérations politiques et idéologiques à mesure que les Français libres se posent en défenseurs du patrimoine républicain et démocratique. La prétention du général de Gaulle à rassembler les Français le conduit à se rallier au régime républicain, seul capable, à ses yeux, de satisfaire cette ambition. En outre, la défense des idéaux démocratiques place la France libre et les Alliés sur le même plan idéologique. Enfin, le rapprochement, voulu par de Gaulle, avec une Résistance intérieure fortement enracinée à gauche, ainsi que le ralliement de personnalités telles que Léon Blum ou Pierre Mendès France renforcent cette évolution. La France libre parvient donc à s’imposer à la fois contre Vichy, comme le champion de la cause nationale, et contre les giraudistes, comme l’incarnation de l’idéal démocratique et républicain. De là découlent l’étonnant syncrétisme du nationalisme gaullien ainsi que sa capacité d’attirer des hommes issus d’horizons très divers. • Une reconnaissance difficilement acquise. Pour autant, les rapports avec la Résistance intérieure ne sont pas faciles, et il faut attendre 1942 pour que Jean Moulin, délégué du Comité national français, parvienne à engager l’unification de la Résistance intérieure et son ralliement à la France libre, officiellement nommée « France combattante » à partir de juillet. Avec la Grande-Bretagne, les relations demeurent cordiales tant que les prétentions étatiques de la France libre restent discrètes. Mais les affaires de Syrie (1941) ou de Madagascar (1942) soulignent la persistance de vieux antagonismes franco-britanniques. Avec les ÉtatsUnis, les relations sont encore plus tendues. En effet, Roosevelt n’admet pas les prétentions gaulliennes, et, par un mélange d’idéalisme et de souci des intérêts américains, il soutient Giraud
contre de Gaulle. Les accrochages se répètent à propos du gouvernement provisoire et de la prise du pouvoir à la Libération, au point que les États-Unis ne reconnaissent qu’en octobre 1944 le Gouvernement provisoire de la République française. France Observateur, hebdomadaire politique de gauche apparu en avril 1950 sous le titre l’Observateur politique, économique et littéraire, avant d’être rebaptisé France Observateur en avril 1954. L’équipe Martinet issus de Stéphane
fondatrice est composée de Gilles (rédacteur en chef) et de journalistes Combat, tels Claude Bourdet, Roger ou Hector de Galard.
Antistalinien, anticolonialiste, rejetant la logique des blocs, le journal attire à lui un public de jeunes intellectuels déçus par les partis de la IVe République et soucieux de créer les conditions d’émergence d’une nouvelle gauche. D’une diffusion d’abord modeste (guère plus de 15 000 exemplaires), confronté à de lourds obstacles financiers, France Observateur profite de la vague mendésiste du milieu des années cinquante pour accroître son audience. Mais c’est surtout la guerre d’Algérie, à laquelle il s’oppose vivement, qui lui permet de gagner en influence. Favorable à la révolution algérienne, le journal est maintes fois saisi, et ses collaborateurs (Stéphane, Martinet, Bourdet, Barrat) sont traduits devant les tribunaux. Il résiste pourtant. Sauvé par une souscription, d’un tirage dépassant bientôt les 100 000 exemplaires, il contribue à la rénovation intellectuelle d’une gauche en crise après le retour au pouvoir du général de Gaulle. Très proche du Parti socialiste unifié (PSU), créé en 1960, il n’en devient downloadModeText.vue.download 370 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 359 pourtant jamais l’organe officiel, malgré la tentation de certains de ses rédacteurs. Les luttes internes et les nouvelles conditions politiques ont raison de France Observateur : après beaucoup d’hésitations, l’équipe décide de faire disparaître le titre pour lancer le Nouvel Observateur (19 novembre 1964), fruit de la réflexion de l’ancienne rédaction et d’une partie des journalistes qui, tel Jean Daniel, viennent de quitter l’Express. Francfort (traité de), traité qui met fin à la
guerre franco-allemande de 1870-1871. Signé le 10 mai 1871, ce texte succède aux préliminaires de paix de Versailles, paraphés le 26 février par Thiers et Bismarck, qui prévoient la cession à l’Allemagne des départements du Haut-Rhin (sauf l’arrondissement de Belfort), du Bas-Rhin, des arrondissements de Metz, Thionville et Sarreguemines en Moselle, de Sarrebourg et Château-Salins dans la Meurthe, ainsi que deux cantons des Vosges ; la France doit également verser une indemnité de 5 milliards de francs or, gagée par l’occupation allemande de six départements et de Belfort (qui prendra fin en septembre 1873). Outre la confirmation de ces préliminaires, le traité, signé par Jules Favre, introduit quelques modifications. Bismarck accepte l’agrandissement de l’arrondissement de Belfort en échange de la cession supplémentaire de 12 communes lorraines. Ainsi, sont annexées 1 694 communes, représentant près de 1,6 million d’habitants. Tout en gardant pour son industrie une ouverture sur la frontière luxembourgeoise, la France doit renoncer aux importantes forges de Moyeuvre ; en outre, elle perd le bassin houiller lorrain, soit 20 % de ses ressources minières et sidérurgiques, et l’industrie chimique et textile des vallées vosgiennes et de Mulhouse. Les habitants des régions annexées, sans avoir été consultés au préalable, disposent cependant du droit d’option s’ils déclarent qu’ils veulent rester français avant le 1er octobre 1872 ; passé cette date, ils deviendront allemands. Ce choix - parfois dramatique constitue l’argument du Tour de la France par deux enfants (1877), dont les ventes totalisent 6 millions d’exemplaires en 1901. Franche-Comté, ancienne province, dite au Moyen Âge « la comté de Bourgogne », correspondant à l’actuelle Région de FrancheComté. À l’époque de la conquête romaine, le peuple gaulois des Séquanes occupe la région qui s’étend du Jura à la plaine de la Saône ; sa cité, Vesontio (Besançon), est au IVe siècle une métropole religieuse. Passée sous la domination des Alamans au Ve siècle, la région fait partie ensuite du royaume des Burgondes, conquis par les Francs en 534. Au cours des partages mérovingiens subsiste un royaume de Bourgogne, qui comprend le futur duché, la future comté et la Provence. Royaume à l’existence intermittente, il est malgré tout une réalité géographique vécue
par les hommes du haut Moyen Âge, dont le souvenir perdure jusqu’au XIIIe siècle. Bien que le traité de Verdun (843) coupe en deux le pays bourguignon, faisant de la future Franche-Comté une terre d’Empire, il existe un royaume bourguignon - au moins dans les titres - de 888 à 1027, qui revient à l’empereur Conrad II. Au sein de ce royaume, les comtes de Bourgogne, depuis Otte Guillaume (mort en 1027), cherchent à s’émanciper de la tutelle impériale ; le comte Renaud III, qui s’intitule « franc-comte » en 1127, y parvient grâce à l’affaiblissement de l’empereur Henri V. Mais, aux XIIe et XIIIe siècles, la succession des comtes de Bourgogne erre entre la famille impériale, les ducs de Méranie et les comtes de Chalon, puissants féodaux qui marginalisent le pouvoir comtal. Otton IV (mort en 1303), dernier comte de Bourgogne, marie sa fille Jeanne à l’un des fils de Philippe le Bel, le futur Philippe V, et lui cède en dot toute la comté en 1295. Leur fille épouse le duc de Bourgogne Eudes IV, réunissant ainsi les deux Bourgognes, partagées en 1350, puis à nouveau réunies en 1384 lorsque Philippe le Hardi devient duc de Bourgogne. La Franche-Comté, dont le nom apparaît dans une charte en 1365, suit le sort de l’État bourguignon. L’exploitation des salines et le contrôle des routes du sel, dont témoignent les villes de Salins et Lonsle-Saunier, favorisent l’essor économique de la province. Dole, capitale politique, et Besançon, métropole religieuse, prospèrent. Disputée, après la mort de Charles le Téméraire (1477), entre le roi de France Louis XI et Maximilien de Habsbourg, la FrancheComté rejoint l’Empire au traité de Senlis de 1493, jusqu’à la paix de Nimègue, signée par Louis XIV en 1678. Elle est alors intégrée sans difficulté au royaume de France : depuis plusieurs siècles, la nécessité d’une entité politique intermédiaire entre France et Germanie ne se faisait déjà plus sentir. franchises, ensemble de droits et privilèges concédé à une communauté par son seigneur. La rédaction des chartes de franchises, qui débute dans le royaume de France vers 1150 et s’achève un siècle plus tard, correspond à un mouvement général de mise par écrit des droits et des usages. • Un instrument de consolidation du système seigneurial. Cette « normalisation »
des rapports entre seigneurs et paysans s’explique aisément : si le système seigneurial se met en place, autour de l’an mil, comme un pouvoir de contrainte violemment imposé aux communautés rurales, il ne peut perdurer que dans la stabilité ; le prélèvement seigneurial, de guerrier, doit devenir fiscal. Trop élevé ou arbitrairement fixé, il risquerait de briser l’essor rural. Or, les maîtres de la terre tirent un bénéfice direct de l’augmentation de la production agricole, surtout depuis le développement des redevances à part de fruit ; leur intérêt est donc de négocier avec les communautés rurales la mise au clair des droits et devoirs de chacun ; aussi, les chartes de franchise ne leur sont-elles que très rarement arrachées à la suite d’une épreuve de force. En codifiant les usages et en garantissant les droits de chacun contre l’arbitraire, les franchises rurales consolident en fait le système seigneurial et lui confèrent sa légitimité. Dans leur rédaction se mêlent inextricablement les droits banaux et fonciers ; la seigneurie s’y donne à voir comme une institution de paix, un regroupement économique qui unit les maîtres et ceux qui les font vivre dans la défense d’intérêts communs. • Clauses économiques et portée politique. Du point de vue économique, la charte se présente comme une réforme du système de redevances qui va dans le sens de la clarification, de la limitation et de la stabilisation. On supprime certaines exigences pour en consolider d’autres, et le montant du prélèvement est souvent fixé en numéraire, une fois pour toutes - c’est la raison pour laquelle, à partir du dernier tiers du XIIIe siècle, les revenus seigneuriaux sont rognés par la dépréciation monétaire. La réforme se réduit souvent à un abonnement de taille, qui aboutit à la fixation d’un cens commun, présenté comme le prix de l’affranchissement. D’où la reconnaissance d’une communauté fiscale, qui est le premier acte d’un partage du pouvoir entre le seigneur et la communauté villageoise. La portée politique de l’accord dépend sans doute du rapport de force, et tous les degrés d’autonomie politique sont possibles, jusqu’à la reconnaissance des droits de basse justice de l’échevinage, représentant de la communauté villageoise face au seigneur. • La géographie des franchises. Peu développé en Provence et en Languedoc, le mouvement des franchises est plus vigoureux en Catalogne et en Béarn (les « fors ») ; il affecte essentiellement le vieux pays franc, mais non l’ouest de la France, où nombre de communautés vivent sous la loi des peu généreux
« Établissements de Rouen » de 1258. Certains villages ou bourgades ont donné leur nom à des « lois » ou coutumes, rédigées par leurs seigneurs et imitées ensuite, tout ou partie, par d’autres localités. La « loi » concédée en 1155 par le roi Louis VII (reprenant une concession de son père Louis VI le Gros) au village de Lorris-en-Gâtinais est l’une de ces « chartes mères », adoptée par 90 villages du domaine royal jusqu’en 1215. Il en va de même de la charte de Beaumont-en-Argonne, accordée par l’archevêque de Reims en 1182, et imitée plus de trois cents fois en Champagne, Bourgogne et Lorraine. Ces phénomènes de diffusion posent le problème des rapports entre franchises rurales et franchises urbaines : en Picardie, les villages empruntent les rédactions d’Amiens, d’Abbeville ou de Saint-Quentin. Aussi, tout un courant historiographique a-t-il longtemps considéré le mouvement des franchises comme un écho rural du mouvement communal. Cette conception est aujourd’hui entièrement remise en cause : c’est au contraire l’émancipation urbaine qui constitue une modalité particulière du mouvement des franchises, dans le contexte général de la « normalisation » du XIIe siècle. franciscains, religieux appartenant à l’ordre mendiant fondé en Ombrie par François d’Assise (vers 1182-1226). La volonté de retrouver les fondements de la vie évangélique et la recherche absolue de l’humilité et de la pauvreté du Christ sont à l’origine de la vocation de François d’Assise qui, en 1206, rompt définitivement avec sa downloadModeText.vue.download 371 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 360 famille de riches marchands, pour mener une vie errante et pauvre, consacrée à la pénitence et à l’annonce de la parole de Dieu. La communauté qu’il rassemble bientôt autour de lui reçoit, dès 1209, en dépit de son caractère laïc et de sa grande liberté, l’approbation du pape. Le mouvement est ensuite progressivement pris en main par quelques dignitaires ecclésiastiques disciples de François. L’approbation par le pape d’une règle définitive en 1223, puis l’adoption en 1260 des constitutions dites « de Narbonne » par le chapitre général de l’ordre entraînent l’intégration des franciscains aux structures ecclésiastiques tra-
ditionnelles. Jusqu’au milieu du XIVe siècle, le nouvel ordre connaît un essor considérable. Dès les années 1210-1220, des disciples de François parcourent l’Italie, gagnent la Provence, le Languedoc et la France septentrionale. En 1223, un couvent est fondé à Paris. À la fin du XIIIe siècle, bien que plus nombreux dans les régions méridionales, les franciscains sont présents dans toute la France. Tout comme les dominicains, ils s’implantent surtout dans les villes : ils y trouvent les ressources nécessaires à leur mode de vie mendiant et s’adressent à des populations dont il s’agit d’encadrer la piété, soupçonnée d’hétérodoxie depuis l’essor des spiritualités hérétiques au XIIe siècle. Leur action pastorale repose principalement sur la prédication, la confession et la direction spirituelle des individus ou des confréries laïques du tiers ordre. Dans ce contexte, la formation intellectuelle des frères acquiert de plus en plus d’importance. Les grands centres scolaires franciscains, tel le studium de Paris, et les grands maîtres, tel Bonaventure (1217-1275), contribuent alors au rayonnement de l’ordre. Cependant, celui-ci est déchiré par des conflits relatifs à la question de la pauvreté, qui finissent par entraîner l’apparition, en France, en 1415, d’une branche plus rigoriste appelée « observante ». En 1517, la scission en deux branches - observante et conventuelle - s’étend à tout l’ordre. Mais ce sont les capucins, nouvelle famille franciscaine née dans le contexte de la Contre-Réforme, qui, à partir de la fondation de leur premier couvent en France, en 1575, marquent la spiritualité et la piété classiques. francisque, arme de jet du guerrier germain, et notamment du guerrier franc, apparue vers 450. Analogue à une cognée, dotée d’un (parfois de deux) fer plat évidé, la francisque acquiert une importance décisive dans l’armée franque : lancée en nombre et selon une technique qui accroît sa vitesse de rotation - et donc son impact -, elle constitue une arme offensive de premier ordre, pouvant même pallier les machines de guerre tels béliers et tours d’assaut. Elle assure ainsi la supériorité des guerriers francs sur les autres Barbares pour se rendre maîtres de la Gaule, avant de disparaître au VIIe siècle avec l’adoption progressive d’autres tactiques collectives de combat. Douze siècles plus tard, sous Napoléon III, à la suite de l’historiographie romantique (Michelet, les frères Thierry) et dans le contexte
de l’« archéologie gauloise » dépeignant la France comme une nation celte, la francisque connaît un regain d’actualité, et donnera naissance à de singuliers avatars symboliques. Établissant un rapprochement entre des spécimens à deux fers et les haches à deux tranchants (bipennes) qui surmontaient les faisceaux des licteurs romains, l’historiographie officielle de la IIIe République laisse accroire une antériorité de la francisque à l’invasion franque de la Gaule. Ainsi, au lendemain de la défaite de 1870, pour tout un courant républicain partisan de « la revanche », la francisque à deux fers, au même titre que les moustaches ou le casque gaulois, devient, par un glissement de sens, l’accoutrement obligé de la « celtitude » retrouvée face à l’ennemi germanique : elle sera patriote et revancharde, laïque et nationaliste. Et c’est cette francisque dite « gallique » qui, après la débâcle de 1940, est adoptée par le maréchal Pétain comme emblème de l’« État français » instauré par le régime de Vichy, à l’image de la bipenne de l’État mussolinien. Gravée, entre autres, sur diverses pièces de monnaie en lieu et place de la Marianne et de son bonnet phrygien, la francisque fait également l’objet d’une décoration, en octobre 1941, « pour services rendus à la révolution nationale et dévouement à la personne du Maréchal ». Les groupes fascistes, plus conséquents, l’érigent même en signe de ralliement au Reich : faisant passer la capitulation face à Hitler pour aussi « glorieuse » que la reddition de Vercingétorix face à Jules César - reddition inaugurale, selon eux, de la civilisation gallo-romaine -, ils tentent ainsi de justifier la collaboration avec l’occupant nazi, gage d’avènement d’une « nouvelle civilisation européenne ». franc-maçonnerie, société de pensée qui est née en Angleterre, puis s’est implantée en France au XVIIIe siècle. La franc-maçonnerie - de l’anglais free masonry, de free mason, « maçon libre » - a joué un rôle décisif dans la modification des comportements politiques. Fondée sur des principes et une pratique culturelle égalitaires, elle a connu un développement de grande ampleur, sans commune mesure avec celui des autres formes de sociabilité, et un large recrutement. • Une expansion spectaculaire. Créée à Londres entre 1717 et 1723, réglée par les
Constitutions dites « d’Anderson » adoptées en 1723, la maçonnerie moderne s’implante à Paris vers 1725 et se diffuse tout d’abord modestement en province : 62 loges apparaissent avant 1749, 70 entre 1760 et 1769. La décennie suivante correspond à une expansion massive, avec la fondation de 182 loges. Le mouvement se stabilise dans les années 1770, puis reprend de la vigueur : entre 1785 et 1789, on dénombre 170 créations. Au total, entre 1732 et 1793, plus de 830 ateliers sont « installés », ce chiffre excluant les ateliers militaires. À la fin de l’Ancien Régime, le royaume aurait compté de 50 000 à 100 000 maçons, soit, selon Daniel Roche, 1 citadin sur 20. Toléré à partir de 1747 par le pouvoir royal, le fait maçonnique concerne l’ensemble du royaume, mais avec une importance inégale. Avant 1750, les loges s’implantent surtout dans la moitié sud. Au cours des années 1750, leur concentration se déplace du sudouest vers le nord-ouest, et du Languedoc vers la Provence. Au-delà de 1760, le réseau s’étoffe. L’Ordre s’infiltre dans l’Est, de Lyon à Metz, puis en Basse-Normandie, enfin dans le Massif central et la Champagne. L’essor de la maçonnerie correspond à la crise parisienne qui agite la Grande Loge de France, première obédience fondée en 1738. L’affrontement de ses membres au sujet de la démocratisation de l’institution conduit à la création, en 1773, d’une obédience rivale et démocratique, le Grand Orient de France, avec, à sa tête, le duc de Chartres (futur Philippe Égalité). Le Grand Orient a une double ambition : vérifier la régularité des loges et refondre les moeurs maçonniques. • L’amour de l’égalité. Réglée par la liberté de conscience, la maçonnerie désire regrouper tous les hommes « de haute valeur morale et philosophique » (Constitutions d’Anderson). Dans le secret de l’atelier, regroupant de 20 à 50 maçons, la distinction est en principe fondée sur le mérite et non sur la condition juridique de chacun. Les frères doivent « conserver une égalité d’âme qui ne se démente jamais, s’aimer, se supporter les uns les autres », ce que symbolise la truelle. Le futur maçon est d’abord choisi, puis accepté et initié aux mystères lors de la « réception ». Guidé d’un monde de ténèbres à un monde de lumière, le profane se transforme au fur et à mesure du franchissement des grades, ou degrés. Deux grades sont conférés : apprenti et compagnon, auxquels s’ajoute, à partir de 1730, celui de maître. Les loges qui s’en
tiennent à ces trois grades sont dites « loges bleues », ou « loges anglaises ». Elles se distinguent des loges écossaises, regroupant les maîtres écossais, quatrième grade reconnu à partir de 1743-1744. Les outils de la maçonnerie spéculative - l’équerre et le compas -, empruntés à la maçonnerie opératoire, symbolisent les vertus du maçon : par un travail sur lui-même, il oeuvre à la construction du « temple de l’humanité ». À l’intérieur de la loge se déploie une part de sociabilité traditionnelle (banquets, musiques et chansons). Des principes démocratiques régissent son fonctionnement : ainsi, après la crise de 1773, toute décision est précédée de discussions et adoptée par un vote ; les charges, telle celle de « vénérable » (président de la loge), deviennent électives et non patrimoniales. • Un développement autonome. La maçonnerie n’est pas « un simple produit » des Lumières. Ran Halévi a montré l’autonomie de son développement. Quatre facteurs seraient déterminants : les attraits de l’occultisme - l’écossisme -, l’influence anglaise, l’influence militaire, le rôle de la bourgeoisie d’affaires. L’influence anglaise se limite à la première période : trois Anglais fondent, en 1732, à Bordeaux, une loge dite « l’Anglaise ». Des « installations », souvent éphémères, résultent du passage de régiments pourvus d’une loge (un tiers à la fin de l’Ancien Régime). Le plus fréquemment, des loges sont fondées par des militaires retirés du service. Mais l’immense downloadModeText.vue.download 372 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 361 succès de la maçonnerie repose sur la bourgeoisie d’affaires. « Fait social national » (P. Leuillot), l’Ordre est cependant, à l’origine, peu favorable aux juifs, aux comédiens, aux domestiques et aux membres de métiers jugés peu dignes. Entre 1775 et 1789, en province, 4 des membres appartiennent au clergé, 15 % à la noblesse et plus de 80 % au tiers état (respectivement 4 %, 22 % et 74 % à Paris), dont la moitié est issue du monde de l’entreprise, du négoce, de la manufacture et de la banque. La position ambiguë de cette bourgeoisie dans la société traditionnelle explique son adhésion à cette nouvelle forme de sociabilité. Talents et argent ne suffisent pas à lui procurer un béné-
fice culturel. Les sociétés savantes et académiques lui ferment leurs portes. « En somme, conclut Ran Halévi, l’Art royal est pour le négociant un microcosme où il peut retrouver des "lumières" et une aristocratie de rechange », en marge des cadres normatifs de l’Ancien Régime. Par sa morale et sa pratique, la maçonnerie a participé au travail de sape du système de valeurs de la société d’Ancien Régime. En revanche, aucun « complot maçonnique » n’est à l’origine de la Révolution. Cette légende, avancée dès 1791 par l’abbé Lefranc, est relayée par l’abbé Barruel, en 1797, dans ses Mémoires secrets pour servir à l’histoire du jacobinisme. En fait, dès les débuts de la Révolution, la maçonnerie s’affaiblit et les maçons se divisent. • Le combat pour la République et la laïcité. Pilier du régime impérial, la maçonnerie est seulement tolérée sous la Restauration, et, jusqu’en 1860, son histoire apparaît assez conformiste. Après 1862, elle s’engage en faveur des idéaux républicains et anticléricaux et contribue, dès la chute du Second Empire, à l’implantation de la République. Ses dirigeants se réclament alors d’un positivisme agnostique ou athée. En 1877, le Grand Orient supprime de ses Constitutions toute référence à l’obligation de croire en Dieu et en l’immortalité de l’âme. À la fin du siècle, la maçonnerie participe activement à la vie politique en appuyant les forces de gauche. En 1902, lors des législatives, elle soutient les candidats du Bloc des gauches, dont la victoire conduit au vote, en 1905, de la loi de séparation des Églises et de l’État. Le Grand Orient et, dans une moindre mesure, la Grande Loge s’engagent ouvertement en faveur du Cartel des gauches, vainqueur des législatives de 1924. En 1936, bien que les obédiences ne soient pas directement engagées dans le combat électoral, la majorité des maçons soutient le Front populaire. Sous la IIIe République, nombre d’hommes politiques radicaux ou socialistes sont maçons, du président du Conseil Émile Combes (19021905) au ministre du Front populaire Jean Zay. Malgré son succès depuis 1862 (le Grand Orient compte 24 000 membres en 1871 et plus de 30 000 entre 1910 et 1930), la maçonnerie demeure doublement menacée. L’antimaçonnisme catholique est relayé par les papes. Léon XIII publie, en 1884, l’encyclique Humanum genus, qui introduit
le thème du satanisme. Puis, dans l’entredeux-guerres, des campagnes sur le thème du « complot judéo-maçonnique » sont menées par l’extrême droite. Après la défaite de 1940, la maçonnerie est interdite et ses membres sont pourchassés. Les propagandes allemande et vichyste tentent de rallier la population à la politique de collaboration, en avançant la thèse du complot, « responsable », à leurs yeux, de la guerre et du « déclin de l’Occident ». Reconstituée après la Libération, la maçonnerie a continué de prendre part aux débats récurrents sur la laïcité et sur certaines questions de société. franco-allemand (traité), traité de coopération et d’amitié signé à Paris le 22 janvier 1963 par le général de Gaulle et le chancelier de la République fédérale allemande (RFA), Konrad Adenauer. Pour de Gaulle, le rapprochement avec l’Allemagne doit être le pivot d’une « Europe des États », lesquels se concerteraient pour mener à bien une politique étrangère commune. Ardemment défendu par le chancelier, qui souhaite affirmer la vocation européenne de la RFA, ce traité est critiqué par une partie de la classe politique allemande, qui accuse Adenauer de négliger les relations avec les ÉtatsUnis. Aussi, le texte n’est-il ratifié qu’en mai par le Bundestag, augmenté d’un préambule atlantiste qui lui enlève sa portée initiale. En outre, Adenauer doit démissionner en octobre et céder la place à Ludwig Erhard, moins attaché au rapprochement avec la France. Néanmoins, aux yeux de l’opinion des deux pays, le traité franco-allemand symbolise la réconciliation des « vieux ennemis ». franco-allemande (guerre), guerre qui oppose la France à la Prusse, du 19 juillet 1870 au 26 février 1871, et qui, avec l’entrée dans le conflit des quatre États allemands du sud du Main, devient « franco-allemande ». • La crise de juillet 1870. Depuis la victoire de la Prusse sur l’Autriche (Sadowa, juillet 1866), les relations entre l’Empire français et la Prusse se sont dégradées. Dans l’esprit de Bismarck, ministre-président de Prusse, la France de Napoléon III est l’obstacle majeur à ses projets d’unité de l’Allemagne. Faudrat-il forcer le destin par une guerre ? Au début de 1870, Bismarck s’oriente vers une telle politique. C’est pourquoi l’annonce d’une nouvelle candidature (4 juillet 1870) au trône d’Espagne du prince Léopold de Hohenzollern, cousin du roi de Prusse, est interprétée par le
gouvernement français comme une manoeuvre de Bismarck. Napoléon III proteste, obtient du prince une renonciation à ses prétentions (12 juillet 1870), puis va jusqu’à exiger du roi de Prusse Guillaume Ier (en vacances à Ems) une confirmation écrite. Ce dernier refuse poliment, et, par dépêche, informe Bismarck, resté à Berlin. Celui-ci publie, sous le nom de « dépêche d’Ems », un texte tronqué et insolent, dont la diffusion permet au gouvernement français de justifier le vote des crédits de guerre. Grâce à cette manoeuvre, Bismarck et les chefs militaires prussiens, qui avaient déjà pris secrètement la décision d’engager les hostilités, peuvent en rejeter la responsabilité sur Napoléon III et obtenir contre ce qui apparaît comme l’agresseur français le soutien de tous les Allemands et la neutralité bienveillante de l’Europe. • Les étapes de la défaite française. D’emblée, les opérations militaires sont marquées par la supériorité des armées prussoallemandes, commandées par le général von Moltke. Après deux victoires aux frontières (6 août 1870), ces forces s’avancent en Lorraine et en Alsace. Moltke recherche l’armée française principale (armée dite « du Rhin », qui comprend environ 170 000 hommes), dont Napoléon III a dû laisser le commandement au maréchal Bazaine. Celui-ci livre trois batailles en Lorraine - Borny (14 août), Mars-la-Tour-Rezonville (16 août) et SaintPrivat (18 août) -, puis se laisse enfermer dans la place de Metz. Une armée formée par MacMahon au camp de Châlons, et à laquelle se joint Napoléon III, se dirige vers le nord-est pour secourir Bazaine : elle est encerclée à Sedan et contrainte de capituler (2 septembre 1870), et Napoléon III est fait prisonnier. À l’annonce de ce désastre, la république est proclamée à Paris (4 septembre) et un gouvernement provisoire, dit « de la Défense nationale », est formé avec les députés républicains de Paris, parmi lesquels Léon Gambetta, chargé du ministère de l’Intérieur. Toutefois, en raison des exigences territoriales de Bismarck, qui veut annexer l’Alsace et une partie de la Lorraine, la guerre rebondit, présentant un double visage : une guerre de mouvement, qui conduit les armées prussoallemandes jusqu’au centre de la France, et une guerre de position. Plusieurs villes sont en effet assiégées : Strasbourg, qui capitule le 28 septembre ; Metz, où Bazaine capitulera, le 27 octobre ; Paris, à partir du 19 septembre, où le nouveau gouvernement républicain est confiné ; Belfort, défendue par Denfert-Roche-
reau. L’essentiel des forces allemandes est déployé autour de Paris. Le 7 octobre, Gambetta s’en échappe en ballon et rejoint Tours, où s’est installée une délégation du gouvernement. Il s’empare du ministère de la Guerre et donne une vive impulsion à la défense nationale ; il reforme des armées sur la Loire (les Ire et IIe armées, respectivement commandées par Aurelles de Paladines et Chanzy), dans le Nord (avec Faidherbe), dans les Vosges, puis en Bourgogne. Son but est de faire lever le siège de Paris. Mais la capitulation de Metz libère l’armée du prince Frédéric-Charles, qui gagne la vallée de la Loire, où elle bat les forces rassemblées par Gambetta. Orléans, Tours et Le Mans sont occupés, et la délégation doit se replier sur Bordeaux. Gambetta reconstitue une armée en Franche-Comté, qu’il confie à Bourbaki ; elle doit libérer Belfort, puis, par une audacieuse manoeuvre, couper les communications des Allemands qui assiègent Paris. Cependant, l’offensive de Bourbaki, en janvier 1871, s’achève par un désastre, et son armée, vaincue par l’hiver et la rapidité de la réaction allemande, se réfugie en Suisse. À ce moment, près du tiers du pays est occupé. La situation de Paris assiégé est devenue désespérée, en raison de l’échec des tentatives de sortie, des bombardements quotidiens de l’artillerie prussienne, de l’épuisement des vivres et de l’isolement. La capidownloadModeText.vue.download 373 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 362 tale ne peut plus compter sur une délivrance puisque toutes les armées levées par Gambetta ont été vaincues. • L’armistice et la perte de l’AlsaceLorraine. Pour mettre fin à un siège qui dure depuis cent trente-deux jours, et malgré la volonté de Gambetta de poursuivre la « guerre à outrance », le gouvernement se résigne à négocier avec l’Allemagne. Un armistice de 21 jours renouvelable est signé le 28 janvier 1871. Une Assemblée nationale, élue le 8 février, se réunit à Bordeaux : elle confie à Adolphe Thiers les fonctions de chef de l’exécutif provisoire, et le mandate pour négocier des préliminaires de paix avec Bismarck. Ceux-ci sont conclus le 26 février à Versailles, puis ratifiés par l’Assemblée, imposant à la France des clauses territoriales très dures : perte de l’Alsace et d’une partie de la
Lorraine, dont Metz. Le traité de Francfort, signé le 10 mai 1871 par le ministre des Affaires étrangères Jules Favre, confirme les clauses des préliminaires. Néanmoins, seule concession de Bismarck, la France conserve Belfort, en échange de 12 communes supplémentaires, en Lorraine. La France se voit aussi imposer une indemnité de guerre de 5 milliards de francs or et l’occupation de plusieurs départements de l’Est jusqu’au paiement de cette indemnité. Elle s’en acquitte rapidement, et l’évacuation de la totalité du territoire national est réalisée en septembre 1873. Ce conflit, qui se prolonge en France par une guerre civile - la Commune -, modifie l’équilibre européen en faveur du nouvel Empire allemand, proclamé dans la Galerie des glaces du château de Versailles le 18 janvier 1871, et consacre le statut d’homme d’État de Bismarck. Les souvenirs de l’« année terrible » et l’annexion de l’Alsace-Lorraine (les « provinces perdues ») nourriront un profond et durable antagonisme franco-allemand. François de Sales (saint), évêque de Genève (château de Sales, près d’Annecy, Savoie, 1567 - Lyon 1622). Né dans une famille aristocratique du duché de Savoie - indépendant de la France -, François de Sales fait ses classes d’humanités et de philosophie à Paris, au collège de Clermont, dirigé par les Jésuites, puis étudie la théologie et le droit à l’université de Padoue. Il s’inscrit au barreau de Chambéry en 1592, mais sa vocation est l’Église. Prêtre en 1593, il est envoyé pendant quatre ans comme missionnaire dans le Chablais pour la reconquête de cette région protestante. En 1602, il succède à l’évêque de Genève dont il était le coadjuteur : pendant vingt ans, sans pouvoir occuper son siège épiscopal - Genève est la métropole du calvinisme -, il sera évêque réformateur, dans la ligne du concile de Trente et de saint Charles Borromée, assidu à parcourir son diocèse, prêcher, catéchiser, confesser, former un clergé de valeur. Avec Jeanne de Chantal, il fonde en 1610, à Annecy, l’Institut de la Visitation, qui devient un ordre cloîtré en 1618, et qui connaît alors une étonnante expansion (87 monastères à la mort de sa fondatrice, en 1641). Malgré son peu de loisirs, François de Sales est également un écrivain fécond : son Introduction à la vie dévote (1608), composée de courts chapitres au propos très concret et au style fleuri, fait sortir la perfection des couvents et la donne en idéal aux chrétiens
vivant dans le monde. Ce livre constituera, pour au moins trois siècles, le bréviaire des laïcs (400 éditions sont recensées à la fin du XIXe siècle). Aux âmes déjà avancées et à vocation contemplative, l’évêque adresse son Traité de l’amour de Dieu (1616), qui trace un itinéraire mystique, de l’oraison de quiétude à la vision divine dans le face-à-face éternel. Après un triomphal voyage à Paris (16181619), où il prêche de nombreux sermons et fonde un monastère de la Visitation - mais décline l’honneur d’être nommé coadjuteur de l’archevêque -, il regagne Annecy, espérant pouvoir se retirer en l’ermitage de SaintGermain de Talloires. Ce souhait ne sera pas exaucé, et c’est en pasteur toujours actif, pourtant épuisé, qu’il se rend à Lyon à la fin de 1622 : il y meurt le 28 décembre. Par son charisme de la douceur et son optimisme théologique, François de Sales est une figure emblématique de l’humanisme chrétien. Il sera canonisé en 1665, et proclamé docteur de l’Église par Pie IX en 1877. l FRANÇOIS Ier. Roi-chevalier ou mécène éclairé et père de la Renaissance française, libertin insouciant ou monarque autoritaire, ancêtre d’un pouvoir absolu et centralisé ou dernier souverain attaché à des relations féodales voire claniques, protecteur tolérant des lettrés évangélistes ou persécuteur des premiers réformés : il est bien difficile de tracer de François Ier un portrait univoque. Ce roi, né en 1494, souvent présenté comme éternellement jeune, régna en fait durant plus de trente ans, de 1515 à 1547. Il fut moins l’artisan d’un grand dessein monarchique cohérent qu’un souverain qui se vit dans l’obligation de mettre en place de nouvelles formes de gouvernement, plus rationnelles, souples et pragmatiques, afin de mieux adapter le royaume aux aléas de l’histoire. L’ESQUISSE D’UN DESTIN (1494-1515) Né le 12 septembre 1494 à Cognac, François d’Angoulême ne semble pas destiné à monter sur le trône : issu de l’union de Charles d’Angoulême et de Louise de Savoie, il est certes lié à la maison royale par son appartenance à la famille des Orléans, mais il n’est que membre d’une branche cadette, et sa place dans la ligne de succession ne lui laisse guère d’espoirs. Il en va différemment après les morts du dauphin Charles-Orland et du roi Charles VIII, et avec l’avènement de Louis XII en 1498 : déjà âgé et sans descendance, ce dernier est vite contraint de voir un successeur potentiel en
cet enfant, dont il est d’ailleurs le tuteur légal depuis la mort de son père, le 1er janvier 1496. Mais Louise de Savoie veille jalousement sur son seul fils, et n’entend pas qu’on le précipite trop vite au milieu des intrigues de la cour. Au fil des ans croît d’ailleurs sa conviction que son « César » sera tôt ou tard appelé à régner, par une providence qui a marqué sa préférence à son égard, au vu d’une multitude de signes que l’entourage de l’enfant se plaît à décrypter. François demeure au château d’Amboise, élevé au milieu d’un groupe de jeunes nobles qui resteront pendant toute sa vie ses compagnons les plus proches (Robert de La Marck, seigneur de Florange, Philippe Chabot de Brion, Anne de Montmorency, Guillaume de Gouffier, sire de Bonnivet). Il reçoit une éducation soignée : jeux et exercices physiques alternent avec l’apprentissage des humanités. En avril 1500, Louis XII rédige une déclaration secrète selon laquelle sa fille Claude de France ne pourra jamais épouser que l’héritier de la couronne, mais il n’en promet pas moins, dès l’année suivante, de la marier à Charles de Habsbourg. Pourtant, en 1501, François est présenté officiellement à la cour comme l’héritier du trône. Toutefois, après une grave maladie, Louis XII réunit, en avril 1506, une assemblée de notables qui l’autorise à ne pas respecter sa parole et conclure au plus vite le mariage de Claude et de François. Il accède à cette requête le 21 mai 1506 (les noces n’étant célébrées qu’en 1514). À partir d’août 1508, l’héritier présomptif réside de façon permanente à la cour, où, en 1512, il est admis au Conseil royal et appelé « Monsieur le dauphin ». La mort rapide de Louis XII lui permet enfin de monter sur le trône, le 1er janvier 1515 : la date est perçue comme hautement symbolique du renouveau possible du royaume sous l’égide d’un jeune souverain, mais certains y voient aussi la marque du destin singulier du nouveau roi, puisqu’elle coïncide avec l’anniversaire de la mort de son propre père. LE ROI-CHEVALIER (1515-1519) Le nouveau roi s’assure de la bonne marche des affaires courantes, et récompense ses anciens compagnons, conjuguant ainsi la nécessaire continuité de l’administration et une certaine forme de redistribution clanique ou féodale. Il confirme dans leurs fonctions les principaux chefs militaires et les grands officiers de la couronne, mais place également à des postes essentiels certains de ses
fidèles (Antoine Duprat est nommé chancelier, Charles de Bourbon est fait connétable, Lautrec et La Palice sont élevés au rang de maréchal), et distribue fiefs ou bénéfices aux membres de sa famille ou à leurs proches. Ensuite, il presse les préparatifs de guerre et nomme sa mère régente, ayant décidé de prendre lui-même la tête de l’armée qui va passer les monts pour reconquérir le Milanais, perdu en 1513. En effet, la Lombardie est devenue le centre de gravité de la politique étrangère française. Au début du mois d’août 1515, le roi franchit les Alpes par surprise, au col de Larche. Il engage alors des négociations avec les Suisses, et ce n’est qu’à la suite de malentendus et de divisions parmi ses ennemis qu’il livre bataille : Marignan, emblématique de la geste guerrière du roi-chevalier, François a tout fait pour l’éviter. Pendant deux jours, les 13 et 14 septembre, le combat, longtemps incertain, est féroce. Les conséquences immédiates du succès sont très importantes : le Milanais est reconquis, et le roi de France est craint dans toute la Péninsule, voire dans le reste de l’Europe. Les poètes courtisans répandent l’éloge du « nouvel Hannibal », fier et humble guerrier dont la légende dit qu’il a tenu à se downloadModeText.vue.download 374 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 363 faire armer chevalier sur le champ de bataille par le preux Bayard. Par ailleurs, au mois de décembre 1515, le pape Léon X et François Ier se rencontrent à Bologne : outre un traité d’alliance, ils négocient un nouveau concordat, acte fondamental qui abroge la pragmatique sanction de Bourges et va régir les relations de la couronne avec Rome jusqu’à la Révolution, au grand dam des partisans des libertés gallicanes. De ce succès personnel, aussi rapide qu’éclatant, il est toutefois bien difficile de faire la marque du règne : l’événement ne se répétera pas, et, bien au contraire, quand le souverain reprendra en personne la tête de son armée, cela conduira, dix ans plus tard, au désastre de Pavie. Après son retour en France le 8 janvier 1516, le roi semble dans les années qui suivent au sommet d’une gloire toute fraîche : après la conclusion, de la paix de Noyon, le 13 août 1516, avec Charles de Habsbourg - le successeur de Ferdinand le Catholique -, le concordat est signé le 16 août ; pour leur part,
les Suisses acceptent une « paix perpétuelle », le 29 novembre ; l’alliance franco-anglaise est renforcée, et une ligue franco-italienne, mise en place ; enfin, au traité de Cambrai, le 11 mars 1517, l’empereur Maximilien, le Roi Catholique Charles et le Roi Très-Chrétien François reconnaissent leurs possessions respectives et promettent de s’unir dans une future croisade contre les Turcs. François parcourt la France, du printemps 1517 à novembre 1518, en une succession d’entrées triomphales dans les « bonnes villes », de fêtes somptueuses, de chasses, joutes ou tournois. En outre, le pays est encore économiquement prospère, et, après deux filles, Claude donne naissance à deux fils : le dauphin, prénommé François, le 28 février 1518, et, l’année suivante, Henri. L’avenir des Valois semble ainsi assuré. Le célèbre camp du Drap d’or, où François 1er rencontre le roi d’Angleterre Henri VIII en juin 1520, est à la fois la plus magnifique et l’ultime démonstration de cette confiance inébranlable du roi et de ses proches dans la force de la nouvelle dynastie. Mais l’alliance anglo-impériale, bientôt contractée, manifeste les limites politiques et les ambiguïtés de ces entrevues somptuaires sans grandes conséquences. LE TEMPS DES DÉFAITES : LE RIVAL MALHEUREUX DE CHARLES QUINT (1519-1529) Cependant, François va connaître son premier échec cuisant dans l’affaire de l’élection à l’Empire. Après la mort de Maximilien, Charles de Habsbourg, déjà roi d’Espagne et gouverneur des Pays-Bas, hérite de toutes les possessions familiales des Habsbourg en Autriche et en Allemagne, et aspire à succéder à son grand-père dans la dignité impériale. François considère, quant à lui, qu’il faut restaurer le véritable caractère électif de cette dignité et, surtout, éviter un encerclement complet du royaume, ce qui sera désormais l’obsession de la politique étrangère française et la raison première de la longue rivalité entre les rois de France et les Habsbourg. Pourtant, malgré ses promesses et l’argent dépensé sans compter, François Ier ne peut empêcher la victoire de Charles en juin 1519. Suivent alors les années de désillusions et de défaites. La France est bientôt menacée sur sa frontière du Nord, et seule la longue résistance de Mézières, assiégée par les troupes impériales en septembre 1521, permet de blo-
quer l’avance ennemie. Mais, dès le printemps 1522, les Français sont chassés du Milanais. Décidé à entreprendre une nouvelle guerre en Italie, le roi doit en même temps faire face aux conséquences de la controverse juridique très féodale concernant l’héritage de Suzanne de Bourbon, morte le 28 avril 1521, qui l’oppose au plus puissant de ses vassaux, le connétable Charles de Bourbon. Durant l’été 1523, ce dernier prend le parti de l’empereur ; en septembre, il fuit la France, avant de prendre la tête d’une armée qui envahit la Provence en juillet 1524. Toutefois, la résistance de Marseille le contraint à battre en retraite. Le royaume est alors épuisé financièrement après un semestre d’incertitudes, la chute du roi ne semblant pas impossible. Pourtant, contre toute attente, François Ier décide de confier la régence à sa mère et de poursuivre l’armée impériale. Conduisant ses troupes à marche forcée vers la Lombardie, il reprend Milan le 26 octobre, puis met le siège devant Pavie, qui résiste, permettant ainsi aux Impériaux de reconstituer leurs forces et d’attaquer. Dans la nuit du 23 au 24 février 1525, les arquebusiers espagnols déciment la lourde cavalerie française : il s’ensuit un véritable massacre dans les rangs des fantassins mais aussi de la noblesse du royaume. Le roi lui-même est fait prisonnier, et peut écrire à Louise de Savoie au soir du combat : « De toutes choses ne m’est demeuré que l’honneur et la vie qui est saulve. » Heureusement pour François Ier, Louise de Savoie, bien secondée par le chancelier Duprat, réussit à maintenir la cohésion du pays - le parlement, les « bonnes villes » et les grands seigneurs soutenant la régente - puis à réorganiser l’armée et à engager d’habiles tractations diplomatiques en jouant de l’inquiétude que fait naître la puissance de Charles Quint. Pendant ce temps, le roi demande à être conduit d’Italie en Espagne, où, après des négociations acharnées, le traité de Madrid est signé le 14 janvier 1526 : en échange de sa libération, François accepte de céder, outre ses droits sur Milan et Naples, le duché de Bourgogne, ainsi que plusieurs villes de l’Artois et Tournai ; ultime humiliation, il promet la réhabilitation de Charles de Bourbon et de ses complices. Comme garantie du respect de toutes ces clauses, Charles obtient aussi que lui soient livrés les deux fils aînés du souverain. Toutefois, à peine libéré, François Ier met sur pied une ligue anti-impériale - avec le pape, avec Francesco Sforza, duc de Milan, et avec Venise -, qui constitue un moyen de pression pour faire libérer ses enfants sans
rendre la Bourgogne. Par ailleurs, peu après, il se fait délier de son serment par une assemblée de notables : les engagements de la personne royale s’effacent devant les devoirs sacrés du souverain. À la suite du sac de Rome par les Impériaux en mai 1527, il envoie même une nouvelle armée en Italie, sous le commandement de Lautrec. Mais celle-ci, après des victoires éphémères en Lombardie, connaît une déroute pendant l’été 1528, devant Naples. À l’issue d’autres défaites au cours de l’année suivante dans le nord de la Péninsule, l’heure est aux négociations : de longues tractations se concluent à Cambrai en juillet 1529. Signée au début du mois d’août par Louise de Savoie et Marguerite de Habsbourg, la « paix des Dames » reprend, pour l’essentiel, les clauses du traité de Madrid, à l’exception de la cession de la Bourgogne mais avec, en sus, de très lourds engagements financiers qui vont grever un budget français déjà mis à mal. La confirmation du futur mariage - prévu également à Madrid - de François, veuf depuis 1524, avec Éléonore de Habsbourg, soeur de l’empereur, scelle cette nouvelle paix. LE GOUVERNEMENT DU ROYAUME Les guerres quasi continuelles et les traités onéreux acceptés par François Ier contraignent l’administration royale à faire preuve d’une efficacité grandissante, en particulier dans le domaine des finances. Néanmoins, si les levées d’argent sont très importantes tout au long de ces trois décennies, et si l’on a recours régulièrement à des impôts extraordinaires ou à des ventes d’offices, la pression fiscale ne semble pas croître plus rapidement que sous les règnes précédents. Au prix, toutefois, d’une croissance exponentielle de la dette, et d’une série d’emprunts plus ou moins forcés auprès des « bonnes villes » (d’où, par contre coup, la multiplication des taxes locales). Au milieu des années 1520, est lancée une série d’enquêtes concernant les gens de finance : après la défaite de Pavie, ils deviennent les boucs émissaires idéaux, responsables de la déroute, et le baron de Semblançay, le premier d’entre eux, est même condamné à mort sans grand motif, en août 1527. La commission de la Tour carrée est créée, en novembre 1527, pour engager ces poursuites : plus d’une centaine de procès donnent lieu à des condamnations et à des confiscations de biens, qui sont une source de revenus non négligeable. La situation financière catastrophique incite aussi les proches de François et de Louise de Savoie à favoriser une centralisation relative de la levée des impôts et, surtout, une ratio-
nalisation de la gestion de la trésorerie, pour mieux contrôler les dépenses. La création de la charge de trésorier de l’épargne en 1523 réduit ainsi progressivement le pouvoir des généraux des finances des grandes provinces, tout comme celui des anciens trésoriers de France. Une nouvelle réforme, en février 1532, fixe le siège de l’épargne au Louvre et y fait verser tous les revenus royaux. Les réformes en matière de justice et d’armée sont moins importantes. Les premières peuvent être essentiellement rapportées à l’édit de Villers-Cotterêts (août 1539) : souvent rappelé au nom de la seule clause sur l’obligation d’utiliser le français dans les actes officiels, ce texte comporte en fait près de deux cents clauses, qui, entre autres, réglementent l’état civil paroissial, réforment les procédures judiciaires et suppriment les confraternités. Mais il est bien difficile d’évaluer le degré d’application d’une telle ordonnance royale. Quant aux réformes de l’armée, elles se réduisent avant tout à la tentative avortée de création d’une infanterie française permanente, conformément à l’édit sur les légions du 24 juillet 1534 : downloadModeText.vue.download 375 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 364 leur manque d’efficacité en temps de guerre fait toutefois délaisser peu à peu cette ambitieuse réorganisation. Dans le domaine de l’économie, le chancelier Duprat énonce, dès 1517, le dogme de l’autosuffisance de la France. Pourtant, l’augmentation plus rapide de la population, combinée au retournement de conjoncture - dans le Nord dès le début du siècle, puis dans le Sud à partir de 1540 -, débouche sur le retour cyclique de famines localisées. À cela s’ajoutent la fragmentation de la petite propriété paysanne et la paupérisation des habitants les plus démunis des campagnes et des villes. La crise larvée pose vite des problèmes d’ordre public, et l’administration royale se penche en particulier sur la question du vagabondage. De nombreux édits se succèdent, jusqu’à celui de 1537 qui assimile le vagabond à un rebelle, qu’il est par conséquent légitime d’éliminer physiquement. Par ailleurs, plusieurs grandes révoltes urbaines (notamment la « grande rébeyne » de Lyon, en 1529) conduisent à une convergence manifeste d’intérêts entre la couronne et les grandes familles du patriciat urbain, mais aussi à la création
de « bureaux des pauvres » (à Lyon en 1531, à Paris en 1544), ou au développement des politiques d’assistance et les hôpitaux. En outre, de sévères réglementations pèsent sur le commerce, pour éviter la fuite de l’argent à l’étranger et limiter les importations. Dans tous ces domaines, l’autorité et la centralisation monarchiques se renforcent, mais il serait aventureux d’y voir une formulation théorique d’un quelconque absolutisme royal : s’il affirme sa préséance et sa volonté, le roi sait aussi tenir compte des corps constitués, notamment les villes, les parlements ou l’Université. Sa politique à l’égard des réformés en est une bonne illustration. Dans un premier temps, François adopte une attitude modérée : influencé par les sympathies évangélistes de sa soeur aimée, Marguerite, et admirant nombre de lettrés en odeur d’hérésie, il résiste vigoureusement aux exigences du parlement de Paris ou de la Sorbonne dans les années 1520. Mais, quelques années plus tard, pour faire face à certains défis des protestants, rallier à sa cause les catholiques les plus durs, justifier son titre de « Roi Très-Chrétien », ou refuser une profession de foi susceptible de se transformer en rébellion, François se montre plus rigide. C’est notamment le cas à l’égard des vaudois de Provence à partir de 1533, ou, dans tout le royaume, après la fameuse affaire des Placards en octobre 1534. Malgré l’édit de Coucy, signé le 16 juillet 1535, qui libère les emprisonnés sous réserve d’abjuration, la vague de persécutions reprend vite, et, en juin 1540, le roi va jusqu’à donner tous pouvoirs aux parlements contre les « hérétiques » et jusqu’à faire de toute assistance aux protestants un crime de lèse-majesté. LES LETTRES, AU-DELÀ DES ARMES ET DES LOIS Mécène généreux, grand bâtisseur, amoureux des arts, le monarque voit son portrait souvent enrichi de la paternité de la Renaissance française - ce qui n’est pas indu, à condition de rappeler que la « Renaissance française » ne commence pas avec un roi ni avec les seules guerres d’Italie. C’est d’abord l’architecture qui retient toute l’attention du souverain : les châteaux de la Loire, puis les chantiers parisiens et celui de Fontainebleau, témoignent de son goût pour la construction ou l’aménagement de demeures royales qui allient l’héritage de la tradition architecturale française et les nou-
veautés importées d’outre-monts. Mais François protège aussi volontiers les peintres, fait venir en France Léonard de Vinci, accueille Andrea del Sarto ou, plus tard, le Rosso ou le Primatice. Les peintres appelés à la cour laissent leurs tableaux à des collections royales, que les achats du souverain ou les dons des princes étrangers ne cessent par ailleurs d’enrichir, et qui ne se limitent pas à la peinture, puisque s’y amoncellent manuscrits, miniatures, sculptures, médailles ou tapisseries. L’exemple royal fait école, et les grands seigneurs ou les officiers du royaume rivalisent dans la construction de demeures ou l’embellissement d’intérieurs, qui contribuent à la diffusion du nouveau goût. Architectes et artistes français, qui sont de plus en plus nombreux à entreprendre le « voyage d’Italie », s’y emploient également. Quant à l’école de Fontainebleau, née d’un chantier singulier, elle marque tout l’art français du siècle. L’attention du roi n’est pas moins grande pour les lettres proprement dites. Il est aussi libéral avec les poètes - notamment Clément Marot, jusqu’à l’affaire des Placards, et Mellin de Saint-Gelais - qu’avec les peintres, et la Bibliothèque royale connaît un essor sans précédent grâce à Guillaume Budé et à la création de l’ancêtre du dépôt légal (en décembre 1537), qui fait obligation à tous les imprimeurs du royaume d’y déposer un exemplaire de chaque ouvrage publié. François Ier n’hésite pas non plus à heurter la vieille Université en multipliant, toujours sous l’impulsion de Guillaume Budé, les « lecteurs royaux », qui seront l’embryon du futur Collège de France. DE LA POURSUITE DE LA GUERRE À L’IMPOSSIBLE RÉCONCILIATION (1529-1547) Malgré le triomphe de Charles Quint, qui reçoit la couronne impériale des mains du pape en février 1530, François Ier entend se réapproprier ce qu’il considère comme son dû au regard d’une conception dynastique classique des relations internationales. Mais, l’état de la France et de ses finances rendant impensable un nouveau conflit dans l’immédiat, le roi, qui a désormais abandonné tous ses amis italiens, choisit de poursuivre la guerre par alliés interposés. Paradoxalement, le Roi Très-Chrétien, qui est de plus en plus dur avec les réformés français, se présente à l’extérieur comme un adepte de la tolérance et de la conciliation, tout en s’opposant à un concile qui serait dominé par l’empereur et
par le pape, et en recherchant ouvertement une alliance défensive avec la Sublime Porte, premier avatar des « alliances de revers » chères à la diplomatie française des siècles suivants. Dans un subtil et fragile équilibre, il s’agit pour François d’apparaître comme un homme de paix et, en même temps, de soutenir en sous-main, contre Charles Quint, aussi bien les princes allemands protestants de la ligue de Smalkalde que les Turcs, sans toutefois favoriser une vraie offensive ottomane qui recréerait l’union de l’empereur et de ses vassaux rebelles. De même, il entend à la fois rester l’allié d’Henri VIII, qui s’oriente vers le schisme, et renouer avec le pape Clément VII. Mais, s’il convainc le pape d’une rencontre à Marseille en octobre 1533, et s’il lui offre pour sa nièce Catherine de Médicis un mariage royal en la personne de son fils Henri, il consomme à cette occasion sa rupture avec le roi d’Angleterre ; en outre, la mort de Clément VII en septembre 1534 rend bien faibles les avantages du mariage conclu. Parallèlement, les retombées de la répression qui fait suite à l’affaire des Placards brouillent le roi avec les princes luthériens, tandis que le pape Paul III, désireux de réunir un concile général, se rapproche de Charles Quint, auréolé de sa croisade victorieuse contre Tunis en 1535. C’est à ce moment-là que l’Italie revient au centre des préoccupations royales avec la mort du duc de Milan, qui ne laisse aucun descendant : François réclame le duché pour son second fils et, pour mieux asseoir ses prétentions, envoie Chabot de Brion envahir les États du duc de Savoie en février 1536. Mais il ne s’agit pas d’une réédition des expéditions précédentes : Savoie et Piémont deviendront un glacis protecteur plus qu’un tremplin vers de nouvelles conquêtes. Une stratégie plus défensive s’affirme, sous l’impulsion d’Anne de Montmorency, devenu l’homme le plus puissant de la cour : lors de la nouvelle invasion de la Provence par Charles Quint en personne durant l’été 1536, la politique de la terre brûlée et le refus du combat contraignent l’empereur à battre en retraite en septembre. Mais, cette fois, il n’est pas poursuivi par l’armée du roi, lequel est resté prudemment à l’arrière de ses troupes. À court d’argent, François se contente d’envoyer Montmorency reprendre le Piémont, puis signe la trêve de Monzon le 16 novembre. Quelque temps après, il propose même à Charles une paix définitive : les discussions de Nice, sous l’égide du pape, en juin 1538, puis la rencontre directe d’AiguesMortes en juillet, semblent l’ébauche d’une
vraie réconciliation. Charles Quint, en route pour aller mater la révolte de Gand, traverse même triomphalement la France en novembre 1539, guidé par le roi. Mais, une fois de plus, la question de Milan fait échouer les négociations. Ces années-là sont marquées par la recrudescence des intrigues de palais autour d’un roi vieillissant entouré de deux fils qui se jalousent et de ses maîtresses, dont la première d’entre elles, Mme d’Étampes, a une influence politique réelle. C’est aussi le temps des révoltes populaires dans l’Ouest - dues au refus de réformer la gabelle. De nouvelles campagnes, en 1542, au Luxembourg et en Roussillon, s’achèvent sans résultat notable. L’année suivante, François Ier rend publique son alliance militaire avec les Turcs en mêlant sa flotte à la leur pour assiéger Nice, puis en autorisant, au grand scandale des contemporains, Barberousse et ses galères à passer l’hiver à Toulon, préalablement vidée de ses habitants. La dernière grande camdownloadModeText.vue.download 376 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 365 pagne du règne, malgré l’éphémère victoire du duc d’Enghien à Cérisoles en Piémont, le 14 avril 1544, vise d’abord à défendre la frontière du Nord face à la coalition angloimpériale : l’armée royale résiste difficilement aux troupes dirigées par Charles Quint, qui dévaste la Champagne durant l’été 1544. Les deux adversaires, à bout de forces et d’argent, lassés par une guerre perpétuelle au cours de laquelle aucune victoire n’a pu être décisive, signent une nouvelle paix à Crépy, le 18 septembre. Deux ans plus tard, une paix séparée avec Henri VIII permet au roi de racheter Boulogne aux Anglais. À l’issue de trente ans de guerres continuelles, quand François Ier meurt le 31 mars 1547, il laisse un royaume dont les frontières sont à peu près inchangées, si l’on excepte la conquête occasionnelle du duché de Savoie. Mais, hormis la paix avec les Suisses et les bonnes relations avec le Sultan, la situation diplomatique d’une France qui manque cruellement d’alliés sûrs et puissants face à la maison de Habsbourg est bien problématique. Au-delà des mésaventures guerrières et des multiples images de ce roi aimant les femmes, la chasse et la joyeuse vie, des lois nouvelles ont, par touches et par moments, renforcé
la centralisation de l’administration royale et l’autorité du souverain, même si l’on n’est pas fondé à parler d’un véritable programme en ce sens. Le monarque ne maîtrise pas encore complètement les grands du royaume, les tendances centrifuges d’une réforme naissante et réprimée ou les velléités parlementaires d’indépendance, même si, en définitive, il a pu compter sur le soutien des parlements et, surtout, des villes dans les moments difficiles de son règne. L’absolutisme de François Ier reste, à cet égard, selon le mot de Knecht, un absolutisme « limité ». François Ier, duc de Bretagne de 1442 à 1450 (Vannes 1414 - Nantes 1450). Il est le fils aîné du duc Jean V (1399-1442) et de Jeanne de France. Son épouse, Yolande d’Anjou, étant morte en 1440, il se remarie, l’année suivante, avec Isabeau d’Écosse. François Ier est resté célèbre dans l’histoire pour ses goûts chevaleresques - il fonde l’ordre de l’Épi, dont la première mention date de 1447, et organise de nombreux tournois et fêtes de cour -, mais il est aussi un administrateur, artisan de plusieurs réformes financières. À la différence de son père, il fait preuve, durant les derniers temps de la guerre de Cent Ans, d’un soutien loyal au roi de France Charles VII. En 1446, il procède à l’arrestation et à l’emprisonnement de son frère Gilles, sous le prétexte que celui-ci est favorable aux Anglais. Après l’attaque de François de Surienne, capitaine du roi d’Angleterre Henri VI, contre Fougères (mars 1449), il prend personnellement part à la reconquête du Cotentin. Aussi, Charles VII renonce-t-il à recevoir de lui l’hommage lige pour le duché. En Bretagne, François Ier s’applique à favoriser le développement des villes et du commerce. Il se rapproche de Jean de Blois, représentant de la maison adverse des Penthièvre, en lui demandant de ne plus prétendre à la couronne de Bretagne. À sa mort, ses deux filles, Marie et Marguerite, sont exclues de la succession au profit de son frère, Pierre, duc de 1450 à 1457. François II, roi de France de 1559 à 1560, (Fontainebleau 1544 - Orléans 1560). Fils aîné d’Henri II et de Catherine de Médicis, François est encore un adolescent malingre et souffreteux lorsque, après la mort accidentelle de son père, il accède au trône.
L’antagonisme entre catholiques et protestants, avivé durant la dernière période du règne d’Henri II par une politique de persécutions, s’oriente, au cours de l’année 1559, vers l’organisation de partis prêts à l’affrontement armé. Les grandes familles, déjà opposées dans les intrigues de cour, prennent la tête de l’une ou de l’autre faction. Par son mariage avec Marie Stuart, fille du roi Jacques d’Écosse et de Marie de Guise, François II est devenu le neveu des Guises, qui se proclament chefs du parti catholique, et entendent contrôler, voire inspirer, la politique royale. La position qu’ils occupent à la cour se renforce, au point de susciter une réaction des gentilshommes protestants : ces derniers marchent sur Amboise, avec l’intention de soustraire le roi à l’influence des Guises. Mais le projet est découvert, et la conjuration, dite « d’Amboise » (mars 1560), est noyée dans le sang. Durant l’automne 1560, les troupes royales interviennent dans de nombreuses régions, pour dissoudre les assemblées calvinistes, que l’édit de Romorantin, au mois de mai, a déclarées illicites. François II, miné par la maladie, s’éteint en décembre 1560, à la veille de la réunion des états généraux. Son règne éphémère, marqué par un total effacement de la personne royale, n’aura fait que confirmer la politique de répression amorcée par son père. François II, duc de Bretagne de 1458 à 1488 (Étampes 1435 - château de Couëron, près de Nantes, 1488). Fils de Richard, comte d’Étampes, et de Marguerite d’Orléans, neveu du duc Jean V, François II devient duc de Bretagne en 1458 à la mort de son oncle, Arthur III, connétable de Richemont. Il épouse la fille du duc François Ier, Marguerite (morte en 1469), puis, en secondes noces, Marguerite de Foix. Soucieux d’assurer l’indépendance de son duché, François II renforce les structures du gouvernement central, fonde en 1460 l’université de Nantes et permet la réunion régulière des états de Bretagne. Néanmoins, ses prétentions se heurtent à la politique de Louis XI ; il en résulte de nombreux conflits avec la royauté. En 1465, il participe à la ligue du Bien public. En 1468, il conclut une alliance avec Charles le Téméraire et Édouard IV d’Angleterre. Mais la disparition de l’allié bourguignon en 1477 fragilise sa position. Préoccupé par sa succession, il envisage d’abord de marier sa fille Anne à un prince anglais, puis à Maximilien de Habsbourg. Les Beaujeu et Charles VIII s’opposent par la force à ce dernier projet. Après la défaite de
l’armée bretonne à Saint-Aubin-du-Cormier, le 28 juillet 1488, François II est contraint de signer le traité du Verger (19 août), par lequel il promet que sa fille Anne ne pourra être mariée sans l’autorisation du roi. Il meurt moins d’un mois plus tard sans que sa succession ne soit vraiment réglée. francophonie, ensemble d’États souverains ayant comme fondement l’usage commun du français. La francophonie n’est pas, avant tout, comme on pourrait le croire, un instrument de défense et de promotion de cette langue. Certes, le terme se répand au moment où le recul du français devient manifeste, et où sa marginalisation comme langue internationale est enregistrée - les revues francophones représentent 1 % des revues recensées dans le monde par l’ONU. Cependant, les promoteurs de la francophonie - et la France n’en a été que le tardif bailleur de fonds - ne l’ont jamais conçue comme un combat pour la glorification de la langue de Molière et de Voltaire. Au contraire, la francophonie s’est construite sur l’acceptation de la pluralité des français - du joual de Montréal au créole guadeloupéen - et de la diversité des rapports consentis à cette langue - maternelle, d’usage, administrative, littéraire, langue de l’ancien occupant, ou langue de l’émancipation, langue de la cohésion nationale (en Afrique), ou argument de légitimation d’une autonomie, voire d’une indépendance revendiquée (au Québec). • La géographie de la francophonie. Elle réunit 35 États (dont 24 sont africains), environ 120 millions de locuteurs, et peut se schématiser en une succession de cercles concentriques. Le premier cercle rassemble les pays ou régions de langue maternelle française - la France, la Suisse romande, la Belgique wallonne, le Luxembourg, le Val d’Aoste italien, la principauté de Monaco, ainsi que le Canada français, Saint-Pierre-et-Miquelon, et quelques petites communautés des ÉtatsUnis, tels les cajuns de Louisiane. Le second cercle regroupe les pays créolophones où la langue d’usage est très proche du français - Antilles, Haïti, Guyane, île Maurice, Seychelles -, et ceux où le français, est une langue de communication ou de circonstance pour une fraction représentative de la population - Afrique noire, Madagascar, Maghreb, Liban. Enfin, le troisième cercle est formé d’États où le français est réduit au rang de vestige Égypte, Syrie, Roumanie, Bulgarie, péninsule Indochinoise - ou de première langue étran-
gère parlée - Amérique latine, notamment. Il faut noter qu’à cette géographie ne correspond pas forcément une géopolitique : l’Algérie indépendante, travaillée par une intense politique d’arabisation, qui n’a cependant pas éradiqué la présence du français, reste en marge des institutions de la francophonie. • La francophonie comme projet. L’inventeur du mot « francophonie » semble être le géographe Onésime Reclus, à la fin du XIXe siècle, mais le concept n’acquiert quelque signification qu’au cours des années soixante, dans le sillage de l’indépendance des pays africains et arabes. En effet, ce sont des hommes d’État de l’Afrique modérée, notamment Léopold Sédar Senghor (Sénégal), mais aussi Hamani Diori (Niger) ou Félix HouphouëtBoigny (Côte-d’Ivoire), qui lancent le projet. Le Tunisien Habib Bourguiba rêve, quant à downloadModeText.vue.download 377 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 366 lui, d’un « Commonwealth à la française ». Mais c’est précisément ce que la francophonie ne sera pas : après l’échec de la Communauté française, de Gaulle, ne voulant pas encourir le reproche de néocolonialisme, se tient prudemment sur la réserve. Alors que le Commonwealth est la traduction de l’ancien Empire britannique - les États-Unis anglophones n’en font pas partie -, la francophonie est une tentative plus inédite de rassembler, de manière volontariste, des pays très divers, sans lien historique nécessaire avec la France. • Progrès et ambiguïtés. Le terrain associatif a devancé les initiatives officielles : dès 1952 se crée l’Association internationale des journalistes de presse de langue française ; en 1961 voit le jour l’Association des universités partiellement ou uniquement de langue française, qui regroupe quelque 150 établissements et 400 départements de français. Mais c’est seulement après le départ du président de Gaulle que la francophonie s’organise lentement sur le plan institutionnel : en 1971 est mise en place l’Agence de coopération culturelle et technique, axée sur les problèmes de formation. Puis, au milieu des années 1980, les obstacles verrouillant le processus sont quasiment levés. À cette date, la brouille canado-québécoise prend fin, les Africains se montrent soucieux de trouver de nouveaux espaces de coopération, et François Mitterrand est déterminé à s’engager en
faveur de la francophonie. Le premier sommet est organisé à Paris en 1986. D’autres suivront, à Montréal en 1987, à Dakar en 1989. La francophonie s’y affirme comme un nouvel espace de solidarité, dans lequel le Canada joue un rôle grandissant : en 1987, le Premier ministre canadien profite du sommet pour annoncer l’effacement de la dette des pays africains. François Mitterrand lui répondra, deux ans plus tard, en exprimant solennellement son voeu d’effacer la créance française d’aide publique au développement en Afrique. Cependant, la francophonie ne se limite pas à des symboles et à des déclarations spectaculaires. De nouvelles institutions sont constituées, tels le Comité international de préparation des sommets, ou le Comité international de suivi, ainsi qu’un certain nombre de commissions, le tout reposant sur le travail de base des nombreuses associations. Des écueils guettent pourtant la francophonie : l’accusation de néocolonialisme subsiste au sein de certaines élites africaines ; le risque de banalisation qui en ferait un organisme d’aide au tiers-monde est évoqué ; la recomposition de l’Europe de l’Est fait concurrence aux États du Sud ; les grands-messes des sommets apparaissent comme des gaspillages financiers. Cependant, des réussites, dont la reconnaissance récente des littératures francophones, couronnent ce long processus. En remettant des prix littéraires à des écrivains tels que Antoine Maillet (Canada), Tahar Ben Jelloun (Maroc), Patrick Chamoiseau (Antilles) ou Amin Maalouf (Liban), qui ont su reconstituer un espace littéraire plus grand et plus riche, la France rompt avec une longue tradition jacobine de centralité, de supériorité, de fixité et d’unicité de la langue française. franco-russe (alliance), rapprochement financier et politique entre la France et la Russie, qui rompent ainsi, à partir de 1891, leur isolement dans une Europe dominée par l’Allemagne. Cette alliance demeure en vigueur jusqu’en 1917. Tout semble séparer la Russie tsariste et la France républicaine : le régime autocratique du tsar et la démocratie parlementaire paraissent inconciliables ; Alexandre III, couronné en 1881, est germanophile et antirépublicain, et de Giers, chef de sa diplomatie, voit dans la France une « nation peu sûre, avide de revanche ». Mais la Russie a besoin de capitaux pour se moderniser. Et quand le chancelier allemand Bismarck quitte le pouvoir, en 1890, Berlin favorise Vienne contre Saint-Pétersbourg. Or, la France cherche des
alliés, et a des capitaux à placer. Sans frontière commune, les deux pays ont peu de raisons de rentrer en conflit. Sadi Carnot, le président de la République, ainsi que Freycinet, ministre de la Guerre de 1888 à 1893 et président du Conseil de 1890 à 1892, s’emploient à ce rapprochement. Des armes sont vendues ; un premier emprunt est placé. En juillet 1891, l’escadre de l’Atlantique est accueillie à Cronstadt, et le tsar y écoute la Marseillaise, pourtant réputée subversive. Le 27 août, un accord est conclu, précisant que « la France et la Russie se concerteront sur toutes les questions de nature à mettre la paix générale en cause ». Aucune convention militaire n’étant signée, ce n’est donc pas encore l’alliance de revers que recherche pourtant la France pour rompre son isolement face à la Triplice (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie). Toutefois, en octobre 1893, trois navires de guerre russes sont à Toulon, puis les marins visitent Paris. Berlin s’en irrite, pendant que les Français fêtent leurs invités, croyant l’alliance signée. Celle-ci l’est effectivement le 4 janvier 1894, mais le tsar veut qu’elle reste secrète, tout en soulignant l’entente qui règne désormais entre la Russie et la France : en 1896, il se rend à Paris en visite officielle - la première qu’effectue un monarque sur le sol français depuis 1870, excepté le chah de Perse. La « russomania » est alors à son comble, et le tsar est impressionné par la chaleur de l’accueil qu’on lui réserve. Pour le Journal de Genève, cette visite est « l’événement le plus important advenu depuis 1870 » : la France a enfin un allié puissant face à l’Allemagne. L’alliance ne devient officielle qu’en 1897, quand le président Félix Faure se rend à Saint-Pétersbourg, mais les termes exacts n’en seront connus qu’en 1917, quand les bolcheviks la dénonceront. Cette alliance n’est pas sans nuages : les ambitions balkaniques russes inquiètent Paris ; Saint-Pétersbourg se plaint de prêts subordonnés à des commandes de matériel français, et de la volonté de contrôle sur les entreprises financées. Néanmoins l’alliance perdure (il en reste aujourd’hui de nombreuses traces symboliques, du pont Alexandre III, à Paris, aux entremets Francorusses). Pour la resserrer, alors que les tensions avec l’Allemagne s’aggravent, Raymond Poincaré se rend par deux fois à Saint-Pétersbourg, en tant que président du Conseil en 1912, puis, une fois devenu président de la République, en juillet 1914. Combinée à l’alliance russo-serbe (mais aussi à l’antagonisme serbo-
autrichien et à l’entente austro-allemande...), l’alliance franco-russe est l’un des rouages fondamentaux de l’engrenage qui devait entraîner le déclenchement de la Première Guerre mondiale. franco-soviétique (pacte), pacte d’assistance mutuelle, signé le 2 mai 1935 à Paris, qui prolonge la politique d’alliances de revers à l’Est, redevenue nécessaire avec la montée du nazisme en Allemagne. L’idée de négocier une alliance avec l’URSS est proposée par Louis Barthou, ministre des Affaires étrangères du gouvernement Doumergue en février 1934, qui reçoit le soutien d’hommes du centre droit, tels André Tardieu, Paul Reynaud ou Pierre-Étienne Flandin, et de militaires, tels les généraux Gamelin ou Weygand. En revanche, une partie de la droite, et notamment l’Action française, y est hostile, estimant que ce rapprochement augmenterait le prestige de Moscou et encouragerait la « subversion ». Après la mort de Barthou en octobre 1934, Pierre Laval, nouveau ministre des Affaires étrangères, poursuit les négociations avec son homologue soviétique Litvinov, mais sans enthousiasme : une entente avec Rome, voire avec Berlin, lui semble préférable. De fait, le pacte est, selon l’historien Jean-Baptiste Duroselle, un « chefd’oeuvre du galimatias, [où] n’importe quel spécialiste de droit international peut trouver, quelle que soit la situation, vingt échappatoires ». En outre, Laval fait traîner sa ratification, et aucune convention militaire n’est prévue. Les effets concrets du pacte se résument à une déclaration de Staline approuvant le réarmement français, ce qui entraîne aussitôt l’abandon de l’antimilitarisme par les communistes français. De son côté, Hitler, qui prétend que le pacte annule le traité de Locarno de 1925, attend sa ratification par le Parlement français (mars 1936) pour remilitariser la Rhénanie. Pour le reste, ce pacte reste lettre morte. La France accepte que l’URSS soit tenue à l’écart de la conférence de Munich de septembre 1938. Le pacte germano-soviétique du 23 août 1939 sonne le glas du pacte franco-soviétique, qui, bien que dicté par des réalités géostratégiques, avait suscité nombre de méfiances idéologiques, dans une France déchirée entre antifascisme et anticommunisme. Francs. Parmi les peuples barbares germaniques qui ont précipité la déliquescence puis la chute de l’Empire romain d’Occident, les Francs, conglomérat de petits peuples installés sur la rive droite du Rhin, sont peut-être
ceux dont la mention dans les sources écrites est la plus tardive. Pourtant, grâce au talent militaire de leurs guerriers autant qu’à la capacité d’adaptation de leurs élites, et notamment des rois de la dynastie mérovingienne, ils ont su fonder l’État barbare le plus puissant et le plus durable d’Occident. • Les origines. « Nous avons tué des milliers de Francs et des milliers de Sarmates ; nous avons poursuivi des milliers de Perses ». downloadModeText.vue.download 378 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 367 C’est par cette chanson de marche de l’armée romaine - rapportée dans l’Histoire d’Auguste du IVe siècle, mais qui semble relater des faits survenus aux environs de 240-260 - que le nom « Francs » fait son entrée dans l’histoire. De façon plus factuelle, et par le biais de sources plus proches des événements, on trouve des Francs mêlés à des agressions conduites contre l’Empire romain dans les années 260-280, tant par terre que par mer. Ces éléments indiquent qu’il ne s’agit pas d’un de ces peuples germaniques de vieille souche évoqués par Tacite dans sa Germania. Un peu à l’image des Saxons, signalés pour la première fois au cours du IIe siècle, ou des Alamans, apparus au seuil du siècle suivant, ils seraient plutôt le produit d’un de ces regroupements de peuples que les historiens appellent « confédérations » ou « ligues », sous un nom générique à forte connotation guerrière : « Franc » signifiait en vieux germanique « hardi, courageux ». Issus non pas de Pannonie - comme l’affirme Grégoire de Tours à la fin du VIe siècle ou de l’ancienne Troie - comme en répandra l’idée à partir du VIIe siècle un très flatteur récit des origines -, les Francs du IIIe siècle firent leur apparition sur la rive droite du moyen et du bas Rhin, le long de la frontière romaine, là précisément où Tacite et les auteurs des premiers siècles situaient les Chamaves, les Bructères, les Sicambres, les Chatti, les Chattuarii, les Amsivarii et quelques autres. Il semble que la participation à la ligue franque n’ait pas, dans un premier temps, fait disparaître la spécificité de chacune de ces composantes. « Hamavi qui et Franci » (« les Chamaves qui sont aussi des Francs »), disent ainsi des sources des IIIe et IVe siècles ; et, à la fin du VIIe siècle, il
serait encore question de Bructères sur la rive droite du Rhin, entre Ruhr et Lippe. Chaque peuple conserva sans doute quelque temps sa propre royauté. Mais il est clair qu’au cours des IVe et Ve siècles, à la faveur de la progression franque dans l’Empire romain, s’organisèrent à l’intérieur de la confédération de nouveaux réseaux, autour de dynasties ambitieuses qui nouèrent un tissu de relations matrimoniales avec les autres royautés, peu à peu réduites à l’état de chefferies tribales. Ce fut en particulier le cas des Saliens, dont on doit peut-être associer le nom au Salland néerlandais, entre IJssel et Vecht, et qui sont cités pour la première fois au temps de l’empereur Julien ; ce fut également celui des Francs Rhénans, plus précisément ceux de la région de Cologne, longtemps appelés à tort ripuaires par extrapolation d’une dénomination qui n’est attestée qu’au cours du VIIe siècle pour désigner les Francs « riverains » du Rhin. • L’expansion. La plupart des historiens considèrent la ligue franque des origines comme une ligue à caractère principalement défensif, organisée moins contre Rome que contre des peuples barbares autrement plus puissants qui se pressaient au coeur de la Germanie. Néanmoins, ce sont les multiples agressions contre l’Empire qui ont retenu l’attention des premiers commentateurs romains. En effet, les sources rapportent comment, à la fin du IIIe siècle, des flottes franques parties du delta du Rhin et des actuels Pays-Bas ravagèrent les côtes de la Gaule, remontèrent certaines de ses rivières, et même, poursuivant vers le sud, semèrent le trouble jusqu’en Méditerranée, attaquant les rivages de la Catalogne et de l’Afrique. Mais c’est surtout sur les côtes de la mer du Nord et de la Manche que s’est acharnée la piraterie franque, anticipant - puis participant à - des mouvements de navires que la tradition a plus volontiers considérés comme saxons. Il paraît aujourd’hui acquis que les Francs, tout comme leurs voisins frisons, furent nombreux à prendre part aux migrations vers le sud-est de la Grande-Bretagne, que l’on qualifie généralement d’« anglosaxonnes ». C’est pourtant sur le continent que l’expansion franque fut la plus décisive, prenant, dans les années 260-280, un tour nettement menaçant. Francs et Alamans conduisirent alors des raids à l’intérieur de la Gaule, qui contribuent peut-être à expliquer le nombre important de trésors monétaires enfouis à cette époque. En revanche, à partir du IVe siècle, de nombreux Francs passèrent au
service de Rome : soit que, prisonniers de guerre, ils aient été installés en tant que lètes (laeti) à l’intérieur de l’Empire pour remettre en culture des terres à l’abandon (ainsi ceux que Constance Ier Chlore fixa dans les régions d’Amiens ou de Bavay) ; soit qu’ils aient été intégrés aux troupes auxiliaires de l’Empire. Fait étonnant, récompense peut-être de leur aptitude à la guerre, plusieurs de leurs chefs gravirent les échelons du commandement militaire romain, au point qu’à la fin du IVe siècle certains, tels Mérobaude (377), Richomer (384), Bauto (385) ou Arbogast (392), furent promus consuls ou maîtres de la milice. Ils devinrent même parfois de proches conseillers des empereurs, voire, comme le dernier cité, des « faiseurs d’empereurs ». Tandis que ces quelques brillantes individualités, ralliées aux valeurs de la romanité, recevaient les honneurs de l’historiographie officielle, les sources écrites restent quasiment muettes sur la façon dont la masse du peuple franc s’est peu à peu infiltrée à l’intérieur de l’Empire, pénétrant dans la Gaule septentrionale, au nord de la route stratégique CologneBavay-Boulogne sur laquelle Rome avait des difficultés à maintenir son contrôle depuis la fin du IIIe siècle. Il semble que certains groupes agirent avec l’aval du pouvoir romain (on conserve la trace d’un traité conclu en ce sens avec le chef Gennobaude en 287-288). Mais il est vraisemblable que la plupart des Francs s’y risquèrent sans autorisation, à l’image de ces Saliens qui s’installèrent en Toxandrie (Brabant septentrional) et que Julien voulut chasser en 358. Dans ce cas comme dans d’autres, l’Empire finit par se résoudre à conclure avec les chefs francs des traités de fédération, qui concédaient de la terre ou des revenus aux nouveaux arrivés pourvu qu’ils acceptent désormais de combattre pour Rome. Plus que les sources écrites, ce sont - en dépit de toutes les controverses qu’elles nourrissent - l’archéologie et la linguistique qui permettent le mieux d’apprécier l’importance spatiale et culturelle de l’infiltration franque en Gaule du Nord dans les deux derniers siècles de l’Empire. En effet, entre le milieu du IVe et la fin du Ve siècle se multiplient, depuis la basse vallée du Rhin jusqu’à la Picardie septentrionale, les tombes réputées « germaniques ». Parfois alignées dans des cimetières à rangées d’inhumations (Reihengräberfelder), elles se caractérisent par la présence de boucles de ceinture et d’armes dans les sépultures masculines (notamment javelots ou angons, épées longues, haches de jet), et
par des éléments de parure dans les sépultures féminines (colliers de perles et, surtout, fibules, « en trompette » ou « en arbalète », souvent portées par paires). Contrairement à une idée admise, ces rites funéraires n’ont pas été importés de Germanie transrhénane, où a longtemps prévalu, singulièrement au nord, la pratique de l’incinération, et où les cimetières à rangées ne sont apparus que plus tard, par diffusion du modèle né en Gaule. Ils expriment plutôt l’adaptation de nouveaux venus barbares à la tradition romaine de l’inhumation dans des nécropoles organisées à l’extérieur des lieux de garnison ou d’habitation. Mais ces Barbares étaient-ils bien des Francs ? C’est ce que suggèrent certaines données linguistiques. En effet, dès les premiers siècles médiévaux, se dessine une nouvelle frontière linguistique, depuis le Boulonnais jusqu’au Rhin moyen en passant, approximativement, par Lille et Aix-la-Chapelle. Au nord de cette limite, la toponymie garde trace d’une profusion de noms de lieux d’origine germanique, par exemple les noms en -hem ou en -inghem, encore très nombreux dans le nord de la France ; en outre, dans une zone certes réduite au nord de la Belgique et aux Pays-Bas, on parle aujourd’hui le néerlandais, directement issu de l’ancien francique. Ces éléments confirmeraient la présence désormais majoritaire d’une population germanique à forte dominante franque. • Les Francs à l’avènement de Clovis. Dans la seconde moitié du Ve siècle, les Francs installés dans le nord de la Gaule obéissaient donc à des royautés dont la plupart avaient mis leurs troupes au service de Rome. Ils vivaient selon leurs propres coutumes, transmises oralement, avant que, première de toutes, la loi des Saliens, ou Pactis legis salicae, fût mise par écrit au début du VIe siècle. Le roi, élu par acclamation des guerriers et choisi de préférence dans la lignée du roi mort, était avant tout chef de guerre, mais il était aussi le garant du respect des coutumes et le gardien de la religion héritée des ancêtres. Il se singularisait par une longue chevelure, signe de sa force et symbole de son Mund, c’est-à-dire d’une autorité charismatique volontiers considérée comme héréditaire - Grégoire de Tours parle encore au VIe siècle des reges criniti, ou rois chevelus. Les deux royautés qui, à la fin du Ve siècle, dominaient toutes les autres les Saliens, basés dans la moyenne vallée de l’Escaut, et les Rhénans, établis autour de Cologne -, avaient chacune bâti leur autorité et leur prestige aussi bien sur des coups de main contre Rome que sur des hauts faits accomplis
au service de Rome. Ainsi, dans la première moitié du Ve siècle, les Rhénans dévastèrentils à quatre reprises Trèves, récente capitale impériale, et sa région. Quant au Salien Childéric, père de Clovis et premier « Mérovingien » à sortir de la pénombre de l’histoire, il combattit dans les années 460-470 aux côtés des Romains jusque sur les bords de la Loire downloadModeText.vue.download 379 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 368 ou du haut Rhin, contre les Wisigoths, les Alamans et les Saxons. Or, ce roi mourut vers 481-482, cinq ans au moins après la déposition du dernier empereur romain d’Occident. Sa tombe, découverte à Tournai en 1653, et son environnement immédiat, fouillé dans les années 1980, montrent bien l’ambivalence de la royauté franque à la fin du Ve siècle. Car Childéric était assurément un roi barbare ; non seulement il fut enterré avec un armement et des bijoux typiques d’une Germanie profonde influencée par l’art des peuples des steppes, mais de nombreux jeunes étalons furent sacrifiés à l’occasion de ses funérailles. Pourtant, il était aussi un général romain : on a retrouvé sur sa poitrine la fibule cruciforme en or, insigne des officiers supérieurs d’un Empire devenu chrétien, et à son doigt un sceau où on le voit revêtu de l’uniforme d’apparat des généraux romains. C’est cette ambivalence que Childéric transmit à son fils Clovis. Fort de la puissance de son armée, mais aussi soucieux de collaborer avec les évêques, derniers représentants de la romanité en Occident, Clovis allait réussir, d’une part à forger autour de lui l’unité de tous les Francs, d’autre part à amorcer le processus d’unification de la Gaule - barbare aussi bien que romaine - sous son autorité et celle de ses héritiers. C’est à ceuxci qu’il appartiendra, après avoir parachevé sa conquête, de transformer la Gallia en Francia. Frédégonde, reine mérovingienne de Neustrie de 570 environ à 597 (vers 545 - 597). « Servante et maîtresse » du roi de Neustrie Chilpéric Ier, petit-fils de Clovis, Frédégonde est connue pour la longue lutte qu’elle a menée contre sa rivale Brunehaut, reine d’Austrasie. Chilpéric, jaloux du prestige de son frère Sigebert, qui a pris pour femme la princesse wisigothique Brunehaut, se marie peu après
avec Galeswinthe, soeur de celle-ci, alors même qu’il est nanti d’une épouse légitime, Audovère, et d’une maîtresse encombrante, Frédégonde. Cette dernière fait assassiner ses deux rivales et se retrouve peu après promue au rang d’épouse et de reine. C’est l’étincelle qui allume une guerre de quarante ans entre la Neustrie et l’Austrasie. En effet, Sigebert doit assumer la vengeance de sa belle-soeur et ouvre les hostilités, mais Frédégonde le fait assassiner en 575. La lutte se poursuit entre Chilpéric et Brunehaut. Frédégonde triomphe dans un premier temps en faisant exiler sa rivale et tuer les fils légitimes de Chilpéric et d’Audovère, coupables de soutenir Brunehaut. Mais, en 584, Chilpéric meurt, lui aussi assassiné, laissant Frédégonde seule avec un nourrisson, Clotaire II. Réfugiée auprès de Gontran, roi de Bourgogne, elle reprend le dessus à partir de 595, et fait triompher Clotaire II, avant de mourir en 597. L’histoire de Frédégonde et Brunehaut est narrée en détail par Grégoire de Tours, leur contemporain. Si Brunehaut a fini par trouver grâce aux yeux des historiens, Frédégonde reste un monstre pour la postérité. Frenay (Henri), homme politique (Lyon 1905 - Porto-Vecchio, Corse-du-Sud, 1988). Jeune officier saint-cyrien, Frenay refuse l’armistice et, dès l’été 1940, met en place un mouvement de résistance. Épaulé par ses fidèles (Bertie Albrecht, Claude Bourdet), il projette de créer une organisation à la fois militaire - il jouera un rôle important dans la fondation de l’Armée secrète en 1942 - et politique - via la diffusion de périodiques clandestins tels que Vérités. À la fin de 1941, son groupe fusionne avec les démocrateschrétiens de Liberté (François de Menthon, Pierre-Henri Teitgen), pour former Combat, qui s’affirme comme le principal mouvement de résistance, et qui s’unira à Libération-Sud de d’Astier de la Vigerie en janvier 1943. Tout comme les idées politiques de Combat, celles de Frenay ont évolué. En 19401941, il agit par patriotisme et par antinazisme, mais n’est pas insensible à l’idéologie de la « révolution nationale ». La rupture définitive avec Vichy advient au début de 1942, et Frenay s’oriente alors vers la définition d’un socialisme humaniste. Il s’oppose à la conception gaullienne de l’unification de la Résistance, et entre en conflit avec Jean Moulin. Il intègre néanmoins le Comité français de libération nationale en novembre 1943, puis, à la Libération, devient, dans le Gouver-
nement provisoire de la République française (GPRF), ministre des Prisonniers, déportés et réfugiés. En juin 1945, il participe à la fondation de l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR), avant de se retirer de la vie politique, déçu par l’écroulement des ambitions de la Résistance. Frenay sera au centre d’une importante polémique lors de la publication, en 1977, de son Énigme Jean Moulin, qui dépeint l’unificateur de la Résistance en « crypto-communiste ». Une thèse formellement combattue par Daniel Cordier, ancien secrétaire de Moulin. Frères des Écoles chrétiennes, congrégation religieuse vouée à l’éducation des jeunes garçons pauvres des villes. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, l’intérêt des milieux dévots pour l’instruction et l’éducation religieuse du peuple des villes se traduit par plusieurs initiatives, telles celles de Charles Démia à Lyon, ou de Jean-Baptiste de La Salle à Reims. En 1681, ce dernier rassemble autour de lui une communauté de laïcs s’engageant à dispenser gratuitement un enseignement élémentaire aux plus déshé rités. Le succès de la formule entraîne la multiplication des Écoles chrétiennes, et attire de nombreuses vocations : en 1688, les frères sont appelés à la direction d’une école de charité, à Paris, qui devient le centre de la communauté. Au XVIIIe siècle, les maîtres d’école lassalliens seront plus de 2 800 à avoir été formés dans les séminaires de la congrégation, dont le principal se trouve à Saint-Yon, près de Rouen. Les méthodes appliquées dans les écoles s’inspirent des recommandations de leur fondateur, exprimées dans les Règles de la bienséance et de la civilité chrétienne (1703) et la Conduite des écoles chrétiennes (1720). Dans un but avant tout pratique, les maîtres apprennent à lire à leurs élèves en utilisant des textes français, et non latins, et leur enseignent les rudiments de l’écriture et du calcul. Ils inculquent en même temps aux enfants les principes de la civilité : discipline du corps, maîtrise des émotions, politesse doivent traduire une morale chrétienne transmise par un catéchisme quotidien. La surveillance est stricte, dans le cadre d’un emploi du temps minutieusement organisé. En 1724, leur institut est reconnu par le roi, et, en 1725, il est approuvé par le pape. À
partir des premières écoles rémoises, les établissements se multiplient, à la demande des évêques, des villes et des curés. Les maîtres lassalliens, issus en majorité de milieux populaires, sont présents tout d’abord dans le nord et l’est du royaume, mais, au cours du XVIIIe siècle, ils ouvrent de nombreuses écoles dans la vallée du Rhône, en Provence et en Languedoc, souvent par la volonté du roi, dans le cadre d’une reconquête des populations protestantes de ces régions. En 1790, ils instruisent, dans 108 villes, près de 35 000 jeunes garçons, des enfants pauvres ou, du moins, de condition modeste. L’efficacité de leur enseignement est l’un des éléments d’explication du recul de l’analphabétisme masculin observé dans les villes du Bassin parisien, du nord et de l’est de la France, dans les dernières années de l’Ancien Régime. Supprimée en 1791, la congrégation est rétablie à la suite du concordat de 1801. frères prêcheurs ! dominicains Fresnel (Augustin Jean), physicien (Chambrais, aujourd’hui Broglie, Normandie, 1788 - Ville-d’Avray 1827). Fils d’architecte, Augustin Fresnel devient ingénieur des Ponts et Chaussées à la sortie de l’École polytechnique. À partir de 1815, s’ennuyant en province comme ingénieur d’État, il multiplie les travaux scientifiques. Il s’intéresse bien vite à un débat qui remonte au XVIIe siècle et qui oppose les partisans de la théorie corpusculaire de la lumière, disciples d’Isaac Newton (la lumière est composée de corps qui se déplacent en ligne droite et frappent les objets), et ceux d’une théorie ondulatoire (la lumière est un éther en mouvement), héritiers de Christiaan Huygens. Grâce aux progrès de l’analyse mathématique, l’outil alors le plus moderne, le « pape » de la science française, Pierre Simon de Laplace (1749-1827), a renforcé l’hypothèse de Newton. Fresnel entre dans le débat armé des mêmes outils mathématiques et d’une passion pour l’instrumentation (il invente des lentilles utilisées ensuite dans les systèmes d’éclairage), qui, réunis, lui permettent en peu d’années de renverser les conclusions de Laplace, à partir de mesures répétées, très fines, de la réfraction de la lumière sur diverses surfaces. Très disputée, l’oeuvre de Fresnel est interrompue par sa mort précoce, à 39 ans. Elle est néanmoins soutenue dans les cercles académiques, notamment par François Arago (1786-1853), puis confirmée par les calculs de Hippolyte Fizeau et Léon Foucault sur la vitesse de la lumière (1848-1851). Elle féconde bien des
voies de la physique contemporaine. downloadModeText.vue.download 380 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 369 Freycinet (Charles de Saulces de), homme politique (Foix, Ariège, 1828 - Paris 1923). Polytechnicien, chef d’exploitation des Chemins de fer du Midi en 1856, puis spécialiste international des problèmes d’assainissement, il vient tard à la politique. En 1870, pendant la guerre franco-allemande, il se met au service du gouvernement de la Défense nationale, devient préfet du Tarn-et-Garonne, rejoint Gambetta à Tours, est nommé délégué à la Guerre. Sénateur de la Seine de 1876 à 1920, républicain modéré lié à certains radicaux, ministre des Travaux publics de 1877 à 1879 dans les cabinets Dufaure et Waddington, il lance le plan de grands travaux, dit « plan Freycinet », qui doit permettre (selon ses propres mots prononcés au Sénat en mars 1878) « d’activer le mouvement des travaux publics en France, afin d’y retenir les capitaux qui, sans cela, vont partout, en Italie, en Espagne, au Pérou [...], tout en perfectionnant l’outillage commercial et industriel de la nation ». Huit milliards seront investis pour moderniser le pays, désenclaver les campagnes, soutenir l’économie malgré la crise mondiale. Freycinet est quatre fois président du Conseil (1879-1880, 1882, 1886, 18901892), et cumule cette fonction avec celle de ministre des Affaires étrangères en 1880 et 1882, et avec celle de ministre de la Guerre en 1890-1892. Jules Ferry, dont il soutient l’action, est à plusieurs reprises son ministre de l’Instruction publique. En 1886, le gouvernement Freycinet est le premier où des radicaux siègent avec les modérés et - autre innovation - comprend un ministère du Commerce et de l’Industrie. Après avoir pris Boulanger comme ministre de la Guerre (pour plaire aux radicaux) dans son troisième ministère (1886), il combat sans faiblesse le boulangisme. Il est le premier civil à être ministre de la Guerre (de 1888 à 1893) et promeut alors des réformes importantes : adoption du fusil Lebel et du canon de 75, durée du service militaire portée à trois ans. Il est aussi un des artisans de l’alliance franco-russe. Accusé d’avoir étouffé le scandale de Panamá, il doit quitter le gouvernement en 1893. Il redevient néanmoins ministre de la Guerre en 1898, au moment de l’affaire Dreyfus, se préoccupant
surtout de faire respecter l’armée, attitude qui fait de lui un antidreyfusard. Au terme d’une longue carrière, qui fut marquante dans la période d’installation et d’enracinement de la IIIe République, il sort de sa semi-retraite de président de la commission sénatoriale de l’Armée, pour être, d’octobre 1915 à décembre 1916, ministre d’État du gouvernement d’Aristide Briand, au titre de l’« union sacrée ». Friedland (bataille de), bataille du 14 juin 1807, remportée par l’armée française contre les Russes, qui met fin à la campagne de 1807 et aboutit à la paix de Tilsit. Après la sanglante bataille d’Eylau (8 février 1807), les opérations des armées françaises contre les coalisés se concentrent autour de Dantzig, qui tombe le 26 mai. La reprise des combats est décidée le 5 juin par le commandant russe Bennigsen. Napoléon le repousse jusqu’en Prusse-Orientale, près de la ville de Friedland. L’avant-garde française, commandée par Lannes, engage le combat pour acculer les Russes à la rivière Alle, sur laquelle trois ponts seulement permettent la retraite. Après avoir rapidement étudié le terrain, Napoléon décide de tenter une manoeuvre pivotante pour prendre les Russes au piège. La bataille commence à 5 heures de l’aprèsmidi avec l’avancée rapide de l’aile droite, commandée par Ney, qui parvient, après des combats acharnés, à s’emparer de la ville de Friedland, coupant ainsi la retraite de l’armée russe. Vers 7 heures du soir, l’aile gauche et le centre, commandés respectivement par Mortier et par Lannes s’avancent. Les Russes sont pris en tenaille et subissent de lourdes pertes, car les fuyards se noient dans l’Alle. Vers 10 heures du soir, la victoire est éclatante : 25 000 Russes ont été tués ou blessés, les pertes françaises se limitant à 8 000 hommes. La bataille de Friedland est considérée comme le « modèle de la bataille offensive ». Son importance psychologique est sans doute égale à celle d’Austerlitz, car elle oblige le tsar Alexandre Ier à rencontrer Napoléon et à conclure la paix de Tilsit. Froissart (Jean), écrivain et chroniqueur (Valenciennes, peut-être né en 1337 - id., entre 1404 et 1410). Il est l’auteur d’un roman arthurien tardif, Meliador (entre 1365 et 1388), et de poèmes courtois ou allégoriques, mais c’est surtout en tant que chroniqueur qu’il passe à la posté-
rité. De 1361 à 1368, il est le protégé de Philippa de Hainaut, épouse du roi d’Angleterre Édouard III, qui lui permet de se renseigner sur le conflit franco-anglais. Il regagne ensuite le Hainaut, où Robert de Namur l’invite à terminer son premier livre des Chroniques. Puis Guy de Châtillon lui procure une sécurité matérielle définitive, et donne un essor décisif à son oeuvre historique : rédaction de la deuxième version du premier livre - qui relate le début de la guerre de Cent Ans et s’inspire d’un ouvrage du chanoine Jean le Bel (1383) -, du deuxième livre - consacré aux guerres de Flandre (avant 1388) - et, à l’occasion d’un voyage chez Gaston Phébus (1388), du troisième livre, où les confidences autobiographiques voisinent avec le récit d’un conflit en Espagne (1389). Retiré à Valenciennes à la fin de sa vie, Froissart écrit encore un quatrième livre, concernant les règnes de Charles VI et de Richard II, et remodèle totalement son premier livre. La diversité des informations recueillies par Froissart et des positions politiques de ses mécènes (les premiers sont pro-anglais, Guy de Châtillon est pro-français) le pousse à accumuler les faits de manière un peu désordonnée. Mais elle le préserve du fanatisme. Au fond, il n’a qu’un seul parti : la chevalerie, dont les valeurs et les rituels le fascinent. Dans cette mesure, ses Chroniques constituent un très intéressant témoignage sur l’idéologie chevaleresque du XIVe siècle. Froment (François Marie), activiste contre-révolutionnaire (Nîmes 1756 - Paris 1825). Appartenant à la bourgeoisie catholique nîmoise, il est dépossédé de sa charge de procureur, en même temps que sa famille perd prestige et pouvoir, quand la révolution de 1789 permet aux partisans des réformes, appuyés par les bourgeois protestants, de peupler les différentes administrations locales. En réaction, Froment crée, dès octobre 1789, des compagnies de gardes nationaux catholiques, surnommés « cébets » (mangeurs d’oignons), et propose, en janvier 1790, en liaison avec le comte d’Artois à Turin, un plan d’insurrection dans le Midi. En avril 1790, il est le promoteur d’une pétition - la Déclaration des citoyens catholiques de Nîmes - qui réclame la reconnaissance de la religion catholique comme religion d’État et le maintien du pouvoir exécutif entre les mains du roi. Après la mi-juin 1790, lorsqu’il provoque les deux jours de guerre civile qui déchirent Nîmes et font près de 400 morts, dont 300 catholiques,
il établit, dans la clandestinité, des réseaux contre-révolutionnaires dans tout le Sud-Est, pour lesquels il reçoit 100 000 livres, et noue des liens avec les réseaux normand et breton. Chargé de nombreuses missions par le comte d’Artois dans toute l’Europe, il se retrouve, en 1814, dans l’entourage royal, où il défend l’ultraroyalisme, au prix de la répression des républicains et des bonapartistes, et du quadrillage de la France par des réseaux royalistes. Son activisme ne lui valut aucun titre, et il demeure confiné au quasi-anonymat de ceux dont le combat perdit sens après 1830. l FRONDE. Crise intérieure qui secoua la France de 1648 à 1653 - années d’affrontements politiques et de guerre civile -, la Fronde a été désignée, paradoxalement, par le nom d’un jeu d’enfants, auquel fut associée l’attitude du parlement, qui « faisait comme les écoliers qui frondent dans les fossés de Paris, qui se séparent dès qu’ils voient le lieutenant civil et qui se rassemblent dès qu’il ne paraît plus ». Les troubles éclatèrent pendant la régence d’Anne d’Autriche, mère du jeune Louis XIV, né en 1638, et devenu roi en 1643. Les temps de régence ont souvent été, dans l’histoire de France, des périodes d’affaiblissement du pouvoir royal : un enfant semblait en effet incapable de trancher entre les rivalités, d’arbitrer entre les intérêts, de résister aux oppositions, aux révoltes ou aux complots. À la mort de Louis XIII, Anne d’Autriche, pour contourner les décisions de son défunt mari, qui avait voulu limiter son pouvoir au sein du conseil de régence, eut besoin du parlement de Paris : ce dernier lui confirma une pleine autorité pour gouverner la France. Cette assemblée « souveraine », cour de justice, cour des pairs aussi, occupait une place singulière par rapport aux autres parlements dans les provinces, en raison, d’abord, de l’étendue de son ressort. Les parlements avaient la tâche d’enregistrer les édits royaux, et éventuellement de proposer à leur sujet des « remontrances ». Le roi pouvait néanmoins passer outre, et même casser toute résistance, en tenant un lit de justice. Comme les parlementaires possédaient leurs offices de justice, charges vénales et héréditaires, ils disposaient d’une grande indépendance vis-à-vis du gouvernement. La perspective d’une régence avait fait espérer dans le royaume des changements, tant downloadModeText.vue.download 381 sur 975
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370 dans la façon de gouverner que dans les choix de politique étrangère. Mais Anne d’Autriche, quoique soeur du roi d’Espagne, poursuivit la politique de Louis XIII et de Richelieu, qui signifiait avant tout la guerre contre les Habsbourg d’Espagne et d’Autriche. C’est dans cet esprit qu’elle avait gardé auprès d’elle, pour gouverner le pays, un cardinal romain, Giulio Mazarini, dont le nom fut francisé en Jules Mazarin. Ce diplomate pontifical avait été remarqué par Richelieu, qui l’avait choisi comme successeur. Mazarin apparaissait alors irremplaçable, parce qu’il connaissait bien l’Europe, la diversité de ses cours, la complexité de sa carte politique. Il sut, malgré les tourments et les tourmentes, conserver la confiance et l’amitié de la reine Anne d’Autriche. Son style de gouvernement trancha sur celui de Richelieu : cet Italien subtil montra une étonnante souplesse - tout en révélant, si nécessaire, sa fermeté. Néanmoins, nombreux furent les mécontents qui souhaitaient mettre fin à la politique brutale et au climat de contrainte qui duraient depuis trop longtemps, et à l’obéissance qui était imposée à la cour et à la noblesse. La Fronde fut une conséquence indirecte des engagements internationaux de la France. Tout comme Richelieu, dont il était le disciple, Mazarin pensait que le royaume pouvait - et devait - financer la coûteuse politique de guerre. Pourtant, au moment où des résultats tangibles allaient être obtenus - la paix dans le Saint-Empire paraissait possible, et la France en était l’arbitre -, le royaume était à bout de souffle. Cette guerre interminable avait imposé un effort fiscal accru. Pour les impôts indirects, des financiers avançaient au roi les sommes dont il avait besoin. Ils recevaient l’autorisation de se rembourser en percevant les taxes, qui étaient ainsi affermées. Pour les avances, ils rassemblaient les fonds nécessaires dans la haute noblesse et la riche bourgeoisie. C’étaient donc les élites sociales qui prêtaient de l’argent au souverain, et qui se partageaient les bénéfices de telles opérations. Aux yeux des contribuables, en revanche, les agents des fermiers n’étaient pas au service du roi, et semblaient donc détourner l’argent à leur profit. Et les contrats passés étant désignés comme des « traités » ou des « partis », les financiers étaient appelés traitants ou partisans. Pour améliorer et accélérer la perception de l’impôt direct, ou taille, réparti entre les paroisses, le gouvernement eut recours à des commissaires, bientôt appelés « intendants » :
ils étaient révocables, et leur mission était temporaire. Ils concurrençaient les officiers de finance qui contrôlaient la répartition de l’impôt. Ils étaient détestés par les autorités locales, les gentilshommes et les officiers du roi, qui ne cherchaient nullement à les défendre, et les désignaient volontiers à la vindicte populaire. Des troubles éclatèrent un peu partout. Le surintendant Particelli d’Emery s’efforça de trouver de nouvelles ressources en taxant ceux qui étaient exemptés d’impôts. D’où une série de taxes (édit du toisé, 1644 ; taxe des aisés, août 1644 ; édit du tarif, octobre 1646) qui étaient destinées à frapper surtout les Parisiens, car la capitale était exemptée de la taille. Le parlement résista avec vigueur à ces innovations. LES ACTEURS DE LA FRONDE Le mécontentement fut exprimé à la fois par les parlementaires et par la noblesse. En effet, une véritable « guerre d’usure » s’engagea entre la régence et le parlement de Paris. Les parlements critiquaient de plus en plus les deux instruments de la monarchie qu’étaient les intendants et les Fermiers de l’impôt ; ils se présentaient comme les défenseurs des intérêts du peuple, et surtout de Paris, contre des mesures fiscales trop lourdes. Les parlementaires voulaient utiliser leur droit de remontrance pour infléchir la politique gouvernementale et veiller au respect des lois fondamentales du royaume, en s’opposant à toute innovation politique. Bien entendu, ils s’efforçaient par là même de défendre leurs propres intérêts. La noblesse se fit aussi l’interprète de la colère qui couvait dans les provinces. C’était une réaction habituelle, au nom du « devoir de révolte » (Arlette Jouanna), qui conduisait des gentilshommes à prendre les armes lorsqu’ils pensaient être lésés par le souverain. Les complots avaient déjà été nombreux au temps de Richelieu. Et des membres de la famille royale prirent la tête des oppositions. L’oncle du roi, Gaston d’Orléans, avait été un grand comploteur. La charge de « lieutenant général du roi mineur dans toutes les provinces du royaume » lui avait été conférée au début de la régence. Il s’engagea néanmoins aux côtés des ennemis du souverain. Sa fille, la duchesse de Montpensier, dite « la Grande Mademoiselle », suivit son exemple. Le prince de Condé avait, sous le nom de duc d’Enghien, remporté la bataille de Rocroi en 1643. Célébré comme un héros, il aurait souhaité prendre la tête des armées, mais aussi celle du Conseil royal. Sa soeur, la duchesse de Lon-
gueville, aimait l’aventure, et fut l’« âme de la Fronde ». Son frère, le prince de Conti, la suivait en aveugle. Quant au duc de Beaufort, embastillé de 1643 à 1648, il sut se rendre populaire auprès du peuple parisien, en particulier auprès des « dames de la halle ». Tous voulaient participer au gouvernement et écarter ce cardinal italien qui avait la confiance de la reine. Un ambitieux prélat prit également une part essentielle aux troubles : Jean-François Paul de Gondi. Il était, depuis 1644, coadjuteur (successeur désigné) de l’archevêque de Paris, son oncle. Il s’était fait connaître par ses sermons et pouvait entraîner derrière lui une bonne partie du clergé parisien. Il entendait lui aussi jouer un rôle politique, et au passage obtenir le chapeau de cardinal. Plus tard, il allait rédiger d’admirables Mémoires qui offrent une vision romancée de la Fronde. LA VIEILLE FRONDE Le 15 janvier 1648, le roi fut conduit au palais de justice pour tenir un lit de justice, et faire enregistrer une série d’édits fiscaux préparés par le surintendant Particelli. Mais, dès les jours suivants, le parlement annula la procédure. Mazarin essaya d’amadouer les parlementaires en renforçant leur position face aux autres cours souveraines (Chambre des comptes, Cour des aides, Grand Conseil). Ces cours réagirent néanmoins d’une seule voix, en rendant, le 13 mai 1648, un « arrêt d’union » : elles devaient envoyer des députés tenir une assemblée dans la Chambre SaintLouis du palais de justice. Ainsi commença la « révolte des juges » (A. Lloyd Moote). Un vieux conseiller au parlement, Pierre Broussel, se distingua par ses attaques contre les ministres. Dans ce cadre, un texte en 27 articles fut rédigé : les intendants devaient être révoqués (article premier), et aucune levée d’impôts ne devait dorénavant avoir lieu sans le consentement des cours souveraines - cette disposition mettait la couronne sous contrôle (article 3). L’article 6 établissait une règle de procédure garante des libertés individuelles, puisque aucun sujet ne pouvait être emprisonné pendant plus de vingt-quatre heures sans être interrogé. Les personnes détenues sans avoir été condamnées dans le cadre d’un procès devaient être libérées, et leurs biens devaient leur être rendus. Ainsi s’élaborait une forme d’habeas corpus avant la lettre (la fameuse loi anglaise date de 1679).
La régente céda. Au cours du mois de juillet 1648, plusieurs déclarations royales - en particulier celle enregistrée le 31 juillet 1648 en lit de justice - vinrent ratifier les articles de la Chambre Saint-Louis. Une véritable tutelle des cours souveraines sur le gouvernement royal était mise en place, modifiant la définition de la monarchie française au nom de la tradition, au nom d’une fidélité aux lois fondamentales du royaume. En réalité, Mazarin attendait le temps d’une revanche. Les armées françaises connaissaient alors des succès sur tous les fronts. Lorsqu’on apprit la victoire de Condé à Lens (20 août 1648) contre l’armée espagnole, Mazarin décida de frapper l’opposition des parlementaires en faisant arrêter ses meneurs, le vieux Broussel en tête, le 26 août 1648. L’émeute éclata alors dans Paris. Les bourgeois s’armèrent. Des affrontements eurent lieu avec les gardes du roi. Le coadjuteur Gondi n’apaisa pas les esprits, bien au contraire. Le 27 août, la capitale se couvrit de barricades. Des parlementaires se rendirent au Palais-Royal, et furent accusés de sédition par Anne d’Autriche. Ils cédèrent, mais, à leur retour au parlement, ils furent molestés ou menacés de mort. Le 28 août, Broussel fut libéré ; le parlement demanda la démolition des barricades, mais les troubles continuèrent. Le calme ne revint que peu à peu, dans les jours suivants. Le 13 septembre, la reine s’installa avec la cour au château de Rueil, près de Paris. Elle était contrainte à la discussion, et, en octobre, une déclaration royale entérina tous les articles de la Chambre Saint-Louis. Une véritable monarchie limitée était instituée, en théorie. Le roi rentrait dans Paris. Paradoxalement, au même moment furent signés les traités de Westphalie qui mettaient fin à la guerre dans le Saint Empire (24 octobre 1648). La France allait obtenir une présence en Alsace et le droit de veiller aux « libertés germaniques ». C’était donc un succès pour la politique menée depuis le temps de Richelieu. Ces accords historiques passèrent pourtant inaperçus en France. Pire, il fut reproché à Mazarin de vouloir à tout prix poursuivre la guerre pour se maintenir au pouvoir, et d’avoir contribué à empêcher la signature de la paix avec Madrid. Mazarin était la cible de downloadModeText.vue.download 382 sur 975
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371 toutes les critiques. Il avait voulu jouer de toutes les forces antagonistes, et en particulier effrayer les traitants en montrant l’hostilité des parlementaires au système fiscal et financier. Ce qui était primordial à ses yeux, c’était de trouver des moyens pour financer et achever la guerre contre l’Espagne. La personnalité même du cardinal était mise en cause : c’était un étranger, et donc un bouc émissaire commode face à la somme de mécontentements accumulée au cours des années. Néanmoins, Mazarin disposait alors d’un soutien de poids en la personne du prince de Condé. LA PREMIÈRE GUERRE DE LA FRONDE Après avoir cédé en août à la colère populaire, la régente et Mazarin firent venir des mercenaires de l’armée de Condé dans les environs de Paris. Puis la cour, après avoir feint de fêter les Rois, quitta la capitale dans la nuit du 5 au 6 janvier 1649, pour s’installer à Saint-Germain-en-Laye. Condé organisa alors le blocus de Paris avec 8 000 à 10 000 hommes. Conti, qui avait quitté la cour, fut déclaré généralissime des troupes de la Fronde, tandis que d’autres gentilshommes offraient leurs services : des princes et des seigneurs s’engageaient donc aux côtés des parlementaires. Des combats se déroulèrent aux portes de Paris, notamment à Charenton, le 8 février 1649, entre les troupes royales et celles des frondeurs qui tentaient de ravitailler la cité. Les soldats du roi ravagèrent le sud de la capitale. Entre-temps, Mazarin avait été déclaré « ennemi du roi et de son état » et perturbateur du repos public par les frondeurs, qui reçurent l’appui de la Normandie et de nombreuses provinces, ainsi que le ralliement de Turenne, tout auréolé de ses victoires en Allemagne. Les rebelles négociaient même avec l’Espagne, mais les parlementaires modérés furent bientôt épouvantés par la décapitation de Charles Ier d’Angleterre, le 30 janvier 1649. Les Français prirent conscience que le soulèvement en Angleterre avait conduit à la mort d’un roi et à la disparition de la monarchie. La Fronde ne risquait-elle pas d’aboutir à ces extrémités ? Les affrontements armés se doublèrent d’une intense guerre de libelles contre Mazarin. Par la suite, ces textes - plus de 5 000 recensés - furent appelés « mazarinades », d’après le titre la Mazarinade, de Scarron (1651). On reprochait pêle-mêle à Mazarin son origine
étrangère, son pouvoir sur le roi et ses liens avec Anne d’Autriche, les impôts qu’il avait créés, son goût du luxe et de l’opéra italien, son enrichissement : il était l’« abbé à vingt chapitres », le « seigneur à mille titres ». Les écrivains s’étaient mis au service des princes, des parlementaires ou de Gondi, et les imprimeurs parisiens travaillèrent à plein régime pendant cinq ans. Le peuple de Paris pourtant était las du blocus. Des négociations aboutirent à un premier accord, la paix de Rueil (11 mars 1649). La prépondérance de Condé dans le gouvernement devenait éclatante, tandis que l’ordre était rétabli en province avec brutalité. Cet apaisement fut de courte durée, car une rupture advint entre Condé, qui aspirait au pouvoir politique, et Mazarin. Ce dernier isola le prince en s’alliant avec les vieux frondeurs, que Condé accusait d’avoir fomenté un attentat contre lui. Le cardinal voulut montrer sa force en le faisant arrêter, ainsi que son frère le prince de Conti et son beau-frère le duc de Longueville (18 janvier 1650). Ce coup de force provoqua au contraire un regain de mécontentement, et envenima la situation. Turenne resta fidèle à Condé, et fut proscrit. Il signa alors une alliance avec les Espagnols. L’UNION DES FRONDES Les troupes royales partirent donc à la reconquête des provinces soulevées par les princes et leurs fidèles. Des campagnes furent menées en Normandie, en Bourgogne et en Guyenne, et la cour sillonna le royaume. C’était aussi une façon de montrer la personne du roi, ainsi que l’avait fait Catherine de Médicis pour Charles IX et Marie de Médicis pour Louis XIII. À la fin de l’année 1650, Turenne fut battu à Sommepy (15 décembre). Sa déroute arrêta les Espagnols, qui avaient pénétré sur le territoire. Le conflit politique cependant demeurait. Gondi, qui n’avait pu obtenir de Mazarin la nomination au cardinalat, entraîna la « vieille Fronde » aux côtés des princes, et demanda le départ du Premier ministre. Mazarin choisit de partir dans la nuit du 6 au 7 février 1651. Il passa par Le Havre, où les princes avaient été finalement emprisonnés, et les libéra. Les Parisiens se rendirent au Palais-Royal dans la nuit du 9 au 10 février 1651, pour voir si le petit roi y demeurait toujours et s’il n’allait pas lui aussi quitter la capitale. La reine mère demanda alors à
Louis XIV de se coucher tout habillé et de feindre le sommeil : une humiliation du pouvoir royal qui devait laisser un souvenir pénible au jeune souverain. La famille royale se trouvait prisonnière dans Paris. Quant à Mazarin, il se réfugia à Brühl, sur les terres de son ami l’Électeur de Cologne, tout en continuant à diriger de loin les actes de la régente, même si celle-ci prit peut-être alors quelque distance à l’égard de son conseiller. Dès février 1651, des assemblées informelles de gentilshommes se réunirent à Paris, demandant la tenue d’états généraux. Ces derniers devaient se tenir en septembre à Tours, et des cahiers de doléances furent rédigés. Une fois encore fut exprimé le souhait d’« une monarchie contrôlée par les états, dépourvue de fiscalité centralisée, laissant donc la réalité du pouvoir aux instances locales, un peu les cours de justice, surtout les villes et la noblesse » (Yves-Marie Bercé). Mais, parmi les chefs de la Fronde, ou à la cour, nul ne souhaitait cette réunion des états. La désunion s’installa aussitôt parmi les frondeurs : Condé refusa de se déclarer régent ; le clergé parisien au service de Gondi s’opposa au parlement. Surtout, le 7 septembre 1651, Louis XIV fut déclaré majeur : la régence était terminée. Désormais, il n’était plus possible pour les frondeurs de s’autoriser d’un roi mineur pour lutter contre un ministre considéré comme dangereux. Les rapports entre la reine et Condé, entre ce dernier et Gondi, s’aigrirent, et le prince décida de gagner son gouvernement de Guyenne. Gondi, en revanche, devait recevoir du pape le chapeau de cardinal, à la demande du roi de France, et prendre le nom de cardinal de Retz. LA FRONDE « CONDÉENNE » Condé avait sauté le pas : il s’agissait cette fois de la révolte personnelle d’un prince du sang. Il était favorable à un pouvoir royal fort, et ne souhaitait pas qu’il fût contrôlé par les états ou la noblesse. Mais il voulait guider le jeune roi à la place de la reine mère et de son conseiller italien. Il s’appuyait sur Bordeaux et la Guyenne, car le prince et ses amis frondeurs savaient rassembler dans leurs domaines ou leurs gouvernements des « clientèles » et des « parentèles », c’est-à-dire des groupes d’hommes qui leur étaient liés par tradition ou par parenté. Les frondeurs purent ainsi disposer de troupes, qu’ils payèrent en
confisquant les revenus royaux dans les provinces révoltées. Le prince offrit même aux Espagnols une place sur la Gironde, Bourgsur-Gironde, et négocia avec Philippe IV. La guerre civile commençait. Le roi et la reine mère quittèrent Paris sans que les anciens frondeurs réagissent. Anne d’Autriche, approuvée par Mazarin, choisissait une politique de fermeté pour soumettre les révoltés. Pendant treize mois, Louis XIV allait suivre des campagnes, parfois très dures, loin de la capitale. Dès la fin de 1651, Condé subit ses premières défaites face à des troupes royales de valeur. Anne d’Autriche rappela alors Mazarin, qui avait recruté à ses frais une petite armée, et qui rejoignit le souverain à Poitiers en janvier 1652. Aussitôt, le parlement de Paris réagit en mettant à prix la tête du cardinal, mais la capitale, de nouveau révoltée, avait été désertée par le premier président Molé et le surintendant La Vieuville, suivis par une partie de l’administration judiciaire et financière. Gaston d’Orléans rejoignit le parti du soulèvement. À l’inverse, Turenne accepta le commandement de l’armée du roi - ce fut un atout majeur pour la cause royale. Les 6 et 7 avril 1652, lors de la bataille de Bléneau, il rétablit une situation compromise face à Condé, qui menaçait la cour et le roi. L’armée des princes n’en continuait pas moins le combat, recevant l’appui de Charles IV de Lorraine, dont les troupes pénétrèrent en France, se livrèrent au pillage, et terrifièrent la population de la région parisienne. Turenne obligea cependant Charles IV à reculer vers la Champagne. En ce printemps de 1652, Paris fut la proie des émeutiers. Condé, mal reçu par les cours souveraines et par les autorités de la ville, ne pouvait compter que sur le petit peuple de la capitale. Les mazarinades se déchaînaient contre la reine mère, voire contre le roi. Les notables prirent peur. Les troupes de Condé et celles du roi, commandées par Turenne, tournaient autour de Paris. Le 1er et le 2 juillet, lors de la bataille du faubourg Saint-Antoine, la Grande Mademoiselle fit tourner les canons de la Bastille contre les troupes de son cousin Louis XIV, et sauva ainsi Condé, qui put se réfugier dans la ville. Le 4 juillet, Paris connut une journée sanglante, désignée par l’expression « terreur condéenne ». Des soldats habillés en civil, des hommes du petit peuple, des bourgeois extrémistes se répandirent dans la capitale, où l’Hôtel de Ville fut attaqué et incendié. downloadModeText.vue.download 383 sur 975
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372 La lassitude était évidente. Mazarin eut alors l’habileté de s’éloigner une fois de plus, pour calmer les esprits. Condé quitta la France et se mit au service de l’Espagne. La monarchie semblait désormais seule garante d’un retour à la paix intérieure. Le 21 octobre 1652, Louis XIV faisait une entrée triomphale dans la capitale. Retz, toujours remuant, fut emprisonné sur ordre du jeune roi lui-même. Mazarin rentra le 3 février 1653 et fut acclamé à son tour. Bordeaux s’était donnée à Condé. Un comité, dit « de l’Ormée » - il se réunissait sur une place plantée d’ormes - dirigea des émeutes contre le parlement, négocia avec Cromwell et avec les radicaux anglais, les « niveleurs », qui réclamaient une égalité sociale. Les décisions impitoyables qui furent prises dans Bordeaux étaient surtout dues à l’isolement de la ville, mais elles ont suggéré la comparaison avec une « Commune » révolutionnaire. Bordeaux tint jusqu’en juillet 1653. BILAN : UN MOUVEMENT PLUTÔT RÉTROGRADE, UNE AUTORITÉ ROYALE RENFORCÉE Aujourd’hui, les historiens pensent que la Fronde se prolongea après 1653, et que des soubresauts marquèrent les années suivantes, notamment à travers des réunions de gentilshommes décidés à exprimer leur mécontentement. Ce mouvement apparaît néanmoins comme un échec, puisqu’il ne fut pas suivi d’une rupture politique ou d’un bouleversement social. Il comporta certes des aspects révolutionnaires. Le gouvernement de la France fut remis en cause par le refus d’enregistrer les décisions royales, par la violence dans la rue, par des menaces à l’encontre de la famille royale, par les condamnations solennelles contre Mazarin. Pendant la Fronde s’affirma aussi la volonté de contrôler la monarchie, à travers le programme rédigé par la Chambre Saint-Louis, et le dessein des princes, qui voulaient assumer le gouvernement. Ces mouvements politiques furent soutenus par une mobilisation et une coalition de forces sociales, d’abord parisiennes. La Fronde était menée par la noblesse de robe, dont le poids social reposait sur les pouvoirs des cours souveraines, et sur le monde judiciaire qui gravitait autour d’elles.
Les bourgeois de Paris, inquiets des décisions fiscales de Mazarin, ne pouvaient que suivre les grands robins. Quant au peuple de Paris, sensible aux crises économiques, il était un soutien naturel, d’autant plus qu’il était mobilisé par les curés qui dépendaient de l’archevêché où Retz était coadjuteur. L’extension de l’agitation dans les provinces fut surtout le fait de la noblesse. Mais nombre de villes imitèrent également Paris. Les affrontements militaires donnèrent à la Fronde des allures de guerre civile. Au temps de Richelieu, les soldats n’avaient eu à affronter que des paysans lors des révoltes populaires ; pendant la Fronde, au contraire, ce furent des troupes organisées qui s’opposèrent. L’engagement alla très loin, puisque Condé sollicita l’aide de l’ennemi espagnol. Pourtant, la Fronde ne fut pas une révolution. La monarchie ne fut jamais remise en cause, et aucune transformation institutionnelle ne s’imposa. Mazarin fut le bouc émissaire et ce fut sur lui que portèrent les attaques. Par ses deux exils, Mazarin sut jouer de cette réalité. Il sut également utiliser les uns contre les autres les frondeurs, qui ne furent pas durablement unis, du fait de leurs intérêts très divergents. Ces divergences empêchèrent l’expression d’un programme clair qui eût pu trouver un soutien plus unanime. En effet, derrière des proclamations audacieuses, il s’agissait surtout de conserver des avantages anciens face aux entreprises de la monarchie administrative. La Fronde regardait en arrière plutôt qu’en avant. L’absence d’unité et de projet clair explique que le mouvement n’ait jamais touché réellement toute la population. Les campagnes s’étaient révoltées contre les impôts nouveaux, mais elles ne se reconnurent pas longtemps dans l’agitation urbaine des privilégiés. Les parlementaires parisiens ou la grande noblesse ne purent s’appuyer sur des couches sociales susceptibles d’entraîner les Français, à l’instar de la gentry anglaise au temps de Cromwell. Aucune idéologie et aucun idéal ne permirent une mobilisation générale contre la régence, alors que Charles Ier d’Angleterre s’était aliéné une partie des protestants. Les troubles provoquèrent rapidement la lassitude du plus grand nombre. Les excès, la violence, les affrontements militaires, firent désirer un retour à l’ordre.
La Fronde fut bien une réaction collective à un changement continu de la monarchie, toujours plus autoritaire, plus centralisée, plus administrative. Les frondeurs souhaitaient, pour leur part, le retour à un âge d’or mythique, à une monarchie contrôlée par sa noblesse et ses officiers. L’échec final de la Fronde fut un encouragement pour une monarchie dans laquelle le roi allait dorénavant affirmer plus hautement encore son autorité, imposer ses exigences financières, oeuvrer à sa gloire à l’intérieur et à l’extérieur du royaume, demandant à ses sujets d’y travailler avec lui. frontières naturelles, frontières dont le tracé correspond à un obstacle géographique. L’expression recouvre en fait une idée politique selon laquelle les territoires nationaux posséderaient des limites fixées par la nature. L’historiographie du XIXe siècle a largement admis que la politique extérieure de la Révolution française aurait eu comme objectif - de même que celle des rois capétiens - la conquête des « frontières naturelles » de la France (Pyrénées, Alpes, Rhin). Cette thèse, l’historien Gaston Zeller l’a définitivement réfutée en 1933 et 1936, en montrant que la politique d’annexion de la monarchie n’était fondée sur aucune idéologie des frontières, mais reposait sur des impératifs stratégiques changeants. Néanmoins, le thème des frontières naturelles est ancien. En effet, aux XVIIe et XVIIIe siècles, les historiens diffusent l’hypothèse d’une filiation entre la Gaule et le royaume de France. Par ailleurs, les philosophes des Lumières cherchent à établir des causalités rationnelles à la politique extérieure des États. L’idée que la nature semble avoir imposé des limites à l’expansion territoriale des nations séduit l’opinion éclairée, sans qu’il s’agisse en rien d’une justification d’une politique de conquête ; au contraire, elle est utilisée, le plus souvent, pour appuyer une conception défensive de la politique extérieure. Dans les trois premières années de la Révolution, les frontières naturelles sont à l’arrière-plan du débat politique ; mais la guerre déclarée en avril 1792 et, surtout, l’entrée des troupes françaises en Savoie, en Rhénanie et en Belgique, en septembre, donnent une nouvelle actualité au thème, particulièrement présent en octobre et en décembre 1792. Ainsi, l’abbé Grégoire l’utilise-t-il - avec d’autres arguments - dans son rapport du 27 novembre
1792 qui conclut à la nécessité de réunir la Savoie à la France. Pourtant, on ne saurait mettre sur le même plan son maniement par tous les orateurs révolutionnaires. Il est particulièrement important chez Cloots, mais il n’est qu’un argument parmi d’autres pour Danton, Carnot ou Brissot ; en revanche, il est à noter que les révolutionnaires opposés à la guerre de conquête (Robespierre, Desmoulins...) évitent d’employer ce type de rhétorique. Pendant la période thermidorienne et directoriale, la frontière du Rhin devient un sujet capital dans le débat qui oppose partisans de la paix et des anciennes limites (Barthélemy, Carnot...), et partisans de la conquête (Reubell, Sieyès...). Le thème des frontières naturelles apparaît donc non pas comme une « théorie » achevée des relations entre les peuples, mais plutôt comme un argument chargé de sens différents, voire contradictoires. Front national, principal support de la résistance politique communiste de 1941 à 1945. En mai 1941, la direction du Parti communiste charge Georges Marrane de constituer un « Front national de lutte pour l’indépendance de la France ». Sur le modèle des fronts antifascistes de l’avant-guerre, il s’agit de fédérer les oppositions à Vichy. Mais l’entrée en guerre de l’Union soviétique, en juin 1941, change les données du problème : le Front national devient le principal élément de la résistance politique du PCF contre l’occupant. L’organisation du Front national par corporations permet au Parti communiste de pénétrer des milieux jusqu’alors hostiles : se créent ainsi des fronts des médecins, des avocats, des écrivains (sous la houlette d’Aragon, qui organise le Centre national des écrivains). Le Front national diffuse une presse abondante, aussi bien régionale (la Marseillaise) que corporatiste (le Palais libre). Séduites par l’activisme communiste, des personnalités aussi différentes que Georges Bidault, Jacques Debû-Bridel, Louis Marin et même Mgr Chevrot rejoignent le Front national. Pourtant, derrière ce faux oecuménisme, les communistes contrôlent les postes de direction. Mis en sommeil en 1942, le Front national devient, à partir de 1943, un élément essentiel de la stratégie communiste de contrôle de la Résistance (il est représenté au Conseil national de la Résistance en sus du PCF). Au total, il a permis au PCF de mobiliser les downloadModeText.vue.download 384 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 373 ardeurs résistantes, et, surtout, élargissant sa base sociale, de sortir de son ghetto et de se présenter, à la Libération, comme un grand parti national. Front national, parti politique d’extrême droite fondé en 1972. Au début des années soixante-dix, l’extrême droite est une force marginale dans la vie politique française. En 1972, des responsables d’Ordre nouveau décident de fédérer ses différents courants au sein du Front national, dont le président, Jean-Marie Le Pen, ancien député poujadiste, est d’abord placé sous leur contrôle politique. Il s’en affranchit dès 1973, au prix d’une scission, mais ne parvient pas à élargir l’influence électorale de son parti, constamment inférieure à 1 %. Après dix années passées dans l’ombre, le Front national enregistre ses premiers résultats lors des élections municipales de 1983. L’extrême droite profite alors des difficultés que rencontre la gauche au pouvoir et de la reprise de ses thèmes traditionnels par la droite parlementaire - dénonciation de l’immigration, exploitation de l’insécurité. Les consultations électorales suivantes confirment l’importance du phénomène : lors des élections européennes de 1984, le Front national passe pour la première fois la barre des 10 %, puis, lors des législatives de 1986, favorisé par le mode de scrutin proportionnel, il obtient 35 sièges ; en 1988, Jean-Marie Le Pen rassemble 14,5 % des suffrages exprimés au premier tour des présidentielles, soit plus du double des voix recueillies par le candidat communiste. Devenue une véritable force militante, sa formation tente de s’implanter dans l’ensemble de la société par l’intermédiaire de nombreuses associations relais. Elle mène aussi une double stratégie de recherche de « respectabilité » et de radicalisation - à travers les outrances verbales antiparlementaires et l’« antisémitisme euphémique » (Pascal Perrineau) de son président. Isolé dans le paysage politique français - la droite classique, après des hésitations tactiques, refuse de s’allier avec lui -, le Front national confirme son audience lors des scrutins présidentiel et municipaux de 1995 : Jean-Marie Le Pen franchit le cap symbolique des 15 %, et son parti gagne plusieurs mairies, dont Toulon, ville de plus de 100 000 habitants. L’électorat évolue : principalement urbain, sur-représenté dans le sud et l’est de la
France, il devient aussi plus populaire. Le « national-populisme » du Front national se nourrit des conséquences sociales de la crise économique, et ses succès témoignent de la défiance d’une partie de la population à l’égard des forces politiques traditionnelles. Celles-ci ont pu mesurer le pouvoir acquis par le FN lors du scrutin régional de 1998, qui l’a vu se poser en arbitre dans plusieurs régions, obtenant des alliances locales avec la droite républicaine malgré les consignes des étatsmajors parisiens. Après avoir surmonté la scission des partisans de Bruno Mégret qui fonde le MNR (mouvement national républicain), le FN poursuit son enracinement dans l’électorat : lors de la présidentielle de 2002, Jean-Marie Le Pen obtient 16,86 % des suffrages, devance le candidat socialiste Lionel Jospin (16,18 %) et se retrouve au second tour face à Jacques Chirac. Malgré une large défaite (17,79 % contre 82,21 %), cette présence du candidat du FN au second tour provoque une profonde émotion dans le pays et témoigne de la popularisation croissante des thèmes frontistes. l FRONT POPULAIRE. Le Front populaire est une alliance de diverses formations et organisations de gauche, constituée en 1934-1935 en réaction aux événements du 6 février 1934, dénoncés comme une manoeuvre de l’hydre « fasciste ». Victorieuse aux élections de 1936, cette coalition exerce le pouvoir à partir du mois de juin, avant de se disloquer entre juin 1937 et novembre 1938. Malgré sa brièveté, cette « expérience », qui est associée à un mouvement social d’une exceptionnelle intensité, marquera une étape importante dans l’histoire de la gauche. LE RASSEMBLEMENT ANTIFASCISTE La crise des années trente atteint la France à partir de 1932, et s’aggrave pendant les années suivantes : la poussée du chômage, le marasme de l’activité, et la politique de déflation, qui consiste surtout à réduire le traitement des fonctionnaires, engendrent une inquiétude sociale généralisée, à laquelle s’ajoutent de sérieux doutes quant à la capacité du système politique de surmonter de telles difficultés. Alors que certains cercles ou groupes - les jeunes-turcs du Parti radical, ou des hommes politiques du centre droit, tel André Tardieu se bornent à réclamer un aménagement du
système, un courant de droite autoritaire et antiparlementaire, périodiquement réactivé lors des phases de troubles, connaît un regain à partir de 1933. Cette contestation antirépublicaine se manifeste par la création de ligues, mouvements de masse dont l’objectif est, dans la première partie des années trente, de faire pression sur le Parlement par des manifestations de rue. La montée en puissance de ces organisations culmine lors de l’émeute antiparlementaire du 6 février 1934, qui apparaît, pour nombre de citoyens attachés au régime démocratique, comme une tentative de coup de force « fasciste » susceptible de déboucher sur l’instauration d’une dictature analogue à celle de l’Italie mussolinienne ou de l’Allemagne hitlérienne. La gauche va donc s’unir contre ce danger, et constituer un rassemblement antifasciste. Cet antifascisme sera le ciment politique du Front populaire, tout comme la « défense républicaine » fut, au début du siècle, le dénominateur commun des socialistes, des radicaux et des modérés pour lutter contre l’agitation nationaliste. Toutefois, dès le départ, les réactions face aux événements du 6 février 1934 révèlent de profondes divergences entre les différentes forces de gauche. Le Parti radical est lui-même traversé par des tensions : si Édouard Herriot voit dans la formation d’un gouvernement d’Union nationale, unissant les radicaux aux groupes parlementaires de centre droit et de droite, la solution susceptible de calmer l’agitation, Édouard Daladier, qui a dû quitter le pouvoir le 7 février, sous la pression de l’émeute, est favorable, pour sa part, à une alliance des gauches. À l’extrême gauche, le Parti communiste affirme toujours son hostilité globale à la république « bourgeoise », contre laquelle ses militants ont également manifesté le 6 février. La SFIO reste, quant à elle, marquée par des années de lutte acharnée avec le PCF. De tels désaccords expliquent que les contre-manifestations de masse, organisées pour riposter aux ligues, aient lieu en ordre dispersé : le 9 février, le PCF défile contre « les bandes fascistes » et contre « les fusilleurs Daladier et Frot » (ce dernier était ministre de l’Intérieur du gouvernement Daladier) ; pour le 12, la CGT lance un mot d’ordre de grève générale, auquel s’associe la SFIO, qui convoque une grande manifestation sur le cours de Vincennes. Et un cortège communiste se joint à celui des socialistes, place de la Nation. La pression de la base joue donc un rôle incontestable dans le rapprochement des par-
tis de gauche : la fusion des cortèges socialiste et communiste le 12 février, la création du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA) en mars 1934, la pratique électorale unitaire révélée lors des municipales de mai 1935, attestent la profondeur du sursaut républicain face au péril « fasciste », dont les démonstrations répétées des ligues, en particulier des Croix-de-Feu, semblent révéler l’imminence. Mais cette dynamique n’aurait pu à elle seule déclencher un processus unitaire de grande ampleur si le Parti communiste n’avait décidé, à la fin du mois de juin 1934, d’un changement radical de sa stratégie, sur les instances pressantes de l’Internationale. En effet, sous le coup de l’écrasement des communistes allemands par les hitlériens, face auxquels les communistes ont refusé jusqu’au bout de former un front commun avec les sociaux-démocrates, l’Internationale prône désormais la mise sur pied de fronts antifascistes constitués par le biais d’accords conclus au niveau des directions des partis. La mise en oeuvre de cette nouvelle ligne politique aboutit à un pacte d’unité d’action signé le 27 juillet 1934 par le PCF et la SFIO, puis, à partir de 1935, au rapprochement de ces formations avec le Parti radical, au sein duquel l’influence de l’aile gauche (Daladier, soutenu par une fraction des « jeunes radicaux », ou « Jeunes-Turcs », comme Jean Zay et Pierre Cot) ne cesse de grandir. Le ralliement du PCF à la politique de défense nationale, et sa rupture avec l’antimilitarisme, sous l’effet du pacte franco-soviétique de mai 1935, accélèrent le processus unitaire. Ces convergences aboutissent à la mise sur pied d’une structure, le Comité de rassemblement populaire, créé, le 14 juillet 1935, à l’issue d’une immense manifestation pour « le pain, la paix et la liberté ». Ce comité est dirigé par des représentants de quatre partis (PCF, SFIO, socialistes indépendants et Parti radical), de deux syndicats (CGT et CGT-U, centrales qui seront réunifiées en mars 1936) et de trois mouvements d’intellectuels (Ligue des droits de l’homme, comité Amsterdam-Pleyel, CVIA). Il élabore, au cours du second semestre de 1935, un programme en vue des élections du printemps 1936. Fruit d’un compromis entre des organisations inspirées par des idéologies très dissemblables, il met l’accent sur l’abandon de la politique de déflation mise en oeuvre par les gouvernements downloadModeText.vue.download 385 sur 975
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d’union nationale, au profit d’une action de renflouement du pouvoir d’achat populaire, ou « reflation », sans qu’il soit touché à la valeur de la monnaie ; dans le domaine de la politique extérieure, il prône le retour à la sécurité collective ; enfin, pour faire face au péril « fasciste », il propose la dissolution des ligues. Le Front populaire l’emporte aux élections législatives de 1936. Au premier tour, le 26 avril, il bénéficie d’une légère avance sur les droites ; après le second tour, le 3 mai, grâce aux bons reports des voix, il dispose d’une large majorité à la Chambre : 389 sièges, contre 223 aux droites. Au sein des forces majoritaires, d’importants reclassements se sont produits : les radicaux, qui, en termes de voix comme en sièges, connaissent un important recul, ne sont plus la première force de gauche, la SFIO assumant ce rôle ; quant aux communistes, ils doublent leurs suffrages et entrent massivement à la Chambre (11 députés en 1932, 72 en 1936). Pour la première fois, le parti socialiste, devenu le groupe le plus puissant à la Chambre, revendique la direction du gouvernement de la France. Son chef, Léon Blum, devient donc président du Conseil, un mois plus tard, le 4 juin ; dans son ministère, qui - innovation notable - comprend trois femmes, les radicaux détiennent près de la moitié des portefeuilles. Les communistes, alléguant le souci de ne pas effrayer les classes moyennes, et se conformant aux directives de l’Internationale, soutiennent ce gouvernement sans y participer. LE MOUVEMENT SOCIAL ET LA POLITIQUE DE RÉFORMES Si l’antifascisme a bien joué le rôle de ciment du rassemblement, le Front populaire n’est pas un simple gouvernement de défense républicaine : un mouvement social d’une ampleur exceptionnelle lui confère, en effet, une autre dimension. Peu après le second tour, entre le 10 mai et le début du mois de juin, alors que, par respect des délais constitutionnels, Blum laisse le cabinet Sarraut, dernier gouvernement de la législature précédente, expédier les affaires courantes, une vague de grèves sans précédent gagne progressivement l’ensemble de l’industrie, et plus partiellement le commerce et les services. Caractérisé par son ampleur - 1,8 million de travailleurs au plus fort de la vague - et par sa forme particulière - les salariés occupent les usines, essentiellement pour empêcher le patronat de recourir au lock-out -, le mouvement social
de mai-juin 1936 ne procède pas d’un « complot » communiste, contrairement à ce que tentent alors de faire croire les opposants de droite, mais d’une réaction spontanée. Les grèves avec occupations des lieux de travail témoignent du désir d’affirmer la dignité ouvrière, souvent bafouée dans le contexte économique des années précédentes, mais aussi du souci de peser sur le cours des négociations à venir. L’aspect festif des occupations et la bonne organisation résultant de l’action des comités de grève démentent également les images de désordre et de révolution répandues dans l’opinion conservatrice. La puissance du mouvement social explique la rapidité avec laquelle le gouvernement de Léon Blum peut faire adopter, durant l’été 1936, des réformes importantes, par voie législative, ou en jouant le rôle d’arbitre entre les partenaires sociaux. Le président du Conseil réunit à Matignon, le 7 juin à 15 heures, les représentants du patronat et des syndicats de salariés : peu avant une heure du matin, un accord est conclu ; il prévoit de substantielles augmentations de salaire (de 7 à 15 %), le respect par les patrons de l’engagement syndical de leurs salariés, et l’élection de délégués par le personnel. La reprise du travail s’opère toutefois progressivement : le Parti communiste se prononce le 11 juin en sa faveur, mais les négociations engagées localement sur la base des accords Matignon tardent parfois à aboutir. Au Parlement, profitant du rapport de force créé par le mouvement de grève, Blum fait voter de grandes lois sociales. Les textes instituant les quinze jours de congés payés et la limitation à quarante heures de la durée hebdomadaire du travail ne sont pas seulement révélateurs d’une philosophie humaniste et progressiste ; ils s’insèrent dans une politique qui, par la réduction de la durée du travail, devrait aboutir à la diminution du chômage. La loi du 11 juin sur les contrats collectifs tente de définir les rapports contractuels entre patrons et salariés. Elle permet notamment au ministre du Travail d’étendre à tous les salariés d’une profession les termes d’un accord conclu par les organisations représentatives de la branche. Cette oeuvre sociale du Front populaire est amplifiée par des mesures éducatives et culturelles. La scolarité obligatoire est prolongée d’un an (elle est portée à l’âge de 14 ans) ; un sous-secrétariat aux Sports et aux Loisirs, dont la création représente en soi une innovation importante, est confié à Léo Lagrange, qui s’efforce de promouvoir le sport populaire, de faci-
liter les départs en vacances par l’instauration des billets « congés payés », enfin de « populariser » la culture grâce à l’appui de tout un réseau associatif (maisons de la culture, auberges de jeunesse, associations d’encouragement à la fréquentation des musées et à la lecture). Cette politique fait entrer dans le champ des responsabilités collectives des domaines laissés jusqu’alors en dehors, et est conduite avec le soutien des intellectuels de gauche. L’importance de l’oeuvre sociale fait ressortir encore davantage le caractère limité de l’action portant sur les structures économiques, à propos desquelles les partenaires de la coalition avaient longuement discuté avant les élections. Les socialistes et les « planistes » de la CGT, partisans de nationalisations étendues, y avaient renoncé, par suite de l’opposition de leurs partenaires radicaux, traditionnellement attachés au libéralisme économique, mais aussi communistes, qui souhaitaient alors ne pas effrayer les classes moyennes. Aussi, l’action du Front populaire reste-telle limitée dans ce domaine. La Banque de France, qui demeure un organisme privé, est désormais gérée par un conseil nommé par l’État ; un office du blé (ONIC) est chargé de régulariser le marché des céréales, par l’achat ou la vente des excédents ; les industries de guerre sont nationalisées, autant par souci de moralisation d’une activité dominée par les « marchands de canons » que par souci de rationalisation économique. Il ne s’agit donc pas de mesures révolutionnaires, conformément à la distinction que Blum avait formulée, quelques années plus tôt, entre l’« exercice » et la « conquête » du pouvoir. DIFFICULTÉS, CONTRADICTIONS ET FIN DU FRONT POPULAIRE Le Front populaire doit faire face à des difficultés considérables : les problèmes économiques, l’évolution de la situation internationale, tout comme la situation intérieure, auront progressivement raison de sa cohésion, et provoqueront sa dislocation, en novembre 1938. Dans le domaine économique, les politiques de relance par le pouvoir d’achat et de résorption du chômage par la baisse de la durée du travail n’obtiennent que des résultats mitigés. La hausse des prix réduit à peu de chose les gains résultant des augmentations de salaire ; la dépréciation monétaire provoque des sorties de capitaux ; le marché
du travail se révèle plus rigide que prévu, et le nombre d’emplois créés, très inférieur à ce que l’on avait espéré. Blum est alors incité à prendre deux décisions essentielles : en septembre 1936, il procède à la dévaluation du franc, devenue inévitable ; en février 1937, il annonce la « pause », c’est-à-dire l’abandon des projets de réforme concernant l’indemnisation des chômeurs et la retraite des vieux travailleurs. Le 15 juin 1937, Blum demande les pleins pouvoirs financiers (jusqu’au 31 juillet). Il veut, en effet, établir un contrôle des changes pour lutter contre les sorties de capitaux. La Chambre les lui accorde, mais le Sénat les refuse. Aussi, Blum démissionne-t-il le 22 juin. En termes de politique conjoncturelle, « l’expérience Blum » se solde donc par un échec, qui découle d’ailleurs davantage de la rigidité des structures de l’appareil productif, incapable de répondre sur le champ à la demande supplémentaire, que de l’inadaptation des mesures proposées. En outre, le poids des événements internationaux a joué un grand rôle dans l’évolution du Front populaire. L’appel du gouvernement de la République espagnole, qui, victime, le 18 juillet 1936, d’un soulèvement militaire, demande une aide en matériel de guerre, divise les partis au pouvoir. Blum, personnellement enclin à la solidarité avec l’Espagne, doit tenir compte des réticences des ministres radicaux, de la profonde division de l’opinion française, et des réserves émises par le gouvernement britannique à l’égard de toute initiative risquant de provoquer une conflagration générale en Europe : il se prononce en faveur de la non-intervention, déchaînant les critiques du Parti communiste et d’une minorité socialiste. Cette affaire, qui est à l’origine d’une grave fracture dans la coalition au pouvoir, entraîne une autre conséquence d’importance pour le Front populaire : devant l’aggravation de la situation internationale, Blum décide, en septembre 1936, sous l’influence d’Édouard Daladier, ministre de la Guerre, de donner une impulsion au réarmement, affectant une part accrue des ressources économiques à l’effort de défense, et provoquant ainsi indirectement la « pause » du début de 1937. downloadModeText.vue.download 386 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 375 Des difficultés d’ordre politique contribuent également à l’échec, puis à la dislo-
cation du Front populaire ; et la principale d’entre elles ne vient pas de l’opposition. La presse d’extrême droite et certains partis de droite déclenchent, certes, des campagnes haineuses et diffamatoires contre le ministre socialiste de l’Intérieur Roger Salengro, qui se suicide en novembre 1936, contre les juifs, accusés d’être des fauteurs de guerre, et contre les communistes. Mais, malgré leur violence, ces attaques ne réussissent pas à déstabiliser le régime. La droite, d’ailleurs, est en pleine recomposition. Le gouvernement de Léon Blum a ordonné, en juin 1936, la dissolution des ligues - Jeunesses patriotes, Croix-de-Feu, Parti franciste... -, qui, à partir de l’été 1936, se transforment en partis politiques, et déclarent - au moins pour le plus influent d’entre eux, le Parti social français, issu des Croixde-Feu - vouloir jouer le jeu des institutions républicaines. Les élections cantonales, en novembre 1937, ne révèlent pas de progrès significatifs de la droite. L’inquiétude des classes moyennes - petits producteurs, rentiers, fonctionnaires - s’est surtout exprimée à travers l’attitude du Parti radical, soucieux d’éviter toute dérive révolutionnaire. Alors que, membre du premier gouvernement de Front populaire, Édouard Daladier, ministre de la Guerre, multiplie les mises en garde à l’adresse de ses alliés socialistes, les sénateurs radicaux participent à la chute de Blum en juin 1937. Le nouveau président du Conseil, qui forme un ministère composé de radicaux et de socialistes, est le radical Camille Chautemps. Ce dernier n’exclut pas de revenir sur certains acquis de 1936, notamment sur le plus critiqué, la loi des quarante heures. Toutefois, pris entre cette intention et la crainte de se trouver privé de majorité, il se borne à des demi-mesures, comme la dévaluation de juillet 1937. En butte à l’hostilité des socialistes et des communistes, il tente de former, au début de 1938, un ministère exclusivement radical, et tombe en mars 1938. Fort préoccupé par la situation internationale - Hitler vient de réaliser l’Anschluss, c’est-à-dire le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne -, Blum envisage alors de former un cabinet d’union nationale, allant des communistes à la droite. Les réticences de celle-ci ayant fait échouer la tentative, il forme un dernier cabinet de Front populaire, condamné par avance : le Sénat repousse, en effet, le nouveau programme de relance - assorti de mesures dirigistes - proposé en avril 1938. Le 7 avril 1938, avec la démission de Blum tombe le dernier gouvernement composé suivant une formule de Front populaire.
Toutefois, les historiens hésitent quant à la date de « décès » du Front populaire, tant la situation reste ambiguë jusqu’en novembre 1938. Le cabinet formé en avril par Édouard Daladier ne comprend plus de socialistes, et comporte, pour la première fois depuis 1936, des modérés ; cependant, il ne s’engage pas immédiatement sur la question des quarante heures. Celles-ci ne seront remises en cause qu’en novembre 1938 par le ministre des Finances nouvellement nommé, Paul Reynaud, un homme du centre droit. À partir de cette date, Daladier s’appuie sur une nouvelle majorité formée par les radicaux, le centre et la droite. Dans le même temps, les problèmes extérieurs achèvent de séparer les socialistes et les communistes. Les accords de Munich, signés en septembre 1938 par Daladier, Chamberlain, Mussolini et Hitler, entérinent l’annexion d’une partie de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne. Beaucoup de socialistes, par pacifisme, accueillent favorablement ces accords, tandis que les communistes y sont catégoriquement hostiles. Le retrait des radicaux du Comité du rassemblement, le 12 novembre 1938, et l’échec du mot d’ordre de grève lancé par la CGT pour le 30 novembre scellent définitivement le sort de la coalition créée au soir du 14 juillet 1935. Considéré du point de vue de son enracinement historique, le Front populaire a illustré l’absence de contradiction entre la tradition républicaine et le mouvement ouvrier. L’épisode n’en est pas moins révélateur des temps nouveaux : l’affaiblissement du Parti radical au profit des partis ouvriers (PCF, SFIO), la transformation du Parti communiste en parti de masse, l’influence des luttes sociales sur le jeu politique, mettent en cause les équilibres politiques réalisés sous la République parlementaire, alors que, dans la société, le poids des salariés s’accroît, au détriment des classes moyennes, pilier du régime. À partir du Front populaire, l’État républicain étend son champ d’intervention à de nombreux aspects de la vie collective - politique conjoncturelle, réglementation du travail et arbitrage social, politique culturelle, etc. Il élabore ainsi un nouveau compromis, appelé à durer sur une très longue période, bien au-delà de la Seconde Guerre mondiale. En cela réside sans doute le véritable héritage du Front populaire. Front républicain, alliance de gauche et de centre gauche (Parti communiste exclu) formée, après la dissolution de l’Assemblée le 2 décembre 1955, en vue des élections législatives de janvier 1956.
Dominée par la personnalité de Pierre Mendès France, cette coalition rassemble la SFIO et les ailes gauches des radicaux, du gaullisme (les républicains sociaux) et de l’UDSR, et s’oppose au centre droit - Edgar Faure et Antoine Pinay -, aux communistes et aux poujadistes. À l’occasion d’une démarche commune de Guy Mollet, de Pierre Mendès France, de Jacques Chaban-Delmas et de François Mitterrand contre « la censure à la radio », l’Express, de tendance mendésiste, titre « Protestation du Front républicain ». Référence explicite au Front populaire, cette expression, martelée par le journal, est reprise par tous. L’Express accorde même des bonnets phrygiens, symbole de son soutien, aux candidats qui lui semblent proches des positions mendésistes. Il décerne parfois cette distinction à plusieurs candidats par circonscription : les membres du Front sont en effet souvent en position de concurrence devant les urnes, mais tous se prononcent pour la paix négociée en Algérie, le progrès social et la modernisation. Le 2 janvier, jour du vote, aucune majorité claire ne se dessine vraiment, mais le scrutin est marqué par un recul du centre droit et une poussée des mendésistes et des poujadistes. Toutefois, l’hostilité du MRP envers Mendès France conduit le président Coty à demander à Guy Mollet, plus susceptible de rassembler une majorité, de former le gouvernement. Celui-ci restera président du Conseil durant seize mois, record de durée des ministères de la IVe République. À la fin des années quatre-vingt, l’expression « Front républicain » sera reprise pour désigner des accords de désistement réciproque entre des candidats de gauche et de droite modérée pour barrer la route à des prétendants du Front national bien placés au premier tour. Frotté (Marie Pierre Louis, comte de), chef de la chouannerie normande (Alençon, Orne, 1755 - Verneuil, Eure, 1800). Officier avant la Révolution, Frotté émigre en 1791, et combat dans l’armée des frères de Louis XVI, puis dans celle de Condé, avant de rejoindre l’Angleterre en 1794. Nommé lieutenant général en 1795, il est chargé par le comte de Puisaye d’organiser l’insurrection royaliste en Normandie, et met sur pied une armée de 400 hommes - les « chevaliers de la Couronne » - qui mène une guérilla efficacecontre les « bleus ». Cependant, en 1796,
après la désastreuse expédition de Quiberon, qui se conclut par la dispersion des insurgés vendéens, et la pacification de l’Ouest, entraînant la soumission de la plupart des chefs chouans, Frotté, isolé, est contraint de cesser le combat. Installé à Londres, il revient régulièrement en France. En fructidor an V (septembre 1797), il assiste ainsi, avec d’autres chefs royalistes, à des réunions parisiennes pour tenter d’empêcher le coup d’État du 18. Lorsque la chouannerie est relancée dans l’Ouest en 1797, il reprend deux années plus tard la tête de ses maigres troupes, en prévision de l’insurrection générale préparée depuis Londres par le comte d’Artois, futur Charles X. Mais les opérations militaires échouent, et, tandis que Cadoudal, Bourmont ou d’Autichamp mettent bas les armes après le coup d’État de Bonaparte du 18 brumaire, Frotté continue à se battre. Il accepte cependant de négocier sa soumission, mais est arrêté, jugé par une commission militaire, et fusillé avec ses officiers, le 18 février 1800. Cette exécution, ordonnée dans une période de trêve, sera longtemps reprochée à Bonaparte. fructidor an V (coup d’État du 18), coup de force du 4 septembre 1797 annulant la victoire électorale royaliste. Première rupture du Directoire avec la légalité, le 18 fructidor inaugure ce que l’on appelle le « second Directoire », marqué, jusqu’au coup d’État du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799), par une série d’infractions à la Constitution. La Constitution de l’an III n’ayant pas prévu d’arbitrage entre les pouvoirs législatif et exécutif en cas de conflit, la République connaît des difficultés dès les premières élections partielles d’avril 1797, remportées par les royalistes. Le 20 mai, le général Pichegru est élu à la présidence du Conseil des CinqCents, et Barbé-Marbois, à celle du Conseil downloadModeText.vue.download 387 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 376 des Anciens. Ce sont deux royalistes, tout comme Barthélémy, élu au Directoire, qui ne compte plus alors que trois directeurs républicains sur cinq - les triumvirs Reubell, La Revellière-Lépeaux et Barras -, Carnot s’étant rapproché de la droite. Cependant, si les Conseils prennent d’emblée des mesures en
faveur des émigrés et des prêtres réfractaires, le bloc monarchiste est divisé entre « jacobins blancs » absolutistes, d’une part, et clichyens modérés, d’autre part, les uns étant partisans du coup de force contre le Directoire, les autres préférant attendre les élections suivantes pour obtenir une majorité absolue. En juin, Bonaparte, qui a arrêté le comte d’Antraigues en Italie, fournit à Barras les preuves de la trahison de Pichegru, qui est en contact avec Louis XVIII, et de la volonté des députés royalistes de renverser le Directoire. Les triumvirs passent alors à l’offensive en s’assurant l’appui de l’armée, avec les généraux Hoche, dont les troupes s’approchent de Paris en juillet, et Bonaparte, qui leur dépêche le général Augereau, nommé commandant de la division militaire de Paris en août. Les clichyens décident trop tard de mettre en accusation les triumvirs : dans la nuit du 17 au 18 fructidor, sur ordre du Directoire, les soldats arrêtent députés et principaux chefs royalistes (Carnot parvient à s’échapper). Le lendemain, ce qu’il reste des Conseils vote une loi cassant les élections dans 49 départements, et condamnant à la déportation en Guyane - la « guillotine sèche » - une soixantaine de royalistes, dont seuls 18 sont arrêtés. En outre, les arrestations arbitraires et les destitutions dans l’administration et dans l’armée se multiplient, tandis que 42 journaux sont supprimés. Le régime est provisoirement sauvé par le viol des urnes et par l’appui de l’armée, mais les progrès de l’opposition jacobine, grande bénéficiaire de l’épuration, contraindront à nouveau le Directoire à recourir au coup d’État, le 22 floréal an VI (11 mai 1798). FTP ou FTPF (Francs-Tireurs et Partisans français), forces combattantes du mouvement de Résistance « Front national ». Destinés, à l’origine, à assurer la protection des équipes de propagande du Parti communiste, ces groupes de jeunes volontaires armés, créés à l’automne 1940, prennent tout d’abord le nom d’« Organisation spéciale » (OS), puis celui de « Bataillons de la jeunesse ». Au mois de juin 1941, Charles Tillon, aidé d’Eugène Hénaff, est chargé de constituer des unités de combat non plus limitées aux seules agglomérations ouvrières mais susceptibles d’étendre leur action aux campagnes : en août 1941, selon Marcel Prenant, naissent ainsi les premiers éléments des « FrancsTireurs et Partisans français », qui, contrairement aux consignes du Bureau central de renseignements et d’action (BCRA, installé à
Londres), prônent l’insurrection « immédiate, continue, et armée, pour affaiblir le moral et le potentiel militaire de l’ennemi » (Marcel Prenant). Dénoncés par la presse officielle comme « terroristes et brigands », les FTP marqueront par leurs actes l’histoire de la Résistance armée : Frédo, futur colonel Fabien, est l’auteur du légendaire attentat du 23 août 1941, abattant un officier de la Kriegsmarine au métro Barbès ; le groupe Manouchian abat en plein Paris, le 29 septembre 1943, le SS Ritter. La structure des FTP, adaptée à la guérilla, est formée de petites unités et de maquis. Le commandement national est exercé par un comité militaire national, implanté dans la région parisienne et à Lyon. Charles Tillon y est assisté par trois commissaires spécialisés : aux effectifs (Hénaff), aux opérations (Ouzoulias) et à la technique (Beyer, renseignements et armement). Malgré les négociations menées avec le BCRA, les FTP n’obtiennent pas les parachutages d’armes en quantité souhaitée. Comme les autres organisations armées de la Résistance, ils s’intègrent, en théorie, aux Forces françaises de l’intérieur (FFI), en février 1944. downloadModeText.vue.download 388 sur 975 downloadModeText.vue.download 389 sur 975 downloadModeText.vue.download 390 sur 975
G gabelle, nom donné à l’origine à divers impôts indirects, puis qui désigne, à partir du XIVe siècle, l’impôt sur le sel et, par extension, l’administration qui le perçoit. Sous l’Ancien Régime, le sel, moyen essentiel de conservation des aliments, est une denrée de première nécessité. La France en est un gros producteur, grâce aux marais salants de l’Atlantique et de la Méditerranée. Au XVIIe siècle, ses exportations, particulièrement vers les pays du nord de l’Europe, constituent à la fois un élément appréciable du commerce extérieur et un moyen de pression diplomatique. Il n’est donc pas étonnant que la monarchie ait voulu contrôler le commerce d’un produit « stratégique », et que, toujours à court d’argent, elle ait cherché à en faire une source de revenus. Ainsi, dès 1342, une ordonnance de Philippe VI instaure la gabelle, impôt sur le sel qui sera supprimé puis rétabli à plusieurs reprises, jusqu’à son institution définitive à la fin du siècle. Les greniers royaux, qui sont approvisionnés par des marchands, détiennent le monopole de la vente du sel, et les sujets, à l’exception des plus pauvres, sont obligés d’en acheter une quantité minimale. À partir de 1578, la vente
du sel est affermée à plusieurs adjudicataires, puis, à partir de 1681, les greniers à sel sont confiés à la Ferme générale. Comme toute la fiscalité d’Ancien Régime, la gabelle est extrêmement complexe. Une ordonnance de 1680 fixe enfin la législation et distingue six régions. Les pays de « grande gabelle », soit la majeure partie du royaume, supportent la taxation la plus forte, tandis que celle-ci est plus modérée dans les pays de « petite gabelle » (en gros, la vallée du Rhône, le Languedoc et le Roussillon), et encore plus faible dans les « pays de salines » (FrancheComté, Lorraine, Alsace). Sont exemptés la Bretagne et certaines provinces frontalières, telles celles du Nord, ainsi que les « pays rédimés », qui ont racheté l’impôt (le Sud-Ouest et une partie de l’Auvergne). Enfin, un régime spécial dit « de quart bouillon » s’applique à certaines terres normandes. Au total, le prix du sel varie dans une proportion de 1 à 40. Une telle diversité ne peut que conduire à la fraude, qui est largement pratiquée dans tous les milieux, y compris nobles et ecclésiastiques, malgré une répression très sévère à l’encontre des faux sauniers (contrebandiers). Généralement très lourde, la gabelle est particulièrement impopulaire et donne lieu à de nombreuses révoltes. Sont dénoncés, outre le prix excessif du sel, le temps perdu à aller s’approvisionner dans des greniers à sel en nombre insuffisant et mal gérés, la mauvaise volonté, la lenteur, les fraudes, voire la violence des gabelous. Enfin, la répartition de l’impôt est très injuste, et certains privilégiés bénéficient du « franc salé », qui permet d’obtenir le sel à un prix bien moindre. Attribut honni de l’Ancien Régime, la gabelle est abolie le 1er décembre 1790. Gabon ! Afrique-Équatoriale française Gaillard (Félix), homme politique (Paris 1919 - en mer, au large de Jersey, 1970). Licencié en droit, diplômé de l’École libre des sciences politiques, Félix Gaillard est reçu, en 1943, à l’Inspection des finances, tout en participant à la Résistance aux côtés du délégué général du Comité français de libération nationale, Alexandre Parodi. En 1944, ce dernier le choisit comme chef de cabinet au ministère du Travail. Après une mission aux États-Unis aux côtés de Jean Monnet (1944-1946), Gaillard est élu député radical de Charente, puis appelé au sous-secrétariat
d’État aux Affaires économiques (novembre 1947-juillet 1948). À partir de 1951, il est secrétaire d’État à la présidence du Conseil dans les ministères Pleven, Faure, Pinay et Mayer, et travaille notamment au développement de l’énergie atomique. Nommé ministre des Finances en juin 1957, il s’engage dans une politique d’assainissement financier qui conduit à réduire les crédits budgétaires et à augmenter les impôts. Au terme de la crise provoquée par la discussion de la loi-cadre de 1957 sur l’Algérie et par la démission du cabinet Bourgès-Maunoury, Félix Gaillard forme, en novembre, un gouvernement de « défense républicaine », qui ne résistera pas plus de cinq mois aux événements algériens. Président du Parti républicain radical et radicalsocialiste de septembre 1958 à octobre 1961, et rallié au général de Gaulle dans un premier temps, Félix Gaillard rejoint l’opposition dès 1962, désapprouvant la manière dont s’exerce le pouvoir gaullien. galériens, en théorie, criminels de droit commun condamnés à ramer sur les galères du roi, qui sont basées à Marseille. Ils en composent la chiourme, jusqu’à la réunion du corps des galères avec celui des vaisseaux en 1748, année à partir de laquelle les condamnés sont envoyés au bagne. En réalité, tous les rameurs ne sont pas des criminels : figurent parmi eux des esclaves, essentiellement musulmans, barbaresques - appelés à tort « Turcs » - faits prisonniers par les navires du Très Chrétien, afin de punir leurs razzias provençales et languedociennes, lancées notamment à l’époque de la foire de Beaucaire. À ces pirates et corsaires des régences, Tripolitains, Tunisiens, Algériens, Saletins, s’ajoutent, jusqu’au règne de François Ier, des hommes libres, rameurs volontaires : les bonnevoglie. Ce n’est qu’à partir de 1544 que les délinquants sont envoyés aux galères, le roi exigeant de ses parlements qu’ils condamnent à cette peine plutôt qu’à la mort, afin de peupler les chiourmes levantines d’une main-d’oeuvre gratuite, jeune, robuste et enchaînée - le plus souvent à vie - à son banc de souffrance et d’infamie, où l’effort déployé impose à chacun de consommer jusqu’à 10 litres d’eau par jour ! Colbert poursuivra cette politique, supprimant les bonnevoglie et ne conservant, à côté des condamnés, que des esclaves achetés - à Majorque, Gênes, Marseille, et surtout à Malte ou à Livourne, où Anton Paolo Franceschi, le plus riche des Corses, possède en permanence 400 esclaves
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DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 380 régulièrement mis en vente sur le marché livournais dans les années 1685-1695. Au sein de cette chiourme cosmopolite aux crânes rasés, à la casaque rouge, figurent aussi des chrétiens orthodoxes, Grecs, Albanais, Russes, Polonais, achetés à Constantinople ; des Lorrains, des Savoyards, des Suisses, des Allemands, vendus par leur pays ; des Noirs, dont la couleur, inconnue des religieuses dunkerquoises, les stupéfie lorsqu’une galère de Louis XIV s’aventure au ponant ! Au milieu de ces esclaves, de ces auteurs de crimes de sang, de ces déserteurs, voleurs, faux-monnayeurs, faux sauniers et contrebandiers du tabac, quelques vagabonds, mendiants, « déviants sexuels », semblent égarés. Et que dire des 3 000 protestants condamnés à ramer, entre la révocation de l’édit de Nantes (1685) et la mort de Louis XIV (1715) ? Hommes de foi et du Désert, ils viennent grossir les rangs des 38 000 galériens qui arrivent à Marseille entre 1680 et 1715, à l’issue d’un éprouvant voyage - la « chaîne ». gallicanisme, mot créé au XIXe siècle, qui désigne un ensemble de traditions appelées, sous l’Ancien Régime, « les libertés de l’Église gallicane ». Il décrit une réalité aussi ancienne que l’identité française, élaborée au long de l’histoire des relations entre les Églises locales françaises et l’Église universelle. Il faut distinguer un gallicanisme royal, un gallicanisme parlementaire et universitaire, un gallicanisme épiscopal et presbytéral, tous trois issus, au Moyen Âge, de la lutte des rois et de leur justice contre les prétentions universalistes du pape, la centralisation romaine et les privilèges de juridiction de l’Église. Mais ces trois gallicanismes évoluent diversement selon le contexte historique. • Naissance et établissement du gallicanisme. L’élaboration des traditions françaises remonte à l’affrontement entre le pape Boniface VIII et le roi Philippe le Bel, dans les années 1300-1303. En effet, jamais une puissance politique et séculière n’avait affirmé ainsi son indépendance juridique à l’égard du pape. Cet événement doit beaucoup aux mutations du savoir au XIIIe siècle. L’augustinisme politique, qui guidait les rapports entre
pouvoir politique et pouvoir religieux, cède alors devant l’aristotélisme et le thomisme. Depuis saint Augustin (354-430), on pensait la société chrétienne régie par une seule justice, dont le pape était le magistrat suprême. Désormais, il est possible d’affirmer qu’il y a une justice propre aux pouvoirs temporels, sans pour autant nier l’existence d’une justice ultime. Lors des états généraux de 1302 et de 1303, les légistes du roi affirment l’indépendance du roi au temporel. Ils reconnaissent la supériorité du droit canon (car le pape ne peut s’y opposer). Ils rappellent les libertés de l’ancienne Église : élire les évêques et les abbés, qui disposent eux-mêmes des bénéfices inférieurs. Puis deux théologiens de l’Université de Paris, Marsile de Padoue, et son ami, l’aristotélicien Jean de Jandun, justifient pour la première fois la séparation de l’État et de l’Église. Dans le Defensor pacis (le roi), Marsile de Padoue décrit, en 1324, l’Église comme un service public dépendant de l’État, car elle n’est que « la multitude des croyants ». En fait, la position royale est beaucoup moins radicale. Les légistes estiment, en général, que l’Église a son domaine propre, le spirituel, et que celui-ci ne doit pas dominer le temporel. C’est à l’occasion du Grand Schisme (1378-1417) que le roi, soutenu par le parlement, prend l’habitude d’agir en chef de l’Église, tout en respectant le pape comme pouvoir spirituel. Quant au gallicanisme épiscopal, il défend aussi la réforme de l’Église. Il est diffusé, par exemple, par Jean Gerson, chancelier de l’Université de Paris. Pour les évêques, le concile est supérieur au pape. Les trois formes de gallicanisme sont coordonnées dans les ordonnances royales du 18 février 1407, puis reprises et développées au concile de Constance (1414-1418), et dans la pragmatique sanction de Bourges, qui limite les prérogatives papales. Ce texte devient une loi du royaume, à la suite d’un concile national, le 17 juillet 1438. • Le gallicanisme, instrument de consolidation du pouvoir absolu des rois. Le pape refuse la pragmatique sanction, mais n’excommunie pas Charles VII, car le roi l’applique de façon très modérée. Elle devient une arme pour limiter l’intervention du pape en France. François Ier, vainqueur à Marignan en 1515, négocie avec Léon X pour accroître son pouvoir légal sur l’Église, en disposant des bénéfices majeurs, par le concordat de Bologne (1516). C’est une victoire du gallica-
nisme royal, mais au détriment des autres gallicanismes, qui entraîne l’opposition obstinée des parlements et de l’Université au concordat. Les rapports des rois de France avec la papauté seront très fluctuants jusqu’à la Révolution, mais sans que les rois envisagent le schisme, et sans que les papes excommunient les rois. Les papes ont soutenu la Ligue ultracatholique, mais ils ont également conforté le pouvoir d’Henri IV en lui accordant l’absolution, un an seulement après son abjuration. Henri IV est, de ce fait, moins gallican que les parlements, qui refusent systématiquement de reconnaître le concile de Trente, au nom de la pragmatique sanction. Au XVIIe siècle, le gallicanisme royal est un outil diplomatique et le support de la tradition nationale. Ainsi, lorsque Richelieu menace de créer un patriarcat des Gaules, ce n’est qu’un chantage pour lutter contre les Habsbourg et contre le parti dévot, en obtenant la neutralité pontificale. La crise la plus grave survient en 1673 avec l’affaire de la Régale : Louis XIV décide unilatéralement d’étendre le régime concordataire aux diocèses conquis depuis 1516. Condamné par le pape Innocent XI, il répond par la réunion de l’Assemblée extraordinaire du clergé de 1681-1682. Le modéré Bossuet s’y fait remarquer par une célèbre homélie d’ouverture : « Paraissez maintenant, sainte Église gallicane, avec vos évêques orthodoxes et avec vos rois très chrétiens, et venez servir d’ornement à l’Église universelle. » L’Église gallicane est exaltée, mais le Saint-Siège est ménagé. La Déclaration des Quatre Articles, rédigée par Bossuet à partir de six articles de la Sorbonne de 1663, rappelle l’indépendance des rois au temporel, la supériorité du concile, le fait que le jugement du pape n’est pas irréformable. Le pape ne condamnera les Quatre Articles qu’en 1691. En fait, Louis XIV ne cesse de négocier. En 1693, le pape accepte l’extension de la régale, et le roi accepte que les Quatre Articles soient une opinion, et non pas un décret. À aucun moment le schisme n’a été envisagé. À côté du gallicanisme royal, le gallicanisme parlementaire et universitaire s’exprime avec beaucoup de radicalité dès que les circonstances s’y prêtent, c’est-à-dire lorsque le pouvoir royal se trouve affaibli. En 1594, Pierre Pithou rédige une compilation qui servira tout au long de l’Ancien Régime : Recueil des libertés de l’Église gallicane. Le syndic de la faculté de théologie, Edmond Richer, va plus loin, en 1611, en définissant l’Église comme une aristocratie, et les prêtres comme des
prélats mineurs auxquels le Christ a confié le pouvoir des clés. Ce presbytérianisme, qui considère que le curé dans sa paroisse est comme l’évêque dans son diocèse, sera repris par les jansénistes au XVIIIe siècle. Mais, si la production juridique et théologique est audacieuse, le clergé de France, à l’instar de Bossuet, reste très prudent. Le gallicanisme épiscopal est donc réduit à l’impuissance par le presbytérianisme, et le gallicanisme parlementaire, par l’absolutisme. Après la Révolution, ni la monarchie ni la faculté de théologie de Paris ne retrouvent l’appui de l’opinion publique sur des thèmes gallicans. Les évêques, soumis à l’État depuis le concordat de Napoléon, trouvent en Rome un contrepoids. La position gallicane est alors marginalisée. Quelques théologiens, surtout Dupanloup et Maret, maintiennent cependant une recherche théologique de grande qualité, pour éviter la mainmise du pouvoir pontifical sur l’Église. • Le gallicanisme théologique contre la primauté et l’infaillibilité pontificales. Les grands gallicans - Gerson, Bossuet, Maret ont toujours été des modérés, s’opposant à des formes extrêmes de catholicisme, à la « mariodulie » comme à la « papolâtrie ». Leur opposition s’appuie sur les traditions de l’Église française, au prix d’un immense effort d’érudition. Ils refusent les développements absolutistes donnés à la puissance pontificale dans la mise en application de la Contre-Réforme, en particulier aux positions ultramontaines - le mot naît au XVIIe siècle - de Robert Bellarmin. Ils témoignent, dans l’histoire des doctrines ecclésiologiques, du refus d’identifier l’Église à la papauté. Bossuet refuse de parler d’infaillibilité du pape, il parle d’« indéfectibilité », exprimant par là que les erreurs, si elles se produisent, ne peuvent prendre racine dans l’Église de Rome, et qu’elles sont passagères et personnelles. En 1794, la condamnation du gallicanisme (bulle Auctorem fidei) tient à sa liaison avec le jansénisme. En 1870, le concile de Vatican I déclare le pape « père et docteur de tous les fidèles ». Les jugements du Saint-Siège sont souverains, et même infaillibles lorsqu’il parle ex cathedra pour définir un point de dogme ou de morale. Ces jugements sont désormais irréformables par eux-mêmes, et non selon le consensus de l’Église : les positions gallicanes ne sont plus tenables. downloadModeText.vue.download 392 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 381 En fait, Rome et les gallicans ne partaient pas des mêmes conceptions de l’Église et du ministère hiérarchique. Les ultramontains posaient d’abord le pouvoir pontifical, et faisaient tout découler de lui. Les gallicans posaient d’abord l’unité de l’Ecclesia, du corps des fidèles, et ensuite seulement le service hiérarchique de ce corps. Pour eux, l’autorité spirituelle est partagée à la fois par le pouvoir pontifical et par le pouvoir épiscopal, de sorte que l’un ne peut s’exercer sans l’autre. C’est pourquoi, selon eux, les décisions dans l’Église n’ont force de loi qu’une fois reçues par les évêques. Le gallicanisme joue ainsi sur l’une des lignes de faille permanentes du catholicisme : les tensions entre pouvoir central et communautés locales, entre Église universelle et Églises locales. Des tensions redoublées, depuis le concile de Vatican II, par l’abandon de la définition « bellarminienne » de l’Église comme société hiérarchique, au profit de celle de « peuple de Dieu ». Bien qu’il reste quelques groupes schismatiques se réclamant du gallicanisme (les Vieux Catholiques, l’Église d’Utrecht...), celui-ci survit aujourd’hui dans le catholicisme français comme un état d’esprit, et non comme un principe d’action. Il existe une sensibilité catholique française particulière, fort susceptible, parfois rebelle à toute ingérence déraisonnable de Rome dans le fonctionnement des Églises locales, mais celle-ci reste très atténuée dans les faits. L’apport des traditions ecclésiologiques françaises demeure cependant important dans les débats concernant l’équilibre entre Églises locales et Église universelle. Gallieni (Joseph), maréchal de France (Saint-Béat, Haute-Garonne, 1849 - Versailles 1916). Saint-cyrien de formation, Gallieni prend part à la guerre de 1870, et, comme nombre d’officiers marqués par la défaite, il trouve un dérivatif dans l’idée coloniale. Véritable technicien de la colonisation, il est de ceux qui permettent à la France de bâtir son empire. Après des séjours en Afrique, puis au Tonkin, où il rencontre Lyautey, il devient gouverneur de Madagascar en 1896 ; confronté à des troubles, il fait déposer la reine Ranavalona et parachève la pacification de l’île. S’il a recours à la force, il n’en est pas pour autant partisan
de méthodes brutales et coercitives. Il préconise d’associer les chefs locaux à l’administration des territoires passés sous domination française. Son action ne se résume pas à la conquête et au maintien des indigènes dans une condition inférieure ; il promeut la mise en place des structures - telles que les écoles nécessaires au développement des territoires sous son contrôle. Nommé au Conseil supérieur de la guerre en 1908, il est pressenti comme chef d’étatmajor général de l’armée en 1911, mais s’efface, en fin de compte, devant le général Joffre. Deux ans plus tard, ayant atteint la limite d’âge, il part en retraite. En août 1914, alors que les Allemands marchent sur la capitale, Gallieni accepte le poste de gouverneur militaire de Paris. À ce titre, il joue un rôle essentiel dans la manoeuvre qui aboutit à la victoire de la Marne (septembre 1914), dont il partage incontestablement le mérite avec Joffre. Mais les relations qu’il entretient avec ce dernier, qui est investi du commandement des armées françaises, se dégradent. En octobre 1915, Aristide Briand, nouveau président du Conseil, confie à Gallieni le ministère de la Guerre, sachant qu’il servira de contrepoids au commandant en chef, alors tout-puissant. Au début de l’année 1916, alerté par le lieutenant-colonel Driant, également député à l’Assemblée, Gallieni s’enquiert auprès de Joffre de la mise en état de défense de la région fortifiée de Verdun, sur laquelle plane la menace d’une attaque allemande. Une controverse l’oppose alors au commandant en chef, qui n’entend pas tolérer l’immixtion du pouvoir politique dans les affaires militaires. Dans le même temps, le ministre de la Guerre parvient à faire admettre à un Parlement très réticent l’envoi au front de la classe 1917. Fatigué, malade, usé par l’ampleur de la tâche, il donne sa démission le 16 mars 1916, et meurt quelques semaines plus tard. Personnage clé des premières années de la Grande Guerre, Gallieni est élevé à la dignité de maréchal de France en 1921. Galliffet (Gaston Alexandre Auguste, marquis de), général et homme politique (Paris 1830 - id. 1909). Brillant officier en Crimée, en Italie, au Mexique, il prend le commandement de la cavalerie à Sedan, en 1870, ce qui lui vaut le titre de général. Fait prisonnier, il est libéré par Bismarck. Il est remarqué ensuite pour sa dureté dans la répression de la Commune,
désignant arbitrairement les prisonniers à fusiller sur place. Un reporter du Daily News note qu’il n’était pas bon d’être « sensiblement plus grand, plus petit, plus sale, plus propre, plus vieux ou plus laid que son voisin ». Gouverneur de Paris en 1880, lié aux gambettistes, il quitte le service actif en 1885. En 1899, Waldeck-Rousseau le nomme ministre de la Guerre dans le gouvernement de Défense républicaine, pour rassurer l’armée et la faire obéir : sa première circulaire est marquée par le mot d’ordre « Silence dans les rangs ! ». À la Chambre, aux socialistes qui le huent, rappelant son rôle en 1871, Galliffet répond, impavide : « Assassin, présent ! » Il veut tourner la page de l’affaire Dreyfus, souhaite un acquittement, mais croit le pays hostile, et cherche à minimiser l’Affaire, déclarant après l’octroi de la grâce présidentielle que l’incident est clos. En même temps, mutations et retraites lui permettent d’épurer l’armée, et les nominations à tous les grades passent des officiers les plus anciens au ministre, donc au pouvoir politique. Fatigué, Galliffet démissionne en mai 1900. « Le bourreau de la Commune » aura néanmoins réussi à esquisser la « républicanisation » de l’institution militaire, et à lui faire accepter la libération du capitaine Dreyfus. gallo-romain, terme apparu au XIXe siècle, et dont l’usage commode cache mal la difficulté de démêler l’écheveau des influences celtique et romaine dans la Gaule conquise. Si les différences avec l’Orient romain sont sensibles, elles sont moins perceptibles avec les autres provinces issues du monde celtique. En architecture, les écarts sont minimes, à l’exception du fanum, temple à plan centré, souvent carré, et du théâtre-amphithéâtre : les deux monuments sont fréquemment associés à des thermes dans des espaces ruraux inhabités, mais on ignore s’il s’agit de la parure urbaine de villages associés ou bien de sanctuaires. L’existence d’une sculpture gallo-romaine originale, caractérisée par l’humanisation des figurations divines et par le réalisme permanent des représentations funéraires (mausolée d’Igel), demeure, quant à elle, problématique. C’est dans le domaine religieux que le syncrétisme est le plus vif : l’interprétation romaine des dieux celtiques (Mars Ségomo) ne supprime pas les divinités indigènes (Sucellus) ou topiques (Nemausus). Cela dit, il ne faut pas minimiser le succès des dieux purement romains que diffusa la religion civique
des cités, d’autant que les cultes orientaux se limitèrent à certains groupes sociaux (soldats, fonctionnaires, négociants d’origine orientale). Quand, au IVe siècle, l’évêque Martin de Tours s’attaque au paganisme des campagnes, il ne se heurte donc pas à des traditions celtiques séculaires, mais aux cultes de la vie municipale, résultant d’une fusion cultuelle vieille de quatre siècles. Gambetta (Léon), homme politique, l’un des fondateurs et l’une des figures emblématiques de la IIIe République (Cahors, Lot, 1838 - Ville-d’Avray, Hauts-de-Seine, 1882). Gambetta joue un rôle décisif dans les premières années de la IIIe République, alors que le pays est encore sensible aux attraits du régime monarchique. Il est l’un des artisans de la conversion de la France à l’idée républicaine, tâche à laquelle il s’astreint sans relâche de 1870 à 1880. Il marque l’histoire politique de cette période bien plus par sa popularité, son verbe, son approche pragmatique, que par ses deux - brèves - expériences gouvernementales, en 1870-1871 puis en 1881-1882. • Un républicain sous l’Empire. Fils d’un Génois émigré qui tient un bazar à Cahors, il est avocat à Paris dès 1860, il se rend célèbre, en 1868, en défendant Louis Delescluze, poursuivi par le gouvernement impérial pour avoir lancé une souscription afin d’ériger un monument à la mémoire du député Baudin, mort sur les barricades en s’opposant au coup d’État du 2 décembre 1851. Sa plaidoirie, vibrante de passion républicaine, est un réquisitoire contre le régime. Il incarne alors la génération républicaine qui supplante celle des combattants de 1830 et de 1848. Il est élu député de Belleville, en 1869, en défendant un programme « radical » qui représentera une référence durant de nombreuses années : suffrage universel ; libertés individuelle, de réunion, d’association, et de la presse ; séparation des Églises et de l’État ; suppression des armées permanentes ; instruction primaire gratuite, laïque et obligatoire. Le 4 septembre 1870, trois jours après la défaite de Sedan, il fait acclamer la déchéance de Napoléon III au downloadModeText.vue.download 393 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 382 Palais-Bourbon, et proclame la République, avec Jules Favre et Jules Ferry, à l’Hôtel de
Ville. • L’organisateur de la « Défense nationale ». Ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de la Défense nationale, il soutient l’idée qu’il faut mobiliser toutes les énergies pour défendre « la patrie en danger ». Il quitte en ballon Paris assiégé par les Prussiens, et dirige avec vigueur, à Tours puis à Bordeaux, la délégation gouvernementale chargée d’organiser la résistance depuis la province. Son action, marquée par la référence à Valmy et au gouvernement de Salut public, est énergique : il réussit à regrouper 500 000 hommes, et à réorganiser trois armées, qui, toutefois, manquent d’officiers qualifiés et ne peuvent contenir la poussée allemande. Par ailleurs, son appel à la résistance de la population a été entendu, mais il ne sait pas en tirer parti. Hostile à l’arrêt des combats, il ne parvient pas, cependant, à entraîner derrière lui ses collègues du gouvernement, ni un pays qui, majoritairement, souhaite la paix. Après la capitulation de Paris et la signature d’un armistice (28 janvier 1871) qui l’indigne, Gambetta se voit refuser l’inéligibilité de l’ancien personnel impérial. Il quitte le gouvernement le 6 février. Élu député à l’assemblée nationale dans neuf départements, il choisit de représenter le Bas-Rhin en février, mais il démissionne au lendemain du traité de Francfort, pour protester contre la cession de l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne. • Le « commis voyageur » de la République. La Commune marque une étape importante dans son évolution politique. Réfugié à Saint-Sébastien, en Espagne, il est surpris par la violence des événements, et commence à penser que la république ne pourra s’installer de façon durable que si elle est présentée au plus grand nombre comme un régime paisible, libéré des excès extrémistes. Réélu à l’Assemblée en juillet 1871, il sillonne la France pour promouvoir l’idéal républicain, et fonde, en novembre, un quotidien, la République française. Le 26 septembre 1872, à Grenoble, il explique avec éloquence que, pour s’enraciner, la république doit s’appuyer sur « une couche sociale nouvelle » : la classe moyenne, qui émerge. Renonçant à la stratégie de rupture inscrite dans les programmes radicaux de la fin du Second Empire, il prend progressivement la tête d’un courant « opportuniste » qui cherche des alliances au centre pour installer le régime : les réformes doivent être entreprises avec prudence, sans brusquer l’opinion. Il s’attire ainsi les foudres de ses anciens amis radicaux, tel Clemenceau, aux yeux desquels il passe pour un « renégat ». Cependant, il reste un républicain fervent, comme en témoignent
son anticléricalisme et son désir d’émanciper les paysans des tutelles nobiliaires. Sa stratégie d’alliance politique avec le centre le conduit à accepter les lois constitutionnelles de 1875, critiquées par les radicaux, en particulier celle qui crée le Sénat, « grand conseil des communes de France ». Néanmoins, Gambetta est en tête du combat, lors de la crise du 16 mai 1877, quand il s’agit de défendre la république face à la dernière grande tentative de restauration monarchique ; au cours de la campagne électorale, il lance au président Mac-Mahon, qui a dissous la Chambre, une adresse promise à la postérité : « Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, il faudra se soumettre ou se démettre. » • Le rendez-vous manqué avec le pouvoir. Principal chef du parti républicain victorieux aux élections législatives de 1877, il dirige le groupe de l’Union républicaine à la Chambre des députés (tandis que Jules Ferry crée celui de la Gauche républicaine). Il semble désormais admis qu’il doive gouverner. Pourtant, le président Jules Grévy, inquiet, tout comme nombre de ses amis politiques, de sa popularité et de son tempérament autoritaire, lui refuse la présidence du Conseil. Gambetta se contente donc de celle de la Chambre des députés, à partir de 1879. Ce n’est qu’après la victoire éclatante de l’Union républicaine aux élections de 1881 que Grévy lui demande de former un gouvernement. Le « grand ministère » - appelé ainsi par dérision, puisque aucun des hauts responsables politiques du pays n’a souhaité y participer - est constitué le 14 novembre. Il regroupe des hommes jeunes, encore peu connus, tels Waldeck-Rousseau, Paul Bert ou Félix Faure, et dure moins de quatre-vingts jours. Attaqué à gauche pour ses velléités coloniales, et à droite pour son désir de nationaliser les chemins de fer, peu soutenu par ses propres amis opportunistes, Gambetta tombe sur la question du scrutin de liste : depuis longtemps, il a envisagé de stabiliser les institutions en renforçant l’exécutif, et en limitant la pratique du clientélisme des députés. Il est renversé le 27 janvier 1882, victime de la crainte que son charisme ne le transforme en dictateur. Il meurt quelques mois plus tard, des suites d’une blessure accidentelle. On lui fait des funérailles nationales Gamelin (Maurice Gustave), général (Paris 1872 - id. 1958). Saint-cyrien issu d’une famille d’officiers, Maurice Gamelin se lie à Joffre dès 1902, et, en 1914, dirige le cabinet de guerre du géné-
ralissime, avant de combattre sur la Somme. Promu général de division en 1925, il est l’adjoint de Sarrail, haut représentant de la France en Syrie, où il rétablit la situation militaire dans le djebel Druze. En 1927, il est nommé chef des troupes françaises du Levant. Sa carrière se poursuit à l’état-major : en 1935, il succède à Weygand comme vice-président du Conseil supérieur de la guerre ; en 1938, il est chef d’état-major de la Défense nationale. Mal renseigné, il déconseille l’emploi de la force face à Hitler, qui occupe la Rhénanie (mars 1936) puis le territoire des Sudètes (1938). Il jouit pourtant d’un grand prestige, notamment auprès des Britanniques : en septembre 1939, le rôle de chef des forces alliées en France ne lui est pas discuté. Croyant que les Allemands vont reprendre le plan Schlieffen de 1914, il masse ses troupes à la frontière belge : surpris par la guerre éclair, il ne peut contenir la percée des Ardennes. Reynaud sanctionne cet échec par un limogeage, le 17 mai 1940. Gamelin est accusé de négligence au procès de Riom ; il est ensuite fait prisonnier par les Allemands, qui le déportent au Tyrol, où les Américains le libéreront en 1945. Dans ses Mémoires (Servir), il a tenté de se justifier par rapport aux critiques lui reprochant, outre ses choix tactiques de 1939, sa stratégie défensive anachronique, le manque de préparation de l’armée française, et, sur le terrain, son inaptitude à coordonner l’action des troupes et à prendre des décisions. Garde impériale, corps d’élite de l’armée napoléonienne. Elle est issue de la Garde des Consuls, elle-même créée en 1800 par Bonaparte à partir de la Garde du Directoire et de celle des Conseils législatifs. Formée, à l’origine, d’anciens soldats de l’armée d’Italie, et ayant soutenu le coup d’État des 18 et 19 brumaire an VIII (9 et 10 novembre 1799), elle est placée sous l’autorité directe de l’Empereur par le décret du 10 mai 1804, qui lui donne le nom de « Garde impériale », et l’organise. Cette force, indépendante de l’armée pour son administration, joue un rôle de plus en plus important au sein du dispositif militaire et voit ses effectifs augmenter au fil des ans (quelque 9 700 hommes en 1804, contre environ 56 000 en 1812). Elle compte des unités d’infanterie, de cavalerie (dont les fameux mamelouks), d’artillerie et même de marine, et ses soldats et ses officiers bénéficient de soldes plus élevées que leurs homologues
des unités de ligne. Aux côtés de la Moyenne Garde et de la Jeune Garde, créées plus tardivement, la prestigieuse Vieille Garde, constituée de soldats ayant accompli au moins deux campagnes et cinq ans de service, est censée intervenir dans les moments critiques des batailles. Mais, considérée comme un corps de réserve, la Vieille Garde à pied - les « grognards » - se contente d’assurer la sécurité de l’Empereur. Toutefois, à Eylau (1807), puis pendant toute la campagne de Russie (1812), elle s’engage activement dans les combats. Symbole d’une armée où le mérite est distingué, et fidèle à Napoléon, elle est dissoute en 1814 par Louis XVIII. Reconstituée durant les Cent-Jours, elle forme les derniers carrés de Waterloo (1815), où elle est décimée. Garde nationale, force d’autodéfense civique créée au début de la Révolution, en 1789, et supprimée au lendemain de la Commune, en 1871. Formée de « citoyens soldats », la Garde nationale, police intérieure sédentaire ou mobile, et parfois creuset d’une réserve militaire de défense territoriale, constitue une force considérable avec laquelle les gouvernements doivent compter. Son organisation évoluera au gré des événements et des changements de régime politique. Hormis une brève parenthèse « démocratique » (1792-1795), elle est, jusqu’à la Commune, l’incarnation de la bourgeoisie censitaire, tantôt révolutionnaire, tantôt conservatrice. • Une force active dans les événements politiques. L’armement des citoyens s’impose à Paris lors de la crise de juillet 1789, qui voit la prise de la Bastille : il s’agit alors de se défendre tant des armées royales que des débordements populaires. Le 13 juillet, tandis que la capitale est en émoi, le Comité permanent des électeurs, formé à l’Hôtel de Ville, décide la constitution d’une milice downloadModeText.vue.download 394 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 383 bourgeoise de 48 000 hommes, qui, équipés à leurs frais, doivent assurer un service gratuit de garde et de patrouille. Sous les effets de la Grande Peur, l’exemple est bientôt suivi en province, mais inégalement selon les régions, et avec des statuts divers - que l’Assemblée nationale unifiera peu à peu. Par le décret des 29 septembre-14 octobre 1791, cette dernière
fait de l’appartenance à la Garde nationale un service obligatoire, réservé aux citoyens « actifs » (ceux qui peuvent exercer les droits politiques). Dépendante des municipalités, et non de l’État, la Garde est une institution ambiguë, hétérogène et souvent divisée : révolutionnaire tout autant que répressive, elle varie de couleur politique selon les réalités locales. Après la révolution du 10 août 1792, elle se démocratise en s’ouvrant à tous les citoyens. À Paris, où elle compte plus de 100 000 hommes au début 1793, elle est le bras armé des sections - radicales dans l’Est populaire, modérées, voire royalistes, dans les beaux quartiers de l’Ouest. Si ses canonniers tiennent le rôle principal lors de la journée qui voit la chute des girondins (2 juin 1793), elle ne devient pas pour autant un instrument de la dictature qui s’ensuit, et n’intervient guère pour sauver les robespierristes le 9 thermidor an II (27 juillet 1794). Réorganisée maintes fois sous la Convention thermidorienne et le Directoire, qui en défendent à nouveau l’accès aux milieux populaires et en brisent les structures urbaines, elle est marginalisée et supplantée par l’armée. Napoléon Bonaparte conserve l’institution, mais il en exclut Paris, où il crée une garde municipale soldée (1802), et tente de séduire les propriétaires en établissant à leur intention d’inoffensives compagnies d’élite. Cependant, en janvier 1814, face aux menaces d’invasion, il reconstitue la Garde parisienne, qui ne tardera pas à se mettre aux ordres de la Restauration. Sous la monarchie, la Garde nationale est préférée à l’armée, réputée fidèle à Napoléon, et est réorganisée dans tout le pays (1818). Toutefois, elle demeure au service de la bourgeoisie, dont elle est l’émanation. Elle est ainsi dissoute sous Charles X, accusée d’avoir manifesté contre le ministère Villèle (1827), mais, à nouveau sur pied lors des Trois Glorieuses, elle appuie la révolution de juillet 1830. Soutien de Louis-Philippe - le « roi bourgeois » -, elle réprime les émeutes populaires de 1832 et 1834, mais, réformiste, refuse de s’engager lors des journées de février 1848, une attitude qui contraint le roi à l’abdication. Sous la IIe République, elle combat les barricades ouvrières de juin 1848, puis, aisément neutralisée lors du coup d’État du 2 décembre 1851, elle est considérablement réduite, et perd toute influence sous le Second Empire. Après Sedan et la proclamation de la République, elle est réorganisée par le gouvernement provisoire, dit « de la Défense nationale », ayant pour mission de défendre
la capitale assiégée par les Prussiens. Hostile à la capitulation et en réaction aux provocations de l’Assemblée monarchiste issue des élections de février 1871, elle prend une part active dans le déclenchement de la Commune. Refusant que ses canons soient livrés au gouvernement de Versailles, la Garde nationale s’associe à la révolte du 18 mars, et son comité central, élu le 15 mars, et maître de Paris évacué par les versaillais, organise de nouvelles élections pour désigner un conseil général de la Commune. Cependant, en continuant de siéger après la mise en place de cette nouvelle structure, le comité central ajoutera à la confusion du mouvement communard. Près de trois mois après la défaite de la Commune, la turbulente Garde nationale est définitivement supprimée, en août 1871. Garnier (Marie Joseph François, dit Francis), militaire et explorateur (Saint-Étienne 1839 - Hanoi 1873). Officier de marine, issu d’un milieu royaliste, Francis Garnier sert lors de l’expédition de l’amiral Charner en Extrême-Orient (18601862) ; il se fixe alors en Cochinchine, où il est inspecteur des Affaires indigènes. En 1866, il accompagne Doudart de Lagrée pour l’exploration de la voie du Mékong ; à la mort de ce dernier, Garnier prend la tête de la mission, qui parvient au Yunnan et descend le Yangzi Jiang (Yang Tsé-kiang) jusqu’à Shangai (1866-1868). À son retour en France, le jeune officier prend part à la défense de Paris durant la guerre franco-allemande. En 1872, il repart pour l’Asie, où il remonte le Yangzi Jiang jusqu’aux rapides. En 1873, l’amiral Dupré l’envoie secourir le trafiquant d’armes Dupuis, menacé dans son commerce avec la Chine par le vice-roi du Tonkin. Les négociations échouent : sommé de partir, Garnier passe outre et, avec 120 hommes, s’empare de la citadelle de Hanoi, défendue par plusieurs milliers d’Annamites (21 novembre 1873). En un mois, il enlève l’ensemble des forteresses du delta du Sông Kôi (fleuve Rouge). Mais, isolé et sans renforts, il ne peut résister longtemps, et meurt dans une embuscade tendue par les Pavillons noirs (pirates chinois alliés du Tonkin). Francis Garnier figure parmi les promoteurs de l’action coloniale de la France. Si l’origine de ses expéditions tient au souci de l’Amirauté d’ouvrir des voies de commerce vers la Chine, lui-même, dans les relations
qu’il fait de ses voyages, met en avant la mission civilisatrice du pays. Avec les milieux gambettistes, auxquels il est lié, il participe ainsi à la définition d’un esprit colonial qui trouvera son épanouissement dans la politique de Jules Ferry. Garnier-Pagès (Louis), homme politique (Marseille 1803 - Paris 1878). Il est courtier de commerce à Paris depuis 1825 ; mais il vend sa charge en 1841, quand son frère aîné Étienne - l’un des chefs du mouvement républicain - meurt, et s’engage alors dans la vie politique. Il met son expérience de gestionnaire et ses compétences financières au service du parti républicain, qui compte surtout des avocats ou des journalistes parmi ses dirigeants. Député de l’Eure à partir de 1842, piètre orateur mais combattant tenace, il défend l’idée libérale auprès des républicains, s’opposant aux tenants du socialisme, et oeuvre à l’unification des oppositions de gauche face au régime de Juillet. Il représente une voie moyenne entre Ledru-Rollin et Odilon Barrot. Il devient maire de Paris au lendemain de la révolution de février 1848, puis rejoint le Gouvernement provisoire en tant que ministre des Finances. Impuissant face à la crise économique qui secoue alors la France, il se tourne vers des fonctions plus politiques à l’Assemblée constituante et à la Commission exécutive. L’accession au pouvoir de Louis Napoléon Bonaparte le rejette dans l’opposition. Représentant respecté de la génération des républicains quarante-huitards, toujours modéré dans ses idées mais propagandiste infatigable, il est élu au Corps législatif en 1864 contre l’ouvrier Tolain. Il entre au gouvernement de la Défense nationale en septembre 1870, mais son échec aux élections législatives de février 1871 met un terme à sa longue carrière politique. Gascogne, région comprise entre la Garonne et les Pyrénées, demeurée longtemps indépendante ou disputée entre la France et l’Angleterre. Le terme Vasconia, ou « Gascogne », apparaît vers la fin du VIe siècle pour désigner l’ancienne province romaine de Novempopulanie, désormais dominée par le peuple basque, qui reconnaît en 602 la souveraineté franque. Mais cette soumission demeure théorique, et la Gascogne reste indépendante aux VIIe et VIIIe siècles, en dépit de la création d’un duché (635), puis d’un comté (812), chargés d’inté-
grer la région au royaume franc. Le destin de la Gascogne est alors davantage lié à celui de la Navarre ou de l’Aragon, du fait de leur proximité géographique et culturelle, qu’à celui des régions plus septentrionales. Aux IXe et Xe siècles, à l’occasion des invasions normandes et du déclin de l’Empire carolingien, les comtes de Grande Gascogne parviennent à imposer leur suprématie sur l’ensemble de la région. En 977, le comte Guillaume Sanche reprend le titre de duc des Gascons. La région participe alors aux entreprises de reconquista dans la péninsule Ibérique, et bénéficie de l’essor du pèlerinage de Compostelle. Cependant, à partir de 1058, la Gascogne est intégrée au duché d’Aquitaine. En 1152, à la suite du mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri II d’Angleterre, elle s’agrège aux possessions des Plantagenêts. Du XIIIe au XVe siècle, ses barons profitent toutefois de la rivalité entre les rois d’Angleterre et les rois de France, et de leur situation frontalière, pour conserver une assez large autonomie. En dépit de son intégration au royaume de France au milieu du XVe siècle, la Gascogne conserve de nombreux particularismes. Au XVIe siècle, l’influence de la maison de Navarre favorise ainsi la diffusion de la Réforme dans la moyenne Garonne. D’autre part, à la fin du XVIe siècle et au XVIIe siècle, la présence, en nombre, dans les armées royales, d’une petite noblesse batailleuse, au verbe méridional, donne naissance, dès le milieu du XVIIe siècle, au type littéraire du Gascon fanfaron, qu’incarnent pour nous les figures de d’Artagnan ou de Cyrano de Bergerac. Gaston d’Orléans ! Orléans (Gaston, comte d’Eu, duc d’) downloadModeText.vue.download 395 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 384 Gaston Phébus ! Foix (Gaston III dit Gaston Phébus ou Fébus, comte de) l GAUCHE. Comme son antonyme « droite », le mot « gauche » acquiert une signification politique durant l’été 1789, lorsque les « patriotes » prennent l’habitude de siéger à gauche du président de l’Assemblée constituante. L’appellation est devenue courante au XIXe siècle - la « gauche dynastique » sous Louis-Philippe, la « gauche républicaine » de
Jules Ferry, dans les années 1870 - et reste revendiquée, au XXe siècle, en France mais aussi dans la plus grande partie du monde, par ceux qui, face à la droite, estiment représenter le changement, le mouvement, la lutte pour un monde meilleur. Cependant, comme la droite, la gauche a toujours été - et est encore - plurielle. Longtemps, la gauche française s’est définie, en priorité, par l’attachement aux principes de 1789 - les libéraux mettant plutôt l’accent sur la liberté, et les radicaux sur l’égalité - et par la méfiance à l’égard de l’Église catholique, jugée foncièrement hostile à la société moderne. Depuis le milieu du XIXe siècle, toutefois, la « question sociale », liée à la révolution industrielle, a favorisé l’apparition et le développement de nouvelles forces de gauche qui contestent le système capitaliste : le courant socialiste, d’ailleurs très divers, autoritaire ou libertaire, révolutionnaire ou réformiste. LA GAUCHE LIBÉRALE Elle est l’héritière des Lumières et de la majorité des « patriotes » de 1789, qui ont voulu régénérer la France en y établissant solidement les libertés, l’égalité des droits et la souveraineté nationale, dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle. Dans un premier temps, l’expérience a échoué : opposition du roi et des « aristocrates », radicalisation de la Révolution due à la guerre étrangère et civile, vaines tentatives de stabilisation sous le Directoire, dictature napoléonienne. Hostiles à celle-ci, les libéraux s’opposent ensuite très vite à la Restauration, au nom de la liberté de la presse, de la liberté religieuse (menacée par le « parti prêtre »), de l’égalité des droits (mise en cause par certains ultras) et, finalement, des droits du Parlement (bafoués par Charles X en juillet 1830). Ils peuvent s’appuyer sur la fraction éclairée de la noblesse et sur la plus grande partie de la bourgeoisie, et sont soutenus, lors des Trois Glorieuses, par le peuple de Paris et la majorité de l’opinion. Comme une quarantaine d’années plus tôt, ils se retrouvent alors aux prises avec l’agitation démocratique. Alors que le parti de la Résistance, formé d’ardents défenseurs de l’Ordre, tels Casimir Perier ou Guizot, s’emploie à la réprimer, le libéralisme de gauche (le parti du Mouvement, incluant la « gauche dynastique ») préconise l’élargissement d’un corps électoral étroitement censitaire, ainsi que d’autres concessions visant à écarter le danger d’une révolution nouvelle. Cependant, celle-ci éclate en février 1848 : le parti républicain modéré opère alors une première synthèse entre le libéralisme et la démocra-
tie, symbolisée par l’instauration du suffrage universel masculin. Vouée à l’échec dans la conjoncture troublée du milieu du siècle, cette politique sera consacrée par l’installation et l’ancrage, dans les années 1870 et 1880, de la IIIe République. Gambetta, Jules Ferry et les opportunistes garantissent solidement les principales libertés (de la presse, de réunion, des syndicats), la laïcité de l’enseignement face à l’influence d’un clergé traditionaliste, et souhaitent réaliser l’union sociale grâce à la promotion par l’école. La gauche libérale a ainsi tenu, avec quelque retard, la plupart des promesses de 1789. Mais elle s’inquiète des menaces d’une extrême gauche radicale et surtout socialiste. Après s’être en partie intégrée au Bloc des gauches, au début du XXe siècle, pour défendre la République contre le cléricalisme et une extrême droite agressive, elle passe définitivement dans le camp des droites une fois le régime républicain enraciné. LA GAUCHE RADICALE • Les jacobins. Dès 1790-1792, les « patriotes » les plus ardents, groupés en particulier dans le Club des jacobins (du nom du couvent où il tenait séance, à Paris) et d’autres sociétés populaires, et soutenus par les sans-culottes (le peuple révolutionnaire, celui des villes, surtout), accusent les modérés de tendre vers un compromis avec les forces d’Ancien Régime. Sous la pression des sans-culottes, après l’insurrection du 10 août 1792, la République est proclamée, et le suffrage universel masculin, instauré. En l’an II, au prix d’une répression brutale (la Terreur), ces patriotes parviennent à sauver la République de l’invasion et de la subversion intérieure, tout en ébauchant une politique de démocratie sociale. À partir de l’été 1794, la réaction thermidorienne met fin à cette brève expérience, dont le souvenir va pourtant rester vivace : il contribue à maintenir la méfiance des libéraux modérés à l’égard des mouvements populaires et des « démagogues » ; il inspire, au cours du siècle suivant, ceux qui souhaitent reprendre l’oeuvre interrompue des « grands ancêtres », et réaliser une complète émancipation du peuple. • Le radicalisme militant. C’est ainsi que la tradition jacobine survit dans le parti républicain durant la monarchie de Juillet, appelé aussi « parti radical » (le terme, venu d’Angleterre, garde alors toute sa force), et dont les éléments les plus activistes déclenchent les
insurrections manquées de 1832 et 1834, et la révolution de février 1848. Très vite, les radicaux s’élèvent contre l’évolution rétrograde de la IIe République. Sous le nom de « montagnards » (qui désigne, en l’an II, l’aile gauche de la Convention), ils forment avec les socialistes le parti démocrate-socialiste, dont le programme prévoit d’importantes réformes en faveur des couches populaires. Aux élections de mai 1849, ils sont majoritaires dans une quinzaine de départements du Centre et du Midi, et obtiennent près d’un tiers des voix dans l’ensemble du pays. En 1851, ils sont les instigateurs des tentatives de réaction au coup d’État du 2 décembre, et les principales victimes de la répression qui s’ensuit. Le radicalisme renaît à la fin du Second Empire. Au printemps 1871, il se divise entre une extrême gauche, qui domine la Commune, et une tendance légaliste, qui cherche en vain la conciliation entre celle-ci et Versailles. Récusant définitivement la violence, c’est par la seule voie électorale que les radicaux entendent désormais conquérir le pouvoir. Généralement issus des classes moyennes, et trouvant des appuis dans la petite bourgeoisie, le peuple des villes et, de plus en plus, des campagnes détachées de la pratique religieuse, ils critiquent la prudence timorée des opportunistes, dénoncent l’influence néfaste de l’Église, affirment leur solidarité envers les « petits » contre les « gros » et les « monopoles », et nombre d’entre eux, comme en 1848-1851, acceptent volontiers l’épithète « socialiste », tout en condamnant un collectivisme qui menacerait les libertés. Parvenus au pouvoir en 1902, dans le Bloc des gauches, ils mènent une action vigoureusement anticléricale, qui aboutit à la séparation des Églises et de l’État (1905). • Le radicalisme gestionnaire. Organisé en 1901 de manière à associer les militants aux élus et aux notables, le Parti républicain, radical et radical-socialiste devient, pour une trentaine d’années, la première force politique française, dominée, à la veille de la guerre, par Joseph Caillaux, et, dans l’entre-deux-guerres, par Édouard Herriot et Édouard Daladier. Il continue à réclamer des réformes sociales (dont l’impôt sur le revenu, voté en 1914), mais tend à devenir un parti gestionnaire. Il hésite entre l’alliance à gauche, avec les socialistes - contre la « réaction » et, plus tard, le « fascisme » - et la « concentration » avec la droite libérale - pour défendre l’ordre républicain face au danger de révolution qu’incarne, après 1920, le communisme marxiste-léni-
niste. En 1938, sous la pression de leur base sociale (chefs de petites et moyennes entreprises, paysans propriétaires), les radicaux mettent fin au Front populaire, et se reclassent au centre droit, où ils se maintiennent, mais dans une position diminuée, au début de la IVe République. • Le déclin. Cependant, assez nombreux sont, parmi eux, ceux qui restent fidèles à la tradition de gauche du parti. Ainsi Pierre Mendès France et ses amis, qui parviennent - pour peu de temps - à imposer leurs vues en 1955 : alliance avec les socialistes, modernisation volontariste de l’économie, décolonisation. Il en résulte une scission avec des éléments désormais enracinés au centre droit (Edgar Faure). Rassemblés durant une décennie (19621972) dans l’opposition au gaullisme, les radicaux se divisent durablement, en 1972, face au programme commun socialo-communiste. Les uns y adhèrent : c’est le Mouvement des radicaux de gauche (devenu Radical en 1994, puis Parti radical socialiste en 1996). Les autres le repoussent, préférant s’allier aux centristes, et s’intégrer, finalement, au début de 1978, dans cette confédération de la droite non gaulliste qu’est l’UDF. Resté à gauche ou passé à droite, le radicalisme s’est marginalisé (moins de 5 % des voix dans les années quatre-vingt-dix), à la suite de la dispersion de son électorat traditionnel, qui s’oriente vers les formations conservatrices (ainsi pour les downloadModeText.vue.download 396 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 385 classes moyennes non salariées) ou vers un socialisme devenu lui-même plus modéré. LA GAUCHE SOCIALISTE • De Babeuf à la Commune. Tout comme le radicalisme, le socialisme trouve son origine lointaine dans la crise de la fin du XVIIIe siècle. C’est en 1796 que Gracchus Babeuf tente de préparer une nouvelle révolution dirigée contre les « riches », et visant à établir l’égalité réelle par l’instauration de la communauté des terres et des produits. Au siècle suivant, Auguste Blanqui est, jusqu’à sa mort, l’apôtre du « communisme » que pourrait réaliser une minorité organisée s’emparant du pouvoir par l’insurrection. Mais, à l’époque romantique, les « prophètes » du socialisme croient plutôt aux vertus de la propagande et de l’exemple pour parvenir à une transfor-
mation sociale : Saint-Simon et ses disciples voudraient confier à un État aux mains des producteurs le soin d’organiser l’économie dans l’intérêt du plus grand nombre ; Fourier et les phalanstériens souhaitent généraliser les coopératives de production et de consommation ; Proudhon, les mutuelles au service des paysans et des artisans ; Louis Blanc, des ateliers sociaux autogérés avec le concours de l’État. Devenu une force politique par une importante adhésion ouvrière au printemps 1848, et à nouveau à la fin du Second Empire (avec l’essor des chambres syndicales et de l’Internationale), ce socialisme prémarxiste subit durement les répressions consécutives aux grands mouvements de juin 1848 et de la Commune de 1871. À cette dernière date, beaucoup le considèrent comme anéanti. • De la dispersion à l’unité. Cependant, le mouvement reprend sous la IIIe République, mais d’abord dans la dispersion. Le marxisme s’introduit en France, avec Jules Guesde. Nombre d’anciens blanquistes, autour d’Édouard Vaillant, se rapprochent de lui. Le réformisme inspire les partisans de Paul Brousse et la plupart des « indépendants », tandis que la tradition communaliste, anti-autoritaire, se maintient autour de Jean Allemane. Le syndicalisme s’organise de façon autonome, en dehors de toutes ces « sectes », mais subit en partie, à la fin du XIXe siècle l’influence de l’anarchisme : c’est le syndicalisme révolutionnaire, ou l’anarcho-syndicalisme, confiant dans les vertus de la grève générale pour jeter bas le capitalisme. En 1905, le socialisme politique, après bien des vicissitudes, parvient à s’unifier dans la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), sous le signe du marxisme. Jean Jaurès s’efforce, non sans succès, de réaliser une synthèse entre celui-ci et la tradition républicaine française : ainsi naît le « réformisme révolutionnaire ». En 1914, la SFIO est solidement implantée dans les grandes agglomérations industrielles et dans certaines campagnes « rouges » du Centre et du Midi, mais elle ne rassemble que 17 % des voix (34 % pour le Parti socialdémocrate allemand). • La scission. La Première Guerre mondiale, la vague révolutionnaire soulevée par l’exemple russe de 1917, la défaite électorale de la SFIO en 1919 et l’échec en 1920 des grèves conduites par la CGT entraînent, à Tours, en décembre 1920, une scission décisive. La rivalité parfois très âpre, entre un parti communiste tourné vers Moscou, léniniste, bientôt stalinien, et un parti socialiste
demeuré fidèle au marxisme, mais fortement ancré dans la république parlementaire, va marquer pour des décennies l’histoire de la gauche française. Les périodes d’alliance - parfois conflictuelle - sont rares : 1934-1938 avec le Front populaire, 1944-1947 au lendemain de la Libération, et, non sans interruptions, 1965-1984, puis à nouveau de 1997 à 2002. • Le PCF : de l’apogée au déclin. Renforcé lors du Front populaire par sa réinsertion dans la tradition jacobine et par le dynamisme de ses militants, fort du prestige acquis par ceux-ci dans la Résistance, le Parti communiste français (PCF) atteint son apogée en 1944-1947 (avec plus de 28 % des voix aux élections de novembre 1946) et le soutien de près de la moitié de la classe ouvrière, dont il se réclame. Il se stabilise ensuite, rassemblant plus de 25 % des voix pendant toute la fin de la IVe République, et de 20 à 22,4 % (hormis une baisse sensible à 19,2 % en 1958) sous la Ve République, jusqu’en 1978. Les élections de 1981 marquent, cependant, son déclin : il n’obtient qu’un peu plus de 16 % aux législatives de juin. En effet, le parti est victime de ses liens étroits avec le totalitarisme soviétique, de l’effritement de sa base sociale - paysannerie pauvre des anciennes campagnes « rouges », prolétariat industriel et, pendant quelques années, de la double concurrence d’une extrême gauche (surtout trotskiste) révélée par les événements de 1968 et d’un Parti socialiste rénové. Électoralement, il est ramené, à partir de 1986, à son niveau de 1924-1932 (environ 10 % des voix). • Le parti socialiste, de Léon Blum à François Mitterrand. Premier parti de la gauche dans les années trente, la SFIO est proche, sur le plan doctrinal, de la social-démocratie allemande ou scandinave, mais elle ne dispose pas de liens aussi solides avec un syndicalisme très jaloux de son indépendance, ni avec la classe ouvrière. Le Front populaire lui permet d’exercer le pouvoir en 1936 (Léon Blum dirige le gouvernement durant plus d’un an). Nettement dépassée par le PCF après la guerre, la SFIO s’engage alors, à l’époque de la Troisième Force (1947-1951), dans une politique de gestion aux côtés du centre droit et de la droite. Elle traverse une période de déclin, que la guerre d’Algérie accélère, et c’est en dehors d’elle, au Parti socialiste unifié (PSU) et dans les Clubs, que s’esquisse, au cours des années soixante, une rénovation du socialisme démocratique. L’essor du nouveau Parti socialiste (PS), créé en 1971, sous la direction de François Mitterrand, s’explique par
une unification partielle (avec la Convention des institutions républicaines), par l’adhésion de nombreux catholiques formés à la CFDT, par le choix d’une stratégie claire d’union de la gauche, et d’un projet différant à la fois du collectivisme bureaucratique et d’un réformisme timide ; enfin, par une convergence avec les classes moyennes salariées déçues par le gaullisme puis le giscardisme. En 1981, après une double victoire présidentielle et législative, c’est à nouveau l’épreuve du pouvoir : à l’issue d’importantes réformes, le projet socialiste se brise sur les dures réalités de la crise et de la mondialisation. Le parti se rallie alors plus nettement à l’économie de marché, et connaît un nouveau déclin électoral (moins de 18 % des voix en 1993, contre plus de 37 % en 1981, près de 32 % en 1986, et 37 % en 1988) et le retour dans l’opposition. La percée effectuée au cours des années soixantedix et quatre-vingt dans les professions intermédiaires, parmi les employés et au sein de la classe ouvrière, n’est cependant pas durablement compromise, comme l’atteste la victoire aux élections législatives du printemps 1997. La nouvelle expérience du pouvoir, marquée par un rassemblement des partis de gauche sous le nom de « gauche plurielle » (verts, radicaux, PS et PCF et MDC de JeanPierre Chevènement), se solde par une défaite en 2002. Cette défaite est due principalement à une politique économique qui a déçu son électorat par sa trop grande adaptation à l’économie de marché. L’échec est d’autant plus amer qu’une partie des voix de gauche s’est reportée sur l’extrême gauche, empêchant ainsi Lionel Jospin d’atteindre le second tour. LES SPÉCIFICITÉS DE LA GAUCHE Tandis que l’histoire de la droite française peut être placée sous le signe de la continuité des grandes tendances (traditionalisme, orléanisme et bonapartisme), celle de la gauche est longtemps marquée par des processus de substitution. Les courants qui avaient atteint leurs objectifs, ou renoncé à certains d’entre eux, se sont rangés dans le camp de l’ordre établi, mais ils ont été remplacés par d’autres forces, qui ont poursuivi leur combat, ou se sont proposé de nouvelles conquêtes. Ainsi, le libéralisme orléaniste, devenu conservateur après la défaite des ultras, a-t-il été relayé par le libéralisme démocratique du parti du Mouvement et des républicains modérés de 1848 et de 1880. Ces derniers, passés à droite, à leur tour, entre 1895 et 1914, ont vu leur place occupée par un radicalisme plus égalitaire, qui,
devenu lui-même en majorité conservateur, s’est effacé devant le socialisme, longtemps porteur d’un projet de dépassement du système capitaliste. On pouvait même penser, après 1945, que le socialisme - en fait réformiste - de la SFIO se verrait supplanté par le communisme révolutionnaire. Toutefois, ce « sinistrisme » - glissement à droite avec l’apparition de nouvelles forces à gauche -, caractéristique de la gauche française, n’a pas persisté dans la seconde moitié du XXe siècle : le communisme, bien loin de marginaliser le PS ou de le refouler à droite, a dû lui céder à nouveau le premier rang, et l’extrême gauche, active en 1968, est demeurée très minoritaire. Si l’on met à part celle-ci, si l’on prend en compte l’évolution du PCF, si l’on se remémore la faiblesse du radicalisme (et aussi celle du mouvement écologiste, lorsqu’il se situe ouvertement à gauche) on constate qu’au début du XXIe siècle la gauche française est dominée par le socialisme démocratique. La France, tout comme l’Italie depuis la naissance du Parti démocratique de la gauche (PDS), se rapproche donc sur ce point de l’Allemagne et de l’Angleterre, dont elle se distindownloadModeText.vue.download 397 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 386 guait par le poids du communisme. La perspective d’une « révolution prolétarienne » paraît définitivement écartée, celle d’une économie mixte avec un secteur public dominant est elle-même compromise. Ne reste donc ouverte que la voie social-démocrate, celle d’une gestion contrôlée de l’économie de marché, dans le but de promouvoir davantage de justice sociale. Cette volonté de pallier les conséquences néfastes de l’ultralibéralisme économique s’accompagne, le plus souvent, d’un libéralisme politique et culturel affiché : défense des droits de l’homme, des minorités, de la démocratie et de la paix dans le monde. Toutefois, la gauche ainsi définie est loin d’être unie. Elle se compose de plusieurs organisations jalouses de leur identité et de leur indépendance : à la différence du Parti communiste italien (PCI), le PCF ne s’est pas rallié ouvertement à la social-démocratie. Elle ne dispose encore ni d’un programme à court terme pour lutter contre la crise, ni de projets à plus long terme comportant une définition nouvelle du socialisme. Ses composantes sont en désaccord sur la construction
européenne, les dissidents de gauche du PS (le Mouvement des citoyens) se rapprochant, dans ce domaine, des positions communistes. Surtout, elle souffre de la faiblesse de ses appareils politiques (le PCF reste un parti de masse, mais le PS ne compte guère que 100 000 adhérents), et du déclin d’un syndicalisme qui, très divisé, ne regroupe plus qu’environ 10 % des salariés : il lui manque donc ce qui constitue un atout de la socialdémocratie classique. Aussi, son emprise sur son électorat, qui appartient très largement aux classes moyennes salariées et au milieu ouvrier, se révèle-t-elle fragile. François Mitterrand n’a été élu deux fois au second tour qu’avec un renfort de voix de droite. Alors que la gauche à forte composante radicale était normalement majoritaire au début du siècle, et à nouveau dans les années trente, la gauche socialiste et communiste ne l’a plus été, sauf exception, depuis 1946. gauchisme. Défini - et dénoncé - en 1920 par Lénine dans la Maladie infantile du communisme comme une déviation « de gauche » du marxisme, le terme « gauchisme » a connu une nouvelle jeunesse en France avec les événements de mai-juin 1968. • Un mouvement multiforme. La postérité en revient à Georges Marchais, futur secrétaire général du PCF, qui, dans un article de l’Humanité en date du 3 mai 1968, dénonce « de faux révolutionnaires à démasquer » : les « groupuscules gauchistes [...] particulièrement actifs parmi les étudiants ». À l’université de Nanterre, par exemple, on trouve les « maoïstes » ; les Jeunesses communistes révolutionnaires, qui rassemblent une partie des trotskistes ; le Comité des étudiants révolutionnaires, lui aussi à majorité trotskiste ; les anarchistes et divers groupes plus ou moins folkloriques. Malgré leurs contradictions, ces groupuscules - quelques centaines d’étudiants - se sont unifiés au sein du « Mouvement du 22 mars », animé par l’« anarchiste allemand » Daniel Cohn-Bendit. Le panorama de cette mouvance politique est assez complet. Les formules de l’article de Georges Marchais - publié le jour de lapremière manifestation étudiante à Paris après l’occupation de la Sorbonne par la police - sont reprises et détournées, les jours suivants, par dérision, par des milliers de manifestants scandant : « Nous sommes tous un groupuscule » et « Nous sommes tous des juifs allemands ». Le substantif « gauchiste », dépréciatif à l’origine, sert, depuis lors, à désigner un certain nombre de formations d’extrême gauche qui
occuperont les colonnes de la rubrique « Agitation » du journal le Monde jusqu’au milieu des années soixante-dix : la Gauche prolétarienne (maoïste) tient la vedette jusqu’en 1972, la Ligue communiste (trotskiste) de 1973 à 1975. La plupart de ces groupes ont été dissous par le gouvernement le 12 juin 1968, mais ils se reconstituent sous d’autres noms. • Les voix du gauchisme. Ils s’expriment aussi dans une presse aux titres évocateurs : la Cause du peuple-J’accuse, Tout, l’Idiot international, Le torchon brûle, Lutte ouvrière, le Libertaire, le Cri du peuple, Humanité rouge, Rouge, le Front libertaire, Cahiers de mai, Front rouge, Jeune révolutionnaire, vendus en kiosque (à 96 130 exemplaires par mois en 1971, selon le ministère de l’Intérieur) et surtout par les militants. Cette presse est parfois interdite et saisie ; certains directeurs de journaux sont condamnés et emprisonnés. Le relais est alors pris par des intellectuels tels que Jean-Paul Sartre ou Simone de Beauvoir, qui assurent la direction des publications, et donnent leur nom et leur caution, au nom de la liberté d’expression. • Diversité des modes d’action. Outre leurs divergences doctrinales, les groupes gauchistes se différencient par leurs tactiques et leurs modes d’action : spectaculaires, fondés sur l’action directe et parfois violente, pour la Gauche prolétarienne ; plus souterrains, en profondeur et tablant sur la durée, pour les trotskistes implantés chez les étudiants et les lycéens (et, en partie, à l’origine des manifestations de ces derniers en 1971 et 1973), alors que les maoïstes privilégient, pour leur part, les liens avec la « classe ouvrière », le « peuple » (en particulier, par le départ en usine de ceux que l’on nomme les « établis »). Le gauchisme français - à la différence de ses homologues italien ou allemand, appelés, symptomatiquement, « gauche » ou « opposition extra-parlementaire » - est marqué non seulement par son nom, qui fait étroitement référence au marxisme, mais aussi par sa confrontation avec le Parti communiste français. Les gauchistes, qui se sont regroupés avant 1968 dans l’opposition à la guerre du Viêt Nam, ont été les vecteurs et les haut-parleurs de la contestation multiforme des années post-68, qui entendait, à la fois, « transformer le monde » et changer la vie. Les utopies vont se dissoudre dans la crise économique, puis dans l’État socialiste. On assiste toutefois à un certain renouveau sous l’impulsion de leaders « historiques » comme Arlette Laguiller de Lutte Ouvrière,
qui obtient aux alentours de 5 % lors des élections présidentielles de 1995 et 2002 et de nouveaux militants tel Olivier Besancenot de la Ligue communiste révolutionnaire. Un certain rapprochement de ce dernier avec le PCF se dessine même. Gaudin (Martin Michel Charles), financier et homme politique (Saint-Denis 1756 - Gennevilliers 1841). Entré à 17 ans comme commis dans les bureaux des contributions publiques, il en devient, trois ans plus tard, directeur général, puis est nommé, en 1791, commissaire responsable de la recette à la Trésorerie nationale, institution créée par l’Assemblée constituante. Cette ascension exceptionnellement rapide dans l’administration des finances ne trahit pas un manque de convictions. Au contraire, après avoir proposé deux fois - et publiquement - sa démission (qui lui a été refusée), il abandonne finalement ses fonctions en 1795, et décline le poste de ministre des Finances du Directoire, puis celui de commissaire à la Trésorerie. En 1798, il finit par accepter d’être nommé commissaire de l’administration des Postes, avant que son expérience de technicien et l’appui de Sieyès ne le recommandent auprès de Bonaparte, qui en fait son ministre des Finances en novembre 1799, deux jours après le coup d’État du 18 brumaire. Gaudin assumera cette fonction durant tout le Consulat et l’Empire, et, de nouveau, pendant les Cent-Jours. Privé de la direction du Trésor, qui est sous la responsabilité de Mollien, il se consacre à la réorganisation de l’administration des impôts, et crée celle des contributions directes. Il est, en outre, à l’origine de la fondation de la Cour des comptes et de la Banque de France. Sa fidélité politique à l’Empereur, qui l’a fait duc de Gaète en 1809, ne l’empêche pas d’être, de 1820 à 1834, gouverneur de la Banque de France. l GAULE. La Gaule, en tant qu’entité ethniquement homogène et délimitée qui aurait immédiatement précédé la France proprement dite, est en grande partie une construction des historiens du XIXe siècle : César lui-même, notre principale source d’information, y distinguait trois régions culturellement bien distinctes. La Gaule ne se confond pas non plus avec l’ensemble celtique, qui s’étendait jusqu’en Europe centrale. La colonisation romaine a néanmoins constitué un premier moment d’unification de l’actuel territoire français, même s’il était morcelé en plusieurs entités
administratives. L’ÉMERGENCE DES CELTES Comme le reste de l’Europe, la France a d’abord été occupée, au paléolithique, par des Homo erectus, il y a environ un million d’années. Puis sont apparus des néanderthaliens, il y a 300 000 ans, et, enfin, des Homo sapiens sapiens, il y a 30 000 ans. Le néolithique, caractérisé par l’agriculture sédentaire et l’élevage, a constitué ensuite une étape décisive dans l’histoire du peuplement. Vers le début du VIe millénaire, des populations de colons néolithiques d’origine proche-orientale atteignent le midi de la France en longeant les côtes de la Méditerranée (culture cardiale). D’autres, remontant le bassin du Danube, pénètrent dans le Bassin parisien vers le downloadModeText.vue.download 398 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 387 début du Ve millénaire (culture rubanée), se mêlant, comme dans le Sud, aux populations, beaucoup moins nombreuses, des chasseurscueilleurs autochtones, les Tardenoisiens. Ces populations sont affectées, aux IVe et IIIe millénaires, par les mouvements internes et externes propres au chalcolithique : d’une part, l’apparition progressive des sociétés hiérarchisées (monuments mégalithiques, métallurgie de l’or et du cuivre) ; d’autre part, des mouvements ethniques complexes, tels ceux liés au phénomène campaniforme. C’est au début du IIe millénaire, avec l’avènement de l’âge du bronze, que l’Europe se stabilise en plusieurs grands ensembles ou « complexes » culturels, mais aussi techniques et économiques, qui resteront relativement stables jusqu’à l’émergence, au sein de chacun d’entre eux, de « peuples » attestés par les textes des historiens antiques. L’actuel territoire français se répartit lui-même entre plusieurs de ces ensembles. La façade atlantique, de l’Aquitaine à la Normandie, constitue, avec les îles Britanniques et le nord-ouest de l’Espagne, le « complexe atlantique ». Celui-ci se définit par une brillante métallurgie du bronze, que permettent les mines d’étain de Bretagne ou de Cornouailles ; au début de l’âge du bronze ancien, en particulier, de très riches tombes sous tumulus sont aménagées, tant en Bretagne (culture des tumulus armoricains) que dans le sud de la Grande-Bretagne (culture du Wessex). En revanche, le Langue-
doc paraît se trouver plutôt sous l’influence du « complexe ibérique » - on y parlait une langue ibérique dans les derniers siècles avant notre ère (inscriptions d’Ensérune) -, tandis que la Provence et une partie des Alpes entretiennent des relations étroites avec le « complexe italique ». Enfin, une grande moitié orientale du Bassin parisien ainsi que tout le nord-est du pays font partie, avec le sud de l’Allemagne, la Bohême, la Suisse et l’Autriche, du « complexe nord-alpin ». Ce dernier est défini à l’âge du bronze ancien par la « culture d’Unĕtice », suivie au bronze moyen par celle « des tumulus », puis, au bronze final, par le « groupe Rhin-Suisse-France orientale », qui se caractérise par une poterie noire aux formes très profilées. C’est au sein de ce vaste ensemble qu’émergent, à l’âge du fer, à partir du VIIIe siècle avant notre ère, les sociétés décrites comme « celtiques » ou « gauloises » par les historiens grecs et romains. Cependant, rien ne témoigne d’une unité politique, voire idéologique, au sein d’un tel ensemble ; du moins, de complexes réseaux d’échanges et de circulation y ont assuré au fil des siècles une certaine homogénéité des techniques et de la culture matérielle. LES CELTES ET LA MÉDITERRANÉE Le premier âge du fer (de 750 à 480 avant J.-C. environ) est dénommé, pour l’ensemble de l’Europe, « période de Hallstatt ». Ce nom désigne aussi, plus spécifiquement, le complexe nord-alpin tel qu’il se présente durant cette période - la richesse de la nécropole de Hallstatt, en Autriche, étant liée à l’exploitation des mines de sel gemme toutes proches. Au sein de ce complexe, une zone particulière limitée au nord-est de la France et au sud-ouest de l’Allemagne ainsi qu’à la Suisse se dégage : la zone des « résidences princières ». Durant le VIe siècle en effet, apparaissent de puissantes bourgades fortifiées, régulièrement échelonnées tous les cinquante ou soixante kilomètres, et contrôlant un réseau hiérarchisé de villages et de hameaux. Les plus connues sont, en Allemagne, la Heuneburg ou le Hohenasperg, et, en France, le mont Lassois en Côte-d’Or. C’est au pied de ce dernier que fut découverte la célèbre tombe de Vix, où une princesse celte était inhumée à côté d’un char de parade à quatre roues renforcées de bronze, et surtout à côté d’un immense cratère grec en bronze, le plus grand de l’Antiquité. De telles tombes, comme celle de Hochdorf en Allemagne, toujours implantées à proximité de résidences princières, témoignent de la mon-
tée de petites principautés dont le pouvoir et le prestige se fondent sur le contrôle de relations commerciales avec le monde méditerranéen. En effet, à partir du VIIe siècle, les cités méditerranéennes (Phéniciens, Carthaginois, Étrusques, Grecs), à la recherche de matières premières indispensables à leur économie (métaux, bois, aliments, esclaves, etc.), pratiquent le cabotage le long des côtes, et implantent des comptoirs, proposant des produits de luxe aux chefs barbares. Ces produits (cratères, cruches en bronze, coupes) sont liés essentiellement à la consommation du vin, dont la production est encore inconnue sur le territoire gaulois, et qui exerce une fascination sur les notables indigènes. Bientôt naissent de véritables villes grecques : Marseille, fondée en 600 avant J.-C. par des Grecs originaires de Phocée en Turquie, puis ses dépendances - Ampurias, sur la côte catalane espagnole, mais aussi Nice, Antibes, Olbia (près d’Hyères), Agde, etc. Les rapports commerciaux se développent avec l’arrière-pays méditerranéen, où l’influence culturelle est directe et conduit à des innovations techniques (architecture en pierre, four et tour de potier, etc.), ainsi qu’à l’apparition de véritables villes à l’urbanisme orthogonal strict, entourées de murailles de pierre renforcées par des tours carrées ou semi-circulaires, et parfois dominées par un donjon, comme à Nages, Nîmes, Ensérune, Martigues ou Entremont. On parle alors, à partir du VIe siècle, mais surtout du Ve, d’une « civilisation des oppidums » à propos de la France méditerranéenne. Le commerce de luxe méditerranéen atteint aussi le monde hallstattien, par la vallée du Rhône et les cols alpins. Mais le pouvoir des chefs hallstattiens, fondé sur l’échange de produits de luxe et sur le prestige, reste visiblement fragile, et, dès le début du Ve siècle, les résidences princières sont abandonnées, tandis que les tombes très luxueuses disparaissent. C’est le commencement du second âge du fer, ou « période de La Tène », qui, dans l’espace du complexe nord-alpin, n’est marqué par aucune rupture fondamentale dans les traditions stylistiques et ne s’accompagne pas de mouvements de population particuliers. Il s’agit en fait du retour à des formes sociales plus simples, entraînant la disparition temporaire de l’artisanat et du commerce de luxe. L’archéologie a bien mis en évidence dans le Bassin parisien les petits villages de cette époque, régulièrement échelonnés le long des cours d’eau tous les quatre ou cinq kilomètres. Ils se composent de mai-
sons quadrangulaires en bois, mesurant de 5 à 10 mètres de long, coiffées de toits à double pente. L’agriculture repose sur les céréales, et l’élevage, sur le boeuf et surtout le porc, accessoirement le mouton et la chèvre. La bassecour est déjà présente, tandis que la chasse occupe désormais une place limitée. LES MIGRATIONS CELTIQUES Au IVe siècle avant J.-C., on assiste de nouveau à une hiérarchisation sociale. Les personnages les plus importants sont inhumés sur des chars de guerre à deux roues, et accompagnés de vaisselle de bronze, importée ou locale, d’objets de parure et de pièces de harnachement. De telles tombes princières sont particulièrement spectaculaires en Champagne, même si elles sont présentes également dans le sud de la Belgique et en Rhénanie. Mais les IVe et IIIe siècles sont surtout caractérisés par de nombreux mouvements de population, dits « mouvements celtiques », dont les textes antiques et la recherche archéologique rendent compte précisément. Partis de la zone d’origine du complexe nord-alpin, ils s’orientent dans différentes directions. Ils semblent dus à la croissance continue de la population et à l’attrait des civilisations méditerranéennes d’où étaient issus les objets de luxe. Ils aboutissent, dans les régions de départ, à un affaiblissement des différenciations sociales, les tombes riches disparaissant à nouveau. Dans certains territoires, ces migrations se présentent comme une colonisation dense : ainsi en Europe centrale et orientale (Slovaquie, Transylvanie, Serbie), et jusqu’en Turquie (royaume des Galates). Dans d’autres, la domination celtique sera plus éphémère : siège de Rome par Brennus en 385 avant J.-C., attaque de Delphes en 279 avant J.-C. Ailleurs, enfin, il semble que les populations celtiques se soient mêlées aux autochtones, engendrant des civilisations mixtes : ainsi parle-t-on de « Celtibères » en Espagne, ou de « Celto-Ligures » en Provence. Ce dernier cas de figure est en fait assez complexe à saisir. C’est parce que s’y mêle une question linguistique. On appelle en effet langues « celtiques », un groupe de langues qui ne sont plus parlées aujourd’hui que dans les îles Britanniques (Irlande, pays de Galles, Écosse et, anciennement, Cornouailles et île de Man) et en Bretagne (le breton résulte d’une colonisation médiévale issue des îles Britanniques). Or, le peu que nous sachions des parlers gaulois (dont on trouve de rares traces écrites sur des inscriptions funéraires ou votives) les classe aussi parmi les langues
celtiques. Mais on ignore la date d’arrivée exacte des porteurs de ces langues, même si l’on tend généralement à faire coïncider complexe nord-alpin, Celtes et langues celtiques. Le débat est vif en Grande-Bretagne, où certains archéologues ne décèlent pas de colonisation massive à l’époque des mouvements celtiques des IVe et IIIe siècles avant J.-C., ce qui reporterait bien avant dans le temps la « celtisation » de cette région. Un problème identique se pose pour la moitié sud de la France. On y remarque, au IIIe siècle avant J.-C., l’arrivée d’objets typiquement celtiques tels que les armes et les parures de la downloadModeText.vue.download 399 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 388 nécropole d’Ensérune, tandis que la poterie poursuit, semble-t-il, les traditions indigènes. Mais, par ailleurs, une partie des populations rencontrées par les commerçants méditerranéens semble porter déjà des patronymes celtiques : c’est le cas des Ségobrives, sur le territoire desquels s’implante Marseille en 600 avant J.-C., donc avant les mouvements celtiques. Ainsi, il y a actuellement débat sur la caractérisation culturelle et ethnique de ces populations méridionales. Ces mouvements, en partie à la faveur des échanges culturels, permettent aussi le développement d’un art original, l’art celtique, fondé sur une prédilection pour les motifs géométriques curvilignes et pour une certaine stylisation des représentations humaines ou animales. Cet art est surtout connu par les objets de parure en métal, la statuaire restant essentiellement en bois. VERS LA CIVILISATION URBAINE Une fois les mouvements celtiques stabilisés, voire parfois en reflux, comme en Turquie ou en Italie du Nord, et les migrations ne pouvant plus servir d’exutoires à la croissance démographique, on assiste à nouveau à un renforcement de la hiérarchie sociale. Dans la moitié nord de la France, qui appartient à la zone celtique originelle, celle-ci se manifeste à travers l’émergence des oppidums : ces places fortes qui atteignent couramment une centaine d’hectares, sont entourées de murailles de bois et de terre (le fameux murus gallicus), et regroupent des activités à la fois artisanales, commerciales, politiques et religieuses. L’un des mieux connus est celui du mont Beuvray
(Bibracte), situé sur une hauteur du Morvan, mais il existe aussi des oppidums en plaine, comme à Villeneuve-Saint-Germain ou à Variscourt-Condé-sur-Suippe, dans l’Aisne. À la différence des oppidums du midi de la France, de taille plus restreinte (quelques hectares), et dont la répartition anarchique évoque une situation de compétition politique et économique au sein des élites indigènes, ceux du nord, de plus grande taille, s’insèrent dans un maillage régulier, structurant le territoire des différents « peuples » gaulois. Les noms de ceux-ci, au nombre d’une soixantaine, nous ont été rapportés par les historiens romains, et on considère que leurs frontières se sont grossièrement transmises, au travers de l’administration romaine, jusque dans les actuelles limites des diocèses. Sur le territoire de ces peuples figure tout un réseau de villages, de hameaux et de grandes fermes. Celles-ci se développent parallèlement aux oppidums et sont l’indice d’une aristocratie terrienne en plein essor. Les relations commerciales avec l’Italie et la Narbonnaise ne cessent de s’intensifier, et on trouve, à partir du IIe siècle avant J.-C., quantité d’amphores à vin sur différents sites gaulois. On peut donc considérer ces territoires ethniques comme autant d’« États » naissants, qui s’appuient sur des embryons de villes, une aristocratie terrienne et, dès le IIe siècle, un monnayage. Les premières monnaies gauloises, propres à chaque « peuple » ou « cité » (civitas, dans la terminologie romaine), imitent au départ les statères d’or de Philippe de Macédoine, mais s’en affranchissent bientôt, pour dériver vers des thèmes originaux et stylisés, considérés comme l’une des réussites de l’art celtique. Certains de ces peuples occupent des positions régionales dominantes, tels les Ambiens dans la Somme, les Bituriges en Berry, les Arvernes dans le sud du Massif central, ou les Éduens en Bourgogne et dans la vallée de la Saône. Des sanctuaires sont connus, soit dans les oppidums, soit en dehors, comme à Gournay-sur-Aronde ou à Ribemont-sur-Ancre, et souvent à proximité de frontières ethniques. Ils sont en général liés à la guerre : on y expose les trophées, voire les corps des guerriers ennemis. Les traces de ces rituels sont encore mieux conservées dans le Midi, à Glanum, Saint-Blaise ou Nages, mais surtout à Entremont et à Roquepertuse. Y ont été mis au jour des portiques en pierre, dont les piliers étaient ornés de têtes de guerriers morts, réelles ou
sculptées, et des statues de guerriers armés, debout ou assis en lotus. De telles sculptures, en pierre ou en bronze, se rencontrent aussi dans le Nord. Ces sanctuaires devaient être gérés par une caste de prêtres, les druides, dont César nous dit l’importance politique, au point que toute activité leur sera interdite peu de temps après la conquête. LA CONQUÊTE DES GAULES PAR ROME Elle commence en 124 avant J.-C. avec l’annexion de tout le Midi méditerranéen, Provence et Languedoc, qui devient la Gaule Transalpine (la Gaule Cisalpine étant l’Italie du Nord). Depuis le IIIe siècle, les importations italiques ont pris une part croissante dans le commerce avec les populations du Midi, tandis que Rome a repris l’Espagne et ses marges à Carthage, à la suite de la deuxième guerre punique (218-201 avant J.-C.). Marseille, en butte aux pressions des indigènes, notamment de la puissante Confédération des Saliens, dont la capitale est Entremont, près d’Aix-enProvence, appelle les armées romaines à son aide. Entremont est détruit et, malgré quelques révoltes ultérieures, la pacification achevée. De nombreux colons romains, anciens soldats ou plébéiens, s’installent ; une route littorale, la voie domitienne, est construite. Les coeurs urbains protohistoriques se transforment en villes romaines : Narbonne (première colonie romaine, fondée en 118 avant J.-C.), Arles, Orange, etc., tandis que Marseille reste pour un temps indépendante. Les Romains entretiennent avec le reste de la Gaule des relations commerciales - certains marchands italiens s’installant même dans les oppidums - mais aussi diplomatiques, malgré le passif légué par la guerre. Ainsi, les Éduens sont proclamés dès 125 avant J.-C. « amis et frères du peuple romain ». Il est vrai qu’une autre menace se fait désormais sentir, celle des Germains. Deux peuples germaniques, les Cimbres et les Teutons, réussissent même à traverser la Gaule en la ravageant, avant d’être écrasés in extremis par Marius en 101 avant J.-C., près de Verceil. Cette menace reste constante, même si la limite culturelle entre Celtes et Germains semble très floue, la frontière du Rhin que désignera César par la suite correspondant sans doute plus à des commodités stratégiques qu’à une réalité ethnique. Telle est la situation générale que trouve César en Gaule lorsqu’il devient gouverneur de la Cisalpine en 58 avant J.-C. Il décrit luimême la Gaule indépendante comme « divisée en trois parties » culturellement bien dis-
tinctes : dans le Sud-Ouest, l’Aquitaine, où au moins une partie de la population parlait sans doute des langues apparentées au basque ; dans le Centre, la Gaule « classique » ; dans le Nord, les « Belges ». Ces derniers, établis sur un territoire qui comprend tout le nord de la France, Champagne et Picardie y comprises, ainsi qu’une partie de la Belgique et de l’Allemagne, sont les moins touchés par l’influence méditerranéenne, et sont parfois considérés comme étant « d’origine germanique ». Pour intervenir en Gaule, César se pose d’abord en protecteur, notamment auprès des Éduens et des autres peuples déjà liés commercialement à Rome (Rèmes, Lingons). Il refoule dès 58 avant J.-C. la migration des Helvètes, qui projetaient de s’installer chez les Santons de la région de Saintes, ainsi qu’une incursion d’Arioviste, roi des Suèves, un peuple germanique. Il prend prétexte de ces menaces pour laisser désormais son armée cantonner en Gaule, ce qui provoque un cycle de révoltes, chaque fois durement réprimées. Elles agitent tour à tour les différents peuples gaulois et en 52 avant J.-C. aboutissent à une coalition générale menée par l’Arverne Vercingétorix et finalement écrasée à Alésia. Il reste encore à soumettre les populations des Alpes, ce qui est fait par Auguste, qui élève peu avant notre ère le célèbre « trophée des Alpes » de La Turbie, près de l’actuelle Monaco. César n’a sans doute pas planifié d’emblée cette conquête, qui accroît d’un tiers le territoire romain, mais il est entraîné dans une fuite en avant - révoltes et répression -, puisqu’il en va aussi de son prestige politique et de ses ambitions à Rome. Sa victoire le conduit naturellement à une dictature qui met fin à la République. Mais la conquête des Gaules s’inscrit aussi dans la logique de l’impérialisme romain, qui ne cesse d’étendre sa domination militaire et économique depuis au moins trois siècles. L’ADMINISTRATION ROMAINE La guerre, qui a fait environ un million de morts et au moins un demi-million d’esclaves, laisse la Gaule exsangue pendant une génération. Des révoltes sporadiques éclatent régulièrement : en 29 avant J.-C., en 21 après J.-C. sous la conduite du Belge Julius Florus et de l’Éduen Sacrovir, en 69-70 sous celle du Batave Civilis, au moment de la guerre civile qui suit la mort de Néron, ou encore en 192, à la mort de Commode. Mais ces mouvements revêtent toujours un caractère limité, et ne prennent jamais la forme (de toute façon
anachronique) d’un soulèvement national. Les derniers exemples présentent plutôt le caractère de coups d’État militaires régionaux, déclenchés à la faveur de périodes de troubles. Cela est plus vrai encore du célèbre « empire gaulois », établi en 260 à la suite de la capture et de l’exécution de l’empereur Valérien par les Perses Sassanides : plusieurs usurpateurs successifs, dont le général Postumus, réussissent, durant une quinzaine d’années, à faire de la Gaule et de ses marges une sorte de terdownloadModeText.vue.download 400 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 389 ritoire autonome, avant que l’Empire romain n’en reprenne le contrôle. Cet événement annonce les luttes de pouvoir et les partages territoriaux qui vont se succéder sans cesse pendant les siècles suivants. Les Romains savent aussi asseoir leur domination en instaurant une hiérarchie de statuts divers, entre les peuples (ou cités) gaulois mais aussi entre les individus ; une hiérarchie que chacun peut s’efforcer de gravir selon ses mérites et la qualité de sa soumission. Tout en bas de l’échelle figurent les « cités stipendiaires », celles qui, vaincues, ont été condamnées à payer un tribut ; viennent ensuite les cités réputées « libres » (Arvernes, Bituriges, Suessions, Trévires ...) ; et les cités « fédérées », théoriquement liées à Rome par un traité (foedus) : Carnutes, Éduens, Helvètes, Rèmes, ainsi que la ville de Marseille, annexée de fait par César dès 49 avant J.-C., au terme d’un siège. On compte encore au-dessus trois niveaux de cités « de droit romain » ; le statut le plus élevé, aligné sur celui de Rome, étant celui de « colonie ». Dans ce cas, il s’agit de villes plus ou moins fondées de toutes pièces telles que Nyons, Lyon, Valence, Vienne, Béziers, Orange, Arles ou Fréjus - presque toutes situées dans le Midi. Les couches dirigeantes des cités gauloises sont maintenues, et incitées au ralliement par diverses faveurs, y compris parfois des nominations au sénat romain. Elles contribuent sans doute à l’abandon progressif des langues vernaculaires au profit du latin, seule langue administrative. Quelques inscriptions gauloises en caractères latins (en général, de nature religieuse) nous ont cependant été transmises. Les notables romanisent rapidement leur nom, un certain nombre y incluant « Julius », patronyme de César et de ses successeurs, créant
ainsi un lien de fidélité particulier avec la famille impériale. Comme en Italie, les cités gauloises sont le plus souvent gérées par des collèges de magistrats cooptés et régulièrement renouvelés, qui assurent en partie le fonctionnement des villes en puisant dans leur propre fortune (c’est l’évergétisme, forme de mécénat avant l’heure), le reste étant financé par l’impôt, destiné à la fois aux cités et à l’Empire. À ce découpage ethnique traditionnel se superposent des divisions administratives plus larges, avec à leur tête des gouverneurs romains. Elles ont connu plusieurs modifications. Outre la Transalpine, devenue Narbonnaise, province sénatoriale, c’est-à-dire placée sous l’autorité du sénat romain, la Gaule comprend longtemps trois provinces impériales, dont les délimitations présentent un lointain rapport avec la distinction introduite par César : l’Aquitaine, qui englobe jusqu’aux Arvernes et aux Bituriges ; la Lyonnaise, au centre ; la Belgique, dans le Nord. Les deux dernières sont fortement entamées au nord et à l’est par les deux Germanies, inférieure et supérieure, qui forment un glacis protecteur appuyé sur le limes et la vallée du Rhin, et où sont cantonnées les armées. À cet ensemble s’ajoutent trois districts alpins, Alpes Maritimes, Cottiennes et Grées. Au IVe siècle, la Gaule est simplement redivisée en deux diocèses, dépendant respectivement des deux villes voisines de Lyon et de Vienne, le premier comprenant quatre Lyonnaises (de I à IV), deux Belgiques, deux Germanies et une Grande Séquanie ; le second, deux Narbonnaises, deux Aquitaines, une Novempopulanie au sud-ouest, une Viennoise et des Alpes Maritimes. LES VILLES ET LES CAMPAGNES L’occupation romaine a indubitablement accéléré l’urbanisation de la Gaule, qui était déjà bien engagée. Son urbanisme, ses monuments, son architecture publique et privée, s’imposent, au moins aux couches dirigeantes. De grands travaux sont réalisés, l’eau est amenée par des aqueducs souvent considérables (pont du Gard, pour alimenter Nîmes), des ports sont aménagés. Mais on considère que, malgré quelques grandes villes telles que Lyon, Narbonne, Nîmes, Trèves ou Vienne, et malgré les imposants monuments romains (arènes, théâtres, thermes ou arcs de triomphe) qui sont parvenus jusqu’à nous, l’urbanisation de la Gaule est restée relativement modeste en comparaison de celle d’autres régions du monde romain. Ces villes sont reliées par un réseau systématique de voies romaines rectilignes, conçues pour
un usage militaire, mais qui deviennent un important outil économique. Ces voies permettent de ravitailler les armées des frontières germanique et bretonne, dont les effectifs représentaient sans doute entre 200 000 et 300 000 hommes, donc des débouchés économiques énormes concernant les fournitures et l’armement. Les villes s’insèrent dans un tissu rural très dynamique. L’archéologie et la photographie aérienne ont été décisives, au cours de ces dernières années, pour modifier la vision traditionnelle et montrer l’intensité de l’exploitation du sol qui se met en place dans la Gaule romaine. On peut même affirmer que c’est à cette époque, et non au Moyen Âge comme on l’a longtemps cru, que se met en place, pour l’essentiel, le paysage rural français (du moins jusqu’aux remembrements modernes). Un cadastre est institué, qui facilite la perception de l’impôt foncier, les confiscations éventuelles, et ordonne le paysage. À Orange, on a retrouvé l’un de ces cadastres gravé sur le marbre. Jusqu’à nos jours, ces découpages cadastraux sont restés perceptibles dans le paysage (orientation des chemins et des haies). L’habitat rural se compose de bourgades d’importance moyenne (dont Bliesbrueck, en Lorraine, offre un bon exemple), de villages (vici, en latin), de hameaux et de fermes de grande exploitation. Parmi ces dernières, on distingue usuellement la villa typique, transposée du modèle romain, avec son plan strict, ses bâtiments en pierre, ses enclos quadrangulaires, sa demeure principale aux murs parfois ornés de fresques ; et la ferme traditionnelle ou « indigène », héritée des grandes propriétés de la fin de l’âge du fer, avec ses enclos irréguliers et ses bâtiments en bois. La réalité est plus complexe, architectures de pierre ou de bois et de terre se mêlant fréquemment. L’occupation du sol est très dense, comme l’ont confirmé des prospections archéologiques intensives dans des régions - la Picardie ou le Berry, par exemple - longtemps considérées comme peu peuplées. Les sols lourds des plateaux sont massivement défrichés et cultivés, ce que permet l’araire à soc dissymétrique, qui annonce la charrue. Dans les grandes plaines du Nord, on utilise la « moissonneuse gauloise », sorte de large brouette, munie de dents et poussée par un animal, qui fauche les céréales. Les Romains introduisent dans le Midi l’olivier et la vigne, qui se développent rapidement. Le vin gaulois
se répand, et on a retrouvé à Sallèles d’Aude des ateliers industriels d’amphores gauloises, dont l’usage est contemporain de celui du fameux tonneau gaulois en bois. Parmi les productions artisanales, la poterie est particulièrement bien connue, notamment la céramique sigillée, vaisselle d’usage courant, de couleur rouge, et aux décors en relief. Fabriquée à l’origine à Arezzo, en Italie centrale, elle est également produite en masse à Lyon, puis, dès le Ier siècle, dans des ateliers du Midi (La Graufesenque, près de Millau) et du Centre (Lezoux), où des millions de pièces sont fabriquées et exportées dans tout l’Empire. LES RELIGIONS DE LA GAULE La vie religieuse de la Gaule revêt des formes variées. La religion officielle est celle de Rome, mais César et d’autres dignitaires romains ont immédiatement assimilé, avec plus ou moins de pertinence, les divinités gauloises à celles de Rome, supposées universelles. Il ne reste alors aux Gaulois qu’à reprendre ces noms latins à leur compte, en leur adjoignant, au besoin, suivant les lieux et les circonstances, des qualificatifs gaulois (Apollon-Bélénus, Mercure-Sylvanus). Des formes multiples de syncrétisme sont attestées, et on voit parfois sur une même stèle le dieu gaulois à ramure de cerf Cernunnos voisiner avec Apollon et Mercure. Une bonne partie de nos documents sur la religion gauloise sont d’ailleurs d’époque gallo-romaine. La spécificité gauloise est visible dans les sanctuaires, dont plusieurs centaines ont été répertoriées. Ils adoptent des formes particulières, les bâtiments étant entourés d’une galerie, et orientés à l’est - alors que les temples gréco-romains sont orientés à l’ouest. Les sanctuaires liés à des sources supposées guérisseuses constituent une autre originalité, d’autant que deux d’entre eux, à Chamalières et aux sources de la Seine, nous ont livré toute une statuaire en bois - préservée grâce à l’humidité - inconnue ailleurs. Rome a exercé un certain contrôle sur ces cultes, interdisant rapidement les sacrifices humains mais aussi l’activité des druides. L’un des piliers de l’ordre romain a d’ailleurs été le culte de l’empereur, rendu un peu partout, et spécifiquement à Lyon, où un autel confédéral est élevé à partir de 12 avant J.-C. Des délégués de toutes les cités gauloises s’y réunissent chaque année pour y célébrer le culte « de Rome et d’Auguste », y organiser des jeux et réaffirmer ainsi leur fidélité. À ces divers cultes viennent bientôt s’ajouter, à
partir des IIe et IIIe siècles, des religions orientales. La plus répandue est d’abord le culte à mystères de Mithra, divinité solaire d’origine perse dont on a retrouvé plusieurs sanctuaires. Mais c’est le christianisme, diffusé en premier lieu en milieu urbain (Lyon, Lutèce), qui, avec ses diverses hérésies, est promis au plus bel avenir ; d’abord combattu, il est autorisé en 313 par Constantin Ier et devient downloadModeText.vue.download 401 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 390 peu à peu la religion majoritaire, puis officielle - le paganisme étant finalement interdit par Théodose Ier en 392. INVASIONS ET CONTINUITÉ Depuis un certain temps déjà, on ne considère plus le Ve siècle comme celui d’invasions barbares soudaines et catastrophiques qui auraient brutalement mis fin à l’Empire romain. Il y a certes des dates fatidiques : le 31 décembre 406, Vandales, Alains, Burgondes et Suèves franchissent le Rhin gelé, balayant les garnisons du limes, et se répandent dans l’Empire ; en 410, Rome est pillée par le Wisigoth Alaric Ier, puis, en 455, par le Vandale Genséric ; en 476, le dernier empereur officiel de l’Empire romain d’Occident, Romulus Augustule, est déposé par ses troupes barbares, ce qui marque peut-être la fin de l’Antiquité et le début du Moyen Âge. La réalité est cependant plus nuancée. D’une part, les différents peuples barbares ne mobilisent souvent que quelques dizaines de milliers d’individus. D’autre part, le but ultime de ces populations n’est pas le saccage, mais une installation paisible sur des territoires à la fois opulents et éloignés des menaces d’envahisseurs originaires de contrées encore plus orientales. Aussi, les différents princes barbares demandent-ils en fait à intégrer un Empire qui reste pour eux une référence prestigieuse. C’est pourquoi Rome conclut avec eux des « traités » (foedus) qui font de ces peuples des « fédérés ». C’est le cas des Wisigoths en Aquitaine à partir de 418, des Burgondes dans le sud-est de la Gaule en 443, et enfin des Francs dans le nord du pays dès 448. La présence de ces peuples est ainsi légalisée, tandis que leurs guerriers sont enrôlés sous la bannière de l’armée romaine. On a pu remarquer que l’invasion d’Attila et des Huns, qui entraînent derrière eux divers
peuples germaniques, et son arrêt aux champs Catalauniques par Aetius en 451, ne signifient pas le choc de Rome contre les Barbares mais plutôt l’affrontement de deux coalitions armées composites, toutes deux germaniques pour l’essentiel ! La Gaule est donc partagée entre plusieurs royaumes barbares, qui sont en même temps autant de provinces romaines : wisigoth, burgonde, franc, tandis que l’Armorique est presque autonome et que le nord du Bassin parisien est encore administré par des notables romains. Dès lors, et pour plusieurs siècles, les identités ethniques, sinon nationales, deviennent d’une grande complexité, un même individu pouvant se réclamer, suivant les circonstances, de plusieurs d’entre elles. C’est pourquoi on peut relativiser aussi l’importance fondatrice du baptême de Clovis vers 498. Certes, le chef franc était jusqu’alors adepte d’une religion germanique, d’ailleurs fort mal connue, mais il était aussi le responsable administratif et militaire d’une province romaine, la Belgique seconde. La tombe de son père Childéric Ier, chef d’une armée fédérée ayant passé un traité avec Rome, mort vers 481 et inhumé à Tournai, a révélé à la fois des parties de costume de style franc et des insignes de pouvoir faisant référence à Rome. Quant à Clovis lui-même, il sera considéré comme un consul par l’empereur d’Orient. En outre, la Gaule est pour l’essentiel chrétienne, et le baptême du chef franc apparaît surtout comme une manière de renforcer ses liens avec les notables lettrés des villes et avec les grands propriétaires fonciers, ainsi qu’avec leur réseau d’évêques, qui sont issus de leurs rangs. Le règne de Clovis sera surtout l’occasion de réunir sous son pouvoir les territoires « romains » du Bassin parisien, ainsi que ceux contrôlés par les Wisigoths. Mais, à sa mort, ces terres seront à nouveau divisées entre ses quatre fils. La culture matérielle confirme l’absence de rupture décisive. Les fouilles menées dans les cimetières ne montrent pas de modifications importantes quant aux caractères physiques des populations. L’occupation des villes, mais aussi des grandes propriétés rurales, se poursuit. Le style des poteries se transforme très lentement ; l’architecture religieuse chrétienne reprend une grande partie des plans et des techniques des constructions antiques. Le latin reste, pour longtemps, la langue véhiculaire et administrative. À partir de quand ne
peut-on plus parler de « Gaule » ? Sous l’Empire, le terme n’avait de sens officiel qu’administratif (et il y avait plusieurs Gaules). Les chefs « barbares » se réclament de Rome seule, et la dynastie mérovingienne, à la suite de Clovis, sera celle des « rois des Francs ». Le terme Francia n’entrera pas dans les usages avant les XIe et XIIe siècles. L’« INVENTION » DE LA GAULE On voit donc pourquoi l’on peut parler d’une « invention de la Gaule ». La civilisation celtique, issue de l’évolution du complexe nordalpin à l’âge du fer, ne coïncidait guère, par excès et par défaut, avec les limites de l’actuel territoire français. Il y eut, progressivement, une « celtisation » de la moitié sud de la France (mais aussi de l’Espagne, de l’Italie du Nord et d’une partie de l’Europe orientale), puis une « germanisation » du domaine celtique oriental, et enfin une « romanisation » de l’ensemble du domaine celtique subsistant. César lui-même, tout en ayant témoigné de la diversité culturelle de la Gaule, s’est efforcé de distinguer fortement les Gaulois (dont les Belges) des Germains, alors qu’on relève de nombreux indices d’une situation bien plus complexe. Il n’y a jamais eu d’unité gauloise, même du temps de Rome, mais des dizaines de « peuples » gaulois, chacun en voie de se constituer en État au moment de la conquête romaine, et assez naturellement en lutte les uns contre les autres. Les Gaulois ont connu une fortune historiographique diverse. Ils ont longtemps été considérés comme des vaincus, civilisés par des vainqueurs qui en ont abondamment décrit la barbarie. L’aristocratie s’est réclamée des Francs, et on avait inventé un Francus fondateur, contemporain de la guerre de Troie. C’est la Révolution, au moment où s’affirme l’idée de nation, qui, retournant l’argument franc, considère les Gaulois comme les véritables ancêtres de la nation française, les Romains et les Francs n’étant que des envahisseurs. Une « celtomanie » romantique se développe pendant la première moitié du XIXe siècle, avant de s’effacer devant les progrès de l’archéologie. Napoléon III, à la recherche d’une idéologie nationale et populaire, est l’un des fondateurs de l’archéologie gauloise, faisant fouiller Alésia et créant à Saint-Germain-en-Laye le Musée des antiquités nationales. Pourtant, à la suite des historiens romantiques comme Michelet, Augustin et Amédée Thierry, ceux de la IIIe République, tel Camille Jullian, entreprennent de dépeindre une « nation gauloise ». Vercingétorix prend
alors toute sa place dans l’histoire d’une France vaincue en 1870 et amputée. Il sera à nouveau sollicité pendant d’autres périodes de crise, comme sous Vichy. Sauf exception, l’archéologie officielle restera longtemps cantonnée à l’étude des vestiges prestigieux de la Grèce, de Rome ou de l’Orient, laissant à des notables amateurs le soin de fouiller le sol plus modeste de la Gaule. Elle ne s’est vraiment développée que depuis une trentaine d’années sur le sol métropolitain, modifiant profondément les connaissances sur cette période. Ces progrès, conjugués à ceux de la critique historiographique, permettent d’offrir une vision renouvelée de la Gaule. Gaules (guerre des), nom donné à la série de campagnes militaires qui, entre 58 et 51 avant J.-C., aboutissent à la conquête totale du territoire gaulois par les armées romaines. Jules César en rédigea la chronique dans ses Commentarii de bello gallico. La conquête de la Gaule commence en fait par celles de la Provence et du Languedoc, enlevés en 124 avant J.-C. par Domitius Ahenobarbus et réunis dans la province de Gaule Transalpine. Mais c’est à partir de 58 avant J.-C. que s’engage la véritable guerre, lorsqu’un aristocrate romain, Caius Julius Caesar, est nommé gouverneur de la Transalpine. Jusqu’alors, les Romains entretenaient avec les peuples gaulois indépendants des relations à la fois commerciales et diplomatiques, notamment avec les Éduens, « frères du peuple romain ». C’est par un jeu subtil d’alliances et d’interventions que César va prendre pied en Gaule, pour en « pacifier » peu à peu les différentes régions. Le premier prétexte est, en 58 avant J.-C., la tentative des Helvètes de Suisse occidentale de quitter leur région, menacée par les Germains, pour s’installer dans les Charentes, avec l’accord des populations locales. Arguant des troubles que provoque leur migration, Jules César se rend à leur rencontre, les écrase à proximité de Bibracte, et les refoule jusque dans leur terre d’origine. Puis il repousse une incursion d’Arioviste, roi des Suèves, un peuple peut-être germanique. Après ces deux campagnes « d’assistance », l’armée romaine ne quittera plus la Gaule. Elle y cantonne au cours de l’hiver suivant, et César prend aussitôt prétexte d’une « conspiration » des Belges, les peuples gaulois les plus septentrionaux, mécontents de cette occupation, pour les attaquer. Il défait leur
coalition - réunissant 300 000 guerriers - sur l’Aisne, tandis que son lieutenant Crassus s’en va soumettre les peuples armoricains. En 56 avant J.-C., il doit à nouveau envoyer des corps d’armées dans différentes régions, à la fois chez les Belges, les Aquitains et les Armoricains. L’année suivante, il extermine, par downloadModeText.vue.download 402 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 391 un massacre de plus de 400 000 personnes, deux peuples germaniques « coupables » d’incursions, traverse le Rhin et, peu après, la Manche. Il se rend à nouveau en Grande-Bretagne en 54 avant J.-C., sans rencontrer beaucoup de succès, avant d’écraser impitoyablement une nouvelle révolte de peuples belges (Éburons, Trévires, Nerviens) en 53 avant J.-C. Enfin, en 52 avant J.-C., il doit affronter le soulèvement général conduit par Vercingétorix, qui se termine à Alésia. Quelques révoltes seront encore réprimées en 51 avant J.-C., par exemple lors du siège d’Uxellodunum (Lot), où les combattants auront tous, après leur reddition, la main droite tranchée. On estime que la guerre des Gaules fit environ un million de morts du côté gaulois et 40 000 du côté romain ; au moins un demi-million de Gaulois furent réduits en esclavage. l GAULLE (CHARLES DE). Charles de Gaulle, militaire et homme d’État, domine le paysage historique français du XXe siècle, en raison de l’ampleur et de la multiplicité des services rendus à son pays aussi bien que d’une personnalité puissamment originale, mise en valeur avec un art de l’expression sans égal en son temps. Sa carrière est l’exemple de ce que peut la volonté d’un homme face aux déterminismes ; elle rappelle l’importance du langage dans l’ordre politique. Tout grand destin est le fruit de la rencontre entre un personnage exceptionnel et des circonstances qui ne le sont pas moins. N’était le désastre où manque de s’abîmer la France en juin 1940, de Gaulle serait peut-être resté confiné dans les tâches - parfois considérables - réservées à ses pairs officiers. Mais, en 1940, la France est abattue, et il se présente hors de toute règle pour la relever et faire d’un pays en lambeaux l’un des vainqueurs de 1945. Treize ans plus tard, encore, alors que les développements de la
guerre d’Algérie menacent l’État d’une subversion radicale, il sait, par des voies singulières, rétablir l’ordre et inventer des institutions suffisamment bien agencées pour survivre à diverses crises politiques et alternances idéologiques. Une fois l’État restauré, non sans références à la tradition monarchique, Charles de Gaulle, après avoir présidé à l’émancipation d’un empire colonial dont le temps avait fait un fardeau et une entrave à sa liberté diplomatique, déploie ses talents, en vue de rendre à la France un rôle actif dans le débat international. RACINES, FAMILLE, CARRIÈRE Né à Lille le 9 novembre 1890, Charles de Gaulle appartient à une famille catholique miaristocratique, mi-bourgeoise, issue d’ancêtres bourguignons et irlandais (les Mac Cartan), et de cousins du pays de Bade. On trouve parmi ses ascendants des juristes, des militaires, des industriels et des érudits. La famille, installée à Paris, mène une vie étriquée : le père, Henri de Gaulle, est professeur de lettres, de philosophie et de mathématiques dans un établissement privé. Il contribue fortement à inculquer à son fils de solides connaissances historiques, et une bonne culture littéraire. C’est peu après l’affaire Dreyfus, et bien que l’armée en soit sortie ébranlée, que le second fils d’Henri de Gaulle, Charles, choisit de préparer le concours de Saint-Cyr. Admis en 1910, il ne se signale pas par des résultats exceptionnels. Sorti de l’école au 13e rang - le « major » de la promotion 1912 étant le futur maréchal Juin -, il opte pour l’infanterie, parce qu’elle est, dit-il, l’arme « la plus militaire », et se voit affecté au régiment d’Arras, que commande le colonel Pétain : c’est le début d’une relation mouvementée. Quand la guerre éclate, en août 1914, Charles de Gaulle vient d’être promu lieutenant. Il a lu tous les classiques militaires, de Jomini à Ardant du Picq, mais aussi Barrès et Bergson, et il est abonné aux Cahiers de la quinzaine, de Péguy. Il confie à des intimes qu’il se sent appelé à rendre à son pays « quelque service signalé ». LA GUERRE ET LES ÉVASIONS De Dinant à l’Argonne et à Verdun, le lieutenant puis capitaine de Gaulle montre son intrépidité face à l’épreuve du feu. Il est blessé
à trois reprises - la troisième fois, gravement, à Douaumont, en mars 1916. Inanimé, il tombe aux mains de l’ennemi, entamant trente-deux mois d’une captivité qui le mène dans cinq camps d’internement, dont le dernier est l’oflag d’Ingolstadt, où sont détenus les récidivistes de l’évasion. Lui-même a fait trois tentatives, qui se sont soldées par trois échecs. Cette longue captivité est pour lui une période essentielle de formation et de réflexion : il multiplie les lectures et les conférences aux codétenus, et étudie l’Allemagne de l’intérieur. Néanmoins, cette « demi-guerre » lui laisse un tel sentiment d’inaccomplissement que, à peine libéré, il s’engage pour la Pologne, où un détachement français aide Pilsudski à refouler les attaques de l’armée Rouge. L’« OFFICIER DE PLUME » ET LE MARÉCHAL Pendant près de vingt ans, c’est en tant qu’intellectuel militaire que le capitaine de Gaulle, promu commandant, puis colonel, va forger sa réputation, notamment dans l’ombre du maréchal Pétain. En effet, le vainqueur de Verdun, dernier survivant des grands chefs de la guerre de 1914-1918, qui règne sur l’armée française, l’appelle à son cabinet comme « officier de plume ». Le maréchal patronne luimême des conférences prononcées à l’École de guerre (1927) par son protégé, qui, donnant des leçons de commandement à un parterre d’officiers plus gradés que lui, y gagne une réputation durable d’outrecuidance. Tout contesté qu’il soit, Charles de Gaulle retient de plus en plus l’attention des spécialistes. Il publie, en une quinzaine d’années, une série de livres remarquables. Dans la Discorde chez l’ennemi (1924), décrivant la conduite de la guerre par l’Allemagne à la fin du conflit, en 1917 et 1918, il voit la cause de l’effondrement de l’empire dans la substitution du pouvoir militaire au pouvoir politique, seul apte, selon lui, aux décisions suprêmes. Suivront le Fil de l’épée (1932), refonte de ses conférences à l’École de guerre ; Vers l’armée de métier (1934) ; la France et son armée (1938), histoire militaire de la France qui lui vaut de grands éloges, et provoque la brouille avec Pétain. Mais sa carrière est alors bien lancée : ayant, parallèlement à l’écriture, exercé avec talent des commandements en Allemagne occupée, au Liban et à Metz, puis assumé des responsabilités au secrétariat général de la défense nationale, le colonel de
Gaulle est, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, un officier très en vue. LA CROISADE POUR LES CHARS D’autant que son nom est désormais attaché à une double campagne : pour la promotion des blindés dans la guerre moderne et pour la professionnalisation de l’armée. Dès 1934, dans Vers l’armée de métier, il présente un plaidoyer pour l’emploi massif des chars d’assaut, en vue de la guerre de mouvement qu’aurait à livrer la France si ses alliés de l’Est européen étaient attaqués par le IIIe Reich, et pour la création d’une armée de professionnels, seuls aptes, selon lui, à utiliser ce type d’armes. Cette campagne, menée avec le soutien de journalistes et de parlementaires, vaut à de Gaulle de nouvelles critiques au sein de l’institution militaire ; mais il reçoit l’appui de l’une des figures marquantes de la vie politique française, Paul Reynaud. Le futur président du Conseil se fait son avocat, mais ne peut vaincre les résistances d’une société politique attachée à la conscription, et, moins encore, d’une armée rétive à toute innovation, et placée sous l’égide du conservateur invétéré qu’est le maréchal Pétain. Entre-temps, néanmoins, le gouvernement présidé par Pierre Laval a signé, en 1935, un pacte de défense avec l’Union soviétique, qui fait planer sur l’Allemagne la menace d’une alliance de revers. Mais, quand Hitler réoccupe la rive gauche du Rhin, en 1936, puis dépèce la Tchécoslovaquie, en 1938 et 1939, la France, dépourvue de l’arme de riposte, se résigne devant les faits accomplis. Staline en tire la conclusion : les gouvernements de Paris n’étant pas crédibles, il pactise, en août 1939, avec les nazis, désormais libres d’agir à l’ouest. LE DÉSASTRE ET LE GOUVERNEMENT Hitler se hâte d’abord d’écraser la Pologne, durant la « drôle de guerre ». Quand il se retourne vers la France, le scénario se déroule conformément aux prévisions de de Gaulle. Les blindés allemands remplissent le type de mission que l’auteur de l’Armée de métier assignait aux forces françaises : ils contournent la ligne Maginot et déferlent sur la France, que les Britanniques, aussi mal préparés que leurs alliés, abandonnent pour refluer vers leur île, réservant leur aviation à la défense de ce sanctuaire. Au moment où l’armée française s’effondre, le colonel de Gaulle, qui s’est vu confier en catastrophe le commandement de la seule des grandes unités constituée selon ses préceptes, peut enfin démontrer, lors des
batailles de Montcornet et d’Abbeville (18 et 30 mai), où il tient tête au célèbre Guderian, l’efficacité opérationnelle de ses vues. Au combat, il est fait général de brigade « à titre temporaire ». Face à la débâcle, le gouvernement, présidé depuis mars 1940 par Paul Reynaud - qui, au début de juin, a nommé de Gaulle downloadModeText.vue.download 403 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 392 sous-secrétaire d’État à la Guerre -, doit se replier sur Bordeaux. Le 16 juin, Reynaud démissionne et le président de la République, Albert Lebrun, lui substitue le Maréchal Pétain, qui ne fait pas mystère de ses intentions : à peine nommé, il se prononce pour un armistice avec Hitler, décourageant toute défense. Au sein du gouvernement Reynaud, de Gaulle, avant d’être écarté par le maréchal, a multiplié les efforts pour prévenir cette issue, suggérant soit le repli sur le « réduit breton » adossé aux Britanniques, soit le transfert du gouvernement en Afrique du Nord, soit une « union d’États » entre l’Angleterre et la France. LE 18 JUIN ET « L’ESPRIT DE RÉSISTANCE » Tous ces plans ayant été rejetés, de Gaulle rejoint Londres, le 17 juin, à bord d’un avion mis à sa disposition par le premier ministre Winston Churchill, qui a mesuré la fermeté du général, depuis deux semaines, au cours des conférences interalliées. Et le 18, s’étant vu confier par son hôte le micro de la BBC, de Gaulle lance l’appel qui l’a fait entrer dans l’histoire, appel conclu par ces mots : « La flamme de la résistance française ne s’éteindra pas. » Au nom de qui parle-t-il, alors qu’en France, Pétain, chef du gouvernement légal, approuvé par la majorité de l’opinion, se résigne à un armistice qui réduit son pays à la vassalité et au dépeçage, avant de substituer à la république un « État français » promis à la collaboration avec l’occupant ? C’est en arguant d’une légitimité insaisissable - il lui revient de la fonder - que, avec le concours de Churchill, de Gaulle invente « la France libre », forte, à l’origine, de quelques centaines d’hommes seulement.
Mais Hitler n’a pas su - ou pu - pousser son offensive à travers la Manche. L’Angleterre, exaltée par son premier ministre, « tient » ; son aviation affirme sa suprématie et la solidarité américaine avec les démocrates ne saurait manquer de se renforcer. Accueillant Maurice Schumann à Londres à la fin de juin, de Gaulle lui déclare que la guerre est gagnée, et que le seul problème est celui de la part que la France prendra à la victoire. LA FRANCE LIBRE DANS L’ÉPREUVE Pour faire vivre « sa » France libre, de Gaulle dispose d’emblée de trois atouts : son génie verbal qui, porté par les ondes anglaises, va stimuler en France un esprit de résistance qui se manifeste déjà ici et là, et qu’avivent par ailleurs les rigueurs de l’Occupation ; l’alliance anglaise qui, à travers mille péripéties, affirmera sa solidité ; enfin, l’« empire », qu’il appelle à se joindre à lui dès sa première intervention, et dont le ralliement va s’opérer pièce par pièce, en dépit de l’échec subi lors de la tentative de ralliement de Dakar à la France libre en septembre 1940. Pourtant, de Gaulle n’enregistre pas toutes les adhésions qu’il espérait, et, même après l’entrée en guerre des États-Unis, il aura le plus grand mal à se faire reconnaître par le président Roosevelt, pièce maîtresse de la coalition contre le nazisme, qui le tient pour un apprenti dictateur. Mais il joue avec une étonnante maîtrise des cartes les plus contradictoires, entrant en relation avec l’Union soviétique (qui, agressée par le IIIe Reich en juin 1941, est entraînée malgré elle dans le conflit), sans rompre les ponts avec les AngloSaxons, rassemblant peu à peu les terres périphériques d’Afrique et d’Asie. Enfin et surtout, il noue des liens avec la Résistance intérieure. Non sans de longues incompréhensions, il parvient à assurer sur elle une autorité incarnée par son délégué sur le territoire national, Jean Moulin. Ce dernier réussit le tour de force de rassembler les divers courants et organisations au sein du Conseil national de la Résistance (CNR), avant de tomber entre les mains de la Gestapo en juin 1943. CHEF DU GOUVERNEMENT PROVISOIRE Tenu à l’écart du débarquement anglo-américain en Afrique du Nord (8 novembre 1942), le président Roosevelt ayant tour à tour misé sur l’amiral Darlan (assassiné le 25 décembre
1943) et le général Giraud, Charles de Gaulle parvient finalement à s’imposer comme le vrai chef des forces civiles et militaires françaises. Le Gouvernement provisoire de la République française, créé à Alger en juin 1943, a, dans un premier temps, deux coprésidents : le général Giraud, soutenu par Roosevelt, et de Gaulle. Deux mois plus tard, l’homme du 18 Juin est seul maître du jeu, son partenaire se contentant du commandement militaire. Néanmoins, lors du débarquement des forces alliées en Normandie, le 6 juin 1944, le président Roosevelt impose de nouveau la mise à l’écart du général de Gaulle, qui n’est « autorisé » à reprendre pied sur le sol national que six jours plus tard. Mais, alors que les Américains ont prévu de faire administrer la France libérée par une structure interalliée (Amgot), ce sont des personnalités ou organisations gaullistes qui reprennent les rênes du pouvoir. Partout où de Gaulle passe, et d’abord à Bayeux, en Normandie, il est accueilli par un véritable plébiscite. Le général est « reconnu » par les foules, pourtant surprises de voir surgir ce géant dont la radio a rendu la voix familière, mais dont la silhouette et le visage étaient inconnus. LA LIBÉRATION DE PARIS Les stratèges anglo-américains ont prévu de contourner Paris, pour ne pas perdre de temps dans leur poursuite de la Wehrmacht, qui bat en retraite vers l’Allemagne. Mais de Gaulle convainc le généralissime Eisenhower - qui entretient avec lui des relations beaucoup plus cordiales que ses collègues civils - que la libération de Paris constitue un acte décisif, de nature à abattre le moral des nazis et à ranimer la France. Mieux : il le persuade de désigner, pour accomplir cette tâche, la plus prestigieuse des grandes unités françaises, la 2e division blindée du général Leclerc, détachée de la IIIe armée américaine. Entré le 25 août 1944 dans un Paris encore crépitant de balles, le général de Gaulle, passant outre à la désapprobation américaine, peut conduire, le 26, des Champs-Élysées à Notre-Dame de Paris, un immense cortège qui, d’emblée, prend figure de « sacre » du « libérateur ». Ce soir-là, et bien que la guerre soit encore loin de son terme, Charles de Gaulle a rempli la mission qu’il s’était assigné le 18 juin 1940 : la France est ressuscitée. LE TRAIN EST-IL SUR LES RAILS ?
Il faut encore plus de sept mois au chef du Gouvernement provisoire de la République française pour saluer la libération complète du territoire et la victoire de la France et des Alliés sur le IIIe Reich. Mais il reste à remettre sur pied le pays dévasté, à tenter de rendre la « justice » à propos de la collaboration avec l’ennemi patronnée par Vichy, à essayer de rétablir les positions de la France dans ce que l’on appellera bientôt, non plus l’empire, mais l’Union française, à assurer à Paris sa place partout où se joue l’avenir du monde, notamment aux Nations unies, créées en juin 1945, à relancer l’économie, grâce à un plan conçu par Jean Monnet, afin de nourrir un peuple sorti exsangue du conflit. À la tête d’un gouvernement dit « tripartite », où se côtoient communistes, socialistes et représentants du Mouvement républicain populaire (MRP), de Gaulle s’affirme homme d’État comme il a été homme de guerre. Mais il ne peut empêcher que le retour des forces françaises en Indochine allume les brandons d’une guerre de huit ans, que la production industrielle stagne cruellement, que les rations alimentaires restent inférieures à ce que les familles se jugent en droit d’exiger, que la représentation nationale dote le pays d’une Constitution infirme. À la fin de 1945, et bien que réélu chef du gouvernement à l’unanimité par l’Assemblée nationale, le « libérateur » affronte un dilemme : soit accepter d’être le simple exécutant d’un Parlement tout-puissant, soit supplanter par la force ce « pouvoir à 600 têtes ». Il préfère s’effacer, le 20 janvier 1946, après avoir déclaré, abusivement, que « le train a été remis sur les rails ». LA « TRAVERSÉE DU DÉSERT » De Gaulle croit que les députés, affolés, le rappelleront bientôt. Il se trompe : le « régime des partis » s’installe, non sans révéler des hommes de valeur capables de mettre le pays, en six ou sept ans, sur la voie de la prospérité. Mais le régime improvisé à la Libération est condamné par le cancer des guerres coloniales, la leucémie provoquée par l’inflation - que de Gaulle s’est refusé à juguler dès l’origine en ne recourant pas aux procédures radicales proposées par son ministre Pierre Mendès France -, et l’incurable faiblesse des institutions. Dans sa Églises tout en pare le il rend
retraite de Colombey-les-Deux(Haute-Marne), Charles de Gaulle, rédigeant ses Mémoires de guerre, pré« recours ». Dès juin 1946, à Bayeux, public son plan de réforme constitu-
tionnelle, axé sur le renforcement de l’exécutif. Puis il tente de conquérir pacifiquement la majorité en créant le Rassemblement du peuple français (RPF), dont Malraux est le porte-parole, et Jacques Soustelle le secrétaire général. Après un brillant démarrage à l’occasion des élections municipales de 1947, cet ensemble composite, où la droite pèse de plus en plus lourd, reste minoritaire lors des législatives de 1951, et se disloque du fait d’ambitions rivales. Alors, en 1955, de Gaulle dit adieu à la vie publique. downloadModeText.vue.download 404 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 393 « RÉSURRECTION » ET « PAIX DES BRAVES » Ce sont les terribles convulsions provoquées par le soulèvement de l’Algérie, à partir de novembre 1954, qui vont entraîner le rappel au pouvoir de l’homme du 18 juin. Le caractère inextricable du problème - sauf à user de mesures extrêmes -, combiné à l’impotence d’un pouvoir parisien flottant au gré de majorités instables, semble conduire le pays au chaos. Mais, à l’occasion d’une sédition politico-militaire à Alger, prolongée par une amorce de coup de force de l’armée (en exécution du plan « Résurrection », qu’il n’a pas clairement désapprouvé), le reclus de Colombey est désigné pour prendre la tête d’un gouvernement chargé de trouver une issue au tragique imbroglio d’Algérie. De Gaulle a conscience que rien de grand ne pourra être entrepris sans que soit levée l’hypothèque algérienne. Mais cette opération vitale ne saurait être menée à bien sans un renforcement des institutions : en sept mois, de Gaulle réussit le double tour de force de faire approuver par référendum un projet de Constitution qui consacre le chef de l’État comme le maître du jeu, et d’amorcer simultanément un processus politique en Algérie, par l’offre de la « paix des braves ». Il lui faudra encore près de quatre ans non sans opérations sanglantes, répressions, assassinats politiques, terrorisme, chasséscroisés diplomatiques, tentatives de coups de force militaires, attentats contre sa personne - pour aboutir à une issue, d’ailleurs bâclée, les accords signés à Évian, en mars 1962. Ils ont le mérite, à ses yeux comme à ceux de
la majorité des Français consultés par référendum, de « libérer la France de l’Algérie ». De Gaulle a su se débarrasser du fardeau sans pouvoir préserver les chances, déjà très minces, d’assurer le maintien d’une population européenne utile à l’Algérie, ni sauver les Algériens (harkis) engagés du côté de l’armée française. Mais ni la France ni l’Europe ni le monde ne sont prêts, en 1962, à une prolongation de l’effort de guerre français outre-Méditerranée. UN PRÉSIDENT ROYAL Ayant fait appel à de Gaulle pour les tirer du « guêpier » algérien, et considérant les efforts et le talent déployés pour trancher ce noeud gordien, les Français ne sont pas disposés à lui marchander le pouvoir. Certes, la Constitution élaborée par lui et son garde des Sceaux, puis premier ministre, Michel Debré, revêt un aspect trop monarchique pour les uns, trop présidentiel (à l’américaine) pour d’autres. Mais, d’une consultation populaire à l’autre, le crédit accordé à de Gaulle par les électeurs avoisine les 80 % jusqu’à la fin du conflit, et ne s’effrite que lorsque s’éloigne l’urgence algérienne. Les adversaires de ce système « fort » (encore renforcé par l’élection du président de la République au suffrage universel, instituée par référendum en 1962), tels Pierre Mendès France et François Mitterrand, ont beau jeu d’incriminer certaines outrances du pouvoir, « dictatorial » selon celui-ci, « consulaire » selon celui-là, le contrôle abusif des médias, les risques d’autoritarisme que fait courir à la République l’article 16 de la Constitution, prévoyant, en cas d’urgence, la restriction des libertés publiques. C’est faire peu de cas des contraintes inhérentes à la guerre d’Algérie jusqu’en avril 1962, et oublier qu’à quelques « bavures » près le régime gaullien ne cesse d’être une démocratie parlementaire, fût-elle dotée d’un président de stature monarchique. UN RÔLE MONDIAL Une stature qui contribue à rendre à la France, sur le plan européen d’abord, mondial ensuite, une position excédant à coup sûr sa capacité productive et le poids de ses armes. Dès son retour au pouvoir, en 1958, de Gaulle a tout mis en oeuvre pour que la France, fort avancée déjà sur le plan de la recherche nucléaire, grâce à des savants tels que Joliot-Curie ou Jean Perrin, puisse disposer de l’arme atomique - ce qui est acquis en 1960.
Longtemps méfiant à l’endroit de la construction européenne, dont il a dénoncé les tendances fédéralistes incompatibles avec les souverainetés nationales - surtout en matière militaire -, Charles de Gaulle constate, sitôt qu’il accède au pouvoir, que la France bénéficie du fonctionnement des institutions européennes. Il sait en tirer les conséquences et « corriger le tir » : bientôt s’opère son ralliement à une Europe « politique », capable de faire équilibre aux deux super puissances de l’Est et de l’Ouest. Le « plan Fouchet », élaboré en 1961 par l’un de ses fidèles, semble l’expression de ce projet grandiose ; mais, craignant des entraves à ses initiatives diplomatiques ou stratégiques - ne faudra-t-il pas en référer à Bruxelles ou à La Haye chaque fois qu’il prétendra tenir la dragée haute à Washington ? - de Gaulle y renonce et se contente de nouer des liens de plus en plus étroits avec son voisin de l’Est, ayant su très tôt (1948) prôner la réconciliation avec l’Allemagne, et faire jouer au mieux la francophilie du chancelier Adenauer. Entre les États-Unis et l’Union soviétique, il ne prétend pas instaurer le « neutralisme ». Prêchant la « détente et la coopération » avec le « camp socialiste », il ne cesse de rappeler que la France fait partie du système d’alliance occidentale, et, lors de chacune des crises qui opposent les États-Unis à l’URSS, soit à propos de Cuba, où le gouvernement de Nikita Khrouchtchev a installé des missiles menaçant le territoire américain, soit à propos de Berlin, où les soviétiques « testent » périodiquement la solidité de la présence occidentale, de Gaulle manifeste la fidélité critique de la France à l’alliance américaine. En 1966, sa décision de retirer la France des « organismes intégrés » du Pacte atlantique revêt un sens à la fois symbolique - rappeler aux Français que la défense est d’abord « nationale » - et politique - aucun automatisme ne saurait entraîner la France dans un conflit où des intérêts vitaux ne sont pas engagés. Reste que son réquisitoire contre l’intervention américaine au Viêt Nam (discours de Phnom Penh, 1er septembre 1966), la remise en question du dollar en tant que monnaie de compte, ou la condamnation de telle ou telle attitude d’Israël en lutte contre les pays arabes, vont altérer, plus que de raison, les relations entre Paris et Washington. « DIX ANS, C’EST ASSEZ ! » Au début de 1968, la « république gaullienne » (Pierre Viansson-Ponté) a 10 ans. Sa façade est grandiose ; ses accomplissements,
imposants. Succédant en 1962 au juriste patriote Michel Debré au poste de Premier ministre, Georges Pompidou, ancien professeur de lettres devenu banquier, a donné une brillante impulsion à la modernisation industrielle et technique du pays. La conjoncture internationale aidant, la France connaît une croissance annuelle de 5 à 6 %. Mais cette expansion ne laisse pas d’être inégalitaire. En 1963, déjà, une longue grève des mineurs du Nord a résonné comme un signal d’alarme. En 1967, aux élections législatives, après un premier tour favorable au pouvoir, l’opposition manque, à quelques sièges près, de s’assurer la majorité. Lui-même soucieux de justice sociale, et en quête d’une doctrine libérée tant du « cynisme » capitaliste que de la « brutalité » communiste, de Gaulle ne parvient pas à faire partager ses préoccupations à son Premier ministre ni à sa majorité. L’orage qui gronde va prendre la forme la plus inattendue : celle d’un gigantesque chahut d’étudiants, relayé par le monde ouvrier. En mars 1968, à Nanterre, une fronde estudiantine contraint l’autorité à fermer l’université, provoquant un transfert de l’agitation sur Paris, où, dans les premiers jours de mai, la Sorbonne est l’enjeu d’une bataille qui se solde par de nombreux blessés du côté de la police, et par de nombreuses arrestations parmi les étudiants. La rive gauche de Paris s’enflamme, les rues se hérissent de barricades, alors que, tour à tour, le Premier ministre et le chef de l’État s’envolent pour de malencontreuses missions à l’étranger. Quand, rentrant de Roumanie, le Général exige le rétablissement de l’ordre, l’opération ne peut se dérouler sans dégâts. Le pouvoir semble se désagréger, tandis que les manifestations (un million de marcheurs le 13 mai) se déploient au cri de « Dix ans, c’est assez ! » Et quand, le 24 mai, de Gaulle prononce l’une de ses allocutions télévisées qui, depuis de longues années, lui valent la faveur de l’opinion, il n’est pas entendu ; les troubles s’étendent même sur la rive droite de la Seine et un peu partout dans les villes universitaires. Le 28 mai, il confie son désarroi à ses intimes et à quelques visiteurs. Le 29, au matin, ne prévenant que sa famille, il s’envole en hélicoptère vers l’est : il compte s’entretenir, près de Strasbourg, avec le général Massu, commandant en chef en Allemagne, figure emblématique de l’ordre militaire. Les circonstances font qu’il ne peut le rencontrer qu’outre-Rhin, à Baden-Baden : il n’y reste que cent minutes - assez pour plonger le premier ministre Pom-
pidou dans l’angoisse, l’opinion française dans l’incrédulité, le monde extérieur dans la stupéfaction. Est-il allé quérir un renfort militaire contre l’émeute ? Non. Il est allé respirer l’air des soldats, humer un parfum d’énergie et en revient revigoré. Le soir même, il est à Colombey, et, le lendemain, il prononce une allocution radiodiffusée qui, ponctuée par une énorme manifestation de ses partisans sur les ChampsÉlysées, retourne la situation. Son absence a donné le vertige à la France, sitôt appelés aux downloadModeText.vue.download 405 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 394 urnes, en juin, les électeurs accordent une majorité écrasante au parti qui se réclame du vieux chef. LA CÉRÉMONIE DES ADIEUX Mais qui a gagné les élections ? Pompidou, ou lui ? Pour réaffirmer sa légitimité personnelle, il lui faut organiser un référendum. Il en choisit mal le thème ou, plutôt, les thèmes : réforme du Sénat et régionalisation. Son autorité a été minée par les journées de mai et son étrange « escapade allemande », tandis que celle de Pompidou - privé, entre-temps, de ses fonctions de Premier ministre - s’est accrue. Vainqueur en juin, le parti de l’ordre a trouvé son homme, Georges Pompidou, et n’a plus que faire du vieux général (79 ans) recru de gloire et toujours imprévisible. Ne parle-t-il pas de participation des ouvriers à la gestion de l’entreprise ? De Gaulle a prévenu les électeurs : bien que rien ne l’y oblige, et bien qu’il s’agisse de questions secondaires, il se retirera s’il est mis en minorité. Il obtient moins de 47 % des suffrages, et, le 27 avril 1969, se démet de ses fonctions par un communiqué de vingt mots, en faisant dire, par ailleurs, qu’il n’a « plus rien à voir avec ce qui se passe. » Il se retire alors à Colombey, où il écrit les Mémoires d’espoir, et reçoit quelques vieux fidèles, tel Malraux (qui, de l’entretien, tire la matière d’un livre, les Chênes qu’on abat). Après un séjour en Irlande, il visite l’Espagne, et projette un voyage en Chine. Le 9 novembre 1970, quelques jours avant son quatre-vingtième anniversaire, il est foudroyé, chez lui, par une rupture de
l’aorte abdominale. Son testament, rédigé près de vingt ans auparavant, exclut des funérailles nationales pour son enterrement, qui se déroule à Colombey-les-Deux-Églises, le 12 novembre, en présence de sa famille, de quelques intimes, de la population locale et des compagnons de la Libération ; une cérémonie parallèle, à Notre-Dame de Paris, regroupe quatre-vingts chefs d’État. Les oeuvres que laissent les hommes d’action sont éminemment périssables conquêtes, victoires, alliances, traités, institutions même. Le nom de Charles de Gaulle, parce qu’il a été un « artiste de la politique » (Stanley Hoffmann), parce qu’il a prononcé des discours mémorables, rédigé de beaux Mémoires, et dialogué avec de grands écrivains, marquera plus longtemps peut-être la mémoire des hommes que ceux de plus formidables fondateurs d’empire. gaullisme, terme qui caractérise la pensée de Charles de Gaulle, sa mise en oeuvre et, plus largement, le courant politique s’inscrivant dans son sillage. • Les idées-forces du gaullisme : une synthèse originale. Plus qu’un corps de doctrine constitué, le gaullisme du Général se définit avant tout comme un ensemble d’idées et d’orientations politiques commandées par le souci de la grandeur nationale. Ainsi, refusant la défaite, de Gaulle lance l’appel à la résistance du 18 juin 1940, attirant autour de sa personne un noyau de fervents compagnons : le premier gaullisme se forge dans le cadre de la France libre. À la Libération, les préoccupations d’égalité sociale et de participation directe du peuple à la vie politique trouvent un début de réalisation quand le général de Gaulle est le chef du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), de juin 1944 au 20 janvier 1946. Épaulé par des ministres socialistes, communistes et MRP, il a recours au référendum et prend des mesures visant à une meilleure répartition de la richesse nationale. Le coeur de sa pensée politique, à savoir la nécessité d’un État fort qui soit subordonné à la nation, et d’un pouvoir exécutif au-dessus des partis et disposant de réels pouvoirs (discours de Bayeux, 16 juin 1946), se traduit d’abord par le rejet d’un pouvoir législatif omnipotent, dominé par les joutes partisanes, qu’incarne la IVe République : le gaullisme est alors « d’opposition ». Puis vient le temps du gaullisme « de pouvoir ».
La création de la Ve République en 1958, le choix d’une élection présidentielle au suffrage universel direct en 1962, correspondent à la volonté gaullienne de disposer d’un pouvoir exécutif fort et bénéficiant de l’assentiment populaire. La politique extérieure ou coloniale s’inspire du souci de préserver la souveraineté et d’affirmer le rôle de la France dans le monde. Ainsi, ne souhaitant pas livrer un combat d’arrière-garde, le Général se résout à l’indépendance de l’Algérie et des pays d’Afrique noire, qu’il estime inéluctable. Il se fait l’artisan d’une coopération européenne tissée autour de l’amitié franco-allemande, et décide d’une force de frappe atomique nationale. Enfin, sans refuser l’alliance atlantique, il s’oppose à la domination militaire et diplomatique des États-Unis. Le gaullisme de De Gaulle est donc essentiellement une forme de nationalisme. Sur le plan économique, plus anticommuniste qu’anticapitaliste, le gaullisme est toujours assorti de mesures libérales ; il est aussi marqué par une certaine modestie dans la mise en oeuvre de la « participation », un thème pourtant régulièrement avancé dans les écrits de De Gaulle, et présenté comme une solution pour remédier aux inégalités sociales. Le nationalisme de De Gaulle, qui cherche à rassembler les Français - sans aucun accent xénophobe -, ne s’inscrit pas dans le clivage politique traditionnel droite/gauche. Pourtant, si le gaullisme fédère à plusieurs reprises les Français, le courant politique qui se réclame de lui s’apparente, par son électorat - retraités, commerçants, artisans et agriculteurs y sont « surreprésentés » -, par ses alliances politiques avec la droite modérée et libérale, comme par ses détracteurs - qui appartiennent, pour l’essentiel, à l’extrême droite et à la gauche -, à un mouvement classé à droite de l’échiquier politique français. • Les gaullismes. Le gaullisme de guerre réunit, à l’origine, des hommes idéologiquement et politiquement fort différents : les maurrassiens Rémy et Bénouville, des hommes issus de la gauche (Malraux, Capitant, Vallon, Soustelle), des modérés (Palewski), des démocrates-chrétiens (Michelet, Terrenoire), ou des radicaux (Debré, Chaban-Delmas). Le gaullisme d’opposition incarné par le Rassemblement du peuple français (RPF), mouvement lancé le 7 avril 1947, se veut également rassembleur, mais, en raison de son attitude farouchement anticommuniste, et bien qu’anti-atlantiste, il rallie une partie de la droite jusqu’en 1953. L’Union pour la Nouvelle République (UNR), fondée en 1958,
et qui se transforme en 1967 en Union des démocrates pour la Ve République (UD Ve), puis, en juin 1968, en Union pour la défense de la République (UDR), figure comme le parti majoritaire à la Chambre, soutien efficace du président. Après le départ du général de Gaulle en 1969, puis sa mort en 1970, c’est le président Georges Pompidou qui se place en héritier du gaullisme. Il maintient un pouvoir exécutif fort, mène une politique extérieure indépendante, et fait un moment renaître le gaullisme social, grâce au projet dit « de nouvelle société » que lance le Premier ministre Jacques Chaban-Delmas. Mais l’échec de celui-ci, candidat de l’Union des démocrates pour la République (UDR) à la présidence de la République après la mort de Pompidou en 1974, sonne le glas du gaullisme dominant. Durant le septennat de Valéry Giscard d’Estaing (issu de la droite libérale), le parti gaulliste, devenu le Rassemblement pour la République (RPR) en 1976, se réorganise sous la houlette de Jacques Chirac. Les barons du gaullisme (Jacques Chaban-Delmas, Michel Debré) sont tenus à l’écart, la base militante est élargie, et la réflexion réactivée, mettant parfois en lumière des divergences sur la politique européenne ou économique. L’idéal de rassemblement est repris avec succès par Jacques Chirac, qui remporte, autour du thème de la « fracture sociale », l’élection présidentielle de 1995. Le gaullisme, qu’il s’agisse de l’idéal du Général ou du courant politique qui en découle, regroupé aujourd’hui au sein de l’UMP qui a pris la suite du RPR, reste donc une composante primordiale de la vie politique française. Gaulois, nom de signification variable, désignant en général un ensemble de peuples protohistoriques de l’Europe tempérée appelés « Gaulois » (Galli) par les auteurs romains, et « Celtes » (Keltoi) ou « Galates » par les auteurs grecs. • Les origines. On tend actuellement à identifier d’une part les Gaulois aux Celtes, et d’autre part la civilisation celtique à celle, définie archéologiquement, de La Tène. Celle-ci est elle-même l’étape la plus récente de l’évolution d’un « complexe » culturel dit « nord-alpin » qui apparaît au début de l’âge du bronze, vers 2 000 ans avant notre ère, dans une région comprenant la moitié orientale du Bassin parisien, le sud de l’Allemagne, la Bohême, la Suisse et l’Autriche. Dans cette zone se forme, au début de l’âge du fer, vers 750 avant J.-C., la civilisation de
Hallstatt, du nom d’un site autrichien, avec les premiers phénomènes « princiers », dont témoignent les très riches tombes de Vix, en Bourgogne, ou de Hochdorf, en Allemagne. Les « princes » de Hallstatt tirent leur pouvoir de ressources naturelles particulières (sel) mais aussi du contrôle de voies de communication entre le monde méditerranéen et l’intérieur du continent, notamment de la downloadModeText.vue.download 406 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 395 « route de l’étain » entre la Grande-Bretagne et l’Italie. Cette civilisation débouche, sans connaître de rupture, sur celle de La Tène, vers 480 avant J.-C. C’est à partir de ce moment que les auteurs grecs et romains parlent, respectivement, de « Celtes » et de « Gaulois ». En effet, vers le début du IVe siècle avant notre ère, différentes populations issues des régions de la civilisation de La Tène se mettent en marche en direction du sud et de l’est de l’Europe, sans doute en raison de tensions démographiques. Elles entrent alors en contact, en général violent, avec le monde des cités d’Italie et de Grèce. Plusieurs noms de peuples gaulois nous ont été transmis : Lingons, Boïens (qui ont laissé leur nom à la Bohême) ou Sénons, qui franchissent tous les Alpes pour s’installer dans le nord de l’Italie. Ainsi s’emparent-ils de Felsina en 350, qui devient Bononia, la cité des Boïens, ou de Melpum, qui devient Mediolanum (Milan). Rome est assiégée et prise vers 385 avant J.-C. : les Gaulois, emmenés par Brennus, se seraient arrêtés devant le Capitole puis retirés de la ville après avoir imposé aux Romains un lourd tribut. Terror gallicus, la « terreur gauloise », tel est le sentiment qu’inspireront pour longtemps les Gaulois aux Romains. • La rencontre de deux mondes. De fait, les textes des auteurs anciens donnent des Gaulois l’image même du Barbare. Contrairement aux Romains ou aux Grecs, qui s’épilent le visage, coupent leurs cheveux et portent un vêtement ample, la toge, les Gaulois combattent nus, ou vêtus seulement de braies (un mot gaulois passé en français), gardent les cheveux longs et la barbe. Lorsque le sud de la Gaule sera conquis en 124 avant J.-C., devenant la Gaule Transalpine, on le nommera Gallia togata (« Gaule en toge »), pour l’opposer à Gallia comata (« Gaule chevelue »), encore
indépendante. Des récits s’attachent à décrire combien les Gaulois mangeaient malproprement et comment ils s’enivraient, n’hésitant pas à échanger un esclave contre une seule amphore de vin ; enfin, ils se livraient à des sacrifices humains et exposaient fièrement les têtes de leurs ennemis. Mais le IIIe siècle avant notre ère est celui de la reconquête de l’Italie du Nord par Rome, malgré bien des vicissitudes, dont l’aide apportée par les contingents gaulois à Hannibal en 218 avant J.-C. La région devient la Gaule Cisalpine, à laquelle s’ajouteront la Transalpine, conquise en 124 avant J.-C., et enfin le reste de la Gaule, soumis par César entre 58 et 51. Pour les historiens romains, les Gaulois sont donc les Celtes occidentaux, ceux des territoires « laténiens » (de La Tène) originaires ainsi que des régions conquises par ces populations dans le monde méditerranéen occidental (Espagne, midi de la France, Italie du Nord) au cours du IVe siècle. César précise néanmoins que les Gaulois se nommaient eux-mêmes « Celtes » (Celtae), un nom que les Grecs donnaient, quant à eux, à l’ensemble des Celtes, occidentaux et orientaux. Sous l’Empire romain, le terme « Gaulois » en vient à désigner les habitants des différentes régions administratives de la Gaule - du moins ceux qui n’ont pas reçu la citoyenneté romaine. C’est cette définition qui se transmettra en français, lorsqu’on voudra voir dans la Gaule une nation homogène, ancêtre direct de la France. Gavr’inis, petite île du golfe du Morbihan qui a donné son nom à un dolmen datant du IVe millénaire avant notre ère. Il est l’un des plus célèbres d’Europe pour les gravures qui couvrent entièrement ses parois internes. Le dolmen s’élève sur le point culminant de Gavr’inis (« l’île aux chèvres »), elle-même située sur la commune de Larmor-Baden (Morbihan). Il est recouvert d’un tertre de pierres sèches de configuration complexe, édifié en gradins, et dont la façade, d’une dizaine de mètres de haut, se déploie sur près de 30 mètres. Le dolmen proprement dit se compose d’un couloir de 14 mètres de long, qui débouche sur une chambre funéraire de 2,5 mètres de côté. Il est formé de vingt-sept dalles de granit, dont vingt-trois sont entièrement recouvertes de gravures très stylisées : haches, araires, arcs, lignes ondulées, signes en forme de crosse (ou de U), d’écusson. Ces dalles semblent cependant
avoir été empruntées à un monument antérieur, puisque certaines comportent des dessins sur leur face non visible. Ainsi, la dalle de couverture présente une face supérieure, non visible, qui porte les gravures de deux bovidés et d’une « hache-charrue » : elle appartenait en fait à un grand menhir gravé de 14 mètres de haut qui fut brisé en trois, l’un des autres fragments recouvrant le dolmen de la « Table des marchands » à Locmariaquer ! Des objets de la période néolithique ont été découverts en abondance à l’entrée du monument : poteries, grandes haches polies, outils de quartz utilisés pour la gravure, etc. Gavroche, personnage de roman imaginé par Victor Hugo, et figure emblématique du gamin de Paris. « Joie est mon caractère, c’est la faute à Voltaire / Misère est mon trousseau, c’est la faute à Rousseau » : le petit Gavroche chante à tuetête, tandis que les coups de feu crépitent à ses oreilles. Occupé à récupérer des cartouches devant la barricade où combattent ses amis, il vit ses derniers instants. Foudroyé par une balle, il quitte tragiquement la scène des Misérables, au plus fort de l’insurrection des 5 et 6 juin 1832. Ce personnage insouciant, courageux et gouailleur, évoque une figure familière du Paris d’hier. Il connaît la ville comme sa poche, notamment les terrains vagues et les coupe-gorge, vit aux confins de l’illégalité, et déteste les sergents de ville, qui le lui rendent bien. Gavroche est l’héritier direct des milliers de petits ramoneurs savoyards du XVIIIe siècle dépeints par Louis Sébastien Mercier, et le contemporain de tous les pauvres, qui, sous la monarchie de Juillet, souffrent du chômage, du manque d’hygiène et de l’exiguïté des logements. À cette époque, des taux de fécondité élevés contribuent à la fréquence des abandons d’enfants. Aux liens familiaux, les gamins des rues substituent des formes de sociabilité juvénile ; certains font partie de bandes organisées, sous la direction d’individus plus âgés. Le développement du contrôle social dans la capitale conduira à leur progressive disparition, mais, sous des noms divers - gavroches, titis parisiens ou poulbots -, ils restent présents dans les mémoires. Gay-Lussac (Louis Joseph), physicien et chimiste (Saint-Léonard-de-Noblat, HauteVienne, 1778 - Paris 1850). Fils d’un procureur du roi, Gay-Lussac est
reçu à Polytechnique en 1797, puis à l’École des ponts et chaussées. D’abord assistant de Berthollet, puis répétiteur des cours de Fourcroy, il consacre ses premières recherches à la dilatation des gaz, dont il détermine les lois d’évolution en fonction de la température. En 1804, deux ascensions en ballon à plus de 6 000 mètres d’altitude lui permettent de rassembler des observations hygrométriques et magnétiques. Il travaille avec Humboldt sur les lois de combinaison des gaz, et effectue avec lui, à travers l’Europe, un voyage d’études sur le magnétisme. Membre de l’Académie des sciences en 1806, il est appelé par Berthollet à la Société d’Arcueil. En collaboration avec Thénard et Liebig, son élève, il se consacre également à l’étude de la chimie organique : ils découvrent le bore et l’acide fluoborique (1809), puis le cyanogène et l’acide prussique pur (1815). Gay-Lussac contribue ainsi à la constitution de la théorie atomique en matière organique. Il est alors professeur de physique à la Faculté des sciences et enseigne la chimie à Polytechnique. Les différentes fonctions qu’il assume auprès de l’administration lui permettent de mettre ses recherches au service de l’industrie : membre du Comité des arts et manufactures, et « essayeur » à la Monnaie de Paris, il travaille sur la constitution des poudres et l’affinage des métaux précieux ; il met au point divers instruments de mesure (baromètre, alcoomètre, etc.). Député de 1831 à 1839, il est élevé à cette date à la pairie. Gazette de France, premier en date des journaux français de conception moderne, fondé par Théophraste Renaudot. Il paraît du 30 mai 1631 au 15 septembre 1915, avec une périodicité hebdomadaire, puis bihebdomadaire à partir de 1761, et enfin quotidienne à partir de 1792. Si la Gazette (c’est son titre originel) n’est pas la plus ancienne des « feuilles volantes », elle assoit, au XVIIe siècle, une production périodique jusque-là très instable et marque, de ce fait, l’histoire de la presse française. Fidèle soutien du pouvoir politique jusqu’à la révolution de 1830, elle est, dès sa fondation, un instrument de propagande entre les mains du cardinal de Richelieu et de Louis XIII, qui lui prêtent parfois leur plume. Ce recueil de nouvelles, en majorité étrangères, bénéficie alors d’informations de première main et rencontre d’emblée un grand succès, tant en France qu’en Europe, malgré
une présentation austère, proche de celle du livre. Cependant, son monopole - elle jouit du « privilège exclusif » de l’information politique élimine la concurrence et retarde longtemps l’apparition en France d’une presse politique digne de ce nom. downloadModeText.vue.download 407 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 396 Après la mort de Renaudot (1653), qui était doué d’un certain talent journalistique, la Gazette devient une véritable institution, entièrement soumise à Louis XIV, dont elle célèbre le culte. Son contenu étant devenue insipide, elle commence à subir la concurrence d’autres périodiques plus libres et plus hardis, notamment des gazettes hollandaises - de langue française -, souvent passées en contrebande. Pour combattre l’influence de celles-ci, le ministère des Affaires étrangères acquiert le privilège de la Gazette en 1761. Le journal est réorganisé et prend, l’année suivante, le titre de Gazette de France. Toutefois, le ministère, qui l’exploite en régie directe ou l’afferme, ne parvient pas à en enrayer le déclin, d’autant que le monopole est peu à peu écorné. Sous la Révolution, laquelle met un terme définitif au privilège et voit fleurir des centaines de journaux, elle garde un ton neutre, mais, en avril 1792, elle passe sous la coupe des girondins qui accèdent au ministère. Sa parution est un temps interrompue après la chute de la Gironde en juin 1793. Censurée comme l’ensemble de la presse, elle échappe, durant le Consulat et l’Empire, aux décrets successifs qui suppriment la plupart des journaux politiques. Napoléon espère en effet séduire les lecteurs conservateurs de ce journal très lu en province. Ultraroyaliste à la Restauration, légitimiste après 1830, elle est vendue à un particulier en 1827, et perd de son influence au gré du développement de la presse. D’un monarchisme réservé sous le Second Empire comme sous la IIIe République, cette vieille feuille fait pâle figure devant le militantisme de la revue de l’Action française (fondée en 1899) et s’oppose à Charles Maurras, qui a brièvement collaboré à sa rédaction. Elle disparaît au cours de la Première Guerre mondiale, faute de lecteurs. gazettes, sous l’Ancien Régime, périodiques regroupant des nouvelles des principales villes d’Europe ; pièces maîtresses de l’information politique durant le XVIIe siècle et
la première moitié du XVIIIe siècle, avant de décliner, puis de perdre toute importance sous l’effet de la Révolution. Tirant leur nom du vénitien gazetta, qui désigne une feuille volante élaborée à Venise au XVIe siècle et coûtant une gazeta (petite monnaie locale), les gazettes apparaissent dans le reste de l’Europe vers 1630, et se multiplient à la fin du siècle. En France, c’est Théophraste Renaudot qui, en donnant en 1631 le titre de Gazette à son journal (qui deviendra la Gazette de France), consacre le mot, jusqu’alors synonyme de bavardage et de potin. Les gazettes sont un genre de périodiques spécifique, qui, en publiant des nouvelles sous forme de bulletins, de récits secs, sans ordre précis, transition, analyse ni commentaire, demeure la compilation d’informations immédiates. Face à la très officielle Gazette de France, journal qui jouit d’un privilège exclusif, la véhémence assure le succès des « nouvelles à la main », gazettes manuscrites, semi-clandestines et éphémères, et surtout gazettes étrangères, de langue française. Cellesci foisonnent après la révocation de l’édit de Nantes (1685) - qui provoque un exil massif des huguenots dans les pays de religion réformée, où ils mettent sur pied d’importantes entreprises de presse - et après la Seconde Révolution anglaise (1688). Elles sont principalement hollandaises (gazettes de Leyde, d’Amsterdam, de Rotterdam, d’Utrecht, de La Haye), mais aussi allemandes (de Cologne, des Deux-Ponts), belges (de Bruxelles, de Liège), suisses (de Berne), anglaises (Courrier de l’Europe), russes, polonaises, ou encore suédoises. Ne pouvant contrôler ni leur contenu ni leur diffusion, le gouvernement royal est contraint de les tolérer, et, s’il proteste parfois, ou menace, il sait aussi les utiliser comme sources d’information sur les cours étrangères et comme moyens de propagande extérieure en tentant de les manipuler. Tout au long du XVIIIe siècle, elles jouent ainsi un rôle considérable, tant national qu’international. Cependant, la forte expansion de la presse politique dans les années 1780 leur oppose de nouveaux concurrents, puis la Révolution, la liberté de la presse et le développement de la presse moderne sonnent le glas des anciennes gazettes. gendarmerie. C’est par un décret du 16 février 1791 que la Constituante substitue la gendarmerie nationale à la maréchaussée de l’Ancien Régime.
La loi du 28 germinal an VI (17 avril 1798) fixe les principes fondamentaux qui régissent l’organisation de la gendarmerie et font d’elle « une force destinée à assurer dans l’intérieur de la République le maintien de l’ordre et l’exécution des lois ». Dès 1791, ses effectifs s’élèvent à 8 000 hommes, contre 4 500 en 1789 dans la maréchaussée. La gendarmerie constitue l’un des soutiens les plus fermes du Consulat et de l’Empire, d’autant que l’état de siège est maintenu jusqu’en 1814. Outre ses missions initiales, elle accomplit des opérations militaires ; à ce titre, elle est l’objet de tous les soins de Napoléon Ier. Sévèrement épurée sous la Restauration, elle retrouve son statut dès 1820. L’ordonnance de 1830 institue, à côté de la gendarmerie départementale, celle des ports et des arsenaux, ainsi qu’une gendarmerie des colonies, qui est placée sous l’autorité du ministère de la Marine. Dès 1831, l’Algérie dispose d’une légion de gendarmerie d’Afrique, avant l’instauration, sous la IIIe République, de gendarmes indigènes, les moghaznis. Tout au long du XXe siècle, la gendarmerie ne cesse de se développer et de se diversifier, dans le cadre du maintien de l’ordre intérieur. En 1926 est créée une force d’intervention, la garde républicaine mobile, corps de réserve à la disposition du gouvernement, surnommée « la gendarmerie rouge », par opposition à « la gendarmerie blanche », départementale. Sont également constituées des unités adaptées à des missions particulières : gendarmerie routière, gendarmerie des transports aériens, gendarmerie maritime, Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), affecté à des opérations spéciales telles que, notamment, la lutte contre le terrorisme. Subdivisée en légions, compagnies et brigades, la gendarmerie est rattachée à l’armée, dont elle constitue l’une des armes. L’accès en est réservé à des militaires d’active, ou ayant accompli leur temps de service légal. Les officiers sont recrutés par concours, même si, depuis une date récente, un certain nombre d’élèves de l’École interarmes de Saint-CyrCoëtquidan peuvent, chaque année, choisir de servir dans cette arme. Les élèves officiers suivent les cours de l’École des officiers de gendarmerie, située à Melun, où se trouve également l’état-major. Dans le cadre de la nouvelle restructuration des armées, la gendarmerie est la seule arme à connaître une légère augmentation de ses effectifs, qui dépassent 100 000 hommes. Ainsi est confirmé son rôle fondamental de maintien de l’ordre
intérieur. généralité, circonscription financière devenue, à partir du XVIIe siècle, la principale division administrative du royaume. Au milieu du XIVe siècle, la levée de plus en plus fréquente d’impôts jugés encore extraordinaires entraîne la création de « généraux des finances », chargés de l’organisation de la perception et du contentieux qui en découle. En 1390, les deux attributions sont scindées entre deux collèges de quatre généraux, d’où le terme de généralité. Au milieu du XVe siècle, quatre généralités ont donc une existence reconnue : le (ou la) Languedoïl, le (ou la) Languedoc, la Normandie et l’Outre-Seineet-Yonne. Chacune dispose également d’un receveur général. Au siècle suivant, le désir de démembrer ces ensembles jugés trop vastes et d’intégrer les nouvelles provinces entraîne une réorganisation complète : un édit de décembre 1542 découpe le royaume en 16 recettes générales (pays d’états inclus), qui retrouveront bientôt le nom de généralités. En leur sein fusionnent revenus du domaine (ressources ordinaires) et de l’impôt (ressources extraordinaires) en une administration unique. L’accroissement des effectifs d’officiers se traduit, en outre, par la mise en place d’un bureau des finances (2 présidents et 8 trésoriers de généralité en 1586). C’est dans le cadre des généralités que les « commissaires départis dans les provinces », bientôt appelés « intendants », s’imposent progressivement sous Richelieu. À partir de 1637, ils résident au chef-lieu de la généralité, et les bureaux des finances passent sous leur autorité. Durant toute la fin de l’Ancien Régime, la généralité devient donc synonyme d’intendance, même si, en droit, certaines intendances ne devraient pas être ainsi qualifiées : c’est le cas des provinces nouvellement conquises (dites « pays d’imposition »). Le nombre des circonscriptions s’accroît, par densification (Auch, Montauban, Pau, à partir de la généralité de Bordeaux, par exemple) ou par agrandissement du territoire (Lille, Strasbourg ou Perpignan). En raison de remodelages incessants, le chiffre des intendances-généralités varie. Ainsi, la minuscule circonscription de Trévoux, créée en 1762, disparaît-elle en 1787. Il en existe 34 à la veille de la Révolution, avec un décalage d’une unité, car le Languedoc n’a qu’un intendant, alors qu’il est divisé entre deux généralités
(Toulouse et Montpellier). La Révolution met un terme aux généralités en même temps que les intendants et les bureaux des finances disparaissent. downloadModeText.vue.download 408 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 397 Genève (accords de), accords signés dans la nuit du 20 au 21 juillet 1954 par la France, l’Union soviétique, le Royaume-uni, la Chine populaire et le Nord-Viêt Nam, qui mettent fin à la première guerre d’Indochine. Ils réduisent la présence française dans la péninsule, reconnaissent l’indépendance et l’intégrité du Laos et du Cambodge, et consacrent la partition du Viêt Nam. La conférence de Genève, qui s’ouvre le 26 avril 1954, prend un nouveau cours après la défaite de Diên Biên Phu, le 7 mai, qui entraîne la chute du gouvernement de Joseph Laniel. Le 18 juin, Pierre Mendès France lui succède et se fait le champion d’une paix négociée, s’engageant à mettre fin, dans un délai d’un mois, à une guerre qui a fait 100 000 morts et 120 000 blessés (dans le camp de la France et ses alliés), et coûté 3 000 milliards de francs. Il obtient un cessez-le-feu, la libération des prisonniers et la division provisoire du Viêt Nam de part et d’autre du 17e parallèle, et non autour du 13e ou du 14e comme le demandait le Viêt-minh : le Nord est contrôlé par les communistes, le Sud, par les forces françaises et l’armée nationaliste de Bao-Daï. Les populations ont la possibilité d’émigrer, ce que feront 900 000 Vietnamiens fuyant le régime communiste pour s’installer au Sud. La réunification est prévue dans un délai de deux ans, au terme d’élections libres au scrutin secret. Ces accords sont immédiatement récusés par le nouveau gouvernement sud-vietnamien, dirigé par Ngô Dinh Diêm, qui refuse toute discussion et demande l’aide des ÉtatsUnis. En France, les accords sont bien reçus par l’opinion publique, qui apprécie le réalisme et la méthode de Mendès France, alors que le Mouvement républicain populaire (MRP) et une partie de la droite l’accusent de « brader l’empire ». Geneviève (sainte), vierge devenue la sainte patronne de la ville de Paris (Nanterre vers 420 - vers 502).
L’histoire de Geneviève ne nous est connue que par une vita, rédigée vers 520 par un clerc de Paris à la demande de la reine Clotilde. Née dans une famille aristocratique et chrétienne, probablement gallo-romaine, la jeune fille, remarquée dès 429 par l’évêque Germain d’Auxerre, reçoit la consécration des Vierges vers 440. Dès lors, elle mène une vie pieuse mais conforme à sa position aristocratique. En 451, devant l’invasion des Huns d’Attila, elle s’oppose à l’évacuation de Paris par ses habitants, ce qui fait d’elle le sauveur de la cité. Elle obtient ensuite la confiance des rois francs Childéric Ier (vers 436-vers 481) et Clovis (465-511), et parvient à assurer le ravitaillement de Paris durant les difficiles années 470-480. Après sa mort, elle est inhumée dans la basilique des Saints-Apôtres, que Clovis avait commencé à édifier pour abriter les sépultures de la famille royale. Plusieurs récits de miracles attestent qu’elle fait l’objet d’un culte dès le début du VIe siècle. En 886, le rôle attribué à l’élévation de ses reliques dans l’échec du siège de Paris par les Normands consacre Geneviève comme la protectrice de la ville. Désormais, la basilique où elle est inhumée porte, conjointement, le vocable de Sainte-Geneviève et celui des Apôtres. En 1131, une guérison miraculeuse du mal des Ardents accroît la ferveur témoignée à la sainte : trois fêtes annuelles lui sont consacrées et la basilique est définitivement dénommée « Sainte-Geneviève ». Le culte de sainte Geneviève connaît un certain rayonnement en France du Nord, mais demeure essentiellement parisien. Geoffroi Ier Grisegonelle, comte d’Anjou de 960 environ à 987 ( ? - 987). Geoffroi est le descendant de la famille des vicomtes d’Angers, vassaux des Robertiens. Son grand-père, Foulques Ier le Roux, s’est affranchi de la tutelle robertienne en prenant le titre comtal vers 929. Mais cette prétention au titre comtal n’a été reconnue qu’à partir des années 950. La maison d’Anjou devient, sous Geoffroi Ier Grisegonelle, la famille la plus importante de la région, contrôlant tout l’Anjou (à l’exception de la région de Saumur) et une partie de la Touraine grâce à la forteresse de Loches. Geoffroi est à la fois vassal et allié privilégié du Robertien Hugues Capet, duc des Francs, et vassal du duc d’Aquitaine, duquel il tient Loudun et Mirebeau. Il parvient aussi à constituer un réseau de fidélités hors de l’An-
jou en faisant entrer le vicomte de Thouars et le comte de Nantes dans sa vassalité. Geoffroi contrôle les élections épiscopales, en particulier celle du siège d’Angers, qu’il confie en 973 à Renaud, fils d’un de ses vicomtes. Il est également abbé laïc de la grande abbaye de SaintAubin d’Angers, qu’il décide de réformer dès 964 ; à un premier essai infructueux succède une nouvelle tentative en 966 : le comte remplace définitivement les chanoines par des moines, leur accorde le droit d’élire régulièrement leur abbé ainsi que le droit d’immunité, et, surtout, il restitue aux moines les terres de l’abbaye dont il avait le contrôle. Le surnom de Geoffroi - Grisegonelle renvoie au manteau gris qu’il portait, et sa réputation d’excellent guerrier a fait de lui un héros de la poésie épique du Moyen Âge. Geoffroi V le Bel, dit Plantagenêt, comte d’Anjou de 1128 à 1151, duc de Normandie de 1144 à 1148 (1113 - 1151). Fils du comte d’Anjou Foulques V le Jeune, Geoffroi succède en 1128 à son père, devenu roi de Jérusalem. La même année, il épouse « l’impératrice Mathilde », fille et héritière du roi d’Angleterre et duc de Normandie Henri Beauclerc. Énergique et déterminé, Geoffroi poursuit l’oeuvre de son père en soumettant son baronnage, détruisant les châteaux dangereux et renforçant son influence sur l’Église. À la mort d’Henri Beauclerc, en 1135, Geoffroi Plantagenêt revendique l’héritage anglonormand, mais il se heurte à Étienne de Blois, petit-fils de Guillaume le Conquérant, plus rapide que Mathilde pour recueillir le soutien des barons anglais et se faire couronner outreManche. Tandis qu’en Angleterre Mathilde mène une fronde contre Étienne de Blois, Geoffroi s’engage dans la conquête de la Normandie. Mathilde remporte en 1141 la bataille de Lincoln, puis est proclamée « dame d’Angleterre et de Normandie », en attendant d’être couronnée reine d’Angleterre. Maître de la Normandie en 1144, non sans avoir dû céder le Vexin au roi Louis VII en échange de sa neutralité, Geoffroi confie le duché à son fils Henri en 1148. À sa mort, Geoffroi Plantagenêt laisse à Henri une principauté angevine solidement établie, augmentée de la Normandie, et lui ouvre la perspective d’accéder au trône d’Angleterre. Il est sans conteste le fondateur de la dynastie des Plantagenêts. Georges-Pompidou (Centre), établis-
sement public à caractère culturel, situé à Paris. « Bateau-lavoir », « raffinerie pétrolière »..., les expressions ne manquent pas pour ceux que les tubulures multicolores du Centre national d’art et de culture GeorgesPompidou (CNAC Georges-Pompidou), sis sur le plateau Beaubourg, agacent. La polémique - politique sous couvert d’esthétique - n’est toujours pas close lorsque, le 31 janvier 1977, le Centre Georges-Pompidou est inauguré par le président Giscard d’Estaing. L’idée d’un centre polyvalent prend racine dans les années 1960 alors qu’André Malraux, ministre d’État chargé des Affaires culturelles, confie à Le Corbusier la mission de concevoir un musée du XXe siècle, qu’on estime alors pouvoir construire dans le nouveau quartier de la Défense. Le grand architecte meurt en 1965, et le projet s’oriente vers un centre regroupant un musée contemporain et la bibliothèque publique qui fait cruellement défaut à Paris. C’est Georges Pompidou, nouvellement élu président de la République, qui, en 1969, prend la décision de lancer le programme : le site de Beaubourg est retenu pour des raisons pratiques de disponibilité et le projet de Renzo Piano et Richard Rogers, choisi par un jury international. Dès lors, l’action de l’État revêt un caractère « vertical » et volontariste. Plus que la rue de Valois, c’est en effet l’Élysée qui, par une gestion directe, vigilante, suit au jour le jour l’édification du Centre, contrecarre les traditionnelles oppositions académiques et contourne les circuits habituels de la décision administrative par la mise en place d’une délégation comptant les futurs artisans de « Beaubourg » : Robert Bordaz, directeur de l’Établissement public, Pontus Hulten, directeur du Musée national d’art moderne, Jean-Pierre Seguin, directeur de la Bibliothèque publique d’information (BPI), François Mathey, responsable du Centre de création industrielle (CCI), auxquels s’adjoint Pierre Boulez, directeur de l’Institut de recherche et de coordination acoustique - musique (IRCAM), rattaché au Centre. Visant la rencontre de la culture avec les masses, le décloisonnement des activités culturelles par une pluridisciplinarité militante, mais aussi la création en relation avec les maisons de la culture, le CNAC est très tôt critiqué : outre son gigantisme et son « exhibitionnisme » architectural, on lui reproche d’accentuer la centralisation parisienne et d’être un gouffre financier (son seul budget de fonctionnement représente le double des
crédits accordés chaque année à l’ensemble des maisons de la culture). Bref, on lui fait grief de caractéristiques qui signent le « fait downloadModeText.vue.download 409 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 398 du prince ». Pourtant, un vif succès public parle en sa faveur : de grandes expositions, telles que « Paris-Berlin », « Paris-Moscou », ou bien « Paris-Paris », accueilleront plus de 400 000 visiteurs, et la BPI reçoit environ 13 000 lecteurs par jour. Certes, le Centre Georges-Pompidou, baptisé du nom de celui qui l’a voulu, ouvre l’ère des chantiers présidentiels - dans la grande tradition du mécénat et du volontarisme de l’État monarchique -, mais il est aussi une réponse politique, tout imparfaite, à une demande de formation, d’éducation et d’expression émanant confusément de la société française dans l’après-mai 68. Gerbert d’Aurillac ! Sylvestre II Gergovie, place forte tenue par les Arvernes, située près de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), et devant laquelle César subit un revers en 52 avant J.-C. L’identification du site de Gergovie continue à faire l’objet de discussions et de contestations, paradoxalement moins vives que celles relatives à Alésia, dont l’emplacement est pourtant parfaitement établi. Il est vrai que, dans le cas de Gergovie, l’hésitation ne porte que sur deux sites très rapprochés. Le texte de César mentionne seulement que l’endroit se trouve près de l’Allier, à cinq jours de marche de la confluence entre cette rivière et la Loire, et « sur une montagne très haute et d’accès très difficile » - une façon, pour l’auteur, d’excuser sa retraite. Dès le XVIe siècle, un érudit florentin, Gabriel Simeoni, propose comme localisation le plateau basaltique de Merdogne, près de Clermont-Ferrand, qui sera appelé, à partir du XIXe siècle, « plateau de Gergovie ». De fait, un lieu-dit - Gergoia -, situé dans sa partie sud-est, est mentionné dès le Xe siècle. Néanmoins, les fouilles réalisées sur place, notamment dans les années quarante et cinquante, ont surtout révélé des vestiges d’époque galloromaine. Les restes de rempart, en particulier, montrent une construction en pierres sèches éloignée du type du murus gallicus traditionnel,
bien attesté sur les oppidums gaulois tel celui du mont Beuvray. Ce rempart inclut d’ailleurs des fragments de tuiles romaines. La porte maçonnée, mise au jour dans les années trente, semble également d’époque romaine, tout comme les bâtiments religieux et artisanaux qui ont été retrouvés à l’intérieur. Le problème est de savoir si ce site, qui paraît avoir été abandonné au début de notre ère, était occupé lors de la guerre des Gaules. Une autre identification a donc été proposée : celle du plateau des « Côtes de Clermont », qui s’étend quelques kilomètres plus au nord. Ce site a en effet livré des traces, peu nombreuses, d’une occupation gauloise au IIe siècle avant notre ère. Mais son caractère de place forte n’est pas démontré. C’est à l’époque d’Auguste que sera fondée, sur une autre butte volcanique, Augustonemetum, qui deviendra Civitas Arvernorum, chef-lieu des Arvernes, qui se trouve sous l’actuelle ville de Clermont. Lorsque éclate la révolte gauloise conduite par Vercingétorix, au début de 52 avant J.-C., dans un premier temps César s’empare du pays des Bituriges et prend Avaricum. Puis il se rend chez les Arvernes pour réduire Gergovie. Cependant, il échoue, en particulier à cause de la trahison des Éduens. C’est en remontant vers le nord qu’il sera attaqué par Vercingétorix, près d’Alésia, où il parviendra cependant à encercler l’armée gauloise. Germain (saint), évêque (Auxerre, vers 378 - Ravenne, Italie, 448). Connue par le récit qu’en fit Constance de Lyon vers 470, la vie de Germain est l’un des modèles du genre hagiographique, où la sainteté se manifeste tant dans la vie de l’homme que dans l’exercice de sa fonction. De haute naissance, Germain est formé aux arts libéraux, puis part étudier le droit à Rome, où il devient avocat et se marie, avant d’être envoyé en Gaule comme administrateur civil et militaire. Alors que rien ne le prédispose à des fonctions religieuses, il est, malgré lui, élu puis consacré évêque d’Auxerre le 7 juillet 418. « Élection divine » et conversion transforment Germain en ascète animé par une ardente ferveur. Après avoir vécu dans l’opulence, il abandonne tous ses biens à l’Église, considère sa femme comme une soeur et s’impose comme un exemple d’humilité et de pauvreté. Il fonde des monastères dans son diocèse et, selon l’hagiographie, accomplit des
miracles dans le cadre de son sacerdoce. En 429, il est choisi par le pape Célestin Ier pour mener en Bretagne (actuelle Grande-Bretagne) la lutte contre l’hérésie pélagienne. Le moine irlandais Pélage a prêché en effet un idéal de perfection morale et ascétique acquis par la seule volonté et le libre arbitre de l’homme, refusant les effets du péché originel, et niant toute action de la grâce divine, qui, pour l’orthodoxie catholique, est seule source de rédemption. Malgré sa condamnation en 411 et la lutte menée contre lui par saint Augustin, le pélagianisme continue à faire des adeptes, tant en Orient qu’aux confins de l’Occident. Accompagné de Loup, l’évêque de Troyes, Germain fait étape à Nanterre, où, semble-t-il, il rencontre Geneviève et pressent sa vocation, avant de gagner la Bretagne. Alors que la mission bat son plein, les Pictes, alliés aux Saxons, déclarent la guerre aux Bretons, qui implorent l’aide du missionnaire. Germain se proclame alors chef de guerre et recommande à ses troupes de faire retentir une immense clameur à l’approche des ennemis : reprenant avec ferveur les alleluias de Germain, les Bretons auraient terrassé leurs ennemis de leur voix. Cette bataille, dite « de l’Alléluia », couronne sa mission : Germain est à nouveau appelé en Bretagne vers 445, puis en Armorique, pour lutter ici contre les résidus du pélagianisme, et là contre les désordres d’une révolte. Venu à Ravenne pour soutenir auprès de l’empereur la cause des rebelles, il meurt le 31 juillet 448. Son corps est ramené en procession jusqu’à Auxerre et enterré dans l’oratoire qu’il avait fondé pour les martyrs d’Agaune. Sa réputation de sainteté est très vite source de vénération. germinal an III (journées des 12 et 13), émeutes parisiennes survenues les 1er et 2 avril 1795, visant à obtenir des mesures contre la disette et l’application de la Constitution de 1793. À l’automne 1794, après la chute de Robespierre, les thermidoriens procèdent à une première vague d’épuration politique (fermeture du Club des jacobins, reprise en main des sections parisiennes...) et abandonnent le dirigisme économique, notamment le maximum (contrôle des prix). Tandis que les militants « terroristes » sont pourchassés et que les muscadins tiennent le haut du pavé, la disette et la flambée des prix ont à nouveau lieu durant l’hiver - le plus rigoureux depuis 1709 -, et font des ravages parmi les plus pauvres. Le 12 germinal, une foule tumultueuse, pro-
venant de quartiers populaires, envahit la Convention nationale, demandant du pain, la liberté des patriotes arrêtés et l’application de la Constitution de 1793. Cette manifestation - aussi aisément dispersée que la réunion, le lendemain, d’un millier de personnes au faubourg Saint-Antoine - démontre l’extrême désorganisation du mouvement populaire, et accélère la réaction politique. La déportation sans jugement en Guyane de Barère de Vieuzac, Billaud-Varenne, Collot d’Herbois et Vadier, et l’arrestation de députés montagnards sont ainsi suivies par le désarmement des « terroristes » (décret du 10 avril ), qui sonne le début de la Terreur blanche dans tout le pays. Quant à la Constitution de 1793, elle est déclarée inapplicable par une commission nommée le 3 avril, bientôt chargée de rédiger un nouveau texte constitutionnel. Gerson (Jean Le Charlier, dit Jean de), universitaire, théologien et prédicateur (Gerson, Ardennes, 1363 - Lyon 1429). Issu d’une famille modeste de Champagne, Gerson fait des études à l’école cathédrale de Reims, avant d’être envoyé comme boursier au Collège de Navarre, en 1377. Disciple de Pierre d’Ailly (1350-1420), il gravit progressivement tous les échelons de la carrière universitaire jusqu’au grade de docteur en théologie, qu’il obtient en 1393. Ses talents le conduisent à prêcher devant le roi et la cour dès 1391, et, en 1393, il devient l’aumônier du duc de Bourgogne, Philippe II le Hardi, grâce à qui il peut occuper la charge de doyen du chapitre de Bruges. En 1395, Gerson prend la succession de Pierre d’Ailly en tant que chancelier de l’Université. Sa nouvelle fonction et sa réputation l’entraînent progressivement à jouer un rôle majeur dans les affaires de l’Église, divisée par le Grand Schisme depuis 1378, et dans celles du royaume, déchiré par la guerre civile qui oppose, à partir de 1407, les Orléans-Armagnacs aux Bourguignons. Partisan de la modération, Gerson engage les différents papes à la « voie de cession », puis devient rapidement un des promoteurs du conciliarisme. Il participe ainsi activement au concile de Constance (1414-1418), qui met fin au schisme ; il y obtient la condamnation de Jean Hus. En France, Jean Gerson obtient de l’évêque de Paris et de l’Université la condamnation de l’apologie du tyrannicide faite par Jean Petit pour justifier l’action du duc de Bourgogne, Jean sans Peur, commanditaire de l’assassinat de Louis d’Orléans en 1407. Cette position lui downloadModeText.vue.download 410 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 399 vaut l’hostilité de la maison de Bourgogne et le conduit, après 1418, à l’exil en Bavière, puis à Lyon, où il restera jusqu’à sa mort. Outre les questions politiques, Gerson s’est aussi beaucoup préoccupé de la pastorale. Grand prédicateur, il est l’auteur de plus d’une centaine de sermons, tant en latin qu’en français. En 1409, il obtient la cure parisienne de Saint-Jean-en-Grève, où il prêche régulièrement. Il est aussi l’auteur de nombreux ouvrages didactiques traitant de la confession et de la catéchèse. Enfin, sa théologie mystique, ouverte aux nouveautés de la devotio moderna, ainsi que sa proximité de pensée avec des cercles réformateurs - autour de Philippe de Mézières et de Nicolas de Clamanges - font de lui un maître spirituel dont l’oeuvre connaît une grande diffusion au cours du XVe siècle, tant en France que dans les pays germaniques. Gévaudan (bête du), animal mythique qui fut, au XVIIIe siècle, au centre d’un fait divers devenu légendaire. De 1764 à 1767, dans la région de Langogne, aux confins du Gévaudan et de l’Auvergne, une centaine de personnes sont victimes d’un animal mystérieux et insaisissable. D’énormes moyens sont mobilisés pour traquer la « bête », que ni la noblesse locale ni les dragons ou les louvetiers appelés en renfort ne parviennent à débusquer. L’émotion est telle que Louis XV dépêche son lieutenant des chasses, Beauterne, qui, le 21 septembre 1765, abat un loup d’une taille peu commune. Mais la « bête » continue ses ravages et, le 19 juin 1767, un second loup énorme est abattu, mettant un terme à une affaire qui, en trois ans, a fait une centaine de victimes, entraîné l’extermination de dizaines de loups et tenu le royaume en haleine. Car la presse, l’imagerie populaire et la chanson s’emparent de l’événement, propageant les rumeurs les plus folles. Sans doute, le carnage est-il à mettre au compte de plusieurs loups géants, à une époque où, à cause des guerres et de l’interdiction faite aux paysans de porter des armes, les loups prolifèrent en Europe. Mais, vu le nombre exceptionnel de victimes et l’inefficacité de la longue traque, s’accrédite dans la population l’idée d’une bête fantastique : lion, caïman, être hybride mi-fauve mi-reptile, loup garou... Le discours religieux,
qui puise dans la littérature apocalyptique pour évoquer un « fléau de Dieu », favorise le transfert du réel au fantastique. Le fait divers accède alors au rang de mythe. Ainsi, cet épisode, qui constitue l’un des temps forts de la « guerre du loup », éclaire de manière exemplaire la permanence des vieux mythes de la bête anthropophage et démoniaque inséparables de la figure du loup. Gide (André), écrivain (Paris 1869 - id. 1951). Son ascendance protestante et l’éducation rigide qu’il reçoit, largement évoquées dans son autobiographie Si le grain ne meurt (1926), influencent durablement son inspiration et sa vie personnelle. Comme tout aspirant littérateur des années 1890, il se reconnaît dans la nébuleuse symboliste de la Revue blanche, où il croise Léon Blum et Marcel Proust. Il s’inscrit dans cette mouvance avec les Nourritures terrestres (1897), ouvrage qui a un immense retentissement sur la jeunesse, et dans lequel il exalte l’ivresse des sens et la quête d’une absolue liberté. Lorsqu’en 1908-1909 il fonde avec un groupe d’amis - Jacques Copeau, Henri Ghéon et Jean Schlumberger - la Nouvelle Revue française, c’est autant pour en finir avec le décadentisme « fin de siècle », reliquat d’un symbolisme épuisé, qu’avec le naturalisme hérité de Zola. Les trois lettres NRF unies à la maison d’édition Gallimard (née en 1911) vont exercer dans le monde des lettres de l’entre-deux-guerres un magistère absolu et encore inégalé, représentant les lieux cardinaux de la légitimité artistique. André Gide, l’auteur des Faux-Monnayeurs (1926), et le pilier de la maison Gallimard, « contemporain capital » au même titre que Paul Valéry ou Paul Claudel, incarne alors le règne de la littérature et le prestige de l’homme de lettres, tout comme Jean-Paul Sartre symbolisera celui de la philosophie après 1945. Déjà engagé dans le combat anticolonial avec son Voyage au Congo (1927) et son Retour du Tchad (1928), Gide devient dans les années trente un célèbre compagnon de route du Parti communiste, honorant de sa présence le comité Amsterdam-Pleyel (1933) ou le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (1934). Pourtant, fin 1936, il publie, malgré de nombreuses injonctions au silence, une plaquette, vendue à 146 000 exemplaires, qui provoque de violentes polémiques. Son Retour de l’URSS exprime un fort désappointement face à la réalité de la Russie stali-
nienne, l’effondrement d’un espoir immense, déraisonnable : « Qui dira ce que l’URSS a été pour nous ? Plus qu’une patrie d’élection : un exemple, un guide. » À la différence de Malraux, l’antistalinisme fut chez lui plus fort que l’antifascisme, et l’exigence de la vérité, plus impérative qu’une prétendue efficacité politique. L’oeuvre de sa vie, consacrée par le prix Nobel en 1947, fut peut-être son Journal, fidèlement tenu depuis 1889, prolifique témoignage d’une existence déchirée entre l’élan vital de l’être, la règle morale et les tabous sociaux, mais avant tout vouée à la passion artistique. Gilles de Rais ! Rais ou Retz (Gilles de Montmorency-Laval, sire de) Giraud (Henri Honoré), général, chef de la IXe armée en 1940 (Paris 1879 - Dijon 1949). Fait prisonnier lors de l’offensive allemande de mai 1940, il est interné à la forteresse de Koenigstein, jusqu’à sa fameuse évasion d’avril 1942. Militaire réactionnaire mais résolument patriote, il refuse la politique de collaboration, et est approché par les conjurés algérois qui, en liaison avec les Américains, préparent la prise du pouvoir en Afrique du Nord. Giraud accepte de se porter à leur tête, à condition d’obtenir le commandement des forces alliées. Mais le contexte politique engendré en Algérie par le débarquement allié de novembre 1942 ne lui est guère favorable, et il doit s’effacer devant l’amiral François Darlan, ancien dauphin du maréchal Pétain, que lui préfèrent les Américains. Après l’assassinat de Darlan (le 24 décembre), les Américains font de Giraud le commandant en chef civil et militaire de l’Afrique française. Il proclame alors son ralliement aux Alliés, mais maintient en place les hommes et la législation de Vichy. Il s’oppose au général de Gaulle sur la question du gouvernement provisoire, et prétend ne vouloir s’occuper que du réarmement. Toutefois, ses options politiques choquent l’opinion américaine (Roosevelt, par l’intermédiaire de Jean Monnet, lui impose un virage démocratique en mars 1943), et Giraud néglige la force politique de la Résistance intérieure et du gaullisme. Au terme de discussions difficiles, le Comité français de libération nationale (CFLN), qui voit le jour en juin 1943,
est coprésidé par de Gaulle et Giraud. De Gaulle s’impose alors rapidement : Giraud se consacre aux affaires militaires, dirigeant la libération de la Corse (septembre-octobre), puis abandonne la coprésidence en novembre, avant de renoncer à toute fonction en avril 1944. girondins, appellation, datant du XIXe siècle, qui désigne, sous la Révolution, un groupe, mal défini, de révolutionnaires jacobins. Ce groupe accède un moment au pouvoir, avant d’être opposé aux montagnards, qui en emprisonnent ou en font exécuter les membres. C’est Lamartine qui, dans sa célèbre Histoire des Girondins, popularise, à la veille de la révolution de 1848, l’idée que des hommes ont incarné une révolution modérée, idéaliste, au point d’en être les victimes consentantes. Il n’imagine pas alors qu’en rassemblant différents courants sous une dénomination vague, empruntée aux années de la Révolution, il crée un de ces objets allégoriques dont l’historiographie consacrée à la Révolution française sera friande. • Une dénomination tardive. On cherche pourtant en vain des « girondins » dans les débats du XVIIIe siècle. Les patriotes, puis les jacobins, hostiles aux contre-révolutionnaires et aux feuillants, se classent en montagnards, en représentants de la Plaine ou du Marais, et en buzotins, brissotins ou rolandistes. Ces trois derniers groupes (ceux que l’on qualifiera de « girondins »), coteries formées autour d’un homme - ou d’une femme tenant salon -, sont une nébuleuse plutôt qu’un parti. Ils contrôlent la Convention entre 1792 et le début de 1794 grâce à l’habileté et au prestige de leurs meneurs et grâce à des alliances avec les députés qui craignent les sansculottes, suspectés de vouloir « l’anarchie ». Cette nébuleuse n’a pas d’unité, même au plus fort des luttes politiques : lorsque les montagnards (aidés des sans-culottes) s’emparent du pouvoir les 31 mai et 2 juin 1793 et emprisonnent 22 députés ; lorsqu’ils traquent, ensuite, leurs opposants, baptisés « fédéralistes » ; lorsqu’ils font exécuter 46 députés, dénommés « factieux », en octobre 1793. Il a fallu la relecture des événements par les historiens du XIXe siècle pour donner une cohérence à ce courant proscrit, en dressant face à la Montagne un autre bloc, la Gironde. downloadModeText.vue.download 411 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
400 • Une réalité, pourtant. Sans entrer dans les fausses querelles, il est néanmoins possible de repérer une sensibilité révolutionnaire, opposée à la Contre-Révolution et à la monarchie autant qu’aux exigences politiques et sociales des sans-culottes, et qui veut établir un régime favorisant les « classes mitoyennes » patriotes et soucieuses de la liberté économique. Ce courant, qui se distingue par une sociabilité de salons intellectuels et mondains, est animé par des personnalités plus ou moins rivales (Brissot, Vergniaud, Guadet, Roland...). Il promeut l’essor révolutionnaire en essayant de limiter les excès et les violences populaires jusqu’en 1792. Mais il cumule les contradictions : en lançant la France dans la guerre en avril 1792, il donne le beau rôle aux plus ambitieux de ses membres - qui accentuent les divergences internes - et aux volontaires, dont il ne sait pas canaliser l’élan patriotique populaire, qui charrie les massacres de septembre 1792. Les girondins (adoptons le terme, même s’il est alors anachronique) font preuve d’indécision quant au sort à réserver au roi Louis XVI déchu. Cette attitude, mais aussi leurs attaques inabouties contre les révolutionnaires extrémistes - tels Marat ou Hébert - et, enfin, les discours enflammés de Vergniaud contre Paris, dénoncé comme un repaire d’« anarchistes », et l’appel aux « départements » supposés « sains » permettent aux montagnards de les présenter, au cours du printemps 1793, comme des modérés suspects, puis comme des contre-révolutionnaires masqués, qu’il convient d’éradiquer (lors de l’insurrection des 31 mai et 2 juin notamment). De ces accusations mensongères, l’une reçoit une force particulière : les députés proscrits sont accusés du « crime de fédéralisme », c’est-à-dire d’avoir voulu s’attaquer à l’unité française, puisqu’ils ont exprimé l’idée de faire siéger la Convention ailleurs qu’à Paris pour la soustraire à la pression des sans-culottes. Cependant, ces derniers devinent que ces députés souhaitent « arrêter la Révolution » pour ne pas adopter des réformes sociales et ne pas avoir à départir les notables départementaux de leurs pouvoirs politiques. L’opposition politique réelle qui existe entre les factions révolutionnaires, en se déplaçant sur la question de l’unité nationale (« fédéralisme » contre « centralisme »), permet une campagne d’arrestations brève mais violente durant l’été 1793. Cette brutalité donne elle-même naissance, de fait, à une tendance politique, dont
les survivants, de retour au pouvoir après la chute de Robespierre, vont constituer l’un des piliers du Directoire. Giscard d’Estaing (Valéry), homme politique, président de la République de 1974 à 1981 (Coblence, Allemagne, 1926). Il est plusieurs lectures possibles de la trajectoire politique de Valéry Giscard d’Estaing, élu président à 48 ans. Jamais, pour l’heure, ni avant ni après lui, aucun autre président de la Ve République n’était parvenu à la magistrature suprême en dessous du seuil de la cinquantaine. Bien plus, Georges Pompidou, qui le suit, pour l’instant, dans une telle échelle des âges, accusait une décennie de plus au moment où il parvint au sommet. De là, il est vrai, découle une lecture apparemment inverse : après sa défaite en 1981, Valéry Giscard d’Estaing dut, à 55 ans, tenir un rôle jusque-là inédit dans le répertoire de la Ve République, celui du jeune « sortant » battu. Et, ne souhaitant pas, apparemment, s’acheminer vers une retraite précoce, il tenta alors un retour en politique. Or, celui-ci ne lui fit jamais retrouver les cimes. S’il est excessif, pour autant, de parler d’un destin d’étoile filante, l’interrogation reste entière : réalisation précoce de talents éclatants, ou combustion prématurée de dons politiques ? En fait, ces deux lectures se complètent plus qu’elles ne se contredisent : Valéry Giscard d’Estaing fut moins un coureur de fond de la politique qu’un sprinter à qui rien, dans un premier temps, ne résista. Ce qui renvoie à une autre question : son destin fut-il inachevé ou, au contraire, abouti ? Question qui conduit, du reste, à l’énigme centrale : où se trouve le véritable Valéry Giscard d’Estaing, entre l’homme comblé d’honneurs à moins de 50 ans et le président vaincu qui, dès lors, cautérisa plus qu’il ne guérit un lancinant sentiment d’échec ? • L’irrésistible ascension d’un héritier doué. Bien des fées s’étaient penchées sur le berceau : un père inspecteur des finances, en poste en 1926 à Coblence - où Valéry naît le 2 février - au Haut-Commissariat français d’occupation, un grand-père maternel député, puis sénateur du Puy-de-Dôme, un arrière-grandpère ministre de l’Instruction publique. Élevé dans un milieu de grande bourgeoisie, brillant lycéen, le jeune homme s’engage à la Libération, à 18 ans, dans l’armée de de Lattre de Tassigny. Il reviendra des campagnes d’Alsace et d’Allemagne décoré de la croix de guerre. Ayant repris
ses études, il intègre Polytechnique, puis, en raison de son rang de sortie, entre à l’École nationale d’administration sans passer le concours. Sorti de cette école dans la botte, il choisit le corps de l’Inspection des finances. À 26 ans, il épouse Anne-Aymone de Brantes, issue de la dynastie des Schneider, puis, en 1954, il entre au cabinet d’Edgar Faure, ministre des Finances du gouvernement Mendès France. Deux ans plus tard, aux élections législatives de janvier 1956, il est élu député indépendant du Puy-de-Dôme alors qu’il n’a pas encore 30 ans : son grand-père était le député sortant de la même tendance politique. Après cette implantation locale, c’est dans la même mouvance des Indépendants que s’opère le véritable envol : Valéry Giscard d’Estaing, réélu en novembre 1958, devient trois mois plus tard secrétaire d’État au Budget, aux côtés d’Antoine Pinay, ministre des Finances. Les Indépendants, dont Pinay est alors la figure tutélaire, ont soutenu le général de Gaulle lors de son retour en juin 1958 et appelé à voter « oui » au référendum de l’automne suivant. C’est dans ce registre des rapports avec le gaullisme que Valéry Giscard d’Estaing va progressivement faire entendre sa différence. Alors que sa famille politique préconise le « non » au référendum d’octobre 1962 sur l’élection du président de la République au suffrage universel, il soutient, pour sa part, le projet d’amendement constitutionnel. Entretemps, il est devenu en janvier 1962, à 35 ans, ministre des Finances du général de Gaulle. Avec ce dernier, dès lors, les relations seront complexes. Resté ministre jusqu’en janvier 1966, Valéry Giscard d’Estaing prend progressivement ses distances. C’est d’abord le « oui, mais » (janvier 1967), puis, six mois plus tard, la dénonciation de « l’exercice solitaire du pouvoir ». Surtout, en 1969, il se prononce pour le « non » au référendum du 27 avril, et cette prise de position joue assurément un rôle dans l’issue négative du scrutin et dans le départ du Général. L’homme, à cette date, pèse donc déjà largement dans le jeu politique, alors qu’il vient à peine de passer le cap de la quarantaine. D’autant que, au fil des années soixante, il s’est peu à peu rallié une large part de la droite libérale, affaiblie il est vrai par la scission de 1962. Le parti qu’il fonde en juin 1966, la Fédération nationale des Républicains indépendants, ne fait pas jeu égal avec les troupes gaullistes mais constitue pour celles-ci un indispensable soutien à l’Assemblée nationale.
• Un quadragénaire conquérant. Valéry Giscard d’Estaing incarne donc dès cette époque l’autre rameau de droite de la majorité au pouvoir. Il apparaît, du reste, qu’il envisage dès 1969 d’être candidat lors de l’élection présidentielle provoquée par le départ du général de Gaulle. Mais, jugeant que l’heure n’est pas venue et que le gaullisme est encore invincible, il soutient la candidature de Georges Pompidou et devient, après la victoire de ce dernier, ministre de l’Économie et des Finances. La compétition, au sein de la majorité, entre le gaullisme et la droite libérale est remise à l’élection suivante. Celle-ci, on le sait, vint plus tôt que prévu, en raison de l’interruption du mandat de Georges Pompidou. Quand ce dernier meurt le 2 avril 1974, Valéry Giscard d’Estaing entre en lice. Au premier tour des nouvelles élections présidentielles, il distance nettement le candidat gaulliste, Jacques Chaban-Delmas. Certes, la médiocre campagne de celui-ci, affaibli de surcroît par la défection d’une partie de l’UDR à l’initiative de Jacques Chirac, a favorisé ce décrochage. Mais les qualités propres du candidat, la notable différence d’âge avec les autres prétendants, ont joué un rôle décisif. Le second tour s’annonce serré. En effet, la montée en puissance électorale de l’union de la gauche depuis 1972, la dynamique créée autour de la candidature unique de François Mitterrand, l’amorce d’un changement de conjoncture économique pénalisant les équipes politiques sortantes, autant de handicaps que l’ancien ministre des Finances de Georges Pompidou doit surmonter. Là encore, la campagne est brillante, et Valéry Giscard d’Estaing sort à son avantage d’un face-à-face télévisé, premier du genre en France : la mémoire collective a retenu deux petites phrases alors assenées à François Mitterrand, « homme du passé » n’ayant pas « le monopole du coeur ». Dans un second tour d’élection présidentielle marqué par la participation la plus massive de toute l’histoire, jusque-là, de la Ve République (12,66 % d’abstention), 400 000 voix seulement séparent les deux hommes, et Valéry Giscard d’Estaing est élu downloadModeText.vue.download 412 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 401 président de la République le 19 mai avec 50,81 % des suffrages exprimés.
Dès sa déclaration de prise de fonctions, le 27 mai, le nouveau président a placé son action sous le signe du changement. Et, de fait, cette déclaration d’intentions est rapidement suivie d’effet : majorité à 18 ans et libéralisation de la contraception adoptées dès le mois de juin, loi sur le divorce par consentement mutuel en juillet, loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse votée en janvier 1975 grâce à l’appui des parlementaires de gauche. Si l’élan initial est donc incontestable, la « stagflation » croissante de l’économie française, les divisions à l’intérieur de la majorité, la poursuite de la montée électorale de la gauche sont autant de facteurs qui contribuent à placer progressivement le président en position défensive. De ce fait, les thèmes de la décrispation et du consensus que Valéry Giscard d’Estaing avait placés en exergue au début du septennat se trouvent bientôt singulièrement inopérants. On saisit mieux, à tout prendre, les multiples contradictions dans lesquelles il s’enferma peu à peu. Élu alors qu’il était porteur d’un projet centriste, il eut un septennat borné par deux élections présidentielles totalement « bipolarisées ». Ministre gestionnaire au temps des Trente Glorieuses, il parvint au sommet quand celles-ci s’étiolaient. Mais, comme le changement de conjoncture fut perçu de façon différée, il dut, de surcroît, rendre des comptes électoraux à propos d’une crise qui dépassait largement ses seules responsabilités. Partisan proclamé de réformes, il fut stoppé dans son élan par la dégradation de la situation économique mais aussi par des blocages politiques au sein de sa majorité qu’il ne put ou ne sut dénouer. Si l’on ajoute un déficit d’image publique croissant dû à des « affaires », telle celle dite « des diamants de Bokassa », et une inaptitude à empêcher une dégradation accélérée, il y a probablement là, par-delà même les rapports de force politiques au seuil des années quatre-vingt, l’une des clés de la défaite de 1981. Le jeune président de 1974 s’est muré sept ans plus tard dans une attitude ressentie comme hautaine, qui n’a fait qu’agrandir le fossé avec une partie de l’opinion française. • Un automne précoce. Sans doute faut-il voir dans cette incompréhension réciproque la cause d’une fracture qui ne fut jamais réduite par la suite. L’homme a confessé, des années après, dans ses Mémoires, le sentiment d’injustice qu’il éprouva au moment de l’échec et la difficulté qui fut la sienne à s’en remettre. Certes, le deuil politique ne dura, en apparence, que quelques années : député du
Puy-de-Dôme en septembre 1984, président du conseil régional d’Auvergne deux ans plus tard, il conduit la liste UDF-RPR aux élections européennes de 1989. L’année précédente, il est devenu président de l’UDF. Mais jamais l’ancien chef de l’État n’est parvenu à reconquérir pleinement le soutien de l’opinion. En 1988, il ne peut, de ce fait, entrer dans l’arène électorale au moment de l’élection présidentielle. De façon significative, ce sont ses deux anciens Premiers ministres, Jacques Chirac et Raymond Barre, qui portent les couleurs de la droite. Et sa longue présidence (1988-1996) à la tête de l’UDF ne lui donne pourtant pas suffisamment de poids politique pour tenter une dernière candidature à la présidentielle de 1995. Ultime échec, chargé par le conseil européen d’élaborer une constitution européenne, il voit son projet rejeté par l’électorat français lors d’un référendum en 2005. Le personnage, en fin de compte, continua après 1981 à déconcerter les Français. Si l’âge et les épreuves politiques contribuèrent progressivement à lui conférer une attitude jugée moins hautaine, il ne put plus jamais mettre au service d’un rôle de tout premier plan des qualités intellectuelles et une habileté politique demeurées exceptionnelles. Comme pour brouiller encore davantage les cartes, il ne s’en tint pas après 1981, dans le domaine littéraire, au registre, classique pour un ancien chef de l’État, des Mémoires (le Pouvoir et la vie) ou de l’essai. Il publia en 1994 un roman, le Passage, qui connut, certes, un succès public, mais reçut aussi un accueil goguenard de la critique littéraire. Il est néanmoins élu à l’Académie française en décembre 2003. L’épisode est révélateur : en littérature comme en politique, seule l’ingratitude et, donc, l’injustice pourraient, selon lui, expliquer son échec. Ce qui renvoie à cet aveu fait à plusieurs reprises à des journalistes après la défaite de 1981 qui changea le cours de sa vie : « je croyais avoir bien fait. Je n’ai pas vu venir mon échec. » Valéry Giscard d’Estaing, ou l’itinéraire d’un surdoué trop confiant en ses dons ? Glacière (massacre de la), épisode survenu dans la nuit du 16 au 17 octobre 1791 en Avignon, provoqué par les rivalités locales liées à la Révolution. Après plusieurs mois de guerre civile, Avignon et le Comtat Venaissin sont annexés à la France en septembre 1791, mais la Cité
des papes demeure divisée entre « patriotes modérés », soutenus par le club jacobin, et « patriotes prononcés », appuyés par les chefs de l’armée avignonnaise, dont Jourdan « Coupe-Têtes », personnage rustre et violent. Les premiers, délogés de la municipalité par les seconds le 21 août 1791, n’ont de cesse de reprendre le pouvoir. Parmi les rumeurs lancées par les modérés contre les nouveaux administrateurs, l’une fait état des pleurs d’une statue de la Vierge de l’église des Cordeliers ; elle provoque une émeute et l’assassinat de Lescuyer, patriote prononcé, le 16 octobre. En représailles, une foule conduite par Jourdan, qui lui ouvre les portes du Palais des papes, massacre sauvagement une soixantaine de prisonniers (anciens officiers municipaux et suspects arrêtés à la suite du meurtre de Lescuyer), qu’elle précipite dans la tour de la Glacière. Cet événement, reflet des divisions nationales, qui alimente les récriminations des opposants à la Révolution, connaît un grand retentissement et provoque l’arrestation des responsables ainsi que la réintégration de l’ancienne municipalité, néanmoins remplacée, dès juillet 1792, par les « glaciéristes » amnistiés. Il s’inscrit dans le contexte du sanglant contentieux en Avignon, où la Terreur blanche sera d’une rare brutalité après thermidor an II. Globe (le), journal fondé en 1824 par l’autodidacte Pierre Leroux et le professeur Théodore Dubois. Né dans un cercle d’universitaires, de mondains et d’écrivains, le Globe est libéral et romantique : comme en témoigne un article de Ludovic Vitet réclamant dès 1825 « un 14 Juillet du goût », ses rédacteurs ne séparent pas la libération des formes et de l’espace esthétiques de la liberté politique. Aussi, la publication - à laquelle collaborent SainteBeuve, Hauranne, Blanqui, Guizot, Cousin, Saint-Hilaire - glisse-t-elle peu à peu, sous l’influence croissante de Leroux, du domaine purement philosophico-littéraire à l’engagement idéologique. Le Globe, devenu quotidien, est ainsi l’une des feuilles les plus acerbes de la presse d’opposition à Polignac. Dénonçant les ordonnances « liberticides » de juillet 1830 (rétablissement de la censure et du régime d’autorisation), s’associant à la pétition de Thiers (27 juillet), il participe aux Trois Glorieuses. Sur une position indécise - ni monarchie ni République -, le Globe subit une mue importante en 1831. En janvier, il devient l’« organe des saint-simoniens ». S’orientant vers l’économie et un socialisme mystique, le journal perd
de son aura. En avril 1832, il disparaît, peu après les publications saint-simoniennes liées à son cercle rédactionnel (Encyclopédie nouvelle, Revue indépendante, Revue sociale). Il reparaîtra de manière éphémère, et toujours au nom du saint-simonisme, en 1837, puis en 1845, avant d’être absorbé par le Crédit en 1848. Gobelins (Manufacture royale des), entreprise de tapisserie privilégiée fondée par Colbert à Paris. Elle tient son nom d’un teinturier établi dans le faubourg Saint-Marcel au XVe siècle, et qui devient l’éponyme du quartier. C’est là qu’Henri IV installe en 1601 une équipe de tapissiers flamands, dont les ateliers sont transformés en manufacture-pilote par Colbert en 1662. Il y fait venir les tapissiers, ébénistes, sculpteurs et orfèvres qui avaient travaillé pour Nicolas Fouquet à Vaux-le-Vicomte, et nomme Charles Le Brun directeur. En 1667 est définitivement érigée la « Manufacture royale des meubles de la couronne ». Elle abrite notamment 250 tapissiers, sous l’égide de 4 chefs d’atelier, qui sont en fait des entrepreneurs bénéficiant du privilège royal et travaillant à façon pour le roi. Ayant en charge l’ameublement des demeures royales, elle donne le ton, devant à la fois incarner la perfection technique et travailler à la gloire de Louis XIV. Les peintures de Le Brun sont reproduites sous forme de cartons, qui servent de modèles aux lissiers pour fabriquer des tentures richement ornées. Après la mort de Colbert en 1683, Louvois impose des économies à la manufacture. Il écarte peu à peu Le Brun, au profit de Pierre Mignard, qui le remplace finalement en 1690. Un temps fermée en 1694, la manufacture est rouverte en 1699, mais se consacre désormais exclusivement à la tapisserie. Au XVIIIe siècle, les expériences malheureuses de son directeur, le peintre Jean-Baptiste Oudry, en ternissent la réputation, mais elle demeurera le symbole d’un luxueux artisanat d’État. downloadModeText.vue.download 413 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 402 Godefroi de Bouillon (Godefroi IV de Boulogne, dit), duc de Basse-Lorraine, un des chefs de la première croisade (Baisy, près de Genappe, vers 1060 - Jérusalem 1100). Second fils d’Eustache II de Boulogne et de sainte Ida, Godefroi hérite de son oncle, Godefroi le Bossu, duc de Basse-Lorraine, la
marche d’Anvers et le comté de Verdun en 1076, puis la Basse-Lorraine en 1087. Son ardeur à défendre le château de Bouillon lui vaut le nom de Godefroi de Bouillon. Lorsque le pape Urbain II prêche la croisade en 1095, il prend la tête de l’une des armées croisées, composée de chevaliers du nord-est de la France et de Germanie. Partis à la mi-août 1096, les croisés ne prennent Jérusalem que le 15 juillet 1099. Un mois plus tard, Godefroi de Bouillon, après avoir refusé le titre de roi, prend celui d’« avoué [protecteur] du Saint-Sépulcre ». Il organise alors les terres conquises, crée des fiefs, conquiert des forteresses. Il meurt accidentellement le 18 juillet 1100 ; les structures féodales du royaume latin de Jérusalem qu’il a commencé à mettre en place perdurent toutefois. Son frère Baudouin est sacré et couronné roi à Bethléem le 25 décembre 1100. Sitôt mort, Godefroi de Bouillon entre dans la légende : il est le héros de la Chanson d’Antioche et du Chevalier au cygne, dont la bravoure et la piété répondent aux figures imposées des chansons de geste. Bien que certains historiens se soient montrés méfiants devant les excès laudatifs de la tradition, il n’y a pas lieu de le considérer comme un médiocre, mais plutôt comme l’archétype du croisé, à la foi totale, intolérant et brave, politique par nécessité, désireux de protéger avant tout les Lieux saints. goliards. S’il finit par désigner les marginaux ou les contestataires de la société médiévale, le nom de « goliard » définit d’abord, à partir du XIIe siècle, un clerc ayant renoncé à son insertion dans les structures sociales et à une carrière ecclésiastique ou intellectuelle. Dénoncés pour leur pratique de la mendicité et leurs rapines, les goliards, dont la littérature du Moyen Âge a fait le plus souvent des « ribauds », des bouffons ou des étudiants, constituent ainsi une frange de population subversive, caractérisée par son vagabondage et sa critique de la société instituée. Sorte d’intelligentsia urbaine plus révoltée que révolutionnaire, les goliards vivent le plus souvent de petits métiers et parfois aux crochets du prince ou du mécène - comme le goliard Gautier de Lille. Ils chantent un immoralisme provocateur proche du libertinage (l’amour jusqu’à l’obscénité, le vin et le jeu...) et prônent la recherche du salut ou du paradis sur la terre. Ils s’attaquent également à tous les représentants de l’ordre (le noble, le bourgeois) mais aussi aux figures de l’Église (le pape, l’évêque ou le moine « paresseux et paillard »). Leurs chansons et
leurs pamphlets satiriques ridiculisent ainsi les conflits entre les puissances laïques et les puissances ecclésiastiques (au moment de la lutte entre l’Empire et le sacerdoce, notamment). Les jeux de mots (par exemple : « Commencement du saint Évangile selon le marc d’argent ») mais aussi l’utilisation d’un bestiaire satirique (papelion, évêque-veau, etc.) ou d’allégories audacieuses proches de la parodie caractérisent la littérature goliardesque. Abélard (1079-1142), dont les chansons étaient récitées sur la montagne Sainte-Geneviève, à Paris, fut un des plus grands poètes médiévaux se réclamant de cet esprit. Le répertoire des goliards inspire également toute une série d’auteurs anonymes ou d’oeuvres lyriques (comme le célèbre recueil de poésie des Carmina Burana, copié vers 1220-1230). Les oeuvres en langue vernaculaire d’un Rutebeuf (mort vers 1285) ou d’un François Villon (1431-après 1463) s’inscrivent dans la même veine. Cependant, condamnés par l’Église pour leurs moeurs dissolues et rejetés en marge de la plupart des mouvements intellectuels, les goliards n’ont eu bien souvent de postérité littéraire que posthume. Mais, à beaucoup d’égards, l’audace de leurs idées et la verve de leurs attaques de la société morale ne sont pas sans faire de ces épicuriens des précurseurs de l’humanisme de la Renaissance. Gondebaud ou Gondobald, roi des Burgondes ( ? - 516). Issu de la famille royale burgonde, Gondebaud a sans doute été formé dans les écoles romaines de Vienne et de Lyon. Il est d’abord maître de la milice de l’empereur Olybrius, puis, à la mort de son oncle Chilpéric Ier, en 480, partage le royaume de ce dernier avec ses trois frères. Il parvient rapidement à éliminer deux d’entre eux et reste à la tête du royaume de Lyon, tandis que son frère Godegisèle règne depuis Genève. Pour renforcer sa puissance, Gondebaud mène une politique agressive, tant envers les Alamans, auxquels il reprend Langres et Besançon, qu’envers les Wisigoths, auxquels il ravit Avignon. Grâce au mariage de son fils Sigismond avec la fille du puissant roi Théodoric, il fait alliance avec les Ostrogoths, qui le sauvent de la première tentative d’invasion franque, vers 500. Gondebaud en profite pour se débarrasser de son frère et réunifier le royaume des Burgondes (500-516). Bien que resté fidèle à l’arianisme, Gondebaud obtient la collaboration des élites gallo-
romaines et, en particulier, des évêques de son royaume. Il fait rédiger en 502 la loi des Burgondes, appelée « loi Gombette », dispositif juridique influencé par le droit romain et caractérisé par le principe de la « personnalité des lois » (droit de chacun à être jugé selon la loi de ses pères). Parallèlement, il fait compiler, vers 506, des extraits du Code théodosien et des sentences de jurisconsultes : c’est la « loi romaine des Burgondes », applicable aux Gallo-Romains du territoire. En 516, Gondebaud lègue à son fils Sigismond un royaume menacé par les Francs. l GOTHIQUE (ART). Souveraine et fervente, la France de la période « gothique » se résume si bien dans ses cathédrales qu’aujourd’hui ce terme qualifie principalement l’architecture religieuse. Mais l’art gothique est plus que cela : il est un événement culturel global, une forme de pensée cohérente qui s’inscrit dans tous les arts, civils, militaires et religieux, les arts monumentaux, les arts décoratifs, les arts précieux. Né au cours du XIIe siècle, dans le domaine royal d’Île-de-France, l’opus francigenum, selon l’expression d’un historien allemand d’aujourd’hui, acquiert un développement tel que, sur une durée de trois siècles, il essaime non seulement dans les provinces françaises, mais au-delà des frontières. UN STYLE, UNE ÉPOQUE, UN ESPRIT Selon la conception courante, l’art gothique fait suite au style roman et précède la grande éclosion de la Renaissance. Cependant, ses insertions précoces (en Normandie) et ses développements régionaux (gothique méridional, art des Plantagenêts...) nuancent cette affirmation. À titre d’exemple, dès 1101, la salle capitulaire de l’abbaye de Jumièges possède des croisées d’ogives, alors que, quatre siècles plus tard, au coeur de la Renaissance, le palais de justice de Rouen (1526) est encore tributaire du gothique. Le mot « gothique » lui-même a son histoire. Il naît sous la plume méprisante des écrivains de la Renaissance, qui jugeaient cet art « barbare », le terme « goth » désignant tout ce qui provenait « des régions d’au-delà des Alpes ». C’est encore dans ce sens péjoratif qu’au XVIIe siècle, Boileau, qui n’aime ni le Moyen Âge ni Ronsard, parle des « idylles gothiques » de ce dernier. Au début du XXe siècle, certains historiens ont proposé la dénomination d’« art ogival ». Ce terme ne
serait pas exact, puisqu’il ne s’appliquerait qu’à l’architecture. L’historien Camille Enlart adopte, lui, l’expression médiévale ars francigenum, mais ce qualificatif n’est pas juste : la France a-t-elle jamais cessé de produire un art français ? Reste donc le mot « gothique », que la tradition a fini par consacrer, même si, au sens proprement étymologique, il est peu défendable. DE L’« OPUS FRANCIGENUM »... « Pour bien comprendre l’art gothique, il faut lui conserver sa qualité vivante qu’est la qualité expérimentale » (Henri Focillon). Quatre grandes périodes caractérisent l’invention gothique. Le premier art gothique, ou gothique primitif, prend acte de l’évolution de l’architecture cistercienne qui a tôt fait de reconnaître l’efficacité de l’arc brisé et de la voûte sur croisée d’ogives. Le berceau officiel du gothique est sans conteste le choeur de la nouvelle abbatiale Saint-Denis (1140), fruit de l’impulsion novatrice de l’abbé Suger. Les premières cathédrales (Noyon, Sens...) datent de cette période, qu’André Chastel qualifie d’« empirisme raisonné ». Les parois ne sont pas encore évidées et la sculpture reste assujettie à l’architecture. Le gothique classique s’épanouit dans la première moitié du XIIIe siècle (1190-vers 1260), sous les règnes de Philippe Auguste et de Louis IX, avec la mise en oeuvre des grands chantiers d’Île-de-France. L’élément déterminant en est le perfectionnement de l’arc-boutant. Temps de l’accomplissement où toutes les formes d’art (monumentales et mineures) reçoivent équilibre, élan, couleur et lumière. C’est au cours de cette période, dite « âge d’or du gothique », que le style répond downloadModeText.vue.download 414 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 403 le mieux aux préoccupations intellectuelles et spirituelles de la société laïque et religieuse. La troisième étape, le gothique rayonnant (1260-vers 1350), est celle d’une pleine maturité, calme et sereine. Les jubés, clôtures de choeur et retables envahissent les églises (Albi) ; la lumière des vitraux est plus généreuse (Metz) ; les arts somptuaires s’affinent et les couleurs des enluminures s’enrichissent. En pleine possession de leurs moyens, les
artistes s’engagent volontiers dans les commandes princières (art de cour). Enfin, l’art gothique flamboyant (fin du XIVe-milieu du XVIe siècle) cède aux courbes, contre-courbes et nervures qui « s’enflamment ». Le décor tend au réalisme, les formes traduisent l’angoisse que font sourdre les malheurs ambiants (Peste noire, guerre de Cent Ans). L’art pictural se fait narratif. Les arts mineurs évoluent vers le maniérisme. Cette dernière étape annonce la Renaissance. ...AU GOTHIQUE INTERNATIONAL Grâce à son parti pris essentiellement rationnel, à sa conception révolutionnaire de l’espace, à la mobilité des artistes, à l’épanouissement international de certains ordres religieux (cisterciens et mendiants) et au développement d’un mécénat princier, l’invention gothique connaît une diffusion spectaculaire dans toute l’Europe jusqu’au milieu du XVIe siècle, où elle prend le nom de « gothique international ». Chaque pays le colore de son génie propre. En Angleterre, ce style est adopté dès 1174 à Cantorbéry grâce à un architecte français, Guillaume de Sens. L’originalité des chefsd’oeuvre (théâtralité des façades, voûtes en éventail) prouve que le gothique anglais échappe très vite à la tutelle du continent. De même, dans l’Empire germanique, après avoir été longtemps intégré dans la masse romane, le gothique s’impose sans résistance au XIVe siècle sous sa forme rayonnante. À partir de 1347, l’empereur Charles IV (1347-1378) se comporte en véritable mécène : il fonde l’université de Prague et fait construire de somptueux palais ; la formule embrasse alors très largement les territoires de l’Empire. Le nouveau style s’offre le luxe d’exposer sur la place internationale les meilleurs architectes, peintres et sculpteurs : Sluter, Nicolas de Verdun, la famille Parler, les frères Limbourg, Jan Van Eyck... En Espagne, les réalisations majeures (Tolède, Burgos, León...) doivent beaucoup à la France, du fait de sa participation à la Reconquista et des échanges que suscite le pèlerinage de Compostelle. Puis l’art mudéjar remodèle le style à sa manière. Quant au gothique italien, tributaire au départ des grands ordres religieux (cisterciens en Toscane, franciscains à Assise, et fondations dominicaines), il est surtout redevable aux artistes comme Giotto, Pisanello, Gentile da Fabriano... qui lui associent avec un génie hors pair leur propre langage. Grâce à eux, et pour des siècles, le gothique devient l’art
de l’Europe. UN ART DE PROSPÉRITÉ L’esprit gothique est le fruit d’une France en pleine expansion. Il surgit au moment où le prestige des rois capétiens s’affirme. Une nouvelle répartition du pouvoir et de nouvelles ressources économiques suscitent l’émergence d’une classe sociale spécifiquement urbaine et de modes de vie inédits. L’essor des villes, tout d’abord, est déterminant. La poussée démographique, les libertés acquises et les facilités d’échanges, tant commerciaux qu’intellectuels, favorisent le développement des cités et leur rayonnement. De grands monuments civils ou religieux s’élèvent, drainant derrière eux toute une organisation sociale et artisanale - maîtres maçons, peintres, sculpteurs... - stimulée par l’élan et la fierté d’une nouvelle noblesse citadine et cléricale. L’essor rural n’est pas moins fondamental. Les progrès des techniques permettent le défrichement de terres - en particulier, les forêts - jugées jusqu’ici non cultivables. Cette dernière activité est en lien direct avec l’avènement de l’architecture gothique : la pénurie croissante de bois de construction, doublée du coût élevé du transport, obligent à utiliser la pierre de carrière taillée in situ. Cette préfabrication exige la standardisation de la forme et la légèreté du matériau, et l’édification du mur en est facilitée. Prélats et grands seigneurs se rendent propriétaires de carrières et en assurent l’exploitation, selon une très forte structure sociale pyramidale. En outre, les nouvelles conquêtes agricoles pourvoient les grands domaines et garantissent la vitalité du commerce. Le niveau de vie s’améliore, les bras et les esprits se libèrent, le contexte culturel s’en trouve favorisé. La France est en plein bouillonnement intellectuel. Voyageurs et négociants parcourent le monde et consignent leurs observations. Les bibliothèques s’enrichissent. Les textes attestent l’effort d’une clarification cohérente et logique de la pensée. Les grandes universités sont créées. Deux tendances opposées s’y affrontent : d’un côté, la relecture des écrits du Pseudo-Denys formulant les données du monde harmonieux et hiérarchisé de Platon à la lumière chrétienne ; de l’autre, la résurgence de la philosophie d’Aristote, lequel apporte réalisme et rationalisme. En 1215, l’école de Chartres, plato-
nicienne, est supplantée par l’Université de Paris, aristotélicienne ; les sciences humaines s’affranchissent de la théologie. L’iconographie des portails de Chartres et des vitraux de Laon reflète cette scolastique, qui aboutit à l’élaboration de grandes synthèses telles que les Sommes ou les Miroirs (Vincent de Beauvais). Enfin, la fascination de la verticalité, le caractère diaphane de la maçonnerie, la richesse de l’ornement, la finesse et l’harmonie picturale ne sont pas que les effets de conditions économiques, sociales ou politiques. Ils ne s’expliqueraient pas sans le formidable élan spirituel qui soulève alors toute la chrétienté d’Europe. L’esprit de l’ordre de Cîteaux, avivé par saint Bernard, et la sensibilité franciscaine, stimulée par saint Bonaventure, modifient les comportements. Une conception plus sereine des rapports de l’homme avec un Dieu plus accessible s’instaure. Le souci de la destinée ou l’angoisse, comme le plaisir de vivre ou le sourire, s’inscrivent dans la pierre et modifient couleurs et graphisme. Une esthétique moderne surgit qui se nourrit de valeurs profanes autant que religieuses. DEUX PROTAGONISTES : L’OGIVE ET L’ARC-BOUTANT En architecture religieuse, la voûte sur croisée d’ogives et l’arc brisé révolutionnent l’espace. Ni celui-ci ni celle-là ne sont des inventions des maîtres du gothique ; c’est leur emploi systématique qui conduit les architectes du domaine royal à porter l’édifice à son point de perfection. Mais cette « invention de maçon », comme l’appelle Henri Focillon, n’aurait pu s’implanter de façon aussi magistrale sans l’avènement d’un organe de contrebutée : l’arc-boutant (vers 1180, à Paris). Là encore, le génie gothique n’est pas tant l’invention de la contrebutée, déjà connue, que le fait de l’avoir conçue comme un arc. Cette heureuse disposition décharge les murs et permet à l’arc de s’élever en même temps que la nef, à la rencontre exacte des points de poussées. Plus les nefs montent, plus l’arc dédouble ses volées. Le moment vint où l’on dut faire appel à de nouveaux renforts complices, pinacles et culées, pour dériver et neutraliser toute pesanteur. Un ingénieux système, pragmatique et élégant, enserre des nefs de plus en plus audacieuses. Cette dynamique verticale est à l’origine du vif succès de l’art gothique. Elle sert magnifiquement l’orgueil du roi et celui de l’évêque. Mais, plus profondément, sa puissante évocation ascensionnelle répond à
l’aspiration universelle et existentielle de surpassement. « Le haut est une catégorie inaccessible à l’homme comme tel : elle appartient à des êtres surhumains » (Mircea Eliade) ; symbolisme que la spiritualité chrétienne célèbre avec faste dans la liturgie, et dont elle investit la flèche de ses cathédrales. CONFORT ET PRESTIGE Dans les édifices civils et militaires, une nouvelle conception du mode de vie se greffe sur ces concepts architecturaux et symboliques. L’exemple le plus typique et le plus complet est le Palais des papes à Avignon, monument à la fois civil, religieux et militaire : la forteresse austère et défensive de Benoît XII (1334/1342), devient, avec Jean de Louvres, l’architecte de Clément VI (1342/1352), un palais confortable et luxueux. Et, si les villes continuent à s’entourer de remparts (Carcassonne, Aigues-Mortes...) ou à s’enrichir d’éléments fortifiés (le pont Valentré de Cahors, 1308-1335), l’aspect résidentiel et somptueux des palais l’emporte (l’hôtel Jacques-Coeur à Bourges). Par ailleurs, en son centre, la cité gothique affiche un décor exprimant le prestige économique et social : la richesse et la hauteur des beffrois est le corollaire laïc de la flèche ou des tours ecclésiales. Le marché couvert de Saint-Pierre-sur-Dives (XIIIe siècle) et l’hôpital de Tonnerre (fin XIIIe siècle) offrent de beaux exemples de cette architecture urbaine. UNE NOUVELLE VENUE : LA STATUE-COLONNE La statuaire grandeur nature apparaît vers 1140 dans l’ébrasement des portails de Saint-Denis. Techniquement, la formule est particulière : c’est une « statue-colonne » qui fait corps avec l’architecture, sans être pour downloadModeText.vue.download 415 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 404 autant encastrée dans la maçonnerie comme ses soeurs aînées romanes. Le sculpteur lui donne vie et autonomie. Conforme aux canons de verticalité, la morphologie est svelte et étirée, et le plissé des vêtements retombe selon les cannelures des colonnes. Tout est fonction de la dynamique ascensionnelle de la façade. Esthétiquement, les modèles sont ceux de l’Antiquité classique, en référence à la représentation du corps et de la nature
dans la pensée médiévale. Théologiquement, la statue, vue de biais dans l’ébrasement du porche, ne peut se trouver dans un face-àface idolâtre avec le fidèle, et s’inscrit dans une thématique typologique et mystique qui la dépasse. Car ce qui caractérise la façade gothique depuis l’édification de Saint-Denis, c’est l’interprétation scolastique et liturgique qui lui est conférée. Cette lignée d’hommes et de femmes debout aux porches est celle qui a attendu, préfiguré et annoncé la théophanie proclamée au tympan. Elle forme une sorte de corpus de l’enseignement de l’Église, auquel tout est ordonné, y compris la flore et la faune qui l’accompagnent. Aussi, lorsque dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture (1854-1858), Viollet-le-Duc attribue la déformation des corps à des corrections optiques - il fallait éviter, dit-il, que les statues ne soient perçues écrasées par la masse d’architecture ou difformes à cause de la hauteur -, on reconnaît bien la perspicacité de son esprit fonctionnel mais, précisément, là se situe la fine pointe de l’esprit gothique, capable « d’architecturer » l’homme et la nature selon des formes fonctionnelles et symboliques qui ne s’excluent pas. Aucune époque, par la suite, ne reprendra ce flambeau artistique. RÉALISME ET SENTIMENT C’est au XIIIe siècle, avec l’art marial, qu’est introduit dans la sculpture gothique le raffinement formel qui fera l’excellence française. La Sedes sapientiae s’efface au profit de la Vierge à l’Enfant, au déhanchement si caractéristique. La courbe qui humanise le corps sied si bien à l’esprit nouveau qu’elle se répercute sur toute forme statuaire, même masculine. Ce réalisme du XIVe siècle fait naître d’authentiques chefs-d’oeuvre que les ivoiriers et les orfèvres parisiens diffuseront jusqu’à la Renaissance. Autour de 1400, le nom du sculpteur Sluter domine. Originaire de Hollande, il travaille pour Philippe le Hardi en Bourgogne, exécutant l’ensemble de statues du Puits de Moïse, à la chartreuse de Champmol (1396). La poursuite de la vérité d’apparence va naturellement conduire à la peinture de chevalet et à l’art du portrait individuel (Jean II le Bon, Louvre). Les cours princières sont des rendez-vous d’artistes (Paris, Prague, la Bourgogne...). C’est l’époque des donateurs, où s’affirme progressivement l’image du généreux mécène vivant ou défunt, hardi chevalier ou gracieuse dame (Philippe le Bel et Jeanne de Navarre, à Paris). Enfin, l’art funéraire (dalles et gisants) hésite entre idéalisation sereine ou lucidité ration-
nelle. La première effigie funéraire qui reproduit les traits réels du défunt est celle de Philippe le Hardi. UN ÉVENTAIL PRODIGIEUX D’ACTIVITÉS ARTISTIQUES La peinture murale n’est pas abandonnée. Mais les badigeons des siècles suivants, les altérations du temps et, plus grave, le goût du XXe siècle pour la pureté du matériau ont fait perdre (voire rejeter) la réalité de cet univers. Or, à cette époque, le peintre gothique n’est pas encore limité par des conventions. Puisque le vitrail lui soustrait le mur, il exerce son art ailleurs, travaillant à la mise en valeur du monument. Les témoins de ce type de polychromie architecturale sont aujourd’hui si rares qu’ils constituent des références obligées : ce sont les cathédrales de Lausanne, de Genève et de Chartres. Quant au seul exemple de portail peint, celui de Lausanne, il nous est parvenu bien mutilé. Plus nombreuses sont les peintures murales des demeures privées, gages d’une tradition de très haute qualité (Saint-Julien du Petit-Quevilly, Germolles en Bourgogne...). Avec le vitrail, le gothique atteint sa plénitude lyrique. Lorsque ruisselle la lumière dans l’édifice sacré, le reflet des gemmes lumineuses conduit à « transposer ce qui est matériel à ce qui est immatériel », selon la fameuse démarche anagogique de Suger, pétri des écrits attribués au Pseudo-Denys. La technique se double là d’une très forte mystique, exprimée dans ces mots que l’abbé fait graver à l’entrée de sa cathédrale : Mens hebes ad verum per materialia surgit (« Par ce qui est matériel, l’esprit aveugle accède à la vérité »). Le jour où l’esprit cartésien émoussera cette clé symbolique, l’art gothique ne sera plus compris. Après Saint-Denis, l’atelier chartrain prend la relève, suivi par l’atelier parisien. Une phase nouvelle s’ouvre avec la réalisation des roses de Notre-Dame et des parois translucides de la Sainte-Chapelle (1243-1248). Les Prophètes de Saint-Urbain de Troyes (1264) et la chapelle d’axe de la cathédrale de Rouen (fin du XIIIe siècle) apportent à leur tour une innovation : l’utilisation de la grisaille et l’emploi du jaune d’argent. Enfin, au XIVe siècle, les immenses baies ne sont plus soumises à l’architecture. L’exemple le plus achevé est l’ensemble des verrières du choeur de la cathédrale d’Évreux (1330-1380). L’enluminure atteint une maîtrise inégalée à la fin du XIIIe siècle et au XIVe. Encore sou-
mise au vitrail au début du XIIIe siècle (Psautier de Blanche de Castille, 1230, Psautier de saint Louis, vers 1256) ; on y reconnaît les thèmes architecturaux et la même sensibilité chromatique (rouge, or et bleu), mais la laïcisation et le jeu des rivalités des commandes lui font connaître une fortune nouvelle au XIVe siècle. Les peintres illustrent indifféremment livres d’heures, poèmes d’amour, recueils de chansons ou chroniques historiques. À la fin du XIIIe siècle, des noms d’artistes apparaissent : l’atelier de Maître Honoré, à Paris, est le plus réputé, qui travaillait pour le roi Philippe le Bel ; Jean Pucelle crée des oeuvres exquises (Livre d’Heures de Jeanne d’Évreux, 13251328) ; les frères de Limbourg répondent à la commande du fastueux Jean de France en peignant les Très Riches Heures du duc de Berry (1413-1416), oeuvres uniques tant par la fantaisie du langage que par l’abondance de détails sur la vie quotidienne. Quant aux objets produits par les arts dits mineurs (émaux, ivoires), ils se hissent au rang de joyaux par la minutie du travail et la préciosité de la matière. S’ils servent le goût de luxe des nouveaux commanditaires, ils sont aussi l’écho de la théologie d’un Suger, pour qui la beauté est reflet du divin. Pour preuve la célèbre amphore, « aigle » de porphyre et d’argent doré adapté au service de l’autel (Louvre). Le vocabulaire décoratif architectural des châsses et des reliquaires illustre au mieux cette idée, et toute l’esthétique « verticalisante » miniaturisée est valorisée par la richesse des pierreries, l’éclat du cuivre et les nuances de l’émail. Nicolas de Verdun est sans aucun doute l’orfèvre le plus populaire et le plus reconnu de cette époque. Le Livre des métiers d’Étienne Boileau fournit, au milieu du XIIIe siècle, la liste des « patenostriers, paintres, ymagiers » qui étaient autorisés à travailler ces matières précieuses. UNE THÉOLOGIE ET UNE ÉTHIQUE Justes proportions du corps et « flexions de la vie » (René Huyghe), la révolution de l’iconographie gothique est une révolution humaniste ordonnée au spirituel. Au portail des édifices religieux, l’Éternel prend visage d’homme. C’est à Chartres (1224) que le thème acquiert sa forme définitive avec le motif dit du Jugement dernier. Ce terme, aujourd’hui couramment employé, ne rend pas compte de la formidable intuition théologique qui présida à l’élaboration de l’image. Celle-ci ne représente pas un événement. Hormis le trône, tout ce qui faisait la gloire du Christ roman (mandorle, couronne) et traduisait le
rayonnement de l’extension évangélique (tétramorphe, livre) est abandonné, de même que tout geste d’enseignement. Les mains et les pieds sont percés, la robe découvre ostensiblement la blessure du coeur. La chrétienté, qui découvre le corps, découvre la chair d’un Dieu blessé et l’exprime par une iconographie pathétique, pietà et Christ de pitié. En contrepoint naît l’image la plus hardie et novatrice du XIIIe siècle : le Couronnement de la Vierge. De Senlis à Reims, cette image rassemble, en une formidable synthèse et dans un thème royal, toute l’espérance d’une humanité rachetée, le culte marial et le rôle grandissant de la femme dans la société médiévale. Intronisée des mains mêmes du Rédempteur, la Vierge apparaît comme l’affirmation triomphante de l’Église ressuscitée, éternelle et royale. Au plus haut de la façade, une image couronne tous ces thèmes : la Galerie des rois. Rois de France ? Rois de Juda ? L’ambiguïté n’est pas à lever. Elle a été volontairement maintenue. Selon l’historien Sauerländer, le temps restreint de leurs apparitions (sous les trois règnes de Philippe Auguste, Louis VIII et Louis IX) et les lieux précis où on les trouve (les cathédrales dont les liens avec la couronne étaient des plus étroits, Paris, Reims...) parlent en faveur du premier sens. La Révolution ne s’y est pas trompée. Par ailleurs, il est certain que les rois de France se plaisaient à rattacher leur royauté à cette lignée des ancêtres royaux bibliques... downloadModeText.vue.download 416 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 405 VERS LA RENAISSANCE La vie des formes est impitoyable. La maîtrise des techniques conduit peu à peu les artistes à céder à la séduction de la recherche formelle et à la perfection du rendu. À la veille de la Renaissance, le gothique, qui n’est plus ars francigenum mais international, est à la recherche d’un esthétisme et d’une virtuosité qui répondent au goût du luxe, aux émotions neuves et au souci de réalisme communs à toute l’Europe. La gracieuse humanité des portails d’Amiens et de Reims autant que la courbe souple et libre des ivoires parisiens sont l’héritage qu’il laisse à l’Italie, prête à son tour à prendre le devant de la scène artistique. Gouberville (Gilles Picot, sire de), lieutenant des Eaux et Forêts (Le Mesnil-au-Val,
Manche, vers 1521 - 1578). Aucune action d’éclat n’est à inscrire à l’actif de ce gentilhomme campagnard réputé d’ancienne noblesse, qui, s’il répond aux convocations du ban, préfère le « ménage des champs » à la carrière des armes et demeure résolument enraciné dans son Cotentin natal : sa notoriété posthume est due à trois gros cahiers dans lesquels, de 1549 à 1562, il consigne le détail de ses comptes et tient, en témoin sensible d’une « histoire immobile », la chronique des travaux et des jours ; treize années durant lesquelles il se préoccupe de champs à essarter, labourer, fumer et ensemencer, d’arbres à greffer, de foins à cueillir, de récoltes à engranger, de bestiaux à nourrir, de maçonneries à relever et de toitures à réparer. Ce sédentaire dans l’âme se complaît dans la société des parents et des serviteurs qui partagent son foyer, mais aussi des villageois de son voisinage, qu’il emploie à l’occasion et avec lesquels il entretient des relations de familiarité mêlée d’attachement au rang de chacun ; il ne se rend qu’une fois à la cour, en 1556, dépensant en deux mois 86 % de ce que lui coûte annuellement la nourriture de sa maisonnée. Attentif à ses devoirs de charité et d’entraide, ce célibataire contraint et père de trois bâtardes voit, en 1562, ses convictions religieuses ébranlées par la Réforme, mais reste finalement fidèle à la foi de ses aïeux. Gouges (Marie Olympe Gouze, dite Olympe de), femme de lettres et ardente militante des droits politiques des femmes (Montauban 1748 - Paris 1793). Née dans la petite bourgeoisie commerçante, mariée en 1765 à Louis Aubry, un modeste officier, veuve en 1766, elle prend le nom d’Olympe de Gouges et s’installe à Paris, où elle se consacre à la littérature. Auteur d’environ soixante-dix romans, essais ou pièces de théâtre - dont plusieurs dénoncent l’esclavage -, elle fréquente des hommes de lettres (notamment Louis Sébastien Mercier) et jouit d’une petite notoriété. Pendant la Révolution, elle publie une soixantaine de textes politiques, parmi lesquels la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (septembre 1791), qui a alors peu d’écho. Affirmant l’égalité en droits des deux sexes, elle y demande, au nom de la justice et des « lois de la nature et de la raison », qu’on rende à la femme ses droits naturels, dont l’exercice est selon elle borné par « la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose » : en somme, tant que les femmes ne jouiront pas des droits
politiques, la Révolution sera inachevée. Très hostile aux montagnards, elle est arrêtée le 20 juillet 1793, accusée d’être l’auteur d’une affiche girondine, condamnée à mort le 2 novembre et guillotinée le lendemain. Après sa mort, Olympe de Gouges a été traitée de « femme-homme » ayant « oublié les vertus qui conviennent à son sexe », et ridiculisée par les historiens ou les auteurs de dictionnaires du XIXe siècle. Mais elle a été réhabilitée par les féministes, qui présentent le parcours de l’auteur de la Déclaration, montée sur l’échafaud pendant la Révolution française, comme symptomatique de la place faite aux femmes dans la démocratie française. Gouin (Félix), homme politique (Peypin, Bouches-du-Rhône, 1884 - Nice 1977). Ses parents ont été instituteurs, et lui-même devient avocat au barreau de Marseille en 1907, après des études de droit à la faculté d’Aix-en-Provence. Militant socialiste dès 1902, il ne tarde pas à assumer des responsabilités au sein de la fédération des Bouchesdu-Rhône, et débute sa carrière politique au conseil général du canton d’Istres, en 1911. Bien qu’antimilitariste, il est engagé volontaire en 1914. En 1922, il est élu maire d’Istres, puis, en 1924, député d’Aix. Nommé rapporteur du Budget à la commission des Finances, collaborateur de Léon Blum, il préside le groupe parlementaire socialiste en 1938. Par pacifisme, il accueille favorablement les accords de Munich. Cependant, il refuse le vote des pleins-pouvoirs au maréchal Pétain et anime, dans la Résistance, le Comité d’action socialiste. À Londres, il représente, en 1942, le parti socialiste (SFIO) clandestin. Après avoir présidé l’Assemblée consultative provisoire à Alger (1943), puis à Paris (novembre 1944-octobre 1945), ainsi que la première Assemblée nationale constituante (novembre 1945-janvier 1946), le 26 janvier 1946, il est élu président du Gouvernement provisoire, après la démission du général de Gaulle. Sous son gouvernement (26 janvier-24 juin 1946) sont accomplies d’importantes réformes de structures prévues par le Conseil national de la Résistance (CNR). Vice-président du Conseil du 24 juin au 16 décembre 1946, puis ministre d’État, chargé des travaux du Commissariat général du plan (du 16 décembre 1946 au 22 janvier 1947), il préside le Conseil au Plan jusqu’au 22 octobre 1947. Atteint par le « scandale des vins » (juillet 1946), il renonce aux premières places politiques. Hostile au retour du général de Gaulle, il abandonne progressivement, entre 1958 et
1959, la scène politique. Gournay (Jacques Claude Marie Vincent de), négociant, économiste et administrateur (Saint-Malo 1712 - Paris 1759). Fils d’un riche négociant, il pratique le commerce pendant quinze ans en Espagne, puis à Hambourg, aux Pays-Bas et en Angleterre. Retiré des affaires, il achète une charge de conseiller au Grand Conseil en 1749, puis un office d’intendant du commerce en 1751. Sa formation et ses voyages ont conforté ses convictions libérales. Au sein du Bureau du commerce, il s’efforce de faire valoir une politique de liberté économique, considérant que la concurrence est le seul moyen de la croissance. Il réclame l’abolition des douanes intérieures, des prohibitions et des monopoles, mais aussi des corporations et des règlements de fabrication. On lui prête l’invention de la formule « Laissez faire, laissez passer ». Fondateur d’une véritable école de pensée libérale en France, antérieure à la physiocratie, il a exercé une influence intellectuelle considérable, bien qu’il n’ait publié aucun traité. Il a simplement traduit l’économiste anglais Josiah Child et rédigé de nombreux rapports et mémoires, dont les idées ont été diffusées par ses proches, tels l’abbé Morellet ou Turgot. Les historiens ont récemment redécouvert son oeuvre, soulignant l’originalité d’un libéralisme soucieux d’harmonie sociale, favorable à une concurrence équilibrée par un État-arbitre, et hostile au capitalisme monopolistique. Gournay-sur-Aronde (sanctuaire de), important sanctuaire celtique du nord de la France (Oise), élevé à partir du IIIe siècle avant J.-C. par des Gaulois Belges. Les fouilles effectuées entre 1975 et 1984 ont apporté sur les pratiques religieuses celtiques du nord de la France quantité d’informations nouvelles. Le sanctuaire implanté à l’intérieur d’une place forte en plaine, couvrant une douzaine d’hectares, et protégée par plusieurs systèmes de fossés et de levées de terre palissadées. Le sanctuaire lui-même, aménagé à proximité d’un marécage, se présente comme un vaste fossé de 2,5 mètres de largeur et de 2 mètres de profondeur, entourant une surface quadrangulaire d’une quarantaine de mètres de côté, dotée d’une seule entrée. Ce fossé, qui comportait un cuvelage de bois, était doublé
à l’extérieur par une haute palissade, qui protégeait des regards l’ensemble des activités, et par un talus. À l’intérieur se trouvait un petit bâtiment quadrangulaire en bois. Il fut reconstruit plusieurs fois, et finalement remplacé, vers le IIIe siècle après J.-C., par un fanum, petit temple gallo-romain en pierre : une preuve claire de la continuité des lieux de culte gaulois, même si le sanctuaire sous sa forme classique n’était plus utilisé depuis 70 avant J.-C. environ. Dans le bâtiment, une vaste fosse était destinée à recevoir les corps de boeufs sacrifiés, dont les têtes étaient exposées sur la palissade d’enceinte. Le long de celle-ci étaient également dressés de nombreux trophées guerriers, comparables à ceux des Grecs ou des Romains, et composés d’armes, sans doute prises à l’ennemi. On en a retrouvé plus d’un millier - épées, fourreaux, plaques de bouclier, pointes de lance -, très souvent brisées ou martelées, parfois accompagnées de parures masculines : l’ensemble constitue l’une des plus importantes collections d’armes du monde celtique. Une douzaine d’individus décapités ont également été découverts dans le fossé, où venaient s’entasser les armes des trophées, une fois les corps décomposés. downloadModeText.vue.download 417 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 406 L’ensemble du sanctuaire semble donc voué à l’exaltation de la guerre et rappelle aussi bien d’autres sanctuaires belges, tel celui de Ribemont, que les portiques en pierre retrouvés dans le Midi, à Roquepertuse ou à Entremont. Goussier (Louis Jacques), collaborateur de l’Encyclopédie (Paris 1722 - id., 1799). Issu des milieux populaires de la capitale, Goussier suit, autour de 1740, les cours de Prémontval à l’école gratuite de mathématiques que celui-ci vient d’ouvrir près de la place Maubert, à Paris. C’est dans ce cercle « pré-encyclopédique », réputé pour son esprit antireligieux, qu’il reçoit sa formation. Devenu maître de mathématiques, il travaille, sans doute en 1746, avec La Condamine à la mesure du méridien. En 1747, d’Alembert l’emploie à la préparation de l’Encyclopédie : il est chargé de dessiner et de revoir les planches du futur ouvrage. Dès lors, pendant une vingtaine d’années, il
participe à l’aventure encyclopédique et en devient l’un des principaux collaborateurs, très apprécié de Diderot. Pour réaliser ses planches, d’une extraordinaire qualité graphique, il voyage à travers le royaume et mène des enquêtes sur le terrain, dans les fabriques, les forges ou les manufactures. Il exécute ainsi 900 des 2 000 gravures signées que contient l’ouvrage. En outre, sa maîtrise des différentes techniques lui permet de rédiger une soixantaine d’articles sur des sujets aussi divers que la facture d’orgues, la coupe de pierre, la lutherie, la serrurerie, l’horlogerie ou la fonderie de canons. À partir de 1767-1768, il travaille avec un scientifique amateur, le baron de Marivetz, élaborant notamment de nombreux tracés de canaux, projets voués à l’oubli, malgré leur qualité technique. Cette collaboration prend fin en 1789, en raison d’une opposition politique entre les deux hommes. Favorable à la Révolution, Goussier travaille alors auprès de diverses institutions : ministère de l’Intérieur, Comité de salut public et Conservatoire national des arts et métiers. Lorsqu’il meurt, en 1799, il fait l’objet de deux notices nécrologiques ; mais, pour la postérité, le véritable hommage lui a été rendu par Diderot, qui a fait de lui le personnage de Gousse dans Jacques le Fataliste. Gouvernement révolutionnaire, gouvernement provisoire institué par la Convention entre le 19 vendémiaire an II (10 octobre 1793) et le 4 brumaire an IV (26 octobre 1795). Sur la base d’un rapport de Saint-Just, la Convention décrète : « Le gouvernement sera révolutionnaire jusqu’à la paix. » Le 14 frimaire an II (4 décembre 1793), elle organise ce gouvernement en affirmant le principe de « centralité législative » et en coordonnant les diverses institutions créées depuis 1792 : Tribunal révolutionnaire, représentants en mission, Comité de sûreté générale et Comité de salut public. Mais le terme de gouvernement révolutionnaire « qui n’est pour l’aristocratie qu’un sujet de terreur ou un texte de calomnie, pour les tyrans qu’un scandale, pour bien des gens qu’une énigme, [doit être expliqué] à tous pour rallier au moins les bons citoyens » (Robespierre, le 5 nivôse an II). C’est à cette explication que Robespierre se livre devant les conventionnels et le peuple les 5 nivôse et 17 pluviôse an II (25 décembre 1793 et 5 février 1794). Une explication occultée un an plus tard par le discours thermidorien, qui a su transformer un gouvernement collectif
en un appareil d’État séparé, exerçant son pouvoir sur une Convention stupéfiée et une société civile rendue irresponsable. • La Convention, centre du gouvernement. « La Convention nationale est le centre unique de l’impulsion du gouvernement », déclare l’article 1er du décret du 14 frimaire an II. On affirme ainsi qu’il n’y a pas de possibilité de penser ni de laisser agir un exécutif susceptible de devenir indépendant du pouvoir législatif. Si le Comité de salut public inspecte directement les corps constitués et les fonctionnaires, et si le Comité de sûreté générale est chargé de la police générale et intérieure, ces deux organes sont responsables devant la Convention qui, tous les mois, décide ou non de les reconduire. Les Comités incarneraient ainsi l’idée d’une magistrature collective octroyée aux conventionnels par le vote de confiance du pouvoir législatif, régulièrement renouvelé. Ils ne tirent donc leur autorité que de la Convention - à laquelle ils rapportent leurs décisions -, qui est responsable collectivement des décrets adoptés par le Gouvernement révolutionnaire. Ainsi, ce terme ne désigne pas un mode d’exercice du pouvoir exécutif, mais une forme particulière d’organisation des pouvoirs. • Un gouvernement de guerre guidé par des principes. Le Gouvernement révolutionnaire est d’abord un gouvernement de temps de guerre qui doit instituer « la liberté contre les ennemis de la liberté ». Régime fondateur singulier, il s’oppose, à ce titre, au gouvernement constitutionnel, qui doit être « le régime de la liberté victorieuse et paisible ». En effet, la décision d’adopter ce mode exceptionnel de gouvernement afin d’enraciner des principes du droit naturel est indissociable d’un des préceptes de ce dernier : « Le salut du peuple est la loi suprême. » C’est pour ne pas courir le risque de laisser la Contre-Révolution triompher que le gouvernement est déclaré « révolutionnaire », que des élections qui se seraient déroulées dans un contexte de guerre civile sont ajournées, et que les conventionnels préfèrent placer le texte constitutionnel dans une arche de cèdre, tout en maintenant la validité de la Déclaration des droits de 1793, qui n’a jamais cessé, en l’an II, de fournir les principes de ce gouvernement. Cependant, les fonctions de celui-ci sont bien de se débarrasser des contre-révolutionnaires et de défendre la puissance publique contre les attaques des factieux. Toute la difficulté consiste à ne pas abandonner la liberté civile au nom de la liberté publique. L’exercice du
pouvoir ne peut être que délicat, car il s’agit à chaque instant de savoir juger de l’avantage public et de la souffrance privée. Il n’y a donc pas de règle a priori, mais seulement des principes qui doivent guider l’action en fonction du jugement politique porté sur les situations que les comités, les représentants en mission, les tribunaux et l’Assemblée doivent examiner. • Un appareil maintenu en l’an III. Les structures de ce type de gouvernement, tant décrié par les thermidoriens, ne sont pas fondamentalement transformées en l’an III, date à laquelle on cesse de les considérer comme provisoires. En revanche, le projet politique change : l’idée de fonder un régime démocratique est abandonnée, et une nouvelle Constitution ainsi qu’une nouvelle Déclaration sont adoptées, au mépris de celles de 1793. De ce fait, « ce sont les suspects qui changent » (Françoise Brunel). Gouvion-Saint-Cyr (loi), loi sur l’organisation militaire votée en 1818, alors que Laurent Gouvion-Saint-Cyr est ministre de l’Armée, et qui reste en application pendant plus de cinquante ans. En 1814, la Charte constitutionnelle abolit la conscription, et la dissolution des troupes impériales impose une refonte de l’armée. Cette tâche est confiée à Gouvion Saint-Cyr, né à Toul en 1764, engagé volontaire en 1792 et général dès 1794 ; disgracié en 1809 par Napoléon, il est réintégré en 1811, et créé maréchal en 1812. Rallié aux Bourbons en 1814, et ayant refusé de servir l’Empereur pendant les Cent-Jours, il est nommé ministre de la Guerre en juillet 1815, mais, proche des Doctrinaires, n’exerce cette fonction que quelques mois en raison de l’hostilité des ultras. Toutefois, il redevient ministre de la Marine en juin 1817, puis de l’Armée en septembre de la même année. La loi qui porte son nom fixe les effectifs de l’armée à 240 000 hommes. Le recrutement est assuré par engagement volontaire, et, pour 40 000 soldats environ, par tirage au sort parmi les jeunes gens âgés de 20 ans, ces derniers ayant toutefois la possibilité de rétribuer un volontaire pour se faire remplacer. Le service d’active dure six ans, les soldats formant ensuite, pour six autres années, une réserve territoriale. Mais les ultras protestent contre ce retour de la conscription, redoutant que l’armée de réserve ne soit constituée de soldats de l’Empire. En outre, nul ne peut de-
venir officier s’il n’a pas servi deux ans comme sous-officier ou réussi le concours d’entrée d’une école militaire : les nobles ne le sont donc plus automatiquement. D’où la réaction, prêtée par Stendhal dans Lucien Leuwen à un ultra : « Que ferons-nous des fils cadets, et comment les placer sous-lieutenants dans l’armée, après le vol qu’on a laissé prendre à ces maudits sous-officiers ? » Enfin, avant toute promotion, il faut servir quatre ans dans chaque grade jusqu’à celui de lieutenant-colonel, et l’avancement se fait pour deux tiers à l’ancienneté, pour un tiers seulement au choix du roi. Le débat qui précède la promulgation de la loi - en mars 1818 - est passionné, d’autant que le ministre prononce un éloge des soldats de Napoléon, rédigé par Guizot. Le vote est acquis, à la Chambre des députés, grâce à l’opposition de gauche, et, à la Chambre des pairs, grâce à une manoeuvre du roi, lequel redownloadModeText.vue.download 418 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 407 tient en sa compagnie trois ducs hostiles, qui ne peuvent donc participer au vote. Gouvion Saint-Cyr doit démissionner à la fin 1819 ; il se retire alors pour écrire des Mémoires, et meurt à Hyères, en 1830. Sa loi peut sembler injuste aujourd’hui - en raison de la possibilité de remplacement, qui avantageait les riches - ; elle s’inscrivait en fait contre les privilèges de la naissance, et suscita l’hostilité des ultras, qui rêvaient de reconstituer l’Ancien Régime. En cela, elle fut l’une des grandes lois libérales de la Restauration, comme la loi électorale de 1817 et la loi de Serre sur la presse (1819). Et si elle resta en vigueur jusqu’en 1872, il fallut attendre une réforme de 1886, préparée par le général Boulanger, pour voir un service militaire égal pour tous. GPRF (Gouvernement provisoire de la République française), nom donné au gouvernement issu du Comité français de libération nationale, et proclamé à Alger le 3 juin 1944. Sa constitution ouvre une période de transition entre la fin du régime de Vichy et la mise en place de la IVe République, en janvier 1947. La proclamation du Gouvernement provisoire marque le début de la reconstruction politique voulue par la Résistance intérieure
et extérieure. Dans un premier temps, de la libération de Paris à l’automne 1945, il réalise un consensus en rassemblant les partis autour du général de Gaulle, afin de poursuivre la guerre. Il est assisté d’une Assemblée consultative formée de membres désignés par les formations politiques et les mouvements de résistance. Le gouvernement d’« unanimité nationale » du 9 septembre 1944 réunit des personnalités telles que Jules Jeanneney, Georges Bidault, Robert Lacoste, René Pleven, Pierre Mendès France ou Charles Tillon. Il s’agit alors de consolider l’autorité du GPRF face aux pouvoirs locaux - notamment communistes - établis à la faveur des combats de la Libération, et face aux empiétements des Alliés, qui le reconnaissent enfin de jure le 23 octobre 1944. Cette remise en ordre du pays s’accompagne d’un processus d’épuration qui fait près de 10 000 victimes. À l’extérieur, le GPRF obtient une zone d’occupation française en Allemagne et un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. À l’intérieur sont lancées les grandes réformes de structures qui permettent la reconstruction économique et sociale (nationalisations, comités d’entreprise, Sécurité sociale). À l’issue des élections d’octobre 1945, trois forces politiques se dégagent, qui revendiquent l’exercice du pouvoir. Le général de Gaulle, qui s’est prononcé pour un autre style de gouvernement, est contraint au départ le 20 janvier 1946. L’accord conclu trois jours plus tard entre le Mouvement républicain populaire (MRP), les socialistes et les communistes donne naissance au tripartisme. Mais cette alliance est vite brisée par des désaccords profonds sur la forme de la Constitution à donner à la France. Après le rejet, par le référendum du 5 mai 1946, du projet constitutionnel, l’élection de la seconde Assemblée constituante le 2 juin 1946 donne une place prééminente à la « troisième force », qui comprend le MRP, les radicaux et les modérés. Georges Bidault prend les fonctions de chef du GPRF le 26 juin, et, le 13 octobre 1946, le second projet de Constitution est approuvé. Après les législatives de novembre 1946, qui révèlent la puissance du Parti communiste, les institutions de la IVe République se mettent en place. Le 16 janvier 1947, Vincent Auriol en devient le premier président. grains (circulation des). Les céréales (bleds) constituent une part essentielle de l’alimentation populaire sous l’Ancien Régime.
Or les crises de subsistance dues aux aléas climatiques sont récurrentes au XVIIe siècle, et, même si la production augmente après 1750, l’accroissement de la population maintient une forte tension sur le marché des grains. La lenteur des transports ne permet guère de compensation interrégionale, entre zones de bonne et de mauvaise récolte. D’où l’inquiétude des populations, qui attendent du roi qu’il veille à leur approvisionnement, en bon père nourricier. Dans ce but, la monarchie a mis en place un système de surveillance des prix (le relevé hebdomadaire des mercuriales) et toute une réglementation (enregistrement des marchands ; ventes uniquement sur les marchés publics ; limitation des exportations, de la circulation extrarégionale et du stockage). Elle entend ainsi empêcher que l’augmentation de la demande dans les régions déficitaires ou la spéculation ne provoquent une flambée générale des prix. Cette sévère « police des grains » est contestée par les physiocrates et les libéraux, pour qui ces entraves supplémentaires à la circulation des grains ne font qu’aggraver le mal. Selon Quesnay et Turgot, la seule solution de fond aux pénuries récurrentes consiste au contraire à libérer le commerce, pour laisser le marché fixer seul le « bon prix » du blé. Rendue ainsi plus rémunératrice, la production se trouvera stimulée, les investissements seront encouragés, et la pénurie, à terme, sera définitivement écartée. Mais que se passera-t-il avant que la liberté produise ses effets supposés ? Les partisans de la réglementation redoutent précisément une hausse des prix qui pénaliserait la masse du peuple, consommateur de grains bien plus que vendeur. Rien ne prouve que la hausse de la production fera à terme baisser à nouveau les prix. Galiani, Linguet et Mably prévoient que la liberté du commerce ne bénéficiera qu’aux riches marchands, rendus maîtres du marché. En 1763-1764, les libéraux tentent une première expérience de libre circulation des grains, mais ils doivent y renoncer en raison des émeutes : le peuple se sent trahi par le roi, que l’on dit lié par un « pacte de famine » avec les spéculateurs. De même, en 1774, quand Turgot abroge les contrôles intérieurs, alors que les récoltes sont maigres, la rumeur de l’accaparement provoque, à Paris surtout, une révolte appelée la « guerre des farines » (avril-mai 1775). Après le renvoi de Turgot, Necker s’empresse, en 1776, de rétablir la police des grains. Jusqu’aux émeutes frumentaires de 1789, une transition sans heurt vers le libéralisme paraît alors impossible.
Grande Alliance de La Haye ! Haye (Grande Alliance de La) Grande Armée (la), nom donné aux armées commandées personnellement par Napoléon Ier entre 1805 et 1814. L’expression apparaît lors de la campagne de 1805. Les forces mises alors en mouvement forment la base autour de laquelle se construisent les différentes armées engagées jusqu’en 1808. En 1809 naît une deuxième Grande Armée, puis, en 1812, une troisième. Enfin, la quatrième est levée en 1813-1814. La Grande Armée de 1805-1808 - environ 200 000 hommes - est largement composée de soldats qui ont participé à tous les combats de la République. Les officiers sont pour moitié issus de l’armée royale et, pour l’autre moitié, des volontaires de 1791-1792. Il s’agit donc d’une force très expérimentée, à la moyenne d’âge élevée (38 ans pour les officiers). Sa constitution est quasiment inchangée quand débute la campagne de 1806. Les pertes sévères subies à Eylau (1807), notamment, contraignent Napoléon à compléter ses forces par des levées importantes de conscrits. Au début de 1808, les effectifs restent sensiblement les mêmes que ceux de 1805, mais la composition de la Grande Armée commence à être modifiée : si les trois quarts des hommes sont encore français, les contingents des États alliés sont de plus en plus nombreux. En 1809, il faut recourir à des levées extraordinaires et « rétroactives » (sur les classes de 1806 à 1810) pour compléter les effectifs. La Grande Armée de 1809 possède donc une expérience moins grande que sa devancière. Non seulement le nombre d’unités étrangères augmente en proportion, mais ces dernières font désormais partie du corps de bataille, et non plus des troupes auxiliaires. Le nombre des soldats s’accroît, mais la qualité manoeuvrière militaire diminue. Ces tendances vont en s’accentuant dans la Grande Armée de 1812 : à peine la moitié des 600 000 hommes qui la composent sont originaires des cent trente départements « français ». La retraite de Russie oblige Napoléon à faire feu de tout bois pour reconstituer ses forces. Le problème le plus criant n’est pourtant pas celui de la troupe, mais celui des officiers : on intègre des officiers réformés, des élèves des écoles militaires... Ces éléments inexpérimentés résistent mal aux épreuves de la campagne d’Allemagne. En 1814, Napoléon ne peut plus compter que sur des forces limitées. On utilise alors les fameux « Marie-Louise », ces jeunes
conscrits levés grâce à un sénatus-consulte obtenu par l’impératrice. Instrument exceptionnel forgé par la Révolution, la Grande Armée ne résiste pas à la poursuite des guerres napoléoniennes. Cette usure est l’un des facteurs qui expliquent les défaites de la fin du règne. Grande Mademoiselle (Anne Marie Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier, dite la), petite-fille de France (Paris 1627 - id. 1693). Fille de Gaston duc d’Orléans, immensément riche de par sa mère née Bourbon-Montpensier, elle espère épouser Louis XIV. Mais Mazarin s’appuie sur son physique ingrat, son downloadModeText.vue.download 419 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 408 port viril et peu avenant, son âge (onze années de plus que le roi), pour lui ôter ses illusions. Dépitée, elle s’engage dans la Fronde, s’empare d’Orléans (1652), fait tirer le canon de la Bastille sur l’armée du roi (1652) pour aider Condé devant la porte Saint-Antoine. Exilée en son château de Saint-Fargeau (16521657), elle écrit ses Mémoires, espère encore, puis assiste au mariage du roi avec une autre cousine germaine (1659) ! Elle rencontre alors le comte de Lauzun (1633-1723) et se met à nourrir pour ce petit gentilhomme une passion destructrice. En 1670, encore vierge à 43 ans, elle veut l’épouser ; le roi accepte ; mais elle veut Lauzun pour héritier ! Louis enferme alors ce dernier à Pignerol (1671) et obtient, avant de le libérer, en 1680, que la duchesse donne la plupart de ses biens au duc du Maine. La Grande Mademoiselle a alors 54 ans et le mariage semble conclu, car elle comble Lauzun de largesses. Mais, trompée, elle le quitte en 1684. Lauzun, veuf, épousera à 62 ans Mlle de Lorge, âgée de 16 ans, pour oublier ses neuf années de prison en compagnie de Fouquet, dues à l’amour fou de cette princesse baroque. Grande Peur, mouvement de panique collective qui gagne les campagnes entre le 20 juillet et la première semaine d’août 1789, et qui signe l’émergence d’une conscience politique paysanne. Dès le printemps 1789, le pays connaît nombre
d’émeutes frumentaires dues à la crise économique et à la désastreuse récolte de 1788, entraînant montée des prix et peur de la disette, et jetant sur les routes une foule de mendiants. Durant l’hiver 1788-1789, la campagne pour les élections aux états généraux, qui secoue profondément le royaume, et la rédaction des cahiers de doléances font naître l’immense espoir que le roi apporte son secours et répare les torts infligés par les seigneurs et les privilégiés. En juillet, à la crainte de la faim, récurrente en période de moissons, s’ajoutent l’écho déformé de la prise de la Bastille et la rumeur du « complot aristocratique » (réaction punitive des privilégiés contre la nation révolutionnaire), rumeur plausible entretenue par la peur archaïque du brigand ou de la soldatesque étrangère. Il suffit d’une fumée lointaine, d’un vent de poussière, du mouvement de quelques mendiants errant ou d’une équipe de moissonneurs pour que des villageois prennent les armes contre les pilleurs et les massacreurs. La troupe ainsi constituée et le son du tocsin alarment à leur tour le village voisin, la fausse nouvelle, la peur et la réaction défensive se propageant alors de village en village. Cependant, une fois l’erreur dissipée, les paysans, loin de désarmer, courent au château voisin - mais aussi parfois à l’abbaye ou au bureau du fisc -, s’emparent des archives seigneuriales, terriers et titres féodaux, dont ils font un feu de joie, pillant et brûlant, à l’occasion, la demeure du châtelain. Cette panique contagieuse - cependant peu sanguinaire -, qui se retourne contre le système féodal, embrase les campagnes de façon fulgurante. Elle se diffuse depuis six épicentres (Beauvaisis, Champagne, FrancheComté, Maine, Poitou et Clermontois), avant de gagner plus des deux tiers du royaume, n’épargnant que quelques régions (Bretagne, Lorraine, Alsace, Landes, Béarn, bas Languedoc et littoral provençal). Face à un mouvement aussi massif et tout à fait imprévisible, l’Assemblée constituante, qui doit son pouvoir à la révolte, n’a d’autre alternative que d’abolir les privilèges - de façon ambiguë - dans la nuit du 4 août 1789. Car, si la Grande Peur réveille la solidarité paysanne contre un adversaire commun (le seigneur), elle fait aussi apparaître d’autres ennemis : « aristocrates » spéculateurs incarnés par les marchands de grains ou les bourgeois rentiers. Grandes Chroniques de France, somme historique élaborée progressivement du XIIIe au XVe siècle, pour partie par les moines de l’abbaye de Saint-Denis.
En 1274, Primat, moine à l’abbaye de SaintDenis, compose, sur l’ordre du roi et en langue française, une histoire de la monarchie et du royaume de France depuis ses origines jusqu’à la mort de Philippe Auguste, en 1223. Il utilise pour son oeuvre des chroniques élaborées précédemment à l’abbaye, spécialisée dans la recherche historique depuis le XIIe siècle. Des moines dionysiens (Guillaume de Nangis et Richard Lescot) poursuivent cet ouvrage jusqu’à la mort de Philippe de Valois, en 1350. Mais, lorsque Charles V décide de faire écrire l’histoire du règne de son père ainsi que celle du sien, il rompt avec la tradition d’une écriture monastique et confie l’ouvrage à son chancelier Pierre d’Orgemont. Les Chroniques de France sont alors prolongées jusqu’à 1380, date de la mort du monarque. C’est une oeuvre royale, nationale et chrétienne qui contient tous les grands mythes de la monarchie et prend le parti de la famille royale. Ainsi, Richard Lescot, moine-chroniqueur des années 1328-1344, est-il le premier historien à invoquer la loi salique pour soutenir l’accession des Valois au trône. Ces chroniques connaissent un succès considérable - trois cents manuscrits recopiés -, la clientèle étant principalement composée de princes et de grands nobles. C’est, en outre, le premier ouvrage imprimé à Paris en 1477, dont le récit se poursuit jusqu’à la mort de Charles VII en 1461. Mais, à partir du XVIe siècle, ces chroniques ne sont plus éditées, car elles sont à bien des égards caduques, beaucoup doutant, par exemple, des origines troyennes des Francs. Grand Hiver, expression désignant l’hiver de 1709, qui impressionna les contemporains par sa rigueur, ainsi qu’en témoignent les nombreuses mentions dans les registres paroissiaux, les livres de raison ou les correspondances administratives. Dès l’automne 1708, des gelées annoncent un hiver précoce. Mais le Grand Hiver commence véritablement « aux Rois », le 6 janvier 1709 : une vague de froid d’une intensité inhabituelle s’abat sur l’ensemble du pays et, pendant près de trois semaines, des températures inférieures à -10 oC, descendant parfois jusqu’à - 20 oC, sévissent. La désolation est générale : rivières et côtes prises par les glaces ; faune décimée ; vignes et arbres - noyers, châtaigniers et oliviers notamment - détruits ; et, surtout, blés gelés dans le sol. Pour conjurer la famine qui menace, une déclaration royale
du 27 avril enjoint d’ensemencer « en orge, bled-sarrazin ou autres espèces de grains convenables à la saison présente ». Grâce à une conjonction de facteurs favorables, la récolte d’orge est toutefois exceptionnelle. Cela n’écarte pourtant pas la famine, que la seule rareté des grains ne suffit pas à expliquer. Ceux qui disposent de réserves (les « usuriers du grain », selon le procureur d’Aguesseau) les retiennent, alimentant une « cherté », qui, compte tenu de la médiocrité de la récolte de 1708, avait fait sentir ses effets dès l’automne précédent. Ainsi, à Gonesse, au nord de Paris, le prix du setier de froment (156 litres), égal à 10 livres en 1708, atteint 70 livres en octobre 1709, à l’époque des semailles. Le prix des orges, malgré leur abondance, passe de 5 à 40 livres. C’est cette « cherté » qui, en rendant le prix du pain prohibitif, plonge dans la misère une grande partie de la population, déjà éprouvée par la guerre de la Succession d’Espagne. Paysans, artisans, ouvriers vont par milliers grossir le nombre déjà élevé des « errants ». En quête de moyens de survie, refoulés des villes où ils ont cru trouver refuge et pitance, ces miséreux se jettent sur n’importe quelle nourriture : herbes, racines, « pain de fougère », voire charognes... À la fin de l’été 1709 et jusqu’en 1710, les maladies - dysenterie, scorbut, rougeole, variole - frappent ces organismes mal nourris, provoquant une brutale hausse de la mortalité, tandis que la natalité chute. Au total, selon les estimations de Marcel Lachiver, le froid, la faim et la maladie auraient provoqué la mort de 630 000 individus. Et, si l’on tient compte du déficit des naissances, les pertes consécutives au Grand Hiver dépasseraient le million. Si cet épisode a marqué la mémoire collective, il n’est pourtant ni la seule ni la plus grave des « mortalités » que la France ait connues sous l’Ancien Régime : la crise de 1693-1694 a entraîné des pertes encore plus lourdes (1,5 million de morts). Mais l’hiver de 1709 s’inscrit dans la série des « années de misère » du « tragique XVIIe siècle », ponctuées de mauvaises récoltes imputables au « petit âge glaciaire » que traverse alors l’Europe. Les historiens sont partagés quant à l’origine alimentaire de ces grandes « mortalités ». Pourtant, la chronologie de la crise de 1709 suggère que c’est bien, sinon la rareté, du moins le prix élevé des subsistances qui est à l’origine de l’hécatombe ; à quoi s’ajoutent les maladies endémiques et les « malheurs de la guerre ». Une conjugaison de calamités que les contemporains exprimaient dans leurs
prières : A peste, fame et bello libera nos Domine ! (« De la peste, de la faim, de la guerre, délivre-nous, Seigneur ! »). Grand Schisme, conflit qui divise la chrétienté d’Occident de 1378 à 1417. La mort du pape Grégoire XI, quelques mois après son retour à Rome - retour qui mettait fin au séjour de la papauté en Avignon -, ouvre une crise sans précédent dans l’histoire de l’Église. downloadModeText.vue.download 420 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 409 • Deux obédiences. Sous la pression de la foule romaine, le Sacré Collège élit, le 8 avril 1378, un Italien, Bartolomeo Prignano, qui devient pape sous le nom d’Urbain VI. Mais, devant son attitude agressive, treize des seize cardinaux invalident cette décision, et, le 20 septembre 1378, élisent le cardinal Robert de Genève, qui prend le nom de Clément VII, et retourne en Avignon. Ce dernier a l’appui du roi de France Charles V, qui fait proclamer son élection. Mais Urbain VI ne se déclare pas vaincu, et, bientôt, princes et rois doivent choisir d’obéir à l’un ou l’autre pape, créant ainsi deux « obédiences ». La France, la Savoie, l’Écosse, la Navarre, la Castille, l’Aragon, l’Autriche, le Portugal et Naples sont « clémentistes » ; l’Angleterre, l’Empire, la Hongrie, la Pologne, la Scandinavie et la Flandre sont « urbanistes ». La guerre de Cent Ans se livre aussi sur le terrain religieux. Dès l’origine, des clercs et des personnalités politiques se sont employés à « réduire » le schisme, en imaginant plusieurs moyens : la voie de fait (la guerre), la voie de cession (ou le compromis, les deux papes étant invités à se démettre) et la voie du concile. Cette dernière aura raison du schisme. Les expéditions militaires, peu efficaces, sont rapidement abandonnées au profit des démarches diplomatiques, surtout après la mort d’Urbain VI, en 1389. Mais les partisans du défunt pape élisent immédiatement un nouveau pape italien, Boniface IX, qui campe sur ses positions. Le décès de Clément VII ne met pas fin au schisme puisqu’en 1394 un nouveau pape est élu en Avignon, le cardinal aragonais Pedro de Luna (Benoît XIII). Les clercs du royaume de France, réunis en assemblée en février 1395, se déclarent favorables à la démission spontanée des
deux papes, puis décident, en 1398, de ne plus obéir à Benoît XIII, procédant ainsi à la « soustraction d’obédience », qui est votée dans une période propice, puisque les rois de France et d’Angleterre sont en paix. Si la soustraction d’obédience n’a pas de suite - car les relations franco-anglaises se détériorent rapidement -, elle permet au clergé français de faire l’apprentissage de l’autonomie à l’égard de l’autorité papale. • La victoire du concile. Le schisme perdure : au pontife romain Boniface IX succède Innocent VII en 1404, puis Grégoire XII en 1406, tandis que Benoît XIII refuse d’abdiquer. La tenue d’un concile semble donc la seule solution possible pour mettre fin à la division de l’Église. Mais le concile tenu à Pise en 1409 est un échec : un troisième pape, Alexandre V, est en effet élu alors que les deux autres refusent d’être déposés. Aux papes d’Avignon et de Rome s’ajoutent désormais ceux de Pise. L’empereur Sigismond de Luxembourg reprend l’initiative en 1413 en incitant le pape de Pise Jean XXIII (successeur d’Alexandre V) à convoquer un concile auquel des clercs, des princes et des rois mais aussi les deux autres papes sont conviés. Le 1er novembre 1414 s’ouvre le concile de Constance, qui se donne pour mission de réformer l’Église et de mettre un terme au schisme. Mais Jean XXIII, qui se désolidarise de l’empereur et des Pères, s’enfuit ; le concile déclare alors sa supériorité sur le pape et continue de siéger. Ayant déposé Jean XXIII et obtenu l’abdication du pape de Rome Grégoire XII en 1415, puis déposé Benoît XIII en 1417, le concile élit, le 11 novembre 1417, le cardinal Oddo Colonna, qui prend le nom de Martin V. L’unité est rétablie grâce au concile, voie défendue par le cardinal français Pierre d’Ailly et son disciple Jean de Gerson. Le Grand Schisme a profondément et durablement marqué l’Église. Dans les faits, il est vécu comme un scandale permanent et douloureux par la chrétienté. Les cadres ecclésiastiques éclatent ; ainsi, deux candidats sont parfois nommés à un bénéfice vacant. Cette situation ouvre la voie, en France, au gallicanisme. Cardinaux et universitaires, en voulant pallier les insuffisances des papes depuis le début du XIVe siècle, ont favorisé l’émergence du mouvement conciliaire. Mais le concile, en résolvant la crise au profit du pape, échoue durablement dans sa tentative de réforme de l’Église. C’est peut-être en cela que le Grand
Schisme ouvre la voie à la Réforme. Grands Jours d’Auvergne, assises extraordinaires du parlement de Paris tenues à Clermont du 28 septembre 1665 au 30 janvier 1666. Depuis 1454, des parlementaires parisiens sont, de temps à autre, envoyés, sur commission royale, dans les confins du ressort pour accélérer l’administration de la justice. Trente et un ans après ceux du Poitou, les Grands Jours d’Auvergne répondent à la volonté de Louis XIV de « faire régner la justice et de régner par elle en notre État » : il s’agit de réprimer les désordres, de réformer les abus et de raffermir l’autorité monarchique dans un espace s’étendant de la basse Marche au Lyonnais et du Berry à la haute Auvergne, encore en proie aux exactions de hobereaux insoumis, tels que les Canillac, et aux défaillances des juges et autres officiers. En quatre mois, la cour, placée sous l’autorité du président à mortier Nicolas Potier de Novion, instruit 1 360 affaires, prononce 692 condamnations, dont 370 à la peine capitale - seules 23 furent exécutées -, et rédige 44 arrêts de règlement sur des sujets aussi divers que les poids et mesures, l’interdiction des fêtes baladoires et le contrôle de la mendicité. Or, bien que les Grands Jours d’Auvergne constituent l’une des affirmations les plus spectaculaires de l’État moderne et démontrent l’efficacité des commissaires royaux par rapport aux officiers, l’institution ne survit pas à ceux du Puy et de Nîmes, tenus un an plus tard : la montée en puissance des intendants la frappe d’obsolescence. Grand Tric, grève des compagnons imprimeurs déclenchée en 1539, et qui eut des prolongements pendant plus de trois décennies. Le terme « tric » proviendrait de l’allemand Streik (« grève »), ce qui s’explique par la présence de nombreux ouvriers allemands dans l’industrie du livre. La grève éclate à Lyon, principal centre français de l’imprimerie, au printemps 1539, puis gagne les ateliers parisiens. Les compagnons protestent contre la moindre qualité de la nourriture fournie par les maîtres (« pain, vin et pitance »), la rigidité accrue des conditions de travail, l’embauche abusive d’apprentis au lieu de compagnons. L’autorité judiciaire locale, puis le pouvoir royal, saisis de l’affaire par les maîtres imprimeurs et les marchands libraires, tranchent en faveur
de ces derniers ; en vain, puisque les compagnons, bravant les édits royaux, poursuivent leur mouvement jusqu’en 1542, puis, de manière sporadique, jusqu’en 1572, entraînant le déclin de l’imprimerie lyonnaise au profit de ses concurrentes étrangères. Cette grève s’inscrit dans la conjoncture du XVIe siècle, marquée, après 1530, par une baisse du salaire réel. Elle est également révélatrice des tensions sociales qui règnent au sein de l’imprimerie, industrie nouvelle affranchie des règles corporatives et dominée par les marchands libraires, véritables « capitalistes » qui n’hésitent pas à « délocaliser » l’impression pour en abaisser les coûts. Elle témoigne enfin de l’existence, dans ce métier largement alphabétisé et pénétré par la Réforme, d’une forte solidarité, encadrée par les confréries ou par des associations comme celle des griffarins, et d’une tradition d’insubordination alimentée par la conscience d’appartenir à un « art » supérieur. Par ses revendications comme par ses formes d’organisation, le Grand Tric apparaît comme la première grève ouvrière moderne. C’est pour prévenir le renouvellement de tels conflits que sont introduites dans l’ordonnance de Villers-Cotterêts (août 1539) des dispositions interdisant les « confréries de gens de métiers et artisans ». Graufesenque (la), centre de production de céramique gallo-romaine situé sur la rive gauche du Tarn, à l’est de Millau (Aveyron), datant du Ier siècle après J.-C. Cet ensemble d’ateliers et de fours, installé à proximité d’une zone d’extraction d’argile et de massifs forestiers qui l’alimentent en combustible, est l’un des foyers les plus importants de production et d’exportation de céramique de la Gaule du Ier siècle. La céramique sigillée - du nom des sceaux ou moules en creux permettant sa décoration, de couleur rouge - s’inspire de la poterie toscane, qu’elle contribue à évincer. Expédiée vers le port de Narbonne, elle est ensuite exportée dans tout le monde romain. De grandes quantités d’objets fabriqués à la Graufesenque (vaisselle, récipients pour le stockage, instruments de culte...) ont été découvertes, notamment en Hispanie, à Rome, à Pompéi et dans le reste de l’Italie. La période la plus florissante se situe entre les années 40 et 60, mais ce n’est qu’après l’an 100 que l’activité décline au profit d’autres centres, tels Lezoux sur l’Allier puis les ateliers d’Hispanie.
La production est assurée par un ensemble de petits ateliers de travailleurs libres employant une main-d’oeuvre d’esclaves pour la préparation de la pâte et le transport. On a retrouvé des bassins de décantation de l’argile grise et un réseau de dérivation des eaux de la Dourbie. Le site comporte aussi des bâtiments de stockage et d’habitation pour les esclaves, ainsi que des aires de séchage des poteries. De vastes fours à plusieurs étages, qui peuvent downloadModeText.vue.download 421 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 410 assurer une cuisson oxydante à haute température (1 050 oC), ont été dégagés. Plusieurs jours de chauffe étaient nécessaires avant que les fours n’atteignent la température idéale de cuisson. Ils étaient probablement utilisés par plusieurs artisans. Un temple carré à portique (fanum) atteste aussi l’existence d’une vie religieuse sur le site. Occupée jusqu’au IIIe siècle, la Graufesenque est ensuite progressivement abandonnée. gravettien, l’une des principales civilisations du paléolithique supérieur, qui s’est développée entre 25 000 et 20 000 ans avant notre ère. Elle a été définie d’après les caractéristiques du site de La Gravette, sur la commune de Bayac (Dordogne), un habitat préhistorique aménagé au pied d’une falaise. Le gravettien succède à l’aurignacien et est attesté dans une grande partie de l’Europe, depuis les îles Britanniques et la France jusqu’à la Hongrie et l’Ukraine. Son outillage comprend un certain nombre de types caractéristiques, tels que les « pointes de La Gravette », pointes de flèches ou de sagaies très effilées et retouchées sur l’un des côtés, ou encore les « pointes de La Font-Robert » ou les « burins de Noailles ». Les gravettiens fréquentaient des grottes et des abris, mais ils construisaient aussi des huttes résistantes, parfois à armatures en ossements de mammouth (Kostienki, Ukraine) ou à soubassement en dalles de pierre (La Vigne-Brun, France ; Russie). C’est au gravettien que semble se développer véritablement l’art rupestre paléolithique, déjà faiblement attesté à l’aurignacien. On y représente les animaux de façon encore stylisée. Surtout, le gravettien a laissé des statuettes féminines, « Vénus » aux traits exacer-
bés et dont les formes stéréotypées supposent une grande unité culturelle de l’Atlantique à la mer Noire (Lespugue, Haute-Garonne ; Grimaldi, Italie ; Laussel, Dordogne ; Willendorf, Autriche ; Dolni Vestonice, Moravie ; Kostienki, etc.). Elles sont taillées dans la pierre ou l’ivoire, parfois modelées en argile cuite. Dans le sud-ouest de l’Europe, le gravettien fait ensuite place au solutréen, mais il se maintient encore pendant plusieurs millénaires en Europe orientale. Grégoire (Henri Baptiste, dit l’Abbé), évêque constitutionnel et homme politique (Vého, près de Lunéville, Meurthe-et-Moselle, 1750 - Paris 1831). Farouchement attaché à l’idéal de fraternité et aux droits de l’homme, l’abbé Grégoire, chrétien républicain, doit sa renommée à son combat en faveur de la citoyenneté des juifs et des Noirs, et à sa lutte constante contre l’esclavage. Fidèle à sa vocation religieuse et à son désir de former des citoyens, cet abbé opiniâtre et d’une grande intégrité ne renonce jamais à ses convictions, qu’il soit député à la Constituante (1789-1791), à la Convention (1792-1795), au Conseil des Cinq-Cents (1795-1798), au Corps législatif (1800), ou sénateur (1801-1802). Il est aussi membre de l’Institut, qu’il contribue à fonder et dont il est exclu à la Restauration (1816), et commandeur de la Légion d’honneur (1803), distinction qu’il refuse d’ailleurs. Ce fils d’un tailleur d’habits, ordonné prêtre en 1776, devient célèbre avec l’Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs (1788). Aux États généraux, il joue un rôle essentiel dans le ralliement du clergé au tiers état, puis maintient, lors de la prise de la Bastille, la cohésion de la Constituante, qu’il préside alors et dont il est l’un des plus importants orateurs. Cherchant à concilier religion et révolution, il défend le bas clergé lors du débat sur la Constitution civile du clergé, à laquelle il est le premier à prêter serment (1790). En février 1791, il est élu évêque du Loir-et-Cher, où il déploie une intense activité pastorale, puis combat avec succès la déchristianisation en l’an II, inventant le terme « vandalisme » pour dénoncer les menées des iconoclastes. Fidèle à l’Église constitutionnelle, qu’il tente de réorganiser sous le Directoire, il démissionne de son évêché à l’annonce du Concordat, en 1801, et refusera de se délier de son serment jusque sur son lit de mort.
La haine obsédante qu’il porte aux rois pousse l’abbé Grégoire à les dénoncer vigoureusement dans un discours prononcé le 21 septembre 1792, devant les membres de la Convention, qui décrète le même jour l’abolition de la royauté. Son vote en faveur de la condamnation de Louis XVI, en janvier 1793, lui vaudra l’accusation de régicide et l’interdiction de siéger après avoir été élu député de l’Isère, en 1819. Membre du Comité d’instruction publique dès 1792, il développe une pensée pédagogique centrée sur la lutte contre l’obscurantisme et l’intégration de tous dans la nation, et contribue à fonder le Conservatoire des arts et métiers ainsi que la Bibliothèque nationale. Déchu sous la Restauration, il continue cependant de militer contre l’injustice et pour la tolérance dans le monde. À sa mort, ce sont des dizaines de milliers de Parisiens qui portent son cercueil au cimetière tandis que Saint-Domingue prend le deuil public. Ses cendres sont transférées au Panthéon, en 1989. Grégoire de Tours, saint (Clermont, vers 538 - Tours 594). Grand aristocrate et évêque de Tours, Grégoire participa aux luttes de son temps et composa une oeuvre d’historien qui constitue le principal témoignage sur les débuts de la monarchie franque. Grégoire naît à Clermont, en Auvergne, dans une grande famille de l’aristocratie sénatoriale gallo-romaine convertie au christianisme depuis plusieurs siècles, et dont certains membres ont été évêques de Tours, de Lyon et d’Arles. Il reçoit une éducation chrétienne auprès de son oncle Gall, évêque de Clermont, puis de son grand-oncle Nizier, évêque de Lyon. En 563, il est ordonné diacre, puis devient prêtre et officie durant quelque temps à la basilique Saint-Julien de Brioude. Il fait le pèlerinage à la basilique Saint-Martin de Tours et demeure auprès de son cousin Eufronius, évêque de Tours. En 573, il est choisi comme évêque par le roi Sigebert Ier. Grégoire se préoccupe alors de ses fonctions pastorales, en particulier du rayonnement de ses saints tutélaires : il refond la Vie de saint Martin, de Sulpice Sévère, et rédige plusieurs ouvrages sur les miracles de saint Martin et de saint Julien. Il s’engage également dans les conflits qui déchirent alors la famille royale mérovingienne. Il est ainsi le principal artisan du rapprochement de Gontran, roi de Burgondie, et de Childebert II, roi d’Austrasie, contre Clotaire II, roi de Neustrie, rapproche-
ment que vient sanctionner le pacte d’Andelot en 587. Mais Grégoire est surtout l’auteur de Dix livres d’histoire, ou Histoire des Francs, rédigé à partir de 575 et qui met en scène les principaux événements politiques du VIe siècle. Si, par certains traits, ce texte s’inscrit dans la tradition de l’historiographie chrétienne, il fait surtout de Grégoire de Tours le premier chroniqueur du Moyen Âge. L’horizon politique n’est plus le monde romain, mais l’espace gaulois. Le christianisme seul, et non la romanité, est considéré comme le fondement de la civilisation. En fait, le récit sert avant tout à l’enseignement moral et religieux des lecteurs. Enfin, Grégoire de Tours est l’un des premiers à se conformer au voeu de son contemporain le pape Grégoire le Grand (590/604), qui invite les évêques à préférer l’expression sévère et simple de l’Écriture aux beautés formelles de la culture classique. Certes, Grégoire lit Virgile et Sidoine Apollinaire, mais il n’a pas suivi d’études classiques et n’a appris ni la grammaire ni la rhétorique. Sa manière de raconter en témoigne. Grenelle (affaire du camp de), tentative de soulèvement de la gauche républicaine parisienne contre le Directoire, dans la nuit du 9 au 10 septembre 1796 (23-24 fructidor an IV). Tandis que, à la suite de la découverte de la conjuration des Égaux, Babeuf et ses amis, transférés à Vendôme depuis le 27 août, attendent leur procès, les plus résolus des opposants démocrates - babouvistes ou non - ayant échappé à la répression cherchent à entraîner dans une insurrection les soldats du 21e dragons cantonnés dans un camp installé dans la plaine de Grenelle (aujourd’hui un quartier de Paris). Pour le directeur Lazare Carnot, qui contrôle l’appareil policier, cette affaire est l’occasion, à six mois des élections législatives, d’éliminer l’opposition jacobine et de rallier les modérés au régime en ravivant la peur des « anarchistes ». Prévenu du complot, il laisse faire et organise une souricière. Lorsqu’ils se présentent au camp, les conjurés - plusieurs centaines - sont accueillis par une fusillade qui fait vingt morts. Bien que civils, cent trente-deux prisonniers sont traduits, devant un conseil militaire, en vertu d’une loi votée le 24 fructidor. Trente d’entre eux - dont trois anciens députés montagnards - sont fusillés en octobre. Cependant, jugeant la procédure illégale, le tribunal de cassation annule les jugements le 11 avril 1797, et renvoie les autres condamnés devant un tribunal civil, qui les acquitte. Si la répression a provisoirement muselé les démocrates, les élections, closes le
4 avril durant le procès des Égaux, donnent la victoire aux royalistes, obligeant le Directoire à recourir au coup d’État, le 18 fructidor an V (4 septembre 1797). downloadModeText.vue.download 422 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 411 Grenelle (protocole de), nom donné à un protocole d’accord établi par les représentants des patrons (conduits par Paul Huvelin, alors président du CNPF) et ceux des centrales syndicales sous l’égide du gouvernement le 27 mai 1968. Face à la crise sociale qui paralyse la France, et après que le général de Gaulle eut tenté de lui apporter une réponse politique - celle d’un référendum, annoncé le 24 mai 1968 -, le Premier ministre Georges Pompidou choisit la voie - classique - de la négociation avec les syndicats, qui est menée au ministère du Travail, rue de Grenelle. Il s’agit de mettre fin à un conflit dont nul ne sait où il va, et qui risque de fragiliser la représentativité des partenaires sociaux. Mais, si tous tombent d’accord sur la nécessité d’abréger la crise, les analyses de la situation et les revendications diffèrent selon les centrales syndicales : la CGT, inquiète devant une éventuelle dérive gauchiste du mouvement, met en avant des revendications traditionnelles, portant sur la durée du temps de travail ou des augmentations de salaire. Fidèle aux mots d’ordre qualitatifs promus depuis sa création en novembre 1964, la CFDT privilégie quant à elle les rapports au sein de l’entreprise et les possibilités d’expression à la base. À l’aube du 27 mai, entouré de ses principaux conseillers Édouard Balladur et Jacques Chirac, Georges Pompidou énonce des propositions : augmentation du SMIG de 35 %, relèvement des salaires de 10 %, paiement à 50 % des jours de grève, réduction d’une heure, avant la fin du cinquième plan, de la durée hebdomadaire du travail, diminution du ticket modérateur de la Sécurité sociale... Ces propositions, pour importantes qu’elles soient, sont naturellement insuffisantes pour la CFDT, qui souhaitait promouvoir, à l’occasion du conflit, de grandes réformes structurelles. Elles sont d’ailleurs mal accueillies par les grévistes : Georges Séguy en fait l’expérience, le 27 mai, lorsqu’il présente les résultats des pourparlers aux ouvriers de Renault. Expression du dépassement des syndicats par
leur base, la poursuite des grèves marque également l’échec d’une réponse traditionnelle à un conflit dont chacun mesure alors la portée exceptionnelle. Dans une situation d’apparente vacance du pouvoir, la voie est ouverte pour une crise politique : c’est ce que pressentent les 30 000 manifestants réunis au stade Charléty, le soir du 27 mai, en présence de Pierre Mendès France, silencieux. Toutefois, dans la première quinzaine de juin, le travail reprend dans la plupart des secteurs de l’économie. Ainsi, le 12, des négociations s’engagent à la Régie Renault entre la direction et les syndicats, sur la base du protocole de Grenelle. Le 16, elles aboutissent à un accord, approuvé le lendemain par une majorité de salariés, ce qui entraîne la reprise du travail. grève. « Coalition d’ouvriers qui refusent de travailler tant qu’on ne leur aura pas accordé certaines conditions qu’ils réclament » : la définition que donne Littré de la grève, en 1863, prend acte de l’affirmation d’un mode d’action collective, qui naît et se développe au XIXe siècle en France comme dans les autres pays européens. Sans doute peut-on retrouver sous l’Ancien Régime des conduites qui préfigurent la grève, mais elles sont trop rares, trop limitées à certains secteurs, trop confondues avec les émotions populaires urbaines pour qu’on puisse même les identifier. • Une législation longtemps répressive. Devenue progressivement un événement familier, la grève demeure néanmoins illégale en France pendant la plus grande partie du XIXe siècle. La législation révolutionnaire l’interdit comme une forme particulièrement caractérisée de « coalition », puis elle tombe sous le coup des articles 415 et 416 du Code pénal napoléonien. La loi du 25 mai 1864, inspirée par un Napoléon III soucieux de se rallier le monde ouvrier, reconnaît une situation de fait en la rendant licite ; elle n’en reste pas moins fortement encadrée par des dispositions sévères visant les éventuels débordements, les possibles atteintes à l’ordre public et à la liberté du travail. Pendant toute la IIIe République, l’action répressive de la justice montre que, au-delà des termes de la loi, la grève demeure pour beaucoup cette « tentative de perturbation de l’ordre social qu’il est impossible de souffrir », selon la formule employée par Thiers en 1871. Il faut attendre la IVe République pour que le droit de grève
soit inscrit dans le préambule de la Constitution parmi les libertés essentielles (mais dans le cadre des lois qui le réglementent) et la loi du 11 février 1950 pour que faire grève n’entraîne pas la rupture du contrat de travail. • Les mouvements de grèves du XIXe au début du XXe siècle. Il est vrai que l’explosion de grèves qui suit la loi de 1864 semble lier l’agitation ouvrière à l’assouplissement de la législation. Il s’agit en réalité d’un effet d’optique, dû à l’attention que l’on porte désormais à ces mouvements, qui se multiplient sous la Restauration et, surtout, sous la monarchie de Juillet. Dans la mesure où il n’existe pas alors d’observatoire global d’un phénomène social relativement neuf, il est difficile d’en tracer l’évolution d’ensemble : seule nous est parvenue la mémoire de certains épisodes plus saillants, telle la grande grève des mineurs de Rive-de-Gier, dès le Premier Empire. Le travail de l’historien reste donc largement à faire, et s’avère d’autant plus ardu que le phénomène de la grève est délicat à cerner, l’arrêt de travail étant souvent suivi de la dispersion des grévistes, dans une classe ouvrière caractérisée par une intense mobilité géographique. C’est seulement à partir de 1860 que les préfets sont invités à recenser les grèves dans leur département ; à partir de 1886 est publié un rapport récapitulatif annuel, lequel n’est vraiment fiable que depuis 1891, année où il est placé sous la responsabilité d’un office du travail. Les courbes que l’on peut alors tracer du mouvement des grèves - mesuré par leur nombre, celui des participants, celui des journées de travail perdues, leur durée, etc. - témoignent de leur importance dans le paysage social et politique français de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Séparées par des années plus calmes, les grèves éclatent par flambées successives : 1869-1870, 1880, 1889-1891, 1893-1894, 1899-1900, 19041907. Chaque fois, les chiffres progressent, jusqu’à cette année 1906, elle-même au coeur d’un cycle revendicatif court de trois ans, où 438 466 ouvriers arrêtent le travail et où, en 1309 grèves, sont perdues 9 438 594 journées ouvrées. Dans l’immense majorité des cas, c’est une demande d’augmentation des salaires refusée qui conduit à cesser de concert le travail. D’où l’hypothèse d’un lien entre le cycle des grèves et ceux du salaire réel et du coût de la vie. De fait, une relation évidente s’établit entre la revendication ouvrière et l’état de l’économie. Les grèves sont en général victorieuses
en période d’expansion - le patron cède alors plus volontiers aux revendications -, et échouent en période de récession, lorsqu’il n’y a rien à accorder et, surtout, lorsque la concurrence est forte sur un marché du travail qui se contracte. Mais la grève éclate pour bien d’autres raisons : l’organisation et les contraintes du travail, les plaintes contre l’encadrement, le refus de la concurrence des femmes et, déjà, des étrangers, ou encore les mauvaises conditions d’hygiène et de sécurité. L’exigence salariale masque donc un malaise souvent multiple. • La grève au quotidien. Quand la machine s’arrête et que l’atelier se vide, le pouvoir semble pour un temps changer de mains. C’est « l’échappée belle », selon l’expression de Michelle Perrot : la grève prend alors une allure festive, du moins à ses débuts. Elle est l’occasion d’une sociabilité ouvrière autre que celle du travail ; meetings, réunions, cortèges : les ouvriers prennent possession d’un espace qui n’est d’ordinaire pas le leur, occupant la rue et battant le pavé des villes industrielles. Jaillissent l’inventivité des slogans et la richesse des chansons de circonstance. Se font jour une fraternité, celle des soupes « communistes » ou des exodes d’enfants, et, surtout, une solidarité qui peut s’étendre à la France entière et même à l’étranger. Parmi tant d’autres gestes héroïques se constitue celle des mineurs, dont les luttes, à Decazeville (1886), à Carmaux (1892), à Montceau-les-Mines (1899) et dans le Pas-deCalais (1902), bouleversent tous les ouvriers du pays. La grève est pour le monde ouvrier l’instrument privilégié d’une visibilité dans la société tout entière, au travers de laquelle naît une identité collective. Mais elle est aussi un drame : celui de la perte du salaire et des privations familiales ; celui, quand elle dure et s’aigrit, de l’éclatement d’une communauté ouvrière qui se heurte aux renégats, aux « renards », puis aux « jaunes » et aux briseurs de grève, ou simplement aux tièdes ; celui de la violence rageuse qui fait malmener les contremaîtres et lapider les bâtiments, mais aussi celle que l’on subit de la part des forces de l’ordre. Certes, les fusillades du XIXe siècle qui font plusieurs dizaines de morts - telle celle de La Ricamarie en 1869 - appartiennent bientôt au passé. Mais morts et blessés continuent d’accompagner la grève, jusqu’à ces incidents de Draveil et de Villeneuve-Saint-Georges, en 1907, où grévistes et gendarmes s’affrontent le revolver à la main. Comment les romanciers ne se seraientdownloadModeText.vue.download 423 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 412 ils pas inspirés de ce drame emblématique de la société industrielle, dont le Germinal de Zola (1885) offre l’exemple le plus célèbre ? Et comment les syndicalistes d’action directe des années 1900 n’auraient-ils pas vu dans une grève générale le moyen de faire basculer le « vieux monde » ? • Les syndicats et la grève. C’est dans la spontanéité de la grève que s’affirme le mieux l’idéal d’une autonomie ouvrière, antérieure aux appareils. À vrai dire, les syndicats sont très vite présents, avant même d’avoir une existence légale (1884). Mutuelles et coopératives, fondées antérieurement, fournissent déjà militants et subsides ; elles sont relayées, à compter des années 1860, par les sociétés de résistance, syndicats avant la lettre qui entendent prendre en main la défense des intérêts ouvriers. Même si, par la suite, leur volonté d’en être les seuls représentants face au patronat les conduit à se méfier d’une forme d’action qui débouche souvent sur l’échec. Combien de syndicats nés avant ou à l’occasion d’une grève disparaissent avec la défaite, voire ne survivent pas à la victoire ? La CGT, née en 1895, appelle volontiers à la prudence, la grève ne constituant à ses yeux qu’une préparation à la lutte finale, au « grand soir ». La création et le développement des grandes centrales syndicales, au XXe siècle - CGT, CFTC, CFDT, Force ouvrière - modifient totalement la nature de la grève. Ces organisations se défient des manifestations spontanées de la base, devenues ces grèves « sauvages » qui entraînent des débordements en juin 1936, en 1946-1948, en mai 68, et dans ces années soixante-dix où l’on dénonce la sclérose syndicale. Les grandes vagues du XXe siècle ne sont pas, comme avant 1914, des agrégats de mouvements divers mais des lames de fond suscitées, ou en tout cas contrôlées après coup, par les grandes confédérations. En 1919-1920, c’est la CGT qui lance au combat ses différentes fédérations dans l’espoir d’une révolution ; en 1936, elle prend le contrôle d’un élan revendicatif d’une ampleur exceptionnelle pour négocier, au sommet, les accords Matignon ; en 1968 encore, même si elle n’est plus seule, elle mène les négociations qui aboutissent aux accords de Grenelle, comme elle l’avait fait en 1947-1948, bien que l’initiative ne fût pas venue d’elle.
Désormais, les grandes vagues de grèves s’inscrivent donc bien au-delà de l’affirmation d’une autonomie ouvrière. Certes, la conjoncture économique demeure un facteur explicatif : c’est après l’inflation de la Grande Guerre qu’explose le mouvement de 1919-1920 ; c’est au lendemain d’une baisse du pouvoir d’achat et de l’emploi que se déclenchent les grands remous de 1936 : 16 607 grèves dans l’année, plus de 2,4 millions de grévistes ; quant aux événements de 1947-1948, ils interviennent à la suite de privations d’autant plus intolérables que le gouvernement invite à un effort inégalé de production. Mais on remarquera que 1919-1920 constitue une mise en cause révolutionnaire du système capitaliste ; que juin 1936 accompagne la victoire parlementaire du Front populaire ; que les années 1947-1948 sont concomitantes de la naissance de la guerre froide et de l’offensive communiste au niveau mondial. Le contexte politique semble prendre désormais une importance prépondérante, comme si la grève était un moyen privilégié d’expression politique pour le monde ouvrier, que celui-ci marque son hostilité ou son adhésion. En revanche, sous la IVe puis la Ve République, la grève prend un caractère nouveau, même si la spontanéité ouvrière ne disparaît pas. Elle emprunte de plus en plus la forme de mouvements d’ensemble, qui peuvent toucher un seul secteur - celui des mineurs par exemple, en 1963 -, mais prend le plus souvent l’allure de journées intercorporatives, consacrées à des objectifs précis et limités, ce qui lui fait perdre de son flamboiement. À ce déclin de la grève, plusieurs explications sont possibles. La législation sociale a multiplié les occasions de conciliation préalable, qui la rendent inutile ; la spécificité ouvrière s’est délitée, la grève devenant l’instrument de catégories sociales auxquelles elle était étrangère : employés, représentants des professions libérales, voire petit patronat indépendant ; surtout, depuis 1973-1975, c’est la classe ouvrière elle-même qui se disperse en raison des restructurations de l’économie et de la montée du chômage. Depuis vingt-cinq ans, toutes les courbes statistiques relatives aux grèves sont à la baisse, et il n’est pas étonnant que les dernières résurgences d’ensemble ait été, en décembre 1995, en mai-juin 2003 et en février-mars 2006, le fait des fonctionnaires et des salariés des services publics. Grève (place de), nom de la place de l’Hôtel-de-Ville de Paris jusqu’en 1803.
Cet ancien fief des comtes de Meulan fut vendu en 1141 par Louis VII aux bourgeois parisiens pour 70 livres : « Nous cédons à perpétuité cette place voisine de la Seine, que l’on appelle la Grève, où existe un ancien marché, afin qu’elle reste vide de tout édifice ou de tout autre objet qui pourrait l’encombrer. » Séparée en deux par des palissades en bois, puis par un mur qui devait limiter les dégâts occasionnés par les crues de la Seine, la Grève accueillait en sa partie basse le marché aux vins et au charbon, et, sur sa partie plus élevée, l’artillerie de la ville lors des cérémonies officielles ou le gigantesque bûcher qu’on allumait à l’occasion des fêtes de la Saint-Jean. La place servait aussi de lieu d’exécution : Ravaillac y fut écartelé (1610), Damiens, roué (1757), Cadoudal, guillotiné (1804). Elle fut aussi le théâtre de nombreuses « émotions » populaires, de la révolte des Maillotins aux guerres de Religion, de la Fronde à la Révolution, jusqu’au « baiser républicain » (Chateaubriand) de La Fayette au duc d’Orléans. Des combats décisifs pour la prise de l’Hôtel de Ville s’y déroulèrent en 1830, 1848, 1871 et 1944. Si la Grève tire son nom de sa situation riveraine de la Seine, elle le lègue à son tour au vocabulaire courant avec un sens nouveau : dès le XVe siècle, en effet, les ouvriers en quête d’ouvrage s’assemblaient sous les galeries formées par les piliers des maisons de la place en quête d’ouvrage. Ils « faisaient la grève », expression qui perdure jusqu’aux années 1850 - la grève au sens actuel étant alors appelée « sédition ». Grévy (François Paul Jules), avocat et homme politique, président de la République de 1879 à 1887 (Mont-sous-Vaudrey, Jura, 1807 - id. 1891). Venu étudier le droit à Paris, il s’inscrit au barreau et devient un des avocats habituels du Parti républicain, plaidant par exemple, en 1839, pour deux amis de Barbès. En 1848, il est d’abord nommé commissaire du gouvernement provisoire, puis est élu député à l’Assemblée constituante. Vice-président de l’Assemblée, il défend une position restée célèbre contre l’élection du président de la République au suffrage universel : il propose dans un amendement que le pouvoir exécutif soit remis par l’Assemblée à un « président du Conseil des ministres » nommé « au scrutin secret et à la majorité absolue des suffrages ». Mais cet amendement est repoussé à une large majorité le 7 octobre 1848.
Réélu à l’Assemblée législative, Grévy prend parti aussi bien contre les royalistes que contre le président de la République : il est opposé à la loi du 31 mai qui réduit le suffrage universel et appuie la proposition des questeurs qui donnait au président de l’Assemblée le droit de quérir la force publique. Après le coup d’État de décembre 1851, il cesse de participer à la vie publique jusqu’en 1868, année où il est élu au Corps législatif. Il adopte alors une attitude d’opposant sans concession à l’Empire, combattant le plébiscite. Ce républicain n’est cependant pas un révolutionnaire : le 4 septembre 1870, il fait partie des députés qui se réunissent après l’envahissement du Corps législatif et participe à la délégation qui négocie sans succès à l’Hôtel de Ville avec le gouvernement de la Défense nationale. Partisan de la paix en février 1871, il est élu président de la nouvelle Assemblée, mais démissionne en 1873, contre le souhait de la majorité. Membre de la gauche républicaine, défavorable aux lois constitutionnelles de 1875, il retrouve néanmoins la présidence de la Chambre des députés en 1876. Son combat constant en faveur de la République, allié à sa modération en font le candidat le mieux placé pour succéder à Mac-Mahon : il est élu président de la République par le Congrès à la majorité absolue, le 30 janvier 1879. Intervenant peu dans les affaires de politique intérieure, il adopte une politique de maintien de la paix au plan international, excluant toute revanche sur l’Allemagne. La Chambre le réélit à une très large majorité en décembre 1885, avant de le contraindre à la démission deux ans plus tard après la révélation du scandale des décorations auquel se trouvait mêlé son gendre, le député Wilson. Griffuelhes (Victor), syndicaliste (Nérac, Lot-et-Garonne, 1874 - Saclas, Essonne, 1922). Issu d’une famille pauvre, Griffuelhes, ouvrier cordonnier, s’installe à Paris en 1893, et, très vite, devient un membre actif du syndicat de la cordonnerie de la Seine, puis le secrétaire de l’Union des syndicats de la Seine et de la Fédération nationale des cuirs et peaux. À l’orée du siècle, il apparaît comme une des figures importantes du monde syndical, qui downloadModeText.vue.download 424 sur 975
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se regroupe au sein de la CGT, dont il est élu secrétaire général en 1901. Syndicaliste révolutionnaire, Griffuelhes considère que seule l’action syndicale peut libérer la classe ouvrière de l’exploitation capitaliste. Les années qu’il passe à la tête de la CGT sont marquées par l’adoption de la Charte d’Amiens (1906), qui affirme l’indépendance des syndicats à l’égard des partis politiques, et par la pratique de l’action directe contre le patronat. Griffuelhes, très présent auprès des ouvriers grévistes, orchestre notamment la grève générale du 1er mai 1906 pour l’obtention de la journée de huit heures, qui marque l’apogée du syndicalisme d’action directe. Après sa démission en 1909, provoquée par un conflit de gestion avec le trésorier de la CGT, il s’engage dans une réflexion sur le syndicalisme et écrit pour la Vie ouvrière et la Bataille syndicale. Pendant la guerre, il intervient pour s’opposer au nationalisme guerrier comme au pacifisme. Il meurt en 1922, alors que le syndicalisme révolutionnaire tâche de trouver une place dans un monde syndical déchiré entre une CGT modérée et la nouvelle CGTU, proche du Parti communiste. Grignion de Montfort (LouisMarie) ! Louis-Marie Grignion de Montfort (saint) Grimoald, maire du palais d’Austrasie (vers 620 - 662). Fils de Pépin Ier de Landen, ancêtre éponyme des Pippinides, Grimoald appartient à l’une des plus puissantes familles du royaume d’Austrasie. Mais, à la mort de Pépin Ier, en 640, le roi Sigebert III confie la mairie du palais à une famille rivale des Pippinides. Ce n’est qu’à l’occasion de multiples révoltes, qu’il a lui-même plus ou moins fomentées, que Grimoald peut reprendre cette charge vers 643. Il exerce alors une grande influence sur le roi Sigebert, au point de le convaincre d’adopter son propre fils sous le nom mérovingien de Childebert ; Sigebert n’ayant pas d’enfant, Grimoald espère ainsi faire passer le titre royal dans sa famille. Le fait que le couple royal obtienne enfin l’enfant tant désiré, prénommé Dagobert, ne change rien aux plans de Grimoald : à la mort de Sigebert, en 656, il fait reconnaître comme roi son fils Childebert, qui règne effectivement sur l’Austrasie de 656 à 662, sous la tutelle de son père. En outre, Grimoald a pris la précaution d’exiler le jeune Dagobert dans un monastère irlandais.
Mais une partie des grands, tant en Austrasie qu’en Neustrie, considère que Childebert a usurpé la royauté : ils constituent un parti « légitimiste » qui entend rétablir sur le trône un descendant des Mérovingiens et, surtout, enrayer la montée en puissance des Pippinides. En 662, une faction ennemie livre Grimoald aux Neustriens, qui le jugent et l’exécutent. La première tentative de prise du pouvoir par les ancêtres des Carolingiens se solde par un échec. grippe espagnole, épidémie qui a fait au moins vingt millions de morts dans le monde entre août 1918 et le printemps 1919, dont 200 000 à 400 000 en France, parmi lesquels le poète Guillaume Apollinaire. Les chiffres sont tels que les médecins, les hôpitaux, les morgues et même les cimetières sont rapidement débordés, et qu’on évoque le choléra, la peste ou le typhus, même si tous les symptômes sont ceux de la grippe. La malnutrition liée à la guerre a été également invoquée, mais, si elle a effectivement affaibli les individus en Europe, elle ne saurait expliquer, par exemple, le demi-million de morts aux États-Unis. Si le premier conflit mondial a joué un rôle, c’est plutôt du fait des transports de troupes, qui ont facilité la contagion de continent à continent. En fait, il s’agit là de la dernière des grandes grippes dévastatrices qui se sont succédé à partir de 1530, date à laquelle la première est formellement identifiée, et qui réapparaissent en 1729, 1733, 1782, 1830, 1847 et 1889. L’appellation de « grippe espagnole » est spécifiquement française. En effet, le bruit courut que des agents allemands en auraient introduit les germes dans des boîtes de conserve importées d’au-delà des Pyrénées. Cette rumeur traduit, d’une part, la suspicion diffuse avant même 1914, et qui fait voir partout la main de l’ennemi, et, d’autre part, l’irritation face à la concurrence économique des pays neutres, dont la production n’a pas eu à souffrir de l’effort de guerre. grognard, vétéran et figure mythique de la Grande Armée napoléonienne. La rapidité étant un facteur déterminant dans la guerre de mouvement qui caractérise la stratégie napoléonienne, le soldat est souvent mis à rude épreuve. L’on dit que c’est durant la campagne de Pologne (janvier 1807), alors que l’armée française poursuit l’armée russe - qu’elle affronte à Eylau après onze jours
de marche -, que Napoléon Ier a inventé ce terme pour qualifier les soldats épuisés, peinant et grommelant dans la neige, la tempête et la boue. Ce mot connaît un grand succès : il donne l’image d’un Napoléon familier et populaire au sein de l’armée, et perpétue l’aimable tradition d’un peuple français maugréant mais toujours vaillant. Homme rude et bon enfant, auréolé de gloire et vénérant l’Empereur, tel apparaît le grognard, qui, devenu demi-solde et rentré dans ses foyers sous la Restauration, ressasse les temps anciens et devient l’un des principaux propagateurs de la légende napoléonienne, à l’image du vétéran Jean-Roch Coignet, dont les Cahiers sont publiés en 1851. Grosse Bertha (la), surnom donné à un canon allemand utilisé pendant la Première Guerre mondiale. Au début du conflit, un énorme canon allemand qui avait causé d’importants dégâts, notamment en Belgique, avait été baptisé Bertha, du nom de la fille du constructeur, le sidérurgiste Krupp. Aussi, quand, en mars 1918, Paris est bombardée depuis la forêt de Saint-Gobain par une pièce d’artillerie à très longue portée, les habitants croient qu’il s’agit du même obusier et le surnomment, par dérision, la « Grosse Bertha ». L’arme n’est pourtant pas une Bertha mais un Lange Max de 210 mm, capable de tirer à une grande distance des obus de 108 kilos. La semaine de Pâques 1918 est pour les alliés une des pires de la guerre : l’offensive de Ludendorff est en effet un succès. Aussi peut-on comprendre la frénésie qui saisit les Français lors des bombardements de Paris, en particulier lors de la tragédie de l’église SaintGervais, où l’on dénombre 88 morts et autant de blessés parmi ceux qui assistaient à l’office du vendredi saint, le 29 mars. Les Allemands sont jugés doublement coupables, de crime de guerre et de sacrilège, car ce drame a eu lieu à l’heure commémorative de la mort du Sauveur. Ceux qui pensaient que les poilus se sacrifiaient en imitation du Christ y voient un espoir renouvelé dans la résurrection de tout le peuple de France. La Grosse Bertha est restée le symbole des « crimes allemands ». Elle est emblématique de la culture de guerre française, dont la charge de haine a été ravivée par l’offensive du printemps 1918. Grouchy (Emmanuel, marquis de), maré-
chal d’Empire (Paris 1766 - Saint- Étienne 1847). Le nom de Grouchy est à jamais associé à Waterloo. La légende dépeint l’homme comme un incapable, responsable par son retard sur le champ de bataille de l’ultime défaite de Napoléon. Grouchy a en fait accompli une carrière honorable, jusqu’au désastre du 18 juin 1815. De 1780 à 1787, il sert à l’école d’artillerie, puis dans la cavalerie du roi. Acquis à la Révolution, il participe aux campagnes de 17921793, notamment en Savoie et en Vendée. Un moment inquiété en tant qu’officier noble, il devient néanmoins général de division et chef d’état-major de Hoche après le 9 Thermidor. C’est à ce titre qu’il participe en 1796 à l’expédition d’Irlande, au cours de laquelle, séparé du gros des forces par une tempête, il refuse de prendre l’initiative de débarquer pour soutenir les Irlandais révoltés. En 1798, on le retrouve dans l’armée d’Italie. Il est fait prisonnier et ne revient en France qu’après le 18 Brumaire. Sous l’Empire, il se distingue à plusieurs reprises : en particulier en 1807 à Eylau et à Friedland. En 1813, Napoléon le nomme à la tête de sa cavalerie. Pendant les Cent-Jours, la capture du duc d’Angoulême lui vaut d’être nommé maréchal. À Waterloo, occupé à poursuivre l’armée de Blücher - selon la mission qui lui a été confiée -, il se laisse tromper sur les mouvements réels des forces prussiennes et n’empêche donc pas leur jonction avec les Anglais de Wellington. N’évaluant pas bien les difficultés que rencontre le gros de l’armée impériale, il refuse de marcher au canon pour soutenir Napoléon, comme le lui suggèrent ses lieutenants. Proscrit en 1815, Grouchy se réfugie aux États-Unis, et ne peut rentrer en France qu’en 1821. Il retrouve son bâton de maréchal sous la monarchie de Juillet, et Louis-Philippe l’appelle à siéger à la Chambre des pairs. Guadeloupe, colonie française des Antilles de 1635 à 1946, puis département d’outre-mer. downloadModeText.vue.download 425 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 414 En 1635, sur ordre de Belain d’Esnambuc, commandant de Saint-Christophe, Jean Duplessis d’Ossonville et Liénart de l’Olive prennent possession de la Guadeloupe pour
le compte du roi de France. Les premiers planteurs de canne à sucre s’y installent en 1644 et importent des esclaves de traite. Les luttes contre les autochtones pour la confiscation du sol tournent bientôt à la guerre d’extermination, et les derniers Caraïbes évacuent l’île en 1638. Après la faillite de la Compagnie des Îles d’Amérique, la colonie est prise en main par l’administration royale en 1674. Le développement est beaucoup plus lent que celui de la Martinique, siège du gouvernement, qui monopolise l’activité commerciale. À la veille de la Révolution, l’île compte 110 000 habitants, dont 91 000 esclaves. Au cours de la guerre de Sept Ans, de 1756 à 1763, elle a connu une occupation anglaise bien accueillie par les colons, qui ont obligé le gouverneur à capituler par crainte d’un soulèvement d’esclaves. Conquise par les Anglais en 1794, la Guadeloupe leur est reprise quelques mois plus tard par Victor Hugues, représentant de la Convention, qui fait régner de 1794 à 1798 une véritable dictature de Salut public, et abolit l’esclavage - remplacé par le régime du travail obligatoire ! -, dont le rétablissement en 1802 provoque des troubles assez graves. En outre, l’île est bientôt affectée par le blocus imposé par les Anglais, qui occupent de nouveau l’île à deux reprises, entre 1809 et 1816. Le XIXe siècle est ensuite marqué par l’abolition définitive de l’esclavage en 1848 (89 000 affranchis) et par le déclin de l’économie sucrière. Sous la IIIe République, l’établissement d’une représentation parlementaire entraîne une vie politique assez mouvementée, caractérisée notamment par des fraudes électorales (affaire du député Légitimus en 1902) et des recensements falsifiés. Ralliée à la France combattante en juin 1943, la Guadeloupe est érigée en département d’outre-mer par la loi du 19 mars 1946. Bénéficiant des crédits du FIDOM, elle est dotée d’un important équipement scolaire et hospitalier. Les formations autonomistes y remportent quelques sièges aux élections locales. Divisée en trois arrondissements (Pointe-à-Pitre, Basse-Terre, îles du Nord) formant une région monodépartementale depuis la loi de régionalisation de 1982, l’île est représentée au Parlement par quatre députés et deux sénateurs. 300 000 Guadeloupéens se seraient fixés en métropole. Guerre de 1870 ! francoallemande de 1870-1871 (guerre) Guerre folle, nom donné au conflit qui oppose le duc d’Orléans, Louis (futur Louis XII),
à Anne et Pierre de Beaujeu, régents du royaume, durant les années 1485-1488. Avant de mourir, le 25 août 1483, Louis XI a confié le pouvoir et la garde de son fils, le petit Charles VIII, à sa fille Anne et à son gendre, Pierre de Beaujeu. Ces dispositions sont contestées par Louis d’Orléans (cousin germain du nouveau roi), qui réclame pour lui la régence et le contrôle du Conseil. À sa demande, les Beaujeu acceptent de convoquer les états généraux, qui se réunissent à Tours, en janvier 1484. Mais, en raison de son mode de désignation - pour la première fois, les députés sont élus dans le cadre des bailliages et des sénéchaussées -, l’assemblée de Tours comprend un nombre important d’officiers royaux favorables aux Beaujeu. Louis d’Orléans ne peut faire triompher ses vues : la composition du Conseil de régence est donc confiée par les états aux Beaujeu et la question de la tutelle, laissée en suspens, puisque Charles VIII va bientôt être majeur. Louis d’Orléans décide alors de s’allier avec le duc de Bretagne, François II, et, en janvier 1485, se lance dans la « Guerre folle ». Cette entreprise n’est guère fructueuse. Les coalisés, qui négocient par ailleurs avec le roi d’Angleterre Richard III, ne parviennent pas à rallier à leur cause les villes et la noblesse. En outre, avec la mort par pendaison du trésorier de Bretagne Pierre Landais (19 juillet 1485), victime du parti nobiliaire breton, ils perdent l’un de leurs plus fervents soutiens. Le 2 novembre 1485, une paix provisoire est signée à Bourges. Mais, les hostilités reprennent en 1487, et l’équipée de Louis d’Orléans devient alors l’une des composantes de la guerre de Bretagne pour la succession de François II. Charles VIII et les Beaujeu s’inquiètent en effet du projet de mariage envisagé par le duc de Bretagne, lequel consiste à unir sa fille Anne, héritière du duché, à l’archiduc d’Autriche, Maximilien, nouveau roi des Romains depuis 1486. En 1487 et 1488, les troupes royales mènent deux expéditions en Bretagne. Le 27 juillet 1488, à la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier, les troupes bretonnes sont battues et le duc Louis d’Orléans est fait prisonnier. Le roi et les Beaujeu engagent alors contre lui une procédure judiciaire pour trahison, mais celle-ci n’est pas menée à son terme. Louis d’Orléans reste en prison jusqu’en 1491. Fidèle ensuite à Charles VIII, il lui succède comme roi de France en 1498. guerre froide, conflit larvé qui, de 1947
au milieu des années cinquante, oppose le camp soviétique au camp américain, ébranlant fortement la France en raison de sa place au coeur de l’Europe occidentale, de son implication dans les guerres coloniales et de la puissance du Parti communiste français. • Guerre froide, politique intérieure et diplomatie. La rupture entre les deux grands, consécutive à la mainmise de l’Union soviétique sur l’Europe orientale, est consommée en 1947 : à la doctrine Truman sur l’endiguement du communisme (12 mars), l’URSS réplique par la doctrine Jdanov affirmant que le monde est coupé en deux camps irréconciliables (septembre) : à l’annonce du plan Marshall (5 juin), les Soviétiques répondent par la création du Kominform (5 octobre), chargé de coordonner l’action des partis communistes européens. Le brusque regain de tension entre les deux grands a des conséquences immédiates sur la vie politique française. Exclus du gouvernement le 4 mai 1947, les communistes changent brutalement de stratégie sous la pression du Kominform, qui tente de déstabiliser les démocraties occidentales. Jusqu’au printemps 1947, le PCF, alors premier parti de France, a joué la carte de l’alliance gouvernementale avec la SFIO et le MRP (tripartisme). Relayé par la CGT, il a cherché à freiner les actions revendicatives dans le monde ouvrier. Mais à l’automne 1947, exploitant les difficultés économiques et sociales grandissantes, PCF et CGT déclenchent une vague d’agitation. Grèves insurrectionnelles, manifestations violentes, sabotages : un climat de guerre civile larvée gagne la France ; le gouvernement fait alors rappeler des milliers de réservistes. Le mouvement échoue mais laisse de nombreuses traces. En décembre 1947, la CGT éclate, les syndiqués non communistes créant la CGT-Force ouvrière (avril 1948). Quant aux enseignants, ils prennent leur autonomie en fondant la Fédération de l’éducation nationale (FEN). Le PCF se trouve désormais isolé, pour longtemps, dans un véritable ghetto politique. Cependant, son poids électoral gêne indéniablement les partis gouvernementaux de la « troisième force » (SFIO, MRP, radicaux, UDSR, bientôt modérés), d’autant qu’à l’autre extrémité de l’échiquier politique, le Rassemblement du peuple français (RPF) se montre un farouche opposant à la IVe République. Sur le plan international, la France, largement bénéficiaire du plan Marshall, choisit clairement son camp. Au lendemain du coup de Prague de février 1948, qui déclenche une réaction de peur en Europe occidentale, elle
signe le pacte de Bruxelles (avec la GrandeBretagne et les pays du Benelux) et réclame la protection militaire des États-Unis. Fidèle alliée des Américains pendant la crise de Berlin (juin 1948-mai 1949), elle adhère à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) qui, en avril 1949, unit douze pays occidentaux. Elle reçoit l’aide financière de Washington dans sa lutte contre le Viêt-minh dès lors que les Américains, engagés dans le conflit coréen, considèrent la guerre d’Indochine comme une « croisade anticommuniste ». • La lutte idéologique. Tandis que les crises se multiplient entre l’Est et l’Ouest, communistes et anticommunistes mobilisent leurs troupes dans une lutte idéologique d’une extrême violence. En août 1948, à Wroclaw (Pologne), le Congrès des intellectuels pour la paix, auquel participent notamment Eluard et Picasso, marque le coup d’envoi de la campagne de propagande antiaméricaine dans le monde. Les militants du PCF recueillent des milliers de signatures pour l’appel de Stockholm, lancé en mars 1950 par le Mouvement de la paix et qui exige la dissolution des pactes militaires, la réduction des budgets des armées, la suppression de la bombe atomique - que ne possède pas encore l’URSS. La guerre de Corée renforce la vague antiaméricaine. Le Prix Nobel Frédéric Joliot-Curie jure que les scientifiques progressistes ou communistes ne donneront pas « une parcelle de leur science pour faire la guerre à l’Union soviétique » : il est immédiatement révoqué de son poste de haut-commissaire à l’Énergie atomique. Les intellectuels communistes (groupés notamment autour de l’hebdomadaire les Lettres françaises : Claude Morgan, André Wurmser) sont en première ligne pour dénoncer tous ceux qui, à l’instar du dissident soviétique Kravchenko (J’ai choisi la liberté, 1946) ou de downloadModeText.vue.download 426 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 415 David Rousset, cherchent à alerter l’opinion sur le système concentrationnaire stalinien. Le PCF s’efforce aussi de créer autour de lui un courant de sympathie, entraînant dans son sillage les « compagnons de route », tels ceux de l’équipe des Temps modernes (Sartre, Beauvoir, Merleau-Ponty). Il organise de grandes manifestations contre la guerre d’Indochine, la présence de l’armée américaine sur le territoire français, le réarmement allemand dans le
cadre de l’OTAN, etc. Deux rassemblements marquent plus particulièrement la période. En mai 1952, les communistes protestent contre la venue du général Ridgway (« Ridgway-la-peste »), nommé à la tête du haut commandement allié pour l’Europe, et qui est accusé d’avoir utilisé l’arme bactériologique en Corée. Jacques Duclos, numéro deux du parti, est arrêté (« complot des pigeons »), de même qu’André Le Léap, secrétaire de la CGT. En juin 1953, toujours à l’appel du PCF, des milliers de personnes se réunissent à Paris pour exiger la grâce des époux Rosenberg, accusés par les Américains d’espionnage au profit de l’Union soviétique. Face à l’activisme communiste, la mobilisation dans le camp opposé est moins impressionnante. En septembre 1950, le député radical Jean-Paul David fonde Paix et Liberté, officine de propagande anticommuniste - secrètement financée par le gouvernement et soutenue par les gaullistes -, qui diffuse de nombreuses affiches et intervient par voie de presse ou sur les ondes. Plusieurs intellectuels français (Raymond Aron, David Rousset, Claude Mauriac, Thierry Maulnier) participent au Congrès pour la liberté de la culture, fondé en 1950 pour combattre l’hégémonie intellectuelle des communistes. Mais c’est surtout le RPF qui regroupe les énergies anticommunistes. • Une nouvelle donne. À la fin de la période, la question du réarmement allemand vient brouiller les cartes. Pour des raisons différentes, PCF et RPF condamnent fermement le plan Pleven, qui prévoit une Communauté européenne de défense (CED) intégrant des forces armées allemandes. Signé en mai 1952, il déclenche dans le pays un vif débat, qui aboutit à son rejet par le Parlement en août 1954. Néanmoins, par les accords de Londres et de Paris, la République fédérale d’Allemagne recouvre sa pleine souveraineté, et donc la possibilité de posséder une armée, intégrée dans l’OTAN (décembre 1954). L’évolution à l’Est - mort de Staline en mars 1953, volonté de Khrouchtchev de favoriser une « coexistence pacifique » entre les grands - modifie les conditions du débat idéologique. Si la France reste résolument atlantiste, les enjeux politiques se déplacent sur un terrain moins lié à la bipolarisation du globe : la décolonisation et ses conséquences. l GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE). Le conflit qui débute en 1914 ouvre l’ère des catastrophes pour la France, l’Europe et le
monde : il est dénommé « Grande Guerre » dès 1915, puis « Guerre mondiale », car, par l’appel aux Empires et par l’intervention de pays restés neutres dans un premier temps, il se transforme en un immense affrontement militaire et idéologique de plus de quatre ans. La guerre devient très vite totale, affectant tous les civils : au nord et à l’est de la France, ceux-ci subissent invasion, occupation, proximité des champs de bataille ; partout ailleurs, tous ou presque travaillent pour le front - nourriture et armements des combattants ; tous, enfin, ont un proche mobilisé pour qui et avec qui ils souffrent et espèrent en la victoire finale. Des 10 millions de Français ayant porté l’uniforme pendant ces quatre années, au moins 1,35 million sont morts, dans une guerre que, peut-être, ils croyaient être la « der des ders ». LA FRANCE INVENTE L’« UNION SACRÉE » • Surprises et illusions de l’été 1914. La brutalité du passage de la paix à la guerre, entre le 28 juillet - déclaration de guerre de l’Autriche à la Serbie - et le 1er août - mobilisation de la France - a fait croire que le pays, comme toute l’Europe, vivait dans la psychose du conflit. C’est un mythe : en réalité, juillet 1914 est un mois d’été ordinaire. Certes, la frange nationaliste exalte la guerre salvatrice, mais elle demeure minoritaire, même si, depuis 1905, la perception d’une menace allemande est sous-jacente à la montée des rivalités coloniales, cristallisées autour de la question marocaine. Les élections de 1914, marquées par une forte poussée socialiste, ont d’ailleurs montré que la République ne vivait pas dans un esprit nationaliste et guerrier, mais dans celui de la paix armée. La population est patriote, à la fois pacifique et prête à soutenir l’effort national à la veille de la guerre, que personne ne juge possible même plusieurs semaines après l’attentat de Sarajevo : les Français sont alors autrement passionnés par le procès de Mme Caillaux. Pourtant, les manifestations nationalistes sont prises au sérieux dans les autres pays : Russes et Français craignent la force des Allemands, qui eux-mêmes se croient agressés de toutes parts, isolés. Ce sentiment de menace a beaucoup compté dans l’organisation des deux alliances, la Triplice et la Triple-Entente. Cette dernière, qui réunit France, Grande-Bretagne et Russie, apparaît quelque peu surprenante, liant deux démocraties et une autocratie. Pourtant, par sa solidité, elle va, dans les premiers jours d’août, rendre la guerre possible.
Depuis 1911, les guerres et crises balkaniques ont mis en évidence la force du nationalisme serbe. Or derrière la Serbie se trouve la Russie, derrière l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne. Les nationalistes qui assassinent l’archiduc héritier d’Autriche à Sarajevo, le 28 juin 1914, ne se soucient guère des conséquences diplomatiques de leur acte. Pourtant, le jeu des alliances, le peu d’implication du Royaume-Uni dans la crise, dont l’Allemagne conclut qu’il n’interviendra pas dans un conflit continental limité, précipitent en quelques jours l’Europe entière dans le drame. Le piège de l’idée nationale s’est refermé sur les peuples d’Europe. Le président de la République Raymond Poincaré et le président du Conseil René Viviani de retour d’un voyage en Russie, redoutent avant tout de perdre leur grande alliée. Les Allemands et les Autrichiens ont pris le risque d’un conflit limité aux Balkans, qui se transforme en guerre européenne : entre le 28 juillet et le 4 août, tout est scellé. Les Français, surtout dans les campagnes, sont loin d’avoir accueilli la guerre avec enthousiasme, d’autant que cette France rurale en est à l’époque des moissons (« Voilà le glas de nos gars qui sonne »). On s’engage cependant avec la résolution du patriotisme défensif, légitimé par l’agression subie. Et, surtout, on a l’illusion que la guerre sera courte, que l’on étrillera vite les « Boches » (le mot, héritage des années 1880, réapparaît en août 1914), que l’on « sera revenu pour les vendanges ». Même les socialistes qui, dans les derniers jours de juillet, manifestaient contre la guerre, se rallient finalement à la politique de défense nationale. Jean Jaurès lui-même, assassiné le 31 juillet par un exalté, Raoul Villain, avait déclaré dès le 18 juillet : « Il n’y a aucune contradiction à faire l’effort maximum pour assurer la paix, et, si la guerre éclate malgré nous, à faire l’effort maximum pour assurer, dans l’horrible tourmente, l’indépendance et l’intégrité de la nation. » Les socialistes font passer leur patriotisme avant la lutte des classes ; aussi ne sera-t-il pas nécessaire de procéder aux arrestations d’antimilitaristes prévues par le carnet B. Le 4 août, le président Poincaré forge la formule clé de la guerre : l’« union sacrée », pensée à l’origine comme une simple « trêve des partis », indispensable pour remporter une victoire que l’on se promet très rapide.
• « La guerre imaginée était une guerre imaginaire » (Marc Ferro). Le plan de l’étatmajor, qui prévoit une guerre offensive, entretient l’illusion dans les premières semaines de la guerre. 3,6 millions d’hommes ont été mobilisés et acheminés en train avec une grande efficacité. Mais les militaires sont persuadés que, malgré les progrès techniques, dans l’artillerie en particulier, la cavalerie et l’énergie morale des hommes seront les armes les plus efficaces. L’uniforme au pantalon rouge et le manque de casques efficaces démontrent bien que l’armée entend alors se battre comme en 1870. Sur le front occidental, les Français entrent en Alsace allemande en application du « plan XVII », mais la prise de Mulhouse restera sans lendemain. En revanche, le plan allemand « Schlieffen » se révèle plus efficace : les Allemands, qui comptent vaincre la France en quelques semaines avant de se retourner contre les Russes, traversent la Belgique et le nord de la France : c’est la bataille des frontières. Les généraux cèdent à la panique et le gouvernement part pour Bordeaux le 4 septembre. Les Allemands sont à quelques dizaines de kilomètres de Paris quand la « miraculeuse » bataille de la Marne, due plus à une mauvaise manoeuvre allemande qu’au génie du général Joffre, stoppe leur avance. Chacun des deux camps essaie alors de rejoindre la Manche et la mer du Nord en une course à la mer, où la France tente d’occuper au maximum les côtes afin que l’allié britannique puisse continuer à débarquer hommes et matériel. Dès novembre 1914, les offensives de la guerre de mouvement sont arrêtées après des pertes humaines épouvantables. En décembre, 300 000 Français sont morts, au moins deux downloadModeText.vue.download 427 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 416 sur trois ayant été sacrifiés à la mystique d’offensives insensées. Les soldats ne sont pas rentrés victorieux à l’automne. Ils s’installent alors pour un premier hiver de boue, entre mer du Nord, Artois, Champagne et Lorraine. À L’AVANT DANS LES TRANCHÉES • L’enlisement dans la guerre de position. L’impossibilité de vaincre rapidement a bloqué les armées face à face en un double front, l’un à l’ouest, qui s’étend de la mer du Nord à la frontière suisse, l’autre à l’est, de la Baltique
aux Carpates. La guerre des tranchées met en évidence l’incapacité de chacun des deux camps à l’emporter militairement. À l’ouest, le front forme deux lignes sinueuses de sept cents kilomètres de long, où se croisent réseaux de tranchées et boyaux de communication. Les adversaires ne sont séparés que par quelques centaines de mètres recouverts de barbelés, le no man’s land. C’est à partir de ce système de protection que Français et Allemands organisent les offensives destinées à user l’adversaire, voire à percer enfin le front. • La mystique de l’offensive. En effet, les désastres de 1914 n’ont pas convaincu les états-majors de l’impossibilité d’offensives frontales, et les deux camps restent persuadés de pouvoir l’emporter par la guerre d’usure. Le front, devenu tranchée, ne correspond pas aux leçons apprises à Saint-Cyr : avancer, toujours avancer. Aussi, dès 1915, les FrancoBritanniques tentent de percer en Artois et en Champagne. Sans succès. L’année 1916 est celle de « l’enfer », à Verdun, lieu de la plus extraordinaire bataille de la guerre pour les Allemands et les Français. Malgré leurs 240 000 morts, les Allemands ne réussissent pas à « saigner à blanc » les forces françaises. Quant aux 260 000 morts français, ils témoignent de l’engagement de toute l’armée voulu par le général Pétain. La bataille de la Somme, engagée en juillet 1916 par les Britanniques, est, bien plus encore que Verdun, le lieu de l’hécatombe internationale sous les pilonnages de l’artillerie. À la fin de l’année, il est évident que la tactique de l’attaque frontale est un échec : on arrive parfois à percer le front de quelques kilomètres, mais jamais à se maintenir durablement sur les positions conquises. Pourtant, en 1917, une nouvelle offensive est lancée au Chemin des Dames, de nouveau au prix de la vie de dizaines de milliers d’hommes. • Souffrir en enfer : les soldats. Les soldats, pour l’essentiel des civils ayant revêtu l’uniforme de la patrie, font l’apprentissage de la brutalité du combat et de la puissance des bombardements d’artillerie, dont ils sont très mal protégés. Lors des attaques, les mitrailleuses font des ravages, ainsi que les gaz asphyxiants utilisés à partir de 1915. Si l’emploi des gaz représente un seuil technologique et psychologique très important, ceux-ci tuent nettement moins que l’artillerie, responsable des blessures épouvantables, des corps déchiquetés de soldats définitivement inconnus. L’expérience de la guerre est très difficilement communicable à ceux qui ne l’ont pas vécue. Les hommes - affectueusement
nommés « poilus », car ils ne peuvent plus se raser - vivent alternativement dans la boue et dans la poussière, parmi les rats, rongés par les poux. Ils sont soumis au bruit épouvantable des canons, aux odeurs de putréfaction, à la souffrance des blessures, sans compter l’expérience de la mort des camarades, la peur de la sienne toute proche ou du camp de prisonniers. Malgré certains progrès médicaux, les blessés - environ un tiers des mobilisés -, resteront invalides, physiquement ou psychologiquement. Les offensives, la puissance de l’artillerie, l’emploi des gaz, imposent une brutalité sans précédent. Des prisonniers civils ou militaires sont placés comme boucliers humains à portée des tirs de leurs concitoyens. Le grand nombre de soldats dont on n’a jamais retrouvé les corps témoigne de l’ampleur dramatique de cette guerre moderne. Où les soldats ont-ils trouvé la force de tenir ? Dans un patriotisme inséparable d’une très forte hostilité, voire d’une haine à l’égard de l’adversaire, le « Boche ». On défend le sol de sa patrie, sa civilisation, sa famille. On tient malgré le cafard dans la fraternité du groupe avec lequel on se bat ; on vit, on meurt, avec un sens du devoir patriotique qui semble si exceptionnel aujourd’hui qu’on ne parvient plus à le comprendre. Les loisirs tentent cependant de rappeler que l’on est de vrais êtres humains : journaux de tranchées, matches de football, cinéma, théâtre, création d’objets et, surtout, écriture de millions de lettres destinées à l’arrière, aux siens pour qui et avec qui on se bat. Loin du mythe entretenu après la guerre de la coupure entre le front et l’arrière, les correspondances permettent de saisir combien les « poilus » continuaient à vivre par procuration avec les leurs - les agriculteurs, en particulier, s’intéressant aux récoltes, les pères aux résultats scolaires de leurs enfants -, combien les familles suivaient dans l’angoisse le destin des parents blessés, prisonniers, tués... Les organisations humanitaires, tels le comité international de la Croix-Rouge ou les différentes Églises, essaient de venir en aide à toutes les détresses. Mais comment faire respecter un minimum d’humanité dans un monde décidé à « se suicider », selon la formule du pape Benoît XV ? À L’ARRIÈRE, LES CIVILS DE L’« AUTRE FRONT » Le front, c’est aussi tous ceux qui, à l’arrière,
font face à l’épreuve : d’où l’expression anglaise de home front, qui traduit mieux la réalité que « l’arrière ». On parle aussi de « fronts invisibles », fronts du ravitaillement, des soins, de la douleur. Soldats et civils se ressemblent par les efforts consentis et les souffrances subies, par les drames vécus et les espoirs perdus. Ils sont liés par la culture de guerre : vivre en guerre, pour la guerre, parfois contre la guerre. Nul n’échappe au processus de « totalisation culturelle » du conflit, car il participe de l’immense lutte pour la civilisation des Français, celle de la victoire pour et par le droit. Le messianisme national, qui s’exprime à travers les héros d’une histoire de France qui va de Vercingétorix à Bara en passant par Jeanne d’Arc, offre alors des ressources inépuisables et connaît sans doute son chant du cygne. • Fournir le front, payer la guerre. Le gouvernement doit fournir le front en armes et ravitailler soldats et populations civiles. Pour la première fois, l’État dirige une partie de l’économie ; le socialiste Albert Thomas, ministre responsable de l’Armement, met en place une « économie organisée », appliquant une sorte de réformisme socialiste qui combine capitalisme privé, impulsion de l’État et prise en compte de la voix ouvrière par des comités de conciliation. Cette « Union sacrée » économique fonctionne plutôt bien jusqu’en 1917. Le dirigisme de l’État, qui contrôle un complexe militaro-industriel, découle des besoins extraordinaires en armes et munitions : dès 1915, 100 000 obus sont fabriqués chaque jour, ainsi que les canons, les mitrailleuses lourdes, les millions de kilomètres de fils de fer barbelé nécessaires, auxquels s’ajouteront bientôt les nouvelles armes, gaz, avions, chars d’assaut. Pour organiser cette production, il faut non seulement s’assurer des matières premières mais encore mobiliser la main-d’oeuvre. Alors que la plupart des hommes en âge de travailler sont au front, il faut les remplacer à l’usine et aux champs, où les réquisitions de chevaux et le manque d’engrais rendent les travaux plus pénibles. Les femmes, auxquelles étaient dévolues les tâches secondaires, vont massivement remplacer les hommes, surtout dans les usines d’armement, où on les appelle les « munitionnettes ». Mais, comme les effectifs restent insuffisants, les enfants et les personnes âgées, les prisonniers, les travailleurs coloniaux et 500 000 ouvriers qualifiés rappelés du front vont directement participer à l’effort de guerre. Le coût de celle-ci a également transformé les finances nationales. L’État multiplie les emprunts à l’intérieur et à l’extérieur, en
particulier aux États-Unis, et émet chaque année un « emprunt de la défense nationale ». Les émissions de papier-monnaie ne sont plus convertibles en or, l’établissement de ce « cours forcé » provoquant fatalement l’augmentation des prix et la dépréciation monétaire : c’est la naissance de l’inflation. Plus la guerre s’éternise, plus les populations, surtout celles des villes, souffrent des réquisitions et des rationnements. Si les ouvriers ont bénéficié d’augmentations de salaires, celles-ci sont vite rognées par l’inflation. Hommes, femmes, enfants, travaillent jusqu’à 70 heures par semaine. • Une culture de guerre. À l’arrière aussi, les habits de deuil deviennent omniprésents. Dans ce pays de tradition chrétienne, on cherche une consolation dans l’espoir de la résurrection. Les catholiques multiplient les dévotions auprès des saints protecteurs et de la Vierge, qui a donné l’exemple de la souffrance extrême. Imitation du Christ, imitation de la Vierge, imitation de la patrie : la foi en sa patrie, en la victoire de sa patrie, se mêle à des ferveurs diverses. Le sens du sacrifice pour la cause unit républicains libres-penseurs, catholiques, protestants, juifs. Pendant toute la guerre, la société française a été largement traversée d’espérances de type religieux, mystique même : « Dieu est de notre côté. » Croire en Dieu est bien souvent indissociable de croire en sa patrie. Si ce rapprochement ne signifie pas que tous les contemporains aient été croyants, et moins encore pratiquants, il est évident que les valeurs - le bien et le mal - et le vocabulaire de la spiritualité - mystique du combat, downloadModeText.vue.download 428 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 417 union « sacrée » - nourrissent les représentations d’hommes et de femmes persuadés qu’ils participent à une véritable croisade. La mobilisation des esprits passe par une propagande complexe, parfois dénoncée comme un « bourrage de crâne », selon l’expression qu’emploient les soldats, quand elle nie les réalités meurtrières du front. La censure, la surveillance des correspondances, permettent surtout d’évaluer l’état des opinions publiques : très tôt, la mort des combattants et les récits des permissionnaires font connaître à l’arrière la réalité. La propagande officielle s’appuie sur le patriotisme
profond des populations. Elle s’exprime par les affiches, les livres, les journaux, ainsi que par l’école. Élevés au rang de héros, les chefs militaires font l’objet d’un véritable culte. Une énorme production commerciale de guerre utilise le conflit comme publicité permanente. Le fait que ces objets soient achetés massivement prouve que l’ensemble de la société adhère aux enjeux du conflit. Écrivains et artistes mêlent recherches d’avant-garde (Apollinaire) et engagement patriotique. Henri Barbusse, immensément populaire pendant la guerre grâce au Feu (1916), sait probablement le mieux lier patriotisme, évocation des souffrances des soldats et espoir de la paix retrouvée. De nombreux aspects de vie « normale » subsistent néanmoins, qui permettent de parler de « banalisation de la guerre ». LA FRANCE ENTRE GUERRE MONDIALE ET GUERRE TOTALE • Les territoires envahis et occupés. Lors des offensives de 1914, des centaines de milliers de civils, du Nord et de l’Est, ont fui devant les armées. Le souvenir de cet exode et de la vie de réfugiés pèsera lourd dans l’imaginaire collectif en 1940. Les atrocités commises partout lors de l’invasion, en particulier les viols, les massacres d’otages, les destructions de villages, le pillage, ont été longtemps perçues comme des exagérations, voire des inventions. Réelles ou supposées (le mythe des « mains coupées »), elles ont forgé une haine anti-allemande qui ne se démentira pas pendant l’essentiel du conflit. Les habitants de dix départements français vivent dès 1914 sous le régime de l’occupation allemande. Malgré le paiement d’indemnités de guerre colossales, les produits industriels et agricoles sont réquisitionnés. Les usines ne tournent plus que pour l’Allemagne ; les jeunes gens et les vieillards, les « brassards rouges », sont contraints au travail forcé. Dans les villes, on souffre de la faim, du froid, du manque de nouvelles du front. Les quelques tentatives de résistance sont déjouées, leurs auteurs, fusillés ou déportés. L’image du soldat allemand varie cependant selon les zones d’occupation. Dans certaines régions rurales, la haine fait place à une cohabitation plus aisée : on oublie le peuple ennemi et corrupteur pour ne voir que l’individu qui subit lui aussi la souffrance. Même une occupation militaire peut se banaliser.
• Des Français se battent hors de France. En 1915, les Alliés, bloqués à l’ouest, essaient de porter la guerre sur le flanc des puissances centrales. L’Italie, très hésitante, abandonne la Triplice pour s’allier à l’Entente. La grande puissance navale qu’est l’Angleterre convainc la France qu’il faut s’emparer des détroits tenus par les Ottomans pour aider les Russes par le sud. Ainsi est engagée la campagne des Dardanelles, qui se solde par un désastre sanglant. Les poilus d’Orient découvrent, avant Salonique et l’Italie du Nord, que partout la guerre mondiale tue. Les cimetières laissent la trace des efforts de la République. • L’importance de l’Empire français. L’Empire fournit tout au long du conflit des effectifs très nombreux : 600 000 combattants et au moins 200 000 travailleurs civils. Les tirailleurs nord-africains et sénégalais participent aux mêmes combats et subissent le même pourcentage de pertes que les forces de métropole. L’apport économique n’est pas négligeable, au moment où l’on commence à instaurer des restrictions en France continentale ; quant au renfort en main-d’oeuvre, à l’arrière et au front pour les tâches du génie, il constitue un avantage très important face aux Allemands, de plus en plus asphyxiés par le blocus économique et l’absence de bases coloniales. Les Français découvrent exotisme, paternalisme et racisme ; les Africains sont désormais considérés comme de grands enfants plus que comme des barbares. Les peuples colonisés prennent aussi conscience de leurs différences et sauront les affirmer par la suite : parmi les indigènes venus au secours de la « mère patrie » - non sans que certaines révoltes ne montrent les limites de la conscription forcée -, d’aucuns exigeront une reconnaissance de citoyens. DES DOUTES DE 1917 À LA VICTOIRE DE 1918 • Lassitude et refus : démobilisation dans la mobilisation. Paradoxalement, l’idée que la guerre serait courte et la victoire à portée de semaines s’est maintenue pendant l’essentiel des années 1915 et 1916. Même au printemps 1917, les soldats français demeurent persuadés que l’offensive victorieuse est enfin proche. Mais la guerre d’usure et les attaques meurtrières entraînent des refus d’obéissance et des désertions qui, en 1917, se transforment en véritables mutineries, après l’échec du général Nivelle au Chemin des Dames. Pour comprendre ces mouvements, il faut
retourner la question la plus banale et se demander non pas pourquoi les soldats se sont mutinés, mais pourquoi ils ne furent pas plus nombreux à le faire. Ce sont les conditions terribles de vie et de mort qui sont à l’origine des révoltes, et non la propagande révolutionnaire : des soldats-citoyens acceptaient de mourir pour la juste cause de leur patrie, et la grande majorité d’entre eux ne pouvaient concevoir d’abandonner cette « guerre contre toutes les guerres ». Ils ne remettaient donc pas en cause la légitimité du conflit mais sa conduite et « les plans imbéciles de l’état-major ». Le général Pétain comprend la situation, améliore le système des permissions et l’ordinaire des soldats. 3247 soldats français sont finalement jugés par les tribunaux militaires, 554 condamnés à mort, 49 exécutés, sur 30 à 40 000 mutins. Au même moment, 400 combattants meurent chaque jour, en moyenne, sur « l’autel de la patrie ». À l’arrière, la montée du pacifisme et les grèves ouvrières témoignent de la lassitude des populations, manifeste dès 1916, plus forte en 1917. On a désormais l’impression que la guerre ne finira jamais : « Il faudra bien pourtant s’arrêter un jour, même sans victoire et sans défaite, faute de temps, faute d’argent, faute de vivres, faute de quelque chose. Il y a eu des guerres de Sept Ans, de Trente ans, de Cent ans, mais pas de guerre de toujours » (lettre recopiée par le contrôle postal en 1917). La très forte augmentation des prix, bien supérieure à celle des salaires, les longues heures de travail, les rationnements, usent ouvrières et ouvriers, qui savent bien que les bénéfices industriels sont énormes. Même s’ils n’ont pas accès, du fait de la censure, aux manifestes pacifistes et révolutionnaires des socialistes opposés à l’« union sacrée », qui se sont réunis deux fois en Suisse (Zimmerwald, septembre 1915 ; Kienthal, avril 1916), ils organisent la protestation. Une première vague de grèves a lieu en janvier et au printemps 1917, puis de nouveau en mai 1918. Ces dernières grèves sont plus politiques, plus dures que les précédentes. Mais les ouvriers métallurgistes des usines de guerre, isolés dans une France désormais gouvernée par Georges Clemenceau, ne peuvent faire aboutir leurs revendications plus révolutionnaires. Depuis 1915, une véritable vie parlementaire avait repris, et le gouvernement avait pu conduire le pays en guerre, non sans tensions avec les autorités militaires. Or, en 1917, quatre ministères se succèdent après plus de trois ans de quasi-stabilité, fait signicatif de l’ampleur de la crise : l’Union sacrée
politique est rompue ; socialistes, à gauche, et catholiques, se jugeant victimes d’un anticléricalisme tenace (Denys Cochin), quittent le gouvernement. • La résolution : remobilisation morale. À partir de novembre 1917, Georges Clemenceau dirige le pays de main de maître : « En politique intérieure, je fais la guerre ; en politique extérieure, je fais la guerre, je fais toujours la guerre », dira-t-il en mars 1918. C’est pourtant bien une Union sacrée préservée, et même ranimée, qui permet au pays de l’emporter en 1918. Mais comment des hommes et des femmes épuisés se sont-ils remobilisés pour affronter l’année 1918 ? Leur consentement à la guerre était certainement plus fort que le désespoir qu’elle engendrait : certaines grèves dans les usines d’armement, par exemple, s’arrêtaient quand il risquait d’y avoir rupture de stock au front. Le pacifisme, pendant la guerre, ne pouvait accepter le défaitisme et, si certains chefs révolutionnaires avaient pensé organiser des grèves « jusqu’à la paix », ils ne furent pas suivis par la masse des ouvriers. Il faut ajouter que le retournement de la situation militaire à la fin du printemps 1918 y fut pour beaucoup. • Le retour à la guerre de mouvement. Au printemps 1918, l’état-major allemand sait bien que son ultime espoir de gagner la guerre est de l’emporter sur le front occidental avant l’arrivée des Américains. En effet, l’étendue des territoires occupés après le traité de BrestLitovsk avec la Russie bolchévique l’empêche de replier autant de troupes qu’il l’avait espéré downloadModeText.vue.download 429 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 418 pour renforcer le front occidental. En mars 1918, le général Ludendorff réussit à percer le front en Picardie, en Artois, puis en Champagne. Jamais les Allemands n’ont été aussi proches de la victoire. Ils menacent dangereusement Paris, dont ils affolent la population en la bombardant avec des canons à longue portée. Foch est nommé généralissime des armées alliées pour coordonner les contreoffensives. Des armes nouvelles, surtout l’aviation et les chars d’assaut (tanks), viennent donner une impulsion nouvelle à la guerre de mouvement. Or les industries anglaise et française (Renault) sont pionnières dans ce domaine. Pétain disait en 1917 : « J’attends les chars et les Américains. » En 1918, c’est bien
ainsi que les Allemands vont échouer, sans renforts techniques suffisants et sans alliés nouveaux pour combler leurs pertes. La formidable mobilisation technique et humaine des États-Unis va donner la victoire au camp de l’Entente, déjà plus fort des ressources des colonies et des dominions. C’est en 1916, et peut-être en 1917, lors de leur offensive sousmarine à outrance destinée à forcer le blocus dont ils étaient les victimes, que les Allemands auraient pu gagner la guerre. Mais c’est probablement parce que les Franco-Britanniques n’ont pas été battus en 1916, malgré ou grâce aux millions de morts de Verdun et de la Somme, qu’ils ont pu l’emporter en 1918. • La paix, après cinquante et un mois de guerre. À l’été 1918, les populations et les économies des puissances centrales, usées par le blocus, ne peuvent plus soutenir leurs armées de plus en plus exsangues : les troupes allemandes qui ont percé le front britannique en Picardie s’arrêtent tout simplement pour se nourrir sur les stocks ennemis. Sur les fronts périphériques et à l’est, les forces de l’Entente battent les Ottomans, les Bulgares et les Autrichiens. Sur le front occidental, les Alliés reprennent l’offensive en juillet. Très lentement, ils forcent les Allemands à reculer. Ludendorff informe le Kaiser de la nécessité d’un armistice dès septembre, car il craint l’effondrement de l’armée allemande et une révolution. C’est probablement parce qu’ils n’ont pas pris la mesure de l’état de désagrégation de l’armée allemande que les Alliés acceptent l’armistice. Guillaume II abdique ; l’armistice est signé le 11 novembre en forêt de Compiègne. Une liesse extraordinaire saisit alors la population française. Si l’Allemagne est vaincue, elle n’est pas occupée et son potentiel économique reste intact. Face à elle, la France est exsangue ; elle va enterrer ses morts, commémorer leur héroïsme par des monuments aux morts érigés dans tout le pays et tenter de « faire payer l’Allemagne ». Persuadés qu’une telle catastrophe ne doit plus jamais se produire, les Français sont devenus des pacifistes résolus. Mais, en exigeant lors du traité de Versailles des clauses territoriales, économiques et morales beaucoup trop dures pour leur ennemie, ils participent au mécanisme de déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. La Grande Guerre, ou guerre de 1914-1918, pourra bientôt s’appeler la Première Guerre mondiale. Guerre mondiale (Seconde) ! Collaboration, défaite de 1940, déportation, épuration, Libération,
Occupation, Résistance, Vichy (régime de) guerres privées, expression désignant, au Moyen Âge, toute guerre menée en dehors de l’autorité publique supérieure (empereur, roi, duc...). Particulièrement développée quand le pouvoir central est le plus faible (Xe-XIIe siècles), la pratique de la guerre privée perdure jusqu’au XVe ou XVIe siècle, selon les régions. Les motivations des parties relèvent tant de l’économique et du politique (pouvoir sur un territoire, relations féodo-vassaliques, propriétés, héritages, mariages...) que du comportement d’honneur (meurtre, vengeance...). Certains historiens (tel Stephen White) interprètent aussi les guerres privées entre seigneurs comme un mode de domination exercé sur les paysans : elles permettent de les terroriser par des chevauchées et des razzias, sans qu’il soit jamais question, dans le règlement des conflits, des dommages qui leur sont causés. Chaque camp fait appel à sa parenté et à ses alliés pour mener la guerre, la solidarité du groupe se substituant à l’autorité publique. Mais la guerre privée peut aussi traverser l’espace familial (conflit entre Enguerrand I de Coucy et son fils Thomas de Marle). Les villes flamandes connaissent également la violence civique entre groupes familiaux, violence exacerbée par les rivalités économiques. La coutume a codifié la guerre privée. Vengeance légale, elle demeure généralement réservée à la noblesse et à ceux qui la servent. Pour autant, on constate que la vendetta existe bien chez les non-nobles, entre citadins, ou entre deux villes. Le droit de guerre comporte des règles à respecter : défi préalable, respect des trêves, procédures de pacification. Faute d’arriver à bannir la guerre privée - la coutume était solidement ancrée, et les nobles y tenaient comme à un signe de leur statut social et de leur liberté -, les pouvoirs ont tenté de l’encadrer. Du règne de Saint Louis à la fin du Moyen Âge, plusieurs ordonnances royales essaient d’en limiter la pratique et l’interdisent systématiquement pendant les guerres « publiques » menées par le roi. Outre les ordonnances ponctuelles, plusieurs moyens juridiques sont employés aux mêmes fins. Ainsi, dans le Hainaut, aux XIIIe et XIVe siècles, le comte impose le fourjurement obligatoire : les parents d’un assassin renoncent par serment à toute relation avec lui et le rejettent ainsi hors de la famille. Ils échappent dès lors à la guerre
privée, la solidarité du groupe est rompue, et le conflit, circonscrit. La guerre privée ne doit pas être lue comme un symptôme d’anarchie, mais plutôt comme un mode d’autorégulation des relations sociales où s’entremêlent guerres, répits et réconciliations ritualisées. Guesclin (Bertrand du), connétable de France pendant la guerre de Cent Ans (château de la Motte-Broons, Côtes-d’Armor, vers 1320 - Châteauneuf-de-Randon, Lozère, 1380). Issu d’une famille bretonne de moyenne noblesse peu fortunée, du Guesclin connaît une ascension remarquable en choisissant le métier des armes. Il s’engage d’abord dans la guerre de la Succession de Bretagne auprès des Penthièvre, Charles de Blois étant son seigneur naturel. Remarqué par le roi de France au siège de Rennes, en 1357, il entre à son service et devient capitaine de Pontorson et du MontSaint-Michel, chargé de reprendre certaines places tombées aux mains de troupes anglonavarraises, qu’il arrive à vaincre en 1364, lors de la bataille de Cocherel. Il participe cette même année à la bataille d’Auray, véritable désastre pour la cause des Penthièvre, où Charles de Blois est tué. Charles V charge ensuite du Guesclin de débarrasser la France de la menace des Grandes Compagnies - composées de soldats professionnels qui deviennent de véritables pillards en temps de paix - en les emmenant en Espagne pour aider Henri de Trastamare à conquérir le trône de Castille. Cette expédition, conduite en 1365, est tout d’abord un succès, mais l’ancien roi, Pierre le Cruel, aidé par les troupes anglaises du Prince Noir, reprend sa couronne en 1367 et bat du Guesclin à Najera. Ce dernier assure finalement la victoire à Henri de Trastamare, qui devient roi de Castille en 1369. Rappelé en France par Charles V, il est nommé connétable le 2 octobre 1370. Du Guesclin commence alors la reconquête du royaume sur les Anglais, reprenant les uns après les autres les châteaux et les villes perdus : en 1372, son efficacité et sa mobilité permettent la reconquête du Maine, de l’Anjou, du Poitou et de l’Angoumois. Puis il s’attaque à l’Aquitaine anglaise, dont il ne reste plus, en 1374, que les environs de Bordeaux et un morceau des Landes. La crise bretonne en 1378 le place dans une situation
difficile, puisqu’il se trouve alors partagé entre sa loyauté envers le roi, qui veut confisquer le duché, et sa fidélité à son pays d’origine, dont toute la noblesse soutient Jean de Montfort. Enfin, au printemps 1380, il est nommé capitaine général en Languedoc, où il doit lutter contre les Compagnies qui dévastent la région. Tombé malade lors du siège de Châteauneuf-de-Randon, il meurt le 13 juillet 1380. À la demande du roi, il est inhumé dans la nécropole royale de Saint-Denis, ce qui constitue un honneur exceptionnel. Dès sa mort, du Guesclin devient un héros « national » et populaire. Ce petit homme râblé, resté toute sa vie fidèle au roi de France, est bientôt considéré comme le principal artisan de la reconquête. Il n’a peut-être pas été un grand stratège, mais il a réussi à s’imposer à la tête des Compagnies, et ses conquêtes témoignent de son efficacité. Guesde (Jules Basile, dit Jules), homme politique, l’une des principales figures du mouvement ouvrier français (Paris 1845 - Saint-Mandé 1922). Issu de la petite bourgeoisie (son père fonde une modeste école secondaire), il réussit son baccalauréat et entre comme employé au bureau de la presse de la préfecture de la Seine. Hostile au Second Empire dès sa jeunesse, il downloadModeText.vue.download 430 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 419 devient rapidement républicain. À partir de 1867, il collabore à de nombreuses publications et adopte pour pseudonyme « Guesde », le nom de jeune fille de sa mère. En 1870, il est l’un des fondateurs du journal les Droits de l’homme, et doit purger une peine de six mois de prison pour avoir qualifié la guerre contre la Prusse de « guerre dynastique ». Libéré après Sedan, et bien qu’il ne soit pas encore socialiste, il est de nouveau condamné - cinq ans de prison et une lourde amende - pour le soutien qu’il a apporté aux « communeux ». Étant parvenu à s’échapper et à se réfugier en Suisse, il y côtoie les milieux anarchistes proches de Bakounine, et lit les textes de Proudhon. À son retour en France en 1876, il se prétend collectiviste, mais connaît encore très mal l’oeuvre de Marx. Il n’en fréquente pas moins, à Paris, le café Soufflet, où se réunissent les premiers adeptes français des doc-
trines marxistes. Il fonde avec eux l’hebdomadaire l’Égalité. Il se fait alors le vulgarisateur des idées de l’auteur du Capital, notamment en rédigeant, en prison, pendant l’hiver 18781879, des brochures inspirées du théoricien allemand : Essai de catéchisme socialiste et Collectivisme et révolution. C’est comme organisateur et homme d’action que s’illustre surtout le remarquable orateur qu’est Jules Guesde. En 1882, se séparant des partisans de Paul Brousse (« broussistes » ou « possibilistes »), il crée son propre parti, le Parti ouvrier, qui prend le nom de « Parti ouvrier français » (POF) en 1893, et appelle, dans les colonnes de l’hebdomadaire le Socialiste, à la révolution par la conquête du pouvoir politique. Dans l’attente de cette révolution de plus en plus improbable, les « guesdistes » s’implantent peu à peu électoralement, surtout dans le nord de la France, où résident environ la moitié des adhérents du POF. En 1893, Guesde est élu député à Roubaix, mais il est battu en 1898 et en 1902. Pendant l’affaire Dreyfus, il se démarque de Jaurès et de plusieurs dirigeants socialistes en refusant de s’engager. Même s’il salue J’accuse de Zola comme « le plus grand acte révolutionnaire du siècle », il affirme, contre son ami Paul Lafargue, que l’Affaire ne concerne que la bourgeoisie. Contrairement à Jaurès, il condamne la participation du socialiste Millerand au gouvernement Waldeck-Rousseau. Ses thèses l’emportent lors de la création de la SFIO en 1905, mais l’ascendant que prend Jaurès - son principal opposant - au sein du parti réduit sensiblement son importance politique. Après la déclaration de guerre, Guesde se rallie à l’Union sacrée ; ce socialiste révolutionnaire devient ministre d’État sans portefeuille, d’août 1914 à décembre 1916, car il considère que la grève générale risquerait de livrer la France aux pays les plus réactionnaires. En 1920, lors du congrès de Tours, il reste fidèle à la « vieille maison » défendue par Léon Blum, refusant, malgré son marxisme intransigeant, la prééminence des bolcheviks depuis un pays où les conditions de passage au socialisme ne lui semblent pas réunies. Son chef disparu, le guesdisme demeure une référence, au fil des décennies suivantes, à l’intérieur du mouvement socialiste. Guibert de Nogent, abbé bénédictin (Clermont, Oise, vers 1053-vers 1124). Benjamin d’une famille de petite noblesse picarde, Guibert est voué dès sa naissance à la vie religieuse. En 1066, il entre à l’abbaye de Saint-Germer-de-Fly (Oise), où il acquiert une
éducation de qualité, bénéficiant des conseils d’Anselme du Bec (ou de Canterbury), l’un des plus grands théologiens du temps. Ce n’est qu’en 1104, à plus de 50 ans, qu’il quitte Saint-Germer pour devenir abbé de Nogentsous-Coucy. Durant les loisirs que lui laisse la direction d’à peine dix moines, il parfait une oeuvre abondante mais guère originale, faite de sermons et de commentaires bibliques, et d’une histoire de la première croisade. Le De pignoribus sanctorum, rédigé contre les prétentions d’un monastère de Soissons à détenir une dent du Christ, critique ainsi, au nom d’un idéal de piété intérieure, les abus auxquels donne lieu le culte des reliques. Mais, si cet abbé ordinaire est passé à la postérité, c’est grâce à son autobiographie, la première de l’Occident chrétien depuis les Confessions de saint Augustin. Dans De vita sua, qu’il a conçu comme une ample confession indispensable à son salut, Guibert de Nogent se montre très attentif aux événements de son temps, notamment aux violents affrontements qui ont entouré la naissance de la commune dans la ville voisine de Laon en 1112. Moraliste conservateur, il désapprouve les changements profonds que connaît, avec le développement des échanges, la société du nord de la France en ce début du XIIe siècle. Enfin, Guibert est obsédé par la tentation de la chair, passionnément attaché à une mère possessive et dévote qui a failli mourir à sa naissance, a été veuve peu après et l’a élevé à l’écart des autres enfants pour se retirer dans un ermitage alors qu’il n’avait que 12 ans. À ce titre, l’autobiographie de ce moine qui n’a presque pas quitté sa région est un témoignage de premier plan concernant les mentalités de la France « féodale », abondamment utilisé par les historiens pour étudier les croyances - relatives aux fées aussi bien qu’aux reliques -, les stratégies matrimoniales ou même les rêves. Guillaume Ier le Bâtard, dit le Conquérant, duc de Normandie, sous le nom de Guillaume II, de 1035 à 1087, et roi d’Angleterre de 1066 à 1087 (Falaise, vers 1027 Rouen 1087). Fils de Robert le Magnifique et de la concubine de ce dernier, Herleue, Guillaume devient duc à 8 ans. Profitant de son âge et arguant de sa bâtardise, les barons de BasseNormandie se soulèvent contre lui. Ce n’est qu’en 1047 que Guillaume parvient à rétablir son autorité, à la bataille du Val-ès-Dunes (près de Caen), grâce à l’appui du roi des Francs Henri Ier (1031/1060). Il entreprend tout d’abord de raffermir le pouvoir ducal :
il met au pas la noblesse normande, s’appuie sur ses proches et sur des familles d’origine bretonne, flamande ou française, et renforce ainsi son contrôle sur les forteresses et sur les charges comtales et vicomtales. Guillaume poursuit ensuite une politique d’expansion en combattant les ducs d’Anjou, en intégrant la seigneurie de Bellême au duché (1052) et en prenant le contrôle du Maine. En outre, en 1053, il s’allie au comte de Flandre Baudouin V en épousant sa fille, Mathilde. Cet essor lui vaut l’hostilité du roi Henri, dont il bat l’armée à deux reprises, en 1054 et 1057. Enfin, Guillaume assure le renouveau du monachisme en Normandie en soutenant les monastères de Fécamp ou du Bec-Hellouin, et en fondant, avec son épouse, les abbayes de la Trinité (1059) et de Saint-Étienne (1064) de Caen. La conquête de l’Angleterre fait de lui le prince le plus puissant d’Occident. En 1066, en effet, le roi d’Angleterre Édouard le Confesseur meurt, qui a désigné Guillaume comme son héritier. Ce dernier entreprend la conquête du royaume que lui a ravi le noble saxon Harold. Soutenu par Philippe Ier, roi des Francs de 1060 à 1108, et par le pape, il mobilise les nobles normands, ainsi que de nombreux chevaliers bretons, flamands et français, et rassemble une grande flotte de type viking, comme le montre la tapisserie de Bayeux. À la suite de sa victoire à Hastings, le 14 octobre 1066, Guillaume est couronné roi d’Angleterre à Westminster le jour de Noël. C’est surtout la reine Mathilde qui gouverne dès lors la Normandie. Outre-Manche, après une difficile victoire sur la grande révolte anglo-saxonne de 1068-1072, Guillaume entreprend une vaste politique de « normandisation » du pays : il fait construire de nombreuses forteresses, confie toutes les hautes fonctions laïques et ecclésiastiques à des Normands, redistribue l’ensemble des terres à l’aristocratie et aux monastères continentaux, et, enfin, instaure un régime féodal rigoureux qui renforce la puissance royale. Fort de l’appui du pape, Guillaume réforme aussi l’Église d’Angleterre avec l’aide de brillants clercs d’origine italienne formés à l’abbaye du Bec-Hellouin, tels Lanfranc (vers 1005-1089) et Anselme (1033-1109). Même si, à sa mort, la Normandie et l’Angleterre sont de nouveau séparées (et cela jusqu’en 1105), la conquête et la politique de Guillaume ont donné naissance aux liens politiques, sociaux et religieux qui assurent l’unité du monde anglo-normand jusqu’au XIIIe siècle, voire au-delà.
Guillaume Ier le Pieux, comte d’Auvergne et duc d’Aquitaine à partir de 886 ( ? - Saint-Julien de Brioude 918). Guillaume est le fils unique de Bernard Plantevelue, le fondateur de la maison d’Auvergne, qui fut le personnage le plus puissant au sud de la Loire dans les années 870-880. Ce dernier réussit en effet à regrouper l’essentiel des territoires de l’Aquitaine en mettant à profit sa fidélité au roi. Toutefois, ne pouvant conserver la totalité de son héritage, Guillaume, conscient de sa supériorité sur l’ensemble des grands d’Aquitaine, prend le titre de « duc des Aquitains » (886), même s’il ne contrôle plus que l’Auvergne, le Limousin, le Berry, auxquels il faut adjoindre le Mâconnais et le Lyonnais. Il est probable que la rupture dynastique de 888 (quand, à la mort du Carolingien Charles III le Gros, les grands de la France du Nord désignent comme roi Eudes, comte de Paris) favorise la consolidation du pouvoir de Guillaume, qui ne se prive pas d’accaparer les biens fiscaux et qui fait pression sur les downloadModeText.vue.download 431 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 420 vassaux royaux, tel Géraud d’Aurillac, pour qu’ils entrent dans sa fidélité. Guillaume acquiert une réputation de piété grâce à ses nombreuses fondations monastiques : Aurillac en 899, Déols en 917 et, surtout, Cluny en 909 ; ces fondations, situées aux marges de ses territoires, ont pour fonction de servir de relais à son pouvoir, et lui permettent aussi de se mettre sur un pied d’égalité avec le roi. L’observance de la règle bénédictine établie à Cluny n’empêche pas Guillaume de rester abbé laïc de Saint-Julien de Brioude, où il est enterré le 6 juillet 918. Guillaume IV Fierabras ou Bras de Fer, deuxième comte de Poitou et duc d’Aquitaine de 963 à 990 (vers 935 - vers 994). Il succède à son père Guillaume III Tête d’Étoupe, qui abdique en 963. Son règne est marqué par les nombreux conflits qui l’opposent aux seigneurs voisins, au premier rang desquels le comte d’Anjou, Geoffroi Grisegonelle, qui lui dispute la place de Loudun. Ses efforts pour doter son duché d’une puissance comparable à celle de l’ancien royaume d’Aquitaine le conduisent à entrer en lutte contre Hugues Capet, dont il refuse, dans un premier temps, de reconnaître la légitimité
royale, allant jusqu’à recueillir les enfants de l’ultime prétendant carolingien, Charles de Lorraine. Cependant, il doit finalement se soumettre au roi, confronté à la menace imminente d’un siège de sa capitale, Poitiers. Avant d’abdiquer, en 990, pour se retirer, comme l’avait fait son père, au monastère de Saint-Maixent, Guillaume Fierabras parvient à transmettre à son fils, Guillaume V, un pouvoir solidement assis, tant du point de vue territorial qu’idéologique. De son règne, plutôt mal connu, semblent en effet dater l’usage systématique du titre de dux Aquitanorum et la coutume, pour les ducs d’Aquitaine, de se faire couronner dans la cathédrale de Limoges ; de telles pratiques, développées par ses successeurs, sont le signe d’une politique dynastique désireuse de marquer l’indépendance du duché par rapport au pouvoir royal. Guillaume V le Grand, duc des Aquitains et comte de Poitiers, l’un des plus grands princes du royaume au début du XIe siècle (vers 960 - Maillezais, Vendée, 1030). Après la retraite de son père, Guillaume IV Fierabras, au monastère de Saint-Maixent, en 990, Guillaume hérite de l’Aquitaine, qui fut à plusieurs reprises un véritable royaume. Il domine alors tout le sud du royaume de France et semble, aux yeux de ses contemporains, bien plus puissant que son cousin, Robert II le Pieux (roi de 996 à 1031). Les relations qu’il entretient avec les rois de Castille, de Navarre, d’Angleterre et du Danemark, ou avec l’empereur Henri II, ainsi que ses pèlerinages à Rome et Compostelle, concourent au prestige de ce prince en Europe. Vers 1024, il est même pressenti pour devenir roi d’Italie. Mais sa puissance s’avère très fragile : vigoureusement contesté par les comtes de la Marche et par les seigneurs châtelains poitevins (les Lusignan, les Châtellerault, les Rancogne), son pouvoir ne s’impose guère que dans le comté de Poitiers. Pour faire face à la crise châtelaine, Guillaume recherche l’appui de l’Église. Il fait appel à l’évêque Fulbert de Chartres (vers 960-1028) et soutient le mouvement de la Paix de Dieu : il préside ainsi, après 1010, les conciles de paix de Charroux et de Poitiers. Il encourage aussi la diffusion du monachisme clunisien en Aquitaine et assure l’essor des abbayes fondées par ses parents à Bourgueil et Maillezais, où il prend l’habit monastique peu avant sa mort. Guillaume VIII ou Gui-Geoffroi, comte de Poitiers et duc d’Aquitaine de 1058 à 1086 (1027 - château de Chizé 1086).
Plus jeune fils de Guillaume V, il hérite du duché de Gascogne en 1044, mais reste alors sous la tutelle de sa mère Agnès, qui, ayant écarté les enfants des deux premiers lits de son époux, détient la réalité du pouvoir. Devenu duc d’Aquitaine à la mort de son frère Guillaume VII, Gui Geoffroi revêt le patronyme dynastique de Guillaume VIII. D’emblée, le jeune duc qui, lors du couronnement du roi Philippe Ier tient le premier rang parmi les grands du royaume, s’efforce de faire valoir son pouvoir personnel. Il lance une offensive contre Bernard II d’Armagnac, qui s’était emparé de la Gascogne ; en 1058, il reprend possession de cette région et l’intègre au duché d’Aquitaine. Il fait de même pour la Saintonge, qu’il enlève en 1062 aux héritiers du comte d’Anjou, Geoffroi Martel, auquel sa mère s’était remariée. Sa réputation de guerrier valeureux est encore grandie par l’expédition qu’il conduit, en 1064, avec le comte de Barcelone contre les Maures en Espagne, au cours de laquelle les armées chrétiennes, bénéficiant de la première bulle de croisade prononcée par la papauté, s’emparent de la ville de Barbastro. Dans son duché, Guillaume parvient, après avoir maté plusieurs rébellions, à imposer son autorité à l’ensemble de ses vassaux. Son règne est ainsi caractérisé par un renforcement très net du pouvoir ducal, que son fils et successeur Guillaume IX conduit à son apogée. Guillaume IX le Troubadour, neuvième duc d’Aquitaine, septième comte de Poitiers, premier troubadour connu (Poitiers ? 1071 - id. 1126 ou 1127). À la mort de son père Guillaume VIII, en 1086, Guillaume devient l’un des plus grands seigneurs de son temps, plus puissant que le roi de France dont il est le vassal : il annexera même Toulouse et la Gascogne de 1088 à 1100 et de 1113 à 1123. Une fois démêlés faits réels et légendes rapportées par une Vida et un roman des années 1250, Guillaume apparaît comme un libertin, provocateur et désargenté, qui suit une ligne politique quelque peu désordonnée au hasard de querelles de voisinage et d’entreprises collectives plus ambitieuses : calamiteuse expédition en Terre sainte en 1103, mais triomphale campagne contre les Maures en Espagne, de 1119 à 1120. La fin de son règne marque un relatif déclin, bien que, depuis son veuvage en 1118, ne pèse plus sur lui l’excommunication que lui avaient value ses écarts de conduite.
C’est que le vrai titre de gloire de ce guerrier est la poésie. Ne restent - traces d’une oeuvre sans doute plus importante - que onze chansons, si hétérogènes qu’on conteste parfois l’unité de l’ensemble. Y alternent en effet la revendication d’une sexualité libérée et les manifestations d’un amour sublimé éprouvé pour une Dame (dompna), probablement Dangereuse de Châtellerault, surnommée « la Maubergeonne ». Ainsi, parallèlement à des textes où s’exprime la truculence d’un « joyeux compagnon », se mettent en forme des topoï (« amour de loin », « mort par amour ») repris par la première génération des troubadours. La totale subordination à la Dame, essence de cette érotique, inspire déjà certaines chansons. Au fond, l’unité du personnage se trouve dans le rejet du contemptus mundi préconisé par les clercs. En mesure d’inscrire cette rupture dans sa vie comme dans son oeuvre, écrivant en langue d’oc bien qu’on parle en Poitou un dialecte d’oïl, Guillaume est bien un précurseur. Guillaume de Saint-Amour, maître en théologie (Saint-Amour, Franche-Comté, 1202 - id. 1272). Écolier à Mâcon, Guillaume étudie le droit canon et la théologie à Paris. Nommé régent de la faculté de théologie vers 1250, il devient le champion des séculiers dans la lutte qui les oppose aux nouveaux ordres mendiants pour le contrôle de l’Université. En effet, ces derniers - en particulier les Frères prêcheurs - occupent de plus en plus de chaires dans les facultés, attirant de nombreux étudiants, au détriment des séculiers, et proposant un nouveau modèle d’universitaire, non plus dépendant des bénéfices de l’Église, mais directement rétribué par ses élèves. C’est d’abord ce type de fonctionnement qu’attaque Guillaume de Saint-Amour, accusant les Mendiants de mauvaise vie et d’irréligion, tentant de soulever contre eux le peuple des écoles. Son oeuvre la plus célèbre, Des périls de l’âge nouveau, les dénonce comme de faux prophètes, au moment où Rutebeuf et Jean de Meung (dans le Roman de la Rose) les prennent aussi pour cible. Mais, ce faisant, Guillaume attaque également le pape, leur protecteur. En 1256, une bulle d’Alexandre IV condamne le livre, et son auteur, convoqué à Rome, échappe de justesse à l’accusation d’hérésie. Privé de tout office, interdit d’Université, chassé de France, Guillaume de Saint-Amour se réfugie en 1257 dans son pays natal. Jusqu’à sa mort, il tentera, par ses écrits, de convaincre les papes successifs de la nocivité
des idées et des pratiques des dominicains et des franciscains. Dans les facultés parisiennes, la querelle entre ordres mendiants et séculiers se poursuit, mais sans Guillaume. Guillaumin (Émile), paysan écrivain (Ygrande, Allier, 1873 - id. 1951). À sa publication, en 1904, la Vie d’un simple, témoignage sur la vie paysanne du XIXe siècle, impressionne le public. Daniel Halévy dit de ce récit qu’il vient « du fond du peuple, chose bien rare, et du fond du peuple paysan, chose unique ». Près du sol (1905), la Peine aux chaumières (1909) et Baptiste et sa femme downloadModeText.vue.download 432 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 421 (1910) se fondent également sur la qualité narrative de l’expression du paysan par luimême. N’écrivant qu’à la veillée et le dimanche, Guillaumin refusait de tisser un tableau idyllique de la condition paysanne. Se définissant comme un « travailleur manuel sans culture première » (préface à la Vie d’un simple, 1932), il dit écrire avec ses « mains avivées des morsures de la paille » (les Tableaux champêtres, 1901) et avec un souci d’éducation sociale. Aussi, à partir de 1908 et pour de longues années, il se tourne vers le syndicalisme - notamment en soutenant Michel Bernard, fondateur des premiers syndicats agricoles. Il collabore à diverses publications et ne cesse de faire éditer ses ouvrages avec un succès grandissant : À tous les vents sur la glèbe (1931), Sur l’appui du manche (1949), tout en continuant à favoriser l’expression paysanne (Paysans par eux-mêmes, ouvrage collectif, 1953). Littéraire et militante, l’oeuvre de Guillaumin - qui ne cachait pas sa sensibilité socialiste - est, aux yeux des sociologues et des historiens, non seulement un témoignage fécond mais aussi un aiguillon qui a pu avoir un impact dans l’évolution des mentalités paysannes et de leur représentation au XXe siècle. guillotine, instrument de décapitation des condamnés à mort, en usage de 1792 à 1981. La guillotine, conçue sous la Révolution, devient vite un symbole monstrueux et fantastique, bien éloigné de sa vocation « huma-
nitaire » première : c’est en effet dans le but d’abréger les souffrances des condamnés que, le 1er décembre 1789, Joseph Ignace Guillotin, médecin et député de Paris, propose à la Constituante d’utiliser une machine à décapiter alliant précision et rapidité. Il s’agit de mettre fin aux supplices d’Ancien Régime, de substituer aux horreurs de la roue ou du bûcher, mais aussi au privilège de la peu fiable décapitation à l’épée - réservée à la noblesse et à l’infamie de la pendaison, un mode d’exécution conforme à « l’âge de la Raison et de l’Égalité ». Toutefois, nombreux sont ceux qui contestent, dès sa création, l’instantanéité de la mort par guillotine. En mars 1792, c’est le docteur Antoine Louis, membre de l’Académie de chirurgie, qui conçoit l’appareil. Contacté par la Législative après le vote du Code pénal, en septembre 1791, celui-ci s’inspire de dispositifs qui existaient en Europe dès le XIIe siècle, et perfectionne le système utilisé en Écosse (maiden). La première exécution par décapitation mécanique - celle d’un voleur nommé Pelletier a lieu le 25 avril 1792 à Paris, et la première « guillotinade » politique, le 21 août suivant, au lendemain de la chute de la monarchie. Cependant, la brièveté de l’exécution et le manque de visibilité appauvrissant le caractère démonstratif et réparateur du châtiment réservé aux ennemis de la Révolution, les révolutionnaires inventent pour le « glaive de la liberté » un rituel théâtral (exposition permanente de l’échafaud, lent parcours en charrette, exhibition de la tête coupée). Avec les exécutions en série - les fournées - de la Grande Terreur (juin 1794), le « rasoir national », la « Sainte Guillotine », qui produit des flots de sang et provoque la superstition et la férocité des spectateurs, devient ce monstre froid et infernal dénoncé après Thermidor, image barbare et réductrice de la Terreur, de la Révolution elle-même, voire de la République. Aussi la guillotine n’est-elle plus dressée au centre de la capitale (place de la Révolution, actuelle place de la Concorde) dès juin 1794. Par la suite, devenue un instrument non plus politique mais social, « la veuve » est peu à peu soustraite aux yeux du public. Elle est placée aux portes des villes en 1832, puis devant l’entrée des prisons en 1851 ; l’échafaud sur lequel elle était juchée est supprimé en 1872 ; elle ne fonctionne plus qu’à l’intérieur des lieux de détention à partir de 1939, la peine de mort perdant alors en grande partie le caractère exemplaire que revendiquent ses partisans.
Guinée ! Afrique-Équatoriale française Guinegatte (bataille de), bataille qui oppose l’armée de Louis XI à celle de Maximilien de Habsbourg, le 7 août 1479, près de SaintOmer, et dont l’enjeu est le contrôle des États bourguignons. Après la mort du duc de Bourgogne Charles le Téméraire, devant Nancy, le 5 janvier 1477, Louis XI fait occuper la plupart des États du duc, c’est-à-dire le duché et le comté de Bourgogne, la Picardie, l’Artois, le Hainaut et le Luxembourg. Les prétentions territoriales de Louis XI n’ont toutefois aucune légitimité juridique, puisque le roi rejette l’idée d’un mariage entre la fille héritière du défunt duc, Marie de Bourgogne, et son propre fils, le dauphin Charles. En effet, seule cette union pourrait fonder en droit l’annexion de l’héritage bourguignon. Le 19 août 1477, Marie épouse Maximilien de Habsbourg, fils de l’empereur germanique Frédéric III, qui prend à son compte les intérêts bourguignons et bénéficie du soutien de la noblesse et de plusieurs villes, telles que Arras ou Dijon. La guerre se déroule alors en Picardie et en Artois. Le 7 août 1479, à Guinegatte, l’armée de Maximilien contraint les Français à la retraite ; mais, épuisée par le combat, elle ne peut exploiter sa demi-victoire. Maximilien doit finalement négocier, en raison du décès accidentel de Marie de Bour-gogne (27 mars 1482), de ses difficultés financières et de l’hostilité de la Flandre à sa politique. Par le traité d’Arras (23 décembre 1482), Louis XI obtient le duché de Bourgogne et la Picardie, et consent au futur mariage du dauphin avec Marguerite d’Autriche, fille de Marie et de Maximilien, dont la dot sera constituée de l’Artois et du comté de Bourgogne - les noces ne seront toutefois jamais célébrées. En dépit de l’échec militaire de Guinegatte, Louis XI est parvenu à s’emparer d’une grande partie de l’héritage bourguignon. Mais le mariage de Marie avec Maximilien ayant permis aux Habsbourg de s’implanter aux Pays-Bas, la bataille de Guinegatte inaugure le long conflit qui opposera cette dynastie à celle des Valois. Guise (François Ier de), deuxième duc de Guise (Bar-le-Duc 1519 - Saint-Mesmin 1563), fils de Claude Ier de Lorraine et d’Antoinette de Bourbon. Il se distingue très vite par ses faits d’armes, qui lui valent une réputation européenne.
Contre les forces impériales de Charles Quint, il défend vaillamment, en 1552, la ville de Metz annexée par Henri II. En 1556, il prend la direction des troupes envoyées en Italie au secours de Paul III, dont les États viennent d’être envahis par les troupes du duc d’Albe ; mais il échoue dans la conquête du royaume de Naples. Rappelé en France en 1557, après la défaite du connétable de Montmorency à Saint-Quentin, face aux Espagnols, il est nommé lieutenant général du royaume. Il parvient à redresser la situation militaire et, au terme d’un siège de six jours, prend la ville de Calais, sous domination anglaise depuis 1347. Après la mort d’Henri II, l’accession au trône de François II, son neveu par alliance, donne à François de Guise ainsi qu’à son frère Charles, cardinal de Lorraine (1524-1574), l’occasion de contrôler la politique royale ; le jeune roi, malade, n’exerce, pendant les quelques mois de son règne, qu’une autorité nominale. Poursuivant une politique de persécution du protestantisme amorcée par Henri II, les deux frères punissent cruellement les conjurés d’Amboise (1560) et font condamner à mort Louis de Condé, chef du parti huguenot ; celui-ci ne doit son salut, à la fin de l’année 1560, qu’à la disparition brutale de François II. À l’avènement de Charles IX, François de Guise est écarté par la régente Catherine de Médicis. Il forme alors avec le connétable de Montmorency et le maréchal de Saint-André un « triumvirat » opposé à la politique de conciliation religieuse que mène le pouvoir royal sous l’impulsion de Michel de L’Hospital. Il n’a peut-être pas prémédité, comme on l’a dit parfois, le massacre des protestants à Wassy (1er mars 1562), mais il s’accommode facilement de cet événement, qui rend inévitable la première guerre de Religion. La même année, après avoir repris Rouen aux protestants, il bat les troupes de Condé à Dreux, s’imposant ainsi comme l’arbitre de la situation. Mais, en 1563, au cours du siège d’Orléans, il est assassiné par Poltrot de Méré, gentilhomme huguenot qui a peutêtre agi à l’instigation de l’amiral de Coligny. Après sa mort, la famille de Guise retrouve son crédit à la cour, grâce à l’influence qu’exerce le cardinal de Lorraine sur Catherine de Médicis. Guise (Henri Ier de), dit le Balafré, troisième duc de Guise, grand capitaine (1550 - Blois 1588). Petit-fils de Claude Ier de Lorraine, fils du
trium vir François de Guise assassiné en 1563, Henri de Guise se trouve très jeune à la tête d’un ensemble territorial considérable impliquant une puissante clientèle nobiliaire et se voit investi du gouvernement de Champagne et de Brie, des offices de grand maître et de grand chambellan. Il perpétue l’imaginaire familial de croisade en combattant le Turc en Hongrie (1566), puis en participant aux opérations militaires antihuguenotes (défense de Poitiers en 1569). En 1570, il épouse Catherine downloadModeText.vue.download 433 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 422 de Clèves, fille du duc de Nevers. Son rôle dans le premier massacre de la Saint-Barthélemy fut sans doute capital : il aurait à la fois accompli une vengeance contre Coligny, jugé par son lignage responsable de la mort de son père, et servi de bras armé à un crime politique décidé par la royauté. Au début du règne d’Henri III, il façonne son image de défenseur de la foi en battant une armée de mercenaires allemands à Dormans (1575), puis en soutenant à distance la première Ligue (1576), enfin en nouant des liens avec l’Espagne (1578). Son véritable engagement est consécutif à la mort du duc d’Anjou, alors que l’ascendance carolingienne de la maison de Guise est exaltée : à l’issue d’une réunion des chefs nobiliaires catholiques (septembre 1584) est fondée la seconde Ligue, vouée à l’extirpation de l’« hérésie », soutenue par des fonds espagnols et structurée idéologiquement par la publication du Manifeste de Péronne (mars 1585). Par une prise d’armes qu’inspirent une conception aristocratique de la monarchie participative et un refus de la politique alternative d’Henri III (rôle des mignons) plus que des vélléités subversives, Henri de Guise impose au roi le traité de Nemours de 1585 (périodicité des États généraux...) et l’édit du 18 juillet (interdiction du culte réformé et entérinement de la déchéance d’Henri de Navarre de ses droits sur la couronne de France). Confronté à la stratégie savante du roi, à la prédominance politique du duc d’Épernon et aux succès militaires d’Henri de Navarre, il amplifie son image de nouveau David protecteur de la foi en écrasant des mercenaires protestants (Vimory et Auneau, 1587) et en renforçant son alliance espagnole. Puis, tout en marquant ses distances à
l’égard des activistes de la capitale, il tente de prendre le contrôle de Paris et de capturer le duc d’Épernon : malgré l’interdiction royale, il entre dans la ville le 9 mai 1588, empêchant ensuite que la journée des Barricades ne dégénère en bain de sang et cherchant à négocier avec Henri III. Le roi, après avoir signé l’édit d’Union par lequel il s’alignait sur les exigences de la Ligue, lui confère le titre de lieutenant général du royaume (4 août) en vue d’une guerre d’éradication de la Réforme. C’est à Blois, durant la réunion des États généraux dominés par ses partisans, qu’Henri de Guise est assassiné, le 23 décembre 1588. Cet événement est un coup d’État, dirigé peut-être moins contre une pratique dictée par l’ambition personnelle que contre une tentative ligueuse visant à infléchir l’autorité monarchique dans un sens délibératif, tentative sur laquelle s’était appuyé Henri de Guise en cherchant à imposer à Henri III son rêve de croisade. Guise (maison de), branche de la maison de Lorraine, dont plusieurs membres jouent un rôle politique de premier plan durant les guerres de Religion. Héritier du comté de Guise (Aisne), Claude de Lorraine (1496-1550) est récompensé de ses faits d’armes par François Ier, qui érige le comté en duché-pairie en 1528 : il devient ainsi le premier duc du nom. Ses fils et petits-fils, chefs de guerre et hommes d’Église, vont s’imposer sur la scène politique à la faveur d’une des crises les plus graves qu’ait traversées l’État monarchique. Amorcée sous le règne d’Henri II, l’ascension de la maison de Guise se déroule ensuite sur fond de dégradation constante du pouvoir royal, et ne s’interrompt qu’en 1588, avec le double assassinat d’Henri et de Louis, commandité par Henri III. Deux générations d’acteurs politiques se succèdent entre 1560 et 1588 : la phase initiale des troubles religieux est dominée par le duc François (1519-1563) et son frère le cardinal Charles de Lorraine (15241574), qui s’érigent en chefs de file des catholiques intransigeants, à la mort d’Henri II ; à partir du règne d’Henri III, le fils de François, le duc Henri (1550-1588), secondé dans la Ligue catholique par son frère le cardinal Louis (1555-1588), exerce une suprématie politique croissante, qui fait de lui le véritable rival du souverain. Durant ces décennies tourmentées, la maison de Guise dispose de plusieurs atouts essentiels : l’importance de sa clientèle nobiliaire,
l’alliance, chez ses membres les plus en vue, du prestige militaire et de l’autorité ecclésiastique, et, surtout, l’inflexibilité de son engagement religieux, qui tranche sur les incertitudes et les louvoiements de la politique royale. Forts de l’assentiment populaire au moment où la crise dynastique atteint son paroxysme, n’ontils pas, en tant que descendants des derniers rois carolingiens, envisagé sérieusement leurs droits à la succession ? Leur principale erreur, et la raison de leur chute, est sans doute d’avoir attisé un fanatisme conduisant à une impasse politique : la collusion trop évidente de la Ligue avec l’Espagne, ajoutée à ses excès et à la lassitude générale, ne pouvait que lui aliéner une grande partie du camp catholique. Après la mort d’Henri et de Louis, leur frère Charles de Lorraine, duc de Mayenne, assume la direction de la Ligue, mais fait sa soumission à Henri IV en 1595. La maison de Guise cesse alors de jouer un rôle de premier plan. Elle s’éteint à la fin du XVIIe siècle, et le duché de Guise passe aux Condé en 1704, avant d’échoir aux Orléans en 1832. Guizot (François), historien, penseur et homme politique (Nîmes 1787 - Val-Richer, Calvados, 1874). • Les années de formation intellectuelle et politique. Issu d’une famille d’ancienne bourgeoisie protestante, François Guizot a pour grands-pères un pasteur et un avoué ; son père, avocat engagé dans le mouvement fédéraliste nîmois pendant la Révolution, est guillotiné en 1794. La famille s’installe à Genève de 1799 à 1805. François Guizot y accomplit de solides études, avant de compléter sa formation à la faculté de droit de Paris. Sous l’Empire, il fréquente les milieux libéraux et s’essaie à la littérature, réussisant toutefois davantage dans des activités de traduction et de journalisme. Très tôt, les questions d’enseignement l’attirent ; à partir de 1811, il dirige aux côtés de Pauline de Meulan, qui devient sa femme, les Annales de l’Éducation. L’année suivante, il devient titulaire de la chaire d’histoire moderne à la faculté de lettres de Paris. C’est sous les deux Restaurations que commence pour lui une brillante carrière dans l’administration, au secrétariat général du ministère de l’Intérieur sur recommandation de Royer-Collard (1814), puis au secrétariat général du ministère de la Justice (1815). • Vers l’opposition. Hostile à la fois aux ultras et aux républicains, au droit divin comme à la
souveraineté du peuple, Guizot défend le principe d’une monarchie constitutionnelle garantie par une charte. Il expose ses idées en 1816 (Du gouvernement représentatif et de l’état actuel de la France) et s’impose dans le groupe des Doctrinaires que forment avec lui Royer-Collard, Barante, Victor de Broglie et Serre. Entre 1816 et 1820, il occupe des postes à haute responsabilité - au Conseil d’État ou dans l’entourage direct de ministres influents - sauf quand l’arrivée au pouvoir des ultraroyalistes l’incite à des retraites volontaires. Il acquiert par ailleurs une connaissance remarquable des rouages administratifs du pays : Decazes le nomme en 1819 à la direction des affaires communales et départementales. C’est en 1820 qu’il rejoint les rangs de l’opposition, le régime bafouant à ses yeux les libertés fondamentales. Révoqué du Conseil d’État, il renoue avec l’Université, mais son cours sur « l’histoire des origines du gouvernement représentatif » est suspendu en 1822. Il en profite pour écrire quelques-uns de ses ouvrages majeurs, tels les premiers volumes de l’Histoire de la révolution d’Angleterre. Son influence s’exerce au Globe - le journal des Doctrinaires -, dans la société « Aide-toi, le ciel t’aidera », qu’il contribue à fonder en 1827, et dans plusieurs institutions protestantes. Il reprend ses cours à la Sorbonne en 1828 à la faveur de l’éphémère ministère Martignac. Élu député de l’arrondissement de Lisieux (janvier 1830), il mène un combat déterminé contre le ministère Polignac et dénonce vigoureusement les ordonnances de Juillet. Son rôle est décisif au lendemain des Trois Glorieuses, et l’arrivée au pouvoir de Louis-Philippe, roi-citoyen, le comble d’aise. • La direction des affaires publiques. Selon Guizot, la Révolution commencée en 1789 s’achève en 1830. La monarchie de Juillet incarne l’ordre et la liberté ; toute opposition devient donc illégitime. Ministre de l’Intérieur de l’été à l’automne 1830, il supervise l’épuration du corps préfectoral et poursuit clubs et sociétés populaires. Puis il compte parmi les chefs du « parti de la Résistance », formé d’orléanistes conservateurs. De 1832 à 1837, malgré quelques interruptions, il est ministre de l’Instruction publique. À ce poste, il met en oeuvre des réformes essentielles. La loi du 28 juin 1833, qui porte son nom, impose à chaque commune d’entretenir une école élémentaire laïque ou congréganiste, et, si elle compte plus de six mille habitants, une école primaire supérieure ; elle renforce la formation des maîtres en prévoyant une école normale par département. En outre, un puissant élan est donné à de grandes institutions (Académies, Commission des monu-
ments historiques). Guizot est aussi très actif dans la vie parlementaire, se livrant avec Thiers, Barrot ou Molé à d’incessantes luttes d’influence qui fragilisent le régime jusqu’en 1840. Cette année-là, sa carrière connaît un tournant : ambassadeur à Londres depuis downloadModeText.vue.download 434 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 423 février, il devient en octobre ministre des Affaires étrangères dans le cabinet Soult. Le vieux maréchal lui abandonne la réalité du pouvoir. Des relations cordiales entre Paris et Londres garantissent la paix en Europe, tandis que, dès juillet 1841, la convention des Détroits marque le retour de la France dans les relations internationales. À l’intérieur, Guizot impose l’idée de la succession dynastique et repousse les attaques des partisans d’un élargissement du suffrage. Il mène alors une politique économique volontariste - « Enrichissez-vous par le travail et par l’épargne » - qui contribue à la modernisation du pays. Pourtant, le système de Guizot finit par se gripper : plusieurs initiatives françaises compromettent l’entente franco-britannique - affaire des « mariages espagnols » (l’union de l’infante Fernanda avec un fils de Louis-Philippe fait craindre à Londres que le trône d’Espagne ne revienne un jour à un prince français) ; rapprochement avec le chancelier autrichien Metternich -, tandis que les scandales Teste-Cubières ou ChoiseulPraslin ternissent l’image du régime. Enfin, dans un contexte économique qui se dégrade à partir de 1847, les oppositions politiques se font plus pressantes. Président du Conseil en octobre 1847, Guizot devient très impopulaire ; il est débordé par la « campagne des banquets » qui se développe durant l’hiver 1847-1848 et doit capituler lors des événements de février 1848. Le 23, Louis-Philippe accepte sa démission. • L’éloignement. Après l’établissement de la République, et plusieurs mois d’exil en Belgique ou en Angleterre, il tente, en vain, de conserver un rôle politique ; il n’obtient qu’un résultat dérisoire aux élections législatives de 1849 dans son « fief » de Lisieux. Ses projets de fusion monarchique ou ses jugements bienveillants à l’égard d’un Second Empire en voie de libéralisation rencontrent peu d’échos. Il poursuit par ailleurs son oeuvre littéraire, achève en 1856 l’Histoire de la révolution en Angleterre, rédige entre 1858 et 1867 les pré-
cieux Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps. Il conserve jusqu’à sa mort une place éminente dans le protestantisme français et au sein des grandes Académies. Guyane, ancienne colonie française, devenue en 1946 un département d’outre-mer. Un premier établissement est fondé en 1612 à Sinnamary par des marchands de Rouen ; puis le comptoir de Cayenne voit le jour en 1643, mais il est détruit par les Anglais quatre ans plus tard. Après l’échec de diverses tentatives de colonisation menées par Poncet de Brétigny, la Compagnie des douze associés, La Vrigne et Michel, la mise en valeur commence véritablement avec la Compagnie de la France équinoxiale, que fonde Colbert en 1661. Ses débuts n’en sont pas moins bien modestes, limités à la bourgade de Cayenne et à ses environs immédiats. Au XVIIIe siècle, les efforts des jésuites amènent un peu de prospérité, notamment sous l’administration des trois gouverneurs d’Orvilliers (1710-1765). Mais l’expulsion de la Compagnie de Jésus, puis la catastrophique expérience de colonisation agricole à Kourou (1764), portent des coups funestes à la colonie, qui bénéficie néanmoins des travaux de drainage et de l’extension des plantations sucrières promus par le gouverneur Malouët (1768-1778). La Révolution fait de la Guyane un lieu de déportation où sont internés - dans la région de Sinnamary - des montagnards et des prêtres réfractaires (c’est la « guillotine sèche »). À partir de 1801, l’administration de l’ex-jacobin Victor Hugues donne un élan à la colonie, qui est occupée ensuite par les Portugais, de 1809 à 1817. Le XIXe siècle est marqué par les chimériques projets de colonisation de CatineauLaroche et par les efforts de la Mère Marie Javouhey pour améliorer le sort des esclaves, mais l’économie de plantation est ruinée par l’abolition de l’esclavage (1848), ainsi que par la découverte d’or à l’Approuague (1855), qui entraîne la dépopulation des régions littorales. Enfin, à partir de 1852, l’implantation du bagne à Saint-Laurent-du-Maroni jette l’opprobre sur la Guyane : plus de 74 000 forçats ou relégués vont s’y succéder, jusqu’au décret Monnerville de 1937, qui met fin à la transportation. Par suite du règlement des contentieux relatifs aux frontières avec le Surinam hollandais (1891) et avec le Brésil (1900), la superficie
de la Guyane est ramenée à 88 000 kilomètres carrés. En 1930, la Guyane est divisée en deux arrondissements. Ralliée à la France libre en 1942, elle devient un département d’outremer en 1946. Depuis lors, elle a connu un essor démographique notable (27 000 habitants en 1954, 114 000 en 1990), accueillant des réfugiés asiatiques (Hmongs du Laos) et surinamiens. L’économie reste très dépendante de la métropole : un « plan vert » agricole (1975) n’a pas donné de résultats heureux, et la base spatiale de Kourou assure une grande partie des ressources. La Guyane forme une région monodépartementale et est représentée au Parlement par deux députés et un sénateur. L’audience des formations autonomistes ou indépendantistes y demeure limitée. Guyenne, terme utilisé à partir du traité de Paris (28 mai 1258) pour désigner le duché dont le roi d’Angleterre est le titulaire dans le sud-ouest de la France. Par le traité de Paris, Henri III d’Angleterre et Louis IX mettent un terme au conflit qui oppose les deux royaumes depuis le début du XIIIe siècle. Henri III renonce définitivement à ses domaines normands et angevins, redevient pair du royaume et conserve la Guyenne, l’Agenais, le Quercy, le Périgord et le Limousin. Mais, concernant ces derniers fiefs, Henri III se reconnaît vassal du roi de France, à qui il fait hommage le 4 décembre 1259. Le duché de Guyenne rassemble alors la totalité des possessions continentales du roi d’Angleterre, à l’exception de Calais. Les frontières de ce duché varient ensuite au grè des aléas du conflit franco-anglais des XIVe et XVe siècles. Mais le coeur en demeure la région bordelaise et la basse Garonne, qui font preuve d’une grande vitalité démographique et économique jusqu’au milieu du XIVe siècle, ce qu’attestent l’activité portuaire de Bordeaux, le dynamisme de la production viticole et des échanges régionaux, ainsi que la fondation de nombreuses bastides le long de la frontière orientale. En 1453, à la suite de la bataille et du traité de Castillon, la Guyenne est intégrée au domaine royal ; la constitution du duché en apanage pour Charles de France, frère de Louis XI, de 1469 à 1472, ne constitue qu’un épisode éphémère. La Guyenne devient enfin un gouvernement militaire, étendu à la Gascogne, au XVIIe siècle. Guyon (Jeanne Marie Bouvier de La Motte,
dite Mme), mystique, propagatrice en France du quiétisme (Montargis 1648 - Blois 1717). Élevée chez les Ursulines, tôt imprégnée de lectures spirituelles, Mme Guyon reste veuve en 1676 d’un mari riche, plus âgé qu’elle. Dès 1669, sa dévotion la conduit à un mariage mystique avec l’Enfant Jésus. À partir de 1682, elle tient registre de ses états (les Torrents spirituels) ; elle insiste sur l’abandon passif de l’âme à Dieu, fait d’indifférence au monde et d’anéantissement de l’identité propre, rejoignant ainsi le quiétisme de l’Espagnol Miguel de Molinos, condamné en 1687 par Rome. La hiérarchie catholique s’inquiète d’une spiritualité qui se passe de la médiation de l’institution. Enfermée dans un couvent en 1688, Mme Guyon en sort au bout de quelques mois grâce à Mme de Maintenon, qui lui confie la maison d’éducation de Saint-Cyr. La brouille avec sa protectrice la livre aux foudres de Bossuet, qui abhorre cette dévotion sentimentale. Mais Fénelon, qui l’a rencontrée en 1688, prend sa défense, soutenant que cette « ignorante » en théologie est dans la droite ligne des saints. Embastillée en 1698, exilée à Blois en 1703, Mme Guyon y meurt entourée d’un cercle de disciples. La querelle du quiétisme, où Mme Guyon s’efface derrière l’affrontement de deux géants, Bossuet et Fénelon, marque le « crépuscule des mystiques », contrastant avec la floraison du premier tiers du siècle. S’estompe aussi la figure de la dévote, cette femme d’influence spirituelle. C’est désormais dans les salons littéraires que s’exercera l’influence féminine. Guyton de Morveau (Louis Bernard), chimiste (Dijon 1737 - Paris 1816). Avocat à Dijon en 1756, avant d’exercer comme avocat général du roi à partir de 1762 (charge dont il s’acquitte jusqu’en 1782), Guyton ne s’intéresse à la chimie qu’après sa réception à l’académie de Dijon en 1764. En 1768, il installe un laboratoire chez lui, et se consacre dès lors à cette discipline. Cet autodidacte étudie particulièrement les phénomènes de combustion et de calcination. D’abord adepte du phlogistique, il se rallie à la théorie antiphlogistique, après sa rencontre avec Lavoisier dans les années 1770, et commence à élaborer un nouveau système de nomenclature, qui aboutit en 1787 à la publication, de la Méthode de nomenclature chimique, cosignée par Lavoisier, Berthollet et Fourcroy. En outre, il collabore à l’Encyclopédie méthodique, réalisée de 1774 à 1832 sous la direction de Charles Joseph Panckoucke,
dont il rédige la partie consacrée à la chimie. Mais, à cette époque, il doit sa notoriété à son downloadModeText.vue.download 435 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 424 intérêt pour l’aérostation, car il réussit une ascension en ballon en 1784. Partisan de la Révolution, il est nommé procureur général syndic de la Côte-d’Or en 1790, puis est élu à l’Assemblée nationale en 1791, et à la Convention l’année suivante. Dès lors, il demeure à Paris, où il joue un rôle important dans la participation des savants à l’effort de guerre. Président du Comité de salut public du 6 avril au 11 juillet 1793, il se consacre surtout à la fabrication d’armes et de poudre. Il poursuit son action à d’autres postes : en mai 1794, il part en mission dans le Nord, et assiste le 26 juin à la bataille de Fleurus dans un ballon captif, afin d’observer les mouvements des ennemis. Il est de nouveau membre du Comité de salut public d’octobre 1794 à février 1795, puis participe à la fondation de l’École polytechnique. En septembre 1795, il entre au Conseil des Cinq-Cents. Comme la plupart des scientifiques de sa génération, il soutient l’Empire, dont il est fait baron en 1811, après avoir exercé diverses responsabilités. Rallié à Napoléon pendant les Cent-Jours, il n’est pas inquiété lors du retour des Bourbons. Même si son oeuvre théorique n’a guère laissé de traces, Guyton de Morveau apparaît surtout comme un homme de son temps, dont les intérêts, les engagements et la carrière reflètent ceux de nombre de savants du XVIIIe siècle qui ont connu l’épisode révolutionnaire. downloadModeText.vue.download 436 sur 975 downloadModeText.vue.download 437 sur 975 downloadModeText.vue.download 438 sur 975
Habsbourg (lutte contre les), rivalité qui, du XVIe au XVIIIe siècle, a opposé la France à la maison austro-espagnole des Habsbourg (dite aussi « maison d’Autriche »). • Les origines. Cet antagonisme séculaire débute au XVe siècle avec la question de Bourgogne : en 1477, par le mariage de Marie de Bourgogne avec Maximilien d’Autriche, les Habsbourg héritent des États bourguignons
(Pays-Bas, Franche-Comté) amputés du duché de Bourgogne, que Louis XI a occupé à la mort de Charles le Téméraire. Et ils n’entendent pas renoncer à cette terre que Charles Quint considérera comme sa « patrie ». Le contentieux s’étend lors des guerres d’Italie. En effet, en tant qu’empereur, Maximilien est suzerain du Milanais ; comme successeur des Rois Catholiques, son petit-fils Charles devient en 1516 roi de Naples et de Sicile. Ils ne peuvent donc considérer sans inquiétude les efforts des Français pour disputer à l’Espagne l’hégémonie sur la Péninsule. Mais c’est en 1519 que la rivalité entre Valois et Habsbourg prend toute sa dimension, lorsque Charles Quint ajoute à ses héritages bourguignon et espagnol les terres héréditaires des Habsbourg et la couronne élective du Saint Empire, convoitée aussi par François Ier. Cette formidable « collection de couronnes », qui prend le royaume des Valois en étau, ressuscite le vieux contentieux entre un roi de France qui se veut « empereur en son royaume » et un empereur qui aspire à la « monarchie universelle ». Dès lors commence une lutte qui va dominer pour près de deux siècles les affaires européennes. • Le grand duel (1519-1659). Le premier acte oppose François Ier, puis Henri II, à Charles Quint. Pendant quarante ans (1519-1559), Valois et Habsbourg se livrent six guerres aux résultats indécis. L’affrontement a d’abord lieu en Italie et tourne plutôt à l’avantage de Charles Quint (bataille de Pavie, 1525) ; puis il se déplace après 1530 vers les confins de la France et de l’Empire, autour du camino español. Cet espace médian qui, du Milanais à la Flandre, relie les possessions italiennes et nordiques des H Habsbourg va constituer désormais le terrain d’affrontement privilégié. Pour tenir en échec les ambitions impériales, les Rois Très-Chrétiens n’hésitent pas, au grand scandale de l’opinion catholique, à s’entendre avec les Ottomans (capitulations de Constantinople, 1536) et les protestants allemands (traité de Chambord, 1552), inaugurant ainsi une politique d’alliances de revers avec tous les adversaires potentiels des Habsbourg, qui restera l’une des constantes de la diplomatie française. L’abdication de Charles Quint en 1556 et le partage de ses États entre une branche espagnole et une branche austro-impériale sanctionnent le demi-échec de l’Empereur. En 1559, la paix blanche du Cateau-Cambrésis, dictée par
l’épuisement financier des deux adversaires, vient clore ce premier cycle de guerres. Cela ne met pas pour autant fin à l’antagonisme qui oppose désormais la France à une Espagne libérée du fardeau des affaires allemandes mais toujours maîtresse des Pays-Bas, et qui reprend à son compte la politique impériale des Habsbourg. Cependant, pendant plus d’un demi-siècle, l’Espagne aux prises avec la révolte des Pays-Bas et la France déchirée par les guerres de Religion n’ont guère les moyens d’un affrontement direct, si ce n’est une brève intervention espagnole pour soutenir la Ligue contre Henri IV (1595-1598). Le second acte, décisif, va se jouer pendant la guerre de Trente Ans (1618-1648). Malgré l’action à la cour d’un parti dévot favorable à une politique de détente avec l’Espagne, et bien que luttant à l’intérieur contre le parti protestant, les Bourbons, sous l’impulsion de Richelieu, puis de Mazarin, poursuivent la politique antihabsbourgeoise des Valois. Sans abandonner complètement le terrain italien, ils s’intéressent davantage à l’Empire, et concentrent leurs efforts sur le renforcement des frontières nord et est du royaume. Sous couvert de défendre les « libertés germaniques », il s’agit, selon Richelieu, « de ne pas permettre que ceux de la maison d’Autriche soient maîtres absolus de la Germanie » et d’« acquérir une entrée en Allemagne » en s’installant en Lorraine ou en Alsace. D’abord « couverte », passant par un soutien diplomatique et financier aux protestants allemands et à la Suède, la guerre devient ouverte en 1635. Malgré ses échecs initiaux (Corbie, 1636), au prix d’une « crue fiscale » sans précédent et d’une répression impitoyable des oppositions internes, la France finit par l’emporter « sur la redoutable infanterie de l’armée d’Espagne » (Rocroi, 1643). Si la paix de Westphalie (1648) met fin à la guerre dans l’Empire, le conflit franco-espagnol s’éternise entre deux adversaires également épuisés. L’alliance avec l’Angleterre de Cromwell fait pencher la balance du côté français, et permet à Mazarin d’imposer à l’Espagne la paix des Pyrénées (1659). La double paix de Westphalie et des Pyrénées, outre les gains territoriaux qu’elle procure à la France (Haute-Alsace, Roussillon, Artois), consacre l’échec des tentatives hégémoniques des Habsbourg : échec dans l’Empire, où la France entretient désormais une clientèle (Ligue du Rhin, 1658) ; échec de l’Espagne, qui n’a plus les moyens d’assumer
une politique impériale. • La succession d’Espagne (1659-1715). Lorsqu’il « prend le pouvoir » en 1661, Louis XIV hérite d’une France en position de force face à des Habsbourg affaiblis. Privé d’autorité en Allemagne, menacé à l’Est par le retour offensif des Turcs, l’empereur ne constitue plus un danger. Quant à l’Espagne, épuisée, elle est la proie toute désignée des rêves de gloire d’un jeune roi qui, malgré son mariage espagnol, considère que « l’état des deux couronnes de France et d’Espagne est tel... qu’on ne peut élever l’une sans abaisser l’autre ». La succession d’Espagne va lui en offrir l’occasion. La mort de Philippe IV (1665) laissant le trône à un enfant malade, Charles II, ouvre la perspective d’une extinction de la lignée des Habsbourg de Madrid. Anticipant sur la mort sans héritier du jeune roi, ses deux beaux-frères, Louis XIV et l’empereur Léopold Ier, échafaudent des projets de partage de l’empire espagnol. À défaut de l’Espagne, Louis XIV convoite les Pays-Bas. Et, downloadModeText.vue.download 439 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 428 sans attendre l’ouverture de la succession, il met à profit l’effacement des Habsbourg pour consolider son « pré carré » au détriment de l’Espagne (Flandre, 1668 ; Franche-Comté, 1678) et de l’Empire (Strasbourg, 1681). Mais sa politique agressive inquiète les alliés d’hier, Hollandais ou Anglais. Prisonnier d’une « obsession de l’Espagne » (Pierre Goubert) qu’il tient de ses prédécesseurs, Louis XIV évalue mal l’ascension de la puissance anglo-hollandaise, réunie sous Guillaume III, ou le redressement, après sa victoire décisive sur les Turcs (1683), d’un Empire qu’il méprise. Quand Charles II meurt enfin (1700), léguant sa couronne au duc d’Anjou, petitfils de Louis XIV, celui-ci peut croire réalisé le vieux projet des Valois et des Bourbons : briser l’encerclement de la France par la maison d’Autriche. Mais il va devoir affronter un prétendant autrichien soutenu par l’ensemble de l’Europe. Au terme d’une guerre qui place le royaume dans une situation parfois dramatique, les traités d’Utrecht et de Rastadt (1713-1714) laissent l’Espagne aux Bourbons, mais c’est une Espagne diminuée, réduite à la péninsule, qui abandonne ses possessions italiennes et les Pays-Bas aux Habsbourg de
Vienne. • La liquidation du conflit dynastique (1715-1763). Au XVIIIe siècle, les Habsbourg ont cessé d’être pour la France l’adversaire principal. Sans doute le vieux réflexe anti-autrichien joue-t-il encore lors des guerres des successions de Pologne et d’Autriche. Mais, dans une Europe où de nouvelles puissances s’affirment (Prusse, Russie) et où les enjeux maritimes et coloniaux prennent une importance grandissante, les antagonismes majeurs opposent désormais la France à l’Angleterre ou l’Autriche à la Prusse, et commandent un rapprochement entre les deux vieilles maisons rivales. Envisagé dès 1715, le renversement des alliances se concrétise en 1756, quand la France et l’Autriche se trouvent alliées lors de la guerre de Sept Ans contre l’Angleterre et la Prusse. Conclusion symbolique : en 1770, pour la première fois depuis le XVIe siècle, un dauphin de France, le futur Louis XVI, épouse une archiduchesse autrichienne. La France et l’Autriche s’affronteront encore sur les champs de bataille. Sans doute peut-on considérer la conquête des Pays-Bas par les armées de la Révolution (1793), ou la suppression du Saint Empire par Napoléon (1806), comme l’épilogue du conflit séculaire. Mais il est désormais d’une autre nature et a perdu son caractère singulier. La lutte contre les Habsbourg aura profondément marqué la France d’Ancien Régime. C’est dans cette lutte que s’est, pour l’essentiel, construit l’Hexagone. Et c’est dans une large mesure pour répondre à ses nécessités que se sont forgées les institutions militaires, financières et politiques de l’État moderne français. Hachette (Jeanne Laisné, dite Fourquet, surnommée Jeanne), héroïne de guerre (Beauvais 1454 ou 1456 - id. [ ?]). L’invasion de la Picardie par Charles le Téméraire est tout particulièrement cruelle et sanglante. Nesle, première ville à subir les assauts bourguignons, est le théâtre d’un véritable carnage. Craignant d’être victimes de semblables exactions, les habitants de Beauvais mobilisent toutes leurs énergies dans la défense de leur ville, devant laquelle Charles le Téméraire arrive le 27 juin 1472. Les femmes et même les enfants participent activement à la résistance contre l’envahisseur bourguignon. « Une jeune bourgeoise, Jeanne Laisné, écrit Michelet dans son Histoire de France, se
souvint de Jeanne d’Arc et arracha un drapeau des mains des assiégeants. » On la surnomme « Jeanne Hachette », car elle se sert d’une petite hache en combattant. Face à cette résistance héroïque, le duc de Bourgogne finit par lever le siège, le 22 juillet, et les troupes royales entrent dans la ville peu après. Mariée et probablement dotée par Louis XI, Jeanne Hachette achève sa vie en perdant toute notoriété. Si son nom reste inscrit dans la mythologie collective, c’est parce que le XVe siècle marque l’irruption des héroïsmes féminins. « Quand tout est désespéré dans une cause nationale, écrira plus tard Lamartine à ce sujet, il ne faut pas désespérer encore s’il reste un foyer de résistance dans un coeur de femme. » Hachette (Louis), éditeur (Rethel 1800 - Paris 1864). Le fondateur de l’empire éditorial Hachette fait ses études à Paris, au Lycée impérial, devenu en 1814 le lycée Louis-le-Grand, où sa mère est lingère. En 1819, il est reçu troisième à l’École normale supérieure, et se destine tout naturellement à l’Université. Mais, en 1822, le grand maître de l’Université, Mgr de Frayssinous, décide de supprimer l’École, qui abrite un trop grand nombre de libéraux, et aucun normalien n’est reçu à l’agrégation. Louis Hachette change alors d’orientation. Après des études de droit, il rachète en 1826 la librairie Brédif, dans le Quartier latin, ainsi que son modeste fonds éditorial. Dès le début, la stratégie de Louis Hachette est fixée : il s’agit d’utiliser ses amitiés et ses contacts dans le milieu universitaire pour éditer et vendre des ouvrages éducatifs. Il bénéficie de deux avantages : la confiance de capitalistes, qui lui prêtent de l’argent ; les liens avec le régime libéral instauré après 1830. Hachette profite ainsi de la loi Guizot de 1833, qui généralise l’enseignement primaire, et, en 1835, il reçoit une commande publique de 720 000 ouvrages. Cela lui permet d’enrichir son catalogue, par commande à des auteurs et par rachat de fonds d’autres libraires. À cette stratégie éditoriale correspond une stratégie commerciale. La Librairie Hachette publie des périodiques destinés à toutes les catégories d’enseignants et noue des contacts avec ce milieu, notamment avec les inspecteurs généraux. Elle occupe ainsi solidement le marché des livres scolaires et universitaires, ce qui lui donne la possibilité, à partir des années 1840, d’élargir son fonds aux dictionnaires et à la littérature générale (Michelet, Hugo, Lamartine). De nouveaux
supports commerciaux naissent : « la Petite Bibliothèque de gare » en 1852 (guides, histoire, littérature française et étrangère), qui se vend dans les stations de chemin de fer, ainsi que « la Bibliothèque rose », qui édite dès 1855 la comtesse de Ségur. Quand un ouvrage ne se vend plus dans une collection, il est immédiatement réédité dans une autre moins coûteuse. À la mort de son fondateur, en 1864, la Librairie Hachette, ancêtre du puissant groupe multimédia d’aujourd’hui, est déjà le premier éditeur de France, disposant d’un pôle éducatif très développé, de périodiques et de collections pour la jeunesse, et présent dans la grande diffusion. Haïti ! Saint-Domingue Hanriot (François), commandant de la Garde nationale parisienne (Nanterre 1759 - Paris 1794). Personnage mal connu et dénigré, ce militant sans-culotte, fils de paysan, doit ses responsabilités révolutionnaires à sa fidélité pour Robespierre. Clerc de notaire, puis commis à l’octroi de Paris, il participe à l’incendie des barrières lors des émeutes précédant la prise de la Bastille en juillet 1789, ce qui lui vaut un bref séjour en prison. Jacobin, militant actif du faubourg Saint-Marceau, l’un des plus populaires et des plus misérables de la capitale, il se fait le porte-parole du petit peuple. À la veille des journées des 31 mai-2 juin 1793, le comité insurrectionnel de la Commune le nomme commandant provisoire de la Garde nationale de Paris afin de conduire l’émeute dirigée contre les girondins. Hanriot mobilise aussitôt des hommes provenant des sections les plus populaires. Sous sa direction, la Garde nationale, devenue force insurrectionnelle, fait céder la Convention le 2 juin, Hanriot répondant à la tentative de sortie des députés par l’ordre « Canonniers à vos pièces ! ». Proclamé par Marat « sauveur de la patrie », il est élu, à l’issue d’élections entâchées d’irrégularités, à la tête de la Garde nationale (1er juillet 1793), qu’il commande jusqu’à la chute de Robespierre. Cet homme modeste, qui sait éviter les émeutes graves dans une conjoncture économique difficile, est curieusement absent lors du 9 thermidor an II (27 juillet 1794), laissant sans instructions les hommes venus défendre la Commune. Mis « hors la loi » avec les robespierristes, il est guillotiné le lendemain.
harelle de Rouen, émeute antifiscale déclenchée à Rouen le 24 février 1382, lorsque les fermiers du fisc commencent à prélever l’aide accordée au roi Charles VI par les états de Normandie. Pendant plusieurs jours, les émeutiers - essentiellement des ouvriers et des petits artisans pillent les maisons des riches bourgeois et marchands, dont certains sont tués. Un mois plus tard, après la fin de la révolte parisienne des maillotins, une sévère répression s’abat sur la ville. Le gouvernement royal fait exécuter les principaux acteurs de la harelle, ordonne la destruction de certaines fortifications, ainsi que le retrait des cloches du beffroi. Rouen perd les privilèges commerciaux qui faisaient la fortune de ses marchands. Une seconde harelle secoue la ville en août 1382, lors de la levée d’une nouvelle aide. Elle est durement downloadModeText.vue.download 440 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 429 réprimée dans les jours suivants par des bannissements et de nombreuses amendes. La harelle a des causes immédiates : elle éclate au moment précis du rétablissement des aides pour le financement de la guerre et apparaît comme une réaction de la population urbaine face aux exigences fiscales du gouvernement royal. Mais elle s’inscrit aussi dans le contexte plus large des révoltes urbaines survenues en Italie, en Flandre et en Angleterre dans les années 1378-1382. La harelle, comme ces autres révoltes, oppose le peuple à la bourgeoisie urbaine, et met en évidence une crise de l’économie industrielle naissante. harkis, terme désignant aujourd’hui tous les musulmans qui étaient restés fidèles à la France durant la guerre d’Algérie. À l’origine, il s’appliquait uniquement aux membres de « harkas ». Créées en 1956, ces unités composées de cent auxiliaires étaient rattachées à des unités militaires françaises en Algérie. Existaient également des Groupes mobiles de protection rurale (GMPR) et de sécurité (GMS), des moghaznis (gardes armés des sections administratives spécialisées) et des groupes d’autodéfense, tous composés de supplétifs musulmans, qui s’ajoutaient aux militaires engagés ou aux appelés. En 1960, les effectifs s’élevaient à 180 000 (60 000 militaires, 120 000 supplétifs, dont
60 000 harkis). L’armée française tirait de leur recrutement plusieurs avantages : une bonne connaissance du terrain, la possibilité de rallier une partie de la population et le moyen de combler le déficit en soldats dû aux classes creuses de 1939-1945. Quant aux raisons de l’engagement des harkis, elles sont loin d’être univoques. La nécessité de recevoir une solde semble l’avoir emporté sur les deux autres motifs souvent invoqués : désir de vengeance à l’égard du FLN, patriotisme et loyalisme à l’égard de la France. La fin de la guerre d’Algérie entraîna le massacre de plusieurs dizaines de milliers de harkis. Le gouvernement français, qui avait d’abord refusé leur rapatriement, organisa dès le mois de juin 1962 leur accueil dans des camps militaires ou dans des cités d’hébergement. Mais, comme pour les pieds-noirs, le transfert se déroula dans des conditions d’autant plus difficiles que leur présence n’était pas plus souhaitée sur le sol algérien que sur le sol français. Haussmann (Georges Eugène, baron), administrateur et homme politique (Paris 1809 - id. 1891). Issu d’une famille protestante d’origine alsacienne, Haussmann entre dans l’administration préfectorale en 1832. En tant que préfet de la Gironde, il veille à juguler toute résistance locale au coup d’État du 2 décembre 1851, et organise soigneusement le voyage du prince-président, qui s’achève en apothéose à Bordeaux, du 7 au 10 octobre 1852. Ses talents d’administrateur et sa sympathie pour l’Empire lui valent d’être nommé préfet de la Seine en juin 1853. Haussmann se fait alors l’organisateur des grands travaux voulus par Napoléon III pour métamorphoser Paris : « Paris assaini, agrandi, embelli », tel est le mot d’ordre qui préside aux transformations urbanistiques et architecturales. Conçue comme un corps humain, la capitale est percée de larges avenues (boulevard Sébastopol et boulevard Saint-Michel, réseaux polyétoilés de la place du Trône et de la place de l’Étoile...) destinées à faciliter la progression des flux humains ; des parcs périurbains (Boulogne, Vincennes) et intraurbains (Monceau, Montsouris) deviennent les poumons d’une ville au bâti dense, qui a doublé de superficie et absorbé 500 000 nouveaux Parisiens environ avec l’annexion, le
1er janvier 1860, de dix-huit communes limitrophes ; sur le modèle du système artériel et veineux est enfin édifié un réseau de distribution des eaux salubres - venues de l’Ourcq, de la Dhuis, de la Vanne - tandis que le réseau d’égouts est multiplié par quatre. En outre, aux préoccupations hygiénistes et militaires s’ajoutent celles d’un urbanisme de régulation, sensible à la beauté des perspectives monumentales. Mais l’oeuvre du baron Haussmann soulève bientôt de vives critiques : la vague sans précédent de spéculations, les conséquences sociales des travaux entrepris, leur coût en partie couvert par des emprunts et, pour tout dire, la mégalomanie du préfet de la Seine et de l’empereur sont dénoncés par Jules Ferry dans un célèbre pamphlet, les Comptes fantastiques d’Haussmann (1867-1868). Les maladresses du baron soudent l’opposition libérale et républicaine dans une contestation de la corruption du régime. Désavoué par Rouher en mars 1869, contraint à la démission le 5 janvier 1870, Haussmann poursuit alors une carrière au Crédit mobilier, puis à la Compagnie des entrepôts et magasins généraux, qu’il dirige jusqu’en 1891. Ses trois tomes de Mémoires, publiés en 1890, constituent un témoignage exceptionnel sur le Second Empire. Haute Cour de justice, organe de justice chargé, notamment, de juger le chef de l’État en cas de haute trahison et les membres du gouvernement pour les crimes et délits qu’ils pourraient commettre dans l’exercice de leurs fonctions. Depuis la Révolution, toutes les Constitutions - hormis celle, jamais appliquée, de 1793 - ont prévu de tels organes pour soustraire les membres du pouvoir exécutif aux juridictions de droit commun. Mais leur composition n’a toutefois pas été la même selon les régimes. Les Constitutions de 1791, de l’an III, de l’an VIII, de 1848 et de 1852 prévoient des Hautes Cours, formées, chacune, de magistrats et de « hauts jurés », choisis sur les listes d’électeurs. Ainsi, la Cour organisée selon les dispositions de l’an III condamne à mort Babeuf pour la conjuration des Égaux. L’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire (1815), les Chartes de 1814 et de 1830, les lois constitutionnelles régissant la IIIe République, confondent Haute Cour et Chambre haute du Parlement, à l’exemple des pays anglo-saxons. Ainsi, la Chambre des pairs condamne à mort le maréchal Ney en 1815, poursuit le prince de
Polignac pour trahison en 1830. Sous la IIIe République, le Sénat instruit les procès du général Boulanger et d’Henri Rochefort en 1889, ceux de Déroulède en 1899 et de Joseph Caillaux en 1918. Enfin, les Constitutions de l’an XII, du régime de Vichy, des IVe et Ve Républiques ne prévoient ni de jurys comportant de simples citoyens ni de Chambre haute habilitée à juger. La Haute Cour impériale est essentiellement formée de dignitaires de l’Empire et de sénateurs. Le gouvernement de Vichy met en place une Cour suprême de justice, formée de magistrats et de juristes. Elle siège à Riom, où elle conduit, de février à avril 1942, le procès de plusieurs dirigeants de la IIIe République notamment Édouard Daladier, Paul Reynaud, Léon Blum, tous anciens présidents du Conseil, et le généralissime Gamelin -, procès qui tourne d’ailleurs à la confusion du régime de Vichy. La Haute Cour de justice réapparaît à la Libération, sous le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), puis sous la IVe République, composée essentiellement de parlementaires. Elle juge et condamne à mort le maréchal Pétain (dont la peine est toutefois commuée en détention à perpétuité par le général de Gaulle). Sous la Ve République, la Haute Cour de justice est une émanation du Parlement, puisque ses membres sont élus en son sein. Sa compétence est d’ordre politique ; en effet, elle peut juger le président de la République pour « haute trahison », délit qui ne bénéficie d’aucune définition pénale. À l’égard des membres du gouvernement, la Haute Cour doit en revanche se conformer au Code pénal. En outre, la mise en accusation (avant la réforme de la juridiction en 1993) doit être votée à la majorité absolue par les deux Chambres du Parlement. Cela explique qu’aucune procédure engagée auprès de la Haute Cour n’ait abouti à un procès, tant elle donne lieu à des affrontements politiques. Après une révision de la Constitution votée par le Congrès en juillet 1993, une loi transforme la Haute Cour en Cour de justice de la République. La juridiction se compose de vingtquatre juges titulaires et de douze suppléants, élus pour moitié par l’Assemblée nationale parmi les députés et pour moitié par le Sénat parmi les sénateurs et dirigée par un président et deux vice-présidents élus en son sein. Elle peut être saisie par n’importe quel citoyen, dont la plainte n’est donc pas soumise à un vote du Parlement. Haute-Volta ! AfriqueOccidentale française
Havas (Charles Louis), homme de presse (Rouen 1783 - Bougival 1858). Issu d’une famille d’origine hongroise, Charles Louis Havas se lance dans le commerce, d’abord au Portugal, puis à Paris à partir de 1808. De 1826 à 1832, il réalise des traductions pour les journaux français, ce qui lui donne l’idée d’ouvrir un « bureau de correspondance ». Installé en 1832 rue JeanJacques-Rousseau (à proximité de l’Hôtel des Postes), il fournit des traductions de journaux étrangers à la presse parisienne (et d’abord aux feuilles financières), moyennant rétribution. En 1835, Havas complète son activité par la traduction de nouvelles françaises en downloadModeText.vue.download 441 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 430 langues étrangères, et transforme son bureau en agence. Rachetant les feuilles de correspondance concurrentes, utilisant les moyens d’impression et de transport rapides (lithographie, chemins de fer), il devient bientôt indispensable à la presse. Le gouvernement, auquel l’Agence Havas est étroitement liée, après avoir utilisé les outils de transmission rapide de cette dernière (comme, en 1840, le transport des dépêches par pigeons voyageurs), la fait bénéficier des premières lignes du télégraphe électrique et lui accorde certaines facilités de diffusion. Ayant dominé le marché parisien, Havas se lance à la conquête des journaux de province. Son exemple sera imité dans d’autres pays d’Europe : deux de ses anciens collaborateurs, Wolff et Reuter fondent, l’un à Berlin (1848), l’autre à Londres (1851), deux agences de presse, qui deviendront célèbres. Les successeurs de Havas ajoutent à l’activité d’agence de presse une branche publicitaire (1919). La branche information prospère jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Cédée en 1940 à l’État, elle est remplacée en 1944 par l’Agence France-Presse (AFP). Quant au groupe Havas (publicité, tourisme, communication, audiovisuel...), il est, en 1997, le deuxième groupe multimédia français. Après un certain nombre de restructurations, Havas se recentre sur la publicité et la communication et devient le cinquième groupe mondial de conseil en communication en 2005. Haye (Grande-Alliance de La), traités
conclus entre le Saint Empire, l’Espagne et les Provinces-Unies le 30 août 1673. Pour Louis XIV, la guerre de Hollande devait mener à une victoire rapide. Mais la persévérance de la résistance hollandaise offre aux souverains européens, inquiets des exactions des troupes françaises et des conditions excessives que Louis XIV exige pour signer la paix, l’occasion de contrer la volonté de domination des Français. Un spectaculaire renversement d’alliances a lieu : si le Brandebourg signe avec la France en juin 1673 une paix séparée (qui ne durera pas), les Provinces-Unies sont secourues par leurs ennemis traditionnels, le Saint Empire et l’Espagne. L’empereur Léopold Ier s’engage à fournir 30 000 hommes contre 100 000 écus immédiatement et 40 000 écus par mois pour la durée de la guerre. Charles, duc de Lorraine, prend la tête d’une armée pour reconquérir ses États envahis par les Français. Enfin, l’Espagne promet son entrée en guerre si les négociations entre les Hollandais et Louis XIV n’aboutissent pas rapidement : elle y gagnerait le retour aux frontières de 1659, et effacerait ainsi les pertes de la guerre de Dévolution. Cette première coalition contre Louis XIV assure une supériorité numérique aux ennemis de la France, à un moment où l’alliance avec l’Angleterre paraît chanceler, du fait de la sympathie de l’opinion protestante envers les Hollandais. La guerre contre la Hollande est devenue un conflit européen, et la nouvelle configuration des alliances est appelée à durer. Haye (Triple-Alliance de La), traité conclu le 23 janvier 1668 par l’Angleterre et les Provinces-Unies, rejointes par la Suède en mai. Ces pays s’inquiètent du poids accru que confèrent à la France, dont ils sont pourtant les alliés, les succès de la guerre de Dévolution. Alors que la diplomatie française, menée par Lionne, parvient le 19 janvier à un accord secret prévoyant, dans la perspective de la mort sans héritier de Charles II d’Espagne, le partage des possessions espagnoles avec l’empereur Léopold, les deux puissances maritimes se rapprochent (elles s’étaient combattues en 1665-1667). Leur accord se présente comme une offre de médiation dans le conflit franco-espagnol : l’Espagne cédera quelques places fortes détenues aux Pays-Bas, mais la France devra renoncer à toute autre prétention, notamment sur la Franche-Comté, dont l’invasion est imminente ; sinon, les pays signataires entreront en guerre contre la France. Ulcéré par ce que l’ambassadeur hollandais lui présente comme de « respectueuses
prières », Louis XIV entre en Franche-Comté pour acquérir un gage dans les négociations et proposer à l’Espagne une « alternative » : perdre cette province, ou bien une partie des Flandres. La Triple-Alliance a donc à la fois brusqué les opérations militaires et hâté la paix d’Aix-la-Chapelle (2 mai). Mais elle marque aussi un inquiétant revirement des alliés de la France, dont Louis XIV tire la leçon en décidant d’envahir les Provinces-Unies. Haye (Triple-Alliance de La), traité conclu entre la France, l’Angleterre et les ProvincesUnies le 4 janvier 1717. Les traités d’Utrecht (1713-1715) ont fondé un équilibre européen dans lequel, notamment, la France garantit les renonciations de son alliée espagnole en Italie (cession du Milanais et de la Sardaigne à l’Autriche) ; des concessions que le roi Philippe V et surtout son ministre Alberoni n’ont acceptées que formellement. Ces derniers tentent de se rapprocher de l’Angleterre, ce qui risque d’isoler la France. Pour assurer la paix et la prospérité auxquelles le pays aspire au sortir du règne de Louis XIV, le régent Philippe d’Orléans comprend qu’il faut jeter les bases d’une alliance avec l’ennemi d’hier. En cela, il s’oppose au président du Conseil des affaires étrangères, le maréchal d’Huxelles. Des négociations discrètes commencent entre l’abbé Dubois, homme de confiance du régent, et le ministre anglais Stanhope. Les Anglais reprochent à la France de protéger le prétendant Stuart (Jacques III) et d’armer le port de Mardyck à la place de celui de Dunkerque, que le traité d’Utrecht obligeait à détruire ; mais Georges Ier a besoin de la France face à la menace que fait peser le tsar sur ses possessions hanovriennes. Malgré l’opposition d’une partie des parlementaires whigs, et malgré la méfiance des Hollandais, le rapprochement a lieu, à la suite de la promesse française d’expulser le prétendant Stuart et de désarmer Mardick. Cela n’empêchera pas le déclenchement du conflit austro-espagnol au sujet de la Sardaigne, en juillet 1717. Hébert (Jacques René), journaliste et homme politique (Alençon 1757 - Paris 1794). Davantage pamphlétaire que journaliste, Hébert, auteur du très populaire journal le Père Duchesne, est un des personnages les plus controversés de la période révolutionnaire. Pour beaucoup, il demeure un aboyeur grossier et sanguinaire dénonçant dans sa feuille traîtres et conspirateurs, ou encore un substi-
tut du procureur de la Commune de Paris lançant cyniquement l’accusation d’inceste lors du procès de Marie-Antoinette. Bien souvent décrit comme un être inquiétant et trouble, il a aussi le tort d’être l’un des principaux chefs populaires parisiens en 1793. De fait, ce fils d’un notable d’Alençon, réfugié à Paris en 1780 à la suite de déboires judiciaires, royaliste en 1789 et 1790, n’entre que tardivement dans le combat politique. En mars 1791, six mois après avoir lancé son journal (septembre 1790), il devient membre du Club des cordeliers, qui prend la tête du mouvement républicain et qu’il présidera en juin 1792. Chantre de la souveraineté populaire et du droit à l’existence, le Père Duchesne, qui appelle, comme d’autres, au meurtre préventif des traîtres avant les massacres de septembre, acquiert une grande notoriété à partir de l’hiver 1792. Membre de la Commune du 10 août 1792, Hébert devient, en décembre de l’année suivante, second substitut de l’ « exagéré » Chaumette, le procureur de la Commune, et entre, en janvier 1793, au Club des jacobins, où il diffuse les positions des cordeliers. Dans le cadre de la lutte entre la Convention girondine et la Commune, cet adversaire acharné des girondins, qu’il dénonce violemment, est arrêté en mai 1793 et bientôt libéré sous la pression des sections parisiennes. Dès lors, et surtout après la mort de Marat (13 juillet 1793), dont il se présente comme le successeur, Hébert acquiert une influence prépondérante sur le mouvement révolutionnaire parisien, canalisant les insurrections populaires - notamment lors des journées de septembre 1793 qui mettent la Terreur à l’ordre du jour -, tandis que sa feuille devient le périodique le plus diffusé de France. Dès l’automne 1793, cependant, après l’arrestation des « enragés » dont il fait siennes les revendications, il est en butte aux attaques des robespierristes, soucieux de domestiquer le mouvement populaire et d’asseoir l’autorité du gouvernement révolutionnaire. Dénoncé par les dantonistes - les « indulgents » -, il est arrêté avec les principaux chefs cordeliers le 13 mars 1794, puis, accusé de fomenter un « complot de l’étranger », il est guillotiné le 24 mars. Avec sa mort, Robespierre met au pas la Commune mais perd un précieux appui populaire. Héloïse, femme lettrée, devenue religieuse (Paris, vers 1100 - couvent du Paraclet, près de Nogent-sur-Seine, 1164). La destinée d’Héloïse est difficilement séparable de celle d’Abélard, qui a été son profes-
seur, son amant, son mari, puis son directeur de conscience. Née dans une famille noble, la jeune Héloïse reçoit une première éducation chez les religieuses d’Argenteuil, non loin de Paris. Son oncle Fulbert, chanoine de NotredownloadModeText.vue.download 442 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 431 Dame de Paris, entreprend de parfaire cette éducation et s’assure le concours de Pierre Abélard, qui enseigne les arts libéraux à l’école de Notre-Dame. Entre le brillant dialecticien, alors âgé de 36 ou 37 ans, et sa jeune élève de 15 ans commence une passion pour la vie, sur laquelle nous renseignent un récit autobiographique, l’Histoire de mes malheurs, adressé presque vingt ans plus tard par Abélard à un ami anonyme, et la correspondance - elle aussi, tardive - échangée avec Héloïse, dont l’authenticité a été mise en doute sans qu’on puisse la nier totalement. Bientôt, la jeune fille est enceinte : en Bretagne, chez l’une des soeurs d’Abélard, elle donne naissance à un fils, prénommé Astralabe. D’abord réticente à l’idée d’un mariage qui compromettrait la carrière de son amant, elle finit par consentir à l’épouser, mais doit subir les pressions de Fulbert pour rendre cette union publique, ce qui l’amène à se réfugier au couvent d’Argenteuil. Après la castration d’Abélard par les sbires de Fulbert (1117), et avant même que son époux ne se fasse moine, Héloïse prend le voile à Argenteuil, où elle deviendra prieure. Suger, abbé de Saint-Denis, ayant dissous cette communauté de moniales, Héloïse trouve refuge avec ses compagnes, en 1130, au Paraclet, ermitage champenois fondé en 1122 par Abélard et, depuis, tombé en déshérence. Elle s’y montre une abbesse remarquable, parvenant à faire prospérer les biens de la fondation, stimulée par l’aide spirituelle de celui qui est encore son mari et qui vient lui rendre quelques visites. Les époux ne se verront plus après 1132 ; ils n’échangeront dès lors que des lettres fameuses, encore empreintes chez Héloïse des brûlures d’une passion toujours vivace. Grâce à l’abbé Pierre le Vénérable, le philosophe, mort en disgrâce à Cluny en 1142, est enseveli au Paraclet, où Héloïse vient enfin le rejoindre dans la mort en 1164. Cette trajectoire idéale, menant de l’amoureuse passionnée à la pieuse abbesse, ne peut que séduire les théoriciens de l’amour : dès le XIIIe siècle, Jean de Meung fait tenir à Héloïse, dans son Roman de la Rose,
un vif plaidoyer contre le mariage et, quelque temps plus tard, traduit du latin en français les Espitres de Pierres Abaelart et Heloys sa fame. C’est cette figure de fougueuse amoureuse et de femme éclairée - inspiratrice d’une Nouvelle Héloïse rousseauiste - qui est restée dans la mémoire collective. Henri Ier, roi des Francs de 1031 à 1060 ( ? 1008 - Vitry-aux-Loges, près d’Orléans, 1060). Deuxième fils de Robert le Pieux et de Constance d’Arles, Henri est associé au trône après la mort de son frère aîné, Hugues. Il est sacré à Reims, du vivant de son père, en 1027. Cette pratique des premiers Capétiens vise plus à assurer l’avantage de l’aîné que la transmission héréditaire du royaume, déjà couramment admise. De fait, à la mort de Robert le Pieux en 1031, Henri Ier se heurte à l’insurrection de son frère Robert, soutenu par la reine mère et par le comte de Blois. Si le roi de France paraît bien faible compte tenu de la petite taille du domaine royal, il dispose en réalité d’une zone d’influence plus étendue que celui-ci. Le conflit est résolu lorsque Robert obtient le duché de Bourgogne. Par ailleurs, les acquisitions et les pertes du domaine royal au cours du XIe siècle n’ont que de faibles conséquences. L’essentiel réside dans le jeu d’alliances entre le roi et ses voisins immédiats. Henri Ier maintient l’alliance normande en soutenant le duc de Normandie (futur Guillaume le Conquérant), jusqu’à ce que la puissance de ce dernier le menace. Si les grands du royaume ne reconnaissent réellement à Henri Ier qu’une préséance, et non une autorité, le roi de France dispose d’un certain prestige à l’extérieur, comme en témoignent les échanges d’ambassadeurs des pays lointains. En 1051, il épouse en secondes noces Anne de Kiev, fille du prince Jaroslav de Kiev. Leur fils aîné, Philippe, est associé au royaume en 1059, à l’âge de 7 ans, et devient roi le 4 août 1060, à la mort d’Henri Ier, sous la tutelle de sa mère Anne et de son oncle, le comte de Flandre, Baudouin V. Cette période de minorité ne remet pas en cause les premiers acquis de la monarchie capétienne. Henri Ier Beauclerc, roi d’Angleterre de 1100 à 1135 et duc de Normandie de 1106 à 1135 (Selby, Yorkshire, 1069 - Lyons-la-Forêt, Eure, 1135). Dernier fils de Guillaume le Conquérant, privé d’héritage à la mort de son père en 1087,
Henri accède au trône d’Angleterre après la disparition de son frère Guillaume le Roux, et s’empare de la Normandie après une lutte difficile contre son aîné Robert Courteheuse, qu’il chasse d’Angleterre en 1101, et qu’il fait prisonnier en 1106 à la bataille de Tinchebray. Dès lors, son action se déroule pour l’essentiel sur le continent, notamment en Normandie, où il passe près de vingt ans, et dont il cherche tout au long de son règne à garantir la sécurité et la paix. Ce but le conduit à se heurter aux ambitions capétiennes, qu’il contient par ses succès militaires et par une stratégie d’alliance avec l’Empire. Ce même désir le pousse à entrer en conflit avec la puissance angevine, alors en pleine expansion. Henri cherche à en prévenir le danger par un double projet de mariage : celui de son unique fils légitime, Guillaume, avec la fille du comte Foulques V, puis, après la disparition de son héritier dans le naufrage du Blanche-Nef en 1120, celui de sa fille Mathilde, veuve de l’empereur Henri V, avec l’aîné du comte, Geoffroi Plantagenêt. L’arrangement, bien qu’accepté sous serment par les barons en 1127, ne peut résister à la mort de son promoteur : si Mathilde conserve la Normandie, l’Angleterre lui échappe, au terme d’une longue guerre civile où triomphe le neveu d’Henri Ier Beauclerc, Étienne de Blois. Henri Ier le Libéral, comte de Champagne de 1152 à 1181 ( ? - 1181). Fils aîné du comte Thibaud II de Blois-Champagne, Henri hérite, à la mort de son père en 1152, de la partie champenoise de la principauté, tandis que le comté de Blois revient au cadet, Thibaud. Henri le Libéral, dont le nom évoque la noblesse de coeur, est le chef d’une fratrie éclatée mais puissante, alliée du roi des Francs Louis VII contre les Plantagenêts. Le cadet Thibaud V de Blois devient sénéchal ; le troisième, Guillaume aux Blanches Mains, archevêque de Sens puis de Reims, est conseiller du roi ; la dernière, Adèle, épouse Louis VII en 1160. Henri le Libéral et Thibaud de Blois deviennent les gendres du roi en 1164 et 1165. Liens familiaux, liens politiques et volonté de puissance s’entremêlent : Henri le Libéral, chargé par Louis VII de négocier avec l’empereur Frédéric Barberousse, prépare l’entrevue manquée de Saint-Jean-de-Losne en 1162, et envisage un moment de transférer l’hommage pour la Champagne du roi des Francs à l’empereur. La rencontre tourne court pour tous les protagonistes, et la Champagne reste fief du royaume.
L’épisode marque la puissance du comte et l’impuissance du roi, qui cherche à s’attacher cet allié inconstant en favorisant les foires de Champagne. Sous Henri le Libéral, leur dimension européenne s’accroît, faisant du denier provinois le « dollar du Moyen Âge ». À sa mort, en 1181, Henri le Libéral laisse un comté très prospère, probablement à l’apogée de sa puissance économique et politique. Henri II, fils de François Ier et de Claude de France, roi de France de 1547 à 1559 (SaintGermain-en-Laye 1519 - Paris 1559). Peu après son mariage avec Catherine de Médicis en 1533, Henri II prend pour maîtresse Diane de Poitiers, qui exercera une grande influence sur la politique royale, en particulier par le biais des protections accordées à la famille de Guise. Poursuivant la politique de centralisation monarchique menée par son père, le nouveau souverain dote le gouvernement royal d’une structure plus ferme (institution des quatre secrétaires d’État en 1547) et complète le dispositif administratif mis en place au cours du règne précédent (instauration de nouvelles juridictions, les présidiaux, en 1552 ; généralisation des tournées d’inspection des commissaires dans le royaume, en 1553). L’ensemble de ces réformes fait de la France, au milieu du XVIe siècle, le royaume le plus homogène d’Europe, et celui où la puissance monarchique est le plus solidement établie. • La lutte contre les Habsbourg. À l’extérieur, Henri II poursuit la lutte engagée par François Ier. Après avoir conclu avec les princes protestants allemands le traité de Chambord (janvier 1552), il occupe Metz, Toul et Verdun, au cours d’une campagne qui prend des allures de promenade militaire (avril-juillet 1552). L’Empire connaît alors des difficultés financières qui minent son effort de guerre. Incapable de reprendre Metz, brillamment défendue par François de Guise, Charles Quint s’y enlise. À la veille de son abdication, il conclut avec Henri II le traité de Vaucelles (février 1556). Mais, la même année, l’intervention française en Italie, destinée à défendre le pape Paul IV face à l’invasion espagnole, ligue Philippe II et ses alliés anglais contre Henri II. Si les Espagnols sont vainqueurs à Saint-Quentin (1557), la défaite est partiellement compensée par la prise de Calais, que le duc de Guise arrache aux Anglais. L’issue de la guerre restant indécise, les belligérants concluent la paix du Cateau-Cambrésis en avril 1559 : la France abandonne ses prétentions sur l’Ita-
lie, renonce à la Savoie, mais conserve Calais, downloadModeText.vue.download 443 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 432 Metz, Toul et Verdun, renforçant ainsi sa présence sur la frontière nord-est. • La lutte contre l’« hérésie ». L’objectif à peine voilé de ce traité est de donner les mains libres au roi sur le plan intérieur. Beaucoup plus intransigeant que son père en matière religieuse, convaincu que l’unité de l’État ne va pas sans l’unité de la foi, Henri II a décidé en effet d’« exterminer l’hérésie ». Une rigoureuse politique de persécution des protestants est menée depuis la création de la célèbre « Chambre ardente » en octobre 1547 : cette instance est spécialement chargée, au parlement de Paris, de la poursuite des « malsentants » en matière de foi. Après l’édit de Châteaubriant en 1551, l’édit de Compiègne de 1557 précise que la peine de mort s’appliquera désormais aux protestants. Le 2 juin 1559, les lettres d’Écouen donnent mission à des commissaires de procéder, dans toutes les provinces, à « l’expulsion, punition et correction des hérétiques ». Le 10 juin, la séance du parlement, où le roi tient lit de justice, est consacrée à la vérification du zèle catholique des conseillers : ceux qui protestent contre la politique de persécution ou s’opposent à la volonté royale sont arrêtés ; c’est le cas notamment d’Anne du Bourg, qui sera exécuté quelques mois plus tard. • Une succession incertaine. La même année, lors des mariages princiers qui sanctionnent le traité du Cateau-Cambrésis, Henri II est blessé d’un coup de lance, au cours d’un tournoi contre le comte de Montgomery (30 juin 1559). Le roi meurt quelques jours plus tard, et les historiens diront souvent que le coup de lance de Montgomery a changé la face de la France. Cette mort accidentelle crée de fait une situation pleine d’incertitudes : le jeune François II étant de santé fragile, l’affaiblissement du pouvoir royal va désormais se conjuguer à l’exacerbation des antagonismes confessionnels. Les trois fils d’Henri II et de Catherine de Médicis qui régneront - François II, Charles IX et Henri III - connaîtront le chaos sanglant des guerres de Religion. Henri II Plantagenêt, duc de Normandie de 1150 à 1189, comte d’Anjou de 1151 à 1189, duc d’Aquitaine de 1152 à 1189, roi d’An-
gleterre de 1154 à 1189 (Le Mans 1133 - Chinon 1189). Fils de Geoffroi V Plantagenêt et de Mathilde, fille du roi d’Angleterre Henri Ier Beauclerc, Henri Plantagenêt gouverne dès 1148 la Normandie conquise par son père et en devient duc en 1150. À la mort de Geoffroi en 1151, il est comte d’Anjou. Ses possessions s’accroissent de façon spectaculaire lorsqu’il épouse, en 1152, la très riche Aliénor d’Aquitaine, récemment divorcée du roi des Francs Louis VII. Parallèlement, il fait valoir contre Étienne de Blois les droits de sa mère Mathilde sur la couronne d’Angleterre, et parvient à un compromis lui assurant la succession d’Étienne, qui meurt en 1154. Il acquiert encore la Bretagne en 1158, à la mort de son frère Geoffroi, seigneur de Nantes. En 1154, Henri II Plantagenêt hérite d’une Angleterre affaiblie par l’anarchie féodale après le règne d’Étienne, qui se caractérise par l’indépendance de l’Église et des barons. Il entreprend alors de rétablir l’autorité monarchique et de donner une unité à l’« Empire Plantagenêt », qui s’étend des Pyrénées à l’Écosse. Pour l’assister dans cette tâche, clercs et lettrés, tels Thomas Becket ou Richard de Lucy, ébauchent une administration centrale et une activité législative fondées sur une « autorité raisonnable ». Mais cet effort se heurte aux privilèges de l’Église et des barons, dont Henri II Plantagenêt doit briser l’opposition féodale en Angleterre et en Aquitaine. À cette fin, il s’appuie sur la classe moyenne des villes en accordant judicieusement des chartes de franchise. Le conflit avec l’Église est plus douloureux : par les Constitutions de Clarendon de 1164, Henri II subordonne la justice ecclésiastique à la justice royale, se heurtant ainsi à son ami Thomas Becket, archevêque de Canterbury. Ce dernier se réfugie en France, où il bénéficie du soutien du roi Louis VII, qui s’efforce par tous les moyens de contrer la puissance angevine. Thomas Becket excommunie Henri II, puis rentre en Angleterre en 1170, sous la protection de Louis VII, mais il est assassiné dans sa cathédrale. Le scandale est retentissant : la culpabilité du Plantagenêt, qui ne fait aucun doute, est aggravée par la canonisation de Becket deux ans plus tard, si bien qu’Henri II doit faire publiquement pénitence en 1174. Les épreuves ne font que commencer, car sa nombreuse et remuante famille lui cause les
pires difficultés. En 1173, son fils aîné, Henri, soutenu par Aliénor et par Louis VII, déclenche une révolte, assez facilement maîtrisée. Bien qu’Aliénor soit enfermée à Chinon, la révolte gronde à nouveau en 1183, exploitée cette fois par Philippe Auguste, qui soutient le futur Richard Coeur de Lion. La dernière rébellion, en 1188-1189, menée par Jean sans Terre et Richard, a raison des forces d’Henri II, qui meurt à la tâche, à Chinon. Il est enterré à l’abbaye de Fontevraud, toute proche, qui devient ainsi par hasard la nécropole de l’empire angevin. Henri III, roi de France de 1574 à 1589, dernier représentant de la branche des Valois (Fontainebleau 1551 - Saint-Cloud 1589). Troisième fils d’Henri II et de Catherine de Médicis, Henri, tout comme sa mère, a été de son vivant l’objet d’une légende noire le présentant comme un roi faible et efféminé. Une image qui ne rend pas compte d’une pratique politique complexe. • Un prince dans la crise. Au cours de sa jeunesse, qui se déroule sous le préceptorat de l’humaniste Jacques Amyot, Henri se trouve directement confronté à la crise née de la Réforme : il est présent aux états d’Orléans et au colloque de Poissy, ainsi qu’à la reddition du Havre (juillet 1563), puis participe au grand voyage de la Cour à l’issue duquel il reçoit le titre de duc d’Anjou. Sa promotion politique intervient durant la deuxième guerre de Religion, quand, après la mort d’Anne de Montmorency, il est élevé à la charge de lieutenant général du royaume. Il remporte la victoire de Jarnac le 13 mars 1569 et y fait probablement procéder à l’exécution de Louis de Condé, dessinant une conception de la « prudence » qui n’exclut pas du champ politique le meurtre. Après la victoire de Moncontour (3 octobre 1569), il est exalté par Ronsard comme un émissaire divin destructeur de l’« hydre » protestante. Il demeure, au lendemain de la paix de 1570, au coeur du système politique : il est l’un des exécutants de l’édit de pacification. L’appréciation de son rôle lors de la Saint-Barthélemy est, en revanche, problématique. L’année suivante, alors qu’il a mis le siège devant La Rochelle, il est élu roi de Pologne (le 11 mai 1573) ; un règne interrompu par la mort de son frère Charles IX : Henri fuit la Pologne dès juin 1574 pour rentrer en France. Il est sacré le 13 février 1575 ; il épouse deux jours plus tard Louise de Lorraine.
• Une science du pouvoir. Face à la crise de l’État, le jeune souverain, s’appuyant sur sa mère et sur un entourage de techniciens, reprend la politique de concorde de son frère, avec une science des équilibres constante : la promotion des « mignons » (du Guast, Saint-Luc, Joyeuse, Épernon...) a pour fin de créer, face aux clientèles aristocratiques, une clientèle royale. Parallèlement, la monarchie accorde aux calvinistes un certain nombre de privilèges ; Catherine de Médicis se voit assigner un rôle de négociatrice face aux menées de François d’Alençon et du parti protestant : édit de Beaulieu (mai 1576) ; paix de Monsieur (août 1576), qui réhabilite les victimes de la Saint-Barthélemy ; convention de Nérac (février 1579). La pratique politique conduit aussi Henri III à tenter de désamorcer les tensions : en 1576, pour neutraliser la ligue de Péronne, hostile à toute concession aux protestants, il en prend lui-même la tête et convoque des états généraux au cours desquels il paraît opter temporairement pour l’élimination de la Réforme par les armes. Mais il laisse ensuite la guerre se défaire d’ellemême, faute d’argent, et la paix de Bergerac (septembre 1577), restrictive par rapport à l’édit de Beaulieu, est un succès pour la monarchie. Henri III pense également que la réforme de l’État est un préliminaire au règlement de la crise civile, et qu’elle doit s’appliquer d’abord au roi et à sa cour : il institue la congrégation des Pénitents de l’Annonciation de Notre-Dame (1583), par laquelle il entend assumer les péchés de son peuple ; il met en place une étiquette accentuant la sacralité du Prince isolé comme un nouveau Christ, et renouvelle l’organisation des conseils (1582). L’administration judiciaire, les offices, les universités, les hôpitaux..., font l’objet d’un effort de rationalisation (grande ordonnance de Blois, 1579), et l’administration financière est réformée (1578-1583). • Une royauté de l’échec. Malgré cette activité intense qui préétablit nombre de bases de la pacification henricienne, le règne d’Henri III est déstabilisé par la stérilité de la reine, la mort du duc d’Alençon, qui fait d’Henri de Navarre l’héritier présomptif du trône (1584), et la formation de la seconde Ligue (septembre 1584-janvier 1585). De nouveau, le roi utilise la médiation de sa mère et cherche à neutraliser la tension en l’assumant (édit du 18 juillet qui déchoit Henri de Navarre de ses droits à la couronne), tout en downloadModeText.vue.download 444 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 433 ménageant le parti protestant. Mais il ne peut empêcher que la Ligue s’organise en force politique, ni que sa propagande tende à une contestation du pouvoir monarchique. Le règne d’Henri III s’achève par deux coups d’État. Le premier vise à investir Paris afin de neutraliser la Ligue, mais la journée des Barricades (12 mai 1588) contraint le roi à quitter la capitale. Le second intervient après une réconciliation avec Henri de Guise, consacrée par l’édit d’union (21 juillet), et la convocation des états généraux à Blois : c’est l’assassinat des frères Guise (23-24 décembre) qui suscite une situation insurrectionnelle dans Paris et certaines villes du royaume. Tandis que la Sorbonne délie le peuple de l’obéissance à son roi (7 janvier 1589), celui-ci réagit en mobilisant une armée, en s’alliant avec le roi de Navarre (3 avril), puis en mettant le siège devant Paris. Le 1er août, Henri III est assassiné par le moine ligueur Jacques Clément. Après cette mort brutale, son personnage resta donc prisonnier de la légende noire façonnée par les ligueurs, d’autant que le règne d’Henri IV fut immédiatement présenté par le pouvoir comme un âge d’or succédant à un siècle de fer. l HENRI IV. Henri IV, roi de France et de Navarre, est une figure faite de contradictions, oscillant dans toutes les séquences de son histoire entre plusieurs images. Il faut se demander si ce n’est pas cette pratique de l’ambiguïté qui conditionna la destinée du roi restaurateur de la paix civile, dans la mesure où elle lui permit de toujours pouvoir se replacer dans la mobilité même de l’histoire. Il faut aussi se demander si elle ne renvoie pas à une idéologie spécifique, qui trouva sa réalisation dans l’absolutisme henricien, et si elle ne reflète pas, plus globalement, une culture baroque au sein de laquelle la vision de l’homme est celle d’un être en mouvement, sans cesse contraint de changer sa persona pour répondre aux vicissitudes d’une fortuna inconstante et pour tenter de réaliser le destin auquel il se sait promis. DÉCHIRURES D’ENFANCE ET D’ADOLESCENCE
Ces contradictions sont perceptibles dès l’enfance et l’adolescence. Par son père, le prince de sang Antoine de Bourbon, le Béarnais descend de Robert de Clermont, tandis que par sa mère, Jeanne d’Albret, il est le petit-fils de Marguerite de Navarre, soeur de François Ier. Né à Pau le 13 décembre 1553, il passe sa petite enfance en Béarn, séjour interrompu par un premier passage à la cour de France en février 1557. Cette période est celle d’un apprentissage des rapports de force et de la nécessité, pour un prince, de se plier aux vicissitudes imposées par le destin. Elle voit l’adhésion différenciée de ses parents aux idées nouvelles : sa mère opte ouvertement pour le calvinisme à partir de 1556, et confie l’éducation du jeune Henri à un gouverneur et à un précepteur calvinistes ; son père, en revanche, se serait peut-être rallié à la solution de ceux que l’on appelait les « moyenneurs », parce qu’ils voulaient promouvoir une solution de conciliation religieuse. C’est dans ce contexte de divergences de vues qu’Henri, en août 1561, se rend une seconde fois à la cour, où il va demeurer cinq ans. Séparé de sa mère et vivant dans l’entourage de ses cousins, il assiste au ralliement de son père à la cause catholique puis au déclenchement de la première guerre de Religion, et accepte de suivre les pratiques cultuelles de la religion traditionnelle. Après la mort d’Antoine de Bourbon, il reçoit les charges de lieutenant général, de gouverneur et d’amiral de Guyenne. Avec les ducs d’Anjou et de Guise, il a peut-être suivi l’enseignement humaniste donné au Collège de Navarre, et, parallèlement à l’apprentissage des exercices physiques, il prend part aux fêtes et aux expériences poétiques qu’encourage la royauté. Lors du grand voyage de la cour à travers le royaume (1564-1566), il revoit temporairement sa mère, qui ne parvient à le ramener à Pau qu’en février 1567, dans un Béarn pour lequel elle a fait le choix de promouvoir la réforme genevoise. Son retour au calvinisme s’accompagne d’un engagement militaire durant la troisième guerre de Religion : il est présent à Jarnac, et la mort de Louis de Condé fait de lui, désormais, le premier prince du sang. Après la défaite de Moncontour le 3 octobre 1569, il suit l’armée de Coligny dans sa longue campagne ; lors de la victoire protestante d’Arnayle-Duc, il aurait, pour la première fois, dirigé lui-même une charge contre l’armée royale. Le prince de Navarre va devenir un enjeu de la paix, puisque Catherine de Médicis, au cours
de négociations difficiles (avril 1572), réussit à obtenir de Jeanne d’Albret qu’il épouse Marguerite de Valois : une union qui, non seulement symboliserait la concorde des Français des deux religions, mais en assurerait « magiquement » la perpétuation. Retardé par le décès de Jeanne d’Albret (9 juin), le mariage a finalement lieu le 18 août 1572, selon un rituel savamment étudié qui voit les deux époux échanger leur consentement et recevoir la bénédiction nuptiale devant Notre-Dame, puis Marguerite assister seule à la messe dans la cathédrale. Henri, désormais roi de Navarre, est épargné par les massacreurs de la Saint-Barthélemy en raison de son sang royal, et abjure le 26 septembre. ENTRE SOUMISSION ET MISSION Les trois années qui suivent constituent une période intermédiaire durant laquelle il est impossible de distinguer la part de doute, de duplicité ou de réalisme du roi de Navarre. Il va jusqu’à signer un édit proscrivant le culte réformé en Béarn, rejoint l’armée royale à l’occasion du siège de La Rochelle, et s’intègre dans l’univers des divertissements de la cour. Il n’en est pas moins vrai qu’il semble s’engager aussi sur la voie du complot, aux côtés du duc d’Alençon - avec qui il tente sans succès, à plusieurs reprises, de s’échapper de la cour en 1573 et 1574. Ce n’est que le 3 février 1576 qu’il réussit son évasion. Il abandonne son épouse Marguerite, avec laquelle ses relations sont déjà détériorées, abjure la religion papiste - peut-être après des hésitations tactiques - (13 juin), et développe une subjectivité providentialiste : il se met en représentation comme l’élu de Dieu, le « nouveau David », et c’est dans cette certitude intime d’être porteur d’une mission qu’il faut chercher à comprendre le temps d’aventures et de combats qui s’ouvre alors. Face au prince de Condé et à sa volonté d’incarner une identité combattante réformée autonome, Henri s’oriente vers le choix d’un rapprochement avec les catholiques languedociens, qui, regroupés derrière le maréchal de Damville, sont partisans d’une lutte calvinistes contre l’exclusivisme catholique et le pouvoir monarchique. PROTECTEUR ET DOMINATEUR DES ÉGLISES RÉFORMÉES La « paix de Monsieur » (août 1576), si elle entraîne un rapprochement avec Henri III, lui permet surtout, par des chevauchées constantes, de marquer de sa présence tant
son gouvernement de Guyenne que ses terres patrimoniales, et de rassembler un entourage dans lequel cohabitent des conseillers ou des militaires calvinistes et catholiques. Parmi les calvinistes, trois personnages se distinguent : François de La Noue, Philippe DuplessisMornay et Maximilien de Béthune. En outre, dès l’assemblée de Montauban de 1577, Henri de Navarre est proclamé protecteur de l’union des protestants et des catholiques. Il dirige en personne les opérations militaires qui conduisent à la paix de Bergerac (17 septembre 1577), pour la signature de laquelle il impose des représentants choisis par lui. Cette montée en puissance du roi de Navarre dans la politique du royaume transparaît dans le voyage qu’entame Catherine de Médicis, à la fois pour amener Marguerite jusqu’à lui et pour négocier l’application de la paix. Le 28 février 1579 est signé le traité de Nérac, à l’occasion duquel Henri de Navarre montre ses capacités pour modérer les exigences de son parti : il parvient à faire accepter aux siens l’abandon de leur revendication de la liberté de culte dans tout le royaume, en échange de l’octroi de places de sûreté. L’installation de Marguerite à Nérac rétablit fictivement l’unité du couple royal, et n’empêche pas le Béarnais, en vertu d’une dénonciation des infractions à la paix, de reprendre les armes, de s’illustrer en s’emparant de Cahors en mai 1580, et de mener des opérations en Guyenne. Le 26 novembre, seul, au nom des huguenots, et malgré l’opposition de Condé, il conclut la paix de Fleix, qui confirme le traité de Nérac. Surtout, il parvient à faire approuver sa décision par l’assemblée des représentants des Églises réformées réunie à Montauban : il se fait le défenseur de la « sujétion » au roi de France, reconnu de droit divin, et se voit confirmé dans sa mission de « protecteur » auquel est due l’obéissance de tous - à commencer par celle des grands, comme Condé ou Turenne. Son but est alors de recréer par la paix les conditions de l’exercice de son gouvernement de Guyenne, et tout se passe comme si Henri était un « vice-roi » (Jean-Pierre Babelon). Fin mars 1582, cependant, intervient une rupture avec Marguerite - qui rejoint la cour de France et n’en reviendra qu’en avril 1584 -, tandis que le roi de Navarre est sous l’emprise amoureuse de Corisande, comtesse de La Guiche. downloadModeText.vue.download 445 sur 975
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434 HÉRITIER ET ADVERSAIRE DU ROI DE FRANCE La mort du duc d’Anjou en juin 1584 replace Henri au coeur des luttes, toujours dans une pratique de l’ambiguïté. Le couple d’Henri III et de Louise de Vaudémont demeurant sans enfant, il se retrouve en situation d’héritier présomptif, selon les règles de dévolution de la couronne déterminées par la loi salique, et en tant que cousin au vingt-deuxième degré du roi régnant. Il est alors en butte à une virulente campagne de libelles ourdie par les ligueurs, qui lui dénient, parce qu’il est « hérétique », de pouvoir revendiquer le trône, s’appuyant sur la promulgation, par le pape Sixte Quint d’une bulle (1585) qui l’a déclaré privé de ses droits à la couronne. Henri est accusé de projeter l’éradication du catholicisme, et son entourage doit s’engager dans un combat polémique acharné, dirigé contre ceux qui sont appelés les « ennemis du royaume » de France, les princes étrangers soupçonnés de vouloir imposer au pays une tyrannie espagnole ; surtout, Henri de Navarre doit faire le choix de la guerre après l’édit du 18 juillet 1585 par lequel Henri III révoque tous les édits de pacification antérieurs et interdit l’exercice du culte réformé. Il radicalise sa position face à la politique royale, et, après avoir refusé l’abjuration qu’est venue réclamer de lui Catherine de Médicis lors des conférences de Saint-Brice (décembre 1586), il décide d’un effort de guerre planifié, qui met à contribution les Églises calvinistes mais aussi ses propres revenus patrimoniaux. Fort de l’appui de certains princes catholiques et grâce à une intense action diplomatique, il s’installe à La Rochelle et parvient à défaire l’armée royale commandée par Joyeuse à Coutras (20 octobre 1587). Cette victoire concrétise son image de « nouveau David », et lui offre un répit au cours duquel, tout en menant des actions de guérilla qui lui permettent d’étendre sa zone d’influence en Poitou, il renforce ses positions dans son gouvernement. ROI DE DROIT DIVIN ET ROI DE LA RAISON Après les mises à mort des frères Guise, c’est au Plessis-lès-Tours, le 30 avril 1589, qu’Henri de Navarre conclut un accord décisif avec Henri III, en vue d’une réconciliation et d’une action militaire commune contre les ligueurs parisiens. Henri III, mourant, le reconnaît
comme son légitime successeur (1er-2 août) ; grâce à une déclaration dans laquelle il fait la promesse de maintenir la religion romaine dans son intégrité, et qui lui permet de rallier une partie de la noblesse royaliste, le Béarnais engage aussi la lutte contre la Ligue. Il commence par lever le siège de Paris, puis porte ses efforts vers la Normandie, où il parvient à remporter la victoire d’Arques (21 septembre) sur l’armée du duc de Mayenne. Son combat se déroule également au travers d’une polémique dirigée contre la propagande des ligueurs : celle-ci dénie toute légitimité à son autorité, en vertu d’une « loi de catholicité », et en appelle au tyrannicide pour éliminer un usurpateur « hypocrite et menteur ». Au contraire, le discours « navarriste » présente le nouveau souverain, d’une part, comme un roi de droit divin et, d’autre part, comme un « nouveau David ». Cet envoyé providentiel a pour mission de restaurer la paix dans le royaume contre des ligueurs mus uniquement par leurs passions et leurs ambitions personnelles, par la volonté de plonger le royaume dans une guerre civile qui s’achèverait par sa destruction et favoriserait le passage sous la domination tyrannique de l’Espagne catholique. En refusant de le reconnaître comme roi, la Ligue offense Dieu et se révèle animée par un sentiment antinational, d’autant qu’à partir du mois de mars 1590 elle reçoit un renfort militaire espagnol. La propagande henricienne insiste aussi, à partir d’une double référence néostoïcienne et prophétique, sur l’idée que le nouveau roi est l’expression du Destin. De ce fait, sa victoire est inévitable, et les Français, plutôt que de tenter de résister à l’ordre des temps - incarné en l’« Hercule gaulois », qui va, grâce à lui, voir le royaume passer du chaos ligueur à un âge d’or -, doivent adopter une attitude de contrôle des passions inhérentes à leur angoisse face à l’avenir. L’obéissance est dite « nécessaire », car nul n’est en mesure de s’opposer au destin ; dès ces années, la royauté guerrière et héroïque d’Henri IV apparaît comme un système absolutiste au sein duquel le roi doit accomplir seul ce qui de toute éternité doit être accompli, les Français devant se plier à l’ordre qui va être mis en place. La restauration de la paix, oeuvre d’une royauté de la Raison, passe donc par un clivage entre l’exercice royal d’une autorité absolue et un désengagement politique des sujets. MACHIAVÉLISME OU SOUMISSION AU DESTIN ?
Dans ce cadre débute une lente pacification du royaume, marquée par plusieurs événements : la victoire d’Ivry, en Normandie (14 mars 1590), l’échec d’une longue tentative d’investissement de Paris (mai-août), la mise en place de parlements et de pouvoirs municipaux royalistes. Mais, malgré les divisions internes de la Ligue, malgré des ralliements aristocratiques (Louis de Nevers), malgré quelques succès face aux villes aux mains des ligueurs, Henri IV se heurte à des difficultés multiples : financières, diplomatiques, militaires. Surtout, à partir de 1592, il est soumis à une pression double : celle des catholiques exclusivistes soutenus par Philippe II, qui se proposent, par une réunion d’états généraux convoqués à Paris en janvier 1593, d’élire un nouveau roi ; puis celle émanant de certains royalistes, qui en viennent à appuyer un prince du sang catholique, le comte de Soissons. Henri prend alors la décision d’abjurer. La cérémonie a pour cadre la basilique de Saint-Denis (25 juillet 1593), et sera suivie d’un sacre dans la cathédrale de Chartres (27 février 1594). Dénoncée par les ligueurs comme « simulée », cette conversion a donné lieu à diverses interprétations. Celles-ci décrivent le plus souvent un prince machiavélien, dissimulateur, réaliste, tacticien ou cynique, agissant en vertu de la conceptualisation d’une « raison d’État » avant la lettre, et par opportunisme politique, ou encore soumis à l’influence de sa maîtresse Gabrielle d’Estrées. On peut aussi avancer qu’Henri IV, en revenant au catholicisme, ne fait qu’aller dans le sens de sa propagande politique, se soumettant à son propre destin : réaliser la pacification civile, même au prix du sacrifice de sa foi. Un sacrifice qui ne devait pas lui apparaître comme dramatique, dans la mesure où la paix, oeuvre de la Raison, était censée créer les conditions d’une réunion des religions. Sa décision n’empêche pas la poursuite de la guerre, même si la Ligue est affaiblie par l’entrée du roi dans Paris (25 mars 1594), le ralliement de princes tels que le duc de Guise, ou l’absolution pontificale (17 septembre 1595). Henri IV, qui est la cible d’une série d’attentats régicides (Barrière, Chastel...), déplace le conflit civil sur un plan international en déclarant la guerre à l’Espagne (17 janvier 1595). Il remporte d’abord la victoire de Fontaine-Française (5 juin), mais subit la défaite de Doullens (24 juillet) et l’échec de la prise d’Amiens en mars 1597 (mais la ville sera reconquise en septembre de la même année) ; puis il obtient progressivement, en échange
de sa grâce et, surtout, de sommes d’argent considérables, la soumission des grands demeurés engagés dans la lutte ligueuse (duc de Mayenne, Joyeuse, Mercoeur...). Le 2 mai 1598, la paix est signée à Vervins avec l’Espagne ; l’édit de Nantes (13 avril-2 mai 1598) octroie aux calvinistes un statut privilégié dans le royaume. ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ POLITIQUES La stabilisation passe alors par une série d’actions politiques qui révèlent une stratégie de mise en valeur de la personne royale. C’est ainsi qu’après avoir obtenu l’annulation canonique de son union avec Marguerite de Valois, Henri IV épouse Marie de Médicis en décembre 1600. La continuation dynastique est assurée par la naissance de Louis, le 27 septembre 1601. C’est ensuite l’autorité monarchique qui, au nom des « libertés françoises » qu’elle a rétablies, est affermie par l’instauration d’un pouvoir « monocratique ». Henri IV gouverne sans recourir à la réunion des états généraux, en s’appuyant sur un conseil restreint, auquel ne participent pas les princes du sang, et sur un personnel constitué d’anciens serviteurs d’Henri III (Bellièvre, Villeroi), ou de compagnons d’armes, tel Sully. Ce dernier, par les multiples attributions qui lui sont confiées, et par la constitution d’une sorte de cabinet de « technocrates », anticipe sur le ministériat de Richelieu ou de Mazarin, voire de Colbert. Parallèlement à sa volonté de montrer que sa loi est d’essence divine, le roi s’efforce de limiter les pouvoirs intermédiaires. Ainsi, il réforme les régimes municipaux afin d’en assurer la prise de contrôle par les officiers, il développe les commissions aux dépens de l’autorité des gouverneurs de province, qu’il limite aux choses militaires, il affirme sa souveraineté devant les états provinciaux (« Vos plus beaux privilèges sont quand vous avez les bonnes grâces de votre roi »), et bride les velléités des parlements d’user du droit de remontrance. Les complots, tel celui de Biron en 1602, donnent lieu à une répression exemplaire. La reconstruction politique passe aussi par une concession fondamentale faite aux détenteurs d’offices royaux, qui consacre le service downloadModeText.vue.download 446 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
435 de l’État par l’instauration d’une nouvelle noblesse : en décembre 1604, l’édit de la paulette « patrimonialise » les offices moyennant le versement annuel d’une somme d’argent égale au soixantième de la valeur de la charge. C’est sans doute une inflexion décisive vers la monarchie absolue qui est engagée, mais elle ne doit pas dissimuler des continuités, car nombre de réformes amorcées durant le règne d’Henri III sont réalisées par Henri IV. Sur le plan religieux, outre la mise en place du régime de privilèges concédés aux protestants, et une volonté affirmée de ne pas laisser le parti calviniste se rendre autonome, Henri IV met en pratique une stratégie de la prudence : s’il n’entreprend pas d’agir contre les « abus » de l’Église, il ne freine pas pour autant la dynamique de la Contre-Réforme, qui se traduit par l’essor d’ordres nouveaux tels que les Ursulines, ou par le retour des Jésuites. Enfin, la paix passe par une action dans le domaine de l’économie, qui est le grand succès du règne. Les finances sont assainies par le biais d’une banqueroute partielle ; par souci d’alléger la taxation du monde paysan, un édit de mars 1600 modère le montant de la taille, alors que l’imposition indirecte est augmentée. Dès 1603-1605, le budget est équilibré. La royauté de la Raison est une royauté pratique qui vise, pour le « bonheur » des sujets, à développer le royaume de manière volontariste. Les axes de circulation terrestres sont remis en état à l’initiative du grand voyer Sully, et le canal de Briare, première réalisation d’un grand projet de réseau navigable reliant la Méditerranée et l’océan Atlantique, souligne l’effort interventionniste de la monarchie. Des cultures comme le maïs, le mûrier, ou la betterave sont encouragées, tandis que des assèchements des marais du Poitou sont menés. Les campagnes rejoignent ainsi rapidement un état d’équilibre, et la production agricole connaît une hausse continue durant la décennie 1600-1610. Barthélemy de Laffemas inspire une politique mercantiliste, qui oriente la balance commerciale dans un sens favorable, et qui se traduit, sur le plan industriel, par une impulsion donnée à la soierie lyonnaise, aux ateliers de tapisseries et de toiles damassées installés à Paris, rue SaintAntoine ou au Louvre même. Sont également encouragés les métiers de l’ébénisterie, de l’orfèvrerie, de la céramique et de la verrerie, par l’attribution de privilèges royaux... Outremer, Sully laisse Samuel de Champlain fonder
un établissement en Acadie en 1604, et s’installer à Québec en 1608. ENTRE PAIX ET GUERRE Toutefois, c’est surtout la paix qui rend compte du succès de la reconstruction du royaume ; un succès sans doute relatif, qui cache un mécontentement larvé des élites urbaines contre la fiscalité ou des gentilshommes contre les clauses d’un édit de 1600 exigeant l’authentification de la noblesse sur trois générations. Un succès qui s’explique également par la dynamique de la propagande henricienne, qui est poursuivie. Celle-ci exalte dans le roi l’être divin sans lequel le royaume retournerait au chaos. Mise en forme dans l’atelier du graveur Jean Leclerc, elle diffuse l’effigie du souverain en Hercule, Apollon, Mars, Auguste, ainsi que l’image des événements majeurs concernant la famille d’« Henry, race des Dieux, le plus puissant des Roys ». La politique henricienne est donc un art de montrer le roi en majesté et de répandre son image de « dieu terrien », façonnant un nouvel âge d’or. Et c’est peut-être dans ce cadre idéologique qu’il faut replacer la politique étrangère d’un souverain qui se veut l’expression de la raison universelle et se pense comme le modérateur de l’équilibre européen face à l’Espagne : dans cette optique, l’espace français est renforcé à l’occasion de la guerre contre la Savoie, à l’issue de laquelle sont annexés la Bresse, le Bugey, le Valromey et le pays de Gex (1601). En outre, Henri IV joue un rôle d’intermédiaire dans les négociations qui conduisent le duc de Savoie à reconnaître l’indépendance de Genève (1603). Par l’alliance de Hall de février 1610, il se fait le soutien des princes d’Empire face à la maison d’Autriche, tandis que les relations avec l’Angleterre et les Provinces-Unies sont suivies, afin de contrer l’hégémonisme espagnol. Il est encore le prince de la médiation entre le pape et Venise... Mais la fragilité de ce « repositionnement » de la France comme puissance européenne éclate dès 1609, à l’occasion de la succession des duchés de Clèves et de Juliers, occupés sur ordre de l’empereur par l’archiduc Léopold, au détriment de deux prétendants protestants soutenus par la France. Cette « affaire » révèle que le principe d’équilibre européen passe par un abaissement des Habsbourg. Henri IV, poussé par Sully, qui y a peut-être vu le moyen de réaliser un problématique « grand dessein », fait le choix de la guerre : il est prévu que le roi prenne la tête de l’armée le 19 mai, après la cérémonie de couronnement de Marie de Médicis à Paris.
DE SA MORT À SES VIES POSTHUMES Dans une capitale décorée de représentations de l’éternité de la dynastie qui a accédé avec lui au trône de France, Henri IV est assassiné le 14 mai 1610 par François Ravaillac, un catholique illuminé dont le geste est une ultime reviviscence de l’imaginaire des ligueurs. Mais cette mort est comme le révélateur de la puissance même de l’idéologie d’une royauté de la Raison, puisqu’elle n’entraîne pas le retour de la guerre civile. Bien au contraire, elle contribue à la pérennité de cette idéologie, dans la mesure où elle favorise immédiatement, à travers la production massive d’oraisons funèbres, l’essor d’une légende privilégiant les images d’un roi pacificateur et magnanime, clément et brave, ami du peuple et dispensateur de la « poule au pot ». Cette légende évoluera au cours des siècles, comme si l’ambiguïté même du « bon roi Henri » permettait toutes les identifications. Au temps de Marie de Médicis, les dévots en font l’un des leurs, tandis que, sous le règne de Louis XIV, il est la figure de l’« honnête homme », et que, sous la Régence, il devient libertin. Sous la plume de Voltaire, Henri le Grand est décrit comme le vainqueur contre l’intolérance, le héros de la liberté de conscience face aux fanatismes, le prince attendri par les malheurs de son peuple, un despote éclairé avant la lettre. On le perçut aussi comme un précurseur des doctrines physiocratiques. Historiquement, son règne apparaît comme l’âge d’or perdu qu’il faudrait retrouver. Au XIXe siècle, la légende henricienne est d’abord utilisée à l’occasion de la restauration bourbonienne, avant de se stabiliser dans une image populaire du Vert-Galant restaurateur de la France, une image de bravoure, de bonté et de paillardise... Cette disponibilité des imaginaires à authentifier dans la figure du Béarnais un idéal politique, moral ou national demeure encore aujourd’hui. Henriot (Philippe), journaliste, homme politique et principal propagandiste du régime de Vichy (Reims 1889 - Paris 1944). Philippe Henriot arrive à Vichy en 1940, après avoir suivi un parcours traditionnel. Issu de la droite catholique, professeur dans l’enseignement privé, puis viticulteur, militant de la Fédération nationale catholique du général de Castelnau, il est élu député conservateur en 1932 puis en 1936. Devenu fortement hostile
au régime républicain, il exprime son antisémitisme et son nationalisme avec violence dans la presse d’extrême droite, de Gringoire à Je suis partout. Au lendemain de la défaite, il met son éloquence au service de la Révolution nationale du maréchal Pétain. Son anticommunisme viscéral l’amène à se rapprocher très tôt des ultras de la Collaboration et à fréquenter les milieux allemands à Paris. Ses causeries à Radio-Vichy, à partir de 1942, et son adhésion à la Milice lui valent d’être nommé secrétaire d’État à l’Information et à la Propagande en janvier 1944, dans un gouvernement ultra-radical. Il consacre alors toute son énergie et ses deux éditoriaux radiophoniques quotidiens à la lutte contre la Résistance, s’en prenant aux « ennemis de la France », Anglo-Saxons, juifs, communistes, gaullistes. Figure emblématique du régime à un moment où la propagande de masse et les nouveaux moyens de communication sont au coeur de la lutte, Henriot est une cible toute désignée pour la Résistance, qui l’abat le 28 juin 1944. Le régime lui organise des obsèques nationales. héraldique. Science historique, l’héraldique a pour objet l’étude des armoiries. Emblèmes composés de figures et de couleurs dont l’agencement sur un écu ou un blason obéit à des règles spécifiques de codification, celles-ci s’apparentent à une sorte de carte d’identité. Apparues en Europe occidentale dans le courant du XIIe siècle, au moment où s’affirme l’émergence d’une conscience individuelle, elles deviennent une marque de distinction sociale progressivement étendue à l’ensemble de la classe chevaleresque, puis à celle de la petite et moyenne noblesse. Dès la première moitié du XIIIe siècle, elles sont adoptées par les communautés civiles (villes, corps de métiers, juridictions...) ou ecclésiastiques (abbayes, ordres religieux...). Elles prennent alors un caractère héréditaire nettement plus marqué. À la fin du XVe siècle, leur nombre se chiffre par milliers. Sous l’Ancien Régime, le port des armoiries est si répandu dans le royaume qu’un recensement est décidé en downloadModeText.vue.download 447 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 436 1696 sous la forme d’un « Armorial général »,
destiné à servir de base d’imposition. La Révolution met fin à cette ostentation généralisée par un décret du 19 juin 1790 qui ordonne la suppression des armoiries. Rétablies en 1808 par Napoléon, elles voient alors leur usage réservé à la noblesse - d’où la confusion trop fréquente entre héraldique et apanage nobiliaire. Cette restriction ne supprime pas pour autant l’héraldique propre aux communautés civiles. La vogue contemporaine de l’héraldique dans les pays d’Europe occidentale, reprise dans l’emblématique urbaine et administrative, en constitue aujourd’hui le témoignage le plus frappant. Le déchiffrement des armoiries, définitivement codifiées au XIVe siècle par des fonctionnaires au service du roi, suppose l’accès à un savant principe d’écriture. Simples ou divisées en quartiers, les armoiries offrent ainsi la possibilité de « lire » l’histoire d’une famille ou d’une communauté et de retrouver le nom de leur possesseur. L’enchevêtrement complexe des sept couleurs de base et de différentes figures animales, végétales, architecturales ou géométriques permet par exemple de traduire le jeu des alliances, des ascendances ou encore l’histoire des principautés. Plusieurs niveaux de significations sont en général repérables. Jouant sur des rébus ou des similitudes phonétiques (sur l’écu de Racine figuraient un rat et un cygne), les armoiries atteignent ainsi parfois la dimension emblématique d’une véritable biographie. Parfois allusives, elles peuvent aussi souligner un dessein politique ou symbolique qui nous demeure hermétique. Conférées à des figures bibliques (Dieu, dès la fin du XIIIe siècle) ou romanesques (de Chrétien de Troyes à Balzac), elles ouvrent aussi un champ d’étude de l’imaginaire, dont le langage reste à découvrir. Herbert II, comte de Vermandois ! Vermandois (Herbert II, comte de) hérésie, opinion religieuse jugée par l’Église catholique comme contraire à la foi. Le mot « hérésie » (issu du grec hairesis, « choix ») est d’abord utilisé par les juifs pour définir les différentes tendances spirituelles internes au judaïsme, avant d’être appliqué, au début de notre ère, au christianisme luimême, alors considéré comme un courant hérétique. Puis, dès le IIe siècle, le même terme est repris par les chrétiens dans un sens polémique. Il sert alors à désigner, au sein de l’Église chrétienne, tout mouvement ou tendance spirituelle supposés se trouver dans
l’erreur ou dans la déviance. • Hérésie et dogme. Dans l’Église primitive des Ier et IIe siècles, une large place est laissée aux opinions diverses qui s’expriment dans les communautés ou dans les assemblées. À mesure que l’Église s’étend dans le Bassin méditerranéen, les divergences liées à des questions doctrinales s’accentuent, et menacent la cohésion de l’identité chrétienne. Elles sont suffisamment nombreuses pour justifier la définition d’un dogme décidant alors du caractère hérétique de tout point de doctrine étranger à la formulation officielle. Le dogme doit ainsi son élaboration progressive à une succession de conciles, inaugurée par le concile de Nicée en 325, date de naissance de l’orthodoxie et, par conséquent, de celle des hérésies. En retour, l’hérésie contribue à faire des dogmes autorisés des vérités infaillibles, qui tendent alors au formalisme. Elle coïncide avec la définition des concepts fondamentaux de l’ecclésiologie et avec la formation du canon scripturaire. Au cours des premiers siècles, les Pères de l’Église dressent de véritables catalogues des hérésies, dont la multiplicité atteste la vigueur des innovations doctrinales dans un christianisme en pleine élaboration. En utilisant, notamment, le genre de la controverse pour faire l’apologie de la doctrine chrétienne, les théologiens réfutent l’ensemble des affirmations hérétiques qui contestent les définitions officielles de la foi. Justin (vers 100-vers165), dans son Traité contre toutes les hérésies, voit en Simon le Mage le père de toutes les hérésies, dont il propose une liste. Cette dernière est complétée par Irénée (vers 130-vers 200) dans son traité Contre les hérésies, qui dénonce les amalgames philosophiques et païens opérés par les sectateurs. Dès le IIIe siècle, les Pères de l’Église combattent de multiples conceptions hétérodoxes, tels le docétisme, qui nie la réalité humaine de l’Incarnation du Verbe - et donc sa Passion et sa Résurrection -, ou encore le dualisme, conception selon laquelle le monde est gouverné par deux principes opposés, etc. Le manichéisme, le pélagianisme ou le macédonianisme - hérésies orientales qui ont alors peu d’influence en France - sont encore l’occasion pour les théologiens d’affirmer l’unité de Dieu, la nécessité de l’aide de Dieu et la divinité du Saint-Esprit. • Les hérésies médiévales. Entre le IVe et le VIIe siècle, c’est surtout autour de l’arianisme et du nestorianisme que se cristallisent les querelles majeures relatives à la nature
divine et humaine du Christ. La lutte contre les hérésies est dès lors étroitement liées à la définition du monothéisme d’État en Orient et à la constitution des royaumes en Occident (Gaule franque, par exemple, où les Mérovingiens s’appuient sur l’épiscopat pour étendre leur domination). Les hérésies continuent néanmoins de se multiplier pendant tout le haut Moyen Âge, et prennent une forme de contestation multiforme, allant de la réaction théologique à la revendication sociale, voire à une forme de résistance de type national (pauliciens ou bogomiles en Flandres, Rhin, Champagne, par exemple). Dans la lignée des hérésies récusant l’autorité de l’apôtre Pierre, de nombreux courants dissidents aux tendances manichéennes sont liés aux mouvements réformateurs du XIe siècle. Leurs revendications de nature évangélique se mêlent à des critiques d’ordre moral, qui ajoutent au discrédit de l’Église, critiquée pour ses moeurs dépravées et l’immoralisme de son clergé (simonie, nicolaïsme). Les hérésies, dans l’ensemble, ne remettent plus en cause les fondements dogmatiques du christianisme et les grands mystères de la foi chrétienne (Trinité, Eucharistie, Salut, etc.) mais prennent pour cible la décadence de l’Église par rapport aux temps évangéliques, et ses structures institutionnelles. Dans le sillage des premiers réformateurs inspirés (Éon de l’Étoile, Pierre de Bruys ou Henri du Mans, etc.), surgissent, au XIIe siècle, des mouvements de laïcs prêchant l’Évangile au nom de leurs pratiques apostoliques et de leur pauvreté volontaire. Parmi eux, les « pauvres de Lyon », ou vaudois (du nom de leur prédicateur Pierre Valdo), très présents dans la région lyonnaise et le monde alpin, sont condamnés en 1184. À la différence de celle des vaudois, la doctrine des cathares est incompatible avec le dogme du christianisme. La simplicité apparente du catharisme, professant notamment le dualisme et l’ascétisme, trouve de nombreux adeptes, surtout dans le midi de la France et en Italie. En pleine phase d’expansion après 1140, l’hérésie cathare est violemment réprimée par l’Église. Dès le concile de Tours (1163), les cathares sont menacés d’excommunication, mais aussi de peines de prison ou de confiscations de biens. Après l’appel à la guerre sainte par le pape Innocent III, la croisade contre les albigeois est lancée par le roi Philippe Auguste à partir de 1208. En 1231, le pape Grégoire IX institue une juridiction d’exception, l’Inquisition, qui constitue alors l’instrument majeur de la répression contre les hérétiques. Ainsi, le
catharisme disparaît dans la première moitié du XIVe siècle. Non moins virulentes à la fin du Moyen Âge, les hérésies continuent d’affronter le pouvoir ecclésiastique par des attitudes proches du prophétisme ou de la vision inspirée. Le mouvement du Libre-Esprit s’inscrit dans cette forme de dissidence, qui prône le pur amour de Dieu en refusant l’idée d’un salut suspendu à la seule médiation de l’Église visible. Le succès de ces idées auprès des béguines et des bégards suffit à désigner comme dissidentes ces communautés spirituelles à la frontière du traditionnel clivage entre les clercs et les laïcs. Ordonné par l’inquisiteur de Paris en 1372, le supplice des hérétiques « turlupins », qui préconisent une même absence de médiation, est emblématique de l’efficacité de la répression mise en place par une Église attaquée de toutes parts. L’annonce, pour les millénaristes, de la venue d’une église spirituelle et égalitaire dans la ligne de pensée ouverte par les écrits du Calabrais Joachim de Flore (vers 1130-1202), continue ainsi d’allumer des foyers de dissidence. Les « spirituels » de l’ordre franciscain, restés fidèles à l’esprit de pauvreté de François d’Assise, sont ainsi condamnés comme hérétiques pour leurs prophéties sur la fin de l’Église et l’avènement du règne de la bonté, de la paix et de la sainteté. Cette branche dissidente est dissoute en 1341. La crise institutionnelle traversée par l’Église au moment du grand schisme d’Occident (1378-1417) concourt à la multiplication de petits groupes hérétiques informels. Leurs aspirations, empreintes le plus souvent de violentes revendications sociales ou nationales, rappellent les amalgames et les syncrétismes caractéristiques des hérésies médiévales : rejet de l’Église institutionnelle, aspiration à l’évangélisme, exaltation de l’amour divin, etc. • Réformes et dissidences. Insatisfaits des compromis mise en oeuvre par les différents conciles de la fin du XIVe et du XVe siècles pour réduire la fracture ecclésiale, les courants rédownloadModeText.vue.download 448 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 437 formateurs adoptent des positions de plus en plus radicales à l’égard de l’Église romaine. Considéré par les catholiques d’alors comme une hérésie majeure, le protestantisme (sous ses diverses formes de luthéranisme et de
calvinisme) donne lieu à l’organisation de véritables Églises. L’orthodoxie protestante engendre à son tour ses propres dissidences et ses propres formes de répression pour affirmer l’absolue vérité de son dogme (supplice du médecin Michel Servet à Genève en 1553, qui confirme le passage d’une doctrine persécutée en religion persécutrice). Les hérésies connaissent une recrudescence au XVIIe siècle : « piétisme » visionnaire annonçant la venue d’une ère nouvelle, « quiétisme » de Miguel de Molinos (1628-1696) ou de ses émules, tels que la Lilloise Antoinette Bourignon (1616-1680), exaltant l’abandon total en Dieu et le retour à l’androgynat originel, etc. Sur le front catholique, la hantise d’autres dissidences conduit la Contre-Réforme à une opposition radicale à toute forme de déviance, voire de mysticisme suspect. Très violente en Espagne et en Angleterre, cette répression, qui condamne notamment les hérétiques « illuminés » (alumbrados) ou les « libertins » au bûcher, voit l’Église s’installer dans une forme d’immobilisme et de conformisme. En France, le jansénisme fait ainsi l’objet de « tests d’orthodoxie » mis en place par l’Église pour éprouver la cohérence de ses formulations théologiques. Le dogme catholique se durcit dans des propositions autoritaires et démonstratives dénuées de toute souplesse théologique. L’exécution en 1766 du jeune chevalier de La Barre pour « crime d’impiété » constitue l’un des derniers sursauts de cette lutte séculaire contre les déviances doctrinales. L’incroyance et l’athéisme du siècle des Lumières, en prônant une émancipation à l’égard de toute religion, prend autant pour cible les hérésies que l’Église. Le déisme des Philosophes n’en constitue pas moins, par définition, ... une hérésie ! La Révolution française supprime l’existence juridique de l’hérésie en mettant fin au pouvoir répressif et pénal de l’Église. Les non-conformismes religieux d’aujourd’hui, qui ne cessent d’osciller entre secte et dissidence, continuent paradoxalement, comme au cours des premiers siècles, de montrer l’effervescence et la vitalité religieuses du christianisme. Dans ce contexte, l’oecuménisme actuel, prôné par l’Église, constitue le meilleur rempart contre l’éclatement de la communauté chrétienne auquel les hérésies n’ont cessé de travailler depuis les origines. Héroard (Jean), médecin (Montpellier 1551 - La Rochelle 1628).
Jean Héroard est issu d’une dynastie de médecins installée au XVIe siècle à Montpellier. Son père, Michel, est un chirurgien gagné aux idées de la Réforme. Lui-même commence sa carrière au service des derniers Valois comme chirurgien des Écuries à la cour de Charles IX. De cette expérience, il tire un ouvrage, publié en 1599 : l’Hippostéologie ou Traité des os du cheval. Après un séjour à Montpellier, où il poursuit ses études, il devient médecin. Il rejoint alors la cour d’Henri III, où il demeure jusqu’à la mort de ce dernier. Témoin des événements de la fin de son règne, il est probablement l’auteur du Récit de la mort des ducs et cardinal de Guise. Il entre ensuite au service d’Henri IV dont il a la confiance. En 1601, il est nommé médecin du dauphin dès la naissance de ce dernier. Il profite de cette fonction pour tenir un journal quotidien, où il note les observations et les descriptions qui se rapportent à l’évolution de son royal patient. C’est un document unique, qui a fait la célébrité posthume d’Héroard. Les faits qu’il relate concernent l’hygiène quotidienne du dauphin : ses repas, ses exercices, ses maladies, ses humeurs, les soins fournis. Mais, aussi, les principaux événements de la vie du jeune prince : son éducation, la formation de son caractère, les rapports avec ses familiers et, même, certains faits politiques. En 1610, à son avènement, Louis XIII, fait d’Héroard son premier médecin, consécration d’une longue carrière. Herr (Lucien), philosophe, théoricien du socialisme, bibliothécaire de l’École normale supérieure (Altkirch, Haut-Rhin, 1864 - Paris 1926). Petit-fils de paysan, fils d’un instituteur alsacien ayant opté pour la France, Lucien Herr est un bon représentant du modèle de la réussite scolaire mis en place par la République. Admis en 1883 à l’École normale supérieure, il est reçu deuxième à l’agrégation de philosophie en 1886. En 1888, il obtient, sur sa demande, le poste de bibliothécaire de la rue d’Ulm, poste qu’il conservera durant trentesept années consécutives. Grâce à cette fonction relativement modeste, il exerce une influence intellectuelle - il est, notamment, un admirable connaisseur de la philosophie allemande - et politique sur des générations de normaliens. En 1889, il adhère à la Fédération des travailleurs socialistes, parti possibiliste hostile aux guesdistes, puis, en 1890, au Parti ouvrier socialiste révo-
lutionnaire (POSR) du typographe Jean Allemane. Il joue un grand rôle lors de l’affaire Dreyfus en mobilisant nombre d’intellectuels de gauche, qu’il convainc de l’innocence du capitaine Dreyfus. Il fréquente alors très régulièrement Jaurès et Blum - qui se lient d’amitié -, ou Péguy, qu’il tire d’embarras financiers, avant de se brouiller avec lui. Herr est favorable à la participation du socialiste Millerand au gouvernement Waldeck-Rousseau, pour enraciner la République avec le soutien de « l’énergie socialiste » (Jaurès). On lui attribue d’avoir trouvé le titre du journal que Jaurès fonde en 1904 : l’Humanité. Il y écrit des articles de politique internationale jusqu’en 1905. Il soutient la création du parti socialiste unifié (SFIO), mais se tient à l’écart de toute action partisane, restant cependant fidèle, jusqu’à sa mort, à ce qu’il appelait « l’idée socialiste ». Herriot (Édouard), homme politique (Troyes 1872 - Saint-Genis-Laval, Rhône, 1957). Fils d’un officier sorti du rang, promu par la méritocratie républicaine qui le conduit du lycée de La Roche-sur-Yon à l’École normale supérieure, Édouard Herriot est, selon l’historien Serge Berstein, « la République en personne ». Entré en politique lors de l’affaire Dreyfus, il conquiert en 1905 la mairie de Lyon, ville qu’il dirige magistralement pendant plus d’un demi-siècle et dont il transforme l’urbanisme grâce à l’architecte Tony Garnier. Parallèlement à cette forte implantation locale, la carrière nationale d’Herriot débute en 1916, lorsqu’il devient ministre du gouvernement Briand. Mais c’est sa nomination à la tête du Parti radical, en 1919, qui le place au premier plan de la scène politique. Désireux de reconstruire le parti, il l’oriente à gauche tout en privilégiant les notables aux dépens des militants. La victoire du Cartel des gauches en 1924 le porte à la présidence du Conseil mais s’achève par une forte crise financière, qui entraîne la chute du gouvernement en avril 1925. Après une deuxième tentative infructueuse en 1926, Herriot accepte le ministère de l’Instruction publique dans le cabinet d’union nationale de Poincaré. Cependant, sous la pression de l’aile gauche du Parti radical dirigée par Daladier, il doit démissionner deux ans plus tard. L’échec d’une nouvelle expérience gouvernementale en 1932 et les contestations du groupe réformateur des « Jeunes Turcs » achèvent de donner de lui l’image d’un homme attaché à des
valeurs révolues. Ministre dans plusieurs cabinets de droite au lendemain du 6 février 1934, réservé à l’égard du Front populaire, il est néanmoins élu président de la Chambre des députés en juin 1936. Antimunichois, il s’abstient pourtant lors du vote des pleins-pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940, après avoir soutenu Reynaud dans l’espoir de sauver la IIIe République. Son attitude durant l’Occupation sera faite d’hésitations, ce qu’explique notamment son incapacité à rompre avec une version légaliste de la politique, et, donc, à se rapprocher du général de Gaulle. Exilé dans un sanatorium à Berlin en août 1944, Herriot retrouve la mairie de Lyon à son retour en 1945, ainsi que la présidence honorifique du Parti radical. Par ailleurs, président de l’Assemblée nationale de 1947 à 1954, impuissant à endiguer le déclin du parlementarisme jadis triomphant, Édouard Herriot continue de symboliser, aux yeux de ses contemporains, une IIIe République déshonorée par la défaite de 1940. Hetzel (Jules), homme de lettres (Chartres 1814 - Monaco 1886). Éditeur dont la carrière fut interrompue par huit ans d’exil (1851-1859), Hetzel mêle les éditions de luxe aux « livraisons à quatre sous », « la littérature pour les mioches » aux textes littéraires, savants ou politiques, accordant toujours une grande importance à l’image. Commis de librairie chez A. Paulin en 1836, Hetzel devient son associé en 1838. Outre son aptitude à saisir l’air du temps, il apporte soin et talent au choix des textes, des illustrations et à la fabrication des livres (cartonnages). L’appui financier de Furne, Dubochet et Paulin, et un important fonds religieux lui permettent de devenir indépendant en 1842. En février 1848, il se lance dans la révolution : chef de cabinet de Lamartine, Hetzel ne verra pas son downloadModeText.vue.download 449 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 438 rêve républicain survivre aux émeutes de juin. Exilé après le coup d’État du 2 décembre 1851, il rencontre Hugo à Bruxelles, fait publier Napoléon-le-Petit avant d’éditer les Châtiments dans la clandestinité. Auteur lui-même et traducteur - sous la signature de P.-J. Stahl -, il collabore avec les plus grands illustrateurs :
Grandville (Scènes de la vie privée et publique des animaux, 1842), Gavarni (OEuvres choisies, 1846 ; le Diable à Paris), Tony Johannot (le Voyage où il vous plaira), Cham, Bertall, puis Doré (les Contes de Perrault, 1861), Schuler, Froelich (Albums de Mademoiselle Lili), Riou, Neuville. Au moment de lancer les séries du Diable à Paris, du Magasin des enfants (devenu en 1864 le Magasin d’éducation et de récréation), Hetzel publie la Comédie humaine de Balzac (1842) et participe à la célèbre préface. Il édite, entre autres, les oeuvres de Sue, Dumas, Nodier, Janin, Musset, Gautier, Stendhal, Hugo, Sand, Erckmann-Chatrian (le Conscrit de 1813), Daudet, Reclus, Karr, Proudhon, A. Laurie, Stevenson (l’Île au trésor, 1884) et, en 1862, Cinq semaines en ballon, le premier des 56 volumes des Voyages extraordinaires de Jules Verne (plus de mille éditions). Hetzel est alors tel que l’a saisi Gavarni : foulant Paris aux pieds, il règne en monarque diabolique et génial sur les auteurs et illustrateurs qui font le XIXe siècle. heures (livre d’) ! livre d’heures Hexagone, métaphore désignant la France métropolitaine. Délaissant le « pré carré » cher à Vauban, la France contemporaine se cherche, auprès des géographes, une forme : octogonale pour Élisée Reclus, pentagonale pour Emmanuel de Martonne, elle se fixe à la fin du XIXe siècle dans le polygone à six côtés. Figure pédagogique d’abord, puisque c’est le Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire (18821886) de Ferdinand Buisson qui impose la description d’un pays au tracé « symétrique, proportionné et régulier » : mais l’Hexagone demeure une abstraction que ne relaient aucun schéma ni aucune carte. Figure de rhétorique sans figuration, l’Hexagone a d’autant plus de mal à s’imposer que sa symbolique réduit la France aux limites de la métropole, dont la vocation est alors celle d’un empire colonial. Rien d’étonnant donc si l’emploi figuré se trouve consacré au lendemain des épisodes de la décolonisation. Et le logotype hexagonal a désormais rejoint dans l’imaginaire collectif le profil de Marianne. Hincmar, archevêque de Reims (806 - Épernay 882). Élevé à Saint-Denis, Hincmar fréquente la cour de l’empereur Louis Ier le Pieux, dans l’entourage d’Hilduin, abbé de Saint-Denis et archichapelain depuis 822. Dès 840, Hincmar se range aux côtés de Charles le Chauve, fils de
Louis, qui lui donne le siège archiépiscopal de Reims, où il est consacré le 9 mai 845. Il devient alors une figure centrale du royaume occidental. En 858, lors de la tentative d’invasion de Louis le Germanique, il organise la résistance de l’épiscopat. Il oeuvre aussi pour empêcher le divorce de Lothaire II, petit-fils de Louis le Pieux et roi de Lotharingie, dont le royaume, dépourvu d’héritier légitime, tombe aux mains de Charles le Chauve, qu’Hincmar sacre lui-même à Metz en 869. Il semble cependant perdre de l’influence à la fin du règne, car Charles part en Italie contre son avis. Après la mort de Charles (877), il se comporte quand même comme un tuteur des jeunes rois Louis III le Victorieux et Carloman, pour lesquels il écrit plusieurs traités qui sont autant de programmes de gouvernement. Le rôle d’Hincmar ne se limite pas au domaine politique : c’est aussi un évêque soucieux de la bonne administration de son diocèse, déployant une intense activité pastorale et défendant âprement ses prérogatives de métropolitain. Il intervient également dans les querelles doctrinales et compose des traités théologiques. Enfin, il entend élever définitivement Reims au premier rang des églises du royaume, et rédige, pour ce faire, une Vie de saint Remi où sont mentionnés pour la première fois le miracle de la sainte ampoule et la légende faisant du baptême de Clovis un véritable « sacre ». Hoche (Lazare), général républicain (Versailles 1768 - Wetzlar, Prusse, 1797). Engagé à 16 ans dans les gardes-françaises, Hoche est caporal au début de la Révolution. Il est promu sergent lorsque son régiment, gagné aux idées nouvelles,est incorporé dans la Garde nationale parisienne en septembre 1789. Chargé, en janvier 1792, de défendre les frontières, il gagne rapidement ses galons de capitaine, se distingue lors de la campagne de Hollande, et prend une part active à la défense de Dunkerque, en août 1793. En octobre de la même année, il reçoit, à l’âge de 25 ans, le commandement en chef de l’armée de la Moselle. À ce poste, il rétablit la situation, libère l’Alsace et contraint les Autrichiens au repli. Mais le général Pichegru, jaloux de ce succès, le discrédite auprès du Comité de salut public, qui le fait arrêter le 1er avril 1794. Libéré après la chute de Robespierre, Hoche est chargé de pacifier l’ouest du pays. Pour cette délicate mission, il allie la dis-
cussion et la force. La stricte discipline qu’il fait régner parmi ses hommes et sa tolérance dans les affaires religieuses lui assurent le respect de la population. Il traque toutefois sans relâche les chefs chouans et vendéens, et, dans le même temps, promet l’amnistie aux insurgés qui déposeraient les armes. En juillet 1795, il contraint à la capitulation les quelque 4 000 émigrés débarqués à Quiberon le 27 juin. L’Ouest n’est plus une menace quand, fin 1796, Hoche prépare une expédition pour soutenir une révolte irlandaise contre l’Angleterre. Mais une tempête fait échouer le projet. À la tête de l’armée de Sambre-et-Meuse, il entre en campagne pour appuyer l’armée d’Italie au printemps 1797. Victorieux, il arrête sa progression en avril, lorsque Napoléon signe avec l’archiduc d’Autriche l’armistice de Leoben, préliminaire du traité de paix de Campoformio. Les royalistes ayant gagné les élections de l’an V (avril 1797), les trois directeurs républicains - les triumvirs Barras, Reubell et La Revellière-Lépeaux - font appel aux militaires pour sauver la République. Hoche fait marcher ses soldats sur Paris et reçoit, le 14 juillet, le poste de ministre de la Guerre, poste auquel il doit renoncer sous la pression du Corps législatif. Ses troupes, sous les ordres du général Augereau envoyé par Bonaparte, exécutent le coup d’État du 18 fructidor an V (4 septembre 1797). Le 9 septembre 1797, Hoche meurt au camp de Wetzlar, des suites d’une tuberculose. L’hypothèse d’un empoisonnement criminel a été évoquée, mais, même si la disparition de ce héros de la Révolution est favorable à Bonaparte, elle demeure sans fondement. Hô Chi Minh (Nguyên Tat Thanh, dit), révolutionnaire et homme politique vietnamien (Kêm Liên, Annam du Nord, 1890 - Hanoi 1969). Fils d’un lettré révoqué pour son opposition à la domination française, il connaît une enfance pauvre et s’embarque comme aidecuisinier sur un bateau pour venir en Europe en 1911. Il vit à Londres, puis à Paris, où il prend le nom de Nguyên Ai Quoc (« Nguyên le patriote ») et exerce un temps le métier de retoucheur de photographies. Militant socialiste, fondateur de la feuille révolutionnaire le Paria, il assiste au congrès de Tours (1920) et opte alors pour la tendance communiste.
En 1923, il gagne Moscou, où il achève sa formation politique et d’où il se rend, deux ans plus tard, en Chine puis au Siam. Après avoir animé l’organisation des Jeunesses révolutionnaires indochinoises, il fonde à Hong-kong le Parti communiste indochinois (octobre 1930). Bientôt emprisonné par les Britanniques, puis relâché, détenu à nouveau par les Chinois, il reparaît en 1941 en Chine du Sud. Il est dès lors connu sous le nom d’Hô Chi Minh (« Celui qui donne la lumière »). Fort de l’appui du Kuomintang et des Américains, il fonde, en mai 1941, la Ligue révolutionnaire pour l’indépendance du Viêt-nam (Viêt-minh), organe de résistance contre les occupants japonais. Mais, au lendemain du coup de force du 9 mars 1945, par lequel les Japonais éliminent l’administration française du régime de Vichy, il rompt avec ses alliés modérés et proclame la République démocratique du Viêt-nam (2 septembre 1945). Il négocie avec le haut-commissaire de France Jean Sainteny des accords (6 mars 1946) qui reconnaissent cette nouvelle République comme un État libre au sein de l’Union française, accords bientôt rendus caducs par la politique de l’amiral d’Argenlieu. Avec le général Giap, et avec l’aide soviétique, Hô Chi Minh mène la lutte contre la France lors de la guerre d’Indochine, qui prend fin par les accords de Genève et la partition du Viêt-nam (juillet 1954). Installé à Hanoi, il continue, au cours de la seconde guerre du Viêt-nam, de se consacrer à la réunification du pays, mais meurt le 3 septembre 1969, six ans avant la prise de Saigon (1975), ville qui allait dès lors porter son nom. Hollande (guerre de), deuxième guerre, après celle de Dévolution (1667-1668), menée par Louis XIV, et qui oppose la France d’abord downloadModeText.vue.download 450 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 439 aux Provinces-Unies, puis à une vaste coalition européenne (1672-1678). Bien qu’alliées de la France, les ProvincesUnies veulent borner l’expansion de cette dernière aux Pays-Bas. De son côté, Louis XIV s’est résolu à la guerre. Jaloux du commerce hollandais, Colbert renforce la flotte, tandis que Turenne et Louvois lèvent la plus forte armée d’Europe. Une intense campagne diplomatique est menée pour isoler les Provinces-Unies. Par le traité secret de Douvres
(1er juin 1670), Charles II d’Angleterre, tenté par le catholicisme, promet son aide, moyennant un subside annuel. On fait miroiter à l’empereur germanique Léopold Ier un partage des Pays-Bas espagnols ; la neutralité de la Bavière est acquise. Sur le Rhin, l’Électeur de Cologne et l’évêque de Münster dirigent un parti français. Mais quand, en août 1670, les Français chassent de Lorraine Charles IV, hostile à Louis XIV, l’indignation du Saint Empire les contraint à retarder l’offensive. En mars 1672, Charles II déclare la guerre aux Provinces-Unies. Louis XIV passe le Rhin le 12 juin. Quarante villes sont prises, mais les Hollandais ouvrent les écluses le 20 juin : sans navire - Ruyter a battu la flotte francoanglaise à Sole Bay, le 7 juin -, le roi échoue devant Amsterdam. Jugés trop faibles, les républicains Jean et Cornelis de Witt sont assassinés, et Guillaume III d’Orange-Nassau, ennemi irréductible de Louis XIV, devient stathouder des Provinces-Unies. La guerre éclair a échoué. Le Brandebourg protestant apporte son soutien aux Hollandais, rejoint en août 1673 par l’Espagne et le le Saint Empire. Face à cette coalition, et malgré la prise de Maastricht, Louis XIV évacue les Provinces-Unies en décembre 1673. Bien qu’une paix séparée soit conclue, en février 1674, entre l’Angleterre et les Provinces-Unies, sous la pression d’une opinion anglaise sensible aux malheurs d’une nation protestante, la guerre continue. La FrancheComté est conquise en mai-juin 1674 ; Condé est vainqueur à Seneffe, aux Pays-Bas espagnols, en août ; le Palatinat est dévasté. En octobre, les Impériaux envahissent l’Alsace, néanmoins sauvée par Turenne, à Turckheim, le 5 janvier 1675. Séduite par l’argent français, la Suède attaque le Brandebourg, également en janvier, mais elle est vaincue à Fehrbellin. Au large de la Sicile, Duquesne, envoyé au secours de Messine révoltée contre l’Espagne, bat Ruyter à Augusta, près de Syracuse, le 22 avril 1676. Mais cette victoire est sans lendemain. Toutefois, en mars 1678, la prise de Gand par Louis XIV offre un gage pour les négociations. À Nimègue, plusieurs traités sont signés : le 10 août 1678, la France et les Provinces-Unies s’accordent pour une paix sans annexion ; le 17 septembre, l’Espagne doit céder à la France la Franche-Comté et douze places des Pays-Bas espagnols, parmi lesquelles Saint-Omer, Ypres, Valenciennes et Cambrai. Arbitre de l’Europe, Louis XIV n’a pourtant abattu aucun de ses ennemis, et
l’alliance anglaise s’est révélée fragile. hommage, acte par lequel le vassal se déclare l’homme d’un seigneur. De ce rite naît un lien entre les deux parties, que seule la mort peut dissoudre. Le déroulement de la cérémonie de l’hommage est bien connu, surtout par l’iconographie, rares étant les textes où elle est décrite. Le futur vassal doit répondre à la question : « Veux-tu devenir mon homme ? » Il s’agenouille alors face à son seigneur et place ses deux mains jointes entre les siennes. Celui-ci le relève et scelle le pacte en l’embrassant sur les lèvres. Placer ses mains entre celles du seigneur revient à accomplir le même geste que le paysan à la recherche d’un protecteur : c’est donc créer une inégalité entre les deux parties et établir une dépendance. Celle-ci constitue le fondement d’obligations pesantes. Le vassal doit obéir en tout à son seigneur, lui apporter l’aide militaire, c’est-à-dire combattre à ses côtés, et le conseil, c’est-à-dire paraître à sa cour. Toutefois, le rite corrige cette inégalité aussitôt qu’elle est établie : la dépendance n’est pas dégradante comme elle l’est pour les paysans. En effet, le seigneur relève son vassal et l’embrasse : il le place ainsi au même niveau que lui et, d’une certaine façon, l’honore. Le vassal fait partie du groupe aristocratique dont il partage le mode de vie, les valeurs et la culture, le fief devant lui permettre de tenir son rang. Homo erectus, stade de l’évolution humaine, entre - 1,5 million d’années et - 200 000 ans environ, au cours duquel l’homme apparaît pour la première fois en Europe. Plus qu’une espèce particulière, Homo erectus est donc un moment dans une évolution continue, entre Homo habilis, d’une part, et les premiers Homo sapiens, de l’autre. C’est en effet avec lui que l’homme « sort » du continent africain pour occuper l’ensemble de l’Ancien Monde. Par rapport à ses prédécesseurs, il possède une capacité crânienne plus grande, qui peut atteindre 1 200 centimètres cubes. La robustesse du squelette, l’absence de menton, l’importance de la denture et du bourrelet sus-orbital (arcade sourcilière), sont des caractères archaïques. Mais le volume crânien et la face prennent place dans le processus continu de l’hominisation, tout comme les capacités psychomotrices qu’atteste l’ou-
tillage. Homo erectus est en effet le premier à maîtriser le feu. En France, les foyers aménagés de la grotte de Lunel, dans l’Hérault, sont parmi les plus anciens connus. Cette maîtrise suppose un rapport nouveau à l’espace, centré autour d’un foyer permanent, mais aussi au temps, lorsqu’il s’agit d’alimenter le foyer. En outre, Erectus fabrique les premiers outils symétriques, les bifaces. Ces lignes inutilement régulières peuvent être mises au compte d’un certain « surplus » psychique, dégagé des strictes nécessités de la survie. On a pu y voir l’une des formes de l’hominisation. En outre, la variété des outils selon les régions démontre qu’il existe désormais une « mémoire culturelle », inscrite dans les objets fabriqués, et qui permet aux différents groupes humains de se distinguer les uns des autres. Il existe, sur une aussi longue période, plusieurs variétés d’Erectus. Les plus anciens ont été découverts en Afrique de l’Est, près du lac Turkana. On connaît aussi le pithécanthrope de Java, le sinanthrope du site chinois de Zhoukoudian, ou encore l’australanthrope d’Afrique du Nord. En Europe, les vestiges les plus anciens sont ceux d’Atapuerca, en Espagne. En France, les sites - nombreux - habités par Homo erectus correspondent au paléolithique inférieur. Ils ne sont guère antérieurs à - 700 000 ans, et l’existence de sites beaucoup plus anciens, notamment en Auvergne, reste discutée. On n’a mis au jour que de très rares restes humains. Les mieux conservés, ceux de Tautavel (Pyrénées-Orientales) ou de BiacheSaint-Vaast (Pas-de-Calais), semblent appartenir à des formes très évoluées, qui annoncent déjà l’homme de Néanderthal. C’est sur ce dernier que débouche en Europe Homo erectus, parallèlement à d’autres évolutions locales dans le reste de l’Ancien Monde. L’une d’elles donnera naissance, en Afrique orientale, à Homo sapiens sapiens, l’homme moderne. Homo sapiens, forme la plus récente de l’évolution humaine, caractérisée par l’homme de Néanderthal (il y a environ 300 000 ans), puis par Homo sapiens sapiens, l’homme moderne. La classification du genre Homo a connu un certain nombre de péripéties, qui tiennent à la fois au souci humain de se démarquer de toutes les autres espèces comme aux aléas des découvertes paléontologiques. Au sein des êtres vivants actuels, le genre Homo ne compte qu’une seule espèce, Homo sapiens, qui ne renferme elle-même qu’une seule
sous-espèce, Homo sapiens sapiens. Toutes les autres formes, Homo habilis, Homo erectus, Homo sapiens neanderthalensis (sans compter d’innombrables dénominations tombées en désuétude), sont des espèces ou sous-espèces fossiles. Mais le refus de classer les australopithèques parmi les Homo tient plus à des pesanteurs idéologiques qu’à des définitions scientifiques précises. En outre, l’ensemble de ces espèces et sous-espèces ne sont pas séparées par des cloisons étanches : il faut plutôt y voir des moments dans un processus à la fois continu et buissonnant, les sauts éventuels étant surtout constitués des lacunes de notre documentation. On considère que l’homme de Néanderthal, Homo sapiens neanderthalensis, est la forme la plus ancienne connue d’Homo sapiens. De fait, mis à part quelques détails de la boîte crânienne, rien ne distingue Néanderthal de l’homme actuel dans son aspect général, ni, peut-être, dans ses capacités psychomotrices. Mais Néanderthal n’est qu’une évolution locale d’Homo erectus, parallèlement à d’autres évolutions, moins bien connues, dans d’autres régions de l’Ancien Monde. En tout cas, il semble bien, du moins d’après les datations physico-chimiques, que Homo sapiens neanderthalendis ait cohabité au Proche-Orient pendant plusieurs dizaines de millénaires avec une autre sous-espèce, Homo sapiens sapiens, l’homme moderne, qui apporte les premières preuves claires d’une pensée symbolique. downloadModeText.vue.download 451 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 440 Ce dernier serait apparu entre - 200 000 et - 100 000 ans en Afrique orientale et peut-être au Proche-Orient, et serait issu des Erectus locaux. C’est après ce long temps de coexistence que Sapiens sapiens se serait peu à peu répandu dans le reste du monde. Il prendrait pied en Europe du Sud-Est vers - 40 000 ans et atteindrait le territoire de la France vers - 30 000 ans (civilisation aurignacienne), remplaçant les derniers Néanderthal de la civilisation de Châtelperron. La possibilité de croisements biologiques entre les deux sous-espèces reste discutée. Il est évident que l’évolution humaine est appelée à se poursuivre, sauf si elle est contrariée par des manipulations génétiques. Les évolutions visibles sur une très courte pé-
riode, et qui prolongent les traits antérieurs, sont une tendance continue à l’effacement du dimorphisme sexuel dans le squelette et à sa gracilisation. honnête homme, idéal de la sociabilité du XVIIe siècle qui synthétise une tradition française illustrée par Montaigne et un courant de pensée italien exprimé par le Courtisan (1528), de Baldassare Castiglione. Élaboré par Nicolas Faret (1596 ?-1646) dans son Honnête homme ou l’Art de plaire à la cour (1630), il s’affirme et s’affine chez des auteurs tels que Pascal, La Rochefoucauld, La Fontaine, La Bruyère, Bussy-Rabutin, Saint-Évremond, et surtout chez le chevalier de Méré (vers 1607-1684), qui en propose la théorisation la plus achevée dans toute une série de dialogues d’idées (Conversations, 1668 ; Discours, 1671-1677 ; Lettres, 1682 ; De la vraie honnêteté, posthume), l’honnêteté consistant fina-lement pour lui « en je ne sais quoi de noble qui relève toutes les bonnes qua-lités, et qui ne vient que du coeur et de l’esprit ». Encore limitée chez Nicolas Faret à un art de la civilité restreint au milieu courtisan, à la fois moyen de parvenir et art du paraître fondés sur une alliance des qualités du corps, de l’âme et de l’esprit, l’honnêteté s’étend progressivement à la ville et à ces milieux mondains où nobles et bourgeois reconnaissent le mérite personnel. Défini comme une personne du monde accomplie, d’un esprit cultivé mais exempt de pédantisme, agréable et distinguée tant dans son aspect physique que dans ses manières, sachant briller en société mais sans affectation - « Ne se piquer de rien », écrit La Rochefoucauld -, l’honnête homme possède talent de la conversation, sens des bienséances, bon goût, intelligence et culture. Don d’observation, finesse psychologique et capacité d’adaptation sont indispensables à l’exercice de cette honnêteté, art de la lucidité autant que de la mesure, apologie de l’ordre qui aboutit à un pessimisme clairvoyant sensible dans les oeuvres de Mme de La Fayette. Cette idéologie du goût s’accorde pleinement avec l’esthétique et l’éthique classiques du naturel, de la vraisemblance et de la régularité. Mode d’être de l’excellence, l’honnêteté privilégie cependant un goût « moyen », ennemi des extrêmes : il suffit de considérer les excès des personnages moliéresques confrontés aux Philinte et autres Cléante pour comprendre tout ce que l’honnête homme a de mesuré, de subtil, de distingué. Chez lui, la litote s’allie au trait d’esprit et à l’humour. On mesure la
distance avec les acceptions modernes d’honnête et honnêteté, réduites à la seule probité. hôpital général, institution d’Ancien Régime destinée à l’enfermement des mendiants. En avril 1656, le jeune Louis XIV signe un édit dont l’article 1er précise : « Voulons et ordonnons que les pauvres mendiants valides et invalides, de l’un et l’autre sexe, soient enfermés dans un hôpital pour y être employés aux ouvrages, manufactures et autres travaux, selon leur pouvoir. » Ainsi est créé l’hôpital général de Paris, dont le dessein est d’« empêcher la mendicité en renfermant tous les pauvres dans un hôpital commun ». Cet édit royal a une double origine : d’une part, il s’inscrit dans le mouvement de réorganisation hospitalière qui prend forme dès le début du XVIIe siècle et fait suite aux difficultés qu’avaient rencontrées les hôpitaux au cours des troubles du siècle précédent ; d’autre part, il résulte de l’influence qu’exerce depuis les années 1630 la Compagnie du Saint-Sacrement, dont les membres sont attachés à la discipline religieuse et à l’ordre social. Ainsi, avant 1656, ceux-ci ont déjà soutenu ou suscité la création d’hôpitaux généraux, notamment à Orléans, Marseille ou Toulouse. Mais la mise en place d’un vaste réseau d’établissements de ce genre n’est rendue possible que par l’édit de 1656, complété par celui de 1662 qui ordonne l’implantation d’hôpitaux généraux dans « toutes les villes et gros bourgs » du royaume. Sur le modèle parisien, les hôpitaux généraux se multiplient en province dans les décennies qui suivent la décision royale : selon un comptage fiable, ils sont 177 à la fin de l’Ancien Régime. Cependant, ce nombre révèle des situations très différentes : certains hôpitaux généraux ont bien été créés ex nihilo, mais nombre d’entre eux sont en réalité des hôtels-Dieu, dont seule la dénomination a été modifiée. Quoi qu’il en soit, ils auraient alors regroupé la moitié des 120 000 personnes que compte l’ensemble des hôpitaux du royaume. C’est dire que le « grand renfermement » dont Michel Foucault parlera dans son Histoire de la folie (1961) est loin d’avoir été accompli. La maîtrise et l’encadrement disciplinaire d’une partie du corps social ont bien été les desseins originels des fondateurs des hôpitaux généraux. Néanmoins, il est clair que ces derniers n’ont pas répondu à cette attente. Conçus pour assurer le « redressement moral » des mendiants par l’exercice régulier de la religion et par le travail manuel (des manufactures, notamment textiles, y sont installées),
ils deviennent en effet des lieux de réclusion et d’exclusion sociale où l’on trouve aussi des aliénés, des prostituées, des porteurs de maladies vénériennes, certains protestants après 1685, bref tous ceux que la société juge hétérodoxes. Mais le tableau mérite d’être nuancé : les enfants abandonnés (ou ceux retirés à leurs parents huguenots) et les vieillards indigents constituent en fait l’essentiel des internés, et, parallèlement à la prise en charge sur place, les administrateurs organisent une assistance à domicile pour les pauvres. L’hôpital général, dans sa réalité, assure donc aussi une oeuvre charitable conforme à la conception hospitalière du Moyen Âge et de l’époque classique. Cette évolution signe l’échec du projet initial de régulation du corps social par le confinement. Les pouvoirs publics, après avoir tenté à plusieurs reprises, au XVIIIe siècle, de revenir à la lettre de l’édit de 1656, le reconnaissent d’ailleurs : le 21 octobre 1767, un arrêté du Conseil du roi institue les dépôts de mendicité, chargés à leur tour de mettre en oeuvre la politique d’assistance. hospitaliers, membres d’une congrégation hospitalière destinée à l’aide aux pèlerins, attestée à Jérusalem avant 1099, et qui, avec approbation du pape Pascal II (1113), devient l’« ordre des chevaliers des Hôpitaux de Saint-Jean de Jérusalem », communément nommés « Hospitaliers ». À l’imitation des Templiers, l’ordre s’organise et se militarise au cours du XIIe siècle. Il est dirigé par un maître, et divisé en trois classes : chapelains, frères servants, et chevaliers voués au combat contre les infidèles ; tous sont vêtus d’un manteau noir à croix blanche. Comme les chevaliers Teutoniques (dont l’ordre est créé en 1190), et à la différence des Templiers, les Hospitaliers ont une double fonction, hospitalière et militaire. En Palestine et en Espagne, ils guerroient contre les musulmans et tiennent de nombreuses forteresses, tel le krak des Chevaliers, près de Homs (Syrie). Après la perte des États d’Outremer (1291), ils se replient sur Chypre, puis sur Rhodes, où ils fondent un véritable État souverain, pourvu d’une flotte redoutable (1310). Cette mutation leur vaut d’échapper au sort funeste des Templiers. À Rhodes, ils soutiennent plusieurs sièges, avant de céder, en 1522, devant les troupes de Soliman le Magnifique. Ils se replient alors sur Malte, donnée en fief par Charles Quint en 1530. La Révolution française prive l’ordre de nombreuses possessions, et Napoléon s’empare de Malte en 1798. Privé de territoire, l’ordre subsiste jusqu’à nos jours sous le nom
d’« Ordre souverain militaire hiérosolymitain de Malte » et se consacre désormais à des activités charitables, médicales et diplomatiques. hostal ! ostal Hôtel de Ville de Paris, siège de la municipalité parisienne, dont l’histoire remonte au Moyen Âge. La place de Grève devient propriété de la Ville de Paris dans la première moitié du XIIe siècle, mais la Maison aux piliers, implantée sur le côté est de la place, n’est acquise qu’en 1357 par Étienne Marcel, prévôt des marchands, et par les échevins de la ville. À partir de cette date, elle abrite les assemblées des bourgeois et des marchands, et le Bureau de la Ville y tient ses conseils. C’est François Ier qui ordonne la construction d’un nouveau bâtiment, dont les plans sont dus à l’architecte italien Dominique de Cortone, dit le Boccador. Le style de l’édifice - qui s’articule autour d’une cour quadrangulaire - est celui de la Renaissance italienne, mais il emprunte aussi à l’architecture des maisons communes des Flandres ou d’Europe centrale. L’Hôtel de Ville va être l’enjeu et le théâtre de nombreuses émotions populaires, de la rédownloadModeText.vue.download 452 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 441 volte des Maillotins (XIVe siècle) aux guerres de Religion (XVIe siècle), de la Fronde (XVIIe siècle) à la Révolution (XVIIIe siècle), durant laquelle y siègent la Commune dite « insurrectionnelle » et le Comité de salut public. Des combats décisifs pour la prise de l’Hôtel de Ville ont lieu en 1830, en 1848, en 1871, et encore en 1944. Sous l’Empire, le préfet de la Seine s’y établit, mais il faut attendre la monarchie de Juillet pour que de nouveaux bâtiments viennent doubler la longueur de l’ancienne façade. C’est seulement sous le Second Empire que les abords en sont dégagés : Haussmann, avec le percement de la rue de Rivoli, supprime les voies pittoresques (la Coutellerie, la Tixanderie, etc.) qui l’enserraient dans un véritable labyrinthe. L’édifice est désormais un vaste quadrilatère de 120 mètres sur 80. Siège du gouvernement de la Défense nationale en 1870, puis de la Commune en 1871, il est détruit pendant la Semaine sanglante ; de nombreux documents partent alors en fumée.
Dès 1873, l’Hôtel de Ville est reconstruit sur les plans de Théodore Ballu et d’Édouard Deperthes, qui s’inspirent de la façade du Boccador. Le chantier, l’un des plus vastes du XIXe siècle, dure neuf ans et coûte 30 millions de francs de l’époque. À travers cette cathédrale laïque, le conseil municipal, sous tutelle de l’État, entend alors affirmer « l’union de Paris avec le pays entier » et faire de l’édifice « une sorte de Panthéon artistique, un résumé brillant de l’état de l’art contemporain ». Hôtel du roi, ensemble des officiers domestiques au service du roi. Aux XIe et XIIe siècles, la cour reste un ensemble assez flou, où les domestiques du souverain côtoient les vassaux qui le conseillent, et où les grands officiers de la couronne - sénéchal, bouteiller, chambellan, connétable et chancelier - continuent à jouer un rôle de premier plan. C’est à partir du XIIIe siècle que l’Hôtel du roi s’individualise plus nettement et prend, dans sa composition aussi bien que dans ses structures, sa forme achevée. Confiés à des spécialistes chevronnés qui y accomplissent toute leur carrière, les offices domestiques constituent autant de métiers : paneterie, échansonnerie (pour le service du vin), cuisine, fruiterie, écurie, fourrière et chambre assurent, sous la conduite du maître d’hôtel et sous le contrôle financier de la Chambre aux deniers, le confort matériel de tous ceux qui entourent le roi. Si le connétable prend la tête des armées, le titre de sénéchal n’est plus porté à partir de 1191, sous le règne de Philippe Auguste, tandis que le bouteiller est appelé plus tard à présider la Chambre des comptes, avant de disparaître à son tour (1449), et que le chambellan reste confiné dans des activités purement domestiques. L’essentiel des fonctions gouvernementales repose donc alors sur le chancelier : responsable de la rédaction des actes royaux, il est aussi le gardien des Sceaux et, à ce titre, dispose d’une mission de contrôle et de conseil qui peut l’amener à adresser des remontrances au souverain. Collaborateur le plus proche de ce dernier, il le remplace durant ses absences. Mais le nombre sans cesse croissant des affaires qui aboutissent à l’Hôtel du roi nécessite le recours à des techniciens : auprès du monarque et du chancelier se multiplient ainsi des spécialistes de l’écrit, qui, chargés des problèmes les plus brûlants, doivent « le secret taire » (c’est peut-être l’origine du terme « secrétaire »). Les maîtres des requêtes
de l’Hôtel du roi reçoivent et tranchent les plaintes et les appels dont, en vertu de sa justice « retenue », le souverain entend bien se saisir. Ainsi s’explique le fait que clercs et chevaliers s’effacent au profit des légistes nourris de droit romain, parmi lesquels le roi choisit les serviteurs dévoués qui peupleront les différents organes de l’administration centrale et locale. Véritable centre du pouvoir, l’Hôtel du roi compte plusieurs centaines de membres dès la fin du XIIIe siècle ; les effectifs vont s’accroître : les queux, « potagers » et autres sauciers qui composent l’office de cuisine passent de 27 en 1285 à 73 un siècle plus tard, et les secrétaires attachés au roi, qui n’étaient que 3 en 1316, se retrouvent au nombre de 59 sous Louis XI. S’y ajoutent, au moins pour les offices domestiques, les « maisons » particulières qui se constituent peu à peu autour de la reine et des « enfants de France ». Pour s’attacher ces compétences multiples et variées, le roi doit verser des gages qui supposent une ponction notable sur ses revenus : vers 1250, ses débours ne sont encore que de 37 000 livres, que l’on peut aisément tirer du domaine ; mais, en 1329, ils se montent à 310 000 livres, et l’on doit alors recourir aux contributions levées en raison des guerres pour permettre au roi de maintenir son rang. Hougue (bataille de La), bataille navale livrée lors de la guerre de la ligue d’Augsbourg, qui se solde par une défaite française devant la flotte anglo-hollandaise, au large du Cotentin (29 mai-3 juin 1692). L’amiral Tourville, glorieux vainqueur des Anglais à Béveziers en 1690, doit protéger l’embarquement pour Angleterre des troupes massées dans le Cotentin et destinées à soutenir Jacques II dans la reconquête de son trône. Il a reçu l’ordre de Louis XIV, irrité par sa prudence, d’engager le combat avec l’ennemi, quelles que soient les circonstances. Parti de Brest, Tourville n’a pu être rejoint par la flotte de la Méditerranée lorsque, dépassant Cherbourg, il arrive en vue de la pointe de Barfleur le 29 mai, et découvre au moins 88 vaisseaux anglo-hollandais (97, voire plus, selon certains récits) ; lui-même n’aligne que 44 vaisseaux et 3 142 canons, contre quelque 8 980 (les flottes de l’époque sont d’énormes concentrations d’artillerie, et le combat d’escadres est essentiellement un duel au canon). Obéissant aux instructions royales, Tourville accepte l’affrontement ; tandis que 8 vaisseaux français éloignent les ailes ennemies, empêchant une tentative d’enveloppement, les deux lignes
qui se font face luttent pendant une douzaine d’heures. À la fin de la journée, Tourville a coulé 2 vaisseaux ennemis et n’en a perdu aucun, mais ses équipages sont décimés, et la plupart de ses bateaux, gravement avariés : il est donc contraint de battre en retraite. Cherbourg n’est gros vaisseaux, majeure dans la Seul Brest peut
pas un port adapté aux ce qui constitue une faiblesse logistique des côtes françaises. recevoir l’escadre, mais cette
base est trop éloignée : 27 vaisseaux arrivent à la rallier ; les autres, gênés par leurs avaries et les courants contraires, harcelés par l’ennemi, sont, jour après jour, obligés de s’échouer entre La Hougue et Cherbourg, et les brûlots anglais viennent les incendier. Le prestigieux Soleil royal, navire amiral de 104 canons, sombre ainsi dans les flammes, tout comme 14 autres vaisseaux. Ces pertes n’ont pas constitué le désastre que l’on a souvent dénoncé : elles ont été vite comblées, et l’année 1693 voit le record de l’armement naval du règne. Loin d’être sanctionné, Tourville, admiré pour son courage, reçoit le bâton de maréchal, une distinction rare pour un marin ; il prendra sa revanche en détruisant un grand convoi de commerce anglo-hollandais au large du Portugal, à Lagos, le 27 juin 1693. Mais les conséquences stratégiques de la défaite de La Hougue sont importantes : la marine française n’osera plus affronter la Royal Navy dans la Manche ; la guerre sur mer est réorientée vers le harcèlement du commerce ennemi (guerre de course) ou vers les expéditions lointaines (stratégie indirecte). Houphouët-Boigny (Félix), homme politique ivoirien (Yamoussoukro 1905 - id. 1993). Issu d’une famille de notables baoulés, Félix Houphouët-Boigny étudie à Dakar. Devenu médecin en 1925, il est aussi chef coutumier de son canton natal et planteur, ce qui lui permet d’acquérir une assise locale et une solide fortune personnelle. En 1944, il crée le Syndicat agricole africain (SAA), puis fonde en 1945 le Parti démocratique de la Côted’Ivoire (PDCI). Élu à l’Assemblée constituante française en 1945, réélu en 1946, il restera jusqu’en 1959 député du Rassemblement démocratique africain (RDA), dont il est également l’un des fondateurs. D’abord proche du Parti communiste français, qui l’a soutenu dès 1945, il rompt cette alliance en 1951 et s’apparente alors à l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR), une formation de gauche non communiste. Il est ministre à deux reprises sous la IVe Répu-
blique, puis de nouveau au début de la Ve. Concernant l’évolution politique de l’Afrique occidentale, Houphouët-Boigny rejette avec vigueur l’idée d’une fédération d’États indépendants, défendue par Léopold Sédar Senghor. Premier président de l’Assemblée législative de Côte-d’Ivoire en 1959, il rompt les liens avec la Communauté en juin 1960, mais reste très proche de la France. Il est alors élu triomphalement président de la République ; constamment réélu jusqu’à sa mort, il affermit son pouvoir au sein du PDCI, devenu parti unique. Il s’applique à maintenir des relations amicales avec la France et la CEE, et demeure, sous les présidents successifs de la Ve République, l’un des piliers de la politique africaine de l’ancienne métropole. l HUGO (VICTOR). Né avec le XIXe siècle (1802) et mort presque à son terme (1885), Hugo en a compris et accepté la dimension essentielle. De là qu’il le résume et l’incarne. Au siècle de l’Histoire - celui où elle devint une réalité de downloadModeText.vue.download 453 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 442 l’expérience commune, une dimension nécessaire de la pensée et un savoir autonome -, il accepta d’en être l’acteur, le témoin et le poète, sa victime aussi. Elle lui a rendu ce qu’il lui donnait, faisant de Hugo, presque seul entre tant d’écrivains, l’une de ses figures. « LE POÈTE DANS LES RÉVOLUTIONS » Le poème liminaire des Odes et poésies diverses (1822) vaut programme : ce que Hugo a pleinement vécu, c’est l’histoire de son temps. Le titre qu’il donne au recueil de ses discours, Actes et paroles, convient à l’oeuvre entière. Biographie et livres mêlés, sa carrière épouse le cours de l’histoire et adopte ses dates. • 1802. « Ce siècle avait deux ans ! [...] Mon père vieux soldat, ma mère vendéenne », le célèbre poème des Feuilles d’automne (1831) fait hériter son auteur - et le siècle avec lui - de la grande déchirure révolutionnaire, « bleus » contre « blancs », avec mission de la résorber sans la trahir. Raccourci exact. Si la guerre civile a réuni ses parents - l’orpheline élevée par un grand-père membre du Tribunal révolutionnaire de Nantes, et l’officier de l’armée
du Rhin envoyé en Vendée -, elle donne bien vite à leur mésentente ses occasions et son langage. En mars 1814, tandis que le général Hugo s’obstine à défendre Thionville, sa femme porte chaussures vertes pour piétiner la couleur de l’Empire. Aux Feuillantines, couvent désaffecté par la Révolution où elle élève ses enfants, elle cache le général républicain Lahorie - son amant peut-être -, membre de la conspiration Malet-Guidal, fusillé en 1812, parrain de Victor. Cahotée de garnisons en pensions, traversée de voyages aux allures de fuite à travers l’Italie et l’Espagne ensanglantée où le père combat les guérillas, l’enfance de Victor Hugo s’empreint de la violence de l’histoire. De sa dynamique aussi : la carrière de Hugo - dernier des poètes épiques de la guerre - continue l’ambition d’un père engagé volontaire à 15 ans, et enregistre la puissance de cette alliance, aux confins de la bourgeoisie et du prolétariat, que le XIXe siècle nomme « peuple » et qui anime l’énergie de ses entreprises. • 1825. Invité moyennant ode commémorative, Victor Hugo assiste au sacre de Charles X. Décoré de la Légion d’honneur, pensionné, patronné, fondateur-rédacteur d’un bien nommé Conservateur littéraire (1819-1821), il serait le poète officiel de la Restauration, comme ses amis Lamartine et Vigny, s’il ne donnait déjà des signes de dissidence : sa fidélité à Chateaubriand et à l’idée d’une monarchie renouvelée et populaire, quelque fascination dans l’exécration de l’Empereur, le refus de s’enrôler dans la réaction religieuse. En 1822, déjà, son drame Inès de Castro avait été refusé par la censure. Bientôt, la volte-face des autorités, qui enjoignent aux idéaux conservateurs de s’exprimer dans les formes classiques, met fin au contresens du romantisme « ultra ». Hugo en est comme libéré : les Ballades (1826), qui renouvellent les formes populaires ; de nouvelles odes, maintenant accueillantes à la gloire de l’Empire ; Cromwell (1827), où la dérision atteint le principe monarchique luimême, et dont la préface proclame la liberté de l’art ; Bug-Jargal, et surtout les Orientales (1829), qui, en dépit de l’actualité de la guerre d’indépendance de la Grèce, sapent l’européano-centrisme et esquissent un internationalisme inouï ; enfin, le Dernier Jour d’un condamné (1829), premier acte d’un long combat ininterrompu contre la peine de mort, mettent Hugo non seulement à la tête de la Jeune-France, mais, à dire vrai, bien au-delà. Marion de Lorme est interdite par la censure
pour offense à la royauté ; Hugo refuse à Charles X en personne, puis publiquement, d’en échanger la correction contre une grosse pension. • 1830. Si bien que la bataille d’Hernani est à l’art et à la culture ce que les Trois Glorieuses sont au pouvoir d’État. Même enthousiasme, succès égal et semblable embarras ensuite. Le régime épousait assez bien la société pour ne laisser de choix au progressisme libertaire des romantiques qu’entre l’utopie (républicaine ou socialiste), la sécession inutile (l’art pour l’art) ou la compromission. Ruy Blas (1838) met en scène ce piège : comment changer l’ordre social s’il faut lui en emprunter les moyens ? Comment éviter d’être traître ou bouffon ? De là, les contradictions de l’action - Hugo écrit l’Hymne aux morts de juillet (1831), commandé par le pouvoir, mais traîne ce dernier en justice pour l’interdiction du Roi s’amuse (1832) - et de l’oeuvre : des Feuilles d’automne (1831) aux Rayons et les ombres (1840), la poésie déserte, tandis que le drame milite ; et, dans la prose (Notre-Dame de Paris, 1831 ; le Rhin, 1842), l’ironie dément l’énoncé. Vers 1840, en même temps que beaucoup d’autres se taisent, Hugo renonce, et cède à la récupération de l’intelligentsia entreprise par le duc d’Orléans : promotion dans la Légion d’honneur, invitations au « château » puis dans l’intimité du roi, soutien à sa candidature académique, nomination à la Chambre des pairs. Peu après, un constat de flagrant délit d’adultère couronne cette déchéance. Hugo semble un homme « fini ». • 12 décembre 1851. Victor Hugo arrive en gare de Bruxelles, son exil commence. Fidèle et homme d’ordre, il avait résisté d’abord à la révolution de février 1848, proclamant en vain, dans la rue, la régence de la duchesse d’Orléans, et refusant la Mairie de son arrondissement et le ministère de l’Instruction publique offerts par Lamartine, chef du Gouvernement provisoire. La République lui est indifférente : il demandait depuis longtemps « la substitution des questions sociales aux questions politiques » - entendons constitutionnelles. Une fois la République acceptée par la nation, il s’y rallie avec loyauté. Et, déjà, avec courage, lors des événements de juin 1848, à peine élu, il est l’un des soixante députés que l’Assemblée envoie sommer les insurgés de quitter les barricades. A-t-il conscience de l’importance décisive de cette première grande guerre des classes ? Peut-être pas, mais un chapitre des Misérables dira l’anxiété
de combattre cette « révolte du peuple contre lui-même », et il s’efforce ensuite, contre son camp, d’atténuer la répression. Le même souci le conduit à soutenir la candidature de Louis Napoléon Bonaparte, porteur d’idées sociales et peut-être capable de ressouder la société. La majorité ne s’est pas encore livrée au prince-président ; tétanisée par les progrès du « socialisme » jusque dans les campagnes, elle emploie la souveraineté nationale à détruire la liberté par peur du peuple ; Hugo s’en désolidarise au fil des mois. Ainsi adhère-t-il à la République à mesure que la trahison de ses soi-disant partisans la vide de sa réalité et montre en elle, a contrario, la forme nécessaire de la démocratie, de l’émancipation du peuple et du progrès. L’affaire du soutien militaire au pape noue l’alliance du président et de la majorité : Hugo rompt avec les deux, et ses discours - « Sur le suffrage universel », « Sur la loi Falloux »... - en font le porte-parole de l’opposition démocrate-socialiste. Lorsque le prince-président veut changer la Constitution pour garder le pouvoir, Hugo scelle d’un mot leurs deux destins : « Quoi ! parce que nous avons eu Napoléon le Grand, il faut que nous ayons Napoléon le Petit ! » Le coup d’État achève juin 48 sans résistance : les possédants croient avoir tout à y gagner, les ouvriers n’ont plus rien à perdre. Échappant à une arrestation qu’on aurait peutêtre volontiers assortie de « bavure policière », Hugo tente sans succès, avec une poignée de députés et de militants, d’appeler aux barricades. Il est proscrit par décret le 11 janvier 1852. • 1852-1870. Paradoxalement, l’exil fut pour Hugo le moyen de la plus grande puissance. Jusqu’alors personnage dans l’Histoire, il y devient personnage historique. Car l’exil n’est pas seulement la bonne position pour le poète, dont il authentifie la parole et amplifie la voix, venue comme de l’au-delà, mais aussi un lieu politique pertinent après juin 48. Exclu de la société, l’écrivain exilé la représente tout entière réunifiée en lui, champion et adversaire de la classe dominante - qu’il défend contre elle-même - en même temps que du peuple, dont il partage les souffrances. Chassé d’un État illégitime, injuste et violent, son oeuvre maintient dans les consciences la liberté, l’égalité et la fraternité perdues, et anticipe leur retour. Napoléon le Petit (1852), les Châtiments (1853), les Contemplations (1856), la Légende des siècles (1859-1883), les Misérables (1862), William Shakespeare (1864), les Travailleurs de la mer (1866), l’Homme qui
rit (1868), eurent à tenir cette position inouïe qui consiste à faire prévaloir la littérature contre le réel, et n’y réussirent pas trop mal. Pendant vingt ans, pour beaucoup de Français, puis rétrospectivement pour tous, un rocher des îles Anglo-Normandes fut le siège même de la France et de la République - plus tard, en d’autres circonstances et avec d’autres moyens, un général refit cette expérience. • 1870. Le retour du prophète justifié par l’Histoire est un triomphe. Paris assiégé lit, récite et chante les Châtiments ; on donne son nom à un boulevard ; il achète un képi et visite les forts : « Je suis une chose publique », écrit-il - en latin res publica. L’armistice, hâtivement conclu devant la radicalisation de Paris et dans la peur d’une révolution sociale, déchire vite cette fausse unanimité républicaine et patriotique ; provocateurs, le Gouvernement provisoire et l’Assemblée font rejouer juin 48 à la Commune. Hugo connaissait la suite et préserve son nom et son action pour downloadModeText.vue.download 454 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 443 les chances de la République. Il démissionne de l’Assemblée, où il est conspué, refuse son appui à la Commune, mais s’abstient aussi de la condamnation à laquelle tous ses confrères - jusqu’à Flaubert et Sand - consacrent leurs talents injurieux, offre aux communards en fuite l’asile de sa maison à Bruxelles - où il est physiquement agressé, avant d’en être expulsé -, est battu aux élections de 1872 à Paris, où le peuple, ou plutôt ce qu’il en reste, s’abstient devant la violence de la répression. Aux interventions individuelles succède sa longue campagne en faveur de l’amnistie des communards : élu au Sénat en 1876, tous ses discours la demandent ; les oeuvres y participent : l’Année terrible (1872), Quatrevingt-treize (1874), l’Art d’être grand-père (1877) - si bien dénaturé, plus tard, par l’école et par la critique. La compassion l’inspire, mais surtout le souci, partagé par Gambetta ou Clemenceau, d’éviter que le prolétariat, désespérant de la République, ne s’expose derechef au despotisme. Hugo avait acquis à travers l’histoire du siècle la conviction que, révolution permanente mais désormais pacifique, la République démocratique - universelle, dans l’avenir - est la forme définitive de l’humanité en même temps que l’unique moyen d’y accéder. • 1885. Après l’ultime péripétie du coup
d’État manqué de Mac-Mahon (1877), contre lequel il contribue efficacement à réunir au Sénat une majorité étendue jusqu’à ses anciens amis orléanistes du centre gauche, il ne lui reste qu’à faire don de sa vieille personne, de son nom, de sa gloire et de sa mort à la République naissante. Cette République qui le fait assister aux obsèques de Thiers avance d’un an son quatre-vingtième anniversaire pour être sûre de le fêter, et rouvre, pour lui, le Panthéon « au culte des grands hommes ». Elle doit céder également à une dernière précaution et lui faire traverser tout Paris, rempli d’une foule comme on n’en avait jamais vu, dans le petit « corbillard des pauvres ». LA LÉGENDE DE L’HOMME-SIÈCLE À qui allait cette ferveur, maintenant apaisée mais encore partagée ? À l’auteur, sans doute : celui des Misérables, au « poète des enfants » - qu’il fait entrer dans la littérature -, et à son ton de « fonctionnaire de Dieu », impérieux et familier, qui « élève » le lecteur sans prendre avec lui ses distances. Mais la gloire de Hugo est celle du personnage historique, moins pour son importance que pour sa qualité. • Ubiquité. Sa longévité et la constance de sa présence aux événements cristallisent tout le siècle en lui, concrétion d’histoire, pont vivant ainsi jeté, quasiment de 1789 à 1914, entre la fin de l’Ancien Régime et la modernité, entre André Chénier et Rimbaud, ou Mirabeau et Jaurès. De là que l’image qui fixe ses traits en emblème soit celle de son grand âge. Cette ubiquité est également sociale : ses origines, ses fréquentations, son mode de vie, son électorat, ne l’assignent à aucune couche de la société ; et non seulement son action et son oeuvre, par son sens comme par leur style, tendent à les unir, mais il les représente toutes, effaçant en lui leurs différences et leurs hostilités. La même plasticité en politique lui a très tôt été reprochée : girouette de l’opinion, ou flatteur de tous les pouvoirs. Mais, outre que cette apparente inconstance était la condition de son omni-historicité, c’est elle qui le dégage du politique et le fixe dans l’histoire. À rebours de l’opportuniste, collé à l’éphémère, Hugo change parce que, à chaque moment, il est ailleurs ou à contre-temps. De là un constant décalage : membre de la Chambre des pairs ou du Sénat alors que la politique se fait à celle des députés, refusant l’amnistie du Second Empire, proclamant sa foi en Dieu quand il devient l’idole des républicains positivistes, socialiste lorsque la question est
celle de la République - et inversement. Le souvenir de tous ces détails s’est perdu, mais leur effet demeure : Hugo symbolise la responsabilité historique individuelle. D’autant plus que son évolution est orientée - et rectiligne, de la droite à la gauche -, de surcroît dans le sens contraire du parcours commun. Sa vie y trouve un sens en même temps qu’elle le donne à l’histoire, ou le reçoit d’elle. De l’ombrageux « ultra » au vieux sénateur, comment nier les progrès ? • L’auteur et l’homme public. Ou, plutôt, du jeune poète frémissant de la Mort de Melle de Sombreuil à l’auteur de Quatre-vingtTreize. Car le parcours de Hugo serait fortuit, local et individuel si l’oeuvre ne l’assumait, fournissant le mode de lecture de la présence de son auteur à l’Histoire. On lui a souvent reproché d’avoir sculpté sa propre effigie ; pure malveillance, mais explicable : Hugo s’inclut dans son oeuvre, non comme individu mais comme auteur et homme public ; le personnage donne leur poids de réalité aux livres, et les livres confèrent sa vérité au personnage. Il est historique parce que historien. Recueils lyriques mis à part - et encore -, l’oeuvre entière de Hugo parle de l’Histoire, de telle sorte qu’elle y prend place. Que dit-elle ? Que les hommes font leur histoire - avec l’aide de Dieu : qu’aucune nécessité ne la détermine et qu’aucune action n’y est inutile ; qu’elle est un progrès, mais discontinu, incertain, douloureux, et non pas une direction seulement, mais un sens : un progrès moral et spirituel, un accomplissement. Sa connaissance n’est donc un savoir vrai qu’à condition d’être une leçon juste - Hugo dit une « légende ». Dans l’erreur comme dans la vérité, l’historien y participe, mais tout penseur également, du seul fait qu’il donne sens à l’existence humaine. De là, non pas l’engagement de l’écrivain, inévitable, mais sa responsabilité - en soi, dans l’Histoire et devant elle : c’est tout un. Or, il arrive que l’Histoire, toujours obscure et demandant déchiffrement, devienne illisible, tombe dans un trou, fasse contresens. Il appartient alors au poète de la continuer par d’autres moyens, et de substituer la réalité de sa parole à la défaillance des faits illusoires. Hugo rencontrait ce devoir - ou sut saisir cette occasion - et réussit, sciemment, à expulser Louis Napoléon de l’Histoire : « Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée [...] / À la septième fois les murailles tombèrent. » Elles tombèrent effectivement ; le Second Empire n’a pas été réhabilité, et Hugo garde ce
statut - presque inconcevable - du poète qui a dicté son texte à l’Histoire. • Après lui. Sur ce socle, le cours des événements et des opinions explique la diversité des éclairages - ou l’ombre - projetés sur la statue de Hugo. Du moins dans la presse et la librairie, reflets imprécis des mentalités. Aux années de sa mort, la République naissante trouve en lui le moyen d’une conscience d’elle-même si profondément et si largement partagée que les résistances, surtout catholiques, se taisent. Mais, dès le tournant du siècle, tout se passe comme si les républicains, très divisés, ne pouvaient ni se retrouver dans le Hugo de 1885, ni en renouveler l’image. Délaissé, ou réduit aux besoins de « la revanche », il subit l’hégémonie conservatrice, ou franchement réactionnaire, du retour au classicisme, dénonçant les billevesées romantiques, distinguant au mieux le poète trop virtuose du politique égaré. À moins que ce ne soit l’inverse. C’est le temps du « Victor Hugo. Hélas ! » d’André Gide répondant à la question « Quel est votre poète ? ». Mais à l’attaque frontale des idéologues fascistes - Victor Hugo pontife de la démagogie, 1934 - répond la réévaluation de Hugo dans la mouvance du Front populaire élargie pour lui jusqu’à la droite classique (Claudel) et à l’appareil du Parti communiste. Si bien que la guerre voit Hugo accaparé par les deux camps, mais inégalement : les occupants, français ou non, ne dédaignent pas d’afficher quelques citations sur les « États-Unis d’Europe », mais les Châtiments retournent à leur clandestinité originelle dans les journaux et les tracts. La Libération les rend au plein jour et, devant la fragilité de la paix, à l’heure de la restauration de l’esprit national, de la reconstruction des institutions républicaines et de la refondation de la société française, on comprend que, tant dans le gaullisme que dans le communisme - pour nombre de croyants aussi -, Hugo n’ait pas été jugé inutile. Un réveil des études hugoliennes s’en est suivi ; de la lecture, également, qui préfère désormais les oeuvres de l’exil ; et les étudiants qui faisaient citer aux murs les Misérables - « Laissez la peur du rouge aux bêtes à cornes » - ne voyaient pas sans sympathie, au printemps 1968, dans la cour de la Sorbonne, les statues assises des maîtres symétriques, Hugo et Pasteur. Somme toute, au-delà d’innombrables contradictions - l’antisémitisme originel fut « hugophile », le marxisme « hugophobe » à ses débuts, et les catholiques toujours divisés -, Hugo renaît dans les moments d’« union
de la gauche » : en 1880-1885, lors du Front populaire, pendant la Résistance et quelques années après, à la fin des années soixante. Ce n’est pas sans raison que son nom cristallise l’idée d’une démocratie inspirée, libertaire, complète - politique, sociale et humaine (sans peine de mort, pour commencer) -, et que sa figure - personnage historique, mythe et oeuvre mêlés - trouve son plein rendement historique lorsque l’Histoire, venue d’en bas, porte la République au-delà d’elle-même. huguenots, terme dont l’étymologie est controversée, et qui désigne les réformés français de tradition calviniste. Il apparaît à Genève en 1536 sous la forme de anguenotz, déformation de l’allemand Eidgenossen (signifiant « fédérés »). Il désigne alors les Genevois, partisans de l’alliance avec les downloadModeText.vue.download 455 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 444 Bernois, et qui ont obtenu l’indépendance de leur cité-État sous le signe de la Réformation. En France, il est introduit à l’occasion de la conspiration d’Amboise (mars 1560), à laquelle participent de nombreux réfugiés français de Genève. En outre, les conjurés soutiennent les Bourbons (lignée à laquelle appartient le futur Henri IV), premiers princes de sang descendants d’Hugues Capet, s’opposant aux Guises, qui invoquent leur ascendance carolingienne. Le terme « huguenots » désignerait alors non seulement les réformés d’obédience calviniste mais aussi un parti organisé rejetant la tyrannie catholique. L’appellation recoupe également un sobriquet affublant les créatures du folklorique roi Hugon, spectre censé hanter de nuit les rues de Tours, près d’Amboise. En revanche, l’origine grecque (eugnôstès, « ceux qui connaissent bien », sous-entendu l’Évangile [Béroalde de Verville, 1610]) est douteuse. La connotation du mot « huguenots » a évolué. Les catholiques sont les premiers à l’employer, avec le sens péjoratif d’« étrangers ». Mais, bientôt, les calvinistes se l’approprient, de manière emblématique. Au XVIIe siècle, « huguenots » disparaît au profit de « religionnaires ». Mais, à la suite de la révocation de l’édit de Nantes (1685), les exilés français en usent pour se différencier des protestants autochtones. Aujourd’hui encore, la croix huguenote est un bijou mar-
quant une appartenance au protestantisme historique. Hugues Ier Capet, duc des Francs de 956 à 987, puis roi des Francs de 987 à 996, fondateur de la dynastie des Capétiens (vers 940 Saint-Denis 996). Hugues appartient à la grande famille des Robertiens, qui domine la Francie durant tout le Xe siècle, et au sein de laquelle ont déjà été choisis deux rois (Eudes en 888 et Robert en 922). En 956, son père, Hugues le Grand, meurt ; certains grands vassaux (les comtes de Blois et d’Anjou) profitent alors de sa minorité pour s’émanciper de sa tutelle. Il est toutefois le prince le plus puissant du royaume, plus puissant que le roi lui-même : il dispose d’un vaste patrimoine entre Paris et Orléans, possède une dizaine de comtés (Paris, Senlis, Orléans, Dreux...), et compte de nombreux vassaux. En outre, il contrôle plusieurs grandes abbayes, telles Saint-Denis, Fleury ou Saint-Martin de Tours, à laquelle il doit peut être son surnom de « Capet », en référence à la capa, le manteau de saint Martin. De plus, il compte parmi ses parents les ducs de Bourgogne, de Normandie et d’Aquitaine, ainsi que les souverains germaniques. En 987, la mort du roi carolingien Louis V sans héritier direct est suivie d’une substitution dynastique en faveur d’Hugues Capet, due à l’initiative de l’archevêque de Reims, Adalbéron (vers 925-988). En effet, depuis le IXe siècle, l’Église de Reims et son archevêque constituent les principaux soutiens de la royauté carolingienne. Cependant, les tentatives du roi Louis V pour conquérir la Lorraine germanique et l’intégrer au royaume de Francie lui ont aliéné l’archevêque Adalbéron. Ce dernier est demeuré très lié aux grandes familles de l’aristocratie lorraine, dont il est issu, et très sensible au prestige de la dynastie impériale des Ottons. C’est pourquoi il incite Hugues Capet, que ses liens de parenté avec les Ottons rendent réticent à l’aventure lorraine, et qui dispose d’une prééminence certaine au sein de l’aristocratie, à accepter la royauté. Le 1er juin 987, après un discours d’Adalbéron, Hugues est élu roi lors d’une assemblée aristocratique tenue à Senlis. Le 3 juillet, il est sacré par l’archevêque dans la cathédrale de Noyon. Après la mort du dernier prétendant carolingien, le duc Charles de Basse-Lorraine, en 991, la royauté d’Hugues est définitivement établie. Son élection a sanctionné une situation de fait : le transfert de la puissance du roi
carolingien au duc des Francs, reconnu et accepté par les puissants et par l’Église. Mais, dès la Noël 987, le couronnement et le sacre de son fils Robert II le Pieux, à Orléans, restaurent le principe héréditaire et marquent le début d’une nouvelle dynastie. Même si Hugues, avec la royauté, a reçu les domaines royaux des vallées de l’Aisne et de l’Oise et un certain contrôle sur les provinces ecclésiastiques de Reims et de Sens, ce changement dynastique n’a pas renforcé la royauté face aux princes. En effet, le rayonnement du Capétien est très faible au sud de la Loire, et sa puissance en Francie, très vite menacée par le duc de Blois. Avant comme après 987, et jusqu’au XIIe siècle, le roi demeure un prince parmi les princes. Hugues de Die, religieux, défenseur zélé de l’indépendance de l’Église à l’égard des pouvoirs séculiers (Romans, vers 1040 - Suze 1106). Chanoine à Romans, puis chambrier du chapitre de Lyon, Hugues devient évêque de Die en 1073, après la déposition de son prédécesseur pour simonie. Dès 1075, il est l’un des légats les plus actifs qui sont chargés par le pape Grégoire VII de diffuser la réforme grégorienne. Il intervient essentiellement dans les vallées du Rhône et de la Saône, et dans la province de Reims. Au concile de 1077, il promulgue le décret de Grégoire VII qui condamne l’investiture laïque, et fait suspendre de nombreux évêques. Il met fin à l’épiscopat de Manassès de Reims, coupable de simonie (1080), et se heurte au roi, Philippe Ier, pour la désignation de l’évêque de Soissons. Son intransigeance le conduit à adopter des mesures brutales, et le pape ne soutient pas toujours ses décisions. En 1082, Hugues est élu archevêque de Lyon (alors en Terre d’Empire), poste important auquel, depuis 1079, s’attache le titre de « primat des Gaules ». Déçu dans ses ambitions de succéder à Grégoire VII en 1085, il entre en conflit avec le pape Victor III. À nouveau légat vers 1093-1094, il condamne Philippe Ier pour adultère au concile d’Autun en 1094, et participe au concile de Clermont en 1095. L’année suivante, le pape Urbain II, qui n’apprécie pas toujours ses positions, restreint ses prérogatives à la province lyonnaise. La rigueur dont fait preuve Hugues de Die l’oppose au canoniste Yves de Chartres, qui tente de trouver un compromis pour mettre fin à la querelle des Investitures. Hugues de Die s’intéresse à la vie monastique, intervient pour faciliter l’installation de Bruno à la Grande-Chartreuse (1084),
et accorde à Robert de Molesmes l’autorisation de fonder Cîteaux (1098). Hugues de Semur (saint), abbé de Cluny de 1049 à 1109 (1024 - 1109). Apparenté à la haute noblesse bourguignonne, Hugues de Semur, beau-frère du duc de Bourgogne Robert Ier, est moine, puis prieur de l’abbaye de Cluny, avant de succéder à saint Odilon en 1049. Son abbatiat et celui d’Odilon couvrent tout le XIe siècle, et consacrent l’apogée de l’ordre de Cluny, qui s’étend et se renforce partout en Europe : en Languedoc, en Poitou, dans l’Est, en Allemagne, en Lombardie et en Angleterre. Quatre des abbayes « filles » de l’ordre rejoignent alors Cluny : La Charité-sur-Loire en 1059, Sauxillanges en 1062, Lewes, en Angleterre, en 1077, et SaintMartin-des-Champs, à Paris, en 1079. Conseiller du pape Grégoire VII, lui-même ancien moine clunisien, Hugues de Semur fait diffuser les idées de paix de la réforme grégorienne. L’ordre de Cluny étant bien implanté en Aquitaine et sur les chemins de Compostelle, Hugues soutient le combat contre l’Islam et contribue à l’émergence de l’idée de croisade, particulièrement défendue par le pape Urbain II, ancien clunisien également. En 1095, ce dernier consacre le choeur de l’abbatiale de Cluny, dont la construction a été ordonnée par Hugues en 1085. Ce sera la plus grande église d’Occident jusqu’à l’édification de Saint-Pierre de Rome au XVIe siècle. Canonisé en 1120, Hugues de Semur est le dernier des grands abbés de Cluny. Après lui, l’ordre, trop enrichi, perd de son prestige, malgré les efforts que déploie Pierre le Vénérable au XIIe siècle. Hugues le Grand, duc des Francs (vers 893 - Dourdan 956). Issu de la famille des Robertiens, Hugues est à la fois le fils du roi Robert (922-923) et le père d’Hugues Capet (roi de 987 à 996). Même s’il n’a jamais porté le titre royal, il a été le plus puissant personnage du royaume des Francs dans les années 936-956. Cette puissance est fondée sur ses possessions territoriales situées entre Seine et Loire, et sur les charges d’abbé laïc de grands monastères tels que Saint-Martin de Tours ou Saint-Denis, mais aussi sur le titre de « duc des Francs » que lui accorde le roi Louis IV, et qui fait d’Hugues le deuxième personnage après le roi dans tout le royaume. En 936, il contribue à restaurer sur le trône l’héritier carolingien, Louis IV, espérant sans
doute pouvoir le manipuler. Mais il ne parvient pas toujours à le contrôler, et les nombreux conflits qui éclatent entre eux sont arbitrés par le roi de Germanie Otton Ier : ainsi, en 948, Otton réunit à Ingelheim un synode présidé par un légat du pape qui excommunie Hugues, puis encourage les deux hommes à se réconcilier. À la mort de Louis IV, en 954, Hugues le Grand soutient la candidature de l’héritier carolingien, Lothaire, et reçoit en récompense les duchés de Bourgogne et d’Aquitaine, mais il ne parvient pas à s’imposer dans ce dernier. Il affermit toutefois son pouvoir, équivalant à une vice-royauté, sur l’ensemble du royaume. downloadModeText.vue.download 456 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 445 Lorsqu’il meurt, en 956, son fils Hugues Capet est encore mineur et sous la tutelle de sa mère, Hadwige, soeur d’Otton Ier. Hugues le Noir, duc de Bourgogne de 936 à 952 ( ? - 952). Fils du duc de Bourgogne Richard le Justicier, apparenté aux Carolingiens, et d’Adèle, soeur du roi de Bourgogne Rodolphe Ier, Hugues le Noir est le frère cadet de Raoul, roi de France de 923 à 936. Dans la compétition pour la royauté qui oppose les ducs de France (de la famille de Robert le Fort) aux Carolingiens, légitimes mais affaiblis, la famille bourguignonne se trouve dans une situation très favorable, dans le deuxième quart du Xe siècle, car ses membres sont tous d’âge adulte. Raoul accepte la couronne en 923, et confie le gouvernement du duché à son frère Hugues le Noir. À la mort de Raoul en 936, Hugues hérite du duché. Il soutient d’abord le duc de France Hugues le Grand, qui fait revenir d’Angleterre, où il était en exil, le Carolingien Louis IV d’Outremer. Mais Hugues le Grand a pour ambition de tenir ce roi sous sa coupe et d’agrandir ses domaines. Aussi Hugues le Noir doit-il lui céder Sens et Auxerre. C’est pourquoi il soutient désormais Louis IV d’Outremer, mais est à nouveau contraint de se soumettre face à la coalition formée en 940 par Otton Ier de Germanie, Hugues le Grand et Herbert II de Vermandois. Après 940, le duché de Bourgogne est divisé, la Burgondie même étant cédée par
Louis IV à Hugues le Grand. À la mort d’Hugues le Noir, le 17 décembre 952, le duché passe à son gendre Gilbert, qui opère un redressement éphémère, puisqu’en 956 tous ses biens sont aux mains d’Hugues le Grand. l HUMANISME. Moment historique constitué de plusieurs phases, l’humanisme de la Renaissance oppose, au formalisme impersonnel de la philosophie médiévale, une culture vivante fondée sur le dialogue avec les auteurs antiques : la promotion des humaniores disciplinae - « études plus humaines » - est l’enjeu essentiel d’un combat qui réévalue les oeuvres temporelles et les productions terrestres. S’il contribue à redéfinir les rapports entre l’homme, le monde et Dieu, l’humanisme ne saurait néanmoins être assimilé à une thèse sur la nature humaine : de la seconde moitié du XVe siècle à la fin des guerres de Religion, de Guillaume Budé à Montaigne, il se compose de démarches successives, d’essais et d’impasses, qui préparent à leur façon l’avènement du rationalisme moderne. Calqué sur l’allemand Humanismus, le mot « humanisme » est une création récente (1877). Par ce terme, les historiens français du XIXe siècle ont désigné le mouvement à la fois esthétique, philosophique, religieux et civique apparu en Italie au XVe siècle et diffusé dans le reste de l’Europe au siècle suivant, qui a exalté la dignité de l’homme par le biais d’un contact revivifié avec les grands textes de l’Antiquité. Le terme s’est imposé au fil des travaux consacrés à la Renaissance, et, même s’il fait l’objet de remises en question ou de polémiques récurrentes, nul doute qu’il n’appartienne définitivement au lexique historiographique. Son succès ne doit pas pour autant le soustraire à l’analyse critique. Il faut en effet se garder d’assimiler hâtivement humanisme et Renaissance : d’abord parce qu’il existe un humanisme médiéval, dont l’intérêt pour les textes antiques ne le cède guère à l’enthousiasme de la génération des années 1520-1540, ensuite parce que la Renaissance développe des tendances antihumanistes, dont l’oeuvre de Calvin est l’illustration la plus patente. Il faut également se souvenir que l’humanisme de la Renaissance française se déploie sur plus d’un siècle, et s’inscrit de ce fait dans des contextes politiques, culturels et religieux éminemment divers : le cadre problématique des Essais est bien éloigné de l’horizon intellectuel des premiers réformateurs de l’Université parisienne. DES PRÉMICES À LA CONSOLIDATION
Avant d’accueillir et d’intégrer à son propre fonds l’immense mutation intellectuelle et artistique du quattrocento, la France connaît indéniablement les prémices d’un renouveau dès le milieu du XVe siècle. Les campagnes d’Italie n’auraient sans doute pas joué le rôle de catalyseur, décrit en termes lyriques par Michelet, si des évolutions intrinsèques à notre culture ne leur avaient préparé le terrain. Durant les années 1450-1460, le sentiment d’un affaissement de la vitalité intellectuelle est très largement partagé. Paris ne fait plus figure, comme au siècle précédent, de centre incontesté de la théologie ; les disputes scolastiques dont l’Université est le théâtre sombrent dans l’inanité formaliste ; les clercs sont insuffisamment formés ; le latin n’est plus qu’un outil technicisé à l’extrême et éloigné de sa pureté originelle. C’est à partir de 1470 que se déploie le zèle réformateur de Robert Gaguin (vers 1430-1501), général de l’ordre des Trinitaires et doyen de l’Université de Paris. Considéré comme le « mieux-diseur » et le plus savant de son temps, il s’intéresse à la rhétorique, au droit canon, et contribue ainsi à desserrer l’emprise de la toute-puissante scolastique sur le cursus universitaire. Le jeune Érasme ne s’y trompe pas, et adresse à Gaguin, lors de son premier séjour à Paris, une lettre débordante de louanges. Nombreuses sont les déclarations des contemporains qui attestent, dans le dernier tiers du XVe siècle, la conscience d’une rénovation intellectuelle. Appelée à une longue postérité, la métaphore de la lumière et des ténèbres - le présent, riche de potentialités culturelles, s’oppose à un passé récent assimilé à l’obscurantisme - devient récurrente dans la correspondance des humanistes parisiens. En 1471, Guillaume Fichet écrit à Robert Gaguin que « les dieux et les déesses font renaître chez nous la science du biendire », tandis que le juriste Christophe de Longueil s’insurge contre les « hiboux des ténèbres qui ont peur de la clarté du soleil ». Néanmoins, les antithèses polémiques ne sauraient masquer la continuité des temps. Le premier humanisme reste largement le fait des moines - comme le montre l’exemple de Robert Gaguin -, et l’horizon de ses préoccupations intellectuelles est encore dominé par la théologie. Il n’empêche que ces devanciers, en cherchant à appuyer l’éducation sur l’étude des textes classiques, posent des principes dont les générations suivantes élargiront le cercle d’application.
Ce n’est pas le moindre mérite de Gaguin que d’avoir vu en l’imprimerie le vecteur fondamental de la rénovation. Après l’installation des premières presses à Paris en 1470, les grands centres d’impression vont se multiplier rapidement. Si, dans un premier temps, la part des ouvrages religieux est prépondérante, les textes de l’antiquité gréco-latine et les productions des contemporains, en latin ou en langue vulgaire, ne tardent pas à abonder. L’imprimerie n’est pas seulement un atelier, elle est aussi un laboratoire d’idées où s’instaure un échange entre des humanistes qui surveillent l’impression de leurs livres. Il n’est pas rare que l’imprimeur soit lui-même un érudit remarquable, à l’instar de Josse Bade (1461-1535), installé d’abord à Lyon puis à Paris, célèbre pour ses éditions de textes classiques et de manuels pédagogiques. Au fil du siècle suivant, les générations d’imprimeurs - Wechel, Arnoullet, la famille Estienne joueront un rôle essentiel dans la diffusion des idées nouvelles. L’effort de restitution des textes classiques dans leur intégrité originelle s’épanouit pleinement avec la génération de Lefèvre d’Étaples (vers 1450-1537) et de Guillaume Budé (1467-1540). Très soucieux d’utiliser des manuscrits fiables, Lefèvre publie nombre d’ouvrages appartenant à des traditions et des courants idéologiques fort divers - Aristote, les auteurs hermétiques, les mystiques rhénans, Raymond Lulle, et surtout sa traduction française des Évangiles (1523). S’il a contribué à la promotion de la langue grecque, c’est néanmoins à Budé que revient le titre de premier grand helléniste français. Traducteur de Plutarque, auteur de volumineux Commentaires sur la langue grecque (1529), il est surtout connu de ses contemporains pour ses Annotations aux Pandectes (1508), qui renouvellent profondément la science juridique en instaurant, sur la base de critères philologiques, une méthode historique d’interprétation du droit. À la différence de celle d’un Gaguin, dont l’oeuvre pédagogique et réformatrice ne s’est guère étendue au-delà du cercle de l’Université, la pratique érudite de Lefèvre et de Budé reste liée à une vita activa soucieuse d’agir dans le présent et d’y ouvrir les voies d’un renouvellement : tandis que le premier s’efforce, avec l’appui de l’évêque de Meaux Guillaume Briçonnet, de promouvoir une religion intériorisée, émancipée du commentaire dogmatique, le second mène une carrière au service de Charles VIII, Louis XII, et surtout François Ier, qu’il convainc de créer un établissement ouvert aux récentes conquêtes du savoir. L’année 1530, date de l’institution des
premiers lecteurs royaux - ébauche du futur Collège de France -, peut être considérée comme l’apogée du vaste mouvement culturel engagé quelque soixante ans plus tôt : le savoir a plus qu’amorcé sa laïcisation, les lieux d’enseignement et les foyers de diffusion de la culture se sont disséminés au point de déposséder l’Université de son monopole. Comme l’a souligné l’historien Robert Mandrou, le downloadModeText.vue.download 457 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 446 groupe des clercs « a cessé de porter la vision du monde la plus riche et la plus élaborée ». TENSIONS ET CONTRADICTIONS D’UN ÂGE D’OR L’humanisme français des premières décennies du XVIe siècle n’aurait pas eu la même capacité de rayonnement s’il n’avait bénéficié de l’appui d’un souverain qualifié de « père des lettres » par les panégyristes. Politique de prestige ? Amour sincère des lettres ? La question importe peu au vu de l’effervescence culturelle qui caractérise le règne de François Ier, tout particulièrement les années 1520-1540. Favorisant les traductions de textes anciens, stimulant la création poétique, accordant aide et protection à des auteurs en difficulté avec une Sorbonne sourcilleuse, le roi fait de la cour - au prix évident de quelques servitudes - un lieu d’échanges culturels et de diffusion des nouveaux courants de pensée. D’une manière générale, les cours royales ou princières deviennent l’un des théâtres privilégiés d’une pensée préoccupée de rompre avec les carcans intellectuels et les dogmes religieux. Entre 1527 et 1549, Marguerite de Navarre, soeur du roi, rassemble quelques-uns des meilleurs humanistes du temps et fait de sa résidence un centre actif où le néoplatonisme croise les courants de la rénovation religieuse. Marginalisée par de tels cénacles et par l’institution des lecteurs royaux, l’Université l’est également par le succès des collèges. Bien que ces établissements d’un genre hybride, à mi-chemin entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur d’aujourd’hui, ne datent pas de la Renaissance, c’est l’humanisme qui leur donne un rôle décisif : la future élite intellectuelle et créatrice du pays est formée par leurs régents. Au collège de Coqueret, sur la montagne Sainte-Geneviève,
le philologue Jean Dorat (vers 1508-1588) commente avec ses élèves enthousiastes - Ronsard, du Bellay, Baïf, les futurs poètes de la Pléiade - les grands auteurs de l’antiquité gréco-latine, et s’attache à en révéler les beautés formelles ; au collège de Presles, Ramus (1515-1572) lance un vaste programme pédagogique où l’étude de la philosophie et de la logique, articulée sur la pratique de l’éloquence, bannit toute dispute stérile dans le goût du Moyen Âge finissant. La pédagogie mise en oeuvre dans les collèges et le contenu des enseignements ne sont guère éloignés du processus d’éducation décrit par Rabelais dans Gargantua (1534). L’étude des textes classiques, portant à la fois sur le fond et sur la forme, la complémentarité de la lecture et de la conversation avec les hommes du temps, la formation d’une conscience historique et morale au contact des grands auteurs, tels sont les axes principaux d’une éducation soucieuse de se démarquer des « sorbonistes » et des « sorbonagres ». Avec une remarquable lucidité, Rabelais met l’accent sur les tensions internes - et peut-être les contradictions - d’un tel projet. L’ambition du précepteur rabelaisien se partage, en effet, entre un encyclopédisme très médiéval à certains égards et une dynamique de perfectibilité morale et sociale tout droit issue du Livre du courtisan (1528), de Baldassare Castiglione. Sociabilité policée, nourrie de références néoplatoniciennes, ou « abysme de science » vertigineux ? L’humanisme des années 1520-1530 ne parvient pas à choisir. La génération suivante, celle d’un Montaigne, tranchera dans le sens d’un refus très net de l’encyclopédisme et de l’accumulation des connaissances érudites. Dans le domaine moral et religieux, l’humanisme tente d’opérer des synthèses et des conciliations qui ne tarderont pas à révéler leurs limites. La coexistence de deux univers spirituels - sagesse païenne et Révélation chrétienne - soulève en effet d’immenses problèmes. À la manière d’Érasme et de son fameux « Saint Socrate, priez pour nous », nombreux sont les humanistes français à tâcher d’harmoniser, avec plus ou moins de bonheur, les deux héritages de l’Occident. Lefèvre d’Étaples ne déclare-t-il pas dans son introduction à l’Éthique à Nicomaque que l’idéal moral d’Aristote annonce par bien des aspects celui du christianisme ? Mais toutes les proclamations de concordance ou de compatibilité ne suffisent pas à masquer la dualité du cadre de référence, et le desserrement de la juridiction religieuse : la redécouverte des courants de
pensée antiques amorce une approche naturaliste de l’homme, que rien ne freinera plus désormais. Sans doute ce naturalisme, foncièrement confiant dans la nature humaine, explique-t-il la rupture rapidement consommée entre humanistes et réformateurs. Les uns et les autres ont partagé l’aspiration à une Écriture sainte épurée des vieilles gloses, ils ont stigmatisé les dérives de l’institution monastique, la matérialisation excessive de la liturgie et le poids démesuré de la tradition dogmatique. Si, néanmoins, la plupart des humanistes français n’ont pas adhéré à la Réforme, c’est parce qu’ils ne pouvaient accepter ni les raidissements dogmatiques d’un Luther ou d’un Calvin, ni l’accent mis par les divers courants protestants sur la nature essentiellement pécheresse de l’homme. Durant les années 1520, dans cette courte période qui correspond à la floraison de l’« évangélisme » français, une réforme non schismatique, appuyée par un monarque ouvert et tolérant, semble encore possible : l’humanisme chrétien d’un Lefèvre d’Étaples, relayé par Marguerite de Navarre et Guillaume Briçonnet, s’inscrit dans cette dynamique d’innovations conciliatrices. Mais la politique religieuse de François Ier est trop fluctuante pour laisser à cette tendance une chance de cristallisation. En effet, tantôt le roi opte pour la répression - bûchers de Louis de Berquin en 1529, d’Étienne Dolet en 1546 -, tantôt il suspend les poursuites et nomme un Jean du Bellay, ami des humanistes et protecteur de Rabelais, évêque de Paris. Les tenants les plus fervents d’un christianisme rénové de l’intérieur ne tardent pas à se trouver dans une position intenable : soumis aux volte-face de la politique royale, écartelés entre leur fidélité à l’Église et leur désir de réforme, ils s’attirent la condamnation des deux camps : s’ils sont suspects d’hérésie pour les catholiques, ils apparaissent scandaleusement timorés aux yeux des réformés. Au total, l’humanisme chrétien des années 1520-1530 ne sera pas parvenu à frayer une voie médiane propre à conjurer le déchaînement des antagonismes confessionnels. L’HUMANISME EN CRISE ? La fin du règne de François Ier et celui d’Henri II, marqués par un durcissement de la répression religieuse, assombrissent nettement le climat intellectuel. Si l’accession de Michel de L’Hospital aux fonctions de chancelier, en 1560, semble ouvrir une perspective d’inscription politico-religieuse des idéaux humanistes, l’espoir est rapidement emporté : l’heure n’est ni à la tolérance mutuelle ni aux tentatives de conciliation, et Michel de L’Hospital doit se retirer, impuissant, en 1568. Il
faudra attendre 1594 et la publication de la Satire Ménippée (oeuvre collective, due, notamment, à Jacques Gillot, Pierre Le Roy, Jean Passerat), après trente années de chaos sanglant, pour que des principes de modération posés par des érudits humanistes entrent en phase avec les mentalités dominantes. S’il faut parler d’une « crise de l’humanisme » durant la seconde moitié du XVIe siècle, les causes n’en sont pas imputables aux seuls affrontements religieux. L’horizon intellectuel se transforme dans les années 1550-1560. Langue véhiculaire des premières générations de l’humanisme, le latin perd peu à peu de son importance, au profit des langues nationales. L’oecuménisme culturel et les ébauches d’une République des lettres cèdent le pas à une affirmation des spécificités nationales, dont Défense et illustration de la langue française (1549), de Joachim du Bellay, est un vibrant témoignage. D’une manière générale, les grandes perspectives unitaires et syncrétiques esquissées durant les premières décennies du siècle se brouillent ou s’obscurcissent. La synthèse pagano-chrétienne apparaît de jour en jour plus improbable, les « opinions » des sages de l’Antiquité demeurent incompatibles, tandis que les « singularités » décrites par les voyageurs et les cosmographes renvoient l’image d’un monde disloqué en parties autonomes et hétérogènes. Le Quart Livre (1552) et le Cinquième Livre (posthume) de Rabelais se font l’écho de ce sentiment général d’inquiétude et d’instabilité. S’y ajoute un bilan critique des options éducatives de la période précédente : loin d’oeuvrer à la formation d’une conscience morale et d’une personnalité originale, l’étude des textes antiques a souvent dégénéré en pure érudition et en pédantisme, substituant un culte vide de la lettre aux studia humanitatis. L’humanisme de cette période chaotique se caractérise ainsi par une montée de l’empirisme, du relativisme et du scepticisme. La description, la compilation patiente des singularités humaines, l’emportent sur l’ivresse de la conquête : des récits de voyages d’André Thevet à la République (1576) de Jean Bodin, les auteurs s’efforcent de livrer des observations et des analyses dégagées de la tentation du parti pris ou de la systématisation. La relativité des normes morales, des coutumes et des doctrines religieuses s’impose avec une évidence croissante. Cette tendance culmine naturellement chez Montaigne (1533-1592), dont le fameux « Que sais-je ? » marque un refus de tout jugement normatif, de toute référence universelle et globalisante de l’homme. « C’est un sujet merveilleusement vain, divers,
et ondoyant, que l’homme », proclame le premier chapitre des Essais. À l’instar de la génération des années 1530, Montaigne exerce sa downloadModeText.vue.download 458 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 447 réflexion dans un horizon intellectuel circonscrit par la sagesse antique. Mais on chercherait vainement chez lui la trace d’un quelconque zèle philologique ou d’une allégeance idolâtre aux sentences de l’Antiquité. L’héritage antique est parcouru avec un éclectisme total, et les références sont pour lui un moyen de cristalliser progressivement sa propre pensée. Comme l’a souligné Hugo Friedrich, l’oeuvre de Montaigne correspond à un moment « où le sens humaniste de l’autorité et l’affirmation moderne de l’individu essaient de trouver leur équilibre ». Toute la culture recueillie plus d’un siècle durant devient l’espace où s’accomplit une épreuve toujours recommencée de la subjectivité. C’est ainsi que les Essais évitent l’impasse où l’accumulation du savoir livresque risquait d’enfermer la culture humaniste. L’exemple de Montaigne, comme celui de Rabelais, suffit à montrer que l’humanisme de la Renaissance française échappe à tout contenu doctrinal et module de différentes manières, au cours de ses époques successives, le rapport entre le présent et son héritage culturel. Moment clé de notre histoire, charnière entre les grandes constructions scolastiques du Moyen Âge et le déploiement du rationalisme moderne, il instaure une nouvelle donne de la pensée et de l’action dont l’importance se situe à plusieurs niveaux. D’abord, une historicisation du savoir s’opère : les textes de l’Antiquité sont désormais lus en fonction de la distance temporelle qui les sépare de l’actualité ; cette distance produit un questionnement sur le temps présent, et fraie les voies d’un avenir. Ensuite, l’humanisme relâche l’emprise de la théologie et ménage un espace pluriel où savoirs et disciplines - éloquence, philologie, droit, éthique... - acquièrent une légitimité autonome. À l’aube du XVIIe siècle, le temps semble bien loin où « nominalistes » et « réalistes » s’affrontaient dans l’enceinte confinée de la Sorbonne. S’il ne fait pas de doute que la plupart des humanistes sont restés de fervents chrétiens, il est non moins évident que le sens de la dignité humaine et celui de l’accomplissement terrestre de l’homme desserrent le carcan des anciens dogmes : la hantise du salut
et le péché originel sont relativisés. S’amorce incontestablement une laïcisation des esprits, annonciatrice, entre autres tendances, de la pensée libertine du XVIIe siècle. Enfin, la nouvelle sensibilité aux problèmes de la formation de l’homme, du développement de ses potentialités originales, de son inscription dans la collectivité, engendre un vaste et multiforme « discours de la méthode » qui n’est pas le moindre titre de gloire de l’humanisme. Descartes se profile à travers Budé, Ramus, Rabelais ou Montaigne. Humanité (l’), quotidien socialiste, puis communiste, lancé le 18 avril 1904. Pour s’assurer une entière liberté de plume, Jean Jaurès a l’idée de créer un journal socialiste de haute tenue intellectuelle. Informés de ce projet, Lucien Herr, Léon Blum, ainsi que le sociologue Lucien Lévy-Bruhl, font appel à leurs anciens amis de l’École normale supérieure pour réunir des fonds et des collaborateurs. Durant les premiers mois de son existence, l’Humanité (dont le titre aurait été proposé par Lucien Herr) rassemble quantité d’intellectuels, parmi lesquels de nombreux écrivains célèbres, tels Anatole France, Jules Renard, Octave Mirbeau ou Tristan Bernard. Jaurès en est le directeur, jusqu’à son assassinat. Même si de graves difficultés financières conduisent le journal à accepter une tutelle plus grande de la SFIO en 1906, l’Humanité n’est pas pour autant l’organe officiel du parti. Avec la scission intervenue au congrès de Tours (25-31 décembre 1920), et qui donne naissance à la Section française de l’Internationale communiste (le futur Parti communiste), la question de savoir à qui doit revenir le prestigieux titre de Jaurès est posée. Nombreux sont les actionnaires du journal qui refusent d’entériner la tendance bolchevique, même si le directeur de l’Humanité depuis octobre 1918, Marcel Cachin, est l’un des principaux artisans du ralliement de la majorité des socialistes à la IIIe Internationale. Ce sont finalement les communistes qui récupèrent la publication. La mention « journal communiste » remplace celle de « journal socialiste » le 8 avril 1921, puis l’Humanité devient « organe central du Parti communiste » (SFIC) le 8 février 1923. Cachin en demeure le directeur jusqu’à sa mort, en 1958. Étienne Fajon, Roland Leroy, Claude Cabanne et Pierre Zarka lui succéderont. Journal de parti qui exprime la ligne officielle du PCF, l’Humanité est souvent soumise
à de lourdes amendes. Il arrive même que ses journalistes soient condamnés à des peines de prison. En août 1939, le quotidien est interdit. Le 26 octobre paraît le premier numéro d’une Humanité clandestine, et qui le restera jusqu’au 18 août 1944, malgré une démarche des dirigeants communistes auprès des autorités allemandes, au début de l’été 1940, en vue d’obtenir une reparution du titre au grand jour. Après la guerre, le prestige du Parti communiste se mesure à l’audience acquise par son journal : en décembre 1946, l’Humanité tire à près de 430 000 exemplaires, ce qui la place au premier rang des journaux parisiens du matin. Mais, dès 1948, le tirage retombe à moins de 200 000 exemplaires ; en 1996, la diffusion est de 58 000 exemplaires. Chaque année, la « fête de l’Huma », lancée en 1930, permet d’élargir l’audience du parti au-delà du lectorat habituel. Mais la dégradation de la situation financière et l’érosion de sa diffusion contraignent l’Humanité, qui n’est plus désormais l’organe officiel du PCF, d’ouvrir son capital à une association de lecteurs ainsi qu’à des investisseurs privés (TF1, Lagardère). Huns, confédération de nomades des steppes d’Asie qui, sous la direction de leur roi, Attila, participèrent à ce que l’on appelle traditionnellement « les Grandes Invasions » (Ve siècle). Quittant les bords de la mer Noire pour les plaines de Pannonie (l’actuelle Hongrie), les Huns provoquent le déplacement des Vandales, des Suèves et des Alains, qui pénètrent en Gaule en l’an 406. Après avoir vainement tenté de menacer l’Empire d’Orient, les Huns d’Attila entrent dans le jeu politique occidental en franchissant à leur tour le Rhin en 451. Les villes de Metz, Reims et Troyes sont pillées, mais sainte Geneviève, à Paris, puis l’évêque Aignan, à Orléans, organisent la résistance. Une coalition romano-barbare rassemblant Alains, Burgondes, Francs et Wisigoths, sous le commandement d’Aetius, bat les Huns, le 20 juin 451, près de Troyes, en un lieu qu’une tradition - aujourd’hui contestée - assimile aux champs Catalauniques. L’Empire des Huns ne survit pas à son chef Attila, mort en 453 ; mais la réputation de cruauté de ces guerriers turco-mongols a traversé les siècles. Ammien Marcellin, un historien romain du IVe siècle, les a décrits comme de petits cavaliers imberbes, vêtus de peaux de rat, mangeant cru et ne mettant jamais un pied à terre. D’autres sources nuancent cette
réputation de brutalité, insistant notamment sur le raffinement culturel de la cour d’Attila. Mais, si la mémoire nationale a fait des Huns les plus barbares des Barbares, c’est peut-être parce qu’ils furent, à l’inverse des peuples germaniques qui cherchaient à s’installer dans l’Empire romain, d’authentiques nomades, dont les incursions en Gaule et en Italie - même si elles faisaient partie d’un jeu politique entre Romains et Barbares - semblaient remettre en cause l’idée même de civilisation. downloadModeText.vue.download 459 sur 975 downloadModeText.vue.download 460 sur 975
I Idéologues, membres d’un mouvement philosophique et politique sous la Révolution et l’Empire. La pensée des Idéologues s’inscrit dans la tradition philosophique des Lumières : rationalistes, matérialistes, attachés à la démarche analytique et à l’esprit scientifique, ils partagent avec d’autres, en ce XVIIIe siècle finissant, la certitude de la perfectibilité du genre humain. Rompant avec toute métaphysique, ils s’efforcent d’élaborer une science de l’homme qui rende compte du fonctionnement de l’esprit : l’idéologie désigne, précisément, selon Destutt de Tracy, « la connaissance de la génération de nos idées ». S’inspirant du sensualisme de Condillac, ils accordent une place essentielle à la sensibilité, fondement premier de la construction intellectuelle. Mais les Idéologues se caractérisent surtout par une philosophie de l’action qui place l’institution scolaire au coeur d’un projet de régénération politique et sociale. De ce point de vue, ils constituent un groupe d’influence dont l’autorité culmine entre l’an III (17941795) et l’an X (1801-1802) : des hommes tels que Garat, Volney, Cabanis, Daunou, Lakanal, Ginguené ou Roederer occupent alors, dans les Assemblées révolutionnaires ou dans différentes commissions, des postes importants. Fidèles aux intérêts de la jeune République, soucieux d’en diffuser et d’en affermir les principes, ils concentrent leurs efforts sur la création d’établissements d’enseignement et de recherche. L’École polytechnique, l’École normale, les Écoles de santé, l’Institut de France, les écoles centrales départementales, leur sont dus, en grande partie. Encyclopédique et scientifique (au sens où la science est une démarche fondée sur la méthode analytique), leur conception de l’enseignement
est aussi très élitiste : au niveau secondaire comme au niveau supérieur, l’école républicaine doit former les futurs législateurs selon les principes qu’impose la raison. Ceux-ci pourront ainsi édicter des lois justes, qui sont les conditions d’une transformation des moeurs et d’une régénération en profondeur de la société. L’activisme politique et réformateur des Idéologues est soutenu par une revue, la Décade philosophique, véritable organe du groupe, et dont la première parution remonte à floréal an II (avril-mai 1794). Le corps de doctrines, quant à lui, est formulé par Destutt de Tracy dans ses trois principaux ouvrages, Éléments d’idéologie (1801), la Grammaire (1803), la Logique (1805), et par Georges Cabanis dans Rapports du physique et du moral de l’homme (1802). À cette époque, les Idéologues, honorés individuellement par Bonaparte, sont pourtant tenus à l’écart des décisions politiques de première importance. En tant que groupe de pensée, ils perdent alors l’influence qu’ils avaient acquise. Décriés ou honnis par les nouveaux mouvements philosophiques à partir de la Restauration (notamment l’éclectisme de Victor Cousin), ils sont peu à peu oubliés. Pourtant, par leur oeuvre et par leur action, ils ont réalisé une synthèse révolutionnaire de l’esprit des Lumières. Iéna (bataille d’), victoire de Napoléon Ier sur l’armée prussienne pendant la campagne de 1806, le 14 octobre. Après les succès français de 1805, la quatrième coalition - formée par l’Angleterre, la Prusse, la Saxe et la Russie - reprend l’initiative de la guerre. Répondant par l’offensive, Napoléon décide de s’attaquer d’abord à la Prusse. Il rassemble ses troupes cantonnées en Allemagne et les lance en direction de Berlin. Les premiers engagements, à l’avantage des Français, ont lieu dans le sud de la Saxe. Les 11 et 12 octobre, les Prussiens sont contraints de se replier. Leur commandant en chef, le duc de Brunswick, laisse un détachement à Iéna pour couvrir sa retraite en direction de Magdeburg. Le 13 octobre, les forces prussiennes sont donc divisées : le gros de l’armée est stationné à Auerstedt, sous le commandement de Brunswick et de Möllendorf, tandis que les troupes du prince de Hohenlohe se trouvent à Iéna. Napoléon, qui ne connaît pas exactement l’état du dispositif ennemi, envoie Davout à la rencontre de Brunswick,
tandis que lui-même prend la direction des opérations à Iéna. Le matin du 14 octobre, la double bataille de Iéna-Auerstedt s’engage. Les forces de Lannes, Murat, Ney, Soult et Augereau balaient la résistance de Hohenlohe : 15 000 Prussiens et Saxons sont faits prisonniers ; le reste de l’armée fuit vers Erfurt. Pendant ce temps, Davout réussit à regrouper ses forces et à repousser les Prussiens ; Brunswick et Möllendorf sont tués. Dans leur retraite, les rescapés de l’armée de Iéna rejoignent ceux de Auerstedt. S’engage alors une course-poursuite à l’issue de laquelle Napoléon défait totalement l’armée prussienne ; il entre à Potsdam le 25 octobre. Illustration (l’), hebdomadaire créé en 1843 par Alexandre Paulin, Édouard Charton et Adolphe Joanne, à l’imitation de l’Illustrated London News. Se donnant pour seul credo la passion de la vérité, ce « vaste annuaire », premier journal illustré français d’information, enregistre « à leurs dates, tous les faits de l’histoire contemporaine [...] : événements politiques, cérémonies publiques, grandes fêtes nationales, désastres fameux, bruits de la ville, morts illustres, biographies contemporaines, représentations théâtrales, découvertes utiles, expositions des arts et de l’industrie, publications nouvelles, faits glorieux de l’armée, types, scènes populaires ». La rédaction de ce journal républicain défend un point de vue issu à la fois du libéralisme industriel et de l’idéalisme saint-simonien. Par sa diffusion, l’image doit améliorer et élargir le savoir commun, par sa qualité, elle doit établir et promouvoir l’« âge d’or » bourgeois. L’Illustration, qui est aussi représentative de l’histoire de l’imprimerie et de la presse, emploie des techniques de pointe : la gravure sur bois debout, déjà utilisée par le Magasin pittoresque (1833-1938), publié par Charton, permet une reproduction précise, avant d’être remplacée par les fac-similés en cuivre ou en downloadModeText.vue.download 461 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 450 pierre. La gravure s’effectue aussi grâce au daguerréotype dès 1848, à la photographie le 19 avril 1856, enfin, à partir de l’ instantané en 1890. Le « premier essai d’électrotypie, destinée à remplacer l’impression lithographique, permet une « gravure en dix minutes »,
avant l’apparition de la photogravure (photographie en noir et blanc le 31 mai 1890, en couleurs en 1907). Néanmoins, le reportage dessiné, principalement en noir, domine jusqu’en 1920 : son romantisme dramatique plaît davantage aux lecteurs. Les reportages historiques (révolution de 1848, guerres de Crimée, de 1870 et de 1914) font doubler les tirages et exigent l’emploi de correspondants particuliers (Gavarni, Guys en 1848, Lançon et Gaildrau en 1870) et de dessinateurs-graveurs qui recopient des clichés dans leur atelier (Gustave Doré). Les artistes collaborant à l’Illustration figurent parmi les plus célèbres du siècle : Daumier, Grandville, Daubigny, Bertall, Cham, Valentin, Janet Lange, Detaille, Bayard, Bracquemond, Andrieux, Forest, Régamey, Caran d’Ache. Ils mettent en valeur des textes souvent non signés et permettent de tirer à part les feuilletons littéraires. On peut lire sur trois colonnes les articles des éditeurs, Joanne, Paulin, et de leurs rédacteurs : Saint-Germain-Leduc, Louis Viardot, Legouvé, Dufaï, Texier, Flammarion, Léon de Wailly, Busoni (rubrique « courrier de Paris »), Karr, Sarcey, Rigaud (rubrique « gazette du palais »)... Le trait accrocheur des gravures et la grande prudence politique des rédacteurs ont parfois démenti le projet initial. L’Illustration, devenu un journal à sensation dont les derniers numéros (12-19 août 1944) marquent la complaisance envers le gouvernement de Vichy, a survécu à deux révolutions mais manqué une libération. l IMMIGRATION. Parmi les pays industrialisés, seuls les États-Unis et le Canada ont aujourd’hui un pourcentage de population d’origine étrangère plus fort que celui de la France, où un quart des habitants ont au moins un grand-père « venu d’ailleurs », et où l’immigration est massive à partir du milieu du XIXe siècle. Cette dernière, souvent nécessaire à l’économie, apparaît comme un problème en temps de crise : les récentes vagues migratoires cristallisent alors angoisses et fantasmes, tandis qu’une amnésie collective fait oublier ou minimise les difficultés qui ont accompagné l’intégration des vagues précédentes. LA « LONGUE PRÉHISTOIRE » D’UN PHÉNOMÈNE On peut faire remonter très loin dans le temps l’immigration en France, rappeler que tous les humains semblent issus d’un unique
foyer situé dans l’est de l’Afrique, et suivre les migrations des Ligures dans le Midi, ou de peuples d’Asie centrale jusqu’à la Loire. On peut aussi énumérer les Grecs, arrivés vers 600 avant J.-C., les deux vagues celtes amenant « nos ancêtres les Gaulois » vers 700 et 500 avant J.-C., les Romains à partir de 125 avant J.-C., les Barbares germains installés à la fin du IIIe siècle après J.-C. par l’empereur Dioclétien, et les Grandes Invasions avec leur lot de Burgondes, de Francs, de Bretons venus d’Angleterre au VIe siècle pour fuir d’autres envahisseurs, ou de Normands. Il n’y a pas là immigration stricto sensu, pas plus que durant l’essentiel du Moyen Âge. En effet, la personnalité des lois jusqu’au Xe siècle et l’usurpation de la puissance publique par les seigneurs - « est étranger quiconque n’est pas né sur leur territoire » - font que cette notion n’a alors pas grande signification. Mais la présence étrangère, au sens actuel, n’en est pas moins réelle, et la fusion d’apports successifs fonde l’identité même du pays. Se développe ensuite, vers le XIIIe siècle, une immigration des talents : financiers, marchands, soyeux, religieux, médecins, administrateurs, artistes ou navigateurs d’Italie du Nord, métallurgistes, mineurs, imprimeurs allemands, émailleurs maures d’Espagne, mercenaires écossais, espagnols, génois puis suisses à la fin du XIVe siècle. Ils peuvent subir des spoliations, par exemple durant les règnes de Saint Louis ou de Philippe le Bel, servir de boucs émissaires, comme lors de la croisade des pastoureaux en 1320, faire peur, à l’instar des Tziganes entrés par la Savoie en 1419, être suspects en temps de guerre, mais ils suscitent au total à peu près les mêmes hostilités que les « étrangers » venus des villes ou des campagnes toutes proches. Par ailleurs, ils sont peu nombreux et peu concentrés, dans le pays alors le plus peuplé d’Europe. Il en va de même à l’époque moderne. Même si l’on ne dispose guère de données fiables, immigration et émigration semblent s’équilibrer, et ne sont pas des phénomènes de masse. Suisses ou Savoyards participent à la repopulation des campagnes de l’Est après la guerre de Trente Ans, mais ils sont noyés parmi les régnicoles ; le quart des soldats de Louis XIV sont étrangers, mais la plupart repartent en temps de paix ; les élites politiques ou économiques originaires d’autres pays jouent un grand rôle, mais restent peu nombreuses : Hollandais venus assécher les marais sous le règne d’Henri IV, Britanniques pré-
sents au XVIIIe siècle dans toutes les branches industrielles, jusque dans la fabrication du cognac avec Martell ou Hennessy, Suisses, Allemands comme le manufacturier wurtembourgeois Oberkampf ; sans oublier les Lully, Concini, Mazarin, de Broglie, Maurice de Saxe, Law ou Necker. À l’inverse, des Français se mettent tout aussi bien au service d’autres États. Certaines réussites suscitent des accès de xénophobie, mais il est difficile de savoir si celle-ci est un sentiment fondamental ou un argument utilisé dans les luttes politiques. On pourrait croire que 1789 marque un tournant, avec la promotion de l’idée de nation et la cristallisation de la notion de communauté nationale, qui impliquent la définition moderne de l’« étranger ». En réalité, la Révolution modifie peu les apports extérieurs et n’accélère pas la lente sédimentation d’éléments allogènes, le plus souvent vite assimilés. En outre, elle donne des exemples d’ouverture et de renfermement contradictoires. D’un côté, ce sont l’universalisme, la fin du droit d’aubaine en 1790, l’élection d’un Prussien, Cloots, et d’un Anglais, Paine, comme députés, et des Constitutions dont la plus restrictive, en l’an VIII, prévoit la naturalisation de tout étranger résidant dix ans consécutifs dans le pays après ses vingt et un ans. De l’autre, ce sont les suspicions, les séquestres et la surveillance dans un État en guerre contre toute l’Europe, même si ceux-ci frappent les autochtones tout autant que les étrangers. Après la chute de l’Empire, malgré la présence sur le territoire des rescapés de l’armée d’invasion et des anciens sujets de Napoléon trop compromis dans leur pays, et malgré l’accueil de réfugiés - libéraux italiens, révolutionnaires allemands mêlés à leurs compatriotes artisans, mais aussi carlistes espagnols -, les migrants restent surtout des entrepreneurs, des commerçants, des techniciens, des ouvriers très spécialisés apportant leurs savoir-faire. LA MUTATION DU XIXe SIÈCLE La démographie et l’économie bouleversent alors les données et font de l’immigration un phénomène de masse. En 1851, lors du premier recensement comptabilisant les étrangers, ils sont 380 000, malgré la crise économique, qui a pu disperser la moitié des effectifs de 1845. C’est deux fois le chiffre plausible pour 1830, et la croissance continue. En 1881, ils sont un million, et 130 000 de plus en 1911, après un tassement à la fin du XIXe siècle. En 1851 comme en 1911, ils viennent pour 90 % d’entre eux des pays voi-
sins, même si Kabyles et Polonais apparaissent dans les mines du Nord. Les Belges (un tiers du total, au départ) sont rattrapés, et dépassés dès 1901 par les Italiens. Techniciens et représentants des petits métiers - spécialité transalpine symbolisée par le montreur d’ours Vitalis de Sans famille - sont noyés dans une masse de main-d’oeuvre peu qualifiée : frontaliers belges dans le textile du Nord, ouvriers agricoles itinérants, travailleurs du bâtiment, auxquels s’ajoutent des salariés de la chimie, de la métallurgie, de l’automobile ou des mines. La révolution industrielle et ses développements ont exigé cette nouvelle main-d’oeuvre, d’autant qu’avec la baisse de la natalité la France devient une zone de « basse pression » démographique dans une Europe bien plus prolifique. Cette immigration est constamment renouvelée : de 1873 à 1914, 1,8 million d’Italiens s’intallent provisoirement en France. Il s’agit souvent pour eux d’aider une famille restée au pays, d’accumuler un pécule pour rentrer acheter des terres et s’établir plus aisément. On a donc affaire à maints jeunes célibataires, même si les familles se font plus fréquentes avec le temps : en 1911, le tiers des Italiens ont moins de 20 ans, et en 1896 on compte encore 139 hommes pour 100 femmes - contre 181 en 1861. Cela explique une réputation d’instabilité et de violence, et la police hésite à pénétrer dans certains lieux tels que les cités de la vallée de la Fensch, « far-west » lorrain. Pourtant, l’intégration a commencé, audelà des élites, acceptées depuis longtemps dans la « bonne société ». Elle est moins liée à l’école, peu fréquentée, ou à une aléatoire promotion sociale, qu’à la durée du séjour et aux filières migratoires, qui font que le nouvel arrivant est souvent entouré de membres de sa famille, de son village ou de sa région : Ombriens à Nice, gens originaire du Latium méridional en banlieue lyonnaise, montadownloadModeText.vue.download 462 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 451 gnards d’Émilie à Nogent, etc. Cet encadrement pourrait signifier un enfermement. En réalité, il est un facteur de stabilisation, et favorise le début d’une lente acceptation par le pays d’accueil. Reste que les réactions de rejet sont fréquentes. Elles visent des concurrents sur le
marché du travail, accusés d’accepter des salaires trop bas, de briser les grèves. Ainsi, en 1848, des violences éclatent à Paris, dans le Nord, en Normandie, dans des mines ou sur des chantiers de construction de voies ferrées, etc. Dès 1819, des Lillois ont manifesté contre les Flamands ; Paris s’est déjà échauffé plusieurs fois, par exemple en 1839 contre les ébénistes allemands. La situation s’aggrave avec la crise économique de la fin du siècle : trente Italiens au moins sont assassinés entre 1881 et 1893, date des massacres d’AiguesMortes. Les Belges ne sont guère mieux lotis, même si l’adhésion de l’Italie à la TripleAlliance en 1882 fait de ses ressortissants des ennemis potentiels, concentrant sur eux les griefs. Il est malaisé de trier entre difficultés sociales et tensions internationales, et l’amélioration constatée après 1900 peut être liée tant au rapprochement franco-italien qu’à la reprise économique, voire à une intégration des étrangers aux mouvements revendicatifs, commencée pour les Belges sous Napoléon III, esquissée à Marseille pour les Italiens, et suscitant d’ailleurs d’autres hostilités - hors du monde ouvrier, cette fois. Les discriminations légales sont relativement tardives. L’absence de droits politiques ne se fait sentir qu’après l’instauration du suffrage universel masculin en 1848. Les interdictions de diriger une école ou un journal, imposées en 1850 et en 1852, concernent peu d’individus, de même que l’impossibilité d’accéder à certains emplois publics. Le risque d’expulsion est limité par l’inexistence de papiers d’identité fiables, et les mesures de surveillance restent inappliquées. C’est sous la IIIe République, en 1888 et 1893, qu’un contrôle est véritablement instauré, avec l’obligation d’immatriculation à chaque nouvelle résidence. En 1899 est donnée la possibilité de fixer un quota maximal d’étrangers dans les entreprises travaillant pour les collectivités publiques. Mais les difficultés économiques affectent peu le libéralisme dominant. Le problème est plutôt d’intégrer les nouveaux venus et, surtout, de faire participer leurs enfants à la défense du pays. La loi de 1889 fixe le droit du sol : les enfants nés en France de parents étrangers sont citoyens français, sauf refus exprès de leur part - un refus impossible si les parents sont eux-mêmes nés en France. D’UNE GUERRE MONDIALE À L’AUTRE En matière d’immigration comme dans d’autres domaines, la guerre de 1914 accroît le rôle de l’État. Ainsi, en avril 1917 est instituée la carte d’identité obligatoire des étrangers.
Mais, surtout, après une phase d’excitation chauvine et d’arrêt de la production dans la perspective d’une guerre courte, la poursuite du conflit implique un afflux d’étrangers. Aux Alliés s’ajoutent 43 000 volontaires de 52 nationalités, 470 000 appelés ou engagés venus de l’empire colonial, les réfugiés ou les prisonniers supposés remplacer les hommes mobilisés, ainsi que 225 000 travailleurs européens, issus de pays alliés ou neutres, 40 000 Chinois et plus de 200 000 civils coloniaux. En 1918, les besoins restent criants. Il faut reconstruire le pays, saigné par un million et demi de morts, et un million de mutilés et de gazés. Or la population, de mieux en mieux formée, fuit les tâches pénibles et mal payées. En outre, on ne veut faire appel ni aux ennemis d’hier, ni aux Russes soupçonnés de bolchevisme, non plus qu’aux nonEuropéens, écartés sur des bases racistes ou parce qu’on préfère les employer à la mise en valeur des colonies. Mais les convulsions du monde amènent maints réfugiés (Espagnols fuyant la dictature de Primo de Rivera, Italiens antifascistes, Russes blancs, Arméniens, etc.) ; surtout, l’émiettement de l’Europe centrale, l’effondrement de l’Allemagne et la fermeture des États-Unis drainent vers la France des travailleurs italiens, polonais, tchèques, etc. On recense 2,4 millions d’étrangers en 1926, et 2,9 millions en 1931, soit 7 % de la population, plus un volant de clandestins, facilement régularisés du fait du manque de main-d’oeuvre. La part des ressortissants des pays voisins tombe de 79 % en 1921 à 55 % en 1931, notamment en raison de la présence croissante des Polonais, dix fois plus nombreux en 1931 qu’en 1921. Les emplois occupés sont bien ceux que fuient les autochtones : 40 % d’étrangers, dont la moitié de Polonais, dans les industries extractives, 70 % dans les mines de fer, 50 % dans les cimenteries, et, sur 250 000 immigrés travaillant dans l’agriculture, seulement 14 % de propriétaires, contre 60 % parmi les Français. Dès 1919, la « Chambre bleu horizon » retire à l’État la gestion du recrutement collectif, confiée à la Société générale d’immigration (SGI), qui, de 1924 à 1930, embauche et achemine 400 000 personnes, et pèse sur les choix politiques. Son poids et l’intérêt des employeurs expliquent que les entrées ne diminuent pas lors des poussées de chômage de 1919, 1921, 1924 et 1927, malgré les revendications des salariés nationaux, ni lors de la crise financière de 1926, où la xéno-
phobie émane plutôt des classes moyennes. L’État légifère peu, et moins pour contrôler l’émigration que pour la mettre au service du pays. En 1926, il tente d’interdire que l’étranger entré avec un contrat de travail soit débauché par une autre entreprise avant le terme de ce contrat. En 1927, face à l’extrême droite qui peste contre les naturalisés, « Français de papier », il accentue le droit du sol, limite les possibilités de décliner la nationalité française pour échapper aux obligations militaires, et facilite les naturalisations, quitte à prévoir un délai de dix ans durant lequel les « bénéficiaires » sont inéligibles et peuvent encore être privés par décret de leur nouvelle nationalité : la dépopulation inquiète, et on tient alors la France pour « le meilleur jardin d’acclimatation du monde ». De fait, les naturalisations passent de 164 000 entre 1889 et 1927 à 452 000 entre 1927 et 1940. Au total, l’intégration se réalise, malgré, d’un côté, des discriminations salariales, des expulsions pour délit d’opinion, des inquiétudes et un racisme latent fondé sur des stéréotypes tenaces, et, de l’autre, la tentation de vivre en vase clos et une volonté de défense de l’identité nationale, encouragée notamment par les gouvernements italien et polonais. Elle s’opère grâce aux rapprochements qui ont lieu dans la vie quotidienne, au travail, à l’école, parfois dans les partis politiques, les syndicats et les Églises. Un discours hostile serpente cependant dans la grande presse, et de l’extrême droite aux radicaux : il présente les étrangers comme véhiculant des maladies, alors qu’ils les contractent plutôt en France, du fait de leurs conditions de vie, et que, s’ils sont plus souvent hospitalisés que les autochtones, c’est faute de famille pour s’occuper d’eux. Il insiste sur le taux de délinquance dont les étrangers sont responsables, même si, hormis les délits spécifiques (infractions aux arrêtés d’expulsion, etc.), ceux-ci ne contreviennent guère plus aux lois que les Français de même âge et de même condition. Il monte en épingle quelques rixes ou règlements de compte politiques, bien qu’en dehors des exilés proprement dits les étrangers soient très faiblement politisés, et que tous soient tenus à la prudence par la menace de l’expulsion. Ce discours est puissamment relancé par la crise économique, quand 16 % de la population active connaît un chômage total ou partiel. La gauche même, d’Édouard Herriot à Roger Salengro en passant par la CGT, demande des mesures restrictives, et le PCF s’inquiète de la montée de la xénophobie jusque parmi ses militants. Des faits-divers tragiques, les assas-
sinats du président Doumer en 1932 ou du ministre Barthou et du roi de Yougoslavie en 1934 exacerbent la tension. Cette fois, l’État intervient. En 1932, une loi permet de fixer des quotas d’étrangers par branche industrielle et par région. Si le patronat est réservé, car il tient à une maind’oeuvre irremplaçable et docile, et si socialistes et communistes s’abstiennent, aucun député ne vote contre. Seulement 74 décrets sont pris en 1934, mais, la crise continuant, on en dénombre 627 en 1936, plus d’autres adoptés sous le Front populaire. L’État pousse aux rapatriements, y compris de familles dont les enfants sont français. L’administration freine arbitrairement les délivrances de cartes d’identité et de permis de travail, refuse d’autoriser les passages de l’agriculture à l’industrie, et on cite même le cas d’un éleveur de poissons exotiques refoulé « à cause du chômage qui sévit dans sa profession ». Les professions libérales entendent également se protéger ; ainsi, en juillet 1934, les avocats, bien représentés au Parlement, obtiennent que les naturalisés soient tenus d’attendre dix ans avant de pouvoir s’inscrire au barreau. Du fait des départs et des naturalisations, les étrangers passent de 2,89 millions en 1931 à 2,45 millions en 1936, en comptant les réfugiés fuyant l’Allemagne nazie, accueillis d’abord avec compassion, mais dont le drame est rapidement oublié. Le Front populaire suscite des espoirs, d’autant que depuis 1934 la CGT s’est démarquée des positions les plus chauvines. Mais aucune loi spécifique n’est votée, même si consigne est donnée d’appliquer avec humanité les textes en vigueur. La droite ne s’en persuade pas moins que le gouvernement downloadModeText.vue.download 463 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 452 favorise les étrangers, et le slogan maurrassien « La France aux Français » fait florès. Sous le gouvernement Daladier, des décrets empêchent les immigrés de changer de département pour trouver un autre emploi, renforcent la surveillance policière et la répression contre les clandestins, privent les nouveaux naturalisés du droit de vote pour cinq ans, etc. Avec la marche à la guerre, la tension augmente. Les réfugiés politiques sont accusés de faire le jeu de l’Allemagne et, en même temps, de vouloir une guerre
pour se venger d’elle ; les 500 000 réfugiés espagnols supposés « rouges » qui fuient Franco en 1939 inquiètent les conservateurs et sont parqués dans des camps dans des conditions inhumaines ; enfin, pendant la « drôle de guerre », on hésite à accepter les étrangers dans l’armée, par crainte de voir les Allemands trahir, ou pour ne pas heurter Mussolini, resté « non belligérant », tandis qu’on interne pêle-mêle agents de l’ennemi et opposants exilés. Inquiétude, xénophobie et vexations sous la IIIe République finissante préludent à la politique de la dictature vichyste : réfugiés livrés à Hitler, exclusion de la fonction publique, du barreau et du corps médical des Français nés de père étranger, dénaturalisation de 15 000 personnes, rafles frappant au premier chef les juifs étrangers. L’opinion publique finit par s’indigner, à mesure qu’elle se détache du « maréchalisme », et la participation de nombre d’étrangers tant à la Résistance qu’à la France libre aurait pu modifier leur image, mais, dans la grande communion patriotique de la Libération, ils sont vite oubliés. Les spécialistes officiels de l’immigration tiennent même un discours de sélection ethnique, le géographe Georges Mauco demandant par exemple que la moitié des futurs arrivants vienne du nord de l’Europe. Néanmoins, par l’ordonnance de novembre 1945, le Conseil d’État annule tout quota par nationalité et définit juridiquement l’immigré comme un étranger s’installant pour plus de trois mois de façon continue et pour une durée indéterminée. DES « TRENTE GLORIEUSES » À LA CRISE ÉCONOMIQUE De 1945 à 1955, malgré les pertes dues à la guerre, l’immigration stagne, après avoir chuté durant le conflit : la France accueille 1,74 million d’étrangers en 1946, et 1,76 million en 1954, soit 4,4 % et 4,1 % de la population. L’Office national d’immigration (ONI), structure publique remplaçant la SGI, peine à attirer les travailleurs, qu’économistes et démographes jugent pourtant indispensables. Les difficultés du pays le rendent peu attractif, le ministère des Finances bloque l’envoi de devises aux familles restées dans le pays d’origine, l’opinion est hostile aux Italiens, ennemis d’hier - or ils représentent 67 % des arrivants jusqu’en 1949 - ; enfin, les syndicats craignent le chômage et la concurrence. S’y ajoute la lourdeur des démarches administratives, qui explique par ailleurs le recours croissant à des clandestins, régularisés en-
suite, et aux musulmans d’Algérie, réputés « étrangers » mais citoyens français depuis 1947, donc libres de circuler en métropole. Leurs effectifs décuplent entre 1946 et 1954, compensant un tassement du nombre d’Européens, surtout lié aux retours volontaires de Polonais dans leur pays. La situation change complètement après 1955, en raison de l’expansion économique et de l’insuffisance de la population active du fait des classes creuses. En 1975, les étrangers sont 3,4 millions, soit 6,5 % de la population, presque la proportion de 1931. Parmi eux, les Européens passent de 90 % à 60 %. Le miracle économique transalpin tarit lentement le flot des Italiens. Les Espagnols les dépassent au recensement de 1968, et, en 1975, c’est le tour des Portugais, passés de 1 % des effectifs en 1954 à 22 %. Ces derniers sont privilégiés par les pouvoirs publics : à partir de 1968, ils sont les seuls clandestins officiellement « régularisables », avec le personnel de maison et quelques éléments hautement spécialisés. En 1971, un accord en prévoit même l’arrivée de 65 000 par an. Il s’agit clairement de concurrencer l’immigration des Algériens (21 % des effectifs en 1975), en augmentation rapide par-delà les aléas des relations entre la France et leur pays depuis 1962. Avec eux, le cercle du recrutement dépasse largement l’Europe, d’autant que l’Afrique noire commence à fournir des contingents appréciables. Européens ou Africains, il s’agit surtout d’une main-d’oeuvre non qualifiée, qui occupe les emplois répulsifs, accepte de bas salaires, revendique rarement. Avec du recul, on se demande d’ailleurs si son utilisation a retardé la modernisation, l’automation, et pesé à la baisse sur les salaires, ou si elle a assuré l’essor industriel français. Cette immigration se stabilise, tout comme l’ancienne : les regroupements familiaux prennent une importance croissante, avec quelque 55 000 entrées par an de 1966 à 1969, et 80 000 de 1970 à 1972. De 1946 à 1975, la part des femmes double ; celle des enfants quadruple. Par ailleurs, une syndicalisation s’esquisse, qui doit plus à la pérennité du séjour qu’à la politisation liée aux guerres de décolonisation ou à mai 68. Cette situation rappelle celle d’avant 1914, et surtout les années vingt. Au sein de l’opinion, on retrouve d’ailleurs les mêmes débats quant à l’état sanitaire et à la délinquance. Le rejet de l’immigration, fort répandu, est limité par le sentiment d’une nécessité économique, et l’image des étrangers est meil-
leure là où ils sont effectivement présents, car la xénophobie se nourrit de fantasmes plus que de difficultés réelles. Par ailleurs, on commence à s’inquiéter des conditions de vie des étrangers, et en particulier du logement, dont la précarité choque, dans les années soixante, une fois le problème à peu près résolu pour les autochtones. Certes, la guerre d’Algérie réveille l’extrême droite, entraînant des violences aveugles supposées répondre aux exactions du FLN, et prolongées sporadiquement par des nostalgiques de l’OAS, en particulier dans le Midi à la fin de 1973. Mais, après 1962, ces actes n’ont guère prise ne sur la population. Et les pouvoirs publics ne semblent pas davantage concernés, même si, à partir de 1964, par exemple, ils veulent résorber les bidonvilles de la banlieue parisienne, tâche inachevée dix ans plus tard. À la veille de la crise, il n’y a pas de réel contrôle : l’immigration africaine ne relève pas de l’ONI ; celle des pays de la CEE est libre ; la tentative de 1968 de mettre fin aux régularisations de clandestins se heurte aux intérêts patronaux, et celle de 1972 déclenche un mouvement syndical qui obtient 50 000 régularisations. CRISE ÉCONOMIQUE ET DURCISSEMENT IDÉOLOGIQUE La crise économique vient bouleverser les données. Comme dans les années trente, la xénophobie se développe. D’abord confinée à la sphère des opinions privées inavouables, elle trouve sa légitimation politique après 1981, avec la montée de l’extrême droite, favorisée par l’échec électoral de la droite traditionnelle, et peut-être par la volonté gouvernementale d’affaiblir cette dernière. Encore absente du discours du Front national en 1974, l’immigration devient son thème essentiel, et ce parti réussit à en faire un des axes autour duquel s’organise la vie politique. À droite, la tradition humaniste se trouve en balance avec la peur de perdre son électorat, ou avec la tentation de dramatiser la situation pour gêner le gouvernement. À gauche, on hésite également : le président Mitterrand souhaite que les étrangers votent dans les scrutins locaux, mais il avalise aussi l’idée d’un « seuil de tolérance » supposé dépassé. L’insécurité réelle née de la crise et du chômage, problème économique autant que d’ordre public, est transformée en problème prétendument « ethnique », dès lors qu’il y a polarisation sur les Maghrébins, voire sur
les Algériens, qui cristallisent les rancoeurs engendrées par la décolonisation et le retour forcé des pieds-noirs, ou l’inquiétude née de la montée de l’intégrisme islamiste hors de France depuis la révolution iranienne de 1979. Les difficultés rencontrées par les vagues d’immigration précédentes sont oubliées, voire niées, et celles du moment mises au compte de différences culturelles, religieuses, si ce n’est « raciales ». Ce discours se répand, malgré les objurgations des Églises, l’indignation de nombreux hommes politiques responsables, ou la création d’organisations spécifiques, comme SOS-Racisme en 1984, ou France Plus, qui mobilisent les jeunes et les médias, mais pâtissent de leurs divisions, de leurs engagements politiques, ou des contradictions entre « droit à la différence » et assimilation. Avant même la montée de la xénophobie, les pouvoirs publics ont voulu intervenir, mêlant rigueur et libéralisme. L’arrêt de toute immigration, décidé en juillet 1974, s’accompagne d’aides au rapatriement, et d’importantes exceptions sont consenties aux familles. Le durcissement de 1977, lié à des considérations électoralistes, échoue ; les regroupements familiaux ne peuvent être bloqués, et ni les primes au retour ni l’accord théorique avec Alger sur 500 000 retours en cinq ans n’ont de grands effets. En 1981, la gauche lance une politique libérale, régularisant en particulier 132 000 clandestins. Mais difficultés économiques et revers subis aux élections municipales de 1983 l’amènent à changer d’attitude, d’où la politique, suivie officiellement depuis par tous les gouvernedownloadModeText.vue.download 464 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 453 ments, associant intégration des étrangers présents sur le territoire, limitation des entrées, et renvoi des clandestins. Le dernier point ne peut qu’inquiéter les organisations d’aide aux immigrés et une partie de la gauche, tandis que l’extrême droite taxe de laxisme l’ensemble de ces dispositions. Par ailleurs, des mesures destinées à décourager les candidats à l’immigration ou à rasséréner un électorat tenté par l’extrémisme engendrent des contradictions, des drames humains propres à émouvoir l’opinion et à alerter les défenseurs des droits de l’homme. Même si elle met en avant l’autonomie de
l’individu, la nécessité, de 1993 à 1997, pour les enfants nés en France de parents étrangers nés hors du pays, de demander la nationalité française entre 16 et 21 ans est perçue par beaucoup comme discriminatoire. De même, en 1997, le contrôle administratif rigoureux de l’hébergement des étrangers déclenche un mouvement de contestation. De nouvelles lois de 1998 à 2006 subordonnent l’obtention d’une carte de résident à des critères d’intégration. Surtout, au-delà des lois, c’est leur application qui pose problème : lorsqu’elles créent des situations familiales inextricables ou mettent en danger de mort certains demandeurs d’asile déboutés. Des difficultés économiques particulières s’y ajoutent. Les mutations de l’économie, dont la robotisation, entraînent la suppression de nombreux postes de travail occupés par des immigrés - le chômage touchant le quart d’entre eux. Malgré un glissement vers le secteur tertiaire, qui emploie désormais 25 % des immigrés ayant un emploi, et le fait que mieux vaut chômer dans un pays riche que dans un pays pauvre, cette évolution contribue à une stagnation des effectifs : 3,4 millions d’étrangers en 1975, 3,6 millions en 1982, 3,3 millions en 1999, plus 300 000 ou 400 000 clandestins, impossibles à recenser exactement, d’où d’ailleurs exagérations et fantasmes. Les entrées légales n’ont pas totalement cessé, et restent de l’ordre de 100 000 par an - un peu moins depuis 1993 -, relevant à 80 % du regroupement familial, et compensées par un nombre de naturalisations sensiblement équivalent. Ces dernières reflètent une assimilation lente mais réelle, qui se lit par exemple dans les mariages mixtes, plus nombreux même depuis 1987 dans le cas des Marocains et des Algériens que dans celui des Portugais, ou dans la convergence rapide entre la natalité des groupes immigrés et celle des autochtones, puisque les Algériennes immigrées ont en moyenne 9 enfants en 1968 et 3,2 en 1990, contre 5,4 pour celles restées outre-Méditerranée. S’il est vain de prétendre tirer des leçons de l’histoire, on peut noter que, depuis un siècle et demi, les vagues migratoires ont toujours paru poser des problèmes insurmontables en temps de crise ; des problèmes qui sont oubliés lorsque les difficultés économiques s’estompent, et que le besoin de main-d’oeuvre est criant. Sauf à croire la France engagée dans un déclin irréversible la privant de ses capacités d’absorption, on peut supposer qu’il en sera ainsi encore une fois. Les prévisionnistes annoncent même qu’un retour à la prospérité
impliquerait pour l’avenir un nouvel appel massif à l’immigration, ne serait-ce que pour compenser la diminution de la population active liée à la dénatalité. immunité, privilège accordé par les souverains, à partir de l’époque mérovingienne, à un établissement ecclésiastique, lui permettant de soustraire ses domaines à la juridiction royale. L’abbé du monastère bénéficiaire d’un diplôme d’immunité, appelé « immuniste », devient alors le représentant du roi sur ses domaines. Il détient l’ensemble des attributs et des pouvoirs royaux, notamment en termes de fiscalité et de justice, et perçoit au nom du roi, et pour une grande part à son propre profit, les impôts, les taxes et les amendes. Entre le VIe et le VIIIe siècle, l’octroi de ces privilèges s’explique par la volonté royale de protéger l’Église et d’associer les réseaux ecclésiastiques (évêchés et monastères) à l’exercice du pouvoir monarchique, de manière à compenser le déclin des institutions civiles, et à contrecarrer la puissance des clans aristocratiques. À l’époque carolingienne, ce système est encore perfectionné : un laïc, l’avoué, est nommé par le souverain auprès de l’immuniste pour exercer en son nom les fonctions administratives, judiciaires et militaires. Cependant, à partir des IXe et Xe siècles, l’immunité et l’avouerie finissent par favoriser l’essor des pouvoirs locaux, car la fonction d’avoué est accaparée, de manière héréditaire, par les princes, puis par les seigneurs châtelains qui en profitent pour asseoir leur puissance, et édifier des seigneuries banales. Et dès les XIe et XIIe siècles, à la faveur des réformes monastique et grégorienne, les clercs utilisent fréquemment les diplômes d’immunité pour justifier la constitution de seigneuries ecclésiastiques autonomes. Institution royale à ses débuts, l’immunité est ainsi devenue un instrument de la puissance seigneuriale. Importants (cabale des), nom donné au parti hostile à Mazarin, au début de la régence d’Anne d’Autriche. Dès la mort de Louis XIII, le 14 mai 1643, tous ceux que Richelieu avait exilés reviennent à la cour. Parmi eux, le duc de Beaufort, fils du duc de Vendôme, demi-frère de Louis XIII, fait figure de chef du parti de la reine ; ses amis, qui prennent des airs d’importance - d’où le surnom que les courtisans leur donnent -, espèrent contrôler le
Conseil de régence. À leur grande surprise, Anne d’Autriche, qui veut rester indépendante, choisit de garder Mazarin comme Premier ministre, même s’il est un ancien protégé de Richelieu. Cependant, elle nomme au Conseil son aumônier, Potier, évêque de Beauvais, personnage falot mais poussé par les « importants » et proche des milieux dévots. Mme de Chevreuse, amie de la reine, intrigue en faveur des « importants » qui, profitant de la haine qu’inspire le défunt Richelieu, jouissent d’une certaine popularité. Vendôme et ses fils désirent se voir attribuer le gouvernement de la Bretagne, ainsi que l’amirauté de France et la direction de l’Artillerie, charges qui feraient d’eux les égaux des grands chefs de clans, tels Gaston d’Orléans ou le prince de Condé. Mais Mazarin demande à Anne d’Autriche de devenir elle-même gouverneur de la Bretagne. Désespérant d’influencer la reine, laquelle est choquée par les pressions auxquelles ils se livrent, les membres de la cabale des Importants songent à assassiner le cardinal. Avertis, Mazarin et Anne d’Autriche prennent les devants. Le 2 septembre 1643, Beaufort est embastillé, ses amis repartent pour l’exil. Leur défaite montre le peu d’enracinement de ce parti qui, sous couvert de lutte contre l’absolutisme, s’est surtout montré avide de pouvoir. impôt, partie des ressources publiques provenant des prélèvements sur les fortunes, les activités économiques, les revenus des sujets ou des citoyens. Le système des impôts et de leur administration constitue la fiscalité d’un pouvoir public dans les limites du territoire où ce pouvoir s’exerce : on distingue donc une fiscalité d’État et une fiscalité locale. Néanmoins, l’impôt ne renvoie pas seulement à un système technique de prélèvements, plus ou moins complexe et efficace au fil des siècles ; il traduit également, à travers les principes qu’il met en oeuvre, une conception de l’activité économique et des rapports sociaux. Sujet traditionnellement sensible en France - des révoltes antifiscales du Moyen Âge aux contestations récurrentes du système actuel en passant par l’hostilité des corps privilégiés à l’égard des réformes sous l’Ancien Régime -, l’impôt touche aux relations qu’entretiennent les pouvoirs publics et la société. • Les origines de la fiscalité royale. L’impôt, dont l’apparition coïncide avec la mise en place d’une structure étatique, lie le pouvoir et les particuliers par un échange d’obli-
gations : le premier se doit d’assurer l’ordre public, les seconds sont tenus de lui en donner les moyens financiers. Sur le territoire de ce qui deviendra le royaume de France, la Gaule est d’abord soumise à la fiscalité romaine, système d’un tel degré d’élaboration technique que ni les principes ni le vocabulaire n’en sont caducs aujourd’hui. Mais, dès le IIIe siècle, les sommes prélevées ne remontent plus guère au-delà des administrations locales. Après la chute de l’Empire romain, les royaumes dits « barbares », y compris le royaume franc, disposent d’une assise trop précaire pour donner les preuves qu’ils détiennent la puissance publique et, par conséquent, pour démontrer leur capacité de faire accepter l’impôt. Les trois premiers Carolingiens font à peine exception. La puissance réelle passe alors aux détenteurs de fiefs, à l’Église - c’est-à-dire aux évêques -, puis aux villes, quand celles-ci connaissent un nouvel essor à partir de la fin du XIe siècle. C’est pourquoi, entre les IXe et XIIe siècles, la fiscalité est exclusivement seigneuriale, ecclésiastique et municipale. Lorsque les Capétiens entreprennent de reconstruire un État qui transcende ces pouvoirs, la fiscalité royale fait figure de nouveauté extraordinaire aux yeux de sujets qui ont oublié depuis des siècles l’impôt d’État ; pour mieux s’intégrer aux pratiques en vigueur, elle se greffe sur la fiscalité downloadModeText.vue.download 465 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 454 féodale, le roi jouant du principe selon lequel il est le seigneur des seigneurs, le suzerain des suzerains. Jusqu’en 1789, la fiscalité monarchique gardera la trace de ces origines. Croisades et guerres exigeant une conduite centralisée et des troupes soumises de préférence à l’autorité royale, les Capétiens peuvent, avec quelque apparence de légitimité, demander aux villes et à l’Église de leur abandonner une petite partie du produit de leurs impôts ; ils réclament également l’aide des grands féodaux, pour percevoir, en cas de besoins militaires, de nouveaux impôts, encore intermittents, mais qui annoncent la fiscalité royale permanente à venir. Ainsi, en 1291, Philippe le Bel tente d’établir une taxe d’un denier par livre (à peu près 0,5 %) sur les ventes de marchandises et, en 1295, une taxe de 1 % de la valeur de tous les biens. En 1343, Philippe VI de Valois instaure une taxe
sur les ventes de sel et de boissons. Fondées sur l’aide au suzerain et sur la coopération des vassaux avec celui-ci, ces initiatives supposent une négociation. La naissance de l’impôt royal favorise donc, paradoxalement, la consolidation de contre-pouvoirs avec lesquels la monarchie doit compter : la convocation des états généraux, réunissant des représentants des barons, de l’Église et des « bonnes villes », est motivée à plusieurs reprises par les besoins fiscaux du roi. Que la puissance de l’État se mesure à sa capacité de lever l’impôt, et que celui-ci soit lié originellement à la fonction militaire du roi, sont des réalités amplement démontrées par la « grève » fiscale à laquelle se livrent les états généraux pendant le règne chaotique de Charles VI. En réaction à cette période durant laquelle la monarchie est proche de l’effondrement, Charles VII rétablit, par l’ordonnance d’Orléans (2 novembre 1439), l’unité du royaume et l’allégeance des grands feudataires au souverain : du même mouvement de plume, cette ordonnance affirme le monopole royal de la levée de troupes, et interdit les prélèvements seigneuriaux motivés par des besoins militaires ; elle instaure également, sans limitation de temps, la taille royale, empruntant son nom au principal prélèvement féodal. Impôt par excellence dû au roi, la taille restera en vigueur pendant trois siècles et demi. • La fiscalité de l’Ancien Régime. Étant donné son origine féodale, la taille ne peut frapper que les roturiers - nobles et clercs contribuant par d’autres moyens au service du roi : « impôt du sang » pour les premiers, tâches spirituelles et activités charitables pour les seconds. Par ailleurs, la monarchie s’appuyant sur les autorités municipales contre les féodaux pour des raisons politiques, les souverains accordent fréquemment des chartes exemptant telle ou telle ville de la taille. Jusqu’en 1789, cette dernière frappe donc d’abord les roturiers ruraux. C’est pourquoi la monarchie, devenue absolue avec le règne personnel de Louis XIV, s’efforce de contourner cette tradition de privilèges fiscaux en instituant des impôts censés frapper tous les sujets. Établie par décret en 1695, la capitation est exigée, en principe, de toutes les familles, à l’exception des pauvres taxés à moins de 40 sous de taille. Les contribuables sont répartis en 22 classes, selon leur situation sociale, chacune étant soumise à une taxe allant de 2 000 livres pour la première jusqu’à une livre pour la vingt-deuxième. À la
capitation s’ajoutent, durant la première moitié du XVIIIe siècle, des impôts proportionnels sur tous les biens, le dixième en 1710, le vingtième (taxe de 5 %) en 1749 ; grande nouveauté, celui-ci suppose une déclaration des contribuables, alors que la taille et la capitation sont établies à partir d’indices extérieurs de richesse. Dans les faits, les privilégiés au regard de la taille ont presque toujours réussi à échapper à ces nouveaux impôts. Ainsi, les assemblées du clergé des années 1750 s’opposent avec une très grande vigueur à la soumission de l’ordre au vingtième, et obtiennent finalement gain de cause. Le recours aux impôts indirects, en particulier sur la consommation, à laquelle par définition nul n’échappe, est un autre moyen mis en oeuvre pour contourner le privilège fiscal, dont la monarchie n’a jamais pu - ou voulu remettre en cause le principe. C’est pourquoi les impôts indirects finissent par constituer, au XVIIIe siècle, 60 % des rentrées fiscales. Dans leur chronologie, leur assiette, leurs taux et leur mode de perception, ils constituent un maquis inextricable. Toute production, tout échange, toute consommation, est susceptible d’être imposée à un moment ou à un autre, notamment au cours d’une guerre, qui peut provoquer une véritable « crue fiscale » - ainsi, entre 1634 et 1643, lors de la guerre de Trente Ans. On peut classer schématiquement en trois catégories les impôts indirects de l’Ancien Régime : les taxes sur les produits, qui sont levées principalement au moment de leur consommation (aides sur les boissons, le tabac, les marchandises de luxe) ; les taxes sur les échanges (traites, péages, octrois royaux, en concurrence avec les taxes équivalentes au niveau municipal ou seigneurial) ; la gabelle, monopole du sel autant qu’impôt (les sujets, à l’exception des plus pauvres, sont tenus d’acheter dans les greniers à sel royaux une quantité donnée de sel, à un prix extrêmement différent selon les régions, d’où une intense contrebande). Exigeant une bureaucratie importante, compétente, et donc coûteuse, la gestion de la fiscalité indirecte est concédée, sous l’Ancien Régime, à des sociétés financières par actions. Ces dernières assurent au Trésor des versements annuels, et elles se remboursent auprès des contribuables par la perception des impôts indirects, en réalisant de gros bénéfices. Peu à peu, elles sont concentrées par la monarchie entre les mains de quelques « traitants », et aboutissent en 1726 à la création de
la Ferme générale. Tout au long du XVIIIe siècle, ce système fiscal a suscité de vives critiques, y compris de la part des administrateurs, alors que, dans l’ensemble, les violentes révoltes populaires antifiscales du siècle précédent se sont apaisées. Stigmatisée par les révolutionnaires, la fiscalité d’Ancien Régime a conservé une image négative dans la mémoire nationale. Ce système a pourtant assuré à la monarchie française des ressources que lui ont enviées les autres monarchies européennes. Il est vrai que le royaume de France était alors nettement plus peuplé que les États voisins. • Une « révolution » de l’impôt ? S’il est un domaine où les futurs révolutionnaires élus en 1789 aux états généraux ont l’intention de faire table rase du passé, c’est bien celui de la fiscalité. À la transition techniquement difficile à négocier entre un système d’imposition ancien et un système entièrement nouveau, s’ajoute, à partir de 1792, le contexte de guerres civiles et extérieures : les Français ne paient donc quasiment pas d’impôts de 1790 à 1797, alors que l’activité législative en matière fiscale est intense. L’édifice construit par la Révolution demeurera presque inchangé, jusqu’en 1914 en ce qui concerne les impôts, et jusqu’à nos jours quant aux principes généraux et à l’administration de la fiscalité. Les grands axes de la fiscalité contemporaine découlent de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (tous les textes constitutionnels similaires en reprendront les termes) : l’impôt est universel, nul citoyen ne peut en être exempt, sinon par un acte législatif ou réglementaire ; l’impôt, sous tous ses aspects concrets - assiette, quotité, taux -, est voté par les représentants des citoyens. Le changement de vocabulaire introduit par la Révolution est significatif : le mot « impôt » est remplacé par celui de « contribution », demeuré en usage jusqu’à une date très récente. Les impôts directs, qui, dans les intentions des constituants, doivent représenter le seul type de taxation, sont au nombre de quatre : la contribution foncière (novembre 1790), pesant sur les propriétés foncières ; la contribution mobilière (janvier 1791), concernant les autres types de propriétés ; la patente (mars 1791), portant sur les entreprises commerciales et industrielles ; la contribution des portes et fenêtres (novembre 1798), frappant les propriétés immobilières. Avec le temps, on
parlera des « quatre vieilles ». Des impôts indirects sont cependant rétablis : le droit de timbre et d’enregistrement, les taxes sur les actes civils et judiciaires, les droits de succession et de mutation (1798), les droits d’octroi (1798,1809), les droits sur le tabac (1798) et les alcools (1804). Dans le cadre plus général de la construction d’une administration financière, du Directoire à la Restauration, la confection des rôles, la perception de l’impôt, l’acheminement de son produit vers le Trésor, sont le fait de fonctionnaires spécialisés (inspecteurs, contrôleurs, receveurs-percepteurs), personnellement responsables, et présents jusqu’au niveau du canton. Malgré ces changements, le XIXe siècle témoigne d’une certaine continuité avec la fiscalité d’Ancien Régime, puisque les impôts indirects enrichissent davantage les caisses de l’État que les impôts directs. Le principal impôt, la contribution foncière, est un impôt de répartition : la loi de finances en fixe le produit global pour l’année suivante, et l’administration le répartit entre les départements, les communes et les foyers. Les rôles de cette foncière et de la contribution des portes et fenêtres sont établis, sans déclaration, d’après des signes extérieurs. La réalisation du cadastre, décidée en 1807, et achevée en 1850, downloadModeText.vue.download 466 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 455 permettra néanmoins d’estimer avec plus de précision les facultés contributives des particuliers assujettis à la contribution foncière. Après quelques manifestations d’opposition au rétablissement des taxes sur les boissons et le tabac sous l’Empire, la fiscalité du XIXe siècle est, dans l’ensemble, bien acceptée par la population - un phénomène remarquable après des siècles de contestation antifiscale. Il est vrai que le poids de l’impôt est resté modeste, ce qui a obligé l’État à privilégier l’emprunt à plusieurs reprises. D’autre part, la fiscalité épargne alors totalement les bénéfices des entreprises et les profits financiers. Cependant, en 1872, est instaurée une faible taxation du revenu des valeurs mobilières. La fiscalité française du XIXe siècle demeure celle d’une nation agricole et rentière, alors que le pays devient une puissance capitaliste et industrielle.
• L’impôt sur le revenu et le système fiscal contemporain. L’introduction de l’impôt sur le revenu a fait l’objet d’une longue bataille parlementaire. Dans ses Notes et souvenirs, Adolphe Thiers exprime ainsi son hostilité à ce prélèvement : « La gauche avait son moyen tout tracé pour rétablir l’équilibre budgétaire : l’impôt sur le revenu. Cet impôt serait le plus équitable de tous, s’il existait un moyen sûr d’évaluer exactement les facultés de chaque contribuable ; mais, pour faire cette évaluation, on n’a que la déclaration du contribuable lui-même, fondement trop incertain pour asseoir une taxe, ou l’inquisition des fortunes privées par les agents du fisc, moyen de taxation odieux et arbitraire. L’impôt sur le revenu serait un impôt de discorde. J’étais donc résolu à le repousser énergiquement. » À l’inverse, la gauche radicale et socialiste, dont les progrès électoraux sont constants après 1880, fait de l’impôt général et progressif sur le revenu l’axe de son programme de redistribution des richesses. Entre 1894 et 1914, la Chambre des députés vote plusieurs fois le projet, qui est toujours repoussé par le Sénat, composé essentiellement de notables ruraux. Il faut attendre juillet 1914 pour que les deux Chambres adoptent le compromis préparé par Joseph Caillaux, radical, à diverses reprises ministre des Finances, et président du Conseil. L’impôt sur le revenu, qui va devenir pour l’opinion publique l’impôt par excellence - bien qu’il n’ait jamais rapporté qu’une petite partie de l’ensemble des rentrées fiscales -, introduit, outre la progressivité, deux nouveautés fondamentales : la généralisation de la déclaration, et donc du contrôle de celle-ci ; la personnalisation de l’impôt, surtout après 1945, avec l’instauration du quotient familial. La création de l’impôt sur le revenu entraîne la disparition des « quatre vieilles » en tant qu’impôts destinés à l’État, ainsi que leur transfert vers les collectivités locales, sous des formes et des dénominations différentes : l’impôt des portes et fenêtres est supprimé ; la taxe professionnelle remplacera la patente en 1974. En outre, l’impôt sur les bénéfices des sociétés est institué en 1948, dans la logique d’un certain anticapitalisme représentatif d’une partie de la Résistance. Par la suite, des impôts sur le capital frappent également les plus-values réalisées lors de la cession de valeurs immobilières ou mobilières (1963-1976) ; enfin, l’impôt taxe les grandes fortunes (IGF, 19821986, puis ISF à partir de 1989), à l’exception
des biens à usage professionnel. Au cours du XXe siècle, surtout après les deux conflits mondiaux, les besoins de l’État ne cessent de croître, du fait des nécessités de la reconstruction économique et de l’élargissement des fonctions dévolues aux pouvoirs publics. Aussi, les gouvernements ont-ils accentué la tendance au recours à la fiscalité indirecte - elle fournit les deux tiers des ressources fiscales -, moins visible que la fiscalité directe, moins impopulaire, et presque indolore. Ils ont cherché à généraliser la taxation des activités économiques, soit au niveau du chiffre d’affaires des entreprises (1920), soit au niveau des différentes étapes du circuit de production et de la circulation des marchandises (taxe à la valeur ajoutée, 1954). Cependant, cette généralisation de la fiscalité indirecte n’empêche pas la survivance d’une taxation particulière de certains produits (tabac, alcools, carburants). Néanmoins, cette configuration nouvelle du système des impôts ne constitue pas le changement le plus important intervenu dans la fiscalité contemporaine. D’une part, l’impôt n’est plus seulement une ressource de l’État, il est aussi un instrument de régulation sociale (rôle redistributif) et, de plus en plus, économique (par le jeu des exemptions ou abattements consentis à des secteurs, branches ou régions soumis à des difficultés d’ordre conjoncturel). D’autre part, bien qu’en France le financement de la protection sociale ne soit pas fiscalisé (en 1996, cependant, un mouvement s’esquisse en ce sens), les impôts ne constituent plus les seuls prélèvements obligatoires. Les cotisations sociales, en constante augmentation, absorbent aujourd’hui un quart du produit intérieur, et les impôts, d’État ou locaux, moins de 20 %, une proportion qui tend à diminuer régulièrement. L’ampleur et la structure des prélèvements sociaux influent donc sur celles de la fiscalité et limitent les possibilités d’intervenir sur cette dernière. impôt sur le revenu. Contribution directe créée en 1914. Sous l’Ancien Régime, l’impôt sur le « revenu » comprend à la fois des impôts de répartition affermés et des impôts de quotité établis par l’administration. L’inégalité devant ces prélèvements indirects, d’un rendement d’ailleurs médiocre, était fortement dénoncée aussi bien dans les cahiers de doléances que par les publicistes de l’époque. Condorcet, en particulier, dans son ouvrage Sur l’impôt pro-
gressif (1793), s’attache à démontrer que cet impôt est préférable aux taxes indirectes en ce qu’il respecte le principe posé par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui proclame qu’une contribution commune est indispensable ; celle-ci doit être également « répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés ». Toutefois, alors qu’au Royaume-Uni un impôt général sur le revenu est créé dès 1798 (impôt cédulaire, qui ne deviendra en fait véritablement progressif qu’en 1910), le législateur de la Révolution française supprime certes les impôts indirects, mais multiplie les contributions directes particulières, qui sont toutes des impôts de répartition. Sous l’Empire, les droits indirects constituent de nouveau l’essentiel des ressources budgétaires. Il faut attendre le vote de la loi du 15 juillet 1914, après un débat parlementaire de sept ans lancé par Joseph Caillaux, pour que soit créé un impôt sur le revenu des seules personnes physiques, les sociétés relevant d’un impôt cédulaire sur les bénéfices. Le nouvel impôt oblige le contribuable à faire une déclaration annuelle de ses revenus. Il permet une « personnalisation du prélèvement par le jeu des réductions et des déductions ». Les exonérations en faveur des revenus les plus modestes lui confèrent une certaine progressivité, avant que ne s’impose définitivement, en 1948, le système de l’imposition par tranche de revenu à taux croissants. À la même époque, le quotient familial est créé, destiné à favoriser fiscalement les familles nombreuses, tandis qu’est substitué l’impôt sur les sociétés aux divers impôts cédulaires. L’impôt sur le revenu n’a jamais été véritablement accepté en France. Il a été constamment combattu dans son principe par les groupes parlementaires de droite pendant l’entre-deux-guerres. Alors qu’il est certainement l’impôt le plus équitable, il ne représente aujourd’hui que 18 % (310 milliards de francs) des ressources de l’État, loin derrière les impôts indirects et, en premier lieu, la TVA (634 milliards ; 43 %), créée en 1954. Mais, parce que l’obligation de déclaration et l’absence de retenue à la source le rendent particulièrement « douloureux », le législateur a multiplié les catégories d’abattements, de sorte qu’un contribuable sur deux est aujourd’hui totalement exonéré de l’impôt progressif sur le revenu. incroyables, muscadins et merveilleuses, membres de la jeunesse dorée, tenant le haut du pavé au sortir de la
Terreur révolutionnaire et exprimant un certain défoulement collectif. Ils forment, jusqu’au printemps 1795, les hommes de main et l’avant-garde de la réaction thermidorienne. Parlant en escamotant les r dans une attitude pâmée, parfumés de musc et affichant, en opposition à l’austérité républicaine, une tenue vestimentaire excentrique, ces jeunes gens ont aussi à la main un bâton plombé (le « rosse-coquin »). Petits commis, fils de famille ou trafiquants enrichis, ayant souvent échappé à la conscription, ils opèrent en bande dans des « promenades civiques », faisant la chasse au jacobin et au sans-culotte, s’en prenant aux symboles de l’an II, et provoquant impunément troubles et bagarres qui permettent de sévir contre les démocrates. Prenant leurs ordres dans le journal de Louis Fréron, terroriste transfuge, ils obtiennent ainsi la fermeture du Club des jacobins ou encore la dépanthéonisation de Marat. Cependant, cette politique de provocation, qui mène à l’insurrection populaire du 12 germinal an III (1er avril 1795), devient vite encombrante pour les thermidoriens. Après l’échec de l’insurrection royaliste du 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795), à laquelle ils participent, les muscadins ne représendownloadModeText.vue.download 467 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 456 tent plus qu’un phénomène de mode. Le Directoire est alors le temps des merveilleuses déambulant nues dans des fourreaux de gaze transparents, « à l’antique », actrices et égéries, mondaines et demi-mondaines vouées au plaisir et à la frivolité, et dont les plus fameuses restent Mme Tallien, Mme Récamier, Joséphine de Beauharnais ou Pauline Bonaparte. Inde française, nom donné à plusieurs établissements disséminés en Inde, qui constituent une colonie à partir de 1673, puis un territoire d’outre-mer de 1946 à 1954, avant d’être intégrés à l’Union indienne. • Menées françaises, et intérêts anglais. L’implantation française en Inde remonte à 1673, lorsque François Martin, agent de la Compagnie des Indes orientales, fonde le comptoir de Pondichéry sur la côte du Coromandel, puis, en 1686, celui de Chandernagor, sur un bras de l’Hooghly, proche de
Calcutta. En 1719, ces établissements, centres d’un commerce actif, sont placés sous l’autorité de la Compagnie française des Indes, créée par John Law, qui nomme un gouverneur général résidant à Pondichéry. Trois autres comptoirs, de moindre importance, sont fondés au XVIIIe siècle : Mahé en 1721, Karikal en 1738 et Yanaon en 1751. L’Inde française connaît une expansion spectaculaire, quoique éphémère, sous le gouvernement de Dupleix (1742-1754) ; ce dernier, désireux d’édifier un vaste empire, s’empare de Madras, conclut de nombreux traités avec les princes indiens - notamment les souverains des royaumes de Hyderabad et du Carnatic -, passe des alliances et acquiert des territoires pour garantir à la France plus de 900 kilomètres de côtes, du Bengale au cap Comorin. Mais Dupleix, après quelques succès, se heurte aux intérêts anglais, et il est rappelé en France par Louis XV. Son successeur, Lally, doit capituler devant les Anglais à Pondichéry. Cette défaite sonne le glas de l’expansion française en Inde. Le traité de Paris, conclu en 1763, ne laisse à la France que ses cinq comptoirs, qui sont pris en main par l’administration royale en 1769. Ces établissements, dispersés et difficiles à défendre, vont subir l’occupation des troupes anglaises pendant la guerre de l’Indépendance américaine, de 1778 à 1783, puis de 1793 à 1802 et de 1803 à 1816. • De la réorganisation à l’indépendance. La colonie fait alors l’objet d’une réorganisation : elle est subdivisée en cinq districts, correspondant aux cinq comptoirs, auxquels s’ajoutent des « loges », ou entrepôts commerciaux, acquis au XVIIe siècle (Balasore, Cassimbazar, Jougdia, Dacca, Patna, Masulipatam, Calicut, Iskitipitsch et Surat). Malgré quelques tentatives d’implantations d’industries textiles, elle traverse une période de léthargie résultant de la stagnation du commerce, due à la concurrence anglaise. À partir de 1848, et en conséquence de l’abolition de l’esclavage dans l’empire colonial français, elle devient un centre de recrutement de maind’oeuvre indienne dite « libre » (les coolies) pour les plantations sucrières des Antilles et de la Réunion. On estime que, de 1848 à 1863, environ 70 000 travailleurs se sont ainsi embarqués pour la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion et, dans une moindre mesure, la Guyane. Cependant, ces engagements n’ont pas toujours été volontaires. Sous la IIIe République, l’Inde française, assimilée aux « vieilles colonies », bénéficie d’une représentation parlementaire (un dé-
puté et un sénateur), les autochtones étant électeurs, tout en conservant leur statut personnel coutumier. Mais la corruption électorale sévit ; le magnat de la presse Pierre Alype, élu député à quatre reprises de 1881 à 1893, a pu être considéré comme « le propriétaire du suffrage universel ». Un double collège existe pour les élections ; cette situation favorise la formation, sous l’impulsion de PounoutambyLaporte, d’un parti dit des « renonçants » (autochtones, souvent chrétiens, abandonnant leur statut pour bénéficier des mêmes droits que les Français de souche et pouvoir accéder à tous les emplois publics). À la fin du siècle, on assiste à un certain essor des industries textiles (usines Gaebelé en 1878, Rodier en 1899, tissage du jute à Chandernagor). Des nationalistes indiens, opposants à la domination britannique, trouvent ensuite refuge dans la colonie : l’installation à Pondichéry, en 1914, de l’ashram du philosophe Sri Aurobindo en constitue un exemple. L’Inde française se rallie à la France libre dès 1940, et devient, en 1946, un territoire d’outre-mer, dont l’Union indienne, dès son indépendance, en août 1947, réclame l’incorporation à son propre territoire. En janvier 1949, les troupes indiennes occupent Chandernagor, et la France renonce officiellement à ses droits sur cette ville en février 1951. En septembre 1954, le gouvernement de Pierre Mendès France consent à la cession de facto des quatre autres comptoirs. Le traité de cession de jure est signé en mai 1956 et ratifié par le Parlement français en août 1962. Chef-lieu d’un territoire autonome, siège de diverses institutions françaises d’enseignement et de recherche, Pondichéry constitue un centre de rayonnement de la francophonie dans le souscontinent indien. Indépendance américaine (guerre de l’), guerre (1775-1783) à laquelle la France participe à partir de 1778, et qui aboutit à l’indépendance des États-Unis. Dès la fin de la guerre de Sept Ans, en 1763, et la disparition de l’empire colonial français d’Amérique du Nord (traité de Paris), les esprits les plus clairvoyants estiment que la victoire anglaise ne peut manquer de susciter des tensions entre Londres et ses colonies américaines. À Paris, on suit avec attention le déroulement de la crise politique, qui se manifeste à partir de 1765 outre-Atlantique. Le début de la guerre ouverte en 1775 entre les insurgents américains et les troupes anglaises (affrontements de Lexington et de Bunker Hill, les 19 avril et 17 juin) convainc
Vergennes, le ministre des Affaires étrangères de Louis XVI, de la nécessité d’intervenir secrètement. Il met en place un réseau d’aide aux insurgents, dans lequel le dramaturge Beaumarchais joue un rôle important. Dans le même temps, le ministre tente d’obtenir le concours de l’allié espagnol. • Le temps des volontaires. La politique de Vergennes est soutenue, en France, par l’opinion « éclairée », qui considère la cause américaine avec sympathie. Le mérite en revient en partie à Benjamin Franklin, arrivé à la fin de 1776 à Paris pour obtenir une aide plus conséquente de la part de la France. Franklin bénéficie d’une popularité exceptionnelle à la cour comme dans les salons parisiens. Sa simplicité calculée et ses propos philosophiques en font l’homme du jour. Au début de 1777, plusieurs jeunes officiers nobles s’engagent comme volontaires au service des insurgents. Le marquis de La Fayette devient l’un des chefs les plus populaires de l’armée américaine. • L’engagement de la France. C’est l’évolution de la situation sur le terrain qui va précipiter la décision d’intervention militaire. En effet, après les revers initiaux dus à l’inexpérience des insurgents, la victoire des Américains à Saratoga (17 octobre 1777) apporte la preuve que l’Angleterre peut être vaincue. Vergennes franchit le pas : un traité d’amitié et de commerce est signé le 6 février 1778. Le traité « d’alliance éventuelle » qui l’accompagne reconnaît la souveraineté des États-Unis et engage la France à défendre leur indépendance. La reconnaissance française entraîne celle de l’Espagne et des ProvincesUnies. De 1778 à 1783, la guerre proprement dite se déroule en deux phases distinctes. Dans la première (1778-1779), les opérations, qui ne sont pas couronnées de succès, ont surtout lieu en Europe. La France et l’Espagne préparent un débarquement en Angleterre et mettent le siège devant Gibraltar, tandis qu’une flotte est envoyée en Amérique. La seconde phase (1780-1783) est marquée par un effort plus soutenu de la France, qui décide de dépêcher deux flottes - commandées par les comtes de Grasse et d’Estaing - et un corps expéditionnaire en Amérique du Nord - dirigé par Rochambeau -, tout en frappant l’Angleterre en Inde. Rochambeau débarque en juillet 1780, au moment où les hommes de Washington, découragés, piétinent. L’arrivée des Français renverse le rapport de force et enlève la maîtrise des mers aux Anglais. Les troupes franco-américaines assiègent alors
l’armée de Cornwallis à Yorktown ; ce dernier se rend le 19 octobre 1781. L’Angleterre doit admettre sa défaite militaire. Le 3 septembre 1783, le traité de Paris, dit aussi « de Versailles », met fin au conflit : l’indépendance des États-Unis est reconnue, l’Espagne se fait restituer Minorque, la France obtient quelques compensations coloniales (Tobago, Sainte-Lucie, Saint-Pierre-et-Miquelon). • Le retentissement de l’événement. L’intervention a suscité diverses appréciations de la part des historiens. Pour les uns, elle n’est rien de plus qu’une tentative de la France de tirer parti des difficultés d’un ennemi. Pour les autres, le rôle de l’opinion éclairée aurait été déterminant dans la défense de la liberté américaine. Tout le monde s’accorde en revanche à reconnaître le rôle décisif de Vergennes. Paradoxalement, c’est en voulant défendre l’équilibre des puissances européennes - menacé selon lui par l’Angleterre que ce conservateur se fait l’instrument de downloadModeText.vue.download 468 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 457 la victoire de la révolution américaine. Quoi qu’il en soit, l’idée d’une dette morale des États-Unis envers la France a perduré deux siècles : de Jefferson, qui soutenait la France révolutionnaire, jusqu’aux soldats américains du XXe siècle proclamant « La Fayette, nous voilà ! » en débarquant en Normandie, le souvenir de l’aide française reste vivace outreAtlantique. indiennes, toiles de coton, peintes ou imprimées, fabriquées en Inde, et introduites en France par le port de Marseille vers 1575. Elles séduisent d’abord une clientèle aisée, avide de produits exotiques, qui apprécie la commodité d’usage de ces étoffes plus légères et, surtout, plus chatoyantes que les habituelles draperies monochromes. À partir de 1664, les toiles sont importées par la Compagnie des Indes orientales créée par Colbert, puis imprimées dans les « indienneries » de Marseille et d’Orange. Face à cette concurrence nouvelle, les drapiers normands et les soyeux lyonnais obtiennent en 1686 un arrêt qui interdit d’importer les toiles peintes et d’imprimer les toiles blanches. La prohibition s’avère en fait assez laxiste au XVIIIe siècle, tant est forte la demande, et tant sont divisés les responsables gouvernementaux. Les toiles imprimées à Marseille, à la faveur de la fran-
chise du port, entrent en contrebande. Certaines fabriques travaillent même à l’intérieur du royaume, expérimentant le nouveau procédé de teinture « à la réserve ». Un arrêt de 1752 déréglementant la teinture favorise une tolérance de plus en plus grande. Au terme d’une longue bataille politique, dite « querelle des toiles peintes », les libéraux obtiennent la levée des prohibitions en 1759. L’industrie française du coton peut alors rattraper son retard, grâce à des « indienneurs » habiles, tels Oberkampf, à Jouy-en-Josas, ou Wetter, à Orange. indigénat (Code de l’), ensemble de textes répressifs appliqué d’abord en Algérie, puis étendu aux colonies françaises d’Afrique noire, de Madagascar et de Cochinchine. En Algérie, un premier texte de 1854 met fin à l’arbitraire des militaires en reconnaissant aux chefs des bureaux arabes le pouvoir d’infliger des amendes de 15 francs et des peines de cinq jours d’emprisonnement, sans recours à la justice ni possibilité d’appel. Ce régime est renforcé après la révolte du Constantinois de 1871-1872. Une loi de 1882, adoptée pour sept ans, puis régulièrement reconduite à partir de 1890, définit trente-trois infractions, dont le refus de payer l’impôt, de fournir des prestations en nature, ou l’offense à un agent représentant de l’autorité. Il s’agit donc d’un régime exorbitant du droit commun français, caractérisé par des infractions particulières, sanctionnées par des peines spéciales. Des adaptations locales de cette loi fixent un nombre variable d’infractions selon les colonies. Le Code de l’indigénat vise en fait à assujettir les populations à l’économie monétaire en instituant des amendes, et à mettre en valeur les colonies en légalisant diverses formes de travail forcé - corvées, réquisitions pour le portage, etc. Il apporte une ébauche de solution à la pénurie de main-d’oeuvre : au Sénégal et dans d’autres territoires, le vagabondage est réprimé par l’obligation d’un travail rétribué sur un chantier public ou privé. Le Myre de Vilers, député de la Cochinchine, estime que le Code est « une mesure libérale pour les indigènes, qui, jusque-là, étaient brutalisés sans pouvoir recourir à aucune protection légale », mais en 1913 le gouverneur général William Ponty admet qu’il s’agit d’un régime d’exception. Clemenceau en suspend l’application pendant les négociations du traité de Versailles, de février 1919 au 4 août 1920. En 1924, Édouard Daladier, ministre des Colonies, y voit un régime
transitoire adapté à l’évolution progressive des sociétés indigènes vers le droit commun français. Il exempte des punitions disciplinaires les élites traditionnelles (chefs coutumiers) et « modernes » (anciens combattants, collaborateurs de l’administration coloniale) de l’Afrique-Occidentale française, mais n’envisage pas l’abolition du Code : en 1929, l’ancien tirailleur André Matsoua, citoyen de statut métropolitain, est jugé à Brazzaville puis interné au Tchad pour avoir fait campagne en faveur de la suppression de ce régime. Au Cameroun, en 1935, on dénombre 32 000 incarcérations administratives, contre 3 500 emprisonnements de droit commun. Divers assouplissements sont cependant apportés au Code dès le début du XXe siècle, et les cas de dispense sont de plus en plus nombreux ; en 1905, il est aboli en Cochinchine. En Algérie, plusieurs mesures, dont celle de 1928 mettant fin aux pouvoirs de police des administrateurs, en laissent subsister peu de choses. En février 1944, la conférence de Brazzaville recommande la suppression progressive de ce statut ; en Algérie, l’ordonnance du 17 mars 1944 promulguée par Catroux, gouverneur général et commissaire national pour l’Afrique du Nord, en liquide les derniers vestiges. Dans tous les autres territoires, en application de mesures adoptées par le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), le Code de l’indigénat est aboli le 1er janvier 1946. Indochine (guerre d’), conflit qui oppose la France aux nationalistes vietnamiens entre 1946 et 1954. Longtemps considérée comme l’un des fleurons de l’empire colonial français, la péninsule Indochinoise conquiert son indépendance au terme d’une guerre qui s’inscrit à la fois dans le mouvement de revendications nationales qui gagne tous les peuples colonisés et dans la crise de la guerre froide qui affecte les relations entre les blocs constitués autour des États-Unis et de l’Union soviétique. • D’une guerre à l’autre. La capitulation japonaise, en août 1945, place l’Indochine au centre de relations conflictuelles intenses et en fait un enjeu international de première importance. Le nord du territoire est occupé par les Chinois tandis que les Britanniques contrôlent le Sud et que les États-Unis, qui ne souhaitent pas le rétablissement de la souveraineté française, veillent sur l’évolution politique. Quant au Gouvernement provisoire
de la République française, il n’a jamais été associé à la prise de décision. Si de Gaulle n’est pas hostile à une certaine autonomie de l’Indochine, il entend d’abord rétablir l’ordre et l’autorité de la France sur l’ensemble de la péninsule. C’est la mission qu’il confie à l’amiral Thierry d’Argenlieu, nommé gouverneur, et au général Leclerc, commandant en chef des forces françaises, qui parviennent à se réinstaller dans le Sud, en Cochinchine, mais se heurtent, au Nord, aux nationalistes du Viêt-minh, d’obédience communiste. Après la démission du général de Gaulle en janvier 1946, des négociations s’engagent avec les principaux partenaires, Cambodgiens, Laotiens, Chinois. Elles aboutissent assez facilement. Laos et Cambodge obtiennent un régime libéral à l’intérieur d’une Fédération indochinoise qui adhère à l’Union française. Avec le Viêt Nam, les discussions sont plus difficiles, car le Viêt-minh demande l’unification des « pays vietnamiens » (Tonkin, Annam, Cochinchine). Les accords de Fontainebleau de septembre 1946 aboutissent à un modus vivendi très fragile. Au Viêt Nam, les incidents sanglants se multiplient. Le 20 novembre, une fusillade éclate à Haiphong, à laquelle les Français répliquent par le bombardement de la ville. Le 19 décembre, des garnisons françaises sont attaquées par des milices du Viêt-minh sur l’ensemble du territoire, et notamment à Hanoi. Dès lors, la rupture est consommée. La guerre s’engage, impitoyable, entre nationalistes et forces militaires françaises. Elle va durer plus de sept ans. Les responsabilités sont complexes à établir. S’il est vrai que des divergences sérieuses sont apparues entre les partisans de la négociation (Hô Chi Minh) et ceux d’une rupture (les miliciens de Giap), il ne faut pas oublier que les autorités françaises n’ont jamais abandonné le projet de reconquête totale du pays et que la politique pacifique souhaitée par certains dirigeants (en particulier Léon Blum) n’a pas été véritablement mise en oeuvre. Dans un premier temps, de 1947 à 1950, les gouvernements français engagent la reconquête militaire et politique. Mais le corps expéditionnaire, qui parvient à reprendre les principales villes du Viêt Nam, les grands axes de communication, les zones frontalières, prouve son incapacité à contrôler le pays tout entier. Car la géographie de la péninsule permet au Viêt-minh d’installer des bases
et de mener la guérilla en bénéficiant de la sympathie de la population. L’installation au pouvoir des communistes à Pékin, en 1949, fait craindre l’enlisement de la guerre, car les Chinois promettent une aide illimitée au Viêtminh. Les projets politiques ont aussi leurs limites. Après Léon Blum, le président du Conseil Paul Ramadier croit possible de reprendre les négociations avec Hô Chi Minh. Mais la rupture avec les communistes en France, au printemps 1947, et la montée de la tension internationale incitent le gouvernement à choisir une solution « anticommuniste ». En décembre 1947, des discussions s’engagent avec l’ancien empereur Bao Dai. En juin 1948, les accords de la baie d’Along reconnaissent downloadModeText.vue.download 469 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 458 le Viêt Nam comme État indépendant, auquel « il appartient de réaliser librement son unité », adhérant, en tant qu’État associé, à l’Union française. Ces accords sont confirmés par ceux du 8 mars 1949. Des négociations analogues s’engagent avec le Laos et le Cambodge. Pourtant, les effets sont limités. Si Bao Dai proclame, en juillet 1949, la souveraineté de l’État du Viêt Nam, il ne possède pas les moyens d’asseoir effectivement son pouvoir tant est forte, sur l’ensemble du territoire, l’influence du mouvement viêtminh. Néanmoins, le 30 décembre 1949, la France renonce à sa souveraineté sur le nouvel État, avec lequel les États-Unis et la Grande-Bretagne engagent des relations diplomatiques quelques semaines plus tard, tandis que la Chine et l’Union soviétique reconnaissent la République démocratique du Viêt Nam. • L’internationalisation du conflit. Elle marque une deuxième étape dans le déroulement de la guerre d’Indochine. L’appui des communistes chinois au Viêt-minh permet en effet à l’armée populaire de la République démocratique de se renforcer. Par ailleurs, le déclenchement de la guerre de Corée, au début de l’été 1950, encourage le gouvernement américain à s’intéresser de très près aux affaires indochinoises. La péninsule devient un des enjeux de la guerre froide. La guérilla militaire menée par le Viêt-minh remporte des succès indiscutables, d’autant que la solution politique incarnée par Bao
Dai s’avère de plus en plus fragile et inadaptée. Dans un environnement défavorable, les gouvernements français s’enlisent dans une guerre lointaine, dont l’issue rapide paraît improbable. Pour en limiter les risques, ils essaient de « vietnamiser » le conflit en accordant à Bao Dai le droit de lever une « armée nationale vietnamienne ». Les surenchères nationalistes visant à conquérir des populations rétives se multiplient. À la fin de l’année 1950, le général de Lattre de Tassigny tente de redresser une situation militaire très délicate. Si la « croisade du roi Jean » met un frein aux coups de force du Viêt-minh, la reconquête des territoires contrôlés par les milices est fort difficile, particulièrement dans le delta du Tonkin. De Lattre s’efforce d’accentuer la « vietmanisation » de la guerre en encourageant les jeunes Vietnamiens à se battre, au nom de la liberté et de l’indépendance, contre les communistes du Viêt-minh. Toutes ces tentatives ont des effets réels, mais limités dans le temps. Après la mort de de Lattre en janvier 1952, le général Salan poursuit dans la même voie et parvient à maintenir un certain équilibre des forces en 1952 et 1953. Mais la réussite demeure précaire et ne peut empêcher le « pourrissement de la guerre ». Pour l’opinion française, le coût du conflit commence à paraître élevé. Dès 1950-1951, on en évalue le montant aux investissements nécessaires à la reconstruction de la métropole en 1945-1950. De Lattre rappelle le nombre des morts de la « bataille sans visage » : près de 40 000 hommes, dont 21 000 métropolitains. À la fin de l’année 1952, le président de la République, Vincent Auriol, souligne que les dépenses atteignent un montant deux fois supérieur à celui de l’aide Marshall. Les Français, qui se sont longtemps désintéressés des opérations lointaines, commencent à en mesurer les effets. Si les communistes combattent « la sale guerre coloniale », dès 1950 d’autres dirigeants politiques rejoignent des intellectuels, des journalistes pour dénoncer les erreurs et pour réclamer une négociation effective. C’est le cas de Pierre Mendès France ou de François Mitterrand, ancien ministre de la France d’outre-mer. Pendant toute la durée de la guerre de Corée, les États-Unis fournissent les aides économiques et financières nécessaires, puisqu’il s’agit pour eux de défendre le monde occidental. Mais le gouvernement américain hésite de moins en moins à déplorer « les
attitudes coloniales désuètes des Français » et l’aveuglement des politiques qui, à l’instar de Georges Bidault, veulent continuer le combat. À l’évidence, « vietnamiser » et « américaniser » la guerre ne fournit pas la solution militaire espérée et ne permet pas non plus de convaincre les États associés du bien-fondé de la participation au conflit. En effet, la défense des populations locales contre les menaces communistes ne justifie pas, à leurs yeux, la collaboration avec une puissance qui cache mal sa persévérance colonisatrice. • Vers une solution politique. La fin de la guerre de Corée, au cours de l’été 1953, précipite les prises de conscience et la recherche d’une solution politique. En effet, la Chine peut redéployer une partie de ses troupes vers la péninsule indochinoise et renforce ainsi son aide à l’armée populaire du Viêt Nam. La pression communiste s’accentue sur les États associés, notamment sur le Laos, atteint à son tour par la guérilla. Les Américains, qui n’entendent pas soutenir une guerre coloniale sans issue, multiplient les interventions auprès des autorités françaises pour qu’elles changent de stratégie. Au début de l’été 1953, le président du Conseil Joseph Laniel se rallie à une solution internationale. Il annonce son intention d’assurer l’indépendance et la souveraineté des trois États associés de la péninsule indochinoise. La mort de Staline, en février 1953, contribue à créer un nouveau climat international. Par ailleurs, le Viêt-minh, qui ne souhaite pas un soutien trop apparent des Chinois, est prêt à des concessions. En France, l’opinion manifeste de plus en plus son impatience. Les partisans de la guerre perdent de leur influence. En mai 1953, un Français sur cinq approuvait le principe de la guerre ; en décembre, moins d’un sur dix défend cet objectif. Plus de la moitié des Français souhaitent des négociations de paix, tandis que deux sur dix demandent un départ rapide de la péninsule. En outre, la défaite de Diên Biên Phu vient aggraver la situation politique et militaire, et pousse à la négociation. Pour protéger le Laos menacé par les incursions du Viêt-minh, le commandement français a établi un camp retranché en pays thaï, à Diên Biên Phu. Ce camp fortifié rassemble 15 000 hommes dans une vallée peu accessible. Au cours de l’hiver 1953-1954, les troupes du Viêt-minh, installées sur les hauteurs et régulièrement ravitaillées, bombardent les positions françaises, qu’elles parviennent à isoler, puis à
détruire. Le 7 mai 1954, la garnison française doit se rendre. Trois mille hommes sont morts dans les combats ; dix mille soldats sont faits prisonniers. C’est une défaite sans appel qui montre combien le Viêt-minh contrôle la situation et maîtrise les moyens militaires. Elle marque profondément l’opinion métropolitaine qui attend un arrêt des combats et impose, de ce fait, une solution internationale. Depuis la fin du mois d’avril 1954 se tient à Genève une conférence internationale destiné à étudier les solutions possibles à la crise coréenne et à la guerre d’Indochine. Les négociations sont difficiles, car les éléments de l’échange sont complexes. La France souhaite dissocier les problèmes du Laos et du Cambodge de ceux du Viêt Nam. L’arrivée à la tête du gouvernement, le 18 juin, de Pierre Mendès France, connu pour son opposition à la guerre, accélère la négociation et permet d’aboutir à un compromis. En effet, les accords de Genève, signés dans la nuit du 20 au 21 juillet 1954, proclament l’indépendance et l’unité du Laos et du Cambodge. Toutes les forces militaires étrangères doivent les évacuer dans un délai de trois et quatre mois. Le Viêt Nam est provisoirement divisé selon la limite du 17e parallèle. Dans un délai de deux ans, des élections libres, organisées sous contrôle international, doivent permettre de réunifier le pays. La Fédération indochinoise est dissoute ; les États indépendants qui le souhaitent peuvent conclure des accords bilatéraux. La France se retire rapidement de la péninsule. La guerre d’Indochine se solde par un bilan fort lourd. Le coût humain est très élevé : peut-être 400 à 500 000 morts civils et militaires pour les deux camps, dont plus de 90 000 morts et de 110 000 blessés pour la France et ses alliés. Celle-ci a supporté une charge financière évaluée au triple de l’aide apportée par le plan Marshall. Mais c’est certainement le coût politique qui se révèle le plus sévère. L’Union française, timide tentative de décolonisation progressive, s’est brisée en Indochine. La guerre laisse une profonde amertume chez les combattants, tandis que la majorité des politiques ne semble pas comprendre le processus de décolonisation. Le conflit avive donc les tensions entre la métropole et les peuples colonisés, et contribue à radicaliser les positions. Pour les États de la péninsule, le coût est également fort élevé, car la guerre coloniale a entraîné son cortège de morts et de bles-
sés. Surtout, ces pays ont vécu une véritable guerre civile à laquelle les accords de Genève ne mettent qu’un terme provisoire. Indochine française, nom donné aux anciennes possessions françaises de la partie orientale de la péninsule indochinoise, intégrées à l’empire colonial dans les dernières décennies du XIXe siècle. • Les débuts de l’installation française. La présence missionnaire française en Indochine, qui va constituer l’avant-garde de l’implantation coloniale, remonte au XVIIe siècle. Le jésuite Alexandre de Rhodes (1591-1660) fait alors d’assez nombreuses conversions et met au point un système d’écriture romanidownloadModeText.vue.download 470 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 459 sée de la langue vietnamienne (Quoc-ngû). À la fin du XVIIIe siècle, un autre missionnaire, Mgr Pigneau de Béhaine, installé en Cochinchine, s’immisce dans les affaires politiques du Viêt Nam et apporte son soutien à un prétendant au trône : la dynastie des Nguyên est ainsi fondée en 1802. Les empereurs Nguyên (Gia Long, Thieu Tri et Minh Mang) ne s’orientent pas moins vers une politique de persécution des chrétiens, qui fournit le prétexte de l’intervention française. En effet, alors que LouisPhilippe était resté peu sensible aux appels des milieux catholiques, Napoléon III ordonne en 1858 à l’amiral Rigault de Genouilly de procéder à une démonstration navale, afin de contraindre l’empereur Tu Duc (1847-1883) à traiter sur la question de la liberté religieuse. L’amiral bombarde le port de Tourane (Da Nang), puis gagne la Cochinchine (Nam Ky), imaginant d’affamer l’Annam en s’assurant le contrôle de ce delta rizicole. Laissée dans les murs de Saigon, une garnison française y subit de furieux assauts des troupes annamites (mars 1860-février 1861), avant d’être dégagée par l’arrivée de l’escadre Charner. Tu Duc se résigne alors à entrer en pourparlers. Par un accord signé à Huê le 5 juin 1862, il octroie aux Français beaucoup plus que ceux-ci ne demandaient : outre la reconnaissance de la liberté religieuse et de franchises commerciales, il leur cède les trois provinces cochinchinoises de Gia Dinh (Saigon), Biên Hoa et My Tho. Suit une période d’atermoiements : Tu Duc souhaite revenir sur les concessions hâtives de ses plénipotentiaires, et les dirigeants français hésitent à prendre possession d’un territoire
en Extrême-Orient. Finalement, sous la pression des milieux catholiques, Napoléon III consent à ratifier le traité de Huê en 1865. La France se retrouve alors en possession d’une partie du territoire de la Cochinchine sans avoir jamais entretenu le moindre projet colonial dans cette région. Après divers tâtonnements, l’amiral La Grandière, gouverneur de 1863 à 1868, divise le territoire en districts, et met en place une administration efficace, confiée à des officiers de marine formés au collège des stagiaires de Saigon. En 1867, La Grandière annexe d’autorité les trois provinces méridionales de la Cochinchine (Vinh Long, Ha Tiên et Chau Doc). Il fait de l’ensemble une colonie prospère. Auparavant, il a envoyé le marin Ernest Doudart de Lagrée auprès de Norodom Ier, roi du Cambodge, dont l’indépendance est alors très menacée par les convoitises du Siam. Après diverses péripéties, Norodom Ier a signé en août 1863 le traité d’Oudong, plaçant son pays sous protectorat français. Napoléon III laisse donc derrière lui un solide établissement français en Indochine. • L’achèvement de la conquête. C’est la IIIe République qui va mener à bien la construction de l’Indochine française, notamment sous le second ministère Ferry (18831885). En 1873, l’expédition de Francis Garnier à Hanoi pour défendre les intérêts du commerçant Jean Dupuis s’est soldée par un échec et par la mort de Garnier. En 1882-1883, l’expédition du commandant Henri Rivière connaît un sort identique. Mais, à la suite de la mort de Rivière, tué par des Pavillons-Noirs, Jules Ferry ordonne le bombardement des forts de Huê, capitale de l’Annam, qui doit accepter l’établissement d’un protectorat français (traité du 6 juin 1883). La conquête du Tonkin est également engagée, et aboutit à la même issue (traité du 25 août 1884). Mais l’affaire de Lang Son, un insignifiant accrochage militaire, est fatale à Jules Ferry, qui est renversé le 30 mars 1885, et dont la carrière politique est brisée. Le protectorat n’en reste pas moins établi sur l’empire d’Annam et sur le Tonkin. Toutefois, la « pacification » complète de ce dernier territoire n’est effective qu’en 1897. La France contrôle ainsi totalement l’ancien empire du Viêt Nam (ou du Dai-Viêt). En 1887, ces quatre territoires (colonie de Cochinchine et protectorats du Cambodge, de l’Annam et du Tonkin) sont regroupés au sein de l’Union indochinoise, qui devient en 1897 le Gouvernement général de l’Indochine. À la suite des missions d’Auguste Pavie
dans la vallée du Mékong et d’un accord avec le Siam (1893), le royaume de Louang Prabang et les autres principautés laotiennes passent également sous protectorat français, et un résident supérieur au Laos est installé à Vientiane en 1893. L’Union indochinoise compte désormais cinq territoires. Des zones d’influence au Siam (1896) ainsi que dans les trois provinces de la Chine du Sud (1898), et l’acquisition d’un territoire à bail dans la baie de Guangzhouwan, viennent compléter l’ensemble, parachevé en 1907 avec la rétrocession par le Siam de trois provinces cambodgiennes. • Mise en valeur économique et rigidités politiques. Sous l’impulsion de quelques gouverneurs (de Lanessan, 1891/1894 ; Paul Doumer, 1896/1902 ; Albert Sarraut, 1911/1914 et 1916/1919), une oeuvre importante est accomplie dans les domaines de la santé (fondation de l’institut Pasteur de Nha Trang en 1907 par le médecin d’origine suisse Yersin, spécialisé dans la lutte contre la peste), des travaux publics et des transports (chemin de fer du Yunnan, 1910 ; le Transindochinois, achevé en 1936 ; routes impériales, canaux de drainage), et de l’éducation (création de l’université de Hanoi en 1918). L’École française d’Extrême-Orient effectue un travail considérable pour la sauvegarde du patrimoine archéologique et culturel. La prospérité de l’Indochine fait de cette colonie le joyau de l’empire français, cette prospérité entraînant celle de la puissante Banque de l’Indochine, qui, par ses filiales, contrôle une bonne partie de l’activité économique. Toutefois, la rigidité des structures politiques, les excès de la bureaucratie, les brutalités administratives ou fiscales (effets des monopoles de l’opium, de l’alcool et, surtout, du sel qui sont péniblement ressentis), une scolarisation insuffisante (80 % d’analphabètes en 1940), et, d’une manière générale, le refus de prendre en compte l’évolution des esprits, vont engendrer un malaise croissant. L’« exercice loyal du protectorat » promis par Albert Sarraut reste lettre morte, et l’autonomie des États protégés est quasiment réduite à néant. Les souverains et leurs ministres n’ont plus qu’un rôle de figuration - sauf peut-être au Laos -, et l’autorité coloniale se contente d’adopter des réformes insignifiantes (à partir de 1922, quelques notables annamites siègent au Conseil de gouvernement de la Fédération). Ce mécontentement, accru par les effets d’une habile propagande chinoise, menée
par le parti nationaliste Guomindang, et japonaise, se manifeste pendant l’entre-deux guerres par la prolifération de sectes syncrétistes et, surtout, par la naissance en 1927 d’un parti nationaliste vietnamien - le Viêt Nam Quôc Dan Dang (VNQDD) -, puis d’un parti communiste (fondé à Hongkong en mars 1930). La révolte de la garnison de Yên Bai (1930), qui sera suivie d’une jacquerie dans la province du Nghê Anh, apparaît comme un signe avant-coureur dont l’administration n’a certainement pas pris la mesure, se bornant à procéder à une répression qui décapite le parti nationaliste et fait des milliers de victimes. • L’Indochine dans la Seconde Guerre mondiale. Gouverneur général nommé par Vichy, d’esprit rétrograde et disposant d’effectifs militaires dérisoires, l’amiral Decoux est confronté à une situation très difficile. Il fait preuve de grands égards pour les souverains autochtones, et octroie même quelques avantages aux nationalistes ; il associe certains notables au gouvernement en les appelant à siéger au sein d’un conseil fédéral de l’Indochine (décembre 1941). Mais, en dépit d’un brillant succès de ses forces navales sur la flotte siamoise (combat de Koh Sichang, 17 janvier 1941), Decoux doit, sur injonction japonaise, consentir à la rétrocession au Siam des trois provinces cambodgiennes (convention de Tokyo, 9 mai 1941). Une pression japonaise de plus en plus forte l’engage dans une série de concessions avant tout militaires (bases aériennes et navales) mais aussi économiques - l’Indochine étant incluse dans la « sphère de coprospérité » de la mer de Chine mise en place par les dirigeants nippons -, tandis que des agents japonais encouragent les sectes (CaoDai, Binh Xuyen, Hoa Hao) et favorisent en sous-main les milieux nationalistes. En outre, les communistes ont fondé en mai 1941 la Ligue révolutionnaire pour l’indépendance du Viêt Nam (Viêt-minh), qui mène la résistance contre les occupants français et japonais, et s’implante dans la clandestinité. Le point final de cette escalade est le coup de force japonais du 9 mars 1945 qui anéantit quasiment la présence française en Indochine. Tous les responsables administratifs ou militaires coloniaux sont internés ; certaines garnisons sont entièrement massacrées, seules quelques unités militaires françaises parvenant à se réfugier au Laos et en Chine du Sud. Dans le même temps, le gouvernement de Tokyo proclame l’indépendance des trois États du Cambodge, du Laos et du Viêt Nam, ce dernier étant théoriquement unifié par la réunion des « trois ky » (Tonkin, Annam,
Cochinchine). Mais les gouvernements locaux ne sont guère en mesure d’assumer une indépendance à laquelle ils ne sont nullement préparés. Au Nord-Viêt Nam, le Viêt-minh déclenche un soulèvement populaire en août 1945, s’empare de Hanoi, et y forme un gouvernement à dominante communiste présidé par Hô Chi Minh. Ce dernier proclame une République populaire, entraînant l’abdication de l’empereur Bao Dai, le 25 août, à Huê. downloadModeText.vue.download 471 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 460 • Vers la première guerre d’Indochine. En septembre-octobre 1945, les troupes françaises commandées par le général Leclerc reprennent pied à Saigon dans la foulée des troupes britanniques. Le Nord demeure occupé par les Chinois, et le gouvernement du Viêt-minh reste en place à Hanoi. À Paris, le Gouvernement provisoire envisage la création d’une fédération indochinoise indépendante au sein de l’ Union française (déclaration du général de Gaulle du 24 mars 1945). En vertu d’un accord conclu le 6 mars 1946 entre Hô Chi Minh et le délégué français Jean Sainteny, la France reconnaît la République du Viêt Nam, État libre au sein de l’Union française, et les troupes du général Leclerc peuvent entrer dans Hanoi deux semaines plus tard. Mais la mauvaise foi du haut-commissaire Thierry d’Argenlieu, qui fomente une sécession de la Cochinchine, érigée en République autonome séparée du Viêt Nam, tout comme l’intransigeance de certains communistes, vont ruiner cet accord. Certes, la Constitution d’octobre 1946 reconnaît aux trois États d’Indochine le statut d’États associés, en principe indépendants dans le cadre de l’Union française, mais, déjà, l’épreuve de force paraît inéluctable. indulgence, dans la religion catholique, rémission des pénitences accordée par l’Église au fidèle auquel les péchés d’âme ont été pardonnés pour une durée déterminée ou indéterminée. L’indulgence est plénière lorsque la totalité de la remise des peines a été consentie. Elle demeure partielle lorsque le quart ou la moitié de la pénitence reste à effectuer au terme de la remise octroyée en années, en semaines ou en jours. La pratique des indulgences remonte aux premiers temps chrétiens, mais ne se généralise pas avant le milieu du XIe siècle. Leur
obtention demande alors de satisfaire à des conditions contraignantes : pèlerinages, aumônes, etc. Peu à peu, les indulgences sont concédées à tous ceux qui fournissent des subsides (indulgence plénière accordée lors de la croisade de 1215, par exemple). Ainsi, progressivement tarifées puis achetées, ces remises de peine prennent une valeur abstraite et se multiplient. À la fin du Moyen Âge, elles sont devenues l’objet d’un trafic monétaire si intense qu’elles provoquent la réaction de nombreux hommes d’Église. La concession de l’indulgence papale de 1515 aux « mécènes » ayant versé des dons pour permettre l’achèvement de la basilique Saint-Pierre de Rome donne à Luther l’occasion d’attaquer le principe même. La pratique des indulgences n’en disparaît pas pour autant... Le concile de Vatican II (1962-1965) a souligné la valeur spirituelle de l’indulgence liée à la conversion intérieure des âmes, en même temps qu’il en a décrété une réforme importante. La pratique des indulgences - dont les principales restent celles accordées aux mourants - n’en demeure pas moins aujourd’hui une croyance quasiment tombée en désuétude. indulgents, membres de l’opposition politique modérée qui, à la suite de Danton, combat, entre décembre 1793 et mars 1794, la Terreur et la dictature de « salut public » conduite par les robespierristes, ainsi que le mouvement populaire et le Club des cordeliers dominé par les hébertistes. Avec l’instauration de la Terreur et du Gouvernement révolutionnaire (septembre-décembre 1793), Danton, qui plaide pour la conciliation et pour un pouvoir exécutif unique et indépendant de l’Assemblée nationale, est relayé à la Convention par plusieurs députés. Sans cohésion, c’est en ordre dispersé que ceux-ci attaquent les comités de gouvernement, principalement le Comité de salut public, dénonçant la conduite de la guerre et les ultrarévolutionnaires. Ils ont nom Bourdon de l’Oise, Merlin de Thionville, Legendre, Chabot ou Thuriot, le noyau principal étant composé de Danton, Fabre d’Églantine, Philippeaux et Camille Desmoulins. Ce dernier, qui n’est pas député mais est un redoutable pamphlétaire, seconde efficacement l’offensive indulgente dans son journal, le Vieux Cordelier, qui paraît pour la première fois le 5 décembre 1793. Virulent contre la déchristianisation et les partisans d’Hébert - dont l’anarchie et l’outrance font, dit-il, le jeu de l’étranger -, dénonçant le despotisme du
Comité de salut public, Desmoulins réclame le retour de la liberté, c’est-à-dire la conclusion d’une paix rapide - malgré l’invasion étrangère -, la liberté de la presse et la constitution d’un « comité de clémence », soit l’indulgence pour les « suspects ». En complète opposition avec le principe du Gouvernement révolutionnaire - dictature jusqu’à la paix et la victoire totale sur la Contre-Révolution -, les positions des indulgents, qui jugent que la Révolution doit finir, déchirent le parti montagnard. Dès février 1794, Robespierre, qui dénonce la faiblesse coupable des indulgents et voit dans la lutte acharnée des « factions » (dantonistes contre hébertistes) un danger susceptible de ruiner la Révolution, les mêle dans un même « complot de l’étranger ». Après l’élimination des hébertistes, guillotinés le 24 mars, Danton, Desmoulins et Philippeaux sont arrêtés le 30 mars, puis jugés avec leurs encombrants amis, députés compromis dans l’affaire de la liquidation de la Compagnie des Indes (Chabot, Basire, Fabre d’Églantine, Delaunay d’Angers), les banquiers Frey et Guzman, Hérault de Séchelles et le général Westermann. Ils sont guillotinés le 5 avril 1794 (16 germinal an II), au terme d’un procès mettant les accusés « hors des débats ». Les dantonistes qui échappent à la proscription seront des animateurs de premier plan de la réaction thermidorienne. infâmie (marques d’) ! marques d’infâmie infanterie. Principal corps d’armée dans l’Antiquité, l’infanterie connaît une éclipse au haut Moyen Âge. En effet, le système féodal accordant la primauté à la cavalerie, le fantassin se trouve dès lors ravalé à un rôle subalterne de valet d’armes et ne bénéficie d’aucune considération. Il en est de même des milices communales. • Réhabilitation progressive. Au début de la guerre de Cent Ans, l’efficacité de l’armée anglaise repose sur l’association entre cavaliers et fantassins armés du grand arc en bois d’if, une association qui est à l’origine des grandes victoires de Crécy, Poitiers et Azincourt. À la fin du siècle suivant, les piquiers des cantons suisses démontrent leur supériorité face à la cavalerie de Charles le Téméraire lors des batailles de Granson et de Morat en 1476. Aussi Charles VIII décide-t-il de réhabiliter l’infanterie par le rétablissement des francs archers, qui sont exempts du paiement de la taille. Le système repose sur un tirage
au sort d’un homme par cinquante feux. Ces fantassins sont armés d’une épée, d’une dague et, surtout, d’un arc ou d’une arbalète. L’expérience se révèle décevante. Insuffisamment instruits, manquant de cohésion, les francs archers sont facilement sujets à la panique comme on le constate lors de la bataille de Guinegatte, livrée en 1513 contre les Anglais et les Impériaux. Les rois de France ont alors tendance à recruter des étrangers - Suisses, Piémontais, Allemands -, sans négliger cependant d’engager des troupes nationales constituées de « bandes » composées de Picards ou de Gascons, et chargées de la défense des frontières. L’armement associe pique, épée et arquebuse. Après 1569, Philippe Stozzi, colonel général de l’infanterie, organise cette arme en quatre régiments qui prendront le nom des « quatre vieux », Picardie, Piémont, Navarre et Champagne, sans oublier la création des gardes-françaises dès 1563. À partir du milieu du XVIIe siècle, l’infanterie devient l’arme principale, au détriment de la cavalerie. Cette primauté tient à une mutation de l’armement grâce à l’apparition du fusil à pierre doté de la baïonnette à douille, inventée par Vauban, qui associe l’arme à feu et l’arme blanche et entraîne la disparition de la pique. Avec Louvois, les fantassins sont dotés d’uniformes. Tout au long du XVIIIe siècle, le recours à l’infanterie reste l’objet de polémiques. On hésite entre l’ordre mince avec deux ou trois rangs ou l’attaque en colonnes profondes précédées de tirailleurs. À la fin de l’Ancien Régime, le nombre de régiments divisés en bataillons se stabilise, en temps de guerre comme en temps de paix. On en compte une centaine, dont vingt constitués d’étrangers. Durant la Révolution, l’infanterie française, forte de son élan et de ses effectifs, affiche une nette supériorité sur les vieilles armées de la monarchie. Napoléon améliore encore son efficacité dans le cadre de la division, qui associe artillerie, cavalerie et infanterie. Toutefois, le rôle de cette dernière décline à la fin de l’Empire. Elle compte un nombre de plus en plus élevé de jeunes conscrits, insuffisamment instruits et encadrés, et d’unités étrangères à la loyauté douteuse. Peu de modifications interviennent tout au long du XIXe siècle. Cependant, l’infanterie se diversifie cependant avec l’intégration de bataillons de chasseurs à pied, de zouaves, d’une infanterie légère d’Afrique et d’une Légion étrangère. • Déclin et renouveau. En 1870-1871, malgré l’adoption du fusil Chassepot qui se charge par la culasse, l’artillerie manque de
souplesse ; ses attaques en formations trop denses sont contrecarrées par les troupes allemandes. Il en est de même en 1914-1915. La doctrine de l’offensive à outrance se traduit par des pertes considérables. Toutefois, une downloadModeText.vue.download 472 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 461 mutation se manifeste à partir de 1915 grâce à l’adoption de tenues moins voyantes et d’un armement, de plus en plus diversifié : mitrailleuses, fusils-mitrailleurs, mortiers, canons légers. À la fin du conflit, l’infanterie agit en étroite liaison avec l’artillerie et les chars. Cette doctrine ne subit que peu de changements entre les deux guerres : il en est de même de l’armement à l’exception d’une DCA rudimentaire et de pièces antichars. Cette stagnation est à à l’origine du désastre de 1940 ; l’armée française se heurte en effet à des divisions blindées associant chars et infanterie et agissant en coopération avec l’aviation. Après 1945, les guerres d’Indochine et d’Algérie sont essentiellement menées par des fantassins au niveau du bataillon ou de la compagnie. En revanche, dans la perspective d’un affrontement Est-Ouest, l’armée française met en place de grandes unités d’infanterie motorisées ou des divisions blindées rassemblant chars et infanterie. La menace nucléaire entraîne encore une large dispersion des unités. La modernisation de l’armée s’accompagne de la création d’unités aéromobiles, dotées d’hélicoptères et du maintien des formations de chasseurs alpins, de parachutistes et de la Légion étrangère. La réorganisation de l’armée, décidée en 1996 (professionnalisation et envoi rapide de forces sur un théâtre éloigné), ne peut que jouer en faveur du développement d’unités d’infanterie légère associées à des éléments blindés et aériens. Inquisition, juridiction d’exception chargée de la répression de l’hérésie, et instituée par le pape Grégoire IX en 1231. Depuis le XIIe siècle, l’Église est confrontée à l’essor de mouvements religieux dissidents (vaudois, cathares). La tolérance des élites religieuses et aristocratiques locales envers les hérétiques est fréquente, et conduit la papauté à juger défaillante la juridiction épiscopale en matière de défense de la foi. En complément de l’action pastorale entreprise par les ordres mendiants, Grégoire IX (1227/1241) institue
donc, en 1231, l’Inquisition, qui doit son nom à la procédure inquisitoire qu’elle applique. Il s’agit d’un tribunal ecclésiastique permanent, dont la papauté confie la responsabilité aux dominicains et, plus rarement, aux franciscains. Toutefois, il ne peut fonctionner qu’avec le concours des autorités civiles, qui doivent aider à l’enquête et exécuter les sentences de sang. L’Inquisition cherche avant tout à démanteler les réseaux hérétiques, et à obtenir la rétractation et la conversion des personnes, de manière à assurer leur salut. Dans ce cas, qui reste le plus fréquent, sont infligées des peines pénitentielles ou la prison perpétuelle (le « mur »). Seuls les hérétiques déclarés « relaps » ou « obstinés » sont livrés au bras séculier. L’inquisiteur est aidé dans son action par de nombreux textes pontificaux et, bientôt, par des manuels, dont le plus célèbre demeure le Manuel de l’inquisiteur, rédigé par Bernard Gui en 1324. À l’origine, des enquêteurs sont nommés en terre d’Empire, en Allemagne et dans la province de Besançon. Puis, dès 1233, l’inquisiteur Robert le Bougre officie dans le royaume de France : en Champagne et dans la vallée de la Loire. Entre 1234 et 1237, des tribunaux apparaissent dans le Midi : à Avignon, Montpellier, Toulouse et Carcassonne. Les premiers temps sont souvent difficiles : les enquêteurs se heurtent à l’hostilité des populations et aux réserves des autorités ecclésiastiques locales. Les excès de certains inquisiteurs soulèvent parfois de telles oppositions que d’aucuns sont désavoués, ainsi Robert le Bougre. En outre, dès le début du XIVe siècle, les pouvoirs de l’inquisiteur sont limités par la papauté, et ses attributions, concurrencées par la justice royale. En effet, assimilant l’hérésie au blasphème et au crime de lèse-majesté, les juges royaux prennent progressivement en charge, au cours des XIVe et XVe siècles, la répression de l’hérésie et de la sorcellerie. Au XVIe siècle, les parlements provinciaux et la justice royale s’attribuent ainsi la lutte contre la Réforme. En fait, l’Inquisition n’aura vraiment fonctionné en France qu’entre 1235 et les années 1330. Institut Pasteur, établissement scientifique inauguré le 14 novembre 1888. En 1886, soutenu par l’Académie des sciences, Pasteur lance le projet d’un « établissement vaccinal contre la rage », qui verra le jour grâce à une souscription internationale. Cet institut de droit privé, reconnu d’utilité publique, devra s’autofinancer. Recherche fondamentale, applications hospitalières, formation des savants, sont trois de ses objectifs
prioritaires. Les succès qu’enregistre l’Institut Pasteur sont multiples et rapides : traitement de la diphtérie, identification du bacille de la peste (1894), découverte des oligoéléments (1900), etc. Mais les dates marquantes sont celles de la réalisation des vaccins. En 1894, après avoir identifié la diphtérie, Émile Roux, Martin et Chailloux inventent la sérothérapie. Albert Calmette et Camille Guérin mettent au point le BCG en 1921. En 1927, Laigret découvre le vaccin contre la fièvre jaune, et Pierre Lépine, celui contre la poliomyélite en 1954. Ces avancées scientifiques capitales, liées à la vocation première de l’Institut, ne doivent pas faire oublier ses innombrables apports à la microbiologie appliquée (pharmacologie). Par ailleurs, l’action de l’Institut en Afrique (notamment par le biais des campagnes de vaccinations) illustre la dimension internationale de ses missions, relayées aujourd’hui par la trentaine de centres de recherches en bactériologie, immunologie, épidémiologie et virologie associés à celui de Paris. Tous ces éléments expliquent l’aura d’un institut pionnier qui fait figure de modèle pour la recherche en biologie médicale, et dont le nom et l’histoire, auréolés de huit prix Nobel, symbolisent la révolution essentielle de la prophylaxie et des thérapies médicales au XXe siècle. instituteurs. Régent, précepteur, gouverneur, pédagogue, maître d’école, instituteur : la diversité de ces termes n’indique pas seulement un changement de condition professionnelle, elle reflète aussi une transformation sociale et des choix politiques. • L’évolution des mots et de la fonction. Le « régent » appartient à l’histoire scolaire de l’Ancien Régime. Mais, dans le Maître d’école (1955), Pierre Gamarra rappelle qu’au début du XXe siècle, dans les villages de Haute-Garonne, l’instituteur « demeurait lou régent ». Au Moyen Âge et au début de l’époque moderne, le maître était « institué », comme Gargantua fut « institué par un sophiste en lettres latines ». Il se voyait ainsi confier « l’institution des enfants », c’est-à-dire l’apprentissage des rudiments. Mais c’est pour l’enfant noble que Montaigne réclamait « un conducteur qui eût plutôt la tête bien faite que bien pleine ». Dans son Émile (1762), Rousseau considère qu’« il y a des métiers si nobles qu’on ne peut les faire pour de l’argent sans se montrer indigne de les faire ; tel est celui de l’instituteur ». C’est pourtant la double et lente conquête d’un statut et d’une indépendance garantis par l’État qui a donné à l’office d’enseignement primaire les traits qui
distinguent la fonction d’instituteur. Dans le rapport qu’il présente en avril 1792 à l’Assemblée législative, Condorcet donne ce nom au citoyen qualifié pour assurer l’instruction du premier degré, qui « doit être universelle ». La Convention inscrit le mot dans la loi : l’article 1er du texte adopté le 12 décembre 1792 stipule que « les personnes chargées de l’enseignement dans les classes primaires s’appelleront instituteurs ». La féminisation du terme, comme celle du métier, ne s’impose que peu à peu : en 1782, l’auteur anonyme d’un Essai sur l’éducation des hommes et particulièrement des princes par les femmes parlait encore de la « femme-instituteur ». • Un métier suspect aux yeux des conservateurs. Quel que soit son titre, l’instituteur est, avant les lois Ferry, un individu de basse condition, mal payé, soumis aux notables et qui, chantre, bedeau, catéchiste, doit se consacrer avant tout au service de l’Église. Dans l’Histoire d’un sous-maître (1872), Erckmann et Chatrian ont laissé l’inoubliable portrait d’un fils de facteur qui, en 1816, juge « la profession d’instituteur la meilleure et la plus honorable de toutes », mais qui, lassé par les humiliations que lui cause son état, finit par y renoncer. Guizot et des libéraux de la monarchie de Juillet s’efforcent d’améliorer la formation des maîtres dans des écoles normales. Mais, sous la IIe République, le parti de l’Ordre redoute de voir « ces détestables petits instituteurs laïques », que Thiers voulait remplacer par des Frères, entretenir dans le pays des foyers de révolution. C’est pourquoi la loi Parieu, votée le 11 janvier 1850, deux mois avant la loi Falloux, accorde aux congréganistes des facilités d’accès à la fonction - la qualité de ministre d’un culte ou, pour les religieuses, une simple lettre d’obédience peuvent tenir lieu de brevet de capacité -, et permet aux préfets de révoquer les « mal-pensants ». • Un rôle public reconnu. Sous la IIIe République, l’État assure aux instituteurs et aux institutrices indépendance et considération. Mais il tarde à leur donner le traitement qui, pour Péguy, éditeur de Jean Coste, le pauvre instituteur de village d’Antonin Lavergne, comme pour les pionniers du syndicalisme enseignant, est dû au rôle civique et moral qu’ils tiennent dans la société. Les « primaires » - le mot est à la fois brandi comme un drapeau par les défenseurs de la « communale » et raillé par les détracteurs de ceux en qui Léon Daudet voit downloadModeText.vue.download 473 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 462 « les vrais maîtres de la cité moderne » - sont pourtant exclus, dans leur grande majorité, des études secondaires et supérieures. Dans la France contemporaine, marquée par de nouveaux problèmes sociaux, le souci de revaloriser l’enseignement primaire a incité l’État à allonger la durée de la formation des maîtres, assurée depuis 1991 dans des Instituts universitaires, et à remplacer le titre d’instituteur par celui de « professeur d’école ». l INTELLECTUELS. Dans son sens le plus général, le terme « intellectuels » désigne ceux qui, dans une société, participent à la création culturelle ou aux progrès du savoir, ainsi que ceux qui contribuent à diffuser et à vulgariser les fruits de cette création et les acquis de ce savoir. Ainsi définis, les intellectuels ont toujours existé : au sein des groupes humains est constante, bien sûr, cette alchimie qu’est la création culturelle sous ses formes diverses. Mais il y aurait quelque abus à pratiquer une approche aussi extensive de la catégorie, car le mot qui la définit apparaît seulement à la fin du XIXe siècle, et il est délicat d’en faire un usage rétrospectif avant cette période. UNE AFFAIRE D’INTELLECTUELS Les intellectuels, en effet, apparaissent dans l’histoire française en tant que catégorie autonome à un moment précis : l’acte de baptême peut être daté du 14 janvier 1898. La veille, Émile Zola a publié dans l’Aurore sa « Lettre au président de la République », coiffée, sur toute la première page de ce quotidien, par le célèbre « J’accuse ... ! ». L’accusation, on le sait, est dirigée contre la justice militaire qui a condamné le capitaine Alfred Dreyfus. Le lendemain, dans le même journal, quelques hommes de culture ou de science, dont Émile Zola, Anatole France et Marcel Proust, publient une pétition protestant « contre la violation des formes juridiques » lors du procès Dreyfus et demandant sa « révision ». Si un tel texte porte la catégorie des intellectuels sur les fonts baptismaux, c’est parce qu’il marque l’intervention collective des hommes de culture dans les débats civiques. Certes, les deux siècles précédents avaient déjà vu quelques-uns des hommes de culture intervenir dans la sphère du politique : ainsi certains des philosophes du XVIIIe siècle sapant
les fondements de la monarchie absolue, ou bien, au milieu du siècle suivant, Victor Hugo payant du prix de l’exil son opposition au Second Empire. Mais, en cette fin du XIXe siècle, la nouveauté réside dans le caractère collectif de l’engagement, comme l’atteste la pratique de la pétition. Les intellectuels s’inscrivent alors au coeur des débats civiques nationaux, et vont y demeurer, avec une intensité croissante, au fil du XXe siècle. Au moment de l’affaire Dreyfus, le débat se structure nettement en deux camps. Aux uns, qui réclament la révision du procès au nom de la justice et de la vérité, s’opposent d’autres, tels Maurice Barrès ou Charles Maurras. Dès le 1er février 1898, Barrès se gausse, dans le Journal, de « la protestation des intellectuels ». Et il joint son nom à une pétition déplorant que se prolonge « la plus funeste des agitations », mettant en péril « les intérêts vitaux de la patrie française, et notamment ceux dont le glorieux dépôt est aux mains de l’armée nationale » : pour les signataires, on le voit, les valeurs à défendre en priorité sont la patrie et son bouclier, l’armée. Dans les deux camps, des intellectuels s’estiment donc désormais habilités à intervenir, au nom de la défense de valeurs, dans des débats divisant leurs concitoyens. C’est, du reste, une question essentielle pour l’historien que le constat du dialogue complexe qui s’instaure alors entre ces intellectuels et l’opinion publique, qui est prise à témoin. Certes, là encore, la généalogie de ce dialogue doit être reconstituée, et de nouveau nous retrouvons l’importance du XVIIIe siècle. D’une part, parce que les historiens ont maintenant établi que se dégagent alors non seulement une « culture critique » mais aussi une « conscience publique » imprégnée par elle. D’autre part, parce que, précisément, des phénomènes de capillarité s’établissent déjà entre certains intellectuels, porteurs d’une telle culture contestant l’ordre établi, et cet embryon d’opinion publique. Voltaire, par exemple, comme l’a écrit à son propos René Pomeau, « a habitué les Français à attendre du génie littéraire autre chose que des divertissements : une direction de conscience ». À sa manière, il a pressenti l’apparition d’une opinion publique et la nécessité de campagnes pour tenter de l’influencer : « Rousseau écrit par plaisir, j’écris pour agir », observe-t-il au moment de l’affaire Calas. Jean Calas, marchand de tissus toulousain, avait été injustement accusé de l’assassinat de son fils, et il avait été exécuté le 10 mars 1762. Son geste, disait l’accusation,
lui avait été dicté par la volonté d’empêcher son fils, protestant comme lui, de se convertir au catholicisme. Il faut un an de campagne à Voltaire pour que le roi autorise à faire appel contre le jugement de Toulouse - « Le règne de la vérité est proche », écrit-il lors de la cassation de ce procès, en 1764 - ; et il lui faut attendre le 9 mars 1765 pour que Calas soit réhabilité. Si, d’une certaine façon, on l’a vu, l’affaire Dreyfus constitue l’acte de baptême de l’intellectuel engagé, sa naissance remonte au siècle des Lumières. Mais, même ainsi remise en perspective, la fin du XIXe siècle reste à cet égard fondatrice. En effet, le rôle des intellectuels s’inscrit alors dans une société en rapide mutation socioculturelle et il en est largement le reflet : de ces évolutions l’essor de la presse quotidienne, le désenclavement géographique grâce à un réseau ferré de plus en plus dense, le brassage social de plus en plus effectif opéré par le service militaire, sont autant de facteurs qui concourent à une telle mutation. ANTICOMMUNISME ET ANTIFASCISME Avant 1914, la ligne de faille ouverte par l’affaire Dreyfus au sein de la société intellectuelle court donc désormais entre deux grandes mouvances : les intellectuels plaçant les grandes valeurs universelles au coeur de leur engagement politique, et ceux pour lesquels les intérêts nationaux priment sur tout autre impératif. Quand éclate la guerre, l’Union sacrée gomme momentanément ces différences. L’immense majorité des intellectuels, y compris la postérité dreyfusarde, se rallie à la « défense nationale », et seules subsistent quelques rares voix pacifistes, telle celle de Romain Rolland. La gauche intellectuelle se mobilise au nom de la « guerre pour le droit », c’est-à-dire au nom de la défense des valeurs démocratiques. Victor Basch, alors vice-président de la Ligue des droits de l’homme, va même jusqu’à parler de « guerre sainte ». Comme, de son côté, la droite nationaliste voit dans la guerre qui éclate la défense des intérêts nationaux en péril, c’est en fait presque tout l’arc-en-ciel du milieu intellectuel qui proclame le devoir de défense nationale, avec plus ou moins de « nationalisme » dans l’énoncé des attendus. Cela étant, malgré le choc de la guerre, le changement décisif dans l’histoire de l’engagement des intellectuels n’intervient pas dès les années vingt. Durant cette décennie, au contraire, le clivage entre « nationalistes » et
« universalistes » réapparaît. La droite et l’extrême droite intellectuelles reprennent l’antienne de la défense des intérêts nationaux, et, comme avant 1914, l’Action française continue à exercer une forte attraction sur le milieu étudiant. Dans le même temps, à gauche, c’est la génération dreyfusarde, devenue quinquagénaire, qui arrive au pouvoir en 1924 avec la victoire du Cartel des gauches. Les normaliens Édouard Herriot et Léon Blum sont des intellectuels entrés en politique, et le succès de leurs partis - radical et socialiste - est celui de « la république des professeurs », pour reprendre l’expression, passée à la postérité, d’Albert Thibaudet. En cette même décennie, le rayonnement de la jeune Union soviétique est encore minime. La « grande lueur à l’Est » n’est, pour l’heure, aux yeux des intellectuels français, qu’un scintillement : quelques écrivains se rallient au communisme (Romain Rolland, Henri Barbusse), par haine de la guerre notamment, et plusieurs jeunes philosophes sont également séduits (Paul Nizan, Henri Lefebvre). Mais, même si l’on ajoute les surréalistes, fascinés par la capacité subversive du communisme naissant, l’attraction, au tournant des deux décennies, reste limitée. En fait, les changements décisifs, dans bien des domaines de l’histoire des intellectuels, interviennent dans les années trente. C’est alors, en effet, que s’enclenchent de véritables batailles rangées de clercs qui s’opposent aussi bien, en politique intérieure, sur le Front populaire que, dans le domaine des relations internationales, sur les grands enjeux du moment : guerre d’Éthiopie, guerre d’Espagne, crise tchécoslovaque. De part et d’autre, ces intellectuels appellent à la vigilance. C’est le cas, par exemple, des artistes et écrivains de gauche qui, après la journée du 6 février 1934, créent le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA). C’est également le cas, dans l’autre camp, de ceux qui, pour soutenir l’intervention italienne en Éthiopie, en appellent à « toutes les forces de l’esprit » dans le Temps du 4 octobre 1935. Et, à cette époque, ce sont bien des « forces de l’esprit » à peu près équivalentes qui sont en état de mobilisation. À cet égard, les années trente marquent une accélération de cette mobilisation. Les causes en sont multiples. D’une part, à cette date, l’histoire se downloadModeText.vue.download 474 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 463
remet en marche. Après le grand massacre de 1914-1918, l’idée avait prévalu que la Grande Guerre aurait été la « der des der » et que la Société des nations, en arbitrant et en apaisant les conflits, aurait fait régner l’harmonie et l’ordre international. Or, après 1929, la tension internationale réapparaît, et se fait de plus en plus vive au fil de la décennie suivante. Elle est sous-tendue par des enjeux essentiels - la crise de la démocratie libérale, la montée des régimes totalitaires, la guerre et la paix -, qui suscitent de nombreux débats. De ce fait, les années trente constituent une époque de grandes causes qui mobilisent - et, en même temps, divisent - les intellectuels français. À tel point que l’un d’entre eux peut écrire en 1936 : « Ici, comme au temps de l’affaire Dreyfus, nous assistons au conflit de deux esprits, de deux conceptions de la justice, de la vie politique et du devenir de l’humanité. » L’emphase du propos est révélatrice de l’ampleur de la faille qui parcourt le milieu intellectuel. D’autant qu’un autre facteur contribue à accentuer la fracture : le débat s’articule alors autour de l’anticommunisme et de l’antifascisme. À gauche, en effet, cet antifascisme devient le moteur des engagements : c’est lui qui, par exemple, conduit Malraux en Espagne, ou qui mobilise, on l’a vu, nombre d’intellectuels après le 6 février 1934, événement perçu par la gauche comme une tentative de coup de force fasciste. À droite, l’anticommunisme, fécondé par la révolution de 1917, est revivifié par les progrès électoraux de la gauche en France et par la guerre d’Espagne. On touche ici à l’une des questions essentielles de l’histoire des intellectuels : ceux-ci, d’une façon générale, influencent-ils en profondeur les opinions et les engagements de leurs concitoyens ? Assurément, la réponse varie selon les époques, les lieux et les milieux. Mais, pour ce qui est des années trente, on aurait tort de minimiser cette influence, car les thèmes de l’antifascisme et de l’anticommunisme, à forte densité idéologique, sont largement diffusés et vulgarisés par les intellectuels. Or ces thèmes imprègnent profondément les cultures politiques de l’époque et, laissent sur elles une empreinte durable. Il y a là, à bien y regarder, un cas d’osmose chimiquement pur : le milieu intellectuel français se colore alors des débats politiques de son époque, mais contribue également à leur donner ses propres teintes. DES INTELLECTUELS
À RESPONSABILITÉ LIMITÉE ? Avec les années noires de l’Occupation commence, pour ces intellectuels, une période spécifique de leur histoire. En effet, les conditions historiques sont liberticides, et la liberté d’expression, fondement essentiel de l’engagement des clercs dans des régimes démocratiques, se trouve entravée. De surcroît, la Résistance intellectuelle ne peut s’opérer qu’au prix du danger encouru, et le tribut du sang payé par les hommes de culture est lourd. S’engager à cette date, c’est s’exposer à l’emprisonnement, voire à la déportation ou à l’exécution. D’où la nécessité de recourir à des pseudonymes - ainsi Jean Bruller, dit « Vercors », ou François Mauriac signant « Forez » - et d’éditer dans la clandestinité : les Éditions de Minuit, qui publient le Silence de la mer (1942), restent le symbole de cette littérature de l’ombre. Seuls les partisans de Vichy ou de l’occupant peuvent alors s’exprimer librement. Inversement, ces intellectuels collaborationnistes auront des comptes à rendre à la Libération. Poursuivis pour intelligences avec l’ennemi, ils sont jugés et, dans certains cas, condamnés. Ainsi, Robert Brasillach, qui écrivit dans Je suis partout, est fusillé en février 1945. Autour de sa condamnation à mort, un débat cristallise : l’intellectuel est-il responsable non seulement de ses écrits mais aussi de leur portée supposée ? Les uns soutiennent qu’un écrivain n’a jamais directement du sang sur les mains ; les autres objectent qu’il est des situations historiques où l’encre, de par son influence, peut faire couler le sang. C’est la question de la responsabilité de l’intellectuel qui est posée, et qui revêt, durant l’Occupation et à la Libération, une acuité particulière. La guerre ne fait pas qu’entraîner, après coup, de tels débats. Elle a également pour conséquence de modifier les rapports de force du milieu intellectuel. Alors que, dans l’entre-deux-guerres, la droite et l’extrême droite idéologiques ont été aussi puissantes que la gauche et l’extrême gauche, ces dernières sont en position dominante après la Libération, et pour longtemps. Les mécanismes d’une telle mutation sont malaisés à reconstituer : se mêlent les effets de la guerre - bien des hommes de droite sont discrédités par leur ralliement au régime de Vichy ou à l’occupant -, la remise en cause du libéralisme économique et politique, ébranlé par la crise des années trente, et le prestige de l’Union soviétique, forte de la victoire de Stalingrad
et du tribut du sang payé dans la lutte contre le nazisme. Dès lors, et pour plus de trente ans, la gauche intellectuelle française, dans ses variantes successives, règne presque sans partage. Et ce, dans un contexte historique propice aux engagements : la guerre froide et les guerres coloniales sont autant d’occasions pour les intellectuels d’embrasser l’histoire de leur temps. D’autant que le « devoir » d’engagement, sur le principe duquel la communauté intellectuelle était jusqu’alors divisée, est proclamé par les plus illustres de ses membres, comme la seule attitude possible. Jean-Paul Sartre, dans la première livraison de sa revue les Temps modernes, en énonce les attendus à l’automne 1945. GÉNÉRATIONS INTELLECTUELLES Ce sont, en fait, plusieurs générations d’intellectuels de gauche qui vont se succéder à partir de 1945. La première s’ébroue à la politique durant ces années d’après-guerre où le communisme exerce une forte attraction sur le milieu intellectuel français, et où l’Union soviétique rayonne de mille feux. Bien des jeunes intellectuels, qui seront par la suite très connus dans leurs disciplines respectives (Edgar Morin, Emmanuel Le Roy Ladurie, François Furet), sont alors, aux côtés d’aînés prestigieux (Picasso, Aragon, Eluard), membres ou proches du Parti communiste français (PCF). Et ce n’est qu’à partir de 1956 - c’est-à-dire après le double choc du rapport Khrouchtchev puis de l’automne hongrois que le modèle soviétique connaît une lente mais irréversible érosion. À la même époque, c’est vers Pierre Mendès France que se tournent nombre d’intellectuels. Un tel soutien peut paraître, à bien des égards, singulier. Cet engouement pour un parlementaire radical, qui plus est président du Conseil, et de surcroît dans une République - quatrième du nom - qui n’attire guère la sympathie de la plupart des artistes et écrivains, s’explique par plusieurs facteurs. En ce milieu des années cinquante, la séduction exercée par le PCF sur les jeunes intellectuels n’a plus, on vient de le souligner, la même force. Or, c’est le moment où une nouvelle génération s’éveille dans une France en profonde mutation. En fait, cette génération, née à l’époque du Front populaire, parvient à la conscience politique au moment où l’empire colonial connaît ses premières lézardes et où les « Trente Glorieuses » commencent à produire leurs effets. Avant même que se développe la guerre d’Algérie, donc, elle est
confrontée à la crise d’identité d’une France tiraillée entre modernité et pesanteurs sociologiques, et ébranlée par les secousses de la guerre froide et par les débuts de la décolonisation. L’attrait du mendésisme naît de cette crise et du fait que la gauche communiste paraît idéologiquement moins à même d’y faire face. Certes, le phénomène d’attraction ne touche pas seulement la « génération de 1935 » : certains de ses aînés - jusqu’à François Mauriac, né en 1885 - sont eux aussi séduits. Mais c’est surtout elle qui constitue le coeur de la mouvance mendésiste et qui perpétue ainsi l’aura du député de Louviers, resté seulement deux cent trente jours président de Conseil. Aux yeux de ces jeunes gens, Pierre Mendès France incarne la modernité, dans une France encore placée entre archaïsme et mutation, et une approche libérale des problèmes coloniaux. Ces problèmes coloniaux vont, du reste, envahir progressivement le débat civique. La nouvelle génération, qui a 20 ans en ce milieu des années cinquante, s’éveille à la politique sous le signe de l’opposition à la guerre d’Algérie : celle-ci est aussi, on l’a souvent observé, une « guerre de l’écrit », où le poids de l’opinion, et donc de ceux qui l’influencent, est essentiel. Son histoire est jalonnée de prises de position individuelles ou collectives d’écrivains et d’artistes. Certaines de leurs pétitions sont restées présentes dans la mémoire collective : ainsi, en 1960, le Manifeste des 121, dans lequel autant d’intellectuels soutiennent le droit à l’insoumission des jeunes Français appelés à combattre en Algérie. De même qu’il y a une « génération du djebel », il y a, sur le front du débat d’idées, une génération intellectuelle de la guerre d’Algérie, dont le centre de gravité est à gauche. On se gardera toutefois de généraliser en ce domaine, tant la prise en compte de la chronologie est essentielle pour l’étude de l’intervention des intellectuels français dans la guerre d’Algérie. D’une part, cette guerre dure près d’une décennie, avec une notable évolution de deux paramètres déterminants : la situation militaire sur le terrain, et le contexte politique. Entendons par là le changement de downloadModeText.vue.download 475 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 464 régime en 1958 et aussi, plus largement, le changement d’analyse des pouvoirs publics
face aux revendications des nationalistes algériens. À partir du début des années soixante, le général de Gaulle fait le choix de l’indépendance, et va y conduire progressivement le pays. D’autre part, dans cette phase de crise aiguë de la conscience nationale, les intellectuels ont-ils eu, au bout du compte, une influence sur le déroulement et le dénouement de la guerre ? Assurément, dans une guerre qui se livre aussi sur le terrain de l’opinion, une telle influence n’est pas négligeable. Mais, en même temps, force est de constater que, dans une société française où l’image et le son continuent leur montée en puissance, la « guerre de l’écrit » menée par les intellectuels a certes compté, mais le poids de leurs mots a probablement moins influencé l’opinion que le choc des photos de Paris-Match - fort, à l’époque, de son lectorat de huit millions de Français - ou que l’écho des transistors, dont le rôle dans l’échec du putsch des généraux en 1961 est historiquement prouvé. Outre que le combat contre la guerre d’Algérie constitue pour une nouvelle génération un pas vers la gauche, une seconde raison, tenant à la situation internationale, maintient dans cette partie de l’échiquier politique la plus grande part de la communauté intellectuelle française. En effet, l’érosion du modèle soviétique est compensée par l’apparition d’autres modèles de référence : Cuba, la Chine et, plus largement, le tiers-monde. À ce transfert géographique s’ajoute un glissement sémantique : au couple « bourgeoisie/prolétariat » succède, comme grille d’explication du monde et comme levain des luttes révolutionnaires, le binôme « impérialisme/luttes de libération du tiers-monde ». C’est dans une telle configuration idéologique qu’apparaît, dans les années soixante, la troisième génération intellectuelle de l’aprèsguerre. Celle-ci évolue donc également dans un paysage qui penche largement à gauche. À cet égard, deux épisodes sont fondateurs pour elle : la guerre du Viêt Nam - illustration, pour ces jeunes gens, d’une nouvelle lutte des classes à l’échelle mondiale - et mai 68, point culminant d’une contestation multiforme de la société capitaliste, et creuset d’un mouvement « gauchiste ». C’est en effet au sein du gauchisme que se forme une partie des intellectuels de cette troisième génération de l’après-guerre, dont la tonalité politique témoigne, à sa manière, du maintien du milieu intellectuel à gauche, par-delà ses mues idéologiques successives. LES PARADIGMES PERDUS
En fait, c’est seulement au milieu des années soixante-dix que cette suprématie des gauches intellectuelles, qui durait déjà depuis trente ans, connaît une remise en cause. Cette crise idéologique de forte amplitude est consécutive à deux ébranlements successifs. À partir de 1974, l’« effet Soljenitsyne » opère : la traduction et la diffusion de l’Archipel du goulag contribuent à amoindrir le crédit et le rayonnement des régimes se réclamant du marxisme. D’autant que le second versant de la décennie voit, du fait des événements survenus dans la péninsule Indochinoise - boatpeople au Viêt Nam, tragédie cambodgienne -, les gauches intellectuelles basculer dans leurs « années orphelines » (Jean-Claude Guillebaud) : orphelines des grands modèles de référence, érodés tour à tour, et de leur substrat idéologique, le marxisme. Ce deuil entraîne deux phénomènes connexes qui marquent le paysage idéologique des années quatre-vingt : le retour en force de la droite libérale, dont le rayonnement vespéral de Raymond Aron est le symptôme le plus visible ; le trouble et l’interrogation à gauche, au moment même où la gauche politique est victorieuse en 1981. À tel point que l’écrivain Max Gallo, porteparole du gouvernement Mauroy, s’interroge en 1983 : « Où sont les Gide, les Malraux, les Alain, les Langevin d’aujourd’hui ? » La réponse est donnée treize ans plus tard : André Malraux, désormais, est au Panthéon. Un siècle après l’affaire Dreyfus, ce transfert au temple de la reconnaissance patriotique, en novembre 1996, prend, du reste, valeur de symbole. La liturgie républicaine, dans le choix de ses « grands hommes », et, parmi eux, dans celui des écrivains ainsi honorés, propose implicitement une généalogie des intellectuels engagés : les grands ancêtres, Voltaire, Rousseau et Hugo ; le père fondateur du cycle « dreyfusien », Zola ; André Malraux, l’archétype du clerc engagé, dans les années trente, comme compagnon de route du PCF, aussi bien qu’après la guerre aux côtés du général de Gaulle. Mais ce cercle des écrivains disparus est-il le reflet d’un cycle achevé, et la gloire posthume de Malraux sonne-t-elle le glas d’une certaine forme d’engagement ? L’historien, qui n’est pas devin, se contentera d’observer que le rôle des intellectuels dans le siècle se trouve ainsi implicitement reconnu par la mémoire nationale dans sa forme la plus institutionnalisée. intendant, titre donné à partir du XVIe siècle à des agents royaux de l’ordre administratif,
certains étant officiers et d’autres commissaires. Les plus connus sont les intendants des provinces (apparus vers 1550) et des colonies (créés sous Louis XIV). À la veille de la Révolution, on en dénombre 32 en France métropolitaine. Nommés, révoqués, en grande partie payés par le roi, ce sont des agents sans statut, polyvalents, chargés de la justice, de la police (administration générale), des finances mais, en fait, sans fonctions bien précises. Le titre de « commissaire départi » (pour exécuter les ordres du Conseil du roi), apparu plus tard, indique mieux leur subordination générale au gouvernement, qui attend d’eux avant tout informations, propositions, exécution des décisions prises. Mais la lenteur des communications conduit les intendants à prendre des initiatives personnelles et force le gouvernement à s’en remettre à leurs suggestions, à leur conférer, à l’occasion, des pouvoirs extraordinaires, notamment en matière de contentieux et de tutelle sur les communautés d’habitants. À partir de la fin du XVIIe siècle, les intendants sont assistés par des subdélégués (plus de 700 en 1789), qui jouent vis-à-vis d’eux les mêmes rôles d’informateur et d’exécutant. Contestés presque dès l’origine, ils le sont aussi au XVIIIe siècle, en dépit de leur contribution à la politique d’essor économique, d’aménagement des villes et d’assistance. Leurs adversaires se rencontrent dans la haute magistrature, les États provinciaux, parmi les administrateurs de certaines villes et les dirigeants de la Ferme générale, parfois au Contrôle général (Law, Necker), dans la noblesse (Saint-Simon). Et, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le rôle de l’intendance métropolitaine a probablement régressé. Dans leur grande majorité recrutés dans le corps des maîtres des requêtes au Conseil d’État, les intendants se trouvent étroitement liés aux milieux dirigeants et à l’opposition parlementaire, ce qui explique la complexité de leur situation et les ambiguïtés de leur politique dès la dernière décennie du règne de Louis XIV : représentants du roi, ils sont aussi souvent des « hommes de la province », soucieux de ménager les populations. Supprimés avec la Révolution, ils ont probablement inspiré la création de l’institution préfectorale. Internationale (Ire), organisation, appelée à l’origine « Association internationale des travailleurs » (AIT), fondée le 28 septembre
1864 à Londres, lors d’une réunion publique au Saint Martin’s Hall. Elle rassemble, à l’initiative de militants ouvriers français et anglais, de nombreuses associations ouvrières (coopératives de production et de consommation, sociétés de crédit et de secours mutuels, chambres syndicales, etc.). Des sections de l’Internationale sont créées dans toute l’Europe, dirigées par un Conseil général comprenant Anglais, Français, Allemands - parmi lesquels Karl Marx, qui prend une part décisive dans la rédaction de l’adresse inaugurale et des statuts -, Polonais, Suisses et Italiens. Le but est de développer le « concours mutuel, le progrès et le complet affranchissement de la classe ouvrière », émancipation qui est « l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes ». Si les ouvriers y sont majoritaires, on compte également des avocats, des hommes politiques et des philanthropes, aussi divers dans leurs sensibilités idéologiques : marxistes, libéraux, proudhoniens, syndicalistes et socialistes de toutes obédiences. L’AIT rencontre d’abord un succès mitigé en France. Elle est surtout implantée autour de trois centres : Paris (600 membres en 1866), Lyon (500 en 1867) et Caen. Néanmoins, en dépit de la persécution dont ses membres sont victimes sous le Second Empire, l’organisation connaît des progrès rapides à la fin des années 1860 et encadre la grande vague de grèves de 1868-1869. En outre, la section française joue un rôle important dans la Commune de Paris : en effet, pendant le siège de la capitale, les Internationaux animent les comités de vigilance d’arrondissements, puis la délégation des vingt arrondissements. Après l’insurrection, une vingtaine d’entre eux entrent au Conseil de la Commune et se rangent, le plus souvent, dans les rangs des socialistes opposés à la tendance jacobine et blanquiste. Lors de la répression de la Commune, la plupart sont arrêtés, tandis que quelques-uns parviennent downloadModeText.vue.download 476 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 465 à prendre le chemin de l’exil. Les sections françaises sont alors dispersées. Si la Ire Internationale survit à cet écrasement, ses divisions internes la conduisent à sa perte. Le conflit personnel qui oppose Marx au révolutionnaire anarchiste russe
Bakounine révèle deux conceptions antagonistes du socialisme : les « autoritaires », partisans du premier, se heurtent dans des affrontements d’une extrême violence aux « anti-autoritaires », amis du second, lesquels sont réunis, notamment, dans les sections du Jura. La scission est consommée au congrès de La Haye (2-7 septembre 1872). L’organe dirigeant de l’AIT, dominé par les marxistes, survit quelques années à New York et s’éteint le 15 juillet 1876, tandis que les « anti-autoritaires » conservent un mode d’organisation théorique, qui disparaît en septembre 1877. Internationale (IIe), organisation fondée en juillet 1889 à Paris, lors de l’Exposition universelle, par les représentants des partis socialistes de vingt-trois nations et pays. Elle succède à la Ire Internationale (AIT), disparue dans la seconde moitié des années 1870. Pour remédier aux maux de la Ire Internationale, jugée trop centralisatrice, un mode d’organisation de type fédéral est adopté : la cellule de base est la section nationale, qui dispose d’une grande autonomie. Le principe internationaliste est ainsi bien altéré. En outre, des clivages entre nations ne manquent pas de se faire jour, notamment celui opposant les sociaux-démocrates allemands, favorables à la participation des syndicats aux congrès de l’Internationale - ils l’emportent dans un premier temps -, et les socialistes français, qui y sont hostiles. La social-démocratie allemande domine l’organisation, au sein de laquelle le marxisme devient l’idéologie la plus représentée. Les anarchistes sont définitivement exclus au congrès de Londres (1896). Néanmoins, la diversité idéologique reste grande, comme le reflète l’organe dirigeant créé en 1900, le Bureau socialiste international (BSI), dont le socialiste belge Camille Huysmans devient le secrétaire permanent après 1905. Dans le sillage de l’Internationale sont également fondées des organisations spécifiques pour les journalistes, les femmes et la jeunesse. La IIe Internationale a un impact théorique important sur le socialisme français : ainsi, au congrès de Paris (1900), elle condamne dans le principe la participation des socialistes à un gouvernement bourgeois, sauf en quelques circonstances exceptionnelles, alors même que le socialiste Alexandre Millerand est entré dans le gouvernement Waldeck-Rousseau, alors confronté à l’affaire Dreyfus. En août
1904, le congrès d’Amsterdam, durant lequel Jaurès, qui dispose dans l’Internationale d’une autorité certaine, s’oppose à Guesde et au socialiste allemand Bebel, pousse les socialistes français à s’unir sur la base du programme guesdiste. Durant cet avant-guerre, la IIe Internationale affronte plusieurs graves sujets. Si la question coloniale occupe assez peu les ordres du jour des congrès, la question nationale demeure non tranchée. En effet, les socialistes ne parviennent pas à doter l’Internationale d’une doctrine unique susceptible de combattre le nationalisme. Aussi, son plus tragique échec réside-t-il dans son attitude face à la Première Guerre mondiale, qui entraîne sa perte définitive. Du premier congrès, au cours duquel est dénoncée la guerre comme « produit fatal des conditions économiques actuelles », jusqu’au congrès de Copenhague (1910), où le capitalisme est accusé d’être la cause des guerres, la ligne idéologique reste constante : empêcher la guerre « par tous les moyens ». En 1907, le congrès de Stuttgart affirme qu’en cas de guerre les socialistes « ont le devoir de s’entremettre pour la faire cesser promptement », et le congrès extraordinaire de Bâle (1912), où Jaurès s’illustre en prononçant un très important discours, met en garde les gouvernements contre les risques de conflit. Pourtant, en août 1914, les socialistes allemands comme les socialistes français votent les crédits de guerre. Disloquée, concurrencée à partir de 1919 par la IIIe Internationale, la IIe Internationale survit, mais son rôle politique est désormais mineur. Invalides (Hôtel des), institution fondée par Louis XIV et édifice destiné à abriter les anciens soldats mutilés et les infirmes de guerre. Les incessantes campagnes militaires menées par le Roi-Soleil et le renforcement des effectifs de l’armée posent avec acuité le problème des invalides. Ces derniers étaient traditionnellement accueillis dans les monastères et dotés d’une pension royale, mais leur adaptation à la vie monacale n’allait pas sans difficulté. Par ailleurs, à partir du milieu du XVIIe siècle, les hôpitaux généraux, remplis à la suite de la politique d’enfermement des mendiants et des déviants, ne peuvent plus accueillir les vieux soldats. Reprenant un projet de Louis XIII, Louis XIV ordonne, le 24 février 1670, que la moitié des pensions versées aux abbayes sera désormais attribuée aux pensionnaires d’un Hôtel royal des Invalides, dont il annonce la construction. Des locaux provisoires sont mis
en place cette même année, rue du ChercheMidi, puis l’institution s’installe dans le bâtiment achevé, en octobre 1674. Son architecte principal, Libéral Bruant, auteur de l’hospice de la Salpêtrière, a établi sur 10 hectares un plan en grille qui rappelle le palais-monastère de l’Escorial. Les vastes cours à arcades permettent les exercices militaires. La chapelle des soldats est doublée d’une monumentale chapelle royale (peut-être Louis XIV voulaitil en faire un mausolée dynastique), dont la réalisation, confiée en 1676 à Jules Hardouin-Mansart, ne s’achèvera qu’en 1706 ; les lignes verticales, fortement accentuées par les colonnes de la façade, ainsi que la forme de croix grecque cantonnée de chapelles circulaires, mettent en valeur l’élévation du dôme, orné d’une fresque de Charles de La Fosse représentant Saint Louis, dédicataire de la chapelle, offrant ses armes au Christ. L’Hôtel des Invalides abritait 4 000 pensionnaires, officiers ou soldats, admis après dix ans de service (vingt ans à partir de 1710), ou à cause de leurs blessures, et répartis en chambrées de 4 à 6 lits, un confort appréciable, comparé aux dortoirs des hôpitaux. 300 lits individuels sont mis à disposition des malades, sur lesquels veillent un médecin, un chirurgien, un apothicaire et trente-sept Filles de la Charité. La chapelle est desservie par les lazaristes de Saint-Vincent-de-Paul : à ce titre, l’institution est fidèle à la Réforme catholique, soucieuse de l’ordre social et du salut des âmes. Installés dans l’Hôtel, des ateliers de manufactures de vêtements, bas et souliers, mais aussi d’allumettes, de tapisseries et même de calligraphie et d’enluminure renommés emploient une grande partie des soldats. Sévère image de pierre aux portes de Paris qui mêle la gloire des armes et des arts, et les honneurs dus aux bons serviteurs, les Invalides furent considérés par Louis XIV lui-même comme « la plus grande pensée de [son] règne ». l INVASIONS BARBARES. On continue de parler en France d’« invasions barbares » pour qualifier ce que les historiens allemands appellent plutôt la Völkerwanderung, la « migration des peuples ». Derrière cette différence d’appellation se cache un débat historiographique sur la nature d’un phénomène multiséculaire, qui connut sa phase la plus décisive au cours du Ve siècle, et dont on pense généralement qu’il aboutit à la disparition de l’Empire romain d’Occident et qu’il joua un rôle capital dans le passage du
monde antique au monde médiéval. Plus précisément, l’installation des peuples barbares en Gaule ou, d’une manière plus générale, dans les contrées occidentales de l’Empire romain, fut-elle le résultat d’invasions - avec tout ce que le mot implique de brutalité - ou de mouvements migratoires diffus et comme insaisissables ? L’Empire romain fut-il une victime passive ou ne joua-t-il pas un rôle actif dans la distribution de ces peuples sur le sol gaulois ? Et, par-delà la déposition en 476 du dernier empereur d’Occident et la mise en place de ces royaumes qu’on appelle traditionnellement « barbares », la Gaule tourna-t-elle définitivement le dos à la romanité pour se donner pieds et poings liés à ses nouveaux maîtres germaniques, ou continua-t-elle de bénéficier de l’héritage structurel de l’Empire ? DE PART ET D’AUTRE DU RHIN : ROMANITÉ ET BARBARIE Par sa position même, la Gaule a été, de tout temps, exposée à la menace des Barbares de l’Est ou du Nord. Dès la fin du IIe siècle avant J.-C., soit bien avant la conquête de César, elle avait été entièrement traversée par les Cimbres et les Teutons, venus du lointain Jutland. Quand la Gaule eut été intégrée à l’Empire et que les Romains eurent éprouvé leur incapacité à maîtriser la Germanie transrhénane, la frontière - ou limes - du Rhin fut mise en défense. Ce fut surtout l’affaire des empereurs flaviens et antonins. D’une part, ils complétèrent le dispositif de colonies (Cologne et Trèves) et de garnisons (Xanten, Mayence, Strasbourg...) mis en place par leurs prédécesseurs pour dresser un système de fortifications continues jalonné par des forts et des tours de guet ; d’autre part, entre la fin du Ier et le milieu du IIIe siècle, ils transformèrent, pour un temps, l’entonnoir constitué par les hautes vallées du Rhin et du Danube en un downloadModeText.vue.download 477 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 466 glacis défensif : les « champs Décumates », eux aussi protégés par une ligne fortifiée étirée de Mayence à Ratisbonne. Quand, plus tard, au tournant du IIIe et du IVe siècle, il apparut que le danger barbare pouvait venir de la mer, les côtes de la Manche furent à leur tour intégrées dans les dispositifs de défense du Tractus Armoricanus et du Litus Saxonicum, en fait un quadrillage assez lâche de fortifications
littorales. Le caractère militaire de la frontière ne doit cependant pas laisser à penser que les contacts ne furent que belliqueux entre le puissant Empire et ses voisins barbares. Les découvertes archéologiques faites dans l’Europe moyenne et en Scandinavie, riches des produits de l’artisanat romain (on pense par exemple à ces éléments de vaisselle de bronze - patères, cruches ou autres godets - retrouvés en grand nombre dans les plaines littorales et le long des axes fluviaux de la Germanie profonde), attestent la vitalité des échanges commerciaux entre les deux côtés du limes, aux Ier-IIIe siècles. Et Tacite lui-même parle de ces Hermondures - Germains de la haute vallée du Danube -, au demeurant « fidèles alliés de Rome », qui venaient commercer jusqu’à l’intérieur des frontières de l’Empire. Mais il était aussi arrivé que l’attraction exercée par les richesses de l’économie et de la civilisation romaines sur les populations d’outre-Rhin les jetât, en des raids fulgurants et dévastateurs, sur les contrées frontalières, et parfois jusqu’au coeur de la Gaule, comme naguère les Cimbres et les Teutons. Or, il est incontestable que ces raids se multiplièrent aux alentours de 250, contraignant presque aussitôt l’autorité romaine à l’abandon des champs Décumates et au repli défensif sur la haute vallée du Rhin. C’est que, dans le courant du IIIe siècle, d’importantes mutations étaient en train de se produire en Europe centrale et septentrionale. LES GERMAINS Ces régions étaient occupées par des peuples que les Romains considéraient comme germaniques. Pour les historiens aussi, il s’agissait de Germains, dans le sens où ils parlaient une langue germanique et où ils possédaient certains traits de culture (par exemple, en matière religieuse ou institutionnelle) germaniques. Mais il est clair qu’on ne saurait se satisfaire d’une définition ethnique de la germanité : il a souvent suffi qu’un groupe dominant, généralement originaire de Scandinavie - cette « matrice des nations » dont parlerait au VIe siècle l’historien goth Jordanès, dans sa Getica (IV, 25) - ou des plaines maritimes de l’Europe du Nord, impose son autorité, et avec elle une langue et une culture à caractères réputés germaniques, aux populations soumises par lui ou agglomérées à lui au long de sa migration pour que tout le peuple adhère à un mythe commun des origines (souvent réputées divines) et soit considéré
comme germanique. D’ailleurs, les archéologues eux-mêmes, qui peinent à reconnaître des équations sûres entre les peuples germaniques mentionnés dans les textes et les cultures matérielles qu’ils identifient sur le terrain, sont de plus en plus réticents à définir un profil archéologique germanique homogène. Les modes funéraires ont pu connaître une grande variabilité temporelle et spatiale ; la diffusion de tel ou tel type de mobilier (armes, fibules, boucles de ceinture) a pu devoir davantage aux phénomènes de l’échange ou de la mode qu’aux déplacements de populations ; et l’analyse ostéologique, là où elle s’avère possible, montre qu’on ne saurait réduire à la grande taille et à la dolicocéphalie - naguère mises en avant par l’idéologie nazie - un éventuel profil anthropologique germanique. Au IIIe siècle, la répartition et la dénomination de ces peuples n’étaient plus tout à fait ce qu’elles avaient été au moment où César les découvrait (au milieu du Ier siècle avant J.-C.), ou au moment où Tacite les décrivait dans sa Germania (à la fin du Ier siècle après J.-C.). D’une part, des regroupements ou des confédérations d’un type nouveau étaient apparus sur les frontières de la Gaule : ainsi les Francs (les « hardis » ou les « libres », on en débat), le long de la rive droite du Rhin, depuis son cours moyen jusqu’à son delta ; ainsi les Alamans (« tous les hommes »), d’entre haut Rhin et haut Danube, face au limes des champs Décumates. D’autre part, certains peuples constitués sur les rivages de la mer du Nord et de la Baltique avaient entrepris aux IIe et IIIe siècles le long périple qui, par des voies parfois détournées, les conduirait, un à deux siècles plus tard, aux frontières, puis au coeur de la Gaule : ce fut en particulier le cas des Vandales, des Suèves et des Burgondes, qui avaient commencé de se répandre au coeur de la Germanie ; et celui des Goths (Wisigoths d’abord, Ostrogoths ensuite), qui, dès le IVe siècle, en viendraient à frapper aux portes de l’Empire d’Orient. PREMIÈRES MENACES BARBARES ET PREMIÈRES ADAPTATIONS DE ROME Pourquoi cette effervescence, qui bientôt se généraliserait et perturberait toutes les populations de la Germanie ? Fut-elle le produit de la croissance démographique ? d’une modification climatique ayant entraîné aussi bien un relèvement des eaux des mers du Nord qu’une
sécheresse destructrice de la steppe eurasiatique ? de la pression exercée sur des peuples germaniques alors en voie de sédentarisation par des pasteurs nomades tels les Huns et les Alains, que la sécheresse, justement, aurait chassés d’un Orient plus lointain ? Peut-être y eut-il de tout cela... Les historiens en discutent à l’infini. Toujours est-il que, vers 250, la pression redoubla aux frontières de la Gaule : raids des pirates francs et saxons sur les rivages septentrionaux ; attaques frontales des Francs et début de leur infiltration diffuse jusque dans la Gaule Belgique ; percée alémanique dans les champs Décumates et bientôt vers les Alpes. La multiplication des enfouissements de trésors rend peut-être compte de l’affolement des populations gallo-romaines confrontées à une menace désormais omniprésente. Dans un contexte très agité et favorable aux usurpations (elles se multiplièrent en Gaule même, où Posthumus, puis Tetricus prirent, entre 260 et 274, la tête d’un « Empire gaulois » dissident), quelques grands empereurs réagirent, notamment Dioclétien (284/305) et Constantin (306/337). D’abord, ils réarmèrent le limes et mirent les cités en défense ; ensuite, ils réorganisèrent l’armée en créant des unités de campagne particulièrement mobiles, ouvertes de surcroît à des éléments barbares ; enfin - et surtout -, ils restructurèrent l’Empire en partageant la dignité d’empereur entre deux Augustes, un en Orient et un en Occident, et deux Césars, ainsi qu’en faisant déplacer les centres de décision au plus près des frontières : Trèves devint capitale, dotée d’un César et d’une armée ; et Constantin en fit, pendant quelques années, le principal point d’appui de la résistance romaine à l’avancée des Francs et des Alamans. Grâce à ces diverses mesures, la Gaule eut droit à un répit de quelques décennies. Mais, au milieu du IVe siècle, le retour des guerres civiles et des usurpations impériales en Occident donna le signal d’une nouvelle avancée des Alamans, encouragée par l’empereur Constance II, et d’une reprise de la progression des Francs, finalement arrêtée par Julien (vers 360), qui conclut sans doute avec certains de leurs chefs un foedus (ou « traité de fédération ») par lequel ils étaient autorisés à s’installer en Toxandrie (région sise au sud de la basse vallée du Rhin). Ainsi donc, l’Empire, d’une façon délibérée quoique sous la pression des circonstances, commençait à
cautionner l’installation à l’intérieur de ses frontières de ces Barbares qu’on appellerait désormais foederati (« fédérés »). Ces derniers, contre l’obtention de terres ou de revenus fiscaux, s’engageaient à mettre leurs armes au service de la défense de Rome et de ses idéaux. On peut dire que, dès ce moment, les Barbares tinrent une place essentielle dans la défense de l’Empire : peuples entiers placés sous l’autorité d’un roi fédéré disposant d’une délégation d’autorité militaire ; contingents (d’anciens prisonniers, parfois) intégrés dans les armées de campagne ; et individus doués gravissant un à un les échelons de la carrière des armes, tel le Franc Arbogast devenu à la fin du IVe siècle le conseiller le plus écouté de l’empereur Valentinien II. Il semble que, d’une façon générale, ces hommes s’identifièrent pleinement à leur cause nouvelle, et qu’ils furent à l’égard de Rome d’une fidélité irréprochable. Mais celle-ci permettrait-elle à l’Empire de résister aux multiples pressions qui bientôt s’accentueraient sur ses frontières occidentales ? LA GAULE DANS LE TOURBILLON BARBARE Le danger le plus imminent ne vint pas de ces peuples installés de part et d’autre du limes, qui avaient été peu ou prou intégrés dans le dispositif défensif de Rome. Il vint de ceux qui ne s’étaient pas encore stabilisés au coeur de la Germanie, peuples des steppes comme les Huns ou les Alains, ou peuples germaniques déstabilisés par l’avancée de ces derniers. Ainsi, tandis que le limes rhénan avait été dégarni d’une partie de ses effectifs, précipitamment envoyés dans une Italie qui paraissait plus directement menacée, ce furent des Alains, des Vandales et des Suèves (peut-être 150 000 individus, dont le quart d’hommes en armes) qui, le 31 décembre 406, traversèrent le Rhin, gelé entre Mayence et Worms. downloadModeText.vue.download 478 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 467 Ils entamèrent alors une longue migration, ponctuée de violences, à travers la Gaule du Nord, puis du Sud, avant qu’à l’automne 409 la plupart d’entre eux ne passent en Espagne, et que, vingt ans plus tard, les Vandales, laissant les autres sur place, ne franchissent les Colonnes d’Hercule et ne s’installent en Afrique. Malgré le rappel massif de ses dernières
garnisons de (Grande-) Bretagne, l’Empire s’était montré incapable d’arrêter la progression de cette horde composite : il faut rappeler que l’empereur d’Occident Honorius était tout entier occupé à lutter, en vain, contre l’irruption des Wisigoths. Directement venus des Balkans en Italie, ceux-ci, après l’avoir nargué dans sa résidence de Ravenne, s’apprêtaient à mettre le cap sur Rome, que leur roi Alaric atteignit en 410, la livrant trois jours durant au pillage de ses guerriers. Du coup, tous les peuples barbares, y compris ceux avec lesquels Rome avait expérimenté le long de ses frontières gauloises les « techniques de l’accommodation » chères à l’historien Walter Goffart, pénétrèrent ou continuèrent de progresser en Gaule. Ce fut le cas des Francs qui, remontant le cours de l’Escaut (pour les Saliens) et celui de la Moselle (pour les Rhénans), en vinrent à occuper, du Boulonnais jusqu’au bassin de Trèves, tous les territoires de la Gaule du Nord, désormais livrée à elle-même par le pouvoir romain ; ce fut le cas des Alamans, qui occupèrent l’Alsace et le Palatinat, ou encore celui des Burgondes, qu’un foedus convenu en 413 fixa quelque temps en Rhénanie moyenne ; les Wisigoths, quant à eux, après leur longue errance italienne, arrivèrent dans le midi de la Gaule et s’installèrent dans le moyenne vallée de la Garonne, d’où ils entreprirent peu à peu de contrôler l’Aquitaine puis l’Espagne ; enfin, les Huns eux-mêmes fondirent en 451 jusqu’au coeur de la Gaule, où ils furent arrêtés aux champs Catalauniques, en Champagne, par le maître de la milice Aetius, assisté par des fédérés francs, burgondes et wisigoths. LES PREMIERS ROYAUMES BARBARES DE GAULE Ce sont précisément les traités de fédération qui créèrent les conditions juridiques de l’apparition sur le sol romain des plus anciens royaumes barbares, à commencer par le premier d’entre eux, le royaume wisigothique. En effet, un foedus fut conclu en 416 avec les Wisigoths. Il leur reconnut, conformément au régime romain de l’hospitalité, la jouissance de terres et de revenus fiscaux, en particulier dans le Toulousain, le Lauragais et le Quercy, et établit un véritable partage de compétences entre le roi wisigoth et l’Empire romain. À celui-ci, l’autorité civile ; à celui-là, indiscutable roi de son peuple, l’autorité militaire, d’une part, pour lutter contre les bagaudes, ces soulèvements de paysans chassés de leurs
terres par une insécurité devenue chronique en Aquitaine, d’autre part, contre les autres Barbares, notamment les pirates saxons qui semaient la panique sur les côtes atlantiques et les derniers rescapés de la grande vague des envahisseurs de 406 encore attardés dans la Gaule du Sud et en Espagne. Mais la déliquescence du pouvoir impérial fit bientôt de la royauté wisigothique - en particulier sous les rois Théodoric II, Euric et Alaric II - la seule autorité publique dans la vaste zone qu’elle n’était initialement chargée que de défendre. Nombre d’aristocrates galloou ibéro-romains acceptèrent alors de collaborer avec elle. C’est pourquoi la royauté wisigothique, de guerrière et ethnique qu’elle était au départ, se mua peu à peu en une véritable royauté territoriale. Les contrées d’Aquitaine et d’Espagne, sur lesquelles le roi wisigoth ne détenait jusqu’alors qu’une simple délégation d’autorité militaire romaine, en vinrent à constituer ce qu’il est convenu d’appeler un « royaume barbare », où le roi exerçait une autorité - déléguée par un Empire de plus en plus distant - sur tous les habitants, qu’ils fussent d’origine barbare ou romaine. Un autre royaume fut ainsi créé par les Burgondes. Aetius le transféra en Sapaudia - dans le bassin du Rhône moyen entre Genève et Lyon. Il conclut en 443 un foedus avec les Burgondes, suivant lequel ceux-ci devaient protéger les régions d’entre Alpes et Jura contre la progression alémanique. À partir de cette base étriquée, les rois burgondes étendirent peu à peu leur autorité à de vastes territoires s’étendant de la haute Provence à cette Bourgogne à laquelle ils finirent par donner leur nom. Et, comme les rois wisigoths, les plus avisés d’entre eux (en particulier Gondioc et Gondebaud, qui arboraient fièrement le titre de maîtres de la milice que Rome leur avait reconnu) obtinrent le concours d’une partie au moins des élites gallo-romaines, qui les aidèrent à gouverner et à légiférer. Au nord de la Gaule, sans doute, même si les textes sont moins explicites, un autre foedus, convenu vers le milieu du Ve siècle, prépara l’avènement d’un autre royaume barbare : celui des Francs Saliens, de la lignée des Clodion, Mérovée, Childéric et Clovis. Comme on le sait, l’avenir leur appartenait. VERS LA FIN DU Ve SIÈCLE, UNE GAULE BARBARE OU UNE GAULE ROMANO-BARBARE ?
Quelle était donc la situation de la Gaule à l’époque où, le 4 septembre 476, le Barbare Odoacre, chef de l’armée de campagne d’Italie du Nord, déposa dans son palais de Ravenne l’empereur Romulus Augustule, sonnant ainsi, et pour longtemps, le glas de toute présence impériale en Occident ? Le Midi, fortement peuplé et romanisé, était soumis à l’autorité de Barbares nettement minoritaires : les Wisigoths, maîtres de la vaste Aquitaine, du Languedoc et, pour un court laps de temps, de la Provence ; les Burgondes, maîtres d’un petit quart Sud-Est. Le Nord et le Nord-Est, où les structures héritées de Rome s’étaient fortement effritées, étaient tombés aux mains des Francs et des Alamans, partagés entre plusieurs royautés ou plus modestes chefferies, mais désormais tellement majoritaires qu’ils déterminèrent le déroulement, bien en deçà de l’ancien limes, d’une nouvelle frontière linguistique. L’Armorique, quant à elle, où commençaient d’affluer en masse des migrants originaires de (Grande-)Bretagne qui allaient y revitaliser les parlers celtiques, restait livrée à elle-même. Seul le coeur du Bassin de Paris, depuis la plaine picarde jusqu’au val de Loire, paraissait encore placé sous autorité romaine - en fait, sous celle du maître de la milice Syagrius, dont l’armée était largement composée d’éléments barbares. Celui-ci détenait-il une légitimité plus grande que les rois fédérés ? Ces derniers avaient conclu avec Rome des pactes en bonne et due forme et, au nord, ils dominaient numériquement ce qu’il restait de populations romaines, tandis qu’au sud ils parvenaient, malgré le petit nombre de leurs troupes, à obtenir le soutien d’une partie des élites autochtones. Les principales difficultés que les uns et les autres rencontrèrent vinrent du fait religieux. Les rois et les peuples wisigoths et burgondes étaient majoritairement ariens, c’est-à-dire qu’ils s’étaient ralliés à une forme de christianisme qui rejetait l’éternité du Fils (c’està-dire sa divinité à part entière) et qui fut condamnée par le concile de Nicée (325) ; quant aux rois et aux peuples francs et alémaniques, ils adhéraient encore au polythéisme germanique. Les évêques de Gaule, qui depuis la déliquescence de l’Empire étaient devenus la principale force d’encadrement des cités, pouvaient-ils accepter sans broncher qu’euxmêmes et leurs ouailles soient dominés par des hérétiques ou par des païens ? Ils entreprirent un patient travail de conversion des rois, qui réussit davantage auprès des païens qu’auprès
des ariens : assurément, le ralliement à la foi chrétienne de Clovis, roi des Francs Saliens, fut la clé de ses succès à venir. Il lui assurait la bienveillance du corps épiscopal, détenteur privilégié de l’héritage de Rome. Ainsi, nonobstant quelques épisodes de violence destructrice, les invasions barbares ne furent pas qu’expéditions brutales de peuples acharnés à faire tomber l’Empire, et il est clair que celui-ci joua à plusieurs reprises un rôle actif dans la distribution du peuplement barbare sur son propre territoire. Non seulement les Barbares installés en Gaule, et plus généralement en Occident, n’ont donc pas cherché à détruire l’héritage impérial, mais aussi, en adhérant au christianisme, ils en ont recueilli et transmis le principal legs culturel. Investitures (querelle des), conflit qui opposa, entre le milieu du XIe et le début du XIIe siècle, le pape aux souverains, en particulier à l’empereur, au sujet de l’investiture des évêques. Depuis les IXe et Xe siècles, les souverains, soit en vertu du caractère sacré de leur pouvoir, soit parce qu’ils sont ou s’estiment être à l’origine des possessions de nombreux monastères et d’églises épiscopales, choisissent les abbés et les évêques, auxquels ils donnent l’investiture en leur remettant l’anneau et la crosse, c’est-à-dire les attributs de leur autorité temporelle et de leur fonction pastorale. Les rois et, surtout, l’empereur - lequel a concédé aux évêques de larges pouvoirs régaliens - trouvent en ces dignitaires ecclésiastiques des relais efficaces de leur autorité. Cependant, à partir du milieu du XIe siècle, dans le cadre de la réforme grégorienne, la papauté entend soustraire les clercs, et notamment les évêques, à toute tutelle laïque. EstidownloadModeText.vue.download 479 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 468 mant que l’évêque ne peut tenir sa fonction pastorale que de l’Église, le pape Grégoire VII (1073/1085) condamne vigoureusement l’investiture laïque par les Dictatus papae en 1075, et entre immédiatement en conflit avec l’empereur. Pendant cinquante ans, papes et empereurs vont violemment s’opposer à grand renfort d’excommunications, de dépositions, d’élections de concurrents (antipapes ou antirois) ou de campagnes militaires.
En France, la lutte est beaucoup moins violente que dans d’autres royaumes européens. Dans le Midi, les réseaux monastiques des abbayes de Cluny et Saint-Victor propagent l’influence romaine, et les princes laïcs se montrent en général favorables à la papauté. Dans les États anglo-normands, le duc Guillaume bénéficie du soutien du SaintSiège et continue de choisir les évêques (il réforme en effet le monachisme et restaure l’Église d’Angleterre depuis la conquête de 1066 en s’appuyant sur des clercs italiens). En revanche, le roi capétien, qui étend son influence au-delà de son propre domaine grâce aux investitures, se heurte à la conception pontificale. Déjà aux prises avec l’empereur, le pape se montre d’abord conciliant. Mais, à la fin du XIe siècle, les déboires matrimoniaux du roi Philippe Ier le conduisent à plus d’intransigeance. Cependant, la nouvelle théorie des investitures promue par le canoniste Yves de Chartres (vers 1040-vers 1116) permet de résoudre le conflit : le chapitre cathédral élit l’évêque, que l’archevêque consacre en lui remettant la crosse et l’anneau (investiture spirituelle), tandis que le souverain peut faire connaître son candidat au chapitre, investit l’évêque de son temporel et reçoit de lui un serment de fidélité. Cette nouvelle théorie est aussi celle qui triomphe en 1122, au concordat de Worms, qui met un terme au conflit qui opposait papes et empereurs, en affaiblissant toutefois considérablement l’autorité impériale. La querelle des Investitures connaît donc une ampleur très différente selon les régions et contribue, en définitive, à l’essor de la papauté. Isabeau de Bavière, reine de France de 1385 à 1422 (Munich 1371 - Paris 1435). Fille du duc de Bavière Étienne II de Wittelsbach et de Tadea Visconti, elle épouse le roi de France Charles VI en 1385. De cette union naissent huit enfants : trois fils, les dauphins successifs, Louis, Jean et Charles (le futur Charles VII), et cinq filles. À partir de 1392, la maladie du roi oblige Isabeau à exercer des responsabilités politiques auxquelles elle n’était pas préparée. Dans le conflit qui oppose les princes pour l’exercice du pouvoir, elle se rapproche d’abord de Louis, duc d’Orléans et frère du roi. Des rumeurs circulent sur la nature de leurs relations. Outre cette hypothétique liaison, on reproche à la reine ses origines étrangères, ses
liens familiaux avec les Visconti, ainsi que le temps qu’elle consacre aux amusements de la cour, alors que le royaume de France connaît de nombreuses difficultés. Lorsque la guerre civile s’aggrave, Isabeau, après bien des hésitations et des renoncements, finit par rallier le parti du duc de Bourgogne Jean sans Peur, qui est assassiné en 1419. Elle est même présente lors de la signature du traité de Troyes avec les Anglais et les Bourguignons (21 mai 1420), acceptant de remettre en cause la légitimité de son fils Charles et de marier sa fille Catherine au roi d’Angleterre, Henri V, qui devient ainsi l’héritier du trône de France. Après la mort à la fin de l’année 1422 de Charles VI, Isabeau ne joue plus guère de rôle politique, et termine sa vie dans sa résidence parisienne de l’hôtel Saint-Paul. Isly (bataille de l’), victoire remportée, lors de la conquête de l’Algérie, le 14 août 1844 sur l’Isly (oued du Maroc oriental) par les troupes françaises du général Bugeaud sur les troupes marocaines alliées à l’émir Abd el-Kader. Au début des années 1840, Abd el-Kader, qui préfère les coups d’éclat à la bataille rangée, est traqué par l’armée de Bugeaud qui quadrille l’Algérie. En 1843, le duc d’Aumale s’empare de la smala de l’émir, qui doit solliciter l’aide du Maroc en 1844. Le sultan Abd ar-Rahman accepte, et lui fournit une base arrière pour ses approvisionnements, appuyant la résistance kabyle dirigée par Bensalem, beau-père d’Abd el-Kader. Une ambassade française tente une première fois de rappeler au Maroc son obligation de neutralité, mais sans succès. Bugeaud franchit alors la frontière algéro-marocaine avec une partie du corps expéditionnaire français. Face à lui, Moulay Mohammed, fils du sultan, à la tête de l’armée chérifienne, installée derrière l’oued de l’Isly. Après un semblant de négociation, outrepassant les ordres reçus, le général français engage le combat ; malgré leur infériorité en nombre, ses troupes bousculent sans difficulté les bataillons arabes. Pendant ce temps, la marine française bombarde Tanger et Mogador. Bugeaud, que le roi fera duc d’Isly en septembre, consolide ainsi la frontière et prend un avantage important sur son adversaire : le sultan chérifien doit demander la paix, lourde de conséquences pour Abd el-Kader. Privé de son allié, chassé du Maroc après avoir essayé de reconstituer ses bases dans le Rif, ce dernier doit bientôt se rendre aux Français. La bataille d’Isly, seule bataille
rangée de la colonisation de l’Algérie, accélère la conquête du pays. Istiqlal, en arabe Al-hizb al-istiqlal (« parti de l’Indépendance »), principal parti nationaliste marocain, fondé en 1943. En 1934, le mécontentement des jeunes Marocains à l’égard des dérives du protectorat et l’opposition au dahir berbère de 1930 - un décret du sultan qui soustrait la population berbère à la juridiction musulmane - entraînent des manifestations à Fès, ainsi que la fondation par quelques intellectuels de cette ville de l’Action marocaine, dont la figure marquante est Allal al-Fassi, professeur à l’université Qarawiyyin. Ce groupe élabore un programme de réformes prévoyant un allègement des structures du protectorat et l’élection d’une Assemblée. Mais ces revendications se heurtent à une fin de nonrecevoir. Allal al-Fassi est exilé, et le groupe se scinde en deux tendances rivales. À la fin de l’année 1943, les partisans d’Allal al-Fassi réorganisent le mouvement, sous le nom du parti de l’Istiqlal, dont le manifeste (11 janvier 1944) réclame l’indépendance et la réunification du Maroc. En raison des très nombreuses adhésions recueillies dans toutle pays, le parti doit affronter l’hostilité de la Résidence, du colonat et des grands caïds conservateurs (dont le pacha el-Glaoui), mais il s’attire bientôt l’active sympathie du sultan Mohammed ben Youssef, qui, sommé de le désavouer, doit s’incliner (1948). Après la déposition du sultan et pendant son exil (août 1953-fin 1955), le parti joue un rôle central dans le mouvement de résistance populaire qui aboutit au retour du souverain et à l’indépendance. Il détient tous les portefeuilles dans le gouvernement de transition formé par Si Bekkaï (novembre 1955). Après l’indépendance, le parti, affaibli par une scission de gauche en 1959, perd beaucoup d’influence dans l’opinion, en raison des revendications territoriales d’Allal al-Fassi, dont les aspirations à reconstituer le « Grand Maroc » sont qualifiées par le Palais de « divagations islamo-historiques ». Italie (campagnes d’), campagnes militaires menées par le général Bonaparte en Italie entre 1796 et 1800. Les victoires de Bonaparte entre 1796 et 1797 révèlent son génie militaire et politique ; et la campagne de 1800 renforce son prestige de Premier consul. En 1796, la coalition antifrançaise de 1792 est réduite à l’Angleterre, à l’Autriche et au royaume de Sardaigne. Sous
le Directoire, deux armées de 80 000 hommes chacune sont lancées sur Vienne, mais elles sont stoppées en Allemagne. Chargés d’opérer une simple diversion, les 40 000 soldats républicains de l’armée d’Italie, commandés par Bonaparte, entrent en action. Avec 70 000 hommes, les armées sarde et autrichienne sont supérieures en nombre. Mais le 12 avril 1796, la victoire de Montenotte les sépare, et les Français prennent l’avantage en les attaquant tour à tour. Dès le 28 avril, le roi de Sardaigne signe un armistice avec le général, qui outrepasse ainsi ses pouvoirs. Isolés, les Autrichiens se replient. Le 10 mai, la victoire française de Lodi permet à Bonaparte de pénétrer en Lombardie : c’est lors de ce combat audacieux que ses soldats le surnomment le « petit caporal ». De juillet 1796 à janvier 1797, il déjoue quatre tentatives autrichiennes pour débloquer Mantoue assiégée et, drapeau à la main, se distingue au pont d’Arcole en novembre 1796. Le 14 janvier 1797, la victoire de Rivoli, puis la capitulation de Mantoue lui ouvrent la route de Vienne. Son irrésistible progression aboutit à la signature d’un armistice, confirmé par le traité de Campoformio (17 octobre 1797). De sa propre initiative, Bonaparte organise le pays conquis en créant des Républiques soeurs. Il alimente les caisses de l’État par les tributs qu’il impose aux vaincus et en s’appropriant de nombreuses oeuvres d’art. En avril 1800, les Autrichiens, membres de la deuxième coalition, reprennent l’Italie du Nord. Devenu Premier consul, Bonaparte est confronté à une situation analogue à celle de 1796. L’essentiel des forces françaises se bat sur le Rhin, et les Autrichiens s’apprêtent à entrer en Provence. Bonaparte réunit alors des downloadModeText.vue.download 480 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 469 troupes dans les environs de Dijon et décide de traverser les Alpes pour prendre à revers l’armée autrichienne d’Italie. Le col du GrandSaint-Bernard est franchi au mois de mai 1800. Le 14 juin, les Autrichiens surprennent les Français dans la plaine de Marengo. Vers 15 heures, la victoire leur semble acquise. À Paris, on envisage même la succession de Bonaparte. Mais l’intervention inespérée du général Desaix renverse la situation. Cette victoire décisive met un terme à la seconde campagne d’Italie.
l ITALIE (GUERRES D’). Durant plus de soixante années, de 1494 à 1559, l’histoire du royaume de France est indissociable de celle d’une péninsule italienne divisée, devenue le champ clos de la rivalité entre les grandes monarchies nationales. Principal enjeu de la lutte pour l’hégémonie européenne que se livrent alors la France et l’Espagne, l’Italie se révèle aussi, au-delà des heurs et malheurs de la guerre, un laboratoire d’idées qui fournit aux envahisseurs d’outremonts - grâce à une réflexion inédite sur la politique, les arts, la langue et la société de cour - une partie significative des codes sociaux de la civilisation d’Ancien Régime. LE « VOYAGE D’ITALIE » « Le 31 décembre 1494, à trois heures de l’après-midi, l’armée de Charles VIII entra dans Rome, et le défilé se prolongea dans la nuit, aux flambeaux. Les Italiens contemplèrent, non sans terreur, cette apparition de la France, entrevoyant chez les barbares un art, une organisation nouvelle de la guerre, qu’ils ne soupçonnaient pas » : c’est ainsi que Jules Michelet choisit, en 1855, d’ouvrir le premier chapitre consacré au XVIe siècle dans sa monumentale Histoire de France. Le récit de l’entrée des troupes du jeune roi de France Charles VIII dans la capitale de la chrétienté constitue, pour l’historien romantique, un événement dont les conséquences ne sont pas que militaires : l’affrontement entre « barbares » et héritiers de Rome, l’affrontement des armes et des lettres, marquent, selon lui, le début de la Renaissance française. Ce tournant de l’histoire de France a été rendu possible par une conjoncture nouvelle dans l’ensemble de l’Europe. Les grandes monarchies nationales ont, depuis peu, pour l’essentiel, parachevé l’unification de leur territoire. L’Espagne, après le mariage des Rois Catholiques - Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille -, a mené à son terme la Reconquista, avec la prise de Grenade en 1492. En France, l’habile politique de Louis XI a permis de récupérer les héritages angevin et bourguignon, avant même que le mariage d’Anne de Bretagne et de Charles VIII ne préparât le rattachement de la Bretagne à la France. Enfin, la nouvelle dynastie anglaise des Tudor, avec Henri VII, a ramené la paix civile dans la grande île du Nord, qui apparaît ainsi, de nouveau, comme un des acteurs importants de la politique continentale. Les souverains en place ont mis à la raison les grands féodaux,
instauré un meilleur système de levée des impôts et une organisation plus efficace des armées. Les trois grands royaumes acquièrent ainsi les moyens de se lancer dans des entreprises militaires au-delà de leurs frontières. Quant à l’Italie, son apparente prospérité économique n’a d’égale que la fragilité d’un équilibre politique inchangé depuis la paix de Lodi, signée en 1454. La Péninsule est divisée en une multitude de petits États, dont les cinq plus importants - les Républiques de Venise et de Florence, le duché de Milan, le royaume de Naples et les États pontificaux sont surtout soucieux de défendre leurs intérêts particuliers et de brider la puissance de leurs voisins, quitte à faire appel au soutien de souverains « barbares ». Convaincus de leur supériorité culturelle, ils pensent pouvoir limiter les risques de telles alliances en s’aidant de subtiles combinaisons diplomatiques. C’est en particulier le cas de Ludovic Sforza, dit le More, qui entend asseoir son pouvoir dans le duché de Milan et étendre son influence en Italie grâce à l’appui de l’armée française. Par hostilité envers les souverains aragonais de Naples, Ludovic le More presse Charles VIII de passer les monts et commence à « faire sentir à ce roy, jeune de vingt-deux ans, des fumées et gloires d’Italie » (Commynes). La prise possible du royaume de Naples nourrit aussi les rêves chevaleresques de croisades contre les Turcs pour aller reconquérir Jérusalem. La cour de France est divisée, mais les partisans du « voyage de Naples » prennent le dessus, et, durant les premiers jours de septembre 1494, une armée de trente mille hommes franchit les Alpes pour faire valoir les droits dynastiques des Valois sur le royaume de Naples. La conquête progresse avec une rapidité déconcertante : l’avancée de l’armée n’est même pas ralentie par la puissante artillerie, car les canons sont légers et montés sur des affûts tirés par des chevaux, et non par des boeufs. La moindre tentative de résistance est impitoyablement châtiée par la mise à sac des cités rebelles et le massacre de leurs défenseurs. Violence et rapidité sont les deux aspects dominants de ces nouvelles guerres. En novembre, après quelques escarmouches en Ligurie, les Français se font ouvrir les portes de Pise, alors sous tutelle florentine, où ils sont accueillis en libérateurs. Puis ils entrent dans Florence : à cette occasion, les habitants chassent Pierre de Médicis et instaurent une république populaire, gouvernée
par trois mille cinq cents citoyens et inspirée par le verbe enflammé de Savonarole. Ce dernier monte en chaire presque chaque jour pour critiquer la curie ou le pape Alexandre VI Borgia, et annoncer la prochaine réforme de la cité, de l’Église et du monde chrétien grâce à la venue d’un « nouveau Cyrus ». Celui-ci prend les traits du roi de France et alimente les derniers sursauts d’un mythe impérial prophétique. Mais l’attente apocalyptique - toute médiévale - de l’avènement de la justice et de la paix par l’entremise d’un nouvel empereur sera vite battue en brèche par les dures réalités de la guerre à outrance. Les Français passent à Rome sans s’y arrêter longtemps, et, enfin, le 22 février 1495, Charles VIII fait son entrée dans Naples, acclamé par une population lasse du gouvernement aragonais et qui a conservé de la sympathie pour le parti angevin. Mais le roi aura peu de temps pour jouir de son succès. Dès le mois suivant se forme, en effet, une ligue entre tous les États italiens - sauf Florence -, soutenue par Ferdinand le Catholique et par l’empereur Maximilien de Habsbourg : Charles VIII décide alors de quitter Naples et d’entamer une retraite avec l’essentiel de ses forces. Sur le chemin du retour, à Fornoue, le 6 juillet 1495, l’armée française bouscule les troupes italiennes, dirigées par le marquis de Mantoue, et réussit à se frayer un passage vers les Alpes. Lorsqu’en octobre le roi est de retour en France, il a perdu presque toutes ses récentes conquêtes. De ce premier « voyage d’Italie », les hobereaux français rapportent charges honorifiques ou titres de fiefs inconnus, mais aussi tableaux, livres, manuscrits et divers objets précieux - achetés ou dérobés. Ils transmettent l’image d’un pays qui, par son climat, sa beauté et ses richesses, se rapproche, selon leurs dires, de la représentation qu’ils se faisaient du Paradis. Ils n’auront, dès lors, de cesse de l’imiter et d’y retourner : jamais les rois de France ne manqueront de compagnons pour les suivre lors de leurs aventures outremonts. LE PARTAGE DE LA PÉNINSULE La mort prématurée de Charles VIII, le 7 avril 1498, met provisoirement fin à tout dessein d’expédition en Italie. Mais le nouveau roi, Louis XII, reprend vite à son compte les rêves napolitains de Charles, avec d’autant plus d’ambition que lui-même est héritier des Visconti et prétend avoir des droits sur le duché de Milan. Fort de la richesse d’un royaume
de France en pleine expansion économique, Louis XII envahit le Milanais en 1499. À partir de 1500, les Français occupent la Lombardie et y resteront une vingtaine d’années - excepté de 1512 à 1515, période durant laquelle les Suisses instaurent un véritable protectorat sur le duché. Assuré de la maîtrise du Milanais et de Gênes, Louis XII veut reconquérir Naples. Soucieux de ne pas affronter Ferdinand le Catholique, il conclut avec lui, en 1500, un traité secret : les Français s’emparent de Naples, des Abruzzes et de la Campanie, tout en laissant les Pouilles et la Calabre à Ferdinand - qui abandonne au passage ses alliés et cousins napolitains... Peu de temps après le duché de Milan, un second grand État italien disparaît dans la tourmente. Ce faisant, Louis XII prend le risque de modifier la nature même des conflits en Italie. Il y a désormais deux puissances étrangères : la France et l’Espagne, qui font de l’Italie l’enjeu premier de leur lutte pour l’hégémonie sur l’Europe. Cependant, dès décembre 1503, les Français perdent le royaume de Naples, après les défaites de Seminara, de Cerignola et du Garigliano face aux troupes de Gonzalve de Cordoue. L’Italie, « avec deux grands rapaces dans ses entrailles » (Guichardin), est désormais partagée, durablement, en sphères d’influence : les Français au nord et les Espagnols au sud. En outre, les deux seuls États qui pourraient troubler ce partage des dépouilles - Rome et Venise - en viennent à s’affronter. À Rome, Jules II, dit « le Pape guerrier », joue habilement, depuis 1503, des rivalités entre Français et Espagnols pour asseoir sa domination sur l’Italie centrale ; mais, de ce fait, il downloadModeText.vue.download 481 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 470 se heurte à Venise. La ligue scellée à Cambrai en 1508, réunit toute l’Europe et toute l’Italie contre la Sérénissime. Les armées françaises et impériales remportent une victoire écrasante sur les Vénitiens, à Agnadel, le 14 mai 1509 : la Vénétie est occupée et sa capitale semble perdue. Seul un sursaut de patriotisme, mêlant dans un même combat paysans de « Terre ferme » et jeunes nobles vénitiens, permet de résister à la pression ennemie, puis d’entreprendre une reconquête progressive. Venise est sauvée, mais le traumatisme subi conduit la République à privilégier désormais une politique d’attentisme prudent, voire de neutralité.
Dès 1511, Jules II, inquiet de la force grandissante de Louis XII, suscite contre lui une nouvelle ligue réunissant Ferdinand d’Aragon, Henri VIII d’Angleterre, Venise et les cantons suisses. Selon une tactique que ses successeurs - Léon X et Clément VII, les deux papes Médicis - adopteront eux-mêmes plus tard, il s’appuie sur l’un des « barbares » pour chasser l’autre. Mais, durant la campagne de 1512, le jeune et brillant Gaston de Foix, au terme d’une foudroyante guerre de mouvement, occupe Brescia, puis l’emporte à Ravenne, notamment grâce à l’artillerie du duc de Ferrare. Victoire à la Pyrrhus, car les Français laissent sur le terrain plusieurs milliers des leurs, le généralissime français lui-même trouvant la mort lors d’un dernier assaut, inutile, contre l’infanterie espagnole qui se retirait en bon ordre. Dans les semaines qui suivent, les Français font retraite, et, en 1513, la Lombardie est perdue au profit des Suisses, qui installent à Milan l’un des fils de Ludovic Sforza. Jusqu’en 1515, les affrontements entre Français, Anglais, Espagnols, Suisses et Impériaux se déplacent hors d’Italie, signe que le conflit, parti de la péninsule, est devenu totalement européen. LA RIVALITÉ FRANCO-ESPAGNOLE François Ier, quelques mois après son avènement en janvier 1515, passe les Alpes à la tête de ses troupes. La bataille contre les Suisses, qui se sont repliés vers Milan, se déroule à Marignan, les 13 et 14 septembre. Cette « bataille de géants », selon le maréchal de France Trivulce, est d’un rare acharnement, faisant plus de quinze mille morts. Durant deux journées, l’issue en reste incertaine. Les lansquenets allemands au service de François Ier et l’artillerie royale décident de la victoire autant que la cavalerie lourde des nobles chevaliers, chantés par la geste nationale. Dès lors, la Lombardie est reconquise, et les Suisses signent avec le roi de France une « paix perpétuelle ». Jamais plus, les montagnards helvètes, persuadés auparavant de leur invincibilité, ne seront tentés de jouer un jeu indépendant sur l’échiquier italien : ils devront se contenter d’être de simples mercenaires au service d’une puissance tierce. De son côté, Léon X s’empresse de rencontrer le vainqueur à Bologne et de signer avec lui un concordat qui règlera les rapports entre la couronne et Rome jusqu’en 1789. L’accession au trône d’Espagne (1516) de Charles de Habsbourg, qui a déjà hérité des Flandres, puis son élection comme empereur
(en 1519, sous le nom de Charles Quint), modifient la situation internationale : la France est menacée d’encerclement et sa politique extérieure apparaît conditionnée par cette crainte. Dans un premier temps, les efforts français portent encore une fois sur l’Italie, car Gênes et la plaine du Pô - étapes entre les domaines septentrionaux et méridionaux de Charles Quint - constituent le maillon faible de l’Empire. De 1519 à 1547, l’Italie et les autres pays d’Europe voient leur destin dépendre des aléas des relations entre deux princes et deux puissances de natures très différentes : la cohésion et la richesse en hommes et en argent de la France, guidée par un Roi-Chevalier fougueux, s’oppose à un Empire écartelé entre Flandres et Méditerranée, manquant toujours de moyens financiers et ayant à sa tête un prince prudent qui gouverne quasiment tout de Madrid. Les hostilités reprennent ouvertement à partir de 1521, et les Français perdent une nouvelle fois le Milanais après la bataille de La Bicoque (29 avril 1522). En outre, dernier sursaut d’une impossible résistance féodale à l’État, le premier des chefs de guerre du roi de France, le connétable de Bourbon, se révolte contre son suzerain et se rallie à Charles Quint en septembre 1523. Après l’échec de l’invasion de la Provence par les Impériaux, François Ier franchit de nouveau les Alpes, reconquiert le Milanais et, erreur funeste, met, en vain, le siège devant Pavie. La déroute qui lui est infligée, dans la nuit du 23 au 24 février 1525, sous les murs de cette ville lombarde, constitue un tournant des guerres d’Italie : le roi, fait prisonnier, est emmené à Madrid ; la fine fleur de la noblesse française est décimée par les arquebusiers ; les carrés suisses du roi sont écrasés par les tercios espagnols et les lansquenets allemands, qui ont su intégrer les armes à feu dans les lignes de piquiers. Le roi peut écrire à sa mère Louise de Savoie : « De toutes choses ne m’est demeuré que l’honneur et la vie qui est sauve. » Désormais, seuls les États italiens peuvent tenter de contrecarrer l’hégémonie espagnole : c’est ce qu’ils essaient de faire, à l’initiative du pape Clément VII, par la constitution de la Ligue de Cognac, à laquelle adhère François Ier - libéré en janvier 1526 après avoir signé le traité de Madrid, qu’il ne respectera jamais. La campagne militaire qui commence au printemps 1526 s’achève, un an plus tard, par un désastre au retentissement symbolique sans précédent dans toute la chrétienté : la prise de Rome le 6 mai 1527 et son intermi-
nable mise à sac par les troupes impériales jusqu’en février 1528. Pendant des mois, les très catholiques fantassins espagnols ne le cèdent en rien, pour la cruauté et l’avidité, aux lansquenets luthériens désireux de châtier Rome-Babylone, « la putain rouge avec son calice d’abominations ». La défaite française devant Naples en 1528 confirme la victoire totale de Charles Quint en Italie. L’hégémonie espagnole sur la Péninsule est reconnue par une série de traités : avec le pape (Barcelone, 1529), le roi de France (Cambrai, 1529), puis tous les petits États italiens (Bologne, 1530). La pax hispanica est enfin célébrée lors du couronnement solennel de Charles Quint à Bologne, en février 1530. Le conflit se déplace dès lors vers le nord et vers la mer. Plutôt que de combattre directement, François Ier soutient souvent les adversaires de son ennemi, fût-ce au prix d’alliances scandaleuses avec les princes allemands « hérétiques » ou avec les pirates barbaresques et leurs maîtres ottomans. En Italie, les rois de France tentent plutôt de constituer un glacis protecteur pour le Dauphiné afin d’éloigner la guerre de leur territoire : ainsi, en 1536, le duché de Savoie, y compris le Piémont, est envahi et aussitôt intégré à la couronne, jusqu’en 1559. Mais ni François Ier ni son fils Henri II ne prendront plus la tête d’une armée pour aller combattre au-delà des monts. La victoire de Cerisoles en 1544 - dernière bataille rangée en Italie - reste sans lendemain, et l’on se contente, ici ou là, de susciter des complots et d’alimenter des rébellions contre les pouvoirs en place trop liés aux Espagnols, que ce soit à Parme, en 1550, ou à Sienne, de 1554 à 1558. À cet égard, l’éphémère conquête de la Corse, en 1553, ou l’expédition avortée du duc de Guise contre Naples, en 1556, ne sont que le fruit d’initiatives individuelles, des « occasions » saisies au vol sans grands desseins stratégiques. Les hauts faits d’armes du règne d’Henri II se déroulent sur les frontières du nord et de l’est, avec les conquêtes de Trois-Évêchés - Metz, Toul et Verdun (1552) -, ou la prise de Calais (1558). Et c’est en Picardie que se déroule l’ultime bataille des guerres d’Italie : le 10 août 1557, à Saint-Quentin, la déroute française y est aussi grave qu’à Pavie, face à une armée impériale commandée, autre paradoxe, par Emmanuel-Philibert de Savoie, un prince italien spolié de son fief par les Français. D’ailleurs, c’est aussi dans la plaine picarde, au Cateau-Cambrésis, qu’est signé, les 2 et 3 avril 1559, le traité qui met fin aux guerres d’Italie. Philippe II - successeur de Charles Quint
après l’abdication de ce dernier en 1556 - et Henri II sont las de ces guerres interminables et s’inquiètent en outre des progrès de la Réforme protestante. Le roi de France renonce à ses prétentions sur l’Italie, où il abandonne toutes ses conquêtes en échange de la possession des Trois-Évêchés. Sans doute voulait-il aussi avoir les mains libres pour mieux combattre les calvinistes, dont l’influence croît sans cesse dans son royaume... LES LEÇONS DE LA GUERRE ET L’ÉMERGENCE D’UNE NOUVELLE EUROPE Le centre de gravité de la politique européenne - et de la lutte entre les maisons de France et d’Espagne - s’est déplacé vers la grande plaine du nord-est de l’Europe, et y restera ancré des siècles durant. Alors que les rêves de croisades habitaient encore les esprits des chevaliers de Charles VIII, une nouvelle Europe, bouleversée par la fracture religieuse, est en train de naître. La Méditerranée n’en est plus le coeur. La lutte acharnée entre les grandes monarchies nationales, l’expansion de la Réforme protestante et le début de la Contre-Réforme catholique, avec la fin du concile de Trente en 1563, ont rendu caducs les rêves de paix et d’union entre les chrétiens. La guerre n’est dès lors plus une crise ponctuelle destinée à régler un conflit dynastique ou une querelle sur le tracé des frontières. Elle devient une donnée permanente de la politique, la forme ordinaire des relations internationales, qui fait fi des impératifs downloadModeText.vue.download 482 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 471 du droit et de la morale. À partir du moment où la politique ne peut être pensée sans penser le conflit, les raisons de l’État, qui deviendront à la fin du siècle la « raison d’État », sont déjà celles de la guerre de conquête. Puisque la paix entre chrétiens n’est plus l’horizon obligé des relations entre États, le pape n’est qu’un souverain temporel comme les autres et les traités ne sont plus que des chiffons de papier, sauf quand le rapport de force existant impose leur respect. La bataille cesse d’être un ballet de duels juxtaposés où les nobles chevaliers accomplissent leur mission divine au service de leur suzerain. Complexe mécanique de forces, l’harmonisation des différentes armes - cavaleries légère et lourde, infanteries de piquiers et d’arque-
busiers, artillerie, génie - prend le pas sur la prouesse individuelle. Ironie du sort, Bayard trouve la mort en 1524, frappé par un de ces arquebusiers que les chevaliers tenaient pour des traîtres qui n’avaient pas le courage de les affronter en combat singulier. Les nouveaux États se renforcent et se structurent, car le degré de professionnalisation de l’organisation militaire suppose désormais des sommes d’argent toujours plus importantes. Le roi ne peut plus être seulement le monarque juste et pieux du Moyen Âge, censé préparer l’accession de ses fidèles sujets au Paradis : il doit ressembler au « prince nouveau » de Machiavel qui, confronté à l’état d’urgence imposé par la guerre continuelle, s’efforce, tout à la fois, de se maintenir au pouvoir et d’assurer sécurité et prospérité du royaume, quitte à agir par le fer et par le feu. L’Italie, tout éloignée qu’elle soit du centre politico-militaire de la nouvelle Europe, va pourtant continuer à forger pour celle-ci nombre de ses codes sociaux et artistiques. Castiglione, avec son Livre du courtisan (1528), ou Della Casa, avec son Galatée (1549-1555), livrent une grammaire du comportement pour une société polie et courtisane, tandis que les jésuites, en étendant le réseau de leurs collèges dans toute l’Europe catholique, jouent un rôle déterminant dans la formation de la classe dirigeante de l’Ancien Régime. Lettrés, savants ou hommes politiques italiens vont volontiers se mettre au service des princes qui règnent dans les États du Nord, où l’histoire continue à se faire. Dès les années 1530, selon un paradoxe qui n’est qu’apparent, la défaite avait coïncidé avec la floraison, en France, d’oeuvres produites ou inspirées par les artistes ou hommes de lettres italiens. L’exemple le plus notable en est l’interminable chantier du château de Fontainebleau (1527-1570), dont la décoration intérieure est le fruit d’une élaboration complexe, pour laquelle lettrés et artistes travaillent de concert. Un nouveau goût s’impose dans tout le royaume, sensible en particulier dans l’architecture, grâce aux dépenses somptuaires des grandes familles de la noblesse ou de la bourgeoisie. Poètes et lettrés italiens - parfois exilés pour leurs convictions républicaines ou anti-espagnoles - alimentent les discussions sur la langue vulgaire et sa poésie : du Bellay tira d’ailleurs l’essentiel de l’argumentation de sa Défense et illustration de la langue française (1549) du débat italien sur la réglementation de la langue toscane. La plupart des ouvrages importants publiés en Italie sont immédiatement traduits de l’autre
côté des Alpes et, à partir du règne d’Henri II et de Catherine de Médicis - son épouse florentine -, le toscan devient la seconde langue de la cour de France, au point de susciter parfois de violentes diatribes - plus ou moins teintées de xénophobie - contre une France trop « italianisée ». Au regard de la modification radicale des équilibres européens dans la longue durée, et de l’influence italienne sur le gouvernement des hommes, des mots et des choses dans l’Europe de l’Ancien Régime, le débat historiographique dominant en France jusqu’au début du XXe siècle à propos des guerres d’Italie paraît profondément dépassé : peu importe, en effet, de savoir si les expéditions italiennes des Valois ont ou non servi un « intérêt national », qu’un homme politique français du XVIe siècle eût été bien en mal de définir. Trop longtemps considérées comme une erreur et un mirage, pour la plupart, ou comme une tentative malheureuse mais justifiée, pour quelques-uns - parce qu’elle s’inscrivait dans le cadre d’un tropisme méditerranéen du royaume de France -, les guerres d’Italie méritent surtout de faire l’objet de nouvelles études sur ce qu’elles furent : une « époque » qui explique en partie l’« invention » de l’Ancien Régime européen. downloadModeText.vue.download 483 sur 975 downloadModeText.vue.download 484 sur 975
JK jacobinisme. Historiquement, le jacobinisme, né sous la Révolution française, est lié au Club des jacobins, à son organisation, à sa pratique et à son idéologie. Très tôt, ce club s’appuie sur un réseau national de sociétés de province, qui lui sont affiliées. En l’an II, alors que le mouvement jacobin est à son apogée, on compte environ 5 500 sociétés populaires : bien qu’elles ne soient pas toutes rattachées au club parisien, elles n’en représentent pas moins en province le jacobinisme dans toutes ses nuances. Elles sont particulièrement nombreuses dans le Sud-Est, à forte tradition de sociabilité associative, dans le Sud-Ouest, en région parisienne, en Haute-Normandie ; ailleurs, leur semis est plus irrégulier, voire très dispersé dans l’Ouest ou le Nord-Est. Même si leurs membres appartiennent avant tout à la bourgeoisie, on y rencontre aussi des artisans et des boutiquiers ; en outre, des militants (ou des militantes) qui n’appartiennent pas aux sociétés - dont la très large majorité exclut les
femmes - peuvent être également considérés comme des partisans et des soutiens du jacobinisme. • Les interprétations du jacobinisme révolutionnaire. Les historiens distinguent différents moments du jacobinisme révolutionnaire : 1789-1791 (jacobinisme primitif : constitutionnel), 1791-1792 (jacobinisme mixte : démocratique et libéral), 1793-1794 (jacobinisme de l’an II), selon Michelet, suivi par François Furet. Albert Soboul propose, lui, une périodisation différente : 1789-juin 1793 (naissance et affirmation d’une pratique politique), 1793-1794 (hégémonie politique et dictature d’opinion), puis une « longue phase de survie et de transfiguration » après Thermidor. L’idéologie jacobine de l’an II se caractérise par la recherche de l’unité, l’alliance entre la bourgeoisie et le mouvement populaire, la défense de la république démocratique, l’attachement à la « centralité législative » (BillaudVarenne) autour de la Convention. Avec des nuances plus ou moins importantes et des appréciations variées, les différentes écoles historiques s’accordent néanmoins pour voir dans le jacobinisme de l’an II une « machine » (Michelet) « à produire de l’unanimité » et exerçant un « magistère d’orthodoxie » (Furet), un « instrument de direction politique et de domination idéologique » exerçant un « magistère idéologique et moral » (Claude Mazauric). Des études récentes soulignent cependant la diversité du jacobinisme avant l’an II, et mettent en avant, par exemple, l’existence d’un fédéralisme jacobin provençal en 1793 (Jacques Guilhaumou) : branche d’un mouvement jacobin moins homogène qu’on a pu l’écrire, celui-ci diffère du fédéralisme modéré progirondin, tout comme, sur certains points, du jacobinisme parisien, et vise à « instaurer un rapport égalitaire, démocratique, entre Paris et la province ». Mais ces tentatives sont étouffées, et en l’an II on assiste à un « processus de jacobinisation », d’« encadrement jacobin » des sociétés (Françoise Brunel), tant à Paris qu’en province. • Prolongements et postérité du jacobinisme. Après Thermidor, les jacobins sont pourchassés. Le Directoire voit naître un néojacobinisme, moins important qu’auparavant mais très actif. Des démocrates - anciens jacobins ou républicains plus modérés -, unis dans la défense de la République et des libertés publiques, reforment des clubs, tel celui du Panthéon, où Babeuf s’illustre en 1795 ;
en 1797, les cercles constitutionnels se multiplient dans le pays après le coup d’État du 18 fructidor, et permettent un succès néojacobin aux élections de 1798 ; en 1799, l’éphémère Club du Manège apparaît comme une résurgence du Club des jacobins. Cette poussée néojacobine hostile au Consulat est vite écrasée par Bonaparte. Mais la tradition survit sous l’Empire et sous la Restauration, notamment dans les sociétés secrètes, où le jacobinisme se mêle au socialisme naissant. Incarnant la radicalité de la Révolution, le jacobinisme reste une référence majeure des luttes politiques du XIXe siècle, qu’on voie en lui le mal absolu ou un modèle. Pour les révolutionnaires s’en réclamant, l’an II représente l’idéal de république démocratique et sociale auquel ils aspirent. Ce néojacobinisme socialiste forme l’un des courants de la Commune : égalitaristes, les communards « jacobins » croient dans le rôle de l’État pour prendre des mesures sociales et économiques favorables aux plus pauvres, et défendent la centralisation, c’est-à-dire l’unité nationale autour du Paris révolutionnaire, et non la domination de la capitale sur la province, dont le soutien est indispensable au succès de la révolution. La IIIe République, stabilisée, assume l’héritage jacobin avec l’ensemble de la Révolution (définie par Clemenceau comme un « bloc »). Tout comme, sur un autre plan, le mouvement communiste du XXe siècle. Mais le mot « jacobinisme » connaît des glissements de sens : aujourd’hui polysémique, il évoque, plus que la tradition révolutionnaire, la défense d’un État fort et centralisé ; une conception assez éloignée du jacobinisme historique. jacobins (Club des), société politique fondée en 1789, qui impulsa en partie la politique révolutionnaire. Au printemps 1789, les députés de Bretagne, bientôt rejoints par d’autres, forment à Versailles un informel « Club breton », afin de se concerter avant les séances des États généraux. Après les journées d’octobre, le club s’installe rue Saint-Honoré à Paris, près de l’Assemblée, dans l’ancien couvent dominicain des Jacobins, et prend le nom de « Société des amis de la Constitution ». De Barnave à Robespierre, s’y retrouvent tous les députés « patriotes » ; le club accueille aussi des non-députés, mais la cotisation est élevée, et les membres (un millier fin 1789) appartiennent aux milieux aisés.
• Objectifs et organisation. Selon le règlement, l’objectif est d’aider l’Assemblée en « discutant d’avance les questions » qui doivent y être débattues, en « travaillant » à la Constitution. Le club entend aussi être le « centre commun » de toutes les sociétés révolutionnaires. Effectivement, la force des downloadModeText.vue.download 485 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 474 jacobins est de regrouper autour d’eux les clubs de province, grâce à la pratique de la correspondance et de l’affiliation, relayée par le Journal des amis de la Constitution, publié par Laclos : 66 clubs leur sont affiliés en mai 1790, 276 en décembre, 500 en mars 1791, et près d’un millier en octobre. C’est grâce à eux que le club parisien sort vainqueur de la crise ouverte par la fuite du roi, en juin 1791 : le 16 juillet, plus de 260 députés modérés, dirigeants jacobins de premier plan, font défection pour former le Club des feuillants, craignant que les jacobins ne se radicalisent et ne rejettent la version officielle de l’« enlèvement » du roi. En appelant à l’unité des patriotes autour d’eux, ces derniers parviennent à rallier la majorité des sociétés de province, d’abord très hésitantes. • Débats et combats. Désormais dominé par la « gauche » (Robespierre, Brissot), le club ouvre ses séances au public et devient un lieu de débats politiques et de surveillance révolutionnaire qui fonctionne parallèlement à l’Assemblée : c’est « le véritable comité des recherches de la nation [... qui] embrasse, dans sa correspondance avec les sociétés affiliées, tous les coins et recoins des 83 départements [...], c’est le grand inquisiteur qui épouvante les aristocrates [...], c’est le grand réquisiteur qui redresse tous les abus et vient au secours de tous les citoyens » (Desmoulins). Pendant l’hiver 1791-1792, Brissot et Robespierre s’y opposent sur la question de la guerre. Après le 10 août 1792, le club prend le nom de « Société des amis de la Liberté et de l’Égalité », et son recrutement social s’élargit un peu à l’artisanat aisé, tout en restant strictement masculin - mais les tribunes publiques sont remplies d’hommes et de femmes du peuple. Il est alors dominé par le conflit entre la Gironde et la Montagne : Brissot est exclu en octobre, et la majorité des girondins, en mars-avril 1793. Après juin 1793, le club va peu à peu diriger la vie politique ; pendant l’an II, il tient
une place essentielle dans le fonctionnement du Gouvernement révolutionnaire en s’appuyant sur les sociétés provinciales pour stimuler l’action révolutionnaire, pour mobiliser et former l’opinion publique. • La défaite. Au cours du 9 Thermidor, le club, qui soutient les robespierristes, se déclare en insurrection avant d’être fermé quelques jours. Après Thermidor, il perd son pouvoir : il s’oppose à la réaction politique, mais, sans forces, isolé, assimilé à la Terreur, accusé d’avoir formé un « autre centre » de pouvoir que l’Assemblée, il est l’objet d’une violente campagne de dénonciations. Le 16 octobre 1794, la Convention démantèle l’organisation jacobine en interdisant l’affiliation et la correspondance entre clubs, ainsi que les pétitions collectives. Et, prenant prétexte des affrontements qui opposent jacobins et muscadins, elle ferme définitivement le club le 22 brumaire an III (12 novembre 1794). C’est la fin du Club des jacobins, malgré la reconstitution de sociétés « néojacobines » sous le Directoire. Mais ce n’est pas la fin de la tradition jacobine ni du jacobinisme, qui marqueront encore longtemps l’histoire de France. Jacquerie, mouvement de révolte paysanne qui touche, en 1358, la partie septentrionale du Bassin parisien, c’est-à-dire les plus riches plaines du royaume. Il est caractérisé par sa soudaineté, sa violence, l’ampleur de l’effroi qu’il provoque et la brutalité de la répression à laquelle il donne lieu. Bien qu’il n’ait duré que deux semaines, il a suffisamment frappé les esprits pour que, désormais, tout soulèvement paysan lui soit assimilé, même si, par ses caractéristiques sociales, il constitue un phénomène unique. En effet, loin d’être un mouvement de désespoir du petit peuple rural, la Jacquerie est une révolte organisée par un groupe privilégié, épargné par la crise sociale, et qui en a même tiré largement profit. • L’affirmation d’un groupe social. À l’intérieur des communautés paysannes, un groupe social s’est affirmé - et sans doute consolidé durant la première moitié du XIVe siècle : celui des laboureurs. Il est composé des fermiers les plus riches et les plus entreprenants, et des artisans ruraux. Constitué à la faveur de l’essor général des XIe-XIIIe siècles, il a résisté au renversement de tendance du début du XIVe siècle. Il a profité au mieux de l’affaiblissement des structures seigneuriales et tiré parti de la baisse du prix des denrées agricoles. Celle-ci dure
pendant tout le XIVe siècle et entraîne une diminution, de surcroît, des loyers de la terre, ce qui met en difficulté les seigneurs, rentiers du sol. Leur revenu diminue ; ils sont contraints de renoncer au prélèvement de taxes autrefois lucratives, comme les champarts, et ne sont plus en mesure d’exiger l’exécution de corvées. Le groupe des laboureurs tend donc à consolider sa fortune et sa position au sommet de la société villageoise. Dans un premier temps, la guerre contre les Anglais le renforce encore. En effet, les premiers désastres, qui ont ruiné le prestige de la noblesse, chèrement payée pour accomplir une mission - la défense du royaume - dont elle est manifestement incapable de s’acquitter, ont parfois amené les autorités à lui permettre de s’armer et de se constituer en milices, donnant ainsi naissance à des épisodes qui, comme celui du Grand Ferré, ont pu inspirer le comportement des « Jacques ». • Craintes et soulèvement. Or, dans les années 1350, le groupe des paysans aisés se sent menacé. La guerre, si mal menée, coûte d’autant plus cher qu’il va falloir verser la rançon du roi Jean II le Bon (3 millions d’écus) et payer également pour l’entretien de l’armée. Les défaites militaires entraînent un durcissement de la fiscalité royale qui, pesant essentiellement sur les communautés rurales, est très mal ressenti par ces dernières. Il suffit que les paysans puissent craindre que les seigneurs tentent de restaurer leurs anciens droits pour que la révolte éclate. C’est ce qui se passe en mai 1358. La Jacquerie est donc le fait d’un groupe social en plein essor, qui redoute que la noblesse ne tente une réaction qui aboutirait à le déposséder de ses acquis économiques. Elle est également provoquée par les craintes que suscite la politique fiscale du duc de Normandie (le futur Charles V) en l’absence de son père, prisonnier en Angleterre. Ce double aspect - fiscal et social - fait de la Jacquerie un phénomène dont le seul équivalent est la « grande révolte des travailleurs » de 1381, en Angleterre. Là aussi, dans un contexte de défaites militaires, l’aggravation de la pression fiscale va déstabiliser le groupe dominant de la paysannerie et provoquer une révolte générale. En 1358, il s’agit bel et bien d’un soulèvement qui a secrété ses propres chefs (Guillaume Cale) et a su se doter d’un semblant de coordination. Le mouvement terrifie par ce qu’il a d’apparemment irrationnel.
Certains châteaux sont pillés, mais d’autres pas : dans l’ensemble, les paysans semblent surtout avoir cherché à obtenir la confirmation des coutumes les protégeant. En outre, la coïncidence entre le soulèvement paysan et les troubles parisiens accentue encore la confusion et la crainte de la noblesse. Pourtant, il n’y a pas d’alliance entre les deux mouvements, dont les objectifs sont divergents, ce qui rend plus aisée la répression. Celle-ci est prompte à s’organiser. Elle est atroce. Il suffit de deux semaines au roi de Navarre, Charles le Mauvais, pour lever une armée, qui vient aisément à bout des « Jacques » et les brise si complètement que le mouvement ne renaîtra pas. Jacques de Vitry, grand prédicateur dont la vie et l’oeuvre témoignent de la profonde mutation de l’action pastorale au XIIIe siècle (Vitry-sur-Seine, vers 1170 - 1240). Attiré par la réputation de Marie d’Oignies, béguine et mystique dont il devient le directeur de conscience, Jacques de Vitry est d’abord curé de la paroisse d’Oignies, dans le diocèse de Liège. Il entre ensuite chez les chanoines réguliers de Saint-Augustin et prêche, dans le nord de la France, la croisade contre les albigeois (1209). Puis, devenu évêque de Saint-Jean-d’Acre, en Terre sainte, en 1216, il entreprend, l’année suivante, en Hongrie, en Autriche et en Frise, une campagne de prédication pour la cinquième croisade. En 1229, il doit à l’amitié du pape Grégoire IX (1227/1241) de devenir cardinal-évêque ; il participe dès lors, et jusqu’à sa mort, aux travaux de la curie. Ses nombreux sermons, rassemblés en quatre volumes, connaissent un très grand succès et témoignent de la priorité nouvelle donnée par l’Église à la prédication auprès des laïcs. Son recueil de sermons ad status (c’est-à-dire adressés à certaines catégories de la société, tels les chevaliers, les marchands, les étudiants...) propose des perspectives de salut et une éthique spécifiques à chacun de ces groupes. De même, la Vie de Marie d’Oignies, écrite vers 1215, et traduite en français dès le début du XVe siècle, prend en considération les aspirations spirituelles des femmes et présente aux laïcs un modèle de vie dévote. Jalès (camp de), point de ralliement de milliers de royalistes et catholiques armés dans la vallée de Jalès (Ardèche), les 18 août 1790, 20 février 1791 et 8 juillet 1792. Le camp de Jalès de 1790 est à l’origine du mouvement insurrectionnel contre-révolutionnaire du Vivarais - le premier dans
le Sud-Est et l’un des principaux foyers de downloadModeText.vue.download 486 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 475 résistance. Il est formé à l’instigation du Comité de Turin, dirigé par le comte d’Artois. Ce dernier pense soulever le Midi contre la capitale en s’appuyant sur le lourd contentieux qui oppose catholiques et protestants dans cette région. C’est au lendemain de la « bagarre de Nîmes » (13-14 juin 1790), qui fait 300 morts parmi les catholiques, que des nobles locaux convoquent légalement le camp - sur le modèle des fédérations patriotes -, où se réunissent des gardes nationales de divers départements. Si la majorité se retire après la prestation du serment civique, l’état-major et les troupes restantes forment un comité permanent, rédigent un manifeste, qui, dénonçant l’oeuvre de l’Assemblée constituante, mêle défense de la religion catholique et de l’autorité royale. Malgré une interdiction et une dispersion en septembre 1790, le comité de Jalès se réunit en décembre, et convoque un second camp pour le 20 février suivant, en prenant pour prétexte la défense contre les protestants. À nouveau dispersée, cette réunion est un échec, tandis que « Jalès » devient synonyme de la Contre-Révolution dans tout le pays. Après la déclaration de guerre à l’Autriche (avril 1792), les princes émigrés espèrent à nouveau fomenter une insurrection au moment de l’offensive étrangère et convoquent un troisième camp, qui est une dernière fois dispersé les 12 et 13 juillet par les volontaires nationaux. jansénisme, courant du catholicisme dont le nom dérive de celui de Cornelius Jansen (1585-1638), évêque d’Ypres, auteur de l’Augustinus, ouvrage posthume édité en 1640 pour répondre - à l’aide des positions de saint Augustin - aux interprétations théologiques des jésuites concernant la grâce et la prédestination. Pour Jansen, la « grâce efficace », qui assure le salut, est accordée par Dieu à ceux qu’il a prédestinés et qui sont infailliblement voués au bien. Aux yeux des jésuites, les définitions augustiniennes de la grâce et de la prédestination ressemblent trop au protestantisme. Le concile de Trente a en effet refusé un augustinisme trop rigide et, dès 1567, le pape Pie V, bien que rigoriste, a condamné Baïus, professeur de théologie à Louvain, pour sa
doctrine sur la grâce. Cette condamnation a permis au jésuite espagnol Molina de développer une théologie selon laquelle la « grâce suffisante » est offerte par Dieu à tous les hommes, qui sont libres de l’accepter pour en faire une « grâce efficace » (1588). Cette thèse provoque un tollé parmi les tenants de l’augustinisme et du thomisme (tels les dominicains). Dans un premier temps, la papauté semble vouloir en discuter le bien-fondé, puis, devant la violence des affrontements, Paul V (1605/1621) ordonne de ne rien publier en ces matières. Les Français, engagés dans les guerres civiles, se sont peu intéressés au débat, pensant, comme François de Sales, qu’il vaut mieux faire un bon usage de la grâce que d’en disputer. • Une branche du mouvement dévot. Au début du XVIIe siècle, deux amis, Cornelius Jansen, dit Jansénius, et Jean Duvergier de Hauranne, futur abbé de Saint-Cyran et futur secrétaire de Bérulle, étudient l’oeuvre de saint Augustin dans la perspective d’une controverse avec les calvinistes. Bérulle luimême, fondateur de la congrégation de l’Oratoire, un ordre en concurrence directe avec les Jésuites, est alors le principal représentant du parti dévot, le défenseur d’une politique de réforme catholique. Saint-Cyran devient le plus célèbre directeur de conscience de Paris. Il a en charge les moniales cisterciennes de Port-Royal et nombre de parlementaires dévots, opposés à la politique d’alliance de Richelieu avec les protestants d’Allemagne contre la catholique Espagne dans la guerre de Trente Ans. Le premier jansénisme s’inscrit donc dans un débat politique, et non strictement théologique. En 1637, le brillant avocat Antoine Lemaistre (1608-1658), neveu de la Mère Angélique Arnauld, abbesse de PortRoyal, se « retire » du monde et devient le premier des « solitaires », dévots laïcs soucieux de perfectionner leur âme dans la retraite et la pénitence. Richelieu, au contraire, souhaite mettre les forces catholiques au service de la monarchie et de la France, et décide de briser ce groupe d’opposition naissant. Il fait arrêter Saint-Cyran. Dans sa prison, celuici forme Antoine Arnauld (1612-1694). Ce jeune frère de la Mère Angélique Arnauld va devenir le meilleur théologien du jansénisme. Le parti janséniste, appuyé sur les milieux parlementaires, s’exprime plus ouvertement après la mort de Richelieu, en 1642, et de Louis XIII, en 1643. En dépit de la condamnation de l’Augustinus par le Saint-Office (1641), la polémique se développe. Les jé-
suites accusent les jansénistes de renouveler les erreurs de Calvin. Les jansénistes affirment leur fidélité à saint Augustin. L’ouvrage d’Antoine Arnauld, De la fréquente communion, connaît un grand succès en 1643. Il préconise de différer l’absolution et promeut la privation de communion comme moyen d’ascèse. Antoine Arnauld attaque les casuistes jésuites, les accusant de laxisme, c’est-à-dire de trop adapter les règles morales au monde. Or, Mazarin poursuit la politique de Richelieu. L’épiscopat, inquiet du développement de la polémique, en appelle à Rome ; en 1653, le pape Innocent X condamne les « Cinq Propositions » de l’Augustinus, mais qui ne sont pas attribuées de manière explicite à Jansénius. La condamnation est entérinée par les assemblées du clergé de 1654 et de 1655, et Arnauld, exclu de la Sorbonne en 1656. Le jansénisme trouve alors un brillant polémiste, dont l’anonymat ne sera percé qu’en 1659, Blaise Pascal, mais le succès public des Provinciales (1656-1657) n’empêche pas une nouvelle condamnation pontificale des « Cinq Propositions » en 1656. Arnauld décide alors de distinguer le droit et le fait : sur le droit, c’est-à-dire sur l’hérésie des « Cinq Propositions », il considère légitime la position papale ; sur le fait, c’est-à-dire sur la présence comme telles des propositions dans l’Augustinus, il affirme que le pape s’est trompé et préconise le silence respectueux à son égard. • La persécution étatique. Le loyalisme des jansénistes paraît douteux à Louis XIV. En 1657, l’assemblée du clergé impose donc à tous les ecclésiastiques la signature du Formulaire affirmant que les « Cinq Propositions » se trouvent bien dans l’Augustinus et les condamnant. Mais les religieuses de Port-Royal refusent de signer ; la persécution commence. En 1664, douze religieuses récalcitrantes sont exilées dans d’autres couvents, et la communauté, qui est privée de sacrements, finit par céder. Mais Port-Royal gagne les sympathies de l’opinion publique. Quatre évêques, dont Henri Arnauld et Nicolas Pavillon, décident d’en appeler à Rome. Les négociations aboutissent enfin à la Paix de l’Église (1668). Mais, dès 1675, la polémique reprend, et Antoine Arnauld s’exile aux PaysBas en 1679 ; il est rejoint en 1685 par un érudit connu, l’oratorien Pasquier Quesnel, qui publie, en 1695, le Nouveau Testament en français avec des réflexions morales sur chaque verset. Quesnel est un augustinien modéré, mais très influencé par le richérisme, du nom du
gallican Edmond Richer, qui soutenait en 1611 que le dépôt de la foi est confié non pas au Saint-Siège et à la hiérarchie seuls mais à tout le corps des fidèles. Cela revient à dire qu’une vérité dogmatique ne peut s’imposer que si elle est acceptée par l’ensemble des croyants. Les Réflexions morales provoquent un intense débat, auquel prennent part Fénelon et Bossuet. En 1701, un curé auvergnat soumet à la Sorbonne un cas de conscience : peut-on absoudre un pénitent qui, sur le « fait » (c’est-à-dire l’attribution des « cinq propositions » à Jansénius), refuse d’aller plus loin que le silence respectueux ? Si la majorité des docteurs répond par l’affirmative, le SaintOffice, lui, condamne cette position. L’archevêque de Paris et la Sorbonne elle-même reculent. Cependant, la polémique est relancée. Quesnel est arrêté à Bruxelles, en 1703, à la demande du roi de France ; il réussit à s’évader mais ses papiers démontrent l’existence d’un réseau janséniste organisé. Louis XIV obtient donc une nouvelle condamnation par Rome (1705). Les vingt religieuses de PortRoyal des Champs ayant refusé de la signer sans clause restrictive, il ordonne, en 1709, la dispersion de la communauté et la destruction du couvent. Sous l’impulsion de Fénelon, les Réflexions morales sont condamnées par un bref pontifical en 1708 ; mais la décision divise l’épiscopat. En 1713, Louis XIV obtient donc du pape Clément XI la bulle Unigenitus, qui anathématise cent une propositions choisies dans l’oeuvre de Quesnel de façon à constituer une sorte de résumé de la doctrine janséniste. Toutefois, la bulle rencontre une vive résistance, tant dans les milieux parlementaires que parmi les évêques. À l’assemblée du clergé de 1714, huit évêques se joignent à Louis de Noailles, archevêque de Paris, pour demander des explications au Saint-Siège sur le sens des propositions condamnées. Les évêques sont relégués dans leur diocèse mais le mouvement, renforcé par un grand nombre d’écrits polémiques, ne cesse de prendre de l’ampleur. Louis XIV s’apprête à convoquer un concile national avec l’approbation, du bout des lèvres, de Rome quand la mort le surprend, le 1er septembre 1715. • Une mentalité collective. Le Régent, Philippe d’Orléans, a besoin du parlement pour gouverner ; il favorise d’abord les jansénistes, downloadModeText.vue.download 487 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
476 malgré la désapprobation du pape. Le 5 mars 1717, quatre évêques déposent en Sorbonne un acte notarié par lequel ils en « appellent » à un concile général pour condamner la bulle Unigenitus. Dans les mois qui suivent, ils sont soutenus par près de 3 000 ecclésiastiques « appelants » (soit 3 à 4 % du clergé). Débordé par la situation, le Régent revient sur sa décision, avec l’appui des papes Clément XI (1700/1721) et Innocent XIII (1721/1724) ; mais il ne réussit qu’à créer une mentalité de persécution et de martyre parmi les récalcitrants. Sous le règne de Louis XV, en 1730, la bulle Unigenitus devient une loi du royaume ; les bénéfices dont les titulaires n’auraient pas signé le formulaire sont déclarés vacants. Dès lors, le parti lui-même disparaît, mais non l’esprit de résistance, renforcé par une persécution injuste, et qui s’exprime brillamment et bruyamment dans le périodique les Nouvelles ecclésiastiques, qui paraît clandestinement de 1728 à 1803. La mentalité de minorité persécutée s’exprime aussi dans l’attente eschatologique, dans le recours au merveilleux et au miracle, considérés comme le jugement de Dieu. Les manifestations les plus célèbres de cette eschatologie sont, à Paris, le miracle de la paroisse Sainte-Marguerite, dont le curé était « appelant », et l’épisode des convulsionnaires du cimetière de Saint-Médard, qui provoque une véritable « épidémie » de convulsions en province. Vers 1749, nombre d’évêques, avant de donner l’absolution, exigent des mourants un billet de confession attestant qu’ils reçoivent la bulle Unigenitus, d’où de nouvelles polémiques. La situation s’apaise pourtant. En 1754, une déclaration royale impose le silence total sur ces controverses ; en 1756, le pape Benoît XIV met fin aux polémiques par un bref pacificateur. La loi du silence étant relativement respectée en France, dans la seconde moitié du siècle, le mouvement se développe plutôt aux Pays-Bas, où une petite Église schismatique s’est constituée à Utrecht en 1724, et en Toscane, où le grand-duc provoque un synode janséniste en 1786. Les actes de ce synode sont censurés par Pie VI, en 1794, dans la bulle Auctorem fidei. Les idées jansénistes et gallicanes sont désormais bannies du débat catholique. Durant la Révolution, si certains jansénistes sont un temps favorables à la Constitution civile du clergé, qui va dans le sens du richérisme, ils se divisent ensuite.
Au XIXe siècle, le jansénisme ne subsiste que dans un petit groupe de nostalgiques de PortRoyal ou comme mentalité religieuse sévère, hautaine et indépendante de tout pouvoir. Dans la langue elle-même, le mot est devenu synonyme de rigorisme moral, qui n’est pourtant pas l’aspect le plus caractéristique de ce mouvement. Celui-ci, en choisissant Dieu face à tous les autres pouvoirs, est d’abord un pionnier de la liberté absolue de la conscience. Jaucourt (Louis, chevalier de), écrivain (Paris 1704 - Compiègne 1780). Né dans une famille de noblesse protestante qui n’avait pas abjuré mais qui acceptait les formalités catholiques, Jaucourt choisit de faire ses études dans les pays gagnés à la Réforme, effectuant le « grand tour » des universités européennes, en étudiant la théologie, les langues, les mathématiques et la médecine à Genève, Cambridge, et Leyde, où il est reçu docteur en médecine en 1730. En 1734, il publie des Essais de théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l’homme, dans lesquels il présente la philosophie de Leibniz, et, parallèlement, travaille à la Bibliothèque raisonnée des ouvrages des savants (1728-1740). Mais c’est surtout son amitié avec Diderot, dont il devient l’un des plus féconds collaborateurs, qui détermine ses recherches ultérieures. Il fournit en effet à l’Encyclopédie un grand nombre d’articles, notamment scientifiques et philosophiques. S’il se considérait lui-même comme un ouvrier modeste de la république des lettres, il est loin d’être un simple polygraphe : sensibilisé par ses origines au dogmatisme et à l’intolérance, il s’engage en faveur d’une religion ouverte dans des articles qui ont été souvent censurés. l JAURÈS (JEAN). Sa mort tragique, le 31 juillet 1914, à la veille de la Première Guerre mondiale, a hissé Jean Jaurès, né le 3 septembre 1859, au rang de figure nationale, par-delà les clivages politiques. Nombre de rues, de places ou d’établissements scolaires portent le nom de ce combattant de la paix, défenseur des valeurs d’une République dont il voulait renforcer les armatures sociales. Caricaturé, peint ou statufié, cet athlète de la parole est une référence, un fédérateur mythique de la famille éclatée de la gauche. Rien de surprenant, dès lors, qu’accédant au pouvoir en 1981, François Mitterrand ait symboliquement choisi de se faire consacrer en s’inclinant au Panthéon devant cette mémoire sacrée du « peuple de gauche ».
L’ÉPANOUISSEMENT D’UN JEUNE INTELLECTUEL Jean Jaurès est né à Castres (Tarn), une ville marquée par la présence des militaires. Sa famille, qui appartient à la petite bourgeoisie urbaine, compte plusieurs officiers de haut rang et son frère cadet, Louis, deviendra amiral. Ses parents, soucieux d’élever leurs enfants dans la religion catholique (c’est à un prêtre qu’est confiée la première éducation de Jaurès), vivent chichement dans une petite ferme de six hectares, la Fédial, où les ont conduits quelques revers de fortune. Entré au collège en 1868, Jaurès s’y distingue par ses brillants résultats. Remarqué par un inspecteur général, il obtient une bourse d’internat en 1877. Il peut poursuivre ses études dans l’un des collèges les plus réputés de Paris : Sainte-Barbe. Les portes du lycée Louis-le-Grand, tout proche, lui sont ouvertes : il prépare dans cet établissement le concours d’entrée à l’École normale supérieure, auquel il est reçu premier (devant Henri Bergson) en juillet 1878, puis réussit l’agrégation de philosophie en juillet 1881. De l’automne 1881 à l’automne 1885, Jean Jaurès est professeur de philosophie au lycée d’Albi. À partir de 1883, il obtient, parallèlement, une charge pour un cours de philosophie à l’université de Toulouse. Il semble avoir ainsi décidé de se lancer dans une carrière universitaire : en 1882, il commence une thèse de doctorat, qu’il ne soutiendra en Sorbonne qu’en 1892, les circonstances de la vie l’ayant poussé vers d’autres voies. LES PREMIERS PAS POLITIQUES Durant ses études à l’École normale, Jaurès s’est passionné pour la vie politique et pour la République naissante. Il soutient alors l’oeuvre de Léon Gambetta et de Jules Ferry. Fermement républicain, il ignore tout des socialistes. Encouragé par des proches, il accepte d’être candidat sur la liste des républicains du Tarn pour les élections législatives de 1885. Il est élu dès le premier tour, le 4 octobre, obtenant plus de voix que le baron René Reille, grand propriétaire et personnalité influente. Commence dès lors une carrière politique. Cette situation avantageuse, qui fait de lui l’un des hommes d’avenir du parti républicain, lui permet d’épouser, en juin 1886, Louise Bois, fille catholique d’un marchand de fromages
en gros. À la Chambre, il se trouve vite mal à son aise. En effet, aucune des familles politiques existantes ne lui convient vraiment. Son action parlementaire et ses articles publiés dans la Dépêche (de Toulouse), à laquelle il collabore une fois par semaine à partir de janvier 1887, le montrent sensible au malaise social qui hante la République. Ni les « opportunistes », ces républicains modérés, ni les « radicaux », plus à gauche, ne lui semblent apporter de réponses aux inégalités flagrantes. Et les quelques rares députés socialistes qu’il rencontre à la Chambre le heurtent par leur violence. Le boulangisme lui paraît être une menace pour la République et ne l’attire donc pas un instant. Battu aux élections législatives de septembre 1889, qui se déroulent au scrutin uninominal, Jaurès retourne à ses études de philosophie et développe ses réflexions métaphysiques, bientôt rassemblées dans sa thèse De la réalité du monde sensible. À l’un de ses détracteurs, le journaliste Urbain Gohier, qui lui reprochera, plus tard, d’avoir soutenu dans cette thèse que « la conscience humaine a besoin de Dieu », Jaurès répondra, en octobre 1901, qu’il a tenté « de concilier le panthéisme idéaliste de Spinoza et le panthéisme réaliste de Hegel. Et M. Gohier oubliant que c’est là un effort de la pensée libre et qui ne relève que de la raison, me conteste le droit d’écrire que je suis affranchi de toute religion et de tout dogme ». Dans les années 1880, Jaurès lit les grands textes socialistes du XIXe siècle : ceux de Louis Blanc, Benoît Malon, Proudhon, Marx et Lassalle. Dans ce cheminement personnel, il est accompagné par le bibliothécaire socialiste de l’École normale, Lucien Herr, excellent connaisseur de la philosophie allemande. Ces lectures nourriront sa thèse latine sur les Origines du socialisme allemand. La découverte que fait Jaurès du socialisme n’est pas seulement intellectuelle. En janvier 1886, il participe, à Saint-Étienne, au congrès des mineurs de France et s’intéresse aux aspects techniques de la question sociale, notamment à l’organisation de caisses de retraite. À la Chambre, il est membre de la Commission des mines, et intervient à plusieurs reprises sur les problèmes touchant à la condition ouvrière. Élu conseiller municidownloadModeText.vue.download 488 sur 975
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477 pal de Toulouse en juillet 1890, adjoint au maire chargé de l’instruction publique, il a souvent l’occasion de rencontrer les ouvriers, à la Bourse du travail ou dans les quartiers populaires qu’il doit visiter. Il est profondément marqué par la fusillade de Fourmies, le 1er mai 1891. Une nouvelle étape est franchie en mars 1892, lors d’une longue discussion qu’il a avec le leader socialiste Jules Guesde. Une importante grève des mineurs de Carmaux (16 août-3 novembre 1892) le pousse à achever son évolution ; il s’engage alors dans le mouvement socialiste. À partir de la fin août, il mène en effet une vigoureuse campagne en faveur des mineurs dans les colonnes de la Dépêche. Un ouvrier, Jean-Baptiste Calvignac, est élu maire de Carmaux, mais son patron, qui est aussi député, le marquis de Solages, lui refuse un congé pour exercer son mandat, avant de le licencier. Devant le tour retentissant que prend l’affaire, Solages démissionne de son siège de député. Les cercles socialistes demandent alors à Jaurès de se porter candidat et de souscrire au programme du parti guesdiste. Désormais socialiste déclaré, Jaurès est élu au second tour et sera réélu dans la même circonscription aux élections générales d’août 1893 dès le premier tour. L’AFFIRMATION D’UN LEADER SOCIALISTE C’est dans les dernières années du XIXe siècle que la pensée socialiste de Jaurès s’épanouit vraiment. Fermement attaché aux valeurs de la République, telles que la Révolution française les a promues, le socialisme jaurésien n’est pas dépourvu d’autres apports. Tout en refusant toute espèce d’économisme, qui réduirait la vie de l’homme à son activité de producteur, Jaurès, l’humaniste, engage un long dialogue avec les idées de Marx, qui lui paraissent constituer une critique pertinente du capitalisme. Socialiste d’aucun parti, il accepte de collaborer avec toutes les « sectes » qui composent le socialisme français de la fin du XIXe siècle. Formidable orateur, il multiplie les conférences et mène de front, jusqu’à la fin de sa vie, activité militante et réflexion intellectuelle. Sa place dans le socialisme organisé est devenue telle qu’il est appelé par les ouvriers verriers de Carmaux, qui, le 31 juillet 1895, déclenchent une grève par solidarité avec des syndicalistes licenciés. Les autorités s’efforcent de briser le mouvement - très dur -, que Jaurès soutient. L’inflexibilité du patron de la verrerie, Rességuier, qui a prononcé le lockout, conduit le député socialiste à défendre
l’idée de créer une verrerie coopérative. Jaurès s’emploie à réunir les fonds nécessaires. Mais cette initiative lui aliène finalement une partie de son électorat : les verriers mais aussi de nombreux petits commerçants, jusqu’aux mineurs de Carmaux sont blessés par le choix du site d’Albi pour cette verrerie, qui fait reculer le prestige de Carmaux comme citadelle ouvrière. Cette expérience le convainc de la nécessité d’allier les trois modes d’action dont dispose, à ses yeux, le prolétariat : parlementaire, syndical et coopératif. C’est cette ligne qu’il défend au Ier congrès de la IIe Internationale auquel il participe, à Londres, en 1896 (il deviendra ultérieurement membre du Bureau socialiste international - BSI -, l’organe dirigeant de l’Internationale). L’affaire Dreyfus achève de lui conférer la stature d’un socialiste d’envergure et lui attire des haines tenaces. Jaurès a d’abord gardé le silence, car il n’est pas, dans un premier temps, assuré de l’innocence de Dreyfus ; le 27 novembre 1897, il écrit ainsi : « Que Dreyfus soit ou non coupable, je n’en sais rien et nul ne peut le savoir puisque le jugement a été secret. » Mais le déroulement du procès Zola (février 1898), dans lequel il comparaît comme témoin de moralité, et les réactions antisémites de la foule l’encouragent à s’engager dans le combat dreyfusard. Après sa défaite aux élections législatives de mai 1898, il n’a d’ailleurs plus personne à ménager. Il retrouve ses amis de l’École normale, parmi lesquels Lucien Herr, et de jeunes normaliens tels que Charles Péguy, très engagés dans un combat dreyfusard dont il devient vite l’une des voix majeures, même s’il lui faut s’opposer à de nombreux socialistes (guesdistes ou socialistes indépendants), pour qui l’Affaire ne concerne en rien le prolétariat et qui lui demandent d’agir en son seul nom. Son action est décisive. Il consacre à la défense de Dreyfus plusieurs meetings et parvient à obtenir des organisations socialistes une attitude plus bienveillante à l’égard de cette cause en réunissant, en octobre 1898, un Comité de vigilance socialiste, qui devient, en janvier 1899, un Comité d’entente. Plus encore, il publie, du 9 août au 20 septembre 1899, une série d’articles dans lesquels, faisant oeuvre d’historien du temps présent, il démontre, avec une grande méticulosité, l’innocence de Dreyfus. Ces textes sont réunis en un volume, les Preuves, qui constitue aussitôt l’un des grands ouvrages dreyfusards. Ni le procès de Rennes, auquel il assiste, ni la grâce présidentielle accordée à Alfred Dreyfus, solu-
tion à laquelle il a fini par se rallier, ne mettent un terme à son action dreyfusiste. Revenu à la Chambre lors des élections législatives d’avril 1902, et pour ne plus la quitter, il tente en vain de relancer l’Affaire afin d’obtenir la réhabilitation du capitaine. L’affaire Dreyfus n’est pas la seule cause à occuper l’esprit et à motiver l’action de Jaurès durant ces années. Ce combat est aussi, à ses yeux, un moyen susceptible de faire avancer l’unité des socialistes, toujours séparés en groupes et partis rivaux. L’union commence à s’affirmer lors d’un congrès général des organisations socialistes, réuni à Paris en décembre 1899, au gymnase Japy, et auquel Jaurès prend une part considérable. Lors de ce congrès est constitué un parti socialiste, certes sous la forme d’une organisation encore très lâche, mais qui est une promesse d’avenir. Pourtant, les désaccords sont grands, qui opposent Jaurès aux guesdistes notamment (illustrés par une célèbre controverse publique avec Jules Guesde, à Lille, le 16 novembre 1900, et connue sous le nom des « deux méthodes »). Le principal sujet de discorde est alors le « cas Millerand », c’est-àdire la question de la participation du socialiste Alexandre Millerand au gouvernement modéré de Pierre Waldeck-Rousseau. Au congrès de Lyon (mai 1901), Jean Jaurès parvient à faire rejeter une condamnation de Millerand, mais ses adversaires guesdistes quittent le parti pour créer leur propre formation : le Parti socialiste de France. Jaurès, au reste affaibli par une polémique relative à la communion solennelle de sa fille Madeleine, est contraint de créer son propre parti : le Parti socialiste français. L’unité est, une nouvelle fois, remise à plus tard. LE POLITIQUE ET L’INTELLECTUEL Depuis l’été 1898, Jaurès a en outre entrepris une oeuvre intellectuelle d’envergure. Sur la demande de l’éditeur populaire Jules Rouff, il a en effet accepté de diriger une vaste Histoire socialiste de la France, livrée en fascicules, et dont il rédige les premiers volumes, consacrés à la Révolution française. Ses ouvrages sortent des presses en février 1900. Jaurès les a placés sous la triple tutelle de Marx, de Michelet et de Plutarque. En décembre 1903 est créée, sur sa demande, une commission chargée de recenser et de publier les documents relatifs à la vie économique sous la Révolution française. Il la présidera jusqu’à sa mort.
Si Jaurès reste donc un intellectuel, il est également très présent dans la vie politique de la République. En janvier 1903, il est même élu vice-président de la Chambre des députés, dominée par le Bloc des gauches, ce qui contraint ce socialiste, habituellement peu soucieux de son image vestimentaire, à porter la redingote ! Situation parfois bien incommode, au-delà du seul port de l’habit, lorsqu’il s’agit de soutenir le gouvernement d’Émile Combes. Si Jaurès souscrit en effet à la politique laïque de celui-ci, il désapprouve la répression des mouvements sociaux et la politique étrangère conduite par Théophile Delcassé, qui fait de la Russie tsariste, particulièrement répressive à l’égard des Arméniens, une alliée privilégiée contre l’Allemagne. En janvier 1904, il est battu lors du renouvellement de la vice-présidence de la Chambre. Il se trouve également affaibli par la diminution des effectifs de son parti et par la perte d’une tribune importante : il quitte en effet la Petite République, journal socialiste dont les pratiques publicitaires ont fini par le heurter. Il décide alors de préparer avec ses amis normaliens (Lucien Herr, Lucien LévyBruhl, Léon Blum, etc.) le lancement d’un nouveau quotidien socialiste : l’Humanité. Le premier numéro paraît le 18 avril 1904. LES COMBATS DE JAURÈS La création de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) en avril 1905 ne s’est pas réalisée sur des bases politiques jaurésiennes. Jaurès ne fait d’ailleurs même pas partie de son organe dirigeant, la Commission administrative permanente. En butte aux attaques des guesdistes, mais également d’autres tendances de la SFIO, il apparaît un temps comme bien isolé. En 1906, il doit en outre accepter un contrôle du parti sur son journal, l’Humanité, en grandes difficultés financières, mais dont il reste le directeur. Il reprend le dessus lors du congrès de la SFIO qui se tient à Toulouse (octobre 1908), en faisant adopter une motion de synthèse selon laquelle il n’y a pas d’opposition entre l’esprit révolutionnaire et l’action réformiste. Il triomphe ainsi des guesdistes, et son indownloadModeText.vue.download 489 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 478 fluence ne cesse alors de grandir auprès de
ses camarades comme au sein de l’Internationale. À chaque congrès, il réussit à entraîner la majorité de son parti, comme il parvient à le faire, par exemple, en février 1910, au sujet des retraites ouvrières, même s’il critique certaines insuffisances de cette mesure sociale. Il prend des positions fermes : en faveur du droit de vote des femmes, pour l’autonomie syndicale après la charte d’Amiens ou contre la peine de mort. L’attention qu’il porte à la politique étrangère le conduit à s’engager en faveur des révolutionnaires de nombre de nations : en Russie comme en Espagne, en Hongrie comme en Inde. De juillet à octobre 1911, il entreprend une grande tournée de conférences en Amérique du Sud (Brésil, Uruguay, Argentine), durant laquelle il renforce sa vision pluraliste du monde. Il s’inquiète de la guerre italo-turque (1911-1912) en Cyrénaïque et en Tripolitaine, et prône un rapprochement avec l’Islam par l’intermédiaire d’une Turquie qui, pense-t-il, sera bientôt modernisée, grâce à l’action des Jeunes-Turcs. Par ailleurs, Jaurès ne cesse de dénoncer les excès, parfois meurtriers, de la colonisation, sans pour autant plaider pour l’indépendance des pays colonisés ni renoncer à croire que la République française peut être facteur de progrès dans ces derniers. Au-delà de son action en faveur de la justice sociale, la grande affaire de Jaurès reste son combat contre tous les périls de la guerre. Patriote, il n’hésite pas à s’engager aux côtés des antimilitaristes quand la pression chauvine se fait trop forte. En décembre 1905, il est témoin à décharge lors d’un procès intenté à des antimilitaristes. En novembre 1906, au congrès de Limoges, il rallie les signataires de la motion de la Seine qui préconise contre la guerre l’emploi de tous les moyens, y compris la grève générale et l’insurrection. Ses positions en la matière déchaînent contre lui la vindicte des modérés comme des radicaux. En novembre 1910, il dépose un projet de loi, précédé d’un long préambule qui constitue un véritable ouvrage, visant à organiser une « armée nouvelle ». Il tente ainsi de réagir aux tensions grandissantes qui risquent de conduire l’Europe vers la catastrophe. Membre de la Commission de l’armée, frère, cousin et neveu d’officiers, Jaurès s’est bien informé et a profité des conseils d’un groupe d’officiers socialistes et républicains. L’« armée nouvelle », telle qu’il la conçoit, est une armée de citoyens, formée de milices et de réservistes. Il défend en outre une politique extérieure strictement pacifique, récusant toute agressivité (même pour récupérer l’Alsace et la Lorraine).
La guerre qui s’est déclenchée dans les Balkans en 1912 le pousse à réclamer la convocation d’un congrès extraordinaire de l’Internationale. Celui-ci a lieu en novembre dans la cathédrale de Bâle, en présence de 6 000 militants venus du monde entier. Jaurès, qui y prononce un discours retentissant, est l’un des auteurs de la résolution qui « déclare la guerre à la guerre ». Désormais, le leader socialiste va redoubler d’efforts pour s’opposer à tout ce qui est susceptible d’entretenir un climat de tensions. Il prend ainsi la tête de la campagne contre le projet de loi déposé à la Chambre par l’ancien socialiste Aristide Briand, et qui étend la durée du service militaire de deux à trois ans. Pour Jaurès, cette « loi de trois ans » menace la République et affaiblit la Défense nationale. Les meetings se multiplient, notamment au Pré-Saint-Gervais. Le 25 mai 1913, Jaurès y prononce un discours devant 150 000 personnes, parmi lesquelles de nombreux adhérents de la CGT, syndicat qui s’est rapproché de la SFIO pour s’opposer à cette loi. En dépit du ralliement de quelques radicaux à ce combat, dont le nouveau président du Parti radical, Joseph Caillaux, la loi est finalement votée. Les élections législatives d’avril-mai 1914 sont pourtant une victoire pour la gauche. Les socialistes, au nombre de 103 à la Chambre, gagnent une trentaine de sièges par rapport aux élections de 1910. On évoque alors la possibilité d’un gouvernement dirigé par Caillaux, avec Jaurès au Quai d’Orsay. Mais le président Poincaré désigne le socialiste indépendant René Viviani comme président du Conseil, et ce dernier est investi par la Chambre. Si Jaurès est le chef incontesté - et aimé - du mouvement ouvrier, il est l’homme le plus détesté des nationalistes, la cible favorite des attaques de Charles Maurras, qui l’appelle « Herr Jaurès », ou de Charles Péguy (qui a dit en 1911 : « Dès la déclaration de guerre, la première chose que nous ferons sera de fusiller Jaurès. Nous ne laisserons pas derrière nous ces traîtres pour nous poignarder dans le dos »). La montée des tensions internationales - l’assassinat de l’archiduc d’Autriche à Sarajevo, le 28 juin 1914, et, surtout, l’ultimatum de l’Autriche à la Serbie, le 25 juillet - provoque chez Jaurès une activité fébrile pour tenter d’enrayer l’engrenage d’une guerre devenue presque inéluctable. Le 29 juillet, il est à Bruxelles afin de participer à une réunion du Bureau socialiste international. De retour
à Paris, le lendemain, il rencontre Malvy, le ministre de l’Intérieur, pour le presser d’agir. Le 31, il s’entretient avec le sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Abel Ferry, qu’il accable de ses reproches. Se rendant aux bureaux de l’Humanité après cet échange tendu, il s’apprête à rédiger un article dénonçant les responsables de la guerre qui s’annonce. Raoul Villain, pauvre jeune homme à la tête pleine de mots d’ordres chauvins, ne lui en laisse pas le temps. Il tire sur Jaurès au Café du Croissant. Les obsèques de Jean Jaurès, le 4 août, se déroulent pourtant dans un climat d’« union sacrée ». Dès le 1er septembre 1914, la Guerre sociale, journal de Gustave Hervé qui avait été longtemps résolument antimilitariste, titre : « Défense nationale d’abord ! Ils ont assassiné Jaurès ! Nous n’assassinerons pas la France ! » Il faut attendre 1919 pour qu’ait lieu le procès de l’assassin de Jaurès, qui est d’ailleurs acquitté alors que Mme Jaurès, partie civile, est condamnée aux dépens. Jean Jaurès est cependant entré dans la légende de la République : le 23 novembre 1924, le Cartel des gauches, dominé par les radicaux, fait transférer au Panthéon le corps du socialiste Jaurès, militant éminent de la paix, et de l’antinationalisme. Jean II, duc de Bourbon de 1456 à 1488 (1426 - Moulins 1488). Fils aîné du duc Charles Ier de Bourbon et d’Agnès de Bourgogne, il s’illustre dans l’armée de Charles VII au cours des batailles qui, de 1450 à 1453, mettent un terme à la guerre de Cent Ans. Bénéficiant de la confiance royale, il est nommé lieutenant général en Guyenne en 1452, titre qui lui sera retiré par Louis XI dès son avènement, en 1461. C’est probablement l’une des raisons qui conduisent Jean II à prendre part, en 1465, à la guerre que livre la ligue du Bien public au roi. Ce dernier, divisant ses adversaires pour mieux les vaincre, comble le duc de Bourbon d’honneurs, tant que dure la lutte contre le duc de Bourgogne. Jean II se voit ainsi confier des missions diplomatiques. En outre, il est fait gouverneur de Languedoc à partir de 1466, tandis que son frère, Pierre de Beaujeu, épouse Anne, fille aînée du roi, en 1474. Après 1477, le roi, pour neutraliser la puissance bourbonnaise, contraint Jean II à céder à Pierre de Beaujeu une grande partie de ses terres. À l’avènement de Charles VIII, le duc de Bourbon est fait connétable à l’instigation d’Anne de Beaujeu, devenue régente. Quand Jean II meurt, le 1er avril 1488, le duché du
Bourbonnais, qui a résisté aux efforts de démembrement de la royauté, revient à Pierre de Beaujeu, seul héritier malgré les trois mariages de son frère. Le duc de Bourbon entretient à Moulins une cour brillante, accueillant peintres, sculpteurs et poètes, tel François Villon, qui lui dédie sa ballade du Coeur d’amour épris. Jean II le Bon ou le Brave, roi de France de 1350 à 1364 (château du Gué de Maulny, près du Mans, 1319 - Londres 1364). Il ne devient héritier de la couronne qu’en 1328, lorsque la branche directe des Capétiens étant éteinte, son père, Philippe de Valois, accède au trône de France sous le nom de Philippe VI. Celui-ci l’initie alors à son futur métier : il le nomme duc de Normandie, le fait participer au Conseil, lui confie l’armée de Bretagne en 1341, et celle de Guyenne en 1346. Le siège d’Aiguillon l’empêche de participer à la bataille de Crécy (26 août 1346), où les Français sont battus. Son père le charge aussi de diverses négociations - notamment celle qui permet l’union du Dauphiné à la couronne, ou celle qui aboutit, en 1347, à une alliance avec l’empereur Charles de Luxembourg, son beau-frère (Jean a épousé, en 1333, Bonne de Luxembourg). Quand il devient roi de France en août 1350, Jean II possède donc une certaine expérience militaire et diplomatique. On le surnomme « le Bon » en raison de sa générosité, de son goût pour le faste et de sa bravoure aux armes. Roi très instruit, il est, cependant, selon le témoignage de Froissart, trop souvent indécis et facilement influençable. En outre, il peut avoir des réactions brutales : c’est lui qui décide ainsi de faire exécuter Raoul de Brienne, son connétable. Il connaît par ailleurs de nombreux démêlés avec son gendre, le roi de Navarre Charles le Mauvais, qu’il fait incarcérer en 1356. downloadModeText.vue.download 490 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 479 Son règne, qui s’inscrit dans le contexte de la guerre de Cent Ans, est marqué par la reprise des hostilités avec les Anglais et par la grande peste de 1348. Jean II tente, par par le biais de deux ordonnances, en 1351 et 1353, de mieux organiser l’armée en pratiquant un contrôle permanent des effectifs et de l’armement. Pour s’attacher l’élite de la chevalerie, il crée, le 6 novembre 1351, l’ordre de l’Étoile.
Mais, en 1356, lors de la bataille de Poitiers (19 septembre), fait prisonnier par le Prince Noir, fils du roi d’Angleterre, il est emmené en captivité près de Londres. Il y jouit d’un régime de semi-liberté, pouvant s’adonner à la chasse et participer à des réceptions, alors que son fils (le futur Charles V), régent en France, doit faire face à la révolte parisienne d’Étienne Marcel en 1358. Souhaitant mettre fin rapidement à sa captivité, il négocie en 1359 un traité (les préliminaires de Londres) qui offre à l’Angleterre toute la moitié ouest du royaume. Ces conditions sont refusées par le dauphin et par les états généraux. Finalement, le 8 mai 1360, les préliminaires de paix de Brétigny sont signés : pour sa libération, le roi doit payer une rançon de 3 millions d’écus et accorder à l’Angleterre, en pleine souveraineté, toute la France du Sud-Ouest. Des otages sont envoyés pour garantir le respect du traité, mais, en 1363, Louis d’Anjou, l’un des fils du roi, s’échappe. Considérant cette fuite comme une faute contre l’honneur, Jean le Bon décide de prendre sa place et arrive en janvier 1364 en Angleterre, où il meurt le 8 avril. Jean IV le Vaillant, duc de Bretagne de 1345 à 1399 (1339 - Nantes 1399). Fils de Jean de Montfort et de Jeanne de Flandre, il est élevé à la cour du roi d’Angleterre Édouard III, en raison des troubles qui suivent la mort de son oncle Jean III, duc de Bretagne. En effet, ce dernier a laissé à sa mort, en 1341, deux héritiers possibles : sa nièce Jeanne de Penthièvre, mariée à Charles de Blois (neveu du roi de France Philippe VI), et son demi-frère Jean de Montfort, époux de Jeanne de Flandre. À la guerre entre les deux prétendants succède une « guerre des deux Jeannes », que clôt la trêve de Malestroit, en 1343. Jeanne de Flandre ayant cherché refuge et soutien auprès d’Édouard III contre Charles de Blois, la guerre de la Succession de Bretagne s’insère dans la guerre de Cent Ans. Pendant vingt ans, des combats opposent les Anglais aux hommes de Jeanne de Penthièvre. La guerre prend un tour nouveau lorsque Jean IV investit le théâtre des hostilités et remporte, le 29 septembre 1364, la bataille d’Auray, où périt Charles de Blois. Quelques mois plus tard, en 1365, le traité de Guérande met fin au conflit : Jean IV de Montfort détient la couronne ducale, tandis que Jeanne de Penthièvre conserve les biens lui venant de ses parents - Penthièvre et Limoges. Très anglophile, nouant en 1372 une
alliance avec Édouard III, Jean IV s’oppose au roi de France Charles V, qui riposte en envoyant en Bretagne, où le duc est impopulaire, une armée conduite par du Guesclin. Jean IV trouve alors refuge en Angleterre ; en 1378, ses terres sont confisquées pour cause de félonie, mais les barons bretons, hostiles à cette ingérence, rappellent Jean IV en 1379. La paix est scellée avec le nouveau roi de France Charles VI au second traité de Guérande, en 1381. Cependant, un conflit oppose le connétable de France Olivier de Clisson et le duc de Bretagne. Élevés ensemble à la cour d’Édouard III, les deux hommes se détestent, Clisson reprochant à Jean IV d’être trop proche des Anglais. Le duc tente de faire assassiner le connétable, ce qui conduit Charles VI à mener contre Jean IV l’expédition punitive au cours de laquelle le roi est frappé d’une première crise de folie, en 1392. Durant les dernières années de son règne, Jean IV répare des errements anciens : en 1395, il se réconcilie avec Clisson et, en 1397, à la faveur de la paix franco-anglaise, il rachète Brest, qu’il avait vendu aux Anglais en 1378. À sa mort, il transmet à son fils Jean V un duché très puissant. Jean V, comte d’Armagnac de 1450 à 1473 (1420 - Lectoure 1473). Fils de Jean IV d’Armagnac et d’Isabelle de Navarre, il est vicomte de Lomagne - titre porté par les héritiers d’Armagnac -, puis comte d’Armagnac et de Rodez à la mort de son père. Petit-fils de Bernard VII d’Armagnac, dont le parti a soutenu le dauphin Charles contre les Bourguignons, Jean V jouit d’un certain prestige, rehaussé par ses exploits militaires contre les Anglais dans l’armée de Charles VII. Il incarne aussi les survivances féodales de la fin du XVe siècle : il usurpe des droits régaliens - se prétendant comte « par la grâce de Dieu » - et revendique le comté de Comminges, qui appartient aux comtes de Foix. Tout cela entraîne sa brouille avec Charles VII et lui vaut d’être jugé en parlement. Son mariage avec sa propre soeur Isabelle, au prix de fausses bulles pontificales, aggrave la sanction : Jean V est banni et ses biens sont confisqués en 1460. Dès son avènement en 1461, Louis XI se réconcilie avec les princes condamnés par son père, et le procès de Jean V est révisé en octobre. Pourtant, le comte d’Armagnac
reprend les armes en 1465 contre le roi, dans les rangs de la ligue du Bien public, coalition des princes contre Louis XI, et complote avec les Anglais en 1470. Ses biens sont donc à nouveau confisqués. Il bénéficie de la protection du frère de Louis XI, Charles de France, duc de Guyenne, mais, à la mort de ce dernier en 1472, Louis XI exige la soumission de l’Armagnac. Le comte est tué lors du siège de Lectoure. Son frère Charles se morfondra treize ans dans les geôles de Louis XI. Jean V le Sage, duc de Bretagne de 1399 à 1442 (château de l’Hermine, près de Vannes, 1389 - La Touche, près de Nantes, 1442). Fils de Jean IV de Bretagne et de Jeanne de Navarre, Jean V est, à 10 ans, l’héritier du plus grand fief du royaume après la Bourgogne. Marié dès 1397 avec Jeanne, fille de Charles VI, le jeune duc prête hommage au roi en 1404. Au début du XVe siècle, la Bretagne est livrée à des guerres locales entre marins bretons et soldats anglais. La situation se stabilise vers 1407, et, dès lors, le duc s’efforce surtout de ne pas s’engager dans la guerre de Cent Ans. C’est ainsi qu’à Azincourt (1415), les contingents bretons arrivent tardivement pour soutenir la chevalerie française. Jean V pratique une véritable politique de bascule entre la France et l’Angleterre, politique qui lui permet de s’affranchir de plus en plus de la tutelle royale : en 1418, il se dit « duc par la grâce de Dieu ». En 1423, il s’allie avec le duc de Bourgogne Philippe le Bon et avec le duc de Bedford contre le roi Charles VII. En 1440, il prend part à la Praguerie, révolte des princes contre la restauration du pouvoir monarchique. En outre, Jean V règle par la force le conflit qui oppose sa famille à celle de Clisson : Margot de Clisson ayant tenté par deux fois de l’assassiner, il confisque définitivement le comté de Penthièvre et met fin à toute querelle dynastique. Au cours de son règne, qui fut le plus long de l’histoire de la Bretagne, Jean V, grand seigneur pieux et mécène, a renforcé la puissance et l’indépendance de son duché. Jean XXII (Jacques Duèse ou d’Euze), principal pape de la période avignonnaise, qui règne de 1316 à 1334 (Cahors 1245 - Avignon 1334). Originaire du Quercy, Jacques Duèse reçoit une formation de juriste, et devient un fami-
lier du roi Charles II d’Anjou, comte de Provence et roi de Sicile de 1285 à 1309, dont il éduque le fils Louis d’Anjou. Il est ensuite évêque de Fréjus (1300), chancelier du royaume de Sicile (1308), puis évêque d’Avignon (1310), avant d’être difficilement élu au pontificat sous le nom de Jean XXII, le 7 août 1316, à Lyon, grâce aux pressions exercées sur le conclave par le roi de France Philippe V (1316/1322). Jean XXII décide d’installer la papauté en Avignon, une ville appartenant aux rois angevins de Naples, et située à proximité des États des rois de France et du Comtat Venaissin, lequel fait partie des États pontificaux. Il nomme des cardinaux presque tous originaires du midi de la France, enracinant ainsi pour longtemps le gouvernement de l’Église sur les bords du Rhône. Par ailleurs, il entreprend une politique de centralisation administrative, en créant de nouvelles institutions, en augmentant la fiscalité pontificale, et en exerçant un contrôle accru sur la collation des bénéfices dans toute la chrétienté. Enfin, il combat vigoureusement tous ceux qui dénoncent les excès de son pontificat, et qu’il considère comme rebelles à son autorité : l’empereur Louis de Bavière et ses partisans en Italie, les franciscains spirituels - tel Bernard Délicieux -, les béguins et béguines du Midi ou de Rhénanie. Ainsi, le gouvernement de Jean XXII est marqué à la fois par un renforcement de la monarchie administrative pontificale et par la collaboration croissante de la papauté avec les rois capétiens. Jean-Baptiste de La Salle (saint), fondateur des Frères des Écoles chrétiennes (Reims 1651 - Saint-Yon, près de Rouen, 1719). Né dans une famille bourgeoise et dévote de Reims, aîné de onze enfants, il est destiné très tôt à l’Église et reçoit, à 16 ans, une charge de downloadModeText.vue.download 491 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 480 chanoine de la cathédrale de cette ville. Devenu prêtre en 1678 après des études de théologie, il est conduit à diriger la fondation des soeurs du saint Enfant Jésus qui instruisent les petites filles pauvres. Dès 1679, il participe à la création d’écoles paroissiales pour jeunes garçons à Reims, puis dans le reste de la Champagne. S’inspirant des expériences menées à Lyon par Charles Démia et dans certaines paroisses parisiennes, ces écoles de charité ont pour but de dispenser aux enfants pauvres, outre une instruction élémentaire,
des notions de civilité accompagnées d’un enseignement quotidien du catéchisme. Leur fondateur prend rapidement conscience de l’importance de la formation des maîtres. À cet effet, il regroupe chez lui des laïcs vivant pauvrement et leur donne une règle commune, consacrant toute sa fortune à cette oeuvre. En 1684, les maîtres prennent le nom de « Frères des Écoles chrétiennes ». Souvent sollicité par les curés pour créer de nouveaux établissements, Jean Baptiste de La Salle abandonne son canonicat pour se consacrer à sa communauté, puis s’intalle, en 1688, dans la paroisse Saint-Sulpice à Paris où il poursuit son oeuvre d’éducateur. Mais, dans la capitale, ses initiatives se heurtent à l’opposition des maîtres écrivains, et il doit faire face à de nombreux procès. Il accepte cependant la création d’écoles en Languedoc et Provence dans le but de rallier d’anciens protestants. Parallèlement, il rédige de nombreux textes à finalité pédagogique comme les Règles de la bienséance et de la civilité chrétienne (1703), destinées à l’apprentissage de la lecture dans les écoles des Frères, et la Conduite des écoles chrétiennes (1720), où il définit ce que doit être la progression des enfants dans les matières enseignées ainsi qu’un emploi du temps minutieux organisé en fonction de l’enseignement quotidien du catéchisme. Retiré à Saint-Yon, près de Rouen, où il a fondé un séminaire, La Salle abandonne en 1717 sa charge de supérieur et se consacre à la rédaction d’ouvrages de spiritualité (Méditations). À sa mort, une cinquantaine d’écoles, dont une à Rome, sont tenues par environ cent Frères répartis en vingt-cinq communautés. Canonisé en 1900, le fondateur des lassaliens demeure la figure par excellence du pédagogue chrétien dans la France de l’époque moderne. Jean-Marie-Baptiste Vianney (saint), prêtre français et curé d’Ars (Dardilly, Rhône, 1786 - Ars-sur-Formans, Ain, 1859). Quatrième enfant d’une famille de cultivateurs, il grandit durant la Révolution dans la ferveur religieuse du catholicisme réfractaire, missionnaire et persécuté. Sommairement instruit, rétif à l’apprentissage du latin, il confie sa vocation au curé d’Écully, Charles Balley, prêtre rigoriste qui sera son maître spirituel. En 1809, il doit abandonner ses études pour rejoindre l’armée d’Espagne, déserte et se cache dans les monts du Forez. Remplacé sous les drapeaux par son frère, il est admis au séminaire Saint-Irénée de Lyon et ordonné
prêtre à Grenoble, en 1815. Il devient vicaire à Écully, auprès du curé Balley, afin de parfaire sa formation ecclésiastique. En février 1818, il est nommé chapelain du village d’Ars, dans la Dombe, où il demeurera jusqu’à sa mort, quarante et une années plus tard. La reconquête religieuse du village est le premier objectif du nouveau prêtre : à la manière du jeune clergé intransigeant de la Restauration, Jean-Marie-Baptiste Vianney réalise une conversion collective, sans écarts ni retours, impose le repos dominical, supprime les bals, organise des confréries, mène ses paroissiens en pèlerinage à Notre-Dame de Fourvière (1823). Cette pastorale rigoureuse est inséparable d’un témoignage religieux empreint de simplicité, de bonté, de ferveur et d’ascétisme, qui prend sens dans un affrontement dramatique avec le « grappin » (diable, en patois). La naissance du pèlerinage d’Ars s’enracine ainsi dans une aura précoce de sainteté. Dès 1823, le curé d’Ars prend part aux missions de la Restauration : il y gagne une réputation de confesseur. Après la révolution de Juillet 1830, il attire à lui de plus en plus de pèlerins. Il développe auprès de ses pénitents une piété à la fois indulgente et intransigeante, et répand le culte de sainte Philomène, importé d’Italie en 1835 par son amie Pauline Jaricot. Ars, dont le curé est honoré comme un saint vivant, constitue sans doute le premier pèlerinage français au coeur du XIXe siècle, rassemblant de 60 à 80 000 pèlerins par an dans les années 1850. Jean-Marie-Baptiste Vianney, qui a tenté par deux fois (1843 et 1853) de quitter sa paroisse pour se retirer dans la solitude, s’éteint au presbytère d’Ars, le 4 août 1859. Il est béatifié par Pie X en 1905 et canonisé par Pie XI en 1925. Jeanbon (André), dit Jean Bon Saint-André, conventionnel (Montauban 1749 - Mayence, Allemagne, 1813). Né dans une famille protestante convertie de force après la révocation de l’édit de Nantes mais continuant à pratiquer sa religion en secret, il entre au séminaire protestant de Lausanne en 1771 (après avoir été officier au long cours dans la marine marchande) et devient pasteur en 1773, date à laquelle il prend le pseudonyme de Saint-André. Il est nommé à Castres, puis à Montauban (1783). En 1789, il accueille favorablement la Révolution. Entré en 1790 au Club des jacobins de Montauban, qu’il préside en 1791, il est élu officier
municipal la même année, puis député à la Convention en 1792. D’abord relativement modéré, il rejoint vite la Montagne : lors du procès du roi, il vote ainsi contre l’appel au peuple, pour la mort, et contre le sursis. Le 12 juin 1793, il est élu au Comité de salut public, où il se consacre surtout à la marine. Envoyé en mission à Brest et à Lorient pour réorganiser la flotte, il épure le personnel naval et l’administration, nomme Villaret de Joyeuse à la tête de l’escadre, et fait construire de nouveaux navires de ligne. De retour à Paris en janvier 1794, il fait adopter différentes mesures concernant la réorganisation de la marine par le Comité de salut public et par la Convention. C’est ainsi qu’en février 1794, sur son initiative, la Convention décrète que « le pavillon national sera formé des trois couleurs nationales, disposées en trois bandes égales, posées verticalement de manière que le bleu soit attaché à la gauche du pavillon, le blanc au milieu et le rouge flottant dans les airs ». De nouveau à Brest en mai 1794, il est ensuite envoyé à Toulon en juillet pour relancer l’effort de guerre : il y reste neuf mois, et n’est donc pas à Paris le 9 thermidor an II. Arrêté le 9 prairial an III (28 mai 1795) comme membre du Grand Comité de l’an II, il est amnistié par la loi du 4 brumaire an IV (26 octobre 1795). Sous le Directoire, il est nommé consul général à Alger, puis à Smyrne, où il est arrêté par les Turcs lors de l’expédition de Bonaparte en Égypte. Revenu en France en 1801, il est nommé préfet du département du Mont-Tonnerre (préfecture : Mayence). Il est fait officier de la Légion d’honneur en 1804, baron en 1810, mais il ne reniera jamais la Révolution et le Comité de salut public. Il meurt du typhus, victime de son dévouement lors de l’épidémie survenue à Mayence en 1813. Jean Eudes (saint), missionnaire et fondateur d’ordres (Ri, Orne, 1601 - Caen 1680). Frère de l’historien François Eudes de Mézeray, ce fils de chirurgien est l’élève des jésuites de Caen, puis entre à la congrégation de l’Oratoire de Paris en1623, où il devient le disciple de Bérulle. Ordonné prêtre en 1625, il revient à Caen, où il est supérieur de l’Oratoire à partir de 1639. Directeur de conscience recherché et prédicateur célèbre, Jean Eudes attire les foules par son style simple et vivant. Il organise quelque cent quinze missions intérieures, de six à huit semaines chacune, ordonnées autour de la prédication et de la
catéchèse des adultes. Quarante-cinq d’entre elles ont pour cadre le diocèse de Coutances, en Normandie, mais Jean Eudes prêche aussi en Bretagne, en Île-de-France, en Bourgogne. Son oeuvre s’inscrit dans la volonté tridentine d’enraciner une foi orthodoxe mais qui parle à l’imagination. Soucieux, comme Bérulle, de former les curés, Jean Eudes quitte pourtant l’Oratoire en 1643 pour fonder à Caen la congrégation sacerdotale de Jésus-et-Marie (eudistes), vouée aux missions et à l’oeuvre des séminaires. En 1651, il crée l’ordre de NotreDame-de-la-Charité pour les pécheresses repenties. Influencée par Marie des Vallées, une paysanne visionnaire, sa spiritualité est marquée par la dévotion à Marie et au SacréCoeur ; il est le premier, en 1648, à organiser une liturgie en l’honneur du Sacré-Coeur qui ne prendra son essor qu’avec les visions de Marguerite-Marie Alacoque. Cet homme rude, d’une énergie inlassable, attira autour de sa personne fidèles mais aussi détracteurs, et ce n’est qu’en 1925 qu’il fut canonisé. Jeanne d’Albret, vicomtesse de Béarn, reine de Navarre de 1555 à 1572 (Pau 1528 - Paris 1572). Fille de Henri d’Albret, roi de Navarre, et de Marguerite d’Angoulême - soeur de François Ier -, Jeanne d’Albret cherche durant son règne à occuper une place importante dans le royaume de France et à allier son sang à celui de la dynastie royale. Ainsi, après un premier mariage avec le duc de Clèves, dont elle obtient l’annulation, elle épouse en 1548 Antoine de Bourbon héritier du trône de France downloadModeText.vue.download 492 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 481 après les fils de Henri II. De cette union naîtra le futur Henri IV. En 1560, elle se convertit au protestantisme et, en 1567, fait du Béarn un État protestant dont les catholiques sont exclus. Jeanne apparaît dès lors, avec Condé et Coligny, comme une des grandes figures du parti protestant. Pour contrecarrer son ascension, Charles IX confisque pour félonie les terres que Jeanne possède dans le royaume de France. Commence alors la troisième guerre de Religion entre les catholiques et les protestants de tout le Sud-Ouest, jusqu’à La Rochelle. Malgré deux grandes victoires catholiques (Jarnac et Moncontour), Charles IX, acculé, est obligé
de signer la paix de Saint-Germain (1570), dont une clause prévoit le mariage de Henri de Navarre avec Marguerite de Valois, soeur du roi. Cette union fait de Henri un des héritiers du trône de France et assure - en théorie - une paix durable. l JEANNE D’ARC. Héroïne nationale et sainte, Jeanne d’Arc jouit d’un double prestige dans la mémoire collective. L’imagerie populaire, les passions partisanes, l’art et la littérature témoignent de son rayonnement, sous des formes multiples et souvent contradictoires. La fascination qu’elle exerce est à la mesure de son intervention historique : dans un royaume où guerres intestines et menées étrangères embrouillent l’écheveau politique, elle impose à tous l’évidence de sa mission, et rallie autour de son nom, en quelques semaines, des énergies nationales désorientées. Les deux phases nettement distinctes de sa vie publique - celle des combats et celle des procès - sont aujourd’hui bien connues : l’accès aux sources documentaires a permis de distinguer la réalité de l’affabulation. Mais la légende protéiforme tissée au fil des siècles ne fait-elle pas, désormais, partie intégrante de l’histoire de Jeanne d’Arc ? UN ROYAUME EN DÉROUTE À la naissance de Jeanne d’Arc, vraisemblablement en 1412, le royaume de France connaît une situation de déchirement qui menace son intégrité. Deux clans princiers, les Armagnacs et les Bourguignons, se disputent depuis le début du siècle un pouvoir dont le roi dément, Charles VI, n’est plus que le détenteur illusoire. Rapidement, la lutte entre factions dégénère en guerre civile. À la faveur de ces divisions, le roi d’Angleterre Henri V rallume le conflit franco-anglais, et prend pied en Normandie : l’écrasante victoire d’Azincourt (1415) et l’appui décisif du parti bourguignon ouvrent les portes de Paris à son armée. La signature du traité de Troyes, en 1420, lui permet d’épouser une fille de Charles VI et d’assurer à sa lignée l’accession au trône de France. Deux ans plus tard, la mort de Charles VI et d’Henri V provoque l’écartèlement du royaume entre deux pouvoirs. D’un côté, le jeune Henri VI, encore enfant, est proclamé roi de France et d’Angleterre ; de l’autre, le dauphin Charles refuse de se laisser déposséder et s’affirme seul monarque légitime. Cette division se reflète à travers celle du territoire : tandis que le duc de Bedford, oncle d’Henri VI, prend le titre de régent de France
et occupe la Normandie, le Nord et Paris, Charles VII, fort de la fidélité du Centre et du Midi, se réfugie au sud de la Loire, et réside alternativement à Bourges, Chinon et Loches. Domrémy, le village lorrain de Jeanne, illustre, par sa position frontalière, la complexité de la situation politique et militaire. Situé en territoire anglo-bourguignon, dans la châtellenie de Vaucouleurs, il compte parmi les quelques enclaves restées fidèles au roi Charles. La puissante place forte de Vaucouleurs, commandée par le capitaine Robert de Baudricourt, résiste opiniâtrement à l’ennemi. En 1428, les troupes anglo-bourguignonnes tentent vainement de réduire cette poche de résistance ; en échange de la levée du siège, Baudricourt s’engage à n’entreprendre aucune action guerrière. C’est dans un tel contexte que Jeanne, probablement dès l’année 1425, commence à entendre les « voix » de sainte Marguerite, de sainte Catherine et de saint Michel, qui lui enjoignent de se rendre « en France ». Elle promet à Dieu de garder sa virginité, en signe de consécration, et se fera ensuite appeler « Jeanne la Pucelle ». En 1428, elle se rend auprès de Baudricourt, qui la croit folle et la renvoie sans ménagement. La troisième tentative, l’année suivante, parviendra à ébranler l’incrédulité du capitaine, qui accepte de lui fournir une escorte armée jusqu’à Chinon, où réside alors Charles VII. Habillée en homme, Jeanne quitte Vaucouleurs avec six compagnons, le 13 février 1429. LA ROUTE DES VICTOIRES L’audience que lui accorde le roi, le 25 février, est la première mise à l’épreuve publique de sa vocation. Sans se laisser intimider par l’apparat de la cour, la jeune fille reconnaît Charles parmi son entourage, et elle lui fait part de son double mandat : lever le siège mis devant Orléans ; conduire le roi à Reims pour le faire sacrer. « Très noble seigneur Dauphin, lui dit-elle, je suis venue et envoyée de par Dieu pour porter secours à vous et au royaume. » Au cours de l’entretien secret qui suit, elle le convainc de sa mission par un « signe » qui lève en lui toute réticence, et dont elle refusera toujours de révéler la nature. « Après l’avoir entendue, le roi paraissait radieux », déclarera, lors du procès de réhabilitation, l’un des principaux témoins de la scène. Fortement impressionné, Charles VII ne tient pas moins à s’entourer de précautions et de garanties. Trois semaines durant, Jeanne est soumise à l’interrogatoire des théologiens de
l’université de Poitiers. Cette procédure, destinée à lever tout soupçon d’hérésie ou de sorcellerie, se double d’une discrète enquête de moralité et d’un examen de virginité. Aucune de ces épreuves ne parvient à prendre Jeanne en défaut. Les docteurs chargés de l’interroger conclurent « qu’il n’y avait en elle rien de mal, rien de contraire à la foi catholique, et [...] que le roi pouvait s’aider d’elle ». Marquée d’un double sceau moral et théologique, elle est habilitée à entrer sur le théâtre des opérations militaires. Charles VII décide de s’appuyer sur la jeune fille, devenue chef de guerre, et de faire une nouvelle tentative pour lever le siège d’Orléans. Assiégée depuis le mois d’octobre de l’année précédente, la cité a en effet une valeur stratégique autant que symbolique : sa capitulation ouvrirait aux armées d’invasion l’accès à la France du Midi, et leur permettrait d’opérer une jonction avec la Guyenne, fief de la couronne d’Angleterre. Celui qu’on nomme alors le Bâtard défend la ville de son demi-frère Charles, duc d’Orléans, prisonnier outreManche. Il est blessé au moment de l’arrivée de Jeanne, et se remet difficilement d’une attaque désastreuse menée contre un convoi de ravitaillement anglais. Au désespoir des habitants s’ajoute le spectre de la famine. Dans ce contexte, nul ne peut rester insensible à la rumeur publique, qui fait état d’un secours providentiel apporté par une jeune fille nommée « Jeanne la Pucelle ». L’entrée de Jeanne à Orléans, le 29 avril, soulève l’enthousiasme de la population. « Les Orléanais, écrit un anonyme, se sentaient déjà tous réconfortés et comme désassiégés par la vertu divine qu’on leur disait être en cette simple pucelle. » Jeanne envoie alors à l’ennemi une lettre de sommation dont certaines formules sont demeurées fameuses : « Je suis ici envoyée de par Dieu, le Roi du ciel, corps pour corps, pour les combattre et bouter hors de toute France. » C’est avec une rapidité foudroyante que Jeanne mène l’assaut contre les bastides anglaises, ouvrages fortifiés qui bloquent les principaux points d’accès de la ville. Le 8 mai, après un face-à-face des deux armées sous les remparts, l’ennemi se retire en bon ordre. Il aura suffi de quelques jours pour lever un siège de sept mois. La soudaineté de l’événement retentit en France et dans le reste de l’Europe, et ce premier contact de Jeanne avec les armes la fait entrer d’emblée dans la légende. À Loches, où elle rejoint le roi, elle le presse de se rendre à Reims et de recevoir sans plus tarder l’onction du sacrement. Débute alors,
sous la direction de la Pucelle et du duc d’Alençon, la glorieuse campagne de la Loire, dont l’objectif est de garantir le passage de l’armée royale lorsqu’elle s’engagera sur la route de Reims. La prise de Jargeau, de Meung-surLoire, de Beaugency, et, surtout, la bataille de Patay (18 juin) répandent le nom de Jeanne dans toute la France. Reste néanmoins une incertitude majeure : la ville du sacre et les étapes qui y conduisent sont situées en plein territoire bourguignon. Mais la soumission de Troyes va entraîner celles de Châlons-sur-Marne et de Reims. Le 17 juillet, Charles VII est sacré par Regnault de Chartres, archevêque de la ville : oint de l’huile sainte qui, selon la légende, aurait été apportée par une colombe lors du baptême de Clovis, il possède désormais la légitimité mystique de ses prédécesseurs. Jeanne, que ses parents ont rejointe pour l’occasion, se tient auprès du roi. La double mission qu’elle s’était assigné est accomplie, mais il lui reste à délivrer Paris du joug anglais. DE L’ÉCHEC AU BÛCHER Si l’épisode du sacre marque l’apogée de l’épopée de Jeanne, il amorce également son déclin. Commencent, en effet, d’intenses manoeuvres diplomatiques, dont l’efficacité implique la marginalisation des initiatives individuelles trop fougueuses. Les conseillers de Charles VII, Georges de La Trémoille et Regnault de Chartres en tête, préconisent un downloadModeText.vue.download 493 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 482 rapprochement avec les Bourguignons : des négociations secrètes entre les émissaires du roi et ceux du duc Philippe III le Bon aboutissent à la conclusion d’une trêve, mais de courte durée. Dans ces conditions, l’acharnement de Jeanne à poursuivre sa mission ne peut qu’apparaître inopportun au roi et à son Conseil. Alors que la jeune fille entend bien profiter des énergies renaissantes et marcher sur la capitale, Charles VII songe à clore les opérations militaires et à ouvrir le théâtre des négociations. Au mois de septembre, Jeanne et le duc d’Alençon mettent le siège devant Paris. Mais, le 21, parvient l’ordre royal qui brise net leur élan : l’armée du sacre est dissoute. Le malentendu qui régnait depuis plusieurs semaines éclate au grand jour : d’initiatrice providentielle du redressement national, la Pucelle est devenue l’élément indésirable de l’échiquier politique.
Durant l’hiver 1429-1430, La Trémoille a l’idée de faire appel à elle pour combattre les « bandes de routiers » qui écument le pays. Le plus célèbre des chefs de ces bandes, Perrinet-Gressart, est alors solidement retranché dans le Nivernais, et vend alternativement ses services aux Anglais et aux Bourguignons. Jeanne accepte de conduire ces opérations, mais l’assaut de La Charité-sur-Loire se solde par un échec. Elle connaît alors une période d’oisiveté forcée à Sully-sur-Loire, où le roi la rejoint au mois de février. Quand Philippe le Bon met le siège devant Compiègne, Jeanne se porte au secours de la ville, défendue par les partisans de Charles VII. Elle n’est plus ellemême qu’un chef de bande, ayant engagé sur ses propres deniers deux cents mercenaires. Au cours d’une sortie, le 24 mai 1430, elle est capturée par les troupes de Jean de Luxembourg, vassal du duc de Bourgogne. Après plusieurs mois de tractations, le duc de Bedford la « rachète » à Jean de Luxembourg. La prisonnière est alors remise à un tribunal d’Inquisition présidé par Pierre Cauchon, évêque de Beauvais à la solde d’Henri VI, qui entend la convaincre d’hérésie. Le procès obéit à des ressorts complexes. La foi y sert, évidemment, d’alibi à une volonté politique. Condamner Jeanne est le moyen, pour les Anglais, de ruiner la légitimité du roi, qui lui doit sa couronne. Mais l’acharnement des prélats et des théologiens vaut bien celui de l’envahisseur : il ne saurait être question de tolérer la « doctrine » exaltée de cette jeune fille qui se dit en communication directe avec Dieu et les saints, et menace de ce fait la subordination au pouvoir clérical. Cet enchevêtrement de motifs politiques et religieux explique le statut équivoque de la prisonnière. Accusée d’hérésie, elle devrait normalement être détenue dans les prisons ecclésiastiques ; or elle est enfermée dans les geôles ennemies. C’est à Rouen, ville sous domination anglaise, que s’ouvre, le 21 février 1431, la première séance publique du procès. On reproche à Jeanne le port de vêtements d’homme, qui attente à la pudeur féminine, l’imposture de ses prétendues visions et son insoumission à l’Église. Même si l’ensemble du procès obéit aux règles de la légalité inquisitoriale, l’attitude des juges témoigne d’une évidente partialité. Leur dialectique retorse cherche la contradiction dans les discours de l’accusée, et exploite systématiquement son ignorance en matière de foi. Jeanne affronte néanmoins l’épreuve sans fléchir. Ses réponses limpides et sensées, son aptitude à jouer des registres de l’humour
ou de l’effusion mystique, auraient désarmé des juges moins acharnés à sa perte. Le procès traîne, et les Anglais donnent des signes d’impatience. Le 27 mars, on lit à l’accusée soixante-dix articles, qui constituent autant de chefs d’accusation. Le 2 avril, les articles sont ramenés à douze : Jeanne est déclarée suspecte d’hérésie, invocatrice de démons, idolâtre, menteuse, schismatique et dévergondée. Le 24 mai, très affaiblie, elle met une croix en signe d’approbation au bas d’une formule d’abjuration qu’on lui présente. Mais elle se ressaisit rapidement, et, le 28, reprend ses habits d’homme. Jugée hérétique et relapse, elle est brûlée à Rouen, le 30 mai, sur la place du Vieux-Marché. Le dossier sera rouvert quelques années plus tard. Charles VII, après avoir reconquis Paris et être entré dans Rouen, ordonne une enquête en 1450. Cependant, il faudra cependant attendre 1455 pour que débute, sur la plainte de la mère de Jeanne, un nouveau procès d’Inquisition. Le 7 juillet 1456, le procès et la sentence de 1431 sont déclarés « nuls, invalides, sans valeur et sans autorité ». La décision qui réhabilite la Pucelle est proclamée solennellement dans tout le royaume. UNE LÉGENDE CONVOITÉE Jeanne d’Arc est de ces personnages historiques dont la destinée semble taillée dans la matière même de la légende. Son origine obscure, qui ne la prédestinait nullement à jouer un rôle de premier plan, la brièveté foudroyante de son action, sa mort tragique, constituent autant d’éléments qui la marquent d’un sceau exceptionnel. De son vivant même, la voix du peuple et la plume des poètes (Christine de Pisan, Alain Chartier) se sont emparées d’elle. Ce processus de mythification n’en connaîtra pas moins une longue éclipse, de la Renaissance au siècle des Lumières. Ni l’époque humaniste, ni le classicisme, ni les philosophes du XVIIIe siècle, ne seront sensibles à sa geste glorieuse. Dans un poème héroï-comique intitulé la Pucelle (1762), Voltaire ira même, jusqu’à la tourner en ridicule et jusqu’à la traiter d’« idiote hardie qui se croyait une inspirée ». La veine rationaliste s’accommode mal des « voix », visions et autres vocations providentielles. C’est seulement au XIXe siècle, à la faveur du mouvement romantique et du catholicisme renaissant, que le nom de Jeanne fait un retour triomphant dans la mémoire et l’imaginaire collectifs. Dès lors, innombrables seront les oeuvres qui s’empareront de la destinée de Jeanne, et qui lui imposeront les traite-
ments les plus divers : tragédie romantique de Schiller (Jungfrau von Orleans, 1801), opéra héroïque de Verdi (Jeanne d’Arc, 1845), trilogie dramatique de Péguy (Jeanne d’Arc, 1897), oratorio de Claudel et Honegger (Jeanne au bûcher, 1935). La fortune cinématographique de Jeanne n’est pas moins éloquente. De la Jeanne d’Arc de Méliès (1900) à Jeanne la Pucelle de Rivette (1994), le siècle tout entier aura été scandé par des visages qui ajoutent au mythe originel leur propre potentiel mythique : la Falconetti de Dreyer (la Passion de Jeanne d’Arc, 1928) et l’Ingrid Bergman de Rossellini (Jeanne au bûcher, 1954) comptent sans doute parmi les plus bouleversants. Source d’inspiration artistique, Jeanne d’Arc est également objet de luttes idéologiques où se dévoilent les rapports tourmentés que l’identité française entretient avec elle-même. Le XIXe siècle, qui la réhabilite et la glorifie, marque à la fois les débuts d’une approche rigoureuse et le triomphe des appropriations mythologiques. Un jeune chartiste, Jules Quicherat, consacre dix années de sa vie (de 1840 à 1849) à l’édition des documents relatifs aux procès de condamnation et de réhabilitation. Les conditions sont enfin réunies pour une étude critique des sources, mais les passions s’empressent d’annexer Jeanne à une cause ou à une idéologie. Au fond, le débat, qui se prolonge jusqu’aux premières décennies du XXe siècle, consiste en une de ces querelles de propriété dont la tradition française est si friande : à qui appartient légitimement Jeanne d’Arc ? Au patriotisme républicain, dont elle anticipe héroïquement les traits essentiels, ou bien au catholicisme, qui peut arguer de sa mission divine et de la sainteté de ses vertus ? À la première tendance, Michelet offre son expression la plus lyrique et la plus prestigieuse. Étape fondamentale dans l’édification du mythe patriotique, le cinquième volume de son Histoire de France (1841) fait de Jeanne le catalyseur d’une communauté nationale encore indécise : « Elle aima tant la France ! Et la France touchée se mit à s’aimer elle-même. » Sans négliger la vocation surnaturelle du personnage, Michelet marginalise cette dimension : l’épopée de la patrie et du peuple tend à occulter le rôle de la transcendance divine. De leur côté, les thuriféraires catholiques de Jeanne n’entendent pas qu’on transforme l’héroïne en « sainte laïque ». Multipliant tout au long du XIXe siècle les initiatives, cérémonies et commémorations, ils verront leurs efforts couronnés, au siècle suivant, par la canonisation du 16 mai 1920. Signe de la lutte que se livrent les deux courants, il
est décidé, quelques semaines après la canonisation, que le 8 mai « la République française célébrera annuellement la fête de Jeanne d’Arc, fête du patriotisme ». À mesure que s’atténuent les crispations catholiques et anticléricales, la mémoire de Jeanne d’Arc est accaparée par la droite nationaliste. Incarnation de l’« essence française », la Pucelle devient, entre les deux guerres, l’instrument de dénonciation de l’« invasion juive », de la « finance anglo-saxonne » et du « matérialisme décadent » ; par son bon sens intransigeant et son enracinement terrien, elle est l’exacte antithèse d’une modernité supposée « dissolvante ». Cette annexion agressive, de Charles Maurras au Front national de Jean-Marie Le Pen, explique sans doute que le personnage ait aujourd’hui perdu de son aura dans la vie publique. En outre, l’Église catholique s’est faite plus discrète à son sujet, et les incertitudes actuelles du patriotisme républicain rendent problématique l’usage des gloires nationales. Éclipse ou rayonnement, le statut de Jeanne dans la conscience collective est toujours riche d’enseignements : rares sont les personnages de l’histoire de France qui downloadModeText.vue.download 494 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 483 auront à ce point focalisé les passions idéologiques, et donné une telle lisibilité aux conflits qui structurent notre identité. Jean sans Peur, duc de Bourgogne (Dijon 1371 - Montereau 1419). Fils aîné du duc de Bourgogne Philippe le Hardi et de Marguerite de Flandre, Jean est d’abord comte de Nevers. Il s’engage aux côtés de Sigismond de Luxembourg, roi de Hongrie, dans la croisade contre le sultan Bajazet. Fait prisonnier à la bataille de Nicopolis (1396), il ne revient en France qu’en 1398, avec la réputation et le surnom de « sans peur ». C’est un homme mûr, au caractère énergique et cassant, qui succède à Philippe le Hardi, mort le 27 avril 1404. Ses deux principales préoccupations seront la construction de l’État bourguignon et la lutte pour le pouvoir dans le royaume de France. Alors que Philippe le Hardi, oncle de Charles VI, avait une influence peu contestée au Conseil - qui gouverne durant la folie du roi -, Jean sans Peur s’oppose à son cousin
Louis d’Orléans, frère de Charles VI, et à la reine Isabeau de Bavière. Le conflit s’envenime au point que, le 23 novembre 1407, il fait assassiner Louis d’Orléans, acte qui est à l’origine de la guerre civile connue sous le nom de « querelle des Armagnacs et des Bourguignons ». Après avoir fui Paris, Jean sans Peur y revient en maître en 1409 et gouverne le royaume en soutenant un programme de réformes qu’appuient l’Université et la prévôté des marchands. En 1413, l’échec de l’insurrection des Cabochiens (faction du parti des Bourguignons dirigée par Simon Caboche), auxquels il avait d’abord apporté sa caution, l’oblige à se réfugier en Flandre. Paris est aux mains des Armagnacs pour cinq ans. En 1418, après avoir mené un jeu politique équivoque avec les Anglais, Jean sans Peur rentre de nouveau à Paris et tente de se rapprocher du dauphin Charles. C’est au cours d’une entrevue qu’il avait obtenue avec ce dernier qu’il est assassiné par des hommes du parti des Armagnacs sur le pont de l’Yonne, à Montereau, le 10 septembre 1419. Sa mort signe la rupture des relations entre la Bourgogne et le royaume pour quinze années. Jean sans Peur laisse cependant un État bourguignon dont la construction est bien avancée. En 1408, il a soumis les Liégeois à la bataille d’Othée, nommant comme princeévêque son beau-frère Jean de Bavière. Il a unifié la Franche-Comté en y intégrant Besançon et annexé le Tonnerrois, le Boulennois et la Picardie. Il a également poursuivi la politique matrimoniale menée par son père, mariant ses six filles de manière à disposer d’alliances dans différents pays d’Europe. Si Jean sans Peur apparaît encore tiraillé entre la recherche du pouvoir au sein du royaume et l’édification de l’État bourguignon, son fils Philippe le Bon ne défendra d’autre cause que celle-là. Jéhu ou Jésus (Compagnies de), bandes organisées terrorisant les anciens « terroristes » dans la région de Lyon durant la Convention thermidorienne et le début du Directoire (1795-1797). Au printemps 1795, la Terreur blanche, favorisée par la passivité complice des nouvelles autorités, est particulièrement violente dans une région dont Lyon, ensanglantée par la Terreur en 1793, est l’épicentre. Conduisant les représailles, les bandes armées, nommées « Compagnie de Jésus » par les jacobins - le terme « Jéhu » est une invention postérieure -, correspondent certainement à la
Garde nationale épurée : elles sont formées de royalistes ou d’anciens fédéralistes, muscadins, émigrés rentrés en France et suspects élargis (déserteurs et brigands fournissant la piétaille). Leur action, à laquelle participent les élites sociales locales hostiles aux démocrates, paraît être centralisée. Animées surtout par un désir de vengeance, traquant les « bleus », ces compagnies pratiquent le massacre (99 morts dans les prisons de Lyon le 4 mai 1795), l’assassinat isolé ou l’expédition punitive contre tout individu lié à la Révolution. Le décret du 24 juin 1795, qui suspend les corps administratifs de Lyon, désarme la Garde nationale, nomme d’autres représentants en mission et menace d’une intervention militaire, met un terme à l’essentiel des attentats, l’action politique ou vengeresse tournant par la suite au brigandage. Jemmapes (bataille de), bataille, conclue par une victoire française, qui oppose, le 6 novembre 1792, à Jemmapes, dans les Pays-Bas autrichiens (aujourd’hui Jemappes, en Belgique), l’armée du Nord, commandée par le général Dumouriez, et l’armée autrichienne. Après la victoire de Valmy (20 septembre 1792), qui inaugure triomphalement la République (la royauté est abolie le 21) en repoussant l’invasion dans le Nord, la France révolutionnaire prend l’offensive. Les girondins, qui dirigent la politique, sont alors en difficulté (guerre de défense, procès de Louis XVI et progrès du mouvement populaire) : prônant l’expansion révolutionnaire et la recherche des « frontières naturelles » de la France, ils voient dans la guerre extérieure une solution qui permettrait de fortifier tant l’union nationale que leur position politique. Aussi accèdent-ils aux pressions de Dumouriez, qui marche sur Mons (Belgique) en novembre 1792 avec 40 000 hommes. Le 6, l’armée du Nord attaque les troupes autrichiennes, formées de 13 000 hommes et dispersées « en cordon » à l’ouest de Mons sur plusieurs villages, dont Jemmapes. Si l’offensive française, menée de front, n’est guère audacieuse, elle parvient à percer la défense adverse, provoquant le repli des Autrichiens. La victoire de Jemmapes, qui connaît un grand retentissement et alimente l’élan patriotique, permet la conquête de la Belgique - occupée jusqu’à la défaite de Neerwinden (18 mars 1793) - et la pénétration des forces françaises en Hollande. Mais cette guerre de conquête a pour conséquence l’entrée en lice de l’Angleterre et la formation de la première coalition (février 1793).
Je suis partout, hebdomadaire politique fondé en novembre 1930 par Arthème Fayard, sur le modèle de Candide, qu’il avait lancé six ans plus tôt. Je suis partout, dont la direction est confiée à Pierre Gaxotte, se définit comme un « grand hebdomadaire de la vie mondiale » résolument tourné vers l’information étrangère et la culture. Pourtant, très vite, il devient la tribune politique de jeunes écrivains et journalistes d’extrême droite, déçus par le « maurrassisme » et attirés par le fascisme, tels Claude Jeantet, Lucien Rebatet, Robert Brasillach, Henri Lèbre ou Pierre-Antoine Cousteau. La « fascisation » de la rédaction s’accentue lorsqu’en mai 1936 Arthème Fayard cède son journal à un groupe de commanditaires dominé par Charles Lesca. Sous la conduite de son nouveau rédacteur en chef Robert Brasillach (1937), Je suis partout se déchaîne alors contre le Front populaire et développe un antisémitisme de plus en plus virulent. Violemment anticommuniste, ne cachant pas son admiration pour l’Allemagne nazie, le titre rejoint le camp des néo- pacifistes au moment des accords de Munich (1938). Avant la guerre, son tirage oscille entre 40 000 et 80 000 exemplaires. Interdit en juin 1940 par le ministre de l’Intérieur Georges Mandel, l’hebdomadaire est autorisé par l’occupant à reparaître en février 1941. Je suis partout se distingue alors comme l’une des tribunes les plus enthousiastes du collaborationnisme, et les plus critiques à l’égard du gouvernement de Vichy, jugé trop conservateur et trop tiède à l’endroit du projet européen nazi. Après le départ, en mai 1943, de Brasillach, qui ne croit plus à la victoire de l’Allemagne, l’hebdomadaire, animé par Cousteau et Rebatet, et influencé par le Parti populaire français (PPF), se radicalise encore, exaltant la Légion des volontaires français (LVF) et la Milice. Peu avant sa disparition, en août 1944, Je suis partout tirait à environ 300 000 exemplaires. jésuites, terme désignant les membres de la Compagnie de Jésus. C’est un sobriquet forgé après le concile de Trente. • Les origines. Elles remontent au 15 août 1534, lorsque, dans la crypte de saint Denis, à Montmartre, Ignace de Loyola, âgé alors de près de 40 ans, et six étudiants de la faculté des arts de l’Université de Paris prononcent leurs premiers voeux, renouvelés deux ans durant, avant que la reprise de la guerre entre la France et les Habsbourg ne disperse le groupe, en 1536. Les deux premières recrues,
Pierre Favre et François Xavier, étaient arrivées à Paris à la rentrée de 1525. Ils ont donc consacré onze ans à leur formation universitaire, dans un temps de grande effervescence intellectuelle et religieuse ; mais tous ont aussi fait retraite à un moment ou à un autre, selon la méthode des Exercices spirituels qu’Ignace de Loyola a peu à peu mise au point. Si le recrutement des jésuites est déjà international, ils ne forment pas encore un ordre nouveau. Dix compagnons rejoignent Venise en janvier 1537, pour accomplir leur voeu parisien de pèlerinage en Terre sainte. Ils passent par Rome, afin d’obtenir la bénédiction du pape Paul III, puis se font ordonner prêtres à Venise, mais la guerre avec les Turcs interrompt le voyage. Ils retournent donc à Rome, en downloadModeText.vue.download 495 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 484 1539, pour se mettre à la disposition du pape, qui, le 27 septembre 1540, institue un groupe de clercs destinés au service de la propagation de la foi et du perfectionnement du prochain, et qui font voeu d’obéir au souverain pontife. La Compagnie de Jésus est née. Dès lors, et en dépit de modifications ultérieures, le caractère missionnaire de l’ordre est affirmé ad majorem Dei gloriam (« pour la plus grande gloire de Dieu »), selon la devise des Jésuites. Très vite, à la demande du roi de Portugal, François Xavier est désigné par le pape pour évangéliser l’Inde portugaise. Cette mission le conduit en Inde, en Insulinde, au Japon et sur les côtes de la Chine, où il meurt le 2 ou le 3 décembre 1552. Pour sa part, Pierre Favre parcourt l’Europe continentale, de l’Italie à l’Allemagne, à l’Espagne, aux Pays-Bas et au Portugal. Il meurt à Rome en se rendant au concile de Trente, le 1er août 1546. • L’organisation de l’ordre. Les premiers Jésuites sont des adultes relativement âgés, si l’on se réfère aux critères démographiques du temps. Le problème du recrutement se pose donc rapidement. Le général de l’ordre Jacques Lainez, élu en 1558, suggère d’accueillir des adolescents auxquels on donnerait une formation spirituelle et intellectuelle. Une première colonie est envoyée au collège des Trésoriers, à Paris ; mais l’hostilité du parlement de Paris et de l’Université paralyse l’expérience. Des fondations du même genre prennent le relais à Coïmbra, Louvain, Cologne, Padoue. Les programmes d’études sont
une préfiguration de la ratio studiorum, qui organisera la formation jésuite sur des bases humanistes. Dès 1545 tous les candidats au noviciat sont soumis à un « examen général » incluant la retraite, selon les Exercices spirituels, qui permet de contrôler leur solidité. Les constitutions de l’ordre ne sont définitivement approuvées qu’en 1558. Elles prévoient l’élection à vie, par la congrégation générale d’un préposé général, qui désigne les provinciaux et supérieurs des grands établissements. Les congrégations générales et provinciales sont convoquées sur l’ordre du pape. Les membres de la Compagnie de Jésus sont divisés en plusieurs classes. Les scolastiques (étudiants) prononcent les trois voeux simples et perpétuels de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, au terme d’un noviciat de deux ans. Après deux années d’études scientifiques et littéraires, trois années de philosophie et quatre de théologie, le jeune jésuite, qui atteint alors la trentaine, est soumis à une troisième année de noviciat durant laquelle il refait les Exercices. Il est ensuite admis aux grands voeux : soit des voeux simples mais publics de coadjuteur spirituel, soit des voeux solennels de profès. Ces derniers, qui, seuls, promettent obéissance au pape, sont destinés à exercer les plus hautes charges. Avant d’être imités par les ordres nouveaux, bien des aspects de ces constitutions sont révolutionnaires au XVIe siècle : les voeux simples avant la profession, la suppression de la récitation commune de l’office au choeur, la longueur de la formation cléricale, l’obéissance absolue au supérieur, l’obligation d’une retraite spirituelle annuelle. • Une difficile implantation en France. Elle passe par la création de collèges, une activité qui n’était pas prévue à l’origine de la Compagnie. Le premier ouvre à Billom, en Auvergne, en 1556 ; Paris suit en 1561. Si l’organisation provinciale se met en place en France dès 1555, avant la mort de Loyola, les jésuites sont expulsés du ressort de plusieurs parlements, dont celui de Paris, en 1594, à la suite de l’attentat de Pierre Chastel contre Henri IV. Réintégrés par la volonté expresse du roi en 1604, mais contre l’avis des gallicans, ils deviennent les confesseurs attitrés des souverains. Pourtant, ils ne cesseront de subir l’hostilité du parlement de Paris, individuellement ou collectivement. En 1610, 1 379 jésuites sont inscrits dans les catalogues des provinces françaises, dont seulement 462 au nord de la Loire, et 42 à Paris. Ils sont relativement âgés (34 ans en
moyenne), en raison de la sévérité de leur sélection et de la longueur des études. Leur formation est encore profondément marquée par les cultures italienne et espagnole. Tout au long du XVIIe siècle, les jésuites français poursuivent leur effort d’installation. Celui-ci est si intense que rares sont ceux qui s’engagent dans les missions extérieures, sauf vers les « Turcs » et vers les « sauvages » (premier établissement au Canada en 1625). La moitié d’entre eux sont des enseignants, qui organisent de grands collèges, tels ceux de La Flèche ou de Pont-à-Mousson. En 1610, l’ordre compte en France 45 établissements, dont 38 collèges ; en 1700, 115, dont 91 collèges. • Influence spirituelle et controverses. La spiritualité de ces enseignants - « l’humanisme dévot » - est directement issue de leur activité pédagogique. Elle est le produit d’une technique, la rhétorique, qui induit chez les élites de nouvelles façons de penser le monde et de communiquer. Le théâtre en est la meilleure expression : il occupe une place considérable dans l’activité des collèges, et permet de diffuser auprès des futurs décideurs, clercs et laïcs, une culture homogène - fondée à la fois sur l’Écriture et sur la culture antique -, des règles de communication, des valeurs intangibles et des modèles de dévotion communs. Nombre d’auteurs jésuites participent à l’École française de spiritualité. Une grande école mystique se développe jusqu’en 1640, sous l’impulsion de Pierre Coton, confesseur d’Henri IV puis de Louis XIII et de Louis Richeome ; elle élabore une théologie mystique passionnelle, faite de visions et d’ardeurs « extraordinaires », autour des Pères Lallemant, Huby, Surin... Cette floraison mystique, qui influe sur la direction de conscience, est combattue dès 1640-1650, puis à la fin du siècle, lors de l’élimination du quiétisme. La Dévotion au Sacré-Coeur commence cependant à se développer dans ce contexte, sous l’influence de Claude La Colombière (1641-1682) et des révélations de Marguerite-Marie Alacoque (1675). Les jésuites s’investissent aussi dans les travaux apostoliques. Ils sont des pionniers des missions intérieures : en Velay, Jean-François Régis (1597-1640) reconquiert les âmes protestantes ; en Bretagne, Julien Maunoir organise 375 missions entre 1640 et 1683. Ils utilisent des techniques éprouvées pour obtenir la conversion des foules populaires. Les
missions sont prolongées par l’organisation de maisons de retraite spirituelle. Les jésuites sont également présents dans tous les secteurs scientifiques ; ils participent aussi aux grandes controverses doctrinales du moment. Leur opposition aux jansénistes recoupe deux interprétations de la place qu’occupe le christianisme dans le monde. Pour les jésuites, encore proches du néoplatonisme, l’adaptation de la prédication à la société contemporaine permet de diffuser l’Évangile et de faire reculer le royaume de Satan dans la société civile. Pour les jansénistes, au contraire, le retrait du monde s’impose, car celui-ci est condamné. Le salut passe donc par une rupture radicale. • Une évolution contrastée depuis le XVIIIe siècle. L’opposition entre jansénistes et jésuites recouvre l’hostilité que les parlementaires vouent à ces derniers. La banqueroute du Père Lavalette à la Martinique donne au parlement de Paris l’occasion de soumettre les constitutions de l’ordre à un nouvel examen. Devant le refus du général, Louis XV supprime la Compagnie dans ses états en 1764. On compte alors plus de 3 000 jésuites, dont 200 missionnaires partis au loin. À la suite des suppressions partielles (Portugal, 1759 ; Espagne, 1767), le pape Clément XIV dissout la Compagnie en 1773. Elle survit en Prusse et en Biélorussie, où le bref pontifical n’est pas appliqué. De petits groupes se reconstituent ici et là. C’est le cas en France, où, en pleine Terreur, le Père Clorivière (1735-1820, devenu profès en 1773, juste avant la dissolution) établit deux congrégations secrètes : les Prêtres du Coeur de Jésus et la Société des Filles du Coeur immaculé de Marie. La Compagnie est rétablie par Pie VII en 1814 ; sa province de France compte alors 200 jésuites. La croissance est rapide : 813 en 1844, 2 266 en 1863, 3 000 en 1900, 3 135 en 1939. Elle est suivie d’une décroissance : 2 286 en 1961, dont 486 dans les missions lointaines. Après le Syllabus (1864), soutenu par les jésuites, qui condamne les idées modernes, l’activité scolaire stagne, mais la Compagnie dispose de vastes églises et d’organes de presse tels que les Études (1856). Elle encadre nombre d’associations de spiritualité locales et de groupes de retraitants par l’Apostolat de la prière, né à Vals, près du Puy, en 1844, et propagé par le Père Ramière (1821-1884), dont l’organe est le Messager du Sacré Coeur. Le souci des problèmes sociaux provoque
la naissance d’organismes, tels que l’Action populaire de Reims (1903), qui restent cependant très fermés sur eux-mêmes. C’est le triomphe de la discipline sur l’imagination. Dès la séparation des Églises et de l’État (1905), on observe le mouvement inverse, qui débouche sur un plus grand investissement dans les domaines de la connaissance scientifique, dont témoigne, par exemple, non sans difficulté, Pierre Teilhard de Chardin (18811955). Néanmoins, depuis trente ans, la part des jésuites français et européens au sein de l’ordre ne cesse de décliner. downloadModeText.vue.download 496 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 485 jeu de l’oie. Selon la légende, ce jeu fut créé pour divertir les Grecs lors du siège de Troie : c’est pourquoi il est d’abord baptisé en France « noble jeu de l’oie renouvelé des Grecs ». En fait, il naît à Florence vers 1580, sous le règne de François de Médicis. Depuis, les règles sont restées les mêmes : le parcours en spirale, comportant soixante-trois cases, est jalonné de pièges (prison, puits, labyrinthe...). Les joueurs lancent le dé et avancent tour à tour jusqu’au jardin de l’oie, but de la partie. À l’image des péripéties de la vie, ce divertissement évoquerait ainsi la force du destin. On pense d’ailleurs qu’à l’origine il tenait lieu d’oracle, tout comme les marelles égyptiennes ou chinoises dont il s’inspire. Apprécié des courtisans de Louis XIII et de Louis XIV, il s’intitule alors « jeu des âges ou des vices, vertus, passions et événements de la vie », voire, plus légèrement, « jeu royal de Cupidon ». Jusqu’au XIXe siècle, les adultes s’adonnent au jeu de l’oie en pariant de l’argent, et l’adaptent, comme le loto, aux goûts du temps. Très populaire depuis sa création, le jeu de l’oie amuse, éduque, mais peut aussi devenir un instrument de propagande. Si l’on invente au siècle dernier les innocents jeux « du chemin de fer » ou « de la tour Eiffel », on se distrait plus tard au « jeu de l’affaire Dreyfus et de la Vérité » ou au « jeu de la francisque » en 1942. Plus qu’un passe-temps désuet, le jeu de l’oie, qui fait encore la joie des enfants, peut donc être considéré aujourd’hui comme un objet de collection, un véritable témoin de notre histoire.
jeu de paume, divertissement réservé à une élite sociale dès le Moyen Âge, et qui a pour ancêtre la pila, jeu de balle gallo-romain. Exercice de plein-air, la longue paume, qui prendra le nom de « tennis » en Angleterre, se distingue de la courte paume pratiquée dans une salle nommée « tripot ». Séparés par un filet, les joueurs, munis d’une raquette (ou d’un gant, avant le XVe siècle), se disputent l’esteuf, une balle d’étoupe, qui peut rebondir sur trois toits pentus surplombant des galeries réservées aux spectateurs. L’expression « amuser la galerie » tire d’ailleurs son origine du comportement des participants, qui divertissaient parfois le public par leurs excentricités. Très prisée sous le règne des Valois, la paume suscite la mode des coiffures « en raquette », les cheveux étant tressés en forme de cordage et maintenus par des cadres de bois. Les humanistes du XVIe siècle apprécient ce jeu fondé sur la seule adresse, et non sur le hasard. Mais, au cours du Grand Siècle, la paume perd peu à peu de son prestige, Mazarin préférant les jeux d’argent, et le Roi-Soleil, le billard. À la Révolution, très peu de salles subsistent, et leur fréquentation est restreinte. Le 20 juin 1789, la salle du Jeu de paume, à Versailles, entre néanmoins dans l’histoire en donnant son nom au célèbre serment qu’y prêtent les députés. En 1862, Napoléon III fait construire une dernière salle aux Tuileries, qui sera transformée en galerie d’art dès 1907. Il reste aujourd’hui très peu de courts, dont l’un à Paris, accueille un cercle fermé d’adeptes. Plus appréciés et plus populaires, les dérivés du jeu de paume, tels le tennis, le squash ou la pelote, l’ont désormais remplacé. Jeu de paume (serment du), serment prononcé à Versailles, le 20 juin 1789, par les députés du tiers état, qui s’engagent à ne pas se séparer avant l’adoption d’une Constitution. Dès le 6 mai 1789, lendemain de leur ouverture, les États généraux sont bloqués par le long bras de fer qui oppose le Tiers aux deux ordres privilégiés et au pouvoir royal : la question se pose de savoir si l’on votera par tête, ce qui assurerait la domination du Tiers, ou par ordre, ce qui avantagerait noblesse et clergé. La tactique du tiers état consiste alors, tandis que les deux autres ordres se sont retirés dans leurs chambres respectives, à demeurer dans la salle commune, puis, après avoir appelé noblesse et clergé à se joindre à lui, à délibérer seul au nom de tous. Le 17 juin,
tandis que toutes les parties campent sur leurs positions, le Tiers, considérant représenter les « quatre-vingt-seize centièmes au moins de la nation », se déclare, sur proposition de Sieyès, « Assemblée nationale », qui décide aussitôt qu’elle seule peut consentir l’impôt. Ce décret accorde à l’Assemblée la souveraineté que le roi détenait : il affirme en effet qu’« il n’appartient qu’à elle d’interpréter et de présenter la volonté générale de la nation ». Le 20 juin, alors que le clergé s’est prononcé la veille pour sa réunion au Tiers, Louis XVI décide de tenir une séance royale le 23 pour casser les arrêtés du Tiers, et fait fermer, sous prétexte d’aménagement, la salle des Menus-Plaisirs, où se réunit la nouvelle Assemblée. Au matin, trouvant portes closes, le président Bailly choisit d’ignorer ce coup de force et entraîne députés et public, venu en masse, jusqu’à la salle voisine du Jeu de paume, vaste salle nue bordée de galeries, où l’on improvise aussitôt un bureau. Là, brûlant d’affirmer tant leur nouveau pouvoir que leur détermination, tous les députés - sauf un - prêtent, sur la proposition de Mounier, « serment solennel de ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides », puis quittent la salle après avoir signé le texte rédigé par Barnave et Le Chapelier. Parlant de « résolution inébranlable », ce serment audacieux et unificateur, qui sera suivi le 23 juin par le refus d’obéir aux injonctions royales, marque la toute-puissance nouvelle de la volonté nationale et le passage de l’absolutisme au parlementarisme, de l’Ancien Régime à la Révolution. Jeunesse chrétienne, ensemble de mouvements de jeunesse créés au sein de l’Action catholique. Le creuset des mouvements de jeunesse chrétienne est l’Association catholique de la jeunesse française (ACJF), créée en 1886 sur l’initiative d’Albert de Mun : recrutant dans les milieux aisés, celle-ci a pour principal objectif la réconciliation entre l’Église et le monde ouvrier. L’ACJF relève d’abord d’une pensée réactionnaire avant que ses préoccupations sociales la conduisent à accepter la République. Dans l’entre-deux-guerres, sa spécialisation en mouvements s’adressant à une catégorie sociale spécifique lui permet de renforcer son audience. L’exemple provient de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), fondée en Belgique en 1924 par l’abbé Cardjin et relayée en France dès 1926 à Clichy par l’abbé
Guérin. Ce premier mouvement naît hors de l’ACJF - mais se rallie à elle dès 1927 -, qui lui apporte son parrainage, son expérience et la caution de l’Église. La JOC est, quant à elle, porteuse d’une pédagogie mettant l’accent sur la connaissance du milieu social au sein duquel elle agit. L’ACJF fait siens ces principes et achève de se structurer en branches spécialisées : En 1929, Ferté fonde la Jeunesse agricole chrétienne (JAC) et, l’année suivante, Chaudron et Chambre la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC). Il se crée même une Jeunesse maritime chrétienne (JMC), tandis que les membres restants de l’association se regroupent dans la Jeunesse indépendante chrétienne (JIC) en 1936. Pendant la guerre et l’Occupation, ces cinq mouvements combattent de concert la politique du régime de Vichy concernant la jeunesse et participent à la Résistance. Leur expérience favorise les prises de conscience politiques : dès 1946, l’ACJF place parmi ses priorités la réforme économique et sociale. Cet accent mis sur les questions temporelles provoque une crise avec l’Église, qui craint la politisation du mouvement et affirme le poids prépondérant des valeurs spirituelles d’évangélisation. À l’heure où elle-même structure son organisation, elle redoute aussi une association qui deviendrait trop puissante et qui a surtout pris ses distances avec le haut clergé, majoritairement vichyssois. Enfin, l’Église cherche à mieux encadrer l’activité des laïcs à qui elle a confié un mandat. C’est alors que l’épiscopat intervient dans les luttes intestines qui déchirent l’ACJF : il appuie les thèses de la JOC - mouvement le plus politisé mais qui compte le plus de prêtres - lorsque celle-ci cherche à retrouver son autonomie. La crise qui s’ensuit débouche, en 1956, sur l’éclatement de l’ACJF : les cinq mouvements poursuivent leur action spécifique et interviennent dans la vie publique (révolution rurale, guerre d’Algérie). Cet épisode montre la difficulté d’une action toute entière tournée vers la jeunesse, trop indépendante de la hiérarchie ecclésiastique et englobant l’apostolat dans une réflexion plus intellectuelle sur la société. Joffre (Joseph), maréchal de France (Rivesaltes 1852 - Paris 1931). Polytechnicien de formation, il opte pour l’arme du génie et effectue une partie de sa carrière aux colonies. Ayant pris part à la guerre de 1870-1871, il séjourne ensuite au Tonkin et à Madagascar, où il sert sous les ordres de Gallieni.
Devenu chef d’état-major général de l’armée en 1911, il prépare à ce titre le plan de bataille français, qui se traduit par un échec stratégique retentissant en août 1914. S’il perd la bataille des frontières, il remporte néanmoins celle de la Marne, sauvant la France du désastre. Mais la tactique du « grignotage », qu’il applique sur le front occidental en 1915, downloadModeText.vue.download 497 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 486 échoue, au prix de pertes considérables. Confronté à la bataille de Verdun, en 1916, le commandant en chef ne peut mener la bataille de la Somme de la manière dont il l’entend et se retrouve dans une impasse. En conflit avec une partie de la classe politique, jaloux de son autorité, souvent décrit comme un satrape, Joffre est contraint à la démission sous la pression du président du Conseil, Aristide Briand, en décembre 1916, et fait maréchal de France. Esprit curieux et ouvert, contrairement à la légende, Joffre joue un rôle important dans le développement de nouveaux moyens de combat tels que l’aéroplane et l’artillerie lourde. Auréolé d’un grand prestige, il est envoyé en mission aux États-Unis en vue de préparer l’arrivée des troupes américaines sur le front occidental, à partir de 1917. Joinville (Jean, sire de), biographe de Saint Louis (Joinville, Haute-Marne, 1224 - id. 1317). Sénéchal de Champagne, maître d’un domaine qui peut armer neuf chevaliers et sept cents « gents d’armes », écuyer tranchant à la cour dès 1241, Joinville suit le roi Louis IX à la croisade de 1248. Il est emprisonné avec lui, et ne rentre en France qu’en 1254. Il refuse de se joindre à l’expédition de Tunis, qui sera fatale à son maître, en 1270. Mais il lui consacre le reste de sa vie : comparution dans l’enquête qui aboutit à la canonisation du roi et, surtout, rédaction, entre 1305 et 1309, de la Vie de Saint Louis. L’ouvrage se compose de deux parties inégales. La première indique, en une sorte de court prologue édifiant, comment Louis IX « se gouverna [...] selon Dieu et selon l’Église, et au profit de son règne » ; elle s’inscrit dans la continuité des écrits liés à la canonisation. La seconde est une biographie du roi, qui évoque ses grands faits d’armes. Dans cette oeuvre, entreprise à la demande de l’épouse de Philippe le Bel pour l’éducation du futur Louis X le Hutin,
Joinville ne se départit pas d’une attitude moralisatrice. Son récit (écrit d’un seul jet ? rédigé à partir d’une hypothétique relation de la croisade entreprise dès 1272 ?), plein de digressions voire de redites, ne se soucie guère d’une chronologie stricte, comme si sa composition reflétait son vrai sujet : le commerce informel d’un roi et de son intime. La Vie de Saint Louis, où l’on chercherait en vain de véritables analyses politiques, mais qui contribue à la diffusion des images d’Épinal sur Saint Louis, est aussi l’histoire d’une amitié, et, à ce titre, un document précieux sur la mentalité d’un noble et sur la montée de la subjectivité littéraire à la fin du XIIIe siècle. Joliot-Curie (Irène et Frédéric), physiciens (Irène, Paris 1897 - id. 1956 ; Frédéric, Paris 1900 - id. 1958). Après des études à l’École de physique et de chimie industrielle de Paris, où il suit l’enseignement de Paul Langevin, Frédéric Joliot rejoint en 1925 l’Institut du radium dirigé par Marie Curie ; il y rencontre la fille de celle-ci, Irène, qu’il épouse en 1926. Le couple poursuit alors ses recherches sur la radioactivité, et les expérimentations qu’ils mènent servent les progrès de la physique théorique : c’est ainsi que sir James Chadwick, en utilisant les conclusions d’une de leurs expériences, découvre le neutron (1932) ; de même, ils concourent à la mise en évidence du positron et préparent les travaux de Hahn et Strassmann sur la fission nucléaire. La découverte de la radioactivité artificielle leur vaut, en 1935, le prix Nobel de chimie. Tandis qu’Irène poursuit ses recherches à l’Institut du radium et enseigne à la Sorbonne, Frédéric partage son temps entre son cours au Collège de France et la direction de son laboratoire : entouré de Lew Kowarski, Hans von Halban et Pontecorvo, il met en évidence en 1939 la réaction en chaîne dans la fission de l’uranium, prélude à l’utilisation de l’énergie nucléaire. Il dépose les brevets afférents avant que la guerre disperse l’équipe : la plupart de ses membres gagnent Londres, tandis que Joliot continue ses travaux au Collège de France, sous l’oeil des Allemands, tout en participant à la Résistance. À la Libération, le gouvernement lui confie la direction du CNRS, puis le nomme haut-commissaire au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) avec mission d’organiser le nouvel établissement de recherche. Ayant reconstitué son équipe, le couple relance ses travaux sur l’énergie nucléaire et, le 15 décembre 1948, réalise au fort de Châ-
tillon la première production d’électricité à l’aide d’une pile atomique (baptisée Zoé). En 1950, Joliot met en oeuvre la construction du centre de Saclay, où se poursuivront les études nucléaires à partir de 1952. Engagé dans les rangs du Parti communiste et président du Mouvement de la paix, Joliot se prononce alors publiquement, en pleine guerre froide, contre la construction de l’arme nucléaire, ce qui lui vaut d’être aussitôt révoqué de son poste au CEA par le gouvernement. Peu de temps après, il est le premier signataire de l’appel de Stockholm, demandant l’interdiction de la bombe atomique. Tandis qu’Irène assure désormais la direction de l’Institut du radium, Frédéric reprend ses recherches au laboratoire de synthèse atomique. Il y a adjoint depuis 1938 un laboratoire de biologie où, avec Antoine Lacassagne, le couple étudie en parallèle l’utilisation thérapeutique des rayonnements et leurs effets cancérigènes à forte dose. C’est des conséquences de cette exposition prolongée qu’Irène meurt prématurément en 1956. Son mari ne lui survit guère, s’éteignant en 1958. Joséphine (Marie Josèphe Rose Tascher de La Pagerie), impératrice des Français (Trois-Îlets, Martinique, 1763 - Malmaison, Hauts-de-Seine, 1814). Issue d’une famille de petite noblesse établie en Martinique, elle rejoint la France à 16 ans pour épouser le vicomte Alexandre de Beauharnais, fils d’un ancien gouverneur de l’île, dont elle a bientôt deux enfants, Eugène et Hortense, et dont elle se sépare en 1784. Sous la Terreur, à la suite de l’arrestation de son époux, guillotiné le 23 juillet 1794, elle est incarcérée aux Carmes entre le 21 avril et le 6 août. À sa libération, elle fréquente les salons thermidoriens, dont celui de Mme Tallien, où sa grâce et sa courtoisie séduisent Barras, puis Napoléon Bonaparte, qu’elle épouse civilement le 9 mars 1796. Sur ordre du Directoire, elle rejoint le jeune général en Italie, où elle vole de fête en fête et spécule sur les fournitures militaires, avant de regagner Paris, en 1798. Très mondaine, elle intercède, dès le Consulat, en faveur de certains nobles et participe au ralliement de l’ancienne noblesse à l’Empire. Malgré des tensions avec la famille Bonaparte, elle est couronnée impératrice par Napoléon Ier, le 2 décembre 1804, après un mariage religieux. Cinq ans plus tard, n’ayant pas donné d’héritier à l’Empereur, elle est contrainte
d’accepter le divorce, prononcé par un sénatus-consulte le 15 décembre 1809. Elle se retire alors dans sa demeure de Malmaison, conservant son titre d’« Impératrice-Reine couronnée » et dotée d’une rente annuelle de trois millions de francs. Au terme de la campagne de France, le tsar Alexandre la place sous sa protection. Elle meurt le 29 mai 1814, peu après la première abdication de Napoléon. Jouarre (crypte de), crypte du monastère de Jouarre, dans la vallée de la Marne, qui constitue l’un des rares vestiges de l’art statuaire mérovingien et témoigne du rôle joué par l’aristocratie dans la christianisation de la société franque. C’est à la suite du passage dans sa famille du moine irlandais Colomban (vers 543-615) qu’un grand de Neustrie, Adon, familier des rois Clotaire II (584-629) et Dagobert Ier (605-639), et frère de l’évê-que de Rouen saint Ouen, fonde le monastère de Jouarre, au début du VIIe siècle. Vers 670, l’évêque de Paris Agilbert, proche parent d’Adon et frère de la première abbesse de Jouarre, Théodechilde, décide d’établir une memoria, c’est-àdire une nécropole familiale, dans la crypte de l’église funéraire du couvent. Celle-ci abrite bientôt les sarcophages d’Adon, d’Agilbert, des premières abbesses et de plusieurs autres membres de la famille, dont la réputation de sainteté fait peu à peu de la crypte un sanctuaire familial et local. La crypte de Jouarre témoigne d’abord de la mutation des pratiques funéraires de l’aristocratie franque : l’inhumation isolée - dans les campagnes - est progressivement abandonnée au profit de la sépulture ad sanctos, à l’intérieur ou autour des églises. Ensuite, elle souligne l’influence fondamentale exercée par saint Colomban et le monachisme irlandais sur les élites franques. Enfin, elle rend compte du rôle primordial joué par les grandes familles franques dans la diffusion du christianisme au sein des royaumes de Neustrie et d’Austrasie au VIIe siècle. Jouffroy d’Abbans (Claude François, marquis de), ingénieur et inventeur (Rochessur-Rognon 1751 - Paris 1832). Membre d’une ancienne famille comtoise, Jouffroy d’Abbans appartient à ces réseaux de sociabilité qui se dessinent parmi les industriels provinciaux. Il entre dans la même loge maçonnique que Joseph d’Auxiron et Charles de Follenay, un ami de son cousin le
chanoine Jouffroy d’Uzelles. Fort de ces relations et pouvant se prévaloir de ses essais de navigation à vapeur à Baume-les-Dames en 1778 (machine de Newcomen actionnée par downloadModeText.vue.download 498 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 487 un propulseur à palettes), il va tenter, comme Joseph d’Auxiron (mort en 1778), d’obtenir un privilège exclusif afin de rentabiliser la locomotion à vapeur. Dès 1781, il constitue une société par actions avec Jean-Baptiste d’Auxiron, frère du précédent. Après la réussite des expériences menées sur la Saône en 1783 avec un bateau à aubes, il entre en relation, l’année suivante, avec Jacques Constantin Périer, introducteur de la machine de Watt en France et rival d’Auxiron. Il découvre ainsi le condenseur séparé mais manque de moyens financiers pour s’associer à Périer, le coût des essais exigés régulièrement par l’Académie des sciences étant très élevé. Ainsi, la nouvelle démonstration de son bateau à aubes qu’on le prie de faire sur la Seine est compromise, de même que l’octroi du privilège exclusif. En 1801, Jouffroy construit un bateau équipé d’une machine à double effet, pour lequel il n’obtiendra un brevet qu’en 1816 et dont il offrira un modèle au Musée de la marine, fondé au Louvre, en 1827. Jouhaux (Léon), dirigeant syndical (Paris 1879 - id. 1954). Né dans une famille ouvrière où les traditions de lutte sociale perdurent depuis plusieurs générations, Léon Jouhaux est contraint d’arrêter ses études à l’âge de 15 ans, et entre à la Manufacture d’allumettes d’Aubervilliers, où il intègre très vite le syndicat CGT. Il y fait une ascension fulgurante : membre du comité national en 1905, il est élu secrétaire de la confédération le 12 juillet 1909. Conciliant la tendance « réformiste » et le courant « révolutionnaire », dont il est issu, il prône l’unité syndicale et l’indépendance du syndicalisme à l’égard des partis politiques. Renonçant à la grève générale le 1er août 1914, Léon Jouhaux participe à l’« union sacrée » aux côtés d’Albert Thomas, mais refuse, à l’automne 1917, le ministère que lui propose Clemenceau. Pendant la Première Guerre mondiale, il se rapproche des principaux dirigeants syndicalistes européens et américains. Ce sont précisément les positions de Jouhaux dans
le domaine de la politique internationale qui provoquent l’exclusion des minoritaires (syndicalistes révolutionnaires et bolcheviques) de la CGT en 1921, qui donne naissance à la CGTU. Consulté par les différents gouvernements, le « général » organise, au printemps 1934, les « états généraux du travail », afin de promouvoir le « plan économique et social » de la CGT. En 1936, il prend position en faveur de la réunification du syndicat (congrès de Toulouse) ; il est alors au faîte de sa puissance, refusant toute participation directe au gouvernement du Front populaire. Devant affronter les divisions entre pacifistes et antimunichois (dont il fait partie), affaibli par l’échec de la grève générale du 30 novembre 1938, il ne peut s’opposer à l’exclusion des communistes en 1939. Pendant l’Occupation, Léon Jouhaux refuse de rejoindre Londres et s’attache à la reconstruction du mouvement syndical depuis Sète, où il s’est installé, avant d’être placé en résidence surveillée à Cahors par le gouvernement de Vichy, puis livré aux Allemands et interné à Itter (Tyrol) au printemps 1943. En 1945, avec Benoît Frachon, il reprend la direction de la CGT réunifiée. Mais son aura n’est plus la même. Après les grandes grèves de l’automne 1947, il démissionne du secrétariat général de la CGT. Élu à la tête de la CGT-Force ouvrière (1948-1954), il préside également le Conseil économique, et s’engage dans une action internationale qui lui vaudra le prix Nobel de la paix en 1951. Jourdan (Jean-Baptiste, comte), maréchal de France (Limoges 1762 - Paris 1833). Fils de chirurgien, Jourdan s’engage à 16 ans et participe à la guerre d’Indépendance américaine. De retour en France, il est réformé pour maladie et s’installe comme mercier à Limoges. C’est la Révolution qui relance sa carrière militaire : élu capitaine dans la garde nationale, puis lieutenant-colonel du 2e bataillon de la Haute-Vienne en octobre 1791, il combat à Jemmapes (novembre 1792) et à Neerwinden (mars 1793). En juillet 1793, il obtient ses galons de général de division, puis le commandement de l’armée du Nord. Il bat les Autrichiens à Wattignies, les 15 et 16 octobre 1793. Après une brève mise à l’écart, il prend la tête de l’armée de la Moselle, puis de celle de Sambre-et-Meuse. Le 26 juin 1794, à Fleurus, au nord de Charleroi, il remporte une victoire décisive. Après quelques échecs militaires en Bavière, Jourdan quitte l’armée à la fin de 1796 et regagne Limoges. L’année suivante, il est
élu au Conseil des Cinq-Cents. En 1798, il organise le système de la conscription en faisant voter la loi Jourdan-Delbrel. Néo-jacobin, il s’oppose dans un premier temps au coup d’État du 18 brumaire, mais finit par se rallier à Bonaparte. Cependant, sous le Consulat et l’Empire, bien que fait maréchal en 1804, il ne reçoit pas de commandement important. Il suit Joseph Bonaparte à Naples, puis en Espagne. Renonçant à ses idéaux de jeunesse, il se rallie à Louis XVIII, qui le fait comte (1816), puis pair (1819). Louis-Philippe le nomme un temps ministre des Affaires étrangères, puis gouverneur des Invalides, poste qu’il occupe jusqu’en 1830. Journal de Paris, premier quotidien français (1777-1840), né sous le règne de Louis XVI et disparu sous celui de Louis-Philippe. Il remporte d’emblée un vif succès, qu’il doit à sa périodicité, à sa lecture aisée et à une information pratique, excluant les faits divers et la politique, ce qui en fait une feuille adaptée aux nécessités urbaines et fort prisée par la bourgeoisie parisienne. Propriété de bourgeois proches des Encyclopédistes, le Journal de Paris prend indirectement position en faveur du tiers état, tout en demeurant fidèle à la monarchie. Sous la plume du député Joseph Garat, de 1789 à 1791, il soutient un temps la Révolution, puis devient conservateur avec l’arrivée du feuillant Regnault de Saint-Jeand’Angély, de novembre 1791 à août 1792, ce qui lui vaut d’être mis à sac par les insurgés du 10 août 1792. Roederer, qui le rédige dès octobre 1792 et en acquiert la propriété pour moitié en 1795, en fait un journal neutre sous le Directoire, puis, avec Maret, nouveau copropriétaire en 1799, une feuille dévouée à Napoléon Bonaparte et à l’Empire. C’est d’ailleurs l’un des treize journaux politiques parisiens maintenus par le décret du 17 janvier 1800 et l’un des quatre « survivants » autorisés par celui du 4 février 1811, qui en confisque le capital pour le redistribuer aux fidèles du régime et au ministère de la Police. Insipide et soumis au pouvoir politique, royaliste sous la Restauration et contrôlé par le ministère Villèle en 1824, il ne résiste guère au développement de la presse sous la monarchie de Juillet. Journal des débats, quotidien de tendance conservatrice fondé sous la Révolution, l’un des plus influents au XIXe siècle (17891944). C’est afin de rendre compte des délibérations
et des décisions de la Constituante que Jean Baudouin, député suppléant puis imprimeur de l’Assemblée nationale, fonde le Journal des débats et décrets, dont le style restera inchangé jusqu’à la disparition du titre : un ton grave et pompeux, gage d’un certain sérieux, une prudence évitant toute polémique et respectueuse du pouvoir en place. Pratique mais austère, cette feuille, qui traverse sans encombre la Révolution et végète sous le Directoire, devient célèbre sous le Consulat, lorsque les frères Bertin, les nouveaux propriétaires, la modernisent, organisant les nouvelles en segments distincts et inventant le feuilleton (1801), une demi-page réservée à la littérature et au théâtre. Ces réformes la consacrent comme le premier grand journal du XIXe siècle, le plus lu et le plus influent sous l’Empire, grâce aussi aux plumes de Chateaubriand, Bonald, Royer-Collard ou Geoffroy, dont le feuilleton littéraire échappe à la censure politique. Royaliste mais adulant l’Empereur, le quotidien, dont le lectorat est composé essentiellement de notables provinciaux, n’est pourtant guère apprécié du gouvernement. N’osant le supprimer, celuici le transforme en Journal de l’Empire et en désigne le rédacteur en chef (1805), puis en confisque le capital (1811). Prenant le titre de Journal des débats politiques et littéraires sous la Restauration (1815), il est d’abord ultra, puis incline vers un libéralisme de droite, protestant avec vigueur contre le ministère Polignac en 1829 ; il se rallie en 1830 à la monarchie de Juillet, qui le subventionne et dont il est l’un des plus fermes soutiens, demeurant jusqu’au bout fidèle à Guizot. Tout en défendant les intérêts de la bourgeoisie d’affaires, il adopte une attitude de « juste milieu » qui le situe dans l’opposition libérale sous le Second Empire, avant de le rapprocher de Napoléon III à la fin du régime. Suspendu par la Commune en 1871, il reste l’un des principaux journaux parisiens, sous la IIIe République et jusqu’à 1914. Trônant au centre droit, il est désormais la propriété de capitalistes, dont les puissants sidérurgistes de Wendel, et est lié aux milieux financiers. Par la suite, mêlé à de sombres affaires de publicité financière et de corruption, et, surtout, concurrencé par les journaux populaires de masse et par le Temps, il perd de son influence. Une influence qui décline plus encore sous le régime de Vichy, quand, « replié » en zone sud, il est de ces journaux serviles et conformistes qui disparaîtront à la Libération. downloadModeText.vue.download 499 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 488 Journal de Trévoux, mensuel culturel et savant, dit aussi Mémoires de Trévoux, organe de l’ordre des Jésuites et l’un des interprètes du mouvement des idées du XVIIIe siècle (1701-1767). Distribué dans tout le royaume, ce journal est parmi les plus lus au cours de la première moitié du siècle. Il est d’abord imprimé à Trévoux, la capitale de la principauté de la Dombes, indépendante jusqu’en 1762, et possession du duc du Maine, qui accorde sa protection, puis à Lyon (1731-1733) et, enfin, à Paris. La plupart des rédacteurs sont des professeurs du collège jésuite parisien Louisle-Grand, mais le journal compte aussi des collaborateurs qui sont étrangers à la Compagnie de Jésus. Prenant modèle sur le Journal des savants (fondé en 1665) et sur le Mercure galant (1672), des revues culturelles de référence, le mensuel, dont le titre original est Mémoires pour l’histoire des sciences et des beaux-arts, affiche une volonté d’érudition. Il se propose d’atteindre un public cultivé en se faisant l’intermédiaire des savants de France et d’Europe par la publication de comptes rendus d’ouvrages relatifs à tous les domaines de la connaissance : sciences, lettres, beaux-arts. En fait, les jésuites, ardents ultramontains, entendent s’opposer, par le biais du journal, à l’influence du gallicanisme et de toute forme d’« hérésie » ou de doctrine menaçant la religion catholique : protestantisme, jansénisme, quiétisme puis déisme, matérialisme et incrédulité philosophique. Cependant, tout en liant la défense de la religion à celle de la monarchie, les « journalistes de Trévoux » demeurent attachés aux Lumières, partageant avec les Philosophes une foi constante dans le progrès des sciences et des « arts utiles », et conjuguent tradition, modernité et universalité. Les nombreuses polémiques engagées par le journal lui valent quelques déboires, auxquels s’ajoutent les élucubrations de certains de ses auteurs et un manque de direction éditoriale, sans parler des multiples erreurs et retards de publication. Après un début de réforme en 1734, tout change en janvier 1745 avec la nomination du Père Guillaume François Berthier, qui instaure une homogénéité de ton et d’esprit, bannit la controverse, ouvre davantage le journal aux idées nouvelles et donne plus d’impor-
tance à la littérature, afin de répondre au goût du public. L’expulsion des jésuites et la fermeture de Louis-le-Grand en 1762 mettent un terme à la direction du Père Berthier, qui cède la place à des Pères de Sainte-Geneviève. Puis le privilège passe aux mains de Didot le Jeune (1766), qui rebaptise le titre, en janvier 1768, Journal des beaux-arts et des sciences. Journal officiel de la République française ou Journal officiel, publication officielle quotidienne destinée à assurer la publicité auprès de chaque citoyen des lois, décrets, arrêtés, actes et documents administratifs, ainsi que des débats parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat. Pour consolider la démocratie et faire connaître la loi, la Ire République décide, le 24 frimaire an II (14 décembre 1793), de publier et d’envoyer aux Communes le Bulletin des lois de la République, ancêtre du Journal officiel. Ce Bulletin survit à la chute de la République, tandis que le Moniteur universel, qui avait commencé de paraître en novembre 1789, publie, à partir de 1799, les autres textes officiels. En 1869, alors que le Second Empire se démocratise, Eugène Rouher confie à Émile de Girardin la création du Journal officiel, qui se substitue au Bulletin des lois, par décision du gouvernement Thiers, le 5 novembre 1870. L’installation d’une imprimerie à Versailles, ville où se tiennent alors le gouvernement et le Parlement, et l’allongement des débats parlementaires, qui doivent être dorénavant publiés, creusent les déficits du Journal : l’État garant perd 6 millions de francs en neuf ans, ce qui le pousse à transformer le J.O. La loi du 28 décembre 1880, qui régit encore les publications officielles, met le Journal officiel de la République française en régie : l’État confie composition, impression et expédition à une société ouvrière. En outre, la structure de la publication est modifiée : d’une part, communiqués administratifs, documents semi-officiels, annonces sélectionnées ; d’autre part, textes officiels, rassemblés dans les fascicules « Lois et décrets », « Débats parlementaires », « Associations ». Conformément au principe selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi », le J.O. tient lieu de courroie de transmission entre l’État et les citoyens. Joyenval (abbaye de), abbaye de l’ordre des chanoines réguliers de Prémontré édifiée en 1221 en forêt de Marly, et devenue un sanctuaire royal et un grand lieu de pèlerinage à la fin du Moyen Âge.
Fondée par Barthélemy de Roye, chambrier de France et conseiller du roi Philippe Auguste (1180/1223), autour des reliques de saint Barthélemy, rapportées de Terre sainte, elle est rapidement favorisée par les rois de France, qui, avec l’aide des moines, la consacrent comme le principal lieu de culte dédié à Clovis. Bien qu’il ne soit pas canonisé, ce souverain mérovingien est en effet l’objet de la dévotion royale, car il est considéré comme le fondateur de la dynastie et du royaume. Au cours des XIIIe et XIVe siècles, les moines de Joyenval tissent ainsi la légende selon laquelle l’abbaye aurait été construite à proximité du lieu où, vers 496, Clovis vainquit les Alamans, grâce au soutien de Dieu, que vint matérialiser un écu marqué de trois fleurs de lys. Cet écu aurait ensuite été confié par Clovis à un ermite et aurait été pieusement recueilli par les moines de Joyenval. Ces derniers le considèrent alors comme une véritable relique, dont la présence dans l’abbaye, autant que celle des reliques de saint Barthélemy, explique les pouvoirs réputés miraculeux de la fontaine de Joyenval pour guérir les maladies de peau. La légende, cautionnée par les rois Valois, connaît un succès considérable aux XIVe et XVe siècles, et assure l’essor du pèlerinage, en dépit des troubles causés par la guerre de Cent Ans. Dans la seconde moitié du XVe siècle, le soutien apporté par les souverains au pèlerinage du Mont-Saint-Michel entraîne le déclin de Joyenval. La dévastation de l’abbaye au XVIe siècle, sa destruction au XVIIe, effacent toute trace des anciens bâtiments abbatiaux. Jublains, commune de la Mayenne où s’élevait une ville gallo-romaine, dont les vestiges, notamment une fortification, sont particulièrement bien conservés. Le site correspond à la ville de Noviodunum, créée de toutes pièces à un carrefour routier, au début de l’occupation romaine, pour devenir un important centre administratif, cheflieu des Aulerques Diablintes. Jublains s’étend sur une vingtaine d’hectares, et son plan de même que ses monuments sont typiques de ceux d’une ville nouvelle gallo-romaine. On découvre plusieurs édifices, échelonnés le long de deux larges avenues parallèles : à l’extrémité nord, un vaste temple entouré d’un portique quadrangulaire - peut-être voué à une déesse locale des sources -, puis, plus au sud, un long forum central, des thermes, et, enfin, un théâtre semi-circulaire. À l’écart se
trouve le fortin, ou « camp romain », construit vers l’an 200, et dont les ruines restent imposantes : en fait, il s’agit d’une sorte de grenier fortifié muni de quatre tours d’angle, sans doute destiné au stockage du ravitaillement de l’armée et à la collecte des impôts. À la fin du IIIe siècle, il fut renforcé, au moyen d’un rempart de terre, puis d’une véritable enceinte de pierres et de briques, de plan trapézoïdal, avec douze tours et plusieurs portes. Les bâtiments d’habitation de la ville, tout comme les nécropoles, ne donnent pas une impression de grande richesse. De fait, il semble qu’à partir du IVe siècle Jublains perde son intérêt stratégique, avant de péricliter progressivement. Le site a été aménagé pour la visite et comporte un musée. l JUIFS. Si l’implantation des Juifs en France est extrêmement ancienne, leur histoire est d’abord régionale, éclatée entre quatre communautés différentes : celles de Lorraine, d’Alsace, du Sud-Est et du SudOuest. Conversions forcées et expulsions scandent les étapes des migrations des Juifs, tandis que les croisades constituent un tournant fondamental, entraînant pour eux des spécialisations professionnelles nouvelles. Depuis le décret d’émancipation du 27 septembre 1791, on assiste à l’intégration progressive des Juifs dans la société française, à un rythme variable selon les régions. Cependant, les poussées d’un antisémitisme qui a succédé à l’antijudaïsme médiéval, conjuguées à différentes vagues d’immigration - d’Europe centrale et orientale, puis d’Afrique du Nord -, ont ralenti ce mouvement. LA CONSTITUTION DES COMMUNAUTÉS MÉDIÉVALES Venue de Palestine, d’Afrique du Nord ou d’Italie, la première vague d’immigration juive en France touche la partie méridionale de la vallée du Rhône et le Sud-Ouest entre la fin du Ier siècle et le IIIe siècle. À partir de la fin du IVe siècle, les témoignages écrits attestent l’extension des communautés vers le nord, suivie d’un mouvement migratoire inverse, du nord au sud, provoqué par des tentatives de downloadModeText.vue.download 500 sur 975
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baptêmes forcés. On ne sait pas avec certitude si Dagobert expulse les Juifs de son domaine - Austrasie, Neustrie et Aquitaine - entre 631 et 638, mais leur nombre diminue dans ces régions entre la fin du premier tiers du VIIe et le début du IXe siècle. L’immigration en provenance d’Espagne entraîne, à partir du IXe siècle, la constitution de nouvelles communautés. S’installant le long de la vallée du Rhône et de la Saône, elles remontent vers le nord, et se ramifient depuis Bordeaux ou Metz au cours du Xe siècle. Ces mouvements s’accompagnent de l’amorce d’un développement culturel spécifique, au moment où le texte du Talmud devient accessible en France. Shlomo ben Isaac, dit Rashi (1040-1105), procède à un commentaire exégétique de la Bible et du Talmud dont s’inspireront ultérieurement des théologiens chrétiens. À partir de 1095, lors de la première croisade, les communautés situées entre la Loire et Rouen, accusées d’être de connivence avec les musulmans, sont victimes de massacres à grande échelle. Au cours de la deuxième croisade, les Juifs sont soumis à une contribution destinée à financer l’expédition militaire des chrétiens. En 1171, une série d’accusations de meurtres rituels pousse à nouveau les Juifs à fuir le Nord pour s’installer au Sud, et entraîne le développement d’une implantation juive en Languedoc. Onze ans plus tard, Philippe Auguste promulgue le premier décret d’expulsion du domaine royal, suivi d’un rappel, sans grand effet, en 1198. Dès lors, de nouvelles communautés s’installent hors du domaine royal (en Alsace, à Strasbourg, en Champagne, dans le duché de Bourgogne, en Provence et en Languedoc), tandis qu’en France même, à la suite d’interdictions répétées de résider dans les petites localités, les Juifs gagnent les grandes villes. Les tentatives de conversions forcées ponctuent l’ensemble de la période médiévale. Les apostats constituent une cible privilégiée pour l’Inquisition, notamment après l’adoption par Clément IV, en 1267, de la bulle Turbato corde qui les assimile à des hérétiques. Une quarantaine de conciles légifèrent contre les Juifs durant cette période : les repas pris en commun entre Juifs et chrétiens sont interdits, ainsi que les mariages mixtes ; la circulation des Juifs durant les fêtes de Pâques, la création de boucheries juives, le comportement des Juifs durant les fêtes chrétiennes et la pratique de l’usure font l’objet de réglementations strictes. Les Juifs sont soumis au port de la rouelle (1269) et au paiement d’une dîme
ecclésiastique. Les polémiques antijuives qui s’étaient développées au XIIe siècle deviennent affrontement, qui culminera avec la disputation de 1240 (en réalité un procès intenté au Talmud), laquelle aboutit à l’autodafé de vingt-quatre charretées de livres hébreux en place de Grève, suivi, un peu partout, d’appels à la destruction du Talmud. Mais l’existence d’établissements religieux n’est pas mise en cause et la pratique reste autorisée. L’expulsion par Édouard Ier des Juifs d’Angleterre, en 1290, provoque un nouvel accroissement de leur population en France. C’est pourtant peu après, en 1306, que se produit la plus grande expulsion des Juifs du royaume : près de 100 000 bannis vont s’installer dans le Hainaut, à Metz, en Alsace, en Comté, en Savoie, en Dauphiné, en Provence ou au-delà des Pyrénées. Dès 1315, en échange de contributions fiscales élevées, les Juifs ont la possibilité de revenir en France pour une durée limitée. Ce délai est prolongé à plusieurs reprises, jusqu’au décret rendu par Charles VI, le 17 septembre 1394, qui prononce à nouveau leur expulsion. Le départ des Juifs engendre la création de nouvelles communautés dans les provinces limitrophes. Au cours du XIVe siècle, les Juifs ont dû affronter les massacres et les baptêmes forcés dans le sillage de la « croisade des pastoureaux » (1320), ainsi qu’une succession de persécutions liées à l’épidémie de la Peste noire (1347-1349), qui éprouvent tout particulièrement les communautés de Provence, de Savoie et du Dauphiné. Durant tout le Moyen Âge, les Juifs sont légalement soumis au pouvoir royal ou à celui des seigneurs locaux. L’autorité fiscale et juridictionnelle constitue l’enjeu de cette concurrence, la question de leur présence dans le royaume relevant de l’autorité exclusive du roi de France. Avant les croisades, l’éventail des activités exercées par les Juifs est large, la production et le commerce du vin constituant un secteur privilégié. Ainsi, les Juifs de Provence, très présents dans l’industrie, se distinguent notamment dans le commerce maritime. Le crédit juif se développe considérablement entre le XIIe et le XVe siècle, souvent pratiqué comme activité accessoire par des médecins, nombreux dans le Sud et le Sud-Est. L’activité des prêteurs donne lieu à une exploitation fiscale souvent inique. Lors des expulsions, le Trésor recouvre les créances de ces derniers et confisque leurs biens. Ils ne peuvent alors revenir qu’à condition d’acquitter un « droit d’entrée ».
Les persécutions se poursuivent durant les XVe et XVIe siècles, entraînant le départ de la majorité des Juifs du Dauphiné et de Savoie. En Provence, où l’on compte environ 30 000 Juifs dispersés dans une soixantaine de localités lorsque la province passe sous souveraineté française en 1481, les villes où ont éclaté des manifestations populaires d’antijudaïsme demandent l’une après l’autre l’expulsion des Juifs. Les ordres d’expulsion, édictés à partir de 1498, sont définitivement appliqués en 1501. LES COMMUNAUTÉS JUIVES SOUS L’ANCIEN RÉGIME À la fin du Moyen Âge, ne demeurent donc plus sur le territoire de la France que quelques familles juives en Savoie, une petite communauté à Nice, 2 000 âmes en Avignon et dans le Comtat, quelques milliers en Alsace. La Lorraine accueille de nombreux Juifs à partir du XVIe siècle, tandis que les marranes d’Espagne et du Portugal s’installent dans le Sud-Ouest. L’histoire de la population juive durant cette période est d’abord celle de quatre grandes communautés, établies à l’Est, en Provence et dans le Sud-Ouest. À Metz, les Juifs ont reconstitué un centre actif à la suite de l’entrée des troupes françaises, en 1552. La garnison, en place dans les Trois-Évêchés, profite des moyens que les Juifs - prêteurs d’argent - mettent à sa disposition, et, malgré les protestations des catholiques de la ville, leur nombre s’accroît régulièrement, tandis que les rois, au nom de l’intérêt de l’État, confirment les privilèges qui leur sont accordés. Dans les duchés de Lorraine, occupés par les troupes françaises de 1633 à 1661, puis de 1670 à 1697, l’opposition de la population locale freine, sans l’interrompre, l’immigration juive ; celle-ci reprend, après 1697, grâce à la politique des ducs qui souhaitent, grâce aux Juifs, favoriser le développement du commerce ; des périodes de réaction s’ensuivent jusqu’à la réunion de la Lorraine à la France (1766), qui entraîne une nouvelle augmentation de la population juive dans cette région. L’organisation interne de ces communautés repose sur les rabbins et les syndics. Docteurs de la loi, responsables de l’étude, de l’enseignement et de la juridiction, les rabbins sont élus et leur élection est soumise à l’approbation du souverain. Chargés de la police, de la répartition et de la levée des impôts, de la
gestion des finances, six à douze syndics sont élus pour trois ans par un système qui assure l’emprise d’une oligarchie de familles aisées. Exclus des corporations qui monopolisent les différentes branches de l’artisanat et du commerce de détail, les Juifs n’ont pas le droit de posséder des biens immeubles - terres et édifices. Ils se spécialisent donc dans le colportage, le commerce des grains ou des bestiaux, ainsi que dans celui des bijoux et pièces d’orfèvrerie, et pratiquent surtout le prêt à intérêt et la vente à crédit. Au cours du XVIIIe siècle, ils sont victimes d’un indéniable appauvrissement. En Alsace - région caractérisée par un morcellement administratif qui subsiste lors même que l’autorité du roi de France se substitue à celle des Habsbourg -, les Juifs connaissent une grande variété de statuts. Soumis à des mesures restrictives visant leur activité économique, leur capacité juridique et l’exercice du culte, ils sont victimes d’expulsions jusqu’en 1574 en haute Alsace. Au XVIe siècle, on ne compte guère que 100 à 120 familles juives sur l’ensemble de la province ; en 1689, le recensement fait état de 587 familles et leur nombre atteint 3 913 en 1784. Ce développement s’amorce pendant la guerre de Trente Ans, puis s’accentue lorsque l’Alsace passe sous domination française. Certains seigneurs locaux tirent alors profit de la présence des Juifs qui approvisionnent les armées. En 1681, les Juifs d’Alsace se dotent d’un rabbinat. À la fin du XVIIIe siècle, on compte cinq rabbinats officiels. Si la construction de synagogues leur est souvent refusée, les Juifs obtiennent l’autorisation d’exercer discrètement leur culte. Exclus de tous les corps de métier et des corporations, ils vivent de colportage, de friperie, de brocante et de ferraillage, exercent un monopole sur le commerce des chevaux et le prêt sur gages. En majorité ruraux, ils restent les intermédiaires auprès des paysans pour les denrées de première nécessité (bétail, instruments de travail) et le crédit à court terme. À la veille de la Révolution, la communauté d’Alsace est la parente pauvre des juiveries françaises. Elle compte cependant une petite élite, symbolisée par Cerf Berr (Naphtali Hirtz, fils de Berr, 1726-1794), qui downloadModeText.vue.download 501 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 490 oeuvre pour améliorer la situation des Juifs (1779-1780 : mémoire adressé à Louis XIV).
Après leur expulsion de Provence en 1501, des communautés juives subsistent cependant dans une douzaine de bourgs ou villes du Comtat Venaissin (Carpentras, Cavaillon, L’Isle-sur-Sorgue, Mornas, Vaison), et également à Avignon, Sorgues, Bédarrides et Gigognan. Tout au long du XVIe siècle, les États du Comtat demandent au pape de décider de l’expulsion des Juifs. Les bulles de Pie V (15 juillet 1569) et de Grégoire XIV (1593) sur cette question restent sans grand effet mais, sous la pression des notables locaux et des commerçants, une législation vexatoire et limitative est mise en place par les papes, ce qui provoque, au siècle suivant, un mouvement d’émigration vers la région de Bordeaux et le Languedoc (1674). Les Juifs sont relégués dans quatre « carrières » (Avignon, Carpentras, Cavaillon et L’Isle-sur-Sorgue), véritables ghettos dont ils ne peuvent sortir que le jour, munis de sauf-conduits et porteurs de signes vestimentaires particuliers (un chapeau jaune ou une marque jaune sur leurs habits ou sur le chapeau noir porté par les hommes). Le nombre de synagogues est limité. Ils sont tenus d’assister à des sermons de prédicateurs chrétiens, ne peuvent avoir à leur service des chrétiens. Il leur est interdit de pratiquer la médecine, d’être propriétaires d’immeubles, maisons ou terres, de se charger des fermes publiques, de faire commerce de marchandises neuves ou de denrées alimentaires. De nombreuses dispositions règlent le prêt à intérêt. Les Juifs se spécialisent donc dans la vente de vêtements usagés et d’étoffes. Malgré les interdictions, ils continuent à exercer le commerce de grains et des céréales ainsi que celui des bijoux. Ils pratiquent aussi le prêt à intérêt, mais les communautés sont souvent elles-mêmes endettées. Répartis selon leurs richesses en trois classes financières, les Juifs sont dirigés par un conseil où chacune des classes est représentée. Les baylons (membres du conseil), responsables de leur communauté devant les autorités chrétiennes, exercent des fonctions de police. Les chantres, ministres principaux du culte, jouent un rôle plus important que les rabbins qui, depuis 1763, tiennent les registres d’état civil. Avant même l’expulsion des Juifs d’Espagne (1492), puis du Portugal (1496), les marranes de la péninsule Ibérique, Juifs qui ont été contraints d’abjurer leur foi pour se convertir au catholicisme, gagnent le sudouest de la France. Ils sont officiellement catholiques et bénéficient des facilités accordées aux étrangers. Les lettres patentes de 1550, accordées par Henri II à Saint-Germain-en-
Laye, assurent une base légale à leur installation en France. À la fin du XVIe siècle, l’immigration marrane connaît un renouveau. En 1685, l’attitude des autorités face à tous les non-catholiques se radicalise. Mais la révocation de l’édit de Nantes ayant entraîné la fuite des protestants, des difficultés économiques surgissent et l’importance des Juifs s’accroît. Les convertis abandonnent progressivement l’observance des rites catholiques. En 1723, après une nouvelle menace d’expulsion annulée par le versement d’une forte somme d’argent, le renouvellement de lettres patentes de protection fait explicitement référence aux Juifs. Leurs relations avec la population locale restent toutefois tendues ; si l’attitude des administrations municipales à leur égard varie d’une ville à l’autre, c’est l’autorité royale qui garantit en dernier ressort leurs droits. Les Juifs du Sud-Ouest sont surtout des commerçants, mais nombreux sont ceux qui exercent la profession d’industriel ou de médecin. À la veille de la Révolution, on compte 40 000 Juifs à l’intérieur des frontières actuelles de la France. 25 000 résident en Alsace, répartis dans diverses petites communautés, 7 500 dans le Messin et en Lorraine, 3 500 dans le Sud-Ouest et 2 500 dans le Comtat Venaissin. Il s’agit dans l’ensemble d’une population rurale ou semi-rurale. Quelques familles juives se sont installées à Paris au XVIIIe siècle et représentent 500 à 700 personnes vers 1780. DE L’ÉMANCIPATION AUX ANNÉES NOIRES DE VICHY Les droits de citoyen sont d’abord accordés aux Juifs portugais, espagnols et avignonnais, le 28 janvier 1790. Le 27 septembre 1791, sur le point d’achever ses travaux, l’Assemblée constituante émancipe tous les Juifs qui deviennent citoyens à condition de renoncer à leur statut communautaire. La voie de l’intégration dans la société française leur est officiellement ouverte. Durant la période napoléonienne, l’organisation du culte se consolide. L’Empereur convoque à Paris une assemblée de notables choisis par les préfets. Ses travaux (26 juillet 1806-6 avril 1807), auxquels une sanction religieuse est conférée par la réunion d’un grand sanhédrin (février-mars 1807), aboutissent à la promulgation, le 17 mars 1808, de trois décrets. Les communautés autonomes sont désormais remplacées par un Consis-
toire central (en 1808 à Paris) et des consistoires départementaux dans les départements comptant au moins 2 000 Juifs (7 consistoires en 1809). Une organisation hiérarchisée et centralisée, dominée par les laïcs, se met en place, chargée de l’administration du culte, des actions de bienfaisance et de l’encadrement de la jeunesse par la création d’écoles primaires pour les enfants pauvres et d’écoles professionnelles. Une taxe cultuelle est imposée en 1811 mais ce n’est guère qu’en 1831, sous la monarchie de Juillet, que les rabbins sont rémunérés par l’État, à l’instar des autres ministres du culte. Le troisième décret permet la réduction des créances juives, voire leur annulation ; ce « décret infâme » ne sera pas renouvelé en 1818 par Louis XVIII. Enfin, un décret du 20 juillet 1808 oblige les Juifs à faire enregistrer leur patronyme et prénom à l’état civil. La construction de grandes synagogues (250 sont édifiées en France, de 1791 à 1914) témoigne de la nouvelle stabilité acquise. Une école centrale rabbinique est créée à Metz en 1829 et sera transférée à Paris en 1859. De nombreuses institutions juives, à la fois caritatives et cultuelles, voient le jour. Cette époque est néanmoins marquée, d’une manière générale, par une désaffection religieuse liée à l’intégration progressive des Juifs dans la société française. Depuis la suppression du serment more judaico en 1846, procédure judiciaire aux termes de laquelle les Juifs devaient prêter serment sur la Bible selon un cérémonial suranné, aucune loi écrite ne distingue plus les Juifs des chrétiens. Dès lors, les Juifs du Sud-Ouest développent leurs activités tout en maintenant leur cohérence de groupe, en conservant leurs structures socioprofessionnelles et en participant à la vie politique et culturelle de leur ville (notamment à Bordeaux). Ceux du Sud-Est émigrent très tôt vers les villes du Midi, ainsi qu’à Lyon et Paris, tandis que les « carrières » disparaissent. Dans la capitale, ils deviennent avec succès magistrats, avocats, journalistes, écrivains, banquiers ou hommes politiques. Le Comtat Venaissin et Avignon sont le berceau d’éminentes personnalités juives des XIXe et XXe siècles, tels Adolphe Crémieux, Alfred Naquet (initiateur en 1884 de la loi sur le divorce), le compositeur Darius Milhaud (18921974) ou René Cassin (1887-1976). La modernisation, au sein de la communauté de l’est de la France, est moins rapide du fait de l’environnement rural et conservateur. Le petit commerce reste longtemps
dominant, les conditions économiques sont précaires, et la part des professions libérales y progresse moins qu’ailleurs. Un mouvement de migration vers Paris s’amorce, accentué après l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Allemagne en 1871 ; il marque une étape cruciale dans l’urbanisation de la judaïcité française. De 1789 à 1866, le nombre de Juifs vivant en France passe de 40 000 à 89 000. À la fin du XIXe siècle, plus de 50 % d’entre eux sont établis à Paris. Une nouvelle bourgeoisie juive s’y développe (moyenne bourgeoisie et professions libérales). Les Juifs adoptent un mode de vie identique à celui des non-Juifs, mais ils se marient entre eux et se rassemblent encore dans les arrondissements où les relations intracommunautaires sont étroites et l’activité artisanale et commerciale concentrée. Ils sont, pour la plupart, de condition modeste, mais leur présence remarquée dans les milieux d’argent alimente le mythe de la « banque juive », symbolisé par la famille Rothschild. Ils jouent aussi un rôle important dans le développement industriel (les frères Pereire), se distinguent très vite dans les milieux de la musique et du théâtre (Rachel, Sarah Bernhardt), dans celui de la presse, en tant que patrons de journaux (Joseph Reinach, fondateur de la République), et s’illustrent à l’Université (l’orientaliste Salomon Munk, les frères Reinach, Henri Bergson, les sociologues Émile Durkheim et son neveu Marcel Mauss). En 1880 sont créées la Société des études juives et la Revue des études juives. Sous la IIIe République, on compte 171 Juifs préfets, conseillers généraux, magistrats, députés et sénateurs. Les mythes de « la France juive », puis de « la République juive » s’ajoutent à celui de la « banque juive ». Cette remarquable ascension sociale consacre l’union des valeurs juives progressistes et françaises, théorisée sous le nom de franco-judaïsme par James Darmestester (1849-1894) et qui s’accompagne d’un patriotisme sans faille. En Algérie, après la conquête française, sont mises en place pour les Juifs (de 15 à downloadModeText.vue.download 502 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 491 16 000 personnes) des rables à celles de la toires sont rattachés nome d’Algérie, puis,
structures compamétropole : trois consisà un consistoire autoen 1862, au Consistoire
central. La population juive croît très rapidement et se voit accorder la nationalité française par le décret Crémieux (1870). Simultanément se développent des formes de solidarité entre les Juifs de France et les communautés des autres pays, dont témoigne la création de l’Alliance israélite universelle (AIU) en 1860. S’étant fixé pour objectif de défendre la condition des Juifs dans le monde entier, l’AIU se lance d’emblée dans une vaste action éducative destinée à toutes les régions du pourtour méditerranéen. Entre 1880 et 1925, quelque 100 000 Juifs d’Europe centrale et orientale arrivent en France. La majorité d’entre eux s’installe à Paris, où se constitue une classe ouvrière juive. Ils parlent le yiddish, sont attachés aux traditions et ont parfois acquis une expérience révolutionnaire dans leur pays d’origine. Ils créent leurs propres journaux, leurs associations culturelles (un théâtre yiddish, en 1907), leurs sociétés de secours mutuel (les landsmanshaften) et, après la loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905, leurs propres oratoires. Ils se rattachent à différents courants idéologiques radicaux (socialistes, bundistes, anarchistes, socialistes-révolutionnaires), et c’est parmi eux que la nouvelle Fédération sioniste de France, créée en 1901, recrute ses sympathisants. De nombreux artistes, peintres et sculpteurs juifs s’installent également à Paris au début du XXe siècle, contribuant à la renommée de l’école de Paris (Sonia Delaunay, Amadeo Modigliani, Chaïm Soutine, Marc Chaghall, Jacques Lipchitz, etc.). Après 1909 et surtout 1911-1912, plus de 4 500 Juifs levantins, francophones de rite séfarade, s’établissent dans le département de la Seine, où ils créent leurs propres institutions et, notamment, l’Association cultuelle orientale de Paris, en 1909. Le monopole du Consistoire central est brisé (l’Union libérale israélite est créée en 1907), mais ce dernier n’en reste pas moins le représentant reconnu du judaïsme de France auprès des autorités. À la fin du XIXe siècle, au moment de l’affaire Dreyfus, la France connaît une flambée d’antisémitisme. Les Juifs qui se joignent aux dreyfusards le font en invoquant les intérêts de la France et des valeurs républicaines, à l’exception de Bernard Lazare (1865-1903), dont l’engagement en tant que Juif est fondé sur des convictions socialistes antérieures. Pendant cette période troublée, le Consistoire central s’interdit toute manifestation contre
l’antisémitisme. De cette épreuve morale décisive, les Juifs de France ont surtout retenu l’heureux dénouement. La participation massive des Juifs, français et étrangers, à la Première Guerre mondiale provoque un reflux de l’antisémitisme. En 1917, Maurice Barrès accorde une place aux Juifs dans les Diverses Familles spirituelles de la France 1918, du fait du retour de l’Alsace-Lorraine à la France, la population juive compte 150 000 personnes. Ce chiffre double dans l’entre-deux-guerres avec les nouvelles vagues d’émigration, venues pour l’essentiel d’Europe orientale et centrale. Il s’agit d’une population très hétérogène sur le plan idéologique, composée dans sa majorité de petits artisans, qui ont en commun de ne pas limiter aux domaines philanthropiques et religieux leur conception de l’action collective juive. Ils se font naturaliser en masse lorsque la loi d’août 1927 le leur permet, et leurs enfants fréquentent l’école française. Très politisés, les milieux immigrés développent également une intense activité culturelle. Deux quotidiens d’expression yiddish (Parizer Haynt, sioniste, et Naïe Presse, communiste) tirent à plusieurs milliers d’exemplaires, tandis que la Terre retrouvée représente le courant sioniste - minoritaire et divisé dans le milieu israélite français, mais dynamique dans les cercles de l’immigration. Des mouvements de jeunesse, et notamment les Éclaireurs israélites de France (EIF, créé en 1923), plaident pour une vision plurielle de l’identité juive. Dans l’immédiat avant-guerre, tandis qu’un antisémitisme xénophobe se développe en France, seule la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA, fondée en 1928 par Bernard Lecache) se manifeste publiquement, tandis que les institutions de la communauté s’organisent discrètement pour accueillir les réfugiés d’Allemagne et d’Autriche fuyant le nazisme. La défaite, l’occupation par les Allemands d’une partie de la France et la double politique antisémite appliquée par l’occupant et par le gouvernement de Vichy bouleversent la situation des Juifs. Marginalisés par les nouveaux statuts, menacés d’internement, notamment à Drancy, ils sont raflés (rafle du Vel’d’hiv’, les 16 et 17 juillet 1942), puis déportés dans les camps d’extermination. Au cours de ces quatre années, les Juifs ont d’abord fui massivement le Nord occupé pour
le Sud, puis sont allés des villes vers les campagnes pour tenter d’échapper au sort qui leur était réservé. Le Consistoire central opte pour une politique de légalité absolue, tout en protestant contre chacune des mesures de ségrégation ou de spoliation. Toutes les organisations juives, reconstituées en zone non occupée, centrent leurs efforts sur l’assistance à une population en voie de paupérisation. Elles sont regroupées, par une loi de l’État français du 29 novembre 1941, au sein de l’Union générale des israélites de France (UGIF) et soumises au contrôle du Commissariat général aux questions juives. L’UGIF porte secours à des milliers de Juifs ; sous son aile, certaines organisations mettent en place des réseaux de sauvetage illégaux, notamment d’enfants (l’Organisation de secours aux enfants - OSE -, les EIF, le Mouvement de jeunesse sioniste). Cependant, des Juifs sont aussi victimes de rafles dans les bureaux de l’UGIF, dont les dirigeants sont déportés avec leurs familles. Selon des modalités variées, les Juifs participent à la Résistance. De nombreux Juifs français s’engagent très tôt dans les différents mouvements, où ils occupent des positions importantes. Des groupes de communistes juifs, recrutés dans les milieux immigrés et rattachés à la Main-d’oeuvre immigrée (MOI, ceux du groupe de l’« Affiche rouge »), sont particulièrement efficaces dans la résistance armée à Paris, Lyon, Grenoble et Toulouse. Ils sont à l’origine d’une presse clandestine très riche. Des groupes de jeunes sionistes se vouent au sauvetage des Juifs. À la Libération, on estime que 25 % de la population juive de France a été déportée et exterminée. LES JUIFS DE FRANCE AUJOURD’HUI Au lendemain de la guerre, une fois abrogées les lois discriminatoires du gouvernement de Vichy par la loi du 9 août 1944 rétablissant la légalité républicaine, les Juifs de France cherchent d’abord à « fermer la parenthèse ». Ils disposent d’une nouvelle organisation créée dans la clandestinité, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), et fondent, en 1949, le Fonds social juif unifié (FSJU) pour centraliser collecte et répartition des fonds. Dans les débats intracommunautaires, le sionisme est désormais légitimé et l’État d’Israël devient une donnée référentielle de l’identité de nombreux Juifs de France. Dans ce contexte, les prises de
position du général de Gaulle au moment de la guerre des Six Jours (juin 1967), qui fait porter sur Israël la responsabilité principale dans le déclenchement du conflit, ont provoqué une crise, limitée néanmoins à une courte durée. De 1955 à 1965, la France est, après Israël, le premier pays d’immigration juive : 235 000 Juifs d’Afrique du Nord s’y installent, bouleversant la physionomie de la communauté. Les Juifs venus d’Algérie arrivent en tant que Français, ce qui facilite leur intégration. Pour eux, comme pour les Juifs immigrés du Maroc ou de Tunisie, le processus de francisation a été largement amorcé en Afrique du Nord. Ils créent leurs propres organisations, puis pénètrent les instances communautaires et, en 1981, c’est un séfarade, René Samuel Sirat, qui devient le grand rabbin de France. Au début des années quatre-vingt, on compte 535 000 Juifs sur le territoire national, soit 1,1 % de la population française, un peu moins d’un million en 2003. Plus de 50 % d’entre eux habitent la région parisienne ; on note aussi une forte concentration de Juifs dans la région Midi-Provence, ainsi qu’en Alsace (notamment à Strasbourg). L’augmentation des mariages mixtes depuis le milieu des années soixante, le tarissement des sources d’émigration ainsi qu’une baisse de la natalité contribuent à une stabilisation numérique. Cadres moyens et employés constituent, avec les artisans et les petits commerçants, la base sociale de la judaïcité de France. Tandis que la classe ouvrière juive est très peu nombreuse, la bourgeoisie intellectuelle est au contraire très représentée dans une population dont le niveau d’instruction est supérieur à celui de la population globale. La moitié des Juifs de France ne participe à aucune vie communautaire organisée mais, depuis les années quatre-vingt, un renouveau de l’éducation religieuse est sensible, ainsi qu’un accroissement du nombre des écoles juives. Outre le lien religieux, les Juifs interrogés sur les composantes de leur identité évoquent la persistance de l’antisémitisme ou se réfèrent à des traditions culturelles et downloadModeText.vue.download 503 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 492 historiques, dans lesquelles l’État d’Israël et la mémoire de la Shoah tiennent une place centrale.
En définitive, le modèle d’intégration « à la française » a bien fonctionné et les générations qui se sont succédé ont nivelé les différences. Mais le réveil des identités régionales et particularistes dans la société française n’est pas sans effet sur l’évolution des perceptions identitaires collectives au sein de la judaïcité de France. Juifs (statuts des), lois antisémites instituées par le gouvernement de Vichy les 3 octobre 1940 et 2 juin 1941. Elles constituent le pivot d’une législation antisémite autonome adoptée sans intervention de l’occupant allemand. Le premier statut donne une définition raciale du Juif (« Est regardée comme juive toute personne issue de trois grands-parents de race juive ») et lui interdit tous les postes de responsabilité dans la fonction publique, ainsi que les professions liées à l’enseignement, à la presse, à l’édition et au spectacle. Le second, préparé par les services du Commissariat général aux questions juives (créé le 29 mars 1941) et par son premier responsable Xavier Vallat, précise encore la définition du Juif, mêlant cette fois les critères de race et de religion pour traquer ceux qui seraient tentés de se dérober, et étend les mesures d’exclusion. La liste des métiers totalement interdits comprend désormais aussi la publicité, la banque, la finance, les tâches subalternes dans l’administration publique. Des quotas sont instaurés pour les professions libérales, commerciales, industrielles, artisanales, tandis que l’accès des Juifs à l’Université est soumis au numerus clausus. En application de ces deux lois, qui laissent une brèche très étroite pour des dérogations accordées avec la plus grande parcimonie ou des reclassements rarement appliqués, 3 400 fonctionnaires juifs sont exclus de l’administration en quelques semaines. L’arsenal législatif de la politique antijuive de Vichy est complété par une loi instituant en zone sud un recensement des Juifs (2 juin 1941), déjà appliqué en zone occupée en vertu d’une ordonnance allemande du 27 septembre 1940, par la loi d’aryanisation du 22 juillet 1941, qui étend la confiscation des biens juifs à la zone sud, ainsi que par la loi du 11 décembre 1942 instituant un tampon « Juif » sur les cartes d’identité et les cartes individuelles d’alimentation dans l’ensemble du pays. Applicables dans les deux zones aux juifs français et étrangers, ces lois s’accompagnent de mesures d’internement à l’encontre de milliers de Juifs étrangers (40 000 personnes
sont internées en zone sud en février 1941), conformément à la loi du 3 octobre 1940. L’opinion française, gagnée au maréchal Pétain et travaillée par la propagande antisémite et xénophobe qui s’était développée dans les années trente, accueille ces mesures avec indifférence, ou même favorablement, tout en manifestant, pour une partie d’entre elle, sa sympathie à de nombreux Juifs à titre personnel. Mais ce contrôle étroit institué sur une population qui s’est majoritairement soumise aux lois qui lui étaient imposées, ainsi que sa marginalisation politique, sociale et économique, pèseront lourd lorsque, dans le cadre de l’application en France de la « solution finale » par l’occupant allemand, les arrestations puis les déportations de Juifs se multiplieront. Juillet (colonne de), monument érigé à Paris en l’honneur des combattants des journées révolutionnaires de juillet 1830. La colonne de bronze, que Louis-Philippe inaugure en grande pompe à l’été 1840 se situe sur l’emplacement de la prison de la Bastille, face au quartier populaire du faubourg Saint-Antoine. Haute d’une cinquantaine de mètres, la colonne est coiffée d’une statue monumentale : un génie nu qui tient dans une main une chaîne brisée et, dans l’autre, un flambeau. Aux accents de la Symphonie funèbre et triomphale, composée par Hector Berlioz pour la circonstance, les dépouilles de 504 combattants des Trois Glorieuses, dont les noms sont inscrits sur le monument, sont déposées dans des caveaux. Il a fallu presque dix années pour mener le projet à son terme : c’est en effet le 27 juillet 1831 qu’a été posée la première pierre. En 1848, l’histoire du monument édifié à la gloire de la monarchie constitutionnelle s’infléchit nettement : les vainqueurs de février brûlent le trône de Louis-Philippe au pied de la colonne, et la IIe République naissante enterre ses martyrs auprès des morts de Juillet, le 4 mars 1848. À partir de cette date, la colonne de Juillet devient - et cela jusqu’à nos jours - un symbole à la fois républicain et révolutionnaire. Depuis la fin du siècle dernier, elle constitue, entre les places de la République et de la Nation, un point de ralliement pour des manifestations ou des fêtes populaires. l JUILLET (MONARCHIE DE). Le régime connu sous le nom de « monarchie de Juillet » (1830-1848) constitue l’ultime monarchie, li-
bérale et constitutionnelle, qu’ait connue la France. Né d’une révolution, il périt dans le cours d’une autre révolution, manifestant la profonde instabilité des institutions françaises, qui, depuis 1789, oscillent entre monarchie, république et empire. Si le temps du roi LouisPhilippe ne survit plus dans les mémoires que par les romans de Balzac, les caricatures du Charivari et un adjectif dépréciatif, « louisphilippard », il est aussi l’âge des grandes réformes libérales, de l’expansion économique, du romantisme et des utopies. La révolution de 1830 a dicté, dans ses grandes lignes, le destin de la monarchie de Juillet : malgré son évolution conservatrice, Louis-Philippe est demeuré le « roi des barricades ». L’insurrection parisienne des Trois Glorieuses (27, 28 et 29 juillet 1830) constitue, en effet, une révolution à la fois populaire, libérale et nationale. Au prix de violents combats, le peuple de Paris, appuyé par des militants républicains, s’empare de la capitale et en chasse le roi Charles X et ses ministres. La majorité parlementaire issue des élections de juin 1830, et conduite par des chefs du parti libéral (le marquis de La Fayette, Jacques Laffitte, Casimir Perier, Odilon Barrot) ou constitutionnel (Pierre Paul Royer-Collard, François Guizot, Louis Mathieu Molé), ainsi que par les rédacteurs du National (Armand Carrel, Adolphe Thiers), donne immédiatement une légitimité politique à ce combat. En usant de l’article 14 de la Charte constitutionnelle de 1814 (« Le roi [...] fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l’exécution des lois et la sûreté de l’État »), Charles X avait promulgué les ordonnances de Saint-Cloud (25 juillet), par lesquelles la liberté de la presse était suspendue, la Chambre dissoute, et le nombre d’électeurs, diminué. Les libéraux ne pouvaient que s’opposer à cette interprétation ultraroyaliste de la Charte, qui devait reconduire la France à un régime de monarchie absolue. La majeure partie de l’armée puis du pays se rallie à une révolution nationale qui renvoie en exil une dynastie accusée d’être revenue en 1814 « dans les fourgons de l’étranger ». On célèbre alors le retour de la nation aux principes de 1789 et aux gloires de l’Empire, symbolisés par le drapeau tricolore. En portant au pouvoir Louis-Philippe d’Orléans (1773-1850), chef de la branche cadette des Bourbons, fils d’un prince régicide, et ancien combattant de Jemmapes, la révolution de 1830 semble parachever la « grande » Révolution. LES GRANDES RÉFORMES LIBÉRALES
Malgré les raidissements déjà sensibles d’un régime qui choisit très tôt la Résistance contre le Mouvement, les premières années de la monarchie de Juillet sont marquées par un ensemble de réformes libérales, appelées à modifier en profondeur la culture politique, le droit et la société. Le 7 août 1830, les deux Chambres - des députés et des pairs (d’où se sont exclus d’eux-mêmes ceux qui, tel Chateaubriand, sont demeurés fidèles à Charles X et à son petit-fils Henri, duc de Bordeaux et comte de Chambord) - votent une révision de la Charte, à laquelle Louis-Philippe Ier, « roi des Français », vient prêter serment le 9 août. La Charte révisée est amputée de son prologue monarchique ; le catholicisme n’est plus que la religion « professée par la majorité des Français » ; le droit de légiférer par ordonnances est aboli, et les Chambres reçoivent, à l’instar du roi, l’initiative des lois : c’est un véritable régime parlementaire, à l’anglaise, qui se met en place, liant l’action de l’exécutif au soutien d’une majorité parlementaire. Par la loi du 19 avril 1831, le suffrage reste censitaire, mais le corps électoral est élargi. En effet, l’âge requis pour voter est abaissé de 25 à 21 ans, et le cens, de 300 à 200 francs de contribution directe, faisant passer le nombre des électeurs de 90 000 à 166 000 (il sera de 241 000 en 1846). Le seuil d’éligibilité est également abaissé de 40 à 30 ans, et de 1 000 à 500 francs. La loi municipale du 21 mars 1831 élargit considérablement, le droit de suffrage, puisque les conseillers municipaux sont désormais élus (jusqu’à 10 à 15 % de la population peut voter), même si les maires continuent d’être nommés par le roi. La loi du 22 mars 1831 sur la Garde nationale, formation militarisée ouverte à l’ensemble des contribuables, généralise quant à elle l’élection des officiers. La monarchie de Juillet downloadModeText.vue.download 504 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 493 crée ainsi les conditions d’un apprentissage des mécanismes électoraux, et favorise une « descente de la politique vers les masses » (Maurice Agulhon). Par ailleurs, la loi de réforme pénale du 28 avril 1832 révise en profondeur le très répressif Code pénal napoléonien de 1810 ; elle supprime de nombreux cas d’application de la peine de mort, abolit la mutilation du poing droit pour les parricides et la marque au fer
rouge pour les bagnards et, surtout, introduit les « circonstances atténuantes » (article 463), laissées à l’appréciation des jurys. En quelques années, le nombre des exécutions capitales diminue de plus de la moitié. La loi Guizot sur l’instruction publique (28 juin 1833) crée un enseignement primaire dans le cadre de l’Université d’État, oblige chaque commune à entretenir une école, et chaque département à ouvrir une école normale d’instituteurs. Bien que l’école ne soit ni obligatoire ni gratuite (les maîtres, laïques ou congréganistes, sont rétribués, pour une faible part par les communes, pour l’essentiel par les parents), les progrès dans la diffusion de l’instruction sont réels : le nombre de communes sans école tombe de 14 000 en 1835 à 3 200 en 1850, et la proportion des conscrits illettrés, de 55 % à 36 %, tandis que les effectifs scolaires passent de 1,4 million d’élèves à 3,5 millions. D’autre part, la loi du 30 juin 1838 sur les asiles d’aliénés, préparée sous les auspices de Jean Esquirol, met fin à la situation de nondroit qui était celle de la plupart des malades mentaux : elle institue dans chaque département des asiles spécialisés, réglemente l’entrée (par placement volontaire, à la demande des familles ou des proches, ou par placement d’office, sur l’intervention des autorités publiques) et la sortie des malades, édicte des dispositions concernant la gestion de leurs biens et fixe des garanties (surveillance médicale, inspection préfectorale), qui, cependant, ne seront pas toujours respectées. Sur le plan religieux, enfin, la monarchie de Juillet établit une stricte égalité de droit entre les trois cultes reconnus (catholicisme, protestantisme et judaïsme), abolit la notion de « religion de l’État » et la loi de 1825 sur le sacrilège (qui punissait de mort le vol de vases sacrés et la profanation des hosties), et prend en charge le traitement des rabbins (1831), à l’instar des autres « ministres du culte ». Ces réformes ont cependant leurs limites : le plein exercice de la citoyenneté demeure le privilège des plus fortunés ; les femmes restent des mineures sur le plan juridique et sont exclues de la vie politique ; les tentatives d’introduction du divorce échouent devant l’hostilité des pairs ; et le régime, attaché aux intérêts des planteurs, maintient l’esclavage dans les îles (262 000 esclaves en 1848) et applique imparfaitement la législation internationale contre la traite des populations noires d’Afrique. LA MODERNISATION DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
La France, touchée par un mouvement de décélération démographique encore limité (le royaume compte 32,6 millions d’habitants en 1831, 35,4 millions en 1846), connaît une période de croissance économique. Le taux annuel moyen d’accroissement du revenu national - 2,4 % durant la décennie 1835-1845 est le plus élevé du XIXe siècle. Par une politique d’investissement massif pour développer les voies de transport (achèvement du plan Becquey d’aménagement de voies fluviales et de canaux ; loi de 1836 sur les chemins vicinaux ; loi du 11 juin 1842 sur la concession des voies ferrées), l’État et les collectivités locales transforment les conditions du marché : on compte 1 900 kilomètres de voies ferrées en 1848, contre 570 kilomètres en 1842. Sans qu’il y ait véritablement une multiplication du crédit - par souci de stabilité -, l’innovation est soutenue par une première extension du système bancaire (fondation de la Caisse générale du commerce et de l’industrie, en 1837, par Jacques Laffitte ; poursuite du développement de la banque Rothschild), mais aussi par l’apport de capitaux internationaux, notamment britanniques, et par l’essor d’une capitalisation boursière souvent spéculative. Malgré le maintien de barrières douanières hautement protectionnistes, l’économie française, stimulée par un riche marché intérieur et aiguillonnée par des transferts de techniques en provenance du Royaume-Uni, de la Belgique ou de l’Allemagne, traverse une phase de prospérité. L’activité agricole, qui emploie près des deux tiers de la population active et fournit, en 1847, 44 % du produit intérieur brut, est marquée par une hausse régulière des rendements et des productions. Ces progrès sont liés à la diminution des jachères, à la bonification des terres (marnage, chaulage), à l’extension de la surface agricole utile et des cultures les plus productives (froment, pomme de terre, vigne), à la multiplication des prairies artificielles, à la sélection du bétail, et à l’expansion de productions destinées à l’industrie (betterave sucrière ; élevage du ver à soie pour la sériciculture ; culture de la garance pour l’industrie de l’habillement). L’essor de la production industrielle est accéléré par l’introduction de la machine à vapeur et de la mécanisation, par le développement de l’extraction houillère dans le Nord et le Massif central, par celui de la sidérurgie (de Wendel en Lorraine, Schneider au Creusot, la Compagnie générale des mines de la Loire à Saint-Étienne) et de l’industrie textile (Mulhouse, Lille-Roubaix-Tourcoing, Rouen, Lyon, Roanne), et, enfin, par l’apparition d’un
premier prolétariat industriel brutalement arraché à la vie rurale : en 1848, on compte 1,3 million d’ouvriers de manufactures. Un artisanat de luxe, concentré à Paris, contribue à la commercialisation sur une vaste échelle de produits à très forte valeur ajoutée. La France de la monarchie de Juillet développe ainsi un type d’industrialisation original par rapport au modèle britannique, en privilégiant le marché intérieur par rapport à l’exportation, en comblant ses propres lacunes par une importation massive de brevets, de techniciens et de capitaux, et en s’appuyant, notamment au niveau des infrastructures, sur l’intervention de l’État dans le cadre d’une économie libérale. La première et unique loi sociale de la période (loi du 22 mars 1841), qui interdit le travail des enfants de moins de 8 ans et limite à huit heures par jour la durée de travail des enfants de moins de 12 ans, reste inappliquée, faute de surveillance. LA FRANCE DE MONSIEUR DE BALZAC La société française connaît également des mutations rapides. Au sein de l’espace national, les disparités s’accentuent de part et d’autre d’une ligne qui va de Saint-Malo à Genève : elle sépare une France du Nord et de l’Est, plus riche, plus urbanisée, plus alphabétisée, d’une France méridionale qui n’est dotée que de quelques noyaux d’activités industrielles. Par-delà quelques traits généraux - apogée du peuplement en termes de densité ; multiplication des parcelles, liée au partage égalitaire entre les héritiers imposé par le Code civil napoléonien -, la société rurale apparaît très diverse, selon les régimes de propriété et d’exploitation du sol, les structures sociales, les attitudes religieuses et culturelles : riches fermiers des plaines du Nord et du Bassin parisien ; grande propriété aristocratique ou bourgeoise de la Normandie, de l’Ouest intérieur ou du Berry ; métayage du grand Sud-Ouest et des pays de vignobles ; paysans petits propriétaires de l’Est et des régions de montagne. On distingue encore une France périphérique des « bastions de chrétienté » (Bretagne et Ouest intérieur, Flandres, Alsace et Lorraine, Franche-Comté, hautes terres du Massif central, Pays basque) et une France « indifférente », ou déchristianisée (Limousin, basse Bourgogne, Champagne méridionale) ; une France dialectale, où le bilinguisme progresse lentement, et une France déjà largement acquise à la « langue nationale » ; une France ouverte à la modernité culturelle et politique, à travers le rôle
de groupes intermédiaires (avocats et notaires de village, médecins, instituteurs, mais aussi curés ou pasteurs) et des structures d’habitat (le village « urbanisé » provençal), et une France plus fermée dans son isolement (les pays de bocage) et dans le conservatisme de ses hiérarchies sociales et de ses habitudes mentales. À l’exception des « villes nouvelles » nées de l’industrialisation, qui sont autant de « villes noires » (Saint-Étienne, Mulhouse, Le Creusot, Montceau-les-Mines, Commentry, Decazeville), le tissu urbain ne connaît pas de modifications importantes. Marseille (183 000 habitants en 1846), Lyon (178 000), Bordeaux (125 000), Rouen (100 000), Toulouse (94 000), Lille (75 000), enregistrent une progression sensible à l’intérieur d’un cadre presque inchangé : entre la « colline qui prie » (Fourvière) et la « colline qui travaille » (la Croix-Rousse), l’existence des ouvriers de la soie lyonnais (les canuts) se déroule péniblement dans des ateliers mal éclairés et mal aérés ; Victor Hugo dénonce l’effroyable misère des « caves de Lille » ; et, en 1832, le choléra tue 18 000 personnes à Paris et 1 500 à Lille, essentiellement dans les quartiers pauvres. Si Paris passe, de 1831 à 1846, de 770 000 habitants à 1 050 000, les réalisations urbanistiques du préfet Rambuteau restent limitées. La ville est à nouveau ceinte de fortifications à partir de 1840 et elle voit s’amasser dans les faubourgs et les quartiers sordides du vieux centre des populations migrantes souvent misérables et des « classes dangereuses » downloadModeText.vue.download 505 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 494 fleurs de Marie et autres chourineurs dont Eugène Sue fera le sujet de ses Mystères de Paris (1842-1843). Ségrégation spatiale par quartiers et ségrégation « verticale » (« étages nobles » et taudis des entresols ou des greniers) conjuguent leurs effets pour séparer les classes urbaines : une aristocratie encore puissante, établie dans des quartiers opulents (faubourg Saint-Germain, à Paris ; quartier d’Ainay, à Lyon) ; une bourgeoisie multiforme où dominent banquiers, négociants, rentiers et gens de justice ; le monde de la boutique et de l’échoppe ; domestiques, compagnons artisans et ouvriers ; petits métiers, enfin, aux marges de la mendicité, de la délinquance et de la prostitution. C’est depuis la ville que s’affirme la modernité culturelle, à travers
l’essor de la grande presse d’information (la Presse, que fonde en 1836 Émile de Girardin, avec ses annonces et ses romans-feuilletons ; le Siècle, de Dutacq). L’âge est « romantique » et célèbre les mystères de la nature et du divin, les frémissements de la passion, la tragédie de l’individu et le génie de l’humanité, à travers la poésie, le théâtre ou le roman (Lamartine, Hugo, Balzac, Stendhal, Musset, Vigny, George Sand, Nerval, Gautier, Mérimée...), la philosophie (Ballanche, Lamennais, Jouffroy, Cousin...), l’histoire (Augustin Thierry, Michelet...), la peinture (Delacroix, Corot...) ou la musique (Berlioz...). C’est la ville, enfin, qui impulse un profond renouvellement des idées sociales et politiques, fondé sur l’expérience du compagnonnage (Perdiguier) et de l’association ouvrière (Buchez), mais aussi sur l’utopie (Saint-Simon, Enfantin, Fourier, Considérant, Cabet), le socialisme (Louis Blanc, Pierre Leroux), l’anarchisme (Proudhon) ou l’action révolutionnaire (Blanqui, Barbès, Raspail). VERS LA PARALYSIE DU RÉGIME Cependant, l’évolution politique de la monarchie de Juillet est marquée par une rapide consolidation du régime dans un sens conservateur. À la tête du parti de la Résistance, le Premier ministre Casimir Perier (au pouvoir de mars 1831 à mai 1832) et ses successeurs (Broglie, Molé, Guizot, Thiers, Soult) écrasent dans le sang les insurrections ouvrières des canuts lyonnais (novembre 1831 et avril 1834), et répriment les projets de soulèvement républicain à Paris (juin 1832 et avril 1834), tout comme les tentatives légitimistes de la duchesse de Berry en Vendée (été 1832) et bonapartistes du prince Louis Napoléon. Après l’attentat manqué de Fieschi contre le roi (28 juillet 1835), ils musellent l’opinion publique et limitent la liberté de la presse (lois de septembre 1835). Principal ministre d’octobre 1840 à février 1848, le protestant François Guizot organise, en accord avec le roi, un système politique stable reposant sur les notables du « juste milieu » et sur la « domestication » de l’élection (candidatures ministérielles, députés-fonctionnaires), qui confine à l’immobilisme. Malgré les velléités belliqueuses de Thiers en Orient et quelques gestes symboliques destinés à flatter la fierté nationale (on négocie le retour des cendres de Napoléon pour les déposer aux Invalides le 15 décembre 1840), la monarchie de Juillet adopte une ligne de prudence et cultive l’alliance anglaise : elle reconnaît en 1830 l’indépendance de la Bel-
gique, renonce en 1831 à soutenir la Pologne, apaise ses différends avec la Grande-Bretagne en Méditerranée et en Océanie. Mais elle poursuit l’occupation et la colonisation de l’Algérie, malgré la résistance conduite par l’émir Abd el-Kader, vaincu en 1844 par Bugeaud : 110 000 colons sont établis en 1847 dans les villes et sur les terres confisquées aux tribus arabes. La crise du régime s’amorce, dès les années 1840, avec l’émergence d’une opposition catholique (Montalembert, Lacordaire, Veuillot), qui est favorable à la liberté de l’enseignement, et le réveil d’une opinion démocratique qui réclame l’extension du suffrage aux « capacités » et bientôt, le suffrage universel (masculin). La crise économique de 1846, inaugurée par de mauvaises récoltes (la maladie de la pomme de terre, qui est au coeur de la dramatique apparition mariale de La Salette, le 19 septembre 1846), détermine, dans une France encore rurale, une crise industrielle, bancaire et commerciale qui débouche sur des affrontements sociaux. Ainsi, à Buzançais (Indre), trois émeutiers sont condamnés à mort. L’agitation politique est relancée à travers la campagne des banquets conduite par Lamartine et Ledru-Rollin pour l’extension du suffrage électoral, que Guizot refuse obstinément. Le 22 février 1848, le ministre interdit la tenue d’un banquet prévu à Paris. L’émeute éclate. Le roi renvoie Guizot. Des barricades sont dressées dans les quartiers populaires. L’armée tire. Paris se soulève. Le 24 février, Louis-Philippe abdique en faveur de son petit-fils, le comte de Paris ; mais, dans la nuit, la République est proclamée à l’Hôtel de Ville. Ainsi s’effondre, en quelques jours, le régime qui avait tenté de concilier, dix-huit années durant, ordre social et libertés publiques, monarchie et révolution. Juillet (Quatorze) ! Quatorze Juillet juillet 1830 (journées des 27, 28 et 29), dites aussi Trois Glorieuses, révolution parisienne qui met un terme au règne de Charles X et conduit à l’avènement de Louis-Philippe Ier. • Les ferments d’une révolution. Dans un contexte de dépression économique marqué par une animosité grandissante à l’égard d’une politique de plus en plus réactionnaire, Charles X et le prince de Polignac entrent en conflit ouvert avec la Chambre des députés au printemps 1830. Pour donner un coup d’arrêt à la progression de l’opposition parlementaire, quatre ordonnances - dont l’une porte atteinte à la liberté de la presse, et une autre modifie le système électoral - sont signées le
25 juillet. Leur parution le lendemain dans le Moniteur universel est aussitôt suivie d’une protestation vigoureuse de la part de députés et de journalistes libéraux : Thiers fait publier dans le National un texte affirmant que « l’obéissance cesse d’être un devoir ». Dans les rues de la capitale se forment des attroupements constitués, notamment, d’ouvriers imprimeurs et d’étudiants. Les premières échauffourées sérieuses éclatent dans la journée du 27, aux environs du Palais-Royal et de la rue Saint-Honoré. Les presses des journaux d’opposition sont saisies ; l’état de siège est proclamé, tandis que les quartiers populaires entrent en ébullition. Le 28 juillet, le centre et l’est de Paris sont couverts de barricades. • La chute du régime. Désigné le 27 juillet pour réprimer les troubles, le maréchal Auguste de Marmont décide de dégager la capitale en mobilisant quelques colonnes armées. Cette tactique se révèle désastreuse face à un ennemi insaisissable. Les barricades éventrées par la troupe se reforment après son passage. Du haut des immeubles pleuvent les projectiles. Devant la menace d’un encerclement, l’armée doit battre en retraite vers les Tuileries et le Louvre. Depuis Saint-Cloud, le roi promet qu’il accordera son pardon aux insurgés repentants. Peine perdue : les fleurs de lys qui ornent les monuments ou les plaques des diligences sont brisées, et des drapeaux tricolores sont hissés au sommet de Notre-Dame et sur l’Hôtel de Ville. Le 29 juillet, plusieurs régiments font défection ; le Louvre est envahi ; les troupes fidèles à Charles X se retirent de Paris. Les combats font au total près d’un millier de morts. Un groupe de députés libéraux, réunis autour de Jacques Laffitte, comprend que le pouvoir est à sa portée, à condition de prendre de vitesse les républicains, qui, au même moment, s’organisent sous la direction de Bastide et de Godefroy Cavaignac. Les députés désignent les cinq membres d’une commission municipale (Laffitte, Perier, de Schonen, Lobau, Audry de Puyraveau) ; La Fayette reçoit le commandement de la Garde nationale. Lorsque Charles X se résout à retirer les ordonnances et à se séparer de Polignac, il est déjà trop tard. • La solution orléaniste. Après de multiples tractations, et sous l’influence de Thiers, journalistes et députés décident de faire appel au duc d’Orléans. Celui-ci, pensent-ils, protègera la France d’un retour à l’Ancien Régime et du danger républicain. Le 31 juillet, le duc d’Orléans accepte la charge de lieutenant général du royaume, et obtient le soutien décisif de
La Fayette : les deux hommes apparaissent au balcon de l’Hôtel-de-Ville et se donnent l’accolade dans les plis d’un drapeau tricolore. Le 7 août, les Chambres réunies proposent la couronne au duc d’Orléans, et lui soumettent une Charte révisée. Le règne de Louis-Philippe Ier, roi selon la Charte, roi des Français, commence officiellement le 9 août. Les Trois Glorieuses permettent à la France de connaître pour la première fois de son histoire une véritable monarchie parlementaire, et le champ des libertés individuelles s’élargit. La victoire face à Charles X ne s’accompagne pourtant pas des changements sociaux espérés par une bonne partie des combattants des barricades. Dès les premiers mois de son existence, cette nouvelle monarchie née d’une révolution doit affronter les conséquences de cette légitimité incertaine. Juin (Alphonse), maréchal de France (Bône, aujourd’hui Annaba, Algérie, 1888 - Paris 1967). Sorti major de Saint-Cyr, il sert au Maroc (1912-1914), puis participe à la Première Guerre mondiale. Après avoir pris part à la downloadModeText.vue.download 506 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 495 guerre du Rif (1925) et exercé les fonctions de chef du cabinet militaire du résident général à Rabat, il est nommé général de brigade en 1938. En 1940, il commande la 15e division motorisée et couvre la retraite de la Ire armée vers Dunkerque. Fait prisonnier par les Allemands (30 mai), il est libéré à la demande du gouvernement de Vichy (juin 1941) et remplace bientôt Weygand comme commandant en chef des forces d’Afrique du Nord. À la suite du débarquement allié (novembre 1942), il se rallie à Giraud (il est alors général d’armée). Dirigeant les forces françaises en Tunisie, il entre dans Tunis, puis forme le corps expéditionnaire français d’Italie : les victoires de Cassino et de Garigliano, en mai 1944, ouvrent la route de Rome aux Alliés (juin). Résident général au Maroc (19471951), il s’oppose aux partisans de l’indépendance, puis occupe un haut poste de commandement au sein de l’OTAN (1951-1956). Il est élevé à la dignité de maréchal de France en 1952. Toutefois, attaché à l’Algérie française, il exprime son hostilité à la politique d’autodétermination, ce qui lui vaut d’être mis
à la retraite par le général de Gaulle en 1962. juin 1792 (journée du 20), manifestation révolutionnaire parisienne hostile à Louis XVI, antérieure de sept semaines à la chute de la monarchie. La guerre déclarée en avril 1792 contre la Prusse et l’Autriche est alors mal engagée du côté français ; l’anxiété domine à Paris, et on crie, non sans raison, à la trahison et contre le « comité autrichien ». Dans ce contexte, le ministère jacobin (girondin) choisit la fermeté avec le vote de trois décrets : la déportation des prêtres réfractaires (27 mai), le licenciement de la garde constitutionnelle du roi (29 mai), la levée de 20 000 fédérés pour former un camp près de Paris (8 juin). Mais, le 11 juin, le roi met son veto aux décrets des 27 mai et 8 juin, s’attirant les remontrances du ministre Roland ; le 13, il congédie le ministère, qu’il remplace par des feuillants. Les girondins optent alors pour la démonstration de force, comptant sur l’agitation de quartiers populaires - qui prévoient une manifestation pour l’anniversaire du serment du Jeu de paume -, et sur la bienveillance de Pétion, le maire de Paris. Le 20 juin, des milliers de sans-culottes armés venus des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel portent des pétitions à l’Assemblée législative, puis envahissent sans difficulté les appartements du roi aux Tuileries, réclamant le retrait du veto et le rappel des ministres. Pendant plusieurs heures, Louis XVI fait face au cortège et aux imprécations populaires, devant coiffer le bonnet phrygien et boire à la santé de la nation. Mais il ne cède pas. Cette journée achève de diviser l’opinion et l’Assemblée, dont elle révèle face aux assauts populaires la fragilité et la paralysie, que seules la violence et l’illégalité semblent pouvoir résoudre. juin 1832 (journées des 5 et 6), mouvement insurrectionnel parisien. Le 5 juin 1832, une foule considérable assiste aux funérailles du général Lamarque, un député d’opposition très populaire, ancien général d’Empire. Vers 17 heures, après les discours d’adieux, une échauffourée oppose des groupes de manifestants à des dragons, à hauteur du pont d’Austerlitz. Les premiers coups de feu entraînent une panique générale tandis que des groupes d’insurgés attaquent des postes de garde et érigent des barricades dans toute la partie est de la capitale. Les forces de l’ordre réagissent d’abord timidement, malgré une écrasante supériorité numérique ; puis la détermination du préfet de police Gisquet et
du maréchal Lobau, ainsi que l’arrivée à Paris de Louis-Philippe en début de soirée coupent court aux hésitations du ministre de l’Intérieur Montalivet ou à l’attentisme du ministre de la Guerre Soult. Après les combats meurtriers de la nuit, notamment aux alentours de la place Maubert ou au passage du Saumon (dans le quartier Montmartre), les insurgés sont contenus au petit matin autour des rues Saint-Martin et Saint-Denis, ainsi qu’au faubourg SaintAntoine. Les forces de l’ordre reprennent le contrôle de la situation avec le soutien d’une grande partie de la Garde nationale face à des insurgés mal organisés et mal armés. Les chefs de l’opposition au régime - Carrel, Laffitte, La Fayette - et les dirigeants des sociétés populaires désavouent l’insurrection qui les a pris au dépourvu. C’est le 6 juin vers 17 heures que les derniers insurgés sont écrasés au cloître Saint-Merri par les troupes de ligne. Le régime de Juillet profite mal de cette victoire : la proclamation malencontreuse de l’état de siège au mépris de la Charte, puis l’application maladroite de la mesure discréditent les vainqueurs. Les procès mettent en lumière quelques fortes personnalités, tels le tailleur Victor Prospert, l’ex-commissionnaire Charles Jeanne, la marchande des quatre saisons Louise Bretagne. Dans une ville alors ravagée par le choléra et fragilisée par de graves difficultés économiques, les insurgés semblent avoir obéi à des motivations mêlées : rejet des souffrances quotidiennes, haine à l’égard d’un ministère considéré comme traître à la patrie et à la liberté, volonté de revivre les grandes heures de juillet 1830. Le régime et ses adversaires ne parviennent pas à tirer profit de l’événement et de ses conséquences, d’où l’oubli rapide dans lequel tombent ces deux journées. C’est surtout par le biais de la littérature que l’événement reste vivant : Victor Hugo en fait le cadre des combats des Misérables. Les morts de Gavroche, d’Enjolras ou du père Mabeuf sur les barricades de juin 1832 sont comme l’écho lointain des trois-cent cinquante victimes de ce terrible affrontement. juin 1848 (insurrection des 23 au 26) ! révolution de 1848 juin 1940 (appel du 18), appel à la résistance lancé par le général de Gaulle sur les ondes de la BBC. Le 18 juin 1940, à Londres, le général de Gaulle demande aux Français de refuser l’armistice et de poursuivre le combat. Bien qu’inconnu du grand public, de Gaulle s’est fait remarquer par des théories novatrices dans
les années trente et est devenu, le 6 juin 1940, sous-secrétaire d’État à la Défense nationale dans le gouvernement de Paul Reynaud. Il y défend les positions « bellicistes » et se trouve chargé de diverses missions de liaison avec les Britanniques. Le 17 juin, après la démission de Reynaud, alors que Pétain s’apprête à annoncer la demande d’armistice, de Gaulle quitte Bordeaux en compagnie du général britannique Spears. Churchill, espérant susciter une résistance française, ouvre les ondes de la BBC à ce général sans notoriété, mais susceptible de convaincre les chefs militaires de l’empire. L’appel du 18 juin exprime avant tout le refus patriotique de la défaite. En ce sens, il illustre le nationalisme du général de Gaulle de 1940, nourri autant par la lecture de Maurras que par celle de Barrès et de Michelet. Mais le texte est aussi politique : de Gaulle ne dénonce pas seulement l’armistice, il condamne les chefs militaires qui, ayant « formé un gouvernement », se sont « mis en contact avec l’ennemi ». Dès le 18 juin 1940, le combat de la France libre est donc clairement politique. La faute de Pétain, et bientôt celle du gouvernement de Vichy, réside dans la signature de l’armistice : refuser la défaite signifiera donc combattre l’État français. Le texte écarte toute idée de décadence nationale et impute l’entière responsabilité de la débâcle aux chefs militaires. Cette antinomie entre la nation, « saine dans ses profondeurs », et les élites qui ont failli permettra à de Gaulle de dénier toute légitimité à Pétain et de se poser en seul représentant de la volonté nationale. Enfin, l’appel est prophétique. Dépassant le cadre franco-allemand, de Gaulle a l’intuition d’une « guerre mondiale ». La France conserve des atouts (son empire et sa flotte « intacts ») et « elle n’est pas seule » : « Elle peut faire bloc avec l’Empire britannique et [...] utiliser sans limite l’immense industrie des États-Unis. » Ainsi, l’espoir demeure : l’Allemagne, aujourd’hui victorieuse grâce à la puissance de ses armes, pourra être vaincue par « une force mécanique supérieure ». Le texte s’achève par un appel aux soldats, ingénieurs et techniciens français, et sera complété par d’autres appels émis - « au nom de la France » - du 19 au 25 juin. À l’époque, l’appel est un échec : peu nombreux sont les Français qui l’entendent, et les responsables militaires de l’empire ne se rallient pas. S’il ne fonde pas la Résistance - dont les premières manifestations sont spontanées -, il en devient la référence symbolique.
Julien l’Apostat, en latin Flavius Claudius Julianus, dit l’Apostat, empereur romain de 361 à 363 (Constantinople 331 - Mésopotamie 363). Ce neveu de Constantin Ier est épargné, en raison de son très jeune âge, lors du massacre de sa famille à la suite de la mort de son oncle, en 337. Il bénéficie d’une éducation soignée, centrée sur la philosophie grecque, l’hellénisme et le mysticisme ; il abjure le christianisme. Appelé en Occident par l’empereur Constance II en 355, il est associé au pouvoir, nommé césar et envoyé en Gaule en 357, où il reçoit le commandement général des troupes. À cette époque, la Gaule traverse des temps troublés : la guerre contre l’usurpateur Magnence a en effet dégarni le limes, permettant les incursions ravageuses des Alamans dans tout le nord-est du pays. Révélant des downloadModeText.vue.download 507 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 496 qualités militaires inattendues pour un lettré, Julien lance des assauts au-delà du Rhin et capture de nombreux barbares, qu’il emploie à la reconstruction des villes détruites (Saverne, Besançon, Reims...). Le 25 août 357, près de Strasbourg, à la tête de 13 000 hommes seulement, il remporte une brillante victoire contre 30 000 Alamans. Il force tant l’admiration de ses troupes (formées par une très grande majorité de Gaulois) qu’en février 360, il est proclamé auguste, à Paris. Il peut alors quitter la Gaule, en y ayant assuré pour quelques années une paix relative. À la mort de Constance, en novembre 361, il devient le maître de l’Empire. Son règne, très court, est marqué, dans le domaine politique, par un retour à une conception augustinienne de l’Empire, moins despotique et bureaucratique ; sur le plan religieux, par une farouche volonté de restaurer le paganisme. Junot (Andoche, duc d’Abrantès), général de division (Bussy-le-Grand, Côte-d’Or, 1771 - Montbard, id., 1813). Né dans la petite bourgeoisie judiciaire, il est étudiant en droit lorsque éclate la Révolution. En 1792, il s’engage dans un bataillon de volontaires et se fait remarquer par sa bravoure l’année suivante, lors du siège de Toulon : il devient alors l’aide de camp de Bonaparte.
Il partage, après le 9 Thermidor (27 juillet 1794), l’infortune de son général, auquel il voue un véritable culte. Il se distingue dans les campagnes d’Italie et d’Égypte, et triomphe notamment à Nazareth. Sous le Consulat, il est nommé commandant de la place de Paris et, en novembre 1801, général de division. Ayant manifesté son mécontentement de n’être pas de la première promotion des maréchaux, il est mis à l’écart dans une ambassade au Portugal en 1805, mais quitte Lisbonne dès la reprise des hostilités avec l’Autriche. Il participe alors brillamment à la bataille d’Austerlitz, puis reçoit le gouvernement des États de Parme et de Plaisance. En 1807, il prend la tête de l’armée lancée à la conquête du Portugal, ce qui lui vaut le titre de duc d’Abrantès et la charge de gouverneur du pays en 1808. Mais, vaincu par les Anglais, il signe la capitulation de Cintra le 30 août. Il tombe dès lors en disgrâce, d’autant que Napoléon ne lui pardonne pas ses dépenses exagérées et ses relations. Il est cependant rappelé pour combattre en Allemagne en 1809, puis en Espagne en 1810. Durant la campagne de Russie, il est accusé de maladresses dans la conduite de ses troupes. Les séquelles de ses blessures jointes à son amertume le font sombrer dans la folie alors qu’il est gouverneur d’Illyrie. Il meurt après s’être défenestré. Jussieu (Antoine Laurent de), botaniste (Lyon 1748 - Paris 1836). Antoine Laurent de Jussieu est le plus illustre représentant d’une éminente famille de botanistes. Après des études à la faculté de médecine de Lyon de 1765 à 1770, il devient l’assistant de Louis Guillaume Le Monnier au Jardin du roi, à Paris. L’histoire naturelle, dominée par Linné et Buffon, apparaît alors comme l’un des pôles majeurs de la pensée scientifique. La primauté que le XVIIIe siècle accorde à l’existence concrète et matérielle sur les essences explique cette position centrale. Dans la foisonnante réalité de la nature, Jussieu choisit les plantes, auxquelles il consacre de longs travaux entre 1774 et 1789. Cette année-là, il publie Genera plantarum : sa classification, qui doit beaucoup aux travaux de son oncle Bernard de Jussieu, s’impose peu à peu auprès des meilleurs botanistes européens. Au cours de la période révolutionnaire, il participe, comme la plupart des savants de son époque, au renouveau des institutions scientifiques. En 1793, il devient ainsi professeur de botanique au Muséum national d’histoire naturelle, au sein duquel il met en place un « herbier national ». En 1800, il succède à
Daubenton à la tête du musée. Il s’y maintient, contre vents et marées, jusqu’en 1826, avant de finir ses jours dans une paisible retraite. Juvénal (ou Jouvenel) des Ursins, famille champenoise qui, au XVe siècle, a compté parmi ses membres plusieurs officiers royaux et prélats célèbres. Le fondateur de la dynastie, Jean Ier Jouvenel (Troyes, vers 1360 - Poitiers 1431), avocat dans sa ville natale, puis au parlement de Paris, est ensuite prévôt des marchands (1388), avocat du roi (1400), président de la Chambre des aides (1417). Partisan du dauphin Charles, il fuit Paris avec sa famille en 1418, et devient maître des requêtes, puis président du parlement de Poitiers (1420). Il eut neuf fils. Le deuxième, Jean II (13881473), qui se fait nommer Juvénal des Ursins, est docteur en droit civil et canon, avocat du roi au parlement de Poitiers, avant d’être nommé évêque de Beauvais (1432), de Laon (1444), enfin archevêque de Reims (1449). Il joue un rôle politique important sous le règne de Charles VII et laisse de nombreux écrits, parmi lesquels une Chronique de Charles VI en français. Son frère Guillaume (1401-1472) poursuit une carrière d’officier au service du roi. Conseiller au parlement de Poitiers (1423), il est armé chevalier en 1429, désigné lieutenant du Dauphiné (1435), puis chancelier de France (1445) par Charles VII. Au début du règne de Louis XI (1461), il est disgracié, puis réintégré dans sa charge, de même que son frère Michel (1408-1471), bailli de Troyes. L’un des plus jeunes frères, Jacques (1410-1457), mène aussi une double carrière : ayant débuté comme avocat du roi (1436), il est ensuite président de la Chambre des comptes (1443), archevêque de Reims (1444), enfin patriarche d’Antioche (1449). Kabylie (insurrection de), révolte de la population algérienne contre les autorités coloniales (1871-1872). Depuis le début de la colonisation de l’Algérie, les gouvernements français ont sans cesse hésité entre un régime d’assimilation, faisant la part belle aux colons, et un régime d’association, ménageant les intérêts des musulmans. La chute de Napoléon III, favorable au régime d’association, l’annonce du passage au régime d’assimilation, le départ de nombreuses troupes pour la guerre en métropole et le recrutement de régiments de spahis algériens provoquent des troubles en janvier 1871. La nouvelle de l’insurrection
parisienne achève de déconsidérer la France. Les jacqueries cèdent la place à deux mouvements structurés qui contestent la présence française : le mouvement aristocratique d’el-Mokrani et Bou-Mezraq, d’une part, et le mouvement religieux des Rahmaniya de Cheikh el-Haddad et Si Aziz, de l’autre. Les difficultés militaires conduisent ces deux groupes rivaux à s’associer dans une guerre sainte qui embrase rapidement la Grande et la Petite Kabylie, le Hodna et le Sahara ; seuls l’Algérois et l’Oranais restent à l’écart de l’insurrection. La guerre dure plus de six mois, mais les moudjahidin sont trop mal armés pour vaincre. Les chefs de la confrérie des Rahmaniya cessent le combat en juin et Bou-Mezraq est arrêté en janvier 1872. Une répression sévère s’abat sur le pays, alimentée par la légende noire des violences musulmanes : des tribus entières sont dépouillées de leurs terres (où s’installeront des colons alsaciens-lorrains) et déplacées, une lourde amende leur est imposée et les chefs sont exécutés ou envoyés au bagne en NouvelleCalédonie. Cette insurrection marque un tournant dans la politique de la France à l’égard de l’Algérie puisqu’elle permet aux colons d’imposer durablement leur système et suscite un ressentiment, également durable, parmi les populations musulmanes. Kellermann (François Étienne Christophe), maréchal de France (Strasbourg 1735 - Paris 1820). À la veille de la Révolution, Kellermann est maréchal de camp. Ce noble strasbourgeois alors âgé de 54 ans a déjà servi près de trenteneuf années dans les armées du roi et s’est acquitté de missions secrètes en Tartarie et en Pologne. Partisan de la Révolution, il est promu lieutenant général en 1792 et sert en Alsace sous les ordres de Dumouriez. Le 19 septembre, à Valmy, il s’élance à la tête de ses troupes au cri de « Vive la Nation ! ». Son enthousiasme et sa bravoure contribuent fortement à une victoire qui sauve le pays de l’invasion et marque le début de la République. En décembre, Kellermann commande l’armée d’Italie lorsque Lyon se révolte contre le gouvernement révolutionnaire. Au mois d’août 1793, il assiège la ville. Mais cet officier d’Ancien Régime est trop indépendant et se plie mal à l’autorité des représentants du peuple. Son attitude lui vaut d’être traduit devant le Tribunal révolutionnaire et incarcéré. Libéré après le 9 Thermidor (27 juillet
1794), il prend le commandement de l’armée des Alpes et d’Italie jusqu’en octobre 1797. Réformé, il cède ses troupes à Bonaparte et devient membre du Comité militaire du Directoire. Sous le Consulat et l’Empire, Bonaparte le couvre d’honneurs : il le fait sénateur, puis maréchal en 1804 et, enfin, duc de Valmy en 1807. Mais seuls des corps de réserve lui sont confiés. Kellermann se rallie à Louis XVIII et reste à l’écart des Cent-Jours. Il est fait pair de France. Kerguelen (îles) ! TAAF downloadModeText.vue.download 508 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 497 Kérillis (Henri Adrien Calloc’h de), journaliste et homme politique (Vertheuil, Gironde, 1889 - New York 1958). Cet enfant de hoberaux bretons se destine très tôt à la carrière militaire. Sous-lieutenant de cavalerie en 1912, il se distingue comme aviateur pendant la Première Guerre mondiale. Dans les années vingt, il se tourne vers la politique, intégrant les rangs de la droite. Il se présente alors deux fois aux élections législatives - en 1926 puis en 1932 -, avant d’être élu en 1936 député de Neuilly-sur-Seine. Entre-temps, il est devenu directeur de la rubrique politique de l’Écho de Paris et, surtout, il a fondé le Centre de propagande des républicains nationaux, chargé d’unifier la droite nationale et libérale. Il y déploie une activité inlassable. À la Chambre, ce député proche de Georges Mandel et de Louis Marin devient bientôt l’un des ténors de la commission des Affaires étrangères. Il publie, fin 1936, Français, voici la guerre ! où, en patriote intransigeant, il dénonce le danger nazi. Ce combat le conduit à défendre une alliance avec l’URSS et à prôner la modernisation de l’armée. Dès 1937, à la Chambre comme dans les colonnes de l’Époque, il se fait l’ardent défenseur de la Tchécoslovaquie, et, en 1938, il est le seul député de droite à ne pas voter la ratification des accords de Munich signés en septembre. Il soutient ensuite l’effort de réarmement et approuve la nomination de Charles de Gaulle dans le cabinet Reynaud (mai 1940). Il s’exile en 1942 aux États-Unis, rompt avec le général de Gaulle l’année suivante et quitte définitivement la scène politique. Kléber (Jean-Baptiste), général (Strasbourg 1753 - Le Caire 1800).
Bien qu’architecte de formation, Kléber sert six ans dans l’armée autrichienne, puis rentre en Alsace, où, en 1785, il est inspecteur des bâtiments publics. C’est par ambition plus que par patriotisme qu’il endosse de nouveau l’uniforme en 1792, comme lieutenantcolonel dans le 4e bataillon des volontaires du Haut-Rhin. Chargé de défendre Mayence, il s’acquitte de cette mission avec zèle, et, lorsqu’il doit capituler en juillet 1792, la Convention le traite en héros, ainsi que toute sa garnison. Il part alors combattre en Vendée avec le grade de général de brigade. Habile tacticien, tant sur le terrain qu’auprès des représentants du peuple, il se met en valeur en soulignant les échecs des autres généraux. Le 26 juin 1794, il participe à la victoire de Fleurus. Mais son opposition à Jourdan le pousse à démissionner à la fin de 1796. Il reprend du service en 1798, dans l’armée d’Orient, sous les ordres de Bonaparte, auquel il aurait proposé, à la veille du départ en Égypte, de former un triumvirat avec Moreau « pour chasser la canaille » des hommes politiques. En Égypte, ses faits d’armes sont nombreux : ainsi, à la bataille du mont Thabor (16 avril 1799), il contient 35 000 Turcs avec 2 000 hommes. Lorsque Bonaparte rentre en France, il lui laisse le commandement. Aussitôt, Kléber dénonce la gestion de son chef auprès du Directoire. Ne souhaitant pas conserver l’Égypte, il traite avec les Anglais, mais les négociations n’aboutissent pas, et les combats reprennent. Celui qui aurait pu concurrencer Bonaparte est assassiné au Caire le 14 juin 1800. Kolwezi (expédition de), intervention militaire française au Zaïre (19 mai - 6 juin 1978). Kolwezi est une importante ville du Shaba (exKatanga), très riche région minière (cuivre) qu’exploitent de grandes sociétés occidentales, qui emploient environ 4 000 ressortissants étrangers. Cette province excentrée est périodiquement agitée - 1960-1963 (sécession du Katanga), 1977 (guerre du Shaba). Le 13 mai 1978, quelque 2 500 hommes du Front de libération nationale du Congo, formés par des Cubains et armés par les Soviétiques, assiègent Kolwezi dans le but d’abattre le régime discrédité du maréchal Mobutu. Le président Giscard d’Estaing décide alors, le 17 mai, d’intervenir pour des raisons militaires (la France a signé avec le Zaïre, en mai 1974, un accord de coopération militaire), géopolitiques, économiques et humanitaires. Entre le 19 et le 21 mai, environ 700 soldats
du 2e régiment étranger de parachutistes reprennent le contrôle de la ville et en évacuent les Européens ; ils sont relevés à partir du 7 juin par une force panafricaine. Malgré la réussite de cette opération baptisée « Léopard » (perte de 5 soldats), Valéry Giscard d’Estaing se voit reprocher d’appliquer un traité non ratifié, d’ignorer le Parlement, de soutenir un pouvoir dictatorial pour protéger des intérêts néo-coloniaux. Cette intervention, appuyée par les États-Unis, rassure les pays africains alliés de la France et sauve le régime zaïrois, mais crée quelques tensions avec la Belgique (ancienne puissance tutélaire qui ne souhaitait qu’une intervention humanitaire) et l’URSS. downloadModeText.vue.download 509 sur 975 downloadModeText.vue.download 510 sur 975
L La Barre (Jean-François Lefebvre, chevalier de), gentilhomme (Abbeville 1747 - id. 1766). À 18 ans, accusé de propos blasphématoires, de la mutilation d’un crucifix et d’« irréligion » - il ne s’était pas découvert au passage du saint sacrement (1765) -, ce jeune homme se trouve jugé à Abbeville. Condamné à avoir le poing coupé, la langue arrachée, puis à être brûlé vif, il fait appel auprès du parlement de Paris. Celui-ci, dans sa grande mansuétude, ordonne qu’il soit décapité avant d’être porté sur le bûcher ! L’« affaire » indigne alors les esprits éclairés. Voltaire s’en empare. Il tente, mais en vain, de faire réhabiliter la mémoire de l’adolescent, mort avec courage. Il faudra, pour cela, attendre la Convention, en 1793. Curieusement, le nom de La Barre est passé à la postérité grâce à ce gentilhomme et non grâce à son grand-père, Antoine Lefebvre, autre chevalier de La Barre (1622-1688), gouverneur de Martinique (1666), puis gouverneur général du Canada, où il disgracia injustement Cavelier de La Salle après avoir abandonné ses alliés de l’Illinois aux méfaits des Iroquois. Ainsi, celui des deux chevaliers de La Barre qui fut condamné fut l’innocent, son aïeul - piètre officier - n’ayant eu pour toute sanction que son rappel de la colonie (1685). Son petit-fils serait aussi tombé dans l’oubli s’il n’y avait eu le talent de Voltaire, champion de la tolérance depuis l’affaire Calas (1761-1765), avant d’être celui de la justice lors de l’affaire Lally. La Bourdonnais (Bertrand François Mahé de), marin et administrateur (Saint-
Malo 1699 - Paris 1753 ou 1755). Entré à 19 ans comme lieutenant au service de la Compagnie des Indes, il devient capitaine en 1723 et contribue à la prise de Mahé (1725), l’un des comptoirs français de l’Inde, dont il prendra le nom. En 1734, il est nommé gouverneur général des îles de France et Bourbon (aujourd’hui les îles Maurice et de la Réunion), puis, en 1740, Maurepas le charge de protéger les établissements français dans l’océan Indien. En 1746, il se porte au secours de Dupleix, assiégé dans Pondichéry, disperse la marine anglaise, puis prend Madras (21 septembre 1746), mais, se référant à des instructions ambiguës et obsolètes, il permet aux Anglais de racheter la ville. Dupleix désavoue le traité et dénonce La Bourdonnais comme traître. Celui-ci est alors rappelé en France et emprisonné à la Bastille pendant trois ans (17481751). Innocenté, il est libéré, mais connaît de grandes difficultés financières. Dans le conflit entre Dupleix et La Bourdonnais, on a parfois voulu voir l’opposition entre une politique coloniale novatrice et une conception mercantiliste de l’expansion. En réalité, l’antagonisme entre les deux hommes se résume à une guerre de coteries. En effet, La Bourdonnais n’en reste pas moins un excellent marin et un grand administrateur. Il a fait des Mascareignes la grande base française de l’océan Indien, y construisant des chantiers navals et rêvant d’un empire maritime en Asie qui fournirait pour ses navires le bois du Bengale et de Birmanie. Sous son autorité, les îles de France et Bourbon ont connu une grande prospérité ; il y planta non seulement le coton, l’indigo et la canne à sucre, mais y développa aussi des cultures vivrières comme le manioc. Lacenaire (Pierre François), criminel (Lyon 1803 - Paris 1836). Fils d’un négociant lyonnais, Lacenaire reçoit une éducation bourgeoise classique dans les établissements scolaires de Lyon et de sa région (1812-1819). Il connaît ensuite durant dix ans une vie précaire : emplois divers à Lyon et Paris, engagement dans l’armée, suivi de deux désertions (1826-1827, 1828-1829), voyages et premières dérives - il commet des faux en écriture (1827), un meurtre en Italie (1828). 1829 est l’année de la rupture : livré à luimême après la faillite de son père et le départ de sa famille en Belgique, il essaye sans succès de faire carrière à Paris. Ses échecs le décident à se venger de la société. Il multiplie les faux, les vols qui le conduisent à deux reprises en
prison (1829 et 1833). Il est ensuite arrêté après un double assassinat et une troisième tentative d’assassinat (1834). Son procès à la cour d’assises de la Seine, en novembre 1835, le rend célèbre. Condamné à mort avec son complice Avril, il reçoit de nombreux visiteurs à la prison de la Conciergerie, écrit des poésies, rédige ses Mémoires, qui paraissent, censurés, après son exécution, en janvier 1836. L’émotion et la curiosité extraordinaire qu’il a suscitées tiennent à l’ambivalence de son personnage : bourgeois distingué et doué qui a choisi et revendiqué un destin criminel. Autour de la figure de l’assassin-poète et du révolté romantique, un mythe s’est forgé, que les poètes surréalistes et le film les Enfants du paradis de Marcel Carné (1945) ont contribué, au XXe siècle, à perpétuer. La Chalotais (Louis René de Caradeuc de), magistrat (Rennes 1701 - id. 1785). Avocat général, puis procureur général au parlement de Bretagne, La Chalotais prend part à l’offensive déclenchée par la magistrature, gallicane et janséniste, contre la Compagnie de Jésus, en publiant en 1761 un Compte rendu des constitutions des Jésuites. Après leur expulsion (1764), il critique l’enseignement dispensé dans leurs collèges, dans un Essai d’éducation nationale où il expose ses idées sur la pédagogie, prônant notamment l’abandon du latin. Ennemi déclaré du duc d’Aiguillon, qui est commandant en chef en Bretagne, il engage le combat contre celui-ci au nom de la défense des privilèges bretons. En 1764, le parlement de Bretagne adresse au roi des remontrances sur l’administration de la province et s’oppose à la perception d’un impôt supplémentaire. L’affaire s’envenime, et les magistrats de Rennes démissionnent ou se mettent en grève (mai 1765). En novembre, Louis XV fait arrêter les meneurs, dont La Chalotais et son fils, qui sont enfermés à la forteresse de Saint-Malo et jugés pour sédition. Ces événements déclenchent un mouvement de contestation dans toutes les cours de justice. C’est alors que le roi tient au parlement de Paris la célèbre « séance de la Flagellation » downloadModeText.vue.download 511 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 500 (3 mars 1766), lors de laquelle il réaffirme son pouvoir absolu, condamne le principe de
l’unité de la magistrature et les prétentions parlementaires au partage du pouvoir législatif. Mais, pour calmer les esprits, il arrête le procès de La Chalotais, qu’il exile à Saintes (décembre 1766), jusqu’à ce que Louis XVI, à son avènement en 1774, le rétablisse dans ses fonctions. Figure essentielle de la résistance des parlements à l’autorité royale, La Chalotais en illustre toute l’ambiguïté : la défense des « libertés » et la dénonciation de l’arbitraire, même justifiées, dissimulent la volonté de maintenir les privilèges et de bloquer les réformes et la modernisation du royaume. En attaquant le duc d’Aiguillon, les magistrats bretons font le procès de la monarchie administrative : abus de la corvée royale, alourdissement de la fiscalité, dépenses excessives pour l’embellissement des villes, asservissement des états provinciaux. Violent, arriviste et plein de prétentions littéraires, La Chalotais n’hésite pas à utiliser les méthodes les plus douteuses, expédiant des lettres anonymes et envisageant même de faire chanter Louis XV, dont il détenait la correspondance amoureuse avec Mlle de Romans. L’affaire de Bretagne allait déclencher, en 1771, le « coup de force » de Maupeou contre les parlements et entraîner la réforme de la justice. Elle est un épisode majeur du conflit qui affaiblit la monarchie tout au long du XVIIIe siècle et devait finalement provoquer sa chute. Lacordaire (Jean-Baptiste Henri), dominicain et prédicateur (Recey-sur-Ource, Côte d’Or, 1802 - Sorèze, Tarn, 1861). Fils de médecin, avocat au barreau de Paris, Lacordaire choisit d’entrer au séminaire de Saint-Sulpice, puis est ordonné prêtre en 1827. Il collabore alors régulièrement à la rédaction de l’Avenir, soutient Lamennais, mais, après la condamnation de ce dernier et du libéralisme par Grégoire XVI (encyclique Mirari vos, 1832), il se soumet aux commandements du pape. Ses conférences à NotreDame de Paris, à partir de 1835, le rendent célèbre et connaissent un vif succès auprès de la génération romantique, car elles illustrent un nouveau type d’éloquence. Entré chez les Frères prêcheurs à Rome en 1839, il rétablit cet ordre en France et donne la mesure de ses talents d’orateur dans les prêches qu’il prononce à l’occasion de ses nombreux déplacements à Lyon, Bordeaux, Toulouse ou Nancy. Soucieux de réconcilier l’Église avec le siècle, il se fait élire député à l’Assemblée constituante en 1848, mais se retire rapidement, après l’émeute du 15 mai. Devenu par la
suite provincial de l’ordre des dominicains en France, il s’illustre notamment par un sermon prononcé en l’église Saint-Roch, le 10 février 1853, dans lequel il exprime de façon voilée son hostilité au Second Empire. Exilé de Paris, il se réfugie à Sorèze, dont il dirige le collège. En 1860, il est toutefois élu à l’Académie française au fauteuil de Tocqueville. Laennec (René), médecin (Quimper 1781 - Kerlouenec, Finistère, 1826). Il est l’un des plus brillants médecins de l’école clinique qui s’épanouit dans la France du début du XIXe siècle. Ses premiers travaux portent sur l’anatomie pathologique. Il observe alors principalement les tumeurs cancéreuses et, surtout, la cirrhose atrophique du foie, dont il caractérise les effets et le développement. Cette pathologie sera d’ailleurs plus tard baptisée « cirrhose de Laennec ». Cependant, c’est à l’étude des maladies des poumons et du coeur que sa contribution apparaît essentielle. En 1817, il tire profit d’un phénomène physique banal pour inventer le procédé de l’auscultation en concevant le premier stéthoscope. Cet instrument est réalisé en évidant un cylindre de bois à ses deux extrémités. Plaçant l’une d’entre elles sur la poitrine du malade, le médecin est ainsi en mesure d’entendre avec netteté la respiration en apposant son oreille à l’autre extrémité. Cette méthode d’investigation apporte d’importantes connaissances sur les maladies du système respiratoire. Laennec donne ainsi une nouvelle impulsion à la médecine en réservant une place privilégiée à l’observation, dont il expose les principes dans De l’auscultation médicale (1819). La carrière de Laennec est à la mesure de son apport scientifique, mais elle est très brève. Médecin de l’hôpital Beaujon (1814), puis de Necker (1816), il obtient en 1822 la chaire de médecine au Collège de France. Nommé professeur de clinique médicale à la faculté de médecine de Paris, il meurt peu après, emporté par une tuberculose pulmonaire. Lafargue (Paul), homme politique et écrivain socialiste (Santiago de Cuba 1842 - Draveil 1911). Les origines familiales de Lafargue sont extraordinairement mêlées : un grand-père bordelais ayant épousé à Saint-Domingue une mulâtre, une mère d’origine juive, une grandmère maternelle caraïbe. Lui-même épouse une Allemande : Laura, la propre fille de Karl
Marx. Ces origines expliquent peut-être que cet homme ait choisi de devenir un défenseur des peuples opprimés. Issu d’une famille émigrée d’Haïti, puis installée à Cuba où elle cultive le café, Lafargue suit ses études de médecine en France. C’est la période où il s’imprègne de toute une littérature philosophique et rédige des articles hostiles à Napoléon III. Il adhère à la Ire Internationale et, dans ce cadre, fait la connaissance de Karl Marx, même s’il semble alors plus proche de Proudhon. Il participe à la Commune et doit fuir la France, après l’échec de l’insurrection, afin d’éviter d’être arrêté. Fixé à Madrid, il voyage beaucoup, rencontre Jules Guesde à Londres, début d’une longue collaboration. C’est dans le journal guesdiste l’Égalité qu’il publie en 1880 plusieurs articles qui fourniront la matière de son plus célèbre pamphlet : le Droit à la paresse. Franc-maçon et désormais militant du parti guesdiste, il est condamné à un an de prison pour incitation au meurtre au cours des événements de Fourmies (juillet 1891). Élu député de Lille en novembre, il est libéré. Battu aux élections législatives de 1893, il reste l’un des principaux propagandistes du Parti ouvrier français. S’étant promis « de ne pas dépasser les soixante-dix ans » Lafargue et sa femme se suicident dans la nuit du 26 novembre 1911. La Fayette (Marie Joseph Paul Roch Yves Gilbert du Motier, marquis de), militaire et homme politique (Chavaniac, Haute-Loire, 1757 - Paris 1834). La Fayette fut une figure majeure de trois révolutions : l’une en Amérique, lors de la guerre d’Indépendance, et deux en France, en 1789 et en 1830. Exalté, ambitieux mais piètre politique, le « héros des deux mondes », « idole médiocre » selon Michelet, incarne pour beaucoup la fidélité aux principes libéraux. Cependant, il n’eut qu’une véritable passion : sa popularité. • L’« insurgent » monarchiste. Issu d’une famille d’ancienne noblesse d’Auvergne alliée aux plus grands noms du royaume, La Fayette ne se satisfait guère d’une morne carrière militaire ou des honneurs de la cour. En 1777, en quête de gloire, il s’embarque pour l’Amérique afin de combattre aux côtés des Insurgents. Il a alors 20 ans, et sa fougue, ce qu’il représente - l’aide potentielle française - comme l’amitié de George Washington lui valent d’emblée le grade de major général de l’armée américaine. Revenu en France en 1779, il négocie l’inter-
vention officielle française, avant de regagner l’Amérique (avril 1780) avec 4 000 hommes, et de participer activement à la victoire décisive de Yorktown (19 octobre 1781). À son retour, il est fêté comme un héros et devient la coqueluche de Paris comme des multiples capitales qu’il visite. Incarnant alors le réformisme de la noblesse libérale, le fringant général est de tous les salons politiques mais aussi de toutes les modes. Franc-maçon (1782), « citoyen » américain (1784), membre de la Société des amis des Noirs (1788), il milite en faveur des droits civiques et est assurément l’une des personnalités les plus en vue du parti national, menant une active campagne pour la réunion des états généraux de 1789. • Héros et proscrit. Élu député de la noblesse d’Auvergne en mars 1789, il ne brille guère à l’Assemblée constituante, où il est toutefois le premier à proposer une « Déclaration des droits de l’homme » inspirée par l’Américain Jefferson. Le 15 juillet 1789, il est nommé par acclamation commandant général de la puissante Garde nationale parisienne. Cependant, confronté à l’agitation parisienne permanente, le populaire et modéré général, qui rêve d’être le sabre de la Révolution et joue sa carte personnelle, est bientôt pris dans l’étau des extrêmes et s’isole, dénoncé par la cour comme par les démocrates, qui l’accusent de césarisme. S’il est à l’apogée de sa popularité lors de la fête de la Fédération de 1790, son étoile décline lors de l’affaire des suisses de Château-vieux (31 août 1790) puis s’éteint lorsque la Garde nationale, qu’il commande, tire sur la foule rassemblée au Champs-de-Mars (17 juillet 1791). Feuillant dès l’origine, La Fayette, allié au triumvirat, n’a alors qu’un credo : la Constitution de 1791. Après avoir quitté la Garde nationale (octobre 1791), il est nommé commandant de l’armée du Centre, puis de l’armée du Nord au printemps 1792. Le 16 juin 1792, il proteste viodownloadModeText.vue.download 512 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 501 lemment contre les jacobins, puis, refusant de cautionner la journée du 20 juin, il quitte sans autorisation son armée et se rend à Paris le 28 pour tenter un coup de force, lequel échoue. Après la chute de la monarchie, il est décrété d’accusation par l’Assemblée (19 août), et doit s’enfuir, faute d’avoir su entraîner sa troupe contre Paris pour rétablir le roi. Arrêté en sep-
tembre 1792 par les Prussiens, qui le livrent aux Autrichiens, il est emprisonné à Olmütz (Moravie) jusqu’à sa libération, en septembre 1797, mais ne rentre en France qu’en 1800, après avoir été rayé de la liste des émigrés. • Le personnage de légende. Cependant, hostile au régime de Napoléon Bonaparte, il vit dans la retraite jusqu’en mai 1815, date à laquelle il est élu député de la Chambre des Cent-Jours, où il oeuvre à l’abdication de l’Empereur. Sous la Restauration, symbole de 1789, plusieurs fois député, il est l’un des chefs de l’opposition libérale et participe aux complots de la Charbonnerie en 1821 et 1822. Sa légende est intacte sous les Trois Glorieuses : il est acclamé commandant de la Garde nationale par les combattants (29 juillet 1830) puis ouvre la voie à Louis-Philippe, qu’il accueille à l’Hôtel de Ville de Paris. Bientôt déçu par le nouveau régime, qui se méfie de lui, il démissionne de la Garde nationale en décembre 1830 et évolue vers le républicanisme. Survenant peu après le massacre de la rue Transnonain, sa mort n’est toutefois pas exploitée par les républicains. Laffemas (Barthélemy de), économiste et administrateur (Beausemblant, Dauphiné, 1545- Paris vers 1612). Issu de la petite noblesse protestante, il appartient à l’entourage d’Henri de Navarre, futur Henri IV, dont il est le « tailleur », puis le « valet de chambre » dans les années 1560. Il exerce un temps le commerce des étoffes à Paris, et se fait remarquer aux états de Rouen en 1596, où il propose un plan de développement des manufactures. Il est ainsi le premier, au lendemain des désastres des guerres de Religion, à formuler un programme mercantiliste, préconisant la protection de l’industrie nationale et l’exportation de produits manufacturés afin de procurer à l’État le plus de ressources possibles. Sur ses instances pressantes, Henri IV crée en 1601 une commission du Commerce, et octroie à Laffemas la charge éphémère de « contrôleur général du Commerce et des Manufactures », charge où il se consacre surtout au développement de la sériciculture et de la soierie. Il inspire également le projet avorté d’une Compagnie française des Indes orientales en 1604. Mais ses moyens d’action sont limités, car la politique menée par Sully découle d’autres impératifs : le redressement financier et agricole a la priorité sur l’effort consacré à l’essor des manufactures. De fait, la commission du Commerce semble vite tomber en sommeil. Mais les nombreux pamphlets et écrits théo-
riques de Laffemas inspireront Montchrestien et son Traité de l’économie politique de 1615, ainsi que l’action économique de Richelieu, puis de Colbert. Laffitte (Jacques), banquier et homme politique (Bayonne 1767 - Paris 1844). Fils d’un charpentier de Bayonne, il est propulsé dans la haute banque parisienne à l’âge de 21 ans, lorsqu’il est engagé par le banquier Perrégaux, qui le prend comme associé en 1795, et à qui il succède en 1808 à la tête de la maison Perrégaux Laffitte and Cie. Avec Casimir Perier, Laffitte est l’une des grandes figures des élites parisiennes, associant fortune politique et financière. Menant un train de vie fastueux, il aime à se parer du titre de « roi des banquiers et banquier des rois ». C’est en effet un banquier ambitieux, imaginatif, un brasseur d’affaires omniprésent qui contribue puissamment à l’activité économique des débuts de la révolution industrielle. Il est actionnaire et banquier des Messageries générales de France, d’une compagnie d’éclairage au gaz, de compagnies minières, d’assurances, du Journal du commerce, et il entreprend même, sans doute trop tôt, de lancer une grande banque d’affaires au capital de cent millions de francs. À l’origine, la banque Laffitte est liée à la protection politique de Napoléon, et elle demeure une banque « politique », d’orientation libérale. Régent (1809), puis gouverneur (1814-1819) de la Banque de France, Laffitte est élu député libéral à plusieurs reprises entre 1815 et 1830 (à Paris, puis à Bayonne), avant de devenir, à la suite de la révolution de 1830 - à laquelle il participe activement - ministre sans portefeuille puis des Finances et, enfin, président du Conseil (novembre 1830 - mars 1831). Sa carrière est interrompue par la faillite de sa banque, lorsqu’il se trouve incapable de rembourser une avance de la Banque de France. Mais il garde une part de sa fortune, relance ses affaires en 1837, et retrouve un siège de député, alternativement à Paris et à Rouen, entre 1831 et 1842. Météore de la politique et de la banque, Laffitte ne laisse aucune postérité solide, mais une trace durable dans les mémoires, celle d’un des grands « bourgeois conquérants » de la première moitié du XIXe siècle. Lagrange (Léo), homme politique (Bourgsur-Gironde 1900 - Évergnicourt, Aisne, 1940). Léo Lagrange s’engage dans les rangs socialistes dès 1921. En 1927, il participe à la créa-
tion de « Bataille socialiste », une tendance interne à la SFIO opposée à toute participation gouvernementale. Député du Nord de 1932 à 1940, il argue de sa formation d’avocat pour rapporter l’affaire Stavisky à la Chambre. Mais c’est surtout dans le cadre du Front populaire que l’action du militant socialiste prend toute sa mesure. Chargé de l’organisation des Sports et loisirs au ministère de la Santé publique en juin 1936, Léo Lagrange passe l’année suivante sous l’autorité de Jean Zay à l’Éducation nationale et ajoute l’Éducation physique à ses fonctions. Il adopte un large éventail de mesures - billets populaires de congés annuels, tarifs réduits sur les hôtels et les installations touristiques, croisières populaires, développement de campings et d’auberges de jeunesse destinées à promouvoir les loisirs pour les ouvriers. La démocratisation de la culture est une autre de ses priorités. Il cherche à réduire le coût des spectacles pour les organisations ouvrières, à subventionner les troupes théâtrales s’adressant à un public populaire, à promouvoir les prêts d’oeuvres du Louvre à des musées de province, mais il ne réussit pas à mettre en place des cinémathèques et des bibliothèques ambulantes. Dans le domaine du sport, deux réalisations significatives peuvent être portées à son actif : le brevet sportif populaire et l’incitation à construire des stades urbains, notamment en banlieue. Lagrange oppose donc une vision démocratique de l’organisation des loisirs à l’embrigadement de la jeunesse proposé au même moment par l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie. Personnage emblématique du Front populaire, inscrit au panthéon de la gauche française, il était honni des conservateurs, qui vilipendaient son « ministère de la paresse ». Hostile au défaitisme de la France, il s’engage dans l’armée française au début de la guerre et meurt au combat. Laguiller (Arlette), femme politique, porte-parole de Lutte ouvrière (Paris 1940). Pour protester contre la guerre d’Algérie, elle rejoint dès 1960 le PSU, puis en 1963 l’Union communiste internationale, reconstituée après mai 68 sous le nom de Lutte ouvrière (LO), organisation trotskiste caractérisée par un goût du secret, nécessaire pour préparer la révolution : « Les travailleurs devront détruire l’appareil d’État de la bourgeoisie. » Lutte ouvrière présente Arlette Laguiller, « SaintJust au féminin » selon le Figaro, à l’élection présidentielle de 1974 : elle réunit alors 2,3 % des voix. Elle est de nouveau candidate aux élections présidentielles successives, obtenant 2,2 % des suffrages en 1981 et 1,9 % en 1988.
En 1995, elle recueille le vote protestataire des déçus du socialisme, et son score de 5 % peut surprendre mais elle le renouvelle en 2002 (5,7%). Cette permanente syndicale de Force ouvrière (FO) au Crédit lyonnais, qui prend des congés sabbatiques pour faire campagne, bénéficie en effet de l’estime d’une partie de l’opinion publique, choquée par les scandales politiques et les « affaires », et qui apprécie sa simplicité et la constance de son programme : fidélité à Marx, Rosa Luxemburg, Lénine et Trotski, interdiction des licenciements dans les entreprises bénéficiaires, nationalisation des banques, augmentation des bas salaires et hausse des impôts sur les revenus de la bourgeoisie. Attendant le « grand soir », Arlette Laguiller affirme : « Je ne suis pas naïve, je sais bien que la révolution sera meurtrière, mais sans doute moins que les guerres, alors... » La Haye ! Haye (La) pour les alliances de 1673, 1668 et 1717 contractées en cette ville La Hougue (bataille de) ! Hougue (bataille de La) laïcité. « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. » Cette définition, donnée à l’article 1er de la Constitution du 27 octobre 1946, a été reprise à l’article 2 de celle du 4 octobre 1958. Si le mot de « laïcité » ne figure dans le dictionnaire que depuis 1871 - et il est significatif downloadModeText.vue.download 513 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 502 qu’il ait été admis d’abord dans celui de Littré, disciple d’Auguste Comte -, le caractère qu’il confère à la République française apparaît donc à la deuxième place, après l’unité, dans les textes qui la régissent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Déduction logique de la loi du 9 décembre 1905, loi de séparation des Églises et de l’État, dont l’article 2 stipule que « la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte » - mais cet article même ne faisait que réitérer la décision des députés de la Convention, formulée à l’article 354 de la Constitution de l’an III : « Nul ne peut être empêché d’exercer, en se conformant aux lois, le culte qu’il a choisi. - Nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d’un culte. La République n’en salarie aucun ». La laïcité a ainsi été jugée indispensable et même consubstantielle à la
République pour des raisons qui tiennent à la fois - Claude Nicolet l’a souligné - aux conditions historiques de son enracinement dans le pays et à ses présupposés philosophiques fondamentaux. Ce régime, qui apparaît à presque tous les Français d’aujourd’hui comme le seul garant de leur unité nationale, a mis près d’un siècle à recevoir l’appui de la majorité des citoyens, et quelques décennies encore à réduire ou à surmonter l’opposition de ceux qui en contestaient les principes ou en redoutaient les désordres. Et, tout au long de cette lutte commencée en 1792, l’Église dominante s’est rangée dans le camp de ses adversaires, obtenant d’eux, lorsqu’ils détenaient le pouvoir - sous la Restauration, sous le second Empire, sous le gouvernement de Vichy -, les moyens de retrouver ou d’accroître son influence. L’alliance traditionnelle entre le trône et l’autel suffit à expliquer l’intransigeance des laïques à chacune des grandes étapes de la consolidation républicaine. Défense laïque, bloc, puis front républicain : ce vocabulaire de combat, écho d’une mémoire militante, rappelle ce qu’il a fallu de patience et de volonté pour faire triompher l’idée républicaine de l’État-nation. • La laïcité, des Lumières au positivisme. Ce triomphe, en vérité, n’a pu être assuré durablement ni par la fièvre obsidionale, ni par la sévérité du talion. La recherche de sa source impose de remonter jusqu’à la philosophie du XVIIIe siècle, où les Constituants ont puisé l’idéal d’une régénération de l’homme fondée sur le libre exercice de la raison, et qui trouve son expression la plus confiante dans l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain (posthume, 1795), l’oeuvre ultime de Condorcet. Au siècle suivant se déploient les espérances positivistes, scientistes, et la pensée politique libérale, qui considère l’État laïque, et non plus la monarchie absolue de droit divin, comme l’instituteur et le gardien de l’unité nationale et de l’ordre social. De là, l’évolution que Taine a résumée dans les Origines de la France contemporaine (18761891) : « Si devant l’État laïque, les croyances et les cultes sont libres, devant l’État souverain, les Églises sont sujettes. » Dans un texte intitulé Pour la dernière fois (1881), où Renan voyait son testament philosophique, Émile Littré a décrit les deux faits prépondérants qui exerçaient selon lui, dans la France des années 1870, une « action sociale » décisive : « Le premier, c’est le progrès continu de la laïcité, c’est-à-dire de l’État neutre entre les religions, tolérant pour tous les cultes et forçant l’Église à lui obéir en ce point capital ; le second, c’est la confirmation incessante que le ciel scientifique reçoit de toutes les découvertes sans que
le ciel théologique obtienne rien qui en étaye la structure chancelante. » • « La foi laïque ». Jules Ferry a voulu inscrire ensemble dans la législation française l’obligation et la laïcité de l’enseignement primaire parce que l’accès à la science, et non l’initiation à la croyance, était pour lui la condition nécessaire au progrès de la démocratie. Et, si la loi de 1882 a contribué plus que toute autre à l’affermissement de la laïcité, c’est en raison de la liaison primordiale qui unissait, dans la pensée de Ferry et des fondateurs de la IIIe République, la doctrine de l’éducation, le devoir de relever la patrie et l’urgence d’y rétablir, sur une base nouvelle, l’ordre social. Les adver-saires catholiques de Ferry lui ont reproché de vouloir la déchristianisation de la « fille aînée de l’Église ». Pour eux - Yves Déloye l’a bien montré -, il était coupable et vain de prétendre fonder la paix sociale et l’identité nationale sur la seule puissance de la raison, sur la « morale sans Dieu », plutôt que sur le respect des « devoirs envers Dieu ». Le protestantisme libéral, auquel se rattachaient quelques-uns des plus proches collaborateurs de Ferry, leur a opposé ce que Ferdinand Buisson appelait la « foi laïque », qui consistait à « dégager du christianisme traditionnel et intégral une sorte d’Évangile, une religion laïque de l’idéal moral sans dogmes, sans morale, sans prêtres ». Le partage de cette foi, qui substitue à l’absolutisme théocratique l’individualisme démocratique, doit assurer le bon fonctionnement de la « cité » moderne. Charles Dupuy l’a rappelé en 1893, lors des funérailles du père des lois scolaires républicaines : « Ferry a cherché dans l’unité de la science et dans l’universalité de la morale le lien objectif des consciences, l’accord réel et durable des citoyens. » • Des lois scolaires à la séparation des Églises et de l’État. La laïcité ne peut donc être confondue avec l’athéisme. La radicalisation du combat qu’il a fallu livrer pour la faire triompher - cause circonstancielle, donc, et non point essentielle - explique les démonstrations d’anticléricalisme de ses plus ardents défenseurs. Mais, Ferry lui-même l’a proclamé au Sénat le 12 mars 1882, « l’irréligion d’État ne doit pas prendre la place de la religion d’État ». Et ce sont les circonstances encore qui ont donné à la préparation de la loi de séparation l’apparence d’un règlement de comptes. Il est clair, en effet, que si les républicains ont voulu procéder très vite à la séparation de l’Église et de l’école, ils ont mis plus de temps à renoncer au pouvoir que laissait à l’État, dans l’administration des cultes, le
Concordat de 1801. Le ralliement à la République auquel le pape Léon XIII a engagé les catholiques français à partir de 1890 rendait possible un modus vivendi acceptable pour les deux camps. Mais, en se rangeant aux côtés des antidreyfusards, en apportant leur adhésion au courant maurrassien, les catholiques intransigeants, contre-révolutionnaires, hostiles à toute forme de concession au modernisme, ont provoqué le durcissement de la politique anticléricale qui a conduit à la séparation - séparation libératrice, au demeurant et qui a créé pour l’Église catholique, ainsi que l’a montré Jean-Marie Mayeur, les conditions d’un renouveau. Car l’essentiel, dans la loi de 1905, est qu’elle achève la séparation, non pas seulement entre le pouvoir civil et la confession majoritaire en France, mais entre deux cités. En séparant les Églises de l’État, le législateur n’a pas voulu nier l’existence d’un domaine spirituel mais tirer les ultimes conséquences de la nature et de la fonction de l’État, qui ne peut avoir compétence et autorité que dans la cité terrestre. Cela exigeait de tracer une frontière entre le temporel, où l’État veille à l’application de ses principes constitutifs - la liberté générale, l’égalité devant la loi, la solidarité contractuelle -, et le spirituel, dont il respecte l’indépendance. L’argument d’une religion majoritaire, invoqué par l’opposition catholique, Ferry déjà l’avait réfuté au Sénat, le 10 juin 1881, en des termes définitifs : « Les questions de liberté de conscience ne sont pas des questions de quantité : ce sont des questions de principe ; et, la liberté de conscience ne fût-elle violée que chez un seul citoyen, un législateur français se fera toujours honneur de légiférer, ne fût-ce que pour ce cas unique. » • La laïcité républicaine en crise ? Ce n’est pas le moindre des paradoxes de notre temps que de voir des fidèles de confessions minoritaires, dont les aïeux doivent précisément à la laïcité républicaine leur émancipation et leur intégration, réclamer contre elle un droit à la « différence », au « respect des minorités ». Les polémiques soulevées par le port du foulard islamique, où s’exprime non point une révolte délibérée, mais la soumission volontaire à une servitude, trahissent, plutôt qu’une crise de la laï-cité, le recommencement perpétuel du combat contre l’universalisme de la raison. Il est sans doute plus difficile aujourd’hui qu’au temps de Littré de croire qu’à la place du « ciel théologique » disparu, le « ciel scientifique » seul guide la marche au progrès de l’humanité. C’est pourquoi il faut rappeler l’impératif démocratique dont la laïcité constitue la condition nécessaire mais non suffisante : l’esprit, la conscience
de chaque individu, de chaque citoyen, doit être à même de juger et de décider librement et raisonnablement. Moins que jamais, par conséquent, la laïcité ne doit être entendue dans un sens restrictif. Sa fonction ne consiste pas seulement à délimiter une sorte de « terrain neutre » où peuvent librement se rencontrer et s’accorder les familles spirituelles de la France Propos d’Alain, de juin 1913 : « Il faut maintenir la séparation des pouvoirs, et garder le Pouvoir spirituel indépendant de l’autre. Obéir de corps ; ne jamais obéir d’esprit. Céder absolument, et en même temps résister absolument. Vertu rarement pratiquée ; une nature servile n’obéit pas assez et respecte trop. » La crise de la laïcité, est-ce autre chose, en somme, qu’un déficit de pensée libre ? Lakanal (Joseph), homme politique (Serres, Ariège, 1762 - Paris 1845). Membre de la congrégation de la Doctrine chrétienne dès 1778, Joseph Lacanal est prodownloadModeText.vue.download 514 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 503 fesseur de logique à Moulins lorsque la Révolution éclate. Alors que sa famille défend le pouvoir monarchique, il change l’orthographe de son patronyme et se fait élire sous le nom de Lakanal par le département de l’Ariège à la Convention. Siégeant avec les modérés, il n’en vote pas moins la mort de Louis XVI. Envoyé en mission dans le Sud-Ouest, il organise, entre autres, la levée des chevaux pour les armées et développe la manufacture d’armes de Bergerac. Homme de terrain, déterminé dans l’action, il reste cependant avant tout l’auteur d’une oeuvre de réorganisation de l’enseignement (en particulier dans le cadre du comité d’Instruction publique, qu’il préside) et des institutions culturel-les. En 1793, si Robespierre préfère le projet d’instruction national de Le Peletier à celui que Lakanal (en collaboration avec Sieyès et Daunou) avait élaboré, ce dernier n’en est pas moins à l’origine de la plupart des initiatives culturelles prises par la Convention, telles que la création de grandes écoles (École des langues orientales) et l’organisation scolaire à travers les écoles centrales et les écoles normales. Celles-ci devaient être la poutre maîtresse d’un système de formation d’instituteurs capables de transmettre sur l’ensemble du territoire de la nation les valeurs de
la République. Lakanal influence également les orientations scientifiques et techniques de son temps en participant à l’évaluation du projet novateur de télégraphe optique de Chappe et en le soutenant. Soucieux de donner un nouvel élan à l’activité scientifique, il réorganise l’Observatoire de Paris. Il fait aussi adopter les décrets protégeant la propriété littéraire et artistique. Il est réélu à trois reprises au Conseil des Cinq-Cents, et son influence est à son zénith sous le Directoire. Chargé de désigner les 48 premiers membres de l’Institut, il devient lui-même membre de cette illustre assemblée en décembre 1795. Sa fortune politique est cependant contrariée sous le Consulat. Les postes qu’il occupe alors sont modestes. On le trouve successivement enseignant, économe dans un lycée, puis inspecteur du service des Poids et mesures. La Restauration et la promulgation de la loi sur les régicides en 1816 le contraignent à l’exil aux États-Unis. Il y devient président de l’université de Louisiane (1822-1823), puis planteur en Alabama. Membre de droit de l’Académie des sciences morales et politiques depuis 1834, il termine sa carrière dans cette institution après son retour en France en 1837. Lally-Tollendal (Thomas Arthur, baron de Tollendal, comte de Lally, dit), commandant général des troupes françaises envoyées en Inde (Romans 1702 - Paris 1766). D’origine irlandaise, Lally combat dans les armées de Louis XV lors des guerres des Successions de Pologne et d’Autriche. Au début de la guerre de Sept Ans, le roi lui confie la direction de l’expédition en Inde, à la tête de neuf vaisseaux commandés par le chef d’escadre d’Aché. Mais, en 1761, Pondichéry capitule face aux Anglais. Jugé responsable de la défaite, Lally est embastillé (août 1762), condamné à mort par le parle-ment de Paris, et décapité. Voltaire veut alors le réhabiliter (1773) avec l’appui de du propre fils du condamné (1778). En vain. Renvoyée devant les parlements de Rouen et Dijon, la condamnation est confirmée. Certes autoritaire, Lally heurtait souvent ses officiers de terre (Bussy) et de mer (d’Aché). Toutefois, il fut un bon militaire, s’emparant de Gondelour (3 mai 1758) et du fort Saint-David (2 juin). Son échec est surtout lié au repli de l’escadre de d’Aché sur l’île de France, qui le contraint à abandonner le siège de Madras (16 février 1759), à la perte de Surat (mars), puis à celle de Masulipatam (avril). Certes, les onze vaisseaux de d’Aché le ravitaillent à Pondichéry (15 septembre 1759), mais ils l’aban-
donnent dès le 27 ! Privé de secours, Lally capitule dans Pondichéry (15 janvier 1761) après neuf mois de siège. Lally ne méritait pas d’être exécuté pour trahison sur la place de Grève, et d’Aché pas davantage d’être promu vice-amiral. Lamarque (Jean Maximilien, comte), général et homme politique (Saint-Sever, Landes, 1770 - Paris 1832). Lamarque entreprend une carrière militaire à l’âge de 21 ans. Combattant courageux, stratège habile, il se distingue à Fontarabie (1794), à Austerlitz (1805), puis en Italie, notamment à Gaète (1806) et à Capri, où il s’empare d’un fort réputé imprenable (1808). Nommé général de division en décembre 1807, il rejoint l’armée d’Italie, puis combat trois années durant contre les Espagnols (1811-1813). Après avoir été mis à l’écart par les hommes de la première Restauration (1814), il se lance aux côtés de Napoléon dans l’aventure des Cent-Jours. C’est à lui qu’est alors confiée la délicate mission de pacification de la Vendée (traité de Cholet, juin 1815). Après trois années de proscription au retour de Louis XVIII (1815-1818), il tente de se faire élire député. Il essuie une série d’échecs, avant de parvenir à ses fins en 1828, dans les Landes. Réélu en 1830, il applaudit à la révolution de Juillet, et siège à la Chambre entre la gauche et l’extrême gauche, parmi les libéraux démocrates. Patriote ardent, proche de son glorieux aîné La Fayette, il se fait le défenseur des nationalités opprimées, notamment des Polonais. Il reste en outre fidèle au souvenir impérial et dénonce inlassablement les conditions faites à la France au congrès de Vienne. À sa mort, qui survient lors de la grande épidémie de choléra de 1832, il jouit en France d’une très grande popularité. Ses funérailles, qui se déroulent à Paris, entraînent les journées insurrectionnelles des 5 et 6 juin 1832. Lamartine (Alphonse de), écrivain et homme politique (Mâcon 1790 - Paris 1869). Né dans une famille très chrétienne et nostalgique de l’Ancien Régime, il est un enfant choyé mais aussi un adolescent inquiet. Ses années de jeunesse sont marquées par une instabilité et des tensions entre le besoin très profond d’écrire et la quête d’une position sociale qui résoudrait des difficultés financières, un réel sens religieux et des amours chaotiques. Mais c’est la rencontre, sur les rives du lac du Bourget, de Julie Charles, jeune femme
phtisique, qui sera décisive : sa mort précoce, en 1817, bouleverse Lamartine, lui inspirant les stances élégiaques et mélancoliques des Méditations poétiques (1820). Premier succès fulgurant du poète, cette oeuvre très personnelle, bréviaire d’un « romantisme » naissant, dit aussi le trouble et la lassitude d’une société saturée de guerres et de gloire après un quart de siècle traversé de révolutions et de conquêtes impériales. Lamartine se fait ainsi le chantre de ce nouveau courant de sensibilité qui associe l’angoisse de la mort à la présence consolatrice de la nature, les incertitudes de la foi à un idéalisme qui transcende l’existence individuelle. Les dix années qui suivent sont jalonnées de succès : poète adulé, époux comblé - depuis le 6 juin 1820 - d’une jeune Anglaise, Maria Anne Elisa Birch, attaché d’ambassade auprès du roi de Naples, puis deuxième secrétaire de la légation de Florence, Lamartine se partage entre l’Italie et son cher Mâconnais natal, auquel le rattachent la maison de son enfance à Milly et, à partir de 1821, le château de Saint-Point. En 1830, l’écrivain est reçu à l’Académie française et publie les Harmonies poétiques et religieuses, expression d’un lyrisme méditatif parfois amer. En décembre 1832, au cours d’un voyage en Orient, la mort de sa fille unique Julia (12 ans) marque une autre rupture : en quête d’exutoire, Lamartine choisit de se lancer plus avant dans la vie politique. Député, orateur écouté à la Chambre, il se veut au service des libertés publiques et à l’écoute des classes défavorisées. Il devient membre du Gouvernement provisoire de février 1848, ministre des Affaires étrangères, et se présente sans succès à l’élection présidentielle de décembre. Son rêve d’une république idéale ne tarde pas à s’effondrer définitivement au lendemain du coup d’État du 2 décembre 1851. Au fil de ce parcours, les oeuvres du romancier, de l’historien et du poète, souvent livrées en hâte aux éditeurs pour régler des dettes pressantes, connaissent des fortunes diverses : entre 1833 et 1848 paraissent le Voyage en Orient, Jocelyn, la Chute d’un ange, les Recueillements, et la magistrale Histoire des Girondins. Vient ensuite le temps du retrait, de l’autobiographie, du refuge dans les grands textes, avec Confidences, Raphaël, une Histoire de la Révolution (1848) et les 28 volumes du Cours familier de littérature. Lamballe (Marie-Thérèse Louise de Savoie-Carignan, princesse de), surintendante
de la maison de la reine (Turin 1749 - Paris 1792). Mariée au prince de Lamballe, fils de l’amiral de France duc de Penthièvre, veuve à 18 ans, elle en a 25 lors de l’avènement de Louis XVI (1774). Marie-Antoinette, 20 ans, prise d’amitié pour cette cousine, rétablit pour elle une charge disparue depuis la mort de Marie Leszczynska. En 1792, la princesse, naguère peinte, portraiturée, dessinée et aquarellée dans tout l’éclat de sa beauté, est brutalement jetée dans les cachots de la prison de la Force, avant d’être victime des massacres de septembre. Sa tête, mise au bout d’une pique, est portée au Temple sous les fenêtres de la reine. Son coeur, arraché, aurait été mangé sur le lieu même du supplice par la foule en délire. downloadModeText.vue.download 515 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 504 Mme de Lamballe fut-elle victime de son image ou de son appartenance à l’aristocratie ? La première hypothèse paraît la plus vraisemblable, car, comme Mme de Polignac, Mme de Lamballe est au nombre de ces amies de Marie-Antoinette, femmes jolies et légères, qui, des bosquets de Versailles - dans lesquels débuta l’affaire du Collier - jusqu’aux moutons du Petit-Trianon, contribuèrent, de par leur juvénile insouciance, à discréditer l’« Autrichienne » aux yeux de l’opinion. Sa naissance n’y est pour rien : du reste, son beaupère Penthièvre, quoique duc richissime et petit-fils de Louis XIV, mourut paisiblement en 1793 en son château de Bizy, si regretté de la population que la Garde nationale fit dire une messe en souvenir de ses aumônes ! Lamennais (Félicité Robert de La Mennais [ainsi orthographié jusqu’en 1834] ou), théologien et philosophe (Saint-Malo 1782 - Paris 1854). Figure majeure de la pensée religieuse de la première moitié du XIXe siècle, Lamennais a été, tour à tour, l’interprète du traditionalisme catholique, de la démocratie chrétienne et de la démocratie sociale. Issu d’une famille d’armateurs malouins récemment anoblie, il se forme à la théologie dans la solitude, sous la direction d’un frère aîné prêtre. Ses premiers travaux défendent la tradition de l’Église contre Napoléon. Ordonné prêtre, tardivement, à Vannes en 1816, il connaît la gloire avec son Essai sur l’indifférence en matière de
religion (1817-1823), texte qui rompt avec la philosophie des Lumières, exalte la foi catholique et l’Église universelle, et jette les bases du traditionalisme chrétien par le biais de la théologie du « sens commun ». Reçu avec honneur à Rome en 1824 par le pape Léon XII (qui songe à le faire cardinal), il accentue dans ses publications sa critique du gallicanisme et réunit autour de lui un premier groupe de prêtres et de théologiens ardents (Gerbet, Salinis, Gaume, Guéranger). La révolution de 1830 accélère son évolution vers le libéralisme, puis vers la démocratie. Avec Lacordaire et Montalembert, il fonde le journal l’Avenir (octobre 1830-novembre 1831), première expression d’une démocratie chrétienne qui, sous la devise « Dieu et Liberté », réclame les libertés d’enseignement, de la presse et d’association, ainsi que la séparation de l’Église et de l’État. En butte à l’hostilité de l’épiscopat, il tente de se justifier auprès du Vatican, mais les thèses de l’Avenir sont condamnées par l’encyclique Mirari vos (15 août 1832) du pape Grégoire XVI. Soumis, mais révolté par la condamnation pontificale de l’insurrection polonaise de 1831, il se détache peu à peu du christianisme et élabore une philosophie religieuse vouée à l’émancipation du peuple. En 1834, il publie ses Paroles d’un croyant, sombre méditation prophétique sur l’oppression des prolétaires par les puissants, aussitôt condamnée par l’encyclique Singulari nos (25 juin). Lamennais rompt alors définitivement avec l’Église, approfondit sa recherche religieuse et philosophique, et milite dans le camp démocratique ; il siège comme député de la Seine dans les rangs montagnards (républicains d’extrême gauche), de 1848 à 1851. Après avoir refusé l’assistance d’un prêtre avant sa mort, il est enseveli au petit matin, sur ordre de la police impériale, dans la fosse commune du cimetière du Père-Lachaise. Lameth (Alexandre Théodore Victor, chevalier de), général et homme politique (Paris 1760 - id. 1829) ; frère du précédent. En 1777, il entre dans les gardes du corps du roi, puis s’engage dans l’armée de Rochambeau, pour combattre en Amérique (1782). À son retour en France, il devient colonel du régiment Royal-Lorraine ; il est élu par la noblesse député du bailliage de Péronne aux états généraux de 1789. Libéral, membre de la Société des amis des Noirs, il rejoint le tiers état, vote l’abolition des privilèges (4 août 1789) et se prononce contre le veto absolu
du roi. Il fait partie, avec Barnave et Duport, du triumvirat. Avec eux, il défend la personne du roi et la monarchie après la fuite de Louis XVI, et quitte le Club des jacobins pour fonder celui des feuillants (1791). Pendant la guerre, nommé maréchal de camp dans l’armée du Nord, il combat aux côtés de La Fayette, puis passe avec ce dernier à l’ennemi. Fait prisonnier, il reste trois ans en captivité. À sa libération, il émigre en Angleterre, puis à Hambourg. Rentré en France, Bonaparte le nomme préfet, successivement, des BassesAlpes (1802), du Rhin-et-Moselle, de la Ruhr, puis du Pô. Il devient baron d’Empire (1810), puis maître des requêtes au Conseil d’État (1811). Lors de la première Restauration, il se rallie à Louis XVIII, qui le nomme préfet de la Somme. Durant les Cent-Jours, il soutient Napoléon et siège à la Chambre des pairs. En 1820, il poursuit sa carrière politique comme député libéral. Lameth (Charles Malo François, comte de), maréchal et homme politique (Paris 1757 - Val d’Oise 1832). Lieutenant dans le régiment de La Rochefoucauld (1774), capitaine trois ans plus tard, il combat dans l’armée d’Amérique septentrionale (1780), où il devient aide maréchal général des logis. Il est l’un des premiers membres de la Société des amis des Noirs (1788). Élu de la noblesse aux états généraux de 1789, il attend l’ordre du roi pour rejoindre la salle commune des débats. Il intervient à de nombreuses reprises à l’Assemblée, où il défend des positions libérales en s’opposant régulièrement au pouvoir royal. Lors de la fuite de Louis XVI à Varennes, il estime, contrairement à son frère Alexandre, qu’il s’agit « d’un crime de lèse-nation ». Membre du Club des jacobins, il le quitte pour rejoindre celui des feuillants. Après la déclaration de la guerre, il devient maréchal de camp (1792). Arrêté avec sa famille, il est finalement libéré. Il émigre alors à Hambourg avant de revenir définitivement en France après le 18 Brumaire. Il reprend du service dans l’armée d’observation de l’Elbe, puis est nommé gouverneur de Würzburg (1809). La même année, il est fait chevalier de la Légion d’honneur et son nom est inscrit sur l’Arc de triomphe à Paris. En 1814, il se rallie à la Restauration et devient lieutenant général. À la mort de son frère Alexandre, il est élu député de l’arrondissement de Pontoise (1829). Réélu lors des élections de 1830, il soutient la monarchie de Juillet.
La Mettrie (Julien Offray de), médecin et philosophe (Saint-Malo 1709 - Berlin 1751). Ce fils de marchand préfère la médecine à la théologie, et suit à Leyde les cours de Boerhaave, dont il traduit les oeuvres en français. Il compose lui-même des traités médicaux, mais ne se contente pas de ces textes techniques. Installé à Paris en 1742, il manifeste bientôt sa hardiesse par des pamphlets contre les autorités médicales (Saint Cosme vengé, 1744 ; Politique du médecin de Machiavel, 1746) et par des traités de philosophie matérialiste aux titres déjà provocateurs : Histoire naturelle de l’âme (1745), l’Homme-machine (1747), l’Homme-plante (1748), qui réduisent l’homme à son organisation physique. Ces principes fondent une morale qui renoue avec l’épicurisme antique et critique le stoïcisme, souvent revendiqué par le christianisme : l’Anti-Sénèque (1748), le Système d’Épicure (1750). Il couronne son oeuvre philosophique par l’Art de jouir (1751) et Vénus métaphysique (1752). La Mettrie est plusieurs fois inquiété et attaqué en raison de ses audaces. Il perd son poste de médecin des gardes-français, puis celui de médecin-chef des hôpitaux militaires du Nord ; ses livres sont condamnés et brûlés. Après s’être enfui aux Pays-Bas, il trouve refuge, en 1748, auprès de Frédéric II de Prusse, qui partage son matérialisme. Sa mort à la suite d’une indigestion semble être une invention du même ordre que le prétendu suicide de Lucrèce... Des philosophes comme Diderot ou d’Holbach, plus soucieux que lui de reconstruire un ordre social, se démarquent de La Mettrie, longtemps considéré comme un penseur paradoxal et scandaleux ; sa philosophie n’est réhabilitée que depuis peu. Lamoignon (famille de), dynastie de magistrats parisiens Cette dynastie apparaît au XVIe siècle avec Charles (dans le Nivernais 1514 - Paris 1572), docteur en droit, avocat, conseiller au parlement, maître des requêtes, puis conseiller d’État. Au XVIIe siècle s’imposent son fils Chrétien (Paris 1567 - id. 1636), seigneur de Basville, conseiller au Parlement, président aux enquêtes, président à mortier ; puis le fils de celui-ci, Guillaume (Paris 1617 - id. 1677), conseiller au parlement, maître des requêtes, conseiller d’État. Guillaume Lamoignon est premier président au parlement de Paris lorsque s’ouvre le procès Fouquet (mars 1662) ; mais la manière libérale dont il pré-
side aux débats incite le roi à le remplacer par le chancelier Séguier. Fouquet emprisonné, il rentre en grâce et participe alors à l’élaboration des ordonnances civile (1667) et criminelle (1670) de Colbert (Code Louis). Sa conception de la justice l’oppose toutefois au pouvoir : il veut faire assister l’accusé d’un avocat, abolir la question, empêcher les prévenus de prêter serment pour leur éviter de se damner. Pussort, oncle de Colbert, s’y oppose. downloadModeText.vue.download 516 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 505 À la fin du siècle, François-Chrétien (Paris 1644 - id. 1709), fils aîné de Guillaume, incarne la quatrième génération de cette famille de robe. Avocat général, président à mortier, hautement cultivé (son père avait pour amis Bussy-Rabutin, Turenne, le Père Rapin, le chancelier Boucherat...), il se lie à Bourdaloue, Regnard, Racine, Mme de Sévigné, sa voisine. Dédicataire de la sixième Épître de Boileau, il entre à l’Académie des inscriptions en 1704. Mais le plus célèbre représentant de cette génération reste son frère Nicolas (Paris 1648 - id. 1724), seigneur de Basville, conseiller au parlement, maître des requêtes, intendant de Poitiers, puis de Montpellier (1685-1718). Il y reçoit le surnom de « tyran du Languedoc » pour avoir persécuté les protestants cévenols et ravagé le Gévaudan. Au XVIIIe siècle, Guillaume II (Paris 1683 - id. 1772), neveu du précédent, seigneur de Malesherbes et de Blanc-Mesnil (terre héritée des Potier), devient à son tour avocat général, président à mortier, premier président de la Cour des aides. En 1750, il succède au chancelier d’Aguesseau. Mais, trop lié aux jésuites, décrié par les philosophes des Lumières, il est exilé en 1763 et doit démissionner en 1768. Il laisse toutefois à la monarchie un fils : Malesherbes. Lamoricière (Christophe Louis Léon Juchault de), général et homme politique (Nantes 1806 - château de Prouzel, près d’Amiens, 1865). Élève de l’École polytechnique, puis de l’école d’application de Metz, il fait ses premières armes au siège d’Alger, en 1830, et débute une brillante carrière : capitaine en 1831, colonel en 1837 après le siège de Constantine, où il est grièvement blessé, il devient général en 1840.
En 1844, il contribue à la victoire de l’Isly et, en 1847, il reçoit la soumission d’Abd el-Kader. Lors de la chute de Louis-Philippe (février 1848), il cherche, sans succès, à imposer la régence de la duchesse d’Orléans. Représentant de la Sarthe à l’Assemblée constituante de 1848, il devient ministre de la Guerre dans le gouvernement du général Cavaignac après les journées de juin. Réélu à l’Assemblée législative de 1849, il s’oppose au prince-président, qui le fait incarcérer lors du coup d’État du 2 décembre 1851, puis bannir hors de France, où il ne rentre qu’en 1857. En 1860, avec l’accord de Napoléon III, il prend la tête des troupes pontificales en guerre contre le Piémont-Sardaigne, mais la brusque invasion de la Romagne par les troupes piémontaises ne lui laisse pas le temps d’organiser sa défense. Battu à Castelfidardo le 18 septembre 1860, il doit finalement capituler à Ancône. Peu après sa mort, un imposant mausolée lui sera élevé dans la cathédrale de Nantes (1879). Royaliste imprégné d’idées saint-simoniennes, Lamoricière manifesta des talents d’administrateur et une certaine intelligence de l’Algérie. Il organisa le premier bataillon de zouaves, et anima les bureaux arabes, destinés à gérer les territoires militaires. S’opposant à la colonisation militaire prônée par Bugeaud, il défendit la cause de la colonisation libre, par concessions à des compagnies financières. Landru (affaire), célèbre affaire criminelle (1919-1922). Arrêté le 13 avril 1919, à la suite des plaintes déposées par les familles de deux femmes disparues dans des conditions similaires, Landru, marié et père de quatre enfants, auteur de nombreuses escroqueries, est bientôt découvert comme l’auteur du meurtre de dix femmes, auxquelles il avait promis le mariage, et qu’il avait dépouillées de leur fortune. Pour trouver ses victimes idéales, Landru a rencontré 283 femmes, abordées en public ou choisies sur petites annonces. Il en a méthodiquement sélectionné dix, qui furent toutes ses maîtresses. Pour préparer ses crimes, ce grand séducteur consignait tous les renseignements sur des fiches et utilisait plusieurs appartements, des garages, une voiture et deux villas. Sa stratégie consistait à se fiancer à des jeunes filles seules ou à des veuves, à les isoler progressivement de leur famille et à les dépouiller, dans la mesure du possible, de leur vivant ; ensuite, il les assassinait dans son pavillon de Gambais, faisait disparaître les corps et, enfin, récupérait leurs biens grâce à de faux documents.
Le public fut horrifié par l’incroyable logistique criminelle mise en place par cet homme, ignorée de tous, même de sa femme et de sa maîtresse, mais aussi par l’absence de motif réel, puisque les frais de son organisation étaient à peine couverts par ses gains. Les psychiatres chargés d’examiner Landru, qui nia ses assassinats jusqu’au bout, déclarèrent qu’il n’était pas aliéné mais dénué de tout sens moral. C’est donc après avoir été jugé responsable de ses crimes qu’il fut condamné à mort, et exécuté le 25 février 1922. Langevin (Paul), physicien (Paris 1872 - id. 1946). Issu d’un milieu modeste fortement imprégné des valeurs républicaines, Langevin entre, à l’âge de 16 ans, à l’École de physique et chimie industrielle de la Ville de Paris, seul établissement accueillant alors ceux qui n’ont pas étudié au lycée. Sur les conseils de Pierre Curie, qui y enseigne, il se présente à l’École normale supérieure et y est reçu premier en 1893. Après sa thèse (1902), il est nommé professeur au Collège de France et succède à Pierre Curie à l’École de physique et chimie industrielle (1904), dont il deviendra directeur en 1925. Dès 1905-1906, alors qu’il élabore une théorie sur les propriétés magnétiques des corps et l’électromagnétisme, il découvre les travaux d’Einstein sur la relativité restreinte. Partisan de la diffusion d’idées nouvelles, il crée en 1911 les « congrès Solvay », réunissant des grands noms de la physique. Il fait connaître les travaux de son élève Louis de Broglie sur la mécanique ondulatoire et invite, en 1922, Albert Einstein à Paris. Convaincu que la science et l’enseignement doivent permettre un progrès de la justice sociale, Langevin est aussi un homme de gauche. Enseignant, comme Romain Rolland et Henri Barbusse, à l’Université ouvrière, il affirme son rôle politique au lendemain du 6 février 1934. Il fonde, avec le philosophe Alain et le professeur Paul Rivet, le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes : l’animation de ce comité, qui joue un rôle important dans la formation du Front populaire, témoigne de son évolution politique qui le rapproche du Parti communiste français. Dès 1940, ses prises de position lui valent l’hostilité du régime de Vichy, qui le révoque de ses postes de professeur et le fait arrêter à plusieurs reprises. Évadé à la fin de la guerre, il adhère au PCF en 1944 pour prendre la place, dit-il, de son gendre Jacques Solomon, fusillé par les Allemands. Après la Libération,
son activité reste intense : il est à la tête de la Ligue des droits de l’homme et président de la commission ministérielle pour la réforme de l’enseignement, dont le rapport, connu sous le nom de « plan Langevin-Wallon », est rendu public en 1947. Lang Son (défaite de), revers passager du corps expéditionnaire français face à l’armée chinoise, le 28 mars 1885, lors de la conquête du Tonkin, et qui provoqua la chute du gouvernement Jules Ferry. Revenu au pouvoir en février 1883, Ferry assigne un nouvel objectif aux missions françaises en Indochine : il s’agit désormais de conquérir le Tonkin. Un corps expéditionnaire de 20 000 hommes, appuyé par la flotte, obtient dès 1883 la soumission de l’empereur d’Annam puis, en 1884, contraint la Chine à demander la paix. Les hostilités reprennent pourtant en 1885. La colonne du général Négrier reçoit l’ordre de pénétrer en Chine. Mais, le 22 mars, une contre-offensive chinoise force l’armée française à se replier sur Lang Son, qu’elle venait d’occuper. Les combats se poursuivent autour de la ville : le 28 mars, les Français remportent un combat à l’issue duquel Négrier est grièvement blessé. Mais son adjoint, le lieutenant-colonel Herbinger, pris de panique, évacue la place. Un télégramme envoyé à Paris par le commandant en chef Brière de l’Isle dramatise alors involontairement la situation, laissant supposer une grave défaite. Pourtant, dès le 29 mars, la situation militaire est rétablie. En juin, la Chine demandera d’ailleurs la paix. Mais la dépêche provoque un émoi considérable à l’Assemblée, et Ferry est très violemment pris à partie par les adversaires de la colonisation, menés par Clemenceau. Son gouvernement est renversé : Lang Son est ainsi l’un des rares exemples de crise ministérielle déclenchée par un événement de politique extérieure. Elle témoigne de la fragilité de la position de Ferry : une simple rumeur suffit à abattre son gouvernement alors que sa politique sera bientôt couronnée de succès. langue d’oc, langue romane utilisée dans les régions méridionales de l’ancienne Gaule romaine à partir des IXe et Xe siècles. Comparée à la langue d’oïl, la langue d’oc apparaît assez tardivement. On peut expliquer ce décalage par la vigueur de la culture et de la langue latines jusqu’au VIIe siècle, ainsi que par la profonde crise de la culture écrite dans les pays méridionaux aux VIIIe et IXe siècles, dont témoigne notamment la disparition des
scriptoriums monastiques. Mais la Chanson de sainte Foi (début du XIe siècle), les poèmes de Guillaume IX d’Aquitaine (1071-1127) et downloadModeText.vue.download 517 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 506 la rédaction des premières chartes en occitan (début du XIIe siècle) marquent la renaissance culturelle du Midi et l’avènement d’une langue et d’une littérature d’oc. Aux XIIe et XIIIe siècles, la langue d’oc apparaît comme la langue propre à une civilisation. En effet, en dépit de sa rapide subdivision en plusieurs dialectes (limousin, provençal, languedocien, gascon...), elle demeure la langue véhiculaire de tout le Midi, ce que remarque Dante, qui est le premier à utiliser l’expression lingua d’oco. La poésie lyrique et politique des troubadours promeut par ailleurs une culture laïque et aristocratique originale, fondée sur les valeurs de la courtoisie. Enfin, l’essor de l’écrit dans les sociétés méridionales fait de la langue d’oc une langue administrative, reconnue par l’administration royale française au XIVe siècle. Toutefois, la croisade des albigeois (1209) et l’intégration progressive des régions méridionales au royaume de France (XIIIe-XVe siècle) entraînent le déclin de la langue d’oc à la fin du Moyen Âge. La littérature d’oc s’étiole dès le XIVe siècle. L’usage administratif de l’occitan recule au XVe siècle, et l’ordonnance royale de Villers-Cotterêts (1539) conduit à son remplacement progressif par le français dans les institutions royales, provinciales et urbaines au cours du XVIe siècle. Mais, fort de ses nombreux dialectes, l’occitan demeure la langue véhiculaire des populations méridionales jusqu’à la première moitié du XXe siècle. Au XIXe siècle, le romantisme et l’essor des études savantes favorisent un renouveau littéraire qu’entend soutenir le Félibrige, fondé par Frédéric Mistral en 1854. Pourtant, dans le même temps, l’usage de l’occitan se raréfie considérablement, moins sous l’effet de la politique scolaire de la IIIe République qu’à la suite des profondes mutations socio-économiques et culturelles de la fin du XIXe siècle et du XXe siècle. L’occitan profite toutefois, à partir des années 1960, de la revalorisation des cultures régionales, et, depuis la loi Deixonne (1951) et les circulaires Savary (1982-1984), son enseignement est pratiqué dans le cadre de l’école publique.
Languedoc, ancienne province française, divisée pendant la Révolution en huit départements qui seront rattachés, en 1960, à deux Régions (Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées). Vaste territoire, le Languedoc médiéval s’étend entre le Rhône inférieur et moyen, la haute Garonne, les contreforts méridionaux du Massif central et le piedmont pyrénéen. • Des premiers hommes à la colonisation romaine. Si des traces d’une présence humaine remontant à 900 000 ans peuvent être relevées, c’est seulement à partir du XVe millénaire que commence à s’esquisser le trait dominant de l’histoire du Languedoc : la différenciation entre un Occident atlantique et un Orient méditerranéen. Celle-ci s’accuse entre le Ve et le IIIe millénaire, en dépit d’un mode de vie commun fondé sur la chasse, l’élevage, l’agriculture, l’habitat en cabanes ou en grottes. La céramique « cardiale », la transhumance, l’inhumation sous dolmen et les premières importations de cuivre individualisent le domaine méditerranéen. Au Ier millénaire (âge du fer), aux anciens occupants des parties basses orientales se mêlent les « peuples des champs d’urnes » : agriculteurs, ils incinèrent leurs morts et incisent des décors géométriques dans les céramiques. Dans les parties hautes vivent les « peuples des tumulus », pasteurs semi-nomades qui incinèrent ou inhument leurs morts et excisent les décors de leurs poteries. L’intensification des contacts avec le Bassin méditerranéen entraîne la construction de places destinées à contrôler le commerce terrestre et maritime des Étrusques, des Grecs et des Massaliotes. Ces places - Ensérune, Pech-Maho, Peyriac deviennent, au VIe siècle, des foyers d’hellénisation. Au IVe siècle arrivent les Celtes. Constituant une aristocratie militaire superposée aux autochtones, ils apportent au pays une certaine unité, sans toutefois faire disparaître les différences culturelles entre bordure montagneuse (peuple des tumulus), extrême est (d’abord hellénisé, ensuite romanisé), sud (ibérique) et extrême ouest (celtisé). La pénétration et la conquête romaines (120 avant J.C.) s’effectuent sans difficulté ni dommage majeurs. Les vainqueurs incluent rapidement le Languedoc dans leur Provincia, dont Narbonne devient la capitale, et installent des colons dans plusieurs villes (Narbonne, Béziers, Lodève, Carcassonne, Nîmes). Dès le Ier siècle après J.-C., le réseau urbain s’étoffe autour de l’axe routier Narbonne-Toulouse, tandis que dans les campagnes, largement pourvues de vastes domaines, s’amorce une certaine spécialisation : élevage sur les Causses et dans
la garrigue, céréales à l’ouest et vigne à l’est. L’exploitation des minerais, des carrières, des eaux minérales et du sel marin complète la mise en valeur du pays. • L’annexion française. Sous le Bas-Empire puis pendant le haut Moyen Âge, la prospérité s’atténue progressivement. En témoignent le net fléchissement du commerce extérieur, la régression du mode d’existence rural, le déclin de villes telles que Narbonne et Nîmes, la décadence culturelle, malgré la christianisation (achevée au VIe siècle) et la renaissance carolingienne. Plus que les invasions successives des Alamans, des Wisigoths et des Francs (IIIe-IXe siècle), ce sont le déplacement des centres actifs vers le Rhône, les raids de Charles Martel (VIIIe siècle) et l’anarchie féodale (Xe-XIIe siècle) qui apparaissent comme les facteurs principaux de ce déclin. Unifié à la fin du XIe siècle par Raimond IV de Saint-Gilles, comte de Toulouse, le Languedoc connaît deux sièclesd’épanouissement (XIe et XIIe siècles), marqués à la fois par l’apparition de nouvelles villes - Castres, Alès, Montpellier, Beaucaire -, par le développement du catharisme, religion populaire qui entend revenir aux sources du christianisme primitif, et par la floraison de la lyrique courtoise. La région souffre néanmoins de l’opposition des grands féodaux aux comtes de Toulouse, de l’adhésion de certains d’entre eux à l’hérésie cathare ou vaudoise, et des interventions étrangères qui s’effectuent à la faveur de la crise politico-religieuse de la fin du XIIe siècle : la croisade contre les albigeois (1211-1218), dirigée par le pape Innocent III, et la mainmise française en 1229 mettent logiquement fin à une époque où l’alliance avec la France paraît seule capable de contenir celle des féodaux avec les Aragonais et les Plantagenêts. Le passage sous domination capétienne se traduit par l’installation d’une administration royale (sénéchaussées au XIIIe siècle, lieutenance générale, parlement et cour des aides au XIVe siècle) et d’états provinciaux (XIVe siècle). Il apporte également plusieurs siècles de paix à la province qui, jusqu’aux guerres de Religion du XVIe siècle, sera relativement épargnée par les conflits. Mais seul le siècle consécutif à l’annexion voit se poursuivre la croissance amorcée au XIe siècle, au profit de l’ouest céréalier, de l’est viticole, des villes artisanales et commerçantes (Nîmes, Montpellier, SaintGilles, Aigues-Mortes, Narbonne et Toulouse) et des Cévennes (culture du mûrier). En effet, aux XIVe et XVe siècles, les disettes, la peste et la pression fiscale provoquent un effondrement
démographique ainsi qu’une crise générale des campagnes et des villes. Seul le triangle Montpellier-Pézenas-Montagnac parvient à y échapper. L’impact culturel de l’annexion a été mineur dans les derniers siècles du Moyen Âge. Certes, les universités de Toulouse et de Montpellier (XIIIe siècle) ont alors commencé à asseoir leur réputation. Mais les productions artistiques et littéraires manquent quelque peu d’éclat : la littérature occitane, après avoir connu son apogée au XIIe siècle, amorce son déclin ; le gothique, lent à se diffuser, conserve les traits massifs et austères du roman languedocien (celui de Saint-Sernin, de Saint-Gilles et de Moissac), sans atteindre ses sommets (Lavaur, Albi, Lodève, Narbonne, Toulouse). • Croissance économique, luttes politiques et religieuses. De la fin du XVe siècle à la fin du XVIIIe siècle, le Languedoc connaît une nouvelle phase de prospérité, ralentie toutefois par les guerres de Religion (15601596), le tassement du premier XVIIe siècle, la dépression générale des années 1680-1720 et les difficultés du règne de Louis XVI. À l’ouest dominent les céréales, le pastel au XVIe siècle, le maïs à partir du siècle suivant ; à l’est, l’élevage, les légumes, la vigne et la soie, le textile, les industries nouvelles du XVIIIe siècle (charbon, chimie, verrerie, indiennage), les grandes foires de Beaucaire. La population connaît une croissance irrégulière mais très nette, alimentée par une immigration de proximité. Dans les villes - Toulouse, Montpellier, Nîmes, Béziers, mais aussi Carcassonne et Narbonne - se développe une vie culturelle dynamique, quoique sans grand éclat, sous une influence française de plus en plus marquée : en témoignent les peintres locaux comme Rivalz, des architectes comme les Giral, les multiples sociétés de pensée. Néanmoins, de nombreuses zones d’ombre demeurent. La croissance est largement dépendante de la concurrence extérieure (pastel, draperie, industries nouvelles) ; la production céréalière traditionnelle ne suffit pas toujours, et les disettes scandent le XVIIIe siècle, tandis que les accidents climatiques ou la surproduction mettent périodiquement à mal les grandes cultures méditerranéennes ; enfin, la poussée démographique ne favorise dans la longue durée ni les salariés ni les locataires du sol. En outre, les XVIIe et XVIIIe siècles ont été une longue période de troubles politico-religieux. downloadModeText.vue.download 518 sur 975
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507 Le triomphe du catholicisme au XIIIe siècle n’a pas mis fin à l’hérésie, et le combat a repris au XVIe siècle, avec des paroxysmes entre 1560 et 1596, entre 1619 et 1629 (guerre de Rohan et édit d’Alès), et entre 1686 et 1704 (révocation de l’édit de Nantes et insurrection des camisards) ; malgré les efforts du clergé de la Réforme catholique, conjugués à ceux de l’État, le Languedoc reste jusqu’à la Révolution un foyer de tensions. Ces troubles persistants n’empêchent pas la région de passer pour un modèle de sage administration aux yeux des contemporains. L’oeuvre des intendants résidant à Montpellier, dont témoigne par exemple la construction du canal du Midi (1666-1681), est dans l’ensemble remarquable. La progression de l’usage de la langue française par les élites, au détriment de l’occitan écrit, accompagne l’effort administratif d’homogénéisation. • Départements et régions modernes. Une fois la province divisée en départements, les Languedociens se sont dans l’ensemble résolument engagés dans l’aventure politique initiée par la Révolution. S’ils se sont impliqués dans la décentralisation révolutionnaire, qui correspondait à leurs traditions communales, forgées à partir du XIe siècle, ils ont mal soutenu l’expérience fédéraliste de 1793, sauf dans le Gard. Conservateurs jusqu’à la IIIe République - à l’exception de quelques villes -, ils se sont finalement convertis au régime républicain, en se situant longtemps à gauche de l’échiquier politique. Nantie de solides traditions de combat (Carmaux, 1892 ; lutte des viticulteurs en 1907) et de débat politique, relativement égalitaire dans ses structures, la société languedocienne a longtemps fait figure de bastion du radicalisme. Si un indéniable dynamisme économique - né dès la seconde moitié du XIXe siècle grâce à la production massive de vins ordinaires - a permis l’essor de la région, si le maillage urbain plutôt dense a constitué également un facteur de développement, les capitaux et les hommes (Italiens, pieds-noirs) sont le plus souvent venus de l’extérieur. La région traverse indéniablement, aujourd’hui, une crise d’identité. La revendication occitane, en dépit de la renaissance littéraire, est restée confinée à des cercles étroits. Mais les mythes médiévaux du catharisme et de Montségur servent, à l’occasion, de références à des comportements contestataires. L’évolution récente des secteurs économiques traditionnels, les données nouvelles de l’immigration urbaine, la mutation cultu-
relle de Toulouse et de Montpellier, seraient néanmoins susceptibles de mettre en péril la spécificité languedocienne. Laniel (Joseph), homme politique, président du Conseil sous la IVe République (Vimoutiers, Orne, 1889 - Paris 1975). Issu d’une famille - catholique et conservatrice - d’industriels du textile normands, Joseph Laniel succède en 1932 à son père, Henri Laniel, député du Calvados. Parlementaire modéré, proche d’André Tardieu, puis de Paul Reynaud, il appartient à l’aile de l’Alliance démocratique qui proteste contre les accords de Munich. Même si, le 10 juillet 1940, il vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, il noue, dès 1941, des liens avec des groupes de la Résistance, et entre dans la clandestinité à la fin de 1942. En mai 1943, il siège, au titre de l’Alliance démocratique, au sein du Conseil national de la Résistance (CNR). À la Libération, il représente la droite libérale et modérée, hostile à la politique dirigiste du tripartisme. À la suite du retour des modérés à la tête du gouvernement, Laniel, choisi pour remplacer René Mayer après plus d’un mois de crise ministérielle, forme, en juin 1953, un gouvernement composite comprenant des indépendants, des radicaux, des membres du MRP, mais aussi des gaullistes. Si la politique de rigueur financière d’Edgar Faure, son ministre des Finances, soulève l’opposition de plusieurs millions de grévistes, des mesures d’incitation favorisent l’investissement et, par conséquent, l’expansion économique. Sur le problème de la Communauté européenne de défense (CED) - le traité, signé en 1952, n’est alors toujours pas ratifié -, Laniel cherche surtout à temporiser pour ne s’aliéner ni le MRP, favorable à la ratification, ni les gaullistes, qui y sont très hostiles. En matière coloniale, la trop grande latitude que Georges Bidault, son ministre des Affaires étrangères, et lui même laissent aux responsables locaux aboutit au désastre de Diên Biên Phu, en Indochine (mai 1954), et à la déposition du sultan Mohammed Ben Youssef (futur Mohammed V) au Maroc, c’est-à-dire à l’impasse politique. Renversé en juin 1954, Laniel, qui n’a pas réussi à se faire élire président de la République en décembre 1953, ne joue plus qu’un rôle secondaire, avant de se retirer totalement de la vie politique après 1958. Lanjuinais (Jean Denis), juriste et parlementaire, comte de l’Empire (Rennes 1753 - Paris 1827).
Fils d’un avocat au parlement de Bretagne, Lanjuinais s’affirme comme un étudiant particulièrement doué : reçu docteur en droit, il devient avocat à 19 ans grâce à une dispense d’âge. En 1775, il obtient par concours la chaire de droit ecclésiastique à l’université de Rennes. Appelé par les trois ordres des états de Bretagne pour être leur avocat, il n’hésite pas, dans un procès relatif au droit de colombier, à remettre en cause les privilèges de la noblesse. Il se retire ensuite du barreau et se contente de ses activités professorales tout en publiant des ouvrages qui lui donnent l’occasion de s’exprimer comme un défenseur des droits du tiers état. Élu député de cet ordre aux états généraux de 1789, il contribue à la fondation du Club breton, futur Club des jacobins. Il est l’un des principaux protagonistes du serment du Jeu de paume, multiplie les discours réclamant l’abolition des privilèges et la suppression de la noblesse. Il joue par ailleurs un rôle important dans la rédaction de la Constitution civile du clergé. Après la dissolution de la Constituante, il est de retour à Rennes, où il assume la charge d’officier municipal. Son département le désigne de nouveau pour le représenter à la Convention : il désapprouve alors le radicalisme des jacobins et se prononce contre l’exécution de Louis XVI. En lutte continuelle contre la Montagne, il tente de s’opposer, entre autres, à la création du Tribunal révolutionnaire. Après les événements du 2 juin 1793, il est dénoncé par les autorités municipales de Paris, puis arrêté. Il s’évade et ne sort de sa retraite clandestine à Rennes qu’après le 9 Thermidor (27 juillet 1794). Réintégré dans ses fonctions de représentant, il participe à la rédaction de la Constitution de l’an III. Membre du Conseil des Anciens, il n’est pas réélu en l’an V, et reprend alors son poste de professeur. Prenant acte de son approbation tacite du coup d’État du 18 brumaire, Bonaparte le nomme membre du Sénat. Il y siège en conservant son indépendance, protestant contre l’instauration du Consulat à vie, puis de l’Empire. Il vote la déchéance de Napoléon en 1814. Élevé à la pairie durant la première Restauration, il refuse tout d’abord de se rallier à l’Empereur en 1815. Mais le collège électoral de la Seine le désigne comme représentant à la Chambre, dont il est même élu président. Son indépendance réaffirmée à l’égard de Napoléon lui permet de conserver sa charge de pair à la seconde Restauration. Il continue alors son combat pour la défense des libertés individuelles : il refuse de voter la mort de Ney, puis s’oppose aux ultraroya-
listes. Seul le ministère libéral de Decazes obtient son soutien. Parallèlement à ses fonctions de parlementaire, Lanjuinais enseigne le droit romain dans une école libre dont il est cofondateur, préside l’académie celtique et s’intéresse à l’archéologie, à l’histoire et aux religions de l’Orient. Il est élu à l’Académie des inscriptions et belleslettres en 1808. Lannes (Jean), maréchal de l’Empire, duc de Montebello (Lectoure, Gers, 1769 - Ebersdorf, Autriche, 1809). Il aurait été apprenti teinturier et peut-être soldat dans les armées du roi avant de s’engager, en 1792, dans un bataillon de volontaires du Gers, dont il est nommé sous-lieutenant. Il combat dans les Pyrénées orientales, puis participe à la campagne d’Italie, où il est grièvement blessé à Arcole en protégeant Bonaparte. Il se distingue ensuite en Égypte, où il est à nouveau blessé. Général de division le 10 mai 1799, il est l’un des principaux artisans de la victoire d’Aboukir. Il rentre en France aux côtés de Bonaparte et cautionne le coup d’État du 18 brumaire. Durant la seconde campagne d’Italie, il s’illustre lors de la victoire de Montebello, le 9 juin 1800. S’il apparaît comme le favori du Premier consul, il n’en est pas moins éloigné quelque temps de Paris en raison de la familiarité avec laquelle il persiste à traiter celui-ci en public, mais aussi à cause de ses critiques envers le Concordat et des trop grandes dépenses engagées en tant que commandant de la Garde des consuls. Ainsi, en novembre 1801, il est envoyé comme ministre plénipotentiaire au Portugal. Il s’illustre par la suite à Austerlitz, Iéna et Friedland. Il est aux côtés de l’Empereur durant la campagne d’Espagne, mais il accuse déjà une usure tant physique, en raison de ses multiples blessures, que morale, du fait de son attachement à une paix jamais établie. Il combat en Autriche en 1809, où il est mortellement blessé à la bataille d’Essling. Le 6 juillet 1810, la France l’honore par des funérailles nationales grandioses, au cours desquelles son corps est déposé au Panthéon, downloadModeText.vue.download 519 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 508 et qui témoignent de l’aura dont il jouissait. Et c’est encore pour lui rendre hommage que Napoléon fait de son épouse la première dame d’honneur de Marie-Louise.
La Noue (François de), homme de guerre (Château de La Noue, près de Nantes, 1531 - Moncontour, près de Saint-Brieuc, 1591). Ce « Bayard huguenot » des guerres de Religion, dit « Bras de Fer » en raison d’un crochet métallique ajusté à son moignon gauche, est non seulement un homme de guerre voué à toutes les aventures du parti protestant mais aussi le tenant d’un pluralisme religieux original exprimé dans ses Discours politiques et militaires (1587). De bonne noblesse bretonne, il se convertit sincèrement au calvinisme (1559), influencé par l’évangélisation de François d’Andelot. Durant les trois premières guerres de Religion, il partage le destin militaire des Châtillons. Grand tacticien, habile à pallier le manque de moyens militaires, il est récompensé par l’octroi de la charge de gouverneur de La Rochelle, puis du commandement de l’infanterie en 1569. Après sa blessure au bras gauche au siège de Fontenay-le-Comte (1570), il subit de nombreux revers : emprisonnement lors de l’expédition des Flandres (1572) ; médiation ratée à La Rochelle pour le compte de Charles IX, qui entraîne son ralliement au duc d’Anjou lors de la prise d’armes de la cité (1574) ; nouvelle aventure dans les Pays-Bas, où il reste prisonnier des Espagnols pendant cinq ans (1580-1585). Il est mortellement blessé au siège de Lamballe, avant d’avoir vu le triomphe des idées exprimées dans ses Discours, où il associe notamment la pacification monarchique à la tolérance religieuse. Ses convictions ne sont déterminées ni par l’indifférence ni par une quelconque raison d’État défendue par le parti des « Politiques », mais admettent la diversité d’opinions en vertu du respect mutuel entre frères chrétiens, sur le modèle de l’Église primitive. Lanthenas (François Xavier), médecin et révolutionnaire (Le Puy, Haute-Loire, 1754 - Paris 1799). Fils d’un marchand cirier, Lanthenas fait ses études au collège du Puy, avant d’entrer dans une maison de commerce. Après son apprentissage, il voyage et, au hasard de ses rencontres, se lie avec les Roland. C’est grâce à leur soutien qu’il suit un cursus médical conclu par une thèse sur l’Éducation, cause éloignée et souvent même cause prochaine de toutes nos maladies. La Révolution vient modifier son parcours : membre du Club des jacobins, animateur de la Société des amis des
Noirs, il travaille avec Roland au ministère de l’Intérieur après le 10 août 1792. Élu à la Convention, il vote la mort du roi, défend la liberté de la presse, traduit les propos de Thomas Paine. En décembre 1792, peu après avoir été exclu du Club des jacobins, il entre au Comité de l’instruction publique. Parallèlement à sa charge, il développe alors, dans le sillage d’un naturalisme rousseauiste adapté au propos révolutionnaire, une sorte d’« utopie biologique » de la liberté. Il mêle dans ses ouvrages l’exigence civique des révolutionnaires au souci hygiéniste. Sa morale, sans grande originalité, intègre une composante physique essentielle : liberté, civilité et santé sont, pour lui, indissociables. Malgré ses fonctions politiques (conventionnel, il est aussi membre du Corps législatif puis du Conseil des Cinq-Cents entre 1795 et 1797), Lanthenas n’a eu, pour ainsi dire, aucune influence ; cependant, il est représentatif d’un courant de pensée qui a contribué à faire de la santé publique un enjeu majeur du débat politique. Laos ! Indochine La Palice (Jacques II de Chabannes, sire de), maréchal de France (vers 1470 - Pavie 1525). Fils de Geoffroi de Chabannes, compagnon de jeu du dauphin Charles, il est chargé du commandement d’une compagnie de lances et participe à toutes les expéditions italiennes à partir de 1494. Comptant parmi les principaux capitaines de Louis XII, il prend la tête de l’armée royale en 1512, après la mort de Gaston de Foix à la bataille de Ravenne, une fonction qu’en qualité de grand maître, puis de maréchal de France, il conservera par la suite. Si les chroniqueurs contemporains émettent des jugements souvent sévères sur sa pratique du commandement, ils célèbrent son courage et sa loyauté - qui lui fait préférer, en 1523, la fidélité au roi à celle qu’il doit à son suzerain direct, le connétable de Bourbon. La Palice est, en fait, l’un des derniers représentants de la grande noblesse guerrière française : ces compagnons du roi qui se disputaient les charges de cavalerie les plus honorifiques étaient bien peu enclins à suivre les principes de la guerre moderne et furent décimés lors de la déroute de Pavie, sanglant symbole de leur anachronisme. C’est justement à Pavie, en 1525, dans une dernière charge inutile, que La Palice trouve la mort. Quant à l’expression « vérité de La Palice » ou « lapalissade », utilisée pour désigner un truisme
risible, elle a pour origine une chanson composée, deux siècles plus tard, par un certain La Monnoye pour célébrer, sur le mode de la dérision, les vertus du valeureux capitaine. La Pérouse (Jean-François de Galaup, comte de), marin et explorateur (Le Guo, près d’Albi, 1741 - île de Vanikoro, Mélanésie, 1788). Entré dans la marine à 15 ans, il défend contre les Anglais les possessions coloniales françaises lors de la guerre de Sept Ans (1756-1763), puis participe à des campagnes dans le cadre de la guerre de l’Indépendance américaine (1778-1783). Louis XVI et les Académies des sciences et de marine le chargent alors de poursuivre l’exploration du Pacifique et d’apprécier la possibilité d’établir un commerce de fourrures entre l’Amérique et la Chine. En août 1785, il embarque à Brest, emmenant à bord de l’Astrolabe et de la Boussole des artistes et des savants équipés de chronomètres et d’instruments astronomiques modernes. Après six mois de traversée atlantique, de Brest jusqu’au cap Horn, La Pérouse entame deux années d’explorations. Les informations recueillies sont envoyées au fur et à mesure des avancées de l’expédition, afin d’accélérer leur diffusion et de limiter les risques de perte. En avril 1786, le navigateur fait relâche à l’île de Pâques, où l’un des artistes dessine les statues colossales qui s’y trouvent. Les vaisseaux remontent ensuite jusqu’aux rivages de l’Alaska, où vingt-et-un officiers et marins se noient accidentellement. En août 1786, La Pérouse relève les côtes californiennes, avant de traverser le Pacifique d’est en ouest jusqu’à Manille (février 1787). Une carte des mers de Chine et du Japon est établie, puis est reconnu le détroit séparant Sakhaline de Hokkaido (il porte aujourd’hui le nom de l’explorateur), grâce auquel La Pérouse rallie le port russe de Petropavlovsk, sur la côte du Kamtchat ka. Il évite l’hiver boréal en repartant vers le sud, et parvient, en novembre 1787, aux îles Samoa. Lors d’une aiguade, des indigènes samoans massacrent douze hommes. La Pérouse poursuit sa route jusqu’à la colonie anglaise de Botany Bay (près de l’actuelle Sydney), en Australie, d’où, en février 1788, il fait parvenir en France la suite de son journal et son projet d’exploration du Pacifique sud. On perd alors toute trace de l’expédition. En 1791, à la demande de Louis XVI, l’Assemblée nationale envoie d’Entrecasteaux et Huon de Kermadec à la recherche des navigateurs. Si la mission est un succès scientifique, elle ne parvient pas à les retrouver. En 1828, Dumont d’Urville identifie enfin, dans l’îlot de Vanikoro, non loin des
Fidji, les traces du naufrage de La Pérouse. Les indices recueillis jusqu’au XXe siècle montrent que l’expédition a abordé en Nouvelle-Calédonie, avant d’être victime des cyclones tropicaux de l’été austral, et ses survivants, des indigènes. Plus savant que Bougainville et Cook, La Pérouse n’est pas un conquérant, mais un observateur qui apporte une contribution décisive (cartographie, botanique) à la connaissance des littoraux pacifiques. Ses remarques ethnographiques, qui soulignent l’agressivité des indigènes, remettent en cause le mythe du bon sauvage. Son journal est publié en 1797, sous le titre Voyage de La Pérouse. Laplace (Pierre Simon, marquis de), mathématicien et physicien (Beaumont-en-Auge, Normandie, 1749 - Paris 1827). Contrairement à la légende, Laplace n’est pas issu de la petite paysannerie normande : d’origine modeste, il compte cependant dans sa famille quelques personnalités influentes, notamment un conseiller du roi. Il poursuit d’ailleurs un cursus représentatif d’un tel milieu : collège local, puis université à Caen. C’est là, entre 1766 et 1768, qu’il s’initie aux mathématiques. Remarqué par d’Alembert, il entre, quelques années plus tard, en 1773, à l’Académie des sciences. Il publie alors de nombreux travaux, seul ou en collaboration avec les plus grands esprits du temps, tels Condorcet ou Lavoisier, avec lequel il fonde, dans un mémoire de 1783, la calorimétrie. Au cours de la Révolution, ce savant reconnu s’engage dans la rénovation du système institutionnel scientifique : il est membre de la commission temporaire des poids et mesures (dont il est exclu pendant la Terreur), puis professeur à l’École normale, membre de downloadModeText.vue.download 520 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 509 l’Institut. Rallié à Bonaparte dès Brumaire, il est couvert d’honneurs, devient sénateur puis comte d’Empire. Véritable maître de la physique française, il publie alors ses principaux ouvrages, dont Exposition du système du monde (1796), sur l’origine du système solaire, et Théorie analytique des probabilités (1812). Laplace a largement contribué à la mathématisation des phénomènes physiques. Athée rigoureux, il incarne, par ses travaux et par sa
carrière, cette génération de savants formés sous l’Ancien Régime qui a mis en place, entre 1794 et 1815, les nouveaux cadres intellectuels et sociaux de l’activité scientifique. La Revellière-Lépeaux (Louis Marie de), homme politique (Montaigu 1753-Paris 1824). Jusqu’en 1789, il vit en propriétaire terrien, après des études de droit et une éducation marquée par un prêtre violent, qui l’aurait rendu contrefait - ce qui lui aurait inspiré un fort anticléricalisme. Élu aux états généraux de 1789, après avoir fait connaître ses principes égalitaires, il se fait remarquer en réclamant, parmi les tout premiers, la déchéance du roi après Varennes. Un temps membre de l’administration départementale du Maineet-Loire, il est élu à la Convention en 1792 ; il vote alors la mort du roi mais s’oppose à Marat. Tentant d’éviter la scission entre girondins et montagnards modérés, il doit se cacher en 1794 pendant le paroxysme de la Terreur. Il n’est réintégré qu’en mars 1795, défendant toujours une ligne républicaine modérée, hostile au royalisme renaissant. Il participe à la rédaction de la Constitution de l’an III, siège au Conseil des Anciens - dont il devient président -, avant d’être élu Directeur en octobre 1795. Il reste toutefois fervent républicain, luttant autant contre les menées royalistes que contre les babouvistes ; mais il se préoccupe surtout de la lutte religieuse, souhaitant détruire la puissance papale. Il soutient un nouveau culte, la théophilanthropie, sans l’appui des autres Directeurs. Opposé aux menées de Sieyès et de Bonaparte, il est poussé à démissionner en juin 1799. Il refuse ensuite de prêter serment à l’Empire, et se retire définitivement de la vie publique pour rédiger ses Mémoires. La Reynie (Gabriel Nicolas de), premier lieutenant général de police de Paris (Limoges 1625 - Paris 1709). Issu d’une famille de robe, président au présidial de Bordeaux en 1646, il obtient ensuite une charge de maître des requêtes au Conseil d’État. En 1667, Louis XIV confie à ce serviteur dévoué la charge de lieutenant général de la police à Paris, qu’il vient de créer pour surveiller la capitale dont il se méfie. De cette fonction, Saint-Simon a pu dire : « Ce fut en plein un ministère, bien qu’incognito. » Disposant de pouvoirs étendus malgré les conflits avec les échevins et les tribunaux, travaillant directement avec le roi et Colbert, La Reynie quadrille Paris d’un réseau de commissaires
et d’informateurs. Surveillant le courrier, contrôlant l’imprimerie, réprimant la mendicité, il régit « crottes, lanternes et catins », dote la ville d’un éclairage public, rénove le pavé, veille à l’approvisionnement en eau et en blé, réorganise le guet. Son travail participe du maintien de l’ordre public quotidien (deux fois par semaine, au Châtelet, le bureau de police juge les flagrants délits), du règlement des scandales familiaux (par les lettres de cachet sont enfermés fils rebelles, épouses coupables, maris pris de folie) et des affaires politiques. Il instruit, en 1679-1680, l’affaire des Poisons, mais Louis XIV freine son zèle lorsqu’il apparaît que Mme de Montespan y est impliquée. Quand il quitte sa charge en 1697, il laisse le souvenir d’un magistrat probe et d’un administrateur actif. La Rochefoucauld-Liancourt (François Alexandre, duc de), philanthrope et homme politique (La Roche-Guyon 1747 - Paris 1827). Issu de la haute aristocratie, grand maître de la garde-robe du roi, il incarne ce courant de la noblesse éclairée soucieuse de progrès économique. Après un voyage outre-Manche en 1769, il fait de sa terre de Liancourt une sorte de ferme-modèle, où il tente d’acclimater les innovations culturales anglaises. Dans un esprit de bienfaisance et de progrès, il encourage la diffusion de l’activité manufacturière, finance la future école d’arts et métiers de Châlons, et soutient les premières expériences de vaccination. Aux états généraux de 1789, il représente la noblesse du bailliage de Clermont-en-Beauvaisis. À la Constituante, où il est très actif, ce réformateur modéré anime le comité de mendicité. Il rédige de nombreux rapports sur l’état des hôpitaux et sur l’organisation des secours publics, qui, selon lui, doivent être réservés aux seuls invalides, inaptes au travail. Aux autres, un emploi doit être proposé, voire imposé. Très proche du roi, La Rochefoucauld-Liancourt s’efforce de concilier les idées nouvelles et la monarchie. À Louis XVI demandant, le 12 juillet 1789, « c’est donc une révolte ? », il aurait répondu « non, sire, c’est une révolution ». Au lendemain du 14 juillet, il contribue au rappel de Necker. Après la fuite à Varennes, il continue de défendre la prérogative royale, et participe au Club des feuillants. La chute de la monarchie, le 10 août 1792, le conduit à émigrer, d’abord en Angleterre, auprès de son ami Arthur Young, puis en Amérique. Il reprend alors le titre de duc que détenait son
cousin La Rochefoucauld d’Enville, et voyage à l’intérieur des États-Unis, méditant sur le sort des Indiens et des Noirs, et étudiant le fonctionnement des prisons. Rentré en Europe en 1797, il ne peut regagner la France que sous le Consulat, en 1799. Il reprend alors, à Liancourt, ses activités tournées vers le progrès économique et social. Fait pair de France en 1815, il siège au Conseil des hospices, prône l’amélioration du régime pénitentiaire et l’abolition de l’esclavage. En 1818, aux côtés du baron Delessert, grand industriel et banquier, il fonde la première caisse d’épargne, dans le but d’enseigner aux pauvres les vertus de la prévoyance : la philanthropie se veut ici moralisatrice. Fortement teintée de conservatisme social, la pensée de La Rochefoucauld-Liancourt paraît toutefois trop libérale à Charles X, qui écarte définitivement celui-ci de toute fonction gouvernementale en 1825. La Rochejaquelein (Henri du Vergier, comte de), général contre-révolutionnaire (Saint-Aubin de Baubigné, Deux-Sèvres, 1772 - Nuaillé, Maine-et-Loire, 1794). Né dans la propriété familiale de La Durbelière, d’où son père, issu d’une vieille famille de noblesse d’épée, jouit d’une grande influence dans le Poitou, il est destiné à la carrière des armes et se retrouve sous-lieutenant dans le régiment paternel à l’âge de 13 ans. En 1792, il est admis dans la garde constitutionnelle de Louis XVI, puis défend le roi aux Tuileries le 10 août après la dissolution de ce corps. Il se réfugie ensuite dans sa province, alors que son père et ses frères ont émigré, noue des relations étroites avec son cousin, Louis-Marie de Lescure (lui-même futur chef contre-révolutionnaire), venu également de Paris avec sa jeune femme (elle-même future mémorialiste de la Vendée). En avril 1793, les paysans de sa région, connaissant ses sentiments, lui demandent de diriger leur insurrection : il accepte aussitôt et se retrouve dans l’état-major de la grande Armée catholique et royale, où il se fait remarquer par sa fougue - notamment lors de la prise de Thouars (5 mai). Après la disparition de Jacques Cathelineau et la blessure de d’Elbée, il est proclamé généralissime, sa jeunesse et son ardeur devant souder l’armée catholique divisée quant à ses objectifs ; il se charge de la « virée de Galerne », qu’il mène à bien jusqu’à Granville (14 novembre). Au retour, il parvient à franchir la Loire et reconstitue des bandes dans les Mauges, où il est tué par un soldat républicain qu’il allait faire prisonnier. La Rocque (François de Séverac, comte
de), homme politique (Lorient, Morbihan, 1885 - Paris 1946). Saint-cyrien, envoyé au Maroc alors que Lyautey est résident général, puis en 1917 sur la Somme, il devient membre de l’état-major de Foch après 1918. Il quitte l’armée dix ans plus tard avec le grade de lieutenant-colonel, et entre à la Compagnie générale d’électricité d’Ernest Mercier. Ce dernier et le parfumeur Coty appuient son ascension au sein des Croix-de-feu, qu’il préside à partir de 1931 et qu’il transforme avec succès en un véritable mouvement de masse. En 1934, dans Service public, il affirme vouloir « servir » et non « se servir », condamnant le communisme et le totalitarisme, les « deux cents familles », les monopoles et le « capitalisme irresponsable », déplorant enfin la « décadence » du pays, à laquelle il oppose le « culte de la tradition ». Dans les domaines économiques et sociaux, il défend l’aide aux familles nombreuses, le corporatisme, les limites au droit de grève, un salaire minimum garanti, la défense de la main-d’oeuvre nationale par la limitation de l’immigration, et, au niveau politique, le vote familial, l’octroi de vrais pouvoirs au président de la République et un rapprochement avec l’Italie. S’expriment ici un traditionalisme tempéré par un catholicisme social, un conservatisme mâtiné d’un « esprit scout », bien davantage que le fascisme d’un « aspirant dictateur », tel que le dénonce alors la gauche avec virulence. Au contraire, La Rocque, qui aspire à gagner le pouvoir par les voies légales, downloadModeText.vue.download 521 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 510 est vilipendé par les vrais fascistes, et joue le jeu de la démocratie parlementaire par le truchement du Parti social français (PSF), qui succède aux Croix-de-feu en 1936. S’il est maréchaliste en 1940, il s’oppose à la politique de collaboration, entre ensuite dans la Résistance, avant d’être arrêté et déporté en Allemagne en 1943. La Rouërie (conspiration de), complot contre-révolutionnaire organisé dans l’Ouest. Sous-lieutenant des gardes françaises, le marquis Armand-Tuffin de La Rouërie prend part à la guerre d’Indépendance américaine après une jeunesse agitée, puis se retire en Bretagne. Envoyé à Paris pour défendre les « antiques
libertés de la nation bretonne » que Louis XVI et Lamoignon mettent à mal, il est jeté à la Bastille en juillet 1788. Après 1789, il se met en rapport avec le comte d’Artois qui, en 1791, approuve l’idée d’une « association bretonne » rassemblant des affidés pour faciliter le débarquement d’émigrés et de troupes. L’association, étendue à l’Ouest et liée à la conspiration du Midi, est soutenue par les nobles restés sur place, les prêtres réfractaires et les ruraux déçus ; des armes sont cachées dans les châteaux, des rassemblements organisés : à partir de 1792 les autorités s’en alarment. Des révoltes éclatent durant l’été, menées notamment par Jean Cottereau, dit Jean Chouan, en relation avec les conjurés. La conspiration est cependant éventée, et Danton en orchestre la répression. Des conjurés sont arrêtés, quelques-uns guillotinés, et le soulèvement général est remis sur ordre des princes. La mort de La Rouërie, en janvier 1793, porte un coup fatal à l’« association ». Si l’échec immédiat est indéniable, du moins cette conspiration - encore mal connue - at-elle créé un réseau qui a servi de soutien aux révoltes populaires et fourni les bases à la future contre-révolution vendéenne et chouanne. La Salle (Jean-Baptiste de) ! JeanBaptiste de La Salle (saint) La Salle (René Robert Cavelier de), explorateur et fondateur de la Louisiane (Rouen 1643 - Louisiane 1687). Issu d’une famille de riches négociants rouennais, il entre à l’âge de 16 ans chez les jésuites. Après avoir quitté la Compagnie de Jésus en 1667 sans avoir reçu les ordres majeurs, il part faire du commerce de fourrures dans la Nouvelle-France (Canada). Ses talents commerciaux et son don pour l’apprentissage des langues indiennes lui permettent de satisfaire son goût pour l’exploration. Dès 1669, il parcourt la région de l’Ohio dans le but de découvrir un passage vers l’Orient. Pour le récompenser de son courage et de sa participation à la construction de forts (fort Frontenac), Louis XIV l’anoblit en 1675. En 1678, il reçoit le droit d’explorer les territoires de l’Ouest. Il est le premier à descendre le Mississippi jusqu’à son delta (golfe du Mexique), et, en l’honneur de son roi, baptise cette région « Louisiane » (9 avril 1682). En annexant toute la vallée du Mississippi, il étend considérablement l’emprise de la France en Amérique du Nord. Après un rapide séjour à Versailles, au cours duquel il présente au roi ses
découvertes, il repart avec quatre cents colons et soldats. Mais il se perd dans les marécages et ne retrouvera jamais « sa » Louisiane. En effet, épuisés par les longues recherches et par les exigences excessives de leur chef, des hommes de l’expédition se mutinent et assassinent Cavelier de La Salle le 19 mars 1687. Les possessions françaises en Amérique ont alors atteint leurs limites ; elles ne feront que diminuer par la suite. Lascaux (grotte de), l’une des plus célèbres grottes peintes préhistoriques, datée d’environ 15 000 ans avant notre ère, et située sur la commune de Montignac (Dordogne). • Découverte et mise en valeur du site. Chacun connaît l’épopée de la découverte de Lascaux par quatre adolescents, qui, le 12 septembre 1940, cherchaient à récupérer leur chien tombé dans une anfractuosité. Qualifiée de « chapelle Sixtine de la préhistoire » par l’abbé Breuil, la grotte fit alors l’objet de fouilles, plus ou moins précises, qui en permirent la datation, puis fut ouverte au public dès 1948. Mais les travaux de fouilles et d’aménagement, qui aboutirent à vider certaines poches d’eau, et l’importance de la fréquentation déséquilibrèrent profondément l’hygrométrie du lieu ; des algues et de la calcite commencèrent à se développer sur les peintures rupestres à partir de 1963. Il fallut alors fermer la grotte au public pour enrayer - avec succès - le processus de dégradation. Aujourd’hui, seules des visites scientifiques, au nombre strictement limité, restent permises. En revanche, un fac-similé grandeur nature d’une partie de la grotte (diverticule axial et salle des Taureaux) a été réalisé à peu de distance : ce « Lascaux II » a été ouvert en 1983 ; il est l’un des sites les plus visités de France. D’une grande unité stylistique, Lascaux, qui a livré environ 1 500 figures peintes ou gravées, peut être daté du début du magdalénien, comme l’ont montré les objets retrouvés, les pollens, les datations par le carbone 14 et l’étude comparative du style des oeuvres. Il s’agit du plus grand ensemble d’art pariétal jamais découvert à ce jour. Cette unité, indice d’une occupation relativement brève, est précieuse pour la compréhension de la thématique générale de l’art paléolithique. • Un art animalier. L’entrée donne sur une première salle, dite « rotonde des Taureaux », où se trouvent les célèbres taureaux noirs, qui atteignent 4 à 5 mètres de long et sont accompagnés de petits chevaux et d’une « licorne » (à deux cornes). De la rotonde partent deux
galeries. La première, ou « diverticule axial », recèle une profusion d’oeuvres, tels « la vache qui saute » ou les « chevaux chinois », et combine majoritairement chevaux et bovidés, selon la thématique binaire de l’art des grottes mise en évidence par André Leroi-Gourhan (cependant, à Lascaux, il s’agit d’aurochs, et non de bisons, comme dans d’autres grottes). La seconde galerie, ou « passage », a été fortement endommagée par l’érosion, dans un passé reculé ; on y devine de nombreuses gravures et des peintures. Elle débouche elle-même sur une « abside » latérale dont les représentations, très denses et majoritairement gravées, comprennent des panneaux superposés de bovidés, de cerfs et de chevaux, ainsi que de signes géométriques. De l’abside, on peut descendre dans le « puits », qui contient l’une des rares « scènes narratives » de l’art paléolithique : un bison blessé semblant charger un homme renversé, au sexe en érection, et flanqué d’un bâton surmonté d’un oiseau. Le « passage » se prolonge dans la « nef », sur le sol de laquelle on retrouva de nombreux objets associés à la réalisation des peintures : des chevaux et des bovidés, mais aussi cinq têtes de cerfs semblant traverser une rivière. La « nef » se resserre en un étroit couloir, le « diverticule (ou cabinet) des Félins », d’accès plus malaisé, où figurent quatre félins gravés. La fin du sanctuaire y est marquée par deux lignes de points rouges. Les fouilles et les analyses ont apporté de nombreuses informations concernant la réalisation des oeuvres. Des lampes à huile en pierre et des torches en bois, des outils à graver en pierre, des colorants minéraux en poudre ou en blocs, ont été mis au jour. Les peintures devaient être appliquées au pochoir ou au pinceau, les colorants (oxydes de fer et de manganèse, charbon de bois) étant mélangés à des liants. Des traces d’échafaudages en bois subsistent dans le diverticule axial, et un fragment de corde a été trouvé près du gouffre qui s’ouvre vers le fond du diverticule des Félins. Des ossements d’animaux provenant de la nef - essentiellement des os de rennes - nous renseignent sur l’alimentation, mais aussi sur le « projet » des artistes, puisque aucun renne n’est représenté à Lascaux. Aussi, Leroi-Gourhan a-t-il pu montrer que les peintures de Lascaux ne figurent nullement des scènes de chasse, mais illustrent une vision mythique reposant sur le dualisme masculin/féminin. Lassois (mont), site d’un habitat fortifié du premier âge du fer, datant d’environ 500 avant J.-C.
Le mont Lassois, situé sur la commune de Vix (Côte-d’Or), est une butte-témoin calcaire qui domine la haute vallée de la Seine. La colline est fortifiée à sa base par un fossé et une levée de terre qui s’appuie sur le cours d’eau et enserre une surface d’environ 40 hectares. Les fouilles ont commencé vers 1930, puis ont été menées de 1948 à 1974 par René Joffroy, découvreur de la tombe de Vix. Elles ont permis de mettre au jour les traces d’habitations de bois et de terre, une poterie très abondante comprenant une céramique fine au décor peint de motifs géométriques. Mais l’importance du site tient surtout aux objets importés du monde méditerranéen (présents aussi dans la tombe de Vix) qu’on y a découverts : céramique attique à figures noires, vases noirs étrusques (bucchero), amphores à vin de Marseille. Le mont Lassois est donc considéré comme l’une des « résidences princières » typiques de la fin du premier âge du fer (ou période de Hallstatt). Situé sur un important axe de communication, il témoigne de l’amorce de phénomènes proto-étatiques. De fait ont été trouvés au pied du site la tombe de la « princesse de Vix » - qui contenait un squelette de femme enseveli et un downloadModeText.vue.download 522 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 511 immense vase en bronze - mais aussi, plus récemment, un sanctuaire comprenant des fragments de statues en pierre ; deux autres tombes princières ont été également mises au jour dans la commune voisine de Sainte-Colombe. Le pouvoir des princes du mont Lassois, qui reposait sur de fragiles échanges commerciaux avec la Méditerranée, s’effondre au début du Ve siècle. Le site sera réoccupé et fortifié à la fin de la période gauloise. Lattre de Tassigny (Jean de), maréchal (Mouilleron-en-Pareds, Vendée, 1889 - Paris 1952). Formé à Saint-Cyr et à Saumur, blessé à cinq reprises pendant la Première Guerre mondiale, il sert au Maroc de 1921 à 1926. Major de l’École de guerre, il rejoint l’état-major particulier du général Weygand, vice-président du Conseil supérieur de la guerre. De 1935 à 1937, avec le grade de colonel, il commande le 151e régiment d’infanterie à Metz. En 1939, chef d’état-major de la Ve armée en Alsace,
Jean de Lattre de Tassigny - le plus jeune général de brigade de l’armée française - participe aux combats à Rethel, puis sur l’Aisne et sur la Loire, en mai-juin 1940. Après l’armistice, il accepte un commandement en Tunisie en 1941, puis à Montpellier en 1942. En novembre 1942, après l’invasion de la zone sud par les Allemands, il rejoint le camp de la rébellion. Arrêté et condamné à dix ans de prison par les autorités du gouvernement de Vichy, il s’évade de Riom en 1943 et rejoint Londres, puis Alger, où Giraud le nomme général d’armée et lui confie le commandement de l’armée B. C’est à la tête de la Ire armée que de Lattre de Tassigny débarque en Provence le 16 août 1944, et libère successivement Toulon, Marseille, Lyon, Dijon, Colmar, puis participe à la chute de Karlsruhe, Stuttgart, Fribourg, Ulm et Constance. Le 9 mai 1945, à Berlin, il signe, au nom de la France, l’acte de capitulation de l’armée allemande. Commandant en chef de l’armée d’occupation française en Allemagne, il est nommé, en 1948, à la tête des troupes de l’Union occidentale, chargées de faire face à la menace soviétique. En 1950, haut-commissaire en Indochine, il assume le commandement des troupes françaises engagées dans le conflit. Il meurt d’un cancer à Paris, en 1952, et est élevé, à titre posthume, à la dignité de maréchal de France. Laval (Pierre), homme politique (Châteldon, Puy-de-Dôme, 1883 - Fresnes 1945) président du Conseil sous la IIIe République en 1931-1932 et en 1935-1936, puis homme fort du gouvernement de Vichy en 1940 et en 1942-1944. Fils d’un modeste aubergiste auvergnat, Pierre Laval parvient à mener, grâce à son acharnement, des études supérieures de droit. Parallèlement, il s’engage dans l’action politique en adhérant, dès 1903, à un groupe socialiste d’obédience blanquiste, qui rejoint le Parti socialiste unifié (SFIO), en 1905. En 1908, il s’inscrit comme avocat au barreau de Paris, et se consacre alors surtout à la défense de syndicalistes. Élu en 1914 à Aubervilliers, dans une circonscription populaire, grâce à l’appui de ses amis syndicalistes, il siège à la Chambre durant la législature 1914-1919. Pacifiste modéré pendant la guerre, il réclame en 1919 l’amnistie pour les « défaitistes » et vote contre le traité de Versailles. Battu en novembre 1919 aux élections générales, Laval quitte la SFIO en 1920 et mène désormais sa carrière de manière indépendante, grâce à l’aisance financière que lui procure sa réussite
professionnelle, renforcée par son aptitude à mettre sur pied des réseaux personnels. En 1923, il conquiert la mairie d’Aubervilliers à l’occasion d’une élection municipale partielle. Toutefois, il se réfère, durant quelques années encore, à son engagement originel : élu député en 1924 sous l’étiquette « socialiste indépendant », il figure dans les gouvernements « cartellistes » de Paul Painlevé en 1925 et d’Aristide Briand en 1925-1926. C’est en 1927 qu’il rompt définitivement avec la gauche ; il est alors élu sénateur sur une liste d’Union républicaine. • Son action dans les années trente. La carrière de Pierre Laval connaît un tournant décisif en 1930. En effet, le président du Conseil André Tardieu, dans le but de faire aboutir le projet de loi sur les assurances sociales, le nomme en mars ministre du Travail, en raison de ses talents de négociateur : Laval atteint l’objectif fixé dans un bref délai. Aussi, quand le cabinet Tardieu est renversé en décembre 1930, et après un éphémère ministère dirigé par Théodore Steeg, Laval est-il chargé de former le gouvernement. Dans une conjoncture de crise mondiale, alors que la France, qui n’est touchée qu’en 1932, fait encore figure d’îlot privilégié, Laval tente, sans succès, d’obtenir des Allemands et des Américains des aménagements relatifs aux réparations et aux dettes interalliées. Renversé en février 1932, il retrouve le ministère du Travail dans le troisième cabinet Tardieu, mais il est écarté du pouvoir après les élections législatives de mai 1932, qui voient la victoire des gauches. Il revient aux affaires à la suite de la crise du 6 février 1934 en tant que ministre des Colonies dans le cabinet Doumergue, avant de devenir ministre des Affaires étrangères en novembre 1934 (succédant à Louis Barthou, blessé mortellement lors de l’attentat perpétré contre le roi de Yougoslavie), puis président du Conseil (juillet 1935-janvier 1936). Il renforce alors la politique déflationniste par les décrets-lois de juillet 1935 : voulant favoriser une baisse des prix sans modifier la valeur du franc (alors que la livre anglaise a été dévaluée en 1931), il impose des diminutions des dépenses publiques, réduisant notamment le traitement des fonctionnaires. Ces mesures, qui n’aboutissent à aucun résultat tangible, le rendent très impopulaire. En politique extérieure, Laval doit mettre en oeuvre le système d’alliances antiallemandes que Barthou voulait édifier en 1934. Il signe - avec réticence - le pacte franco-soviétique d’assistance mutuelle (2 mai 1935), et se consacre - avec enthousiasme - au rapprochement franco-italien, rencontrant Mussolini en janvier 1935 et
participant à la réunion tripartite de Stresa (France - Italie - Grande-Bretagne) en avril. Mais il ne peut faire aboutir cette politique, car la révélation d’un plan secret de partage de l’Éthiopie (le plan Laval-Hoare), qui apparaît comme une reconnaissance de l’invasion italienne, provoque le départ des ministres radicaux et la chute de son gouvernement en janvier 1936. • Ministre du maréchal Pétain. Aigri, persuadé que les revers diplomatiques de la France de 1936 à 1939 ne font que confirmer la justesse de ses vues, Laval revient au pouvoir en juin 1940. Vice-président du gouvernement Pétain, il joue un rôle de premier plan dans le vote du 10 juillet 1940, par lequel les parlementaires confient au maréchal les pouvoirs constituants. Principal ministre de juillet à décembre 1940, il s’engage avec ardeur dans la politique de collaboration avec l’Allemagne, préparant notamment, avec l’ambassadeur d’Allemagne Otto Abetz, la rencontre de Montoire entre Hitler et Pétain. Persuadé de la victoire de l’Allemagne, et confiant dans ses talents de diplomate, il estime, non sans illusions, que la France pourra occuper une place honorable dans l’Europe nouvelle. Mais Pétain, craignant de voir son ministre le supplanter, le renvoie, le 13 décembre 1940. Cependant, au printemps 1942, alors que les Allemands n’ont plus confiance en Darlan, le maréchal se résout à faire de nouveau appel à Laval pour diriger le gouvernement. Ce dernier poursuit la politique de collaboration, s’exprimant à la radio, le 22 juin 1942, en faveur de la victoire de l’Allemagne - qui lui paraît constituer un rempart contre le bolchevisme -, acceptant qu’une coopération s’instaure entre les polices française et allemande dans la répression de la Résistance, livrant à l’occupant les populations juives raflées par la police française au cours de l’été 1942. En novembre 1942, l’occupation totale du territoire par les Allemands, le sabordage de la flotte française à Toulon et le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord achèvent de le priver de toute « arme » politique vis-àvis d’Hitler. Pourtant, il concède encore, en janvier 1943, la création du Service du travail obligatoire (STO), organisme chargé de procéder à l’envoi en Allemagne de jeunes travailleurs, et met sur pied la Milice - police supplétive de lutte contre la Résistance -, qui échappe d’ailleurs largement à son contrôle. Transféré en Allemagne, à Sigmaringen, après le débarquement allié, puis réfugié en Espagne, avant d’être remis aux autorités fran-
çaises en juillet 1945, Pierre Laval, condamné à mort au terme d’un procès hâtif et bâclé, est exécuté le 15 octobre 1945. La Vallière (Françoise Louise de La Baume Le Blanc, duchesse de), dame de cour et favorite du roi Louis XIV (Tours 1644 - Paris 1710). Fille d’honneur d’Henriette d’Angleterre, duchesse d’Orléans, elle devient la maîtresse de Louis XIV en 1661. Durant les premiers temps de leur liaison, elle met autant de discrétion à cacher ses amours que Mme de Montespan, sa future rivale, mettra d’ostentation à les afficher. Favorite officielle, elle paraît ensuite aux côtés du roi dans toutes les cérémonies publiques : c’est en son honneur que sont donnés le carrousel des Tuileries en 1662 et les fêtes de Versailles en 1664. Deux de ses enfants sont légitimés : Anne de Bourbon, downloadModeText.vue.download 523 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 512 future princesse de Conti, née en 1666, et le comte de Vermandois, né l’année suivante. Sa disgrâce commence en 1667, lorsqu’elle est supplantée dans le coeur du roi par Mme de Montespan. Elle assiste au triomphe de sa rivale et se voit infliger plus d’une humiliation par son ancien amant. En 1674, elle se retire au Carmel, sous le nom de Louise de la Miséricorde. Bossuet prononce une oraison à l’occasion de sa prise de voile. Louise devient sa pénitente de prédilection, et un opuscule d’édification lui est attribué, les Réflexions sur la miséricorde de Dieu. La discrétion de Louise de La Vallière, sa grâce et sa douceur ont été évoquées par Mme de Sévigné et par SaintSimon, tandis que Dumas a raconté, dans le Vicomte de Bragelonne, l’histoire de ses amours et de sa progressive défaveur. Laverdy (Clément Charles François de), magistrat et homme politique (Paris 1724 - id. 1793). Fils d’un grand magistrat, Laverdy devient avocat au parlement de Paris en 1743. Auteur d’un Code pénal en 1752, ce gallican intègre, janséniste, se fait remarquer lors du procès contre les jésuites. Cela lui vaut d’être nommé contrôleur général des Finances en 1763, en pleine crise politique. En effet, les parlementaires, et d’abord ceux de Paris, s’opposent à la politique
fiscale de Louis XV en se présentant comme un rempart contre l’absolutisme. La nomination de l’un des leurs a pour but de les amadouer, pour sortir de l’impasse financière après les échecs successifs de Silhouette et de Bertin. Sous la houlette de Choiseul, Laverdy se révèle en fait un réformateur libéral décidé. D’un côté, il poursuit la libéralisation du commerce des grains amorcée par Bertin. De l’autre, il entreprend une réforme municipale qui vise à briser les privilèges oligarchiques, supprimer les offices vénaux et rétablir les élections des corps de ville : les édits d’août 1764 et mai 1765 entendent à la fois favoriser la participation des administrés et améliorer la gestion des finances urbaines. Par ces mesures libérales, Laverdy espère faire accepter à terme une réforme fiscale. Mais il est renvoyé en 1768, quand sa politique de liberté commerciale est rendue responsable de la flambée du prix des grains. Il se retire alors sur ses terres, et se livre à des travaux érudits et à des expériences agronomiques. Accusé d’accaparement, il est exécuté en 1793. Lavigerie (Charles Martial Allemand), cardinal (Bayonne 1825 - Alger 1892). Docteur en théologie en 1853, il est chargé d’un cours d’histoire ecclésiastique à la Sorbonne. À partir de 1857, il dirige l’oeuvre des écoles d’Orient et, en 1860, à la suite de massacres de chrétiens par les Druzes, remplit une mission de secours en Syrie, qui lui vaut une certaine notoriété. Nommé évêque de Nancy en 1863, proche du Gouvernement, il joue un rôle croissant en matière de nominations épiscopales. En 1867, il est ordonné archevêque d’Alger et s’oppose rapidement, tant aux administrateurs des bureaux arabes qu’au gouverneur général Mac-Mahon, qui sont attachés à la neutralité religieuse et considèrent d’un mauvais oeil son oeuvre de prosélytisme auprès des musulmans. Le conflit s’envenime lorsque Mgr Lavigerie met en cause l’action du Gouvernement général lors de la grande famine de 1868. La fondation des Pères blancs (1868) et des Soeurs missionnaires de NotreDame d’Afrique (1869) lui permet alors de donner plus de poids à l’action entreprise depuis Alger. Son rôle comme chef de l’Église d’Afrique, après la réunion de l’archidiocèse de Carthage au siège d’Alger (1884), et son prestige, encore renforcé par la campagne antiesclavagiste de 1888, le désignent, aux yeux de Léon XIII, comme la personne idéale pour amorcer la politique du ralliement des catholiques français au régime républicain : c’est le
sens du « toast d’Alger », porté par le cardinal Lavigerie à la fin d’un banquet organisé en l’honneur de l’escadre de la Méditerranée, le 12 novembre 1890. Lavisse (Ernest), historien (Le Nouvionen-Thiérache 1842 - Paris 1922). Ce normalien et agrégé d’histoire est remarqué par le ministre de l’Instruction publique Victor Duruy, qui le recommande comme précepteur du prince impérial (1868). Après la défaite de 1870, Ernest Lavisse part pour Berlin, où il travaille à sa thèse (1875). Enseignant à l’École normale supérieure (1876), puis professeur titulaire à la Sorbonne (1888), il se préoccupe davantage de restauration nationale que d’érudition, comme en témoignent son Histoire de France (19031911), dont il rédige le volume sur Louis XIV et la conclusion, et son Histoire de la France contemporaine (1921-1922). À ces ouvrages de synthèse universitaire, auxquels collaborent les historiens les plus réputés, s’ajoute le « Petit Lavisse » (1876, refondu en 1884) : utilisé par des millions d’écoliers, le manuel célèbre les destinées indissociables de la nation et de la République, car l’historien a « le devoir social de faire aimer et de faire comprendre la patrie ». Cependant, Ernest Lavisse demeure un modéré, ainsi qu’en témoigne son appel à la réconciliation à la veille de la révision du procès Dreyfus (1899). À cette époque, son influence est à son apogée : entré à l’Académie française en 1893, conseiller de Louis Liard pour la réforme des universités en 1896, il devient directeur de l’École normale supérieure en 1904. Ses multiples distinctions institutionnelles attisent les attaques convergentes de Péguy et de l’Action française (1912), qui voient en lui l’introducteur des méthodes germaniques. Mais son oeuvre de propagandiste au cours de la Première Guerre mondiale le réconcilie avec ses détracteurs. Lavoisier (Antoine Laurent de), chimiste (Paris 1743 - id. 1794). Scientifique rigoureux, initiateur de la chimie moderne, esprit éclairé attentif au progrès social, économiste et financier talentueux, Lavoisier occupe une place de choix dans la société française de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Issu d’une famille aisée du grand négoce parisien, élève du Collège des QuatreNations, il étudie le droit, et devient avocat au parlement de Paris en 1764. Mais, délaissant sa charge, il s’engage très vite dans la voie de la recherche scientifique et, à partir de 1772,
se consacre à la chimie. Cette science connaît une évolution importante depuis le XVIIe siècle. Elle se concentre particulièrement sur l’étude de la composition de l’air, qui figure au coeur des problèmes posés par les phénomènes de combustion. La théorie qui prédomine alors suppose l’existence d’un « principe fondamental du feu », le phlogistique, présent dans tous les éléments combustibles. Se dégageant lentement de cette théorie, Lavoisier parvient, à la fin des années 1770, à identifier le principe combustible de l’air, qu’il nomme « oxygène ». Plus tard, en 1784, il démontre que l’eau est composée d’oxygène et d’hydrogène, et réussit ainsi, dans une expérience de 1785, à recomposer de l’eau. Sur la base de ces découvertes, qui ont rendu caduque la théorie phlogistique, il réordonne, avec Antoine de Fourcroy, Louis Guyton de Morveau et Berthollet, la nomenclature chimique dans un ouvrage de 1787 et, deux ans plus tard, publie un Traité élémentaire de chimie qui lui permet de diffuser et, finalement, d’imposer ses idées. Ses travaux ont été en grande partie financés grâce à l’immense fortune qu’il a accumulée en qualité de fermier général, un poste qu’il occupe depuis 1779. Financier fortuné, pensionnaire de l’Académie des sciences dès 1778, régisseur des Poudres et salpêtres, Lavoisier est une personnalité influente. Député suppléant aux états généraux de 1789, il accueille avec enthousiasme la Révolution et se consacre désormais à des fonctions publiques en relation avec la comptabilité nationale. Administrateur de la Caisse d’escompte, puis commissaire de la Trésorerie nationale en 1791, il rédige De la richesse territoriale du royaume de France, qui apparaît, après celles de Vauban et de Quesnay, comme l’une des meilleures descriptions économiques de la France au XVIIIe siècle. Arrêté le 28 novembre 1793 en qualité de fermier général, il sera condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire le 8 mai 1794 et guillotiné le jour même avec ses collègues de la Ferme générale. La Vrillière (Louis Phélypeaux, duc de) ! Phélypeaux (Louis) Law (système de), plan de réorganisation du système financier et économique tenté sous la Régence entre 1716 et 1720. À sa mort en 1715, Louis XIV laisse un bilan désastreux : la dette de l’État est considérable et le commerce, plus que languissant. Une telle situation est due non seulement aux dépenses militaires et aux défaillances de la monarchie, incapable d’organiser ses finances - laissées aux soins de « financiers », tels les fermiers généraux -, mais aussi à la raréfac-
tion du stock de monnaie métallique. L’Écossais John Law convainc le Régent (Philippe d’Orléans) de le laisser mettre en place un système novateur. En effet, il s’agit selon lui de relancer l’activité économique grâce à la multiplication des moyens d’échange et à leur rapide circulation, ainsi qu’à l’essor du crédit fondé sur la confiance. Aussi propose-til la création d’une banque d’État capable de drainer le stock métallique, puis d’émettre en abondance un papier-monnaie devant, à terme, supplanter le numéraire. Adjointe à cette banque, une grande compagnie de comdownloadModeText.vue.download 524 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 513 merce, ayant le monopole du commerce extérieur, pourra seconder l’État - dont elle sera l’unique créancier - en percevant l’impôt et en se chargeant de la dette publique convertie en actions. Le 2 mai 1716, Law crée la Banque générale, qui émet des billets acceptés des caisses de l’État et devient Banque royale en 1718. En outre, en 1717, il fonde la Compagnie d’Occident, qui obtient le monopole de l’exploitation de la Louisiane - colonie dépeinte comme un nouvel Eldorado. En 1719, Law obtient le monopole du commerce extérieur, puis celui des monnaies et, enfin, le bail des fermes générales, tandis que les rentes sur l’État sont supprimées et déclarées remboursables en actions de la compagnie - devenue Compagnie des Indes -, dont le cours connaît une hausse vertigineuse du fait de l’agiotage. En janvier 1720, Law est nommé contrôleur général des Finances ; en février, la Banque et la Compagnie sont réunies. Mais Law a émis d’énormes quantités de billets - richesses factices - et laissé la spéculation s’étendre alors que la colonisation de la Louisiane n’a guère progressé et que le négoce est loin de suivre. L’annonce des maigres dividendes de la compagnie provoque la vente frénétique des titres, qui chutent, Law ruinant sa banque pour racheter les actions et en maintenir le cours, le public s’empressant durant l’été de changer ses billets en métal. À l’automne 1720, c’est la banqueroute. Cet échec retentissant et traumatisant - il ruine des milliers de familles - engendre une défiance envers le papier-monnaie, le crédit et la banque dans une France qui ne rattrapera son retard en ce domaine qu’au XIXe siècle. Lebrun (Albert), président de la Répu-
blique de 1932 à 1940 (Mercy-le-Haut, Meurthe-et-Moselle, 1871 - Paris 1950). Major de Polytechnique, conseiller général de Briey en 1892, parrainé par Alfred Mézières, à qui il succède comme député en 1900, il devient sénateur en 1920, ministre des Colonies de 1911 à 1914, du Blocus et des Régions libérées de 1917 à 1919. Avec des hommes tels que Paul Reynaud, il incarne la relève de l’Alliance républicaine démocratique. En 1931, il bat de huit voix Jules Jeanneney à la présidence du Sénat. Cette fonction, son effacement politique et le retrait de Painlevé lui permettent d’être élu à la présidence de la République le 10 mai 1932. De fait, il n’a guère d’influence, bien qu’il songe à former un gouvernement d’union nationale avant même le 6 février 1934, et qu’il ait la tentation de démissionner en 1936 plutôt que de nommer Blum chef du gouvernement ; mais il se résout à appeler ce dernier à la présidence au Conseil. En 1939, Daladier le pousse à se représenter pour contrecarrer une candidature de Bouisson, proche de Laval et prêt à un accord avec Hitler. Mais, le 16 juin 1940, persuadé que la majorité des ministres veut l’armistice, Lebrun cède à la forte pression d’une minorité rassemblée autour de Pétain, qu’il appelle à la tête du cabinet à la place de Paul Reynaud, puis s’efface - sans démissionner - lorsque le Maréchal, fort de ses pleins-pouvoirs, se proclame chef de l’État. Albert Lebrun a été sévèrement jugé ; dans ses Mémoires, de Gaulle note : « Comme chef de l’État, deux choses lui avaient manqué : qu’il fût un chef ; qu’il y eût un «État». » Lebrun (Charles François), duc de Plaisance, homme politique (Saint-SauveurLendelin, Manche, 1739 - château de SaintMesme, Seine-et-Oise, 1824). Ce fils d’un secrétaire du roi devient avocat avant d’entrer au service de Maupeou, alors premier président du Parlement, en tant que précepteur de son fils et secrétaire particulier. Lorsque son protecteur devient chancelier, il participe à l’élaboration du projet de réforme des parlements (1771). Retiré sur ses terres jusqu’en 1789, il représente cette année-là le tiers état du bailliage de Dourdan aux États généraux. À l’Assemblée constituante, il se fait, mais en vain, le défenseur du système politique anglais. Arrêté en septembre 1793, il retrouve sa liberté au lendemain du 9 Thermidor. Élu député par le département de Seineet-Oise au Conseil des Anciens, il y prend la défense des parents des émigrés et dénonce
les emprunts forcés. Soucieux de s’entourer d’hommes d’expérience et de rallier les royalistes, Bonaparte le nomme troisième consul, en décembre 1799, et le charge de la réorganisation des finances et de l’administration intérieure. Sous l’Empire, il devient architrésorier et l’un des personnages clés du régime. S’il désapprouve la création d’une nouvelle noblesse en 1808, il accepte néanmoins le titre de duc de Plaisance. En 1810, il assure la réorganisation des services publics du royaume de Hollande, dont il devient gouverneur général. L’indépendance d’esprit qu’il conserve face à Napoléon ne l’empêche pas d’être l’un des derniers fidèles de celui-ci en 1814. Nommé pair de France durant la première Restauration, il est privé de ses dignités par Louis XVIII en 1815 pour avoir servi l’Empereur durant les Cent-Jours. De nouveau admis à la Chambre haute en 1819, il ne joue cependant plus de rôle politique important. Le Chapelier (loi), loi du 14 juin 1791 interdisant les coalitions (grèves) et les associations (syndicats), tant ouvrières que patronales. Elle est étendue au monde rural en juillet 1791. Votée trois mois après la loi d’Allarde supprimant les corporations, la loi Le Chapelier, qui prohibe toute entente pour agir sur les prix et les salaires, est une disposition essentielle du libéralisme du XIXe siècle. Répondant à la volonté d’instaurer la libre entreprise et la libre concurrence, elle correspond également à la pensée révolutionnaire, qui ne conçoit les rapports économiques que d’individu à individu, et selon laquelle aucun groupe d’intérêts ne doit s’interposer entre les citoyens - donc la volonté générale - et l’État. Dans les faits, la loi permet de mieux contrôler la main-d’oeuvre et assujettit l’ouvrier au patron. Plus encore, avec la législation napoléonienne qui pénalise plus sévèrement les contrevenants ouvriers que ceux patronaux (loi de 1803) et étend l’interdit à l’ensemble des associations de plus de vingt personnes (Code pénal de 1810), elle met un frein durable à la formation de sociétés ou de « partis » politiques. Souvent contournée, abolie lors de la révolution de février 1848, et progressivement remise en vigueur au lendemain des journées de juin, la loi est assouplie sous le second Empire, qui, tentant de dissocier mouvement ouvrier et mouvement républicain, tolère, sous condition, la coalition (loi du 25 mai 1864). Le texte est définitivement abrogé sous la IIIe République par la loi du 21 mars 1884 qui autorise la constitution de syndicats.
Leclerc (Charles Victor Emmanuel), général (Pontoise 1772 - Saint-Domingue 1802). Issu d’une famille bourgeoise acquise aux idéaux révolutionnaires, Leclerc s’engage comme volontaire en 1791. Il est rapidement élu lieutenant et participe au siège de Toulon, ce qui lui vaut une promotion. On le retrouve à l’armée d’Italie en 1796-1797, où il apparaît comme l’homme de confiance de Bonaparte, dont il épouse la soeur Pauline en juin 1797. Chef d’état-major à l’armée d’Italie, puis à l’armée d’Angleterre, il revient à Paris pour préparer le coup d’État du 18 brumaire. Le Premier consul le choisit en 1801 pour diriger la reconquête de Saint-Domingue et y rétablir l’esclavage, aboli depuis 1794. Le corps expéditionnaire débarque en janvier 1802. Ne pouvant proclamer ouvertement ses objectifs, Leclerc louvoie et entend d’abord désarmer la population noire pour rétablir l’ordre colonial. Dans un premier temps, il réussit à obtenir le ralliement ou la soumission des généraux noirs, qui intègrent l’armée française. Le gouverneur général Toussaint Louverture signe un accord de compromis le 1er mai, ce qui n’empêche pas son arrestation et sa déportation un mois plus tard. Mais les nouvelles de la Guadeloupe - où l’esclavage a été rétabli brutalement - ruinent la tactique de Leclerc : alors que son armée est décimée par les fièvres tropicales, une insurrection générale éclate en août. En octobre, les Français ne tiennent plus que quelques villes côtières. Leclerc meurt, en novembre, de la fièvre jaune. L’expédition est un échec : l’indépendance d’Haïti est proclamée en 1804. Leclerc (Jacques Philippe de Hauteclocque, dit), maréchal de France (BelloySaint-Léonard, Somme, 1902 - Colomb-Béchar, Algérie 1947). Sorti de Saint-Cyr, il passe par l’École de cavalerie de Saumur, avant d’effectuer une carrière aux colonies. Blessé en juin 1940, il se rallie à de Gaulle, qui le charge de s’emparer du Gabon pour le compte de la France libre. Après la prise de l’oasis libyenne de Koufra, il est nommé général et conquiert l’ensemble du Fezzan, puis, en 1943, participe à la campagne de Tunisie. En 1944, il est à la tête de la 2e division blindée, avec laquelle il marche sur Paris, qu’il contribue à libérer en août. Après une campagne modèle dans les Vosges, il entre à Strasbourg (novembre 1944) et s’empare de Berchtesgaden, le « nid d’aigle » de Hitler, en mai 1945.
Représentant le général de Gaulle lors de la signature de la capitulation japonaise, en septembre 1945, il est nommé à la tête du corps expéditionnaire grâce auquel la France entend réaffirmer son autorité sur l’Indochine. Réaliste et pragmatique, il est partisan de négodownloadModeText.vue.download 525 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 514 cier avec le Viêt-minh, mais la politique moins conciliante du haut-commissaire, l’amiral Thierry d’Argenlieu, l’emporte. À nouveau pressenti pour régler la crise indochinoise par le gouvernement Blum, en décembre 1946, il refuse cette mission sur l’insistance du général de Gaulle. Devenu inspecteur des forces armées d’Afrique du Nord, il meurt dans un accident d’avion en 1947. Il est élevé à la dignité de maréchal de France en 1952. Ledru-Rollin (Alexandre Auguste Ledru, dit), homme politique (Paris 1807 - Fontenayaux-Roses, Hauts-de-Seine, 1874). Il s’inscrit au barreau de Paris en 1828 et se fait tôt connaître comme adversaire du régime de Juillet : chef du mouvement démocratique et républicain, il partage son temps entre ses activités d’avocat, de journaliste et d’homme politique. En 1832, il proteste contre l’état de siège et, en 1834, fustige les massacres de la rue Transnonain. Il est dès lors l’avocat recherché des journaux d’opposition. Grâce à l’aisance que lui procure un riche mariage, il soutient la création du journal la Réforme (1843) pour promouvoir ses idées. Après un premier échec aux élections législatives, il est élu en 1841 député de la Sarthe ; il sera réélu en 1842 et 1846. Si ses options républicaines l’isolent à la Chambre, la diffusion de ses discours dans le pays lui vaut une popularité considérable. Il réclame le suffrage universel et défend les droits des travailleurs. Cherchant à s’appuyer sur la classe ouvrière, il se rapproche des socialistes sans pour autant rallier leur programme. Promoteur de la « campagne des banquets », Ledru-Rollin est, dès la révolution de février 1848, l’un des hommes forts du nouveau régime : ministre de l’Intérieur du Gouvernement provisoire, c’est lui qui organise les élections générales au suffrage universel. Mais, tiraillé entre une majorité conservatrice et une minorité socialiste qu’il tente de conci-
lier, il devient rapidement suspect à l’une et à l’autre. Élu, non sans difficultés, à la Commission exécutive, critiqué pour son soutien à Louis Blanc, il retrouve sa liberté d’action, mais hors des instances gouvernementales, lorsque Cavaignac parvient au pouvoir. Son échec à l’élection présidentielle en décembre 1848 ne l’empêche pas d’être triomphalement choisi par cinq départements, en mai 1849, pour siéger à l’Assemblée. L’opposition résolue de Ledru-Rollin à Louis Napoléon Bonaparte trouve un argument majeur dans l’expédition d’Italie - pays où la France intervient pour défendre le Saint-Siège face aux républicains de Garibaldi. En effet, le 12 juin 1849, il demande la mise en accusation du président et de ses ministres. Le 13, il prend la tête des manifestations de rue mais échoue à constituer une Convention nationale qui remplacerait le gouvernement. Mis en accusation, il fuit en Belgique et est condamné par contumace à la déportation. Il séjourne vingt ans durant en Angleterre, Napoléon III refusant de l’amnistier à deux reprises. Ledru-Rollin, pourtant, n’est plus qu’un homme fatigué, affaibli, guère dangereux pour le régime impérial, qui l’autorise à rentrer en 1869. Il salue la restauration de la République en 1871, est élu député du Vaucluse en 1874, mais son action a perdu alors l’éclat qu’elle avait antérieurement. Lefebvre (François Joseph), maréchal de l’Empire, duc de Dantzig (Rouffach, HautRhin, 1755 - Paris 1820). Fils d’un aubergiste, instruit pour être prêtre, il s’engage en 1773 comme simple soldat. Sergent en 1789, il devient instructeur dans un bataillon de la Garde nationale. Il combat dans l’armée de la Moselle et accède au grade de général de division en 1794. Engagé ensuite dans l’armée de Sambre-et-Meuse, il en prend le commandement provisoire après la mort de Hoche. Chargé de diriger la division de Paris depuis août 1799, il accorde son soutien actif à Bonaparte lors des 18 et 19 brumaire. Promu sénateur en 1800, il est également au nombre des premiers maréchaux en 1804. Le 10 septembre 1808, Napoléon lui confère le titre de duc de Dantzig, pour le récompenser d’avoir mené victorieusement le siège de cette place en 1807. Les villes de Bilbao et de Santander tombent également face aux troupes que Lefebvre commande en Espagne. Il se distingue en 1809 dans l’armée du Danube. Durant la retraite de Russie, ses soldats le voient en permanence marcher à leur tête. Sa bravoure le distingue encore durant
la campagne de France. Il vote la déchéance de Napoléon, à la suite de la capitulation de Paris, et devient pair de France en juin 1814, mais rejoint l’Empereur durant les Cent-Jours. Déchu de la pairie par la seconde Restauration, il ne réintègre la Chambre haute qu’en 1819. Les manières peu distinguées de son épouse, initialement blanchisseuse et immortalisée par la Madame Sans-Gêne de Victorien Sardou, ont alimenté les critiques à l’égard de la noblesse impériale et fait oublier que Lefebvre a incarné l’esprit même de cette nouvelle aristocratie, sorte de chevalerie moderne où compte surtout le mérite personnel : celui de Lefebvre tient cependant à son courage, et nullement à ses qualités de stratège. Lefèvre d’Étaples (Jacques), théologien et humaniste (Étaples, vers 1450 - Nérac 1536). Après avoir suivi des études de philosophie à Paris, Lefèvre d’Étaples se rend en 1475 en Italie, où les humanistes le familiarisent avec les textes épurés d’Aristote. Soucieux à son tour de rétablir dans leur intégrité les oeuvres du philosophe, déformées ou mutilées par la tradition scolastique médiévale, il édite les traductions latines qu’en ont données les humanistes italiens, et commente la Physique, la Logique et la Politique. À partir de 1507, Lefèvre d’Étaples s’oriente vers l’exégèse biblique, appliquant les méthodes philologiques aux textes de l’Écriture sainte et de la tradition patristique : son psautier en cinq langues (1509) est suivi de Commentaires sur les Épîtres de saint Paul (1512) et de Commentaires sur les Quatre Évangiles (1522). En 1521, Guillaume Briçonnet, son ancien élève, devenu évêque de Meaux, l’appelle dans son diocèse. Nommé vicaire général deux ans plus tard, il crée un cercle de réflexion qui entend oeuvrer à la réforme du clergé et à la vulgarisation des textes sacrés. En posant l’Écriture comme source unique du dogme, en valorisant le rôle de la foi au détriment des oeuvres, et en minimisant celui de la Vierge et des saints, le « cénacle de Meaux » se rapproche de la doctrine luthérienne, sans pour autant rompre avec l’institution romaine. Luther et Lefèvre d’Étaples ne font d’ailleurs pas mystère de leur admiration réciproque. Protégé par François Ier, Lefèvre ne peut éviter les attaques des théologiens les plus
conservateurs : en 1525, lorsque le roi est emprisonné après la défaite de Pavie, le cénacle est dispersé, et lui-même doit se réfugier à Strasbourg. Mais il est rappelé de son exil l’année suivante, dès le retour de captivité de François Ier, qui en fait le précepteur de ses enfants. En 1530, le durcissement de la lutte religieuse l’amène à accepter l’invitation de Marguerite de Navarre à Nérac. Cette même année, il fait publier, à Anvers, la Sainte Bible en françoys, travail qui servira de base à toutes les traductions françaises ultérieures. Figure éminente des débuts de la Renaissance française, Lefèvre d’Étaples n’est pas, contrairement à Luther, l’homme d’une doctrine : il incarne plutôt, à l’instar de son contemporain Érasme, un humanisme chrétien soucieux de rétablir le dogme et l’institution ecclésiastique dans leur pureté primitive. Ce désir d’un retour aux sources vives du christianisme, allié à des méthodes philologiques novatrices, a profondément marqué la génération de Rabelais, Marot et Marguerite de Navarre. Léger (saint), évêque d’Autun (en Neustrie, vers 616 - près de Sarcinium, aujourd’hui Saint-Léger, Pas-de-Calais, 678). Originaire d’une des plus riches familles germaniques de Gaule, possessionnée dans les pays de Langres, Nevers et Châlon, Léger (altération de Leudegaire : « illustre à la guerre ») est envoyé à la cour de Clotaire II, puis, vers 626-629, auprès de son oncle Didon, archevêque de Poitiers, qui se charge de son éducation. Il devient archidiacre, puis abbé de Saint-Maixent, vers 653. Pendant la minorité de Clotaire III, la reine Bathilde l’appelle à la cour (vers 657), où il se fait le porte-parole des grands de Bourgogne, opposés au maire du palais de Neustrie Ébroïn, lequel cherche à réaliser l’unification du royaume. Sa nomination en tant qu’évêque d’Autun (663) est sans doute une habile manière de l’écarter. Dans cette nouvelle charge, selon ses hagiographes, il développe les qualités idéales de l’évêque du VIIe siècle : initiateur d’oeuvres caritatives, défenseur de la cité, excellent administrateur, il s’emploie à reconstruire les remparts de la ville, entreprend des travaux de restauration et d’agrandissement d’édifices religieux. En 670, il convoque un concile qui vise à réformer les moeurs du clergé. En 673, à la mort de Clotaire III, Ébroïn place Thierry III sur le trône, coup de force inacceptable pour l’aristocratie de Neustrie et de Bourgogne, qui en appelle au roi d’Austrasie Childéric II et à son maire du palais,
Wulfoald. Ébroïn et Thierry III sont chassés et enfermés dans des monastères. Léger, jugé trop encombrant, est à son tour écarté. Il rejoint son ennemi Ébroïn, captif à Luxeuil. downloadModeText.vue.download 526 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 515 Les deux hommes sont libérés vers 675, après l’assassinat de Childéric. Une lutte farouche s’engage alors entre le maire du palais de Neustrie, tenant d’une politique centralisatrice, et l’évêque d’Autun, défenseur des particularismes régionaux. Ébroïn écarte tous ses rivaux et envahit la Bourgogne ; en 676, il met le siège devant Autun. Pour épargner les habitants, Léger livre la ville à Ébroïn, qui lui fait crever les yeux, couper la langue et les lèvres et enfermer au monastère de Fécamp. Deux ans après (en octobre 678), allant jusqu’à l’accuser de la mort de Childéric, Ébroïn le fait décapiter dans la forêt de Sarcing, près d’Arras. Homme politique, autoritaire et batailleur, Léger est pourtant très vite considéré comme un martyr, en grande partie à cause du long calvaire qu’il a subi. Il est notamment invoqué par les aveugles. Légion étrangère, formation militaire composée de volontaires, dont nombre d’étrangers. La Légion procède de l’existence de régiments de mercenaires étrangers intégrés dans les armées françaises de la fin du XVe siècle à la Restauration, à l’exception de la période de la Révolution et de l’Empire. Destinée, en principe, à accueillir dans ses rangs les réfugiés politiques, elle est créée par Louis-Philippe le 9 mars 1831. Après avoir été cédée en 1835 à l’Espagne, elle est reconstituée dès l’année suivante. Installée à Sidi-Bel-Abbès et forte d’un régiment, elle participe à la conquête de l’Algérie, ainsi qu’à toutes les campagnes du Second Empire et à la guerre franco-allemande de 1870-1871. Sous la IIIe République, elle demeure un des instruments de l’expansion coloniale, rôle qu’elle joue jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale. En 1940, une demi-brigade de la Légion participe à la campagne de Norvège et à l’occupation de Narvik. Repliée en Grande-Bretagne, cette unité est la première à se rallier à la France libre, et s’illustre, en 1942, à Bir
Hakeim. D’autres régiments de la Légion relevant de l’armée d’Afrique du gouvernement de Vichy reprennent la lutte après le débarquement américain en Afrique du Nord (novembre 1942), et participent aux campagnes de Tunisie, d’Italie, de France et d’Allemagne. Après 1945, la Légion joue un rôle majeur dans les guerres liées à la décolonisation, en Indochine et en Algérie. C’est en 1952 que ses effectifs sont les plus nombreux : elle compte alors sept régiments d’infanterie, deux régiments de parachutistes et deux de cavalerie, soit près de 35 000 hommes au total. Après l’indépendance de l’Algérie, la Légion abandonne Sidi-Bel-Abbès et se replie dans le midi de la France (Aubagne, Orange), en Corse, ainsi que dans le Pacifique, à Djibouti et en Guyane. Ses effectifs ayant été ramenés à 9 000 hommes, elle est engagée, depuis 1962, dans la plupart des opérations de « maintien de la paix » menées par la France. Troupe de métier quelque peu en marge de l’armée régulière, la Légion accueille des volontaires de tous les pays étrangers, européens pour la plupart. Lors de son engagement, le légionnaire, parfois désireux de prendre ses distances avec un passé douteux, donne une identité sans valeur légale ; au sein du corps, il fait figure d’inconnu. Dotée d’un véritable rituel - l’uniforme, le képi blanc et les épaulettes rouges, l’hymne le Boudin, la fête anniversaire commémorant le légendaire combat de Camerone, lors de l’expédition mexicaine (30 avril 1863) -, la Légion a longtemps symbolisé l’esprit d’aventure, et c’est à ce titre que le roman, le cinéma et la chanson, surtout dans les années 1920-1930, ont popularisé la figure du légionnaire, au point de lui conférer une aura mythique. Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF), formation de combat créée le 18 juillet 1941, sur l’initiative de Jacques Doriot, chef du Parti populaire français, avec le soutien des principaux chefs collaborationnistes (Déat, Deloncle, Costantini), et placée sous le patronage d’Otto Abetz. Elle a pour principal objectif de combattre le communisme, après l’invasion de l’URSS par l’Allemagne, le 22 juin 1941. Alors que les prévisions font état de 25 000 à 30 000 volontaires, la LVF ne comptera jamais plus de 3 600 recrues françaises, qui sont instruites et équipées par l’armée allemande. Le commandement est d’abord confié au colo-
nel Labonne, alors sexagénaire, ancien attaché militaire à Ankara, puis au colonel Puaud, ancien officier de la Légion étrangère. Rassemblés le 5 octobre 1941 au camp de Demba en Pologne, les volontaires français prêtent serment de fidélité à Hitler. Devenue le 638e régiment d’infanterie de la Wehrmacht, la LVF est engagée devant Moscou en décembre 1941, puis retirée du front au début de l’année 1942, réorganisée et chargée de la lutte contre les partisans à l’arrière du front de l’Est. D’abord ignorée par Vichy, la LVF, qui a reçu l’approbation tacite du maréchal Pétain, est déclarée association d’utilité publique en février 1943, après une tentative de Benoist-Méchin de la transformer en « Légion tricolore ». Impopulaire, la LVF est affectée à des tâches de guérilla et subit de lourdes pertes. Les survivants sont regroupés, en novembre 1944, dans la division Waffen SS « Charlemagne ». Légion d’honneur, ordre créé par Bonaparte le 19 mai 1802 dans le but de récompenser les services civils ou militaires rendus à la nation ou à l’État. Cette distinction constitue un compromis entre le passé et le présent puisqu’elle est destinée à remplacer à la fois l’ordre de SaintLouis, créé par Louis XIV pour honorer les plus braves de ses officiers, et les armes d’honneurs, distribuées sous la Révolution. L’ordre vise également à permettre une fusion des élites : les militaires doivent en effet y côtoyer les bourgeoisies du commerce ou de l’industrie aussi bien que les hommes aux talents scientifiques ou littéraires. Hiérarchiquement structurée, l’institution, dont le Premier consul est le chef, est placée sous la direction d’un grand chancelier, le premier étant Lacepède. Chevalier, officier, commandeur, grand officier et grand-aigle en constituent les cinq grades. À l’origine, l’institution est organisée en 15, puis 16 cohortes qui correspondent à des divisions territoriales ; une dotation de 200 000 francs de rentes provenant de biens nationaux est attribuée à chacune d’elles. Cependant, l’ordre de la Légion d’honneur se modifie rapidement devenant presque semblable aux distinctions honorifiques accordées dans d’autres États, tandis que ses biens sont peu à peu vendus et les cohortes, supprimées. À la fin de l’Empire, il réunit environ 32 000 légionnaires, dont 1700 seulement à titre civil. Rares sont les membres des professions libérales et industrielles à y être nommés. Critiquée par les nostalgiques de la Révolution qui jugent qu’elle constitue
un premier pas vers le rétablissement d’une nouvelle noblesse, la Légion d’honneur n’a jamais été remise en question par les régimes ultérieurs : ses effectifs sont aujourd’hui d’environ 110 000 membres. Législative (la) ou Assemblée législative, assemblée nationale mise en place par la Constitution du 3 septembre 1791. Elle siège moins d’une année, du 1er octobre 1791 au 20 septembre 1792. La brièveté de la première Constitution française traduit une radicalisation du mouvement révolutionnaire, que favorisent les contradictions du texte constituant. En effet, la Constitution reprend pour l’essentiel les principes de la Constituante : les rapports entre l’Assemblée, à laquelle est confié le pouvoir législatif, et « le pouvoir exécutif [qui] est délégué au roi » ne sont pas définis. Chef des armées, de la diplomatie et de la haute administration, Louis XVI, dont la personne demeure « inviolable et sacrée », devient « roi des Français » et règne par « la loi constitutionnelle de l’État ». S’il choisit et révoque les ministres, il ne peut plus leur imposer sa volonté puisqu’il a besoin de leur contreseing. À l’encontre de l’Assemblée, le roi dispose cependant du droit de veto, qui consiste à rejeter de façon temporaire ou définitive un décret. Les ministres, dont la fonction est incompatible avec celle de député, sont, quant à eux, susceptibles d’être mis en accusation devant l’Assemblée. Celleci, sur le modèle de la Constitution américaine, demeure unique et élue pour deux ans, mais au suffrage censitaire. Le roi va tenter d’appliquer ces dispositions constitutionnelles conformément aux prérogatives du chef de l’exécutif d’un régime parlementaire. Ainsi, en mars 1792, un conflit éclate entre les ministres feuillants (les monarchistes libéraux) et l’Assemblée. Le ministre des Affaires étrangères Delessart ayant été accusé de haute trahison au profit de l’Autriche (10 mars 1792), le roi finit par renvoyer les ministres et les remplace par des girondins. Cette tentative d’introduire une pratique parlementaire échoue cependant devant la volonté de réforme radicale manifestée par l’Assemblée. Le 11 juin, Louis XVI met son veto au décret sur la déportation des prêtres réfractaires à la Constitution civile du clergé et à celui créant un camp de fédérés, sorte de milice populaire de 20 000 personnes formée pour la défense de Paris. Le 12 juin, le roi renvoie les ministres girondins Roland de La Platrière, Clavière et Servan, mais l’Assemblée leur renouvelle sa confiance. Le 20 juin, la foule envahit les Tuileries pour contraindre le
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DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 516 roi à rappeler les ministres et à lever son veto. Louis XVI refuse mais doit coiffer le bonnet rouge. L’entrée en guerre de la Prusse au côté de l’Autriche accroît la peur de l’invasion, de la trahison et du complot. L’Assemblée déclare alors « la patrie en danger ». Le 10 août marque l’apogée d’un profond mouvement patriotique auquel se joignent pour la première fois des fédérés de province, de Marseille notamment. Les sections parisiennes forment une commune insurrectionnelle, avec Pétion et Manuel à sa tête, qui s’installe à l’Hôtel de Ville, oblige les députés à suspendre le roi - remplacé par un Conseil exécutif de six membres - et fait transférer la famille royale à la prison de la Tour du Temple. Jusqu’à la réunion de la Convention, la situation politique est alors marquée par une dualité de pouvoir : la Commune fait constamment pression sur l’Assemblée, qui finit par céder à ses exigences - création d’un tribunal criminel extraordinaire le 17 août, déportation des prêtres réfractaires le 26 août, vente des biens des émigrés dans des conditions favorables aux paysans, laïcisation de l’état civil, institution du divorce... Mais ce sont les revers militaires (chute de Longwy et de Verdun) qui provoquent les massacres de Septembre dans les prisons parisiennes, sans que Danton, qui domine le Conseil exécutif, n’intervienne. La victoire de Valmy, le 20 septembre 1792, coïncide alors avec l’installation de la Convention, qui se réunit le 21 septembre et proclame la République le 22 septembre 1792. légistes, conseillers nourris de droit romain qui entourent les rois de France à la fin du Moyen Âge, et contribuent, par leurs idées et leur action, au renforcement de l’État. Le terme « légiste » désigne celui qui a étudié et, souvent, enseigne les lois, c’est-à-dire le droit romain fondé sur les compilations de Justinien (VIe siècle). À partir du règne de Louis VII (1137/1180) sont introduits dans le Conseil du roi des juristes comme Étienne de Tournai ou Giraud de Bourges, et les diplômés de l’université d’Orléans joueront un rôle certain dans l’entourage de Saint Louis.
• Les défenseurs des droits royaux. C’est avec Philippe le Bel que les légistes prennent l’avantage sur les princes du sang et les autres nobles d’épée qui siègent au Conseil. Leur influence s’affirmera aux XIVe et XVe siècles, grâce au relais que constitue le parlement de Paris, cour souveraine peuplée de juristes. Les théories et les pratiques des légistes trouvent un écho jusqu’à l’échelon des bailliages et prévôtés, qu’administrent de plus en plus fréquemment des gradués en droit. Du plus modeste des administrateurs locaux aux politiques proches de la personne du souverain, tous les légistes de la fin du Moyen Âge ont à coeur de défendre les droits royaux. À cette fin, ils mettent en avant des principes tirés du droit romain, tout en s’inspirant des efforts de centralisation menés par la papauté. Les maximes favorites des légistes du Conseil - « Le roi est la source de toute loi » et « Ce qui plaît au roi a force de loi » - contribuent à fonder l’universalité et la supériorité de la législation royale, à travers édits et ordonnances. La plénitude du pouvoir que détient le roi, le fait qu’il est « empereur en son royaume », sont également affirmés. Enfin, les agents zélés de l’administration locale ne cessent de justifier un interventionnisme croissant aux dépens des justices seigneuriale et ecclésiastique. Seuls les plus brillants des légistes peuvent espérer accéder au Conseil du roi. C’est le cas, sous le règne de Philippe le Bel, d’un Pierre de Belleperche, professeur à Orléans (à Paris, seul le droit canon est enseigné), ou encore d’un Raoul de Presles, fils d’une serve de l’abbaye de Saint-Denis et devenu le meilleur avocat du temps. Mais les plus influents parmi ces légistes « politiques » sont des méridionaux, formés à Toulouse ou à Montpellier. Pierre Flote a servi le dauphin Humbert de Viennois, avant de mériter la confiance du roi : c’est lui qui organise la lutte contre la papauté, afin que le souverain puisse contrôler le clergé français. Après la mort de Pierre Flote à la bataille de Courtrai (1302), Guillaume de Nogaret prend le relais et poursuit le pape Boniface VIII jusque dans sa résidence d’Anagni ; il est également l’artisan du procès des Templiers. La défense inconditionnelle des droits du roi justifie un champ d’intervention très large : Flote et Nogaret s’occupent aussi bien d’impôts que de politique ecclésiastique, tout en contrôlant l’administration locale. • Une influence controversée. Les légistes sont très critiqués à leur époque : dès la fin du XIIIe siècle, Gilles de Rome les qualifie d’« idiots politiques » dans Du gouvernement
des princes, qu’il destine au futur Philippe le Bel. Sous le règne de ce dernier, Geoffroi de Paris regrette que la « hoqueterie » (chicanerie) ait remplacé la chevalerie, et qu’en France il y ait « tout plein d’avocats ». Nicole Oresme (mort en 1382) juge la défense rigide des droits royaux contraire aux principes aristotéliciens qui régissent la philosophie politique, et contraire, en premier lieu, à la primauté de la loi sur le monarque. Sous le règne de Charles VII encore, Juvénal des Ursins appelle à davantage de modération les légistes qui ont alourdi et institutionnalisé l’impôt. Dans la lignée de ces critiques, les légistes seront présentés par les historiens romantiques comme les fondateurs de l’absolutisme monarchique, et leur action est placée au rang des causes lointaines de la révolution de 1789 : Michelet ne les accusera-t-il pas d’avoir été les « tyrans de la France » ? En réalité, utilisant tout autant les ressources du droit féodal, coutumier ou même canonique, que celles du droit romain, les légistes ont cherché à donner une assise juridique cohérente à un pouvoir monarchique de plus en plus vigoureux. En cela, ils sont, parmi d’autres, les artisans de la genèse de l’État moderne en France. légitimisme, mouvement politique monarchiste regroupant, à partir de 1830, les partisans de la branche aînée des Bourbons. Le légitimisme naît en 1830 quand se regroupent autour de Charles X, puis du duc de Bordeaux les royalistes intransigeants qui refusent l’accession au trône de Louis-Philippe. Mais ce mouvement n’exprime pas seulement la fidélité de quelques-uns à un principe dynastique ; il a déjà une doctrine, des assises et adopte un mode d’action politique ; il aura une postérité, qui survit à l’extinction de la branche aînée française des Bourbons. • La doctrine légitimiste. Elle se constitue dès la Restauration parmi les ultras groupés autour de Charles X. Sa base est la ContreRévolution : le désir de retour à l’ordre ancien donne naissance à un système de pensée cohérent. L’histoire qui fait revivre l’âge d’or de la monarchie médiévale en est l’outil, le légitimisme et le romantisme s’influençant ici réciproquement. De cette référence à une société idéale naissent les principes politiques : unicité de la religion et de l’Église catholiques, société hiérarchisée au sommet de laquelle siège la noblesse rétablie dans ses droits, mais aussi restauration des anciennes libertés, notamment des pouvoirs locaux, et paternalisme envers le peuple. Le maître mot est « tradition », le maître à penser, Louis de Bonald, les
figures majeures Villèle, Chateaubriand et Lamennais. Des journaux, brillants et prospères, au premier rang desquels le Conservateur et le Drapeau blanc, en diffusent les idées. • Implantation et modes d’action. Le Parti légitimiste, solidement implanté dans le Lyonnais, le Midi provençal, le Languedoc et l’Aquitaine, est également présent dans l’Ouest vendéen. Il recrute dans l’aristocratie foncière, la bourgeoisie catholique des grandes villes du Sud, parfois dans le monde paysan. Il a ses députés, roturiers comme Berryer ou nobles comme Falloux et La Rochejaquelein. Une presse, toujours puissante et de qualité, défend ses positions : l’Écho du Midi, la Gazette universelle, l’Union monarchique ou la Mode, dirigée par Alfred Nettement. L’élite littéraire - Balzac, Vigny - le soutient. Son intransigeance et le devoir impératif de fidélité aux souverains détrônés confortent son opposition à la monarchie de Juillet. Cependant, trop tourné vers le passé, le légitimisme se coupe du pays et s’étiole dans de vaines commémorations ou dans de brouillonnes agitations telles que l’expédition de la duchesse de Berry et le complot de la rue des Prouvaires. Une forme de relève apparaît pourtant : en siégeant à la Chambre, Berryer ou Falloux comprennent la nécessité de composer avec les nouvelles règles institutionnelles pour exister ; parallèlement, un néo-légitimisme, autour de Chateaubriand, s’inspire des idéaux démocratiques dans l’espoir de réconcilier la monarchie et le peuple, et se rapproche ainsi des républicains. • Un mouvement d’idées. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le légitimisme reste bridé dans son action par son refus des régimes successifs : sa fidélité au comte de Chambord ne se dément pas et, jusqu’à la mort de ce dernier en 1883, fait échouer toutes les tentatives de fusion dynastique. Politiquement, le parti revit sous l’Ordre moral, qui laisse espérer une restauration de la royauté, avant que l’Action française ressuscite l’idéal monarchique au XXe siècle. C’est d’ailleurs dans le domaine des idées que le mouvement conserve une influence dans la société française : par la défense de l’Église et en premier lieu du pape, en condamnant la politique extérieure de Napoléon III en Italie, puis en luttant contre la loi downloadModeText.vue.download 528 sur 975
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de séparation des Églises et de l’État ; par ses préoccupations sociales ensuite - le catholicisme social d’Albert de Mun renoue avec le dessein démocratique d’une monarchie religieuse attentive au peuple. Mais l’équilibre est instable : ouvert aux idées nouvelles, l’idéal légitimiste se dissout vite dans des mouvements plus vastes (Ralliement, Action catholique), qu’il contribue néanmoins à façonner. Arc-bouté sur sa spécificité, il se coupe de la société, ne subsistant que sous la seule forme d’un intégrisme doctrinal - comme en témoigne l’intégrisme catholique qui survit dans la France contemporaine. Leipzig (bataille de), bataille perdue par la France pendant la campagne d’Allemagne (16-19 octobre 1813), dite également « bataille des Nations ». La première phase de la campagne d’Allemagne au printemps 1813 laisse les belligérants épuisés. Un armistice est décidé pendant lequel les coalisés - Prussiens, Russes et Anglais - se renforcent grâce au ralliement de l’Autriche et de la Suède. Le rapport des forces en présence devient très largement défavorable à Napoléon. Malgré des succès militaires (Dresde, le 27 août), les opérations de l’été et de l’automne n’entraînent aucune décision claire. Au début du mois d’octobre, Napoléon change de tactique et fait converger ses troupes (environ 160 000 hommes) vers Leipzig, espérant contraindre l’ennemi à engager la bataille. Cette fois, les coalisés sont bien décidés à profiter de leur supériorité numérique : grâce aux renforts arrivés pendant la bataille, ils alignent presque deux fois plus d’hommes que Napoléon. Les armées engagent le combat le 16 octobre au matin. Pendant trois jours, les offensives des coalisés sont contenues par les troupes françaises, malgré la défection des Saxons, jusque-là alliés de la France. Des villages sont pris, perdus, puis réoccupés. Dans cette mêlée confuse, l’artillerie joue un rôle capital. Dans la nuit du 18 au 19 octobre, Napoléon opte pour la retraite. Le bilan est particulièrement lourd : plus de 100 000 hommes sont tués ou blessés de part et d’autre. La défaite de Leipzig provoque un soulèvement général en Allemagne : l’armée française doit abandonner le terrain et reculer au-delà du Rhin. Lenclos (Anne, dite Ninon de), courtisane (Paris vers 1620 - id. 1705). Belle, légère et instruite, Ninon aima suffisamment pour devenir un mythe, mais pas assez
pour rencontrer l’amour. Abandonnée par son père, Henri de L’Enclos, officier épicurien de la suite de M. d’Elbeuf, en fuite après l’assassinat (déguisé en duel) du baron de Chaban, elle hérite de lui sa vision hédoniste de l’existence et son amour du luth. Entretenue d’abord par le conseiller Coulon (500 livres mensuelles), elle devient une courtisane patentée, et s’active alors dans l’entourage libertin de Gaston d’Orléans, prenant pour amants Coligny, Méré, Jarzé, Gersay, Sévigné, La Châtre, le duc d’Enghien... Les dévotes s’indignent. Anne d’Autriche l’interne dans un couvent : aux Madelonnettes, puis à Lagny. Libérée au bout d’un an, installée dans le Marais, Ninon, rendue prudente, se fait philosophe ; elle lit Montaigne, écrit la Coquette vengée (1659) et tient un salon où se presse tout ce que Paris compte de beaux esprits. Morte à 85 ans, Ninon laissa un fils, Louis de La Boissière de Mornay (1645-1730), capitaine de vaisseau à Toulon. Qui en est le père : l’écrivain Saint-Évremond, le maréchal d’Estrées, ou l’abbé Effiat ? Ninon leur fit apporter trois dés : ils déclarèrent d’Estrées père de l’enfant ; mais c’est Villarceaux qui légitima le seul fruit de la belle Ninon. Lendit (foire du), au Moyen Âge, importante foire annuelle qui se tient au mois de juin, près de Saint-Denis, au nord de Paris. Pendant le haut Moyen Âge, ce que l’on appelle « l’Endit » est un pèlerinage, mais pas encore cette foire célèbre que les légendes font remonter à tort au règne de Dagobert. D’après les sources, des pèlerins, dès l’époque carolingienne, viennent chaque année, le jour de la saint Jean - au moment de l’Endit, ou indictum -, vénérer les reliques de la Passion précieusement conservées à l’abbaye de Saint-Denis. Cette fête religieuse prend peu à peu de l’importance à partir du Xe siècle, et s’accompagne désormais d’une foire qui se tient dans l’abbaye même, puis dans le bourg et enfin, selon la volonté du roi Louis VI (1081-1137), dans la plaine de Saint-Denis entre SaintOuen, Aubervilliers, La Chapelle et Saint-Denis. Cette manifestation dure trois semaines, du premier mercredi de juin (où l’on fête saint Barnabé) jusqu’à la saint Jean, et se déroule après la fin de la foire de Provins (en mai) et avant le début de celle de Troyes (fin juin). À son apogée au XIIIe siècle, cette foire, située à proximité d’un grand carrefour de voies de communication, attire des marchands venus de toute la France du Nord et même des PaysBas et d’Italie. Ceux-ci vendent et achètent
des draps de laine ou la production de vin qui reste de l’année précédente, mais aussi du parchemin. Ainsi, c’est auprès d’eux que l’Université de Paris vient s’approvisionner annuellement en parchemin, ce qui donne lieu à des fêtes et des tumultes. En louant les emplacements aux marchands, les moines de l’abbaye de Saint-Denis tirent d’importants profits de la foire, de même que le roi, qui prélève des taxes sur les échanges. Plusieurs facteurs contribuent au déclin de la foire du Lendit à partir du XIVe siècle : la guerre de Cent Ans et les troubles économiques qu’elle provoque, le développement de l’usage du papier et l’abandon progressif du parchemin, mais aussi les interdictions faites aux écoliers de venir troubler la foire. Désormais, des foires permanentes et l’important pôle commercial qu’est devenu Paris font concurrence à la foire du Lendit qui entre en décadence. Sous le règne de Charles VII (1422-1461), elle retrouve son animation, mais sans le rayonnement d’autrefois, et, en 1556, Henri II décide de la transférer à l’intérieur de la ville. Depuis le XVIe siècle, une foire à caractère purement local se tient, au mois d’octobre, à Saint-Denis. Lenoir (Jean Charles Pierre), magistrat (Paris 1732 - id. 1807). Fils d’un lieutenant particulier au Châtelet, il se destine rapidement à une carrière judiciaire. Après avoir occupé une charge de conseiller au Châtelet, il devient lieutenant général de police en 1774. Un différend avec Turgot, portant sur l’organisation de l’approvisionnement de la capitale, entraîne une courte disgrâce (août 1775-juin 1776). Vite rappelé, Lenoir développe une action qui concerne des secteurs très divers. Il prend notamment d’importantes initiatives dans le domaine du commerce, en améliorant très sensiblement l’infrastructure des halles parisiennes. Il s’efforce également de rendre la ville plus salubre - en faisant fermer le cimetière des Innocents ou en interdisant les comptoirs en plomb chez les marchands de vin -, et impose l’éclairage ininterrompu des rues de la capitale. Quant à la création du mont-de-piété, en 1777, elle traduit une volonté de trouver des solutions ponctuelles aux problèmes de la population la plus déshéritée. Mais Lenoir est aussi un habile politique, qui se voit confier des missions délicates par le pouvoir : il est ainsi chargé de rétablir le parlement de Pau et de sévir contre celui de Provence. Les postes prestigieux de bibliothécaire du roi et de président de la Commission des finances couronnent sa carrière sous l’Ancien
Régime. En 1790, il émigre en Suisse, puis se réfugie à Vienne. Ruiné lors de son retour à Paris, en 1802, il bénéficiera jusqu’à sa mort d’une pension versée par le mont-de-piété. Leoben (préliminaires de), préliminaires de paix entre l’Autriche et la France signés le 18 avril 1797. Après la victoire de Rivoli, puis la capitulation autrichienne à Mantoue en février 1797, Bonaparte menace Vienne. La paix tant désirée par l’opinion française semble proche. En novembre 1796, le Directoire avait envoyé le général Clarke pour accélérer les négociations. Ses instructions reflétaient les divergences parmi les directeurs : Reubell souhaitait par-dessus tout obtenir la rive gauche du Rhin, tandis que Carnot se serait contenté de la cession définitive de la Belgique. Bonaparte, qui entend recueillir seul les fruits de ses victoires, prend l’initiative d’ouvrir des pourparlers directs avec l’Autriche le 5 avril 1797. Les émissaires autrichiens rejettent les conditions fixées par le Directoire. Alors qu’il n’a aucun pouvoir pour le faire, Bonaparte leur propose une autre solution : la Lombardie et la Belgique reviendraient à la France, Mantoue et une partie de la Vénétie, à l’Autriche. Le 18 avril, au château d’Eggenwald, près de Leoben, l’Autriche accepte cette proposition. La conclusion d’une paix définitive est renvoyée à une conférence ultérieure. Bonaparte met le Directoire devant le fait accompli en faisant connaître à Paris les préliminaires de Leoben avant leur notification officielle. Seul Reubell se prononce contre la ratification. Bonaparte vient de remporter sa première victoire sur le Directoire. Le Pen (Jean-Marie), homme politique (La Trinité-sur-Mer 1928). « Monté » à Paris faire son droit, il milite dans les rangs de l’extrême droite nationaliste et devient, en 1949, président de la « corpo », downloadModeText.vue.download 529 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 518 syndicat des étudiants en droit. En 1952, il se porte volontaire dans l’armée et est envoyé en Indochine fin mai 1954, peu de semaines avant la fin de la guerre. Rentré en France, il s’engage aux côtés de Pierre Poujade et est élu député en janvier 1956, à l’âge de 28 ans. Ardent défenseur de l’« Algérie française »,
il reprend du service dans l’armée de 1956 à 1957, d’abord en Égypte, puis en Algérie où, en tant qu’officier parachutiste, il participe à des interrogatoires de membres du Front de libération nationale (FLN) pendant la bataille d’Alger. Il s’éloigne alors du mouvement poujadiste pour devenir secrétaire national du Front national combattant, et il est réélu député en 1958 sous l’étiquette du Centre national des indépendants et paysans (CNIP). L’accession de l’Algérie à l’indépendance en 1962 marginalise l’extrême droite, et Jean-Marie Le Pen est écarté de la scène politique pendant dix ans. C’est en 1972 qu’il y revient, à la tête du Front national. De 1972 à 1983, les scores électoraux de ce parti restent médiocres : Le Pen n’obtient que 0,75 % des voix à l’élection présidentielle de 1974 et ne peut se présenter à celle de 1981. Mais il parvient à unifier les différentes tendances de l’extrême droite autour de mots d’ordre ayant essentiellement pour cible les immigrés. À partir de 1983, il ressort de l’ombre : il obtient 11,3 % des voix dans le XXe arrondissement de Paris aux municipales de mars, conduit une liste qui recueille 11 % des suffrages aux européennes de 1984, entre à l’Assemblée nationale à la tête d’un groupe de trente-cinq députés en 1986, et obtient 14,4 % des voix au premier tour du scrutin présidentiel de 1988, puis 15 % en 1995. En 2002, avec 16,86% des suffrages, il devance le candidat socialiste et accède au deuxième tour, avant d’être largement battu par Jacques Chirac. Ses talents de tribun lui permettent d’exploiter l’aggravation de la crise sociale et politique, mais le succès ne modère pas ses prises de position extrémistes (sur les chambres à gaz, qualifiées de « point de détail » en 1987 ou sur l’« inégalité des races », en 1997, par exemple) et il reste l’homme public le plus impopulaire du pays. Il dirige d’une main de fer son parti mais, l’âge venant, la question de sa succession est posée. Le Play (Frédéric), fondateur d’un courant de la sociologie française (La Rivière-SaintSauveur, Calvados, 1806 - Paris 1882). Entré à Polytechnique en 1825, il mène une brillante carrière. Commissaire de l’Exposition universelle de 1855, puis conseiller d’État, il est proche de la cour impériale. Très tôt, il se préoccupe du rôle social de l’ingénieur, et il entreprend, dès 1834, une étude sur les populations ouvrières européennes. Déçu par la « commission des travailleurs » mise en place par la révolution de 1848, il entend trouver, par l’observation scientifique, une voie médiane entre la révo-
lution et le parti de l’Ordre ; ainsi paraissent, en 1855, les Ouvriers européens. Grâce à un échantillonnage de monographies comparables, Le Play dégage de véritables types familiaux. De cet ouvrage découle une description de la société, régie par quatre institutions : l’entreprise, la famille, l’association, le patronage. Le Play insiste, en particulier, sur la famille comme lieu de formation des attitudes et comportements sociaux. « La famille-souche » (cohabitation de trois générations avec transmission intégrale du patrimoine à un enfant) constitue la pièce centrale d’une utopie mariant les vertus des « sociétés immobiles » (stabilité et aisance dans la frugalité) et les qualités des « sociétés complexes » (liberté), système qu’il développe dans la Réforme sociale (1862), et la Constitution essentielle de l’humanité, (1881). À partir de ce constat, il entend mener une action sociale, de concert avec le patronat catholique (fondation la Société d’économie sociale, en 1856). Par adhésion idéologique ou méconnaissance du politique, ses disciples vont servir de caution « scientifique » à Salazar puis au régime de Vichy. L’identification de Le Play au régime d’Ordre moral s’est faite au détriment de sa pensée, réduite à la célébration des sociétés patriarcales d’antan. Mais, aujourd’hui, sa démarche et son attention portée aux formes d’organisation familiale trouvent un écho dans certains travaux démographiques ou historiques (Emmanuel Todd et Hervé Le Bras, l’Invention de la France, 1981). lèpre. Comme le prouve l’étude ostéologique des squelettes découverts par les archéologues, la lèpre est connue en France dès le VIe siècle, mais son foyer d’origine est probablement le bassin oriental de la Méditerranée et, plus anciennement encore, l’Inde. Progressant lentement, l’endémie atteint sa plus grande extension durant le Moyen Âge central (XIe-XIIIe siècle), mais sans jamais affecter, semble-t-il, plus d’un Français sur cent. Bien que le bacille de Hansen, responsable de la maladie, ne se transmette qu’à l’issue de contacts prolongés avec le malade, la lèpre est considérée comme extrêmement contagieuse, depuis les premiers médecins grecs qui la décrivent sous le nom d’elephantiasis. En outre, le terme de lepra, qui finit par s’imposer, désigne dans les traductions de la Bible, plus particulièrement dans l’Ancien Testament, une affection cutanée imposant un strict isolement du malade. Aussi, après un examen médical et souvent une cérémonie re-
ligieuse imitée du rituel funéraire, les lépreux se voient-ils enfermés dans des léproseries installées à l’écart des agglomérations et d’où ils ne peuvent sortir qu’habillés de vêtements reconnaissables et munis d’une cliquette formée de trois lamelles de bois pour signaler leur passage. Les serments qu’ils prêtent lors de cette séparation leur enjoignent de s’abstenir de tout commerce charnel, et leurs biens sont parfois confisqués. Certes, les léproseries, présentes au XIIIe siècle jusque dans les plus petits bourgs, sont des organismes charitables, qui prennent d’abord la forme de communautés organisées sur un modèle plus ou moins conventuel, avant de se transformer en hôpitaux gérés par des frères hospitaliers. L’isolement imposé au malade n’en est pas moins douloureux, d’autant que, si la lèpre est incurable, son diagnostic peut en revanche poser problème : l’immunité acquise par des organismes confrontés à la maladie depuis plusieurs siècles en a développé la forme tuberculoïde (caractérisée par des taches claires sur le corps), facile à confondre avec d’autres affections cutanées, entraînant de ce fait l’enfermement de non-lépreux. L’attitude de la population et de l’Église face aux lépreux est ambiguë : si la maladie qui touche ces derniers est considérée comme la punition de très graves péchés (par exemple, les rapports sexuels durant les règles de la mère), elle peut aussi être perçue comme le signe d’une élection voulue par Dieu, à l’image du pauvre Lazare de l’Évangile, que ses ulcères assimilent à un lépreux. En 1321, les habitants du midi de la France n’en envoient pas moins au bûcher des cohortes de malades qu’ils accusent d’avoir voulu les empoisonner. À partir du XIVe et, surtout, du XVe siècle, la lèpre est en régression, peut-être parce que se répand la tuberculose, dont le bacille crée une immunité envers celui de Hansen. Les léproseries ne comptent plus alors que quelques malades, avant de disparaître à l’époque moderne. Leroux (Pierre), publiciste, philosophe et homme politique (Paris 1797 - id. 1871). Polytechnicien, ancien carbonaro, mais aussi maçon et ouvrier typographe, Pierre Leroux commence en 1824 une carrière de journaliste au Globe - un journal libéral qui se radicalise après la révolution de 1830 - et se rapproche de l’école saint-simonienne. En 1831, Leroux, qui rejette la dimension mystique de l’école, quitte le Globe pour la Revue encyclopédique, et, animé d’idées progressistes et libérales, se
rapproche des républicains. Il fonde et dirige notamment l’Encyclopédie nouvelle (de 1836 à 1843) et la Revue indépendante (de 1841 à 1848), qu’il crée avec son amie George Sand. En 1840, dans son livre majeur, De l’humanité, de son principe et de son avenir, il s’oppose à la fois à l’individualisme qui affirme l’impossibilité de l’égalité entre les hommes, et au « socialisme » - terme dont certains lui attribuent la paternité -, en tant que doctrine autoritaire qui écrase les individus au nom de l’unité sociale. La société n’est pas placée au-dessus des individus, mais ceux-ci n’existent pas séparés les uns des autres. Égalité, liberté et solidarité constituent la trinité sociale. Maire de Boussac (Creuse) et député, Leroux participe activement à la révolution de 1848, notamment en prenant la défense des insurgés de Juin et en prônant la limitation de la durée quotidienne du travail. Exilé après le coup d’État du 2 Décembre, il revient en France en 1860, mais renonce à la politique. L’oeuvre de Pierre Leroux développe une pensée originale de la démocratie. Lesseps (Ferdinand Marie, vicomte de), diplomate et administrateur (Versailles 1805 - La Chênaie, Indre-et-Loire, 1894). Diplomate de carrière, Ferdinand de Lesseps occupe dans les années 1830 divers postes en Orient. En Égypte, il se distingue par son dévouement lors de l’épidémie de peste. En 1848, il est consul général à Barcelone quand survient en France la révolution. Révoqué, puis rappelé par le gouvernement provisoire, il est chargé en 1849 d’une mission délicate en Italie : il négocie un accord dans le conflit entre le pape et les républicains menés par downloadModeText.vue.download 530 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 519 Mazzini. Mais Louis Napoléon Bonaparte, qui veut écraser la République romaine, le désavoue. Mis en disponibilité et retiré dans l’Indre, il mûrit le projet de l’ingénieur Le Père de relier par un canal la Méditerranée à la mer Rouge. En 1854, il fait approuver l’idée par son ami Saïd Pacha, khédive d’Égypte, détermine le tracé et obtient la concession de l’ouvrage malgré une vive opposition anglaise. Les travaux débutent le 25 avril 1859. Malgré de multiples obstacles - mort de Saïd, menées britanniques, déséquilibres financiers -, le canal est inauguré officiellement à Suez, le 17 novembre 1869.
À l’apogée de sa gloire, Lesseps veut rééditer son exploit. Il lance le projet de percement d’un canal à Panamá, entre les océans Pacifique et Atlantique. Mais, négligeant les difficultés techniques et climatiques, il en bâcle le montage financier. L’échec est patent dès 1889 : les travaux piétinent, tandis que les déficits accumulés et la ruine des petits épargnants aboutissent au scandale et à la mise en liquidation de la Compagnie du Panamá, à laquelle banquiers et politiques ont marchandé leur soutien. Frappé par ce désastre, Lesseps perd la raison et meurt en 1894. Visionnaire saint-simonien plus qu’homme d’affaires, Lesseps a rapidement oublié ce que son premier succès avait d’exceptionnel pour ne croire qu’en la force de sa volonté face aux obstacles, qui se révélèrent bien plus nombreux en Amérique qu’en Égypte. On a ainsi pu dire, à juste titre mais non sans paradoxe, qu’il avait échoué à Panamá parce qu’il avait réussi à Suez. L’Estoile (Pierre Le Taison de), mémorialiste (Paris 1546 - id. 1611). Grand officier de la couronne, Pierre de L’Estoile représente cette noblesse de robe gallicane et royaliste confrontée aux troubles religieux de la seconde moitié du XVIe siècle. Ses Registres-journaux, ou Mémoires-journaux, composés de 1574 à 1610, sont un précieux témoignage sur l’agitation parisienne pendant les règnes d’Henri III et d’Henri IV. Issu d’une vieille famille d’officiers, Pierre de L’Estoile hérite du scepticisme de son précepteur, l’hébraïsant et réformé Mathieu Béroald. Après ses classes de droit à Bourges, il achète une charge d’audiencier à la chancellerie en 1569, et s’installe définitivement dans la capitale. Lié aux plus grands robins tels que les de Thou, il partage leur mépris religieux et social vis-à-vis de la Ligue. De même, il n’admet pas les ingérences pontificales et espagnoles. Certes, il demeure catholique, mais éprouve quelque sympathie pour les réformés. Malgré son attentisme, il est inquiété, en 1589, par les Seize (comité de ligueurs favorable aux Guises) et emprisonné quelques jours à la Conciergerie pour son appartenance au parti des « Politiques ». Le grand oeuvre de Pierre de L’Estoile est son cabinet de curiosités et, surtout, ses Registres-journaux, pour la rédaction desquels il résilie sa charge en 1601 et se ruinera. Son journal est composé d’un in-folio, « Les fi-
gures et drolleries de la Ligue », regroupant plus de mille cinq cents pasquils, et d’un livre de raison où, souligne Montaigne, il se présente « tout nu » dans son temps. À cet effet, il n’hésite pas à aller dans les rues recopier les placards ligueurs ou à retranscrire les sermons enflammés. Mais il reste écrivain. Il recompose son journal, quitte à bouleverser l’ordre chronologique, et cherche toujours le pittoresque. Il innove par un procédé de collage de pièces justificatives encadrées par un commentaire critique. Leszczynska (Marie) ! Marie Leszczynska Leszczynski (Stanislas), roi de Pologne sous le nom de Stanislas Ier (Lwów 1677 - Lunéville 1766). Son nom évoque la Pologne, dont il fut roi de 1704 à 1714, puis de 1733 à 1734 ; la Lorraine, dont il fut duc de 1738 à 1766 ; Nancy, où il créa la place Stanislas (1750-1755) avec l’architecte Héré et le ferronnier Lamour ; Lunéville ; enfin, Louis XV, à qui il donna sa fille en mariage et la Lorraine en héritage, dernier agrandissement du royaume avant l’annexion de la Corse (1768). Véritable personnage de roman, il eut quatre fois un sceptre, mais connut l’exil, l’indigence, la prison, et dut parfois s’enfuir sous des déguisements divers. Gentilhomme de haute noblesse polonaise, il est palatin de Posnanie lorsque Charles XII de Suède écrase les Russes à Narva (1700), chasse de son trône - électif - de Pologne Auguste II, battu à Kliszow en 1703, et l’impose à la tête du royaume. Son destin est désormais lié au roi de Suède ; or, en 1709, les 70 000 soldats de Pierre le Grand écrasent à Poltava 30 000 Suédois. Charles XII se réfugie chez les Turcs. Stanislas l’y rejoint. Mais le sultan songe à les livrer au tsar (1713). Assiégés dans Bendery, ils résistent. Mais, battu, Charles XII fuit tandis que Stanislas reste seul prisonnier des Ottomans. Libéré, ce dernier abandonne son trône. Mais Charles XII, de retour en Suède, lui donne sa principauté des Deux-Ponts (1715), qu’il doit cependant céder après la mort mystérieuse de son protecteur (1718). Nouvel exil : Wissembourg où le Régent l’installe. Là, grâce au duc de Bourbon et à l’influence de Mme de Prie, il devient le beau-père de Louis XV. L’espoir renaît. 1733 : Auguste II meurt. Stanislas, déguisé, traverse les États allemands. En septembre, il est réélu roi de Pologne. La Russie lui oppose alors Auguste III et l’enferme
dans Dantzig (aujourd’hui Gdansk). À Brest, Louis XV arme une escadre. Plélo, ambassadeur de France à Copenhague, l’attend. L’escadre arrive, mais les officiers n’agissent point. Plélo peste : « Gens timides ! Irrésolus. Envoyez-nous Duguay-Trouin. Son nom seul vaut une escadre ». Mais le Malouin ne reçoit point l’ordre d’appareiller ! Dantzig tombe. Plélo y est tué (1734). Stanislas fuit. Au traité de Vienne (1738), cependant, il reçoit la souveraineté nominale sur les duchés de Bar et de Lorraine. Il s’y impose alors de 1738 à 1766 comme mécène et bibliophile. Néanmoins, dans son autobiographie sévère, il additionne pertes de son trône, de sa principauté, de sa femme, de son petit-fils le dauphin Louis, mort à 36 ans en 1765 (père de Louis XVI) ; et confie à sa fille avoir connu l’exil, la faim, le froid, les inondations. Tout, sauf le feu. Le lendemain, se penchant pour ranimer la flamme, il tombe dans la cheminée de son salon en son château de Lunéville. Privé de secours domestiques, âgé de 89 ans, il en meurt. Le Tellier (Michel), homme politique (Paris 1603 - id. 1685). Élève au collège de Navarre, puis étudiant en droit, il devient conseiller au Grand Conseil (1624), procureur du roi au Châtelet (1631), maître des requêtes (1638), intendant de l’armée d’Italie (1640-1643), secrétaire d’État à la Guerre (1643-1685), enfin, chancelier de France (1677-1685). Le Tellier doit son ascension à Richelieu, qui l’envoie avec Séguier en Normandie (1639-1640) au moment de la « révolte des Nu-pieds » ; à Louis XIII, qui le nomme intendant de l’armée en Piémont (1640-1643) ; à Mazarin, qu’il séduit à Turin et qui le nomme secrétaire d’État à la Guerre (4 mai 1643). Il conserve cette charge pendant quarante-deux ans et s’y consacre seul, puis aidé de son fils Louvois, qui en obtient la survivance dès 1660. Le Tellier est représentatif des possibilités d’élévation sociale offertes par l’Ancien Régime : un quatrième aïeul, paysan de Chaville ; un trisaïeul, marchand bourgeois de Paris ; un bisaïeul, notaire ; un grand-père, maître des comptes ; un père, conseiller à la Cour des aides. Au sein de cette famille passée de l’activité marchande au Conseil par le tremplin classique de la robe, Le Tellier illustre ce qu’est un grand commis sous Louis XIV : un homme bien allié, gendre à partir de 1629 d’un conseiller d’État (Turpin), neveu (par
sa femme) du premier chancelier d’Aligre ; beau-frère (par sa soeur) de Colbert de SaintPouange, d’où l’admission de Colbert dans les bureaux de la guerre dès 1643. Un homme courtisé aussi. Mais, surtout, un travailleur acharné, excellent serviteur du roi, auquel il fournit une armée de 300 à 400 000 hommes contre 40 000 sous Henri IV, armée la plus moderne et la plus importante de l’époque, capable de vaincre les troupes de l’Europe coalisée. Sous des dehors simples, Le Tellier aime le pouvoir (il élimine Fouquet avec l’aide de Colbert) et l’argent : il achète les marquisats de Louvois (1656) et Barbezieux (1677) ; des terres à Chaville, Viroflay, La Ferté-Gaucher (1657-64) ; un hôtel rue des Francs-Bourgeois (1653), où il entretient 60 domestiques. Jouissant de 129 000 livres de revenu annuel, il place ses enfants, fait de sa fille une duchesse d’Aumont et de son fils cadet un archevêque de Reims. Mais, à la veille de sa mort, son nom est entaché par la rédaction de l’édit de Fontainebleau (octobre 1685), qui révoque celui de Nantes (1598). Aussi son décès fut-il considéré par les protestants comme une punition divine. Toutefois, Bossuet lui rendit un magnifique hommage (25 janvier 1686). lettre de cachet, lettre close par le cachet personnel du roi, destinée à transmettre un ordre ponctuel à un officier ou à un corps chargé de l’exécuter. Les lettres de cachet entrent dans le cadre de la « justice retenue » (rendue directement par le roi, distincte de la « justice déléguée »). En downloadModeText.vue.download 531 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 520 effet, contrairement aux autres actes exprimant la volonté royale (lettres patentes), leur expédition échappe au contrôle de la chancellerie, puisqu’elles ne portent pas le sceau de l’État, et leur enregistrement à celui des parlements. Apparaissant, semble-t-il, au milieu du XVIe siècle, leur usage, d’abord exceptionnel, s’amplifie, parallèlement au développement de l’absolutisme royal. Alors qu’elles sont utilisées à de multiples fins et dans des domaines très variés de l’exercice du pouvoir, la mémoire collective, nourrie des indignations révolutionnaires, ne retient que leur utilisation à des fins répressives. Manifestation des prérogatives judiciaires du monarque, elles
sont en effet souvent porteuses d’ordres d’incarcération, prononcés sans aucune forme de procès. • Un usage répressif croissant. Au XVIIe siècle, elles sont surtout employées pour museler les oppositions politiques et pour régler les affaires d’État : elles frappent d’abord de hauts dignitaires (Condé en 1650, Fouquet en 1661), puis des opposants de moindre envergure (protestants ou jansénistes poursuivis pour leur dissidence religieuse, libellistes, etc.). À l’orée du XVIIIe siècle, leur usage se banalise sous l’effet conjugué de deux demandes de répression : l’une institutionnelle, et l’autre familiale. La première émane des intendances et des lieutenances de police nouvellement créées ; le recours massif aux incarcérations administratives reste cependant une spécificité de la généralité de Paris, pour laquelle on en a estimé le nombre à plus de 60 000 au XVIIIe siècle, chiffre sans doute sous-évalué : sont surtout concernés les délinquants de droit commun, que l’on juge préférable de punir sans publicité (déviants sexuels), ou que la justice ne parvient pas à condamner en raison de l’inefficacité de la procédure criminelle (délinquants professionnels). Les lettres de cachet entraînent ainsi l’instauration, surtout dans la capitale, d’une instance policière de contrôle social qui prend le pas sur la justice en assurant une répression expéditive de la criminalité. Par ailleurs, la monarchie doit aussi répondre à une demande émanant de familles de tous milieux sociaux. Celles-ci sollicitent des lettres de cachet contre les « fils libertins », les « épouses aux moeurs dissolues », les « maris infidèles » ou « violents », ou plus simplement contre les « aliénés », qu’elles peuvent ainsi faire enfermer dans des maisons de force avant que leurs débordements ne les conduisent devant les tribunaux et ne ternissent l’honneur familial. D’ampleur plus modeste, cette demande familiale connaît cependant une croissance constante pendant les trois premiers quarts du XVIIIe siècle. • Un usage dénoncé comme un abus. Si, à l’origine, la délivrance des lettres de cachet relève du roi lui-même, sa banalisation impose une cascade de délégations successives. Au cours du XVIIe siècle, elle est d’abord confiée aux ministres, qui statuent après examen de dossiers écrits (rapports de police pour les délinquants, enquêtes de vérification pour les demandes d’origine familiale). Cependant, au
XVIIIe siècle, et particulièrement sous le règne de Louis XV - apogée de l’usage de la lettre de cachet -, cette procédure administrative devient de plus en plus expéditive, favorisant ainsi les initiatives d’agents subalternes. La multiplication des incarcérations et quelques abus rendus publics sensibilisent l’opinion sur le caractère arbitraire de ces arrestations. On accuse alors la monarchie de se prêter à un emploi détourné de l’autorité royale, et de frapper ainsi d’innocentes victimes de la tyrannie paternelle ou de vengeances privées. Relayées par les Cours souveraines, qui adressent au roi de multiples remontrances à ce sujet, et par des pamphlétaires acquis aux idées révolutionnaires (Mirabeau et Linguet), la critique contre les lettres de cachet, devenues le symbole d’un absolutisme désormais intolérable, ne cesse de s’amplifier jusqu’en 1789. Par deux fois, la monarchie tente, sans grand succès, d’empêcher les abus (réforme de Malesherbes en 1776 et circulaire de Breteuil en 1783) ; cependant, elle ne se résout jamais à renoncer à cet outil aux multiples emplois, clé de voûte d’un système répressif dont la composante judiciaire ne parvient plus à satisfaire ses exigences d’ordre et de sécurité. Ce n’est qu’en 1790 que la Constituante abolit les lettres de cachet, non sans prévoir des modalités de « reconversion » pénales, qui permettent de maintenir en détention bon nombre de ceux que l’Ancien Régime y avait placés. leudes ! antrustions Levant (mandats du), dénomination, entre 1918 et 1944, des États de Syrie et du Liban dont l’administration est exercée par la France sous le contrôle de la Société des nations (SDN). En vertu des accords secrets Sykes-Picot de mai 1916, et en conséquence du démembrement de l’Empire ottoman consécutif à la Première Guerre mondiale, l’administration des territoires de la Syrie et du Liban est confiée à la France par la conférence de San Remo (25 avril 1920). Les États-Unis s’opposant à toute annexion coloniale, les deux pays sont administrés provisoirement par la France afin de les préparer à l’accession à l’indépendance : c’est la formule du mandat de catégorie A, assez proche de celle du protectorat. Ce mandat est confirmé par la SDN en 1922. Sous le régime ainsi défini, les deux pays vont connaître une évolution assez différente. • Le Liban. Pourvu d’un « statut » et d’un
conseil représentatif dès 1922, le Liban (dans les frontières du Grand Liban) est doté en 1926 d’une Constitution établissant une république parlementaire et s’oriente nettement vers le confessionnalisme, répartissant les responsabilités politiques et administratives entre les diverses communautés religieuses mais avantageant en fait les chrétiens (surtout les maronites) surreprésentés dans les institutions (le recensement confessionnel de 1931 sera la base du pacte national de 1943). La vie politique est marquée par les interventions du haut-commissariat dans les affaires intérieures au profit des chrétiens. Ainsi, à la requête du patriarche maronite Hayek, la candidature à la présidence du musulman Mohammed el-Jisr est-elle rejetée en 1931. • La Syrie. Après l’occupation de Damas par les troupes du général Gouraud et l’expulsion de l’émir Fayçal, le territoire de la Syrie est d’abord divisé en quatre États : Damas, Alep, territoire des Alaouites et djebel Druze. Les deux premiers sont regroupés en 1925 en une confédération syrienne dotée d’un parlement et d’un gouvernement provisoire. Les forces françaises doivent réprimer plusieurs insurrections, dont celle du djebel Druze, opérations qui demandent d’importants moyens militaires (1925-1927). Le haut-commissaire Henri Ponsot (1926-1933) accepte un projet de constitution (1930), qui n’est pas approuvé par Paris. L’Assemblée élue en 1928, et dominée par le Bloc national de Salim el-Atassi, est dissoute et la politique française s’oriente vers la répression du mouvement nationaliste. • Vers l’indépendance. En 1936, Pierre Viénot, sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères du Front populaire, négocie avec les gouvernements libanais et syrien les accords du 9 septembre qui prévoient, conformément aux recommandations de la SDN, l’accession des deux territoires à l’indépendance en 1939, mais ces dispositions ne sont pas entérinées par le Parlement français et ne sont pas encore entrées dans les faits au début de la Seconde Guerre mondiale. De plus, en juin 1939, la Syrie est amputée du sandjak d’Alexandrette, cédé à la Turquie, comme garantie de la neutralité de ce pays dans un éventuel conflit. Le début de la guerre est marqué par une certaine confusion : le général Dentz, hautcommissaire nommé par le gouvernement de Vichy, met les bases aériennes à la disposition de la Luftwaffe si bien que des hostilités vont naître entre ses forces et les troupes britanniques renforcées par des unités gaullistes. Après l’armistice de Saint-Jean-d’Acre
(14 juillet 1941), les autorités de Vichy ainsi qu’une partie de l’armée sont rapatriées en France. Le général Catroux, représentant de la France libre, restitue le territoire des Alaouites à la Syrie et, sur injonction des autorités britanniques, s’engage, en septembre 1941, à accorder l’indépendance aux deux États. Toutefois, les Français multiplient les réticences, si bien que cette promesse reste lettre morte. Dans les deux pays, les élections de 1943 donnent la majorité aux nationalistes partisans de l’indépendance, mais, au Liban, le haut-commissaire Helleu tente de faire appréhender le président Bechara el-Khoury et les membres du gouvernement. Sous la pression de Londres, l’indépendance des deux États est fixée au 1er janvier 1944, mais les forces françaises restent sur place et bombardent même Damas en mai 1945. À la suite d’un ultimatum britannique et d’une injonction des Nations unies, de Gaulle ordonne un cessez-le-feu et les troupes françaises évacuent les deux pays au printemps 1946. levée en masse, réquisition de tous les Français pour le service des armées décidée par la Convention le 23 août 1793. Au début de l’année 1793, les armées de la Révolution sont confrontées à une grave crise des effectifs. En effet, jusque-là, on s’en était downloadModeText.vue.download 532 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 521 tenu au régime du volontariat. Or, nombre des volontaires de 1791, s’estimant libérés de leurs engagements, sont rentrés chez eux. • Les mesures de février 1793. Pour pouvoir former de nouveaux bataillons, la Convention adopte le décret du 24 février, qui organise la « levée des 300 000 hommes ». Tous les hommes célibataires de 18 à 40 ans sont placés en état de réquisition, mais tous ne partent pas. En effet, chaque département doit apporter un contingent qui tienne compte du nombre de soldats déjà envoyés. Dans les endroits où les engagements volontaires sont insuffisants, les communes doivent trouver les moyens de fournir le complément nécessaire. Cependant, le remplacement est maintenu et de nombreuses exceptions sont prévues. La « levée des 300 000 hommes » rencontre de fortes résistances, notamment en raison du flou qui entoure le mode de dési-
gnation des requis. On assiste à des règlements de comptes personnels, certaines communautés « modérées » utilisant l’élection pour se défaire des éléments les plus révolutionnaires ou des prêtres constitutionnels, d’autres s’estimant injustement ponctionnées par les autorités départementales. Par ailleurs, le moment de la levée - les labours de printemps - suscite des réclamations. Des troubles éclatent dans l’Ouest et le Massif central ; ceux de Vendée dégénèrent en guerre civile. La « levée des 300 000 hommes » permet néanmoins de combler l’insuffisance des effectifs et à l’armée de résister sur les frontières. • Le décret, plus politique que militaire, d’août 1793. Devant la persistance du péril extérieur au printemps 1793, l’idée d’une levée en masse s’impose dans les milieux populaires. Il ne s’agit certes pas de provoquer un départ de toute la population vers les frontières mais de proclamer la nécessité de l’unité de tous pour gagner la guerre. Les sansculottes veulent en finir avec les passe-droits, les inégalités et les exemptions. Selon l’historienne Annie Crépin, la levée en masse évoque non seulement le nombre mais surtout « la communauté de pensée de ceux qui allaient partir » : c’est « une insurrection du peuple qui se porte en avant de l’armée dans un effort subit et momentané ». Cette exigence devient de plus en plus présente dans les revendications des sans-culottes à l’été 1793 ; elle est reprise officiellement par la Commune de Paris, le 4 août. Le Comité de salut public est, quant à lui, plutôt réticent : on craint qu’une telle mesure n’ajoute à la confusion. Par ailleurs, la levée en masse pose autant de problèmes qu’elle n’en résout. Comment acheminer les requis ? Comment les équiper ? Malgré ces questions qui restent en suspens, un décret est adopté, le 23 août. Sa formulation atteste son caractère avant tout politique : les hommes, les femmes, les enfants, les vieillards, sont placés en état de « réquisition permanente pour le service des armées », mais seuls les « jeunes gens iront au combat » (en fait, les célibataires de 18 à 25 ans). Le remplacement est aboli, et les seules exemptions concernent les ouvriers de l’armement. Des problèmes subsistent quant à l’application du décret, en particulier dans les campagnes, car le paysan pauvre dont les fils sont réquisitionnés ne peut pas, comme le riche, les remplacer par des manouvriers. Bien évidemment, les abus et les exemptions médicales frauduleuses ne manquent pas, mais les sociétés populaires et les représentants en mission
veillent. Les militants révolutionnaires ne se contentent pas de réprimer l’insoumission, les troubles ou les abus : ils « organisent » l’émulation patriotique par des fêtes civiques et par le rappel des conquêtes révolutionnaires qu’il s’agit de défendre. Si ses objectifs ne sont pas complètement atteints, la levée en masse permet tout de même d’envoyer environ 300 000 hommes aux armées. Elle suscite des résistances, surtout dans les campagnes, mais d’une ampleur bien moins grande que la levée de mars 1793. Leygues (Georges), homme politique (Villeneuve-sur-Lot, Lot-et-Garonne, 1857 - Saint-Cloud 1933). Georges Leygues, qui commence sa carrière comme avocat et journaliste, avant d’être élu député en 1885, fait partie de ce personnel ministériel qui marque la IIIe République des années 1890 aux années 1930. Républicain modéré, dirigeant de l’Union démocratique, groupe de centre droit qu’il préside au début du siècle (1904), il anime l’Alliance démocratique après la Première Guerre mondiale. De 1894 à 1902, il est ministre de l’Instruction publique dans les cabinets Charles Dupuy, de 1894 et 1898, et dans le gouvernement Waldeck-Rousseau, de 1899 à 1902. À ce titre, il est à l’origine de la loi du 31 mai 1902 réformant l’enseignement secondaire. Ministre des Colonies dans le gouvernement Sarrien (1906), il doit attendre dix ans avant de retrouver un poste, comme ministre de la Marine dans le cabinet Clemenceau (1917-1920). Il est choisi comme président du Conseil par Alexandre Millerand lorsque celui-ci est élu à la présidence de la République, en septembre 1920. Jugé trop dépendant de Millerand, il est renversé en janvier 1921, après avoir fait voter la reprise des relations diplomatiques avec le Saint-Siège. C’est comme ministre de la Marine qu’il se montre le plus actif, poste qu’il retrouve dans le cabinet Poincaré de juillet 1926, et conserve jusqu’en 1933, avec une interruption en 1931-1932. Il est l’auteur, en janvier 1920, d’un premier projet de loi sur la reconstruction de la flotte militaire ; ses efforts permettent à la marine d’être modernisée et de conserver son rang. L’Hospital (Michel de), homme politique (Aygueperse, Puy-de-Dôme, vers 1505 - Belesbat, près d’Étampes, 1573). Son père ayant suivi le connétable de Bourbon dans son exil italien, Michel de L’Hospital fait de brillantes études juridiques à l’université
de Padoue, avant d’y enseigner le droit civil. De retour en France, il jouit d’une solide réputation de juriste humaniste, qui lui vaudra une rapide ascension. Conseiller au parlement de Paris en 1537, chancelier particulier de Marguerite de Valois en 1550, il devient premier président de la Chambre des comptes en 1554. Parallèlement à son activité de magistrat, il protège les poètes de la Pléiade, qui lui dédient de nombreuses pièces en témoignage de reconnaissance. Sa carrière politique commence en mars 1560, lorsque François II, sous l’impulsion de Catherine de Médicis, le nomme chancelier de France pour mener une politique religieuse d’apaisement. Partisan de la tolérance, il tente d’endiguer la répression consécutive à la conjuration d’Amboise. Après la mort de François II, en décembre 1560, il tient aux états généraux d’Orléans un discours marqué par un double objectif de réforme administrative et d’harmonie confessionnelle. Nourri de l’optimisme humaniste, il prône, pour combattre les protestants, l’emploi de la parole et de la prière plutôt que de la force armée. Mais il se heurte rapidement aux réticences du parlement et à l’opposition de la maison de Guise. La réunion d’un concile national où seront invités les représentants des réformés n’en est pas moins décidée. La harangue inaugurale que Michel de L’Hospital prononce au colloque de Poissy, en septembre 1561, rencontre l’intransigeance conjuguée des deux adversaires, Théodore de Bèze, chef de la délégation protestante, et le cardinal de Lorraine. Il conserve néanmoins le soutien de Catherine de Médicis, qui entend conduire les deux partis à un compromis. En signant l’édit de Janvier (1562), il accorde la liberté de culte aux réformés dans certaines limites, mais exaspère la réaction des Guises, qui se livrent, deux mois plus tard, au massacre de Wassy. Abandonnant peu à peu son attitude modérée, Catherine de Médicis rend le chancelier responsable des violences qui secouent le royaume, et finit par le renvoyer en 1568. Michel de L’Hospital échappe de peu au massacre de la Saint-Barthélemy, en 1572, et meurt quelques mois plus tard. Écrivain de talent, il laisse, outre des poèmes latins, un Traité de la réformation et des Harangues. Sa politique de conciliation religieuse, qui s’est soldée par un échec total, n’a eu sans doute que le défaut d’intervenir trop tôt : la France des années 1560-1570 n’était pas mûre pour un compromis confessionnel. Liban ! Levant (mandats du) libéralisme politique, doctrine fon-
dant l’organisation de la société et de l’État sur les droits de l’individu. En France, le libéralisme a été exprimé avec solennité le 26 août 1789 lorsque la Constituante a voté la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Quasiment muette sur l’économie, celle-ci est avant tout la charte du libéralisme politique et social. • Les origines. Certes, il a existé antérieurement un « libéralisme aristocratique », hostile à l’absolutisme royal. Mais il se référait surtout aux libertés traditionnelles des ordres et des corps, à un état social ancien fondé sur le privilège et l’inégalité. Bien que son apport au libéralisme moderne ait été important (il suffit de penser à Montesquieu), il a été éclipsé par ce dernier à partir de la Révolution. Les principes de 1789 sont bien connus : liberté individuelle, liberté de conscience et d’expression (alors que les libertés collectives, de réunion et, surtout, d’association restent dans l’ombre) ; souveraineté de la nation et contrôle de l’exécutif par un Parlement qui downloadModeText.vue.download 533 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 522 la représente ; égalité des droits civils (mais l’accès aux droits politiques peut être soumis à des conditions de capacité) ; inviolabilité de la propriété (avec comme corollaire la liberté d’entreprise). Malgré cette affirmation spectaculaire, le libéralisme politique ne s’implante pas aisément en France. À quelques rares exceptions près, les mouvements et les partis qui s’en inspirent n’adoptent d’ailleurs pas, à la différence de leurs homologues britanniques ou allemands à partir du milieu du XIXe siècle, l’étiquette libérale. • Une difficile implantation. La période révolutionnaire et impériale est marquée par les échecs successifs du libéralisme, sans que soient d’ailleurs remis en cause les droits de l’homme, du moins en théorie. Victime de l’hostilité des « aristocrates », de la mauvaise volonté du roi, de la radicalisation d’une partie des « patriotes », surtout lorsque la guerre met la France en péril, la monarchie constitutionnelle s’effondre dès l’été 1792. Après la Terreur, les thermidoriens au pouvoir sous le Directoire ne parviennent pas à instituer durablement une République libérale, à laquelle s’opposent les royalistes et les jacobins. Si le Consulat et l’Empire maintiennent les
conquêtes sociales de 1789, ils se situent politiquement aux antipodes du libéralisme, dont les porte-parole, tels les Idéologues (Benjamin Constant ou Mme de Staël), sont réduits à l’impuissance. Aussi la Charte que Louis XVIII octroie en 1814 et qui garantit le contrôle parlementaire et les principales libertés est-elle accueillie favorablement. C’est cependant contre les gouvernements ultraroyalistes de la Restauration et la menace d’un retour à l’Ancien Régime que, dans les années 1820, la définition du libéralisme censitaire trouve son achèvement avec des théoriciens tels que Royer-Collard et Guizot (le terme de « libéraux » se substitue alors couramment à celui d’« indépendants » pour désigner ses partisans). Le libéralisme revendique avant tout le respect de la Charte et n’apportera à cette dernière, après la révolution de juillet 1830, que des modifications secondaires. Soucieux d’un équilibre des pouvoirs que symbolise la « double confiance » (le ministère doit avoir à la fois celle du roi et celle des Chambres), respectueux de la liberté religieuse et, dans certaines limites, de celle de la presse, les libéraux sont résolument hostiles au suffrage universel et réservent l’intégralité des droits politiques à une étroite oligarchie (surtout foncière). Toutefois, cette version conservatrice de l’orléanisme, qui inspire les gouvernements de la « Résistance » jusqu’en 1848, est contestée par d’autres libéraux de tendances diverses : Thiers et Charles de Rémusat souhaitent un système strictement parlementaire ; Alexis de Tocqueville juge inéluctable l’avènement progressif d’une démocratie que la décentralisation et la liberté d’association empêcheraient de devenir despotique, rejoignant ainsi les orléanistes du « Mouvement ». Le libéralisme français connaît une nouvelle crise en 1848, sous la IIe République, puis sous le Second Empire. Au nom de l’ordre, nombre de ses représentants, à commencer par Thiers, récusent la première tentative de « synthèse républicaine » (libertés et suffrage universel) née des journées de février 1848. Mais c’est pour s’opposer bientôt au pouvoir autoritaire de Napoléon III, qui se veut fondé sur la souveraineté populaire. • Les succès du libéralisme. À partir des années 1860, la progression du libéralisme paraît irrésistible. En janvier 1864, Thiers, élu de l’« union libérale » (qui tend à regrouper d’anciens orléanistes et des républicains), prononce son discours-manifeste sur les « libertés nécessaires » : six ans plus tard, le
régime impérial lui-même les a déjà en grande partie concédées. Après la chute du second Empire, les libéraux de diverses nuances (non désignés comme tels) dominent l’Assemblée nationale. Ralliés ou non à la République, ils sont à l’origine des lois constitutionnelles de 1875, à laquelle ils impriment leur marque et qui jettent les bases, cette fois durables, de la synthèse entre démocratie politique et libertés, ces dernières étant solidement garanties par les lois de 1881 (presse et réunions), 1884 (syndicats) et 1901 (associations). Débordés sur leur gauche par le radicalisme et le socialisme, les républicains de tendance libérale (« opportunistes », puis « progressistes » des années 1890) glissent vers le centre droit au début du XXe siècle. Certains d’entre eux (la Fédération républicaine) se situent même nettement à droite, auprès des catholiques ralliés de l’Action libérale populaire (soucieux surtout de défendre la « liberté religieuse » contre l’anticléricalisme). D’autres, telle l’Alliance démocratique, incarnée par Raymond Poincaré et Louis Barthou, continuent à participer au gouvernement aux côtés des radicaux. Entre les deux guerres, ces « modérés » jouent un rôle capital dans le Bloc national de 1919-1924, la coalition « poincariste » de 1926-1932, les majorités de « concentration » de 1934-1936 et 1938-1940 avec des hommes tels que Pierre-Étienne Flandin et Paul Reynaud. Minoritaires à la Chambre des députés, mais parfaitement intégrés au régime parlementaire, soutenus par une presse influente, dont le Temps peut être considéré comme le symbole, ils parviennent presque toujours (sauf durant les brèves périodes du Cartel des gauches et du Front populaire) à faire prévaloir l’orthodoxie financière et économique dont, à l’image de leurs prédécesseurs du XIXe siècle, ils continuent de se réclamer. • Les vicissitudes récentes. Bien que le régime de Vichy ait condamné l’héritage de 1789 - l’individualisme et le parlementarisme - et tenté de mettre en place une économie corporatiste, des libéraux comme Pierre-Étienne Flandin et surtout Pierre Laval (à vrai dire, atypique) participent alors au gouvernement, tandis que d’autres se rallient à la Résistance. En 1945, le libéralisme, identifié au conservatisme du fait de ses options économiques, sociales et constitutionnelles, est en perte de vitesse : la droite classique, qui lui est fidèle, obtient moins de 15 % des voix. Mais, après quelques années, l’évolution de la conjoncture politique et la création en 1949 d’un rassemblement relativement structuré, le Centre national des indépendants (CNI), per-
mettent aux libéraux de jouer un rôle de premier plan de 1951 à 1956 : deux présidents du Conseil, Antoine Pinay et Joseph Laniel, et le second président de la IVe République, René Coty, sont des leurs. Ils s’affirment tout naturellement comme les défenseurs de la stabilité monétaire, de la libre entreprise, de l’alliance atlantique et de la présence française outre-mer. En 1958, ils appuient le retour au pouvoir du général de Gaulle et obtiennent un beau succès électoral (22 % des voix en novembre). Mais certains d’entre eux ne tardent pas à se détacher du gaullisme, les uns par fidélité à l’Algérie française, les autres par hostilité au « pouvoir personnel » du général (ainsi lors du référendum d’octobre 1962), presque tous par refus d’une politique économique qu’ils estiment dirigiste et technocratique. Le CNI se trouve ainsi progressivement marginalisé et rejeté sur des positions très conservatrices. Toutefois, en 1962, d’autres libéraux, menés par Valéry Giscard d’Estaing, préfèrent rester dans la majorité gaulliste pour tenter d’y faire prévaloir leurs vues. Ils se regroupent en 1966 dans la Fédération des républicains indépendants, dont le soutien au pouvoir est parfois critique. Ministre des Finances de 1969 à 1974, grâce à l’appui de Georges Pompidou, « VGE » acquiert une image de présidentiable. Élu à la magistrature suprême en mai 1974, il s’efforce de mettre en oeuvre une politique de « libéralisme avancé », qu’il juge capable de rallier autour de lui le « groupe central » de la société française, axé sur les classes moyennes : abaissement à 18 ans de l’âge de la majorité, extension de la Sécurité sociale, loi sur l’interruption volontaire de grossesse, divorce par consentement mutuel. Sans que son rôle soit vraiment revalorisé, le Parlement reçoit le droit de saisine du Conseil constitutionnel. Cependant, même réorganisé dans le Parti républicain (1977) et renforcé par son alliance avec les démocrates-chrétiens et les radicaux au sein de l’UDF (1978), le libéralisme ne parvient ni à égaler le RPR, parti néogaulliste, mieux structuré et plus militant, ni à gagner l’élection présidentielle de 1981. Au cours des années 1980, on assiste, que les libéraux soient dans l’opposition ou au pouvoir, à un rapprochement entre l’UDF (présidée de 1988 à 1996 par Valéry Giscard d’Estaing) et le RPR sur la base d’un libéralisme conservateur fondé notamment sur le maintien des institutions, des préoccupations sécuritaires, une remise en cause partielle de
l’État-providence, des privatisations. Dans cette alliance, les héritiers les plus authentiques du libéralisme, présents surtout au Parti républicain, ont peine à s’imposer auprès des électeurs tout comme au Parlement. Ils souffrent de leurs divisions relatives à l’Union européenne, même si le Mouvement pour la France de Philippe de Villiers, nationaliste et traditionaliste, reste très minoritaire. En 1995, ils ne peuvent ni affronter directement l’élection présidentielle ni s’unir derrière l’un des deux candidats néogaullistes, Jacques Chirac et Édouard Balladur. Nouveau président de l’UDF, François Léotard tente de réaffirmer l’identité du « libéralisme avancé », dont il se veut l’héritier. Après la défaite électorale de la droite en juin 1997, Alain Madelin, champion déterminé du libéralisme économique, prend la tête du Parti républicain rebaptisé, signifidownloadModeText.vue.download 534 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 523 cativement, « Démocratie libérale », avant de rejoindre le RPR au sein de l’UMP en 2002. Libération, ensemble d’opérations militaires menées par les Alliés et les mouvements de résistance, qui met fin au régime de Vichy et constitue une étape décisive dans la victoire sur l’Allemagne. • Le débarquement de Normandie. Décidée lors du sommet de Téhéran en novembre 1943, préparée durant l’hiver 1944, l’opération « Overlord » est engagée le 6 juin 1944. Les Alliés ont choisi de débarquer en Normandie, où ils ne pourront certes pas s’appuyer sur de grands ports, mais où l’effet de surprise jouera à plein. En effet, les Allemands restent persuadés que le débarquement principal aura lieu dans le Pas-de-Calais et Hitler refuse d’engager sa XVe armée, stationnée au nord de la Seine. Dans le secteur d’« Utah Beach », les Américains progressent assez rapidement, de même que les Anglo-Canadiens dans le secteur de « Sword ». En revanche, les pertes sont élevées et l’avance limitée à « Omaha ». Le Cotentin est rapidement libéré, et Cherbourg tombe le 27 juin. Cependant, la détérioration des conditions météorologiques et une vigoureuse contre-attaque allemande bloquent les Alliés dans le bocage durant tout le mois de juillet. Les Américains ne parviennent à percer, à Avranches, qu’à la fin du mois. Dès lors, les
grandes plaines du centre-ouest de la France s’ouvrent aux blindés alliés. La Bretagne est libérée au début du mois d’août et les Allemands doivent s’enfermer dans des réduits portuaires que Patton laisse à la Résistance le soin de soumettre. En fait, à l’exception de Brest, libéré début septembre, les résistants devront se contenter, faute d’armes lourdes, d’assiéger, jusqu’en mai 1945, ces poches tenues par les Allemands. Après l’écrasement, à Falaise (août), d’une ultime contreattaque allemande, les troupes de Montgomery peuvent se ruer vers la Seine tandis que celles de Patton obliquent vers le nord-est et avancent vers l’Orléanais (Chartres est libérée le 17 août). L’intention d’Eisenhower n’est pas de libérer Paris (qu’il n’est pas certain de pouvoir ravitailler), mais de contourner la ville par un double mouvement au nord (Ire armée canadienne et IIe armée britannique) et au sud (Ire et IIIe armées américaines). L’objectif primordial demeure le contrôle de grands ports nécessaires à l’approvisionnement du million et demi d’hommes et à la fourniture du carburant des 300 000 véhicules débarqués à la fin du mois de juillet. • De Gaulle, la Résistance et le débarquement. De Gaulle, président du Comité français de libération nationale (CFLN), entend prendre en main les destinées de la France, une fois celle-ci libérée. Il se heurte à l’hostilité des Américains, qui refusent de reconnaître le CFLN et envisagent d’installer en France un gouvernement militaire allié pour les territoires occupés (AMGOT). Pour couper court à ces projets, de Gaulle crée, dès novembre 1943, un Comité d’action en France au sein duquel un « Bloc planning » est chargé de coordonner l’action de la Résistance en vue du débarquement. Tenu dans l’ignorance des plans alliés, le Bloc doit travailler à partir d’hypothèses. Fidèle à la politique du CFLN, il entend utiliser la Résistance pour des actions de renseignement et de sabotage avant le débarquement, et de harcèlement après le jour « J ». En mai 1944, une série de plans est ainsi adoptée : plan vert pour les chemins de fer, plan bleu pour les lignes électriques, plan violet pour celles des PTT et plan bibendum pour les routes. Entorse à ce schéma prudent, le plan Caïman prévoit, dans les massifs montagneux, la formation d’importants maquis, susceptibles de créer des « réduits » où le CFLN pourrait s’installer et prouver aux Alliés sa légitimité et sa capacité à libérer seul des parcelles de territoire. Enfin, le CFLN, qui se transforme en Gouvernement provisoire de la
République française (GPRF) le 3 juin 1944, planifie, par une imposante série d’ordonnances, les modalités de son installation en France. Au printemps 1944, la Résistance présente un tableau contrasté. Théoriquement, ses effectifs militaires ont été regroupés, en février 1944, dans les Forces françaises de l’intérieur (FFI). Mais les Francs-tireurs et partisans (FTP) communistes conservent leur autonomie et les combattants de l’Organisation de résistance de l’armée (ORA) sont mal acceptés. Surtout, la résistance demeure divisée entre partisans de « l’attentisme » (engagement des forces militaires le jour « J » et dans le cadre des plans alliés) et partisans de « l’action immédiate » (engagement avant le débarquement). À cette divergence d’ordre militaire s’ajoute une fracture politique : les communistes, champions de « l’activisme », ainsi qu’une majorité des résistants de l’intérieur défendent, contre le CFLN, le principe du commandement des FFI depuis la France. À cet effet, le Conseil national de la Résistance (CNR) crée un comité militaire (le COMAC) et un état-major FFI. À l’inverse, de Gaulle, pour des raisons qui tiennent à l’efficacité militaire et au calcul politique (éviter l’anarchie susceptible de fournir des arguments aux Américains pour imposer l’AMGOT), souhaite contrôler les forces militaires de la Résistance. En avril 1944, le général Koenig, à Londres, est nommé commandant en chef des FFI. Il s’appuie sur les délégués militaires régionaux et le délégué militaire national (Chaban-Delmas). Ces derniers, nommés par le CFLN, n’exercent pas le commandement des FFI, mais leur transmettent les ordres de Londres et, seuls détenteurs des postes radio, peuvent obtenir les parachutages d’armes et d’argent. Sur le plan civil, la Délégation générale de Parodi représente en France le CFLN. Malgré leurs réticences à l’égard de la lutte clandestine, les Alliés ordonnent, le 6 juin 1944, la mise au combat de l’ensemble des forces de la Résistance, dans l’intention manifeste de brouiller les pistes. Cet ordre général révèle la faiblesse de l’armement de la Résistance qui, en maints endroits, subit de lourdes pertes. Si Limoges est assiégée, puis libérée par les FFI, dans le Sud-Est, l’Ardèche, d’abord libérée par la Résistance, est reconquise par les Allemands après le 19 juin. En outre, les troupes allemandes, constamment attaquées, répliquent parfois avec sauvagerie ; ainsi la division Das Reich, responsable du massacre d’Oradour-sur-Glane (10 juin).
Enfin, au mont Mouchet, les troupes de la Résistance sont dispersées par les Allemands (10 juin), tandis que, dans le massif du Vercors, les maquisards, insuffisamment appuyés et armés, sont massacrés à la fin du mois de juillet. Dès le 10 juin, Koenig a d’ailleurs ordonné l’arrêt de l’insurrection générale, sauf dans le Vercors. En revanche, l’application des plans de sabotage est satisfaisante et contribue à perturber la marche des armées allemandes pendant la bataille de Normandie. Les dissensions politiques au sein de la Résistance apparaissent lors de la libération de Paris. Les communistes, qui contrôlent le Comité parisien de Libération, militent pour une insurrection rapide contre laquelle tentent de s’élever Parodi et Chaban-Delmas. Mais les événements se précipitent : des grèves éclatent dès le 10 août chez les cheminots, les postiers, les policiers. Une trêve est vite repoussée et, le 22 août, Paris se couvre de barricades. Cependant, faute d’armes lourdes, l’insurrection court le risque d’être écrasée par les troupes de von Choltitz. De Gaulle presse alors les Américains d’autoriser la 2e DB de Leclerc à intervenir. Les 24 et 25 août, Paris est libéré et, le 26, de Gaulle descend triomphalement les Champs-Élysées, signifiant ainsi sa légitimité aux yeux de tous. • Le débarquement de Provence et les combats de l’automne 1944. Le 15 août 1944, les Alliés procèdent à un second débarquement sur les plages provençales. La Ire armée française et ses 260 000 hommes fournissent la moitié des effectifs de l’opération. Le débarquement est un succès complet, facilité par la retraite de la XIXe armée allemande. Marseille est prise dès le 28 août, et les Alliés entreprennent alors la libération de tout le sud de la France. Par la route Napoléon, les Américains s’engagent vers Grenoble (libérée le 22 août), alors que le général de Lattre de Tassigny gagne la vallée du Rhône (Lyon est libéré le 3 septembre). La Résistance participe activement à ces combats. À la suite de la retraite allemande, des régions entières (Cévennes, bas Languedoc, Alpes du Sud, Pyrénées) se soulèvent et sont libérées par la Résistance qui, partout, facilite l’installation des organes du GPRF et assure les arrières des troupes alliées. Ailleurs, la Résistance joue un rôle militaire non négligeable, facilitant (comme à Montélimar) l’avancée des Alliés. Le 12 septembre 1944, à Montbard, les troupes engagées dans les deux débarquements se rejoignent. À cette date, les trois quarts du territoire sont libérés. Au nord, les
Anglais sont à Anvers et la Ire armée américaine, à Liège, après avoir libéré la Picardie, le Nord et la Champagne. À l’est, la IIIe armée de Patton fait mouvement vers la Lorraine (Nancy est libérée le 15 septembre), tandis que la Ire armée française et la VIIe armée américaine délivrent la Franche-Comté. Commence alors la difficile campagne d’Alsace. À la suite d’une audacieuse manoeuvre, la division Leclerc libère Strasbourg le 23 novembre, respectant ainsi le serment fait à Koufra au début de 1941. Mais la contre-offensive allemande des Ardennes (début décembre) incite Eisenhower à demander aux Français downloadModeText.vue.download 535 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 524 d’évacuer Strasbourg. Fermement soutenu par de Gaulle, Leclerc refuse d’obtempérer et tient la capitale alsacienne jusqu’au rétablissement de la situation. Au début de 1945, la France est entièrement libérée. • La restauration de l’État. La Libération soulève rapidement la question de la prise du pouvoir. La menace représentée par l’AMGOT est assez facilement conjurée par le GPRF. Du reste, la libération (Sud-Ouest, Centre) ou le contrôle (Bretagne) de régions entières par la Résistance rend impossible la mise en place de l’administration alliée. Alors que le régime de Vichy s’écroule, la Résistance, encadrée par les officiers de liaison du GPRF, nomme les responsables (préfets, commissaires de la République) dont les listes ont été préparées dans la clandestinité. À Bayeux (juin), puis à Paris, de Gaulle fait reconnaître par sa présence son autorité. Cependant, la légitimité du GPRF est concurrencée par celle de la Résistance. Cette dernière prétend imposer ses propres organes (comités départementaux et locaux de la Libération), et les rapports avec les préfets, surtout dans l’ex-zone sud (ainsi à Toulouse), sont parfois tendus. Tout au long de l’automne, par des voyages répétés en province, de Gaulle s’emploie à asseoir l’autorité de l’État et à marginaliser les organes de la Résistance. La question des forces militaires est encore plus délicate. De Gaulle dissout les organes de commandement des FFI et ordonne leur incorporation à l’armée régulière de de Lattre de Tassigny. Quant aux « milices patriotiques » que le PCF a créées au printemps 1944, le Général n’obtient leur désarmement
qu’en échange d’un accord global avec le parti (amnistie de Thorez, qui avait été condamné par contumace pour désertion en 1939, et confirmation de la participation du PCF au gouvernement). Enfin, à l’insurrection succède l’épuration, qui, parfois, ne frappe pas que les miliciens et tourne aux règlements de comptes. On estime à 10 000 le nombre des victimes de l’épuration sauvage de l’été 1944. Ici encore, par l’instauration d’une Haute Cour de justice pour les crimes les plus graves et de cours de justice au plan local (140 000 dossiers étudiés), le GPRF s’emploie à restaurer l’autorité de l’État. Libération-Nord, un des plus grands mouvements de résistance de la zone nord, créé par Christian Pineau en novembre 1941, et en activité jusqu’à la libération de Paris en août 1944. Le mouvement se constitue autour de l’équipe qui a signé, le 15 novembre 1940, le « Manifeste des Douze », formée de syndicalistes réunis en un « Comité d’études économiques et syndicales ». Parmi les signataires de ce manifeste figurent neuf confédérés (Capocci, Chevalme, Gazier, Jaccoud, Lacoste, Neumeyer, Pineau, Saillant et Vandeputte) et trois syndicalistes chrétiens (Bouladoux, Tessier et Zirnheld). Les travaux de ce comité sont régulièrement publiés dans un bulletin dont l’activité légale sert de couverture au journal clandestin Libération-Nord, qui paraît le 1er décembre 1940. Les premiers numéros du journal sont rédigés et fabriqués par Christian Pineau, qui utilise comme principale source d’information les renseignements fournis par la BBC. Le mouvement Libération-Nord, dont la naissance officielle est annoncée dans le numéro du journal daté du 30 novembre 1941, entend être l’expression dans la Résistance de l’union des tendances non communistes de la CGT, de la CFTC et de la SFIO, clandestines. Les structures horizontales et verticales de l’organisation syndicale permettent un recrutement de militants à la fois rapide et important. Depuis le retour de Christian Pineau de son premier voyage à Londres, Libération-Nord est, dès le printemps 1942, sous influence socialiste, avec Henri Ribière à sa tête, la direction du journal étant confiée à Jean Texcier. Au début de l’année 1943, le mouvement commence à organiser des groupes armés, sous l’impulsion de Jean Cavaillès et sous la direction du colonel Zarapoff. Représenté au Conseil national de la Résistance (CNR), il refuse pourtant d’adhérer aux Mouvements unis de Résistance (MUR), en décembre 1943.
Libération-Sud, mouvement de résistance (1940-1944) créé à Clermont-Ferrand. D’abord formé par l’équipe qui publie clandestinement la Dernière Colonne (décembre 1940-mars 1941), autour d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie, de Lucie et Raymond Aubrac, auxquels se joignent des personnalités telles que Pascal Copeau, Pierre Hervé, Maurice Kriegel, Alfred Malleret ou Serge Ravanel, Libération-Sud devient l’un des plus puissants mouvements de résistance de la zone sud. Le journal Libération, édition de zone sud est à l’origine du mouvement. Le premier numéro, daté de juillet 1941, est tiré à 10 000 exemplaires. Jules Meurillon, chargé du service de propagande-diffusion à partir de l’automne 1942, lui donne son essor (200 000 exemplaires en août 1944). En juin 1942, Libération-Sud se présente sous la forme d’« un mouvement de gauche à forte dominante ouvrière, socialiste, maçonnique et chrétienne. Il emprunte aux différentes organisations qui expriment ces courants les plus valeureux de leurs cadres et utilise leurs structures » (Laurent Douzou, la Désobéissance). En janvier 1943, Combat, Franc-Tireur et Libération-Sud annoncent leur fusion, et forment les Mouvements unis de Résistance (MUR) : seule la propagande reste du ressort de chacun des mouvements. Au début de l’année 1944, les MUR constituent avec trois mouvements de la zone nord (Défense de la France, Lorraine, Résistance) le Mouvement de libération nationale (MLN). Depuis l’été 1943 se propage la rumeur - nuancée par l’historiographie récente - que le centre de Libération-Sud est noyauté par des militants communistes. libertins. Dérivé du sens juridique romain (« affranchis »), le mot sert à dénoncer, à partir du XVIe siècle, ceux qui s’affranchissent des dogmes, donc de l’orthodoxie morale. • Un groupe composite. C’est en balançant de l’indépendance intellectuelle à la débauche, et de l’irréligion à la violation concertée des règles morales, notamment en matière amoureuse, que le type du libertin, à cheval sur la scène philosophique et littéraire, s’impose comme une figure énigmatique et fascinante de l’histoire culturelle aux XVIIe et XVIIIe siècles. Fascinante si l’on songe au Dom Juan de Molière, aux héros de Crébillon fils, de Laclos, de Sade. Mais aussi énigmatique si l’on s’interroge sur la pertinence historique de réunir sous une même appellation, ambiguë et polémique, Théophile de Viau (15901626), Cyrano de Bergerac (1619-1655),
Charles Saint-Évremond (1610-1703), Fontenelle (1657-1757), Mme de Merteuil et Valmont (personnages des Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos, 1782), Casanova (1725-1798) et Sade (1740-1814), etc. Ne risque-t-on pas de fabriquer un brillant artefact, ou plutôt de cautionner, à grand renfort d’érudition, les amalgames des orthodoxies religieuses d’Ancien Régime convaincues que de la libre-pensée naissent fatalement la corruption des moeurs et la dissolution des liens sociaux ? L’improbable cohérence du libertinage serait alors moins du côté des libertins (penseurs aussi érudits que divers, nobles dissolus, poètes épicuriens, philosophes de la raison d’État, roués de romans acharnés à humilier les femmes) que du côté du discours clérical, toujours pressé de mobiliser l’appareil répressif contre les impies. • Du XVIIe siècle aux Lumières : le libertinage dans tous ses états. Il convient donc de suivre l’évolution qui, sur deux siècles, va conduire cette construction polémique, ce phantasme clérical, des tavernes et des cabinets studieux du XVIIe siècle jusqu’aux alcôves perverses de Crébillon et de Laclos, et aux boudoirs et châteaux forts sadiens. On repère vers 1620 les premières manifestations collectives d’une pensée libertine, alliant blasphèmes et licence, dans un groupe de jeunes nobles animé par le poète Théophile de Viau, aussitôt dénoncés par le père Garasse dans sa Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps (1623), et par le père Mersenne dans son Impiété des déistes et libertins de ce temps (1624). Après l’arrestation de Viau en 1623 et les progrès de la répression, le libertinage nobiliaire se réfugie dans l’entourage du frère de Louis XIII, Gaston d’Orléans, de Condé, de Vendôme (Société du Temple, où Voltaire fit ses premières armes en compagnie de l’abbé de Chaulieu). Mais l’indépendance d’esprit n’est pas l’apanage de la grande aristocratie, seule à même de pratiquer la liberté des moeurs. On a appelé « libertinage érudit » la critique des orthodoxies morales, philosophiques, dogmatiques, par des hommes de savoir tels que La Mothe Le Vayer (1588-1672), Gabriel Naudé (1600-1653), Cyrano de Bergerac. Ces derniers sont tentés par le déisme, plus rarement par l’athéisme, ou par la critique des superstitions populaires (miracles, rites, preuves historiques des religions), qui sont interprétées comme des contraintes (des impostures) purement politiques nécessaires à l’ordre social. Ils remettent en cause la Révélation, l’immortalité de l’âme, la Création, au profit d’un destin réglant l’ordre naturel,
d’une raison critique déniaisée, d’une morale plus inspirée des Anciens que du christianisme. Il revient au Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle (1647-1706) de rassembler cette riche tradition, dont on devine la diffusion sans pouvoir la mesurer, faute downloadModeText.vue.download 536 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 525 d’accès à l’intimité des consciences, soigneusement masquées (qu’en est-il exactement de Molière, de La Fontaine ?). On pourrait légitimement, avec leurs adversaires cléricaux, considérer les philosophes des Lumières comme les héritiers du libertinage critique. Mais l’habitude (inconnue de l’Encyclopédie) a été prise de restreindre l’emploi des termes « libertin » et « libertinage » aux pratiques et théories des héros de Crébillon, de Laclos et de leurs nombreux épigones. Le libertinage ainsi conçu - comme la séduction savante, épurée de tout émoi sentimental, de toute tendresse et délicatesse, d’un(e) partenaire qu’on cherche à dominer et à humilier sur la scène mondaine - est donc une invention romanesque : celle de Crébillon fils (les Égarements du coeur et de l’esprit, 1736), portée à son point de perfection par Laclos. On en chercherait en vain la trace chez les grands séducteurs du siècle - le maréchal de Saxe, le duc de Richelieu ou Casanova. Le paradoxe du libertinage des Lumières peut donc s’énoncer ainsi : il s’agit d’un mythe littéraire devenu le mythe d’un siècle. libre-échange (traité de) [1786], accord de commerce franco-anglais, signé le 26 septembre 1786 par les négociateurs William Eden et Gérard de Rayneval, qui lève les barrières douanières entre les deux pays. Il s’agit pour la France, épuisée par la guerre d’Amérique, de consolider la paix conclue à Versailles en 1783, mais aussi de stimuler la production nationale en l’exposant à la concurrence de l’industrie britannique, plus performante. Le traité porte la marque des physiocrates, en particulier de Dupont de Nemours, qui voient dans cette libération des échanges la condition du progrès économique. L’accord satisfait les exportateurs de vin et de produits de luxe, mais les secteurs des biens manufacturés courants sont durement frappés par l’arrivée massive des textiles, de la
quincaillerie et des poteries britanniques. Certaines régions déjà fragilisées, telles la Normandie et la Picardie, traversent une période de crise ; l’industrie cotonnière naissante est malmenée. Le choc, que l’on voulait salutaire, s’avère trop brutal. C’est que le traité est entré en vigueur sans son corrélat nécessaire : l’unification du marché intérieur français, qui aurait renforcé l’économie nationale face à la concurrence anglaise. Mais le contrôleur général des Finances Calonne n’a pas réussi à supprimer les douanes intérieures. À court terme, l’Angleterre est largement bénéficiaire : ses exportations en France sont multipliées par trois (en ne tenant pas compte de la contrebande antérieure), alors que les exportations françaises n’augmentent que de 50 %. La Révolution perturbe ensuite les échanges, et le traité est dénoncé en janvier 1793. Le protectionnisme est alors rétabli, jusqu’au traité de 1860. libre-échange (traité de) [1860], accord franco-britannique, signé le 23 janvier 1860, qui libéralise les échanges entre les deux pays. La France accepte de lever la prohibition sur les produits métallurgiques et textiles anglais, se contentant de les taxer à 25 % de leur valeur, tandis que les droits sur les autres produits sont réduits. En contrepartie, le Royaume-Uni accepte l’entrée en franchise de la plupart des productions françaises et abaisse la taxe d’exportation sur la houille. Il s’agit donc d’un allègement des droits plutôt que d’un libre-échange absolu. Préparé en secret, et qualifié de véritable « coup d’État douanier », ce traité est l’oeuvre personnelle de Napoléon III, influencé par les saint-simoniens et les économistes libéraux, tel Michel Cheva-lier. Mis à part une frange étroite d’industriels exportateurs et de négociants des grands ports, la plupart des milieux économiques sont alors résolument protectionnistes. Regroupés dans la très puissante « Association pour la défense du travail national », ils redoutent qu’une concurrence trop forte et prématurée ne brise l’essor d’industries encore fragiles. En fait, passé le premier choc de la brusque ouverture (et pour autant qu’on puisse isoler ses effets de la conjoncture économique), le traité semble avoir une incidence assez faible, ne répondant ni aux espoirs des uns ni aux craintes des autres. Les échanges augmentent, mais il n’y a ni invasion du marché intérieur par les produits anglais, ni conquête spectaculaire de marchés
extérieurs. Le choc est plus symbolique que réel. Il donne néanmoins le signal, à travers l’Europe, d’une vague de traités bilatéraux libéralisant les échanges. libre-pensée. Au même titre que la philosophie des libertins de l’âge classique dont elle est l’héritière, la libre-pensée se définit par son refus de toute vérité posée a priori, donc de tout dogmatisme religieux. L’expression « libre-penseur » apparaît en anglais, puis en français au XVIIe siècle, mais ce n’est qu’au XIXe siècle que la libre-pensée se revendique comme un mouvement et une force sociale. Elle récrit alors de façon téléologique toute l’histoire de la pensée, présentée comme un combat entre une attitude critique et la soumission à la fable ou au dogme. Elle valorise les écarts tels que les hérésies religieuses ou la kabbale. Elle rappelle le martyrologe des esprits persécutés (Giordano Bruno, Étienne Dolet, Galilée). Elle se reconnaît essentiellement dans l’humanisme de la Renaissance, dans le rationalisme cartésien, dans la philosophie des Lumières, autant de mouvements qui affirment leur confiance dans l’homme, libéré de toute fatalité, et lui ouvrent des perspectives de progrès. Elle salue dans la Révolution une première séparation de l’Église et de l’État, et dans les progrès de la science les étapes d’une émancipation. Elle inspire les recherches sur l’origine du phénomène religieux considéré comme purement humain. Le libertinage érudit avait gardé la trace de ces explications antiques selon lesquelles les dieux seraient des héros idéalisés ou bien des allégories des phénomènes naturels, et avait présenté les prophètes comme des imposteurs (Traité des trois imposteurs) ; au XIXe siècle, David Friedrich Strauss et Ernest Renan voient en Jésus un être humain, historiquement situé, et Darwin montre la continuité de l’animal à l’homme. Proudhon lance une formule dont la valeur est polémique : « Dieu, c’est le mal. » Marx, Nietzsche et Freud, en remettant en cause l’idée de l’homme telle que le définissait l’optimisme des Lumières, transforment les fondements théoriques de la libre-pensée. Mais c’est aussi le moment où les organisations par lesquelles elle s’exprime, la franc-maçonnerie ou la Ligue de l’enseignement, se constituent en groupes de pression. Depuis l’abolition du Concordat en 1905, qui consacre définitivement un État laïque, la libre-pensée fonctionne en France comme gardienne vigilante du principe de laïcité et se manifeste à chaque fois que risque d’être remise en
cause l’école publique laïque et obligatoire ou favorisé un enseignement religieux ou privé, ainsi que dans les grands débats moraux : droit à l’avortement et à la mort assistée, reconnaissance de l’union libre, égalité entre les sexes, refus de toute discrimination raciale, religieuse ou sexuelle, lutte contre les sectes et les endoctrinements. Il s’agit toujours de défendre l’idéal d’un être humain libre dans ses actes, indépendamment de toute norme préétablie ou transcendante. La célébration en 1989 du bicentenaire de la Révolution et, inversement, la commémoration en 1996 de la conversion de Clovis au christianisme ont montré la permanence du clivage entre les deux France, tout comme celle de la libre-pensée, dans ses deux versions, anarchiste ou étatiste. lignage. Appartiennent à un même lignage tous les individus descendant, en ligne paternelle, d’un même ancêtre. L’apparition, au XIe siècle, d’une organisation familiale de type lignager est la traduction de la diffusion de nouvelles normes de comportement social de la part de l’aristocratie. La conscience d’appartenir à un lignage s’ancre dans une histoire dont la connaissance repose sur la récitation de la généalogie de la famille. La mémoire généalogique permet en effet de remonter jusqu’au temps des origines et à l’ancêtre commun dont les actions glorieuses ont fondé la fortune du groupe. Elle permet aussi de connaître la parentèle et les alliances. L’identité lignagère est fondée sur les lieux auxquels se rattache cette mémoire, notamment les châteaux acquis ou construits par les ancêtres les plus lointains, et dont la famille finit, au XIIe siècle, par prendre le nom. Le souci primordial, pour un lignage, est d’éviter l’amenuisement du patrimoine. L’organisation lignagère apparaît ainsi d’abord comme un moyen de lutter contre l’appauvrissement provoqué aux siècles précédents par les divisions successorales et par les générosités intempestives envers l’Église. À partir du XIe siècle, le patrimoine se transmet du père à un - et un seul - de ses fils, le premierné, au détriment de ses frères cadets et de ses soeurs. Le groupe familial exerce toutefois un contrôle sur sa gestion : il doit donner son accord pour toute aliénation de terre. Le patrimoine n’est pas la propriété d’un individu, qui n’en est que le détenteur transitoire, mais celle du lignage dont il faut assurer la continuité et la reproduction. Au moment de leur mariage, les filles re-
çoivent, quant à elles, une dot qui les exclut de l’héritage. Les frères cadets, qui demeurent sans avoir, sont voués au célibat, à moins qu’ils ne parviennent à obtenir en mariage une de ces downloadModeText.vue.download 537 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 526 filles richement dotées pour la conquête desquelles la compétition entre juvenes est si rude. Si ce n’est pas le cas, ils vivent en perpétuels mineurs dans la maison de leur frère et sous son autorité. Les cadets font fréquemment le choix - plus ou moins forcé - de l’Église. Évêchés et abbatiats constituent des enclaves de pouvoir très convoitées, dont la maîtrise assure le prestige du lignage tout entier. De même les attirent les chapitres cathédraux, qui assurent de confortables prébendes. Les monastères accueillent également des membres de l’aristocratie : à chaque génération, la famille se fait un devoir de dédier l’un de ses enfants à un saint afin que, toute sa vie durant, il prie pour les siens et leur prospérité. Ligue, organisation politico-religieuse constituée, en 1584, pour défendre la religion catholique et lutter contre l’arrivée au pouvoir du protestant Henri de Navarre. La mort du duc d’Anjou, frère d’Henri III, soulève la question de la succession, parce qu’elle fait du prince calviniste et relaps Henri de Navarre, chef du parti protestant, l’héritier présomptif de la couronne, puisque le roi n’a pas eu de fils. • Une union nobiliaire. C’est en se fondant sur une loi coutumière de catholicité de la succession royale que les ducs de Guise, de Mayenne, de Nevers, et quelques grands seigneurs se réunissent à Nancy en septembre 1584, et forment une « sainte union des catholiques », en vue de la défense et de la conservation de la religion apostolique et romaine. À la fin du mois de décembre, un traité est signé à Joinville avec le roi d’Espagne : le cardinal de Bourbon est reconnu comme l’héritier de la couronne, en vertu d’un droit d’aînesse en ligne collatérale, et les signataires s’engagent à combattre l’hérésie ainsi qu’à « recevoir » le concile de Trente comme loi du royaume. La Ligue est donc d’abord une organisation nobiliaire visant à exercer une pression sur la royauté. Elle est inspirée par un idéal commun de croisade, associé à une conception participative ou re-
présentative de la monarchie. Par le manifeste de Péronne (mars 1585), elle définit son programme : elle appelle les Français à prendre conscience du danger en se mobilisant contre les hérétiques mais également contre la fiscalité tyrannique du pouvoir, et les gentilshommes à se dresser contre les favoris Épernon et Joyeuse. Enfin, elle exige que les états généraux soient réunis périodiquement. • Retour à Dieu et mobilisation. Mais cette alliance nobiliaire se double d’une union citadine quand, en janvier 1585, est créée la Ligue parisienne. Par le serment et le secret exigés de ses membres, celle-ci ressemble à une confrérie, mais elle peut être apparentée à un « parti » de Dieu par son mode d’organisation. En effet, appliquant le principe de la cooptation, établissant un réseau de correspondants dans les autres villes du royaume, elle est dirigée par un conseil restreint, qui se charge du recrutement et du « quadrillage ». En 1588, entre 8 000 et 25 000 hommes auraient ainsi été encadrés ; l’année suivante sont créés une assemblée délibérative et exécutive - le Conseil des Quarante -, des conseils de quartier, ainsi que le Conseil des Seize, rassemblant les chefs des conseils de quartier. La mobilisation repose sur un discours polémique diffusé par des libelles, pièces versifiées, placards..., dont le but est de discréditer l’entourage royal, d’abord, puis le roi, et, enfin, Henri de Navarre, et qui possède souvent une tonalité radicale : primauté du peuple sur le roi ; réunion permanente des états généraux, conçus comme l’expression de la souveraineté ; légitimité de la résistance au tyran et légitimation du tyrannicide ; intensité de la foi, considérée comme l’un des critères de la vertu de noblesse... Plusieurs interprétations sont données à cet exclusivisme qui refuse toute cohabitation avec le calvinisme : frustration des bourgeoisies marchandes et basochiennes face à la fermeture des offices ; tentative bourgeoise de restructuration d’un ordre politico-social ancien face à un État dont le corps des officiers tend à se dissocier de plus en plus des autres élites urbaines ; diffusion d’une « angoisse eschatologique » et retour au religieux incitant au sacrifice dans l’imminence du règne du Christ... • Un conflit ouvert. Dès 1585, la Ligue nobiliaire impose au roi le traité de Nemours (7 juillet). Elle est relayée, à partir de 1587, par la Ligue parisienne. La crise éclate à l’occasion
de la journée des Barricades, le 12 mai 1588 (échec du roi et prise de contrôle par les ligueurs de l’organisation municipale et de la milice bourgeoise), puis de l’assassinat des frères Guise à Blois (23-24 décembre 1588). Paris, Rouen, Lyon, Marseille..., deviennent alors les théâtres d’une véritable croisade contre le roi antéchrist : la Sorbonne délie le peuple de son obligation de fidélité ; le parlement est épuré ; un système de délation et de contrôle est mis en place ; un conseil général de l’union fait du duc de Mayenne le lieutenant général du royaume. C’est dans ce contexte de crise mystique qu’Henri III est assassiné, le 1er août 1589, par le moine ligueur Jacques Clément. L’échec de la rébellion s’étale sur plusieurs années, et plusieurs facteurs l’expliquent : la supériorité militaire royaliste, l’abjuration d’Henri de Navarre (1593), une propagande exaltant à la fois le « providentialisme » royal et le sentiment national face à une Ligue alliée à l’Espagne, les déchirements entre les Seize, entre ces derniers et le duc de Mayenne, entre ligueurs pro- et anti-espagnols... L’entrée d’Henri IV dans Paris, le 22 mars 1593, et l’absolution pontificale, le 17 septembre 1595, contribuent à l’affaiblissement de cette sainte union des catholiques. Ligue de la patrie française, organisation nationaliste fondée en 1899. Dans les derniers jours de décembre 1898, un groupe d’hommes de lettres et de professeurs emmené par l’écrivain bonapartiste François Coppée et le critique Jules Lemaître prend l’initiative de créer la Ligue de la patrie française. L’idée en revient à trois agitateurs nationalistes : Gabriel Syveton, Henri Vaugeois et Louis Dausset. L’entreprise rencontre immédiatement un immense succès. Membres de l’Académie française et de plusieurs sections de l’Institut, professeurs du Collège de France et de l’Université, magistrats, médecins, artistes et écrivains, parmi lesquels beaucoup de grands noms de l’« antidreyfusisme », y adhèrent par centaines, sur la base d’un manifeste ambigu marqué par les déchirements nés de l’affaire Dreyfus, déchirements qu’il prétend cependant dépasser. Officiellement constituée le 19 janvier 1899, la Ligue devient très vite une organisation nationaliste et antidreyfusarde, mais conserve des attaches républicaines. Elle se distingue de la Ligue des patriotes en refusant toute violence et en évitant les écarts de langage. Lemaître, qui en devient le président,
tient à cette ligne moins démonstrative et plus convenable aux yeux d’une clientèle plus bourgeoise que celle de la Ligue des patriotes et d’autres ligues populaires avec lesquelles, d’ailleurs, les relations s’enveniment. En février 1899, la Ligue de la patrie française revendique 40 000 adhérents, mais son organisation reste faible, en dépit d’une représentation dans toutes les régions de France et d’une puissance financière enviable. Ayant opté pour la voie électorale, elle prépare activement les législatives de 1902, mais y obtient de médiocres résultats, sauf à Paris. Après 1903, elle entre en sommeil. Ligue des droits de l’homme ! droits de l’homme (Ligue des) Ligue des patriotes, organisation nationaliste fondée par Paul Déroulède le 18 mai 1882. Présidée par l’historien Henri Martin, disciple de Michelet, et patronnée par Victor Hugo, la Ligue des patriotes s’inscrit d’abord dans la meilleure orthodoxie républicaine. Sa vocation affichée est d’inculquer à la jeunesse des écoles l’esprit civique et l’amour de la patrie. À partir de 1886, le ton se durcit. Un nationalisme plus agressif s’affirme notamment dans l’organe hebdomadaire de la ligue : le Drapeau. Déroulède y défend la nécessité d’un régime fort et d’un homme providentiel. Implantée - certes inégalement - sur l’ensemble du territoire national, la Ligue des patriotes joue un rôle non négligeable durant la crise boulangiste. À Paris, elle compte entre 25 000 et 30 000 adhé rents, ce qui lui permet d’être présente dans la rue. L’échec du général Boulanger entraîne sa dissolution, le 16 mars 1889. L’affaire Dreyfus est l’occasion d’annoncer la refondation officielle de la ligue lors de deux grandes réunions, en septembre et en décembre 1898 : elle est alors l’organisation nationaliste de masse la plus structurée et comprend dans ses rangs de grands acteurs de l’anti-dreyfusisme, comme Édouard Drumont, Henri Rochefort ou Maurice Barrès. Elle compte alors, selon les estimations, entre 30 000 et 60 000 adhérents répartis dans toute la France, mais, en dehors de la capitale, elle n’est guère implantée qu’à Marseille. Le 23 février 1899, une maladroite tentative de coup d’État fomenté par la ligue lors des obsèques du président de la République Félix Faure échoue. L’arrestation de Déroulède puis la fin de l’affaire Dreyfus atténuent
très sensiblement l’activité de la Ligue des padownloadModeText.vue.download 538 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 527 triotes, qui décline surtout après les élections législatives de 1902 et finit par être absorbée par la droite classique. Ligue du bien public, coalition constituée contre Louis XI en 1465, et regroupant surtout les grands du royaume mécontents de la politique menée par le roi au début de son règne. Les premières mesures prises par Louis XI à son avènement (1461) en matière administrative et fiscale suscitent de nombreuses protestations. En effet, les grands princes, qui acceptent mal le renforcement des prérogatives royales, défendent alors un programme de réformes pour le « bien public » du royaume (allègement des impôts, suppression de l’armée permanente, retour aux états généraux) qui vise surtout au maintien de leurs privilèges. À la tête des coalisés se trouve Charles de France, duc de Berry, frère de Louis XI et héritier présomptif de la couronne. Mais les principales initiatives de la Ligue sont le fait des ducs d’Alençon, de Bourbon (Jean II), de Bretagne (François II), du comte de SaintPol et de Charles le Téméraire, alors comte de Charolais. Parmi les insurgés figurent aussi quelques prélats, tel Thomas Basin, et quelques anciens officiers de Charles VII renvoyés par Louis XI en 1461. Toutefois, la petite et la moyenne noblesse ainsi que les bourgeois des « bonnes villes » refusent, dans leur ensemble, de s’engager dans le mouvement. Les hostilités débutent en avril 1465. Louis XI attaque alors le duc de Bourbon sur ses terres. Mais, apprenant que le duc de Bretagne et le comte de Charolais dirigent leurs troupes vers Paris, il doit bientôt regagner la capitale. Le 16 juillet, à Montlhéry, les armées royales affrontent celles de Charles le Téméraire. L’issue de la bataille est indécise, le roi parvenant néanmoins à éviter le pire grâce aux Parisiens, qui refusent l’entrée de leur ville à l’armée de la Ligue. En septembre, Louis XI se résigne à traiter. Il négocie séparément avec chacun des insurgés et, par les accords de Conflans et de Saint-Maur-des-Fossés (octobre 1465), brise la coalition. Il accepte d’importantes conces-
sions, les jugeant sans doute temporaires : à son frère, il donne en apanage la Normandie, qu’il reprendra l’année suivante ; à Charles le Téméraire, il rend les villes de la Somme et offre la main de sa fille aînée, Anne, qui épousera plus tard Pierre de Beaujeu ; le duc de Bourbon, quant à lui, reçoit la lieutenance générale des provinces du centre du royaume, alors que le comte de Saint-Pol est nommé grand connétable ; enfin, Louis XI rétablit dans leurs fonctions nombre des officiers qu’il avait évincés en 1461. Officiellement, la guerre est terminée. Elle reprendra, en 1470, contre la Bourgogne, après l’entrevue de Péronne. ligues. Sous la IIIe République, le mot, ainsi employé au pluriel, se réfère à des mouvements de masse, ou aspirant à le devenir, qui, sans exclure le recours à l’agitation violente, se donnent pour buts avoués de déstabiliser le régime républicain et de le remplacer par un pouvoir autoritaire d’inspiration nationaliste. • Les premières ligues. Elles sont présentes dès les débuts de l’histoire de la IIIe République, dans les années 1880. Leur réapparition périodique, jusqu’à la fin des années 1930, correspond à des phases de troubles, d’ordre économique ou politique. L’organisation qui apparaît comme le prototype des ligues, la Ligue des patriotes, se présente au départ, en 1882, comme une formation purement patriotique animée du désir de préparer la revanche. Au milieu des années 1880, sous la présidence du poète Paul Déroulède, elle adopte progressivement une thématique autoritaire et antiparlementaire qui n’est pas dénuée de démagogie sociale : le Parlement étant une émanation d’une oligarchie de privilégiés, minée par la corruption et l’impuissance, il faut lui substituer un pouvoir fort, celui d’un chef élu au suffrage universel. C’est le thème « plébiscitaire », d’inspiration bonapartiste. Dissoute en 1889, elle entre provisoirement en sommeil. Liée à l’affaire Dreyfus, l’agitation ligueuse reprend dans les années 1898-1902. La Ligue des patriotes, la mieux organisée, représente le ciment du « parti national ». Mais l’échec de Déroulède, condamné en 1900, en raison de son activité factieuse, à dix ans de bannissement, entraîne son déclin irrémédiable. La Ligue antisémite, qui recrute en milieu populaire et attaque avec virulence les juifs, censés détenir les clés du pouvoir économique et politique du pays, ne survit guère à la perte d’influence de son chef, Édouard Drumont, au début du XXe siècle. La Ligue de la patrie française, fondée en 1899 par de respectables écrivains, et dont le recrutement est plus bourgeois, échoue aux élec-
tions de 1902. En fait, les ligues se sont révélées essentiellement aptes à rassembler des mécontents, mais se sont montrées incapables de mettre en place un projet politique précis. Elles s’éclipsent pendant la Grande Guerre, durant laquelle est formée l’« union sacrée », qui, tout en réalisant l’un de leurs objectifs, leur interdit de poursuivre leur agitation, puis lors de la législature du Bloc national, et se réveillent au cours des années 1920. • Les ligues de l’entre-deux-guerres. La victoire d’une coalition de gauche aux élections de 1924 a pour conséquence l’apparition de nouvelles ligues, qui condamnent la complaisance supposée des radicaux à l’égard des communistes et leur inefficacité face à la chute de la monnaie. Issues de la vieille Ligue des patriotes, les Jeunesses patriotes, fondées par l’industriel Pierre Taittinger, présentent un aspect paramilitaire, par leur goût des uniformes et des parades, qui permet à certains observateurs d’évoquer le fascisme. Toutefois, Taittinger ne vise pas à établir une dictature mais poursuit le vieil objectif plébiscitaire : l’établissement d’un régime à prédominance présidentielle. Intégré par ailleurs au régime parlementaire, il se rallie sans difficulté à la formule d’Union nationale réalisée par Poincaré en 1926 et, à partir de cette date, met une sourdine aux actions de rue de ses troupes. La seule formation dont la doctrine présente quelque analogie avec le fascisme, le Faisceau, de Georges Valois, partisan de la création d’un système corporatiste permettant de surmonter les conflits qui déchirent la société libérale, ne rencontre qu’un succès éphémère, de 1924 à 1926. La dernière agitation ligueuse, à partir de 1932, s’insère dans le climat de crise des années 1930. La ligue des Croix-de-Feu du colonel de La Rocque, Solidarité française de l’industriel François Coty, le Parti franciste de Marcel Bucard, concurrencent les Jeunesses patriotes. Si les apparences - structure autoritaire centrée sur la personne du chef ; discipline militaire ; goût marqué pour les manifestations de masse - évoquent le fascisme, ces groupes poursuivent des objectifs sensiblement différents. Les Croix-de-Feu sont, incontestablement, favorables à un régime autoritaire, mais elles se réfèrent beaucoup plus à une organisation sociale d’inspiration traditionaliste, dans l’esprit du conservatisme chrétien, qu’à une société totalitaire de type fasciste ou nazi. Le « francisme », qui fait moins d’adeptes, semble au contraire vouloir imiter le modèle mussolinien, alors que Solidarité française développe une thématique antisémite et vaguement « anticapitaliste », caractéristique des fas-
cismes naissants. Dissoutes en juin 1936 par le gouvernement de Léon Blum, les ligues disparaissent du paysage politique : leurs cadres et leurs adhérents se regroupent en partis de masse qui acceptent désormais le jeu électoral. Ces partis disparaissent quelques années plus tard, en même temps que la IIIe République. Limousin, région du nord-ouest du Massif central, qui doit son nom au peuple celte des Lemovices. La romanisation unifie la contrée autour de la cité d’Augustoritum, future Limoges, et favorise une christianisation précoce. Un évêché est ainsi créé à Limoges dès le Ve siècle. La région connaît un nouvel essor à l’époque carolingienne, grâce à la création du comté de Limoges et à la fondation, au début du IXe siècle, par Louis le Pieux, de l’abbaye de Saint-Martial. Devenue bénédictine en 848 et membre de la congrégation clunisienne en 1062, cette abbaye est l’un des principaux centres intellectuels et artistiques des XIe et XIIe siècles, notamment en raison de son scriptorium et de son atelier d’émail champlevé. Au Xe siècle, le comté passe sous la domination des ducs d’Aquitaine, qui, à partir du milieu du XIIe siècle, sont aussi rois d’Angleterre. Du XIIe au XIVe siècle, le Limousin occupe ainsi une position frontalière entre les domaines du roi de France et ceux du roi d’Angleterre. Reconquis par Charles V en 1373, il est définitivement intégré au domaine royal. La région très rurale demeure à l’écart des grands courants d’échanges. Aux XIXe et XXe siècles, l’industrialisation se limite à la fabrication de la porcelaine, et le Limousin devient une terre de forte émigration vers la vallée de la Loire et, surtout, Paris et l’Île-de-France. Très tôt déchristianisée, la région se caractérise, durant l’époque contemporaine, par des engagements politiques de plus en plus radicaux : elle est républicaine de la Restauration au Second Empire, socialiste sous la IIIe République, et communiste à la suite de l’organisation par Georges Guingouin de l’un des plus grands maquis de la Résistance, capable de libérer Limoges et son département sans l’aide des Alliés en août 1944. downloadModeText.vue.download 539 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 528 Lindet (Jean-Baptiste Robert), homme politique, figure de la persévérance révolutionnaire (Bernay, Eure, 1746 - Paris 1825).
Avocat compétent en matière de fiscalité, il participe à la rédaction des cahiers de doléances du Tiers et devient membre de la municipalité de Bernay. En 1791, il est élu législateur par le département de l’Eure, et réélu député, l’année suivante, à la Convention. Il s’acquitte alors de tâches aussi fondamentales que celles de rapporteur de la commission chargée de préparer le procès du roi, de rédacteur des procès-verbaux et de la correspondance du Comité de salut public, au sein duquel il s’occupe, entre autres, de finance, de subsistances, de poste et d’approvisionnement aux armées. Il est envoyé par deux fois en mission, dans l’Eure et dans le Calvados. D’abord favorable à la monarchie constitutionnelle, il se radicalise, sans subir l’ascendant de Robespierre. Il ne suit ce dernier ni dans le procès de Danton, ni dans les débats qui divisent le Comité de salut public. Mais ce régicide maintient ses positions montagnardes prononcées tout au long de sa vie : au moment de Thermidor, il refuse la condamnation des actes terroristes et la construction d’une mémoire horrifiée à l’égard d’un temps de passion ; il souhaite que la postérité élabore une histoire reconnaissante à l’égard d’un temps de fondation, et réclame la remise en vigueur de la Constitution de 1793. Il est alors exclu de la Convention, et le gouvernement directorial fait invalider sa réélection en 1795 et en 1798. Ministre des Finances à la faveur du coup d’État du 30 prairial, il prépare un emprunt forcé sur les propriétaires que l’arrivée de Bonaparte au pouvoir rend caduc. Il reprend alors son métier d’avocat. Lionne (Hugues de), ministre de Louis XIV (Grenoble 1611 - Paris 1671). De noblesse dauphinoise, neveu d’Abel Servien, le secrétaire d’État à la Guerre, il travaille avec son oncle dès 1630. Remarqué par Mazarin, il devient son collaborateur, effectuant de nombreuses missions en Italie et participant aux négociations qui aboutissent aux traités de Westphalie et des Pyrénées (il est le rédacteur habile de celui-ci). Enfin, il est ministre d’État en 1659. Son intelligence, sa capacité de travail, son expérience, la recommandation de Mazarin, expliquent que Louis XIV lui pardonne son amitié avec Fouquet et force les Brienne à lui vendre, en 1663, la charge de secrétaire d’État aux Affaires étrangères. Avec Le Tellier à la Guerre et Colbert aux Finances, Hugues de Lionne forme l’équipe de confiance du jeune roi. Il déploie son énergie et fait preuve de souplesse pour donner à la France
de nouveaux alliés, au service de la politique de prestige voulue par Louis XIV - traités avec la Suède (1661), la Lorraine, l’Angleterre, les Provinces-Unies, le Danemark (1662) -, maintenant ainsi l’isolement espagnol. Lors de la guerre de Dévolution, il penche pour une paix rapide. Il cherche à désamorcer l’hostilité de l’empereur en proposant un partage secret des possessions espagnoles à la mort du roi d’Espagne Charles II. L’isolement des Provinces-Unies est sa dernière grande oeuvre ; ce libertin meurt usé par le travail, alors que la guerre de Hollande va mettre à l’épreuve le réseau d’alliances qu’il a patiemment tissées. lit de justice, sous la monarchie d’Ancien Régime, séance solennelle du parlement présidée par le roi. L’expression désigne à l’origine, au XIVe siècle, le mobilier (estrade, siège, dais et tentures fleurdelisées) mis en place lorsque le roi vient en parlement exercer son pouvoir judiciaire. Puis, à partir du XVIe siècle, elle désigne les séances solennelles où le roi vient en grande pompe manifester sa puissance souveraine. Le premier véritable lit de justice se tient ainsi en juillet 1527, quand François Ier, à l’occasion du procès du connétable de Bourbon, rappelle à l’ordre un parlement que la captivité du roi avait enhardi. Par la suite, le lit de justice devient l’un des principaux cérémonials d’État, où le roi associe le parlement à des décisions importantes, tout en signifiant sa prééminence et son monopole législatif. Ainsi, des « lits d’avènement » se tiennent, sans attendre le sacre, pour inaugurer le règne d’enfants rois et légitimer une régence (1610, 1643, 1715) ; ou encore des « lits de majorité », pour signifier la prise de pouvoir, au moins théorique, par un roi devenu majeur (1563, 1614, 1651, 1723). En dehors de ces temps forts, les lits de justice sont un instrument de gouvernement qui permet au roi de passer outre les remontrances du parlement et d’imposer l’enregistrement d’ordonnances ou d’édits contestés. Cette procédure, fréquemment utilisée dans la première partie du XVIIe siècle, est suspendue sous Louis XIV, qui, en retirant au parlement son droit de remontrances, en supprime la raison d’être. Louis XV et Louis XVI lui redonnent de l’importance pour tenter de briser une opposition parlementaire qui essaie d’entraver les velléités réformatrices de la monarchie. livre, monnaie de compte en usage du VIIIe au XVIIIe siècle.
Tout comme le sou (ou sol), la livre, monnaie fictive non matérialisée par des pièces, demeure seule constante lorsque les multiples espèces métalliques changent de valeur selon leur teneur en or ou en argent, mais aussi au gré de la conjoncture économique et des flux de métal précieux. Charlemagne l’impose comme unité numérique après avoir substitué l’argent à l’or (781). Il renforce ainsi le denier d’argent, monnaie des rois francs, en décidant qu’il sera taillé 240 deniers par livre d’argent. Dès lors, la livre compte 20 sous, chaque sou comptant 12 deniers. Mais la livre varie selon la qualité des monnaies des nombreux ateliers monétaires, dont le monopole échappe aux Carolingiens. Pendant plusieurs siècles coexistent ainsi livres provinois, tournois et parisis. Et si, au XIIIe siècle, Louis IX adopte la livre tournois pour la comptabilité du royaume, celle-ci ne devient l’unique monnaie de compte qu’en 1667. En 1726, après des siècles de continuelles dévaluations de la monnaie métallique et suite à l’échec du système de Law, la valeur de la livre tournois est fixée à un peu moins de 4,5 g d’argent fin, valeur légèrement corrigée en 1785 et que l’on retrouve dans le franc germinal. Sous la Révolution, le franc devient l’unité monétaire légale (15 août 1795), mais la valeur des pièces d’Ancien Régime qui continuent de circuler reste définie par rapport à la livre. Ce n’est que sous le Consulat, avec la loi du 7 germinal an XI (28 mars 1803) que le franc de 5 grammes d’argent remplace définitivement la livre tournois comme unité monétaire. livre d’heures, ouvrage de dévotion privée, très répandu à la fin du Moyen Âge, destiné aux laïcs. La liturgie des heures appartient à la spiritualité traditionnelle des moines et des chanoines réguliers, qui se réunissent pour réciter les prières prescrites aux différentes heures canoniales de la journée (prime, laudes, tierce, sexte, none, vêpres, complies). À partir du XIIIe siècle, cette pratique est adoptée par un certain nombre de laïcs. Les livres d’heures sont alors créés pour répondre à cette demande spirituelle et remplacent progressivement les psautiers. Ils présentent le plus souvent trois ensembles de textes différents : un noyau principal invariant (calendrier, offices de la Vierge, psaumes pénitentiels, litanies de saints, office des morts et suffrages) ; des textes secondaires très souvent présents (fragments des Évangiles, Passion selon saint Jean, prières à la Vierge, dont l’Obsecrote, les heures
de la Croix, celles du Saint-Esprit, ainsi que diverses autres prières) ; une partie qui varie selon la volonté des commanditaires, comprenant de nombreuses prières en latin ou en français. Les livres ainsi composés sont, après 1300, les plus répandus (on en compte plusieurs milliers d’exemplaires en France). Certains sont richement enluminés (les Très Riches Heures du duc de Berry, par exemple) et figurent dans les inventaires au même titre que les bijoux et l’orfévrerie. Comme en témoigne un poème d’Eustache Deschamps, l’acquisition d’un livre d’heures, richement décoré et bien relié, représente pour la femme d’un bourgeois le signe évident de la réussite. livret ouvrier, document de police indispensable à l’ouvrier pour être embauché : créé en 1781, rendu obligatoire en 1803, il est supprimé en 1890. Afin d’« entretenir la subordination parmi les ouvriers des pays manufacturiers », les lettres patentes du 12 septembre 1781, qui renouvellent aux travailleurs l’interdiction de s’assembler, réglementent le congé, que le patron doit porter sur un livret, document à la fois de quittance et d’identité. Tombé en désuétude, ce livret de police, qui met les compagnons sous la tutelle des maîtres, est ignoré de la Révolution, qui contrôle cependant la maind’oeuvre (loi Le Chapelier, 1791). Mais il est rétabli sous le Consulat avec la loi du 22 germinal an XI (12 avril 1803) et, surtout, l’arrêté du 9 frimaire an XII (1er décembre 1803), qui le rend obligatoire et en détermine les modalités. Pour être conforme, il doit mentionner l’identité et le signalement de l’ouvrier, ses emplois successifs, ainsi que le nom et l’adresse du patron. Remis lors de l’embauche à ce dernier, qui le restitue à l’ouvrier une fois la tâche accomplie, il doit être visé par la police ou la municipalité à chaque déplacement, downloadModeText.vue.download 540 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 529 et doit indiquer la destination suivante. Sans lui, l’ouvrier, considéré comme vagabond, peut être passible de six mois de prison. Placé sous une surveillance policière constante et dans une sujétion économique et juridique, l’ouvrier est ainsi neutralisé, bien que l’obligation du livret ne soit pas toujours respectée, notamment dans le bâtiment. Étendu aux ouvriers des établissements industriels et aux domestiques sous le Second Empire (loi du
22 juin 1854), le livret est supprimé, sous la IIIe République, par la loi du 2 juillet 1890. Locarno (traité de), série d’accords conclus par sept États (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Belgique, Tchécoslovaquie et Pologne) réunis dans cette cité du Tessin (Suisse) du 5 au 16 octobre 1925. Cette conférence s’inscrit dans une période de détente des relations internationales, incarnée par les ministres des Affaires étrangères français et allemand : Aristide Briand et Gustav Stresemann. Elle aboutit à plusieurs traités : par un pacte garanti par le Royaume-Uni et par l’Italie, la France, la Belgique et l’Allemagne reconnaissent mutuellement leurs frontières. Un accord de non-agression (sauf dans l’hypothèse d’une attaque allemande contre la Pologne ou la Tchécoslovaquie) est signé et la démilitarisation de la Rhénanie est confirmée. Des conventions d’arbitrage entre la France, la Belgique, la Pologne, la Tchécoslovaquie, d’une part, et l’Allemagne, d’autre part, prévoient, en cas de crise, de recourir à la négociation et d’interdire le passage à travers le Reich d’une armée envoyée par la Société des nations (SDN) en Europe centrale. Enfin, deux pactes d’assistance franco-polonais et franco-tchécoslovaque sont également signés. L’Allemagne améliore ainsi son image (elle est admise à la SDN en septembre 1926) et va pouvoir bénéficier d’investissements anglo-saxons. La France, qui peut compter, en cas d’agression allemande, sur le Royaume-Uni (lequel refuse en revanche de garantir les frontières germanotchèque et germano-polonaise), souhaite prolonger ces négociations pour stabiliser les frontières orientales de l’Allemagne, élaborer une organisation économique de l’Europe et limiter l’entente germano-soviétique. Ce traité ne survivra pas à la remilitarisation de la Rhénanie (7 mars 1936). Locmariaquer, commune située sur une presqu’île à l’entrée du golfe du Morbihan, qui abrite certains des plus célèbres monuments mégalithiques de Bretagne (Table des marchands, Grand Menhir brisé, etc.). Signalés dès le XVIIe siècle et étudiés dès le XIXe siècle, ces monuments ont fait aussi l’objet d’investigations très récentes, qui en ont renouvelé l’interprétation. Le dolmen de la Table des marchands était englobé dans un vaste cairn de pierres sèches. La chambre funéraire comprend, au fond, une grande dalle triangulaire ornée de plusieurs rangées de crosses en relief. Sa dalle de couverture, qui comporte plusieurs signes gravés (hache, crosses, bovidé), est l’un
des trois fragments d’un immense monolithe de granite de 14 mètres de haut, dont la partie centrale a été utilisée pour recouvrir le dolmen de l’île de Gavr’inis. Il semble que plusieurs grands monolithes se dressaient à l’origine à Locmariaquer, avant d’être abattus, brisés et réutilisés. Ainsi du célèbre Grand Menhir brisé, le plus grand mégalithe de France, cassé - intentionnellement - en quatre (ou cinq) morceaux. Il mesurait à l’origine 20,30 mètres de haut, pesait 350 tonnes et comportait également quelques gravures. À proximité se dresse le dolmen d’ErGrah (ou Er-Vinglé), dont le tertre atteignait 168 mètres de long, et, plus loin, le dolmen du Mané-Ruthual, recouvert d’une dalle gravée et brisée, ainsi que celui du Mané-Lud. La chambre funéraire de ce dernier, ornée de gravures (dont des bateaux à rames), était englobée dans un vaste tertre, qui contenait aussi plusieurs petits menhirs surmontés chacun d’une tête de cheval. Le dolmen du Mané-er-Hroëk était recouvert d’un tertre de 100 mètres de long et 11 mètres de haut. Orné de gravures, il contenait une série d’objets remarquables, réalisés en roche verte, dont 106 haches d’apparat, un anneaudisque, ainsi que plusieurs dizaines de perles. Situé sur une plage, le dolmen coudé dit « des Pierres plates » contient également des gravures ; il date d’une phase plus récente du néolithique. Loire (châteaux de la), demeures royales, seigneuriales ou bourgeoises, situées dans le Blésois et la Touraine, en Anjou et dans le Berry. Échelonnée entre le début du XVe siècle et les premières années du XVIe siècle, leur construction procède, selon les cas, par réaménagement d’anciennes forteresses ou édification de nouvelles résidences. Au sortir de la guerre de Cent Ans, le retour de la paix et de la prospérité voit l’émergence d’un goût pour des demeures plus vastes et plus ouvertes. Sous Charles VII et Louis XI, les châteaux de la Loire font figure de compromis : Le Plessis-Bourré, Chaumont, Ussé, Langeais et Plessis-lès-Tours rappellent les édifices défensifs, mais amorcent une évolution vers les résidences plaisantes. Paris est délaissé, et le Val de Loire, riche région agricole où les villes de Tours et d’Orléans développent leurs activités commerciales, attire une cour encore semi-nomade. Plus de la moitié des conseillers de Louis XI sont d’ail-
leurs originaires de la région et y possèdent leurs biens. • L’influence de l’Italie. Un intérêt marqué pour l’architecture et la décoration italiennes se fait jour à partir des expéditions transalpines de Charles VIII, Louis XII et François Ier. Dès 1495, Charles VIII, émerveillé par Naples, ramène des artisans italiens à Amboise. Louis XII fait reconstruire le château de Blois : à l’escalier d’accès direct, typiquement français, il substitue un système de galeries à l’italienne, qui modifie la circulation. Entre 1510 et 1530, ce sont de riches financiers qui font figure de précurseurs en édifiant les premiers châteaux neufs de style italianisant : Florimond Robertet à Bury (1511-1524, aujourd’hui presque détruit), Thomas Bohier à Chenonceaux (dont la construction débute en 1515 et se poursuit jusqu’à la fin du siècle), Gilles Berthelot à Azay-le-Rideau (1518-1529). Les deux premiers introduisent dans l’architecture civile française la symétrie et l’escalier rampesur-rampe. Les trois châteaux possèdent une façade rythmée par des pilastres en très faible relief et les étages sont séparés par des bandeaux horizontaux. Trop révolutionnaire à certains égards, leur modernité n’a pu servir immédiatement de source d’inspiration. • Blois et Chambord. C’est le château royal de Blois qui a joué le rôle de modèle. François Ier entend en effet rivaliser avec les brillantes cours d’Italie et imposer un cadre à la hauteur du royaume. Dès 1515, il fait élever à Blois l’aile qui porte son nom. L’escalier extérieur octogonal de cette aile fait date, et inspirera désormais les façades du Val de Loire : de structure gothique - il est hérité de la vis médiévale hors oeuvre -, il est orné d’une décoration à l’italienne. Sur la façade opposée, les loggias, construites ultérieurement, évoquent les Loges de Bramante, au Vatican. Blois résume l’architecture française du début du XVIe siècle, adaptation de modèles italiens qui aboutit à des constructions au caractère quelque peu hybride. Ce caractère se retrouve également à Chambord, édifié pour François Ier à partir de 1519. Si la structure de l’ensemble suit d’assez près le modèle féodal - un donjon carré flanqué de tours rondes et d’une enceinte rectangulaire -, la conception architecturale et la décoration intérieure témoignent de l’influence italienne : au coeur du donjon, un escalier en vis à double révolution, peut-être inspiré par Léonard de Vinci, dessert quatre appartements et une salle à plan cruciforme. Quant aux parties hautes, elles appartiennent encore au gothique flamboyant. Par la complexité de sa
structure, par le système de ses appartements et sa décoration, Blois, tout comme Chambord, servira de référence à bon nombre de châteaux. Après la défaite de Pavie en 1525, François Ier consolide sa politique de centralisation en résidant de plus en plus fréquemment à Paris. Cessant d’être un lieu de séjour privilégié, le Val de Loire perd quelque peu de sa vitalité. Les constructions ne cessent pas pour autant : celle de Beauregard débute au milieu du siècle, et Chenonceaux est doté d’une galerie qui traverse le Cher, selon le voeu de Catherine de Médicis ; quant à Cheverny (16041634), il témoigne d’une volonté de symétrie et d’homogénéité qui s’éloigne de l’esprit de la Renaissance et inaugure la période classique. lois constitutionnelles de 1875, lois des 24 et 25 février relatives à l’organisation du Sénat et des pouvoirs publics, et celle du 16 juillet régissant les rapports entre les pouvoirs publics. Cet ensemble de trois lois, plus connu sous le nom de « Constitution de 1875 », codifie le régime en vigueur depuis 1871, à savoir la IIIe République. Un long intervalle sépare l’élection de l’Assemblée nationale, le 8 février 1871, et le vote des lois constitutionnelles. Le pacte de Bordeaux, conclu le 17 février 1871 entre le chef du pouvoir exécutif Thiers et la majorité monarchiste, ajourne d’abord l’examen de la question de la nature du régime, dans l’intérêt tout à la fois des royalistes, divisés entre légitimistes, partisans du comte de Chambord, et orléanistes, défenseurs du comte downloadModeText.vue.download 541 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 530 de Paris, et des républicains minoritaires, qui contestent par ailleurs le pouvoir constituant de l’Assemblée. Lorsque Thiers propose l’institution d’une République conservatrice (12 novembre 1872), la majorité le renverse (24 mai 1873) mais échoue dans sa tentative de restauration royaliste pendant l’automne 1873 en raison de ses divisions persistantes sur la question du drapeau. Elle se contente de voter la prolongation pour sept ans du mandat du maréchal de Mac-Mahon, successeur de Thiers. Mais elle doit sortir de cette période transitoire par crainte d’une offensive des bonapartistes, révélés par leurs succès aux élections
partielles, et sous la pression d’une opinion publique de plus en plus républicaine et ne se reconnaissant plus dans la majorité parlementaire monarchiste, élue « en un jour de malheur » prioritairement pour décider de la paix ou de la poursuite de la guerre de 1870. Une majorité centriste se dégage alors, comprenant des orléanistes modérés et des républicains conservateurs auxquels se joignent les amis de Gambetta. Le 30 janvier 1875, le vote, à une voix de majorité, de l’amendement Wallon qui prévoit l’élection par les deux Chambres, réunies en Assemblée nationale, du président de la République, fonde le nouveau régime et ouvre la voie au vote des lois constitutionnelles de 1875. Ces circonstances particulières expliquent l’originalité de la Constitution de 1875, dépourvue de préambule et d’un texte de synthèse, et fruit de compromis laborieux. Les monarchistes ont concédé la forme républicaine des institutions contre la possibilité d’une révision monarchique. La gauche a fini par consentir à l’existence d’une deuxième Chambre à condition que ses membres soient élus, pour un quart d’entre eux, par l’Assemblée nationale de 1871, puis par la future Chambre des députés en fonction des sièges vacants ; pour les autres, par des collèges électoraux composés de conseillers généraux, de conseillers d’arrondissements et des délégués de toutes les communes. Le Sénat ainsi constitué, émanation des campagnes, reçoit des pouvoirs égaux à ceux de la Chambre des députés de façon à contrebalancer le poids du suffrage universel que les monarchistes ont fini par accepter. Les lois constitutionnelles de 1875 entérinent par ailleurs les pratiques inaugurées depuis 1871 : responsabilité ministérielle devant le pouvoir législatif, irresponsabilité du chef de l’État (depuis l’arrivée de Mac-Mahon), septennat. Le président de la République, qui est rééligible, dispose de pouvoirs importants - transférables à un monarque -, en particulier le droit de dissoudre la Chambre des députés mais sur avis conforme du Sénat. L’obligation du contreseing de ses actes par un ministre et son mode de désignation par les deux Chambres réunies en Congrès limitent toutefois son autorité. Les lois constitutionnelles de 1875 reposent, à l’origine, sur un équilibre des pouvoirs d’inspiration orléaniste. Celui-ci est rompu après la crise du 16 mai 1877, faisant évoluer le régime parlementaire vers un régime d’Assemblée. La discordance entre la majorité constitutionnelle centriste et la bipo-
larisation droite-gauche explique ce dérapage. Toutefois, des quinze régimes politiques que la France a connus depuis la Révolution, celui régi par les lois de 1875 a été, jusqu’à présent, le plus long, sans doute grâce à la souplesse de ses dispositions institutionnelles. Loménie de Brienne (Étienne Charles de), prélat et homme politique (Paris 1727 - Sens 1794). Cet aristocrate ambitieux mène sa carrière au sein du clergé. Adepte des Lumières, il rédige une thèse de théologie, qui est censurée en 1751 ; il devient néanmoins archevêque de Toulouse en 1763. Il se montre alors surtout un administrateur civil remarquable, soucieux de progrès économique et social. Membre de la Commission des réguliers à partir de 1766, il manifeste une nette antipathie à l’égard des congrégations religieuses, qu’il juge parasitaires ; d’où le surnom d’ « antimoine » qu’on lui attribue alors. L’Assemblée des notables réunie en 1787 lui donne l’occasion, à 60 ans, d’entamer une carrière politique. Principal adversaire de Calonne, il est responsable de la chute de ce dernier, qu’il remplace bientôt, grâce au soutien de la reine. Il devient donc contrôleur général des Finances en mai 1787 ; mais il est contraint, face à la crise financière, de reprendre les projets de Calonne. Il congédie les notables et tente d’imposer des réformes de fond, pour éviter la banqueroute et asseoir de nouveau l’autorité de l’État. Il propose un système d’assemblées provinciales (avec doublement du tiers état et vote par tête) et d’assemblées locales, qui permet à la fois d’élargir la participation politique et de préserver le rôle éminent des seigneurs. Il compte ainsi moderniser la société d’ordres pour en préserver les fondements, et réformer la monarchie pour sauver les privilèges de l’aristocratie. Faute d’expliquer clairement ses desseins, et s’en remettant soit aux manoeuvres, soit au coup de force, il se heurte à l’opposition des parlements, qui refusent à plusieurs reprises d’enregistrer ses édits. Devant la menace de banqueroute de l’État, il tente de casser le pouvoir des parlements : en mai 1788, la réforme Lamoignon limite leurs compétences, tant au plan judiciaire que politique. Ceux-ci deviennent alors le symbole de la résistance au « despotisme ». Se forme ainsi une étrange coalition des mécontents : trop avancées pour certains, les réformes apparaissent trop timides pour d’autres ; mais le désaveu du ministre est général. Les troubles de l’été 1788
contraignent Loménie de Brienne à accepter la convocation des états généraux, puis à démissionner. Devenu, entre-temps, archevêque de Sens (1787), il obtient le cardinalat, et passe l’année 1789 en Italie. Rentré en France en 1790, il est l’un des rares prélats à prêter serment à la Constitution civile du clergé. Arrêté deux fois au cours de la période de déchristianisation de la Révolution, il meurt d’apoplexie en prison, le 16 février 1794. Lorraine. Le mot « Lorraine » est une contraction du latin Lotharingia - en français « Lotharingie » - qui désigne, à l’origine, la part attribuée à Lothaire Ier, petit-fils de Charlemagne et fils aîné de l’empereur Louis le Pieux, lors du partage de Verdun (843). Aujourd’hui, la Région Lorraine (23 540 kilomètres carrés) réunit les départements de la Meuse, de la Meurthe-et-Moselle, de la Moselle et des Vosges. • De la Lotharingie aux évêchés et aux duchés. Au milieu du IXe siècle, la Lotharingie s’étend de la mer du Nord jusqu’à l’Italie, formant une zone médiane entre la Germanie et la France. Cet ensemble hétérogène se désagrège en 870 (traité de Meerssen). Le nom de « Lorraine » (en allemand Lothringen) reste attaché à la partie nord, incorporée en 925 au royaume de Germanie par Henri l’Oiseleur. En 959, cette entité est partagée en deux duchés : la Basse-Lorraine (Belgique et Pays-Bas) et la Haute-Lorraine (Ardennes, vallées de la Meuse et de la Moselle), qui conserve seule le nom de Lorraine. Dans une histoire féodale complexe, caractérisée par un morcellement territorial extrême, plusieurs données majeures sont à retenir. Il convient tout d’abord de souligner le rôle spécifique des trois villes épiscopales, Metz, Toul et Verdun. À partir du XIIe siècle, les bourgeois revendiquent, puis obtiennent, les libertés communales. Metz est alors la ville la plus peuplée, la plus riche et la plus influente. Il faut aussi attirer l’attention sur le partage de l’espace lorrain entre une zone romane à l’ouest, et une zone germanophone, à l’est. La limite entre les deux aires linguistiques est nette, courant de la frontière luxembourgeoise actuelle jusqu’au Donon. Elle passe au nord-est de Metz, une ville entièrement française par la langue et la culture. Au fil des siècles, l’allemand recule d’ailleurs lentement, au profit du français.
La poussée française sur les marges occidentales de l’Empire germanique est discontinue ; elle est autant culturelle (le gothique lorrain prolonge celui de Champagne) que politique. Le grignotage des terres lorraines est lent. En 1301, Philippe le Bel impose sa suzeraineté sur le Barrois mouvant, c’est-àdire sur les terres du comté de Bar situées à l’ouest de la Meuse. En 1335 est acquise la châtellenie de Vaucouleurs, dont relève le village de Domrémy, où Jeanne d’Arc naît en 1412 ; elle affirme être investie d’une mission divine : délivrer le roi et la France de la domination anglaise - un événement singulier dans lequel s’enracine le patriotisme français. L’épopée de Jeanne devient, en effet, un mythe qui incorpore la Lorraine au destin national français, alors que la plus grande partie de territoire appartient encore à l’Empire. À la fin du XVe siècle, la famille de Vaudémont, qui s’était constitué une petite principauté autour de Vézelize et de la colline de Sion (que Barrès nommera la « colline inspirée »), connaît un destin particulier. En 1473, Yolande, fille du roi René d’Anjou et veuve de Ferry de Vaudémont, se voit proposer la couronne ducale par les états généraux de Lorraine. Elle abdique aussitôt en faveur de son fils René, comte Vaudémont, qui devient duc de Lorraine et de Bar. Cette solution se heurte aux ambitions du duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, qui, après de vaines négociations, conquiert Nancy et les duchés. Avec une armée composée d’Alsaciens et de downloadModeText.vue.download 542 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 531 Suisses, René II reprend Nancy (1477), dont il fait sa capitale et où il construit le Palais ducal. Son règne, qui s’achève en 1508, consolide l’existence autonome des duchés. • La réunion à la France (XVIe-XVIIIe siècle). En 1552, le roi de France Henri II conquiert les trois évêchés de Metz, Toul et Verdun, avec l’aide d’une famille collatérale de la dynastie ducale de Lorraine, les Guises. L’empereur Charles Quint, affaibli, a reconnu en 1542 l’indépendance du duché à l’égard de l’Empire, et il ne peut reprendre Metz, qui devient une ville royale, place forte et siège de l’intendance des Trois-Évêchés. Cependant, malgré une pression française constante, les duchés de Bar et de Lor-
raine connaissent une relative indépendance jusqu’en 1620. Le duc Charles III (15431608) embellit Nancy (création de la ville neuve) et fonde l’université jésuite de Pont-àMousson. Les duchés sont un point d’ancrage de la Contre-Réforme catholique, alors que le calvinisme a gagné une partie de la bourgeoisie messine. À la suite de l’entrée de la France dans la guerre de Trente Ans, les duchés sont envahis (ce qu’évoque la série de gravures de Jacques Callot, les Misères de la guerre), pillés par les Suédois et les Impériaux, occupés et administrés par les Français, qui rasent les forteresses. Les traités de Westphalie (1648) confirment la possession des Trois-Évêchés par la France, puis le traité des Pyrénées (1659) agrandit les terres françaises (Montmédy et Thionville), au détriment des duchés et des Pays-Bas espagnols. Le duc Charles IV (1604-1675), qui s’est exilé en Autriche, revient en 1661. Mais Louis XIV réoccupe bientôt les duchés, de 1670 à 1698. Au traité de Ryswick, en 1697, le roi accepte le retour du duc Léopold Ier, petit-fils de Charles IV, moyennant la destruction des remparts de Nancy. Puis, à la suite de négociations liées au mariage de Louis XV, se dégage une solution qui donne satisfaction à la France : la dynastie lorraine, dont l’héritier, le duc François III, a épousé la future impératrice Marie-Thérèse d’Autriche, renonce aux duchés en 1737. Ceux-ci sont attribués à vie au beau-père de Louis XV, Stanislas, le roi détrôné de Pologne, qui établit sa cour à Lunéville. Stanislas, qui a dû laisser l’administration des duchés au chancelier Chaumont de La Galaizière, se consacre à l’embellissement de ses États (place Stanislas, à Nancy). À sa mort, en 1766, les duchés sont réunis à la France, mais restent à l’extérieur des barrières douanières du royaume - une survivance du vieil axe lotharingien avec les Pays-Bas autrichiens. En 1790, l’Assemblée constituante fait disparaître duchés et évêchés, au bénéfice de quatre départements : Meuse, Meurthe, Moselle et Vosges. Le mot « Lorraine » disparaît ; chaque département regarde vers la capitale ; les carrières politiques, administratives et militaires sont nationales. Cette orientation est acceptée par les habitants, qui, à l’exception de quelques familles nobles nostalgiques des anciens ducs, se sentent français. • Un enjeu entre la France et l’Allemagne. La guerre franco-allemande de 1870-1871 remet en question une intégration à la nation française qui paraissait « naturelle » et définitive. Le nouvel empire allemand justifie l’an-
nexion de l’Alsace-Lorraine par des arguments historiques (anciennes terres impériales), linguistiques (appartenance des populations à l’aire germanique) et militaires (défense de la frontière de l’Ouest). Les parties annexées de la Moselle (Metz, Thionville et Sarreguemines) et de la Meurthe (Sarrebourg et Château-Salins) forment le « département » allemand de Lorraine (Lothringen), qui inclut des villes (Metz) et des terres francophones (pays messin et Saulnois). Les parties non annexées sont réunies dans le nouveau département de Meurthe-et-Moselle. La frontière passe désormais à moins de 30 kilomètres de Nancy, demeurée, après la perte de Strasbourg et de Metz, la seule grande ville française de l’Est. Le mot « Lorraine » rentre en force dans la langue usuelle, avec des références fréquentes aux provinces perdues, à la « malheureuse Alsace-Lorraine », à la province frontière mutilée. Le culte de Jeanne d’Arc, « la bonne Lorraine », les articles et livres de Maurice Barrès mettent l’accent sur les « vertus lorraines », au premier rang desquelles sont placés le patriotisme et le sens de la frontière. Dans cet esprit, on comprend pourquoi Charles de Gaulle choisit, en 1940, la croix de Lorraine comme symbole de la France libre. Concernant cette période, deux autres données doivent être soulignées : la militarisation de l’espace, avec la construction de bâtiments et de places fortes, dont les plus puissantes sont celles de Verdun (France) et de Metz (Allemagne) ; l’essor rapide de la grande industrie - le textile (Vosges), l’extraction du minerai de fer et la métallurgie lourde. Les besoins en main-d’oeuvre entraînent une importante immigration (d’abord des Italiens, puis des représentants de nombreuses autres nationalités), qui se poursuit pendant la première moitié du XXe siècle et modifie en profondeur la composition de la population. Pendant la Première Guerre mondiale, la Lorraine se trouve dans la zone des combats (Verdun, 1916) et est partagée durant plus de quatre ans par la ligne de front. En 1918, les « provinces perdues » sont recouvrées ; toutefois, les départements tels qu’ils étaient avant 1870 ne sont pas reconstitués ; l’ex-Lorraine allemande reprend le nom de Moselle. Dans les années trente, la persistance du danger allemand se traduit par la construction d’un système défensif (la ligne Maginot), qui, en 1940, se révèlera totalement inadapté. De 1940 à 1944, les départements lorrains sont occupés, et la Moselle est annexée une seconde fois par l’Allemagne. Au lendemain
du conflit, la construction européenne et la réconciliation franco-allemande mettent enfin un terme aux revendications territoriales. • La Lorraine contemporaine. En 1955 intervient la création des vingt-et-une régionsprogrammes, dont la Lorraine, formée de quatre départements : la Meuse, la Meurtheet-Moselle, la Moselle et les Vosges. C’est la première fois dans l’histoire que ces territoires sont réunis au sein d’un même ensemble administratif. L’évolution de la vie régionale se caractérise alors par un conflit entre Nancy et Metz. Il connaît une phase aiguë entre 1969 et 1971, à la suite de la désignation de Metz comme capitale régionale et de l’annonce du tracé de l’autoroute A4 (Paris-Strasbourg) qui, en passant au nord de Metz, défavorise Nancy et le sud de la Lorraine. Metz, au contraire, trouve enfin une légitime compensation aux aléas de l’histoire. En outre, une crise industrielle très grave aboutit, en l’espace de quinze ans (19751990), à la disparition de toutes les mines de fer et de nombreuses usines sidérurgiques ou textiles (groupe Boussac), et à la réduction progressive de l’extraction charbonnière, dont l’arrêt a eu lieu en 2004. La Lorraine est perçue comme une région sinistrée, car la création de nouvelles activités n’a pas compensé les suppressions massives d’emplois. Enfin, un antagonisme latent se fait sentir entre une Lorraine du Nord tournée vers la Sarre, le Luxembourg, et une Lorraine du Sud plus orientée vers Paris. Cette différence, parfois exagérée, ne recoupe ni les anciens clivages duchés/évêchés, ni la rivalité Nancy/Metz. Elle procède simplement de la proximité géographique et de l’héritage linguistique. Sans doute, il est possible de dessiner sur une carte l’« eurorégion » Sar(re)Lor(raine)-Lux(embourg) ; dans la réalité, et en dépit des échanges humains quotidiens, elle se heurte à la résistance des personnalités étatiques et des cultures nationales. La poursuite de la construction européenne, à laquelle une majorité de Lorrains est attachée, peut néanmoins contribuer à tisser des liens. La Région Lorraine existe depuis plus d’une génération. Avec une population stabilisée autour de 2,3 millions d’habitants, elle est plus peuplée que ses voisins, l’Alsace, la Champagne-Ardenne, la Franche-Comté et le Land allemand de la Sarre ; elle compte six fois plus d’habitants que le grand-duché de Luxembourg. Au fil des années, l’assemblée et
l’administration régionales cherchent à développer une cohésion entre les quatre départements. Néanmoins, par rapport à l’Alsace, les sondages mettent en évidence une perception faible et une fragilité relative de la conscience régionale. Malgré la tardive réunion de la Lorraine à la nation, les Lorrains se sentent, depuis deux siècles, d’abord des Français. La régionalisation est encore trop récente pour avoir infléchi ce sentiment fondamental d’appartenance. Lothaire, roi des Francs de 954 au 2 mars 986 (Laon 941 - Compiègne 986). Fils du roi Louis IV d’Outremer et de Gerberge, Lothaire devient roi le 12 novembre 954, avec l’accord du puissant duc des Francs Hugues le Grand, auquel il doit céder le contrôle des duchés d’Aquitaine et de Bourgogne. À la mort de ce dernier, en 956, s’ouvre une période de régence, sous le contrôle de la dynastie ottonienne : Gerberge est en effet la soeur d’Otton Ier, roi de Germanie, et de Brunon, archevêque de Cologne et duc de Lotharingie, mais elle est aussi la soeur d’Hadwige, veuve d’Hugues le Grand et mère d’Hugues Capet. La mort de Brunon en 965, puis celle de Gerberge en 969, permettent à Lothaire de se dégager de l’influence germanique, et de tenter alors de faire contrepoids à la puissance de son cousin Hugues Capet en s’appuyant sur les grands seigneurs du nord du royaume, downloadModeText.vue.download 543 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 532 traditionnellement fidèles aux Carolingiens, Arnould Ier de Flandre et Herbert III de Vermandois. Il entre aussi en conflit avec Otton II au sujet de la Lotharingie, qu’il revendique : en 978, il se porte avec son armée sur Metz et Aix-la-Chapelle, d’où Otton II s’enfuit à grand-peine. Mais le triomphe est de courte durée, car Otton II riposte et dévaste le royaume jusqu’aux portes de Paris, que défend Hugues Capet. Le conflit s’apaise en mai 980, mais Lothaire n’abandonne jamais complètement ses ambitions. On a vu dans cet épisode l’un des premiers témoignages d’une « identité nationale » dans le royaume occidental. Lothaire Ier, empereur de 840 à 855 (795 - Prüm 855).
Il est le fils aîné de Louis le Pieux et d’Ermengarde et le petit-fils de Charlemagne. En 817, Louis décide de conserver intacte l’unité de l’Empire carolingien, en faveur de son fils aîné : par un testament appelé Ordinatio imperii, il promet la succession impériale à Lothaire, qui aura la prééminence sur ses frères. Ces derniers se voient attribuer des royaumes périphériques (Bavière et Aquitaine), mais devront rester soumis à leur aîné. En 822, Louis le Pieux confie aussi le royaume d’Italie à Lothaire. Mais, en 823, la naissance d’un autre fils, Charles, issu d’un second mariage, amène Louis le Pieux à modifier son premier testament. Lothaire, qui craint de perdre la suprématie qu’on lui a promise, rassemble autour de lui un parti favorable au maintien de l’unité de l’Empire et déclenche une révolte qui marque le début de la guerre civile dans l’Empire carolingien. À la mort de Louis le Pieux, en 840, Lothaire tente de faire exécuter l’Ordinatio imperii, ce qui donne lieu à une guerre ouverte entre les trois frères : Louis le Germanique et Charles le Chauve, ligués contre Lothaire, parviennent à anéantir son armée à la bataille de Fontenoy-en-Puisaye, le 25 juin 841. Lothaire doit donc accepter le partage de l’Empire, rendu définitif en 843 par le traité de Verdun. Il obtient la partie centrale de l’Empire, où sont situées les deux capitales Rome et Aix-la-Chapelle, ainsi que le titre impérial, mais sans suprématie sur l’ensemble des territoires. Il parvient difficilement à stabiliser ce royaume composite, qui sera partagé, à sa mort, entre ses trois fils. Lotharingie, royaume carolingien de 855 à 870, puis, de façon intermittente, jusqu’en 991, dont le nom vient de celui du roi Lothaire II. À la mort de l’empereur Lothaire, en 855, son royaume, longue bande de terres entre la France et la Germanie, est partagé entre ses trois fils : Louis obtient l’Italie et la couronne impériale, Charles, la Provence, et Lothaire II, la partie septentrionale qui s’étend de la mer du Nord aux Alpes et du Rhin à l’Escaut et à la Meuse. Avec Aix-la-Chapelle et de puissantes et anciennes abbayes comme Prüm ou Lobbes, les évêchés de Metz, Cologne et Trèves, cette région est le berceau de l’identité carolingienne. Des cinq royaumes qui ont succédé à l’Empire de Charlemagne (outre les trois royaumes des fils de Lothaire, subsistent la Francia occidentalis de Charles le Chauve et
la Francia orientalis de Louis le Germanique), la Lotharingie de Lothaire II est celui qui connaît, jusqu’à la fin du Xe siècle, le sort le plus mouvementé. En effet, Lothaire II n’a pour héritier qu’un bâtard, fils de sa concubine Waldrade. Pour légitimer son fils, il répudie son épouse Teutberge, à l’indignation de l’archevêque Hincmar de Reims, qui soutient les intérêts de Charles le Chauve, oncle et héritier potentiel de Lothaire. Tantôt résistant, tantôt se soumettant au pape, Lothaire II meurt en 869 sans que la répudiation de Teutberge soit certaine, et sans que Waldrade soit légitimée. Il laisse son fils bâtard à la merci de Charles le Chauve et de Louis le Germanique, qui s’entendent en 870, lors du traité de Meerssen, pour dépecer la Lotharingie. Dix ans plus tard, Louis III, fils de Louis le Germanique, réunit les deux parties de l’ancien royaume de Lothaire pour l’intégrer dans la France orientale. Cette intégration était peutêtre prématurée puisque le roi de Germanie Arnulf reconstitue de 895 à 900, pour son fils Zwentibold, un éphémère royaume de Lotharingie. La région revient au fils légitime d’Arnulf, Louis l’Enfant, jusqu’à sa mort en 911, date à laquelle le roi des Francs carolingien Charles le Simple, pressé par le Lotharingien Renier au Long Col, s’en empare. Pour peu de temps cependant, car le roi de Germanie Henri l’Oiseleur récupère la Lotharingie à son profit dès 923. Il en est complètement maître en 925 et marie sa fille au fils de Renier au Long Col, Gilbert, duc de Lotharingie en 928. Durablement intégré au royaume de Germanie, le duché est partagé en Haute et BasseLorraine en 959 et connaît une éphémère restauration des Carolingiens en 977 : pour affaiblir le roi des Francs Lothaire, l’empereur Otton II restitue à Charles, frère de ce dernier, la Basse-Lorraine (le nord du duché). Charles de Basse-Lorraine est sacré roi en 978 par l’évêque de Metz Thierry, mais il meurt en 991 et l’aventure tourne court, ce qui met un terme définitif aux destinées royales des Carolingiens. Au XIIe siècle, on ne parle plus que de la Lorraine, partie septentrionale de l’ancienne Lotharingie. Loubet (Émile), homme politique, président de la République de 1899 à 1906 (Marsanne, Drôme, 1838 - Montélimar, Drôme, 1929). Fils de paysans, cet avocat républicain gravit tous les échelons du cursus politique clas-
sique : maire de Montélimar en 1870 (suspendu en 1877), député en 1876, président du conseil général en 1880, il devient sénateur en 1885, exerçant la présidence des commissions des Finances et des Douanes. Ses participations successives au gouvernement correspondent à des périodes troublées : il est ministre des Travaux publics au début de 1888, au moment de la crise boulangiste, et président du Conseil et ministre de l’Intérieur en 1892, alors que se produisent des attentats anarchistes et qu’éclate le scandale de Panamá, responsable de la chute de son gouvernement. En 1896, il est élu président du Sénat, puis, à la mort de Félix Faure, président de la République, le 18 février 1899. Ce provincial effacé, modéré et simple est alors vivement attaqué par les nationalistes qui voient en lui le « candidat des dreyfusards et des panamistes ». La tentative de coup d’État de Paul Déroulède, qui échoue lamentablement, puis l’agression physique dont il est victime au champ de courses d’Auteuil poussent Émile Loubet à faire appel à Waldeck-Rousseau, qui forme un cabinet de Défense républicaine (juin 1899-juin 1902). Trois mois plus tard, il signe la grâce de Dreyfus, qui venait à nouveau d’être condamné par le conseil de guerre de Rennes à dix ans de détention. En matière de politique extérieure, les voyages officiels du président Loubet - en Russie, au Royaume-Uni et en Italie - confortent la politique du ministre des Affaires étrangères Théophile Delcassé (alliance franco-russe, Entente cordiale, neutralité italienne), qu’il ne soutient pas, toutefois, lors de la crise de Tanger, en juin 1905. En politique intérieure, il se refuse à contrer Émile Combes (président du Conseil de juin 1902 à janvier 1905, qui bénéficie du soutien du Bloc des gauches), dont il réprouve pourtant la politique anticléricale. Sa retraite politique est définitive à l’issue de son septennat, qu’il est le premier président à achever normalement. Loucheur (loi), loi sur l’habitat social conçue par le ministre du Travail Louis Loucheur, et votée en 1928. L’insuffisance du logement social en France devient particulièrement criante après la Première Guerre mondiale. Certes, des sociétés anonymes d’habitations bon marché (HBM), depuis 1889, et des sociétés de crédit immobilier, depuis 1908, ont pour fonction de permettre aux ménages modestes d’accéder à un logement. Dès 1912, il existe même des offices publics de HBM, qui vont se multiplier
après la guerre (192 en mai 1923 ; 218 en mai 1928). En 1925, Henri Sellier, maire de Suresnes, crée l’Union des HBM. Toutefois, les efforts dans ce domaine restent dispersés et, surtout, insuffisants. Les faibles avantages financiers concédés aux sociétés publiques ou privées de HBM ne leur permettent pas de mettre en chantier suffisamment de logements. L’action de Louis Loucheur se situe dans ce contexte. Député du Nord, une région dévastée par la guerre, il entend relancer l’habitat social. Sa loi, très ambitieuse, est votée en juillet 1928. Elle prévoit un programme de construction de 260 000 logements sur cinq ans. À cette fin, une avance de 90 % du montant des travaux est consentie aux constructeurs de HBM (200 000 logements prévus). La loi crée également une catégorie d’habitations moins sommaires, les immeubles à loyer modéré (ILM), aidés à hauteur de 40 %, puis de 70 % en 1930 (60 000 logements prévus). Mais la crise économique touchant la France dès 1931, l’État interrompt son effort financier. Seulement 50 000 logements ont été construits. La crise de ce secteur se poursuit et s’intensifie dans les années 1950. Le temps des HLM est venu. Loudun (possédées de). L’affaire des possédées de Loudun (1632-1634) marque un downloadModeText.vue.download 544 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 533 tournant dans l’histoire des diableries de la France d’Ancien Régime. S’inscrivant dans la grande vague des possessions démoniaques (telles celles d’Aix-en-Provence, 1609-1611, de Louviers, 1642-1647, d’Auxonne, 1658-1663), elle suscite une littérature polémique sans égal, révélant l’essoufflement de la croyance en l’omnipotence de Satan parmi les hommes. À la différence de la sorcellerie rurale, très présente mais « sauvage », la possession démoniaque surgit au sein de la notabilité urbaine et dénote une curiosité pour des victimes singulières. Cité où coexistent réformés et catholiques, et où le gouverneur Jean d’Armagnac oppose une forte résistance à Richelieu, la ville de Loudun est frappée par une épidémie de peste en 1632. C’est dans ce contexte troublé que cette affaire de possession va donner lieu à un imbroglio politico-religieux. En septembre
1632, Jeanne des Anges, prieure au couvent des ursulines de la ville, dit voir apparaître des fantômes et une boule noire traversant le réfectoire. Des exorcismes sont alors autorisés. À cet effet, un véritable théâtre religieux se déploie : les possédées, qui se multiplient dans le couvent, sont présentées aux prêtres afin d’être délivrées du démon ; convulsions extraordinaires, proférations d’injures à connotations sexuelles et performances surnaturelles, telles que la lévitation et la maîtrise des langues bibliques que ces jeunes filles sont censées ignorer, ponctuent les séances publiques. Le curé de l’église Saint-Pierre et chanoine de Sainte-Croix, Urbain Grandier, est accusé par les couventines de les avoir envoûtées. Certes, ce brillant orateur, séducteur et auteur d’un traité du célibat, avait vexé les ursulines en refusant de devenir leur confesseur. Mais le juge et commissaire royal Laubardemont voit aussi en lui le gardien des privilèges locaux, et le soupçonne d’avoir écrit un pamphlet contre son maître Richelieu. Le curé est mis à la question, un « pacte sanglant » est découvert, et les chirurgiens prétendent trouver sur lui la marque du sorcier - une marque réputée être imposée par le diable sur une partie très localisée du corps qui reste insensible malgré les tourments infligés. Bien que protestant de son innocence, Grandier est brûlé vif sur la place de Loudun, le 18 août 1634. À l’exception de Jeanne des Anges, les possédées retombent alors dans l’anonymat. Prise en charge par le mystique Jean-Jacques Surin, la prieure est enfin guérie miraculeusement en 1637 : les noms de Joseph et de Marie se seraient en effet ins-crits en stigmates sur sa main, d’où auraient été extirpés les derniers diables. Dès lors, elle devient un « miracle ambulant », accueillie par Anne d’Autriche elle-même, jusqu’au jour où un fidèle, par mégarde, efface une partie du « M » du mot Marie ! L’affaire de Loudun fut un symptôme spectaculaire des transformations de la société baroque. En effet, désormais, Satan est aussi un instrument politique au service de la raison d’État. En outre, la pastorale tridentine est discréditée par un discours naturaliste (celui des « antipossessionnistes »), qui attribue les manifestations des possédés à des causes médicales. Urbain Grandier fut ainsi le dernier martyr sorcier. Louis Ier d’Anjou, comte de Poitiers de 1350 à 1384, comte du Maine de 1356 à 1384, comte en 1356 puis duc d’Anjou de 1360 à 1384, comte de Provence et roi de Naples de 1382 à
1384 (Vincennes 1339 - Bari 1384). Deuxième fils du roi de France Jean le Bon et de Bonne de Luxembourg, Louis Ier d’Anjou prend part à la bataille de Poitiers (1356). Il est écarté du combat avant que le roi Jean le Bon ne soit fait prisonnier, et assiste le dauphin Charles pendant la régence de ce dernier. En 1360, il fait partie des otages qui doivent garantir l’exécution du traité de Brétigny-Calais entre la France et l’Angleterre. En 1362, l’application de l’accord étant retardée, les otages, afin d’être libérés, concluent avec Édouard III un nouveau traité, qui n’est pas approuvé, si bien qu’en 1363 Louis d’Anjou s’échappe pour rejoindre son épouse. Pour réparer cet outrage à l’honneur chevaleresque, le roi Jean retourne en 1364 prendre la place de son fils à Londres, où il meurt. Louis d’Anjou se montre un efficace lieutenant de son frère le roi Charles V, et reconquiert le Languedoc avec du Guesclin (1365-1373). Rappelé par Charles V, pour cause d’impopularité, en 1379, il est pourtant désigné dans le testament royal comme le régent du royaume, la tutelle des princes étant confiée aux ducs de Berry et de Bourgogne. Mais en 1380 Louis d’Anjou s’empare de la totalité du pouvoir, espérant faire du Conseil royal un instrument de sa politique « italienne ». La reine Jeanne Ire de Naples vient, en effet, de le choisir comme héritier, au détriment de son propre neveu Charles de Duras. Louis d’Anjou s’installe en Provence, d’où il prépare, avec les finances royales, la conquête du royaume de Naples, prenant ainsi le parti du pape d’Avignon contre celui de Rome. Il meurt en 1384 en Italie, sans avoir mené à bien son projet. Avec Louis Ier d’Anjou naît la seconde maison d’Anjou, qui renoue avec les prétentions italiennes et orientales de la première maison d’Anjou, issue du roi Louis VIII. Marie de Blois, veuve de Louis Ier d’Anjou, poursuit la politique de son mari, au nom de son fils Louis II. Le duc d’Anjou illustre la puissance des princes apanagés, aux revenus toujours insuffisants, qui sont tentés d’accaparer un pouvoir source de revenus pour la réalisation de leurs ambitions hors de France. Louis Ier d’Orléans, comte de Valois puis duc de Touraine de 1386 à 1392, duc d’Orléans de 1392 à 1407 (Paris 1372 - id. 1407). Deuxième fils du roi Charles V et de Jeanne de Bourbon, frère de Charles VI, Louis est impatient d’avoir sa part du pouvoir et des richesses que se partagent les oncles du roi,
les ducs de Bourbon, de Berry, d’Anjou et de Bourgogne ; il allie ses intérêts à ceux du groupe des anciens conseillers de Charles V, les marmousets, écartés du pouvoir après la mort du roi, mais qui le reprennent en 1388. Le frère de Charles VI tire profit de la situation en s’appropriant les revenus abandonnés par les oncles. Mais le gouvernement des marmousets, peu populaire, cède la place aux ducs, à partir de la folie du roi, durant l’été 1392. Au Conseil royal s’opposent désormais les oncles - en particulier le duc de Bourgogne Philippe le Hardi - et le neveu Louis, duc d’Orléans depuis peu. Conflit d’intérêts, conflit de générations : Louis d’Orléans est le maître des festivités de la cour, et son nom reste attaché au dramatique incendie du bal des Ardents. Opposés dans le royaume, Orléans et Bourgogne le sont aussi au-dehors. En 1389, Louis a épousé Valentine Visconti, fille du duc de Milan Jean-Galéas Visconti. Les intérêts de ce dernier sont contraires à ceux de la famille d’Isabeau de Bavière, dont le mariage avec Charles VI a été arrangé par le duc de Bourgogne. En Italie s’affrontent donc deux politiques à l’égard de la France : l’une, menée par Louis d’Orléans, a le soutien du pape Clément VII et prévoit la reconquête de la Péninsule avec l’aide du duc de Milan ; l’autre, mêlant les intérêts bavarois et bourguignons, mais aussi ceux de Florence, est à l’origine de la domination française à Gênes. Il en est de même en Angleterre : aux négociations menées par les conseillers du duc de Bourgogne répondent les tournois chevaleresques provoqués par le duc d’Orléans. Enfin, les visées de Louis sur le Luxembourg nuisent sérieusement aux menées de Philippe le Hardi dans une région où il s’estime maître du jeu. Les relations s’enveniment à la mort de Philippe (1404). Le nouveau duc de Bourgogne, Jean sans Peur, se déclare résolument hostile à son cousin et, de larvé, le conflit devient manifeste. « Ennemi des plaisirs », le duc de Bourgogne l’est également d’Isabeau de Bavière, qui fait alliance avec Louis d’Orléans. Le 23 novembre 1407, c’est en sortant de chez la reine, qui vient d’accoucher, que le duc d’Orléans est assassiné devant la porte Barbette sur l’ordre de Jean sans Peur. Le crime, avoué par le duc de Bourgogne, ouvre une longue guerre civile en France : la querelle entre Armagnacs et Bourguignons. Louis Ier le Pieux ou le Débonnaire, roi d’Aquitaine de 781 à 814, empereur de 814 à 840 (Chasseneuil ou Casseuil, Poitou, 778 - près d’Ingelheim 840).
En tant que successeur de Charlemagne à la tête de l’Empire carolingien, Louis Ier le Pieux, troisième fils de Charlemagne et d’Hildegarde, a la charge difficile de maintenir l’unité de l’Empire. Cette unité, qui est la condition de la réussite carolingienne, se heurte aux pratiques de partage patrimonial du pouvoir. Dans un premier temps, la chance veut que Louis le Pieux, d’abord roi d’Aquitaine dès 781, avant d’être couronné empereur en 816 à Reims, demeure le seul héritier de l’Empire restauré par son père. Mais Louis le Pieux a lui-même trois fils. Les évêques de son entourage le poussent à adopter, dès 817, afin de préserver, à l’avenir, l’unité impériale, un principe de succession, l’Ordinatio imperii, qui constitue un compromis avec la coutume du partage successoral de l’État franc. Ainsi, ce règlement prévoit que seul le fils aîné de l’empereur, Lothaire, pourra succéder à son père, privant les deux autres fils, Pépin et Louis le Germanique, de leurs droits de souveraineté. • La querelle successorale. La venue d’un quatrième fils, le futur Charles le Chauve, né en 823 d’un second mariage de Louis le Pieux, downloadModeText.vue.download 545 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 534 avec Judith de Bavière, de la famille des Welf, sert de prétexte à une querelle successorale : les tenants du retour à la coutume franque du partage territorial entre héritiers s’opposent aux partisans de l’unité impériale. Ces derniers tentent de destituer l’empereur en 830. En effet, ils cherchent à placer Lothaire sur le trône, afin d’obvier aux velléités impériales de partage de l’Empire en faveur de Charles. Pour déjouer ce complot, Louis le Pieux s’associe alors à ses fils puînés Pépin et Louis le Germanique, moyennant la promesse d’accroître leurs possessions territoriales. Allant à l’encontre de l’idéologie impériale, une première division de l’Empire carolingien en trois parts égales est réalisée en 831. La décision de l’empereur d’augmenter une nouvelle fois la part d’héritage de Charles provoque une seconde coalition de ses fils et la désertion de l’armée, qui rejoint les princes royaux (à la fin de juin 833, au lieu baptisé « le Champ du mensonge », près de Colmar). Contraint d’abdiquer, Louis le Pieux, accusé de trahison par l’assemblée de Compiègne le 1er octobre 833, prend l’habit de pénitent le 8 octobre. • Vers la désagrégation de l’Empire. Après
avoir régné une première fois de mai à octobre 830, Lothaire redevient empereur, mais les relations vassaliques jouent encore une fois en faveur de son père. En effet, mécontents de sa politique, les évêques redonnent le pouvoir à l’empereur déchu, qui est de nouveau couronné, à Metz, le 28 février 835. En mai 839, au lendemain de la mort de Pépin (838), l’assemblée de Worms prévoit la division de l’Empire entre Charles et Lothaire. Louis le Pieux meurt en 840, alors qu’il tentait de soumettre Louis le Germanique, écarté de ce partage. Dès lors, les luttes incessantes aboutissent au traité de Verdun (843) et à la division de l’Empire en trois parties : Francie orientale (Louis le Germanique, 843/876), Francie occidentale (Charles II le Chauve, 843/877), Francie médiane et Italie (Lothaire Ier, 840/855). L’idée impériale s’est enlisée dans les querelles fratricides, avivées par l’appétit des grands (évêques et comtes), lui-même aiguisé par l’extension des relations feudovassaliques. Le projet unitaire élaboré par les clercs est condamné. Désormais, dépourvu d’assise territoriale, seul le titre impérial survit, conduisant ainsi la géographie politique à évoluer au gré des successions. Les forces de désagrégation de l’Empire carolingien sont à l’oeuvre. Louis II de Bourbon, duc de Bourbon et comte de Clermont-en-Beauvaisis en 1356, comte de Forez en 1372, seigneur du Beaujolais en 1400 (1337 - Montluçon 1410). Louis II de Bourbon est le fils de Pierre Ier de Bourbon et d’Isabelle de Valois. En 1360, il est l’un des otages retenus en Angleterre pour garantir l’exécution du traité de Brétigny-Calais. De retour sur ses terres en 1366, il fonde l’ordre de chevalerie de l’Écu d’or. Il mène une active politique d’expansion territoriale qui se traduit en 1372, à la suite de son mariage avec Anne Dauphine, par l’annexion du Forez. Il acquiert Château-Chinon en 1394, et le Beaujolais en 1400. Enfin, en mariant son fils Jean avec Marie de Berry, il prépare le rattachement futur de l’Auvergne au Bourbonnais, qui interviendra en 1425. Parallèlement, il dote ses territoires d’institutions modernes, à l’image de la chambre des comptes de Moulins, qu’il fonde en 1374. Chambrier de France, Louis II est un fidèle serviteur de Charles V. Dans les années 1370, il participe à la « reconquête du royaume » en Guyenne, Poitou et Auvergne. En 1380, il fait partie du « gouvernement des oncles » pendant la
minorité de Charles VI. En 1388, il continue à siéger au Conseil royal aux côtés des marmousets, pour lesquels il est le prince idéal des fleurs de lis. La folie de Charles VI en 1392 et les dissensions qui s’ensuivent entre les ducs d’Orléans et de Bourgogne l’affectent grandement. Après l’assassinat de Louis d’Orléans (1407), il se retire dans son duché. Louis II le Bègue, roi des Francs de 877 à 879 (846 - Compiègne 879). Unique fils survivant de Charles le Chauve et d’Ermentrude, Louis est en mauvais termes avec son père depuis qu’il a épousé, malgré celui-ci, Ansegarde, qui lui a donné les futurs Louis III et Carloman. Contraint de s’en séparer, il se marie avec Adélaïde, qui sera la mère du futur Charles III le Simple. Avant de partir pour l’Italie à la demande du pape Jean VIII en 877, l’empereur Charles le Chauve prend soin d’entourer son fils d’un Conseil. Malgré cela, Louis le Bègue, sitôt qu’il apprend la mort de son père le 10 octobre 877, redistribue les « honneurs » - comtés, abbayes et autres biens -, enfreignant ainsi le capitulaire de Quierzy de Charles le Chauve, qui préserve les droits de ceux qui l’ont accompagné en Italie et de leurs descendants. Juste après son élection et son couronnement à Compiègne par Hincmar de Reims, le 8 décembre 877, Louis le Bègue affronte donc une coalition des grands du royaume. Il cède immédiatement en promettant de respecter les droits et privilèges de chacun. Ce règne est marqué par deux événements qui soulignent la faiblesse des Carolingiens. Le premier est le concile de Troyes (juillet 878), où le pape Jean VIII appelle en vain les Carolingiens au secours du Saint-Siège. Le second est l’entrevue de Fouron, entre Louis le Bègue et Louis le Jeune, roi de Germanie, à l’occasion de laquelle est renouvelé le traité de Meerssen (870), qui partage la Lotharingie. Lorsque Louis le Bègue, très malade, meurt au cours d’une expédition en Aquitaine, son fils Louis III, à qui est bientôt adjoint le jeune Carloman, hérite d’un pouvoir royal affaibli par le doute qui pèse sur la légitimité de l’union de ses parents. Louis III le Victorieux, roi des Francs de 879 à 882 (vers 863 - Saint-Denis 882). À la mort de son père, Louis II le Bègue, Louis hérite de la Neustrie et de la Francie, tandis que son frère puîné, Carloman, reçoit la Bourgogne et l’Aquitaine. C’est conjointement qu’ils dirigent le royaume carolingien
émietté : Boson, beau-frère de l’empereur Charles le Chauve, se fait élire roi de Bourgogne et de Provence, tandis que la Lotharingie occidentale doit être cédée au roi de Germanie, Louis le Jeune. À la mort de Louis III, Carloman reste l’unique souverain du royaume des Francs occidentaux. Louis IV d’Outremer, roi des Francs de 936 à 954 (vers 921 - Reims 954). Le règne de Louis IV d’Outremer, fils de Charles III le Simple et d’Ogive d’Angleterre, est emblématique de la mainmise des princes sur le pouvoir du roi, à l’approche de l’an mil. Dans le contexte du démembrement territorial de l’ancien Empire carolingien, l’élection de Louis IV est liée à l’autorité d’Hugues le Grand, fils de Robert Ier, et véritable maître du royaume. Pour avoir négocié le retour d’Angleterre du jeune Louis, alors âgé de 15 ans, qui y était élevé - d’où son surnom - avec les grands princes du nord de la Loire, Hugues le Grand croit tenir le roi sous sa coupe. Sacré à Laon le 19 juin 936, Louis IV possède, en effet, plus un titre qu’un territoire : son royaume s’étend seulement sur une demi-douzaine de domaines. Dès son avènement, il doit également reconnaître à Hugues le titre de duc des Francs. L’autorité royale continue ainsi à être disputée entre Robertiens et descendants de Charlemagne, au détriment de l’unité du royaume. Cependant, Louis IV s’efforce de constituer, à l’instar des princes, son propre réseau de fidélités et sa propre assise territoriale. Dès 937, il essaie également de se défaire de l’emprise d’Hugues le Grand en favorisant le jeu des princes rivaux pour s’emparer des fiefs provenant de l’héritage carolingien. Cependant, l’arbitrage politique d’Otton Ier, roi de Germanie, auquel les succès remportés sur les Saxons assurent une suprématie incontestable, a tôt fait de contrecarrer les prétentions royales sur l’héritage territorial de Charlemagne. Captif d’Hugues le Grand qui le fait tomber aux mains des Normands en 945, Louis IV n’est délivré qu’après avoir remis la ville de Laon, la dernière possession des Carolingiens. En 946, quand il recouvre la liberté, le roi ne possède presque plus rien. En 948, l’alliance d’Otton Ier jouant cette fois en sa faveur, Louis IV peut exercer une autorité réelle sur une partie de la France mineure, après l’excommunication d’Hugues le Grand aux conciles de 947-948. Sa légitimité n’est plus contestée. Il meurt accidentellement en septembre 954, laissant un fils aîné qui lui
succède. Son règne n’a pu faire écran à l’exercice princier des pouvoirs régaliens, ni empêcher la répartition du pouvoir entre les grands féodaux. Néanmoins, Louis IV d’Outremer a réussi à éviter la sécession de la Normandie et à faire renouveler, au moyen de l’hommage, l’aveu public de sa supériorité. Un premier pas vers le retour à l’exercice du pouvoir par le roi. Louis V le Fainéant, roi des Francs de 986 à 987 (vers 967 - Compiègne 987). Dès 979, Louis V est couronné et associé au gouvernement mais n’hérite du royaume qu’en 986. Autoritaire (le surnom de « Fainéant » est tardif), il poursuit la politique antigermanique de son père, Lothaire, en s’opposant à l’archevêque de Reims, AdalbédownloadModeText.vue.download 546 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 535 ron, agent des ingérences ottoniennes. Dernier souverain de la dynastie carolingienne, il meurt le 21 mai 987 des suites d’une chute de cheval, laissant le royaume aux mains d’Hugues Capet, proclamé roi le 1er juin 987 et sacré par Adalbéron un mois plus tard. Louis VI le Gros, roi des Francs de 1108 à 1137 (Paris, vers 1081 - id. 1137). Le règne de Louis VI le Gros marque une étape décisive dans l’affermissement de la monarchie capétienne. Fils aîné de Philippe Ier et de Berthe de Hollande, marié en 1115 à Adélaïde de Savoie, Louis VI est associé au gouvernement du royaume de France dès 1100. À la mort de son père, il est sacré en hâte à Orléans, en août 1108, tant reste fragile l’hérédité dynastique, que le sacre ne fait qu’affirmer, mais ne légitime pas. En effet, la faiblesse de la dynastie capétienne au XIIe siècle rend celle-ci étroitement dépendante de l’élaboration de l’idée monarchique. Les fondements de la puissance royale reposent alors sur la monarchie sacrée mais aussi sur la monarchie administrative et sur la consolidation du domaine royal. • L’affirmation de la monarchie. En la personne de Suger (1081-1151), abbé de SaintDenis, Louis VI trouve un administrateur hors pair, dont il fait son principal conseiller poli-
tique, après avoir subi l’emprise du sénéchal Étienne de Garlande. Louis VI se consacre alors à la pacification du domaine royal, puis à son agrandissement. En 1110, il défait son propre demi-frère Philippe de Montlhéry, puis Hugues du Puiset, l’année suivante, et de nombreux autres seigneurs, notamment Hugues de Crécy et Thomas de Marle, sire de Coucy, en 1130. Il rattache alors leurs terres au domaine royal. Jointes à une habile politique matrimoniale ainsi qu’à une application du droit féodal, ou encore à l’achat de terres, ces conquêtes militaires permettent de soumettre progressivement les seigneurs insurgés d’Île-de-France. En même temps qu’il affermit son autorité sur le domaine royal, Louis VI sait jouer des forces économiques nouvelles et de l’accélération de la croissance urbaine pour faire reculer l’autorité féodale exercée sur les villes. Il tente ainsi de limiter le pouvoir des seigneurs en encourageant le mouvement communal sur les fiefs de ses vassaux. La création de communautés rurales (telle celle de Lorris, en Gâtinais) participe de la même volonté de se soustraire aux solidarités juridiques de la féodalité. • Rivalités et conflits. Au-delà du domaine royal, Louis VI s’emploie encore à exercer la justice royale dans les grands fiefs seigneuriaux. Il exige l’hommage de ses vassaux et réussit ainsi à soumettre les ducs d’Aquitaine et de Bourgogne. Grâce à l’aide de ses vassaux, il peut, en 1124, faire reculer l’empereur germanique Henri V, gendre et allié d’Henri Ier d’Angleterre, qui s’apprête à envahir le royaume. Mais il doit aussi faire face aux prétentions de certaines principautés et, notamment, aux revendications territoriales de son vassal Henri Ier Beauclerc, duc de Normandie et roi d’Angleterre. À partir de 1109, la rivalité qui oppose ce dernier au roi de France s’épuise en guerres incessantes. Marquées par de graves défaites (abandon du Vexin normand, à Brémule, le 20 août 1119), celles-ci durent pendant plus de vingt cinq ans. Ce conflit est ravivé par le soutien qu’apporte le roi aux prétentions de Robert II Courteheuse - dépouillé de la Normandie par son frère Henri Ier - puis, à partir de 1120, de son fils Guillaume Cliton au trône d’Angleterre. Mais Louis VI ne réussit pas davantage à imposer ce dernier en Flandre. S’il a tenté une première fois de mettre en échec la coalition qui se dessine entre l’Empire, l’Angleterre, la Normandie et les maisons alliées de Blois et de Champagne, il doit faire face, en 1127, à une
seconde menace : l’alliance entre l’Angleterre, la Normandie, la Flandre et l’Anjou. Pour écarter le péril que représente la maison de Blois-Champagne, Louis VI associe au trône, dès 1129, son fils aîné, Philippe, qui meurt accidentellement le 13 octobre 1131, puis son deuxième fils, le futur Louis VII, en 1131. À la fin du règne de Louis VI, le domaine royal s’étend de l’Île-de-France aux Pyrénées (par le mariage du futur Louis VII avec l’unique héritière du duc d’Aquitaine). La fonction royale commence à s’affirmer comme symbole de l’autorité souveraine, théorisée par Suger dans sa Vie de Louis VI le Gros. Louis VII le Jeune, roi des Francs de 1137 à 1180 (vers 1120 - Paris 1180). Deuxième fils de Louis VI et d’Adélaïde de Savoie, Louis VII continue la politique d’affermissement de la monarchie capétienne menée par son père sous la conduite de l’abbé de Saint-Denis, Suger. Associé au trône du vivant de son père, dès 1131, il est sacré à Reims le 25 octobre de la même année par le pape Innocent II. Dès le début de son règne, Louis VII poursuit la mise en valeur du domaine royal, au moyen des défrichements ou des concessions de privilèges aux communautés rurales. Il apporte également son soutien au mouvement d’émancipation des villes en accordant de nombreuses chartes de bourgeoisie (Étampes, Bourges). • Le conflit avec l’Église. Cependant, en 1141, il se heurte à l’autorité de l’Église dans le violent conflit qui l’oppose au pape Innocent II et au comte Thibaud IV de Champagne, à propos de l’élection de l’archevêque de Bourges. Excommunié par le pape pour son intervention dans l’élection épiscopale - qui pose le problème du partage des pouvoirs entre l’Église et la royauté -, Louis VII mène ensuite une guerre assidue contre le candidat d’Innocent II. Réfugié en Champagne, il fait brûler 1 300 personnes dans l’église de Vitry, en 1142. Pour faire lever l’interdit mis par le pape sur le royaume, il accepte finalement l’élection de Pierre de La Châtre, qui marque la fin de la crise des relations entre la France et le souverain pontife. La conciliation est effective en 1144. Entendant manifester sa foi et surtout son désir de ne pas laisser au pape l’initiative de la croisade en Terre sainte, le roi décide de porter secours aux chrétiens de Syrie, à la suite de la prise d’Édesse, en décembre 1144. Premier roi de France à prendre la croix, à l’occasion
de la deuxième croisade prêchée par saint Bernard, il laisse alors le royaume en régence à l’abbé Suger pendant son absence, de 1147 à 1149. À son retour, il doit mener un combat difficile dont l’enjeu est la survie de la dynastie capétienne. • L’expansion anglaise. La prononciation, en mars 1152, de son divorce avec Aliénor d’Aquitaine, qu’il a épousée en 1137, rend possible le mariage de celle-ci avec Henri Plantagenêt. Or, ce remariage permet la constitution d’un vaste domaine féodal - allant de la Normandie à l’Aquitaine - qui échappe à la couronne de France. De 1152 à 1180, un long conflit, entrecoupé de trêves, oppose Louis VII à Henri Plantagenêt, devenu roi d’Angleterre sous le nom d’Henri II, en 1154. Pour lutter contre les prétentions de la maison Plantagenêt sur les possessions françaises dans l’Ouest et dans le Midi (notamment en Aquitaine), Louis VII renoue d’abord avec la maison de Blois-Champagne et mène une habile politique matrimoniale (mariage en troisièmes noces avec Adèle de Champagne, soeur des comtes de Blois et de Champagne, en 1160). Ne réussissant pas à affaiblir son adversaire, Louis VII finit par soutenir l’archevêque de Cantorbéry, Thomas Becket (1118-1170), et les fils révoltés d’Henri II. Exploitant ainsi les rivalités au sein de la maison des Plantagenêts, le roi ne parvient cependant pas à empêcher la suzeraineté d’Henri II sur le sud de la France. Lorsqu’il meurt le 18 septembre 1180, après avoir associé à la couronne en 1179 son fils, le futur Philippe II Auguste (1180/1223), afin d’assurer la continuité dynastique, Louis VII n’a donc pas réussi à contenir l’expansion anglaise. Mais, si le royaume a perdu en puissance et en étendue, l’autorité du roi capétien s’est renforcée, en raison de la transformation de la cour du roi. Le rôle des légistes est désormais déterminant et l’emporte sur celui des vassaux, qui reconnaissent la suprématie de la justice du roi. Paris est devenu à la fois le lieu de séjour habituel du souverain et le siège ordinaire du gouvernement. La publication des premières ordonnances royales a aussi contribué à poser les fondements d’une action administrative de la royauté - véritable conquête du règne de Louis VII. Louis VIII le Lion, roi de France de 1223 à 1226 (Paris 1187 - Montpensier 1226). Il est le premier roi capétien à monter sur le trône sans avoir été associé à la couronne du
vivant de son prédécesseur, son père Philippe Auguste (1180/1223). Il n’accède à la royauté qu’à la mort de ce dernier, le 14 juillet 1223, et il est sacré le 6 août suivant. Dans les années qui précèdent son couronnement, il participe aux campagnes victorieuses de son père. En 1215, il se voit offrir la couronne d’Angleterre - à charge pour lui de la conquérir - par les barons anglais révoltés contre Jean sans Terre. Il débarque en Angleterre en mai 1216. Cependant, l’intervention du pape - qui s’oppose à son projet -, la mort de Jean sans Terre en octobre, l’accession au trône du fils de ce dernier - Henri III, auquel les Anglais se rallient - et une défaite subie en 1217 l’obligent à renoncer à ses prétentions (traité de Kingston, septembre 1217). downloadModeText.vue.download 547 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 536 En France, son court règne est marqué par l’implantation capétienne dans le Poitou et la conquête du Midi hérétique. Profitant des discordes que ne peut réduire son rival anglais Henri III, le jeune roi s’empare des villes de Niort, Saint-Jean-d’Angély et La Rochelle au cours de l’été 1224. Louis VIII participe ensuite à la croisade contre les albigeois, en 1226. La répression de l’hérésie cathare vise en réalité à la « colonisation » politique du Languedoc. L’habileté diplomatique du roi lui permet d’abord d’obtenir l’excommunication du comte Raimond VII de Toulouse dans le but d’éviter la reconstitution du comté de Toulouse. Cette politique lui vaut l’appui des évêques et lui facilite la reddition des villes (Nîmes, Beaucaire, Tarascon, Carcassonne). Avignon est prise après un siège de trois mois et le bas Languedoc est rapidement occupé par les troupes royales. Sur le chemin du retour de cette croisade contre les albigeois, Louis VIII meurt brutalement d’une crise de dysenterie, le 8 novembre 1226. Le surnom de « Coeur de Lion » lui est donné après sa mort, à la suite de la diffusion d’une prophétie attribuée à Merlin et interprétée dans un sens politique : le roi est identifié au « lion » mentionné dans l’un des versets prophétiques. La mort de Louis VIII pose alors un problème encore inconnu de la dynastie capétienne : celui d’une régence. Dévolue à Blanche de Castille, mariée à Louis VIII en 1200 et dont elle a eu douze enfants, cette régence offre aux féodaux l’occasion de jouer un
nouveau rôle contre les progrès de l’autorité monarchique avant la majorité de Louis IX, le futur Saint Louis. l LOUIS IX. Devenu Saint Louis vingt-sept ans après sa mort, le roi Louis IX est sans doute, entre son grand-père Philippe Auguste et son petit-fils Philippe le Bel, l’une des figures les plus prestigieuses de la monarchie française. L’hagiographie, relayée par une imagerie simplificatrice, n’a guère restitué la mesure de cette personnalité complexe, dont la richesse continue d’intriguer et de fasciner les historiens contemporains. Le roi à la piété fervente, le croisé hanté par la reconquête de la Terre sainte, est aussi le réformateur énergique de son royaume, l’arbitre que toute l’Europe a sollicité pour ses vertus de conciliation. LES ANNÉES DE FORMATION Deuxième des huit fils de Louis VIII et de Blanche de Castille, le futur Louis IX naît sans doute à Poissy le 25 avril 1214. Il n’a que 12 ans lorsque son père meurt, au retour d’une expédition victorieuse en Languedoc (1226). De crainte d’avoir à affronter une coalition de féodaux, sa mère et les conseillers de Louis VIII hâtent son adoubement et son sacre, auquel certains barons s’abstiennent de paraître. Mais la reine sait se concilier le comte de Champagne et déjouer une tentative des grands pour s’emparer de la personne du roi ; elle conduit l’armée royale en Champagne et en Bretagne pour tenir les opposants en respect. Son principal succès est, en 1229, la conclusion du traité qui ramène le comte de Toulouse dans l’obéissance au roi. L’éducation donnée par la reine Blanche de Castille à son fils marque profondément le futur monarque : elle allie de solides principes moraux et religieux à un apprentissage du métier royal qui inclut à la fois l’art du combat et les disciplines intellectuelles. Si les historiens ont insisté, à juste titre, sur le rôle de sa mère, il faut également faire la part des vieux conseillers de son père dans ces années de formation. Marié en 1234 à Marguerite, fille du comte de Provence, Louis continue d’associer sa mère au gouvernement. Mais des dangers à la fois intérieurs et extérieurs menacent son royaume. Il doit affronter une coalition qui réunit le roi Henri III d’Angleterre, les comtes de la Marche et de Toulouse, soutenus par l’empereur Frédéric II. Ses victoires décisives
de Taillebourg et de Saintes (1242) entraînent la soumission des deux comtes et la retraite du roi d’Angleterre. LA CROISADE La chute de Jérusalem (août 1244) est certainement à l’origine de la prise de croix du roi, qui émet son voeu durant une grave maladie, indépendamment de la proclamation de la croisade par le pape. Préparée avec beaucoup de soin sur le plan logistique et financier, l’expédition met à contribution les églises et les villes. Le roi y ajoute une préparation morale : des religieux mènent une grande enquête sur les torts que ses agents et ceux de ses prédécesseurs ont pu infliger aux sujets du royaume, ce qui le conduit à prendre des sanctions contre certains de ses gens. Partie d’Aigues-Mortes le 25 août 1248, l’expédition séjourne longuement à Chypre, avant de se porter sur Damiette, port égyptien, que ses défenseurs abandonnent. On attend cependant la fin de la crue du Nil pour entamer une marche sur Le Caire. Mais la croisade tourne mal dans les mois qui suivent : la progression est difficile, et l’armée ne parvient pas à s’emparer de la forteresse de Mansourah (8 février 1250) ; exténuée par une épidémie, elle est obligée de battre en retraite, avant d’être écrasée par les Égyptiens. Comble de l’humiliation, le roi et une partie de son armée sont faits prisonniers (6 avril 1250). Louis est libéré le 6 mai suivant, moyennant la restitution de Damiette au sultan, tandis que ses compagnons le seront en contrepartie d’une forte rançon. Mais les vainqueurs ne tiennent pas leurs engagements, et le roi doit renoncer à rentrer en France pour ne pas laisser ses hommes prisonniers. Ainsi est-il amené à séjourner quatre ans en Terre sainte, s’employant à faire renforcer les défenses des places fortes tenues par les chrétiens, et à mener avec les princes musulmans un jeu diplomatique qui lui permet d’obtenir la libération des captifs et la conclusion d’une trêve. Le 25 avril 1254, il peut repartir pour la France, où Blanche de Castille, à qui il a confié la régence, est parvenue à arrêter le mouvement insurrectionnel des pastoureaux : ces bandes de paysans, qui s’étaient rassemblées avec l’intention de délivrer le roi, avaient fini en effet par menacer la sécurité publique par leurs pillages et exactions. Le roi a ainsi concilié son devoir envers les autres croisés et les chrétiens d’Orient, et sa dévotion pour la Terre sainte, en laquelle il
voit, tout comme ses contemporains, le mémorial de la Passion du Christ. Il ne s’en désintéressera plus, lui fournissant des secours en hommes et en argent. LA RÉFORME DU ROYAUME Selon Jean de Joinville, le roi aurait été impressionné par la prédication du franciscain Hugues de Barjols, rencontré à Hyères au retour d’Orient, qui « enseigna au roi en son sermon comment il se devait conduire au gré de son peuple ». Mais il est probable que sa décision d’oeuvrer à la réforme du royaume est surtout la conséquence des enquêtes menées avant 1247. L’objet de l’ordonnance de décembre 1254 est d’assurer aux sujets une justice impartiale en interdisant aux baillis et sénéchaux de recevoir quelque cadeau que ce soit, directement ou non, de leurs justiciables, et en les soumettant à une enquête à leur sortie de charge, sans préjudice du contrôle des auditeurs des comptes et des enquêteurs royaux. Eux-mêmes doivent veiller à l’incorruptibilité des prévôts et autres officiers subalternes. Très détaillée, l’ordonnance cherche à abolir des pratiques tolérées jusqu’alors. À celle-ci s’en ajoutent d’autres, notamment celle de 1262 qui place l’administration des villes de commune sous le contrôle des officiers du roi, qui doivent vérifier leurs comptes et empêcher que des oligarchies municipales n’exploitent les villes à leur profit. L’envoi d’enquêteurs devient régulier : il s’agit désormais de clercs du roi, qui sont assistés par des dominicains et des franciscains ; leur mission comporte également le maintien des droits du monarque. Jusqu’alors, la cour royale avait tenu ses assises irrégulièrement, au hasard des déplacements du souverain. Louis IX leur substitue, à partir de 1254, des réunions à date fixe et à Paris, qui prennent le nom de « parlements », et sont destinées à recevoir les appels des sentences des baillis ou des grands féodaux. Ce qui n’empêche pas le roi de juger lui-même des affaires ailleurs qu’en sa cour - sous un chêne à Vincennes, par exemple -, en s’entourant du conseil de ses clercs. Louis IX s’attaque aussi à l’usure, au blasphème, aux jeux de hasard. Mais il décide également d’abolir la coutume du duel judiciaire, qui permettait à un accusé de prouver la véracité de ses dires en s’exposant à la mort en champ clos. Édictée en 1261, cette ordonnance suscite une vive résistance de la part
des barons, surtout lorsque le roi soumet à la procédure d’enquête le sire de Coucy, accusé de meurtre. Dans ce domaine se manifeste l’influence des légistes, formés dans les écoles, dont Louis s’est entouré non sans provoquer le mécontentement d’une grande partie de l’opinion ; celle-ci reste en effet attachée à la notion de droit fondé sur la présomption de loyauté. Le roi se fait ainsi l’artisan de l’introduction de nouvelles formes juridiques. LE ROI CONCILIATEUR ET ARBITRE L’autorité morale de Louis IX se manifeste par le grand nombre d’arbitrages qui lui sont demandés, y compris hors de son royaume. downloadModeText.vue.download 548 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 537 La succession de la comtesse Jeanne de Flandre, disputée entre les Avesnes et les Dampierre, issus des deux mariages de sa soeur Marguerite, amène le roi à rendre deux arrêts, en 1246 et en 1256 ; déboutant son frère Charles Ier d’Anjou, qui s’était fait céder le Hainaut, il attribue ce comté aux Avesnes, et la Flandre aux Dampierre. Il arbitre également les différends qui opposent les comtes de Champagne et de Bretagne, le comte Jean de Chalon et son fils Hugues, les bourgeois de Besançon et leur archevêque, ceux de Lyon et leurs chanoines, Charles d’Anjou et la comtesse de Provence. Il parvient à mettre un terme à la difficile affaire de Ligny par laquelle s’affrontaient les comtes de Bar, de Luxembourg et de Champagne. Mais, invité à arbitrer le conflit entre Henri III d’Angleterre et ses barons conduits par Simon de Montfort, il se refuse à entériner l’atteinte au pouvoir royal que constituent à ses yeux les provisions d’Oxford. Cette tentative d’arbitrage débouche sur un échec (1264). Lui-même essaie de mettre fin aux querelles qui opposent la France à l’Aragon et à l’Angleterre. Le roi d’Aragon accepte de renoncer à ses droits prétendus dans le midi de la France, en échange de l’abolition de la suzeraineté française sur la Catalogne. Par le traité de Paris (1259), Henri III d’Angleterre renonce à ses prétentions sur la Normandie, l’Anjou et le Poitou, et accepte, moyennant des compensations territoriales et financières, de faire hommage au roi pour la Guyenne. Louis pense ainsi avoir rétabli la concorde
entre les deux dynasties, qui étaient en état de guerre depuis 1204. LA CONSOLIDATION DE L’AUTORITÉ ROYALE L’humilité personnelle dont fait preuve le roi ne l’empêche pas de maintenir le prestige d’une couronne dont la dignité est rehaussée par son élection divine. Il ne néglige pas l’éclat des fêtes, et rappelle vigoureusement à Frédéric II le respect dû à la royauté française, lors de l’arrestation de prélats français se rendant à un concile. Louis a évité de recourir aux mesures de rigueur utilisées par ses prédécesseurs lorsqu’il a mis au pas l’aristocratie féodale, au début de son règne. Il a voulu réaliser, semble-t-il, un équilibre entre l’autorité royale et les droits des grands barons, en faisant d’eux les auxiliaires de son gouvernement, notamment en matière de justice. En prenant l’habitude de fréquenter la cour, en siégeant au Conseil et au Parlement, les barons sont impliqués dans l’exercice du pouvoir royal. Ce n’est pourtant pas parmi eux que le roi a cherché ses collaborateurs les plus proches, à la notable exception de Simon de Nesle : en règle générale, ce sont des chevaliers de moindre rang, petits châtelains, tel Pierre de Nemours-Villebéon, ainsi que des prélats souvent issus du même milieu, voire de plus modeste extraction. C’est dans ce souci de consolidation de l’autorité royale qu’il faut situer ses réformes monétaires, qui s’échelonnent de 1262 à la fin de son règne. Le roi décrète (1263-1266) que sa monnaie, à la différence de celles de ses barons, aura cours dans tout le royaume. La création du « gros tournois » d’argent est un véritable succès, qui se confirmera jusqu’au XIVe siècle. LE ROI ET L’ÉGLISE La piété est l’élément dominant du comportement public de Louis IX. Le roi a été assidu aux offices, à la lecture de ses heures, et surtout aux sermons, et très attaché à la visite des sanctuaires, à la vénération des reliques, à l’obtention des indulgences. Ayant acheté fort cher à l’empereur Baudouin II de Constantinople les reliques de la Passion, il fait bâtir pour elles la Sainte-Chapelle de Paris (12421247). Sa dévotion s’exprime aussi dans le cadre traditionnel de la prière pour les morts :
il fonde le monastère cistercien de Royaumont ; à Saint-Denis, il fait réaménager les tombeaux de la nécropole royale, et réserve désormais la sépulture dans la basilique aux seules personnes qui ont porté la couronne. Prodiguant ses libéralités aux ordres nouveaux voués à la pauvreté, il participe activement aux oeuvres d’assistance, multipliant les aumônes, bâtissant des hôtels-Dieu, confiés en particulier aux trinitaires. Il tient à servir lui-même les pauvres, et tout spécialement les lépreux. Si son incontestable piété fait de lui un fils dévoué de l’Église, il n’abandonne aucune des prérogatives de la royauté, notamment en matière de régale des évêchés. Il se refuse à prêter l’aide du bras séculier pour renforcer les sentences d’excommunication ; il l’accorde pour la lutte que mène l’Inquisition contre l’hérésie cathare, mais il n’a pas pris lui-même d’initiative dans ce domaine. Il fait détruire par le feu les exemplaires du Talmud, à la suite de la dénonciation de la présence de passages « blasphématoires » dans ce livre. D’autre part, les juifs ont été particulièrement visés par sa lutte contre l’usure : il a prétendu leur interdire cette pratique. Soucieux de ne pas prendre parti dans la querelle entre la papauté et l’Empire, il refuse d’accueillir Innocent IV dans le royaume ; mais il lui assure une protection indirecte pendant son séjour à Lyon, ville d’Empire. L’extension de la juridiction ecclésiastique a amené les barons français à adhérer à certaines thèses impériales ; le roi de France a accordé un soutien modéré à ce mouvement, tout en cherchant lui aussi à limiter cette extension. En revanche, il appuie vigoureusement l’installation des franciscains et des dominicains, dont il apprécie la culture, et qu’il a invités à participer à ses enquêtes. Il les épaule dans leur conflit avec les universitaires parisiens, et s’attire ainsi les sarcasmes du poète Rutebeuf, qui l’accuse d’être dominé par les « mendiants ». LA FIN DU RÈGNE Le souci de la conservation de la Terre sainte ne quitte pas le roi Louis. Cette préoccupation est connue jusque chez les Mongols, avec lesquels il est entré en rapport dès 1249 en leur envoyant André de Longjumeau. En 1262, le khan de Perse, Hulegu, lui écrit pour lui proposer une alliance contre les mamelouks d’Égypte. La reprise de la guerre avec ceuxci, en 1263, est à l’origine de la décision de
Louis, en 1267, de se croiser une seconde fois. Comme lors de la première croisade, le roi prépare avec soin son expédition. Il prend la mer le 1er juillet 1270 ; à l’escale de Cagliari, il désigne Tunis comme but de la campagne, soit parce qu’il a été informé de l’intention du roi de ce pays de se faire chrétien, soit parce qu’il a appris que les Mongols demandaient un délai. Le débarquement réussit, mais les espoirs de conversion de l’émir musulman s’évanouissent. Une épidémie - de typhus ou de dysenterie - décime l’armée ; le roi, très affaibli, meurt devant Carthage le 25 août 1270. Son frère Charles d’Anjou, dont il avait accepté qu’il devînt roi de Sicile, arrive à temps pour faciliter la retraite de l’armée ; mais une tempête détruit les vaisseaux, et la croisade prend fin. DE LA CANONISATION AUX CONTROVERSES Après l’ensevelissement des entrailles du roi à Monreale, en Sicile, son corps est ramené en France pour être enterré dans la nécropole de Saint-Denis. Déjà, on mentionne des faits miraculeux, à la fois en Sicile et à Saint-Denis. Néanmoins, il en faut plus à la curie romaine pour accepter la sainteté du défunt monarque. C’est pourquoi le pape Grégoire X demande au confesseur du roi, Geoffroi de Beaulieu, d’écrire une vie de celui-ci qui permettra d’ouvrir une enquête et un procès de canonisation. D’abord secrète, l’enquête revêt un caractère public sous Nicolas III, et solennel sous Martin IV. C’est finalement Boniface VIII qui proclame la canonisation, le 11 août 1297. Les dépositions des témoins ont été partiellement utilisées par le confesseur de la reine Marguerite, Guillaume de Saint-Pathus, auteur d’une Vie du roi et du recueil de ses Miracles. Il s’agit pour lui, conformément au schéma de l’enquête, de montrer comment le comportement du roi répondait à la pratique des vertus attendue d’un saint. Ces oeuvres hagiographiques ne donnent évidemment guère la dimension politique du règne. Heureusement, l’une des filles de Louis IX s’avise de demander à l’un des témoins de l’enquête de Grégoire X, Jean de Joinville, alors presque octogénaire, de rapporter ses souvenirs relatifs au roi, dont il a été le confident et le conseiller ; par leur franchise, les Mémoires de Joinville restent un témoignage d’une exceptionnelle valeur historique. Dès lors, le culte du saint roi est largement diffusé. Sa mémoire demeure très présente chez les sujets du royaume, qui ne se font pas faute d’opposer les tares des règnes suivants à
une image idéalisée du temps de Saint Louis ; et sa « bonne monnaie » contribue à renforcer cette image, au moment où sévissent les affaiblissements monétaires. Charles V fait de Saint Louis son modèle. Mais c’est avec les Bourbons, qui se réclament d’un lien particulier avec le saint roi, que celui-ci devient le patron de la monarchie. Déjà mis en cause par les publicistes de son temps pour la faveur qu’il témoignait aux religieux, critiqué au XVe siècle pour sa fiscalité, Saint Louis n’a cependant guère fait l’objet d’une véritable contestation avant la Révolution. Voltaire lui-même, peu porté à approuver sa croisade, voit en lui un modèle de vertu : « Il sut accorder une politique profonde avec une justice exacte, et peut-être estdownloadModeText.vue.download 549 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 538 il le seul souverain qui mérite cette louange. » Mais la Restauration lui substitue Henri IV comme figure emblématique. Le courant anticlérical lui reproche sa dévotion, jugée excessive ; on souligne l’intolérance qui visait les juifs, les cathares et les musulmans. Toutefois, les historiens relèvent le caractère moderne d’un règne qui, par la consolidation énergique qu’il donne à la monarchie française, prépare celui de Philippe le Bel. Le problème qui demeure en suspens est celui de la conformité de la vie de Louis IX avec le modèle de la sainteté : c’est ce qui a amené Jacques Le Goff à se demander si « Saint Louis avait existé », ou si son image était une création de toutes pièces des hagiographes. Louis X le Hutin, roi de Navarre de 1305 à 1316 et roi de France de 1314 à 1316 (Paris 1289 - Vincennes 1316). Fils aîné de Philippe le Bel et de Jeanne de Navarre, Louis le Hutin, c’est-à-dire « le Querelleur », devient, à la mort de sa mère en 1305, roi de Navarre ; mais Philippe le Bel continue de gouverner ce royaume, si bien que Louis y joue un rôle peu important du vivant de son père. Roi de France le 29 novembre 1314, Louis X est sacré à Reims le 24 août 1315. À son avènement, il donne satisfaction aux grands, et notamment à son oncle Charles de Valois, en faisant arrêter et emprisonner les anciens conseillers de Philippe le Bel, très impopulaires. Enguerrand de Marigny est même pendu. En
outre, dans les provinces, la fiscalité royale provoque la rébellion des barons, auxquels Louis X accorde des « chartes de libertés » promettant le retour aux coutumes du temps de Saint Louis. La plus célèbre est la charte aux Normands, octroyée le 19 mars 1315, les Languedociens, Bourguignons ou Picards obtenant également la leur. Prêt à faire des concessions, Louis X réunit, pour la guerre en Flandre, une armée de barons enthousiastes, mais la campagne tourne court, et l’« ost boueux » se disperse à l’automne. Toutefois, les chartes de 1315 ne remettent pas en cause l’autorité monarchique. Louis X en profite même pour intervenir en Artois, où la comtesse Mahaut refuse d’appliquer la charte de libertés baronniales ; mais il meurt, le 5 juin 1316, avant d’avoir pu faire céder la comtesse. À sa mort, Louis X laisse une fille, Jeanne, née de sa première épouse, Marguerite de Bourgogne, emprisonnée pour adultère à Château-Gaillard et morte en 1315. Sa seconde épouse, Clémence de Hongrie, étant enceinte, la régence estconfiée au deuxième fils de Philippe le Bel, qui régnera sous le nom de Philippe V puisque l’enfant - Jean Ier le Posthume - meurt quelques jours après sa naissance. l LOUIS XI. L’historiographie du règne de Louis XI (1461/1483) s’est longtemps réduite à une suite d’images convenues, où la fascination le disputait à la répulsion : de l’empoisonnement supposé de son père Charles VII à l’enfermement de ses ennemis dans des cages d’acier - les célèbres « fillettes » -, de son autoritarisme sans scrupules à ses tactiques et machinations, tous les éléments d’une mythologie noire n’étaient-ils pas réunis ? Au rebours des clichés tenaces qui font de Louis XI l’ultime représentant d’un Moyen Âge ténébreux, les historiens mettent aujourd’hui l’accent sur la modernité de son règne. L’énergie multiforme de ce souverain avide de transformations s’est déployée dans tous les domaines : sous son impulsion, la France est sortie définitivement de la guerre de Cent Ans, l’appareil désuet de la monarchie s’est rationalisé, et le royaume a retrouvé une assise sociale et économique qu’il avait perdue depuis longtemps. UN DAUPHIN REBELLE Fils de Charles VII et de Marie d’Anjou, Louis
naît en 1423 dans l’atmosphère sombre de ce qu’on nomme alors le « royaume de Bourges » : dépossédé d’une moitié de son territoire par l’adversaire anglo-bourguignon, le roi, réfugié au sud de la Loire, ne parvient pas à organiser la riposte militaire qui imposerait sa légitimité ; dans la petite cour itinérante où le futur Louis XI voit le jour, les clans se disputent les faveurs d’un monarque velléitaire. Il est probable que ce spectacle d’une autorité royale doublement ébranlée ait inspiré au dauphin le désir d’y prendre sa part : jusqu’à la mort de Charles VII, sa conduite politique sera marquée au sceau de l’impatience et de l’insoumission ; assoiffé de pouvoir, il saisira toutes les occasions de contrecarrer les desseins de son père. Marié en 1436 à Marguerite d’Écosse, il est chargé, trois ans plus tard, de mettre le Languedoc en état de défense, puis de rétablir l’ordre dans le Poitou. En 1440, il s’associe au soulèvement des grands seigneurs, résolus à défendre leurs prérogatives contre les empiètements de l’administration royale : les conjurés entendent destituer le roi et confier la régence à son fils. Nommé « Praguerie » par allusion aux révoltes des hussites de Bohême, le mouvement est neutralisé par Charles VII, qui accorde habilement concessions et subventions. Louis fait voeu de soumission et obtient le pardon paternel. Afin de l’adoucir et de donner un exutoire à son ambition effrénée, Charles VII lui confie le gouvernement du Dauphiné. Investi de plusieurs missions de confiance, diplomatiques et militaires, Louis ne se résigne pas pour autant à la docilité : il continue d’intriguer, s’opposant aux favoris qui se succèdent à la cour - René d’Anjou, Jean de Calabre, Agnès Sorel. C’est vraisemblablement sous l’influence de cette dernière qu’en 1447 il est relégué dans son fief du Dauphiné. Mesure d’exil toute relative, qui lui permet de s’initier à l’art du gouvernement tout en disposant d’un champ de manoeuvre politique et diplomatique. Premier dauphin à résider dans cette province, il y imprime d’emblée la marque de son administration : un parlement est institué à Grenoble, une université voit le jour à Valence, tandis que la population est accablée d’impôts destinés à payer l’entretien des troupes. Veuf depuis 1444, Louis passe outre à l’opposition paternelle et se remarie en 1451 avec la fille du duc Louis de Savoie, Charlotte. Les alliances qu’il noue avec les princes et les grands - ducs de Bourgogne et d’Alençon, comte d’Armagnac - attestent la volonté de conduire sa propre politique, indifférente aux intérêts du roi. Charles VII ne peut tolérer cette transformation d’un fief en État souverain, et intervient militairement contre son fils. La menace contraint ce dernier à quitter secrète-
ment le Dauphiné à la fin du mois d’août 1456. Réfugié à Genappe, dans le Brabant, auprès du duc de Bourgogne Philippe le Bon, il reçoit de ce dernier une pension annuelle. Situation qui inspire à Charles VII ce commentaire malicieux et prémonitoire : « Monseigneur de Bourgogne reçoit en sa maison un renard qui lui mangera ses poules. » Le duc s’entremet vainement auprès du roi pour faire rentrer en grâce le dauphin. Mais Louis ne désire pas retourner à la cour, où il sait que ses ennemis sont nombreux : le roi, sous l’influence de ses favoris, n’at-il pas envisagé de le faire déshériter au profit de son fils cadet Charles, duc de Berry ? D’après les chroniqueurs, Louis ne cherche nullement à feindre le chagrin lorsqu’il apprend la mort de son père, le 22 juillet 1461. Ironie du sort, ce dauphin avide de gouverner a dû attendre l’âge - inhabituel - de 38 ans pour accéder enfin au trône. LA MONARCHIE AUX ABOIS Sacré à Reims le 15 août, il entend aussitôt marquer de son empreinte le gouvernement du royaume. Révoquant sans ménagement les conseillers de son père, il s’entoure de serviteurs dont le zèle et les compétences lui paraissent indubitables. Ses compagnons d’exil sont appelés à de hautes fonctions, dans une totale indifférence au préjugé nobiliaire : l’exemple le plus célèbre reste celui du barbier Olivier Le Daim, anobli quelques années plus tard et fait comte de Meulan. Par-delà les changements d’hommes, Louis XI instaure une pratique du pouvoir qui rompt entièrement avec les méthodes de son père : tandis que Charles VII s’était entouré de conseillers dont la grande valeur fut à l’origine de la réorganisation des institutions monarchiques, son fils entend décider seul et n’accorder d’autre rôle aux hommes que celui de relais efficace de sa propre puissance. Qualifié d’« universelle araignée » par les chroniqueurs du temps, il tisse une toile politique qui constitue une anticipation en actes des préceptes machiavéliens. À la fois « lion » et « renard » comme le recommandera l’auteur du Prince, il fait primer en toutes circonstances la raison d’État : il éliminera sans scrupule tout ce qui peut en gêner l’exercice. Aussi prend-il la mesure, dès le début du règne, du danger principal qui guette la monarchie française : l’expansion apparemment irrésistible des États bourguignons. La puissance de Philippe le Bon - celui qu’on appelle alors le « duc d’Occident » - est à la fois territoriale, politique et économique. À l’héritage paternel qui lui a apporté Bourgogne, Artois
et Flandre, sont venus s’ajouter, depuis le traité d’Arras (1435), la plus grande partie de la Picardie et plusieurs villes de Champagne ; hors du royaume, ses conquêtes et annexions successives lui ont permis de s’emparer du Hainaut, du Brabant, du Luxembourg et de la quasi-totalité des Pays-Bas. Il est ainsi maître de quelques-unes des villes les plus riches et les plus dynamiques de l’Europe occidentale : Gand, Anvers, Bruges, Amsterdam, Dijon, downloadModeText.vue.download 550 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 539 Lille. Du vivant de Charles VII, le conflit entre la couronne de France et la maison de Bourgogne, quoique toujours latent, avait pu être évité grâce à la modération relative des deux princes. Cet équilibre fragile est rompu par l’irruption de nouveaux protagonistes : tandis que Louis, devenu roi de France, prend ses distances avec le duc de Bourgogne, la maladie et la vieillesse de ce dernier favorisent les ambitions de son fils, le bouillant Charles le Téméraire. Une première crise éclate en 1465. Lorsque des féodaux rétifs aux méthodes autoritaires du nouveau pouvoir forment la ligue dite « du Bien public », Charles le Téméraire se joint à la rébellion, dont la direction - purement nominale - échoit à Charles de France, frère cadet du roi. Après la bataille indécise de Montlhéry (16 juillet), la guerre s’achève par les traités de Conflans et de Saint-Maur, les 5 et 29 octobre. S’il est parvenu à disloquer la coalition en signant des accords séparés avec les principaux chefs, Louis XI n’en doit pas moins consentir une réduction des prérogatives de la couronne : il renonce aux villes de la Somme - qu’il avait obligé Philippe le Bon à lui restituer - et cède la Normandie à son frère Charles. Cette première humiliation montre à Louis XI qu’une partie longue et serrée vient de s’engager, dont le caractère inexpiable autorise tous les coups et tous les procédés. Alléguant l’inaliénabilité de la Normandie, il se délie de ses engagements antérieurs et reconquiert la province à la fin de l’année 1466. De son côté, Charles le Téméraire, devenu duc de Bourgogne à la mort de Philippe le Bon, en 1467, ne dissimule plus ses ambitions : la conquête de la Lorraine lui permettrait d’assurer la continuité territoriale de ses États, du duché de Bourgogne à la Flandre et aux Pays-Bas. Il reconstitue la ligue du Bien public et s’allie en 1468 avec Édouard IV,
le nouveau roi d’Angleterre, dont il épouse la soeur, Marguerite d’York. La puissance de son adversaire conduit Louis XI à chercher une solution négociée à la crise : il propose à Charles le Téméraire une entrevue à Péronne. À cette petite ville picarde restera attaché le plus cinglant camouflet infligé à Louis XI au cours de son règne. Maître dans l’art des tactiques parallèles, Louis XI est, pour une fois, victime de son double jeu : tandis qu’il mène les pourparlers avec le Téméraire, ses agents intriguent auprès des habitants de Liège, sujets bourguignons depuis peu, pour les inciter à la révolte en cas d’échec des négociations ; mais un malentendu amène les Liégeois à se révolter, prématurément, le 9 octobre 1468. Furieux, Charles ne doute pas un instant de la collusion des rebelles et du roi. Il retient celui-ci prisonnier, bien décidé à lui faire payer cette offense. Le 14 octobre, il l’oblige à signer un traité désastreux : Louis XI doit non seulement céder la Champagne à son frère Charles, mais participer en personne à l’écrasement de la révolte liégeoise qui se réclame de son nom. Il ne retrouve la liberté que le 2 novembre. L’EXTENSION DU DOMAINE ROYAL Ne songeant qu’à la revanche, le roi cherche le moyen de contourner le traité de Péronne sans provoquer ouvertement Charles le Téméraire. Il commence par transférer son frère Charles en Guyenne, craignant que cette province ne vienne indirectement agrandir l’État bourguignon. En novembre 1470, il réunit à Tours une assemblée de notables acquis à sa cause, qui dénonce le caractère coercitif du traité de Péronne et déclare que « selon Dieu et conscience, et par tout honneur et justice, le roi est quitte et délié desdits traités ». Ainsi s’amorce la stratégie longue et délicate qui aboutira à la chute du Téméraire et au démantèlement de l’État bourguignon. L’année 1472 marque indiscutablement le déclin du puissant « duc d’Occident ». Entré en campagne en Picardie, il met à sac la petite ville de Nesle, terrorisant la région, mais son élan vient se heurter à l’héroïque résistance des habitants de Beauvais : Louis XI comblera la ville de privilèges et dotera richement Jeanne Laisné - dite plus tard Jeanne Hachette -, qui s’est illustrée par sa bravoure. Année d’autant plus faste pour le roi de France qu’il se défait de deux des grands féodaux alliés au duc de Bourgogne, les ducs d’Alençon et d’Armagnac, et que disparaît son frère Charles de Guyenne, peut-être empoisonné sur son ordre. C’est avec un art consommé que Louis XI démembre
pièce après pièce le système d’alliances mis au point par le Téméraire. Sans doute l’imminence du péril décuple-t-elle chez lui l’intelligence tactique, comme l’a remarqué son conseiller Philippe de Commynes. Lorsqu’en 1475, Édouard IV débarque à Calais pour faire valoir ses droits sur la couronne de France, la situation pourrait devenir très critique si les troupes de Charles le Téméraire opéraient rapidement leur jonction avec celles de son beau-frère. Louis XI va s’engouffrer dans la brèche que lui offrent les atermoiements du duc de Bourgogne : exploitant habilement la rancoeur d’Édouard IV - qui ne comprend pas pourquoi l’armée bourguignonne s’attarde en Lorraine et ne lui apporte pas l’aide promise -, il entame des pourparlers avec les Anglais. Ni l’un ni l’autre des belligérants n’ayant l’intention de combattre, l’entrevue des deux monarques aboutit, le 29 août 1475, à la signature du traité de Picquigny. Le climat d’euphorie qui préside aux négociations est tel que Louis XI dira : « J’ai chassé les Anglais avec du vin et du pâté de venaison, plus aisément que mon père, Charles septième ! » La boutade est pertinente : sans coup férir, le roi de France vient de mettre un point final à la guerre de Cent Ans. La défection des Anglais et des principaux féodaux laisse le Téméraire seul devant son adversaire. Le sort s’acharne alors sur un prince qui cherche dans la surenchère guerrière le moyen de rétablir sa position. Une campagne malheureuse contre les Suisses, en 1476, se solde par les défaites de Granson et de Morat. En proie aux pires difficultés, le Téméraire attaque René de Lorraine et meurt sous les murs de Nancy, au début de l’année 1477. S’il exulte en apprenant la mort de son adversaire, Louis XI n’ignore pas que le démembrement de l’État bourguignon exigera autant de vigilance et d’habileté qu’il en a fallu pour l’abattre. Il occupe aussitôt le duché et le comté de Bourgogne - la future Franche-Comté - ainsi que la Picardie. Il ambitionne en outre de marier au dauphin - âgé de 8 ans ! - Marie de Bourgogne, fille unique de Charles le Téméraire, et de s’approprier ainsi la totalité de l’héritage bourguignon. Mais la jeune fille, qui ne manque pas de prétendants, décide d’épouser Maximilien de Habsbourg : les riches régions flamandes échoient ainsi à la maison d’Autriche. Le traité d’Arras, en 1482, avalise cette répartition des anciennes possessions bourguignonnes. Bien que Louis XI n’ait pu éviter l’installation des Habsbourg aux portes du royaume de France, le bilan de son oeuvre territoriale est considérable. Le Roussillon et la Cerdagne
sont réunis au royaume en 1475, le Maine et la Provence en 1481. À l’exception de la Bretagne, l’autorité royale s’étend sur la totalité du royaume. Toutes ces années d’efforts soutenus ont usé la santé du roi, qui est victime d’attaques à partir de 1479 et se retire de plus en plus fréquemment à Plessis-lez-Tours, au coeur de la Touraine. Dans une atmosphère de superstition dévote, en proie à la crainte obsessionnelle du complot, il meurt d’une crise d’apoplexie le 9 avril 1483. GRANDEURS D’UN RÈGNE CONTROVERSÉ Malmené dès son vivant par plus d’un chroniqueur, Louis XI n’a pas plus tôt disparu que sa mémoire est conspuée d’une manière à peu près unanime : « Fourbe insigne connu d’ici jusqu’aux Enfers,/ Abominable tyran d’un peuple admirable », écrit l’évêque Thomas Basin dans son Histoire de Louis XI. Une légende noire ne tarde pas à se répandre, que cristallisera quelques siècles plus tard un imaginaire romantique friand de figures méphistophéliques. Les historiens contemporains se sont dépris de cette vision affective pour s’intéresser à la dynamique d’un règne situé à la charnière du Moyen Âge et de la Renaissance. Héritier d’un royaume médiéval que le système de la féodalité condamne à d’inquiétants mouvements centrifuges, Louis XI laisse à ses successeurs un État en voie de centralisation. Toute son action procède d’une volonté d’harmonisation politique et institutionnelle, qui ne recule certes pas devant la tentation autocratique. À l’encontre d’une noblesse qui multiplie rébellions individuelles, coalitions et trahisons, il use de sanctions impitoyables - exécutions (duc de Nemours, connétable de Saint-Pol) ou emprisonnements à vie (duc d’Alençon). Les corps intermédiaires sont soumis à la volonté d’un roi qui entend juger et trancher seul les questions publiques : s’il crée de nouveaux parlements à Bordeaux, Dijon et Perpignan, il n’hésite pas à retirer aux assemblées locales des affaires que son propre Conseil règle sans appel ; quant aux états généraux, ils ne sont convoqués qu’une fois, en 1468, et dans le seul but d’entériner l’action du roi contre les féodaux. L’Église elle-même n’échappe pas à cette étroite subordination : imposant lui-même ses candidats aux évêchés, le roi exige des prélats qu’ils se fassent les instruments dociles de sa politique. Processus long, obscur et sinueux, la centralisation qui s’amorce ne peut guère se mesurer qu’à l’échelle des siècles. Louis XI n’en perçoit pas moins l’enjeu fondamental, avec l’acuité toute pragmatique qui le caractérise : la puissance de l’État doit s’imposer à la société et en
pénétrer toutes les articulations, sous peine de laisser subsister une mosaïque d’archaïsmes et de turbulences. Moderne, Louis XI l’est égaledownloadModeText.vue.download 551 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 540 ment par sa remarquable compréhension des évolutions sociales et économiques : ses nombreuses tournées d’inspection dans les villes et les campagnes françaises lui permettent de prendre la mesure concrète des ressources et des pesanteurs du royaume. Assurant la promotion de la bourgeoisie - au sein de laquelle il recrute les officiers royaux -, son action politique s’appuie sur un essor économique dont les activités nouvelles (soierie, imprimerie) et les foires (Lyon, Caen, Rouen) sont les vecteurs prépondérants. Louis XI a d’ailleurs l’habileté, dans sa lutte contre le Téméraire, d’ajouter la dimension économique à la guerre et à la diplomatie : le blocus infligé aux Flamands entraîne une diminution substantielle des revenus de la maison de Bourgogne, et n’est pas un facteur négligeable de sa ruine. S’arrachant à la psychologie désuète et aux clichés réprobateurs, l’historiographie récente assigne désormais à Louis XI une place essentielle dans la dynamique de modernisation du royaume : la figure du fourbe de mélodrame s’est à peu près estompée. Cet infléchissement de perspective ne saurait, pour autant, faire oublier l’extraordinaire tempérament d’un souverain qui échappe à nos rationalisations : esprit infatigable, avide de comprendre et de transformer son temps, tacticien subtil, il est aussi ce monarque terrorisé par la mort, couvert de reliques et cherchant névrotiquement à fléchir le Ciel. Celui dont la ténacité politique entendait se soustraire aux canons de la morale traditionnelle est le même qui s’enferme, au soir de sa vie, dans une foi frileusement idolâtre. Incarnation complexe d’un âge où se redessinent les rapports de l’homme et du monde, Louis XI n’est-il pas, indissociablement, le dernier souverain médiéval et le premier « prince » de la Renaissance ? Louis XII, roi de France de 1498 à 1515 (Blois 1462 - Paris 1515). Fils du duc et poète Charles d’Orléans et de Marie de Clèves, Louis est longtemps un facteur de dissensions dans le royaume. En effet, les Orléans, premiers des princes du sang, sont les traditionnels rivaux de la famille ré-
gnante des Valois. • Un esprit rebelle. Pendant presque dix ans, Louis va défier l’autorité royale. En 1482, il complote avec le duc de Bretagne François II et, en 1485, s’élève contre le gouvernement de la régente Anne de Beaujeu, en tant que lieutenant général de l’Île-de-France. Au cours des deux années suivantes, il prend les armes à plusieurs reprises contre le jeune roi Charles VIII, mais finit à chaque fois par se soumettre. Le 28 juillet 1488, alors qu’il combat aux côtés des Bretons dans la guerre qui les oppose au roi, il est fait prisonnier à la bataille de SaintAubin-du-Cormier ; il ne sera libéré qu’en juin 1491. En 1495, dans le cadre des guerres d’Italie, il décide, non sans audace, de conquérir la cité lombarde de Novare. Ce faisant, il sert le roi, ennemi des Milanais, mais agit aussi pour son propre compte, car il estime que le duché de Milan lui revient légitimement, en tant que dernier descendant des Visconti. Assiégée dans Novare de juillet à septembre, son armée est sauvée par la paix de Verceil, qui permet à Louis de regagner la France... tout en l’obligeant à renoncer à déposer le duc de Milan. Cependant, la mort du dauphin de France quelques mois plus tard fait du duc d’Orléans l’héritier présomptif du trône : il y accède le 7 avril 1498, quand Charles VIII meurt accidentellement, à l’âge de 27 ans. • Conquêtes et désillusions italiennes. Le règne de Louis XII est marqué par une vigoureuse politique « italienne » visant à reconquérir le royaume de Naples et à chasser Ludovic le More de Milan. Naples est reconquise, puis perdue, entre 1503 et 1504, mais, dès 1500, le duché de Milan devient possession de la couronne de France, et les campagnes victorieuses menées par le roi en personne contre Gênes (1507) et Venise (1509) renforcent la domination française sur le nord de l’Italie. C’est alors que le pape Jules II, craignant cette hégémonie, se retourne contre Louis XII en constituant la Sainte Ligue (dont Venise, l’Espagne et l’Angleterre, notamment, font partie). Malgré ses efforts pour réunir un concile schismatique à Pise, le roi ne parvient pas à faire déposer le souverain pontife, et, en 1512, les Français sont contraints d’abandonner le Milanais. Le territoire du royaume luimême est alors menacé, pour la première fois depuis plusieurs décennies, car, en 1513, les Suisses assiègent Dijon, tandis que les Anglais envahissent la Picardie. À ces deux attaques, le royaume résiste grâce à des concessions terri-
toriales ou financières. Toutefois, au cours de la dernière année de son règne, le roi parvient à briser la coalition de ses adversaires et se réconcilie avec Venise, la papauté, l’empereur Maximilien et Henri VIII, jetant ainsi les fondements de nouvelles expéditions italiennes. • « Père du peuple ». Le bilan de la politique intérieure de Louis XII est beaucoup plus flatteur, grâce à une bonne conjoncture économique, à la prudente administration de l’archevêque de Rouen et cardinal Georges d’Amboise, et aux conseils de ministres avisés, tels Florimond Robertet et le maréchal de Gié. Privé d’héritier mâle, le roi assure la continuité de la dynastie en prenant sous sa tutelle François d’Angoulême, puis en le mariant à sa fille Claude de France en 1514, après la mort de la reine Anne de Bretagne (son épouse depuis 1499), qui a toujours été hostile à l’héritier présomptif de la couronne. Mais ce sont surtout les nombreuses réformes administratives (notamment dans les domaines régaliens que sont les finances, l’armée, la justice ou dans les relations entre l’Église et la monarchie) qui contribuent à renforcer l’unité du royaume en facilitant l’intégration en son sein des « nouvelles » provinces (Provence, Bourgogne, domaines angevins, Bretagne). Cette réputation de bon roi économe et prudent vaut à Louis XII le titre de « père du peuple », que lui décerne l’assemblée des notables en 1506. Le jour de l’an 1515, à la veille d’une nouvelle guerre contre Milan, Louis XII s’éteint, sans laisser d’héritier direct, malgré son remariage l’année précédente avec la jeune Marie d’Angleterre. Faute de travaux récents concernant son règne, Louis XII est encore perçu, de façon contradictoire, tantôt comme un roi honnête mais sans projet, tantôt comme un administrateur talentueux injustement méconnu, balançant entre le grand féodal rêvant de conquêtes illusoires et le souverain moderne doté d’un indéniable sens de l’État. l LOUIS XIII. Parce que la pensée et l’action politique de Richelieu, son Premier ministre, ont suscité la curiosité passionnée des historiens, voire des romanciers, la vie et la personnalité de Louis XIII sont passées au second plan. Son règne, commencé dans le drame, a connu bien des tragédies : révoltes populaires et conspirations nobiliaires furent écrasées avec rudesse. Peu à peu, aussi, la France s’est engagée dans une guerre européenne - la guerre
de Trente Ans -, dont elle fut l’un des acteurs majeurs et qui mobilisa bientôt toutes les énergies du royaume. Louis XIII dut, dans ces circonstances, prendre des décisions fondamentales qui engagèrent l’avenir de la monarchie et lui donnèrent une forme nouvelle. Successeur d’Henri III - le dernier roi de la dynastie des Valois -, Henri IV avait accédé au trône en 1589, dans le contexte des guerres de Religion. En 1600, il avait épousé en secondes noces Marie de Médicis, afin d’enraciner sa lignée. La naissance d’un dauphin, Louis (le futur Louis XIII), le 27 septembre 1601, puis celles de Nicolas (qui mourut en 1611) et de Gaston rassurèrent pleinement quant à l’avenir de la nouvelle maison royale des Bourbons et mirent un terme à la crise politique et religieuse de la fin du XVIe siècle. La vie quotidienne du dauphin nous est bien connue, grâce au Journal que tint le médecin Jean Héroard. Ce document exceptionnel est sans doute, dans toute l’histoire, le seul texte qui décrive une enfance au jour le jour, voire d’heure en heure. Le médecin suivit avec tendresse la croissance physique et le développement intellectuel du jeune prince né à Fontainebleau, et qui fut d’abord élevé à Saint-Germain-en-Laye avec ses frères et les fils bâtards de son père. Cette éducation fut tournée vers l’action et privilégia l’équitation, l’apprentissage du métier des armes et la chasse, qu’il aima passionnément. Si l’enfant abandonna tôt l’étude du latin, il s’intéressa à l’histoire. Le caractère orgueilleux, ombrageux et coléreux du prince se révéla aussi très vite. LA RÉGENCE Lorsque Henri IV fut assassiné le 14 mai 1610, le jeune Louis, qui n’avait pas 9 ans, devint aussitôt roi. Marie de Médicis fut déclarée régente par le parlement de Paris dès le lendemain, et Louis XIII, sacré à Reims le 17 octobre 1610. Avant de mourir, Henri IV avait d’ailleurs confié la régence à sa femme, car il était sur le point de mener une grande guerre contre les Habsbourg à propos de la succession du duché de Juliers : finalement, les opérations militaires demeurèrent limitées, mais couronnées de succès. La régente, femme vaniteuse et aimant le faste, montrait beaucoup de rudesse à l’égard de son fils, et gouverna en le tenant à distance et en faisant confiance à l’un de ses compatriotes de Florence, Concini, qui accumula les dignidownloadModeText.vue.download 552 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 541 tés et devint marquis d’Ancre. Les ministres d’Henri IV, au premier rang desquels figurait Sully, furent écartés. Ce changement permit à Marie de Médicis de rompre avec la politique de son défunt mari. Elle favorisa un rapprochement avec la puissance espagnole, au nom d’une solidarité entre princes catholiques et de la lutte contre le protestantisme. Ainsi, Louis XIII devait épouser une infante d’Espagne, Anne d’Autriche, et Philippe d’Espagne (le futur Philippe IV), la soeur de Louis XIII. Ces « mariages espagnols », négociés en 1612, suscitèrent des oppositions, notamment chez les réformés, que cette politique « pro-catholique » inquiétait. Quant à l’influence de Concini, devenu maréchal de France en 1613, elle indisposait les grands seigneurs, qui suivirent volontiers le prince de Condé, cousin du roi, lorsqu’il se révolta au début de 1614. Marie de Médicis dut négocier, accepta de réunir en octobre les états généraux du royaume pour les consulter, et fit, comme jadis Catherine de Médicis avec Charles IX, un grand voyage en France avec son fils. Elle put conserver la charge du gouvernement quand la régence cessa, à la majorité du roi, qui fut déclarée le 2 octobre 1614. Au cours de ces états généraux (les derniers avant 1789), marqués par des dissensions entre les trois ordres, la monarchie apparut comme l’arbitre par excellence. L’évêque de Luçon, Richelieu, s’était fait remarquer dans ces discussions ; il devint le conseiller de Marie de Médicis. Sur le mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche, la reine mère n’avait pas cédé : il fut donc célébré à Bordeaux en 1615. Mais les oppositions ne désarmaient pas. En 1616, Marie fit arrêter Condé, qui resta emprisonné jusqu’en 1619. « UN COUP DE MAJESTÉ » Le jeune roi supportait de plus en plus mal la tutelle de sa mère et de son favori Concini qui l’humiliait. Il prépara un coup de force avec Charles d’Albert de Luynes et quelques familiers. Le 24 avril 1617, sur ordre du roi, sans jugement, le maréchal d’Ancre fut exécuté, et la joie éclata dans la capitale. Ce « coup de majesté » signifiait que Louis XIII allait désormais assumer le pouvoir : il éloigna sa mère, rappela les vieux ministres de son père - les prudents « barbons » - et s’appuya sur son ami Luynes, qui devint connétable
de France. Louis XIII dut faire face aux intrigues conduites par Marie de Médicis, qui n’acceptait pas cette défaite ; il y eut même un affrontement entre des troupes royales et des partisans de la reine mère en 1620. Surtout, Louis XIII se méfiait des protestants, dont son père avait été le protecteur. Sa politique entraîna le soulèvement des réformés, mais les expéditions militaires menées contre eux en 1620-1621 échouèrent. La mort de Luynes permit à Marie de Médicis de reprendre de l’influence et de rentrer au Conseil. Elle mit en avant son protégé, Richelieu : le roi obtint pour lui, en 1622, le chapeau de cardinal. Aux oppositions intérieures s’ajoutaient les tensions internationales. La situation s’était brutalement envenimée en Bohême et dans l’Empire, et le conflit entre catholiques et protestants dégénérait en une guerre européenne. Louis XIII suivit les conseils des barbons et resta prudent. Prince catholique, il ne soutint pas les princes protestants, et proposa une médiation qui facilita la victoire catholique de la Montagne Blanche (8 novembre 1620). Or, cette bataille entre les Impériaux et les protestants de Bohême ne régla rien, et d’autres belligérants devaient entrer en lice. Sur les conseils de Marie de Médicis, et non sans hésitations, Louis XIII appela Richelieu à son Conseil en 1624 ; il allait lui demander de définir une ligne de conduite face à ces périls. Louis XIII avait trouvé un homme capable d’imaginer pour la monarchie française une politique ambitieuse de grande puissance, et assez talentueux pour rassembler les moyens humains et financiers de la réaliser. PORTRAIT D’UN ROI Quelle était la personnalité de Louis XIII en 1624, à 23 ans ? C’était d’abord un catholique très pieux qui avait la plus haute idée de sa mission sur terre, comme roi et comme chrétien. Il était donc très jaloux de son autorité et de sa réputation, se montrant implacable dès qu’il avait la sensation qu’on lui avait désobéi : il n’hésitait pas alors à condamner à mort, même les plus grands, même des êtres qu’il avait aimés. Il consacrait beaucoup de temps et de soin aux affaires de l’État, mais c’était aussi un homme sombre et méfiant. Il n’aima pas sa femme, Anne d’Autriche : son mariage, consommé en 1619, ne lui apporta aucune joie. Il fallut le hasard d’un orage pour que fût conçu le futur Louis XIV, en décembre 1637. Le roi s’unit néanmoins de nouveau à la reine, puisqu’un autre fils, Philippe, naquit en 1640. « Il n’est guère contestable que Louis XIII eut
des tendances homosexuelles profondes » (Pierre Chevallier) : en effet, il donnait sa confiance à des favoris auxquels le liait une passion amoureuse, sans doute platonique ; les principaux furent Luynes, François de Barradat, Claude de Saint-Simon (le père du mémorialiste) ; il y eut aussi des femmes, telles que Louise Angélique de La Fayette ou Marie de Hautefort ; enfin, le dangereux Cinq-Mars. Louis XIII se plut toute sa vie à exercer des travaux manuels, ce qui inspira cette épitaphe : « Il eut cent vertus de valet, et pas une vertu de maître. » Néanmoins, ce goût le rendit proche des humbles, et sans doute populaire. Il savait aussi composer de la musique et dessiner. Plus tard, il écrivit des articles pour la Gazette, créée en 1631 par Théophraste Renaudot. « Ainsi fut-il l’un des premiers journalistes français » (Pierre Chevallier). Surtout, Louis XIII aimait la chasse, la vénerie et la fauconnerie, et, dès 1624, il se réfugia souvent dans le petit château de Versailles. Cette passion contribua à le rendre solitaire, car il était timide. Il l’était d’autant plus qu’il était bègue : Richelieu craignit qu’on ne le nommât Louis le Bègue, mais il fut surnommé Louis le Juste. N’appréciant guère la vie sociale, Louis XIII était volontiers médisant, mesquin, parfois inhumain, toujours avare. De santé fragile, comme Richelieu, il était pourtant un roi-soldat qui, sans avoir de larges vues stratégiques, se plaisait à conduire en personne son armée et à partager la vie des soldats. RICHELIEU, PRINCIPAL MINISTRE Le cardinal de Richelieu dut d’abord s’imposer au roi et, en écartant ses rivaux, devint principal ministre (Premier ministre) en 1624. Il put dire qu’il lui était plus difficile de conquérir les quatre pieds carrés du cabinet du roi que de remporter des victoires sur les champs de bataille européens. Richelieu rendait toujours compte au roi des affaires importantes, et ne prenait pas de décision sans lui demander son avis, pour laisser toujours au monarque le dernier mot. En retour, Louis XIII entérinait le plus souvent les choix de son ministre et les orientations de sa politique, lui laissait le rôle de mécène et de protecteur des arts et des lettres, l’aidait à bâtir sa fortune et celle de sa famille, souvent même lui abandonnait le faste du pouvoir. Le roi soutint aussi son conseiller dans les moments difficiles, car les ennemis et les adversaires ne manquèrent pas, d’autant qu’une grave incertitude politique demeura longtemps, puisque le couple royal n’eut pas d’enfant avant 1638. Jusqu’à cette date, le successeur probable de Louis XIII
était donc son frère Gaston d’Orléans, prince séduisant et léger, qui incarnait l’espoir de tous les mécontents. Contre Richelieu, les conspirations se multiplièrent. En 1626, le roi réagit en faisant emprisonner ses demi-frères, les Vendôme, puis il fit juger le comte de Chalais, parce qu’il s’était mêlé à des intrigues de la cour auxquelles la reine Anne d’Autriche n’était pas étrangère. RENFORCER L’AUTORITÉ ROYALE À L’INTÉRIEUR Richelieu travaillait à affermir le pouvoir royal. Auprès du roi, il n’y eut plus de connétable après 1626. Ni d’amiral de France : ce fut le Cardinal qui, devenu grand maître de la navigation, lança une ambitieuse politique de défense des côtes, de présence sur mer et d’expansion outre-mer. Le démantèlement des forteresses à l’intérieur du royaume et l’édit de 1626 contre les duels furent perçus comme une volonté de soumettre la noblesse indocile et querelleuse. Louis XIII refusa son pardon à un duelliste impénitent, modèle de la jeunesse turbulente, François de MontmorencyBouteville, qui fut décapité, malgré les prières de tous ses parents. Quant aux réformes, préconisées par le garde des Sceaux Michel de Marillac, par le biais d’une ordonnance qui est connue sous le nom de « Code Michau », elles restèrent en grande partie lettre morte : les préoccupations essentielles portaient désormais sur l’ordre à l’intérieur et la guerre à l’extérieur. Louis XIII s’engageait, en effet, dans une action contre les protestants. La Rochelle était devenue la capitale du protestantisme français et la base de tous les soulèvements huguenots. La cité avait noué des liens étroits avec les Anglais, qui étaient inquiets de la volonté française de constituer une puissante marine. Une flotte anglaise, commandée par Buckingham, débarqua sur l’île de Ré en 1627, mais ne put s’y maintenir. Comme les Rochelais soutenaient l’opération anglaise, une armée royale vint assiéger leur ville. Louis XIII y assista en personne, mais ce fut Richelieu qui conduisit les opérations et qui ajouta au siège un blocus maritime total. La cité capitula le 27 octobre 1628. Le roi et son ministre y entrèrent downloadModeText.vue.download 553 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 542 quelques jours plus tard. Louis XIII accorda
un pardon général, mais La Rochelle ne devait donc pas devenir « la république huguenote de l’Atlantique » (Yves-Marie Bercé). Cette campagne scella l’union entre le roi et son ministre. De nouveaux soulèvements éclatèrent en Languedoc, et il fallut y mener encore des campagnes. Finalement, le monarque signa en 1629 l’édit de grâce d’Alès, qui maintenait la tolérance religieuse établie par l’édit de Nantes mais mettait fin aux places de sûreté, donc à la puissance politique des protestants. LA « GUERRE COUVERTE » Parallèlement, la France était entraînée dans le conflit européen, à propos de la succession de Mantoue : Charles de Nevers, qui vivait en France, était l’héritier naturel de ce duché, et il s’en empara sans attendre l’investiture de l’empereur, son suzerain, qui ne le reconnut pas. L’Italie du Nord devenait le théâtre de l’affrontement entre les grandes puissances. Le roi d’Espagne décida d’assiéger la ville de Casale, dans le Montferrat, qui appartenait au duché et qui menaçait une route essentielle pour l’empire espagnol. Après la capitulation de La Rochelle, Louis XIII chercha à dégager la cité italienne assiégée. Les troupes françaises franchirent les Alpes, brisant toute résistance au pas de Suse (6 mars 1629), et ce combat, conduit par Louis XIII, établit pour la postérité la réputation militaire du roi. Mais rien n’était acquis, puisque les Impériaux arrivaient à leur tour. Une grande négociation s’engagea à Ratisbonne en 1630. Lorsqu’ils apprirent la prise de Mantoue par les Impériaux en juillet 1630, les envoyés français prirent peur et acceptèrent de signer un traité humiliant (13 octobre 1630), que Louis XIII, encouragé par Richelieu, refusa de ratifier. Au même moment, devant Casale, une trêve miraculeuse était obtenue entre Espagnols et Français, grâce à l’intervention d’un émissaire du pape, Jules Mazarin. En définitive, l’empereur, en reconnaissant Charles de Nevers comme duc de Mantoue, mettait fin à cet imbroglio italien et éloignait le spectre d’une guerre directe avec la France, au moment où il devait affronter le roi luthérien de Suède, Gustave-Adolphe, soutenu par la diplomatie et l’argent français. LE CHOIX DÉCISIF Pendant ces événements dramatiques, Richelieu était apparu comme un partisan de la guerre contre les princes catholiques. Le 11 novembre 1630, la reine mère fomenta un complot contre son ancien protégé - agissant peut-être au nom du parti dévot ? - qu’inquiétait et effrayait sa politique. Ce « grand
orage » fit espérer une disgrâce du Cardinal, qui se crut perdu. Ce fut Louis XIII qui trancha : l’épisode est connu sous le nom de « journée des Dupes ». Le roi signifia à Richelieu qu’il lui conservait sa confiance, fit arrêter et punir ses adversaires, dont le garde des Sceaux Marillac. Cela conduisit Marie de Médicis à un exil volontaire, dont elle ne revint jamais. Gaston avait, lui aussi, quitté le royaume. Toutefois, le choix royal ne désarma pas les ennemis de Richelieu, et la confiance durable accordée par Louis XIII à son ministre ne fut jamais totale et incontestable, tant le roi était jaloux de son pouvoir et de sa liberté de décision. Quant aux négociations menées avec le duc de Savoie après la crise en Italie du Nord, elles assurèrent à la France la forteresse de Pignerol, sur le versant piémontais des Alpes : c’était, selon la vision du temps, une « porte » pour pénétrer en Italie et y opérer militairement. En effet, le maintien de Richelieu au pouvoir signifiait que la même politique de « guerre couverte », qui visait à intervenir indirectement en Europe, se prolongeait. Les succès suédois affaiblirent la situation de l’empereur et du camp catholique dans l’Empire. Pour avoir accès aux terres impériales, le roi de France, allié du roi de Suède, prenait possession, par étapes, de la Lorraine. Finalement, Louis XIII accorda sa protection à l’Électeur de Trèves, qui lui confia la garde de ses forteresses. Le monarque français dut aussi trouver des alliés : outre la Suède, il gagna en 1631 l’alliance du puissant duc de Bavière, catholique, et renouvela aussi en 1635 celle, traditionnelle, avec les Hollandais calvinistes des Provinces-Unies. Cette marche à la guerre supposait des préparatifs militaires coûteux, et donc des impôts plus lourds et plus nombreux. Elle n’allait pas non plus sans résistances ; les opposants plaçaient alors leurs espoirs en Gaston d’Orléans. Entraîné dans cette conjuration, le maréchal de Montmorency, qui s’estimait mal récompensé par le roi et par Richelieu, souleva alors le Languedoc. Battu à Castelnaudary, il fut fait prisonnier, jugé, et condamné à mort : Louis XIII refusa d’accorder son pardon au révolté, qui fut décapité le 30 octobre 1632, en dépit de son appartenance à l’un des plus grands lignages du royaume. LA DÉCLARATION DE GUERRE En 1634 - après plusieurs années de victoires éclatantes -, l’armée suédoise était vaincue à
Nördlingen, et la cause impériale semblait l’emporter. Gaston d’Orléans multipliait les intrigues avec les Espagnols, qui firent prisonnier l’Électeur de Trèves, protégé de la France. Selon les formes féodales, Louis XIII fit porter le 19 mai 1635 une déclaration de guerre au cardinal-infant don Ferdinand, qui, à Bruxelles, gouvernait les Pays-Bas espagnols. La guerre éclatait, qui devait durer jusqu’en 1659. La vie du royaume - et de son roi - allait être dominée par ce grand conflit. En 1635, les offensives françaises se soldèrent par une débandade. En 1636, la France fut assaillie de toutes parts. L’armée espagnole pénétra jusqu’à Corbie, à 120 kilomètres de Paris, et un vent de panique s’éleva dans la capitale. Le roi et le Cardinal durent gagner Compiègne, pour diriger les opérations militaires : l’assaut des Espagnols s’essouffla, mais la Champagne et la Bourgogne furent ravagées. LES RÉVOLTES POPULAIRES La situation à l’intérieur même du pays était difficile, car les révoltes populaires se multipliaient. En effet, les populations prenaient les armes pour résister aux collecteurs de l’impôt. Les soulèvements des croquants touchèrent, dans le Sud-Ouest, les villes et les campagnes. Parfois, les révoltés se donnaient comme chefs de petits gentilshommes. En 1637, les hommes d’armes écrasèrent les insurgés : la bataille fit un millier de morts. Durant l’été 1639, le gouvernement dut affronter la révolte des « nupieds » : l’insurrection partit d’Avranches, où l’on crut que les autorités voulaient établir la gabelle (l’impôt sur le sel) dans des paroisses où elle n’était pas instaurée. Dans ces paroisses, dites « de quart bouillon », le sel était obtenu à partir des sables salins de la baie du Mont-Saint-Michel. Le soulèvement gagna Rouen et toute la Normandie. Des commis des gabelles furent tués à Rouen en août, et Richelieu décida de réprimer cette révolte. Le colonel Gassion, à la tête de mercenaires étrangers, rétablit l’ordre en Basse-Normandie en écrasant les insurgés devant Avranches, le 30 novembre 1639. Le chancelier Séguier en personne vint séjourner à Rouen avec des conseillers d’État : doté de pouvoirs exceptionnels, il jugea quelque trois cents prisonniers et fit condamner à mort le principal meneur, Gorin. Le parlement de Rouen, qui n’avait pas réagi face aux événements, fut suspendu pour un an, et des villes comme Avranches, Vire, Caen
ou Rouen perdirent des privilèges. Cette répression spectaculaire montrait la volonté de Richelieu de faire un exemple. LES DERNIÈRES CONSPIRATIONS Le pouvoir royal envisagea de faire payer une taxe sur les biens d’Église ; l’assemblée du clergé céda à cette menace et accorda 4 millions de livres au roi. Richelieu humilia aussi le monde des officiers en multipliant les offices nouveaux qui dévaluaient les anciens. La haute noblesse s’agitait : en 1641, le comte de Soissons, dit « Monsieur le Comte », prince du sang qui, après une conspiration, s’était réfugié à Sedan, reçut les encouragements du cardinal-infant et entra dans le royaume avec une petite armée. Les troupes royales chargées de l’arrêter furent battues à la bataille de La Marfée (juillet 1641). Mais, accidentellement, sans doute, le comte reçut un coup de pistolet et mourut sur le champ de bataille. En 1642, ce fut le temps de la conjuration du marquis de Cinq-Mars. C’est Richelieu luimême qui avait poussé Cinq-Mars, le fils d’un de ses fidèles, à gagner l’amitié du roi, car le monarque, solitaire, avait besoin d’affection. Louis XIII avait gratifié le jeune homme de charges prestigieuses : il était ainsi « Monsieur le Grand » (le grand écuyer). Ce favori entendit jouer un rôle politique et se débarrasser de Richelieu, qui avait fait sa fortune. Il fomenta un coup d’État contre le ministre, avec le soutien de l’Espagne. Fut-il encouragé par Louis XIII à tenter une ouverture vers Madrid, face au Cardinal qui, toujours, prolongeait la guerre ? Quoi qu’il en fût, le jeune homme se laissa entraîner jusqu’à signer un traité. Il s’agissait de chasser Richelieu et de faire nommer Gaston d’Orléans lieutenant général du royaume, afin de conclure la paix avec l’Espagne - comme ce dernier s’y était déjà engagé - par une restitution réciproque des conquêtes. Peut-être la reine Anne d’Autriche, elle-même, fut-elle au courant du complot, et peut-être le révéla-t-elle pour conserver la garde de ses fils, que l’on voulait alors lui enlever. downloadModeText.vue.download 554 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 543 Louis XIII se rendait dans le Sud pour faire le siège de Perpignan. Richelieu, malade, dut rester à Narbonne. Bientôt, il eut entre les mains une copie du traité que Cinq-Mars avait
conclu avec l’Espagne. Cette preuve, signe du remarquable réseau de renseignements que Richelieu avait su tisser en Europe, permit de convaincre le roi, qui était las des caprices du grand écuyer. Cinq-Mars fut arrêté le 13 juin 1642. Son ami François de Thou, issu d’une illustre famille de magistrats et d’historiens, était au courant du complot et ne l’avait pas dénoncé. Les deux jeunes gens furent jugés, condamnés à mort, et décapités à Lyon. Le duc de Bouillon, qui s’était compromis dans cette affaire, ne sauva sa tête qu’en cédant sa principauté de Sedan à Louis XIII. LE BILAN D’UN RÈGNE Malgré ces secousses intérieures, la France jouissait d’une situation favorable : dans le Sud et dans le Nord, les armées espagnoles avaient été battues, et, à la fin de décembre 1641, la France et la Suède avaient prévu l’ouverture de deux congrès de paix, l’un à Münster pour les puissances catholiques, l’autre à Osnabrück pour les protestantes. Le 4 décembre 1642, le cardinal de Richelieu s’éteignait. Un capucin diplomate, connu sous le nom de Père Joseph (mort en 1638), avait été son zélé serviteur. Mazarin, talentueux négociateur au service du pape, avait su gagner à son tour la confiance de Richelieu. Dès la mort du Cardinal, Louis XIII appela l’Italien au Conseil et permit le retour à la cour de quelques adversaires du Cardinal, tel Gaston d’Orléans. Le 21 avril 1643, le dauphin (futur Louis XIV) fut baptisé, et Louis XIII lui choisit Mazarin comme parrain. Le 14 mai 1643, Louis XIII mourait à Saint-Germainen-Laye. Une armée d’invasion de 28 000 hommes tentait alors d’envahir la France depuis les Flandres : elle subit une défaite décisive à Rocroi, le 19 mai 1643. Cette victoire du duc d’Enghien, jeune cousin de Louis XIII, démontrait que les redoutables fantassins espagnols, groupés en tercios, n’étaient plus invincibles. Un succès éclatant de la politique menée par Louis XIII et Richelieu. Louis XIII a souffert de la comparaison avec son père et avec son fils. C’est néanmoins sous son règne que la monarchie prit des traits qu’elle allait conserver par la suite. Sans doute, Louis le Juste n’avait-il pas une intelligence politique à la mesure de la puissance qu’était alors la France et des dangers qui frappaient l’Europe. Il fit néanmoins, avec beaucoup de conscience et d’application, son métier de roi, sans faste. Il sut montrer
beaucoup de fermeté, voire de dureté, dans les épreuves et prendre, à temps, des décisions capitales pour son royaume, en châtiant les mécontents, en déclarant la guerre, en soutenant Richelieu. Ce choix fut essentiel : conscient de ses propres limites, il se donna un Premier ministre d’envergure, qu’il s’employa pourtant à contrôler étroitement. Lui abandonnant la réalité des décisions, il en conservait la responsabilité formelle, maintenant ainsi absolu le pouvoir royal. Mais il détournait vers le Cardinal la colère et la haine des uns, et les critiques des autres, épargnant ainsi le monarque lui-même, qui se réservait, dans les moments difficiles, la capacité de défendre et de protéger son principal conseiller. l LOUIS XIV. C’est sans doute parce que Louis XIV a, toute sa vie, fait son métier de roi avec application et majesté que, paradoxalement, sa personnalité nous échappe. Il a même incarné le modèle du roi par excellence, admiré ou détesté, pour les générations qui l’ont suivi. Ayant choisi le Soleil comme emblème, il a été volontiers présenté, non sans complaisance, comme le Roi-Soleil, et cela jusqu’à nos jours. Une telle image simpliste ne peut satisfaire l’historien ; mais le doute s’installe, tant les jugements portés sur le roi et sur ce long règne ont été contradictoires. Dans les pays qui furent en guerre contre Louis XIV, des polémistes, souvent brillants, multiplièrent les attaques contre la politique française, et cette littérature de combat a dessiné le profil d’un tyran qui voulait réduire l’Europe en esclavage. Les premiers historiens du roi furent souvent des Français réfugiés en Hollande après la révocation de l’édit de Nantes, ce qui ne les prédisposait pas à la bienveillance ; néanmoins, ils essayèrent d’être impartiaux. Voltaire lança le débat plus nettement encore en évoquant un « siècle » de Louis XIV, comme il y avait eu un siècle d’Auguste. À l’opposé, en rédigeant ses Mémoires, le duc de Saint-Simon préparait pour la postérité un tableau terrible du roi, de son entourage et de la cour. À la fin du XIXe siècle, les historiens républicains, tel Ernest Lavisse, adoptèrent une attitude ambiguë : s’ils dénonçaient volontiers les guerres coûteuses, la politique de glorification royale, la persécution religieuse, ils n’étaient pas insensibles à l’affirmation de l’État et de la grandeur nationale. Après la Seconde Guerre mondiale, une vision plus dédaigneuse s’imposa, par exemple avec
Pierre Goubert, dans son ouvrage publié en 1966 : le Grand Roi était volontiers placé derrière ses sujets, dont la vie fut souvent difficile, d’autant plus qu’ils durent payer les folles ambitions de leur souverain. Une vision sombre du règne mettait en avant les contraintes imposées à la société, les difficultés économiques, les ridicules de la vie de cour. La relecture de ce règne provient du monde anglais et américain : Ragnhild Hatton et Andrew Lossky, en rappelant les données de la vie internationale, ont montré que les décisions du roi de France qui étaient sévèrement critiquées par les historiens correspondaient en réalité aux réactions normales des princes de ce temps-là - des « collègues » de Louis XIV. Cette réhabilitation a débouché sur la biographie de François Bluche (1986), qui a vu en Louis XIV un « promoteur du despotisme éclairé ». Néanmoins, les réticences demeurent vives pour ce qui est de l’art : le contrôle royal aurait tari bien des sources d’inspiration. L’ENFANCE ET L’ÉDUCATION DU ROI Louis XIV, né le 5 septembre 1638, avait 5 ans lorsqu’il devint roi, le 14 mai 1643, à la mort de son père, Louis XIII. Sa mère, Anne d’Autriche, gouverna comme régente du royaume, mais elle laissa la conduite des affaires au cardinal Mazarin. La France était alors en guerre, comme la plus grande partie de l’Europe. Les traités de Westphalie mirent fin au conflit en Allemagne en 1648, mais l’affrontement continuait entre la France et l’Espagne. À partir de 1648 aussi, le jeune Louis connut la Fronde ; ces péripéties dramatiques contribuèrent sans aucun doute à former son caractère et furent pour l’enfant une rude expérience politique. Déclaré majeur en septembre 1651, Louis XIV fut sacré à Reims, le 7 juin 1654. Tout au long de ces années, le cardinal Mazarin, parrain du jeune roi, qui était chargé de son éducation depuis 1646, l’initia à sa tâche de souverain mais se garda bien de lui laisser prendre la moindre décision. Le jeune prince apprit aussi de sa mère les manières de vivre à la cour. En revanche, par négligence et en raison des troubles politiques, Louis XIV ne reçut guère d’éducation livresque. La guerre franco-espagnole prit fin avec le traité des Pyrénées (7 novembre 1659), dont l’une des clauses essentielles prévoyait le mariage du jeune roi avec la fille de Philippe IV, l’infante d’Espagne, Marie-Thérèse. C’était un
pari sur l’avenir : le roi de France, un jour, pourrait être amené à réclamer une part de l’empire espagnol ou un droit à la couronne d’Espagne. Louis XIV rencontra son beaupère sur l’île des Faisans, à la frontière francoespagnole, et le mariage avec Marie-Thérèse fut célébré le 9 juin 1660. LA JEUNESSE • La date essentielle du règne de Louis XIV est 1661. La mort de Mazarin, le 9 mars, conduisit le roi à prendre une décision majeure, annoncée le lendemain, celle de ne plus avoir de Premier ministre. Le souverain régnait et gouvernait tout à la fois, ce qui renforçait l’image de la monarchie, tous les pouvoirs étant concentrés dans les mains d’un seul ; mais cela privait le monarque d’un bouclier commode, le mécontentement ne pouvant plus être détourné vers le principal ministre. Cette « prise de pouvoir », souvent commentée, fut suivie d’une autre décision importante : celle d’écarter le surintendant des Finances, Nicolas Fouquet, qui fut arrêté le 5 septembre 1661. Fouquet avait travaillé avec Mazarin à trouver des ressources financières pour achever la guerre et assurer la paix ; il avait aussi permis au cardinal d’amasser une belle fortune et avait abondamment tiré profit des avantages de sa position : en recevant avec faste le roi à Vaux-le-Vicomte au cours de l’été 1661, il avait indisposé le souverain qui pensait qu’une telle splendeur lui était réservée. Ce dernier avait déjà en secret condamné le surintendant, parce qu’il avait le contrôle des Finances et détenait ainsi un pouvoir qui échappait au monarque. C’était donc toute l’organisation financière et le monde des financiers que Louis XIV - et à travers lui l’État - souhaitait surveiller et contrôler. Enfin, comme l’a rappelé Marc Fumaroli, Fouquet, par ses amitiés et ses fidélités, représentait une tradition modérée - qui n’était plus celle de la monarchie, depuis Richelieu downloadModeText.vue.download 555 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 544 et l’affirmation de la « raison d’État » -, une politique de réconciliation et de dialogue qui n’était pas dans les vues du jeune roi autoritaire. Ces décisions de 1661 révélèrent Louis XIV à ses sujets. Il allait respecter son engagement
et consacrer son énergie au métier de roi, qu’il jugeait délicieux, et dont il avait la plus haute idée. Cela signifia un travail constant tout au long de sa vie, pour écouter ses ministres et ses généraux, pour étudier les affaires et les projets, pour trancher et décider. Il fit sien le souci de ses prédécesseurs d’être exactement et parfaitement obéi, et il se fit craindre. Il voulut donner du faste à toutes les cérémonies publiques, telles les audiences accordées aux ambassadeurs étrangers. Lui-même ne dédaignait pas alors les habits somptueux ni les bijoux. Il savait parler avec clarté et force. Pour renforcer le prestige de la monarchie auprès des Français ou des autres pays européens, une célébration de la personne royale se développa tout au long du règne, à travers des poèmes, médailles, portraits ou statues équestres. • Les rouages de l’État. Le principal artisan de la chute du surintendant Fouquet avait été Colbert, qui avait géré l’immense fortune de Mazarin, et que le cardinal avait recommandé au roi. Il fut chargé de remplacer Fouquet, mais sans en avoir le titre. Comme Louis XIV voulait assumer lui-même la charge de surintendant, Colbert, ministre dès 1661, ne fut contrôleur général qu’en 1665. Il fit de cette fonction la première dans l’État, alors que, depuis le Moyen Âge, le rôle principal était dévolu au chancelier. L’historien Michel Antoine a vu là une révolution pour la monarchie, dont le fondement était désormais les Finances, et non plus la Justice, d’autant plus que Colbert eut la charge de nombreux autres domaines - les Eaux et Forêts, les Bâtiments du roi, la Maison du roi, la Marine. Il travailla à mieux connaître les revenus et les dépenses de l’État, et il s’efforça, non sans succès, de trouver les ressources nécessaires pour payer les armées, préparer une marine de guerre, construire les palais royaux. Les collaborateurs de Mazarin, Fouquet excepté, restèrent en place. Le Tellier avait la responsabilité des affaires militaires, et il s’appuya de plus en plus sur son fils Louvois. Hugues de Lionne dirigeait la diplomatie. Louis XIV consacra lui-même beaucoup de temps aux affaires de l’État, qui étaient discutées dans des Conseils. Le plus important pour les affaires de politique générale et les affaires étrangères était le Conseil d’en haut (le Conseil des ministres) : toute personne qui y était appelée devenait ministre d’État. Dans ce cadre, le roi n’eut qu’une poignée de ministres, auxquels il conservait sa confiance, souvent jusqu’à leur mort, non sans rappeler, au besoin rudement, le poids de son autorité. Il demandait un dévouement de tous
les instants, le secret le plus absolu et un travail énorme. Il choisissait ces conseillers dans un petit nombre de familles, issues de la bourgeoisie, et non de la noblesse, les Le Tellier ou les Phélypeaux, par exemple. Au cours de son règne, il eut comme ministres, outre Jean-Baptiste Colbert, son frère Colbert de Croissy, son neveu Colbert de Torcy, son fils Seignelay, son gendre le duc de Beauvillier, un autre neveu, Desmarets, et comme ministre officieux un autre gendre, le duc de Chevreuse. Le détail des affaires était traité par le Conseil d’État, qui tranchait les litiges au nom du roi. Telle était l’organisation ancienne de la monarchie. Il faut y ajouter une administration nouvelle, qui fut renforcée autour du contrôleur général et des secrétaires d’État - à la Guerre, aux Affaires étrangères, à la Maison du roi et à la Marine, aux Affaires de la religion prétendue réformée. Louis XIV choisit souvent de travailler en tête à tête avec eux. Seuls certains de ces collaborateurs étaient ministres. Ils étaient secondés par des premiers commis et des commis, et ils exécutaient le détail des décisions prises par le roi. Dans les provinces, le pouvoir royal s’appuya de plus en plus sur les intendants, qui ne dépendaient que de lui, et dont les compétences ne cessèrent de s’élargir (justice, police, finances). Le pouvoir royal était, par définition, absolu, c’est-à-dire sans liens. La façon dont Louis XIV a exercé ce pouvoir et cette administration plus étoffée sont à l’origine de la notion d’absolutisme, que nombre d’historiens ont privilégiée, non sans risque d’erreur. Avec l’historien Roland Mousnier, il est préférable d’évoquer une monarchie administrative qui ne se contente plus d’arbitrer et de contrôler, mais qui entreprend, gère et dirige. • Une politique étrangère conquérante. D’emblée, la politique de Louis XIV fut orientée vers une affirmation de la France en Europe, et le roi suivit la ligne fixée par son père et par les deux cardinaux-ministres. Le pays bénéficiait alors d’une situation favorable. Il n’y avait plus à craindre la menace des Habsbourg, bien affaiblis par de longues guerres, ainsi que par les traités de Westphalie et des Pyrénées. Le royaume de France était le plus peuplé d’Europe, et il avait montré qu’il était capable de financer de grandes armées. Louis XIV, un roi jeune, avait l’ambition de s’illustrer dans un univers où la gloire était avant tout militaire. La situation de paix en Europe lui permettait d’envisager et de prépa-
rer la guerre, sans avoir à la subir. Cette préparation marqua les premières années du gouvernement personnel. Hugues de Lionne fut chargé de mener des négociations dans toute l’Europe, pour nouer des relations solides et signer des traités qui donneraient des alliés à la France en cas de conflit. Le Tellier eut la charge de réorganiser les armées, et son fils Louvois réussit à en augmenter la taille sans en compromettre la discipline ou la cohérence. Enfin, Colbert parvint à doter la France, pays sans véritable tradition maritime, d’une flotte de guerre capable de rivaliser avec celles de l’Angleterre et des Provinces-Unies. Parallèlement, Louis XIV entretint la tension politique en Europe en utilisant des incidents diplomatiques à l’étranger pour obtenir des réparations et affirmer ainsi sa prépondérance. Dans la hiérarchie symbolique des rois, il occupait la première place, juste après l’empereur. À la mort de son beau-père, le roi d’Espagne, il mit en avant les droits de la reine Marie-Thérèse, qui, pourtant, s’était engagée à renoncer à toute prétention à l’égard de l’Espagne. Des juristes utilisèrent comme argument un droit des Pays-Bas espagnols, le droit de dévolution, et ce fut un prétexte à la guerre. Celle-ci fut facile, mais elle inquiéta l’Angleterre et les Provinces-Unies, qui menacèrent d’intervenir, ce qui conduisit Louis XIV à mettre fin à ces opérations militaires, tout en obtenant de belles villes dans le Nord, prises à l’Espagne, comme Lille et Douai. Mais ce n’était qu’une paix temporaire. Louis XIV avait compris qu’il lui fallait encore trouver d’autres alliances, ainsi celle qui fut négociée secrètement en 1670 avec le roi d’Angleterre, Charles II. Cette fois, l’ennemie choisie fut la Hollande, qui avait osé arrêter la course du conquérant. La guerre débuta en 1672, et les victoires furent éclatantes : le territoire hollandais fut envahi. Mais une révolution politique amena au pouvoir, à La Haye, Guillaume d’Orange, qui, désormais, allait se dresser en permanence face à Louis XIV. Le roi d’Angleterre fut contraint de se retirer du conflit, tant son alliance avec le Roi Très-Chrétien semblait suspecte aux Anglais. À son tour, l’empereur entra en guerre contre le roi de France. Néanmoins, les généraux de Louis XIV connurent de beaux succès : en particulier celui de Turenne à Turckheim, en 1675. La marine royale, commandée par Duquesne, remporta aussi d’éclatantes victoires face à la redoutable flotte hollandaise. La paix signée
à Nimègue en 1678 entérinait de nouvelles conquêtes, au Nord avec Cambrai, Valenciennes et Maubeuge, et l’acquisition de la Franche-Comté. La politique royale trouvait sa cohérence en repoussant la frontière nord loin de Paris et en la rendant plus linéaire, par l’abandon des enclaves en territoire étranger. L’ingénieur Vauban fut chargé de construire ou de reconstruire des forteresses sur tout le pourtour du royaume, afin d’établir cette « ceinture de fer » qui devait assurer la défense de la capitale et garantir le territoire français de toute incursion ennemie. • Les réformes intérieures. Celles-ci ne furent pas négligées, l’ordre public venant aussi au premier rang des préoccupations royales. Louis XIV avait vécu les troubles de la Fronde et il travailla à en empêcher le retour. Il contraignit sa famille proche à la plus stricte obéissance. Il surveilla la noblesse, longtemps indocile et querelleuse. Des poursuites furent ainsi engagées contre des petits tyrans locaux par des juridictions spéciales, telles que les Grands Jours d’Auvergne en 1665-1666 ; des recherches furent lancées, pour découvrir, à des fins fiscales aussi, les usurpateurs de titre nobiliaire. Il y eut encore quelques tentatives de conspiration, surtout au moment des guerres, mais elles furent facilement dévoilées. Rappelé à l’ordre dès 1655, le parlement de Paris se vit interdire en 1673 les remontrances avant enregistrement, ce qui conduisit les parlementaires parisiens à ne plus opiner sur les décisions royales et à se contenter de leur rôle judiciaire. À Paris, la charge de lieutenant général de police fut créée, dans le même souci d’assurer l’ordre, tout en améliorant la vie quotidienne dans la capitale. Gabriel de La Reynie, premier titulaire de cette charge, acquit l’estime générale. Il y eut encore quelques révoltes, liées à des résistances face à l’impôt : ainsi la guerre du Lustucru dans le Boulonnais (1662), ou la révolte du Papier timbré en downloadModeText.vue.download 556 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 545 Bretagne (1675). Néanmoins, elles cessèrent après 1680, et la France donna une fois de plus l’image d’une société soumise à l’autorité royale. Grâce à cette relative tranquillité intérieure et à la ténacité de Louis XIV et de ses ministres, le gouvernement put engager d’importantes réformes pour uniformiser et adapter le droit français, dans le sillage des efforts accomplis
en ce sens par la monarchie depuis le début du XVIe siècle. Ce fut une oeuvre de longue haleine qui aboutit à la publication de grandes ordonnances, sur la procédure civile (1667), la procédure pénale (1670), les eaux et forêts (1669), le commerce (1673), la marine (1681) et les colonies (1685). Cet édifice législatif n’était pas d’inspiration libérale : au contraire, il renforçait les contrôles ; mais il avait l’avantage de clarifier la situation et d’éviter les obscurités qui étaient souvent facteurs d’arbitraire. Très ambitieux aussi fut l’encouragement à l’activité économique. Colbert s’efforça de favoriser la création de manufactures pouvant confectionner des objets de qualité en grande quantité. Il s’agissait de limiter les importations de produits fabriqués à l’étranger, d’autant plus que le déficit de la balance des paiements était financé en métal précieux, qui, selon les idées du temps, constituait la richesse d’une nation. Des manufactures fourniraient ainsi le roi et la cour : pour les tapisseries et les meubles, les Gobelins ; pour les glaces, Saint-Gobain. Cependant, le succès de cette politique demeura globalement limité, tout comme celui des compagnies de commerce qui visaient à imiter la Compagnie hollandaise des Indes, dont les profits étaient fabuleux. Nombre de ces entreprises échouèrent, mais la Compagnie française des Indes orientales réussit à survivre, malgré bien des difficultés. Il faut signaler, dans cet esprit, les initiatives prises pour étendre, peupler et organiser les terres lointaines de la Nouvelle-France en Amérique du Nord. En 1682, Cavelier de La Salle descendit le Mississippi et donna le nom du roi - Louisiane - à ces nouvelles terres. Cette politique menée au nom de Louis XIV engageait l’appareil gouvernemental : elle ne permet guère de deviner la personnalité réelle du roi, sinon son souci d’être strictement obéi, sa méfiance à l’égard du désordre, son refus du dialogue avec les autorités traditionnelles et son désir d’apparaître, à travers la guerre, comme un conquérant, un héros à l’antique. • Vie de cour et vie artistique. C’est là que Louis XIV se révèle peut-être le mieux. L’idée de développer autour de la personne et de la vie du roi une vie de cour aux règles strictes, qui, comme l’a bien remarqué SaintSimon, consistaient à donner de l’importance à des riens, a des origines très anciennes. Les Valois, surtout Henri III, avaient eu le désir d’établir une étiquette forte pour marquer la distance entre le monarque et ses courtisans. La présence en France de reines qui étaient des infantes espagnoles favorisa cette évolu-
tion qu’avaient retardée les guerres, civiles et étrangères, ainsi que les personnalités d’Henri IV et de Louis XIII. Louis XIV, au contraire, accorda toute son attention à cette vie sociale singulière qui allait finalement s’organiser selon un mécanisme immuable à Versailles, et qui allait permettre à l’univers entier de savoir à chaque instant ce que faisait le roi de France. La vie de cour supposait une assiduité auprès du roi, surtout si le courtisan était titulaire d’une des innombrables charges de sa Maison qui donnaient à un grand seigneur des fonctions de domestique - en réalité il s’agissait surtout de superviser le travail des serviteurs royaux. Mais cette société, pour Louis XIV, devait être le lieu de toutes les délices ; s’il y avait un rituel, ce devait être celui de tous les plaisirs, ceux de la musique comme ceux du jeu, ceux du théâtre comme ceux de la chasse, ceux de la danse comme ceux de la table. Selon les périodes de sa vie, Louis XIV réussit plus ou moins bien à animer sa cour. Sa jeunesse laissa un souvenir de faste et de réjouissances, d’autant que le roi, peu fidèle, donnait alors l’exemple d’une vie amoureuse agitée, sinon libertine. Après de nombreuses maîtresses, plus ou moins connues, vint le tour de l’impérieuse, élégante et spirituelle marquise de Montespan, qui caractérisa bien cette jeunesse de la cour. Autour du monarque vivaient ses proches : Anne d’Autriche, que Louis XIV écarta des affaires, et qui mourut bientôt ; Marie-Thérèse, qui vécut dans l’ombre de son auguste mari ; le seul enfant du couple royal qui survécut, le dauphin - Monseigneur - et, plus tard, ses fils ; le frère du roi, Monsieur, et ses deux épouses successives. Toute la vie de cour était rythmée par la journée du roi : son lever, avec une hiérarchie stricte des « entrées » qui marquait le degré d’intimité avec le monarque ; la messe et son cortège de distinctions ; le souper ; le coucher enfin. Comme la vie de cour était un moyen de se faire connaître du roi, elle était propice à une discrète mise au pas de la noblesse qui attendait de lui des faveurs. En restant loin du prince, à Paris ou en province, des lignages se fermaient la porte de la faveur royale, et se condamnaient parfois au déclin. La même attitude s’imposa dans le domaine des arts, où Louis XIV, élève de Mazarin, n’oublia pas les leçons de l’Italien. L’art pouvait servir l’image du roi, qui, en retour, devait protéger et encourager les artistes. Le roi
devait aussi être seul à l’origine des grandes créations. Enfin, il eut la même attitude à l’égard des institutions que nous appellerions « culturelles » : une protection éclatante, un désir d’illustration, une surveillance discrète. Louis XIV accepta d’être le protecteur de l’Académie française et il donna son avis sur le choix des futurs académiciens. De nouvelles académies furent instituées : l’Académie royale des inscriptions et médailles en 1663, l’Académie des sciences en 1666. Louis XIV était lui-même amateur de musique : dans sa jeunesse, il participa avec plaisir à des spectacles de ballet et favorisa la naissance de l’opéra français (la tragédie lyrique). Il surveilla aussi de près toutes les réalisations architecturales de son règne, et constitua de belles collections, surtout de tableaux. Il soutint Molière contre les dévots et attira près de lui Racine et Boileau. LA MATURITÉ Même si la célébration officielle du roi et de sa gloire peut paraître outrée aujourd’hui, donc trompeuse, ne faut-il pas, néanmoins, deviner que la majorité des Français était sensible à une politique qui garantissait l’ordre à l’intérieur et donnait un grand prestige à la monarchie française ? Après la paix de Nimègue, l’élan acquis poussa Louis XIV à prendre des initiatives qui prolongeaient, en les durcissant, les orientations du début du règne, mais qui se révélèrent plus dangereuses. • La persécution des protestants et des jansénistes. À l’intérieur, ce fut la volonté de rétablir l’unité religieuse. Louis XIII et Richelieu avaient maintenu la tolérance accordée par l’édit de Nantes aux protestants, tout en leur ôtant leur puissance politique et militaire. Le temps de Louis XIV fut au contraire un temps de persécutions. Il paraissait possible d’obtenir la conversion des réformés, au besoin par la menace ou par le fait d’installer chez eux des soldats qui multiplieraient les exactions. Ces dragonnades se révélèrent efficaces, les conversions se multiplièrent ; Louis XIV se laissa convaincre qu’il fallait aller plus loin et considérer qu’il n’y avait plus guère de protestants en France et que l’édit de Nantes ne servait plus à rien. Ce dernier fut donc révoqué en octobre 1685. Cette décision fut célébrée par les catholiques fervents comme le triomphe de la vraie religion. En réalité, de nombreux protestants choisirent de quitter la France. Quelques voix, ainsi celle de Vauban, s’élevèrent pour déplorer ces départs qui affaiblissaient le pays au profit de ses voisins. Les réformés qui demeurèrent en
France dissimulèrent leurs convictions religieuses. Plus tard, au début du XVIIIe siècle, les Cévennes connurent un soulèvement protestant, et les camisards réussirent même à battre des régiments du roi en 1704. La révocation indigna aussi les princes protestants en Europe, qui souvent, depuis le XVIe siècle, avaient été des alliés de la France. Elle alimenta les attaques contre la politique tyrannique du roi de France, qui fut présenté comme dangereux pour tous les protestants d’Europe. La même sévérité marqua l’attitude royale à l’égard des catholiques qui s’écartaient de la doctrine de l’Église. Les jansénistes connurent ainsi, tour à tour, persécutions et tolérance. À la fin de son règne, Louis XIV dispersa les dernières religieuses de PortRoyal (1709) et fit raser les bâtiments de l’abbaye (1710) ; enfin, il obtint du pape une nouvelle condamnation du jansénisme par la bulle Unigenitus (1713). • Versailles. Cette nouvelle étape dans la vie du roi coïncide avec l’installation de la cour à Versailles, en 1682. Louis XIV décida de renoncer aux déplacements permanents de la cour, même si elle fit encore, chaque année, des séjours à Marly ou à Fontainebleau. C’était une façon de reconnaître que le poids nouveau de l’administration rendait difficile cette vie itinérante aux lointaines origines. Ainsi se créait une capitale politique et administrative du royaume, et ce n’était pas Paris. Il a été parfois déclaré que Louis XIV se méfiait depuis la Fronde, de la grande cité indocile. En tout cas, le roi ne vécut plus au downloadModeText.vue.download 557 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 546 milieu des Parisiens, et cela ne fut sans doute pas sans importance. Le palais n’était pas achevé lors de cette installation, et les travaux continuèrent longtemps, car le roi avait un goût marqué pour ses « bâtiments » et aimait modifier en permanence le cadre luxueux dans lequel il vivait. Il avait pris à son service les artistes qui avaient travaillé pour Fouquet : Le Vau pour l’architecture, Le Brun pour la peinture, Le Nôtre pour le dessin des jardins. Hardouin-Mansart agrandit l’ensemble avec les bâtiments sur les jardins, les ailes, les écuries. Louis XIV avait appris de Mazarin le respect de l’art, la recherche de la beauté et le souci
du faste : sa demeure devait l’emporter sur toute autre dans le royaume, voire dans le monde. La présence de la cour supposait que des locaux fussent aménagés pour l’administration du royaume, pour les chevaux et les carrosses, pour la vie quotidienne. Une ville fut créée autour du palais. Ce fut aussi le moment où Louis XIV, veuf de Marie-Thérèse, décida de mener une vie respectueuse des règles de l’Église. En 1683, il épousa secrètement Mme Scarron, la veuve du poète, qui était devenue, par la faveur royale, marquise de Maintenon. Cette femme intelligente mena à la cour une vie discrète et retirée, mais ne fut sans doute pas sans influence sur le monarque. • Une « défense agressive » ? Louis XIV souhaita prolonger ses succès militaires et diplomatiques en renforçant la défense du territoire. Il s’agissait d’acquérir de nouveaux domaines sur le pourtour du royaume. À cette fin, des juristes et des historiens furent chargés de fouiller les archives pour retrouver des documents rappelant de vieux droits féodaux qui faisaient dépendre des terres situées hors de France de fiefs nouvellement acquis. Si le seigneur ne reconnaissait pas ce lien ni l’autorité de Louis XIV, la terre était confisquée. Ces « réunions » permirent ainsi de nombreuses annexions en pleine paix. Dans le même esprit, Louis XIV occupa, sans raison et sans rencontrer de résistance, la ville de Strasbourg (1681). Ces provocations suscitèrent la colère de nombreux princes allemands, qui étaient lésés par ces procédures, et qui se tournèrent vers l’empereur, au moment même où celui-ci était menacé par les Turcs et réussissait, grâce au roi de Pologne Jean III Sobieski, à dégager sa capitale, Vienne, (1683). La mobilisation progressive de l’Europe conduisit à un nouveau conflit, la guerre dite, en France, « de la Ligue d’Augsbourg » (16881697). Au même moment, en Angleterre, le débarquement de Guillaume d’Orange répondait au mécontentement des Anglais à l’égard du roi Jacques II Stuart, qui dut se réfugier en France. Guillaume d’Orange régnait désormais à Londres. Le conflit qui commençait eut donc une dimension maritime, les flottes françaises soutenant les efforts de Jacques II pour reconquérir son royaume. Le succès français remporté lors de la bataille navale de Béveziers, (1691) ne fut pas durable : en 1692, une grande partie de la flotte de guerre fut incendiée à La Hougue. Cette guerre d’escadre ruineuse laissa la place à une guerre de course. Au nom du roi, des corsaires, tel Jean Bart, attaquaient les navires marchands des
ennemis, compromettant ainsi le commerce international. Sur le continent, les armées de Louis XIV ravagèrent le Palatinat : ce mélange de pillages et de menaces destinées à obtenir des versements d’argent blessa durablement l’Allemagne par son aspect systématique et impitoyable. Les victoires de la France furent nombreuses ; néanmoins, Louis XIV apparaissait de plus en plus isolé en Europe. Le bilan des années 1680-1690 était ambigu - une guerre difficile et des tensions religieuses dans le royaume. À cela s’ajoutèrent des crises économiques graves dues principalement à des difficultés d’ordre climatique, comme ce fut le cas dans les années 1693-1694. LA VIEILLESSE • Le temps des projets. La fin du règne fut marquée par de grands changements. Si Louis XIV vécut jusqu’à 77 ans, il vit en revanche la mort de ses principaux collaborateurs - Colbert en 1683, Louvois en 1691et l’apparition d’une nouvelle génération de ministres, qui avaient sans doute des idées neuves. L’administration s’était étoffée, et elle s’efforça de mieux connaître le royaume, sa population, ses ressources, sa diversité, comme le prouvent les mémoires commandés aux intendants pour l’instruction du duc de Bourgogne (1697). De multiples projets de réforme furent préparés. Dans cet esprit, pour financer la guerre, un impôt par tête fut créé en 1695 ; il devait frapper tous les sujets, même nobles, selon la richesse ou le statut social. Plus tard, en 1710, un autre impôt, le « dixième », fut institué avec le même souci de respecter les capacités de chacun et la justice sociale. Enfin, il est possible que déjà une société et une économie nouvelles soient nées : en particulier, les ports de l’Atlantique commençaient à se tourner vers le commerce colonial. • Le temps des partages. C’est aussi dans un esprit de modération que se déroulèrent les négociations pour mettre fin à la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Louis XIV accepta de reconnaître Guillaume III comme roi d’Angleterre et d’abandonner les terres annexées lors des « réunions », à l’exception de Strasbourg. Il est vrai que cette modération s’explique par la proximité de la mort du roi d’Espagne, Charles II, qui n’avait pas de descendance directe. En raison des liens familiaux entre les maisons souveraines, de nombreux princes pouvaient prétendre à la succession espagnole ; parmi eux, les princes de la maison
de France ainsi que l’empereur et ses fils. L’enjeu était de taille, puisque l’empire espagnol était immense : Louis XIV et Guillaume III préparèrent des solutions diplomatiques qui en prévoyaient le partage. Mais les Espagnols n’acceptaient pas de voir cet empire disloqué par le soin d’autres puissances européennes, et Charles II fit un testament qui désignait comme successeur le petit-fils cadet de Louis XIV, le duc d’Anjou, car le roi de France était le seul à pouvoir maintenir l’intégrité de cet ensemble de territoires. Après des discussions au Conseil d’en haut, Louis XIV accepta ce testament, le 16 novembre 1700. Un Bourbon, Philippe V, s’en allait pour régner en Espagne. • La succession d’Espagne et la succession de France. Une telle décision entraîna une nouvelle guerre, dite « de la Succession d’Espagne ». Les puissances maritimes, Angleterre et Provinces-Unies, qui voulaient faire main basse sur le commerce espagnol avec les colonies américaines, se dressaient contre ce nouvel ordre international ; l’empereur intervenait au nom de ses droits à la couronne d’Espagne, et une « grande alliance » se forma contre le roi de France et son petitfils. Bien sûr, l’encerclement de la France par les possessions de la maison de Habsbourg avait disparu. Néanmoins, pour une grande part, la monarchie française dut contribuer à défendre les possessions espagnoles face à ses ennemis. Après quelques années incertaines, des pans entiers de l’empire espagnol tombèrent aux mains des alliés, et la péninsule Ibérique elle-même était en partie occupée. Les armées de Louis XIV subirent de rudes défaites ; Lille tomba en 1708. Louis XIV voulut alors négocier. Il accepta que Philippe V abandonnât son trône de Madrid, mais refusa de chasser lui-même son petit-fils. Or le vent tournait. Les Espagnols s’étaient montrés fidèles au prince français ; les alliés rencontraient des difficultés en Espagne ; la défaite des Bourbons n’était pas totale, puisqu’ils trouvaient des moyens de continuer la guerre, malgré le terrible hiver de 1709, qui frappa durement les Français. Surtout, ce long conflit conduisit à un effritement de la coalition contre les Bourbons : l’Angleterre se déclara prête à négocier, à la fin de 1710. Au moment où s’imposait l’idée que Philippe V resterait roi d’Espagne tout en perdant une bonne part de son empire, en Italie par exemple, Louis XIV vit la mort décimer sa famille, et sa propre succession devint incertaine. Son fils, l’aîné de ses petits-fils, l’aîné de ses arrière-petits-fils, moururent en 1711 et
1712. Philippe V « se rapprochait » de la couronne ou d’une éventuelle régence, et avec lui renaissait le spectre, inquiétant pour l’Europe, d’une union de l’Espagne et de la France. Néanmoins, après une victoire française inattendue en 1712, et des renonciations solennelles imposées aux Bourbons par la diplomatie anglaise pour garantir la séparation des deux royaumes, la paix fut signée à Utrecht en 1713, puis à Rastadt en 1714. Malgré les deuils, le roi conserva longtemps sa vitalité. Il multiplia les précautions pour préparer le règne de son successeur, un arrière-petit-fils né en 1710. Il continua à travailler avec constance, et la maladie lui laissa encore le temps et l’énergie de prendre congé de ses proches et de ses courtisans, non sans majesté. Il aurait alors dit à ces derniers : « Je m’en vais, mais l’État durera toujours.[...] J’espère aussi que vous ferez votre devoir et que vous vous souviendrez quelquefois de moi. » Il mourut le 1er septembre 1715. Le relief que Louis XIV donna à la fonction royale, l’ampleur des réalisations, en particulier artistiques, sous son règne, l’administration qui se mit en place et les ressources qu’elle sut tirer du royaume, enfin l’extension du territoire, suscitèrent l’admiration des princes du XVIIIe siècle, qui cherchèrent souvent à imiter le roi de France. En revanche, certains traits nouveaux de la monarchie- une downloadModeText.vue.download 558 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 547 autorité royale plus marquée et plus contraignante, une étroite surveillance de la société, un effacement politique des élites traditionnelles - furent peu à peu moins bien acceptés par les Français, qui explorèrent des voies vers une plus grande liberté. l LOUIS XV. Lorsqu’il naît à Versailles le 15 février 1710, le duc d’Anjou, second fils vivant du duc de Bourgogne, ne semble pas destiné à monter sur le trône. La mort subite du Grand Dauphin, son grand-père, en 1711, celle de son père en 1712, celle de son frère aîné quelques jours plus tard, enfin le décès de Louis XIV, son arrière-grand-père, le 1er septembre 1715, désignent cet enfant de 5 ans, seul survivant d’une lignée décimée, comme le nouveau roi de France. Il régnera jusqu’en 1774 ; un long
règne qui présente maints aspects contradictoires. Louis XV est - au temps des Lumières un monarque absolu, qui différera longtemps le moment d’exercer lui-même le pouvoir ; surnommé « Louis le Bien-Aimé » à son avènement, il mourra détesté par son peuple. LA RÉGENCE : 1715-1723 Puisque la mère du jeune Louis est morte en 1712, la régence revient de droit au premier prince du sang, Philippe, duc d’Orléans et fils de Monsieur, frère de feu le roi. Louis XIV a déposé au parlement un testament qui limite le pouvoir du prince en instituant un Conseil de régence. Moyennant la promesse de restaurer les droits dont le monarque les a privés, les magistrats proclament le duc d’Orléans régent et annulent les dispositions testamentaires qui le lèsent. Aussitôt après la mort du vieux monarque, Louis XV, le Régent et la cour quittent Versailles pour la capitale. Le Palais-Royal devient alors le centre de la vie politique. L’héritage est lourd : à l’intérieur se réveillent l’opposition du parlement et celle de la noblesse ; la situation financière est préoccupante, et les problèmes religieux restent en suspens. En Europe, il faut beaucoup de prudence pour atténuer les sentiments de haine et de jalousie suscités par la politique belliqueuse des précédentes décennies. Dès le 15 septembre 1715, le Régent redonne au parlement le droit de remontrance, supprimé depuis 1673. D’autre part, afin de répondre aux aspirations de la noblesse, il instaure le système de la « polysynodie », qui consiste à remplacer les ministres par des conseils composés de sept membres appartenant à l’ancienne noblesse. Le duc d’Orléans abandonne cependant cette pratique en septembre 1718, et il gouverne dès lors secondé par le cardinal Dubois, promu Premier ministre, et assisté par le Conseil de régence. Dans l’espoir de remédier à une situation financière désastreuse, le Régent adopte le système préconisé par l’Écossais Law. Ce dernier estime pouvoir diminuer la dette de l’État grâce à une politique d’inflation, tout en relançant l’économie par la circulation de billets émis par une banque générale et garantis par l’État. Après un succès foudroyant, la banque de Law s’effondre en 1720. Quelque vilipendé qu’il ait été, et malgré un certain nombre de débâcles financières, le « système » a néanmoins permis à l’État de payer ses dettes et
d’augmenter ses recettes. Pendant que le Régent tente d’éviter la banqueroute, il se heurte à l’opposition janséniste, que soutiennent des docteurs de Sorbonne, des évêques, de très nombreux curés, des jurisconsultes (d’Aguesseau), ainsi que bon nombre de parlementaires. Par leur appel à la conscience individuelle et à l’esprit de libre arbitre, les jansénistes favorisent alors la naissance d’une conscience collective du corps civique. Le 5 mars 1717, quatre évêques, suivis par trois mille ecclésiastiques, relancent la polémique en demandant la réunion d’un concile pour condamner la bulle Unigenitus (1713), qui a proscrit le jansénisme. Ils affirment ainsi la supériorité du concile sur le pape, et critiquent de ce fait le pouvoir royal, qui s’est placé sous la tutelle du souverain pontife. Le 4 août 1720, le duc d’Orléans riposte en exigeant du parlement qu’il interdise désormais d’écrire contre la bulle Unigenitus et de faire appel à un concile. En Europe, le traité d’Utrecht (1713) a modifié l’équilibre des forces. Il n’y a plus désormais de Habsbourg qu’à Vienne, puisque Philippe V, petit-fils de Louis XIV, règne à Madrid. Avec l’Alsace, la Flandre, la FrancheComté et le Roussillon acquis au siècle précédent, la France, entourée d’États plus faibles qu’elle, doit dès lors songer à conserver plutôt qu’à conquérir. Après le traité de Madrid (janvier 1720), qui met fin à un bref conflit avec l’Espagne, on décide de marier Louis XV à l’infante, âgée de 3 ans, pour sceller la réconciliation franco-espagnole. Confié au maréchal de Villeroi, son gouverneur, et à l’abbé Fleury, son précepteur, l’enfant-roi, chéri de la population parisienne, reçoit l’instruction habituellement dévolue aux princes, tandis que le Régent l’initie, dans la mesure du possible, aux affaires de l’État, par des entretiens en tête à tête, à partir de 1719. En 1720, Louis XV préside le Conseil à plusieurs reprises. Officiellement, la Régence s’achève le 15 février 1723, le roi - âgé de 13 ans - ayant atteint la majorité, mais le jeune souverain demande au duc d’Orléans de poursuivre sa tâche avec le titre de principal ministre. À la mort de ce dernier, le 2 décembre, le duc de Bourbon lui succède, jusqu’à sa disgrâce en 1726. LOUIS LE BIEN-AIMÉ : 1723-1748 Très pressé que le roi assure sa postérité, le duc de Bourbon estime qu’on ne peut attendre que l’infante devienne nubile. Parmi
les princesses susceptibles d’être épousées, on choisit Marie Leszczynska, fille du roi de Pologne détrôné Stanislas Leszczynski, et on renvoie l’infante. Même si la jeune femme, âgée de 22 ans, est d’une complexion assez agréable et d’une moralité irréprochable, cette alliance semble bien modeste pour un roi de France. Le mariage, célébré le 5 septembre 1725, se révélera fécond. Dix naissances, dont celle du dauphin en 1729, s’échelonneront de 1727 à 1738. Fort amoureux de son épouse aux premiers temps de leur union, Louis XV se refroidit bientôt, et jette son dévolu sur Mme de Mailly dès 1732, inaugurant ainsi une longue carrière libertine. Le 15 juin 1726, Louis XV décide de gouverner seul, mais il se contente en fait de régner en assumant son rôle représentatif : il préside les cérémonies, donne des audiences, et procède aux nominations. Le pouvoir est en réalité exercé par son ancien précepteur, devenu cardinal, André Hercule de Fleury, lequel s’appuie sur quelques grands ministres (Orry aux Finances, Chauvelin, garde des Sceaux et secrétaire d’État aux Affaires étrangères, d’Aguesseau également garde des Sceaux, Maurepas à la Maison du roi et à la Marine). Sans en avoir le titre, Fleury exerce les fonctions d’un principal ministre jusqu’à sa mort, le 29 janvier 1743. Après les perturbations de la Régence, le cardinal préconise une politique d’économies tout en manifestant une volonté de paix avec les puissances européennes. Une exceptionnelle stabilité monétaire et financière caractérise ce long ministère. Les budgets de 1739 et de 1740 sont même excédentaires ! Un édit de janvier 1726 attribue au louis la valeur de 24 livres, qui restera stable jusqu’à la Révolution. Cette même année voit l’établissement de la Ferme générale pour la perception des contributions indirectes, dont le montant diffère selon les régions. La réforme de ce système, aussi impopulaire que la taille, échoue en 1733. En revanche, la capitation et le dixième, créés pour financer la guerre de la Succession de Pologne et celle de la Succession d’Autriche, pèsent sur la totalité de la population. Dans le domaine de la justice, les ordonnances du chancelier d’Aguesseau tendent à unifier le droit civil. Réorganisés pendant la Régence, les Ponts et Chaussées entreprennent la reconstruction du réseau routier, en ayant recours à la corvée. Fleury est bientôt confronté au renouveau de l’opposition janséniste et parlementaire.
En 1727, la querelle rebondit après l’expulsion de son diocèse de Mgr Soanen, évêque de Senez, qui défend la doctrine condamnée. Aux yeux des curés de Paris, soutenus par les Nouvelles ecclésiastiques, qui entretiennent la flamme janséniste, l’exilé fait figure de martyr. En outre, d’étranges « miracles » se produisent sur la tombe du diacre Pâris - janséniste notoire -, autour de laquelle des illuminés se livrent à des crises d’hystérie qui s’apparentent autant à l’extase mystique qu’à la possession diabolique. Pour faire cesser le scandale des « convulsionnaires » et mettre fin en même temps au mouvement janséniste - que soutient toujours le parlement -, pressé par Fleury, Louis XV décide l’enregistrement forcé de la bulle Unigenitus, proclamée, cette fois, loi du royaume (1730). À l’occasion de cette querelle d’essence religieuse, deux traditions s’affrontent : celle de la monarchie absolue et celle de la monarchie contrôlée par les corps intermédiaires. Malgré ses intentions pacifistes, Fleury est contraint d’engager la France dans deux conflits. Par la guerre de la Succession de Pologne (1733-1738), il s’agit de défendre la candidature de Stanislas Leszczynski au trône de Pologne contre une coalition austro-russe. Malgré les échecs français (Dantzig, 1734), ce conflit s’achève par un traité avantageux pour downloadModeText.vue.download 559 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 548 le royaume : le duché de Lorraine et le comté de Bar sont concédés à Stanislas, et reviendront à la France quand ce dernier mourra (1766). En 1740, le vieux cardinal fait entrer la France dans une coalition regroupant la Prusse, plusieurs princes allemands, l’Espagne et les Deux-Siciles. Ces puissances ont refusé de reconnaître Marie-Thérèse pour impératrice d’Autriche. Mais cette dernière, contrainte de céder la Silésie à Frédéric II de Prusse, qui se retire du combat (juin 1742), se tourne bientôt contre ses autres adversaires, obligeant ainsi les Français à battre en retraite. Soutenue par les Anglo-Hanovriens, elle constitue contre eux une coalition qui pénètre en Alsace en juin 1744. À la tête des armées, Louis XV se rend jusqu’à Metz, où il manque d’être terrassé par une fièvre maligne. La reprise de la guerre par Frédéric II sauve la France d’une situation critique. Le 11 mai
1745, la victoire française de Fontenoy, où s’illustre le roi, permet l’invasion des Pays-Bas autrichiens, puis celle des Provinces-Unies. Louis XV se trouve alors en position de force. Mais, au traité d’Aix-la-Chapelle (28 octobre 1748), refusant de négocier « en marchand », il ne garde aucune de ses conquêtes, semblant ainsi ne pas se soucier de consolider la frontière du Nord. L’opinion est ulcérée. On dit qu’on « a travaillé pour le roi de Prusse ». LE ROI IMPOPULAIRE : 1748-1774 La popularité du roi, qui a atteint son zénith au moment de Fontenoy, commence à se ternir. La paix d’Aix-la-Chapelle marque un moment de rupture évident dans l’histoire du règne. Cette guerre, qui s’achève sans le moindre avantage pour la France, a beaucoup pesé sur le budget. En outre, les médiocres récoltes de 1747-1748 contribuent à aigrir l’opinion populaire. Les dépenses de la cour, la liaison du roi avec Mme de Pompadour, qui a succédé dans la couche royale aux quatre filles du marquis de Nesle, accréditent l’idée que le monarque se laisse gouverner par des intrigantes avides d’argent et qu’il se moque de son peuple. On colporte même les plus folles rumeurs lorsqu’on apprend que plusieurs enfants ont été enlevés dans Paris. On ose parler d’un Louis XV-Hérode ! Dans les milieux éclairés, l’offensive philosophique, relayée par les académies et les sociétés savantes, fustige l’absolutisme royal et l’intolérance religieuse. En 1743, à la mort de Fleury, le roi a de nouveau manifesté son intention de gouverner seul. Il n’a pas choisi de principal ministre, mais a désigné des secrétaires d’État appartenant à la fois au parti philosophique, que défend Mme de Pompadour, et au parti dévot, qui est celui de la famille royale. Rivaux entre eux, ces dignitaires s’affrontent en présence du monarque, ce qui encourage les parlements et les autres cours souveraines à revendiquer un rôle politique accru. Les magistrats veulent s’ériger en conseillers du prince. Le conflit devient sérieux en 1749, lorsque Machault d’Arnouville, contrôleur général des Finances, tente de remplacer l’impôt du dixième par celui du vingtième, qui doit frapper tous les revenus, à l’exception des salaires. Le parlement et le clergé s’élèvent contre cette mesure. Après bien des atermoiements, le roi exempte le clergé de cette contribution, rallumant l’opposition janséniste et celle des parlementaires, qui se mettent à critiquer toutes les décisions royales. L’attentat contre le souverain, blessé
par le valet de chambre Damiens, le 5 janvier 1757, ne suscite guère d’émotion dans le pays. Peu après, Louis XV se sépare de ses ministres et finit par appeler le duc de Choiseul. Lorsque ce dernier, bon spécialiste des affaires étrangères, de la guerre et de la marine, arrive au pouvoir en 1758, Louis XV est engagé dans un nouveau conflit, la guerre de Sept Ans. En 1755, sans déclaration de guerre, les Anglais ont attaqué les Français, sur mer. Frédéric II venant de s’allier à la puissance britannique, Louis XV accepte volontiers l’offre d’alliance défensive que lui fait Marie-Thérèse d’Autriche contre les AngloPrussiens. En rupture avec la politique traditionnelle de la France, ce renversement des alliances est scellé au traité de Versailles, le 1er mai 1756. Tout comme il a été la dupe de Frédéric II, Louis XV va être celle de l’impératrice. Il se fait le défenseur de l’Autriche avec le même acharnement qu’il en a été l’adversaire. Les armées françaises volent au secours de Marie-Thérèse dès qu’elle est attaquée par la Prusse, alors que la marine royale est obligée de livrer combat sur plusieurs fronts contre l’Angleterre. Les échecs se multiplient, sur terre et sur mer. À l’issue de sept ans de conflit, au traité de Paris, le 10 février 1763, Louis XV est contraint de reconnaître la fin de sa domination sur le Canada et sur la Louisiane ; il perd les territoires conquis en Inde, et garde à grandpeine ses possessions aux Antilles. La France conserve l’alliance autrichienne, très impopulaire et violemment critiquée, ainsi que celle avec l’Espagne (« pacte de Famille »), conclue en 1761. Le gouvernement ne bénéficie plus d’aucun crédit, et la nation ressent douloureusement cet abaissement. Pour comble d’humiliation, la France verra les Allemands, apparemment irréconciliables, se rapprocher à son insu, s’entendre à ses dépens, et partager, de concert avec la Russie (1772), les dépouilles de la Pologne, l’une des plus anciennes clientes de la monarchie française. Et l’acquisition de la Corse (1768) ne suffit pas à redorer l’image du ministère. Le traité de Paris et les difficultés financières engendrées par la guerre rendent le roi de plus en plus impopulaire. Aristocrate éclairé, libéral et modéré, Choiseul souhaite l’essor économique du royaume et l’apaisement des querelles, toujours prêtes à rebondir entre le pouvoir royal et le parlement. Dans l’espoir de développer l’agriculture et de stimuler le commerce, il abolit la réglementation sur les grains et autorise leur libre circulation à l’intérieur du royaume, ainsi que les
exportations de céréales (1763). Cette mesure soulève aussitôt des difficultés avec le parlement. On accuse le gouvernement de faciliter les monopoles et on va jusqu’à prétendre que le roi est intéressé dans des affaires spéculatives, ce qui donne naissance à la légende du « pacte de famine ». En 1770, Louis XV capitule, et remet en vigueur les anciens règlements. Mais le parlement ne perd pas une occasion d’attaquer l’absolutisme. L’affaire La Valette (celle d’un jésuite compromis dans une affaire commerciale) est l’occasion pour lui de s’en prendre à la Compagnie de Jésus, accusée de favoriser l’ultramontanisme et l’absolutisme oublieux des « libertés » nationales. Ses attaques aboutissent finalement au bannissement et à la suppression de l’ordre en 1764. Le parlement, que Choiseul protège, enregistre donc un nouveau succès. L’affaire du parlement de Bretagne dégénère bientôt en un conflit grave entre le pouvoir royal et l’ensemble des parlements de France. Soutenant en effet leur procureur général, le sieur de La Chalotais, les parlementaires bretons s’opposent à l’enregistrement d’édits de finance, parce que le roi n’a pas consulté les états de Bretagne. Cette fronde prend une telle ampleur que le souverain décide de tenir un lit de justice pour ramener les magistrats à la raison. Le 3 mars 1766, au cours de la séance dite « de la flagellation », il proclame les principes d’une monarchie absolue et intangible. Cependant, le parlement poursuit le procès qu’il a entamé contre l’absolutisme. Exaspéré par cette opposition systématique, le roi disgracie Choiseul le 24 décembre 1770, tout en exilant le parlement. Au mois de février 1771, un édit réorganise la justice par l’abolition de la vénalité des charges et par l’institution de la justice gratuite. Un nouveau parlement, dont les membres sont nommés par le roi, est créé et le Grand Conseil est réorganisé pour enregistrer les édits. La Cour des aides, autre bastion de la résistance à l’autorité royale, est supprimée. Ce coup d’État royal semble donner un sursis à l’absolutisme. Mais, aussitôt, le monde de la robe se révolte, soutenu par le parti philosophique, qui considère le parlement comme le seul rempart élevé contre le despotisme, et la Chambre nommée, comme un barrage entre le roi et la nation. Sourd aux murmures qui montent de toutes parts contre cette réforme et les mesures autoritaires adoptées par le nouveau ministère (le chancelier Maupeou, l’abbé Terray, contrôleur général des Finances, le duc d’Aiguillon aux Affaires étrangères), Louis XV, dont on stigmatise la vie privée (en particulier sa liaison avec Mme du Barry), continue de
penser qu’il a consolidé le régime. À la fin du mois d’avril 1774, pris de frissons, il s’alite. On diagnostique bientôt la petite vérole. Il meurt à Versailles, le 10 mai 1774. Après un règne de près de soixante ans, Louis XV meurt dans l’indifférence, voire dans le mépris. Peu de monarques ont suscité des jugements aussi contradictoires. Au XIXe siècle, les historiens républicains, derrière Michelet, ont voulu voir en lui un monstre de perversion dont les vices ont perdu la dynastie et amené la chute de l’Ancien Régime. Au XXe siècle, l’historien de sensibilité royaliste Pierre Gaxotte (le Siècle de Louis XV, 1933) et ses émules l’ont dépeint comme un véritable génie politique. Malgré les travaux très érudits d’un Michel Antoine, il semble encore difficile de brosser un portrait objectif de ce souverain, dont l’action a manqué assurément de cohérence. Inquiet, indolent, jaloux de son autorité, n’ayant pas toléré que ses (trop) nombreux ministres pussent exercer le pouvoir en son nom, le roi ne parvint jamais à concevoir les réformes dont l’État monarchique avait besoin. Alors downloadModeText.vue.download 560 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 549 que la France connaissait un essor démographique considérable, accompagné d’un réel développement économique, et qu’elle jouissait d’un rayonnement culturel exceptionnel, la monarchie ne s’adaptait pas à l’esprit du siècle. Considérée comme immuable par le souverain lui-même, elle ne parvenait pas à concilier les voeux de la nation, exprimés par les élites, avec l’intérêt de l’État. La réforme de Maupeou, imposée à un parlement qui s’était élevé contre le pouvoir royal pendant plusieurs décennies, apparut à l’opinion publique comme un intolérable sursaut de l’absolutisme. Enfin, en Europe, il semblait que, par la volonté et le manque de clairvoyance du monarque, la France était passée du rang de puissance dirigeante à celui de puissance subalterne. Déçus par celui qu’ils avaient naguère surnommé « le Bien-Aimé », les Français, qui ne remettaient pas encore en cause la monarchie, espéraient du successeur de Louis XV la reconnaissance des libertés fondamentales, la destruction des derniers vestiges du régime féodal, la répartition proportionnelle de l’impôt entre tous les citoyens et une refonte des institutions.
l LOUIS XVI. Alors que l’historiographie royaliste a toujours présenté Louis XVI comme « le roi martyr », l’historiographie républicaine l’a dépeint, au mieux, sous les traits d’un prince faible et louvoyant, et, au pire, comme un despote borné. Confronté à l’explosion révolutionnaire, le dernier souverain de l’Ancien Régime n’a pas manqué de déconcerter ses contemporains, ce qui explique, en partie, les jugements parfois contradictoires des historiens à son sujet. En outre, les passions politiques soulevées par l’interprétation de la Révolution ont achevé de brouiller l’image de ce prince dont on semble retracer désormais les traits avec plus de vigueur et de cohérence. UN MONARQUE PEU PRÉPARÉ AU MÉTIER DE ROI Né à Versailles le 23 août 1754, héritier de la couronne depuis 1765, Louis XVI est à peine âgé de 20 ans lorsqu’il succède à son grandpère Louis XV, le 10 mai 1774. Peu aimé de ses parents - le dauphin Louis et Marie-Josèphe de Saxe -, qui lui préfèrent un frère aîné emporté très jeune par la tuberculose, il a grandi sous la férule du duc de La Vauguyon. Ce gouverneur lui a donné la plus conventionnelle - mais aussi la plus castratrice - des éducations, inhibant une personnalité déjà fortement introvertie. Féru d’histoire, de droit, de géographie, de mathématiques, intéressé par les sciences, le prince ignore tout de l’état du royaume et des pratiques gouvernementales. Conserver intact l’héritage de ses pères, c’est-à-dire maintenir immuable la monarchie absolue, telle est la grande leçon que le jeune monarque retient de ses années d’études. Dépourvu de charme, peu sûr de lui, il épouse, à 16 ans, l’archiduchesse Marie-Antoinette, gage de l’impopulaire alliance franco-autrichienne (que le père du futur Louis XVI réprouvait totalement). Gracieuse et pétulante, la reine ne comprend guère la froideur que lui témoigne son triste époux : il ne parviendra à consommer son mariage qu’en 1777. L’ÉCHEC DE LA « RÉVOLUTION PAR EN HAUT » (1774-1776) Le règne de Louis XVI commence comme une pastorale, oeuvre qui évoque la simplicité des moeurs et l’harmonie. On sait le roi timide, vertueux et modeste. Il paraît l’op-
posé de son aïeul, et cela suffit pour reporter sur lui toutes les espérances déçues. Il est « Louis le Désiré » pour cette époque propice aux effusions sentimentales. Et la presse de célébrer la légende du roi bienfaisant, véritable réincarnation d’Henri IV. Tout autant que le souverain, Marie-Antoinette bénéficie alors de cette extraordinaire popularité. Aux yeux de l’opinion, ce jeune couple augure un nouvel âge d’or. Pétri des préceptes de Fénelon, Louis XVI, tel Télémaque, se donne un mentor en la personne d’un ancien ministre disgracié par Louis XV, le comte de Maurepas. Vieillard sceptique et rompu à toutes les subtilités de la politique, Premier ministre de fait jusqu’à sa mort, en 1781, celui-ci influence de façon évidente toutes les décisions du monarque. Les premières vont déterminer la suite du règne. Louis XVI va-t-il maintenir la réforme entreprise quatre ans plus tôt par Maupeou, c’est-à-dire la suppression des parlements et de la Cour des aides ? Va-t-il entreprendre des réformes engageant le royaume sur la voie de changements fondamentaux ? Appartenant à une ancienne famille de la noblesse de robe, Maurepas se montre favorable au rétablissement des cours souveraines dans leurs pouvoirs. Secrètement hostile aux réformes de structure, il laisse cependant entrer dans le ministère deux réformateurs de la « secte philosophique », Malesherbes et Turgot, alors que les autres ministres sont plutôt conservateurs et attachés aux principes de la monarchie traditionnelle (c’est le cas, en particulier, de Vergennes, appelé aux Affaires étrangères). Rétablissant le parlement et la Cour des aides quasiment dans la plénitude de leurs pouvoirs, le roi jouit d’une popularité encore accrue. Ces institutions passent, en effet, pour les meilleures garantes face aux excès de l’absolutisme. Lorsque Louis XVI adopte cette mesure, Turgot, son contrôleur général des Finances, préconise une politique d’économies drastiques. « Point de banqueroute, point d’augmentation d’impôts, point d’emprunts », dit-il à son maître. Il souhaite, en outre, accroître la richesse de la nation en proclamant la liberté de l’industrie et du commerce. Le 13 septembre 1774 est adopté un édit établissant la libre circulation des grains, dont les conséquences se font sentir en avril-mai 1775, lors des troubles de la « guerre des farines » provoqués par la spéculation sur les blés. Des émeutes éclatent simultanément sur les marchés de plusieurs régions. On accuse les monopoleurs de
faire monter le prix du blé, et, comme au temps de Louis XV, on reparle du « pacte de famine ». Quelques émeutiers se rendent même jusque dans la cour du château de Versailles pour manifester leur hostilité à la politique frumentaire du gouvernement. Cependant, Louis XVI soutient son ministre, et le calme se rétablit. Avec la « rage du bien public » qui le caractérise, le 5 janvier 1776 Turgot propose six édits, dont l’un supprime la corvée, et un autre les corporations. Ce dernier doit aboutir, à terme, à la suppression de la société d’ordres, ce que comprend parfaitement le parlement, qui s’oppose à l’enregistrement. À l’issue de la crise qui s’ensuit, Louis XVI finit par céder aux privilégiés et sacrifie son ministre. Du reste, ce dernier ainsi que son ami Malesherbes, qui quitte lui aussi le ministère, songent à élaborer un système de représentation nationale. Le projet d’une monarchie constitutionnelle où, de surcroît, la société d’ordres n’existerait plus ne peut que passer pour hérétique aux yeux du roi. L’idée de la « révolution par en haut » semble donc condamnée dès 1776. LES ANNÉES CRUCIALES : 1778-1788 On supprime d’un trait de plume les réformes de Turgot. Après quelques errements, Louis XVI appelle aux Finances, en 1777, l’habile banquier genevois Necker, qui passe pour l’un des meilleurs spécialistes en ce domaine. À son tour, le nouveau contrôleur des Finances insiste sur la nécessité de faire de sérieuses économies. Il développe le système de la régie pour la perception des impôts indirects, réduisant ainsi les avantages de la Ferme générale. Il souhaite, en outre, que les contribuables puissent participer à l’établissement des impôts indirects en collaborant avec les intendants. À cette fin, il propose au roi la création d’assemblées provinciales composées de membres nommés. L’expérience, tentée dans le Berry, ayant été positive, Necker veut l’étendre à d’autres provinces. Mais il se heurte à l’hostilité du parlement, qui voit dans ces assemblées l’embryon d’une représentation nationale, ce qui signifie, à plus longue échéance, la suppression des cours souveraines et la transformation des institutions du royaume. Le roi ne manque pas d’être impressionné par cette nouvelle levée de boucliers des magistrats. Lors de son avènement, Louis XVI a hérité d’un royaume dont le prestige international
est gravement atteint depuis le désastreux traité de Paris (1763). Vergennes a pourtant l’intention de faire de son maître l’arbitre de l’Europe. Il veut orienter la politique extérieure de la France contre l’Angleterre, sans pour autant compromettre la paix continentale. Il faut donc éviter à tout prix de soutenir les entreprises hasardeuses de l’allié autrichien tout en resserrant le « pacte de Famille » conclu avec l’Espagne. Le soulèvement des colonies d’Amérique contre leur métropole fournit au roi et à son ministre le prétexte qu’ils appellent de leurs voeux. Le 6 février 1778, un traité d’amitié est conclu avec les États-Unis. Beaucoup de jeunes aristocrates qui défendent les idéaux de liberté et d’indépendance partent combattre aux côtés des insurgents. Considéré comme une guerre de revanche contre l’Angleterre, ce conflit outre-mer rompt cependant avec la politique traditionnelle de la monarchie française, puisqu’il s’agit de défendre des colons répudownloadModeText.vue.download 561 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 550 blicains désireux de mettre fin à tout lien avec leur souverain. La France ne se contente pas d’envoyer des troupes et de participer à l’effort militaire, elle subventionne les Américains, ce qui accroît considérablement la dette de l’État. Necker finance l’entreprise par une série d’emprunts, sans lever d’impôts nouveaux. Lorsque la paix de Versailles est signée le 3 septembre 1783, Louis XVI apparaît bel et bien comme un arbitre. La France, qui l’a emporté sur sa rivale, a réussi à maintenir la paix en Europe. En outre, elle obtient le Sénégal, l’île de Tobago, des droits de pêche élargis à Terre-Neuve, et pleine liberté de fortifier Dunkerque. Cependant, la guerre d’Amérique ravive les idées de liberté et d’égalité, et contribue à allumer la flamme républicaine. D’autre part, une crise financière menace : jamais une guerre n’a coûté si cher à l’État. Necker n’est plus aux Finances. Devant l’opposition du parlement et de la cour, il a préféré démissionner dès le mois de mai 1781. Troublé par la mort de Maurepas, et après deux expériences malheureuses, Louis XVI désigne finalement Calonne comme contrôleur général, le 3 novembre 1783. Afin d’éviter la banqueroute, ce dernier propose un « plan d’amélioration des
finances » (20 août 1786). Il prévoit un impôt levé sur tous les détenteurs de biens fonciers et dont le montant serait réparti par des assemblées de propriétaires élus. Une fois encore, cette mesure, qui doit aboutir à l’élection d’assemblées représentatives et bouleverser les structures de l’État, suscite l’opposition des privilégiés. Louis XVI recule, renvoie Calonne et appelle au pouvoir son principal adversaire, l’archevêque Loménie de Brienne, lequel propose aussi un impôt équitablement réparti. La crise financière, relayée par des difficultés économiques, prend une telle ampleur que Brienne, devenu principal ministre, demande au roi de céder à la volonté générale : la réunion des états généraux. LES DÉBUTS DE LA RÉVOLUTION : MAI-OCTOBRE 1789 En convoquant les états généraux, Louis XVI renoue avec une pratique ancienne à laquelle on n’a pas recouru depuis 1614. Pour le roi, la crise financière étant à l’origine de cette consultation nationale, on ne doit traiter que des problèmes fiscaux avec les députés. Il redoute cependant que les élus de la nation ne veuillent élaborer une Constitution bouleversant les institutions. Dès 1788, Malesherbes, qu’il a de nouveau désigné comme ministre de la Maison du roi (l’équivalent du ministère de l’Intérieur), lui a conseillé de rédiger lui-même une Constitution avant d’y être contraint par la force. Mais, estimant qu’il doit léguer intact l’héritage de ses pères, Louis XVI refuse d’admettre qu’une part de son autorité soit transférée à une assemblée. Roi de droit divin, il considère que l’exécutif et le législatif dépendent de sa seule personne. Dans ces conditions, la réunion des représentants de la nation ne va pas tarder à devenir une épreuve de force opposant des élus manifestant clairement leur volonté de changement au souverain sourd à des aspirations jugées révolutionnaires. Dès les premiers jours de mai 1789, le conflit s’engage entre les deux ordres privilégiés et le tiers état d’une part, entre le roi et le tiers état d’autre part. Les députés du troisième ordre ayant osé se proclamer « assemblée nationale » le 17 juin, Louis XVI décide de riposter. Le 23 juin, il tient une « séance royale » durant laquelle il définit les concessions auxquelles il consent : il accorde la liberté individuelle, la liberté de la presse et l’égalité devant l’impôt ; il admet que les contributions et les emprunts soient votés par les états généraux. Ceux-ci, réunis périodi-
quement, auraient le droit d’établir le budget. Il demande aux députés de chacun des trois ordres (clergé, noblesse et tiers état) de délibérer séparément, ce qui montre sa volonté de ne pas changer les structures fondamentales de la société. Animée par un certain nombre de libéraux - dont Mirabeau est le porte-parole le plus prestigieux -, l’« assemblée nationale » passe outre et poursuit ses travaux. Les jours suivants, la majeure partie du clergé et plusieurs nobles la rejoignent, bravant ainsi les décisions royales. Louis XVI feint alors de céder. Il accepte la réunion des trois ordres, ce qui revient implicitement à reconnaître l’« assemblée nationale ». Néanmoins, il commence à concentrer des régiments autour de la capitale, sous prétexte de maintenir l’ordre. En réalité, il a l’intention de disperser l’assemblée pour rétablir son pouvoir. Ces mouvements de troupes créent la panique dans Paris, alors menacé par la disette. Redoutant le pire, l’assemblée demande au roi d’éloigner les troupes. En vain. Alors que la capitale est la proie de troubles, l’« assemblée nationale » se proclame « Assemblée nationale constituante » - nouvelle provocation à l’égard du pouvoir. Mais le roi poursuit imperturbablement ses préparatifs. Le 11 juillet, il renvoie le populaire Necker, qu’il a rappelé en 1788, et forme un ministère de combat avec le baron de Breteuil et le duc de Broglie. Contrairement à ce qu’espèrent le souverain et son entourage, ces mesures entraînent un soulèvement populaire, qui aboutit à la prise de la Bastille, le 14 juillet. Ayant compris qu’il s’agit là d’une véritable révolution, Louis XVI se rend dans la capitale, le 17 juillet, et accepte le fait accompli. « Ainsi finit une amende honorable telle qu’aucun souverain n’en avait jamais faite, ni aucun peuple jamais reçue », écrit l’Américain Jefferson, ce soir-là. Louis XVI ne veut pourtant pas s’avouer vaincu. Alors qu’il refuse de sanctionner le décret du 4 août détruisant la société traditionnelle, il rassemble des troupes à Versailles, toujours dans l’intention de disperser l’Assemblée. Cette mesure soulève, une fois encore, la colère dans la capitale. Le 5 octobre 1789, des milliers de Parisiens marchent sur Versailles. Le lendemain, dans des circonstances assez dramatiques, ils ramènent à Paris le souverain et sa famille. Louis XVI est désormais prisonnier du peuple. L’Assemblée suit le roi à Paris. Quelques jours plus tard, Louis XVI adresse une lettre secrète au roi d’Espagne, pour l’avertir qu’il n’agit plus librement. Désormais, Louis XVI, activement secondé par la reine, va
jouer un double jeu. VERS L’EFFONDREMENT DE LA MONARCHIE : OCTOBRE 1789-AOÛT 1792 Les journées d’octobre portent un coup fatal aux pouvoirs du roi. Le 10, l’Assemblée, prenant une décision symboliquement très forte, décrète que le souverain ne sera plus appelé « roi de France », mais « roi des Français ». Mais l’Assemblée elle-même n’a plus véritablement la maîtrise de ses décisions, les députés étant largement passés sous l’empire de la commune. La présence du roi et des représentants de la nation dans la capitale ne contribue pas à l’amélioration de la situation matérielle des Parisiens, d’autant que la crise financière s’aggrave. L’évêque d’Autun, Talleyrand, trouve alors une source de revenus inespérée : il propose, pour combler le déficit budgétaire, la mise à la disposition de la nation des biens du clergé. Le 2 novembre 1789, les députés votent allègrement cette mesure, prélude à la Constitution civile du clergé. Tout en voulant donner l’impression qu’il est le chef de la révolution (discours du 4 février 1790, lors de la prestation du serment civique des députés), Louis XVI ne peut admettre de voir s’effondrer l’oeuvre de ses ancêtres. En désespoir de cause, il entre en pourparlers avec Mirabeau, pour que le tribun devienne son conseiller secret. Ce dernier s’engage à rétablir dans la Constitution en cours d’élaboration « un pouvoir exécutif dont la plénitude [doit] être sans restriction et sans partage dans la main du roi. » D’autre part, il souhaite que Louis XVI puisse s’imposer à ses sujets et à l’Assemblée en s’appuyant sur les provinces restées plus loyalistes que la capitale. Sous l’influence d’une presse violente, dont Marat est le représentant le plus emblématique, le peuple parisien se familiarise en effet avec l’image d’un roi traître à la nation et chef occulte d’une sanglante contrerévolution menée depuis l’étranger par les émigrés. La mort subite de Mirabeau, en avril 1791, avant l’achèvement des textes constitutionnels et de la Constitution civile du clergé - qui heurte profondément la conscience religieuse du roi -, convainc Louis XVI de quitter la capitale. Ainsi espère-t-il ne pas ratifier des textes qu’il réprouve, et revenir dans Paris, à la tête de troupes fidèles, pour rétablir la monarchie de ses pères. Aidée par le comte de Fersen, la reine prépare l’évasion. L’équipée prend fin à Varennes-en-Argonne, le 22 juin 1791. Le double jeu du souverain paraît alors évident. Pourtant, l’Assemblée,
redoutant les violences populaires, et voulant que son oeuvre soit ratifiée, feint de croire que le roi a été enlevé malgré lui. Après avoir « suspendu » le monarque pendant quelques semaines, elle remanie la Constitution dans un sens plus réactionnaire avec l’espoir que Louis XVI accepte de la ratifier. Le 14 septembre 1791, celui-ci prête serment à cette Constitution, et l’Assemblée se sépare. Pour recouvrer le pouvoir qui lui a échappé, Louis XVI pense n’avoir qu’un recours : l’intervention des puissances européennes en sa faveur. Aussi se lance-t-il dans une surenchère belliciste dès le mois de décembre 1791. Il prend prétexte du fait que l’empereur François II refuse de renvoyer les émigrés installés sur son territoire pour proposer de lui déclarer la guerre. L’Assemblée législative adopte downloadModeText.vue.download 562 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 551 cette mesure, le 20 avril 1792. Mais les buts de Louis XVI et ceux des députés ne sont pas les mêmes. Le roi avertit les souverains étrangers qu’il compte rétablir son autorité à la faveur du conflit, et la reine correspond activement avec sa famille, dont elle souhaite la victoire. En revanche, l’Assemblée pense que la guerre sera aisément remportée par les armées françaises et qu’elle pourra amener le roi et son épouse à se démasquer. Sans que l’on ne sache rien de précis sur les agissements du couple royal, le bruit court que Louis XVI et Marie-Antoinette trahissent la nation. La peur d’un retour triomphant à l’Ancien Régime, au moment où les défaites françaises se multiplient, provoque la journée d’émeutes du 20 juin, puis celle du 10 août, au cours de laquelle s’effondre la monarchie. LE PROCÈS ET LA MORT Louis XVI est incarcéré avec sa famille dans la tour du Temple. Au mois de novembre, la Convention (nouvelle Assemblée élue) lui intente un procès. Les députés, qui se sont érigés en tribunal pour juger l’ancien monarque, l’accusent de s’être comporté comme un fonctionnaire parjure et d’avoir entretenu des intelligences avec l’ennemi. Il s’agit bel et bien d’un procès pour haute trahison. Persuadé que ces hommes ne sont que des usurpateurs, le roi déchu nie systématiquement tout ce dont on l’accuse, et refuse de reconnaître des pièces signées de sa main prouvant sa culpabilité.
Sa conception de la France est incompatible avec celle des révolutionnaires : il a cru agir dans l’intérêt suprême de la monarchie, ce qui justifie à ses yeux toutes les manoeuvres que les républicains n’ont pas à connaître. Au reste, abîmé dans la prière, Louis XVI n’espère aucune clémence des conventionnels. Ceux-ci décident qu’il n’y aura pas d’appel au peuple. Malgré les plaidoyers de ses avocats, Malesherbes et Romain de Sèze, « Louis Capet » est condamné à mort, à une faible majorité (387 députés votent pour la mort sans condition, 334 pour la détention ou la mort conditionnelle, 28 s’abstiennent ou sont absents). Il aurait sans doute sauvé sa tête si le scrutin avait été secret. Il est guillotiné, le matin du 21 janvier 1793, sur la place de la Révolution. Sa mort courageuse le transfigure, et fait entrer dans la légende ce souverain velléitaire et malchanceux. Louis XVII, second fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, duc de Normandie à sa naissance, devenu dauphin à la mort de son frère aîné, en juin 1789 (Versailles 1785 - Paris 1795). Avec sa gouvernante, Mme de Tourzel, il suit le destin de la famille royale pendant la tourmente révolutionnaire. Consigné au château du Luxembourg, il subit avec les siens l’échec de la fuite de Varennes, qui conduit à l’arrestation de la famille royale, le 25 juin 1791. Le 12 août 1792, il est incarcéré à la prison du Temple. L’état de santé de cet enfant, déjà chétif, s’en ressent rapidement. Le 11 décembre 1792, il est séparé de son père à l’ouverture du procès de ce dernier. Le 3 juillet 1793, sa mère lui est enlevée. Confié au cordonnier Simon, il est dès lors élevé comme un enfant du peuple. En janvier 1794, Simon abandonne ses fonctions et l’isolement de l’enfant devient particulièrement cruel. Son état de santé se détériore rapidement et il décède, soudainement, le 8 juin 1795. Une auréole mystérieuse entoure la figure du dauphin. En effet, selon certaines rumeurs, l’enfant aurait été empoisonné ; selon d’autres allégations, il aurait été remplacé par un garçon de son âge afin de permettre son évasion. Par la suite, sur la base de cette légende, plus de trente personnages prétendront être le vrai dauphin. Le plus célèbre d’entre eux est Naundorff, horloger à Spandau, qui prend le titre de duc de Normandie en 1824 et saisit la justice française pour être reconnu dans ses droits. Il meurt en 1845. Ses descendants, qui portent légalement le nom de Bourbon,
ont multiplié les procédures, un nouvel appel ayant été introduit en 1954. Louis XVIII, comte de Provence, roi de France de 1814 à 1824 (Versailles 1755 - Paris 1824). Le dernier roi mort sur le trône de France ne doit son règne qu’aux circonstances de la Révolution et à sa singulière intelligence politique. Petit-fils de Louis XV, fils puîné du dauphin Louis et de Marie-Josèphe de Saxe, marié en 1771 à Marie-Joséphine de Savoie, le comte de Provence occupe, longtemps après le mariage de son frère Louis XVI avec MarieAntoinette (1770) et son accession au trône (1774), le premier rang dans la ligne successorale sous le titre de Monsieur, frère du roi. Ce n’est qu’en 1781, lors de la naissance d’un premier dauphin, puis, en 1785, lors de celle du futur Louis XVII, qu’il perd ses droits et ses espérances. Il nourrit dès ce moment un profond ressentiment envers la reine (contre laquelle il paraît avoir alimenté la cour et la ville de libelles), pose en prince libéral et ami des lettres, et joue un rôle équivoque aux assemblées des notables et aux États généraux. En 1790, il est compromis dans la conspiration de Favras, qui semble avoir eu pour but de le nommer régent. Il s’enfuit de Paris au même moment que Louis XVI, dans la nuit du 20 au 21 juin 1791, et parvient à gagner sans encombre Namur. Il se proclame, successivement et de son propre chef, régent du royaume pour son frère Louis XVI, puis pour son neveu Louis XVII et, enfin, à la nouvelle de la mort de ce dernier dans la prison du Temple, le 8 juin 1795, roi de France sous le nom de Louis XVIII. Ce n’est qu’au terme de vingt-trois années d’exil (1791-1814), écoulées à Coblence, à Hamm (Westphalie), à Turin, à Vérone, à Blankenburg (près de Brunswick), puis à Mitau (Courlande) et enfin à Hartwell (près de Londres), que le prétendant parvient, par l’entremise de Talleyrand, à incarner, auprès des alliés vainqueurs de Napoléon, l’unique solution politique. Après avoir promis, à Saint-Ouen, une Constitution, il entre dans Paris le 3 mai 1814 et, le 4 juin, « octroie » à la France une Charte qui, tout en préservant le principe de légitimité monarchique et les droits de l’exécutif royal, fonde une monarchie de type parlementaire s’appuyant sur les notables. La première Restauration, au cours de laquelle une paix honorable (premier traité de Paris, 30 mai 1814) a été conclue, échoue toutefois en raison de l’hos-
tilité du pays et des maladresses du roi. Lors des Cent-Jours, Louis XVIII doit se réfugier à Gand avant de pouvoir rentrer à Paris (8 juillet 1815), à la suite de difficiles négociations menées par Talleyrand et Fouché. Le roi doit cependant accepter les conditions de paix draconiennes imposées par les alliés (second traité de Paris, 20 novembre 1815). L’intelligence politique de Louis XVIII se révèle après 1815. Conseillé par son confident, le ministre de la Police Élie Decazes, qui veut réconcilier la monarchie et la nation, le roi combat la ligne ultra-royaliste de la « Chambre introuvable », appelle un modéré, le duc de Richelieu, au ministère (septembre 1815-décembre 1818), tempère les rigueurs de la Terreur blanche et dissout la Chambre en septembre 1816. Avec Richelieu, puis Decazes, il achève de libérer le territoire de l’occupation étrangère et soutient une ligne politique constitutionnelle que remet en cause l’assassinat de son neveu, le duc de Berry (13 février 1820). Le roi est alors contraint de renvoyer Decazes et de rappeler Richelieu, puis de consentir à la formation d’un ministère ultra (décembre 1821) soutenu par son frère et héritier, Charles comte d’Artois, et dirigé par Villèle : celui-ci engage une politique de réaction, marquée par l’intervention militaire contre l’Espagne libérale (1823). Soumis à l’influence de sa dernière favorite, Zoé du Cayla, diminué physiquement, Louis XVIII s’éteint aux Tuileries, le 16 septembre 1824. Louis d’Anjou ou de Toulouse (saint), frère mineur et évêque (Brignoles 1274 - Toulouse 1297). Dans la sainteté médiévale, Louis d’Anjou représente le modèle du saint « aristocratique », par opposition au saint « pauvre » ou « bourgeois ». Deuxième fils du roi de Naples Charles II d’Anjou, le prince forme très jeune le voeu d’entrer dans l’ordre franciscain. Il passe la plus grande partie de sa jeunesse en captivité (1288-1295). Héritier de la couronne à la mort de son frère aîné, il renonce à ses droits en faveur de Robert, son cadet. Frère mineur et évêque de Toulouse en 1296, il affiche publiquement ses affinités avec la branche dissidente des franciscains, qui prône un retour à l’observance stricte de la règle primitive. L’enquête effectuée à Marseille en 1308, quelques années après sa mort, en vue de canonisation le présente ainsi comme une figure exemplaire du spiritualisme franciscain : pauvre, charitable et homme de Dieu, à l’image de saint François d’Assise. Sa canonisation, patronnée par la
maison d’Anjou, est surtout une habile opération destinée à favoriser les desseins de la politique menée par son frère : ses reliques deviennent l’un des symboles de la légitimité dynastique des Angevins. L’aspect politique du culte subsiste jusqu’à la fin du Moyen Âge. La dévotion envers le saint demeure vivante en France, notamment dans le Midi, jusqu’à l’époque moderne. Louisiane, colonie française de 1682 à 1763. Le 9 avril 1682, Cavelier de La Salle, qui downloadModeText.vue.download 563 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 552 a descendu le Mississippi, prend possession d’un nouveau territoire qu’il baptise « Louisiane », au nom du roi de France. Revenu à Versailles, il est nommé gouverneur du nouvel établissement le 14 août 1684. Regagnant la Louisiane à la tête d’une petite expédition, il rencontrera mille difficultés et sera finalement tué par ses compagnons. La colonie n’est peuplée de façon permanente qu’avec l’arrivée de Lemoyne d’Iberville et la fondation du comptoir de Biloxi, en 1699. Créée par Antoine Crozat en 1712, la Compagnie de Louisiane fait de mauvaises affaires et, dès 1717, cède ses droits à la Compagnie d’Occident, de Law. De 1719 à 1731, le monopole du commerce est confié à la Compagnie des Indes. L’administration de la Louisiane est séparée de celle du Canada en 1717, et le district des Illinois, rattaché à la nouvelle colonie en 1719, en devient la région la plus prospère. Fondée en 1718, la Nouvelle-Orléans devient le chef-lieu de la colonie en 1722. L’installation de grands aristocrates (Marigny, de Poincy, d’Imécourt) et le développement des plantations ne modifient pas la faible rentabilité du territoire : les débuts du peuplement sont très lents ; les colons sont mal choisis ; un essai de « colonisation pénale » se solde par un échec. Il n’y a que 7 000 habitants vers 1760, dont 2 000 esclaves, le Code noir de 1685 étant rigoureusement appliqué. La guerre contre les Indiens Natchez (1729-1731) impose de lourdes charges, et la Compagnie cède le territoire au domaine royal. Au cours des années 1760, le Trésor doit dépenser 500 000 livres par an pour la Louisiane, si bien que les ministres songent à s’en défaire : la rive droite du fleuve est cédée à l’Espagne (traité de Fontainebleau
de 1762), alors que la rive gauche l’est à l’Angleterre (traité de Paris de 1763). Une révolte des colons contre l’autorité espagnole sera durement réprimée. Des Acadiens (Cajuns) viendront néanmoins renforcer le peuplement français. Par le traité de San Ildefonso (octobre 1800), Bonaparte, Premier consul, obtient de l’Espagne la rétrocession de la Louisiane et songe à en reprendre possession, mais James Monroe, émissaire du président Thomas Jefferson, lui fait de pressantes offres d’achat, brandissant la menace d’une invasion américaine, voire d’une possible alliance angloaméricaine. Conscient du fait que la colonie est indéfendable, Bonaparte préfère négocier, et la Louisiane est ainsi cédée aux États-Unis en 1803 pour la somme de 15 millions de dollars (80 millions de francs). Louis-Marie Grignion de Montfort, saint, canonisé en 1947 (Montfort-surMeu, Bretagne, 1673 - Saint-Laurent-surSèvre, Poitou, 1716). Le destin de Grignion de Montfort est celui d’un anticonformiste. Le succès populaire qu’il remporte lors de ses missions, notamment dans les diocèses de Nantes et de La Rochelle, est égal à l’hostilité des notables et de la hiérarchie ecclésiastique. Fils d’un avocat, il suit la formation d’un prêtre réformé au collège jésuite de Rennes, puis au séminaire de Saint-Sulpice, où il est ordonné en 1700. Fondateur de la congrégation des Filles de la sagesse (1703) et de celle des prêtres missionnaires de la Compagnie de Marie (1705), il poursuit dans l’ouest de la France son action, jalonnée de cinq interdictions épiscopales de prêcher, malgré la qualité de « missionnaire apostolique » que lui décerne le pape Clément XI en 1706. Ses méthodes ne sont pourtant pas nouvelles : catéchèse centrée sur le culte de Marie et sur le respect des sacrements, accent mis sur la peur de l’Enfer, et pédagogie proche des fidèles (cantiques issus de chants profanes). Mais son style « populiste » (Alain Croix) choque les élites. Durant l’aumône aux nécessiteux, le prédicateur n’hésite pas à dénoncer les assistants aux perruques poudrées, quand il ne brise à coups de pied les jeux des joueurs. En outre, il obtient la participation des simples durant des processions spectaculaires ou lors des fondations de calvaires (Pontchâteau). À la fin du « siècle des saints », la religion de ce « fou de Montfort » est contraire à la pratique de l’Église, qui cultive l’écart avec le monde laïc et dont les
missions deviennent routinières. Louis-Philippe Ier, roi des Français de 1830 à 1848 (Paris 1773 - Claremont, Royaume-Uni, 1850). En apparence, la personnalité du dernier roi de l’histoire nationale manque singulièrement d’éclat. Un visage rond et peu expressif encadré par d’épais favoris, un caractère égal et affable, un esprit raisonnable et calculateur, une ambition sans panache : ses contemporains décèlent en lui les travers, les ridicules et les petitesses de son époque. Lui-même ne désavoue pas l’épithète, pourtant peu flatteuse, de « bourgeois » ; cette réputation patiemment forgée lui donne, il le sait, les moyens de tenter, à son heure, l’expérience de la monarchie constitutionnelle. • Les aventures de jeunesse et l’exil. Fils aîné de Louis-Philippe Joseph d’Orléans, duc de Chartres en 1785, il n’a pas 20 ans lorsque débute la Révolution française. Il s’y engage avec fougue, comme son père, et fréquente le Club des jacobins. Il rejoint ensuite l’armée : il prouve sa valeur et ses qualités de commandement à Valmy, puis à Jemmapes, sous les ordres de Dumouriez (novembre 1792). Lorsque ce dernier choisit de renverser la Convention et de rejoindre le camp autrichien en avril 1793, il le suit et déserte, sans pour autant s’engager dans les armées contre-révolutionnaires ; pour cet homme tout jeune encore, duc d’Orléans à la mort de son père, commencent alors vingt années d’un exil mouvementé. Les républicains l’ont proscrit comme traître à la patrie, et les émigrés rejettent ce fils de régicide. Il parcourt d’abord l’Europe sous diverses identités, puis gagne le continent américain, avant de se fixer provisoirement au Royaume-Uni (1800). En 1809, à Palerme, il épouse Marie-Amélie, fille du roi Ferdinand IV de Naples. Le retour des Bourbons en 1814 et la Restauration ne signifient pas la fin de sa disgrâce : Louis XVIII, défiant, le tient à distance de la cour. À son retour en France, il s’emploie à reconstituer l’immense fortune familiale et il reçoit au Palais-Royal les ténors de la bourgeoisie d’affaires libérale Jacques Laffitte, Casimir Perier. Le nouveau roi, Charles X, lui accorde le titre d’altesse, mais il reste loin du pouvoir. Il attend son heure. • Le « roi des Français ». L’occasion rêvée se présente durant l’été 1830, dans des conditions inattendues. C’est lui, sous la pression des libéraux, qui hérite au prix d’une révi-
sion de la Charte de 1814, et avec la bénédiction de La Fayette, du trône laissé vacant par Charles X. « Roi des Français » en août 1830, il représente, aux yeux de ses partisans, un juste milieu entre l’aventurisme républicain et la réaction absolutiste. Sous des dehors modestes et débonnaires, il prouve sans tarder qu’il entend bien gouverner la France. Contre les partisans d’une politique volontariste en faveur des patriotes belges ou polonais, il choisit la conciliation avec ses voisins européens : il désire à la fois la paix et la reconnaissance du régime par Londres, Vienne et Saint-Pétersbourg. Il joue aussi un rôle majeur dans le tournant conservateur imprimé dès le début de l’année 1831, et il cherche à imposer son autorité dans la conduite des affaires intérieures : après de sérieux différends avec l’intraitable Casimir Perier (1831-1832), il excelle à neutraliser des chefs politiques qui s’entredéchirent. Peu à peu, le régime s’enracine : les troubles insurrectionnels légitimistes et républicains du début des années 1830 sont jugulés, tandis que l’essor de l’activité économique favorise la stabilité, et que le souverain tisse pour ses enfants des alliances matrimoniales à visée dynastique. À partir de 1840, le régime semble atteindre un point d’équilibre : le roi trouve en François Guizot un ministre des Affaires étrangères, un président du Conseil rigoureux, efficace, partageant pour l’essentiel ses propres orientations politiques. Les deux hommes désirent que la France tienne une place honorable dans une Europe pacifiée. En outre, ils refusent l’idée d’un élargissement du suffrage dans le pays. Cette intransigeance, si peu en harmonie avec les évolutions profondes de la société française, les coupe du pays réel au moment même où le mouvement républicain mûrit et où la question ouvrière fait son entrée dans les débats nationaux. Louis-Philippe perçoit mal le mouvement d’hostilité au régime, qui s’étend à partir de 1847 ; il sous-estime la détermination des organisateurs de la « campagne des banquets » (1847). Lorsqu’ils réclament le départ de Guizot, c’est déjà au roi que les opposants s’attaquent. Abandonné par la Garde nationale et par les Parisiens, sans héritier valable, il est détrôné en février 1848, et retrouve le chemin d’un exil cette fois définitif. loup. Depuis sa représentation sur les peintures rupestres jusqu’à son utilisation publicitaire, telle qu’elle apparaît aujourd’hui, le loup reste l’animal qui a marqué le plus la civilisation française. Proverbes, fables, folklore, ou encore noms
de lieux et de familles, ne cessent de rappeler sa présence dans l’imaginaire national. Les mythes des premiers siècles racontent ainsi que les Gaulois descendent des loups. Au Moyen Âge comme à l’époque moderne, downloadModeText.vue.download 564 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 553 plus de mille deux cents familles françaises choisissent encore l’emblème du loup pour armoiries. Se déplaçant en meutes, les loups originaires des forêts germaniques envahissent les territoires correspondant à la France actuelle au moment des Grandes Invasions. Les capitulaires carolingiens ordonnent la nomination de louvetiers (supprimés seulement en 1787) pour exterminer les louveteaux. Dans le monde médiéval chrétien, le loup est en effet considéré comme une bête diabolique. Semant la terreur dans les campagnes et aux abords des villes, les meutes de loups sont les témoins inséparables des famines et des guerres qui déciment les populations du Moyen Âge et de l’Ancien Régime. L’une des incarnations du diable, le loup fait alors l’objet de mobilisations cycliques, qui atteignent leur paroxysme au moment des révoltes paysannes précédant la Révolution. En 1764, par exemple, l’histoire de la bête du Gévaudan réactive le mythe de la bête anthropophage et démoniaque cher à l’imaginaire chrétien et paysan. Mais la fin de l’Ancien Régime marque aussi la mort de la « bête ». Au XIXe siècle, les pourchasseurs de loups terminent en effet la lutte séculaire entre le loup et l’homme par le plus grand massacre de meutes en Occident (20 000 animaux tués entre 1818 et 1829). L’instauration du permis de chasse en 1806 ne ralentit pas le carnage, et la race est actuellement en voie d’extinction. Toute une littérature a contribué à entretenir la diabolisation du loup tueur d’enfants et mangeur de chair humaine. L’emblématique Ysengrin du Roman de Renart (XIIIe siècle) comme les loups des Fables de La Fontaine ou des contes de Perrault (le Petit Chaperon rouge) nourrissent dans la mémoire collective l’image du loup sorcier et sexuellement pervers. Même une certaine forme de superstition, conférant notamment aux dents ou aux poils de loup des vertus thérapeutiques,
ne réussit pas à inverser cette symbolique. L’histoire du « garou » ne répète-t-elle pas, au fond, celle de la peur originelle de l’homme ? Lourdes, centre de pèlerinage catholique, le premier du monde par le nombre de pèlerins qui se rendent sur les lieux où Bernadette Soubirous a attesté être le témoin de dix-huit apparitions mariales en 1858. Au milieu du XIXe siècle, la petite cité pyrénéenne ne compte que 4 000 habitants. La famille Soubirous, qui y est établie, est indigente : le père, meunier ruiné, loge au Cachot, l’ancienne prison ; sa fille aînée, Bernadette, âgée de 14 ans (elle est née en 1844, au moulin de Boly), ne sait ni lire ni écrire. La jeune fille affirme qu’une dame vêtue de blanc lui est apparue le 11 février 1858, alors qu’elle ramassait du bois près de la grotte de Massabielle, sur la rive du gave. Les apparitions se succèdent jusqu’au 16 juillet. Une source est découverte dans la grotte le 25 février. L’apparition affirme le 25 mars : Qué soï l’immaculé counceptioû (« Je suis l’Immaculée Conception »). La reconnaissance de l’événement est d’abord difficile. Bernadette est interrogée par les autorités ecclésiastiques et civiles. Les attroupements sont l’objet de mesures de police ; la source est interdite pour raisons sanitaires. Les polémiques locales et nationales se déchaînent. Et la multiplication des faits d’apparitions autour de Lourdes, au printemps 1858, ajoute au trouble des esprits. Le 18 janvier 1862, Mgr Laurence, évêque de Tarbes, au terme d’une longue enquête, déclare enfin que « l’Immaculée Marie, Mère de Dieu, a réellement apparu à Bernadette Soubirous le 11 février 1858 et les jours suivants [...], que cette apparition revêt tous les caractères de la vérité et que les fidèles sont fondés à la croire certaine ». Bernadette quitte Lourdes en 1866 pour entrer au couvent Saint-Gildard de Nevers, où elle mourra en 1879. Une statue de la Vierge, sculptée par Fabisch, est placée dans la grotte en 1864. Henri Lasserre publie en 1869 Notre-Dame de Lourdes, promis à une immense diffusion. Le pèlerinage connaît un développement spectaculaire grâce au chemin de fer et à la multiplication des hôtels : les pèlerins sont 140 000 en 1873, un million en 1908 ; le premier pèlerinage de malades est organisé en 1874. Des guérisons s’étant produites, un bureau médical (Bureau des constatations) est fondé en 1882, qui transmet ses observations à l’autorité diocésaine,
laquelle décide s’il s’agit ou non d’un miracle. La basilique du Rosaire est consacrée en 1889, et la basilique souterraine Saint-Pie X, en 1958. Bernadette est béatifiée en 1925, canonisée en 1933. Le cardinal Pacelli, futur Pie XII, préside les cérémonies de 1937 ; le pape Jean-Paul II s’y rend en personne en 1983. Par ses ferveurs et ses foules, Lourdes se situe au coeur du catholicisme mondial : 5,5 millions de visiteurs, dont 70 000 malades, s’y sont rendus en 1990. Louvois, (François Michel Le Tellier, marquis de), ministre de Louis XIV (Paris 1641 - Versailles 1691). Fils de Michel Le Tellier, secrétaire d’État à la Guerre depuis 1643, issu de la noblesse de robe, François est assuré de succéder à son père ; mais cet héritier, élevé chez les jésuites, n’en acquiert pas moins une formation « sur le tas », comme c’est souvent le cas au XVIIe siècle : reçu conseiller au parlement de Metz en 1658, il s’initie aux affaires de la guerre sous la direction de son père. Ami d’un roi de trois ans son aîné, marié avec une riche héritière, Anne de Souvré, il joue, en l’absence de son père, le rôle de secrétaire d’État à la Guerre. Continuant l’oeuvre paternelle, et malgré les critiques de Turenne et des généraux furieux qu’il s’appuie sur des civils - les intendants d’armée -, Louvois achève de transformer l’armée en une troupe disciplinée et en une administration efficace. À ses yeux, « il ne suffit pas d’avoir beaucoup d’hommes. Il faut qu’ils soient bien faits, bien vêtus, bien armés ». Louvois institue les officiers-inspecteurs, introduit les premiers registres signalétiques de soldats, lutte contre la désertion. Les dépôts de vivres et les étapes sont multipliés ; les baïonnettes et les fusils font leur apparition ; l’uniforme est généralisé ; l’hôtel des Invalides est créé. L’avancement des officiers est réglé sur le principe d’ancienneté suivant l’« ordre du tableau » (1675). Des compagnies de cadets sont instaurées, pour former les cadres. Pour résoudre le problème des effectifs, la milice est instituée en 1688. Surintendant des Postes depuis 1668, Louvois y déploie la même activité de rationalisation. Après la mort de son rival Colbert (1683), il hérite, de surcroît, de la surintendance des Bâtiments, Arts et Manufactures, et contrôle désormais la moitié du Budget royal. Entré au Conseil d’en haut en 1672, Louvois y joue le rôle d’un ministre de la Guerre. Il inspire la politique des « réunions », encourage les bombardements d’intimidation (Gênes, 1684), ne recule ni devant le sac du Palati-
nat (1689) ni devant la révocation de l’édit de Nantes. Il est aussi soucieux de donner à la France des frontières sûres, impulsant l’oeuvre de Vauban. « Altier, brutal, grossier », selon les mots de Saint-Simon, mais grand travailleur, prodigue envers ses amis, rude envers ses ennemis, Louvois ne fut pas le mauvais génie du règne, mais l’exécutant d’une politique voulue par le roi. Son pragmatisme sans remords fit de la France une puissance militaire capable de tenir tête à l’Europe. l LOUVRE. Le Louvre est aujourd’hui l’un des plus grands musées au monde. Plus que dans la richesse de ses collections, fruit d’une accumulation séculaire, son originalité réside dans la valeur architecturale et historique du bâtiment qui l’abrite. Simple forteresse devenue résidence royale, le Louvre, de François Ier à Louis XIV, est un laboratoire du classicisme français. Mais ce n’est qu’au XIXe siècle qu’aboutissent les vastes desseins monumentaux alors envisagés pour ce lieu de pouvoir. Entre-temps, à la fin du XVIIIe siècle, le musée a pris pied dans le palais. Deux siècles seront nécessaires avant qu’il n’en devienne totalement maître. DE LA FORTERESSE AU PALAIS Le toponyme « Louvre », dont l’étymologie est incertaine, apparaît dans les années 11801190. Il désigne une église nouvelle, SaintThomas du Louvre, érigée à l’ouest de Paris, sur la rive droite. Lorsque Philippe Auguste lance la construction de l’enceinte de sa capitale en 1190, il décide d’établir, entre l’église et la nouvelle enceinte, un château qui protégerait Paris d’une attaque par la Seine. Le nouvel édifice, progressivement élevé dans les décennies suivantes, prend à son tour le nom de Louvre. C’est un quadrilatère régulier, au centre duquel se dresse un donjon massif, d’une trentaine de mètres de haut. La « grosse tour du Louvre » devient vite le symbole de la suzeraineté du roi. C’est d’elle que tous les fiefs mouvants de la couronne sont supposés relever. Paris ne faisant guère l’objet de menaces au XIIIe siècle, le château sert surtout d’arsenal et de prison (ainsi pour le comte Ferrand, capturé à Bouvines). Philippe le Bel fait transférer le Trésor royal au Louvre en 1295. Il y est durablement centralisé en 1315. Mais le roi y réside rarement : quand il séjourne à Paris, il loge surtout au Palais de la Cité.
Des transformations s’opèrent sous le règne de Charles V : la création d’une nouvelle enceinte sur la rive droite, très au-delà du downloadModeText.vue.download 565 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 554 Louvre, fait perdre à celui-ci une bonne part de son rôle défensif. Dans le même temps, le souverain en fait une résidence princière : d’importants travaux ont lieu aux environs de 1364-1365. De nouveaux logis sont édifiés sur les courtines nord et est. L’aile nord abrite en particulier un escalier de parade, la « grande vis », édifié dans une tour saillante sur la cour. Le décor est soigné, notamment dans les parties hautes. De nouvelles ouvertures sont percées afin de diffuser la lumière. En 1367, Charles V fait installer dans une tour du château sa « librairie » (bibliothèque), qui compte un millier de manuscrits. L’emprise de la résidence déborde rapidement la forteresse, dont les espaces internes sont au bord de la saturation. De grands jardins sont alors aménagés au nord. Grâce à la présence de Charles V et de Charles VI, le quartier du Louvre connaît un premier essor : hôtels aristocratiques et humbles demeures cernent bientôt le château. Mais celui-ci est déserté par les rois pendant un siècle, et la résidence abandonnée redevient prison et arsenal. Le renouveau se produit sous le règne de François Ier. Celui-ci, décidé à habiter plus régulièrement dans sa capitale, et au Louvre en particulier, signifie en 1527 qu’il a « délibéré faire réparer et mettre en ordre ledit chastel ». Pour dégager l’espace, la « grosse tour » est rasée l’année suivante, décision que seul pouvait prendre un roi puissant, compte tenu de la force symbolique de l’édifice. La cour est dallée, un quai est édifié le long de la Seine, mais les gros travaux sont différés. La tradition veut que le séjour de Charles Quint au Louvre en 1540 ait incité François Ier à agir : en effet, malgré des efforts d’aménagement, le roi n’avait pu accueillir l’empereur avec le faste requis. Le projet de rénovation, mis au point en 1545-1546, est confié à Pierre Lescot, et les travaux sont entamés en 1547, peu avant la mort du roi. Une aile ouest entièrement nouvelle s’élève, qui est achevée sous le règne d’Henri II. Le décor sculpté, signé principalement de Jean Goujon, y tient une place importante, tant en façade que dans les espaces intérieurs (salle des Cariatides). Mais les plans d’origine ont été profondément
remaniés. L’escalier central initialement prévu est déplacé au nord pour agrandir et unifier l’espace de réception. Il faut donc construire un pavillon au sud, par souci de symétrie... tout en maintenant un avant-corps central, signe monumental hérité de la première Renaissance et qui n’a plus désormais qu’un rôle décoratif. De même, l’invention profondément novatrice du toit à comble brisé s’explique à la fois par le souci d’éviter le toit à comble droit - trop écrasant -, d’abord envisagé, et par la nécessité d’accroître la surface destinée aux logements : sous le comble brisé est en effet aménagé un étage qui n’était pas prévu au départ. La façade Henri II du Louvre, emblème du « premier » classicisme français, est ainsi le fruit de tâtonnements et de remaniements nombreux. Elle tient lieu de référence dans les étapes ultérieures de l’aménagement du Louvre, mais son rayonnement s’étend bien au-delà : elle influence l’ensemble des conceptions architecturales jusqu’au XIXe siècle. En son temps, le Louvre n’est pas seulement un « manifeste artistique » : il place le roi de France en bonne position dans la compétition architecturale internationale qui s’est instaurée entre les souverains. Quant au décor, il véhicule un message d’harmonie universelle, garantie par un souverain tout-puissant. UN « GRAND DESSEIN » DE TROIS SIÈCLES Le Louvre est devenu une résidence de prédilection pour les derniers Valois. La reine-mère Catherine de Médicis se fait alors construire un palais situé un peu plus à l’ouest, les Tuileries, dont les travaux commencent en 1564. Peu après, au Louvre, s’ouvre le chantier de la Petite Galerie, qui prolonge l’aile ouest vers la Seine, au-delà du pavillon du roi, et sera achevée en 1595. Germe alors l’idée de relier les deux châteaux par une grande galerie, le long du fleuve, projet peut-être inspiré par les réalisations effectuées entre le palais des Offices et le palais Pitti, à Florence. C’est le début du « grand dessein », celui d’un ensemble palatial unifié, d’une ampleur exceptionnelle. La galerie du Bord-de-l’Eau, longue de quelque 470 mètres, est achevée sous le règne d’Henri IV, en 1608. L’étage noble sert de galerie de circulation et de réception. Au rez-de-chaussée, une salle est destinée aux collections royales et de vastes ateliers sont réservés à des artistes. Dans l’espace compris entre la galerie et les deux châteaux, le quartier du Louvre connaît une réelle prospérité. À partir de Louis XIII, la Cour carrée, qui s’étend alors sur le seul quart sud-est de la
cour actuelle, mobilise l’essentiel des efforts architecturaux, sans pour autant empêcher la transformation d’espaces intérieurs existants, telle la décoration de la Petite Galerie, qui date du début du règne de Louis XIV. La nouvelle aile ouest a été flanquée dès l’époque d’Henri II et de Charles IX d’une aile sud très semblable. Mais des deux autres côtés subsiste encore le gros oeuvre du Louvre de Charles V. Sous le règne de Louis XIII, Jacques Lemercier agrandit l’aile ouest de Lescot vers le nord, doublant ainsi sa longueur. Au centre, il édifie un pavillon dont l’étage supérieur est orné de cariatides signées de Jacques Sarrazin. Le dôme qui le surmonte servira de modèle pour la couverture de tout le palais. Les ailes nord et est sont édifiées par Le Vau, sur le modèle de l’aile ouest, dans les années 1660. À cette date, la Cour carrée a atteint la taille qu’on lui connaît aujourd’hui, et le bâtiment de l’époque médiévale a entièrement disparu. L’entrée principale, initialement située au sud, à l’abri d’une barbacane, se trouve à l’est depuis François Ier. Louis XIV et Colbert souhaitent la mettre en valeur par une façade solennelle servant de digne frontispice au palais. Un premier projet de Le Vau est remis en cause par les propositions du Bernin, à qui l’on fait appel. La façade en courbes et contre-courbes imaginée par ce dernier commence à être exécutée en 1665, puis est abandonnée après le départ de l’Italien. Le Vau, Claude Perrault et surtout François d’Orbay se remettent à la tâche, faisant édifier la colonnade actuelle, en retrait de 11 mètres sur les travaux précédents. Tour de force technique et nouveau manifeste du classicisme à la française, cette colonnade est le dernier grand chantier avant une longue éclipse. En effet, après la mort d’Anne d’Autriche, en 1666, le roi se désintéresse de plus en plus du Louvre, et ses successeurs, à l’exception de la brève période de la Régence, vont définitivement l’abandonner. Pendant plus d’un siècle, le palais ne fait plus l’objet que de réaménagements mineurs, telle la suppression, en 1776, de constructions parasitant la colonnade. Même les façades de la Cour carrée restent inachevées. Ce n’est que sous le Second Empire que le « grand dessein » trouve son accomplissement. Le préalable indispensable en est la destruction du quartier du Louvre, qui, abandonné par les élites sociales, est alors pauvre et vétuste. L’opération, dirigée par le préfet Haussmann, se déroule sur quelques mois, en 1852, et les travaux du palais sont menés très rapidement. En cinq ans, Visconti (qui meurt
fin 1853), puis Lefuel en réalisent l’essentiel. L’aile nord est achevée, l’aile sud doublée, et Lefuel reconstruit totalement le pavillon de Flore et la partie ouest de la Grande Galerie. Les bâtiments sont disposés de façon à masquer les ruptures de symétrie et de parallélisme. L’ensemble est homogénéisé, en particulier le décor. Visconti se veut avant tout serviteur du monument tel qu’il existe déjà. Lefuel en revanche, s’il reste fidèle aux canons architecturaux classiques, fait preuve d’une véritable obsession décorative. Motifs, statues, reliefs, envahissent les façades - y compris l’ancien Louvre sur la cour Napoléon -, avec l’approbation des souverains commanditaires. Avec les grands travaux du XIXe siècle, c’est le lieu de pouvoir qui s’agrandit et non le musée, qui n’est guère concerné. Les tourmentes politiques pèsent d’ailleurs lourdement sur le destin des Tuileries. Incendié lors de la Commune, le château est rasé en 1882, avant tout pour des raisons idéologiques : les républicains refusent la reconstruction, pourtant possible, de cette résidence monarchique. Ce faisant, c’est toute la logique d’extension et d’aménagement du Louvre, désormais ouvert sur l’ouest, qui est modifiée. NAISSANCE D’UN MUSÉE Délaissé par Louis XIV, le Louvre est devenu, pendant le dernier siècle de l’Ancien Régime, un véritable palais des arts et des sciences. Il abrite une multitude d’institutions, de façon stable ou provisoire. Dès 1640, les presses de l’Imprimerie royale y sont installées. À partir de 1672, les Académies y siègent. De 1770 à 1782, le Louvre accueille même la Comédie-Française. Artistes et artisans de renom peuvent y obtenir un domicile et un atelier : de Coypel à David, nombreux sont les bénéficiaires, mais la compétition est rude. Les espaces sont fractionnés et des constructions parasitaires envahissent jusqu’à la Cour carrée. En 1692, l’année même de l’installation de l’Académie de peinture et de sculpture, la collection royale de statues est déployée dans la salle des Cariatides. Bientôt, l’habitude est prise d’exposer régulièrement dans la Grande Galerie, puis dans le Salon carré, les oeuvres des académiciens et les morceaux de réception des nouveaux membres. Le Salon, désigné d’après sa localisation, se tient en août tous les ans, puis tous les deux ans. Il joue un grand downloadModeText.vue.download 566 sur 975
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rôle dans l’essor de la critique d’art (que l’on songe par exemple aux textes de Diderot). Mais seul l’art de l’époque bénéficie de cette ouverture, l’accès aux collections anciennes demeurant très difficile. Or, à l’étranger, les initiatives dans ce domaine se multiplient, sur le modèle du musée du Capitole, inauguré à Rome en 1734 par le pape Clément XII. Entre 1750 et 1779, la pression des amateurs et des artistes conduit à l’ouverture, au palais du Luxembourg, d’une salle d’exposition rassemblant une centaine de toiles provenant des collections royales. Parallèlement, sous le règne de Louis XV et surtout de Louis XVI, le projet d’un muséum installé dans la Grande Galerie du Louvre fait son chemin Des oeuvres sont acquises, d’autres restaurées, les plans-reliefs quittent en 1777 la Galerie où ils étaient en place depuis 1697. Cependant, le Muséum central des arts ne voit le jour qu’à l’époque de la Convention. Inauguré symboliquement le 10 août 1793, il est ouvert au public le 18 novembre suivant. Dans la Grande Galerie et le Salon carré sont exposés 538 toiles, des objets et des statues qui proviennent d’une part des collections ci-devant royales, de l’autre des saisies sur les biens de l’Église et des émigrés. Durant la Révolution et le premier Empire, le Muséum français s’enrichit d’oeuvres saisies dans tous les pays d’Europe. Une partie d’entre elles sont d’ailleurs déposées dans des musées créés en province. Le 28 juillet 1798, un convoi triomphal marque ainsi l’entrée au Louvre de statues antiques rapportées d’Italie. Il est vrai que les choix restent très classiques : jusqu’en 1815, toute la statuaire du musée est antique, à la seule exception des Esclaves de Michel-Ange. Le musée, baptisé « Napoléon » en 1803, s’étend progressivement : dans la Petite Galerie, le musée des Antiques est inauguré dès 1800. En 1806, les derniers artistes sont expulsés, tout comme l’Institut, successeur des Académies. Une partie des trésors accumulés, en particulier grâce au directeur des Musées nationaux, Vivant Denon, reprend en 1815 le chemin de l’étranger. Mais les collections demeurent considérables. Lors de sa création, le Muséum est gratuit et ouvert à tous. Mais, dès février 1794, les conditions d’accès sont réglementées : sur les dix jours que compte la décade révolutionnaire, six sont réservés aux artistes et aux copistes, et trois seulement au public. Durant la première moitié du XIXe siècle, on y déplore sans doute une affluence excessive, mais le Louvre reste surtout l’affaire des hommes
de l’art. Le public n’y entre librement que le dimanche. La foule ne se presse que lors des Salons, qui s’y tiennent jusqu’en 1848. Pendant leur durée, des échafaudages masquent les oeuvres des collections permanentes. En 1855, l’accès est considérablement facilité : le Louvre est ouvert à tous, six jours sur sept. Il est vrai que la visite du musée devient alors une pratique culturelle généralisée, du moins dans les milieux urbains ou aisés. En 1892, le Louvre reçoit 750 000 visiteurs. La sélection sociale s’opère malgré la gratuité : l’usage impose le port de la redingote, et les gardiens refoulent les visiteurs en blouse qui ont l’audace de se présenter aux portes. LE MUSÉE CONQUIERT LE LOUVRE Après l’« hémorragie » de 1815, les collections du Musée s’enrichissent à nouveau. Elles bénéficient tout d’abord de legs d’oeuvres isolées (la Vénus de Milo, en 1821) ou de collections entières (celles de La Caze, d’Edmond de Rothschild, de Moreau-Nélaton...). Aujourd’hui, les dations qui soldent les droits de succession sont venues s’y ajouter. Les produits des fouilles archéologiques rejoignent également le musée (les taureaux de Khorsabad sous LouisPhilippe, la Victoire de Samothrace en 1863). Enfin, les conservateurs mènent une politique d’achat, en fonction des moyens dont ils disposent, pour combler les lacunes de leurs collections. Ils assurent ainsi un rééquilibrage par rapport aux écoles artistiques prisées sous l’Ancien Régime (au bénéfice, par exemple, des primitifs). Le musée du Luxembourg, qui abrite, de 1818 à 1937, les oeuvres d’artistes contemporains, tient lieu également de réservoir pour l’avenir. Parallèlement, des départements nouveaux apparaissent, qui manifestent une ouverture sur les civilisations antiques non gréco-romaines (antiquités égyptiennes en 1826, antiquités orientales [pour l’Assyrie] en 1847), sur le Moyen Âge, le XVIIIe siècle ou le monde islamique. Progressivement, le Musée grignote les espaces de la Cour carrée. Son extension est considérable : 44 salles ouvertes sous Charles X, 132 sous Napoléon III. Pour autant, le pouvoir politique est encore très présent. En 1810, le cortège du mariage de Napoléon et Marie-Louise défile dans la Grande Galerie. Sous la Restauration, la salle royale, située au-dessus de la salle des Cariatides, est réservée aux Chambres. Quant aux constructions impériales, elles sont avant tout destinées à la vie de cour et à l’administration. En 1871, le ministère des Finances s’installe durablement dans l’aile nord. Le Musée
conquiert assez rapidement la partie sud du Louvre impérial, mais le pavillon de Flore lui résiste jusqu’en 1961, hébergeant successivement à partir de 1883 le préfet Poubelle, le ministère des Colonies, et des services du ministère des Finances. C’est le projet du Grand Louvre, mené à l’initiative du président Mitterrand, à partir de 1981, qui marque l’étape décisive : le ministère des Finances doit s’installer à Bercy. Ce déménagement, effectif en 1989, permet d’ouvrir au public la nouvelle aile Richelieu en 1993. À l’exception du pavillon de Marsan et de la partie ouest de l’aile Richelieu, qui abritent depuis 1905 le Musée des arts décoratifs (dont une partie est consacrée aux arts de la mode depuis 1986), tout l’espace appartient désormais au musée du Louvre. Cette conquête est allée de pair avec de sérieuses transformations en matière de muséologie. L’ère des grandes salles d’or et de stuc s’achève en 1910 avec l’aménagement de l’ancienne Galerie Médicis, dont les Rubens ornent aujourd’hui la nouvelle aile Richelieu. Vient ensuite le temps d’une présentation plus sobre, caractérisée par des accrochages plus aérés et des vitrines moins surchargées. Lancé en 1926, le plan Verne, dont les effets se prolongent jusqu’à la fin des années soixante-dix, entraîne un réaménagement complet des collections, surtout entre 1934 et 1939. Dans le même temps, des domaines sont abandonnés au profit de musées nouveaux, tel celui de la Marine à Chaillot (1930), ou d’institutions déjà en place : ainsi les collections asiatiques sont-elles placées au Musée Guimet en 1945 ; la même année, les toiles impressionnistes sont transférées au Jeu de paume. La création du Musée d’Orsay, en 1986, permet de délimiter des frontières chronologiques précises : relève désormais du Louvre l’art antérieur à 1848. La conquête de 22 000 mètres carrés dans l’aile nord entraîne un nouveau redéploiement des collections. Enfin, si certaines salles avaient déjà été décorées dans l’optique du musée (peintures d’Ingres pour les salles grecques du musée de Charles X), un édifice est pour la première fois créé directement pour le musée, sans relever d’une quelconque réutilisation : c’est la pyramide du Louvre (1989), qui permet une réorganisation d’ensemble du plan de circulation, et qui est aussi le premier élément architectural qui rompt délibérement avec le style inauguré par Pierre Lescot. Ainsi, grâce à l’ouverture de la crypte archéologique, qui permet d’ap-
procher les vestiges du Louvre médiéval, et à la pyramide de Ieoh Ming Pei, le Grand Louvre offre effectivement à ses 5 millions de visiteurs annuels une parure monumentale exceptionnelle, pour des collections qui ne le sont pas moins. Le palais, centre du pouvoir politique, est devenu temple de la culture et de l’histoire, une métamorphose qui n’a pu s’effectuer qu’avec l’accord tacite et, souvent, l’appui résolu du pouvoir lui-même. Lugdunum, capitale de la Lyonnaise (l’une des quatre provinces de la Gaule romaine). La Colonia Copia Felix Munatia Lugdunum est fondée sur le site celtique de Condate - au confluent du Rhône et de la Saône -, en 43 avant J.-C., par Lucius Munatius Plancus, ancien lieutenant de César. La colonie, peuplée de commerçants romains chassés de Vienne en 61 et de vétérans, occupe une place centrale lors de la refonte augustéenne des trois Gaules et profite de ses bonnes relations avec les empereurs successifs pour accroître son rôle politique. Claude, né à Lugdunum, lui confère même divers privilèges, ce qui explique le nom que prend la colonie (Colonia Copia Claudia Augusta Lugdunum). Son rôle politique est important, notamment lors des guerres civiles de 68-69 et de 193-197, mais s’estompe à la fin du IIIe siècle au profit de Trèves. La cité conserve toutefois sa vitalité dans l’Empire tardif, puis au sein du royaume burgonde. Résidence du légat de la Lyonnaise, d’une cohorte urbaine, des services de l’administration financière de la Lyonnaise et d’Aquitaine, et d’un atelier monétaire, Lugdunum est aussi le centre du réseau routier gaulois et le siège du sanctuaire des trois Gaules, entité indépendante sur son sol, dont l’activité est attestée jusqu’à la fin du IIIe siècle. L’autel de Rome et d’Auguste, élevé par Drusus en 12 avant J.-C., réunit tous les ans les délégués des soixante cités gauloises. Ils accomplissent des sacrifices pour le salut de Rome et de l’empereur downloadModeText.vue.download 567 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 556 régnant, expriment les voeux de leur cité et blâment parfois un gouverneur incompétent. Dotée d’institutions classiques, la cité possède un vaste territoire. La ville elle-même, bien approvisionnée en eau par quatre aque-
ducs, se trouve sur l’acropole de Fourvière (forum vetere). Fermé par un rempart triangulaire et soigneusement quadrillé, l’espace urbain comprend les monuments traditionnels de la vie publique : forum, temples, thermes et édifices de spectacle (théâtre, odéon, cirque). Sur la rive droite du Rhône s’étend le quartier commercial des canabae, où se tiennent les corporations professionnelles : « nautes » du Rhône, de la Saône, négociants en vin... Le territoire fédéral de Condate forme une agglomération distincte sur la rive gauche de la Saône : le sanctuaire comprend un bois sacré, des autels et surtout un amphithéâtre, où a lieu, le 1er août, le spectacle que le grand-prêtre des Gaules doit organiser, et au cours duquel, en 177, les chrétiens lyonnais sont suppliciés. Leur martyre confère une forte autorité à l’évêque de la cité au IVe siècle, dont il tire profit pour étendre la diffusion du christianisme en Gaule. Lumière (les frères), ingénieurs et industriels, inventeurs du Cinématographe. Auguste (Besançon 1862 - Lyon 1954) et Louis (Besançon 1864 - Bandol 1948) sont les fils d’un industriel franc-comtois spécialisé dans la fabrication de matériel photographique, et prennent une grande part dans la gestion de l’entreprise familiale. Tandis que les intérêts du premier vont plutôt vers la chimie et la recherche médicale - biologiste de renom, il expliquera certains phénomènes comme l’asthme et l’anaphylaxie par des perturbations physiochimiques -, le second se consacrera jusqu’à la fin de ses jours à des travaux sur la photographie et le cinéma. Auguste n’a d’ailleurs jamais caché que l’invention du Cinématographe revenait presque exclusivement à Louis. Il s’agit d’ailleurs moins d’une « invention » que d’une géniale intuition permettant d’intégrer et de dépasser les travaux antérieurs d’Étienne Jules Marey, Georges Demenÿ ou Thomas Edison. En mettant au point un appareil capable à la fois d’enregistrer, de développer les négatifs et de projeter les films, Louis Lumière synthétise les résultats de ses prédécesseurs et permet l’exploitation industrielle du nouveau procédé. L’ère du cinéma s’ouvre le 28 décembre 1895, avec la première projection publique au Salon indien du Grand Café, à Paris.Les deux frères présentent alors leur premier film, la Sortie des usines Lumière. Malgré les offres, la société Lumière décide de ne pas vendre l’appareil et d’en assumer elle-même l’exploitation. Après avoir tourné quelques petits films
- l’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat, l’Arroseur arrosé, le Repas de bébé -, qui sont pour l’essentiel de courtes bandes prises sur le vif, Louis Lumière, devant le succès inespéré de son invention, forme des opérateurs qui sillonneront le monde entier et en rapporteront des séquences de toutes sortes (cérémonies officielles, paysages grandioses, carnavals). Ainsi naissent les actualités et le reportage. De 1896 à 1898, la société Lumière produit plus de 800 films. Après 1898, face à une concurrence américaine de plus en plus rude, elle se désengage de la production. Louis Lumière, dès lors, se consacre exclusivement à la recherche, perfectionnant l’écran géant, déposant un brevet pour le cinéma stéréoscopique (1900), mettant au point le premier procédé de photographie en couleurs (1903). En 1935, son procédé de cinéma en relief est communiqué à l’Académie des sciences, et la première a lieu l’année suivante. Chercheur passionné, il aura laissé à d’autres le soin d’exploiter commercialement son invention et d’en explorer les possibilités esthétiques. l LUMIÈRES. Le terme « Lumières » désigne à la fois un mouvement d’idées qui s’affirme durant le XVIIIe siècle, et le siècle marqué tout entier par son style. Il peut s’inscrire aussi dans la dynamique de plus longue durée qui substitue à un monde social et culturel clos fondé sur la répétition, la hiérarchie et l’obéissance, une modernité ouverte au changement, à l’individualité et à l’autonomie. Cette tendance générale entraîne une crise des valeurs traditionnelles qui prend l’aspect d’une laïcisation des opinions et des modes de vie : d’une part, on assiste à la désacralisation des principes religieux et monarchiques ; de l’autre, à une réhabilitation de l’homme et de l’existence terrestre. Culturellement, elle accélère une transition, de la croyance au savoir, de la transmission orale et du respect des permanences à l’opinion individualisée, au jugement rationnel, à la connaissance livres que et à la confiance dans le progrès. Cette tendance est sensible dans l’ensemble de l’Europe, où l’Angleterre parle d’Enlightenment, l’Allemagne d’Aufklärung, l’Espagne de Siglo de las luces, l’Italie d’Illuminismo, etc., mais elle prend une forme spécifique en France, vieux pays gallican miné par les conflits entre jésuites et jansénistes, entraîné vers l’anticléricalisme ; pays centralisé aussi, où la réforme ne passe finalement que par des bouleversements révolutionnaires.
PRINCIPES • Primauté de la raison. L’image qui désigne ce mouvement d’idées dans toutes les langues européennes est celle de la raison considérée comme lumière naturelle, par opposition à la foi comme lumière surnaturelle, ou bien celle de l’entendement comme travail d’explicitation, comme dynamique d’éclaircissement. La langue française insiste sur le pluriel et la diversité des conquêtes de la raison ; les langues anglaise et allemande, sur le moteur et le mouvement de cette compréhension rationnelle. Voltaire intitule la Raison par alphabet l’une des éditions de son Dictionnaire philosophique. Cette raison caractérise la philosophie, qui, de servante de la théologie, devient connaissance autonome du monde et des hommes. Fondée sur l’expérience et le raisonnement, la philosophie continue à désigner, au XVIIIe siècle, l’ensemble des savoirs, mais infléchi dans le sens d’une utilité pratique, d’une action concrète sur la vie des hommes. Elle peut donc se réclamer conjointement de systèmes philosophiques qui sont exclusifs l’un de l’autre du strict point de vue de l’histoire de la philosophie, mais qui se contaminent dans la réalité des textes et des mentalités. Les philosophes des Lumières sont héritiers du rationalisme de Descartes, qui proclame l’autonomie de l’individu doué de sa seule raison et de ses idées innées, et de l’empirisme de Locke, qui fait dépendre la pensée de l’information sensible et de l’expérience. Ils s’affirment par opposition à la tradition reçue sans jugement, aux préjugés acceptés sans discrimination, mais aussi à l’abstraction et aux systèmes, considérés comme pertes de la réalité. Ils se refusent à la métaphysique, incertaine et indécidable, au nom d’une saine physique, positive et tangible. « Philosophe » devient, au XVIIIe siècle synonyme de « partisan des Lumières ». Diderot nomme Pensées philosophiques sa réplique aux Pensées de Pascal, et Sedaine, le Philosophe sans le savoir sa présentation dramatique de l’homme concrètement vertueux, socialement efficace. • Nature, bonheur et liberté. Cette trilogie constitue la référence d’une pensée qui réhabilite l’homme, le disculpe de tout péché originel. La nature, à la fois réalité existante et principe qui la modèle, devient souvent une force créatrice bienveillante ou une Providence laïcisée. Elle sert d’argument polémique pour critiquer les institutions, et d’idéal
pour imaginer un monde meilleur. Elle est interprétée tantôt comme une construction théorique, éloignée de toute nostalgie des origines, tantôt comme une vérité enfouie dans le coeur de chacun, voire comme un décor pittoresque. Le malheur des hommes s’expliquerait par l’abandon de cette nature, sous l’influence des imposteurs, mauvais prêtres et tyrans abusant de la crédulité publique pour imposer leur pouvoir. Les hommes sont destinés à être heureux en se défaisant des illusions et des préjugés. Saint-Just pourra dire que le bonheur est une idée neuve en Europe : neuve en tant que valeur qui l’emporte, désormais, sur l’idée traditionnelle de salut. De même que la lumière naturelle s’émancipe de toute vérité révélée, le bonheur terrestre s’affirme indépendamment de toute perspective eschatologique. Débarrassé de la faute religieuse, des lisières de la tradition, l’homme peut revendiquer une liberté qui était jusqu’alors surtout métaphysique (principe religieux du choix entre bien et mal) et aristocratique (principe d’élitisme nobiliaire), et qui devient morale et politique (droit d’inventer sa vie personnelle et de donner son opinion sur la chose publique), ainsi qu’économique (droit d’entreprendre). Autant que l’idée de nature, celles de bonheur et de liberté tirent leur force d’entraînement de leur profonde ambivalence : le bonheur peut être égoïste ou altruiste, en quête de durée ou bien d’intensité, et la liberté, individuelle ou bien civique. • L’histoire comme progrès. Ces principes déterminent une nouvelle vision de l’histoire, qui échappe à la fatalité des cycles. La querelle des Anciens et des Modernes, au tournant du XVIIe au XVIIIe siècle, pose la question de la possibilité d’un progrès pour l’humanité. downloadModeText.vue.download 568 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 557 Au milieu du XVIIIe siècle s’affirme la notion de perfectibilité humaine, capacité d’innover et de se transformer. Chez Rousseau, cette perfectibilité est susceptible de développements positifs ou négatifs, mais de Turgot à Condorcet s’affirme le modèle d’un progrès de l’esprit humain accumulant le savoir et le transmettant d’une génération à l’autre, grâce à l’imprimerie puis aux sommes encyclopédiques, qui évitent la perte et l’oubli. Symp-
tomatiquement, le mouvement français des Lumières cristallise autour de l’entreprise de l’Encyclopédie, animée par Diderot et d’Alembert. Les progrès de l’esprit ne se traduisent pas forcément par des progrès sociaux et moraux : un décalage dont Rousseau dénonce le risque. Les Encyclopédistes restent liés au modèle d’une action par en haut, auprès d’un prince éclairé. Leur influence passe donc par les académies provinciales, par la conquête de l’Académie française, par la pénétration de l’administration royale. Les blocages de la situation politique en France font songer d’aucuns à une action dans des capitales étrangères : Voltaire accepte l’invitation de Frédéric II à Berlin, Diderot celle de Catherine II à SaintPétersbourg. Leurs désillusions dans de telles expériences les conduisent à faire appel à l’opinion, à ce public des lecteurs capables de juger et de manifester leur jugement en dehors des structures de l’Ancien Régime. Rares sont alors les philosophes qui explicitent l’idée d’un recours à la violence populaire. Les exemples de l’Antiquité, celui plus récent des révolutions anglaises, imposent pourtant un scénario de régénération violente, à mesure que la crise de l’Ancien Régime s’amplifie. De l’exécution de Calas, protestant accusé - à tort - d’avoir tué son fils pour l’empêcher de se convertir au catholicisme, au scandale du Collier de la reine, les affaires judiciaires mobilisent les philosophes et font débattre sur la place publique de ce qui, traditionnellement, restait du domaine des pouvoirs politique et religieux. SCANSIONS • Esprit critique contre tradition. Dès le tournant du XVIIe au XVIIIe siècle, la philosophie nouvelle échappe à la technicité conceptuelle et aux institutions pédagogiques, par l’intermédiaire des salons et de la presse. Nés au milieu du XVIIe siècle, Bayle et Fontenelle sont souvent présentés comme les précurseurs des Lumières. Dans la Lettre sur les comètes et les Pensées diverses sur la comète (1682), Bayle oppose à la crédulité et aux superstitions le doute et la relativité. Il exerce son esprit critique sur l’histoire dans le Dictionnaire historique et critique (1696), et sur l’actualité littéraire dans un périodique, les Nouvelles de la république des lettres. Mêlant mondanités et travail intellectuel, littérature et recherche scientifique, Fontenelle mène un combat parallèle dans ses essais, De l’origine des fables (publié tardivement, en 1724), Sur l’histoire,
Relation de l’île de Bornéo (1686), Histoire des oracles (1687), qui analysent la crédulité populaire et l’imposture sacerdotale, et dans les Entretiens sur la pluralité des mondes (1686), qui donnent l’exemple d’une discussion rationnelle sans contraintes ni interdits. Bayle et Fontenelle fixent les buts de la philosophie nouvelle - critique des préjugés et de la tradition, usage de la raison, constitution d’une communauté éclairée -, ainsi que ses méthodes : l’ironie de la satire, la publication des documents et des arguments, la vulgarisation des débats et des découvertes. Ces méthodes passent par des formes littéraires qui seront celles de tout le XVIIIe siècle : le dialogue d’idées ; la presse périodique, qui suit l’actualité ; le dictionnaire, qui critique systèmes et traditions dans chacun de leurs détails. Cette attitude critique touche aux questions politiques avec l’abbé Castel de Saint-Pierre, qui propose de réformer le gouvernement monarchique et l’équilibre européen, et met en cause radicalement la foi chrétienne, avec des lettrés qui s’expriment sous le voile de l’anonymat ou sous le masque de l’érudition. Nicolas Fréret, membre de l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres, dévoile ainsi les mécanismes de l’aliénation religieuse. Il a composé ou inspiré une Lettre de Thrasybule à Leucippe qui a circulé sous forme manuscrite avant d’être publiée. Le Philosophe de Dumarsais, les Sentiments des philosophes sur la nature de l’âme attribués à Mirabaud, soumettent le christianisme à une attaque similaire : autant de manuscrits qui restent cantonnés dans un milieu restreint durant la première moitié du XVIIIe siècle, et qui atteignent un public plus vaste lorsqu’ils sont publiés clandestinement en France ou dans les pays limitrophes. Parfois, pourtant, cet élargissement de la diffusion va de pair avec une édulcoration. Le curé Meslier, obscur abbé d’Étrépigny, dans les Ardennes, a légué à la postérité un brûlot d’athéisme et de communisme primitif sous la forme d’un Testament : le texte circule à quelques exemplaires après sa mort en 1729, puis est transformé par Voltaire en un pamphlet simplement anticlérical, pour être imprimé en 1762. Médecin breton, réfugié en Hollande puis à Berlin, épris de paradoxes et de polémiques, La Mettrie représente également ce premier moment des Lumières où, dans le sillage du libertinage érudit, les thèmes critiques à l’égard de la tradition sont d’autant plus radicaux qu’ils ne s’articulent pas encore sur un projet social ni sur un optimisme historique. L’Homme-machine (1747) tire le matéria-
lisme du côté de l’amoralisme : on ne s’étonne pas que Diderot définisse sa propre philosophie matérialiste contre La Mettrie, alors que Sade se réclame de lui dans ses romans athées et scélérats. • Un discours de la relativité. La critique de la tradition par une double relativisation historique et géographique donne naissance à des récits de voyages qui font dialoguer les cultures ainsi qu’à des romans épistolaires qui reprennent cette confrontation sur le mode de la fiction. Noble ruiné contraint à l’aventure, La Hontan rapporte ainsi du Canada de Nouveaux Voyages de M. le baron de La Hontan dans l’Amérique septentrionale, des Mémoires et des Dialogues curieux entre l’auteur et un sauvage de bon sens qui a voyagé (1703), où la parole est donnée à un Indien doué d’une logique redoutable. Robert Challe a pareillement voyagé : il a composé, outre le recueil de nouvelles les Illustres Françaises (1713), un Journal de voyage aux Indes orientales (1721), des Mémoires sur le règne de Louis XIV (1731) et sans doute les Difficultés sur la religion proposées au P. Malebranche, manuscrit souvent désigné sous le titre le Militaire philosophe. La relativité mise en scène dans le récit de voyages s’articule sur une argumentation logique qui met à mal le dogme religieux. Montesquieu et Voltaire héritent ainsi une attitude intellectuelle et des formes littéraires dont ils tirent toute l’efficacité dans des ouvrages diffusés à travers l’Europe entière : les Lettres persanes du premier en 1721 et les Lettres anglaises du second, rebaptisées Lettres philosophiques en 1734. Voltaire a réellement séjourné en Angleterre, alors que Montesquieu imagine « sa » Perse, mais les deux oeuvres opposent à la France chrétienne et absolutiste soit un Orient qui en est la caricature, soit une Angleterre diverse, dynamique et tolérante. Le siècle multipliera les bons sauvages, les candides et les ingénus, pour mieux s’étonner des évidences et ruiner les certitudes. Le passage du premier au second XVIIIe siècle est sensible à travers la transformation des utopies ou des îles lointaines en « uchronie » ou futur réformé qui se manifeste dans l’An 2440, rêve s’il en fut jamais (1786), de Louis Sébastien Mercier. La critique du présent ne se fait plus au nom d’une nature plus ou moins primitive, mais au nom d’un avenir à construire. • Le coeur des Lumières. Une telle mutation n’est possible qu’en raison de la cristallisation des thèmes critiques, au milieu du siècle, de la convergence des sommes philosophiques
et du lancement de la grande entreprise encyclopédique. Condillac publie, en 1746, son Essai sur l’origine des connaissances humaines, qui adapte à la France l’empirisme de Locke ; Montesquieu, en 1748, une synthèse sur les systèmes juridiques et politiques, De l’esprit des lois ; Buffon, en 1749, le premier tome de son Histoire naturelle, dont la publication va se poursuivre durant un demi-siècle. Le public et le pouvoir ne peuvent qu’être frappés par l’ambition de ces projets qui embrassent les théories de la connaissance, du droit et de la vie. En 1750, un prospectus de Diderot lance la souscription de l’Encyclopédie, qui commence à paraître l’année suivante, et qui apparaît comme un rassemblement des énergies. Le milieu du siècle correspond à l’affirmation d’une génération nouvelle, celle de Diderot - qui fait éditer ses premières oeuvres personnelles, Pensées philosophiques (1746), Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient (1749) - et de celui qui est encore son ami, Jean-Jacques Rousseau, auteur du Discours sur les sciences et les arts (1750) et du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755). Les Pensées philosophiques, qui s’ouvrent par une réhabilitation des passions, ou la prosopopée de Fabricius dans le Discours sur les sciences et les arts, se réclament d’une véhémence, d’une passion, qui, à côté de l’ironie de Montesquieu ou de Voltaire, constituent le ton nouveau des Lumières. Les tomes successifs de l’Histoire naturelle et de l’Encyclopédie, la parution du De l’esprit d’Helvétius (1758), puis d’Émile et du Contrat social de Rousseau (1762), donnent l’impression d’une offensive générale contre le Trône et l’Autel, d’une subversion radicale. C’est le moment des grands affrontements entre philosophes downloadModeText.vue.download 569 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 558 et antiphilosophes, qui mobilisent la presse, la scène théâtrale, les institutions académiques. Le manichéisme de l’opposition se double en réalité d’ambitions et de rivalités personnelles, de jeux entre clans de pouvoir, d’antagonismes institutionnels entre administration centrale, parlements et Assemblée du clergé. Ce qui apparaît comme le parti philosophique peut s’allier au pouvoir central, qui essaie de moderniser l’appareil d’État, ou bien aux parlements, qui se présentent comme une force d’opposition au despotisme ministériel et comme un garant de la liberté publique.
• La radicalisation des débats. Les années 1760 et 1770 marquent un durcissement des débats, avec les combats de Voltaire, devenu le patriarche de Ferney, en faveur des victimes de l’« injustice judiciaire » (les protestants Calas et Sirven, lequel est accusé du meurtre de sa fille ; le chevalier de La Barre, condamné à mort pour sacrilège et blasphème), et la production ouvertement matérialiste et athée du baron d’Holbach et de son groupe. Ces derniers diffusent les manuscrits clandestins des premières décennies du siècle (Dumarsais, Fréret, Challe, Meslier, Boulanger) et traduisent les libres-penseurs anglais (John Toland) ; ils produisent également des traités nouveaux tels que le Système de la nature (1770) - la bible du matérialisme, selon la formule de Roland Mortier -, qui se présente comme un ouvrage posthume de Mirabaud, et son abrégé ou version de poche, le Bon Sens (1772). Le durcissement est politique dans la somme parue sous le nom de Raynal, l’Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes (1770). Le siècle est ainsi passé du Dictionnaire historique et critique de Bayle à cette Histoire philosophique et politique. Le traité, initialement conçu comme une histoire de la colonisation, comme un manuel destiné aux commerçants français, s’est transformé, en particulier sous l’influence de Diderot, qui y collabore, en une critique véhémente de l’esclavage, du colonialisme, de l’absolutisme. Tandis que Rousseau se livre à l’écriture autobiographique, après avoir rompu avec les Philosophes, que Voltaire s’inquiète de ce qu’il considère comme une dérive matérialiste des Lumières, et que les « intellectuels du ruisseau » (Robert Darnton) dénoncent les privilèges des académiciens et des philosophes nantis, le parti philosophique accompagne la montée des mécontentements et la radicalisation des débats durant les dernières décennies de l’Ancien Régime. RÉVOLUTIONS • Lumières et Révolution. L’historiographie a longtemps présenté comme une évidence la filiation entre les Lumières et la Révolution, pour s’en réjouir dans la tradition républicaine, et pour la déplorer dans la tradition conservatrice. Chaque groupe idéologique s’est constitué une continuité idéale : les positivistes, de Diderot à Danton ; les socialistes de 1848 et les premiers communistes, de Rousseau à Robespierre ; les libéraux, de
Montesquieu aux partisans de la monarchie constitutionnelle, etc. La recherche a voulu dépasser ces identifications en mesurant la présence des Lumières dans les bibliothèques, la pénétration de leurs idées dans les esprits. Ainsi, Daniel Mornet a révélé les « origines intellectuelles de la Révolution française ». Un demi-siècle plus tard, Roger Chartier parle plutôt de ses « origines culturelles » : ce ne sont pas tant les « idées » des Lumières qui provoquent l’événement révolutionnaire que les mentalités et les comportements dont elles sont les symptômes et qui ruinent les fondements de l’ordre ancien. • Les héritiers. La plupart des Encyclopédistes de la génération de Diderot et de Rousseau ont disparu avant 1789 ; les derniers d’entre eux (Marmontel, Morellet, SaintLambert) se comportent en émigrés de l’intérieur. Raynal se révèle même un défenseur de la monarchie, au grand dam des admirateurs de l’Histoire des deux Indes. La génération suivante se lance dans le journalisme et l’activisme politique ; elle grossit souvent les rangs de la Gironde, se voit persécutée sous la Terreur, les survivants retrouvant le pouvoir sous le Directoire et participant activement à la création des grandes institutions pédagogiques et culturelles de la République. Sous le nom d’Idéologues, ils se constituent en groupe avec un journal - la Décade philosophique -, un salon - la maison de Mme Helvétius -, des organismes tels le nouvel Institut ou la Société des observateurs de l’homme, laquelle commandite voyages et explorations. Volney a donné dès 1791 les Ruines ou Méditation sur les révolutions des empires, et Condorcet a composé, à la veille de sa mort en 1794, une Esquisse d’un tableau des progrès de l’esprit humain : une double mise en scène des espoirs historiques des Lumières. Cabanis, dans les Rapports du physique et du moral de l’homme (1802), et Destutt de Tracy, dans les Éléments d’idéologie (1803-1815), prolongent les idées d’Helvétius et de Condillac. Mais le coup d’État du 18 brumaire et la dérive du Consulat vers l’Empire contraignent ces républicains à la discrétion érudite et au repli scientifique. Peut aussi se réclamer de l’héritage des Lumières un autre groupe réuni autour de Mme de Staël, dit aujourd’hui « groupe de Coppet » - du nom de la résidence des Necker au bord du lac Léman. Il rassemble des « intellectuels » venus des quatre coins de l’Europe, appartenant aux grandes religions du Vieux Continent mais se reconnaissant dans le prin-
cipe de liberté. Plus généralement, les deux courants qui s’affrontent aux XIXe et XXe siècles, le socialisme et le libéralisme, représentent les deux versions, les deux versants d’une même philosophie des Lumières. Lunéville (traité de), accord conclu le 9 février 1801 entre la France et l’Autriche, et qui met fin à la guerre commencée en 1792. La victoire du général Moreau à Hohenlinden (près de Vienne), le 3 décembre 1800, complète celles de Bonaparte en Italie. Du fait des accords passés avec l’Angleterre, l’Autriche ne peut signer une paix séparée avant février 1801 ; c’est pourquoi il faut attendre ce terme pour que s’engagent officiellement les négociations franco-autrichiennes. Les Autrichiens tentent alors d’obtenir des garanties quant à l’indépendance des États du sud de l’Italie, mais Bonaparte n’entend pas céder sur ce point et préfère laisser dans le flou les limites de l’influence française en Italie. Le traité signé à Lunéville par Joseph Bonaparte et le chancelier d’Autriche Ludwig Cobenzl reprend les dispositions de celui de Campoformio. L’Autriche accepte l’annexion de la Belgique et de la rive gauche du Rhin par la France ; elle reconnaît également les « Républiques soeurs », créées par la France en Suisse, en Italie et dans les Provinces-Unies, mais elle conserve la Vénétie, la Dalmatie et l’Istrie. L’Angleterre reste seule en guerre contre la France. Lusignan, famille de seigneurs poitevins dont l’une des branches règne sur Chypre de 1192 à 1489. L’une des plusgrandes seigneuries du Poitou, Lusignan, est transmise de père en fils aîné - tous prénommés Hugues -, de 967 à 1303. Au fil de ces trois siècles et demi environ, les sires de Lusignan s’efforcent d’affermir leur assise territoriale par des alliances matrimoniales : dans la première moitié du XIe siècle, Hugues V épouse Almodis de la Marche, permettant à son lointain successeur Hugues IX de faire main basse sur ce comté en 1199. Hugues X épouse en 1220 Isabelle Taillefer, héritière du comté d’Angoulême. De même, cinquante ans plus tard, le comté de Fougères échoit aux Lusignan. Puissants barons du royaume de France, les Lusignan jouent habilement du fait que leurs domaines sont situés dans les fiefs des Plantagenêts, faisant appel tantôt au roi de France, tantôt au roi d’Angleterre. Ainsi, Hu-
gues IX parvient-il à récupérer le comté de la Marche - passé dans la famille de Montgomery et vendu au roi d’Angleterre Jean sans Terre - grâce à Philippe Auguste. Il y perd sa fiancée, Isabelle Taillefer, enlevée par le Plantagenêt ; Angoulême reviendra aux Lusignan une génération plus tard, quand la même Isabelle épousera Hugues X. En Orient, la fortune sourit aux frères d’Hugues IX. Le plus jeune, Gui de Lusignan, épouse en secondes noces Sybille (1180), soeur du roi Baudouin IV le Lépreux et mère de Baudoin V ; à la mort de ces derniers - respectivement en 1185 et en 1186 -, il est associé au trône de Jérusalem par Sybille, devenue reine. Son intelligence médiocre semble expliquer le désastre de Hattin (1187), qui ouvre à Saladin les portes du royaume de Jérusalem. Récusé par les barons, Gui est fait roi de Chypre, récemment conquise par Richard Coeur de Lion (1192). Son frère Amaury II lui succède deux ans plus tard, et reprend la couronne de Jérusalem en 1197. Tous les prétendants ultérieurs au titre tiennent leurs droits des Lusignan. Sous les Lusignan, Chypre devient une nouvelle puissance, vitale pour l’Orient latin, base des croisades tardives. Le royaume atteint son apogée au milieu du XIVe siècle, alors que la branche aînée de la famille s’est éteinte. En 1308, en effet, Yolande, la dernière héritière directe de la seigneurie après la mort de ses frères Hugues XIII et Gui, vend toutes les terres de la famille au roi de France Philippe downloadModeText.vue.download 570 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 559 le Bel. En Orient, les Lusignan conservent Chypre jusqu’en 1489, date à laquelle l’île est vendue à Venise. Au destin déjà exceptionnel de cette famille, la légende ajoute l’histoire merveilleuse de la fée Mélusine, qui construit villes et châteaux, dont celui de Lusignan, et se transforme en sirène un jour par semaine. La transgression du tabou - après l’avoir surprise pendant sa métamorphose, son mari ne peut la voir ce jour-là - et le thème du mortel marié à une déesse de la fécondité - Mélusine a dix enfants - renvoient, selon l’historien Jacques Le Goff, à un avatar médiéval de la déessemère.
Lutèce ! Paris Luxembourg (François Henri de Montmorency-Bouteville, duc de), maréchal de France (Paris 1628 - Versailles 1695). Appartenir à l’illustre lignage des Montmorency ne permet pas au fils posthume du comte de Bouteville de bénéficier de la bienveillance royale : son père a été décapité pour avoir bravé les édits royaux contre la pratique du duel, et son cousin, gouverneur du Languedoc, pour lèse-majesté. Protégé des Condé, il suit le Grand Condé à la guerre, puis à la Fronde et au service de l’Espagne. Rentré avec son maître en 1659, il épouse l’héritière de la maison de Luxembourg, ce qui lui permet de revendiquer un des tout premiers rangs parmi les ducs et pairs. Cependant, le retour en grâce devant le roi est lent ; Luxembourg reprend du service en Franche-Comté en 1668, puis dans la guerre de Hollande, imposant au pays une occupation très dure. Toujours dans l’ombre de Condé, il participe à la victoire de Seneffe (1674) ; il est fait maréchal en 1675 et s’affirme contre Guillaume d’Orange en 1677-1678. Détesté par Louvois, qui le compromet dans l’affaire des Poisons et le fait embastiller quelques mois, il atteint finalement la gloire avec les victoires de Fleurus (1690), Steinkerque (1692) et Neerwinden (1693), mêlées sanglantes où Luxembourg fait reculer Waldeck et Guillaume d’Orange, généraux médiocres. Chef talentueux et courageux, « le Tapissier de Notre-Dame » (surnom qu’il doit aux nombreux drapeaux pris à l’ennemi qui ornent les voûtes de la cathédrale) a beaucoup bénéficié de la disparition de Condé et de Turenne ; il meurt avant d’affronter les grands capitaines de la génération suivante, le duc de Marlborough et le prince Eugène. Luxembourg (palais du), résidence parisienne édifiée entre 1612 et 1620 pour Marie de Médicis, et aujourd’hui siège du Sénat. Après avoir acheté l’hôtel du duc de PineyLuxembourg (appelé par la suite « Petit Luxembourg », et actuelle résidence du président du Sénat), la régente fait construire un nouveau palais à côté, dans l’axe de la rue de Tournon qui dégage la vue jusqu’au Louvre. Bâti en bordure du faubourg Saint-Germaindes-Prés, où sont installés de riches Italiens, le palais médicéen illustre l’affirmation du pouvoir personnel de la reine mère. Fait alors exceptionnel à Paris, le bâtiment dessiné par
Salomon de Brosse est visible de tous côtés (rues et jardin). Son style est celui des hôtels parisiens du début du XVIIe siècle, qu’il dépasse en majesté par ses dimensions imposantes (un quadrilatère d’environ 100 mètres de côté), un dôme rehaussé d’or, des façades ornées de sculptures, pilastres et colonnes, ainsi que de bossages à l’italienne. À l’intérieur, une galerie d’apparat accueille la série de vingt-quatre tableaux peinte à la gloire de Marie par l’atelier de Rubens entre 1621 et 1625. Le palais est agrémenté d’un vaste jardin aménagé sur un terrain cédé par les chartreux de Saint-Bruno, qui y étaient établis depuis le XIIIe siècle. Grottes et fontaines, dont il ne subsiste que le nymphée (devenu « fontaine Médicis », et déplacé depuis), sont imaginées dans le goût italien par le fontainier florentin Tommaso Francini, et nécessitent la construction d’un aqueduc d’alimentation. À partir de 1625, la reine mère réside dans son nouveau palais, où se déroule, en novembre 1630, la journée des Dupes, qui la condamne à l’exil. La famille royale possède le palais du Luxembourg jusqu’à la Révolution. En 1750, il accueille le premier « Salon » : un musée de peintures provenant du Cabinet royal, et ouvert au public. Le comte de Provence, frère de Louis XVI et futur Louis XVIII, qui réside au Petit Luxembourg de 1776 à 1791, acquiert le palais en 1778 et le fait réaménager par Soufflot, puis par Chalgrin. Transformé en prison pendant la Terreur, l’édifice héberge les chefs du Directoire, puis abrite le sénat du Consulat, du Premier et du Second Empire (1800-1814 et 1852-1870), et la Chambre des pairs des derniers rois (1814-1848). Sous le Premier Empire, il est considérablement transformé par Chalgrin, son architecte de 1780 à 1811, avant qu’Alphonse de Gisors ne l’agrandisse vers le jardin, de 1836 à 1841, conservant une façade peu différente de la primitive. Sans affectation entre 1848 et 1852, diversement occupé entre 1870 et 1879, il accueille depuis lors le Sénat de la République (« Conseil de la République » de 1946 à 1958), avec une parenthèse entre 1940 et 1946, lorsque s’y établissent l’état-major de l’aviation allemande pour l’ouest européen, puis, de 1944 à 1946, diverses institutions provisoires. Luynes (Charles, marquis d’Albert, duc de), favori de Louis XIII (Pont-Saint-Esprit, Gard, 1578 - Longueville, Lot-et-Garonne, 1621). De petite noblesse provençale, il est d’abord page du comte du Lude, puis d’Henri IV. Habile fauconnier, il s’attire l’amitié du jeune
Louis XIII, grand amateur de cette chasse. Aimable et pieux, il rassure ce roi timide qui l’appelle jusque dans ses rêves et lui donne la charge de grand fauconnier en octobre 1616. L’année suivante, avec ses frères Cadenet et Brantes, Luynes est l’instigateur de l’assassinat de Concini, favori de Marie de Médicis, et il lui succède à la tête du gouvernement. Rappelant les ministres d’Henri IV, le nouvel homme fort, fait duc et pair en 1619, puis connétable en 1621, envisage une réforme décisive : l’abolition de la vénalité des charges. Mais, peu compétent en politique étrangère, Luynes voit bientôt naître une opposition intérieure, avec la révolte du duc d’Épernon et de Marie de Médicis, qu’il a reléguée à Blois. Si ces « guerres de la mère et du fils » sont péniblement réglées par les traités d’Angoulême (1619) et d’Angers (1620), Luynes ne peut éviter le conflit avec les protestants, à la suite du rétablissement du catholicisme en Béarn, conformément à la volonté du roi (1620), puis la campagne de Guyenne. Après son échec devant Montauban (août-novembre 1621), Luynes est emporté par une épidémie. Populaire auprès des petits gentilshommes dont il est issu, méprisé par les grands pour son ascension rapide, il présentait pour le roi l’avantage de dépendre entièrement de ses faveurs. Lyautey (Louis Hubert Gonzalve), maréchal de France (Nancy 1854 - Thorey, Meurthe-et-Moselle, 1934). Lyautey choisit le métier des armes plus par tradition familiale que par vocation. Sorti de Saint-Cyr en 1875, breveté d’état-major, officier de cavalerie, il est, à partir de 1882, introduit dans les cercles littéraires parisiens où il rencontre Heredia, Proust et, surtout, Eugène de Vogüé. Influencé par le catholicisme social d’Albert de Mun, il publie en 1891 une étude (Du rôle social de l’officier dans le service militaire universel) qui est accueillie avec réticence dans les milieux militaires. Il ne songe pas à une longue carrière mais, en 1894, son affectation au Tonkin lui ouvre de nouveaux horizons, ceux du monde d’outre-mer. Il y sert sous les ordres de Gallieni, qu’il rejoint par la suite à Madagascar, et consacre une nouvelle étude à la mission de l’officier colonial. Nommé général, il est placé à la tête du commandement militaire des confins algéro-marocains (Aïn-Séfra) de 1903 à 1907 et se familiarise avec les problèmes du Maroc. En 1909, il intervient au Maroc occidental, depuis peu occupé par les
troupes françaises. D’avril 1912 à septembre 1925, il est commissaire-résident général au Maroc et, à ce titre, il doit mettre en place les structures du protectorat tout en poursuivant les opérations de « pacification » avec l’aide des généraux Gouraud et Mangin et au prix d’énormes difficultés dues à la restriction des effectifs pendant la Première Guerre mondiale. De décembre 1916 à avril 1917, il revient à Paris, appelé par Briand au ministère de la Guerre, charge dont il cherche très tôt à se défaire pour repartir au Maroc. Il s’y distingue par sa « politique des égards » avec le sultan Moulay Youssef et les dignitaires marocains, par le respect du souverain, du gouvernement (maghzen), des institutions traditionnelles et de la religion musulmane. Il est à l’origine d’importantes réalisations dans les domaines de la santé, de l’enseignement, des travaux publics (urbanisme, barrages et réseau ferroviaire), qui posent les bases du développement économique du pays. Il doit lutter contre les empiètements de la bureaucratie, et porte un regard à la fois lucide et très pessimiste sur la politique suivie en Algérie. Élu à l’Académie française dès 1912, il est promu maréchal en 1921. En septembre 1925, en pleine guerre du Rif, le ministère Painlevé lui retire le commandement des troupes engagées contre Abd el-Krim pour le confier au maréchal Pétain : downloadModeText.vue.download 571 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 560 il renonce alors à ses fonctions de résident et se retire à Thorey, en Lorraine. En 1931, il est commissaire général de l’Exposition coloniale internationale de Vincennes, qu’il a grandement contribué à mettre sur pied et qui est, à plus d’un égard, le couronnement de son oeuvre. Lyon (conspiration de), plan de la ContreRévolution visant à soulever le Sud-Est contre Paris, en 1790. Depuis les journées d’octobre 1789, nombre de royalistes songent à arracher Louis XVI à la capitale pour l’installer dans une ville de province, qui deviendrait ainsi le centre d’un contre-gouvernement et d’où l’on pourrait reconquérir le royaume par la force. Au printemps 1790, c’est Lyon que proposent Imbert-Colomès, ancien premier échevin de la ville, et le Salon français, groupe parisien
ultraroyaliste et clandestin, au comte d’Artois, frère émigré de Louis XVI et principal dirigeant du comité contre-révolutionnaire, dit « de Turin ». Grâce au relais des députés royalistes de la Constituante, ce plan est soumis au roi, qui accepte d’enquêter sur l’état d’esprit de Lyon. Même si l’émissaire royal est arrêté en juillet, les réseaux se mettent en place et les préparatifs d’insurrection continuent, que ce soit à Lyon, où se réunit un comité royaliste, en Vivarais (camp de Jalès), en Dauphiné, ou en Provence. Lorsqu’en octobre Louis XVI préfère le plan du baron de Breteuil (fuir vers l’Est) à celui du comte d’Artois, dont il ne veut pas être prisonnier, ce dernier poursuit son projet de soulèvement de Lyon : il pense pouvoir être accueilli avec son armée dans cette ville, et passe outre l’interdiction formelle du roi signifiée début décembre. Bientôt, le projet de complot, qui n’est ni discret ni vraiment fiable, est dénoncé et l’arrestation à Lyon de quatre des conjurés le 10 décembre est suivie de nombreuses autres. C’est la débâcle, et le comte d’Artois doit renoncer, peu après, à faire de Turin sa base de reconquête du royaume. Lyon (siège de), épisode de la Révolution au cours duquel Lyon est prise par l’armée de la Convention (8 août-9 octobre 1793). Dans cette ville industrieuse et marchande - la seconde du royaume par le nombre d’habitants -, modérés et royalistes mais aussi « rolandins » (girondins amis de Roland) s’opposent aux jacobins avancés qui, avec l’extrémiste Joseph Châlier, contrôlent le Club central, réunissant les délégués des populaires clubs sectionnaires. Lorsque, après la chute de la monarchie, la municipalité tombe aux mains des « châliers » (mars 1793), rolandins et royalistes, qui sont en majorité, s’allient pour se dresser contre le Club central et contrecarrer les mesures radicales - « de salut public » - prises par la Commune de Lyon. Les trois quarts des sections rejettent ainsi l’arrêté municipal du 14 mai 1793 - qui prévoit notamment la formation d’une armée révolutionnaire et une contribution forcée de 6 millions de livres sur les riches -, et prennent d’assaut la Commune le 29 mai, journée au terme de laquelle Châlier et ses amis « anarchistes » sont arrêtés. À Paris, on voit dans cet événement, qui est à l’opposé des journées parisiennes des 31 mai et 2 juin contre la Gironde, la marque du fédéralisme girondin. De fait, les autorités lyonnaises prennent contact avec celles des départements
voisins et rompent avec la capitale le 5 juillet en décidant de ne plus exécuter les décrets de la Convention. Le 17 juillet, Châlier - futur « martyr de la liberté » - est condamné à mort en réponse aux décrets parisiens qui destituent les dirigeants lyonnais, invitent les individus entrés à Lyon depuis le 29 mai à en sortir et ordonnent à l’armée des Alpes d’y rétablir les « lois de la République ». La ville est isolée, et le département du Rhône-et-Loire, divisé en deux le 12 août. Le siège, terrible, qui a commencé le 8 août, n’est total qu’en septembre et se traduit par un bombardement incessant, tandis que le blocus provoque une grave disette. Plus terrible encore est la répression qui suit la reddition du 9 octobre, et que laisse augurer le fameux arrêté de la Convention du 12 octobre qui change le nom de Lyon pour celui de « Ville-Affranchie », ordonne la démolition de « tout ce qui fut habité par le riche » et s’achève sur ces termes : « Lyon fit la guerre à la liberté, Lyon n’est plus. » Trois commissions, qui se relaient du 11 octobre 1793 au 6 avril 1794, condamnent à mort environ 2 000 personnes, fusillées ou guillotinées. Des exécutions collectives (au moyen de canons chargés à mitraille), qui ont lieu dans la plaine des Brotteaux, et dont seront rendus responsables les représentants en mission Fouché et surtout Collot d’Herbois, frapperont durablement les mémoires. Cette féroce Terreur rouge explique la non moins féroce Terreur blanche qui sévit à Lyon au lendemain de la chute de Robespierre. Lyon (traité de), traité signé le 17 janvier 1601 par Henri IV et Charles-Emmanuel Ier, duc de Savoie, mettant fin aux derniers soubresauts des guerres d’Italie et des guerres de Religion. À la faveur des troubles fomentés par la Ligue, le duc de Savoie, prince ambitieux, cherche à construire un État puissant, s’étendant de Genève à Turin. À cet effet, en 1588, il s’empare du marquisat de Saluces, français depuis 1548. À la paix de Vervins (1598), Philippe II d’Espagne et Henri IV préfèrent mettre ce dossier en sommeil. Deux options s’offrent alors au Savoyard : restituer le territoire conquis, ou le conserver moyennant la cession de ses possessions sur la rive droite du Rhône. Mais, lors de sa visite à Paris en 1599, Charles-Emmanuel préfère opter pour une diplomatie attentiste. Henri IV, désormais impatient, impose, le 27 février 1600, le traité de Paris, qui somme le duc de trancher. Puis, le 9 juillet, le roi de France se pré-
sente à Lyon avec une armée de trente mille hommes équipée de quarante canons. Les opérations sont rapides : en août, les villes de Bourg-en-Bresse et Chambéry cèdent, tandis que le 16 novembre la capitulation du château de Montmélian met fin aux hostilités. La Bresse, le Bugey, le Valromey et le pays de Gex (approximativement l’Ain actuel) deviennent français, le duc est condamné à verser une forte indemnité de guerre ; en contrepartie, Henri IV cède à la Savoie le marquisat de Saluces, dernière porte française sur l’Italie. Au traité de Lyon, la France renforce ses frontières à l’est de Lyon et protège Genève, toujours menacée. Quant à l’État de Savoie, il se limite désormais au Piémont. Lyonnaise, ancienne province césarienne de Celtique réduite en 16-13 avant J.-C. aux régions d’entre Loire et Seine. Elle formait, du confluent du Rhône et de la Saône jusqu’à la pointe de la Bretagne, l’un des trois éléments de la Gaule « chevelue », par opposition à l’ensemble plus policé et plus ancien de la Gaule Narbonnaise. Lyon (Lugdunum) devint la capitale de ce vaste territoire. Désarmée dès le règne d’Auguste (27 avant J.-C./14 après J.-C.), la Lyonnaise est administrée par un gouverneur impérial et rattachée fiscalement à l’Aquitaine. La modestie des bureaux provinciaux favorise l’autonomie des quelque trente cités, d’autant que cellesci envoient tous les ans leurs délégués au sanctuaire fédéral lyonnais, dans le cadre du culte impérial, mais aussi pour exprimer leurs voeux, féliciter ou blâmer un gouverneur. Sillonnée par un réseau routier conçu, au départ, dans un but militaire, mais qui agglutine hommes et capitaux autour des centres desservis et accélère leur urbanisation, la Lyonnaise se développe sous l’impulsion des vieilles aristocraties régionales, auxquelles Rome octroie la citoyenneté romaine, et qui peuvent, à partir du règne de Claude (41/54), accéder au sénat romain. Propriétaires de vastes domaines (villae), ces élites locales animent la vie politique et le développement de leur cité. Elles contribuent, par des investissements dans les corporations professionnelles, à l’essor de l’artisanat dans les agglomérations (vici) qui émaillent le territoire de la province : métallurgie du fer à Malain et à Alésia, et du plomb à Lyon ; textile des Calètes lyonnais ;
céramique spécialisée d’Autun et de sigillée des Arvernes... Toutefois, petite et une moyenne propriété. Le rural servile est quasi inexistant, par l’extension précoce du colonat.
Rennes, il existe une travail concurrencé
Au IVe siècle, la Lyonnaise est divisée en deux, puis quatre provinces, rattachées avec les Belgiques et les Germanies au diocèse des Gaules. Des centres urbains « politisent » leur développement, et de nouvelles cités sont créées sur le territoire des anciennes (Mâcon, Chalon...). Les institutions municipales fonctionnent toujours dans des cadres traditionnels (sénat local, magistrats municipaux, assemblée du peuple). Des enceintes sont éle-vées, bien après les raids barbares du IIIe siècle, pour protéger le centre vital des cités (Lutèce, Tours), mais l’espace urbain n’est nullement abandonné. Les quatre Lyonnaises sont divisées au Ve siècle entre le royaume burgonde et celui de Syagrius qui retrouve les limites traditionnelles de la vieille province, amputée de la Bretagne et de la LyonnaisePremière. downloadModeText.vue.download 572 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 561 lys (fleur de), symbole de la royauté française. La fleur de lys a été l’insigne du pouvoir et la marque du sacré dans de nombreuses civilisations anciennes (de l’Inde jusqu’à la Crète). En France, elle devient le signe de la souveraineté, réservé au Roi Très-Chrétien à la fin du XIIe siècle. À la même époque, dans la théologie, une comparaison est faite entre la Vierge Marie et le « lys entre les épines » du Cantique des cantiques (II, 2). Cette évolution permet ensuite d’établir un parallèle entre le roi de France et la Vierge Marie, tous deux élus par Dieu pour vaincre le mal. Le motif floral apparaît alors à profusion sur les vêtements du sacre royal, et les monarques le choisissent comme signe distinctif. À partir des règnes de Louis VII et de Philippe Auguste, la fleur de lys devient un motif décoratif ornant les sculptures, les monnaies, l’orfèvrerie, les blasons royaux et de nombreux objets usuels (vaisselle, mobilier). Au XIVe siècle, ce symbole est également concédé à certains lignages nobles, qui l’utiliseront par la suite pour revendiquer leur lien avec le roi. À la fin
du Moyen Âge, la fleur de lys sacralise l’idée monarchique et permet de justifier l’alliance entre la France et Dieu. À l’époque moderne et jusqu’à la Révolution, elle est le symbole de la France. downloadModeText.vue.download 573 sur 975 downloadModeText.vue.download 574 sur 975
Maastricht (traité de), traité signé le 7 février 1992 par les douze États membres de la Communauté européenne. Étape clef de la construction européenne, le traité de Maastricht prévoit, entre autres, la création d’une monnaie unique européenne. Les négociations sont engagées en décembre 1990. Si l’intégration européenne est alors portée par la dynamique de l’Acte unique (1986), qui prévoit la suppression des frontières intérieures à partir de 1993, elle doit aussi s’inscrire dans un contexte géopolitique nouveau marqué par la chute du communisme à l’Est et la réunification de l’Allemagne. Le traité, qui prévoit le passage de la Communauté économique européenne (CEE) à l’Union européenne (UE), comporte deux volets principaux : l’Union économique et monétaire (UEM) établit le calendrier de la création d’une monnaie unique, fixée au plus tard à 1999, et à laquelle participeront les pays ayant respecté les critères de convergence établis par l’Institut monétaire européen, future Banque centrale de l’UE ; l’Union politique traduit la volonté des États d’adopter des positions communes dans les domaines de la défense et de la politique étrangère, ainsi que d’étendre leur coopération en matière d’affaires intérieures et de justice. La dimension politique du traité est aussi symbolisée par la création d’une citoyenneté européenne, mais son volet social, vivement souhaité par François Mitterrand, ne figure que dans un protocole annexe. Le principe de subsidiarité doit permettre de départager les compétences respectives des États et de l’Union. Dans les différents pays de l’Union, la ratification du traité ne s’est pas faite sans difficultés ; en France, ce n’est qu’à une très faible majorité que le « oui » l’emporte à l’issue du référendum du 20 septembre 1992, malgré l’engagement personnel de François Mitterrand et le soutien du Parti socialiste, du RPR et de l’UDF. Les opposants au traité sont issus de la droite comme de la gauche, du Front national au Parti communiste, en passant par une fraction du RPR regroupée M
derrière Charles Pasqua et Philippe Séguin, et les fidèles de Jean-Pierre Chevènement au sein du Parti socialiste. Une rupture se dessine entre une France « intégrée » favorable à la construction européenne et une France socialement plus fragile, plus populaire et plus méfiante. Les débats se focalisent autour de la monnaie unique : les partisans du traité y voient un instrument indispensable à la puissance et à la prospérité de l’Union ; ses adversaires dénoncent la perte de souveraineté qu’elle suppose, la rigidité des critères de convergence et le triomphe d’une conception allemande de la politique économique et monétaire. Alors que la dimension politique de l’Union peine à s’affirmer, ainsi que le montre l’impuissance de la diplomatie européenne lors du conflit yougoslave, la marche vers l’« euro » est confirmée par le Conseil européen de Madrid (décembre 1995) ; mais, en France, le clivage qui s’est dessiné autour du traité de Maastricht reste profond, comme en témoigne le rejet par référendum du projet de constitution européenne en 2005. Mabillon (Jean), religieux et érudit (SaintPierremont, Ardennes, 1632 - Paris 1707). Fils de laboureur, poussé à l’étude par un oncle curé, Mabillon fréquente le collège de Reims, puis le séminaire, avant d’entrer chez les mauristes, rameau de l’ordre bénédictin créé en 1618 et voué à l’étude. À l’abbaye de Corbie, puis à celle de Saint-Germain-desPrés, où il se fixe en 1664, il collabore à des éditions (OEuvres de saint Bernard, de saint Augustin, Actes des saints bénédictins...), où l’hagiographie s’enrichit de la recherche minutieuse des textes authentiques et des faits vérifiés, écartant interpolations et miracles douteux. Il définit les critères de la diplomatique (De re diplomatica, 1681), précisant les règles de la critique historique. Cette recherche de l’authenticité sans crainte des autorités établies est un trait de sa génération (il est contemporain de Spinoza), mais, à la différence de Richard Simon, dont l’Histoire critique de l’Ancien Testament fit scandale (1678), Mabillon, conseiller de Bossuet, reste dans le cadre de l’orthodoxie. Infatigable voyageur en quête de manuscrits en France comme en Italie ou en Allemagne, il polémique dans son Traité des études monastiques (1691) contre Rancé, abbé de la Trappe, qui juge le travail intellectuel inutile pour les moines. Membre de l’Académie des inscriptions et médailles
(1701), dénonciateur des superstitions et des fausses reliques pour mieux défendre la foi, Mabillon a toujours uni la rigueur de l’historien à l’exigence du croyant. Mably (Gabriel Bonnot de), philosophe (Grenoble 1709 - Paris 1785). Descendant d’une famille de noblesse de robe, il est le frère de Condillac. Mably ne poursuit pas ses études de théologie, préférant se consacrer à l’histoire ancienne. Il collabore avec le cardinal de Tencin, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, dont il est parent et pour lequel il prépare des dossiers diplomatiques, mais se retire rapidement de la politique active pour retourner à ses études. Il rédige, d’une part, le Droit public de l’Europe (1748) et Des principes de négociations (1757), fruit de son expérience diplomatique, d’autre part, un Parallèle des Romains et des Français par rapport au gouvernement (1740), devenu Observations sur les Romains (1751), ainsi que des Observations sur les Grecs (1749). Sa passion pour l’histoire antique est fondée sur un idéal d’égalité et de liberté qui s’exprime sans détour dans un traité politique non publié de son vivant, Des droits et des devoirs du citoyen (1758), et dans les Entretiens de Phocion sur les rapports de la morale avec la politique (1763), dialogue philosophique entre Phocion, où l’on a voulu voir Mably lui-même, et Aristias, qui serait le marquis de Chastellux. Sa réflexion porte sur la France dans les Observations sur l’histoire de France (1765), souvent rééditées, et sur les débats contemporains les plus brûlants : critique de la propriété privée et réfutation de la physiocratie (Doutes proposés aux philosophes économistes, downloadModeText.vue.download 575 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 564 1768), étude de l’« anarchie » polonaise qui avait déjà inspiré Rousseau (Du gouvernement de Pologne, 1781), étude de la révolution et de la toute nouvelle république américaines (Observations sur le gouvernement des ÉtatsUnis d’Amérique, 1784). Il redit sa foi en une vie publique débarrassée des intérêts économiques privés dans De la législation ou Principe des lois (1776), et tire les conclusions sur sa méthode dans De l’étude de l’histoire (1778) et De la manière d’écrire l’histoire (1783). Son idéal républicain et vertueux, sa dénonciation de l’aliénation provoquée par la propriété privée ont été revendiqués par les jacobins, qui
voient en Mably et Rousseau les inspirateurs de la Révolution française, puis par les socialistes du XIXe siècle, qui l’ont intégré dans la tradition des utopistes dont ils se voulaient les héritiers. Mais, au-delà de ces filiations, les travaux historiques de Mably ont été au coeur des débats législatifs des états généraux de 1789 et de la Révolution. Machault d’Arnouville (Jean-Baptiste de), homme politique (Paris 1701 - id. 1794). Issu d’une famille de robe, fils d’un lieutenant général de police, il commence en 1721 une carrière de magistrat au parlement de Paris. En 1743, il reçoit l’importante intendance du Hainaut. Administrateur consciencieux et tenace, il devient contrôleur général des Finances en 1745. La crise financière chronique de la monarchie, aggravée par la guerre de la Succession d’Autriche, le conduit à tenter une réforme en profondeur du régime fiscal. Il veut augmenter les contributions du clergé et des pays d’états, et imposer aux privilégiés des taxes permanentes, au lieu de leurs « dons gratuits ». En mai 1749, il crée un nouvel impôt égalitaire, le vingtième, prélevé sur tous les revenus des propriétés, charges et offices, frappant tous les particuliers, sans distinction de naissance. Mais cette tentative de réforme se heurte à l’opposition du parlement de Paris et des états provinciaux. Le clergé, lui aussi très hostile, obtient une exemption ; mais il s’oppose à nouveau à Machault en 1750 au sujet de l’édit sur les biens de mainmorte, qui tend à limiter ses propriétés. Louis XV recule dès 1751, et Machault est ensuite rétrogradé, en juillet 1754, au poste de secrétaire d’État à la Marine, malgré le soutien de Mme de Pompadour. En 1757, dans le climat d’agitation qui entoure l’attentat de Damiens, il se brouille avec celle-ci et tombe en disgrâce. Retiré sur ses terres, il vit assez longtemps pour voir les conséquences des refus successifs de la monarchie de réformer la fiscalité. Arrêté sous la Terreur, il meurt en prison à l’âge de 93 ans. Mac-Mahon (Edme Patrice de), duc de Magenta, maréchal de France et homme politique, premier président de la IIIe République, de 1873 à 1879 (Sully, Saône-et-Loire, 1808 - château de La Forêt, Loiret, 1898). Descendant d’une famille catholique irlandaise, fils d’un pair de France, reçu en 1825 à Saint-Cyr, Mac-Mahon participe à l’expédition d’Alger et à la pacification de l’Algérie. Devenu général de division, rappelé à Paris en 1855, il commande une division en Crimée
et s’empare du bastion de Malakoff le 8 septembre, lors de la prise de Sébastopol, un fait d’armes qui lui vaut un fauteuil de sénateur. Il participe ensuite à l’expédition qui soumet les Kabyles en 1857, puis, deux ans plus tard, à la guerre d’Italie. Artisan de la victoire de Magenta, il en retire les titres de duc de Magenta et de maréchal de France. À partir de 1864, en tant que gouverneur général de l’Algérie, Mac-Mahon doit mettre en application le projet de « royaume arabe » annoncé par l’empereur Napoléon III. Mais il favorise plutôt les colons, tout en maintenant le régime militaire, et cherche à minorer l’ampleur de la famine qui décime les populations arabes en 1867-1868. Le succès du « non » en Algérie au plébiscite du 8 mai 1870 sanctionne l’échec de sa politique. Rappelé en France en juillet lors de la déclaration de guerre à la Prusse, Mac-Mahon est vaincu à Woerth (6 août). Nommé à la tête de l’armée du camp de Châlons, il exécute, contre son gré, l’ordre d’opérer une jonction avec le maréchal Bazaine, bloqué à Metz. Ses troupes, concentrées autour de Sedan, sont encerclées ; lui-même est blessé et fait prisonnier. Il rentre à Paris le 18 mars 1871, et Thiers le nomme commandant des troupes de Versailles qui reprennent Paris aux communards. Lors de la Semaine sanglante, il ne condamne ni n’interdit les exécutions sommaires. Auréolé du « prestige » de la répression, il est élu président de la République, le 24 mai 1873, par la majorité conservatrice, afin de servir une éventuelle restauration. S’il appuie la politique conservatrice d’« ordre moral », Mac-Mahon est hostile au drapeau blanc du comte de Chambord et, une fois son pouvoir consolidé par la loi du septennat du 20 novembre 1873, il défend les institutions existantes. Après le vote des lois constitutionnelles de 1875, il engage le conflit avec la nouvelle majorité républicaine à la Chambre des députés. Mécontent de l’attitude de Jules Simon qui n’a pas, selon lui, « conservé sur la Chambre l’influence nécessaire pour faire prévaloir ses vues », il le désavoue le 16 mai 1877, puis nomme un ministère conservateur et dissout la Chambre. Après la nouvelle victoire électorale des républicains en octobre, la crise prend fin avec l’acceptation par Mac-Mahon de sa défaite : il renonce à faire prévaloir une politique conservatrice et à dissoudre à nouveau la Chambre, avant de démissionner, le 30 janvier 1879, et de se retirer de la vie publique.
Madagascar, ancienne colonie française (1896-1946), puis territoire d’outre-mer (19461958) devenu indépendant en 1960. • Les premières tentatives françaises d’établissement. Elles ont lieu dès le milieu du XVIIe siècle (fondation de Fort-Dauphin en 1643), mais demeurent sans lendemain. C’est au XIXe siècle que les marins français, évincés de l’île Maurice, s’intéressent de nouveau à Madagascar, où ils se heurtent à l’influence britannique qui semble prépondérante à la suite du traité anglo-malgache de 1817. Cependant l’île Sainte-Marie est réoccupée par les Français en 1821, et les îles de Nosy Be et de Mayotte sont acquises en 1840 et 1841. Quelques Français s’établissent à Tananarive, parmi lesquels Jean Laborde, fondateur d’établissements industriels (forges de Mantasoa), et surtout Joseph Lambert, qui, pendant le bref règne de Radama II (1861/1863), tente de fonder une Compagnie de Madagascar et d’asseoir l’influence française par un traité de commerce. Mais l’assassinat du roi ruine ces projets. • Un protectorat puis une colonie. En 1883, le contentieux engendré par la mort de Laborde entraîne une démonstration navale, et, le 17 décembre 1885, le traité de Tamatave établit le protectorat français ; un « protectorat fantôme » qui se heurte à l’opposition sourde de la reine et des ministres. Par un traité de 1890, Londres reconnaît ce protectorat, laissant à la France les mains libres pour envisager une épreuve de force. Après de nouveaux incidents entre la résidence et le gouvernement malgache, les relations sont rompues, en octobre 1894, le résident Le Myre de Vilers ordonne l’évacuation. L’expédition de reconquête, très mal préparée, aboutit cependant à la capitulation de Tananarive, le 30 septembre 1895. L’île est annexée, à la suite de la loi du 6 août 1896, et devient une colonie. La reine Ranavalona III est exilée, au cours de l’année suivante. Le général Gallieni, gouverneur général et commandant en chef de 1896 à 1905, est le véritable fondateur de la colonie : il achève la pacification, crée un institut Pasteur, l’assistance médicale indigène, l’école de médecine, un important réseau scolaire ; il encourage la colonisation et entreprend un programme de grands travaux (aménagement routier, chemin de fer reliant Tananarive à la côte est). Cependant, dès 1915, l’affaire de la « VVS » (société secrète anticoloniale), un simple
complot d’étudiants, révèle un malaise dans la population malgache, notamment au sein de la bourgeoisie des hauts plateaux, qui se trouve déclassée par la domination française. En 1940, la Grande Île reste fidèle au gouvernement de Vichy. En 1942, des troupes britanniques entreprennent donc sa conquête, se heurtant à une vive résistance. Tananarive capitule en décembre, et l’autorité est remise au général Legentilhomme, le représentant de la « France libre ». • Du nouveau statut à l’indépendance. En 1946, Madagascar est érigée en territoire d’outre-mer ; l’île est divisée en cinq provinces dotées chacune d’une assemblée, celle-ci élisant les vingt-cinq membres de l’assemblée représentative centrale. Deux partis se développent alors : le Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM), indépendantiste, influent dans la bourgeoisie du plateau, et le Parti des deshérités de Madagascar (PADESM), plus modéré, implanté dans les régions côtières, et soutenu par l’administration. Les élections législatives au double collège envoient au Palais-Bourbon les députés Raseta et Ravohangy, qui réclament en vain le statut d’État associé indépendant au sein de l’Union française. Un soulèvement éclate alors sur la côte est (mars 1947-fin 1948) ; il est suivi d’une répression qui fait plus de 11 000 morts, selon la liste des victimes établie dans les années 1950 à la demande du downloadModeText.vue.download 576 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 565 gouverneur - alors qu’en 1948 l’état-major a avancé le chiffre de 89 000 victimes, souvent exploité par la suite. De lourdes condamnations frappent les députés. La vie politique, très ralentie, ne reprend qu’avec la loi-cadre de juin 1956, qui établit le suffrage universel et le collège unique, et dote l’île d’un statut de semi-autonomie. Les côtiers sont largement majoritaires parmi les élus, et c’est l’un d’entre eux, l’instituteur Philibert Tsiranana, socialiste très modéré, qui devient vice-président du Conseil de gouvernement. En vertu de la Constitution de 1958, Madagascar opte pour le statut d’État membre de la Communauté, et Tsiranana devient chef du gouvernement puis, en 1959, président de la République malgache. Madagascar accède à l’indépendance le 26 juin 1960.
Madame Sans-Gêne (Thérèse Figueur, dite), femme-soldat (Talmay, Côted’Or, 1774 - Issy 1861). Engagée volontaire en 1793 dans un régiment de dragons, elle est blessée au siège de Toulon, puis prend part aux campagnes d’Espagne et d’Italie, malgré le décret du 30 avril 1793 chassant de l’armée toutes les femmes, combattantes ou épouses, à l’exception des cantinières. Surnommée « SansGêne » par ses camarades, elle se bat bravement, sauve un général et plusieurs soldats, est faite prisonnière, s’évade, mais refuse le grade de brigadier que lui proposent ses supérieurs. Après avoir participé à la bataille d’Austerlitz, elle est blessée à Iéna en 1806, faite prisonnière en 1812 à Burgos, et livrée aux Anglais, qui la relâchent en 1814. Après la défaite de Waterloo, elle quitte l’armée, ouvre une petite auberge à Paris et épouse un ancien dragon en 1818. Veuve et pauvre, elle passe les vingt dernières années de sa vie à l’hospice. Elle est parfois confondue avec la femme du maréchal Lefebvre, une ancienne blanchisseuse, héroïne d’une pièce à succès de Victorien Sardou intitulée Madame SansGêne (1893). Madeleine (la), abri préhistorique retrouvé en Dordogne, éponyme du magdalénien. Situé sur la commune de Tursac et sur la rive droite de la Vézère, l’abri de la Madeleine, fouillé dès 1863 par Édouard Lartet, fut étudié systématiquement par Peyrony à partir de 1911, puis par Bouvier à partir de 1968. Si les couches archéologiques correspondent à l’ensemble de la durée du magdalénien ainsi que de la culture mésolithique de l’azilien, la grotte servit surtout de référence pour une division chronologique interne des phases récentes du magdalénien. À la suite des travaux de l’abbé Breuil, on divise en effet traditionnellement le magdalénien (entre 15 000 et 10 000 ans avant notre ère) en six phases, les trois dernières étant particulièrement bien représentées à la Madeleine. Cette évolution, parfois discutée dans le détail, concerne moins l’outillage en silex, assez uniforme, que celui en os et en bois de cervidés : sagaies, harpons et propulseurs. Les harpons sont par exemple d’une complexité croissante, le nombre de barbelures augmentant, tandis que les propulseurs ou les baguettes en os (dites « demi-rondes ») gravés ne sont pas présents dans la dernière phase.
L’abondance des objets d’art mobilier - en particulier les outils en os décorés mais aussi les plaquettes gravées - portant soit des figures humaines ou animales, soit de simples motifs ornementaux, a fait la réputation de la Madeleine. Ces objets, quand ils ont été mis au jour dans des couches précises, ont également permis, par comparaison stylistique, une datation des peintures ou des gravures exécutées à cette époque sur les parois des grottes. L’abri a aussi livré la sépulture d’un enfant, inhumé avec un millier de perles en coquillage, ainsi que quelques dents percées de renard et de cerf. Madrid (traité de), accord signé par l’empereur Charles Quint et François Ier le 14 janvier 1526. Après la déroute de Pavie, où le roi de France a été fait prisonnier, les négociations durent de longs mois. Charles Quint souhaite ardemment récupérer la Bourgogne - au nom de l’héritage de Charles le Téméraire - alors que François Ier, qui a demandé à être transféré en Espagne pour négocier directement avec son vainqueur, n’est prêt qu’à céder ses droits sur Milan et Naples. Toutes les exigences impériales sont en définitive acceptées mais, avant de signer, le roi signifie à quelques intimes qu’il ne sera pas tenu par la parole donnée, les engagements pris sous la contrainte n’ayant aucune valeur juridique. De fait, à peine libéré - après avoir livré comme convenu deux de ses fils en otages -, il tergiverse, puis refuse de respecter les clauses territoriales, arguant que « ses peuples » s’y opposent, et conclut une alliance contre Charles Quint (ligue de Cognac). La guerre malheureuse qui s’ensuit s’achève en août 1529 avec la signature de la paix des Dames, à Cambrai. L’histoire complexe de ces négociations illustre la primauté stratégique accordée à la défense du domaine royal par rapport aux conquêtes « extérieures ». Toutefois, elle constitue aussi un témoignage sur l’ambiguïté du système de valeurs qui régit les actes diplomatiques pris entre l’héritage d’une éthique féodale, fondée sur les relations personnelles, et les modernes rapports de force entre puissances. magdalénien, brillante civilisation de la fin du paléolithique supérieur (de 15 000 à 10 000 ans avant notre ère), dont date une grande partie des grottes peintes préhistoriques. Défini par Lartet lors de la fouille de l’abri
éponyme de la Madeleine à Tursac (Dordogne) à partir de 1863, le magdalénien, confiné d’abord au sud-ouest de la France et au nord de l’Espagne, s’étend ensuite à une grande partie de l’Europe occidentale et centrale - du moins dans les zones alors libres de glace. Même si ses débuts restent discutés, le magdalénien semble être une évolution locale du solutréen, qui le précède immédiatement dans sa zone d’origine. On parle d’ailleurs d’un « protomagdalénien » ou « badegoulien » pour cette période intermédiaire. La chronologie interne du magdalénien, découpée en six phases, avait d’abord été définie par l’abbé Breuil, notamment à partir de la forme des sagaies et harpons. Ce système a subi depuis lors divers remaniements, en particulier pour les périodes anciennes. C’est en tout cas à partir de ses périodes moyennes, vers 12 000 ans avant notre ère, que le magdalénien, sans doute par contacts et acculturation, voit sa culture s’étendre vers le Bassin parisien, le Benelux et le Jura, pour atteindre l’Allemagne orientale, la Moravie, la Suisse et l’Autriche. C’est aussi la période la plus brillante, à la fois dans l’outillage en os et en bois de cervidé, mais surtout dans l’art, « mobilier » (outils ornés, plaquettes gravées) et « immobilier », celui des grottes, qui connaît son apogée. Si les grottes de Lascaux ou de Pech-Merle sont en effet un peu plus anciennes, celles de Niaux, Rouffignac, des Trois-Frères, des Combarelles, de Fontde-Gaume ou d’Altamira, parmi les plus remarquables du paléolithique, datent de cette époque, qui est aussi celle où l’homme s’aventure le plus profondément sous la terre. La vie quotidienne des magdaléniens a été mise en évidence par de nombreuses fouilles, en particulier par celles de Leroi-Gourhan à Pincevent (Seine-et-Marne). En dehors des grottes, ils habitaient des campements de tentes, suivant les mammifères (rennes, chevaux, bisons) dans leurs migrations. Le magdalénien s’achève avec la fin progressive de la dernière glaciation, pour faire place, avec le mésolithique, à un certain émiettement culturel, où l’art tend à se réduire à un nombre restreint de signes schématiques. Maginot (ligne), fortification à la frontière nord-est de la France. C’est au lendemain de la Première Guerre mondiale que la France victorieuse opte pour une stratégie défensive en décidant de construire un système fortifié destiné à cou-
vrir la frontière nord-est et à assurer « l’intégrité du territoire ». Préconisé par le maréchal Pétain et le général Debeney, et approuvé par l’ensemble de l’opinion, ce projet résulte d’un évident scepticisme quant à un désarmement durable de l’Allemagne, des souvenirs de l’invasion de 1914, ainsi que des conséquences du déficit démographique dû à la guerre. En 1930, après huit années d’études, les crédits sont votés par le ministre de la Guerre André Maginot, qui donne son nom à l’ouvrage. La construction de la ligne fortifiée s’effectue en deux étapes. De 1930 à 1935, dans les régions de Metz et de la Lauter notamment, sont entrepris de gros ouvrages aux installations souterraines importantes, à l’épreuve des gaz, abritant des casernements et des réserves de vivres, d’eau et de munitions. Ces ouvrages communiquent avec des « blocs actifs » dotés d’armes automatiques, de pièces antichars, de mortiers et de canons de 75 rénovés. Certains s’étonnent cependant de l’absence d’artillerie lourde et de défense anti-aérienne. Mais, à partir de 1935, la plus grande part des crédits militaires est consacrée au développement de l’armée de l’air et des formations blindées. Aussi, la construction du système fortifié se résume-t-elle de plus en plus à des ouvrages beaucoup moins ambitieux : casemates, blocdownloadModeText.vue.download 577 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 566 khaus, en particulier en Alsace, le long du Rhin. Édifiés par une main-d’oeuvre essentiellement composée de militaires, ces ouvrages finiront par prendre le nom de « fortification camelote ». Leur construction, dans le secteur de Maubeuge ou entre Meuse et Oise, sera poursuivie jusqu’en 1939 et même pendant la « drôle de guerre ». Depuis 1940, la ligne Maginot n’a cessé d’être critiquée. Par sa logique défensive et par les crédits qu’elle a absorbés, elle apparaît comme une des causes majeures de la défaite. Il y a là une part d’exagération. Certes, l’ensemble n’est pas homogène. En juin 1940, les gros ouvrages résistent aux attaques de l’ennemi. Il n’en est pas de même des casemates construites après 1935. Les Allemands réussiront ainsi à franchir le Rhin, à traverser la plaine d’Alsace et à pénétrer dans les Vosges. En fait, la ligne Maginot a été mal utilisée, au mépris du principe de l’économie des forces. Plus de la moitié de
l’armée française est en effet alignée de Longuyon à la frontière suisse. Au lendemain de la rupture de Sedan (mai 1940), le commandement néglige d’utiliser ces troupes dans le cadre d’une puissante contre-attaque sur les arrières des forces allemandes. Erreur d’autant plus lourde que la construction de la ligne Maginot ne pouvait qu’inciter l’adversaire à concentrer ses principales forces au nord du système fortifié. Mai (1er) ! Premier Mai mai 1839 (journées des 12 et 13), tentative de soulèvement républicaine. Les sanglants échecs des insurrections improvisées de juin 1832 et d’avril 1834 conduisent les républicains Auguste Blanqui, Armand Barbès et Martin-Bernard à élaborer une stratégie nouvelle : pour renverser la monarchie de Juillet, ils planifient dans ses moindres détails un coup de force. Ils fondent à cet effet la Société des saisons, groupe clandestin dont les membres - surtout de jeunes artisans et ouvriers parisiens sont soumis à une discipline rigoureuse et à un entraînement intensif. Les conditions de la prise du pouvoir semblent réunies au printemps 1839 : le régime est fragilisé par une crise ministérielle, et les régiments casernés à Paris n’ont pas l’expérience de la guerre urbaine. Convoqués par leurs chefs au matin du 12 mai, quelques centaines de conjurés se rassemblent. Barbès dirige une colonne armée vers la préfecture de police tandis que Blanqui organise l’assaut de l’Hôtel de Ville. Leur progression est plus lente que prévu ; l’appel à la population de Paris et la proclamation d’un gouvernement provisoire rencontrent peu d’écho. La garde municipale, assistée par l’armée, bouscule les insurgés, qui résistent jusqu’à la nuit autour des rues Saint-Martin et Saint-Denis. Le maréchal Soult forme dès le lendemain un nouveau ministère, tandis que les forces de l’ordre réduisent les ultimes foyers d’agitation. Les combats font au total une centaine de victimes, dont deux tiers parmi les insurgés. Condamnés à mort, Barbès et Blanqui bénéficient d’une commutation de peine et sont enfermés au Mont-Saint-Michel. Après mai 1839, la monarchie de Juillet va connaître près de neuf ans de répit. mai 1877 (crise du 16), mémorable crise politique des débuts de la IIIe République, qui opposa le président de la République MacMahon aux républicains et permit à ces der-
niers d’imposer leur interprétation des lois constitutionnelles de 1875. Une situation propice à la crise naît de la victoire républicaine aux élections législatives de février 1876 : un président élu pour sept ans par l’Assemblée de 1871 et un Sénat conservateur se voient opposer une Chambre des députés à majorité républicaine issue du suffrage universel. Or, les lois constitutionnelles n’affirment pas clairement la prééminence de l’un ou l’autre des organes du gouvernement : le président de la République peut dissoudre la Chambre, mais les ministres sont responsables devant cette dernière. C’est la question religieuse qui crée véritablement les conditions d’un conflit ouvert. Plusieurs évêques publient des mandements invitant Mac-Mahon à s’engager en faveur du pape Pie IX. Le 4 mai 1877, Gambetta prononce à la Chambre le mot resté célèbre : « Le cléricalisme ? Voilà l’ennemi ! » Jules Simon, républicain modéré, nommé président du Conseil en remplacement de Dufaure le 13 décembre 1876, doit alors accepter le vote d’un ordre du jour qui invite le gouvernement à réprimer les manifestations ultramontaines. Le 12 mai, puis le 15, il s’incline à nouveau devant la Chambre au sujet de la publicité des séances des conseils municipaux et de l’abrogation des peines pour délits de presse. Le 16 mai, MacMahon fait parvenir à Jules Simon une lettre dans laquelle il lui demande « s’il a conservé sur la Chambre l’influence nécessaire pour faire prévaloir ses vues », ce qui entraîne la démission de celui-ci. Son remplacement par de Broglie manifeste clairement la volonté du président de ne pas s’incliner. La Chambre ayant voté un ordre du jour de défiance, MacMahon la dissout le 25 juin avec l’accord du Sénat. Pendant l’été, Mac-Mahon et Gambetta s’affrontent par discours interposés, le chef de file républicain qualifiant le 16 mai de « coup d’État » et incitant Mac-Mahon à « se soumettre ou se démettre ». Aux élections du 14 octobre, les républicains perdent 40 sièges sur les 363 qu’ils détenaient, mais restent majoritaires, malgré la pression administrative en faveur des candidats conservateurs. Le cabinet entend rester en place, mais le refus du Sénat de voter la confiance conduit de Broglie à démissionner. Après plusieurs tentatives pour nommer un ministère de son choix, Mac-Mahon cède : le 14 décembre, il rappelle le républicain Dufaure et, le 15, dans un message à la Chambre, il renonce à recourir de nouveau à la dissolution. Le régime prend définitivement une orientation parlementaire, renforcée par la
démission de Mac-Mahon, le 30 janvier 1879, et par son remplacement par Jules Grévy, qui déclare immédiatement : « Je n’entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale. » mai 1958 (crise du 13), journée insurrectionnelle des Français d’Alger qui favorise le retour du général de Gaulle au pouvoir et entraîne la chute de la IVe République. • Le coup de force d’Alger. Politiquement et moralement affaiblie par la détérioration de la situation en Algérie, la IVe République connaît une crise larvée depuis le printemps 1957. Après le bombardement par la France, le 8 février 1958, du village tunisien de Sakhiet-Sidi-Youssef, la crise devient gouvernementale : accusé de faiblesse devant les pressions américaines, le président du Conseil Félix Gaillard est renversé par le Parlement, le 15 avril. Faute de majorité stable, le président René Coty ne désigne son successeur que le 8 mai, le MRP Pierre Pflimlin, favorable à une reprise conditionnelle des négociations avec le FLN. Le débat d’investiture est fixé au 13 mai. Ce jour même, les pieds-noirs, fortement hostiles à Pierre Pflimlin, profitent d’une cérémonie d’hommage à trois militaires français exécutés par le FLN pour envahir les rues d’Alger. Il n’y a plus de véritable autorité civile en Algérie depuis le départ du ministre résidant Robert Lacoste ; quant à l’armée, elle souhaite en majorité l’avènement d’un régime fort en métropole. C’est donc sans réelle opposition que les manifestants, emmenés par Pierre Lagaillarde, s’emparent du siège du Gouvernement général. Un comité de salut public dirigé par le général Massu se met en place : il réclame la formation d’un gouvernement de salut public. À Paris, par un réflexe de défense républicaine, une majorité de députés accordent leurs suffrages à Pierre Pflimlin. • L’appel à de Gaulle. Mais, à Alger, les milieux gaullistes, prépondérants au sein des comités de salut public qui se multiplient, s’efforcent de capter le bénéfice de la crise au profit du général de Gaulle, seul capable, à leurs yeux, de sauver l’Algérie française. Le 15 mai, une étape décisive est franchie quand, sur les conseils de Léon Delbecque, le général Salan, pourtant investi des pleins pouvoirs civils et militaires, lance un appel à de Gaulle. Ce dernier, qui n’est plus intervenu publiquement depuis 1955, n’a jamais désavoué ceux qui, à Alger ou à Paris, militent en faveur de son retour. Sans avoir fait connaître précisément ses intentions sur l’Algérie, il désapprouve les institutions de la IVe Répu-
blique. Convaincu que seule une grave crise lui permettra de s’imposer aux parlementaires, il souhaite néanmoins respecter la légalité. Ainsi, il annonce « qu’il est prêt à assumer les pouvoirs de la République » (15 mai), et précise ensuite qu’il n’a pas « l’intention de commencer une carrière de dictateur à 67 ans » (19 mai). Alors que les comités de salut public préparent un débarquement militaire en métropole - le déploiement en Corse, le 24 mai, de parachutistes venus d’Alger doit être suivi du plan « résurrection » -, une partie de la classe politique engage des tractations avec le général de Gaulle. • La fin de la IVe République. Le 27 mai, ce dernier déclare « qu’il a entamé le processus régulier nécessaire à l’établissement d’un gouvernement républicain ». Le lendemain, Pierre Pflimlin démissionne, et les dirigeants downloadModeText.vue.download 578 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 567 de la gauche organisent une manifestation pour la défense de la République. Le président Coty fait alors appel « au plus illustre des Français », qui forme un gouvernement de large union auquel participent Guy Mollet et Pierre Pflimlin. Malgré l’opposition des communistes et d’une partie des socialistes et des radicaux, de Gaulle est investi par les députés le 1er juin. Son gouvernement reçoit les pouvoirs spéciaux en Algérie, les pleins pouvoirs pour six mois et la mission de réformer la Constitution. Honnie par la mémoire républicaine, la journée insurrectionnelle du 13 mai 1958 apparaît bien comme le détonateur du processus qui entraîne la chute de la IVe République et le retour du général de Gaulle aux affaires. Contesté de toutes parts, le régime a chèrement payé son incapacité à résoudre le drame algérien. Si de Gaulle n’est pas à l’origine de l’insurrection des Français d’Algérie, ses fidèles y ont pris une part active, et il a su, en bon stratège, l’exploiter à son profit. Mais, des deux projets dont le général était alors porteur - fonder un nouveau régime et sauver l’Algérie française -, seul le premier s’avérera durable. l MAI 68. « Commune juvénile », « carnaval », « répétition générale », « révolution manquée », « psychodrame », « révolution trahie », « mystère » : les qualificatifs sont légion pour caractériser la crise profonde qu’a
connue la France en mai-juin 1968. Vingt ans plus tard, les événements de 1968 sont considérés par les Français comme les plus importants depuis la Seconde Guerre mondiale. La mémoire savante a surtout retenu les conséquences culturelles du mouvement, réduit dans son appellation courante - « mai 68 » - à un seul mois. Pourtant, il faut sans doute évoquer le spectre plus large des « années 68 », ces années utopiques, pour mesurer l’ensemble et l’ampleur de ses effets. Officiellement, le mouvement est déclenché le 3 mai à 15 heures 35 minutes quand le recteur de l’académie de Paris « requiert les forces de police pour rétablir l’ordre à l’intérieur de la Sorbonne en expulsant les perturbateurs ». La requête est exécutée et provoque la première manifestation étudiante de solidarité face à la « répression » de la police parisienne : le slogan « CRS-SS » fait son apparition. La fin de la crise est parfois fixée au 30 mai, jour du discours du général de Gaulle annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale et la tenue de nouvelles élections, allocution suivie d’une manifestation massive sur les Champs-Élysées, reprise symbolique de la rue aux contestataires par une marée humaine tricolore. C’est cette chronologie que désignent les appellations courantes de « mai 68 » ou d’« événements de mai 1968 ». Sans doute faut-il attendre le second tour des élections législatives, le 30 juin 1968, et la victoire écrasante de la majorité présidentielle pour que s’achève, au moins temporairement, le processus de crise. LES PRODROMES En réalité, la contestation multiforme commence bien avant le 3 mai 1968 et se prolonge plusieurs années après le mois de juin, au cours d’une décennie marquée par une politisation croissante. La jeunesse, que scrutent des sciences sociales en plein essor, et surtout la jeunesse étudiante, apparaît comme le détonateur de la crise. Dès 1965, elle se manifeste sur deux fronts. Au nom de la liberté sexuelle, des étudiants de la résidence universitaire d’Antony occupent le bâtiment réservé aux filles pour protester contre le règlement ministériel instaurant cette séparation entre sexes. Leur exemple est bientôt suivi à Nantes, Brest et Nanterre, seule université à tenir la vedette, puisque l’un des ses étudiants, Daniel Cohn-Bendit, avait été repéré par les médias dès janvier 1968 lorsqu’il avait ironiquement interpellé le ministre de la Jeunesse et des Sports en visite sur le campus. Mais
c’est à Nantes, le 15 février 1968, que sont construites les premières barricades. Le Viêt Nam est le second front qui mobilise la jeunesse estudiantine. Des avant-gardes politisées, marxistes ou chrétiennes, se solidarisent avec les Vietnamiens qui se battent contre l’armée américaine. Si l’engagement des chrétiens est pacifiste, certaines manifestations de l’extrême gauche sont plus violentes : attaques menées contre des intérêts américains et affrontements dans la rue avec des groupes d’extrême droite favorables au gouvernement proaméricain du Viêt Nam du Sud ou avec la police. Mais les étudiants n’ont pas le monopole de la contestation. Depuis le début des années soixante, à la suite de la construction de l’Europe verte et de l’instauration de la politique agricole commune, les paysans manifestent périodiquement. En 1967, à Carcassonne, à Redon et à Quimper, des bâtiments publics sont pris d’assaut et des affrontements violents avec les forces de l’ordre se produisent. Dans certaines entreprises, la peur du chômage conjoncturel, la fermeté patronale et le blocage du pouvoir d’achat par le plan de stabilisation conduisent à des formes d’action nouvelles auxquelles les jeunes ouvriers prennent une part active, débordant parfois les directions syndicales, en particulier en province : à la Rhodiaceta-Besançon et au Mans en 1967, à Caen, Fougères et Redon au début de 1968, la hiérarchie et le travail d’usine sont remis en cause et les affrontements avec la police se multiplient ; ainsi en janvier 1968 à Caen, où jeunes ouvriers et étudiants manifestent ensemble. L’événement est largement relayé par la presse locale et nationale. Et, pourtant, l’éditorialiste du quotidien le Monde écrit le 15 mars 1968 un article devenu célèbre : « Quand la France s’ennuie ». Les propos de Pierre Viansson-Ponté ont été souvent mal interprétés : le journaliste y souligne la fragilité de certains groupes sociaux - « chômeurs, jeunes sans emploi, paysans écrasés par le progrès » - face à un pouvoir politique lointain et immobile qui, lui, s’ennuie, alors que le monde entier bouge et que la télévision française anesthésie les consciences. Cette dernière ne couvre d’ailleurs pas l’événement qui sera plus tard considéré par les analystes comme le point de départ de la crise : dans la nuit du 21 au 22 mars, 142 étudiants occupent le bâtiment administratif de la faculté de Nanterre pour protester contre l’arrestation de deux des leurs au
cours d’une manifestation antiaméricaine. Le « mouvement du 22 mars » est né. Avec son campus isolé au milieu des bidonvilles, la jeune faculté de Nanterre avait connu à l’automne des mouvements sporadiques, issus essentiellement du département de sociologie où professent, entre autres, Henri Lefebvre, Jean-François Lyotard, Alain Touraine, René Lourau et Jean Baudrillard. En novembre 1967, une grève y avait soudé une communauté contestataire de 1 000 à 2 000 personnes sur 12 000 inscrits. Les militants actifs n’étaient qu’une poignée, moins d’une centaine, mais, par leur mode d’action, à la fois humoristique et hardi, ils avaient réussi à entraîner de nombreux sympathisants. À partir du 22 mars, une escalade verbale et physique entre l’administration de l’université et les contestataires aboutit, le 2 mai, à la fermeture de la faculté et à la convocation des leaders devant les autorités académiques. Tenant meeting à la Sorbonne, le 3 mai, ils en sont chassés par la police. « Mai c’est parti », écrira dix ans plus tard Maurice Grimaud, préfet de police en charge de l’ordre dans la capitale. Quant à Georges Marchais, il dénonce dans l’Humanité du 3 mai 68 « les groupuscules gauchistes dirigés par l’anarchiste allemand Cohn-Bendit ». L’ÉTINCELLE La révolte étudiante, qui se traduit par une série de manifestations, est à l’origine du processus de mobilisation. La presse régionale et même la télévision se font l’écho des affrontements entre les jeunes et la police parisienne. Le 6 mai, et plus encore la nuit du 10 au 11 mai, appelée « nuit des barricades », provoquent un large soutien de l’opinion et font changer de position partis politiques de gauche et syndicats. Ces derniers appellent à une grève générale et à des manifestations unitaires le 13 mai, conçues au départ comme une action de solidarité ponctuelle et limitée dans le temps. Le 8 mai, le grand Ouest, de la Normandie à la Vendée, est traversé par une série de manifestations rassemblant paysans, ouvriers et étudiants pour la défense de l’emploi, pour « vivre au pays », mais aussi contre la répression policière. Le lendemain, l’usine Wisco, à Givet dans les Ardennes, est la première entreprise occupée pour que soit appliquée la convention collective des Métaux. Le gouvernement Pompidou hésite sur la conduite à tenir, tandis que de Gaulle n’intervient pas publiquement. À son retour d’Iran et d’Afghanistan le 11 mai, le Premier ministre fait un discours d’apaisement et d’ouverture en direction de cette jeunesse étudiante qu’il
juge égarée. La réponse des étudiants est l’occupation de la Sorbonne et, du 13 mai à la fin du mois de juin, se développe un vaste mouvement d’occupation de facultés et de lieux symboliques - tel l’Odéon à Paris -, où la parole devient reine. Pendant plus d’un mois, dans la plupart des universités françaises et dans certains lycées, lycéens, étudiants, enseignants et personnels administratifs, réunis en assemblées générales, discutent et élaborent de nouvelles structures de cogestion, tandis qu’une minorité préconise un changement radical de politique et de société. Mais, surtout, à partir downloadModeText.vue.download 579 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 568 du 14 mai, plusieurs entreprises sont occupées, une des premières étant Sud Aviation, près de Nantes. LA GRÈVE SE GÉNÉRALISE La grève s’étend et devient progressivement générale, paralysant l’activité du pays. Entamée dans l’Ouest et se développant à partir des bastions syndicaux que sont les usines d’automobiles et la SNCF, la grève atteint les administrations et les établissements d’enseignement à partir du 20 mai. Au plus fort de la crise, le 24 mai, il y a environ sept millions de grévistes. La France entière est paralysée ; les services publics ne fonctionnent plus ; la télévision même est entièrement en grève le 25 mai, alors qu’une poignée de journalistes non grévistes et de techniciens désignés par le comité de grève assurent la diffusion d’un journal télévisé quotidien réduit à sa plus simple expression. Les syndicats sont divisés : craignant les provocations et les contacts avec les étudiants, la CGT veut contrôler la grève. Elle délègue au Parti communiste français la gestion politique du conflit et se concentre sur le terrain revendicatif. La CFDT, méfiante à l’égard des partis, soutient les étudiants et appuie la volonté de réformes ; le 16 mai, elle publie même un communiqué proposant de remplacer les structures sclérosantes de la société par l’autogestion et appelle à l’extension de la grève et du droit syndical. Désormais, les syndicats agissent en ordre dispersé. Le 22 mai, la motion de censure de l’opposition est repoussée à l’Assemblée nationale. Le discours du général de Gaulle le 24 mai appelant à un référendum est un échec. Dans la capitale
comme en province, la soirée du 24 mai est le théâtre de violentes manifestations : à Paris, la Bourse est incendiée, un manifestant est tué plus ou moins accidentellement ; à Lyon, un commissaire de police est écrasé par un camion chargé de pierres lâché par des manifestants. La période du 25 au 30 mai représente un tournant. Le 25 mai débutent au ministère du Travail, rue de Grenelle, des négociations tripartites entre le gouvernement, les représentants des patrons et les confédérations syndicales ouvrières et enseignantes. Pompidou veut surmonter la crise par les voies classiques de la négociation, la réduisant ainsi à un simple conflit social. Le 27 mai, après des négociations parfois orageuses, un protocole d’accord est établi. Proposé aux grévistes de Renault-Billancourt, il est repoussé. L’historiographie est encore incertaine sur la position de la CGT : la confédération a-t-elle sciemment proposé le protocole aux « métallos » de Renault en sachant qu’il serait repoussé ou a-t-elle été désavouée par « la base » ? Des négociations par branche s’engagent ensuite plus ou moins difficilement. C’est en fait l’échec de la tactique pompidolienne. La politique prend alors la relève : au lendemain du meeting de Charléty, organisé le 27 mai par le PSU, l’UNEF et la CFDT, auquel participe Pierre Mendès France, François Mitterrand se déclare prêt à se présenter comme candidat à la présidence de la République en cas de vacance du pouvoir ; le 29 mai, dans une grande manifestation, le Parti communiste français met en avant, avec la CGT, le mot d’ordre de « gouvernement populaire » ; avec l’aide des Comités de défense de la République, créés le 11 mai par Jacques Baumel, Pierre Lefranc, Joseph Comiti, Charles Pasqua et Jacques Foccart pour mobiliser à droite le parti de l’ordre, les gaullistes préparent une manifestation gigantesque en réponse à celle du 13 mai. La « disparition » du général de Gaulle le 29 mai crée une incertitude. Est-il parti pour s’assurer de la fidélité des troupes françaises basées en Allemagne et placées sous le commandement du général Massu ? Ou a-t-il cédé à un découragement passager ? Les témoignages et les interprétations divergent. Quoi qu’il en soit, de Gaulle réapparaît le 30 mai, bien déterminé à reprendre le contrôle de la situation. Son discours, prononcé à la radio, qui se fait l’écho des souvenirs tragiques de 1940 et de l’Algérie, est bref, lu sur un ton ferme : la dissolution de l’Assemblée et de nouvelles élections sont annoncées. Prévu à 20 h, il est avancé à 16 h 30 pour la bonne marche de
la manifestation qui semble une réaction à ce discours. Une marée humaine envahit les Champs-Élysées, reprenant symboliquement la rue aux contestataires, les drapeaux tricolores, la Marseillaise et le « V » de la victoire remplaçant les drapeaux rouges et noirs, les poings levés et l’Internationale. L’unité de la nation et de la patrie est affirmée autour de son chef et des institutions de la République. Dans la France entière, des manifestations semblables ont lieu les jours suivants pour prouver l’existence d’une majorité qui ne se reconnaît pas dans les « enragés » qui ont tenu le haut du pavé pendant un mois. Tous les partis politiques, de la gauche à la droite, acceptent la résolution de la crise par les élections et préparent la campagne électorale. Les syndicats négocient branche par branche des avantages parfois supérieurs à ce qui avait été proposé à Grenelle. Mais, si la reprise du travail s’accélère à partir du 5 juin, des bastions subsistent : c’est le cas de la métallurgie, de la construction automobile, de la chimie. De nouvelles violences ont lieu autour de Renault-Flins (où un lycéen poursuivi par la police se noie) et à Peugeot-Sochaux : les affrontements avec gardes mobiles et CRS font deux morts chez les ouvriers le 11 juin. Quant aux journalistes de télévision, ils poursuivent leur grève jusqu’à la mi-juillet. Les « élections de la peur » du 23 et du 30 juin manifestent une adhésion populaire au régime. La contestation semble morte et la victoire du général de Gaulle, éclatante. Le président de la République remplace d’ailleurs son Premier ministre Georges Pompidou, coupable à ses yeux d’avoir pris une place jugée trop importante dans le règlement de la crise, et s’apprête, d’après sa propre boutade, « à faire une politique PSU avec une assemblée PSF ». Cette victoire n’est qu’apparente : en avril 1969, une majorité rejette par référendum la réforme des institutions proposée par de Gaulle, qui démissionne comme il s’était engagé à le faire en cas d’échec, laissant le champ libre à Georges Pompidou. DE « MAI 68 » AUX « ANNÉES 68 » Les déterminations des manifestants et des grévistes de mai-juin 1968 ont été multiples et leurs implications dans les événements, diverses. Il n’ y a pas - bien que le concept de génération ait connu une fortune ultérieure d’expérience générationnelle commune, même si un fil conducteur - la contestation de l’autorité et de la hiérarchie - se retrouve dans
les différents mouvements dont les chronologies se juxtaposent, sans se succéder ou s’entrecroiser : on ne peut sans doute pas parler d’une évolution qui irait de la crise étudiante (jusqu’au 13 mai) à la crise sociale, puis à la crise politique (à partir du 27 mai), puisque ces différentes phases sont étroitement imbriquées. De ce fait, ce fil conducteur explique que, si la dénomination « mai 68 » réduit la période à celle où l’État a chancelé, et si la crise elle-même se limite aux mois de mai et juin 1968, une contestation rampante, multiforme, et parfois violente, se déploie pendant une longue décennie, « les années 68 », et ne s’éteindra véritablement qu’avec l’alternance politique de 1981 et la fin des utopies. Plusieurs exemples illustrent cette perpétuation de la contestation. Ainsi, toutes ces années dans les lycées et les universités, ont été rythmées par les grèves et les établissements secondaires ont connu une mutation ; par ses actions spectaculaires en faveur de la liberté de la contraception et de l’avortement, le Mouvement de libération des femmes, né publiquement en 1970, a précipité - y compris sur le plan législatif (loi Veil de 1975) - des évolutions antérieures ; les grèves nombreuses des ouvriers spécialisés (OS) - français et immigrés - dans les usines ont perduré, même après le déclenchement de la crise économique mondiale, et ont abouti à une transformation de l’organisation du travail (robotisation des usines de construction automobile par exemple) ; enfin, les revendications régionalistes bretonnes, corses ou occitanes ont en partie suscité l’élaboration de la loi de régionalisation de 1982. On ne peut cependant occulter la part de l’accidentel et la profondeur de la crise même de mai-juin 1968 : le pays s’est divisé, l’unité nationale a semblé être remise en cause, l’État a paru un temps vaciller ou hésiter, les fractures du passé ont été réouvertes à divers titres. Cette faille dans le corps social et dans la nation explique sans doute la référence récurrente à 68 dès qu’une grève ou une manifestation prennent de l’ampleur. Le mouvement social des mois de novembre-décembre 1995 en témoigne. Les événements de mai 68 n’ont en effet jamais disparu des références politiques ou médiatiques. Ils ont été l’objet de célébrations régulières, en particulier à la télévision. Pierre Nora est allé jusqu’à écrire, dans la conclusion des Lieux de mémoire, que « l’événement n’a de sens que commémoratif ». Cette appréciation pose la question des processus par lesquels se constitue la mémoire historique d’un événement et quelles fonc-
tions remplissent les commémorations. En effet, les représentations les plus courantes, dans la presse ou à la télévision, réduisent mai 68 à une révolte étudiante au Quartier latin et aux affrontements, sans réelle gravité, avec la police. Ces mêmes étudiants auraient ultérieurement poursuivi leur carrière et acquis des postes de responsabilité. Une représentation confortée par les témoignages d’acteurs vedettes qui racontent avec délectation leur downloadModeText.vue.download 580 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 569 jeunesse frondeuse et leurs illusions perdues, ce qu’un historien, Jean-Pierre Rioux, a appelé « la pavane de la génération ». La notion de génération - largement « mythique » (JeanFrançois Sirinelli) - s’est généralisée en 1986 après les grèves étudiantes et a été reprise dans la propagande socialiste (« la génération Mitterrand »), 1988 marquant l’apogée de sa diffusion. Pourtant, des enquêtes d’opinion montrent que, vingt ans après, le souvenir le plus marquant que les Français gardent de la crise de mai-juin 1968 est, loin devant les manifestations parisiennes, celui de la grève générale. C’est sans doute parce que cette dernière a paralysé un temps le pays, provoqué une rupture dans la vie quotidienne de tous, fragilisé l’unité de la nation et fait chanceler l’État que l’événement conserve une si grande place dans la mémoire collective. mai-juin 1793 (journées des 31 mai et 2 juin 1793), insurrection révolutionnaire parisienne à l’issue de laquelle les députés girondins sont arrêtés, assurant ainsi la domination des montagnards. Cet épisode - tournant politique majeur de la Révolution - met un terme à la rivalité entre brissotins et robespierristes pour contrôler la Convention nationale, dans laquelle aucun des deux partis n’a la majorité. Il survient après des mois de duel politique entre Brissot, légaliste et soucieux de terminer la Révolution, et Robespierre, partisan d’une alliance avec le mouvement populaire. Ces deux stratégies s’affrontent au printemps 1793, lorsque le soulèvement de la Vendée, les revers militaires devant les Autrichiens et la trahison du général Dumouriez, mais aussi la hausse des prix, discréditent la politique des girondins et provoquent un regain d’effervescence. Tandis que, à l’initiative des montagnards,
les premières mesures de Terreur politique et économique sont votées à la Convention, les girondins, qui s’y opposent et sont inquiets de la subversion sociale, poursuivent leur combat contre la Commune de Paris, et notamment contre Marat : ils obtiennent l’arrestation de ce dernier (12 avril), qui est néanmoins acquitté par le Tribunal révolutionnaire (24 avril). Brissot et ses amis précipitent alors la crise en faisant décréter la création d’une « commission des Douze », chargée d’enquêter sur les actes de la Commune (18 mai) et qui fait arrêter Hébert, Varlet, puis d’autres militants populaires. Aussitôt, le conseil général de la Commune réclame à la Convention leur libération (25 mai), tandis que le Club des jacobins se rallie à la motion de Robespierre, appelle le peuple à l’insurrection (26 mai), mais laisse l’initiative aux sections parisiennes et à la Commune. Malgré la libération d’Hébert et de ses compagnons (28 mai), un comité central révolutionnaire est formé, composé de commissaires de 33 sections (sur 48), de membres de la Commune et du département, et prépare l’insurrection contre la Convention. La manifestation du 31 mai est un échec, la Convention n’acceptant que la dissolution de la « commission des Douze », alors que les pétitionnaires demandent une épuration politique et l’application d’un programme révolutionnaire. Aussi, le 2 juin, fortes de 150 canons et 80 000 hommes de la Garde nationale commandée par Hanriot, les sections cernent la Convention et exigent l’arrestation des principaux chefs girondins. L’Assemblée est alors contrainte, après avoir tenté une sortie, de voter l’arrestation de 29 députés et anciens ministres, dont Brissot, Roland, Vergniaud, Clavière, Barbaroux, Pétion et Buzot. Consignés chez eux, certains s’échappent et organisent la révolte dans les départements (fédéralisme), en dénonçant le coup d’État contre la représentation nationale. Maillotins de Paris (révolte des), émeute qui éclate le 1er mars 1382, lorsque les fermiers commencent à prélever les aides à Paris. Le « gouvernement des ducs » a en effet rétabli cet impôt, que le roi Charles V avait promis de supprimer en 1380, à la veille de sa mort. Dans les premiers jours de mars, l’insurrection s’étend très rapidement à toute la ville de Paris ; les émeutiers s’emparent de maillets de plomb conservés à l’Hôtel de Ville, c’est pourquoi ils reçoivent le nom de « maillets » ou « maillotins ». Pendant près de deux semaines, ils pillent et brûlent les
hôtels de la bourgeoisie parisienne, des marchands et des changeurs. Le 13 mars, après des négociations entre les ducs et des notables parisiens, une amnistie générale est proclamée, mais quelques émeutiers sont exécutés. Ce n’est que six mois plus tard, après avoir sévèrement réprimé la Harelle de Rouen et vaincu les Flamands à Rozebeke, que le gouvernement punit les Parisiens pour s’être révoltés. Plusieurs dizaines d’émeutiers sont pendus ; parmi eux figurent des notables qui avaient tenté de retarder la levée des aides. Le gouvernement impose aussi une amende à la population et supprime une institution essentielle, la prévôté des marchands, une municipalité qui représente la bourgeoisie (et qui est restaurée en 1412). La révolte des Maillotins s’inscrit dans un très large contexte de révoltes urbaines, en France (harelle de Rouen), en Italie (les ciompi) et en Angleterre, dans les années 1378-1382. Maintenon (Françoise d’Aubigné, marquise de), épouse morganatique de Louis XIV (Niort 1635 - Saint-Cyr 1719). Petite-fille du poète protestant Agrippa d’Aubigné, elle naît en prison, où son père avait été incarcéré pour meurtre. Élevée par une tante, elle suit ses parents aux Antilles en 1644 mais, les entreprises de son père ayant échoué, elle n’en revient en 1647 que pour être éloignée de ses proches et confiée aux ursulines, à Niort, puis à Paris. Pour gagner sa liberté, elle épouse à 17 ans Scarron, de vingt-cinq ans son aîné, poète infirme et pauvre, mais spirituel. L’intelligence et la beauté de Mme Scarron font de leur appartement du Marais le rendez-vous des gens de lettres - Saint-Amant et Ménage, les Scudéry -, mais aussi de courtisanes, telle Ninon de Lenclos, ou de grands seigneurs libertins. Veuve à 24 ans, Françoise obtient une pension d’Anne d’Autriche, protectrice de son défunt mari. En 1670, Mme de Montespan fait d’elle la gouvernante de ses enfants, bâtards du roi Louis XIV. Établie à la cour en 1673, elle attire l’attention du souverain, sait ne pas lui céder trop vite, et surtout lui offre « le commerce de l’amitié et de la conversation sans contrainte et sans chicane » (Mme de Sévigné). Quand l’affaire des Poisons sonne le glas de l’altière Montespan, la veuve Scarron, pourvue du marquisat de Maintenon, écarte définitivement ses rivales. À la mort de la reine Marie-Thérèse (30 juillet 1683), Louis XIV l’épouse secrètement (probablement en octobre), à la grande fureur de Louvois. Madame
de « Maintenant » marque la cour de son empreinte : détestée par la famille royale, elle vit dans l’intimité du roi, qui travaille le soir avec ses ministres en sa présence et demande conseil à celle qu’il appelle « Votre Solidité ». Ostensiblement dévote, elle rappelle le roi à ses devoirs religieux. Si elle est ce « canal des grâces », favorisant le clan Colbert ou le maréchal de Villars, son influence sur la politique générale est plus incertaine. Elle se réjouit de la révocation de l’édit de Nantes, même si elle n’y a pas pris part. Proche de Fénelon, elle doit cependant s’en éloigner lorsque ce dernier, partisan du quiétisme, essuie les foudres de l’Église. Pacifiste, elle se montre soucieuse des souffrances du peuple lors de la guerre de la Succession d’Espagne, mais n’infléchit aucune des décisions du roi. De même, si elle soutient le duc du Maine, aîné des bâtards de Mme de Montespan, elle ne réusssit pas à écarter le duc d’Orléans de la régence. Après la mort de Louis XIV, elle se retire dans l’institution pour filles nobles et pauvres qu’en souvenir de sa jeunesse elle a fondée à SaintCyr, en 1686. maires du palais. À l’origine (Ve et VIe siècles), le major domus - qui, en français, a donné « majordome » - est le chef d’un domaine qui n’est pas exploité directement par son propriétaire. Chaque aristocrate important de la Gaule mérovingienne en possède au moins un à son service. À la cour royale, le maire du palais est désigné par les termes major domus regiae ou major palatii. Nommé par le souverain, il est d’abord un simple officier de la Maison du roi, et règle tout ce qui concerne la vie matérielle du palais. Au cours du VIIe siècle, en raison de la très forte privatisation du pouvoir et des nombreux partages successoraux qui marquent la période mérovingienne, ainsi que des fréquentes guerres civiles et régences imposées par la minorité des rois, il devient progressivement le seul agent permanent de l’administration. Il assure donc, plus que le roi, la continuité du pouvoir. Veillant au domaine royal, il fait également lever l’impôt, préside le tribunal royal et commande l’armée, ce qui lui confère la quasi-totalité des pouvoirs régaliens. Du fait de son incontestable prestige, cette fonction de vice-roi (subregalus) est de plus en plus soumise au contrôle de la haute aristocratie des trois royaumes francs d’Austrasie, de Neustrie et de Bourgogne. Les maires du palais deviennent les représentants et les porte-parole de groupes de pression à tendance souvent régionaliste, et forment rapidement de véritables dynasties sur les-
quelles les rois n’ont plus guère de prise. downloadModeText.vue.download 581 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 570 Après le règne de Dagobert (629/639), on assiste surtout à une lutte entre les maires du palais d’Austrasie et de Neustrie. Pépin de Herstal triomphe des Neustriens à Tertry en 687 ; devenu maire du palais d’Austrasie et de Neustrie, il se proclame prince des Francs. À partir de cette époque, c’est donc le major domus qui gouverne la Gaule : il fait et défait les rois, qui règnent mais ne gouvernent plus. Charles Martel, fils bâtard de Pépin de Herstal, renforce le prestige de sa famille - les Pippinides -, entre 714 et 741, grâce à ses nombreuses victoires militaires (telle celle de Poitiers, en 732), et prépare le « coup d’État » de son fils Pépin le Bref. Celui-ci, en 751, détrône le dernier Mérovingien, Childéric III, et se fait reconnaître roi par les grands du royaume à Soissons, avant de se faire sacrer par Boniface, évêque envoyé par le pape. Le sacre est confirmé et conféré par le pontife lui-même, pour Pépin et ses fils (Charles et Carloman), à Saint-Denis en 754. À la « race » du sang sacré succède la « race » sacrée par l’onction. Une dynastie est née, issue d’une famille de maires du palais : les Carolingiens. Le remplacement des descendants de Mérovée par des maires du palais est le symbole de la forte privatisation du pouvoir dans les premiers siècles médiévaux puisque le chef des affaires privées du prince prend tellement d’importance qu’il finit par devenir le premier personnage de l’État. Maison du roi, ensemble des personnes affectées au service domestique du roi et de sa famille. Héritière de l’Hôtel du roi, la Maison du roi prend corps véritablement au début du XVIe siècle, lorsque, au retour des guerres d’Italie, les Valois donnent à leur cour un éclat jusqu’alors inconnu : les dépenses de la Maison bondissent de 200 000 livres à 1 000 000 de livres entre 1485 et 1518, tandis que le nombre des officiers passe de 366 en 1495 à 540 en 1523, pour atteindre 1 096 en 1584. À la maison civile s’ajoutent la maison militaire, ainsi que les maisons de la reine, des enfants de France et des princes du sang (ainsi, le duc d’Alençon, frère d’Henri III, disposet-il de près de 1 000 personnes). Lorsqu’elle
atteint son plein développement, sous le règne de Louis XIV et de Louis XV, la seule Maison civile du roi comporte 22 départements, emploie plusieurs milliers d’officiers, sans compter le « petit personnel », et représente une dépense annuelle de plus de 30 millions de livres. • Organisation et fonctions. La Maison du roi est placée sous l’autorité du grand maître de France, qui a rang de grand officier de la couronne. Cette charge prestigieuse est confiée aux plus grandes familles : au connétable de Montmorency de 1526 à 1559, puis aux Guises, plus tard aux Condé. Le grand maître, qui reçoit le serment des officiers de la Maison, supervise l’ensemble des services, dont l’organisation est toujours demeurée souple. La Bouche du roi, dirigée par le premier maître d’hôtel, regroupe tous les offices qui concourent au service de la table royale (paneterie, échansonnerie, fruiterie). La Chambre du roi est placée sous les ordres du grand chambellan, qui commande à une armée de gentilshommes de la chambre, de valets de chambre, de pages, d’huissiers ; à la Chambre sont rattachés la garde-robe, la faculté (médecins et chirurgiens du roi), le cabinet (correspondance, bibliothèque, antiquités). L’Écurie, qui gère les équipages, est confiée au grand écuyer, promu grand officier de la couronne sous le règne d’Henri IV. Les Chasses comprennent la vénerie, la fauconnerie, la louveterie, les toiles (filets à gibier). La Chapelle organise le culte à la cour, sous la responsabilité du grand aumônier de France, qui, en outre, a juridiction sur tous les établissements de charité du royaume. Citons encore les Cérémonies (organisation des cérémonials monarchiques), les Logements et Bâtiments (occupation des locaux), la Musique (musique de la Chambre, de la Chapelle et de l’Écurie), les Menus-Plaisirs (distractions de la cour). La maison militaire est un ensemble assez hétérogène composé de corps inégalement prestigieux (la Garde du corps, gardes-suisses, chevau-légers, mousquetaires, grenadiers, gardes-françaises, la Gendarmerie du roi), qui, sous le règne de Louis XIV, constituent une véritable armée de plus de 10 000 hommes. Outre la protection du souverain et de son entourage (« garde du dedans »), elle a en charge la police de Paris (gardes-françaises), et joue le rôle d’école militaire. • Des offices convoités et critiqués. Les offices de la Maison du roi sont très recherchés, en raison de la proximité avec le sou-
verain et des avantages qui leur sont attachés (gratifications, exemptions fiscales, privilèges judiciaires, anoblissement dans certains cas). Les plus importants d’entre eux sont pourvus directement par le roi, qui en use comme d’une arme pour domestiquer la noblesse. Ces offices sont à la discrétion du souverain, et sont censés échapper à la vénalité et à l’hérédité. Mais toutes sortes de dérogations permettent à leurs titulaires de les transmettre à leur guise. L’ensemble de la Maison finit par constituer un organisme pléthorique, dont le coût total atteint 42 millions de livres à la fin de l’Ancien Régime. Les souverains tentent parfois d’en enrayer la croissance, le plus souvent en vain. Mais la crise financière du XVIIIe siècle et les critiques de plus en plus véhémentes contre la cour conduisent Louis XV et Louis XVI à opérer des « retranchements » : le comte de SaintGermain diminue les effectifs de la Maison militaire en 1775 ; Necker supprime 406 offices de bouche en 1780. Néanmoins, ces mesures, qui mécontentent la noblesse, ne désarment pas les critiques : la dénonciation des abus de la cour, « gouffre de la nation » (6,63 % des dépenses de l’État en 1788), a été, avec le succès que l’on sait, un cheval de bataille contre la monarchie d’Ancien Régime. maisons closes. Au XIXe siècle, parallèlement à un accroissement quantitatif de la prostitution, qui pourrait concerner plusieurs dizaines de milliers de femmes en France sans qu’il soit possible d’en évaluer précisément le chiffre, les maisons closes connaissent une mutation importante. Jusqu’au milieu du siècle, dans les « salons de grande tolérance », les maisons dites « de quartier » ou les « maisons à estaminets », lieux d’enfermement hiérarchisés en fonction de la clientèle à laquelle ils s’adressent, les prostituées appartiennent à un « peuple à part », extrêmement diversifié, peu visible, mais suffisamment inquiétant pour inspirer à Parent-Duchâtelet, en 1836, un vaste projet réglementariste. Marginalisé, le bordel est alors un lieu d’initiation et de consommation sexuelles fréquenté par les célibataires, les travailleurs non sédentaires, les étudiants ou les soldats, et tous ceux que leur instabilité ou leur pauvreté condamnent à ce type de sexualité. Or, vers la fin du Second Empire, la prostitution bourgeoise connaît son âge d’or. À l’évolution des cadres sociaux - mutation des paysages urbains, intégration familiale des ouvriers, embourgeoisement de la clien-
tèle - répondent de nouvelles sensibilités. Le bordel voit sa fonction de lieu de sociabilité renforcée : en province, la maison close joue le rôle d’un cercle de notables, comme le suggère la description qu’en donne Maupassant dans la Maison Tellier (1882) ; à Paris, le luxe de l’ornementation dans les salons de grande tolérance (miroirs, draperies...) traduit l’essor d’un érotisme raffiné. Le modèle de l’intimité bourgeoise façonne jusqu’aux relations qu’entretiennent le client et la prostituée, les « filles de noce » (Alain Corbin) se devant aussi de jouer le jeu de la séduction. Pour autant, enregistrées auprès de la préfecture de police, puis inscrites sur le registre du bordel par la maîtresse de maison, contraintes de reverser leurs gains à la propriétaire, sans aucune vie privée, les prostituées restent des filles soumises. Peu à peu, cependant, les tenancières transforment leurs établissements en maisons de rendez-vous ou en hôtels de passe : les prostituées gagnent alors en indépendance financière. À partir des années 1930, les maisons closes se font plus rares. C’est donc une « institution » largement déclinante que la loi du 13 avril 1946, dite « loi Marthe-Richard », vient démanteler juridiquement. Maistre (Joseph, comte de), homme politique et écrivain (Chambéry 1753 - Turin 1821). Issu d’une famille de noblesse récente (1783), né en Savoie et, donc, sujet du roi de PiémontSardaigne, il fait ses études à la faculté de droit de Turin. Durant ses années de formation, il se montre profondément catholique, mais joue aussi un rôle important dans la franc-maçonnerie savoisienne. Il est très vite hostile à la Révolution et au principe d’une Déclaration des droits de l’homme (« Il n’y a point d’homme dans le monde, [mais] des Français, des Italiens, des Russes, etc. »), la lecture des Réflexions sur la Révolution en France de l’Anglais Burke le confortant dans ses idées antidémocratiques et antigallicanes. Il devient un ennemi actif de la Révolution à partir de 1792, lorsque, la guerre déclarée, les armées françaises envahissent la Savoie. En 1793, il s’installe à Lausanne et prépare, comme agent du roi de Sardaigne, des insurrections contrerévolutionnaires. Son activité est à la fois politique et littéraire. Il écrit alors son oeuvre majeure, Considérations sur la France : l’ouvrage, publié à downloadModeText.vue.download 582 sur 975
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Neuchâtel en 1796, puis à Londres en 1797, fait de lui le théoricien de la Contre-Révolution qui influence fortement les milieux de l’émigration. Joseph de Maistre y livre une lecture de la Révolution française marquée par le providentialisme, c’est-à-dire dirigée par la Providence, dont « l’action supérieure se substitue à celle de l’homme ». La Révolution y est analysée comme la sanction de la décadence morale et religieuse, travaillant finalement pour la monarchie : « Il fallait que la grande épuration s’accomplît », que la France parvînt épurée entre les mains du futur roi. Le châtiment divin montre ainsi la voie. Pour Maistre, l’homme ne peut s’ériger en législateur au nom de principes politiques universels conçus par lui-même ; seule la religion est fondatrice. Aussi appelle-t-il de ses voeux un régime théocratique dont l’instrument, la « ContreRévolution voulue par Dieu », doit assurer le triomphe du christianisme. En 1798, il retourne en Italie, puis il représente le roi de Sardaigne auprès du tsar à Saint-Pétersbourg, de 1802 à 1817. Il appronfondit ses réflexions dans l’Essai sur le principe générateur des constitutions politiques (publié en 1814) et dans Du pape (1819), un ouvrage qui fait l’apologie de la théocratie pontificale, et dans lequel puisera l’Église française ultramontaine du XIXe siècle. Déçu par une Restauration qui accepte la Charte constitutionnelle, il se retire et n’occupe plus que des fonctions secondaires. maîtresses du roi. De la comtesse de Châteaubriant sous le règne de François Ier à la comtesse du Barry sous celui de Louis XV, la faveur dont jouissent les maîtresses royales s’inscrit dans l’essor d’une monarchie française absolutiste, où seuls règnent les hommes. La maîtresse attitrée du roi fait son apparition avec Agnès Sorel, distinguée par Charles VII, mais ce n’est qu’au siècle suivant que la tradition se forge. En effet, la cour médiévale, très masculine et à laquelle est officiellement attaché un bordel (supprimé sous François Ier), se féminise à la fin du XVe siècle sous l’effet de l’italianisation des moeurs et de l’acclimatation à la cour de France, par la reine Anne de Bretagne, de suites féminines nombreuses. Composées de dames nobles attachées au service des princesses, ces assemblées constituent une sorte de sérail royal. Au XVIIIe siècle, en sortant de ce cadre et en intronisant la Pompadour, une riche roturière, puis la du Barry, courtisane notoire, Louis XV provoquera l’ire de la cour. À l’âge classique, la théorie des « deux
corps du roi » s’incarne dans le concubinage adultère, donc chrétiennement pécheur, du souverain. Son corps mystique (le principe royal) est transmis par le sacre, grâce à la descendance dynastique assurée par l’union avec l’épouse (la reine). Le corps charnel du roi, gouverné par des appétits et des sentiments chan-geants, fait choix de maîtresses dont la position sociale demeure donc instable : seules se maintiennent en grâce les talentueuses opiniâtres, habiles médiatrices des faveurs royales, élevées au rang de « favorites ». Aucune d’entre elles n’est cependant devenue l’épouse du roi, à l’exception de la marquise de Maintenon, avec laquelle Louis XIV se marie secrètement après la mort de Marie-Thérèse d’Autriche. L’adultère royal peut se muer en une sorte de polygamie si la maîtresse reçoit, telle Gabrielle d’Estrées, les honneurs dus à la reine, et si sa progéniture est légitimée, voire, sous le règne de Louis XIV, unie aux héritiers de souche. Les bâtards mâles reconnus sont, au XVIIe siècle, un ferment de troubles, par leurs menées contre l’État (le comte de Clermont, fils de Marie Touchet et Charles IX ; les Vendôme, lignée issue des amours de Gabrielle d’Estrées et d’Henri IV), puis par le désordre que leur présence introduit dans le principe dynastique lorsque Louis XIV fait droit à sa succession aux deux fils de la marquise de Montespan. Cependant, très rares sont les maîtresses qui, telle Diane de Poitiers, distinguée par le roi Henri II, ou la Pompadour, réussissent à participer aux affaires politiques. Jeunes, séduisantes et gaies par définition, elles dominent en revanche les fêtes, inspirent et protègent les artistes, suscitent ou consacrent les modes. Si leurs dépenses personnelles coûtent peu au Trésor, leur éclat et la réputation de prodigalité qui les entoure font d’elles de commodes boucs émissaires. Les quatre derniers rois français, de Louis XVI à Louis-Philippe, n’ont, quant à eux, pas élu de maîtresse officielle. Malebranche (Nicolas de), philosophe et théologien (Paris 1638 - id. 1715). Issu d’une famille de parlementaires, Malebranche entre en 1660 dans la congrégation de l’Oratoire. Ordonné prêtre en 1664, il découvre avec enthousiasme la philosophie de Descartes la même année. Cette rencontre décide de sa vocation. Dès ces années de formation, son dessein est de fonder une philosophie chrétienne où intelligence et foi puissent coïncider : il entend concilier cartésianisme et
augustinisme. En 1674 et 1675, il publie De la recherche de la vérité, dont les deux volumes connaissent un vif succès. Mais ce n’est qu’en 1680 que la publication de son Traité de la nature et de la grâce fait apparaître le « malebranchisme » comme une doctrine dotée d’une unité systématique : cette philosophie, souvent nommée « occasionnalisme », développe l’idée que Dieu seul est cause efficiente des mouvements et que les phénomènes que nous percevons comme causes ne sont jamais que des occasions de son action ; cette dernière s’exerce selon des lois universelles qui donnent au projet scientifique sa légitimité et sa fécondité. L’occasionnalisme se prolonge dans la théorie de la vision en Dieu : entièrement dépendante de la puissance divine, l’âme voit « en Dieu » les idées que Descartes a qualifiées de « claires et distinctes ». En 1683 paraissent les Méditations chrétiennes et métaphysiques, suivies du Traité de morale et, en 1688, des Entretiens sur la métaphysique et la religion, que Malebranche considère comme le couronnement de sa réflexion philosophique. Jusqu’à la fin de sa vie, Malebranche continuera d’écrire et surtout de répondre à ses contradicteurs. Sa doctrine, dont la renommée s’est rapidement étendue à toute l’Europe - « il y avait partout des malebranchistes fervents », dira Sainte-Beuve dans Port-Royal -, a en effet déchaîné des polémiques passionnées, et été la cible des feux conjugués des jésuites, d’Arnauld, de Bossuet et Fénelon. Si différentes qu’aient pu être ces attaques, elles témoignent toutes de la difficulté à accepter la synthèse du cartésianisme et de la théologie chrétienne. Théologien et métaphysicien, Malebranche s’est également passionné pour les sciences naturelles et les mathématiques. Entretenant des relations épistolaires avec Leibniz pendant plusieurs années, il entre comme membre honoraire à l’Académie des sciences en 1699, où il intervint fréquemment pour imposer - avec succès - le calcul infinitésimal. Malesherbes (Chrétien Guillaume de Lamoignon de), magistrat et ministre, (Paris 1721 - id. 1794). Premier président de la Cour des aides, directeur de la Librairie (1750), membre de l’Académie française (1774), secrétaire d’État à la Maison du roi (juillet 1775), ministre d’État (1788), Malesherbes connaît toutefois une carrière fort discontinue, entrecoupée de deux disgrâces : entre 1771 et 1774 et entre 1776 et 1788.
Fils du chancelier Guillaume de Lamoignon, il est le dernier descendant d’une famille typique de grands robins parisiens, riches et cultivés et nobles depuis peu (1543). Très tôt, il s’impose comme un parlementaire fidèle à la tradition libérale de sa lignée : il adoucit la censure et favorise l’Encyclopédie. Mais, taxé d’avoir peut-être composé les remontrances du 17 février 1771 contre les nouveaux impôts et les mesures prises contre les parlements par Maupeou, il est éloigné de Paris jusqu’à la mort de Louis XV. Rentré en grâce sous Louis XVI (1775), il améliore le régime des prisons et limite l’usage des lettres de cachet. Mais les courtisans, mécontents des restrictions budgétaires de Turgot, obtiennent la démission des deux hommes (mai 1776). Malesherbes - dont l’ancêtre Potier d’Ocquerre était mort en assiégant La Rochelle (1628) et dont le grand-oncle Basville avait persécuté les camisards -, se met alors à rédiger un Mémoire sur le mariage des protestants (1785), et ouvre ainsi la voie au rétablissement de leur état civil (1787). Rappelé au pouvoir en 1788, il propose des réformes. En vain. Il goûte alors un véritable bonheur familial « au milieu de ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants » chez lesquels Chateaubriand le voit souvent « jeter sa perruque, se coucher sur le tapis de la chambre et se laisser lutiner avec un tapage affreux par les enfants ameutés ». Mais la Révolution éclate. Il émigre mais rentre en juillet 1792. En décembre, avec Tronchet et de Sèze, il se porte volontaire pour assurer la défense du roi et publie même un Mémoire pour Louis XVI. Face à Louis XIV, son bisaïeul n’avait pu sauver Fouquet (1662) ; face à la Convention, il ne peut sauver Capet. Arrêté, il monte à l’échafaud à 73 ans, accompagné d’une partie des siens. Chateaubriand conclut au sujet du vieillard, jadis féru de botanique et de géographie, et naguère « tout échauffé de politique » : « Les flots de la Révolution le débordèrent, et sa mort a fait sa gloire. » Malet (Claude François de), général (Dole, Jura, 1754 - Paris 1812). downloadModeText.vue.download 583 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 572 De petite noblesse mais républicain, ce militaire rallié à la Révolution doit sa notoriété à la conspiration de 1812, qu’il fomente contre l’Empire et qui porte son nom. Général en 1799, gouverneur de Rome en 1806, destitué pour malversation (1807), il met sur pied,
avec d’anciens jacobins et des généraux disgraciés, un premier complot visant à renverser la dictature ; mais, découvert, il est arrêté en juin 1808, puis interné dans une maison de santé (1810). Si les mobiles de cet officier impulsif sont certainement d’ordre personnel, le coup d’État qu’il tente en 1812 revêt une grave signification. Dans la nuit du 22 au 23 octobre 1812, profitant de l’absence de l’Empereur, qui mène alors la désastreuse campagne de Russie, Malet et quelques comparses républicains et royalistes se rendent maîtres de la capitale en annonçant la mort de Napoléon et en se présentant comme les membres d’un gouvernement provisoire. Les conjurés parviennent à convaincre le commandant de la caserne Popincourt et le préfet de la Seine, libèrent divers officiers opposants, et font arrêter et remplacer Savary, ministre de la Police, ainsi que le préfet de police. Mais ils ne réussissent pas à persuader le général Hulin, gouverneur de la place de Paris, de la mort de l’Empereur, et sont arrêtés à l’état-major. Bientôt jugés, Malet et ses complices sont fusillés le 29 octobre. Cette affaire révèle la précarité de la dynastie - personne n’a songé à proclamer le roi de Rome empereur et Marie-Louise régente - et la fragilité de l’État napoléonien. malgré-nous (les), Alsaciens-Lorrains incorporés de force dans la Wehrmacht au cours de la Seconde Guerre mondiale. Près de 130 000 hommes sont concernés. Livrée à l’Allemagne par l’armistice de juin 1940, l’Alsace-Lorraine est réticente à la germanisation imposée par le Gauleiter nazi, qui souhaite, en outre, la faire participer à l’effort de guerre. L’appel à l’engagement volontaire rencontrant peu d’écho, un décret pris le 25 août 1942 ordonne la mobilisation de tous les jeunes Alsaciens-Lorrains dans la Wehrmacht. Cette décision, qui ne suscite aucune réaction de la part du gouvernement de Vichy, encourage la désertion et provoque une multitude d’actes de résistance. Les nazis emploient alors la répression, déplaçant les familles des réfractaires, internant les réticents au camp de Schirmeck, exécutant les déserteurs. Considérés comme peu sûrs, les bataillons d’Alsaciens-Lorrains sont généralement envoyés sur le front de l’Est, où les combats sont très durs. Mal accueillis lors de leur démobilisation, les « malgré-nous » - qui comptent 25 000 morts, 22 000 disparus et 10 000 blessés - supportent mal les accusations de collaboration qui leur sont portées, alors qu’ils s’estiment victimes de l’histoire.
L’incompréhension culmine au moment du procès d’Oradour, où 12 d’entre eux sont condamnés. L’Alsace-Lorraine est alors unanime à réclamer leur amnistie comme un symbole du retour fraternel des « provinces » dans la nation. Plus d’une génération d’Alsaciens-Lorrains, suspectée d’infamie, a vécu un traumatisme qui l’a amenée à nourrir un certain ressentiment à l’égard du reste du pays. Malon (Benoît), militant et théoricien socialiste (Prétieux, Loire, 1841 - Paris 1893). Issu d’une famille très pauvre du centre de la France, il est berger, avant d’être accueilli par son frère aîné, instituteur, à l’âge de l’adolescence. Il prend goût à l’étude et se dote alors, en autodidacte, d’une solide culture. Venu à Paris en 1863, il est embauché comme ouvrier teinturier et commence son éducation politique. Il est d’abord attiré par la version mutualiste du socialisme français, et rallie les rangs de l’Association internationale des travailleurs (AIT, Ire Internationale), dont il devient un membre important. Durant la guerre de 1870, il fait preuve d’un certain patriotisme, puis participe à la Commune, au sein de la Commission du travail et de l’échange. L’écrasement de la Commune le contraint à l’exil, en Suisse et en Italie. Il est alors très engagé dans les polémiques, qui achèvent de ruiner l’Internationale. Son tempérament politique, marqué par l’influence de Proudhon, le conduit à s’opposer à Marx et à rejoindre la fédération jurassienne, qui rassemble la fraction libertaire de l’AIT. De retour en France après l’amnistie (1880), Malon se lance dans une activité plus théorique, notamment grâce à la Revue socialiste, dont il est le directeur. Ami de Jules Guesde, il s’en sépare pour défendre une doctrine socialiste qui prétend fédérer les différentes traditions du socialisme : le « socialisme intégral ». Peu reconnu comme théoricien, Benoît Malon n’en représente pas moins l’une des figures du socialisme français non marxiste d’avant 1914. Malraux (André), écrivain et homme politique (Paris 1901 - Créteil 1976). Celui qui, le 3 février 1959, devient le premier ministre d’État chargé des Affaires culturelles est déjà riche de vies antérieures aussi fertiles que variées : né dans un milieu modeste et de parents séparés, André Malraux avoue à plusieurs reprises détester cette enfance que tant d’écrivains chérissent. Il l’occulte puissam-
ment, préférant mettre en scène une naissance selon son coeur, entre 1919 et 1921, lorsqu’en autodidacte impatient, il se lance avec ardeur et succès dans l’édition d’art et l’écriture - Lunes en papier fut sa première oeuvre, une « gloire de café », dira-t-il -, peaufinant progressivement son personnage, mi-dandy à la mèche rebelle, mi-rat de bibliothèque. • De l’aventure au combat politique. C’est en 1923 qu’André Malraux et sa compagne Clara s’embarquent pour l’Indochine avec pour mission de repérer des statues khmères entre Dangrek et Angkor. Cette entreprise, scientifique de façade, artistique de goût et mercantile de fait, fit beaucoup gloser. L’arrestation de Malraux à Phnom Penh, son emprisonnement pour vol d’objets d’art, tandis que circulent à Paris des pétitions en sa faveur, l’obtention d’un sursis en 1924, son retour en Indochine l’année suivante afin de lutter aux côtés des intellectuels annamites contre le colonialisme, autant d’éléments d’une aventure embrouillée. Celle-ci recèle cependant le matériau humain du cycle révolutionnaire asiatique entamé par Malraux avec la Tentation de l’Occident (1926), poursuivi avec les Conquérants (1928), la Voie royale (1930), et la Condition humaine (1933), qui reçoit le prix Goncourt et le consacre comme homme de lettres. Dans les années trente, l’intellectuel Malraux est de tous les combats de l’antifascisme. Encore faut-il comprendre que, comme son ami Drieu la Rochelle, mais dans le camp opposé, il vit son engagement dans le lyrisme de l’action révolutionnaire, qui seule saura le distraire de la conscience obsédante de l’absurdité de la condition humaine : « Si nous sommes écrasés, ici et à Madrid, les hommes auront vécu un jour selon leurs coeurs. Tu me comprends ? Malgré la haine. Ils sont libres. Ils ne l’ont jamais été. [...] La révolution, c’est les vacances de la vie » (l’Espoir, 1937). Ce frôlement, imaginaire ou physique, avec la mort est aussi nécessaire à Malraux qu’à Gilles, le héros de Drieu. Malgré ses poses, malgré ses falsifications nombreuses, notamment dans les Antimémoires (tome 1, publié en 1967), de grand mystificateur, Malraux fut donc aussi un homme d’action : chef de l’escadrille España des Brigades internationales pendant la guerre d’Espagne, combattant - tardif - de la Résistance , il sut s’engager pour la révolution, passion de jeunesse, puis pour la nation, qu’il découvre dans la France meurtrie de l’Occupation. • Le chantre du gaullisme. Malraux choisit d’attacher ses pas au personnage qui, à ses
yeux, incarne cette nation française : le général de Gaulle, dont il est le meilleur chantre, avant et après l’arrivée au pouvoir de ce dernier en 1958. Éphémère ministre de l’Information en 1945, Malraux sait faire vibrer la fibre gaulliste dans les meetings du RPF mais également lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon en 1964. Il devient, ce faisant, l’ami prophétique, génial, nécessaire, du général de Gaulle qui, selon la légende, lui aurait offert en 1959 un « regroupement de services » nommé Affaires culturelles, pour l’unique satisfaction de le savoir toujours à sa droite en Conseil des ministres. Malraux a poursuivi toute sa vie une réflexion sur l’art - notamment dans le Musée imaginaire (1947) ou les Voix du silence (1951) -, qui n’est évidemment pas sans alimenter la politique culturelle menée pendant les dix ans que durera sa mission ministérielle. La culture comme antidote à la déroute de la foi, la métaphore religieuse invariablement filée - le musée comme « temple » -, l’art comme « antidestin », tous ces thèmes seront amplement développés dans nombre de discours ainsi que dans les institutions qui en portent la marque, les maisons de la culture, ces « cathédrales du XXe siècle » dont Malraux fut le prophète. Entre l’action et le verbe, André Malraux, par ses contradictions, ses palinodies, sa mégalomanie et son narcissisme de « grand côtoyant les grands de ce monde », sa vision messianique de l’histoire et tragique de l’homme, représente l’archétype de l’intellectuel français, la référence indépassable et chatoyante d’un âge d’or désormais clos. Ses cendres ont été transférées au Panthéon, le 23 novembre 1996, ultime hommage cérémoniel de la République. downloadModeText.vue.download 584 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 573 mamelouks ou mameluks, nom donné aux cavaliers égyptiens de Napoléon Ier. Les mamelouks sont, à l’origine, des esclaves affranchis et entraînés au métier des armes. Quand Bonaparte débarque en Égypte, ils sont environ 9 000, commandés par 24 beys, et forment un État dans l’État. Les premiers combats de la campagne d’Égypte viennent rapidement à bout de leur puissance militaire. Dès 1798, Bonaparte décide d’incorporer une partie des mamelouks vaincus dans sa propre
cavalerie. Quand il quitte l’Égypte en 1799, il ramène deux d’entre eux : Roustam et Ali. Le premier trouve sa place dans la légende napoléonienne dans le rôle du fidèle serviteur. En 1801, une centaine de mamelouks sont organisés en escadron de cavalerie. Les mamelouks sont présents sur les champs de bataille où ils subissent de lourdes pertes. Les quelques survivants sont victimes de la Terreur blanche en 1815. Leurs tenues orientales et leurs cimeterres frappent l’imagination des Français ; très vite, la mode s’empare du sujet : des peintres (Girodet, Vernet, Gros) et des écrivains les représentent pour le plus grand plaisir d’un public friand d’orientalisme. La mode féminine n’est pas en reste : les turbans, les tuniques bouffantes dites « à la mamelouke », font leur apparition dans la garde-robe des élégantes. mandat (territoires sous), nom désignant deux anciennes colonies allemandes, le Togo et le Cameroun, quand ces territoires sont administrés par la France, mandatée par la Société des nations (SDN) entre 1919 et 1946 ; cette dénomination devient « territoires sous tutelle » après la création de l’Organisation des Nations unies (ONU). Au lendemain de la Première Guerre mondiale, et en vertu du traité de Versailles, une partie des anciennes colonies allemandes du Togo et du Cameroun (les 2/3 du Togo, soit 56 000 km 2 et les 4/5 du Cameroun, soit 405 000 km 2) est confiée à la France (le reste l’étant à la Grande-Bretagne). Dans la pratique, le Togo est administré comme une colonie de l’Afrique-Occidentale française (AOF) : il partage même, à partir de 1934, une administration commune avec la colonie voisine du Dahomey. En revanche, le Cameroun, plus étendu et plus peuplé, a une administration distincte de celle de l’Afrique-Équatoriale française (A-ÉF). La France poursuit l’oeuvre d’équipement et d’assistance entreprise par les Allemands, surtout au Cameroun : achèvement de la ligne ferroviaire Douala-Yaoundé (1927), importante action du docteur Jamot dans la lutte contre la trypanosomiase (la maladie du sommeil) et, plus tard, réalisations médicales du docteur Aujoulat. Dès 1940, à l’instar de l’A-ÉF, le Cameroun se rallie à la France libre . Après les hostilités, le régime du mandat est remplacé par le régime de tutelle des Nations unies et, en 1946, le Togo et le Cameroun reçoivent le statut de « territoires associés de l’Union française » : les habitants (administrés français mais non citoyens) sont représentés au Parlement fran-
çais et élisent des assemblées territoriales. Ils peuvent adresser des pétitions à la Commission de tutelle de l’ONU, laquelle envoie des missions d’inspection. L’évolution vers l’autonomie, puis vers l’indépendance se fait plus harmonieusement au Togo qu’au Cameroun. Doté d’un Conseil de gouvernement en 1955, le Togo devient, le 30 août 1956, et conformément aux recommandationsde l’ONU, une « République autonome » avec son gouvernement, son Parlement et son drapeau. Au Cameroun, la puissance de tutelle se heurte à une guérilla animée dans les provinces de l’Ouest par l’Union des populations du Cameroun (UPC, de tendance communiste, organisation dissoute en 1955). Toutefois, en mai 1957, ce pays accède à l’autonomie interne. En 1958, les deux États n’adhèrent pas à la Communauté (groupement de la République française et d’anciennes colonies africaines) et la France ayant, de concert avec leurs gouvernements, demandé la levée du régime de tutelle, le Cameroun accède à l’indépendance le 1er janvier 1960, et le Togo, le 27 avril 1960. Mandel (Georges Louis Rothschild, dit Georges), homme politique (Chatou, Yvelines, 1885 - Fontainebleau 1944). Fils d’artisan dont la famille (sans parenté avec la banque homonyme), quitte l’Alsace en 1871 pour rester française, il choisit de signer du nom de sa mère, et entre à 18 ans à l’Aurore. Sa connaissance parfaite du monde politique séduit Clemenceau, qui le couvre de sarcasmes mais l’intègre à son cabinet en 1906, et lui en confie la direction en 1917. Il est chargé de la censure de guerre, des fonds secrets, des rapports avec les élus et de l’orientation à donner aux préfets. En 1919, il est député de la Gironde, mais, avec le départ de Clemenceau, commence une période d’isolement. À nouveau député en 1928, il entre en 1934 dans le gouvernement Flandin, en tant que ministre des Postes. Jusqu’en juin 1936, il s’y montre autoritaire, cassant, mais efficace. Puis, en 1938, ministre des Colonies de Daladier, ce partisan d’une politique de fermeté face à Hitler et Mussolini prend d’énergiques mesures pour préparer la France à une guerre inéluctable. En mai 1940, ministre de l’Intérieur, il réprime tous les défaitismes, et, dans la débâcle, refuse l’armistice, veut continuer la lutte depuis le Maroc, où il se rend à bord du Massilia. Mais il y est arrêté puis condamné sans procès par le maréchal Pétain,
est interné à partir de novembre 1941 dans la forteresse du Portalet. Livré aux Allemands en 1942, il est enfermé à Orianenbourg puis à Buchenwald, avant d’être renvoyé en France, où il est assassiné par la Milice en forêt de Fontainebleau. Mandrin (Louis), contrebandier (SaintÉtienne-de-Saint-Geoirs, en Dauphiné, vers 1725 - Valence 1755). Fils aîné d’un commerçant aisé, il connaît une destinée tragique qui s’éclaire au travers de deux événements lourds de conséquences. En 1748, il subit d’importantes pertes financières en fournissant des mulets à l’armée. Se voyant refuser toute indemnisation, il en garde une haine tenace pour la Ferme générale qui gérait l’approvisionnement des troupes. Par ailleurs, en 1753, il commet un homicide en protégeant la fuite d’un ami réfractaire au service dans la Milice. Condamné à mort par contumace, il entre alors dans la clandestinité et s’engage dans la contrebande. Basé en Suisse et en Savoie, où il se fournit en tabac et en indiennes, produits lourdement taxés, voire interdits en France, il constitue une bande armée qui compte jusqu’à 400 contrebandiers. Il effectue alors, de la Franche-Comté à l’Auvergne, de longues tournées au cours desquelles il débite à bas prix ses marchandises. Il se distingue cependant rapidement des autres contrebandiers en défiant l’autorité du roi. Ses deux dernières expéditions (de septembre à la fin décembre 1754) lui valent en effet une renommée nationale, car il mène une guerre ouverte à la Ferme générale (pillage de recettes, d’entrepôts de sel ou de tabac, rançonnement de receveurs...). Face à cette rébellion qui bénéficie d’un large soutien populaire, les autorités réagissent d’autant plus rapidement qu’elles l’interprètent comme une opération de déstabilisation menée en sous-main par l’Angleterre. Les premières tentatives de capture sont cependant des échecs : Mandrin, insaisissable, livre même, en fin stratège, une véritable bataille rangée à un détachement de troupes régulières qu’il met en déroute près du village de Gueunaud (Morvan). Ce n’est que grâce à la trahison de l’un de ses proches qu’il est arrêté clandestinement sur le territoire de la Savoie, au cours d’une opération qui provoque un grave incident diplomatique entre Versailles et Turin. Jugé sans délai par la Commission de Valence, un tribunal d’exception spécialisé dans la répression de la contrebande, il est roué vif dans cette ville le
26 mai 1755. Débarrassées de Mandrin, les autorités vont s’employer à atténuer sa popularité dans une opinion publique qui n’approuve ni la fiscalité ni l’extrême sévérité des peines frappant la contrebande, activité considérée alors avec beaucoup d’indulgence. En effet, l’exécution provoque une floraison de textes imprimés qui, des simples complaintes aux pamphlets politiques contre la monarchie, populariseront l’image d’un Mandrin redresseur de torts et pourfendeur de percepteurs. Ni la censure, ni les biographies agréées et édifiantes ne parviendront cependant à empêcher son héroïsation. Largement diffusées par le colportage, ces biographies à bon marché nourriront même, en dépit d’un discours ambivalent, une image légendaire de bandit justicier et assureront par leurs multiples rééditions jusqu’à la fin du XIXe siècle l’entrée de Mandrin au panthéon des rebelles. Mangin (Charles), général (Sarrebourg, Moselle, 1866 - Paris 1925). Diplômé de Saint-Cyr, Charles Mangin accomplit la première partie de sa carrière dans l’infanterie coloniale, et sert notamment en Afrique et en Indochine. Technicien de la colonisation, au même titre qu’un Gallieni ou un Joffre, il fait partie de la colonne Marchand qui, en 1898, se heurte aux Britanniques, à Fachoda, au Soudan. Pendant la Première Guerre mondiale, cet officier fougueux et impatient, adepte de la méthode offensive, downloadModeText.vue.download 585 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 574 se distingue lors de la bataille de Verdun. D’octobre à décembre 1916, il organise les grandes attaques qui permettent de reprendre aux Allemands le terrain perdu depuis février. En 1917, alors que le général Nivelle est commandant en chef, Mangin dirige l’armée qui donne l’assaut au Chemin des Dames. L’échec de cette offensive lui vaut la réputation, imméritée, d’avoir fait massacrer en vain les troupes placées sous ses ordres, et entraîne son limogeage. Réintégré à la fin de 1917, Mangin est placé à la tête de la Xe armée, qui parvient à arrêter l’une des dernières offensives allemandes sur le front occidental, en juin 1918. Durant ce même mois, il donne le signal de la contre-offensive alliée, conduisant ses troupes de succès en succès. Au lendemain des hos-
tilités, il dirige les forces d’occupation sur la rive gauche du Rhin, avant d’être nommé à l’inspection générale des troupes coloniales. Manifeste des 60, texte publié le 17 février 1864 justifiant des candidatures ouvrières aux élections législatives. Napoléon III a des ambitions sociales et recherche de nouveaux soutiens à partir de 1860. Il peut s’appuyer sur le groupe du Palais-Royal, réunissant des saint-simoniens, tel Chevalier, et des publicistes, autour du prince Napoléon, dit « Plonplon », et du journal l’Opinion nationale. Quand, en 1863, les monarchistes et les républicains, alliés, obtiennent une trentaine de députés, l’empereur encourage la formation d’un mouvement ouvrier revendicatif, mais qui ne mette pas en cause le régime. Aux élections partielles de 1864 à Paris, Henri Tolain, ouvrier disciple de Proudhon, et organisateur de la délégation ouvrière française à l’Exposition universelle de Londres en 1861, se présente en vain contre le républicain Louis Garnier-Pagès. Les républicains le taxent d’agent du « césarisme plonplonien ». Pour se justifier, il publie dans l’Opinion nationale un manifeste signé par soixante ouvriers. Il y fait l’éloge du suffrage universel et qualifie la France impériale de « pays démocratique ». Mais il affirme la nécessité d’avoir des députés ouvriers qui serviront, mieux que des bourgeois, libéraux ou non, la cause des prolétaires. Il s’agit d’abroger la loi qui interdit de « [nous] entendre pour défendre pacifiquement notre salaire » et l’« article 1781 » qui privilégie, face au juge, la parole de l’employeur contre celle des salariés. Il réclame aussi une « instruction professionnelle » et l’alphabétisation gratuite et obligatoire, pour sortir les enfants du « milieu démoralisant et malsain des fabriques », et proteste, car les femmes « désertent forcément le foyer pour un travail excessif, contraire à la nature et détruisant la famille ». Il termine en expliquant qu’il ne s’agit pas de « rêver [...] partage, maximum, impôt forcé », mais de prôner « la liberté du travail, le crédit, la solidarité » assurant l’égalité en droits « pour la gloire et la prospérité d’un pays qui nous est cher ». Se retrouvent ici le mélange proudhonien de revendications concrètes, de modération politique, de souci éducatif et de moralisme. Même si les candidatures imitées de celle de Tolain se soldent par un échec - les ouvriers continuant de voter pour les opposants libéraux bourgeois -, une volonté d’autonomie ouvrière se dégage, l’année même de la création à Londres de la Ire Internationale. C’est aussi une étape dans
l’évolution de l’Empire, avant le droit de grève, qui sera accordé en mai 1864, l’abolition de l’article 1781 en 1866, ou l’affirmation de la liberté de réunion en 1868. Manifeste des 121, pétition lancée, en septembre 1960, contre la guerre d’Algérie, et plus précisément pour le « droit à l’insoumission ». Ce manifeste, qui constitue le point culminant de l’engagement des intellectuels au cours de la guerre d’Algérie, est signé par cent vingt et une personnalités : des artistes (Alain Cuny, Simone Signoret...), des écrivains (Simone de Beauvoir, Jean-Louis Bory, Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Claude Roy, Claude Simon, Jean-Paul Sartre...), des éditeurs (Jérôme Lindon, François Maspero) et des universitaires (Henri Lefebvre, André Mandouze, JeanFrançois Revel, Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet...). La déclaration, qui se conclut par un plaidoyer en faveur du peuple algérien, est interdite de publication en France, mais elle est diffusée dans des périodiques étrangers tels que Tempo presente ou Neue Rundschau. En France, Vérité-Liberté, qui voulait la faire paraître, est saisi, tandis que le Monde donne, dans son édition datée du 30 septembre, la liste des signatures initiales, complétée par d’autres, mais sans le texte de la pétition. En réponse au manifeste résolument anticolonialiste, une pétition d’intellectuels favorables à l’Algérie française et intitulée « Manifeste des intellectuels français » est publiée. Probablement initiée par des universitaires, elle abonde en signatures de personnes de générations différentes (des universitaires, tels Pierre Chaunu et François Bluche ; des écrivains, tels Antoine Blondin, Roger Nimier, Roland Dorgelès, Jules Romains...) et prouve la capacité d’une droite intellectuelle de se mobiliser. Une troisième pétition vient même compléter cette « guerre des manifestes » : émanant d’une gauche modérée, qui plaide en faveur d’une paix négociée, elle réunit des représentants de la Fédération de l’Éducation nationale, de la Ligue des droits de l’homme, avec Daniel Mayer, mais aussi des figures de l’intelligentsia, tels Roland Barthes, Edgar Morin ou Vladimir Jankélévitch. manufactures royales privilégiées, entreprises de fabrication industrielle qui bénéficient d’un statut particulier sous l’Ancien Régime. Certaines sont la propriété directe de la couronne.
Elles réunissent des artisans hautement qualifiés, et fournissent la cour en produits de luxe et de prestige tels que les tapisseries des Gobelins et la porcelaine de Sèvres. Mais la plupart sont des entreprises privées auxquelles la monarchie a octroyé un privilège qui est synonyme de nombreux avantages. Accordé en général pour vingt ans, et renouvelable, le privilège consiste d’abord en un monopole de fabrication et de vente d’un produit donné, dans un rayon géographique déterminé. Il peut s’étendre au royaume tout entier : ainsi celui de la Manufacture de glaces de Saint-Gobain, fondée en 1665. Il s’accompagne souvent de subventions, d’exemptions douanières (dispenses de péages et d’octrois à l’intérieur, et de taxes aux frontières) et d’avantages personnels (privilèges de juridiction ; exemptions de taille, de corvée et de milice ; non-dérogeance pour les entrepreneurs nobles ; possibilité de naturalisation pour les ouvriers étrangers). Enfin, le droit de marquer les produits aux armes du roi constitue un label de qualité, et dispense les fabricants de tout contrôle corporatif. En retour, ceuxci doivent s’engager à maintenir un certain niveau de production et, souvent, à former des ouvriers. Le plus souvent, ces privilèges sont attribués à une entreprise (un fabricant ou une société d’actionnaires). Mais ils peuvent aussi être collectifs, l’ensemble des fabricants d’une ville en bénéficiant : ainsi la Manufacture d’armes de Saint-Étienne, qui rassemble une douzaine d’entreprises. Le but recherché est double. Il s’agit d’abord de soutenir une industrie nationale de produits de luxe - par exemple, les draperies fines de Sedan et de Louviers - mais aussi d’importer en France les techniques étrangères les plus performantes. L’installation du Hollandais Van Robais, à Abbeville, en 1665, illustre cette politique de transfert technologique. Une soixantaine de fabricants reçoivent le titre de « manufacture privilégiée » sous les règnes d’Henri IV et de Louis XIII. Entre 1664 et 1683, Colbert distribue plus de cent dix privilèges ; ils représentent les instruments principaux de sa politique d’incitation industrielle. Au siècle suivant, ses successeurs persévèrent dans cette voie. Ainsi, sous l’Ancien Régime, le privilège constitue un moyen habituel pour encourager l’initiative et l’innovation. maquis, organisations de Résistance établies dans des lieux difficilement accessibles, pendant l’Occupation.
Le phénomène des maquis apparaît au début de l’année 1943, lorsque nombre de jeunes « réfractaires » préfèrent la clandestinité au Service du travail obligatoire (STO). Les premiers maquis surgissent dans les Alpes, puis couvrent peu à peu tout le territoire, les régions isolées ou montagneuses étant évidemment privilégiées. Les effectifs croissent de façon spectaculaire, et, à la fin de 1943, on compte plus de 40 000 maquisards. Les dirigeants de la Résistance sont d’abord surpris de leur brusque apparition. Toutefois, ils tentent d’y faire face en créant divers organes d’encadrement, comme le Service national des maquis ou le Comité d’action contre la déportation. Une tâche difficile, dans la mesure où les maquis manquent de tout, à commencer d’armes et d’argent, et où les Alliés demeurent circonspects quant à leur efficacité militaire. Il faut attendre le début de 1944 pour voir les parachutages d’armes s’intensifier, sans que, cependant, la question de l’armement soit jamais résolue. On oppose souvent deux types de maquis. Ceux des Mouvements unis de Résistance (MUR) ou de l’Organisation de Résistance de l’armée (ORA) se caractérisent par l’importance de leurs effectifs (parfois plus de 500 combattants) et par la prégnance de l’endownloadModeText.vue.download 586 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 575 cadrement militaire. Les maquis des FrancsTireurs et Partisans (FTP), au contraire, sont constitués de petites unités (jamais plus de 100 hommes) qui évitent le contact direct avec l’ennemi et privilégient la guérilla. La question de l’utilisation des maquis fait rebondir la querelle de l’action immédiate. Les communistes et une bonne partie des résistants estiment qu’il est difficile de maintenir dans l’inaction les jeunes volontaires. Le Comité français de libération nationale (CFLN), pour sa part, entend réserver les maquis à l’application, le jour J, des ordres alliés. Pourtant, au printemps 1944, le même CFLN (Soustelle, Billotte) conçoit l’idée de « maquis mobilisateurs », des unités relativement lourdes (plus de 1 000 hommes) auxquelles reviendrait la tâche éminemment politique de libérer seules des portions de territoire, et de faciliter ainsi l’installation en France du CFLN. Enfin, l’attitude des Alliés n’est pas dépourvue d’ambiguïté. Ainsi, le 6 juin 1944, Eisenhower
donne un ordre d’insurrection générale, dans le but de brouiller l’esprit des Allemands ; une insurrection que Koenig, devant l’ampleur des pertes, doit freiner dès le 10 juin. Il est difficile d’évaluer l’action militaire des maquis. Les gros maquis (Glières, mont Mouchet, Vercors) furent décimés par les Allemands et la Milice. En revanche, l’action de guérilla des petits maquis (comme celui de Romans-Petit, dans l’Ain) s’avéra souvent utile. Dans le sud de la France, les maquis contribuèrent à la libération de départements entiers, au moment, il est vrai, où les armées allemandes faisaient retraite. Marat (Jean-Paul), révolutionnaire (Boudry, Suisse, 1743 - Paris 1793). Pour ses admirateurs aussi bien que pour ses détracteurs, Marat apparaît comme l’une des figures les plus emblématiques de la Révolution. Son influence auprès du mouvement populaire parisien, sa relative indépendance à l’égard des principaux courants politiques de son temps, son assassinat, qui l’a élevé au rang de martyr, en font une personnalité marquante de l’histoire révolutionnaire. • Un médecin éclairé. Né en Suisse d’un père d’origine sarde et d’une mère genevoise, Marat étudie au collège de Neuchâtel et se retrouve, à 16 ans, précepteur à Bordeaux. En 1762, il monte à Paris, capitale rayonnante d’une France où s’accroît la mobilité sociale. Il y complète sa formation philosophique et étudie la médecine, avant de gagner l’Angleterre en 1765. Dans ce pays qui s’impose aux esprits éclairés comme un modèle politique, Marat exerce son art et publie ses premiers ouvrages, en anglais. Il rédige notamment un Essay on the Human Soul (1772) et l’un de ses livres les plus célèbres, The Chains of Slavery (1774), dans lequel il énonce une théorie de l’insurrection et légitime la violence politique. Rentré en France en 1777, il devient médecin des gardes du comte d’Artois et poursuit des activités de recherche. Ses mémoires sur le feu (1780), la lumière (id.) ou encore l’électricité (1782) sont au coeur des préoccupations scientifiques du moment. Mais ses travaux et ses résultats, qui entendent mettre fin au système newtonien, sont rejetés par l’Académie des sciences, qui lui ferme sa porte. Les années 1780 sont pour lui une décennie de repli social : Marat cesse en effet d’exercer comme médecin auprès du comte d’Artois, et son existence quotidienne est fragilisée.
• Un journaliste engagé. L’effervescence qui suit l’annonce de la convocation des États généraux remet Marat en selle. À la réflexion politique qu’il avait continué à mener après son séjour en Angleterre, notamment dans son Plan de législation criminelle (1780), succède l’engagement passionné. Dès le début de l’année 1789, il écrit des pamphlets sur la situation du royaume. La liberté de la presse, nouvellement acquise, lui permet, en septembre, de créer son propre journal, l’Ami du peuple, grâce auquel il fonde sa notoriété dans les mois qui suivent. Tiré à quelque 2 000 exemplaires, l’Ami du peuple , comme l’écrit l’historien Michel Vovelle , « est avant tout un long éditorial » et bénéficie d’un « public fidèle et attentif », sans être pour autant considérable. Tout au long du millier de numéros qu’il fait paraître, Marat en appelle à la vigilance populaire, afin d’éviter la confiscation de la Révolution au profit des nantis. Son propos, souvent violent, lui vaut des déboires, surtout lorsqu’il s’en prend à des personnalités comme Necker, Mirabeau ou La Fayette : à plusieurs reprises, entre 1789 et 1792, il doit fuir ou se cacher. Sa position se renforce considérablement après la journée du 10 août 1792. Élu en septembre à la Convention nationale, il siège avec les montagnards et soutient une ligne républicaine à vocation démocratique. Signe de son influence et de ses aspirations, son journal change de titre, adoptant celui de Journal de la République française. Marat continue d’y exalter les masses populaires, par qui et pour qui doit se construire le mouvement révolutionnaire. Il trouve légitime l’élimination des ennemis de la République et, sans les avoir provoqués, soutient les massacres de Septembre. • Fortunes et infortunes. Fort de l’autorité qu’il exerce sur le petit peuple parisien, Marat, toléré plus qu’accepté par les montagnards, est vigoureusement combattu par les girondins. En avril 1793, ces derniers parviennent à le traîner devant le Tribunal révolutionnaire, mais la manoeuvre se retourne contre eux : acquitté, sorti renforcé du procès, Marat participe activement à la préparation des journées des 31 mai et 2 juin, qui mettent un terme aux prétentions girondines. Malade, il cesse de paraître à la Convention peu après, et est assassiné le 13 juillet par Charlotte Corday, partisane des girondins, défaits et exécutés. Célébré comme un martyr de la liberté, il entre au Panthéon en fructidor an II, avant d’en être chassé par les thermidoriens. Son nom reste attaché à la violence verbale et physique de la Révolution, mais aussi à ses exigences les plus radicalement démocratiques.
Marceau (François Séverin Marceau-Desgraviers, dit), général républicain (Chartres 1769 - Altenkirchen 1796). À 16 ans, Marceau s’engage dans l’armée royale. Il la quitte en juillet 1789, pour participer à la prise de la Bastille dans la Garde nationale de Paris. De retour dans sa ville natale, il s’engage en novembre 1791 dans le 1er bataillon des volontaires d’Eure-et-Loir, où il est élu capitaine. Il sert lors du siège de Verdun en tant que lieutenant-colonel. En septembre 1792, il demande son intégration dans l’armée de ligne et part en Vendée comme lieutenant de cavalerie. En juin 1793, capitaine de hussards, il délivre le représentant du peuple Bourbotte, retenu à Saumur par des rebelles. La Convention le fait adjudant général. Il participe à la victoire de Cholet (17 octobre 1793), où il gagne le grade de général de brigade, et, en novembre de la même année, il est général de division lorsqu’on lui confie le commandement en chef par intérim de l’armée de l’Ouest. Sous le contrôle de Kléber, Marceau fait tout pour obtenir un succès décisif avant l’arrivée du titulaire, le général Turreau, auquel il ne rend le commandement qu’après la victoire de Savenay (23 décembre). Après un congé, Marceau rejoint l’armée des Ardennes, en avril 1794. Le 26 juin, il se distingue à Fleurus, puis accompagne la progression victorieuse de Jourdan. En 1796, il administre brillamment la région de Trèves. Le 19 septembre, chargé de couvrir la retraite de l’armée de Sambre-etMeuse, il arrête les Autrichiens à Altenkirchen, mais il y est mortellement blessé. Marcel (Étienne), prévôt des marchands de Paris (Paris, vers 1315 - id. 1358). Fils de Simon Marcel, échevin de Paris et drapier, Étienne Marcel est né dans une famille alliée à de puissantes branches de la bourgeoisie parisienne. Échevin de Paris en 1354, il est élu en 1355 prévôt des marchands, c’est-àdire chef de la hanse des marchands de l’eau. Il incarne les attentes de la bourgeoisie d’affaires parisienne, qui aspire à une monarchie contrôlée par les états. Plusieurs partis aux intérêts divergents et aux alliances fluctuantes sont en présence : ceux du roi de France Jean II le Bon, du dauphin (futur Charles V), de la bourgeoisie parisienne et du roi de Navarre Charles le Mauvais. Lors des états généraux réunis en 1355 par le roi Jean pour financer la guerre contre les Anglais, Étienne Marcel est le porte-pa-
role du courant réformateur. Réunis plusieurs fois en 1356, les états généraux monnaient leur appui au roi, réclamant, avec Robert Le Coq, évêque de Laon et partisan de Charles le Mauvais, la déchéance des mauvais conseillers. Quand le roi Jean est fait prisonnier par les Anglais à la bataille de Poitiers le 19 septembre 1356, Étienne Marcel oppose la municipalité parisienne au dauphin. Le roi reconnaît son pouvoir, tout comme le dauphin : la Grande Ordonnance, proclamée à l’issue des états généraux de mars 1357, prévoit une réforme totale de l’administration royale et la réunion régulière des états généraux. À la fin de 1357, la libération de Charles de Navarre (arrêté à Rouen l’année précédente sur ordre du roi Jean) introduit un autre protagoniste, hostile au souverain et au dauphin. Lorsque le prévôt des marchands laisse dégénérer une manifestation où sont massacrés les maréchaux de Champagne et de Normandie, pourtant réformateurs convaincus, le dauphin, qui se proclame régent, s’en remet à Étienne Marcel, mais il quitte Paris en mars 1358, laissant son adversaire coupé downloadModeText.vue.download 587 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 576 de la noblesse réformatrice. Il cherche à isoler la capitale et convoque à Compiègne des états, qui lui accordent des subsides. C’est alors qu’éclate, le 28 mai 1358, une jacquerie, mouvement violent de révolte paysanne contre la noblesse ; les « menées des Jacques » servent les intérêts du prévôt des marchands, mais ce dernier ne les soutient pas ouvertement, et, le 10 juin, à Mello, la jacquerie est écrasée par le roi de Navarre. Charles entre dans Paris, dont il est nommé capitaine général. La défaite du dauphin est totale ; Étienne Marcel aurait triomphé s’il n’avait commis l’erreur d’ouvrir la capitale aux mercenaires anglo-navarrais. La popularité du roi de Navarre et celle du prévôt s’effondrent ; Étienne Marcel est assassiné le 31 juillet 1358. L’historiographie n’a pas manqué de lier l’histoire de la révolte du « bourgeois » Étienne Marcel avec celle du tiers état sous la Révolution française. Encensé par les uns, qualifié d’ambitieux par les autres, Étienne Marcel mérite d’être considéré à l’aune du XIVe siècle : avec lui prend fin la plus sérieuse tentative de réforme de la monarchie qu’ait connue la fin du Moyen Âge.
Marchais (Georges), homme politique (La Hoguette, Calvados, 1920 - Paris 1997). Ouvrier spécialisé, il part en Allemagne, selon certains, comme travailleur volontaire en 1942 ou, selon d’autres, dans le cadre du STO en 1943. Il adhère en 1947 à la CGT et au PCF, et gravit rapidement tous les échelons de l’appareil du parti. Membre du comité central en 1956, du bureau politique en 1959, secrétaire à l’organisation en 1961, secrétaire général adjoint en 1970, il remplace Waldeck Rochet à la tête du parti en 1972. Son ascension s’est d’abord faite sous le contrôle de Maurice Thorez, puis, après la mort de ce dernier, en 1964, avec le soutien de Jacques Duclos et d’Étienne Fajon, qui le préfèrent à Rochet, considéré comme trop libéral. Georges Marchais signe le Programme commun avec le PS et le MRG en juin 1972 et devient député en 1973 (réélu sans discontinuité jusqu’en 1993 inclus). Il soutient François Mitterrand, candidat de la gauche unie, à l’élection présidentielle de 1974, puis prend une part prépondérante à la rupture de l’union de la gauche en 1977. En janvier 1980, reçu par Leonid Brejnev à Moscou, il approuve l’intervention soviétique en Afghanistan. Il recueille 15,34 % des suffrages au premier tour des présidentielles de 1981 et n’est pas candidat à celles de 1988, laissant André Lajoinie porter les couleurs du parti déclinant. Malgré le recul électoral du PCF et la contestation dont il est l’objet au sein du parti, Marchais demeure secrétaire général jusqu’en janvier 1994, date à laquelle il cède la place à Robert Hue. marché noir. Le rationnement imposé à la population pendant l’Occupation entraîne le développement de circuits d’approvisionnement parallèles plus ou moins organisés. Le contrôle des prix prescrit par réglementation pour les produits agricoles favorise ce phénomène. D’abord marginal, il touche rapidement l’ensemble de la population, obligée de s’en remettre à ces circuits pour survivre. Les écarts de prix entre marché officiel et marché clandestin deviennent considérables pour certaines marchandises. Dès 1942, la valeur de la viande, des oeufs et du lait est, selon les régions, entre deux et cinq fois supérieure au tarif officiel. Les pommes de terre et le beurre sont encore plus coûteux, ce dernier étant vendu jusqu’à huit fois le prix réglementaire ! Le gouvernement de Vichy est contraint de prendre en compte ce phénomène. Ainsi, la loi du 15 mars 1942 établit-elle une distinction entre les agissements des trafiquants professionnels et les infractions
commises par des particuliers dans le seul but de satisfaire les besoins familiaux. Globalement, le marché noir joue un rôle mineur dans l’alimentation de la plupart des Français. En effet, les prix pratiqués établissent une sélection par l’argent extrêmement forte. Ainsi, Alfred Sauvy estime qu’en 1943 une dactylo parisienne doit verser l’équivalent d’une semaine de salaire pour acheter 1 kilo de sucre. Pourtant, le problème du marché noir fait l’objet d’un débat très présent dans la presse et alimente les conversations. On soupçonne les Allemands, qui s’y approvisionnent parfois, il est vrai, de l’organiser. La croyance en l’existence d’une gigantesque organisation, d’un complot ou encore d’une mafia est entretenue dans les esprits pour justifier les lacunes du ravitaillement. Aussi l’opinion est-elle persuadée qu’il y a une abondance cachée, d’autant qu’il est possible de manger normalement dans les arrière-salles des « restaurants noirs » à des prix sans rapport avec ceux du marché officiel. Dans ces établissements plus ou moins tolérés par les autorités, le salaire mensuel d’un employé peut difficilement couvrir le montant d’une addition. Plus que le marché noir, le marché libre, constitué de produits non rationnés mais vendus bien plus cher, représente l’indispensable complément à la ration de base des Français. Le souvenir du marché noir marquera les esprits. Le film la Traversée de Paris, de Claude Autant-Lara (1956), illustre le regard ambigu porté par les Français sur ces trafiquants à la fois utiles et critiqués. maréchal de France, charge remontant à l’époque de Philippe Auguste et faisant de son titulaire - en même temps qu’un dignitaire du royaume - le deuxième personnage de l’armée, derrière le connétable, puis le premier dignitaire de l’armée. Porté d’abord par un seul officier, ce titre revient, dès le XIIIe siècle, à un nombre de plus en plus important de militaires, atteignant une quinzaine à la fin de l’Ancien Régime. Lorsque, au début du XVIIe siècle, la fonction de connétable disparaît, le maréchal devient le premier personnage de l’armée. En 1793, la Convention supprime la dignité de maréchal, rétablie - à titre purement civil par un sénatus-consulte de 1804. Napoléon nomme ainsi quatorze maréchaux de l’Empire - parmi lesquels Ney, Murat, Soult, Bernadotte, Berthier, Davout, Jourdan, Masséna, Moncey, Brune, Lannes, Bessières et Mortier -,
ainsi que quatre maréchaux honoraires, qui occupent en même temps une fonction de sénateur. Sous la Restauration, la monarchie de Juillet puis le Second Empire, l’État poursuit dans la même voie. En 1847, Louis-Philippe élève Soult à la haute dignité de maréchal général de France, afin de bien marquer la prééminence de celui-ci sur les autres maréchaux - à l’instar de Louis XV, en 1733, avec Claude de Villars. Napoléon III, quant à lui, décerne ce titre envié à Pélissier, Canrobert, Mac-Mahon, Niel, Bazaine et Leboeuf. La défaite de la France en 1870-1871, le discrédit pesant sur les vaincus de Metz et Sedan, constituent une rupture. Il faut attendre plus de quarante-cinq ans pour que, en 1916, un officier, le général Joffre, commandant en chef des armées françaises, soit de nouveau élevé à la dignité de maréchal de France. En 1918, ce sont le général Foch, commandant en chef des armées alliées, et le général Pétain, commandant en chef des armées françaises, qui sont récompensés, suivis en 1921 de Lyautey, Gallieni (mort en 1916), Fayolle, Franchet d’Esperey, puis Maunoury en 1923. Enfin, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, quelques-uns des militaires français les plus prestigieux accèdent à leur tour à cet honneur envié. Ainsi en est-il du général Juin, de son vivant, et des généraux de Lattre de Tassigny et Leclerc, à titre posthume. maréchaussée, corps de troupes, ancêtre de la gendarmerie nationale. Elle apparaît au Moyen Âge et trouve son origine, vers le milieu du XIIIe siècle, dans l’établissement du tribunal de la connétablie, une juridiction « de robe courte » associant police et justice. Commandant en chef de l’armée royale, le connétable exerce sa juridiction sur les hommes d’armes qui lui sont subordonnés. Cependant, accaparé par la conduite des opérations militaires, il délègue ses attributions judiciaires à certains de ses officiers et de ses maréchaux, avant la création de prévôts provinciaux ou de prévôts des maréchaux, chargés de rechercher les délinquants militaires et de les livrer au tribunal de la connétablie. Toutefois, à partir du règne de François Ier, apparaissent des brigades d’archers de la maréchaussée, installées dans les petites villes et les bourgs du royaume ; elles sont intégrées au sein de compagnies aux ordres du prévôt des maréchaux de la province. De 1555 à 1661, plusieurs ordonnances précisent les tâches de cette maréchaussée : outre sa fonction de police militaire, elle est chargée de la sécurité
des routes et du « plat pays », c’est-à-dire des campagnes. Les flagrants délits et les « cas prévôtaux » (rixes, meurtres et vols à main armée) sont alors du ressort des tribunaux du prévôt des maréchaux. En dépit de réorganisations successives, la maréchaussée manque d’efficacité. Les archers ne sont pas des soldats, et ne l’ont jamais été. Les charges sont vénales ; le plus souvent, elles sont achetées par des bourgeois et transmises à leur fils. Il est encore possible de faire appel à des remplaçants. Aussi, l’édit de mars 1720 introduit-il un changement majeur qui « militarise » la maréchaussée. La vénalité est supprimée. Les compagnies aux ordres des prévôts sont réparties par brigades de 5 ou 6 cavaliers, qui sont progressivement recrutés parmi d’anciens soldats. Ces cavaliers des maréchaux finissent par avoir accès aux Invalides, et leurs officiers peuvent recevoir la croix de Saint-Louis. Dans sa politique d’affectation des downloadModeText.vue.download 588 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 577 postes, le ministère de la Guerre favorise un brassage qui associe « gens du cru », connaissant patois et usages locaux, à des hommes venant d’autres provinces, et qui sont moins sensibles aux influences locales. À la veille de la Révolution, la maréchaussée, qui compte quelque 4 500 hommes, finit par acquérir une réputation d’efficacité très appréciée des populations. En 1789, les compagnies et les brigades sont regroupées dans le cadre d’une gendarmerie nationale, et le décret du 17 avril 1799 confirme la mission qui a été celle de la maréchaussée, et qui consiste à « assurer dans la République le maintien de l’ordre et l’exécution des lois ». maréchaux de l’Empire. Supprimé par le décret du 21 février 1793, le titre de maréchal est rétabli par le sénatus-consulte du 18 mai 1804 portant création des charges des grands officiers ; il s’agit d’une dignité purement civile, et non d’un grade suprême dans la hiérarchie militaire. Lors du passage du Consulat à l’Empire, Napoléon estime en effet qu’il est nécessaire de faire renaître une cour où ses meilleurs serviteurs seraient distingués par de prestigieuses charges inspirées de celles de l’Ancien Régime. Son pouvoir étant avant tout fondé sur sa gloire militaire, il honore particulièrement
ses meilleurs compagnons d’armes. Les nouveaux maréchaux sont placés au premier rang des grands officiers de l’Empire et doivent être « choisis parmi les généraux les plus distingués ». Ainsi, le 19 mai 1804, Berthier, Murat, Moncey, Jourdan, Masséna, Augereau, Bernadotte, Soult, Brune, Lannes, Mortier, Ney, Davout et Bessières deviennent titulaires du titre, tandis que Kellermann, Lefebvre, Pérignon et Sérurier sont promus maréchaux honoraires. De nouvelles nominations interviennent ultérieurement : celle de Victor en 1807, celles de Macdonald, de Marmont et d’Oudinot en 1809, de Suchet en 1811, de Gouvion-Saint-Cyr en 1812, de Poniatowski en 1813 et de Grouchy en 1815. Conformément à la législation initiale, les maréchaux vivants et au service de la France n’ont jamais été plus de seize, puisque, outre ceux qui succombent à leurs blessures, comme Lannes en 1809 ou Poniatowski en 1813, certains sont rayés de la liste, en raison de fonctions exercées à l’étranger, tels Murat, roi des DeuxSiciles, Berthier, prince de Neuchâtel, Jourdan, chef d’état-major de l’armée d’Espagne, ou Bernadotte, prince de Suède. Les maréchaux de l’Empire sont unis par la gloire des armes : presque tous ont appartenu à l’armée d’Ancien Régime, et tous ont fait ou refait leurs preuves durant la Révolution. Mais ils constituent, ainsi que le constate J. Jourquin, un groupe hétérogène. Ils n’appartiennent pas à une même génération : près de quarante ans séparent Kellermann, né en 1735, de Marmont, né en 1774. Certains, tels Lannes ou Ney, sont nés dans des milieux populaires, d’autres, tel Oudinot, dans la petite bourgeoisie commerçante ; d’autres encore, tels Brune ou Moncey, dans la bourgeoisie de robe, tandis que quelques-uns, dont Davout, Marmont ou Pérignon, sont issus de la noblesse. Ils n’ont pas eu un accès égal aux honneurs impériaux : Brune, Jourdan et Poniatowski n’ont jamais été anoblis par Napoléon, alors que presque tous les autres maréchaux ont reçu un titre ducal. Grâce à leurs traitements, dotations (celles de Berthier s’élèvent à plus d’un million de francs) et gratifications, ils ont généralement joui d’une fortune importante. Elle leur a permis de mener un train de vie nobiliaire, qu’ils parviennent à conserver après 1815, d’autant que les survivants se rallient en majorité à la monarchie constitutionnelle, après avoir souvent pesé de toute leur influence pour obtenir l’abdication de Napoléon. Marengo (bataille de), victoire remportée in extremis par Bonaparte en Italie, le 14 juin
1800. En 1800, la France s’oppose aux Autrichiens dans le nord de l’Italie. Le 13 juin, le Premier consul est à Marengo, près d’Alexandrie. Il ne se doute pas que l’armée autrichienne du général Mélas s’y trouve avec 30 000 hommes et 100 pièces d’artillerie. Pour la localiser, Bonaparte disperse ses troupes et envoie le général Desaix en reconnaissance. Le lendemain matin, vers 9 heures, les Autrichiens sortent d’Alexandrie et surprennent les 22 000 Français, qui ne disposent que de 15 canons. Après plusieurs assauts autrichiens, le recul est inévitable. L’arrivée de la garde consulaire, rappelée en hâte, ne rétablit pas la situation. L’écrasante supériorité de l’artillerie autrichienne contraint le Premier consul à la retraite. Vers 15 heures, Mélas, assuré de la victoire, quitte le champ de bataille pour répandre la nouvelle. Une charge de la cavalerie autrichienne aurait transformé la défaite française en un véritable désastre. Mais, trop confiants, les Autrichiens laissent les Français reculer en bon ordre. Vers 17 heures, le général Desaix parvient à rejoindre Marengo et attaque le flanc de l’avant-garde autrichienne. Il est tué durant l’assaut, mais une brillante charge de cavalerie menée par Kellermann le Jeune (le fils du maréchal) permet la capture de 1 700 Autrichiens et sème la panique chez l’ennemi. À 22 heures, la victoire est française. Victoire sanglante : 6 000 morts français et 9 400 morts autrichiens. Avec elle se clôt la seconde campagne d’Italie. Marguerite de Navarre (ou d’Angoulême), reine de Navarre de 1527 à 1549, et femme de lettres (Angoulême 1492 - Odos, Bigorre, 1549). Fille de Charles d’Orléans , comte d’Angoulême, et de Louise de Savoie, Marguerite d’Angoulême est la soeur de François Ier - « son seul Soleil », dira-t-elle -, auquel elle restera attachée toute sa vie : durant les premières années du règne, elle tient la première place à la cour, éclipsant même la reine Claude. Mariée à Charles d’Alençon en 1509, puis à Henri d’Albret, roi de Navarre, en 1527, elle ne retire de ces deux unions que des déceptions. Dès les années 1510, elle a découvert avec ferveur l’expérience mystique. La rencontre de Lefèvre d’Étaples, en 1517, et surtout le début de sa correspondance avec Guillaume Briçonnet, évêque de Meaux, en 1521, constituent des étapes décisives de son évolution religieuse. Séduite par les
idées de son directeur spirituel, Marguerite se détourne des pratiques extérieures de la dévotion et aspire à une réforme interne de l’Église ; son itinéraire la conduit même aux confins de la Réforme : protectrice temporaire de Calvin, elle traduit la Paraphrase du Pater Noster de Luther. Des années 1530 datent ses premiers textes poétiques importants, Miroir de l’âme pécheresse (1531) et Dialogue en forme de vision nocturne (1533), écrit à l’occasion de la mort de Charlotte de France, fille du roi. Les deux textes s’attirent les foudres des théologiens sourcilleux : le Miroir n’échappe à la censure de la Sorbonne que grâce à l’intervention de François Ier. Mais ce dernier, sans doute sous la pression des événements religieux, éloigne progressivement sa soeur de la vie politique française. Retirée à Nérac à partir de 1542, elle traverse une période d’amertume liée à la perception du fossé qui se creuse irrémédiablement entre les partis religieux. C’est au cours de ces années qu’elle rédige l’oeuvre - inachevée - qui assurera sa fortune littéraire, l’Heptaméron. Ce recueil de nouvelles à la manière de Boccace est pour elle l’occasion d’interroger la variété des options morales et des échelles de valeurs qui coexistent dans la société du temps. Personnage clé de la première moitié du siècle, Marguerite a su faire de sa cour de Navarre un des foyers les plus brillants de l’humanisme. De nombreux érudits et humanistes ont gravité autour d’elle : Robert Estienne, Bonaventure Des Périers, Marot et Rabelais, qui lui dédia le Tiers Livre. En suscitant des traductions de Platon, notamment celles de Marsile Ficin, elle a joué un rôle d’initiatrice dans l’émergence et la mise en débat du platonisme religieux. Passionnée par les questions de religion, elle incarne la sensibilité inquiète d’une époque qui cherche les voies d’un ressourcement spirituel. Marguerite de Valois ou de France, dite la Reine Margot, fille d’Henri II et de Catherine de Médicis ; reine de Navarre puis reine de France par son mariage (Saint-Germain-en-Laye 1553 - Paris 1615). En faisant célébrer les noces de sa soeur Marguerite et d’Henri de Navarre, le 18 août 1572, Charles IX entend donner aux protestants du royaume un gage de réconciliation. Le cours des événements sera tout autre, puisque le rassemblement de la noblesse calviniste à Paris sera l’occasion, six jours plus tard, du massacre de la Saint-Barthélemy. Durant les mois qui suivent, Henri de Navarre est re-
tenu au Louvre dans une semi-captivité, tout comme le jeune frère de Marguerite, le duc d’Alençon, dont elle embrasse le parti. C’est alors qu’elle entretient des relations amoureuses avec Boniface de La Mole, gentilhomme compromis dans l’affaire de l’évasion du duc d’Alençon et d’Henri de Navarre, et qui sera décapité en 1574. Le romanesque tragique de l’aventure - Marguerite se fait apporter la tête sanglante de son amant - fournira à Alexandre Dumas l’intrigue principale de sa Reine Margot (1845). Après l’échec de ses menées en faveur du duc d’Alençon, Marguerite obtient du nouveau roi Henri III, son troisième frère, l’autorisation de quitter la cour, où elle se sent prise en otage. Elle rejoint son mari dans son downloadModeText.vue.download 589 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 578 royaume de Navarre en 1578. Les époux, qui ne se sont jamais aimés, vivent séparés, et chacun mène de son côté une existence fertile en liaisons amoureuses. Ayant subi des vexations dues à son attachement persistant à la religion catholique, Marguerite retourne au Louvre en 1582. Mais elle reçoit à la cour d’Henri III des affronts qui la font retourner en Béarn. Après avoir mené une vie quelque peu aventureuse, elle est enfermée au château d’Usson, en Auvergne, sur ordre du roi : elle y demeurera de 1587 à 1605, rédigeant ses Mémoires, et multipliant les excentricités (elle fera venir des chameaux pour ses excursions). Henri de Navarre, devenu Henri IV, lui demande néanmoins son consentement pour annuler leur mariage, en 1599. Revenue quelque temps à la cour en 1605, elle fait bâtir une demeure rue de Seine, où elle s’entoure d’une brillante société de lettrés, de poètes et de philosophes. Aucune princesse de la Renaissance n’a fasciné les chroniqueurs - son contemporain Brantôme, au premier chef - plus que Marguerite de Valois : par sa beauté, son esprit, sa culture, et surtout par cet amoralisme dédaigneux du rôle où les combinaisons politiques prétendaient la maintenir, elle a conquis une place de choix dans la galerie des « dames galantes ». Marguerite-Marie Alacoque (sainte), religieuse mystique (Verosvres, Saône-et-Loire, 1647 - Paray-le-Monial 1690). Tôt orpheline de père, élevée chez les clarisses, puis par des parents qui l’humilient, Marguerite est attirée dès l’enfance par le
cloître. Surmontant l’opposition familiale, elle entre en 1671 chez les visitandines de Paray-le-Monial, qu’elle choisit pour leur dévotion mariale. Elle prononce ses voeux le 6 novembre 1672. En 1673, lors de la fête de saint Jean l’Évangéliste, apôtre de l’amour, elle a une première vision : Jésus la « fit reposer fort longtemps sur sa divine poitrine ». L’année suivante, le Sacré Coeur lui apparaît couronné d’épines et surmonté d’une croix. En juin 1675, Jésus lui découvre « ce Coeur qui a tant aimé les hommes » et qui n’en est pas aimé, et demande que l’on répare ces outrages en consacrant une fête au Sacré Coeur. En 1689, il lui ordonne de convaincre Louis XIV d’orner ses étendards de l’image du Sacré Coeur. Maladive, Marguerite-Marie recherche les expiations et s’identifie au Christ souffrant et aimant. Elle doit d’abord affronter l’incrédulité de sa communauté. Néanmoins, encouragée par son confesseur, le Père Claude de La Colombière, elle écrit une autobiographie et une correspondance qui développent la dévotion pour le Sacré Coeur. Préparée par la prédication de Jean Eudes, relayée par les jésuites, cette piété doloriste oriente le catholicisme vers un sentimentalisme qui irrite les jansénistes et imprègne la spiritualité du XIXe siècle. Marguerite-Marie a été canonisée en 1920, et Paray-le-Monial reste un important pèlerinage. Marianne, nom familier attribué à la femme, le plus souvent coiffée d’un bonnet phrygien, qui sert d’allégorie à la République française. • Une effigie omniprésente. À l’époque monarchique, la France, comme tous les pays au régime similaire, utilisait l’image du roi pour représenter l’État - sur les pièces de monnaie, par exemple. L’instauration d’un régime républicain l’a amenée à figurer l’État par une abstraction visualisée : la République, inspirée par la Liberté, comme le bonnet phrygien (ou bonnet de liberté) l’atteste. Quant à la raison de la vieille convention qui donne aux idées abstraites une traduction anthropomorphique - généralement féminine -, elle n’est ni une idée française ni une invention de la Révolution. Il semble pourtant que la République en images soit plus répandue en France qu’en toute autre nation, comme si cette omniprésence avait quelque lien avec le caractère passionné de l’histoire politique française : établie en 1792, la République, en effet, sera trois fois renversée, et autant de fois rétablie, et il faudra une centaine d’années avant que ne s’établisse le consensus républicain actuel. Durant le long siècle où s’opposent parti-
sans enthousiastes et détracteurs haineux, imposer partout l’image de la République est une manière de se battre pour elle. C’est pourquoi, sans doute, on trouve la femme à bonnet phrygien non seulement là où elle a sa place officielle, sur le sceau de l’État, les timbres-poste, la monnaie - mais également sur de nombreux supports, aussi variés que facultatifs : statues de places publiques, bibelots d’intérieur, bustes aux murs des mairies et autres bâtiments publics, sans oublier les « Républiques » embellies ou caricaturées des dessinateurs de presse. • Usages militants. Est-ce cette forte charge de passion et même d’affectivité qui est à l’origine du surcroît de familiarité impliqué par le nom « Marianne » ? Sans doute, car il est commode de personnifier une entité que l’on vénère ou que l’on déteste en l’appelant par un prénom, à l’instar d’une nouvelle « sainte » à invoquer ou d’une « garce » à injurier. Pour s’en tenir aux faits, le document le plus ancien dans lequel le nom « Marianne » est employé pour désigner la France en Révolution est une chanson patriotique, datée de novembre 1792, écrite en occitan par le cordonnier jacobin Guillaume Lavabre, de Puylaurens, dans le Tarn. La Garisou de Marianno (« la Guérison de Marianne ») dit : « Depuis le 10 août elle se sent mieux, cette bonne saignée l’a soulagée [...]. » L’obscur Lavabre n’ayant laissé ni mémoires ni lettres, nul ne saura jamais, en toute rigueur, pour quelle raison il a choisi Marianne, plutôt que Jeannette ou Madelon. L’hypothèse la plus probable est le caractère usuel, populaire et presque archétypique du prénom dans cette région. En revanche, il est établi que l’habitude de désigner la République par « Marianne » s’est très vite imposée dans le Midi. Mais il faudra attendre la fin de la IIe République pour que ce nom accède à la notoriété nationale, du fait de son emploi dans le langage codé des sociétés secrètes républicaines. La célébrité lui est acquise après le coup d’État de 1851 et après le mouvement isolé - et d’autant plus remarqué des habitants de Trélazé en 1854 : les ouvriers ardoisiers, tous républicains, organisés en une société secrète dite « La Marianne », ont alors marché en armes sur Angers. Naturellement, le nom de « Marianne », qui relève d’une sorte d’argot politique, n’a jamais été substitué à celui de « République », irremplaçable dans le registre officiel et juridique. Vers la fin du XIXe siècle, il s’emploie dans trois types de lexique : celui, fruste et quelque peu résiduel, des républicains d’origine populaire ; celui des
monarchistes utilisant la familiarité pour insulter en rabaissant ; enfin, celui des républicains cultivés, qui parlent de « République » dans le discours grave, et de « Marianne » dans le langage de la bonne humeur. De nos jours, en raison du ralliement quasi unanime de la classe politique à la forme républicaine de gouvernement, ces usages du nom plus ou moins militants ne sont plus guère de mise. • Transformations récentes. Ces évolutions de langage traduisent des évolutions de fond. Le caractère stable et consensuel des institutions républicaines a produit dans les esprits une association presque automatique de la République française et de la France. De ce fait, les attributions plastiques ou graphiques de la première (le bonnet phrygien, essentiellement) se sont tout naturellement appliquées à l’autre. Bien avant 1900, les caricaturistes français ou étrangers traitant de thèmes de politique extérieure ont utilisé la figure de Marianne pour désigner la France elle-même sur la scène internationale, et non plus pour mettre l’accent sur le caractère républicain de ce pays : l’allégorie s’est ainsi déplacée du plan des antagonismes idéologiques à celui de l’identité nationale ; de conflictuelle, elle est devenue consensuelle. Ce glissement de « Marianne » vers la droite - ou, plutôt, vers le centre - s’est opéré d’autant plus facilement que, du côté de l’extrême gauche révolutionnaire, il y a longtemps qu’on ne représentait plus la Révolution en usant de la forme historique de la femme à bonnet phrygien, mais en empruntant la symbolique du mouvement ouvrier. Une nouvelle mutation est-elle en cours ? Depuis la Ve République, le gaullisme tend à valoriser la notion d’État et à donner à la symbolique du pouvoir exécutif la primauté sur celle de la démocratie libérale. Jadis, Marianne était entourée de solennité, et les hommes d’État, familiers. Aujourd’hui, c’est le président de la République qu’on entoure de solennité, tandis que Marianne est cantonnée dans le rôle souriant d’identification d’un peuple qui se veut aimable. Ce n’est peut-être pas un hasard si l’innovation de 1969, qui a consisté à modeler les bustes à l’effigie d’une célèbre actrice, a suivi de si près la « gaullisation » de la République. Marie (André), homme politique (Honfleur 1897 - Rouen 1974). Avocat de profession, André Marie est élu député radical à l’âge de 31 ans, avant d’être nommé sous-secrétaire d’État à la présidence
du Conseil pour les affaires d’Alsace-Lorraine (1933), puis aux Affaires étrangères (1934) et, enfin, représentant de la France à la Société des nations. Résistant, déporté à Buchenwald en 1943, il retrouve en 1945 ses fonctions parlementaires et sera constamment réélu sous la IVe République. Il est brièvement ministre de la Justice du 22 janvier 1947 au 25 juildownloadModeText.vue.download 590 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 579 let 1948, au moment des derniers procès en Haute Cour des collaborateurs. Après la démission de Robert Schuman (le 19 juillet 1948), il est le premier radical à être nommé président du Conseil sous la IVe République. Dans le contexte de la rupture du tripartisme (les communistes ont quitté le gouvernement Ramadier en mai 1947) et de la mise en place de la « troisième force » alliant la SFIO, le Parti radical, le MRP et la droite modérée, André Marie forme un cabinet de coalition. Mais ce gouvernement, qu’il place pourtant « sous le double signe de la durée et de l’action », échouera, victime de ses contradictions - notamment entre le socialiste Léon Blum (viceprésident) et le libéral Paul Reynaud (aux Finances). Contraint de démissionner le 27 août 1948, André Marie devient, dans le gouvernement Schuman qui lui succède, vice-président du Conseil, bientôt chargé du ministère de la Justice (11 septembre 1948-13 février 1949), où il refuse de poursuivre les communistes lors des grèves des mineurs en 1948. Ministre de l’Éducation nationale d’août 1951 à juin 1954, il parvient à faire voter les lois d’aide à l’enseignement privé (1951). Marie-Antoinette, dauphine de 1770 à 1774, puis reine de France de 1774 à 1792 (Vienne 1755 - Paris 1793). Archiduchesse d’Autriche, fille de l’impératrice Marie-Thérèse et de François Ier de Lorraine, Marie-Antoinette n’a pas encore 15 ans lorsqu’elle épouse le dauphin, petit-fils de Louis XV, le 16 mai 1770. Sensible, très attachée à sa famille, elle a pour elle le charme et la beauté, ainsi qu’un irrésistible désir de plaire et d’être aimée. Quatre ans plus tard, à la mort de Louis XV, le dauphin devient roi sous le nom de Louis XVI. L’avènement de ce jeune couple est salué comme la promesse d’un âge d’or. • Une reine séduisante mais vite impopu-
laire. On attend de cette princesse, dont le rôle est purement représentatif, qu’elle soit une mère capable d’assurer la postérité de la dynastie, qu’elle se soumette à toutes les obligations protocolaires de sa fonction, et qu’elle demeure tout naturellement le gage de l’alliance conclue entre les Bourbons et les Habsbourg. Son expérience conjugale se révèle rapidement désastreuse : Louis XVI mettra sept ans à consommer son mariage ! Aussi MarieAntoinette se lance-t-elle dans une vie de plaisirs effrénée. Revendiquant le droit pour une reine de mener une vie privée, elle se réfugie dans ses petits appartements, qu’elle ne cessera de réaménager jusqu’en 1789, et fait des séjours de plus en plus fréquents au domaine du Trianon, offert par son mari. En compagnie de quelques amis choisis selon son coeur, abolissant les pesanteurs du protocole, elle se conduit comme une princesse sans royaume. Marie-Antoinette apparaît comme jadis ces maîtresses royales qui dilapidaient des fortunes en parures et en caprices divers, avaient leur coterie et faisaient nommer leurs amis aux plus hautes fonctions. Les premiers pamphlets la dénoncent comme une femme frivole, dépensière et infidèle. Cette réputation ne fera qu’empirer au cours des années, les textes et les caricatures finissant par devenir franchement pornographiques. En décembre 1778, la reine met au monde une fille. Elle aura un premier fils en 1781 (porteur des espoirs de la dynastie, il meurt en 1789), un second en 1785 (le futur Louis XVII), et une fille en 1786, qui ne vivra que quelques mois. C’est l’époque où elle entretient une liaison discrète et compliquée avec un bel officier suédois, le comte Axel de Fersen. Le sombre portrait de Marie-Antoinette est définitivement fixé en 1785-1786, lors de la scandaleuse affaire du Collier : berné par une intrigante, un prince - ecclésiastique, de surcroît - appartenant à l’une des plus puissantes maisons de France croit obtenir de la reine des rendez-vous secrets et lui acheter un fabuleux collier à l’insu du roi. • « L’Autrichienne ». On a peine à imaginer que, dans ces conditions, cette princesse ait pu exercer un rôle politique. Conclue entre deux États longtemps ennemis, l’alliance à laquelle elle sert de caution est impopulaire. Aussi, le surnom d’« Autrichienne » lui est-il donné à la cour, dès son arrivée en France. Tout juste déplaisant au début, il se charge de connotations de plus en plus négatives, celle qui le porte devenant, dans l’imaginaire col-
lectif, le symbole de tous les maux. Manipulée par sa famille, Marie-Antoinette multiplie ostensiblement les démarches intempestives auprès du roi et des ministres. Ses interventions brouillonnes, restées sans effet jusqu’à la mort de Vergennes (1787), ne contribuent qu’à la discréditer davantage. Son influence est également limitée sur le plan intérieur jusqu’en 1787. Mais la reine s’immisce ensuite davantage dans les affaires ; elle obtient, par exemple, le départ de Calonne, impose Loménie de Brienne, avant de jouer un rôle dans le rappel de Necker. Dès le mois de mai 1789, Marie-Antoinette pousse Louis XVI à refuser tout compromis avec les députés. Très vite, elle préconise l’épreuve de force : renvoyer manu militari l’Assemblée qui veut donner une Constitution à la France. Elle multiplie les provocations et incite son mari à rassembler des troupes. La riposte populaire ne se fait pas attendre : la marche sur Versailles, le 5 octobre, impose à la famille royale de s’installer à Paris dans des conditions dramatiques. Louis XVI et MarieAntoinette feignent alors de jouer la carte de la révolution modérée, mais informent secrètement les souverains étrangers qu’ils sont en réalité prisonniers et qu’aucun acte contresigné par Louis XVI ne doit être pris au sérieux. Activement secondée par le très réactionnaire comte de Fersen, la reine supplie ses frères (l’empereur germanique Joseph II meurt en 1790, Léopold II lui succède) de lui venir en aide. Au moment où la Constitution, symbole de la victoire révolutionnaire, est sur le point d’être achevée, la reine, qui sous-estime les risques de guerre civile, presse son époux de quitter Paris. Elle souhaite le voir rallier des troupes fidèles qui lui permettront de reconquérir son royaume et de restaurer son pouvoir. L’équipée s’achève à Varennes, le 22 juin 1791. Les souverains ont perdu désormais toute crédibilité. Affolée, Marie-Antoinette ne compte plus que sur un conflit européen pour sauver sa famille et la monarchie. Lorsque la guerre est déclarée en avril 1792, elle souhaite ouvertement la défaite des armées françaises, et fournit des renseignements stratégiques aux puissances ennemies. Au moment où les défaites françaises laissent présager une rapide invasion du territoire, la publication du manifeste de Brunswick déclenche la journée du 10 août, au cours de laquelle le régime s’effondre. Emprisonnés au Temple, le roi, la reine,
leurs enfants et la soeur de Louis XVI espèrent une victoire prussienne. Après le procès et l’exécution de Louis XVI, le 21 janvier 1793, Marie-Antoinette, la femme la plus haïe de France, n’a plus d’avenir. Transférée, seule, à la Conciergerie, en août 1793, « l’Autrichienne » doit être livrée à la vindicte populaire. Son procès, qui n’a pas d’enjeu politique majeur, contrairement à celui de Louis XVI, se déroule en deux jours (14-15 octobre 1793). Véritable iniquité judiciaire, ce procès mêle des griefs réels (la haute trahison) et des calomnies (Hébert l’accuse d’avoir tenté d’émasculer le dauphin...). Mais les accusateurs n’ont aucune preuve de sa culpabilité. Les piètres dépositions des témoins n’ont en réalité aucun poids. Reste le portrait symbolique de l’incarnation féminine d’un régime honni, brossé par un accusateur public qui ne fait que ramasser les ignominies traînant dans les pamphlets depuis des années. Condamnée à mort, Marie-Antoinette est guillotinée, place de la Révolution, le 16 octobre 1793. Marie de Bourgogne, duchesse de Bourgogne de 1477 à 1482 (Bruxelles 1457 - Bruges 1482). Fille unique de Charles le Téméraire et d’Isabelle de Bourbon, Marie de Bourgogne hérite en janvier 1477 d’une principauté puissante - Bourgogne, Franche-Comté, Artois, Picardie, Hollande et Zélande, Belgique actuelle et Luxembourg - mais fragile. Profitant de son inexpérience, ses sujets flamands l’obligent à rétablir les privilèges régionaux supprimés par son père. Antifrançais et redoutant le centralisme capétien, ils s’opposent à une union avec le dauphin, et Marie épouse, en août 1477, Maximilien d’Autriche, futur empereur germanique. Mais Louis XI a déjà mis la main sur le duché de Bourgogne et envahi l’Artois et la Picardie, déclenchant ainsi une guerre dont Marie ne verra pas la fin. Elle meurt en effet accidentellement quelques mois avant la signature du traité d’Arras (décembre 1482). Celui-ci entérine la réunion de la Bourgogne et de la Picardie à la France, et prévoit le mariage de Marguerite d’Autriche, fille de Marie, avec le futur Charles VIII, à qui elle apportera en dot l’Artois et la Franche-Comté. En fait, le mariage n’aura jamais lieu, et, par le traité de Senlis (1493), Charles VIII, pour mieux satisfaire ses ambitions italiennes, abandonne à Maximilien ces deux provinces. Le mariage de Marie et de Maximilien est lourd de conséquences sur l’histoire de l’Europe : il fonde la fortune des Habsbourg, qu’augmente bientôt l’union avec la Cas-
tille. Cette puissance fabuleuse va faire de la lutte contre la maison d’Autriche la priorité de la politique extérieure des rois de France jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. downloadModeText.vue.download 591 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 580 Marie de l’Incarnation (Barbe Avrillot, Mme Acarie, bienheureuse), mystique et religieuse (Paris 1566 - Pontoise 1618). Pieuse fille de riches bourgeois, Barbe Avrillot épouse en 1582 Pierre Acarie, conseiller à la Chambre des comptes de Paris, dont elle aura six enfants, et qui, ligueur virulent, est exilé par Henri IV de 1594 à 1599. À partir de 1588, Mme Acarie connaît des extases mystiques. Influencée par la vie et les oeuvres de sainte Thérèse d’Avila, mais aussi par le capucin Benoît de Canfeld, fondateur de l’« école abstraite » (qui cherche l’union directe avec Dieu, sans l’intermédiaire du Christ), elle fait de son hôtel parisien un lieu de rencontre des tendances spirituelles du moment. Son cousin Bérulle et François de Sales y côtoient les jésuites Coton et Binet, des laïcs tels que Louise de Marillac ou Mme de Sainte-Beuve, ou encore Jacques Gallemant, curé d’Aumale, qui fit de la première communion une vraie cérémonie. Mme Acarie contribue ainsi à enraciner le mysticisme dans le monde des robins et dans celui des anciens ligueurs reconvertis en parti dévot. Avec Bérulle, elle introduit l’ordre des Carmélites au faubourg Saint-Jacques en 1604, mais joue également un rôle important dans l’essor des ordres des Ursulines et des Oratoriens. Veuve en 1613, elle se fait elle-même carmélite en 1615, sous le nom de Marie de l’Incarnation. Béatifiée en 1791, elle est l’une des figures fondatrices de l’école française de spiritualité qui tente, au XVIIe siècle, de concilier exigence spirituelle, action des laïcs et réforme du clergé, même si, comme Bérulle lui-même, elle opte finalement pour la vie monastique. Marie de Médicis, reine de France, seconde épouse d’Henri IV et mère de Louis XIII (Florence 1573 - Cologne 1642). En 1600, soucieux d’assurer une descendance à sa dynastie, Henri IV épouse en secondes noces la fille du grand-duc François Ier de Toscane après avoir répudié Marguerite de Valois. Marie donne le jour, le 27 septembre 1601, au futur Louis XIII, puis à cinq autres
enfants, dont Gaston d’Orléans et HenrietteMarie, future reine d’Angleterre. Épouse souvent délaissée, elle se voit malgré tout confier la régence quand Henri IV prépare une guerre contre l’Espagne ; elle est à cet effet couronnée à Saint-Denis, le 13 mai 1610. Le lendemain, le roi est assassiné, et, dès le 15 mai, Marie est confirmée comme régente, au nom du jeune Louis XIII, au cours d’un lit de justice tenu au parlement de Paris. De 1610 à 1617, elle gouverne la France, prolongeant sa régence au-delà de la majorité du roi (1614). Elle s’appuie d’abord sur les « barbons » laissés par Henri IV, puis cède une influence de plus en plus grande dans les affaires de l’État à son entourage italien, notamment à Concini, qui devient le personnage le plus influent du Conseil. Proche des milieux « dévots », favorables à la paix avec l’Espagne, elle négocie le mariage espagnol de Louis XIII. Confrontée aux prises d’armes des nobles « malcontents » regroupés autour du prince de Condé, elle tente de les contenir par la réunion des états généraux en 1614, puis en faisant appel tour à tour à la négociation (traité de Loudun, mai 1616) et à la répression (arrestation de Condé, septembre 1616). Par le coup d’État royal du 24 avril 1617, au cours duquel Concini est assassiné sur ordre de Louis XIII, elle est écartée du pouvoir. Reléguée au château de Blois, elle s’en évade en 1619 grâce à la complicité du duc d’Épernon, et se joint aux complots nobiliaires tramés contre son fils. La « guerre de la mère et du fils » se termine pitoyablement à la « drôlerie des Ponts-de-Cé » (août 1620). Rentrée en grâce par l’entremise de Richelieu, qui lui devait ses débuts en politique, elle retrouve sa place au Conseil (1622), où elle fait entrer le Cardinal (1624). Mais elle ne tarde pas à s’opposer à la politique anti-espagnole de son ancien protégé, dont elle n’a de cesse d’obtenir le renvoi. Elle croit y parvenir le 10 novembre 1630, mais un ultime revirement de Louis XIII conforte la situation du Cardinal, sorti vainqueur de cette « journée des dupes », et signe la disgrâce définitive de la reine mère. Assignée à résidence à Compiègne, elle s’en évade en 1631, et vivra ses dernières années en exil, trouvant d’abord refuge aux Pays-Bas, puis en Hollande et en Angleterre, avant de s’éteindre à Cologne le 3 juillet 1642. La corruption de son entourage, ses intrigues parfois rocambolesques, mais aussi l’efficacité de la propagande de ses adversaires, au premier rang desquels Richelieu, lui ont valu une mé-
diocre réputation. On doit pourtant lui reconnaître d’avoir, dans des circonstances difficiles, préservé l’héritage d’Henri IV, et d’avoir su réunir, pour son palais du Luxembourg, quelquesuns des meilleurs artistes de son temps, dont Rubens, auteur d’une série de vingt sept toiles illustrant la vie de Marie de Médicis, série présentée aujourd’hui au Louvre. Marie et Barangé (lois), textes législatifs dont l’adoption, en septembre 1951, alors que René Pleven est président du Conseil, rouvre la querelle scolaire et fragilise considérablement la majorité de la « troisième force ». La loi Marie (du nom du ministre radical de l’Éducation nationale André Marie) est adoptée par 361 voix contre 236 ; elle étend l’accès aux bourses de l’enseignement secondaire aux élèves des écoles privées. La loi Barangé (ainsi nommée, car le député MRP Charles Barangé est le premier signataire, par ordre alphabétique, de la proposition de loi) remporte 313 voix contre 255 ; elle prévoit des crédits pour les bâtiments scolaires de l’enseignement public du premier degré et met en place une allocation trimestrielle de 1 000 francs par élève du primaire, que celui-ci soit inscrit dans une école publique ou privée. Ces deux dispositions sont défendues par les députés tant MRP qu’indépendants et modérés, soutenus par le groupe RPF. Elles soulèvent d’âpres discussions et provoquent la division du Parti radical : pour certains, elles apportent à l’école publique un accroissement de ressources supérieur aux subventions allouées à l’école privée ; mais, pour d’autres, elles constituent une atteinte grave à la laïcité. Les socialistes et les communistes votent contre, et s’engagent à obtenir leur abrogation. De ce fait, la « troisième force » cesse d’exister : soutenu depuis sa formation, en août 1951, mais sans participation - par la SFIO, le gouvernement Pleven tombe le 7 janvier 1952. Après un éphémère cabinet dirigé par Edgar Faure, Antoine Pinay (Centre national des indépendants et paysans) devient président du Conseil, en mars 1952, grâce à l’appui des députés gaullistes, marquant ainsi le retour de la droite dans la vie politique de la IVe République. Marie Leszczynska, reine de France (Breslau, Pologne, 1703 - Versailles 1768). Fille de Stanislas Leszczynski, roi déchu de Pologne, et femme de Louis XV, qui tôt la délaisse, l’avant-dernière reine de l’Ancien
Régime a une vie douloureuse. Jeune, rien ne prédestine la petite réfugiée de Stettin, des Deux-Ponts et de Wissembourg à régner. Mais, à Versailles, Louis XV, âgé de 15 ans, est de santé fragile. Sa fiancée, l’infante d’Espagne, n’a que 7 ans. Le duc d’Orléans et Philippe V d’Espagne guettent le trône de France. Le duc de Bourbon, alors Premier ministre (1723-1726), doit donc trouver une princesse en âge de donner rapidement un fils au roi. Sa maîtresse, Mme de Prie, voit en Marie Leszczynska, 22 ans, ce « ventre » providentiel ! L’infante renvoyée à Madrid, le mariage polonais conclu (1725), la reine accouche. En dix ans, elle mettra au monde dix enfants, dont sept survivront. Mais la naissance d’un seul fils - le Dauphin, en 1729 - et le tempérament de son époux éloignent Marie du roi, qui s’éprend dès 1732 des quatre filles du marquis de Nesles, Mmes de Mailly, de Vintimille, de Lauragais, de La Tournelle ; puis de Mme de Pompadour en 1744. En 1764, le soulagement que procure la mort de cette dernière est de courte durée : la disparition du Dauphin (1765), puis celle de Stanislas (1766) assombrissent tout à fait le salon déjà mesquin et dévot de la reine vieillissante, à laquelle le roi préfère désormais l’éclat des 25 ans de Mme du Barry. Marie-Louise, archiduchesse autrichienne, devenue impératrice des Français (Vienne 1791 - Parme 1847). Soucieux de consolider son pouvoir par la perspective de le transmettre à un héritier direct tout en renforçant son système d’alliances diplomatiques, Napoléon, en 1809, décide de négocier son remariage avec une princesse européenne. L’échec des pourparlers engagés avec la Russie permet à l’Autriche de proposer la main de la fille de l’empereur François Ier. Le mariage par procuration se déroule à Vienne le 11 mars 1810, puis la première rencontre des deux époux a lieu le 27 mars. Élevée dans la haine de la France, où sa grand-tante Marie-Antoinette a été guillotinée, Marie-Louise ressent une véritable acrimonie pour ce « Corsicain » dont les armées triomphent si souvent des Autrichiens. Mais douée d’une faible personnalité, elle se laisse peu à peu convaincre que cet homme n’a rien d’un monstre et qu’elle aura, si elle devient impératrice des Français, le plaisir d’être le centre d’une cour brillante et de jouer un rôle politique important. Marie-Louise se révèle une épouse docile et affectueuse, d’autant plus appréciée par Napo-
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DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 581 léon qu’elle lui donne, le 20 mars 1811, l’héritier qu’il espérait. En dépit de son attitude hautaine, elle ne suscite aucune médisance et chacun reconnaît qu’elle tient dignement son rang. En 1813, elle est une régente sans esprit de décision, bien qu’elle soit animée du désir de favoriser la résistance française. Et, lorsque Napoléon se trouve à l’île d’Elbe, elle le prie de l’autoriser à le rejoindre. Mais son père l’encourage à revenir à Vienne et la pousse dans les bras du comte von Neipperg. Elle renonce dès lors à partager le sort de son mari, qu’elle ne reverra jamais. Devenue duchesse de Parme, elle s’installe en 1816 dans sa principauté, où elle finira ses jours. Marie Stuart, reine d’Écosse de 1542 à 1567 et de France de 1559 à 1560 (Linlithgow, Écosse, 1542 - Fotheringay, Angleterre, 1587). Le règne de Marie Stuart, fille de Marie de Guise et de Jacques V Stuart d’Écosse, marque la fin des prétentions françaises outreManche. Envoyée en 1548 à la cour du roi de France Henri II, Marie, reine d’Écosse depuis l’âge d’une semaine, favorise la puissance des Guises, ses oncles maternels. Elle épouse le dauphin en 1558, alors qu’avec l’aide des troupes du Valois, sa mère contient en Écosse la révolte protestante et l’influence anglaise (1559-1560). Le décès de la régente débouchant sur le traité d’Édimbourg (protectorat de l’Angleterre sur l’Écosse) et la mort précoce de son époux François II entraînent, en 1561, le retour de cette jeune catholique dans un royaume gagné à la Réforme. Elle séduit pourtant par son humilité vis-à-vis de sa puissante cousine, Élisabeth d’Angleterre, par le brillant de sa cour, par sa tolérance religieuse et par la nomination d’un protestant à la tête du Conseil, son frère bâtard, Jacques Stuart. Mais ses déboires sentimentaux (mariages avec Henry Darnley en 1565, puis avec l’assassin de ce dernier, James Hepburn, comte de Bothwell, en 1567) servent l’agitation de la puissante aristocratie. Elle doit abdiquer, et, après la défaite de Langside, s’exiler en Angleterre (1569). Bien qu’elle refuse de la condamner, Élisabeth cède sous la pression du parlement. Marie est alors dénoncée comme l’inspiratrice des complots contre la « reine blanche », d’autant qu’en vertu de ses droits, l’Europe catholique la considère comme l’héritière légitime du trône d’Angleterre. Après un empri-
sonnement de dix-huit ans, elle est décapitée discrètement, après avoir proclamé qu’elle meurt pour la cause du Seigneur. Marie-Thérèse d’Autriche, reine de France (palais de l’Escurial, près de Madrid, 1638 - Versailles 1683). Épouse de Louis XIV, mais victime des nombreuses infidélités de ce dernier et remplacée l’année même de sa mort par Mme de Maintenon, cette infante d’Espagne est un simple pion sur l’échiquier européen. Elle est doublement la cousine germaine de Louis XIV : son père Philippe IV est frère d’Anne d’Autriche ; sa mère Élisabeth, soeur de Louis XIII. Mariée à Saint-Jean-de-Luz (1660) pour mettre fin à la guerre franco-espagnole (1635-1659), elle épouse un roi épris de Marie Mancini. Sa dot, fixée au traité des Pyrénées (1659), est (pour la France) pleine d’espérances, car Mazarin exige 500 000 écus d’or, sachant très bien que Philippe IV ne pourra jamais la payer. Ce qui advient. Aussi, à la mort du Roi Catholique (1665), Louis XIV peut-il impunément entamer la guerre de Dévolution, dite « des Droits de la reine », et s’emparer de Lille (1668) ! Et, en 1713, tout aussi légitimement, il peut asseoir sur le trône d’Espagne son petit-fils (Philippe V) à l’issue de la guerre de la Succession. En dehors de son intérêt dynastique, la reine offre peu d’agréments : elle est petite, assez grosse, dépourvue d’esprit, gourmande (elle introduit le chocolat en France) et parle mal le français. Des enfants qu’elle donne au roi, seul le dauphin Louis (1661) parvient à l’âge adulte. Elle souffre d’une chanson que compose alors un peuple qui n’ignore pas que le roi lui préfère Mmes de La Vallière et de Montespan, tout aussi blondes qu’elle (« Auprès de ma blonde, qu’il fait bon dormir »). Marignan (bataille de), bataille remportée par François Ier sur les cantons suisses dans la plaine lombarde, près de Milan, à Marignan (Melegnano), les 13 et 14 septembre 1515. • Le paradoxe de Marignan. L’une des dates les plus connues de l’histoire de France est, en effet, celle d’une bataille qui faillit ne pas avoir lieu. Le jeune roi, qui a accédé au trône au début de l’année 1515, souhaite reconquérir la Lombardie, perdue par Louis XII ; il s’allie avec la république de Venise et poursuit les préparatifs de campagne amorcés par son prédécesseur. Toutefois, dans le même temps, il négocie avec les Suisses, pour qu’ils renoncent au protectorat de fait qu’ils exercent sur le duché de Milan depuis 1512. Le 15 août,
l’armée royale, forte de 30 000 hommes (dont près de 20 000 lansquenets), passe les Alpes par la difficile route du col de Larche, à la grande stupéfaction de ses ennemis. Pourtant, les négociations se poursuivent et sont sur le point d’aboutir, lorsque les 20 000 Suisses, incités à combattre par le cardinal de Sion, Matthäus Schiner, sortent de Milan pour se porter à la rencontre des troupes françaises. • Une bataille de « géants ». Les combats durent près de vingt-quatre heures : jusqu’au matin, la mêlée confuse des fantassins ne semble pas désigner de vainqueur, et l’armée française, bousculée quelque peu par les premiers assauts des carrés de piquiers helvètes, profite de la nuit pour réorganiser ses défenses. Même si les récits des contemporains concordent rarement, il semble avéré que la résistance des lansquenets dans l’après-midi du 13, puis les ravages causés par l’artillerie et les charges de la cavalerie lourde sur les flancs des carrés de fantassins, furent pour beaucoup dans la victoire finale. En revanche, on débat encore de l’importance que put avoir, à la fin de la matinée du 14, l’arrivée tardive des renforts vénitiens. Quoi qu’il en soit, au milieu de la journée, les Suisses se retirent en bon ordre vers Milan. François Ier, constamment présent au premier rang de ses hommes d’armes, se fait alors armer chevalier par Bayard - un épisode qui va donner naissance à l’une des plus célèbres représentations de l’histoire de France. La bataille a pourtant une autre face, le massacre des anonymes : près de 10 000 Suisses et 5 000 soldats de l’armée royale sont morts au combat, et le roi écrit à sa mère : « Tout bien débattu, depuis deux mille ans en çà n’a point été vue une si fière ni si cruelle bataille. » Certes, la victoire a été longue à se dessiner, mais ses conséquences politiques sont immédiates : la Lombardie redevient française, le roi d’Espagne demande des négociations, le pape Léon X s’allie avec le vainqueur, et les Suisses signent bientôt une « paix perpétuelle » avec la France. Le jeune souverain victorieux, comparé à Hannibal et à César par ses courtisans, fait un retour triomphal en France, et, pendant quelques années, sa puissance semble sans égale en Europe. • L’image d’Épinal. Pour la dernière fois dans l’histoire de la monarchie, le roi a agi en véritable chef de guerre et, en personne, non sans panache, il a conduit son armée à une victoire difficile mais éclatante. La geste nationale - faisant bon marché du rôle essentiel que jouèrent alors les mercenaires alle-
mands - voulut souvent trouver dans ce combat une illustration d’improbables qualités naturelles de la nation française (fougue, courage, unité derrière son roi) ou de l’éternelle vaillance de ses armes. Ainsi, l’histoire enseignée sur les bancs de l’école ne retint longtemps des guerres de François Ier que cette victoire - somme toute éphémère à l’échelle des guerres d’Italie - et fit de Marignan l’événement emblématique d’un long règne où les défaites ne manquèrent pourtant pas. Marigny (Enguerrand de), principal conseiller du roi Philippe le Bel (Lyons-la-Forêt, aujourd’hui dans l’Eure, vers 1270 - Paris 1315). Au début de sa carrière, ce chevalier issu d’une famille noble du Vexin bénéficie de l’appui de ses cousins très influents, Guillaume de Flavacourt, archevêque de Rouen, et Nicolas de Fréauville, confesseur du roi. Il est panetier de la reine Jeanne de Navarre en 1295, puis accède à la prestigieuse fonction de chambellan du roi en 1304. Homme de confiance de Jeanne de Navarre, il devient, après la mort de celle-ci en 1305, le principal conseiller de Philippe le Bel. Il est alors chargé des Finances royales, et mène des négociations avec les Flamands, le pape et l’Angleterre. Avec la faveur du roi et l’aide des amis qu’il a placés au sein du gouvernement central, il détient, à la fin du règne de Philippe le Bel, un pouvoir politique considérable. C’est lui qui encourage le roi à se saisir des biens des Templiers, et il tente même, sans y parvenir, de faire élire pape son cousin, Nicolas de Fréauville. Il a réuni une immense fortune grâce à laquelle il peut fonder, dans sa seigneurie d’Écouis, en Vexin, une somptueuse collégiale (1311). Mais son exceptionnelle ascension sociale dérange la haute noblesse : aussi, après la mort de Philippe le Bel (le 29 novembre 1314), la disgrâce d’Enguerrand de Marigny survientelle très vite, les princes l’accusant de malversations et de sorcellerie ; il est pendu le 30 avril 1315 à Montfaucon, à peine cinq mois après la mort de son protecteur. downloadModeText.vue.download 593 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 582 Marillac (Michel de), garde des Sceaux de Louis XIII (Paris 1563 - Châteaudun, Eure-etLoir, 1632). Sa famille, d’ancienne noblesse d’épée auver-
gnate, s’est tournée vers les charges de robe, et son père a été contrôleur général des Finances. Michel est d’abord conseiller au parlement de Paris, dès 1586. Sa piété intransigeante en fait un ligueur actif, mais son sens de l’État le pousse à se rallier à Henri IV, dès la conversion de celui-ci, ce qui lui vaut d’être nommé maître des requêtes en 1595, et de parcourir la France comme commissaire du roi, pour rétablir l’ordre. Parallèlement, il s’affirme comme une figure du courant dévot, fréquente Mme Acarie, François de Sales, Vincent de Paul et aide Bérulle à introduire en France l’ordre des Carmélites, puis celui des Oratoriens. Sensible à sa piété - il communie plusieurs fois par semaine -, la régente Marie de Médicis le fait conseiller d’État en 1612. Surintendant des Finances en 1624, puis garde des Sceaux en 1626, il se veut réformateur en promulguant en 1629, malgré l’opposition des parlements, le Code Michau, premier recueil ordonné de la législation française. Mais ce partisan de l’absolutisme va échouer en politique extérieure : favorable à la paix entre les puissances catholiques, il s’oppose à Richelieu, qui entend contrer l’hégémonie espagnole. Le chef du parti dévot tombe en disgrâce après la journée des Dupes, et finit ses jours en prison. l MARINE. Durant des siècles, la France, pays riche, agricole et terrien, n’a guère incité les Français à courir des risques immenses sur des mers inconnues. Partout, les naufrages, pirates et autres « fortunes de mer » attendaient ceux des marins qui avaient résisté au scorbut. À l’Équateur, disait-on, l’eau se mettait à bouillir. Ailleurs, des pierres et îles aimantées attiraient les clous des coques des navires ! Alors, les sujets du TrèsChrétien boudèrent longtemps les espaces maritimes, à l’exception de quelques individus. Il fallut attendre le XVIIe siècle pour que se constitue une véritable marine, qui allait connaître des fortunes diverses. LA FRANCE TOURNE LE DOS À LA MER Au Moyen Âge, sous les Capétiens, les ports tels Marseille (Massilia), Toulon (Telo Martius), Nice (Nicaea), ou Fréjus (Forum Julii), créés par les Grecs et les Romains. Les provinces littorales et leurs ports ne seront en effet que tardivement rattachés à la couronne : la Guyenne en 1472, avec Bordeaux et Brouage, la Provence en 1481, avec Toulon et Marseille, la Bretagne en 1491, avec Brest et Saint-Malo. Même si Louis IX crée un amiral de France ayant autorité sur les côtes qui sont du ressort du parlement de Paris (Normandie
et Picardie), même si le roi se rend en Égypte et à Tunis, où il trouve la mort en 1270, même si quelques nefs appareillent d’AiguesMortes, au pied de la tour de Constance, les grandes puissances maritimes sont alors les Républiques méditerranéennes, Gênes et Venise. Certes, Philippe le Bel installe à Rouen l’arsenal du « clos des Galées » (1294) et la France s’engage au début de la guerre de Cent Ans dans la bataille navale de L’Écluse (1340) - qui se termine par une lourde défaite. Mais, malgré les croisades, le pays tourne encore le dos à la mer. Au XVe siècle, ce sont les Portugais qui ouvrent la période des Grandes Découvertes : en 1415, ils sont à Ceuta ; en 1434, au cap Bojador ; en 1498, à Calicut. Ils inventent la caravelle (vers 1440), et Colomb ayant découvert l’Amérique (1492), la mer est aux Ibériques : véritable partage du monde, entériné par le pape Alexandre VI et confirmé par le traité de Tordesillas en 1494. Quelques Français se lancent toutefois sur les mers : un Dieppois, Jean Ango (vers 14801551), s’enrichit en Afrique et aux Indes ; un Malouin, Jacques Cartier (1491-vers 1557), prend possession en 1534 de la NouvelleFrance (Canada) ; un Florentin, Giovanni da Verrazzano, passe au service de François Ier, qui crée Le Havre de Grâce en 1517 à l’embouchure de la Seine. Des pêcheurs basques, des navigateurs dieppois, quelques corsaires malouins, s’aventurent vers le Saint-Laurent, Terre-Neuve, l’Acadie. Si on relève la présence de Français à bord des navires de Magellan lors du premier tour du monde (1519-1521), leurs compatriotes du XVIe siècle restent des terriens, hormis de rares exceptions (Villegagnon, qui tenta de fonder une colonie au Brésil). En fait, les amiraux de France naviguent peu. Ce sont de grands seigneurs impliqués dans des combats terrestres - tel Bonnivet, tué à Pavie (1525) -, dans les guerres de Religion - tel Coligny, victime de la Saint-Barthélemy (1572) - ou dans les troubles de la Ligue (1588). Les quatre amirautés (de France, Guyenne, Bretagne et Provence) sont avant tout des enjeux de pouvoir. Ainsi, à partir de 1563, les Guises, ligueurs et généraux des galères, s’acharnent contre Coligny, huguenot soutenu par les amiraux de Guyenne, calvinistes : Henri d’Albret, Antoine de Bourbon, puis son fils Henri de Navarre, futur Henri IV. De ce fait, en 1589, le nouveau roi hérite d’un littoral ruiné et sa flotte de guerre ne compte plus qu’un seul vaisseau. Certes, il fortifie Toulon grâce à la dot de Marie de Médicis,
mais la marine n’a guère d’importance en France et, si Drake, Raleigh et Frobisher illustrent le règne d’Élisabeth Tudor qui résiste à l’Invincible Armada (1588), Sully pense toujours que « pâturage et labourage » sont les deux mamelles du royaume ! RICHELIEU FACE AUX ESPAGNOLS : LA NAISSANCE DE LA MARINE FRANÇAISE Richelieu est le premier homme politique français à concevoir un « grand dessein » maritime pour le royaume. Dès 1626, il obtient de Louis XIII la suppression des anciens amiraux issus de la féodalité, la création, à son profit, de la charge de grand-maître, chef et surintendant général de la Navigation et Commerce de France ; le gouvernement de la plupart des ports du royaume. Il fait venir alors nombre de charpentiers hollandais, crée des chantiers navals à Indret et à La RocheBernard et fait construire une première flotte de guerre - dont le fleuron est la Couronne. Allié de la Suède durant la guerre de Trente Ans (1631), le roi dote sa flotte de canons suédois (les meilleurs d’Europe), de chanvre, de mâts, de cuivre, de bois de sapin et autres agrès, créant ainsi les trois premières escadres françaises (1627) : de Guyenne, Bretagne et Normandie, basées respectivement à Brouage, à Brest et au Havre. Trois premiers chefs d’escadre sont alors nommés, et, en 1628, avec l’aide de navires hollandais et maltais, Louis XIII écrase les protestants rochelais, alliés aux Anglais. À partir de 1635, pour faire face au roi d’Espagne - traditionnel ennemi du TrèsChrétien depuis Charles-Quint -, qui tire sa puissance des « flottes d’argent » du Mexique, le Cardinal impulse une politique coloniale : en 1635, la Martinique est prise par Belain d’Esnambuc ; la Guadeloupe, par Lienart de l’Olive. En 1642 sont créés FortDauphin (Madagascar) et Ville-Marie, future Montréal. Le Cardinal soutient la création de compagnies de commerce, telle celle de SaintChristophe (1626), et dote les îles françaises d’Amérique d’un gouverneur (1638) et d’un intendant (1642) chargés d’y faire prospérer les premières « habitations » de tabac ou d’indigo. Une fois les Rochelais battus, les premiers postes de pêche créés outre-mer, les premiers comptoirs de « traite des fourrures » établis, Richelieu donne à la France sa première marine de guerre susceptible de vaincre la
puissance maritime dominante : l’Espagne. Dès 1634, il construit la tour Balaguier devant Toulon. En 1635, il achète leur charge aux Gondi, généraux des galères de France depuis 1573, ainsi que leurs îles d’Hyères. La même année, Louis XIII déclare la guerre au Roi Catholique. Aux ordres des neveux de Richelieu, Maillé-Brézé et Pont-Courlay, ou de Sourdis, cardinal archevêque de Bordeaux, les flottes du roi triomphent des galions et galères d’Espagne à Guétaria (1638), Vado (1638), Cadix (1640), Tarragone (1641), Barcelone (1642) et Carthagène (1643). À sa mort, le Cardinal laisse une marine puissante, dirigée par son oncle Amador de La Porte, gouverneur du Havre (1642/1644), et son neveu, Maillé-Brézé, grand maître de la Navigation (1642/1646). Mais celui-ci est tué à Orbitello (1646) alors que meurt Pont-Courlay, général des galères. Lors de la Fronde (1648-1653), la marine, malgré Anne d’Autriche, reine régente et nouveau grand-maître de 1646 à 1650, s’effondre. À la mort de Mazarin, en 1661, elle a quasiment disparu. « Veaux, vaches, cochons, couvées » symbolisent toujours la richesse fondamentale. Aussi les « gueux de la mer » calvinistes (les Hollandais), indépendants de l’Espagne depuis 1648, détiennent-ils le quasi-monopole du commerce maritime mondial. Ils ne sont que trois millions, mais transportent et distribuent en Europe les épices des Moluques, le poivre, le clou de girofle, la cannelle et le gingembre de l’océan Indien, depuis Batavia. Colbert, qui arrive alors au pouvoir (1661), décide de remédier à cette situation. COLBERT FACE AUX HOLLANDAIS : LA RENAISSANCE DE LA MARINE FRANÇAISE Dès 1661, Colbert évince Fouquet, vice-roi des îles d’Amérique et titulaire de nombreuses charges maritimes. Il favorise lui aussi la création de grandes compagnies de commerce : downloadModeText.vue.download 594 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 583 des Indes orientales et occidentales (1664), du Nord, etc., qui ne rencontrent guère plus de succès que celles fondées sous Richelieu. Il crée Sète (1666) et Rochefort (1666), et se lance dans un ambitieux projet de liaison Méditerranée-Atlantique : le canal des DeuxMers. En 1669, la disparition à Candie du dernier grand-maître de la Navigation, Beau-
fort, fils et successeur du duc de Vendôme, lui permet de faire supprimer la grande maîtrise par Louis XIV ; de retirer leur pouvoir sur les marines du Levant et du Ponant aux deux secrétaires d’État à la Guerre et aux Affaires étrangères ; de rétablir l’amirauté de France en faveur d’un enfant âgé de 2 ans, le comte de Vermandois, fils du roi et de Mme de La Vallière. Donc, à partir de 1669, Colbert a la haute main sur toute la marine en tant que secrétaire d’État à la Maison du roi, chargé des affaires de Paris, du clergé et de la marine. Il améliore les ports, cultive le goût du roi pour la mer en installant une flotte miniature sur le Grand Canal de Versailles et dote la marine de structures. Nommés et soldés par le roi, les officiers d’épée - enseignes, lieutenants, capitaines, chefs d’escadre, lieutenants généraux, vice-amiraux - combattront en mer ; les officiers de plume - écrivains, commissaires, intendants - géreront les dépenses ; quant aux officiers de port, ils seront chargés de la conservation des vaisseaux désarmés. Surtout, Colbert entreprend la construction d’une flotte destinée à écraser les Hollandais. Il classe ces vaisseaux neufs, décorés par Puget et Lebrun, en cinq rangs selon leur taille (de 55 à 56 mètres de long, 15 de large) et le nombre de leurs canons de fer ou de bronze. Désormais, le vaisseau de guerre, appelé vaisseau de ligne, car il combat en ligne de file depuis 1664, est totalement dissocié du navire de commerce, autrefois « armé en guerre » à l’occasion d’un conflit. Fort de ce formidable outil naval (117 vaisseaux, 25 frégates, 44 bâtiments légers, 1 200 officiers, 53 000 gens de mer), Louis XIV livre la guerre de Hollande (16721678). En 1676, Duquesne triomphe des Hispano-Bataves en Méditerranée et tue à Agosta le plus célèbre des marins hollandais : Ruyter (1606-1676). Et Louis devient Louis « le Grand » au lendemain du victorieux traité de Nimègue (1678). Seignelay, fils et successeur (1683/1690) de Colbert, porte la marine à son apogée : 120 vaisseaux de 90, 100, 110 canons. Mais la guerre de la Ligue d’Augsbourg (16881697) change les données. Le stathouder de Hollande Guillaume d’Orange étant devenu roi d’Angleterre en 1689, la France affronte seule les deux premières marines du monde. Cela dans un contexte législatif et religieux qui déstabilise les marins français, souvent roturiers, calvinistes, formés à la mer dès l’enfance par un père marchand ou armateur. La création des gardes-marine en 1683, qui
visait à former - à terre - les futurs officiers, la révocation de l’édit de Nantes en 1685, qui a privé la marine de ses meilleurs éléments, dont Duquesne, la grande ordonnance de 1689 qui exige de tout officier qu’il soit « né gentilhomme », sont autant de mesures pernicieuses. Aussi, dès 1690, face à la Royal Navy, Tourville ne parvient pas à exploiter sa victoire de Béveziers. Et, en 1692, s’il résiste à Barfleur, il perd 15 de ses 44 vaisseaux à La Hougue. Les Pontchartrain, Louis (secrétaire d’État à la Marine de 1690 à 1699), puis Jérôme (de 1699 à 1715, durant la guerre de la Succession d’Espagne), tentent de revenir aux marins « nourris dans l’eau de mer et la bouteille », qu’ils préfèrent - comme Richelieu naguère - aux « chevaliers frisés ». Abandonnant la guerre d’escadre, coûteuse et jugée stérile, ils privilégient la guerre de course, qu’ils estiment plus rentable. Ils anoblissent Jean Bart (1694) et Duguay-Trouin (1709), alors que Cassard, Pointis, Ducasse s’illustrent de Carthagène des Indes (1697) à Rio de Janeiro (1711), aux côtés des flibustiers des Antilles ou des boucaniers de l’île de la Tortue. LE CREUX DE LA VAGUE : 1713-1763 Après la signature de la paix d’Utrecht (1713) et la mort de Louis XIV (1715), l’alliance du Régent avec l’Angleterre inaugure trois décennies de paix (1715-1744), favorables à l’essor du grand commerce maritime. Les Antilles deviennent « les îles à sucre ». La façade atlantique du royaume se développe. Bordeaux, Nantes, La Rochelle et Le Havre s’enrichissent de beaux hôtels chargés de balcons ornés de fer forgé. La traite négrière, les importations (sucre, café, coton, indiennes), font la fortune des armateurs et des négociants : les Gradis, les Bonnaffé à Bordeaux ; Roux de Corse à Marseille. D’où la jalousie de l’Angleterre. Maurepas, fils de Jérôme de Pontchartrain et son successeur de 1723 à 1749, réussit à faire face à l’« Invincible Albion » durant la guerre de la Succession d’Autriche (1744-1748). Mais les Français, même s’ils mettent du sucre et du café dans leur bol de lait matinal depuis 1750, se désintéressent de la marine. Et, si les élites tapissent leurs salons d’indiennes et de laques de Chine, boivent du thé et utilisent des chocolatières en argent, la France reste définie comme un « pré » - carré certes selon Vauban -, terme symbolique. Le Bourbon préfère la pierre (la fortification) au bois (le vaisseau). Aussi, durant la guerre de Sept Ans (17561763), la marine à l’abandon n’essuie-t-elle
que des désastres, malgré la prise de Minorque (1756) par La Galissonnière. En 1759, elle perd son escadre du Levant au large de Lagos, puis celle du Ponant aux Cardinaux. Le traité de Paris (1763) entérine la perte du Canada. Mais, pour l’opinion « éclairée », ce ne sont là que quelques « arpents de neige » (Voltaire). DE LA REVANCHE (1763-1783) AU DÉSASTRE (1798-1805) Choiseul, puis son cousin Choiseul-Praslin s’acharnent alors à reconstituer la marine française pour préparer la revanche. Ils reconstruisent des vaisseaux, obtiennent des dons du clergé, des chambres de commerce, des états provinciaux, des villes ou de simples particuliers. Ils réforment le corps (1764-1765) et l’exercent lors de l’expédition de Corse (1768-1769). Sous Louis XVI, Antoine de Sartine et le marquis de Castries remplacent la marine de Vernet par de puissantes escadres. Aux ordres du comte de Grasse et du bailli de Suffren durant la guerre d’Amérique (17781783), à la baie de Chesapeake et sur les côtes du Coromandel, elles contribuent à la victoire des Insurgents des treize colonies. La marine est de nouveau à son apogée : 80 vaisseaux, 80 frégates, 120 bâtiments légers, 80 000 inscrits maritimes, 1 657 officiers ; le Ville-de-Paris de Grasse (63 mètres de long, 17 de large, 120 canons) restera inégalé. Le marin est à la mode : Bougainville, rendu illustre par son tour du monde (1766-1768), le premier réalisé par un Français ; Du Couédic, héros de la Belle-Poule (1778) ; Kerguelen, explorateur et corsaire ; La Pérouse, explorateur perdu dans le Pacifique ; d’Entrecasteaux, qui part à sa recherche. Mais, nobles de naissance ou d’apparence, 1 200 officiers émigrent après les émeutes toulonnaises et brestoises, et 128 meurent lors de l’expédition royaliste de Quiberon (1795). Si plusieurs réintègrent ultérieurement la marine, le corps est encore trop mal réorganisé pour empêcher les désastres - Aboukir (1798), Trafalgar (1805) - et même le naufrage de la Méduse (1816). LA MARINE CONTEMPORAINE Au XIXe siècle, les marines de guerre et de commerce changent. Le fer se substitue au bois, la vapeur au vent, les cheminées aux mâts ; Sauvage invente l’hélice (1832). Dès 1783, le bâtiment à vapeur du marquis Jouffroy d’Abbans avait remonté la Saône. En 1801, Fulton
fait évoluer sur la Seine un bateau à roues. En 1823, la France met en service ses premiers vapeurs et, après la victoire de Navarin (1827), l’un d’eux se distingue dans l’expédition d’Alger avant de participer au transport (1833) de l’obélisque, de Louxor à la place de la Concorde. En 1842, les chantiers havrais d’Augustin Normand lancent le premier bâtiment à hélice : le Corse. Durant la guerre de Crimée (1855), ces bâtiments imposent leur supériorité. Après avoir imaginé (1847) le premier navire de guerre à vapeur, le Napoléon, Dupuy de Lôme construit en 1859 la première frégate cuirassée : le Gloire. La marine de Napoléon III atteint alors un nouvel apogée : en 1870, elle compte 382 unités, dont 16 vaisseaux ou frégates cuirassés, et 20 000 marins participent à la défense de Paris. Puis l’acier remplace le fer (1875), et les nouveaux bâtiments de guerre se répartissent en cuirassés, croiseurs, torpilleurs (1875), contre-torpilleurs, sous-marins (1885) et porte-avions (1910). Aux arsenaux de Brest, Toulon, Rochefort, Lorient et Cherbourg s’ajoutent ceux de Bizerte, Dakar, Saïgon. Au XXe siècle, le mazout remplace le charbon. La radio est installée sur tous les navires (1900-1905). En 1914, la marine de guerre française est la troisième du monde, après celles de l’Angleterre et de l’Allemagne. Elle compte 33 cuirassés et grands croiseurs, 27 croiseurs légers, 180 torpilleurs, 76 sous-marins et, en 1918, 2 000 avions de l’aéronavale. La Première Guerre mondiale, en l’absence de grande bataille navale française, consacre néanmoins l’importance de la marine en matière de protection des communications avec l’empire. En 1939, elle est la quatrième du monde, derrière celles de l’Angleterre, des États-Unis et du Japon. Elle compte 7 bâtiments de ligne, 76 sous-marins, 80 000 hommes. La Seconde Guerre mondownloadModeText.vue.download 595 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 584 diale, malgré les efforts de Georges Leygues durant l’entre-deux-guerres, s’avère délicate pour la marine : destruction d’une partie de la flotte à Mers-el-Kébir (1940) et sabordage de soixante unités à Toulon (1942). De 1940 à 1943, la marine est divisée entre Forces navales françaises libres (FNFL) et marine du gouvernement de Vichy. Durant l’aprèsguerre, elle apporte une lourde contribution à la guerre d’Indochine. En 1955, le sous-ma-
rin américain qui met en route son premier moteur atomique ouvre une nouvelle révolution navale. Aujourd’hui, si la technique évolue (propulsion nucléaire, lance-engins), les marins instruits à bord du Jeanne-d’Arc continuent à être une élite ancrée dans la tradition mais toujours à la pointe de la recherche technologique, alors que les 209 bâtiments de la flotte de commerce française sont les héritiers des lourdes naves médiévales, même si les pondéreux ont remplacé le vin, l’huile ou les grains de jadis. Marly (machine de), machine hydraulique construite sous le règne de Louis XIV pour conduire les eaux de la Seine à Versailles, par l’intermédiaire de l’aqueduc de Marly. Sur une idée du Liégeois Arnold de Ville, fils de fondeur, et grâce à son compatriote charpentier Rennequin Sualem, on établit sur la rive gauche de la Seine un barrage qui fournit la force motrice. Puis on installe 14 grandes roues à aubes destinées à mettre en mouvement 259 pompes aspirantes et foulantes. Ces dernières, réparties en trois séries, élèvent l’eau à plus de 150 mètres sur une distance de 1 200 mètres. Construite à partir de 1676, la machine de Marly entre en action six ans plus tard. Prévue pour un débit quotidien de 6 000 mètres cubes, elle n’en fournit que la moitié. Si elle résulte d’un indéniable savoir-faire et témoigne d’un effort pour résoudre les problèmes majeurs de l’hydraulique - pression de l’eau, résistance et étanchéité des matériaux -, elle n’en exige pas moins des réparations incessantes. En 1786, le gouvernement envisage de la remplacer. En 1812, l’application de la vapeur fait l’objet d’une première tentative, mais c’est seulement en 1818 que les pompes à vapeur sont mises en fonctionnement. En 1826 sont installées les célèbres « pompes à feu » de Marly. De 1855 à 1859, l’ingénieur Dufrayer construit une machine hydraulique dont les roues à palettes, mues par la force de la Seine, permettent d’alimenter plusieurs communes, dont Versailles, Meudon et Saint-Cloud. marmousets, groupe de conseillers qui gouverne le royaume de France entre le renvoi des oncles de Charles VI (1388) et la folie du roi (1392). Désignant à l’origine les figurines grotesques en forme de singes qui ornent les bâtiments civils et ecclésiastiques, le terme de « mar-
mouset » est appliqué par le chroniqueur Froissart aux conseillers du prince. C’est Michelet qui, au XIXe siècle, donne le premier ce nom à l’équipe qui prend le pouvoir à la Toussaint 1388. Soudés par des liens familiaux et disposant d’une large clientèle, les marmousets ont, pour nombre d’entre eux, déjà été conseillers de Charles V et ont conservé, durant le « gouvernement des oncles », des liens étroits avec la papauté d’Avignon, notamment avec la faction de Guy de Boulogne qui a mis Clément VII sur le trône pontifical. Dès 1388, ils prennent en main les principaux leviers de l’État : Jean Le Mercier devient grand maître d’hôtel, Arnaud de Corbie, chancelier, Guillaume de Sens, premier président du parlement, tandis que Jean de Montaigu dirige les finances royales et qu’Olivier de Clisson est connétable. Ainsi, les marmousets peuvent appliquer leur programme politique, théorisé dans le Songe du vieil pèlerin, écrit en 1388 par l’un des leurs, Philippe de Mézières. Préparée par des enquêtes, une série d’ordonnances réforme en profondeur l’État : création de la Chambre des aides et de la Cour du Trésor, qui chapeautent l’administration financière, généralisation de l’élection des officiers royaux, qui se voient dotés de privilèges juridiques définissant un premier statut de la fonction publique. Si le bilan intérieur est plutôt flatteur - des ajustements monétaires rendent ainsi vie à la circulation des espèces -, les marmousets ne parviennent pas à conclure la paix avec l’Angleterre et se heurtent aux grands princes territoriaux, dont Jean IV, duc de Bretagne, qui est accusé de garder sous sa protection l’auteur d’une tentative d’assassinat sur le connétable Olivier de Clisson. C’est sur le chemin de l’expédition punitive menée contre le duc que Charles VI est pris d’un premier accès de folie, en forêt du Mans, le 5 août 1392. Ayant repris les rênes du pouvoir, les oncles - duc de Bourgogne en tête - chassent les marmousets, accusés de n’avoir pas su, malgré leur qualité de chambellans, protéger la personne du roi. Marne (batailles de la), nom donné à deux batailles livrées sur les rives de la Marne lors de la Première Guerre mondiale, et qui se sont soldées par des défaites allemandes. La première bataille de la Marne, en septembre 1914, met fin à la fois aux illusions et aux désastres français de l’été 1914. Il apparaît clairement, dès ce moment, que la guerre ne sera ni courte ni facile. Depuis le début du
mois d’août 1914, la chance semblait invariablement sourire au général allemand von Kluck, qui aurait pu contourner Paris et l’assiéger. Cependant, le manque d’effectifs, dû au maintien de troupes en Belgique et dans le nord de la France, le contraint à abandonner la marche vers la capitale et à s’orienter au sud-est de Senlis, ville occupée, en direction de Meaux. Les Allemands sont persuadés que les Français, quasiment défaits, vont subir un nouveau Sedan. Mais la reconnaissance aérienne française permet de comprendre la manoeuvre de l’ennemi : le 6 septembre, Joffre peut lancer une immense contre-offensive sur plus de 300 kilomètres, avec les renforts de l’armée venue de Paris et des hommes arrivés dans des taxis désormais mythiques. Le 9 septembre, les Allemands sont obligés de reculer, mais ils se retranchent solidement : la guerre des tranchées commence alors. Depuis le début des hostilités, la France a perdu 250 000 hommes dans la sanglante guerre de mouvement. Barrès est le premier à saluer le rétablissement national et parle de « miracle de la Marne » en décembre 1914 ; reprise ou contestée, la formule traversera toutes les années de guerre. La seconde bataille de la Marne, en juillet 1918, correspond à la contre-offensive francoaméricaine, après l’offensive qui a ramené les Allemands sur la Marne le 31 mai. Foch, aidé des 16 divisions du général Pershing, contraint l’ennemi à la retraite, et les Alliés, désormais, ne perdront plus l’initiative. L’intervention américaine a été déterminante quant à l’issue de cette bataille, qui marque le tournant de la guerre à l’Ouest, du point de vue stratégique. À la supériorité numérique s’est ajoutée la nouveauté tactique des chars : les 1 000 chars (des Renault, pour la plupart) ont joué un rôle non négligeable, les Alle-mands en étant dépourvus faute d’avoir cru aux vertus de cette arme nouvelle. Sur le plan technique, l’aviation ne s’est plus cantonnée à des missions d’observation, comme c’était le cas en 1914 : elle est devenue une véritable arme de combat, et les Alliés, du fait de leur poids économique, ont pu disposer d’un plus grand nombre d’appareils que leurs adversaires. Si la première bataille de la Marne a marqué l’échec du plan Schlieffen, fondé sur une manoeuvre tournante de l’armée allemande, la seconde aura inauguré, en l’espace de trois jours, le cours des offensives victorieuses. En 1934, une sculpture de Paul Landowski a été érigée sur un site des deux batailles de la Marne, la butte de Chalmont. Ce monu-
ment, dont une partie est baptisée les Fantômes, exprime le miracle d’endurance qu’ont dû accomplir les poilus de la Grande Guerre. Maroc, pays de l’Afrique du Nord, placé sous protectorat français de 1912 à 1956. • Le Maroc : objet de convoitises européennes. Tandis que l’Espagne est solidement implantée sur le littoral (à Melilla depuis 1496, et à Ceuta depuis 1580), la France manifeste des visées sur l’Empire chérifien à la fin du XIXe siècle. En 1881, le gouvernement Gambetta envoie à Tanger un diplomate très actif, Ordéga, afin d’y obtenir des avantages économiques. Mais ce n’est qu’au début du XXe siècle que, devant la montée de ce que les milieux coloniaux dénoncent comme « l’anarchie marocaine », les troupes françaises d’Algérie entament le « grignotage des confins » dans les régions orientales avant de débarquer sur la façade atlantique, occupant Casablanca (1907) puis la plaine voisine de la Chaouïa (1908). Sur le plan diplomatique, deux crises internationales - suscitées par l’Allemagne (discours de Tanger en 1905 et coup d’Agadir en 1911) vont précipiter l’intervention française, qui est d’ailleurs sollicitée par le sultan Moulay Hafid, confronté à une révolte des tribus : le traité de Fès, signé le 30 mars 1912, inaugure l’ère du protectorat sur le Maroc. Le pays est dès lors divisé en trois ensembles : une zone espagnole (28 000 kilomètres carrés au nord, placés sous protectorat, et les deux présides de Ceuta et Melilla) ; une zone sous protectorat français (la plus vaste partie du pays) ; une zone internadownloadModeText.vue.download 596 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 585 tionale correspondant à Tanger, dont le statut sera réglé par une convention en 1923. • L’ère Lyautey (1912-1925). Nommé commissaire-résident général au Maroc, le général puis maréchal Lyautey met en place les structures du protectorat avec la collaboration de Moulay Youssef, sultan de 1912 à 1927. Des investissements considérables permettent la réalisation de grands travaux (barrages, voies ferrées) et la mise en valeur des ressources naturelles : l’Office chérifien des phosphates est créé en 1921 ; la Compagnie marocaine (filiale de Schneider) détient le monopole du commerce extérieur et exploite de vastes domaines agricoles. Lyautey applique une politique dite « des égards », caractérisée par
le respect des personnes et des institutions, qui lui vaut une grande popularité parmi les Marocains. Cependant, la guerre du Rif (19211926), menée contre la France et l’Espagne par le chef nationaliste Abd el-Krim (préfiguration des conflits anticoloniaux ultérieurs), entraîne la démission de Lyautey en septembre 1925. • La dérive (1925-1939). La « pacification » totale du pays prend fin en 1934. Mais, sous l’autorité des successeurs de Lyautey (des fonctionnaires civils ayant servi à Alger), le régime du protectorat dérive vers celui de l’administration directe : le décret connu sous le nom de « dahir berbère », adopté en 1930, vise à soumettre les régions berbérophones à un régime judiciaire et administratif particulier, et par conséquent à briser l’unité de l’Empire chérifien. Selon l’expression du général Catroux, « le dahir berbère met le pied à l’étrier au nationalisme marocain ». Le mouvement nationaliste prend corps en 1934 avec la création par de jeunes intellectuels d’un Comité d’action marocaine. De son côté Mohammed Ben Youssef, sultan à partir de 1927, se montre bien disposé à l’égard d’un programme de réformes prévoyant des assemblées élues. L’espoir d’une évolution libérale, suscitée par la formation en France du gouvernement de Front populaire (1936), est cependant vite déçu. Après la chute du ministère Blum, les émeutes de Meknès (septembre 1937) sont suivies d’une répression. • Le Maroc pendant la Seconde Guerre mondiale. Le général Noguès, résident de 1936 à 1943, tente de revenir à une pratique lyautéenne du protectorat, tout en maintenant, à partir de 1940, le pays dans la mouvance du régime de Vichy. En novembre 1942, il fait ouvrir le feu sur les troupes britanniques et américaines débarquant au Maroc, mais doit peu après se rallier aux autorités mises en place par les Alliés. Lors de l’entrevue d’Anfa (janvier 1943), le président Roosevelt déclare au sultan que les États-Unis sont disposés à aider son pays à recouvrer son indépendance. Le parti de l’Istiqlal (« Indépendance ») est fondé en décembre 1943. De 1943 à 1945, plusieurs bataillons de tirailleurs marocains - les tabors - combattent en Tunisie puis en Italie, en France et en Allemagne. • Vers l’indépendance (1945-1956). Invité à Paris par le général de Gaulle en juillet 1945, le sultan est fait compagnon de la Libération, mais l’après-guerre est une période de déception pour les Marocains : en dépit de la contribution de ceux-ci à l’effort de guerre, les dirigeants français ne semblent disposés à
apporter aucun allègement au régime du protectorat. Le 10 avril 1947, dans son célèbre discours de Tanger, le sultan évoque le problème de l’émancipation, mais la nomination de militaires à la Résidence - les généraux Juin (1947-1951) puis Guillaume (1951-1954) traduit un durcissement de la politique française. En effet, la France tend à associer les colons à l’administration du protectorat, dans le cadre de la « co-souveraineté », tandis que le sultan, cachant de moins en moins ses sympathies pour les nationalistes, est déposé en août 1953, à l’instigation de la Résidence, des colons et de certains grands caïds très opposés à l’Istiqlal (notamment le pacha de Marrakech, el-Glaoui), avant d’être déporté en Corse puis à Madagascar. L’exil du sultan et son remplacement par son oncle Mohammed Ben Arafa, un figurant sans prestige, créature du pacha el-Glaoui, engendrent une crise généralisée : des manifestations de fidélité au souverain déchu se multiplient et de graves émeutes ensanglantent le pays. Une armée de libération nationale s’organise en zone espagnole, avec la faveur des autorités (le régime franquiste et le général García Valino, haut-commissaire à Tétouan, montrent beaucoup de sympathie pour les nationalistes), tandis que le résident libéral Gilbert Grandval est quasiment expulsé par les Européens (31 août 1955). Après avoir pris l’avis des divers courants politiques marocains réunis à la conférence d’Aix-lesBains (août 1955), le ministère Edgar Faure estime qu’Arafa ne peut être maintenu sur le trône : un conseil de régence est mis en place. Le sultan Ben Youssef est ramené en France et les accords de La Celle-Saint-Cloud (5-6 novembre 1955) prévoient la formation d’un gouvernement de transition et l’ouverture de négociations qui doivent reconnaître au Maroc le statut d’« État indépendant uni à la France par les liens d’une interdépendance librement consentie ». Une déclaration commune consacre l’abolition du protectorat (2 mars 1956) et donc le rétablissement de l’ indépendance du Maroc. Les accords d’« interdépendance » (en fait, de coopération) sont signés le 28 mai 1956. Dans le même temps, le pays retrouve son unité, après l’abolition du protectorat espagnol et la suppression du statut international de Tanger. Le 14 août 1957, le sultan prend le titre de roi, sous le nom de Mohammed V, et l’appellation de « royaume du Maroc » est substituée à celle d’« Empire chérifien ». Marquises (îles) ! Polynésie
Marrast (Armand), journaliste et homme politique (Saint-Gaudens, Haute-Garonne, 1801 - Paris 1852). Né dans une modeste famille bourgeoise, il est très tôt obligé d’assister sa famille. Il enseigne à Saint-Sever, puis à Paris, où il est maître d’étude au lycée Louis-le-Grand et à l’École normale supérieure, tout en poursuivant sa formation universitaire (licence et doctorat ès lettres). En 1827, il entre en politique en étant l’un des organisateurs des obsèques de Jacques Antoine Manuel, opposant à la monarchie et membre dirigeant de la Charbonnerie. Destitué de ses fonctions, Marrast enseigne dans une institution privée et acquiert une réputation de philosophe. Il collabore à divers journaux, notamment la Tribune (1831-1834), où il défend les principes républicains face au nouveau régime. Emprisonné après les émeutes d’avril 1834, il s’évade de prison, s’exile en Angleterre et découvre le mouvement chartiste. Revenu en France en 1840, il devient rédacteur en chef du National, où s’épanouit son talent de polémiste au service du républicanisme libéral, et, en 1848, il anime l’opposition lors de la « campagne des banquets », menée pour obtenir l’extension du droit de suffrage. Après la chute du régime de Juillet, son action et sa participation au Gouvernement provisoire en font un des fondateurs de la IIe République. Maire de Paris (mars 1848), il s’oppose aux insurgés de Juin. Député à l’Assemblée constituante, il a un rôle de chef de parti et compte parmi les rédacteurs de la Constitution. Il est nommé président de l’Assemblée nationale en juillet 1848. Rangé du côté des modérés, il n’est pas réélu en 1849 et, malade, ne joue plus aucun rôle politique. Marseille (peste de), dernière épidémie de peste ayant sévi sur le territoire français, entre 1720 et 1722. Quasiment oubliée depuis les années 1660, la peste se propage à Marseille, à la suite de l’entrée dans le port, le 25 mai 1720, d’un navire marchand venu du Levant, le Grand Saint-Antoine. Des décès ayant eu lieu au cours du voyage, le bureau sanitaire de la ville exige une mise en quarantaine. Mais le premier échevin, Estelle, propriétaire de la riche cargaison de coton, doit la débarquer rapidement pour la vendre à la foire de Beaucaire, qui commence en juillet. L’isolement du Grand Saint-Antoine n’est donc pas strictement respecté : par le biais de la marchandise et des passagers, le mal gagne la ville. Le
20 juin, l’épidémie fait sa première victime. D’abord lente à se diffuser, elle culmine aux mois d’août et de septembre, au moment des plus fortes chaleurs. On compte alors plus de 500 victimes par jour. Marseille se transforme en un véritable mouroir. Héroïque, le chevalier Roze recrute plus de 150 forçats et soldats pour charger les corps et enterrer les morts ; des hommes de sa compagnie, trois seulement survivront à l’enfer. De la cité phocéenne, la peste gagne bientôt toute la Provence : Aix, Toulon, Arles, la Camargue et même le Gévaudan sont touchés à leur tour. Au total, en deux ans, 146 localités vont subir le fléau, qui fait plus de 120 000 morts. De Marseille et de son terroir immédiat, qui comptaient 90 000 habitants, ne survit que la moitié de la population. La Provence, quant à elle, perd 37 % des siens. Démographiquement catastrophique, l’épidémie s’éteint pourtant rapidement. À l’exception d’un sursaut au printemps 1722, plus un seul cas n’est recensé à Marseille après le 20 août 1721. En outre, la propagation du mal a été efficacement endiguée, grâce à l’intervention des autorités. Aucune thérapeutique active n’étant disponible, l’isolement demeure la meilleure protection : en juillet downloadModeText.vue.download 597 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 586 1720, le parlement d’Aix interdit toute relation avec Marseille ; en septembre, le Conseil d’État décrète la mise en place d’un cordon sanitaire autour de la Provence. Un « mur de la peste » s’étalant sur 100 kilomètres est même construit en 1721. Au plus fort de la crainte, plus de 35 000 hommes de troupe isolent le Sud-Est, avec ordre d’abattre les récalcitrants. Cette action offensive des pouvoirs publics, voulue par le Régent lui-même, marque un moment important du renforcement de l’autorité royale et de l’efficacité administrative de l’État. Marshall (plan), aide financière apportée par les États-Unis aux pays de l’Europe occidentale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. • Les objectifs. Le 5 juin 1947, le général George Marshall, secrétaire d’État du président Truman, expose son programme d’assistance des États-Unis aux nations d’Europe. Cet European Recovery Program (ERP), qui
prend bientôt le nom de plan Marshall, repose sur l’analyse suivante : l’Amérique a désormais pour mission d’aider les pays que le conflit a laissé exsangues ; en outre, la prospérité retrouvée sera le meilleur rempart des démocraties contre le danger de subversion communiste, susceptible d’être attisé par la misère. Enfin, l’économie américaine est menacée de surproduction si elle ne trouve pas rapidement de nouveaux débouchés auprès des pays industrialisés. Marshall, prenant acte que les besoins des États européens sont bien supérieurs à leur capacité de paiement, leur propose donc une aide financière. La France est concernée au premier chef : son appareil productif est gravement endommagé ; par ailleurs, les pénuries entraînent des grèves et des troubles sociaux qui font craindre aux Américains un coup de force du Parti communiste. L’aide extérieure est donc indispensable pour assurer l’approvisionnement immédiat du pays en blé et matières premières (dès la fin de 1946, la France vit déjà de crédits américains). Elle est tout aussi nécessaire pour financer les objectifs du premier plan quinquennal de reconstruction et de modernisation (1947-1952). Une fraction de la classe politique - certains gaullistes et les communistes - s’y oppose pourtant, dénonçant le risque de vassalisation politique lié au soutien financier des États-Unis. Mais, pour l’opinion dans son ensemble, l’impératif économique l’emporte sur toute considération idéologique. Telle est en particulier la position de Jean Monnet : l’aide américaine offre au pays les moyens de travailler - un répit pour apprendre à se passer de toute aide extérieure. • Les modalités. Le dispositif se met en place en avril 1948 : 16 pays d’Europe occidentale - l’URSS a décliné l’offre et entraîné ses satellites dans son refus - passent avec les États-Unis un contrat, par lequel chacun s’engage à améliorer sa situation économique et reçoit des subsides pour acheter des marchandises américaines. L’aide est constituée à 90 % de dons et à 10 % de prêts à faible taux. L’Organisation européenne de coopération économique (OECE), qui deviendra l’OCDE, regroupe les bénéficiaires et gère la répartition des crédits. En France, Jean Monnet fait admettre l’utilisation de l’aide dans le cadre du plan quinquennal. Entre 1948 et 1952, le pays reçoit 2 629 millions de dollars, soit 20,2 % des crédits globaux (mais 23,8 % des dons). Le gouvernement français est ainsi remercié de son engagement en faveur de l’Europe et de son attitude compréhensive face au relèvement allemand. Pendant la même
période, les sommes allouées assurent 48 % des ressources du Fonds de modernisation et d’équipement (et 72 % pour la seule année 1949). La gestion par le Fonds de la contrevaleur en francs des dollars reçus permet à l’État d’orienter les investissements vers les secteurs jugés prioritaires, l’énergie et la sidérurgie en particulier. • Les implications politiques. L’aide Marshall donne donc un coup de fouet à l’investissement, assurant le succès du premier plan quinquennal, qui n’était pas solvable. Par la coopération économique qu’elle institue entre les démocraties occidentales, elle contribue à la construction européenne naissante. Elle permet en outre une libéralisation des échanges et une baisse des tarifs douaniers entre États. Mais, par le système d’alliance militaire venu tôt doubler le soutien financier, elle cristallise en Europe la politique des blocs : le pacte de Bruxelles de 1949, qui se transforme aussitôt en traité de l’Atlantique Nord, place en effet la sécurité de l’Europe sous tutelle américaine. Dans le contexte de la guerre froide, l’assistance économique s’est accompagnée d’un alignement politique. Martignac (Jean-Baptiste Sylvère Gay, vicomte de), homme politique, chef du dernier ministère de compromis du roi Charles X (Bordeaux 1778 - Paris 1832). Originaire d’une famille de noblesse de robe, secrétaire d’ambassade à Berlin auprès de Sieyès, auteur de quelques pièces de théâtre, Martignac s’inscrit au barreau de Bordeaux, où il poursuit une brillante carrière d’avocat. Royaliste, il joue dans sa ville un rôle important dans les restaurations de 1814 et 1815 auprès du duc et de la duchesse d’Angoulême, et devient avocat général à Bordeaux (1818), puis procureur général à Limoges (1819). Élu député de Marmande (1821), il soutient le ministère ultraroyaliste de Villèle. C’est cet homme « d’un caractère doux, facile, aimable » (Barante) qui est appelé en janvier 1828 à devenir ministre de l’Intérieur et chef effectif du gouvernement à la chute de Villèle, sans doute sous l’influence du duc d’Angoulême. Mal soutenu par Charles X, il s’efforce d’apaiser l’opinion libérale, fait voter les ordonnances de juin 1828 - qui excluent les jésuites des petits séminaires et limitent le nombre de ces derniers -, assouplit les lois sur la presse, esquisse une réforme de l’administration locale et contribue, avec le comte de La Ferronnays, à l’indépendance de la Grèce (traité d’Andrinople, septembre 1829). Re-
mercié par Charles X en août 1829, il assiste en juillet 1830 à la chute de son successeur, Polignac, qu’il défendra à son procès. Martin (saint), moine et évêque de Tours (province de Pannonie, vers 316 - Tours 397). Introducteur du monachisme en Gaule, il fut l’un des premiers à entreprendre la christianisation des campagnes. Le culte dont il est l’objet fait de lui l’apôtre des Gaules et le saint protecteur de la monarchie. Fils d’un tribun militaire, Martin est contraint de servir dans la garde impériale jusqu’à sa majorité légale, en dépit de son désir de devenir moine : c’est durant cette période que la légende place l’épisode au cours duquel il partagea, un jour d’hiver, à Amiens, son manteau avec un pauvre. Revenu à la vie civile, Martin choisit l’état monastique, puis, vers 360, après quelques années d’errance, établit un ermitage à Ligugé, dans les environs de Poitiers, avec le soutien de l’évêque Hilaire. Martin, qui mène alors une existence inspirée par l’ascétisme des anachorètes orientaux, est rejoint par de nombreux disciples et entreprend ses premières campagnes d’évangélisation. En 371, il est élu évêque de Tours et, dès lors, assume conjointement ses fonctions pastorales et sa vie de moine dans le monastère de Marmoutier, qu’il a lui-même fondé, malgré l’hostilité de l’épiscopat au monachisme. Sa mission apostolique, son ascétisme et les miracles qui lui sont attribués font de lui un modèle de sainteté aux yeux des populations ligériennes. Il est ainsi vénéré dès après sa mort, en 397. • Une postérité glorieuse. Avant 404, le disciple de saint Martin, Sulpice Sévère (vers 360-vers 420), fait construire sur ses terres un sanctuaire à sa mémoire. Une petite chapelle édifiée sur sa tombe est attestée dès 437 ; elle est remplacée, vers 470, par une grande basilique construite à la demande de l’évêque Perpetuus. La Vie de saint Martin, écrite par Sulpice Sévère et mise en vers par Venance Fortunat, ainsi que les miracles rapportés par Perpetuus et Grégoire de Tours assurent la diffusion du culte de saint Martin dans la Gaule septentrionale et l’essor du pèlerinage à Tours : ce dernier devient, au VIe siècle, l’un des principaux d’Occident. Au cours des siècles suivants, des offices, des litanies, des hymnes, sont régulièrement composés en l’honneur du saint et de nouvelles Vies sont écrites par Alcuin (clerc anglo-saxon mort en 804), Richer (abbé de Saint-Martin-devant-Metz) ou Guibert de Gembloux. Saint Martin devient alors le saint par excellence de la Gaule : près de trois cents
villages portent aujourd’hui son nom. Il est rapidement reconnu comme le saint patron des souverains francs, puis capétiens, en dépit du rôle grandissant de saint Denis. Clovis séjourne ainsi à plusieurs reprises dans la basilique de Tours. Depuis le milieu du VIIe siècle, les souverains francs conservent la chape de saint Martin dans l’oratoire royal, et le culte de cette relique finit par donner son nom à la « chapelle ». Cette dévotion est accentuée par les Capétiens : Hugues Capet et ses successeurs sont les abbés laïcs du chapitre de Saint-Martin et chaque nouveau roi se rend en pèlerinage à Tours. Le lien étroit entre la France et le saint se perpétue bien au-delà de la chute de la monarchie, puisque le choix du 11 (au lieu du 10 ou 12) novembre comme date de la signature de l’armistice de 1918 a été fait en référence à saint Martin, protecteur de la France. downloadModeText.vue.download 598 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 587 Martinique, ancienne colonie française des Antilles, devenue département d’outremer en 1946. C’est en 1635 que Belain d’Esnambuc, commandant de Saint-Christophe, prend possession de la Martinique pour le compte du roi de France. Les premiers planteurs de canne à sucre s’installent en 1644 et importent des esclaves de traite, tandis que des luttes avec les autochtones pour la confiscation des terres aboutissent à l’expulsion ou à l’extermination des derniers Caraïbes. La gestion de l’île est confiée un temps à la Compagnie des Indes occidentales, mais la faillite de celle-ci en 1674 entraîne une reprise en main par l’administration royale. Siège du gouvernement général des îles du Vent, l’île tend à monopoliser l’activité commerciale des Petites Antilles et les « messieurs » de la Martinique ont tendance à dédaigner les « bonnes gens » de la Guadeloupe. L’insubordination des colons engendre de graves troubles, tel le « gaoulé » (tumulte) de 1717, qui entraîne l’expulsion du gouverneur et de l’intendant. À la veille de la Révolution, l’île compte quelque 100 000 habitants, dont 84 000 esclaves et 16 000 blancs et gens de couleur libres. Au cours de la guerre de Sept Ans, elle connaît une première et brève occupation anglaise (1762-1763), bien accueillie par les colons, situation renouvelée ensuite pendant les guerres de la Révolution et de
l’Empire (1794-1802 et 1809-1815). Le fait marquant du XIXe siècle est l’abolition définitive de l’esclavage en 1848 (74 500 affranchis). Pour pallier la pénurie de main-d’oeuvre, on encourage alors l’immigration d’Indiens ; mais le déclin de l’économie sucrière s’accentue. Le 8 mai 1902, l’éruption de la montagne Pelée, qui détruit entièrement la ville de Saint-Pierre, fait 28 000 morts et entraîne la disparition de plus de la moitié de la population blanche, majoritairement urbaine. Ralliée à la France libre en juin 1943, la Martinique devient département d’outre-mer en application de la loi du 19 mars 1946. Bénéficiant des crédits du Fonds d’investissement des départements d’outre-mer (FIDOM), elle est dotée d’infrastructures scolaires et hospitalières. Peuplée de 375 000 habitants (1993), l’île forme une Région monodépartementale ; elle est représentée au Parlement par quatre députés et deux sénateurs. Les formations autonomistes ont remporté quelques sièges aux élections locales, et un député indépendantiste a été élu en 1997. Aimé Césaire, maire de Fort-de-France de 1945 à 2001, reste la figure politique marquante. On estime à 300 000 le nombre de Martiniquais vivant en métropole. martyrs de la Liberté (culte des), dévotion populaire, durant l’an II de la Révolution (1793-1794), à des personnages tombés sous les coups des contre-révolutionnaires : Marat, Le Peletier de Saint-Fargeau et Châlier, auxquels sont adjoints tardivement les jeunes Viala et Bara. Ce phénomène, qui connaît son apogée durant l’hiver 1793-1794, alors que le mouvement de déchristianisation bat son plein, naît spontanément au lendemain de l’assassinat de Marat, « l’ami du peuple » (13 juillet 1793), dont on se partage les reliques : le Club des cordeliers remporte son coeur, qui est suspendu à la voûte de sa salle de séances. C’est à l’initiative des sociétés populaires, des sections et des autorités révolutionnaires parisiennes que se multiplient, dans le courant d’août 1793, pompes funèbres, apothéoses et inaugurations de bustes associant Marat et Le Peletier, député régicide assassiné par un royaliste le 20 janvier 1793, à la veille de l’exécution de Louis XVI. Les cortèges qui promènent dans les rues les bustes des martyrs donnent l’image d’une sorte de syncrétisme associant pratiques du culte catholique et symbolisme
patriotique et républicain. On parle parfois de « nouvelle trinité », au nom de laquelle se pratiquent des baptêmes républicains. Mais le culte de Châlier, guillotiné par les Lyonnais le 17 juillet 1793 (prélude au siège de Lyon), reste plutôt circonscrit à la région lyonnaise. Les montagnards laissent d’autant plus se développer ces pratiques, qui exaltent la foi républicaine et confortent, tout en les approfondissant, les nouvelles valeurs, qu’elles permettent la formation d’un consensus autour de l’hégémonie jacobine et de la solution de la Terreur légale, à un moment où l’unité révolutionnaire est gravement menacée par le fédéralisme et la révolte vendéenne. Cependant, afin d’évincer toute médiation politique (celle des cordeliers) entre eux et la population, les montagnards officialisent le culte, en lui adjoignant celui de héros-enfants : Viala, tué par les fédéralistes marseillais (8 juillet 1793), et surtout Bara, tombé sous les coups des vendéens (7 décembre 1793). Quant au sens à donner au culte des martyrs - expression des relations complexes du politique et du sacré - les historiens demeurent partagés. S’agit-il d’une véritable religion révolutionnaire ? Les martyrs sont-ils des saints intercesseurs ou des héros laïcs ? Si les emprunts au culte catholique (processions et litanies) et les formes de religiosité populaire (vénération émotive et festive) sont évidents, il reste que le phénomène s’inscrit dans un processus général de « transfert de sacralité » (Mona Ozouf), du religieux vers le politique, qu’exprime l’ensemble des fêtes révolutionnaires. Masque de fer (l’homme au), mystérieux prisonnier du siècle de Louis XIV. Bâtard d’Anne d’Autriche ? Fils de Mazarin ou de Buckingham ? Ministre ? Diplomate ? Prêtre, fils naturel de Charles II d’Angleterre ? Ou encore agent secret portant le nom d’Eustache Dauger de Cavoye ou comte Ercole Mattioli, secrétaire d’État du duc de Mantoue, agent double enlevé par Louvois près de Turin (1679) en violation du droit international ? Autant d’hypothèses. En fait, le Masque de fer n’existe que pour Alexandre Dumas, qui en fait le frère jumeau de Louis XIV, oubliant que la reine accouche devant toute la Cour. L’homme masqué, successivement enfermé à Pignerol (1679), au château d’If, à SainteMarguerite (île de Lérins), à la Bastille (1698), ne portait en réalité qu’« un masque de velours noir fixé en arrière par un cadenas » d’après le lieutenant à la Bastille qui l’accueille. Le 19 novembre 1703, l’homme masqué meurt subitement. Le 20, on l’enterre au cime-
tière de la paroisse Saint-Paul sous un nom d’emprunt. On brûle tout : vêtements, literie, mobilier, châssis de ses fenêtres ! On fond sa vaisselle. On gratte ses murs. On les reblanchit. On défonce le pavement de sa chambre, qui est remplacé. Serait-il le duc de Beaufort ? L’hypothèse est séduisante : né en 1616, le petit-fils naturel d’ Henri IV est le seul personnage de la famille royale à ne point laisser de cadavre. On perd sa trace après sa sortie contre les Turcs à Candie dans la nuit du 24-25 juin 1669, disparition qui arrange fort Colbert, secrétaire d’État à la Marine depuis février. Fouquet emprisonné (1661), Colbert ne souhaite pas partager le pouvoir avec le duc, grand maître de la Navigation et Commerce de France. Le 9 août 1670, à Notre-Dame, le roi clôt le débat : une messe est célébrée pour l’âme de son cousin germain ! Mais le corps de l’ancien chef de la cabale des Importants ne fut jamais retrouvé et on murmura longtemps : « C’est un coup de M. Colbert ». Massalia, colonie fondée vers 600 avant J.-C. par les Grecs de Phocée, sur le site de l’actuelle Marseille. La cité installa elle-même des colonies sur le littoral méditerranéen, qu’il est souvent difficile de distinguer des comptoirs commerciaux et des simples fortins : Agatha (Agde), Antipolis (Antibes), Nikaia (Nice), Olbia, Saint-Blaise.... Elle jouit rapidement d’une grande prospérité grâce à son port et à l’exploitation d’un vaste arrière-pays, dans lequel elle introduisit la culture spéculative de la vigne et de l’olivier. L’achat et l’exportation de matières premières, le recrutement de mercenaires professionnels et le recours à une main-d’oeuvre indigène ouvrirent l’économie fermée de la Gaule méridionale. En ce sens, Massalia joua un rôle moteur - qu’il ne faut pas exagérer - dans le développement proto-urbain du monde celtique. Des poteries étrusques, corinthiennes, athéniennes, rhodiennes et phocéennes, retrouvées lors des fouilles, suggèrent l’aire de diffusion du commerce massaliote. La ville proprement dite, qui s’étendait sur une cinquantaine d’hectares, était disposée sur les buttes bordant au nord le Vieux-Port : Saint-Laurent, Moulins, Carmes, au pied desquelles la mer s’avançait plus profondément qu’aujourd’hui. Un marécage recueillait les eaux des différentes sources, mais ses rives furent consolidées à la fin du Ve siècle par des
pieux en bois et des lits d’amphores. Aux IIIe et IIe siècles avant J.-C., un vaste programme d’assainissement permit d’assécher le marais, de construire des égouts et d’établir un remblai qui couvrit les anciennes nécropoles. Un nouveau rempart fut élevé, qui englobait l’ensemble des buttes, ainsi qu’un aqueduc. Un premier quai fut construit au nord-est de la corne. Les monuments de la ville grecque sont toutefois mal connus : des arsenaux, des temples dédiés à Artémis d’Éphèse, Apollon delphinien et Athéna, un théâtre. La cité était dotée d’un conseil oligarchique de six cents timouques, célèbre dans l’Antiquité pour son bon fonctionnement. C’était aussi une thalassocratie puissante, dont les intérêts se heurtèrent rapidement à ceux des downloadModeText.vue.download 599 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 588 Étrusques et des Carthaginois. Une bataille navale à Alalia (Aléria, Corse) délimita en 537 avant J.-C. les aires d’influence entre ces grandes puissances. La cité entreprit aussi des expéditions. Celle de Pythéas, au IVe siècle, permit notamment de reconnaître la côte gauloise. Lors de la deuxième guerre punique (217-204), la cité s’allia, contre Hannibal, avec Rome qui intervint à plusieurs reprises pour la débarrasser de ses pirates, puis, en 125 avant J.-C., des Salyens. Les Romains en profitèrent pour créer la province de Narbonnaise, mais Massalia sut y conserver sa place de cité alliée (civitas foederata). Elle soutint toutefois Pompée contre César lors de la guerre civile et résista même à un long siège des césariens en 49 avant J.-C. Si elle conserva son statut, la cité fut amputée d’une grande part de son territoire, au profit de Nîmes et d’Arles, dont le port concurrença ses activités, sans jamais les ruiner complètement. Masséna (André), maréchal de l’Empire, duc de Rivoli, prince d’Essling (Nice 1758 - Paris 1817). Élevé dans la petite bourgeoisie niçoise, Masséna s’engage de son propre chef, à l’âge de 13 ans, comme mousse sur un navire marchand. Mais, en 1775, il s’enrôle dans le régiment royal italien au service de la France ; il est adjudant sous-officier dès 1784. Privé de tout espoir de promotion supplémentaire en raison de ses origines roturières, il revient à la vie civile en août 1789. Séduit par les idées
révolutionnaires, il s’engage parmi les volontaires du Var en 1792 et sert jusqu’en 1798 dans l’armée d’Italie. Il y devient général de division en décembre 1793. Son brillant succès lors du franchissement du pont de Lodi, le 10 mai 1796, lui donne l’occasion de se faire remarquer par Bonaparte. Après son rôle essentiel durant la bataille de Rivoli, il reçoit du général en chef le surnom d’« enfant chéri de la victoire ». À la tête de l’armée d’Helvétie en 1799, il se distingue à la bataille de Zurich. Un nouveau commandement dans l’armée d’Italie lui est confié après le 18 Brumaire. Relevé de cette fonction à la suite de la capitulation de Gênes, accusé d’avoir abusé du pillage, il est en outre soupçonné de se rapprocher des opposants au régime. Pour mieux s’assurer sa fidélité, Napoléon le fait maréchal en 1804. Boudant la cour, où il se sent peu apprécié, Masséna n’en devient pas moins duc en 1808, puis prince en 1809 après s’être brillamment conduit à Essling et à Wagram. Son commandement au Portugal en 1810-1811 s’étant achevé par une retraite, il est disgracié par Napoléon, auquel il se rallie pourtant pendant les Cent-Jours, si bien qu’il doit se retirer de toute vie publique à la seconde Restauration. Massilia (affaire du), épisode de la débâcle de 1940, survenu entre les 19 et 24 juin. Après l’anéantissement du dispositif militaire français, et depuis le 14 juin 1940, les autorités de l’État - président de la République, gouvernement, membres des assemblées - se sont réfugiées à Bordeaux. Alors que le maréchal Pétain, nommé le 16 à la tête du gouvernement, fait transmettre aux Allemands une demande d’armistice, les présidents des assemblées - Jules Jeanneney et Édouard Herriot - envisagent un départ des autorités pour l’Afrique du Nord : il est prévu de faire partir les trois présidents (Albert Lebrun, président de la République, Herriot et Jeanneney) et les ministres de Port-Vendres, tandis que les membres du Parlement s’embarqueraient à Bordeaux sur le navire Massilia mis le 19 juin à leur disposition par l’amiral Darlan. Le même jour, les Allemands font savoir qu’ils acceptent le principe d’un armistice. Une très forte pression, émanant notamment de Pierre Laval, entouré d’un groupe de parlementaires ultrapacifistes, s’exerce alors sur les présidents pour qu’ils renoncent à cette expédition. Lebrun décide ainsi, le 21 juin, de rester en métropole, tandis que, le même jour, le Massilia appareille, dans des conditions parfaitement régulières. Il emporte à son bord 27 parle-
mentaires, pour la plupart de gauche (13 radicaux, 7 socialistes, 3 divers gauche, 3 députés de droite et Georges Mandel), dont 7 avaient été ministres du Front populaire à des postes de premier plan, tels Édouard Daladier, Yvon Delbos, Jean Zay. Arrivés à Casablanca le 24 juin, après la signature de l’armistice, ces personnalités sont aussitôt mises en cause pour leur « fuite » et retenues en Afrique du Nord jusqu’au 18 juillet, certaines d’entre elles faisant l’objet de poursuites. L’affaire du Massilia demeure peu claire : si elle illustre bien le climat de confusion du mois de juin 1940, il n’est pas exclu qu’une manoeuvre destinée à éloigner des opposants dangereux et à les discréditer ait été ourdie dans l’entourage de Pétain. Ce dernier voulaitil déjà se prémunir contre le personnel parlementaire, qu’il allait neutraliser par le vote du 10 juillet lui conférant les pleins pouvoirs ? Mata Hari (affaire), nom donné au procès et à la condamnation à mort pour espionnage de Mata Hari, exécutée en octobre 1917. Margaretha Geertruida Zelle, dite Mata Hari, née le 7 août 1876 en Hollande, défraie à deux reprises la chronique parisienne. Divorcée d’un officier néerlandais, John Rudolf Mac Campbell Leod, avec lequel elle vécut en Indonésie, elle s’installe à Paris comme prostituée de luxe. Entre 1905 et 1910, elle devient célèbre sous le nom de Mata Hari (« oeil du ciel », en malais), avec un numéro de « danse sacrée » mêlant exotisme et érotisme. À l’instar de Loïe Fuller et d’Isadora Duncan, son heure de gloire est éphémère. Mais cette mythomane ne se résigne pas à retomber dans l’oubli. La guerre venue, elle est recrutée par les services de renseignements allemands. Continuant à voyager entre les Pays-Bas, l’Angleterre, la France et l’Espagne, elle propose ses services aux militaires français du 2e Bureau. Manipulée par les uns et par les autres, elle est arrêtée au début de 1917 à Paris, pour espionnage pour le compte de l’Allemagne. Jugée en quarante-huit heures par un conseil de guerre le 24 juillet 1917, sur la foi d’un dossier presque vide, elle est fusillée le 15 octobre suivant. Cette « idole de quelques jours » (l’Éclair du 27 juillet 1917), demi-mondaine scandaleuse et espionne séduisante, est devenue, après sa mort, une figure légendaire du XXe siècle. Au-delà de l’affaire judiciaire, le mythe de Mata Hari révèle une « fascination ambiguë » (A. Dewerpe) envers une femme
fatale entourée de mystère, « danseuse aux cent voiles » dérobant des secrets d’État. Matignon (accords), accords conclus dans la nuit du 7 au 8 juin 1936 entre les délégués du patronat (Confédération générale de la production française) et ceux de la Confédération générale du travail (CGT) après dix heures de négociations menées par le président du Conseil Léon Blum. Ils sont une tentative de règlement à l’amiable pour mettre fin aux grèves qui, écloses en avril 1936, se sont amplifiées après la victoire du Front populaire au second tour des élections législatives (3 mai). Ces accords prévoient d’importantes hausses de salaires (de 7 à 15 %, mais avec un rattrapage de la province par rapport à Paris qui peut doubler ces chiffres), l’élection de délégués du personnel, la libre adhésion à un syndicat, la signature de contrats collectifs de travail, la non-sanction du fait de grève et l’appel à la reprise du travail par les organisations ouvrières. Ces deux dernières clauses n’entraînent pas pour autant la fin des grèves et des occupations, qui durent souvent jusqu’à la mi-juin. Les grandes lois sociales de 1936 - la semaine de quarante heures, les deux semaines de congés payés ... - ne découlent pas des accords Matignon, mais du programme de janvier 1936 : seule la loi fixant la procédure d’établissement des conventions collectives se rattache à la lettre de ces accords. En revanche, il semble que « Matignon » ouvre au gouvernement la voie pour présenter au Parlement ses premiers textes de réforme (ceux instituant les congés payés, les quarante heures et les conventions collectives sont votés par la Chambre des députés dès les 11 et 12 juin). Les accords Matignon sont devenus une référence historique parce qu’ils affirment, dans une situation de crise sociale, un principe auquel patronat et syndicats sont restés attachés : faute de négociations à la base, organiser des grand-messes au sommet, qui légitiment des adversaires pressés par leurs troupes, et qui se déroulent sous l’arbitrage de l’exécutif. Matignon (hôtel), édifice du XVIIIe siècle, situé au 57 de la rue de Varenne, aujourd’hui résidence officielle du Premier ministre. Avec sa vaste cour en hémicycle et ses deux avant-corps à pans coupés, il est sans doute le plus beau des hôtels qui ornent le faubourg Saint-Germain. Construit en 1721 par
l’architecte Jean Courtonne pour le maréchal de Montmorency-Luxembourg, il est vendu peu après, inachevé, à Jacques de GoyonMatignon. Mis sous séquestre pendant la Révolution, il ne cessera de passer de main en main tout au long du XIXe siècle. Acquis par Talleyrand (1808-1811), il l’est ensuite par Louis XVIII, qui le préfère à l’Élysée. Légué à la soeur de Louis-Philippe, Mme Adélaïde, il est occupé par cette dernière jusqu’en 1847. Propriété successive des ducs de Montpensier et de Galliera, il abrite l’ambassade d’Autriche à partir de 1888, et ce jusqu’à la veille de la downloadModeText.vue.download 600 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 589 Première Guerre mondiale. Affecté à la présidence du Conseil en 1935, il devient, en 1958, le siège du Premier ministre, de son équipe et de l’ensemble de ses services. Dans le lexique politique des dernières décennies, « Matignon » en est venu à désigner le pôle de l’exécutif chargé d’impulser et de coordonner la politique gouvernementale. Ironie du sort, c’est au moment où l’hôtel Matignon s’impose comme lieu stratégique du pouvoir qu’il abrite la fonction la plus ingrate et sans doute la plus exposée de la Ve République. matines de Bruges, révolte populaire survenue le 18 mai 1302 dans la Flandre occupée par Philippe IV le Bel. Pôle essentiel de l’économie européenne du XIIIe siècle, grâce à son industrie drapière, le comté de Flandre présente pour la monarchie capétienne un intérêt stratégique certain. Depuis qu’en 1249 Saint Louis y a arbitré une querelle de succession, le roi de France intervient directement dans les affaires flamandes, parfois au-delà de son droit de suzerain. Il s’appuie sur la bourgeoisie des villes pour saper le pouvoir comtal, tandis que des conflits sociaux opposent les riches marchands léliaerts (partisans des fleurs de lys, donc de la France) aux artisans, soutenus par le comte. Le comte de Flandre Guy de Dampierre s’étant allié à Édouard Ier d’Angleterre, en guerre contre Philippe IV le Bel, celui-ci, à partir de 1297, occupe la Flandre et y nomme un gouverneur, Jacques de Châtillon, dont la maladresse ne tarde pas à retourner la population contre les Français. Des révoltes éclatent, dont la plus grave est celle des ma-
tines de Bruges, où une centaine de soldats de la garnison française sont égorgés dans leur lit à l’aube du 18 mai 1302. Envoyé pour rétablir l’ordre, l’ost royal est écrasé à Courtrai le 11 juillet 1302 : la fine fleur de la chevalerie française y est massacrée. Philippe le Bel prend sa revanche deux ans plus tard, à Mons-en-Pévèle, et il impose aux Flamands le rigoureux traité d’Athis-surOrge en 1305. Le prestige du roi capétien est rétabli, mais les troubles continuent dans une Flandre affectée par une crise économique et sociale qui ébranle les structures féodales . Maupeou (René Nicolas Charles Augustin de), magistrat et homme politique (Paris 1714 - Le Thuit, Eure, 1792). Issu d’une grande dynastie parlementaire, il connaît lui-même une ascension rapide au sein du parlement de Paris, et Choiseul le fait entrer au gouvernement comme chancelier en 1768. Légiste compétent et sévère, Maupeou refuse toute atteinte à l’autorité royale : il désavoue l’agitation de ses collègues parlementaires et entend mettre un terme à la crise qui affaiblit la monarchie depuis bientôt dix ans. Lorsque les parlementaires engagent une épreuve de force, en janvier 1771, il se révèle un homme à poigne. Les magistrats en grève sont d’abord exilés en province ; puis, comme ils refusent de se soumettre, le parlement de Paris est dissous : l’édit du 23 février 1771 lance une réforme judiciaire inédite. Le ressort du tout-puissant parlement de Paris est partagé entre six conseils supérieurs, dont les fonctions, purement judiciaires, sont celles de cours d’appel. Désormais, les magistrats sont nommés et appointés par l’État. Par suite de la suppression des « épices » (gages versés aux juges par les plaideurs), la justice devient gratuite. Parallèlement, un nouveau « parlement » est formé, qui conserve l’enregistrement des lois et le droit de remontrance. La réforme est ensuite étendue aux parlements de province. Ce « coup de majesté » du chancelier Maupeou constitue une triple révolution : judiciaire, bien sûr, mais aussi sociale, puisque la suppression de la vénalité et de l’hérédité des charges brise l’oligarchie parlementaire ; politique, enfin, puisque l’opposition des magistrats, qui avait jusqu’alors fait échouer toutes les réformes fiscales, est anéantie. En quelques mois, le nouveau système se met en place, en dépit de la vigoureuse campagne déclenchée contre son initiateur. Non
seulement le roi, mais aussi les dévots et les Philosophes, temporairement réunis contre les magistrats, soutiennent le chancelier. Quand en juin 1771, le duc d’Aiguillon, rejoint Maupeou et Terray, une sorte de triumvirat ministériel semble reprendre en main le pays. Mais il ne survit pas à la mort de Louis XV. En 1774, comme les autres anciens ministres, Maupeou est écarté par Maurepas, car le jeune Louis XVI se veut populaire et réconciliateur. En novembre, la réforme est annulée ; les parlements sont rétablis. Retiré en Normandie, Maupeou ne pourra qu’assister à la faillite d’une monarchie incapable de se réformer. Maurepas (Jean-Frédéric Phélypeaux, comte de), homme politique (Versailles 1701 - id. 1781). Chevalier de Malte, petit-fils du chancelier de Pontchartrain, il devient secrétaire d’État à la Maison du roi « chargé de la Marine, des affaires de Paris et de la Police » (1718). Mais la polysynodie du Régent et l’instauration du Conseil de Marine ne lui permettent d’entrer en fonctions qu’en 1723. Intelligent mais léger, il est l’objet de railleries : « jeune homme qui ne sait même pas de quelle couleur est la mer » ! Néanmoins, il apprend vite, devient membre de l’Académie des sciences (1725) et de l’Académie des inscriptions (1726) et, malgré le pacifisme de Fleury, obtient un budget décent, améliore les ports de Brest, Toulon, Cherbourg , Bayonne, maintient cadres et constructions navales, et oppose ainsi à l’Angleterre, durant la guerre de la Succession d’Autriche (1744-1748), une marine honorable. Avant sa disgrâce (1749), il a visité Toulon, Marseille, Rochefort, réalisé des enquêtes sur les pêches, patronné les premières missions scientifiques d’exploration (mesure du méridien), supprimé le corps des galères devenu obsolète, créé des écoles de santé. Mais, une « poissonnade » dirigée contre Mme de Pompadour lui étant attribuée, le roi l’exile à Bourges (1749), puis à Pontchartrain. Rentré en grâce à l’avènement de Louis XVI, Maurepas devient ministre d’État (1774), président du Conseil des finances ; il favorise le départ de Maupeou (1774), le rappel des parlementaires, fait appel à Turgot, Malesherbes, Vergennes, Sartine. Mais sa frivolité l’empêche souvent de les soutenir contre les cabales de cour. Maurice (île) ! France (île de) Mauritanie ! Afrique-Occidentale française
Maurras (Charles), écrivain et théoricien politique (Martigues, Bouches-du-Rhône, 1868 - Saint-Symphorien, près de Tours, 1952). Issu d’une famille de la petite bourgeoisie, il accomplit ses études secondaires au collège diocésain d’Aix-en-Provence, où il se lie d’amitié avec Henri Bremond. Ayant perdu l’ouïe à l’âge de 13 ans, il affronte avec douleur le problème du mal et se détache peu à peu de la foi catholique. Bachelier à 17 ans, il monte à Paris pour suivre des études supérieures, mais s’oriente rapidement vers une carrière de journaliste et de critique littéraire. Les Annales de philosophie chrétienne, l’Observateur français, la Revue encyclopédique Larousse, accueillent ses articles. La précocité de son talent, le ton vif de ses écrits, éveillent l’attention de ses aînés, tel Taine. • Un nationalisme exclusif et un catholicisme politique. Maurras forge ses idées et ses conceptions politiques dans le contexte de la vague nationaliste issue du boulangisme, reprenant et développant des thèmes alors récurrents - antisémitisme, antiprotestantisme, antimaçonnisme, vive conscience de la décadence. Fervent disciple de Mistral, il adhère au groupe parisien du félibrige, s’opposant ainsi à un jacobinisme qui prétend cantonner la Provence à un pur « rôle de mécanique administrative ». Cette prise de position annonce sa ligne politique ultérieure : la primauté de la lutte pour la restauration d’un État fort, qui préserve l’autonomie des provinces, réintègre le monde ouvrier délaissé par le vieux parti républicain, et renforce l’identité française. En effet, Maurras estime celle-ci menacée par les juifs, les métèques, les protestants et les francs-maçons, auxquels la République, selon lui, ouvre très largement ses portes. Son nationalisme n’est pas seulement exclusif : il substitue au christianisme une autre religion, celle de la déesse « France », dont le catholicisme constitue l’armature historique. Son Enquête sur la monarchie (1900-1909) conclut, après le choc de l’affaire Dreyfus, à l’urgence de rétablir « la monarchie traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée ». La formule définit la cohérence du système. En rejetant le parlementarisme, le « pays réel », enraciné dans un riche réseau d’organisations locales et professionnelles, retrouvera sa voie. Telle est la « politique naturelle » qui redonnera à la patrie « une tête libre et un corps vigoureux ». La monarchie rêvée n’est plus celle de l’Ancien Régime. Autant de convictions que Maurras exprime régulièrement
dans les colonnes de l’Action française, devenue un quotidien en 1908. Désintéressé, fougueux, convaincu de la force implacable de sa logique, Maurras érige sa pensée en système. Les disciples qui n’adoptent pas le point de vue du maître downloadModeText.vue.download 601 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 590 sont rejetés. À deux reprises, dans les années 1910, il réussit à neutraliser ses adversaires : en 1911, la vieille garde royaliste, qui tente de discréditer ses méthodes auprès du duc d’Orléans ; en 1914, les catholiques démocrates, qui essaient d’obtenir du pape Pie X la condamnation publique de quelques-unes des oeuvres antichrétiennes de sa jeunesse (le Chemin de Paradis, 1895 ; Trois idées politiques, 1898 ; Anthinéa, 1901). Au cours de la Première Guerre mondiale, Maurras soutient sans faille la cause de l’« union sacrée ». Il en retire un prestige qui lui vaut même l’estime des républicains patriotes, tel le partisan de Clemenceau Émile Buré. Poincaré lui-même le lit avec intérêt. • De l’« antigermanisme » au pétainisme. C’est avec le même acharnement qu’il poursuit son combat dans l’entre-deux-guerres, sans renouveau, ni des idées ni des méthodes. L’« antigermanisme » qu’il professe demeure immuable, tout comme l’hostilité à la République. La condamnation de l’Action française par le pape Pie XI, à la fin de l’année 1926, brise le rêve d’une alliance durable avec le catholicisme. La crise des années trente marque un déclin : de nouveaux courants de la droite non conformiste, composés parfois d’ex-maurrassiens, mettent en cause le principat intellectuel de Maurras. Ce dernier les comprend mal et raille leur volonté d’ébranler les bases du système républicain : « Mes amis, leur déclare-t-il, le 6 février 1934, ce n’est pas encore aujourd’hui que vous abattrez la République. » À partir de 1935, et plus encore de 1936, le projet de constitution d’une Union latine s’appuyant sur l’Italie de Mussolini et l’Espagne franquiste engage la ligue d’Action française dans un rapprochement périlleux avec les dictatures. Si Maurras demeure « antiallemand » après la défaite de 1940, il entend conjuguer, au nom de la « seule France », obédience au régime de Vichy (salué comme l’État enfin restauré) et hostilité à l’Angleterre.
En janvier 1945, Maurras, francisque à la boutonnière, est condamné par la cour de justice du Rhône à la réclusion à perpétuité et à la dégradation nationale. Il demeure convaincu d’avoir été lucide et dénonce un verdict qu’il juge indigne. Après plusieurs années de détention à Clairvaux, il est gracié en 1952 et, en raison de son état de santé, transféré dans une clinique de Tours. Il meurt peu après, le 16 novembre 1952. L’influence qu’il a exercée jusqu’au bout sur nombre de disciples ne tient-elle pas au moins autant à la rigueur logique de son système qu’à la passion stoïque avec laquelle il a engagé sa vie au service d’un ordre du monde qu’il affirmait inscrit dans la nature des choses ? Cette humilité a son envers : la certitude d’appartenir à l’élite de « ceux qui savent ». Maury (Jean Siffrein), prélat et homme politique (Valréas, Vaucluse, 1746 - Rome 1817). Fils d’un modeste cordonnier et devenu ecclésiastique, il se révèle sous la Révolution comme un important orateur de la Constituante, grand défenseur de l’autorité traditionnelle, royale comme pontificale. Ordonné prêtre en 1769, Maury se met au service des grands, devient vicaire, chanoine puis prédicateur du roi à Paris, et publie divers ouvrages qui lui valent d’entrer à l’Académie française (1785). Il est élu député du clergé aux états généraux de 1789, s’affirmant comme l’un des principaux tribuns du « côté droit » - « aristocrate » - de l’Assemblée na tionale dont il ne cesse de contester la légitimité. Fougueux et provocateur, mais aussi cynique et arriviste, il intervient sur tous les sujets, devenant le héros de la presse royaliste et la cible privilégiée des caricatures populaires. À la séparation de la Constituante, il émigre à Rome (novembre 1791), où le pape le fait cardinal et ambassadeur à la diète de Francfort (1792), évêque de Corneto et Montefiascone (1794). Ambassadeur de Louis XVIII auprès du Saint-Siège, il doit fuir à plusieurs reprises les troupes françaises entrées à Rome sous le Directoire. Puis, ce partisan du despotisme éclairé opère un ralliement spectaculaire à Napoléon en 1804 : l’Empereur l’autorise à rentrer en France (1806), le nomme archevêque de Paris (18101814) malgré la défense du pape, et le fait comte d’Empire (1814). Contraint à l’exil en 1815, il est emprisonné à Rome. Libéré après sa démission du siège de Montefiascone, il y meurt du scorbut.
maximum (décrets et loi du), mesures révolutionnaires instaurant le contrôle des prix et des salaires (1793-1794). En fixant le « plus haut prix » que ne peuvent dépasser denrées et salaires, la Convention nationale met en place une législation dirigiste, bien que la bourgeoisie révolutionnaire - montagnarde comme girondine - demeure attachée au libéralisme économique. Le maximum n’a pas valeur de modèle mais est une mesure provisoire, fruit des circonstances tout autant politiques qu’économiques. En effet, la taxation et la chasse aux « accapareurs » de denrées sont des revendications populaires qui surgissent, de façon récurrente, lors des nombreuses émeutes de subsistances d’alors, revendications qui ne sont satisfaites qu’après la déclaration de guerre (avril 1792) et, surtout, la formation de la grande coalition contre la France (février 1793). Certes, la guerre et le ravitaillement de l’armée - qui entraînent pénurie et inflation nécessitent des mesures exceptionnelles, mais les montagnards souscrivent aux revendications sans-culottes aussi pour des raisons de stratégie politique : la recherche de soutien populaire dans leur lutte contre les girondins et la volonté de mettre fin aux troubles intérieurs. C’est sous la pression de ce mouvement populaire qu’est voté le premier maximum (4 mai 1793), qui ne concerne que le prix des grains ; mais, peu cohérent et saboté par les autorités locales attachées au libéralisme, il accentue la pénurie. Toutefois, la levée en masse d’août 1793 - provoquant la diminution de la main-d’oeuvre et de la production en même temps que l’augmentation de la consommation - et la journée populaire du 5 septembre 1793 aboutissent aux votes du décret du 11 septembre, qui unifie le maximum des grains, et de la loi sur le maximum général (29 septembre 1793). Cette dernière, moins improvisée que la précédente, bloque les prix d’une quarantaine de denrées de première nécessité à un tiers au-dessus de leur cours de 1790 et les salaires à 50 % au-dessus de leur niveau de la même année. Ce dispositif juridique fonctionne à peu près, surtout grâce aux mesures de Terreur et aux réquisitions, et permet le ralentissement de l’inflation ; mais il souffre gravement de la fraude, de la croissance d’un marché parallèle qui attire les denrées, de contradictions et de complexité, tandis que le maximum des salaires provoque mécontentement et agitation des ouvriers. Si le bilan concernant le ravitaillement de l’ar-
mée est positif, celui de l’approvisionnement des villes est beaucoup plus mitigé. Après la chute de Robespierre, les thermidoriens, qui démantèlent la législation dirigiste, abolissent le maximum (4 nivôse an II [24 décembre 1794]). Ce brusque retour à la liberté des prix, conjugué à la dépréciation des assignats, provoque aussitôt un véritable drame social. Mayenne (Charles de Lorraine, marquis, puis duc de), chef de la Ligue (Alençon 1554 - Soissons 1611). Gouverneur de Bourgogne en 1573, Mayenne aurait pu se contenter de combattre les protestants sur le front de la Dordogne mais, à la suite de l’assassinat de ses frères, Henri le Balafré et le cardinal de Guise, il devient le chef de l’opposition face à Henri III puis à Henri IV. Il est proclamé en 1589 lieutenant général du royaume par le conseil municipal parisien des Seize. Il oppose alors au Béarnais huguenot un prince vieux mais catholique : le cardinal de Bourbon (1523-1590), proclamé roi sous le nom de Charles X. Il est cependant battu par Henri IV à Arques-la-Bataille en 1589, puis à Ivry l’année suivante. Après la mort du cardinal, Mayenne ose d’autant moins prétendre à la couronne que les nobles ligueurs sont trois fois moins nombreux que les gentilshommes royalistes ! De surcroît, les premiers « jugent » et pendent à Paris et en Bourgogne les plus modérés d’entre eux : le président Brisson, le conseiller Tardif. Des excès qu’il condamne, car, légaliste, il préfère réunir à Paris les états généraux pour élire un nouveau roi en 1593. Mais Henri IV entre dans la capitale et les Espagnols - alliés des ligueurs - sont défaits. Piètre militaire, rebelle timide, prince vénal, Mayenne négocie alors sa soumission contre de l’argent et le gouvernement d’Île-de-France. Mayer (Daniel), homme politique (Paris 1909 - Orsay, Essonne, 1996). Issu d’une famille juive peu aisée, Daniel Mayer se forme à la politique en autodidacte passionné. En 1927, il adhère à la Ligue des droits de l’homme et aux Jeunesses socialistes et, de 1933 à 1939, est responsable de la rubrique sociale du Populaire. Virulent adversaire du nazisme, il combat les accords de Munich et, après l’armistice, participe à la reconstruction clandestine de la SFIO en fondant, en mars 1941, le Comité d’action socialiste (CAS), dont il est secrétaire général en zone sud. Il contribue également à l’élaboration du programme du Conseil national de la Résistance (CNR). Quand, en mars 1943,
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DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 591 le CAS se transforme en Parti socialiste, il en devient le secrétaire général. À la Libération, cet homme vif au talent d’orateur, fait figure de poulain de Léon Blum ; avec lui il tente de réformer le parti en y accueillant de nombreux résistants, mais il est rapidement évincé : en 1946, la majorité du Congrès national de la SFIO adopte la motion de Guy Mollet condamnant le « révisionnisme » et le « faux humanisme » de Daniel Mayer. Mollet devenu secrétaire général, Mayer poursuit une carrière de ministre - chargé du Travail et de la Sécurité sociale de décembre 1946 à octobre 1949 - et de député, fonction dont il démissionne en 1958. À cette date, partisan de solutions libérales en Algérie et hostile au ralliement de son propre parti au général de Gaulle, il quitte la SFIO pour fonder le Parti socialiste autonome (PSA), puis le Parti socialiste unifié (PSU), auquel il demeure attaché jusqu’en 1967, avant de rejoindre à nouveau les rangs socialistes en 1970. Très attentif aux questions d’équité et de liberté, il assure la présidence de la Ligue des droits de l’homme de 1958 à 1975, puis celle de la Fédération internationale des droits de l’homme de 1977 à 1983. François Mitterrand le nomme au Conseil supérieur de la magistrature en 1982, puis au Conseil constitutionnel en 1983. Il en est président pendant trois ans et membre jusqu’en 1992. Daniel Mayer peut être considéré comme une des hautes figures socialistes de l’aprèsguerre, dans le droit fil des valeurs humanistes de Léon Blum. Mayotte, collectivité territoriale française située dans l’archipel des Comores. Acquise le 25 avril 1841 par un traité entre le capitaine Passot et un chef sakalave, la petite île est occupée en 1843. D’ambitieux projets de création d’un port de guerre sont rapidement abandonnés, et Mayotte devient une petite colonie sucrière, à la suite de l’immigration de planteurs réunionnais. Son histoire reste liée à celle des Comores jusqu’au référendum d’autodétermination du 22 décembre 1974 : la population se prononce alors contre
l’indépendance de l’archipel, et, lors de sa proclamation unilatérale (6 juillet 1975), les élus locaux, soutenus par de nombreux manifestants, réclament le maintien de l’île dans la République française. Depuis une loi de décembre 1976, Mayotte forme une collectivité territoriale. Elle est représentée au Parlement par un député et un sénateur. La départementalisation est réclamée par les élus et par une grande partie de la population, qui s’élèverait à près de 100 000 personnes. Un projet de référendum sur le statut de l’île a été plusieurs fois ajourné. En 2001, suite à un référendum, Mayotte est devenu une collectivité départementale d’outre-mer. Mazarin (Giulio Mazarini, dit en français Jules), cardinal et homme politique français d’origine italienne (Pescina, Abruzzes, 1602 - Vincennes 1661). L’image de Mazarin dans l’historiographie française est floue, car il a toujours semblé étrange qu’un Italien ait pu gouverner la France, alors qu’il en ignorait presque tout. C’est oublier que l’action monarchique se définissait d’abord à travers une politique étrangère et que Louis XIII, sur les conseils de Richelieu, avait choisi ce prélat romain parce qu’il connaissait bien la carte européenne et les enjeux internationaux. Le reste, c’est-àdire la capacité à trouver de l’argent pour mener une ambitieuse politique européenne - donc, la manière de gouverner les Français paraissait accessoire. C’est sur ce point que le subtil Italien rencontra les pires difficultés, faisant l’unanimité contre lui, et les mazarinades, en le prenant comme bouc émissaire, contribuèrent à caricaturer un peu plus sa personne et son action. • L’affaire de Mantoue. La famille de Giulio Mazarini, originaire de Ligurie, s’était installée en Sicile, mais son père, Pietro, avait étudié à Rome et fut protégé par les Colonna. Giulio avait fait de bonnes études et, en raison de son charme, avait été bien accueilli dans la société romaine. Il avait fait un long séjour en Espagne et avait tenté une carrière militaire. Il suivit ensuite, comme secrétaire, le nonce à Milan, qui devait s’occuper d’une médiation, au nom du pape Urbain VIII, dans l’affaire du duché de Mantoue. En effet, la France et l’Espagne s’y opposaient sourdement, dans une « guerre couverte », alors que la guerre de Trente Ans faisait rage dans l’Empire : Casal, une forteresse du Montferrat, qui dépendait
de Mantoue, contrôlait une route cruciale pour les Espagnols et était défendue par une garnison française. En 1629, Mazarini fut chargé par le nonce de continuer la négociation. Il eut ainsi l’occasion de rencontrer Richelieu, en janvier 1630. Le 26 octobre 1630, les troupes françaises allaient affronter les Espagnols : Mazarin survint, « agitant une écharpe blanche, ou un chapeau, ou un crucifix, ou le texte de la trêve et criant : Pace, Pace » (Pierre Goubert). Alors que l’affaire de Mantoue occupait tous les souverains et les négociateurs européens réunis à Ratisbonne, l’envoyé pontifical réussit à obtenir sur place une trêve inattendue. La succession de Mantoue se régla peu de temps après, sans drame majeur. Elle avait fait connaître Mazarin à toute l’Europe. • Les incertitudes d’un prélat romain. Après l’éclatant succès se posa la question de la future carrière de Mazarin. L’élégant cavalier dut se résigner à se faire tonsurer (1632), mais il ne voulut pas être prêtre. Les Espagnols, considérant que l’Italien les avait joués au profit de la France, ne voulurent pas que des récompenses vinssent reconnaître cette action diplomatique : Mazarin ne put obtenir la nonciature ordinaire en France - qu’il espérait et qui lui aurait donné le chapeau de cardinal. En 1634, il fut néanmoins chargé d’une nonciature extraordinaire à Paris. Mais la guerre qui éclata entre la France et l’Espagne en 1635 l’obligea à gagner Avignon comme vice-légat. Richelieu s’intéressait toujours à lui et demanda - sans succès - le chapeau pour lui lorsque mourut le Père Joseph. En décembre 1639, Mazarin quitta Rome et vint se mettre au service de Louis XIII et de Richelieu. Il semble avoir acquis des lettres de naturalisation qui faisaient de lui un Français. Le 16 décembre 1641, il obtint le chapeau de cardinal. Sur son lit de mort, Richelieu le recommanda à Louis XIII et, en 1643, après la mort du roi, Mazarin demeura Premier ministre. • La confiance d’Anne d’Autriche. En effet, la régente Anne d’Autriche le garda auprès d’elle. Mazarin avait été aussi désigné par Louis XIII comme parrain de Louis XIV, ce qui le rapprochait de la famille royale, et, en 1646, il fut chargé de l’éducation du jeune roi. Les contemporains et les historiens se sont interrogés sur la nature des relations entre la reine et l’habile cardinal. Ce qui est certain, c’est qu’une affection solide porta la reine espagnole vers le cardinal italien, qui avait
toujours été un séducteur et qui parlait le castillan. L’accord entre eux fut presque total, et Mazarin n’aurait rien pu faire, en France ou sur la scène internationale, s’il n’avait pas disposé de l’appui de la régente. • L’héritier politique de Richelieu. À l’intérieur du royaume, Mazarin s’efforça d’affirmer toujours et partout l’autorité du roi. Dès le début de la régence, il dut affronter avec Anne d’Autriche des résistances et des oppositions. En venant à bout, en 1643, de la « cabale des Importants », qui tentaient de l’évincer du pouvoir, le souple ministre montra qu’il était aussi capable de fermeté. À l’extérieur, Mazarin mena la guerre face à ces grandes puissances qu’étaient l’Espagne et l’Autriche, et prolongea les choix de Richelieu. Après l’avantage pris à Rocroi sur les Espagnols, la victoire militaire était à envisager. Mazarin soutint tous les sujets du roi d’Espagne qui cherchaient à s’émanciper : la Hollande, dont l’indépendance était acquise depuis longtemps ; Naples, dont le soulèvement ne fut qu’un feu de paille ; le Portugal, qui s’était révolté en 1640 et s’était donné un nouveau roi ; la Catalogne, où la France ne maintenait sa présence qu’avec difficulté. Parallèlement, des négociations s’ouvraient en 1644 à Münster et à Osnabrück, en Westphalie. Mazarin en était le chef d’orchestre, s’appuyant sur un collaborateur remarquable, Abel Servien. La France se voulait loyale à l’égard de la Suède et favorisa une collaboration stratégique qui força l’Empereur à la paix. À Lens, le 20 août 1648, les Espagnols étaient en outre sévèrement battus par les armées de Condé. Ces victoires de 1648 précipitèrent les événements. Le 24 octobre 1648, les traités de Westphalie furent signés. La France, alliée des puissances et des princes protestants, était garante de l’équilibre religieux et politique qui s’établissait dans l’Empire et qui n’anéantissait pas le camp catholique. Elle obtenait les droits et les territoires de la maison d’Autriche en Alsace. • La Fronde. Alors que ses vues triomphaient en Europe, Mazarin se voyait harcelé de critiques en France. Il avait acquis de Richelieu l’idée que la France et les Français pouvaient assumer en Europe une politique de grande puissance. Il n’était pas pressé de finir la guerre - qui s’acheminait vers une victoire dont il souhaitait cueillir tous les fruits. S’appuyant sur un système financier complexe, il avait le sentiment que les Français pouvaient downloadModeText.vue.download 603 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 592 payer, même si les impôts nouveaux suscitaient des résistances. Mais le parlement de Paris et les autres cours souveraines se firent l’interprète du mécontentement et de la lassitude générale. Obligé de céder au printemps de 1648, Mazarin profita des succès militaires et diplomatiques de l’été pour tenter un coup d’éclat, mais il ne réussit qu’à mobiliser ses opposants et à provoquer l’insurrection parisienne d’août. Il fut contraint de reculer et de conseiller la négociation. Il devint vite la cible de toutes les attaques et de toutes les calomnies, et des milliers de textes - les mazarinades -, s’en prirent à lui, critiquant sa façon de gouverner, la faveur que lui accordait la reine, son enrichissement rapide, son goût du faste. Mazarin devenait un bouc émissaire et focalisait sur lui tous les reproches que les sujets exprimaient à l’égard d’une monarchie qui s’était renforcée depuis la fin des guerres de Religion et son entrée dans la guerre européenne en 1635. Devant cette agitation générale, Mazarin apprit à connaître ses adversaires et sut les opposer les uns aux autres. Il mêla en permanence la discussion et le combat, et, pour restaurer l’autorité du jeune monarque dans le royaume, il sut préparer des campagnes militaires très difficiles. À deux reprises, en 1651 et en 1652, il feignit de quitter la scène et s’exila volontairement : cette soumission à la volonté de ses ennemis permit de les désarmer et de les vaincre à la fin. • La fin d’une période de guerres. Si Mazarin apparaissait finalement indispensable au jeune roi et à sa mère, mais aussi à tous les esprits, une fois la colère apaisée, c’est que la guerre n’était pas finie et que l’Espagne profitait des querelles intérieures pour reprendre, en 1652, des positions essentielles : Barcelone, Dunkerque, Casal. La France avait besoin d’un allié pour riposter : Mazarin négocia avec l’Angleterre de Cromwell une alliance militaire, qui allait remporter la victoire des Dunes (14 juin 1658). La paix des Pyrénées qui s’ensuivit, négociée par Mazarin et signée le 7 novembre 1659, concluait la guerre franco-espagnole, mais aussi la guerre européenne.
Mazarin avait réussi à donner à la France d’abord la sécurité des traités : ceux de 1648 et 1659 fixaient un nouvel ordre international et de nouvelles règles en Europe. Il avait ensuite assuré une plus grande sécurité du territoire, par les possessions d’Alsace, le contrôle de la Lorraine, l’éloignement de la frontière au nord grâce à l’Artois, et l’acquisition du Roussillon qui complétait la ligne des Pyrénées. Il avait donné, enfin, la sécurité de l’avenir, parce qu’il avait offert une carte diplomatique essentielle à la maison de Bourbon : des prétentions à la couronne d’Espagne par le mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse d’Autriche. • Arbitre de l’Europe et éducateur d’un roi. Mazarin avait su également constituer face à l’empereur, en 1658, une Ligue du Rhin qui lui permettait de contrôler la politique impériale. Il était aussi en permanence intervenu dans la guerre qui avait éclaté au nord de l’Europe entre la Suède, la Pologne et le Brandebourg. Finalement, ce fut sous l’arbitrage de la France que la paix fut rétablie en 1659-1660. Par son talent de négociateur, Mazarin, faisait de la France une puissance présente dans toute l’Europe. Surtout, le cardinal s’était consacré, après la Fronde, à la formation du jeune Louis XIV, qu’il avait initié peu à peu aux affaires publiques et à son métier de roi. Le 9 mars 1661, Mazarin mourait et Louis XIV devait suivre nombre de ses conseils et de ses leçons. Le cardinal - dont l’intendant s’appelait Colbert - laissait une immense fortune derrière lui, la plus grande du XVIIe siècle. Il avait rassemblé de belles collections de sculptures, de tableaux, de tapisseries, de bijoux. Il était duc et pair, et avait environ vingt-cinq abbayes. Il avait assuré à ses sept nièces des alliances prestigieuses. Il avait aussi créé le Collège des Quatre-Nations, à Paris, en souvenir des quatre « nations » ou provinces (Alsace, Pignerol, Artois , Roussillon) qu’il avait rattachées à la France. mazarinades, nom donné aux écrits, pour la plupart polémiques, qui ont vu le jour pendant la Fronde. Le terme est emprunté à la Mazarinade, parodie d’épopée retraçant sur le mode burlesque la vie de Mazarin, publiée par Scarron en 1651. Il a d’abord désigné les libelles hostiles au cardinal, puis l’ensemble de la littérature politique produite pendant la Fronde (pamphlets, manifestes, journaux, chansons,
placards, etc.). De 1648 à 1653, environ 5 200 textes imprimés et quelque 600 manuscrits voient le jour ; ils sont publiés à Paris, pour l’essentiel, mais aussi dans les grandes villes frondeuses (Aix, Bordeaux, Rouen), et très majoritairement hostiles au cardinal et au parti de la cour. Nombre de ces textes, surtout pendant la Fronde des princes (1650-1653), émanent des cabinets de presse des principaux acteurs politiques (Retz, Condé, Gaston d’Orléans, voire Mazarin lui-même), qui entretiennent tout un réseau de rédacteurs, d’imprimeurs, de colporteurs, de « criailleurs ». Imprimées dans le feu de l’action, vendues très bon marché (1 sol), ces feuilles, en jouant sur des registres variés (allant du manifeste politique au pamphlet injurieux ou licencieux), s’efforcent d’atteindre tous les publics : robins, gentilshommes, marchands, « menu peuple ». Autant que d’informer ou de convaincre, il s’agit de tenir le pavé. Ce que le critique Hubert Carriera a justement appelé les « états généraux du verbe » porte témoignage de la vitalité littéraire et de la culture politique de l’âge baroque. Mazas (prison), ancienne prison parisienne, située sur le boulevard Mazas (aujourd’hui, boulevard Diderot), et dont la conception suscita des polémiques. L’épineuse question de la détention alimente d’interminables débats pendant la période de la monarchie censitaire. Sur un point, réformateurs et spécialistes de tous horizons semblent d’accord : la détention collective conduit à la dépravation des individus, favorise les récidives, diffuse la subversion politique ou morale au sein même du milieu carcéral. La prison Mazas, dont la construction est décidée en 1845, doit donc permettre à la fois d’éradiquer ces fléaux et de rendre impossible toute évasion : chaque détenu occupera une cellule individuelle de 12 mètres carrés ; ses conditions de vie - confort, nourriture - feront l’objet d’un soin particulier. Un ingénieux système de ventilation et des « tuyaux phoniques » introduiront une touche de modernité. Maintenu en situation d’isolement, le prisonnier deviendra anonyme : on l’identifiera par le numéro de sa cellule. C’est en mai 1850 que cette prison est inaugurée. Elle doit accueillir plus de mille détenus. Inspiré d’un système panoptique, son aménagement permet une surveillance de tous les instants : forme octogonale, ronds points d’observation, couloirs dégagés, communications faciles entre tous les gardiens. L’expé-
rience soulève des protestations indignées : les prisonniers supportent mal ce régime de détention, et les observateurs dénoncent des conditions d’isolement inhumaines. En définitive, seuls des prévenus, en attente de jugement, y sont incarcérés pour de courtes périodes. Modèle controversé des maisons d’arrêt cellulaires, la prison Mazas est désaffectée en 1896, et démolie deux ans plus tard. Meaux (cercle, cénacle ou groupe de), groupe de réformateurs religieux, rassemblés autour de Guillaume Briçonnet, évêque de Meaux, et dont l’action a ouvert la voie à la Réforme française. Prélat gallican, proche de la cour et des milieux humanistes, Briçonnet, nommé à Meaux en 1516, entreprend, à partir de 1518, de réformer son diocèse conformément aux aspirations de l’ humanisme chrétien. Il s’efforce d’abord de restaurer la discipline au sein du clergé, rappelant les moines au respect de la règle, et les curés à l’obligation de résidence. Mais il s’attache tout particulièrement à la prédication en direction des fidèles. En butte aux résistances du clergé local, il fait appel en 1521 à un groupe de prédicateurs rassemblés autour de Lefèvre d’Étaples (Gérard Roussel, Martial Masurier, François Vatable, Michel d’Arande, Guillaume Farel, Pierre Caroli, Jacques Pauvan), à qui il confie la tâche de « connaître l’Évangile, suivre l’Évangile, et faire connaître partout l’Évangile ». Tandis qu’une trentaine de prédicateurs quadrillent le diocèse, des innovations sont introduites dans la liturgie : le culte des images est épuré, des traductions françaises de la Bible sont mises à la portée des fidèles. Mais, très rapidement, et malgré la protection de François Ier et surtout de sa soeur, Marguerite d’Angoulême, elle-même acquise aux thèses évangélistes, le groupe de Meaux est la cible des attaques de la Sorbonne et du Parlement, gardiens sourcilleux de la tradition, qui confondent dans la même réprobation « évangélistes » et luthériens. Sans doute les « bibliens » de Meaux ont-ils en commun avec les luthériens l’importance accordée à l’Écriture ou la primauté de la foi sur les oeuvres. Mais ils s’en séparent sur deux points cruciaux : l’eucharistie, où ils restent fidèles au dogme catholique de la transsubstantiation ; et l’Église, dont ils ne remettent pas en cause l’organisation. Les protestations d’orthodoxie de Briçonnet, qui s’était séparé dès 1523 de Guillaume downloadModeText.vue.download 604 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 593 Farel, jugé trop proche des thèses luthériennes, ne désarment pas les milieux conservateurs hostiles. Profitant de la captivité de François Ier, le Parlement engage en 1525 des poursuites contre le groupe de Meaux : les traductions françaises de la Bible, dont les Epistres et Evangiles de Lefèvre, sont interdites. Menacés de « prise de corps », Lefèvre, Caroli et Masurier se réfugient à Strasbourg, tandis que Jacques Pauvan, accusé d’hérésie, finit sur un bûcher. La dislocation du groupe de Meaux signe l’échec d’une réforme modérée, menée sous l’égide de l’Église gallicane et du pouvoir royal. Sommés de choisir entre la fidélité à l’orthodoxie romaine et la Réforme intégrale, ses membres se partagent : tandis que Briçonnet, Roussel, d’Arande et Masurier restent au sein de l’Église romaine, et que Farel et Caroli passent à la Réforme, Lefèvre, accueilli à Nérac par Marguerite d’Angoulême, persiste dans la voie étroite de l’évangélisme. Cet « éclectisme doctrinal », autant que les rigueurs des théologiens et des juges expliquent l’échec de l’expérience de Meaux, qui ne résiste pas à la radicalisation des positions au milieu des années 1520. Méline (Jules), homme politique (Remiremont, Vosges, 1838 - Paris 1925). Avocat au barreau de Paris, Méline s’illustre d’abord dans les rangs de l’opposition républicaine au Second Empire, et soutient la Commune avant d’en dénoncer les excès. Élu député des Vosges en 1872, il siège jusqu’en 1903 à la Chambre, où il est rapidement considéré comme le républicain spécialiste des affaires agricoles. Lié, par son mariage, aux intérêts du patronat vosgien protectionniste, il défend dès 1880 la fixation de droits de douane « compensateurs » pour favoriser l’industrie textile de l’Est. En 1883-1885, il est ministre de l’Agriculture dans le gouvernement de Jules Ferry (ce portefeuille date de 1881). En 1896, il s’oppose au projet d’impôt sur le revenu que veut instaurer le cabinet Bourgeois, dont il provoque la chute, et il forme luimême le cabinet suivant (1896-1898). Méline incarne alors le « progressisme » républicain fait de modération politique et de conserva-
tisme social. Mais il refuse la révision du procès Dreyfus par respect formel de la « chose jugée », et abandonne la présidence du Conseil devant la montée de la gauche parlementaire. Candidat malheureux à l’élection présidentielle contre Loubet en 1899, il poursuit ensuite sa carrière politique au Sénat (1903-1925) - où il créera une commission de l’Agriculture (en 1920) - et retrouve des fonctions gouvernementales comme ministre de l’Agriculture d’octobre 1915 à décembre 1916. Dans son ouvrage le Salut par la terre et le programme économique de l’avenir (1919), Méline résume ses grandes orientations économiques, caractérisées par une vision globale de l’agriculture intégrée au progrès économique et social. Le protectionnisme agricole, qu’il préconise dès 1884 avec le vote des premiers tarifs pour les céréales, n’est qu’une façon de donner les mêmes avantages aux agriculteurs et aux industriels. Les tarifs douaniers de 1892 adoptés alors que Méline est président de la commission des douanes, établissent une échelle de taxes à l’importation, variables selon la nature et l’origine des produits, et pouvant atteindre jusqu’à 20 % de leur prix. Pour Méline, le protectionnisme, « enraciné dans la démocratie qui cultive la vigne, le blé », et non pas simplement dans le bloc agrarien, n’a de sens que s’il s’accompagne d’une véritable politique de modernisation qui passe par l’essor de l’enseignement et du crédit agricoles. Tout autre que le « médecin Tant pis » de l’agriculture évoqué par Ferry, Méline incarne, comme le rappelle Pierre Barral, cette tradition politique et économique de la modernisation graduelle hostile à tout bouleversement et respectueuse des hiérarchies sociales. Mélusine, fée, héroïne du roman en prose composé par Jean d’Arras en 1392-1393 pour le duc Jean de Berry, à partir de récits remontant au XIIe siècle. L’ensemble de ces récits raconte la même histoire, celle d’un jeune seigneur tombé amoureux d’une belle et riche jeune fille rencontrée au cours d’une chasse, en forêt ou auprès d’une source. La jeune demoiselle consent à l’épouser, à condition qu’il ne cherche pas à la voir nue, un certain jour de la semaine. Fée de la fécondité et de la fertilité, elle apporte la prospérité à son mari : le couple entreprend des défrichements, fonde des châteaux et des villeneuves, conçoit de nombreux enfants... Jusqu’au jour où l’époux enfreint l’interdit et découvre sa femme au bain sous la forme
d’une sirène. La fée disparaît alors à jamais. Le roman de Jean d’Arras, qui met en scène Raimondin, l’ancêtre présumé des sires de Lusignan en Poitou, constitue la forme la plus achevée de la légende. Son succès s’explique par le fait qu’il valorise, symboliquement, la petite et la moyenne aristocratie, qui, à l’occasion de la croissance économique et de l’essor de la seigneurie des XIe, XIIe et XIIIe siècles, sont parvenues à fonder de puissants lignages et à intégrer la noblesse. En outre, l’origine merveilleuse attribuée aux sires de Lusignan contribue au prestige de cette famille qui accéda aux trônes de Jérusalem et de Chypre. Avec l’oeuvre de Jean d’Arras et son adaptation en vers par Coudrette peu après 1400, la légende prend place, au XVe siècle, dans la culture aristocratique des cours princières. Mendès France (Pierre), homme politique (Paris 1907 - id. 1982). Issu d’une famille de la petite bourgeoisie juive du Sentier qui porte haut les valeurs de la République et de la laïcité, le jeune Mendès France, fort brillant élève, choisit le droit ; il devient avocat dès l’âge de 20 ans. • L’étoile montante du Parti radical. Ce parcours universitaire sans faute se double d’un engagement militant précoce : dès 1924, il rejoint la Ligue d’action universitaire républicaine et socialiste (LAURS), puis adhère en 1926 au Parti radical, sur les traces d’Édouard Herriot. En opposition à la dérive du parti vers la droite, il s’attache, avec les « JeunesTurcs » Pierre Cot, Jacques Kayser ou Jean Zay, à dénoncer les abus parlementaires, à défendre les prérogatives de l’exécutif et à affirmer la primauté de l’économique et du social. Après l’installation de son cabinet d’avocat à Louviers en 1929, il accumule les victoires électorales : député de l’Eure à 25 ans (1932), il remporte trois ans plus tard la mairie de Louviers. Fort de ses compétences dans le domaine économique et financier - en 1928, il a soutenu une thèse sur l’oeuvre financière du gouvernement Poincaré -, il intervient à propos des questions agricoles à l’Assemblée et y préside la commission des Douanes à partir de 1933-1934. Sensible au danger fasciste, il s’engage aux côtés du Front populaire et soutient activement le premier gouvernement Blum, même s’il déplore sa non-intervention en Espagne. Converti au keynésianisme en 1937, il devient soussecrétaire d’État au Trésor dans le deuxième
gouvernement Blum, en mars-avril 1938, et ébauche un plan de redressement économique fondé sur la priorité à l’emploi, à la politique d’armement et à la taxation du capital. • Singularité et marginalité. Au début de la guerre, il s’engage dans l’aviation, puis regagne sa mairie au coeur de la débâcle de mai-juin 1940. Arrivé au Maroc à bord du Massilia, il est arrêté par le gouvernement de Vichy pour « désertion », et condamné en mai 1941. Il s’évade un mois plus tard, puis rejoint Londres en 1942, et combat dans l’escadrille Lorraine. De Gaulle le nomme commissaire aux Finances à Alger, en novembre 1943 ; en septembre 1944, Mendès France prend en charge le ministère de l’Économie nationale. Mais il se trouve rapidement en désaccord avec René Pleven, lequel est hostile aux mesures draconiennes qu’il préconise : remplacement des billets, politique d’austérité sur les prix et les salaires. Ne voulant pas risquer l’impopularité, de Gaulle choisit la voie tracée par Pleven. Mendès France démissionne, le 5 avril 1945. Il est alors en marge de la IVe République. Certes, il reconquiert ses mandats électoraux - sa mairie en 1945, son siège de député en 1946 -, mais le Parti radical, sclérosé, ne prend guère en compte ses projets de rénovation. Toutefois, il revient sur le devant de la scène politique (1950) en clamant son opposition à la politique menée en Indochine et en prônant la négociation. Vincent Auriol appelle une première fois ce Cassandre de la République à la présidence du Conseil, en juin 1953. Mais il est encore trop tôt : l’investiture lui échappe de peu. Pourtant se développe un courant de sympathie « mendésiste » : chrétiens de gauche, radicaux en rupture de ban, membres du Club des jacobins de Charles Hernu, jeunes militants de la gauche laïque, intellectuels qui gravitent autour de l’Express, fondé en mai 1953. Il lui faut attendre la défaite de Diên Biên Phu pour accéder à Matignon, le 18 juin 1954. • « Gouverner, c’est choisir ». Son bref passage à la présidence du Conseil marque la naissance d’un « style Mendès ». Bien qu’il soit respectueux du régime parlementaire, il entend que le gouvernement ait les coudées franches : il choisit donc une équipe de ministres réduite, sans passer par les appareils partisans, en puisant dans différents mouvements politiques mais aussi parmi les experts, et il récuse le soutien des députés commudownloadModeText.vue.download 605 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 594 nistes. Par ailleurs, il initie une véritable politique du contrat en se donnant un mois pour résoudre le problème indochinois, ce qu’il réussit en faisant signer les accords de Genève dans la nuit du 20 au 21 juillet. Il évoque également l’autonomie de la Tunisie lors de son discours de Carthage le 31 juillet, et propose une politique volontaire de redressement économique. Bien que le président du Conseil bénéficie des faveurs de la population, entretenues par ses causeries à la radio et relayées par une partie de la presse, il s’attire les foudres des sphères politiques. On lui reproche, pêlemêle, d’avoir opté pour un « gouvernement saute-mouton », d’avoir enterré le projet de Communauté européenne de défense - le MRP évoque le « crime du 30 août » -, d’avoir bradé l’empire, ou de s’être attaqué à des professions représentatives de la France traditionnelle (les bouilleurs de cru, par exemple). L’insurrection qui éclate en Algérie le 1er novembre 1954, et à laquelle il répond par la répression, accélère sa chute, qui intervient le 6 février 1955, à la suite d’un vote défavorable d’une coalition parlementaire hétéroclite, allant des communistes aux Indépendants, en passant par le MRP. • Les échecs et la reconnaissance. Figure emblématique de la gauche moderniste, Mendès France semble alors toujours pouvoir incarner une alternative. Il prend les rênes du Parti radical en mai 1955 ; cependant, les bons scores du Front républicain aux élections de janvier 1956 ne le portent au pouvoir que pour quelques mois, et seulement comme ministre d’État. La greffe du « mendésisme » ne prend pas au Parti radical, qu’il renonce à diriger. Mais c’est surtout son rejet des institutions mises en place par de Gaulle en 1958 qui contribue à son isolement politique au sein d’une gauche non communiste ellemême considérablement diminuée. Entré au PSA en 1959, puis au PSU en 1960, Mendès France est à la recherche de formules autogestionnaires ; mais, battu en 1958 à Louviers, il perd de nouveau son siège de député en 1968 à Grenoble, après une victoire en 1967. Humilié par le résultat de Gaston Defferre - qu’il a soutenu - à l’élection présidentielle de 1969, il prend fait et cause pour François Mitterrand, dont il salue la victoire en 1981. Personnage singulier dans la vie politique française, Mendès France, dont les passages au pouvoir furent brefs, mais qui essuya des
attaques virulentes, reste à la fois une figure majeure de la mémoire de la gauche française et l’incarnation d’une volonté politique hors du commun. mendicité (dépôts de), établissements d’internement destinés en principe à recevoir les vagabonds condamnés à des peines de détention par la justice prévôtale. Leur création s’inscrit dans le contexte d’un renforcement de la répression de la mendicité consécutif à l’ordonnance criminelle de 1764. Celle-ci instaure, dès la première inculpation, de lourdes peines d’emprisonnement, jusqu’alors réservées aux récidivistes. Ainsi, la durée minimale de détention est fixée à trois ans, assortis du travail obligatoire. Une telle politique pénale, qui entraîne une importante augmentation de la population carcérale, nécessite la création de lieux de détention spécifiques. En 1767, la monarchie décide la création de 33 dépôts de mendicité répartis dans chaque généralité et placés sous la responsabilité des intendants. Dans la réalité, les dépôts deviennent rapidement des dépotoirs surpeuplés. Le penchant des intendants à y envoyer indistinctement toutes sortes de délinquants et l’incapacité financière de la monarchie à augmenter leur capacité d’accueil imposent une réduction des durées de détention. En outre, le continuel renouvellement de la population délinquante empêche très souvent l’organisation du travail carcéral. Enfin, la promiscuité et la mauvaise qualité de l’alimentation provoquent une forte mortalité. Malgré une éphémère suppression voulue par Turgot qui leur préférait les ateliers de charité (1775-1777), les dépôts de mendicité subsistent jusqu’à la Révolution, où ils sont remplacés par des « maisons de répression » dont la vocation est identique. Bien que n’ayant jamais rempli leur fonction initiale, les dépôts de mendicité marquent une étape importante dans la genèse de la prison pénale. Recevant des délinquants détenus en vertu de décisions de justice, ils institutionnalisent l’enfermement et dotent l’État d’un réseau d’établissements carcéraux. Ménétra (Jacques Louis), artisan vitrier (Paris 1738 - id. 1803 ?). La vie de Jacques Louis Ménétra n’est pas de celles que l’histoire, au sens où l’entend la conscience collective, retient habituellement : il n’a rien inventé, n’a créé aucune oeuvre ma-
jeure, n’a joué aucun rôle dans les événements de son temps. Artisan parmi les artisans, il est un anonyme. Ménétra a pourtant pris la plume pour raconter sa vie : son enfance parisienne, son tour de France comme compagnon entre 1757 et 1764, sa vie affective et professionnelle, le regard qu’il porte sur la Révolution. Étudié et publié par l’historien Daniel Roche en 1982, le Journal de ma vie est un témoignage unique sur la culture populaire au XVIIIe siècle. Certes, Ménétra ne parle pas au nom de tous les oubliés de l’histoire. Mais ses écrits permettent de donner vie de manière exceptionnelle aux connaissances, le plus souvent extérieures, que l’on a des classes dominées. De ce point de vue, Ménétra a une conscience claire, et pour ainsi dire revendicative, de sa situation sociale : sa prise de parole cherche à affirmer une différence culturelle en rupture avec les normes officielles, et son écriture même, volontairement sans ponctuation, entend signifier cette différenciation. Sa démarche est indissociable de l’évolution d’un siècle qui passe insensiblement d’une société d’ordres à une société de classes, et elle est caractéristique du travail autobiographique qui constitue à la fois une construction et une rhétorique de l’identité (Ménétra est contemporain de Rousseau, qu’il a probablement rencontré). Comme l’explique Daniel Roche, « la leçon de ce texte étranger à la culture des lettrés, et dont l’auteur s’acharne à nier la valeur, est d’affirmer une morale de la fidélité à soi-même dans la liberté ». Menou (Jacques François de Boussay, baron de), militaire (Boussay, Indre-et-Loire, 1750 - Mestre, Italie, 1810). Issu d’une famille de très ancienne noblesse, Menou se voue à la carrière des armes et devient colonel en 1788. L’année suivante, élu aux États généraux, il rallie le Tiers ; à la Constituante, qu’il préside en 1790, il fait décréter l’adoption du drapeau tricolore comme emblème national. En 1793, il est envoyé en Vendée, où il gagne le grade de général de division. Mais il est mis à la retraite peu après, à la suite d’une accusation de Robespierre. Rappelé en 1795, il est chargé du désarmement du faubourg Saint-Antoine lors des émeutes de prairial, ce qui lui vaut le commandement en chef de l’armée de l’Intérieur. Puis, nouveau retournement : jugé inefficace lors de la répression de l’insurrection royaliste du 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795), il est relevé de ses fonctions. C’est en 1798 que sa carrière rebondit, lorsque Bonaparte l’emmène avec lui en Égypte : il est nommé gouverneur de la province de Rosette, puis
chef de l’armée d’Orient après l’assassinat de Kléber (14 juin 1800). Marié à une Égyptienne, converti à l’islam, ce général républicain prend, en quelques mois, des mesures importantes pour réorganiser administrativement le pays. Le 31 août 1801, il doit pourtant capituler devant les Anglais. Revenu en France, il sert l’Empire jusqu’à la fin de ses jours, comme membre du Tribunat, administrateur général du Piémont (1802), gouverneur général de la Toscane (mai 1808-avril 1809) et gouverneur général de Venise (fin 1809). mer Noire (mutinerie de la), révolte des marins français de la flotte de la mer Noire du 19 au 21 avril 1919. Malgré l’opposition du président des ÉtatsUnis Wilson, les pays de l’Entente interviennent à la fin de 1918 dans la guerre civile russe. Clemenceau est partisan de l’emploi de la force contre les bolcheviks. Franchet d’Esperey commande le débarquement des troupes à Odessa, officiellement pour protéger du matériel livré à la Russie, officieusement pour soutenir les généraux blancs contre l’Armée rouge. Les mauvaises conditions de vie, la poursuite de la guerre, le sentiment de solidarité avec les bolcheviks, poussent les marins à la révolte. L’ingénieur mécanicien André Marty prend la tête de la mutinerie : fils d’un condamné à mort de la Commune, il s’est engagé dans la marine en 1907, après avoir été le témoin de la fraternisation entre l’armée et les viticulteurs du Languedoc. La mutinerie dure trois jours, mais son retentissement est grand. Clemenceau, craignant que l’agitation ne se développe en France et n’alimente un courant révolutionnaire, décide d’évacuer Odessa et de rapatrier le corps expéditionnaire. André Marty est traduit devant le Conseil de guerre, qui le condamne à vingt ans de travaux forcés, peine ramenée en 1921 à quinze ans. Soutenu par une campagne de presse orchestrée par le Parti communiste, élu lors d’élections partielles, il est amnistié en 1923. La mutinerie de la mer Noire symbolise downloadModeText.vue.download 606 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 595 l’opposition à la guerre « impérialiste » et le soutien à la révolution russe. mercantilisme, politique d’intervention économique visant à augmenter la richesse
monétaire par l’excédent commercial. Le « système mercantile », que dénoncent Adam Smith et les libéraux à la fin du XVIIIe siècle, n’est pas vraiment une doctrine achevée mais plutôt un ensemble de pratiques fort anciennes. • Un nationalisme économique. Dans les cités médiévales comme sous le règne de Louis XI, notamment, les autorités politiques veillaient déjà à réglementer certaines activités économiques et à se protéger contre la concurrence de leurs voisins. Peu à peu, avec le renforcement de la monarchie, l’idée d’une unité économique nationale est apparue. Au XVIIe siècle, le développement des appareils administratifs et l’invention - par Laffemas et Montchrestien - de l’économie politique comme théorie du gouvernement ont légitimé une conception instrumentale de l’économie : la richesse du pays est mise au service de la puissance monarchique ; elle doit manifester la grandeur de l’État et la gloire du monarque. Il faut un pays prospère pour contribuer à l’impôt et entretenir une armée nombreuse. Le mercantilisme est une sorte de « nationalisme économique » avant la lettre, au service de l’État royal. Ces idées sont fort communes dans l’Europe d’Ancien Régime, mais c’est en France qu’elles trouvent leur expression la plus rigoureuse et la plus systématique avec Colbert : d’où le terme de « colbertisme », souvent synonyme de « mercantilisme ». • Colbert et la « guerre d’argent ». Pour le ministre de Louis XIV, la richesse d’un pays réside dans son stock de métaux précieux. Comme l’or et l’argent n’existent qu’en quantité finie, les États se trouvent nécessairement en concurrence pour attirer sur leur territoire le maximum d’espèces métalliques. Le commerce international est le principal instrument de cette « guerre d’argent » : chaque pays essaie d’éviter toute sortie d’espèces et de s’assurer une balance commerciale excédentaire. L’échange est considéré comme un jeu à somme nulle, dans lequel ce qui est gagné par l’un est perdu par l’autre. Chacun se bat alors pour avoir une plus grosse part d’un gâteau dont le volume serait fixe. C’est une vision assez pessimiste de l’économie, qui exclut toute idée d’une croissance possible. Il faut donc exporter plus qu’on importe, vendre des produits à forte valeur ajoutée (les biens manufacturés) et n’acheter que des marchandises bon marché (des matières premières).
Toute la politique de Colbert est marquée par cette obsession de la balance commerciale. L’essor des exportations passe par un effort intense d’encouragement aux manufactures, sous la forme de subventions et de privilèges royaux. Colbert tente aussi d’attirer en France les meilleurs techniciens étrangers. Il réglemente certaines fabrications, car il est persuadé que seule la qualité élevée des produits leur garantit des débouchés extérieurs. Il freine les importations par des tarifs douaniers prohibitifs pour décourager la concurrence étrangère sur le marché intérieur. Il développe aussi la marine et les compagnies de commerce, auxquelles il accorde des monopoles afin de réserver aux nationaux le bénéfice des échanges. Ces compagnies ont pour mission de conquérir des colonies afin de s’assurer un approvisionnement en matières premières à bas prix et de futurs marchés d’exportation. • Un bilan mitigé. Cette politique commerciale agressive donne une impulsion incontestable à l’économie française, mais elle conduit à la guerre avec la Hollande, et son volontarisme ne rencontre pas la pleine adhésion des milieux d’affaires. L’écart reste grand entre les objectifs posés et les résultats obtenus. Au XVIIIe siècle, les libéraux remettent en cause les fondements mêmes des politiques mercantilistes : à leurs yeux, la richesse ne réside pas dans l’accumulation de monnaie mais dans la circulation accrue des marchandises ; la notion de croissance ruine la vision pessimiste d’une quantité finie de richesse sur terre ; surtout, l’idée apparaît que l’échange peut profiter aux deux partenaires. Le mercantilisme, économie politique de la rareté, semble dépassé à ceux qui entrevoient l’univers enchanté de la consommation généralisée. Mercier (Louis Sébastien), écrivain (Paris 1740 - id. 1814). Polygraphe infatigable, auteur d’une oeuvre abondante, Mercier est un personnage mal connu. Fils d’un marchand fourbisseur, orphelin de mère à l’âge de 3 ans, il est élève externe au Collège des Quatre-Nations à partir de 1749. On sait peu de choses sur ses études et sur sa jeunesse, sinon qu’il fréquente le café Procope à la fin des années 1750, qu’il va au théâtre et qu’il admire Voltaire. En 1763, il écrit son premier texte en vue d’obtenir un prix de l’Académie française et part enseigner la rhétorique à Bordeaux jusqu’en 1765. Revenu à Paris, il se consacre à l’écriture et s’essaie à tous les genres : poésie, discours,
contes philosophiques et moraux, théâtre. En 1770, il publie un roman d’anticipation dans la tradition utopiste, l’An 2440, rêve s’il en fut jamais, qui lui vaut une certaine célébrité. À cette époque, il rencontre Rousseau, qui exerce sur lui une influence déterminante et auquel il consacrera un ouvrage en 1791. Dans la décennie 1770, il écrit de nombreuses pièces ainsi que des essais sur le théâtre. Au cours d’un voyage à Londres (1780), lui vient l’idée d’un tableau comparatif de Paris et de Londres : c’est ainsi qu’il commence à rédiger son oeuvre majeure, le Tableau de Paris (publié en six volumes, de 1781 à 1788), qui sera suivie en 1798 des six volumes du Nouveau Paris. À la parution des premiers volumes, Mercier doit fuir en Suisse, où il demeure quatre ans, travaillant au Tableau de Paris et rédigeant une sorte de Journal, Mon bonnet de nuit. Rentré à Paris à la fin de 1785 ou au début de 1786, il s’intéresse de plus près aux affaires politiques, dans le cadre de l’effervescence pré-révolutionnaire. Attentif aux questions politiques et sociales, il publie entre 1789 et 1791 une feuille d’opinion, les Annales patriotiques et littéraires, et collabore à d’autres journaux favorables à la Révolution. Député à la Convention en 1792, proche des girondins, il s’élève contre la Terreur, est arrêté en octobre 1793 et libéré après le 9 Thermidor. Il réintègre alors l’Assemblée et poursuit sa carrière politique à la Convention, puis au Conseil des Cinq-Cents jusqu’en 1797. Membre de l’Institut, il continue à écrire, dédiant notamment au Premier consul sa Néologie, dictionnaire de mots nouveaux qu’il souhaite mettre à la disposition des jeunes auteurs et qui a exercé une certaine influence au début du XIXe siècle. Critique à l’égard du régime napoléonien, il reste en retrait de la vie publique et des honneurs de l’Empire. Il meurt oublié de tous, et son oeuvre, d’une originalité féconde, n’a été redécouverte que ces dernières décennies. Mercoeur (Philippe Emmanuel de Lorraine, duc de), prince lorrain et gouverneur de Bretagne (Nomény, Meurthe-et-Moselle, 1558 - Nuremberg, Allemagne, 1602). Fils de Nicolas de Vaudémont, cadet de la maison de Lorraine, et frère de Louise de Lorraine, reine de France par son mariage avec Henri III, le duc de Mercoeur est investi en 1582 du gouvernement de la Bretagne. Cousin des Guises, il adhère à la Ligue nobiliaire de 1584, mais ne participe que modérément aux affrontements des années 1585-1587. Après l’assassinat d’Henri de Guise, il apparaît comme l’un des principaux chefs de la
Ligue, entraînant derrière lui une bonne partie de la noblesse bretonne. Lié à Philippe II d’Espagne, qui lui envoie des subsides et des hommes, il l’emporte sur les troupes royales à Craon (mai 1592). En fait, au-delà de son engagement au service de la cause catholique, Mercoeur nourrit l’ambition de se constituer un fief indépendant en Bretagne. Mais il n’est pas suivi dans ses visées séparatistes par les états de Bretagne, qui restent fidèles à la monarchie. Dès 1592, il noue des contacts avec des émissaires d’Henri IV. Lorsque celui-ci marche sur la Bretagne au début de 1598, Mercoeur monnaye son ralliement : le 20 mars, à Angers, il renonce au gouvernement de Bretagne contre la somme de 4 295 000 livres et le mariage de sa fille unique avec César de Vendôme, fils naturel du roi. Son ralliement, qui précède de quelques semaines la promulgation de l’édit de Nantes, marque la fin des guerres de Religion. Mercoeur termine sa vie au service de l’empereur Rodolphe II dans la « longue guerre turque » et meurt au retour d’une expédition en Hongrie. Mercure de France, périodique littéraire, mensuel puis hebdomadaire, fondé en 1672 sous le titre de Mercure galant. Véritable revue culturelle et modèle de référence sous l’Ancien Régime, dont il est l’un des journaux les plus anciens et les plus importants, le Mercure joue un rôle de premier plan dans le monde littéraire. Cependant, s’il soutient avec constance les Modernes contre les Anciens et accueille tous les grands écrivains de l’époque - il est le témoin passionnant de la transition entre le temps de Racine et celui de Voltaire -, il n’en demeure pas moins un journal à la fois officiel et fantaisiste, conduit souvent à la louange forcée et proposant un mélange disparate de mondadownloadModeText.vue.download 607 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 596 nités et de galanteries. Après la mort de son fondateur, Donneau de Visé, en 1710, il passe de main en main et change plusieurs fois de titre. En adoptant son titre définitif (1724), il s’ouvre à la « philosophie », modernise son contenu et devient un grand mensuel d’information générale sous l’influence de l’abbé Raynal, de Marmontel, de La Harpe, et surtout du libraire Panckoucke, qui en achète le privilège (1778-1794) et le réforme en profondeur. Hebdomadaire dès 1779, divisé en
deux parties distinctes, littéraire et politique, le Mercure prend sous la Révolution le parti des monarchiens puis des feuillants. Il survit cependant à la Terreur, change maintes fois de propriétaire et connaît plusieurs interruptions avant d’être relancé en 1800. Le Mercure n’a plus toutefois le lustre d’antan et ce chantre de l’opposition royaliste sous l’Empire - notamment sous les plumes de Chateaubriand ou de Bonald -, mis sous contrôle par la censure napoléonienne, périclite peu à peu, ressuscite plusieurs fois, avant de disparaître en 1832. Un ultime avatar du Mercure naît en 1890 sous la direction d’Alfred Vallette. Cette version, strictement littéraire, qui accueille successivement Mallarmé, Jarry ou Duhamel, perd de son éclat dans l’entre-deux-guerres et disparaît en 1965. Mère Angélique (Jacqueline Arnauld, dite), religieuse, réformatrice de Port-Royal (Paris 1591 - id. 1661). Abbesse commendataire de Port-Royal alors qu’elle n’a que 11 ans, la soeur du Grand Arnauld incarne d’abord les abus dont souffrent alors les ordres religieux. Sa vocation s’affirme lorsque, le 25 mars 1608, elle entend la voix de Dieu, qui lui ordonne de se réformer. Elle instaure donc un retour à la clôture et à l’austérité, dans l’esprit du concile de Trente. Cette mutation est symbolisée par la « journée du guichet », le 25 septembre 1609 : Mère Angélique interdit alors l’entrée à ses parents, à qui elle n’accepte de parler qu’à travers un guichet, mettant fin aux intrusions « mondaines » dans l’abbaye. Liée à François de Sales et Jeanne de Chantal, elle fait de Port-Royal un lieu spirituel où la mortification des sens et la pratique des bonnes oeuvres préservent des dangers du mysticisme. En 1625, l’abbaye de Port-Royal est installée à Paris. En 1630, ayant obtenu l’autorisation de mettre la charge d’abbesse en élection, Mère Angélique rentre dans le rang pendant trois ans pour devenir simple moniale. En 1633, l’évêque de Langres, Mgr Zamet, la choisit comme supérieure de l’Institut du Saint-Sacrement, dévoué à l’Adoration perpétuelle, pratique qui connaît alors son essor. En 1636, Mère Angélique revient à PortRoyal, qu’elle contribue, sous l’influence de son frère et de l’abbé de Saint-Cyran, à transformer en bastion janséniste. À nouveau abbesse de 1643 à 1654, elle meurt alors que le roi vient d’interdire au couvent de recevoir des novices. Au milieu des persécutions, son agonie, admirablement décrite par Racine (Abrégé
de l’histoire de Port-Royal, 1698), en fait un exemple d’humilité et de soumission à Dieu. Merlin de Douai (Philippe Antoine, comte Merlin, dit), juriste et homme politique (Arleux, Nord, 1754 - Paris 1838). Il est avocat au parlement de Flandre et expert réputé avant la Révolution. On fait appel à son autorité juridique dès son élection comme député aux états généraux de 1789. Il est membre du Comité des droits féodaux qui doit statuer sur les décrets des 4 et 10 août. En 1790, il intervient pour s’opposer à l’indemnisation demandée par les princes allemands en Alsace. Son argumentation repose sur le principe fondamental du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes : « Le peuple alsacien s’est uni au peuple français, parce qu’il l’a voulu ; c’est donc sa volonté seule, et non pas le traité de Münster qui a légitimé l’union, et comme il n’a mis à cette volonté aucune condition relative aux fiefs régaliens, nul ne peut prétendre d’indemnité. » Généralement, l’historiographie classe Merlin de Douai parmi ces hommes politiques qui savent user de leurs compétences pour durer. Prudent pour les uns, opportuniste pour les autres, ce partisan d’une monarchie constitutionnelle en 1791 vote la mort du roi et sait se disculper lorsqu’il risque d’être compromis en raison de ses relations avec Philippe d’Orléans. Membre du Comité de législation, il participe à l’organisation du Tribunal révolutionnaire et à l’élaboration de la loi des suspects (septembre 1793), à laquelle il doit son surnom de « Merlin-suspect ». Après le 9 Thermidor, entré au Comité de salut public, dont il est l’un des pivots, il déploie une activité politique et juridique intense : il inspire un grand nombre des décisions stratégiques de la Convention thermidorienne, tels la fermeture du Club des jacobins ou le rappel des députés exclus ; il rédige d’autre part un projet de code des délits et des peines, adopté par la Convention, qui est à l’origine du Code pénal. Sous le Directoire, il est ministre de la Justice, puis ministre de la Police générale. Il supervise les Constitutions des Républiques soeurs (véritables États vassaux de la France), défend le droit de conquête et les acquisitions par traités sans consultation des populations, en contradiction avec les principes qu’il défendait en 1790. Il entre au Directoire après le 18 fructidor an V (4 septembre 1797) et en est exclu avant le coup d’État de Bonaparte (1799). Ce dernier le nomme procureur général impérial près de la Cour de cassation, conseiller d’État, comte d’Empire et membre
de l’Institut. Rappelé par Napoléon au moment des Cent-Jours, il est ensuite condamné à l’exil. Il revient en 1830 et retrouve sa place à l’Institut. l MÉROVINGIENS. Le nom de « Mérovingiens » vient de Mérovée, roi dont une tradition exprimée par Grégoire de Tours à la fin du VIe siècle faisait le grand-père de Clovis. Éginhard, dans le premier tiers du IXe siècle, considérait que les Francs avaient coutume de choisir leurs rois dans la gens Meroingorum (« la famille des Mérovingiens »). Même si la préhistoire de cette famille royale plonge dans un fonds où le légendaire le dispute à l’authentique, ses acteurs surgirent sur le devant de la scène historique à la fin du Ve siècle, quand, par ses premiers succès, Clovis entreprit la conquête franque de la Gaule. Jusqu’en 751, ses descendants régnèrent sur l’ensemble de la Gaule et sur une bonne partie de la Germanie. Mais, passé l’apogée de la première moitié du VIIe siècle, les derniers Mérovingiens ne furent plus rois que de nom, la réalité du pouvoir appartenant désormais aux plus puissantes familles de l’aristocratie franque, singulièrement à celle des Arnulfo-Pippinides, les ancêtres des Carolingiens. Des chroniques des VIIIe et IXe siècles, marquées par la propagande carolingienne, jusqu’aux Récits des temps mérovingiens (1840) d’Augustin Thierry, l’histoire n’a trop longtemps retenu que l’incapacité à gouverner des derniers Mérovingiens, les « rois fainéants ». Grâce à la relecture critique des écrits de Grégoire de Tours, du pseudo-Frédégaire, et de leurs continuateurs, elle tend aujourd’hui à réévaluer l’oeuvre des premiers reges Francorum. LES CONQUÊTES L’ambition de Clovis, roi des Francs Saliens de 481 environ à 511, et de ses héritiers fut, à partir des positions que leurs prédécesseurs avaient occupées en tant que peuples fédérés dans les provinces romaines du Nord, de faire l’unité de la Gaule et, ainsi, de s’emparer des rivages prestigieux de la Méditerranée. En ce sens, ils exprimèrent une véritable fascination pour l’héritage impérial, dont ils se réclamèrent pendant plusieurs générations. Quelles qu’en eussent été les motivations profondes et la date exacte, la conversion de Clovis au christianisme et son baptême ne purent que faciliter l’entreprise en disposant favorablement le corps épiscopal, devenu, après la disparition de l’Empire en Occident,
la principale force d’encadrement des cités gallo-romaines. Ainsi Clovis, qui allait savoir, le moment venu, faire autour de sa personne l’unité de tous les Francs (en particulier, des Rhénans, les principaux rivaux de sa famille et de son peuple), réussit-il à conquérir la moitié nord de la Gaule (vers 486), puis l’Aquitaine jusqu’aux Pyrénées (en 507). Quant à ses fils et petits-fils, ils parvinrent à prendre le contrôle du Sud-Est : royaume des Burgondes, d’abord (en 534), par la force des armes ; Provence, ensuite (en 537), par la « négociation musclée » avec ses maîtres ostrogoths. C’est à ce moment que Théodebert Ier, petit-fils de Clovis, prenant possession de la ville d’Arles au nom des Francs, frappa à son effigie des sous d’or imités des sous impériaux - il fut le premier souverain barbare à oser le faire -, et, toujours à la manière des empereurs, il organisa des jeux hippiques dans les arènes. Ainsi, vers le milieu du VIe siècle, les Mérovingiens s’étaient rendus maîtres presque de la totalité de la Gaule : leur échappaient seulement les bouches du Rhin, aux mains des Frisons ; l’Armorique, en proie aux migrations massives en provenance de Grande-Bretagne ; les Pyrénées atlantiques, tenues par les Basques ; et la Septimanie (Languedoc méditerranéen), dominée par les Wisigoths. Mais leur autorité avait commencé de s’étendre à la Germanie centrale et méridionale, grâce aux victoires remportées sur les Alamans, les Thuringiens et, peut-être déjà, les Bavarois. downloadModeText.vue.download 608 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 597 Nul doute qu’à ce moment le regnum Francorum (royaume des Francs) représentait la principale puissance militaire et politique de l’Europe occidentale. De purement guerrière et ethnique à l’origine, la royauté mérovingienne était devenue, du fait de la vacance de l’Empire romain en Occident et par la loi de la conquête, une royauté territoriale. Son autorité devait être reconnue par tous - non plus seulement par les Francs mais aussi par les Gallo-Romains et les Barbares soumis : sur tous devait s’imposer la justice royale et être prélevé l’impôt, du moins dans la mesure où les rois en avaient les moyens. À cet effet, ils disposaient des comtes, leurs représentants dans les cités, et escomptaient le concours des évêques, dont ils cherchèrent de plus en plus à contrôler l’élection.
LES PARTAGES Pourtant, dès la mort de Clovis en 511, ses fils s’en étaient partagé l’héritage. La pratique des partages successoraux a été mal jugée par les historiens, qui dénonçaient là une coutume considérée comme traditionnelle chez les peuples germaniques, révélatrice de l’absence de tout sens de l’État, et catastrophique dans la perspective de la construction monarchique. En fait, rien ne montre qu’il se soit agi d’une pratique coutumière, du moins tant que le partage de 511 n’eut pas créé un précédent. Or celui-ci fut plus vraisemblablement le produit de tractations entre le fils aîné de Clovis, Thierry, né d’un premier lit, qui s’était déjà illustré sur les champs de bataille et que tout désignait pour succéder à son père, et ses trois demi-frères, auxquels leur mère charismatique, Clotilde, aurait voulu réserver une part de l’héritage paternel. D’ailleurs, les lots étaient à peu près égaux - sinon en taille, du moins en capacité fiscale -, et la proximité des quatre capitales royales (Paris, Soissons, Reims, Orléans) montrait à tous l’unité préservée d’un regnum Francorum partagé en quatre regna délégués, les quatre Teilreiche (« parts de royaume ») dont parlent les historiens allemands. Qu’il y eût dans cette pratique une véritable logique nous est confirmée par les partages de 561 et de 567. Le premier fut opéré à la mort de Clotaire Ier, dernier fils de Clovis et seul survivant des générations précédentes, entre ses fils Charibert, Gontran, Sigebert et Chilpéric ; le second intervint à la mort de Charibert, roi de Paris, au profit de ses trois frères. Tandis que Paris - indiscutablement la capitale dynastique depuis que Clovis s’y était installé et y avait été enterré - demeurait indivise en 567, l’assise territoriale du royaume de chacun des trois frères correspondait plus ou moins aux trois principaux royaumes constitutifs de l’État mérovingien : Gontran héritait des terres du Sud-Est, naguère occupées par les Burgondes ; Sigebert, de celles du NordEst, berceau des Francs Rhénans ; et Chilpéric, de celles du Nord, berceau des Francs Saliens. L’Aquitaine, quant à elle, fut longtemps considérée comme une terre coloniale dans laquelle chacun avait sa part. Sans doute la pratique des partages permit-elle donc de ménager les susceptibilités autonomistes des trois principales composantes « géo-ethniques » d’un regnum qui n’était pas si unifié qu’il y paraissait. De fait,
les sources n’allaient pas tarder à évoquer trois regna distincts disposant chacun de sa propre institution palatiale (maire - ou chef des services - du palais ; référendaire ou chancelier ; camérier ou trésorier ; connétable, etc.) : le regnum d’Austrasie, au Nord-Est, avec Metz comme capitale ; le regnum de Neustrie, au Nord, avec sa capitale finalement fixée à Paris ; et le regnum de Burgondie, ou Bourgogne, au Sud-Est, avec sa capitale à Chalonsur-Saône. BRUNEHAUT ET FRÉDÉGONDE : LA « FAIDE » ROYALE (VERS 570-613) D’ailleurs, à mesure que les générations mérovingiennes se succédaient, les solidarités internes se distendirent, et les particularismes de chacun des trois grands regna s’exprimèrent à travers les aspirations de leurs aristocraties respectives. En témoigne le processus de guerre civile qui débuta comme une faide (ou vendetta) au sein même de la famille royale. À l’origine, en effet, il s’agissait d’une simple vengeance privée : Sigebert Ier, roi d’Austrasie, et son épouse Brunehaut voulurent obtenir réparation de l’assassinat de Galeswinthe, soeur de Brunehaut et épouse du roi de Neustrie Chilpéric Ier, qu’ils rendaient responsable du méfait avec sa concubine Frédégonde. Les deux clans s’entredéchirèrent sous les yeux de Gontran, qui, jusqu’à sa mort en 592, occupa une position d’arbitre intéressé. Après les assassinats de Sigebert (575) et de Chilpéric (584), les deux femmes, Brunehaut et Frédégonde, prirent la tête des camps ennemis au nom de leurs fils ou petits-fils respectifs. Si le conflit s’éternisa, c’est parce que les aristocraties des trois royaumes y trouvèrent l’occasion de revendiquer haut et fort l’autonomie de leur propre regnum. Initialement, comme ils y étaient contraints par le serment prêté en tant que leudes (ou fidèles royaux), les aristocrates soutinrent leur roi ou leur reine, souvent avec loyauté. Mais il leur arriva de négocier leur ralliement à l’autre camp, quand la déroute de leur roi ou de leur reine risquait d’entraîner leur propre débâcle, ou quand la tutelle de ceux-ci leur devenait insupportable. C’est ce qui se produisit au terme du conflit, en 613. Les grands d’Austrasie - au premier chef Pépin Ier, dit de Landen, riche propriétaire de la région mosane, et Arnoul, riche propriétaire de la région mosellane - résolurent alors d’abandonner l’infatigable Brunehaut ; quant aux grands de Burgondie, chez qui celle-ci
avait un temps trouvé refuge, ils décidèrent de la livrer à Clotaire II, fils de Chilpéric Ier et de Frédégonde, roi de Neustrie, et chef de parti depuis la mort de sa mère en 597. Clotaire vengea ses parents en condamnant la vieille reine (mais aussi deux de ses arrière-petitsfils) à une mort publique atroce, qui nous a été rapportée par le pseudo-Frédégaire. Il est clair que le ralliement des grands d’Austrasie et de Burgondie au parti de Clotaire II ne fut pas désintéressé : ils obtinrent la reconnaissance de leur autonomie. Une autonomie qu’ils entendaient bien contrôler euxmêmes en prenant durablement possession des principales charges auliques des palais de Metz et de Chalon, dont l’existence n’était nullement mise en cause - bien au contraire - par le retour à une unité royale centrée sur Paris. L’APOGÉE MÉROVINGIEN SOUS CLOTAIRE II ET DAGOBERT (613-639) Initialement roi de Neustrie, Clotaire II se trouvait donc désormais roi de tous les Francs. Pour pacifier durablement le pays, il dut proposer un compromis aux aristocrates laïcs et ecclésiastiques des tria regna, qu’il rassembla à Paris en 614. Cette réunion aboutit à un édit de pacification contenant des mesures destinées à renforcer l’autorité royale, mais aussi à mettre un terme aux abus de pouvoir des fonctionnaires (spécialement des comtes), devenus très nombreux à la faveur de la guerre civile. En même temps, les droits et devoirs de chacun furent réaffirmés : l’article 12, en particulier, qui prévoyait désormais le recrutement des judices (les comtes eux-mêmes, ou certains de leurs assesseurs : le point est discuté) dans les régions d’exercice de leur autorité, suscita de nombreux commentaires. Loin d’être un recul de la royauté devant les prétentions des aristocraties locales à contrôler les pouvoirs régionaux, cette disposition permit, semble-t-il, de limiter les abus de ces dernières, en brandissant la menace d’une confiscation de leurs biens pour le dédommagement de leurs victimes. On peut d’ailleurs penser qu’une partie des aristocraties participa volontiers à l’entreprise de reconstruction monarchique, car jamais la cour royale installée à Paris n’avait autant rassemblé les élites du royaume que dans les années 620 et 630. Les aristocrates gallo-romains du Midi tout autant que les aristocrates francs du Nord y envoyèrent désormais leurs rejetons, pour qu’ils fussent éduqués et for-
més aux tâches de l’administration civile et religieuse. Ainsi, le jeune Dagobert, fils de Clotaire II, côtoya au palais paternel de nombreux fils d’aristocrates, parmi lesquels Didier, venu de la région d’Albi, Éloi, du Limousin, et Ouen, de Neustrie. Les uns et les autres allaient occuper divers offices palatins auprès de Dagobert, devenu roi, avant d’être envoyés comme comtes ou évêques, parfois loin de leur terre natale. Jamais l’intégration entre Francs et Romains, entre Nord et Midi, n’avait paru aussi bien engagée depuis la conquête de Clovis. Pour autant, les sentiments d’autonomie régionale ne s’étaient pas totalement dissous dans le légitimisme mérovingien. Ainsi, dès 623, les grands d’Austrasie demandèrent un roi à Clotaire II, qui leur dépêcha son fils Dagobert, alors âgé d’une quinzaine d’années. Ce dernier dut gouverner avec le conseil d’Arnoul et de Pépin Ier, initiateurs du ralliement de 613, respectivement promus à l’évêché de Metz et à la mairie du palais d’Austrasie. Le jeune roi adhéra presque aussitôt aux rêves expansionnistes de ses nouveaux tuteurs, non seulement pour mettre au pas les peuples de la Germanie - Alamans et Thuringiens -, que la guerre civile avait encouragés à ébranler la tutelle franque, mais aussi pour intimider ces autres peuples, Frisons, Saxons ou Slaves occidentaux, que les Francs n’avaient jamais réussi à soumettre. Quand Dagobert succéda à son père, en 629, et se réinstalla à Paris - ou, plutôt, dans downloadModeText.vue.download 609 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 598 les palais des environs, dont celui de Clichy, son préféré -, il continua à faire respecter la royauté franque, non seulement sur ses frontières (à l’est, à l’ouest - face aux Bretons -, et au sud - face aux Basques) mais aussi à l’intérieur, grâce à plusieurs tournées dans les regna, où il alla jusqu’à rendre la justice en première instance. Surtout, il multiplia les gratifications en faveur des églises, spécialement celle de Saint-Denis, auprès de laquelle il avait élu sépulture : ainsi, à sa mort, en 639, Dagobert Ier fut le premier rex Francorum à être enterré dans ce lieu qui allait devenir le plus important mausolée dynastique des rois de France. LA CRISE DE LA ROYAUTÉ MÉROVINGIENNE
ET L’ASCENSION DES ARISTOCRATIES RÉGIONALES Mais les succès de Dagobert n’abolirent en rien les particularismes : dès 632, soit trois ans après son installation à Paris, il avait dû envoyer son fils Sigebert III, encore enfant, comme roi délégué en Austrasie ; en 639, la Neustrie et la Burgondie furent promises à son cadet, Clovis II. Ces deux rois, qui allaient vivre respectivement jusqu’en 656 et 657, et dont la tradition a surtout retenu la piété et les faveurs accordées aux églises, parurent perpétuer un temps la grandeur du regnum. Cependant, leur inexpérience encouragea les clans aristocratiques à multiplier les manoeuvres pour asseoir dans chacun des trois royaumes leur tutelle sur l’institution palatiale, voire sur l’institution monarchique. Cela devint patent en 656, quand le maire du palais d’Austrasie Grimoald, fils de Pépin Ier de Landen, imposa à la succession de Sigebert III son propre fils Childebert, qu’il avait fait adopter par le roi, au détriment de l’héritier légitime, tonsuré et expédié dans un lointain exil. Certes, l’épisode ne dura qu’un temps, et un Mérovingien fut réinstallé sur le trône d’Austrasie dès 662. Mais les descendants de Clovis qui se succédèrent désormais dans chacun des regna furent des rois faibles, le plus souvent mineurs, et presque toujours voués à une mort précoce. Leurs moyens s’étaient considérablement réduits, le fisc ayant été anémié par la multiplication des donations aux grands et surtout aux églises, et la fin des guerres extérieures ne faisant plus rentrer dans les caisses ni butin ni tribut. Pendant ce temps, les plus grandes familles aristocratiques organisaient autour d’elles des groupes de parenté consolidés par des mariages ; elles constituaient des réseaux de fidélité récompensés par le gîte, le couvert, l’armement, voire des terres ; elles tendaient même à sacraliser leur pouvoir sur les biens et les hommes par l’élévation d’églises et de monastères sur les tombes de leurs ancêtres. Les plus puissantes d’entre elles, fortes de leur position économique, sociale, militaire, et maintenant religieuse, se disputèrent, dans la seconde moitié du VIIe siècle, les mairies du palais de chacun des regna. Quand certaines eurent fini par triompher dans leur propre regnum, elles se retournèrent contre les autres pour imposer leur suprématie à l’ensemble du royaume des Francs : ce fut chose faite en 687, quand Pépin II, petit-fils de Pépin Ier de Landen par sa mère et d’Arnoul par son père, vainquit à Tertry le maire du pa-
lais de Neustrie-Bourgogne, Berchaire, et son groupe familial. On put alors croire au retour à l’unité franque. Mais, même si Thierry III, fils de Clovis II, se trouvait être le seul roi, cette unité avait-elle encore quelque chose de mérovingien ? En réalité, sauf période exceptionnelle - comme la crise de succession qui suivit la mort de Pépin II, en 714 -, c’est la famille des Arnulfo-Pippinides qui allait présider désormais aux destinées du royaume des Francs, les Mérovingiens n’exerçant plus réellement le pouvoir. L’emprise acquise par Pépin II, puis par son fils Charles Martel, fermement établi à la mairie du palais à partir de 720 environ, était devenue telle qu’à la mort de chaque roi ce sont eux qui choisirent son successeur dans le vivier mérovingien - en fait, parmi la descendance de Clovis II. À la mort de Thierry IV, en 737, Charles jugea même inutile de le remplacer. Il fallut qu’en 743 le sentiment de « légitimisme mérovingien » s’exprimât suffisamment fort pour que Carloman et Pépin III, fils et successeurs de Charles, restaurassent Childéric III. Mais ce ne fut qu’un sursis : en 751, Pépin le Bref déposa ce dernier pour prendre sa place, mettant ainsi un terme à l’histoire de la royauté mérovingienne. BILAN Les sources de l’époque, toutes contrôlées par le nouveau pouvoir, ne laissent rien paraître d’une éventuelle résistance d’un parti légitimiste ; elles révèlent même un acharnement à caricaturer les Mérovingiens. Mais on n’aurait garde d’oublier que Pépin III lui-même fit insérer un éloge de Clovis dans le nouveau prologue de la loi salique, révisée sur son ordre, que son fils Charlemagne donna le nom de Clovis, devenu en français Louis, à l’un de ses fils, et que celui-ci donna le même nom de Louis et celui de (C)lothaire à deux de ses héritiers royaux. L’histoire ne saurait donc retenir d’une tradition qui remonte aux usurpateurs carolingiens une image par trop dénaturée de leurs prédécesseurs mérovingiens. Clovis et ses successeurs ont réalisé l’unité politique de la Gaule et d’une partie importante de la Germanie : pour la première fois, cette dernière était contrôlée par un pouvoir installé à l’ouest du Rhin. Ils ont fortement contribué au brassage des élites de ce vaste espace, favorisant ainsi son homogénéisation, non seulement politique, mais aussi sociale et culturelle. Enfin, aussi bien de leur propre initiative que grâce
au concours des aristocraties et à l’impulsion du mouvement monastique (considérable tout au long du VIIe siècle), ils ont contribué à l’enracinement du christianisme en Gaule. Merrheim (Alphonse Adolphe), syndicaliste (La Madeleine, Nord, 1871 - ? 1925). Issu d’une famille ouvrière, Merrheim quitte l’école à l’âge de 10 ans pour travailler dans une savonnerie. Après une brève adhésion au Parti ouvrier français, il crée le syndicat professionnel de la chaudronnerie, dont il est le secrétaire (1893-1904), avant de diriger la fédération CGT du cuivre à Paris, en 1904. Délégué aux grèves par la CGT (19051907), artisan de l’unification des syndicats de la métallurgie (1909), il se lie d’amitié avec Victor Griffuelhes et Pierre Monatte. Dès septembre 1914, il critique le ralliement de la CGT à l’« union sacrée ». Minoritaire au sein du comité confédéral, il anime le premier meeting opposé à la guerre (Lyon, 1er mai 1915), et expose ses thèses dans le journal l’Union des métaux. Délégué à la conférence internationale de Zimmerwald en septembre 1915, il condamne la poursuite d’une guerre de conquête, tout en s’opposant aux thèses de Lénine. Ne pouvant se rendre à la conférence de Kienthal (1916), il s’éloigne de la minorité de la CGT et devient un partisan du wilsonisme. Hostile aux bolcheviks et à la révolution russe, il se rapproche de la majorité de la CGT en décembre 1917. À partir de 1923, la maladie le contraint à abandonner son activité militante. Dirigeant syndical de premier plan, Merrheim est en 1915-1916 le symbole de l’opposition à la guerre au sein du mouvement ouvrier français. Mers el-Kébir, port d’Algérie, sur la baie d’Oran, où s’est déroulé le 3 juillet 1940 un affrontement entre navires britanniques et français consacrant la rupture entre les deux pays. Conformément à l’armistice franco-allemand, la flotte française doit rejoindre ses ports d’attache, être en partie désarmée, mais ne saurait être utilisée par les vainqueurs, « sauf les unités nécessaires à la surveillance des côtes et au dragage des mines ». La Grande-Bretagne, sachant ce que vaut la parole d’Hitler, monte l’opération « Catapult » pour rallier ou neutraliser le plus de bâtiments possible : dans ses ports, par exemple à Alexandrie, c’est assez facile ; mais, en baie de Mers el-Kébir, c’est le drame. L’amiral français Gensoul ne transmet pas à l’amirauté la proposition britannique
de conduire les navires aux Antilles, hors de portée de l’Allemagne. L’ultimatum de l’amiral Somerville est donc délibérément tronqué, et réduit au choix suivant : rejoindre la Royal Navy, gagner un port anglais, ou se saborder. Il est repoussé. Les Britanniques ouvrent alors le feu, et plus de 1 300 marins français sont tués. Le gouvernement de Vichy rompt ses relations avec Londres, et sa propagande amplifie l’anglophobie suscitée par l’événement, qu’on associe au supplice de Jeanne d’Arc, à la perte du Canada, ou à l’évacuation de Dunkerque. Le drame constitue un coup sévère pour la France libre, et n’est pas étranger à l’échec essuyé par le général de Gaulle dans sa tentative de rallier Dakar, en septembre 1940. Merveilles (Vallée des), vallée alpine située à 2 000 mètres d’altitude, sur la commune de Tende (Alpes-Maritimes), et qui a livré plusieurs dizaines de milliers de gravures rupestres, datant principalement de l’âge du bronze. La Vallée des Merveilles est, avec celle de Fontanalba, l’une des vallées glaciaires reliées au mont Bego, un sommet qui culmine à la frontière franco-italienne. Étagés en une série de petits lacs, ses flancs laissent apparaître des rochers en schiste gris-vert, patinés de rose, qui ont offert les surfaces planes propices à la réalisation des gravures (quelque 25 000 downloadModeText.vue.download 610 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 599 à 30 000 pour la Vallée des Merveilles, environ 8 000 pour Fontanalba). Celles-ci ont été exécutées par piquetage, à l’aide d’instruments métalliques. Leur répertoire est très monotone. Il s’agit, pour plus de la moitié, de bovidés (ou « signes corniformes »), réduits à une tête représentée de face sous la forme d’un rectangle muni de larges cornes. Les animaux sont plus rarement figurés entiers, vus d’« en haut » et, parfois, attelés à un araire. Un quart des gravures sont constituées de signes géométriques, cercles, ovales, rectangles simples ou quadrillés. Enfin, on trouve des représentations d’armes, poignards triangulaires, simples ou emmanchés « en hallebarde », c’est-à-dire transversalement à un long manche. Les figurations humaines sont exceptionnelles, mais célèbres : un « sorcier » barbu qui brandit deux poignards, un « chef de tribu » debout, mais qui n’est peutêtre que la superposition de plusieurs « corni-
formes ». On n’a relevé aucune scène. Ces gravures sont datées, globalement, de la fin du IIIe millénaire avant notre ère et/ou du début du IIe. En effet, par leur forme, les poignards rappellent ceux de la fin du chalcolithique italien (culture de Remedello), trouvés dans des sépultures ; quant aux hallebardes, elles évoquent le début de l’âge du bronze. Les interprétations, incertaines, se sont attachées à l’importance des armes et d’une idéologie guerrière ; mais les corniformes attelés montrent aussi la part notable de l’agriculture. Cet art rupestre est attesté, à la même époque, dans d’autres régions alpines - le Todesgebirge en Autriche, le Valais en Suisse, et, en Italie, le Val d’Aoste, le Val Germanasca, le Lauzo en Piémont, et surtout le Val Camonica près de Brescia. Quelques rares figurations, exécutées en lignes fines, et dont le style « linéaire » se rencontre dans les Pyrénées, pourraient appartenir à la fin de l’âge du fer, voire à l’époque romaine. Meslier ou Mellier (Jean), dit le curé Meslier, curé et philosophe athée (Mazerny, Ardennes, 1664 - Étrépigny, id. 1729). Aucun signe dans la vie publique de Jean Meslier ne contredit la trajectoire du curé rural champenois qu’il était : fils unique d’un marchand, entré au séminaire de Reims en 1684, ordonné prêtre en 1688, il obtient en 1689 la cure d’Étrépigny. En 1716, un rapport d’inspection défavorable, où lui sont reprochés des propos mordants proférés en chaire contre le seigneur local, ne le distingue guère d’autres prêtres « opiniâtres ». Meslier a choisi de vivre masqué, et seuls ses écrits, connus après sa mort, nous révèlent la radicalité de sa pensée. Il laisse en effet une Lettre à Messieurs les Curés du voisinage, une critique du Traité de l’existence de Dieu, de Fénelon, et, surtout, trois copies d’un volumineux Mémoire des pensées et sentiments de [J. M.] sur une partie des erreurs et des abus de la conduite et du gouvernement des hommes où l’on voit des démonstrations claires et évidentes de la vanité et de la fausseté de toutes les divinités et de toutes les Religions du Monde [...]. Ce texte, dans son entier ou abrégé, commence à circuler sous la forme d’un manuscrit clandestin vers 1734-1735. En 1762, Voltaire en publie un extrait, mais en le modifiant de telle façon que les propos athées disparaissent au profit de l’expression d’un déisme marqué
du sceau du voltairisme ! La première édition intégrale de ce « testament » paraît en Hollande, en 1864. L’originalité de Jean Meslier est de réunir pour la première fois, dans une dénonciation virulente des inégalités sociales et de la tyrannie politique, l’athéisme philosophique et un communisme agraire. Il appelle à la révolte et au tyrannicide, contre l’alliance complice des rois, des nobles et du clergé, en vue d’établir, sur la communauté locale des biens, « une même famille ». Messali Hadj (Ahmed Mesli, dit Ahmed), dirigeant nationaliste algérien (Tlemcen 1898 - Paris 1974). Ce jeune musulman d’origine très modeste, autodidacte, effectue en France son service militaire de 1918 à 1921. En 1926, il prend la tête de l’Étoile nord-africaine (ENA), un nouveau mouvement politique de travailleurs immigrés qui, sous son impulsion, réclame, le premier, l’indépendance totale de l’Algérie, plutôt que l’assimilation. Malgré diverses condamnations, Messali Hadj développe l’ENA en France mais aussi en Algérie. Il la fait adhérer au Front populaire en 1935, mais s’oppose au projet Blum-Viollette (visant à octroyer la citoyenneté aux élites musulmanes) et rentre en Algérie. Son mouvement, dissous en janvier 1937, se reconstitue alors sous le nom de Parti du peuple algérien (PPA). Arrêté en 1939, Messali Hadj refuse de collaborer avec Vichy et, en 1943, apporte son soutien à Ferhat Abbas et à l’association des Amis du manifeste de la liberté. Déporté au Congo en avril 1945, à la veille des émeutes qui secouent l’Algérie, il est libéré en 1946 et fonde le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Mais, contesté au sein de son mouvement, victime d’une nouvelle mesure d’expulsion en 1952, il assiste en 1954 à la scission du MTLD. Il reste à la tête du Mouvement national algérien (MNA), tandis que les dissidents choisissent la lutte armée et créent le FLN. Messali Hadj et le MNA sont alors marginalisés et exclus des négociations de paix. L’indépendance de son pays s’étant réalisée sans lui, le vieux dirigeant nationaliste reste en France, où il meurt le 3 juin 1974. Il est enterré à Tlemcen. Messmer (Pierre), homme politique (Vincennes, Val-de-Marne, 1916). Le rêve colonial est à l’origine du premier engagement de Pierre Messmer. Diplômé en 1937 de l’École nationale de la France d’outre-mer, puis de l’École des langues orientales, docteur en droit après avoir soutenu une thèse sur les
emprunts coloniaux, il entre dans l’armée coloniale. Au lendemain de la défaite de 1940, il rejoint Londres, avant même d’avoir entendu l’appel du 18 juin. De ce moment date son attachement indéfectible au général de Gaulle. Il se bat dans les Forces françaises libres, avant de participer au débarquement et à la libération de Paris. Parachuté ensuite au Tonkin, fait prisonnier par le Viêt-minh, il s’évade et rejoint les forces combattantes françaises. Démobilisé en 1946, il commence une carrière d’administrateur civil en Indochine, puis en Afrique, où il occupe le poste de haut-commissaire de l’A-ÉF (1958), puis de l’A-OF (1958-1959). Peu de temps après le retour au pouvoir du général de Gaulle il revient en métropole. Ce baron du gaullisme est, sans interruption, ministre des Armées de 1960 à 1969. Ministre d’État chargé des départements et territoires d’outremer dans le gouvernement Chaban-Delmas (1971-1972), il remplace ce dernier à la tête du gouvernement quand la tension devient trop forte avec le président Pompidou. De 1972 à 1974, il mène une politique avant tout pragmatique face à une société en pleine ébullition sociale et idéologique après les événements de mai 68 (affaire Lip). Après 1974, Pierre Messmer se consacre à ses mandats à la mairie de Sarrebourg, au conseil général de Moselle, au conseil régional de Lorraine et au Palais-Bourbon. Son échec aux élections législatives de 1988 et la pression de la nouvelle génération gaulliste le conduisent à se retirer de la vie politique en 1989. Il se consacre dès lors à la Fondation Charles-de-Gaulle et à l’Académie des sciences morales et politiques, dont il est membre depuis 1988 et secrétaire perpétuel de 1995 à 1998, avant d’entrer à l’Académie française en 1999. métayer. Personnage typique des régions pauvres à la fin de l’Ancien Régime, le métayer est celui qui exploite un bien rural concédé par un bailleur, avec partage, en principe par moitié, des frais et des revenus. Dès l’apparition du métayage vers le XIIIe siècle, et jusqu’au XVIe siècle, les rapports du métayer avec son bailleur sont équilibrés. Puis ils ne cessent de se dégrader, particulièrement au XVIIe siècle, au bénéfice des fermiers généraux. Ainsi, en 1567, dans la Gâtine poitevine, étudiée par Louis Merle, le laboureur Jehan Girault et son fils prennent à bail la métairie de Landroye. Le bailleur est un marchand ayant pris à ferme la seigneurie de Landroye du seigneur de Fontaines. Il fournit seul le
capital (bâtiments, biens fonciers, instruments aratoires et bestiaux), les preneurs apportant leur force de travail. Cette association entraîne le partage des « fruits » produits par le bien. Le métayer doit ainsi à son bailleur environ la moitié de la production, année commune, de seigle et d’avoine, plus une petite somme d’argent pour le nourrain (ce qui est indivisible). Il doit également une foule de petites redevances, survivances du système seigneurial du cens en nature et de la corvée : porcs, moutons, chapons, poulets, oisons, fromages, foin et bois, le tout portable au domicile urbain du bailleur, ainsi que des prestations en travail (des charroies) et même les rentes seigneuriales. Ce contrat est typique du système qui se met en place à l’époque moderne. Dès le XVe siècle, en effet, afin d’accroître ses revenus, la noblesse procède au remembrement de ses seigneuries, reconstituant des exploitations d’un seul tenant à partir des tenures paysannes pour les confier à des métayers. Or les principaux bénéficiaires du système sont les fermiers généraux, auxquels recourent les seigneurs fonciers pour la mise en valeur de leur patrimoine. downloadModeText.vue.download 611 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 600 La relation qui s’instaure alors entre « maître » et métayer est pire que celle, distendue, liant le seigneur foncier à ses tenanciers. Le sort du métayer se rapproche en fait de celui de l’ouvrier agricole. Il est évoqué par l’écrivain périgourdin Eugène Le Roy (18361907) à travers le personnage du père de Jacquou le Croquant, Martissou, un métayer qui, sous la Restauration, abat d’un coup de fusil le régisseur inique du maître. Cependant, si, en 1905, tous les participants du Ve congrès national des syndicats agricoles de Périgueux soulignent que le métayer est un paysan peu enclin au progrès, ils s’accordent à trouver dans le métayage « le plus précieux instrument de paix sociale ». mètre ! système métrique métropolitain. Dernier des réseaux ferrés des grandes capitales européennes, le métro parisien est le fruit d’un long débat sur la fonction d’un transport urbain par rail. • Les termes du débat. Le Paris du second Empire, transformé par Haussmann, souffre
d’un déficit de transports urbains, sujet auquel le baron s’est peu intéressé. Autour de ce constat se noue, dès 1871, un débat à quatre - ville, département, État et compagnies de chemin de fer - sur la structure d’un réseau ferré dans Paris. On s’accorde rapidement sur le tracé : des anneaux suivant les grands boulevards, des radiales nord-sud, des liaisons entre les gares, le renforcement de l’axe de la Seine. En revanche, la ville et l’État - suivi par les compagnies de chemin de fer - s’opposent sur le statut de l’ouvrage : l’État plaide pour un chemin de fer d’intérêt général, prolongeant les grands réseaux ferrés dans Paris et ouvert sur la banlieue. Les élus municipaux revendiquent le droit de concession d’un chemin de fer d’intérêt local, spécifique à la ville. Autre point de friction, le tracé aérien - peu coûteux mais source de nuisances visuelles et sonores - est abandonné dès 1887 au profit d’un passage souterrain. Ce choix influe sur le mode de traction, qui privilégie l’électricité au détriment de la vapeur. Derrière ces controverses se profile la lutte entre les compagnies de chemin de fer et la ville pour la maîtrise du nouveau moyen de transport. Cette dernière, arguant de l’urgence à disposer du métro pour l’Exposition universelle de 1900, triomphe en 1895 et obtient le droit de concession. • La réalisation. Le conseil municipal lance alors un emprunt de 165 millions de francsor pour financer les infrastructures du premier réseau de six lignes, qui totalise 65 kilomètres de voies. Les travaux, entrepris en 1898, sont confiés à l’ingénieur Fulgence Bienvenüe, qui vient à bout des nombreuses difficultés techniques : franchissement de la Seine, croisement des lignes entre elles, passage sous la butte Montmartre et les carrières de l’Est parisien. L’exploitation et la réalisation des superstructures - accès, voies et matériel roulant - sont attribuées à la Compagnie générale de traction du baron Empain, qui crée aussitôt la Compagnie du chemin de fer métropolitain (CMP), concessionnaire pour une durée de trente-cinq ans, en échange de la reversion d’un péage à la ville. Prouesse technique, le premier métro parisien souffre pourtant de certains défauts : le tracé suit l’axe des rues pour éviter les frais d’expropriation, mais renforce ainsi le déséquilibre du maillage haussmannien au profit de la rive droite. Le faible gabarit des tunnels et la petitesse de leur rayon de courbure interdisent aux trains classiques la possibilité d’en emprunter les voies : le réseau est isolé, coupé
de la banlieue. De plus, il est onéreux : le coût du premier programme s’élève à 300 millions de francs-or. • Succès et évolution. Mais le succès est indéniable, fondé sur le modeste prix du billet. Dès l’inauguration de la ligne 1, le 19 juillet 1900 - Porte de Vincennes-Porte Maillot -, la foule se presse aux guichets : 30 000 tickets sont vendus le premier jour, 16 millions durant les cinq premiers mois d’exploitation. En 1903, le métro transporte 100 millions de passagers pour 17 millions de francs de recettes. Le trafic est le double de celui du métro de Berlin, moitié plus élevé que celui de Londres. Aussi, la création d’un réseau complémentaire est-elle décidée : en 1903, la société Berlier-Janicot, future « Nord-Sud », obtient la concession des lignes A et B (actuelles lignes 12 et 13). En 1914, six lignes sont achevées. En 1930, la CMP et Nord-Sud fusionnent, favorisant l’harmonisation des travaux et de l’exploitation. La Libération marque l’apogée du trafic : en 1946, le métro transporte 1,6 milliards de voyageurs. Mais, pour la Régie autonome des transports parisiens (RATP), créée en 1949, les années 1950-1970 sont une période de stagnation et de difficultés économiques. Ce n’est qu’à l’aube des années 1980 que le métro retrouve un nouveau souffle, grâce à la relance des extensions vers la banlieue, au renouvellement du matériel roulant et à l’interconnexion avec le Réseau express régional (RER). Sont ainsi conciliées les deux exigences qui semblaient contradictoires aux yeux des premiers promoteurs : établir une jonction entre les lignes d’intérêt général et créer un transport spécifiquement urbain. Le développement des conurbations régionales et l’accroissement du trafic automobile ont encouragé nombre de villes ou d’agglomérations à développer des réseaux de métro avec des techniques adaptées et modernisées : Val automatisé à Lille (1983), à Toulouse (1993) et à Rennes (2002), Maggaly à Lyon (1992), rames sur pneumatiques à Marseille (1992), métrobus aérien à Rouen (1994). D’autres villes - Bordeaux, Caen, Grenoble, etc. - ont en projet des réalisations, repoussées en raison de coûts jugés prohibitifs en période de budgets resserrés. Mexique (expédition du), aventure militaire engagée sous le second Empire, en 1861, et qui se solde par un cuisant échec. La guerre civile entre les conservateurs clé-
ricaux et les libéraux laïques du président Benito Juárez García bloque l’exploitation des riches mines mexicaines. Or, Napoléon III s’y intéresse, d’autant que la France manque d’argent-métal. En outre, Juárez ne reconnaît pas les dettes de l’État mexicain ; des Français sont ainsi lésés, et un banquier suisse, Jecker, réussit à attirer l’attention du duc de Morny pour tenter de recouvrer ses créances. Après la confiscation des biens du clergé par Juárez, une intervention permettrait à la France de se concilier l’Église, malgré la « question romaine ». Un empire catholique, client de la France, équilibrerait l’influence anglo-saxonne sur le continent américain ; en offrir la couronne à un archiduc autrichien scellerait la réconcilation avec Vienne, battue mais ménagée après Solférino, et les ÉtatsUnis, plongés dans la guerre de Sécession, ne pourraient s’y opposer. L’expédition associe Londres et Madrid à Paris ; la première n’est toutefois favorable ni à une monarchie ni au clergé ; la seconde soutient la candidature d’un prince espagnol. Le désaccord éclate rapidement et la France reste seule. Les combats sont durs ; la défense désespérée du fortin de Camerone le 30 avril 1863 en est le symbole, commémoré encore aujourd’hui par la Légion étrangère. Finalement, Mexico est pris le 7 juin ; une « assemblée de notables » place sur le trône Maximilien, frère de l’empereur François-Joseph et gendre du roi des Belges. Mais l’hostilité populaire a été sous-estimée, Juárez tient le nord et le sud du pays et Maximilien s’avère trop libéral pour le clergé. Les 28 000 hommes de Bazaine le cinquième des armées françaises -, assistés par des unités belges, autrichiennes (et par l’armée locale tant que sa solde est versée), affrontent une guérilla généralisée. En mai 1865, la guerre de Sécession prend fin, et les États-Unis retrouvent toute leur influence. Le retrait des Français est annoncé le 15 janvier 1866. La victoire de Juárez est inéluctable ; Maximilien est fait prisonnier et fusillé à Querétaro le 18 juin 1867, événement immortalisé par un tableau de Manet. Pour la France, l’argent ayant afflué comme prévu, l’expédition est un revers, non une catastrophe. Reste que le ministre Rouher a clamé qu’elle était « la plus grande pensée du règne », ce que Flaubert, moqueur, intègre au Dictionnaire des idées reçues. Le régime n’a pu expliquer tous les motifs d’une affaire que Jules Favre dit montée « au profit d’un prince étranger et d’un créancier suisse », et l’échec l’affaiblit face à son opinion publique et face à l’Europe.
Michel (Louise), figure du mouvement révolutionnaire (Vroncourt-la-Côte, HauteMarne, 1830 - Marseille 1905). Fille naturelle d’une servante et de l’héritier du lignage aristocratique des De Mahis, elle grandit au château de ces derniers, où elle reçoit une excellente éducation. Elle devient institutrice, en 1853, à Audeloncourt (HauteMarne). En 1856, elle s’installe à Paris, où elle est engagée dans une pension pour jeunes filles, avant d’ouvrir sa propre école à Montmartre, école libre puisque Louise Michel refuse de prêter serment à l’empereur. Son métier est en effet pour elle le moyen d’offrir aux humbles l’instruction qui doit les aider à se battre contre l’oppression. À cette époque, elle poursuit aussi sa correspondance avec Victor Hugo, inaugurée par l’envoi au maître de ses poésies d’adolescente, et fréquente les milieux utopistes et anarchistes où elle se lie notamdownloadModeText.vue.download 612 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 601 ment avec Jules Vallès et Henri Rochefort, partageant avec eux l’idéal de la lutte contre l’injustice et la misère. Présente à leurs côtés durant la Commune, ambulancière aussi bien que combattante énergique, elle est surnommée « la Vierge rouge ». Après avoir échappé aux massacres de la Semaine sanglante, elle comparaît devant le tribunal militaire de Versailles, qui la condamne à l’exil perpétuel : en 1873, elle est déportée en Nouvelle-Calédonie, où elle dénonce l’oppression dont sont victimes les Canaques. Après l’amnistie de 1880, elle regagne l’Europe et s’engage dans une longue suite de conférences et de combats en faveur de la cause anarchiste, ce qui lui vaut trois condamnations (1883, 1886, 1890). Elle meurt à Marseille au cours de l’une de ses tournées, et est inhumée à LevalloisPerret. Elle laisse de nombreux écrits, dont des Mémoires (1886) et la Commune, histoire et souvenirs (1898). Michelet (Edmond), homme politique (Paris 1899 - Marcillac 1970). Militant catholique actif, il préside la Jeunesse catholique du Béarn entre 1922 et 1925, et fonde en 1932 les « équipes sociales » de Brive. Très attaché à la patrie, l’engagé volontaire de janvier 1918 devient, lors de la Seconde Guerre mondiale, un résistant actif
dans le cadre du mouvement Combat, puis des Mouvements unis de Résistance (MUR). Arrêté en février 1943 par la Gestapo, il est déporté à Dachau. En 1945, à son retour de déportation, le général de Gaulle fait de ce cadre remarqué de la Résistance le ministre des Armées, poste qu’il occupe jusqu’en 1946. Bien qu’issu du MRP, dont il est l’un des représentants pour la Corrèze à l’Assemblée consultative en novembre 1945, il adhère immédiatement au Rassemblement du peuple français (RPF), créé par de Gaulle en 1947. Exclu du MRP, qui rejette la double appartenance, battu à la députation en 1951, il est finalement élu sénateur de la Seine l’année suivante. Figure dirigeante du RPF, puis de l’UNR et de l’UDR, Michelet trouve dans le gaullisme un mouvement répondant à ses aspirations sur la grandeur de la France. Le retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958 lui permet d’accéder à plusieurs reprises aux fonctions de ministre. Sous la Ve République, l’ancien résistant est successivement ministre des Anciens combattants (1958-janvier 1959), de la Justice (1959-1961), puis de la Fonction publique entre 1962 et 1968. Après l’élection de Georges Pompidou en 1969, il revient sur la scène politique comme ministre des Affaires culturelles, succédant ainsi à Malraux. Qualifié par de Gaulle d’« esprit ouvert » et de « coeur généreux », Michelet laisse derrière lui l’image d’un homme dévoué à la cause du Général et serviteur intransigeant de la vie politique de la France. Michelet (Jules), historien et écrivain (Paris 1798 - Hyères 1874). L’historien de l’âge romantique par excellence a été toute sa vie hanté par quelques idéesforces : la vie, le peuple, la justice. Fils d’un imprimeur parisien ruiné par la censure impériale, il fait de brillantes études, est reçu à l’agrégation de lettres en 1821, et entame sous la Restauration une carrière d’enseignant : il est professeur de philosophie et d’histoire au collège Sainte-Barbe et à l’École normale supérieure, et précepteur de la petite-fille du roi Charles X. Il appartient au groupe de penseurs libéraux de Victor Cousin et se lie d’une amitié durable avec Edgar Quinet. C’est à travers Cousin qu’il découvre et adapte en 1827 les Principes de la philosophie de l’histoire du Napolitain Giambattista Vico. L’interprétation très personnelle de l’oeuvre de Vico par Michelet fonde sa conception et sa pratique d’une « histoire-résurrection », expression générale de l’élan vital d’un peuple entraîné par un « puissant travail de soi sur soi » vers
un avenir de justice, de liberté et de progrès. • L’historien de la France. À partir de 1825, Michelet acquiert de la notoriété, grâce à la publication de tableaux chronologiques et de précis historiques. Il bénéficie de la révolution libérale de 1830, devenant maître d’histoire de la princesse Clémentine - l’une des filles de Louis-Philippe - et, surtout, chef de la section historique des Archives royales (octobre 1830). « Je ne tardai pas à m’apercevoir dans le silence apparent de ces galeries, qu’il y avait là un mouvement, un murmure qui n’était pas de la mort », écrit-il en 1833 : « Ces papiers ne sont pas des papiers, mais des vies d’hommes, de provinces, de peuples. » C’est là qu’il conçoit le projet grandiose d’une Histoire de France, qu’il poursuit de 1831 à 1867 sous la forme de dix-sept volumes, depuis les origines jusqu’à la fin du règne de Louis XVI. Le lyrisme de la phrase, le rythme de l’inspiration, l’émotivité du style, la richesse de l’imagination, imposent aux contemporains des pages de leur histoire nationale, du Tableau de la France (1833), qui ouvre l’oeuvre, à Jeanne d’Arc (1841) ; du Moyen Âge ressuscité, puis renié, à une Renaissance éprise d’humanisme. Élu professeur au Collège de France en 1838, Michelet s’engage aux côtés de Quinet dans le combat de l’Université contre l’Église et dénonce avec violence les jésuites (Des jésuites, 1843) et la morale catholique (Du prêtre, de la femme et de la famille, 1845). • L’historien de la Révolution. Michelet rejoint alors le camp démocratique, publie le Peuple en 1846, et entreprend une Histoire de la Révolution française (1847-1853), épopée fulgurante des hommes de la « grande Révolution ». Ses cours sont suspendus par Guizot en janvier 1848 (Michelet publie alors, semaine après semaine, les leçons qu’il ne peut prononcer), mais la proclamation de la IIe République lui permet de retrouver le chemin des amphithéâtres. En mars 1849, il épouse civilement une jeune admiratrice, Athénaïs Mialaret (sa première femme est morte en 1839). Bien qu’il ne soit pas engagé alors directement dans le combat politique, Michelet est à nouveau sanctionné par les conservateurs, d’abord par une suspension de son cours en mars 1851, puis, après le coup d’État du 2 décembre, par une destitution : il doit quitter le Collège de France (avril 1852), puis les Archives (juin 1852), pour avoir refusé de prêter serment à Louis Napoléon Bonaparte. Rendu à l’existence privée, Michelet voyage aux côtés de sa femme et vit de ses publications. Il achève son Histoire de la Révolution française, qu’il remaniera dans un sens hostile
à toute dictature révolutionnaire (le Tyran, 1868), ainsi que son Histoire de France, dotée d’une admirable préface (1869) : « La France a fait la France », écrit-il, fidèle à l’inspiration vitaliste et prométhéenne de sa jeunesse, « chaque peuple se faisant, s’engendrant, broyant, amalgamant des éléments [...]. Elle est la fille de sa liberté ». En outre, il ébauche une Histoire du XIXe siècle (1872-1874), demeurée inachevée. • Poésie et histoire. Parallèlement, Michelet rédige des ouvrages d’un genre nouveau, donnant libre cours à une puissante veine lyrique qui mêle intimement effusions personnelles, fascination pour la femme, sens de la nature, histoire et poésie : les Femmes de la Révolution (1854), l’Oiseau (1856), l’Insecte (1857), l’Amour (1858), la Femme (1859), la Mer (1861), la Sorcière (1862), la Bible de l’humanité (1864), la Montagne (1868) et Nos fils (1869), où il développe ses convictions pédagogiques. Il tient aussi un extraordinaire Journal. La défaite militaire de 1870-1871 (la France devant l’Europe, 1871), l’explosion sociale de la Commune et la mise en place du régime d’Ordre moral l’accablent. Malade, vieilli, amer, l’historien de la France s’éteint alors qu’il est en villégiature à Hyères, en février 1874. • Postérité d’une oeuvre. Du vivant de Michelet, Fustel de Coulanges et ses disciples de l’« école méthodique » ont déploré l’absence de références textuelles précises ; un reproche dont l’ancien directeur des Archives, si sensible à la parole vivante du passé, a été scandalisé. Lucien Febvre, auteur d’un vibrant Michelet (1946) d’après-guerre, a célébré en lui le promoteur du projet d’histoire totale de l’école des Annales. Roland Barthes, dans un autre Michelet (1969) de l’âge structuraliste, l’a figuré au coeur d’une thématique d’instincts, de passions et d’obsessions, tout en vidant sa pensée et son travail historique de tout contenu (« credo classique du petit-bourgeois libéral vers 1840 »). À ces jugements anachroniques ou à ces récupérations intéressées, on préférera, avec Paul Viallaneix, retenir l’inspiration qui, à l’aube romantique des années 1820, fut à l’origine de cette oeuvre immense et protéiforme : « Pour nous, joyeuse ou mélancolique, lumineuse ou obscure, la voie de l’histoire a été simple, directe ; nous suivions la voie «royale» (ce mot pour nous veut dire populaire). » Michelin, famille d’industriels. L’histoire de Michelin est à la fois celle d’une entreprise, société en commandite par actions spécialisée dans la fabrication de pneumatiques
depuis la fin du XIXe siècle, celle d’une famille d’industriels catholiques durant quatre générations, et celle d’un milieu, centré autour de Clermont-Ferrand et régi par un système social paternaliste. À l’origine, au début des années 1830, Édouard Daubrée et Aristide Barbier fondent une usine qui produit, sans que cela en soit sa principale activité, des balles fabriquées à partir de pains de caoutchouc naturel importés du Brésil. L’invention de la vulcanisation, qui permet d’améliorer la qualité du caoutchouc downloadModeText.vue.download 613 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 602 en le traitant par le soufre, et la cogérance des frères André et Édouard Michelin à partir de 1889 modifient la nature de l’entreprise : reconvertie dans la fabrication de freins garnis de caoutchouc, puis de pneumatiques démontables pour les bicyclettes et les automobiles, l’entreprise Michelin, qui employait quelques dizaines d’ouvriers en 1890, compte déjà cinq mille salariés en 1914 et dix-huit mille en 1927. Elle bénéficie également de la popularisation des pneumatiques par le biais des événements sportifs - par exemple, la victoire du cycliste Charles Terront dans la course Paris-Brest-Paris en 1891 - et de la publicité grâce à l’invention, pour l’Exposition internationale de Lyon en 1898, d’un personnage symbolique, Bibendum, fait d’un empilage de pneus. À quoi s’ajoute le lancement, à l’usage des voyageurs, du Guide Michelin en 1900 et de cartes routières au 200 000e en 1908. C’est aussi sous la direction d’Édouard Michelin qu’est forgé un système social de type paternaliste, dont les derniers vestiges n’ont disparu que dans les années 1970 : en échange de rémunérations élevées et d’avantages sociaux - logements, dispensaires, écoles... -, une discipline de travail rigoureuse est exigée, ce qui explique l’absence de syndicalisation jusqu’en 1914. Dans ces quartiers sillonnées de rues aux noms évoquant des vertus domestiques, dans ces vies ouvrières prises en charge de la naissance à la tombe, il n’y a pas de place pour autre chose que pour cette culture d’entreprise qui associe austérité, acharnement au travail et un culte du secret quasi obsessionnel. Après une longue période de domination américaine, entamée en 1907, Michelin retrouve une avance technologique sur ses
concurrents avec l’invention, en 1946, du pneu à carcasse radiale. Mais l’importance traditionnelle accordée à l’innovation au sein de l’entreprise ne suffit pas à assurer le succès : l’amélioration de la qualité des pneus, dont la durée de vie a doublé depuis 1970, tend au contraire à réduire la croissance du marché mondial. Au prix d’une internationalisation de la production (notamment aux États-Unis, au Brésil et en Asie du Sud-Est), de gains de productivité et du rachat de Kléber (début des années 1980) et de Uniroyal-Goodrich (1989), Michelin devient premier producteur mondial. Midi (canal du), ouvrage, appelé aussi canal des Deux-Mers, construit au XVIIe siècle (comme le canal d’Orléans) ; prenant le relais de la Garonne à partir de Toulouse, il permet de joindre l’Atlantique et la Méditerranée sans avoir à passer par le dangereux détroit de Gibraltar. Soutenu par Colbert, qui veut améliorer les voies d’eau et accroître les échanges commerciaux intérieurs et extérieurs, l’initiateur du projet, l’ingénieur Pierre Paul Riquet, sait présenter à Louis XIV les avantages d’un axe Atlantique-Méditerranée : de plus fructueux échanges entre l’Aquitaine et le Languedoc ; la création d’un nouveau port, à Sète, qui pourrait concurrencer les ports espagnols ou italiens. Mais, pour emporter la conviction royale, Riquet doit proposer un financement par les états du Languedoc et l’affermage des droits sur le sel. Prouesse de l’art hydraulique, le chantier, ouvert en octobre 1666, profite de la récente mise au point de l’écluse à double porte et sas, de l’obstination et du savoir-faire de l’ingénieur (captage des ruisseaux de la Montagne Noire). Décédé en 1680, le maître d’oeuvre ne voit pas l’aboutissement de son ouvrage. En mai 1681, toutefois, seulement quinze ans après le début des travaux, son fils, Jean Mathias Riquet, assure la jonction avec l’étang de Thau. Grâce au labeur de 10 000 ouvriers bien rémunérés mais dotés d’un outillage rudimentaire, une voie navigable de quelque deux cent cinquante kilomètres, ponctuée d’aqueducs, d’écluses, d’étangs et de trois lacs de retenue (Castelnaudary, Naurouze et Saint-Ferréol), relie désormais Toulouse à la Méditerranée. Cet ensemble d’ouvrages, qui a coûté 20,5 millions de livres, fait aussitôt l’objet d’une fierté à la mesure de son gigantisme. On en parle dans toute l’Europe. Corneille y consacre des vers : « France, ton grand roi parle et les rochers se fendent [...] ». Une voie navigable
traverse désormais une région marquée par la sécheresse. Le canal devient un véritable poumon pour le Languedoc, dont le paysage mais aussi l’économie sont ainsi profondément transformés. Midi (conspiration du), conjuration visant à soulever le Sud-Est contre le régime impérial (1813). Conçue dès 1809, depuis Toulon et surtout Marseille, par un petit groupe d’opposants, la conspiration du Midi, qui n’a guère constitué un danger réel pour le régime, témoigne avant tout de la décomposition politique et sociale du pays à la fin du Premier Empire. En l’absence d’un mouvement révolutionnaire de masse, elle apparaît, en définitive, comme un complot de plus, unissant une minorité de militants actifs - républicains et royalistes contre la dictature napoléonienne, qui a su museler toute opposition. En cela, elle a plus d’un point commun avec la conspiration parisienne du général Malet, à laquelle participe d’ailleurs l’un des conjurés de la conspiration du Midi, le général républicain Guidal, exécuté avec Malet en octobre 1812. Profitant du mécontentement général, dû à la crise économique, au malaise religieux le pape est prisonnier de l’Empereur depuis 1809 -, à la lassitude de la guerre et à l’extension de la conscription, les conjurés tentent de soulever Marseille et Toulon entre avril et juin 1813, alors que Napoléon guerroie en Allemagne. Malgré le soutien de l’Angleterre, la tentative échoue : les conjurés sont arrêtés, et six d’entre eux exécutés en décembre 1813 (les autres seront remis en liberté sous la Restauration). L’échec du complot révèle la résignation et la passivité d’une population qui se contente d’attendre la fin d’un régime dont les défaites militaires annoncent le déclin et qui s’écroulera un an plus tard. Midi viticole (révolte du), révolte des vignerons qui éclate en 1907 dans les PyrénéesOrientales, l’Aude, l’Hérault et le Gard. Depuis la crise du phylloxéra (1863-1880), le vignoble du Midi a été reconstitué avec des plants américains, très productifs. De surcroît, les vins algériens et les vins frelatés par sucrage lui font une rude concurrence. La surproduction qui s’ensuit entraîne un effondrement du prix de l’hectolitre, qui passe de 18 francs en 1891 à 10 francs en 1907. Nombre de petits propriétaires travaillent dès lors à perte, tandis que les ouvriers agricoles sont contraints d’ac-
cepter des salaires de plus en plus bas. Le chômage se développe, qui touche un cinquième des ouvriers. Les saisies se multiplient chez les petits propriétaires endettés depuis l’épidémie de phylloxéra. Or les revendications des vignerons ne sont guère entendues : une loi réprimant les fraudes sur la qualité du vin a bien été votée en 1905, mais elle n’est pas appliquée. Si bien que la mobilisation de toutes les catégories sociales, déclenchée au café de Marcelin Albert à Argelliers (Hérault), se généralise au début de 1907. Dès le 31 mars, 600 personnes se réunissent à Bize (Aude), et le nombre des manifestants ne cesse de grossir : ils sont 80 000 à Narbonne le 5 mai, 170 000 à Perpignan le 19, et plus de 500 000 à Montpellier le 9 juin. Sous des allures de fêtes dominicales conduites par les maires, ces marches permettent de faire entendre le cri d’alarme lancé par tous les viticulteurs. Mais, en réponse à la grève de l’impôt organisée à l’instigation du maire socialiste de Narbonne, le docteur Ernest Ferroul, le gouvernement de Clemenceau procède à des arrestations et envoie des troupes. Une fusillade éclate à Narbonne le 20 juin, faisant six morts parmi les civils, tandis qu’à Agde les soldats du 17e régiment de ligne se mutinent et refusent de prendre les armes contre les manifestants. Dès lors, des divisions se font jour au sein du mouvement, car les royalistes, d’abord favorables aux vignerons, se refusent à cautionner les débordements et s’inquiètent quand la préfecture de Perpignan est incendiée le 21 juin. La révolte prend alors de plus en plus un caractère régionaliste et appelle à la défense du Midi contre les barons de l’industrie sucrière du Nord. Le gouvernement cède finalement sur trois points : les dirigeants du comité d’Argelliers qui avaient été arrêtés sont libérés ; le 29 juin est votée une loi soumettant à une surtaxe les sucres servant à la chaptalisation des vins ; les vignerons n’auront pas à acquitter les arriérés d’impôts accumulés depuis 1904. Par ailleurs, la protestation est canalisée par les cadres légaux qu’offre la loi de 1884 sur les syndicats : en septembre 1907 est constituée la Confédération générale des vignerons du Midi, où chaque membre dispose d’un nombre de voix proportionnel à la surface de vignoble qu’il possède. Milice, principale organisation de lutte contre la Résistance, créée en 1943 par le régime de Vichy. Instituée par la loi du 30 janvier 1943, la Milice, dirigée par Joseph Darnand, est placée sous l’égide du maréchal Pétain et sous l’autorité de Laval, chef du gouvernement. Expres-
sion de la tendance la plus radicale du régime, la Milice s’affirme véritablement au tournant de 1943 et de 1944, lorsque Joseph Darnand et son second, Philippe Henriot, entrent au gouvernement, et que les Allemands autorisent son action en zone nord. Aux miliciens downloadModeText.vue.download 614 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 603 sont dévolues trois fonctions principales : la propagande, le renseignement et la répression, assumée par les troupes de la Franc-Garde, formées souvent de jeunes déclassés. Menée en étroite collaboration avec l’occupant, la répression est amplifiée par l’action des forces de l’ordre régulières, soit près de 80 000 hommes placés sous la responsabilité directe de Darnand : en 1944, le régime de Vichy est devenu un « État milicien ». Les miliciens, qui ont institué des cours martiales, s’en prennent aux réfractaires au STO, aux résistants, aux juifs et aux communistes. Ils s’attaquent ainsi aux maquis des Glières (mars 1944) et à celui du Vercors (juin 1944), et exécutent plusieurs personnalités de gauche : Maurice Sarraut, Victor Basch, Jean Zay et Georges Mandel. Symboles de la trahison, les miliciens sont l’objet de sévères représailles après la Libération : Henriot a été abattu par un groupe de résistants dès le 28 juin 1944, Darnand est fusillé le 10 octobre 1945. Néanmoins, l’ex-milicien Paul Touvier, longtemps protégé par certains ecclésiastiques et gracié par Georges Pompidou (1971), n’est condamné à la réclusion perpétuelle pour complicité de crime contre l’humanité qu’en avril 1994. milice royale, troupe auxiliaire créée par l’ordonnance du 20 novembre 1688. L’obligation de défendre le royaume incombe depuis toujours à la noblesse, mais l’arrièreban féodal n’apporte que des hommes sans préparation ni équipement (aussi renoncerat-on à ce mode de recrutement en 1694). En outre, des milices locales, formées d’habitants requis, existent déjà sur les frontières, en Béarn, Roussillon, Languedoc, Provence et Boulonnais, et suppléent les troupes régulières dans les garnisons. Mais, avec la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), Louvois doit faire face à des besoins accrus en termes d’effectifs. Désormais, chaque paroisse élit un homme (tiré au sort, après 1692), célibataire entre 20 et 40 ans, qu’elle équipe et solde. Sous le commandement de
gentilshommes de la province, les miliciens s’entraînent les dimanches et fêtes ; s’ils sont appelés hors de la province, le roi les entretient. Le service dure deux ans, mais, de fait, seul un tiers des effectifs est libéré chaque année. La milice fournit de 60 000 à 70 000 hommes, tenant garnison, puis engagés au feu en Catalogne et dans les Alpes. Licenciée une fois la paix venue, la milice est reformée pendant la guerre de la Succession d’Espagne (1701-1714), et la durée du service est alors portée à trois ans. Elle disparaît en 1713, avant de réapparaître en 1726 comme institution permanente, même en temps de paix. D’emblée, cet essai de service militaire est impopulaire. Les paroisses s’arrangent pour recruter d’anciens soldats, puis pour se débarrasser des indésirables en les désignant comme miliciens. millénarisme, croyance eschatologique en l’avènement, sous l’égide d’un prophète, d’une ère de mille ans de bonheur terrestre préludant au retour définitif du Christ, la parousie, et au Jugement dernier. Cette croyance se fonde essentiellement sur le chapitre XX du livre de l’Apocalypse (versets 1 à 15). Conçu comme un retour au paradis originel, ce millénaire serait annoncé par de nombreux signes miraculeux (comètes, pluies de sang...), dont le plus important est le triomphe temporaire d’un Antéchrist. Très vivace durant les premiers siècles, où l’on attendait le retour prochain du Christ, le millénarisme est progressivement rejeté vers l’hétérodoxie dès lors que l’Église adopte les conceptions eschatologiques de saint Augustin (354-430), qui substitue au règne terrestre l’avènement d’une Cité céleste, après la parousie et le Jugement dernier. Cependant, à partir du XIe siècle, le millénarisme réapparaît, conjointement à l’essor de l’érémitisme et d’une spiritualité de croisades. Ainsi, la « croisade des pauvres gens » (1096-1099), menée par Pierre l’Ermite et Gautier Sans Avoir, la « croisade des enfants » (1212) ou celles « des pastoureaux » (1251, 1321) lient la délivrance des Lieux saints aux espérances millénaristes. Le millénarisme se trouve aussi à la source de certains mouvements dissidents de l’Église menés par des prophètes issus du clergé ou de la noblesse, tel Éon de l’Étoile dans l’ouest de la France, vers 1140-1150. Enfin, au XIIIe siècle, à la suite de la diffusion des idées mystiques du moine calabrais Joachim de Flore (vers 1135-1202),
et dans un contexte d’affrontement entre le pape et l’empereur, le millénarisme gagne de larges secteurs de l’Église (en particulier l’ordre franciscain) et de l’aristocratie laïque. Ces mouvements millénaristes se caractérisent généralement par une critique sévère de l’ordre social, de la richesse de l’Église et de la théocratie pontificale. Les plus populaires d’entre eux professent ou pratiquent souvent un égalitarisme absolu. Pourtant, tous disparaissent rapidement à la suite de l’échec de leurs projets ou d’une répression sévère menée par l’Église et par les souverains. Mais les graves crises que traverse l’Église au moment du grand schisme d’Occident (13781417) et de la Réforme provoquent de nouvelles résurgences de millénarisme, nettement plus vigoureuses toutefois en Allemagne ou en Europe centrale qu’en France. Aujourd’hui, le millénarisme est considéré comme une des formes les plus radicales de la contestation sociale et religieuse au cours du Moyen Âge. Millerand (Alexandre), homme politique, président de la République de 1920 à 1924 (Paris 1859 - Versailles 1943). Il est issu d’une famille de classes moyennes, soucieuse d’indépendance et de promotion sociale. Comme une fraction importante du personnel politique de la IIIe République, il suit des études de droit et devient avocat avant de briguer, très tôt, les suffrages des électeurs : protégé par Clemenceau, il est élu député de la Seine en 1885. D’abord radical, il se convertit peu à peu au socialisme, à la fois par sensibilité personnelle (il plaide pour les ouvriers de Montceau-les-Mines, dès 1882) et pour des raisons plus politiques (il juge cette doctrine à même de contenir le boulangisme). Député socialiste indépendant, il rédige en 1896 le célèbre « Programme de SaintMandé » qui permet d’unir une première fois les diverses tendances du socialisme, de Jaurès à Guesde. Malgré des références au marxisme, ce programme réformiste entend inscrire une politique de progrès social dans le cadre des institutions républicaines. En 1899, premier socialiste à accepter de participer à un gouvernement bourgeois (celui de Waldeck-Rousseau) en tant que ministre du Commerce, de l’Industrie et des Postes, il est soutenu par Jaurès, mais son « ministérialisme » est désavoué par Jules Guesde. Bien que, d’un point de vue social, son bilan ministériel ne soit pas négligeable, Millerand évolue alors vers la droite : comme Viviani et Briand, il refuse de rejoindre la SFIO en 1905, et participe à plusieurs gouvernements
jusqu’en 1915. Au lendemain de la guerre, il apparaît comme le chef de file de la droite modérée : président du Conseil de janvier à septembre 1920, il est alors élu président de la République. Contrairement à la tradition de la IIIe République, il entend jouer un rôle politique actif : en octobre 1923, à six mois des élections législatives, il prend officiellement parti pour le Bloc national et propose de renforcer les pouvoirs présidentiels (discours d’Évreux). Victorieux, le Cartel des gauches mène une véritable « grève des ministères », qui le contraint à démissionner le 11 juin 1924. Sénateur de 1925 à 1940, Millerand est rejeté par la gauche, qui lui reproche d’avoir voulu enfreindre la tradition républicaine d’équilibre des pouvoirs alors que la droite lui préfère d’autres dirigeants (tel Poincaré). Isolé, il meurt en 1943 sans laisser de véritable héritage politique. ministères. La notion de ministères désigne d’abord l’ensemble des attributions politiques et administratives déléguées à un ministre, puis le groupe solidaire de ces ministres. Mais les deux conceptions sont liées : sous la monarchie d’Ancien Régime s’établit peu à peu la spécialisation des départements ministériels, avant l’affirmation, par la Révolution puis par les régimes parlementaires du XIXe siècle, de leur responsabilité collective. Si la notion d’autorité déléguée par le souverain à un intermédiaire plus ou moins puissant est ancienne, le Moyen Âge ne connaît pas la spécialisation administrative qui permettrait de conclure à l’existence de ministères. Mérovingiens et Carolingiens s’entourent de familiers. La curia regis capétienne reconnaît bien les offices de connétable, sénéchal, bouteiller et chambrier, mais il s’agit, à l’origine, de fonctions domestiques attachées à la Maison du roi. Le souverain veille d’ailleurs à ne pas laisser ces grands officiers de la couronne prendre une influence trop importante et jouer, selon leur personnalité, un rôle politique : l’office de connétable, qui permet la conduite de l’ost royal, est longtemps vacant ; de même, à la désignation d’un chancelier, inamovible, les Capétiens préféreront souvent la nomination d’un garde des Sceaux révocable. Le gouvernement de Philippe le Bel est à cet égard significatif : le roi s’entoure d’un personnel politique qui le conseille et se répartit les dossiers - à Flotte les affaires de Flandre, à Nogaret les relations avec la papauté, à Marigny les downloadModeText.vue.download 615 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 604 finances -, mais nul n’est ministre en titre et ne dirige une administration constituée. • Naissance de la fonction de « ministre ». C’est à la Renaissance et avec l’avènement de l’Ancien Régime, qui marque l’essor de la monarchie administrative et centralisée, qu’apparaît peu à peu la fonction de ministre : son origine se trouve dans le corps des notaires du roi, notaires clercs du « Secret », puis secrétaires d’État et des Finances, à qui le souverain délègue progressivement une part de son autorité. Une ordonnance d’Henri II, datée de 1547, répartit l’administration des provinces entre quatre secrétaires d’État ; les ordonnances d’Henri III, en 1588 et 1589, y ajoutent une première spécialisation administrative. Mais c’est Richelieu qui fonde véritablement les départements ministériels, lesquels subsisteront jusqu’à la Révolution : par l’ordonnance du 11 mars 1626, il crée les secrétariats d’État à la Maison du roi et aux Affaires ecclésiastiques, aux Affaires extérieures, à la Guerre et à la Marine, tout en conservant la répartition de l’administration des provinces entre les quatre titulaires. Avec le chancelier, chef de l’administration judiciaire, et le surintendant, puis contrôleur général des Finances, les secrétaires d’État forment le corps des ministres, plus proches collaborateurs du souverain. Le titre leur est d’ailleurs reconnu, dès lors qu’ils entrent au Conseil d’en haut, conseil de gouvernement où le roi est présent. Pour autant, leur collectivité ne forme pas un ministère et la pratique du gouvernement personnel de Louis XIV accentue leur rôle de « grand commis ». Après l’intermède de la Régence, l’organisation du gouvernement ainsi définie demeure jusqu’en 1789. • L’instauration d’une responsabilité collective des ministres. L’évolution fondamentale survient sous la Révolution. Le décret des 24 avril-25 mai 1791 supprime la compétence géographique des secrétaires d’État et modifie leurs attributions administratives ; six départements ministériels sont créés - Justice, Intérieur, Guerre, Marine, Affaires étrangères, Contributions et Revenus publics. En outre, le décret établit la responsabilité des ministres et crée la notion de cabinet. Peu appliquée par la suite et mise à mal par la pratique du gouvernement napoléonien, cette responsabilité collec-tive est rétablie par la Restauration qui
marque l’avènement du régime parlementaire : le concept de ministère, auquel s’attache le nom du principal ministre, est désormais intégré dans la vie politique de la nation. Le Second Empire voit une régression de la fonction, mais la loi organique des 31 août et 3 septembre 1871, puis les lois constitutionnelles de 1875 maintiennent le principe de la responsabilité individuelle et collective des ministres, en vigueur depuis, quelle que soit la nature du régime parlementaire, donnant ainsi corps à la notion de ministères. ministériaux, agents seigneuriaux chargés de fonctions domestiques ou administratives au sein de la maisonnée et de la seigneurie ecclésiastique ou laïque entre le XIe et le XIIIe siècle. L’essor économique et social des ministériaux, en particulier dans le nord et l’est de la France, entraîne leur progressive intégration à la noblesse à partir du XIIe siècle. • Une grande diversité de situations. Aux XIe et XIIe siècles, les grands seigneurs ecclésiastiques et laïcs, qui disposent de vastes seigneuries le plus souvent dispersées sur plusieurs domaines, délèguent la gestion et l’administration de leurs biens et de leurs droits à des serviteurs dotés d’attributions plus ou moins spécialisées. Maires et prévôts sont ainsi chargés de la perception des redevances et des taxes foncières et banales (cens, champarts, lods et ventes, tailles), de la gestion de la réserve seigneuriale (direction des travaux agricoles, embauche des salariés, vente des surplus) et de la justice seigneuriale mineure. Jusqu’à l’essor des franchises rurales aux XIIe et XIIIe siècles, ils sont à la fois les représentants du seigneur auprès de la communauté et les porte-parole des paysans face au seigneur. Certains ministériaux ont toutefois des attributions plus étroites, comme les forestiers, chargés de la protection des bois seigneuriaux, ou comme ceux à qui sont confiés l’entretien et l’utilisation des équipements artisanaux (fours, moulins, ateliers de monnayage). La diversité du monde des ministériaux tient aussi à leur origine sociale. Les seigneurs laïcs recrutent généralement leurs agents au sein de leur entourage, chez les riches alleutiers ou les chevaliers de leurs châteaux. Les seigneurs ecclésiastiques, évêques et abbés, préfèrent choisir les leurs parmi les serfs de leur dépendance, de manière à conserver sur eux un contrôle plus étroit. Il arrive toutefois, dans le Val de Loire par exemple, que certains chevaliers choisissent d’entrer volontairement en servi-
tude de manière à exercer des fonctions qui sont alors considérées comme très lucratives. • L’essor des ministériaux aux XIIe et XIIIe siècles. Les ministériaux sont rétribués par la donation d’un fief ou par un intéressement plus ou moins important aux prélèvements seigneuriaux : ils perçoivent une part des taxes foncières et banales ou des amendes de justice. Ils profitent alors directement de la croissance de l’économie seigneuriale à partir de la fin du XIe siècle. Comme ils exercent eux-mêmes les pouvoirs seigneuriaux au sein des villages, ils en profitent souvent pour se constituer leur propre clientèle. En outre, ils pratiquent fréquemment le métier des armes, en particulier dans les seigneuries ecclésiastiques, où ils interviennent contre les exactions de l’aristocratie laïque. Enfin, à partir des années 1150, ils obtiennent généralement la transmission héréditaire de leurs fonctions. Dès lors apparaissent de véritables lignages de ministériaux, détenant des fiefs et des portions de droits seigneuriaux, adoptant un mode de vie chevaleresque et déléguant parfois à leur tour leur fonction ministériale à des agents subalternes. La plupart de leurs seigneurs, en particulier les seigneurs ecclésiastiques, s’efforcent pourtant de limiter leur ascension : les fonctions et les droits des ministériaux font l’objet de sévères réglementations ; il est exigé d’eux un serment de fidélité et leur état de servitude est parfois renforcé. Dans certains cas, des établissements monastiques préfèrent même racheter leurs charges afin de les confier directement à des membres de la communauté. Mais, généralement, ces mesures s’avèrent inefficaces. À la fin du XIIe siècle et au XIIIe siècle, par le jeu des mariages et de la reconnaissance sociale, la plupart des lignages de ministériaux parviennent à intégrer la noblesse. Les contraintes de la gestion seigneuriale et la croissance économique du monde rural ont ainsi permis l’ascension des ministériaux, laquelle a provoqué l’élargissement de la noblesse. Mirabeau (Gabriel Honoré Riqueti, comte de), homme politique et l’une des figures les plus marquantes des débuts de la Révolution (Le Bignon, Loiret, 1749 - Paris 1791). • Frasques et scandales. Fils de l’économiste et physiocrate Victor Riqueti, marquis de Mirabeau, il tranche, par son physique, ses manières et ses moeurs, sur la vieille aristocratie provençale dont il est issu : d’une extrême laideur, peu enclin à la sociabilité raffinée, habitué aux excès de table et de boisson, il mène durant sa jeunesse une existence si dissolue que, en 1767, son père lui intime l’ordre
d’entrer dans l’armée. Mais il y fait scandale et doit purger une peine de six mois d’emprisonnement dans la citadelle de l’île de Ré. Capitaine de dragons, il quitte l’armée en 1771, et s’établit au château de Mirabeau, après avoir épousé une héritière provençale. Ses frasques ne s’apaisent pas pour autant. Son père, qui l’interdit comme prodigue, ne cessera de solliciter des lettres de cachet contre lui. Emprisonné à Vincennes (1777-1780) après sa liaison tumultueuse avec Sophie de Ruffey, la jeune épouse du marquis de Monnier, Mirabeau rédige en détention les célèbres Lettres à Sophie (qui seront publiées en 1792) et un Essai sur les lettres de cachet et les prisons d’État (1782). Une fois libéré, il vit d’abord de sa plume : journaliste financier - « à la solde de l’agio », selon la formule de son père -, il rédige également des pamphlets et des libelles qui dénoncent l’absolutisme royal. La politique devient alors sa principale préoccupation, et le restera jusqu’à sa mort. • Le tribun de la Révolution. Candidat aux états généraux en 1789, il est rejeté par la noblesse, mais est élu par le tiers état d’Aix. « Au milieu de l’effroyable désordre d’une séance, écrit Chateaubriand dans les Mémoires d’outre-tombe, je l’ai vu à la tribune, sombre, laid et immobile : il rappelait le chaos de Milton, impassible et sans forme au centre de sa confusion. » Après son coup d’éclat, le 23 juin 1789, contre le marquis de DreuxBrézé (« Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple, et qu’on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes »), il s’impose comme le tribun du parti patriote. Orateur le plus brillant des États généraux, puis de l’Assemblée nationale constituante, il joue un rôle décisif au début de la période révolutionnaire : il contribue à instaurer la liberté de la presse, soutient la réquisition des biens du clergé et participe à la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Partisan d’une monarchie constitutionnelle, il défend, contre l’avis dominant de l’Assemblée, le principe d’un droit de veto absolu du pouvoir royal ; mais c’est un droit de veto suspensif qui est finalement voté. Dans les derniers mois de downloadModeText.vue.download 616 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 605 l’année 1789, au prix d’ambiguïtés exploitées par ses adversaires, Mirabeau tente de concilier défense des acquis révolutionnaires et
maintien des prérogatives royales. Il aspire à jouer le rôle d’intermédiaire entre le roi et l’Assemblée. Mais celle-ci, mesurant le risque de telles ambitions, interdit aux députés de devenir ministres, le 7 novembre 1789. Introduit à la cour par son ami le comte de La Marck, Mirabeau en devient le conseiller secret au début de l’année 1790, envoyant au roi des mémoires et notes confidentiels. Sa vénalité ne fait plus de doute aujourd’hui : tandis que la cour éponge ses dettes, il s’engage à défendre les intérêts royaux. Bien qu’il soit accusé de trahison par certains députés et brocardé par des pamphlets, il conserve une popularité intacte. Nommé à la présidence de l’Assemblée, le 30 janvier 1791, il meurt brutalement quelques semaines plus tard. Par décret de l’Assemblée, il est enterré dans l’église Sainte-Geneviève, qui vient d’être rebaptisée « Panthéon français », avant d’en être délogé deux ans plus tard, au profit de Marat. Tribun d’exception et intrigant peu scrupuleux, Mirabeau aspirait incontestablement à gouverner. Mais le succès de son double jeu politique supposait à la fois un monarque moins velléitaire et une possibilité de contrôle du courant révolutionnaire. Faute de cette conjonction historique, Mirabeau n’aura été, selon l’expression de Michelet, que « l’organe et la voix de la liberté ». missi dominici, pendant le haut Moyen Âge, légats envoyés par le roi pour veiller au bon fonctionnement de l’administration locale. Les missi dominici, c’est-à-dire les « envoyés du maître », sont attestés dès l’époque mérovingienne, mais leur rôle n’est institutionnalisé qu’à partir de 800, par l’empereur Charlemagne. Recrutés dans l’aristocratie et dans le haut clergé (évêques et abbés), ils travaillent toujours par paire (un laïc et un ecclésiastique), dans le cadre d’une circonscription regroupant de six à dix comtés, le missiaticum. Ils sont chargés de contrôler l’administration locale, en particulier la gestion comtale, de diffuser la législation impériale, d’exercer la justice d’appel royale, et de recevoir les serments de fidélité à l’empereur. Sous les règnes de Charlemagne (768/814) et de Louis le Pieux (814/840), ils constituent l’un des principaux éléments de l’homogénéisation politique de l’Empire franc. Cependant, dès le milieu du IXe siècle, dans le contexte de division de l’Empire et d’essor des principautés régionales, l’institution connaît un déclin rapide. Des missi continuent à être nommés jusque dans les années 860, mais seulement
dans le nord du royaume de Francie. En outre, ils sont désormais choisis dans les rangs des notables régionaux : la pratique du cumul des charges de comte et d’envoyé dans une même région favorise alors l’essor des clans aristocratiques, aux dépens de la puissance royale. Conçue pour assurer la cohésion de l’État impérial, l’institution n’a pu, en définitive, en enrayer la dissolution. missions. La mission ou la propagation de la foi est une caractéristique essentielle du christianisme. Les missionnaires se placent sous le patronage des Apôtres et prétendent poursuivre leur oeuvre d’évangélisation et de prédication. Un essor missionnaire apparaît aux XVe et XVIe siècles, encouragé par les Grandes Découvertes. Les papes du XVe siècle confient aux pouvoirs coloniaux le soin d’encadrer et d’évangéliser les populations soumises : ce système du « patronat » profite surtout aux royaumes de Portugal et d’Espagne - les principales puissances maritimes d’alors. En effet, le traité de Tordesillas (juin 1494) oblige ces puissances à diffuser le message chrétien, mais le pape n’a plus de droit de regard sur les nominations épiscopales. • Le mouvement missionnaire à l’époque moderne. Peu à peu, cependant, la papauté éprouve le besoin de reprendre en main les missions. À l’issue du concile de Trente (1545-1563), un nouveau catéchisme doit être répandu, d’abord en Europe, face à la Réforme, mais aussi dans le reste du monde. Toutefois, dans un premier temps, les Français participent assez peu à cette action missionnaire. Ce n’est qu’au XVIIe siècle, dans une France qui se relève à peine des guerres de Religion, qu’un élan est donné : les missions intérieures, chargées de reconquérir les âmes des protestants ou des catholiques superficiellement évangélisés, et les missions extérieures sont alors menées conjointement. L’évangélisation des Indiens d’Amérique est ainsi entreprise par les jésuites en Acadie, en 1611-1613 ; par les récollets et les jésuites en Nouvelle-France, à partir des années 1610-1620. Mais ces entreprises se heurtent à la résistance des Iroquois et aux attaques anglaises. En 1622, le pape Grégoire XV fonde la congrégation de la Propagande de la foi, qui a la haute main sur le recrutement du clergé missionnaire et doit s’efforcer de contrôler les entreprises de ce dernier. Rome souhaite ainsi revenir sur le système du « patronat »,
dont bénéficient surtout l’Espagne en Amérique, et le Portugal au Brésil, en Afrique et en Asie. Aussi, les initiatives françaises sontelles encouragées par la papauté. Le jésuite avignonnais Alexandre de Rhodes (15911660) pose les premiers jalons des communautés chrétiennes du Tonkin et de l’Annam. Les missionnaires français sont en effet surtout présents sur le continent asiatique. En 1658, la fondation par Pierre Lambert de La Motte et François Pallu du séminaire des Missions étrangères, installé rue du Bac à Paris en 1663, donne une impulsion aux missions asiatiques. Les membres du clergé français sont appréciés par les empereurs chinois comme techniciens, traducteurs, ingénieurs, tel le Frère Thibault, qui offre un automate à l’empereur Kien-Long en 1754. En Inde, puis en Chine, certains missionnaires considèrent que, pour diffuser le message du Christ, il convient non seulement d’adopter la langue des populations à convertir, mais aussi de s’adapter à leurs moeurs et à leurs pratiques religieuses. Cependant, des prélats français notamment Mgr Maigrot, en 1693 - jugent laxistes ces accommodements prônés par les jésuites : la querelle dite « des rites chinois » sera finalement tranchée par la papauté. En effet, le pape Clément XI condamne les initiatives jésuites en 1704, et, malgré des mesures de rétorsion prises par l’empereur chinois, Benoît XIV confirme cette condamnation en 1742-1744, compromettant ainsi nombre de missions asiatiques. De même, dans les Amériques, les jésuites, qui sont parvenus depuis 1609 à confisquer à l’Espagne et au Portugal de vastes territoires entre le Paraguay et l’Uruguay (les « réductions »), où les Indiens évangélisés sont soustraits à l’esclavage, sont désavoués par la papauté en 1767. Affaibli par les rivalités entre les puissances coloniales et par les controverses au sein du clergé, l’esprit de mission finit par s’essouffler, faute de missionnaires, après la suppression de la Compagnie de Jésus en 1773. En outre, pendant la Révolution, le séminaire des Missions étrangères est fermé. • Un nouvel élan. Le séminaire de la rue du Bac est rouvert en 1815, et, afin de financer les missions (les biens ecclésiastiques ayant été nationalisés sous la Révolution), une oeuvre de la Propagation de la foi est fondée à Lyon en 1822, avec pour charge de susciter des dons et de répartir les fonds entre les différentes missions. Pour la première fois, des laïcs sont ainsi largement impliqués dans l’action missionnaire. Au cours du XIXe siècle, de nombreuses congrégations, masculines -
les maristes, les missionnaires de NotreDame d’Afrique ou Pères blancs, etc. -, ou féminines - la congrégation Saint-Joseph de Cluny, fondée par Anne-Marie Javouhey, par exemple -, naissent en France. L’effort principal est alors porté sur la formation d’un clergé autochtone - une action souvent favorisée par la colonisation de vastes territoires en Afrique. Au XXe siècle, deux tendances s’affirment et se conjuguent : la romanisation des oeuvres missionnaires (ainsi, l’oeuvre de la Propagation de la foi quitte Lyon pour Rome en 1922) et la prise en main de l’apostolat par les Églises locales elles-mêmes. missions intérieures. Nées durant la grande vague de la Réforme catholique lancée par le concile de Trente (achevé en 1563), les missions intérieures ont pour buts essentiels de convertir et d’instruire, à une époque où l’Église a considérablement élevé son niveau d’exigence à l’égard des fidèles. • Le public visé est surtout rural, même si le capucin Honoré de Cannes consacre ses efforts aux villes. Presque toutes les grandes figures de l’Église du XVIIe siècle participent peu ou prou aux missions, à l’exemple de François de Sales et de Vincent de Paul. Des ordres traditionnels récemment rénovés interviennent, mais l’essentiel des efforts est accompli par des ordres créés à cet effet (lazaristes de Vincent de Paul, eudistes de Jean Eudes), ou particulièrement engagés dans la Réforme catholique (oratoriens, à l’exemple du Père Lejeune en Limousin ; jésuites, comme Jean-François Régis dans les Cévennes et Julien Maunoir en Bretagne). Pour donner une bonne idée de l’ampleur considérable du mouvement, il faudrait citer encore les missions spécialisées downloadModeText.vue.download 617 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 606 - à l’intention des galériens, par exemple - et les nombreuses initiatives personnelles (Michel Le Nobletz en Bretagne, au début du XVIIe siècle, Louis-Marie Grignion de Montfort en Poitou, qui fonde en 1705 la congrégation des Pères montfortains, l’une des plus actives du XVIIIe siècle). Financée, en règle générale, par les fondations pieuses, la mission rassemble un nombre de prêtres très variable - de deux ou trois à une quarantaine -, pour une durée d’environ un mois, dans une paroisse déterminée. Par-delà les particularités propres à chaque initiative, la mission
s’articule selon une gradation des instructions spirituelles : catéchisme, sermons, confession (une véritable leçon particulière, qui justifie les équipes très étoffées), communion et cérémonies spectaculaires. Ces dernières, qui parachèvent la mission, peuvent comprendre à la fois des processions solennelles, des communions générales et des élévations de croix. Les efforts déployés sont parfois remarquables : l’enseignement de cantiques ayant un contenu pédagogique est une innovation ; certains missionnaires, tel Maunoir, apprennent la langue du peuple - en l’occurrence, le breton -, tout comme les missionnaires extérieurs apprennent les langues indiennes ou le chinois ; d’autres, comme Le Nobletz, recourent à l’image ou encore à des mises en scène théâtrales inspirées de la pédagogie jésuite. Ces efforts ne sont couronnés de succès que si la mission est répétée régulièrement et, surtout, si le clergé local assure des relais de qualité ; une double condition qui n’est pas toujours remplie. • S’il semble que le XVIIIe siècle ait connu un essoufflement de l’ardeur missionnaire, le souci de reconquête des âmes, pendant la Restauration, va relancer les missions. Malgré un effort général, des différences apparaissent très vite, au gré des initiatives locales et, surtout, de la ferveur des populations. Les missions du XIXe siècle sont des missions de « réveil » de la foi plutôt que d’évangélisation. Elles sont parfois assurées par les jésuites et les montfortains, mais, d’une manière générale, par des compagnies de prêtres créées dans toute la France. L’évolution vers une forme de professionnalisation - ou, du moins, de spécialisation - est très nette. Les missionnaires ne manquent pas d’innover, en développant le recours aux images adaptées aux besoins et aux attentes des populations concernées, en organisant des conférences dialoguées ; ils essaient également, comme dans les grandes missions lancées dans l’ouest de la France, au cours des années 1920, de délivrer leur message dans des salles banalisées plutôt que dans des églises, de manière à toucher des nonpratiquants. Le degré de perfectionnement pédagogique ne peut cependant dissimuler une inadéquation de plus en plus évidente entre le message et les besoins, même si les missions rurales se poursuivent, au moins en Bretagne, jusque vers 1950. « Alors que les hommes du XVIIe siècle cherchaient explicitement le choc, la commotion spirituelle, ceux du milieu du XXe siècle procèdent par une action lente, plus technique, plus modeste aussi, tenant davantage compte du déchif-
frement d’une réalité humaine » : on ne peut définir mieux que l’historien Michel Lagrée le passage du temps de la mission à celui de l’Action catholique. Mitterrand (François), homme politique (Jarnac, Charente, 1916 - Paris 1996). Sa longévité politique, sa personnalité et, surtout, ses quatorze années de présidence ont fait de François Mitterrand l’une des figures de la vie politique du XXe siècle. Personnage énigmatique, il a suivi une trajectoire singulière qui lègue à l’historien nombre d’interrogations. • Sous le signe des années 1930 et de la guerre. Né dans une famille catholique de la bourgeoisie provinciale, François Mitterrand poursuit ses études secondaires au collège Saint-Paul d’Angoulême, où il affiche son penchant pour la littérature et l’histoire. En 1934, il s’installe à Paris (chez les pères maristes), pour faire sa licence en droit et Sciences Po. Happé par le tourbillon politique, il s’engage à l’extrême droite - un engagement qui relève d’une culture familiale de droite exacerbée au contact de l’effervescence parisienne. Nombre d’étudiants de sa génération se tournent alors vers les extrêmes, au nom de la liberté de l’esprit. Il est vrai qu’en adhérant aux Volontaires nationaux des Croix-de-Feu, Mitterrand exprime un besoin d’action pressant. Néanmoins, s’il manifeste, il n’aime guère les rixes du Quartier latin. Certes, il n’apprécie ni le Front populaire ni Léon Blum, il dénonce la « IIIe » ; mais, au fond, si la subversion et l’exaltation le charment, l’affrontement le rebute. Diplômé en 1937, appelé au service militaire en 1938, mobilisé en 1939, il est blessé, fait prisonnier, puis envoyé en Allemagne en juin 1941. À la fin de l’année, il s’évade et, dès 1942, travaille au Commissariat au reclassement des prisonniers. Sa présence à Vichy, soulignée par l’« affaire de la francisque » (il est décoré en décembre 1943), a suscité un débat. Est-elle si étonnante ? Non, en raison du legs familial et de son récent passé politique. Certes, il est légitime de poser la question de son regard sur la politique antisémite de Vichy, mais cette interrogation ne saurait dénaturer la lecture de son « autre » guerre. Si Mitterrand adhère au régime de Vichy et de Pétain, comme tant de patriotes germanophobes croyant au recours, il finit par voir les limites de cette « solution » ; il refuse un
poste au Commissariat aux questions juives et, à l’automne 1942, fonde un mouvement de Résistance de prisonniers et d’évadés. À la fin de 1943, « Morland » - son nom de guerre - s’envole pour Londres, puis Alger. Sa première entrevue avec de Gaulle prélude à leurs mauvaises relations de toujours : il refuse de fondre son mouvement avec les autres mouvements de prisonniers. À la Libération, pourtant, il est secrétaire général aux Prisonniers de guerre. • L’ascension. Mitterrand épouse Danielle Gouze en octobre 1944. Il n’a pas siégé à la Constituante. Il a été rayé de la liste des compagnons de la Libération. Qu’à cela ne tienne ! Il se lance en politique. Il échoue en juin 1946, puis est élu député de la Nièvre en novembre. Il rejoint l’UDSR, le pilier du centre droit. Il se méfie des communistes, mais souligne leur loyauté. Il se défie de la SFIO. Il est fidèle à ses amis d’extrême droite, et, pourtant, côtoie le groupe Octobre, un cénacle d’extrême gauche... L’homme porte l’éclectisme en bandoulière ; il n’est pas un idéologue. En dehors de son appétit politique, son profil reste flou. Seule certitude, il refuse le retour à la IIIe République, à son « catéchisme de la combine et du maquignonnage ». En 1947-1948, Ramadier puis Schuman le nomment ministre des Anciens combattants. Il bénéficie alors de son « centrisme ductile », de sa réputation d’efficacité, que sa verve et son arrogance ne gâtent pas, au contraire, lors des débats parlementaires. Secrétaire d’État à l’Information, puis à la Présidence (1948-1949), il va devenir une personnalité de premier plan en accédant au ministère de la France d’outremer (juillet 1950-juillet 1951) : il éloigne le Rassemblement démocratique africain (RDA) de l’influence communiste, une manoeuvre qu’apprécie le monde politique, majoritairement intégrationniste. Réélu député en 1951, il devient ministre d’État sous Edgar Faure : une promotion majeure. Puis le décalage vers la droite de la « troisième force » l’interdit de gouvernement. En juin 1953, Laniel le rappelle, comme ministre d’État du Conseil de l’Europe, mais Mitterrand démissionne en septembre pour protester contre la déposition du sultan du Maroc. Dans la foulée, rompu aux jeux d’appareil, il prend la direction de l’UDSR, puis se rapproche du mendésisme. • Un profil insaisissable. En juin 1954, Mendès France l’appelle à l’Intérieur ; c’est le couronnement d’une carrière rapide. Mais, très vite, il pâtit de ses ambiguïtés. Il est l’un
des principaux suspects dans l’« affaire des fuites ». Le débat qui s’ensuit à l’Assemblée et dans la presse le marque et tend à le pousser plus à gauche. Entre-temps, la crise algérienne éclate. Le 1er novembre, Mitterrand déclare dans l’hémicycle : « L’Algérie, c’est la France. » Une déclaration qui rend compte de la position alors dominante, et dont il ne faut pas a posteriori surestimer la portée. Toutefois, lorsque Mendès France tombe, Mitterrand souffre plus que jamais de sa personnalité fuyante, inclassable ; une situation que renforce le discrédit d’un mendésisme progressiste en Tunisie et conservateur en Algérie. Ballotté entre son goût pour le pouvoir, les solutions « évolutives » et le désir de défier une République malade, il reste insaisissable. Cette équivoque est confortée par sa participation au Front républicain (en tant que ministre de la Justice, de février 1956 à mai 1957), après sa réélection dans la Nièvre. Quand Guy Mollet lance la guerre à outrance en Algérie, certains démissionnent ; lui reste, par loyauté, cautionnant une politique qu’il croit pourtant vouée à l’échec. • L’opposant à de Gaulle, le leader de la gauche. En 1958, Mitterrand pense qu’il peut être un recours. Mais René Coty ne l’appelle pas. C’est une déception, une rupture, qu’approfondit Présence française et abandon, où il s’affiche anticolonial. Le 1er juin, Mitterrand accuse de Gaulle d’avoir pour compagnons non plus « l’honneur et la patrie » mais « le coup de force et la sédition ». En novembre, downloadModeText.vue.download 618 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 607 il perd son siège de député. La IVe République s’est effondrée, ses figures aussi. Il demande alors à entrer au Parti socialiste autonome (PSA), ce qu’on lui refuse. Une surprenante requête, prouvant qu’il cherche vainement une solution très à gauche, mais qu’il est trop indépendant pour se plier aux idéologies et trop marqué par « ses » passés pour être un homme neuf. En 1959, il enlève la mairie de ChâteauChinon (face à un socialiste), puis un siège au Sénat. Mais l’« affaire de l’Observatoire », une tentative d’attentat contre sa personne (d’aucuns prétendent qu’elle a été simulée), le déconsidère. Il se rétablit pourtant, et, lorsque paraît le Coup d’État permanent (1964), il est devenu l’incontestable champion de l’oppo-
sition au gaullisme, son appartenance à la gauche ne faisant plus de doute. En 1962, il retrouve son siège de député. Fort de son aura, il lance sa stratégie de rassemblement. Son opiniâtreté lui permet, après avoir obtenu la présidence du conseil général de la Nièvre, de créer et de diriger la Convention des institutions républicaines (CIR, 1964). En 1965, il se lance dans la course à l’Élysée. Bénéficiant du soutien de l’ensemble de la gauche, il met de Gaulle en ballottage (31,7 %) et recueille 44,8 % des suffrages au second tour. Il est désormais le chef de file de la gauche, d’autant qu’il a réussi un autre coup d’éclat en prenant la présidence de la jeune Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS). • Vers la conquête du pouvoir. Les élections législatives de 1967 et l’accord de désistement FGDS-PC soulignent la validité de sa démarche, mais 1968 assombrit ses espoirs. L’explosion de Mai est celle d’une génération qu’il ne comprend qu’en partie ; il croit pourtant qu’elle lui ouvre la voie. Le 28 mai, considérant qu’« il n’y a plus d’État », il annonce sa candidature à une éventuelle élection présidentielle anticipée. Son erreur d’analyse aurait pu ruiner sa deuxième carrière. Il n’en est rien. En juin, il est réélu député. Abandonnant la direction de la Fédération, il rédige Ma part de vérité (1969) et prend du recul. On a improprement parlé de cette époque comme d’une traversée du désert. Certes, 1969-1971 est une période de doute et de silence, mais qui s’avère féconde ; en particulier, parce que Mitterrand décide - par « méthode » et par choix idéologique, cette fois d’opérer la seule métamorphose qui fera de lui « le » présidentiable de la gauche, en produisant d’authentiques brevets de socialisme. Il publie le Socialisme du possible (1971), prend la tête du PS dès sa fondation (juin 1971), s’allie avec les communistes (programme commun, 1972) et dénonce avec son talent de tribun les « monopoles » et le « capital ». Les législatives de 1973 confirment celles de 1967, et les 49,19 % des voix obtenues lors de l’élection présidentielle de 1974 face à Giscard d’Estaing prouvent que Mitterrand perçoit les dividendes de ses efforts. Son image est plus nette, incisive, plus idéologique, et il exploite cette identité nouvelle - d’opiniâtre artisan du rassemblement et de la rénovation à gauche - en ciselant sa silhouette d’esthète du politique (la Paille et le grain, 1975 ; l’Abeille et l’architecte, 1978). Il
profite, en outre, d’un double phénomène. Au terme d’un long processus de sédimentation, plusieurs générations de gauche se réunissent pour former un courant unioniste fort et durable. Par ailleurs, l’affaiblissement du PC favorise les ralliements au PS. L’éclatement de l’Union de la gauche et les législatives de 1978 n’apportent qu’un démenti provisoire à la stratégie mitterrandienne. • Deux septennats. Ici et maintenant paraît en 1980. Un titre incantatoire. Mitterrand remporte l’élection présidentielle, le 10 mai 1981 (avec 51,75 % des voix). Le PS et le MRG dominent les législatives. Ce succès lui ouvre sa troisième carrière. Après un état de grâce ponctué par des décisions symboliques (nationalisations, abolition de la peine de mort), la situation s’obscurcit. Le virage de la rigueur (1982-1983) renvoie l’image d’un échec, d’une reculade et d’une gauche desservie par son manque de culture gouvernementale. L’impopularité croît. Après la nomination de Laurent Fabius à Matignon en 1984, le tournant « libéral » et l’affaire du Rainbow Warrior altèrent l’image de 1981. Mais la cohabitation avec Jacques Chirac (1986-1988) prouve combien Mitterrand maîtrise le pouvoir : il prend finalement la droite à revers et remporte la présidentielle de 1988 avec plus de 54 % des voix. Comment, alors, ne pas s’interroger sur cette longévité et sur cette étonnante faculté d’adaptation et de rebond : enfant d’une IIIe qu’il raillait, pétainiste-résistant, ministre en vue sous la IVe ; puis président de la Ve après en avoir été le grand pourfendeur... Les paraboles à propos de la monarchie « mitterrandienne » se mettent à fleurir. Cette radicalisation critique rejoint la mythification, de son vivant, de « Tonton », plus souvent comparé à de Gaulle qu’à Léon Blum. La « force tranquille » et le « réalisme », la sérénité du président, ses grands travaux, se conjuguent à son âge pour ébaucher un nouveau portrait : celui d’un président philosophe, bâtisseur, humaniste intraitable, déjà entré dans l’histoire. Il n’en reste pas moins que la gestion politique demeure chaotique. À Michel Rocard, Édith Cresson et Pierre Bérégovoy succède Édouard Balladur, pour une autre cohabitation (19931995). Affaires et publications diverses alimentent la chronique des intrigues élyséennes. • La fin de « règne ». À partir de 1992, plus européen que jamais, Mitterrand se cantonne à des interventions emblématiques : commémorations, inaugurations, sommets inter-
nationaux. On peut croire qu’il espère ainsi ennoblir une disparition qu’il sait proche. L’homme a toujours aimé les symboles, les énigmes, qu’il distille entre deux apartés sur la douleur et la mort. Sa vaillance face à la maladie, son mysticisme, le décalage entre l’image du florentin et celle du notable humaniste provincial et lettré, troublent l’opinion, nourrissant un « mystère » romanesque dont celleci se rassasie. On est loin, lors de l’élection de Jacques Chirac en mai 1995, de l’image du président de 1981. En dépit de sa conversion au « réalisme », l’homme est resté fidèle à son éthique, mais il est métamorphosé. Préparant sa mort devant la France, il veut marquer l’histoire. Les biographes se précipitent. Mitterrand lui-même semble avoir entretenu - parfois suscité - ce climat passionnel de fin de règne, comme en témoigne la « présentation » de sa fille Mazarine à la France. Près de neuf mois après avoir quitté l’Élysée, François Mitterrand meurt, à Paris, le 8 janvier 1996. MLF (Mouvement de libération des femmes), mouvement féministe né en 1970, dont le nom dénote l’influence du Women’s Lib américain. L’événement fondateur du mouvement est discuté : réunion à l’université de Vincennes au printemps 1970, article dans l’Idiot international du mois de mai, ou dépôt d’une gerbe à l’Arc de triomphe, le 26 août, sur la tombe du Soldat inconnu « pour sa femme encore plus inconnue que lui » ? L’investissement de ce lieu symbolique de la nation par un petit groupe de militantes, en présence de la presse, assure un retentissement public à l’événement. Suivent les premières actions spectaculaires pour la libération de la sexualité et de l’avortement, qui rencontrent un écho après la publication, dans le Nouvel Observateur du 5 avril 1971, du « Manifeste des 343 ». Ces 343 femmes, célèbres ou moins célèbres, déclarent toutes s’être fait avorter et exigent le libre accès à la contraception et à l’avortement, les militantes du MLF revendiquant, quant à elles, l’avortement libre et gratuit. Le choc provoqué par cette publication radicalise un débat ouvert depuis la fin des années 1950 sur la contraception et la « libre maternité ». Après le procès de Bobigny, le 11 octobre 1972 - une fille violée ayant avorté et sa mère « complice » défendues par l’avocate Gisèle Halimi -, la question devient un problème national : les derniers décrets d’application de la loi Neuwirth (1967) sur la contraception sont
enfin publiés. La fronde d’un certain nombre de médecins qui déclarent pratiquer des avortements et la création, le 10 avril 1973, du Mouvement pour la libération de l’avortement et de la contraception (MLAC, mouvement mixte, à la différence du MLF) qui aide publiquement les femmes à avorter, conduisent le président de la République Giscard d’Estaing et son ministre de la santé, Simone Veil, à promulguer une loi sur l’interruption volontaire de grossesse le 17 janvier 1975. L’action du MLF a certes contribué à changer la loi répressive de 1920. Mais, à partir de 1974, le mouvement se divise entre féministes révolutionnaires, féministes égalitaires et féministes « différentialistes » autour du groupe « Psychanalyse et politique ». Cette dernière tendance se dote d’une maison d’édition et d’un journal, et déclare en 1979 être la seule représentante autorisée du MLF. La dernière action publique du MLF, organisée malgré les divisions, est une campagne contre le viol. Elle aboutit à une loi, adoptée en décembre 1980, qui en donne une définition juridique : le tabou et le silence sont brisés. Le discours de radicalité du MLF, qui accompagnait un mouvement de fond de la société, a donc conduit à une série de réformes qui ont modifié profondément le statut juridique et social de toutes les femmes. downloadModeText.vue.download 619 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 608 Moch (Jules), homme politique (Paris 1893 - Cabris, Alpes-Maritimes, 1985). Avant guerre, ce polytechnicien est député socialiste de l’Hérault (1928-1936, 19371940), secrétaire général du gouvernement (1936-1937) et ministre des Travaux publics du deuxième cabinet Blum (13 mars-8 avril 1938). Le 10 juillet 1940, il figure parmi les quatre-vingts parlementaires qui votent contre les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Il entre dans la Résistance dès 1941, et devient membre de l’Assemblée consultative d’Alger en 1943. Député aux deux Constituantes et à l’Assemblée nationale (1946-1958), cette figure de la IVe République est plusieurs fois ministre, notamment de l’Intérieur, et mobilise l’armée contre les grèves de 1947. Il représente la France à la commission des Nations unies pour le désarmement, de 1952 à 1960, et s’oppose, à l’Assemblée et au sein de la SFIO, au projet de Communauté européenne
de défense (CED) en 1954. À nouveau député de 1962 à 1967, il désapprouve le programme commun de la gauche, ce qui le conduit à quitter le Parti socialiste en 1975. Molay (Jacques de), chevalier puis grand maître de l’ordre du Temple (Molay, FrancheComté, vers 1243 - Paris 1314). Né dans une famille noble, c’est sans doute vers 1265 qu’il entre à la commanderie de Beaune, devenant ainsi un membre de l’ordre du Temple. Comme l’ordre de l’Hôpital créé en 1113, l’ordre du Temple, fondé au début du XIIe siècle, est un ordre de chevalerie, à la fois militaire et religieux, qui a pour buts la protection des pèlerins et la défense des Lieux saints. Ainsi, après quelques années passées en Angleterre, Jacques de Molay part pour l’Orient vers 1275, conformément à la vocation des chevaliers de son ordre. Après la perte de Saint-Jean-d’Acre, qui marque la fin du royaume latin de Jérusalem en 1291, le Temple se replie à Chypre, où Jacques de Molay est élu grand maître de l’ordre en 1293. En 1300, il organise, sur la côte syrienne, l’une des dernières expéditions militaires d’envergure des templiers, mais cette offensive contre les Sarrasins échoue. Alors que les hospitaliers ont conquis Rhodes, Jacques de Molay et les templiers entretiennent des relations difficiles avec la royauté chypriote. Molay est alors partisan d’une croisade générale qui s’appuierait sur Chypre, et il se rend en France à la fin de 1306 pour rencontrer le pape d’Avignon, Clément V. Mais, depuis quelques mois, de graves rumeurs circulent au sujet du Temple, qui possède de nombreuses commanderies et une immense richesse foncière. On accuse les templiers d’hérésie, d’idolâtrie, de sodomie, si bien que le pape et le roi Philippe le Bel ordonnent une enquête. En octobre 1307, Jacques de Molay ainsi que des centaines de templiers sont arrêtés en France. Comme les autres membres de son ordre, le grand maître est interrogé, successivement par les agents royaux et les inquisiteurs. Il avoue, dans un premier temps, puis, en décembre 1307, se rétracte, confessant, tout comme d’autres dignitaires, qu’il craignait d’être torturé. Sept ans durant, il reste prisonnier à Paris, attendant d’être entendu par le pape. Les enquêtes sur l’ordre se poursuivent dans tous les diocèses d’Occident, et, dès 1310, plusieurs dizaines de templiers sont condamnés à être brûlés. En mars 1314, Jacques de Molay comparaît finalement devant trois cardinaux, qui le condamnent à la prison à vie. Il rejette alors en bloc toutes les accusations portées contre son
ordre, désormais détruit. Le déclarant relaps, le Conseil du roi l’envoie au bûcher le 18 mars 1314. Molé (Louis Mathieu, comte), homme politique (Paris 1781 - château de Champlâtreux, Seine-et-Oise, 1855). Issu d’une illustre lignée de parlementaires, Molé, dont le père est guillotiné en 1794, émigre pendant la Révolution et ne regagne la France que sous le Directoire. Ambitieux, habile, opportuniste, il est remarqué par Napoléon pour ses Essais de morale et de politique (1805). L’Empereur lui confie une préfecture (1807), puis la direction des Ponts et Chaussées (1809). Il le nomme grand juge (ministre de la Justice) en 1813. Rallié aux Bourbons, Molé devient ministre de la Marine, mais il n’apprécie guère les tendances réactionnaires du régime et entre dans l’opposition libérale. En soutenant le duc d’Orléans après les Trois Glorieuses, il assure son avenir sous la monarchie de Juillet : ministre des Affaires étrangères en 1830, il devient président du Conseil en 1836, malgré l’hostilité de Thiers et de Guizot. Serviteur dévoué du roi, fort de l’appui de ce dernier, il promulgue une amnistie générale, prône la non-intervention dans les affaires européennes, soutient l’essor des chemins de fer. Renversé en mars 1839, il siège à la Chambre des pairs comme conservateur à tendance libérale, et s’oppose à Guizot. Sa désignation par Louis-Philippe à la présidence du Conseil pendant la révolution de février 1848 n’évite pas la chute du régime de Juillet. Député de 1848 à 1851, il siège à droite et oeuvre à la remise en cause des principes fondateurs de la IIe République (loi du 31 mai 1850 limitant le droit de suffrage). Il quitte les affaires publiques après le coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte, qu’il condamne. Mollet (Guy), homme politique (Flers, Orne, 1905 - Paris 1975). Issu d’une famille modeste, le futur professeur d’anglais pratique tôt le syndicalisme étudiant et le militantisme politique dans le cadre de la SFIO. Mobilisé en 1939, fait prisonnier, libéré en 1941, il s’engage dansla Résistance, puis prend la tête de la puissante fédération socialiste du Pas-de-Calais. Nommé secrétaire général de la SFIO en septembre 1946, grâce à une coalition d’opposants à Léon Blum et à Daniel Mayer, l’homme reste très attaché à l’enracinement ouvrier du parti et se montre soucieux de renforcer le rôle des instances partisanes par rapport à celui des députés et des ministres socialistes.
La SFIO est alors électoralement en déclin, mais lui-même bénéficie d’une solide implantation locale : maire d’Arras depuis 1945, conseiller général, député du Pas-de-Calais de 1945 à 1973. Ministre d’État dans le gouvernement Blum (décembre 1946-22 janvier 1947), chargé de l’Europe dans les cabinets Queuille et Pleven (1950-1951), il devient, à la suite de la victoire relative du Front républicain aux élections du 2 janvier 1956, le président du Conseil du plus long gouvernement de la IVe République (1er février 195621 mai 1957), alors que beaucoup attendaient la nomination de Pierre Mendès France. Son gouvernement est marqué par des avancées sociales (troisième semaine de congés payés), et par une politique résolument européenne : la création de la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom) est votée par le Parlement en juillet 1956, et le traité de Rome est signé en mars 1957. La décolonisation constitue l’autre versant de la politique de Guy Mollet : la Tunisie et le Maroc accèdent à l’indépendance en mars 1956, et Gaston Defferre fait adopter la loi-cadre sur les colonies d’Afrique noire ; mais, sur la question algérienne, Guy Mollet renonce à sa volonté d’ouverture, à la suite de son voyage à Alger le 6 février 1956. Il propose alors un projet de règlement très large, incluant un cessezle-feu, des élections et des négociations, mais le dialogue avec le FLN est progressivement rompu, et la présence du contingent, intensifiée. En butte à l’hostilité d’une partie de la gauche (dont Pierre Mendès France et André Philip), hostilité accrue par l’expédition de Suez, le président du Conseil est alors accusé de pratiquer un « national-molletisme ». Un temps vice-président du Conseil après la crise du 13 mai 1958, il accepte la Constitution de 1958 et entre même au gouvernement, à titre personnel, comme ministre d’État. Un poste qu’il quitte en janvier 1959, en désaccord avec le plan économique et financier Pinay-Rueff. En 1962, la réforme constitutionnelle portant sur l’élection du président de la République au suffrage universel - un détournement des institutions au profit du pouvoir personnel du général de Gaulle, selon lui l’incite à se lancer dans une opposition virulente au régime, et même à envisager l’alliance avec les communistes. L’arrivée de François Mitterrand à la tête du Parti socialiste en 1971 tourne la page molletiste : Guy Mollet se consacre dès lors au travail doctrinal,
notamment au sein de l’Office universitaire de recherches socialistes, qu’il a créé en 1969. Mollien (Nicolas François), comte de l’Empire, ministre du Trésor et pair de France (Rouen 1758 - Paris 1850). Fils d’un riche maître passementier, il suit de brillantes études à Paris et, grâce à la protection du duc de Richelieu, entre au ministère des Finances, où il assume avec succès la surveillance des fermes générales. Il est l’un des instigateurs de l’établissement des barrières de l’octroi à Paris, puis il contribue à la conclusion du traité de commerce entre la France et l’Angleterre (1786). Soucieux de s’éloigner de Paris et du coeur de la Révolution, il obtient la direction de l’Enregistrement et des Domaines dans le département de l’Eure (1791), mais il donne sa démission à la suite des événements du 10 août 1792. Il devient alors industriel, à la tête d’une filature mécanique de coton. Enfermé en 1794 pour complicité avec les fermiers généraux, il est libéré à la suite du 9 Thermidor. Après le 18 Brumaire, downloadModeText.vue.download 620 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 609 le ministre des Finances, Gaudin, lui confie la direction de la Caisse d’amortissement : il introduit alors les écritures en partie double dans la comptabilité du gouvernement. Jouissant de l’estime de Bonaparte, auquel il remet un rapport quotidien sur les dispositions de la Bourse et les événements financiers, il entre au Conseil d’État en 1804, et devient ministre du Trésor en 1806, poste qu’il occupe jusqu’en 1814. Il n’accepte aucune fonction sous la première Restauration et redevient ministre du Trésor durant les Cent-Jours ; puis il se retire dans sa campagne située près d’Étampes. Il siège à la Chambre haute à partir de 1819. Créé comte de l’Empire en 1808 et récipiendaire de plusieurs dotations, il n’a pas pour autant laissé une grande fortune. monachisme, mouvement de retranchement dans la solitude par lequel un homme, appelé « moine », se sépare du reste de la société en vue de parvenir à l’union à Dieu. Il est « ermite » ou « anachorète » lorsqu’il effectue seul sa séparation d’avec le monde. Il est « cénobite » lorsqu’il vit ce retirement en communauté. • L’émergence du monachisme occiden-
tal. Le monachisme chrétien naît en Orient avec saint Antoine (vers 250-356), qui inaugure la vie d’ermite en se retirant dans le désert de Haute-Égypte en 271, et avec saint Pacôme (292-346), qui fonde une communauté de moines vers 323. Cette forme d’ascèse, qui consiste à imiter la vie du Christ et son combat contre le démon, se répand ensuite très rapidement en Occident à partir de la seconde moitié du IVe siècle. Vers 350, des groupes d’ermites apparaissent en Italie du Sud avant de gagner la Gaule, où saint Martin de Tours (vers 316-397) fonde les monastères de Ligugé vers 360 et de Marmoutiers quelque dix ans plus tard. Le monachisme occidental évolue alors vers une forme nettement cénobitique. Vers 410, Honorat d’Arles (vers 350-430) installe une communauté dans l’île de Lérins, puis, en 415, le Grec Jean Cassien (vers 360-435) fonde l’abbaye de SaintVictor à Marseille et transmet son expérience monastique dans plusieurs écrits. Peu après, Césaire d’Arles (469-542) compose deux règles organisant la vie communautaire des moines et des moniales après avoir établi plusieurs abbayes dans sa métropole d’Arles. À la fin du VIe siècle, le nombre de monastères dans le royaume franc est évalué à plus de deux cents. Construits le plus souvent à la périphérie des villes, ils jouent un rôle majeur dans l’évangélisation du royaume. • L’apogée du mouvement monastique. Malgré le courant monastique venu d’Irlande, animé par saint Colomban (543 ?-615), qui fonde notamment vers 590 le monastère de Luxeuil dans les Vosges, la règle de saint Benoît de Nursie (vers 480-547) s’impose rapidement sur le continent européen. Destinée à l’origine à organiser la vie de la communauté monastique du Mont-Cassin, cette règle, rédigée après 534, est en effet appelée à une diffusion exceptionnelle. S’inspirant des règles antérieures, elle exige un établissement stable et oblige les moines à la chasteté, la pauvreté et l’obéissance. L’accent principal est mis sur l’office divin et le travail manuel ainsi que sur l’étude et la vertu. Soucieux de mettre les monastères au service de leurs intentions unificatrices, les Carolingiens imposent cette règle bénédictine à l’ensemble du monachisme occidental. Le concile d’Aix-la-Chapelle (817) précise certains points de cette règle et, sous l’impulsion de saint Benoît d’Aniane (vers 750-821), prolonge la durée de l’office divin tout en accentuant le caractère liturgique de la vie monastique. Le mouvement bénédictin connaît alors une période d’apogée, qui dure jusqu’au début du XIIIe siècle.
L’abbaye de Cluny, fondée en 909, devient le principal foyer de restauration monastique. Ce mouvement de réforme, qui entend porter remède à la sécularisation, impose aux moines une stricte discipline et place les monastères, désormais coupés de la tutelle des laïcs et des évêques, sous la dépendance directe du pape. L’influence de l’érémitisme conduit parallèlement à la naissance de nouvelles formes de vie monastique et favorise l’apparition d’ordres aspirant à une vie spirituelle davantage séparée du monde. L’abbaye de Cîteaux, fondée en 1098, devient, notamment sous l’impulsion de saint Bernard de Clairvaux (1090-1153), l’emblème de ce monachisme caractérisé par son dépouillement et son austérité. L’émergence des ordres mendiants au XIIIe siècle, qui coïncide avec une période de crise du monachisme dans son ensemble, confère désormais à ceuxci le rôle d’animation spirituelle de la société. • Réformes et renouveaux. À partir du XIIIe siècle, l’histoire des ordres monastiques n’est plus guère jalonnée que de réformes successives. Fortement ébranlé dans ses bases institutionnelles par la Réforme protestante, le monachisme s’accroît de nouvelles fondations importantes au XVIIe siècle, dans le cadre de la Réforme catholique : la congrégation bénédictine de Saint-Maur est fondée en 1618 ; celle des Filles de la Charité, en 1634, par saint Vincent de Paul. La révolution de 1789 entraîne la suppression graduelle des ordres monastiques, déjà durement éprouvés dans leur vocation par l’esprit des Lumières. Les congrégations monastiques connaissent un lent renouveau au XIXe siècle, dans la lignée des mouvements de restauration entrepris vers 1830. Au XXe siècle, le monachisme est marqué par la création de communautés protestantes (telle la Communauté de Taizé, devenue centre de rencontres oecuméniques) mais aussi par l’implantation de congrégations dans les jeunes Églises d’Afrique et d’Asie (fondations françaises du Carmel, notamment). Depuis le concile Vatican II (1962-1965), le monachisme a entrepris un effort d’adaptation aux nécessités du temps présent tout en affirmant sa vocation originelle à la retraite et au silence. Monaco (principauté de), État enclavé dans le département français des Alpes-Maritimes. Fondée par les Phéniciens, puis colonie grecque, la ville de Monaco devient au XIIIe siècle la propriété d’une famille de Gênes, les Grimaldi. Au Moyen Âge et à l’époque moderne, la principauté doit composer avec les souverains voisins sous des formules diverses : alliances,
occupations provisoires, protection, etc. Elle est ainsi associée à la France de 1489 à 1523, puis à l’Espagne de 1524 à 1640, et de nouveau à la France en 1641. Louis XIV en garantit la possession à la famille régnante par un traité. En 1731, les Goyon-Matignon succèdent aux Grimaldi, mais reprennent le nom et les armes de ces derniers. La Révolution française bouleverse le droit féodal dans la principauté. En 1791, le prince de Monaco réclame et obtient de la Constituante une indemnité en échange de la suppression de ses droits féodaux. Il voit ses droits souverains confirmés malgré les protestations des communes alentour. Mais, le 14 février 1793, ces dernières obtiennent la réunion à la France de la principauté, qui est intégrée au département des Alpes-Maritimes jusqu’en 1815, date à laquelle elle est restaurée sous la protection du roi de Sardaigne. En 1861, un nouveau statut se met en place : la principauté perd son arrière-pays et se lie à la France par le traité du 2 février. Depuis cette date, d’autres accords sont venus compléter ces dispositions, et notamment le traité « d’amitié protectrice » signé en 1918. La deuxième dynastie des Grimaldi s’éteint en 1949, à la mort de Louis II, dont la fille Charlotte a épousé Pierre de Polignac : leur fils, Rainier III, prince de Monaco de 1949 à 2005, reprend également les armes et le nom des Grimaldi. En 1962, une réforme de la Constitution de 1911 - laquelle a mis fin au régime absolutiste, tout en conservant le principe d’une monarchie héréditaire permet un élargissement des compétences du Parlement. En 2005, le prince Albert II succède à son père. monarchie absolue. Au XVe ou au XVIe siècle, quand les théoriciens du pouvoir royal qualifiaient celui-ci d’absolu, ils entendaient que le monarque était « délié des lois » (du latin absolvere) ; pourtant, tous soulignaient que ce pouvoir se tenait toujours en deçà de limites qui le différenciaient d’un pouvoir arbitraire. L’ambivalence est donc consubstantielle aux origines de la monarchie absolue. Mais l’évolution du vocabulaire a favorisé le basculement du terme dans un sens univoque : l’apparition du mot « absolutisme » à l’extrême fin du XVIIIe siècle et son usage plus courant à partir de la monarchie de Juillet ont en effet conduit, d’une part, à assimiler la monarchie absolue à la tyrannie d’un souverain, d’autre part, à la lier à un projet politique immuable tout au long de l’Ancien Régime. Ce prétendu projet n’est en fait, pour l’essentiel, que l’extrapolation du régime systématisé par Louis XIV et critiqué
dans la philosophie politique du XVIIIe siècle. Pour dépasser ces acceptions rétrospectives et déformantes, il convient donc d’appréhender la monarchie absolue comme une construction historique, « une tendance plutôt qu’un régime » (Georges Durand), soumise à des interprétations et à des inflexions successives, confrontée à des résistances et à des remises en cause. Cette dimension historique de la notion est perceptible même si on laisse de côté l’étude des institutions monarchiques pour mettre l’accent sur l’évolution des conceptions de la souveraineté et de la nature du pouvoir. Celles-ci sont en effet au coeur du régime qui tend à prévaloir en France, de la fin du Moyen Âge à 1789, et qui downloadModeText.vue.download 621 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 610 confère au roi le monopole de la souveraineté et de l’autorité en vertu d’une légitimité à la fois héréditaire, coutumière et religieuse. • La tradition monarchique et la demande d’autorité. Dès le XVe siècle, le roi de France cumule quatre attributs essentiels : suzerain des suzerains, il est placé au sommet de la pyramide sociale ; garant de l’intégrité du royaume, en particulier contre les ennemis extérieurs, il dirige les armées ; considéré comme « empereur en son royaume » depuis Philippe le Bel (1285-1314), il peut exercer des pouvoirs dits « régaliens », en premier lieu desquels celui de juge suprême ; enfin, « Très-Chrétien » (titre officiellement reconnu à Louis XI), il peut se prévaloir de la dimension religieuse de sa fonction qui implique, en contrepartie, un devoir de protection à l’égard de la religion et de l’Église catholiques. Pour autant, avant le XVIIe siècle, il est abusif de parler de monarchie de droit divin. D’ailleurs, l’énumération de ces attributs n’induit nullement une évolution linéaire vers un « pouvoir sans lien », car ils comportent toujours des potentialités contradictoires dont on peut donner deux exemples. La suzeraineté offre une garantie de supériorité, mais elle signifie aussi que les nobles sont fondés à jouer un rôle dans l’exercice de la puissance publique. L’imperium érige le roi en protecteur du royaume et de la nation, mais, celleci étant conçue comme une association de corps (ordres, provinces, villes, communautés d’habitants ou de métiers, etc.), le rôle de
protecteur implique la sauvegarde des libertés et des privilèges - au sens de droits reconnus de chacun de ces corps. Ainsi, la France, à la charnière des époques médiévale et moderne, pourrait incliner vers une monarchie qui serait « un régime de partage contractuel des prérogatives de la souveraineté entre de nombreux partenaires » (Jacques Ellul). Mais l’évolution vers de nouvelles formes de souveraineté s’accélère au XVIe siècle. Dans un climat d’inquiétude religieuse, le monarque cristallise sur sa personne les élans de la culture populaire en faveur d’un roi paternel, protecteur, guérisseur ; les cérémonies, les voyages des souverains, développent ce culte. À la Renaissance est par ailleurs favorisée l’héroïsation du prince, à la fois beau, valeureux et sage, comme en témoigne le célèbre tableau de François Ier du château de Fontainebleau. En outre, la dure rivalité avec Charles Quint pousse à la consolidation des liens entre le roi, le royaume, l’État et la nation française ; d’ailleurs, la guerre ne cessera d’être « le plus puissant facteur de transformation de la monarchie » (Roland Mousnier). Les historiens sont divisés sur l’interprétation à donner de l’interaction entre cette transformation et l’évolution de la société française. Plutôt que de lier l’« absolutisme » aux intérêts d’une seule catégorie sociale (noblesse ancienne, noblesse de robe ou bourgeoisie) ou de n’envisager celuici que comme le couronnement de la société d’ordres, on peut observer la coïncidence entre la montée du pouvoir absolu et l’exacerbation des rivalités entre des classes sociales ou des fractions d’ordres rivales. L’influence des guerres de Religion prête moins à discussion : des travaux récents (ceux de Denis Crouzet, notamment) confirment qu’après l’affaiblissement du prestige royal et les menaces contre l’unité du royaume, le besoin de sécurité et d’autorité a largement contribué à accentuer, sous Henri IV, les inflexions multiformes vers la monarchie absolue. • L’affirmation de la souveraineté indivisible et les ultimes légitimations. À la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, cette affirmation passe d’abord par l’énoncé plus ferme de certains principes, parmi lesquels deux sont décisifs. Le premier se résume dans « l’unification des deux corps du roi » (Michèle Fogel), c’est-à-dire, d’une part, le corps physique et mortel, d’autre part, le corps symbolique et abstrait, autrement dit la fonction royale qui unit la couronne et le royaume sur le mode de l’immortalité. Ainsi, l’un des premiers, Michel de L’Hospital inter-
prète la maxime « le mort saisit le vif » dans le sens « l’autorité passe sans interruption du roi défunt à son successeur légitime ». Jean Bodin reprend l’idée quelques années plus tard, et, au moment de l’assassinat d’Henri IV (1610), la continuité dynastique s’impose au bénéfice du jeune Louis XIII. Le second postulat stipule que la souveraineté ne peut se partager et appartient donc tout entière au roi légitime. À partir du dernier quart du XVIe siècle, ce principe est défendu par de nombreux juristes (Jean Bodin, la République, 1576 ; Guy Coquille, Institution du droit des Français, 1605 ; Charles Loyseau, Traité des seigneuries, 1613). Cette théorisation répond notamment aux thèses monarchomaques et tyrannicides (qui légitiment l’éviction ou l’assassinat d’un souverain jugé indigne) ou bien s’oppose aux résurgences des entreprises de partage de la souveraineté (Ligues diverses...). En 1632, Cardin Le Bret énonce la formule qui résume l’évolution : « La souveraineté n’est pas plus divisible que le point en géométrie. » Dans le même temps, on commence à invoquer la raison d’État. Cardin Le Bret explique notamment que « pour subvenir à une nécessité pressante pour le bien public, le prince a la puissance de disposer des terres des particuliers contre leur volonté ». Il s’agit évidemment pour le roi d’accroître les ressources de l’État sans consulter les corps de la nation - on remarquera que les états généraux ne sont plus réunis après 1614. Richelieu, quant à lui, précise que, lorsque la sûreté du royaume l’exige, la raison d’État peut prévaloir sur la justice ordinaire. La théorie du droit divin achève la systématisation de la monarchie absolue à la française. Progressivement, à partir de 1614, on passe de l’idée que le roi agit à l’image de Dieu à celle selon laquelle il détient directement son pouvoir de Dieu. Le roi se définit lui-même comme « lieutenant de Dieu sur terre », n’ayant donc de compte à rendre qu’à Dieu (voir, par exemple, les Mémoires de Louis XIV). Bossuet, « théologien prenant le relais des juristes » (François Bluche), n’invoque plus, comme justification de l’autorité royale, que l’origine divine alors que les juristes et la tradition associaient des légitimités croisées. Cet aboutissement n’implique pas la disparition des limites au pouvoir royal. • L’étendue et la pratique des pouvoirs. Charles Loyseau résume les prérogatives royales en cinq « actes de haute ou suprême souveraineté, à savoir faire loix, créer officiers,
arbîtrer la paix et la guerre, avoir le dernier ressort de la justice et forger monnoye ». Cette définition omet le droit de prélever l’impôt. Louis XIV n’a plus ces scrupules, qui écrit dans ses Mémoires : « Les rois sont seigneurs absolus et ont naturellement la disposition pleine et libre de tous les biens [...] pour en user comme sages économes, c’est-àdire selon les besoins de l’État. » C’est aussi à cette époque que se manifeste avec force la prérogative première évoquée par Loyseau, celle de législateur. Traditionnellement, par ses ordonnances (relatives à des questions générales), ses édits (consacrés à un point particulier) et ses déclarations (simple apport de précision sur un texte antérieur), le roi dit le droit. À partir du XVIIe siècle, et surtout après 1665, cette fonction essentielle se traduit non seulement par la juxtaposition de lois, mais aussi par l’établissement des codes qui tendent à créer un droit français unifié. En parallèle s’étend et se renforce le champ des interventions directes du roi et d’un gouvernement soumis et davantage organisé. L’autorité absolue du monarque se manifeste de trois manières. En premier lieu, le roi prend toutes les décisions en dernier ressort et la disparition du titre de « principal ministre » va dans le sens de la personnalisation tandis que la théâtralisation du cérémonial de cour manifeste la fusion totale entre la personne royale et la chose publique. En deuxième lieu, la réorganisation du gouvernement central vise à augmenter l’efficacité administrative tout en accentuant la maîtrise royale du choix des conseillers et des personnels en dehors des considérations de rang nobiliaire. Enfin, l’envoi systématique, après la Fronde, de commissaires du roi - les intendants de police, justice et finances - développe le contrôle plus direct des provinces à partir du centre de l’État, même s’il faut prendre garde aux modalités effectives de cette centralisation. Malgré cette évolution, la distinction demeure entre monarchie absolue et tyrannie, entre pouvoir légitime et pouvoir arbitraire. En effet, la loi naturelle et la loi divine, sans jamais avoir été clairement définies, fondent un code de conduite implicitement conçu comme s’imposant à tous les hommes, y compris au roi. Ainsi, à l’image de Dieu qui veut l’ordre et la justice, ou du père qui ne peut vouloir le malheur de ses enfants, le roi doit respecter une règle immanente qui le pousse à agir pour le bien collectif. Les monarques continuent aussi de respecter les lois fondamentales du royaume. Celles-ci résultent de pratiques instaurées au fil des siècles, forma-
lisées par les juristes, les états généraux ou les parlements du XIVe au XVIe siècle. Ce sont notamment quatre principes essentiels qui se trouvent ainsi fixés : l’inaliénabilité de la couronne, l’exclusion de la succession dynastique des filles et des mâles descendant par les filles (loi dite « salique »), l’exclusion des hérétiques, et enfin l’inaliénabilité du domaine royal. À ces règles et limites reconnues s’ajoutent les résistances de fait à la toute-puissance monarchique. D’abord, la tendance à l’absolutisme n’empêche pas que des interprédownloadModeText.vue.download 622 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 611 tations différentes de la souveraineté légitime ont toujours coexisté. Celles-ci se sont manifestées avec éclat pendant la Fronde : monarchie contrôlée par les parlements, monarchie duale associant le roi et les grands, monarchie relayée par les nobles. Louis XIV a beau avoir rabaissé toutes ces prétentions, celles-ci se sont à nouveau exprimées vers la fin de son règne et ont abouti à une brève expérience de « contre-monarchie absolue », sous la Régence, avec la polysynodie, ou gouvernement de Conseils constitués de nobles (1715-1723). L’expérience n’a pas duré mais la réflexion sur la légitimité et la nécessaire séparation des pouvoirs a pris un élan nouveau au temps des Lumières, avec Montesquieu notamment. Dans les années 1760, le conflit entre Louis XV et les parlements montre l’incompatibilité entre des conceptions antagonistes de la souveraineté. En 1766, à l’occasion d’un lit de justice au parlement de Paris, le roi, dans son discours dit « de la Flagellation », s’oppose aux parlementaires qui prétendent « coopérer avec la puissance souveraine dans l’établissement des lois » ; il affirme : « [...] c’est en ma personne seule que réside la puissance souveraine. » Mais, dans l’opinion publique, la confusion entre « absolutisme » et « arbitraire » devient de plus en plus fréquente, surtout à partir de la réforme Maupeou des parlements, en 1771. La dénonciation du pouvoir arbitraire culmine dans les années 1780. Ainsi sont établies non seulement l’interprétation usuelle de la notion mais aussi l’aspiration à la définition d’un nouveau type de lien entre le roi et la nation.
Cette aspiration, fortement développée lors de la préparation des états généraux de 1789, se concrétise le 17 juin quand les députés du tiers état se proclament « Assemblée nationale ». La monarchie constitutionnelle qui se profile alors repose sur un principe contractuel aux anti-podes de l’« absolutisme ». Au temps de la Restauration (1814-1830), la Charte, « octroyée » par Louis XVIII, marque l’hésitation entre le retour à une autorité inspirée de l’absolutisme de droit divin et la prise en compte des règles constitutionnelles. Malgré un mode de gouvernement qui développe les pratiques parlementaires, l’ambiguïté pèsera sur le régime jusqu’à la chute de Charles X. monarchiens, mouvance politique réunissant dans l’Assemblée constituante, durant l’été 1789, des députés partisans d’une monarchie à l’anglaise. Les monarchiens, dont l’influence au tout début de la Révolution est éphémère, ne constituent pas un groupe politique à proprement parler tant leur « formation » est hétérogène et instable, et la pensée qui les anime faite d’une multiplicité de nuances. Cependant, on retrouve l’essentiel de leur credo dans les écrits de leur principal représentant, Jean-Joseph Mounier, l’homme de Vizille en 1788 et le promo-teur du doublement du Tiers ainsi que de la réunion des trois ordres aux états généraux de 1789. Outre Mounier, les membres les plus éminents de cette mouvance sont Pierre Malouet, Nicolas Bergasse, le marquis de Lally-Tollendal, les comtes de Clermont-Tonnerre et de Virieu. Pour ces partisans d’une rénovation de la monarchie - et non d’une révolution -, d’une transition paisible, dans l’ordre et l’union, vers un régime politique de type anglais, il s’agit de rédiger au plus vite une Constitution associant « le trône à la liberté ». Aussi proposent-ils un pouvoir législatif divisé en deux Chambres (une Chambre haute, composée de propriétaires nommés à vie par le roi, venant modérer les ardeurs d’une Chambre basse, élue) et un pouvoir exécutif fort, le roi bénéficiant d’un droit de veto absolu sur les lois. Cet équilibre des pouvoirs, assurant néanmoins la prépondérance de l’autorité royale, doit permettre, à leurs yeux, de s’affranchir de l’absolutisme et d’éviter tout despotisme, en premier lieu celui de la « multitude ». Mais cette « anglomanie » n’est plus de mode : les événements de l’été 1789, qui ont vu surgir la foule sur la scène politique, contre-
carrent ces grands raisonneurs et moralistes que sont les monarchiens, soucieux d’arrêter là la Révolution. Aussi, cette petite minorité formant une sorte de centre politique est-elle également abhorrée et rejetée dans le camp adverse par les deux extrêmes qui s’affrontent alors : les absolutistes intransigeants, qui voient en eux une « secte hermaphrodite », et les patriotes révolutionnaires, qui dénoncent leur « aristocratie ». À peine le groupe est-il formé en août 1789 qu’il est déjà défait, la Constituante votant à une écrasante majorité contre le bicamérisme (10 septembre 1789) et préférant le veto suspensif au veto absolu (11 septembre). Désavoués et découragés, la plupart des monarchiens démissionnent après les journées d’octobre 1789, qui montrent avec éclat combien ils sont dépassés, tandis que certains d’entre eux - tel le baron Malouet, fondateur du Club des impartiaux, qui deviendra le Club monarchique - mènent un combat d’arrière-garde pour la défense des prérogatives royales. Monde (le), quotidien du soir fondé en décembre 1944. À la Libération, le général de Gaulle, en accord avec les projets de la Résistance, juge nécessaire de renouveler en profondeur les structures de la presse française. Dans ce cadre, un grand quotidien du soir doit constituer, par son sérieux et son indépendance, tant politique que financière, un organe de référence de stature internationale. Opposé à la reparution du Temps - trop lié aux milieux industriels et financiers dans l’entre-deuxguerres, puis au régime de Vichy jusqu’à son sabordage en novembre 1942 -, le général de Gaulle assigne cette mission à un nouveau titre : telle est l’origine du Monde, dont le premier numéro paraît le 18 (daté du 19) décembre 1944. Choisi pour diriger le journal, Hubert Beuve-Méry, démissionnaire du Temps au lendemain des accords de Munich (1938), imprime vite sa marque au quotidien de la rue des Italiens, qui manifeste de plus en plus sa liberté vis-à-vis du pouvoir en place. Signés « Sirius », ses éditoriaux défendent le lien entre la morale et la politique, et prennent volontiers l’opinion à contre-courant. Par ses prises de position, Beuve-Méry s’attire l’inimitié de ses concurrents, mais aussi de ses deux principaux associés, René Courtin et Christian Alfred Funck-Brentano, qui quittent le journal en 1949. Entreprise de presse originale, le Monde ouvre son capital à ses rédacteurs, qui se
constituent en société anonyme en 1951 (en 1985, les lecteurs entreront à leur tour dans le capital du journal). Dès le début des années 1960, le Monde devient une véritable institution dont les ventes ne cessent de progresser, pour atteindre 800 000 exemplaires au mois de mai 1968. Favorable à un règlement rapide de la question algérienne, le journal soutient le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958, avant de s’opposer à celuici dès le référendum d’octobre 1962 portant sur l’élection du président de la République au suffrage universel. L’évolution du journal vers la gauche est confirmée par l’accession de Jacques Fauvet à sa tête (il en est directeur de 1969 à 1982) : lors des scrutins présidentiels de 1965, 1974 et 1981, le Monde se prononce ainsi en faveur de François Mitterrand. Mais, pendant les deux septennats de ce dernier (1981-1995), le quotidien préserve son indépendance et joue un rôle important dans la révélation des « affaires » qui entourent le pouvoir socialiste. En matière de politique étrangère, le Monde reste fidèle à ses orientations premières : il salue l’effondrement du système soviétique au tournant des années 1980-1990, et milite en faveur de la construction européenne (il se prononce ainsi nettement en faveur du « oui » lors du référendum de Maastricht). Après avoir connu de sérieuses difficultés financières et une érosion de son lectorat, le Monde voit sa situation se redresser à partir de 1994, date de l’arrivée de Jean-Marie Colombani à la direction du journal. Depuis 2003, le Monde fait partie d’un groupe de presse comprenant les publications de la vie catholique (Télérama, La Vie…) et les journaux du Midi (dont le Midi Libre). Mais secoué par de violentes polémiques survenues en 2003, concernant notamment la ligne éditoriale du journal et par la crise générale de la presse écrite, le Monde connaît une érosion de ses ventes. Mondeville (Henri de), médecin et chirurgien (vers 1260 - vers 1320). Le nom d’Henri de Mondeville est attaché à un ouvrage célèbre de chirurgie rédigé en latin à l’instigation de l’école de médecine de Montpellier et de l’un de ses plus célèbres maîtres, Bernard de Gordon (mort vers 1320). Composée entre 1306 et 1320, la Chirurgia réunit différents traités sur l’anatomie, les plaies, les maladies, et diffuse nombre de théories médicales inspirées des méthodes avancées des universités italiennes (Salerne, Bologne). Henri de Mondeville s’élève notamment contre la doctrine de la suppuration, préco-
nisée par la médecine traditionnelle dans le traitement des plaies, et recommande l’utilisation de bandages non corrompus. Ses pratiques s’inscrivent aussi dans la mouvance des enseignements de Jean Pitart, chirurgien des rois de France Philippe le Bel (1285/1314) et Charles IV (1322/1328) ; Mondeville luimême devient chirurgien de Philippe le Bel en 1298. Dès lors, professeur réputé, dont les cours d’anatomie sont diffusés en langue verdownloadModeText.vue.download 623 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 612 naculaire, il enseigne l’anatomie à l’université de Montpellier en 1304, puis dans les écoles de chirurgie à Paris en 1306, dispense son savoir médical dans le nord de la France (Arras) et même en Angleterre dans les années 1310. Il exerce également son art de chirurgien sur les champs de bataille, lors des campagnes militaires du roi de France. On lui attribue l’embaumement des corps des rois Philippe le Bel et Louis X le Hutin (1314/1316). Monge (Gaspard), mathématicien (Beaune, Côte-d’Or, 1746 - Paris 1818). La magnifique carrière de Monge résume à elle seule le rôle prépondérant de la science française en Europe à la fin du XVIIIe siècle et l’évolution décisive de l’influence politique et sociale des savants sous la Révolution et l’Empire. Élève du collège de Beaune puis du collège de la Trinité à Lyon, Monge se fait remarquer dès 1764 par un officier de l’École du génie militaire de Mézières. Admis dans cette prestigieuse institution en 1765, il y enseigne les mathématiques et la physique, en qualité de répétiteur, puis de professeur, pendant près de vingt ans. C’est là qu’entre 1766 et 1775 il invente et développe la géométrie descriptive, qui va s’imposer rapidement en Europe comme une branche à part entière des mathématiques. Durant la décennie 1770, il publie de nombreux mémoires, se lie avec Condorcet et Vandermonde, et participe aux débats scientifiques les plus pointus du moment, qui opposent d’Alembert et le mathématicien suisse Leonhard Euler, ou le physicien français Daniel Bernoulli. La qualité de ses travaux lui permet d’entrer à l’Académie des sciences, en 1780, et d’être nommé examinateur de la Marine en 1783 ; des charges auxquelles il se consacre pleinement après avoir abandonné son poste à Mézières en 1784. Ses intérêts et ses apports
sont multiples : mathématiques, physique, chimie (il réalise en 1783, indépendamment de Lavoisier, la synthèse de l’eau) et même technologie ; il devient un véritable expert en métallurgie. Favorable aux idéaux de la Révolution, il milite dès 1789 dans des clubs proches du nouveau régime, mais poursuit avant tout son travail de chercheur. Les événements du 10 août 1792 modifient son parcours : ses activités patriotiques et politiques se déploient alors tous azimuts. Il participe à l’effort de guerre comme ministre de la Marine (12 août 1792-10 avril 1793), puis au sein de différentes instances chargées de répondre aux besoins en matière d’armement. Par ailleurs, il collabore activement à la mise en place du nouveau système d’enseignement : professeur à l’École normale, membre de l’Institut, il est surtout l’un des fondateurs de l’École polytechnique, dont il devient directeur en 1797. Personnalité influente, scientifique hors pair, il parachève sa carrière dans le sillon de Bonaparte, avec lequel il s’est lié lors d’une mission en Italie (1796-1797) et au cours de l’expédition d’Égypte (1798-1799) : sénateur à vie, président du Sénat en 1806, il est créé comte de l’Empire en 1808. Parallèlement, il publie des ouvrages importants, notamment l’Application de l’analyse à la géométrie (1807). Parti en exil après Waterloo, il rentre à Paris en 1816, où, jusqu’à sa mort, il est harcelé par les tenants de la réaction. Monge étant le symbole d’une communauté scientifique qui a su défendre et illustrer la nation républicaine, sa dépouille a été transférée au Panthéon en 1989. Moniteur universel (le), quotidien fondé au début de la Révolution (1789) et qui tient lieu de journal officiel des gouvernements successifs de 1800 à 1868, avant de cesser de paraître en 1901. Journal d’informations générales, prudent et mesuré, le Moniteur constitue pour l’historien une source documentaire de première main sur la période allant de la Révolution jusqu’au second Empire. En témoignent les multiples réimpressions - moins fiables que l’édition originale - dont il fait l’objet dès l’an IV (1795) et durant le XIXe siècle. Fondé sous le titre de Gazette nationale ou le Moniteur universel par l’éditeur de presse Panckoucke, qui veut en faire un « papier-nouvelles à la manière anglaise », le Moniteur paraît pour la première fois le 24 novembre 1789 dans un exceptionnel
grand format in-folio, format qui ne se généralisera qu’au XIXe siècle. Il est immédiatement apprécié pour sa retenue, pour le sérieux de ses informations (concernant les administrations, les tribunaux, le commerce et les finances...), et pour la publication du « bulletin de l’Assemblée nationale », qui rend compte avec réalisme des débats de la Constituante grâce à une sténographie inventée par l’un de ses rédacteurs, Maret. Ces qualités assurent, pendant la période de la Terreur, la survie de ce journal modéré, qui sait rester neutre et servir tous les gouvernements. Subventionné par le Comité de salut public en l’an II, utilisé par le Directoire qui y fait insérer des articles émanant des autorités, il devient, dès le Consulat, un véritable journal officiel en obtenant le monopole de publication des actes et des communiqués du gouvernement, et, sous l’Empire, le principal organe de propagande, dont les articles sont rédigés dans les ministères et le cabinet de l’Empereur. C’est alors l’un des quatre journaux parisiens à être autorisés par le décret du 4 février 1811 - qui supprime toutes les feuilles politiques -, auquel l’ensemble de la presse est tenu de se référer. Après une brève mise à l’écart au début de la Restauration, il retrouve son caractère officiel dès 1816, prenant le sous-titre de Journal officiel à partir de 1848. Cependant, sous le second Empire, au lendemain de la loi du 11 mai 1868, qui libéralise le régime de la presse, il perd son monopole au profit du Journal officiel, créé le 1er janvier 1869 par Rouher, autoritaire ministre de Napoléon III. Journal conservateur, le Moniteur est par la suite contrôlé par le publiciste et affairiste Émile de Girardin, membre du conseil d’administration de la Compagnie du canal de Panamá, qui le met au service de ses affaires. Discrédité, comme tant d’autres journaux, par le scandale de Panamá, le Moniteur perd de son influence et disparaît en juin 1901. Monluc (Blaise de) ! Montluc ou Monluc (Blaise de) l MONNAIE. Des espèces sonnantes et trébuchantes, pesées par les changeurs de l’époque médiévale, aux cartes à puce d’aujourd’hui, l’évolution des moyens de paiement est spectaculaire. Les noms mêmes de la monnaie se sont modifiés : on comptait en « livres tournois » dans la France d’Ancien Régime, en « francs » dans celle des XIXe et XXe siècles. Désormais, l’heure est à l’« euro ». Pourtant, les principaux problèmes et enjeux de l’his-
toire monétaire restent souvent semblables au cours des temps : identité ou statut de ceux qui possèdent le droit d’émission ; rapport entre la quantité de monnaie en circulation et les besoins de l’économie ; multiples répercussions - internes ou externes, économiques, sociales ou politiques - des phénomènes monétaires. LA MONNAIE, FAIT DU PRINCE Le droit de battre monnaie est inséparable de la notion de souveraineté. Les cités gauloises indépendantes l’exercent, frappant des pièces d’or, d’argent ou de bronze sur lesquelles s’expriment la fantaisie et la virtuosité de l’art celte. Après l’effondrement de l’Empire romain, les royaumes barbares continuent à émettre des pièces sur le modèle impérial. Vers 540, un petit-fils de Clovis, Théodebert Ier, est, semble-t-il, le premier à frapper une monnaie à son propre nom. Mais bientôt la contraction des échanges, la rupture des communications avec les mondes byzantin et arabe, par lesquels transite l’or, entraînent la quasi-disparition de ce métal. On y substitue, pour cinq siècles, l’argent. C’est en argent qu’est définie la nouvelle monnaie de compte instituée par Charlemagne vers 780, la livre, elle-même subdivisée en 20 sous et 240 deniers, qui, eux, sont effectivement en circulation. La restauration monétaire carolingienne demeure toutefois précaire, car le morcellement de l’autorité étatique entraîne une multiplication des ateliers monétaires. Les seigneurs, grands et petits, les évêques, les abbayes, les villes, battent monnaie. En outre, étant donné que plusieurs systèmes d’unités de compte coexistent - la livre parisis (de Paris), par exemple, différant de la livre tournois (de Tours) -, le désordre monétaire est extrême. Ce n’est que sous le règne des derniers Capétiens directs que le pouvoir royal parvient, très progressivement, à y mettre fin. La prospérité de l’économie permet alors une réapparition des pièces d’or : celles-ci proviennent d’abord d’Italie, mais elles sont bientôt produites par le pouvoir royal lui-même, puisqu’en 1266 Saint Louis frappe les premiers écus d’or. Les espèces émises par ses successeurs portent des noms variés, souvent liés aux symboles y figurant : pièces d’or, tels les écus, couronnes, moutons, agnels ou francs (lesquels sont frappés de 1360 à 1380, sous les règnes de Jean le Bon et de Charles V) ; d’argent, comme les gros, les écus blancs ; de cuivre, enfin, pour la monnaie d’appoint, comme les liards. Les souverains usent à leur profit du pri-
vilège d’émission monétaire. Tout l’époque médiévale, et durant une des Temps modernes, ils procurent downloadModeText.vue.download 624
au long de bonne partie ainsi au sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 613 Trésor royal une part appréciable de ses ressources. En effet, la frappe des monnaies donne lieu à la perception d’un droit, le monnayage, largement utilisé en période de difficultés, ainsi pendant la guerre de Cent Ans. Pour contraindre les sujets à le payer, il suffit de retirer de la circulation les pièces existantes et d’en instituer de nouvelles. En outre, on peut jouer sur la définition de l’unité de compte, la livre tournois, en modifiant sa parité en or ou en argent. Enfin, on peut aussi agir sur l’aloi, c’està-dire la proportion de métal précieux admise dans l’alliage constituant les lingots. Ces techniques variées permettent de multiples « mutations monétaires », qui, se faisant presque toujours dans le sens d’un abaissement de la valeur de la monnaie en circulation, sont autant de dévaluations. L’alimentation du Trésor royal n’en est d’ailleurs pas la seule cause. Elles s’expliquent aussi par l’évolution des disponibilités en métaux précieux. Durant tout le Moyen Âge, l’or reste rare ; l’argent, en revanche, est plus abondant, mais le commerce avec l’Orient, notamment avec l’Empire mongol, entraîne périodiquement des sorties de numéraire hors de France, obligeant à revoir le rapport légal institué entre les deux métaux pour le rapprocher du cours commercial. Délicate, l’opération conduit à de multiples réajustements, en particulier sous le règne de Philippe le Bel, souverain dont la réputation de « faux monnayeur » est donc largement usurpée. Les Grandes Découvertes, où la quête de l’or a joué un rôle essentiel, entraînent, au XVIe siècle, un changement complet du volume de la circulation monétaire. L’afflux subit d’or et d’argent vers le royaume de France y provoque une vive hausse des prix. Le phénomène, qui suscite les premières réflexions sérieuses à propos de l’inflation, en particulier chez Jean Bodin, incite les conseillers du prince à lui recommander de retenir à son profit, pour sa propre puissance et la prospérité de son royaume, la quantité la plus importante possible de métaux précieux. C’est l’ère du mercantilisme, illustré au début du XVIIe siècle par les oeuvres d’An-
toine de Montchrestien et de Barthélemy de Laffemas, puis par la politique des grands ministres de la monarchie absolue, Richelieu, Colbert et, dans la première moitié du XVIIIe siècle, Orry. Les mutations monétaires n’en persistent pas moins. Ainsi, sous Louis XIV, on en recense soixante, la plupart après 1688, lors des guerres difficiles de la fin du règne. Leurs effets sont catastrophiques pour les détenteurs de revenus fixes tels que les rentes sur le Trésor royal, les fermages, les loyers. Inversement, elles allègent le poids des dettes et gonflent les profits des négociants. Mais, quelles qu’en soient les conséquences, la monnaie reste bien, durant cette période, un instrument au service du souverain, employé par lui à toutes sortes de fins. Ainsi, les louis d’or, frappés à partir de 1640, vont devenir, sous le règne de Louis XIV, de véritables vecteurs de la propagande monarchique, portant, à l’avers, le portrait héroïsé du roi ; au revers, les fleurs de lys et les devises qui mettent en valeur sa gloire et célèbrent sa puissance. NAISSANCE ET TRIOMPHE DE LA MONNAIE-PAPIER L’emploi de papier comme substitut des espèces métalliques multiples, lourdes et périlleuses à transporter dans un monde marqué par l’insécurité, s’est imposé aux marchands à la fin du Moyen Âge, quand apparurent en Italie, puis dans toute l’Europe, les lettres de change. Elles jouent bien le rôle de monnaie, en tant qu’instrument d’échange et moyen de crédit, puisqu’elles donnent lieu à la perception d’un intérêt lors de leur arrivée à échéance. Mais elles ne font que remplacer les pièces métalliques et ne représentent donc pas une création de monnaie. Il en va de même des certificats d’or remis par les banques à leurs clients en représentation de leurs dépôts. Tout change lorsque les banquiers entrevoient la possibilité de ne garder en réserve qu’une partie des billets qu’ils émettent, ces derniers étant, bien entendu, remboursables en or ou en argent sur simple demande des porteurs. On date traditionnellement du milieu du XVIIe siècle cette invention, qui est attribuée au Suédois Palmstruch. Désormais, à côté de la monnaie métallique, il en circule une autre, la monnaie en papier, ou encore fiduciaire, c’est-à-dire fondée sur la confiance de son détenteur en la promesse de remboursement faite par le banquier. En France, la première monnaie-papier résulte des besoins de la monarchie elle-
même, qui, à la fin du règne de Louis XIV, multiplie les « billets de monnaie » et « papiers royaux », bientôt discrédités par une émission excessive, grâce à laquelle elle règle ses fournisseurs de guerre, avec pour seul gage la promesse, très illusoire, de rentrées fiscales futures. Le système de Law, sous la Régence, ne fait que poursuivre ces tentatives maladroites d’acclimatation du billet en France. Il s’écroule dès 1720, les billets émis par la banque du financier écossais, devenu contrôleur général des Finances, excédant dans d’énormes proportions les recettes de la Compagnie des Indes qui devaient les gager. Les conséquences sont ambivalentes. La dette publique a fondu, permettant désormais une stabilité monétaire qui rompt avec des siècles de « mutations ». Pour la première fois se fait jour l’idée que la monnaie n’est pas seulement un instrument aux mains du souverain, mais qu’elle doit d’abord assumer, au bénéfice de tous, sa triple fonction d’étalon de mesure, d’instrument de paiement et de réserve d’épargne. En 1726, le contrôleur général Le Peletier des Forts, sous le ministère du cardinal Fleury, fixe à la livre tournois une parité qui, à part un léger réajustement opéré par Calonne, ne variera plus jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Comme le franc germinal, institué en 1803, reprendra exactement cette parité, l’échec du système de Law vaut à l’unité monétaire française, paradoxalement, deux siècles de stabilité. Mais, parallèlement, la défiance envers le billet de banque entraîne un retard dans son adoption par rapport aux pays étrangers. Pendant la Révolution, l’expérience des assignats - nouvelle monnaie de papier gagée sur le produit futur de la vente des biens du clergé -, puis celle des mandats territoriaux (1796), contribuent à accentuer ce retard. À la veille de l’entrée dans l’âge industriel, la monnaie fiduciaire n’existe pas encore véritablement en France. Il faut toute l’autorité du Premier consul pour imposer, en 1800 avec la création de la Banque de France, puis en 1803 avec celle du franc germinal, des règles qui assureront le triomphe du billet de banque. Même si elle reste de statut privé (jusqu’en 1945), la Banque de France est étroitement liée à l’État, qui nomme son gouverneur et ses deux sousgouverneurs. C’est lui qui accorde à la Banque le privilège d’émission, d’abord dans la région parisienne, puis, après absorption des banques d’émission fondées dans certaines grandes villes de province, pour l’ensemble du territoire national en 1848. C’est lui, enfin,
qui l’oblige à assurer la convertibilité des billets en or ou en argent, sauf lors des périodes de troubles ou de guerre où il décrète le cours forcé de la monnaie (1848-1850, et 18701878). Même si aucune obligation légale n’impose à la Banque de France de garder en réserve métallique une fraction des billets mis en circulation, ses dirigeants observent une extrême prudence. Jusque vers 1860, les billets émis restent de grosses coupures, dont l’usage est limité au monde des possédants, la majorité de la population continuant à utiliser la monnaie métallique. L’escompte des effets de commerce demeure circonscrit aux traites revêtues de trois signatures, qui ne risquent pas de revenir impayées à l’échéance. La création monétaire progresse donc avec lenteur, d’autant que les gouverneurs, qui restent souvent longtemps en fonctions, ne peuvent prendre de décisions qu’en s’appuyant sur le Conseil de régence, qui est composé des représentants des deux cents plus gros actionnaires de la Banque, c’est-à-dire de l’oligarchie financière et industrielle du pays. Parallèlement, le franc germinal fait figure de grande monnaie, grâce à la démonétisation progressive de l’argent. On a maintenu, en 1803, le bimétallisme traditionnel. Mais la dégradation du rapport commercial entre l’or et l’argent, due à la surproduction des mines d’argent, impose une redéfinition du système : en 1870, 1 kilo d’or s’achète moyennant 18 kilos d’argent, alors que, selon la parité légale, le rapport est de 1 à 15,5. Pour éviter des fuites d’or vers l’étranger, la frappe libre de l’argent est supprimée en 1878. La France est devenue, de fait sinon de droit, monométalliste, à l’instar des principaux autres pays industrialisés du monde. Le billet de banque peut alors triompher : la multiplication des échanges, à l’intérieur du pays et avec le reste du monde, le désenclavement des régions rurales, l’expansion des réseaux bancaires, contribuent à répandre partout son usage. À la fin du XIXe siècle, il représente près du tiers des disponibilités monétaires. Mais ce succès ne nuit pas à la stabilité monétaire. Les hausses et les baisses des prix, rythmées par de grands mouvements qui alternent tous les vingt-cinq ans environ, demeurent modérées. Les effets sociaux ne peuvent être que bénéfiques aux classes possédantes, tout en permettant la lente mais indéniable progression du niveau de vie des masses populaires. downloadModeText.vue.download 625 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 614 Durant cette période, la monnaie remplit bien le rôle assigné par les économistes de l’école classique, à commencer par le fondateur de celle-ci en France, Jean-Baptiste Say. Pour lui, la monnaie, étalon de valeur, instrument de paiement, est un simple rouage incapable de créer des richesses et d’influencer l’équilibre économique. Pourtant, le billet de banque, même convertible, forme une nouvelle monnaie qui s’ajoute aux pièces d’or en circulation - mais ne les remplace pas -, et résulte d’une création bancaire autonome. Beaucoup, et même des économistes aussi avertis des réalités de leur temps que Michel Chevalier (1806-1879), s’obstinent à nier ce phénomène, ne reconnaissant la qualité de monnaie qu’aux espèces métalliques. Leur attitude est significative de l’attachement persistant à l’or, qu’un long passé d’insécurité monétaire a fortement ancré dans l’esprit des Français. LE XXe SIÈCLE : MONNAIE DE BANQUE ET MONNAIE DIRIGÉE Lorsqu’elle crée de la monnaie, la Banque de France, comme toute banque centrale, répond à une demande émanant des banques commerciales, qui, ayant escompté les traites présentées par leurs clients, recourent à elle pour préserver leur liquidité et sollicitent son réescompte. Le crédit bancaire est donc, pour partie, à l’origine de la création de monnaie fiduciaire. Mais les banques commerciales peuvent, elles aussi, devenir pleinement créatrices de monnaie. Il leur suffit de développer les crédits au-delà des sommes théoriquement nécessaires au remboursement en or ou en billets des dépôts qu’elles collectent. Grâce à l’usage du virement et du chèque, réglementé en France par une loi de 1865, circule alors entre leurs clients une véritable monnaie, dite « scripturale » puisqu’elle résulte de jeux d’écritures entre les comptes courants. S’ajoutant aux pièces métalliques et aux billets, elle traduit la place croissante qu’occupent les banques dans les rouages de l’économie nationale. En France, la monnaie scripturale s’affirme essentiellement dans le dernier tiers du XIXe siècle. Dès 1894, le niveau des comptes courants bancaires dépasse celui des billets en
circulation. Vingt ans plus tard, l’embargo sur l’or et la proclamation du cours forcé du billet, qui est désormais inconvertible, suscitent la disparition définitive de la monnaie métallique. La monnaie fiduciaire la remplace : les billets, auxquels on peut joindre la monnaie divisionnaire, constituée par les pièces de divers alliages (bronze, acier, nickel, aluminium), et dont la valeur est purement conventionnelle, composent plus de la moitié de la masse monétaire. Mais la montée en puissance de la monnaie de banque est irrésistible. Après la Seconde Guerre mondiale, elle relègue peu à peu la monnaie fiduciaire à un rôle d’appoint. Aujourd’hui, les comptes courants créditeurs dans les banques représentent près de 90 % des disponibilités monétaires. Encore faudrait-il y ajouter tous les autres avoirs financiers productifs d’intérêts et instantanément convertibles en monnaie par leurs détenteurs, qui, pour cette raison, sont appelés par les économistes la « quasi-monnaie » (comptes à terme, livrets d’épargne, placements de trésorerie...). D’ores et déjà, ils rassemblent un montant deux fois supérieur à celui des disponibilités monétaires au sens strict. Mais ce pouvoir de création monétaire des banques, désormais reconnu par tous les économistes, n’est-il pas excessif ? Sa seule limite réside dans l’obligation faite aux banques d’honorer les retraits de fonds présentés par leurs clients, sous peine de faillite. Aussi les accuse-t-on parfois de nourrir l’inflation en développant leurs crédits bien au-delà des besoins de l’économie. Certes, la Banque de France peut intervenir, en renchérissant ses concours et en imposant aux banques, à leur tour, de diminuer les crédits à leur clientèle. L’État peut aussi, comme en 1958, 19631965, 1968-1970, 1973-1985, les obliger à respecter des normes de progression du crédit fixées uniformément pour tous les établissements et toutes les catégories d’opérations : c’est l’encadrement du crédit - une technique ultra dirigiste qui a été remplacée par des mécanismes de marché confiés à la Banque de France, laquelle est dotée, depuis 1993, d’un nouveau statut garantissant son indépendance vis-à-vis de l’État. Aujourd’hui, le libéralisme prévaut en matière de contrôle du crédit, comme dans l’ensemble de la politique économique. L’État n’intervient donc plus directement dans la création monétaire. Du moins conserve-t-il toutes ses responsabilités en ce qui concerne la valeur de l’unité monétaire par rapport à l’or ou aux devises étrangères. Depuis
1914, cette valeur a dû être modifiée à maintes reprises, faisant réapparaître une instabilité que l’on croyait révolue. Les dévaluations du franc en sont la manifestation principale. Au nombre d’une vingtaine, elles renvoient aux grandes mutations que connaît l’économie, en France et dans le monde : passage de l’étalon or à un nouveau système monétaire international fondé sur des devises clés, elles-mêmes convertibles en or (Gold Exchange Standard, expérimenté une première fois de 1922 à 1931, à la suite de la conférence de Gênes, puis installé durablement de 1944 à 1971, autour du dollar, consacré par la conférence de Bretton Woods) ; adoption des changes flottants, après 1919 et depuis 1973 ; développement de l’inflation, à un rythme qui, en France, a été longtemps supérieur à celui des autres pays industrialisés ; interdépendance croissante des partenaires européens, conduisant à une fluctuation monétaire commune depuis 1972, puis à la création d’une même monnaie pour tous les membres de l’Union qui satisferont aux critères du traité de Maastricht. L’euro assurera-t-il la stabilité mieux que le franc n’a su le faire au cours du XXe siècle ? Et à quel prix ? La monnaie reste ainsi, plus que jamais, au coeur des interrogations économiques, tant elle a d’implications dans de nombreux domaines. Elle est indissociable de l’indépendance nationale, comme le montrent les débats suscités par les accords de Maastricht. Elle entretient d’étroits rapports avec les équilibres sociaux : sa faiblesse, durant de nombreuses années au cours du XXe siècle, a entraîné la quasi-disparition d’une catégorie sociale entière, celle des rentiers, et l’accentuation des inégalités entre les diverses catégories de salariés ; inversement, sa force, lors de la déflation des années 1930-1935, a profité aux pensionnés, aux retraités, aux épargnants, à tous les détenteurs de revenus fixes. Loin de n’être qu’un « voile », comme l’affirmait Jean-Baptiste Say, la monnaie joue un rôle actif dans l’ensemble de la vie du pays. À travers ses multiples transformations au cours de l’histoire apparaissent de singulières constantes : instrument des échanges, elle échappe souvent à ceux qui la créent ; étalon de mesure, elle ne reste stable qu’au cours de périodes qui, à l’échelle séculaire, sont relativement brèves ; garantie de richesse pour les possédants, c’est d’elle que dépend, en définitive, le sort de tous. Monnet (Jean), homme d’affaires, figure singulière du monde politique et économique, considéré comme le « père de l’Europe »
(Cognac, Charente, 1888 - Bazoches-surGuyonne, Yvelines, 1979). Négociant en cognac, puis membre du comité exécutif allié pour la répartition des ressources communes lors de la Première Guerre mondiale, il devient secrétaire général adjoint de la Société des nations (SDN) en 1919 ; mais, peu convaincu par l’action de cette instance internationale, il quitte ses fonctions dès 1923. Commence alors une carrière de financier, au sein de la Bancamarica Blair notamment, au cours de laquelle il contribue à la réorganisation des économies roumaine et polonaise. Inquiet du danger nazi et de la faiblesse de l’armement français, il rencontre le président du Conseil Édouard Daladier en 1938, et est chargé de la présidence du Comité de coordination de l’effort de guerre allié en 1939. Au lendemain de la débâcle de maijuin 1940, ce Français est nommé diplomate par le gouvernement britannique, et se rend aux États-Unis, où il prend part, en 1941, à l’élaboration du « Victory Program », qui organise l’industrie de guerre américaine. À la demande du président Roosevelt, il rejoint le général Giraud à Alger et entre au Comité français de Libération nationale (CFLN) en 1943. Revenu en France en 1946 après une mission aux États-Unis, il met au point, en tant que commissaire général au Plan, le premier plan quinquennal (1947-1952), qui vise à reconstruire et à moderniser l’économie française. Partisan d’une Europe unie en un État supranational lié aux États-Unis dans le cadre de l’OTAN, il est à l’origine, en 1950, de la Communauté européenne du charbon et le l’acier (CECA), dont il préside la Haute Autorité de 1952 à 1955. Désormais à la tête du Comité d’action pour les États-Unis d’Europe (un organisme privé), il continue d’exercer une grande influence pour promouvoir l’idée européenne. À partir de 1975, il se consacre à la rédaction de ses Mémoires. En 1988, ses cendres sont transférées au Panthéon. Monsieur (Philippe cond fils de Louis frère de Louis XIV 1640 - Saint-Cloud
de France, dit), seXIII et d’Anne d’Autriche, (Saint-Germain-en-Laye 1701).
Duc d’Anjou de 1640 à 1660, puis duc d’Orléans à la mort de son oncle Gaston (1660), il downloadModeText.vue.download 626 sur 975
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subit son sort de cadet avec plus de patience que ne l’avait fait celui-ci. Il est vrai que l’affermissement du pouvoir royal laisse alors peu de place à d’éventuelles intrigues. Marié en 1661 à la charmante Henriette d’Angleterre, soeur de Charles II, aimée de tous et d’abord de son royal beau-frère, il est veuf en 1670. On lui impose un remariage dès l’année suivante : sa nouvelle épouse, la princesse palatine Charlotte-Élisabeth de Bavière, qu’il n’apprécie guère, lui donne un fils, Philippe, le futur Régent. Alors que Monsieur fait preuve d’un réel talent militaire, s’illustrant pendant la guerre de Hollande, battant Guillaume d’Orange à Cassel en 1677, ses succès portent ombrage à son frère, qui le convainc de renoncer aux armes. Dominé par le chevalier de Lorraine et ses autres mignons, Monsieur, privé de rôle politique, n’en est pas moins l’âme de la cour et de ses plaisirs, gardien sourcilleux de l’étiquette. Il séjourne souvent au Palais-Royal, dont il a hérité, car il aime Paris et ses spectacles, que fuit son frère. Il fait de son château de Saint-Cloud un temple du goût et du loisir, contrepoint au Versailles des pompes et du pouvoir : compensations pour un homme fin et cultivé, dévot et scandaleux, victime de son rang de naissance. montagnards, groupe politique constitué pendant la Révolution. La division historiographique de la Convention en trois « tranches » (girondine, montagnarde, thermidorienne) a pour effet d’obscurcir l’étude du groupe montagnard. Par ailleurs, la notion de « parti politique », rejetée par les historiens de la Révolution, et l’idée que les groupes sont des « réalités mouvantes » ne permettent pas de rendre compte des enjeux politiques. Pourquoi ne pas souscrire à la classique analyse de Max Weber (les partis politiques sont « les enfants du suffrage universel »), et pourquoi ne pas étudier le groupe des conventionnels montagnards comme l’esquisse d’un parti politique ? Combien peut-on dénombrer de montagnards à la Convention, au moment crucial de l’éviction des girondins (2 juin 1793) ? Retenons les propositions les plus fiables : Alison Patrick donne une fourchette de 215 à 302 députés, et Françoise Brunel, une liste de 267 noms en juin 1793, soit 35 % des conventionnels. Au-delà de ces divergences mineures, ces recensions mettent en valeur la puissance du groupe, longtemps sousestimée, face à une Gironde qui ne compte que 18 % à 23 % des députés. • Un groupe hétérogène. Qui représentent
ces montagnards ? L’approche géographique fait apparaître, de façon impressionniste, une France montagnarde distincte d’une France girondine : ses bastions sont, certes, Paris (avec les fortes personnalités du groupe - Marat, Robespierre, Danton, Desmoulins, BillaudVarenne, Collot d’Herbois, etc.), mais aussi le Nord et l’Est (menacés par l’invasion au moment des élections de septembre 1792), et surtout les pays marqués par d’âpres luttes paysannes (Auvergne, Périgord, Nivernais, Bourgogne). Au total, 25 départements fournissent 54 % des montagnards. Toutefois, cette carte n’est qu’un élément d’interprétation, puisque les élections eurent lieu à deux degrés. L’approche sociologique n’est guère plus déterminante, car la composition sociale des groupes girondin et montagnard, sans être identique, est proche. Ces députés relèvent des catégories communes de la représentation politique qui se met en place avec la Révolution : juristes et « intellectuels » sont largement dominants. C’est donc bien du côté du politique (entendons des projets, des actions, des stratégies d’alliance) qu’il faut chercher les clés d’une analyse. Ici éclate l’hétérogénéité de la Montagne, idéologiquement moins unie que la Gironde ; la pluralité du « parti », illustrée lors de la crise des « factions » (mars-avril 1794), mais surtout après le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), époque à laquelle, contrairement à une légende tenace, certains montagnards continuent de détenir le pouvoir. Schématiquement, deux tendances se dégagent. La première, celle des « montagnards minimalistes » (ce qui ne signifie pas qu’ils n’aient pas été « terroristes » en l’an II), se montre peu sensible à la question sociale, mais est partisane de la « théorie des circonstances », de la primauté du droit positif, et, souvent, de la guerre de conquête (Carnot, Dubois de Crancé, etc.). L’autre mouvance (déchirée, au demeurant, par Thermidor), les « montagnards maximalistes », n’agit qu’en fonction d’un « devoir être », est soucieuse de la question sociale, et pense régler le problème de l’articulation des « droits-libertés » et des « droits-créances » par le biais d’« institutions civiles », en créant un espace public où règnent la « réciprocité des secours », l’égalité et la fraternité (on peut y inclure Robespierre et Saint-Just, mais aussi BillaudVarenne, Collot d’Herbois, etc.). Le « moment thermidorien » illustre ce clivage. Les « minimalistes », majoritairement « réacteurs » (105 députés), conçoivent le gouvernement révolutionnaire comme
un « appareil d’État », dont la « centralité législative » n’est plus exactement le pivot. Les autres, la centaine de « derniers montagnards », que symbolisent les « martyrs de prairial » (an III), tentent toujours de marier démocratie et « bonheur commun ». Opposés à la formation d’une classe politique, ils se veulent législateurs-philosophes. Représentant la véritable « synthèse républicaine », ils ont inspiré les républicains démocrates du XIXe siècle. Montaigne (Michel Eyquem de), écrivain et philosophe (Château de Montaigne, Dordogne, 1533 - Bordeaux 1592). Issu d’une famille de négociants bordelais, arrière-petit-fils d’un armateur qui a fait l’acquisition du château de Montaigne et a jeté les bases de la fortune familiale, l’auteur des Essais appartient à une noblesse d’origine récente. Son père, Pierre Eyquem, a participé aux campagnes d’Italie aux côtés de François Ier, avant d’être élu maire de Bordeaux. L’ascension sociale de la famille s’accompagne d’un élargissement de ses horizons culturels : attirant érudits et professeurs, Pierre Eyquem transforme le vieux château de Montaigne en un lieu de formation humaniste et de sociabilité raffinée. Il entend bien donner à son fils une éducation en rapport avec le nouveau statut social et culturel des Eyquem, devenus premiers citoyens de Bordeaux. • Formation et retraite précoce. Dès ses premières années, le jeune Michel est soumis à des expériences peu banales. Arraché à ses parents et confié à de pauvres bûcherons jusqu’à l’âge de 4 ans, il revient au domicile paternel pour y suivre les leçons d’un savant allemand qui lui enseigne le latin comme une langue vivante ; défense expresse est faite à tous les habitants du château de s’exprimer autrement qu’en latin. Son parcours scolaire et universitaire reste assez mal connu. Envoyé au collège de Guyenne, à Bordeaux, à partir de 1539, il suit vraisemblablement des cours de philosophie à la faculté des arts, avant d’étudier le droit à Toulouse, sous la direction de l’humaniste Turnèbe. En 1554, il est nommé conseiller à la cour des aides de Périgueux. Après la suppression de cette cour en 1557, il entre comme conseiller au parlement de Bordeaux, où il fait la connaissance d’Étienne de La Boétie (1530-1563). Le décès précoce de ce dernier le prive d’une « singulière et fraternelle amitié » et le marque douloureusement. À la mort de l’ami privilégié succède celle du père, cinq ans plus tard : ce double deuil a
sans doute contribué à la décision d’abandonner toute charge publique et de faire oeuvre personnelle. • « Philosophe imprémédité ». En 1571, Montaigne cède la charge qu’il occupait au parlement de Bordeaux. Il fait graver au mur de sa bibliothèque une inscription qui témoigne de son désir de se consacrer « à sa liberté, à sa tranquillité et à ses loisirs ». Il commence alors à travailler au premier livre des Essais. La première édition - constituée des livres I et II - paraît en 1580. Cette studieuse retraite est néanmoins entrecoupée de missions politiques, de voyages de découverte et de tâches liées à ses charges publiques. En 1572, Montaigne joue le rôle de négociateur entre Henri de Navarre et le duc de Guise. En 1580-1581, il effectue un voyage qui, par la Suisse et l’Allemagne du Sud, le mène en Italie, jusqu’à Rome. À son retour, il apprend que ses concitoyens l’ont élu maire de Bordeaux ; il occupe cette charge avec un remarquable sens de ses responsabilités de 1582 à 1584. Réélu, il fuit la ville devant la peste en 1585, et son second mandat s’achève sans gloire. À partir de 1586, il travaille au troisième livre des Essais. Deux ans plus tard, à l’occasion d’un long séjour à Paris, où ses activités politiques le conduisent dans l’entourage d’Henri III, il fait la connaissance de Marie de Gournay, sa future « fille d’alliance ». Cette même année 1588 paraît une nouvelle édition augmentée des Essais, incluant le troisième livre. Montaigne continuera à travailler jusqu’à sa mort à une nouvelle édition. Les annotations marginales de son exemplaire personnel - l’exemplaire dit « de Bordeaux » constitueront la base de cette édition (posthume), réalisée en 1595 par Marie de Gournay et Pierre de Brach. « Philosophe imprémédité », selon sa propre expression, Montaigne n’a pas développé dans ses Essais une réflexion conceptuelle : il s’est efforcé de pousser le plus loin possible une expérience de soi constamment downloadModeText.vue.download 627 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 616 enracinée dans l’existence quotidienne la plus concrète. Cette visée apparemment modeste n’en a pas moins une valeur historique et culturelle fondamentale : en une époque de chaos politico-religieux et de bouleversement de tous les repères, Montaigne s’est attaché à
repenser et à négocier au mieux les rapports entre conscience intime et obligations mondaines, entre souci de sa propre intégrité et participation à la vie publique. Montaillou, petit village de l’Ariège, sujet d’une monographie célèbre de l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie. Une source de documents exceptionnelle (des registres de l’Inquisition) a permis à l’historien de se livrer à une analyse approfondie de la vie matérielle, sociale, familiale et culturelle d’une communauté villageoise (Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, publié en 1975). Ces registres, particulièrement bien conservés, ont été élaborés au début du XIVe siècle par l’évêque de Pamiers Jacques Fournier, confronté dans cette région isolée aux derniers soubresauts du catharisme méridional. Cet ecclésiastique interroge très minutieusement tous les suspects et fait consigner avec force détails toutes leurs dépositions. Les prévenus sont, dans leur grande majorité, des paysans et artisans originaires du haut pays de Foix. Emmanuel Le Roy Ladurie se sert donc de cette source pour se livrer à une étude ethnographique précise du village de Montaillou, situé sur un plateau entouré de forêts et de pâturages à environ 1 300 mètres d’altitude. Montaillou compte, au début du XIVe siècle, entre 200 et 250 habitants, vivant essentiellement grâce à l’agriculture et à l’élevage. Les exploitations agricoles produisent surtout du froment, qui constitue l’alimentation principale des villageois. Le bétail comprend principalement des moutons, alors que certains Montalionais sont aussi bergers de transhumance et conduisent tous les ans des milliers d’ovins vers les pâtures d’hivernage du Lauragais et de Catalogne. L’artisanat, peu développé, est surtout destiné à un usage local. À Montaillou, la famille constitue la cellule de base, souvent incarnée à travers la pérennité d’une maison, l’ensemble étant appelé domus ou ostal. Emmanuel Le Roy Ladurie s’intéresse également à l’enfance, aux femmes, aux croyances villageoises, et décrit les lieux de la sociabilité masculine ou féminine. Enfin, il se penche sur la religion des habitants de ce village bien isolé qui offre un terrain favorable à la prédication, à partir de 1300, de missionnaires cathares. Les registres fournissent des renseignements précieux sur l’un des derniers foyers du catharisme en France. Les hérétiques de Montaillou sont, pour la plupart, de simples croyants, mais à diverses reprises est mentionné le nom de « parfaits ». Ces derniers constituent l’élite cathare : ils mènent
une vie très austère et doivent administrer aux fidèles parvenus à leurs derniers instants le consolamentum, qui les réconcilie et sauve leur âme. En ce début du XIVe siècle, ils doivent se cacher, en raison des enquêtes menées par l’évêque de Pamiers, dont les sentences peuvent être diverses, allant de la simple confiscation de biens à l’emprisonnement ou encore à l’envoi sur le bûcher. Montalembert (Charles Forbes, comte de), homme politique (Londres 1810 - Paris 1870). Fils d’un aristocrate français et d’une Écossaise protestante, le futur chef du catholicisme libéral s’engage à 20 ans aux côtés de Lamennais et de Lacordaire dans le combat du journal l’Avenir pour la liberté de conscience, de la presse et de l’enseignement, la séparation de l’Église et de l’État, et les causes de l’indépendance belge et de la Pologne opprimée. Il accompagne Lamennais et Lacordaire à Rome durant l’hiver 1832 et se soumet à la condamnation des thèses de l’Avenir par le pape Grégoire XVI (encyclique Mirari vos, 15 août 1832). Admis en 1835 à la Chambre des pairs à titre héréditaire, il s’y fait l’orateur du « parti catholique » et soutient dans les années 1840 la liberté d’enseignement contre le monopole universitaire de l’État. Rallié en 1848 à la République, il est élu député aux Assemblées constituante et législative, et rejoint le parti de l’Ordre ; il contribue à faire voter la loi Falloux (1850) sur l’enseignement secondaire. Rallié au coup d’État du 2 décembre 1851, député au Corps législatif jusqu’en 1857, il s’éloigne cependant rapidement du régime et s’oppose - par ses discours à l’Académie française (où il a été élu en 1851) ou par ses articles dans les colonnes du Correspondant - à la politique « italienne » de Napoléon III comme au catholicisme intransigeant de Louis Veuillot. Il publie une somme historique sur les Moines d’Occident depuis saint Benoît jusqu’à saint Bernard (1860-1867). Ses positions sur la liberté de conscience (qu’il exprime au congrès de Malines en 1863) sont condamnées par le Syllabus des erreurs modernes, opuscule du pape Pie IX publié en même temps que l’encyclique Quanta cura, le 8 décembre 1864. Montbéliard (principauté de), principauté appartenant à la maison du Wurtemberg depuis la fin du Moyen Âge, constituée de plusieurs enclaves en territoire français et dans le Saint Empire, et réunie définitivement à la France après la paix de Lunéville en 1801. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les rois de France la font occuper à plusieurs reprises (1633-
1650, 1676-1697, 1723-1748). La population y est hétérogène : elle est constituée de « bourgeois » (habitants depuis quatre générations) et de paysans luthériens, mais aussi de Comtois catholiques venus s’établir sur les terres du prince de Wurtemberg. En 1769, ce dernier confie à son frère Frédéric-Eugène le gouvernement de la principauté. Dès 1789, la situation politique est marquée par des tensions à Montbéliard en raison des mouvements révolutionnaires qui agitent la région, notamment ceux de Belfort. Frédéric-Eugène, prince dont plusieurs des enfants sont liés par mariage à des familles régnantes d’Europe, demande et obtient l’aide de Louis XVI pour faire régner l’ordre. Mais, en mars 1790, deux parties de sa principauté - les Quatre-Terres (pour lesquelles le prince relevait déjà du roi de France) et les seigneuries alsaciennes - sont réunies à la France. En avril 1792, le prince quitte ce qui reste de la principauté et y laisse une régence composée d’officiers. En mai, la déclaration de guerre de l’Empire à la France fait de ce territoire un « ennemi » de la République. Les autorités françaises mettent alors en place un blocus qui prive Montbéliard de ses sources d’approvisionnement en grains et en matières premières. Un parti profrançais commence pourtant à s’y manifester à l’été 1793, notamment parmi les « bourgeois » et les industriels de la ville. Ceux-ci entrent en contact avec le représentant de la Convention, Bernard de Saintes, en mission dans les départements de l’Est, et qui entre à Montbéliard en octobre 1793 avec quelques centaines de soldats. De sa propre initiative, il destitue toutes les autorités constituées et en organise de nouvelles sur le modèle français ; il confisque les caisses publiques et les biens du prince, qu’il transfère à Paris. L’assemblée provisoire de Montbéliard demande la réunion à la France le 20 brumaire an II (10 novembre 1793). Bernard de Saintes, qui se comporte en conquérant brutal, est rappelé un peu plus tard, à l’initiative de Robespierre. Le territoire de la principauté est intégré au département de la Haute-Saône, puis du Mont-Terrible (1797). Cette intégration est entérinée par le traité de Lunéville (1801) entre l’Autriche et la France, qui reconnaît à cette dernière la rive gauche du Rhin. En 1815, Montbéliard est rattachée au département du Doubs, dont elle est aujourd’hui l’une des sous-préfectures. Montcalm de Saint-Véran (Louis Joseph, marquis de), maréchal de camp (château de Candiac, près de Nîmes, 1712 - Québec 1759).
Il naît dans une famille noble et, à 15 ans, embrasse la carrière militaire. Très tôt remarqué pour son intelligence, sa spiritualité toute méridionale et sa bravoure, il est fait colonel en 1733. Nommé maréchal de camp en 1756, il est envoyé au Canada pour y défendre contre les Anglais les possessions françaises dans le bassin du Saint-Laurent. Débarqué avec un état-major de qualité mais une trop petite escadre, il ne remporte que des victoires sans lendemain (fort d’Oswego en 1756, fort Henry en 1757). Malgré sa réputation, il n’obtient pas de Versailles les renforts réclamés par son émissaire, Bougainville. Par ailleurs, il doit faire face aux menées du prévaricateur Bigot et à l’absence de soutien des spéculateurs, qui, écrit-il en 1758, « se hâtent de faire fortune avant la perte de la colonie ». Durant l’été 1758, il perd Louisbourg et fort Frontenac, mais repousse les Anglais au fort Carillon. En septembre 1759, il est enfermé dans Québec assiégée par la Royal Navy. Montcalm ne dispose plus que d’une armée affaiblie, écrasée par la supériorité de l’adversaire (12 000 hommes contre 50 000). En outre, quoique fin tacticien, il commet une erreur en protégeant trop peu les berges du Saint-Laurent, dont s’empare le général Wolfe. Lors de l’engagement décisif sur la plaine d’Abraham (14 septembre), Montcalm est grièvement blessé. Il meurt avant la fin des combats à l’issue desquels le Canada est enlevé à la France. Montchrestien (Antoine de), dramaturge, entrepreneur et économiste (Falaise, Calvados, vers 1575 - Les Tourailles, Orne, 1621). downloadModeText.vue.download 628 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 617 Ce fils d’apothicaire est un personnage fougueux, à la vie tumultueuse. À 20 ans, il entame une carrière littéraire et écrit six tragédies, dont Sophonisbe (1596) et Hector (1604). Mais un duel le contraint à s’exiler en Angleterre, en 1604. Il revient en 1611, et installe une petite aciérie à Oussonne-sur-Loire. Dans la perspective de la tenue des états généraux de 1614, il rédige une oeuvre majeure : son Traité de l’économie politique (publié en 1615) est le premier du genre. Pour la première fois, la notion d’économie, jusqu’alors réservée aux affaires domestiques, est associée à la politique, c’est-à-dire à la gestion de l’État. Montchrestien reprend ainsi la réflexion de Jean Bodin et des théoriciens de la souveraineté,
mais il l’élargit, montrant que la politique doit aussi prendre en charge les problèmes de la production et des échanges, car la gloire du souverain et l’enrichissement de la nation ne font qu’un. Montchrestien donne ainsi un socle théorique plus solide aux idées mercantilistes de son temps. Populationniste, il pense « qu’il n’est de richesse que d’hommes. » Il faut que l’État veille au plein emploi et encourage la production. Toute son action doit être tournée vers le développement et la protection de l’économie nationale. En 1617, Montchrestien est envoyé comme gouverneur à Châtillon-sur-Loire, où il transporte ses ateliers de métallurgie. Impliqué dans un mouvement de révolte protestante dans sa Normandie natale, il est tué dans une escarmouche. Précurseur incompris, il a néanmoins exercé, grâce à son oeuvre, une influence souterraine et forte parmi les mercantilistes français. Montespan (Françoise Athénaïs de Rochechouart de Mortemart, marquise de), favorite de Louis XIV (château de Lussac-lesChâteaux, Vienne, 1640 - Bourbon-l’Archambault, Allier, 1707). Fille du duc de Mortemart, premier gentilhomme de la Chambre du roi, cette jeune demoiselle a un physique avantageux, lorsque, à 19 ans, elle sort de son couvent de Saintes. Fille d’honneur de la reine Marie-Thérèse, elle est mariée en 1663 au marquis de Montespan et deux maternités l’épanouissent : gorge généreuse, sensualité chaude, esprit irrésistible. En 1667, entre la reine qui estropie le français et Mme de La Vallière qui songe au Carmel, le roi s’ennuie. Il a 29 ans, elle 26. Elle lui cède, sans doute, pendant la campagne de Flandre. La troupe crée une chanson : « Auprès de ma blonde, qu’il fait bon dormir. » Montespan, « premier cocu de France », fait un esclandre, qui lui vaut d’être emprisonné le 30 septembre 1668. Libéré, exilé en son château, près d’Auch, il fait célébrer les « funérailles » de son épouse qui, à la cour, assiste au « grand divertissement » (1668) donné en son honneur. Pour conserver cet amour naissant, Athénaïs de Montespan rencontre des sorcières : sorts, philtres, envoûtements. En 1668 et 1669, elle donne naissance à deux enfants. En 1670, naît le petit duc du Maine, confié à la veuve Scarron (future Mme de Maintenon). En 1672 et 1673, elle met au monde Vexin et Mlle de Nantes. En 1674, dotée à Versailles d’un appartement plus grand que celui de la reine, couverte de joyaux, elle accouche d’une autre fille, Mlle de Tours. Au château de Clagny - construit pour elle en 1674 -, la favorite attire les hommes
de lettres et les artistes mais aussi la colère de Bossuet et de Bourdaloue. À Pâques 1675, ces derniers triomphent. La « créature » est éloignée. Le Très-Chrétien communie. Mais elle ne lâche pas prise - magie, aphrodisiaques, messes noires -... et revient. Dame du palais, elle donne naissance à deux autres enfants : Mlle de Blois (1677), le comte de Toulouse (1678). Soit huit bâtards royaux en dix ans ! Surintendante de la Maison de la reine avec rang de duchesse (1679), protectrice de son frère, le duc de Vivonne, compromise dans l’affaire des Poisons (1679) - au cours de messes noires, des nouveau-nés auraient été sacrifiés -, elle semble perdue (1680). Mais le roi - infidèle -, La Reynie, Colbert et Louvois calment l’opinion. La marquise ne quitte la cour qu’en 1691, à 50 ans, pour un couvent parisien, avant d’aller mourir au fond de la province. Montesquieu (Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de), philosophe et écrivain (château de La Brède, près de Bordeaux, 1689 - Paris 1755). Même s’il n’appartient pas à la très haute noblesse, Montesquieu n’a pas à se battre pour survivre, contrairement à tant d’écrivains désargentés de l’époque des Lumières. Sa charge au parlement de Bordeaux (vendue en 1726), la dot de sa femme et son domaine de La Brède lui permettent de se consacrer aux études, sans négliger les séjours mondains à Paris. Rendu célèbre par les Lettres persanes dès 1721, il obtient la gloire en 1748 avec un traité politique, De l’esprit des lois. Entre ces deux ouvrages fameux, il n’aura publié qu’un autre roman, médiocre (le Temple de Gnide, 1725), et des Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1734), un superbe survol de l’histoire romaine. Deux autres romans (Histoire véritable, et Arsace et Isménie, composés entre 1730 et 1740) ne seront connus qu’au XIXe siècle, mais ne modifieront en rien l’image de l’écrivain, immortalisé par deux ouvrages qui remportèrent un succès immédiat. • L’invention d’une forme. Dans les Lettres persanes, rédigées entre 1717 et 1720, Montesquieu n’invente ni l’usage de la lettre à des fins satiriques et idéologiques (auquel recourt Pascal, par exemple, dans les Provinciales, 1656-1657), ni même l’observateur oriental des sociétés européennes, jeu inverse des récits de voyages hors d’Europe, qui connaissent une vogue croissante (l’Espion dans les cours des princes chrétiens, Marana, 1684). Mais Montesquieu innove, incontestablement, au
moins sur quatre points. D’abord, il insère une fiction romanesque (l’intrigue de sérail) dans un recueil de lettres satiriques et philosophiques. Pascal n’y songe pas, Marana non plus, et Voltaire s’y refuse avec dédain dans les Lettres anglaises (1734). Deuxièmement, il nourrit un roman épistolaire de discussions philosophiques (contrairement aux fameuses Lettres portugaises, de Guilleragues, en 1669, et aux Liaisons dangereuses, de Laclos, en 1782). En effet, le roman par lettres a pour vocation, depuis le XVIIe siècle, de se consacrer au coeur, aux passions. Troisièmement, il fonde le roman épistolaire « polyphonique », c’est-à-dire à correspondants multiples (vingtcinq). Enfin, il pousse à un point jusque-là inconnu la diversité idéologique (lettres métaphysiques, politiques, morales, religieuses, économiques) et formelle (lettre-portrait, fable, dissertation, diatribe, confession, conte, satire, etc.). • Le mystère de la « chaîne secrète ». Montesquieu est donc le premier à élaborer un système aussi complexe et ingénieux de lettres datées (du 19 mars 1711 au 11 novembre 1720), polyphoniques (25 scripteurs, 14 lecteurs) et polymorphes (par le contenu, le ton et la forme). En outre, les Lettres persanes jouent sur trois registres : la satire (ce que l’oeil étranger s’étonne de voir en Europe), le roman (ce que le coeur oriental ressent) et la philosophie (ce que la raison conçoit). Où se trouvent le lien, l’unité ? En 1754, réfléchissant sur l’organisation de son livre, Montesquieu écrit qu’il s’est « donné l’avantage de pouvoir joindre de la philosophie, de la politique et de la morale à un roman, et de lier le tout par une chaîne secrète et, en quelque façon, inconnue ». Cette « chaîne », qui suscite diverses interprétations, est sans doute le voyage des deux Persans, qui forme leurs idées, mais aussi déforme, de par l’absence d’Usbek, le sérail, en proie aux intrigues et aux passions, tandis qu’en France s’amplifie également un profond désordre moral, dû à la politique de Law, lequel vient de fuir à Venise quand le livre paraît. Le roman culmine donc sur une double catastrophe : celle de la France (lettre 146) ; celle, bien plus sanglante, du sérail (lettres 147 à 161). À examiner la postérité des Lettres persanes au XVIIIe siècle, on constate avec surprise que personne n’a tenté de suivre Montesquieu sur le terrain d’une telle complexité structurelle. Condamnation du despotisme, dénonciation véhémente de Law, critique caustique des dogmatismes cléricaux, satire ambiguë des
moeurs françaises, éloge des parlements, refus à la fois d’une raison politique niant toute transcendance morale et du droit de résistance à l’anglaise, fondé sur les droits naturels, etc. : la signification politique et philosophique précise des Lettres persanes divise les exégètes. • « Et moi aussi je suis Newton... » Les « chaînes » sont également au coeur de l’Esprit des lois, puisque l’écrivain a l’ambitieux projet de découvrir les lois, c’est-à-dire les « rapports » qui rendent compte de la variété nécessaire des différents types de société dans l’espace et dans le temps. La diversité infinie du droit et des moeurs, le chaos des événements, bien loin d’anéantir toute compréhension ordonnée par le modèle des sciences physico-mathématiques (la loi-rapport, issue de la nature des choses, et non plus la loicommandement), obéissent à une logique secrète, à condition de ramener toutes les sociétés historiques à trois types fondamentaux : la république (qui englobe aristocraties et démocraties) ; la monarchie (propre aux temps modernes issus des invasions barbares) ; le despotisme (qui devient donc un régime en soi, sans cesser pour autant de medownloadModeText.vue.download 629 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 618 nacer toute forme politique). Chacun de ces trois systèmes est animé par un « principe » spécifique qui colore les lois, les institutions, les comportements, et qui crée des hommes essentiellement différents : la « vertu » républicaine, l’« honneur » monarchique, la « crainte » despotique. Mais il convient de donner à ces « principes » un sens plus politique que moral. La vertu signifie, dans les Républiques antiques, le dévouement absolu à la patrie. L’honneur, dans les monarchies modernes, désigne l’attachement de chacun aux prérogatives du rang, du nom, de la réputation ; des préoccupations apparemment égoïstes, mais qui assurent la pérennité de l’État : chacun, croyant suivre son intérêt, conforte la monarchie, sans que soit exigé le « républicain » sacrifice de soi, et sans la terreur servile des sujets soumis au despotisme. Il y a donc des logiques républicaine, monarchique, despotique, seules capables d’expliquer les lois, les moeurs, l’évolution de chaque société, et seules à même d’orienter la correction des lois et des moeurs, qu’il est impossible de rapporter à une norme universelle. La
raison politique se doit de comprendre, avant d’agir, la logique spécifique qui régit les dynamiques sociales, en fonction de l’essence de tel système politique et de l’état historique de telle formation particulière. Il est donc impossible d’appliquer à la réalité « sociopolitique » une table des droits de l’homme qui dériveraient de la nature de ce dernier, et absurde également de vouloir introduire en France, par exemple, la Constitution anglaise : une Constitution n’est rien sans les hommes qui la soutiennent et qu’elle façonne au fil de l’histoire. C’est en ce sens que Montesquieu peut apparaître comme un précurseur de la sociologie, et c’est pourquoi la dernière génération des Lumières, adepte de la perfectibilité de la raison et de ses normes universelles, ne peut guère adhérer à l’esprit de Montesquieu, et reste partagée entre admiration et incompréhension. Il est vrai que la révolution de 1789 a voulu, précisément, substituer les droits naturels aux droits fondés sur l’histoire dont se réclamait l’Ancien Régime. L’idée que Montesquieu aurait donc été le philosophe le plus remarquable de la noblesse et des parlementaires s’exprime dès le XVIIIe siècle. • Le despotisme à la conquête du monde ? Montesquieu ne prétend pas que toute société réelle correspond à l’essence de l’un ou de l’autre « type », car il est inhérent à la nature humaine - mélange de raison et de passions de contrevenir aux lois, par sa liberté constitutive, de se tromper, de corrompre l’équilibre fragile des sociétés. Cependant, Montesquieu montre que toute société obéit à une logique spécifique : la République romaine antique, vouée à la conquête, absorbe le monde - et bascule alors, logiquement, dans le despotisme impérial ; l’Angleterre pousse à sa limite la liberté politique qui caractérise son système, et qu’elle peinera à conserver ; la France atteint l’équilibre le plus harmonieux entre les nobles, le peuple et le roi à la fin du Moyen Âge... Un seul régime ne s’use pas, un seul échappe au temps : le despotisme oriental, qui, sous l’emprise directe des déterminations physiques (climat, espace, relief), transforme les hommes en brutes terrorisées, en forces mécaniques. Pour éviter ce péril mortel, puisqu’il est irréversible, qui menace tous les régimes, il conviendrait de distribuer chacun des pouvoirs (judiciaire, législatif, exécutif) à des forces sociales différentes, car le propre de tout pouvoir est de vouloir s’étendre, aux dépens des libertés. Montesquieu est l’un des pères du libéralisme politique, mais certaine-
ment pas dans l’acception constitutionnelle dont il est crédité depuis 1789, c’est-à-dire celle de la séparation juridique des trois pouvoirs. D’abord, parce qu’il s’agit moins de « séparer » que de lier pour équilibrer, en vue d’obtenir la vraie liberté politique, à savoir la « modération ». Ensuite, parce que Montesquieu mène toujours son analyse en termes d’incarnation sociale des pouvoirs (noblesse, magistrats, cour royale, peuple, etc.). Enfin, parce que la monarchie française, par exemple, attribue au roi deux pouvoirs, l’exécutif et le législatif. La liberté y est donc dépendante des parlements (pouvoir judiciaire et droit de regard sur les lois) mais aussi et surtout des moeurs, de l’éducation, du droit de propriété, de l’hérédité des titres et des fortunes, de la religion, du climat, de la superficie médiocre des États, de la modération des gouvernants, etc. Cette pensée si subtile, si profonde, Montesquieu a voulu la rendre séduisante en évitant le lourd pédantisme des traités de droit politique. Il procède par courts chapitres, formules tranchantes, exemples curieux, ellipses incisives, rapprochements saisissants, qui laissent au lecteur sa part de travail philosophique. L’ensemble constitue un prodigieux exploit stylistique qui marque l’emprise de la sociabilité mondaine sur les Lumières françaises. Montesquiou-Fezensac (FrançoisXavier, duc de), abbé et homme politique (Auch 1756 - Château de Cirey, près de Troyes, 1832). Abbé de Beaulieu en 1782 et agent général du clergé en 1785, il est député aux états généraux de 1789, où il lutte activement contre la Constitution civile du clergé et tente d’enrayer l’agonie de la monarchie. Une Constitution sans roi ? « Voilà, écrit-il, la chose la plus étrange qui se soit jamais faite » (Mémoire à Louis XVIII, 1815). Après les massacres de septembre 1792 et l’abolition de la royauté, il gagne l’Angleterre. Rentré à Paris en 1795, il intègre le Conseil du roi et devient émissaire du comte de Provence. Il est soupçonné d’intrigues plusieurs fois : en 1797, d’abord, avec Talleyrand ; puis en 1798, il est accusé d’avoir organisé un complot visant à assassiner des membres du Directoire. Représentant les Bourbons, il porte à Bonaparte la lettre dans laquelle Louis XVIII adjure le Premier consul de rétablir la dynastie légitime (juin 1800). Cette insolence lui vaut d’être exilé à Menton. Mais Louis XVIII n’oublie pas Montesquiou, qu’il sait honnête, fidèle à ses convictions et
respectueux de l’Ancien Régime. Il l’appelle auprès de lui lors de la Restauration pour en faire le principal rédacteur de la Charte - texte par lequel Montesquiou fait valoir, par éthique et pour répondre aux exigences de Louis XVIII, l’affirmation du pouvoir royal. Nommé ministre de l’Intérieur, il établit l’autorisation préalable pour les journaux. Après Waterloo, découragé, il démissionne (juin 1815). Toutefois, il retrouve les allées du pouvoir avec la seconde Restauration. Promu ministre d’État, fait comte puis duc, il est aussi élevé à la pairie et élu à l’Académie française. Montfort (Simon IV de), seigneur d’Îlede-France, chef de la croisade contre les albigeois de 1209 à 1218 (vers 1150 - Toulouse 1218). Issu d’un ancien lignage, Simon, cadet de sa fratrie, hérite de son père plusieurs châtellenies, dont Montfort, Houdan et Épernon, et de sa mère le titre et des droits qu’il ne peut faire valoir sur le comté de Leicester, en Angleterre. Par son mariage avec Alice de Montmorency, il s’allie avec l’une des plus grandes familles d’Île-de-France, très liée aux rois. Proche des cisterciens, et en particulier de l’abbé des Vaux-de-Cernay, Simon est animé d’un profond esprit de croisade qui le conduit, en 1202, à participer à la quatrième croisade avant de s’en désengager lorsqu’elle s’oriente vers Constantinople. Il gagne alors directement la Terre sainte et y combat durant une année. Lorsqu’en 1209 le légat pontifical organise la croisade contre les albigeois, il se croise de nouveau et participe aux prises de Béziers et Carcassonne. En septembre 1209, après le départ des plus grands seigneurs, il est désigné, grâce à l’appui de l’abbé des Vaux-de-Cernay, comme chef de la croisade et reçoit les vicomtés dont Raimond Trencavel est déshérité. Jusqu’en 1218, il parvient à maintenir une armée croisée dans un Languedoc hostile et entreprend d’établir fermement son pouvoir dans ses états en imposant le droit coutumier français et en restaurant la puissance ecclésiastique par les statuts de Pamiers (1212). En 1213, il parvient à écraser les armées de Raimond VI, comte de Toulouse, et de Pierre II, roi d’Aragon, à Muret, et, en 1215, le quatrième concile du Latran lui transmet les domaines du comte de Toulouse, à l’exception du marquisat de Provence. Mais il ne parvient pas à les conquérir et, après avoir échoué devant Beaucaire en 1216, il est tué au siège de Toulouse, le 25 juin 1218. Simon de Montfort n’est pas parvenu à établir la domination de sa famille en Languedoc,
mais il a ouvert la voie à la pénétration française et royale dans le Midi. montgolfière. Ce ballon ascensionnel est conçu en 1782 par les frères Montgolfier - Joseph (1740-1810) et Étienne (1745-1799) -, fils inventifs d’un fabricant de papier de Vidalonles-Annonay, qui avaient mis au point la production industrielle du vélin en 1777. Leur « montgolfière », présentée à Annonay le 4 juin 1783, est un globe de taffetas doublé de papier, ouvert par le bas, empli d’air chauffé par le feu - de paille et de laine - d’un réchaud placé dans la nacelle. Après des essais de ballon captif réalisés à Paris, une montgolfière emporte le 19 septembre, à Versailles en présence de Louis XVI -, un mouton, un coq et un canard, atterrissant dix minutes plus tard à Vaucresson. Le 21 novembre 1783, downloadModeText.vue.download 630 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 619 pour la première fois, des hommes - Pilâtre de Rozier et le marquis d’Arlandes - réalisent une ascension dans un engin non captif. Cependant, dès le 27 août, le physicien Jacques Charles (1746-1823), professeur à l’École des mines, a fait voler, entre le Champ-de-Mars à Paris et Gonesse, une « charlière » - un ballon gonflé à l’hydrogène -, plus sûre et plus maniable que la montgolfière, et qui effectue son premier vol avec passagers le 1er décembre 1783, des Tuileries à Chantilly. Néanmoins, les Montgolfier reçoivent des lettres d’anoblissement, et leur papeterie devient Manufacture royale en 1784, année où des ascensions ont lieu au Mexique, en Angleterre, à Baltimore, à Vienne, à l’île de France (île Maurice), ainsi que dans une dizaine de villes françaises. Mais la « ballonomanie » retombe, alors que les montgolfières sont surclassées par les ballons à hydrogène, qui équipent en 1793 les compagnies d’aérostiers créées par la Convention. Cependant, depuis les années 1960, les montgolfières bénéficient d’un regain d’intérêt grâce aux progrès effectués en matière de sécurité : emploi du Nylon pour l’enveloppe, et du gaz propane liquide comprimé pour le combustible. Montlosier (François Dominique de Reynaud, comte de), homme politique (ClermontFerrand 1755 - id. 1838). À la fois officier militaire, propriétaire et
homme de lettres, Montlosier représente, au début de la Révolution, un courant politique méconnu de l’Assemblée constituante, qui se situe entre les « aristocrates purs », partisans de l’absolutisme, et les monarchiens, favorables à une monarchie à l’anglaise. Comme ces derniers, il prône un pouvoir royal fort et le bicamérisme, mais ce lecteur assidu de Montesquieu demeure attaché aux corps intermédiaires (noblesse, clergé, parlements...) et à leurs privilèges honorifiques, et ne cessera de regretter le doublement du tiers état aux états généraux de 1789 et la réunion des trois ordres dans la nouvelle Assemblée nationale. Ami de Cazalès et de Malouet, qu’on le définisse comme un aristocrate libéral ou comme un monarchien conservateur, Montlosier témoigne des divisions au sein de la Contre-Révolution. Lorsqu’il fait son entrée à la Constituante, en septembre 1789 - élu député suppléant, il remplace un démissionnaire -, les monarchiens sont déjà défaits, et ce membre du Club monarchique, où les extrémistes l’emportent, tente - en vain - d’imposer ses vues à l’Assemblée dont il est un orateur important. Après avoir émigré à Coblence et combattu dans l’armée des princes en 1792, il s’installe à Londres, où il se fait journaliste. Rallié au Consulat, il rentre en France en 1802, traverse les régimes successifs en rédigeant divers ouvrages sur la Révolution - mais aussi en attaquant violemment les jésuites à partir de 1825 - et termine son original engagement politique en entrant à la Chambre des pairs (1832). Montluc ou Monluc (Blaise de Lasseran-Massencome, seigneur de), homme de guerre et maréchal de France (château de Saint-Puy, Gers, 1502 - Estillac, Lot-et-Garonne, 1577). Né dans une famille de hobereaux gascons, il se destine tout naturellement à une carrière militaire. Signe des temps, c’est dans l’infanterie qu’il fait ses premières armes, dès 1521. Devenu capitaine de gens de pied, et nommé maintes fois gouverneur de place forte, il participe aux guerres d’Italie, jusqu’au siège de Sienne de 1554-1555 - son plus haut fait d’armes -, où il dirige la défense de la cité. De retour en France, il est nommé lieutenant du roi en Guyenne. Chef du parti catholique dans cette région, il penche pour une solution militaire aux « troubles » religieux après 1562 : son intransigeance favorisera le développement d’une légende noire (alimentée par l’historiographie protestante, mais non dénuée de fondements) sur la cruauté de l’homme.
Gravement blessé par un coup d’arquebuse en 1570, il tombe en disgrâce et entreprend alors la rédaction de ses Commentaires. Écrit pour « l’instruction des capitaines », ce récit de « ses » guerres (publié en 1591) est aussi un long plaidoyer pour justifier une vie au service de son roi et dénoncer les calomnies. Dans cette « bible du soldat », selon les termes d’Henri IV, le modèle césarien est mis au service d’une autobiographie sélective qui ne s’intéresse qu’aux combats. L’ouvrage se prête dès lors à une longue illustration des ambiguïtés d’un petit noble : attaché aux relations féodales directes avec son souverain, mais contempteur de la cour ; futur maréchal de France (en 1574), mais soldat « de métier » sorti du rang ; témoin de toutes les guerres de son temps, mais affecté de « myopie » historique ; loyaliste, mais n’hésitant pas à pester contre les « politiques » qui cèdent dans des traités ce que les soldats ont payé de leur sang. Montmartre, ancienne commune correspondant à l’actuel XVIIIe arrondissement de Paris. La butte Montmartre connaît son heure de gloire au tournant du XIXe et du XXe siècle, gagnant défi-nitivement son caractère pittoresque. Ruelles escarpées et immeubles modestes y ont un air campagnard, avec vignes et tonnelles. Les poètes se mêlent aux chansonniers, les vedettes du caf’conc’ s’y produisent : Yvette Guilbert croquée par Toulouse-Lautrec, Aristide Bruant rudoyant et charmant ses clients. Les grands rendez-vous sont alors le « cabaret artistique » du Chat noir ou le Moulin-Rouge. Renoir habite au château des Brouillards, dans l’allée du même nom ; puis le Bateau-Lavoir abrite les derniers « fauves » et les jeunes représentants du cubisme ; Pablo Picasso n’est pas loin de la rue Ravignan où vit son ami Max Jacob. Artistes, écrivains (Léon Bloy comme Mac Orlan) côtoient les célébrités locales : Frédé, du Lapin agile, ou Suzanne Valadon, à la fois modèle et peintre, dont le fils, Maurice Utrillo, demeure l’illustrateur par excellence de la place du Tertre. Francis Carco, Roland Dorgelès, André Salmon, se font les mémorialistes de leur quartier. Mais la fièvre créatrice et canaille de ce Montmartre populaire va disparaître. En effet, les touristes sont désormais plus curieux de l’animation nocture du boulevard entre les places Clichy et Pigalle, ou de l’exotisme altier du SacréCoeur. Pourtant, sur la butte Montmartre, aux rues refaites comme un décor, errent encore
les fantômes de la Belle Époque. Montmorency (Anne de), homme de guerre et connétable (Chantilly 1493 - Paris 1567). Cadet de l’une des plus anciennes familles d’Île-de-France, filleul de la reine Anne de Bretagne (d’où son prénom), Anne de Montmorency est élevé avec le futur roi, François d’Angoulême. Si l’on excepte sa disgrâce de 1541 à 1547, Anne de Montmorency est, durant presque toute sa vie, l’un des grands officiers de la couronne et l’un des principaux ministres sous François Ier et Henri II, servi en cela par sa fidélité mais également par la force du parti qu’il représente à la cour et dans la noblesse. Ce grand baron est aussi et avant tout un soldat - distingué sur le champ de bataille (à Ravenne, dès 1512), et qui décédera à la suite d’une blessure reçue en combattant les huguenots cinquante-cinq ans plus tard. S’il devient successivement maréchal de France (1522), grand maître de la Maison du roi (1526), puis connétable de France (1538), son parcours dans le siècle est loin d’être univoque. Il est l’inspirateur d’une stratégie militaire prudente et défensive, mais figure au premier rang lors de deux déroutes retentissantes, à Pavie en 1525 puis, surtout, à SaintQuentin en 1557 - il est fait prisonnier dans les deux cas. Habile diplomate, il sait, après la défaite, négocier des traités réalistes préservant l’essentiel pour le royaume (à Madrid en 1526, puis au Cateau-Cambrésis en 1559), mais il devient aussi, après 1560, un catholique hostile à toute concession aux réformés, sans trop se soucier de l’affaiblissement de la monarchie, et tout en sachant à l’occasion protéger ses parents huguenots, les Châtillon. Chef et patriarche d’un véritable clan familial, grand féodal conservateur, imprégné de valeurs chevaleresques, Anne reste fidèle à la couronne, mais ne néglige pas ses intérêts privés : il agrandit ainsi ses domaines par des achats, des spoliations et des « dons » forcés. Sévère et austère, peu à l’aise dans les fastes mondains de la cour, il peut aussi être un mécène éclairé, qui rassemble une remarquable collection d’oeuvres d’art et de manuscrits dans ses châteaux de Chantilly et d’Écouen. Ainsi, Anne de Montmorency a, semble-til, toujours choisi, ou accepté, de conjuguer, avec pragmatisme, ses convictions avec les nécessités de son temps, et l’idée qu’il se faisait de sa place ou de sa fonction publique avec la défense de ses intérêts propres. Ce qui lui a
permis, en quelque cinquante ans, de faire de sa famille l’égale des plus grandes, la rivale des Bourbons et des Guises. Montmorency (famille de), grande famille de la noblesse, dont les origines remonteraient au moins au Xe siècle. Les domaines de cette vieille famille féodale du nord de l’Île-de-France s’étendent peu à peu autour d’Écouen - et souvent aux dépens des moines de Saint-Denis. Géographiquement proches des détenteurs de la couronne, downloadModeText.vue.download 631 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 620 les « premiers barons chrétiens de France » restent, au fil des siècles, d’une fidélité sans faille aux dynasties successives : ainsi, quand ses deux fils aînés préfèrent le duc de Bourgogne à Louis XI, Jean II de Montmorency les déshérite sur-le-champ. Des croisades à la bataille de Bouvines, de la guerre de Cent Ans aux guerres d’Italie puis aux guerres de Religion, on retrouve souvent des Montmorency au premier rang des armées royales, et les rois choisissent parmi eux six connétables, onze maréchaux de France et d’innombrables grands officiers du royaume. Toutefois, l’ascension des Montmorency dans la hiérarchie de la noblesse française ne s’accélère qu’au XVIe siècle avec, en 1551, l’accession au duché-pairie d’Anne de Montmorency : le grand connétable, confident et principal ministre de François Ier puis d’Henri II, fait ainsi de son clan familial l’égal et le rival des Guises et des Bourbons. Par le jeu de mariages, d’achats, de dons et de spoliations, Anne accroît d’ailleurs considérablement ses domaines, qui s’étendent en Bretagne, en Bourgogne et en Auvergne, sans compter le gouvernement du Languedoc, qui se transmet de père en fils. Mais il suffit de deux générations pour que la puissance familiale s’écroule : la ligne directe principale s’éteint en 1632, lorsque Henri de Montmorency, coupable d’avoir conspiré contre Richelieu, est décapité, malgré l’émotion que sa condamnation suscite dans l’Europe entière. D’abord confisqués par le Cardinal, les biens des Montmorency passent aux Bourbons Condé, à la suite du mariage de la soeur d’Henri, Charlotte, avec Louis de Condé. Archétypes du vieux clan féodal de guer-
riers ancrés dans un terroir et fidèles à leur suzerain, les Montmorency, après avoir su en un siècle accéder au cercle étroit des plus puissantes familles du royaume, disparurent faute d’avoir compris que l’équilibre instable entre le pouvoir royal et les grands était désormais rompu. Montmorency (François de), maréchal de France (1530 - Écouen 1579). Fils aîné d’Anne de Montmorency et filleul de François Ier, François de Montmorency fut destiné très tôt, tout comme ses quatre frères, à la carrière militaire. À la tête d’une compagnie de cent lances dès 1551, il combat dans le Piémont et sur la frontière est du royaume (siège de Metz). Fait prisonnier à Thérouanne en 1553, il est libéré, après le paiement d’une rançon par le roi en personne, puis nommé gouverneur de Paris et d’Île-de-France, alors que l’influence de son père est à son apogée. Ce fils obéissant, qui a su renier son union clandestine avec Mlle de Piennes pour épouser une fille naturelle d’Henri II, est fait grand maître de France puis maréchal de France en octobre 1559. Lors des guerres de Religion, il est, à la différence de son père, partisan d’une certaine tolérance et concilie sa fidélité à Catherine de Médicis et son amitié avec les chefs huguenots, notamment les Châtillon, auxquels il est apparenté. Lorsque les camps se divisent irrémédiablement, après la Saint-Barthélemy, cet esprit d’ouverture lui vaut d’être embastillé en mai 1574. Relâché un an plus tard, il meurt en 1579, sans avoir pu jouer de rôle politique important, contrairement à son frère puîné Henri (1534-1614). Comte de Damville, puis duc de Montmorency à la mort de François, celui-ci est nommé gouverneur du Languedoc dès 1563, maréchal de France en 1567, connétable en 1593. Il fait de sa province un bastion personnel et s’allie tour à tour à chacun des camps en présence, avant de servir fidèlement Henri IV, tout en maintenant une certaine indépendance à l’égard de la couronne. Montmorency (Henri II, duc de), maréchal de France (Chantilly 1595 - Toulouse 1632). Fils d’Henri Ier de Montmorency et filleul d’Henri IV, il hérite des titres et charges traditionnelles de sa famille - amiral de France (1612), gouverneur du Languedoc (1613) et devient duc en 1614. Il a laissé dans l’histoire l’image du parfait homme de cour plu-
tôt modéré, mais qui, du fait de sa puissance et du nom qu’il porte, est conduit à prendre parti dans les troubles qui agitent la France jusqu’au début du ministère Richelieu et, audelà, lors de la rébellion de Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII. Le Cardinal voit d’ailleurs d’un mauvais oeil ce fils de la haute noblesse, bon catholique, brillant à la cour et valeureux sur les champs de bataille, qui pourrait constituer pour lui un rival, ou, pour le moins, être le chef naturel de ces grands dont il entend réduire l’influence. Après avoir combattu les protestants de 1621 à 1625, Henri II de Montmorency participe à la campagne d’Italie en 1630, et est fait maréchal la même année. Sans vraiment partager les vues de Gaston d’Orléans et sans comprendre à quel point la conjuration est mal préparée, il se laisse entraîner en 1632 dans la lutte ouverte contre Richelieu. Accusé de lèse-majesté, il se voit déchu de tous ses titres par un édit, le 23 août. À la tête des troupes des conjurés, il est blessé au combat à Castelnaudary, le 1er septembre 1632, puis fait prisonnier. Son procès, à Toulouse, va soulever dans toute l’Europe une émotion considérable : le roi Charles Ier d’Angleterre, le duc de Savoie, la République de Venise et le pape demandent en vain à Louis XIII de le gracier. Mais la royauté a besoin d’un exemple pour affirmer qu’aucun sujet, si haut placé soit-il, ne peut se révolter contre le souverain. Avec lui, c’est le dernier héritier de la branche principale des Montmorency qui meurt, exécuté, le 30 octobre 1632. Montoire (entrevue de), rencontre entre Hitler et le maréchal Pétain le 24 octobre 1940, qui officialise la politique de collaboration du régime de Vichy avec l’Allemagne nazie. Dès l’automne 1940, les dignitaires du gouvernement de Vichy cherchent à nouer avec l’Allemagne des relations qui dépassent la collaboration technique imposée par l’armistice. Pour Pétain comme pour Laval, la collaboration d’État doit garantir à la France un traitement privilégié dans le cadre d’une Europe allemande ; de son côté, Hitler souhaite que le régime de Vichy s’oppose à la progression des Britanniques en Méditerranée et le soutienne dans sa lutte contre l’Angleterre. Le 22 octobre 1940, une prise de contact a lieu à Montoire, près de Tours, entre Laval, vice-président du gouvernement, et Hitler. Le 24 octobre, de retour d’Espagne, où il n’a pu convaincre Franco de renoncer à sa neutralité, Hitler retrouve le maréchal Pétain à Montoire. Sans prendre d’engagement précis concernant
le rôle de Vichy dans une coalition contre les Anglais, Pétain admet « l’idée d’une collaboration avec l’Allemagne dans le sens indiqué par le Führer » et dans l’espoir d’« obtenir pour la France un règlement plus favorable », selon les termes du communiqué de Hitler. Le 30 octobre 1940, Pétain s’adresse directement aux Français pour confirmer le choix de la collaboration. Désavouée par l’opinion, l’entrevue de Montoire se révèle vite un marché de dupes : certain de la victoire définitive de l’Allemagne nazie, Pétain lui apporte le soutien toujours croissant de son régime ; quant à Hitler, loin de souhaiter le redressement de la France, il redouble de sévérité dans l’application de l’armistice. Montpellier (paix de), traité conclu entre Louis XIII et les révoltés protestants du Midi, le 18 octobre 1622. Quelques mois après l’assemblée de La Rochelle de décembre 1620, qui a réuni les députés des communautés réformées les plus résolues, les protestants, inquiets du rétablissement du catholicisme en Béarn, prennent les armes. Les combats de l’année 1621 ne sont guère décisifs. En revanche, en 1622, Louis XIII bat Benjamin de Rohan - dit le seigneur de Soubise - dans les marais de Riez, en Vendée (avril), prend Royan (mai), soumet la vallée de la Garonne. Le dernier bastion huguenot est constitué par le Languedoc, défendu par le duc Henri de Rohan, frère de Soubise. Le 1er août, le siège est mis par les troupes royales devant Montpellier, dont les habitants opposent une résistance farouche. Des négociations sont alors menées entre Rohan et Lesdiguières, prestigieux gouverneur du Dauphiné qui vient d’abjurer le protestantisme. Selon les termes du traité, l’amnistie est accordée aux révoltés, les principales dispositions de l’édit de Nantes (1598) sont confirmées, mais, si les villes de Montauban et de La Rochelle gardent leurs fortifications, celles de Nîmes, Castres, Uzès et Millau - autres places protestantes - doivent réduire les leurs. De même, si Montpellier demeure sans garnison royale, les cités prises aux huguenots ne leur sont pas restituées. Les assemblées religieuses, synodes provinciaux et nationaux, peuvent se tenir sans autorisation, mais les assemblées politiques sont soumises à l’accord du roi. Les chefs protestants obtiennent le maréchalat (Châtillon) ou de fortes pensions (Rohan, Soubise). Louis XIII a concédé ces conditions avantageuses pour pouvoir se tourner vers les affaires italiennes, où la France affronte les intérêts espagnols. Cependant, la paix de Montpellier n’est qu’une trêve. Dès 1624, les
hostilités reprennent. Montpensier (duchesse de) ! Grande Mademoiselle downloadModeText.vue.download 632 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 621 Mont-Saint-Michel (abbaye du), abbaye bénédictine située sur l’îlot rocheux du même nom, d’abord appelé Mont-Tombe, relié au continent depuis 1880 par une digue insubmersible (actuel diocèse de Coutances). Primitivement lieu de culte voué à saint Étienne et à saint Symphorien, le rocher abrite un sanctuaire dédié à saint Michel au tout début du VIIIe siècle. L’apparition de l’archange à l’évêque d’Avranches, saint Aubert (mort en 725), est à l’origine de cette dédicace effectuée en 709 selon un processus inspiré de celui du mont Gargano, en Italie. Une abbaye carolingienne remplace peu après le premier sanctuaire. De nombreux pèlerinages s’y succèdent en raison de l’importance progressive prise par le culte de saint Michel, désigné comme patron de l’Empire par Charlemagne. Après un déclin dû aux invasions normandes, la réforme monastique gagne le sanctuaire et la règle clunisienne y est introduite au moment où il devient, au XIe siècle, un des plus grands centres de pèlerinage de l’Occident. La nouvelle église abbatiale, dont la nef est achevée en 1084, est agrandie progressivement jusqu’à ce qu’un incendie, en 1203, nécessite la reconstruction des bâtiments monastiques et l’élévation du cloître de la Merveille. La configuration du rocher, qui rend impossible la disposition habituelle des bâtiments autour du cloître, centre de la vie monastique, impose alors une construction sur trois niveaux. Le renouveau du culte de saint Michel aux XIVe et, surtout, XVe siècles accroît le prestige du monastère. L’archange devient le protecteur des rois de France lors de l’avènement des Valois et le saint est invoqué dans la lutte contre les Anglais durant la guerre de Cent Ans. Un sentiment national naissant se développe autour de son culte. Les vicissitudes temporelles (exactions, taxes...), liées à la lutte entre protestants et catholiques au XVIe siècle, mettent l’accent sur l’urgence d’une réforme. À partir de 1622, les moines de la congrégation de Saint-Maur s’installent ainsi au Mont-Saint-Michel, où ils demeurent jusqu’en 1789. Pendant la Révolution, le monastère sert de prison d’État et
de « Bastille des mers ». Détenus politiques et condamnés de droit commun y sont emprisonnés jusqu’en 1863. L’incendie gigantesque de 1834 est à l’origine d’une longue campagne de restauration, qui se poursuit jusqu’en 1957. La reprise de la vie bénédictine à l’abbaye s’effectue en 1965, date de la célébration festive du millénaire monastique du mont. Les Monuments historiques ont entrepris en 1987 la restauration de la statue de l’archange saint Michel, oeuvre du sculpteur français Emmanuel Frémiet (1824-1910). monuments aux morts. Des stèles ont été érigées entre 1871 et 1914 pour rendre hommage aux victimes de la guerre francoprussienne, mais c’est après 1918 que quelque 36 000 monuments aux morts sont élevés dans toutes les communes. Si l’on tient compte des diverses plaques gravées ou sculptures placées dans de nombreux lieux publics ou privés dans les années 1920 (écoles, entreprises, églises, etc.), il faut multiplier ce nombre par au moins quatre ou cinq. L’idée d’édifier des monuments aux morts naît pendant la guerre même : l’affichage dans les mairies de simples listes de noms de soldats tombés au combat apparaît, en effet, comme un hommage trop médiocre. La génération perdue doit être célébrée dans une « scénographie » tragique, où l’on note une unité de temps - le 11 novembre, devenu fête nationale en 1922 -, de lieu - le monument aux morts - et d’action - la cérémonie commémorative. Dans la plupart des cas, on choisit pour ce cénotaphe la forme d’une pyramide ou d’un obélisque. • Une célébration tragique de la patrie. Sur les monuments, porteurs d’un « message », des mots sont gravés : « enfants », « morts », « héros », « guerre », « 19141918 », « devoir », « sacrifice », « martyrs », « mémoire », sont ceux qui reviennent le plus souvent. La longue liste des soldats morts renforce l’impression lugubre. L’ordre alphabétique, généralement retenu, accentue l’uniformité, proche de celle des cimetières militaires où reposent les corps. Présentées comme des oeuvres d’art au service du souvenir, la plupart des stèles honorent les soldats, combattants courageux et victorieux, qui ont accompli leur devoir pour la patrie et la République. Ces braves incarnent une guerre aseptisée, sans boue ni sang. Mais la mort ne peut être déguisée. C’est pourquoi, comme pour la faire oublier, les sculpteurs insistent sur l’armement et sur l’uniforme, bandes molletières
comprises. Cette terrible dualité - la mort et le courage, ou la mort et la victoire - est au coeur des commémorations. On n’oublie pas non plus que les non-combattants ont joué un rôle fondamental. Les monuments rappellent qu’il a fallu croire, combattre et travailler pour « tenir ». Ils sont une illustration en pierre et en bronze de l’« union sacrée » : au sommet, un coq, qui représente la patrie à laquelle on croit avec ferveur ; au centre, le combattant ; au pied du monument, les civils, femmes ou enfants, qui observent l’exemple du soldat ou vaquent à leurs tâches quotidiennes. Mais cette guerre a été chèrement payée, et les oeuvres découvrent une curieuse généalogie : elles sont dédiées « à nos enfants », qui ne sont autres que les pères des enfants qui viennent honorer les héros disparus. Dans les territoires ravagés par les combats, les monuments constituent de véritables réquisitoires. Les civils y ont été doublement victimes, comme parents de combattants, et parce que leurs villes et villages ont été détruits. Cathédrales dévastées, populations en fuite, otages, mines inondées : tout le cortège des malheurs de la guerre est représenté. Très rarement - guère plus d’une dizaine de cas sur le territoire français -, les monuments deviennent ouvertement pacifistes, portant par exemple l’inscription : « Que maudite soit la guerre ». Le monument est aussi un lieu de regrets. Les veuves, les orphelins, les parents de ceux qui ne sont pas revenus, y sont figurés, en deuil. Foi religieuse et ferveur patriotique sont perçues comme complémentaires. Sur les monuments, tout comme sur les vitraux du souvenir des églises, le soldat chrétien rejoint le sacrifice du Messie en une imitatio Christi. Quand la mère du combattant, nouvelle Vierge Marie, retrouve son fils et le tient dans ses bras, le monument devient une pietà. Tous les Français ont vécu une véritable « imitation de la patrie ». La plupart des monuments révèlent la complexité de la situation, pendant et après la guerre. Exalter l’héroïsme devait aider les veuves, les orphelins, les survivants des tranchées à faire face. Par l’édification des monuments, on a en quelque sorte utilisé les sacrifices des disparus pour rendre l’après-guerre plus supportable. Moreau (Jean Victor), général (Morlaix, Finistère, 1763 - Laun, Bohême, 1813). Ce fils d’un avocat de Rennes sert immédiatement la Révolution. En 1791, il est élu
lieutenant-colonel du 1er bataillon des volontaires d’Ille-et-Vilaine. Son ascension est rapide. Général de division, il remplace son ami Pichegru au commandement de l’armée du Nord, en 1795. L’année suivante, à la tête de l’armée de Rhin-et-Moselle, il avance jusqu’à Munich. Mais la défaite de Jourdan le contraint à reculer. Républicain modéré, il se rapproche des royalistes. Après le coup d’État anti-royaliste du 18 fructidor an V (4 septembre 1797), il est mis à l’écart. En 1799, il reprend du service en Italie. Sollicité par Bonaparte, qui prépare son coup d’État, Moreau accepte de jouer un rôle secondaire. Il est récompensé par le commandement de l’armée du Rhin et d’Helvétie, et sa victoire à Hohenlinden (3 décembre 1800) parachève les succès qu’a remportés Bonaparte en Italie. Le Premier consul ne parvient pas à contrôler ce général orgueilleux et populaire qui ne cesse de le critiquer. Sans que Moreau le veuille, les opposants à Bonaparte se rassemblent derrière lui. En 1804, il est accusé d’avoir pris part au complot royaliste fomenté par Pichegru et Cadoudal. Faute de preuve, il est condamné à une courte peine. Furieux, Bonaparte l’exile. En 1812, Moreau vit aux États-Unis, lorsque le tsar lui propose de servir la coalition contre l’Empire. Il est mortellement blessé au cours de la bataille de Dresde (1813). Morny (Charles Auguste Louis Joseph, duc de), homme politique (Paris 1811 - id. 1865). Fils naturel de la reine Hortense et du comte de Flahaut - lui-même fils naturel de Talleyrand -, il est ainsi par sa mère le demi-frère de Louis Napoléon Bonaparte. Il fait ses études au collège Bourbon avec le duc de Chartres, participe à 19 ans à la révolution de 1830, et commence une carrière militaire facilitée par ses relations. Il sert en Algérie, puis revient à Paris en 1838, abandonne l’armée et se lance dans l’industrie. Il fonde une prospère raffinerie de sucre dans le Puy-de-Dôme ; elle le place parmi les hommes d’affaires les plus en vue du moment et lui permet d’être élu député orléaniste en 1842. Il s’éloigne toutefois du régime, dont il devine la fin prochaine. Dès 1849, il parvient à rétablir sa fortune, gravement compromise par la révolution de 1848. Cette même année, il est élu député et travaille activement pour son demi-frère, dont il est devenu l’un des principaux conseillers. C’est lui qui prépare le coup d’État du 2 décembre 1851 et qui l’exécute avec sangfroid et énergie comme ministre de l’Intérieur. downloadModeText.vue.download 633 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 622 Morny est ainsi étroitement lié à l’événement qui fonde le Second Empire. Certes, la confiscation des biens de la famille Orléans l’oblige à démissionner en janvier 1852, mais son rôle demeure de tout premier plan et dépasse largement ses fonctions officielles. Il est fait duc en 1862. Excepté une parenthèse, de 1856 à 1857, pendant laquelle il exerce la fonction d’ambassadeur à Saint-Pétersbourg, Morny préside le Corps législatif de 1854 à sa mort. Il tient en main son Assemblée, tout en exerçant cette charge avec une certaine mansuétude. Il plaide pour un adoucissement du régime auprès de l’empereur et engage ce dernier sur la voie des réformes. Lorsque Morny meurt, usé par une vie de travail, Napoléon III perd celui qui était le plus à même de l’aider à libéraliser l’Empire. Outre la politique, Morny a toujours fréquenté le monde des affaires, spéculant et siégeant dans de nombreux conseils d’administration. Il incarne bien la soif d’enrichissement propre au personnel impérial. Mais le personnage sait aussi être séduisant : homme du monde, mécène (protecteur - et collaborateur - d’Offenbach), il donne le ton de la mode, fonde l’hippodrome de Longchamp et la station balnéaire de Deauville... Il est une figure emblématique du Second Empire. l MORT. Par-delà son évidence physique, la mort a une histoire profondément révélatrice des mutations idéologiques et culturelles de la société française. Dès le XIVe siècle, elle acquiert une importance qui procède à la fois des grandes calamités et de sa dramatisation par le discours ecclésiastique. Cette importance - manifeste dans les oeuvres artistiques et dans les rituels - culmine à l’âge baroque. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que s’amorce un tournant aux allures de révolution : le processus de laïcisation s’accompagne de l’idéal d’une mort paisible, un apaisement que renforce l’extrême discrétion de la mort depuis le milieu du XXe siècle. Notre fin de millénaire semble marquer le terme d’une évolution qui s’est étendue sur sept siècles, et a déplacé les préoccupations humaines de l’Au-delà vers la mort elle-même, puis vers les questions éthiques, médicales et sociales relatives à la période qui la précède. UN PHÉNOMÈNE HISTORIOGRAPHIQUE
La mort n’entre véritablement dans le champ des études historiques qu’au cours des années 1970, grâce à la grande vague de l’histoire des mentalités, mais aussi du fait de la prise de conscience des changements profonds qui affectent notre société : la mort devient de plus en plus « cachée », comme l’attestent la disparition des funérailles solennelles - notamment des convois funèbres en ville - et la raréfaction des décès à domicile, au profit de ceux à l’hôpital ou à la maison de retraite. Un tel bouleversement des habitudes sociales et culturelles, touchant un domaine qui concerne évidemment chacun, n’a pu laisser insensibles des historiens qui s’étaient contentés jusqu’alors de quelques études très ponctuelles. Un large public lit en 1977 l’ouvrage de Philippe Ariès, l’Homme devant la mort, qui marque une étape essentielle dans la « découverte » de la mort. Mais Ariès, qui étudie l’évolution des attitudes secrètes des hommes devant la mort, choisit d’ignorer les réalités matérielles - démographiques en particulier -, et n’établit pas de lien entre ces réalités et les aspects culturels. La plupart des historiens choisissent la voie, plus difficile - mais beaucoup plus féconde -, d’une histoire « totale » de la mort. La thèse de François Lebrun (les Hommes et la mort en Anjou aux XVIIe et XVIIIe siècles, 1971) a un écho considérable, point de départ d’une véritable mode historiographique, qui mène à la grande synthèse de Michel Vovelle, la Mort et l’Occident de 1300 à nos jours (1983). Dans les années 1970 et 1980, on redécouvre de grands textes du XIXe siècle, telle la Légende de la mort chez les Bretons armoricains, éditée cinq fois de 1893 à 1928 puis oubliée, une redécouverte qui montre l’intérêt pour les aspects ethnologiques et littéraires du sujet. Il est peu de domaines historiques où la progression des connaissances et de la réflexion ait été aussi fulgurante, au point de presque tarir les recherches depuis le milieu des années 1980. Nous disposons donc aujourd’hui d’une histoire de la mort dans ses aspects multiformes, ainsi que d’une réflexion sur les liens, dialectiques, entre réalités matérielles et culturelles. Une grande attention est également portée aux évolutions de longue durée, et aux indicateurs de changement des attitudes devant la mort - testaments et cimetières, épitaphes et faire-part, art et littérature, rites et législation, jusqu’aux silences, souvent significatifs. Cette attention est celle des historiens, mais également des ethnologues, des
anthropologues et de nombreux autres spécialistes. LE CALENDRIER DE LA MORT L’importance du regard historique sur la mort apparaît d’emblée dans la réalité quotidienne. L’impuissance de la médecine et de la chirurgie, jusqu’au XIXe siècle, entraîne, pour l’accident le plus banal, des conséquences souvent bien plus dramatiques que dans notre univers médicalisé. Les insuffisances techniques multiplient les risques : contrairement à ce que l’on imagine souvent, les accidents de la circulation, par exemple, causent beaucoup plus de décès à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècle) que de nos jours. La fragilité de l’homme est illustrée par le calendrier de la mort. La répartition des décès au cours de l’année est aujourd’hui sensiblement uniforme, parce que nous savons relativement bien nous prémunir contre les conséquences des aléas climatiques et les maladies saisonnières, mais cet acquis date seulement du XIXe siècle. Auparavant, la mort connaît des pointes très marquées en hiver - où elle frappe plus particulièrement les vieillards -, à la fin de l’été et au début de l’automne, au moment où la dégradation de la qualité de l’eau entraîne maladies digestives et, parfois, de terribles épidémies de dysenterie, sans parler des ravages du paludisme dans les régions humides. Cet établissement d’un lien entre la mort et le contexte dans lequel elle survient, élémentaire à partir du moment où, dans les années 1960, l’exploitation des registres paroissiaux se banalise chez les historiens, ne pouvait que favoriser une réflexion beaucoup plus ample sur l’évolution des attitudes devant la mort. UN SEUL SOUCI : L’AU-DELÀ De manière à peu près certaine, on situe autour de 1300 le premier tournant important dans l’histoire des attitudes devant la mort. Cette dernière est alors perçue comme un passage certes difficile, mais surtout comme une simple étape vers l’essentiel : l’Au-delà. On ignore presque tout de la manière de vivre ce moment jusqu’au XIIIe siècle, mais on peut probablement faire remonter à cette époque les rites d’assistance, attestés un peu plus tard : le rassemblement des proches parents et des voisins lors d’une veillée d’accompagnement du mourant, les précautions prises pour faciliter la migration de son âme, témoignent
d’un souci d’aide et de solidarité. Ainsi, vider les récipients de tout liquide pour éviter que l’âme ne s’y noie est une pratique difficilement datable, mais on en retrouve l’esprit pendant plusieurs siècles, jusqu’à la dissimulation des miroirs au XIXe siècle, pour que l’âme ne se perde pas dedans. La relative discrétion du moment de la mort - qui, naturellement, n’exclut pas l’expression de la douleur - tient à l’importance accordée à l’essentiel, le sort de l’âme, après le séjour dans le monde mortel, qui est perçu comme la conséquence du péché originel. L’Au-delà est partagé, depuis le haut Moyen Âge au moins, entre deux espaces, le Paradis et l’Enfer. Mais un tel partage rend mal compte de la croyance - très répandue - aux revenants et, surtout, laisse planer une immense imprécision quant au sort réservé au commun des mortels - pas assez mauvais pour gémir en Enfer ni assez bon pour espérer le Paradis. C’est probablement vers 1170 ou 1180, et dans le milieu des théologiens parisiens, que s’opère un glissement essentiel de l’idée de punition des péchés par le feu - le feu purgatoire - vers celle d’un lieu réservé, le Purgatoire. Presque aussitôt, vers 1200, apparaît un récit fort bien construit, le Purgatoire de saint Patrice, qui donne corps à la croyance et en propose une localisation précise : l’Irlande. L’invention de ce troisième lieu dote d’une remarquable efficacité la gestion ecclésiastique de l’Au-delà : elle sollicite la prière pour les âmes ; elle permet de proposer aux fidèles des « remises de peine » - les indulgences -, dont la vente finance les chantiers de construction ecclésiastiques ; enfin, le Purgatoire légitime l’espérance du salut en instaurant une sorte d’Enfer à temps, au lieu de la seule perpétuité. Cette invention permet aussi d’insérer les revenants dans les pratiques admises, en en faisant des âmes du Purgatoire, que l’on peut « rencontrer ». C’est à cette époque que se développent les récits d’apparitions de revenants, le premier récit laïc connu datant du tout début du XIVe siècle, quand le sire de Joinville raconte très naturellement son entretien avec son maître, Saint Louis, qui lui est apparu. Reste que le succès du Purgatoire est extrêmement lent à s’affirmer. Cette lenteur est compréhensible si l’on mesure l’ampleur et l’abstraction d’un changement qui touche un domaine essentiel de la culture. L’un des downloadModeText.vue.download 634 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 623 plus beaux récits ecclésiastiques de revenants, l’histoire du jeune Guillaume de Beaucaire, datée de 1211, raconte très opportunément la lutte entre le bon ange et le mauvais ange pour s’emparer de l’âme du défunt. Il évoque déjà le Purgatoire, mais hésite encore entre cinq lieux, l’Enfer et le Paradis étant pourvus chacun d’une sorte d’antichambre ! Aucun testament ne fait allusion à des prières pour les âmes du Purgatoire avant 1300, et, si dans le Midi la croyance en l’existence de ce lieu d’expiation se répand relativement facilement, d’autres régions, telle la Bretagne, ne s’y adaptent guère avant le XVIIe siècle. De fait, l’écart reste important entre les théologiens parisiens et les pratiques populaires : le récit de la descente du Christ aux limbes - l’entrée de l’Enfer - autorise, par exemple, une confusion avec l’idée d’un rachat possible pour les damnés. De même, le culte de saint Michel exprime sans doute l’attente d’un destin réglé, au lendemain de la mort, grâce à la pesée des âmes pratiquée par l’archange, et qui est censée déterminer leur envoi au Paradis ou en Enfer. La géographie de l’Au-delà, de même, conserve des paysages populaires. Certe, la description du Paradis demeure assez floue, mais celle de l’Enfer associe couramment les images classiques du feu dévorant, des démons torturant et déchirant les damnés, à celles d’un univers glacé et humide tiré des récits irlandais ; on relève même, au moins jusqu’au XVIIe siècle, des visions beaucoup plus concrètes où, sous l’influence de la prédication populiste des moines mendiants, se retrouvent les divers responsables des malheurs populaires, tels que les seigneurs rapaces et les mauvais juges. Les nuances, la lenteur de l’évolution et les quelques incertitudes ne doivent pas masquer le succès de cette nouvelle géographie de l’Audelà, que la Réforme calviniste ne parvient pas à ébranler au XVIe siècle. On peut même penser qu’après la correction des abus les plus criants le rejet du Purgatoire et des indulgences par le calvinisme a joué un rôle dans la marginalisation de la Réforme : en effet, celleci rompt brutalement avec des pratiques bien établies, et ne leur substitue qu’une réponse trop intellectuelle en termes de prédestination. La richesse de la géographie de l’Au-delà permet désormais une souplesse telle que toutes les issues possibles y sont prévues ; elle
légitime les prières, messes et dons, et étaie les prédications les plus optimistes comme les plus menaçantes. LA « CRISPATION » SUR LA MORT Cet enrichissement des possibilités de discours est d’autant plus important qu’à partir du XIVe siècle la société et l’Église subissent de véritables traumatismes démographiques. La terrible peste noire de 1347-1348 inaugure une emprise endémique de la maladie qui ne prendra fin que vers 1640, avec un dernier regain spectaculaire à Marseille en 1720. La guerre de Cent Ans ouvre, quant à elle, un cycle de conflits qui se déroulent sur une grande partie du territoire de la France actuelle jusqu’au milieu du XVIIe siècle, avec les temps forts des guerres de Religion et de la guerre de Trente Ans. Les famines sévissent à intervalles réguliers, jusqu’à la terrible crise de 1693-1694, et leur hantise est encore nourrie au XVIIIe siècle par des alertes parfois sévères (en 1709, par exemple). Ces calamités contribuent évidemment à entretenir un taux de mortalité très élevé, mais qui doit être rapporté à l’aune d’un taux de natalité lui aussi élevé, si bien qu’il n’exclut pas des phases de croissance démographique. Plus que le taux de mortalité, ce qui frappe, c’est la soudaineté et la brutalité des ravages, généralement perçus comme des châtiments divins, qui rendent le public plus réceptif aux prédications religieuses. Du XVe au XVIIe siècle, la mort occupe dans la culture une place sans égale qui, malgré l’importance du discours ecclésiastique, indique un déplacement des préoccupations de l’Au-delà vers le terme de la vie ici-bas. C’est alors qu’est diffusé le Dies irae, composé aux alentours de 1300 et porteur d’un message sans ambiguïté : « Souviens-toi, homme, que tu n’es que poussière, et qu’à la poussière tu retourneras. » À partir du milieu du XVe siècle se répand l’ars moriendi, l’« art » de bien mourir, qui confronte le lecteur aux perspectives concrètes de sa propre mort. Le message, abondamment reproduit grâce à l’essor de l’imprimerie, est rendu plus transparent encore avec sa transformation, dès 1490, en « art de mourir et de bien vivre », c’est-à-dire de vivre en se préparant à la mort, en se protégeant des tentations par la pensée de la mort. C’est au XVe siècle également que se propage le thème littéraire et plastique de la danse macabre, accouplement de chaque groupe social avec la mort, dans une danse fantastique qui égalise toutes les conditions et rappelle la
vanité des choses d’ici-bas. Gravures sur bois, représentations scéniques et fresques murales - dont la plus célèbre est celle qui couvrait la galerie du cimetière des Innocents -, donnent à ce thème une résonance hallucinée. L’obsession de la mort trouve sans doute son expression littéraire la plus achevée chez François Villon, dont la Ballade des pendus témoigne d’un mélange de répulsion et de fascination devant les souffrances de l’agonie et la décomposition des corps. Un moment estompée par le relatif optimisme des intellectuels de la Renaissance, cette sensibilité revient en force durant ce qu’il est convenu d’appeler la « période baroque ». À la fin du XVIe siècle et dans la première moitié du XVIIe fleurissent une poésie qui joue souvent de manière très sombre avec la mort, et une peinture dont le thème - les vanités renvoie au caractère éphémère et trompeur de la vie terrestre, de ses gloires et de ses plaisirs. La mort est également au centre d’oeuvres auxquelles l’éloquence devait donner plus de force encore : en témoignent les Oraisons funèbres que Jacques-Bénigne Bossuet prononce à Paris dans les années 1660-1670, dans un environnement de pompes funèbres sans doute jamais dépassées. Et c’est encore sur la mort, figurée par un crâne, que médite, dans des toiles peintes sans doute par centaines au XVIIe siècle, la Madeleine pénitente. Ces formes d’expression ne touchent, il est vrai, qu’un milieu restreint, lettré et aisé. Il est cependant permis de penser que la prédication en transpose l’esprit en direction d’un public beaucoup plus large : le missionnaire breton Michel Le Nobletz, au début du XVIIe siècle, fait méditer son auditoire sur une tête de mort. Une culture de la mort s’est également imposée : la publicité des exécutions capitales, leur nombre, l’inventivité des formes de supplices, en font des spectacles appréciés comme tels. Le cimetière est implanté au coeur des villages et des villes ; les ossements y traînent si fréquemment que les enfants et les animaux domestiques s’en emparent. Une telle banalisation amène légitimement à s’interroger sur le sens réel et sur la véritable audience du discours ecclésiastique, qualifié de « terroriste », à juste titre, par l’historien François Lebrun. Même dans une région comme la Bretagne, où ce discours rejoint largement les préoccupations des fidèles et rencontre donc une grande adhésion, les habitants n’en persistent pas moins à attribuer
à la personnification de la mort, l’Ankou, un rôle parfois plaisant, et même à en faire un gai compagnon. De même, les trépassés continuent en un sens à faire partie de l’horizon des préoccupations quotidiennes et à n’être considérés que comme une ultime classe d’âge : un manuscrit flamand du XVe siècle les montre alors qu’ils assistent un vivant - qui prie régulièrement pour eux, il est vrai -, et, au XVIIe siècle, les religieux qui gardent le sanctuaire de Sainte-Anne-d’Auray enregistrent avec un parfait naturel les récits attribuant à l’apparition d’un proche trépassé la décision de partir en pèlerinage. De telles observations suffisent à relativiser la représentation traditionnelle d’un peuple de fidèles terrorisés : même dramatisée, la mort n’est qu’une réalité de la vie parmi d’autres, et l’Église catholique elle-même commence d’ailleurs à diffuser largement, à partir du XVIIe siècle, la conception beaucoup plus optimiste de la belle mort chrétienne. LA MORT PAISIBLE, DES LUMIÈRES À NOS JOURS Tout en continuant à prêcher sur la mort pour le commun des fidèles, l’Église catholique offre une perspective plus sereine. L’abandon entre les mains de Dieu et la confiance en sa grâce apportent à des esprits d’« élite » un apaisement dont rend compte remarquablement l’ex-voto que Philippe de Champaigne peint en 1662 après la guérison « miraculeuse » de sa fille, religieuse à Port-Royal. La musique commence également à proposer une vision très apaisée de la mort, à l’exemple du Requiem presque joyeux que Jean Gilles compose vers 1700, et dont le succès ne se démentira pas tout au long du XVIIIe siècle. Pour les fidèles simplement pieux, l’idéal de la belle mort chrétienne présente un modèle relativement accessible, fondé sur la confession, la communion, la présence du prêtre lors des derniers instants, ainsi que le testament avec ses demandes de messes et ses legs pieux et charitables. S’il prépare la voie à une conception plus paisible de la mort, ce modèle doit affronter la profonde évolution « matérielle » de la mort à partir du XVIIIe siècle, une « révolution démographique » liée à la disparition des grandes calamités. Les progrès qu’accomplissent les médecins des Lumières compensent, au moins dans les milieux aisés, les ravages causés par downloadModeText.vue.download 635 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
624 des épidémies telles que la dysenterie et la petite vérole, qui, désormais, touchent surtout les pauvres. Plus encore, ces progrès donnent la primauté au remède laïc, la médecine, sur le remède religieux, la prière. L’interdiction de toute sépulture dans les églises, le début de l’implantation des cimetières hors des villes, contribuent également, à la fin du siècle, à amorcer la dissociation entre la mort et la religion, que vient consacrer l’enregistrement des décès par l’officier d’état civil à partir de 1792. Simultanément, les Lumières proposent une nouvelle conception de la mort, paisible, semblable à un long sommeil. C’est la philosophie qui inspire le décret que Joseph Fouché prend à Nevers en septembre 1793, faisant inscrire sur la porte du cimetière : « La mort est un sommeil éternel ». C’est le sens de la Marche funèbre que Giovanni Paisiello compose en 1797 à l’occasion de la mort du général Hoche et dans laquelle on peut déceler l’amorce de la mort romantique, bientôt larmoyante. C’est aussi le sens de l’introduction de la guillotine, qui témoigne du souci de dispenser une mort aussi douce que possible, à défaut d’avoir aboli la peine de mort : le débat sur ce thème, en 1791, constitue l’un des premiers affrontements nets, dans l’histoire de la France, entre une « droite », représentée par l’abbé Maury, et une « gauche », abolitionniste, dont Robespierre est l’une des principales figures. C’est également pendant la Révolution que se crée le culte des héros, une version laïque de la présence des trépassés dans la vie et de l’inspiration par l’ange gardien : il est donc significatif de relever le succès, officiel autant que populaire, de cultes comme celui de Marat, ou de très jeunes gens comme Bara et Viala, célébrés dans le Chant du départ. La laïcisation est si profonde qu’elle résiste aussi bien aux guerres meurtrières de l’Empire qu’aux volontés de retour en arrière des souverains d’après 1815, et même au zèle conquérant de l’Église catholique triomphante du XIXe siècle. Encore faut-il en souligner l’inévitable lenteur : à la fin du XIXe siècle se déroulent toujours des cérémonies héritées du XVIIe siècle, telle la translation des ossements de l’ossuaire de Trégastel, dont le peintre Poileux Saint-Ange a laissé une description presque photographique. De même, la pompe funèbre ne disparaît des enterrements que bien après le milieu du XXe siècle. Ce ne sont pourtant là que des survivances.
L’Église catholique elle-même a pris beaucoup de recul par rapport aux excès du culte des morts. La presque langoureuse et, en tout cas, l’interminable mort de la Dame aux camélias (1848) indique déjà clairement les voies de l’avenir : l’important réside désormais, et de plus en plus, à mesure que se laïcise la société et que s’élève le niveau de vie, dans les moments qui précèdent la mort. Cette dernière se cache, peu à peu, au XXe siècle, à la maison de retraite, à l’hôpital, si bien que la médicalisation de la mort devient un enjeu de société, à la fin du siècle : à la tuberculose, longtemps mal soignée, ont succédé le cancer et le sida. C’est sur ce terrain que se situent les problèmes éthiques et sociaux, à propos du coût des traitements, de l’acharnement thérapeutique, de la mort assistée et, dans un autre registre, du suicide. Dans ce contexte, qui se double de l’apparition quantitativement importante d’un « quatrième âge », se développe le souci d’accompagnement des mourants, signe tragique de l’effacement de solidarités très anciennes. Il n’en demeure pas moins qu’au lieu de nous préoccuper, comme au XIIIe siècle, de ce qui suit la mort, nous nous préoccupons aujourd’hui de ce qui la précède. La place sans cesse croissante des rites de la Toussaint, la générosité avec laquelle nous entretenons le culte des héros - monuments aux morts, noms de rue, « panthéonisation » -, indiquent peut-être que ce bouleversement culturel a laissé, sinon des remords, du moins quelques regrets. Moulin (Jean), homme politique et résistant (Béziers 1899 - au cours de son transfert en Allemagne, 1943). Son père, élu local du Parti radical et francmaçon, lui inculque un profond sentiment républicain. Après des études de droit, Jean Moulin entreprend une carrière administrative. Il est, successivement, le plus jeune sous-préfet (Savoie, 1925), puis le plus jeune préfet de France (Aveyron, 1937). Lors de son passage en Savoie, il se lie avec Pierre Cot, député du département, et participe à plusieurs cabinets de ce dernier, de 1932 à 1938 (par exemple, au ministère de l’Air, en 1936). Même s’il n’adhère pas au Parti radical, il est politiquement proche des « Jeunes-Turcs » du parti (Cot, Mendès France, Zay) et partage leur engagement antifasciste et antimunichois. Culte du service de l’État, jacobinisme, attachement viscéral à la République et antifascisme sont, à la veille de la guerre,
les traits dominants de la pensée politique de Jean Moulin. • La Résistance. Son engagement dans la Résistance apparaît comme le prolongement de ses positions d’avant-guerre. En juin 1940, préfet d’Eure-et-Loir, il tient tête aux Allemands et tente de se suicider plutôt que de parapher un texte infamant pour l’armée française. En novembre 1940, Jean Moulin est destitué par le gouvernement de Vichy. Après avoir pris contact avec divers groupes de résistants, il gagne Londres, en octobre 1941, où il se rallie au général de Gaulle. Celui-ci le désigne comme son représentant en France et le charge de réaliser l’unification de la Résistance intérieure. Le 1er janvier 1942, Jean Moulin est parachuté dans la région des Alpilles. Sa mission consiste à unifier les trois grands mouvements de la zone sud (Combat, Libération, FrancTireur). Au printemps 1942, il commence par mettre en place des organes communs, tels le Bureau d’information et de presse - une sorte d’agence de presse de la Résistance, confiée à Georges Bidault - et le Comité général d’experts - animé par François de Menthon et Alexandre Parodi, et chargé de réfléchir aux réformes pour l’après-guerre. Il prend également les premières mesures en vue de l’unification militaire, en organisant un service radio, ainsi qu’un service des opérations aériennes et maritimes. En novembre 1942, il institue un comité de coordination des trois grands mouvements de la zone sud, un premier pas vers la fusion de ces derniers dans les Mouvements unis de Résistance (MUR), en janvier 1943. Revenu à Londres, il reçoit de nouvelles instructions du général de Gaulle, en février 1943. Élevé au rang de ministre du Comité national français, il a dorénavant pour mission d’unifier l’ensemble de la Résistance dans un Conseil national placé sous l’autorité de la France combattante. Pourtant, les divergences ne manquent pas entre Moulin et les chefs de la Résistance intérieure, en particulier Frenay, le principal dirigeant de Combat : ceux-ci s’opposent à la séparation entre le politique et le militaire qui leur est imposée (constitution de l’Armée secrète, sous le commandement du général Delestraint) ; ils critiquent également le refus de l’action immédiate que leur oppose Moulin et, surtout, sa volonté de réintroduire les partis politiques. Aidé par le travail de Pierre Brossolette et du colonel Passy en zone nord, Moulin parvient, en mai 1943, à former le Conseil national de la Résistance (CNR), qui
réunit mouvements de résistance, partis politiques (dont le PCF) et syndicats. Le 27 mai, lors de sa première réunion, à Paris, le CNR présidé par Jean Moulin proclame son allégeance à de Gaulle. Le 21 juin, à Caluire, dans la banlieue de Lyon, Jean Moulin est arrêté par la Gestapo avec les responsables militaires des MUR. Torturé par les agents de Klaus Barbie, il ne parle pas. Épuisé, il meurt lors de son transfert en Allemagne. La mémoire de Jean Moulin fait l’objet de douloureux débats. La République gaullienne choisit de faire de lui le héros posthume de la Résistance. Après l’impressionnant transfert de ses cendres au Panthéon et le magnifique hommage rendu par André Malraux en 1964, Jean Moulin va donner son nom à quantité de rues ou de lycées. Pourtant, à la suite des attaques de Frenay (l’Énigme Jean Moulin, 1977), certains, contre toute vraisemblance historique, ont voulu voir en lui un agent soviétique. Moulins (ordonnance de), ordonnance promulguée par Charles IX en février 1566. Élaborée au sein d’un Conseil élargi réuni à Moulins en janvier 1566, elle porte la marque du chancelier Michel de L’Hospital, qui en est le principal inspirateur. Comme les autres grandes ordonnances de « réformation », elle intervient sur des matières très variées : elle complète les dispositions antérieures concernant l’organisation de la justice (limitation de la compétence des justices urbaines, modalités de recrutement des juges, uniformisation des procédures) ; elle redéfinit le droit de remontrance des parlements, leur déniant la faculté de s’opposer à l’enregistrement ou à l’application d’un édit ; elle restreint les pouvoirs des gouverneurs de provinces à leurs fonctions militaires ; elle réaffirme le principe d’inaliénabilité du domaine royal, et précise les conditions de constitution des apanages. L’ordonnance de Moulins, promulguée au terme d’un « tour de France » (1564-1566) qui a permis au roi et à la reine mère Catherine de Médicis de s’enquérir de l’état du royaume, couronne l’intense activité législative déployée par la monarchie sous l’impulsion de Michel de L’Hospital, dans les années 1560-1568. À downloadModeText.vue.download 636 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 625
un moment où le pouvoir royal est menacé de dissolution en raison des luttes entre factions, elle manifeste la volonté de préserver l’intégrité de l’État et d’affirmer la primauté de la loi du roi sur les particularismes. Mounier (Jean-Joseph), homme politique (Grenoble 1758 - Paris 1806). Juriste brillant, avocat et juge royal à Grenoble, il joue un rôle important dans le mouvement des idées qui agite le Dauphiné en 1787-1788 en étant l’un de ceux qui préconisent la réunion des trois ordres dans un projet de réforme de la société. Dans une vision inspirée des expériences anglaise et américaine, il propose déjà d’instaurer un système bicaméral, qui respecterait le pouvoir royal et accorderait l’égalité politique. Représentant du tiers état, il se tient en retrait par rapport aux positions plus radicales de Mirabeau ou de Sieyès. Plus proche, à partir de juillet 1789, d’hommes comme Malouet, il défend l’établissement de deux Chambres, craignant le « despotisme » d’une seule Assemblée et le pouvoir du peuple. Ses propositions (pouvoir législatif conféré à l’Assemblée et veto absolu accordé au roi) sont repoussées par les députés en novembre 1789. Après la marche sur Versailles, les 5 et 6 octobre 1789, refusant la violence populaire, il démissionne de l’Assemblée et émigre, alors qu’une campagne de pamphlets se déchaîne contre « Monsieur Veto ». Combattu par les contre-révolutionnaires, qui ne lui pardonnent pas ses idées libérales, il ne joue aucun rôle pendant la Révolution et rentre en France en 1801, avant de devenir préfet puis conseiller d’État. mousquet, arme à feu utilisée aux XVIe et XVIIe siècles. Le mousquet apparaît dans les armées dans la première moitié du XVIe siècle. Intermédiaire entre les anciennes hacquebutes ou autres arquebuses - largement utilisées dès le XVe siècle - et les futurs fusils, cette arme à feu portative reste lourde (de 7 à 8 kilos) et peu maniable : de calibre et de poids plus importants que l’arquebuse, le mousquet nécessite l’emploi d’une fourquine sur laquelle s’appuie le canon. Son tir est donc lent à mettre en oeuvre et, en outre, peu précis, même si sa puissance permet de percer les cuirasses. Les fantassins dotés de cette arme ne constituent d’abord qu’une force d’appoint chargée de harceler l’adversaire avant le choc frontal des carrés d’infanterie lourde, et leur influence reste secondaire. Au XVIIe siècle, le mousquet est perfectionné et allégé. Il devient alors l’une
des armes essentielles du champ de bataille, équipant parfois jusqu’à un tiers des effectifs en présence : l’ordonnancement des troupes s’en trouve modifié, au profit de corps de bataille moins compacts et plus mobiles. La suppression des compagnies de mousquetaires en 1775 illustre le déclin d’une arme désormais désuète, supplantée par le fusil - plus léger et plus maniable - à partir du début du XVIIIe siècle. mousquetaires, sous l’Ancien Régime, soldats d’infanterie, puis de cavalerie. Par l’entremise d’Alexandre Dumas, le mousquetaire est entré dans l’histoire et dans la légende. Grâce aux Trois Mousquetaires (1844) - qui étaient en réalité quatre -, personne ne peut oublier l’« affaire des ferrets de la reine », ni les affrontements avec les gardes du cardinal de Richelieu, ni l’infâme Milady. Ce succès d’édition considérable est suivi de Vingt ans après (1845) et du Vicomte de Bragelonne (1848-1850). En fait, Alexandre Dumas a pris avec l’histoire des libertés bien pardonnables. Dans la réalité, selon le chroniqueur Pierre de Brantôme, les mousquetaires sont des soldats d’infanterie qui guerroient au début du XVIIe siècle, associés aux piquiers. Ils sont armés du mousquet, un engin lourd qui exige une fourche pour le tir, et dont la mise à feu s’effectue au moyen d’une mèche incandescente. À la fin du XVIIe siècle, l’invention du fusil doté de la baïonnette à douille, combinant arme à feu et arme blanche, entraînera la disparition du mousquetaire servant dans l’infanterie. Toutefois, à partir de 1622, le terme « mousquetaires » désigne aussi des cavaliers d’élite armés d’épées et de pistolets. Tels sont ceux dont s’inspire Alexandre Dumas. Ils s’intègrent dans la Garde et, surtout, dans la Maison du roi, qui atteint son apogée à la fin du règne de Louis XIV. Forte de 10 000 hommes, la Maison constitue l’élite de l’armée : quatre compagnies de gardes du corps, une de gendarmes de la Garde, deux de gendarmes et de chevau-légers, les cent-suisses, les gendarmes du roi ; enfin, deux compagnies de mousquetaires, la première créée en 1622, sous le règne de Louis XIII, et la seconde en 1660. La couleur de la robe de leurs chevaux distingue ces deux compagnies : on parle ainsi des « mousquetaires gris » et des « mousquetaires noirs ». Supprimées en 1775, restaurées en 1814, ces dernières disparaîtront définitivement en 1815. Les mousquetaires ont donné leur nom à des éléments d’habillement, gants à crispin, bottes à revers, poignets d’une che-
mise, ainsi qu’à une forme de coiffure féminine propre au XVIIIe siècle. moustérien, principale civilisation du paléolithique moyen, entre 200 000 ans et 35 000 ans avant notre ère. En France, le terme « moustérien », du nom de l’abri du Moustier (Dordogne), désigne l’ensemble des outils, principalement en pierre, produits pendant presque tout le paléolithique moyen par l’homme de Néanderthal. La réalisation de ces outils nécessite des aptitudes psychomotrices plus grandes que celles qu’avait Homo erectus au paléolithique inférieur (la période précédente). Néanmoins, l’évolution s’est faite sans rupture ; on retrouve dans le moustérien une partie des outils du paléolithique inférieur, notamment les bifaces. Cette complexité psychomotrice est révélée par les techniques de fabrication ellesmêmes et par le choix des matériaux. En effet, ce n’est plus l’outil qui est directement taillé par enlèvement d’éclats, mais ce sont les éclats qui deviennent les supports de l’outil, ce qui suppose une intention en deux étapes. L’une des techniques, dite « Levallois » (du nom de la commune des Hauts-de-Seine), consiste à préparer soigneusement le bloc de silex par une série d’enlèvements en laissant en relief l’éclat visé, qui sera finalement retiré. Vers la fin de la période, certains éclats prennent une forme plus régulière et allongée : il s’agit des « lames », fabriquées au moyen d’une technique plus systématique, qui se généralisera au paléolithique supérieur. Les matières premières utilisées sont également sélectionnées avec soin, et certains silex ont été retrouvés à près d’une centaine de kilomètres de leur source géologique. L’outillage lui-même est plus varié. On voit apparaître les premières pointes, et donc les premières armes de jet, instruments d’une chasse plus efficace. On connaît aussi de larges racloirs, pour le travail des peaux et du bois. Étant donné la longue durée du moustérien, on a pu en isoler différents faciès : moustériens « de tradition acheuléenne » (avec une proportion importante de bifaces), « de type Quina », « à denticulés », « de type Ferrassie », « typique ». Ces faciès ne semblent correspondre ni à des périodes successives, ni à des activités particulières, mais renvoient sans doute à des traditions régionales, qui se sont vraisemblablement interpénétrées au cours du temps. De fait, il manque encore une périodisation interne détaillée du moustérien.
En France, le moustérien fait place à la dernière culture liée à l’homme de Néanderthal, le châtelperronien. Moustier (Le), abri sous roche situé sur la commune de Peyzac-le-Moustier (Dordogne), et qui a donné son nom au moustérien, la principale civilisation du paléolithique moyen, pendant laquelle vivait l’homme de Néanderthal. Le site du Moustier se compose en fait de deux abris superposés, creusés dans l’escarpement calcaire qui borde la rive droite de la Vézère. Le site classique, à partir duquel a été défini le moustérien, est l’abri supérieur, qui a été fouillé à partir de 1860, d’abord par les préhistoriens Christy et Édouard Lartet, puis par Denis Peyrony, mais dans les conditions de l’époque, ce qui interdit de comprendre le détail de l’organisation interne des campements. Cet abri a révélé, sur une hauteur d’environ 3 mètres, une succession d’une dizaine de couches géologiques, qui ont permis de reconnaître plusieurs des faciès du moustérien - un « moustérien de tradition acheuléenne », un « moustérien de type Quina », un « moustérien typique », ainsi qu’un « moustérien à denticulés » -, chacun étant caractérisé par des proportions différentes d’outils particuliers. L’occupation moustérienne semble se situer entre 60 000 ans et 40 000 ans avant notre ère ; elle est suivie d’une occupation au début du paléolithique supérieur. Les animaux chassés étaient notamment des chevaux, des bovidés et des cervidés. L’abri inférieur comportait environ 6 mètres de couches et les traces de plusieurs foyers indiquant qu’il fut habité pendant une longue période. Le squelette d’un adolescent néanderthalien y fut exhumé en 1909, dans des conditions rocambolesques, par l’antiquaire suisse Hauser, puis vendu au musée de Berlin, où il disparut pendant la dernière guerre, à l’exception du crâne. downloadModeText.vue.download 637 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 626 Moyen Âge, période de l’histoire européenne qui succède à l’Antiquité et précède l’époque moderne. • Le concept de « Moyen Âge ». Il s’est forgé lentement chez les humanistes et philologues italiens de la Renaissance, soucieux de retour à l’antique et fort sévères à l’égard de la période antérieure, jugée comme une
parenthèse négative et sans intérêt. Le Moyen Âge est donc, à l’origine, une période intermédiaire entre une Antiquité valorisée et un retour à l’antique - qui l’est aussi. Le mot lui-même est inventé en Italie par nostalgie de la gloire de Rome et de la perfection classique. En France, il apparaît chez Nicolas de Clamanges (fin XIVe siècle), puis chez Robert Gaguin (fin XVe siècle), pour stigmatiser une période de barbarie et d’ignorance, mais, ici comme là, le concept ne s’applique à ses débuts qu’aux lettres et aux arts. Du XVIe au XVIIIe siècle, l’idée de Moyen Âge se diffuse et se transforme pour devenir l’une des trois phases de l’histoire nationale (Antiquité, Moyen Âge, Renaissance ou modernité), cette articulation en trois périodes chassant progressivement la répartition en quatre monarchies ou en sept âges du monde. Au XVIIIe siècle, on en fait une périodisation valable pour toute l’histoire européenne, puis, au XIXe siècle, on tente d’acclimater l’idée à l’histoire universelle et aux autres continents. • Les limites chronologiques du millénaire médiéval. Faut-il faire commencer le Moyen Âge en 395 - quand éclate l’Empire romain unitaire - ou en 476 - quand Romulus Augustule est déposé par Odoacre ? Le haut Moyen Âge continue à bien des égards l’Antiquité. De même, faut-il marquer la fin de la période en 1300 (comme le font les Italiens), en 1453 (chute de Constantinople) ou en 1492 (découverte de l’Amérique) ? Par ailleurs, certains partisans d’un long Moyen Âge, tel l’historien Jacques Le Goff, plaident pour une longue durée qui s’étend jusqu’à la Révolution. Malgré ces difficultés, inhérentes à toute tentative de périodisation, la catégorie « Moyen Âge » reste bien vivante au XXe siècle, tant chez les éditeurs que dans l’organisation des études universitaires, en raison de sa commodité. D’ailleurs, le succès de l’histoire marxiste dans les années 1950-1960 en a conforté l’idée : entre la période antique, caractérisée par l’esclavage, et la période moderne, marquée par l’accumulation capitaliste, s’insère la période féodale, qui se distingue par le servage et un mode de production spécifique, où une minorité de seigneurs vivent du travail d’une masse paysanne opprimée. Néanmoins, on admet en général aujourd’hui que cette périodisation a surtout un sens dans le cadre de l’Europe occidentale. • Le cadre géographique de la civilisation médiévale. Ce cadre diffère de celui des civilisations romaine ou grecque, filles de la Mé-
diterranée. L’Europe s’est en effet détournée de l’Orient et de l’Afrique, et elle a progressivement étendu ses bornes vers l’est et le nord. Dès la fin du IVe siècle, la scission Orient/ Occident est en germe dans celle des deux Empires ; Rome subsiste à l’est, où Constantinople ne cède qu’en 1453 devant les Turcs, mais s’effondre à l’ouest, où de petits États romano-barbares s’installent, tous chrétiens. La papauté, malgré sa romanité, se rapproche des Francs et couronne Charlemagne en l’an 800. L’incompréhension politique et religieuse entre Orientaux et Occidentaux grandit (« querelle du filioque »), tandis que le grec n’est plus guère compris en Occident. La rivalité, à partir du Xe siècle, des missions de la papauté et du patriarcat de Constantinople aboutit au schisme de 1054, qui passe alors inaperçu mais oppose à terme une Europe de l’Est orthodoxe, dirigée par Byzance puis par Moscou, à une Europe de l’Ouest latine, où le pape est l’autorité de référence. La limite des deux expansions fait basculer la Pologne et la Croatie à l’ouest mais la Serbie à l’est. Au sud, l’aire de la civilisation médiévale est plus limitée que celle de la civilisation romaine. En effet, l’Afrique et le Moyen-Orient sont progressivement conquis par les Musulmans, qui, vers 711, s’établissent en Espagne, puis dans les îles de la Méditerranée. Celle-ci n’est plus mare nostrum mais une frontière peu sûre et disputée. Au nord, le limes romain épousait le tracé de la vallée du Rhin ; l’Empire carolingien porte la frontière à l’Elbe. Au cours du Xe siècle, les royaumes scandinaves, la Pologne, la Bohême, sont christianisés par Rome. Au XIIIe siècle, la Chrétienté latine atteint des bornes stables. • Unité et diversité de l’Occident médiéval. À l’intérieur de cet Occident médiéval chrétien et latin, la diversité est grande en raison de l’extension chronologique (plus d’un millénaire) et géographique. Un monde sépare le paysan contemporain de Clovis du Parisien vivant sous le règne de Saint Louis. Pourtant, le Moyen Âge représente une unité incontestable pour le chercheur, auquel il offre des sources maîtrisables et, dans l’ensemble, peu lacunaires. Même si le manuscrit reste un objet coûteux, copié à la main par une minorité de clercs cultivés, le recours à l’écrit s’accentue dès le XIIe siècle, malgré la persistance de la culture orale. Aux sources littéraires, issues de l’élite, s’ajoutent d’autres écrits : actes du pouvoir, registres notariés, comptabilités ou livres de famille, fréquents surtout en Italie. Dans les années 1960, les sources s’enrichissent des résultats des observations aériennes et des
fouilles de villages, châteaux ou cimetières, aptes à nous éclairer tant sur la culture matérielle que sur les croyances. Les acquis de la période médiévale portent en effet sur une maîtrise croissante de la nature et de l’espace. À un monde sous-peuplé, en majorité rural, peu défriché, faisant pâle figure au haut Moyen Âge auprès des villes musulmanes ou byzantines, succède un monde « plein », défriché jusqu’à la limite du possible, où la population paysanne est regroupée auprès du château et de l’église paroissiale. La diffusion des techniques (moulin, charrue, rotation des cultures et parfois assolement), l’accroissement des surfaces cultivées, permettent à une population plus nombreuse de vivre mieux, même si les profits de la croissance bénéficient fortement aux seigneurs ou au marché urbain, qui en absorbe les surplus. De l’essor des campagnes résulte celui des villes, où se regroupent marchands en tout genre, artisans des métiers, toute une société diversifiée qui ne dépend plus uniquement de la terre et dont l’effort est peu visible aux yeux des théologiens prompts à dénoncer le goût de l’argent et à interdire aux riches le royaume des cieux. Néanmoins, si la plupart des villes médiévales sont d’origine antique en Europe du Sud, des villes nouvelles apparaissent, le réseau urbain se hiérarchise et d’autres rapports se créent entre la ville - siège du marché mais aussi du savoir, du pouvoir religieux (la cathédrale) et du pouvoir politique - et son arrière-pays. L’essor économique de l’Occident, désormais plus dynamique que l’Orient, contribue à remettre en question les schémas de l’organisation sociale en vigueur dans la société médiévale. La trifonctionnalité était née, dans les années 1020-1025, d’éléments carolingiens provenant des écoles d’Auxerre réorganisés. Les clercs devaient prier, les chevaliers combattre et les laboratores travailler pour nourrir ceux qui assuraient leur salut ou leur protection. Mais, quand le travail des laboratores commence, au moins pour une partie d’entre eux, à être lié à la diffusion du savoir ou à la circulation de l’argent, la catégorie perd son nom pour devenir, dès le XVe siècle, un « tiers état » fourre-tout, où les paysans côtoient assez artificiellement les officiers royaux. L’unité de l’époque médiévale tient aussi de la diffusion de la foi chrétienne et de la culture latine. Tout chrétien est membre d’une paroisse, de son baptême à son mariage et à son enterrement dans le cimetière (ce dernier étant, contrairement à l’époque antique, situé
au coeur du village ou de la ville). La paroisse est lieu de prière mais aussi lieu de sociabilité. Le conformisme religieux, précisément défini au début du XIIIe siècle, est général. Dans une société où l’individu isolé n’est rien, où l’État est longtemps peu présent, dans une société hantée par la peur de l’écart et de la damnation mais solidaire face aux difficultés, il faut s’intégrer dans la communauté. Sur la profondeur de la foi du plus grand nombre, les historiens sont partagés. Y a-t-il une adhésion des lèvres ou du coeur à l’enseignement de l’Église ? La diffusion des hérésies, la présence de superstitions populaires multiples, ont longtemps été interprétées comme des lacunes. On est plus sensible aujourd’hui aux exigences croissantes des fidèles et au développement de l’oraison privée. Gestionnaire du sacré, l’Église l’est aussi du savoir, le savoir élémentaire du fidèle - condition du salut -, le savoir nécessaire au fils d’un gros paysan ou d’un marchand, ou le savoir des clercs eux-mêmes, qu’on acquiert dans les écoles cathédrales, puis dans les universités à partir du début du XIIIe siècle. Ce savoir-là aussi doit déboucher sur la connaissance des Écritures et l’amour de Dieu. Il doit rester gratuit - la science n’appartient qu’à Dieu - et, donc, accessible en principe à tous. Mais il permet de plus en plus de belles carrières, tant au service de l’Église que de l’État. Ce dernier a bien failli sombrer dans la crise châtelaine, qui, vers l’an mil, multiplie les pouvoirs locaux. La société féodale enserre les terres et les hommes dans des réseaux de liens complexes où chacun - seigneur ou vassal - a des droits et des devoirs. Mais les rois restent sacrés, prestigieux plus que puissants, et les clercs leur enseignent la façon d’assurer downloadModeText.vue.download 638 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 627 le salut de leur peuple. À partir du XIIe siècle, la redécouverte du droit romain ressuscite la notion de souveraineté et contribue à une définition plus précise du pouvoir royal. Tant en France qu’en Angleterre, les rois réussissent à s’imposer au sommet d’une pyramide féodale régularisée. Toutes les terres et tous les hommes du royaume leur sont liés. Vers la fin du XIIIe siècle, les royautés redeviennent territoriales ; la frontière, de même que les institutions centrales (Conseil, Chambre des comptes, parlements), et un maillage administratif régulier réapparaissent. Malgré un envi-
ronnement plus difficile aux XIVe et XVe siècles, l’État « accouche » de la fiscalité permanente (mi-XIVe siècle), de l’armée permanente et de la fonction publique (mi-XVe siècle). Il sait, de plus, focaliser les loyautés autour de lui par une propagande nationale habile, particulièrement présente en France. • Vers une réhabilitation du Moyen Âge. Il y avait beaucoup à faire ! Au XVIe siècle, on avait déjà peu de sympathie pour ces temps ignorants et crédules qui n’auraient compté ni bons écrivains ni historiens soucieux de vérité. Au XVIIe siècle, alors que l’on continue de mépriser assez globalement une littérature grossière et naïve et un art volontiers qualifié de « gothique », sont sauvés du discrédit certains monuments (cathédrales) et quelques auteurs comme Joinville. Les premiers grands efforts de publication de documents par la congrégation bénédictine des mauristes, les collections de Robert de Gaignières (16421715), les glossaires de latin et de grec médiéval de Du Cange (1610-1688), témoignent néanmoins d’un progressif infléchissement de la vision du Moyen Âge, même si le souci de la gloire nationale, de l’identité régionale ou la célébration des bénédictins n’y sont pas étrangers. Au XVIIIe siècle, les chansons de geste, les chroniques ou les monuments médiévaux sont à nouveau appréciés. Mais les philosophes des Lumières se posent à nouveau en adversaires d’une période jugée trop soumise à l’Église et aux rois, et dépourvue d’esprit critique et de rationalité. Sous la Révolution, cette condamnation de la tyrannie féodale, caractérisée par l’injustice des seigneurs et l’intolérance de l’Église, s’accentue. Pourtant, les monuments - malgré quelques destructions - échappent à ce discrédit. La notion de patrimoine national se constitue ; bâtiments, statues, vitraux, perdent leur signification politique ou religieuse antérieure et se constituent en objets d’art, au besoin déplacés dans les musées comme mémoire de la collectivité destinée à l’instruction du peuple. Le grand retour du Moyen Âge se situe à l’époque romantique. La période est alors à la mode, tant en Angleterre (Walter Scott) qu’en France (Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo). Le style troubadour envahit le décor mobilier, l’intérêt pour le passé de la nation va croissant, même s’il n’est pas dépourvu d’arrière-pensées. Les historiens catholiques en écrivent la légende dorée tandis qu’à l’autre bout de l’échiquier politique on y voit plutôt une légende noire. À force, chacun y trouve les héros qu’il cherche : Clovis ou Saint Louis sont appréciés à droite alors que les Jacques
ou le Grand Ferré, fils du peuple, sont promus par l’histoire républicaine. La figure de Jeanne d’Arc est tiraillée, de la fille du peuple de Michelet à la sainte guerrière des années 1920. Malgré un net apaisement, cette ambiguïté du souvenir des temps médiévaux persiste encore aujourd’hui. Toute situation qualifiée de « médiévale » est inacceptable et caractérisée par l’oppression, l’inculture ou l’extrême pauvreté matérielle. Mais le Moyen Âge se vend bien, qu’il faille attribuer ce succès au goût du dépaysement ou au souci d’enracinement ! MRG (Mouvement des radicaux de gauche) ! radical (Parti) MRP (Mouvement républicain populaire), parti politique, fondé en novembre 1944, qui s’inscrit dans le courant démocrate-chrétien. Divisés dans les années 1930 entre le Parti démocrate-populaire et la Jeune République, plus progressiste, les démocrates-chrétiens français trouvent à la Libération l’élan nécessaire à la naissance d’un nouveau parti. S’appuyant sur des fédérations départementales, le MRP, à la fois mouvement de militants et parti centralisé, exclut toute référence confessionnelle et profite du rôle joué dans la Résistance par ses principaux responsables, notamment Georges Bidault, ancien président du Conseil national de la Résistance (CNR). S’il ne répugne pas à utiliser, dans ses manifestes constitutifs, le mot « révolution » (mâtiné de personnalisme), il dépend néanmoins d’un électorat qui voit en lui le représentant du courant conservateur, en l’absence initiale d’un parti gaulliste, et face au discrédit qui frappe la droite traditionnelle. Premier parti de France avec 28 % des suffrages lors de l’élection de la seconde Constituante (2 juin 1946), il devient - au sein du tripartisme, aux côtés du PC et de la SFIO, puis de la « troisième force », avec la SFIO et la droite traditionnelle, contre les gaullistes et les communistes - l’un des piliers de la IVe République. Le parti connaît un net déclin à partir de 1951, mais, de 1946 à 1958, la plupart des gouvernements d’alors comprennent des ministres MRP (à l’exception des cabinets Mendès France, Guy Mollet et Bourgès-Maunoury). Le grand combat des démocrateschrétiens, depuis la Déclaration Schuman en 1950, c’est la construction européenne : dans les rangs du MRP, les partisans d’une Europe fédérale sont nombreux. En 1954, le rejet par le Parlement du projet de Communauté européenne de défense (CED), que le MRP soutient, provoque la rupture avec le
président du Conseil Pierre Mendès France. D’abord rallié à de Gaulle en 1958, le parti s’oppose ensuite à l’élection du président de la République au suffrage universel direct lors du référendum de 1962. Finalement, laminé à droite par les succès électoraux du gaullisme, et à gauche par le rapprochement entre socialistes et communistes - en dépit du projet d’une « grande fédération » autour de Gaston Defferre -, le MRP réunit son dernier congrès en 1964, avant de se diviser : d’un côté, le Centre démocrate, créé à la suite de la candidature de Jean Lecanuet à l’élection présidentielle de décembre 1965 ; de l’autre, le Centre démocratie et progrès de Jacques Duhamel ; enfin, une poignée de ralliés à l’UDR, au PSU ou à la SFIO. Le courant démocrate-chrétien est désormais surtout influent au sein de l’actuelle Force démocrate. Mun (Albert, comte de), théoricien politique (Lumigny, Seine-et-Marne, 1841 - Bordeaux 1914). Le principal porte-parole du catholicisme social au tournant des XIXe et XXe siècles est issu de l’aristocratie légitimiste. Élève de l’École militaire de Saint-Cyr (1860), officier en Algérie, il est fait prisonnier à Metz (1870) et détenu à Aix-la-Chapelle, où il rencontre René de La Tour du Pin. Libéré, il participe au printemps 1871 à la répression de l’insurrection ouvrière, révolutionnaire et anticléricale de la Commune de Paris. Cet épisode le convainc de la nécessité d’une régénération de la classe ouvrière par le catholicisme et l’oriente vers la réflexion sociale - issue des conférences SaintVincent-de-Paul, organisées à partir de 1833 par Frédéric Ozanam et Jean-Léon Le Prévost, et du Cercle des jeunes ouvriers, créé en 1864 par Maurice Maignen - et la théorie politique contre-révolutionnaire et antilibérale prônée par le député catholique de Belfort Émile Keller. En décembre 1871, aux côtés de La Tour du Pin et Maignen, il fonde l’oeuvre des Cercles catholiques ouvriers. Appuyés par les milieux légitimistes et l’épiscopat, les Cercles catholiques, dont Albert de Mun est devenu secrétaire général, connaissent un rapide développement : on en compte 150 regroupant 18 000 membres (dont 12 000 ouvriers) en 1875, et 375rassemblant 45 000 membres (dont 38 000 ouvriers) en 1878. Candidat catholique et légitimiste aux élections de 1876 à Pontivy (Morbihan), de Mun y est constamment réélu jusqu’en 1893. Il participe, à ce titre, à la direction politique du parti monarchiste, depuis l’échec de la dissolution
décrétée par Mac-Mahon, le 16 mai 1877, jusqu’à la mort du prétendant Henri V, comte de Chambord (1883), et aux velléités boulangistes de son successeur, Philippe VII, comte de Paris. Rallié à la République à la demande du pape Léon XIII (encyclique Au milieu des sollicitudes, 1892), il est battu en 1893 à Pontivy, mais retrouve dès 1894 un siège de député, sous l’étiquette de « catholique rallié », et contribue avec Jacques Piou à la naissance de l’Action catholique et populaire ; il prend le parti de l’armée lors de l’affaire Dreyfus. Conforté dans son catholicisme social par l’enseignement de Léon XIII (tel que l’exprimait l’encyclique Rerum novarum, 1891), attaché au développement de l’Action catholique de la jeunesse française (ACJF), il se retire progressivement du débat politique et social, est élu en 1897 à l’Académie française et publie un volume de Mémoires, Ma vocation sociale (1908). Munich (accords de), accords signés le 30 septembre 1938 par la France, la GrandeBretagne, l’Allemagne et l’Italie reconnaissant les revendications de Hitler sur la Tchécoslovaquie. Engagé dans une succession de coups de force qui l’ont conduit à remilitariser la Rhénanie (mars 1936) puis à mettre fin à l’indépendownloadModeText.vue.download 639 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 628 dance de l’Autriche (Anschluss, mars 1938), Hitler annonce en mai 1938 sa volonté d’annexer la région tchécoslovaque des Sudètes, où vivent 3,2 millions de germanophones. La paix en Europe est menacée, puisque, depuis 1935, la Tchécoslovaquie est l’alliée de la France et de l’URSS. Malgré une médiation de la Grande-Bretagne, Hitler confirme son projet à l’automne. En conséquence, le gouvernement français d’Édouard Daladier commence à mobiliser. C’est dans ce contexte que Mussolini propose de réunir les représentants de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Italie et de l’Allemagne, pour dénouer la crise. La rencontre a lieu à Munich : Hitler obtient satisfaction. Les démocraties, qui n’ont pas contesté l’exclusion de la Tchécoslovaquie et de l’URSS des négociations, reconnaissent à l’Allemagne le droit d’annexer le territoire des Sudètes. Le Premier ministre britannique Arthur Neville Chamberlain est resté fidèle à
sa « politique d’apaisement ». Les velléités de fermeté d’Édouard Daladier cèdent vite le pas devant le souhait, majoritaire dans la classe politique comme dans l’opinion, d’éviter la guerre par tous les moyens. De fait, à son retour, les accords sont approuvés par 537 députés contre 75, et, comme le révèle un sondage d’alors, 57 % des Français se disent favorables à la politique suivie à Munich. Valeur traditionnelle de la gauche et des radicaux, le pacifisme devient majoritairement le fait de la droite, poussée à des compromis avec l’expansionnisme hitlérien par peur de la « menace bolchevique » ; la condamnation des accords de Munich par quelques personnalités de droite, tels Paul Reynaud, Georges Mandel ou Henri de Kérillis, reste très isolée. À gauche, par antifascisme comme par solidarité avec l’URSS, les communistes sont « antimunichois », mais certains syndicalistes de la CGT comme les partisans de Paul Faure à la SFIO s’en tiennent à un pacifisme intégral. Malgré un ressaisissement de la France et de l’Angleterre dès le début de l’année 1939, Hitler dépèce la Tchécoslovaquie, conclut un pacte avec l’Union soviétique et s’attaque à la Pologne : la guerre éclate le 3 septembre 1939. En France, le clivage entre munichois et antimunichois préfigure celui qui opposera, entre 1940 et 1944, collaborateurs, résistants et attentistes. Après la guerre, les accords de Munich, symbole de la lâcheté des démocraties face à Hitler, discréditent durablement le pacifisme. Murat (Joachim), maréchal de l’Empire, roi de Naples (Labastide-Fortunière, aujourd’hui Labastide-Murat, Lot, 1767 - Pizzo, Calabre, 1815). Beau-frère de l’Empereur, Murat est l’une des figures les plus flamboyantes de la légende napoléonienne. Son extraordinaire ascension sociale s’inscrit dans les profonds changements intervenus au cours de la Révolution et de l’Empire. Fils d’aubergiste, Murat fait ses études au collège de Cahors puis au petit séminaire de Toulouse, d’où il est renvoyé en 1787. Il s’engage alors dans le 12e régiment de chasseurs à cheval des Ardennes et connaît un début de carrière cahotique jusqu’en 1792. À partir de cette date, il gravit rapidement les échelons de la hiérarchie : maréchal des logis en mars 1793, chef d’escadron en mai. Lors de l’insurrection du 13 vendémiaire, il apporte une aide précieuse à Bonaparte contre
les royalistes : le destin des deux hommes est désormais lié. Campagne d’Italie, campagne d’Égypte, 18 Brumaire : Murat, devenu général, est présent partout, soldat talentueux, diplomate à l’occasion, homme de confiance de Bonaparte. En février 1800, il épouse la plus jeune soeur du Premier consul, Caroline, avant de partir comme commandant de la cavalerie pour la deuxième campagne d’Italie : le Grand-Saint-Bernard, Milan, Marengo. Il acquiert ainsi une expérience des affaires italiennes, qu’il mettra à profit plus tard. La paix revenue, il s’affirme comme l’une des personnalités les plus en vue du nouveau régime, cumulant charges et honneurs : membre du Corps législatif, gouverneur de Paris, maréchal de l’Empire en 1804. Il mène grand train et prend sa part au faste de la vie parisienne. Mais la légitimité fondamentale de l’Empire repose sur la guerre. À la tête de la cavalerie, Murat participe à toutes les batailles aux côtés de Napoléon : Ulm, Austerlitz, Vienne, Iéna, Varsovie, et Eylau, où il mène une charge légendaire qui assure la victoire. Pour ses services et en raison de son appartenance à la famille impériale, il est fait par Napoléon roi de Naples et de Sicile en 1808. Attaché à l’Italie, soutenu par son épouse, il administre au mieux son royaume. Puis, c’est à nouveau la guerre : Borodino, Moscou, la retraite de Russie, qu’il dirige un temps avant de rejoindre Naples, la campagne d’Allemagne. Après Leipzig, Murat sent le vent tourner. Pour sauver sa couronne, il signe la paix avec l’Autriche et fait sortir Naples de la tutelle impériale (janvier 1814). Mais il se range aux côtés de Napoléon lors des Cent-Jours, conduisant les troupes napolitaines jusqu’au Pô, avant d’être battu à Tolentino (mai 1815). Déchu, il rentre en France et tente en octobre un débarquement en Calabre pour rétablir son autorité. Trahi, fait prisonnier, il est exécuté par les troupes de Ferdinand IV. Ce « brave des braves », selon les mots de Garibaldi, a laissé sa marque dans l’épopée impériale, en France comme en Italie. musulmans. Au nombre de plus de 3 millions en 1997, les musulmans constituent la deuxième communauté religieuse du pays, devançant les protestants et les juifs. Celle-ci est, pour moins d’un siècle, entre la France et acceptation par la
l’essentiel, présente depuis mais l’histoire des rapports l’Islam pèse encore sur son société française.
Le premier contact des musulmans avec l’espace français date du VIIIe siècle. Les AraboMusulmans venus d’Espagne conquièrent un
temps le Languedoc et effectuent des raids jusqu’au Poitou (bataille de Poitiers, en 732). Au IXe siècle, ils sont présents en Provence. De petits groupes de musulmans se mêlent donc à la population française, comme le feront dans le sud du pays, au XVIIe siècle, des morisques réfugiés d’Espagne. À l’instar de toute l’Europe chrétienne, la France rejette cependant la civilisation et la culture musulmanes, fort mal connues. • Une implantation progressive. Au XVIIIe siècle, les philosophes des Lumières, notamment Voltaire, ne montrent guère plus de sympathie pour cette religion considérée comme rétrograde, même si l’expédition de Bonaparte en Égypte (1798) témoigne d’une volonté de contacts et d’échanges. La colonisation va placer de nombreux musulmans sous la domination française, notamment en Algérie, après 1830. La France, perçue comme « infidèle », contrôle étroitement le clergé musulman, les mosquées et le pèlerinage à La Mecque. La population musulmane d’Algérie ne peut garder ses lois et ses coutumes (statut coranique) qu’en demeurant hors de la citoyenneté française et dans un état d’infériorité juridique. En revanche, il y a très peu de musulmans sur le sol français au XIXe siècle, malgré quelques cas de conversion individuelle, dont Philippe Grenier, député en 1896. La situation évolue considérablement au début du XXe siècle, avec, pour la première fois, une arrivée massive de musulmans. Ce sont des travailleurs immigrés nord-africains, essentiellement des Algériens chassés de leur pays par la misère et les expropriations. La guerre accélère le mouvement : 130 000 Maghrébins sont recrutés dans les usines et les fermes, et 170 000 combattent au front ; s’y ajoutent les tirailleurs sénégalais musulmans. L’État fait venir pour eux des imams, et l’armée construit même des mosquées démontables. La création d’une mosquée est subventionnée à Paris (1920-1926), en hommage à leurs morts, et malgré la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905. En 1924, la France compte environ 120 000 musulmans : ils restent très liés à leurs pays d’origine, formant un vivier de militants nationalistes, tel Messali Hadj. Après 1945, une nouvelle étape est franchie. Les tardives réformes en Algérie donnent la nationalité française aux Algériens musulmans, tandis que la guerre d’Algérie et la décolonisation ravivent les sentiments hostiles aux musulmans en France. Pourtant, après 1962, arrivent en nombre des supplétifs
musulmans de l’armée française d’Algérie (les harkis), des immigrés nord-africains - Algériens d’abord, Marocains et Tunisiens ensuite -, puis d’autres en provenance de différents pays. Ce sont surtout des adultes, des travailleurs célibataires ; ils sont peu « visibles » et vivent leur foi dans la discrétion (salles de prière exiguës et peu nombreuses). Au cours de cette période, on note peu d’attitudes de rejet, d’autant que l’Église catholique prône la tolérance religieuse. Après 1975, l’arrêt de l’immigration massive s’accompagne d’une diversification des origines des nouveaux arrivants (Noirs africains, Turcs et Proche-Orientaux, Indo-Pakistanais, etc.) et du regroupement familial. C’est une période où apparaît avec plus d’évidence le contraste entre la culture musulmane (absence de tradition individualiste, place des femmes) et le modèle républicain et laïc. Ce hiatus suscite alors un regain de racisme envers les immigrés et les musulmans. Mais la jeunesse, souvent de nationalité française, s’organise en associations laïques, et se sent relativement peu concernée par la religion. downloadModeText.vue.download 640 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 629 • Une reconnaissance difficile. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, les communautés musulmanes se sont stabilisées. Elles sont assez homogènes socialement (80 % d’ouvriers) et géographiquement (60 % sur l’axe Paris-Lyon-Marseille), mais très différentes quant à leurs origines et à leurs pratiques religieuses : 1,5 millions de Maghrébins, 500 000 harkis et leurs familles ; et autant d’autres musulmans de nationalité française (les « beurs »). À ces populations s’ajoutent près de 200 000 Turcs, autant de Proche-Orientaux et de ressortissants non arabes d’Asie (Indo-Pakistanais, Tamouls, Iraniens, etc.), 170 000 Noirs africains, et quelque 35 000 autochtones convertis. Ces communautés vivent diversement leur islam, mais les enfants réclament tous le respect et la « visibilité ». Or, il y a en France très peu de lieux de culte (moins de 1 500 en 2001, dont seulement une dizaine de mosquées de plus de 1 000 places). Cette demande de reconnaissance s’accompagne de l’islamisation, sur le modèle fondamentaliste, d’une minorité de la jeunesse qui s’intègre plus mal, du fait de la crise et de la xénophobie grandissante. Les heurts se mul-
tiplient. En août 1989, un maire fait détruire une salle de prière musulmane à CharvieuChavagneux, dans l’Isère ; en octobre, des élèves portant le « foulard islamique » se voient refuser l’accès d’un collège de l’Oise. Contrairement aux pays d’Europe du Nord, la République française refuserait-elle l’islam ? En fait, des signes positifs apparaissent. L’État tente de susciter l’organisation de la communauté musulmane : un Conseil de réflexion sur l’islam en France (CORIF) fonctionne un temps (1990-1993). Ces efforts aboutissent en 2002 à l’instauration d’un Conseil national du culte musulman. En 1991, les carrés musulmans sont généralisés dans les cimetières, et les militaires musulmans peuvent obtenir un régime alimentaire conforme aux prescriptions du Coran. En 1992, pour la première fois, un Français, Dalil Boubakeur, devient recteur de la Mosquée de Paris, et trois instituts de formation d’imams français sont créés (95 % des imams en France sont encore de nationalité étrangère). La Grande Mosquée de Lyon est inaugurée en septembre 1994. Le pourcentage de pratiquants reste pourtant très bas : 8 % assistent à la prière du vendredi (mais 70 % font le ramadan). Toutes les études montrent que l’islamisme touche peu les musulmans français. Nombre d’entre eux pratiquent un islam traditionnel et privé, et beaucoup s’acheminent discrètement vers la sécularisation. Les mariages mixtes sont d’ailleurs très nombreux, et les sondages indiquent que les jeunes d’origine musulmane connaissent mal leur religion. Avec les craintes que suscitent les intégrismes, un amalgame confus peut être effectué dans l’opinion publique entre musulmans et islamisme politique. Les musulmans de France exigent d’abord respect et compréhension. Seuls quelques-uns le font dans la révolte ; la grande majorité demande seulement que finissent les siècles de méfiance et de rejet. mutineries de 1917. De 1914 à 1917, un certain nombre d’actes individuels d’indiscipline ont été très gravement sanctionnés dans l’armée française. En effet, la peine de mort a été appliquée en moyenne à vingt-cinq hommes par mois pour désertion ou refus d’obéissance. Mais, au printemps 1917, apparaît un tout autre phénomène : celui des refus collectifs d’obéissance, ou mutineries. En avril 1917, une offensive est lancée par le général Nivelle entre Soissons et Reims, dont on attend beaucoup : son échec entraîne
une désillusion à la mesure de cette attente. Une fois de plus, on a l’impression que les généraux ne sont pas à la hauteur de leur tâche, et c’est une fois de trop. Au lendemain de l’attaque manquée du 17 avril a lieu un premier incident, suivi, en mai et juin, de deux cent cinquante actes de désobéissance collective qui affectent 68 divisions, soit les deux tiers environ de l’ensemble de l’armée. Leur épicentre se situe dans la région du Chemin des Dames. Contrairement aux allégations des généraux, ces mutineries ne furent que très rarement politiques ou « défaitistes » - il y avait très peu de slogans révolutionnaires, six mois avant la révolution bolchevique -, et ne furent nullement provoquées par la propagande pacifiste de l’arrière. Les hommes, en se refusant à continuer d’alimenter des massacres inutiles, se comportent simplement en soldats citoyens. Les troubles s’arrêtent cependant assez vite dans les secteurs où les officiers acceptent de renégocier les conditions de combat et de vie de la troupe. Le général Pétain, qui a remplacé Nivelle, le comprend bien : il fait ainsi améliorer l’« ordinaire » des premières lignes et renonce aux opérations inutiles. Les conseils de guerre jugent pourtant plus de 4 000 hommes, dont 554 sont condamnés à mort et une cinquantaine exécutés. On a pu penser que les autorités militaires s’étaient montrées relativement indulgentes. Pétain, en particulier, a été décrit par certains historiens sous un jour favorable, parfois non sans arrière-pensées pour justifier le reste de sa carrière. En réalité, les grâces signées par le président de la République attestent que les généraux n’avaient pas le choix. La société civile n’aurait pas admis une fermeté exagérée face à des mouvements qui n’exprimaient que le bon sens : les attaques inutiles ne pouvaient permettre de gagner la guerre. La majorité des hommes ont cependant continué à se battre et à mourir (15 000 par mois en moyenne) pendant ces événements : pourquoi et comment les soldats ont-ils tenu, au moment où la crise du moral de l’arrière et les grèves s’ajoutaient aux mutineries ? Telle est en fait la vraie question que posent les troubles de cette période. Après le conflit, les exécutions ont forgé le mythe de la décimation, qui a servi de base au mouvement pacifiste et antimilitariste des années 1930. mutineries de la mer Noire ! mer Noire (mutineries de la) downloadModeText.vue.download 641 sur 975 downloadModeText.vue.download 642 sur 975
Nadar (Félix Tournachon, dit), pionnier de la photographie (Paris 1820 - id. 1910). Nadar connaît une jeunesse pauvre après la ruine de son père, libraire. Ayant interrompu ses études de médecine, il devient journaliste caricaturiste et noue ses premières amitiés dans le monde politique et littéraire. En 1845, il publie un roman (la Robe de Déjanire), et, en 1850, après une escapade partisane en Pologne, sa réputation de caricaturiste d’opposition est déjà forgée. À la fin de 1853, il vient à la photographie, et publie dès 1854 sa célèbre lithographie : Panthéon Nadar (trois cents personnages en procession derrière Victor Hugo). Ses portraits de Baudelaire, Napp, Chasles, Daumier, Doré, etc., font partager une atmosphère d’intimité. Sa réputation s’affirme aussitôt et ne sera jamais démentie. Ce que Jean-Paul Sartre appellera « la magie » de Nadar est un art : l’ex-caricaturiste excelle dans l’exploitation de la physionomie des modèles, affirmant que l’essentiel consiste à transcender la banalité des visages pour saisir leur « intelligence morale ». En 1863, ce novateur infatigable (éclairage électrique pour photographies de nuit, première vue aérienne) et fortuné (il dirige trois journaux illustrés), se lance dans l’aérostation. Mais son ballon, Géant, s’écrase. Ruiné, Nadar se relève pourtant. En 1870-1871, il organise la compagnie des aérostiers militaires de Paris. Enfin, dernier acte mémorable : en 1874, il accueille la première exposition des impressionnistes dans son atelier. Il se retire en 1886 et rédige ses Mémoires (Quand j’étais photographe, 1900). Ce magicien de la chambre noire, esthète engagé, ami des arts et des lettres, passionné de progrès techniques, laisse l’image d’un impénitent aventurier de l’esprit. Nadaud (Martin), homme politique (La Martinèche, Creuse, 1815 - id. 1898). Né dans un milieu de paysans pauvres creusois, Martin Nadaud vient à Paris en 1830 pour exercer le métier de maçon, comme beaucoup d’hommes de sa région. Il y complète son instruction et fait son éducation politique. Membre de la Société des droits de N l’homme, partisan de la doctrine de Cabet, il participe activement au mouvement populaire et démocratique qui agite la capitale sous le règne de Louis-Philippe. Insurgé en février 1848, l’ouvrier-maçon est élu député de la Creuse en 1849 ; montagnard, il siège au sein du groupe des démocrates-socialistes
et se spécialise dans les débats sur le droit du travail, le bâtiment et l’urbanisme. Arrêté lors du coup d’État du 2 décembre 1851, expulsé, il s’exile à Londres, où il est d’abord maçon, puis professeur de français ; il exerce au collège de Wimbledon à partir de 1858. De retour en France lorsque la république est proclamée, il est nommé préfet de la Creuse par Gambetta (1870-1871). En 1871, après avoir discrètement soutenu la Commune, il est élu conseiller municipal de Paris (XXe arrondissement, Père-Lachaise). Député de la Creuse de 1876 à 1889, questeur de la Chambre à partir de 1882, il se rapproche des « opportunistes ». Anticlérical et franc-maçon, opposé aux boulangistes, il est battu aux législatives en 1889 et se retire dans sa région natale. Son autobiographie, Mémoires de Léonard, ancien garçon maçon (1895), est le récit de son combat pour le progrès social et la démocratie, ainsi qu’un document exceptionnel sur la vie et l’éducation du peuple au XIXe siècle. Nancy (bataille de), bataille qui opposa, le 5 janvier 1477, le duc de Lorraine René II au duc de Bourgogne Charles le Téméraire, et se solda par la défaite et la mort de ce dernier. Charles le Téméraire s’est emparé de la ville de Nancy en novembre 1475. Dans un discours prononcé à cette occasion, il affirme son intention d’en faire la capitale du royaume bourguignon. Mais, auparavant, il veut en finir avec les cantons suisses, lesquels, soutenus financièrement par Louis XI, ont fait alliance avec les villes d’Alsace en révolte contre sa politique. L’armée bourguignonne affronte donc l’armée suisse une première fois à Granson, près du lac de Neuchâtel, le 2 mars 1476, puis une seconde fois à Morat, le 22 juin. Ces deux batailles sont deux terribles défaites pour le duc de Bourgogne, qui voit son armée presque totalement détruite. Le duc de Lorraine profite de l’affaiblissement de son rival pour réoccuper son duché : il rentre dans Nancy le 7 octobre 1476. Charles le Téméraire vient en janvier 1477 assiéger la ville. Mais la lutte s’annonce par trop inégale, tant la supériorité numérique des troupes de René II est écrasante. Alors que les Bourguignons s’installent sur un plateau situé au sudest de la cité, les Suisses, alliés du duc de Lorraine, rééditent la tactique employée à Morat, prenant leurs ennemis à revers. De nombreux Bourguignons sont massacrés. Deux jours après la bataille, le cadavre du Téméraire est découvert nu, dans la boue glacée, au bord de l’étang Saint-Jean. La mort de Charles le Téméraire marque l’effondrement de la puissance bourguignonne.
Nantes (édit de), édit royal de 1598, signé par Henri IV, qui met fin aux guerres de Religion après quarante années d’instabilité politico-religieuse, et qui fixe légalement le statut des protestants dans le royaume - jusqu’à sa révocation par Louis XIV en 1685. L’édit est promulgué au terme de négociations difficiles avec l’assemblée permanente protestante, qui exige la liberté de culte public dans toute la France. C’est seulement à la fin de l’année 1597 que la situation se dénoue : Henri IV se trouve en position de force, du fait de l’ouverture de négociations avec l’Espagne et de la soumission du duc de Mercoeur, l’un des chefs de la Ligue. Quatre documents composent le statut de compromis accordé aux calvinistes : un édit « solennel et public » comprenant 92 articles généraux, paraphé le 13 avril 1598 ; 56 articles secrets contenant des précisions d’application, signés le 2 mai, qui, comme l’édit, doivent être enregistrés par les parlements ; deux brevets immédiatement exécutoires, relatifs à des subventions (45 000 écus pour le traitement des ministres du culte) et à l’octroi de places de sûreté, et qui ne contiennent que des garanties temporaires dépendant de la downloadModeText.vue.download 643 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 632 grâce royale. Se rajouteront, ultérieurement, d’autres expressions de cette grâce (droit de tenir des assemblées générales et d’entretenir à la cour deux députés généraux). L’édit constitue pour le catholicisme un échec. Le culte réformé est désormais autorisé sur les terres des seigneurs hauts justiciers, tandis que les seigneurs bas justiciers reçoivent un droit de culte privé. Il est reconnu également dans les villes et lieux où il se déroulait publiquement en 1596 et jusqu’à la fin d’août 1597, ainsi que dans les faubourgs de deux villes (ou bourgs) par bailliage. Des restrictions particulières concernent les terres de grands seigneurs ligueurs, Paris, les cimetières... Sont définis aussi des droits civils, qui placent les calvinistes à égalité avec les catholiques : droit d’accéder à toutes les charges, dignités et magistratures, droit de libre résidence, droit de vendre, acheter, tester, héri-
ter..., droit d’admission dans les universités, collèges, écoles et hôpitaux, droit de créer des collèges et académies, droit d’être jugés par des tribunaux spéciaux (des chambres miparties, avec établissement, au parlement de Paris, d’une Chambre de l’édit composée de 6 calvinistes et de 10 catholiques). La paix repose enfin sur des droits politiques : concession de 144 lieux de refuge pour huit ans et faculté de tenir des assemblées discutant du montant des subventions royales. L’application de l’édit se heurte à des résistances. Le parlement de Paris en négocie l’enregistrement dans une forme quelque peu remaniée, suivi par les autres cours souveraines, sauf le parlement de Rouen qui résiste jusqu’en 1609. Pour remédier aux difficultés locales dues aux réticences calvinistes comme catholiques, le roi nomme des commissaires dans les ressorts des parlements, l’un catholique, l’autre protestant. Ainsi est instauré en France ce qu’Augustin Renaudet a nommé « un régime nouveau et inconnu jusque-là en Europe », mais dont il faut se demander si, dans l’optique de la monarchie absolue qui se mettait en place, il n’était pas pensé comme transitoire. Nantes (noyades de), exécutions massives pratiquées pendant la Révolution, entre novembre 1793 et janvier 1794. À l’automne 1793, après des mois d’une guerre civile effroyable, la Vendée est en passe d’être vaincue. Alors qu’elle est devenue le symbole de la résistance à la Révolution, Nantes, entourée de campagnes royalistes et enjeu d’une jonction entre chouannerie et Vendée, est suspectée de fédéralisme par le pouvoir central, qui envoie en mission dans ses murs le conventionnel Carrier. Prenant appui sur la petite bourgeoisie peuplant le comité révolutionnaire et la société populaire de la ville, celui-ci applique férocement la Terreur. Les prisons ne suffisant plus à contenir suspects et combattants vendéens, il décide de procéder à des exécutions massives. Aux fusillades, qui font plus de 2 600 morts, succèdent les noyades dans la Loire : elles consistent à couler des bateaux chargés de prisonniers, mais aussi à noyer hommes et femmes liés ensemble (les « mariages républicains »). Organisées de nuit, ces noyades auraient fait entre 3 000 et 5 000 morts. « Quel torrent révolutionnaire que la Loire ! », écrit Carrier, qui devient, lors de la réaction thermido-
rienne, l’image même de la Terreur, dépeinte comme un système de dépopulation. Alors que les girondins proscrits sont rappelés à la Convention, le récit des tueries et les témoignages sinistres lors du procès de Carrier en décembre 1794 permettent aux thermidoriens d’éliminer les derniers membres des Comités de salut public et de sûreté générale de l’an II. Laissant un souvenir durable, les « noyades de Nantes » font d’emblée l’objet d’une polémique toujours vivace. Nantes (révocation de l’édit de), acte par lequel Louis XIV interdit le culte protestant en signant l’édit de Fontainebleau, le 18 octobre 1685. La coexistence légale de deux religions qu’institua l’édit de Nantes - fait unique en Europe était conçue comme transitoire par les autorités catholiques et chaque assemblée générale du clergé exhortait à extirper l’hérésie, pour le salut des protestants et la gloire de l’Église. Le pouvoir royal, quant à lui, voyait un ferment démocratique dangereux dans les Églises réformées, les paroisses élisant leur pasteur, leurs synodes provinciaux et nationaux. La suppression des privilèges politiques des protestants par l’édit d’Alès (1629) ne désarme pas la méfiance royale, malgré le loyalisme désormais affiché par les notables réformés. Le protestantisme voit par ailleurs son assise sociale réduite par les abjurations qui touchent la noblesse, soucieuse des faveurs royales. En arrivant au pouvoir en 1661, Louis XIV, qui n’a plus à redouter les protestants, n’a donc plus à les ménager. Une interprétation restrictive de l’édit de Nantes prévaut alors : limitation des prêches, interdiction de chanter des psaumes dans la rue ou de célébrer des obsèques en plein jour, fermeture de l’administration et de certains métiers aux non-catholiques, destruction des temples construits hors des lieux prévus par l’édit. Les écoles et collèges protestants sont peu à peu fermés. En outre, une caisse des conversions est instituée afin de récompenser les abjurations. La guerre de Hollande met un terme provisoire aux persécutions, qui reprennent dès le retour à la paix, sous une forme nouvelle : les dragonnades. Aux yeux du roi et de ses conseillers (Bossuet, le Père La Chaise, Louvois), celles-ci doivent achever une hérésie moribonde : les trois quarts des lieux de culte ont disparu à la fin de 1684 et le mouvement paraît irréversible ; la communauté protestante n’existant plus comme Église et société, l’édit de Nantes ne se justifie plus - au Conseil du roi, seuls Sei-
gnelay, Croissy et le dauphin sont d’avis de suspendre sa révocation. L’édit de Fontainebleau accorde donc le droit avec le fait : il supprime le culte réformé (les luthériens d’Alsace ne sont pas concernés). La liberté de conscience est formellement garantie ; mais, sans droit de s’exprimer, elle est illusoire : les pasteurs ont quinze jours pour choisir d’émigrer, en abandonnant leur biens et leurs enfants de plus de 7 ans, tandis que le départ est interdit aux simples fidèles. Dans sa quasi-totalité, l’opinion catholique s’enthousiasme ; bravant la peine des galères, 200 000 protestants (sur 800 000) préfèrent l’exil à l’abjuration. Dès la fin de 1685 apparaissent les assemblées du Désert. l NAPOLÉON Ier. Figure extraordinairement populaire de l’histoire universelle - qui, au fond, peut lui disputer la prééminence ? -, Napoléon a engendré autant de haines féroces que d’idolâtries. Son destin a d’emblée fasciné les contemporains, avant que les jugements vibrants de passion de la postérité ne s’en emparent. La bibliographie napoléonienne n’a cessé de s’allonger au fil des décennies, et les interprétations de la geste impériale sont aussi variées que contradictoires. Une telle diversité tient sans doute à la position particulière de Napoléon, personnage exceptionnel situé aux confins de deux époques : ce fondateur du « régime moderne », pour reprendre la formule de Taine, promu parfois ancêtre des dictatures du XXe siècle, est également un homme du XVIIIe, profondément marqué par l’esprit des Lumières ; il fraie les voies de l’avenir tout en demeurant attaché au passé. BONAPARTE ET LA RÉVOLUTION Sans la Révolution, Bonaparte aurait probablement connu une carrière d’officier dénuée de relief particulier. Il a lui-même conscience que, sous le règne pacifique de Louis XVI - la guerre de l’Indépendance des États-Unis mise à part -, la gloire va plus à la plume qu’à l’épée. Né à Ajaccio le 15 août 1769, dans une Corse qui vient à peine d’être cédée par Gênes à la France, le 15 mai 1768, il appartient à une famille de notables assimilée à la noblesse continentale. Pourvu de quatre frères (Joseph, Lucien, Louis et Jérôme) et de trois soeurs (Élisa, Pauline et Caroline) dont il doit s’occuper bien que l’aîné soit Joseph, Napoléon Bonaparte ne peut guère nourrir d’illusions sur son avenir, dans une France
marquée par la réaction nobiliaire qui caractérise le règne de Louis XVI. En dépit de ses études au collège d’Autun, puis à l’école militaire de Brienne (1779-1784), ses perspectives de carrière ne sont guère enthousiasmantes. Le 28 septembre 1785, il est affecté comme officier à Valence et découvre l’ennui des garnisons de province. La littérature du siècle l’attire. Lecteur avide, il accumule de nombreuses notes de lecture. Sa prédilection va aux Philosophes, notamment Rousseau et l’abbé Raynal : « Ô Rousseau, écrit-il, pourquoi faut-il que tu n’aies vécu que soixante ans ! Pour l’intérêt de la vertu, tu eusses dû être immortel ! » C’est de sa lecture de Rousseau qu’il tire l’idée que la Corse a atteint, avec la Constitution de 1755, l’idéal en politique. Au début de la Révolution, le jeune officier suit les événements avec curiosité, mais son intérêt est ailleurs, dans son île natale où se fait sentir le contrecoup des bouleversements du continent. Faut-il aller vers une nation corse, comme le souhaite le patriote Paoli, ou vers une intégration à la France ? Bonaparte publie une Lettre à Buttafuoco (un député favorable à la France), où il prend parti pour Paoli. Mais downloadModeText.vue.download 644 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 633 il finit par se séparer du vieux chef corse en avril 1793, et se réfugie avec sa famille sur le continent, renonçant du même coup à jouer un rôle politique dans l’île. Resté fidèle à Paoli, Bonaparte eût été entraîné dans la fuite de celui-ci au moment où la Convention a repris l’île. En France, il choisit le camp des montagnards. Il écrit alors le Souper de Beaucaire, dans lequel il défend le point de vue centralisateur des jacobins contre Paoli et les girondins entrés en insurrection contre la Convention. Bonaparte s’illustre à Toulon, qu’il contribue efficacement à reprendre aux Anglais. Remarqué par le frère de Robespierre, représentant en mission dans le Var, il devient général de brigade en décembre 1793. Mais un tel parrainage s’avère compromettant : la chute de Robespierre aîné, le 9 thermidor, le laisse sans commandement. La réaction royaliste qui suit la fin de la Terreur menace d’emporter la Convention : les sections modérées de la rive droite de la Seine marchent sur
l’Assemblée, le 5 octobre 1795 (13 vendémiaire an IV). Barras, chargé de la défendre, fait appel à Bonaparte, qu’il a remarqué lors de ses missions dans le Midi. Les insurgés royalistes sont décimés par les canons que Murat est allé chercher au camp des Sablons et que Bonaparte dispose efficacement. La République est sauvée. En récompense, le jeune général reçoit le commandement en chef de l’armée d’Italie, le 2 mars 1796. Une semaine plus tard, il épouse Joséphine Tascher de La Pagerie, veuve du général de Beauharnais. VERS LA CONQUÊTE DU POUVOIR Contre l’Autriche, la stratégie de Carnot, qui dirige les opérations militaires au Directoire, consiste à lancer trois armées sur Vienne. La première, sous le commandement de Jourdan, doit prendre la vallée du Main, et la deuxième, sous le commandement de Moreau, celle du Danube ; quant à la troisième, elle doit jouer un rôle de diversion dans la plaine de Pô, et éventuellement menacer les Alpes autrichiennes. C’est en fait Bonaparte qui porte le coup décisif, lorsqu’il s’empare de Milan en mai 1796 après la victoire de Lodi, et fait le siège de Mantoue, qui tombe le 2 février 1797. Les armées autrichiennes, envoyées pour débloquer la citadelle, sont battues à Castiglione, Bassano, Arcole et Rivoli. La route de Vienne est alors ouverte. Les victoires de Bonaparte acquièrent un relief d’autant plus éclatant que les autres généraux français sont vaincus en Allemagne. Bonaparte sait amplifier ces victoires grâce à une habile propagande fondée sur la presse et l’imagerie populaire. « Après Lodi, dira-til, je me regardai non plus comme un simple général, mais comme un homme appelé à influer sur le sort d’un peuple. » Toutefois, malgré le prestige que lui assure la paix de Campoformio qui met fin à la guerre sur le continent, Bonaparte juge qu’il est encore trop tôt pour renverser le Directoire. Il doit pourtant éviter de se faire oublier. Il est élu à l’Institut, le 25 décembre 1797. C’est le moyen pour lui de s’assurer l’appui des Idéologues, influents tenants des Lumières et des conquêtes de la Révolution, et d’ajouter à la gloire militaire le prestige scientifique. Mais il lui faut également prendre du champ pour ne pas être entraîné dans les intrigues du Directoire. C’est ainsi que naît le projet de l’expédition d’Égypte, qui s’inscrit dans la grande lignée des voyages scienti-
fiques du XVIIIe siècle et dans la continuité de la lutte contre l’Angleterre, à laquelle on entend couper la route des Indes. En juillet 1798, après la victoire des Pyramides sur les Mamelouks qui dominaient le pays, la conquête de l’Égypte tourne au cauchemar. Nelson détruit la flotte française à Aboukir, empêchant tout retour de l’armée. Au nord, la progression de Bonaparte est arrêtée à Saint-Jean-d’Acre. La guerre qui reprend sur le continent européen lui fournit un alibi commode pour rentrer en France, et il laisse le commandement de l’armée d’Égypte à Kléber. En octobre 1799, au retour de Bonaparte, le discrédit politique du Directoire est total. Coups d’État annuels et défaites tant en Italie qu’en Allemagne ont achevé de le déconsidérer. Tandis que les jacobins, qui s’appuient sur Bernadotte, envisagent de mettre en place une république pure de toute concession, Barras rêve d’une restauration monarchique qu’il opérerait avec le général d’Hédouville. Grande figure des débuts de la Révolution, Sieyès songe de son côté à donner à la France une nouvelle Constitution dont il serait l’auteur. Lui aussi compte s’appuyer sur un général, Joubert, qui est malheureusement tué à Novi. Il se tourne alors vers Bonaparte. Le coup d’État souhaité par Sieyès ne devait être à l’origine qu’une opération parlementaire, dans laquelle Bonaparte aurait été chargé d’intimider les députés. Mais c’est ce dernier qui se laisse intimider et perd son sang-froid, le 18 brumaire, à Saint-Cloud, devant les Cinq-Cents. Son frère Lucien, pour lui éviter d’être mis hors la loi, doit faire intervenir l’armée avec Murat. De parlementaire, le coup d’État devient militaire. L’homme fort n’est plus Sieyès, mais Bonaparte. DU CONSULAT À L’EMPIRE Le régime que met en place la Constitution de l’an VIII n’est pas une dictature militaire. Il s’agit, au fond, d’une dictature de salut public à la romaine. « Cette nation avait besoin d’un gouvernement fort, dira Napoléon à O’Meara, son médecin à Sainte-Hélène. Tant que je suis resté à la tête des affaires, la France a été dans l’état où était Rome quand il fallait un dictateur pour sauver la République. » L’oeuvre des années 1800-1803 est remarquable : pacification intérieure avec l’amnistie permettant le retour des émigrés, la fin de la guerre de Vendée, l’effacement des factions et la répression du brigandage - principale séquelle de la guerre civile ; pacification reli-
gieuse grâce à la signature du concordat avec Rome, le 15 juillet 1801 ; redressement financier par la création, le 13 février 1800, de la Banque de France et l’établissement, en mars 1803, du franc germinal, qui restera stable jusqu’en 1914 ; mise en place d’institutions nouvelles comme le Conseil d’État ou le corps des préfets qui perdureront jusqu’à notre époque ; fin de la guerre avec l’Angleterre par la paix d’Amiens, en mars 1802. Le titre de consul à vie octroyé à Bonaparte le 2 août 1802 est la suite logique d’une mesure de reconnaissance demandée par les députés du Tribunat au mois de mai, et que consacre un référendum. Deux ans plus tard, le consulat à vie est devenu une monarchie impériale héréditaire. L’ambiguïté de cette monarchie est évidente. Elle a une double légitimité : celle du suffrage universel, par un référendum sur l’hérédité de la dignité impériale - approuvée par 3 500 000 « oui » contre quelque 2 500 « non » -, et celle de la tradition, par le sacre, le 2 décembre 1804, à Notre-Dame, le pape Pie VII étant spécialement venu de Rome. Cette dualité apparaît dans le fait que Napoléon Ier est empereur des Français alors que le mot de République est toujours en usage, et que le calendrier républicain est conservé jusqu’en 1806. Parmi les facteurs qui ont favorisé l’avènement de l’Empire, la découverte de la conspiration du chef chouan Cadoudal, en 1803, a joué un rôle essentiel. On craint en effet l’assassinat de Bonaparte, devenu le rempart des conquêtes révolutionnaires. La consolidation du régime devient donc indispensable, comme le rappelle le serment tenu le jour du sacre. Napoléon jure de défendre l’intégrité du territoire, l’égalité des droits, la liberté politique et, surtout, l’irrévocabilité de la vente des biens nationaux (essentiellement les biens d’Église nationalisés et vendus sous la Révolution). Il apparaît à cet égard, pour reprendre l’expression de Balzac, comme « l’homme qui assure la possession des biens nationaux. Son sacre est trempé dans cette idée ». Mais, à l’inverse d’un Cincinnatus, paysan héros de la Rome antique, Napoléon ne retournera pas « à la charrue » une fois la République sauvée. LES GRANDES VICTOIRES Ce rôle de défenseur des conquêtes révolutionnaires, Napoléon va le tenir magnifiquement face aux troisième, quatrième et cinquième coalitions de puissances européennes montées par l’Angleterre. La troisième coa-
lition - les deux premières étaient dirigées contre la Révolution - regroupe, outre l’Angleterre, l’Autriche, la Russie et Naples. Les Autrichiens sont vaincus à Ulm (20 octobre 1805), puis les forces austro-russes à Austerlitz, le 2 décembre 1805. Les Prussiens et les Russes prennent une part active à la quatrième coalition : les premiers sont anéantis à Iéna (14 octobre 1806), les seconds défaits à Eylau (8 février 1807), puis à Friedland (14 juin 1807). Ébranlé, le tsar Alexandre Ier conclut la paix à Tilsit, le 7 juillet 1807. Le seul adversaire redoutable qui reste est l’Angleterre. Faute de pouvoir y débarquer, sa flotte ayant été détruite en grande partie à Trafalgar, le 21 octobre 1805, Napoléon utilise contre elle l’arme économique : fermer le continent européen aux marchandises anglaises (produits manufacturés et denrées coloniales) lui semble être le meilleur moyen d’obliger Londres à la paix, en ruinant le commerce britannique et en précipitant la chute de la livre sterling. Le 21 novembre 1806, le Blocus continental est décidé par le décret de Berlin : il interdit toute relation commerciale avec les îles Britanniques. downloadModeText.vue.download 645 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 634 LE TOURNANT DE 1808-1809 Cette fermeture du continent, pour atteindre sa pleine efficacité, implique de nouvelles guerres de conquête. Le Portugal, qui refuse de suspendre son commerce avec Londres, est envahi en 1808. L’Espagne, alliée peu sûre, est à son tour frappée : lors de l’entrevue de Bayonne, en mai 1808, Napoléon oblige Charles IV à abdiquer et le remplace par son frère Joseph Bonaparte. Mais c’est compter sans la fierté nationale du pays, dont une grande partie de la population - notamment les nobles et le clergé, hostiles aux idées nouvelles propagées par les Français - se soulève contre l’occupant. Au même moment, l’Autriche qui prend conscience du réveil national en Allemagne, entre en guerre contre Napoléon ; elle se retrouve néanmoins isolée au sein de la cinquième coalition. Napoléon triomphe à Wagram, le 6 juillet 1809, au terme d’une campagne plus difficile et acharnée que celle de 1805. Le 2 avril 1810, il épouse Marie-Louise, la fille du vaincu, l’empereur François Ier,
après avoir divorcé d’avec Joséphine. Cette alliance avec la vieille famille des Habsbourg semble l’avoir grisé. Il oublie qu’il n’est qu’un dictateur de salut public et croit pouvoir fonder la quatrième dynastie, celle des Bonaparte, qui succéderait aux Mérovingiens, aux Carolingiens et aux Capétiens. La naissance d’un fils, le roi de Rome, le 20 mars 1811, le renforce dans cette conviction : « J’ai montré que je veux fermer la porte aux révolutions. Les souverains me doivent d’avoir arrêté le torrent de l’esprit révolutionnaire qui menaçait leurs trônes. Tous les trônes s’écrouleraient si celui de mon fils tombait. » L’empire napoléonien englobe alors la moitié de l’Europe ; l’autre moitié est alliée ou soumise ; seules les îles - Angleterre, Sicile et Sardaigne - échappent à son emprise. En politique intérieure, Napoléon écarte ses principaux ministres, Chaptal, Talleyrand et Fouché, au profit de simples courtisans. Il crée dès 1808 une noblesse d’Empire, accentuant ainsi le caractère monarchique de son pouvoir ; il fait fi de la puissance spirituelle du pape, qui est arrêté le 6 juillet 1809 et retenu en captivité. Aussi se transforme-t-il peu à peu en despote aux yeux des notables issus de la Révolution qui l’ont soutenu lors de la prise du pouvoir le 18 brumaire an VIII. L’ORGANISATION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DE L’EMPIRE À l’apogée de son pouvoir, Napoléon se coupe de la bourgeoisie qui a vu naguère en lui un sauveur. Le frêle général de l’armée d’Italie a désormais fait place à un petit homme bedonnant aux cheveux courts. Mais le souci de promouvoir son image n’a pas disparu : le chapeau bicorne, la redingote grise, la main dans le gilet et la mèche composent une silhouette popularisée par la peinture et l’imagerie populaire. Tous les arts sont mis au service de la gloire napoléonienne, du Sacre de David au Triomphe de Trajan, opéra de Lesueur. Les sujets sont imposés aux peintres. En mars 1806, par exemple, ils sont invités à traiter de l’entrevue de Napoléon et de l’empereur François II « dans la proportion de 3 mètres 3 décimètres de haut sur 4 ou 5 mètres de large », ce qui constitue un bel exemple de culture dirigée. Une Direction générale de l’imprimerie veille d’ailleurs à ce que les imprimeurs « n’impriment rien de contraire aux devoirs envers le souverain et à l’intérêt de l’État ». Aucun écrivain n’a été à l’abri des persécutions, car Napoléon entend imposer à la
littérature un rôle éminent dans l’État. Mme de Staël sera ainsi exilée, et Chateaubriand, mis dans l’impossibilité de prononcer son discours de réception à l’Institut. Le conditionnement des esprits passe par l’Université impériale, qui a le redoutable monopole des diplômes, et par le catéchisme impérial, qui enseigne les devoirs dus à l’Empereur à côté de ceux dus à Dieu. Au fil des années, le régime se fait de plus en plus autoritaire et arrogant : « Mes peuples d’Italie me connaissent assez pour ne point devoir oublier que j’en sais plus dans mon petit doigt qu’ils n’en savent dans toutes leurs têtes réunies. » Sur le plan diplomatique, Napoléon en vient à considérer les autres souverains de sa famille comme de simples sous-préfets. Louis, roi de Hollande, Jérôme, roi de Westphalie, Joseph, roi d’Espagne, comme son beau-frère, Murat, qui règne à Naples, sont rappelés à l’ordre, repris, tancés, au point que Louis finit par abdiquer et Murat par trahir. Cet autoritarisme, qui s’exprime au travers de la fameuse « centralisation administrative », se retrouve naturellement dans le domaine économique. « C’est moi qui ai créé l’industrie française », confie Napoléon à Caulaincourt en 1812. Les expositions le confirment. Celle de l’an IX réunit 220 exposants, celle de l’an X, 540, celle de 1806, 1422. Trois secteurs sont particulièrement privilégiés par Napoléon : la soie, l’industrie de luxe et les armements. Toutes ces activités sont encouragées par des commandes de l’État. C’est le triomphe du dirigisme, que symbolise le nouveau droit minier qui sépare, par la loi du 21 avril 1810, la propriété du sol de celle du sous-sol et attribue à l’État l’exploitation de ce dernier. Le même souci de dirigisme se retrouve en matière commerciale. Le développement du réseau routier est le fait de l’État. Commerce et stratégie militaire vont ici de pair. Quant à la politique sociale de l’Empereur, elle suit sa politique économique. La condition juridique de l’ouvrier est aggravée par la loi du 22 germinal an XI qui lui impose le port d’un livret : celui-ci le place dans la dépendance de son employeur et sous la surveillance de la police. Le monde ouvrier tolère néanmoins cette situation, car Napoléon veille à maintenir dans la capitale le bas prix du pain, tandis que la guerre, par ses ponctions de conscrits, réduit le chômage et favorise la hausse des salaires. Molé, qui fut ministre, résume ainsi la politique de Napoléon : « Son génie l’éloignait de tout partage de l’autorité. L’unité était à ses yeux la condition indispensable de tout gou-
vernement fort. » LE TEMPS DES DÉFAITES L’établissement du Blocus continental impose de lourds sacrifices à l’Europe, et notamment à la Russie, qui ne peut plus exporter ses céréales et son chanvre. Le tsar Alexandre se détache très rapidement de Napoléon. La guerre éclate en 1812. Trop sûr de lui, l’Empereur pense qu’Alexandre cédera devant l’armée de près de 600 000 hommes qu’il a rassemblée. Mais le recul des forces russes oblige les Français à s’enfoncer dans les steppes. L’Empereur s’empare de Moscou en septembre 1812, et croit qu’Alexandre va signer la paix. Mais l’exaspération du sentiment national est telle en Russie qu’elle interdit de traiter avec l’envahisseur. Napoléon, surpris par un hiver prématuré, est contraint le 19 octobre à une retraite qui s’effectue dans des conditions désastreuses. Galvanisée par l’écroulement du mythe de l’invincibilité napoléonienne, l’Europe se soulève : parti de Prusse, le mouvement gagne l’ensemble de l’Allemagne, puis la Hollande ; chassés de la péninsule Ibérique par Wellington, les Français voient également s’effondrer leur domination sur l’Italie. Au début de 1814, l’invasion du territoire français est devenue inéluctable. Napoléon y livre sa dernière campagne, brillante mais inutile. La crise économique, le poids devenu trop lourd de la conscription et les difficultés religieuses nées de l’arrestation du pape lui ont aliéné la plus grande partie de l’opinion. Le complot fomenté par le général Malet en 1812 a révélé la fragilité de son pouvoir. L’Empereur abdique le 6 avril 1814. Le traité de Fontainebleau lui attribue la souveraineté de l’île d’Elbe. Il tente un impossible retour en mars 1815, qui ne dure que cent jours et s’achève par la défaite de Waterloo, le 18 juin 1815. Il est condamné à une nouvelle abdication. LA LÉGENDE NAPOLÉONIENNE Napoléon livre sa dernière bataille à SainteHélène, une île de l’Atlantique où, exilé, il subit les vexations du gouverneur anglais Hudson Lowe. Il meurt le 5 mai 1821, après avoir dicté à Las Cases ses mémoires, publiés en 1823 sous le nom de Mémorial de SainteHélène. L’ouvrage, qui révèle les conditions de sa captivité et la surveillance mesquine dont il a fait l’objet, émeut l’opinion. De grands
écrivains (Hugo, Balzac, Stendhal) s’enflamment devant le destin d’un homme qui, après avoir dominé le monde, en est réduit à finir ses jours sur une île lointaine. Un tel destin ne rappelle-t-il pas Prométhée enchaîné à son rocher ? Cette dimension mythologique, qu’avive le souvenir des campagnes militaires, prend d’autant plus de relief que les années de Restauration paraissent, en comparaison, médiocres aux contemporains. L’illusion rétrospective joue un rôle non négligeable : avec le recul des années, Napoléon, qui s’érige dans le Mémorial en défenseur des idées libérales et du principe des nationalités, apparaît comme le champion des grands principes de la Révolution. La légende noire de l’ogre corse s’efface devant la légende dorée. En 1840, Louis-Philippe fait décider le retour des cendres de Napoléon. Celui-ci repose désormais aux Invalides. C’est devant son tombeau que, vers 1880, Barrès invite la jeunesse de l’époque à préparer la revanche sur l’Allemagne. « Vivant, notait Chateaubriand, il a manqué le monde, mort, il le possède. » downloadModeText.vue.download 646 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 635 Napoléon II (François Charles Joseph Bonaparte), fils de Napoléon Ier et de MarieLouise, roi de Rome (Paris 1811 - Schönbrunn, Vienne, 1832). Baptisé à Notre-Dame de Paris dans le plus grand faste, élevé comme un prince sous la houlette d’une gouvernante appartenant à l’ancienne noblesse, Mme de Montesquiou, le roi de Rome n’a pas eu le destin auquel semblait le promettre ce titre de naissance, pas plus qu’il ne s’est imposé comme le digne « héritier » de son père. Ainsi, en 1812, lors de la conspiration du général Malet et de l’annonce - fausse - de la mort de Napoléon, aucun des hauts fonctionnaires ne songe au prince impérial. En outre, celui-ci a très peu connu son père, qu’il rencontre pour la dernière fois le 25 janvier 1814, à la veille de la campagne de France. À l’issue de cette dernière, l’Autriche n’intervient pas pour préserver les droits au trône de France du petit-fils de son empereur. Napoléon ayant dû abdiquer sans condition, Marie-Louise regagne Vienne avec son fils, qui n’est plus roi de Rome, mais prince héritier de Parme, Plaisance et Guastalla. Véritable otage aux mains des puissances siégeant au congrès de Vienne, il ne peut revenir en France lors des
Cent-Jours. C’est en vain que Napoléon Ier abdique en sa faveur ; toutefois, durant quelques jours, Fouché dirige la France au nom de Napoléon II, qui règne en théorie du 22 juin au 7 juillet 1815. Définitivement retenu à la cour de Vienne, le prince est désormais appelé « Franz » et porte, à partir de 1818, le titre de duc de Reichstadt : l’empereur d’Autriche François Ier renonce, en effet, à le laisser un jour régner à Parme. À partir de février 1816, le jeune Napoléon n’est plus entouré que de Viennois, tandis que sa mère le délaisse. Il reçoit du comte de Dietrichstein, son précepteur, une éducation à peu près semblable à celle des archiducs autrichiens. En réalité, il n’ignore rien de la destinée de son père, dont la mort, en 1821, fait de lui le chef de la famille impériale. Il confie d’ailleurs à son ami Prokesch, en 1830, son souci d’être digne de son nom. Mais, comme le souligne l’historien Jean Tulard, la révolution de Juillet n’est pour lui qu’une occasion manquée : il est trop éloigné de la scène politique française et refuse d’endosser le rôle d’un aventurier. De santé fragile, il s’éteint le 22 juillet 1832. Dès lors, « l’Aiglon » - surnom affectueux créé par Victor Hugo dans un poème des Chants du crépuscule (1835) et popularisé par la pièce homonyme d’Edmond Rostand (1900) - entre dans la légende napoléonienne. Mais son histoire posthume s’achève sur une ultime infortune : celle du retour de son cercueil en France, sur décision de l’occupant nazi, en décembre 1940, son coeur et ses entrailles demeurant à Vienne. Napoléon III (Charles Louis Napoléon Bonaparte), empereur des Français (Paris 1808 - Chislehurst, Angleterre, 1873). Successivement conspirateur malheureux, président de la République triomphalement élu, empereur acclamé puis déchu, Napoléon III a connu un destin politique chaotique et une postérité longtemps contraire (« Napoléon le petit »), jusqu’à de récentes réévaluations historiographiques. • L’enfance et la jeunesse. Louis Napoléon est le troisième enfant de Louis Bonaparte, roi de Hollande et frère de Napoléon Ier, et d’Hortense de Beauharnais, fille de Joséphine. Il est élevé exclusivement par sa mère, tout d’abord à Paris et à La Malmaison, puis, après la chute de l’Empire, en Suisse, dans la résidence d’Arenenberg. Hortense de Beauharnais lui transmet le souvenir de la grandeur napoléonienne et lui inculque le souci de la dimension populaire du bonapartisme. Sa formation
est confiée à Philippe Le Bas, fils du conventionnel ami de Robespierre, austère républicain franc-maçon qui fut un bon précepteur. En hiver, les études sont délaissées au profit de séjours en Italie, où le prince rencontre le clan Bonaparte et où il noue des contacts avec des patriotes italiens. • Le conspirateur (1830-1848). La révolution parisienne de 1830 pousse le jeune homme à l’action. Avec son frère, il s’engage imprudemment dans l’insurrection de la Romagne contre le pouvoir temporel du pape. L’aventure se termine piteusement, sa mère venant le sauver des Autrichiens et parvenant à fuir l’Italie avec lui, sous un déguisement. De passage à Paris en mai 1831, il assiste à une manifestation napoléonienne qui l’ancre dans sa conviction de la survie du bonapartisme. Il reprend ensuite une vie plus tranquille à Arenenberg, marquée par ses premières publications : dans Rêveries napoléoniennes (1832), il tente de concilier principe héréditaire et souveraineté populaire, et se montre favorable au suffrage universel. Louis Napoléon n’a cependant pas renoncé à l’action. La mort de l’Aiglon (1832) a fait de lui l’héritier légitime du trône impérial après ses oncles - qui ne revendiquent d’ailleurs plus de droits à la succession. Le bonapartisme risque de disparaître définitivement au profit de la simple légende napoléonienne. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre les conspirations de Strasbourg (1836) et de Boulogne (1840), qui ont avorté rapidement et ont permis aux dirigeants français de ridiculiser Louis Napoléon en le présentant comme un maniaque brouillon de la conspiration. L’historiographie récente a permis de réviser cette conception : tout d’abord, il est vraisemblable que les complots ont été soigneusement préparés en s’appuyant sur des garnisons qui leur étaient favorables, dans l’Est et le Nord (mais on ne connaît pas l’étendue des soutiens mobilisés, Louis Napoléon ayant fait disparaître les dossiers après son élection à la présidence de la République afin de ne pas compromettre ses complices) ; en deuxième lieu, le conspirateur, jusque-là inconnu du grand public, a pu faire valoir ses droits, d’autant que la tentative de Strasbourg fut bien accueillie dans la presse ; enfin, la notion de ridicule n’a pas le même sens dans les sphères cultivées et dans les milieux populaires, lesquels pouvaient interpréter ces tentatives avortées comme des actes de courage s’inscrivant dans la tradition des complots de la Restauration. De ce fait, le souvenir des expéditions de Strasbourg et de Boulogne a pu
être exploité positivement par la propagande bonapartiste en 1848. Ces expéditions eurent des conséquences diverses sur les destinées du prince. Après la tentative de Strasbourg, le gouvernement français s’était montré clément, préférant étouffer l’affaire : Louis Napoléon fut exilé aux États-Unis mais revint un an plus tard en Suisse au chevet de sa mère mourante. Il en fut expulsé en 1838, à la suite des pressions de la France, et se réfugia en Angleterre. En 1839, il y publia les Idées napoléoniennes, relecture hardie du Mémorial de Sainte-Hélène qui présente le premier Empire comme une synthèse de la Révolution et de la liberté. Le pouvoir fut moins clément après la tentative de Boulogne : traduit devant la Chambre des pairs, Louis Napoléon fut condamné à la détention perpétuelle sur le sol français et enfermé au fort de Ham (Somme). Il put mettre à profit une captivité peu contraignante pour établir des contacts avec des personnalités républicaines et démocrates et publier plusieurs ouvrages, dont la célèbre Extinction du paupérisme (1844). En 1846, il parvint à s’échapper, déguisé en ouvrier, et à regagner Londres, où la révolution de 1848 le surprit. • La conquête du pouvoir. La IIe République redonne à Louis Napoléon l’initiative. La propagande bonapartiste s’exerce en effet librement dans le contexte révolutionnaire. Le 4 juin 1848, il est élu représentant à l’Assemblée constituante dans quatre départements, à la faveur d’élections partielles. Craignant d’être débordé par l’agitation révolutionnaire, il déclare alors renoncer à son mandat tout en réservant ses droits de citoyen. Le 18 septembre, il est réélu dans les mêmes circonscriptions- et dans une cinquième : il occupe, cette fois-ci son siège. Le 26 octobre, il annonce sa candidature à l’élection présidentielle, qui doit se dérouler au suffrage universel. Tout en préservant pour l’essentiel sa liberté d’action, il rallie les principaux notables du parti de l’Ordre, parmi lesquels Thiers, qui voit en lui « un crétin qu’on mènera ». Au terme d’une campagne très bien organisée, exploitant les thèmes du bonapartisme populaire tout en rassurant les défenseurs de l’Ordre, il triomphe de ses concurrents par 74 % des suffrages exprimés. Le prince-président laisse tout d’abord gouverner le parti de l’Ordre, faute de pouvoir s’appuyer sur un personnel politique constitué. Mais il tisse progressivement sa toile et prend ses distances à la fin de l’année 1849. En 1851, il se heurte à la majorité monarchiste. Désireux de solliciter du peuple un se-
cond mandat présidentiel, il engage une campagne pour la révision de la Constitution mais ne peut obtenir à l’Assemblée la majorité des trois quarts exigible. Il se résout dès lors à faire un coup d’État. Le 2 décembre 1851, il dissout l’Assemblée, rétablit le suffrage universel et annonce un plébiscite pour une nouvelle Constitution. Techniquement réussie, l’opération échoue politiquement dans la mesure où le président se heurte à la résistance des républicains, à Paris et dans 27 départements où ont lieu des troubles insurrectionnels. La répression est brutale : 27 000 arrestations, 10 000 déportations en Algérie. Les mesures ultérieures de grâce et d’amnistie ne suffiront pas à effacer ce traumatisme : le fossé est downloadModeText.vue.download 647 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 636 devenu infranchissable entre le chef de l’État et les républicains. La résistance de ces derniers a par ailleurs changé la signification du 2 Décembre qui, d’opération défensive contre une Assemblée monarchiste présentée comme factieuse, devient une mesure de sauvegarde de la société contre une jacquerie généralisée. Le bonapartisme s’en trouvera durablement déporté à droite en dépit d’un enracinement populaire indiscutable, dont témoigne le succès du plébiscite des 21 et 22 décembre 1851 (le « oui » rassemble 76 % des inscrits). Louis Napoléon peut alors promulguer la Constitution de 1852 - qui lui confère une présidence décennale dotée de l’essentiel des pouvoirs, tant exécutif que législatif - et procéder à l’installation des pouvoirs publics où dominent ses partisans. Il est poussé à rétablir l’Empire plus vite qu’il ne l’escomptait après un triomphal voyage dans les départements du Centre et du Midi et un nouveau triomphe au plébiscite du 21 novembre 1852. • L’empereur (1852-1870). Lorsqu’il accède aux honneurs suprêmes, Louis Napoléon a 44 ans. L’homme a déjà quelque peu vieilli, sa silhouette s’est empâtée et sa santé a subi quelques altérations durant sa captivité de Ham. Il demeure toutefois séduisant et use de ses charmes auprès de ses nombreuses conquêtes féminines en dépit de son mariage avec Eugénie Marie de Montijo, qui assure l’avenir de la dynastie grâce à la naissance du prince impérial, en 1856. Napoléon III est resté simple de manières, bienveillant, généreux, et ses qualités humaines contribuent à une popularité qui demeure grande tout
au long du règne. Il a gardé toute sa curiosité intellectuelle, s’intéresse aux innovations technologiques et scientifiques. De son passé de conspirateur, il a conservé le goût du secret et de la dissimulation mais aussi celui des projets aventureux. Néanmoins, pragmatique, s’il recule devant les difficultés, il n’abandonne pas pour autant ses desseins. Il écoute les avis de ses conseillers mais demeure impénétrable, décidant seul avec quelque autoritarisme. Sans insister sur les diverses facettes de son action au sommet de l’État, il suffit de rappeler que l’empereur a donné le meilleur de lui-même dans les premières années de son règne, qu’il a multiplié les initiatives à la fin des années 1850 tant dans le domaine diplomatique qu’économique et qu’il jouit alors d’un grand prestige sur la scène internationale tout en parvenant à marginaliser les oppositions intérieures. La détérioration de sa santé après 1864, conjuguée à un vieillissement un peu prématuré, semble avoir pesé sur la conduite des affaires. Il subit en 1865 la première atteinte de la maladie de la pierre (calcul dans la vessie) : cette altération l’empêche d’assurer une direction suivie des affaires gouvernementales, et le contraint à ajourner des décisions. Les incohérences de la politique française lors du déclenchement de la guerre franco-prussienne de 1870 trouvent en partie leur explication dans ce constat médical. L’empereur, qui souhaitait sans doute un arrangement pacifique, s’est laissé influencer par son entourage et par l’opinion publique parisienne, partisans d’une revanche sur la Prusse. Et c’est un malade qui se traîne sur les champs de bataille à la tête des armées françaises jusqu’au moment où le commandement en chef est confié au maréchal Bazaine par l’impératrice Eugénie, qui exerce la régence et s’oppose au retour de l’empereur à Paris. C’est une fin de règne shakespearienne qui attend celui-ci. Il tente de trouver la mort à Sedan pour sauver la légende napoléonienne. Cette fin héroïque lui est refusée. • Le souverain déchu (1870-1873). Après la capitulation de Sedan, Napoléon III est emmené en captivité en Allemagne. Il refuse toute négociation avec l’Allemagne alors que la République est instaurée à Paris, le 4 septembre, sans effusion de sang. Le 1er mars, l’Assemblée nationale élue le 8 février 1871 vote à la quasi-unanimité sa déchéance et celle de sa dynastie, et le déclare « responsable de la ruine, de l’invasion et du démembrement de la France ». Après la conclusion
de la paix, l’ex-empereur rejoint son épouse et son fils en Angleterre dans la résidence de Camphen House, près de Chislehurst, où il réside jusqu’à sa mort. Sa santé se rétablit quelque peu en 1871 et 1872. Il projette alors, à la fin de l’année, un coup de force à partir de la Suisse, croyant en la possibilité de restaurer l’Empire. Mais il doit pour cela se faire opérer. L’intervention chirurgicale, commencée le 2 janvier 1873, tourne mal et, le 9 janvier, l’ex-empereur des Français décède dans la matinée. Ses funérailles ont lieu le 15 janvier en présence de plusieurs milliers de personnes, dont une importante délégation française, témoignant de la survie du bonapartisme, une fois oublié le choc de Sedan. La sépulture de Napoléon III a été transférée par son épouse à Farnborough en 1898, en même temps que celle de son fils, mort en 1879. Napoléon (Jérôme Joseph Charles Paul Napoléon, dit le prince), homme politique, cousin germain de Napoléon III (Trieste 1822 - Rome 1891). Familièrement surnommé « Plon-Plon », le prince Jérôme, fils de l’ex-roi de Westphalie Jérôme Bonaparte, a incarné, sous le Second Empire, le bonapartisme de gauche, démocrate et anticlérical, favorable au principe des nationalités. Élu représentant de Corse, membre de l’Assemblée constituante, réélu dans la Sarthe en 1849, il siège sur les bancs de l’extrême gauche, condamne le coup d’État du 2 décembre 1851. Il n’en est pas moins nommé sénateur en 1852 et placé, par le décret impérial du 18 décembre 1852, en seconde position après son père, dans l’ordre de succession au trône, en cas d’absence de descendance directe ; d’où son amertume après la naissance du prince impérial, en 1856. • Grandes espérances et illusions perdues. Napoléon III lui confie une division en Crimée ; mais, après s’être illustré à la bataille de l’Alma, Jérôme fait défection pendant le siège de Sébastopol, à la suite de désaccords avec le commandant en chef. Ce choix lui vaudra d’être impopulaire dans l’armée. Nommé ministre de l’Algérie et des Colonies le 24 janvier 1858, il démissionne le 8 mars 1859, après s’être opposé à certains ministres sur l’étendue de ses prérogatives. Le 30 janvier 1859, il épouse la princesse Clotilde, fille aînée du roi du Piémont, Victor Emmanuel II. De ce mariage, qui le lie aux dynasties européennes, naissent trois enfants : Victor, Louis
et Letizia. Dans les années 1860, le prince Napoléon est quelque peu marginalisé et ne se signale que par ses interventions violemment anticléricales au Sénat. Le discours d’Ajaccio du 15 mai 1865, au cours duquel il exalte l’Empire « libéral » de 1815 et donne du bonapartisme une version jacobine, lui vaut un désaveu officiel. Il se retire alors dans sa propriété de Prangins, en Suisse. L’empereur continue cependant de correspondre avec lui et, malgré un jugement sévère sur son comportement, semble lui avoir gardé son affection. Il l’associe ainsi à la campagne militaire de 1870. • Un prince républicain. Après la mort de l’empereur déchu, en 1873, le prince Napoléon demande en vain à l’impératrice Eugénie qu’on lui confie l’éducation du prince impérial. Il rompt alors avec le parti bonapartiste, dont il déplore la dérive conservatrice, et se fait élire député républicain de Corse. Mais, à la mort du prince impérial en 1879, il reprend la direction du parti. Rapidement, cependant, les caciques n’acceptent pas l’anticléricalisme du prince Napoléon ni son ralliement à la forme républicaine des institutions. Ils parviennent à se concilier le fils du prince, Victor, qui se proclame prétendant en 1884. Le parti est scindé en deux et les « jérômistes » n’y représentent qu’une poignée de fidèles. En 1886, la loi d’exil des princes des anciennes familles régnantes le contraint à regagner Prangins aux cris de « Vive la République, quand même ! ». Son dernier acte politique est le soutien qu’il accorde au général Boulanger en 1888, avec le vain espoir de préparer son propre retour au pouvoir à la tête d’une République consulaire. Narbonnaise, nom donné par les Romains à la première région qu’ils occupèrent en Gaule, et qui correspond approximativement au Languedoc, au Roussillon, à la Provence et au sud de la région Rhône-Alpes. Dès le VIIIe siècle avant J.-C., les populations du littoral méditerranéen entretiennent des relations commerciales avec le monde des civilisations urbaines - Étrusques, Phéniciens, Carthaginois, Grecs (qui fondent Marseille en 600), puis bientôt Romains. Les matières premières locales sont échangées contre des produits de prestige - vaisselle de luxe, vin, etc. Ainsi se développe, sur tout le littoral, une civilisation proto-urbaine, qualifiée parfois de « civilisation des oppidums », car on assiste à l’émergence de véritables villes, aux murailles de pierres sèches et à l’urbanisme strict - telles Nages, Ensérune, Lattes, Ambrussum, Entre-
mont, Martigues, etc. L’influence de la Grèce et de Rome s’y fait sentir dans l’architecture et dans la vie quotidienne. Cette région, qui reliait par voie de terre l’Italie à l’Espagne, ne pouvait qu’attirer la convoitise de Rome, d’autant que les populations indigènes menaçaient parfois Marseille et qu’elles avaient favorisé le passage d’Hannibal en 218 avant J.-C. La conquête, downloadModeText.vue.download 648 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 637 brutale, est menée entre 125 et 121 avant J.C., notamment par le consul Domitius Ahenobarbus, qui laissera son nom à une grande route côtière, la via Domitia. Les peuples locaux sont soumis (Allobroges, Helviens, Voconces, Salyens, Volques), les Arvernes qui les appuyaient, défaits, et une ville romaine implantée de toutes pièces, Narbonne. La région, qui s’étend au nord-est jusqu’au lac Léman, porte d’abord le nom de Gaule Transalpine (la Cisalpine désignant alors le nord de l’Italie). Des proconsuls l’administrent, dont César, qui s’en servira de base arrière pour la conquête du reste de la Gaule entre 58 et 51. Elle devient une véritable « province » romaine sous Pompée et prend en 27 avant J.-C., sous Auguste, le nom de Narbonnaise, tout en restant placée sous la juridiction du sénat alors que le reste de la Gaule dépend de l’empereur. La romanisation sera particulièrement forte dans cette région et y laissera de nombreux monuments urbains, ainsi que la culture de la vigne. Au IVe siècle, l’ensemble de la Gaule est divisé en deux diocèses. La Narbonnaise, divisée elle-même en deux provinces (Narbonnaise Ire et IIe), est rattachée au diocèse de la Viennoise, avec Arles comme capitale. l NATION. Le terme « nation » est un guêpier sémantique. Au Moyen Âge, il désigne souvent des groupements dont la base n’est pas uniquement ethnique, et son sens actuel n’est guère présent avant le XVe siècle. C’est que la nation est affaire de représentation plus que de linguistique. Elle est une construction imaginaire dont les éléments constitutifs sont variables : une identité ethnique (en partie fictive), une identité religieuse, une longue histoire commune, une langue ou une culture. Enfin, à partir de l’époque moderne, la plupart des communautés nationales coïncident avec des États. Alors qu’auparavant l’atta-
chement national reposait prioritairement sur la terre, la foi et la dynastie, la plupart des nations modernes exigent du citoyen le dévouement à une forme bien précise d’État, la république. Aussi un certain nombre de politologues refusent-ils de parler de nation avant 1789, plus attentifs à la rupture qu’à l’évolution multiséculaire du phénomène. LA NATION SOUS L’ANCIEN RÉGIME Les nationes sont apparues lors des grandes invasions barbares. Issue de la dissolution de l’Empire romain, la natio franque est un peuple pieux et guerrier supposé descendre d’un même ancêtre, pourvu de rois glorieux qui luttent contre les ennemis de Dieu : « Vive le Christ qui aime les Francs », proclame la loi salique. Les premiers sentiments d’appartenance privilégient le peuple doté d’un rôle dans la Chrétienté, mais pas forcément d’un territoire propre. Plus tard, l’Empire carolingien, qui s’affirme à la fois franc et romain, regroupe tous les chrétiens face à l’Orient et à l’Islam. La période féodale produit un considérable émiettement politique : on ne parle plus guère alors de nation, mais de Chrétienté sous l’égide du pape. Il faut attendre les XIIIeXVe siècles pour voir les nations resurgir de façon nette, à des rythmes très variables. Là où l’État monarchique s’établit précocement, en Europe de l’Ouest (France, mais aussi Angleterre, Castille), il sait très vite focaliser sur lui les loyalismes et valoriser l’identité nationale : l’image de soi est idéalisée, et l’image de l’autre, dépréciée. Inversement, plus on va vers l’Empire et vers l’Est, plus l’État est inefficace, et l’identité nationale, tardive. À l’Ouest, dès le XIIIe siècle, des dynasties stables s’installent. À chaque nation correspond un territoire aux limites à peu près fixées. Le rex Francorum (« roi des Francs ») devient « roi de France » au milieu du siècle. Succédant aux marches indécises, la notion de frontière continue fait son apparition ; les ordonnances royales sont valables jusqu’aux quatre fleuves (Escaut, Meuse, Saône, Rhône). De tout point du territoire, on peut, de degré en degré, faire appel à la justice du roi ou être convoqué à l’armée. La nation française acquiert alors deux de ses caractères fondamentaux : la territorialité et la souveraineté. Le roi y est dit « empereur en son royaume ». Cette affirmation des États-nations dans les vieux pays d’Europe de l’Ouest provoque un double phénomène : la montée des xéno-
phobies et la cristallisation de sentiments d’appartenance très divers. Le prochain devient l’autre, l’étranger est haï et redouté. La France se définit ainsi par opposition à l’Angleterre durant la guerre de Cent Ans, car rien ne vaut un ennemi héréditaire pour attiser le sentiment de communauté. Des stéréotypes nationaux font dès lors leur apparition (les Français sont « galants », les Anglais « cruels et perfides »...). Pour dépasser cette définition négative, il convient de rechercher les éléments décisifs aux yeux des Français de l’époque pour assurer leur existence collective. À l’époque médiévale, la définition nationale oscille entre deux pôles, le pôle monarchique et le pôle communautaire. En France, c’est le pôle monarchique qui l’emporte : le sentiment d’appartenance repose sur l’histoire des rois et leur rôle de protecteurs de la foi, exaltés dans une histoire officielle globalisante, les Grandes Chroniques de France, rédigées à partir des années 1270. Cette histoire, oeuvre de l’abbaye de SaintDenis, illustre l’unicité de la dynastie, la sagesse des clercs et le courage des barons, tous protégés par Dieu. Elle commence à Troie lorsque l’obscur Francion (héros éponyme et fils d’Hector) quitte la ville en flammes pour s’établir à Sycambria, avant de passer en Germanie puis en Gaule. Les Francs donnent alors leur nom au pays et le rassemblent autour de leur roi Clovis, converti au christianisme, déjà très répandu : Denis de Paris aurait converti la capitale au Ier siècle, les tombes et les couronnes des rois se regroupant par la suite autour de sa propre tombe. Car Dieu a voulu que la France soit « très chrétienne » : son peuple est le peuple élu de la nouvelle alliance. Ce discours, fondé sur la foi et l’histoire mythique, est rendu sensible par l’invention de symboles nationaux : le cerf blanc ou les lys rendent le roi présent sur toute l’étendue du territoire. Durant le Moyen Âge, la langue n’est pas encore un vecteur de l’appartenance nationale. Seules les langues sacrées (latin, grec, hébreu) sont révérées ; toutes les autres sont vulgaires, issues du péché et de l’écroulement de la tour de Babel. La France - qui n’aura pas de réelle politique linguistique avant le début du XVe siècle - est alors un État multilingue : la chancellerie émet en latin pour le Midi et en francien pour le Nord. Certes, la langue prioritairement utilisée par l’administration royale devient lentement une norme respectée ; l’usage n’en est pas obligatoire, mais ceux qui veulent faire carrière se doivent de la connaître.
Si le contenu du sentiment d’appartenance médiéval se laisse assez facilement cerner, le public concerné est plus malaisé à circonscrire. On serait tenté de dire qu’il passe d’abord par les élites nobiliaires et administratives, les habitants des capitales, ou encore des zones frontières contestées comme Domrémy, avant de se diffuser plus largement. Même si le sentiment national n’est probablement pas encore un phénomène de masse, l’attachement au roi semble très généralement répandu, par des médias spécifiques : images, cérémonies et pèlerinages. Mais l’allégeance à la nation, qui commence à s’enraciner, n’est encore qu’une des allégeances possibles ; en effet, le dévouement dû à la famille et à la chrétienté reste capital. L’invention de l’imprimerie modifie peu le contenu des représentations nationales, même si elle en augmente notablement la diffusion. Plus importante est l’apparition à la Renaissance, pour la première fois, de fractures entre appartenance religieuse et appartenance politique : peut-on être à la fois protestant et bon Français ? Progressivement, le principe du cujus regio, ejus religio l’emporte et, à la fin du XVIIe siècle, identité nationale et catholicisme coïncident à nouveau dans le pays. RÉVOLUTION ET CONCEPTION NOUVELLE DE LA NATION La Révolution infléchit brutalement l’idée de nation en la séparant de l’idée monarchique. Cette mutation marque une véritable rupture avec les éléments constitutifs qui avaient fait jusque-là l’identité française (le roi, la foi, l’histoire). Effaçant les liens historiques, religieux ou culturels, le lien politique est désormais considéré comme fondamental. La nation est absorbée par la citoyenneté, octroyée à tous, et la légitimité du peuple souverain remplace celle de la dynastie. Le peuple, qui exclut le roi, les émigrés, les prêtres réfractaires et les traîtres, est formé de citoyens tous libres et égaux en droits. Les corps intermédiaires (ordres, provinces, métiers) disparaissent. Le citoyen, seul face à l’État, est appelé à participer à son fonctionnement comme conscrit - la levée en masse place la population en état de réquisition, et l’enthousiasme nécessaire à la diffusion espérée de la Révolution est entretenu au besoin par l’endoctrinement -, comme contribuable et comme électeur. Même s’il reste longtemps censitaire, le suffrage, théoriquement universel, s’impose comme l’instrument de transformation de la
volonté générale en loi républicaine. À l’intérieur, cette nation républicaine est ouverte à tous : juifs et protestants sont citoyens à part entière. À l’extérieur, la Révolution proclame le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes downloadModeText.vue.download 649 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 638 et affirme l’universalité de son modèle : les droits de l’homme doivent s’appliquer partout. Dans sa volonté d’effacement des liens antérieurs, jugé nécessaire à la défense de la République, la nation révolutionnaire entend bâtir une France laïque, dans laquelle le clergé n’a plus de place officielle. L’histoire fait l’objet d’une réécriture et semble commencer en 1789. Quant à la géographie, elle hésite entre la célébration du territoire traditionnel et le mythe des frontières naturelles de la « grande nation ». Parallèlement, la langue française s’impose dans l’enseignement et l’administration. LE XIXe SIÈCLE : DEUX CONCEPTIONS RIVALES À l’orée du XIXe siècle, bien que la Révolution ait affirmé le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, les États-nations ne sont pas nombreux, et possèdent tous un profil analogue : des pays dotés d’une longue histoire, de traditions administratives solides et d’élites sociales et culturelles. À côté d’eux subsistent des empires hétéroclites qui regroupent, dans des équilibres instables, des populations ethniquement et culturellement diverses. Aucun idéologue libéral n’accorde alors le moindre crédit aux revendications des petites nations. La revendication nationale pointe néanmoins dans de nombreuses minorités (Basques, Catalans), même si elle se limite le plus souvent à des revendications linguistiques. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, les minorités et les petites nations européennes apparaissent au plus grand nombre dépourvues d’avenir autant que de légitimité. C’est pourtant bien le problème des petites nations et de l’AlsaceLorraine qui va provoquer une rupture, encore en vigueur, entre deux conceptions : la conception de Johann Gottfried Herder ou de Johann Fichte, fondée sur le sang et la culture, proche des identités traditionnelles, et la conception élective et abstraite d’Ernest Renan, qui présuppose la Révolution. Herder définit la nation allemande comme un peuple immémorial issu de la nature et du sol, lié par le sang, la culture et les vicissitudes d’une histoire commune. En 1807, juste après la ba-
taille d’Iéna, les Discours à la nation allemande de Fichte affirment que l’identité repose sur le sang et la langue, bien avant l’apparition de l’État. Quant aux idées de Renan sur la nation élective et citoyenne, elles sont plus tardives : c’est le choc de l’annexion de l’Alsace-Lorraine qui transforme cet intellectuel quelque peu raciste et bourgeois en fervent républicain. Lors d’une conférence prononcée en 1882, « Qu’est-ce qu’une nation ? », il définit celle-ci comme une solidarité fondée sur le consensus, un plébiscite de tous les jours sur la forme républicaine de l’État, construit à travers le temps par l’assimilation progressive : la nation repose sur la volonté des citoyens et leur décision de vivre ensemble. Bien qu’il n’y ait pas entre les deux points de vue d’opposition absolue, ils impliquent des conceptions différentes de la citoyenneté : en Allemagne, elle repose sur le sang (jus sanguinis) et s’acquiert difficilement. En France, elle repose, par principe, sur le choix et le consensus en faveur de valeurs universelles : la citoyenneté s’y est longtemps acquise assez facilement (jus soli), la nation se définissant par l’intégration de populations diverses au fil de l’histoire. UNE DIFFUSION DE MASSE DES IDENTITÉS NATIONALES Le XIXe siècle est marqué par un effort de diffusion des identités nationales, systématiquement organisé par l’État à son bénéfice. Les circonstances y sont favorables : les libéraux prônent la nécessité d’une économie nationale dans une société qui s’industrialise. Les innovations techniques (journaux à fort tirage) facilitent cette évolution qui aboutit à terme à homogénéiser la société autour de la nationRépublique et à en masquer les failles. L’unification nationale passe par le chemin de fer, l’armée et l’école. Le réseau ferroviaire raccourcit les distances, et l’action de l’État devient visible d’un bout à l’autre du territoire. Parallèlement se mettent en place deux institutions qui vont constituer le creuset de la nation républicaine : l’armée et l’école. Tandis qu’au début du XIXe siècle le tirage au sort n’envoyait sous les drapeaux que deux à trois garçons par village, le service est raccourci et généralisé. Il permet le mélange de populations différentes tant par leur origine géographique que par leur milieu social, et contribue à la diffusion du français. Très respectée, l’armée entretient la ferveur nationale et attise l’idée de revanche après 1870. Le mythe du « soldat Chauvin » véhicule une imagerie unanimiste à la gloire
des petits propriétaires patriotes. Lorsque l’école primaire devient gratuite, obligatoire et laïque, les instituteurs font figure de « hussards noirs de la République », notables dans leur village et rivaux du curé. Leur rôle est d’enseigner aux garçons comme aux filles les bases de la lecture (en français), de l’écriture et du calcul. La République entend à la fois diffuser des connaissances (la géographie du territoire, l’histoire nationale centrée sur 1789) et une morale civique (le dévouement à la patrie). L’Histoire de France de Lavisse ou le Tour de la France par deux enfants répandent l’image d’une France rurale, modérée et généreuse, capable d’assimiler les populations sur une terre valorisée. À la fin du siècle, l’école aboutit à deux résultats principaux. Le premier est la promotion du français comme langue unique et la dévalorisation des patois, dont l’usage est interdit : si, au début du XIXe siècle, un quart des Français environ ne parlait pas le français, tous le connaissent cent ans plus tard, même s’ils ne l’utilisent pas forcément au quotidien ; c’est là aussi une victoire de l’écrit unificateur sur l’oralité et les particularismes locaux. Le second résultat est la promotion d’une culture nationale, unitaire et républicaine, dotée de ses liturgies - rivales de celle de l’Église -, de ses signes, de ses lieux de mémoire spécifiques et de ses héros : les signes nationaux antérieurs étaient en effet dynastiques ; il a donc fallu créer de nouveaux emblèmes fédérateurs (les trois couleurs, Marianne, la Marseillaise). Le 14 Juillet, qui célèbre le souvenir de la prise de la Bastille (victoire de la Liberté contre la tyrannie) ou celui, plus pacifique, de la fête de la Fédération, devient fête nationale seulement en 1880. Symbole de la rupture avec l’Ancien Régime, d’abord rejeté par la droite, il inscrit sereinement, après 1900, la République dans la continuité nationale. Le chant de guerre de l’armée du Rhin, écrit à Strasbourg en 1792, s’impose au cours de la même période : appris dans toutes les écoles, joué dans toutes les fanfares, il est progressivement adopté par l’ensemble de l’échiquier politique. Quant aux lieux de mémoire de la République, ils sont moins évidents à imaginer que ceux de la royauté. La centralité des palais et nécropoles royales va de soi : Versailles ou Saint-Denis sont habités par les rois, morts ou vivants. Mais où situer la République, cette abstraction plurielle ? On recourt à deux solutions complémentaires. À Paris, coeur de la nation, le Panthéon est dédié au « culte des grands hommes », dont les mérites et les talents forgèrent la nation et qui forment
sa mémoire à la fois exemplaire et éclectique. Localement, dans chaque commune, la mairie (souvent liée à l’école) affirme l’existence de la République face à l’Église et arrache à celle-ci tant l’enseignement que les listes d’état-civil, mémoire de la communauté. Après 1920, les monuments aux morts, érigés à l’initiative des municipalités ou de l’État, célèbrent le dévouement au drapeau et, le 11 novembre, peu après la Toussaint, réunissent la communauté pour une cérémonie qui constitue en un sens le pendant funéraire du 14 Juillet. UNE CRISE DU MODÈLE NATIONAL ? Les années qui suivent la Première Guerre mondiale marquent le triomphe incontesté des États-nations dans toute l’Europe. En France, le patriotisme d’État a triomphé à gauche comme à droite. Et l’extrême gauche elle-même, pourtant imprégnée d’une forte tradition pacifiste, s’est ralliée à la République. Malgré de lourdes pertes, les Étatsnations sortent renforcés du conflit mondial. Les massacres des tranchées n’en laissent pas moins un goût amer et un sentiment collectif de manipulation. Les deux totalitarismes qui s’affrontent alors capitalisent ce sentiment : en s’affirmant comme des patries idéologiques bien supérieures à la nation, nazisme et communisme, même s’ils servent dans les faits les intérêts respectifs de l’Allemagne et de la Russie, introduisent un nouveau rapport à l’idée nationale. Pour Marx comme pour Engels, la nation n’est qu’un moment de l’histoire lié au capitalisme industriel. Vouée à disparaître comme ce dernier, elle cédera la place à une forme plus achevée, le communisme international : le prolétaire n’a d’autre patrie que la solidarité qu’il trouve au sein de la classe ouvrière. Le discours national est présenté comme un discours bourgeois, par lequel le capital travestit son agressivité fondamentale. Aussi les Internationales s’affirment-elles volontiers pacifistes. Néanmoins, les partis socialistes puis communistes se sont construits sur des bases nationales, et Staline n’a pas manqué d’utiliser les tensions nationales au bénéfice de la russification. En politique extérieure, les communistes ont également soutenu la plupart des mouvements de libération nationale dans les pays sous-développés. À partir des années 1950, l’État-nation triomphe sur tous les continents, même si ce modèle emprunté au colonisateur reste souvent, en Afrique, un simple cadre regroupant des ethnies variées dans des frontières héridownloadModeText.vue.download 650 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 639 tées de la colonisation. Il devient le modèle de toute communauté politique circonscrite à un territoire et gérée juridiquement par un seul gouvernement. Un singulier paradoxe veut néanmoins que ce modèle entre en crise au moment même où il s’universalise. Omniprésent, l’État-nation n’est plus une utopie mobilisatrice, ni dans les pays anciens qui l’ont vu naître, ni dans les pays neufs où son acclimatation est parfois difficile. L’idée de sacrifice ne fait guère recette dans des sociétés où chacun cherche davantage son propre bonheur que le bien commun. La question se pose donc de savoir si l’identité nationale (en période de paix ou une fois achevée la décolonisation) reste une identité majeure et « chaleureuse ». Dans les années 1990, la question du déclin ou de la résurgence des nations a pris de nouvelles dimensions et une acuité inédite. Certains politologues affirment que la généralisation du modèle national ira de pair avec sa quasi-disparition au sein d’identités apaisées (en Europe ou dans une future communauté mondiale). En effet, les nations actuelles sont parcourues par des flux économiques qui leur échappent : les firmes multinationales, les marchés financiers, les organismes de régulation supranationaux, remettent en cause leur souveraineté. À cette érosion de souveraineté par le haut correspond, par le bas, une remise en cause par des communautés ethniques qui valorisent leurs différences. Ce multiculturalisme à l’anglo-saxonne est-il un facteur d’enrichissement ou est-il porteur d’un risque de fragmentation de la communauté nationale ? La communauté plus proche ne sera-t-elle pas préférée un jour à la nation ? Le modèle national, qui allait de soi en 1914, pose de nouveau problème aujourd’hui. National (le), quotidien, d’abord orléaniste, puis républicain, fondé en 1830 par Armand Carrel, Adolphe Thiers et Auguste Mignet, sous l’égide du libraire Sautelet. Lancé le 3 janvier 1830, le National répond à un projet politique clair, ainsi défini par Thiers : « Enfermer les Bourbons dans la Charte, de manière à les mettre dans la nécessité de sauter par la fenêtre. » Favorable à la monarchie constitutionnelle et harcelant le régime de la Restauration, il s’illustre pendant la révolution de Juillet, qui porte Louis-Philippe sur le trône. Le 26 juillet, jour où le
ministère Polignac publie les fameuses ordonnances liberticides qui, notamment, visent à bâillonner la presse, Thiers rassemble dans les locaux du National les représentants de tous les journaux d’opposition. La protestation qu’ils rédigent alors constitue le premier acte de la révolution de 1830. Interdit, son imprimerie saisie, le National organise la résistance en diffusant des éditions réduites reproduisant la pétition des journalistes, ainsi que des papillons appelant au soulèvement. Sous la monarchie de Juillet, qui promeut Thiers et Mignet, Carrel se retrouve seul maître à bord. Le quotidien, après s’être montré bienveillant à l’égard de Louis-Philippe, désapprouve d’abord sa politique extérieure, puis évolue, dès 1832, vers un républicanisme modéré, qui lui vaut d’être condamné à deux reprises pour offense au roi. Mais, en 1832 (année où Carrel est arrêté et emprisonné) comme en 1834, le journal est autorisé à poursuivre ses activités. Malgré un faible tirage (entre 3 000 et 4 000 exemplaires), le National joue un rôle influent parmi les élites hostiles à la monarchie. Après la mort de Carrel, tué en 1836 lors d’un duel l’opposant à Émile de Girardin (le directeur de la Presse), le quotidien est animé par Armand Marrast, qui durcit les attaques contre le pouvoir. L’érosion de son lectorat et la concurrence de la Réforme, qui affiche un républicanisme plus radical, n’empêchent pas le National de participer activement à la révolution de 1848. Marrast fait partie du gouvernement provisoire de la IIe République, qui a été conçu en grande partie dans les bureaux du National. Méfiant à l’égard de la révolution sociale, le quotidien exprime le point de vue de la bourgeoisie républicaine et approuve la répression de Juin. À l’élection présidentielle, le National se distingue comme l’un des plus fermes soutiens de Cavaignac, mais il paiera le prix fort pour son opposition au nouveau président, Louis Napoléon Bonaparte : moins d’un mois après le coup d’État du 2 décembre, le journal est interdit. Il disparaît définitivement le 31 décembre 1851. nationalisation, opération par laquelle l’État prend le contrôle d’une entreprise privée. La France a connu deux grandes vagues de nationalisations, en 1945-1946, puis en 1981-1982. • Les prémices. L’idée de nationalisation naît à la fin du XIXe siècle dans les milieux de la gauche syndicale et politique, en réaction à l’ordre libéral, qui condamne l’interven-
tion directe de l’État dans l’économie. Mais, si au cours de la Première Guerre mondiale le rôle économique de l’État se développe, la droite et les radicaux restent hostiles aux nationalisations. Bien qu’adopté par la CGT à partir de 1918-1921, puis défendu par la SFIO, le principe de nationalisation suscite des réserves à gauche, d’aucuns redoutant qu’il ne serve davantage une « étatisation » de l’économie qu’une « socialisation » des forces de production. Les nationalisations sont absentes du programme du Front populaire, qui réforme néanmoins le statut de la Banque de France et fait passer les industries d’armement sous le contrôle de l’État. L’ampleur de la crise impose aussi un système d’économie mixte dans le domaine des transports : création d’Air France en 1933 et de la SNCF en 1937. • De la Libération à 1982. Une rupture décisive se dessine dans les sphères de la Résistance : sous l’impulsion des socialistes, le programme du CNR (15 mars 1944) prévoit « le retour à la nation de tous les grands moyens de production monopolisés ». À la Libération, les nationalisations font l’objet d’un consensus politique et social : gaullistes et modérés du MRP y voient un moyen de moderniser l’économie, de préserver l’indépendance de l’État et de mener une politique favorable à la croissance et à l’investissement ; pour la gauche et les syndicats, il s’agit de renforcer les droits des salariés au sein des entreprises. Discréditées, les élites patronales ne sont pas en mesure de s’opposer à un projet élaboré dans le cadre de l’édification de l’État-providence et de l’extension du service public. Mené pour l’essentiel par la première Constituante, et achevé au printemps 1948, le programme de nationalisations concerne le secteur monopolistique de l’énergie (Charbonnages, Électricité et Gaz de France), les moyens de transport (Air France, la RATP), ainsi que la Banque de France, quatre grandes banques de dépôt et les neuf principales compagnies d’assurances. Dans le secteur de l’industrie concurrentielle, l’État procède à la nationalisation- sanction de Renault et de Gnome et Rhône. Gérées dans des conditions proches de celles du secteur privé, les entreprises nationalisées apparaissent vite comme des réussites techniques et économiques plutôt que des « vitrines » sociales. Malgré certaines critiques, leur statut n’est pas remis en cause durant les années de croissance des Trente Glorieuses. Mais, dès le début de la crise, les partis de gauche, qui ont adopté un programme commun (1972), proposent de nouvelles natio-
nalisations. Les motivations politiques, économiques et sociales se conjuguent : « briser la domination du grand capital », constituer « le fer de lance d’une grande politique industrielle », instaurer dans l’entreprise une nouvelle citoyenneté. Suscitant l’opposition vigoureuse de la droite, la loi de nationalisation de février 1982 transfère à l’État cinq sociétés industrielles (la CGE - c’est-à-dire la Compagnie générale d’électricité -, Saint-Gobain, Pechiney-Ugine-Kuhlmann, Rhône-Poulenc et Thomson-Brandt), trente-neuf banques et deux compagnies financières (Paribas et Suez). En outre, nationalisée de fait, la sidérurgie (Usinor et Sacilor) le devient en droit. Le secteur public connaît alors son extension maximale. • Remises en cause. Si les nationalisations permettent de sauver des entreprises en difficulté, elles sont coûteuses et se révèlent inadaptées au contexte européen et international, plus favorable au libéralisme qu’au keynésianisme de l’après-guerre. La gauche au pouvoir prend acte de ce retournement : dès 1984, le gouvernement de Laurent Fabius assigne aux entreprises publiques les impératifs de « modernisation » et de « compétitivité », faisant passer les ambitions sociales et la défense de l’emploi au second plan ; en 1988, lors de la campagne électorale qui précède l’élection présidentielle, François Mitterrand se prononce pour le « ni, ni » - ni privatisations, ni nationalisations. Mais le mouvement de balancier est durablement reparti dans un sens favorable au secteur privé : en 19861988, puis en 1993-1997, la droite, alors majoritaire, développe un programme de privatisations qui va jusqu’à remettre en cause les nationalisations opérées par le général de Gaulle à la Libération. Le gouvernement de la gauche plurielle (1997-2002) dirigé par Lionel Jospin poursuit cette politique de dénationalisation. L’ère de l’État producteur semble alors se refermer avec le siècle qui l’avait porté à un apogée. nationalisme. Le mot est difficile à définir. Le Grand Dictionnaire universel du downloadModeText.vue.download 651 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 640 XIXe siècle (1876) de Pierre Larousse parle d’une « préférence aveugle et exclusive ». Cette subordination de toutes les autres ambi-
tions au seul intérêt de la nation conduit à une volonté d’hégémonie et d’expansion. Cependant, le nationalisme peut revêtir un autre aspect : celui d’une farouche détermination d’un groupe ou d’une minorité à défendre son existence et à user des moyens nécessaires pour augmenter sa force. Ces deux aspects ne sont pas contradictoires et peuvent se conjuguer, mais ils impliquent une ambivalence. Selon l’historiographie traditionnelle, c’est sous la Révolution française qu’est apparue la forme moderne du sentiment national. Cependant, des prémices du phénomène sont décelables bien avant la fin du XVIIIe siècle. Le rassemblement des milices communales du Nord par Philippe Auguste à la bataille de Bouvines (1214) est souvent considéré comme l’indice d’une émergence du sentiment national. Autre manifestation de « nationalisme » : l’épopée de Jeanne d’Arc, au début du XVe siècle, montre le profond attachement que ressentent pour le roi et le pays de France les habitants des régions proches du duché de Lorraine, alors terre d’Empire. Jeanne sait déjà « ce minimum d’histoire de France nécessaire au sentiment d’une identité commune » (Colette Beaune). À l’époque moderne, la croissance de l’État-nation enrichit et diversifie le sentiment national : réconciliateur et rassembleur sous Henri IV ; supérieur et s’élevant au-dessus des déchirements des factions pour incarner la raison d’État sous Louis XIII et Richelieu ; obstiné et hégémonique sous Louis XIV. Au XVIIIe siècle, une nouvelle image de la société et du pays est forgée par une élite sociale qui transforme le regard porté sur la nation. • L’élan révolutionnaire. Il est clair que c’est la Révolution française qui marque un changement décisif en incarnant la nation dans le seul tiers état, appelé par Sieyès à « devenir tout ». Aussi la souveraineté est-elle transférée du roi à la nation. La Révolution définit le principe des nationalités et un nouveau mode de relations internationales, dans lequel les nations - comme les individus - sont libérées de l’oppression et jouissent d’un droit naturel à leur épanouissement et à leur affirmation. En outre, la Révolution précise, sous la Convention, les obligations qui s’imposent en vertu du principe nouveau : elle décide d’accorder « fraternité et secours à tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté » (19 novembre 1792). Par ce biais s’insinue une forme de nationalisme hégémonique. Enfin, avec la levée en masse, est inauguré un nouveau type de guerre, qui mobilise toute la jeunesse et toutes les forces de la nation. C’est pourquoi un adversaire de la
Révolution française, comme l’abbé Barruel, a stigmatisé, sous le vocable de « nationalisme », ce changement intervenu dans les rapports entre les nations. Il est vrai qu’un nationalisme oppressif en est la conséquence et, qu’il est à l’origine, sous l’Empire, de l’éveil des nationalismes prussien et espagnol. Le retour de l’ordre dynastique au congrès de Vienne (1815), fondé sur la restauration du principe de légitimité monarchique et le rejet du droit des peuples, n’éteint pas les revendications nationales : en 1830, comme en 1848, les insurgés se battent autant pour la démocratie que pour une politique extérieure hardie, favorable au principe des nationalités. Napoléon III se fait le champion de ce principe et le garant d’un nouvel ordre européen, ce qui lui vaut un immense prestige, au moins dans les classes populaires urbaines. • La blessure de Sedan. La guerre francoallemande de 1870, marquée par une sorte de première « union sacrée » lors de la mobilisation, puis par l’épreuve de l’occupation d’une partie du territoire et du siège de Paris, est à l’origine d’une mutation décisive du sentiment national. Il n’est pas surprenant que la défaite ait provoqué une véritable crise de l’identité nationale. La force du modèle prussien devient considérable et l’opinion, en plein désarroi, connaît « la crise allemande de la pensée française » (Claude Digeon). Quelles valeurs faut-il transmettre pour que la France retrouve sa place en Europe et dans le monde ? Michelet indique à la France ce chemin : il lui faut prendre la tête d’une croisade contre la Prusse et redevenir le « guide de l’humanité » (la France devant l’Europe, 1871). Pour résoudre la crise, chacune des forces politiques en présence propose ses remèdes, toutes ayant en commun le désir de servir au mieux la patrie. Les royalistes tiennent pour indispensable le retour aux valeurs de la tradition, de la religion catholique, léguées par l’Ancien Régime. Ainsi s’explique le voeu de nombre de députés catholiques, élus le 8 février 1871, d’ériger une basilique dédiée au Sacré-Coeur, sur la colline de Montmartre, dite « basilique du Voeu national ». La conception de la nation proposée par les républicains opportunistes - qui conduisent la France à partir de 1877-1879 - marque un retour au modèle révolutionnaire, girondin plus que montagnard, bourgeois plus que populaire. Il est fondé sur un souci civique d’éducation et de redressement national que partage la Ligue
des patriotes, fondée en 1882. Toutefois, cette dernière organisation a alors strictement pour but « la révision du traité de Francfort et la restitution de l’Alsace-Lorraine à la France » (article 2 de ses statuts), et non l’expansion outre-mer prônée par Jules Ferry. Les partisans du nationalisme continental, fidèles à la tradition jacobine, sont dirigés par l’extrême gauche radicale. C’est en son nom que Clemenceau attaque vivement Ferry en 1885, et contribue à sa démission. • L’infléchissement à droite. Ces années 1885-1890 marquent un tournant dans l’histoire du nationalisme : par étapes successives, le courant nationaliste se transforme, modifie ses priorités, infléchit son programme, et se rétrécit sur l’Hexagone. Il devient ainsi de plus en plus sympathique à la droite. La crise boulangiste inaugure cette transformation. Plusieurs courants se liguent contre la république opportuniste en une coalition hétéroclite : radicaux hostiles à une politique extérieure terne et dispendieuse, socialistes irrités par la faillite sociale du régime, catholiques aigris par les lois anticléricales, bonapartistes et royalistes gagnés par l’espoir d’un changement de nature de l’État. Dans cette nébuleuse, on perçoit un idéal de socialisme patriote, plus proudhonien que marxiste, associé à un individualisme antiparlementaire, mêlé de fédéralisme. Un exemple de cet amalgame idéologique, aussi étrange qu’éphémère, est fourni par l’équipe du quotidien la Cocarde, dirigé plus tard par Maurice Barrès (5 septembre 1894-7 mars 1895). Le socialisme national qu’y défend Barrès a pu paraître annoncer l’orientation délibérément antibourgeoise et antilibérale des régimes fascistes (selon l’historien Zeev Sternhell). Tout compte fait, le boulangisme frappe par la modestie de son programme global, limité à l’instauration d’une République forte, respectée à l’extérieur, et appuyée à l’intérieur sur la confiance du monde ouvrier. Ces aspirations coïncident avec celles de Déroulède, champion du boulangisme, attaché à une République plébiscitaire, apte à rassembler le peuple de France (« républicains, bonapartistes, légitimistes, orléanistes ; c’est «Patriote» qui est le nom de famille ») dans la perspective de « la revanche » et consolidée par l’élection au suffrage universel du chef de l’exécutif. Ces thèses ne sont pas demeurées lettre morte, et le jeune saint-cyrien Charles de Gaulle, qui rend visite à Déroulède, un an avant sa mort, en 1913, saura s’en souvenir. L’affaire Dreyfus n’est pas une simple ré-
pétition : c’est une autre crise qui atteint le corps même de la nation, l’armée, la justice, l’administration, l’Église, les fondements de l’État, les ressorts mêmes de l’identité nationale. La réaction première de l’ensemble de la classe politique est la défense instinctive des institutions. Le patriotisme des premiers dreyfusards n’est pas moins ferme que celui des antidreyfusards, comme le montre le cas du dreyfusard Péguy, ardent socialiste non moins qu’ardent patriote. C’est à l’occasion de l’affaire Dreyfus que surgit un autre nationalisme, hanté par l’angoisse de la décadence, plus xénophobe, plus antisémite et plus axé sur les questions de réforme intérieure que ne l’avait été le boulangisme. La Ligue de la Patrie française, fondée en 1898, rassemble, sous l’égide de Jules Lemaître et de François Coppée, une coalition de notables, soucieux d’assainissement intérieur, par la réforme de l’État et par l’épuration des éléments « antinationaux », tels les juifs, les étrangers, les francs-maçons. Repris dès 1899 par la revue l’Action française, que fondent en juin deux jeunes intellectuels, Maurice Pujo et Henri Vaugeois, le combat nationaliste se renforce par l’adhésion de Charles Maurras, qui définit les linéaments d’une doctrine nationaliste - le « nationalisme intégral » - dans son Enquête sur la monarchie (1900). Ce néo-nationalisme dresse un impitoyable procès du régime républicain, fondé sur le principe de l’élection, qui laisse s’établir des étrangers sur le territoire national, et qui accumule, depuis 1789, défaites, reculs et crises en politique intérieure comme en politique extérieure. Seule la restauration de la « monarchie traditionnelle, antiparlementaire et décentralisée », conforme à la nature et attestée par l’expérience historique (l’« empirisme organisateur »), rendra la parole au « pays réel », étouffé par des années de gouvernement parlementaire. Pour des raisons qu’il n’est pas toujours facile d’apprécier, cette doctrine connaît une étonnante fortune : downloadModeText.vue.download 652 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 641 classes moyennes atteintes par la crise économique des années 1880 et l’industrialisation accélérée des années 1900, catholiques nostalgiques de la monarchie et désemparés, ouvriers dispersés, exploités et hostiles à la répression des grèves des années 1906-1910. Des années 1905 à 1925, le nationalisme d’Action française est servi par une conjoncture favorable, au point qu’il s’identifie au
nationalisme français. Sa façon d’accaparer l’« union sacrée » pendant la guerre et de parler au nom des forces catholiques, au moins jusqu’à la condamnation de la ligue d’Action française et du journal du même nom par Pie XI en 1926, accrédite cette impression. • Le nationalisme défensif des républicains. Pourtant, un nationalisme diffus, issu du patriotisme républicain, maintient sa fidélité au régime, y compris chez de nombreux catholiques, particulièrement ceux des régions de l’Est, dont sont issus Jules Ferry et Raymond Poincaré. Ce nationalisme connaît un regain de vigueur après la crise marocaine d’Agadir (1911), qui provoque une vive tension franco-allemande. La majorité élue aux élections législatives du printemps 1914 n’est cependant pas nationaliste, puisqu’elle est plutôt hostile au service militaire de trois ans (1913), mais elle ne remet pas en cause cette loi. Attachement à la paix ne signifie pas refus des sacrifices nécessaires pour la défense de la patrie. Les principaux thèmes de l’idéologie nationaliste s’inscrivent dans le patrimoine commun à la veille de la guerre. Telle est la signification de l’« union sacrée » : le réflexe unanime est de se dresser contre l’agression injuste, non d’aller au-delà. Les doutes de 1916, les grèves et les mutineries de 1917 n’empêchent pas, en novembre 1917, le redressement spectaculaire de l’opinion publique, rassemblée pour la défense de la nation, sous l’égide de Clemenceau. La victoire renforce le courant nationaliste, mais elle demeure celle d’un ordre républicain et pacifique : la récupération de l’Alsace-Lorraine va de soi, ainsi que l’obtention d’un minimum de garanties assurant la sécurité de la France, mais les revendications des nationalistes d’extrême droite (détacher de l’Allemagne la rive gauche du Rhin, briser l’unité allemande) ne sont pas défendues par Clemenceau. Le triomphe de la majorité du Bloc national aux élections législatives de novembre 1919, si complexe et parfois si contradictoire au niveau local, traduit une sorte de consensus autour d’un nationalisme républicain, d’un patriotisme retrempé par la guerre, suffisamment mûr pour ne pas se laisser entraîner par les surenchères extrémistes. Il traduit une sorte de fusion entre le nationalisme républicain du style de la Ligue des patriotes et le nationalisme plus agressif des ligues de la fin du XIXe siècle. • Dernières mutations. Cette synthèse connaîtra de nouvelles ruptures lors des années 1930 et de la crise qui affecte le régime républicain. La guerre, la défaite et l’occupa-
tion en 1940 voient la résurgence éphémère du nationalisme contre-révolutionnaire d’Action française, du reste brisé et éclaté en plusieurs rameaux, dont certains se retrouvent dans la France libre. L’idée de nation a, elle aussi, éclaté à la faveur de cette guerre idéologique. Le gaullisme se veut, dès l’origine, rassembleur, et s’inscrit dans la tradition réconciliatrice du boulangisme, du bonapartisme, mais aussi de toute l’histoire de France, sans exclusive. Il a toujours eu contre lui une frange de nationalistes irréductibles, héritiers du maurrassisme, nostalgiques de Pétain et d’un catholicisme contre-révolutionnaire, qui salueront la défaite du général de Gaulle, en 1969, comme une délivrance. La résurgence du nationalisme d’extrême droite, sous la forme du Front national, n’est pas seulement un héritage du nationalisme de l’Action française ; il emprunte aussi à l’idéologie des régimes fascistes, dont il reprend à son compte les thèmes autoritaires, populistes, xénophobes et antisémites. Il cherche aussi l’appui des catholiques, mais ceux-ci se prêtent moins à cette alliance qu’au début du XXe siècle. Si ce nationalisme d’extrême droite reste limité, c’est que le sentiment national, édifié par la République depuis un siècle, est fondé sur un solide attachement à la paix civile, garant du maintien de l’union nationale. Navarre (royaume de), royaume pyrénéen dont la partie française est transmise au roi de France Henri IV par la mère de ce dernier, Jeanne d’Albret. Les deux versants des Pyrénées occidentales sont occupés depuis l’époque protohistorique par les Basques. Dominés tour à tour par les Celtes, les Romains, les Wisigoths puis les Maures, les Basques conservent leur langue, tandis qu’autour d’eux les futures provinces navarraises (de la vallée de l’Èbre à celle de l’Adour) plient sous les envahisseurs. • De Roncevaux à la naissance du royaume de Navarre. Les guerriers basques qui massacrent l’arrière-garde de Charlemagne à Roncevaux en 778 sont aussi ceux qui résistent aux envahisseurs maures ; leur chef, Iñigo Arista, se déclare roi de Pampelune au IXe siècle. Ses descendants règnent en Navarre jusqu’en 1234. Après un siècle de lutte contre les Maures, Sanche le Grand est le véritable fondateur du royaume, qui s’étend de la côte cantabrique aux hautes vallées de l’Aragon ; en s’alliant aux ducs d’Aquitaine, il obtient la province d’Outreports, partie française de la Navarre. Saint-Jean-Pied-de-Port,
porte des Pyrénées sur le chemin de SaintJacques de Compostelle, voit ainsi passer pèlerins et marchands. À la mort de Sanche le Grand (1035), la Navarre connaît une éclipse jusqu’à ce qu’en 1134 Garcia le Restaurateur s’affranchisse de la tutelle aragonaise. Pour alléger la pression qu’exercent la Castille et l’Aragon, Sanche le Fort s’allie un moment aux Maures, puis les combat à la bataille de Las Navas de Tolosa (1212), d’où il rapporte les chaînes du camp de l’émir qui ornent désormais le blason navarrais. • Les dynasties françaises. Sans enfant légitime, Sanche choisit pour héritier en 1225 le fils de sa soeur Blanche, Thibaud Ier de Champagne, roi de Navarre en 1234. Les deux fils de ce dernier, Thibaud II et Henri Ier le Gros, règnent successivement, mais le second laisse à sa mort (1275) une fille mineure, Jeanne, réfugiée avec sa mère à la cour de France. Pour défendre la Navarre contre la Castille, le roi de France Philippe III envoie une expédition et fiance Jeanne à son fils (futur Philippe le Bel, roi en 1284). La Navarre est alors administrée comme une sénéchaussée française. À la mort de la reine Jeanne en 1305, le fils aîné de celle-ci, Louis (futur Louis X), devient roi de Navarre. Lorsqu’il meurt en 1316, les droits de sa fille Jeanne sont oubliés et Philippe V, puis Charles IV, s’intitulent « roi de France et de Navarre ». Jeanne de France, mariée à Philippe d’Évreux, n’entre en possession de la Navarre qu’en 1328. La dynastie d’ÉvreuxNavarre se maintient sur trois générations, jusqu’en 1425. Charles le Mauvais, fils de Philippe d’Évreux et de Jeanne, se montre plus prince français que navarrais dans son acharnement contre les Valois. Son fils Charles le Bon, lui aussi plus français que navarrais, laisse à sa mort en 1425 une fille, Blanche, mariée à Jean II d’Aragon. • La fin du royaume de Navarre. La Navarre vit au XVe siècle des heures difficiles : le fils de Blanche de Navarre et de Jean II d’Aragon, Carlos, « prince de Viane », est déshérité au profit de sa soeur Éléonore, mariée à Gaston de Foix-Béarn. Le destin de la Navarre diverge alors de part et d’autre des Pyrénées. L’Aragon occupe la Navarre de 1425 à 1479, puis en 1512 Ferdinand d’Aragon et Isabelle la Catholique annexent définitivement la partie espagnole. Le royaume de Navarre est réduit à sa partie française, la basse Navarre, et passe successivement des mains de la famille de FoixBéarn à celles de la famille d’Albret en 1483, puis à celles des Bourbons en 1555. Henri de Navarre, fils de Jeanne d’Albret et d’Antoine
de Bourbon, en devenant roi en 1589, sous le nom d’Henri IV, renoue avec le titre de « roi de France et de Navarre ». Dernier des royaumes fondés dans la péninsule Ibérique, la Navarre ne pouvait survivre à l’unification de l’Espagne, non plus qu’à la croissance des grands royaumes voisins. Bien qu’elle ait, un court moment, réuni l’ensemble des territoires basques, elle ne peut être assimilée à un royaume basque indépendant, dont elle dépasse le cadre territorial. Néanderthal (homme de), Homo sapiens neanderthalensis, l’une des deux formes (ou « sous-espèces ») d’Homo sapiens, avec Homo sapiens sapiens ; il vécut en Europe et au Proche-Orient entre 300 000 et 30 000 ans environ avant notre ère, et caractérise le paléolithique moyen. • Données archéologiques. Néanderthal est une petite vallée, située près de Düsseldorf, baptisée d’après le nom d’un prédicateur local, Neumann - hellénisé en Ne(os)-ander (« homme-nouveau ») -, donnant au lieu-dit le sens prémonitoire de « vallée de l’homme nouveau » ! C’est là qu’en 1856 les ouvriers d’une carrière découvrent le premier homme fossile identifié comme tel (celui de Gibraltar, en 1848, était passé inaperçu). La découverte est source de polémiques (certains anthropologues allemands, comme Mayer ou Virchow, ne voyant dans ces vestiges qu’un « dégénéré » moderne ou, à la rigueur, un « mongoloïde »), avant que le squelette soit reconnu comme tel et que de nouveaux fossiles incondownloadModeText.vue.download 653 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 642 testables, tels ceux de Spy, en Belgique, aient été trouvés. De nos jours, on considère Néanderthal comme une évolution locale, d’abord limitée à l’Europe, d’Homo erectus. Le continent est à l’époque recouvert par les glaces dans toute sa moitié septentrionale et ne forme donc qu’une étroite presqu’île, relativement isolée du reste de l’Ancien Monde. Les Erectus, dont les plus anciens en Europe ont été trouvés en Espagne (Atapuerca) et en Italie, auraient évolué autour de 300 000 ans avant notre ère vers des formes dites « anténéanderthaliennes », dont témoignent les vestiges trouvés à Tautavel (Pyrénées-Orientales), puis
vers des formes de transition, les « Néanderthaliens archaïques » : crânes de Swanscombe en Grande-Bretagne, de Steinheim en Allemagne et, en France, restes de Fontéchevade (Charente), d’Orgnac III (Ardèche) ou de La Chaise (Charente). C’est autour de 80 000 ans avant notre ère qu’apparaîtraient, sans rupture, les « Néanderthaliens classiques », dont plusieurs dizaines sont connus, tel celui du site éponyme ou encore, en France, les restes découverts à La Chapelle-aux-Saints (Corrèze), à La Ferrassie (Dordogne), à Arcy-surCure (Yonne), à Saint-Césaire (Charente), etc. • Des signes particuliers. Par rapport à l’homme moderne, Néanderthal possède encore un squelette robuste, de fortes arcades sourcilières (ou « bourrelets suborbitaires »), un menton peu marqué, un front assez fuyant, un occiput développé (« chignon occipital »). Mais sa capacité cérébrale est comparable à celle de l’homme moderne, et il est physiologiquement apte, d’après la forme de l’os hyoïde, au langage articulé. On fait souvent observer que, coiffé d’un chapeau, il détonnerait fort peu dans une foule d’aujourd’hui ! De fait, les capacités psychomotrices de l’homme de Néanderthal dépassent à l’évidence celles d’Erectus. Son outillage, celui de la civilisation dite « moustérienne » du paléolithique moyen, devient complexe et se diversifie. Le Néanderthalien choisit des matières premières adéquates qu’il peut transporter sur des dizaines de kilomètres, invente des processus complexes de taille de la pierre (comme le « débitage Levallois » ou le « débitage laminaire ») qui lui permettent de donner aux éclats la forme exacte qu’il souhaite. De nouveaux outils apparaissent, comme les pointes, et donc les armes de jet pour la chasse, ou les racloirs pour le travail du bois, de l’os ou des peaux. Il maîtrise le feu et organise ses campements. Et, surtout, il est le premier à enterrer ses morts (la première tombe est découverte en 1908 à la Chapelleaux-Saints par trois abbés), ce qui justifie qu’il soit considéré, dans les classifications des préhistoriens, comme une sous-espèce d’Homo sapiens (« l’homme sage »). À partir de l’Europe, Néanderthal gagne le Proche-Orient et atteint l’Ouzbékistan (grotte de Teshik-Tash). C’est au Proche-Orient qu’il semble rencontrer les premiers hommes modernes (Homo sapiens sapiens), sans doute apparus en Afrique nord-orientale à partir d’autres évolutions d’Erectus. La cohabitation des deux sous-espèces aurait duré plusieurs dizaines de milliers d’années, avant que l’homme moderne se répande à son tour en
Europe 40 000 ans avant notre ère environ. On ignore si ce mouvement de colonisation a progressivement et simplement éliminé Néanderthal - qui disparaît de fait 10 000 ans plus tard avec sa dernière civilisation, celle de Châtelperron -, ou s’il y eut des formes de métissage entre les deux sous-espèces. Necker (Jacques), banquier genevois devenu pendant près de huit années le grand argentier de Louis XVI (Genève 1732 - Coppet, Suisse, 1804). Son ascension reflète celle des gens d’affaires au sein des élites françaises du siècle des Lumières. Issu d’une famille calviniste de la bourgeoisie genevoise, Necker reçoit une solide instruction, puis entame une carrière de banquier à Genève. Entré en 1750 dans la maison bancaire parisienne de son compatriote Isaac Vernet, il fonde en 1756, avec celui-ci et Thellusson, une des plus puissantes associations de la place de Paris. Enrichi à la faveur de la guerre de Sept Ans, créancier de l’État, il est en 1764 actionnaire de la Compagnie des Indes orientales, qu’il défend dans un mémoire lors de sa mise en liquidation en 1769. Représentant de la République de Genève à Paris (1768), il manifeste ses ambitions politiques par d’orthodoxes écrits mercantilistes : un Éloge de Colbert (1773), puis Sur la législation du commerce des grains (1775) qui le pose en adversaire de Turgot, jugé trop libéral. Le salon tenu par son épouse - qui lui a donné en 1766 une fille, Germaine, future Mme de Staël - soutient une réputation grandissante, qui le fait accéder en 1776 à la tête de l’administration des Finances avec le titre de directeur du Trésor, puis de directeur général des Finances (1777). Étranger et protestant, il n’est pas contrôleur général ni, encore moins, ministre : il ne siège donc pas au Conseil du roi. Sa popularité fait le succès des emprunts qui financent la guerre d’Amérique, mais l’endettement massif de l’État le contraint peu à peu à s’aliéner les courtisans (tentative de diminution des pensions), les fermiers généraux (création de régies), les intendants et les parlementaires (reprise du projet de Turgot d’associer à la gestion des généralités des assemblées des trois ordres, avec prédominance du tiers état). Il tente alors de consolider à la fois le crédit public et sa position en livrant à l’opinion, contre la tradition du secret, l’état d’un Trésor excédentaire, amputé de son endettement réel mais où figurent les dépenses de la cour (Compte rendu au roi, 1781). La violente réaction de cette dernière lui aliène le monarque : il démissionne le 19 mai 1781. Son action phi-
lanthropique (création d’un hôpital modèle à Paris) et la publication d’un second ouvrage (De l’administration des finances de la France, 1784) alimentent cependant une véritable « neckeromanie ». Necker est rappelé par le roi en août 1788 - comme ministre, cette fois - pour cautionner de nouveaux emprunts, dont l’insuffisance le conduit à organiser la convocation des états généraux de 1789 (avec doublement des députés du Tiers). Il se tient désormais en retrait mais demeure populaire : son renvoi, le 11 juillet 1789, provoque indirectement la prise de la Bastille ; de nouveau rappelé le 16 juillet comme « premier ministre des Finances », il désapprouve nombre de décisions de l’Assemblée nationale, telle l’émission massive d’assignats. Démissionnaire en septembre 1790, il se retire dans son château de Coppet, près de Genève. Neerwinden (bataille de), bataille remportée par les Français contre les troupes anglo-hollandaises le 29 juillet 1693, au cours de la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Après les victoires de Fleurus (1690) et de Steinkerque (1692), le maréchal de Luxembourg s’apprête à affronter à nouveau le prince Guillaume III d’Orange sur le théâtre d’opérations des Pays-Bas. Après avoir feint de se porter contre Liège, Luxembourg marche sur les troupes de Guillaume qui se tiennent devant Bruxelles, mais l’effet de surprise échoue, et l’ennemi, bien pourvu en canons, a eu le temps de se retrancher dans le village de Neerwinden. L’engagement, commencé au petit matin, ne se termine qu’à 5 heures du soir. Les charges succèdent aux charges, en séries d’attaques frontales. Par deux fois, le village est pris par Luxembourg, l’épée à la main ; par deux fois, il est perdu. Le duc de Chartres (le futur Régent) s’expose avec courage, le prince de Conti est blessé. La résistance de la cavalerie française au tir de l’artillerie ennemie arrache un cri à Guillaume : « Ah ! l’insolente nation ! » Les Français restent enfin maîtres du terrain, mais, épuisés, ne peuvent empêcher les Anglo-Hollandais de faire retraite en bon ordre. Si Guillaume d’Orange perd 12 000 hommes, Luxembourg déplore 8 000 tués, ce qui fait de Neerwinden une des batailles les plus sanglantes du siècle. « C’est à cette occasion qu’on disait qu’il fallait chanter plus de De Profundis que de Te Deum » (Voltaire). Couperin, qui avait baptisé la Steinkerque une de ses sonates, n’eut pas le coeur d’en dédier une à ce nouveau succès, qui eut peu de conséquences stratégiques.
néolithique, période préhistorique caractérisée par une forme de vie sociale et économique fondée sur l’agriculture et l’élevage, qui apparaît sur le territoire de la France à partir du VIIe millénaire avant notre ère, à la suite de mouvements de colonisation provenant du Proche-Orient. • Les différentes classifications archéologiques. Les préhistoriens du XIXe siècle divisèrent l’âge de la pierre en deux parties : l’âge de la pierre ancienne, ou taillée, appelé aussi le « paléolithique », et l’âge de la pierre nouvelle, ou polie, auquel ils donnèrent le nom de « néolithique ». Entre ces deux périodes, ils définirent ensuite une phase intermédiaire : l’âge de la pierre moyenne, ou « mésolithique ». Mais, progressivement, il apparut que le polissage de la pierre n’était qu’une technique particulière de finition de certains outils (haches et herminettes à travailler le bois), et que le néolithique s’identifiait davantage à une transformation économique radicale : la domestication des animaux et la culture des plantes. Le préhistorien australien Gordon Childe parla, dans les années 1920-1930, d’une « révolution néolithique ». Suivant les classifications, on considère le néolithique comme la dernière période de la préhistoire, ou la première de la protohistoire. downloadModeText.vue.download 654 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 643 • Des prédateurs aux producteurs. Il ne semble pas qu’il y ait eu, sur les territoires correspondant à la France et à l’Europe d’aujourd’hui, d’invention endogène de l’agriculture et de l’élevage. En effet, ces pratiques apparaissent au Proche-Orient vers le IXe millénaire, au sein d’une civilisation de chasseurs-cueilleurs du mésolithique, le natoufien. Elles ne pénètrent en Europe du Sud-Est qu’au cours du VIIe millénaire. Ce nouveau mode de vie est fondé sur la culture du blé et de l’orge ainsi que sur l’élevage du mouton, de la chèvre, du porc et du boeuf (hormis ces deux dernières, les autres espèces n’existent pas alors à l’état sauvage en Europe). Cette économie de production se répand peu à peu d’est en ouest : d’une part, vers l’intérieur de l’Europe par le bassin du Danube ; d’autre part, en suivant les côtes de la Méditerranée. C’est par ce mouvement méditerranéen que, vers la seconde moitié du VIIe millénaire, le processus de néolithisation atteint le midi
de la France actuelle. La première civilisation néolithique qui s’y épanouit est appelée « cardial » car la poterie est souvent décorée d’impressions de coques (cardium edule). Les populations du cardial maîtrisent la navigation en haute mer et pratiquent surtout l’élevage - parfois transhumant - des moutons et des chèvres ; l’architecture des villages reste encore très mal connue, tandis que des grottes sont utilisées comme bergeries. Peu à peu, à partir de la fin du VIe millénaire, le cardial s’étend vers le nord, par la vallée du Rhône et le long des côtes de l’Atlantique, où il atteint le Centre-Ouest de la France. Le décor des poteries se simplifie et d’autres techniques sont utilisées (rainures, cordons d’argile) : c’est l’« épi-cardial ». Il n’est pas impossible que certains contacts aient eu lieu avec les populations indigènes de chasseurs-cueilleurs mésolithiques. Mais ces contacts sont souvent difficiles à affirmer avec certitude, car l’association, dans la même couche archéologique d’une grotte donnée, d’objets mésolithiques et d’objets néolithiques peut tenir aussi à des mélanges ultérieurs, lorsque par exemple des agriculteurs se sont installés dans une grotte précédemment occupée par des chasseurs. Dans la première moitié du Ve millénaire, des populations néolithiques appartenant à l’autre courant de colonisation - celui venu par le bassin du Danube - prennent pied dans l’est de la France puis dans le Bassin parisien. Cette nouvelle culture est appelée « rubané » (ou « culture de la céramique linéaire »), en raison des décors géométriques gravés sur les poteries avant cuisson. Les villages du rubané sont beaucoup mieux connus que ceux du cardial, notamment parce qu’ils se composent de maisons de bois et de terre massives, pouvant atteindre 45 mètres de long. Ces deux courants de colonisation se rejoignent dans la partie centrale de la France, vers la moitié du Ve millénaire. Cette rencontre marque aussi, à l’échelle de l’Europe, la fin de la colonisation néolithique. L’espace étant désormais restreint, les premiers phénomènes de tension et de hiérarchisation sociales apparaissent : fortifications, monuments funéraires mégalithiques, etc. On parle parfois alors de « chalcolithique ». Plusieurs cultures se succéderont encore suivant les régions (chasséen, michelsberg, Seine-Oise-Marne, Ferrières, Fontbouisse, campaniforme, etc.) avant l’âge du bronze proprement dit, qui commence dans le dernier quart du IIe millénaire. Neustrie, royaume mérovingien situé
entre la mer du Nord et la Loire. Cette région, aux limites géographiques mouvantes, devient, au cours des partages territoriaux du VIe siècle, une entité homogène. À la mort de Clotaire Ier (561), il existe en Gaule trois ensembles territoriaux : l’ancien royaume des Burgondes (la Bourgogne), le pays des Francs Rhénans, que leurs voisins appellent « Austrasie », et l’ancien pays des Francs Saliens, désigné du nom de « Neustrie », au début du VIIe siècle, par le chroniqueur connu sous le nom de Pseudo-Frédégaire. Après le second partage mérovingien (561), la Neustrie, avec Soissons pour capitale, revient à Caribert, fils aîné de Clotaire Ier, puis à son frère cadet Chilpéric en 568. Ce dernier se trouve bientôt en lutte ouverte avec son frère Sigebert, roi d’Austrasie. La guerre entre la Neustrie et l’Austrasie est aussi celle qui oppose Frédégonde à Brunehaut, rapportée par Grégoire de Tours. À la mort de Frédégonde (597), l’Austrasie et la Bourgogne se liguent contre le jeune roi de Neustrie Clotaire II, dont le royaume est réduit à une peau de chagrin après le combat de Dormelles (600). Vainqueur de Brunehaut en 613, Clotaire II se trouve seul maître de tous les domaines francs. La Neustrie joue alors un rôle prépondérant : Clotaire II et son fils Dagobert enrichissent la basilique Saint-Denis, nécropole royale, autour de laquelle se constitue une abbaye. À la mort de Dagobert (639), la Neustrie et l’Austrasie sont à nouveau séparées, et la lutte reprend. La victoire du maire du palais d’Austrasie, Pépin II de Herstal, en 687 à Tertry, puis celle de Charles Martel en 719, signent la fin de la prépondérance neustrienne. Lors des deux siècles qui suivent, le centre du pouvoir se déplace vers l’Austrasie, berceau des Carolingiens. Il faut attendre la décomposition de l’Empire carolingien pour que reviennent sur le devant de la scène le nom de Neustrie et les forces politiques qui en sont issues. De 852 à 856, Robert le Fort, ancêtre des Capétiens, porte le titre de marquis de Neustrie, région sur laquelle s’appuie sa famille pour conquérir le pouvoir royal. De la Francia historique, terre des Francs Saliens, à la Neustrie puis à l’Île-de-France persiste donc une cohérence géographique et politique qui concourt à faire de cette région un lieu de pouvoir central dès la première moitié du Moyen Âge. Ney (Michel), maréchal de France, duc d’Elchingen, prince de la Moskowa (Sarrelouis, Moselle, 1769 - Paris 1815). Fils d’un maître tonnelier, il s’engage dans
l’armée dès 1788. Il est élu capitaine en 1794, puis il sert aux armées de Sambre-et-Meuse, d’Angleterre, de Mayence et du Rhin, et devient général de division en mars 1799. Jouissant d’une grande popularité, il est apprécié pour sa bravoure : cette renommée lui permet de ne pas être écarté des honneurs, alors qu’il n’a jamais rencontré Bonaparte avant mai 1801. Nommé maréchal le 19 mai 1804 et désireux de surpasser les autres maréchaux, qu’il jalouse, il prend parfois l’initiative d’actions pour lesquelles il n’a reçu aucune mission, alors même qu’il ne démontre pas de grandes qualités de stratège. Il n’en joue pas moins un rôle déterminant à Elchingen le 14 octobre 1805, à Erfurt en 1806, puis à Eylau, Guttstadt et Friedland en 1807. Il reçoit en 1808 le titre de duc d’Elchingen et des rentes de plus de 200 000 francs, grâce auxquelles il vit luxueusement dans son hôtel du faubourg Saint-Germain. Durant la campagne de Russie, sa témérité permet la victoire de la Moskowa, puis sauve de la déroute l’arrière-garde de l’armée durant la retraite. Devenu prince de l’Empire, il accueille pourtant favorablement la Restauration mais rompt, en mars 1815, sa promesse de capturer Napoléon, auquel il se rallie finalement. Un retournement qu’il paie de sa condamnation à mort sous la seconde Restauration : devant le peloton d’exécution, le 7 décembre 1815, il ne faillit pas à sa réputation de « brave des braves ». Niaux, l’une des plus célèbres et des plus remarquables grottes ornées de peintures du paléolithique supérieur, qui sont attribuables au magdalénien, et datent d’environ 12 000 ans avant notre ère. La grotte de Niaux, dite aussi « la Grande Caougno » ou « la Calbière », est située à près de 700 mètres d’altitude, à 5 kilomètres de Tarascon-sur-Ariège (Ariège). Elle se compose de plusieurs galeries dont le développement atteint 2 kilomètres, au sein d’un réseau souterrain d’environ 15 kilomètres de longueur. Des visiteurs s’y sont sans doute introduits dès le XVIIe siècle, mais les peintures préhistoriques ne furent reconnues qu’au début du XXe siècle. La localisation de cet art pariétal - dans les profondeurs obscures - indique que le site n’était pas un lieu couramment habité, mais un espace destiné au rituel. Les premières peintures apparaissent à environ 500 mètres de l’ouverture de la grotte, sous la forme de signes schématiques rouges et noirs - points et bâtonnets -, qui paraissent marquer l’entrée
du sanctuaire. Celui-ci se trouve à l’extrémité d’une première galerie - dite « le Salon noir », à cause de la couleur dominante des peintures, qui comptent parmi les oeuvres majeures de l’art préhistorique. Plusieurs dizaines d’animaux sont répartis en six panneaux principaux, séparés par des parois non ornées, et qui se distinguent par la taille différente des représentations. Il s’agit surtout de chevaux et de bisons, deux espèces qui, comme l’a montré André Leroi-Gourhan, symbolisent le dualisme masculin-féminin, cette thématique étant caractéristique de l’art des grottes. Bouquetins et cervidés sont en position marginale, ainsi qu’un certain nombre de signes, peints en noir, rouge ou brun. Sur le sol argileux, et en général protégées par des renfoncements de la paroi, plusieurs gravures d’animaux (bisons, chevaux, bouquetins, poissons) ont échappé à une destruction totale provoquée par le passage des visiteurs. Ces vestiges - très rares - font aussi l’intérêt archéologique de Niaux. downloadModeText.vue.download 655 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 644 Au-delà du Salon noir, le réseau de galeries se poursuit et traverse plusieurs petits lacs. Cette partie moins accessible est ponctuée de peintures représentant surtout des chevaux et des bouquetins. Leur exécution, plus rapide, est l’indice d’une fréquentation très occasionnelle. En vidant des lacs intermédiaires, les spéléologues ont pu atteindre en 1970 une autre galerie décorée, dite « réseau RenéClastres », dans laquelle on devait pénétrer, à l’époque préhistorique, par une entrée plus directe, aujourd’hui colmatée. On y a trouvé de nombreuses empreintes de pieds laissées par trois enfants, des fragments de torches en pin carbonisé et plusieurs peintures noires : signes, bisons, cheval, ainsi qu’une belette, la seule connue dans l’art paléolithique ; curieusement, à quelques dizaines de mètres de là, gisait le squelette d’une belette... Nice (comté de), comté ayant appartenu aux princes de Savoie à partir de 1388, réuni définitivement à la France en 1860. En 970, l’ancienne colonie grecque de Nikaia est rattachée au comté de Provence. C’est après de longs conflits entre seigneurs locaux que Nice revient aux princes de Savoie, en 1388. Sous Louis XIV, elle est à plusieurs reprises occupée par la France, mais chaque
fois rendue à ses souverains. Devenus rois de Sardaigne en 1714, les princes de Savoie accordent une grande importance à la possession de Nice, qui leur offre une ouverture maritime de choix. Les limites du comté sont d’ailleurs précisées par un traité en 1760. La Révolution bouleverse les rapports entre Nice et la France. En effet, le 16 juillet 1789, le comte d’Artois - frère de Louis XVI - donne le signal de l’émigration ; il s’installe chez son beau-père, à Turin, d’où il organise une force contre-révolutionnaire. Jusqu’en 1792, Nice devient le lieu de passage obligé des émigrés et des prêtres réfractaires. La ville compte alors environ 30 000 habitants, les élites sont francisées et les idées révolutionnaires ont pénétré les milieux urbains. La guerre déclarée en avril 1792 modifie brutalement la situation : le 29 septembre, le général Anselme et le représentant en mission Barras entrent sans combat dans la ville. Les deux hommes s’empressent de créer des administrations provisoires qui réclament immédiatement le rattachement de la ville à la République. La Convention y envoie deux missions d’information, à la suite desquelles Anselme est rappelé à Paris. Malgré la position prudente de la Convention, les patriotes niçois mettent tout en oeuvre pour faire adopter l’idée d’une réunion à la France. Le 28 novembre 1792, les assemblées primaires du comté de Nice se prononcent en ce sens et, le 31 janvier 1793, la Convention accède à ce voeu minoritaire. Les députés Grégoire et Jagot sont envoyés sur place pour organiser le département des Alpes-Maritimes. Alors que les milieux urbains sont plutôt favorables à la France, c’est loin d’être le cas pour les ruraux et les montagnards ; le nouveau département n’est d’ailleurs pas des plus sûrs entre 1795 et 1799. En 1814, le traité de Paris rend Nice à la maison de Savoie. La période sarde voit l’extension de la ville et le début de son activité touristique. Nice est incluse dans l’accord passé entre Napoléon III et le roi du Piémont en échange de l’aide française en Italie. La cession de la ville à la France, obtenue par traité le 24 mars 1860, est ratifiée par plébiscite. Nicole (Pierre), écrivain janséniste (Chartres 1625 - Paris 1695). Après de solides études, où il acquiert une parfaite maîtrise du latin, du grec et de l’hébreu, il est attiré par Port-Royal, où deux de ses tantes sont religieuses, et par les Solitaires, ces pieux laïcs voués à la retraite et à l’enseignement. Maître de philosophie dans les Petites Écoles de Paris dès 1646, puis de Port-Royal-des-
Champs, il rédige avec Antoine Arnauld la Logique de Port-Royal (1662). Il participe à la polémique janséniste, conseillant Pascal pour ses Provinciales, qu’il traduit ensuite en latin, ou prend la plume directement (Dix lettres sur l’hérésie imaginaire, 1664-1665 ; les Visionnaires, 1667). Au sein du parti janséniste, il représente une tendance intellectualiste, méfiante envers le mysticisme (Traité de l’oraison, 1679), ouverte aux influences rationalistes, celles de Descartes particulièrement. Au contraire de Barcos, le neveu de Saint-Cyran, Nicole cherche un compromis avec le monde et avec les autorités politiques. Un temps exilé aux Pays-Bas (1679-1680), il reprend, sitôt revenu, la polémique anticalviniste qu’il avait amorcée dès les années 1670. Ses Essais de morale (1671-1678) ont un grand succès. Leur finesse psychologique et leur style d’un classicisme impeccable ont grandement contribué à maintenir l’influence janséniste au-delà du cercle des théologiens. « Ce qu’il a écrit contre les jésuites n’est guère lu aujourd’hui ; et ses Essais de morale, qui sont utiles au genre humain, ne périront pas » (Voltaire). Niepce (Joseph Nicéphore), physicien et inventeur (Chalon-sur-Saône 1765 - SaintLoup-de-Varennes 1833). Après le petit séminaire et une participation aux guerres révolutionnaires, Nicéphore Niepce se lance avec son frère Claude dans des recherches qui aboutissent au moteur à explosion. Le « pyréolophore, [qui] permet de faire avancer un bateau sans voile ni rame contre le courant » est breveté par Napoléon Ier en 1807, mais ce procédé est détrôné par la vapeur : les frères Niepce doivent hypothéquer leurs biens pour assumer le coût des recherches. À partir de 1813, Nicéphore cherche « à fixer l’image des objets, à l’aide de la gravure sur pierre, par l’action des acides aidée du concours de la lumière ». Il y parvient le 5 mai 1816 grâce à la conjugaison d’une camera oscura à mise au point réglable et de papier sensibilisé : c’est le premier appareil photographique au monde, la première photographie étant l’héliographie d’un paysage, en négatif. Le 19 juillet 1822, l’image positive est stabilisée par l’action du bitume de Judée sur une plaque de verre ou d’étain traitée à l’eau-forte. Niepce rend compte de ce résultat à Londres en 1827. Mais, si l’héliographie est au point, les Niepce sont néanmois ruinés, et, en décembre 1829, le peintre-décorateur Daguerre « offre de s’adjoindre à M. Niepce pour parvenir à des perfectionnements ». Le
plus important de ceux-ci est « l’usage de la vapeur de mercure pour révéler l’image et la fixer dans les tons clairs ». Le daguerréotype naît officiellement en 1839, six ans après la mort de Niepce. Niger ! Afrique-Occidentale française Nimègue (traités de), traités signés en 1678 et 1679, qui mettent fin à la guerre de Hollande opposant la France aux ProvincesUnies et à ses alliés. Depuis 1674, Charles II d’Angleterre propose sa médiation ; à la fin de l’année 1676, les émissaires français arrivent à Nimègue. Des médiateurs pontificaux les y rejoignent : Innocent XI veut la paix pour mobiliser la Chrétienté contre le Turc. Les marchands hollandais désirent eux aussi un accord, mais Guillaume d’Orange espère encore un succès militaire. Après la prise de Gand (mars 1678), Louis XIV a l’habileté de proposer aux Hollandais une paix sans annexion. Elle est signée le 10 août 1678 : la France rend Maastricht et la principauté d’Orange, occupées depuis 1672, et baisse ses tarifs douaniers. Guillaume, après avoir livré un dernier combat le 14 août, doit s’incliner. C’est l’Espagne qui paie le prix de la paix ; par le traité du 17 septembre, elle cède la Franche-Comté, Saint-Omer, Cassel, Ypres, Valenciennes, Maubeuge et Cambrai à la France, qui lui restitue Charleroi, Binche, Ath, Audenarde et Courtrai. Suivant le souhait de Vauban, ces rectifications font disparaître les enclaves, et les places acquises composent une « ceinture de fer ». Quant à l’empereur germanique Léopold Ier, mis en difficulté par les révoltés hongrois, il accepte, le 5 février 1679, de céder Fribourg-en-Brisgau contre la restitution de Philippsburg, et cesse les hostilités contre la Suède. Avec les traités entre la Suède d’une part, le Brandebourg et le Danemark de l’autre (juin et novembre), Louis XIV est l’arbitre de l’Europe, mais il n’a pu mettre les Provinces-Unies à genoux. l NOBLESSE. Comme dans les autres pays de vieille civilisation, la noblesse a longtemps joué un rôle éminent dans l’organisation et le fonctionnement de la société française. Même privée de son statut d’ordre depuis 1789, elle a conservé, jusqu’à nos jours, une visibilité sociale inversement proportionnelle à son poids numérique. Pour autant que la « conscience de race » soit le principe de son essence, elle n’a jamais
formé une caste, mais, jusqu’à l’instauration de la IIIe République, s’est constamment régénérée par l’apport de lignées nouvelles, dont elle consacrait l’ascension. LA GENÈSE D’UNE ÉLITE SOCIALE (Ve-XIIe SIÈCLE) Les origines de la noblesse ont longtemps nourri d’âpres controverses idéologiques - c’est ainsi qu’à la veille de la Révolution, la théorie de l’ascendance franc-salienne, que le comte de Boulainvilliers avait reprise à son compte, autant pour dénoncer l’absolutisme que pour justifier l’inégalité sociale, fut retournée par Mably et Sieyès pour exclure la downloadModeText.vue.download 656 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 645 noblesse de la nation française, incarnée par le seul tiers état comme descendant des GalloRomains - avant de diviser les historiens. Au lendemain de la guerre de 1870, l’école historique allemande a énoncé la thèse de la disparition totale des institutions romaines et de l’adjonction, à l’époque carolingienne, à la noblesse franque « primitive », d’un groupe d’hommes libres, pourvus de charges dans la Maison du roi et formant à ce titre une noblesse de service (Dienstadel). Postulant l’extinction des lignages carolingiens entre le IXe et le Xe siècle, Marc Bloch fit coïncider l’émergence d’une nouvelle noblesse avec l’avènement de la féodalité. Plus récemment, Karl-Ferdinand Werner a remontré « l’origine romaine de la noblesse en Occident et sa continuité institutionnelle dans la noblesse franque » : loin d’éliminer les élites gallo-romaines, les Mérovingiens ont choisi la plupart des évêques et des comtes dans des familles d’ascendance sénatoriale, qui ont progressivement fusionné avec les élites germaniques. Reste qu’à l’époque carolingienne, la noblesse constitue, non une catégorie juridique, mais un fait social défini par la conjonction de trois critères : l’appartenance à un réseau de parenté se rattachant de plus ou moins près à la maison royale, l’aptitude à exercer des fonctions publiques, et la possession d’une fortune territoriale constituée en grande partie grâce à la générosité du prince. Cette noblesse n’est cependant pas homogène : les plus hautes charges sont aux mains d’une Reichsaristokratie formée de groupes familiaux répandus
dans tout l’Empire, alors que comtes, vicomtes et autres vassi dominici sortent de lignages au rayonnement plus localisé. Ce sont leurs descendants qui, à la faveur de la décomposition de la monarchie carolingienne, accaparent les pouvoirs de commandement et de justice et imposent aux populations vivant dans le ressort de leur château toutes sortes de « coutumes » recognitives de leur prééminence sur le sol et sur les hommes. Cette affirmation de la puissance banale s’assortit de l’émergence d’un groupe de guerriers montés à cheval, qui en constituent le bras armé : les milites castri. D’origine souvent obscure (sauf en Mâconnais, où ils appartiennent à des familles aisées et se prévalent des mêmes ancêtres que les sires), ils ne peuvent rivaliser, ni en puissance ni en fortune, avec les détenteurs du ban seigneurial, auxquels ils sont subordonnés par les liens vassaliques, mais n’en sont pas moins distingués de la masse rurale par leur participation à l’exercice du pouvoir châtelain. La fusion des maîtres de châteaux et des chevaliers procède d’un double mouvement, plus précoce de l’Aquitaine au Languedoc et au Mâconnais qu’au nord de la Loire, et non encore amorcé en Normandie à la fin du XIIe siècle : d’une part, la sacralisation de la fonction militaire, sous l’impulsion de l’Église, qui place les bellatores au deuxième rang de la hiérarchie des ordres et exalte le modèle du « chevalier du Christ », auquel il incombe de défendre l’institution ecclésiastique et le peuple chrétien, selon une morale et des modalités que réglementent les paix de Dieu autour de l’an mil - il s’ensuit la diffusion de l’adoubement parmi les comtes et les sires et l’assimilation du qualificatif de miles à celui de nobilis ; d’autre part, l’émergence, au sein de la chevalerie de château, d’une « conscience de race », qui s’exacerbe à mesure que, de concession viagère et révocable, le fief devient transmissible par agnation et que se conserve la mémoire des ancêtres. Outre la fréquence accrue des alliances entre chevaliers et filles de sires, maints indices attestent le rapprochement des conditions aristocratiques à la fin du XIIe siècle : non contents de se parer du titre de messire, jadis réservé aux maîtres de châteaux, et d’adopter des emblèmes héraldiques, les simples chevaliers font fortifier leur demeure et s’approprient des droits de ban et de justice. PREMIÈRES MÉTAMORPHOSES (XIIIe-XVe SIÈCLE)
Soudée par les liens du sang et le culte des valeurs chevaleresques, la noblesse n’en est pas moins menacée par le double péril de l’extinction et de l’appauvrissement. Tout autant que les dangers de la guerre, les stratégies patrimoniales, vouant les puînés mâles au célibat, compromettent la pérennité des lignages : en Forez, où le tiers d’entre eux disparaît au cours du XIIIe siècle, des agents de la maison comtale et des grands monastères, voire de simples paysans rassembleurs de terres, s’insinuent dans les vides ainsi créés. L’ascension de ces nouveaux venus contraste avec la gêne qui étreint les lignées chevaleresques, alors même que « la prospérité des campagnes ne cesse d’accroître les profits de la seigneurie » (Georges Duby) ; or, le surcoût de l’équipement militaire, les exigences accrues des princes, tant en durée du service qu’en aides pécuniaires, le goût de la largesse et le refus de compter conduisent les nobles à vivre au-dessus de leurs moyens : ne trouvant plus d’argent à emprunter auprès de leurs parents et amis, ils s’endettent au profit de « vilains » enrichis et ne se libèrent de leur dette qu’en aliénant tout ou partie de leur patrimoine. Les moins possessionnés sont les premiers à s’appauvrir, à l’instar de ces hobereaux de Champagne et de l’Orléanais, qui, en 1332, disposent d’un revenu inférieur à la valeur d’un tonneau de vin. Parce qu’ils coûtent cher, les adoubements perdent leur caractère systématique, si bien qu’en Mâconnais, vers 1250, moins de la moitié des nobles sont armés chevaliers. Or, c’est en vain qu’en 1233 le comte de Provence menace les fils de chevaliers non adoubés à l’âge de 30 ans de les priver d’exemption fiscale : le sang prévaut désormais sur l’épée ; l’adoption du titre d’écuyer (au nord de la Loire) ou de damoiseau (au sud) parachève la séparation de la qualité noble d’avec l’état de chevalier et l’identification de la « gentilesse » à la supériorité de la naissance. Ces mutations ne laissent pas insensibles le roi et les princes territoriaux, qui ébauchent alors une politique nobiliaire appelée à se prolonger bien au-delà du XIIIe siècle : sans doute s’entourent-ils d’hommes dont les nobles méprisent la compétence juridique ou financière pour mieux s’indigner de la basse extraction ; mais l’essor de leurs ressources fiscales leur permet de gager un nombre croissant de chevaliers et d’écuyers en quête de revenus et, ce faisant, d’étendre leur réseau de fidèles ; plus encore, ils se proclament seuls dispensateurs de la qualité noble, sans toutefois parvenir à leurs
fins : l’instauration du franc fief en 1275 ne tarit pas l’évasion fiscale des roturiers acquéreurs de seigneuries, tandis que le service d’un puissant, le mariage et l’imitation de la vie noble demeurent des moyens éprouvés d’élévation sociale. Les secousses de la guerre de Cent Ans montrent la nécessité de conforter la suprématie du corps nobiliaire, tout en accentuant sa fonction de service : la crue des effectifs militaires s’accompagne d’une exaltation des valeurs identitaires, que traduit l’efflorescence des ordres de chevalerie ; mais, pour autant que l’institution des compagnies d’ordonnance, en 1445, consacre la vocation de la noblesse à servir de bras au corps politique, celle-ci est également appelée à collaborer à l’extension de l’emprise administrative et judiciaire de l’État royal comme de la grande principauté : bien implantée dans les conseils et au parlement (43 % des magistrats en fonction entre 1345 et 1454 sortent de ses rangs), elle contrôle jusqu’à la fin du XVe siècle la totalité des charges de baillis et de sénéchaux. Ce processus d’étatisation de la noblesse rend non moins prégnante que les pertes provoquées par la Peste noire et les défaites meurtrières de la guerre de Cent Ans la question de sa reproduction sociale. Or, pas plus les Valois que les princes territoriaux ne sont en mesure de contrôler toutes les entrées dans le second ordre, si bien qu’à côté des voies légales offertes par les lettres de noblesse, l’échevinage et les charges de chancellerie, se multiplient les anoblissements subreptices, jusqu’à ce que l’ordonnance d’Orléans (1560) - premier texte réprimant les usurpations nobiliaires - en ralentisse quelque peu le flux. LES TENTATIONS DE L’INSOUMISSION Praguerie (1440), ligue du Bien public (1465) et Guerre folle (1485-1488) ont montré le danger qu’il y avait pour le pouvoir royal à laisser la noblesse inactive : les guerres d’Italie offrent un exutoire à la passion belliciste et à la soif d’honneur et de butin de jeunes nobles nourris des récits de l’Amadis de Gaule et convaincus qu’il n’est de plus haute vertu que la bravoure au combat. Mais, alors que Bayard incarne l’idéal d’une chevalerie magnifiée et qu’à l’exemple de Blaise de Montluc d’obscurs cadets s’emploient à « parvenir par les armes », l’État moderne réalise des progrès décisifs, qu’attestent l’étouffement de la révolte du connétable de Bourbon et l’influence croissante, au sein des organes de gouvernement, des officiers de judicature et de finances, pionniers d’une noblesse minis-
térielle en devenir. Le traité du Cateau-Cambrésis (1559) ouvre un siècle de turbulences qui ne s’apaisent qu’après la Fronde ; la noblesse traverse alors une grave crise identitaire, procédant plus de la perte de sa prééminence dans le service du roi, du fait des mutations de l’art de la guerre et de la montée en puissance des officiers, que d’un déclin économique, désormais relativisé : il ressort de maintes études récentes que la plupart des gentilshommes downloadModeText.vue.download 657 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 646 surmontent l’érosion de la rente foncière en diversifiant leurs sources de revenu et leurs modes de perception, et que les difficultés matérielles de certaines maisons relèvent de leur incapacité à s’adapter au train de vie dispendieux impulsé par la cour. Or, toutes les conditions d’une exaspération des frustrations sont réunies à la mort d’Henri II en 1559 : à la perte du champ de bataille italien s’ajoutent le mécontentement de tous ceux que l’influence grandissante du duc de Guise sur François II prive soudainement des largesses royales et la fracture créée par la conversion de nombreux nobles à la Réforme, dans des proportions au demeurant variables selon les provinces (7 % en Champagne, 19 % en Beauce, 33 % dans l’élection de Bayeux, mais plus de la moitié en Guyenne et en Haute-Provence). Sans mésestimer le trouble des consciences, dont témoigne, au fond du Cotentin, le sire de Gouberville, non plus que l’exacerbation des passions confessionnelles au long des guerres de Religion, force est de souligner l’importance des luttes de factions et des enjeux politiques dans l’enchaînement de ces dernières. Mais les violences de la Ligue attisent un sentiment antinobiliaire, dont la virulence explique nombre de ralliements à Henri IV. Le retour à la paix civile consacre le rôle éminent des officiers comme supports du pouvoir royal et la réévaluation de leur statut social : l’édit de mars 1600, sanctionnant l’anoblissement graduel et coutumier des magistrats de cours souveraines, et l’institution de la paulette, en 1604, participent de la reconnaissance d’une noblesse de robe, qui, tirant gloire du service civil de la monarchie, aspire à une prééminence sur les trois ordres de la société. Consciente de la dissociation entre noblesse et vertu, comme de sa défaite
dans « la bataille de la compétence » (Arlette Jouanna), la gentilhommerie se replie sur la valeur du sang pour justifier ses prétentions sociales et politiques : les états généraux de 1614 lui donnent l’occasion de défendre un programme de réaction nobiliaire, mêlant volonté de fermeture de l’ordre et revendication du monopole des dignités et des emplois publics, et qui rejaillit dans les cahiers de doléances de 1651 ; le reste du temps, elle trompe son mal de vivre en explorant toutes les voies du désordre social : duel, dont la recrudescence a valeur de défi à l’autorité royale autant que de repli identitaire sur le point d’honneur, mais aussi banditisme, contrebande du sel et agitation antifiscale, aux côtés des « croquants » du Périgord et des « nu-pieds » de Normandie. Tout aussi chronique apparaît le « malcontentement » des grands, qui, sous couvert du « bien public », se disputent le contrôle du pouvoir royal et des faveurs qui en procèdent. L’État moderne n’en continue pas moins à se développer, jusqu’à ce que les cours souveraines s’insurgent contre la montée en puissance des intendants et des financiers ; les blessures d’amour-propre des grands et l’aspiration des gentilshommes à une monarchie tempérée par les assemblées d’états ne tardent pas à brocher sur cette réaction officière, mais la rivalité des clans princiers et l’incompatibilité des projets politiques de l’épée et de la robe - sans préjudice de l’implication de la haute société parisienne dans le « système fisco-financier » (Daniel Dessert) - portent en germe l’échec des frondes à imposer la moindre alternative à l’absolutisme. DE LOUIS XIV À LA RÉVOLUTION Dès 1661, Louis XIV met en oeuvre une politique nobiliaire, fondée sur trois principes majeurs : le renforcement du contrôle étatique sur le recrutement nobiliaire, qui érige le roi en ordonnateur exclusif de la mobilité sociale, soumet l’ensemble de l’ordre aux contraintes des recherches de noblesse et entraîne une régression des effectifs ; l’égalité de l’épée, de la robe et de la finance en regard du service du roi, qui, « seul, justifie » (Jean Meyer) ; la curialisation des grands seigneurs du royaume à Versailles, où, déracinés de leurs clientèles locales et contraints de soutenir l’éclat de leur nom au-delà de leurs capacités pécuniaires, ils dépendent entièrement des grâces du monarque et épuisent leur énergie en intrigues sans danger pour la paix civile, enfin garantie. Les récalcitrants à l’ordre louis-quatorzien n’ont d’autre alterna-
tive que de partir à l’aventure, à l’exemple du comte de Bonneval, ou de préparer, à l’instar de Fénelon ou de Saint-Simon, une restauration nobiliaire, rendue caduque par la mort du duc de Bourgogne. Or, la noblesse de ce temps n’est pas seulement traversée par l’antagonisme de l’ancienneté, la rivalité des fonctions et les querelles de préséance suscitées par les ducs et pairs ; son atomisation sur l’échelle de l’estime sociale se reflète dans le tarif de la première capitation, qui marque les écarts entre la haute noblesse des princes du sang, des ducs et des chevaliers du Saint-Esprit, les strates intermédiaires des nobles titrés, des seigneurs de paroisse et de ceux moindrement fieffés, et la plèbe des gentilshommes sans fief ni château. Ces disparités de rang, d’influence, de considération et de fortune s’aggravent sous l’effet de l’évolution économique et culturelle des Lumières : faute d’éducation autant que d’argent, la masse nobiliaire des provinces non seulement se voit exclue de la diplomatie, de l’administration, de la magistrature et des hautes charges de l’armée, mais subit la concurrence de la roture au sein même des régiments, ce qui, dans un siècle où le mérite le dispute à la naissance, la voue à être dénoncée comme inutile à l’État ; il s’ensuit une crispation identitaire, dont les clameurs indignées des zélateurs de la noblesse militaire en réaction aux abolitionnistes de la dérogeance renvoient l’écho. Pourtant, le second ordre ne reste pas absent de la compétition de la richesse et du talent : au-delà du millier de familles qui forment une véritable « noblesse d’affaires » (Guy Richard) et jouent un rôle décisif dans l’essor industriel et commercial du royaume, nombre de gentilshommes relèvent le défi physiocratique ; loin de déserter académies, sociétés littéraires et loges maçonniques, toute une noblesse « éclairée » participe au décloisonnement des savoirs et à l’agitation des idées, sans craindre d’adhérer au discours méritocratique, que le marquis d’Argenson est un des tout premiers à faire sien. Cette hétérogénéité croissante de la société nobiliaire s’assortit d’une divergence d’attitudes face au pouvoir. Nulle rébellion n’est à craindre de la part de la gentilhommerie provinciale, qui attend du roi une réaction nobiliaire lui assurant instruction et plein emploi militaires, non plus que des fermiers généraux, d’autant moins fondés à émettre la moindre critique envers la forme du pouvoir qu’ils en tirent leur « raison d’être » et leurs « sources de profit » (Y. Durand). Mais les
ducs et pairs, dont les ambitions politiques ont pourtant été disqualifiées par l’échec de la polysynodie, et certains princes du sang prêtent la main aux parlementaires pour attiser la flamme de la résistance à l’absolutisme ; se posant en « pères de la patrie », ces derniers se raidissent dans une opposition religieuse et fiscale qui s’exacerbe entre 1750 et 1770, avant de se muer, sous le règne de Louis XVI, en une obstruction systématique à toutes les tentatives de réforme qui eussent pu éviter la Révolution. RÉINVENTIONS POSTRÉVOLUTIONNAIRES La noblesse ne tarde pas à être mal payée de l’ardeur réformatrice de sa frange libérale : peu après que le décret des 19-23 juin 1790 a prononcé sa mort civile, elle devient un groupe politiquement suspect, dont le divorce d’avec la nation s’aggrave au moment de la fuite du roi, avant d’être consommé sous l’effet des proscriptions révolutionnaires. Cela dit, les ci-devant nobles ne sont pas seuls à subir les persécutions de la Terreur et ne constituent que 17 % des contingents de l’émigration (un partage des rôles s’établit entre, d’un côté, de jeunes hommes impatients d’en découdre avec la République et, de l’autre, leurs parents et leurs épouses, auxquels incombe la périlleuse mission de sauvegarder le patrimoine familial). Partant, la noblesse sort de la décennie révolutionnaire inégalement meurtrie et spoliée. Si la remise en ordre napoléonienne lui permet globalement de recouvrer une large part de son assise patrimoniale et de prendre rang parmi les notables, il reste que les ralliements à l’Empire sont timides et, pour certains, ambigus. Or, Napoléon n’a que peu de sympathie pour l’égalitarisme révolutionnaire : la création de la noblesse d’Empire, en 1808, répond à son souci d’asseoir la pérennité de son régime sur une élite héréditaire devant au service de l’État sa fortune et son rang social. Dès le retour de Louis XVIII, « l’ancienne noblesse reprend ses titres », tandis que « la nouvelle conserve les siens » et que le roi « fait des nobles à volonté ». La noblesse n’est plus qu’une dignité honorifique, qui ne vaut à son bénéficiaire « aucune exemption des charges et des devoirs de la société », selon les termes mêmes de l’article 71 de la Charte de 1814 ; mais elle reste auréolée d’un prestige que ne dément pas l’empressement avec lequel des bourgeois en mal de reconnaissance sociale en prennent les apparences. Au demeurant, pas
plus les changements de régime que les bouleversements provoqués par la révolution industrielle n’altèrent la visibilité sociale du fait nobiliaire au long du XIXe siècle : face au défi d’une société juridiquement égalitaire, qui fait la part belle aux élites de l’argent et des talents, la noblesse se « réinvente » dans « l’apprentisdownloadModeText.vue.download 658 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 647 sage de la modernité », « la conscience du devoir d’utilité sociale » et la quête de « l’excellence » (Claude-Isabelle Brelot). En dépit du repli légitimiste de 1830, elle demeure solidement implantée dans certains corps de l’État, comme celui des receveurs généraux du Trésor public, réinvestit l’armée et la diplomatie, sous le Second Empire, part à la conquête du suffrage universel - avec, il est vrai, des bonheurs inégaux, selon les régions - et joue un rôle pionnier aussi bien dans le catholicisme social que dans le syndicalisme agricole ; convertie à la rigueur gestionnaire, elle ne borne nullement ses intérêts à l’amélioration de l’agriculture, mais prend une part active à l’essor du capitalisme, comme le montre sa forte présence dans l’actionnariat de la Banque de France. Mais c’est par sa maîtrise spécifique du temps et de l’espace qu’elle veille à affirmer sa singularité sociale, en réaction à « l’émergence d’une aristocratie française fusionnée », dont Paris est le creuset : jalouse d’un passé dont elle tire gloire et qu’elle revisite à son gré, elle ne se contente pas de sécréter une « historiographie d’ordre », mais marque de son empreinte les sociétés savantes ; par sa pratique de la résidence multiple entre ville, château, stations thermales et balnéaires, elle manifeste sa vocation à codifier les rites de la vie élégante et les normes du « bon ton ». Quand bien même la « fin des terroirs » s’assortit de l’effondrement du socle historique de sa puissance sociale, la noblesse n’abdique pas tout rôle dirigeant au XXe siècle : en témoigne le grand nombre de cadres qu’elle fournit à la France libre et à la Résistance, aussi bien que sa surreprésentation actuelle dans les grands corps de l’État et le monde des affaires. Sa perpétuation sociale n’en paraît pas moins menacée par le spectre de l’étiolement démographique, puisqu’il ne se crée plus de nobles depuis 1871, et de sa dilution identitaire entre les différentes classes de la société contemporaine : répartis sur tout l’éventail des professions et des revenus, les
nobles ne sont pas tous à même de cultiver un art de vivre fondé sur la mystique de la distinction et la prégnance du paraître. Partant, comme aux autres périodes de l’histoire, c’est du dynamisme des individus et de leur capacité d’adaptation à l’évolution de la société que dépendent la pérennité des lignées et leur maintien dans l’élite. noblesse de cloche, sobriquet péjoratif désignant les familles anoblies par l’exercice d’une charge municipale dans quatorze « bonnes villes » du royaume (compte non tenu de celles où ce privilège n’a pas été suivi d’effet). À l’exception (discutée) de Toulouse, où les capitouls prétendent tenir leur noblesse du droit d’image - en vertu duquel les magistrats supérieurs de la Rome républicaine exposaient publiquement le buste de leurs ancêtres et en reçoivent confirmation par des lettres patentes du dauphin en 1420, les autres municipalités doivent au roi une concession, qui constitue « la plus ancienne forme connue d’anoblissement par charge » (François Bluche) : c’est pour honorer le loyalisme de Poitiers et de La Rochelle que Charles V anoblit leurs corps de ville en 1372 et 1373 ; mais il faut attendre la fin de la guerre de Cent Ans pour que Louis XI récompense de même la fidélité de Niort (1461), Tours (1462), Bourges (1474), Angers (1475) et Saint-Jeand’Angély (1481). Ses successeurs n’octroient la noblesse municipale qu’avec parcimonie : aux édiles de Lyon en 1495 - où, à la gratitude de Charles VIII pour l’accueil qui lui avait été réservé lors de son entrée, se joignent des considérations stratégiques et économiques -, d’Angoulême en 1507, et de Nantes en 1560. Le critère de fidélité à la monarchie reste déterminant au XVIIe siècle, comme le prouvent la révocation des privilèges de Saint-Jeand’Angély (1621) et de La Rochelle (1628), et l’anoblissement de la municipalité de Cognac et du maire d’Issoudun (1651), en guise de reconnaissance de la résistance de ces villes à Condé. Cependant, l’État moderne ne peut s’accommoder d’un mode d’anoblissement qui, en permettant à la bourgeoisie d’échapper à l’impôt, entraîne un manque à gagner pour le Trésor royal : déjà les édits de mars 1583 et de janvier 1634 avaient, sans succès, tenté de rendre la noblesse municipale intransmissible aux enfants de ses titulaires ; arguant que, de surcroît, elle nuit au négoce, Colbert convainc Louis XIV de la révoquer par l’édit de mars 1667 et de contraindre les maires et échevins en poste depuis 1600 ou leurs descendants
à faire confirmer, contre argent, leur appartenance au second ordre. Seuls le capitoulat toulousain et l’échevinage lyonnais préservent alors leurs privilèges ; l’anoblissement n’est rétabli, moyennant finance, qu’au bénéfice des seuls maires de Bourges (1667), Nantes (1669), Angers (1670), Angoulême (1673) et Poitiers (1685), puis accordé, en 1706, à huit offices municipaux de Paris. Amoindrie par la création des « maires perpétuels », en 1692, et touchée par la multiplication des confirmations vénales, la noblesse de cloche perd de son attrait aux yeux de nombreux candidats à l’anoblissement, qui se rabattent sur la « savonnette à vilains », mais n’en subsiste pas moins jusqu’à la suppression des corps de ville, par le décret du 14 décembre 1789. noblesse d’Empire, groupe social composé des récipiendaires de titres nobiliaires créés par le statut du 1er mars 1808. Dès le Consulat, Napoléon prévoit une réorganisation de la société française opérant une synthèse des principes de l’Ancien Régime et des données révolutionnaires : c’est dans ce sens qu’il crée, en 1808, une hiérarchie de titres nobiliaires, des chevaliers aux princes en passant par les barons, les comtes et les ducs. • Une méritocratie. Ces nouveaux titres récompensent le mérite et donnent naissance à une noblesse ouverte et respectueuse de l’égalité. Ils sont attribués à tous les titulaires de hautes fonctions : grands dignitaires, ministres, sénateurs, conseillers d’État, présidents du Corps législatif, archevêques, membres les plus éminents des cours de justice. Ils honorent également ceux qui se sont distingués sur les champs de bataille : la nouvelle noblesse compte, en effet, 67,9 % de militaires. Les anoblis reçoivent généralement des dotations et jouissent d’un seul privilège : celui de constituer des majorats, part de leur biens fonciers transmise à leur fils aîné sans être soumise au partage successoral. L’anoblissement par l’Empire ne touche qu’un groupe restreint de quelque 3 600 individus. S’il a permis l’ascension d’enfants du petit peuple, du moins lorsqu’ils disposaient d’une instruction suffisante, il a surtout consacré la réussite de fils de la bourgeoisie. Ceux-ci constituent plus de 50 % de la nouvelle noblesse et incarnent, de par leur formation, la France des Lumières, ce qui explique qu’ils aient été les soutiens d’une Révolution modérée. Mais, destinée à être le creuset de la fusion des élites, la noblesse impériale comprend 22 % de membres du ci-devant second ordre. Soudés par de nombreux liens d’amitié
et de parenté, unis par un intérêt commun pour la propriété foncière et les biens nationaux, insérés dans la vie châtelaine et la vie de cour, préoccupés de l’honneur de leur nom, les titrés impériaux affirment, souvent dès la première génération, une réelle identité noble. • Une unité brisée. Cependant, l’unité du groupe se brise après 1815 : les deux tiers de ces nobles de fraîche date négligent d’obtenir une reconnaissance individuelle de leurs titres par les nouveaux souverains. En outre, 47 % d’entre eux demeurent sans postérité : à la fin du XIXe siècle ne subsistent que 475 lignages. Enfin, 2 anoblis sur 5 subissent un déclassement social, au terme duquel leur lignage rejoint les couches moyennes. Le reste du groupe, en revanche, se mêle, par mariage, aux noblesses anciennes et nouvelles ou à la haute bourgeoisie, et ce dès la première génération. Toutefois, un noyau demeure fidèle aux principes fondateurs établis par Napoléon : en proclamant leur dévouement à la nouvelle dynastie, ils cristallisent une identité conforme aux voeux de l’Empereur. • De dignes héritiers. Par la suite, les héritiers des lignages qui échappent au déclin participent à la « réinvention de la noblesse » (Claude Brelot). Ils sont, par leur éducation, encouragés à cultiver le goût de la réussite personnelle. Respectueux des devoirs qu’impliquent leurs titres gagnés sous l’Empire, ils s’emploient à se distinguer dans les hautes fonctions civiles et militaires, et jouent un rôle précurseur dans l’adhésion des élites à la méritocratie. La noblesse impériale demeure donc une noblesse d’épée : 54 % des fils d’anoblis dont la profession est connue deviennent officiers ; il en est de même pour 45 % des petits-fils. Et, si la tradition militaire décline, les anoblis ne quittent pas pour autant le service de l’État : 37 % des fils des anoblis font carrière au Conseil d’État, dans les ministères, les préfectures, la diplomatie ou la magistrature ; à la troisième génération, 38 % des anoblis choisissent ces voies administratives. De plus, nombreux sont ceux qui font oeuvre de pionniers dans le monde des affaires, à l’instar, par exemple, du maréchal Soult. En définitive, Napoléon est parvenu à créer une nouvelle élite, qui a joué un rôle non négligeable dans la société française du XIXe siècle en proposant aux élites traditionnelles un modèle de réussite fondé sur les talents personnels. downloadModeText.vue.download 659 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 648 Nogaret (Guillaume de), légiste (SaintFélix-de-Caraman, dans l’actuelle Haute-Garonne, vers 1270 - 1313). Guillaume de Nogaret contribue à la laïcisation du pouvoir civil si caractéristique du règne de Philippe le Bel. L’attribution d’un fondement juridique, et non plus théologique, à l’exercice du pouvoir royal, qui vise à libérer ce dernier du pouvoir spirituel exercé par la papauté, est en effet l’oeuvre des légistes du roi. D’abord conseiller juridique du roi de Majorque, Guillaume de Nogaret enseigne le droit à l’université de Montpellier. Ce docteur en droit civil est alors remarqué par Philippe le Bel, qui l’appelle à son service en 1294 et le charge notamment de la réforme administrative du comté de Champagne, avant de l’anoblir en 1299. Après la mort de Pierre Flotte (1302), Guillaume de Nogaret occupe une position politique de premier ordre et devient garde des Sceaux en 1307. Il joue un rôle majeur dans la controverse entre le roi et le pape Boniface VIII qui revendique la suprématie du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel. Sous l’influence de l’éminent légiste qui cherche à défendre les prérogatives royales contre les prétentions papales, Philippe le Bel accepte l’accusation d’hérésie prononcée contre lui par son rival. Tandis que Boniface VIII s’apprête à excommunier le roi, Guillaume de Nogaret se trouve mêlé à l’arrestation du pape à Anagni, en 1303. Il mène en même temps les poursuites qui conduisent à l’arrestation des templiers en 1307 et à leur procès, dont les interrogatoires sont confiés à l’Inquisition. Le réalisme l’emportant désormais sur le juridisme des légistes, le roi remplace Guillaume de Nogaret par Gilles Aycelin au poste de garde des Sceaux en 1309. Noir (Yvan Salmon, dit Victor), journaliste (Attigny, Vosges, 1848 - Auteuil 1870). Sa mort tragique a fait de lui un symbole républicain. À peine engagé à la Marseillaise de Rochefort comme rédacteur, il se rend le 10 janvier 1870 avec Ulric de Fonvielle chez le prince Pierre Bonaparte, en qualité de témoin du journaliste Paschal Grousset de la Revanche, dont les rédacteurs se considèrent insultés par les articles de l’Avenir de la Corse, journal du prince. Pierre Bonaparte, exaspéré par un article de Rochefort, tue Victor Noir
à bout portant. Napoléon III accepte de faire arrêter et juger son cousin en Haute Cour. Le 12 janvier 1870, jour de l’enterrement, une foule très nombreuse et hostile à l’Empire se rend, à l’appel de Rochefort, à Neuilly, au domicile de Victor Noir. Certains révolutionnaires, sous la conduite de Gustave Flourens, tentent d’entraîner le cortège vers le PèreLachaise, mais, devant les risques d’affrontement avec la troupe, Rochefort exhorte la foule au calme, puis l’invite à se disperser lors du retour à Paris. À la demande d’Émile Ollivier, il est cependant mis en accusation, arrêté le 7 février, et emprisonné jusqu’au 4 septembre, où la foule le libère. Le 25 mars, Pierre Bonaparte est acquitté, malgré les charges qui pèsent contre lui. Il faut attendre 1891 pour que le corps de Victor Noir soit transféré au Père-Lachaise et que soit inauguré, le 15 juillet, le monument de Dalou placé sur sa tombe. Cette cérémonie est l’objet d’une double polémique : les journaux républicains s’indignent, d’une part, des propos d’Émile Ollivier, qui, dans le Figaro, saisit l’occasion pour lancer un nouveau plaidoyer en faveur de l’Empire libéral, et, d’autre part, de l’échauffourée provoquée devant la tombe, en présence de Dalou, Grousset et Fonvielle, par le discours antirépublicain du socialiste Susini. Aujourd’hui, il semble que la dimension politique ait quasiment disparu du culte superstitieux dont le gisant de Victor Noir est encore l’objet. nom de famille, élément du système onomastique qui permet de désigner un individu, en le situant à l’intérieur d’un groupe familial, culturel et national. • La tradition romaine et sa disparition. La romanisation des Gaules entraîne le passage rapide du système onomastique uninominal de type celte et germain au système latin des tria nomina - nomen (signifiant l’appartenance à une gens), cognomen (signifiant l’appartenance à une branche d’une gens), et praenomen (marqueur de l’identité individuelle). Privilège du citoyen romain, le système trinominal est un signe de distinction puissant, d’autant que pérégrins, affranchis et esclaves usent simplement de deux noms ou d’un nom unique. Cependant, à partir du IVe siècle, l’onomastique romaine s’effondre, tant en raison de son évolution interne, après l’obtention de la citoyenneté romaine par tous les hommes libres de l’Empire (édit de Caracalla, 212) que sous la pression de phénomènes extérieurs. L’ancien système se transforme par
l’abandon du nomen, puis du cognomen, le ou les prénoms devenant héréditaires. Partout, le sobriquet tend à devenir un nom unique. Cette évolution peut être mise en rapport avec la fragmentation de l’Empire en petites entités autonomes car, plus le cadre de vie est restreint, moins le système onomastique nécessite d’être complexe, chacun étant connu de tous. Le christianisme renforce ce mouvement, en ne reconnaissant que le nom de baptême pour désigner le chrétien. Ces deux facteurs croisés expliquent que les peuples germaniques conservent, en s’installant, leur système onomastique uninominal. • La fixation des noms de famille. Cependant, cette extrême simplicité ne correspond plus, dès le Xe siècle, aux besoins de la société. La politique lignagère, qui signifie sa cohésion par l’usage d’un nombre limité de noms de baptême, pose de sérieux problèmes d’homonymie, d’autant que le stock onomastique se restreint par l’abandon progressif de nombreux noms germaniques. De plus, la multiplication des actes notariés authentiques accentue le besoin d’identification claire. Aussi, les surnoms sont-ils de plus en plus fréquents, d’abord pour les grands (Xe siècle) puis dans toutes les couches de la société (XIIe et XIIIe siècles). Ils sont formés à partir de la filiation, d’une indication topographique, d’une activité ou d’un état, ou encore d’une caractéristique physique. Ces surnoms deviennent héréditaires, en ligne agnatique, au cours des siècles suivants, et prennent valeur de noms de famille que l’État contribue à fixer. L’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) rend obligatoire l’enregistrement des baptêmes et des décès en français et celle de Blois (1579) impose l’inscription des mariages dans les registres paroissiaux. En 1667, ces derniers deviennent officiellement des registres d’état civil. Le même impératif de déclaration du nom est imposé aux protestants en 1787. Du XVIe au XVIIIe siècle, l’État accompagne donc, en le formalisant, l’usage qui se répand dans la société. Pourtant, on relève de nombreuses transgressions de la règle générale de fixité du nom, du fait de l’idéal de distinction qui caractérise la société d’Ancien Régime. Porter plusieurs noms et surnoms, reprendre un nom tombé en déshérence, prendre le nom d’une terre qu’on possède pour paraître noble - comme le Gros-Pierre, cité dans l’École des femmes, qui, ayant creusé un fossé autour de son champ, se fit appeler « Monsieur de l’Isle » -, sont des actes fréquents.
• Le nom : une obligation légale. Il appartient à la période révolutionnaire de faire passer le nom de famille de la sphère de l’usage social à celle de la loi, de la relative fluidité à la plus stricte rigidité. Dans un premier temps (1789-1794), on assiste à une déstabilisation des principes nominaux de l’Ancien Régime. L’abolition des titres (19 juin 1790) n’est pas suffisante et la chasse est ouverte aux noms infâmes, comme l’illustre l’histoire du boucher Leroy, contraint de changer de nom par les autorités de Compiègne (18 octobre 1793). De même, c’est un changement de nom qui signe la déchéance de Louis XVI et la prochaine décapitation du « citoyen Capet ». Au fur et à mesure que l’on efface les symboles linguistiques de l’ancienne France, de nouveaux noms apparaissent, symboles de la rupture d’avec le passé et de l’auto-engendrement de l’homme nouveau. La mode est donc au changement de nom et au baptême révolutionnaire. C’est ainsi que Louis Philippe Joseph, duc d’Orléans, élu député de la Convention en 1792, devient « Philippe Égalité ». L’euphorie régénératrice entraîne l’adoption d’une loi très libérale, stipulant que « chaque citoyen a la faculté de se nommer comme il lui plaît » (24 brumaire an II/14 novembre 1793), s’il fait inscrire son nom à l’état civil, laïcisé depuis le 20 septembre 1792. Cependant, moins d’un an plus tard, la Convention thermidorienne adopte une loi extrêmement rigoureuse quant au principe de l’immutabilité des noms ; des poursuites sont en effet prévues contre les contrevenants, pouvant aller jusqu’à la dégradation civique en cas de récidive. C’est un tournant majeur dans l’histoire du nom, dont la stabilité est désormais garantie par l’état civil, et qui devient l’un des éléments essentiels du contrôle administratif des citoyens. Cette loi est reprise, avec quelques modifications, par celle du 11 germinal an XI (1er avril 1803). Le nouveau texte fixe les prénoms licites et les règles qui régissent l’approbation des changements de nom par l’État - procédure lourde qui, jusqu’à la réforme de 1993, nécessite l’intervention du Conseil d’État. Le « nom contemporain » est par la suite étendu à tous (juifs de France en 1808, anciens esclaves des Antilles françaises en 1848, « indigènes » de l’empire colonial, notamment en Algérie, à downloadModeText.vue.download 660 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 649 partir des années 1880) jusqu’à devenir l’évidence qui nous est familière.
Nominoë, premier duc de Bretagne ( ? - près de Vendôme, 851). L’accession au trône de Pépin le Bref (751) est le prélude à une longue période de conflits avec les Bretons, l’objectif premier des rois francs étant la récupération de Vannes. Les campagnes entreprises par Pépin puis par Charlemagne (753, 786, 799, 811) ne créent aucune situation définitive, si ce n’est la création de la Marche de Bretagne et l’unification des Bretons sous le commandement d’un seul homme (Morvan d’abord, Wiomarc’h ensuite). Après la campagne de 818, menée par Louis le Pieux et marquée par la mort de Morvan, et l’assassinat de Wiomarc’h par les hommes de Lambert, comte de Nantes, les Francs semblent dominer la péninsule. Louis le Pieux, sentant qu’il ne peut s’agir là d’une situation durable, nomme le comte du Vannetais, Nominoë, envoyé de l’empereur (missus imperatoris) et chef de la Bretagne (dux in Britannia). La mort de Louis le Pieux et le partage de l’Empire poussent Nominoë à mener une politique indépendante. Se réclamant de l’empereur Lothaire, il entre en rébellion contre Charles le Chauve. Il conquiert rapidement la région de Rennes et de Nantes, donnant à la Bretagne ses frontières définitives, après la victoire de Ballon (845). Parallèlement, il réorganise l’Église bretonne, avec l’aide de saint Conwoïon, abbé de Saint-Sauveur de Redon, en remplaçant les évêques francs par des évêques bretons et en introduisant la règle bénédictine dans les monastères de sa principauté. La guerre reprend avec Charles le Chauve, et Nominoë pousse son avantage jusqu’en Anjou et dans le Maine. L’oeuvre de Nominoë est poursuivie par son fils, Érispoë, qui contraint Charles le Chauve à lui reconnaître, par le traité d’Angers (851), le titre de roi ainsi que la possession de Rennes, Nantes et Retz. Normandie. Dépourvue d’une réelle unité géographique, la Normandie, délimitée à l’ouest par le Massif armoricain, et faisant partie du Bassin parisien à l’est, se compose aujourd’hui de deux régions administratives : la Haute-Normandie (Seine-Maritime et Eure) et la Basse-Normandie (Calvados, Manche et Orne). Elle doit son nom aux Normen (« hommes du Nord ») qui l’ont peuplée à partir du Xe siècle. • La Normandie d’avant les Normands. Avant la conquête de la Gaule par les Romains et la victoire de César à Montcastre (56 avant J.-C.), la région de la basse Seine est occupée par divers peuples : au nord, les Veliocasses
(Vexin) et les Calètes (Caux) ; au sud, les Abrincates (Avranches), les Unelles (Cotentin), les Bajocasses (Bayeux), les Viducasses (Vieux, près de Caen), les Esuvii (Sées), les Éburovices (Évreux) et les Lexoves (Lisieux). Tous sont incorporés à la province de la Lyonnaise, puis, durant le Bas-Empire, à la Seconde Lyonnaise, avec Rotomagus (Rouen) comme capitale. Pendant la période des invasions germaniques, qui s’étend du IIIe au Ve siècle, l’intégration de la province dans la Neustrie constitue le fait le plus saillant. Les VIe et VIIe siècles sont marqués principalement par l’implantation solide du monachisme dans la région (Jumièges, Saint-Wandrille), à quoi succèdent les incursions de plus en plus fréquentes de Saxons ou de Scandinaves (en 841, Rouen est incendiée). • Le duché de Normandie : de la création à 1204. Au début du Xe siècle, les pourparlers qui s’engagent entre le roi Charles III le Simple et le chef viking Rollon aboutissent au traité de Saint-Clair-sur-Epte (911). Rollon reçoit alors un territoire correspondant à peu près à la Haute-Normandie actuelle, en échange de son baptême et de l’arrêt complet des pillages par ses hommes. Entre 924 et 933, la région de Bayeux, le Cotentin et l’Avranchin passent sous son contrôle. Malgré une succession de révoltes et de crises, les premiers ducs de Normandie (Rollon [911/932], son fils Guillaume Longue-Épée [932/942], Richard Ier [942/996] et Richard II [996/1027]) parviennent à affirmer leur pouvoir sur le territoire. Richard II consolide le duché en adaptant les institutions féodales à la Normandie et en faisant construire de nouvelles villes : Dieppe, Alençon, Saint-Lô, et surtout Caen, qui supplante Bayeux et devient la deuxième ville du duché. À cette époque également, de nombreux Normands, refusant de se soumettre au régime ducal, choisissent l’exil et vont fonder un nouvel État prospère en Italie du Sud, voire servir des intérêts étrangers. Ces émigrés contribuent cependant, par l’envoi de fonds, à l’édification ou à la reconstruction des cathédrales (Sées, Coutances). Mais le XIe siècle est surtout marqué par la personnalité du fils bâtard de Robert le Magnifique (1027/1035), Guillaume dit « le Conquérant », duc de 1035 à 1087 : ce chef doué de qualités exceptionnelles développe le duché dans le sens d’une centralisation croissante avant de se tourner vers l’extérieur. En s’appuyant sur l’Église et sur un conseil restreint de familiers - la curia, institution dont sortira l’Échiquier -, il obtient la succession du
roi anglais, son cousin Édouard le Confesseur, qui meurt sans enfant. Une expédition - dépeinte par la Tapisserie de Bayeux - permet à Guillaume de remporter, sur le Saxon Harold, la bataille d’Hastings (14 octobre 1066) et d’être couronné roi d’Angleterre à Westminster. Jusqu’en 1204, Normandie et Angleterre posséderont une véritable communauté de destin, au point de ne former à certaines périodes qu’un seul et même État. C’est durant cette époque que l’art normand acquiert une renommée mondiale. Le duc Robert Courteheuse, fils aîné du « Conquérant », participe vaillamment à la première croisade, mais il est détrôné, à son retour, par Henri, son cadet, devenu roi outre-Manche en 1100. Henri Ier étend et consolide l’oeuvre de son père, notamment par la construction de châteaux forts (Arques, Gisors, Domfront, Caen ou Brionne). Mais il ne laisse qu’une fille, Mathilde, mariée au comte d’Anjou, Geoffroi Plantagenêt : cette situation ouvre une crise successorale qui manque de provoquer la séparation de la Normandie et de l’Angleterre. Alors que les Anglais lui préfèrent le comte de Blois Étienne, un neveu d’Henri Ier, Geoffroi, s’empare de la Normandie et se fait couronner duc à Rouen le 19 janvier 1144. L’unité est cependant rétablie au profit du fils de Geoffroi, Henri II Plantagenêt (duc de 1150 à 1189), qui épouse en 1152 Aliénor d’Aquitaine. Après avoir reçu de son père la Normandie, il succède en 1153 à Étienne de Blois sur le trône d’Angleterre et devient le puissant monarque d’un État qui s’étend de l’Écosse aux Pyrénées, et que règle la coutume de la Normandie qu’il fait rédiger. Les fils d’Henri II ne font pas prospérer le duché : l’aîné, Richard Coeur de Lion, roi de 1189 à 1199, dilapide les richesses de ses États dans des campagnes militaires et dans la construction du Château-Gaillard, au-dessus des Andelys ; en un an, entre 1202 et 1203, son second fils, Jean sans Terre, roi de 1199 à 1216, perd la Normandie au profit du roi capétien Philippe Auguste, auquel les barons n’opposent guère de résistance. La rupture du lien anglo-normand entraîne la dislocation du duché : c’est la fin de l’État normand. Les institutions passent aux mains des dignitaires du domaine royal, tout comme l’Échiquier, qui garde le contrôle des Finances et de la Justice, que l’on continue à rendre d’après la codification du Très Ancien Coutumier. • La Normandie française. Durant tout le XIIIe siècle, la prospérité de la Normandie est assurée, comme l’attestent l’extension de ses villes et la splendeur de ses cathédrales gothiques. Profitant pendant plus d’un siècle
de la paix française, la province garde néanmoins son particularisme, et la « charte aux Normands », concédée par Louis X le Hutin le 22 juillet 1315 pour fixer les « libertés » de la province, démontre que, si la Normandie est annexée au royaume, elle n’est pas encore assimilée. En 1343, lorsque Geoffroi de Harcourt, puissant seigneur de Saint-Sauveur-leVicomte, tente de rétablir l’autonomie normande sous la suzeraineté du roi Édouard III d’Angleterre, la Normandie devient l’un des principaux enjeux de la guerre de Cent Ans qui débute. Sur le chemin de Crécy, le souverain anglais ravage Saint-Lô, Caen, Lisieux et Elbeuf ; les villes et villages épargnés par les armes sont victimes, deux ans plus tard, de la Peste noire. Charles V réagit en 1364 et rétablit une paix toute relative, car la conquête qu’Henri V de Lancastre entame en 1415 amène la soumission en deux ans de la Normandie : les Anglais y instaurent un régime d’occupation, sous lequel se déroule le procès de Jeanne d’Arc, mené en 1431 par des clercs normands ralliés. Mais les Anglais ne pourront jamais se prévaloir d’une réelle souveraineté : le Mont-Saint-Michel reste fidèle au roi de France, et la formation de nombreux « maquis » permet la reconquête française en 1449-1450 (bataille de Formigny). Charles VII, qui a la sagesse de pardonner aux félons après la fin des hostilités, confirme la « charte aux Normands » (1458). Pourtant, l’anneau ducal est brisé en séance de l’Échiquier de Normandie, le 9 novembre 1469 : cet acte sanctionne la fin du duché et sa pleine assimilation au royaume. L’activité économique de la région s’accroît, s’appuyant désormais sur le grand commerce maritime : François Ier fonde Le Havre en 1517. Au même moment, l’Échiquier devient parlement de Rouen, avec des privilèges analogues à ceux du parlement de Paris. Le XVIe siècle voit s’affirmer la fortune de la bourgeoisie locale. Lorsque survient la downloadModeText.vue.download 661 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 650 Réforme, nombre de nobles et de bourgeois optent pour le calvinisme, mais le parlement de Rouen refuse jusqu’en 1609 d’enregistrer l’édit de Nantes (1598), qui est néanmoins appliqué. Au XVIIe siècle, les pressions de l’État central deviennent de plus en plus fortes ; comme en témoigne l’insurrection des « nu-pieds » (en basse Normandie, en 1639) contre l’impôt
royal. Mais le siècle est également marqué par la Contre-Réforme qui, à la suite de l’édit de Fontainebleau (1685), porte un coup sévère à la communauté protestante, dont les notables s’enfuient en Hollande ou en Angleterre. Plus paisible, le XVIIIe siècle voit l’essor des ports (Le Havre, Rouen, Cherbourg, Granville), la construction de routes, le développement du textile et de la métallurgie. En 1789, les doléances de la Normandie ne diffèrent pas de celles des autres provinces : ordre, égalité, réforme de l’Église, liberté économique. Pourtant, après 1790, les Normands semblent n’avoir participé que faiblement aux grands événements révolutionnaires. Mais la chouannerie, emmenée par le comte Louis de Frotté, y trouve de fermes soutiens et, bien que la période de la Terreur ne soit pas marquée par des épisodes sanglants, la Normandie déplore la destruction d’une partie de son patrimoine religieux. Au XIXe siècle, c’est grâce à une politique dite « du juste milieu » qu’elle parviendra à trouver son équilibre sous les différents régimes politiques. On découvre alors qu’il existe en fait deux Normandies : si la vallée de la Seine bénéficie de l’essor industriel et commercial, le reste de la région voit son dépeuplement s’aggraver. Créée par le duc de Morny, la station balnéaire de Deauville n’attire pas suffisamment d’estivants pour compenser l’exode rural régional. Vieillissement des industries et fléchissement démographique sont les deux traits les plus caractéristiques de la région au XIXe siècle. Ce constat négatif est toutefois tempéré par le développement du réseau ferroviaire et la permanence d’un secteur primaire spécialisé à haut rendement (bovins, chevaux, pêche). • La Normandie, aujourd’hui. Durant la Seconde Guerre mondiale, la Normandie est à nouveau le théâtre d’un événement capital de l’histoire : le débarquement du 6 juin 1944. Les destructions causées par la guerre, et notamment les bombardements alliés, sont considérables. Des villes comme Saint-Lô ou Le Havre sont totalement détruites. Mais l’élan de reconstruction et la poussée démographique concourent à la remise en état rapide de l’économie normande. Aujourd’hui, malgré l’arrivée d’industries de main-d’oeuvre et la décentralisation d’entreprises parisiennes, le taux de chômage régional est supérieur à la moyenne nationale, en grande partie à cause de la disparition des activités du textile ou des chantiers navals. Ces dernières années sont cependant marquées par la mise en oeuvre de grands travaux (tronçons autoroutiers, pont de
Normandie). Mais l’image demeure d’une terre de tourisme, de loisirs et de bonne chère, dont les produits continuent d’assurer le renom. Normandie (débarquement de), débarquement des troupes alliées sur les plages du Cotentin et du Calvados, le 6 juin 1944. De par les effectifs engagés, de par l’ampleur des problèmes stratégiques, tactiques, techniques et logistiques qu’il pose, le débarquement de Normandie (opération « Overlord ») apparaît comme l’une des opérations militaires les plus considérables de l’histoire. Il a des conséquences décisives sur l’issue de la guerre et permet de consacrer la défaite définitive de l’Allemagne. • L’organisation. L’idée d’ouvrir un second front en Europe, en débarquant en France, est évoquée lors de la conférence de Washington, en mai 1943, et confirmée en août à celle de Québec. L’organisme chargé d’en élaborer les plans est le Chief of Staff of Supreme Allied Commander (COSSAC), et le chef responsable de cette immense machinerie, le général américain Eisenhower, placé à la tête du Supreme Headquater Allied Expeditionary Forces (SHAEF). Sous ses ordres se trouvent le maréchal Montgomery, commandant des forces terrestres, le maréchal de l’air Leigh Mallory, commandant des forces aériennes, et l’amiral Ramsay, commandant des forces navales. • La stratégie. Les grandes lignes de l’invasion sont arrêtées lors de la conférence de Téhéran, fin 1943. Mais les Alliés hésitent encore sur le lieu du débarquement. Ils pensent au Pas-de-Calais, plus proche à la fois des côtes britanniques et des frontières de l’Allemagne. Cependant, le secteur est puissamment défendu par les 58 divisions du maréchal Gerd von Runstedt et par les fortifications du mur de l’Atlantique. Aussi, Eisenhower, soucieux de provoquer une surprise stratégique, choisitil la Normandie, plus éloignée de l’Angleterre, mais où l’ennemi est moins bien préparé. Par l’opération de deception (intoxication) « Fortitude », les Alliés feront croire aux Allemands que l’assaut en Normandie n’est qu’une diversion et les contraindront donc à maintenir une partie de leurs réserves dans le Pas-de-Calais. Quant aux Allemands, ils hésitent sur la stratégie à appliquer. Rommel souhaite détruire les forces d’invasion sur les plages, grâce aux divisions blindées tenues en réserve. Von Rundstedt entend, lui, livrer bataille à l’intérieur des terres. Hitler tranchera en subordonnant toute intervention des chars à son
accord personnel. • Les moyens. Les forces alliées ont massé en Angleterre des centaines de milliers de soldats, des dizaines de milliers de chars et de véhicules, et des milliers d’avions. L’opération initiale mobilise sept divisions d’infanterie, blindées et aéroportées. Ces dernières doivent être parachutées aux deux extrémités de la zone où débarqueront les forces terrestres alliées. Les Américains doivent débarquer sur deux plages situées de part et d’autre de l’estuaire de la Vire - Omaha et Utah -, avec 57 000 hommes et 15 500 soldats aéroportés, et les Britanniques, sur trois plages du secteur de Caen - Juno, Sword et Gold -, avec 75 000 hommes et 8 000 soldats aéroportés. Les moyens navals sont à la hauteur des forces terrestres. Le plan « Neptune » prévoit en effet que 4 000 navires convoieront, outre les hommes, 1 500 blindés et 16 000 véhicules. 1 500 bâtiments de guerre doivent appuyer de leur feu les forces d’invasion. La part qui revient aux forces aériennes est tout aussi considérable, avec 11 000 avions chargés de s’assurer la maîtrise de l’air et de couper les lignes de communication allemandes. En attendant de prendre Cherbourg, les Alliés prévoient en effet de faire transiter le flux logistique indispensable par un port artificiel, le Mulberry. Le ravitaillement en carburant sera assuré par un oléoduc courant sous la Manche. • Le jour « J ». Le mauvais temps retarde l’attaque jusqu’au 6 juin. Dans la nuit qui précède l’assaut amphibie, les troupes aéroportées parviennent à s’emparer d’un certain nombre de points stratégiques, non sans pertes importantes. À l’aube, les forces alliées commencent à débarquer, rencontrant une résistance plus ou moins forte selon les plages. Au soir du 6, les Anglo-Américains sont parvenus à établir leurs têtes de pont en territoire français, au prix d’une dizaine de milliers d’hommes perdus - beaucoup moins que ne le craignait Eisenhower. Mais la ville de Caen, objectif de la première journée, n’a pas été atteinte. Une dure, longue et meurtrière bataille attend encore les Alliés. Elle durera jusqu’au milieu du mois d’août, aboutissant à une défaite sans appel des forces allemandes. Normandie (Échiquier de), instance suprême de contrôle des finances du duché de Normandie, dénommée ainsi en raison de la table à damiers sur laquelle on dispose les jetons servant aux comptes. Même si l’Échiquier anglais est attesté dès le
début du XIIe siècle, rien ne prouve que son homologue normand en soit un simple décalque : au XIe siècle, déjà, le système financier du duché semble en effet très perfectionné et assez proche de celui que révèle plus tard, en 1180, le premier rôle (transcription des arrêts pris en séance) de l’Échiquier normand. En réalité, cette émergence correspond à la réorganisation menée dans l’administration de Normandie par le justicier Richard d’Ilchester, lui-même rompu aux méthodes de l’Échiquier anglais. Dès lors, la cour normande, réunie deux fois par an au château de Caen, contrôle étroitement les officiers ducaux, qui doivent lui rendre leurs comptes, et auxquels elle donne quitus ; d’autre part, les particuliers souhaitant faire valider leurs contrats recourent à sa juridiction gracieuse. Après la conquête de la Normandie par Philippe Auguste en 1204, l’Échiquier est maintenu en l’état et constitue une exception dans un royaume qui ne disposera d’une véritable Chambre des comptes qu’au XIVe siècle. Il juge toujours en dernier ressort, mais le caractère temporaire de ses réunions et l’instabilité de son personnel poussent les justiciables à s’adresser directement au parlement de Paris. En 1499, Louis XII transforme l’Échiquier en cour souveraine permanente, qui reçoit le nom de parlement de Rouen en 1515. Normands, terme désignant les « Hommes du Nord », plus généralement connus sous le nom de « Vikings », venus envahir les côtes occidentales de l’Empire carolingien, au IXe siècle. downloadModeText.vue.download 662 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 651 Danois, Norvégiens et Suédois déferlent, tour à tour, à partir des années 819-820, semant la terreur, dans les estuaires de la Loire et de la Seine, puis plus au sud en Aquitaine. Utilisant leurs navires (snekkjur) pour remonter les fleuves, les assaillants pénètrent profondément dans le territoire franc, au point d’assiéger Paris en 845 puis, plus longuement, entre novembre 885 et octobre 886. Poussés par une soif de richesses, ils s’attaquent aux centres d’échanges, mais aussi aux monastères, dont les chroniqueurs nous ont laissé des récits épouvantés. En 911, un des chefs normands, vraisemblablement d’origine danoise, Rollon, conclut avec le roi Charles III le Simple l’accord de Saint-Clair-sur-Epte : Rollon devient le maître d’un vaste territoire
sur la basse Seine, érigé en duché autour de Rouen, étendu en 924 au Bessin et au Maine, puis, en 933, au Cotentin et à la Manche ; en contrepartie, il entre dans la vassalité du roi de Francie occidentale et reçoit le baptême (912). Ainsi se trouve constituée une importante principauté du royaume de France, la Normandie, l’une des rares entreprises de colonisation scandinave appelée à connaître un grand avenir et dont la toponymie actuelle conserve encore le souvenir. Nostradamus (Michel de Nostredame, dit), médecin et astrologue (Saint-Rémy-deProvence 1503 - Salon 1566). Issu d’une famille juive convertie au christianisme, il fait des études de médecine à Avignon et à Montpellier, et acquiert une réputation de praticien efficace - notamment dans sa lutte contre la peste - avant même d’être reçu docteur en médecine (1529). Ami de l’humaniste italien Scaliger, il séjourne quelque temps à Agen, puis se fixe définitivement à Salon, où il fait un riche mariage, en 1545. À partir des années 1550, il se consacre à la rédaction d’almanachs, qu’il signe sous le nom de Nostradamus. En 1555 paraît à Lyon son premier livre de Prophéties, ensemble de quatrains énigmatiques, groupés par centaines appelées « centuries ». Le succès de l’ouvrage est considérable, et la renommée de Nostradamus s’étend rapidement. Catherine de Médicis, en 1556, le fait venir à la cour pour dresser l’horoscope de ses fils et le comble de faveurs. Lorsque Henri II, en 1559, meurt à l’issue d’un tournoi, sa fin tragique semble annoncée, aux yeux du plus grand nombre, dans un quatrain des Prophéties (« Le lyon jeune le vieux surmontera... »). En 1564, Charles IX, visitant la Provence, lui confie la charge de médecin ordinaire du roi. Encensé par nombre d’hommes de son temps - dont Ronsard -, le personnage de Nostradamus a soulevé des polémiques qui n’ont cessé de rebondir au fil des siècles ; ses détracteurs n’ont pas manqué de souligner le caractère abscons de prophéties que chacun, grâce aux ressorts de l’imagination, peut interpréter à sa guise. Notre-Dame de Chartres. Point central de la Gaule, le territoire des Carnutes est à l’origine du nom donné à la cité romaine de Chartres (IIIe siècle). La ville devient un évêché important au IVe siècle. Sur cet ancien lieu de réunion des druides gaulois, les premiers sanctuaires
chrétiens se succèdent jusqu’au XIIe siècle. La cathédrale actuelle de Notre-Dame de Chartres, entreprise dès 1194 et achevée en partie en 1220, est en effet construite sur au moins quatre églises successives. Une suite d’incendies est à l’origine de la destruction de la première d’entre elles en 743 ; en 962 et en 1020, le feu ravage l’église édifiée par l’évêque Fulbert de Chartres (vers 960-1028). Cette église épiscopale est le centre de rayonnement de l’école de Chartres, qui réintroduit en Occident la pensée néoplatonicienne de la connaissance. Reconstruite en partie, puis modifiée après un nouvel incendie partiel en 1134, l’église de Fulbert est ellemême entièrement détruite le 10 juin 1194. L’essor du culte marial du XIIe siècle, attesté dès le VIIe siècle à Chartres, contribue alors à l’édification d’une église dont la dédicace à Notre-Dame est solennellement effectuée le 26 octobre 1260. Merveille d’équilibre entre la lumière et la pierre, son architecture est un témoin de l’art gothique français à son apogée. Les tribunes - formant un étage surplombant les bas-côtés - se trouvent pour la première fois abandonnées, et les fenêtres hautes ouvrent sur des vitraux à l’exceptionnelle étendue où prédomine le « bleu de Chartres », bleu pâle utilisé par les verriers dès le XIIe siècle (au total cent cinquante verrières représentant une surface de 2 600 mètres carrés). Ces innovations architecturales concourent à une élévation que n’ont pas manqué de décrire certains écrivains, tel Joris-Karl Huysmans dans la Cathédrale (1898). La dévotion à la relique de la tunique ou de la chemise de la Vierge donnée au IXe siècle par Charles le Chauve (823-877) est à l’origine d’un premier pèlerinage médiéval, très fréquenté au début du XIIIe siècle ainsi que l’atteste le « livre des miracles de Notre-Dame ». À partir du XVIe siècle, une Vierge noire, statue de bois sombre donnée à la cathédrale, a fait l’objet d’une vénération que perpétuent encore les dévots. La tradition de ce pèlerinage a d’ailleurs été renouée au début du XXe siècle, en grande partie sous l’impulsion de Charles Péguy. Quant au pèlerinage des étudiants à Chartres, fondé en 1935, il continue aujourd’hui de témoigner de la vigueur de la dévotion à la Vierge chartraine. Notre-Dame de Paris. C’est la seule cathédrale dont on peut dire qu’elle a abrité, par fragments, toute l’histoire de France. L’île de la Cité a toujours accueilli un sanctuaire. Un autel gallo-romain en l’honneur de l’empereur Tibère indique l’existence d’un
temple païen dès le Ier siècle. Une église mérovingienne érigée au VIe siècle et faisant partie, avec l’église Saint-Étienne, d’un groupe cathédral occupe ensuite le site. Lorsque l’évêque de Paris, Maurice de Sully, décide de construire une nouvelle cathédrale en 1163, il est probable que l’église initiale, rebâtie au IXe siècle, soit alors complètement détruite. La décision de l’évêque d’adopter un style nouveau (appelé ultérieurement « gothique ») relève d’un choix politique autant qu’esthétique : elle est une manière d’affirmer un prestige au moins égal à celui de la cathédrale de Saint-Denis, édifiée vers 1140 par le tout-puissant abbé Suger au moment où la monarchie capétienne choisit Paris comme résidence royale. Trois phases de constructions successives concourent à la réalisation du chef-d’oeuvre gothique qu’est Notre-Dame de Paris : 1160-1180 pour le choeur, 11801200 pour le haut de la nef, 1200-1220 pour les trois dernières travées de la nef. Véritable « somme » de pierre à l’iconographie dotée d’un sens spirituel, la cathédrale est à l’image de la complexité de la pensée théologique et du rayonnement de l’Université de Paris au XIIIe siècle. Étant sacrés à Reims et enterrés à Saint-Denis, les rois de France ne franchissent qu’occasionnellement les portes de Notre-Dame, notamment lors de circonstances hautement symboliques. La cathédrale accueille, par exemple, les premiers états généraux réunis par Philippe le Bel, en 1302, contre le pape Boniface VIII. Au XVe siècle, on y célèbre les victoires de Charles VII sur les Anglais, marquant le lien qui unit la cathédrale au sort du pays. En 1638, après la naissance de son fils, Louis XIII décide de consacrer la France à Notre-Dame par un voeu. La Révolution française met un terme à ce lien entre le roi, la nation et la cathédrale. La Galerie des rois est détruite et les statues de la façade sont décapitées. Notre-Dame est fermée au culte en novembre 1793 puis choisie comme temple de la Raison. Rendue officiellement au culte catholique en 1802, l’église accueille bientôt le sacre de Napoléon Bonaparte (1804), comme pour marquer la restitution de sa fonction nationale. Elle est restaurée de 1845 à 1864 par Viollet-le-Duc. À la Libération de Paris en 1944, les Te Deum chantés à Notre-Dame illustrent encore le lien qui unit la cathédrale au pays. Les funérailles de grands hommes d’État (comme celles de François Mitterrand, en 1996) s’y déroulent encore. nourrice (mise en). L’allaitement des nou-
veau-nés par une femme requise à cet effet constitue, du Moyen Âge au XIXe siècle, une pratique aussi répandue que contestée. Difficile à chiffrer avec précision avant le XVIIIe siècle, la mise en nourrice touche d’emblée tous les milieux sociaux, même s’il est avéré qu’elle se développe à partir du début du XVIIe siècle, se pratiquant en priorité dans les centres urbains. Ainsi, à Paris, en 1780, 1 000 seulement des 21 000 enfants nés dans l’année sont nourris par leur mère ; il s’agit certes d’un cas limite, mais qui montre bien l’ampleur d’une pratique très largement partagée. La fréquence du recours à la mise en nourrice tient à des raisons socioculturelles. L’aristocratie et la bourgeoisie urbaine entendent préserver le rôle de représentation sociale de la femme, qu’il s’agisse des « oeuvres de miséricorde » du Moyen Âge ou des mondanités de l’âge classique. En outre, aux contrariétés de l’allaitement s’ajoutent son caractère inesthétique - puisqu’il passe pour gâter la beauté des seins - et les lourdeurs d’un tabou selon lequel les relations sexuelles sont proscrites au cours de cette période. Dans les milieux populaires, notamment ouvriers, c’est la nécessité du travail féminin qui pousse les couples downloadModeText.vue.download 663 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 652 à remettre leurs progénitures à des nourrices. De plus, à l’époque moderne, la précarité qui règne dans les campagnes oblige nombre de femmes à louer leurs services de nourrice à très bas prix pour s’assurer un complément de revenu : la demande augmente dès lors à proportion de l’offre. Pour être courante, la mise en nourrice n’en est pas moins sévèrement critiquée par les médecins et par les moralistes, qui dénoncent les dangers sanitaires et l’aspect mercenaire d’une telle pratique. À défaut de pouvoir l’empêcher, ils insistent sur les précautions à prendre dans le choix de la nourrice : aux critères médicaux (hygiène physique) se mêlent des critères qui relèvent davantage de la symbolique sociale (l’haleine, la taille des seins ou la couleur des cheveux, les rousses étant censées avoir un lait aigre). Ces condamnations et ces recommandations, de plus en plus fréquentes à partir du XVIIIe siècle, sont indissociables de la triste réalité de l’allaitement nourricier : il entraîne en effet une importante
surmortalité infantile, due en partie aux aléas du transport des enfants, conduits loin de chez eux par des meneurs qui s’en occupent mal, et aux négligences des nourrices ellesmêmes, pour qui les enfants sont d’abord des sources de revenu. De plus en plus controversée, la mise en nourrice tend à disparaître dans les dernières décennies du XIXe siècle. Nouvelle-Calédonie, ancienne colonie française (1853-1946), territoire d’outre-mer depuis 1946. • Les origines de la colonie. C’est en 1842 que des religieux maristes fondent, sur l’île découverte par Cook en 1774, un premier établissement missionnaire. Il est évacué en 1847, par crainte de tensions avec la Grande-Bretagne. Mais, à la suite d’un massacre de marins français en 1850, une nouvelle intervention française est décidée, alors que les marins anglais montrent un intérêt accru pour l’île. Les missionnaires reviennent en 1851 et, le 24 septembre 1853, l’amiral Febvrier-Despointes prend possession de la Nouvelle-Calédonie. Des colons débarquent presque aussitôt ; une capitale est construite sur le site de Nouméa. En 1860, la Nouvelle-Calédonie est érigée en colonie indépendante de Tahiti puis, en 1864, lui sont annexées les trois îles Loyauté. Le premier gouverneur, le saint-simonien Guillain, décide d’en faire une colonie pénitentiaire, où les forçats arrivent à partir de 1864, qui vont contribuer au peuplement européen. De 1871 à 1880, l’île accueille également 3 859 déportés de la Commune, parmi lesquels Henri Rochefort et Louise Michel. Les relations avec les Kanaks (ou Canaques) sont tendues. La confiscation des terres et les destructions dues aux troupeaux entraînent la grande révolte de 1878. En outre, la population mélanésienne subit un effondrement démographique, qui ne sera enrayé qu’à partir de 1920. De 1894 à 1903, le gouverneur Feillet, qui ferme le bagne en 1896, encourage la petite colonisation agricole. Son oeuvre sera poursuivie par le gouverneur Guyon, de 1925 à 1931, mais la grande ressource de la colonie vient de l’exploitation des richesses minérales, qui la place un temps au premier rang mondial pour la production de nickel. En septembre 1940, la colonie se rallie à la France libre. À partir de 1942, elle devient une importante base d’appui pour les forces américaines engagées dans la guerre du Pacifique ; leur présence (plus de 50 000 hommes) en-
traîne une profonde mutation dans les mentalités et un métissage considérable. • Le statut de territoire d’outre-mer (TOM). En octobre 1946, la Nouvelle-Calédonie accède au statut de territoire d’outre-mer et dispose désormais d’une représentation parlementaire. Les Mélanésiens sont électeurs mais selon un suffrage capacitaire très restrictif (1 444 électeurs en 1946). La loi-cadre de 1956 établit le suffrage universel et dote le territoire d’un exécutif. L’Union calédonienne, un parti de tendance autonomiste, domine alors la vie politique. • Les tensions (1979-1988). Après la dissolution de l’assemblée territoriale en mai 1979, année qui marque aussi le début d’une crise économique liée à la diminution de la demande de nickel, le territoire entre dans une ère de violences, qui opposent loyalistes du Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR), du député Jacques Lafleur, et indépendantistes du Front de libération nationale kanak socialiste (FLNKS), fondé par Jean-Marie Tjibaou. Embuscades et affrontements font de nombreuses victimes : 18 membres des forces de l’ordre sont tués en 1982-1983. En décembre 1984, 11 militants du FLNKS sont tués à Hienghène. Peu après, Edgard Pisani, délégué du gouvernement, élabore un projet d’« indépendance-association » assez complexe (double nationalité, régime spécial pour Nouméa), qui ne satisfait personne. Un référendum d’autodétermination organisé en septembre 1987 donne 98 % pour le maintien de la souveraineté française, mais ce pourcentage élevé s’explique par l’abstention massive des Mélanésiens. Des prises d’otages se multiplient. En mai 1988, l’assaut de la grotte de Gossanah, dans l’île d’Ouvéa, où 27 gendarmes sont retenus en otage, se solde par la mort de 19 indépendantistes et de 4 gendarmes. • L’apaisement ? Le gouvernement Rocard, formé au lendemain de la seconde victoire présidentielle de François Mitterand, se propose de rechercher une solution négociée et confie une mission d’enquête et de dialogue à des personnalités indépendantes. Un accord conclu à Matignon le 26 juin 1988 entre l’État, le FLNKS et le RPCR prévoit une période transitoire de dix ans à l’issue de laquelle la population sera consultée par un référendum d’autodétermination, ainsi que la division du territoire en trois provinces dotées d’une assez large autonomie. Un congrès du Territoire, formé de la réunion des membres des trois conseils provinciaux, constitue l’organe de coordination. Consultés
par référendum national le 6 novembre 1988, les électeurs français approuvent à 80 % ce projet... avec un taux d’abstention de plus de 60 %. La conclusion des accords, suivie de la mise en place des nouvelles institutions, d’investissements importants et de mesures d’amnistie, a entraîné le retour au calme, malgré l’assassinat, le 4 mai 1989, de Jean-Marie Tjibaou et de son adjoint Yeiwéné-Yeiwéné, par des extrémistes isolés. Presque toutes les terres revendiquées par les tribus leur ont été restituées. Des majorités indépendantistes contrôlent la plupart des trente-deux municipalités ainsi que les provinces du Nord et des îles. La province sud, la plus peuplée, avec l’agglomération de Nouméa, reste un fief du RPCR. Selon les estimations, la population s’élevait en 1995 à près de 190 000 habitants, dont 47 % de Mélanésiens, 34 % d’Européens, 12 % de Wallisiens, les autres étant essentiellement Indonésiens, Vanuatais, Vietnamiens, mais, en raison des tendances démographiques, les Kanaks devraient être majoritaires dans la deuxième décennie du XXIe siècle. En avril 1998, les différentes formations politiques calédoniennes ont conclu un nouvel accord, sous les auspices, cette fois, du gouvernement Jospin : il prévoit une large autonomie pour le territoire, avec le transfert de nombreuses compétences à Nouméa, pendant une nouvelle période transitoire longue de quinze à vingt ans. Selon les termes de l’accord, « l’État reconnaît la vocation de la Nouvelle-Calédonie à bénéficier, à la fin de cette période, d’une complète émancipation. » La décision en reviendra aux habitants de ces îles, qui seront consultés par référendum. Nouvelles ecclésiastiques, périodique janséniste clandestin crée en 1728. Depuis les Provinciales de Pascal (1656), le jansénisme n’a cessé de faire appel à l’opinion. L’opposition à la bulle Unigenitus (1713), condamnation papale des thèses jansénistes, va amplifier cette tendance : on dénombre plus d’un millier de publications hostiles au texte de Clément XI entre 1713 et 1731, souvent imprimées en Hollande et colportées clandestinement. Des feuilles périodiques naissent alors, entièrement consacrées à ce combat, tel le Supplément à la Gazette de Hollande (1717-1721). En 1728, lors de la convocation du concile provincial d’Embrun qui décide la déposition de l’évêque janséniste Soanen, apparaissent les Nouvelles ecclésiastiques, sous-titrées : Mémoires pour servir à
l’histoire de la constitution « Unigenitus ». Tirée chaque semaine à six mille exemplaires sur quatre pages, cette gazette est dirigée par le Père Fontaine de La Roche jusqu’en 1761. Elle est imprimée à Paris et distribuée grâce à un réseau secret, cloisonné à l’extrême pour déjouer la police. Disposant d’informateurs bien placés, les Nouvelles s’en prennent aux jésuites et soutiennent la guérilla juridique des parlements ; le principe manichéen des analyses développées et le style adopté, qui dramatise l’événement, assurent une large audience à cette publication. Gallicane, elle répand le richérisme (gallicanisme politique) dans le bas-clergé, minant l’autorité épiscopale. Par ailleurs, elle est hostile aux philosophes des Lumières. Après 1770, les Nouvelles modèrent leurs attaques contre l’autorité ; lors de la Révolution, ses rédacteurs fuient à Utrecht, en 1794, et la parution cesse en 1803. downloadModeText.vue.download 664 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 653 Nouvel Observateur (le), hebdomadaire d’information générale et politique, lancé le 19 novembre 1964. Il succède à France Observateur, regroupant sa rédaction à laquelle se greffent quelques journalistes de l’Express. L’équipe constituée autour de Jean Daniel et Claude Perdriel - le bailleur de fonds - a deux objectifs : promouvoir un socialisme non dogmatique et publier un véritable news magazine. Grâce aux pages « Notre temps » (société et culture), le Nouvel Obs, qui tire à 100 000 exemplaires dès 1965, rompt avec le mode d’expression très politisé de France Obs ; mais il reste cependant un titre politique. Qu’ils écrivent sur le tiers-monde, les relations internationales, la politique intérieure, les journalistes - antigaullistes et antistaliniens - considèrent qu’ils doivent entretenir la tradition de la « troisième voie », l’indépendance permettant aux francstireurs de résister à la pression du pouvoir et des grands partis. Les années 1968-1974 marquent une époque de transition (retombées de mai 68, création du PS, élections présidentielles de 1969 et de 1974). L’hebdomadaire tire alors à 300 000 exemplaires. Il s’engage dans la recherche du « rééquilibrage de la gauche », luttant sur tous les fronts : féminisme, droit à l’avortement, tiersmondisme, écologie. En 1980-1981, le Nouvel Observateur soutient Rocard, puis Mitterrand,
dont la victoire est vécue dans la ferveur, consécration de vingt années de travail. L’hebdomadaire aborde la décennie 19801990 de façon différente. Pour regagner un lectorat, répondre à la pression économique et à la concurrence, le Nouvel Obs s’adapte : il publie des dossiers, des numéros spéciaux, des pages promotionnelles, simplifie son contenu. En outre, il subit le contrecoup des victoires socialistes de 1981 et 1988 : son caractère anticonformiste et corrosif s’estompe. En 1996, cependant, grâce au lancement d’un substantiel supplément télévision et à des aménagements rédactionnels, il devance l’Express et devient le premier hebdomadaire d’information politique et culturelle en France (avec un tirage d’environ 500 000 exemplaires). Marqué par ses mutations successives, le Nouvel Observateur reste donc, malgré tout, le principal hebdomadaire de la gauche française, représentatif de l’évolution de la culture politique de celle-ci. Novembre (Onze) ! Onze Novembre nucléaire (énergie). Utilisant rapidement les acquis de la science fondamentale, l’énergie tirée de la fission de l’atome prend, sous l’impulsion des pouvoirs publics, une part croissante dans le bilan énergétique de la France à compter des années 1970. C’est dans la première moitié du XXe siècle qu’ont lieu les grandes découvertes en matière d’énergie nucléaire : après celle de la radioactivité naturelle par Becquerel en 1896 puis de la radioactivité artificielle en 1934 par Irène et Frédéric Joliot-Curie, Strassmann et Frisch mettent en évidence la fission du noyau d’uranium avec dégagement d’énergie, sous l’effet du bombardement de neutrons ; Joliot, Halban et Kowarski apportent en 1939 la preuve expérimentale que cette fission s’accompagne de l’émission de nouveaux neutrons et peut provoquer ainsi une réaction en chaîne. L’équipe française dépose alors une série de brevets pour la construction, à partir de ce principe, d’un réacteur producteur d’énergie nucléaire. • Le développement de la filière française. Après la guerre, qui a dispersé le groupe et interrompu les recherches, Joliot se voit confier par le général de Gaulle la direction du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), créé pour le développement des applications civiles et militaires de l’énergie nucléaire : il établit un centre d’essais au fort de Châtillon, où il réussit, le 15 décembre 1948, la première production d’électricité au moyen d’une pile atomique, baptisée « Zoé ». Le programme de recherche se poursuit dans les années 1950 : le
CEA construit à Marcoule trois réacteurs expérimentaux (G1, G2 et G3) utilisant l’uranium naturel comme combustible et capable de produire du plutonium. Afin d’être associée au développement de l’énergie nouvelle, Électricité de France (EDF) assure le couplage de ces piles à un générateur d’électricité. La France dispose ainsi de sa propre filière, face aux États-Unis qui prônent l’utilisation de l’uranium enrichi, mais sont seuls alors à maîtriser la technique d’enrichissement du combustible. Dans les années 1960 sont construites des piles atomiques spécialement conçues pour la production d’électricité. EDF se dote d’un premier parc de centrales - à Chinon (1962), Saint-Laurentdes-Eaux (1966) puis au Bugey (1971), toutes fonctionnant selon la technologie française à l’uranium naturel -, mais dont l’exploitation se révèle lourde et complexe. EDF propose alors d’adopter pour les réalisations à venir la filière américaine fonctionnant à l’uranium enrichi et à l’eau pressurisée (REP), d’autant que la France dispose désormais de sa propre usine d’enrichissement d’uranium (Pierrelatte). Après bien des querelles sur les mérites comparés des deux systèmes, le gouvernement français opte pour la filière REP, sans doute plus économique et de conception plus simple, pour la construction des prochaines centrales. • Le « tout-nucléaire ». L’événement majeur qui provoque l’essor de l’énergie nucléaire en France est la crise pétrolière de 1973. La flambée des cours de l’or noir et la crainte de la dépendance énergétique conduisent le gouvernement français à lancer la réalisation, à marche forcée, de six à sept tranches nucléaires par an, entre 1974 et 1986. EDF bâtit ainsi un parc de 34 unités de 900 mégawatts et 20 unités de 1 300 mégawatts. Ce programme d’équipement est un succès : le coût du kilowatt de l’énergie nucléaire - qui assure, en 1990, 75 % de la production d’électricité dans le pays - est compétitif et le taux d’indépendance énergétique remonte de 24 à plus de 50 %. Par ailleurs, cet effort durable et soutenu entraîne la constitution d’un puissant pôle français du nucléaire, avec Framatome (constructeur de chaudières), Alsthom (réalisateur des équipements électriques), EDF (architecte industriel et exploitant) et la Cogema, filiale du CEA créée en 1976 (gestionnaire du cycle du combustible-prospection, enrichissement et retraitement des déchets). Mais l’industrie de l’énergie nucléaire est à un tournant : le parc est constitué et son renouvellement ne surviendra pas avant les années 2010. Sa rentabilité est de nouveau battue en brèche par les énergies fossiles comme
le gaz. Par ailleurs, la contestation écologiste a grandi, attisée par la catastrophe ukrainienne de Tchernobyl, et se cristallise aujourd’hui sur la question du retraitement et du stockage des déchets. Naguère synonyme de progrès, l’énergie nucléaire voit se dresser face à elle l’opinion publique et ses peurs. C’est cet obstacle psychologique qu’il lui faudra désormais franchir pour assurer sa pérennité. nuit du 4 août 1789 ! août 1789 (nuit du 4) downloadModeText.vue.download 665 sur 975 downloadModeText.vue.download 666 sur 975
O OAS (Organisation armée secrète), organisation clandestine créée en 1961 rassemblant les partisans les plus extrémistes de l’Algérie française. Fondée à Madrid au mois de janvier 1961 par Pierre Lagaillarde et Jean-Jacques Susini, tous deux inculpés lors du « procès des barricades » et en fuite, l’OAS est d’abord dirigée depuis Alger par le général Salan. Alors que la marche de l’Algérie vers l’indépendance semble inéluctable, la naissance de l’OAS consacre l’union des civils et des militaires hostiles à ce processus. Ses deux principaux ennemis sont le général de Gaulle, qu’elle considère comme un traître depuis qu’il a reconnu le droit à l’autodétermination du peuple algérien, et le Front de libération nationale (FLN), dont elle entend pourtant copier les méthodes. Ainsi, l’OAS mène à la fois une action de propagande auprès des Français d’Algérie et un combat militaire et terroriste contre ses adversaires. Au fur et à mesure de la progression des négociations entre le gouvernement français et le FLN, l’OAS multiplie les attentats meurtriers, dont certains visent des soldats du contingent. Mais l’insurrection décrétée par le général Salan après les accords d’Évian (mars 1962) est un échec, et l’OAS, dont les principaux responsables ont été arrêtés, choisit alors la politique de la terre brûlée. Vaincue en Algérie, l’organisation, qui se recompose autour de Georges Bidault et de Jacques Soustelle, tente d’assassiner le général de Gaulle le 22 août 1962 : c’est l’attentat manqué du Petit-Clamart. Massivement condamnés par l’opinion en métropole, les excès de l’OAS ont été, par ailleurs, l’une des causes qui ont contribué à accélérer le départ des Français d’Algérie. Oberkampf (Christophe Philippe), fondateur en 1760, à Jouy, près de Versailles, d’une
célèbre fabrique de toiles peintes, dites « indiennes de Jouy » (Wiesenbach, aujourd’hui en Bavière, 1738 - Jouy-en-Josas 1815). Fils d’un teinturier wurtembergeois installé en Suisse, il arrive à Paris en 1758. Mettant opportunément à profit la déréglementation de la production des indiennes, il devient en France l’un des symboles du capitalisme industriel naissant : l’importance du capitalargent nécessaire à la valorisation du capitaltechnique exige l’association avec plusieurs entrepreneurs (d’abord avec Guerne de Tavannes, puis avec Levasseur et Sarrasin-Demaraise) ; la fabrique, où les contremaîtres surveillent les cadences de travail d’une main-d’oeuvre concentrée, est installée à proximité des lieux de consommation (Paris et Versailles), et les produits finis sont peu onéreux. Les toiles de coton (en provenance de Normandie, puis importées d’Angleterre) sont imprimées à Jouy par des cylindres mécaniques - la chimie et l’industrie mécanique sont ainsi mises à contribution -, tandis que des dessinateurs créent des motifs rapidement renouvelables qui font ou suivent la mode. Marié en 1767 (son épouse tient les écritures de la société), naturalisé français en 1770, l’entrepreneur est anobli en 1787. Deux ans plus tard, il devient seul propriétaire de sa manufacture : d’un capital de 9 millions de livres, elle emploie alors 800 ouvriers et produit 30 000 pièces par an. Les révolutionnaires reconnaissent son utilité, la politique napoléonienne lui est favorable et l’Empereur décore Oberkampf de la Légion d’honneur en 1806. Innovateur au fait des techniques anglaises, il fonde une filature de coton à Essonnes en 1810. Pourtant, la paix de 1815, qui ouvre à nouveau le continent à la puissante industrie textile britannique, met son entreprise en difficulté. oc (langue d’) ! langue d’oc l OCCUPATION. De 1940 à 1944, la France subit l’occupation de son territoire par l’armée allemande. Des précédents historiques existent : de 1815 à 1818, puis en 1870-1873, la France a déjà connu l’humiliation de la défaite et la présence sur son sol des forces qui l’ont vaincue. Mais, pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Occupation revêt un caractère particulier par sa durée, sa rigueur, et par son extension géographique, l’ensemble du territoire étant sous
le joug allemand à partir de novembre 1942. En outre, elle est marquée par une situation politique inédite, avec la présence d’un gouvernement français qui prétend conduire une politique de collaboration avec l’occupant. LE CADRE DE L’OCCUPATION L’armistice conclu le 22 juin 1940 entre la France et l’Allemagne détermine le cadre juridique de l’Occupation, qui sera néanmoins rapidement dépassé par les Allemands. Au total, le traitement infligé à la France ne sera pas fondamentalement différent de celui imposé à d’autres pays occupés n’ayant pas signé d’armistice (Belgique, Pays-Bas, Norvège). • La France divisée en deux zones. L’armistice scinde le territoire métropolitain en une « zone occupée » et une « zone non occupée » (surnommée « zone sud », ou encore « zone nono », par les Français), que sépare une ligne de démarcation. Celle-ci part de la frontière espagnole, remonte vers Angoulême, passe à l’est de Poitiers, oblique vers Tours, Bourges et Moulins, et contourne Dole et Nantua, pour aboutir au lac Léman. La zone occupée couvre donc la façade atlantique depuis Biarritz, le Poitou, le grand Ouest et la totalité du tiers nord-est de la France, c’est-à-dire la partie la plus riche, la plus urbanisée et la plus industrialisée du pays. La zone non occupée quant à elle, correspond à un gros tiers sud-est du pays, du Lyonnais à la Provence et du Limousin aux Alpes. Dans cette portion du territoire, l’armistice laisse subsister un gouvernement français qui est officiellement libre et souverain. En zone occupée, l’article 3 de la convention d’armistice donne aux Allemands « tous les droits de la puissance occupante ». L’exercice de ces pouvoirs est confié à un gouverneur militaire allemand, qui est installé à Paris. Un représentant (qui n’a pas rang d’ambassadeur) du ministère allemand des Affaires étrangères, Otto Abetz, siégeant lui aussi à Paris, est chargé des relations politiques avec downloadModeText.vue.download 667 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 656 le gouvernement français de Vichy. Ce dernier est autorisé à nommer à Paris un « délégué général », le journaliste proallemand Fernand de Brinon. Mais, en dépit de ses demandes répétées, le gouvernement de Pétain n’obtient pas le droit de s’installer à Paris, et ses fonc-
tionnaires, même de haut rang, sont contraints de solliciter et d’attendre le précieux Ausweis (laissez-passer) pour se rendre en zone occupée et négocier avec les Allemands. Très rares sont les personnalités, tel Laval, qui disposent d’un Ausweis permanent pour franchir la ligne de démarcation. En zone nord, les pouvoirs de l’occupant sont donc quasi illimités. L’administration française (y compris la police et la gendarmerie) est placée sous contrôle allemand, et chacun de ses actes doit être approuvé. Les mesures édictées par le régime de Vichy en zone sud ne sont pas systématiquement appliquées en zone occupée. Ainsi, les Chantiers de la jeunesse ou la Légion française des combattants, derrière lesquels les Allemands soupçonnent des entreprises de reconstruction clandestine de l’armée française, n’y sont pas autorisés. Les Allemands poussent le zèle tatillon jusqu’à interdire les marches chantées des enfants des écoles, qui sont assimilées à des « manifestations politiques ». Dès l’automne 1940, ils imposent, en zone nord, une réglementation antisémite : « aryanisation » d’entreprises détenues par des juifs, interdiction de certains lieux publics, mention distinctive sur les papiers d’identité. Ces mesures sont plus répressives que celles adoptées en zone sud - de son propre chef - par le gouvernement de Vichy (premier statut des juifs en octobre 1940). La censure allemande (Propaganda Abteilung), dépendant du ministère allemand de l’Information (Goebbels), règne en maître sur la presse (écrite et radiodiffusée), l’édition, le cinéma. Marque ultime de leur domination, les Allemands imposent l’heure allemande en France. En zone sud, la situation s’avère plus ambiguë. L’absence physique de soldats allemands, la présence d’un gouvernement français, le maintien des signes distinctifs de la souveraineté française (drapeaux tricolores, défilés militaires, exécutions en public de la Marseillaise), peuvent laisser croire à un miraculeux « retour à la normale ». Mais l’emprise allemande, pour être plus discrète, n’en est pas moins réelle. La commission allemande d’application de l’armistice, qui siège à Wiesbaden (une commission similaire, italienne, siège à Turin), exerce en fait un contrôle sur la politique de Vichy, en particulier dans le domaine militaire. Cette commission, au sein de laquelle les Allemands imposent presque toujours leur façon de voir, installe en zone sud et dans l’empire colonial des « missions permanentes » - de véritables nids d’espions, que le contre-espionnage de Vichy s’emploie d’ailleurs à traquer, du moins jusqu’en novembre 1942. Le désarmement de la flotte
française, prévu par l’armistice, est ainsi placé sous étroit contrôle allemand, et, en Afrique du Nord, le gouvernement de Vichy doit négocier pied à pied le maintien en activité de certaines unités en avançant les nécessités de la défense de l’empire. Vichy dispose d’une force militaire pour assurer l’ordre en zone sud ; cette armée, dite « de l’armistice », est limitée à 100 000 hommes, mais elle sera purement et simplement dissoute par les Allemands en janvier 1943. En outre, la coupure en deux du pays par la ligne de démarcation, en contribuant à désorganiser l’activité économique, fait peser une lourde contrainte sur le gouvernement de Vichy. « Pays du seigle et de la châtaigne », la zone « libre » dépend étroitement pour sa subsistance des liens avec la France du Nord occupée, ce qui en limite structurellement la « liberté ». En outre, l’une des clauses de l’armistice prévoit que les quelque 1,8 millions de soldats français faits prisonniers durant la campagne de 1940 resteront détenus en Allemagne jusqu’à la signature d’un traité de paix. Par cette mesure, Hitler transforme ces soldats en otages potentiels et dispose ainsi d’un redoutable moyen de pression sur Vichy. L’occupation de la zone sud, le 11 novembre 1942, en réponse au débarquement anglo-américain en Afrique du Nord - assimilé par les Allemands à une violation de l’armistice -, achève de ruiner l’hypothétique souveraineté de Vichy et place l’ensemble du territoire métropolitain sous domination allemande. Pourtant, cet « État français », de plus en plus vassalisé, continuera jusqu’au bout à lutter contre la Résistance aux côtés des nazis. L’Italie dispose également d’une zone d’occupation dans le Sud-Est, qui sera récupérée par l’Allemagne à l’automne 1943, après l’effondrement italien. • Les mesures du Reich non prévues par l’armistice. Dès l’été 1940, les Allemands s’emploient à outrepasser les clauses de l’armistice et entreprennent un véritable dépeçage de la France. La zone nord est divisée en régions aux statuts très différents. Les départements du Nord et du Pas-de-Calais sont rattachés (« zone rattachée ») au commandement militaire de Bruxelles, et non à celui de Paris. Cette séparation - inquiétante peut annoncer la future annexion au Reich de ces régions ou leur rattachement à la Belgique et aux Pays-Bas, dans le but de former, après la guerre, un vaste « État flamand », vassal du Reich. Dans la logique nazie de la hiérarchie des races, les habitants du nord de la France sont considérés, en effet, comme relativement proches des Germains et donc
comme assimilables. En outre, la Picardie est érigée en « zone interdite » aux réfugiés de l’exode de mai-juin 1940, tandis que les Ardennes, la Champagne, le sud de la Lorraine et la Franche-Comté sont transformés en une « zone réservée », où l’autorité de l’administration de Vichy est réduite à sa plus simple expression. Enfin, dès le mois d’août 1940, les trois départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, annexés par l’empire allemand en 1871 et recouvrés par la France en 1918, sont de facto intégrés au Reich et soumis à une intense nazification. Les Français qui s’y sont installés depuis 1918 ainsi que tous les juifs, Français ou non, en sont expulsés ; l’administration française, chassée, est remplacée par deux Gauleiter allemands, la législation allemande, appliquée, et 130 000 jeunes gens (les « malgré-nous ») se voient enrôlés de force dans la Wehrmacht. LA VIE QUOTIDIENNE SOUS L’OCCUPATION • Les problèmes soulevés par les coupures du pays. Le dépècement administratif qui résulte de l’armistice et de son application par les Allemands est lourd de conséquences pour les Français. Les dizaines de milliers de réfugiés de la zone interdite ne peuvent rentrer chez eux avant plusieurs mois, et sont contraints, en compagnie de milliers de réfugiés belges et alsaciens-lorrains, de prolonger un hébergement précaire dans des communes d’accueil. Il s’ensuit, dans la plupart des villes de la zone sud, une grave crise du logement. Exemple parmi d’autres de ces déplacements forcés, l’université de Strasbourg trouve refuge à Clermont-Ferrand, avant d’être brutalement fermée par les Allemands en novembre 1943. La ligne de démarcation constitue une frontière intérieure hermétique. Tout contact entre les deux zones est soumis à autorisation. Les relations familiales, économiques et administratives s’en trouvent bouleversées. Il faut attendre mars 1943, soit quatre mois après l’occupation de la zone sud, pour que le régime des Ausweis soit levé. Le courrier luimême passe très mal. Dans un premier temps, les Français ne peuvent communiquer d’une zone à l’autre que par le moyen de cartes imprimées d’avance où ils doivent cocher des cases. L’usage de cartes postales ordinaires, rigoureusement contrôlé par la censure, n’est autorisé qu’en 1942. Paradoxalement, il est plus facile d’envoyer une lettre ou un colis à un prisonnier en Allemagne qu’à un parent habitant de l’autre côté de la ligne. • Allemagne-devise-épidémie-pénurie et rationnement. Telles sont les plus grandes difficultés de la vie quotidienne. Dès 1940, les
Français - surtout en milieu urbain - ont pour principale préoccupation d’assurer leur subsistance. La pénurie résulte de la conjonction de divers facteurs. Elle est d’abord la conséquence de la profonde désorganisation de la vie économique qu’ont provoquée la guerre et la défaite : division du territoire, prélèvement massif de main-d’oeuvre par la rétention en Allemagne de 1,8 million de prisonniers puis par l’envoi de 300 000 travailleurs dans le cadre du Service du travail obligatoire (STO), coupure des relations économiques avec la Grande-Bretagne (première partenaire commerciale de la France en 1939) puis avec les États-Unis, dislocation progressive des relations avec l’empire colonial (devenue totale après novembre 1942). Ce dernier élément est particulièrement dommageable à l’approvisionnement en produits gras végétaux et en matières premières (pétrole ou caoutchouc). Les prélèvements financiers allemands, la brusque contraction des échanges et du crédit, et l’absence de perspectives économiques provoquent également une chute de l’investissement aussi spectaculaire qu’inquiétante : sur le moment, celle-ci limite les capacités de production et compromet l’approvisionnement ; à moyen terme, par l’épuisement d’un matériel non renouvelé, elle fragilise les chances de relèvement économique. Enfin, les bombardements alliés qui préparent le débarquement (bombardements intensifs, à partir de 1943, sur la façade atlantique et sur le quart nord-ouest du pays), puis les combats downloadModeText.vue.download 668 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 657 de la Libération achèvent de désorganiser la machine économique. À l’été 1944, les deux tiers du parc roulant de la SNCF sont perdus, et la plupart des ports, inutilisables. La situation matérielle du pays se révèle bien pire qu’en 1918. Au total, et dans presque tous les secteurs, la production s’effondre. L’agriculture est le secteur le plus touché. Un tiers de la population active agricole d’avant-guerre a péri durant les combats de mai-juin 1940, ou est en captivité. En outre, les campagnes manquent de tout : engrais, essence pour les tracteurs, pièces de rechange pour les machines. Globalement, la production agricole de 1944 équivaut à peine aux deux tiers de celle de 1939. La baisse est de l’ordre de 20 % pour le blé, de 30 % pour le lait, de 40 % pour la pomme de terre et, même, de 50 % pour la viande de porc. La situation est com-
parable dans l’industrie, dont la production diminue globalement de 60 %. Les difficultés de ravitaillement sont accrues par les prélèvements de toute sorte que les Allemands effectuent en France. À cet égard, l’armistice leur fournit de larges opportunités ; il condamne en effet l’État français à verser une indemnité de 400 millions de francs par jour au titre des frais d’entretien des troupes d’Occupation. Ce versement s’apparente à un tribut - la revanche pour l’Allemagne après les réparations du traité de Versailles -, et la somme fixée par la convention d’armistice est disproportionnée et suffirait à assurer l’entretien de plusieurs millions de soldats, alors que les forces allemandes d’Occupation ne dépasseront jamais 500 000 hommes. Bien plus : en 1943, l’indemnité est portée à 700 millions par jour, en raison de l’occupation de la zone sud. En outre, les Allemands modifient à leur avantage la parité des monnaies : la valeur du mark est augmentée de 60 %. Avec ce mark surévalué, les firmes allemandes peuvent aisément acquérir divers produits français, mais également des parts du capital d’entreprises françaises, ou encore racheter les participations que ces dernières possèdent à l’étranger (en particulier en Yougoslavie et en Tchécoslovaquie). La contrepartie de ces achats massifs aurait pu être l’accumulation de marks dans des mains françaises. Mais, soucieux d’éviter les sorties de devises, le gouvernement allemand impose à l’État français un « accord de compensation » qui immobilise les créances françaises sur un compte de la Reichsbank. La France accumule ainsi une gigantesque créance vis-à-vis de l’Allemagne, qui a peu de chances d’être honorée un jour. Ne se limitant pas à ces facilités, les Allemands installent encore en France des officines d’achat clandestines, souvent protégées par des prête-noms (ainsi le fameux « bureau Otto », dirigé en sous-main par l’Abwehr) qui procèdent, jusqu’au printemps 1943 - date à laquelle Vichy obtient leur fermeture -, à des acquisitions massives de produits très divers. Enfin, la politique de collaboration, accentuée en matière économique après le retour de Laval en avril 1942, encourage la production ou les livraisons au bénéfice de l’Allemagne. On estime qu’en 1944 l’ensemble des prélèvements allemands, qui ont toutes les apparences d’un pillage pur et simple, équivaut au tiers du PNB français de 1939. Face à ces contraintes considérables, dont il est en partie responsable, le gouvernement de Vichy institue dès le mois de septembre 1940 un rationnement qui s’étend peu à peu à
tous les produits et s’accompagne d’une taxation générale des prix et des salaires. Après le pain, le sucre et les pâtes, rationnés dès l’été 1940, tous les produits de consommation courante (les aliments mais aussi les chaussures ou le papier) sont frappés en octobre 1941. La population est divisée en huit catégories ayant droit à des rations alimentaires différentes : E (enfants de 0 à 3 ans), J1, J2, J3 (enfants et adolescents de 3 à 21 ans), T (travailleurs de force de 21 à 70 ans), F (femmes enceintes), A (adultes de 21 à 70 ans), V (vieillards de plus de 70 ans). Les travailleurs de force, les enfants et les femmes enceintes reçoivent davantage de tickets de rationnement que les autres. Le régime de Vichy utilise le système de répartition des denrées comme un levier de sa politique familiale : les familles nombreuses se voient ainsi octroyer des suppléments. En raison de l’aggravation de la situation économique, les rations ne cessent de diminuer progressivement. La ration de pain d’un adulte parisien passe de 350 grammes par jour en 1940 à moins de 300 grammes en 1943, tandis que celle de viande chute de 360 à 120 grammes par semaine. En 1944, l’alimentation journalière en ville n’apporte que 1 200 calories en moyenne par personne (entre 1 500 et 1 800 avec le recours au marché noir), et nombreux sont les cas de malnutrition à la Libération. Les médicaments et le charbon manquent tout autant, et en hiver les citadins doivent se terrer dans des appartements glaciaux. Devant cette pénurie généralisée, il faut recourir au « système D » et aux ersatz : forte consommation de rutabagas et de topinambours, faute de pommes de terre, ou transformation des voitures en « gazogènes », faute d’essence. Cette population mal nourrie, mal soignée et peu ou pas chauffée offre, surtout à la fin de la guerre, un terrain favorable aux maladies infectieuses. À Paris, les cas de tuberculose sont multipliés par six entre 1939 et 1944, et, lors du rétablissement de la conscription, l’armée doit réformer pour insuffisance de taille ou de poids près du tiers du contingent des classes 1944 et 1945. • Marché noir et reclassements sociaux. Cette pénurie généralisée encourage les trafics les plus divers. On peut trouver de tout - ou presque - au marché noir, mais à des tarifs évidemment bien plus élevés (couramment de trois à six fois supérieurs) que les prix officiels. Ainsi, une bicyclette, presque un objet de luxe alors, peut coûter plus de 6 000 francs, soit trois à quatre fois le salaire mensuel d’un ouvrier. L’existence de circuits commerciaux clandestins, ainsi que le blocage des salaires suscitent l’apparition de nouvelles hiérar-
chies sociales. À l’appauvrissement des classes moyennes salariées et urbaines s’opposent la relative aisance des paysans et des commerçants, et le spectaculaire enrichissement de spéculateurs et d’intermédiaires de tout poil. Les paysans sont les moins frappés par le rationnement. Ils parviennent, par divers procédés, à camoufler une partie de leurs récoltes et à minorer les livraisons obligatoires au service du ravitaillement de Vichy ou à l’armée allemande. Ces dissimulations sont parfois motivées par des considérations patriotiques, et de nombreux maquis sont ravitaillés par la population rurale. Mais, le plus souvent, elles sont destinées à satisfaire les besoins des paysans eux-mêmes, ou à alimenter divers trafics. Ainsi, l’autoconsommation paysanne double quasiment durant la guerre, et on estime que, pour la viande, elle absorbe le tiers de la production, la proportion atteignant 50 % pour le porc. En raison de leur position d’intermédiaires, les commerçants sont également privilégiés, et certains s’enrichissent de façon insolente. Indice parmi d’autres de cette opulence nouvelle, le nombre des faillites commerciales est divisé par dix par rapport à l’avant-guerre. Ces « BOF » (« beurre-oeufs-fromage ») arrivistes fournissent, après la guerre, la matière à une littérature au vitriol (Au bon beurre, de Jean Dutourd, ou Uranus, de Marcel Aymé), qui dénonce non seulement leur enrichissement scandaleux, mais leur prétention à camper la morale patriotique. À la tête du marché noir se forme une véritable « aristocratie de la combine » qui fait fortune et qui est, au total, très peu touchée par l’épuration de 1944-1945. Ces milieux sont souvent de mèche avec les autorités allemandes : malgré la volonté officielle des Allemands et de Vichy de réprimer les trafics, la frontière entre marché noir à grande échelle et collaboration économique est ténue. En revanche, les milieux urbains salariés sont durement frappés. Il faut réactiver (ou susciter) des réseaux familiaux ou d’amitié avec les campagnes pour se procurer les indispensables denrées introuvables par les circuits officiels. On voit ainsi, en fin de semaine, de véritables cortèges de citadins prendre d’assaut les gares et les trains, et se répandre dans les campagnes à la recherche qui d’un lapin, qui d’une botte de carottes. En dépit des allocations du Secours national de Vichy, les personnes âgées isolées ou les femmes dont le mari est prisonnier en Allemagne connaissent des conditions de vie particulièrement éprouvantes. LES GERMES D’UN RENOUVEAU
Malgré la dureté des temps, l’Occupation, dans bien des domaines, est aussi une période d’intense fermentation et de renouveau. Nombre des éléments du « miracle » français des années 1950 sont en germe sous la botte nazie. • Un bilan démographique contrasté. La démographie présente sans doute le mélange le plus troublant d’affaiblissement et de renouveau. Les pertes humaines sont en effet importantes. De 1940 à 1944, on compte environ 600 000 victimes (250 000 militaires et 350 000 civils), parmi lesquelles 140 000 déportés « raciaux » et politiques, près de 60 000 victimes des bombardements et 25 000 personnes fusillées par les Allemands. À ces pertes directes, il convient d’ajouter 300 000 départs d’étrangers et un excédent des décès sur les naissances évalué à 500 000. Au total, la population française perd quelque 1,4 million d’individus (contre 2 millions durant la Première Guerre mondiale). Comme cela est prévisible, la mortalité progresse, surtout à la fin de la guerre, quand à la désorganisation de l’économie s’ajoutent les ravages des downloadModeText.vue.download 669 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 658 combats de la Libération. Le taux de mortalité infantile, en particulier, connaît un apogée inquiétant : déjà fort avant la guerre (70 ‰), il atteint, en 1945, un « record » historique (113 ‰). Pourtant, cette progression de la mortalité demeure limitée et, surtout, elle est compensée par un phénomène totalement imprévisible : la reprise de la natalité. Après avoir connu un minimum lui aussi historique en 1942, celle-ci se redresse en 1943, et, à la fin de la guerre, il naît en France plus d’enfants qu’en 1939 (612 000 naissances en 1939, 627 000 en 1944, 840 000 en 1946) : le baby-boom est engagé. Il est malaisé d’expliquer ce phénomène, qui n’est d’ailleurs pas propre à la France, et que l’on observe, à la même date, dans l’ensemble des pays de l’Europe du NordOuest et de l’Amérique du Nord. Alfred Sauvy a évoqué le rattrapage des mariages et des naissances retardés pendant la crise économique des années 1930. Des sociologues ont invoqué des ressorts psychologiques plus profonds : repli, en période difficile, sur la sphère et les valeurs familiales (le nombre de suicides s’effondre durant la guerre). Enfin,
les politiques natalistes de la IIIe République finissante (Code de la famille, de Daladier, en 1939) et de Vichy ont pu jouer, mais il est difficile de déterminer avec précision la part de leurs effets. Toujours est-il que la France, pays que l’on croyait soumis au déclin démographique et pour lequel les élites politiques des années 1930 redoutaient le choc d’une nouvelle guerre, entamait, durant le conflit, un spectaculaire redressement. • La culture, un refuge ? Dans les domaines de l’art et de la pensée, le renouveau est tout aussi manifeste. Malgré les pesantes censures de Vichy et des Allemands (et, parfois, grâce à elles), une génération d’auteurs et de penseurs émerge. Observons, en premier lieu, que la défaite et l’Occupation ne ralentissent pas le rythme de la production artistique, bien au contraire. Jamais les Français ne sont allés autant au spectacle et n’ont lu autant de livres que sous l’Occupation. Théâtres, cinémas, music-halls, salles de concerts, bibliothèques, restaurants, affichent complet en permanence. À Paris, la vie artistique continue comme si de rien n’était, et les galas succèdent aux premières mondaines. Très rares sont les vedettes du cinéma ou de la chanson de l’avant-guerre qui, tels Jean Gabin, Michèle Morgan, Jean Renoir ou René Clair, optent pour l’engagement dans la Résistance ou, simplement, choisissent de poursuivre leur carrière à Hollywood. L’émigration intellectuelle est plus considérable, et, à New York, derrière Jules Romains, Jacques Maritain, Jean Perrin, Claude Lévi-Strauss, Henri Focillon ou André Maurois, ou en Amérique latine, avec Georges Bernanos, Louis Jouvet, Roger Caillois ou Jules Supervielle, finit par se constituer un véritable « Collège de France en exil ». Dans certains domaines tels que le cinéma, la censure provoque une forte diminution de la production française (une cinquantaine de longs métrages par an, contre une centaine avant la guerre), dorénavant enrégimentée par la Continental, filiale de la firme allemande UFA. Toutefois, protégé par l’interdiction des productions américaines, le cinéma français connaît peut-être sous Vichy quelques-unes de ses plus belles années. Une génération entière de nouveaux réalisateurs (Henri-Georges Clouzot, Jacques Becker, Robert Bresson, Claude Autant-Lara, Jean Cocteau) et d’acteurs (Jean Marais, Jean Desailly, Madeleine Sologne) apparaît, tandis que d’autres, déjà connus (Marcel Pagnol, Marcel Carné), continuent à produire. La veine du « réalisme poétique » fournit alors ses plus grands chefs-d’oeuvre (les Enfants du paradis, 1942-1944 ; les Visiteurs du soir, 1943), favori-
sée par son apparent désintérêt pour les questions politiques. Au théâtre, on donne la Reine morte, de Montherlant, et Jean-Louis Barrault monte le Soulier de satin, de Claudel. Ici aussi, une génération nouvelle s’affirme, de Sartre (Huis clos) à Camus (Caligula), en passant par Anouilh (Antigone). Sous la houlette du Comité national des écrivains, une génération d’écrivains résistants perce également : Aragon, Desnos, Eluard, Vercors, Seghers, Tardieu. Élément plus superficiel de ce renouveau, la jeunesse dorée zazoue, par ses coupes de cheveux, ses tenues vestimentaires, sa mixité affichée ou son goût pour le jazz américain, n’en annonce pas moins les nouvelles attirances des adolescents des années 1950. • La génération de l’ombre. Le personnel politique est, sinon rajeuni (de Gaulle a 54 ans en 1944), du moins profondément renouvelé, à l’exception des communistes. Les grands noms de la IIIe République s’effacent devant les « hommes partis de rien » issus de la Résistance : Soustelle, Defferre, Mitterrand, Chaban-Delmas, Debré, Bourgès-Maunoury, Bidault ou Pleven. D’une façon plus générale, dans la clandestinité ou en exil, un intense effort de réflexion et de proposition nourrit la pensée française. Cet effort fournit l’armature des grandes réformes de la Libération. Planification, nationalisations, Sécurité sociale, mais aussi démocratisation de la culture, réforme du système éducatif, régénération de l’armée, nouveau cadre des relations avec l’empire, réorganisation de la presse, redéfinition des relations entre les États : toutes les promesses, pas toujours tenues (le pouvaient-elles ?), de la Libération sont nées sous l’Occupation. OCM (Organisation civile et militaire), mouvement de Résistance de zone nord. L’OCM résulte de la convergence de plusieurs initiatives. Dès l’été 1940, Jacques Arthuys, un industriel qui a milité au Faisceau de Georges Valois, diffuse des tracts hostiles à l’armistice. Il se lie avec des officiers (les colonels Heurteaux et Touny), eux-mêmes en contact avec diverses amicales d’anciens combattants. À la fin de 1940, ces militaires sont rejoints par des militants de la Confédération des travailleurs intellectuels, tel Maxime Blocq-Mascart. L’OCM mène de front la constitution de réseaux paramilitaires et la diffusion d’une active propagande. Après l’arrestation d’Arthuys (décembre 1941), le colonel Touny prend en charge les affaires militaires tandis que BlocqMascart dirige les activités politiques ; sous sa direction, les Cahiers de l’OCM publient, du-
rant l’été 1942, l’une des plus imposantes synthèses intellectuelles de la Résistance. Après avoir tenté, dès1941, d’unifier la Résistance en zone nord, l’OCM est intégrée au Conseil national de la Résistance (CNR) en mai 1943. Du fait de l’engagement nationaliste de certains de ses dirigeants et de ses appuis dans la haute industrie (auprès de Pierre Lefaucheux, directeur de la Compagnie des fours - et futur patron de Renault -, ou d’André Lepercq, le puissant président du Comité d’organisation des houillères), l’OCM est assimilée à une organisation de droite. Cette appréciation doit être nuancée, comme le montre la forte présence, dans l’entourage de Blocq-Mascart, d’anciens collaborateurs du radical-socialiste Jean Zay. octobre 1789 (journées des 5 et 6), journées révolutionnaires marquées par la marche des Parisiennes sur Versailles dans le but de réclamer du pain et d’obtenir la promulgation des décrets des 5 et 11 août 1789 sur l’abolition des privilèges et du régime féodal, et à l’issue desquelles la famille royale est ramenée à Paris. Les semaines qui suivent la nuit du 4 août 1789 se déroulent dans un contexte économique difficile : partout, les files d’attente s’allongent devant les boulangeries, tandis que les domestiques sont au chômage et que les industries de luxe périclitent. Dans une agitation parisienne quotidienne s’expriment les craintes d’un complot contre les premiers acquis de la Révolution, d’autant plus que, fin septembre, les décrets des 5 et 11 août et la Déclaration des droits de l’homme n’ont pas encore reçu l’approbation de Louis XVI. Le 1er octobre, les officiers du régiment de Flandre, nouvellement arrivé à Versailles, tiennent banquet, foulent aux pieds la cocarde tricolore puis arborent les couleurs de la reine. La presse patriote appelle à la vengeance. En réponse, mais aussi pour demander du pain, des milliers de Parisiennes se réunissent le 5 octobre à l’Hôtel de Ville : marchandes, lavandières, couturières, poissardes mais aussi bourgeoises, elles forment un cortège qui se dirige sur Versailles. L’Assemblée est envahie, une délégation y exprime la faim qui tenaille le peuple, la crainte des complots et des mauvais conseils donnés au roi. Six femmes sont ensuite députées auprès de Louis XVI, qui promet une distribution de pain dans Paris et la signature des décrets et de la Déclaration des droits.
Si ce mouvement populaire est initialement autonome, le pouvoir municipal parisien s’emploie bientôt à récupérer ce courant qui menace de lui échapper. La Fayette, à la tête de la Garde nationale, se pose finalement en arbitre et incite à demander le retour du roi et de sa famille à Paris. Le 6, les manifestants pénètrent dans le château ; un ouvrier puis des gardes sont tués. Louis XVI accepte alors de revenir dans la capitale. Le cortège qui ramène « le boulanger, la boulangère et le petit mitron » compte 30 000 personnes. La famille royale, bientôt suivie par l’Assemblée, s’installe aux Tuileries, désertées par les rois de France depuis Louis XIV : ce qui a d’abord eu le caractère d’une émeute de la faim s’achève par une victoire politique. Les journées d’octobre constituent un tournant de la Révolution : désormais le pouvoir downloadModeText.vue.download 670 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 659 royal est soustrait à l’influence de la cour et placé sous la menace de la révolution populaire parisienne. octobre 1961 (manifestation du 17), manifestation pacifique d’Algériens, à Paris, en pleine guerre d’Algérie, qui se solde par une répression sanglante. Le 5 octobre 1961, pour lutter contre le FLN, responsable en trois ans de la mort de 42 policiers, Maurice Papon, préfet de police, demande « de la façon la plus pressante aux travailleurs algériens », alors citoyens français, de ne plus sortir entre 20 heures et 4 heures 30. Le FLN proteste contre ce couvre-feu discriminatoire en organisant des rassemblements, le 17 au soir, sur les Champs-Élysées, les grands boulevards, et dans d’autres lieux parisiens. L’intervention, très violente, de la police entraîne, selon la version officielle, la mort de 2 manifestants (auxquels s’ajouteraient 64 blessés) ; en outre, 11 538 personnes sont arrêtées et quelque 1 500 d’entre elles, contraintes de retourner en Algérie. Mais le journal le Monde révèle que plus de 60 cadavres ont été retrouvés dans la Seine et dans des fourrés, et le FLN avance le chiffre de 200 morts et de 400 disparus. La revue les Temps modernes parle de pogrom ; le député centriste Eugène ClaudiusPetit, grand résistant, demande au Parlement si la France va connaître « la honte du croissant
jaune après celle de l’étoile jaune » et clame que « la bête hideuse est lâchée ». Pourtant, le silence retombe vite. Ces événements tragiques rencontrent peu d’écho dans la presse et l’opinion. L’opposition de gauche préfère plutôt commémorer la manifestation du métro Charonne du 8 février 1962, avec ses huit victimes - métropolitaines. Même si des témoignages sont constamment restés disponibles, comme celui de Simone de Beauvoir à la fin de la Force des choses, il a fallu trente ans - une génération - pour qu’on reparle vraiment de ces « ratonnades d’octobre », oubliées comme l’ont été, symétriquement, les massacres de harkis lors de l’indépendance algérienne. En octobre 1997, le gouvernement de Lionel Jospin s’est engagé à permettre l’ouverture des archives, notamment celles de la préfecture de police, afin de faire la lumière sur la répression. office, sous l’Ancien Régime, mode habituel d’exercice du service public. À l’origine, l’office est une fonction confiée par le roi à l’un de ses serviteurs pour la gestion du domaine royal. Lorsque s’affirme le pouvoir monarchique, l’office se transforme en délégation partielle de l’autorité du souverain. Mais, dès le XVe siècle, de nombreuses charges sont devenues viagères, et l’excès d’indépendance des officiers, particulièrement visible lors de la Fronde, conduit la monarchie à développer une autre forme de délégation de pouvoir : la commission, révocable et rétribuée. Cependant, malgré l’apparition de commissaires tels que les intendants, l’exercice des fonctions publiques reste en très grande majorité, jusqu’à la Révolution, le fait d’officiers inamovibles (sauf pour faute très grave) et propriétaires de leur charge. Ils sont donc indépendants du pouvoir et font souvent passer leur intérêt personnel avant le bien public. Il existe des officiers militaires et des officiers civils - de justice, de finance, de ville (police). À la fois titre, dignité, fonction, l’office est aussi un objet de commerce et devient, aux XVIe et XVIIe siècles, l’expédient par excellence des finances royales. Sa vénalité se généralise dès le règne de Louis XII. En 1522 est créé le Bureau des parties casuelles, où est versée la finance des nouveaux offices. Henri IV puis Richelieu aggravent le phénomène en rendant héréditaires la plupart des offices (moyennant le paiement de la paulette, un impôt annuel créé en 1604) et en multipliant abusivement leur nombre pour faire face à une situation financière dramatique engendrée par la guerre contre la maison d’Autriche. On mesure au XVIIIe siècle les dangers
de cette confusion entre puissance publique et propriété privée, lorsque la magistrature, composée à 98 % d’officiers, travaille à saper les fondements de l’autorité royale. La vénalité des offices a joué un rôle important dans la société d’Ancien Régime, comme facteur de mobilité sociale. Il existe des offices à tous les prix, et certains donnent la faculté d’accéder à la noblesse : ces « savonnettes à vilains » permettent d’intégrer des hommes nouveaux. Mais, à ce titre, surtout entre 1610 et 1650, période où l’on observe une véritable spéculation sur le prix des offices, ces charges mobilisent des hommes qui se seraient investis plus utilement dans le commerce et l’industrie. Supprimée une première fois en 1771 par le chancelier Maupeou, mais rétablie trois ans plus tard, la vénalité des offices disparaît en même temps que les privilèges dans la nuit du 4 août 1789. Son principe est pourtant recréé en 1816 pour certaines charges, telles celles de notaire, d’agent de change, de commissaire-priseur. Cette survivance de l’Ancien Régime s’est ainsi perpétuée jusqu’à nos jours. Olier (Jean-Jacques), fondateur de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice (Paris 1608 - id. 1657). D’une famille de noblesse de robe, Olier aurait pu facilement devenir évêque mais, après avoir songé à se faire chartreux, c’est à la vie paroissiale qu’il consacre sa vie. Ordonné en 1633, il participe, sous l’influence de Vincent de Paul, à des missions rurales, notamment en Auvergne et en Bretagne. Cependant, son directeur de conscience, l’oratorien de Condren, le convainc de l’urgence de la formation du clergé séculier, alors que les premières expériences de séminaire, préconisées par le concile de Trente, n’avaient eu qu’un succès mitigé. Devenu curé de Saint-Sulpice en 1642, il y transporte le séminaire qu’il a fondé l’année précédente à Vaugirard. Associés au travail paroissial, les séminaristes, venus de toute la France, font en même temps l’expérience d’une vie commune strictement réglée. Parfois sévère, au point de provoquer une émeute de ses paroissiens en 1645, mais aussi hostile au jansénisme, Olier fonde une tradition exigeante sans s’écarter de l’orthodoxie. Auteur spirituel dans la lignée de Bérulle (Catéchisme chrétien pour la vie intérieure, 1656), il fut l’exemple vivant du prêtre tridentin, tout imbu d’une haute idée du sacerdoce par lequel Dieu appelle « à la dignité de sacrificateur de son Verbe ». À travers les séminaires sulpiciens, qui se multiplièrent jusqu’au Ca-
nada, cet idéal marqua durablement le clergé français. Ollivier (Émile), homme politique (Marseille 1825 - Saint-Gervais-les-Bains, HauteSavoie, 1913). Avocat républicain, lié à Ledru-Rollin, il est nommé préfet des Bouches-du-Rhône en février 1848 ; il entretient alors de bons rapports avec l’évêché et laisse en place l’administration monarchiste. Lorsqu’à la fin du mois de juin éclate une émeute ouvrière, il cherche d’abord l’apaisement, puis mène une répression modérée, qui mécontente tous les camps. Cavaignac le mute à la préfecture de Haute-Marne, puis Louis Napoléon Bonaparte lui retire toute responsabilité en janvier 1849. Après le coup d’État du 2 décembre 1851, alors que son père est proscrit, Émile Ollivier choisit d’agir dans le cadre du régime. Député de Paris en 1857, il prête serment à Napoléon III afin de pouvoir siéger, mais intervient en 1858 contre la loi de sûreté générale, ou en 1862 pour mettre en doute l’évolution libérale du régime. Cependant, dès 1860, il approuve la politique italienne et douanière de l’empereur. En 1862, Morny, soucieux de faire preuve d’ouverture, lui propose d’être porteparole d’un futur ministère. Ainsi, Émile Ollivier rompt en 1864 avec les républicains en devenant rapporteur de la loi sur le droit de coalition, sacrifiant les principes politiques au progrès social. La mort de Morny, en 1865, le laisse isolé face à Rouher et aux bonapartistes autoritaires, et, aux élections législatives de 1869, il est battu à Paris par un républicain intransigeant. À la tête du Tiers Parti, il est cependant élu dans le Var, et Napoléon III le charge, en 1870, de former le gouvernement. Figure centrale de l’Empire parlementaire, Ollivier prépare le retour au protectionnisme, la décentralisation, ainsi que la création d’universités catholiques exigée par les notables cléricaux de son parti. Par ailleurs, il envoie la troupe contre les ouvriers du Creusot, ou fait emprisonner les délégués de l’Internationale. Bien que peu enclin à une guerre avec la Prusse, il dit néanmoins l’assumer d’un « coeur léger » : cette déclaration malheureuse, qui est suivie des premières défaites, lui vaut d’être mis à l’écart ; sa carrière politique prend fin malgré plusieurs tentatives pour se faire réélire dans le Var. Il a souvent été accusé de traîtrise - en raison de son ralliement à Napoléon III - et tenu en partie responsable de la défaite de 1870. Son engagement répondait en fait à une volonté sincère de réformer le régime dans un sens social et libéral, position
difficilement tenable avec des alliés conservateurs. Quant à la seconde accusation, elle est infondée. Mais la IIIe République, héritière de l’opposition intransigeante sous l’Empire, ne pouvait que condamner sa mémoire. Onze Novembre, jour anniversaire de l’armistice de 1918, qui a mis fin à la Première Guerre mondiale. Le 11 novembre 1918, à 11 heures, l’armistice entre en vigueur. Cet événement a tout de suite une résonance extraordinaire : il suscite une grande liesse à l’arrière et particulièrement à downloadModeText.vue.download 671 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 660 Paris, beaucoup d’émotion et un intense soulagement sur le front. D’emblée, le 11 novembre revêt une double signification : joie de la victoire, affliction pour les morts. Cette dualité est bien marquée par l’éloquence de Clemenceau : « Honneur à nos grands morts qui nous ont fait cette éternelle victoire. Quand les vivants passeront devant nous en marche vers l’Arc de triomphe, nous les acclamerons. Grâce à eux, la France, hier le soldat de Dieu, aujourd’hui le soldat de l’humanité, sera toujours le soldat de l’idéal. » Le 11 novembre 1920, on inhume le soldat inconnu sous l’Arc de triomphe. Pourtant, les anciens combattants doivent militer pour que le 11 novembre devienne un jour férié légal - ce qui faillit ne pas être le cas ; en 1921, on fêta l’armistice le dimanche 13 novembre - car, pour eux, il s’agit d’une date fondatrice : « Notre dignité nous impose de rendre hommage à nos chers morts au jour anniversaire où l’infâme tuerie cessa. » La volonté est nette : il ne s’agit pas ici de fêter la victoire mais la fin de la guerre et donc de pleurer les morts. Novembre étant le mois du deuil dans le calendrier catholique, l’aspect funèbre de la journée est d’autant plus marqué. À partir de 1922, le 11 novembre - fête de l’armistice - devient un jour férié et donne lieu rapidement à un véritable culte civil de la République. À 11 heures, les habitants des communes se rassemblent autour des monuments aux morts : drapeaux, crêpe noir, fleurs, discours, créent une pédagogie morale et civique. Hommes et femmes qui ont connu la guerre partagent leur expérience avec les plus jeunes ; lorsque le nom d’un disparu est prononcé, les enfants répondent par un solennel « Mort pour la France ! », comme en un amen laïque. Le temps de la cérémonie, les morts rejoignent les vivants. Le sens
des discours repose presque toujours sur un diptyque : grâce aux morts, la vie continue car elle trouve sa force dans l’exemple héroïque des combattants. Cet extrait d’une allocution prononcée un 11 novembre en témoigne : « Nous avons horreur de la guerre qui vous a pris à notre affection, mais si par malheur notre pays était encore une fois injustement attaqué, si notre liberté se trouvait menacée, si le droit était violé, nous saurions, nos enfants sauraient, comme vous, mourir pour la France. » Les tout premiers résistants qui se rassemblent sous l’Arc de triomphe dès le 11 novembre 1940 ont médité la leçon de ce jour, tous comme ceux qui, de 1941 à 1943, choisissent la date du 11 novembre pour manifester, par des coups d’éclat contre les occupants ou les collaborateurs, leur attachement indéfectible à la patrie. oppidum, mot latin signifiant « ville fortifiée », repris dans la littérature archéologique pour désigner les premières villes du monde celtique. L’étymologie du mot oppidum n’est pas définie avec certitude. Les auteurs latins emploient ce terme par opposition à urbs (« ville »), souvent réservé à Rome, « la » ville par excellence. Dans sa Guerre des Gaules, César désigne fréquemment les villes gauloises sous le nom d’oppidum (pluriel : oppida), mais emploie parfois le mot urbs pour insister sur l’importance des agglomérations conquises. Les archéologues ont repris ce terme pour les sites fortifiés de l’âge du fer, dans la mesure où leur nature de « ville » n’est pas toujours claire, parfois faute de fouilles. La « ville » suppose, en effet, non seulement une certaine taille, mais aussi un plan d’ensemble et des fonctions bien individualisées (voiries, places publiques, sanctuaires, espaces privés, centres de pouvoir, etc.). Dans le midi de la France, le terme d’oppidum désigne l’émergence précoce de phénomènes proto-urbains indigènes, en partie liés à l’activité commerciale des Grecs, Étrusques, Phéniciens et Romains. Dès le milieu du VIIe siècle avant notre ère, la pierre et la brique crue (une technique grecque) tendent à remplacer peu à peu le bois et le torchis dans l’architecture indigène. À partir du Ve siècle avant J.-C., commence le véritable essor des oppida, avec de nouvelles implantations, comme Ambrussum, Entremont ou Nages, et une augmentation de la taille des sites et de leur nombre. Ces oppida, qui ont
des murailles renforcées de tours et présentent un strict urbanisme orthogonal, couvrent chacun une surface qui ne dépasse toutefois guère 5 hectares. Après la conquête romaine de 121 avant J.-C., ces agglomérations seront peu à peu abandonnées ou fortement réaménagées, au profit des implantations de Rome. La moitié nord de la France appartient au monde celtique traditionnel (civilisation dite « de La Tène »). Après l’essor éphémère des « résidences princières » de la culture de Hallstatt (comme à Vix) à la fin du VIe siècle avant notre ère, ce n’est que plus de trois siècles plus tard que l’on assiste à l’émergence progressive d’une « civilisation des oppida ». Ceux-ci se présentent sous la forme de sites de grande surface, atteignant environ 50 à 100 hectares, implantés sur des hauteurs (mont Beuvray, Gergovie, Besançon, Alésia) ou adossés à des cours d’eau (Villeneuve-Saint-Germain, Variscourt). Ce sont des centres à la fois politiques, religieux et économiques, entourés de remparts en terre ou en bois et pierre (murus gallicus). De plus grande taille et beaucoup plus espacés l’un de l’autre que dans le Midi, ils semblent témoigner d’une urbanisation plus lente et aussi plus autonome. Avec la conquête romaine de 52 avant J.-C., leur destin sera néanmoins identique. opportunisme, nom donné à la pratique politique des républicains de gouvernement qui prônent, dans les années 1880, une action modérée pour établir définitivement la République. Les opportunistes ne se sont pas définis comme tels : le qualificatif est attribué par les radicaux à un ensemble de forces politiques du centre et du centre gauche, portées au pouvoir, essentiellement entre 1879 et 1885. Ces partis sont au nombre de trois : en premier lieu, le Centre gauche de Jules Dufaure, dont l’importance décroît vite à l’Assemblée, mais qui conserve une influence dans la presse et les milieux d’affaires ; ensuite, la Gauche républicaine de Jules Ferry et Jules Grévy ; enfin, l’Union républicaine de Léon Gambetta, plus proche des radicaux. Ces partis sont divisés sur bien des points ; mais ils se rassemblent autour d’une conception de l’action politique - pragmatique et à l’abri des poussées radicales des extrêmes -, dans le but de consolider la victoire de la République acquise après la crise du 16 mai 1877 : quand Ferry propose de « limiter avec soin le champ des réformes pour le parcourir
plus sûrement », il répond à Gambetta, qui revendique une « politique de transactions, car seules les transactions peuvent amener des résultats ». L’un et l’autre entendent donc gouverner au centre, face aux deux périls, monarchique et d’extrême gauche. Ils s’accordent sur le mode de gouvernement, mais, plus profondément, il existe une idéologie opportuniste, héritière du positivisme, pour laquelle l’histoire se résume à une longue marche de la barbarie vers la civilisation, et à la victoire de la science sur l’ignorance. L’opportunisme exprime une conception de la société, de l’État et de la nation, dont les maîtres mots sont ordre et progrès, liberté et laïcité, mais aussi rayonnement de la France dans le monde. Cette philosophie imprègne l’ensemble de l’oeuvre législative accomplie entre 1879 et 1885. En effet, c’est sous les gouvernements opportunistes que sont votées les grandes lois de la IIIe République. Lois de libéralisation, d’abord : liberté de la presse, liberté syndicale et droit de tenir des réunions, libertés municipales (désormais, le conseil a le droit d’élire son maire). Politique scolaire, ensuite : gratuité, laïcité et obligation de l’enseignement primaire, les objectifs avoués étant de séculariser l’État et la vie sociale, de combattre l’influence et l’autorité du clergé. Politique coloniale, enfin : pour assurer la « mission civilisatrice » de la France dans le monde, un argument fort auquel même Gambetta, l’homme de la « revanche », se ralliera. L’opportunisme ne saurait donc se résumer à un ambigu art du possible. Il a la cohérence d’un programme, qui s’exprime tant dans les discours que dans l’action des républicains de gouvernement. or. Même si les historiens d’aujourd’hui tempèrent la fameuse formule de Fernand Braudel selon laquelle « les chapitres de l’histoire du monde se rythment à la cadence des fabuleux métaux », l’or n’en a pas moins une grande importance en Europe occidentale jusqu’au début du XXe siècle. En France comme dans le reste de l’Europe, l’or joue un rôle historique en tant que monnaie plutôt que parure ou fétiche, bien que ces trois éléments soient intimement liés. Après la chute de l’Empire romain d’Occident, le métal jaune disparaît de la circulation monétaire pendant plusieurs siècles et est mis à l’abri dans les trésors publics et privés, en
particulier religieux. Il est vrai que l’Occident produit peu d’or, et que celui-ci est mobilisé par les dépenses somptuaires. Par la suite, quelques pièces tel l’écu de Saint Louis (à l’imitation du florin de Florence et du ducat vénitien) circulent pour certaines grosses transactions, mais l’or reste marginal, ce qui limite les échanges commerciaux avec l’Europe méditerranéenne et Byzance, et cloisonne l’activité économique en une marqueterie de communautés étanches les unes aux autres. Vers la fin du XVe siècle, l’or réapparaît de façon significative en Europe occidendownloadModeText.vue.download 672 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 661 tale. L’or africain des Portugais d’abord, puis l’or sud-américain, débarqué à Séville, sont transformés en pistoles, qui circulent dans toute l’Europe, malgré l’interdiction d’en exporter. La France en reçoit sa part grâce à ses exportations de produits manufacturés vers l’Espagne. Le fabuleux métal gagne la table des rois (salière de Cellini et vaisselle d’or de François Ier), mais il stimule aussi le commerce international, en France, en Italie, en Europe du Nord. « Notre or est tout en emploi et en commerce », remarque Montaigne. On observe ainsi une corrélation entre la disponibilité d’or et d’argent et la croissance économique. L’or n’est jamais, à lui seul, le moteur de la croissance, mais il en est l’une des composantes. De même, la frappe du métal précieux est une conséquence du développement économique et non une cause. Au XIXe siècle, l’étalon or est incontesté et la monnaie stable, soutenue par la production massive des mines californiennes, australiennes, sud-africaines, sibériennes. L’or est salué comme « la monnaie universelle », et la France est révérée comme « une nécropole de métaux précieux ». La loi de germinal (1803) définit le franc comme l’équivalent de 4,5 grammes d’argent dans un rapport de 15,5 à l’or - soit 0,29 gramme d’or -, une convertibilité qui reste valable jusqu’en août 1914, lorsque la guerre sonne le glas de l’ormonnaie et ouvre le temps de l’or-refuge. La question de l’or devient alors secondaire au regard des conceptions nouvelles de la monnaie, même si le fabuleux métal est toujours massivement thésaurisé par les Français, qui, plus que les autres, semblent conserver pour lui une étrange passion : les petits épargnants
chérissent le napoléon, et la Banque de France détient toujours le quatrième stock d’or du monde, pour des raisons qui semblent échapper à une stricte logique économique. Oradour-sur-Glane, village martyr de la Haute-Vienne dont la population a été assassinée par les nazis le 10 juin 1944. Les 7 et 8 juin 1944, la division « Das Reich » (Waffen SS), stationnée dans la région de Montauban depuis le mois d’avril, reçoit l’ordre de faire mouvement vers le front de Normandie. Sur son chemin, elle a aussi pour mission d’aider la Wehrmacht dans la lutte qui l’oppose aux nombreux maquis du Sud-Ouest et du Massif central. Dirigées par le général Lammerding, les unités de la division « Das Reich » se sont déjà illustrées par leur cruauté sur le front de l’Est ; en France, elles ont reçu le renfort de soldats alsaciens, les « malgré-nous », enrôlés de force dans la Wehrmacht comme dans la Waffen SS en vertu du décret du 25 août 1942. Face à la détermination des maquis FTP et des combattants de l’Armée secrète, Lammerding choisit la terreur : le 8 juin, il fait pendre 99 otages à Tulle. L’horreur atteint son paroxysme à Oradour-sur-Glane, où Dickmann, chef du 1er bataillon, ordonne à ses hommes de commettre un massacre, d’autant plus arbitraire que ce bourg du Limousin ne constitue guère un foyer de la Résistance : le 10 juin, 642 civils, presque toute la population d’Oradour, à laquelle s’ajoutent 44 réfugiés lorrains, sont assassinés ; les hommes sont fusillés au fond du garage et dans les granges, les femmes et les enfants, brûlés dans l’église. Dès les lendemains de la Libération, Oradour devient le symbole de la barbarie nazie : les ruines du village sont respectueusement conservées ; des visiteurs y affluent. Mais le procès des bourreaux, qui s’ouvre devant le tribunal militaire de Bordeaux en janvier 1953, est difficile : morts ou en fuite, les principaux responsables sont absents ; surtout, parmi les 21 inculpés, on ne compte que sept Allemands contre quatorze Alsaciens, dont douze ont été incorporés de force dans la SS. En vertu de la loi du 15 septembre 1948, ces derniers sont passibles d’un jugement et leur condamnation est réclamée par les rares survivants et l’ensemble de la population du Limousin, mais l’Alsace unie se mobilise en leur faveur, refusant de distinguer leur sort de celui des autres « malgré-nous ». Face aux risques que fait peser sur l’unité nationale l’affrontement de deux mémoires, les responsables poli-
tiques privilégient la raison d’État : condamnés à des peines de prison et de travaux forcés par le tribunal, les douze Alsaciens sont aussitôt amnistiés par le Parlement. Seuls les députés communistes se sont prononcés en bloc contre cette amnistie. L’Alsace est soulagée, mais les habitants et les élus de la Haute-Vienne sont durablement meurtris par ce qu’ils jugent être une « trahison » de l’État. Oratoire de France, appelé aussi Oratoire de Jésus et de Marie Immaculée, compagnie de prêtres séculiers vivant en communauté sans avoir prononcé de voeu. L’Oratoire de Jésus et de Marie Immaculée est fondée par Pierre de Bérulle le 11 novembre 1611 et obtient la bulle d’approbation de Paul V - Sacrosanctae - en 1613. Inspirée des oblats de Saint-Ambroise de saint Charles Borromée, la communauté désire « relever l’état de prêtrise ». Son fondateur entend sanctifier le prêtre sur le modèle du Christ, médiateur premier entre Dieu et les hommes. À cette fin, le clerc doit quotidiennement dialoguer en oraison avec le Fils, d’où le nom de la congrégation. Les prêtres doivent chaque jour célébrer la messe, faire une retraite annuelle d’une semaine et une courte retraite spirituelle chaque mois. Des heures sont affectées à l’étude des sciences sacrées. Sous la responsabilité épiscopale, les oratoriens sont appelés à accomplir leur charge en ignorant les choses profanes tels que les bénéfices. Cette volonté de perfection se marque par le port de la soutane à la manière des prêtres romains. Malgré un essor rapide, la compagnie s’essouffle après 1650. En 1702, elle compte 78 communautés et 581 Frères. Son recrutement, sélectif, touche essentiellement les élites urbaines de Paris, de Rouen, de Lyon, du Val de Loire et de la Provence. L’Oratoire est organisé de façon centralisée, autour d’un général élu et d’une assemblée des Pères, qui se réunit tous les trois ans. Son influence dépasse néanmoins son implantation. À travers les séminaires, lors des quatre grandes fêtes religieuses et durant les missions dans les églises paroissiales, l’oeuvre des oratoriens irradie l’ensemble du clergé. L’originalité pédagogique de leurs collèges est un atout supplémentaire bien qu’elle ne mette pas en péril la prédominance jésuite. Dans le collège d’Anjou (1624), le catéchisme et les mathématiques sont dispensés en français, et cette langue est tolérée lors des récréations et dans les petites classes. Une place est réservée à l’enseignement de l’histoire et des sciences exactes. Enfin, les régents choisissent plutôt
la persuasion que la contrainte disciplinaire. Cependant, au XVIIIe siècle, la crise janséniste et une certaine liberté d’esprit précipitent le déclin de la communauté. Ainsi, les thèses richéristes du Père Quesnel et la lecture critique des Écritures de Richard Simon sont condamnées. En outre, la qualité des nouveaux Pères et des régents s’affaiblit. Toutefois, la congrégation a réussi à imposer durablement l’image du « bon prêtre », relayée par les lazaristes, les sulpiciens et les eudistes. Après sa dissolution en 1792 et plusieurs restaurations au XIXe siècle, le Père Courcoux (1870-1951) organise la reconstitution de l’Oratoire en 1919. La congrégation se consacre désormais à « l’apostolat de la Science ». Ordonnance de réformation du royaume, grande ordonnance promulguée en 1254 par Louis IX au retour de la croisade d’Égypte afin de moraliser l’administration royale et l’ensemble du royaume. L’ordonnance est élaborée par le roi lui-même et par ses principaux conseillers, Jean de Maisons, Pierre de Fontaines et surtout le juriste Gui Foucois, futur pape sous le nom de Clément IV. Elle reprend des textes royaux antérieurs et certaines mesures appliquées dans ses domaines en 1251-1253 par le frère du roi, Alphonse de Poitiers. Elle tient compte des insuffisances de l’administration royale - révélées par l’enquête menée en 1247 - et de la volonté du monarque de gouverner avec un esprit de rigueur religieuse et morale qu’il a acquis au cours de la croisade et au contact de Frères franciscains comme Hugues de Digne. En premier lieu, l’ordonnance prévoit de nombreuses mesures destinées à assurer la moralité de l’action menée par les baillis et les sénéchaux. Il s’agit pour le roi de limiter les abus de pouvoir et la corruption de ses agents : les baillis et sénéchaux se voient ainsi interdire de contracter des emprunts, d’acheter des biens, de recevoir ou de donner des présents dans leurs circonscriptions, et même d’épouser une femme qui en serait originaire. Ils doivent mener une vie décente, assurer la protection des routes et le transport des marchandises, notamment en période de famine, et procéder publiquement à la nomination de leurs officiers subalternes. Enfin, à la cessation de leurs fonctions, ils doivent demeurer disponibles pour rendre compte de leur gestion et recevoir d’éventuelles plaintes de leurs administrés. D’autre part, l’ordonnance comprend des mesures concernant la « moralité publique » : elle réprime ainsi l’usure, le blasphème, les jeux de hasard ainsi que la prosti-
tution. En outre, elle engage les représentants du roi à pourchasser les juifs et à brûler les bibliothèques rabbiniques. La réforme de l’administration royale s’accompagne donc de la volonté de « purifier » le royaume tout entier. Presque toutes ces mesures sont reprises dans l’ordonnance générale de 1256 et dans les Enseignements du roi à son fils aîné. De noudownloadModeText.vue.download 673 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 662 velles enquêtes menées vers 1260 prouvent leur fréquente application. L’Ordonnance de réformation du royaume témoigne ainsi de la dimension « morale » de la politique royale après l’échec de la croisade. Incapable de délivrer les Lieux saints, Louis IX cherche à assurer son salut et celui du royaume en gouvernant en roi « juste et chrétien ». Ordonnances (Grande et Petite), ordonnances au moyen desquelles sont mises en place, au printemps 1445, les unités de base de l’armée permanente conçue par Charles VII. Afin d’apporter une solution durable au problème du mercenariat et d’instituer un outil militaire susceptible de mener à bien la reconquête du royaume, le roi enjoint aux bandes de soldats de se disperser et retient à son service, moyennant des gages régulièrement versés, quinze puis dix-huit compagnies. Chaque compagnie est formée de cent lances, une lance comprenant elle-même un homme d’armes, deux archers et trois servants montés. L’élément clé de la réforme est cependant moins d’ordre militaire qu’administratif. De telles unités ne sont guère novatrices sur le plan tactique, mais par leur discipline elles vont constituer une force décisive dans les campagnes de la fin de la guerre de Cent Ans ainsi qu’un outil de police permettant à la monarchie de tenir le royaume sous son contrôle, à partir d’un système de garnisons, et d’y faire respecter l’ordre. L’image traditionnelle selon laquelle les compagnies d’ordonnance constitueraient la première armée permanente en Europe est en partie simpliste, mais la portée de l’innovation est toutefois bien réelle, puisqu’en professionnalisant l’activité militaire et en offrant à la noblesse une carrière rémunérée au service du prince, elle rompt avec la tradition médiévale de la guerre et constitue un instrument décisif de la genèse de l’État moderne.
ordonnances de juillet 1830, ordonnances prises par Charles X dans le but de réduire à l’obéissance une opposition victorieuse lors des élections du 23 juin 1830. Prenant prétexte d’un article contenu dans la Charte de 1814 - « Le roi [...] fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l’exécution des lois et la sûreté de l’État » -, Charles X et son entourage (Polignac, Chantelauze, Peyronnet) accentuent le tournant réactionnaire du régime et fomentent un véritable coup d’État : le 25 juillet, quatre ordonnances sont signées et paraissent le lendemain matin dans le Moniteur universel. La première bafoue la liberté de la presse, les autres visent à saper les fondements de la monarchie constitutionnelle. La Chambre est dissoute, de nouvelles élections sont prévues pour septembre et les pouvoirs de l’Assemblée sont considérablement réduits par la diminution du nombre de députés et d’électeurs issus de la bourgeoisie censitaire. Des milliers de commerçants, de négociants ou d’industriels se trouvent ainsi exclus de l’électorat. La stratégie se révèle toutefois désastreuse. Les promoteurs des ordonnances, qui avaient espéré que ces mesures brutales prendraient les oppositions de court, trouvent en face d’eux un front homogène et déterminé : autour d’Adolphe Thiers, de Casimir Perier et de Jacques Laffitte se rassemblent les chefs de l’opposition, des centaines de journalistes, de typographes et d’étudiants. Les protestations et les rassemblements du 26 juillet donnent le signal de l’insurrection. En s’attaquant à la Charte de 1814, Charles X précipite sa chute. ordres (société d’), nom donné à la société d’Ancien Régime, présentée traditionnellement comme l’héritière des trois ordines du Moyen Âge : le clergé (premier ordre), destiné à la prière ; la noblesse (ou second ordre), destinée au métier des armes ; et le tiers (ou tiers état), voué au travail de la terre pour subvenir à ses besoins et à ceux des deux autres ordres par le biais des impositions fiscales et des prélèvements en nature. • Un système plus souple qu’il n’y paraît. Souvent, la société d’ordres n’est regardée que comme un ensemble de trois castes rigides, qui se serait effondré dans la nuit du 4 août 1789. À tort. En effet, le clergé se recrute aussi bien dans la haute noblesse (prélats, cardinaux, archevêques, évêques, princes de l’Église, abbesses) que dans la moyenne bourgeoisie (chanoines, voire abbés) ou dans le peuple aisé des campagnes (curés, vicaires,
religieuses). La noblesse, quant à elle, est une véritable nébuleuse car, à la différence du clergé, il n’y a point de date d’entrée individuelle dans l’ordre. Les diverses catégories de nobles se chevauchent, s’interpénètrent : noblesse de cour, qui peut être ancienne ou récente ; noblesse urbaine - de robe, le plus souvent -, donc issue de la riche bourgeoisie qui achète des offices ; noblesse rurale, vivant de la terre. L’ancienneté établit des distinctions au sein du second ordre : noblesse d’extraction chevaleresque, qui remonte aux croisades ; noblesse de simple extraction dont les aïeux sont connus depuis les XVe et XVIe siècles seulement ; noblesse récente des anoblis. Se superposent ensuite les critères de l’illustration et de la fortune, assez souvent diamétralement opposés à ceux de l’ancienneté du nom. • La suprématie de la gloire et de la fortune. Plus une famille est ancienne, plus les hommes riches et célèbres qui lui ont procuré sa noblesse sont éloignés dans le temps. Les anoblis tels les marins Jean Bart, Duquesne, Duguay-Trouin sont, quant à eux, des gloires de leur époque ; connus et fortunés comme Ducasse, ils comptent aux yeux du roi plus qu’un vieux gentilhomme dont l’extraction chevaleresque remonte au XIIe siècle ! En effet, à la notion d’ancienneté, que beaucoup croient - à tort - primordiale, le roi préfère celle d’illustration : noblesse célèbre de par ses services dans l’armée, l’Église ou la robe. De surcroît, l’argent détenu par les individus ou les familles bouleverse encore davantage cette vieille notion de société d’ordres. Certes, le noble est un privilégié qui jouit de droits (chasse, pêche) mais pas de toutes les exemptions fiscales : s’il est dispensé de la taille, impôt roturier, il paie en revanche capitation et dixième, créés en 1695 et en 1710. Et nombre de bourgeois le dépassent en fortune. Il est même des coqs de villages (le riche laboureur de La Fontaine) plus pourvus en terres et troupeaux que le hobereau famélique. • Une notion mise à mal par l’évolution historique. Dans un monde où la robe ennoblit avant d’anoblir, à partir d’Henri IV (la paulette), où le noble - par définition, récent - se prend pour un gentilhomme - par définition, ancien, puisque « si le roi peut faire un noble (par lettres), il ne peut jamais faire un gentilhomme » - ; dans un monde où les états généraux ne sont plus réunis de 1614 à 1789, où les « savonnettes à vilain » (certains offices) permettent aux bourgeois qui les achètent de se « laver » de leur initiale roture ; dans un
monde où la banqueroute de Law (1720) enrichit les domestiques en ruinant certains maîtres, et où les plus belles dots bourgeoises séduisent les meilleurs blasons à redorer ; dans un tel monde, la société d’ordres est une notion juridique, protocolaire (la girouette sur le toit, le banc seigneurial à l’église, les enfeus, les armoiries timbrées), voire fiscale, mais une notion très largement dépassée. D’ailleurs le roi ne convoque-t-il pas des « assemblées de notables » en 1787-1788 ? Et il faut attendre la Révolution - ô paradoxe - pour que la notion de société d’ordres se trouve brutalement remise au goût du jour dans un contexte plus entaché d’idéologie que soucieux des réalités. oriflamme, bannière de soie rouge et insigne sacré de la monarchie française. À l’origine, l’oriflamme est l’enseigne de l’abbaye de Saint-Denis, que Louis VI arbore en 1124 lors de ses conquêtes contre les seigneurs allemands. Considérée comme l’emblème de la victoire et de la défense de l’ordre monarchique contre les rebelles puis les infidèles, elle est déployée dans de nombreuses campagnes militaires des rois de France, comme à Bouvines (1214) ou pendant les croisades. Dès le début du XIIIe siècle, les chroniqueurs font remonter son origine à Charlemagne, la tenant pour l’un des symboles du combat des Francs pour la foi. Ensuite, la littérature des XIVe et XVe siècles attribue sa création à un rêve de l’empereur byzantin Manuel Comnène : ces récits reprennent à leur compte la prophétie racontant qu’un prince d’Occident muni de l’oriflamme viendrait délivrer Jérusalem de la mainmise des Infidèles. Enfin, à partir du milieu du XVe siècle, on prête à Clovis lui-même l’origine de l’oriflamme, qui lui aurait été transmise miraculeusement. Pourtant, dans les faits, l’oriflamme perd de son pouvoir symbolique : elle est déchirée et perdue à la bataille de Mons-en-Pévèle (1304) et s’avère peu mobilisatrice dans la lutte contre les Anglais au moment de la guerre de Cent Ans (notamment à Poitiers, en 1356). Elle n’est plus levée après 1418. À partir du règne de Charles VII, le roi de France se bat sous d’autres augures. orléanisme, courant politique constitué sous la monarchie de Juillet autour des idéesforces du nouveau régime : parlementarisme, libéralisme et ordre social. Chronologiquement, l’orléanisme succède au légitimisme, quand, en 1830, la branche cadette des Bourbons accède au trône. Sur bien des points, il fonde ainsi ses principes en réaction au régime politique qu’il supplante :
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DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 663 là où les ultras prétendaient rétablir un cours naturel des choses brisé par la Révolution, les partisans du régime de Juillet entendent au contraire renouer avec la continuité des idéaux de 1789. De même, les légitimistes asseyaient leur doctrine sur un attachement quasi religieux à la personne du souverain ; par comparaison, les orléanistes reconnaissent la fonction du monarque, légitime non en vertu d’un principe dynastique mais par le serment qu’il a passé devant la nation. Enfin, l’influence de la religion catholique, si présente et si nécessaire dans la philosophie ultra, est battue en brèche par le personnel politique orléaniste, qui revendique un gouvernement laïc. • Libéralisme et conservation sociale. À rebours de tout dogme absolu, l’orléanisme peut donc se définir comme un système de gouvernement nuancé, pensé pour répondre à la situation politique du moment : à ce titre, s’il intègre en 1830 le principe monarchique et le parlementarisme, il ne peut se résumer à ces deux notions. Plus qu’une doctrine, c’est un état d’esprit - le juste milieu - affirmé pour réconcilier le souverain et le peuple autour du compromis qu’offrent les institutions nouvelles. Cette évidente souplesse permet déjà de comprendre sa postérité, qui survit à l’évolution de la forme du régime, pour peu que soient préservées les valeurs du mode de société qu’il défend : il existe en effet une société orléaniste attachée à un double idéal de libéralisme économique et politique et de conservatisme social. La monarchie de Juillet est considérée comme le règne de la bourgeoisie : le régime correspond en effet aux aspirations d’une classe sociale attentive aux acquis de 1789, refusant le modèle de société hiérarchisée fondée sur la naissance et redoutant les aspirations démocratiques des classes populaires. Cependant, si l’orléanisme puise une large part de sa clientèle dans la bourgeoisie, le type de société qu’il promeut ne peut se confondre avec l’idéal d’une seule catégorie sociale. Il est davantage le gouvernement des élites, le pouvoir étant confié aux classes dirigeantes, aux notables, que la naissance, peut-être, mais surtout la fortune ou les talents ont mis au premier rang. En l’espèce, la formule de
Guizot - « Enrichissez-vous par le travail et par l’épargne » - est le parfait résumé d’une doctrine qui garantit l’ascension sociale par le travail et l’effort individuel plus que par les transformations révolutionnaires. Cet accent mis sur le libre arbitre de l’individu renvoie à ce qui est par excellence la philosophie politique de l’orléanisme : le libéralisme, qui ne peut être résumé à sa seule acception économique. L’idéal de liberté est en effet prégnant dans la doctrine orléaniste : liberté de penser, d’abord, qui s’exprime par l’importance donnée à l’enseignement et à l’Université, soustraite à la tutelle de l’Église ; liberté politique, ensuite, par un attachement sans faille au parlementarisme (c’est à la Chambre que les élites peuvent s’exprimer et participer à la vie de la nation) ; libéralisme économique, enfin, par le souci constant de laisser jouer les mécanismes de la libre entreprise. Gouvernement du juste milieu, pour les notables et par les notables, se défiant des transformations brutales et des manifestations démocratiques (le plébiscite bonapartiste comme le suffrage universel républicain), l’orléanisme associe donc libéralisme et conservatisme social. C’est dans cette dualité qu’il trouve sa cohérence et qu’il regroupe ses partisans au gré de l’évolution des régimes politiques : ces derniers appartiendront, en 1848, au parti de l’Ordre ; ils rallieront pour un temps, en 1869, l’Empire libéral. Mais, de la même manière, nombre d’entre eux soutiendront l’adoption de lois constitutionnelles républicaines en 1875. L’orléanisme, que son nom même semble lier à une époque, connaît en réalité une postérité sous les couleurs de la famille libérale. Orléans (Ferdinand Philippe Louis, duc de Chartres, puis duc d’), fils aîné de Louis-Philippe Ier (Palerme, Italie, 1810 - Neuilly-surSeine 1842). Après l’exil lors de sa prime enfance, il rejoint Paris au début de la Restauration. Il y reçoit une solide éducation bourgeoise et libérale, au collège Henri-IV, puis à l’École polytechnique. Colonel de hussards en 1824, il fait arborer à son régiment la cocarde tricolore lorsqu’il a connaissance des événements révolutionnaires qui se déroulent à Paris en juillet 1830. Il est général quand il est envoyé à Lyon pour réduire l’insurrection des canuts (1831), mission dont il s’acquitte avec modération. Puis il participe à la prise d’Anvers (1832) et à la conquête de l’Algérie (1835). En 1836, il
crée le corps des chasseurs à pied. Son mariage avec la duchesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin, de confession luthérienne, soulève des critiques : mésalliance, dépense inconsidérée pour le budget de la France, concession faite au protestantisme. Pourtant, sa prestance et ses belles manières - il est en 1834 l’un des membres fondateurs du JockeyClub -, ses exploits militaires, ses amitiés dans le monde littéraire et artistique, et ses idées politiques plutôt progressistes - il est sensible aux arguments des libéraux et des patriotes le rendent populaire, au-delà même des rangs de la bourgeoisie. Son père veut en faire l’héritier du trône, mais le duc se tue en juillet 1842 dans un accident. La douleur de la famille royale est largement partagée ; l’avenir de la monarchie de Juillet est compromis. Orléans (Gaston, comte d’Eu, duc d’), frère cadet de Louis XIII, appelé, pour cette raison, « Monsieur » (Fontainebleau 1608 - Blois 1660). Duc d’Anjou jusqu’à la mort, en 1611, du deuxième fils d’Henri IV et de Marie de Médicis, puis duc d’Orléans (1626), Gaston d’Orléans reçoit une instruction soignée. Protecteur d’hommes de lettres - tels les poètes Voiture, Saint-Amant, Tristan L’Hermite ou le grammairien Vaugelas -, il est aussi amateur d’art, grand collectionneur de livres, tableaux, monnaies et antiques. Son esprit vif, ses manières séduisantes, s’accompagnent cependant d’un caractère inquiet, pusillanime, et ses contemporains lui font grief d’abandonner ses amis compromis dans ses intrigues. Son goût des plaisirs le conduit à s’entourer d’une petite cour de débauchés, qu’il nomme ses « vauriens ». En 1626, il épouse Marie de Bourbon, la riche duches-se de Montpensier, qui mourra l’année suivante en donnant le jour à une fille, Anne Marie Louise (la future Grande Mademoiselle). Louis XIII, dont l’union reste stérile jusqu’en 1638, veut casser le mariage secret contracté par Gaston d’Orléans avec Marguerite de Lorraine en 1632, et qui ne sera reconnu en France qu’en 1643. L’action politique de Gaston d’Orléans est autant marquée par une volonté de s’affirmer face à un frère condescendant que par une hostilité à la tyrannie de Richelieu et par une préférence pour une monarchie tempérée, associant les grands au pouvoir. Le manifeste qu’il publie en 1631 montre qu’il est soucieux des misères du peuple et désireux de réduire la pression fiscale. Il est mêlé à plusieurs conspirations contre Richelieu, notam-
ment celle du comte de Chalais, maître de la garde-robe de Louis XIII, condamné à mort en 1626. En 1631, il entraîne dans sa rébellion les états du Languedoc, dont le gouverneur, Henri II de Montmorency, est exécuté en 1632. Retiré à Bruxelles, Gaston d’Orléans négocie une réconciliation avec son frère, et regagne la France en 1634. Il sert avec honneur lors de l’invasion espagnole de 1636, mais est à nouveau compromis dans le complot de Cinq-Mars et de François de Thou (1642), et doit s’humilier devant le roi et le Cardinal en livrant le nom de ses complices. La mort de Richelieu (décembre 1642) et de Louis XIII (mai 1643) lui permet enfin de participer pleinement aux affaires. Lieutenant général du royaume pendant la régence d’Anne d’Autriche, il joue, grâce à sa popularité et à ses relations au parlement de Paris, un rôle de médiateur au début de la Fronde. S’il est ensuite de tous les partis et lasse ses alliés par son indécision (« Il pensait tout et il ne voulait rien », écrit Retz), il se tient en retrait des emportements de sa fille ou des excès de Condé. Exilé dans son château de Blois, pour lequel François Mansart commence une aile admirable, il revient à la piété. Le religieux qui prononce son oraison funèbre voit en lui, non sans raison, le « médiateur entre le roi et ses sujets », une « heureuse alliance de la souveraineté du monarque avec la liberté des peuples ». Orléans (Louis Philippe Joseph, duc d’), dit Philippe Égalité, aristocrate et homme politique (Saint-Cloud 1747 - Paris 1793). Arrière-petit-fils du Régent, duc de Montpensier, duc de Chartres, puis duc d’Orléans, ce prince est passé à la postérité sous le nom de Philippe Égalité, qui lui est donné par la Commune de Paris, en 1792. Pour les uns, il incarne les vices de l’Ancien Régime, pour les autres, les horreurs de la Révolution. Son action a suscité maintes controverses, ses détracteurs royalistes l’ayant désigné dès 1789 comme le responsable des journées révolutionnaires. Dès sa jeunesse, il reprend la tradition frondeuse de la branche cadette : au parlement, dont il est le premier pair, il critique le pouvoir royal. À l’instar des magistrats de cette cour, il rêve d’un pouvoir royal contrôlé par les corps intermédiaires. Cette attitude downloadModeText.vue.download 675 sur 975
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664 provocatrice ne l’empêche cependant pas de vouloir servir le roi. Il brigue un commandement sur mer, que Louis XVI consent à lui donner. Mais son incompétence ayant été manifeste lors du combat d’Ouessant (1778), il abandonne la Marine. Moqué à la cour, persuadé que ses mérites n’ont pas été reconnus, il cultive l’art de déplaire, et se lance dans une opposition systématique qui achève de lui aliéner le roi, et surtout la reine, contre laquelle il se répand en violentes calomnies. Le duc d’Orléans protège artistes et savants, s’entoure d’hommes pétris des idées nouvelles et passe dans l’opinion pour un prince éclairé. Sa demeure parisienne, le PalaisRoyal, devient le haut lieu de la contestation. Lors de la réunion des États généraux, il fait rédiger par Choderlos de Laclos et Sieyès des modèles de cahiers de doléances préconisant une monarchie constitutionnelle et annonçant la régénération du royaume par le tiers état. Député de la noblesse, il est l’un des promoteurs de la réunion des trois ordres destinée à former une Assemblée constituante. Élu à la présidence de cette assemblée, il décline aussitôt cet honneur. Pour un certain nombre de députés libéraux, à commencer par Mirabeau, il apparaît comme un parfait monarque de substitution au cas où Louis XVI refuserait de cautionner les mesures adoptées par la Constituante. Le 14 juillet, un complot ourdi dans l’entourage du tribun d’Aix a sans doute pour but de le faire nommer lieutenant-général du royaume ou régent. Le prince se dérobe. Trois mois plus tard, on l’accuse d’avoir organisé la marche des femmes sur Versailles, le 5 octobre, dans l’espoir de s’emparer d’un pouvoir qu’il n’a jamais convoité. Lorsque la régence est envisagée après la fuite de Varennes, il annonce qu’il refuse cette charge. Élu député à la Convention après la chute de la monarchie, il siège parmi les députés de la Montagne, dont il devient aussitôt l’otage, ce qui le conduit à voter la mort du roi, son cousin. Son fils aîné (le futur roi Louis-Philippe) ayant suivi Dumouriez dans les rangs autrichiens, il est arrêté pour complot contre la sûreté intérieure de l’État et guillotiné. Orléans (Philippe, duc d’) ! Régent (le) Ormée (révolte de l’), épisode révolutionnaire apparu au sein de la Fronde bordelaise (1651-1653). L’Ormée est un mouvement radical qui émerge au milieu des luttes de factions dont Bordeaux
est le théâtre dans les années 1649-1651, et qui tient son nom d’une place ombragée où des membres du « menu peuple » avaient pris l’habitude de se rassembler. Issus de la petite et moyenne bourgeoisie des métiers et des offices, les ormistes s’organisent en confrérie, se dotant d’un symbole (une cocarde de paille) et d’une devise (Vox populi, vox Dei). Dans leurs programmes (« Manifeste des Bourdelois », « Articles de l’Union »), ils formulent des revendications d’inspiration démocratique et égalitaire, où l’on reconnaît parfois l’influence des « niveleurs » anglais (faction radicale apparue au cours de la révolution anglaise de 1649). Invoquant les « antiques libertés » bordelaises, ils dénoncent tout à la fois la tyrannie fiscale du pouvoir central et la confiscation du pouvoir local par l’oligarchie marchande et parlementaire. Lorsque le parlement de Bordeaux, inquiet de la radicalisation du mouvement, veut interdire les assemblées, les ormistes s’emparent du pouvoir municipal, avec la complicité des agents de Condé (juin 1652). L’Ormée tente alors d’instaurer un nouveau type de pouvoir urbain reposant sur une assemblée de cinq cents personnes, un « conseil des trente », périodiquement renouvelable, et une milice. Face au blocus de la ville par les troupes royales, elle impose des mesures de « salut public » dont sont victimes les notables, suspectés de pactiser avec Mazarin. Mais, paradoxalement, l’Ormée tire sa force de l’appui, non dénué d’intentions manipulatrices, de Condé. Aussi, lorsque dans l’été 1653 ce dernier se rapproche de la cour, le sort de l’Ormée est-il scellé : les assemblées sont interdites, et Dureteste, son chef, est exécuté, mettant un terme à cette expérience de « république urbaine ». Orry (Philibert), comte de Vignory, contrôleur général des Finances (Troyes 1689 - château de La Chapelle-Godefroy, près de Nogent-sur-Seine, 1747). Son action a bénéficié de la plus grande longévité à ce poste au XVIIIe siècle (1730-1745), à l’ombre de l’autorité du cardinal de Fleury, de 1726 à 1743. Orry est le fils d’un maître verrier enrichi, anobli et devenu contrôleur général des Finances du jeune roi d’Espagne Philippe V, petit-fils de Louis XIV. Ce père fortuné lui ouvre une carrière de grand administrateur en lui achetant des charges de capitaine de cavalerie (1708), de magistrat à Metz (1713), puis à Paris (1715). Orry est ensuite nommé intendant de Soissons (1722), du Roussillon
(1727), de Flandre (1730), enfin appelé en 1730 au contrôle général des Finances, et ministre d’État (1736). Rigoureux et efficace, il rétablit l’impôt du dixième lors des guerres de la Succession de Pologne, puis d’Autriche, et réussit en 1739-1740 à équilibrer les comptes du Trésor à la faveur de la paix, à force d’économies (augmentation du « don gratuit » de l’Église et relèvement du bail de la Ferme générale). Ainsi doté de moyens d’action, et sur la base de l’information économique et sociale rassemblée sans relâche à sa diligence (telle la novatrice enquête démographique initiée en 1745), ce mercantiliste multiplie les interventions de l’État en faveur de l’industrie et du commerce. Il distribue les monopoles de fabrication, étoffe les règlements que des ingénieurs des manufactures très actifs sont chargés de faire appliquer, lutte durement contre les coalitions ouvrières, comme à Lyon en 1744. Il favorise le commerce colonial avec les Indes et le Canada, et renforce le protectionnisme, cependant qu’il lance une ambitieuse politique d’aménagement du territoire favorable à l’essor du commerce intérieur. Il fait ainsi creuser le canal de Crozat (de SaintQuentin) et, surtout, met sur pied un grand plan de développement d’un réseau routier hiérarchisé, fondé sur une corvée royale généralisée (1738) et l’étoffement du corps des Ponts et Chaussées réorganisé par l’intendant des Finances Trudaine. Également directeur général des Bâtiments du roi (1737-1745), Orry agrandit le château de Versailles, protège les artistes et favorise la création en rétablissant au Louvre les expositions de peintures et de sculptures, suspendues depuis 1704. Étranger au clan financier des frères Pâris (les mentors de la nouvelle favorite Mme de Pompadour), il est remplacé en 1745 par Machault d’Arnouville, et se retire dans le château champenois acquis par son père. Orsini (attentat d’), attentat perpétré contre l’empereur Napoléon III. Le soir du 14 janvier 1858, le couple impérial, qui se rend à l’Opéra, échappe à un attentat fomenté par l’Italien Felice Orsini. Les trois bombes lancées par le révolutionnaire romagnol font huit morts et de nombreux blessés. Cette tentative d’assassinat avait pour objectif, semble-t-il, de susciter en France une révolution qui aurait ensuite gagné l’Italie. La réaction de Napoléon III ne se fait guère attendre : pressé de réagir par son entourage, qui mesure, affolé, combien le pouvoir repose sur une seule
personne, l’empereur met en place un Conseil privé, chargé de l’assister et d’assurer, dans l’hypothèse où il viendrait à disparaître, la régence. À la création de cette nouvelle instance, composée du roi Jérôme, du prince Napoléon et des principaux ministres, s’ajoute une vaste campagne d’arrestations, en particulier dans le Midi, et de surveillance de l’opposition. Ce renforcement de l’Empire autoritaire, symbolisé par la nomination du général Charles Espinasse au ministère de l’Intérieur et de la Sûreté générale, est systématisé par la loi de sûreté générale (février 1858). Vite baptisée « loi des suspects », elle permet notamment d’arrêter et d’exiler sans procès toute personne condamnée depuis 1848 pour des raisons politiques. Quelques mois plus tard, la loi n’est plus appliquée ; en juin, Espinasse quitte ses fonctions. Mais, entre-temps, la répression a fait plus de quatre cents victimes, déportées, pour la plupart, en Algérie. ost, mot du registre militaire (du latin hostis, « ennemi »), mais qui prend des sens variés selon les époques médiévales. Dans les royaumes barbares du haut Moyen Âge, le service d’ost, issu des traditions guerrières germaniques, est l’obligation pour tout homme libre de participer aux expéditions armées menées par le roi. Mais l’ost désigne alors aussi bien la troupe en armes que l’appel au combat. Avec les Carolingiens, la levée en masse de ces hommes libres pour des conquêtes de plus en plus lointaines devient difficile. Le recrutement se restreint peu à peu aux grands vassaux, seuls à même de s’équiper. En 808, un capitulaire limite ainsi la convocation générale à l’ost : par le système des aidants et des partants, les hommes se regroupent en fonction de leur richesse afin d’équiper un des leurs qui répond à l’appel. L’ost désigne alors toute forme de participation à la guerre. À ceux qui tentent de s’y soustraire est infligée une amende, appelée « hériban ». downloadModeText.vue.download 676 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 665 À l’époque féodale, l’ost dû par les vassaux à leur seigneur est souvent codifié dans le contrat vassalique, qui précise sa durée et son rayon d’action. Un système de solde apparaît peu à peu, permettant au seigneur de s’attacher, sans limite, le service de vassaux et de recruter des combattants non fieffés.
Au XIIe siècle, l’ost est parfois racheté après versement d’une taxe dite « d’écuage ». En 1445, la réforme de Charles VII crée l’« ordinaire » de guerre permanent, en conservant le principe de l’ost, devenu « extraordinaire ». C’est l’amorce d’une professionnalisation des troupes armées qui entérine l’abandon du service d’ost. otages (loi des), loi votée à la fin du Directoire, ayant pour titre : « Loi sur la répression du brigandage et des assassinats dans l’intérieur » (24 messidor an VII [12 juillet 1799]). Cette loi d’exception charge les administrations des départements déclarés en « état de trouble » - et non les juges criminels, réputés trop modérés - d’interner comme otages des nobles et des parents d’émigrés ou de rebelles. Ces otages sont déclarés responsables des indemnités versées aux victimes et peuvent être déportés en cas d’assassinat de patriotes, à raison de quatre déportations pour un crime commis. Maladroite et peu appliquée, la loi a pour but d’endiguer le banditisme - souvent politique -, véritable fléau sous le Directoire, et de neutraliser nombre d’émigrés rentrés en France clandestinement. Votée après le « coup d’État » du 30 prairial an VII (18 juin 1799), qui voit la renaissance des jacobins, elle appartient à un train de mesures d’urgence prises durant l’été 1799, dans un contexte d’agitation royaliste et de défaites extérieures. Rappelant les décisions terroristes de l’an II, elle effraie les possédants et les « révisionnistes » (qui prônent une révision de la Constitution), Sieyès en tête. C’est pourquoi elle est abrogée le 22 brumaire an VIII (13 novembre 1799), au lendemain du coup d’État qui inaugure le Consulat. OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord), alliance militaire née dans le contexte de la guerre froide. Signataire du traité le 4 avril 1949, la France conteste rapidement la domination anglosaxonne. Paris se sent désavoué lors de la crise de Suez en 1956 : selon Christian Pineau, ministre des Affaires étrangères d’alors, « si nos alliés nous ont lâchés dans des circonstances difficiles, sinon dramatiques, ils sont capables de le faire à nouveau si l’Europe à son tour se trouve menacée ». Enfin, refusant « une nation intégrée, autrement dit effacée », Charles de Gaulle propose dès 1958 une réorganisation fondée sur la parité en matière de responsabilité et d’accès à l’arme nucléaire. Devant le refus américain, le 7 mars 1959, de Gaulle retire au commandement de l’OTAN la
flotte de Méditerranée, dénonce, en juin de la même année, la présence de têtes nucléaires en France, affirme le 3 novembre 1959 qu’« il faut que la défense de la France soit française », et abandonne en 1960 la défense aérienne intégrée. La question nucléaire devient centrale : le Général veut une dissuasion autonome dès lors que la France possède la bombe atomique, et que les États-Unis énoncent une stratégie de riposte graduée qui risque de transformer l’Europe en champ de bataille. Tout en affirmant, le 21 février 1966, que le « traité reste toujours valable », de Gaulle en dénonce les modalités : la présence militaire étrangère dans l’Hexagone, le placement de forces françaises sous commandement allié, prennent fin le 1er avril 1967. Mais la France siège toujours au Conseil du traité de l’Atlantique nord, ses troupes restent en Allemagne, et les accords Ailleret-Lemnitzer du 22 août 1967 fixent le cadre de sa participation à la défense commune : le gouvernement français décide seul de l’engagement de ses troupes et autorise les alliés à utiliser son espace aérien. La France manifeste ainsi son indépendance mais se prive des moyens d’influencer l’OTAN. Le président Valéry Giscard d’Estaing renforce la coopération militaire tout en tenant le même discours d’indépendance ; il augmente les moyens matériels et humains pour défendre le centre de l’Europe tandis que le chef d’état-major des armées, le général Méry, est critiqué pour avoir évoqué en 1976 la « sanctuarisation élargie » à l’Europe. Poursuivant cette politique, François Mitterrand soutient en janvier 1983 l’installation des missiles Pershing en Allemagne. Avec l’effondrement du bloc communiste, l’OTAN, l’OSCE, l’UEO, l’Union européenne participent à l’élaboration d’un nouveau système de sécurité commune. C’est dans ce contexte international que Jacques Chirac harmonise pratique et discours en proposant la fin de l’exception française dans l’OTAN en vue de constituer le pilier européen en matière de défense. Cependant, les négociations se heurtent aux réticences des États-Unis et des partenaires européens. Oubangui-Chari ! AfriqueÉquatoriale française outre-mer (départements et territoires d’). La loi du 19 mars 1946 transforme en départements les quatre « vieilles » colonies : la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion et la Guyane.
Ces départements d’outre-mer (DOM) sont désormais dotés d’organes identiques à ceux d’un département métropolitain (préfet et conseil général). Dans le domaine de l’équipement, ils bénéficient de l’aide du Fonds d’investissement des départements d’outre-mer (FIDOM), mais ils vont conserver, pendant longtemps, diverses particularités, d’ordre administratif, monétaire, fiscal, militaire et social : l’assimilation complète n’est pleinement réalisée que sous la Ve République. Depuis la loi de 1982 et l’échec d’un essai de régionalisation unissant les Antilles et la Guyane, ces quatre DOM forment des régions monodépartementales. Une tentative de départementalisation à Saint-Pierre-et-Miquelon s’est soldée par un échec. En vertu des dispositions de la Constitution d’octobre 1946, toutes les autres colonies françaises sont transformées en territoires d’outremer (TOM). Ces collectivités ont à leur tête un haut commissaire, et non plus un gouverneur, et sont dotées d’une assemblée territoriale (le plus souvent élue au suffrage restreint et au double collège). Les crédits du Fonds d’investissement et de développement économique et social (FIDES) permettent la réalisation d’importantes infrastructures. Des lois organiques devaient définir les institutions propres à chaque TOM, mais seule la loi-cadre de juin 1956, dite « loi Defferre », est effective, les dotant d’un embryon d’exécutif (conseil de gouvernement) et d’une assemblée représentative élue au suffrage universel (suppression du double collège). Lors de la révision constitutionnelle de mars 2003 les TOM sont devenus des collectivités d’outre-mer (COM). En 1958, les territoires d’Afrique noire et Madagascar optent pour le statut de République membre de la Communauté (à l’exception de la Guinée, qui accède aussitôt à l’indépendance). Seuls les petits territoires dispersés préfèrent conserver leur statut de TOM (ils sont parfois qualifiés de « confetti de l’empire »). Depuis l’accession à l’indépendance des Comores et du Territoire des Afars et des Issas (Djibouti), il ne subsiste aujourd’hui que quatre collectivités d’outre-mer : la Polynésie française, Wallis-et-Futuna, Saint-Pierreet-Miquelon et Mayotte. À cela, s’ajoutent deux collectivités : la Nouvelle-Calédonie et les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Leurs statuts particuliers ont été plusieurs fois modifiés, mais ils sont tous dotés d’une autonomie plus ou moins étendue et, à l’exception des TAAF (dépourvues de popu-
lation permanente), ils sont représentés au Parlement. Ouvrard (Gabriel Julien), négociant et financier (Clisson, Loire-Atlantique, 1770 - Londres 1846). Fils d’un papetier, Ouvrard entre dès 1788 dans une maison nantaise de négoce colonial. Établi à son compte en 1789, il tire parti de l’essor de la presse révolutionnaire en obtenant le monopole de la vente de la totalité du papier produit dans l’Angoumois et le Poitou. Il spécule ensuite sur des produits coloniaux. Menacé d’être dénoncé comme accapareur, il échappe à la Terreur en s’engageant dans l’armée. Sous le Directoire, il accumule d’importants bénéfices dans les fournitures aux armées tout en accordant des crédits au gouvernement. Bonaparte, après avoir tenté en vain de mettre fin à sa puissance financière, recourt à son tour à ce bailleur de fonds. Mais cette « extraordinaire figure de l’aventurisme financier » (Louis Bergeron) est arrêtée en 1809 après avoir échoué dans ses spéculations sur les piastres provenant du Mexique : devenu débiteur du Trésor, Ouvrard est enfermé à Sainte-Pélagie jusqu’en 1813. En 1814, il fournit des vivres aux armées alliées puis offre ses services à Louis XVIII : son plan de finances fondé sur le crédit et une caisse d’amortissement, déjà proposé au Directoire puis au Consulat, est adopté en 1817. Mis en accusation à la suite de ses opérations financières durant la guerre d’Espagne (1823), il est de nouveau emprisonné de 1824 à 1829. Après 1830, il reprend son activité dans toute l’Europe puis se retire à Londres peu de temps avant de mourir. downloadModeText.vue.download 677 sur 975 downloadModeText.vue.download 678 sur 975
P Pache (Jean Nicolas), homme politique, (Paris ? 1746 - Thin-le-Moutier, Ardennes, 1823). Issu d’une famille suisse au service du maréchal de Castries, Jean Nicolas Pache reçoit une solide éducation. Il sert l’administration en qualité de premier secrétaire du ministre de la Marine, puis de contrôleur de la Maison du roi, avant de s’établir en Suisse. Au début de la Révolution, il rentre à Paris, puis, dans les premiers mois de 1792, rencontre le ministre de l’Intérieur Roland, dont il devient le collaborateur. Lorsqu’il faut rempla-
cer Servan au ministère de la Guerre, les girondins pensent trouver en Pache un fidèle allié et le font élire par la Convention le 3 octobre 1792. Mais les partisans de Brissot sont vite déçus. En effet, Pache se rapproche des montagnards, réorganise le ministère, épure le personnel et s’entoure de sans-culottes affirmés. Il tente de contrôler les achats de subsistances en créant le Directoire des achats, surveille les généraux et envisage l’unification de l’armée. Les girondins, soutenus par des généraux mécontents, tel Dumouriez, s’acharnent alors contre le ministre de la Guerre. Ils obtiennent son remplacement par Beurnonville, dès le 4 février 1793. Mais Pache a conquis l’estime des Parisiens. Le 11 février, à une forte majorité, il est élu maire de Paris. À ce poste, il participe à la lutte contre la Gironde et fait inscrire sur les bâtiments publics la devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». Lié aux cordeliers, Pache est arrêté le 21 floréal an II (10 mai 1794). Les thermidoriens le libèrent après l’amnistie de brumaire an IV (octobre 1795). Il se retire dans les Ardennes, et se consacre à des travaux littéraires jusqu’à sa mort. pacifisme. Ce terme n’est pas d’un usage commode : utilisé pour caractériser des attitudes très différentes, il est souvent employé - à tort - pour désigner les sentiments d’une « opinion publique » qui n’est jamais clairement cernée. Il convient, à notre sens, de le réserver à ceux qui s’engagent pleinement et durablement pour la paix. Parmi ces militants, l’historiographie anglo-saxonne (Martin Ceadel, notamment) distingue les « pacifistes », qui se définissent par le refus absolu de toute guerre entre les nations, et les « pacificistes », qui acceptent la guerre en dernier recours. Ce dernier courant correspond, en France, aux associations pour la paix fondées dans la seconde moitié du XIXe siècle, qui, tout en déclarant la « guerre à la guerre », s’accordent sur la nécessaire défense de la patrie et refusent les atteintes à la conscription (ainsi l’Association de la paix par le droit, dirigée par Théodore Ruyssen et Jules Prudhommeaux). Les premiers - les pacifistes proprement dits s’affirment principalement après la Première Guerre mondiale, dans l’Internationale des résistants à la guerre ou, plus encore, dans la Ligue internationale des combattants de la paix (LICP), créée en 1931 et animée par Victor Méric puis René Gerin. Pour rendre compte de cette évolution, l’historien Norman Ingram préfère distinguer le pacifisme « an-
cien style », né au XIXe siècle, et le pacifisme « nouveau style », de l’entre-deux-guerres. • Enjeux et débats au temps de la « paix armée ». Depuis le XIXe siècle, les militants de la paix ont élaboré et proposé une identité alternative ; ils ont essayé d’imposer de nouvelles références dans l’éducation et les comportements de leurs contemporains : épuration des textes scolaires de tout nationalisme, création d’enseignements spéciaux en faveur de la paix, suppression des jouets de guerre pour les enfants, apprentissage de langues universelles (tel l’espéranto)... Souvent, cet engagement a permis à des groupes dominés (femmes, jeunes...) d’intervenir sur la scène publique. Les premières sociétés pour la paix apparaissent en France dans les années 1860, bien après leurs équivalents anglo-saxons. Animées par des républicains (hommes politiques, juristes, enseignants ou économistes, tel Frédéric Passy), elles se structurent en réseaux nationaux et internationaux, et agissent notamment par le lobbying en faveur de l’arbitrage entre nations. À la fin du siècle, de nouveaux militants s’opposent aux pères fondateurs et prônent une action plus large et plus radicale. Avant 1914, l’engagement des associations pour la paix se différencie de l’antimilitarisme, qui est l’apanage d’une partie du socialisme et de l’anarchisme. Une concurrence concernant un même enjeu les oppose. Au sein de la SFIO, les principaux dirigeants, tout en menant le combat pour la paix, refusent l’antipatriotisme et adoptent, en 1914, l’attitude que Jaurès a définie : lutter pour la paix mais défendre la patrie une fois que la guerre a éclaté. La concurrence au discours de Jaurès est portée par le courant de Gustave Hervé, antimilitariste et antipatriotique. C’est sur la question de la paix, notamment, que ce groupe « dominé » affirme nettement son identité. • Le pacifisme à l’épreuve de deux guerres. Pendant le premier conflit mondial, « union sacrée » aidant, l’engagement pour la paix perd de sa légitimité. Toutefois, des actions sont encore menées par des anarchistes et des syndicalistes. Le rejet de la guerre s’accentue en 1917, et, au sein de la SFIO, une minorité, dont l’identité se fonde sur un discours pour la paix s’affirme. La création du Parti communiste s’appuie sur ce rejet de la guerre. L’immédiat après-guerre est une période de fondations et d’engagements autour du thème porteur de la paix, d’autant qu’il y
a désormais des millions d’anciens combattants, dont beaucoup affichent leur refus de la guerre. « Pacificistes » et pacifistes multiplient les congrès à la fonction incantatoire, et appellent, avec bien des nuances, au rapprochement franco-allemand. À partir des années 1924-1925, la lutte pour la paix trouve d’importants relais gouvernementaux auprès des partisans d’Aristide Briand. Mais le pacte Briand-Kellogg de 1928, qui « met la guerre hors la loi », illustre la nécessité de percevoir le discours sur la paix en termes d’enjeu : il est tout autant le produit de stratédownloadModeText.vue.download 679 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 668 gies diplomatiques et politiques complexes que celui d’une profonde « idéologie de la paix ». L’arrivée de Hitler au pouvoir puis les crises internationales bouleversent les données et rendent difficile chez les militants de la paix, majoritairement de gauche, la conciliation - autre que discursive - de l’antifascisme et du pacifisme. Ces débats mènent à des crises graves au sein de la SFIO et de la Ligue des droits de l’homme, tout comme à la LICP. Après 1940, nombre de pacifistes défendent la collaboration avec l’occupant et s’engagent dans des structures qui la soutiennent (journaux, partis...). Cette attitude s’explique par des questions idéologiques mais aussi par le poids des réseaux de l’entre-deux-guerres (comme celui des anciens de la LICP) et par la volonté de se maintenir dans l’espace public. • Une mobilisation à éclipses. Le Mouvement de la paix, une organisation d’initiative et de direction communistes fondée en 1949, est l’un des acteurs principaux de la lutte pour la représentation légitime du combat pour la paix durant l’après-guerre. Même s’il existe des associations spécifiquement pacifistes dans les années 1950-1960 -, le Mouvement de la paix occupe le devant de la scène. Le pacifisme proprement dit trouve un relais dans l’écologisme, dans les années 1970, puis lors des succès des Verts durant les années 1980. Particulièrement mobilisé contre le nucléaire, l’écologisme présente certaines similitudes avec le pacifisme de l’entre-deux-guerres, tant du point de vue des formes d’engagement que du discours. La France connaît des moments de mobilisation, autour du thème de la paix qui sont, certes, liés au pacifisme, mais qui le dépassent : ainsi pendant la guerre d’Algérie et celle du Viêt
Nam (dans les deux cas, la paix est subsidiaire par rapport à l’anticolonialisme et l’anti-impérialisme), et, surtout, lors de la crise des euromissiles (1981-1983) puis de la guerre du Golfe (1991) et de la guerre en Irak (2003). Comme dans les années 1930 se sont formées des nébuleuses opposées à la guerre, souples, aux objectifs variés, souvent éphémères. pain. Comme l’ont noté de nombreux voyageurs étrangers, le pain était autrefois « la principale nourriture des Français » : « Ils l’aiment tellement, notait en 1800 l’Allemand Heinzmann, qu’aucun Français ne peut manger s’il est privé de pain. » Cela reste vrai aujourd’hui, dans une certaine mesure ; mais les quantités de pain consommées ont considérablement diminué : en 1975, les Français n’en mangeaient plus que 182 grammes par jour, en moyenne, contre 325 en 1936, et 600 en 1880. Du XVIe au XVIIIe siècle, on mesure l’importance du pain dans l’alimentation à la gravité des crises céréalières, aux décès et aux émeutes qu’elles engendraient, et à l’extrême attention apportée par les autorités municipales et royales à l’approvisionnement en céréales, à la qualité du pain et à son prix. • Prééminence du pain. On explique généralement la forte consommation de pain par la pauvreté. De fait, une étude sur la Provence aux XIVe et XVe siècles confirme que, plus on était situé bas dans l’échelle sociale, plus la part du pain dans l’alimentation était importante. En chiffres absolus, cependant, nobles et prélats de cette époque, en consommaient davantage que les pauvres : chez les nobles d’Auvergne, 1 050 grammes par jour et par personne au château de Vic en 1380, et 1 090 grammes au château de Murol en 1403-1420 ; 1 170 grammes à l’évêché d’Arles, entre 1429 et 1442. Il est vrai que ces quantités comprennent non seulement le « pain de bouche » mais également le « pain de tranchoir », c’est-à-dire les tranches de gros pain sur lesquelles, faute d’assiettes plates, les convives coupaient leur viande. Or, ce pain imbibé de jus n’était pas consommé par le seigneur et ses commensaux mais donné aux chiens, ou distribué aux pauvres après le repas. Cependant, au XVIIIe siècle, longtemps après la disparition des tranchoirs, on trouve encore d’énormes rations de pain dans la consommation des élites, par exemple chez les collégiens : 721 grammes au collège de Beaumont-en-Auge, 817 grammes à Molsheim (Alsace), 1 033 grammes à Toulouse, et
1 100 grammes à Auch. Or, ces collégiens bénéficiaient aussi d’importantes rations de viande et d’autres types d’aliments. En effet, le pain n’était pas seulement un aliment populaire mais, pour toutes les classes sociales, la nourriture par excellence : la plus valorisée en même temps que la plus commune. C’est toujours du pain - et, souvent, uniquement du pain - que les artistes représentaient, au Moyen Âge, sur les tables de repas des diverses catégories sociales ; c’est de la qualité du pain qu’on parlait d’abord lorsqu’on rendait compte des nourritures étrangères vues ou goûtées au cours d’un voyage à l’étranger ; et c’est à la qualité du pain que l’on jugeait de la richesse d’une région. Nombre d’historiens et d’ethnologues ont souligné le caractère sacré du pain dans l’ancienne société chrétienne, et l’ont mis en rapport avec le sacrifice eucharistique. Outre l’hostie consacrée, on a d’ailleurs longtemps distribué du pain béni à l’église, à l’exclusion de toute autre nourriture. Le rôle particulier que le christianisme a dévolu au pain ne peut donc avoir été sans influence, y compris dans les régions les moins propices à la culture des céréales. Sans doute explique-t-il aussi qu’on ait pris pour base de l’alimentation un aliment dont la fabrication est si longue et si complexe, nécessitant de gros investissements en fours et en moulins, du moins de ce côté-ci de la Méditerranée. Il ne faudrait cependant pas surestimer cette influence, ni imaginer que l’histoire du pain a commencé avec le Christ. S’il a été mis au coeur du sacrifice non sanglant des chrétiens (alors que les peuples païens et les juifs se partageaient la viande des animaux sacrifiés), c’est que l’alimentation des sociétés civilisées de l’Antiquité était déjà fondée sur les céréales et que le pain avait déjà un rôle central, comme nourriture quotidienne sinon comme nourriture de fête. • Vertus du pain. Dans Agriculture et maison rustique (1572), Charles Estienne et Jean Liébault expliquent autrement cette prééminence : si « le pain tient le premier rang entre les choses qui doivent nourriture à l’homme », c’est que « le pain seul ne déplait jamais, soit en santé ou maladie ». Quand on est malade, « c’est le dernier appétit perdu, et le premier recouvré » ; en santé, c’est ce que l’on mange du début à la fin du repas ; et on le trouve « plaisant et agréable en toutes sortes de repas », ce qui n’est pas le cas des autres aliments. Plus étrange à nos yeux, Estienne et Liébault affirment que le pain « est doué de toutes les saveurs », et « contient en soi
tout ce que l’on pourrait goûter de plaisant et d’agréable ès [dans les] autres viandes ». En outre, les autres nourritures, « étant soientelles de bon goût [...], ne pourraient être d’agréable ni profitable manger à la santé, si on ne les accompagnait de pain » : en effet, « le pain par sa bonté corrige les vices des autres viandes, et aide leurs vertus ». Aussi mangeait-on autrefois, quel que soit le milieu social, du pain avec tout, y compris les fruits, ce qui est devenu rare aujourd’hui. Mais chacun devait choisir soigneusement son pain « selon [ses] fortune, condition et naturel » : aux riches le pain blanc, petit et léger, facile à digérer, fait de farine de froment bien blutée ; aux pauvres un gros pain noir ou « bis », fait de farine plus ou moins complète, de froment ou d’autres grains. Cette opposition n’avait rien d’inévitable : en ville, chacun pouvait se procurer du pain blanc chez le boulanger, s’il en avait les moyens, tandis qu’à la campagne, les paysans confectionnaient eux-mêmes leur pain, généralement avec la farine de leurs « bleds », et personne ne leur interdisait de faire pousser du froment, ni d’en bluter la farine jusqu’à ce qu’elle fût parfaitement blanche. Pourquoi fabriquaient-ils alors presque toujours un pain noir ? • Pains de campagne. Le seigle était la céréale des pains d’Europe centrale et orientale, mais aussi de nombreuses régions de France. « Il ne demande si soigneuse culture, ni terroir si gras, et tant bien amendé que le froment », écrivaient Estienne et Liébault, « car il fructifie en toute terre avec telle abondance que d’un grain seul il en vient cent, tant soit-il mal labouré et fumé. Témoins en sont les Auvergnats, Limosins, Perigordiens, Foresiens, et principalement la Beausse solognaise qui est abondante en cette espèce » de céréale. Là où les paysans mangeaient du pain de froment, ce n’était pas pour autant un pain blanc. Bluter sa farine n’était, certes, pas inimaginable à la campagne, « le son un peu gras étant nécessaire aux chevaux, aux vaches laitières, aux porcs qu’on engraissait », ainsi que le remarquait Rétif de la Bretonne. Mais tous les paysans ne faisaient pas le même calcul. Peutêtre parce que, selon la diététique ancienne, le pain blanc était trop léger, pas assez nourrissant pour des travailleurs de force. Selon Estienne et Liébault, « le pain qui est fait de la farine de bled froment entière, et de laquelle on n’a rien séparé par le tamis, est propre pour les laboureurs, fossoyeux, crocheteurs, et autres personnes qui sont en perpétuel travail, d’autant qu’ils ont besoin de nourriture qui ait un suc gros, épais et visqueux ; propre
aussi leur est celui qui n’a pas beaucoup de levain, qui n’est pas beaucoup cuit, qui est aucunement pâteux et visqueux, qui est fait de farine de secourgeon [orge], de seigle mêlé parmi bled froment, de châtaignes, de riz, de fèves, et d’autres tels légumes grossiers ». Plus un aliment était lourd à digérer, plus on le croyait énergétique. downloadModeText.vue.download 680 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 669 Quelle que fût sa couleur, le pain paysan était toujours un gros pain, que l’on consommait rassis. Pour économiser le temps et le combustible, on n’en fabriquait au mieux qu’une fois par semaine - et même deux fois par an, dans quelques vallées reculées des Alpes. Il fallait donc l’empêcher de durcir trop vite, et, pour cela, on en faisait de grosses roues, de dix ou vingt livres parfois, protégées par une solide croûte. Il durcissait cependant, et l’on en mangeait d’autant moins. D’où le principe bien ancré de morale et d’économie paysannes qu’il faut manger son pain rassis. • Pains des villes. En ville, on ne fabriquait son pain que dans les bonnes maisons. La plupart des citadins, depuis le XIIe siècle, achetaient le leur chez les boulangers, qui en confectionnaient pour tous les goûts et pour toutes les catégories sociales. Dans la plupart des villes, il y en avait au moins trois qualités, portant des noms divers. La qualité supérieure s’appelait « fouaces » à Amiens, « pain blanc » dans les villes du Nord, « pain de provende » à Troyes, « pain choine » - c’est-à-dire « de chanoine » - à Nantes, Poitiers, Libourne et Bordeaux, « pain mollet » à Rouen ou Mézières, « pain moflet » dans plusieurs villes du bas Languedoc, etc. Jusqu’au XVIIe siècle, tous étaient ronds, des petites boules de pain blanc aux demi-sphères aplaties du gros pain. Ce n’est que plus tard que sont apparus, à Paris, des pains de fantaisie, de formes différentes. Les pains les plus blancs étaient les plus petits et les plus légers, et leur prix était d’ailleurs le même que celui des pains de qualité inférieure, toujours plus gros. Sous la surveillance attentive des autorités municipales, le poids de chacun d’eux variait en outre constamment selon le cours du froment, tandis que leur prix restait stable. Seuls quelques gros pains, vendus par des boulangers spécialisés, conservaient un poids constant, leur coût ne reflétant que les fluctuations de prix des grains les plus marquées : dans plusieurs villes de Champagne et de Bretagne, il s’agis-
sait d’un pain de 650 grammes environ, fait par des « boulangers seigliers », à partir d’une farine de seigle bien blutée ; à Amiens, de gros pains « bis » de froment pesant quatre livres et demi, etc. La population urbaine est devenue majoritaire en France en 1931, et aujourd’hui tous les Français, à la ville comme à la campagne, mangent du pain de boulanger. Au cours du XIXe siècle, la révolution des transports et la révolution agricole avaient déjà fait disparaître les crises céréalières cycliques. Et, prenant acte - avec retard - du déclin de son importance dans l’alimentation, c’est seulement dans les années 1970 que l’État a libéré le prix du pain. Paine (Thomas), écrivain et homme politique (Thetford, Angleterre, 1737 - New York 1809). Né sujet anglais dans une famille de petits fabricants quakers, Thomas Paine est une figure de l’universalisme révolutionnaire. Américain d’adoption, il a 37 ans lorsqu’il arrive à Philadelphie. Muni de lettres de recommandation de Franklin, rallié à la cause de l’indépendance, il publie Common sense (1776). Il assigne aux Américains une mission universelle : allumer la flamme de la Liberté dans le monde et créer, par la conquête de l’indépendance et la mise en place d’une République démocratique, un asile pour le genre humain. Malgré l’immense succès de l’ouvrage, aussi bien en Amérique qu’en Angleterre ou en France, Paine est sans ressources lorsque se termine la guerre d’Amérique. Il rejoint l’Europe et reçoit les premiers échos de la Révolution française depuis Londres. Ses amis La Fayette, Condorcet et Brissot sollicitent son aide pour la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de la Constitution. Ses positions républicaines après la fuite du roi provoquent des réactions chauvines, mais la rédaction de Rights of man (1791-1792) pour contrer les arguments de Burke lui valent le titre de « citoyen français » le 26 août 1792. Élu par quatre départements à la Convention, il choisit de représenter le Pas-de-Calais. Mais ses positions sont mal comprises. Il vote contre la mort du roi, ce qui lui vaut l’hostilité de Marat. Le 5 nivôse an II, il est exclu de la Convention et emprisonné comme étranger. Les thermidoriens le réintègrent, souhaitant bénéficier de sa notoriété mais, lorsqu’il s’insurge contre le vote censitaire et l’abandon de la référence aux droits naturels dans la Constitution de l’an III,
il n’est pas écouté. Il quitte la France en 1802. Painlevé (Paul), mathématicien et homme politique (Paris 1863 - id. 1933). Membre de l’Académie des sciences dès 1900, Paul Painlevé est l’auteur d’importants travaux sur les équations différentielles et sur la mécanique des fluides. Entré en politique en 1910 comme républicain socialiste, il exerce les fonctions de ministre de l’Instruction publique (d’octobre 1915 à décembre 1916) dans le gouvernement d’Aristide Briand, puis de ministre de la Guerre (de mars à septembre 1917) dans celui d’Alexandre Ribot. Après l’échec de l’offensive de Nivelle, il nomme Philippe Pétain commandant en chef et est confronté au problème des mutineries. Président du Conseil en septembre 1917, il démissionne dès le mois de novembre, victime d’une campagne menée par Clemenceau, qui l’accuse de manquer d’ardeur face aux « défaitistes ». Après avoir été l’un des fondateurs du Cartel des gauches, il préside la Chambre des députés et échoue, en tant que candidat du Cartel, à l’élection présidentielle (mai 1924), contre Gaston Doumergue. Succédant à Édouard Herriot, Painlevé reprend la direction du gouvernement en avril 1925, mais sa stratégie de « concentration républicaine » suscite de vives tensions au sein de la majorité cartelliste, qui se délite. En novembre, il doit de nouveau démissionner après le refus opposé par la Chambre aux projets du ministre des Finances Joseph Caillaux. Ministre de la Guerre de 1925 à 1929, il met en oeuvre une profonde réforme de l’armée. Il est notamment l’artisan de la loi de 1928, qui ramène à un an la durée du service militaire. pairs (Chambre des), assemblée du régime parlementaire prévue par la charte de 1814, en vigueur sous la Restauration et la monarchie de Juillet. La charte promulguée par Louis XVIII le 4 juin 1814, lors de la première Restauration, crée deux Chambres des représentants, qui sont convoquées à l’initiative du roi, et siègent simultanément, adoptant les lois qui leur sont proposées. À côté de la Chambre des députés, qui est élue, se réunit la Chambre des pairs, dite aussi « Chambre haute », dont les membres sont nommés à vie par le roi. Leur charge est parfois héréditaire et les débats sont tenus secrets. Louis XVIII choisit la plupart d’entre eux parmi les sénateurs de l’Empire, écartant néanmoins cinquante-trois révolutionnaires - compromis, à ses yeux. Après l’in-
termède des Cent-Jours - durant lequel Napoléon a maintenu l’institution -, le roi procède à une légère épuration et rétablit l’assemblée dans ses fonctions : munie de ses attributions législatives, la Chambre peut aussi siéger en Cour de justice, ayant à statuer sur les cas de haute trahison et d’atteinte à la sûreté de l’État (elle organise ainsi le procès du maréchal Ney). La Chambre haute se transforme rapidement en foyer d’opposition libérale : elle combat, successivement, les gouvernements de Richelieu, de Descazes et de Villèle, et dénonce les lois répressives ou réactionnaires sur la presse, le sacrilège ou le droit d’aînesse ; elle acquiert ainsi, dans l’opinion, une certaine popularité. Un groupe libéral, autour de Talleyrand, Molé et Broglie, s’y constitue, que rejoint Chateaubriand, congédié du gouvernement. Le pouvoir trouve, sans tarder, la riposte : nommer sans cesse de nouveaux pairs pour noyer la contestation. C’est le système des « fournées » : l’assemblée compte ainsi 154 membres en 1814, et 335 en 1830. La monarchie de Juillet ne modifie guère le fonctionnement de la Chambre des pairs : elle supprime néanmoins l’hérédité de la pairie, élargit le recrutement à l’ensemble des notabilités, membres de corps constitués ou d’assemblées locales, et permet la tenue de séances publiques. Politiquement, cependant, l’influence de la Chambre est faible : elle s’exprime surtout par des adresses au roi, d’inspiration libérale mais de peu d’effet, les fournées permettant toujours de museler l’opposition. En revanche, l’assemblée siège fréquemment en Cour de justice, jugeant la série d’attentats - ou de scandales - qui émaillent le régime de Juillet. La révolution de 1848 supprime la Chambre des pairs, dans l’indifférence générale. Mais le principe qui sous-tend son existence demeure : dans les régimes parlementaires qui se succéderont, le Sénat perpétue la tradition de la Chambre haute. pairs de France, catégorie éminente de vassaux du roi de France, qui jouissent de prérogatives et sont soumis à des devoirs particuliers. Dans la société féodale, on appelle « pairs » les hommes de condition égale, vassaux immédiats d’un seigneur mais aussi chanoines d’un chapitre ou bourgeois d’une ville franche. Cependant, très vite, le terme est réservé aux seuls chevaliers constituant la cour féodale et se reconnaissant le droit mutuel de se juger. Le roi de France, suzerain, n’échappe downloadModeText.vue.download 681 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 670 pas à la règle : en 1216, il existerait auprès de Philippe Auguste douze grands feudataires chargés de l’assister dans son gouvernement et dans sa fonction de justice, qui prennent le nom de « pairs de France ». Leur nombre renvoie à une origine mythologique, historique ou poétique : les douze Apôtres, ou les douze pairs siégeant auprès de Charlemagne. Leur identité est précise : six pairs ecclésiastiques, archevêque et évêques du nord-est du royaume (Reims, Langres, Laon, Châlons-surMarne , Noyons et Beauvais), sans doute les premiers à avoir acquis la seigneurie temporelle ; six pairs laïcs, principaux vassaux du roi (ducs de Normandie, de Bourgogne et de Guyenne, comtes de Flandre, de Champagne et de Toulouse). En réalité, la cour des pairs des Capétiens est une fiction politique : quand l’institution est constituée, les principaux fiefs sont réunis à la couronne et les barons sont écartés du gouvernement, qui est confié à des spécialistes jouissant de la confiance du roi. De même, le développement de la justice royale sous Saint Louis rend désuète la coutume du jugement des vassaux par leurs égaux. La dignité de pair de France est donc essentiellement protocolaire ; elle se manifeste, par exemple, lors du sacre, quand les Douze soutiennent la couronne sur la tête du nouveau monarque. À compter du règne de Philippe le Bel, la royauté s’arroge le droit de créer de nouveaux pairs. La coutume s’étend à l’époque moderne, et la pairie devient l’un des instruments de la puissance royale - en fait, un moyen commode de distribuer des faveurs pour s’attacher des fidélités. La dignité devient héréditaire, réservée aux ducs, et transmissible par agnation. Sous l’Ancien Régime, le pair de France est donc un grand seigneur, attaché à ses prérogatives - Saint-Simon s’en est fait l’écho. S’il n’assiste plus au Conseil du roi (depuis 1667), il siège au parlement. Par son rang et sa fortune, il a un poids dans la société, qui dépasse son strict rôle protocolaire. Il appartient à cette élite aristocratique dont la Restauration reconnaîtra l’importance pour la monarchie, après l’intermède révolutionnaire, quand elle créera la Chambre des pairs. paix au Moyen Âge. Cette notion est d’une acception plus étendue que celle d’« état de non-guerre » ou de « cessation d’hostilités ».
En effet, dès le haut Moyen Âge, elle se confond avec l’idée d’« ordre social et politique voulu par Dieu ». Le terme même est employé pour désigner des lieux et des groupes dans lesquels doivent régner tranquillité et concorde : ainsi, certaines chartes urbaines prennent le nom de « paix », telle la Carta pacis Valencenensis (Charte de paix de Valenciennes, 1114). Les églises et des catégories de personnes (les « faibles », notamment les veuves et les orphelins, dans les actes carolingiens) sont protégées par un statut de paix. • Un idéal fondé sur la Bible et la tradition. À une époque où le christianisme forme l’horizon idéologique et culturel de tous, l’idée de paix s’appuie, en grande partie, sur des fondements bibliques et patristiques : la figure du Christ sert de référence (Jésus qui bénit les pacifiques et laisse sa paix aux Apôtres), mais sont également érigés en modèles des personnages de l’Ancien Testament, tels Salomon et même David. Les Pères de l’Église, et principalement saint Augustin (354-430), forgent la tradition chrétienne en matière de paix et donnent à celle-ci une dimension spirituelle et eschatologique, que les moines appliquent à euxmêmes. La véritable paix est la paix finale, céleste. Cependant, même si la paix du monde n’est que transitoire, elle est considérée comme un bien nécessaire pour atteindre la paix du Christ. Les Pères ont également défini les cas qui légitiment la guerre : selon saint Augustin, une guerre juste doit venger des injustices, être déclarée par l’autorité légitime et avoir pour objectif l’établissement de la paix. Cette notion de « guerre juste » est affinée et discutée tout au long du Moyen Âge, et reste un enjeu pendant la guerre de Cent Ans (1337-1453). • Un instrument de légitimation du pouvoir. La conception du pouvoir royal s’inscrit largement dans le cadre de cette théologie de la guerre et de la paix. La paix, en tant qu’ordre intérieur, se trouve exaltée - avec plus ou moins d’insistance - dès l’époque des rois mérovingiens. Clotaire II affirme ainsi, dans un acte de 614, que la paix et la discipline perpétuelles doivent régner dans son royaume. Paix et ordre public, paix et justice, apparaissent comme l’essence même du pouvoir royal et impérial à l’époque carolingienne (dès 869, la promesse du sacre associe celle de promouvoir la paix et la justice). Cette conception est soutenue par les intellectuels : Alcuin, le conseiller de Charlemagne, insiste
sur la nécessité de la paix sur terre, condition de l’accès à Dieu, mais il n’en note pas moins la compatibilité entre vie militaire et vie chrétienne. Après l’éclipse du pouvoir royal, les Capétiens reprennent, au XIIe siècle, la figure du « prince pacificateur ». En 1155, Louis VII, réuni à Soissons avec les grands du royaume, institue une « paix de dix ans » sur toutes ses terres. Il reprend ainsi à son compte le mouvement de la Paix de Dieu, parti du monde des clercs à la fin du Xe siècle. La figure du pacificateur trouve son accomplissement avec Louis IX (Saint Louis), dont les chroniqueurs Jean de Joinville et Matthew Paris contribuent à façonner l’image, celle du « roi de paix » : « Li om du monde qui plus se traveilla de paiz entre ses sousgis » (Joinville). Au-delà même des princes, l’image de l’homme de paix-arbitre - le saint, l’évêque, l’abbé... - est valorisée au Moyen Âge. La pratique de l’arbitrage entre personnes privées joue de fait un rôle important, notamment lorsque la justice publique est limitée. Les arbitres sont de véritables régulateurs de relations sociales, que ce soient des abbés lors des guerres privées de l’époque féodale ou les paiseurs, plus institutionnalisés, dans les villes du Nord. Le roi-arbitre complète l’image du roijusticier et pacié. Louis XI rappelle ainsi à son fils qu’il doit « pourveoir a son povoir qu’il n’y ait hayne ne discord entre ses subjectz et si elle y est qu’il ne favorize plus aux uns que aux autres ». Aux XIVe et XVe siècles, en un temps de crise économique et politique liée à la guerre, ces images persistent et se renforcent. Rois de France et d’Angleterre, princes de partis divers, insistent sur leurs efforts pour préserver la paix. Dans ce contexte difficile, il importe de maintenir discursivement l’image du pouvoir protecteur. • Les rituels de paix. Au-delà des discours, la paix au Moyen Âge est un moment privilégié entre deux périodes de tensions et de violences. Ce temps de la réconciliation (réelle ou symbolique) est régi par des règles précises, qui concernent le lieu, les gestes et les discours. Les banquets entre nobles, dès le haut Moyen Âge, comme les repas entre parties, relèvent du rituel de la paix privée. À la fin du Xe siècle et durant le XIe, la mise en place de la Trêve et de la Paix de Dieu s’opère aussi en un moment singulier - le concile - où les émotions sont exacerbées, et
les gestes rituels et incantatoires, multipliés. L’historien Jacques Paul les décrit ainsi : « Messes solennelles, prédications, processions, ostentations de reliques, serments publics, sont autant d’éléments émotionnels qui transforment ces réunions en cérémonies où s’expriment une conscience collective, par gestes et par cris. » Pendant la guerre de Cent Ans, les très nombreuses négociations de trêves et traités entre les souverains d’Europe, mais aussi entre les princes du royaume de France, donnent lieu également à des rituels de paix complexes : baisers, banquets, dons, discussions solennelles et serments de paix se succèdent. Là encore, ces gestes ostensibles doivent réaffirmer le souci de paix des princes, audelà de leurs pratiques politiques et guerrières. L’image du roi de paix se pérennise, au-delà de la rupture de l’unité chrétienne et des guerres de Religion. Paix de Dieu et Trêve de Dieu, mouvements nés sur l’initiative de l’Église, respectivement à la fin du Xe siècle et au début du XIe, pour tenter de remédier à la violence croissante imposée par l’aristocratie guerrière. • La Paix de Dieu. La décomposition de l’Empire carolingien au cours du Xe siècle et l’absence d’autorité publique sont, en effet, à l’origine de la multiplication des guerres privées entre seigneurs locaux avides d’accroître le champ de leur souveraineté. Leurs velléités, inhérentes à la mise en place du régime féodal, frappent particulièrement la paysannerie et le clergé. Dans ce contexte, les premiers conciles de paix - Charroux (Poitou), en 989 ; Le Puy, 990 ; Anse (Mâconnais) puis Limoges, en 994, etc. -, réunis à l’initiative des évêques, s’efforcent de prendre des mesures à l’encontre des féodaux les plus belliqueux. Ils visent à protéger les personnes et les biens d’Église ainsi que les populations civiles (laboureurs, marchands, pèlerins). La violation des canons conciliaires, dont l’application est garantie par un engagement solennel (le serment de paix), entraîne l’excommunication. Ces « pactes de paix » se multiplient au nord de la Loire, après 1100. À mesure que l’autorité des rois capétiens s’affermit, downloadModeText.vue.download 682 sur 975
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notamment sous le règne de Robert II le Pieux (996/1031), et que l’autorité publique est restaurée, le serment de paix se transforme en « paix du roi ». En juin 1155, à l’assemblée de Soissons, Louis VII (1137/1180) proclame ainsi la « paix générale du royaume », qu’il fait jurer à tous ses vassaux. Les modalités de cette paix concordent alors avec l’idéologie de la Paix de Dieu voulue comme providentielle et concourent à l’expression symbolique du « Roi Très-Chrétien ». • La Trêve de Dieu. Au mouvement de la Paix de Dieu s’adjoint, au cours des années 1020-1040, un second mouvement, d’origine méridionale : la Trêve de Dieu (concile de Toulouges [Roussillon], en 1027 ; concile de Vic [Catalogne], en 1033). Analogue à la Paix de Dieu dans ses visées, il interdit aux féodaux de se livrer à des activités belliqueuses durant certains jours de la semaine fixés par l’Église (jeudi, vendredi, samedi et dimanche), ou encore durant de longues périodes de l’année liturgique (Carême, Avent, temps pascal, etc.) et les jours de fêtes religieuses. Le double mouvement de la Paix et de la Trêve de Dieu connaît son apogée au lendemain de 1033 (millénaire de la Passion du Christ). Alors que la « paix du royaume » s’impose progressivement dans le nord de la France au XIIe siècle, les associations de paix se multiplient dans le Midi occitan, où le pouvoir reste morcelé. Ce n’est pas un moindre paradoxe que de voir ces deux mouvements déboucher sur la croisade. Ainsi, la Paix de Dieu légitime la croisade (première croisade, croisade des albigeois, etc.) dès lors que les hérétiques sont considérés comme coupables de la « rupture de paix », c’est-à-dire de la rupture d’un ordre religieux voulu par Dieu. paix perpétuelle (projets de), textes philosophiques qui, à l’époque moderne, visent à organiser juridiquement un état de paix entre les peuples. L’affirmation et la construction des États modernes du XVIe au XVIIIe siècle s’accompagnent d’une intense réflexion philosophique et juridique quant à la nature de leurs rapports et aux moyens de les pacifier. Cette activité intellectuelle est multiforme : elle s’exprime dans les traités politiques mais aussi dans les « utopies » - alors particulièrement nombreuses et les projets d’organisation de « paix perpétuelle ». Pour l’historien d’aujourd’hui, la valeur de ces textes ne réside pas tant dans le
fait qu’ils aient « anticipé » ou non certains principes du droit international contemporain, mais plutôt en ce qu’ils nous informent sur la façon dont les penseurs concevaient les relations entre les peuples. Les premiers de ces textes, datant du XVIe siècle, sont inspirés par la dénonciation humaniste des horreurs de la guerre et de la colonisation de l’Amérique (Érasme, Querella Pacis, 1517 ; Vitoria, Leçons sur les Indiens et le droit de guerre, 1539). Au siècle suivant, cette réflexion se transforme : elle s’ouvre aux préoccupations économiques (Émeri de Crucé, le Nouveau Cynée, 1623) ou plus strictement juridiques (Grotius, le Droit de la guerre et de la paix, 1625). Des réformateurs, tel William Penn, se préoccupent également de l’organisation de la paix (Essai sur la paix présente et future de l’Europe, 1693) ; mais c’est au siècle des Lumières que les projets de paix perpétuelle les plus célèbres voient le jour : ce sont ceux de l’abbé de Saint-Pierre en 1713, de Jeremy Bentham en 1789, et d’Emmanuel Kant en 1795. Tous ces textes présentent de nombreux points communs. Leur constat initial se fonde sur l’idée de sociabilité naturelle de l’homme ; la guerre entre les États européens est le résultat de l’inachèvement de la société humaine. Pour construire une paix solide et durable entre les peuples, il faut l’organiser juridiquement, sur la base d’un nouveau droit des gens. La plupart de ces projets envisagent la mise en place d’une instance européenne de régulation des conflits ou d’un tribunal chargé de régler les différends. On trouve également des propositions visant à stabiliser les frontières et les successions dans les familles régnantes pour éviter les conflits dynastiques, ou encore des projets de réduction des armées permanentes. Ces idées sont discutées et critiquées par les philosophes des Lumières : Rousseau et Kant estiment, notamment, que la condition préalable à toute organisation de la paix réside dans la transformation politique des États. palafitte, terme emprunté à l’italien palafitta (« pieu fiché en terre ») et désignant les villages protohistoriques en bois construits sur les bords des lacs des Alpes et du Jura entre le IVe et le Ier millénaire avant notre ère. C’est en 1854 qu’un étiage exceptionnel des eaux du lac de Zürich a permis de mettre au jour les premiers vestiges de palafittes (ou cités lacustres) néolithiques : de nombreux pieux de bois, mais aussi poteries et outils de pierre, de bois ou d’os. Ainsi est née une première vision - romantique - de la période
néolithique, confortée par les observations ethnographiques d’alors de villages construits sur l’eau comme en Nouvelle-Guinée, à Bornéo ou au Venezuela. De nombreuses peintures du XIXe siècle évoquent ces palafittes construits sur de vastes plates-formes ; plus tard, un archéologue allemand lié au régime nazi, Hans Reinerth, en reconstitua un en grandeur nature sur les bords du lac de Constance, à Unteruhldingen, que l’on peut visiter encore aujourd’hui. La réalité des palafittes est un peu différente. C’est au début du IVe millénaire, à la suite des tensions territoriales caractéristiques du début du chalcolithique, que des communautés s’installent, pour des raisons défensives, sur les presqu’îles marécageuses des lacs des Alpes et du Jura, en Suisse, en France, en Allemagne et en Italie. Selon la nature du terrain, les habitations sont construites à même le sol, ou bien sur des pilotis plus ou moins élevés. Elles sont protégées par des palissades et reliées par des chemins de planches. Abandonnées, elles s’effondrent avec leur contenu dans la vase environnante, et sont parfois recouvertes par les eaux à l’occasion d’une remontée du niveau des lacs. Ce milieu humide assure aux vestiges d’exceptionnelles conditions de conservation, notamment pour les objets organiques : textiles, bois (manches d’outils, vaisselle, peignes), cuir, vannerie, et même fruits, baies, excréments, pupes de mouche, etc. En effet, aucun de ces éléments n’aurait résisté ordinairement à un aussi long séjour dans la terre ferme. Les palafittes nous fournissent donc des informations très précieuses, mais localisées, sur la vie quotidienne protohistorique. En France, de tels sites ont fait l’objet de fouilles détaillées sur les lacs de Chalain et de Clairvaux (Jura), et de Paladru (Isère). Des occupations ultérieures sont attestées à l’âge du bronze dans la vallée de la Saône (Ouroux, Saône-et-Loire) ou sur le lac du Bourget, et même jusqu’au Moyen Âge (Paladru). Palais-Royal, palais situé dans le IIe arrondissement de Paris. Ancien palais du cardinal Richelieu, que celui-ci acquiert lorsqu’il est nommé Premier ministre de Louis XIII en 1624, il comporte un hôtel et des terrains situés en face du Louvre, où la cour du roi s’est installée depuis le XVIe siècle. La construction du pavillon de l’Horloge
par l’architecte Lemercier (1624) incite le Cardinal à confier à ce dernier l’aménagement de son hôtel en palais (1633) - comme il lui avait confié, auparavant, la reconstruction de la Sorbonne (1626) -, dans un style baroque qui demeure toutefois plus influencé par les principes de Palladio et de la Renaissance que par ceux des maîtres italiens contemporains. Sous la direction de Desgots, jardinier du roi, les jardins du Palais-Cardinal - ainsi d’abord nommés - deviennent les plus vastes du Paris de l’époque. Prudemment, en 1636, le Cardinal lègue au roi de France sa propriété, qui devient alors le Palais-Royal, résidence d’Anne d’Autriche et de son enfant, le futur Louis XIV. Après les troubles de la Fronde, qui conduisent la famille royale à se réfugier au Louvre, le palais est attribué à Henriette-Marie de France, veuve de Charles Ier d’Angleterre, avant que le mariage de sa fille Henriette-Anne avec Monsieur, frère de Louis XIV, ne fasse entrer le domaine dans les biens de la maison d’Orléans (il le demeurera jusqu’en 1854). Le Régent, Philippe II d’Orléans, qui hérite le palais de son père, poursuit les travaux entrepris par celui-ci, constitue une collection de tableaux exceptionnelle et fait de la demeure un lieu de plaisirs réputés (les « soupers du Palais-Royal » sont restés fameux). Le petitfils du Régent, Louis-Philippe, choisit après l’incendie de l’Opéra du Palais (1763) d’entreprendre une grande opération immobilière qui doit lui permettre de rétablir ses finances compromises par sa prodigalité extravagante : sur les trois côtés du jardin, réduit d’un tiers, le duc fait construire un ensemble de maisons de rapport, dont le rez-de-chaussée est occupé par des galeries et des boutiques. La réalisation en est confiée à Victor Louis, l’architecte de l’Opéra de Bordeaux. C’est une réussite esthétique autant que commerciale. Bordés des rues qui prennent les noms des fils du duc - Montpensier, Beaujolais et Valois -, les galeries et jardins du palais deviennent le lieu de promenade favori des Parisiens. Après un second incendie (1781), Louis-Philippe confie au même architecte la réalisation de downloadModeText.vue.download 683 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 672 la salle du Théâtre-Français, où s’installera la Comédie-Française (1799). Domaine princier et, à ce titre, interdit
d’accès à la police, le Palais-Royal est devenu un lieu de libertés, de débauches même, autant qu’un foyer de contestation. Depuis le café Foy, le 13 juillet 1789, Camille Desmoulins y improvise une manifestation qui prélude à la prise de la Bastille. Sous l’Empire, le palais, qui avait été le siège du Tribunat en 1799, devient celui de la Bourse et du Tribunal de commerce (1809), sans perdre cependant la fréquentation des « demoiselles » dont la galanterie attire une clientèle cosmopolite. À la Restauration, le duc d’Orléans, futur « roi des Français », décide de faire place nette : les tripots sont fermés et l’architecte Fontaine supprime les vieilles galeries de bois, qu’il remplace par un grand portique à deux colonnes, construit l’aile Montpensier et rénove celle de Valois. Cet « assainissement » provoque, paradoxalement, le déclin du lieu. Après avoir été confisqué à la famille d’Orléans par l’empereur Napoléon III au profit du roi Jérôme de Westphalie, le palais est partiellement incendié pendant la Commune. Restauré, il est désormais le siège du Conseil d’État et du ministère de la Culture, les Sages du Conseil constitutionnel occupant l’aile de la rue Montpensier. Le palais et ses jardins sont devenus un havre de paix, que seule est venue troubler la polémique née de l’installation dans la cour d’honneur, au début des années 1980, des colonnes blanches et noires de l’artiste contemporain Daniel Buren. Palatine (Charlotte Élisabeth de Wittelsbach, dite la princesse), princesse électorale de Bavière, duchesse d’Orléans, dite aussi Madame (Heidelberg 1652 - Saint-Cloud 1722). Mariée à Monsieur (Philippe, duc d’Orléans), frère du roi Louis XIV, Madame a la réputation d’un personnage haut en couleur : indomptable, coléreuse, grossière, voire vulgaire, capable de souffleter publiquement son fils - le futur Régent - le jour de ses noces, parce qu’elle désapprouve ce mariage imposé avec une bâtarde, fût-elle fille légitimée du roi. Cette maîtresse femme brave même son royal beau-frère, allant jusqu’à porter le deuil du Palatinat, lorsqu’en 1689, au début de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, Louis ravage le pays de ses ancêtres. Jeune allemande sortie d’une minuscule cour (son père est Électeur palatin du Rhin), transplantée à Versailles, fille d’un père autoritaire, mariée à Monsieur déjà veuf d’Henriette d’Angleterre, c’est une épouse délaissée ; protestante convertie, demeurée lectrice assidue de la Bible et des psaumes, « Liselotte » partage ses journées entre ses enfants, son fils qu’elle adore, la nature, l’équitation ; mais c’est surtout son
écritoire qui l’occupe. En cinquante ans, elle rédige quatre-vingt mille lettres (cinq par jour), qui inquiètent Torcy, surintendant des Postes. Ses correspondants sont tous ses cousins d’Europe, y compris le pire ennemi du roi, Guillaume III. Ses lettres constituent une magnifique source sur le règne de Louis XIV : sévères pour les moeurs de cour, haineuses pour Mme de Maintenon (cette « guenon », cette « ordure », cette horrible « ripopée »), intarissables sur les mille et un petits gestes de la vie, elles s’imposent comme une véritable chronique du règne qui, bien souvent, contribue à la légende noire de Louis XIV. D’un roi que, pourtant, toujours elle respecta, adora, voire aima en secret dans sa cruelle condition de belle-soeur, qui la rendait inaccessible jusque dans l’esprit. paléolithique, première période de l’histoire de l’humanité, située entre 6 millions d’années et 10 000 ans avant J.-C., durant laquelle l’économie et la société ont été exclusivement celles de chasseurs-cueilleurs. Le terme « paléolithique » (de paléo, « ancien », et lithos, « pierre ») a été forgé en 1865 par le préhistorien anglais sir John Lubbock. Ce dernier distinguait ainsi un âge de la pierre ancienne (ou taillée), ou paléolithique, et un âge de la pierre récente (ou polie), ou néolithique. La suite a montré que, si l’on a continué de tailler la pierre au néolithique et même au-delà, son polissage est bien une technique néolithique, destinée à renforcer les haches ; mais surtout que, derrière ces aspects technologiques, l’opposition était celle de deux modes de vie : chasse et cueillette pour le paléolithique, élevage et agriculture pour le néolithique. On subdivisera, ultérieurement, le paléolithique en quatre périodes, qui correspondent approximativement à quatre stades principaux de l’évolution biologique de l’homme. • Les premières traces humaines. Aujourd’hui, le paléolithique le plus ancien (ou archaïque) n’est attesté qu’en Afrique, avec les australopithèques et leur successeur, Homo habilis. Les premiers outils apparaissent sous la forme de galets sommairement éclatés, les pebble tools. La période suivante, ou paléolithique inférieur, est celle d’Homo erectus, apparu vers 1,5 millions d’années avant notre ère : c’est la première forme humaine présente en Eurasie. En France, les traces indiscutées les plus anciennes remontent à environ 700 000 ans avant J.-C. On appelle « acheuléen » la civilisation associée à Homo erectus,
et caractérisée par des bifaces, outils de pierre de forme ovale ou triangulaire et premiers objets symétriques. Le feu est également maîtrisé (foyers de Lunel, dans l’Hérault, vers 500 000 ans avant J.-C.). Les restes humains les mieux connus (Biache-Saint-Vaast, Tautavel) sont relativement tardifs (de 200 000 ans à 300 000 ans avant J.-C.). • La complexité de l’homme de Néanderthal. En Europe et au Proche-Orient, Homo erectus évolue vers une forme particulière, l’homme de Néanderthal (ou Homo sapiens neanderthalensis), dont la morphologie mais aussi les capacités psychomotrices sont très proches de celles de l’homme moderne. C’est la période du paléolithique moyen, entre 200 000 ans et 30 000 ans avant J.-C. environ, et, pour l’essentiel, celle de la civilisation du moustérien. Les techniques de la taille de la pierre sont alors beaucoup plus complexes et se fondent sur l’obtention d’éclats de forme déterminée (technique « Levallois », ou éclats allongés dits « lames »), tandis que les formes d’outils se diversifient (travail des peaux et du bois, outils de chasse). La complexité psychique de l’homme de Néanderthal est attestée par l’existence des premières tombes, le façonnage des premières parures (pendeloques) et la collecte d’objets naturels particuliers (cristaux, fossiles). De fait, en France, la dernière civilisation liée aux néanderthaliens, celle du chatelperronien (35 000-30 000 ans avant J.-C.), présente déjà tous les traits de la période suivante. • L’apparition de l’homme moderne. Le paléolithique supérieur, enfin, coïncide avec l’arrivée en Europe de l’homme moderne, Homo sapiens sapiens. L’identité entre forme biologique et civilisation matérielle n’est cependant pas totale, car cet homme aurait été présent en Afrique nord-orientale et au Proche-Orient dès 100 000 ans avant J.-C. au moins, mais associé à des objets de type moustérien et sans témoignages d’activités psychiques (esthétiques) modernes. En Europe, en revanche, et notamment en France, Homo sapiens sapiens (type « de Cro-Magnon ») façonne les premiers objets artistiques. Le paléolithique supérieur est classiquement, sur le territoire français, divisé en quatre périodes, de durée comparable : l’aurignacien (30 000-25 000 ans avant J.-C.), le gravettien (25 000-20 000 ans avant J.-C.), le solutréen (20 000-15 000 ans avant J.-C.) et le magdalénien (15 000-10 000 ans avant J.-C.), caractérisés chacun par des types
d’outils particuliers. L’art, d’abord limité à quelques gravures ou statuettes (les Vénus du gravettien), s’épanouit dans les grottes durant les deux dernières périodes. Au paléolithique supérieur, situé tout entier durant la dernière glaciation (dite « de Würm »), succède à partir de 10 000 ans avant J.-C. le mésolithique (âge de la pierre moyenne), durant lequel le même type d’économie se maintient, mais dans un environnement désormais tempéré. Palissy (Bernard), céramiste et savant (Agen, vers 1510 - Paris 1590). Il effectue de nombreux voyages et observe attentivement la nature avant de s’installer comme peintre verrier à Saintes. Après plusieurs années de recherches et d’expériences, durant lesquelles il va jusqu’à brûler les meubles et le plancher de sa maison pour entretenir son four, il découvre le secret de la composition des émaux. Ses succès lui assurent la protection du connétable Anne de Montmorency, qui lui commande une grotte pour son château d’Écouen. Arrêté comme huguenot, il est incarcéré en 1559 à la prison de Bordeaux, et n’échappe à la juridiction pénale que grâce à l’intervention de son protecteur. Présenté à Catherine de Médicis, il vient à Paris pour exécuter, de 1566 à 1571, une grotte en poterie vernissée destinée au château des Tuileries. Au plus fort des troubles religieux, il donne des conférences publiques d’histoire naturelle, qu’il fait imprimer en 1585 sous le titre de Discours admirables de la nature des eaux et des fontaines tant naturelles qu’artificielles. Ses hautes protections ne l’empêchent pas, en 1589, d’être incarcéré à la Bastille pour avoir refusé d’abjurer, et il meurt en prison un an plus tard. Si Bernard Palissy, créateur des poteries jaspées, a fait accomplir des progrès décisifs à la céramique française par sa technique de downloadModeText.vue.download 684 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 673 cuisson des glaçures, son oeuvre scientifique n’est pas moins remarquable : ses études et observations sur les fossiles font de lui un précurseur de la paléontologie. Panamá (scandale de), grave crise politique et morale qui affecte la IIIe République, en 1892-1893.
Elle a pour origine la révélation, à la suite de la faillite de la Compagnie du canal de Panamá, d’une collusion financière étendue entre le monde des affaires, ceux de la politique et du journalisme. Fondée en 1881 par Ferdinand de Lesseps, promoteur du canal de Suez ouvert en 1869, la « Compagnie universelle du canal interocéanique pour le percement de l’isthme américain » connaît des difficultés financières en 1885 en raison des charges résultant de l’inadaptation de ses entreprises au milieu naturel de l’isthme. Sa recapitalisation, grâce à l’émission d’obligations remboursables par tirage au sort, nécessite le vote d’une loi, alors même que l’opération apparaît d’une rentabilité douteuse. La Compagnie réussit à corrompre nombre de parlementaires et de journalistes. La loi est finalement votée en 1888, et l’émission est lancée auprès de 800 000 souscripteurs, avant la faillite de la société, en février 1889. Les administrateurs ne sont soumis à une instruction judiciaire qu’en mai 1891. Le scandale éclate en septembre 1892, à l’approche des élections législatives, avec la dénonciation de parlementaires « chéquards » et « panamistes » par des journaux comme la Libre Parole de Drumont (antisémite) et la Cocarde (boulangiste). Devant une commission d’enquête parlementaire, des hommes politiques de premier plan, tels Rouvier, Clemenceau ou Floquet, justifient l’acceptation de certaines sommes par le coût du combat politique contre le boulangisme. Le procès pour escroquerie intenté aux administrateurs de la Compagnie n’aboutit en février 1893 qu’à des peines légères, avant d’être cassé pour vice de forme. Les parlementaires soupçonnés, jugés pour corruption, sont tous acquittés en mars 1893, à l’exception de Baïhaut, ministre des Travaux publics en 1886, qui a « naïvement » avoué avoir accepté une importante somme d’argent. Si les nationalistes (Déroulède), les antisémites (Drumont) et les boulangistes ne réussissent pas à ébranler le régime républicain par leurs attaques antiparlementaristes, en revanche, le scandale favorise un renouvellement du personnel politique aux élections législatives d’août 1893 (Floquet et Clemenceau perdent leur siège ; Poincaré, Deschanel, Barthou et Delcassé font leur entrée sur la scène politique), ainsi qu’un reclassement à droite des majorités gouvernementales. En outre, l’affaire politique se double d’un scandale financier, du fait des lourdes commissions prélevées par les banques et qui ont
fragilisé la Compagnie. Après avoir organisé la sécession du territoire colombien de Panamá, les États-Unis mènent à bien les travaux de percement du canal, de 1903 à 1914. Panckoucke (Charles Joseph), éditeur et entrepreneur de presse (Lille 1736 - Paris 1798). Figure légendaire de l’édition, Panckoucke est à la fois un homme de l’Ancien Régime - dont il maîtrise à merveille le système de privilèges et de protections - et un homme de transition. Proche des Philosophes, dont il « vulgarise » les idées dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, il n’est toutefois guère un politique, et les positions qu’il affiche sous la Révolution sont toutes de circonstance. Car ce courtisan qui s’insinue dans les couloirs de l’État n’a qu’une seule passion : l’édition. Entrepreneur inventif, il déploie une intense activité, change de stratégie au gré des circonstances, s’associe à d’autres éditeurs, français ou étrangers, pour réaliser ses grands projets, ou rachète des concurrents pour mieux les éliminer. C’est à la mort de son père (1753), imprimeur-libraire établi à Lille, que Panckoucke, membre d’une nombreuse famille d’origine flamande, abandonne les mathématiques - il voulait être ingénieur - pour la librairie. Cependant, l’hostilité des autorités lilloises, due à ses multiples initiatives en faveur des publications philosophiques, le conduit à s’installer à Paris en 1762, où, à peine arrivé, il est reçu marchand-libraire grâce à l’appui de Malesherbes. Dès lors, achetant d’importants fonds de librairie, vendant les titres non rentables et conservant les plus prospères, il bâtit un empire et accapare le marché de l’édition à partir de 1778. Diffuseur des Lumières avec l’aval de l’État monarchique, il publie tous les grands noms de la philosophie (Rousseau, Voltaire, Raynal...), édités auparavant à l’étranger, réédite l’Encyclopédie de Diderot, dont il a acheté les planches et à laquelle il ajoute des Suppléments, entreprend l’édition de la monumentale Encyclopédie méthodique, grand oeuvre qu’il ne pourra achever, et signe nombre de contrats avec des auteurs de talent (Buffon, Chamfort, La Harpe, Marmontel, Condorcet, Linguet, Mallet du Pan, Suard...). À cela, Panckoucke, qui obtient le monopole des journaux politiques en 1778, joint un véritable empire de presse. Il acquiert les privilèges, fusionne ou crée de nombreuses feuilles - il possédera jusqu’à dix-sept journaux -, qu’il met au service du pouvoir politique et de son entreprise d’édition : Mercure
de France, la Gazette de France, qu’il prend à bail en 1787, ou encore le Moniteur universel, qu’il fonde en 1789. Cependant, la crise révolutionnaire, qui bouleverse le monde de l’édition, met un terme à l’empire de Panckoucke qui, dépassé, abandonne la direction de son entreprise à son gendre, en 1793. À sa mort, ce visionnaire, qui préfigure le triomphe de l’entreprise bourgeoise au XIXe siècle, laisse toutefois à ses descendants une maison d’édition encore importante. Panthéon, monument parisien situé au sommet de la montagne Sainte-Geneviève. Église à l’origine, le Panthéon s’est transformé à la Révolution en temple laïque et républicain. Symbole national, il doit sa renommée aux écrivains, savants et hommes politiques célèbres qui ont été enterrés dans sa crypte, lors de cérémonies solennelles. • Des origines à la Révolution. L’initiative de la construction du Panthéon est prise par Louis XV en 1744, au cours de la guerre de la Succession d’Autriche (1741-1748). Tombé gravement malade, le roi s’en va prier à Sainte-Geneviève et, après son rétablissement, promet aux chanoines de l’abbaye de faire reconstruire leur église, vétuste et délabrée. La nouvelle église est dessinée par JacquesGermain Soufflot, l’un des architectes les plus novateurs du temps, qui projette d’ériger une basilique gigantesque en forme de croix grecque, dotée d’une vaste crypte, destinée à abriter les tombeaux des chanoines, et d’un dôme inspiré de celui de Saint-Pierre de Rome. Fidèle au style néoclassique du XVIIIe siècle et désireux d’imiter l’architecture des temples grecs, Soufflot prévoit également des colonnes corinthiennes surmontées d’un fronton triangulaire. L’édifice est censé proclamer la gloire de la religion chrétienne et célébrer la monarchie française, protectrice de la patrie. Dès le milieu des années 1780, il est nommé « Temple de la nation ». Cette dimension nationale, présente dès les origines, explique sa rapide transformation en temple laïque pendant la Révolution. Après la mort de Mirabeau, en avril 1791, l’église, qui n’a jamais été consacrée, devient, par décret de l’Assemblée constituante, le « Temple de la patrie ». Destiné à accueillir les corps des grands hommes, celui-ci est doté de l’inscription devenue fameuse : « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante ». La figure du grand homme, mise à l’honneur par les Lumières, renvoie à un nouveau type de héros
« intellectuel » - savant ou philosophe - qui a mis ses talents au service de l’humanité. Le nouvel édifice, baptisé « Panthéon » en référence au temple romain, permet aux révolutionnaires d’offrir au peuple une vision unifiée de l’héritage culturel national. En faisant entrer les dépouilles des grands hommes dans ce majestueux monument, la patrie assure leur intégration à la mémoire collective et leur exprime sa gratitude. Mais, par-dessus tout, le Panthéon possède une fonction pédagogique : les citoyens sont incités à pratiquer les valeurs civiques incarnées par ces personnages illustres et à communier dans le culte des nouveaux héros républicains. À cet effet, le monument doit subir une métamorphose qui efface son identité religieuse et mette en lumière sa nouvelle fonction civique : le fronton est orné d’un relief allégorique du sculpteur Jean-Guillaume Moitte, qui montre la Patrie entourée de la Vertu, de la Liberté et du Génie ; quant à l’intérieur de l’édifice, il est vidé de tout objet ou image chrétien. Mais ce sont surtout les cérémonies funèbres, au cours desquelles les dépouilles des grands hommes sont transférées dans la crypte, qui consacrent l’identité nouvelle du monument. Mirabeau est le premier à y entrer, au cours d’une cérémonie impressionnante qui bénéficie de la participation de l’Église. Les autres « panthéonisations » de la décennie révolutionnaire sont aussi de grandioses célébrations civiques néoclassiques, mais dont l’Église est exclue, marquant ainsi le nouveau temple au sceau de la Révolution et de l’anticléricadownloadModeText.vue.download 685 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 674 lisme. Toutes les cérémonies ne se déroulent pas dans la même atmosphère. Tandis que celles qui célèbrent les philosophes prérévolutionnaires - Voltaire (juillet 1791), Rousseau (octobre 1794) - sont calmes et sobres, celles des « martyrs de la Liberté » - Le Peletier de Saint-Fargeau (janvier 1793), Jean-Paul Marat (juillet 1793) - ont lieu dans un climat de fièvre et de provocation. En outre, alors que les corps de Voltaire et de Rousseau restent au Panthéon, ceux des chefs révolutionnaires en sont retirés pendant la Terreur et le Directoire. Au lieu de transcender les clivages politiques, le nouveau monument patriotique accentue les divisions entre la République et l’Église, et à l’intérieur même du camp révolutionnaire. Il n’en reste pas moins un symbole révolu-
tionnaire important, comme en témoigne son destin tumultueux au cours du XIXe siècle. • Du premier Empire aux débuts de la IIIe République. Pendant cette période, chaque changement de régime entraîne un changement de statut du Panthéon. Ces vicissitudes témoignent de la place centrale qu’occupe l’édifice dans l’imaginaire politique de la nation, ainsi que des rapports éminemment divers qu’entretiennent les gouvernements successifs avec les valeurs de la Révolution. L’attitude de Napoléon est ambiguë : s’il rend le Panthéon à l’Église (février 1806) et en fait masquer le fronton « républicain », il continue à faire servir l’édifice de lieu de sépulture aux hommes tenus par lui en haute estime. Dignitaires de l’État et serviteurs zélés de l’Empire - sénateurs, ministres et cardinaux (soit 49 personnes) - succèdent ainsi aux héros des Lumières et de la Révolution. Sous la Restauration, la politique menée envers le temple révolutionnaire apparaît plus cohérente. Le Panthéon est totalement restitué à l’Église, et même cédé à l’ordre des Missionnaires français le 21 janvier 1822, jour anniversaire de l’exécution de Louis XVI. Le relief révolutionnaire de Moitte et l’inscription sont enlevés, la coutume d’enterrer un grand homme ou un dignitaire dans la crypte est abandonnée. La révolution de Juillet, qui place sur le trône un « roi-citoyen », Louis-Philippe d’Orléans, entraîne une nouvelle modification du statut de l’édifice. Le roi retire le monument à l’Église et le convertit en un « Temple des grands hommes » (26 août 1830). L’inscription révolutionnaire originelle est restaurée, et l’on passe commande au sculpteur David d’Angers d’un nouveau relief allégorique pour le fronton, qui met en scène la Patrie, l’Histoire, la Liberté, ainsi que de grandes figures telles que Rousseau, Voltaire et Mirabeau. Cependant, à mesure que le régime devient plus autoritaire, l’enthousiasme qu’il a pu manifester à l’égard du monument faiblit. Tandis que l’opposition républicaine fait quelques vaines tentatives pour y transférer ses chefs décédés, la crypte est fermée au public, et l’inauguration du relief de David d’Angers se déroule très discrètement, après plusieurs ajournements, en septembre 1837. Aucun grand homme n’est enterré au Panthéon durant cette période. Sous la IIe République, le monument républicain et patriotique acquiert une signification
plus large et supranationale, et est rebaptisé « Temple de l’humanité ». On commande au peintre Paul Chenavard une série de fresques retraçant l’histoire du genre humain depuis les temps bibliques jusqu’à Napoléon. Mais le coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851, empêche la réalisation de cet ambitieux programme. Quatre jours plus tard, le Panthéon est rendu à l’Église. Le culte de Sainte-Geneviève remplace celui des grands hommes lorsque les reliques de la patronne de Paris y sont déposées au cours d’une cérémonie de consécration, le 3 janvier 1853. • Une vocation stabilisée. Sous la IIIe République, le statut du monument n’évolue que très lentement. Ce n’est qu’en 1885, à l’occasion des funérailles nationales de Victor Hugo - six ans après la démission de Mac-Mahon et l’élection du premier président de la République républicain -, que le Panthéon est de nouveau désacralisé et consacré au culte des grands hommes. En effet, la crainte était vive, jusqu’alors, de heurter l’opposition cléricale et monarchique qui, comme on pouvait s’y attendre, proteste contre ces funérailles civiles organisées par l’État et contre le changement de statut de l’édifice. L’extrême gauche, quant à elle, condamne la célébration coûteuse du « poète bourgeois ». Cependant, en dépit des protestations, les funérailles de l’écrivain, commencées à l’Arc de triomphe, attirent une foule estimée à plus d’un million de personnes. Après cet événement d’ampleur nationale, le Panthéon demeurera, sans interruption, un symbole républicain, même si son importance connaît, au fil des décennies, de considérables variations. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, le « Temple des grands hommes » est pour le régime son plus prestigieux monument, dont la fonction, comme au temps de la Révolution, est à la fois honorifique, commémorative et pédagogique. Le centenaire de la Révolution est célébré par le transfert des cendres de trois chefs révolutionnaires (Marceau, Lazare Carnot, La Tour d’Auvergne) et du député républicain Baudin. Durant les années qui suivent, le même honneur est rendu à Sadi Carnot, le président de la République assassiné (1894), au chimiste et homme politique Marcelin Berthelot et à sa femme (1907), ainsi qu’à Émile Zola (mort en 1902 et transféré au Panthéon en 1908, lors d’une cérémonie à laquelle assiste Alfred Dreyfus, qui est alors blessé par balle par un journaliste antidreyfusard). Ces dernières funérailles ont tendance
à marquer l’appropriation du Panthéon par la gauche. Après la Première Guerre mondiale, la politique commémorative de la République se concentrant sur les soldats tombés au front, le Panthéon est éclipsé par l’Arc de triomphe : aussi, le Soldat inconnu est-il enterré sous l’arc, monument plus consensuel. Le transfert des cendres du leader socialiste Jean Jaurès, décidé par le Cartel des gauches (novembre 1924), accentue son ancrage idéologique à gauche. Après la Seconde Guerre mondiale, sous la IVe République, tentative est faite de raviver le culte des grands hommes en y transférant les corps de deux scientifiques membres de la Résistance, Paul Langevin et Jean Perrin (novembre 1948), et de deux hommes politiques associés à l’émancipation des peuples colonisés, Victor Schoelcher et Félix Éboué (mai 1949). Cependant, le scepticisme grandissant envers la figure du « grand homme » et le déclin de la ferveur patriotique ont tendance à affaiblir l’éclat symbolique du monument. Charles de Gaulle y fait transférer les cendres de Jean Moulin afin de perpétuer l’image héroïque de la Résistance (décembre 1964) ; mais il s’agit là d’un événement isolé, malgré sa résonance nationale. L’arrivée au pouvoir de François Mitterrand donne une nouvelle actualité au Panthéon, que le président entend d’emblée intégrer dans sa politique de valorisation de la mémoire nationale. Il visite le monument le jour de son accession au pouvoir (21 mai 1981), puis y fait transférer les cendres du juriste René Cassin (octobre 1987), du diplomate Jean Monnet (novembre 1988) et, lors des célébrations du bicentenaire de la Révolution, celles des « intellectuels révolutionnaires » Condorcet, Monge et l’abbé Grégoire. L’un de ses derniers gestes symboliques, avant la fin de son second septennat, est d’y faire entrer la première femme (du moins la première à recevoir cet honneur pour ses propres mérites) : Marie Curie - et son mari, Pierre Curie (avril 1995). Les derniers transferts en date sont les cendres d’André Malraux, en janvier 1997, et celles d’Alexandre Dumas en novembre 2002, durant le mandat présidentiel de Jacques Chirac. Il est peu probable, néanmoins, que le Panthéon joue de nouveau le rôle majeur qui fut le sien pendant la IIIe République. Sans doute appartient-il à une époque qui croyait aux grands hommes, au progrès et à l’unité culturelle de la nation, idéaux qui n’exercent
plus la même fascination aujourd’hui. Paoli (Pasquale de´ Paoli, dit Pascal), homme politique, « général de la Nation corse », appelé « le Père de la patrie » (Morosaglia 1725 - Londres 1807). Rebelle pour les Génois, précurseur de Jefferson pour les Philosophes, admiré de Rousseau, Voltaire, Grimm, nouveau Lycurgue pour Boswell, dangereux ennemi pour Choiseul, qui l’écrasa à Ponte-Novo (1769), figure mythique pour Napoléon, Paoli demeure pour certains Corses le premier des nationalistes car il fut à deux reprises leur principal chef politique (1755-1769 et 1790-1795). Fils de Giacinto de’ Paoli (1690-1768), Pascal Paoli naît pendant la guerre de Quarante Ans (1729-1769), qui oppose l’île à Gênes : son père y combat la République génoise, que Louis XV soutient. En 1739, son père vaincu, il devient officier à Naples. Mais l’assassinat de Gaffori (« général de la Nation ») en 1753 le rappelle au pays. Proclamé général en chef en 1755, il forme un gouvernement, dote la Corse d’une Constitution, crée une université à Corte (1765), un hôtel des monnaies, une marine de guerre. Lorsque la France, forte de 25 millions de sujets, débarque ses troupes face aux 200 000 Corses, Paoli résiste. Vaincu en 1769, il émigre à Londres. C’est la Révolution qui le conduit à Paris, puis en Corse, où il est élu président du conseil départemental et chef de la Garde nationale. Cependant, la politique antireligieuse de la Convention downloadModeText.vue.download 686 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 675 le pousse à faire un jeu proche de celui des contre-révolutionnaires. Destitué en avril 1793, il fait appel aux Anglais et accepte la formation du royaume anglo-corse (17941796). Mais, hostile aux royalistes, étrangers à son idéal démocratique, écarté du pouvoir, il regagne Londres. Il lègue ses biens aux écoles insulaires et tente - en vain - de faire rouvrir l’université de Corte. Mort en exil, il a son épitaphe à Westminster. papauté d’Avignon. L’installation de la papauté en Avignon durant tout le XIVe siècle fait alors de cette cité la capitale de la chrétienté. Elle marque également une étape fondamen-
tale dans l’évolution du pouvoir pontifical et dans les rapports qu’entretient ce dernier avec les États souverains, en particulier avec le royaume de France. C’est en 1309 que Clément V, ancien archevêque de Bordeaux élu pape quatre ans auparavant avec l’appui de Philippe le Bel, s’établit en Avignon. En effet, contrairement à Rome, déchirée par les luttes de factions, la ville présente des garanties de sécurité, car elle est située à proximité du domaine pontifical du Comtat Venaissin, du royaume de France et de la Provence angevine. Jusqu’à son acquisition par Clément VI en 1348, la cité appartient aux rois angevins de Naples, dont Jean XXII a été le conseiller et qui sont parents des rois de France. La nomination de cardinaux d’origine française, essentiellement des Méridionaux, par Clément V (1305/1314), Jean XXII (1316/1334) et leurs successeurs, explique l’élection continue de papes français durant tout le XIVe siècle et la fixation de la papauté en Avignon jusqu’au retour à Rome de Grégoire XI, en 1377. Puis, jusqu’au début du XVe siècle, en raison du grand schisme d’Occident (1378-1417), Avignon demeure résidence pontificale - celle de Clément VII et de Benoît XIII -, tandis que des papes rivaux siègent à Rome. La présence de la Curie transforme la ville en une véritable capitale : diplomates, financiers, commerçants, artistes et étudiants y affluent. Benoît XII (1334/1342) et Clément VI (1342/1352) décident d’y construire un vaste palais, et sont bientôt imités par nombre de cardinaux. Une nouvelle enceinte, édifiée en 1359, fait plus que doubler la superficie de la cité. Cependant, la période avignonnaise marque aussi un profond changement du pouvoir pontifical. En effet, l’idéal théocratique promu par les papes au XIIIe siècle est contrecarré par les pressions, régulières, exercées sur la papauté par les rois de France, depuis Philippe le Bel (1285/1314) jusqu’à Charles V (1364/1380), pour des raisons à la fois fiscales et politiques. Par ailleurs, le renforcement de la centralisation administrative dans les institutions ecclésiastiques et le développement considérable de la fiscalité pontificale suscitent de nombreuses oppositions, tant chez les clercs que chez les laïcs. De même, l’établissement durable des papes loin de Rome - ville dont l’apôtre Pierre fut le premier évêque - n’est pas unanimement accepté. Enfin, le contrôle accru du pape sur la collation des bénéfices ecclésiastiques et la pratique du népotisme favorisent la consti-
tution de clans cardinalices, dont la rivalité se trouve directement à l’origine du Grand Schisme. Papier timbré (révolte du), révolte qui éclate en Bretagne en 1675. Elle a lieu au moment où la province sort d’une ère de prospérité très longue, originale en France, pour connaître des difficultés économiques durables. Au sens strict, cette révolte concerne la plupart des villes bretonnes, et en particulier Rennes, où elle commence le 18 avril et atteint son paroxysme en juin. L’occasion de cette rébellion est l’instauration de nouvelles taxes, d’un monopole royal de la vente du tabac, et la création d’un droit d’enregistrement des actes officiels par le recours au papier timbré. Faute de troupes dans la province, la répression tarde jusqu’en octobre : une rue de Rennes est presque entièrement rasée, la troupe loge chez les habitants, et, surtout, le parlement est exilé à Vannes jusqu’en 1689, un départ aux conséquences économiques très graves pour la ville. Cependant, l’importance de l’événement tient aussi - au moins, autant - à sa simultanéité avec une révolte paysanne, dirigée à la fois contre les abus des seigneurs et l’instauration des nouvelles taxes, qui touche essentiellement le centre et le sud du Finistère actuel pendant tout l’été. Connu sous le nom de « révolte des Bonnets rouges », le mouvement rural a laissé plusieurs remarquables cahiers de revendications paysannes, les « codes paysans ». Son écho, en pleine guerre de Hollande, est international, et il est également largement commenté par la marquise de Sévigné, qui séjourne alors en Bretagne. Une vision « romantique » en est donnée par le mouvement contestataire breton des années 1970, ravivant un souvenir entretenu d’autant plus fortement qu’il s’agit de la seule révolte populaire importante en Bretagne entre le XVe siècle et 1793. Papin (Denis), physicien et inventeur (Chitenay, près de Blois, 1647 - Londres 1712). Papin appartient au groupe de savants qui participent au renouveau de la science au XVIIe siècle. Sa contribution à la « philosophie expérimentale » tient au perfectionnement de la pompe à air, enjeu de débats passionnés entre Boyle, Hobbes et Huygens. Papin collabore à Paris avec Huygens et publie les Nouvelles Expériences du vide (1674). Envoyé à Londres en 1675, il met au point, avec Boyle,
un nouveau modèle, meilleur marché, et favorise la diffusion commerciale de la pompe à air. Membre de la Royal Society en 1680, Papin s’intègre aux réseaux savants anglais. Il poursuit aussi les travaux de Huygens sur la machine à poudre (dans laquelle la pression atmosphérique abaisse un piston) et s’intéresse aux diverses utilisations de la vapeur (digesteur, 1682). Il quitte l’Angleterre en 1687 mais, étant protestant, il ne peut rejoindre la France. Il s’installe à Cassel, à Marbourg, où le landgrave soutient son effort inventif, qui concerne surtout le cylindre à foyer mobile (1690) et la machine à vapeur avec piston (« machine de l’Électeur »), qu’il décrit en 1707 et qui améliore celle de Savery. Mais ses relations avec le landgrave sont fluctuantes et son projet de bateau à vapeur est compromis. Il se retire à Londres, où il meurt, sans gloire. Le rôle de la pression atmosphérique et l’utilisation du piston sont cependant des apports majeurs, comme le confirme la machine à vapeur de son contemporain anglais Thomas Newcomen (1663-1729). Papon (procès), procès qui s’ouvre le 8 octobre 1997 pour juger Maurice Papon, secrétaire général de la préfecture de la Gironde de juin 1942 jusqu’à la Libération, accusé de complicité de crimes contre l’humanité. Le 2 avril 1998, au terme du plus long procès dans l’histoire française contemporaine, après un délibéré de dix-neuf heures, la cour d’assises siégeant à Bordeaux condamne l’ancien haut-fonctionnaire à dix ans de réclusion criminelle et à la privation des droits civiques pour complicité d’arrestations illégales et de séquestrations arbitraires, sans toutefois retenir la complicité d’assassinat. L’« affaire Papon » éclate le 6 mai 1981, entre les deux tours de l’élection présidentielle, quand le Canard Enchaîné révèle que celui qui est alors ministre du Budget dans le gouvernement Barre a joué un rôle dans la déportation des juifs de Bordeaux durant l’Occupation. Il a fallu seize années de procédure judiciaire avant que Maurice Papon comparaisse devant ses juges ; il a été inculpé en 1983 puis, après annulation de la procédure, à nouveau en 1988 et en 1992. Le procès est riche en péripéties. Le 10 octobre 1997, les trois magistrats de la cour d’assises ordonnent la mise en liberté de l’accusé en raison de son grand âge (87 ans), provoquant l’ire des avocats des parties civiles. Le 28 janvier 1998, l’un d’entre eux, Me Arno
Klarsfeld, affirme que le président de la cour d’assises, Jean-Louis Castagnède, a un lien de parenté par alliance avec plusieurs des victimes déportées. Au cours de l’examen du curriculum vitae de l’accusé, est évoquée la répression sanglante, durant la guerre d’Algérie, de la manifestation des Algériens du 17 octobre 1961, alors que Maurice Papon était préfet de police de Paris. Mais l’essentiel des débats porte sur le rôle exact de l’accusé dans la déportation des juifs de Bordeaux, s’appuyant tout à la fois sur des documents administratifs et sur des témoignages de personnes, qui, dans leur grande majorité, n’ont connu ni les faits ni l’accusé. Témoignent ainsi, cités par la défense, certains barons du gaullisme comme Pierre Messmer, Maurice Druon ou Olivier Guichard et de grands résistants comme Jean Mattéoli. Des parents de victimes, parties civiles, sont entendus par la cour. Des historiens sont aussi appelés à la barre, par l’accusation, comme l’Américain Robert Paxton, Jean-Pierre Azéma, Philippe Burrin, ou Marc-Olivier Baruch, auteur d’un ouvrage sur l’administration française sous le régime de Vichy, ou par la défense, comme René Rémond, Henri Amouroux, ou Michel Bergès, qui a fourni en 1981 les premiers documents compromettant Maurice Papon mais qui a ensuite dénoncé les lacunes du dossier d’instruction. downloadModeText.vue.download 687 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 676 À travers les témoignages, les archives présentées à l’audience, les plaidoiries de la défense, se dégagent un certain nombre de questions dont les médias se font les relais. Le procès Papon devait être, de l’avis de certains journalistes et hommes politiques, à la fois le procès de Vichy et une formidable leçon d’histoire. Or, ce fut le procès d’un homme, jugé pour des faits relevant de sa responsabilité. Maurice Papon n’était peut-être pas la personne la plus à même d’illustrer la complicité de Vichy dans la destruction des juifs de France. Manquaient des chaînons essentiels : Pierre Laval, condamné à mort et exécuté en 1945, sans d’ailleurs que le génocide des juifs jouât le moindre rôle dans sa condamnation ; René Bousquet, secrétaire général de la Police sous Vichy, assassiné en 1993 avant l’ouverture de son procès ; Maurice Sabatier, supérieur direct de Papon, inculpé de crimes
contre l’humanité en 1988 et décédé en 1990. Cinquante-cinq ans ont passé depuis les faits reprochés à l’accusé, avec des conséquences paradoxales. D’un côté, la quasi-absence de témoins directs ; mais, de l’autre, une multitude de travaux historiques dessinant la chaîne qui a permis que des juifs fussent déportés de France vers les camps pour y être assassinés : fichage, spoliations de tous leurs biens, concours apportés aux nazis par les forces de l’ordre françaises. Le procès, par sa longueur même, a montré la complexité de ces circuits administratifs, et la difficulté de rendre à chacun sa place et sa responsabilité. En 2002, Maurice Papon est remis en liberté en raison de son état de santé. Paré (Ambroise), chirurgien (BourgHersent, aujourd’hui en Mayenne, vers 1509 - Paris 1590). Dénigrée jusqu’à la Renaissance pour des raisons culturelles et religieuses par une faculté de médecine jalouse de son art, la chirurgie franchit un cap décisif grâce aux praticiens du XVIe siècle, parmi lesquels Ambroise Paré tient une place de premier plan. Simple marmiton, puis barbier du comte de Laval, il apprend la chirurgie à Angers, et à l’Hôtel-Dieu de Paris, où il pratique les premières amputations sur des nez gelés. Outre son talent, les circonstances lui sont favorables : chirurgien militaire en 1536, il constate que les blessures faites par les armes à feu nécessitent la rénovation de son art. Paré veut en finir avec la pratique barbare de la cautérisation des plaies par l’huile bouillante et le fer rouge. Il perfectionne les procédés de cautérisation en démontrant que la poudre n’est pas vénéneuse et, en 1552, lors de la campagne des Trois-Évêchés, il met au point la ligature des artères, sa découverte majeure. Ayant sauvé le duc de Guise - dit le Balafré -, il est promu chirurgien ordinaire d’Henri II, ce qui l’autorise à passer l’examen de chirurgie, bien qu’il ne sache pas le latin. Dénigré parce qu’il place l’expérience au centre de son art, Ambroise Paré devient pourtant premier chirurgien de Charles IX (qui le sauve de la Saint-Barthélemy). Mais sa notoriété reste controversée. Ses nombreux ouvrages n’empêchent pas l’Université de l’accuser de dépasser les limites de la chirurgie. « Les chirurgiens, écrit-il, m’ont voulu plonger la tête pour me faire noyer. » Il conserve néanmoins son titre sous Henri III, ce qui témoigne de son prestige (ses oeuvres complètes sont publiées
avant sa mort), ainsi que de son acharnement à développer une chirurgie moderne délestée du poids des superstitions et soucieuse de soigner, également, le riche et le pauvre. l PARIS. L’histoire politique, culturelle et sociale de Paris est indissociable de l’histoire de la France, tout autant que l’histoire de son développement urbain. Dotée d’un poids démographique essentiel, la capitale est soumise au pouvoir politique, qui considère qu’elle ne peut échapper à son contrôle. Pendant des siècles, elle s’est développée au-delà des enceintes. C’est seulement en 1932 que le législateur a défini la Région parisienne. Aujourd’hui, Paris et son agglomération sont souvent confondus. La capitale stricto sensu ne rassemblait en 1990 que 2,15 millions d’habitants, mais l’agglomération en comptait 9,3 millions. À ce titre, elle était considérée comme la seizième agglomération mondiale, loin derrière celle de Tokyo, classée au premier rang avec 24 millions d’habitants. NAISSANCE ET DÉVELOPPEMENT DE LUTÈCE À l’origine petite bourgade peuplée de mariniers et de pêcheurs celtes de la tribu des Parisii, le site de Lutèce, au centre du Bassin parisien, sur les bords de la Seine, bénéficie de la présence de nombreuses îles, qui peuvent à la fois favoriser le franchissement du fleuve et servir de refuges en cas d’agressions ; les collines - Montmartre, Belleville -, qui culminent à plus de 100 mètres d’altitude, ont l’avantage d’échapper aux risques d’inondations. On sait peu de chose de l’occupation de ce territoire antérieurement au IIIe siècle avant J.-C., même si les fouilles effectuées en 1991 sur le site de Bercy ont attesté l’existence de relations avec les villes méditerranéennes dès le VIIe siècle avant J.-C. Jules César a bien compris l’importance stratégique de l’oppidum gaulois de taille modeste - de 8 à 9 hectares - qui contrôle l’île de la Cité et commande le franchissement de la Seine : en 52 avant J.-C., il demande à Labiénus, son lieutenant, de s’en emparer. L’incendie de l’île de la Cité par les Gaulois ne suffit pas à empêcher la victoire romaine. La ville gallo-romaine est organisée selon une double logique : fermée et fortifiée dans l’île, ouverte et monumentale sur les pentes douces de la montagne Sainte-Geneviève, sur la rive gauche de la Seine. Elle se structure autour du cardo - les rues Saint-Jacques et Saint-Martin actuelles - et du forum novum, beaucoup plus vaste que le forum vetus, situé
sur l’île de la Cité. Outre des arènes - en fait, un amphithéâtre à scène -, trois thermes sont construits, ainsi qu’un théâtre. La superficie de Lutèce s’accroît alors - elle atteint 52 hectares - en même temps que sa prospérité. La corporation des nautes, qui assurent les transports sur le fleuve, joue un rôle important : en témoignent le fameux pilier des nautes élevé sous le règne de Tibère (14-37 après J.-C.) et le fait que leur emblème, la proue d’un navire, est sculpté sur une console des thermes de Cluny. Pour autant, cette cité qui compte peut-être 6 000 habitants au milieu du IIIe siècle est alors une ville aux dimensions fort modestes, rattachée à la province romaine de la Lyonnaise. À la même époque, Lyon aurait compté 30 000 habitants, Reims ou Autun 15 000. Le milieu du IIIe siècle constitue une période charnière dans l’histoire de la ville : le christianisme s’implante sur les bords de la Seine, et les invasions barbares provoquent l’abandon de la rive gauche et le repli sur l’île de la Cité. Au même moment, la dénomination des villes se transforme. Alors que, dans la tradition toponymique romaine, les noms des villes sont empruntés aux noms communs désignant des lieux géographiques, et non pas aux noms des peuples, les invasions engendrent un mouvement inverse : Lutèce redevient la ville des Parisii. L’ÉMERGENCE D’UNE CAPITALE Après sa conversion au catholicisme et ses victoires sur les Alamans et les Wisigoths, Clovis choisit Paris pour capitale au début du VIe siècle - un statut que la ville conservera pendant un siècle malgré les déchirements des successeurs du roi mérovingien. Jusqu’au Xe siècle, la royauté itinérante des descendants de Clovis, le choix d’Aix-la-Chapelle comme capitale par Charlemagne et les invasions normandes affaiblissent le pouvoir d’une ville qui, cependant, compte sans doute quelque 20 000 habitants au début du IXe siècle, soit une taille équivalente à celle de Tours ou de Reims. Au milieu du Xe siècle, la constitution du duché de France, entre Seine et Loire, ne fait pas encore de Paris la capitale des Capétiens puisque les successeurs d’Hugues Capet, élu roi des Francs (rex Francorum) en 987, partagent encore leur résidence entre Senlis, Étampes, Orléans et Paris. Il faut attendre les règnes de Louis VI (1108/1137) et de Louis VII (1137/1180) pour que Paris prenne
définitivement le pas sur Orléans et pour que l’abbaye de Saint-Denis devienne sépulture royale. Mais c’est Philippe Auguste qui donne à Paris les véritables fondements de sa suprématie, et fixe les conditions de son développement urbain : le Trésor royal est conservé au Temple, et le Palais de la Cité abrite les archives de la monarchie. Plus important encore : avant de partir en croisade, le roi, mettant à profit un financement accordé par les bourgeois de Paris, ordonne l’édification d’une muraille longue de 2 800 mètres qui enserre, sur la rive droite, quelque 170 hectares (1190-1209). Au même moment commence la construction du Louvre, forteresse avancée en direction de la Normandie, alors possession du roi d’Angleterre. De 1209 à 1213, Philippe Auguste fait dresser, à ses frais, un rempart sur la rive gauche, long de quelque 2 600 mètres. La muraille de Philippe Auguste, dont l’un des objectifs est de favoriser la densification du peuplement intramuros, n’empêche pas le développement, de part et d’autre du rempart, d’une ville dont la superficie atteint désormais 273 hectares. La construction de fortifications sera ensuite poursuivie, notamment sous Charles V, afin de compléter l’enceinte : de 1358 à 1383, la downloadModeText.vue.download 688 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 677 rive droite est enserrée par une nouvelle muraille et l’édification de la Bastille renforce les défenses orientales de la ville. Sous le règne de Louis IX (1226/1270), la ville connaît un essor extraordinaire. Elle est l’un des premiers centres textiles de l’Europe d’alors. Témoignage de cette puissance économique, le Livre des métiers d’Étienne Boileau (1268) y dénombre plus d’une centaine de métiers organisés. La ville abrite peut-être 200 000 habitants à ce moment. Résidence privilégiée du roi, elle attire les grands féodaux, qui s’y font construire des hôtels ; et, surtout, l’administration royale s’y sédentarise. Sur la rive gauche se sont installés, dès le XIIe siècle, des clercs et des étudiants - soucieux d’échapper au contrôle de l’évêque -, après avoir quitté l’île de la Cité où se trouvait à l’origine l’Université. Pendant un siècle (du milieu du XIIIe au milieu du XIVe siècle), de nombreux collèges sont fondés autour de la place Maubert. En 1257 est créé le collège de Sorbon et, vers 1300, quatorze collèges de ce type fonctionnent.
Enfin, en termes symboliques, la prééminence parisienne s’affirme après la sanctification de Louis IX (Saint Louis), dont les reliques se trouvaient auparavant à l’abbaye de Saint-Denis. Philippe le Bel entend, en effet, confisquer au seul profit du roi et de sa chapelle privée les reliques de son grandpère. Selon Jacques Le Goff, « la monarchie française, dès le début de sa marche vers l’absolutisme, voulait écarter le peuple de la vertu des reliques de Saint Louis » : le roi ne peut triompher complètement de la résistance des moines de la célèbre abbaye mais réussit, avec l’accord de la papauté, à transférer la tête, considérée comme la partie la plus éminente du corps. La translation a lieu en 1306. « Par un macabre jeu de mots, l’opération fut, dès le XIVe siècle, justifiée par la considération qu’il était légitime et même bon que la tête du saint roi ait été transportée dans le lieu (la sainte chapelle du palais royal) qui était considéré lui-même comme “la tête du royaume” (caput regni). » LE ROI ET LA VILLE Parallèlement à la croissance de l’administration royale, une administration municipale s’est mise en place. Constitué autour de la hanse des marchands de l’eau, le « parloir aux bourgeois » édicte la justice en matière de navigation sur la Seine et de commerce. Le premier prévôt des marchands apparaît en 1263, assisté de quatre échevins et de vingt-quatre prud’hommes. Ce parloir n’est transféré en place de Grève (l’actuelle place de l’Hôtel-deVille) qu’en 1357, sous la prévôté d’Étienne Marcel. Le représentant du roi dans la ville, le prévôt de Paris, a alors son siège au Châtelet. En ces temps de conflit entre monarchie anglaise et monarchie française - le roi Jean le Bon est alors prisonnier des Anglais -, pouvoir royal et pouvoir municipal connaissent des affrontements violents, qui se terminent par le triomphe du dauphin, le futur Charles V, et la défaite des partisans d’Étienne Marcel, en 1358. Ce dernier, héritier d’une riche famille de drapiers et de changeurs, s’érige en chef du parti réformateur, qui souhaite voir la monarchie en revenir à une fiscalité plus légère. Mais surtout, Étienne Marcel et ses partisans, qui vivent les temps difficiles consécutifs à la grande peste de 1348, rêvent d’un retour à l’âge d’or du « beau XIIIe siècle ». De leur échec date le lent déclin des franchises municipales. La révolte des Maillotins (1382), la guerre
civile entre Armagnacs et Bourguignons (1470-1422), la révolte cabochienne (1413), l’occupation anglaise de Paris (1420-1436), le siège par Charles VII (1436), ont distendu les liens entre le roi et la grande ville. La cour séjourne plus souvent en Touraine que sur les bords de la Seine. En mars 1528, François Ier écrit à la municipalité de Paris : « Notre intention est, dorénavant, de faire notre demeure et séjour en notre bonne ville et cité de Paris et alentours plus qu’en autres lieux du royaume, connaissant notre château du Louvre être le lieu le plus commode et à propos pour nous loger. » Le roi témoigne ainsi sa confiance aux Parisiens qui ont payé une partie de la rançon exigée pour sa libération après la défaite de Pavie (1525). En 1533, il leur donnera, d’ailleurs, une nouvelle marque d’attachement en confiant à l’architecte italien Domenics Bernabei, dit le Boccador, la construction d’un nouvel hôtel de ville. Mais la décision de François Ier ne suffit pas à faire de la capitale la résidence exclusive du monarque. D’abord, parce que les troubles politiques rendent la cité dangereuse pour le pouvoir - on songe aux guerres de Religion ou à la Fronde - mais, surtout, parce que les rois de France différencient nettement la résidence de la cour de la capitale du royaume. Cette dualité spatiale du pouvoir royal a d’évidentes répercussions sur l’aménagement de Paris « capitale en second », selon l’expression de Maurice Garden. Au début du XVIe siècle, alors que Paris est la première ville d’Europe, avec plus de 220 000 habitants - au même moment, Londres n’en compte que 50 000 et Rome moins de 60 000 -, le réseau de ses rues reste néanmoins mal organisé et les officiers royaux peinent à embellir une ville où l’habitat le dispute aux établissements religieux. La monarchie n’entend pas moins inscrire les symboles royaux dans le tracé urbain. Cette symbolique s’inspire de la redécouverte de l’Antiquité et des exemples italiens. La volonté des rois est, comme le souligne Maurice Garden, de « magnifier en Paris la réunion de Jérusalem, Constantinople et Rome ». Il faut fixer dans la durée de la pierre l’éphémère des entrées royales : d’où ces arcs de triomphe, ces portes, et surtout ces places royales, qui sont autant de mises en scène destinées à célébrer l’image du roi, mais aussi à aérer le tissu urbain ; les places royales abritent la statue du monarque et répondent à une volonté de réglementation du développement urbain ; les matériaux autorisés pour les bâtiments sont précisément déterminés, et l’ordonnance des constructions obéit à une exigence de symétrie. Ce programme se lit à la fois place Dau-
phine et place Royale (aujourd’hui place des Vosges), mais également place des Victoires et nouvelle place Royale (actuelle place de la Concorde). Avant que la cour (1682), Louis XIV ville ouverte, de sinon impossible,
ne s’installe à Versailles décide de faire de Paris une manière à rendre difficile, toute velléité de résistance
aux troupes royales. La destruction du mur de Charles V, de la porte Saint-Honoré à la porte Saint-Antoine, s’accompagne d’une opération de lotissement de grande envergure et du dégagement de vastes avenues plantées d’arbres, les boulevards. UNE VILLE HORS DU DROIT COMMUN Pour administrer Paris, la monarchie a un double souci : limiter le pouvoir de ses bourgeois, et déléguer certains des pouvoirs détenus par son prévôt, qui est recruté dans la grande noblesse dès le milieu du XVe siècle. Elle lui adjoint d’abord un « garde de la prévôté », qui sera bientôt épaulé par des lieutenants (au nombre de quatre sous le règne de François Ier). En 1667 est instituée une cinquième lieutenance, dite « de police », responsable de l’éclairage, de la propreté des rues, de l’approvisionnement des halles, de la surveillance des imprimeries, du contrôle des corporations. Le lieutenant général - le premier en titre est La Reynie (1625-1709), qui restera en fonction pendant trente ans - est désormais le personnage le plus important de l’administration parisienne. Les pouvoirs de la municipalité continuent d’être vidés de leur contenu lorsqu’en 1681 les charges de l’Hôtel de Ville, à l’exception de celles du prévôt des marchands et des échevins, deviennent vénales. C’est précisément l’année suivante que le roi s’installe à Versailles. Ces institutions complexes, qui sont le résultat de la sédimentation séculaire d’organes et de compétences, sont officiellement balayées le 15 août 1789 par une assemblée des « représentants de la Commune de Paris ». En mai 1790, l’Assemblée nationale constituante précise le fonctionnement de la municipalité : divisée en quarante-huit sections, la ville est désormais gérée par un maire élu pour deux ans. Outre le conseil municipal, un conseil général de la Commune est institué. Ce système, dont le bon fonctionnement dépend de l’accord des sections, dure peu de temps : le 10 août 1792, au moment où la monarchie s’effondre, des « commissaires
insurgeants » se constituent en Commune insurrectionnelle après avoir renversé la municipalité légale. Obligées par la Convention à procéder à de nouvelles élections pour mettre en place une Commune légale, les sections, en raison de nombreux votes contradictoires, mettront plusieurs mois à élire leurs représentants. Robespierre entend alors subordonner le nouveau conseil général de la Commune, dominé par Hébert, au pouvoir du Comité de salut public. Après la chute de la Commune hébertiste, en mars 1794, et après celle des partisans de Robespierre, le 10 thermidor an II (28 juillet 1794), la Commune n’a plus d’existence réelle : sur les 144 membres qui composent son conseil général, seuls 13 sont en liberté, les autres sont emprisonnés ou ont été guillotinés. La municipalité est officiellement supprimée, et la capitale passe sous la tutelle de l’État. Ces décisions sont confirmées en octobre 1795, lorsque le décret sur la division du territoire national remplace le département de Paris par le département de la Seine. Désormais, Paris relève d’un régime municipal d’exception. downloadModeText.vue.download 689 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 678 Si l’on met à part l’année 1848 - deux maires sont nommés du 24 février au 19 juillet - et les années 1870 et 1871 - deux maires, François Arago et Jules Ferry, sont également nommés -, la ville n’aura plus de maire jusqu’à l’élection de Jacques Chirac, le 25 mars 1977. Les raisons d’une telle situation font l’objet d’un consensus, près de deux siècles durant, des acteurs de la vie politique et administrative : au fond, Paris est une ville à part. Le préfet de la Seine, le baron Haussmann, ne s’encombre d’ailleurs pas de périphrases lorsqu’il déclare : « La capitale appartient au gouvernement », et « si Paris est une grande ville, c’est surtout la capitale d’un grand Empire, voilà pourquoi c’est un préfet de l’Empire qui y remplit les fonctions administratives qu’exerce partout ailleurs un maire ». Sur un tout autre ton, en 1974, le Premier ministre, Jacques Chirac affirme encore, lors d’un entretien publié par France-Soir : « Le caractère très spécifique de la Ville de Paris ne permet en aucun cas d’envisager un maire élu. Paris est la capitale de la France, une ville d’une très grande ampleur où les problèmes sont bien particuliers, ce qui justifie que son organisation soit spécifique. »
LE POIDS POLITIQUE ET DÉMOGRAPHIQUE DE LA VILLE AU XIXe SIÈCLE L’une des principales caractéristiques de l’urbanisation de la France au XIXe siècle est la prééminence de sa capitale, mais aussi des communes qui l’environnent. En 1811, la ville intra muros compte 622 000 habitants et les communes de sa banlieue à peine 8 000, soit au total 630 000 habitants ; un siècle plus tard, sa superficie a doublé, sa population atteint 2 888 000 habitants et la banlieue 1 266 000 million, soit au total 4 154 000 millions. La banlieue parisienne a toujours eu une croissance plus vigoureuse que la communecentre, sauf pendant le Second Empire ; mais il s’agit là d’un artifice statistique dû à l’annexion des communes situées entre le mur des Fermiers généraux et les Fortifications (Belleville, Montmartre, Vaugirard...). L’agglomération parisienne - la définition en est constante - connaît un taux de croissance moyen annuel très supérieur à celui des autres villes de France, même si la période qui suit le Second Empire enregistre un net ralentissement. Dès l’époque médiévale, l’émigration a joué un rôle essentiel dans la croissance urbaine. À la fin du XIXe siècle, un statisticien américain, Adna Weber, a bien montré la différence qui sépare à cet égard Londres de Paris : alors que, dans la capitale anglaise, la croissance naturelle (différence entre les naissances et les décès) représente 84 % de la croissance de la ville, le solde migratoire à Paris (différence entre l’immigration et l’émigration) rend compte des deux tiers de la croissance totale ; même l’annexion de la banlieue proche compte plus (20 %) que la croissance naturelle (15 %). Après les années 1870, l’immigration vers l’agglomération parisienne est essentiellement absorbée par les banlieues, et une différence apparaît en fonction de l’origine des migrants. Alors que ceux qui quittent de petites communes rurales s’installent en banlieue, les habitants originaires de grandes villes s’établissent à Paris intra muros. Dans ce dernier cas, il s’agit d’un véritable mouvement de délocalisation des élites. Jean Bouvier, étudiant les Bonnardel, une famille lyonnaise passée de la batellerie aux grandes affaires, décrit ainsi le phénomène : « En 1894, comme pour consacrer l’évolution produite, Jean-Marie Bonnardel quitte le terrain lyonnais et s’installe définitivement à Paris, au 44
de l’avenue des Champs-Élysées. C’en est fait : ce fils du capitalisme lyonnais abandonne en pleine force de l’âge, à 46 ans, le milieu qui l’a formé. » Les habitants originaires de Paris qui élisent résidence en banlieue représentent, à cette époque, un banlieusard sur cinq. Les différences d’une commune à l’autre sont parfaitement perçues par les contemporains. De manière générale, on peut affirmer que, plus le niveau social d’une banlieue est élevé, plus la part des natifs de Paris y est forte. Cela est attesté par les monographies du conseil général de la Seine qui associent le caractère bourgeois des communes de l’Ouest avec la présence des villégiatures de Parisiens : « Par suite des goûts de villégiature dont les Parisiens témoignent de plus en plus et des facilités qu’ils ont à les satisfaire, les villas, luxueuses ou modestes, gagnent chaque jour davantage sur les terrains affectés à la culture... » Alors que, dans le cas des autres villes françaises, les migrants repartent souvent vers d’autres cieux, en particulier au terme de leur activité professionnelle, ceux qui ont émigré à Paris y demeurent jusqu’à leur mort. Rares sont les habitants qui abandonnent la capitale ou les communes périphériques après y avoir vécu : cette différence est fondamentale pour comprendre le comportement et les valeurs des « Parisiens ». LES GRANDES TRANSFORMATIONS DU XIXe SIÈCLE Dans les premières décennies du XIXe siècle, Paris n’a pas encore totalement rompu avec la structure urbaine mise en place à l’époque médiévale. En témoignent la faible superficie de la ville et la forte concentration des fonctions urbaines dans un espace restreint. Aucune spécialisation du sol n’est à l’oeuvre : les quartiers centraux, proches du fleuve (quartier SaintHonoré, quartier des Marchés, quartier des Lombards, quartiers des Arcis), rassemblent, dans un dédale de rues étroites, le bâtiment de la Banque de France, le siège social de la Caisse d’épargne, l’Hôtel des Postes, les bâtiments des Messageries installés à proximité des imprimeries et des journaux, les commerces de draps, les Halles, les bouchers qui tuent sur place les animaux, les mégissiers qui traitent les peaux... L’absence de spécialisation fonctionnelle renvoie à l’importance des relations de proximité et à la concentration des activités au centre-ville. Cette concentration, ainsi que la
présence de garnis où loge une main-d’oeuvre instable d’hommes de peine, de portefaix, de débardeurs, indispensables aux activités commerciales et portuaires, d’ouvriers du bâtiment qui ne peuvent guère s’éloigner de la place de Grève, leur lieu d’embauche, expliquent les très hautes densités observées dans le centre de la capitale. Afin de pallier la saturation de l’espace urbain, la pratique de la surélévation - on élève les combles afin d’y créer de nouveaux espaces d’habitation, soit en ayant recours à des constructions en pans de bois, soit en modifiant le profil de la charpente, soit en utilisant une maçonnerie légère - et celle du « bourrage des parcelles » sont généralisées. À la profondeur des parcelles parisiennes correspond alors une hiérarchie des activités qui renvoie à l’éloignement par rapport à la rue, comme l’a montré François Loyer : « À l’alignement, les fonctions nobles du logement et du commerce ; sur cour, des logements de moindre prestige et des stocks ou des activités artisanales... Cette descente dans la hiérarchie peut aller jusqu’à l’activité maraîchère, en coeur d’îlot, lorsque les parcelles sont très profondes. » Paris est alors une « ville malade » et sa restructuration s’impose d’urgence. Entreprise durant la première moitié du siècle, celle-ci ne prendra véritablement toute sa portée et sa signification qu’au cours du second Empire. Non que la ville ait ignoré les transformations avant l’arrivée d’Haussmann à la préfecture de la Seine, en juin 1853 ; mais les grands travaux prennent, dès ce moment, des dimensions nouvelles : globalement, les sommes engagées par le baron pour transformer Paris sont quarante fois supérieures à celles engagées sous la monarchie de Juillet, lorsque Rambuteau était préfet de la Seine. On connaît la charge satirique - les Comptes fantastiques d’Haussmann - que Jules Ferry écrira juste avant la chute du préfet, en janvier 1870, y dénonçant les emprunts exorbitants exigés par cette politique de grands travaux. « Paris assaini, agrandi, embelli » : la formule est inscrite sur l’arc de triomphe dressé pour l’inauguration de la rue Malesherbes par Napoléon III, en 1861. Ce slogan résume assez pertinemment les objectifs des transformations opérées sous le second Empire. Haussmann raconte en ces termes sa première rencontre avec l’empereur, lors de son arrivée à Paris : « Il était pressé de me montrer une carte de Paris sur laquelle on voyait, tracées
par lui-même, en bleu, en rouge, en jaune et en vert, suivant leur degré d’urgence, les différentes voies nouvelles qu’il se proposait de faire exécuter. » Les travaux sont effectués en trois étapes, qui correspondent à trois réseaux de circulation coordonnés. Le premier est mis en place bien avant 1858 : il réalise la « grande croisée de Paris », au niveau du Châtelet, au carrefour de l’axe est-ouest (rue Saint-Antoine et rue de Rivoli) et de l’axe nord-sud (boulevard de Sébastopol et ce qui deviendra le boulevard Saint-Michel). Le coeur de la ville, où l’entassement des habitants était maximal, est ainsi aéré ; l’Hôtel de Ville et l’île de la Cité sont dégagés. L’objectif du second réseau, financé par l’État et par la Ville, est de relier les différents quartiers de la capitale. Le troisième réseau, financé par la Ville seule, doit favoriser les échanges entre l’ancien Paris intra muros et les espaces annexés le 1er janvier 1860. Au terme des travaux, qui se poursuivent après la chute d’Haussmann, l’ensemble du réseau de circulation parisien est entièrement réamédownloadModeText.vue.download 690 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 679 nagé. Le prolongement de la rue de Rivoli et le percement du boulevard de Strasbourg sur la rive droite, celui du boulevard Saint-Michel sur la rive gauche permettent, pour reprendre la formule du préfet de la Seine, « de satisfaire aux nécessités d’une circulation toujours plus active. » Parallèlement, la mise en place d’un réseau polyétoilé à l’est - place du Trône (aujourd’hui place de la Nation) - et à l’ouest place de l’Étoile, (aujourd’hui place Charlesde-Gaulle) - réorganise l’ensemble du trafic et entraîne un désengorgement du centre. Les grands boulevards issus de cette réorganisation se caractérisent par leur monumentalité. Ils sont autant d’emplacements prestigieux pour les sièges sociaux des grandes sociétés et pour les grands immeubles cossus. Lors de l’inauguration du boulevard Malesherbes, qui traverse la plaine Monceau et l’ancienne Petite-Pologne, la presse saisit bien la signification sociale des transformations opérées : à la place des « vastes superficies où on ne rencontrait que des taudis de logeurs, des cahutes de chiffonniers, des chantiers de toutes espèces, des cloaques de toutes odeurs... [s’édifie] cette ville de palais que nous bâtit M. Pereire du côté de Courcelles ». La manière dont Paris a été restructuré pendant la seconde moitié du XIXe siècle a provo-
qué une déconcentration de la monumentalité, qui prend toute sa signification lorsqu’on la compare aux transformations survenues au même moment à Vienne. Donald Olsen, qui a comparé les deux capitales, souligne que, si l’on avait procédé de la même façon sur les bords du Danube et sur les rives de la Seine, les Champs-Élysées auraient accueilli l’Opéra et le Louvre, la Sorbonne et la Chambre des députés, l’Hôtel de Ville et la Bourse... Les transformations de la capitale n’ont évidemment pas été sans conséquences sur la répartition de la population. Mais l’« haussmannisation » n’a pas entraîné, comme on l’a trop souvent avancé, un départ immédiat des catégories populaires du centre ville. Jeanne Gaillard a dénoncé le schématisme d’une telle interprétation : « La population ouvrière [...] tend à rester sur place. Tout indique que, refoulée par les travaux, elle ne va pas d’une traite jusqu’aux arrondissements extérieurs ; à la place libre et aux loyers moins chers, elle continue de préférer la proximité du centre où se trouvent ses fournisseurs et ses clients. Le Parisien de cette époque est peut-être nomade, mais un nomade dont le terrain de parcours est très étroitement limité. » Les quartiers situés aux abords immédiats de l’Hôtel de Ville, où se situe la croisée de Paris, enregistrent, dès 1856, une baisse démographique, tandis que les quartiers voisins connaissent un accroissement brutal, dû principalement à une augmentation très forte de la population vivant en garnis. À la veille de l’annexion de 1860, Paris intra muros compte 1 175 000 habitants répartis sur 36 kilomètres carrés, soit une densité moyenne de 327 habitants à l’hectare ; la petite banlieue, entre le mur des Fermiers généraux et les Fortifications, s’étend sur 43 kilomètres carrés et compte 364 000 habitants, soit une densité moyenne de 84 habitants à l’hectare. Ces chiffres indiquent, sans équivoque, l’extrême concentration de la population dans le vieux centre. Maurice Garden a suivi, du Second Empire aux années 1980, l’évolution des densités dans les vingt quartiers de Paris : la répartition de la population s’inverse aux dépens des quartiers centraux et au bénéfice des quartiers périphériques. À la veille de la Première Guerre mondiale, la première ceinture autour du centre ancien est, à son tour, saturée, et l’essentiel de la croissance résulte de celle des arrondissements créés en 1860, qui rassemblent, en 1906, la moitié des habitants de la capitale. Ces transformations se sont accompagnées
de mutations dans les relations que la capitale entretient avec l’industrie. Les initiatives royales avaient permis la création de grandes manufactures, mais c’est surtout sous le premier Empire que l’industrie a connu un véritable essor. Une enquête de la Chambre de commerce pouvait, sans risque d’être contredite, conclure à la veille de la révolution de 1848, que « Paris a depuis longtemps pris sa place au nombre des villes manufacturières de premier ordre en France. Ses produits, variés à l’infini, sont connus du monde entier... » On dénombrait alors 350 000 ouvriers, employés dans quelque 65 000 entreprises. Dès le second Empire, le déclin des grands établissements industriels s’amorce. Haussmann n’est guère favorable à la croissance industrielle dans Paris. L’annexion de 1860 est donc, à cet égard, un moyen de contrôler et de limiter le développement industriel des arrondissements extérieurs. On assiste alors à une lente et irréversible désindustrialisation de la capitale au profit des banlieues. PARIS ET LA PROVINCE La relation entre la capitale et le reste du pays peut être appréhendée sous de multiples aspects. Au plan politique d’abord, tant l’histoire, depuis la Révolution, atteste un antagonisme - souvent violent : que l’on pense à 1848 ou à la Commune, que l’on pense aussi au coup d’État du 2 décembre 1851, où la résistance des campagnes fut la plus vigoureuse. On peut également envisager le couple Paris/province du point de vue des mentalités et des perceptions mutuelles, qui impliquent fréquemment dérision et mépris de part et d’autre. Mais les catégories du parisianisme et du provincialisme n’ont rien d’immuable, même si l’on peut noter des invariants, comme le souligne Alain Corbin : « La dépréciation de la province constitue une obligation pour qui veut obtenir l’adhésion de la Ville. Molière lui-même s’excuse auprès du roi d’avoir exercé son art loin de Paris. » On peut, enfin, lire cette relation de manière symbolique, dans l’organisation de la place de la Concorde par Hittorf, sous la monarchie de Juillet : huit statues de villes françaises sont disposées comme elles le sont sur le territoire, ce qui a fait dire à Maurice Agulhon que « la Concorde dessine ainsi une sorte d’image de la France, et l’on ne comprendrait pas que cette place centrale de la France ne fût pas la place centrale de Paris ». Une autre approche s’impose néanmoins : celle de la place qu’occupe la capitale dans le système urbain. Cette place n’a pas été
constante, et l’évolution depuis le XVIIIe siècle n’est pas linéaire. Le dernier siècle de l’Ancien Régime fait en effet figure de siècle d’or des capitales régionales, ce qui entraîne un déclin de la prééminence parisienne. En 1700, la capitale compte 510 000 habitants, et les six villes suivantes (Lyon, Marseille, Rouen, Lille, Bordeaux et Nantes) totalisent, ensemble, quelque 383 000 habitants. Le rapport entre la population parisienne et celle des six capitales régionales est donc de 1,33. À la veille de la Révolution, la capitale compte 604 000 personnes, mais le rapport est descendu à 1,15. Il ne recommence à progresser que sous la Restauration. On entre alors dans une période où la croissance de Paris explique l’essentiel de la croissance urbaine de la France. Au début des années 1930, le même type de rapport dépasse 1,4, et il serait encore beaucoup plus élevé si l’on raisonnait en terme d’agglomération et non de communes. Cependant, la population d’une ville ne suffit pas à exprimer sa puissance dans un système urbain. Les ressources urbaines sont une autre manière de mesurer la prééminence parisienne : au milieu des années 1930, l’ensemble des recettes des villes de plus de 5 000 habitants atteint presque 13 milliards de francs ; les seules recettes de Paris sont de 6 milliards environ. Autre indicateur, la répartition de la fortune au milieu des années 1990 : 40 % du montant de l’impôt de solidarité sur la fortune est prélevé à Paris intra muros et 60 % dans le reste de la France. Aujourd’hui, les études fondées sur l’analyse des derniers recensements concluent à l’existence, en France, de deux sociétés distinctes : l’une correspond à la région parisienne, qui confirme sa domination en dépit des lois de décentralisation, l’autre rassemble tout ce qui en est exclu. En témoigne l’évolution divergente, entre 1982 et 1990, du poids que représentent, dans Paris, les cadres et les professions intellectuelles supérieures, d’une part, et les ouvriers, d’autre part. Le phénomène est encore plus accentué lorsque l’on observe la distribution des emplois culturels dans le système urbain. L’étude menée par Félix Damette sur l’évolution des relations téléphoniques entre Paris et les capitales régionales de 1963 à 1993 conduit l’auteur à un jugement sévère : « La politique des métropoles d’équilibre est restée un mot sans contenu », et « la politique d’aménagement a consisté avant tout à impulser le développement de la capitale et à distribuer
en province les emplois sous-qualifiés de la décentralisation industrielle ». Ligne directrice de tous les plans d’aménagement du territoire, le rééquilibrage du couple Paris-province serait-il condamné à rester un voeu pieux ? Paris (Notre-Dame de) ! NotreDame de Paris Paris (protocoles de), accords militaires passés en 1941 par le gouvernement de Vichy et les autorités allemandes. Ils s’inscrivent dans le cadre de la collaboration d’État engagée par Vichy depuis l’entrevue de Montoire (octobre 1940). Le projet de Darlan, alors vice-président du Conseil, est d’arracher aux Allemands des concessions : downloadModeText.vue.download 691 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 680 à court terme, un allègement des clauses de l’armistice ; à plus long terme, la conclusion d’une paix qui préserve les intérêts coloniaux de la France. Ces protocoles s’inscrivent également dans le contexte du printemps 1941 : avant d’envahir l’URSS, les chefs de la Wehrmacht entendent consolider leurs positions en Afrique et au Proche-Orient. Signés les 27 et 28 mai 1941, les protocoles de Paris engagent Vichy très loin dans la collaboration. Les protocoles « techniques » assurent à l’Allemagne une assistance logistique en Irak (où a éclaté un coup d’État anti-anglais), et en Tunisie pour ravitailler l’Afrikakorps. Un protocole « de principe » promet à la Kriegsmarine l’utilisation de la base de Dakar, essentielle dans la guerre sous-marine. Enfin, un protocole « complémentaire » évoque la possibilité d’une reprise des hostilités contre la GrandeBretagne. En échange, Darlan espère avoir obtenu une diminution de l’indemnité financière et la libération de 100 000 prisonniers. Pourtant, ces protocoles sont combattus par Weygand, qui redoute un renforcement du gaullisme dans l’empire. En outre, la réaction britannique est foudroyante : la révolte irakienne est matée en mai et le Levant français est envahi en juin. Après avoir tenté de faire monter les enchères, Darlan doit renoncer à ces protocoles en juillet 1941, achevant de perdre tout crédit aux yeux de Hitler. Paris (traité de) [1229], traité conclu entre le comte de Toulouse Raimond VII et le roi de
France Louis IX mettant fin à la guerre des albigeois. Après la victorieuse croisade de Louis VIII dans le Midi en 1226, et en dépit de la mort inattendue du jeune roi, Raimond VII se voit contraint de négocier avec la régente Blanche de Castille et son fils Louis IX. La médiation du comte Thibaud de Champagne permet d’aboutir au traité, juré à Meaux et confirmé à Paris le 11 avril 1229. Raimond VII reçoit le pardon du roi et celui du pape, et conserve le comté de Toulouse. Mais il doit céder le marquisat de Provence au pape et une partie de l’Albigeois au roi, ce qui affecte considérablement sa puissance. En outre, il s’engage à pourchasser les « hérétiques » et promet sa fille Jeanne à un frère du roi : si Raimond n’a pas d’autre enfant, elle sera son héritière et apportera en dot le comté de Toulouse. Le 13 avril, Raimond VII fait solennellement pénitence à Notre-Dame et prête l’hommage-lige au jeune roi. Cet hommage fait de Louis IX le premier roi capétien à régner, effectivement, sur le sud du royaume. En outre, ce traité avec le comte de Toulouse, complété par les traités passés avec les Trencavel, vicomtes de Béziers, de Carcassonne et de Nîmes, conduit à l’élargissement du domaine royal dans le Midi et à la création des sénéchaussées d’Albi, de Carcassonne et de Beaucaire. Enfin, la mort de Raimond VII (1249), qui n’a d’autre enfant que Jeanne, mariée au duc Alphonse de Poitiers, entraîne l’application du traité et conduit à l’union du comté de Toulouse à la couronne. Paris (traité de) [1259], traité conclu entre Louis IX et le roi d’Angleterre Henri III réglant la question des domaines continentaux des souverains anglais, annexés par le roi Philippe Auguste en 1214, et mettant fin au conflit qui oppose Capétiens et Plantagenêts depuis un siècle. Après son retour de croisade en 1254, Louis IX entend réaliser une paix durable avec l’Angleterre, paix à laquelle l’engage sa parenté avec Henri III : en effet, ils ont chacun épousé une fille du comte de Provence, Raimond Bérenger V. Un traité est finalement conclu à Paris le 28 mai 1258, puis ratifié et confirmé le 4 décembre 1259 : Henri III renonce à ses droits sur la Normandie, l’Anjou, la Touraine, le Maine et le Poitou ; en contrepartie, Louis IX fait ordonner une enquête sur les droits d’Hen-ri III en Agenais, lui offre 134 000 livresde dédommagement et procède à la restitution de ses biens dans les diocèses
de Cahors, Périgueux et Limoges. En outre, les seigneurs et barons de ces régions peuvent choisir entre la suzeraineté du roi de France et celle du roi d’Angleterre. Enfin, Henri III se reconnaît vassal de Louis IX dans ses fiefs du royaume de France et lui prête hommage le 4 décembre 1259. Certains membres de la cour ont reproché au roi les concessions faites alors qu’il était en position de force, mais le souverain s’est déclaré attaché au retour de la paix entre parents ainsi qu’au rétablissement de sa suzeraineté sur l’un de ses plus puissants vassaux. En cela, le traité reflète le souci de Louis IX d’apparaître comme un roi de paix, ainsi que la primauté qu’il confère aux règles féodo-vassaliques au détriment d’une logique territoriale trop éloignée de son idéal de justice et de concorde. Paris (traité de) [1763], traité conclu entre la France, l’Espagne et l’Angleterre mettant fin à la guerre de Sept Ans. Depuis 1756, la guerre oppose, en Europe et dans les colonies, deux coalitions : l’Angleterre et la Prusse, d’une part ; la France, l’Autriche, la Suède, la Russie, et, après 1762, l’Espagne, de l’autre. Défaite par l’Angleterre sur les mers et dans ses colonies d’Amérique et d’Inde, la France engage dès 1759 des pourparlers pour sortir d’un conflit coûteux et impopulaire. Ils sont infructueux mais reprennent en 1762, après l’avènement du nouveau roi d’Angleterre, George III, et le remplacement de William Pitt, partisan de la guerre à outrance, par lord Bute, favorable à une négociation. L’Angleterre, alors en position de force, redoute en effet que l’intervention de l’Espagne aux côtés de la France n’amenuise son avantage, et n’a qu’une médiocre confiance dans son allié Frédéric II. Des préliminaires de paix sont signés le 3 novembre 1762, et confirmés par le traité de Paris le 10 février 1763. La France abandonne à l’Angleterre le Canada, les îles du Saint-Laurent et la partie orientale de la Louisiane, et ne conserve en Amérique du Nord que Saint-Pierre et Miquelon et le droit de pêche à Terre-Neuve ; en Inde, elle renonce à toutes ses conquêtes postérieures à 1749, et ne garde que cinq comptoirs (Pondichéry, Karikal, Yanaon, Mahé, Chandernagor) ; elle abandonne aussi ses positions au Sénégal (sauf Gorée) ; mais elle récupère la Guadeloupe, la Martinique et Sainte-Lucie, occupées par l’Angleterre au cours de la guerre. L’Espagne, quant à elle, cède la Floride à l’Angleterre, qui lui rend Cuba et Manille ; elle reçoit de la France, à
titre de compensation, le reste de la Louisiane. Quelques jours plus tard, la paix d’Hubertsburg (15 février 1763) règle le conflit continental : la Prusse et l’Autriche reviennent au statu quo ante. La France perd ainsi, dans l’indifférence de l’opinion, l’essentiel de son premier empire colonial (des « déserts glacés », selon Voltaire). Si ces traités ramènent en Europe la paix pour trente ans, ils ne mettent pas un terme à la rivalité franco-anglaise (ni à l’antagonisme austro-prussien, d’ailleurs). À peine la paix signée, Choiseul prépare la revanche en engageant la France dans un effort de réarmement maritime sans précédent. Paris (traité de) [30 mai 1814], traité de paix conclu entre la France et les Alliés coalisés contre elle - Russie, Autriche, Prusse et Angleterre, principalement - qui suit la première abdication de Napoléon (6 avril 1814). Ce traité ramène la France à ses frontières de 1792 : le pays perd la Belgique, les départements italiens et la rive gauche du Rhin. Des acquisitions postérieures à l’Ancien Régime, il ne reste que Nice, Avignon, la Savoie, Montbéliard, Mulhouse et une partie de la Sarre. En revanche, le traité restitue à la France son domaine colonial, qui était tombé aux mains des Anglais (1803 et 18091810) : Antilles et Guyane, Sénégal, comptoirs de l’Inde, île Bourbon (la Réunion), Saint-Pierre et Miquelon. Seule l’île Maurice reste anglaise. Plus que par la réduction du territoire (de 130 départements, en 1811, à 86 seulement), les Français sont humiliés par la restitution de 53 places fortes et de tout le matériel qu’elles contiennent. Cette cession est interprétée comme le « pourboire des Bourbons aux Alliés pour leur restauration ». Le traité de Paris contribue ainsi à rendre immédiatement impopulaire une dynastie « revenue dans les fourgons de l’étranger » et, par contraste, relève le prestige de Napoléon. Il est pourtant d’une modération remarquable. Les Alliés se sont acharnés contre Napoléon mais souhaitent voir la France conserver son statut de grande puissance, nécessaire à l’équilibre européen : aussi ne lui imposent-ils ni indemnité de guerre ni occupation, et renoncent-ils à se faire restituer les oeuvres d’art qui leur ont été dérobées par les armées napoléoniennes. L’article 32 du traité prévoit la convocation du congrès de Vienne, auquel la France est invitée. Toutes ces conditions favorables, dont le mérite est attribué à l’habileté de négocia-
teur de Talleyrand, vont être remises en cause par l’aventure des Cent-Jours. Paris (traité de) [20 novembre 1815], traité signé entre la France et les Alliés après la défaite définitive de Napoléon à Waterloo (18 juin 1815). La France est alors de nouveau envahie. Fouché, président du gouvernement provisoire institué après la seconde abdication de l’Empereur (22 juin 1815), décide la capitulation downloadModeText.vue.download 692 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 681 et signe la convention du 3 juillet, qui livre Paris aux Alliés. La tâche des négociateurs français (Talleyrand, puis le duc de Richelieu) est plus difficile qu’en 1814. Parmi les Alliés, les Prussiens sont les plus virulents ; ils proposent le démembrement de la France, mais le tsar Alexandre Ier et Wellington, au nom de l’équilibre européen, s’opposent à leurs projets. Le second traité de Paris est néanmoins nettement plus rigoureux que celui de 1814 : la France perd le duché de Bouillon, Philippeville et Marienbourg, Sarrelouis et Sarrebrück, Landau, la plus grande partie du pays de Gex ; la Savoie et Nice lui sont également enlevées pour être restituées au roi de Piémont-Sardaigne ; surtout, elle doit payer une indemnité de guerre de 700 millions et subir une occupation pendant cinq ans ; enfin, elle doit restituer toutes les oeuvres d’art dérobées pendant la Révolution et l’Empire. L’occupation, dirigée par Wellington à la tête de 150 000 hommes, pèsera lourdement sur les débuts de la Restauration, du fait des exactions et des pillages commis. Pourtant, la France exécute scrupuleusement les clauses financières du traité et, lors du congrès d’Aixla-Chapelle (septembre-octobre 1818), le duc de Richelieu, ministre de Louis XVIII et ami du tsar, obtient avec deux ans d’avance la fin de l’occupation étrangère. Pâris (frères), financiers français : Antoine (1668-1733), Claude (1670-1745), dit la Montagne, Joseph (1684-1770), dit Pâris-Duverney, et Jean (1690-1766), dit de Marmontel, marquis de Brunoy. Fils d’un aubergiste de Moirans, les frères
Pâris doivent quitter le Dauphiné en 1704, ayant été soupçonnés d’avoir accaparé les blés lors d’une disette. Ils s’établissent à Paris comme ravitailleurs des armées, et ils ne tardent pas à s’enrichir, au point de prêter de l’argent à Louis XIV. Leur réputation permet à Pâris-Duverney, le plus influent d’entre eux, d’obtenir le bail des fermes générales (1716). Mais les critiques qu’il lance contre Law, son successeur, le font exiler avec ses frères (1720). Rappelé en 1721, après la chute de Law, Pâris-Duverney dirige la commission du visa et se lie avec des profiteurs influents. Jouissant de la protection du duc de Bourbon, il dirige les Finances du royaume (17231726), qu’il tente d’épurer (amortissement de la dette publique, baisse de la valeur des espèces, taxes sur le pain et le vin, création du cinquantième). Il contribue aussi à la conclusion du mariage entre Louis XV et Marie Leszczynska. En 1726, cependant, Fleury remplace Bourbon et les Pâris intriguent... De nouveau exilés, ils rejoignent la cour en 1729. Voltaire dresse alors leur éloge dans le Panégyrique de Louis XV. Fleury évincé, ils recouvrent leur influence et contribuent à la disgrâce d’Orry (1745). Apothéose de la carrière des Pâris, Duverney crée l’École militaire en 1751, tandis que son frère Jean, fait marquis par Louis XV, devient garde du Trésor. Paris-Match, hebdomadaire d’information illustré, appartenant au groupe Filipacchi. La fabuleuse épopée que sera Paris-Match débute en 1938, lorsque Jean Prouvost rachète Match, titre sportif créé en 1928 par Léon Bailby, et en fait un grand magazine d’actualité (1,4 millions d’exemplaires en 1939). Cessant de paraître pendant la guerre, le titre est relancé en 1949 sous le nom de Paris-Match. Il s’inspire du Times pour le traitement de l’actualité, de Life pour la présentation, et rassemble une pléiade de signatures (dont Joseph Kessel). Paris-Match atteint une diffusion de 904 497 exemplaires à la mort du roi d’Angleterre George VI (février 1952) et, grâce à Roger Thérond, invente une formule où l’image parle d’elle-même. Avec deux millions d’exemplaires en 1958, il navigue toutes voiles dehors, alors que Jean Prouvost crée des satellites (Marie-Claire, Télé 7 Jours). Mais l’empire se fissure face à la télévision : les ventes baissent de 1958 à 1976. En 1976, le magazine passe aux mains de Daniel Filipacchi. Thérond est rappelé aux commandes pour un nouveau départ. Contre vents et marées, la diffusion se redresse dès 1977. Sur 155 pages environ s’étale un album photo de l’actualité, alimenté par la vie des vedettes, la
course aux scoops et les reportages. « Le poids des mots, le choc des images » (puis « des photos ») semblent faire recette, puisque Paris-Match conserve un tirage moyen d’un million d’exemplaires, pour une diffusion totale de 625 000 en 2004. En 1999, Alain Genestar succède à Roger Thérond. Paris-Soir, quotidien créé en 1923 et racheté en 1930 par Jean Prouvost. Ce nouveau venu dans la presse quotidienne s’impose par son succès époustouflant : de 130 000 exemplaires en 1931, il passe à 1,6 millions en 1934, pour atteindre plus de 2 millions à la fin de la décennie. Le nouveau style de publication que représente Paris-Soir fait la part belle à l’appétit d’exotisme des lecteurs dont l’Exposition coloniale de 1931 a marqué les imaginations. Il n’hésite pas à faire appel à des plumes littéraires - Pierre Mac Orlan, Blaise Cendrars, Joseph Kessel, SaintExupéry ou Henri de Monfreid - pour animer ses grands reportages qui deviennent alors un genre fort prisé. À l’élargissement du champ d’information s’ajoute le renouvellement de la présentation : Paris-Soir invente, en effet, un nouveau type de mise en page, moins austère, où les illustrations photographiques abondent grâce à un équipement idoine (la caravane de Paris-Soir couvrant le Tour de France compte quarante collaborateurs et deux avions), où les titres sont plus expressifs que véritablement informatifs. Les pratiques de lecture en sont transformées, les lecteurs pouvant se contenter de feuilleter et de s’arrêter sur les sujets qui les intéressent davantage ; l’opération est facilitée par une plus grande spécialisation des sujets, avec l’adjonction régulière de pages magazine destinées à un public particulier, d’hommes, avec une présence marquée du sport, ou de femmes. Marie-Claire, ancêtre des magazines féminins, est d’ailleurs fondé en 1937 par Prouvost. Paris-Soir invente donc une formule de presse à sensation, qui sera adoptée progressivement par d’autres journaux. Le titre disparaît à la Libération, en 1944. parlement de Paris, cour judiciaire souveraine née à la fin du Moyen Âge et qui exerce durant tout l’Ancien Régime un certain contrôle sur le pouvoir royal. Le parlement de Paris trouve ses origines dans la curia regis (ou cour du roi) qui, vers 1200, réunit vassaux, prélats, grands officiers et membres de la famille royale, tous aidant le souverain à exercer ses prérogatives politiques et judiciaires. La multiplication des affaires traitées et leur complexité de plus en
plus grande, ainsi que le renforcement du rôle des juristes professionnels (les légistes) dans l’administration royale, expliquent la progressive spécialisation - qui s’instaure au XIIIe siècle - entre les fonctions politique (« cour en conseil »), financière (« cour en comptes ») et, enfin, judiciaire, cette dernière étant confiée à la « cour en parlement ». Le terme de « parlement », qui sert à désigner une instance où, effectivement, l’on délibère, apparaît dès 1230, mais l’usage ne s’en installe que sous le règne de Saint Louis : à son retour de la désastreuse croisade d’Égypte, le roi entend mieux contrôler l’appareil judiciaire grâce à une assemblée qui est désormais réunie régulièrement. Durant les deux derniers siècles du Moyen Âge, le parlement acquiert une plus grande autonomie : dès le règne de Philippe III le Hardi, il peut se tenir et décider en l’absence du roi. Parallèlement, la spécialisation s’accentue. À côté de la Grand-Chambre, où se plaident les procès et où sont rendus les arrêts, apparaissent des chambres destinées à préparer ou à compléter son travail : celle des enquêtes, dont la procédure est entièrement écrite et peut aboutir à un « jugé » mettant fin à l’affaire ; celle des requêtes, qui vérifie la recevabilité des appels puis est chargée de juger les privilégiés ; enfin, la « tournelle », dévolue aux affaires criminelles et composée uniquement de laïcs, qui ne s’organise vraiment qu’au XVIe siècle. • Des pouvoirs de plus en plus importants. Les prérogatives du parlement de Paris sont, il est vrai, considérables. Son ressort est encore au XIVe siècle universel, se confondant avec le royaume, puisqu’il est d’abord cour de justice du souverain. Ainsi, le parlement juget-il en première instance des vassaux royaux, sa compétence étant toutefois progressivement limitée à ceux qui disposent d’une lettre de commitimus (« nous confions », en latin) par laquelle le roi lui en confie le jugement. Mais c’est l’appel qui fait du parlement une cour véritablement souveraine : profitant de l’offensive que mènent les justices royales aux dépens des cours seigneuriales ou ecclésiastiques, le parlement peut, au besoin, rejuger les procès déjà en appel devant les tribunaux de bailliage (double appel, aujourd’hui impossible) et, en vertu de la procédure dite « de l’appel comme d’abus », réviser des sentences déjà officalisées. Le roi n’assistant plus, en règle générale, aux séances du parlement, les décisions de ce dernier peuvent être portées, sur « proposition » d’erreur, devant le Conseil du roi, qui ne peut toutefois que cas-
ser le jugement pour vice de forme : c’est l’origine de l’actuelle Cour de cassation. Outre ces compétences judiciaires, les parlementaires downloadModeText.vue.download 693 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 682 disposent d’importants pouvoirs politiques : en mesure d’édicter, en cas de vide juridique ou d’absence du roi, des arrêts de règlement à valeur législative, ils sont chargés d’enregistrer (c’est-à-dire de recopier sur un registre) les ordonnances et édits royaux. Simple vérification formelle à l’origine, l’enregistrement se transforme, à la faveur des troubles du XVe siècle, en un véritable contrôle de la législation royale : motivé par des remontrances, le refus d’enregistrer oblige le roi, s’il tient ferme à son édit, à produire des « lettres de jussion » et, en cas d’« itératives remontrances », à organiser une séance solennelle à laquelle il assiste en personne. Si, par ce « lit de justice », le souverain a finalement le dernier mot, le parlement de Paris devient bien, à la fin du XVe siècle, « le vray sénat du royaume ». • Le milieu parlementaire. De plus en plus nombreux, formés dans les mêmes facultés de droit, bénéficiant de la stabilité que leur vaut l’attribution de gages à vie, les parlementaires peuvent envisager de faire toute leur carrière dans l’institution. Se cooptant entre eux, soudés par des liens familiaux et de clientèles, les parlementaires tendent à former un milieu homogène, doté d’un solide esprit de caste et dans lequel on peut voir le premier des grands corps de l’État. Entre Charles VI et François Ier, le parlement de Paris voit son ressort se réduire au profit de parlements provinciaux, que ceux-ci entérinent la stabilisation d’assises jusque-là temporaires (Toulouse), ou la promotion de vieilles institutions locales (Rouen), ou encore qu’ils soient liés à la politique de prestige d’un prince du sang (Dauphiné, Bourgogne). D’autres parlements seront installés dans les provinces nouvellement conquises aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les parlementaires n’en sont pas moins, sous l’Ancien Régime, au sommet de leur pouvoir et de leur prestige. Une certaine fortune est garantie grâce à la vénalité des offices, et l’hérédité permet également de constituer de puissants lignages. Attachés à leurs privilèges (l’accès au parlement procure immédiatement la noblesse), ils résistent à toutes les avancées de l’absolutisme, invo-
quant les lois fondamentales du royaume. Dans les périodes de troubles, le parlement représente un foyer d’agitation politique : interprètes intéressés d’une opinion publique qui, entre 1614 et 1789, ne dispose pas d’états généraux pour s’exprimer, les parlementaires mènent l’opposition à toute réforme. Un moment dissous par le chancelier Maupeou (1771), le parlement de Paris conduit la réaction aristocratique qui provoquera, par ricochets, la fin de l’Ancien Régime et, par voie de conséquence, sa propre disparition. parlement provincial, cour souveraine rendant la justice au nom du roi et sans appel, créée dans chaque province à partir du XIVe siècle dans le cadre de l’extension du domaine royal de la monarchie capétienne. Deux principes président à l’institution des cours provinciales : la volonté de rapprocher les justiciables de la justice souveraine et le respect des habitudes judiciaires des pays récemment réunis au royaume. D’une province à l’autre, le processus est identique et marque le souci d’une transition douce : le roi maintient l’ancienne juridiction puis la remplace par un parlement, en renvoyant à son Conseil les attributions de gouvernement. Les coutumes de droit privé et les règles de droit public sont conservées dans le ressort des cours nouvelles, mais les anciennes institutions ducales ou comtales subissent un remodelage, à l’imitation du parlement de Paris. Ces règles générales valent pour l’ensemble des cours souveraines qui sont créées du XIVe au XVIe siècle. Ainsi, après la conquête de la Normandie, Philippe Auguste maintient l’Échiquier ducal, mais le place sous le contrôle de maîtres parisiens ; la transformation en parlement ne survient qu’en 1515. La création du parlement de Toulouse est décidée en 1302, mais n’est concrétisée qu’en 1443. À Grenoble, le Conseil delphinal d’Humbert II est érigé en parlement en 1453 par le futur Louis XI. À Bordeaux, la Haute Cour de Gascogne, instituée pendant l’occupation anglaise, est conservée lors de la reconquête et devient parlement en 1462. De même, le parlement de Provence se substitue en 1501 à l’ancien Conseil éminent ; et le parlement ducal de Bretagne, établi en 1464, laisse place à une cour souveraine en 1554. En Bourgogne, la création d’un parlement s’est faite dès l’annexion de cette région à la France, en 1477. Enfin, François Ier institue en 1523 le parlement des Dombes, à Trévoux,
dès la confiscation des biens du connétable de Bourbon (il sera supprimé en 1771). Sous l’Ancien Régime, cinq nouveaux parlements apparaissent, toujours dans les principautés réunies au royaume, avec le souci de se ménager les peuples récemment conquis. En 1620 est fondé le parlement de Pau, en 1633 celui de Metz, en 1676 celui de Besançon - qui succède au parlement comtal de Dole, datant de 1422. Les parlements de Douai et de Nancy sont créés, respectivement, en 1696 et en 1778. À la Révolution, le royaume compte donc treize cours souveraines, y compris le parlement de Paris. Il faut leur ajouter quatre conseils souverains, sorte de parlements mineurs, établis en Artois (1640 puis 1677), Alsace (1657 puis 1698), Roussillon (1660) et Corse (1768). • Les attributions des parlements provinciaux. Conçus sur le modèle du parlement de Paris, les parlements provinciaux ont une composition et des attributions à peu près identiques ; seuls leurs effectifs varient, en fonction de l’étendue de leur ressort (30 conseillers à Douai, 100 dans les métropoles de province - Rennes ou Bordeaux -, contre 2 à 300 à Paris). Ils comprennent le plus souvent une grand-chambre, une chambre des enquêtes, une chambre criminelle. Chaque cour juge souverainement, en matière administrative, civile ou pénale, la plupart du temps en appel, quelquefois en première instance (affaires intéressant la noblesse). En revanche, aucune n’a pu faire reconnaître son droit à s’ériger en cour des pairs, privilège dévolu au seul parlement de Paris. Enfin, toutes les cours procèdent à l’enregistrement des lettres patentes et closes des souverains, avec droit de remontrance. • Des rapports conflictuels avec la monarchie. Cette possibilité d’opposition au pouvoir royal entraîne au XVIIIe siècle les parlements de province dans le sillage du parlement de Paris, en conflit séculaire avec la monarchie. Malgré leurs rivalités, les cours correspondent entre elles, adoptent des attitudes communes, jusqu’à revendiquer en 1756 la « théorie des classes », selon laquelle l’ensemble des cours souveraines n’en formeraient qu’une, indivisible et représentant la nation face au roi. Tirée des écrits de Boulainvilliers, cette doctrine est historiquement fausse mais contribue à cimenter l’opposition de la noblesse de robe au roi. Jusqu’en 1789 - et après l’intermède de leur disparition temporaire à l’initiative de Maupeou -, les parlements provinciaux affichent leur esprit de
contestation : en 1788, c’est de Grenoble que viendront les premières secousses qui mèneront à la Révolution. parlements (exil des), mesure d’éloignement prise par le roi contre les parlements, fréquente au XVIIIe siècle du fait de la dégradation constante des relations entre le monarque et ces assemblées. • Les arguments et les procédures. Les parlements profitent de leur droit de remontrance - que le régent Philippe II d’Orléans leur a rendu en 1715, après qu’il eut été supprimé par Louis XIV - pour refuser d’enregistrer les édits royaux et pour prétendre à un rôle politique, provoquant ainsi des conflits avec des souverains peu enclins à accepter des limites à leur autorité. Garants des structures anciennes, défenseurs des « libertés » (c’est-à-dire des privilèges), les parlements s’opposent aux projets de réforme de la monarchie, notamment à ceux qui visent à établir l’égalité devant l’impôt. Critiquant les abus de l’arbitraire et du despotisme ministériel, ils recueillent une certaine popularité. Ils appuient leurs prétentions politiques sur la thèse, historiquement fausse, de l’union des classes : les cours seraient les sections d’une même institution, le parlement de France une institution antérieure à la monarchie. L’exil des parlements est la procédure ultime qu’utilise le roi pour forcer leur résistance, après les lettres de jussion, après le lit de justice pour imposer l’enregistrement d’un édit, ou parfois, s’il veut se montrer plus conciliant, après la séance royale au cours de laquelle il écoute les doléances des magistrats avant de leur signifier sa volonté. Si ceux-ci ripostent par des « itératives remontrances », ou, plus grave, par la démission ou la grève de la justice, le roi peut alors contraindre à l’exil, individuel ou collectif, les récalcitrants et mettre en place des institutions pour suppléer les cours. Mais il ne peut longtemps se passer de celles-ci, quand le déficit budgétaire l’oblige en permanence à recourir aux emprunts et à faire enregistrer de nouveaux édits de finance. La crise se dénoue donc par le pardon royal, éventuellement assorti d’un règlement de discipline. • Une succession de crises. La sanction d’exil collectif est appliquée pour la première fois en 1720 au parlement de Paris qui, coupable d’avoir protesté contre le système de downloadModeText.vue.download 694 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 683 Law, est transféré à Pontoise pendant près de cinq mois. Mais c’est la question janséniste qui déclenche la première crise majeure : le refus de certains curés d’administrer les sacrements aux personnes suspectes de jansénisme - une attitude qui est soutenue par l’archevêque de Paris - entraîne un conflit dont l’acmé est le « grand exil » du parlement de Paris à Pontoise (mai 1753-septembre 1754). La querelle se termine par la victoire de celuici, qui impose au roi la suppression en France de la Compagnie de Jésus (1764). L’augmentation de la pression fiscale, due à la guerre de Sept Ans, provoque une autre crise, qui s’étend à la plupart des parlements provinciaux. Les remontrances critiquent l’administration des intendants et revendiquent le contrôle des finances royales. En 1763, des sanctions collectives frappent les magistrats de Grenoble, de Rouen et de Toulouse. En 1765, les parlements de Pau et de Rennes sont dispersés. Face à une fronde générale, Louis XV tient au parlement de Paris, le 3 mars 1766, la séance dite « de la Flagellation », au cours de laquelle il réaffirme son pouvoir absolu, condamne l’« union des classes » et les prétentions politiques des cours. Malgré ces coups de force du roi, les « grandes robes » restent maîtresses du jeu, obligeant le gouvernement à d’humiliantes reculades. Excédé, Louis XV déclenche son « coup de majesté » (1771), préparé par le chancelier Maupeou : exil des magistrats parisiens, suppression de la vénalité de toutes les charges judiciaires, désormais assurées par des commissaires payés, découpage du ressort territorial du parlement de Paris. • Une ultime crise autodestructrice. Audacieuse mais tardive, la « révolution royale » de 1771 est une réforme judiciaire réussie, mais aussi une réforme politique manquée : il eût fallu la compléter en créant de véritables assemblées représentatives. En outre, dès son avènement (1774), Louis XVI, mal conseillé, l’abolit. Rétablies, les anciennes cours persistent dans une opposition au roi de plus en plus violente. L’exil du parlement de Paris (à Troyes, en août-septembre 1787) comme celui du parlement du Dauphiné provoquent des émeutes, telle la « journée des tuiles » à Grenoble (7 juin 1788). Acculé à la banqueroute, incapable de rétablir l’ordre, le roi capitule et annonce la convocation des états généraux. Monarchie et parlements vont
disparaître ensemble dans la tourmente que leur lutte a contribué à déclencher. Parmentier (Antoine Augustin), pharmacien militaire (Montdidier 1737 - Paris 1813). Originaire de la Somme, Parmentier suit une formation d’apothicaire qui le mène à Paris, dans la pharmacie d’un parent. À l’âge de 20 ans, il s’engage dans une carrière de pharmacien militaire. À ce titre, il participe à la guerre d’Indépendance américaine, puis aux guerres de la Révolution et de l’Empire. Membre de la Société royale d’agriculture de Paris, il appartient à un noyau de savants qui bousculent les traditions culturales et oeuvrent pour concrétiser les progrès de la science. Le développement de la pomme de terre, introduite d’Amérique en Europe vers 1540, est ainsi favorisé. Sur une initiative de Parmentier, soutenu par Louis XVI, le tubercule est cultivé en 1785 dans les plaines des Sablons et de Grenelle. Les efforts de recherche de Parmentier portent, non sur le légume - déjà largement cultivé -, mais sur la plante afin d’en extraire la fécule pour faire du pain, dont la consommation ne parviendra pas cependant à s’imposer. De son vivant, Parmentier jouit d’une certaine notoriété, grâce à ses nombreux ouvrages, rédigés de 1773 à 1813, dont l’Examen chimique des pommes de terre (couronné en 1773 par l’académie de Besançon). Notoriété qu’il doit aussi à la protection royale dont il a pu bénéficier, et à une conjoncture favorable : sa campagne en faveur du tubercule correspond à l’apparition, dans les années 1760, de variétés de meilleure qualité gustative, facilitant ainsi son adoption par les milieux aisés. paroisse, lieu de rassemblement de la communauté chrétienne sur un territoire délimité. L’institution paroissiale trouve son origine dans l’organisation du réseau cultuel de la Gaule chrétienne, au Ve siècle. L’évangélisation des campagnes est alors l’occasion de fondations de chapelles à proximité des bourgades formées autour d’un marché, ou encore dans les domaines ruraux. La paroisse reproduit ainsi, à un échelon local, le centre épiscopal de la cité, où siège l’évêque, en ayant les mêmes fonctions liturgiques et pastorales. Elle assure la liturgie du dimanche et des fêtes ainsi que la prédication et le baptême. Survivant à la dissolution des cadres antiques de la société aux VIIe et VIIIe siècles, elle devient l’unité sociale par excellence de la commu-
nauté chrétienne. À l’époque carolingienne, l’accroissement de la population et l’extension des cultures ainsi que les progrès de la prédication conduisent à multiplier le nombre de paroisses rurales. Ce n’est qu’à partir du XIe siècle, au lendemain de la réforme grégorienne, que la paroisse rurale devient véritablement la cellule de base de la vie religieuse des laïcs. Définitivement constitué dans les campagnes au milieu du XIIIe siècle, le réseau paroissial s’étend ensuite aux villes. La croissance économique justifie, en effet, la multiplication des paroisses urbaines (on en compte 35 à Paris, en 1300). La prédication, l’instruction des fidèles et l’administration des sacrements sont désormais assurées dans ce cadre, malgré la concurrence qu’exercent parfois les ordres nouveaux de mendiants (franciscains et Dominicains, notamment), qui érigent leurs propres églises. Le concile de Trente (1545-1563) utilise la paroisse comme cadre de la revivification de la vie religieuse. Organe principal de la pastorale, la paroisse est destinée à devenir un lieu de contrôle où doit résider le curé, pivot de la discipline ecclésiastique. La Contre-Réforme prend également appui sur cette cellule spirituelle de base. Jusqu’à la Révolution, les paroisses fournissent l’essentiel de l’encadrement du peuple chrétien. Leur remodelage géographique, imposé par le concordat de 1801 - qui les aligne sur le quadrillage civil, la commune reprenant souvent les limites de l’ancienne paroisse -, affecte profondément la structure paroissiale. Celle-ci demeure cependant le centre du rassemblement des chrétiens. Les récents codes de droit canonique (notamment celui de 1983) prennent en compte les mutations de la société et tentent de définir une nouvelle ligne d’action spirituelle des paroisses, plus adaptée aux conditions de la vie moderne. partages du royaume franc, partages du royaume par les souverains mérovingiens, puis carolingiens, en vertu de la coutume franque qui exige une répartition équitable du patrimoine paternel entre tous les fils. La fonction royale est considérée par les Francs comme un bien patrimonial, au même titre que les trésors : ainsi, en 511, le regnum Francorum constitué par Clovis est partagé entre ses quatre fils. Selon les hasards de la
démographie royale et des successions dynastiques, le royaume est ensuite tantôt réunifié sous un roi unique (Clotaire Ier, Clotaire II, Dagobert Ier), tantôt partagé entre frères et cousins de la famille royale mérovingienne (entre 561 et 613, puis entre 639 et 687). Le principe d’unité est théoriquement préservé : il n’existe qu’un seul royaume franc, composé de plusieurs lots territoriaux, plus ou moins cohérents selon les partages, attribués aux différents rois. L’unité du royaume franc est perpétuée par les liens du sang, par la poursuite de politiques communes, comme la conquête de la Bourgogne ou de la Provence au VIe siècle, et par le choix de capitales proches les unes des autres (Soissons, Reims, Paris, Orléans). Mais l’affaiblissement du pouvoir royal mérovingien, au VIIe siècle, et les différents partages favorisent progressivement l’essor des aristocraties et des royaumes régionaux (Neustrie, Austrasie et Bourgogne). Cependant, l’unité du royaume franc est rétablie au VIIIe siècle par la dynastie carolingienne ; puis, les hasards dynastiques (mort du frère de Charlemagne en 771, mort des frères de Louis le Pieux au début du IXe siècle) expliquent l’absence de partages entre 771 et 840. Lors du partage de Verdun (843), les trois fils de Louis le Pieux appliquent à nouveau la coutume franque pour l’Empire tout entier. La perpétuation de ce partage aux IXe et Xe siècles contribue à renforcer les royaumes régionaux, et particulièrement la Francie et la Germanie. Toutefois, au Xe siècle, la coutume franque du partage de l’héritage paternel est peu à peu remise en cause lorsque le modèle du lignage agnatique - qui réserve à l’aîné la totalité ou la meilleure part de l’héritage - est adopté par les grandes familles aristocratiques, parmi lesquelles figurent les Robertiens, c’est-à-dire les ancêtres des Capétiens. Devenu roi en 987, Hugues Capet réserve d’emblée la fonction royale à son fils aîné, et ses successeurs feront de même. Mais la question de l’attribution aux cadets de parts de l’héritage paternel n’est pas abandonnée pour autant : elle resurgit aux XIIIe et XIVe siècles avec les apanages que constituent Louis VIII et Jean le Bon pour leurs fils cadets sur des biens récemment acquis par la couronne. downloadModeText.vue.download 695 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 684 parti colonial, groupe parlementaire formé à la Chambre des députés en 1889.
La dénomination de « parti colonial » n’apparaît officiellement qu’en 1892. Simple intergroupe parlementaire, il rassemble des députés de tendances diverses - avec une prépondérance du centre-gauche - qui se retrouvent lors de la discussion des questions coloniales (ils sont 125 après les élections de 1893). Eugène Étienne, député gambettiste d’Oran de 1881 à 1914 et plusieurs fois ministre, en est, de loin, la figure la plus marquante. Un groupe similaire se constitue au Sénat, en 1898, sous la présidence de Jules Siegfried. Le parti colonial encourage la création de plusieurs groupes de pression tels que l’Union coloniale française (1893) et certains comités spécialisés. Il entretient d’étroites relations avec le Comité de l’Afrique française (fondé en 1890), dispose d’organes de presse dont le plus connu est la France coloniale, et se livre à une intense propagande en faveur d’une active politique d’expansion ainsi que de la mise en valeur et du peuplement des colonies. Il organise de fréquents banquets, qui lui valent le qualificatif de « parti où l’on dîne », mais il ne paraît pas, en dernière analyse, avoir grandement influé sur les décisions gouvernementales. Au début du XXe siècle, le parti est affaibli par des scissions (en 1905, départ de d’Estournelles de Constant). Après la Première Guerre mondiale, il s’occupe assez activement des préparatifs de l’Exposition coloniale de 1931 mais, l’époque de l’expansion étant révolue, il ne retrouve ni dans les milieux politiques ni au Parlement son influence d’avant 1914. Parti populaire français ! PPF Pascal (Blaise), mathématicien et philosophe (Clermont, aujourd’hui ClermontFerrand, 1623 - Paris 1662). Fils d’un magistrat auvergnat amateur de sciences, Blaise Pascal montre un génie mathématique précoce. À Paris, où son père s’installe en 1631, il fréquente les milieux savants et écrit à 16 ans un Essai pour les coniques. De 1640 à 1647, la famille Pascal réside à Rouen : c’est là que Blaise invente une machine arithmétique capable d’effectuer les quatre opérations (1642-1643) et se livre à une série d’expériences qui remettent en question la prétendue « horreur » de la nature pour le vide (Expériences nouvelles touchant le vide, 1647). Mais à Rouen, Pascal découvre aussi la spiritualité de Saint-Cyran, un ami du théologien Jansénius - qui donnera son
nom au jansénisme, une doctrine condamnée par l’Église. On date de 1646 cette première « conversion » de Pascal au Jansénisme. L’année suivante, atteint d’une grave maladie, il revient à Paris où, hormis quelques voyages en Auvergne et telle retraite à Port-Royal-desChamps, il demeurera jusqu’à sa mort. Il y connaît, surtout après le décès de son père (1651), une période « mondaine » durant laquelle il fréquente les salons - occasion pour lui de vulgariser ses recherches scientifiques, mais aussi de rencontrer, en la personne d’un Méré ou d’un Mitton, des « libertins » qui marient l’indifférence religieuse au culte de l’« honnête homme ». Pascal cependant, dont la soeur Jacqueline est entrée au monastère de Port-Royal, éprouve peu à peu le besoin de changer de vie : l’expérience mystique du 23 novembre 1654, consignée dans le Mémorial, détermine sa seconde - et définitive - « conversion ». Mettant sa plume au service de Port-Royal, il se lance, pour défendre le janséniste Antoine Arnauld menacé de condamnation par la Sorbonne, dans une forme piquante de polémique : la série des dix-huit Provinciales, publiées anonymement ou sous un pseudonyme de janvier 1656 à mai 1657, vient éclairer pour le lecteur profane, grâce à un dialogue fictif étincelant d’ironie, la complexité des problèmes théologiques en débat. Si Pascal ne réussit pas à sauver de la « censure » les positions d’Arnauld relatives à la grâce, il disqualifie dans l’opinion la morale, jugée laxiste, des jésuites, principaux adversaires des jansénistes. Mais bientôt un autre projet le retient : celui d’écrire une Apologie de la religion chrétienne. Il s’y était, en quelque sorte, préparé dans l’opuscule De l’esprit géométrique en mettant au point sa logique et sa rhétorique, et dans l’Entretien avec M. de Sacy sur les rapports du christianisme et de la philosophie. Pascal compte d’abord centrer son argumentation sur la notion de miracle, puis il élargit sa perspective aux dimensions de la condition humaine, qu’il veut montrer - dans la ligne de saint Augustin - profondément corrompue par le péché originel, mais aussi restaurée par le Christ. Ce sont les fragments de cette oeuvre inachevée qui forment le texte des Pensées, où l’auteur unit la rigueur dialectique du savant à l’optimisme tragique du croyant qui affirme un Dieu à la fois présent et caché. Parallèlement, Pascal révèle en 1658, après un défi lancé aux mathématiciens d’Europe, les propriétés de la courbe appelée « roulette » :
les fondements du calcul infinitésimal sont posés. Mais la maladie interrompt ses activités en 1659, non sans donner matière à la célèbre Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies. À partir de 1660, il consacre ses dernières forces à son Apologie et, tout à la fin, à la réalisation de la première société de transports publics urbains (les « carrosses à cinq sols »). Il meurt le 19 août 1662 dans la communion de l’Église, sans avoir rien renié de son attachement à Port-Royal. Pascal est l’un des derniers génies universels dans l’histoire de l’humanité. On ne trouve plus guère, après lui, d’écrivain de premier rang qui soit en même temps maître en théologie, en philosophie, et découvreur de territoires nouveaux pour la physique et la mathématique. Sa force est sans doute d’avoir synthétisé en formules fulgurantes la classique vision religieuse du monde matériel comme figure du monde spirituel et la moderne vision scientifique de l’homme privé de centre et de sens dans l’infinité de l’univers. Pasteur (Louis), homme de science (Dole 1822 - Villeneuve-l’Étang, près de Paris 1895). Louis Pasteur est une figure héroïque universellement connue et qui, pour ses contemporains de la fin du XIXe siècle, le dispute en gloire à Victor Hugo. Il doit ce statut à son immense oeuvre scientifique et au personnage qu’il a incarné, celui du savant d’origine modeste, fils de ses seules oeuvres, celui de l’homme à l’écoute de son temps, celui de l’humaniste sensible aux souffrances des humbles. Louis Pasteur est le fils d’un modeste tanneur. Après des études secondaires au collège de Besançon, il entre à l’École normale supérieure pour y faire des études de chimie. Reçu à l’agrégation en 1846, il soutient dès 1847 une thèse de cristallographie sur « l’étude des phénomènes relatifs à la polarisation rotatoire des liquides ». Dès l’année suivante, il occupe une chaire à l’université de Strasbourg ; en 1853, ses travaux sont couronnés par l’Académie des sciences, puis il reçoit la Légion d’honneur ; il devient doyen de la nouvelle faculté des sciences de Lille un an plus tard. À 30 ans, il est donc reconnu comme l’un des maîtres de l’Université et de la science françaises. Ses travaux sur les tartrates et les formes dissymétriques de cristallisation des acides tartriques et paratartriques ne sont accessibles qu’aux spécialistes. Ils ont fait de Pasteur un expérimentateur hors pair et l’ont conduit à s’interroger sur les rapports et les clivages entre la matière inerte et la matière
vivante. • Les travaux sur la fermentation. À Lille, Pasteur s’intéresse aux problèmes de fermentation. Qu’il soit alcoolique ou lactique, ce phénomène était, pour les plus grands esprits du temps comme l’Allemand Liebig, provoqué par des agents chimiques : les ferments. Pasteur bouleverse cette interprétation en affirmant que la levure, à l’origine de la fermentation, est un être vivant, et donc que la fermentation n’est pas un phénomène physico-chimique, mais un attribut de la vie de la levure. Il développe ces idées dans Mémoire sur la fermentation appelée lactique (1857) et Mémoire sur la fermentation alcoolique (1860), puis dans Mémoire sur la fermentation acétique (1864). Il démontre que les levures sont constituées de germes microscopiques qui se reproduisent plus ou moins bien selon le milieu dans lequel ils se trouvent, que l’on peut par conséquent les cultiver ou les neutraliser. Ainsi, certaines formes de chauffage les bloquent, constatation qui ouvre la voie au mode de conservation appelé « pasteurisation ». Les théories de Pasteur reçoivent des applications très concrètes dans l’amélioration de la fabrication tant du vinaigre que de la bière. Pasteur revient à l’École normale - où il a désormais son laboratoire - comme directeur adjoint en 1857, avant d’être nommé professeur à la Sorbonne (1867). Membre de l’Académie des sciences (1862) et de l’Académie de médecine (1873), il entre à l’Académie française en 1882. • Un esprit toujours curieux et un redoutable polémiste. En 1865, il est sollicité par les pouvoirs publics pour combattre une maladie des vers à soie qui ruine la sériciculture française, la pébrine. Bien que s’affirmant totalement incompétent, Pasteur accepte et part pour Alais (Alès). S’il ne découvre pas l’origine de la maladie, il la distingue néanmoins d’une autre affection avec laquelle on la downloadModeText.vue.download 696 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 685 confondait, la flacherie, et il met au point une sélection rigoureuse des oeufs, de la « graine », qui ne doit provenir que de papillons sains. Il dit aussi ce que doit être l’état des feuilles de mûrier consommables par les vers. Ces travaux, dont les conclusions bousculent les rou-
tines, sauvent la sériciculture languedocienne. Pasteur, si longuement enfermé dans son laboratoire, rivé à son microscope, attaché à ses ballons, cornues et tubes qui contiennent ses cultures, ennemi de tout importun qui prétend le déranger dans ses observations, se montre ainsi capable de se muer en homme de terrain comme il l’avait déjà fait dans les caves viticoles d’Arbois ou comme il le fera dans les brasseries londoniennes pour ses recherches sur le vin et la bière. Pasteur est également un brillant polémiste, notamment sur les bancs des académies. Ainsi pourfend-il les tenants de la génération spontanée, qui ont pour chef de file Félix Archimède Pouchet, directeur du Muséum d’histoire naturelle de Rouen. Ouvert par une communication de celui-ci en 1858, le débat dure pendant des années, Pasteur démontrant que la présence de germes dans l’air s’explique toujours par leur venue d’ailleurs et que les phénomènes dits « de génération spontanée » ne sont que les produits d’expérimentations mal faites, de stérilisations imparfaites. Dans ces débats académiques, Pasteur se montre, au service de sa vérité, d’une totale intransigeance et d’une grande brutalité de propos. • La victoire sur la rage. Surmené par ses travaux de laboratoire, par les polémiques qu’il soutient, par ses déplacements dans le Midi, très affecté par des malheurs familiaux, Pasteur est victime d’une attaque cérébrale qui, en 1868, le laisse hémiplégique et c’est en infirme que, pendant vingt-cinq ans encore, il va accomplir un travail colossal. Les années 1870 sont marquées par la poursuite des travaux sur les fermentations du vin et de la bière, mais surtout par les travaux sur les maladies animales, le charbon des moutons, le choléra des poules, le rouget des porcs, le lien entre ces recherches étant l’analyse du rôle des substances infiniment petites, avec une orientation nouvelle : l’analyse de leurs fonctions pathogènes. En 1878, Pasteur publie son Mémoire sur la théorie des germes et ses applications à la médecine et à la chirurgie. Le charbon des moutons avait retenu l’attention des chercheurs dès les années 1840, et Davaine avait décelé la présence dans le sang des animaux morts de bâtonnets microscopiques dont il pensa, ultérieurement, qu’ils pouvaient être responsables de la maladie. L’idée fut reprise par l’Allemand Robert Koch, qui prouva le rôle étiologique des bâtonnets de Davaine. Pasteur n’innove donc pas mais son apport essentiel est la mise au point de vaccins. En effet, il constate que les germes - on parle désormais de « microbes » ou de
« virus » - peuvent évoluer et, dans certaines conditions, perdre de leur virulence et de leur nocivité pathologique. Ce n’est pas là non plus une découverte ex nihilo, puisqu’il y a le précédent d’Edward Jenner et de la vaccination contre la variole à partir du cow-pox (1796). Néanmoins, pour concevoir la possibilité de mettre au point des vaccins, Pasteur doit écarter la croyance à l’aspect spécifique et stable des caractéristiques biologiques et chimiques des espèces microbiennes. En jouant sur les conditions dans lesquelles sont réalisées des cultures successives, par le vieillissement des germes à une certaine température, Pasteur constate la perte de virulence des agents responsables du charbon, du choléra des poules, du rouget du porc, mais aussi de la pneumonie et de la rage. En 1881, il publie son Mémoire sur la possibilité de rendre les moutons réfractaires au charbon par la méthode des inoculations préventives. En juin 1882, il démontre l’efficacité de la vaccination dans le village beauceron de Pouilly-le-Fort. Préalablement vaccinés, 25 moutons échappent à la maladie tandis que 25 bêtes témoins non vaccinées en meurent. Vient alors le temps de la grande aventure qui a assuré la gloire internationale de Pasteur. Ses travaux portent en effet désormais sur la rage : le 6 juillet 1885, un jeune Alsacien mordu par un chien enragé, Joseph Meister, lui est amené. Après bien des hésitations devant les risques de ce qui était une expérimentation humaine, Pasteur traite l’enfant par des injections successives de cultures sur moelle de lapin de moins en moins atténuées. Le jeune garçon est sauvé comme l’est ensuite Jean-Baptiste Jupille, jeune pâtre jurassien. C’est le triomphe immédiat puisque, quinze mois plus tard, près de 2 500 personnes auront été déjà traitées. Le retentissement considérable de cette victoire sur la rage s’explique par la terreur qu’inspirait cette maladie qui condamnait inéluctablement à une mort atroce. C’est l’émotion soulevée alors qui permet le lancement d’une souscription internationale pour l’édification d’un centre de recherches microbiologiques. L’Institut Pasteur ouvre ses portes le 14 novembre 1888. Pasteur est alors trop affaibli pour avoir un rôle très actif dans ce nouveau cadre. C’est l’heure des consécrations ultimes avec son jubilé à la Sorbonne, à l’occasion de ses 70 ans, le 27 décembre 1892. Des funérailles nationales seront organisées après sa mort. • La postérité. La place de Pasteur dans l’histoire des sciences médicales est immense. Ses travaux ont profondément modifié la
conception même que l’on pouvait se faire de la maladie. Il a ouvert la voie de la vaccination et de la sérothérapie et il a cautionné l’antisepsie et l’asepsie. Il n’y a guère que Koch, son contemporain, qui puisse lui être comparé. Avec un siècle de recul, le regard porté sur le personnage tend cependant à se modifier, sans que son importance soit pour autant remise en question. À l’image de l’homme qui incarne toutes les vertus, de l’expérimentateur scrupuleux jusqu’à la plus extrême minutie, de la conscience torturée par les risques parfois assumés, se surimpose celle d’un aventurier génial de la science qui souvent céda à des intuitions, qui, dans l’histoire de la rage, n’hésita pas à traiter en cobayes les premiers vaccinés et qui, peut-être même, n’y regarda pas de trop près pour s’assurer que les chiens qui avaient mordu les jeunes Meister et Jupille étaient bien enragés. Mais, fort de ses certitudes, Pasteur avait besoin de ces premiers succès pour faire admettre des idées qui ouvraient des perspectives infinies. De fait, c’est une dimension nouvelle que l’on reconnaît au personnage, par-delà les images d’Épinal auxquelles on a voulu longtemps l’assimiler. pastoureaux (croisades des), croisades populaires parties du nord du royaume en 1251, puis en 1321, qui dégénèrent en violences. En 1251, la première croisade des pastoureaux naît en Picardie et rassemble essentiellement de jeunes bergers, sous l’égide d’un vieillard ascétique. Ils s’en prennent violemment aux nobles qui n’ont pas accompagné le roi en Terre sainte, à la hiérarchie ecclésiastique, aux frères mendiants et aux juifs. D’abord bien accueilli par les bourgeois des villes de Picardie et d’Île-de-France, le mouvement est finalement condamné par la régente Blanche de Castille en raison de sa violence et de son insoumission à l’Église : les pastoureaux se dispersent alors d’eux-mêmes ou sont massacrés à Marseille, à Bordeaux et en Angleterre. En 1321, la seconde croisade des pastoureaux apparaît en Normandie et dans le Bassin parisien avant de gagner l’Aquitaine. Elle rassemble d’abord des bergers, hommes et femmes confondus, mais, dans le contexte de crise qui suit la grande famine de 13151317, de nombreux vagabonds et miséreux les rejoignent. Avec l’appui des populations locales, ces bandes se livrent alors à plusieurs massacres dans les cités méridionales, avant
d’être sévèrement réprimées par les agents royaux dans les régions de Toulouse et de Carcassonne. Ces deux mouvements témoignent de la vigueur des espérances millénaristes et de l’idée de croisade, ainsi que de la virulence de l’anticléricalisme et de l’antijudaïsme dans les populations paysannes et citadines des XIIIe et XIVe siècles. patente ! Quatre Vieilles (les) Patrie en danger (la), proclamation du 11 juillet 1792 qui vise à mobiliser la population contre les ennemis de la Révolution. Le thème de « la Patrie en danger » - qui se manifeste sous diverses formes depuis 1790 - est de plus en plus présent après les défaites du printemps 1792 et, surtout, après le renvoi du ministère girondin le 13 juin, confirmé par l’échec de la journée du 20 juin durant laquelle les girondins ont tenté d’utiliser la mobilisation populaire contre Louis XVI. Le 30, le député Jean Debry présente à l’Assemblée un projet de proclamation dans lequel il énumère les mesures à prendre en cas de danger imminent : mobilisation militaire, épuration des cadres dans l’armée, répression des prêtres réfractaires... Le 3 juillet, Vergniaud approuve ce programme : il s’agit pour les girondins de reprendre l’initiative politique en provoquant une mobilisation révolutionnaire limitée, destinée à faire pression sur le roi. Le projet de Debry - adopté le lendemain - prévoit de mettre toutes les autorités en état de « surveillance permanente », de mobiliser les Gardes nationales et... institue une responsabilité collective des ministres. Après avoir soutenu le pouvoir exécutif en avril et en mai, les girondins repassent donc downloadModeText.vue.download 697 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 686 dans l’« opposition » et adoptent certaines des mesures réclamées par Robespierre (dont Brissot insinuait quelques jours plus tôt qu’il était un « traître à la solde de l’Autriche !). Le 9 juillet, Brissot exige que la proclamation soit effective, mais les girondins ne renoncent pas à leurs manoeuvres puisque Gensonné, Guadet et Vergniaud tentent secrètement de se rapprocher du roi après la chute du ministère feuillant, le 10 juillet. Louis XVI ayant refusé leurs avances, ils choisissent l’affrontement.
La proclamation de « la Patrie en danger » est votée le 11, et reçoit une forme solennelle les 22 et 23 juillet, lors de cérémonies pour l’enrôlement des volontaires. Cette proclamation ne fait pas disparaître les méfiances. Ainsi, Robespierre se demande s’il ne s’agit pas d’une manoeuvre supplémentaire pour préserver un accommodement avec le roi. Indépendamment des arrière-pensées tactiques de ses initiateurs, la proclamation de « la Patrie en danger » a provoqué une mobilisation révolutionnaire imprévue : on estime à 15 000 le nombre des volontaires parisiens enrôlés en une semaine. Elle a cristallisé un mouvement de défense qui n’attendait qu’un point d’appui au sein de l’Assemblée législative pour s’opposer aux ennemis intérieurs et extérieurs de la Révolution. patrie française (Ligue de la) ! Ligue de la patrie française patriotes (Ligue des) ! Ligue des patriotes patriotisme. Le patriotisme révolutionnaire est « l’amour sacré de la patrie ». Invoqué dans le dernier couplet de la Marseillaise, il est à la fois un sentiment qui oriente la geste révolutionnaire et une ressource d’énergie pour les soldats patriotes. Souvent confondu avec le sentiment national, sa dimension sacrée et transcendante l’en distingue pourtant très clairement dans l’usage. En 1792, on réclame des armes au nom du droit de résistance à l’oppression pour défendre « la Patrie en danger ». C’est pour la patrie qu’on peut déclarer « la liberté ou la mort ». L’amour de la patrie semble se substituer à l’amour porté au roi souverain : la patrie serait la part sacrée de la nation souveraine, une figure de l’absolu révolutionnaire. La définition qu’en donne Roland dans sa lettre au roi du 10 juin 1792 permet d’appréhender cet « être de raison » si présent dans l’affectivité quotidienne des révolutionnaires : « La patrie n’est point un mot que l’imagination se soit complu d’embellir, c’est un être auquel on a fait des sacrifices, à qui l’on s’attache chaque jour davantage par les sollicitudes qu’il cause ; qu’on a créé par de grands efforts, qui s’élève au milieu des inquiétudes et qu’on aime autant parce qu’il coûte que parce qu’on espère. » • Une notion ambivalente. Cependant, le terme « patrie » n’est pas neuf et sa polysémie pourrait mettre en danger l’idéal révolu-
tionnaire. Au XVIIIe siècle, d’Holbach l’associe à la « liberté politique » et au « bon gouvernement », alors que Rousseau l’identifie au pays natal qui émeut. Robespierre parvient le plus souvent à associer ces deux aspects de la notion, déclarant le 18 floréal an II : « Oui, cette terre délicieuse que nous habitons [...] est faite pour la liberté et le bonheur [...] ô ma patrie ! [...] Ô peuple sublime, reçois le sacrifice de tout mon être, heureux celui qui est né au milieu de toi ! Plus heureux celui qui peut mourrir pour ton bonheur. » Mais on tente aussi de lever les ambiguïtés de la notion. À Dijon, le 18 mai 1790, l’abbé Volfius déclare que « la patrie n’est point le sol qui nous a vu naître. La vraie patrie est cette communauté politique où tous les citoyens français protégés par les mêmes lois, réunis dans un même intérêt jouissent des droits naturels de l’homme et font partie de la chose publique ». Dans les Fragments d’institutions républicaines, Saint-Just rejoint cette position : « La patrie n’est point le sol, elle est la communauté des affections, qui fait que chacun combattant pour le salut ou la liberté de ce qui lui est cher, la patrie se trouve défendue. » Ce qui unifie la conception révolutionnaire du patriotisme est « l’amour des lois », « l’orgueil de la liberté et de la vertu ». Le dévouement « de sang froid aux périls et à la mort » suppose un attachement sans faille aux valeurs qui enfantent les patriotes révolutionnaires. Mais, lorsque les lois deviennent mauvaises, l’amour de la patrie doit permettre de résister. Cependant, si le renoncement au droit de conquête devait épurer l’amour de la patrie, en l’an III, le retour d’une conception guerrière conquérante pourrait faire sombrer le patriotisme dans le mépris des lois et la haine des autres nations ; il pourrait perdre sa dimension sacrée et ne s’identifier qu’à la simple défense des intérêts nationaux. De ce fait, aux XIXe et XXe siècles, la notion de patriotisme peut aussi bien être adoptée par une gauche républicaine - qui se réclame de l’amour des lois justes - que par une droite - qui fait porter la charge sacrée du sentiment patriotique sur la mémoire des morts. Après la Première Guerre mondiale, l’ambivalence est à son comble puisque les anciens combattants qui se sont battus au nom des valeurs républicaines contre l’Empire allemand mais aussi pour la reconquête des « provinces perdues » peuvent tous, à bon droit, se réclamer du patriotisme, sans que celui-ci puisse incarner une place précise sur l’échiquier politique. De plus, à gauche, le patriotisme est concurrencé par l’internationalisme, qui n’a plus un Jaurès
pour affirmer que les deux termes ne sont pas inconciliables. Si la lutte antifasciste puis la Résistance le remettent à l’honneur - les résistants sont des « patriotes », qu’ils soient communistes ou issus des mouvements patriotes de droite de l’entre-deux-guerres ; l’émission diffusée depuis Londres s’intitule « Honneur et patrie » -, le terme conserve néanmoins une connotation de droite, et sa valeur révolutionnaire semble difficile à restituer. patronage, tutelle exercée sur une église qui autorise son « patron » à désigner le « desservant » et à percevoir la dîme et les différents revenus paroissiaux. Par tradition ou à la suite de la création de nouvelles paroisses villageoises, aux XIe et XIIe siècles, dans le cadre de l’enchâtellement ou de grands défrichements collectifs, de nombreux seigneurs laïcs se considèrent comme les fondateurs ou les protecteurs privilégiés d’un grand nombre d’églises rurales. Les églises et les dîmes qui leur sont attachées sont alors intégrées à leur patrimoine. Mais la réforme grégorienne, qui entend confier aux seuls ecclésiastiques la direction de l’Église, dénonce cette emprise des laïcs, qu’elle considère comme délictueuse. À partir des années 1070-1080, moines et évêques réformateurs cherchent à contraindre les seigneurs laïcs au besoin, en recourant à l’excommunication ou à l’anathème - à abandonner leur droit de patronage au profit des clercs. La pression exercée par les clercs et la résistance opposée par les laïcs varient beaucoup d’une région ou d’un diocèse à l’autre, mais un lent mouvement de restitution s’opère, qui dure parfois jusqu’au XIIIe siècle. Dans de nombreuses régions, en particulier méridionales, ces restitutions fragilisent la situation économique de certaines familles de la petite et de la moyenne aristocratie seigneuriale, pour lesquelles les dîmes représentaient une source de revenus non négligeable. Par ailleurs, ces restitutions bénéficient surtout aux établissements monastiques qui contrôlent désormais, au détriment des évêques, une grande partie des églises paroissiales. paulette (édit de la), déclaration royale du 12 décembre 1604 qui permet aux officiers du roi d’être dispensés de la clause des quarante jours pour céder leur charge. Il leur suffit désormais de payer, en échange, un droit annuel d’un soixantième de la valeur de l’office et un droit de résignation d’un huitième ; si l’officier meurt sans résigner, l’office
reviendra directement aux héritiers : c’est pourquoi on désigne communément la paulette par « édit des femmes » car elle profite essentiellement aux veuves des officiers. Cet édit, créé par Sully, officialise le caractère patrimonial de l’office royal, malgré l’opposition du chancelier Bellièvre, attaché à la conception ancienne d’une monarchie tempérée par un corps d’officiers méritants. Cependant, les charges des premiers présidents, des procureurs et des avocats du roi des cours souveraines, des lieutenants généraux civils, des baillis et des sénéchaux dans les présidiaux en sont exclus. Mais, ainsi que le déplorera le cardinal de Richelieu, la couronne, toujours en manque d’argent, ne respecte pas ces restrictions. Charles Paulet acquiert la Ferme du droit annuel pour neuf ans, moyennant un versement annuel de 900 000 livres pour le Trésor. À l’exception d’un court intermède entre 1618 et 1620, l’affermage de la paulette est renouvelé, assorti d’un prêt, sorte d’impôt déguisé. Malgré les récriminations de la noblesse, le droit annuel est trop avantageux pour que la couronne le supprime. L’État fidélise le « quatrième état » et obtient une rentrée régulière d’argent. Quant aux officiers, ils s’assurent une indépendance et une possible promotion sociale. En 1771, Terray uniformise le droit annuel pour tous les offices en confondant le prêt et la taxe qui, désormais, s’élève au centième de la valeur de la charge. downloadModeText.vue.download 698 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 687 Pavie (bataille de), bataille remportée par les troupes de l’empereur Charles Quint sur celles de François Ier les 24-25 février 1525. Après l’échec de l’invasion de la Provence par les Impériaux, en septembre 1524, François Ier, pour la première fois depuis Marignan, prend la tête d’une armée et poursuit ses adversaires qui font retraite vers l’Italie. Dès le mois d’octobre, les Français reprennent Milan et l’ouest de la Lombardie, pendant que les Impériaux se replient sur Lodi. C’est alors que le roi, supputant toute la gloire que lui apporterait la prise d’une place réputée inexpugnable, préfère mettre le siège devant Pavie plutôt que d’aller défaire ses ennemis déjà épuisés par une longue retraite. Cette erreur stratégique est lourde de conséquences : d’octobre à février, le siège s’éternise et l’armée française se retrouve alors prise entre les as-
siégés et une armée espagnole qui se porte à leur secours. La bataille de Pavie proprement dite s’engage dans la nuit du 24 au 25 février 1525. Pendant que les assiégés font une sortie en force, les Impériaux venus de Lodi ouvrent une brèche dans le mur qui entoure le camp français et, profitant de l’effet de surprise et de l’obscurité, déciment sous le feu de leurs arquebuses la cavalerie lourde française, qui n’a pas suffisamment d’espace pour se déployer et ne peut s’appuyer ni sur les fantassins, cantonnés plus loin, ni sur l’artillerie, qui n’a pas été mise en position. Six à huit mille hommes de pied, français ou suisses, sont tués, et une bonne partie des capitaines royaux restent sur le terrain dans ce qui sera considéré, avec Azincourt, comme le « grand massacre de la haute noblesse française ». De plus, le roi lui-même est fait prisonnier et ne sera libéré qu’un an plus tard. Au soir de cette déroute, le royaume, touché à sa tête, pourrait vaciller. Toutefois, si la péninsule Italienne reste entre les mains de Charles Quint et si l’hégémonie impériale semble devoir s’étendre sur le reste de l’Europe, le rétablissement français est rapide grâce à la fermeté de la régente Louise de Savoie, à d’habiles tractations diplomatiques... et au non-respect du traité de Madrid, signé en janvier 1526. La défaite affecte ainsi moins la France que les ambitions « italiennes » de son roi. pays d’élections, sous l’Ancien Régime, provinces soumises à l’administration directe des officiers royaux. Leur appellation est trompeuse dans la mesure où, à la différence des pays d’états, les pays d’élections ne connaissent ni assemblées représentatives, ni administration particulière. Les « élections » sont des circonscriptions fiscales, placées sous la juridiction des « élus » qui à l’origine, au XIVe siècle, sont des commissaires désignés par les états généraux pour surveiller la levée des impôts. Tout en conservant leur nom, ces élus deviennent au XVIe siècle des officiers royaux, propriétaires de leur charge grâce à la vénalité des offices. Ils répartissent entre les paroisses le montant (« brevet ») de la taille, fixé en Conseil du roi, sans qu’il puisse être discuté par des représentants qualifiés des provinces. Ils jugent également le contentieux fiscal. En raison de ses besoins financiers croissants, la monarchie, aux XVIe et XVIIe siècles, étend le droit commun fiscal aux pays d’états, dont la plupart sont transformés en pays d’élections : de 92 au début du XVIe siècle, le nombre des élections s’élève à 146 vers 1600, et à 178 en 1789.
Cette croissance du nombre des élections ne profite pas aux élus, dont les compétences financières et judiciaires passent entre les mains des intendants et de leurs subdélégués. Souvent taxés de concussion (« La vraie source de la misère du peuple, tant à cause de leur nombre qui est si excessif... que par leurs malversations », dira Richelieu), plusieurs fois promis à la disparition, les élus ne survivent que pour les ressources que la vente de leur charge procure au Trésor royal. Au XVIIIe siècle, les élections ne sont plus que le cadre de répartition de la taille et l’on peut, en fin de compte, considérer comme « pays d’élections » les provinces soumises à l’administration directe des intendants, soit 22 généralités sur 34 en 1789. Les nombreuses critiques contre l’administration des intendants conduisent Loménie de Brienne, en 1787, à introduire une représentation provinciale dans les pays d’élections. Mais ces assemblées provinciales, tardivement créées et suscitant de fortes résistances, sont ajournées à peine réunies. pays d’états, sous l’Ancien Régime, provinces dotées d’états provinciaux, et bénéficiant à ce titre d’un statut fiscal et administratif particulier. Les états provinciaux, assemblées représentatives composées de représentants des trois ordres, apparaissent au XIVe siècle pour subvenir, conformément au principe du consentement des sujets à l’impôt, aux besoins financiers de la monarchie. Jusqu’au XVIe siècle, ils existent dans la plupart des provinces. En contrepartie de leur contribution, ils interviennent dans différents domaines intéressant la vie de la province, notamment la rédaction des coutumes. L’évolution de l’État monarchique est défavorable aux pays d’états, où le pouvoir royal introduit progressivement une administration fiscale directe (les « élus »). Ainsi disparaissent au XVIe siècle les états d’Anjou, du Bourbonnais, de Guyenne, du Limousin, du Maine, de la Marche, de l’Orléanais et de la Touraine ; et au XVIIe siècle, ceux d’Auvergne, du Dauphiné et de Normandie. Les états provinciaux ne subsistent jusqu’à la fin de l’Ancien Régime que dans quatre grandes provinces (Bourgogne, Bretagne, Languedoc et Provence), et dans des pays périphériques tardivement annexés (Artois, Cambrésis, Flandre wallonne, Béarn, Bigorre, Foix, Labourd, Marsan, Navarre, Nébouzan, Quatre-Vallées, Corse). Au XVIIIe siècle, les états provinciaux,
dominés par des oligarchies nobiliaires ou urbaines, se réunissent selon une périodicité régulière sous la présidence de commissaires royaux. S’ils n’ont plus guère les moyens de refuser l’impôt (malgré le terme de « don gratuit » qui continue de désigner l’impôt des pays d’états), ils peuvent en négocier et en atténuer le montant, et surtout en administrer la répartition et la levée. Ils disposent encore de quelques compétences en matière administrative (défense des « libertés provinciales ») et économique (travaux publics). On a parfois voulu y voir l’expression d’une sorte d’autonomie provinciale, idéalisée par les critiques aristocratiques de la monarchie absolue (Fénelon, Saint-Simon, Montesquieu), qui en prônaient la généralisation. En revanche, certains se montrent sévères pour ces institutions, soulignant leur caractère oligarchique, leur faible sens de l’intérêt général et leur incompétence. On constate cependant que la présence d’états provinciaux a sensiblement atténué la charge fiscale des provinces concernées : ainsi, la Bretagne, qui comptait quelque 10 % de la population du royaume, ne contribuait que pour 2,5 % à son budget. l PAYSANNERIE. Pays longtemps le plus peuplé d’Europe occidentale, la France a regroupé la plus forte concentration de paysans jusqu’au milieu du XIXe siècle au moins. Si l’on considère que la société française a pu compter 80 % de paysans à la fin du Moyen Âge et encore 75 % sous Louis XVI, la population agricole a dû représenter respectivement, à ces deux époques, 12 à 15 millions d’habitants, puis près de 20 millions. Pour l’essentiel, les paysages de notre territoire ont été façonnés par ces paysans qui aujourd’hui disparaissent, tandis que l’environnement se dégrade et se désertifie, dans l’attente de nouveaux acteurs. C’est là une rupture par rapport aux périodes antérieures. Car, des siècles durant, la puissance des seigneurs puis la richesse de l’État ont dépendu en grande partie de l’activité de ces millions de travailleurs de la terre, au premier chef exposés à l’impôt. De l’an mil au milieu du XIXe siècle, ils ont occupé une place centrale dans la société française. RURAUX ET PAYSANS Certes, les paysans ne constituaient pas toute la population rurale. La présentation d’une France « paysanne » oblitère la diversité des sociétés anciennes, dans lesquelles le secteur artisanal, le petit commerce, les divers rentiers du sol, etc., ont joué un rôle capital. Cependant, bien des artisans, des boutiquiers et des
rentiers conservaient une attache directe au sol - un champ à cultiver, un jardin à entretenir, une basse-cour à surveiller. En dehors des cultivateurs proprement dits, à la campagne, tout le monde était peu ou prou paysan. À l’origine, le terme dénote un attachement au territoire local, au « pays ». Dans son Dictionnaire de l’ancienne langue française (18811902), Godefroi rattache ce statut au dur labeur du sol : « La terre essillent et arrier et avant / A grant dolor i sont li paisant. » Dans les premiers documents écrits conservés (XIIe et XIIIe siècles), les paysans, qu’on appelle plus communément rustici (rusticani, villani), ne sont pas nettement distingués des ruraux ; ce qui suggère qu’ils en représentent l’immense majorité. Il faut attendre le XVIe siècle pour que les textes établissent nettement la distinction : ainsi, Claude Haton, curé dans la Brie à l’époque des guerres de Religion, fait le départ entre « paysans » et « gens de village ». À la base de l’organisation sociale et de la hiérarchie des ordres, on range alors la « paysanterie ». Condition bien médiocre, que fustige Molière, un siècle plus tard, dans downloadModeText.vue.download 699 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 688 son George Dandin (1668) : « J’aurais bien mieux fait, tout riche que j’étais, de m’allier en bonne et franche paysannerie, que de prendre une femme qui se tient au-dessus de moi. » Le Dictionnaire de Furetière, publié en 1690, officialise l’infériorité sociale qui correspond à ce statut : est paysan tout « roturier qui habite dans les villages, qui cultive la terre, et qui sert à tous les ménages de campagne. Les paysans sont ceux qui supportent les charges de l’État, qui payent la taille, qui font les corvées, etc. Les paysans qui sont riches sont fort malins et insolents... On appelle figurément un homme grossier, rustique, incivil, malpropre, un paysan. Ce noble de campagne est encore un vrai paysan. La plupart des pédants tiennent encore du paysan ». La connotation péjorative trahit le regard de la ville. Car c’est depuis la ville que les paysans sont identifiés globalement, sans grand souci de différenciation sociale. Pour ne pas rester confondus dans cette plèbe agricole, les élites paysannes ont cherché à se distinguer, sous l’Ancien Régime, par des titres d’honneur ; et le tarif des classes établi pour la première capitation en 1695 isole, au-dessus de la pay-
sannerie, des « fermiers laboureurs » inscrits dans la quinzième classe, tout près des gentilshommes « possédant fiefs et châteaux » et des bourgeois des petites villes vivant de leurs rentes. La Révolution venue, les rangs s’effacent au profit du terme faussement égalitaire de « cultivateur » - accompagné, il est vrai, de sa variante aristocratique de « propriétaire cultivateur ». Avant que n’émerge, à la fin du XIXe siècle, une classe supérieure d’agriculteurs, nouvel indice de la profonde inégalité économique qui traversait la paysannerie DIVERSITÉ DES MODES DE PROPRIÉTÉ La paysannerie française a pour caractère premier d’être profondément attachée à la terre, et d’abord dans le cadre de la propriété foncière. Pour autant, les paysans étaient inégalement propriétaires. Certains ne l’étaient même pas, à commencer par les serfs qui ne disparurent qu’avec les affranchissements collectifs des XIIe et XIIIe siècles, à la réserve de quelques centaines de milliers de « mainmortables » encore présents en 1789 dans les provinces du Centre et de l’Est. Bien plus nombreux, les simples « brassiers », qui n’avaient que leurs bras pour travailler le sol, les « journaliers », qui gagnaient leur vie au jour la journée, ou les « manouvriers », dont les mains étaient bonnes à tout faire : catégories semblables qui désignent un salariat agricole, souvent précaire, et dépendant de multiples activités. En revanche, tous cultivaient, à des titres divers, une exploitation agricole. Au-delà des statuts juridiques, la différenciation sociale passait par deux critères fondamentaux : la place à l’intérieur de l’exploitation ; la nature et la dimension de celle-ci. Jusqu’à la Révolution et au Code civil (1804), qui consacrèrent une propriété foncière libre et entière, comme à l’époque romaine, la possession du sol était « incomplète » car grevée de droits divers à l’égard des seigneurs. Ici ou là avaient pu subsister des paysans « alleutiers », entièrement maîtres de leurs biens, mais cette situation s’était fortement raréfiée depuis la guerre de Cent Ans. En dehors des alleux, l’occupation du sol subissait un certain nombre de limites qui frappaient, à des degrés inégaux, la propriété. La mainmorte, qui pesait sur certains héritages en Auvergne, en Nivernais ou en Bourgogne, interdisait aux serfs de vendre leurs biens à des étrangers et restreignait la transmission successorale à leurs héritiers directs
vivant « à pot et à feu ». En Basse-Bretagne, dans certaines seigneuries ecclésiastiques des actuels départements du Finistère et des Côtes d’Armor, la « quevaise » en représentait une variante : seul le plus jeune enfant était admis à hériter ; à défaut d’héritier direct, le seigneur rentrait en possession de la tenure ; le quevaisier ne pouvait céder, vendre ou aliéner la terre sans une autorisation expresse du seigneur, fort coûteuse. Économiquement, ce système paralysait tout effort d’amélioration : les quevaises restaient souvent incultes et vouées à une utilisation extensive, sous forme de pâturages. En dehors de ces cas particuliers, les paysans qui étaient propriétaires l’étaient dans le cadre seigneurial. Libres de disposer et d’exploiter leurs biens à leur guise, ils « tenaient » la terre d’un maître à l’égard duquel ils reconnaissaient leur dépendance en versant annuellement un cens (redevance fixée en argent au milieu du Moyen Âge et de plus en plus symbolique sous l’Ancien Régime) ou un champart (redevance en nature, beaucoup moins anodine, qui correspondait à un prélèvement de l’ordre d’un quinzième à un septième des récoltes). Dans ce régime, au nom d’une prétendue concession originaire du sol, le seigneur conservait la propriété éminente, la « directe » sur les censitaires, qui disposaient de la propriété « utile ». Comme propriétaire du sol, le paysan pouvait bien louer, transmettre ou vendre sa tenure : il devait cultiver son bien pour assurer le versement du cens et des autres redevances annuelles ; il réglait parfois un surcens, il laissait les privilèges honorifiques au seigneur et, en cas de mutation ou de succession collatérale, ce dernier percevait des taxes (lods et ventes). Il existait aussi une forme de « propriété » voisine, qui permettait aux paysans de compléter leur patrimoine sans bourse délier : c’était le bail à rente foncière. Aux termes du contrat, le bailleur transférait la propriété d’un bien à un preneur moyennant le versement d’une rente annuelle fixe, en nature ou en argent, qui pesait sur le fond et qui, en principe, ne pouvait être rachetée. L’acquéreur devenait propriétaire à crédit, mais un crédit qui ne remboursait jamais le capital correspondant à son acquisition. En revanche, il disposait du bien comme bon lui semblait, pouvant le louer ou le vendre, sans payer de lods et ventes puisque la rente n’avait pas de caractère seigneurial mais représentait le revenu du fonds. Il s’agissait donc d’une propriété juridiquement plus forte que la tenure mais obérée - et même lourdement - à l’égard du
rentier. Souvent, le bail à rente foncière ne faisait que déguiser une aliénation de la part d’un paysan incapable de régler ses dettes : un bourgeois de la ville ou un riche voisin consentait à l’acquitter de ses dettes, moyennant l’attribution d’une rente sur les terres que le débiteur possédait. La multiplication des constitutions de rentes foncières signalait les périodes de crise agraire, notamment dans la seconde moitié du XVIIe siècle. La Révolution vint simplifier les rapports entre la paysannerie et la propriété. Mais il y fallut de longs débats et deux étapes décisives : la première, en 1790, supprimant les droits de féodalité « dominante », libéra les hommes de toute dépendance seigneuriale ; la seconde, en 1793, détruisit le régime féodal et tous les droits qui pesaient sur le sol, à commencer par les cens et champarts. Mais, audelà de ces diversités, quelle était l’importance relative de la propriété paysanne ? PROPRIÉTAIRES ET EXCLUS DU SOL En 1789, la paysannerie française détenait peut-être 35 % à 40 % du sol : terres labourables et vignes, surtout, et, plus rarement, prés et forêts. Les autres catégories se partageaient inégalement le solde : 10 % pour l’Église, 20 à 25 % pour la noblesse (y compris le roi), 10 % pour la bourgeoisie, 10 % à 15 % pour les biens communaux (essentiellement des friches et des pacages). La paysannerie française était avantagée, d’une part, par rapport aux paysanneries de l’Europe centrale et orientale, où la terre appartenait aux magnats et où le XVIIe siècle avait été marqué par un second servage ; d’autre part, par rapport à l’Angleterre, dans laquelle le mouvement des « enclosures » favorisait depuis le XVIe siècle un remembrement au profit de la gentry (les grands propriétaires dépossédaient les paysans lors des échanges fonciers qui éliminaient les droits d’usage une fois les domaines clos). Les paysans anglais étaient libres mais réduits le plus souvent à la condition de journaliers salariés. Néanmoins, dans la plupart des provinces de France, entre le XVe et le XVIIIe siècle, le patrimoine de la paysannerie s’était contracté. D’une part, l’endettement lié aux arrérages de fermages et d’impôts, en particulier entre 1650 et 1730, alors que stagnaient les prix agricoles, multiplia les aliénations. D’autre part, la « montée de la bourgeoisie » s’opé-
rait à la faveur de la constitution de domaines agricoles aux portes des villes, consacrant une politique patiente d’acquisitions au détriment des ruraux. Aussi a-t-on pu parler d’expropriation agricole à propos de ces transferts fonciers qui réduisaient comme peau de chagrin la propriété paysanne. En revanche, les premiers résultats sur le mouvement du marché foncier au XVIIIe siècle soulignent un retournement de conjoncture après 1750. Le processus d’expropriation paysanne au profit des classes rentières urbaines (noblesse et bourgeoisie) semble alors s’arrêter. Dans cette perspective, la Révolution ne fit qu’accentuer, avec la vente des biens nationaux, une reconquête foncière entamée dès la fin de l’Ancien Régime : si, dès 1790, les enchères profitèrent surtout aux riches fermiers et laboureurs, les achats de petits lots et les adjudications collectives ménagèrent une part aux petits paysans. Pour importante que fût la part totale de la propriété foncière qui revint à la paysannerie, cette part était très inégalement répartie. downloadModeText.vue.download 700 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 689 Un groupe de laboureurs ou de « ménagers » détenait de petits domaines dans les régions de forte propriété familiale, dans le cadre d’exploitations indépendantes (« casaux » de Gascogne, « maisons » pyrénéennes, « oustas » du Gévaudan, « mas » provençaux et languedociens, etc.), souvent 15 à 30 hectares avec beaucoup de mauvais sols. Une masse de « paysans parcellaires » pullulait dans toutes les régions : petits ou micro-propriétaires (moins de 2 hectares) qui ne pouvaient subsister avec leur famille sur leurs biens-fonds, et devaient louer des terres complémentaires pour constituer une exploitation viable ou pour trouver des ressources d’appoint dans l’artisanat, le commerce ou le salariat agricole. Assez souvent, elle formait la catégorie moyenne du monde rural qui, tout en possédant un peu de terre, exerçait un métier non agricole (maréchal, aubergiste). Cette catégorie faisait l’originalité de la France en Europe. Une masse encore plus dense de paysans sans terre possédait souvent une maison (avec un bout de jardin) mais comprenait un nombre croissant de véritables prolétaires. Du XVe au XIXe siècle, cette masse forma l’essentiel du salariat agricole (bergers, vachers, charre-
tiers, servantes de ferme, batteurs en grange, fossoyeurs...) et des mendiants, jetés sur les routes à chaque famine et bientôt internés, pour une partie d’entre eux, dans les hôpitaux généraux des villes. Sous l’Ancien Régime, la répartition régionale de la propriété paysanne était très variable. Sur les terres riches des openfields du Nord ou du Bassin parisien, sa part restait faible : 20 à 30 % du sol (essentiellement aux mains des gros laboureurs). La concurrence des capitaux urbains (domaines et seigneuries de la noblesse, du clergé et de la bourgeoisie) réduisait à la portion congrue la part des ruraux et, parmi ces derniers, celle de la simple paysannerie. Pour les rentiers de la ville, la terre offrait en effet un placement d’épargne idéal, assurant des revenus réguliers et une garantie hypothécaire en cas d’appel au crédit. Les paysans n’étaient pas mieux lotis dans les régions où l’aménagement du sol (assèchements des marais) exigeait d’importants investissements, ou aux environs des villes où les bourgeois et privilégiés avaient accaparé les terres (10 à 15 % autour de Paris, 23 % autour de Toulouse). En revanche, dans les régions bocagères ou forestières, dans les montagnes où le défrichement avait été abandonné à l’initiative individuelle et où il n’existait pas de grande bourgeoisie ou de haute noblesse susceptible d’investir massivement dans la terre, la propriété paysanne était plus importante (au XVIIIe siècle : 60 % du sol dans la région de Thiers, en Auvergne ; 75 % dans le Velay ; 98 % en Béarn). Dans le Centre et dans le Midi, propriété et exploitation coïncidaient assez souvent. En cultivant son bien, un ménage de paysans dépensait l’essentiel de son activité. Sauf quelques parcelles marginales, il ne menait ses bêtes que dans ses champs et ses pâturages. Cette prédominance du faire-valoir direct correspond à un régime de petite propriété, une association caractéristique des régions de parcellisation foncière telles que les vallées intérieures du bas Vivarais ou les Cévennes. Ce régime relativement « démocratique » de la propriété, mais à une échelle économique très restreinte, sécrétait l’individualisme agraire et l’esprit d’indépendance politique et religieuse dont témoignent la révolte antifiscale du Roure en 1670, le « fanatisme » huguenot lors de la guerre des camisards, la révolte, enfin, des « masques armés » de 1783, révolte de petits gens, ouvriers agricoles et ménagers pauvres contre les gens de justice.
Dans l’ouest, l’est et le nord du royaume, il en allait tout autrement : le faire-valoir direct était minoritaire, lié en général à la petite culture (vignoble et cultures maraîchères). Dans les vallées où régnait la viticulture - de l’Aisne à la Loire et de la Seine au Rhin - et dans les banlieues urbaines, un état d’esprit radical s’est ainsi forgé depuis l’Ancien Régime. En revanche, la plupart des paysans ne possédaient pas assez de terre pour assurer leur indépendance économique. FERMIERS... Pour former une exploitation agricole, nombre de paysans étaient donc tenus de louer de la terre. En dehors des solutions particulières que leur donnait le droit coutumier de certaines provinces, ils pouvaient recourir à deux formules classiques : le fermage et le métayage. Dans le cadre du fermage, le loyer était fixé une fois pour toutes à une certaine quantité de grains et de bétail ou à une certaine somme d’argent. Indépendamment des récoltes réalisées, plus ou moins belles en fonction des circonstances climatiques ou militaires, bailleurs et preneurs s’étaient entendus sur un prix pour plusieurs années. Ce prix constituait une rente foncière dont la régularité était un avantage précieux pour le propriétaire. Pour le preneur, il représentait un pari sur l’avenir : le fermier devait être assuré que, quels que soient les aléas, il disposerait d’une récolte suffisante, une fois réglé son propriétaire, pour faire vivre sa famille, pour payer les impôts, les fournisseurs et le personnel éventuel, pour retenir les semences de l’année suivante et, si possible, pour dégager un profit. Si les risques n’étaient pas très grands dans le cas de petites locations (parcelles ou marchés de terre sans bâtiments), il en allait tout autrement quand des domaines entiers étaient loués à ferme (réserves seigneuriales, domaines bourgeois). Alors, l’étendue des terres et la présence de bâtiments agricoles (siège de l’exploitation) suffisaient pour former une (grande) exploitation. Mais pour s’engager, les preneurs devaient disposer d’un train de culture et d’un cheptel en conséquence. Pour une ferme d’une trentaine d’hectares, il y fallait 2 ou 3 chevaux, 10 vaches environ, 200 moutons, une charrue, un chariot, une charrette et tout un matériel spécialisé, l’ensemble représentant un capital d’exploitation de plusieurs milliers de livres au XVIIIe siècle. Et bien des domaines comptaient 50, 60, voire plus de 100 hectares. Pour s’en char-
ger, il fallait qu’il existât une classe d’entrepreneurs de culture, celle que l’on rencontre dès la fin du Moyen Âge dans le Nord avec les « censiers » ou dans le Bassin parisien avec les « fermiers laboureurs ». Les baux à ferme se répandirent à partir du XIIe siècle (les premiers fermiers connus par les textes médiévaux se rencontrant en Normandie et dans le Bassin parisien). Ils correspondaient d’abord aux pays d’assolement triennal : aussi, leur durée était-elle en général de neuf ans, parfois de six ou de trois. Pendant ces neuf années, le fermier s’acquittait à l’égard de son propriétaire en deux ou trois termes annuels, fixés aux moments importants du calendrier cultural : Noël (après les semailles d’automne et les premières ventes de la récolte précédente), Pâques (après les semailles de printemps et la suite des ventes) et la Saint-Jean-Baptiste (avant les récoltes et au moment des dernières ventes). Pour les exploitations en corps de ferme qui étaient louées ainsi, seuls de riches laboureurs étaient capables de s’acquitter sans trop de retard, même en mauvaise année, car ils disposaient des réserves et du crédit nécessaires. À partir du XVIe siècle, ils se mirent à prendre aussi à ferme les dîmes, les champarts et les autres droits seigneuriaux : en conséquence, cela leur permettait de jouer sur leurs stocks pour ne vendre qu’au bon moment et au meilleur coût. Cette spéculation à la hausse conduisait les fermiers à s’abstenir de garnir les marchés en période de bas prix, ce qui multipliait les émeutes frumentaires. La Révolution et la période taxatrice de l’an II ne firent qu’apporter une sanction provisoire à ce libéralisme économique jugé excessif. Pour autant, les propriétaires ne montraient guère de bienveillance à l’égard de leurs fermiers. D’une part, le montant de la redevance faisait en principe l’objet d’adjudications publiques au plus offrant, ce qui élevait au maximum les engagements entre fermiers concurrents. Un difficile équilibre était établi entre les exigences, contradictoires, du propriétaire et du fermier. Dans les périodes de baisse des prix agricoles, les bailleurs étaient excessivement sévères : entre 1650 et 1730, ils maintinrent trop haut leurs loyers, acculant de nombreux fermiers à la faillite dans tout le royaume. Ce naufrage des fermiers, constaté du Languedoc à la Normandie, constitue l’un des aspects de la « crise » du XVIIe siècle. D’autre part, le régime de culture et l’entretien du domaine faisaient l’objet de clauses contraignantes qui pérennisaient les traditions : interdiction de dessoler ou de des-
saisonner (et de rompre l’ordre des cultures), interdiction d’échanger des parcelles ou de sous-louer (sans l’agrément du bailleur), obligation d’assurer des services de charrois qui mobilisaient les attelages plusieurs jours dans l’année, obligation de convertir sur place les pailles en fumier sans pouvoir en vendre, etc. Ces précautions, qui se précisent du XVIe au XVIIIe siècle, soulignent que pour les propriétaires il ne s’agissait pas de favoriser un quelconque progrès agricole, mais de préserver leur capital et la possibilité de changer de locataire à chaque fin de bail. Cependant, la répétition des clauses suggère aussi que, dans les faits, de nombreux fermiers prirent leurs distances avec leurs propriétaires, en particulier entre 1750 et 1789, lorsque la hausse des prix agricoles avantageait les producteurs. downloadModeText.vue.download 701 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 690 ...ET MÉTAYERS À la différence du fermage, le métayage répondait à un partage de la récolte quelle qu’en fût l’importance. Il représentait donc un bail à portion de fruits. Ce partage, qui dans le Centre portait le nom de « grangeage », pouvait être à mi-fruits (ad medietatem en latin, d’où le terme « métayage ») : une contrainte lourde en cas de mauvaise de récolte, mais qui ne compromettait pas la survie de l’exploitation, d’autant que le bailleur fournissait souvent la moitié des semences. Ce régime était beaucoup plus contraignant pour le propriétaire, qui devait surveiller de près la marche de l’exploitation pour ne pas se faire léser. Il autorisait, en revanche, un profit directement indexé sur la production agricole, à la différence du fermage. Sa part, réglée sur l’aire de battage, n’était pas toujours de la moitié ; souvent, elle n’était que d’un tiers. Mais, presque toujours, le bailleur participait aussi aux avances culturales : entretien d’une partie des ouvriers (moissonneurs, batteurs), fourniture d’une partie du bétail et d’une partie des semences. Car le métayage s’appliquait à des locataires dépourvus de grands moyens. Les métayers possédaient bien une tradition et une compétence technique ; ils détenaient le matériel agricole et une partie des animaux. Mais ils disposaient rarement de l’ensemble de leur capital d’exploitation : boeufs et moutons leur étaient loués par le propriétaire avec
partage de la moitié du croît (laines, toisons et agneaux pour les ovins ; veaux et laitages pour les bovins). Il s’agissait alors de baux à cheptel (bail à chapt, à précaire, en commende, etc.). Attestée en Bourgogne depuis le XIe siècle et en Forez depuis le XIIe, la pratique du bail à cheptel était universelle. Elle constituait un excellent placement pour les rentiers de la ville, qui faisaient porter l’entretien de la souche et les pertes animales sur le locataire et recevaient la moitié du croît (d’où un rendement, variable, de 20 à 30 %). Dans la plupart des régions, les paysans prenaient à cheptel les animaux complémentaires dont ils avaient besoin pour la culture des terres. En pays de métayage, ces besoins étaient importants. Et il était fréquent qu’un contrat de métayage intégrât un bail à cheptel. Aussi, l’origine de ce système est-elle très ancienne. Le polyptyque d’Irminon indique, dès le IXe siècle, la présence de métayers dans certains domaines que l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés faisait exploiter dans le Perche et, passé l’an mil, ils sont attestés dans plusieurs régions de l’Ouest (Vendômois, Anjou, Normandie). Tout au long de l’époque moderne, les métayers semblent s’être appauvris. Pour régler leurs dettes, ils vendaient leur cheptel ... pour ne le récupérer qu’à titre de bail. Au XVIIIe siècle, dans les campagnes toulousaines, en Auvergne, de même que dans la Gâtine poitevine, c’étaient de pauvres hères, à la merci du propriétaire ou, de plus en plus souvent, d’un intermédiaire - gestionnaire peu scrupuleux qui louait un ensemble de métairies à un grand propriétaire pour les sous-louer ensuite aux métayers (fermiers généraux ou « sur-fermiers » dans le Bourbonnais ou dans le Maine). Le métayage imposait au locataire des charges beaucoup plus lourdes que le fermage : en particulier, le métayer n’était pas libre de disposer de son bétail, et était assujetti à des charrois importants. Toute sa production était passée au peigne fin avant qu’il puisse disposer de sa part. En fait, le régime du métayage, répandu dans le centre et l’ouest du royaume, correspondait aux régions à faibles capitaux. Dans les régions plus riches, comme la Normandie, le métayage fit place au fermage au cours du XVIe siècle. Dans les régions plus pauvres, le métayage se généralisa et les conditions s’en aggravèrent : la famille de Jacquou le Croquant souligne la détresse des métayers du Périgord, en cours de prolétarisation, au début du XIXe siècle. DE QUELQUES
STATUTS PARTICULIERS Certains paysans exploitaient le sol à d’autres titres que le fermage ou le métayage. Dans la variété des cas particuliers se détache la figure du domanier breton. Le domaine congéable offrait aux paysans de basse Bretagne, depuis le XIVe siècle au moins, une concession de longue durée par laquelle il obtenait, moyennant redevance, la jouissance d’un fonds et le droit d’y faire certaines améliorations. Certes, le bailleur gardait la faculté de congédier son domanier, après un terme fixé, mais il devait lui rembourser la valeur des travaux. En outre, s’il y avait déjà, sur le fonds, des édifices (bâtiments) ou superfices (plantations, clôtures), ils appartenaient au preneur, le propriétaire n’étant maître que du sol. Le domaine congéable fut développé dans des campagnes dévastées, comme ce fut le cas, de nouveau, au XVe siècle, au lendemain de la guerre de la Succession de Bretagne et de la guerre de Cent Ans. Les terres abandonnées, mal travaillées ou en friches étaient ainsi remises en valeur. Comme pour les baux emphytéotiques ou comme pour certains baux à ferme de longue durée, les baillées à domaine congéable étaient propres à stimuler le défrichement et, au XVe siècle, les fonciers ne manquèrent pas d’imposer à leurs domaniers la construction ou la reconstruction des édifices. Mais il s’agissait aussi de terres vendues par les paysans endettés. On retrouve alors une forme classique de l’expropriation paysanne : accablés par leurs créanciers, des paysans censitaires leur vendaient leur « tenue », qu’ils récupéraient ensuite sous forme de domaine congéable. Comme pour le bail à rente foncière ou pour le bail à cheptel, le débiteur s’acquittait de sa dette en abandonnant tout ou partie de sa propriété à un créancier, qui lui en rétrocédait l’usage moyennant le versement d’une rente. L’endettement paysan fut ainsi à la source d’un amoindrissement de l’attache foncière. Le bail à domaine congéable était très répandu en basse Bretagne, où il était régi par diverses coutumes ou « usances » (Vannes, Auray, Rohan). Il stimulait l’esprit d’entreprise des paysans puisqu’en améliorant le fonds par la construction de granges, de talus, de murets, de fossés, par l’extension des cultures, les domaniers parvenaient à se constituer un patrimoine dont la valeur dépassait celle du simple foncier. Une étude sur la région de Vannes a ainsi montré qu’au XVIIe siècle, dans l’estimation des « tenues », la valeur
des « édifices » s’était fortement élevée. Il en résultait une conséquence pratique : la quasiimpossibilité pour les fonciers d’expulser leurs domaniers, puisque les remboursements à effectuer en arrivaient à dépasser la simple valeur de la terre, si bien que les congédiements constituaient un événement rare. Au-delà des différentes manières de tenir la terre - en propriété ou en location -, l’essentiel était de disposer d’une exploitation agricole, c’est-à-dire d’un droit d’usage sur le sol susceptible de faire vivre un ménage, de permettre sa reproduction économique et biologique et, si possible, son ascension sociale. « PETITS » ET « GROS » PAYSANS L’exploitation partielle n’offrait qu’un simple complément de revenus pour un artisan rural, un petit marchand ou un journalier : elle entrait dans le cadre d’une pluriactivité largement répandue. La petite exploitation, dépourvue d’attelage et fondée sur le travail à bras, de dimensions parfois très modestes (2 ou 3 hectares, et souvent moins de 1 hectare), n’accordait pas l’indépendance économique, en dehors des cultures spécialisées telles que la vigne. L’exploitation familiale, aux dimensions variables (en général moins de 10 hectares, mais parfois de 10 à 20 hectares), formait une catégorie souvent intermédiaire et rassemblait la plupart des laboureurs. Elle recourait peu au travail salarié et utilisait un capital modeste (mais qui pouvait comprendre du cheptel de trait), ainsi la « borderie » (Ouest et Centre), la « closerie » (Anjou), la « locature » (Berry), ou encore la « manoeuvrerie » (Puisaye). Certaines formaient de petites exploitations indépendantes mais la plupart n’étaient que des dépendances des métairies, qui leur fournissaient la force de traction nécessaire. En pays de montagne, les domaines familiaux, exploités en faire-valoir direct, étaient préservés des démembrements par une transmission inégalitaire (Gévaudan, Béarn, Capcir). Dans les régions septentrionales, à coutumes égalitaires, il arrivait que le chef d’exploitation ne disposât pas d’une charrue complète : il s’associait alors avec un voisin pour disposer d’un attelage, comme les « haricotiers » du Beauvaisis, les laboureurs à « chuchon » de Picardie, les « accoupleurs » du Clermontois, les « soitons » du Pays d’Yvelines, les « saussons » de Bourgogne, les « consors » de Bretagne, les « demi-laboureurs » de Champagne. La grande exploitation supposait toujours, dans les régions céréalières, la culture attelée,
le seuil d’utilisation de la charrue se situant entre 20 et 30 hectares dans la plupart des cas. C’est pourquoi, depuis les listes de corvéables de la fin du Moyen Âge, la distinction entre laboureurs pourvus d’attelages complets et laboureurs à demi-attelage ou laboureurs à bras a été déterminante dans la paysannerie. En outre, ces grandes exploitations se caractérisaient par une forte insertion dans l’économie marchande et par l’emploi d’un personnel salarié d’ouvriers permanents engagés pour six mois ou un an (vachers, bouviers, charretiers, bergers, servantes, etc.), de saisonniers (moissonneurs, batteurs) et de travailleurs occasionnels (fossoyeurs, sarcleuses, etc.). Organisées autour d’un domaine rural downloadModeText.vue.download 702 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 691 loué souvent à un grand propriétaire non-résident, réunissant tout autour des locations complémentaires (marchés de terre), elles mobilisaient un capital important et diversifié (jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de livres pour les fermes du Bassin parisien au XVIIIe siècle), dans lequel les animaux de trait tenaient la première place. Pouvaient être considérés comme appartenant à cette catégorie la métairie de l’Ouest et du Centre (une quarantaine d’hectares), la cense du Nord, la ferme céréalière du Bassin parisien, mais aussi le domaine du bas Languedoc, de Lorraine, de Bourgogne. La grande exploitation profita du mouvement de concentration des baux - un mouvement qui s’effectua aux dépens des catégories inférieures à la fin du XVIIe siècle et tout au long du XVIIIe. La taille moyenne de la grande exploitation passa ainsi de 50/60 hectares vers 1550-1600 à 150 hectares vers 1750 en Îlede-France. En pays d’élevage, elle se caractérisait par la maîtrise de vastes pâturages, par le rassemblement saisonnier d’un important cheptel d’embouche et par l’engagement de domestiques : ainsi en allait-il des montagnards savoyards qui louaient chaque été au moins un alpage. Dans les régions du Centre, l’exploitation des grands domaines était assurée par des communautés familiales de « parsonniers » ou de « masoyers » (Bourbonnais, Nivernais, Auvergne, etc.) qui étaient seules à même de rassembler, sur les terres froides, le travail et les capitaux nécessaires. Là, la famille vivait
en circuit fermé : les parsonniers fournissaient les artisans nécessaires à l’exploitation ; les mariages s’effectuaient dans les cousinages pour éviter toute réduction de patrimoine ; le maître gérait les finances communes, représentait la communauté à l’extérieur et assurait à l’intérieur l’ordre public. La survie de ces communautés patriarcales était alors possible grâce à la préservation d’un secteur privé : si l’exploitation du domaine était collective, chacun y avait sa part de propriété et disposait, à son profit personnel, d’un espace domestique (une chambre), de quelques meubles, d’un peu de bétail et d’un lopin de terre. Dans la France du Moyen Âge et celle d’Ancien Régime, la variété des terroirs et des équilibres entre villes et campagnes a donc bien donné naissance à « vingt paysanneries contrastées », pour reprendre une formule heureuse de l’historien Pierre Goubert. L’importance de la propriété foncière (plus grande en montagne et dans le Sud-Ouest que dans le Nord et l’Est), celle de l’emprise seigneuriale (plus forte en Bourgogne, Bretagne et Comté qu’en Île-de-France ou en Provence), la vitalité du capitalisme (si intense autour de Paris, Lille, Strasbourg, Toulouse, Bordeaux), suscitaient d’étonnants contrastes. L’héritage juridique et social de la féodalité et l’ouverture croissante de l’économie d’échanges provoquèrent des tensions et des mutations. Cependant, au-delà de cette infinie diversité, à la fin de l’Ancien Régime, le royaume s’organisait autour de deux grands types d’économies et de sociétés rurales : un modèle capitaliste, marqué par la primauté de la grande exploitation et l’importance numérique du salariat agricole, lieu de conflits verticaux (grèves agricoles) et terrain propice à l’individualisme agraire ; un modèle traditionnel de petite ou moyenne exploitation, dans une société à contrastes sociaux moins accusés, à forte attaches communautaires, où les solidarités jouèrent d’abord contre le fisc au XVIIe siècle, puis contre le régime seigneurial, enfin contre la féodalité au XVIIIe siècle. PAYSANS ET COMMUNAUTÉ RURALE Très dépendants économiquement du travail et des services de leurs voisins, les paysans ont longtemps été étroitement assujettis aux caprices du climat. De nos jours encore, une grêle qui ravage les vignes, une gelée tardive, une sécheresse prolongée, etc., provoquent de vives réactions et entraînent désormais,
dans bien des cas, le déclenchement d’un plan d’urgence. En revanche, jusqu’au XIXe siècle, époque du développement des assurances agricoles, les paysans ne disposaient d’aucune protection. Et les circonstances étaient d’autant plus dramatiques que l’alimentation était à base céréalière, que chaque province vivait d’abord sur ses ressources propres (avant l’internationalisation du commerce du blé, au XIXe siècle) et que les rendements moyens restaient très faibles (autour de 9 quintaux à l’hectare en moyenne, soit dix fois moins qu’aujourd’hui). Les malheurs des paysans, touchés également par les épidémies (en particulier la peste jusqu’au milieu du XVIIe siècle) et le passage des gens de guerre (jusqu’au règne de Louis XIV), avaient pour seul effet de faire fléchir momentanément le fisc : ce qui était déjà important puisque le principal impôt direct, la taille royale, pesait d’abord sur les rustres. Parmi les exploitants, les inégalités étaient tout aussi fortes, et les intérêts, souvent concurrents. Et, en dehors des exploitants, les simples salariés agricoles et les plus humbles paysans ne demandaient qu’à survivre. Pour arbitrer ces intérêts divergents, les paysans disposaient d’une institution locale : la communauté rurale. Le regroupement des hommes dans le cadre du village, stabilisé autour de l’an mil, déboucha au XIIIe siècle sur l’émergence d’une institution locale représentative des intérêts des manants et habitants : l’assemblée communale, qui se détacha peu à peu du cadre paroissial (premier pôle de fixation) puis du cadre seigneurial (qui avait organisé initialement la mise en valeur du sol). À partir de 1500, la communauté apparaît dans des textes législatifs ou réglementaires : ainsi, l’ordonnance du 25 janvier 1537 donna-telle pouvoir aux prévôts des maréchaux de convoquer les communautés « à tocsin et cri public » pour courir sus aux vagabonds et pillards. Elle comparut lors des rédactions des coutumes sous Louis XII ou François Ier par l’intermédiaire de ses procureurs. Ses attributions étaient importantes : en pays de vignoble ou de grande culture, elle élisait le garde des récoltes (le messier), donnait son avis sur l’ouverture des moissons et des vendanges. Un peu partout, elle intervenait dans les pratiques culturales (respect de l’assolement) et contrôlait les usages collectifs (glanage, chaumage, vaine pâture). Dans les pays secs, elle organisait l’irrigation, ainsi au sud du Dauphiné. Elle gérait enfin les biens communaux, dont la possession déterminait le degré de puissance des communautés rurales.
Ces biens communaux étaient souvent disputés par les seigneurs, qui se réclamaient propriétaires originels du sol. Des contestations s’élevaient, aboutissant aux édits de triage (à partir de 1669, les seigneurs haut justiciers obtinrent le droit d’enclore les biens communaux). Ils servirent de garantie hypothécaire en cas d’emprunt. Or, vers la fin du XVIe et la première moitié du XVIIe siècle, troublées par les guerres civiles, les communautés s’endettèrent lourdement, aliénant une grande partie de leurs communaux, en particulier en Bourgogne. Passé la Fronde, la crise des communautés fut générale, mais inégale en fonction de l’importance des terrains communaux. Ces derniers étaient composés en général de pâturages, souvent de mauvais sols (landes, brandes, marais, taillis). Les plus fortes communautés étaient liées à l’économie pastorale. Dans les monts du Vivarais ou dans les « chams » de Margeride, les communautés louaient leurs herbages à des entrepreneurs d’estivage, qui y rassemblaient le bétail de transhumance venu du bas Languedoc. Ce loyer pouvait donner lieu à un service d’engraissement exigé du berger : les moutons acceptés en estivage devaient coucher la nuit dans des parcs sur les champs moissonnés des particuliers, qu’ils fumaient gratis (pratiques des « nuits de fumade ou de fumature ») ; ainsi existait une étroite symbiose entre la transhumance et l’agriculture montagnarde. En Béarn, de véritables républiques montagnardes, les « universitatz et communautaz », négociaient au XVIe siècle des traités avec les éleveurs aragonais, les « lies et passeries », droit que reconnaissait la « coutume du Labourd ». La puissance des communautés rurales était donc très variable. Dans la plupart des régions, du Moyen Âge au XIXe siècle, les communautés villageoises défendirent farouchement leurs usages dans les forêts ou dans les champs moissonnés (vaine pâture, parcours). Elles cherchèrent à préserver les droits des pauvres (glanage, chaumage, dépaissance) en établissant des quotas à l’égard des grands exploitants (limitation des effectifs du cheptel admis à profiter des droits d’usage) et des non-résidents (propriétaires voisins ou cultivateurs extérieurs, qualifiés de « horsains »). Au XVIIIe siècle, une lutte s’engagea entre ces communautés et les gros laboureurs qui entendaient se réserver la maîtrise du sol toute l’année pour cultiver des prairies artificielles (sainfoin, luzerne, trèfle) - qui restent en place plusieurs années - et utiliser les fourrages à leur profit exclusif. D’un côté, s’affirmait une
recherche de productivité agricole par le biais de la liberté de culture et du renforcement de la propriété. D’un autre côté, s’affirmait un souci de protection sociale des petits paysans, à travers le respect de la réglementation économique et des usages collectifs : c’est la tradition communautaire. Au XVIIIe siècle, alors que les écarts sociaux allaient croissant entre une élite de coqs de village (gros exploitants, propriétaires ou fermiers) et une masse de ruraux en voie de prolétarisation, ces tensions s’aiguisèrent. Elles se traduisirent par des actes downloadModeText.vue.download 703 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 692 criminels (incendies de granges, empoisonnement de bétail, menaces d’assassinat, vols de grains et de fourrages, délits de dépaissance), qui se multiplièrent dans le Bassin parisien. Le mécontentement s’exprima violemment lors de la guerre des Farines, au printemps 1775, lorsque les petits paysans réquisitionnèrent et taxèrent les grains trouvés dans les grandes fermes. En fait, cet épisode signale une lutte entre petits et gros paysans qui est le propre des régions de fort capitalisme agraire au XVIIIe siècle. Cette crise s’explique également par la concentration des locations aux mains des gros fermiers : depuis 1650, dans les grandes plaines du Bassin parisien, ces derniers « jetaient à terre » les petits laboureurs en surenchérissant leurs baux auprès des propriétaires. La menace portée aux droits communautaires ne faisait que prolonger la mainmise sur les baux. Aujourd’hui, à deux siècles de distance, les tensions qui secouent la paysannerie trahissent toujours ces inégalités. Mais, désormais, aux questions strictement économiques est venue s’ajouter une interrogation universelle : quel est le sens, en France, du travail de la terre ? Pech-Merle (grotte de), célèbre grotte peinte paléolithique, située sur la commune de Cabrerets (Lot), près de Cahors, et qui a livré de très belles peintures datées d’entre 20 000 ans et 15 000 ans avant notre ère. Découverte en 1922, la grotte se compose de deux galeries superposées se développant sur près de 2 kilomètres et dont environ 500 mètres recèlent des peintures. L’entrée préhistorique est maintenant obturée et l’on y pénètre par une entrée artificielle. La grotte
contient de très belles stalactites et cet espace naturel singulier a visiblement joué un rôle dans l’imaginaire préhistorique. Les peintures les plus connues sont celles de la « frise noire », comprenant vingt-cinq animaux, dont un grand cheval et plusieurs bisons, eux-mêmes entourés de mammouths et d’aurochs, thématique principale de l’art rupestre paléolithique. Très connus sont aussi deux grands chevaux couverts de points et entourés de mains « en négatif » et, plus loin, la silhouette stylisée de huit « femmes bisons ». Il existe aussi des gravures et des tracés réalisés au doigt sur l’argile des plafonds, ainsi que les traces de pas d’adolescents qui ont pu être interprétées comme le signe d’une fonction initiatique de la grotte. Péguy (Charles), écrivain (Orléans 1873 - Villeroy, Seine-et-Marne, 1914). L’itinéraire intellectuel et spirituel de Charles Péguy, entre socialisme et patriotisme, entre République et Église, recoupe, de l’affaire Dreyfus à la Grande Guerre, l’histoire d’une génération. Originaire d’une famille pauvre (sa mère est rempailleuse de chaises), orphelin de père, il est marqué par l’école primaire de la République et l’enseignement intransigeant de l’Église catholique. Boursier de l’État, il poursuit de brillantes études classiques, qui le conduisent en 1894 à l’École normale supérieure, où il devient un familier du bibliothécaire Lucien Herr. Acquis aux idées socialistes, il apprend la typographie et rédige une première Jeanne d’Arc (1897). Il s’engage avec ferveur dans la défense du capitaine Dreyfus, fait le coup de poing à la Sorbonne contre les nationalistes, puis démissionne de l’École normale, fonde un foyer et devient en mai 1898, avec l’appui de Jaurès, Blum et Herr, le gérant de la Librairie socialiste, qui deviendra la Société nouvelle de librairie et d’édition. Sa mystique révolutionnaire se heurte bientôt à la politique socialiste de Guesde et de Jaurès, avec lesquels il rompt violemment dès 1899. En janvier 1900, il publie le premier numéro des Cahiers de la quinzaine, qu’il dirigera jusqu’à la guerre, par-delà les difficultés financières, les charges de famille et un amour sans espoir. Péguy accueille dans ses Cahiers des auteurs d’inspiration républicaine ou socialisante, Romain Rolland, André Suarès, Julien Benda, les frères Tharaud, ainsi que son oeuvre personnelle, extraordinaire témoignage d’un homme libre, intransigeant, demeuré fidèle à ses engagements dreyfusards et républicains (Notre jeunesse,
1910 ; l’Argent, 1913). Hanté par la menace militaire de l’Allemagne (Notre patrie, 1905), il devient officier de réserve et cultive une mystique de la France. Il fait retour à la foi catholique à partir de 1908, et puise dans sa croyance retrouvée l’inspiration fervente et douloureuse du Mystère de la charité de Jeanne d’Arc (1910), des Porches et des Tapisseries ; il accomplit en 1912 le pèlerinage de Chartres et défend l’oeuvre de Bergson. Mobilisé dans l’infanterie, il est tué, à la tête de sa section, durant la bataille de la Marne. Les strophes qu’il avait écrites dans Ève (1913) - « Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle » - sont, selon Daniel Halévy, « le poème même de cette guerre », et son influence, faible de son vivant, sera profonde dans la réflexion catholique (Maritain, de Lubac) et nationale (de Gaulle) de l’après-guerre. peine de mort. En septembre 1981, le Parlement français décide d’abolir la peine de mort, décision confirmée en 1983 par la signature du protocole de la Convention européenne des droits de l’homme qui en interdit tout rétablissement. Le débat n’est pas clos pour autant : sous la pression d’une partie de l’opinion qui n’a pas désarmé, huit propositions de loi ont été déposées préconisant un rétablissement partiel, et l’arsenal des peines incompressibles a été renforcé entre 1988 et 1993. L’histoire du châtiment est liée à celle de l’État et de la justice. En effet, elle témoigne, d’une part, d’un processus de socialisation montrant comment une autorité supérieure a monopolisé la violence civile et comment la société a résolu, selon les époques, le problème posé par les transgressions ; mais, d’autre part, elle illustre les paroxysmes d’un processus d’exclusion, en rappelant les politiques répressives menées par des régimes contre des groupes et des individus. Logiquement, enfin, elle ne dit rien des pratiques violentes mises en oeuvre par des partis ou par des régimes lors d’affrontements (guerres de Religion, conquête coloniale, Seconde Guerre mondiale), laissant dans l’ombre des pans entiers de l’histoire de la violence. La codification de la peine de mort remonte à la plus haute antiquité : du Code d’Hammourabi (2285-2242 avant J.-C.), qui réglemente les divers modes de mise à mort, aux Livres de l’Exode (loi du talion) et du Lévitique. Aussi dures que ces lois puissent être, elles inscrivent les condamnés dans une
organisation collective : la lapidation exige ainsi la participation de la société, dans son ensemble, à la mise à mort. En outre, la rigueur de la peine est atténuée par l’instauration de l’asile ou du droit de refuge, en particulier dans les sanctuaires. L’Empire romain protège les citoyens romains et invente des peines de substitution (travail forcé dans les mines, esclavage...). Dans tous les cas de figure, le condamné est toujours partie prenante de la société et, paradoxalement, sa mise à mort vise même sa réintégration dans l’ordre social. L’Église n’intervient pas contre la peine de mort (à l’exception du cas de l’abandon de la crucifixion romaine), confiant les exécutions au bras séculier. Les formes de la mise à mort se diversifient au Moyen Âge : décapitation, noyade, bûcher, pendaison, étranglement, écartèlement, enterrement du condamné vif, ébullition..., selon des critères peu à peu affirmés. L’écartèlement punit le crime de lèse-majesté ; le feu, les crimes d’hérésie, de magie, ou de sodomie... Cependant, le recours aux exécutions semble limité avant les XIIe et XIIIe siècles, marqués par le développement de la chasse aux hérétiques, et surtout les XVe et XVIe siècles, avec la chasse faite aux sorcières. Une hiérarchie compliquée assigne à telle ou telle catégorie tel ou tel châtiment : l’exécution à la hache est réservée aux personnes d’origine noble, les roturiers étant pendus. Au XVIe siècle est introduit le supplice de la roue, qui réprime l’assassinat et le vol de grand chemin, mais sont également créées de nouvelles peines de substitution : mutilations, déportation dans le Nouveau Monde. • La transition du XVIIIe siècle. La mutation décisive intervient au XVIIIe siècle : s’inspirant du livre du marquis italien Beccaria, Des délits et des peines, publié en 1764 (et qui conduit à la première abolition de la peine de mort en Toscane), les Philosophes s’élèvent contre « l’antique et barbare routine » tandis que l’arbitraire des peines est contesté. Les interventions publiques de Voltaire dans les affaires Calas ou La Barre s’inscrivent dans ce courant, même si, au siècle des Lumières, il n’est pas envisagé d’abolir la peine de mort, mais seulement de limiter les types de crimes qui en sont passibles, et d’en adoucir les supplices. Cette préoccupation explique l’introduction de la guillotine en 1792. Ce supplice unique, appliqué sans distinction de rang, est destiné à atténuer les souffrances. Or, la guillotine va être associée rapidement aux errements judiciaires de la Terreur révolutionnaire : les multiples juridictions d’exception d’alors appliquent librement des lois définissant elles-mêmes
de façon floue les nombreux crimes « contrerévolutionnaires » qui conduisent à la peine de mort. En 1793-1794, les mises à mort échappent de fait à toute réglementation, attestant que toutes les périodes de troubles laissent à l’État ou à ceux qui se disent investis downloadModeText.vue.download 704 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 693 de ses pouvoirs la libre application des supplices. En 1795, la loi proclame l’abolition de la peine de mort « à dater du jour de la publication de la paix générale », mais cette disposition reste sans effet, n’étant ni appliquée lors de la paix d’Amiens, en 1802, ni reprise par le Code pénal de 1810, qui établit la liste des crimes punissables de mort (assassinat et vol à main armée, incendie, faux-monnayage, parricide). Après l’introduction des circonstances atténuantes (1824) et une nouvelle loi d’abolition (1830), restée sans suite, la réforme de 1832 limite le nombre des délits passibles de cette peine aux crimes de sang et augmente les mesures de grâce, entérinant en cela les pratiques des jurys d’assises. La peine de mort est abolie pour des raisons politiques en 1848 mais rétablie sous le Second Empire ; elle est ensuite appliquée régulièrement, notamment contre les communards, les anarchistes, les déserteurs et les « traîtres » de la Grande Guerre - dont l’espionne Mata-Hari - sous la IIIe République, les collaborationnistes pendant l’épuration, des membres de l’OAS après la guerre d’Algérie. Mais elle cesse d’être publique à partir de 1939. Les abolitionnistes lancent successivement des campagnes : de celles de Victor Hugo en 1848 ou de Jean Jaurès en 1908, aux trentedeux projets de loi déposés au XXe siècle avant 1981. Progressivement, le droit de grâce accordé au président de la République ayant limité l’usage de la peine de mort, l’abolition devient effective au terme d’une évolution séculaire, mais sans que l’opinion publique ne soit unanime ni sur le châtiment des crimes ni sur la réinsertion des criminels dans la société. pèlerinage. Le pèlerinage, inscrit au coeur de la spiritualité chrétienne comme geste de pénitence individuelle ou collective, sacralisation de l’espace, accès à la transcendance divine et au sens religieux du cheminement humain (Alphonse Dupront), apparaît en Gaule dès l’évangélisation.
Il se substitue aux voyages aux sources (les « Mères Némausiques » de Nîmes, les « Mères Glaniques » des Alpilles, Saint-Seine, Chamalières) ou aux montagnes (mont Bego, Grand Saint-Bernard), que les conquérants romains avaient graduellement intégrés à leur propre mythologie. La rupture religieuse instaurée par le christianisme, qui se manifeste par l’éradication parfois violente des cultes anciens et par la destruction de leurs temples, développe très précocement (on conserve un itinéraire de Bordeaux en Palestine daté de 333) le voyage aux lieux saints du christianisme (Jérusalem, Bethléem, le mont Carmel, Éphèse, Rome) ainsi que le culte des martyrs, vénérés dans leurs tombeaux ou dans leurs reliques importées d’Orient ou, plus rarement, conservées en Gaule (saint Martin à Tours, saint Sernin à Toulouse, sainte Geneviève à Paris). • La ferveur médiévale. Le Moyen Âge chrétien étend et institutionnalise la pratique pèlerine comme exigence individuelle, geste collectif ou obligation judiciaire. Les routes de pèlerinage, ponctuées de haltes et d’hospices, de chapelles et de sanctuaires, inscrivent un maillage serré sur le territoire ; elles conduisent à la lointaine Terre sainte par Gênes ou Venise à l’âge violent des croisades (prise de Jérusalem par Godefroi de Bouillon, en 1099) et des royaumes latins d’Orient, à Saint-Jacques-de-Compostelle en Galice, à Rome aussi, où le pape Boniface VIII institue en l’an 1300 l’année sainte du jubilé, ou à la Santa Casa de Notre-Dame-de-Lorette. Autour des innombrables reliques ramenées d’Orient, qu’entoure la ferveur du clergé et des fidèles, se multiplient en France, de l’âge roman à l’âge gothique, les sanctuaires célèbres : Sainte-Chapelle de Paris, MontSaint-Michel, Notre-Dame de Chartres, Notre-Dame du Puy, Rocamadour, Sainte-Foy de Conques, la Sainte-Baume de Provence, Sainte-Odile d’Alsace. Les pèlerins, identifiés par la coquille et le bourdon, voyageant seuls ou en groupe, vont rechercher, à travers l’ascèse du voyage et le contact physique avec la sacralité des lieux et les reliques des saints, la guérison des corps, la protection des biens et le salut des âmes. • Crises, reconquêtes, défaites. La critique humaniste qui oppose le « pèlerinage intérieur » aux débordements des dévotions populaires, puis la Réforme protestante qui récuse les fondements théologiques du salut par les oeuvres, de l’intercession des saints et du culte marial, précipitent la crise du pèleri-
nage médiéval à l’aube du XVIe siècle. Les violences huguenotes conduisent à la destruction de nombreux sanctuaires (sac de Rocamadour en 1562, de Garaison en 1589). Au cours du XVIIe siècle pourtant, la Réforme catholique, en réaffirmant, à la suite du concile de Trente, le dogme de la communion des saints et la légitimité du culte des images et des reliques, donne au pèlerinage un nouvel élan spirituel et matériel. Parmi les sanctuaires anciens ou nouveaux honorés par la piété tridentine et fortement structurés par le clergé régulier ou séculier, Chartres et Le Puy, le Mont-SaintMichel, Notre-Dame de Boulogne, NotreDame de Liesse en Laonnois, Notre-Dame des Ardilliers à Saumur, Notre-Dame-la-Grande à Poitiers, Notre-Dame de Fourvière à Lyon, Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille, la Sainte-Baume et Notre-Dame de Cotignac en Provence, Notre-Dame-de-l’Épine en Champagne, Notre-Dame-des-Trois-Épis et Marienthal en Alsace, Notre-Dame de Garaison en Gascogne, Sainte-Anne d’Auray en Bretagne, Sainte-Reine d’Alise en Bourgogne, constituent les centres de la dévotion pèlerine de l’Ancien Régime. La figure, tardive mais non pas isolée - si l’on en juge par les registres de l’hospice romain de Saint-Louis-des-Français, où l’on relève son nom en 1775 au milieu de centaines de mentions de pèlerins -, d’un Benoît Labre (1748-1783), venu à Rome de son Artois natal par Saint-Jacques-de-Compostelle, Einsiedeln, Assise et Lorette, pour y mourir en « odeur de sainteté », et que l’Église canonisera en 1881, jette quelque lumière sur les silhouettes obscures des pauvres et des dévots qui parcourent encore par milliers, à la veille de la Révolution, les routes de la France et de l’Europe. Le XVIIIe siècle remet en cause cette dynamique sous les assauts conjugués du jansénisme ou du rigorisme des clercs (rétifs à l’égard des dévotions populaires), de la monarchie administrative (qui ferme les hospices et multiplie les règlements à l’encontre des pèlerins assimilés aux vagabonds), de la philosophie des Lumières, (qui dénonce sans relâche le pèlerinage comme une forme de « fanatisme » et de « superstition »), de la Révolution, enfin, qui détruit, vend ou sécularise de nombreux sanctuaires, disperse leurs desservants, détruit les reliques et les images saintes, et interdit leur culte. Au lendemain de cette rupture violente intervenue dans l’histoire du pèlerinage chrétien, le premier XIXe siècle manifeste un recul profond du geste pèlerin : le Mont-Saint-Michel est devenu une prison ; la Sainte-Chapelle, une annexe du
Palais de justice ; Rocamadour et Conques, des églises paroissiales menacées de ruine ; et soixante-dix-sept Français seulement (dont douze Corses) sont recensés sur les registres romains de l’année sainte 1825. • Le renouveau du XIXe siècle. Il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour que le pèlerinage connaisse en France une « recharge sacrale » (A. Dupront), liée à la restauration de l’Église, à l’expansion du culte marial et à la réactivation des cultes anciens par un clergé missionnaire s’appuyant sur la tradition des lieux, l’archéologie et l’histoire. Dans les années 1850, ce sont 60 000 à 80 000 pèlerins qui se pressent chaque année autour du curé d’Ars (1786-1859), confesseur vénéré par les foules comme un saint vivant. Les apparitions mariales de La Salette (1846), Lourdes (1858) et Pontmain (1871) drainent immédiatement et spontanément les fidèles vers les lieux indiqués par les « voyants », et bientôt pris en main par les autorités ecclésiastiques. Dans les années 1870, à la faveur du climat d’expiation collective et de mobilisation religieuse et politique consécutif à la défaite et à la Commune, se développe un formidable élan dévotionnel animé par le périodique des assomptionnistes, le Pèlerin (1873). Épicentre du mouvement, Paray-le-Monial, où sont conservées les reliques de Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690), propagatrice du culte réparateur et sacrificiel du Sacré Coeur, attire de 1873 à 1877 100 000 à 200 000 pèlerins et de nombreux députés catholiques et monarchistes aux chants de « Dieu de clémence/ Dieu protecteur/Sauvez Rome et la France/ Au nom du Sacré Coeur ». C’est à Paray que s’invente la formule du pèlerinage contemporain : organisation de masse du transport et du séjour par train spécial et hébergement collectif. Lourdes, qui fascinera Zola et Huysmans, reprend ce modèle et s’impose dès la fin du XIXe siècle comme le premier pèlerinage de la France et du monde catholique avec 140 000 pèlerins dès 1873, un million en 1908, plus de cinq millions en 1990, venus chercher, en avion, en train ou en voiture, une guérison physique, un réconfort matériel ou spirituel auprès de la grotte des apparitions. La ferveur des foules de Lourdes apparaît intimement liée à l’intensité du culte de l’Immaculée Conception de la Vierge, proclamé en 1854, et à la figure lumineuse de la « Voyante », Bernadette Soubirous, béatifiée en 1925 et canonisée en 1933 ; le pape JeanPaul II s’y rend en 1983. Ainsi, le pèlerinage à la fin du XXe siècle, à travers ses principaux lieux (Lourdes, La
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DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 694 Salette, la rue du Bac à Paris, les basiliques Sainte-Thérèse de Lisieux et Saint-Jean-Marie-Vianney d’Ars), perpétue en France, en les renouvelant au fil des siècles, les gestes et le sens d’une longue et vivace tradition sacrale. Pelletan (Camille), homme politique et figure du radicalisme (Paris 1846 - id. 1915). Fils du grand républicain Eugène Pelletan, Camille Pelletan entre très tôt dans le combat politique parmi les opposants au Second Empire. Ses attaques virulentes et argumentées dans des articles que publient la Réforme, la Renaissance et surtout, au début de la République, le Rappel, dont il est l’un des plus éminents éditorialistes avant d’en devenir le rédacteur en chef, le désignent rapidement comme un ténor de l’opposition. Radical intransigeant, il affronte sans relâche les « opportunistes », Gambetta, Ferry, WaldeckRousseau. Fondateur de la Justice, aux côtés de Clemenceau, il met sa plume et son mandat de député - il est élu député des Bouches-duRhône sans interruption de 1881 à 1912 - au service de ses idéaux, militant contre Boulanger et pour Dreyfus, devenant peu à peu un spécialiste reconnu des questions financières, coloniales et de la politique des transports. Ministre de la Marine du gouvernement Combes (1902-1905), il bouscule les amiraux et étonne les observateurs, tant par sa volonté affirmée de réduire l’influence de la hiérarchie militaire que par sa décision d’interrompre le programme de construction de grands navires. Dirigeant éminent du nouveau Parti radical-socialiste, il est l’un des principaux artisans de la loi de séparation des Églises et de l’État (1905), par le rapprochement qu’il organise entre radicaux et socialistes. Sénateur à partir de 1912, président d’honneur du Parti radical, cet opposant sans concession meurt à 69 ans, la plume à la main. Pelletier (Madeleine), intellectuelle et militante féministe (Paris 1874 - Perray, Vaucluse, 1939). Fille de petits boutiquiers parisiens, autodidacte, Madeleine Pelletier étudie la médecine, l’anthropologie, la psychologie, la psychiatrie. Auteur d’une thèse remarquée sur l’Association des idées dans la manie aiguë et dans
la débilité mentale, elle devient la première femme interne des asiles d’aliénés, en 1903. Elle milite en outre pour la justice sociale et l’émancipation politique des femmes, dans le cadre de la franc-maçonnerie, puis au sein des mouvements socialistes et féministes où elle accède à de hautes responsabilités. Propagandiste infatigable et radicale, auteur d’un nombre considérable d’articles et d’ouvrages, elle revendique notamment le droit à la liberté sexuelle des femmes (l’Émancipation sexuelle de la femme, 1911). Après le congrès de Tours (1920), elle rejoint le Parti communiste : d’abord enthousiaste - en 1921, elle se rend clandestinement en Russie -, elle finit par prendre ses distances à partir de 1926 et fréquente les milieux libertaires. La fin de son existence est tragique : frappée d’hémiplégie, poursuivie en 1939 devant les tribunaux pour avoir pratiqué des avortements, elle s’éteint dans un asile d’aliénés, seule et désespérée. Pelloutier (Fernand), militant syndical et théoricien du syndicalisme révolutionnaire (Paris 1867 - Sèvres 1901). Il fait ses études à Saint-Nazaire comme interne dans une pension religieuse. Très jeune, il se lance dans le journalisme et l’action politique. D’abord républicain, il évolue vers le socialisme et adhère, en 1892, au Parti ouvrier de Jules Guesde, dont il se sépare au bout de quelques mois, n’étant pas parvenu à le convaincre des vertus de la grève générale. Attiré par les questions économiques, il participe en outre à la fondation de la bourse du travail de Saint-Nazaire. En 1895, il devient secrétaire général de la Fédération nationale des bourses du travail après s’être rapproché des anarchistes. En février 1897, il fonde la revue l’Ouvrier des deux mondes. Malgré une grave maladie et d’importants problèmes d’ordre financier, il ne cesse d’affirmer une pensée forte dans la plus grande indépendance, accomplissant au sein de la fédération un travail considérable. Le philosophe Georges Sorel, qui l’admire, parvient à lui obtenir, par l’entremise de Jaurès, un poste à l’Office du travail, qui lui permet de vivre plus décemment. Soucieux de conserver au syndicalisme toute son autonomie par rapport à l’action politique, méfiant à l’encontre de la « geôle collectiviste », Pelloutier représente une tradition non jacobine du socialisme français. Sa haute figure morale est restée légendaire au sein du mouvement ouvrier. Pépin II de Herstal, maire du palais
(vers 640 - Jupille 714). Descendant de la puissante famille issue de l’alliance d’Arnoul de Metz et des Pippinides, le petit-fils de Pépin Ier de Landen reconquiert l’Austrasie vers 680, après l’assassinat de son oncle Grimoald, maire du palais, en 662. Ses immenses domaines, situés entre Rhin et Meuse, sont le fondement de son pouvoir. Pouvoir qu’il raffermit en poursuivant l’oeuvre de ses ancêtres par des fondations religieuses qui lui assurent une assise spirituelle. Son mariage avec Plectrude lui permet d’étendre sa domination sur l’ensemble du territoire austrasien. Les sources historiques font très peu mention de lui : il y est signalé en tant que duc d’Austrasie, vers 675. Opposant d’Ébroïn, maire du palais de Neustrie, il doit d’abord s’enfuir en 679. Mais, après l’assassinat d’Ébroïn (680) - auquel il n’est probablement pas étranger -, Pépin profite du trouble régnant pour écraser ses adversaires de Neustrie-Bourgogne à la bataille de Tertry (687), dans la Somme. Il réussit alors à concentrer entre ses mains les trois mairies du palais (Neustrie, Bourgogne, Austrasie), et étend sa domination à l’ensemble du regnum Francorum tout en laissant régner les Mérovingiens. À la mort du roi Thierry III (691), il place sur le trône Clovis III (691/695), puis Childebert III (695/711). Sous couvert d’une continuité dynastique, le pouvoir réel se transmet dès lors chez les Pippinides. En effet, les sources postérieures le gratifient volontiers des titres de dux, regnator, voire de princeps Francorum. Son règne est marqué par une paix relative à l’intérieur des trois royaumes et par des conflits aux frontières du Nord-Est. Pépin III le Bref, maire du palais puis premier roi carolingien des Francs après la déposition du dernier souverain mérovingien en 751 (Jupille 715 - Saint-Denis 768). Fils cadet de Charles Martel, Pépin est élevé à l’abbaye de Saint-Denis. À la mort de son père (741), il doit partager le gouvernement du royaume franc avec son frère aîné Carloman : ce dernier obtient la mairie du palais d’Austrasie et le contrôle des régions orientales, et Pépin hérite de celle de Neustrie et de la domination sur la Bourgogne et la Provence. La retraite de Carloman à l’abbaye du Mont-Cassin (Italie centrale), en 747, laisse Pépin seul maître du royaume. Dès lors, il entend exercer la royauté et mettre fin au pouvoir factice des derniers rois mérovingiens. Il dispose pour
cela de l’appui des aristocraties austrasienne et neustrienne et de ses proches conseillers ecclésiastiques, tels Chrodegang, évêque de Metz, Burchard, évêque de Würzburg, et Fulrad, abbé de Saint-Denis. Mais c’est le soutien du pape Zacharie, désireux d’obtenir l’aide de Pépin dans sa lutte contre les Lombards, qui le décide à déposer Childéric III en 751. Pépin se fait alors élire « roi des Francs » par les grands du royaume, puis sacrer par les évêques francs et par le légat pontifical Boniface, à Soissons. En 754, Pépin est de nouveau sacré, à Saint-Denis, par le pape Étienne II, qui lui donne en outre le titre de « patrice des Romains ». Le sacre, qu’ignoraient les rois mérovingiens, confère à la nouvelle dynastie une dimension religieuse particulière, inspirée du modèle des rois de l’Ancien Testament et des rites wisigothiques et celtiques : Pépin est roi parce qu’il a été choisi par Dieu. Il entreprend d’abord de porter secours au pape : à la suite de deux campagnes militaires, en 754 et en 756, Pépin soumet les Lombards et accorde au pape l’exarchat de Ravenne et plusieurs villes d’Italie centrale - qui constituent le fondement de l’État pontifical. La papauté est ainsi définitivement liée au royaume franc, au détriment de l’Empire byzantin. Pépin se préoccupe ensuite de l’extension de son royaume : entre 752 et 759, il conquiert la Septimanie sur les Arabes, puis, entre 760 et 768, il met fin à l’indépendance de l’Aquitaine. À l’intérieur du royaume, il reprend la politique de réforme de l’Église franque commencée en 743-747 par son frère Carloman et par Boniface. Avec l’aide de Chrodegang, il réunit plusieurs conciles, renforce la hiérarchie épiscopale et la discipline ecclésiastique, étend la levée de la dîme à tout le royaume (756), et promeut la diffusion de la liturgie et du chant romains. Par ailleurs, il réorganise l’administration palatiale sous la direction de Fulrad, en particulier la chancellerie, confiée à des clercs, et restaure le monopole royal sur la monnaie (755). Pépin apparaît ainsi comme le maître incontesté de l’Occident chrétien. Perdiguier (Agricol), homme politique (Morières-lès-Avignon 1805 - Paris 1875). Compagnon menuisier du Devoir de liberté, sous le nom, très évocateur, d’« Avignonnais downloadModeText.vue.download 706 sur 975
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la Vertu », cet autodidacte assoiffé de culture s’attache à mettre fin aux déchirements internes du compagnonnage. Son action lui attire la sympathie d’intellectuels comme George Sand. Il est élu député de Paris en 1848 à la Constituante, et en 1849 à la Législative : son rôle parlementaire y est assez effacé ; mais il siège dans les rangs de la Montagne, ce qui lui vaut d’être proscrit en 1852. Son principal ouvrage, les Mémoires d’un compagnon, paru en 1854, est un témoignage inégalé sur la vie de l’élite artisanale. Incarnation d’un certain esprit de 1848, fidèle à la tradition démocratique héritée de la Révolution, Perdiguier rejette les idéologies nouvelles, et notamment le fédéralisme de Proudhon ; d’où son hostilité à la Commune. Dès lors, il fut délibérément oublié dans l’histoire du mouvement ouvrier et fut même l’objet d’une tentative de récupération par le régime de Vichy. Ce « vertueux » fut ainsi victime de son souci de répondre aux difficultés de l’heure par un retour aux valeurs qu’il prêtait aux traditions du compagnonnage. Il ne fut pas l’homme de la révolution industrielle et de ses problèmes sociaux, qui ne concernaient qu’une petite minorité du peuple de son temps. Père Duchêne (ou Duchesne), personnage imaginaire parisien, apparu au XVIIIe siècle, et porte-voix burlesque du petit peuple ; figure populaire éminente dans les premières années de la Révolution. L’origine du Père Duchêne demeure obscure mais sa présence dans les « parades » (courtes pièces de théâtre) de la foire Saint-Germain, au début du XVIIIe siècle, en fait une possible riposte des acteurs forains aux arrêts du parlement de Paris qui leur interdisent de jouer les pièces de la Comédie-Italienne et les scènes dialoguées. C’est ainsi qu’apparaît, sur les tréteaux de la foire, un acteur central - probablement le Père Duchêne - qui monologue, traduisant en français et commentant pour le public le « jargon » des acteurs puis, ceux-ci étant contraints de se taire, les textes des pancartes qu’ils brandissent. Cette figure médiatrice, sorte d’Arlequin, atteint la renommée en s’installant sur les boulevards dans la seconde moitié du siècle et obtient un franc succès lorsqu’il quitte la farce pour la pièce théâtrale le Voyage du Père Duchêne à Versailles (1788). Pendant la Révolution, il devient le plus populaire des personnages imaginaires et prête son nom à maints pamphlets et journaux,
dans lesquels il monologue ou dialogue dans un langage cru. Le Père Duchêne campé en marchand de fourneaux et dépositaire du bon sens populaire est ainsi utilisé par des publications de droite ou de gauche, depuis Je m’en contrefous, ou Pensées du Père Duchêne sur les affaires d’État jusqu’aux fameuses Lettres bougrement patriotiques du Père Duchêne de Lemaire. Mais ses plus célèbres « grandes joies » et surtout « grandes colères » se lisent dans Je suis le véritable Père Duchesne, foutre, journal créé en 1790, très influent après la chute de la monarchie (août 1792), et qui disparaît en 1794, en même temps que son fondateur, Jacques Hébert. Péréfixe (Hardouin de Beaumont de), archevêque de Paris (Beaumont, Poitou, 1605 - Paris 1671). Protégé par Richelieu, Péréfixe, qui est docteur en théologie, se fait connaître comme prédicateur. Choisi comme précepteur du futur Louis XIV, il donne à son élève une solide culture historique et publie en 1647 une Institution du Prince. En récompense, il est fait évêque de Rodez (1649), et c’est à lui que pense le roi lorsqu’il cherche un archevêque pour Paris qui lui soit docile afin de mater le jansénisme. Nommé en mars 1664, Péréfixe veut imposer aux clercs de son diocèse la signature du Formulaire, texte qui condamne comme hérétiques cinq propositions attribuées à Jansénius. Le 9 juin, en visite canonique à Port-Royal de Paris, il exige - en vain - des religieuses au moins une acceptation disciplinaire du Formulaire (baptisée « foi ecclésiastique »). Le 21 août, une nouvelle visite se solde de nouveau par un échec. Condescendant (il traite l’abbesse Madeleine de Sainte-Agnès de « petite pimbêche » et de « petite sotte »), l’archevêque en vient à la force : le 26 août, il fait investir le monastère par le guet et disperser douze religieuses. L’année suivante, Péréfixe vide l’abcès parisien en envoyant les « obstinées » à PortRoyal-des-Champs. Imbu de son autorité épiscopale, décidé à complaire au roi, Péréfixe, par ailleurs administrateur efficace, ne sut pas réduire à l’obéissance celles qu’il jugeait « pures comme des anges et orgueilleuses comme Lucifer ». Pereire, banquiers et hommes d’affaires (Jacob Émile : Bordeaux 1802 - Paris 1875 ; Isaac : Bordeaux 1806 - Armainvilliers 1880). Les deux frères Pereire, issus d’une famille juive espagnole installée à Bordeaux au XVIIIe siècle, se forment tôt aux techniques
bancaires, l’aîné comme courtier de change, le cadet comme comptable. Montés à Paris, ils s’associent au mouvement saint-simonien, qui offre un cadre doctrinal à leurs entreprises et guide leur réflexion sur la circulation des richesses et du crédit. Ils collaborent alors au Globe et au National, qui propagent les idées de Prosper Enfantin, l’un des hérauts du saintsimonisme. Dès les années 1830, soutenus par James de Rothschild, ils financent le chemin de fer reliant Paris à Saint-Germain-enLaye, participent à la construction des lignes du Nord, administrent la première compagnie de Lyon. En 1852, ils obtiennent la concession du Chemin de fer du Midi (de Bordeaux à Sète) et l’exploitation du canal latéral. L’essor de leurs affaires date véritablement du Second Empire : les Pereire saisissent aussitôt les possibilités offertes par le nouveau pouvoir, flattant les conceptions saint-simoniennes de Napoléon III. Ils se brouillent alors avec James de Rothschild, plus réservé sur la nature et les projets financiers du nouveau régime. Avec le soutien de l’empereur, Jacob Émile et Isaac créent le Crédit mobilier (1852), banque d’investissement destinée à drainer l’épargne populaire afin de financer les entreprises en charge de travaux d’infrastructure. La banque accorde aides et avances aux sociétés industrielles, multipliant les projets, en France (Compagnie générale transatlantique, Compagnie immobilière à Paris) comme à l’étranger (chemins de fer autrichiens et russes, Crédits mobiliers espagnol et italien ou Banque ottomane). Dans les années 1860, les Pereire sont au faîte de leur puissance : ils assurent le succès des emprunts des guerres de Crimée, d’Italie et du Mexique ; ils poussent à la signature du traité de libre échange avec l’Angleterre. Mais leur position est fragile, liée à la circulation ininterrompue des capitaux. De plus, au gouvernement, la réduction des dépenses est à l’ordre du jour. Faute d’obtenir le droit d’émettre des obligations puis des billets de banque - via la Banque de Savoie, qu’ils ont rachetée -, les deux frères ne peuvent plus financer leurs projets. En 1867, une rumeur sur la mauvaise santé de leurs affaires provoque une chute du titre du Crédit mobilier ; la faillite s’ensuit. Les Pereire doivent alors démissionner et perdent en 1869 leurs mandats de députés. Jusqu’à leur mort, ils n’auront plus d’influence sur la vie économique du pays. Mais leur rôle a été décisif : le Crédit mobilier a conduit les détenteurs de capitaux à financer les entreprises industrielles.
Père-Lachaise (cimetière du), appelé anciennement cimetière de l’Est. Situé sur l’ancienne résidence d’été des jésuites où le Père de La Chaise, confesseur de Louis XIV, avait sa maison, il est l’un des trois cimetières généraux parisiens « hors les murs » - avec ceux de Montmartre et Montparnasse - dont l’établissement avait été envisagé sous l’Ancien Régime pour répondre à l’insalubrité des cimetières paroissiaux. Son inauguration, en 1804, coïncide avec la publication du décret du 23 prairial an XII qui met fin au régime millénaire des traditions funéraires : le cimetière extra-urbain remplace le sanctuaire apud ecclesiam ; d’exceptionnelle, la sépulture particulière devient la règle commune ; la forme du jardin s’impose ; l’administration du cimetière est confiée à l’autorité municipale. Si elle répond d’abord à une préoccupation hygiéniste et rationaliste, cette réglementation exprime surtout une laïcisation des funérailles et un nouveau rapport entre les vivants et les morts, dont le cimetière du Père-Lachaise, dès sa fondation, constitue le modèle. Ses promoteurs, le préfet de la Seine Frochot et l’architecte Brongniart, lui assignent une triple fonction : galerie des morts illustres (Molière, La Fontaine, Beaumarchais y sont transférés dès 1817), espace scénographique du souvenir, et parc-promenade. Bien que l’extension de la ville ait fini par englober le cimetière « hors les murs » dans l’espace urbain (1859), le Père-Lachaise est d’abord un musée-jardin conforme à l’esthétique des ruines chère au XVIIIe siècle. Cependant, son rapide succès auprès de la haute société transforme dès 1823 le parc à l’anglaise primitif de 17 hectares en vaste glyptothèque de 44 hectares, où rivalisent les styles égyptien, romain, gothique et la forme chapelle. Consacré à la religion laïque du souvenir, il n’en échappe pas moins aux turbulences politiques du XIXe siècle : lieu de ralliement des libéraux en 1820, de protestation lors de funérailles patriotiques downloadModeText.vue.download 707 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 696 (celles de Victor Noir, en 1870), il sert de dernier bastion aux fédérés durant les combats de mai 1871 (147 d’entre eux, acculés contre le mur est, y sont fusillés, et plus de mille inhumés sur place). Mais ce haut lieu du
martyrologe communard est aussi un gotha minéralisé : depuis sa création, il accueille la plupart des gloires durables ou éphémères de l’art, de la politique et du spectacle. Aussi, sa visite, offerte dès 1836 à la curiosité par une brochure touristique, appelle-t-elle autant la contemplation d’une théâtralité funéraire qu’une lecture plurielle : celle des archives d’une histoire intime et collective, celle de la généalogie d’une sensibilité, ou encore - Rastignac ne s’y était pas trompé - celle de l’envers de la comédie humaine. Perier (Casimir), banquier et homme politique (Grenoble 1777 - Paris 1832). Après avoir combattu avec l’armée d’Italie (1795), Casimir Perier regagne le cercle familial pour se lancer dans de fructueuses activités bancaires en association avec son frère Scipion. Gestionnaire rigoureux, spéculateur habile, il devient régent de la Banque de France. Élu député de Paris en 1817, il se range dans le camp des partisans d’une véritable monarchie constitutionnelle. C’est dans les débats financiers qu’il se fait le plus vite remarquer et ses adversaires redoutent son esprit vif et caustique. Député de Troyes en 1827 - il le restera jusqu’à sa mort -, il anime l’opposition à Charles X et à Polignac. Il se déclare hostile à l’usage de la violence mais il prend fait et cause pour les insurgés en juillet 1830 ; puis il participe à la fondation du régime en soutenant le duc d’Orléans. Président de la Chambre, ministre sans portefeuille d’août à novembre 1830, il devient président du Conseil et ministre de l’Intérieur en mars 1831. Tout comme Guizot, il considère que la révolution appartient à un passé révolu. Il encourage l’intervention d’une bourgeoisie avide d’ordre dans la vie civique, s’en prend aux associations et aux organes de presse qui, selon lui, sapent l’édifice politique et social, réprime fermement la révolte lyonnaise des canuts de novembre 1831. En permettant à la France de retrouver une place dans les relations internationales, cette stabilisation intérieure doit garantir la paix en Europe. Casimir Perier se montre pourtant intraitable avec ses voisins : en février 1832 il ordonne une expédition militaire à Ancône. L’homme est déterminé, autoritaire, ombrageux. Il ne souffre pas qu’on empiète sur ses prérogatives. Louis-Philippe lui-même l’apprend à ses dépens : son fils, le duc d’Orléans, n’est plus autorisé à assister aux Conseils des ministres, qui ne se tiennent plus aux Tuileries. Haï des oppositions, mal aimé à la cour, il se fait d’implacables ennemis
au Parlement, où ses façons brusques indisposent et froissent. Chacun s’accorde pourtant à reconnaître l’efficacité de son action, secondée par le préfet de police Gisquet. Mais l’ampleur de sa charge l’épuise ; au printemps 1832, il succombe aux attaques du choléra qui décime la population parisienne. Un monument est édifié à sa mémoire au cimetière du Père-Lachaise. Péronne (entrevue de), rencontre diplomatique entre Louis XI et Charles le Téméraire, du 9 au 14 octobre 1468. Après le traité d’Ancenis, signé le 10 septembre 1468 avec le duc de Bretagne, le roi de France espère qu’un accord du même type avec le duc de Bourgogne mettra un terme aux intrigues princières et apportera la paix dans le royaume. Muni du sauf-conduit que lui a délivré Charles le Téméraire, Louis XI s’installe au château de Péronne le 8 octobre. Les négociations commencent le lendemain. Mais le 11 octobre arrive la nouvelle que les habitants de Liège se sont révoltés contre le duc de Bourgogne. Le bruit court aussi que la rébellion est soutenue par Louis XI. Furieux, Charles le Téméraire fait immédiatement fermer les portes de Péronne, ce qui revient à retenir prisonnier le roi. Ses conseillers, parmi lesquels se trouve Commynes, réussissent néanmoins à le convaincre de ménager Louis XI. Surtout, ils le pressent d’obtenir une paix avantageuse. Le 14 octobre, le roi accepte les clauses du traité que lui présente le duc de Bourgogne. Louis XI confirme les accords passés en 1465, et notamment le traité de Conflans, consent à ce que la Flandre ne relève plus du ressort du parlement de Paris, cède au Téméraire de nouveaux revenus en Picardie, et promet de donner en apanage à son frère, Charles de France, allié du duc, la Brie et la Champagne. Enfin, il s’engage à participer à l’expédition punitive contre les Liégeois. Perrin (Jean), physicien (Lille 1870 - New York 1942). Professeur à la faculté des sciences de Paris, Jean Perrin s’intéresse dès 1895 aux rayons cathodiques, puis aux rayons X. Il détermine ensuite de plusieurs façons le nombre d’Avogadro et prouve, par la même occasion, l’existence des atomes. En 1901, il compare l’atome à un système solaire en miniature, avec son étoile centrale (noyau) et ses planètes (électrons). En 1920, il associe l’énergie émise par le Soleil à la différence de masse entre l’hydrogène et l’hélium, expliquant ainsi l’origine de
l’énergie thermonucléaire. Il contribue largement, avec Paul Langevin, à la création du Centre national de la recherche scientifique et du Palais de la découverte. Prix Nobel de physique en 1926, Jean Perrin est le père du physicien Francis Perrin qui participera à la mise au point d’une pile atomique avec Frédéric Joliot-Curie. Perronet (Jean Rodolphe), ingénieur et architecte (Suresnes 1708 - Paris 1794). Fils d’un mercenaire suisse, il entre à 17 ans au service du contrôleur des bâtiments de la Ville de Paris, puis intègre le corps des Ponts et Chaussées. Sous-ingénieur dans la généralité d’Alençon (1735), puis ingénieur (1737) et ingénieur en chef (1746), il y crée un bureau de dessinateurs de plans et cartes dès 1742. Aussi, Trudaine l’appelle-t-il en 1747 à la tête du bureau cartographique parisien (établi en 1744). Il devient ainsi l’un des planificateurs de la politique routière, et organise un solide enseignement technique au sein de son service, peu à peu mué en École des ponts et chaussées d’où sortent 350 sous-ingénieurs de 1747 jusqu’à sa mort. Ingénieur novateur, il conçoit des ponts aux piles amincies et à la courbure abaissée (il en construit treize à partir de 1765, sur la Seine - dont ceux de Neuilly et de la Concorde, à Paris -, sur l’Oise et sur la Marne), des équipements portuaires (Cherbourg, Le Havre, Saint-Domingue...) et des canaux (celui de Bourgogne, en 1776-1777 ; projet de canaux d’alimentation de Paris en eau potable). Architecte, il établit les plans de reconstruction de la cathédrale d’Alençon (incendiée en 1744) et ceux de la Manufacture de Sèvres (il s’est intéressé, dès 1739, à l’organisation du travail industriel). Inspecteur général des Ponts et Chaussées (1750), membre de l’Académie d’architecture (1757), inspecteur général des Salines (1757-1786), il est anobli et nommé premier architecte et premier ingénieur des Ponts et Chaussées (1763), et devient associé libre de l’Académie des sciences (1765). Sa carrière illustre l’ascension sociale des techniciens au service de l’État centralisateur. Persigny (Jean Gilbert Victor Fialin, duc de), homme politique (Saint-Germain-Lespinasse, Loire, 1808 - Nice 1872). Après une brève carrière militaire dans la cavalerie (il est rayé des cadres pour s’être mutiné lors des événements de juillet 1830), ce fils de
receveur des Finances se lance dans le journalisme. D’abord républicain, il se convertit au bonapartisme et devient le prophète du rétablissement de l’Empire. Il rencontre Louis Napoléon Bonaparte à Arenenberg, en 1835, et lui reste dès lors très attaché. Il est l’ordonnateur des complots de Strasbourg (1836) et de Boulogne (1840). Condamné à vingt ans de détention, il est emprisonné au fort de Doullens, mais libéré en 1848. Il organise la propagande bonapartiste qui conduit Louis Napoléon à l’Assemblée nationale, puis à l’Élysée. Lui-même est élu député du Nord en 1849 et envoyé à deux reprises en Prusse en qualité de ministre plénipotentiaire, avant d’être associé de près à la préparation du coup d’État du 2 décembre 1851. Nommé ministre de l’Intérieur en janvier 1852, il instaure la candidature officielle aux élections de février, invente le système des avertissements administratifs pour la presse. Il orchestre les manifestations de liesse populaire lors du voyage du chef de l’État dans le Centre et le Midi, et triomphe ainsi des hésitations portant sur le rétablissement de l’Empire. Avec l’équipe saint-simonienne de l’entourage impérial, il joue un rôle important dans la politique des grands travaux et choisit Haussmann comme préfet de Paris, mais quitte le gouvernement en 1854 à la suite d’un différend avec Fould. L’année suivante, Napoléon III le nomme ambassadeur à Londres pour resserrer l’alliance avec l’Angleterre pendant la guerre de Crimée. En 1860, il retrouve le ministère de l’Intérieur, applique la nouvelle politique à l’égard des congrégations religieuses, combat les députés cléricaux. Les premiers succès de l’opposition aux élections de 1863 mettent fin à sa carrière, l’empereur lui reprochant d’avoir mal choisi downloadModeText.vue.download 708 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 697 les candidats officiels. Persigny a en outre été victime de l’hostilité de l’impératrice Eugénie, dont il avait désapprouvé le mariage avec l’empereur. Retiré dans son domaine de Chamarande, il rédige ses Mémoires, et ressent douloureusement la chute de l’Empire en 1870. peste. Attesté dans la Bible et dans l’Iliade, le mot « peste » est une appellation géné-
rique (pestis, « fléau ») sous laquelle ont été confondues, au moins jusqu’à l’ère chrétienne, diverses maladies infectieuses. La première véritable épidémie pesteuse - où se conjuguent forme bubonique, survenant après piqûre d’un parasite infecté, et forme pulmonaire, contagieuse d’homme à homme date de 543 et frappe l’ensemble du Bassin méditerranéen. • La Peste noire. Disparue d’Occident après le VIe siècle, la peste ressurgit durant la seconde moitié de l’année 1347 : son foyer d’origine se situe en Asie centrale et des bateaux gênois, infectés par des rats contaminés, l’introduisent de Crimée en France au mois de novembre en débarquant à Marseille. À partir de cette ville, la maladie se propage en Provence et dans le Languedoc, et atteint des régions plus septentrionales dès l’été 1348. Paris est touchée en août. Dite « Peste noire » ou « Grande Peste », elle gagne l’ensemble de l’Europe occidentale de 1348 à 1357, associant, comme l’épidémie précédente, forme bubonique et forme pulmonaire. La période d’incubation est courte - de quelques heures à quelques jours - et l’évolution est généralement fatale. Le processus physiologique est d’autant plus foudroyant qu’il frappe des organismes affaiblis par de longues périodes de disette : « L’affaiblissement de l’économie, écrit Fernand Braudel, dès la crise frumentaire et les famines de 1315-1317, a précédé l’épidémie et favorisé sa sinistre besogne. » Les dévastations causées par la guerre de Cent Ans contribuent également au progrès de la Grande Peste. Par son ampleur catastrophique, la maladie frappe l’imagination des contemporains : le spectacle macabre des charrettes qui déversent leurs morts dans les charniers devient quotidien ; au plus fort de l’épidémie, 500 malades meurent chaque jour à l’Hôtel-Dieu de Paris et sont ensevelis au cimetière des Saints-Innocents. S’il est clair que la Peste noire fait entrer la France dans une longue phase de dépression démographique, il est difficile, en l’absence de données fiables, d’évaluer le taux de mortalité. Le chroniqueur Jean Froissart écrit que « la tierce partie du monde » a succombé à la maladie. Une évaluation globale demeure cependant malaisée, car le potentiel destructeur de la maladie connaît à la fois des variations locales - des régions montagneuses, telles les Pyrénées, sont relativement peu touchées - et des fluctuations temporelles, au gré des vagues épidémiques et de leur reflux. Dans des régions comme la Provence, le Dau-
phiné ou la Normandie, une diminution d’environ 60 % des « feux » (foyers fiscaux) est enregistrée. Les historiens estiment que, selon les localités, la Peste noire a décimé entre 1/3 et 1/8 de la population française. Tout aussi désastreux est l’impact social, politique et économique de l’épidémie : villes abandonnées dans la panique, paralysie souvent durable des échanges commerciaux, effondrement de l’appareil administratif et des institutions publiques. Face à un tel fléau, qu’une prophylaxie balbutiante et rudimentaire ne peut endiguer, la recherche de boucs émissaires s’impose dans la population. L’antijudaïsme se déchaîne : les juifs sont accusés de jeter du poison dans les puits et les cours d’eau. En février 1349, 900 israélites sont brûlés à Strasbourg. Nombreux sont ceux qui discernent dans l’événement un signe de la volonté divine : l’intercession de saint Roch et de saint Antoine est implorée, tandis que les flagellants, organisés en confréries, déroulent de longues processions au cours lesquelles ils s’infligent des coups de fouet pour expier leurs fautes. • Une maladie endémique. D’autres épidémies suivent celles de 1348 : en 1361, puis en 1461. La maladie s’installe en France, où elle poursuivra ses assauts jusqu’au début du XVIIIe siècle. Pendant les guerres de Religion, les opérations militaires et la désorganisation de la vie économique favorisent le retour de la peste bubonique : c’est le cas à Bordeaux, en 1585 - la maladie contraint Montaigne, maire de la ville, à fuir avec sa famille -, ainsi qu’en Picardie et en Champagne, onze ans plus tard. Les thérapies demeurent impuissantes, malgré les succès ponctuels enregistrés par un Nostradamus en Provence, au seuil du XVIe siècle. C’est que la notion de contagion, quoique professée par certains esprits, n’est pas dotée du statut expérimental et scientifique qui lui permettrait de s’imposer à tous et de régir les pratiques. L’étiologie de la maladie, partagée entre théorie des miasmes et hypothèse de la transmission infectieuse, reste encombrée de considérations éthiques et spirituelles. Ambroise Paré, qui insiste dans son Traité de la peste, de la petite vérole et rougeole (1568) sur la notion de contagion, n’érige pas moins la peste en fléau de la colère divine contre les péchés des hommes : « Sachons que c’est ici le principal antidote contre la peste, que la conversion et amendement de nos vies. » • Ultimes offensives. En mai 1720, après l’accostage à Marseille d’un navire venu de
Syrie, une épidémie frappe la ville. Des cas de peste ont été signalés à bord, mais les intérêts commerciaux en jeu incitent les autorités à passer outre à la mise en quarantaine. Le vice-légat du pape, inquiet, fait édifier, à l’est d’Avignon, un mur pour empêcher la circulation des personnes. Mais l’épidémie, favorisée par la chaleur estivale, gagne Avignon, Toulouse, le Limousin, et fait environ 40 000 victimes. Une dernière grande épidémie, née en Asie en 1894 - date à laquelle le microbiologiste Alexandre Yersin (1863-1943) découvre à Hongkong le bacille spécifique de la maladie -, atteint à nouveau Marseille après la Première Guerre mondiale. Une centaine de cas sont signalés à Paris en 1920. La peste, aujourd’hui, n’est plus un sujet d’inquiétude pour la France et les pays d’Europe occidentale. Disparue de l’horizon de nos peurs, elle a déserté progressivement la scène artistique et littéraire où le Moyen Âge finissant lui avait fait une place de choix. Présente dans les images votives, les tableaux, les sculptures et la poésie du XIVe siècle, ne constituait-elle pas la représentation la plus fulgurante d’une mort égalisatrice, niveleuse des états sociaux ? La seule allégorie moderne de la peste qui puisse se mesurer aux sombres et inquiétantes évocations médiévales n’est certes pas le roman du même nom d’Albert Camus (1947) - où le fléau n’est guère que le prétexte d’un questionnement philosophique - mais les pages consacrées par Antonin Artaud, au début du Théâtre et son double (1938), à l’impact social destructeur de la maladie : « Il y a dans le théâtre comme dans la peste quelque chose de victorieux et de vengeur. Cet incendie spontané que la peste allume où elle passe, on sent très bien qu’il n’est pas autre chose qu’une immense liquidation. » peste de Marseille ! Marseille (peste de) Pétain (Philippe), maréchal de France, chef de l’État vichyssois - l’« État français » - de 1940 à 1944 (Cauchy-à-la-Tour, Pas-de-Calais, 1856 - île d’Yeu, Vendée, 1951). • Un « grand chef militaire », révélé par la Grande Guerre. Issu d’une famille paysanne aisée de tradition conservatrice, Philippe Pétain est reçu à l’école d’officiers de Saint-Cyr, dont il sort en 1878. Admis à l’École de guerre, dont il suit les cours entre 1888 et 1890, il y professe entre 1901 et 1907. Mais son enseignement sur l’infanterie, qui met l’accent
sur l’importance de la notion de puissance de feu, paraît en contradiction avec la doctrine de l’offensive à tout prix alors en vogue dans les hautes sphères militaires. Colonel depuis 1910, nommé à la tête de la 4e brigade d’infanterie en mars 1914, il n’a gravi que lentement les échelons de la carrière militaire. Après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, il bénéficie des promotions décidées par le généralissime Joffre pour remplacer de nombreux officiers rendus responsables des revers survenus durant la phase de la « bataille des frontières » (19-23 août 1914) : Pétain est nommé général de brigade le 27 août, puis général de division le 14 septembre. Cet avancement, particulièrement rapide, distingue un officier dont les qualités ont été révélées sur le champ de bataille - « ténacité, calme au feu, constante intervention dans les moments difficiles », selon les termes d’une citation dont il est honoré en septembre 1914. Nommé général de corps d’armée en octobre 1914, puis général d’armée en juin 1915, Pétain participe à la stratégie offensive destinée à aboutir à la percée du dispositif ennemi, notamment lors de la bataille de Champagne, en septembre 1915 : tacticien brillant, il remporte des succès ponctuels mais sans lendemain, le rapport des forces interdisant d’envisager tout résultat déterminant. Ces opérations, inutilement meurtrières, mettent en valeur, aux yeux du fantassin qu’est Philippe Pétain, l’importance du matériel et la prise en compte du moral des combattants, soumis à des conditions d’existence d’une exceptionnelle dureté. Nommé commandant du downloadModeText.vue.download 709 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 698 secteur fortifié de Verdun le 24 février 1916 trois jours après le déclenchement de l’attaque allemande -, il gagne sa réputation de grand chef militaire dans cette bataille défensive : la protection dont est entourée la « Voie sacrée », qui relie Verdun à Bar-le-Duc, permet d’assurer l’approvisionnement et la relève des troupes par le système de la « noria » (la plupart des unités françaises participent ainsi à la bataille). Ces mesures touchant la logistique comme le moral des soldats sont bien le fruit de ses initiatives. Sa nomination comme commandant du groupe d’armées du Centre, le 2 mai 1916, apparaît comme une promotion, mais elle est aussi le signe de son désaccord avec Joffre : ce dernier envisage de prélever
des unités pour mener une action offensive dans la Somme, alors que Pétain reste partisan d’une priorité donnée à la défensive. Après l’échec de l’offensive de la Somme et la mise à l’écart de Joffre, le nouveau commandant en chef, le général Nivelle, tente, en avril 1917, dans le secteur du Chemin des Dames, une percée qui devait être rapide et décisive, mais qui échoue totalement. Aussi, Pétain est-il nommé en remplacement, le 15 mai 1917, alors que se déclenchent les mutineries de soldats excédés par ces offensives inutilement sanglantes. Le nouveau commandant en chef réprime le mouvement de rébellion avec un minimum de sanctions et se préoccupe du sort matériel des combattants en améliorant les tours de permission et en assurant un meilleur confort dans les cantonnements. Surtout, plutôt que de chercher une irréalisable rupture frontale, il préconise de contenir l’avance allemande, tout en mettant l’accent sur la nécessité, avant toute nouvelle tentative offensive, d’une modification du rapport de forces en faveur des Alliés, grâce à l’emploi d’armes nouvelles (les chars) et à l’arrivée des troupes américaines. Cette redéfinition de la stratégie, ce souci d’épargner les hommes, constituent, avec le commandement de Verdun, les principaux titres de gloire de Pétain pendant la Grande Guerre. Si, en 1918, le commandement unique des forces alliées est confié au général Foch, réputé plus « optimiste » et plus offensif que lui, ce sont bien ses vues sur la supériorité en hommes et en matériel qui permettent le refoulement méthodique des troupes allemandes à partir de juillet 1918 et le dénouement - survenu le 11 novembre 1918 (signature de l’armistice). • Du militaire au politique. Élevé le 19 novembre 1918 à la dignité de maréchal de France, Philippe Pétain joue durant l’entredeux-guerres un rôle essentiel dans la définition de la politique militaire du pays. Viceprésident du Conseil supérieur de la guerre en janvier 1920, inspecteur général de l’armée en 1922, il est conduit à élaborer une stratégie défensive qui correspond aux voeux des hommes politiques, conscients de l’épuisement démographique du pays, et aux souhaits de l’opinion, pénétrée de pacifisme. Si ses conceptions sont moins statiques qu’on ne l’a dit - il s’intéresse au rôle de l’aviation et envisage un système défensif n’excluant pas la mobilité en vue d’une éventuelle contre-offensive -, il participe de très près à l’élaboration de la ligne défensive « Maginot », ensemble de fortifications érigées entre 1930 et 1935 le long de la frontière franco-allemande.
Sur sa recommandation, la ligne ne s’étend pas à la zone du Massif ardennais, qu’il juge « infranchissable » par les chars. Quand, en 1931, le maréchal cède au général Weygand la vice-présidence du Conseil supérieur de la guerre, tout en conservant pour trois ans encore - il a 75 ans - la charge d’inspecteur général de la défense aérienne, son influence reste considérable sur le haut commandement et les milieux dirigeants du pays. À la suite de l’émeute du 6 février 1934, le nouveau président de Conseil, Gaston Doumergue, animé du souci de réaliser l’unanimité nationale et de se concilier les anciens combattants, demande au maréchal d’accepter la charge de ministre de la Guerre. Pétain passe alors pour un officier républicain : il a, de fait, toujours observé en matière politique la plus grande prudence, respectant en cela la tradition républicaine qui fait de l’armée la « grande muette ». Préoccupé au premier chef par les aspects techniques de sa fonction, le maréchal n’hésite pas, toutefois, à aborder la question du « redressement moral » du pays, et particulièrement de sa jeunesse, qu’il estime influencée de manière nocive par un corps enseignant jugé par lui beaucoup trop pacifiste : il est, en cela, proche de la droite conservatrice. Le renversement de Doumergue, en novembre 1934, à la suite de l’échec du projet de réforme de l’État, renforce sa méfiance envers le régime parlementaire et l’incite à opposer un refus à Flandin, successeur de Doumergue. Cité parfois comme un recours dans certains milieux de droite, il conserve une attitude circonspecte, acceptant seulement d’assurer, à la demande d’Édouard Daladier, la fonction d’ambassadeur auprès du général Franco, après la reconnaissance par la France du gouvernement du Caudillo en 1939. • L’armistice, Vichy et la politique de collaboration. Pétain revient au premier plan, dans une conjoncture de désastre national, le 18 mai 1940. Alors que se profile la débâcle militaire, le président du Conseil Paul Reynaud l’appelle à siéger dans son gouvernement comme vice-président du Conseil. Dans les discussions qui, à partir du 12 juin, opposent partisans et adversaires de l’armistice, le maréchal apporte son appui total au généralissime Weygand, favorable à un arrêt des combats. Le transfert des instances dirigeantes en Afrique du Nord, que rendrait inévitable la poursuite des hostilités, lui paraît irréaliste et moralement insoutenable car il suppose l’abandon du sol national. Fort de son prestige, il fait prévaloir son point de vue : le 16,
Reynaud, hostile à l’armistice, doit démissionner et le président Lebrun fait appel à Pétain pour lui succéder. Celui-ci engage aussitôt le processus qui mène à l’armistice, signé le 22. Le maréchal n’entend nullement quitter le pouvoir à cet instant : sa popularité est d’ailleurs immense aux yeux des Français, qui voient en lui un sauveur. Il lui semble indispensable de mener à bien l’oeuvre de « redressement national », nécessitée selon lui par les circonstances. Or, Pétain, sans être monarchiste, subissait depuis longtemps l’influence d’idées réactionnaires, celles notamment propagées par l’Action française. Il se fait attribuer, grâce aux efforts de Pierre Laval, les pleins pouvoirs constitutionnels par les parlementaires réunis à Vichy en Assemblée nationale le 10 juillet 1940, avant de s’arroger par les actes constitutionnels des 11 et 12 juillet la totalité des pouvoirs exécutifs et législatifs. Dans le cadre de ce qu’il appelle la « révolution nationale », il fait procéder à la mise en sommeil des institutions électives et représentatives, à l’encadrement des structures éducatives et professionnelles, et à la persécution des francs-maçons, des étrangers, et surtout des juifs, privés de la plus grande partie de leurs droits. Ces mesures, adoptées en 1940-1941, ont toutes reçu l’approbation de Pétain, dont le grand âge (84 ans) n’atténue en rien la responsabilité. Mais il apparaît vite que le principal problème posé au gouvernement de Vichy est celui des relations franco-allemandes. L’armistice, en effet, a considérablement amputé la souveraineté du gouvernement français, qui n’exerce une autorité que sur la zone sud (dite « libre »), la moins riche et la moins peuplée, et se trouve donc soumis au bon vouloir des Allemands. En outre, le maréchal espère, non sans illusions, une place honorable pour la France dans l’Europe nouvelle : il est donc conduit à se lancer dans une politique de collaboration avec le Reich, annoncée à la nation en octobre 1940, après la rencontre de Montoire avec Adolf Hitler. Certes, en décembre 1940, Pétain renvoie Laval, son principal ministre, qui a commencé la mise en oeuvre de la « collaboration » : mais il s’agit davantage d’une rivalité de pouvoir que d’un désaccord sur le fond. L’amiral Darlan, nommé en février 1941, poursuit en effet la même politique avant que le maréchal, sous la pression allemande, ne soit contraint de rappeler Laval en avril 1942. Bien que son pouvoir de chef de l’État se trouve amoindri par le retour de Laval, désormais pourvu du titre de « chef du
gouvernement », et surtout par l’occupation totale du territoire national par les Allemands à partir du 11 novembre 1942, le maréchal croit de son devoir de rester à son poste : il couvre alors par ce qui lui reste de popularité la satellisation de l’« État français », notamment la création de la Milice, police supplétive qui se livre à une féroce répression des activités de la Résistance. Les Allemands, qui avaient de plus en plus réduit sa marge d’initiative, l’enlèvent le 20 août 1944 pour le transférer en Allemagne. Assigné à résidence à Sigmaringen, Pétain refuse d’y jouer un rôle politique. De retour en France en avril 1945, il est arrêté, puis comparaît du 23 juillet au 15 août 1945 devant la Haute Cour de justice, juridiction qu’il récuse et devant laquelle il refuse de s’exprimer. Condamné à mort, le maréchal voit sa peine commuée, en raison de son âge avancé, en détention perpétuelle ; enfermé au fort de l’île d’Yeu, il y décède six ans plus tard. Pétion de Villeneuve (Jérôme Pétion, dit), homme politique (Chartres 1756 - SaintMagne-de-Castillon, Gironde, 1794). Avocat à Chartres, Pétion est l’une des figures de proue des « patriotes » de cette ville. Il est élu aux états généraux en mars 1789. À la Constituante, il compte parmi les proches de downloadModeText.vue.download 710 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 699 Robespierre et de Buzot, ce qui le place parmi les députés de la « gauche » ; également lié à Brissot et Clavière, il est aussi membre de la Société des amis des Noirs. Après l’arrestation du roi à Varennes, il fait partie de la délégation chargée de ramener Louis XVI à Paris. À la fin de la Constituante, sa très grande popularité contribue à le faire élire maire de Paris, en novembre 1791, contre La Fayette. Il défend, avec ses amis girondins, la répression contre les prêtres réfractaires, la liberté du commerce et le droit illimité de propriété. Lors de la journée du 20 juin 1792, il tente d’encadrer la manifestation contre le roi par la Garde nationale et intervient tardivement pour faire évacuer les Tuileries envahies par la foule. Il est destitué de son poste de maire le 6 juillet, mais l’Assemblée législative le rétablit peu après. Le 3 août, c’est lui qui présente l’adresse des sections de la capitale demandant la déchéance de Louis XVI. Après le 10 août, le pouvoir réel lui échappe, passant
à la Commune insurrectionnelle. Élu député à la Convention en septembre, il démissionne de son poste de maire, et assure la présidence de cette assemblée. Dans les premiers mois de la Convention, Pétion attaque la Commune de Paris et les montagnards, coupables selon lui d’encourager l’« anarchie » et la « destruction des propriétés ». Il figure sur la liste des vingtdeux députés girondins décrétés d’arrestation le 2 juin 1793, mais il s’évade puis se cache près de Saint-Émilion. Se croyant dénoncé, il se suicide le 30 prairial an II (18 juin 1794). Petit-Clamart (attentat du), action terroriste organisée par un commando de l’OAS, le 22 août 1962, dans le but d’assassiner le général de Gaulle. Entre 1960 et 1965, les partisans les plus déterminés de l’Algérie française élaborent de nombreux projets d’attentat contre le général de Gaulle : en premier lieu, par volonté d’enrayer la marche de l’Algérie vers son indépendance, jusqu’en juillet 1962 ; par simple désir de vengeance, ensuite. Ces projets n’ont pas été menés jusqu’à leur terme, à l’exception de ceux de Jean-Marie Bastien-Thiry, un ingénieur de l’armement de tradition catholique intégriste. Échappant à l’arrestation après l’échec d’une première opération, le 8 septembre 1961, il peut organiser une nouvelle embuscade : le 22 août 1962, ses complices, dissimulés dans deux véhicules, ouvrent le feu sur la voiture du chef de l’État. Par miracle, aucun des passagers - le général de Gaulle est accompagné de son épouse et de son gendre - n’est touché, et le chauffeur peut poursuivre sa route vers l’aérodrome de Villacoublay. L’attentat, qui scandalise les Français, est revendiqué par le CNR-OAS. Arrêté, Bastien-Thiry est jugé (avec plusieurs autres conjurés) par un tribunal militaire, condamné à mort, et exécuté le 11 mars 1963. Conséquence inattendue de l’attentat, le général de Gaulle annonce, dès le 20 septembre 1962, son intention de réviser la Constitution pour instaurer l’élection du président de la République au suffrage universel. Les résultats du référendum qui s’ensuit et des élections législatives de l’automne 1962 montrent que les « régicides » de l’OAS, loin d’affaiblir le régime gaulliste, n’ont fait que le consolider. Petit Journal (le), quotidien créé en 1863 par Moïse Millaud. Vendu un sou le numéro grâce à l’apport
financier de la publicité, il obtient un succès considérable : les romans-feuilletons de Ponson du Terrail, de Jules Sandeau, d’Émile de Richebourg, les romans policiers de Gaboriau, les chroniques de Timothée Trimm (Léo Lespès) et les multiples faits divers relatés contribuent grandement à ses extraordinaires tirages (150 000 exemplaires en 1864, 300 000 à la fin du Second Empire, 700 000 en 1882 ; un million d’exemplaires chaque jour vers 1895-1900). Les changements de régime ne font que multiplier le nombre de ses lecteurs et, si le Petit Journal reste bonapartiste jusqu’en 1870, il se convertit aux idées républicaines au lendemain du 4 Septembre. Racheté en 1872 par le publiciste Émile de Girardin et par Hippolyte Marinoni, le Petit Journal est dirigé par des maîtres de la presse populaire. L’opportunisme politique y est souvent de mise, les exagérations du reportage, du feuilleton ou de la chronique sont décuplées à partir de 1889, lorsque paraît le « Supplément illustré » hebdomadaire. Les feuilletons du quotidien y sont repris ; les gravures en couleurs occupent des pleines pages où apparaissent, pêle-mêle, altesses ou ambassadeurs, uniformes des armées françaises ou russes, incendie du Bazar de la Charité, affaire Zola, « oiseaux utiles » et « insectes nuisibles à l’agriculture ». Exemple d’une presse de masse typique du XIXe siècle, le Petit Journal, qui commence à perdre des lecteurs à la veille de la Première Guerre mondiale, survivra jusqu’en 1944. Petite Entente, nom donné à un système d’alliance défensive constitué, entre 1920 et 1922, par la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie et la Roumanie, et que soutient la France. Au début des années 1920, ces trois États d’Europe centrale ou balkanique craignent que la Hongrie ne remette en cause les traités d’après-guerre sur le démantèlement de l’Empire austro-hongrois, notamment le traité de Trianon (juin 1920) par lequel Budapest a dû céder des territoires à la Yougoslavie (Croatie, Slavonie), à la Roumanie (Transylvanie) et à la Tchécoslovaquie (Ruthénie, Slovaquie). D’abord tentée par une politique de soutien à la Hongrie, la France décide d’appuyer la Petite Entente en signant des traités avec chacun de ses membres : Tchécoslovaquie (25 janvier 1924 et 16 octobre 1925), Roumanie (10 juin 1926) et Yougoslavie (11 novembre 1927). Cet ensemble, fort de 43 millions d’habitants, constitue une alliance de revers contre l’Allemagne, une zone d’influence politique et de pénétration économique conformes aux res-
ponsabilités ambitionnées par la France. Mais il est fragile en raison de sa faible cohésion économique (d’où un projet de « bloc agricole » avec la Pologne, en 1930) et du caractère plus politique que militaire du soutien français. En outre, cette alliance ne vise que la Hongrie, alors que d’autres difficultés se posent avec d’autres pays voisins (différends entre l’Italie et la Yougoslavie sur l’Albanie et Fiume, entre l’Allemagne et la Tchécoslovaquie à propos des Sudètes, entre l’URSS et la Roumanie sur la Bessarabie, par exemple). Toutefois, la Petite Entente résiste au révisionnisme hongrois (1921), aux projets d’Anschluss économique (1931) ou de « pacte à quatre » (1933, elle se dote alors d’un conseil permanent). Après les vains efforts de Barthou pour renforcer la sécurité collective en Europe centrale en tentant d’y rallier l’URSS et l’Italie (1934), ce système se désintègre (1936-1937) puis révèle son impuissance face au démembrement de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne hitlérienne entre septembre 1938 (accords de Munich) et mars 1939. peur. Intemporel, le sentiment de la peur revêt naturellement des formes très diverses au fil de l’histoire. Mais l’essentiel est ailleurs : dans la place que tient la peur dans les esprits, dans le rôle qu’elle joue parfois au cours de notre histoire - qu’on songe par exemple à la Grande Peur de 1789 -, et plus encore peut-être dans les réponses à la peur qu’apporte la culture. • Peurs « naturelles », peurs construites. Mort inéluctable, famine, peste, guerre, loups, voleurs, pollution, cancer, sida, fin du monde, subversion sociale,chômage : le catalogue de nos peurs à travers l’histoire serait illimité, et recouvrirait tout simplement l’ensemble des dimensions de la vie individuelle et collective que nous ne contrôlons pas. Certaines peurs ont une existence historique précise, car liées à des réalités conjoncturelles, comme la famine, alors que d’autres, associées en particulier à la mort et à ses diverses formes, traversent les siècles. Mais il faut surtout remarquer que la culture construit des peurs, dans le souci de donner aux angoisses de chacun un visage concret, tel que l’image du démon, et dans la quête passionnée des signes annonciateurs d’une catastrophe prochaine : l’éclipse, la comète, voire - plus près de nous - le trou dans la couche d’ozone, les revenants, le récit de la fin du monde ou du Jugement dernier, sont bien des
peurs intellectuellement élaborées, et donc nées d’une diffusion. La prédication, celle des ordres mendiants en particulier, pendant une grande partie du Moyen Âge et jusqu’au XVIe siècle, puis, sous des formes renouvelées, l’enseignement dispensé par l’ensemble du clergé de la Réforme catholique, au XVIIe siècle, ont conduit à ce que Jean Delumeau a justement appelé une « pastorale de la peur ». La diffusion du thème de l’Apocalypse et sa mise en images sous de multiples formes, celle de la danse macabre, qui culmine au XVe siècle, expriment, entretiennent et, peut-être, canalisent cette peur. Ce triple rôle témoigne de l’ambiguïté du discours sur la peur, qui aboutit souvent à désigner des boucs émissaires : juifs, sorciers et, plus largement, tous ceux que leur différence désigne à la vindicte publique étrangers par la religion, la langue ou la couleur de peau. • Analyser la place de la peur dans la société. La difficulté est de mesurer la place de ces peurs dans la société. L’analyse la plus courante est celle d’une « omniprésence » downloadModeText.vue.download 711 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 700 (Jean Delumeau), d’une « peur de tous les instants » (Robert Fossier), au moins jusqu’au XVIIIe siècle, ce qui implique que la société française, peut-être grâce aux idées rationalistes, se serait arrachée à l’emprise de la peur à partir du siècle des Lumières. Cette vision de nos ancêtres du Moyen Âge et des Temps modernes écrasés par la peur doit être remise en cause aujourd’hui. En effet, il est sans doute plus fécond de proposer une analyse en termes d’équilibre entre l’intensité des peurs et la qualité des réponses ou des prises en charge offertes par la société. Cet équilibre est parfois rompu en faveur de la peur : tel est sans doute le cas aux alentours de l’an mil, et peut-être au XVIe siècle, au moment de la grande division du christianisme entre catholiques et protestants qui contraint la plupart des fidèles à choisir entre deux voies dont une seule mène au salut. Mais la société parvient remarquablement et assez rapidement, lors de chaque moment de tension, à construire les réponses susceptibles d’apaiser en partie ces montées de la peur. On peut considérer comme telles la vague de miracles des XIe et XIIe siècles - nous en possédons près de cinq mille récits ! -, puis l’invention du Purgatoire, rassurante voie médiane entre le terrible Enfer
et l’inaccessible Paradis. De même, l’intense exaltation de la charité et la profondeur du courant dévot dans la première moitié du XVIIe siècle permettent-elles très probablement de « rassurer et protéger » (Jean Delumeau) une partie au moins des Français. • La nécessité d’une histoire sociale de la peur. La référence à une partie des Français est essentielle : l’histoire sociale de la peur reste en effet largement à écrire, alors qu’elle détermine pour une grande part la nature des réponses à la peur, différente d’un milieu social et culturel à l’autre. Aucune des peurs évoquées ici n’est également partagée : même la plus élémentaire, la peur de la mort, n’échappe pas à cette différenciation sociale, puisque l’égalité en matière de santé n’est pas assurée, de nos jours encore, malgré les progrès du dernier demi-siècle. L’émotivité des foules, souvent mentionnée, ne se traduit pas non plus aveuglément ; ses victimes sont « choisies ». Ainsi, en 1524, l’avocat au parlement de Paris Nicolas Versoris décrit une France accablée de calamités : guerre, famine, pestilence, grandes eaux, tremblements de terre, « séditions intestines », « dangereuse doctrine de Luther », gelées et, bien sûr, invasion par les troupes de Charles Quint. C’est dans ce contexte propice à une explosion de peur qu’un grand incendie survenu à Troyes crée une véritable psychose collective à Paris, mais les victimes en sont les « mauvais garçons », dont plusieurs sont exécutés après un jugement sommaire, et les étrangers, en théorie expulsés. De même, dans la seconde quinzaine de juillet 1789, la formidable espérance et la longue attente de Français qui ont rédigé leurs doléances depuis plusieurs mois permettent l’éclosion, à partir de simples rumeurs, d’une « grande peur » qui conduit notamment au pillage de châteaux et à la destruction des titres justifiant les droits seigneuriaux. L’importance des conséquences de cet épisode - la nuit du 4 Août et l’abolition des privilèges n’en font pas cependant un cas exceptionnel. La peur conduit à amplifier, à accélérer et parfois à déclencher l’expression de sentiments collectifs qui relèvent de la culture mais aussi des rapports sociaux ordinaires : la répression de la Commune de Paris en 1871 ou, dans une forme évidemment très différente, la manifestation de soutien au pouvoir à la fin de mai 1968 en sont de célèbres exemples.
• Les réponses à la peur. Ces diverses manifestations spectaculaires révèlent aussi qu’aux moments particulièrement tendus l’équilibre se rompt brutalement entre les peurs et des réponses ordinaires devenues insuffisantes. La plus remarquable de ces réponses et la plus durablement efficace, puisqu’elle couvre environ un millénaire, est celle qu’élabore peu à peu l’Église catholique. Elle encadre et légitime un rapport de nature magique entre l’individu, quelquefois la collectivité, et un intercesseur capable d’apaiser la peur, en général un saint : l’échange, appuyé par un rituel précis de gestes et de prières, se place au coeur de ce qu’on appelle parfois, non sans raison, une « religion populaire », celle du quotidien et du miracle toujours espéré. C’est ce type de relation qui a permis une évolution très progressive vers la laïcisation des réponses à la peur : le médecin s’insère peu à peu, à partir du XVIIe siècle, dans un ensemble où il n’est d’abord qu’associé aux saints et aux sorciers dont il complète les interventions. L’effacement de la réponse religieuse traditionnelle explique sans doute aussi l’essor récent de phénomènes irrationnels comme le recours aux diverses formes de voyance, de même que l’espoir suscité par la Loterie nationale puis ses différents succédanés a largement concurrencé la croyance au miracle Parallèlement, un dispositif intellectuel beaucoup plus élaboré se construit, qui inscrit ces pratiques élémentaires dans une vision d’ensemble du destin de l’homme. L’espoir en un Au-delà de mieux en mieux défini, la relativisation d’une vie terrestre considérée comme le simple passage dans une « vallée de larmes » donne au fidèle une espérance à la mesure de sa peur. La patiente pédagogie de la culpabilité de l’homme, née du péché originel, vient justifier cette conception du monde. Elle culmine, chez les catholiques, avec le recours à la confession, qui s’impose à partir du XVIIe siècle seulement, une partie des catholiques et les protestants plaçant plus largement leurs espoirs dans la justice et parfois la bonté divines. Cette explication cohérente et raisonnable de la condition humaine, à peu près achevée au XVIe siècle, au moment des Réformes catholique et protestante, est diffusée de plus en plus efficacement à la masse des fidèles. Elle se situe sur le même plan que l’autre réponse intellectuelle, fondée sur la raison et la science, affirmée pour l’essentiel à partir du XVIIIe siècle et répandue ensuite, en particulier par le biais du système scolaire. Le parallèle, peut-être choquant, explique cependant qu’une partie des Français d’aujourd’hui puissent recourir en même temps à l’une et à
l’autre de ces réponses à nos peurs. La vogue de systèmes spirituels souvent totalement irrationnels, exprimée par le phénomène sectaire, rappelle toutefois qu’à ce niveau aussi les réponses sont le fruit d’une construction toujours difficile et sans cesse renouvelée. De l’antijudaïsme au « règne de la Raison et de la Science », des incendiaires parisiens de 1524 à la xénophobie, de la croyance au miracle à l’abandon à Dieu, le risque est grand de faire de la peur une sorte de moteur des sociétés, alors qu’elle en exprime simplement les réalités. Il est cependant probable que la qualité des réponses à la peur permet d’apprécier le niveau des civilisations et, à l’échelle de l’individu, la qualité d’une culture. Pflimlin (Pierre), homme politique (Roubaix 1907-Strasbourg 2000). Européen convaincu et strasbourgeois de coeur, Pierre Pflimlin est une grande figure de la démocratie chrétienne. Cet avocat adhère au MRP en 1945 (il en sera le président national de 1956 à 1959) et est élu conseiller municipal de Strasbourg en 1945, député du Bas-Rhin en 1946 (il restera parlementaire jusqu’en 1967). En novembre 1947, il est nommé ministre de l’Agriculture par Robert Schuman, et occupe successivement diverses responsabilités, notamment à la tête du ministère des Finances et des Affaires économiques dans les gouvernements Edgar Faure (19551956), puis Félix Gaillard (1957-1958). Son passage à la présidence du Conseil, fonction pour laquelle il a été pressenti à plusieurs reprises, sera de très courte durée : le débat d’investiture est fixé au 13 mai 1958, mais les activistes algérois, qui lui sont hostiles (Pflimlin préconise une politique libérale en Algérie), déclenchent alors une insurrection ; après une entrevue avec le général de Gaulle dans la nuit du 26 au 27 mai, il propose sa démission au président René Coty le 28, puis devient ministre sans portefeuille du général de Gaulle le 1er juin. Ses compétences de juriste lui permettent d’influencer la rédaction du projet de Constitution. Farouchement attaché à l’intégration européenne, Pflimlin est parmi les cinq ministres MRP qui démissionnent du gouvernement Pompidou après la déclaration du général de Gaulle, le 15 mai 1962, ironisant sur les « apatrides » qui pensent « en quelque esperanto ou volapük intégrés ». Il choisit alors de se consacrer aux deux causes qui lui tiennent le plus à coeur : l’Europe (au sein du Conseil
de l’Europe, puis à la présidence du Parlement européen de 1984 à 1989) et l’Alsace (comme maire de Strasbourg de 1959 à 1983). Phébus (Gaston), ! Foix (Gaston III, dit Gaston Phébus ou Fébus comte de) Phélypeaux (Louis, comte de Saint-Florentin, duc de La Vrillière), homme politique (Paris 1703 - id. 1777). Phélypeaux est issu d’une famille où se sont déjà distingués plusieurs secrétaires d’État et un chancelier (Pontchartrain). En 1725, il succède à son père comme secrétaire d’État et partage avec son cousin et beau-frère Maurepas la charge de la Maison du roi. Il traite alors essentiellement des affaires religieuses, et fait preuve d’une certaine indulgence à l’égard des protestants. Sa fidélité lui vaut la faveur constante de Louis XV, qui lui attribue l’ensemble des downloadModeText.vue.download 712 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 701 charges de la Maison du roi après la disgrâce de Maurepas (1749), puis le nomme ministre d’État (1751), lui confie l’administration de la ville de Paris (1757) et, lors de la chute de Choiseul, l’intérim de la Marine, des Affaires étrangères et de la Guerre (1770-1771). Conciliant à l’extrême, Phélypeaux cherche à ménager tous les partis et laisse reculer l’autorité royale face aux parlements. C’est pourtant lui qui délivre les lettres de cachet. Aussi lui reproche-t-on tantôt sa faiblesse, tantôt d’être le pilier de l’arbitraire. C’est en fait dans le domaine de l’urbanisme qu’il se distingue : il embellit plusieurs villes, notamment Bordeaux, Reims, et Paris, où il fait achever la place Louis-XV (actuelle place de la Concorde), aménager une partie des quais de la Seine, édifier l’église Saint-Philippe-duRoule et la Halle au blé. Il se retire en 1775, au terme d’une carrière ministérielle d’une durée exceptionnelle. Philippe Ier, roi des Francs de 1060 à 1108 (1052 - Melun 1108). Le fils aîné d’Henri Ier est baptisé par sa mère, la reine Anne de Kiev, d’un prénom byzantin - Philippe -, alors inusité. Sacré et associé au trône en 1059, du vivant de son père - expérience commune aux quatre premiers Capétiens -, il lui succède le 4 août 1060, d’abord
sous la régence de son oncle, le comte Baudouin V de Flandre (1060/1066). Comme ses prédécesseurs, Philippe Ier consacre l’essentiel de son règne à accroître le domaine royal. Il acquiert en 1068 le Gâtinais, autour de Nemours et Montargis, cédé par le comte d’Anjou Foulques IV le Réchin. Intervenant peu après en Flandre contre le nouveau comte, Robert le Frison, il est battu à Cassel en 1071 mais se réconcilie avec lui et épouse sa nièce, Berthe de Hollande. Il récupère grâce à cet accord la seigneurie de Corbie, donnée par Henri Ier à sa soeur lors de son mariage avec Baudouin V de Flandre. En 1076, lorsque le comte de Vexin se retire dans un monastère et lui abandonne ses droits, Philippe Ier met la main sur le Vexin français et ses villes, Mantes, Pontoise et Magny. Cette avancée étend son domaine royal aux portes de la Normandie et suscite l’inquiétude des Normands, qui mènent plusieurs campagnes, dont celle où meurt Guillaume le Conquérant, en 1087. En achetant à Eudes Harpin, en 1101, la vicomté de Bourges, Philippe Ier rapproche enfin le domaine royal d’Orléans. Philippe Ier se heurte aux pires difficultés dans ses rapports avec l’Église. Hostile à la réforme grégorienne, qui met un frein au pouvoir royal, il se place dans une situation délicate en enlevant Bertrade de Montfort, l’épouse de Foulques IV le Réchin, et en répudiant Berthe de Hollande (1092). L’opposition avec le pape Urbain II devient alors violente : le roi est excommunié au concile d’Autun en 1094, puis à nouveau en 1095, en 1096 et en 1101. Philippe Ier et Bertrade de Montfort ne se soumettent à l’autorité papale qu’après le concile de Paris en 1104. Avec la mort du roi, quatre ans plus tard (3 août 1108), s’achève le premier siècle de la dynastie capétienne. Mais, quelques années auparavant, c’était déjà le prince Louis, futur Louis VI le Gros, qui régnait vraiment : armé chevalier en 1098, il était associé au trône, et n’allait être sacré qu’après son avènement, ouvrant une ère nouvelle de réussites royales. Les chroniqueurs et les historiens ont malmené Philippe Ier, roi trop jeune et peu ambitieux, ne répondant pas aux conceptions de la monarchie qui commençaient à se faire jour. C’est oublier que les quatre premiers Capétiens ont eu pour mérite essentiel d’assurer fermement la pérennité de leur dynastie. Philippe II Auguste, roi de France de 1180 à 1223 (Paris 1165 - Mantes 1223).
Fils unique de Louis VII et d’Adèle de Champagne, il est sacré du vivant de son père, frappé de paralysie, le 1er novembre 1179. Il reçoit l’épithète de « conquérant », puis celle d’« auguste », peut-être par référence au mois de sa naissance (août), mais plus sûrement pour célébrer l’accroissement considérable du domaine royal sous son règne : il a « augmenté la chose publique », selon l’expression des chroniqueurs de son temps. • Lutte contre les Plantagenêts, et conflit avec la papauté. Le domaine royal, à son avènement, n’excède guère l’Île-de-France, l’Orléanais et une partie du Berry. Sur les fiefs environnants - et notamment les duchés de Normandie et d’Aquitaine et le comté d’Anjou, tous tenus par le roi d’Angleterre, Henri II Plantagenêt -, le nouveau roi de France ne dispose, comme ses prédécesseurs, que d’un droit théorique de suzeraineté. En épousant Isabelle de Hainaut (1180), nièce du comte de Flandre, que son oncle promet de doter de l’Amiénois, du Vermandois et de l’Artois, il accomplit son premier acte politique d’importance : le royaume de France y gagne une extension septentrionale décisive. Les princes et les grands féodaux, qui espéraient manoeuvrer ce roi adolescent à leur guise, ne tardent pas à se heurter à sa détermination. De 1180 à 1185, Philippe doit affronter leur coalition, composée du comte de Flandre (avec lequel il s’est brouillé), du duc de Bourgogne, du comte de Hainaut, du comte de Blois et de Chartres. Ces cinq années de guerre intermittentes se soldent par la signature du traité de Boves (juillet 1185), par lequel les coalisés reconnaissent au roi de France la possession de l’Artois, du Vermandois et de la ville d’Amiens. Philippe, dès lors, a les mains libres pour se consacrer à l’ambition qui constituera l’axe de tout son règne : le démantèlement des possessions anglaises en France. Doté d’un redoutable sens stratégique, il sait discerner les faiblesses de l’adversaire et en faire immédiatement son profit. La famille Plantagenêt est en effet divisée, victime de discordes qui opposent à la fois Henri II vieillissant à ses fils, et ces derniers entre eux. S’alliant à l’aîné des fils, Richard Coeur de Lion, Philippe bat Henri II à Azay-le-Rideau (4 juillet 1189). Contraint à la capitulation, ce dernier meurt deux jours plus tard. En compagnie de Richard Coeur de Lion et de l’empereur Frédéric Barberousse, Philippe participe alors à la troisième croisade, motivée par la perte de Jérusalem, tombée aux mains de Saladin en 1187. Au terme d’un siège long et difficile, Saint-Jean-d’Acre est prise en juillet 1291.
Mais, tandis que Richard, rêvant de prouesses chevaleresques, guerroie contre Saladin, Philippe, sous prétexte de maladie, retourne en France et commence à intriguer avec Jean sans Terre, frère de Richard, pour s’emparer des possessions françaises des Plantagenêts. Richard, comprenant qu’il a été dupé, reprend la route de son royaume après avoir conclu une trêve avec Saladin ; mais il est fait prisonnier par le duc Léopold d’Autriche, auprès de qui Philippe intervient pour prolonger la captivité de son dangereux rival. Dès la libération de Richard, en 1194, la lutte reprend. Philippe, vaincu à Fréteval (1194) - bataille au cours de laquelle il perd une partie de son trésor et de ses archives -, puis à Courcelles (1198), n’est sauvé du désastre que par la mort de Richard, tué au siège du château de Châlus, en Limousin (1199). C’est au moment où la situation est la plus critique pour le royaume de France, en 1198, que Philippe commet l’erreur de se brouiller avec la papauté. Sa femme, Isabelle de Hainaut, est morte en 1190, laissant un fils de trois ans, le futur Louis VIII. Philippe se remarie avec la soeur du roi de Danemark, Ingeburge (ou Isambour). Mais, dès le lendemain de ses noces (15 août 1193), il manifeste pour sa femme une irrépressible aversion. Un conseil de barons et d’évêques complaisants prononce le divorce sous le prétexte - parfaitement fallacieux - de liens de parenté trop proches. En 1196, Philippe épouse une Bavaroise, Agnès de Méran. Dès son avènement, en 1198, le pape Innocent III enjoint au roi de France de rendre à Ingeburge son rang de reine légitime. Devant le refus de Philippe, il jette l’interdit sur le royaume de France (1200), ce qui suspend toute vie sacramentelle (toutefois, le roi obtient des évêques la non-application de cette sentence dans la plupart des diocèses). Le différend ne se réglera que progressivement, au prix de concessions mutuelles : Philippe finit par céder en 1213, et fait revenir Ingeburge à la cour, mettant ainsi un terme à vingt ans de captivité. De son côté, Innocent III légitime Philippe et Marie, les deux enfants d’Agnès de Méran, morte en 1201. • La conquête des fiefs anglais. Bien que Richard ait désigné pour successeur son cadet Jean sans Terre, Philippe Auguste prend le parti de leur neveu, Arthur de Bretagne. Après une guerre d’escarmouches, il conclut avec Jean sans Terre la paix du Goulet (22 mai 1200), par laquelle Jean se reconnaît vassal du roi de France. D’un point de vue territorial, la paix est avantageuse pour ce dernier : si la Normandie et la suzeraineté de Bretagne
restent aux Plantagenêts, Jean sans Terre cède Évreux, une partie du Vexin normand, Issoudun, la suzeraineté de l’Auvergne et du Berry, et marie sa nièce Blanche de Castille à Louis de France, fils du roi. Peu de temps après, Jean sans Terre enlève la fille du comte d’Angoulême, Isabelle, fiancée d’Hugues de Lusignan, comte de la Marche. L’affaire est portée devant la cour du roi de France, qui condamne Jean sans Terre pour félonie le 28 avril 1202. Jean perd tous ses droits sur ses fiefs français. Philippe, qui trouve là une excellente occasion d’agir en toute légalité, se hâte d’exécuter la sentence. Commence alors une nouvelle guerre, durant laquelle Jean ira de désastre en désastre. Il perd la NormandownloadModeText.vue.download 713 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 702 die (prise de Château-Gaillard, 6 mars 1204), puis le Maine, l’Anjou, la Touraine, la Saintonge et le Poitou. En 1208, il ne possède plus en France que la Guyenne. Il parvient néanmoins à susciter une coalition contre Philippe Auguste. Y participent Ferrand de Portugal, comte de Flandre, Renaud de Dammartin, comte de Boulogne, le comte de Hainaut et l’empereur Otton IV. Jean sans Terre assiège la Roche-aux-Moines, près d’Angers, mais son armée se disperse sans combat à l’arrivée des renforts commandés par Louis de France (2 juillet 1214). Quelques jours plus tard, le 27 juillet, Philippe Auguste remporte à Bouvines une victoire complète contre les alliés de Jean sans Terre. Outre qu’elle règle un conflit ancestral entre Capétiens et Plantagenêts, cette victoire, qu’on a pu considérer comme la première grande manifestation du sentiment national en France, témoigne de la force d’un pouvoir monarchique auquel rien ne semble plus en mesure de résister. • Le gouvernement du royaume. Philippe Auguste accompagne sa politique d’agrandissement du domaine royal par une centralisation croissante du gouvernement. Soucieux d’affaiblir les féodaux, il fait prévaloir sa volonté dans les fiefs importants : le procédé du pariage est une formule contractuelle qui permet d’associer les fonctionnaires royaux à ceux du fief et d’étendre les moyens de contrôle de l’État. Sous son impulsion, l’administration à la fois rudimentaire et lacunaire du royaume se transforme en appareil de services publics hiérarchisés, dotés d’une réelle efficacité. Durant les règnes précédents, les
cadres étaient constitués seulement par les prévôts, agents roturiers sans traitement, qui avaient la fâcheuse propension à tirer des bénéfices substantiels d’un office le plus souvent transmis par voie héréditaire ou acheté aux enchères. Au-dessus d’eux, Philippe Auguste institue les baillis : choisis dans la noblesse, ces fonctionnaires royaux - salariés et révocables à tout moment - disposent de compétences importantes en matière de finances, de justice et de police, et administrent un nombre variable de prévôtés. Il les fait même inspecter par des enquêteurs choisis dans son conseil. Une véritable structure centralisée se met ainsi en place, régie par le principe selon lequel « chacun tient du roi, le roi ne tient de personne ». En matière de finances, la fiscalité reste très lourde tout au long du règne, et le pouvoir ne recule pas devant l’exaction ou les mesures spoliatrices. Cette pression fiscale s’explique, au premier chef, par les nécessités de la guerre : Philippe Auguste tient à entretenir une armée soldée - ce qui lui permet de recourir le moins possible aux levées féodales - et à édifier de puissants châteaux (Dourdan, Gisors, Issoudun). Après avoir été pressurés, les juifs sont soumis en 1198 à des taxes qui relèvent d’une volonté d’exploitation forcenée. Face à l’Église, Philippe Auguste use sans cesse d’impôts extraordinaires, même s’il doit renoncer, avant la croisade de 1188, à la « dîme saladine » exorbitante qu’il exige. Il ne parvient pas, malgré des tentatives récurrentes, à établir des impôts permanents. Esprit lucide et doué d’anticipation, Philippe Auguste a perçu le dynamisme commercial et la puissance croissante de la bourgeoisie, qu’il n’a pas manqué de favoriser. Il fait participer les notables urbains aux assemblées des barons et des évêques, choisit ses conseillers parmi des hommes d’extraction modeste, reconnus pour leurs compétences, confirme ou crée des chartes de communes ou de villes libres, moyen supplémentaire d’affaiblir les féodalités locales. Sous son règne, la cour se fixe à Paris, qui s’embellit, s’agrandit, et prend des allures de capitale : les rues sont pavées, la ville est ceinturée d’une muraille continue, renforcée de trente-quatre tours rondes sur la rive gauche, et de trente-trois sur la rive droite. Ce règne de quarante-trois ans est incontestablement celui d’un éminent homme d’État. Doté d’un remarquable sens politique, Philippe Auguste renouvelle les méthodes de gouvernement et assure la diffusion de l’autorité monarchique dans tout le royaume. Philippe II le Hardi, duc de Bourgogne de 1363 à 1404, fondateur de l’État burgondo-
flamand (Pontoise 1342 - Hal, Brabant, 1404). Quatrième fils du roi de France Jean II le Bon et de Bonne de Luxembourg, Philippe reçoit de son père le duché de Bourgogne (1363), puis, grâce à l’appui de son frère, le roi Charles V, il épouse Marguerite de Male (1369), fille et héritière du comte de Flandre. À la mort de celui-ci en 1384, Philippe obtient, outre la Flandre, les comtés d’Artois, de Réthel, de Bourgogne et de Nevers : ses territoires s’étendent désormais du Rhône à la mer du Nord, et constituent le fondement de l’État bourguignon. Dès lors, Philippe apparaît comme l’un des plus grands princes du royaume. Soucieux de bon gouvernement, il dote ses États d’une administration - et notamment de chambres des comptes - inspirée du modèle royal. Prince chevalier, il envoie son fils, Jean sans Peur, en croisade dans les Balkans, en 1396. Grand mécène, il passe commande à Claus Sluter, aux frères Limbourg ou à Christine de Pisan. Sa grande piété, et notamment sa dévotion particulière envers saint Bruno, le conduit à confier aux chartreux l’église funéraire de son lignage, à Champmol, près de Dijon. La minorité puis la folie de son neveu Charles VI (1380-1422) entraînent Philippe le Hardi à jouer un rôle déterminant dans les affaires du royaume de France. Entre 1382 et 1388, sous le « gouvernement des oncles », il dirige le royaume et réprime en particulier les nombreuses émeutes antifiscales qui secouent les villes. Écarté en 1388, il retrouve sa position en 1392, mais, jusqu’à sa mort, il s’oppose de plus en plus vigoureusement au frère du roi, Louis d’Orléans, pour la direction des affaires, la nomination des officiers royaux et surtout le contrôle du produit des impôts. Philippe III le Bon, duc de Bourgogne de 1419 à 1467 (Dijon 1396 - Bruges 1467). Fils unique de Jean Sans Peur et de Marguerite de Bavière, Philippe le Bon devient duc de Bourgogne à l’âge de 23 ans, après l’assassinat de Jean Sans Peur à Montereau, le 10 septembre 1419, au cours de la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons. Pour venger son père, il s’allie avec les Anglais et signe le traité de Troyes de 1420 qui consacre le démembrement du royaume, dont la partie orientale est contrôlée par la Bourgogne, la partie occidentale et Paris, par les Anglais. Le dauphin Charles, déshérité par le traité, se réfugie à Bourges. Espérant prendre part au gouvernement du royaume après la mort de Charles VI, en 1422, Philippe le Bon marie
sa soeur Anne au duc de Bedford, régent en France pour Henri VI d’Angleterre. Mais ce dernier n’entend pas partager le pouvoir et le duc de Bourgogne se rapproche bientôt du « roi de Bourges », comme on appelle alors Charles VII, en quête de légitimité. D’abord neutre - il laisse passer la chevauchée de Jeanne d’Arc et du roi vers Reims, en 1428 -, Philippe le Bon entame à partir de 1432 les négociations qui aboutissent en 1435 au traité d’Arras, marque de la réconciliation francobourguignonne. Philippe le Bon est, sa vie durant, dispensé de l’hommage au roi de France. Ainsi émancipé, le duc se consacre à étendre ses États, faisant basculer l’État bourguignon vers la Flandre. Il recueille les fruits de la politique matrimoniale et territoriale de ses prédécesseurs : le comté de Namur en 1421, le duché de Brabant avec Anvers et Malines en 1430, le Hainaut, la Hollande, la Zélande et la Frise de 1428 à 1432, le Luxembourg en 1433, Utrecht et Liège en 1455. Philippe le Bon est alors maître de toute la façade de la mer du Nord et d’un arrière-pays incomparable. Son territoire commence à s’étendre vers Thionville et lorgne sur la basse Lorraine, région intermédiaire entre ses domaines flamands et bourguignons. Ses possessions, qui abritent 5 à 7 millions d’habitants, font de lui le « grand duc du Ponant ». Ses États s’organisent : universités, chambres des comptes et cours de justice s’implantent dans la partie flamande comme dans la partie bourguignonne. La cour du duc se veut aussi le reflet de sa grandeur : il crée en 1430 l’ordre de la Toison d’or, destiné à rassembler dans un idéal chevaleresque les principales personnalités flamandes et bourguignonnes. Amateur de luxe et de faste, il entretient des artistes tels Jan Van Eyck ou Rogier Van der Weyden. Le « voeu du faisan », le 17 février 1454, reflète les goûts du duc pour le faste et la chevalerie : au cours d’un banquet à Lille, qui rassemble la cour et la Toison d’or, il s’engage avec son fils à délivrer Byzance tombée aux mains des Turcs. Les dernières années de son règne sont marquées par un déclin, et ses rapports avec Charles VII s’aigrissent. Il protège le futur Louis XI en lutte contre son père, mais abandonne bientôt les rênes du pouvoir à son fils Charles. À sa mort, le plus grand des ducs de Bourgogne laisse à Charles le Téméraire la perspective d’une couronne que lui a refusée, en 1453, l’empereur Frédéric III de Styrie. La survie de l’État bourguignon dépend alors de ce que saura en faire son héritier.
Philippe III le Hardi, roi de France de 1270 à 1285 (Poissy 1245 - Perpignan 1285). Entre les figures écrasantes de son père Saint Louis et de son fils Philippe le Bel, Philippe III paraît un roi faible, soumis à son entourage, sans charisme ni vue politique. Ce second fils de Saint Louis et de Marguerite de Provence devient l’héritier royal à la mort de son frère downloadModeText.vue.download 714 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 703 Louis, en 1260. Marié à Isabelle d’Aragon, il est roi et veuf lors du long cortège funéraire qui ramène de Tunis les corps de Saint Louis, mort le 25 août 1270, de Jean de Nevers son fils, de Thibaut V de Navarre, et de la jeune reine. Les quelque quinze années du règne de Philippe III sont tout entières marquées par les tentatives d’extension du royaume vers le Sud et les Pyrénées. À la mort d’Alphonse de Poitiers (frère de Saint Louis) et de son épouse Jeanne de Toulouse, la couronne se saisit de l’ensemble de leurs terres : le comté de Toulouse, dot de Jeanne, la sénéchaussée de Poitou et la terre d’Auvergne, apanage d’Alphonse. Mais l’Agenais et la Saintonge sont revendiqués par le roi d’Angleterre, qui les obtient au traité d’Amiens de 1279, et le Comtat Venaissin par le Saint-Siège, à qui il échoit en 1274 ; les apanages sont réclamés par Charles d’Anjou, oncle du roi, débouté par le parlement en 1284. Maître du comté de Toulouse, le roi de France se tourne vers la péninsule Ibérique (Navarre, Castille, Aragon). La Navarre vit des temps troublés : l’héritière, Jeanne, est ramenée par sa mère Blanche d’Artois à la cour de France. Jeanne est promise au prince héritier Philippe (futur Philippe le Bel) et Robert d’Artois rétablit la paix en Navarre en 1277. En Castille, Philippe III se sent tenu de protéger ses neveux Alphonse et Ferdinand de la Cerda, enfants du fils aîné d’Alphonse X le Sage et de Blanche de France, écartés de la succession par leur oncle Don Sanche. Jusqu’en 1285, la guerre entre la France et la Castille menace. C’est pourtant avec l’Aragon qu’elle éclate. Lorsque le favori du roi, Pierre de La Brosse, est éliminé de l’entourage royal en 1278, la reine Marie de Brabant prend plus d’ascendant sur Philippe III, et avec elle Charles d’Anjou, affaibli depuis la mort de son frère Saint Louis. Implanté dans le royaume de Naples et en Sicile, Charles
d’Anjou est l’adversaire direct de l’Aragon en Méditerranée. Pierre III d’Aragon est probablement l’instigateur des Vêpres siciliennes, qui, le 30 mars 1282, jettent les Français hors de Sicile. Le pape Martin IV excommunie le roi d’Aragon, dont il offre le royaume à l’un des fils de France, Charles de Valois, cadet de Philippe III. Les barons français hésitent puis acceptent de partir en croisade contre l’Aragon. En mai 1285, l’armée française envahit la Catalogne mais s’épuise au siège de Gérone. Très malade, Philippe III meurt à Perpignan, dans des circonstances qui rappellent celles de la mort de Saint Louis. l PHILIPPE IV LE BEL. Si le règne de Philippe le Bel, au tournant des XIIIe et XIVe siècles, constitue une période essentielle de l’histoire médiévale, la figure du souverain et les modalités d’exercice de son pouvoir restent sujettes à controverses. Le roi a-t-il abandonné la réalité du pouvoir à des conseillers manipulateurs, comme on l’a souvent prétendu ? A-t-il été, au contraire, un lointain précurseur de la monarchie absolue ? Ces questions importent moins, en définitive, que le double processus qui s’accomplit sous son règne : l’affirmation de l’entière liberté du royaume à l’égard de la papauté, et la spécialisation croissante de structures étatiques qui dotent le pays d’une administration plus souple et plus efficace. LA POLITIQUE EXTÉRIEURE Né à Fontainebleau en 1268, fils de Philippe III le Hardi et d’Isabelle d’Aragon, héritier de la couronne depuis la mort de son frère aîné Louis (1276), Philippe IV le Bel - ainsi surnommé, de son vivant, en référence à sa haute stature et à la régularité harmonieuse de ses traits - est âgé de 17 ans lorsqu’il monte sur le trône, à la mort de son père, le 5 octobre 1285. La France est alors le royaume le plus peuplé de la Chrétienté, et jouit d’une indéniable prospérité économique ; le renforcement du pouvoir monarchique, amorcé un siècle plus tôt par Philippe Auguste, lui donne les structures d’un véritable État, vivifié par les prémices du sentiment national. Dès son mariage avec Jeanne de Navarre, en 1284, Philippe s’est considéré comme le seigneur du royaume de Navarre et de son fief, la Champagne. L’un de ses premiers soucis, en politique extérieure, est de mettre un terme à la guerre de conquête dans laquelle son père, entraîné par Charles d’Anjou et le pape Martin IV, s’est enferré en Aragon. Un
traité conclu en 1291 à Tarascon le délivre de cette vaine entreprise. Philippe le Bel n’a peut-être pas cherché, comme on l’a parfois prétendu, à faire coïncider le domaine royal avec les frontières naturelles de la France. Il ne concentre pas moins ses efforts sur les grands féodaux dont la puissance, dans le Sud-Est et le Nord, constitue un défi et une menace pour l’autorité royale : en l’occurrence, le duc de Guyenne - qui n’est autre que le roi d’Angleterre, Édouard Ier - et le comte de Flandre. La guerre avec Édouard Ier commence en 1294. Après une procédure strictement féodale, plusieurs fois éprouvée au cours des deux siècles précédents, et qui consiste à citer le roi d’Angleterre devant le tribunal royal pour le déclarer déchu de ses fiefs français, les troupes de Philippe IV envahissent la Guyenne. Le roi d’Angleterre compte parmi ses alliés la Bretagne et l’Empire, tandis que Philippe jouit du soutien des Bourguignons et des Écossais. Cette guerre franco-anglaise connaît une étrange conclusion : alors qu’il est sur le point de s’assurer de la possession de la Guyenne, Philippe le Bel s’en remet à l’arbitrage du pape Boniface VIII, qui prône le retour au statu quo. En application du traité de Montreuil-sur-Mer, conclu le 19 juin 1299, le roi de France marie sa soeur Marguerite à Édouard Ier, tandis que sa fille aînée, Isabelle, se fiance au futur Édouard II, qu’elle épousera en 1308. Le traité sera confirmé par la paix de Paris, le 20 mai 1303. L’accord avec Édouard Ier s’explique vraisemblablement par la volonté d’en découdre avec le comte de Flandre, Gui de Dampierre, en l’isolant de son allié anglais. Soutenant la grande bourgeoisie des villes flamandes contre le comte, Philippe envoie ses troupes en Flandre en 1297 et, après la victoire de Furnes (23 juin), place ce comté sous administration royale - sans toutefois l’annexer. Gui de Dampierre se constitue prisonnier. Fort des nombreux appuis qu’il compte dans la bourgeoisie flamande, Philippe ne doute pas un instant que le pays est conquis, et nomme Jacques de Châtillon au poste de gouverneur. Mais les méthodes d’administration brutales de ce dernier lui attirent la haine du peuple et aboutissent aux sanglantes et mémorables « matines de Bruges » (18 mai 1302), au cours desquelles plusieurs dizaines de Français sont massacrés. L’humiliation est insupportable pour le roi de France, qui envoie aussitôt ses chevaliers contre les milices urbaines flamandes, retranchées derrière un canal à Courtrai. L’affrontement - le 11 juil-
let - se solde par un désastre du côté français, et reste inscrit, dans l’histoire militaire du Moyen Âge, comme l’un des rares exemples de victoire éclatante d’une infanterie formée d’artisans et de bourgeois sur la chevalerie du roi. Philippe ne peut naturellement tolérer ce nouvel affront, plus mortifiant encore que le précédent : le 18 août 1304, à Mons-enPévèle, il prend sa revanche au cours d’une bataille à laquelle il participe lui-même. Les Flamands, vaincus, signent alors la paix d’Athis-sur-Orge (23 juin 1305), qui impose à leurs villes de lourds tributs ainsi que l’occupation militaire de certaines places, et exige le démantèlement des remparts des principales cités. Plusieurs années seront nécessaires au règlement définitif de la question de Flandre. La paix de Pontoise (11 juillet 1312) restitue le comté à Robert de Béthune, fils de Gui de Dampierre, mort entre-temps, et incorpore au domaine royal les châtellenies de langue française (Lille, Douai et Béthune). Si l’extension du royaume ne revêt pas sous le règne de Philippe le Bel des proportions spectaculaires, le souverain ne se livre pas moins à un travail patient, souvent retors, de rassemblement des terres françaises. La mort de son épouse Jeanne, en 1305, fait échoir la Navarre et la Champagne au domaine royal. Multipliant avec une grande habileté tactique acquisitions, conventions domaniales et confiscations, Philippe annexe successivement Chartres (1286), la Marche et Angoulême (1308). À l’Est, il s’approprie plusieurs terres d’Empire : le duc de Lorraine et le comte de Bar lui prêtent hommage - le premier pour les châtellenies de Neufchâteau, Châtenois, Montfort, le second pour Bourmont, La Mothe, Gondrecourt et Ligny. En 1312, il fait reconnaître sa souveraineté sur Lyon. Il rêve même d’une hégémonie de la France sur l’Europe et soutient à deux reprises - mais en vain - une candidature française à la couronne impériale : en 1308, celle de son frère Charles de Valois et, en 1313, celle de son fils, le comte de Poitiers. LE CONFLIT AVEC LA PAPAUTÉ L’un des grands événements du règne de Philippe le Bel est incontestablement le conflit qui oppose durant plusieurs années la couronne de France à la papauté. Un premier différend éclate en 1296, à propos de la décime (impôt correspondant au dixième du revenu ecclésiastique) que le souverain entend lever sur le clergé de France. Ce dernier proteste, et le pape Boniface VIII prend aussitôt sa défense. Au nom de la toute-puissance du Saint-
Siège sur les princes, il interdit aux clercs de verser des subsides aux laïcs sans autorisation expresse de l’Église (bulle Clericis laicos, downloadModeText.vue.download 715 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 704 février 1296). Pontife orgueilleux et irascible, pénétré du sens de sa mission, Boniface VIII nourrit sans doute quelques illusions sur sa puissance réelle, et sous-estime la détermination de son adversaire. Il finit d’ailleurs par s’incliner, et promulgue la bulle Etsi de statu (31 juillet 1297), qui annule la précédente. Le conflit trouve une occasion supplémentaire d’apaisement dans la canonisation de Louis IX (Saint Louis), grand-père du roi de France. Quatre ans plus tard éclate une affaire beaucoup plus grave, lorsque Philippe fait arrêter l’évêque de Pamiers, Bernard Saisset, accusé d’avoir outragé l’autorité royale et comploté avec l’Aragon. Le pape réagit aussitôt, rappelle avec force que « Dieu l’a établi au-dessus des rois » (bulle Auscula fili, décembre 1301) et dresse un violent réquisitoire contre la politique arbitraire et brutale du roi de France ; il invite également les évêques français à se réunir en concile à Rome, le 1er novembre 1302, de manière à « préparer la réformation du royaume de France et la punition du roi de France ». Philippe le Bel, qui a pris soin de faire circuler un résumé falsifié du discours de Boniface VIII, riposte en réunissant à NotreDame de Paris, le 10 avril 1302, une assemblée de barons, prélats et représentants des villes qui interdit aux évêques de se rendre au concile. De plus, le roi propose de mettre en oeuvre lui-même la « réforme du royaume et de l’Église gallicane ». Le pape réaffirme son autorité suprême par la promulgation de la célèbre bulle Unam sanctam (novembre 1302) : « Le glaive spirituel est dans la main du pape, écrit-il ; le temporel, dans la main des rois. Mais les rois ne peuvent l’utiliser qu’au service de l’Église et selon la volonté du pape. Et si le glaive temporel dévie de sa route, c’est au glaive spirituel de le juger. » Il menace Philippe le Bel d’excommunication, et délie les sujets du roi de France du serment de fidélité à leur souverain. Le conflit atteint un point tel d’exaspération que Philippe se laisse convaincre par le plus influent de ses conseillers, Guillaume de Nogaret, qui préconise de s’emparer de la personne même du pape, pontife indigne et usurpateur puisque son prédécesseur, Célestin V, a abdiqué. S’assurant
l’aide des Colonna, puissante famille ennemie de Boniface, Nogaret se charge lui-même de l’opération, et se rend à Anagni, ville natale du pape, où ce dernier est en villégiature à la fin de l’été 1303. Lorsqu’il arrête le pape et prétend l’emmener, il se heurte à l’opposition des habitants de la ville, et doit s’enfuir avec ses compagnons. Mais Boniface VIII ne survit pas à ces émotions doublées d’une cinglante humiliation : il meurt le 11 octobre 1303, peu de temps après son retour à Rome. Ses successeurs Benoît XI et surtout Clément V (l’archevêque de Bordeaux Bertrand de Got, élu pape en 1305 grâce à l’appui de Philippe le Bel) lèvent les peines prononcées contre le roi de France et finissent même par absoudre Guillaume de Nogaret. Clément V vient d’ailleurs s’installer en Avignon dès 1309, et ses successeurs y résideront jusqu’en 1377. La victoire de Philippe le Bel est totale. Par-delà le choc de deux tempéraments intransigeants, l’un et l’autre peu portés au compromis, l’épisode est significatif d’une époque nouvelle et s’ordonne autour d’enjeux de pouvoirs essentiels : il marque, sans espoir de retour, la fin de l’aspiration pontificale à un Empire chrétien, et l’affirmation d’une monarchie nationale, sûre de son bon droit, appliquée à définir ses intérêts propres hors de toute ingérence. LE GOUVERNEMENT DU ROYAUME Ce souci de récuser les sources d’autorité extérieures au royaume se traduit, à l’intérieur, par la poursuite de la construction de l’État amorcée sous Philippe Auguste. Tandis que l’activité des baillis et des sénéchaux s’accroît au sein des fiefs, perfectionnant l’encadrement administratif du pays, les institutions centrales évoluent dans le sens d’une spécialisation des compétences. Les précédents souverains capétiens se sont toujours appuyés, pour gouverner, sur la cour du roi (curia regis), composée des grands vassaux et des principales personnalités de l’entourage royal. Mais, sous Philippe le Bel, les « légistes », formés à l’étude du droit romain, entrent plus nombreux dans cet organe de gouvernement et deviennent des personnages clés de l’appareil politique et administratif. L’affirmation de la monarchie française leur doit évidemment beaucoup : au souverain médiéval, dont le pouvoir est limité, de fait et de droit, par la puissance et les privilèges de ses vassaux, les légistes opposent l’idéal d’un monarque tout-puissant, dégagé du réseau complexe des liens de suzeraineté. Souvent critiqués pour l’emprise excessive qu’ils auraient eue sur Philippe le Bel,
les principaux conseillers sont Pierre Flote, Guillaume de Nogaret et Enguerrand de Marigny. Guillaume de Nogaret a dit de Philippe le Bel - le propos a naturellement valeur de plaidoyer pro domo - qu’il « craignait toujours de mal se comporter envers Dieu et envers les hommes s’il n’avait pas pris de sages décisions après en avoir délibéré avec son Conseil ». L’hypothèse d’un roi manipulé par ses conseillers apparaît aujourd’hui hautement improbable : le discernement avec lequel Philippe le Bel a choisi et soutenu ces derniers témoigne de sa volonté directrice et de la cohérence de ses orientations personnelles. Sous l’influence des légistes, la cour du roi se spécialise : tandis que le Grand Conseil examine les affaires politiques, la Chambre des comptes se charge des affaires financières et le parlement s’occupe des affaires judiciaires. En matière financière, l’oeuvre du roi ne peut que susciter un jugement contrasté : soucieuse de clarté et d’efficacité, elle ne répugne cependant pas aux manipulations retorses ni aux extorsions brutales. Après avoir réorganisé le Trésor royal avec l’aide de Marigny, Philippe le Bel prévoit de même l’établissement d’un budget (ordonnance du 14 janvier 1314). L’habileté des légistes a su procurer des revenus supplémentaires au Trésor royal, par le biais des emprunts forcés, des diverses tailles et taxes. Confrontés au besoin nouveau de financement de la guerre, le roi et ses conseillers ont tenté de transformer en impôts permanents ces ressources temporaires. L’opinion a refusé catégoriquement de se soumettre à ce qu’elle considère alors comme une tyrannie fiscale, et l’irritation est devenue telle, à la fin du règne, que des ligues de résistance nobiliaires (1314-1315) se sont formées en Normandie, en Picardie et en Champagne car l’impôt royal concurrence les prélèvements seigneuriaux. Mais c’est surtout dans le domaine monétaire que Philippe le Bel s’est attiré une violente impopularité. Les cours commerciaux de l’or et de l’argent ne cessant de fluctuer, le roi procède à des réajustements : il n’hésite pas à changer le taux de métal précieux dans les pièces de monnaie sans en changer la valeur, ou bien à modifier cette valeur sans changer les pièces. Le peuple le qualifie de « roi faux-monnayeur », et regrette la « bonne monnaie » stable du temps de Saint Louis. Non content de se livrer à des mutations monétaires à peine subreptices, Philippe le Bel a souvent réglé par la force ses problèmes financiers : c’est ainsi qu’ont été spoliés les
banquiers lombards, et les juifs en 1306. Dans cette perspective, l’affaire des Templiers acquiert un relief particulier. Les Templiers, qui ont acquis depuis le XIIe siècle des richesses immenses, au point de s’éloigner considérablement de l’esprit originel de l’ordre, sont devenus de véritables banquiers au service des rois de France. Bien que Philippe le Bel n’ait d’abord aucun motif d’animosité contre l’ordre, qui a pris son parti lors du conflit avec Boniface VIII, de telles richesses - d’autant plus excessives que les Templiers n’affrontent plus guère les Turcs en Terre sainte - attisent sa convoitise. Dans le plus grand secret, le procès de l’ordre et la confiscation de ses biens sont décidés par le Conseil du roi. Le 13 octobre 1307, les membres de l’ordre, à commencer par Jacques de Molay, son grand maître, sont arrêtés et inculpés d’hérésie. L’instruction de l’affaire donne lieu à une querelle entre le pape et le roi ; pour faire approuver son action, ce dernier convoque à Tours, en mai 1308, une assemblée de notables - souvent qualifiée, abusivement, d’états généraux. Le très long procès qui s’engage alors contre les Templiers est teinté d’une évidente partialité. Il débouche sur la suppression de l’ordre par une bulle pontificale du 3 avril 1312. Jacques de Molay est d’abord condamné à la prison perpétuelle, puis brûlé vif en 1314, après rétractation de ses aveux arrachés sous la torture. L’affaire offrirait un nouveau témoignage, s’il en était besoin, de l’influence qu’exerce le roi de France sur le pape : bien que Clément V n’ait vraisemblablement pas partagé l’acharnement de Philippe le Bel et se soit montré plein de scrupules durant le procès, il s’est soumis au souverain, auquel il doit son élection. Aux termes du jugement, l’immense fortune des Templiers est confiée en garde à l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Mais la couronne de France en prélève au passage une part considérable, et les commissaires du roi annulent toutes les dettes du Trésor envers les Templiers. L’opération, au total, s’est révélée fort profitable pour les caisses de l’État. UNE FIGURE DÉCONCERTANTE Au moment où le roi s’éteint, le 29 novembre 1314, après avoir été frappé d’une attaque lors d’un accident de chasse, le climat général du royaume s’est considérablement assombri. La disette, les troubles monétaires et le poids insupportable de la fiscalité royale crisdownloadModeText.vue.download 716 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
705 tallisent la colère populaire ; des émeutes antifiscales ont d’ailleurs lieu au cours des années 1313-1314, tandis que les récriminations des grands féodaux s’accumulent et aboutissent à l’organisation d’une menaçante confédération. Dans la dernière année du règne, dit Michelet, surgit « une demande de démembrement », une « réclamation du chaos ». À quoi s’ajoute un scandale domestique, dénoué d’une manière sanglante qui frappe tous les esprits : deux gentilshommes accusés d’être les amants des belles-filles du roi, Marguerite, femme de Louis le Hutin, et Blanche, femme de Charles le Bel, sont pendus après avoir été soumis à d’atroces tortures, tandis que les deux princesses sont emprisonnées. Cette accumulation d’événements familiaux et sociaux donne une coloration dramatique à la fin du règne. Les chroniqueurs rapportent que l’impopularité du roi était devenue telle, à sa mort, qu’on eut beaucoup de peine à faire chanter dans les églises pour le salut de son âme. Philippe le Bel reste, au fond, une figure quelque peu déconcertante et énigmatique. « Ni un homme ni une bête, une statue », dit l’un de ses contemporains dans une formule demeurée célèbre. Les détracteurs n’ont pas manqué, à commencer par Dante, qui, dans la Divine Comédie, stigmatise ce « nouveau Pilate » capable de bafouer « les plus saints décrets ». S’il n’est guère possible ni fécond de sonder la psychologie du souverain, nous pouvons aujourd’hui, grâce aux nombreux travaux des historiens, prendre une mesure plus objective de ce règne et l’inscrire à sa juste place dans l’histoire de la royauté : entaché de pratiques douteuses ou arbitraires, il n’en constitue pas moins un moment essentiel dans le processus d’affirmation - encore fragile - de l’État moderne. Philippe V le Long, roi de France de 1317 à 1322 (1294 - Longchamp 1322). Deuxième fils de Philippe le Bel et de Jeanne de Navarre, il est fait comte de Poitiers par son père en 1311. Il épouse Jeanne de Bourgogne, qu’il tiendra à l’écart pour s’être compromise dans l’affaire des « brus du roi » comme complice d’adultère en 1314, mais reconnaît qu’elle est restée « innocente et pure » et la reprend peu après. Lorsque le fils aîné de Philippe le Bel, le roi Louis X, meurt en laissant pour seul héritier l’enfant dont sa femme, Clémence, est enceinte, Philippe de Poitiers se déclare immédiatement régent, sans ren-
contrer d’opposition dans son entourage. La reine Clémence de Hongrie accouche d’un fils, Jean Ier, qui ne vit que quelques jours. Le comte de Poitiers se fait alors reconnaître comme le plus proche héritier de la couronne et reçoit le sacre à Reims dès le mois de janvier 1317, prenant le titre de roi de France et de Navarre, au mépris des droits de la fille de Louis X sur la Navarre. Comme ce dernier, Philippe V doit compter avec la réaction baronniale de 1314-1315 et en contrôler les soubresauts. Pour poursuivre l’oeuvre de centralisation des institutions amorcée par Philippe Le Bel, il lui faut composer avec des assemblées provinciales et négocier sans cesse des subsides extraordinaires, d’autant que la crise économique du début du XIVe siècle raréfie les ressources. Lorsqu’il meurt, de dysenterie, au début de janvier 1322, sans héritier mâle, son frère Charles lui succède sans difficulté. Philippe VI de Valois, roi de France de 1328 à 1350 et premier souverain de la dynastie des Valois (1293 - Nogent-le-Roi 1350). Fils de Charles de Valois (frère de Philippe IV le Bel) et de Marguerite de Naples, Philippe VI est donc le petit-fils en ligne masculine de Philippe III le Hardi. À la mort de Charles IV le Bel (31 janvier 1328), dernier représentant des Capétiens directs, il est le plus proche héritier du royaume, mais la reine Jeanne d’Évreux est enceinte. Comme son cousin Philippe V en 1316, Philippe, comte de Valois, obtient la régence. Jeanne d’Évreux ayant accouché d’une fille, Philippe de Valois se fait reconnaître comme roi par les grands du royaume, puis est sacré le 29 mai. Après quelques concessions à ses pairs, Philippe de Valois a été choisi parce qu’il est à la fois aîné des mâles de sang royal et « natif du royaume » : Philippe III d’Évreux (1301-1343), lui aussi petit-fils de Philippe III le Hardi et époux de la fille de Louis X, et Édouard III d’Angleterre, petitfils de Philippe le Bel par sa mère Isabelle de France, n’ont donc pas été considérés comme des héritiers. À son avènement, Philippe VI est âgé de 35 ans ; il est comte de Valois depuis la mort de son père en 1325 et a peu fait parler de lui en dehors d’une ambassade auprès des Visconti. Son caractère chevaleresque et les circonstances particulières de son accession au trône le mènent en août 1328 à la tête de l’armée française en Flandre, où une sévère défaite est infligée aux milices urbaines à
Cassel. Ce « jugement de Dieu » lui donne la légitimité des armes, alors qu’apparaissent les prémices de la guerre de Cent Ans. Si le roi Édouard III d’Angleterre vient faire hommage au roi de France à Amiens en 1329 pour son fief aquitain, c’est en des termes ambigus, qui ne sont précisés qu’en 1331. Dans le même temps, Philippe VI doit faire des concessions sur tous les fronts : rendre à Jeanne de France le royaume de Navarre, rouvrir le procès de Robert d’Artois, son beau-frère, finalement banni du royaume. Lorsqu’en 1337 Édouard III d’Angleterre revendique la couronne de France, Philippe VI confisque le fief aquitain et est prêt à en découdre. La destruction de la flotte française à L’Écluse en 1340, puis les trêves d’Esplechin l’année suivante, mettent fin aux hostilités directes, qui se poursuivent néanmoins, par personnes interposées, en Bretagne, avec la guerre « des deux Jeannes » qui oppose les partisans de Jean IV de Montfort à ceux de Charles de Blois. Philippe VI se débat également dans des difficultés financières, convoque à plusieurs reprises des assemblées d’états pour en obtenir des subsides, et cherche une nouvelle fois à s’imposer par les armes face aux Anglais. La défaite de Crécy en 1346, puis la prise de Calais en 1347 affaiblissent définitivement son gouvernement. De 1347 à 1350, c’est le fils du roi, le futur Jean II le Bon, qui tient les rênes du pouvoir. Inaugurant la guerre de Cent Ans, le règne de Philippe VI voit aussi l’accroissement du domaine royal avec l’annexion du Valois, de Chartres, de l’Anjou et du Maine, de la Champagne et de la Brie, ainsi que de Montpellier, acheté au roi de Majorque en 1349, et du Dauphiné, acquis pour le fils aîné du roi de France. Philippe de France ! Monsieur Philippe Égalité ! Orléans (Louis Philippe Joseph, duc d’) phylloxéra, insecte originaire d’Amérique du Nord, qui, en s’attaquant à la vigne, fait disparaître le tiers du vignoble français de 1863 à la fin des années 1880, donnant son nom à la plus rude des crises qui frappent le monde rural au XIXe siècle. Observés d’abord dans le Gard, le jaunissement des feuilles, le rabougrissement des sarments puis la mort du cep se répandent vite : le Var, le Bordelais et la vallée du Rhône sont touchés en 1869, la Bourgogne l’est vers 1880. Dès 1884, 1 million d’hectares sur les 2,6 millions plantés de vignes sont perdus.
Le responsable est identifié en 1869 : c’est un insecte proche du puceron, qui suce la sève des plantes ; d’où son nom, phylloxéra, créé à partir du grec phullon (« feuille ») et xéros (« sec »). Aux États-Unis, cette espèce parasite ne provoque pas les ravages constatés en France car elle ne s’attaque qu’aux parties aériennes des plants, où elle est tuée par les insecticides courants. Mais, introduit en Europe après l’importation de ceps américains, le phylloxéra trouve un terrain plus favorable : les racines des ceps européens sont moins résistantes. C’est pourquoi son éradication y est difficile. Certes, on peut exterminer ses larves en inondant les terres un mois et demi par an, mais cette opération s’avère impossible sur les sols en pente, qui donnent souvent les meilleurs vignobles. Dès 1874, on importe des ceps américains, résistants, mais le vin qu’ils produisent n’est guère apprécié ; il est même dangereux, comportant du méthanol, ou alcool méthylique, un solvant qui mène les buveurs à la démence. En 1877, le Bordelais Léo Laliman propose de greffer les ceps locaux sur les racines américaines, pour conserver les qualités du vin et limiter les ravages du parasite. Certains viticulteurs, au nom de la préservation des traditions, s’en tiennent à des injections soufrées dans le sol, qui restent très coûteuses, malgré les subventions. Le dernier bastion à avoir appliqué cette méthode, le domaine de Romanée Conti, n’y renonce que durant l’Occupation, du fait de la pénurie de produits chimiques. Ailleurs, les ceps greffés ont triomphé depuis longtemps. Reste qu’un nouveau plant ne produit qu’après quatre ans : malgré des exonérations fiscales, décidées fin 1887, et les capitaux accumulés lors des années de prospérité du second Empire, maints viticulteurs ne peuvent se passer de revenus aussi longtemps et abandonnent la terre, accroissant l’exode rural alors même que la dépression économique ferme le marché du travail urbain. Si la crise du phylloxéra a eu des effets positifs, en imposant notamment l’abandon de downloadModeText.vue.download 717 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 706 productions médiocres, comme en Auvergne, elle s’est aussi soldée par une multitude de drames individuels. physiocratie, théorie économique agrarienne et libérale, élaborée par un groupe de
disciples réunis autour de Quesnay, médecin de la Pompadour et de Louis XV. Après une période de mise au point (17561763), cette doctrine acquiert une relative audience politique en France comme à l’étranger (1763-1770), puis subit un désintérêt qui se renforce après l’échec de Turgot au contrôle général des Finances (1774-1776). Elle tire son nom d’un recueil d’écrits de Quesnay, Physiocratie ou Constitution naturelle du gouvernement le plus avantageux au genre humain, publié par Dupont de Nemours en 1767. Après ses articles « grains » (1756) et « fermier » (1757) de l’Encyclopédie, Quesnay donne son Tableau économique (1758), texte fondateur de la doctrine physiocratique. À la source de sa vision, la reproduction des biens : ceux de l’agriculture étant les seuls à s’autoreproduire, ils constituent l’unique richesse ; et puisque la mise en forme de la matière n’est qu’une création secondaire, il dit l’industrie « stérile ». Augmenter les richesses revient donc à développer la production agricole, laquelle doit bénéficier d’un régime de libre circulation afin d’obtenir (par le jeu du marché) de « bons prix », en hausse tendancielle. Les propriétaires fonciers seront ainsi encouragés à réinvestir des revenus croissants. Cette recommandation libérale, si elle heurte la traditionnelle « économie morale » selon laquelle une réglementation (des prix, des stocks, des transports) doit garantir à tous une nourriture de survie, ne vise qu’à systématiser des pratiques déjà courantes hors crise frumentaire. • Une « science économique ». Utilisée par Quesnay, l’expression « science économique » fait florès vers 1770 puis pâtit du discrédit qui pèse sur les physiocrates. Ceuxci croient en l’existence de lois économiques « naturelles », connaissables grâce à l’arsenal que constituent la logique hypothético-déductive, les inférences réalisées à partir de données concrètes (ainsi les dépenses de propriétaires fonciers), la vérification par la statistique et par l’enquête. L’effort de formalisation de leur description synthétique fait naître un vocabulaire spécifique, dénoncé par d’autres penseurs comme un langage ésotérique de la « secte des économistes ». Cependant, le Tableau économique de Quesnay est l’une des premières tentatives de représentation globale de l’économie sous la forme d’un circuit, explicité par l’ébauche d’une comptabilité nationale. C’est encore une des premières analyses macro-économiques de la société articulée en grands agrégats (les trois « classes »). Ainsi,
pour les physiocrates, l’État est garant de la propriété privée de la terre, mais non des droits seigneuriaux, et il ne peut taxer que la source des richesses : par conséquent, l’impôt doit être prélevé sur la « classe propriétaire » (les propriétaires fonciers), bénéficiaire du « produit net » de la terre (le produit total diminué des « avances », à savoir les investissements et les frais d’exploitation), à l’exclusion de la « classe productive » (ceux qui mettent la terre en valeur) et de la « classe stérile » (le reste de la population, qui ne fait que transformer ou consommer la matière). Dans l’Homme aux quarante écus, Voltaire raille cette conception qui réserve la ponction fiscale à l’activité censée être encouragée. • L’école physiocrate. La physiocratie est en fait une philosophie radicale des Lumières : la vérité de l’ordre naturel doit être portée à la connaissance de tous, et l’ordre politique, s’y conformer ; se substituera à la société d’ordres une hiérarchie de classes socio-économiques dominée par les propriétaires fonciers. La doctrine se fortifie grâce à des réunions de réflexion (en 1767, « dîners du mardi » du marquis de Mirabeau, père du révolutionnaire), à des périodiques de propagande (Éphémérides du citoyen, puis Nouvelles Éphémérides économiques de l’abbé Baudeau ; Journal de l’agriculture, du commerce et des finances de l’abbé Roubaud), aux premiers manuels d’économie (de Mirabeau : Leçons économiques, 1770, ou Abrégé des principes de l’économie politique avec le margrave de Bade, 1772) et à des ouvrages de disciples tantôt censurés, tantôt pensionnés par le pouvoir royal, tels Mirabeau, Le Mercier de la Rivière, Dupont de Nemours ou Le Trosne. Les adversaires de cette théorie ne sont pas moins actifs : ainsi l’abbé Galiani (Dialogues sur le commerce des blés, 1770), Linguet (Théorie des lois civiles, 1770 ; Réponse aux docteurs modernes, 1771), Necker, (Éloge de Colbert, 1773 ; Sur la législation du commerce des grains, 1775), l’abbé Mably, Forbonnais, etc. Les idées défendues par les physiocrates, comme celles de leurs détracteurs, ont contribué au développement de l’« agromanie » à la fin du XVIIIe siècle, à l’acclimatation du libéralisme et à la professionnalisation de l’économie. Adam Smith et Karl Marx ont salué les apports de la physiocratie à la théorisation économique. Pichegru (Jean-Charles), général (Les Planches-près-Arbois, Jura, 1761 - Paris 1804). Né dans une famille paysanne, Pichegru devient soldat en 1780. Il est sergent-major en
1789 et s’engage en faveur de la Révolution en participant au Club des jacobins de Besançon. En octobre 1792, il est élu lieutenant-colonel d’un bataillon de volontaires et va servir dans l’armée du Rhin. Sa carrière suit dès lors une progression spectaculaire : général de brigade en août 1793, il dirige l’armée du Rhin en octobre, puis celle du Nord en février 1794. Il participe à la conquête de la Belgique, avant de s’emparer, en janvier 1795, de la flotte hollandaise. Il se trouve à Paris en avril, quand éclate l’insurrection populaire du 12 germinal. La Convention lui confie le commandement des forces de répression. En mai, alors qu’il a rejoint l’armée de Rhin-et-Moselle, il est approché par des agents royalistes. Contre une forte somme d’argent, il s’engage à servir la restauration de la monarchie. De fait, il mène très mollement la campagne d’été de 1795, à tel point qu’il se rend suspect et doit démissionner en mars 1796. L’année suivante, Pichegru est élu au Conseil des Cinq-Cents et se pose en dirigeant royaliste. Le coup d’État de fructidor ruine ses espoirs : il est déporté en Guyane, d’où il s’évade en 1798 pour se réfugier à Londres. Il participe au complot de Cadoudal, mais il est arrêté à Paris, en février 1804. On le retrouve mort dans sa cellule le 5 avril. Assassinat ou suicide ? La seconde hypothèse semble plus probable, car Bonaparte avait intérêt à ce que Pichegru puisse témoigner dans le procès contre Cadoudal et Moreau. Picquart (Georges Marie), officier dreyfusard, l’une des principales figures de l’Affaire (Strasbourg 1854 - Amiens 1914). Issu d’une famille alsacienne catholique assez aisée qui a opté pour la France en 1872, Picquart poursuit une très brillante carrière après sa sortie de Saint-Cyr. En juillet 1895, il devient chef du contre-espionnage français, avec le grade de lieutenant-colonel. C’est dans ces nouvelles fonctions qu’il est mêlé à l’affaire Dreyfus. En mars 1896, il découvre, en examinant une liasse de documents provenant de l’ambassade d’Allemagne, une pièce - le « petit bleu » - qui, confrontée avec le « bordereau » attribué à Dreyfus deux ans plus tôt, innocente le capitaine condamné. Commençant seul une nouvelle enquête, Picquart découvre le vrai coupable : le commandant Esterhazy. Mais ses chefs lui recommandent la prudence. N’acceptant pas de couvrir ce silence, tout en demeurant conscient de ses obligations de réserve, il entre en conflit avec ses supérieurs.
Le ministre de la Guerre l’éloigne alors de Paris : il est affecté en Tunisie, en décembre 1896. En décembre 1897, il est rappelé à Paris pour être interrogé par la justice militaire, qui le fait incarcérer au mont Valérien, le 13 janvier 1898. Les événements ultérieurs devenant favorables aux dreyfusards, il est libéré le 13 juin 1899. Ce séjour en prison lui confère la stature d’un véritable « héros ». Promu général, il est récompensé, après l’Affaire, par Clemenceau, qui le nomme ministre de la Guerre en 1906. Il meurt, prématurément, des suites d’une chute de cheval. pieds-noirs, Français d’origine européenne installés en Algérie jusqu’à la période de l’indépendance. Le terme « pieds-noirs » apparaît en 1901, pour désigner sans doute des chauffeurs de bateau, souvent des Algériens, qui se tenaient pieds nus dans la soute à charbon ; récupéré par les Européens d’Algérie à partir de 1955, il marque leur prise de conscience d’une identité propre : ni Algériens musulmans, ni Français de métropole. L’Algérie est destinée, surtout après sa constitution en département en 1870, à être une colonie de peuplement. Mais le nombre de colons français étant trop faible, on fait appel à des Espagnols, qui s’implantent surtout dans l’Ouest, ainsi qu’à des Italiens et des Maltais, présents surtout dans l’Est. À partir de 1889, leurs enfants sont automatiquement français, de même que les juifs algériens qui possèdent la nationalité française depuis le décret Crémieux de 1870 (ces derniers seront au nombre de 100 000 en 1958). Au début des années 1950, la population pied-noire compte plus d’un million de perdownloadModeText.vue.download 718 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 707 sonnes, mais reste minoritaire (à peu près 10 % de la population de l’Algérie). Ses représentants continuent de refuser que l’égalité juridique et politique soit accordée aux Algériens musulmans. L’insurrection du FLN surprend la communauté, dont une partie, s’estimant trahie par de Gaulle, appuiera l’OAS. Les accords d’Évian (mars 1962) prévoient pourtant que les Français d’Algérie pourront y demeurer après l’indépendance. Mais il est trop tard. La plupart des pieds-noirs quittent, dans
la panique, l’Algérie pour la France en 1962 et 1963, abandonnant presque tous leurs biens derrière eux. Ils ne sont que 80 000 à se rendre à l’étranger (Espagne, Canada, etc.), quelques milliers choisissant cependant de rester en Algérie. Le secrétariat d’État aux rapatriés organise tant bien que mal leur arrivée en métropole : 30 % des nouveaux logements HLM leurs sont accordés. Mais le traumatisme reste fort. La croissance économique permet des réussites spectaculaires ou modestes, sans effacer le souvenir de l’accueil très réticent de la population métropolitaine. Aujourd’hui, les pieds-noirs et leurs familles sont installés surtout dans le Sud (Provence et Languedoc), dans la région parisienne et en Aquitaine. Ils constituent 11 % de la population de Marseille, 5 % de celle de Nice, ce qui leur donne un réel poids politique local. Récemment, ils ont contribué au vote Front national dans le Sud, la prétendue menace d’une « invasion immigrée » ayant rouvert les blessures algériennes. Car, si une loi d’indemnisation a été votée en 1987, destinée à compenser les pertes économiques liées au rapatriement, toutes les passions ne sont pas éteintes, comme en témoigne les débats autour de la loi de février 2005 « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ». Pierre l’Ermite, prédicateur de la première croisade (Amiens, vers 1050 - Neufmoustier, aux environs de Liège, vers 1115). Les chroniqueurs du XIIe siècle lui ont donné un rôle emblématique dans la prédication et l’organisation de la première croisade. En fait, comme beaucoup d’autres prédicateurs itinérants, ce dernier suit l’appel du pape Urbain II qui, le 27 novembre 1095, lors du concile de Clermont, exhorte les chevaliers à partir en croisade. Mais il se démarque rapidement de cette « croisade militaire » pour conduire à Constantinople, à partir d’avril 1096, une « croisade populaire », suivie par une foule de plusieurs milliers de pèlerins. L’indiscipline de la foule, jointe aux atrocités de toutes sortes commises en chemin, la conduit à sa perte. Massacrée par les Turcs à son arrivée à Constantinople (1er août), la « croisade populaire » se dissout aussitôt. Pierre l’Ermite se rallie alors à la croisade des chevaliers et joue un rôle de second plan au cours des combats en Terre sainte. Il disparaît de la scène historique après le siège d’Antioche de 1098 et quitte la Ville sainte à la fin de l’année 1099. Son départ marque aussi la fin des espérances eschatologiques dont la « croisade populaire »
avait nourri les espoirs, et des signes prodigieux (miracles, apparitions) avaient alimenté la ferveur. Selon les chroniques médiévales, Pierre l’Ermite fonde ensuite le monastère de Neufmoustier (près de Huy), dans le pays de Liège, où il meurt en odeur de sainteté. Pierre le Vénérable, abbé de Cluny de 1122 à 1156 et grand intellectuel du XIIe siècle (Montboissier, Auvergne, 1094 - Cluny 1156). Écolâtre puis prieur de Vézelay, Pierre le Vénérable est choisi comme abbé de Cluny en 1122, alors que la congrégation clunisienne traverse une crise profonde. En effet, depuis le début du XIIe siècle, le monachisme clunisien est sévèrement critiqué par les moines réformateurs, en particulier Bernard de Clairvaux et Guillaume de Saint-Thierry. De plus, le précédent abbé, contraint d’abdiquer par le pape, conteste l’élection de Pierre le Vénérable jusqu’en 1126. Cependant, à partir des années 1130, celui-ci entreprend de restaurer à la fois le patrimoine et le prestige de Cluny. Tout d’abord, il s’inspire du système cistercien des granges et des frères convers, et s’appuie sur une saine gestion des domaines, de manière à assurer le retour de la prospérité. Ensuite, le chapitre général de 1132 et les statuts de 1146 rétablissent la discipline monastique tout en renforçant la spécificité spirituelle de Cluny, c’est-à-dire la primauté accordée à la liturgie de l’office divin, face aux nouveaux ordres, en particulier celui de Cîteaux. Enfin, Pierre le Vénérable assure le rayonnement politique et intellectuel de Cluny. Ami de Suger, l’abbé de Saint-Denis, il rapproche la congrégation du royaume de France et du souverain capétien. Il participe aux grands débats de son temps en soutenant Abélard face à Bernard de Clairvaux comme en polémiquant contre les hérétiques, les juifs ou les musulmans. Il assure aussi le développement de la bibliothèque de Cluny et ordonne une traduction du Coran, qui fera autorité jusqu’au XVIe siècle. Pierre le Vénérable apparaît ainsi comme un parfait représentant de l’humanisme du XIIe siècle. Pierre Lombard, théologien dont les écrits servirent de fondement à l’enseignement universitaire médiéval (Novare, Italie, vers 1100 - Paris 1160). Pierre Lombard fait d’abord des études à la cathédrale de Lucques. Vers 1133-1136, grâce à l’appui de Bernard de Clairvaux, il est accueilli à Paris, au monastère de Saint-Victor, où il bénéficie de l’enseignement d’Hugues de Saint-Victor. Puis il enseigne à son tour, avec succès, aux cloîtres de Notre-Dame, avant de
devenir évêque de Paris en 1159. L’enseignement de Pierre Lombard, rassemblé dans les Quatre Livres des sentences, composés vers 1155-1158, constitue, à la fois, une somme théologique et doctrinale et un support de la méthode scolastique en usage dans le monde universitaire à partir du milieu du XIIIe siècle. L’ouvrage connaît un succès croissant : en 1215, le quatrième concile du Latran fait de Pierre Lombard le maître incontesté de la doctrine chrétienne. Entre 1223 et 1227, le théologien Alexandre de Halles utilise pour la première fois les Livres des sentences comme textes de référence pour son enseignement à l’Université de Paris. Puis, vers 1240-1242, son premier Commentaire des sentences fonde un nouveau genre universitaire qu’illustrent ensuite, en particulier, Bonaventure et Thomas d’Aquin. Les Quatre Livres des sentences deviennent ainsi l’ouvrage de théologie classique, et le resteront jusqu’au XVIe siècle. Pierre de Dreux, dit Pierre Mauclerc, comte ou duc de Bretagne de 1213 à 1237 (vers 1187 - 1250). Second fils de Robert de Dreux et de Yolande de Coucy, arrière petit-fils de Louis VI le Gros, Pierre de Dreux est fiancé par Philippe Auguste à l’héritière de la Bretagne, Alix de Thouars, en 1212. Afin de garantir la fidélité du duché, le roi lui confie le gouvernement de la Bretagne dès 1213. Pierre de Dreux s’acquitte de cette tâche avec fermeté, y compris à l’égard des clercs : il édifie des fortifications sur les terres des évêques et s’oppose à leurs droits coutumiers. Une attitude qui lui vaut plusieurs excommunications et le surnom, un siècle plus tard, de « mauclerc » (mauvais clerc). D’une grande fidélité envers Philippe Auguste, il fait preuve en revanche d’une certaine hostilité à l’égard de Saint Louis et de la régente Blanche de Castille. Veuf d’Alix de Thouars en 1221, il tente de se remarier avec la comtesse de Flandre mais Blanche fait échec à son projet. Pierre Mauclerc entre alors en rébellion ouverte contre elle, aux côtés d’Hugues de Lusignan et de Thibaud IV de Champagne, et prête hommage pour la Bretagne au roi d’Angleterre Henri III Plantagenêt. Mis au pas par une expédition armée en 1231, il ne fait la paix qu’en 1234 en renouvelant son hommage au roi de France. En 1237, il remet le duché de Bretagne à son fils Jean. À partir de ce moment, sous le nom de Pierre de
Braine, il prend part aux croisades et accompagne Saint Louis en Égypte. Il meurt sur le chemin du retour. Pierre de Dreux, cadet de la famille capétienne, introduit des hermines dans ses armoiries lorsqu’il est fait chevalier ; ce symbole héraldique restera dans les armes de Bretagne jusqu’au drapeau moderne de 1937. Pierre (Henry Grouès, dit l’abbé), ecclésiastique (Lyon 1912). Issu d’un milieu bourgeois imprégné de catholicisme social, entré chez les capucins en 1931, ordonné prêtre en 1938, puis vicaire à Grenoble, l’abbé Pierre cache et aide à passer en Suisse en 1942 des juifs persécutés, guide les réfractaires au STO vers les maquis, passe à la clandestinité puis gagne Alger en 1944. Député apparenté MRP de Nancy de 1945 à 1951, il restaure pour se loger une maison en ruine à Neuilly-Plaisance, foyer de la première communauté d’Emmaüs, ouverte aux exclus : clochards, prisonniers libérés, etc. Il crée une « cité d’urgence » et, avec ses « compagnons », se fait chiffonnier pour faire vivre la communauté, qui essaime en 1952. Pendant le très rude hiver 1954, la pénurie de logements multiplie les sans-abri, le froid tue. L’abbé force alors les portes de la radio, révèle les drames des bidonvilles, en appelle à la charité. Il émeut ; dons et propositions d’hébergement affluent. Il devient lui-même un mythe, bien que le problème du logement perde de son acuité dès le printemps, puis downloadModeText.vue.download 719 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 708 semble se résoudre du fait de l’expansion d’alors. Malgré les défiances de la hiérarchie catholique et des problèmes de santé, l’abbé incarne la lutte contre la misère, revenue au premier plan avec la crise économique dans les années 1980-1990. Au service de diverses causes et surtout de celle des mal-logés et des sans-domicile-fixe (SDF), il devient l’homme le plus populaire de France, malgré certaines prises de position publiques controversées. Pilâtre de Rozier (François Pilastre, connu de son vivant sous le nom de JeanFrançois du Rozier, et dénommé depuis Jean-François), premier aéronaute (Metz 1754 - Wimille, près de Boulogne-sur-Mer, 1785).
Après des études de pharmacie à Metz, ce fils d’un ancien militaire devenu aubergiste se fait connaître à Paris en donnant des cours d’électricité. Son entregent l’aide à obtenir en 1779 une charge de valet de chambre de Madame, épouse de Monsieur, frère du roi (et futur Louis XVIII), puis une chaire de chimie à Reims, enfin, en 1780, la fonction d’intendant des cabinets d’histoire naturelle et de physique de Monsieur. En 1781, il fonde l’Athénée royal, ou Musée de Monsieur, un établissement payant spécialisé dans l’enseignement des sciences, qu’il dirige jusqu’en 1784. Son goût des nouveautés et son désir de reconnaissance scientifique en font un pionnier de l’aérostation. Il organise en octobre 1783 des ascensions en ballon captif. Le 21 novembre 1783, il accomplit avec le marquis d’Arlandes le premier vol libre en montgolfière : dix kilomètres de traversée au-dessus de Paris, franchis en vingt-cinq minutes à mille mètres d’altitude. Les vols plus longs et à plus haute altitude qu’il organise, notamment à Lyon et à Versailles, lui valent une pension. En novembre 1784, il fait des préparatifs pour traverser la Manche en aéromontgolfière, un ballon à hydrogène et à air chaud de son invention. Devancé en janvier 1785 par Blanchard et Jeffries, cloué au sol par des vents défavorables, il ne part que le 15 juin 1785, accompagné de Romain. Le ballon se déchire peu après le décollage, entraînant les deux hommes dans une chute mortelle. Pillnitz (déclaration de), déclaration relative à la Révolution française, publiée le 27 août 1791 par le roi de Prusse FrédéricGuillaume II et l’empereur germanique Léopold II. Depuis 1789, les puissances européennes sont divisées et indécises face aux troubles qui affectent le royaume de France. L’Angleterre se satisfait d’une situation qui voit sa grande rivale empêtrée dans les affaires intérieures. La Prusse et la Russie - malgré les déclarations contre-révolutionnaires de Catherine II - sont plus préoccupées par le partage de la Pologne que par ce qui se déroule à l’Ouest et, jusqu’en janvier 1791, l’Autriche a fort à faire avec la Révolution belge. L’échec de la fuite du roi en juin 1791 modifie la situation. Le 6 juillet, à Padoue, Léopold II lance l’idée d’un congrès général des puissances contre la Révolution française, initiative réclamée par Louis XVI dans sa correspondance secrète. Mais les puissances, et surtout l’An-
gleterre, ne veulent pas en entendre parler. Le 27 août 1791, l’empereur et le roi de Prusse se rencontrent à Pillnitz, en Saxe. Poussés par les émigrés, ils adoptent une déclaration - vide de toute proposition concrète - dans laquelle ils affirment vouloir « agir promptement » pour « affermir les bases de la constitution monarchique » en France. Malgré le ton menaçant, il s’agit d’effrayer les patriotes et de renforcer les partisans du roi tout en reculant prudemment. Mais l’effet produit est inverse : ce qui n’est qu’une déclaration d’intention est perçu par les révolutionnaires comme une provocation, et par les royalistes comme la promesse d’une intervention. Pinay (Antoine), homme politique (SaintSymphorien-sur-Coise, Rhône, 1891 - SaintChamond 1994). Au nom d’Antoine Pinay, président du Conseil sous la IVe République et ministre du général de Gaulle sous la Ve République, est associée avant tout l’idée de confiance. L’« homme au chapeau rond » a su, comme on le dit aujourd’hui, « parler vrai » et, s’il appartient au panthéon de la droite libérale classique, il est respecté également par la gauche. Cultivant soigneusement son image de sage dans sa retraite de Saint-Chamond, Antoine Pinay est entré dans la légende bien avant sa mort en 1994, à l’âge de 102 ans. Né à Saint-Symphorien-sur-Coise, petite localité du Rhône, Antoine Pinay vit à SaintChamond depuis sa scolarité chez les Pères maristes. Il reprend la tannerie de sa belle-famille à son retour de la Première Guerre mondiale, d’où il revient avec une main estropiée et la médaille militaire. Élu maire de SaintChamond en 1929, député de la Loire en 1936, sénateur en 1938, il acquiert une forte notoriété locale. Membre du Conseil national de Vichy, il n’y joue pas cependant un rôle actif ; il est relevé très vite de son inéligibilité et retrouve ses fonctions locales, dont la mairie de Saint-Chamond (octobre 1947). La popularité nationale d’Antoine Pinay est attachée à ses fonctions de président du Conseil, de mars à décembre 1952, plutôt qu’à ses passages antérieurs au gouvernement. L’« expérience Pinay » de 1952 fut en effet une réussite psychologique même si, techniquement, les résultats en sont contrastés. Elle a donné confiance à l’épargnant grâce au lancement d’un emprunt indexé sur l’or, à la ménagère grâce à la stabilisation des prix. Si le passage d’Antoine Pinay aux Affaires étrangères en 1955 a laissé peu de traces - malgré
la signature des accords de La Celle-SaintCloud ouvrant la voie à l’indépendance du Maroc -, il en est autrement de sa fonction de ministre des Finances, entre 1958 et 1960. Pinay est alors l’homme du nouvel emprunt et du nouveau franc. Mais il supporte difficilement l’évolution de la Ve République vers le présidentialisme et l’interventionnisme économique des gaullistes. Il refuse les responsabilités ministérielles après 1960, mais accepte de Georges Pompidou celle, moins politique, de premier médiateur en 1973. Le mythe Pinay, largement construit par son auteur et par les médias, ne concerne que l’homme de 1952 et plus encore celui de 1958. Pinay incarne aussi un certain modèle de l’homme politique, antihéros soucieux de la quotidienneté des Français, antitechnocrate pétri de bon sens et de formules simples, bref le politique accessible à tous, à l’image du Français moyen. Pincevent, important campement magdalénien situé en Seine-et-Marne, datant d’environ 10 000 ans avant notre ère. Il a été fouillé de manière exemplaire par André Leroi-Gourhan à partir de 1964. Le site se trouve sur la commune de La GrandeParoisse, près de Montereau, sur la rive gauche de la Seine. Il comporte une quinzaine de niveaux de campements superposés, à chaque fois recouverts par les limons des crues du fleuve, ce qui en a assuré la préservation. Les campements étaient situés de fait près d’un gué de la Seine - un site favorable pour intercepter les troupeaux migrateurs de rennes, qui composent la quasi-totalité des ossements retrouvés. L’âge des animaux tués montre d’ailleurs que ces campements saisonniers étaient essentiellement occupés l’été et l’automne. Les habitations étaient des sortes de tentes circulaires d’environ 7 mètres carrés, sans doute en peaux de rennes et avec un foyer à l’entrée, bordé de grosses pierres. Le style des outils et les datations réalisées indiquent que ces campements appartiennent à une phase récente du magdalénien. Mais l’importance de Pincevent tient d’abord à la méthodologie de fouille mise au point par Leroi-Gourhan : c’est le dégagement et le relevé minutieux de dizaines de milliers d’objets (silex, os, charbons de bois, pierres) éparpillés sur plusieurs milliers de mètres carrés qui ont permis de restituer l’organisation des tentes et des campements, les zones de travail, celles de repos, etc. Cette méthode a
été ensuite utilisée sur d’autres sites magdaléniens du Bassin parisien (Étiolles, Marsangy, Verberie), mais elle a aussi servi de référence pour l’ensemble des fouilles préhistoriques dans le monde. Pippinides, nom désignant le clan aristocratique issu de Pépin l’Ancien (mort en 640), jusqu’à l’accession de son descendant Pépin le Bref à la royauté en 751. Les Pippinides sont les héritiers de l’union des deux plus grandes familles d’Austrasie au VIIe siècle : la famille de Pépin l’Ancien, possessionnée dans la moyenne vallée de la Meuse, et la famille d’Arnoul (mort vers 643), dont le patrimoine s’étend entre la Meuse et la Moselle et autour de Worms. À l’origine, leur puissance est favorisée par Clotaire II (584-629), qui tient à les rétribuer pour leur soutien lors de la guerre interne à la famille royale mérovingienne (faide royale, 570613) : Arnoul reçoit alors l’évêché de Metz, capitale de l’Austrasie, et Pépin, la mairie du palais d’Austrasie. L’un et l’autre sont en outre chargés de l’éducation du fils du roi, le jeune Dagobert Ier, puis du fils de Dagobert, Sigebert III. Entre 643 et 656, Grimoald, fils de Pépin, exerce une véritable tutelle sur Sigebert III, et en 656 essaie même d’imposer son fils, Childebert l’Adopté, comme roi des downloadModeText.vue.download 720 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 709 Francs : mais cette première tentative échoue, et Grimoald et son fils sont assassinés en 662. Dès lors, les Pippinides vont s’efforcer d’accroître leur puissance tout en respectant la légitimité des rois mérovingiens. Ils adoptent précocement, avant le VIIIe siècle, la règle de patrimonialité de l’honor familial (biens et titres) et la succession en ligne directe et patrilinéaire. Parallèlement, ils se constituent un très important réseau de fidélités au sein des aristocraties austrasienne et neustrienne. Ils s’appuient sur les sièges épiscopaux de Metz et de Reims ainsi que sur un vaste réseau de fondations monastiques familiales en Austrasie (Nivelles, Fosses, Stavelot, Malmédy, Lobbes), et prennent le contrôle de certaines grandes abbayes de Neustrie (Fontenelle, Saint-Wandrille, Saint-Denis). À partir de 687, ils parviennent à s’imposer comme maires du palais pour tout le royaume franc. Ils exercent dès lors pleinement le pouvoir :
Pépin II (vers 640-714), issu du mariage d’un fils d’Arnoul avec une fille de Pépin l’Ancien, reçoit le titre de « prince des Francs » et désigne lui-même le successeur du roi au sein de la famille mérovingienne en 691, en 695 et en 711. En 737, son fils Charles Martel, qui depuis sa victoire sur les Arabes à Poitiers (732) apparaît comme le défenseur de la Chrétienté, ne désigne pas de successeur au roi mérovingien Thierry IV. Dans le même temps, les Pippinides établissent des liens privilégiés avec la papauté en soutenant activement les missionnaires anglo-saxons en Germanie, Willibrord et Boniface. En 743, les deux fils de Charles Martel, Carloman et Pépin le Bref, rétablissent cependant sur le trône un roi mérovingien, Childéric III. Mais, à la suite de la retraite de Carloman (747) et grâce à l’appui de la papauté et des élites aristocratiques laïques et ecclésiastiques d’Austrasie et de Neustrie, Pépin le Bref se fait couronner et sacrer roi des Francs, en 751, après avoir déposé Childéric III. Il inaugure, avec ses fils Carloman et Charlemagne, la dynastie carolingienne. Pisan (christine de) ! Christine de Pisan Placards (affaire des), première grande manifestation du parti protestant sous François Ier, qui entraîne de la part du pouvoir royal une sévère répression. L’affaire éclate dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534 : à Paris, à Orléans et à Amboise, dans la résidence du roi et jusque sur la porte de sa chambre, sont apposées des affiches - ou « placards » - violemment anticatholiques, qui dénoncent le culte des saints et l’« abus de la messe papale ». Soigneusement orchestrée et bénéficiant manifestement de complicités dans l’entourage royal, l’opération déchaîne la colère de François Ier, qui y voit un complot dirigé à la fois contre l’Église et contre l’autorité monarchique. Des processions réparatrices sont organisées les jours suivants dans la capitale. Le 21 janvier 1535, une procession générale se déroule de Saint-Germain-l’Auxerrois à NotreDame : bourgeois, membres du parlement, échevins, ordres religieux et hiérarchie ecclésiastique y participent, en présence du roi, qui promet solennellement d’extirper l’« hérésie ». Le soir même, plusieurs protestants sont conduits au bûcher. La vague de répression engendrée par l’affaire dure jusqu’au mois de juillet 1535, date de la promulgation de l’édit d’amnistie de Coucy. Des perquisitions ont
lieu aux domiciles des suspects, les prisons se remplissent et la délation est encouragée ; devant la crainte du bûcher, nombre de protestants, dont Calvin, sont contraints de fuir. Un édit est même promulgué au mois de janvier - le roi le révoquera quelques semaines plus tard - qui soumet toute impression de livre nouveau à l’autorisation royale et à la censure ecclésiastique. Par leur violence, les persécutions contrastent singulièrement avec la politique religieuse ambivalente et attentiste qui a été celle de François Ier jusqu’au mois d’octobre 1534. Favorable à l’humanisme évangélique, soucieux de laisser une chance aux tentatives de conciliation - incarnées par l’évêque Jean du Bellay -, le roi, désireux également de ne pas s’aliéner le pape, a parfois laissé le parlement et la faculté de théologie de Paris exercer leurs rigueurs contre les « hérétiques ». L’affaire des Placards et ses suites marquent-elles, comme on l’a parfois prétendu, un tournant dans la politique religieuse de François Ier ? L’affirmation est sans doute excessive : l’événement attise une brève flambée d’intolérance plus qu’il n’inaugure un véritable changement politique. Il n’en constitue pas moins le symptôme d’une lente et irréversible dégradation du climat religieux depuis la fin des années 1520. plaid, désigne au haut Moyen Âge une assemblée politique ou judiciaire d’hommes libres. Le plaid général (placitum generale) a lieu chaque année en mars, puis, à partir de 755, en mai (champ de mars ou de mai), puis en été. Le souverain y réunit autour de lui les grands afin de fixer les principales orientations politiques du royaume et d’appeler les hommes à l’ost. Les décisions prises lors de ces assemblées sont consignées dans des capitulaires. Les plaids simples sont des assemblées de justice qui se tiennent à l’échelon local : convoquées par des comtes ou leurs délégués, ou par des missi, elles rassemblent d’abord de simples hommes libres (rachimbourgs), puis un personnel judiciaire plus compétent (échevins), chargés d’arbitrer les litiges entre les parties en présence. À l’époque féodale, le service de plaid fait partie des obligations d’aide et de conseil du vassal envers son suzerain nées de l’engagement vassalique. Le terme est repris sous Saint Louis dans l’expression « plaids de la porte », pour désigner les assemblées judiciaires tenues par le roi en personne. Par extension, le
plaid en vient à désigner, au bas Moyen Âge, toute forme de procès. Plaine ou Marais, durant la Révolution française, noms donnés à certains groupes de députés de la Convention. Comment définir la Plaine ? Les historiens d’aujourd’hui - soucieux de classifications politiques rigides, sans doute anachroniques par rapport à la fin du XVIIIe siècle - l’ont souvent délimitée négativement : ses députés ne sont ni girondins ni montagnards ; ils soutiennent, tour à tour, les uns puis les autres. Mais cette caractérisation pose plus de questions qu’elle n’en résout, car, ainsi définie, la Plaine formerait la majorité de la Convention : une affirmation qui aurait sans doute étonné les contemporains des événements. La Revellière-Lépeaux - considéré parfois comme l’un des dirigeants de la Plaine - dans ses Mémoires avance que ses représentants sont des hommes aux convictions peu affirmées, susceptibles de changer rapidement d’opinion sous la menace - bref, des opportunistes apeurés par la Terreur. Mais il s’agit là d’une vision a posteriori, élaborée alors que les anciens conventionnels ont intérêt à se présenter comme des victimes passives de l’an II. Peut-on dire alors que les députés du Marais sont ceux qui, de 1793 jusqu’à thermidor an II, se sont tus ou se sont abstenus ? Ce serait transformer en « groupe » tous les « silencieux » : or, beaucoup de députés qui approuvent la Terreur n’ont jamais pris la parole. Cette difficulté de définir la Plaine est particulièrement manifeste quand on tente de faire la liste de ses dirigeants. Barère, Cambon, Sieyès et Boissy d’Anglas ont tour à tour été désignés comme ses hommes les plus en vue, affirmation qui n’est convaincante pour aucun d’entre eux : ainsi, Barère appuie d’abord les girondins, mais il est ensuite l’un des plus fermes défenseurs du Gouvernement révolutionnaire et l’un de ses orateurs les plus prolixes. Certains historiens ont insisté sur le caractère politiquement « modéré » de la Plaine par opposition aux « radicaux ». Cependant, aucun de ses dirigeants supposés n’a critiqué les mesures de salut public en l’an II, ni même mis en cause le système du Gouvernement révolutionnaire : au contraire, ils l’ont soutenu par leurs votes. On a aussi voulu voir dans la Plaine une coalition anticipant la majorité thermidorienne ; mais, au sein de cette dernière, on trouve aussi des montagnards de premier plan. Il semble en définitive que l’expression
« crapauds du Marais » désigne davantage, chez les montagnards et les sans-culottes qui l’emploient, une attitude politique qu’une appartenance à un parti ou à un groupe politique structuré. On fustige par ces termes les « tièdes », les « modérés », les « intrigants » et les partisans d’une république bourgeoise et « propriétaire », à tendance censitaire. Certains de ces traits sont effectivement présents dans la majorité « flottante » de la Convention, mais aussi chez les « modérés », les « indulgents » ou les thermidoriens. La Plaine apparaît donc comme une nébuleuse aux contours mal définis et évoluant tout au long de l’histoire de la Convention. planification. L’idée d’une planification de l’économie s’affirme dans les années 1930 comme remède à la dépression. D’inspiration socialiste, elle se distingue de la « coordination » des branches, prônée par les gouvernements de l’époque, qui aboutit en 1934-1935 à une cartellisation des transports, de l’agriculture, du commerce. Tantôt les planificateurs rêvent de rapprocher le pays d’une downloadModeText.vue.download 721 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 710 économie dirigiste (plan de la CGT, 1934) ; tantôt, à l’instar de la SFIO, ils conçoivent l’essor du pays sous la direction d’un État qu’éclairent des entreprises nationalisées nombreuses et des offices professionnels ; tantôt, inspirés par le théoricien belge Henri de Man, ils veulent « dépasser » le socialisme dans la fusion « corporatiste » du patronat et des administrations « techniques », courant qui inspirera Vichy (Comités d’organisation et Délégation à l’Équipement national). Instituée après la Libération, avec la création du Commissariat général au Plan (confié à Jean Monnet), la planification « à la française », dite « indicative », s’appuie sur des commissions où les partenaires sociaux dialoguent sous l’égide de l’État « expert ». Elle remplit alors plusieurs rôles successifs. Avec le Ier plan (1947-1953) et grâce à l’aide Marshall (1948-1952), elle est l’outil dirigiste de reconstruction et de modernisation d’une économie de pénurie ultraprotectionniste. Elle a pour leviers quelques secteurs prioritaires (charbon, électricité, sidérurgie, matériaux de construction, machinisme agricole) et l’action d’influentes commissions « horizontales »
(main-d’oeuvre, financement), Dans les IIe et IIIe plans (1952-1961), au reste inachevés, les financements bonifiés sont orientés vers quelques secteurs protégés par l’État (énergie, construction) et vers les biens d’équipement. Le IVe plan, préparé en 1959-1960, salue la jeune Ve République et l’attention portée par ses gouvernements, confirmée par le Ve plan (1966-1970), à la recherche, aux « grands équipements », à l’aménagement du territoire, à la modernisation agricole. Le VIe plan (1971-1975), formulé en 1969 quand la CEE a atteint les objectifs du traité de Rome (1957), insiste sur l’innovation, la productivité et la compétitivité industrielles, et place l’entreprise au coeur du développement. Jusque-là acteur de la croissance des « Trente Glorieuses », l’exercice planificateur est alors contrecarré dans ses ambitions par les chocs pétroliers (1973, 1979) ; puis, dans une économie plus ouverte, il connaît un déclin. Certes, le Commissariat subsiste comme « réservoir à idées », car des plans sont soumis régulièrement au Parlement. Mais il perd sa vertu d’« ardente obligation » (de Gaulle), malgré une tentative de relance par les socialistes en 1981-1984 (VIIIe plan). Entre-temps, la planification s’est banalisée auprès des collectivités territoriales, des entreprises publiques et privées. plébiscite, consultation directe de tous les citoyens qui doivent se prononcer par « oui » ou par « non », et organisée par le pouvoir afin d’asseoir sa légitimité, ou, plus rarement, afin de fixer le statut international d’un territoire. En référence à une institution de la Rome antique, le terme n’est utilisé qu’à partir de 1851. La procédure est assez proche de celle du référendum, repris des idées de Rousseau et inauguré par la Constituante, dont, toutefois, le champ d’application est plus large et la connotation plus neutre. En France, le plébiscite est attaché au nom des Bonaparte, qui l’ont utilisé, systématiquement et semblablement, pour conférer la légitimité populaire à l’établissement puis à la confirmation de leur hégémonie, conformément au pouvoir constituant du peuple français : ainsi, en 1800 et 1851, pour valider un pouvoir issu d’un coup d’État ; en 1804 et 1852, pour consacrer la fondation de l’Empire (Bonaparte avait également organisé un plébiscite sur le consulat à vie, en 1802) ; enfin, en 1815 et 1870, bien après les consultations précédentes, pour faire approuver la libéralisation du régime. Des différences existent cependant entre les pratiques plébiscitaires des deux Bonaparte.
En effet, le premier organise des consultations caractérisées par la mise en application préalable du texte proposé, par la falsification des résultats (1800, 1804) et par la faible participation d’ensemble (35 %) ; seul le plébiscite de 1802 montre une popularité certaine du régime, du fait du retour à la paix. Quant à Louis Napoléon Bonaparte, président de la République élu au suffrage universel (1848) mais fidèle à la tradition consulaire, il prétend avoir déclenché le coup d’État du 2 décembre 1851 pour « rendre la parole au peuple » ; et, malgré les circonstances, le résultat du plébiscite du 14 décembre, qui prévoit une alternative « démocratique » en cas d’échec, est incontestable : avec un taux de participation de 80 %, le « oui » l’emporte avec plus de 7 millions de voix. Le plébiscite est inhérent au régime qui se met alors en place, dans lequel le chef de l’État entretient une relation directe et personnelle avec le peuple, auquel il a toujours le droit de faire appel : d’où, en plus des trois plébiscites - triomphaux -, le projet de renouveler l’adhésion populaire à chaque changement de souverain et la transformation de chaque élection en plébiscite (candidature officielle). Tout comme les plébiscites relatifs aux rattachements du comté de Nice et de la Savoie (avril 1860), ces scrutins permettent d’affirmer le caractère national de l’Empire et de flatter le patriotisme. Le plébiscite, discrédité par l’échec final des deux Empires, a été flétri par les républicains, qui y ont vu une manipulation de l’opinion publique et un instrument de dictature (pressions sur l’électorat, précipitation du vote...). Il disparaît après 1870, mais la réintroduction par de Gaulle de la pratique référendaire a inquiété les partisans de la tradition républicaine. Pleven (René), homme politique (Rennes 1901 - Paris 1993). Cet industriel proche de Jean Monnet rejoint Londres peu après l’appel du 18 juin 1940, et contribue au ralliement de l’Afrique-Équatoriale française à la France libre. Investi de nombreuses responsabilités (notamment aux Finances et aux Colonies) par le général de Gaulle, il est membre du Comité français de Libération nationale (CFLN) et du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), où ses propositions, politiquement indolores, pour juguler l’inflation (recours à l’emprunt) sont préférées à celles, plus drastiques, prônées par le ministre de l’Économie Pierre Mendès France. Il quitte le gouvernement en même temps que de Gaulle, en jan-
vier 1946. Député des Côtes-du-Nord à partir de 1945, d’abord sous l’étiquette Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR), dont il est l’un des fondateurs, il est surnommé « Petit Bleu de Bretagne », car il est autant chrétien militant que républicain laïque. En raison de la situation internationale, marquée par les débuts de la guerre froide, il accepte un rapprochement avec la « troisième force », devient ministre de la Défense (1949 et 19521954) et président du Conseil (juillet 1950-février 1951, et août 1951-janvier 1952). Ce partisan convaincu de l’Europe propose d’instituer une Communauté européenne de défense (CED), projet qui sera finalement repoussé par l’Assemblée en 1954. En 1958, il vote l’investiture du général de Gaulle et préconise le « oui » au référendum de ratification des institutions de la Ve République (il doit quitter l’UDSR, qui appartient au « cartel des non »), mais, centriste libéral, il reste volontairement à l’écart du gouvernement. Il se rallie à la candidature de Georges Pompidou à l’élection présidentielle de 1969, devient alors garde des Sceaux et se retire en 1973, après sa défaite aux élections législatives. Plombières (entrevue de), rencontre secrète, les 20 et 21 juillet 1858, dans la ville d’eaux de Plombières (Vosges), entre l’empereur Napoléon III et le comte Cavour, Premier ministre du Piémont. Cet événement capital dans les relations franco-italiennes fixe les formes du soutien que la France apportera aux Piémontais pour unifier la Péninsule. Après l’échec des tentatives unitaires menées contre l’Autriche en 1848-1849, Cavour a entrepris de réaliser l’unité de l’Italie par des moyens économiques, militaires, politiques et diplomatiques. Or Napoléon III, qui rêve de restaurer l’influence française dans la Péninsule, est disposé à tenter l’aventure italienne, comme l’en a pressé, avant son exécution, le carbonaro Orsini, auteur d’un attentat meurtrier contre l’empereur en janvier 1858. L’accord est scellé autour de cinq points : la France interviendra militairement contre l’Autriche ; le Piémont formera un royaume de Haute-Italie en annexant la Lombardie, la Vénétie, Parme et Modène ; la France recevra la Savoie et Nice ; un royaume d’Italie centrale sera créé ; la souveraineté du pape sur Rome sera garantie.
Vainqueur de l’Autriche à Magenta et à Solferino, respectivement les 4 et 24 juin 1859, Napoléon III, inquiet des réactions des catholiques français, signe le 8 juillet un armistice à Villafranca. L’unification de l’Italie se poursuit cependant grâce à l’élan du Risorgimento et à l’impétuosité de Garibaldi. Par le traité de Turin (24 mars 1860) et après consultation des habitants par plébiscite, la France annexe la Savoie et Nice. Le 14 mars 1861, Victor Emmanuel II, roi de Piémont-Sardaigne, est proclamé à Turin roi d’Italie : une nouvelle nation est née. Poher (Alain), homme politique (Ablon-surSeine, Seine-et-Oise, 1909 - Paris 1996). Diplômé de l’École des mines et de l’École libre des sciences politiques, il devient administrateur civil au ministère des Finances. Mobilisé en 1940, il est évacué de Dunkerque par les Britanniques lors de la débâcle. De retour downloadModeText.vue.download 722 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 711 en France, il retrouve son poste ministériel, et entre dans le mouvement de Résistance Libération-Nord. Directeur de cabinet du ministre des Finances Robert Schuman (1946-1947), il adhère au MRP, et commence sa carrière de parlementaire au Conseil de la République en 1946 (mais n’est pas réélu en 1948). Il assume ensuite des fonctions gouvernementales (secrétaire d’État au Budget, 1948-1949 ; à la Marine, 1957-1958) et internationales, participant à la construction européenne, dont il est un partisan convaincu. Il retrouve un siège de sénateur en 1952, qu’il conservera jusqu’à sa mort. Il préside le Parlement européen de 1966 à 1968 et succède à Gaston Monnerville à la présidence du Sénat en 1968. Il s’oppose alors au projet de réforme du Sénat et de création de Régions proposé par le général de Gaulle. Après la victoire du « non » au référendum du 27 avril 1969 et la démission de De Gaulle, il assure l’intérim de la présidence de la République, avant de se présenter luimême à l’élection présidentielle. Il est alors battu par Georges Pompidou (obtenant, au second tour, 42,4 % des suffrages, contre près de 58 pour son adversaire). Il retrouve l’Élysée pour un nouvel intérim en 1974, à la mort du président Pompidou. Après l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, alors que, sous l’influence de Charles Pasqua, la majorité sénatoriale résiste aux réformes souhaitées
par François Mitterrand (projets sur la presse, l’enseignement privé, l’extension du champ du référendum), Poher joue du dialogue et de la fermeté, mais ne peut éviter les rivalités entre UDF et RPR : contre l’avis de ses amis centristes, il brigue un nouveau mandat à la tête du Sénat en 1989 (à l’âge de 80 ans). Élu difficilement grâce à l’appui du RPR, il ne se représente pas à sa propre succession en 1992. poids et mesures. Le système unifié de poids et mesures issu de l’Empire romain, et prolongé par les Carolingiens aux VIIIe et IXe siècles, disparaît dans le morcellement féodal du Xe au XIIIe siècle. Néanmoins, les unités métrologiques les plus répandues, qui restent en usage jusqu’à la Révolution, sont, pour l’essentiel, héritées de Charlemagne. Elles sont souvent duodécimales : ainsi la toise, unité de longueur, divisée en six pieds, le pied en douze pouces, le pouce en douze lignes ; ou la livre, unité de compte monétaire, divisée en vingt sols et le sol en douze deniers. Mais la diversité des unités de poids et mesures est très grande. Par exemple, la lieue, la perche, le pied, et l’aune pour les tissus, mesurent des longueurs ; l’arpent et la sétérée, des surfaces agraires ; la pinte est une unité de capacité pour les liquides ; la livre, l’once, et le boisseau ou le setier pour les grains, sont des mesures de poids, etc. De plus, sous un même vocable, chacune de ces unités voit sa valeur varier fortement selon les lieux et les époques : vers 1780, on dénombre dans la généralité de Paris quarante-huit sortes d’« arpents ». Enfin, certaines mesures tiennent compte de plusieurs paramètres socio-économiques à la fois : l’estimation d’une production agricole peut combiner l’espace et le temps de travail de la terre (journal, demi-jour, quarteron, hommée...) ; pour les grains, on peut user conjointement de mesures de masse (utilisées dans le transport assuré par l’homme ou par l’animal) et de volume, lesquelles s’imposent en cas de stockage. Or, à poids égal, le volume des céréales diffère (l’avoine est une fois et demie plus volumineuse que le froment), de sorte que de mêmes mesures de masse peuvent désigner des volumes variables d’une céréale à l’autre. • Des ferments unificateurs. À partir du XIVe siècle, plusieurs facteurs concourent, sinon à une unification des unités de poids et mesures, du moins à un lent mouvement de dépassement des microsystèmes. En effet, la croissance et l’accélération des échanges sur
des espaces de plus en plus vastes rendent nécessaires des tables de conversion, utiles aux marchands pour les transactions internationales. En outre, du XVIe au XVIIIe siècle, la réfection des terriers (registres seigneuriaux énumérant notamment les baux en usage) ainsi que le passage de la corvée collective à la location en fermage (où la superficie devient un indicateur essentiel du revenu de la terre) contribuent à répandre l’usage des mesures géométriques (toise, verge) dans les campagnes. Enfin, aux XIVe et XVe siècles, le pouvoir royal tente d’affirmer son autorité sur la multiplicité des mesures : il se porte garant de la justesse des étalons locaux, dont il s’efforce d’attribuer le contrôle à ses agents (les prévôts) ou à des organisations reconnues (corporations) ; il se réserve la punition de la fraude à l’étalonnage et au mesurage ; il taxe l’acte de mesurage, effectué par des professionnels présents sur les marchés, les méthodes variant suivant les lieux et les époques (pour le grain, par exemple, remplir la jauge en tassant ou non, compter une mesure rase ou comble). La centralisation administrative des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles fait naître une nouvelle exigence royale, exprimée par la devise « Un roi, un poids, une mesure ». Ainsi, l’administration de la gabelle généralise l’usage du « minot » de sel à la vente dans ses greniers ; en 1540, François Ier voudrait rapporter les aunes du royaume à la toise de Paris, et, en 1557, Henri II tente de faire adopter partout en France les mesures parisiennes de longueur, surface, poids, volume, etc. ; autour de 1670, Louis XIV entreprend une uniformisation des étalons de mesure, renouvelée au XVIIIe siècle sous la pression de ceux - écrivains, savants, marchands, industriels, administrateurs - qui portent un regard uniformisateur et quantitatif sur le royaume et ses productions. Des copies de la toise dite « du Pérou », construite à Paris selon des exigences scientifiques pour l’expédition de La Condamine (réalisée en 1735 pour mesurer la longueur d’un arc de méridien de 1 degré), sont par exemple envoyées comme étalon légal dans les villes de province, en 1766. Cependant, les évolutions dans le domaine de la métrologie paraissent souvent trop lentes : en 1789, de très nombreux cahiers de doléances réclament une réforme pour unifier les poids et mesures du royaume, qui débouchera sur le système métrique. poilu, terme familier utilisé pour désigner le soldat français de la Première Guerre mondiale. Employé comme adjectif par Balzac pour
décrire les grognards de Napoléon, « poilu » passe dans l’argot militaire au début du XXe siècle, mais c’est à la Grande Guerre qu’il doit son entrée dans l’histoire des substantifs : très tôt - sans doute au moment de la bataille de la Marne -, on a commencé à appeler les soldats français les « poilus ». Si l’appellation provient de l’« arrière », elle est rapidement adoptée par les intéressés eux-mêmes, comme l’atteste leur correspondance. Dès 1915 paraissent les premiers journaux de tranchée rédigés par les soldats : le Poilu, Poil de tranchée, le Poilu déchaîné. Ce mot de l’argot de guerre prend une double connotation. Avant 1914, « poilu » veut dire « brave », le poil étant le signe de la virilité. Par son héroïsme quotidien dans la guerre des tranchées, ce poilu-là est élevé à la hauteur d’un mythe. Proust ne s’y trompe pas, qui fait dire à son personnage Saint-Loup, peu avant sa mort au front : « Au contact d’une telle grandeur, “poilu” est devenu pour moi quelque chose dont je ne sens même pas plus s’il a pu contenir d’abord une allusion ou une plaisanterie que quand nous lisons “chouan” par exemple. Mais je sens “poilu” déjà prêt pour de grands poètes, comme les mots déluge, ou Christ, ou Barbares qui étaient déjà pétris de grandeur avant que s’en fussent servis Hugo, Vigny ou les autres... » Mais le mot renvoie aussi à une autre dimension : dans l’existence précaire de la première ligne, il n’était plus possible de se laver, de se raser, et beaucoup trouvèrent plus simple de se faire pousser la barbe. Ce sont cette misère et cette souffrance qui donnent son autre face à la condition de poilu. Les poilus deviennent donc spécifiquement les combattants des tranchées, ceux qui tiennent et souffrent, dans une fraternité où s’efface toute distinction d’âge, d’origine sociale ou géographique. Le poilu n’est pas seulement l’héroïque « statue de boue » créée par la propagande ; il n’est pas non plus cet homme forcé à l’obéissance par la brutalité des officiers, invention des pacifistes d’après-guerre : il fait son devoir de citoyen, non sans maugréer certes, mais avec ténacité. Joseph Delteil, dans les Poilus (1926), a sans doute rendu le plus bel hommage à ses anciens camarades de tranchée, tout en démystifiant l’idée de la séparation entre les Français pendant le conflit : « Le front, c’est l’homme. L’arrière, c’est la femme. Au front, le poilu ; à l’arrière, la poilue. » Au moment de commémorer les soldats de la guerre, les communes françaises ont massivement choisi d’ériger une statue de poilu,
combattant et/ou souffrant, comme monument aux morts. Ces héros de pierre ou de bronze sont emblématiques de la France à la fois victorieuse et orpheline de tant de ses fils. Poincaré (Henri), mathématicien et physicien (Nancy 1854 - Paris 1912). Il est le cousin du président de la République Raymond Poincaré. Entré major à l’École polytechnique, ingénieur du corps des Mines, il downloadModeText.vue.download 723 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 712 enseigne dès 1881 à la Sorbonne, où il occupera successivement les chaires de physique mathématique (1886) et de mécanique céleste (1896). Ses premiers travaux portent sur la théorie des équations différentielles et sur la théorie des fonctions. Dans une série de mémoires publiés entre 1881 et 1886, il montre le rôle des considérations topologiques en géométrie différentielle. Par son mémoire Sur le problème des trois corps et les équations de la dynamique (1889) et ses trois volumes des Méthodes nouvelles de la mécanique céleste (1892-1899), il ouvre à la mécanique céleste théorique des voies neuves et un immense champ d’investigation qu’exploreront ses successeurs. Au très grand nombre de ses travaux scientifiques s’ajoutent ses ouvrages consacrés à la philosophie des sciences, la Science et l’hypothèse (1902), la Valeur de la science (1905) et Science et méthode (1909) ; il y pose, avec une remarquable acuité, la question de la fécondité du raisonnement mathématique et celle de la « réalité » atteinte par les théories du physicien. Élu à l’Académie des sciences en 1887 et à l’Académie française en 1908, Henri Poincaré s’est passionné pour tous les domaines mathématiques et physiques connus à son époque, et l’on a pu dire de lui qu’il était le dernier savant universel. Poincaré (Raymond), homme politique, président de la République de 1913 à 1920 (Bar-le-Duc 1860 - Paris 1934). Par ses origines, par sa formation, par toutes les étapes de sa carrière, Raymond Poincaré s’identifie à la IIIe République : son patriotisme est ancré dans l’expérience de l’occupation de sa Lorraine natale (il a alors 11 ans) ; ses études de droit le préparent à épouser la carrière emblématique d’une République des avocats, où l’éloquence politique et l’art
de la plaidoirie vont de pair ; son choix de positions modérées et son aptitude à se tenir à l’écart des crises politiques lui valent, à plusieurs reprises, de jouer le rôle du « sauveur » (Raoul Girardet), bon technicien et réconciliateur des Français. À partir de l’âge de 35 ans, ce progressiste, déjà plusieurs fois ministre, notamment au poste clé des Finances (1893), refuse volontairement tous les portefeuilles, pour mieux se placer en réserve de la République : prudent lors de l’affaire Dreyfus tout en étant dreyfusard depuis novembre 1898, attaché à la laïcité mais hostile aux prises de position de Combes en cette matière, Poincaré se construit lentement une image d’homme de conciliation, refusant par exemple la proposition de Caillaux d’instaurer un impôt sur le revenu (1913). Président du conseil et ministre des Affaires étrangères à partir de janvier 1912, élu président de la République le 17 janvier 1913, il mène une politique étrangère qui ne diffère pas de celle de la majorité des républicains : fermeté à l’égard de l’Allemagne, qui lui vaut le surnom de « Poincaré-la-Guerre », entente avec l’Angleterre, et alliance avec la Russie, réaffirmée lors de son voyage dans ce pays, du 16 au 29 juillet 1914. Il est aussi le principal artisan de la loi des trois ans votée en 1913. Néanmoins, ses responsabilités dans l’enchaînement des alliances qui précipite l’entrée en guerre restent difficiles à déterminer, tout comme le caractère belliciste de ses propos. Président de la République pendant le conflit, Poincaré souffre des limitations de sa fonction, notamment à partir du gouvernement de Clemenceau (novembre 1917). Mais dans les années 1920, il incarne encore une culture républicaine, renforcée par la victoire, et son retour aux affaires confirme son rôle d’homme providentiel : appuyé par la majorité de Bloc national, il redevient président du Conseil en janvier 1922 et, dans le but d’obtenir de l’Allemagne les « réparations », il fait occuper la Ruhr (janvier 1923) ; après l’échec du Cartel des gauches, il forme, en juillet 1926, un gouvernement d’union nationale et engage une politique de redressement financier à laquelle son nom est resté associé (franc Poincaré, en juin 1928). Son départ en juillet 1929 et sa mort en octobre 1934 coïncident, respectivement, avec la crise économique et une crise de la IIIe République, et marquent la fin d’une époque.
Poisons (affaire des), retentissante affaire de magie et d’empoisonnement portée au jour en 1676. Le 17 juillet, alors que les cendres de la marquise de Brinvilliers sont jetées au vent, les révélations qu’elle a faites lors de son procès ouvrent l’une des pages les plus noires de l’histoire de la monarchie. Les policiers de La Reynie mènent une enquête qui dévoile un monde de tireuses de cartes, de magiciens, d’avorteuses et d’empoisonneurs. Les arrestations se multiplient, dont celle de Catherine Deshayes, dite « la Voisin ». Déférée devant la « Chambre ardente » créée par le roi pour instruire cette affaire, « la Voisin » reste muette. Mais, au lendemain de son exécution en février 1680, sa fille révèle que Mme de Montespan se rendait chez sa mère et qu’une messe noire aurait été célébrée sur son ventre pour obtenir son retour en grâce auprès du monarque. Elle aurait même introduit des « poudres d’amour » dans la nourriture du roi. D’autres poudres, dites « de succession », auraient été utilisées, et de nombreux décès apparaissent comme suspects. Au cours de la longue procédure judiciaire, les noms de nombreuses personnalités sont cités, dont ceux de deux nièces de Mazarin et même celui de Racine. Il est vrai que les accusés ont tout intérêt à dénoncer des proches du roi pour inciter celui-ci à étouffer l’affaire. Ainsi, Louis XIV ne peut condamner Mme de Montespan, qui lui a donné huit enfants. Lorsqu’il choisit de mettre un terme à l’instruction en septembre 1680, trente-quatre personnes ont néanmoins déjà été exécutées et cent cinquante autres attendent de comparaître. Elles seront enchaînées dans diverses forteresses jusqu’à la fin de leurs jours. Cet épisode, qui mêle sans doute révélations authentiques, exagérations et calomnies, n’en révèle pas moins les troubles d’une société et les dérives d’une vie de cour où tous les procédés semblent bons pour faire triompher les ambitions individuelles. Poissy (colloque de), rencontre entre théologiens réformés et catholiques, qui se déroule sous les auspices de la régente Catherine de Médicis du 9 septembre au 14 octobre 1561, dans le couvent des dominicaines de Poissy. Sur le modèle des colloques de Worms et de Ratisbonne (1540-1541), ce colloque vise à instaurer une concorde « à la française » entre
confessions concurrentes, selon une approche nationale et oecuménique audacieuse, à un moment où le pape Paul IV vient d’appeler à une nouvelle session du concile général de Trente. Le colloque s’inscrit dans le vaste programme de pacification des troubles religieux, lancé au printemps 1560 par Catherine de Médicis et son chancelier Michel de L’Hospital. À la suite des « pourparlers de Paris », conseil élargi à des parlementaires parisiens réuni au début de l’été 1561, la reine mère convoque l’assemblée. Trois groupes y participent : les « moyenneurs », tels que Claude d’Espence, Jean de Montluc et, dans une certaine mesure, le cardinal Charles de Lorraine ; les douze ministres réformés, menés par Théodore de Bèze qu’assiste Pierre-Martyr Vermigli ; les catholiques intransigeants, tels le cardinal de Tournon, le légat Hippolyte d’Este, et Diego Lainez, général de la Compagnie de Jésus. Les « moyenneurs » sont partisans d’un accommodement avec les calvinistes selon la formule d’une présence spirituelle du Christ dans la Cène, telle qu’elle apparaît dans la Confession d’Augsbourg (1530). Mais, dès la séance d’ouverture, Théodore de Bèze proclame que le corps du Christ « est éloigné du pain et du vin autant que le plus haut ciel est éloigné de la terre ». Ce « blasphème », aux yeux des prélats, empêche toute conciliation ultérieure. « Les uns et les autres, écrira le juriste et historien Étienne Pasquier quelques années plus tard, s’en sont alors retournés aussi sages et édifiés comme ils étaient arrivés. » La définition de l’eucharistie et de la transsubstantiation est si cruciale et sensible pour les parties en présence que le projet de concorde semble voué à l’échec. La méfiance est d’ailleurs profonde de part et d’autre. Calvin n’attend rien du colloque, et le Père Lainez rappelle que seul un concile réuni par le pape est apte à trancher des questions de foi. Malgré cet échec, la reine réunit une petite assemblée à Saint-Germain-en-Laye (28 janvier-11 février 1562) pour tenter de résoudre la querelle des images. En vain. Le rêve d’une entente chrétienne semble irréalisable. Poitiers (bataille de) [732], victoire de Charles Martel sur une expédition musulmane partie d’Espagne pour piller les sanctuaires chrétiens d’Aquitaine, qui a été longtemps considérée comme le coup d’arrêt définitif à la progression musulmane en Europe. Depuis la conquête de l’Espagne en 711, les troupes berbères islamisées multiplient les incursions au-delà des Pyrénées. Entre 719
et 725, la Septimanie wisigothique est occupée. En 721, une armée musulmane assiège Toulouse et, en 725, un raid remonte la vallée du Rhône et parvient jusqu’à Autun. En 731, une expédition, conduite par le nouveau gouverneur d’Espagne, Abd ar-Rahman, écrase devant Bordeaux les troupes du downloadModeText.vue.download 724 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 713 prince de l’Aquitaine indépendante, Eudes, et le contraint à faire appel à Charles, maire du palais du royaume franc. Après avoir pris Poitiers, les troupes musulmanes se dirigent vers Tours, dans l’intention de piller la riche basilique de Saint-Martin. Mais, le 25 octobre 732, elles sont battues à Moussais par l’armée d’Eudes et de Charles : Abd ar-Rahman est tué et le reste de ses troupes repasse les Pyrénées. La principale conséquence de l’expédition musulmane est de fournir à Charles une légitimité pour intervenir au sud de la Loire : plusieurs campagnes en Septimanie et en Aquitaine, ainsi que la conquête de la Provence entre 733 et 739, marquent le rétablissement du pouvoir franc dans le Midi. Pour autant, la bataille de Poitiers n’apparaît pas comme la cause principale de l’arrêt de la progression musulmane en Europe : celle-ci se heurtait déjà à la résistance des réduits chrétiens d’Espagne septentrionale, et les nombreuses expéditions musulmanes en Aquitaine ou dans la vallée du Rhône doivent être considérées comme des opérations de razzia et non de conquête. Cependant, la bataille connaît un important retentissement en Europe, en particulier hors du royaume franc. Beaucoup l’analysent comme le triomphe de la Chrétienté sur l’Islam, ainsi que l’attestent un poème chrétien anonyme rédigé à Cordoue vers 754, ou les écrits de Bède le Vénérable, moine anglo-saxon de Northumbrie. La victoire est, par la suite, célébrée par les clercs de la cour carolingienne, qui y voient un signe divin en faveur de Charles et de ses descendants : les chroniqueurs du IX e siècle donnent alors à ce dernier le surnom de Martel, inspiré de celui de Judas Macchabée, élu de Dieu et héros guerrier de l’Ancien Testament qui, avec ses frères, délivra Israël de la tutelle séleucide. Au XIXe siècle encore, l’historiographie et l’enseignement républicains reprennent et diffusent largement la conception qui fait de la bataille de Poitiers un des moments fondateurs de la nation.
Poitiers (bataille de) [1356], bataille de la guerre de Cent Ans au cours de laquelle le roi de France Jean II le Bon est défait par l’armée anglaise conduite par le Prince Noir, fils du roi Édouard III d’Angleterre. À la suite d’une grande chevauchée en Languedoc qui, à l’automne 1355, l’a mené jusqu’à Carcassonne, le Prince Noir remonte vers Poitiers, où il rencontre l’armée royale, le 19 septembre 1356. Comme à Crécy, en 1346, la chevalerie française - qui compose la totalité de l’armée - est écrasée par l’archerie anglaise et subit de lourdes pertes (40 % des chevaliers français auraient été tués). Mais, surtout, le roi Jean est fait prisonnier, et conduit à Bordeaux, puis à Londres. Cette défaite a des conséquences considérables. Tout d’abord, elle suscite dans le royaume un profond discrédit de la noblesse, qui se manifeste violemment en 1358 lors du soulèvement paysan en Picardie et en Île-de-France (la Jacquerie). Ensuite, elle entraîne, en l’absence du roi, une grave crise politique qui voit le dauphin Charles (futur Charles V) à la fois menacé par la volonté des états généraux de contrôler l’impôt et l’administration royale, par les intrigues de Charles le Mauvais, roi de Navarre, et par la tentative d’émancipation du prévôt des marchands de Paris, Étienne Marcel. Enfin, la défaite de Poitiers a conduit au traité de Brétigny-Calais (1360), qui abandonne au roi d’Angleterre la souveraineté sur une grande Aquitaine et prévoit le versement d’une énorme rançon (3 millions d’écus) pour la libération du roi Jean. En outre, la défaite a d’importantes conséquences militaires : devenu roi, Charles V renonce à l’armée féodale et à la bataille rangée, au profit d’une guerre de sièges et d’escarmouches menée par une petite armée permanente composée de compagnies d’armes. Au reste, le souvenir de Poitiers et de la capture du roi Jean a suffi à éloigner pour longtemps les rois de France des champs de bataille. Poitiers (Diane de) ! Diane de Poitiers police. Au sens actuel du terme, la police française naît en 1667, avec la création d’une lieutenance de police à Paris. Avant cette date, le maintien de l’ordre est assuré par d’autres moyens. Puis, dans les trois siècles qui suivent, la police acquiert progressivement la pluralité de fonctions qui la caractérise à la fin du XXe siècle.
• Du Moyen Âge au XVIIIe siècle. Au Moyen Âge, la fonction de police ne se distingue pas de celle de la justice. Chaque seigneur désigne un prévôt compétent dans les deux domaines. À Paris, le prévôt du roi siège au Châtelet. Il doit compter avec de puissantes juridictions concurrentes, en particulier celle de la municipalité et celle de l’évêque. L’essor de la police est directement lié à celui de l’État royal et à son emprise sur la capitale du royaume. Au XIVe siècle, les fonctions de police des commissaires du Châtelet se précisent, chacun d’entre eux se voyant assigner la surveillance d’un des douze quartiers de la ville. Sur le terrain, ils sont assistés par des huissiers, des sergents et des archers, dont la mauvaise réputation est proverbiale. Outre l’ordre public, ces faibles forces doivent faire respecter les règlements urbains, notamment en matière d’hygiène, de ravitaillement, de transport, etc. Le mot « police » désigne donc l’ensemble des activités de surveillance et d’organisation de la société urbaine. Les villes médiévales ne sont pourtant pas des jungles livrées à une violence sans frein. Le redoutable droit de vengeance limite plus sûrement la criminalité que la peur du sergent. Les citadins participent d’ailleurs volontiers à des actions de police. Certains appartiennent au guet bourgeois, créé en 1254, remplacé par une taxe en 1559. D’autres aident spontanément à arrêter des criminels et fournissent des escortes armées pour les mener en prison. Il arrive aussi que la foule punisse sur place un criminel supposé, ou au contraire qu’elle délivre un captif, voire qu’elle lapide un bourreau maladroit. Quant aux campagnes, où vivent près de neuf Français sur dix, elles ne possèdent aucune police organisée. L’autodéfense y est de règle. Les juges seigneuriaux et leurs auxiliaires y sont les seuls réels représentants de l’ordre. Les bandes de brigands et de soldats déserteurs règnent sur les routes et dans les forêts. Ils causent tant de ravages que François Ier décide de renforcer les pouvoirs des prévôts des maréchaux. Au siècle précédent, ceux-ci avaient pour charge la police des armées, la poursuite et la punition des déserteurs. En 1520, le roi en crée 30, assistés de 30 lieutenants, 30 greffiers et 300 archers, répartis dans les diverses provinces ; leur nouvelle mission est d’assurer la sécurité du « plat pays » (par opposition aux villes). Une justice souveraine, sans appel, leur est accordée par la suite sur les gens de guerre, les vagabonds, mais aussi sur
les faux monnayeurs, les coupables de sacrilège avec effraction et tous les auteurs d’agressions à main armée sur les grands chemins, même s’ils ont un domicile fixe. Police montée et armée des chemins, la maréchaussée est l’ancêtre de la gendarmerie. Au XVIIIe siècle, elle quadrille le territoire et possède une réputation d’efficacité dans toute l’Europe. • De La Reynie au préfet Lépine (16671913). Sous Louis XIV, Paris atteint un demimillion d’habitants. La « sûreté » de cette énorme capitale frondeuse, dont le roi se méfie, exige de nouvelles méthodes de surveillance. En 1667, un édit inspiré par Colbert crée la fonction de lieutenant de police de Paris. Son premier titulaire, Nicolas de La Reynie, s’occupe autant de l’hygiène, de la voirie et du ravitaillement de la ville que de l’ordre public. Il fait porter le nombre des commissaires du Châtelet à 48, les répartit dans les divers quartiers et exige qu’ils lui présentent chaque soir un compte rendu de leur mission. En 1699, la réforme policière est étendue aux principales villes de province. L’État absolu se dote d’un instrument de pouvoir indispensable. La ville du XVIIIe siècle doit en effet être bien « policée ». Ce terme désigne la double mission de l’institution nouvelle : améliorer les conditions de vie et poursuivre le crime. Devenu lieutenant général, le chef de la police parisienne ne dédaigne pas d’organiser le numérotage des maisons, ou même de surveiller l’épuration des eaux de la Seine. Parallèlement se met en place une police moderne, qui pratique à la fois la répression et la prévention. Le recours aux « mouches » (mouchards) se généralise. En 1753, la moitié du budget de la police serait affectée à leur paiement. Mais la mission préventive se développe également. Créés en 1709, les inspecteurs de police s’insèrent dans le quartier qu’ils ont en charge. Tout en traquant les criminels, ils veillent à renouer les solidarités menacées dans leur secteur. Ils reçoivent des dénonciations et jouent parfois un rôle de médiateurs entre membres d’une famille ou entre voisins, évitant ainsi le recours à l’action judiciaire. Directement liée à l’État royal, la police de l’Ancien Régime est vigoureusement critiquée à ce titre et pour sa corruption. Dès le début de la Révolution, le lieutenant de police Thiroux de Crosne - qui sera guillotiné en 1794 - donne sa démission, et l’institution disparaît avec lui. En 1796, le Directoire crée un ministère de la Police générale, auquel la gendarmerie est rattachée en 1798. Une loi
de 1800 institue des commissaires de police dans les villes de plus de 5 000 habitants. Au-dessous de ce seuil, le maire dispose de downloadModeText.vue.download 725 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 714 la police administrative, tandis que la police judiciaire appartient à la gendarmerie, sous l’autorité du ministre de la Police générale. Paris demeure privilégié : la même loi crée pour la capitale la Préfecture de police, qui coiffe les commissariats des douze arrondissements. Fouché, ministre de la Police, édifie ainsi un véritable empire policier autour de sa personne. En privilégiant la division « sûreté générale et police secrète », il retrouve la tradition de surveillance de l’opinion confiée par la monarchie aux lieutenants généraux. La disparition du ministère de la Police en 1818 ne casse nullement le mécanisme. La Préfecture de police de Paris reprend l’héritage et renforce ses moyens d’action par la création des sergents de ville en 1828 et de la garde municipale (ancêtre de la garde républicaine) en 1830. L’utilisation de la police à des fins politiques se poursuit de plus belle : elle est chargée de réprimer les insurrections, de surveiller les classes dites « dangereuses », et se fait haïr des populations. Sous le second Empire, les indicateurs, le Cabinet noir et les provocations policières témoignent d’une grande continuité avec l’Ancien Régime. Née en 1846, la police des chemins de fer fournit en 1855 l’embryon des Renseignements généraux sans en avoir encore le nom : 30 commissaires et 70 inspecteurs de la Sûreté générale surveillent l’opinion publique et les déplacements des personnalités, à la recherche d’agents subversifs. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, les éléments de continuité l’emportent sur les mutations. Dans une époque marquée par le terrorisme international, les attentats anarchistes, le grand banditisme (la bande à Bonnot), les grèves et les émeutes populaires, le maintien de l’ordre est une priorité absolue. Malgré la progression de ses effectifs, la police fait difficilement face à ces enjeux. Elle est accusée d’incurie, ce qui pousse Clemenceau à organiser les premières brigades mobiles de police judiciaire (1907), surnommées les « brigades du Tigre ». Le préfet Lépine, en poste jusqu’en 1913, crée, lui, les brigades
cyclistes de Paris, celle du secours aux noyés, la brigade canine, et instaure le port du bâton blanc par les agents. • Les polices face aux défis du XXe siècle. Dès l’époque de Lépine, de nouveaux défis sont apparus, auxquels la police héritée du passé ne peut plus faire face. Vient alors le temps des missions multiples, donc des polices spécialisées, modernisées, mais également concurrentes. Car la société française mue en profondeur, surtout dans les villes dont le poids démographique dépasse celui des campagnes, pour atteindre plus des trois quarts de la population à la fin du XXe siècle. La vieille Préfecture de police modernise donc ses méthodes. Bertillon fonde le service d’anthropométrie en 1882. S’ouvre l’époque de la police scientifique qui conduira au système des empreintes digitales, puis génétiques pour identifier les coupables. La criminologie est fondée comme science. Devenue autonome en 1877, la Sûreté générale reprend l’héritage de la police politique. Dès les années 1920, elle compte des sections spécialisées dans le faux, le trafic de stupéfiants, le proxénétisme et le banditisme international. Les « brigades du Tigre » dépendent d’elle, comme plus tard les Renseignements généraux et la DST (Défense et Sûreté du territoire) pour le contre-espionnage. Les relations de la Sûreté avec la Préfecture sont conflictuelles. La « guerre des polices » reprend après la parenthèse du régime de Vichy, qui avait unifié la Police nationale en la plaçant sous l’autorité du ministre de l’Intérieur. Elle s’intensifie même au moment de l’affaire Ben Barka, en 1965. L’année suivante, Sûreté nationale et Préfecture sont fondues ensemble dans la Police nationale, sous la tutelle du ministre de l’Intérieur. En 1974, Lille, Lyon, Marseille et Bordeaux sont à leur tour dotés d’une préfecture de police. Les événements de mai 68 révèlent la fracture qui sépare la police de la société civile. Les Compagnies républicaines de sécurité (CRS), héritières des Groupes mobiles de réserve (GMR) créés en 1941, ont polarisé sur elles de vieilles rancunes qui remontent peut-être aux origines mêmes et aux missions étatiques de la police. Mal aimée, la police de la fin du XXe siècle se transforme profondément au fil des évolutions sociales. Elle s’adapte à de nouvelles formes de criminalité, comme le piratage informatique et les réseaux mafieux à l’échelle
mondiale. Elle joue un rôle important de prévention dans les banlieues par l’îlotage, qui rappelle l’une des fonctions des inspecteurs du XVIIIe siècle : le ravaudage du tissu social. Elle évolue également vers des missions internationales, malgré les obstacles importants que rencontre Interpol. Sa chance serait-elle de voir faiblir le lien exclusif la liant à l’État depuis l’origine ? La charte européenne signée par quinze pays à Strasbourg en novembre 1992 lui assigne une mission « au service de la loi et de la société, non à celui des gouvernements ». S’il en allait réellement ainsi, l’image de la police gardienne du pouvoir s’atténuerait au profit de celle de protectrice du citoyen. La réalité pourrait alors rejoindre l’imaginaire cinématographique et télévisuel centré sur le « bon flic de base », bourru mais humain, qui lutte autant contre le crime que contre sa propre hiérarchie pour assainir la ville malade et troublée du début du XXIe siècle. Polignac (Jules, prince de), homme politique (Versailles 1780 - Paris 1847). Dernier président du Conseil des ministres de la Restauration, Polignac est aussi le principal responsable de la chute - définitive - des Bourbons, en 1830. Fils de Gabrielle de Polastron, comtesse puis duchesse de Polignac, favorite de la reine Marie-Antoinette, Polignac prend avec sa famille le chemin de l’émigration dès 1789. Rentré en France, il adhère à la Congrégation (1801) de l’abbé Delpuits ainsi qu’à la société secrète des Chevaliers de la foi (1810), dont il sera l’un des principaux dirigeants. Compromis dans la conspiration de Cadoudal contre Bonaparte en 1802, il est condamné à deux ans de prison et détenu jusqu’à son évasion en janvier 1814 ; il prend part au soulèvement royaliste de Bordeaux en mars. Puis, au lendemain des Cent-Jours, il est nommé pair de France (août 1815) et promu prince romain par le pape Pie VII (1820) ; il appartient au cercle ultraroyaliste de Monsieur, frère du roi, futur Charles X, aspire à un retour à la monarchie absolue et réprouve les concessions libérales inscrites par Louis XVIII dans la Charte. Ambassadeur de France à Londres de 1823 à 1829, il négocie en 1827 l’accord qui conduira à l’indépendance de la Grèce. Le 8 août 1829, au lendemain de la disgrâce du très politique Martignac, le roi Charles X le rappelle à Paris pour le nommer
ministre des Affaires étrangères au sein d’un ministère de combat (il en assume la présidence en novembre). La ligne ultraroyaliste du ministère scelle contre lui l’alliance des libéraux et des constitutionnels modérés : le 2 mars 1830, Royer-Collard lit une adresse de défiance approuvée par une majorité de 221 députés. Sur le conseil de Polignac, le roi dissout la Chambre le 16 mai. Mais, malgré une expédition militaire réussie contre le dey d’Alger, destinée à regagner la faveur de l’opinion publique, les élections des 23 juin et 3 juillet renvoient à la Chambre une majorité d’opposants. Polignac fait alors signer au roi les quatre ordonnances du 26 juillet 1830, véritable coup d’État contre les institutions parlementaires. Elles précipitent l’insurrection parisienne des Trois Glorieuses et la chute de Charles X. Arrêté à Granville sur le chemin de l’Angleterre, déféré devant la Cour des pairs à l’automne 1830 pour haute trahison, Polignac est condamné à la détention perpétuelle ; il sera amnistié en 1836. politiques ou malcontents, termes désignant, au temps des guerres de Religion, les partisans de l’autorité royale, au-delà des querelles religieuses. Les politiques jouent un rôle prépondérant dans la victoire d’Henri IV contre la Ligue. Jusqu’au lendemain du massacre de la SaintBarthélemy (1572), le terme « politiques » s’applique à des hommes qui défendent une analyse technicienne du gouvernement, influencés par des lectures sélectives - et non avouées - de Machiavel et de Tacite, si bien qu’il devient péjoratif au regard des partis religieux, dénotant une indifférence au « dessein de Dieu ». Michel de L’Hospital ou Étienne Pasquier incarnent cette approche politique de la division confessionnelle. La Saint-Barthélemy et les guerres qui suivent provoquent une rupture idéologique chez les politiques. Jusque-là, ils prônaient une monarchie mixte, tempérée par l’action des états généraux et des parlements. Désormais, ils professent plutôt « la tyrannie, pendant une paix, que de tomber dans la miséricorde d’une guerre civile » (Étienne Pasquier). Ainsi, Guy du Faur de Pibrac justifie le massacre de 1572 au nom du maintien de l’État, qui trouve sa légitimité dans sa propre conservation. Les Six Livres de la République (1576), de Jean Bodin, symbolisent leur idéal d’une « souveraineté législative » qui ne souffre plus d’être partagée. À partir de 1585, les politiques, majoritairement catholiques, tel Henri de Montmorency-Damville ou Michel de Montaigne,
sont, comme les calvinistes, les ennemis de la Ligue. Des critères religieux mais aussi sociaux, locaux et de clientèle expliquent ce choix. Les politiques se recrutent le plus soudownloadModeText.vue.download 726 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 715 vent parmi l’aristocratie de l’office (modèles bourguignon et parisien). À Marseille, au contraire, ils appartiennent à la noblesse et à l’oligarchie marchande. À Rouen, les « nouveaux » officiers soutiennent Henri IV contre les « anciens ». À partir de 1592, les Bretons préfèrent la voie des politiques à celle du séparatisme. Enfin, le bourg de Carcassonne - au contraire de la cité - choisit le roi parce qu’il accueille un présidial, tribunal royal qui lui confère un certain lustre. Des traits communs se dégagent de la propagande des politiques : un gallicanisme parlementaire et ecclésiastique qui exècre les bulles d’excommunication ; un « patriotisme » qui dénonce les ligueurs inféodés à l’Espagne ; enfin, l’amorce d’une raison d’État qui s’incarne dans « un roy qui donnera ordre à tout » (Pierre Pithou). Les politiques accomplissent ainsi la conversion idéologique des sujets à l’obéissance à la monarchie absolue dans la France des Bourbons. Polynésie française, colonie française à partir de 1881, puis territoire d’outremer (TOM) depuis 1946, devenu collectivité d’outre-mer (COM) en 2003. En 2004, elle est dotée du statut de pays d’outre-mer qui donne une large autonomie en matière politique et judicaire et reconnaît les autorités coutumières, notamment dans les domaines de la justice et de l’éducation. En 1842, le marin Dupetit-Thouars acquiert les îles Marquises puis, par un traité conclu avec la reine Pomaré IV, il établit le protectorat français sur le royaume de Tahiti et ses dépendances (île de Moorea, atolls des Tuamotu). En 1881, le roi Pomaré V ayant abdiqué, le protectorat est aboli et l’annexion de Tahiti, prononcée. Est alors constituée la colonie des Établissements français de l’Océanie (EFO), qui regroupe Tahiti et les îles Marquises, les îles Australes (à l’exception de Rurutu et Rimatara, qui seront annexées, respectivement, en 1900 et 1901), Rapa (1881), les Gambier (1882), puis les îles Sous-le-Vent à partir de 1898 (Huahine, Raiatea, Tahaa, Bora Bora et
Maupiti). L’atoll désert de Clipperton, seule possession française dans le Pacifique nord, à 6 500 kilomètres de Tahiti, est rattaché administrativement à la colonie. Le coprah, les huîtres perlières et les phosphates (Makatea, site exploité jusqu’aux années 1960) constituent alors les principales ressources des EFO. Mais leur renommée tient d’abord à la place qu’ils conquièrent dans l’imaginaire des Français, à travers notamment l’oeuvre picturale de Gauguin, la poésie de Victor Segalen ou les récits de voyage d’Alain Gerbault. La colonie se rallie à la France libre dès 1940 et, en 1946, les EFO deviennent le territoire d’outre-mer de la Polynésie française, doté d’une assemblée territoriale et d’une représentation parlementaire. En 1957, en application de la loi-cadre dite « loi Defferre », le territoire acquiert une semi-autonomie avec un embryon d’exécutif (conseil de gouvernement). Son statut a été plusieurs fois modifié depuis lors, dans le sens d’un élargissement de son autonomie, notamment en 1977 et 1984. La population (estimée en 1995 à 212 000 habitants, dont les deux tiers sont de souche polynésienne, avec une forte minorité chinoise) tend à se regrouper massivement au chef-lieu : l’agglomération de Papeete rassemble un tiers du total des habitants. Représenté au Parlement par deux députés et un sénateur, le territoire comprend 48 municipalités et 5 districts (Îles Sous-leVent, îles du Vent, Tuamotu-Gambier, Australes, Marquises). Les divers archipels - d’une superficie totale de quatre mille kilomètres carrés - sont répartis sur une aire maritime de quatre millions et demi de kilomètres carrés, garantissant à la France une zone de pêche étendue et conférant au territoire une grande importance géopolitique. Les expériences atomiques menées par la France sur certains sites polynésiens ont occasionné des tensions avec les pays de la région (Australie, Nouvelle-Zélande, Fidji, etc.). Le tourisme connaît un développement notable (Marquises, Bora Bora), mais la fermeture prochaine du centre d’expérimentation nucléaire de Mururoa fait peser une menace sur le marché de l’emploi et sur les ressources du territoire. Tout ceci favorise l’essor du mouvement indépendantiste qui remporte les élections territoriales en 2004. polysynodie, système de gouvernement par conseils mis en place au début de la Régence, de 1715 à 1718.
À la mort de Louis XIV, la situation intérieure et extérieure du royaume est difficile. L’autoritarisme de la politique royale a provoqué des rancoeurs, en particulier dans les rangs de la haute noblesse, qui accepte mal d’être écartée des affaires et d’être reléguée dans une position honorifique. Dans un contexte de remise en cause de l’absolutisme et alors que le jeune souverain est encore mineur, les prétentions des grands du royaume risquent d’être menaçantes. Afin d’assurer une transition efficace, le Régent reprend l’idée - élaborée dans l’entourage du duc de Bourgogne, et dont le duc de Saint-Simon est l’un des inspirateurs - d’associer au gouvernement l’élite aristocratique et divers courants politico-religieux. Ces groupes sociopolitiques doivent se substituer aux secrétaires d’État et aux ministres, fonctions jusque-là occupées par des personnalités de la noblesse de robe. En faisant appel, dans un cadre de gouvernement « collégial », à l’élite « naturelle » du royaume, il s’agit de tempérer le système de gouvernement louisquatorzien. Par la déclaration de septembre 1715, Philippe d’Orléans institue sept conseils : Conseil général de régence, Conseil général des affaires du dedans, Conseil de conscience, Conseil de guerre, Conseil de marine, Conseil de finance, Conseil des affaires étrangères. En décembre 1715, il crée en outre le Conseil de commerce. Chaque conseil est composé d’une dizaine de personnes, la plupart issues de la haute noblesse (ducs de Bourbon, de Saint-Simon, d’Antin) ; parmi eux, il y a aussi des bâtards légitimés (Maine et Toulouse), des membres d’anciennes dynasties de grands commis (Torcy, Voysin) ou de la noblesse de robe (d’Ormesson), dont les compétences techniques restent nécessaires. Mais le fonctionnement de ces conseils est entravé par d’incessantes querelles de préséance et par le caractère utopique de leurs aspirations aristocratiques dans la gestion des affaires de l’État. Cette solution transitoire a cependant permis à la Régence, dans une période délicate, de limiter certaines oppositions. pomme de terre. Originaire de l’Amérique andine, la pomme de terre est arrivée en Espagne vers 1560. De là, elle est passée en Italie, en Allemagne et en Belgique, puis en Angleterre. Quant à son introduction en France, Olivier de Serres disait en 1600 qu’elle « est venue de Suisse en Dauphiné, depuis peu de temps ».
Dès 1601, Charles de L’Écluse note qu’elle est « si vulgaire en certains lieux d’Italie que l’on s’y nourrit de ses tubercules cuits avec de la viande de mouton, comme si c’était des raves ou des panais ». En France, Olivier de Serres prétend qu’on la prépare comme la truffe, avec laquelle il lui paraît aisé de la confondre. De fait, pendant plus d’un siècle, il est difficile de savoir si, lorsque les Français parlent de « truffe », ils désignent l’un ou l’autre aliment ; et ils appellent parfois « pomme de terre » le topinambour. Aucun livre de cuisine français ne mentionne la « pomme de terre » avant le milieu du XVIIIe siècle. Et, dans la plupart des régions où on la cultivait, il semble qu’elle ait servi à nourrir les cochons. Il faut attendre 1795 pour qu’un traité culinaire, la Cuisinière républicaine, lui soit consacré ; et le règne de Louis XVI pour que Parmentier, qui en a mangé en Prusse, la mette au goût du jour à Paris. Mais c’est indépendamment de l’action de ce dernier qu’elle est introduite, à la même époque, dans l’alimentation des paysans pauvres de plusieurs provinces de France : Dauphiné, Auvergne, Franche-Comté, Lorraine, Alsace, Pyrénées et côte bretonne. Dans la montagne vivaroise, un observateur écrivait en 1781 : « Depuis quelque temps on mange en hiver beaucoup de pommes de terre. » En Alsace, on les coupe en tranches qu’on fait sécher au four (comme les fruits), pour mieux les conserver. Dans les années 1770, « les laboureurs font du pain en mêlant la pomme de terre avec de l’avoine et des vesces ». Les Alsaciens l’accommodent aussi à la façon des Lorrains, cuites dans l’eau bouillante ou sous la cendre chaude ; ou cuites au lait avec du beurre frais et du lard. Au XIXe siècle, finalement, il n’y a pas une province qui n’ait au moins une spécialité à base de pomme de terre. D’un côté, l’introduction de la pomme de terre dans l’alimentation des Français constitue un progrès historique : sans elle, l’essor démographique des XVIIIe et XIXe siècles n’aurait pas été possible. Mais elle est ressentie par les intéressés comme une dégradation de leur ordinaire : ainsi en Alsace où, vers 1775, ce tubercule est devenu « la ressource des habitants qui sont trop pauvres pour se nourrir de pain pendant l’année entière ». Pompadour (Jeanne Antoinette Poisson, marquise de), favorite de Louis XV (Paris 1721 - Versailles 1764). Fille de la galante Mme Poisson et d’un financier - Pâris-Duverney ou peut-être Le Normant de Tournehem, qui dirige ses premiers pas dans
le monde -, elle reçoit chez les ursulines une downloadModeText.vue.download 727 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 716 excellente éducation, puis acquiert le ton des salons et un goût très sûr au contact du milieu des fermiers généraux parisiens. Mariée à 19 ans à Charles Guillaume Le Normant, seigneur d’Étiolles, neveu de son mentor, elle est poussée dans les bras de Louis XV en février 1745, après la mort de la duchesse de Châteauroux, maîtresse de ce dernier. L’installation d’une bourgeoise comme favorite du roi est à Versailles une révolution psychosociale, mais aussi esthétique : les manières brillantes et les goûts de la ville s’introduisent désormais à la cour. Créée marquise en juillet 1745, « la Pompadour » est pendant cinq ans la maîtresse du roi. Se cantonnant ensuite dans un rôle d’amie de coeur et d’organisatrice des plaisirs royaux, elle multiplie aussi les attitudes de dévotion ; elle améliore ses relations avec la famille royale - les Enfants de France l’avaient surnommée « maman putain » - et consolide une relative influence politique au profit de ses amis et adulateurs, tels Soubise, Bernis et Choiseul. Elle reçoit comme une véritable reine solliciteurs, courtisans, ministres et diplomates. Mais le rôle de « Sa Majesté Cotillon », ainsi que la surnomme Frédéric II de Prusse, se fait surtout sentir dans le domaine de l’esprit et des arts. Elle protège Voltaire, les Encyclopédistes, ou encore Quesnay, chef de file des physiocrates. Tournehem est directeur général des Bâtiments de 1746 à 1751 ; lui succède jusqu’en 1773 le marquis de Marigny, frère de la Pompadour. Celle-ci aménage ses nombreux châteaux de plaisance successifs, tel celui de Bellevue à Meudon, ou encore l’hôtel d’Évreux (l’Élysée) à Paris. Elle appuie l’édification du Petit Trianon à Versailles, de l’École militaire à Paris, dont Pâris-Duverney dirige les travaux à partir de 1751. Ses goûts se manifestent dans ses nombreuses toilettes et dans les décorations qu’elle fait réaliser : l’ébéniste OEben et le peintre Boucher sont de ses protégés et contribuent à créer ce qu’on appellera le « style Pompadour ». À sa mort, elle lègue à son frère et au roi une fortune bien gérée. Le long rôle de premier plan que joue la Pompadour au coeur du règne personnel de Louis XV fait d’elle l’un des symboles de ce
règne, et la figure par excellence de la favorite. À une époque où s’affirme l’opinion publique, les « poissonnades » (libelles injurieux à son encontre qui circulent dans Paris) montrent aussi que la favorite royale a une fonction de « paratonnerre », détournant les mécontentements de l’institution monarchique. Pompidou (Georges), homme politique (Montboudif, Cantal, 1911 - Paris 1974). Pris dans un repli de mémoire entre la geste gaullienne et les deux septennats de François Mitterrand, Georges Pompidou partage avec Valéry Giscard d’Estaing ce statut incertain de président phagocyté par des voisins aussi présents. Un tel statut historique est d’autant moins équitable que Pompidou fut aux affaires, à la tête du pays, pendant plus d’une décennie : presque un septennat de Premier ministre, d’avril 1962 à juillet 1968, et un quinquennat - puisque son mandat fut interrompu par la mort - de président de la République, de juin 1969 à avril 1974. • Un boursier conquérant. On l’a souvent souligné, Georges Pompidou est un pur produit de la méritocratie de la IIIe République. Son père, Léon Pompidou, était fils de paysan ; il devint instituteur, et épousa une institutrice. L’ascension « par le diplôme » va continuer à la génération suivante. Élève très brillant au lycée d’Albi, Georges Pompidou obtient, en 1927, le premier prix de version grecque au concours général. Dès lors, sa voie est tracée : il préparera le concours de l’ École normale supérieure (ENS). Hypokhâgneux à Toulouse, khâgneux au lycée Louis-le-Grand, il « intègre » la rue d’Ulm en 1931. Trois ans plus tard, il est reçu premier à l’agrégation de lettres. Tout, apparemment, destine ce jeune homme à une brillante carrière universitaire, même s’il a aussi suivi, durant son séjour à l’ENS, les cours de l’École libre des sciences politiques (ancêtre de l’actuel Institut d’études politiques, fondé après la Seconde Guerre mondiale). Il commence d’ailleurs à enseigner au lycée Saint-Charles de Marseille et, dès 1938, à 27 ans, est nommé professeur au lycée Henri-IV, à Paris. Et, pourtant, cette route apparemment bien tracée va bientôt bifurquer. Mais, pour lui, contrairement à nombre de jeunes hommes de sa génération, c’est moins la guerre que l’après-guerre qui va constituer un tournant. • « L’agrégé sachant écrire ». À l’heure où le destin bascule pour la plupart des futurs barons du gaullisme, qui plongent dans une
Résistance qui deviendra identitaire pour eux, Georges Pompidou reste, à cet égard, un homme ordinaire. Il « fait son devoir », en 1939-1940, comme lieutenant au 141e régiment d’infanterie, puis reprend son poste au lycée Henri-IV. Tout au long des années noires de l’Occupation, il rend des services - il vient en aide à des amis juifs victimes des poursuites et des persécutions, il transmet des tracts -, mais il ne jouera jamais un véritable rôle dans la Résistance et, du reste, ne revendiquera à aucun moment le « statut » de résistant. La rencontre avec le gaullisme a lieu à la Libération. « L’idée de rentrer à Henri-IV alors que la France ressuscitait ne me venait pas à l’esprit », notera Georges Pompidou dans Pour rétablir la vérité. Il écrit donc à un ami du temps de la rue d’Ulm, René Brouillet, directeur adjoint du cabinet du général de Gaulle, et, grâce à lui, entre dans ce cabinet. De Gaulle est alors chef du Gouvernement provisoire de la République française. La petite histoire a retenu qu’il cherche un « agrégé sachant écrire ». Le mot est apocryphe. Toujours est-il que Pompidou s’occupe d’abord de l’Éducation nationale et de l’Information, et sait se faire apprécier peu à peu du Général. Quand celui-ci quitte ses fonctions, en janvier 1946, Georges Pompidou devient maître des requêtes au Conseil d’État. Mais les liens entre les deux hommes, loin de se distendre, vont se resserrer. Si le plus jeune n’est pas de l’aventure du RPF, fondé en 1947, il s’acquitte, avec efficacité, des fonctions de secrétaire général de la Fondation Anne-de-Gaulle, consacrée à l’enfance handicapée. Les deux hommes ont alors acquis une sorte d’intimité. Du reste, en avril 1948, de Gaulle demande à son cadet d’être son chef de cabinet, et, dès lors, nombre de gaullistes voient en lui l’éminence grise du Général. Bien peu de chose, pourtant, semble les rapprocher : générations différentes, caractères apparemment opposés - le chêne et le roseau -, formations aux antipodes l’une de l’autre - le sabre et la plume. L’historien se bornera à observer que cette étrange alchimie n’est pas si rare en politique, et que la Ve République a vu naître par la suite d’autres surprenants alliages : François Mitterrand et Laurent Fabius, par exemple, ou, entretemps, Georges Pompidou et Jacques Chirac. Pour l’heure, il est vrai, nous ne sommes encore que sous la IVe République. De Gaulle
est dans l’opposition et, bientôt, replié à Colombey-les-Deux-Églises, il paraît définitivement voué à la rédaction de ses Mémoires de guerre. Quant à Georges Pompidou, il semble, plus que jamais, éloigné de la politique, et même du service de l’État. Entré à la banque Rothschild en 1953, il en devient rapidement le directeur général et est l’homme de confiance du baron Guy de Rothschild. L’ancien professeur mène désormais grand train, et le normalien pétri de culture classique achète et collectionne des oeuvres d’art. Son goût en ce domaine - aux antipodes de ces humanités dont il est le produit - est d’ailleurs révélateur d’une ambivalence de l’homme. « Si l’art contemporain me touche, déclarera-t-il en 1972, c’est à cause de [sa] recherche crispée et fascinante du nouveau et de l’inconnu. » Il y a probablement dans cet aveu l’une des clés du personnage : le Georges Pompidou de la maturité a toujours été tiraillé entre l’ancien et le neuf, entre les prudences de la conservation et les vertiges de l’innovation. Par-delà la banalité apparente d’une telle observation, voilà bien une tension quasi structurelle que l’on retrouve chez l’homme politique Pompidou. • Six ans à Matignon. Le caractère tardif de sa véritable entrée dans le sérail politique n’empêche pas une aspiration presque immédiate vers les sommets : six ans à Matignon, cinq ans à l’Élysée. C’est, bien sûr, le retour du général de Gaulle aux affaires en 1958 qui va donner une nouvelle inflexion à la carrière de Pompidou. Tout d’abord, apparemment, à son corps défendant : quand de Gaulle, président du Conseil depuis le début du mois de juin, lui propose de devenir son directeur de cabinet, il accepte, mais précise d’emblée qu’il s’agit d’une fonction provisoire. De fait, six mois plus tard, les débuts de la Ve République le voient revenir à la banque Rothschild. Parallèlement, il continue à se passionner pour l’art et la littérature, avec toujours ce même mélange d’innovation et de classicisme. Classique, assurément, est son Anthologie de la poésie française, pour laquelle un journaliste aura ce mot : « Voilà bien une anthologie de banquier : un portefeuille de valeurs sûres. » Mais, entre 1959 et 1962, ces activités ne l’empêchent pas de mener plusieurs missions en coulisse, sur des questions épineuses, notamment l’Algérie : en 1961, il se rend à Lucerne pour rétablir le contact avec les représentants du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), après downloadModeText.vue.download 728 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 717 l’échec, l’année précédente, des négociations de Melun. Car - et là est l’essentiel -, il demeure, durant cette période, comme par le passé, une sorte d’éminence grise du général de Gaulle. Ainsi remise en perspective, sa nomination au poste de Premier ministre, le 16 avril 1962, s’inscrit comme une suite logique de ces rapports très étroits avec le chef de l’État. Il n’empêche ! L’homme est alors inconnu du grand public, et il n’a jamais exercé de mandat électif. De ce fait, grande est la surprise de la classe politique et de l’opinion publique. Même si son discours d’investiture manque de mordant, à tel point que les parlementaires s’interrogent sur l’avenir du néophyte, Georges Pompidou va s’imposer rapidement, et il gardera son poste jusqu’au 10 juillet 1968 (ce record de longévité, trente ans plus tard, reste inégalé). Il fait réellement ses premières armes dans la bataille politique de l’automne 1962, autour du principe de l’élection du président de la République au suffrage universel. Très vite, son autorité s’affirme sur la majorité, et ses talents d’orateur - car le discours raté du 26 avril 1962 apparaît, avec le recul, comme une contre-performance - font le reste. Dès lors, les douze dernières années de la vie de Georges Pompidou sont étroitement liées à l’histoire de la Ve République. Avec une seule interruption de onze mois, entre juillet 1968 et juin 1969, il en occupe tour à tour l’avant-dernière et la dernière marche. Ce qui doit retenir ici l’attention peut s’articuler autour de trois données, qui, par-delà un parcours apparemment rectiligne, confèrent une densité peu banale à ces douze années : une position vite acquise de dauphin du président ; une brouille, sur le tard, avec ce dernier, qui parut remettre en cause l’avenir de Georges Pompidou ; une victoire pourtant aisément remportée, mais qui déboucha sur un septennat inachevé et sur un destin brutalement interrompu. • Le dauphin. Au fil des premières années de leur collaboration à la tête de l’État, les rapports entre le général de Gaulle et son Premier ministre sont au beau fixe. Tous les témoignages sont concordants sur ce point : si le président ne se représentait pas en 1965, il
était clair pour tous - y compris pour les deux principaux intéressés - que le tour de Pompidou serait venu. De Gaulle, on le sait, décide de se représenter. Mais, sitôt élu, il reconduit son Premier ministre dans ses fonctions. L’attelage, apparemment, reprend la route pour un nouveau septennat. Ce second mandat du général de Gaulle est pourtant celui d’une dégradation des liens entre les deux hommes. Dès 1967, il semble que le président de la République, jugeant Georges Pompidou trop réticent sur le thème de la participation, dont lui-même veut faire l’un des thèmes majeurs de ce septennat, ait songé à le remplacer par Maurice Couve de Murville. L’échec de ce dernier aux élections législatives de mars 1967 empêche une telle substitution. Il est difficile de démêler l’écheveau des causes de cette dégradation, d’autant qu’elle reste encore latente durant plus d’une année. Ce sont les événements de 1968 qui accélèrent le processus et lui donnent une issue brutale. Durant la tempête de mai, Georges Pompidou tient bon, et, après la dissolution de l’Assemblée nationale, il mène la campagne électorale avec maestria : le 23 et le 30 juin, c’est une véritable « Chambre introuvable » qui sort des urnes. Pourtant, quelques jours plus tard, c’est Maurice Couve de Murville qui est nommé Premier ministre. Dans ses souvenirs, Georges Pompidou écrira : « Je me sentis blessé. » La blessure va encore s’élargir à l’automne suivant, au moment de l’affaire Markovic : sur un fait divers - l’assassinat d’un Yougoslave, ancien garde du corps d’Alain Delon - est venue se greffer une tentative pour discréditer, à coups de photographies truquées, l’épouse de Georges Pompidou et, à travers elle, l’ancien Premier ministre. Celuici s’estime alors peu soutenu par le général de Gaulle, et, comme l’a écrit son biographe Éric Roussel, désormais « le lien quasi filial est définitivement rompu ». Dès lors, Georges Pompidou se met « en réserve de la République ». À plusieurs reprises, il déclare qu’il sera un jour candidat à l’élection à la présidence de la République, « lorsqu’il y en aura une ». Cela ne l’empêche pas de faire campagne avec loyauté pour le « oui » au référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat. On sait ce qu’il en fut : le 27 avril 1969, c’est le « non » qui l’emporte, et, dès le lendemain, le général de Gaulle cesse d’exercer ses fonctions .
• Le septennat inachevé. Malgré les grincements de dents de quelques barons du gaullisme et le silence du général de Gaulle - qui n’a adressé à son ancien Premier ministre qu’une lettre, où son soutien était exprimé sans aucune chaleur -, Georges Pompidou obtient le ralliement du parti gaulliste et des Républicains indépendants de Valéry Giscard d’Estaing. Le 15 juin 1969, il triomphe aisément de son adversaire du second tour, le président par intérim Alain Poher. Au fil des années suivantes, son histoire se confond une fois de plus avec celle de la Ve République. On n’en retiendra ici que quelques traits. L’élément probablement le plus éclairant est cette tension, déjà perceptible auparavant, entre un réel souci de modernisation et une tendance conservatrice qui, apparemment, va se développer avec l’âge et la maladie. La modernisation est doublement présente dans les desseins initiaux. Une modernisation économique, tout d’abord. Autant son prédécesseur affectait une indifférence pour ces aspects jugés subalternes - « l’intendance suivra » -, autant Georges Pompidou entend hisser cette France portée par la vague des « Trente Glorieuses » au rang des puissances industrielles de premier plan : la priorité accordée à certaines branches - l’aéronautique, par exemple -, l’encouragement donné au processus de concentration des entreprises françaises, sont autant de symptômes, parmi d’autres, de cette volonté d’ajouter ainsi à la « grandeur » nationale - un thème gaulliste par prédilection. Il y a aussi, au début, un réel souci de modernisation sociale : le pays a changé au fil des années 1960, il faut en prendre acte. Était-ce un sentiment profond, ou un simple souci tactique dans la France de l’aprèsmai 68 ? Les historiens en discutent encore. Toujours est-il que l’appui du président au projet de « nouvelle société » de son Premier ministre Jacques Chaban-Delmas est d’abord sans réserve. C’est par la suite, à mesure que se rapprochent les élections législatives de 1973, que la volonté de resserrer les rangs de la majorité et de ne pas heurter l’électorat de cette majorité conduit à un infléchissement très net. Celui-ci est symbolisé, en juillet 1972, par le remplacement de Jacques Chaban-Delmas par Pierre Messmer. Certes, les élections de mars 1973 sont gagnées, mais la fin du quinquennat est marquée par ce qui apparaît bien comme un coup de frein donné aux réformes.
La maladie du président - dite « de Waldenström », une forme très rare de leucémie - joua-t-elle un rôle dans ce tournant ? Il est difficile, rétrospectivement, de peser au trébuchet les facteurs d’une telle évolution politique et d’en préciser le calendrier. La tendance conservatrice qui se développa sur le tard fut, tout au plus, activée par la maladie. Elle préexistait, et l’âge autant qu’un certain scepticisme à l’égard des hommes jouèrent probablement un rôle encore plus important. Toujours est-il qu’à partir de 1973 le mauvais état de santé de Georges Pompidou - bouffi en raison des traitements médicaux - devient visible. « Dans ma famille, on ne se couche que pour mourir », aurait-il déclaré en ces mois de lutte contre la maladie et la douleur. On connaît la suite : la mort a le dernier mot, le 2 avril 1974. Une telle mort en exercice entraînera un débat. Faut-il la transparence totale pour ce qui relève du plus intime, c’està-dire la maladie d’un président ? Et peut-on continuer à gouverner quand on est devenu un grand malade ? L’histoire retiendra surtout que le seul président qui a promis la transparence totale en la matière, François Mitterrand, a violé sa promesse dès la publication du premier communiqué de santé à l’automne 1981. L’iniquité, pour l’historien, serait de juger les douze années que Georges Pompidou passa aux plus hautes marches de l’État à l’aune d’une fin de règne aux teintes crépusculaires. Ponts et Chaussées (école et administration des). Le corps d’ingénieurs des Ponts et Chaussées, créé - comme l’école - au XVIIIe siècle, est l’un des corps les plus anciens de l’administration publique. Perçu en 1856 par Tocqueville comme l’archétype de la centralisation étatique, il est parfois vu aujourd’hui comme une image de la technocratie, ayant pour justification le développement économique grâce à l’aménagement du territoire, et pour moyen d’action la qualité de son expertise technique. Héritier des frères pontifes médiévaux, issu des tâtonnements du XVIIe siècle, primitivement institué par les arrêts de 1716 et 1733 et réorganisé à plusieurs reprises, composé d’ingénieurs salariés de l’État, il se caractérise par sa décentralisation territoriale. Ses structures locales, très autonomes, qui ont dominé l’espace rural pendant un siècle et demi, puis l’espace urbain depuis les années 1960-1970, ont parfois pu freiner des programmes de grande envergure, comme celui du réseau autoroutier, mis sous l’éteignoir de 1920 à 1960 environ. downloadModeText.vue.download 729 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 718 Depuis le XIXe siècle, les ingénieurs ordinaires du corps se répartissent dans 350 arrondissements, sous l’autorité d’une centaine d’ingénieurs en chef départementaux environ, eux-mêmes relevant des ingénieurs généraux des services centraux. En outre, 2 000 subdivisions territoriales sont prises en charge par des ingénieurs qui ne sont pas membres du corps. • La mainmise sur le génie civil. Le corps a, depuis l’origine, dominé l’administration des Travaux publics (plus de 100 000 agents aujourd’hui). Celle-ci est placée sous la responsabilité du contrôle général des Finances durant l’Ancien Régime, puis du ministère de l’Intérieur (1799-1836), enfin du ministère des Travaux publics, devenu en 1966 ministère de l’Équipement. Depuis la mise en chantier de l’ambitieuse politique routière qui, après les arrêts de 1720 (classement des grandes voies) et de 1738 (corvée royale) et grâce à un budget décuplé au XVIIIe siècle, a doté la France de grands axes routiers modernes, les attributions du corps n’ont cessé de s’étendre jusqu’à un quasi-monopole sur le génie civil. Celui-ci, longtemps lucratif - administrations et collectivités locales versaient aux ingénieurs des honoraires proportionnels au coût des travaux -, est direct, portant sur les routes, ponts, « pavé de Paris », tunnels, ports, canaux, digues, bâtiments publics, barrages, infrastructures coloniales (1880-1960), aérodromes (1948), aménagement urbain (depuis les années 1960)... Il est également indirect sous le régime des concessions : contrôle des ponts de Paris sous Napoléon Ier, des chemins de fer à partir de 1842, des ponts à péage ressuscités en 1951 (Tancarville), et des autoroutes à péage (loi de 1955). Dans les années 1960, le corps diversifie ses débouchés dans les autres ministères et les firmes liées à son activité. Il s’ouvre aux femmes en 1975. • Une école d’élite à deux degrés. Première grande école technique française, constituée empiriquement à partir de 1747 sous l’impulsion de Trudaine et de Perronet, les Ponts et Chaussées sont officiellement fondés par le « Règlement » de 1775. L’école encadre alors une soixantaine d’élèves recrutés selon leur mérite et sur recommandation, et répartis en trois classes. Les enseignements (géométrie, dessin, mécanique, hydraulique...) sont assurés par des ingénieurs en activité. En 1791, elle s’ouvre à tous les départements par concours, devient gratuite, et ses élèves sont
salariés. En 1795, elle se transforme en école d’application de l’École polytechnique nouvellement créée, avec deux ans de scolarité pour environ 20 promus par an dans le corps des Ponts et Chaussées (30 aujourd’hui). Les chaires d’enseignants, fondées en 1799, se multiplient ensuite en liaison avec les nouvelles techniques et la diversité des missions des ingénieurs. Réformée en 1851, l’école admet désormais des élèves externes, qui deviennent « ingénieurs civils » des Ponts et Chaussées (ouverture aux femmes en 1959) et n’intègrent pas le corps ; après 1950, ils sont, à l’école, plus nombreux que les polytechniciens. Depuis 1747, 15 000 ingénieurs ont été formés, dont les deux tiers depuis 1950 : le recrutement annuel, de 50 élèves entre 1900 à 1950, est passé de nos jours à près de 200. Devenue aussi centre de formation continue, l’école est aujourd’hui très liée à la recherche - laboratoires, Annales des Ponts et Chaussées (depuis 1831), Presses de l’école -, et ouverte aux partenariats étrangers ainsi qu’au monde entrepreneurial. porc. Sauvage ou domestique, le porc a été la grande ressource alimentaire des régions forestières qui couvraient la majeure partie de la France avant les grands défrichements des XIe et XIIe siècles. Durant l’Antiquité, Gaulois et Germains n’étaient cependant pas les seuls à l’apprécier : pour les gourmands de Rome, le sanglier, la vulve de truie et le foie de porc engraissé de figues étaient des objets de délices. Au Moyen Âge et au début de l’époque moderne, l’animal ne bénéficie plus d’un tel statut gastronomique : le porc domestique, en particulier, est devenu la viande du paysan, celle qu’il élève pour son usage. Si, pour cette raison, les archives de la boucherie en parlent peu, le porc est en revanche le seul animal dont l’« iconographie des mois » représente constamment le sacrifice, tantôt en novembre, tantôt en décembre, selon les régions. La plus grande partie de sa chair était mise au saloir, séchée ou fumée, et fournissait l’essentiel de la viande et de la graisse que les paysans consommaient au cours de l’année : lard, jambons, viande salée, saucisses, andouilles, etc. Certaines parties de la bête étaient pourtant consommées immédiatement avec les participants au sacrifice ; et le sang servait à faire les boudins, traditionnellement offerts aux voisins - « Dans le cochon tout est bon », dit le proverbe, même le sang. La hure, le groin et les pieds en furent longtemps les
morceaux les plus estimés, ceux qui apparaissaient sur les bonnes tables ; et la graisse - lard ou saindoux - était, dans tous les milieux sociaux, d’une absolue nécessité pour la cuisine des jours gras. L’idée que le porc a été la viande presque unique des paysans ne découle pas seulement de témoignages littéraires et artistiques mais de toutes sortes de documents d’archives - inventaires après décès, pensions alimentaires, etc. Elle ne saurait donc être totalement remise en question par les résultats de quelques études archéologiques récentes qui ont mis au jour, dans des sites ruraux comme dans les sites urbains, une quantité plus grande d’ossements de boeufs, et parfois de moutons. Ce n’est pas le seul paradoxe. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle et au début du XVIIIe, le caractère vulgaire de la viande de porc s’est accentué, la plupart des morceaux, auparavant bien cotés, disparaissant des marchés de pourvoierie, à l’exception du jambon et du lard de cuisine. Or, au même moment, le prix de la chair de porc a augmenté, jusqu’à dépasser celui du mouton et du veau. En 17931794, les tarifs du maximum témoignent que, dans presque tous les districts de France, cette viande paysanne est toujours la plus chère. La baisse de son prix, après la Seconde Guerre mondiale, s’est accompagnée d’une considérable baisse de qualité. Portalis (Jean Étienne Marie), avocat, conseiller d’État, ministre (Le Beausset, Var, 1745 - Paris 1807). Né dans une famille de la bonne bourgeoisie provençale, Portalis est formé chez les oratoriens de Toulon et de Marseille, puis il poursuit ses études à la faculté de droit d’Aixen-Provence, où son père est professeur. Sa réputation grandit rapidement au barreau d’Aix, où il exerce le métier d’avocat depuis 1765 : il est d’ailleurs désigné comme l’un des administrateurs de la Provence en 1778. En 1782-1783, il permet à la comtesse de Mirabeau de triompher dans le procès qu’elle intente à son époux. Homme des Lumières et franc-maçon, il n’accueille pourtant la Révolution qu’avec une grande réserve et reste à l’écart de toute vie publique : il refuse de participer à l’organisation des départements créés dans l’ancienne Provence et, dès 1790, il se retire avec sa famille dans sa maison de campagne varoise. Réfugié ensuite à Lyon puis à Paris, il n’en est pas moins arrêté en 1794 après avoir été dénoncé comme émigré. Sauvé par le 9 Thermidor, il est élu député de Paris et siège au Conseil des Anciens, où il s’affirme
comme un opposant au Directoire : il réclame l’amnistie pour les émigrés, se fait le défenseur de la liberté de la presse et se montre hostile à la création d’un ministère de la Police générale. Victime du coup d’État du 18 fructidor, il quitte la France jusqu’à l’installation au pouvoir de Bonaparte. Présenté au Premier consul par Lebrun, il accède rapidement aux plus hautes responsabilités et devient entièrement dévoué au nouveau maître de la France. Son rôle au sein du comité de rédaction du Code civil est primordial. Au Conseil d’État, où il est nommé en septembre 1800, toutes les questions relatives au culte lui sont confiées à partir d’octobre 1801 : il s’oppose alors à ce que le catholicisme devienne religion d’État et s’emploie à faire accepter le Concordat par le Corps législatif puis à l’appliquer. Nommé ministre des Cultes en 1804, ce gallican convaincu exerce sa tutelle sur les évêques, mais il prône en contrepartie un renforcement de l’autonomie du clergé dans le domaine des pratiques sacramentaires et favorise la restauration du respect populaire à l’égard de la religion. Catholique sincère, il permet la renaissance des communautés religieuses féminines. Lorsqu’il s’éteint en 1807, il jouit d’une grande popularité auprès de ses contemporains et de toute l’estime de Napoléon, qui l’a fait entrer à l’Institut en 1803. portes et fenêtres (contribution des) ! Quatre Vieilles (les) porteurs de valises, nom donné, au cours de la guerre d’Algérie, aux Français compagnons de route de la révolution algérienne, qui ont aidé le FLN, en particulier en métropole, pour lui faciliter les contacts, lui offrir des cachettes ou faire transiter ses militants, des armes et des fonds vers l’Algérie. Convaincus que les peuples du tiers-monde doivent être aidés dans leur lutte anticoloniale, déçus par la gauche socialiste au pouvoir, qui poursuit la guerre en Algérie, inquiets de voir le pays des droits de l’homme pratiquer la downloadModeText.vue.download 730 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 719 torture, ces militants et intellectuels forment l’élément le plus actif du groupe qui soutient le combat pour l’indépendance de l’Algérie. Organisés, à partir de l’été 1957, en réseaux clandestins imités de ceux de la Résistance française durant la Seconde Guerre mon-
diale, peu nombreux, ils sont pourchassés par la police. Le plus célèbre de ces réseaux, celui qu’avaient organisé le philosophe Francis Jeanson et son épouse, tombe en février 1960. Le procès du « réseau Jeanson » suscite un débat important dans l’opinion publique, d’autant qu’à la même époque (septembre 1960) est publié le fameux « Manifeste des 121 » qui proclame le « droit à l’insoumission » et soutient explicitement les porteurs de valises. Néanmoins, considérés comme des traîtres à leur patrie, ceux d’entre eux qui ont été condamnés retrouvent tardivement leur liberté, après des campagnes appuyées pour qu’ils bénéficient d’une amnistie, comme celle accordée à certains membres des forces de l’ordre et de l’OAS. Port-Royal, abbaye cistercienne, bastion du jansénisme au XVIIe siècle. Fondée en 1204, au sud-ouest de Paris, dans la vallée de Chevreuse, l’abbaye de femmes de Port-Royal des Champs connaît un relâchement de la discipline au XVIe siècle, jusqu’à la réforme instituée par mère Angélique Arnauld au début du XVIIe siècle. Dès lors, l’abbaye devient un modèle de vie réglée. Pour s’agrandir et se soustraire à un environnement trop humide, la communauté est transférée en 1625 à Paris, dans le faubourg Saint-Jacques, où se sont installées les carmélites. Autour d’un cloître sévère et d’une église élevée par Le Pautre en 1646-1647, Port-Royal de Paris devient une retraite recherchée par l’élite dévote ; près de l’abbaye, les pavillons élevées par les « belles amies de Port-Royal », la princesse de Guéméné ou la marquise de Sablé, font le lien avec la bonne société et les gens de lettres. Ce paradoxal succès mondain amène en 1648 mère Angélique et quelques religieuses à retourner au « désert affreux » de Port-Royal des Champs. Au-dessus du couvent, dans le hameau des Granges, les solitaires, derrière Antoine Lemaistre, vivent en « amis chrétiens », sans règle ni stabilité mais unis par la liberté évangélique. Ils prient, traduisent les textes anciens, jardinent (le verger entretenu par Arnauld d’Andilly est célèbre pour ses poires), jusqu’à leur dispersion en 1679. Ils réconcilient érémitisme et communauté, mènent une vie religieuse sans appartenir obligatoirement au clergé. À leurs côtés, les Petites Écoles, d’abord établies à Paris, offrent à quelques élus une pédagogie attentive et une instruction solide, jusqu’à leur fermeture en 1660. Cette proximité entre religieux et laïcs est
caractéristique de la communauté port-royaliste ; elle dessine une « petite Jérusalem » où il est possible de chercher son salut hors du monde, mais brouille les cadres de l’Église. Autant que la théologie janséniste, affirmée à la fin des années 1630, cette évolution inquiète les autorités. Après l’expulsion d’une partie des religieuses de Paris par l’archevêque Péréfixe en 1664 et après la séparation des maisons du faubourg Saint-Jacques et des Champs, les persécutions cessent avec la Paix de l’Église de 1668, avant de reprendre en 1679. Port-Royal des Champs est « asphyxié » par l’interdiction de recevoir des novices. Le 27 octobre 1709, en application de la bulle papale obtenue par Louis XIV, les dernières religieuses sont dispersées. L’abbaye est rasée en 1711 et les ossements exhumés du cimetière sont jetés à la fosse commune. positivisme, doctrine philosophique créée par Auguste Comte au début du XIXe siècle. Le terme « positif » désignait au XVIIIe siècle ce qui est fondé sur l’observation des faits réels. Sous l’influence de Saint-Simon, Comte développe une véritable « philosophie positive », principalement exposée dans le Cours de philosophie positive, publié de 1830 à 1842. Selon cette théorie, la loi de l’évolution de l’humanité conduit de l’état théologique, caractérisé par la recherche des causes premières et finales, à l’état métaphysique, état transitoire, destructeur du premier, qui explique les phénomènes par l’action de forces ou de principes abstraits, avant d’aboutir à l’état positif, régime définitif de la raison humaine. Estimant que son temps représente une transition, après la destruction de l’ordre ancien par la Révolution, Comte veut oeuvrer à l’avènement de cet état positif : les progrès des sciences positives (mathématique-astronomie, physique-chimie, biologie) ont fait évoluer l’esprit humain, mais seule la philosophie positive établit la connaissance de cette loi et peut fonder la science qui, à la fois, achève et résume toutes les autres : la sociologie. Celle-ci conçoit les phénomènes sociaux comme assujettis à de véritables lois autorisant une prévision rationnelle. Divisée en « statique sociale » et en « dynamique sociale », elle doit permettre d’aboutir à une politique positive qui assure l’ordre et le progrès, dont elle est la théorie. C’est en 1848 que s’opère la transformation de la « philosophie positive » en « positivisme » et que s’organise la promotion systématique de celui-ci. Comte crée alors la Société positiviste et Littré se fait le propagateur de ses idées grâce à une série d’articles parus dans le National, regroupés
en 1852 sous le titre Conservation, révolution et positivisme. Mais, très vite, les tenants de la doctrine se divisent. L’acceptation par Comte du coup d’État du 2 décembre 1851, le prolongement de la politique positive en religion positive dans le Système de politique positive, éloignent Littré. Après la mort d’Auguste Comte (1857), Pierre Laffite devient « directeur du positivisme » et crée la Revue occidentale (1878). Littré fonde de son côté la Revue de philosophie positive (1867). À travers son oeuvre, un positivisme réconcilié avec le suffrage universel influence la politique opportuniste de la IIIe République, même si les lois sur l’enseignement de Jules Ferry sont acceptées avec réticence par les positivistes orthodoxes. Dans d’autres pays, un positivisme plus religieux s’est développé, comme au Brésil, dont la devise est toujours « ordre et progrès ». Une Société positiviste internationale a été fondée en 1906. poste. C’est sous le règne de l’empereur Auguste, au Bas-Empire, que les premiers courriers à cheval sillonnent les routes romaines de la Gaule pour acheminer les dépêches de l’État. Mais la fin de l’Empire romain d’Occident, au Ve siècle, entraîne la disparition de ce réseau « unitaire ». Au Moyen Âge, chaque roi, évêque ou seigneur se voit contraint de créer son propre service de messagerie. Par la suite, au cours du XVe siècle, à côté des chevaucheurs royaux se développent des corps de messagers réservés à des corporations : universités, communautés religieuses, corps municipaux, corps des marchands. Les voyageurs de rencontre, lorsqu’ils savent écrire, servent à cette époque de messagers aux simples particuliers. • Mise en place d’un système unifié. C’est Louis XI, à la fin du XVe siècle, qui crée une véritable « poste aux chevaux » en ressuscitant un réseau de routes et de relais comparable à celui des Romains, le confiant à des maîtres de poste. Ce n’est qu’un siècle plus tard que Fouquet de La Varane organise, sur ordre d’Henri IV, la première poste aux lettres d’État, mise officiellement au service du public en 1603. Au cours du XVIIe siècle, les maîtres de poste vont peu à peu perdre leurs prérogatives et devoir partager leur pouvoir avec les maîtres des courriers. Le tarif d’expédition d’une lettre est alors proportionnel à son poids et à la distance qu’elle parcourt ; c’est le destinataire qui s’acquitte des frais. En 1629, la création de la charge de surintendant général des Postes et des Relais sonne le glas
de la concurrence et de la diversité des messageries. Le règne de Louis XIV va contribuer à faire de la poste un monopole d’État : Louvois multiplie les relais, supprime les charges de maîtres des courriers et confie la poste aux lettres à la Ferme générale des Postes. Lorsque la Révolution éclate, les postes n’ont quasiment plus de concurrents et deviennent un service public, exploité directement par l’État à partir de 1793. En 1798, l’emploi de facteurs, jusqu’alors très limité, commence à se généraliser. C’est le Premier consul qui fonde en 1804 la Direction générale des Postes, rattachée au ministère des Finances. • Diversification des missions. En 1808, la poste crée un service de mandats réservé aux militaires, puis l’étend à tous les usagers en 1817. Elle n’est plus seulement un transporteur de fonds, de messages, de marchandises et de passagers ; elle devient également un établissement financier, et gagne en unité lorsque le service des relais de poste est réuni à celui de la poste aux lettres. Au XIXe siècle et durant la première moitié du XXe, ses fonctions industrielle et commerciale s’affirment, au rythme des grandes étapes de modernisation : mesure de la qualité du service, avec la création des cachets à date en 1827 ; fiabilité, avec la création des lettres recommandées en 1829 ; rapidité, avec la création des ambulants et le tri en wagons postaux en 1845 ; démocratisation, avec la création du timbre et d’un tarif unique pour l’ensemble du territoire en fonction du poids des lettres en 1849 ; création de la Caisse d’épargne postale en 1881, création des Chèques postaux en 1919. À partir de 1923, la poste cesse d’être une administration comme downloadModeText.vue.download 731 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 720 les autres. Elle relève d’un budget annexe indépendant du contribuable. • Évolution d’un statut. Entre les années 1930 et les années 1980, la poste passe de l’ère de l’automobile à celle de l’avion, de l’ordinateur et du TGV, et voit tripler en vingt ans le trafic annuel du courrier, qui passe de 8 à 24 milliards d’objets entre 1964 et 1984. Mais, face aux exigences des entreprises - qui produisent 80 % du courrier -, devant l’effritement des monopoles, l’explosion de la concurrence et l’internationalisation croissante, le statut d’administration, même assoupli, s’avère progressivement inadapté.
En 1991, elle devient un exploitant public autonome (« La Poste »). Elle continue à autofinancer ses missions de service public sans l’aide du contribuable, et tout en étant pleinement responsable de sa stratégie, de sa gestion, de son personnel et de ses résultats : ses relations avec ses clients relèvent du droit commercial. Elle peut investir à l’étranger et fixer elle-même les tarifs de ses services en concurrence. Établissement public, elle applique néanmoins les méthodes de gestion des entreprises privées. En 2006, elle crée la Banque Postale qui s’occupe de l’ensemble de ses services financiers, tandis qu’elle perd le monopole de l’acheminement du courrier sur les lettres de plus de 50 grammes. Poujade (mouvement), nom donné au mouvement politique constitué autour de Pierre Poujade, et qui recueille une forte audience pendant une brève période, de 1953 à 1956. Le succès du mouvement Poujade apparaît nettement dans l’écart entre l’agitation antifiscale dans une petite ville du Lot (1953) - qui constitue son point de départ - et la présence, trois ans plus tard, au Palais-Bourbon, de cinquante-deux députés du groupe Union et fraternité française, portés par 2,5 millions de voix lors des élections législatives de janvier 1956. Entre-temps, il est vrai, le mouvement Poujade a assez largement changé de nature. Né de l’opposition d’un commerçant, Pierre Poujade, au renforcement des contrôles fiscaux, à un moment où le ralentissement de l’inflation accroît le poids des impôts, le mouvement s’étend bientôt géographiquement et socialement. Les élections de janvier 1956 traduisent cet élargissement de sa base, alors qu’il n’avait pas, à l’origine, de visée électorale : dans les 12 % de votants qui portent leurs suffrages sur les candidats poujadistes, les commerçants et les artisans sont rejoints par des paysans et par une fraction de la bourgeoisie proche de l’extrême droite. Cette réussite s’explique surtout par la personnalité de Pierre Poujade : meneur charismatique, « fort en gueule », il incarne une France opposée à l’intrusion de l’État dans les intérêts privés, roublarde dans ses rapports avec le pouvoir, soupçonneuse à l’égard des puissants. Né en 1920, issu de la petite bourgeoisie, Poujade ouvre après la guerre une librairie-papeterie à Saint-Céré (Lot), dont il devient conseiller municipal en 1953. Son action d’éclat contre les contrôles fiscaux est relayée par la création de l’Union des commerçants et des artisans (UDCA), qui tient son premier
congrès national à Alger, en novembre 1954. Au plus fort du mouvement, en 1956, lorsque l’UDCA compte quelque 200 000 adhérents, le poujadisme reste étroitement lié à son chef, sans déboucher sur une organisation structurée ou sur une stratégie politique. Antiparlementariste mais présent aux élections législatives de 1956, fasciné par l’empire colonial mais défenseur d’une France repliée sur elle-même, le mouvement Poujade conjugue des positions contradictoires. Son succès est essentiellement celui des « bons mots » de son chef, qui appelle à « sortir les sortants » et exhorte, avec des accents xénophobes et populistes, à lutter « contre les trusts apatrides, les trusts électoraux, contre le gang des exploitants, le gang des charognards ». C’est aussi celui d’une rencontre entre un homme et une partie de la société française, celle des « travailleurs indépendants », malmenée par la modernisation. PPF (Parti populaire français), formation politique créée en 1936, disparue en 1945. La création du PPF, en juin 1936, correspond à une restructuration de l’éventail des forces politiques de droite, consécutive à la victoire du Front populaire. Le PPF, toutefois, se présente comme une organisation très différente des ligues dissoutes qui se reconstituent en partis. Fondé, animé, dominé par un ancien dirigeant communiste exclu du PCF en 1934, Jacques Doriot, le PPF résulte de la conjonction d’éléments divers : ouvriers de Saint-Denis (la mairie de Doriot) ; anciens communistes, tel Henri Barbé ; intellectuels, comme Bertrand de Jouvenel ou Pierre Drieu La Rochelle ; anciens Croix-de-Feu, comme Pierre Pucheu qui fait le lien avec les milieux d’affaires bailleurs de fonds du parti. Le PPF est souvent considéré comme la seule formation française présentant de sérieuses analogies avec les fascismes italien ou allemand. Parti de masse (il aurait compté 100 000 membres à son apogée, en 1937), au recrutement populaire, doté d’un rituel fusionnel à forte charge affective, vantant les mérites d’un nationalisme révolutionnaire et le dépassement des clivages (« Ni gauche, ni droite : France d’abord ! », selon le slogan de Simon Sabiani, en 1934), le PPF repose en grande partie sur le culte du chef. Il prône également une organisation sociale corporatiste, où le capitalisme serait non pas supprimé, mais contrôlé. Toutefois, à la veille de la guerre, le PPF n’est plus qu’un groupe
marginal, fortement concurrencé par le Parti social français (PSF) du colonel de La Rocque, plus traditionaliste et qui séduit davantage la clientèle conservatrice. En outre, la formation ne peut résoudre le difficile problème de ses rapports avec les fascismes étrangers : la division entre « munichois » et tenants d’une attitude de « résistance » l’affaiblit gravement au début de 1939. Pendant la guerre, Doriot tente de remettre le PPF sur pied, mais, malgré tous ses efforts, n’arrive pas à convaincre les Allemands - qui l’utilisent comme moyen de pression sur le gouvernement de Vichy de le laisser accéder au pouvoir. Ses maigres troupes servent de supplétifs aux forces de répression allemandes, avant de disparaître dans la débâcle de 1945. PR ! UDF Praguerie (la), nom donné à la révolte des princes menée contre le roi Charles VII en 1440. Elle fut qualifiée de « Praguerie » par allusion aux guerres hussites de Bohême. À l’origine de cette révolte se trouve le mécontentement suscité par l’ordonnance royale du 2 novembre 1439. Par ce texte rédigé à la suite de la réunion des trois états à Orléans, Charles VII entend mettre un terme aux abus des écorcheurs et des gens d’armes en réformant le recrutement de l’armée. Son objectif est que, désormais, les chefs de guerre soient uniquement désignés par le pouvoir royal. Mais l’application de l’ordonnance se heurte à l’opposition des principaux princes du royaume, qui ont recours aux services des chefs de bandes et qui n’entendent pas laisser au roi et à son principal conseiller, Richemont, le monopole du recrutement des troupes. Parmi les mécontents se trouvent Charles Ier, duc de Bourbon, Jean V, duc de Bretagne, Jean II, duc d’Alençon, Jean IV, comte d’Armagnac, auxquels se joignent Dunois et La Trémoille. Le dauphin, le futur Louis XI, chargé par son père de faire appliquer la réforme en Poitou, rallie les conjurés. Dès lors, l’objectif est de mettre Charles VII en tutelle et de confier au dauphin le pouvoir. Pour y parvenir, le duc d’Alençon prend même contact avec les Anglais. Face à la menace que représente pour lui cette coalition, Charles VII réagit fermement et rapidement. Il envoie d’abord une armée en Poitou, où se trouvent les coalisés : à la mi-avril, les places de Saint-Maixent, Melle et Niort sont reprises. Il dirige ensuite son offensive contre le Bourbonnais, le Forez et l’Auvergne, où les conjurés se sont repliés. En
juillet, le duc de Bourbon et le dauphin sont contraints d’accepter la paix de Cusset. Le roi se montre alors indulgent en accordant son pardon à la plupart des ligueurs. Mais, dès l’année suivante, ces derniers recommencent à comploter. Philippe le Bon et Charles d’Orléans - ce dernier rentré de vingt-cinq ans de captivité - prennent part à cette nouvelle alliance. En mars 1442, ils se réunissent à Nevers avec le duc de Bourbon, les comtes d’Angoulême et de Vendôme ainsi que d’autres grands seigneurs. Habilement, Charles VII, qui n’a pas été convié à l’assemblée, envoie deux commissaires, Regnault de Chartres et Martin Gouge, qui savent répondre aux demandes formulées par les princes. La coalition se disloque alors et, en 1445, Charles VII peut procéder à la réforme de l’armée en créant les compagnies d’ordonnance. prairial an III (journées de), dernières journées révolutionnaires parisiennes les 20 et 21 mai 1795. À la suite de l’échec de l’insurrection de germinal (1er et 2 mai 1795), la répression s’abat sur les sans-culottes parisiens. Mais la terrible famine qui sévit en cet an III pousse le peuple à réclamer de nouveau « du pain et la Constitution de 93 ». Des pamphlets circulent, dont l’un - daté du 30 floréal et rédigé par un militant incarcéré - appelle à l’insurrection pour le lendemain. Le 1er prairial (20 mai 1795), downloadModeText.vue.download 732 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 721 le peuple des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau s’assemble en armes et envahit la Convention dans l’après-midi. S’ensuit alors un épisode confus, pendant lequel les émeutiers, privés de direction, massacrent le député Féraud et exigent des mesures pour assurer le ravitaillement en pain et l’application de la Constitution de 1793. Le soir, les derniers députés montagnards font adopter des décrets favorables aux insurgés. Pendant ce temps, les comités organisent une force armée, qui parvient à faire évacuer l’Assemblée. La Convention s’empresse de mettre en accusation ceux de ses membres qui se sont solidarisés avec l’émeute. Le lendemain, 2 prairial, les sans-culottes relancent l’insurrection, mais ils se laissent berner par les promesses des députés. Les 3 et 4 prairial, la Convention reprend le contrôle des faubourgs grâce à 20 000 hommes armés. La répression
est confiée à une commission militaire, qui prononce 36 condamnations à mort, dont celles de 6 députés montagnards (les « martyrs de prairial »), qui tentent de se suicider en un dernier geste de défi. La répression touche tout le personnel sectionnaire, c’està-dire les cadres militants de la sans-culotterie. Le mouvement populaire est désormais impuissant et désarmé. prairial an VII (coup d’État du 30), nom donné à la journée parlementaire du 18 juin 1799, qui s’achève par une réaction antijacobine. En avril 1799 se déroulent de nouvelles élections, dans un climat extrêmement tendu et peu favorable au second Directoire, qui est accusé d’avoir provoqué la reprise des hostilités et de permettre ainsi le triomphe de la Contre-Révolution. De nombreux parlementaires laissent entendre leur désaffection à l’égard du régime. Si les élections expriment une défaite de l’équipe dirigeante, elles ne sont pas pour autant une victoire des jacobins, mais ceux-ci font alliance avec les thermidoriens pour renverser le pouvoir exécutif. Le Conseil des Cinq-Cents et le Conseil des Anciens s’emploient dès lors à obtenir la démission des directeurs, désignés comme responsables des défaites militaires et accusés de corruption. Le 27 floréal (16 mai), ils élisent Sieyès en remplacement de Reubell. Le 29 prairial, Treilhard, ancien conventionnel, est obligé de quitter son poste après que son élection eut été invalidée. Le 30, accusés d’avoir préparé un coup d’État, La Revellière-Lépeaux et Merlin doivent se résoudre à démissionner. Sont nommés à leur place Roger-Ducos, ami de Sieyès, et Moulin, obscur général jacobin, tandis que les portefeuilles ministériels sont redistribués. La liberté de la presse est rétablie et les clubs ouvrent de nouveau. Les Conseils ont ainsi réaffirmé leur autorité face au pouvoir exécutif, mais Sieyès est le véritable vainqueur de cette journée alors que Barras en sort isolé. précaire, concession temporaire d’une terre d’Église à un laïc, effectuée sur ordre du roi et donnant lieu au versement d’une redevance. La précaire apparaît au milieu du VIIIe siècle et constitue un expédient destiné à permettre la « mobilisation » des biens ecclésiastiques par la royauté. La politique menée par Charles Martel (688-741) est en effet coûteuse : il lui faut
disposer des moyens de récompenser les services politiques et militaires qu’il exige de l’aristocratie franque, et veiller à ce que leur coût n’entraîne pas l’appauvrissement de ceux qui y sont astreints. Charles confisque donc de nombreuses terres d’Église afin de les attribuer en bénéfice à ses fidèles. Mais ce mouvement de spoliation ne peut être poursuivi longtemps car il dresse les évêques contre le pouvoir politique. Aussi, les fils de Charles - Pépin et Carloman - mettent-ils au point dans les années 740, en accord avec les autorités ecclésiastiques, un instrument juridique permettant de mobiliser les biens de l’Église sans l’appauvrir : par un simple ordre, le roi transfère la possession d’une terre appartenant à un monastère ou à un évêché à un laïc ; à charge pour ce dernier de verser au propriétaire une redevance, souvent lourde. Il s’agit donc à la fois d’un bénéfice et d’un contrat agraire. Le « précariste » doit au roi tous les services du fidèle, tout en ayant avec l’Église une relation économique. La formule est employée essentiellement durant la seconde moitié du VIIIe siècle. Le renforcement du pouvoir de l’Église au IXe siècle empêche, par la suite, les souverains de procéder à de nouvelles opérations de cette nature. préciosité, courant de sociabilité mondaine actif au XVIIe siècle. Il est des précieuses dès le Moyen Âge qui ne sont que des prudes, moquées par le poète Eustache Deschamps. Mais la préciosité n’apparaît comme phénomène social qu’au XVIIe siècle (le substantif date de 1664), lié à une stabilité politique et à une paix civile retrouvées, propices à l’épanouissement de la galanterie et de la conversation dans un nouvel espace : le salon. • Arthénice, Sapho et les autres. C’est en effet au salon que, quittant la cour et ses manières rustaudes, la société aristocratique se déplace, autour de la maîtresse des lieux, bientôt rejointe par ceux qui se piquent de bel esprit et font profession d’écrire : Malherbe fréquente chez Mme des Loges, Voiture entame sa carrière à l’hôtel de Condé, la vicomtesse d’Auchy attire des plumitifs de moindre renommée... Mais c’est le salon de Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet, qui, par sa durée - des années 1620 à 1665 -, symbolise le mieux le phénomène « précieux » : on y rencontre tout ce que Paris compte de gens bien nés, d’esprits brillants, d’écrivains de renom - Corneille, Mairet, Scarron... Voiture y fait admirer toutes les facettes de son es-
prit. L’hôtel de Rambouillet règne ainsi sur la mondanité parisienne, et l’admission dans la chambre bleue d’Arthénice (version anagrammatique du prénom de la marquise) donne lieu à des intrigues aussi poussées que pour assister aux levers ou couchers du Louvre. Au mitan du siècle, l’Hôtel décline : Voiture n’est plus, la marquise se vieillit, sa fille - Julie d’Angennes, pour qui fut tressée la fameuse Guirlande poétique - manque de charisme. Les mondains trouvent refuge chez Mlle Sully, Mlle de La Suze, Mme de Sablé, Mlle de Scudéry. Cette dernière - qui s’est portraiturée dans son Grand Cyrus sous le nom de Sapho - attire un public plus bourgeois. Quelques années plus tard, Louis XIV drainera vers Versailles une mondanité qu’il mettra au service de sa seule gloire. • Jeux de paroles, enjeux de société. « Le précieux choisit un mode d’action, duquel découlent des moeurs et un jargon », remarquait justement René Bray, alors même que l’on a souvent pris l’apparence de la préciosité - les badinages salonnards, l’épuration du langage, la sophistication des sentiments, etc. pour son essence. Effort pour se distinguer, la préciosité procède donc d’une volonté : par là même, elle affirme le primat de la culture sur la nature. Dès lors, on conçoit que, hors de ces excès qu’a caricaturés Molière dans ses Précieuses ridicules (1659), le classicisme en est le prolongement logique. Il apparaît ainsi, au-delà d’une écume à laquelle on l’a trop souvent réduite, que la préciosité recouvre des enjeux qui excèdent largement les salons et ruelles où elle s’épanouit. Témoin, l’importance des débats sur la place de la femme tant à travers des revendications en matière matrimoniale qu’en matière de culture. Sans aller à faire d’elles des féministes avant la lettre, du moins doit-on reconnaître que les précieuses agitent des idées qui témoignent d’une attention portée à la vie sociale - fût-elle réduite à un microcosme de privilégiés de la fortune et de l’esprit - en vue d’en modifier les permanences en un temps où, précisément, le pouvoir entend en renforcer l’immobilisme. préfet, fonctionnaire institué par la législation du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800), et placé par Bonaparte à la tête de chaque département . • Un agent essentiel du pouvoir. « Il faut que la France date son bonheur de l’établissement des préfectures », affirme le Premier
consul. La réforme administrative mise en oeuvre sous le Consulat repose sur la nomination directe ou indirecte de l’ensemble des exécutifs des différents niveaux administratifs par le pouvoir central. À partir de février 1800, le pouvoir dispose d’un atout essentiel en la personne du préfet. Comme le remarque Tocqueville, l’intendant et le préfet « semblent se donner la main à travers le gouffre de la Révolution qui les sépare » ; le second dispose néanmoins d’un pouvoir plus étendu que le premier, du fait de la disparition de nombreux échelons intermédiaires entre le pouvoir central et son représentant local. Les premiers préfets choisis par Bonaparte sont surtout d’anciens membres des assemblées révolutionnaires, auxquels s’ajoutent anciens ministres et généraux. La diversité de leurs antécédents et de leurs engagements politiques renvoie à une volonté politique claire, que précise la circulaire du 28 floréal an VIII (17 mai 1800) : « Toute idée d’administration et d’ensemble disparaîtrait si chaque préfet pouvait prendre pour règle de conduite son opinion personnelle sur une loi ou sur un acte de gouvernement. Les idées doivent partir du downloadModeText.vue.download 733 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 722 centre ; c’est de là que doit venir l’impulsion uniforme et commune. » Le préfet doit assurer l’ordre et la représentation de l’État dans le département, où il est le chef de l’exécutif face au conseil général, qui y est l’organe législatif. Il remplit en outre, dans les grandes villes comme Lyon ou Paris, les fonctions du maire ; dans la capitale, cette situation durera jusqu’en 1977. • Pérennité d’une fonction. L’institution préfectorale n’a jamais véritablement été remise en cause depuis sa création, tous les régimes l’ayant utilisée pour assurer leur pouvoir. Seule la IIe République supprime les préfets pendant une courte période de trois mois. Parmi les hauts fonctionnaires, les préfets sont les plus menacés par les changements de régime même si, en dépit des nombreuses révocations ou des démissions (beaucoup plus rares), le corps préfectoral se professionnalise : le nouveau pouvoir est souvent obligé de faire appel aux sous-préfets du régime précédent. Les tentatives de renouvel-
lement brutal, comme celle qui suit la chute du Second Empire, ne durent que quelques mois, et très vite le gouvernement de Thiers, puis l’Ordre moral renouent avec les pratiques précédentes. Avec l’installation définitive des républicains au pouvoir, le corps préfectoral retrouve une grande stabilité et l’âge moyen d’entrée en fonction ne cesse de s’élever. Dès le début du XXe siècle, une association professionnelle est créée, dont l’un des soucis principaux est de veiller à la limitation des nominations au tour extérieur. Sous la IIIe et la IVe Républiques se met en place ce que l’on a pu nommer un « équilibre politico-administratif local » fondé sur la collaboration réciproque entre le député, surtout lorsqu’il est élu au scrutin d’arrondissement, et le préfet. Cette situation provoque une double mise en cause : d’une part, la légitimité du préfet, et plus encore celle du souspréfet, soupçonné de n’être que « le pivot de la candidature officielle » est objet de débats (la Chambre vote d’ailleurs par trois fois la suppression de cette fonction - en 1886, en 1906 et en 1920 -, mais le Sénat empêche la loi d’aboutir) ; d’autre part, le ministre de l’Intérieur accuse les parlementaires de freiner l’efficacité de l’exécutif en pesant sur les décisions préfectorales. Avec la Ve République et le renforcement de l’exécutif, ce mode de fonctionnement s’atténue fortement. Surtout, les carrières politiques se jouant désormais moins au niveau local que dans les cabinets ministériels, le couple préfet/parlementaire se distend. Depuis la mise en place de la loi de décentralisation, en 1982, l’exécutif départemental est assuré par le président du conseil général et non plus par le préfet (appelé un temps « commissaire de la République »). Mais, paradoxalement, les pouvoirs de ce dernier, en particulier dans ses missions de coordination des services de l’État, ont été renforcés depuis cette date. l PRÉHISTOIRE. Sont considérées comme « préhistoriques » les sociétés sur lesquelles nous ne disposons pas de sources écrites ou orales, et comme « historiques » celles qui ont utilisé l’écriture, phénomène toujours corrélé avec l’existence d’un État. On parlera en outre de sociétés « protohistoriques » pour celles connues par les écrits de peuples voisins (notamment, Grecs et Latins pour les Gaulois), ou pour celles qui sont en transition entre préhistoire et histoire. Par
convention, on ne décrira ici sous la rubrique « préhistoire » que les sociétés de chasseurscueilleurs du paléolithique et du mésolithique (en France, de 1 million à 6 000 ans avant J.-C.), les sociétés d’agriculteurs du néolithique et des âges des métaux étant traitées sous la rubrique protohistoire. Mais « préhistoire », comme « protohistoire » et « histoire », désigne également la discipline qui étudie ces sociétés, avec ses méthodes spécifiques. L’INVENTION DE LA SCIENCE PRÉHISTORIQUE Si les premières sources écrites remontent au début du IIIe millénaire en Égypte et en Mésopotamie, dans d’autres parties du monde la préhistoire a duré jusqu’à l’arrivée des premiers Européens. Quant à l’actuel territoire français, nos plus anciennes sources sont les récits d’auteurs grecs ou romains, tels Diodore, Posidonios, Strabon ou César, récits plus ou moins fragmentaires et déformés, qui datent au plus tôt du Ier siècle avant notre ère. L’idée que des peuples avaient pu précéder les Gaulois sur le sol de France a donc été pendant longtemps inconcevable, d’autant que la seule chronologie qui faisait foi était celle de la Bible, laquelle donnait à l’histoire du monde une durée totale de 6 000 ans depuis la Création. Toute lecture non littérale de la Bible fut d’ailleurs, jusqu’à la fin du XIXe siècle au moins, passible d’excommunication. C’est pourquoi les objets préhistoriques découverts par hasard étaient attribués à des causes naturelles : les haches polies étaient des « céraunies » ou « pierres de foudre », dues à un éclair ; les flèches de silex étaient des « glossopètres » ou « langues de serpents pétrifiées ». Néanmoins, on commençait à s’interroger, au vu de certains fossiles, sur la possibilité de retrouver les restes d’hommes d’avant le Déluge, « antédiluviens », hypothèse à laquelle Cuvier, le fondateur de la paléontologie, ne croyait guère. C’est au cours du XIXe siècle que s’amorce une entreprise de mise en ordre des découvertes préhistoriques. Le Damois Thomsen, conservateur des collections du Musée de Copenhague, propose en 1836 de diviser la préhistoire en trois « âges » successifs, « de la pierre », puis « du bronze », et enfin « du fer ». L’Anglais Lubbock divisera ensuite, en 1865, l’âge de la pierre en deux parties, le paléolithique (dit aussi « âge de la pierre ancienne » ou « taillée ») et le néolithique (« âge de la pierre nouvelle » ou « polie »). On date cependant de 1859 la reconnaissance officielle de l’ancienneté de l’homme, lorsqu’un
groupe de géologues anglais authentifie les découvertes d’outils préhistoriques dans les terrasses alluviales de la vallée de la Somme. Ces découvertes sont dues au fonctionnaire des douanes Boucher de Perthes, considéré comme le « père de la préhistoire », qui publie ses recherches dans ses Antiquités celtiques et antédiluviennes. Peu avant, en 1856, a été découvert près de Düsseldorf le squelette de l’« homme de Néanderthal », premier fossile humain reconnu comme tel, tandis qu’à partir de 1859 Darwin, en Angleterre, démontre que les espèces vivantes, l’homme au premier chef, ne sont pas figées et connaissent une constante évolution. LE TEMPS DES AMATEURS Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, les fouilles préhistoriques se systématisent. Elles visent à distinguer des périodes successives, dénommées d’après la faune (« âge du renne », « âge de l’aurochs ») ou d’après des noms de sites (« acheuléen », « magdalénien »), et supposées universelles. Le modèle est celui de la géologie, et les fouilles s’efforcent donc de distinguer des couches superposées, chacune caractérisée par des types d’outils spécifiques, dits « fossiles directeurs ». Les terrasses de la Somme et les grottes du Périgord sont des lieux de recherches privilégiés ; les noms de périodes définies sur des sites français sont ensuite repris pour l’ensemble de l’Europe et même au-delà. Le système le plus achevé est celui de Gabriel de Mortillet, responsable du Musée des antiquités nationales, fondé par Napoléon III, en 1867 : il distingue quatorze périodes, dont nombre d’entre elles sont toujours en usage dans la science préhistorique. Mais si l’archéologie grecque et romaine a été le fait de professionnels, étant pratiquée par des universitaires, les fouilles préhistoriques, quant à elles, ont été menées par des notables éclairés : magistrats, comme Piette, qui fouille au Mas d’Azil et à Brassempouy ; médecins, comme Capitan et bien d’autres ; ecclésiastiques, comme les abbés Breuil ou Bouyssonie, qui découvrent la première tombe néanderthalienne en 1908 ; instituteurs, comme Peyrony, aux Eyzies. Il s’agit dans certains cas de militants républicains, pour lesquels la mise en évidence d’une « histoire naturelle de l’homme » sert à contrecarrer les dogmes religieux. La découverte de peintures préhistoriques dans la grotte espagnole d’Altamira (1879) relance le débat sur le psychisme des premiers hommes.
Préhistoire et protohistoire n’ont cependant en France que peu de soutien institutionnel car, contrairement à d’autres pays, elles ne jouent qu’un faible rôle dans la constitution de l’identité nationale d’un pays unifié de longue date. Dès le début du XXe siècle, la préhistoire s’appuie, en Allemagne comme en Europe centrale et septentrionale, sur un puissant réseau de chaires universitaires et de musées régionaux. Il n’en est pas de même en France : le pays prend bientôt un net retard scientifique, aggravé par la saignée démographique de la Première Guerre mondiale, puis par la crise économique de l’entre-deuxguerres. LE RENOUVEAU DES MÉTHODES Il faut attendre les années 1960 pour assister à un renouveau général de la préhistoire en France. De nouvelles méthodes de datation sont découvertes, fondées sur la mesure de l’évolution physico-chimique dans le temps de certains matériaux : dégradation du carbone 14 dans les restes organiques (de loin, downloadModeText.vue.download 734 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 723 la méthode la plus employée, mais qui ne remonte guère au-delà de 40 000 ans), transformation du potassium en argon, absorption progressive de certains éléments du sol (thermoluminescence, résonance paramagnétique, fluor, uranium), enregistrement de l’intensité et de la direction du champ magnétique terrestre (archéomagnétisme). Certaines méthodes sont restées expérimentales (racémisation des acides aminés, hydratation des obsidiennes), d’autres comportent de nombreuses limites, presque toutes admettent une large marge d’incertitude (de plusieurs siècles au moins pour le carbone 14). Une seule, la plus simple, peut fournir des dates certaines si les échantillons sont de qualité : c’est la dendrochronologie qui, par le comptage des cernes annuels de croissance des arbres, peut dater à un an près, et jusque vers 6 000 ans avant notre ère environ, l’année d’abattage d’un arbre - notamment pour les poteaux de construction d’une maison. Même si le bois ne se conserve qu’exceptionnellement, cette méthode a permis d’évaluer les marges d’erreur des autres méthodes. Outre les procédés de datation, de nom-
breuses autres méthodes d’analyse se sont développées : identification des pollens des plantes (qui permet de reconstituer l’environnement et l’économie agricole) ; étude des résidus chimiques dans les poteries, indiquant leur contenu originel ; analyse microscopique des traces d’utilisation sur les outils de pierre ; identification de l’origine géologique des matières premières (argile des poteries, outils de silex, d’obsidienne ou de roches diverses, cuivre, etc.), qui nous renseigne sur la provenance et la circulation des objets ; composition chimique des ossements humains, qui varie avec le mode d’alimentation, etc. En outre, l’informatique a permis de traiter des quantités d’informations considérables, en même temps qu’elle conduisait à réfléchir sur les mécanismes de raisonnement des archéologues. Cette batterie de méthodes, qui ne cesse de s’enrichir, apporte des informations essentielles à la connaissance des modes de vie passés ; elle a aussi permis de ne plus s’intéresser seulement au classement chronologique des civilisations anciennes, mais à la reconstitution minutieuse de leur économie et de leur société. L’ÉTUDE DU FAIT SOCIAL Les méthodes de fouilles en ont été transformées, car elles ne pouvaient plus se contenter d’une collecte des objets jugés les plus significatifs, dans le seul but d’établir la succession des couches archéologiques. Ce changement est allé de pair avec une évolution des sciences humaines en général et avec la diffusion à l’intérieur de ces sciences du structuralisme, mode d’approche qui met l’accent sur l’étude d’un phénomène, d’une société, à un même moment du temps, plutôt que dans le temps. Cette perspective, apparue d’abord en linguistique avec Saussure, est étendue à l’ethnologie par Lévi-Strauss, puis à la préhistoire par Leroi-Gourhan. Venu significativement de l’ethnologie, ce dernier, après la Seconde Guerre mondiale, applique l’approche structuraliste aux méthodes de fouilles, à l’étude des techniques et même à l’analyse de l’art paléolithique. Même si les archéologues soviétiques ont, dès les années 1920, commencé à fouiller de larges surfaces afin de retrouver l’organisation d’un campement ou d’un village, ce n’est qu’avec LeroiGourhan que ce point de vue commence à s’imposer peu à peu en France. Cet intérêt pour les techniques amène aussi les préhistoriens à développer une « archéologie expérimentale », qui s’applique à recons-
tituer les techniques anciennes, afin de tester les hypothèses archéologiques (taille du silex, métallurgie, etc.). Cette approche s’est doublée d’une « ethno-archéologie », les préhistoriens allant observer les dernières populations traditionnelles, non pour étudier leurs mythologies ou leurs institutions, travail habituel des ethnologues, mais pour analyser leurs techniques, méthode à laquelle les ethnologues sont plus rarement formés. Ces enquêtes se sont attachées aussi à mesurer la relation entre la technique et la société, une technique tenant plus souvent à un choix social et culturel qu’à un niveau de connaissance. Dans tous les cas, cet ensemble de méthodes nouvelles ne pouvait plus être le fait des archéologues amateurs. À partir des années 1970, l’archéologie se professionnalise fortement, d’autant que l’intérêt du public pour cette discipline va croissant. Les destructions de sites, usuelles dans les années 19501970, y compris à Paris même, ne sont plus admises. Les aménageurs doivent financer la fouille des sites qu’ils détruisent et l’archéologie connaît en France, depuis lors, un développement sans précédent. LES PREMIERS HOMMES Les différentes périodes de la préhistoire ne sont cependant pas toutes justiciables du même type d’approche et des mêmes techniques d’observation. Ainsi, les recherches sur l’apparition de l’homme sont dépendantes d’abord des découvertes, notre information restant encore très lacunaire. L’hypothèse d’une origine est-africaine, expliquée par une désertification qui aurait contraint les premiers primates à une plus grande adaptation, a été démentie par la découverte d’un australopithèque près du lac Tchad. L’étude de l’hominisation s’appuie aussi sur l’éthologie des singes dans leur milieu naturel, qui a révélé chez eux une grande complexité sociale, l’existence d’outils, de modes d’apprentissage et même de traditions techniques régionales. Cependant, si l’origine africaine de l’homme reste la seule hypothèse admise, l’arbre généalogique détaillé des premiers australopithèques, tout comme leurs relations génétiques aux grands singes, sont encore en débat. Le fait, probable, qu’ils aient fabriqué des outils n’est pas non plus prouvé. La date de l’apparition de l’homme en Europe, et donc en France, est également discutée. L’existence d’un « très ancien paléolithique », notamment dans le Massif central, ne s’est pas vraiment imposée. La présence
humaine n’est certaine en France qu’à partir de 700 000 ans environ avant notre ère, avec Homo erectus et sa civilisation, l’acheuléen, caractérisée par les bifaces symétriques et la maîtrise du feu (grottes de Lunel). Les premiers restes humains sont très peu nombreux, et ceux de Tautavel par exemple sont assez tardifs (300 000 à 400 000 ans). C’est à partir de 300 000 ans avant notre ère, que les Homo erectus européens évoluent vers l’homme de Néanderthal. Ses productions, beaucoup plus complexes, sont regroupées sous le nom de « moustérien ». Sa morphologie est très proche de celle de l’homme moderne et lui permet le langage articulé ; il creuse les premières tombes, façonne les premières parures (dents perforées, fragments d’os) et ramasse des fossiles ou des cristaux à des fins non utilitaires. Vers 30 000 ans avant notre ère, Néanderthal et sa dernière civilisation en France, le châtelperronien, cèdent la place à Homo sapiens sapiens, l’homme moderne. Celui-ci serait apparu vers 100 000 ans avant J.-C. en Afrique du Nord-Est, issu des Erectus locaux. Mais le croisement des données de la paléontologie et des analyses génétiques menées sur des hommes d’aujourd’hui ne permet pas encore de proposer un scénario définitif. Ces nouveaux Sapiens pénètrent en Europe vers 40 000 ans avant notre ère, porteurs de l’aurignacien, à un moment où tout le nord du continent est occupé par les glaces et où le climat du Bassin parisien est comparable à celui de l’actuelle Norvège. En France, le peuplement se concentre dans le quart sudouest, là où le climat est le plus clément. La morphologie des Sapiens (type homme de Cro-Magnon) et leurs capacités psychomotrices sont semblables aux nôtres. De fait, ils tracent les premières gravures schématiques ou figuratives (animaux), façonnent les premières statuettes. C’est de la période suivante, le gravettien (25 000-20 000 ans avant notre ère), que datent les célèbres « Vénus » (telles, en France, celles de Lespugue ou de Laussel), figurines féminines aux traits sexuels exacerbés, dont le strict canon esthétique, reproduit à l’identique à des centaines de kilomètres de distance, montre qu’elles avaient une fonction sociale certaine et qu’il ne s’agissait pas de simples reproductions naturalistes individuelles. Les civilisations suivantes, solutréenne (20 000-15 000 ans avant J.-C.) et surtout magdalénienne (15 000-10 000 ans avant J.-C.), voient l’épanouissement de l’art pa-
léolithique, sous la forme d’objets mobiliers (statuettes, plaquettes gravées, propulseurs sculptés) et, bien sûr, de peintures et de gravures rupestres. C’est l’époque où, jusqu’à nos jours, l’homme pénètre le plus profondément à l’intérieur de la terre : plus de deux cents grottes ornées ont été retrouvées dans le sud de la France et le nord de l’Espagne, parmi lesquelles Lascaux, Niaux, Altamira, Font-de-Gaume, le Tuc-d’Audoubert et, pour les plus récemment découvertes, les grottes Cosquer et Chauvet. La stricte organisation des motifs - essentiellement des chevaux et bisons, mais aussi des signes géométriques - à l’intérieur de la grotte, la rareté des représentations de rennes, qui fournissent pourtant l’essentiel de l’alimentation, indiquent que ces grottes fonctionnaient comme des sanctuaires, et non comme de simples habitats. En outre, Leroi-Gourhan a avancé l’idée que la dualité entre les deux principaux animaux représentés recoupait downloadModeText.vue.download 735 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 724 une différence entre féminin et masculin, et servait de support à toute une mythologie. L’économie et la société des magdaléniens nous sont assez bien connues par la fouille systématique de campements dans le Bassin parisien - tels ceux de Pincevent, d’Étiolles ou de Verberie. Il s’agit de petits groupes de chasseurs-cueilleurs nomades, qui déplacent leurs tentes en fonction des ressources saisonnières. LES INCIDENCES DU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE Aux alentours de 10 000 ans avant notre ère, le climat se réchauffe par oscillations successives : c’est l’actuel interglaciaire. La forêt tempérée s’installe, avec sa faune de cerfs et autres aurochs, ours, loups ou sangliers. Rennes et mammouths remontent vers le nord, tandis que les chevaux se déplacent vers les steppes orientales. L’environnement permet un mode de vie plus sédentaire. Au paléolithique succède le mésolithique, civilisation de chasseurs-cueilleurs dans un climat tempéré. On distingue trois périodes successives : azilien, sauveterrien, tardenoisien, caractérisées par les formes différentes de leurs pointes de flèches, la chasse à l’arc étant l’un des traits dominant de l’économie mésolithique. La
technique du silex connaît une tendance à la réduction de plus en plus grande de la taille des outils : on parle de microlithisme. Dès l’azilien, l’art figuratif s’estompe, au profit de la représentation sur des galets de signes géométriques peints ou gravés ; cette technique se retrouve au tardenoisien, dont les abris sous roche des forêts de Fontainebleau ou du Tardenois conservent des gravures géométriques. C’est ce milieu de chasseurs-cueilleurs que rencontrent les premiers colons agriculteurs néolithiques venus par étapes du Proche-Orient. Les contacts initiaux datent d’environ 6000 avant J.-C. dans le Midi, et 5000 avant J.-C. dans le Bassin parisien. L’économie de chasse et de cueillette disparaît rapidement, même si certains de ses traits techniques ont pu être repris par les agriculteurs, notamment dans le Bassin parisien (pointes de flèches). On ignore encore les détails de l’assimilation de la civilisation indigène. On conviendra ici que l’étude du néolithique proprement dit, comme de l’âge du bronze et de l’âge du fer qui lui succèdent, relève de la protohistoire. DES SITES MENACÉS On peut ainsi considérer que la préhistoire a, dans les trente dernières années, connu des progrès considérables, tant dans ses méthodes que dans ses résultats. On a vu aussi que de nombreux points de débats subsistent, qui tiennent aux inévitables lacunes de nos connaissances. Néanmoins, les grandes lignes de l’évolution biologique et culturelle de l’homme sur l’actuel territoire français peuvent être considérées comme nettement établies. Les problèmes tiennent plus à la disparition rapide des sites préhistoriques, due à la croissance continue de l’urbanisation et de l’industrialisation : malgré la mise en place de plus en plus fréquente de fouilles de sauvetage réalisées dans l’urgence, de nombreux sites sont détruits chaque année sans intervention archéologique, et parfois sans même avoir été reconnus comme tels. Premier Mai, journée de revendication ouvrière devenue jour de la fête du travail. L’idée d’instaurer un jour de chômage généralisé pour signifier les revendications du monde ouvrier vient des États-Unis où, en 1886, les socialistes de l’International Labor Union choisissent le 1er mai pour manifester en faveur de la « journée de huit heures ».
À partir de cet événement - marqué par des affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants -, le premier jour de ce mois de printemps, associé à l’espérance et au renouveau, devient une référence qui « tire sa valeur symbolique de son caractère volontariste et international » (Madeleine Rebérioux). • Une journée de revendication ouvrière. En France, l’initiative américaine est récupérée par les guesdistes du Parti ouvrier français (POF), qui sont à la tête de la Fédération nationale des syndicats. Au congrès de Bordeaux (1888), cette dernière prévoit pour février 1889 l’organisation de plusieurs manifestations pour la journée de huit heures. Leur succès, notamment dans quelques villes de province, pousse les dirigeants à fixer une date unique pour rassembler tous les manifestants. En juillet 1889, sur proposition du guesdiste Raymond Lavigne, le congrès fondateur de la IIe Internationale, qui se déroule à Paris, fait du 1er mai la date universelle de revendication pour la journée de huit heures. Le 1er mai 1890 est marqué en France par plusieurs manifestations ouvrières, dans les villes et les régions minières. Le 1er mai 1891 connaît une ampleur particulière en raison du nombre de grévistes et de l’écho d’affrontements dramatiques avec les représentants de l’ordre : à Fourmies, centre industriel du Nord, neuf jeunes manifestants, de moins de 21 ans, sont tués, dont un enfant. L’armée est directement mise en cause, mais elle est entièrement couverte par les autorités - même si la troupe a tiré dans la foule après de simples jets de pierres de la part des manifestants. Les pouvoirs publics dénoncent, quant à eux, la responsabilité des dirigeants socialistes guesdistes et poursuivent les organisateurs locaux et nationaux, comme Culine et Lafargue. Néanmoins, l’épisode de Fourmies illustre, autour de la journée du 1er mai, la force d’une nouvelle tradition de lutte syndicale et politique, fondée sur l’action socialiste et symbolisée par les succès du POF aux élections partielles de Lille, dès octobre 1891. • Fête du travail et jour de lutte. À la fin du XIXe siècle se développe une intense réflexion sur le travail, aussi bien chez les socialistes et les marxistes, qui considèrent qu’il doit se transformer « de fardeau en joie » (Kautsky), que chez les catholiques, pour lesquels l’encyclique Rerum novarum (15 mai 1891) renouvelle la pensée sur les liens entre le travailleur et le capitaliste. Dans ce contexte, le 1er mai s’affirme comme un moment de cristallisation de toutes les revendications de l’heure pour améliorer le sort du travailleur et signifier la
force de ses défenseurs. Le 1er mai 1906 symbolise cette rencontre réussie entre une revendication précise - « les huit heures » - et un syndicalisme organisé représenté par la CGT - avec des formes d’action radicales comme la grève générale (qui réunit près de 50 % des grévistes de l’année) et les défilés avec drapeau rouge. Désormais, pour les classes dirigeantes et le patronat, le 1er mai appartient au légendaire de la révolution prolétarienne. Le 1er mai 1920, la CGT lance une grève générale à partir du mouvement des cheminots de Paris. Mais son déroulement laisse percer les premiers « déchirements du monde ouvrier » (Annie Kriegel), entre les hésitations de la masse et l’impatience de la fraction révolutionnaire. Après les grandes manifestations de mai 1936, symbole des espoirs représentés par la gauche, et en attendant celles de 1947, où éclatent les désillusions de l’après-guerre, le 1er mai connaît une récupération officielle sous le régime de Vichy qui le décrète « fête du travail », alors même qu’il est choisi en 1942 pour l’organisation de vastes manifestations patriotiques anti-allemandes en zone libre. En 1955, le choix fait par le pape Pie XII de célébrer au 1er mai la fête de saint Joseph « charpentier » participe de cet effort de dépolitisation. Devenu la fête officielle du travail, le 1er mai (chômé et payé) reste encore aujourd’hui pour nombre de travailleurs un moment symbolique où se jaugent l’unité syndicale, la popularité des partis traditionnels de représentation ouvrière, ou le poids des tensions sociales. Premier ministre. Au gré des régimes qui se succèdent en France, la fonction de Premier ministre émerge au fur et à mesure que se structurent les organes de gestion de l’État : premier parmi les ministres ou chef du gouvernement, il peut être aussi le plus haut responsable de l’administration. Enfin, l’avènement des régimes parlementaires lui confère un rôle vis-à-vis de la représentation nationale qui siège à l’Assemblée. • Les antécédents. La fonction de Premier ministre est inconnue au Moyen Âge. Mais, sans remonter à saint Éloi ou à Pépin de Landen, on peut distinguer, assez tôt, dans l’entourage du monarque un conseiller privilégié qui, par la faveur du prince, jouit d’une délégation d’autorité et peut diriger les services, domestiques ou publics, du souve-
rain : ainsi Suger, chancelier et régent durant la croisade de Louis VII, ou Enguerrand de Marigny, qui en vient à superviser l’ensemble des affaires du royaume dans les dernières années du règne de Philippe le Bel. Longtemps, sous l’Ancien Régime, le chancelier, chef d’une administration nécessaire et structurée, fait figure de Premier ministre, tel Duprat auprès de François Ier, et plus encore Michel de L’Hospital auprès des derniers Valois. Mais c’est Richelieu qui, le premier, énonce le principe du « ministériat » : le roi ne pouvant assurer personnellement toutes les charges de l’État, il a recours à ses conseillers, dont l’un a une autorité supérieure, « meut tous les autres ». Cette fonction d’homme de confiance du souverain, même si elle n’est pas nécessairement formalisée par le titre de principal ministre, subsiste jusqu’à la downloadModeText.vue.download 736 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 725 Révolution ; s’y illustrent notamment Mazarin, Colbert, Fleury, Choiseul ou Turgot. Sous la Révolution, dans un premier temps, le roi est seul chef de l’exécutif, exerçant ce pouvoir sans l’aide d’un Premier ministre responsable devant l’Assemblée ; puis, dans un second temps, l’Assemblée prend en main tous les pouvoirs, désignant en son sein un exécutif collégial : dans les deux cas, il n’existe donc aucune des prérogatives qui sont celles d’un Premier ministre d’un régime parlementaire. De même, sous le Consulat et l’Empire, l’organisation des pouvoirs ne laisse aucune place à cette fonction. • Une fonction à la confluence des différents pouvoirs. La Restauration est une époque charnière. Certes, le roi, soucieux d’éviter un système de cabinet à l’anglaise, récuse la fonction de Premier ministre, qui n’est pas mentionnée dans la Charte. Néanmoins, l’institution se fixe au fil de la pratique parlementaire, entre 1815 et 1848 : un président du Conseil des ministres apparaît, chargé de constituer le cabinet. Il est la figure marquante du gouvernement, dont il dirige les travaux et qu’il représente devant les Chambres : ainsi parle-t-on d’un ministère Richelieu ou Villèle, Perier ou Guizot. Le Second Empire, régime autoritaire, marque une régression en la matière, même si la fonction de principal ministre a pu être exercée par des hommes comme Fould ou Rouher.
Sous la IIIe République, on ne parle toujours pas de Premier ministre, mais de président du Conseil. Nommé par le président de la République, il constitue le ministère, mais il n’est encore que primus inter pares, n’importe quel ministre pouvant poser la question de confiance devant les Chambres ; en outre, il assure souvent lui-même la charge d’un département ministériel. Toutefois, dans les années 1930, le président du Conseil parvient à concentrer dans ses mains la réalité des tâches qui seront dévolues à un Premier ministre : chef de l’administration, il dispose désormais de services propres, installés à Matignon (1935) ; chef du gouvernement, il dirige l’équipe des ministres et gouverne souvent par décrets-lois. La IVe République sanctionne cet état de fait : le président du Conseil est le véritable responsable de la politique nationale, bénéficiant personnellement de la confiance de l’Assemblée, votée sur un programme. Mais cette dépendance à l’égard de la représentation nationale fait sa faiblesse, les majorités parlementaires étant souvent des alliances de circonstance. • Le Premier ministre sous la Ve République. En réaction, le général de Gaulle restaure le rôle du président de la République et crée la fonction de Premier ministre. Celuici se trouve à la charnière de l’exécutif et du législatif : nommé par le président, il forme le gouvernement, qui détermine et conduit la politique de la nation (article 20 de la Constitution) ; responsable devant l’Assemblée, il est le chef de la majorité parlementaire. Mais la pratique du pouvoir du Général et de ses successeurs et, surtout, l’onction que confère le suffrage universel au président de la République à partir de la réforme de 1962 contribuent à restreindre le rôle du Premier ministre : ce dernier est le plus haut collaborateur du chef de l’État ; il met en oeuvre davantage qu’il ne conçoit la politique de la nation. Se trouve sans doute ainsi rétablie la fonction de principal ministre, à la fois chef des fonctionnaires et chef de l’équipe gouvernementale. Toutefois, durant les périodes de cohabitation, le Premier ministre, leader d’une majorité parlementaire hostile au président, retrouve des marges de manoeuvre pour appliquer un programme qui lui est propre. Préréforme (la), vocable qui désigne un ensemble de courants réformateurs au sein de l’Église de France, antérieurement à
l’apparition du luthéranisme. La Préréforme se confond avec le mouvement humaniste qui s’épanouit entre 1490 et 1520. À la confluence du mysticisme rhénan (devotio moderna) et de l’humanisme italien, l’humanisme français est fondamentalement chrétien : proche de l’érasmisme, soucieux d’un retour à la lettre et à l’esprit de la Bible, il s’insurge contre une pratique religieuse où prévalent la liturgie et les oeuvres extérieures de dévotion. Illustré par des hommes tels que Jean Standonck, principal du collège de Montaigu, le théologien Guillaume Fichet, l’éditeur Josse Bade, l’antiquaire Symphorien Champier, ou les philologues François Vatable et Guillaume Budé, il est dominé par la figure de l’exégète et traducteur Lefèvre d’Étaples. Ces « bibliens » accordent une grande importance à la philologie sacrée et à la diffusion de l’Évangile. Sans remettre en cause les principaux dogmes, ni l’autorité de l’Église, ils prônent une épuration et une simplification de la foi, une rénovation des études, et un engagement pastoral du clergé. Ces préoccupations, partagées par les souverains et les princes - Louis XII, François Ier et sa soeur Marguerite de Navarre - trouvent un écho auprès de certains évêques, tels que René de Prie à Bayeux, Jacques de Silly à Sées, Louis Pinelle et Guillaume Briçonnet à Meaux. L’illustration la plus éclatante et la plus significative de la Préréforme française est sans nul doute fournie par l’action du « groupe de Meaux » (1516-1523). Ce cercle spirituel, dont Lefèvre d’Étaples est la figure la plus marquante, illustre l’aboutissement de la Préréforme en même temps qu’il en sanctionne l’échec : prise entre le conservatisme de la majorité des clercs et la réforme radicale lancée par Luther, la voie de la rénovation interne prônée par Lefèvre d’Étaples s’attire l’hostilité des deux camps, et aboutit à une impasse. Presbourg (traité de), traité signé entre Napoléon et l’empereur d’Autriche François II, le 26 décembre 1805. La bataille d’Austerlitz (2 décembre 1805) a marqué le triomphe de l’armée française sur les forces austro-russes. Tandis que le tsar se retire par étapes, François II demande à Napoléon un armistice, qui débouche sur la paix de Presbourg. L’Autriche renonce à ses possessions en Italie et à leurs prolongements le long de l’Adriatique : elle cède à la France la Vénétie, l’Istrie (sauf Trieste) et la Dalmatie, territoires qu’elle avait acquis en 1797, lors de
la paix de Campoformio. Elle doit également donner des compensations aux alliés allemands de la France - la Bavière reçoit le Tyrol, le Vorarlberg et le Trentin ; le Wurtemberg obtient la Souabe - et verser une indemnité de guerre considérable. Ces conditions très dures ont été exigées par Napoléon, malgré les conseils de modération de Talleyrand. Ce dernier, favorable à un équilibre européen fondé sur l’axe Paris-Vienne, redoute de voir la France déborder de ses frontières naturelles et devoir ainsi livrer des guerres interminables. Le traité de Presbourg prépare le Grand Empire, avec ses royaumes vassaux et ses glacis protecteurs : il annonce une précaire hégémonie française en Allemagne et en Italie. Surtout, il porte un coup fatal au Saint Empire romain germanique, dont la ruine est consommée avec la création de la Confédération du Rhin (1806) par Napoléon, qui s’en déclare le protecteur. Le royaume d’Italie, directement administré par la France - Napoléon en est le roi, et Eugène de Beauharnais, le vice-roi - est augmenté des ex-possessions autrichiennes dans la Péninsule, tandis que Joseph Bonaparte est nommé roi de Naples, à la place de Ferdinand IV de Bourbon, qui a eu l’imprudence de se joindre à la troisième coalition. président du Conseil, sous la IIIe et la IVe Républiques, titre conféré au chef du gouvernement. Le terme est pourtant impropre car le Conseil des ministres est en réalité présidé par le chef de l’État. Les lois constitutionnelles de la IIIe République (votées en 1875) ne font nulle mention d’un président du Conseil - dont le titre apparaît officiellement dans le décret du 9 novembre 1876 nommant Dufaure : théoriquement, les ministres, nommés par le président de la République, sont égaux entre eux et solidairement responsables devant les Chambres. Toutefois, ce dispositif est complété par des coutumes constitutionnelles : en effet, à partir de 1879, le président de la République se borne à désigner un président du Conseil, qui, luimême, se charge de former le ministère, avant d’être investi par la Chambre des députés, devant laquelle son gouvernement est responsable. Primus inter pares, parlant au nom du cabinet qu’il constitue en accord avec sa majorité parlementaire (selon l’usage, le chef de l’État est néanmoins consulté pour le choix du ministre des Affaires étrangères), il est d’abord un homme de conciliation, qui a exercé luimême parfois la présidence de la Chambre des députés (on en dénombre huit cas). Avec la Première Guerr e mondiale, puis les difficultés
financières ou politiques, son pouvoir tend à augmenter. Ainsi, en août 1914, Viviani est le premier président du Conseil à ne pas prendre en charge de portefeuille particulier, pour mieux se consacrer à sa mission de coordination de l’action gouvernementale (Poincaré en 1928-1929, Doumergue en 1934, Flandin en 1934-1935, Blum en 1936-1937 et Chautemps en 1937-1938 feront de même). L’appel à une très forte personnalité pour assumer cette fonction en période de crise (un « sauveur », tels Clemenceau en 1917 ou Poincaré en 1926) révèle également son importance. Enfin, le chef du gouvernement dispose progressivement de moyens élargis : création downloadModeText.vue.download 737 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 726 d’un sous-secrétariat d’État à la présidence du Conseil (1917), puis de services propres à la présidence du Conseil, installés à Matignon (1935) ; recours de plus en plus fréquent aux décrets-lois dans les années 1930. Afin de remédier à l’instabilité ministérielle de la IIIe République, les constituants de la IVe (1946) prévoient d’accroître l’autorité du président du Conseil, dont la fonction est désormais inscrite dans la Constitution. Nommant à presque tous les emplois civils et militaires, dirigeant la Défense nationale, seul habilité à poser la question de confiance, le président du Conseil est le véritable chef de l’exécutif. Il reste désigné par le président de la République, puis est investi, seul, par l’Assemblée nationale (afin de former librement son cabinet). Mais le premier président du Conseil de la IVe République, Ramadier, en requérant un deuxième vote de confiance sur la composition de son ministère, crée un précédent, et limite de fait le pouvoir de ses successeurs. Cette « double investiture » oblige le chef du gouvernement à procéder à des tractations avec les forces politiques, d’autant que l’« arme » de la dissolution est si difficilement utilisable qu’elle ne constitue pas un réel moyen de pression sur l’Assemblée nationale. L’instabilité ministérielle, encore plus importante que sous la IIIe République, est donc une des faiblesses du régime. Pour y remédier, Pierre Mendès France fait voter une réforme qui supprime la « double investiture » (1954), et Félix Gaillard propose d’introduire le système de la « défiance constructive » (janvier 1958). Mais, quelques mois plus tard, avec l’instauration de la Ve Ré-
publique, le titre de président du Conseil disparaît, en même temps que le régime mis en place après la guerre. président de la République. De la IIe à la Ve République, le débat relatif à la plus haute charge de l’État a porté sur le mode de désignation de son détenteur, donc sur sa légitimité et sur l’étendue de ses pouvoirs. Il en est sorti un type d’institution original, puisant certaines racines dans l’héritage monarchique tout en intégrant des principes républicains, et qui est marqué, selon les époques et les Constitutions, par son effacement au profit du Parlement ou, au contraire, par sa très nette prééminence. • De l’« onction » populaire au coup d’État. La révolution de 1789 n’ayant pas souhaité confier la République à un président, ce sont les républicains de 1848 qui définissent l’institution. Malgré les réserves de Jules Grévy, qui craint le césarisme et reste attaché à la collégialité de l’exécutif, l’Assemblée constituante se prononce, derrière Lamartine, pour l’élection du président de la République au suffrage universel. Mais elle en rogne considérablement les pouvoirs : sans droit de dissolution de l’Assemblée, responsable de ses actes, le président aura un mandat de quatre ans, sans possibilité de réélection immédiate. Cette ultime précaution cause d’ailleurs la perte du régime car Louis Napoléon Bonaparte, faute d’obtenir une révision de la Constitution qui lui permette de se représenter, commet le coup d’État emportant la République. Ce précédent ne cessera, un siècle durant, d’alimenter la méfiance des républicains à l’égard de l’institution. • L’élu du Parlement. La fonction, telle qu’elle est définie par les lois constitutionnelles de 1875, est ambiguë, car l’Assemblée est alors dominée par une majorité monarchiste, qui espère en fait une restauration. Élu pour sept ans et rééligible, le président est un quasi-monarque constitutionnel, qui dispose du droit de grâce et de celui de conclure les traités ; il a l’initiative des lois (concurremment avec les membres de la Chambre des députés et du Sénat), peut dissoudre la Chambre (après avis conforme du Sénat) et nomme aux hauts emplois civils et militaires - en vertu de quoi il peut désigner les ministres. Mais sa capacité d’action est fortement obérée par son mode de désignation : élu par l’Assemblée nationale (soit la Chambre des députés et le Sénat réunis en Congrès), le président ne tient
sa légitimité que du pouvoir parlementaire. De plus, chacun de ses actes doit être contresigné par un ministre. Après la crise politique du 16 mai 1877, qui oppose le président Mac-Mahon aux républicains, c’est l’interprétation que font ces derniers des institutions qui prévaut. Dès lors, le président exerce davantage une influence et un magistère moral que la réalité du pouvoir exécutif. Celui-ci est dévolu au président du Conseil, qui est responsable devant les Chambres. Si quelques personnalités - Grévy, Poincaré, Millerand - ont voulu et pu parfois peser sur le cours des choses, à compter des années 1920, la présidence de la République connaît un long effacement, qui dure jusqu’à la fin de la IIIe République, en 1940. Les constituants de 1946, en élaborant les institutions de la IVe République, accentuent cette faiblesse de l’exécutif. Dénonçant le régime de Vichy et redoutant le césarisme que pourrait incarner le général de Gaulle - qui, dans son discours de Bayeux, n’a pas caché sa préférence pour une présidence forte et active -, ils s’emploient à restreindre le rôle du chef de l’État : celui-ci continue d’être élu par l’Assemblée nationale et conserve à peu près les prérogatives qu’il avait de 1875 à 1940. Vincent Auriol, le premier président de la IVe République, élu en 1946, résume ainsi son rôle : « Un greffier et un facteur. » • La magistrature suprême sous la Ve République. Revenu au pouvoir en 1958, le général de Gaulle établit aussitôt dans les institutions de la Ve République sa conception d’un pouvoir exécutif fort, que ne songent à contester ni le peuple ni la classe politique dans son ensemble, du fait des événements d’Algérie. Les grands principes sont repris du discours de Bayeux : séparation des pouvoirs - le président s’affranchit de la tutelle de l’Assemblée -, renforcement des prérogatives du chef de l’État, élargissement de son assise électorale à un collège étendu de 80 000 grands électeurs. Toutefois, par le maintien de la responsabilité du gouvernement devant la Chambre, la France demeure un régime parlementaire ; mais le président de la République est bien la clé de voûte des institutions, disposant du droit de dissolution de l’Assemblée, de l’appel au référendum, et pouvant, si les circonstances l’exigent, avoir recours à des pouvoirs exceptionnels (article 16). La pratique du pouvoir du Général renforce cette tendance : il décide des grandes orientations politiques et traite directement
nombre de grands dossiers relevant, notamment, des Affaires étrangères (« l’essentiel et le permanent »), laissant au Premier ministre, qu’il nomme, la gestion des affaires courantes (« les contingences »). En 1962, de Gaulle parachève son oeuvre en faisant ratifier par référendum l’élection présidentielle au suffrage universel. Dès lors, cette élection devient l’élément structurant de la vie politique, les élections législatives étant largement dominées par la rivalité entre la majorité présidentielle et des forces d’opposition plus ou moins unies. Cette présidentialisation du régime n’est pas remise en cause par la pratique des successeurs du général de Gaulle. Toutefois, les diverses périodes de cohabitation que connaît le régime à partir de 1986 privent le président du rôle de chef de la majorité. Sans l’appui d’une majorité parlementaire et d’un Premier ministre dévoués au projet présidentiel, le président de la République n’exerce plus que la fonction d’arbitre que lui confère la lettre de la Constitution. présidiaux, juridictions intermédiaires entre les bailliages et les parlements, créées au XVIe siècle. Un édit d’Henri II (janvier 1552) érige 61 bailliages ou sénéchaussées en « sièges présidiaux ». Constitués de 9 juges, et s’intercalant entre les juridictions inférieures (prévôtés et bailliages) et les parlements, les présidiaux doivent statuer en unique ou dernière instance sur les affaires de faible importance, dont les appels encombraient les parlements. Leur création répond à la volonté de simplifier les procédures judiciaires en limitant les possibilités d’appel, et d’éviter ainsi que les sujets « emploient le temps de leur vie à la poursuite d’un procès sans en pouvoir voir la fin ». Après 1552, le nombre des présidiaux augmente (on en compte 100 au XVIIIe siècle, dont 43 dans le seul ressort du parlement de Paris), et celui des magistrats est porté à 15 en 1580. Souvent citée comme exemple de la politique de modernisation de l’administration de la justice, la création des présidiaux apparaît en réalité comme une mesure de circonstance, destinée à renflouer le Trésor royal en permettant la vente de nouvelles charges. Il est un fait que les présidiaux ne parviennent pas à trouver leur place dans le paysage institutionnel de l’Ancien Régime, se heurtant aussi bien à l’hostilité des bailliages qu’à celle des parlements. Malgré plusieurs réformes tendant à élargir leurs compétences, ils restent jusqu’à la fin de l’Ancien Régime les parents pauvres de l’institution judiciaire.
l PRESSE. La presse française contemporaine est le produit d’une histoire qui débute au XVIIe siècle. L’État, décidé à la contrôler ou soucieux d’assurer les conditions de son développement, joue un rôle majeur dans sa consolidation progressive. La loi de 1881 fonde la liberté downloadModeText.vue.download 738 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 727 d’une presse moderne qui, depuis plus d’un siècle, semble s’interroger, sans trouver de réponse à une question centrale : comment concilier indépendance de l’information et contraintes économiques ? POLITIQUE, LITTÉRATURE ET LIBERTÉ Si la naissance de la presse en France se situe au XVIIe siècle, il faut en chercher les racines deux siècles plus tôt. Le XVe siècle, en effet, voit l’apparition de deux innovations majeures : tandis que l’imprimerie permet la reproduction des nouvelles à grande échelle, la poste en favorise la plus large diffusion. Bientôt se multiplient les supports occasionnels d’information : « canards » illustrés, ancêtres des journaux à sensations, qui se repaissent de crimes odieux, d’accidents sanglants et d’histoires fabuleuses supposées vraies ; libelles et autres pamphlets qui accompagnent les crises politiques et religieuses du royaume ; feuilles « volantes » en tout genre. Aux imprimés destinés au plus grand nombre s’ajoutent les « nouvelles à la main » qui alimentent régulièrement la haute société en indiscrétions glanées dans les couloirs des puissants. En 1631, les Nouvelles ordinaires de divers endroits, de Jean Epstein, et la Gazette, de Théophraste Renaudot, introduisent en France une forme de nouvelles imprimées et périodiques qui, depuis deux décennies déjà, connaissent un vif succès en Europe du Nord, et singulièrement en Allemagne. Bénéficiant d’un privilège royal de vente et de distribution, forte d’un millier d’abonnés, la Gazette, qui a absorbé son concurrent, sert de relais à la propagande monarchique. Le monopole de l’hebdomadaire de Renaudot sur les informations politiques est cependant entamé, dès l’origine, par les gazettes étrangères qui pénètrent sur le territoire français sans obstacles grâce à la poste royale. La pratique du privilège est, un
siècle plus tard, également étendue aux annonces, avec les Affiches de Paris (1745). Privés d’actualité politique par le privilège de la Gazette, les imprimeurs rivaux consacrent l’avènement des journaux qui, tels le Journal des savants (1665) ou le Mercure galant (1672), développent le commentaire scientifique et littéraire. Ces liens entre presse et littérature, première grande caractéristique française, sont définitivement établis à l’époque des Lumières. Les Encyclopédistes, de même que leurs adversaires, se regroupent autour de revues qui animent leur polémique. Au Nouvelliste du Parnasse de l’abbé GuyotDesfontaines (fort véhément à l’égard de Voltaire), ou à l’Année littéraire de Fréron, répond avec pugnacité le Mercure galant, transformé en Mercure de France, qui, sous la conduite de Marmontel, accueille d’Alembert, Condorcet, La Harpe ou Voltaire. Grâce à la poste, qui réduit et uniformise les tarifs, la presse pénètre rapidement la province dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. La baisse des prix d’expédition assure à la première le monopole de distribution des journaux, et permet à la seconde d’offrir des abonnements à des coûts plus attractifs. En 1777 apparaît le premier quotidien français, le Journal de Paris, fondé trois quarts de siècle après le Times de Londres ! Les monopoles résistent mal au temps et à la pression de libraires qui, comme Panckoucke, lancent des organes de presse où l’on évoque tout autant l’actualité politique que les nouvelles littéraires. Le rythme de création des « feuilles » s’intensifie (plus d’une centaine de journaux voient le jour dans les années 1780) ; les pratiques de lecture collective favorisent la diffusion de l’information imprimée et, à la fin de l’Ancien Régime, le mot même de « journal » acquiert son sens moderne. La Révolution donne à la presse française son autre trait majeur : en instaurant la liberté d’expression, elle suscite le jaillissement des feuilles politiques. 158 journaux se créent au cours de la seule année 1789, et 1 400 titres nouveaux jusqu’à la fin du siècle. La demande est telle qu’une même feuille peut connaître trois éditions quotidiennes (matin, soir, et départements). Les tirages atteignent parfois 10 000 exemplaires et, dès 1791, la poste diffuse chaque jour plus de 100 000 journaux, auxquels s’ajoutent les numéros vendus par les colporteurs. Les parlementaires influents utilisent la
presse comme une arme de propagande : Mirabeau (le Courrier de Provence), Brissot (le Patriote français), Marat (l’Ami du peuple), Hébert (le Père Duchesne), Desmoulins (les Révolutions de France et de Brabant), etc. Jusqu’en 1792, ils jouissent d’une liberté presque illimitée. Mais, une fois la République fondée, la lutte des factions se traduit par des persécutions contre les journalistes, qui souvent paient de leur vie un engagement sans réserve. Jusqu’aux débuts de la IIIe République, le destin des journaux est commandé par l’évolution heurtée de la liberté de la presse, que le pouvoir cherche périodiquement à museler. Dès 1800, Bonaparte supprime cinquante feuilles parisiennes pour n’en autoriser que treize, dont le Moniteur, devenu journal officiel. Frappées du droit de timbre, alourdies par une taxe postale en augmentation, étroitement surveillées par la censure, elles disparaissent les unes après les autres. En 1811, on n’en compte plus que quatre. En revanche, l’Empereur épargne la presse de province, qui assure la diffusion, auprès de la population, des décisions de l’État. Avec la Restauration, la presse d’information bénéficie d’un certain répit. Les journaux, dont le lectorat n’excède guère la couche des notables, renaissent : c’est le cas du Conservateur de Chateaubriand ou de la Minerve française de Benjamin Constant. La politique libérale se révèle cependant de courte durée : une ordonnance de 1820 rétablit la censure. Dix ans plus tard, en prétendant établir une législation particulièrement répressive contre la presse, Charles X provoque une réplique des journalistes groupés autour de Thiers et du National, prélude à une révolution qui aboutit à la chute des Bourbons. Quant à LouisPhilippe, il finit par renouer avec l’attitude de ses prédécesseurs. Cinq ans après avoir proclamé, par la Charte de 1830, la fin de la censure, il tente de se débarrasser des feuilles de l’opposition légitimiste ou républicaine en aggravant les délits de presse, en favorisant la suspension des journaux par les tribunaux et en alourdissant le cautionnement. Exception faite de la brève IIe République qui rétablit la liberté (au printemps 1848, plus de 170 feuilles se créent à Paris), la politique répressive se poursuit jusqu’à la fin du second Empire. Si Napoléon III tolère certains organes légitimistes (la Gazette de France), orléanistes (le Journal des débats), libéraux et républicains modérés (le Siècle, la Presse), il n’adoucit le sévère régime de la presse qu’en
1868. Il supprime alors l’autorisation préalable et l’avertissement (qui pouvait entraîner l’interdiction du journal), mais maintient le cautionnement, le droit de timbre, et conserve aux tribunaux correctionnels le pouvoir de statuer sur les délits. INDUSTRIALISATION DE LA PRESSE ET AVÈNEMENT D’UNE CULTURE DE MASSE Malgré tout, par la richesse de ses innovations, la période prépare la révolution de la presse qui marque la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Trois domaines connaissent une sensible transformation. D’abord, celui de la fabrication du journal : la mécanisation, de plus en plus sophistiquée, favorise l’accroissement des tirages, la chute des coûts de revient, l’augmentation de la pagination. En 1867, le Petit Journal adopte la rotative Marinoni, qui peut imprimer jusqu’à 10 000 pages à l’heure. La pâte à bois remplace le papier chiffon. La lithographie, qui a permis l’introduction de l’illustration dans les journaux des années 1830, laisse bientôt la place à d’autres procédés (zincogravure, similigravure, héliogravure). En revanche, devant la résistance des ouvriers du Livre, la linotype ne s’impose guère avant 1905. Ensuite, l’information se rationalise. L’agence Havas, créée en 1835, profite des progrès du réseau télégraphique pour s’imposer comme la source essentielle des nouvelles. À la veille de la Grande Guerre, une quarantaine de quotidiens bénéficient des services de la puissante agence de presse. Enfin, le siècle innove en matière de modes de vente et de diffusion. En 1836, Girardin, avec la Presse, et Dutacq, avec le Siècle, inventent la presse à bon marché. Le principe en est simple : diminuer le prix de l’abonnement par l’augmentation du tirage et le recours aux annonceurs (publicité). Girardin parvient ainsi à réduire de moitié le tarif de ses abonnements. En innovant dans le contenu (romanfeuilleton), la presse à bon marché conquiert de nouveaux publics. À partir de 1856, les feuilles non politiques peuvent être transportées par des messageries privées aux tarifs attractifs. C’est ce qui permet au Petit Journal, lancé en 1863 par Millaud, de connaître son essor. Grâce au chemin de fer, il se répand sur tout le territoire. Prototype du « journal à un sou », le Petit Journal, qui mise d’emblée sur un public populaire friand de faits divers (comme l’affaire Troppmann, en 1869) et de romans-feuilletons, use des méthodes nouvelles de la publicité, tire bientôt à des centaines de milliers d’exemplaires et bouleverse
l’histoire de la presse mondiale. La dernière impulsion à l’avènement de la presse moderne est fournie par la République. Non seulement la loi du 29 juillet 1881 met en place un régime de liberté mais, en supprimant toutes les entraves financières qui pesaient jusqu’alors sur les journaux, elle ouvre totalement le marché de l’information. Grâce à l’abolition du timbre, la vente au numéro downloadModeText.vue.download 739 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 728 se généralise promptement : le Petit Journal est le premier à en bénéficier. La presse peut désormais répondre à la demande croissante, conséquence de l’alphabétisation des Français. Les tirages des quotidiens parisiens ne cessent d’augmenter : 200 000 exemplaires en 1863 ; 1 million en 1870 ; 2 millions en 1880 ; 5,5 millions en 1910. Entre-temps, le nombre de titres a quintuplé (de seize à quatre-vingts). Ces mutations profitent surtout à la grande presse d’information populaire, qui, avec ses éditions quotidiennes ou ses suppléments hebdomadaires illustrés, finit par supplanter les feuilles d’opinion. Les quatre « majors », le Petit Journal, le Petit Parisien (1876), le Matin (1883), le Journal (1892), contrôlent 40 % du marché des quotidiens en 1914. À lui seul, le Petit Parisien diffuse, à la même date, 1,5 million d’exemplaires chaque jour. Les publications de province (la Petite Gironde, le Progrès de Lyon, la Dépêche de Toulouse, etc.) profitent, à leur tour, de l’envolée. De 1880 à 1914, leur tirage total passe de 700 000 à 4 millions d’exemplaires. Le contenu même de l’information se modifie en profondeur : les genres traditionnels (chronique, critique) cèdent le pas aux grand et petit reportages. Des feuilles spécialisées apparaissent, qui visent des publics particuliers, comme les femmes (le Petit Écho de la mode), les enfants (le Journal de la jeunesse, la Semaine de Suzette) ou les amateurs de sport (le Vélo, l’Auto). La photographie conquiert les magazines en images (l’Illustration, en 1890) avant la grande presse ; elle donne même naissance à un quotidien qui l’utilise comme argument de vente (Excelsior, 1910). Le Rire et l’Assiette au beurre renouvellent le genre caricatural. Portée par la vague des changements économiques et sociaux du XIXe siècle, la
presse est sortie de l’âge de l’artisanat pour entrer dans l’ère de l’industrie. Les grands journaux sont devenus de vastes entreprises qui exigent de puissants capitaux, aiguisent l’appétit des milieux d’affaires, attirent les annonceurs. Dès 1881, le Petit Journal s’est constitué en société anonyme au capital de 25 millions de francs. Le Matin, dirigé par un entrepreneur en travaux publics, BunauVarilla (lui-même associé à un banquier et courtier d’assurances, Poidatz), emploie 900 personnes en 1914. La concentration qui s’est engagée dès les années 1880 touche jusqu’à la distribution. À la veille de la guerre, la maison Hachette, après avoir acheté une à une les messageries concurrentes, a établi un quasi-monopole sur la diffusion de l’information. La dérive capitalistique de la presse inquiète d’autant plus les journalistes - désormais relégués au rang de simples employés que les scandales politico-financiers révèlent une corruption organisée. Une série de rapports publiés entre 1889 et 1892 montre que la presse a reçu près de 60 % des 22 millions affectés à sa publicité par la Société du canal de Panamá. Du Temps au Gaulois, du Figaro au Radical, la liste est longue des titres compromis dans le trafic. Dès 1896, de semblables procédés se développent pour les emprunts étrangers (russes, notamment) ; mais le scandale n’éclatera qu’après guerre, en 1923. À ces sommes s’ajoutent celles des fonds secrets gouvernementaux dont bénéficient des feuilles comme l’Ordre, l’Écho de Paris ou l’Opinion. D’UNE GUERRE À L’AUTRE : LA CRISE D’IDENTITÉ DE LA PRESSE Pendant la Première Guerre mondiale, les journaux, étroitement surveillés par la censure, participent, souvent avec zèle, à la propagande gouvernementale. Dans des quotidiens aux rédactions amaigries par la mobilisation, privés d’informations, réduits, pour des raisons matérielles à un simple recto verso, chroniques militaires, communiqués de l’état-major, informations pratiques, deviennent les genres majeurs. L’éditorial est la forme d’expression où se manifeste avec le plus de fougue l’exaltation patriotique, qui, jointe aux fausses nouvelles et aux « bobards », est bientôt qualifiée de « bourrage de crâne ». Les articles emphatiques de Gustave Hervé, ancien anarchiste brusquement rallié à l’« union sacrée » - en 1916, il trans-
forme sa Guerre sociale en la Victoire -, ou de Maurice Barrès dans l’Écho de Paris sont commentés avec une cruelle ironie dans les publications en expansion à partir de 1916, comme l’OEuvre (Gustave Téry), le Journal du peuple (Henri Fabre) ou le Canard enchaîné (Maurice Maréchal). Les excès, caractéristiques du début de la guerre, ne sont pas sans rapport avec la création, en 1918, du Syndicat des journalistes (SNJ), qui entend notamment doter la profession de règles morales enfin rigoureuses. Faste pour les journaux de province, l’entre-deux-guerres est une période difficile pour la presse parisienne : les charges s’accroissent (prix du papier, coût du téléphone - devenu un instrument indispensable), le marché publicitaire reste étroit (on craint, du reste, la concurrence de la radio naissante). Il faut pourtant moderniser les structures pour résister aux rivaux. De grandes opérations se traduisent par des échecs retentissants (le Quotidien, l’Ami du peuple). Et tandis que la crise s’installe, la nécessité s’impose d’augmenter le prix au numéro (qui, en moyenne, passe de 10 à 50 centimes en vingt ans). Néanmoins, on relève durant cette période de nombreux signes de dynamisme et d’innovation, notamment avec les grands hebdomadaires politiques et littéraires conçus par de prestigieuses maisons d’édition : Fayard lance Candide (1924) et Je suis partout (1930) ; Gallimard, Marianne (1932). Gringoire (1928) atteint parfois les 800 000 exemplaires. Mais le grand phénomène de ces années s’appelle Paris-Soir, racheté par l’industriel Jean Prouvost, en 1930. Proposant une mise en page attractive (titres chocs, photographies abondantes, « décrochés »...), renouvelant constamment sa formule, s’entourant d’une équipe solide (Lazareff y forge ses armes), Paris-Soir devient le premier quotidien français à la fin des années 1930 (2 millions d’exemplaires en 1939). Au moment de la débâcle de 1940, la presse parisienne se replie massivement vers les villes du sud de la Loire. L’armistice signé, la plupart des titres continuent de paraître, acceptant le jeu de la censure et de la propagande. Certains s’installent en zone sud (par exemple, à Lyon, le Figaro partage les locaux du Nouvelliste ; le Temps, ceux du Progrès). Mais plusieurs titres majeurs (le Matin, le Petit Parisien, l’OEuvre) acceptent de revenir à Paris, où s’expriment avec violence les journaux collaborationnistes (le Cri du peuple, Je suis partout, la Gerbe). Pa-
rallèlement, les feuilles de la Résistance s’organisent : simples tracts au début, les journaux clandestins, malgré les difficultés de fabrication et de distribution, finissent par présenter les caractéristiques de véritables organes de presse. En 1944, des publications comme Combat ou Défense de la France parviennent à diffuser 250 000 exemplaires. SERVICE PUBLIC ET LOI DU MARCHÉ Avec la Libération vient le temps de l’épuration. L’État joue alors un rôle éminent dans la reconstruction de la presse. Les ordonnances de 1944 interdisent tous les journaux parus sous contrôle allemand, y compris ceux qui ont poursuivi leurs activités après l’invasion de la zone sud, en novembre 1942. La quasitotalité de la presse d’avant-guerre disparaît alors ; l’Agence France-Presse, étatisée, remplace Havas ; les messageries Hachette sont mises sous séquestre. Les nouveaux organes sont liés à la Résistance, tels Combat, Franc-Tireur ou Défense de la France (bientôt transformé en France-Soir, sous la direction de Lazareff). Le Monde naît de la volonté du général de Gaulle en personne, soucieux de fonder un « journal de référence » comme l’était autrefois le Temps. L’ambition de façonner une presse indépendante, débarrassée de la tutelle de l’argent et mise au service du citoyen, est aussi profonde que partagée. Mais le statut de la presse demeurera à l’état de projet. À l’euphorie de la Libération succède une crise brutale en 1947-1952, qui provoque la disparition de nombreux titres et le retour en force des puissances financières. En 1952, on compte deux fois moins de quotidiens dans la capitale qu’en 1946 (14 contre 28). Tandis qu’Hachette entre dans le capital de France-Soir, le groupe Prouvost rachète la moitié des actions du Figaro (1950), et Marcel Boussac près des trois quarts de celles de l’Aurore (1951). Le phénomène de concentration gagne la province, où se développent les « grands régionaux ». La presse d’opinion résiste mal à l’assaut des grands journaux d’information, qui finissent par dominer le marché (France-Soir, le Parisien libéré). Cependant, au tournant des années 1950, apparaissent une presse magazine - qui, pour une large part, réussira à survivre (Paris-Match, Elle) - et des hebdomadaires politiques - qui s’illustrent notamment au moment des guerres de décolonisation (l’Observateur, l’Express).
Depuis une quarantaine d’années, ces phénomènes ont eu tendance à s’accentuer. Les puissants groupes financiers se sont imposés à la presse. La crise des quotidiens parisiens à vocation nationale s’est accentuée ; de tous les titres fondés depuis 1968, seul Libération (créé en 1973) est parvenu à traverser le temps. Les coûts de fabrication, la concurrence sur le marché publicitaire, les retards pris dans la modernisation des entreprises, downloadModeText.vue.download 740 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 729 les difficultés à proposer au public une information originale face aux appétits des médias audiovisuels, expliquent en grande partie ce recul permanent. L’évolution des quotidiens régionaux est plus nuancée : certains, parvenus à un stade de quasi-monopole, affichent une belle réussite, tel Ouest-France, premier quotidien français, avec près de 800 000 exemplaires. Les hebdomadaires politiques, transformés sous l’influence anglo-saxonne en news magazines, conservent un certain dynamisme. Mais le phénomène nouveau apparu dans la presse française est la percée des publications spécialisées, quotidiennes (l’Équipe, la Tribune), hebdomadaires (magazines de télévision), ou mensuelles. De nos jours, plus du tiers des journalistes travaillent pour un périodique spécialisé, technique ou professionnel, destiné au grand public. À l’aube du XXIe siècle, la presse écrite se trouve confrontée à un triple défi : l’adaptation technologique - processus déjà largement amorcé -, l’émergence des journaux gratuits et la reconquête d’une opinion dont les sondages indiquent qu’elle n’accorde plus qu’une confiance parcimonieuse aux journaux. prêtres-ouvriers, prêtres catholiques qui partagent la vie des travailleurs afin de rechristianiser les milieux ouvriers. Dans l’entre-deux-guerres, un débat - étayé par de nombreuses enquêtes - s’ouvre dans les milieux ecclésiastiques portant sur l’ampleur du détachement religieux des populations. Or, durant la Seconde Guerre mondiale, des prêtres sont mobilisés, et nombre d’entre eux font l’expérience de la captivité ou du service du travail obligatoire (STO). Ils exercent leur
ministère en étant immergés « dans la masse » et constatent combien l’indifférence religieuse y est un sentiment répandu, malgré l’apostolat très actif mené, depuis les années 1920, par différents mouvements laïcs, telles la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) ou la Jeunesse agricole chrétienne (JAC). Avec le choc de la guerre, l’image d’une France terre de mission s’impose donc peu à peu. Une enquête est d’ailleurs publiée par les abbés Godin et Daniel en 1943 sous le titre la France, pays de mission ?. Sous l’égide du cardinal Suhard, archevêque de Paris, le haut clergé crée la Mission de France (1941), puis la Mission de Paris (1943), dont l’objectif est de former des prêtres pour reconquérir les milieux déchristianisés. Persuadé que l’action ne sera efficace qu’au contact direct des travailleurs, Suhard autorise ses missionnaires à se faire embaucher dans les usines : les prêtres-ouvriers sont nés. En 1949, la mission compte 19 communautés rurales, 16 communautés urbaines et 17 prêtres-ouvriers. Ce partage de la vie ouvrière n’est pas sans conséquence : travailleur parmi d’autres, le prêtre perd son statut ; il participe peu ou prou aux luttes syndicales ou politiques. Cet engagement temporel est critiqué par les milieux conservateurs de l’Église, et dénoncé par Pie XII qui, en 1953, ordonne de rappeler les prêtres-ouvriers. Les évêques de France tentent de concilier l’obéissance au pontife et la poursuite de la mission, en autorisant le travail des prêtres à temps partiel et en créant la Mission ouvrière (1955), chargée de coordonner et d’encadrer les actions. Mais, en 1959, le pape Jean XXIII renouvelle l’interdiction. L’issue de la crise viendra du concile Vatican II, qui permet un nouveau départ ; le nombre de prêtres ouvriers augmente alors nettement, avant que ne s’engage un nouveau mouvement à la baisse. Ils étaient environ 540 en France en 1997. Prévost-Paradol (Lucien Anatole), publiciste et homme politique (Paris 1829 - Washington 1870). Il est le fils de Mme Paradol, une actrice de la Comédie-Française ; il poursuit des études brillantes : en 1849, il est admis à l’École normale supérieure, où il se lie avec Taine. Professeur à Aix-en-Provence en 1855, il démissionne l’année suivante pour retourner à Paris et se consacrer au journalisme, assurant rapidement la rédaction du bulletin politique
du Journal des débats. En 1860, la publication d’un pamphlet hostile à l’Empire, « les Anciens Partis », lui coûte un mois de prison mais le rend très populaire. Il est en effet, dès lors, l’une des figures marquantes du monde littéraire et de l’opposition libérale. Collaborateur du Courrier du dimanche, il est élu en 1865, à l’âge de 35 ans, à l’Académie française, qui regroupe alors l’élite intellectuelle opposée au régime. Prévost-Paradol publie, en 1868, la France nouvelle, qui résume son programme politique en faveur d’un gouvernement à l’anglaise, garantissant les libertés fondamentales. Deux fois candidat malheureux au Corps législatif (1863 et 1869), il finit par se rallier, par lassitude, à Napoléon III, qui le nomme, en juin 1870, ambassadeur à Washington. Mais, le 20 juillet, il se suicide, démoralisé par la déclaration de guerre à la Prusse - guerre dont il juge le régime responsable -, et miné par les attaques personnelles que son ralliement tardif a provoquées. L’oeuvre et la pensée de Prévost-Paradol apparaissent vite comme prophétiques : d’une part, son libéralisme politique - qui peut, selon lui, s’incarner tout aussi bien dans une république modérée ou dans une monarchie constitutionnelle - inspirera les promoteurs des institutions de la IIIe République ; d’autre part, ses projets d’expansion outre-mer, destinés à lutter contre le « déclin de la France », se retrouveront dans la politique coloniale des gouvernements « opportunistes ». prévôt des marchands, au Moyen Âge, chef de la hanse des marchands de l’eau de Paris. Cette ville, qui a été la capitale du royaume au VIe siècle, ne retrouve ce statut qu’à la fin du XIIe siècle. Elle n’a pas, alors, de municipalité bénéficiant d’une charte de commune ou de libertés municipales ; le pouvoir bourgeois se structure donc autour du commerce fluvial. Dès 1171, sous le règne de Louis VII, s’organise la hanse des marchands de l’eau, association de gens de métiers pour qui la navigation sur la Seine est une nécessité. Afin de se protéger de la concurrence des marchands de Rouen, elle établit, avec le soutien du pouvoir royal, un contrôle sur les ports de la région parisienne. Cette surveillance s’étend à la marchandise transportée, notamment le vin et le sel. Bientôt, aucun navire ne peut circuler sur la Seine, à la hauteur de Paris, s’il n’est pas associé à un marchand « hansé ».
La hanse des marchands de l’eau est représentée par des jurés, qui deviendront des échevins, et par un prévôt de la marchandise de l’eau, connu sous le nom de « prévôt des marchands ». Gardien des intérêts de la bourgeoisie parisienne, ce dernier est élu, c’està-dire choisi par ses pairs ou coopté par les familles les plus influentes. Depuis 1263, avec Évroïn de Valenciennes (premier prévôt dont le nom a été conservé), ce sont des dynasties parisiennes (Gencien, Pacy, Jouvenel...) ou leurs alliés qui détiennent la charge. « Élu » pour quatre ans et rééligible, le prévôt des marchands doit être né à Paris ; il est assisté de quatre échevins, eux-mêmes élus pour deux ans. Juge des contentieux commerciaux, il gouverne les intérêts économiques de la bourgeoisie parisienne. L’institution tient lieu de municipalité, avec le « parloir aux bourgeois », tribunal municipal de la navigation installé en place de Grève (près de l’actuel Hôtel de Ville) dès le milieu du XIVe siècle. Ce pouvoir bourgeois s’oppose à celui du prévôt de Paris, bailli royal siégeant au Châtelet. Le prévôt des marchands est un personnage important, ayant rang officiel dans les cortèges, mais il n’a pas, en principe, de pouvoir politique. Il faut les circonstances exceptionnelles de la captivité du roi Jean le Bon pour donner au prévôt (Étienne Marcel) un rôle politique à la fin des années 1350. La prévôté des marchands est ensuite confisquée par le pouvoir royal (1382-1412), en représailles d’une révolte urbaine, puis elle est confiée à un officier royal à partir de 1440. L’institution persiste sous l’Ancien Régime, jusqu’à la Révolution. En 1780, Paris et Lyon sont les deux seules villes de France à disposer d’une prévôté des marchands, dont le titulaire est nommé par le roi. prévôté, premier cadre de l’administration domaniale capétienne, devenu progressivement, au cours du Moyen Âge, le ressort judiciaire de première instance du royaume. À l’origine, la prévôté est une institution seigneuriale : les prévôts sont des agents domaniaux, qui exercent leurs fonctions dans le cadre de la seigneurie foncière et banale, y compris dans celles relevant du roi. Au cours du Moyen Âge, l’extension du domaine royal s’accompagne de la stricte définition territoriale des prévôtés ainsi que de la multiplication de leur nombre : selon les régions, les prévôtés peuvent alors s’appeler « châtellenies », « vicomtés » (Normandie), « vigueries » ou « baylies » (Languedoc, Provence). Aux XIe et XIIe siècles, les prévôts royaux s’oc-
cupent à la fois de la gestion des domaines, de la perception des taxes, de la convocation à l’ost et de l’exercice de la justice royale. Ils sont alors soumis au sénéchal, chargé de l’approvisionnement de la Maison du roi, et commandent à des agents subalternes, les sergents. La fonction est affermée : les prévôts sont des hommes riches, qui disposent de solides garanties financières, de qualités de downloadModeText.vue.download 741 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 730 gestionnaires, et qui bénéficient d’une autonomie locale importante. Mais cette situation donne souvent lieu à de nombreux abus. La lutte contre ces abus, ainsi que la complexification de l’administration royale, restreignent progressivement les attributions des prévôts et les soumettent à un encadrement plus rigoureux. Dès la fin du XIIe siècle, Philippe Auguste les place sous la surveillance des baillis, auxquels sont confiées en outre les principales causes judiciaires. Au XIIIe siècle, les ordonnances de Louis IX, en particulier la grande ordonnance de réformation de 1254, cherchent à moraliser leur action. Enfin, la suppression de l’affermage, réclamée par les populations, est appliquée dès 1269 à la prévôté de Paris, puis s’impose lentement à l’ensemble des prévôtés, à la suite des ordonnances de 1493 et de 1499. Sous l’Ancien Régime, les prévôtés sont peu à peu marginalisées au sein de l’administration royale. L’essentiel des ressources de l’État provient désormais de l’impôt (dont le prélèvement est confié à des agents particuliers), et non plus du domaine. Par ailleurs, l’édit de Crémieu (1536) réduit de nouveau les compétences judiciaires des prévôtés au profit des bailliages. Enfin, leurs attributions policières sont considérablement limitées sous le règne de François Ier par la création de la maréchaussée, dont les fonctions s’accroissent au XVIIe siècle. Au XVIIIe siècle, la plupart des prévôtés finissent, d’ailleurs, par disparaître à la suite des édits de 1734 et de 1749, destinés à rationaliser l’administration judiciaire. Seule échappe à cette évolution la prévôté de Paris, c’est-à-dire le Châtelet, qui, dès l’origine, tient lieu de bailliage pour la capitale et qui conserve, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, l’essentiel de la compétence criminelle. Prieur (Pierre Louis), dit Prieur de la
Marne, homme politique (Sommesous, Marne, 1756 - Bruxelles 1827). Avocat au parlement de Châlons-sur-Marne, élu député du Tiers aux états généraux de 1789, il est membre du Club des jacobins. À la Convention, il siège avec les montagnards, puis est envoyé en mission dans les départements ou auprès des armées. Entré au Comité de défense générale (mars 1793) et au Comité de salut public (juillet 1793), il se rend dans l’Ouest pour lutter contre les insurgés vendéens et pour organiser la marine de guerre à Brest. Il n’est pas à Paris au moment où les robespierristes sont éliminés, le 9 thermidor an II (27 juillet 1794). On profite de son absence pour le remplacer au Comité de salut public. Mais - signe des luttes au sein de la Convention thermidorienne -, il est réélu membre du Comité en octobre 1794, et le demeure jusqu’en février 1795. Son opposition aux orientations de cette Convention est de plus en plus marquée. Il défend les montagnards arrêtés et soutient les insurrections populaires de germinal et de prairial an III (avril et mai 1795). Il demande l’application de la Constitution de 1793, contre la Convention qui veut lui substituer un texte limitant la liberté politique (la future Constitution de 1795). Décrété d’arrestation, il réussit à fuir et vit dans la clandestinité jusqu’à l’amnistie de brumaire an IV (octobre 1795). Inéligible, il revient à son métier d’avocat. En 1799, il occupe le poste d’administrateur du Mont-de-piété de Paris, dont il démissionne au début du Consulat. Toujours considéré comme un des chefs « anarchistes » (démocrates), il est contraint à l’exil en 1816, et meurt dans la misère. Prieur-Duvernois (Claude Antoine), dit Prieur de la Côte-d’Or, militaire, scientifique et homme politique (Auxonne, Côte-d’Or, 1763 - Dijon 1832). En 1782, il entre à l’École du génie de Mézières, où Monge est son professeur. Il en sort avec le grade de lieutenant en second en 1784, et passe par différentes villes de garnison. Parallèlement, il se rend périodiquement à Dijon pour travailler avec son cousin Guyton de Morveau, célèbre chimiste - l’égal de Lavoisier, à l’époque. En 1790, il s’inscrit au Club des jacobins de Dijon, et, l’année suivante, est élu député de la Côte-d’Or à la Législative. Il siège à gauche, dans la Montagne, et se lie avec Carnot. Constamment en mission, rarement à la tribune et se consacrant surtout à des tâches techniques, il est pourtant élu par son département à la Convention. Il vote la mort du roi (janvier 1793). Au prin-
temps, Prieur est envoyé en mission auprès de l’armée des côtes de Cherbourg. Après les journées des 31 mai et 2 juin 1793, il est arrêté avec Romme, à Caen, par les autorités ralliées à la Gironde, et n’est libéré qu’à la fin du mois de juillet. En août, il entre avec Carnot au Comité de salut public ; il y est en charge des armes et des poudres, et coordonne la recherche et ses applications militaires avec Berthollet, Fourcroy, Chaptal et Monge. Après l’élimination des robespierristes, le 9 thermidor an II (27 juillet 1794) - à laquelle il ne prend aucune part -, Prieur est maintenu dans ses fonctions jusqu’en octobre 1794 et siège alors au Comité d’instruction publique, qui couvre la culture, l’enseignement, les sciences, les techniques, la recherche. Avec le chimiste Fourcroy, il est à l’origine de la création de l’École centrale des travaux publics, qui, en septembre 1795, deviendra l’École polytechnique. Il contribue également à l’unification des poids et mesures. Cependant, le technicien qu’il est ne supplante pas totalement le politique. En effet, Prieur compte parmi ceux qui s’inquiètent du processus de rupture dans lequel la Convention s’engage en l’an III. C’est ainsi qu’il prend la défense des montagnards décimés par des purges successives, risquant lui-même d’être décrété d’accusation après les journées de prairial an III (mai 1795). Il est difficilement élu aux Cinq-Cents, où il siège jusqu’en 1798. Mais n’étant pas réélu, il fonde alors une fabrique de sulfate de cuivre et est réintégré dans l’armée. Il prend sa retraite, avec le grade de colonel, en 1808. À la Restauration, il est exclu de l’académie de Dijon. Prince noir (chevauchée du), célèbre chevauchée de troupes anglaises menées par Édouard, prince de Galles, à travers le sud du royaume de France, en 1355, pendant la guerre de Cent Ans. Alors que négociations et affrontements se succèdent depuis 1350 entre le roi de France Jean le Bon et le roi d’Angleterre Édouard III, le fils aîné de ce dernier débarque à Bordeaux avec quelques troupes, en septembre 1355. Les contemporains de ce jeune prince de 25 ans l’appellent « prince d’Angleterre », « Édouard de Woodstock », ou encore, par anticipation, « Édouard IV » (le surnom de « Prince noir » lui sera attribué plus tard pour la première fois, au XVIe siècle, par un chroniqueur anglais). Il s’est déjà distingué à la tête d’un corps de cavalerie lors de la bataille de Crécy (1346) ; les victoires anglaises de Poitiers (1356) et de Najera (1367) rehausseront encore son renom.
À l’automne 1355, il décide de traverser le sud du royaume d’ouest en est, et, fort de sa cavalerie anglaise grossie de contingents gascons, il parcourt pendant deux mois le Languedoc jusqu’à Carcassonne et Narbonne, semant la terreur sur son passage, pillant et brûlant de nombreuses villes, en Gascogne française et en Armagnac. Certains faubourgs de Toulouse sont incendiés. Le comte d’Armagnac reste sur la défensive, sans intervenir. Les troupes du Prince noir reviennent à Bordeaux en décembre 1355, chargées d’un butin considérable. principautés territoriales, ensembles politiques nés au Moyen Âge, unis à la couronne de France par des liens d’allégeance plus ou moins fermes selon les périodes. L’affirmation de l’État monarchique conduit à leur disparition. • L’apparition des principautés territoriales. Malgré des signes de déclin, la royauté carolingienne conserve l’essentiel de son autorité dans l’ensemble du royaume jusqu’à l’avènement du roi robertien Eudes, en 888. Vers cette époque achèvent de se constituer les premières principautés territoriales : la Bourgogne avec Richard le Justicier, l’Aquitaine sous Guillaume le Pieux, la Flandre sous Baudouin II. Après le retour des Carolingiens, Charles le Simple (898/922) abandonne à Robert, frère d’Eudes, l’autorité sur les comtés de Neustrie, et au chef normand Rollon les pays de Rouen et d’Évreux. À l’avènement de Louis IV d’Outre-Mer, en 936, l’affaiblissement de la royauté est plus manifeste encore : le nouveau roi ne possède ni comtés ni places fortes importantes. La plupart des comtés de la France du Nord sont contrôlés par Herbert II de Vermandois et par Hugues le Grand. La principauté constituée par Herbert ne lui survit pas. En revanche, Hugues le Grand est investi, en 943, du ducatus Franciae, qu’il transmet à son fils Hugues Capet. À la mort de Louis V, en 987, celui-ci devient roi des Francs. Aussi a-t-on pu dire que le duché des Francs avait absorbé la monarchie. À cette époque, la situation des principautés territoriales est très hétérogène. La Bretagne jouit d’une indépendance de fait. Son allégeance envers le roi des Francs a un caractère de principe. La Normandie est tenue par les descendants de Rollon, et la Flandre, par ceux de Baudouin II. En revanche, à partir de 952, le duché de Bourgogne tend à se désagréger. En 989, le comte d’Aquitaine, Guillaume Fierebrace, est qualifié par le roi de dux Aquita-
norum. Mais, en Aquitaine, à côté du duché poitevin existe un duché de Gascogne - comprenant au Xe siècle le Bordelais, un marquidownloadModeText.vue.download 742 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 731 sat de Toulouse, un marquisat de Gothie, un comté de Rouergue - qui au XIe siècle sera englobé dans un important comté de Toulouse. Ces principautés territoriales sont issues de la persistance de groupes ethniques (Bretons, Gascons, Aquitains, Flamands) et de l’action des magnats (les plus importants des comtes), qui s’efforcent de s’emparer de tous les éléments de puissance normalement détenus par le roi. Mais, d’une part, il n’y a jamais eu rupture ouverte et totale avec le pouvoir royal, les magnats continuant à prêter l’hommage au souverain ; d’autre part, ces principautés constituent un frein à la désagrégation des pouvoirs : elles résistent aux vicomtes, châtelains, barons, possesseurs de fiefs haut-justiciers qui tendent à l’autonomie. Certaines, comme la Normandie ou la Flandre, sont dotées d’institutions en avance sur celles de la royauté. En fait, aux XIe et XIIe siècles, le domaine royal n’est guère qu’une principauté territoriale parmi les autres. Il a comme atout d’être situé dans la région la plus riche et la plus peuplée du royaume, celle de Paris, que les rois défendent contre les Normands et les Champenois. Par ailleurs, les principautés connaissent, à l’occasion des minorités et des partages, des périodes de décomposition plus ou moins durables. En revanche, on constate l’ascension de la dynastie angevine, qui s’assure la maîtrise de la Touraine. Avec Thibaud le Tricheur, décédé en 975, les vicomtes de Tours deviennent comtes de Blois, Chartres et Châteaudun. Puis, en 1023, le petit-fils de Thibaud, Eudes II, hérite de la plus grande partie de la Champagne, encerclant ainsi le domaine royal. Mais le roi des Francs a l’avantage d’être le seigneur de tous les princes, qui sont ses vassaux. Progressivement, son autorité et son influence s’accroissent. Louis VI (1108/1137) et Louis VII (1137/1180) interviennent hors de leur domaine, dans le Massif central et les pays d’oc. Toutefois, en 1154, un fait lourd de conséquences se produit : Henri Plantagenêt, duc de Normandie et d’Aquitaine, comte d’Anjou, du Maine, de Touraine, devient roi d’Angleterre, et se trouve ainsi à la tête d’un véritable « empire angevin ». Les principautés
de l’ouest de la France dépendent désormais d’un souverain étranger, qui reste toutefois, pour ses possessions continentales, vassal du roi des Francs. • Les principautés à l’époque des grands rois capétiens. La situation se modifie au XIIIe siècle, époque des grands rois capétiens. L’affrontement entre le roi de France - appellation désormais en usage - et le roi d’Angleterre Jean sans Terre brise le lien féodal entre les principautés continentales et le souverain anglais. Philippe Auguste s’empare de la Normandie, de la Touraine, du Maine et de l’Anjou, et son fils Louis VIII du Poitou et d’une partie de la Gascogne. D’autres succès renforcent la couronne de France. Après la capture du comte Ferrand à Bouvines en 1214, le comté de Flandre passe sous allégeance royale. En Champagne, dès le règne de Philippe Auguste, l’influence du souverain est déterminante. Après la mort de Louis VIII en 1226, le comte Thibaud IV, qui a d’abord combattu Blanche de Castille, lui abandonne les comtés de Blois, de Chartres et de Sancerre, ainsi que la vicomté de Châteaudun. En 1275, l’héritière du comté, Jeanne, est promise en mariage à l’un des fils de Philippe III, le futur Philippe le Bel, qu’elle épousera en 1284. Toutefois, le rattachement de la Champagne au domaine royal n’aura lieu qu’en 1361. Les ducs de Bourgogne, après une ultime révolte du duc Hugues III, n’ont pas cessé d’être des vassaux loyaux de la couronne. Quant à la Bretagne, elle a été cédée en 1113 au duc de Normandie, Henri Ier, roi d’Angleterre. Mais, en 1206, Philippe Auguste, en lutte contre Jean sans Terre, prend en mains le gouvernement du duché. Il marie l’héritière à un prince de la famille royale, Pierre Mauclerc, qui se montre docile pendant les règnes de Philippe Auguste et de Louis VIII, mais participe aux coalitions contre Blanche de Castille. Il doit se soumettre en 1237, et ses successeurs se montrent, au XIIIe siècle, des vassaux fidèles. Enfin, le développement de l’hérésie cathare, contre laquelle le pape Innocent III déclenche la croisade dite « des albigeois », va permettre à Louis VIII d’intervenir dans le comté de Toulouse. Le comte Raimond VII doit accepter les traités de 1229 et de 1243. À sa mort, en 1249, ses possessions reviennent à sa fille Jeanne et à son époux Alphonse de Poitiers, troisième fils de Louis VIII.
Les Capétiens, en effet, n’ont pas cherché à supprimer les grands fiefs du royaume. Leur conception de la monarchie est purement féodale. Ils pensent réaliser l’unité du royaume en mettant des princes de la famille royale à la tête des grands fiefs, et prennent l’habitude, surtout à partir de Louis VIII, de donner à leurs cadets des apanages. Cette institution, à l’origine de droit privé, permet de concilier la coutume du partage des biens entre tous les enfants et la nécessité d’une aînesse, qui évite l’émiettement du patrimoine. Ainsi, par son testament de juin 1225, Louis VIII décide que toutes les terres héritées de son père Philippe Auguste reviennent de droit à son fils aîné, Louis. Le second fils, Robert, reçoit l’Artois ; le troisième, Jean, l’Anjou et le Maine ; le quatrième, Alphonse, le Poitou et l’Auvergne, auxquels s’ajoute le comté de Toulouse. L’apanage doit revenir au roi en l’absence d’héritier mâle. Cette politique n’est pas dépourvue de risques, même si Louis IX ne donne à ses fils cadets que des apanages plus modestes. Néanmoins, lorsque débute la guerre de Cent Ans, au XIVe siècle, le problème des principautés ne présente pas, d’une manière générale, un caractère de gravité. L’avènement de Philippe VI en 1328 entraîne le retour au domaine royal du Valois, de l’Anjou, du Maine. Les apanages qui subsistent sont de moindre importance : comtés d’Alençon, du Perche, d’Artois, d’Évreux, de Beaumont-leRoger. Les relations du roi sont bonnes avec les ducs de Bourgogne et de Bretagne, ainsi qu’avec le comte de Flandre. Seule subsiste l’épineuse question de la Guyenne, possession du roi d’Angleterre, qui est d’ailleurs l’une des causes de la guerre. • De la principauté à l’État princier. La question des principautés est relancée par la politique des apanages, pratiquée généreusement par le roi Jean le Bon, et par le développement des institutions princières, du fait des besoins créés par la guerre de Cent Ans. Jean le Bon dote ses fils cadets de vastes apanages : Louis reçoit l’Anjou et la Touraine ; Jean, le Berry, le Poitou et l’Auvergne ; Philippe, la Bourgogne. Il ne faut certes pas confondre apanage et principauté. L’apanage de Jean de Berry n’a pas donné naissance à une principauté durable. En revanche, des princes comme le duc de Bretagne et les comtes de Foix et d’Armagnac ne sont pas apanagistes et tiennent leurs principautés en fief. Mais ces principautés des XIVe et XVe siècles dis-
posent d’institutions inspirées de celles de la royauté (chancelier, Chambre des comptes, Grand Conseil, administration financière, armée). Elles sont parfois plus vastes et plus artificielles que celles des siècles antérieurs parce qu’elles sont constituées de comtés et de duchés dépourvus de liens à l’origine. En fait, une transition s’opère de la principauté à l’État princier. Le cas le plus typique est celui de l’État bourguignon. Les premiers ducs valois de Bourgogne possèdent les comtés de Flandre, d’Artois et de Bourgogne (Franche-Comté). Puis, sous Philippe le Bon, leurs possessions s’étendent aux Pays-Bas. Elles vont de la pointe du Helder au comté de Mâcon, mais la Lorraine sépare les deux parties de leur vaste État. Les ducs de Bourbon font l’acquisition du Forez, du Beaujolais, de l’Auvergne. L’État breton développe son organisation administrative, et ses maîtres s’intitulent « ducs par la grâce de Dieu ». Dans le Midi, le vicomte de Béarn affirme sa « souveraineté ». Les comtes d’Armagnac s’efforcent de reconstituer une principauté semblable à celle qui existait à l’époque carolingienne. La royauté française prend conscience, dès Charles VII (1422/1461), du danger princier, qui éclate lors de la Praguerie (soulèvement des princes en février 1440, mis en échec par l’armée royale). Louis XI doit faire face à deux États princiers renforcés : l’État bourguignon et l’État breton. Le premier s’effondre après la mort de Charles le Téméraire, à Nancy, en 1477. Le problème breton ne se résout, après des périodes de guerre, que par le mariage de Charles VIII et d’Anne de Bretagne, en 1491. Seuls subsistent, sous François Ier, les domaines de la famille gasconne d’Albret, qui fait sa soumission, le Béarn, qui ne pose pas de problèmes en raison de sa position géographique, et les possessions bourbonnaises. Avec ces dernières, le conflit royauté-principauté a été retardé du fait que les Beaujeu, durant la minorité de Charles VIII (1483/1491), gouvernaient à la fois la France et l’État bourbonnais. Mais le connétable de Bourbon, Charles III, est entraîné dans un conflit avec François Ier et sa mère, Louise de Savoie. Il n’est pas en mesure de résister à leur action, qui va dans le sens du renforcement monarchique et de l’unification du royaume. Sa fuite, en 1523, sur les terres de l’Empire, est l’ultime péripétie de la lutte entre royauté et principautés. Malgré la persistance de conflits entre les rois et les grands du royaume, le problème des principautés est définitivement réglé. downloadModeText.vue.download 743 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 732 Pritchard (affaire), épisode de la rivalité franco-britannique dans le Pacifique pendant la monarchie de Juillet. Missionnaire protestant britannique à Tahiti depuis 1824, George Pritchard devient consul et s’oppose énergiquement, avec le soutien de la reine Pomaré IV, aux visées des Français menés par l’amiral Dupetit-Thouars. Lorsque Tahiti et les îles Marquises deviennent protectorats français (1842), Pritchard tente de résister. Il est mis en état d’arrestation et brutalement jeté en prison (1843). Expulsé de Tahiti, il rentre à Londres pour dénoncer l’affront dont il a été victime. L’opinion publique anglaise, relayée par le gouvernement, exige réparation. En France, le président du Conseil Guizot choisit la conciliation, pour ne pas mettre en péril le rapprochement en cours entre Louis-Philippe et la reine Victoria : s’il refuse de revenir sur l’expulsion du missionnaire britannique, il veut bien exprimer ses regrets sur les traitements qu’il a subis et il fait adopter l’idée d’une indemnité. Les opposants de droite et de gauche au régime de Juillet considèrent ce geste comme une humiliante reculade, et les débats à la Chambre prouvent la fragilité de la majorité gouvernementale. L’anglophobie française se nourrit de cette crise, dans un contexte de fragilisation de l’Entente cordiale et de rivalités coloniales. Nombreux sont alors les Français qui dénoncent l’attitude du régime et des députés (les « pritchardistes ») qui ont voté l’indemnité. privatisations. Des transferts à des actionnaires privés de parts de capital d’entreprises détenues par l’État sont mis en oeuvre à partir de 1986 ; ces opérations consacrent le désengagement de l’État de la sphère productive. En France, le poids du secteur public se trouve considérablement renforcé par les nationalisations de février 1982. Mais la légitimité de l’État patron est aussitôt contestée : par la droite, attachée au libéralisme économique et au respect des règles de la concurrence ; par les lois du marché, qui vont à l’encontre des ambitions sociales des entreprises nationalisées ; par les mutations du capitalisme international, favorables au retrait de l’État de la sphère économique. Dès 1984, la gauche elle-même prend acte de ce retour-
nement, en alignant, peu ou prou, la gestion des entreprises publiques sur celles du secteur privé. Redevenue majoritaire, la droite va plus loin : les deux lois de privatisation de juillet 1986 (gouvernement de Jacques Chirac) et de juillet 1993 (gouvernement d’Édouard Balladur) remettent en cause, non seulement les nationalisations de 1982, mais celles réalisées par le général de Gaulle à la Libération. Ainsi, l’État se désengage du secteur industriel concurrentiel comme de celui du crédit. Peu contestées par une gauche idéologiquement affaiblie, qui revenue au pouvoir en 1997 en effectue même un certain nombre, les privatisations rencontrent un fort succès populaire, bien qu’à deux reprises, en 1987 et en 1994, le retournement de la Bourse en ralentisse le rythme. Toutefois, l’avenir des grands services publics, dont le monopole est contesté par les institutions européennes, soulève certaines interrogations : quelles doivent être les limites de l’économie de marché, dont la progression depuis le milieu des années 1980 semble irrésistible ? privilèges, droits ou avantages dont disposent des individus ou des groupes dans la société d’Ancien Régime. • Une marqueterie de lois. Le régime social d’avant la Révolution est, juridiquement, fondé sur l’inégalité. La règle générale est alors l’exception, et la diversité règne en tous domaines. De ce fait, la grande majorité des Français dispose de privilèges, dont certains sont très limités et d’autres, considérables. Le royaume est une marqueterie de leges privatae (« lois privées ») - qui a donné le terme « privilèges » -, souvent désignées par les mots « franchises » ou « libertés ». Deux critères sont décisifs dans la répartition de ces privilèges : l’état social, tout d’abord, lié à la naissance (noblesse héréditaire) ou à la fonction (clergé, officiers royaux) ; la localisation géographique, ensuite. La société d’Ancien Régime est donc constituée d’un ensemble de corps et de communautés qui disposent, chacun, de règles de fonctionnement spécifiques, les individus étant soumis aux leges privatae des groupes auxquels ils se rattachent. Les privilèges sont soit entérinés par la monarchie (par exemple, lors du rattachement d’une province), soit directement octroyés par elle. Le système fiscal offre des illustrations - devenues classiques - de la situation créée par les privilèges. Ainsi, en Anjou, si les roturiers des campagnes sont astreints à payer la taille, les habitants d’Angers (comme beau-
coup d’autres citadins) en sont exemptés... à l’exception d’une paroisse de la ville ! Pour la gabelle, le contraste entre la situation du paysan du Maine, astreint au taux le plus élevé, et celle de son voisin de Bretagne, qui habite une province exempte, est saisissant : au XVIIIe siècle, le premier paie son sel vingt-cinq fois plus cher que le second ! Cet exemple montre que les privilèges ne concernent pas exclusivement le clergé et la noblesse, mais l’ensemble de la société. D’autres secteurs en témoigneraient tout autant, du domaine religieux (le catholicisme est religion d’État, mais les protestant disposent, de 1598 à 1685 du moins, de privilèges propres) aux pratiques successorales, très différentes d’une coutume à l’autre. • La justification d’un système. Les privilèges sont conçus, selon les théoriciens d’alors, pour permettre à chacun l’exercice de son activité dans de bonnes conditions. Contribuant au fonctionnement harmonieux de la société tout entière, ils sont donc d’utilité publique. Ainsi, les nobles sont exempts d’impôt parce qu’ils versent sur les champs de bataille l’« impôt du sang ». De même, la reconnaissance des privilèges d’une province permet son intégration en douceur dans le royaume. Mais les privilèges servent également les intérêts financiers de la monarchie. Endettée en permanence, celle-ci doit recourir régulièrement au crédit de corps riches (provinces, villes, clergé, officiers royaux), qui mobilisent des fonds parce qu’ils inspirent confiance. Or, cette confiance repose avant tout sur la solidité de leurs privilèges, que la monarchie se doit alors de garantir pour s’assurer des moyens financiers. État et privilèges s’épaulent donc. Cette situation n’empêche pas la monarchie de revenir, ponctuellement, sur certains d’entre eux : c’est le cas lors de la révocation de l’édit de Nantes, ou lorsque l’établissement de nouveaux impôts est décidé. Néanmoins, l’existence même des privilèges fonde les relations entre État et société jusqu’en 1789. • Une abolition irréversible. Leur remise en cause - thème très débattu tout au long du XVIIIe siècle - se produit dès le début de la Révolution. Dans l’enthousiasme de la nuit du 4 Août, une abolition générale est décidée. Les décrets, âprement négociés dans les jours qui suivent, sont plus restrictifs, mais le processus est irréversible. Il débouche sur le préambule de la Constitution de septembre 1791 : « Il n’y a plus, pour aucune partie de la Nation, ni pour aucun individu, aucun
privilège ni exception au droit commun de tous les Français. » Le caractère révolutionnaire du changement est indéniable, même si subsistent alors des limites sérieuses à l’égalité civile (maintien de l’esclavage) ou politique (distinction entre citoyens actifs et citoyens passifs). Il est également définitif, pleinement confirmé par le Code civil, quelques années plus tard. programme commun de gouvernement, programme d’action adopté en 1972 par le Parti communiste (PCF) et le Parti socialiste (PS) en vue de la législature à venir (1973-1978), mais dont la rupture de l’union de la gauche, en 1977, marque l’abandon. En signant ce programme, le 27 juin 1972, socialistes et communistes consacrent la dynamique d’union de la gauche qui s’était affirmée dès l’élection présidentielle de 1965, mais que les événements de mai 68 avaient ensuite retardée. Malgré une volonté commune de mettre fin à une succession de revers électoraux, chacun des deux partenaires nourrit des ambitions autonomes : le PCF, dirigé par Waldeck Rochet (malade depuis 1969) et par Georges Marchais (qui ne devient officiellement secrétaire général du parti qu’en décembre 1972), cherche d’abord à sortir de son isolement politique ; pour le PS, refondé autour de François Mitterrand lors du congrès d’Épinay (1971), il s’agit de conquérir le pouvoir, mais aussi de rétablir en sa faveur l’équilibre des forces à gauche. Si ce contrat de législature opère une synthèse entre le programme du PS (« Changer la vie », mars 1971) et celui du PCF (« Changer de cap », octobre 1971), les communistes acceptent des concessions majeures : contrairement à toute leur conception du pouvoir, ils reconnaissent le principe de l’alternance démocratique, reculent sur l’étendue des nationalisations à opérer, renoncent à exiger le démantèlement de la force de frappe française, et admettent l’Europe et l’Alliance atlantique comme cadres d’action d’un éventuel gouvernement de gauche. Le choix de l’union est payant : les partis de gauche progressent dès les législatives de mars 1973, et François Mitterrand, qui s’est peu référé au programme commun pendant sa campagne, downloadModeText.vue.download 744 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 733 échoue d’un rien à l’élection présidentielle de 1974. De plus, le Mouvement des radicaux
de gauche (MRG) de Robert Fabre a rejoint l’alliance dès juillet 1973, et Michel Rocard adhère au PS en octobre 1974 avec nombre de ses partisans du PSU. Néanmoins, à l’automne 1977, à l’approche des élections législatives de 1978, les deux partenaires principaux ne parviennent pas à actualiser leur programme, tant pour des raisons tactiques qu’idéologiques : le PCF craint de subir la domination du PS ; ce dernier, à la recherche d’un compromis entre étatisme et autogestion, refuse de prendre des engagements maximalistes. Si la rupture du programme commun explique en partie l’échec de la gauche en 1978, elle ne met pas fin à la pratique du désistement réciproque. Surtout, elle accroît, aux yeux de l’opinion, la crédibilité du PS et sa vocation à gouverner. propriété (droit de), « droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». Propriété-souveraineté, propriété exclusive, régime unique pour le meuble et l’immeuble : après des siècles d’oubli, l’article 544 du Code civil renoue avec la tradition romaine classique. Jusqu’au XIXe siècle, en effet, deux types de propriété coexistent. La propriété mobilière, souveraine, semblable à celle du Code : le meuble est un bien personnel ; sur lui, l’emprise du propriétaire est totale et emporte la libre disposition. Mais le domaine de ce droit est mineur : les meubles sont sans valeur - « res mobilis, res vilis », dit l’adage ; la fortune en ces temps n’est pas mobilière car les meubles ne confèrent ni puissance politique ni puissance économique. Plus complexe est la propriété foncière. De fait, c’est elle, la propriété de l’ancien droit. • Un droit pragmatique et confus. L’origine du système de propriété qui subsistera jusqu’à la Révolution est à rechercher dans le colonat du Bas-Empire romain : étranger aux définitions classiques, il prévoit qu’en échange de redevances diverses, le grand propriétaire concède à des colons l’exploitation de parcelles du domaine, tandis que des esclaves cultivent la part qu’il se réserve. Le désordre ambiant interdit de contrôler les rapports entre maître et tenanciers. La dépendance personnelle, d’abord de fait, devient de droit au IVe siècle, lorsqu’une constitution impériale fixe le colon à la terre concédée. Ainsi se met en place un modèle de propriété qui est à la fois pouvoir sur le sol et assujettissement de ceux qui l’exploitent. Le Moyen Âge, avec le régime féodo-seigneurial, démultiplie les concessions fon-
cières : à la mise en valeur économique de la tenure roturière par les manants s’ajoute le fief, tenure noble, concédée à des fins politiques. La dépendance personnelle subsiste : implicite dans le contrat de censive, liée à l’acte de foi et d’hommage joint au contrat de fief. Cette organisation foncière, qui hiérarchise les terres, les hommes et leurs pouvoirs respectifs sur les biens, se complique des effets d’une structure sociale corporatiste qui accorde également des droits spécifiques au lignage et aux communautés, familiale et villageoise. Ces maîtrises multiples s’enchevêtrent et se combinent dans un ordre chrétien dominé par une vision spiritualiste de la société, qui considère que seul Dieu est maître de la matière et qu’il en délègue l’usage aux hommes. La propriété foncière, dite « saisine », est donc exclusivement perçue dans sa productivité, dans ses utilités. Or, comme un même fonds fournit des utilités multiples, il peut faire l’objet d’autant de saisines qu’il produit d’utilités différentes, chacune détenue par un groupe distinct. Au XIXe siècle, on parlera de « propriétés simultanées ». Au XIIe siècle, la (re)découverte du droit romain classique révèle autre chose : la proprietas (ou dominium) y est corporelle : elle absorbe toutes les utilités du bien ; elle est appropriation de la matière, maîtrise souveraine de la chose. Il y a loin de cette conception de la propriété aux pratiques médiévales. Le droit romain, prestigieux, va imposer ses termes : « saisine » a désormais, pour synonymes, « propriété » ou « domaine » et, pour distinguer les diverses maîtrises, on accole des adjectifs aux nouveaux vocables : « éminent » pour le concédant, « utile » pour le tenancier. Mais les usages triomphent, pour l’heure, d’un droit importé : les anciennes coutumes subsistent, éclairées peu ou prou d’explications savantes. Dès le XVe siècle, le régime féodo-seigneurial, bâti autour du fief, s’essouffle. Persistent néanmoins, jusqu’à la Révolution, une structure sociale fortement corporatiste et un système d’exploitation fondé sur la concession foncière, qui définissent un droit de propriété toujours analysé en une jouissance d’utilités doublée de dépendance personnelle. Taxes et services divers déterminent la situation économique et sociale de chacun. • Un droit raisonné. Si les usages demeurent, les idées cependant font leur chemin. Aux arguties savantes des juristes s’ajoutent peu à peu les réflexions philosophiques. Les humanistes, qui voient dans l’individu le fon-
dement de tout système juridique, font de la propriété un droit subjectif et rationnel. Au XVIIe siècle, les jusnaturalistes vont plus loin encore, en posant, avec Locke, que l’homme, maître de son corps et de ses facultés, porte en lui, par essence, un droit de propriété dès lors naturel. Un siècle plus tard, les physiocrates revendiquent la liberté de disposition du propriétaire, au nom de nécessités économiques, et proposent ainsi un autre contenu au droit de propriété. Sans adhérer à tous les arguments avancés, sans toujours les comprendre dans leur intégralité, les paysans y sont sensibles, accablés qu’ils sont de redevances et de services d’autant plus minutieusement perçues et exigés que l’inflation et les crises du XVIIIe siècle finissant les rendent souvent insuffisants pour assurer le train de vie de leur bénéficiaire. De jour en jour, la terre nourricière assujettit un peu plus celui qui l’exploite. La libération de l’homme passe donc nécessairement par celle du sol. Toutes idées qui inspireront bientôt la Révolution. Dans la nuit du 4 août, l’ancienne organisation foncière est abolie : le décret des 7-11 août 1789 puis la loi du 17 juillet 1793 mettent en forme juridique les principes proclamés. Parce que, depuis des siècles, la terre aliénait l’individu, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen définit le droit de propriété à l’égal de la liberté, « naturel et imprescriptible » (article 2), « inviolable et sacré » (article 17). Afin qu’il ne reste pas vain, on nationalise les biens du clergé et ceux des émigrés, pour les redistribuer et réaliser la plus grande mutation foncière de tous les temps. On parachève la réforme en adoptant un droit successoral égalitaire, qui met un terme définitif aux prétentions des groupes familiaux et interdit la reconstitution des grands domaines d’antan. En 1804, le Code civil, en quelques mots, fait de la propriété le droit d’utiliser le bien, d’en disposer librement, d’en percevoir les fruits ; c’est un droit désormais absolu, exclusif, perpétuel. Cependant, au lendemain de la première révolution industrielle, cette conception novatrice, conjuguée aux effets de l’individualisme libéral, engendre de cruels abus, largement dénoncés par l’idéologie socialiste. Injustement répartie, profitant abusivement au fort au détriment du faible, la propriété, qui avait été l’outil de la libération individuelle, la condition de l’égalité, est devenue bourgeoise et égoïste. Aussi est-elle contestée dans sa souve-
raineté. Sans aller jusqu’à affirmer avec Proudhon que « la propriété, c’est le vol », certains auteurs soulignent sa fonction sociale : parce que l’homme est avant tout un être social, il a, disent-ils, lorsqu’il est propriétaire, une obligation envers la collectivité. D’où la nécessité de surveiller étroitement l’exercice de ce droit, et d’en reconsidérer l’objet. • Un droit contrôlé. Dans la première perspective, doctrine et jurisprudence s’allient pour faire triompher, au début du XXe siècle, la théorie de l’abus des droits. Celle-ci reconnaît que le propriétaire, bien que titulaire d’un droit légitime, peut, dans l’exercice de celui-ci, commettre une faute engageant sa responsabilité. Plus tard, sans prétendre sanctionner le moindre abus mais afin de protéger les intérêts du corps social, le législateur, dans maintes circonstances, restreint encore les prérogatives du propriétaire. Les exemples foisonnent : en droit rural, avec l’organisation par la loi du 13 avril 1946 du droit de préemption et du maintien dans les lieux au profit du preneur ; en matière de logement urbain où, pour faire face à la crise survenue au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la loi édicte un véritable code des loyers avec fixation impérative des prix et des conditions du bail. Depuis, les textes renforçant les droits du locataire au détriment de ceux du propriétaire n’ont fait que se multiplier. Parallèlement, et pour les mêmes motifs, on a jour après jour reconsidéré l’objet du droit. Si la propriété est une fonction sociale, certains biens, en effet, par nature, doivent être exclus de l’appropriation individuelle. Aussi, la Constitution de 1946 stipule-t-elle dans son préambule - repris par la Constitution de 1958 - que « tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ». Au nom de ces principes, houillères, entreprises de gaz, d’électricité, régie Renault, sont nationalisées. À partir de 1981, les mêmes principes produisent les mêmes downloadModeText.vue.download 745 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 734 effets, jusqu’à ce qu’en 1986 le libéralisme redevienne à la mode et justifie, dès 1993, une vague de privatisations : flux et reflux du mouvement attestent la liaison - toujours intime - entre propriété et idéologie.
• Un droit sans cesse renouvelé. Que restet-il du droit de propriété ? De son absolutisme, peu de chose. En effet, outre sa limitation par l’abus, le droit de propriété s’est morcelé : le monarque d’antan est devenu copropriétaire (10 juillet 1965) puis multipropriétaire (3 janvier 1986) ; son droit absolu est devenu jouissance... un peu comme autrefois. De son exclusivisme, il reste également peu de chose. Les réglementations publiques, toujours plus minutieuses (urbanisme, environnement...), amputent régulièrement les prérogatives et la liberté du propriétaire. Quant à la perpétuité de la propriété, elle est aussi remise en cause par le caractère consomptible de plus en plus accusé des biens qui en sont l’objet. Mais, tandis que les attributs du droit s’amenuisent, tandis que certains biens sont exclus de l’appropriation privée, d’autres les remplacent. Biens incorporels pour l’essentiel : fonds de commerce, droits d’auteur, brevets d’invention, dessins et modèles..., sans oublier les biens mobiliers, dont le développement a contraint le législateur à renforcer la protection. Aujourd’hui, la propriété n’est plus seulement foncière, elle est aussi mobilière ; elle n’est plus surface, elle est également espace ; elle n’est pas exclusivement bourgeoise, elle a éclaté pour se démocratiser. Elle est diffusée partout, et son histoire est loin d’être achevée. prostitution. La prostitution est aujourd’hui considérée, par certains, comme un fléau social, alors que les sociétés anciennes l’ont tolérée, voire organisée. Si, dans l’Orient antique, des chefs de famille offraient les femmes de la maison à leurs hôtes, la Grèce et Rome tentèrent de limiter la prostitution à des quartiers urbains circonscrits afin de préserver la moralité des familles. La prostitution était cependant jugée nécessaire, particulièrement pendant le Moyen Âge. • Une prostitution garante de l’ordre social. Si les sources de l’époque « barbare » sont très lacunaires sur le sujet, il n’en est pas de même pour le reste du Moyen Âge : les chercheurs d’aujourd’hui abordent l’histoire de la prostitution par le biais des édits royaux, mais aussi à travers des documents municipaux, judiciaires ou notariés et des miniatures de manuscrits. Aux XIe et XIIe siècles, la prostitution est plus ou moins contrôlée par l’Église ; au XIIIe siècle, elle est boutée hors de la ville, sans que les prostituées encourent de peines. Tout change
aux XIVe et XVe siècles lorsque les « malheurs des temps » (peste, guerres, famines, etc.) amènent à la ville de nombreuses filles de la campagne, venues chercher un emploi ou cacher une grossesse accidentelle, consécutive à un viol le plus souvent. Les statuts de ville réglementent alors la prostitution : des quartiers ou pâtés de maisons sont réservés aux prostituées ; les bains publics et tavernes ne doivent pas se trouver à proximité d’une église, et les « bordelages », dirigés par une « abbesse », recueillent les filles mères ou des veuves dans l’impossibilité de subvenir à leurs besoins ; des lois somptuaires leur interdisent de se vêtir comme les honnêtes femmes, de manière à éviter des confusions : leurs vêtements doivent avoir une certaine longueur ou couleur. C’est l’époque d’une véritable institutionnalisation de la prostitution. Un rôle social important lui est conféré : sortir de la misère quelques marginales, mais surtout endiguer les violences sexuelles des célibataires, limiter la sodomie et l’adultère. Le prostibulum publicum devient un lieu de sociabilité cimentant les groupes d’âges et les groupes sociaux. Aussi, les filles reconquièrent-elles les centres villes et des consuls font-ils construire des bordels sur les deniers publics (Tarascon, en 1357 ; Castelnaudary, en 1445). • Le temps de l’exclusion. Les mentalités évoluent au XVIe siècle et, certains facteurs d’équilibre ayant disparu, la prostitution, ou plutôt ce qu’elle engendre (jeux, meurtres, etc.), finit par incommoder et par être considérée comme amorale. À cause de ces débordements, la fonction sociale de la « fille bordeleuse » ou « amoureuse » est oubliée. « Filles de joie », de plus en plus souvent maquerellées par leur famille pour faire face à une paupérisation excessive, et riches courtisanes nouvellement apparues, qui trouvent clientèle et protecteur auprès des plus fortunés (ainsi Agnès Sorel avec François Ier), s’attirent la vindicte des prédicateurs, qui haranguent les foules urbaines. La population demande alors leur expulsion de nombreuses villes et, en 1560, l’édit d’Amboise promulgue la fermeture définitive des maisons publiques. Toute la période classique condamne ouvertement la prostitution. L’État chasse les filles de « mauvaise vie », après avoir imprimé dans leurs chairs, au fouet ou au fer rouge, les marques de l’infamie. La prostitution ne disparaît pas pour autant, se cachant dans les étuves ou s’étalant dans certains quartiers : les courtisanes n’ont jamais quitté les salons ou les bals fréquentés par les grands hommes
de chaque époque et, au début du XXe siècle encore, il existe, en France comme ailleurs, de nombreuses maisons closes privées où les prostituées sont sous surveillance médicale. Certains de ces établissements ont une réputation presque « irréprochable », tel Le Chabanais, dans le IIe arrondissement de Paris, connu depuis 1820 ; d’autres sont connus pour les mauvais traitements que les patrons infligent aux pensionnaires. Aussi, en 1945, Marthe Richard, conseillère de Paris, dépose un projet de loi devant son conseil municipal pour la fermeture des maisons closes de la capitale ; tout d’abord fermées pendant trois mois, celles-ci le sont définitivement à partir d’avril 1946, date à laquelle la loi MartheRichard est votée à l’Assemblée et étendue à toute la France. On assiste alors à la fermeture d’environ 1 400 établissements, dont 180 à Paris. Beaucoup de tenanciers deviennent propriétaires d’hôtels de passe, tandis que les prostituées redescendent dans la rue et les bars. Des oeuvres, comme celle du Père Talvas, fondée en 1937, reçoivent des « repenties ». Depuis, du fait de la recrudescence des maladies sexuellement transmissibles (sida) et de la toxicomanie, l’idée d’une réouverture des maisons closes a été évoquée à plusieurs reprises : en 1990, Michèle Barzach, ancien ministre de la Santé, soutenue par Bernard Kouchner, a fait une proposition dans ce sens afin de mieux contrôler l’état de santé des prostituées et d’encourager le port du préservatif. En 1992, on a interdit les promenades nocturnes dans les allées du bois de Boulogne, fréquentées, depuis une trentaine d’années, par des prostituées et des travestis. Si la prostitution est une activité libre aux revenus imposables par le fisc, son organisation est, elle, sévèrement punie (de six mois à dix ans d’emprisonnement). La répression du proxénétisme est effectivement organisée depuis 1960 et les souteneurs, autrefois appelés « ruffians » et « impunis », sont considérés comme exploitants d’esclaves : pour l’ONU et dans le droit français, la prostitution figure encore parmi les formes persistantes de l’esclavage. Il y aurait en France entre 15 000 et 30 000 prostituées professionnelles, dont une sur cent quitte chaque année le métier et entreprend une démarche de réinsertion. l PROTESTANTS. Au cours de son histoire, la communauté protestante, minoritaire en France, a vécu des années d’affrontements armés, de tolérance précaire, de persécutions violentes, puis de clandestinité, avant d’être progressivement intégrée à la nation.
Bien qu’elle ne rassemble aujourd’hui que 2 % à 3 % des Français, elle n’en a pas moins joué un rôle non négligeable dans la société depuis cinq siècles, tant par la présence en son sein de personnalités de premier plan (Jean Calvin, le roi Henri IV, François Guizot, par exemple) que par certains de ses thèmes de réflexion, tels les droits imprescriptibles de la conscience individuelle, la démocratie politique, ou les liens nécessaires entre pensée religieuse et modernité scientifique. LE TEMPS DE LA RÉFORME • Les prémices. Fruit des aspirations spirituelles de larges fractions de la société européenne, la Réforme est issue de la doctrine de Martin Luther, qui publie une série de traités où il expose ses principes fondamentaux, principalement entre 1517 et 1525. On les résume en général en trois points essentiels : seule l’Écriture sainte - et non l’Église ou l’Écriture interprétée par l’Église - régit la foi, et donc toute doctrine qui ne figure pas dans la Bible doit être rejetée ; seule la foi sauve, ce qui signifie que l’homme, pécheur et donc perdu, est rendu juste, « justifié », par la foi que Dieu lui offre gratuitement (pas de salut par la foi et par les oeuvres [comme pour les catholiques], où les protestants voient toujours la tentation ou le risque d’un « achat » du salut) ; le sacerdoce est universel, c’est-àdire que tous les chrétiens (et non pas simplement la hiérarchie ecclésiastique) sont appelés à étudier l’Écriture, à la méditer et à l’expliquer. En France, les promoteurs de l’idée de réforme se divisent en deux groupes. Le premier - qui comprend des hommes comme Guillaume Briçonnet (1472-1534), évêque de Meaux, appuyé, notamment, par Marguerite d’Angoulême, future reine de Navarre - tente downloadModeText.vue.download 746 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 735 cette rénovation en restant dans le cadre de l’Église traditionnelle : mais cet évangélisme humaniste est condamné par les autorités dès 1525. Tout en survivant quelque temps, il ne parvient pas à s’imposer. Le second, directement influencé par les écrits de Luther, donne naissance au protestantisme français. Dès 1520, en effet, les textes les plus im-
portants de Luther sont connus en France. À partir de 1523, ils sont traduits et adaptés, recopiés, publiés et finalement rendus accessibles à nombre de chrétiens, en dépit des interdictions formelles des autorités civiles et ecclésiastiques. Dès lors se constitue le courant dit « évangélique », qui emprunte certes le socle fondamental de ce qui va devenir le protestantisme français aux affirmations de Luther, mais qui se nourrit aussi des mouvements de réforme de l’Église tels qu’ils se développent à Strasbourg, à Bâle, à Zurich (où Ulrich Zwingli instaure une réforme radicale), à Genève et dans les cantons suisses francophones. Et, dès le début des années 1530, c’est plutôt par la Suisse (où l’influence du Dauphinois Guillaume Farel s’est révélée déterminante) que les idées nouvelles se propagent en France. À ses débuts, la Réforme française gagne donc surtout ses adeptes parmi une certaine élite sociale, celle qui sait lire : imprimeurs, artisans, clercs, maîtres d’école, etc. Mais, assez vite, elle touche tous les milieux sociaux, même si les citadins, qui ont plus facilement accès aux livres, sont plus nombreux que les ruraux. Dès les premières années aussi, les autorités ecclésiastiques s’y opposent violemment et tentent d’éliminer tant les livres que les « hérétiques » eux-mêmes. Quant au pouvoir royal, il ne se montre franchement hostile qu’après l’affaire des Placards (de petites affiches critiquant la messe sont placardées à Paris, dans plusieurs autres villes, et jusque dans les appartements du roi à Amboise), en 1534. La répression s’exerce très brutalement jusqu’en 1560, car le roi considère les adeptes des idées réformatrices non seulement comme des hérétiques mais aussi comme des perturbateurs de l’ordre public. On estime en général à 450 (soit environ 10 % de ceux qui ont été arrêtés) le nombre des réformés français mis à mort par les autorités, pour cause de religion, pendant cette période. • L’influence décisive de Calvin. Né à Noyon, en Picardie, Jean Calvin (1509-1564) est d’abord un humaniste. Gagné aux idées de la Réforme dès 1533, il doit se réfugier à Bâle ; il y publie en 1536 la première version (en latin et en 6 chapitres) de sa grande oeuvre dogmatique, l’Institution de la religion chrétienne, qu’il ne cessera de remanier et d’enrichir au fil des éditions successives (80 chapitres dans la dernière, en 1559-1560). Installé à partir de 1541 à Genève, ville libre alliée aux cantons suisses où il a déjà tenté de réorganiser l’Église en 1536-1538, il y exerce un magistère moral. Dès lors, Genève devient
le principal centre de diffusion des écrits réformateurs en langue française et, tant par la doctrine (l’Institution est traduite en français en 1541, et son Catéchisme paraît en 1542) que par sa conception de l’Église, l’influence de Calvin se révèle déterminante pour les « huguenots ». L’origine de ce surnom, donné dès cette époque aux protestants français, est obscure ; en général, on le considère comme une déformation de l’allemand Eidgenossen, c’est-à-dire « confédérés » (on appelle ainsi les partisans genevois de la Réforme). C’est dans le courant des années 1540 que des communautés évangéliques commencent à se constituer en France, en s’inspirant des modèles établis à Strasbourg et, surtout, à Genève. D’abord centrées sur l’édification et la prière, elles évoluent ensuite vers des formes de culte plus élaborées, sous la direction d’un pasteur choisi par les fidèles. L’Église locale est administrée par des laïcs désignés par la communauté, appelés « anciens » et se réunissant en consistoire. Un synode, rassemblé périodiquement, composé de représentants (pasteurs et anciens) des Églises, entre lesquelles il est chargé de faire la liaison, détient l’autorité en matière doctrinale. Des synodes régionaux et un national sont prévus. Le premier synode national se tient à Paris, en 1559. Il adopte une confession de foi qui énonce les principes réformés : c’est la « Confession de foi de La Rochelle », dont le texte est définitivement mis au point lors du synode qui a lieu dans cette ville, en 1571. Il établit aussi des règles institutionnelles et morales (appelées « Discipline ») proches de celles de Genève, et qui seront modifiées à plusieurs reprises. Dans les Églises réformées, le pasteur est avant tout un prédicateur qui, chaque dimanche, explique la Bible ; d’où l’attention toute particulière portée à sa formation. • Les guerres de Religion. La fondation d’Églises réformées engendre la constitution d’un parti protestant, qui tantôt lutte contre le roi, tantôt négocie avec lui. En 1562, en effet, on évalue le nombre de ces Églises à environ 2 000. Elles sont situées plutôt dans la moitié sud (Aunis et Saintonge, sud du Poitou, Guyenne, Gascogne, Béarn, et surtout Languedoc-Cévennes, Vivarais, Dauphiné) et, dans une moindre mesure, dans les pays de la Loire et en Normandie ; elles rassemblent près de 2 millions de fidèles (soit 10 % de la population). Leurs membres, dont bon nombre sont alphabétisés, proviennent avant tout des villes : clercs, juristes, artisans, marchands, mais aussi une fraction des catégories supérieures de la société - hauts magis-
trats et membres de la haute noblesse, voire des princes du sang (comme les Bourbons) et de nombreux gentilshommes. Ce dernier groupe conduit les protestants à se politiser, les adeptes de la Réforme aspirant à une reconnaissance légale, et même à la conquête du pouvoir. En janvier 1562, ils obtiennent un premier succès, lors de la signature, par la régente Catherine de Médicis, d’un édit accordant aux réformés la liberté de culte hors des villes. Mais le parti catholique, qui s’est également constitué, s’en indigne ; et, en mars 1562, le massacre de protestants réunis à Wassy pour célébrer leur culte donne le signal de la première guerre de Religion. En fait, pendant une trentaine d’années, de 1562 à 1598, les deux partis, encadrés l’un et l’autre par des familles nobles (en particulier les Condé et les Coligny du côté protestant, les Guises du côté catholique), se livrent une lutte armée qui a pour enjeux la place des Églises réformées dans le royaume et le contrôle du pouvoir, tandis que, dans les bastions protestants (surtout dans le Midi), une sorte d’« État » huguenot s’organise, avec armées, finances, lois, justice et « assemblées politiques ». On compte ainsi huit « guerres », entrecoupées de trêves et d’édits de pacification favorables à l’un ou à l’autre camp, selon les circonstances. Les opérations militaires se mêlent aux violences populaires. L’épisode le plus connu est le massacre de la Saint-Barthélemy (24 août 1572) : l’amiral de Coligny et 200 gentilshommes huguenots (venus à Paris à l’occasion du mariage du protestant Henri de Navarre - futur Henri IV avec Marguerite de Valois) sont assassinés, tandis que le peuple de Paris, approuvé par le clergé, se déchaîne pendant trois jours contre les protestants, massacrant entre 2 000 et 3 000 hommes, femmes et enfants, et que d’autres tueries font de nombreuses victimes en province. À partir de 1577, le chef du parti protestant est Henri de Navarre, qui devient l’héritier du trône après l’assassinat d’Henri III (1589) ; malgré son abjuration en 1593, il doit lutter pendant dix ans pour conquérir son royaume. En 1598, l’édit de Nantes, relativement favorable aux huguenots, met fin à cette période agitée. Cependant, ces guerres ont considérablement affaibli la communauté protestante, qui ne compte plus qu’un million d’adeptes à la fin du XVIe siècle, tandis qu’environ un tiers des Églises ont disparu, surtout au nord de la Loire.
LE TEMPS DE L’ÉDIT DE NANTES (1598-1685) • L’édit et le retour des affrontements jusqu’en 1629. L’édit de Nantes ne consacre pas la liberté religieuse, mais la coexistence de deux confessions, dont l’une, protestante - appelée officiellement « religion prétendue réformée » -, possède un statut inférieur. Les huguenots ne jouissent nullement de la liberté religieuse ; ils n’ont le droit de célébrer publiquement leur culte que dans un millier de localités, les villes importantes, dont Paris, leur étant souvent interdites. Les armées protestantes sont supprimées ; mais, pour leur assurer néanmoins une certaine sécurité, le roi accorde aux huguenots plusieurs places de sûreté (villes, ou forteresses, avec une garnison). Par ailleurs, le culte catholique est rétabli partout, même dans les localités où toute la population est protestante, et les huguenots paient la dîme au clergé catholique ; mais ils bénéficient de la liberté de conscience et de l’égalité civile. Des tribunaux spéciaux, dits « chambres de l’édit », réunissant des magistrats des deux confessions, doivent trancher les conflits théoriquement de manière impartiale. Après l’assassinat du roi, en 1610, un certain affaiblissement du pouvoir pendant la minorité de Louis XIII inquiète les huguenots, d’autant que la cour impose par la force le rétablissement du catholicisme en Béarn, alors entièrement réformé. Une partie d’entre eux reprend la lutte, et la monarchie a besoin de cinq campagnes (la chute de La Rochelle, où 15 000 huguenots meurent de faim plutôt que de se rendre, en 1628, en est l’épisode le plus connu) pour venir à bout du parti protesdownloadModeText.vue.download 747 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 736 tant. L’édit d’Alès (1629), qui clôt cet épisode, confirme les clauses religieuses de l’édit de Nantes, mais les assemblées du parti protestant sont interdites, et ses places de sûreté disparaissent, provoquant un nouvel affaiblissement des huguenots, qu’une bonne partie de la noblesse abandonne dès le début du XVIIe siècle. • L’application « raisonnable » de l’édit (1629-1661). Durant une trentaine d’années, les protestants jouissent d’une relative tranquillité. Il est possible alors de prendre la mesure de ce qu’est un « protestant fran-
çais ». D’une façon générale, être protestant, c’est refuser d’admettre qu’il puisse y avoir des objets, des lieux ou des temps sacrés, car il ne saurait exister d’autre intermédiaire entre Dieu et les hommes que Jésus-Christ, connu par la méditation personnelle des Écritures. C’est aussi pratiquer un culte dépouillé où la prédication tient une place centrale et où les deux seuls sacrements sont le baptême (simple signe de l’entrée dans l’Église) et la cène (communion spirituelle avec le corps et le sang du Christ). C’est encore pratiquer une religion « familiale » : matin et soir, le père de famille dit la prière et, s’il le peut, lit un passage de la Bible, et la maisonnée chante un psaume. C’est enfin adhérer à une nouvelle éthique, austère sur le plan des moeurs privées, où le modèle n’est plus le clerc célibataire, mais le laïc marié qui vit dans le monde ; elle célèbre la valeur du travail et autorise la réussite matérielle. Les Églises protestantes peuvent former leurs pasteurs dans leurs académies (à Saumur ou à Montauban, notamment), établir leurs consistoires, réunir leurs synodes. Certains pasteurs, tels Jean Claude, Pierre Dumoulin, Pierre Jurieu ou Charles Drelincourt, acquièrent une réelle notoriété dans les débats théologiques. En dépit des prescriptions de l’édit de Nantes, qui ont prévu des subventions de l’État, ces Églises doivent s’autofinancer. Par ailleurs, les relations entre protestants et catholiques se normalisent peu à peu. Dans plus d’une petite ville du Midi, on constate même une collaboration plutôt harmonieuse, tandis que, dans la capitale, des huguenots, tels Valentin Conrart, le fondateur de l’Académie française, ou l’amiral Abraham Duquesne, se font connaître. Ces années voient aussi l’intégration de l’Alsace au royaume de France (en 1648, pour l’essentiel, et en 1681 pour la ville de Strasbourg, Mulhouse restant indépendante jusqu’à la fin du XVIIIe siècle). Or, cette province compte de nombreuses communautés protestantes, le plus souvent luthériennes, la Réforme ayant été introduite dès les années 1520 ; les protestants alsaciens, qui ne vivent pas sous le régime de l’édit de Nantes, conservent, dans un premier temps (avant 1680), l’ensemble de leurs droits religieux. • La tentative d’élimination du protestantisme français (1661-1685). Dès le début de son règne personnel, Louis XIV - sans doute inquiété par la révolution anglaise - inaugure une politique bien différente. Fortement encouragé par l’Église catholique, qui n’a jamais accepté le pluralisme religieux, il commence
par appliquer l’édit de Nantes en l’interprétant de la façon le plus restrictive possible. On s’en prend d’abord aux institutions en interdisant, sous des prétextes divers, la célébration du culte dans de plus en plus de localités et en détruisant des temples. En outre, on exclut les huguenots d’un nombre croissant de professions, on supprime leurs écoles, on interdit les enterrements le jour, etc., le tout étant assorti d’une promesse d’avantages matériels pour ceux qui abandonneraient leur foi. Mais cette politique ne rencontre qu’un succès limité, et renforce le sentiment anticatholique des huguenots. La cour décide alors d’utiliser tous les moyens pour tenter d’éradiquer le protestantisme. Dès l’été 1681, les dragonnades - qui impliquent l’usage de tous les degrés de la violence - se multiplient. Terrorisés, de nombreux protestants cèdent et abjurent. Le 18 octobre 1685, Louis XIV signe l’édit de Fontainebleau, qui révoque l’édit de Nantes. En Alsace, le pouvoir exerce une intense pression ; mais, même s’il recourt fréquemment aux brimades et vexations, en général il n’use pas de la force ; le plus souvent, les protestants conservent la possibilité de célébrer leur culte. LE TEMPS DES PERSÉCUTIONS ET DE LA CLANDESTINITÉ (1685-1787) • Répression et résistance (1685-1715). Ce n’est certes pas la première fois qu’un souverain demande à ses sujets de se convertir, mais l’édit de Fontainebleau a cela d’exorbitant - même pour l’époque - qu’il exige la conversion tout en interdisant l’émigration de ceux qui refusent d’abjurer, ce qui revient à nier leur liberté de conscience. En outre, comme il devient très vite évident que les huguenots ont uniquement cédé sous la contrainte et qu’ils ne sont nullement convertis, le pouvoir adopte, dans les années suivantes, des mesures de plus en plus répressives : amendes collectives, mise à mort pour les pasteurs, mise aux galères pour les hommes, emprisonnement interminable pour les femmes, enlèvement d’enfants, interdiction d’inhumer ceux qui ont refusé les sacrements catholiques (ils doivent être « jetés à la voirie ») ; sous peine de voir leurs enfants privés d’héritage, les huguenots doivent recourir à l’Église catholique pour se marier et faire baptiser leurs enfants, etc. Cet arsenal répressif est maintenu pendant un siècle. Les huguenots ont d’ailleurs coutume d’appeler cette période celle « du Désert », par allusion aux années d’épreuves vécues par le peuple d’Israël, après sa sortie d’Égypte,
dans le désert du Sinaï. Bravant les interdictions, nombre d’entre eux décident de courir tous les risques et de quitter la France pour conserver leur liberté religieuse. Entre 1685 et 1700, environ 200 000 parviennent à s’installer dans les pays protestants : Suisse, Angleterre, PaysBas, Allemagne. Par conséquent, la communauté s’affaiblit, d’autant que ceux qui partent sont souvent jeunes et particulièrement entreprenants. Privés de pasteurs au début, ceux qui restent ont des conditions de vie très difficiles. Certes, la famille constitue une « petite Église », mais les autorités civiles et ecclésiastiques traquent chez eux les moindres manifestations publiques de pratique religieuse : la déclaration royale du 1er juillet 1686 prévoit ainsi la peine de mort pour ceux qui « seront surpris faisant [...] quelque exercice de religion autre que catholique ». Pourtant, assez vite, les protestants décident de résister à ces injonctions en tenant des assemblées clandestines dans des lieux écartés, sous la direction de pasteurs rentrés en France, ou de prédicants (des laïcs qui font office de pasteurs sans avoir suivi les études requises). Une violente répression s’abat sur eux ; mais, malgré les exécutions, les galères et les prisons, les assemblées ne cessent pas, manifestant non seulement la fidélité des protestants à leur foi, mais aussi la survivance de l’Église réformée. Dès 1689, grâce à Claude Brousson (qui sera exécuté en 1698), on y célèbre la sainte cène. Durant cette période, on note également des manifestations de prophétisme de la part de jeunes gens qui se jugent inspirés par le SaintEsprit et exhortent les huguenots à rester fidèles. La cour et le clergé catholique ne relâchant pas leur pression, la résistance prend parfois un tour violent. C’est le cas en 1702-1704, pendant la révolte armée des régions protestantes des Cévennes, connue sous le nom de « guerre des camisards », où s’illustrent notamment Jean Cavalier et Pierre Laporte (dit « Roland »). Les camisards sont finalement vaincus, mais il aura fallu mobiliser des milliers de soldats pour en venir à bout. C’est pourquoi les autorités sont conduites à modérer quelque peu la répression. • La clandestinité (1715-1787). À la mort de Louis XIV, bien des protestants espèrent le rétablissement de l’édit de Nantes. Il n’en est rien, si bien que, sous la direction d’Antoine Court (1695-1760), ils entreprennent de restaurer une organisation ecclésiastique
complète et clandestine. D’abord dans les Cévennes, puis, de proche en proche, dans les autres régions. Peu à peu, l’Église se reconstitue, avec des pasteurs (souvent formés à Lausanne), des consistoires, des colloques et des synodes. Par ailleurs, jusqu’au milieu du siècle, tout en résistant, les protestants sont souvent réduits à pratiquer, pour subsister, une sorte de double jeu qui consiste à effectuer le minimum d’actes extérieurs - mariage, baptême - qu’exige l’Église catholique pour obtenir une existence légale. Ensuite, à partir des années 1740-1750, ils s’enhardissent jusqu’à se marier et à faire baptiser leurs enfants « au Désert », clandestinement, par un pasteur souvent itinérant. Avec le temps et les progrès des valeurs de tolérance, la répression se fait moins vive, puis intermittente, mais elle ne cesse pas. Ainsi, la dernière exécution d’un pasteur pour cause de religion (celle de François Rochette) a lieu en 1762, tandis que le dernier pasteur martyr, François Charmuzy, arrêté en 1771, meurt des suites des mauvais traitements que lui ont infligés ses geôliers. Quant aux ultimes « galériens pour la foi », ils ne sortent du bagne qu’en 1775. En Alsace, dès les années 1720, la situation se normalise, et les protestants peuvent mener une vie publique. Ils sont donc en mesure de participer aux grands courants intellectuels et théologiques du temps, marqués par la diffusion de la philosophie des Lumières, mais aussi par le mouvement piétiste. En 1789, on compte en Alsace environ 200 000 protestants, 160 paroisses et 200 pasteurs. downloadModeText.vue.download 748 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 737 • Vers la tolérance. À partir des années 1760, le maintien des persécutions semble anachronique pour une bonne partie des populations cultivées. En effet, il est de plus en plus évident que la tentative de conversion par la force a échoué. Certes, l’hémorragie du Refuge et le ralliement à l’Église officielle des « tièdes » ou des isolés affaiblissent le protestantisme français, si bien que, vers 1789, l’Alsace mise à part, on ne compte guère plus de 525 000 réformés, qui sont desservis, clandestinement, par quelque 180 pasteurs. En outre, désormais, l’écrasante majorité des huguenots sont des ruraux dont le niveau de culture n’est pas toujours très élevé. Enfin, en les tenant isolés des grands courants de la vie intellectuelle, les persécutions entraînent un appauvrissement de la théologie qui se fera
longtemps sentir. Cependant, dès lors que l’État ne tente plus réellement de faire disparaître les huguenots, il devient difficile de ne pas leur octroyer un statut légal. Divers projets vont dans ce sens ; le fils d’Antoine Court (dit « Court de Gébelin ») entame même des négociations officieuses. Finalement, en 1787, Louis XVI signe un édit - appelé en général « édit de tolérance » - qui, tout en refusant aux protestants la liberté de culte, leur reconnaît néanmoins une existence légale, par le biais d’un état civil laïc. Sans doute est-ce là le maximum que peut accorder, alors, un roi « très-chrétien ». LA RÉINTÉGRATION DANS LA COMMUNAUTÉ NATIONALE • La Révolution française. Déçus par l’édit de 1787, les huguenots s’estiment en droit de réclamer l’égalité civile d’une part, la liberté de culte d’autre part. Aussi sont-ils satisfaits de l’évolution qui se dessine dès l’été 1789. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclame l’égalité entre les hommes et la liberté religieuse ; la loi du 24 décembre 1789 affirme l’accessibilité des non-catholiques à tous les emplois. Plusieurs autres mesures prises en 1790 (la restitution aux héritiers survivants des biens confisqués aux huguenots réfugiés, par exemple) parachèvent ce que les protestants interprètent comme une réparation des injustices de l’Ancien Régime. Enfin, les nouvelles autorités les laissent établir librement leurs Églises locales et leurs synodes. Aussi n’est-il pas surprenant de constater que l’immense majorité des huguenots se range dans le camp des partisans de la Révolution. Mais leur sympathie va au-delà de cette simple reconnaissance historique. En effet, rien dans la doctrine protestante n’est hostile à la philosophie des Lumières, qui constitue le fondement de l’action des révolutionnaires. Se sentant davantage les inspirateurs que les simples « héritiers » des principes de 1789 - notamment grâce à l’oeuvre du protestant Jean-Jacques Rousseau -, les huguenots soutiennent ainsi tout naturellement le nouveau cours de l’histoire. Cependant, à partir de 1791, les huguenots vont se trouver très divisés (tout en demeurant hostiles à l’Ancien Régime), la bourgeoisie protestante étant, en général, plutôt girondine. Durant la Terreur et la déchristianisation (1793-1794), en bien des lieux, toute célébration de culte est interdite ; mais, à la différence de ce qui se passait avant 1789,
les protestants sont désormais placés sur le même plan que les catholiques. Toutefois, cette période d’interdiction dure peu. Quant au Directoire, qui instaure un régime de liberté religieuse, avec égalité entre les cultes et séparation des Églises et de l’État, il satisfait, pour l’essentiel, les aspirations des huguenots. Dans plus d’une localité, la réorganisation et la reprise régulière des cultes ne s’effectuent pas facilement, mais, dans la mémoire collective des protestants, la Révolution reste synonyme de liberté et d’égalité. • Le régime concordataire (1802-1905). En 1801, Bonaparte, qui entend achever la Révolution tout en préservant les acquis de celle-ci, signe un concordat avec le pape. Il y ajoute, en 1802, des « articles organiques », dont une partie accorde une reconnaissance légale aux « cultes protestants », réformé et luthérien. Cette loi présente des avantages : au même titre que les prêtres, les pasteurs sont rémunérés par l’État, qui prend aussi à sa charge le fonctionnement des Églises protestantes et leur attribue un certain nombre de chapelles catholiques désaffectées pour que les protestants puissent célébrer leur culte là où les bâtiments ont été détruits en 1685. Toutefois, cette législation, qui n’a pas été négociée mais imposée par Bonaparte, présente un grave défaut du point de vue réformé : elle ne reconstitue pas le régime synodal, l’État ne reconnaissant que les « Églises consistoriales » (groupe de paroisses correspondant à l’ancien colloque). Ainsi, aucune autorité doctrinale n’est reconnue aux Églises réformées, qui demeurent un corps sans tête, le statut des Églises luthériennes étant différent car elles possèdent un consistoire général et un directoire siégeant à Strasbourg, ce qui permet le maintien de leur cohésion. Tant que les huguenots restent assez unis, la situation n’a rien de délicat ; mais elle se compliquera en cas de divergences dogmatiques, car aucun organisme réformé n’est alors habilité à trancher un débat doctrinal. Sur le moment, toutefois, avec cette reconnaissance officielle, gage de liberté et d’égalité, la satisfaction l’emporte. Sous l’Empire, les protestants mènent une vie ordinaire, partageant les vicissitudes et les choix politiques de leurs concitoyens. Lassés également par les guerres continuelles, ils accueillent la Restauration et l’accession au trône d’un descendant de Louis XIV sans craintes particulières. Pourtant, les massacres de la Terreur blanche, qui font plus d’une centaine de morts et des milliers de blessés parmi les huguenots du Gard, en 1815, rendent les
protestants durablement hostiles aux adversaires de l’oeuvre de la Révolution, et favorables à la gauche politique. Par ailleurs, la méfiance envers la monarchie demeure. Avec le régime de Juillet, qui affiche sa volonté de promouvoir une société issue des principes de 1789, les relations s’améliorent nettement, et on peut noter la présence de quelques protestants dans les allées du pouvoir. Ainsi, François Guizot, Premier ministre de fait de 1840 à 1848. Mais les préférences des protestants vont à la République, comme en témoigne leur attitude entre 1848 et 1851. Au début du Second Empire, la politique ouvertement cléricale de Napoléon III réveille d’anciennes craintes, jusqu’à la libéralisation en 1860. C’est cependant l’avènement de la IIIe République qui est le mieux accueilli. On remarque ainsi un nombre significatif de protestants parmi les dirigeants républicains - Waddington, Say, Freycinet, Doumergue, notamment. La République affirme clairement sa volonté de permettre le libre exercice des droits de l’homme et de faire disparaître les derniers vestiges de l’Ancien Régime. En général, les protestants appuient donc les initiatives des républicains, entre autres la mise en place d’une école laïque, gratuite et obligatoire. Et, au début du XXe siècle, la séparation des Églises et de l’État ne provoque aucune hostilité particulière, même si rien n’est fait pour la précipiter ; les protestants acceptent d’ailleurs d’en négocier l’application. Sur le plan doctrinal, le XIXe siècle est très fécond. Dès le début de la Restauration on assiste à l’épanouissement du Réveil, un mouvement qui, la liberté conquise, entend insuffler aux Églises une vie nouvelle et les lancer à la conquête du monde. Naissent alors de nombreuses institutions, telle la Société des missions, très active tout au long du siècle, tandis que le Réveil diffuse une spiritualité teintée de romantisme. Par ailleurs, le protestantisme se divise autour du débat entre « évangéliques » et « libéraux », induit par la volonté des protestants de s’adresser au monde moderne dans un langage accessible, en tenant compte du nouvel esprit scientifique. Le débat porte sur les conséquences doctrinales qu’il convient de tirer de l’exégèse biblique : les libéraux acceptent une modification plus profonde de la dogmatique, alors que les évangéliques tiennent à conserver l’essentiel des formulations doctrinales traditionnelles, quitte à les interpréter de façon symbolique. En l’absence d’autorité doctrinale chargée de trancher les
différends (malgré la réunion d’un synode en 1872), un schisme de fait partage ainsi les Églises réformées à partir de 1879. Il ne se résorbera qu’en 1938. Quant aux Églises luthériennes, elles sont affaiblies par la perte de l’Alsace-Lorraine en 1871. • Les innovations du xxe siècle. La séparation des Églises et de l’État, dont les conséquences matérielles sont assez facilement supportées, se traduit par un accroissement des divisions ecclésiastiques. Pour y remédier, décision est prise, dès 1905, de fonder la Fédération protestante de France, confédération ayant pour but de s’exprimer au nom de l’ensemble des protestants. Après des débuts un peu difficiles, cet organisme s’impose progressivement, en particulier pendant la longue présidence du pasteur Marc Boegner, de 1929 à 1961. Par ailleurs, les Églises, désormais indépendantes de l’État, sont en mesure de retrouver un fonctionnement interne normal, et donc de réunir des synodes, ce qui atténue les divisions. Mais le XXe siècle est aussi caractérisé par la diversification ecclésiale : de nouvelles Églises, parfois d’origine anglo-saxonne, apparaissent. C’est le cas, dans les années 1930, des communautés pentecôtistes, qui donnent aussi naissance, après 1945, à la Mission évangélique des Tsiganes. Concernant l’évolution doctrinale, il faut surtout mentionner, entre downloadModeText.vue.download 749 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 738 1930 et 1970, l’influence déterminante de la « théologie dialectique » du Suisse Karl Barth, le principal théologien protestant du XXe siècle, connu également pour son opposition absolue au nazisme. Du point de vue de l’organisation interne, la vie des Églises est marquée par une série d’initiatives. On note ainsi l’émergence du christianisme social, mouvement dont les promoteurs veulent adapter le message chrétien à la nouvelle société née de l’industrialisation, et se préoccuper de l’évangélisation de la classe ouvrière. Les huguenots participent également à la vie du protestantisme mondial, en tenant toute leur place dans la fondation et l’animation du mouvement oecuménique international, qui tient de grandes conférences dans l’entre-deux-guerres, puis du Conseil oecuménique des Églises en 1948. Sont également créés des oeuvres, des organismes s’adressant à la jeunesse ou à l’ensemble de la société. D’abord chargée de s’occuper des personnes évacuées en 1940, puis des réfu-
giés, des étrangers et des victimes des mesures antisémites, le Comité intermouvement auprès des évacués (Cimade) oriente aujourd’hui son action vers les sans-abri, les immigrés et les réfugiés politiques. Au XXe siècle, aucun contentieux n’existe entre les protestants français et l’État. Cependant, les protestants ont longtemps accordé leur confiance plutôt aux partis de la gauche modérée. Aujourd’hui encore, les hommes politiques protestants les plus célèbres, Michel Rocard et Lionel Jospin, représentent assez bien cette tendance. Cette sensibilité politique induit parfois des attitudes spécifiques, telle l’opposition résolue de la plupart des protestants au régime de Vichy, en raison de ses aspects cléricaux mais aussi, et surtout, de son antisémitisme, auquel ils avaient montré leur opposition (humaniste, historique, et surtout théologique) dès l’affaire Dreyfus. Les protestants, dont les Églises sont apparues à l’aube du XVIe siècle, se considèrent comme faisant partie intégrante du monde moderne et, à l’aise dans une société laïcisée, ont la volonté d’apporter leur témoignage dans tous les domaines de la vie sociale. l PROTOHISTOIRE. Une société est qualifiée d’« historique » lorsqu’elle laisse des documents écrits ; elle est dite « préhistorique » quand elle en est dépourvue. Mais le passage d’un état à l’autre n’est pas instantané. On appelle donc souvent « protohistorique » une société où l’écriture commence à être en usage sans constituer pour autant une véritable aide pour l’historien, ou encore une société sur laquelle nous disposons de témoignages dus aux historiens ou voyageurs appartenant à des sociétés « historiques » contemporaines. En France, le terme de « protohistoire » n’a pas d’acception déterminée, et l’on considérera comme « protohistoriques » soit les seules sociétés de l’âge du fer, soit également celles de l’âge du bronze, voire les sociétés néolithiques et chalcolithiques. C’est cette dernière définition qui est retenue ici, dans la mesure où la principale rupture concerne le passage entre les sociétés simples de chasseurs-cueilleurs du paléolithique et du mésolithique, et celles des agriculteurs, qui ne cesseront de se complexifier. GAULOIS ET FRANÇAIS La protohistoire, comme la préhistoire, désigne à la fois une période et la discipline qui
l’étudie, et elle se trouve recourir, de fait, aux méthodes de la préhistoire et à celles de l’histoire, la part de la première décroissant en faveur de la seconde, au fil du temps. Elle emprunte également à l’ethnologie l’observation de sociétés traditionnelles vivantes permettant d’enrichir le jeu des hypothèses et des raisonnements. C’est une discipline « sensible », car elle étudie l’émergence des « peuples » constitutifs des nations modernes, ou du moins de la représentation qu’ont ces nations de leurs propres origines. De fait, nos connaissances sur la protohistoire se sont longtemps limitées aux Gaulois, et plus précisément à ce qu’en avaient écrit les historiens grecs ou romains qui les présentaient comme des « barbares », vaincus puis romanisés : ce n’est guère en eux que les élites humanistes se sont cherché des ancêtres. Il faut attendre l’émergence de l’idée nationale, avec la Révolution puis le romantisme, pour voir apparaître un intérêt, toujours livresque, pour les Gaulois, qui tourne rapidement à la « celtomanie » : ce peuple est paré de sagesses mystérieuses, et le savoir disparu de ses druides est élevé au rang d’un mythe. Les monuments archéologiques connus sont réinterprétés et les dolmens, ces chambres funéraires du IVe millénaire, deviennent ainsi des « tables à sacrifice » destinées à des rituels sanglants. Le développement des fouilles archéologiques, à partir du milieu du XIXe siècle, réduit à néant ces fantaisies, du moins dans les spéculations érudites. Cependant, l’État français étant constitué de longue date, il ne lui est guère nécessaire de solliciter les archéologues dans la construction de l’imaginaire national - au contraire de nombreux autres pays européens, telle l’Allemagne, en particulier. C’est pourquoi l’archéologie protohistorique tarde à se professionnaliser. Napoléon III essaie bien d’asseoir son pouvoir sur une idéologie nationale et populaire : il fait fouiller Alésia et fonde le Musée des antiquités nationales à Saint-Germain-en-Laye. Mais cette institution reste significativement exilée dans une banlieue lointaine, même si, grâce aux conservateurs Alexandre Bertrand et Gabriel de Mortillet, puis au fils de ce dernier, Adrien, elle constituera l’un des rares points d’appui scientifiques de la discipline. UNE SCIENCE D’« AMATEURS » Comme la préhistoire, la protohistoire reste pour l’essentiel, et jusqu’au milieu du XXe siècle, une affaire de notables locaux, pra-
tiquant l’archéologie en amateurs éclairés - les archéologues professionnels, ceux de l’Université, travaillant en Grèce, en Italie ou en Orient. Les résultats des fouilles protohistoriques restent cependant plus modestes que ceux de la préhistoire, à laquelle les noms de sites français servent d’étalons - nouvelle illustration de la « mission » universaliste de la France. En outre, ces fouilles se limitent aux sites visibles : monuments mégalithiques, tumulus des âges des métaux, vestiges de cités lacustres. Aussi est-ce un archéologue amateur, Joseph Déchelette, industriel du textile, qui publie juste avant la Première Guerre mondiale un grand Manuel d’archéologie préhistorique, celtique et gallo-romaine, ouvrage demeuré sans équivalent. La mort de Déchelette, et de bien d’autres archéologues, dans les tranchées, interrompt l’essor d’une discipline à peine naissante en France, alors qu’elle est déjà solidement implantée dans les universités et les musées des autres pays européens. Ce sont des savants allemands, anglais ou espagnols qui, dans l’entre-deux-guerres, mettent en ordre les matériaux français, la première grande synthèse sur le néolithique à l’échelle de l’Europe étant celle de l’archéologue marxiste australien Gordon Childe. C’est lui qui met l’accent sur le rôle « historique » de la « révolution néolithique », avec l’apparition de l’agriculture et d’une économie de production. Il faut attendre 1943 pour voir se créer la première chaire d’antiquités nationales dans une université française - mais sous l’occupation allemande, à Strasbourg ! LES NOUVELLES MÉTHODES D’INVESTIGATION À partir des années 1970, la protohistoire française connaît une mutation fondamentale, plus longue néanmoins à se mettre en place que celle affectant la préhistoire, car le milieu scientifique concerné est plus restreint. Une fois de plus, ce sont les archéologies étrangères qui jouent un rôle moteur : la méthode stratigraphique, qui permet l’enregistrement de couches archéologiques superposées, est empruntée à l’Anglais Wheeler, tout comme sa systématisation sous forme de diagrammes, due à Harris et Biddle, qui est indispensable dans les fouilles urbaines très complexes. La pratique de la fouille de villages médiévaux est importée de Pologne, et vient enrichir une archéologie qui, jusque-là, s’intéressait seulement à l’art et à l’architecture des châteaux et des cathédrales. Quant à la pratique des grands décapages de villages protohistoriques, à l’aide d’engins mécaniques, elle
est introduite en France par l’archéologue tchèque Soudsky. Les nouvelles techniques d’analyse bénéficient à la protohistoire comme à la préhistoire et aux autres archéologies. La datation par le carbone 14 joue un rôle important : tandis que Childe estimait que le néolithique avait commencé en Europe vers 2 600 ans avant J.-C., le carbone 14 fait reculer cette date de quatre millénaires ! De même, la datation par les cernes des arbres (dendrochronologie) s’applique essentiellement aux sites lacustres protohistoriques. Entre-temps, non sans relations avec la crise économique et sociale qui marque la fin des « Trente Glorieuses », le public français a commencé à s’intéresser à l’archéologie métropolitaine, à ses propres « racines », à son « patrimoine », à sa « mémoire ». Les aménageurs publics ou privés ne peuvent plus détruire impunément les sites archéologiques, mais doivent financer les fouilles de sauvetage préalables à leurs travaux. Depuis vingt ans, plus de 3 000 chantiers archéologiques sont downloadModeText.vue.download 750 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 739 ouverts chaque année, tandis que la protohistoire compte plusieurs centaines de chercheurs professionnels travaillant au ministère de la Culture, au CNRS et dans les universités. LES PREMIERS AGRICULTEURS Si la protohistoire commence sur le territoire français avec l’apparition de l’agriculture et de l’élevage (le néolithique), ce phénomène fait encore l’objet de débats. Dans l’ouest de la France, on a fait valoir quelques dates au carbone 14 très reculées, qui font remonter les monuments mégalithiques d’Armorique à une phase bien antérieure au mégalithisme du reste de l’Europe, et même à l’apparition du néolithique dans la plus grande partie de la France. Dans le Midi, on a insisté sur l’importance du substrat mésolithique indigène, au moment de l’arrivée des premières formes de néolithisation. Il n’en reste pas moins que l’on distingue bien deux courants de néolithisation, tous deux issus originellement du Proche-Orient, même si le rôle qu’ont pu jouer dans ce processus les derniers chasseurs-cueilleurs mésolithiques n’est pas sans intérêt. Le premier courant suit les côtes mé-
diterranéennes et parvient en Provence et en Languedoc vers la fin du VIIe millénaire (cardial) ; l’autre remonte le bassin du Danube et franchit le Rhin vers le début du Ve millénaire (rubané). L’originalité de la France est, de par sa position géographique péninsulaire, que ces deux courants s’y retrouvent à nouveau, et vont se mêler dans le tiers moyen du pays vers le milieu du Ve millénaire. La rencontre de ces deux courants marque aussi la fin, à l’échelle de l’Europe, du mouvement de colonisation néolithique : toutes les terres favorables à l’agriculture sont occupées, et ces sociétés ne peuvent plus faire face à leur croissance démographique par les traditionnelles migrations. Il leur faut donc s’adapter à la raréfaction des terres, par de nouvelles techniques agricoles (araire, élevage plus sélectif, trait, monte, métallurgie, etc.) et alimentaires (laitages, recrudescence de la chasse, etc.), mais aussi par une organisation sociale différente. C’est le moment où apparaissent les premières tombes « riches » - qui sont des indices d’une hiérarchisation croissante - et aussi de possibilités nouvelles d’accumulation, dont témoigne l’exploitation intensive des matières rares (cuivre, silex de qualité, roches vertes pour les haches, etc.). Ces réorganisations ne vont pas sans tensions, et l’on voit ainsi apparaître les premières fortifications et les premières traces systématiques de violences guerrières. On désigne, à l’échelle de l’Europe, cette nouvelle période sous le nom de « chalcolithique » - le métal y faisant sa première apparition, d’abord sous forme d’objets de prestige, à peine présents en France. Ce nouvel ordre social s’appuie, effectivement, sur d’importantes réalisations à fonction idéologique visant à marquer l’espace : monuments funéraires mégalithiques, grandes enceintes cérémonielles, etc. DES PHÉNOMÈNES DE HIÉRARCHISATION DISPARATES Tous ces phénomènes se retrouvent, avec des traits stylistiques propres, dans les différentes cultures des débuts du chalcolithique représentées en France - où cette période est souvent désignée sous le nom de « néolithique moyen ». Dans la moitié sud du pays prévaut le chasséen, avec sa poterie fine gravée de motifs géométriques et ses grandes enceintes. Dans l’Est, le « néolithique moyen bourguignon », connu par ses villages fortifiés de bords de lacs (Chalain, Clairvaux), en constitue une variante, tout comme le faciès armoricain, d’où émergent les grands dolmens de Gavr’inis, Locmariaquer, Carnac et autres.
Enfin, dans le Nord-Est, on trouve la culture de Michelsberg, avec ses vases à fond rond, qui s’étend aussi sur la Belgique et une partie de l’Allemagne. Dans la seconde moitié du IVe millénaire, au moment où naissent les premières villes du Proche-Orient et bientôt la civilisation cycladique dans les îles grecques, commence à l’échelle de l’Europe le chalcolithique moyen. Les phénomènes de hiérarchisation ont tendance à s’estomper. En France, c’est l’époque des allées couvertes, monuments mégalithiques moins imposants et qui accueillent beaucoup plus de défunts - signe d’une sorte de « démocratisation » de la mort. C’est la culture de Seine-Oise-Marne, dans le Bassin parisien, tandis que les façades atlantique et méditerranéenne voient fleurir de nombreux groupes locaux, qui se distinguent par le décor de leurs poteries : Matignons, Peu-Richard, Ferrières, Véraza, Treilles, ou encore le groupe de Fontbouisse, avec ses maisons ovales en pierres sèches, bien connues à Cambous, dans l’Hérault. La métallurgie est maintenant bien présente. Enfin, au cours du IIIe millénaire, de nouvelles différences sociales se font jour, dont témoignent les premiers tumulus. La métallurgie poursuit son développement, même si le silex fait encore l’objet d’une exploitation intensive, comme le fameux silex jaune du Grand-Pressigny, en Touraine, qui, peut-être déjà, est un substitut du métal, exporté à des centaines de kilomètres. On assiste surtout à la diffusion, dans des régions très diverses, de deux types successifs de poteries : la céramique « cordée » d’abord, présente du Bassin parisien à l’Ukraine et au Danemark ; puis la céramique « campaniforme », attestée en poches discontinues de l’Espagne à la Hollande et de l’Angleterre à la Hongrie (en France, elle est fréquente principalement dans l’Ouest et le Midi). On ignore encore si la diffusion tient au déplacement de populations entières ou de groupes plus restreints, voire à l’existence de simples réseaux d’échanges. LE RÔLE DE LA MÉTALLURGIE C’est en tout cas sur le fond campaniforme que se met en place, vers 1800 avant J.-C., l’âge du bronze. Sa première partie n’est marquée par aucune différence sensible, technique ou socio-économique, par rapport au chalcolithique. La métallurgie reste d’ailleurs discrète. Mais l’espace européen se stabilise en une série de provinces culturelles, dont la différenciation perdurera presque jusqu’au
seuil de notre ère. La France est elle-même divisée : sa frange sud-ouest se rattache à l’Espagne, tout comme sa frange sud-est à l’Italie. La façade atlantique est classiquement regroupée avec les îles Britanniques au sein d’un grand « complexe atlantique », connu au début de l’âge du bronze par ses riches tombes princières, aussi bien en Bretagne que dans le Wessex. Enfin, le quart nord-est constitue, avec l’Allemagne du Sud, la Suisse, l’Autriche et la Bohème, le « complexe nordalpin » au sein duquel vont peu à peu émerger les Celtes. Cependant, ce n’est qu’à l’âge du bronze moyen, vers le milieu du IIe millénaire, et surtout au bronze final, de 1200 à 750 avant J.-C. environ, que la métallurgie fait un bond spectaculaire. Les possibilités du métal sont enfin développées, avec l’apparition de nouvelles armes (épées, cuirasses, casques, jambières) et de nouveaux outils ; les sites fortifiés continuent à s’édifier, quadrillant tout un territoire de villages et de fermes ; les tombes princières sont bien présentes, tandis que l’existence de « dépôts », où s’accumulent parfois jusqu’à plusieurs centaines d’objets en bronze intacts ou brisés, témoigne de l’importance de la thésaurisation de biens précieux. L’âge du bronze s’ouvre sans rupture, vers 750 avant J.-C., sur le premier âge du fer, ou « période de Hallstatt ». Le fer est d’abord un bien précieux, réservé à la confection d’épées - dont la résistance est nettement supérieure à celle des épées de bronze - et même de bijoux (torques, bracelets, fibules). Au cours du VIe siècle avant J.-C., certains sites fortifiés prennent le pas sur les autres. Ce sont les « résidences princières » qui, en Allemagne du Sud et en France de l’Est, s’échelonnent régulièrement - tous les 60 kilomètres environ - sur des emplacements favorables, et constituent l’amorce éphémère d’un phénomène proto-urbain. Elles sont en général entourées de tombes princières. En France, la plus célèbre de ces résidences princières est celle du Mont-Lassois, en Côte-d’Or. C’est à ses pieds que fut découverte la tombe de Vix, avec son immense vase de bronze. La richesse de ses occupants s’explique sans doute par leur situation dans la haute vallée de la Seine, contrôlant le commerce de l’étain entre la Grande-Bretagne et le monde méditerranéen. De fait, la recherche de matières premières par les commerçants et prospecteurs grecs, étrusques, phéniciens, carthaginois puis romains va jouer un rôle essentiel dans l’évolution socio-économique des populations sises
sur le territoire français. VERS DES SOCIÉTÉS URBAINES Si les résidences princières du nord-est de la France s’effondrent au début du Ve siècle, avec le début du second âge du fer (période de La Tène), le commerce méditerranéen joue un rôle très important en Provence et en Languedoc, d’autant que des Grecs fondent la ville de Marseille (600 avant J.-C.), qui implantera à son tour ses propres colonies (Nice, Antibes, Olbia, etc.). Les indigènes commencent à adopter un certain nombre de traits culturels du monde des cités : architecture, urbanisme, fortifications, et même boisson (vin). Toute la côte méditerranéenne se couvre de sites fortifiés d’importance variable et sans doute en compétition les uns avec les autres. Ce sont les oppidums du Midi, qui ont fait l’objet de nombreuses fouilles systématiques, comme à downloadModeText.vue.download 751 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 740 Nages, Ambrussum, Martigues, Entremont, Saint-Blaise, Ensérune, etc. À l’aube du IVe siècle avant J.-C., l’ensemble du complexe nord-alpin, dont le quart nordest de la France, est très densément peuplé. Cette situation débouche sur de vastes mouvements migratoires qui voient les tribus celtes atteindre la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Italie (c’est le fameux siège de Rome par les Gaulois sous la conduite de Brennus), la Grèce et même la Turquie, où ils fondent le royaume des Galates, constituant longtemps une menace pour le royaume de Pergame. Dans certains cas, les Celtes se mêlent aux indigènes, formant les Celto-Ligures de Provence ou les Celtibères d’Espagne. Le détail de ces mouvements n’est pas toujours clair. Ainsi, en Languedoc, la nécropole de l’oppidum d’Ensérune a livré de nombreuses armes ou parures typiquement celtiques, tandis que l’on a retrouvé des textes en langue ibérique. Une fois stabilisés, ou même repoussés (comme en Italie), ces mouvements laissent intacts la question démographique. Aussi, dès le milieu du IIe siècle, des oppidums apparaissent à leur tour dans le nord de la France. C’est cette configuration que rencontrent les Romains lorsqu’ils entreprennent sous la conduite de César, à partir de 58 avant J.-C., la conquête de l’ensemble de la Gaule jusqu’au
Rhin, après avoir conquis le Midi et formé la province de Narbonnaise. Une soixantaine de « peuples » gaulois indépendants et souvent rivaux, appuyés sur une structure déjà en partie urbaine et utilisant une économie monétaire, se partagent le territoire. Cette relative complexité sociale explique sans doute que le monde romain a pu assimiler avec une certaine facilité l’univers celtique, et le faire passer ainsi de la protohistoire dans l’histoire. Mais on peut lire aussi les grandes invasions, survenues quatre siècles plus tard, comme une revanche des sociétés européennes - restées « protohistoriques » - sur l’histoire. L’étude de la protohistoire soulève ainsi, par-delà la simple description chronologique, une interrogation majeure : l’évolution de ces sociétés vers des formes d’organisation de plus en plus complexes n’est-elle pas un processus heurté, dépourvu du caractère mécanique et de la linéarité qu’on serait naïvement tenté de lui attribuer ? proto-industrie. Ce concept, introduit en 1972 par l’Allemand F. Mendels, désigne celles des activités industrielles des XVIIeXIXe siècles qui paraissent faciliter le passage à l’industrie mécanisée et à main-d’oeuvre concentrée des XIXe et XXe siècles. Textiles pour l’essentiel, elles prennent majoritairement la forme des « manufactures » dispersées dans des milliers de foyers ruraux. Elles sont parfois présentes depuis le Moyen Âge mais se ruralisent davantage à la faveur de la croissance des XVIIe et XVIIIe siècles, afin d’exploiter des ressources naturelles comme l’eau claire (coutellerie de Langres, textile du Nord-Ouest) ou le bois et le fer (forges), mais surtout parce qu’on trouve dans les campagnes une main-d’oeuvre bon marché et dépourvue de l’encadrement corporatif des métiers urbains. Cependant, la naissance d’une proto-industrie suppose quelques conditions précises : une organisation d’ensemble de la production qui articule le travail (à façon et à domicile) des ruraux et celui des ouvriers urbains (employés à plein temps dans des ateliers) ; un écoulement des produits qui se libère de la conjoncture locale, à l’horizon d’un plus large marché ; et, pour nourrir les ruraux détournés des travaux agricoles, une agriculture qui fournit des surplus valorisés par un commerce efficace. La proto-industrialisation revêt diverses formes. Il arrive qu’un négoce dynamique provoque l’essor de fabrications rurales
traditionnelles : ainsi, les toiles de lin de l’Ouest (Bretagne, Maine), exportées par les ports atlantiques ; les draps du Languedoc, qui transitent par Marseille ; l’horlogerie de Franche-Comté ; ou encore la métallurgie de Haute-Normandie, qui domine, avec celle du Forez, la quincaillerie française. Il arrive aussi que marchands et marchands-fabricants procèdent à des délocalisations - de la ville vers la campagne. Ils se procurent la matière première (disponible sur place ou importée), distribuent le travail et commercialisent les productions. Souvent, la finition est assurée en ville. Ainsi, on compte à Beauvais cinq cents métiers drapants au début du XVIIIe siècle, mais plus de cinq mille dans le plat pays, qui travaillent, pour un marché européen les laines du Bassin parisien, du Berry, d’Espagne. Enfin, l’impulsion donnée depuis la fin du XVIIe siècle au nouveau textile cotonnier par des marchands ou manufacturiers (Rouen-Pays de Caux), par des états provinciaux (Vivarais), par l’État (Beaujolais) ou par une coalition d’intérêts (entrepreneurs-État, dans le Bugey), crée une activité qui n’existait ni en ville, ni à la campagne. Proudhon (Pierre Joseph), théoricien socialiste (Besançon 1809 - Paris 1865). Les origines de Proudhon - une mère cuisinière et servante, un père garçon tonnelier sont nettement plébéiennes. Après avoir dû interrompre de brillantes études au collège de Besançon, il devient ouvrier typographe mais parvient à obtenir, sur le tard, son baccalauréat. Il accumule les connaissances les plus diverses grâce à un nombre considérable de lectures. C’est dans le cadre des concours lancés par l’académie de Besançon qu’il se fait connaître, en 1840, par son brûlot Qu’estce que la propriété ? Deux ans plus tard, ses écrits le conduisent devant la cour d’assises du Doubs, qui l’acquitte. Le « premier Proudhon », celui d’avant 1848, est d’abord critique et moraliste : il dénonce la propriété comme « injuste » parce qu’« injustifiable ». Encore sait-il y reconnaître des vertus, par un cheminement dialectique qui rend sa pensée parfois déroutante ou contradictoire : la machine ou la concurrence disposent ainsi d’un bon et d’un mauvais côté. Il n’appartient donc à aucune école socialiste et devient rapidement l’un des principaux adversaires de Karl Marx, qui oppose à sa Philosophie de la misère (1846) une Misère de la philosophie. Mais l’audience de celui qui a décidé de consacrer sa vie « à l’émancipation de ses frères et compagnons » est grande parmi le petit peuple. Le « deuxième Proudhon » tente d’apporter des réponses,
certes toujours difficiles à systématiser. Élu à l’Assemblée constituante de 1848, il propose le financement d’une banque accessible au peuple, mais le projet est refusé. Il est incarcéré, pour délit de presse, de 1849 à 1852. Après sa libération, il refuse d’entrer en lutte contre le Second Empire. Il tente même de se faire entendre de Louis Napoléon en lui présentant son projet de « banque du peuple ». La tentative s’avère vaine. Il se consacre alors au développement de son oeuvre en publiant de très nombreux écrits, parmi lesquels De la justice dans la révolution et dans l’Église (1858) - qui lui vaut une nouvelle condamnation, à laquelle il échappe en s’enfuyant en Belgique et Du principe fédératif (1863). À la différence de bien des socialistes de son temps, Proudhon s’y révèle plus préoccupé des problèmes de l’échange que de ceux de la production. Sa volonté de faire disparaître l’État en le remplaçant par une fédération de « compagnies ouvrières », comme son abstentionnisme en matière électorale, en font l’un des pères de l’anarchie en dépit de ses positions très conservatrices à l’égard de la famille et de la place des femmes dans la société. Provence, appellation courante des comtés de Provence et de Forcalquier, annexés en 1481 au royaume de France. Seules ses limites méridionales (la mer) et occidentales (le bas-Rhône) ont été à peu près stables, à la différence des limites orientales et surtout septentrionales. Les six départements constituant aujourd’hui la région Provence-Alpes-Côtes d’Azur (PACA) correspondent à peu près à l’ancienne Provence du XVe siècle. • Des limites mouvantes. La région commence à s’individualiser au néolithique. Elle entre dans l’histoire au VIe siècle avant J.-C., avec les peuplades celto-ligures et les Phocéens de Marseille. Les Romains l’intègrent à un vaste ensemble, étendu des Alpes aux Pyrénées - la Narbonnaise -, qui se fragmente aux premiers siècles de l’ère chrétienne. Durant le haut Moyen Âge, la Provence est un royaume englobant la région lyonnaise et le Dauphiné, puis un marquisat limité vers le nord à une ligne Viviers-Embrun. Elle devient enfin un comté, aux limites variables, qui perd provisoirement les terres de Forcalquier (11251209) et la vallée de l’Ubaye (1388-1714), et définitivement le comté de Nice (1388), le Comtat Venaissin (1215), Avignon (1348), les terres delphinales du Nord (XIIIe-XVe siècle).
C’est seulement en 1960 que la création de la région PACA permet la réintégration de ces territoires. • Des origines à l’implantation romaine. L’homme est présent dans la région depuis environ 900 000 ans. D’abord chasseur-cueilleur, il se met à pratiquer l’élevage et la culture il y a 7 000 ans. Parvenue à son apogée il y a 3 000 ans, sa civilisation subit au deuxième millénaire avant J.-C. des influences italiques et « nordiques », puis entre en contact, aux alentours du VIIe siècle avant J.-C., avec les Étrusques, les Phéniciens, enfin les Grecs. Dans les zones de contact s’élabore une nouvelle synthèse culturelle dont témoignent des cités (Entremont), les statues réalistes de downloadModeText.vue.download 752 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 741 Roquepertuse, des inscriptions indigènes en grec, l’usage de la monnaie et de la céramique massaliotes. Les Grecs essaiment sur le littoral et en quelques points de la basse Provence occidentale. Avant tout préoccupés de commerce, ils doivent s’appuyer sur Rome à partir du IVe siècle avant J.-C. La capitale du Latium finit ainsi par dominer toute la région au IIe siècle avant J.-C. Elle y établit un réseau de colonies, d’où naît un ensemble urbain plus nouveau par l’organisation des villes que par leur implantation, puisqu’il s’inscrit le plus souvent sur des sites indigènes (Aix, Arles, Avignon, Cavaillon, Riez, Sisteron, Castellane...). À la différence de l’hellénisation, la romanisation semble avoir été profonde, au moins dans les zones de peuplement romain. En font foi Glanum, Vaison-la-Romaine, les nombreux monuments encore visibles, les traces du réseau de routes et des villae rurales. • L’âge d’or. Les mille ans qui suivent (fin Ve-fin XVe siècle) sont capitaux aux yeux des « provençalistes », depuis les anciens historiens provençaux jusqu’aux artisans du félibrige. Se succèdent les dominations barbare (Ve-VIe siècle), mérovingienne (VIe-VIIe siècle), carolingienne (IXe siècle), puis celle des trois dynasties comtales (949-1094, 1094-1245 et 1246-1481). Plusieurs fois dépecé et reconstitué, l’espace territorial sert de support à un véritable État à partir de la seconde dynastie (catalane) et à une véritable politique expansionniste régionale puis italienne (XIIIeXVe siècle).
Plus que les incursions sarrasines (IXe et Xe siècles) ou l’histoire de l’Église provençale deux thèmes à l’origine d’un riche légendaire ou les déclarations « d’indépendance » de 879 ou de 1081, la formation du comté ou les exploits de sa féodalité, c’est la renaissance des villes et des institutions urbaines qui a nourri l’imagination des écrivains des siècles postérieurs. Refermée sur elle-même, rapetissée à la fin de l’époque romaine, la ville, siège du pouvoir épiscopal et du pouvoir politique, émerge de l’obscurité au XIe siècle, en même temps que reprennent les échanges commerciaux. Surgissent alors des institutions municipales de type oligarchique, dont la seigneurie est souvent l’initiatrice : les consulats. L’adoption de certaines pratiques électorales, les assemblées de chefs de famille, les privilèges, la construction d’enceintes, réussissent à les doter d’une certaine légitimité. Les comtes du XIIIe siècle sauront les empêcher de devenir de véritables républiques urbaines, particulièrement à Marseille. Néanmoins, le modèle institutionnel urbain gagne les campagnes, et les consulats semblent omniprésents à la fin du XVIe siècle. Plus importante a sans doute été la réouverture aux influences étrangères. Elle est le fait de l’Église, sensible aux modèles italiens (particulièrement pendant la période de la papauté d’Avignon, au XIVe siècle), et des comtes, qui regardent du côté des cultures italienne, aquitaine et « nordique ». Au XIIe siècle éclate le « feu d’artifice roman », dont les traits spécifiquement provençaux se caractérisent par une simplicité - voire une sévérité - dans l’organisation générale et la décoration (Sénanque, Le Thoronet...). Plus tardif qu’ailleurs, le gothique reste sous l’influence des écoles italienne, catalane et bourguignonne, et tributaire des formules romanes. Quant à la littérature provençale, elle entame son long déclin en cette période de catastrophes démographiques, économiques et politiques que sont les XIVe et XVe siècles. Signe des temps nouveaux, les universités d’Avignon et d’Aix naissent respectivement en 1303 et en 1409. • La période française. L’annexion au royaume a lieu en 1481. Elle a peut-être favorisé le renouveau de l’expansion de Marseille en Méditerranée puis son ouverture sur l’océan au XVIIIe siècle, et la lente apparition, en quelques endroits privilégiés, d’une industrie plus moderne que le traditionnel artisanat du textile et du cuir (soie, coton, savon, papier, constructions navales). La campagne, vouée depuis toujours aux céréales, à l’arboriculture, à la viticulture et à l’élevage du mouton, s’est
lentement, localement et tardivement tournée vers les cultures spéculatives. La présence d’une seule ville importante (Marseille) s’explique donc, dans une région qui reste une zone de petites villes et de bourgs urbanisés. Ce n’est pas avant le XXe siècle que Toulon et Nice d’abord, Aix, Avignon et Cannes beaucoup plus tard, dépassent les 100 000 habitants. Pendant des siècles, la société provençale a été un monde de petites gens : nombreux artisans, domestiques et même paysans dans les villes, sans compter les pauvres (les salariés de l’industrie ne se rencontrent en nombre important qu’à Marseille puis dans les principaux ports). Dans les campagnes dominent une multitude de salariés et de petits exploitants, une quantité assez notable de petits propriétaires : la grande propriété (ecclésiastique, noble ou bourgeoise) n’a jamais été très répandue, sauf en certaines régions comme le pays d’Arles. Quant aux groupes dominants, hormis le cas marseillais, ils se recrutent avant tout dans les secteurs judiciaire et administratif, parmi les membres de certaines professions libérales et commerciales. En règle générale, la disponibilité en capitaux est faible. Toutes les conditions de la prudence économique, sinon de l’immobilisme, sont donc réunies, d’autant que le seul pôle dynamique, Marseille, semble regarder davantage vers l’industrie textile languedocienne et la mer jusqu’à la crise révolutionnaire - et vers la mer exclusivement à partir de l’Empire. Ce sont des événements extérieurs qui bouleversent l’économie provençale à partir du XIXe siècle : l’irruption du chemin de fer et de la route, l’extension des marchés urbains, la politique agricole, le tourisme et la concurrence extérieure provoquent des mutations décisives, tandis qu’émigration et immigration secouent une société jusqu’alors relativement stable dans ses structures comme dans ses comportements. À l’accumulation de ces facteurs d’ébranlement, il faut ajouter la francisation accélérée des groupes dirigeants depuis le XVIe siècle : plus spontanée qu’imposée jusqu’à la généralisation de l’enseignement primaire, elle finit par provoquer un réveil culturel incontestable, quoique limité, autour du félibrige (1854). De moindre conséquence, puisqu’il n’y a jamais eu d’art provençal à proprement parler, se révèle l’intensité de la vie artistique en Provence depuis le XVIe siècle. Elle associe un flot ininterrompu de visiteurs de tous horizons à une création locale abondante et honorable,
dans tous les domaines. Mais les artistes provençaux de renom font carrière à l’extérieur (Puget, Fragonard...), ou n’utilisent les ressources régionales que comme matériau d’inspiration (Cézanne, Milhaud), tout comme les écrivains francophones d’origine provençale. Et, depuis un siècle, la Provence est devenue un haut lieu de l’art international. La région s’est éveillée à la modernité après la Première et surtout la Seconde Guerre mondiale. Le pays a été transformé en profondeur par les grands travaux, les industries nouvelles, le tourisme, l’explosion des activités culturelles, qui ont entraîné son quadrillage serré par les voies de communication et l’effondrement des activités traditionnelles. Parallèlement, l’afflux d’une main-d’oeuvre et de nombreux cadres étrangers, ajouté à l’élévation du niveau de vie, a provoqué une urbanisation accélérée et suscité une demande de consommation culturelle standardisée. Les vitrines de l’ancienne province sont maintenant son littoral (secondairement, les montagnes orientales et la Camargue), devenu le secteur le plus actif, au détriment des vieux centres urbains de l’intérieur (qui, jusqu’à la fin du XIXe siècle ont été, avec Marseille, les moteurs de la vie provençale) et d’une agriculture de plus en plus menacée malgré son dynamisme. L’histoire politique traduit cette évolution. Jusqu’à la Révolution, la Provence a été (comme le Comtat) pays d’états - administré par des assemblées représentatives, moins soumises qu’on ne l’a dit -, ressort de cours souveraines ombrageuses, terre de juristes fameux, voisine d’une communauté marseillaise rétive : la vie politique y a donc été assez originale. Depuis 1789, elle n’est plus que le reflet des grandes évolutions françaises, avec des balancements qui ne sont pas sans rappeler ceux du Languedoc voisin. À l’instar de ce dernier, la Provence tend à ne plus être qu’un cadre naturel pour un certain style de vie. Provence (débarquement de), quement de troupes alliées, franco-américaines, sur les vence, à l’est d’Hyères, le
débaressentiellement côtes de Pro15 août 1944.
En 1943, à Téhéran, les Alliés prennent la décision d’accompagner le débarquement principal qu’ils prévoient sur les côtes occidentales de la France d’une opération dans le Midi. Baptisée « Anvil », cette entreprise est destinée à prendre l’occupant en tenaille et à « tendre la main » aux éléments qui viendront de Normandie. Le plan « Anvil »,
étudié dès janvier 1944, est l’objet de nombreuses controverses, notamment avec Churchill, qui préfèrerait une offensive en direction de Vienne. Sa préparation est également contrariée par le manque de chalands de débarquement et le peu d’effectifs disponibles en raison de la campagne menée en Italie. Il est prévu de faire précéder l’opération d’une vaste offensive aérienne, qui doit neutraliser les défenses allemandes et couper les voies de communication, de prendre le contrôle du terrain entre le cap Nègre et Saint-Raphaël, tandis que des troupes aéroportées au Muy empêcheraient l’arrivée de renforts allemands. downloadModeText.vue.download 753 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 742 Le plan définitif, arrêté en juillet et rebaptisé « Dragoon », implique onze divisions alliées, dont l’armée B française, du général de Lattre de Tassigny, appuyées par 2 000 navires et 2 000 avions. En face, la 21e armée allemande ne dispose que de quelques médiocres unités, soutenues par moins de 200 avions, mais bénéficie d’un solide dispositif de fortifications. L’assaut amphibie est lancé le 15 août, au matin. Les pertes des Alliés sont relativement faibles : moins de 320 tués. Le succès est quasiment total. Toulon et Marseille sont libérés avant la fin du même mois, très en avance sur les prévisions. Avant la mi-septembre, la jonction est opérée en Bourgogne avec les forces débarquées en Normandie. PS (Parti socialiste), parti fondé en 1971, qui incarne la tradition réformiste de la gauche française. Après l’échec subi aux élections législatives de juin 1968, la gauche non communiste entame un cycle de refondation : la SFIO, dirigée par Guy Mollet, décide de s’effacer pour se fondre dans un nouveau parti socialiste, créé en 1969 par Alain Savary. Il s’agit d’une structure ouverte aux clubs de gauche du moment : l’UCRG (Union des clubs pour le renouveau de la gauche) d’Alain Savary, l’UGCS (Union des groupes et clubs socialistes) de Jean Poperen, le CERES (Centre d’études, de recherches et d’éducation socialistes) de Jean-Pierre Chevènement, puis, en 1971, la CIR (Convention des institutions républicaines) de François Mitterrand. En juin 1971, ce dernier parvient à s’imposer lors du congrès d’Épinay, qui marque le véritable acte de naissance du Parti
socialiste. Plus républicain que socialiste, François Mitterrand est néanmoins partisan d’une stratégie d’union de la gauche, qui aboutit à la signature du programme commun de gouvernement avec le Parti communiste (juin 1972). Le processus d’unification socialiste s’achève en octobre 1974, quand les partisans de Michel Rocard au PSU et des militants du mouvement syndical (CFDT) rejoignent le PS. Cette unification permet à la fois le redressement électoral de l’ensemble de la gauche et, en son sein, un rééquilibrage des forces au profit du PS. Allié au CERES, François Mitterrand voit sa position de premier secrétaire confortée lors du congrès de Metz (avril 1979), au détriment des rocardiens et des amis de Pierre Mauroy. La phase de la conquête du pouvoir s’achève avec la double victoire, présidentielle et législative, de 1981. Elle est confirmée en 1988, quand s’ouvre le second septennat de François Mitterrand. Mais, à l’épreuve du pouvoir, le PS, dont Lionel Jospin est premier secrétaire de 1981 à 1988, doit accepter de difficiles révisions idéologiques. En effet, la modernisation, l’économie mixte et la construction européenne deviennent ses nouveaux chevaux de bataille, tandis que s’opère une réconciliation avec le capitalisme (lequel est reconnu comme un horizon historique au congrès de La Défense, en 1991). Les querelles intestines qui se manifestent au grand jour lors du congrès de Rennes (mars 1990) et la multiplication des « affaires » contribuent à affaiblir le parti. La débâcle des élections législatives de mars 1993, puis l’échec de la reprise en main tentée par Michel Rocard, précipitent le PS dans une crise grave. Mais le score honorable obtenu par Lionel Jospin lors de l’élection présidentielle de 1995 (47,3 % des suffrages exprimés) ouvre de nouvelles perspectives, qui sont confirmées par la victoire de la gauche lors des élections législatives du printemps 1997. Redevenu la principale composante d’une « majorité plurielle » (qui comprend le PCF, les Radicaux, le MDC et les Verts), le PS, qui perd la majorité aux législatives de 2002, doit trouver un équilibre entre sa culture de gouvernement, acquise durant les années 1980 et 1990, et sa volonté réformatrice. Pseudo-Denys, auteur grec de la fin du Ve siècle ou du début du VIe, qui a mis son oeuvre sous le couvert de Denys l’Aréopagite. Ses traités - principalement la Hiérarchie céleste et les Noms divins... - sont influencés par
le néoplatonisme. Ils présentent un univers ordonné, dans lequel chaque élément porte une part de la vérité divine, dont la clarté est proportionnelle à sa distance par rapport à Dieu. Dans un tel système, l’invisible peut donc être connu grâce au visible. La pensée de Denys a servi à légitimer le culte des images, dont l’éclat serait un reflet de la splendeur divine - une idée particulièrement sensible chez Suger (1081-1151), concepteur de la basilique gothique de Saint-Denis. Les textes dionysiens ne sont directement connus en Occident qu’à partir de 827, quand l’empereur byzantin Michel le Bègue les offre à Louis le Pieux, empereur d’Occident. L’abbé Hilduin les traduit en latin : il est le premier à valider l’identification de leur auteur à Denys, premier évêque d’Athènes, converti par saint Paul sur l’Aréopage, qu’il confond avec l’évangélisateur de Paris. Cette identification, fautive et d’ailleurs bientôt mise en doute par certains humanistes (Érasme, Lorenzo Valla), est globalement acceptée par les catholiques jusqu’à la fin du XIXe siècle. Les protestants, pour leur part, rejettent ces textes comme apocryphes. Le corpus dionysien a fréquemment été lu et commenté par les théologiens médiévaux : Jean Scot Érigène, Hugues de Saint-Victor, saint Thomas d’Aquin, Gerson. À l’époque moderne, il a surtout influencé les auteurs spirituels et mystiques, tels Bérulle, Marie de l’Incarnation, Fénelon, Mme Guyon. PSU (Parti socialiste unifié), parti politique fondé en avril 1960, notamment par Claude Bourdet, Gilles Martinet, Édouard Depreux, Michel Rocard, Jean Poperen, pour unifier les « nouvelles gauches » - gauches dissidentes situées entre le PCF et la SFIO. Réformiste, le PSU s’oppose à la guerre d’Algérie, critique la Ve République, tout en se posant comme force de proposition. Ses 15 000 membres veulent en effet rénover la gauche, mais s’affrontent entre partisans de l’autonomie et défenseurs de l’union des gauches. En 1965, le PSU soutient la candidature de François Mitterrand. Avec la CFDT et l’UNEF notamment, il constitue l’un des pôles de la contestation de mai 68, mais n’en tire guère profit. La création, en 1971, du PS entraîne une hémorragie de ses militants, qui s’accentue avec la signature du programme commun de la gauche. À l’automne 1974, son dirigeant Michel Rocard rejoint le PS, alors que le PSU ne compte plus que
9 000 membres, qui défendent des thèmes pacifistes, antinucléaires, régionalistes, autogestionnaires et écologistes. Son nouveau secrétaire général, Huguette Bouchardeau, tente d’adapter le parti à l’évolution politique, mais l’alliance électorale de 1978 contractée avec les écologistes et les régionalistes ne recueille que 1 % des suffrages. La candidate du PSU obtient le même résultat lors de l’élection présidentielle de 1981. La victoire de François Mitterrand affaiblit encore le PSU, qui ne compte plus que 1 000 membres en 1988, si bien qu’en 1989 il se fond dans l’Alternative rouge et verte de Pierre Juquin. Malgré les tentatives de renouvellement idéologique, le PSU ne s’est pas relevé du départ de ses dirigeants. Il a néanmoins été le principal laboratoire d’idées de la gauche jusqu’au milieu des années 1970. Puisaye (Joseph, comte de), chef chouan (Mortagne-au-Perche, Orne, 1755 - Hammersmith, près de Londres, 1827). La vie de ce noble de vieille famille est un véritable roman d’aventures - ce qui lui vaudra bien des inimitiés dans son propre camp. Colonel en 1783, il représente la noblesse du Perche aux assemblées provinciales de 1787, puis est élu député de la noblesse aux états généraux de 1789. Peu favorable à l’évolution en cours, il n’en est pas moins, ensuite, commandant des gardes nationaux du district d’Évreux, et se présente à la Convention - ce qui suppose qu’il ait accepté les conséquences du 10 août 1792. Mais il s’oppose aux montagnards et aux sans-culottes en juillet 1793, avant d’être battu à la tête des armées fédéralistes dans un médiocre affrontement à Pacysur-Eure. À partir de ce moment, il se lance dans la chouannerie, qu’il fédère presque entièrement durant l’hiver 1793 et dont il se proclame le chef. Il se rend ensuite en Angleterre, où il convainc le Premier ministre Pitt de lancer une expédition contre la France. Le débarquement a lieu à Quiberon, mais les émigrés n’ont pas oublié l’adhésion de Puisaye au régime révolutionnaire et imposent un double commandement. L’opération se solde par un fiasco et ruine définitivement la carrière de Puisaye dans le camp de la ContreRévolution. En 1798, après deux ans d’inactivité en Angleterre, il part pour le Canada, où il tente de fonder une colonie sur des bases quasi féodales ! Après un nouvel échec, il achève sa vie en Angleterre, où il rédige ses Mémoires. putsch des généraux, sédition (21-
25 avril 1961) menée depuis Alger par les généraux Challe, Jouhaud, Salan et Zeller afin de maintenir l’Algérie dans la France. Le putsch trouve son origine dans le désarroi et la colère qu’inspire, au sein d’une partie de l’armée, l’évolution de la politique algérienne du général de Gaulle. Revenu au pouvoir dans l’ambiguïté du 13 mai 1958, de Gaulle se prononce rapidement pour downloadModeText.vue.download 754 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 743 l’autodétermination de l’Algérie, qui est massivement approuvée lors du référendum du 8 janvier 1961. Après la répression de la « semaine des barricades » (janvier 1960), le divorce est consommé entre le Général et les irréductibles de l’« Algérie française », qui se rassemblent au sein de diverses organisations (Front de l’Algérie française, à Alger ; colloque de Vincennes, à Paris). Prévu à l’occasion du déplacement du chef de l’État en Algérie au mois de décembre 1960, un premier putsch est finalement abandonné. Mais, après que de Gaulle a invoqué le coût financier de l’Algérie - en vue de justifier sa décolonisation (conférence de presse du 11 avril 1961) -, les ultras de l’armée décident de passer à l’offensive. Sollicité par des colonels en révolte, le général Challe, qui avait porté des coups sévères aux réseaux armés du FLN en 1959, dirige l’opération aux côtés des généraux Zeller et Jouhaud, rejoints ensuite par Salan, ancien commandant en chef des forces françaises en Algérie. Après des hésitations, Challe décide de ne rien entreprendre en métropole : les généraux s’emparent du pouvoir à Alger dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, et proclament un « Conseil supérieur de l’Algérie ». Ils affirment leur volonté de « gagner la guerre d’Algérie dans un délai de trois mois ». Mais en Algérie même, ils ne parviennent pas à rallier l’ensemble de l’armée, tandis que l’un de leurs complices à Paris, le général Faure, est arrêté dès le 22 avril. Le 23 au soir, dans une allocution télévisée, de Gaulle dénonce le « pronunciamiento militaire » d’un « quarteron de généraux en retraite ». Le lendemain, il met en application l’article 16 de la Constitution. Massivement approuvée en métropole, la fermeté du chef de l’État encourage la résistance des soldats du contingent en Algérie, et dissuade les officiers hésitants de rallier les putschistes. Isolé,
Challe négocie sa reddition le 26 avril, alors que Jouhaud et Salan rejoignent l’OAS, dont ils deviennent les principaux animateurs. Si l’échec du putsch renforce l’autorité du général de Gaulle, il révèle aussi les graves divisions de l’armée, et n’entame pas la détermination des activistes, civils et militaires, qui se regroupent au sein de l’OAS. Pyramides (bataille des), dite aussi bataille d’Embabèh, victoire remportée par Bonaparte le 21 juillet 1798, au début de l’expédition d’Égypte. Le 1er juillet 1798, 35 000 soldats français débarquent près d’Alexandrie et prennent cette ville dès le lendemain. Pour se porter le plus rapidement possible sur Le Caire, le corps expéditionnaire se lance dans la traversée du désert de Damanhour ; parallèlement à cette progression sur la rive gauche du Nil, une flottille de ravitaillement remonte le fleuve. Le 21 juillet, les Français arrivent en vue des pyramides de Gizeh, mais l’armée des mamelouks leur interdit l’accès au Caire, qui se trouve sur l’autre rive. L’armée française adopte une formation en carrés indépendants : à l’aile droite, Desaix est en tête, suivi par Reynier ; Dugua est au centre, tandis que l’aile gauche est composée par Vial et Bon. Face à eux, le village d’Embabèh a été fortifié, et 6 000 cavaliers mamelouks, rangés le long du Nil, sont placés sous les ordres du puissant bey Mourad, tandis que le bey Ibrahim commande des forces navales sur le fleuve. Avant le combat, Bonaparte harangue ses troupes (« Soldats, du haut de ces pyramides, quarante siècles vous regardent », aurait-il dit, selon la version retenue par la tradition). L’attaque des mamelouks se porte sur Desaix et Reynier, qui fixent le gros des forces ennemies. L’aile gauche de Bonaparte emporte les retranchements adverses. Plus de 1 500 mamelouks sont tués. Blessé au combat, Mourad s’enfuit vers la Haute-Égypte tandis qu’Ibrahim se réfugie en Syrie. Le lendemain, Bonaparte entre au Caire : trois semaines lui ont suffi, après son débarquement, pour contrôler toute la Basse-Égypte. Pyrénées (traité ou paix des), traité signé le 7 novembre 1659 mettant fin au conflit entre la France et l’Espagne qui dure depuis 1635. Après la victoire française des Dunes, Philippe IV d’Espagne ne peut plus espérer une « paix blanche » pour sortir d’une guerre dans laquelle les deux pays s’enlisent. Mais il reste rétif à l’idée de marier sa fille Marie-Thérèse à Louis XIV, moyen par lequel le cardinal Mazarin croit possible d’assurer une paix
durable. Pour émouvoir l’orgueil espagnol, le cardinal menace de faire épouser au jeune roi une princesse savoyarde. Les négociations s’ouvrent dans l’île des Faisans, sur la Bidassoa, rivière qui sépare la France et l’Espagne ; elles sont menées, du côté français, par Lionne et Mazarin. La France obtient le Roussillon et la Cerdagne (sauf l’enclave de Llivia), ce qui repousse la frontière jusqu’aux Pyrénées. Sur la frontière nord, la France annexe l’Artois et onze places fortes (dont Gravelines, Philippeville, Avesnes, Thionville et Montmédy), coins enfoncés dans les Pays-Bas espagnols. Le prince de Condé, dont le passage au service de l’Espagne avait prolongé la guerre, est pardonné : il peut rentrer en France et retrouver ses domaines, mais pas le gouvernement de la Guyenne. Enfin, Louis XIV épouse l’Infante, qui renonce à ses droits à la succession espagnole « moyennant », comme dit le texte, une dot de 500 000 écus d’or. La somme ne sera jamais versée (Mazarin l’avait peut-être prévu), ce qui permettra de faire valoir les droits de Marie-Thérèse sur les PaysBas (guerre de Dévolution), puis ceux d’un petit-fils de Louis XIV sur l’Espagne (Philippe d’Anjou, futur Philippe V). La France promet de ne plus soutenir le Portugal, révolté contre Madrid ; l’Espagne accepte en Italie l’occupation française de Pignerol, clé du Piémont, et cesse de chercher chicane aux clients de la France, la Savoie ou le duché de Modène. Le duché de Lorraine, envahi par les Français, est évacué mais doit céder l’Argonne, démanteler les remparts de Nancy, et accepter le libre passage des troupes de Louis XIV. La paix des Pyrénées apparaît comme le chef-d’oeuvre d’un Mazarin pourtant épuisé, d’autant qu’elle est complétée par une série d’alliances et de mariages dynastiques (constitution de la Ligue du Rhin, en 1658 ; union de Monsieur, frère de Louis XIV, avec la soeur de Charles II, lequel épouse une princesse portugaise) et que la France s’entremet dans le conflit entre le Danemark et la Suède. Songeant au début de son règne personnel, Louis XIV put écrire : « Tout était calme en tous lieux. » downloadModeText.vue.download 755 sur 975 downloadModeText.vue.download 756 sur 975
Q l QUATORZE JUILLET. Le 14 juillet 1789, la Bastille est prise ; en 1880, la France républicaine adopte la date du 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle.
Depuis lors, les célébrations s’égrènent, de démonstrations militantes en festivités ritualisées. C’est que, dès 1789, l’imaginaire collectif charge l’événement fondateur d’une signification politique qui le dépasse. Un mythe est né, composite. Au gré de l’Histoire, il commande des comportements antagonistes et demeure l’objet de controverses. DE LA PRISE DE LA BASTILLE À L’INSTITUTION DE LA FÊTE NATIONALE Deux mois après la réunion des États généraux à Versailles, le petit peuple de Paris, déjà éprouvé par le chômage et par la flambée des prix, craint désormais un « complot aristocratique ». Louis XVI n’a-t-il pas concentré des troupes aux portes de la ville ? Au matin du 14 juillet 1789, artisans, boutiquiers et ouvriers du faubourg Saint-Antoine, en quête d’armes, marchent sur la Bastille, qui domine leur quartier. À la suite de malentendus entre le gouverneur de la forteresse, de Launey, et les assaillants, des coups de feu sont tirés sur la foule, provoquant sa fureur. Bientôt grossie de gardes-françaises, celle-ci s’empare alors de la prison d’État. Le soir, des cortèges accompagnent triomphalement les prisonniers libérés et brandissent la tête de de Launey au bout d’une pique. Le lendemain, le roi renvoie les troupes et, le 17, à l’Hôtel de Ville, il accepte d’arborer la cocarde tricolore, entérinant la victoire populaire. Dès lors, celle-ci reçoit un surcroît de sens, car la Bastille n’était pas une prison ordinaire mais bien un symbole de l’arbitraire royal. Depuis Louis XIII, en effet, y étaient incarcérées des personnes arrêtées sur ordre du roi, par lettres de cachet. Aussi sa prise signifie-t-elle, pour les révolutionnaires, le triomphe de la liberté et de la justice, le début de la fin de l’Ancien Régime. Dans les jours qui suivent, citadins et ruraux s’emparent, à leur tour, de « bastilles », forts ou châteaux seigneuriaux : l’acte fondateur de la liberté devient aussi fédérateur de la nation. • Célébrations et interdit. Les constituants ont retenu l’anniversaire de la prise de la Bastille pour célébrer la fête de la Fédération, en 1790 : c’est au Champ-de-Mars, autour de l’autel de la Patrie, en présence du roi, des fédérés venus en délégation des diverses provinces et de quelque 300 000 Parisiens, que La Fayette prête, au nom de tous, le serment « qui unit les Français entre eux et les Français à leur roi pour défendre la liberté, la Constitution et la loi ». Le soir, partout en France, on danse et on chante. Et, depuis lors, la mémoire populaire véhicule deux images
du 14 Juillet, l’une symbole de liberté, l’autre d’union nationale. La commémoration du 14 Juillet rythme ensuite l’époque révolutionnaire. Mais elle est concurrencée, dans le calendrier liturgique de la Révolution, par d’autres célébrations nationales, avant d’être supprimée sous l’Empire, en 1804. Elle reste frappée d’interdit sous la Restauration, la monarchie de Juillet, le second Empire, et même au début de la IIIe République, au temps de l’Ordre moral. Pourtant, le souvenir du 14 Juillet demeure vivant, comme en témoignent des poètes tels Béranger, en 1827, et Victor Hugo, en 1859, qui exaltent l’épopée de 1789. La police s’effraie des hommes « aux faces sinistres, cheveux longs et en blouse » qui forment des cortèges le 14 Juillet ; à partir de 1840, des opposants radicaux prennent l’habitude de se réunir à cette date en banquets protestataires. Ainsi, la commémoration du 14 Juillet, qui revêt une valeur quasi subversive, appartient-elle désormais au patrimoine démocratique. • Adoption de la fête nationale. Il faut attendre la loi du 6 juillet 1880 pour que « la République adopte la date du 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle ». La décision s’inscrit dans un ensemble d’initiatives symboliques prises par les républicains : le retour des Chambres à Paris, la Marseillaise élevée au rang d’hymne national. Au vrai, le choix de la date a donné lieu à débat. Le 4 septembre (1870), jour de la proclamation de la IIIe République, est occulté, car il évoque aussi la défaite face à la Prusse. En revanche, plusieurs autres dates sont avancées, ayant chacune de nombreux défenseurs : le 22 septembre (fondation de la Ire République, en 1792) ; le 4 mai, jour de la première réunion des états généraux de 1789, et de la ratification de la République, en 1848 ; et, surtout, le 4 août (1789), nuit de l’abolition des privilèges. Mais ces propositions sont écartées car les événements rappellent par trop l’existence de massacres, l’échec des républicains (l’éphémère IIe République avait retenu le 4 mai comme fête nationale), ou encore la permanence des divisions sociales malgré l’abolition des ordres. Quant au choix finalement arrêté, il est contesté par les réactionnaires et les militants de l’extrême gauche. Pour les premiers, en effet, la prise de la Bastille est synonyme d’émeute, de trahison des troupes ; en institutionnaliser la célébration revient à réhabiliter l’insurrection - la Commune de 1871, si présente dans les mémoires - et laisse pré-
sager le « carnaval des rouges » (l’Univers, 1880). Pour les seconds, la victoire populaire de 1789 a été récupérée par la bourgeoisie, et le peuple, floué. Parmi les partisans du 14 juillet, il y a les républicains modérés, qui se réfèrent plutôt à la fête de 1790 et à ses vertus de réconciliation : sa célébration peut exorciser le 18 mars communard et clore la Révolution. Quant aux républicains de gauche, conscients que le mythe de la « Bastille » est plus évocateur de liberté que d’égalité sociale, ils n’en considèrent pas moins que la République est une promesse de disparition progressive de toutes les bastilles. Les fondateurs de la IIIe République croient donc à « l’usage politique » de la fête nationale, qui légitime le régime, résonne comme un défi aux royalistes et aux bonapartistes, et a une fonction sacralisante. Se disant « fils de la Révolution », ils prônent un retour aux origines et misent sur la valeur duelle du mythe, encore que les amis de Gambetta downloadModeText.vue.download 757 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 746 écrivent en référence à 1789 : « Tout date pour nous de cette grande journée. » LA « BELLE ÉPOQUE » DE LA FÊTE NATIONALE (1880-1914) • Une fête républicaine. Officiellement instituée, la fête nationale se veut davantage célébration de la République triomphante que commémoration d’un soulèvement révolutionnaire. Par une falsification historique, le 14 juillet 1789 est même présenté comme l’acte de naissance de la Ire République. Cependant, en 1880, cette volonté d’affirmation républicaine n’empêche pas la recherche de l’unanimité. Ainsi, aucun décret n’impose aux municipalités ni aux citoyens de célébrer le 14 Juillet, même si des recommandations de participation sont adressées aux autorités. Toutefois, les curés - anticléricalisme oblige sont invités à sonner les cloches à toute volée au matin de la fête nationale. Municipalités prorépublicaines, loges maçonniques et défenseurs zélés du régime sont les principaux officiants du culte. Ils organisent des fêtes laïques pour les enfants, des banquets fraternels pour les adultes, se terminant par des discours à la gloire de la République, ancrant le présent dans le passé pour augurer d’un avenir meilleur. Par centaines, des bustes de
Marianne, allégorie et de la Liberté et de la République, sont proposés à la ferveur des foules. Couronnée de lauriers - image sage et rassurante du régime - ou coiffée d’un bonnet phrygien - représentation plus radicale -, Marianne est exposée en place d’honneur, dans les mairies, sur la voie publique ou dans les foyers, tandis que les réactionnaires caricaturent cet objet de culte sous les traits d’une virago ou d’une dévergondée. Des statues monumentales à son effigie, accompagnées parfois de celles de personnages historiques haussés au rang de héros, sont érigées à l’occasion de la fête nationale : le 14 juillet 1883, on inaugure à Paris la statue de la place de la République, due à Morice ; la fête républicaine se veut pédagogique. • Une fête patriotique. La prise de la Bastille induit, pour ses thuriféraires, une sorte de « levée en masse » de soldats citoyens. Chaque 14 Juillet est alors « la fête du drapeau aux trois couleurs ». En 1880, le président Jules Grévy remet aux régiments les drapeaux de la République. La revue, « clou » de la fête nationale, est le seul rite officiel imposé à Paris, dans les villes de garnison, et jusque dans les villages, où les sapeurspompiers remplacent l’armée. Jouer de la corde patriotique est habile de la part du gouvernement. Quel Français, en deuil de l’Alsace-Lorraine, oserait critiquer alors une telle liturgie ? Les objurgations d’une extrême gauche minoritaire et de quelques antimilitaristes trouvent peu d’écho. Les Parisiens se pressent à Longchamp « pour fêter, voir et complimenter l’armée française ». Le cérémonial de la IIIe République, qui réunit autorités civiles et militaires, et place coude à coude des citoyens de conditions sociales diverses, concrétise l’union nationale et entretient le désir de reconquête des provinces perdues. La revue opère la symbiose entre armée et République, malgré les passions du boulangisme puis de l’affaire Dreyfus, et participe ainsi à l’enracinement du patriotisme, comme en témoignera l’« union sacrée » en 1914. • Une fête populaire. « La fête de la souveraineté constitue le temps fort de la mise en scène du pouvoir » : cette définition de l’historien Alain Corbin vaut aussi bien pour le régime monarchique que républicain. Deux différences pourtant : à partir de 1880, le peuple est le souverain et ce sont les citoyens qui règlent la mise en scène. Comme en 1789, ces derniers prennent possession de la rue, pacifiquement cette fois. Ils l’illuminent, la décorent de guirlandes, d’arcs de triomphe,
de drapeaux, avec un éclat dont les peintres (Van Gogh, Marquet, Dufy...) ont rendu les couleurs. Rien de bien original, pourtant : les municipalités, les comités de quartiers, parfois les instituteurs, palliant la défection des élus (ainsi, en Vendée), se contentent d’organiser, comme sous les régimes antérieurs, jeux de plein air, bals, feux d’artifices. Au reste, la joie naît d’abord du spectacle que le peuple se donne à lui-même. On compte jusqu’à mille deux cents bals à Paris ! Sans doute, la droite boude ces réjouissances (souvent, les gens aisés ferment leurs volets), tandis qu’une partie de la gauche socialiste, autour de Guesde, tente de détourner le peuple de ces « jeux du cirque ». C’est que l’une veut imposer une contre-fête - celle de Jeanne d’Arc, devenue fête nationale en 1920 -, alors que l’autre préfère se rassembler le 1er mai à partir de 1890. Il n’empêche. Le succès du 14 Juillet repose sur l’adhésion des classes laborieuses aux manifestations tant cérémonielles que festives. L’homme du peuple continue d’ancrer la République dans la Révolution et de croire, malgré les désenchantements, à ses vertus. Déjà Jaurès, l’autre grand nom du socialisme, l’a compris, qui écrit : « Le 14 Juillet, le sang du peuple coule pour les libertés. » LA RÉACTUALISATION DU MYTHE AU XXe SIÈCLE • Pour la défense des libertés nationales. Après quatre années de guerre, la fête de la Victoire est fixée au 14 juillet 1919. Louis Lafferre, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, le proclame : « Aucune date ne saurait [mieux] convenir à cette solennité... La nation associera, dans son hommage, les libertés conquises par nos ancêtres et le triomphe définitif du droit assuré par nos soldats. » Même les royalistes de l’Action française glorifient, en une reprise surprenante de la métaphore, les « poilus » et les Alliés qui sont parvenus à renverser « la plus formidable bastille qui ait pesé sur l’Europe et le monde ». Deux cents peintres et artistes ont travaillé à la décoration de l’axe Arc de triomphe-Concorde, « voie royale » du défilé. La foule a vibré : « C’est beau comme le tonnerre et les éclairs », commente Barrès. Le défilé de la victoire honore ceux que Léon Jouhaux appelait, en 1914, « les soldats du droit et de la liberté ». Il rend hommage à leurs généraux - Joffre, Foch, Pétain -, mais il peut être aussi considéré comme un nouveau triomphe pour la République. Sous le régime de Vichy, Pétain réduit la
célébration nationale à un recueillement devant les monuments aux morts. En revanche, le 14 juillet 1940, le général de Gaulle, qui entend assumer la pérennité républicaine, adresse un message d’espoir à ses concitoyens et lance depuis Londres, comme il l’a fait le 18 juin, un appel à la résistance. En 1942, un tract, lâché d’un avion à l’aurore du 14 juillet, « fête de la patrie... fête de la liberté », appelle les Français à se rassembler. La BBC et les mouvements de la Résistance transmettent des consignes à tous ceux qui refusent de laisser debout « la bastille du temps présent », le nazisme. De fait, dans de nombreuses villes de la zone sud, des citoyens ont convergé vers les places de la République ou de la Liberté et, en zone occupée, des résistants ont réussi à hisser le drapeau tricolore et à faire dérailler des trains servant à l’armement des Allemands. Tout naturellement, c’est le 14 juillet 1945 qu’est célébrée la « victoire ». Les troupes défilent, cette fois, de Vincennes à la place de la Bastille, où de Gaulle les passe en revue. Face au nazisme qui avait prédit, selon les mots de Goebbels, que « 1789 serait rayé de l’histoire », les résistants de diverses sensibilités politiques ont sauvegardé la mémoire républicaine, et puisé dans la symbolique révolutionnaire pour défendre les libertés nationales. • Pour la défense des libertés démocratiques. Dans les années 1930, paradoxalement, le fascisme a réussi à provoquer la réconciliation de la gauche - socialiste et communiste - avec le mythe de l’acte fondateur. Le Rassemblement populaire, esquissé au lendemain de la dramatique journée d’émeute antiparlementaire du 6 février 1934 - une tentative de putsch fasciste, estiment socialistes et communistes -, choisit le 14 juillet 1935 comme date de baptême du mouvement. Les organisations regroupées au sein du Rassemblement invitent leurs militants « à reprendre la grande tradition révolutionnaire qui faisait du 14 Juillet le jour de l’espérance et de la communion des volontés populaires ». Alors que se déroule aux Champs-Élysées la classique revue, à Montrouge, aux « Assises de la paix et de la liberté », 10 000 militants prêtent le serment « de rester unis pour désarmer et dissoudre les ligues factieuses, pour défendre et développer les libertés démocratiques... ». Jacques Duclos, secrétaire du Parti communiste, rompant avec la tactique « classe contre classe » prônée jusqu’alors, se réclame à la fois « du drapeau tricolore et du drapeau rouge », de la Marseillaise et de l’Internationale. Ainsi, le courant communiste se rallie à la tradition
politique nationale. Le mythe du 14 Juillet est réactualisé et revêt de nouveau une signification révolutionnaire. L’après-midi, un long cortège antifasciste s’écoule de la Bastille à la Nation, réunissant peut-être un million de participants. « Tout un peuple debout pour la liberté », titre l’Humanité, bien des villes de province ayant aussi organisé leur rassemblement. Un an plus tard, le 14 juillet 1936, le Front populaire signe sa victoire. Le peuple est invité à assister à la revue ; l’après-midi, les rassemblements dépassent en ampleur ceux de l’année précédente mais, surtout, les participants arborent des insignes tricolores. Spectacles et loisirs sont conçus comme auxiliaires de la politique, véritables instruments de propagande ou moyens d’exaltation collective. Ainsi, on remonte la pièce de Romain RoldownloadModeText.vue.download 758 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 747 land, le Quatorze Juillet (1902), avec la participation de Picasso et de musiciens célèbres, tels Arthur Honegger et Darius Milhaud. La rhétorique des défilés historiques illustre le passé révolutionnaire pour une pédagogie active des masses. L’allégresse est de mise. Le vrai plaisir reste le tour de valse en plein air, au son de l’accordéon, devenu motif cinématographique dans le Quatorze Juillet (1932), de René Clair. Depuis le Front populaire, la gauche associe souvent le souvenir de 1789 à celui des manifestations de 1935-1936. Il est remarquable que, de nos jours, ce soient des municipalités communistes ou socialistes qui attachent le plus d’importance à la célébration nationale. « En reliant nos combats d’aujourd’hui au combat de nos aïeux de 1789 nous resterons fidèles à leur idéal... et nous créerons les conditions d’un monde meilleur », affirmait ainsi le maire communiste de La Seyne en 1973. Le 14 juillet 1995, cette même cité accueillait plusieurs artistes qui entendaient défendre les libertés démocratiques face au nouveau maire Front national élu à Toulon : un épisode qui témoigne de la pérennité idéologique de la fête commémorative de juillet. • « Adieu 89 » ? On se souvient sans doute de la Marseillaise entonnée au soir du 14 juillet 1989, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution, par la cantatrice américaine Jessye Norman drapée des trois couleurs. Sans
doute se souvient-on aussi du défilé orchestré par le publicitaire Jean-Paul Goude, de l’Arc de triomphe à la Concorde. Cette manifestation, suivie par un million de spectateurs et plusieurs millions de téléspectateurs, voulait mettre l’accent sur la fraternité, sans être une reconstitution historique. Mise en scène spectaculaire, grand succès populaire : ce 14 Juillet d’exception ne saurait toutefois effacer les polémiques historiographiques et politiques, les passions qu’a suscitées la commémoration du bicentenaire de 1789. La bataille francofrançaise, ouverte deux siècles auparavant avec la prise de la Bastille, retrouvait son actualité. Depuis, la célébration du 14 Juillet, affadie, est redevenue un folklore peu mobilisateur. Pourtant, elle entend toujours relier chaque Français à son passé et symboliser la continuité historique de la République. Quatre Articles (déclaration des), déclaration votée par l’assemblée du clergé le 19 mars 1682 afin d’affirmer les libertés gallicanes et de défendre le conciliarisme contre les prétentions universalistes du pape. Le premier article proclame que le pouvoir politique des rois n’est pas lié à l’Église puisqu’il vient directement de Dieu ; le deuxième sousentend que l’autorité du concile est supérieure à celle du pape ; les deux derniers limitent le pouvoir papal au respect des coutumes des Églises locales et au consentement de l’Église universelle. Le lendemain de cette déclaration, par un édit, Louis XIV impose aux établissements religieux du royaume d’enseigner les Quatre Articles. Les Quatre Articles sont issus d’un résumé en six points des libertés gallicanes présenté par la Sorbonne, en 1663. Conçus par Charles Maurice Le Tellier, archevêque de Reims, ils sont rédigés par Bossuet. Leur proclamation consacre la rupture entre le pape Innocent XI et Louis XIV, entamée depuis plusieurs années par la querelle de la Régale. En effet, la « doctrine de France » est une riposte monarchique au refus de Rome d’accepter la prérogative régalienne d’administrer les diocèses méridionaux en vacance. Si le pape ne condamne pas les Quatre Articles, il refuse néanmoins d’accorder l’investiture canonique aux évêques nommés par le roi qui ont participé à la « funeste » assemblée. L’un des successeurs d’Innocent XI, Innocent XII (1691/1700), met fin au contentieux le 14 septembre 1693 en acceptant des « regrets » adressés par ces évêques. De même, le roi retire son édit. La majorité des soixante-six signataires de
la déclaration ne s’est pas reniée ; une douzaine d’évêques seulement ont exprimé leurs regrets. Les Quatre Articles seront, d’ailleurs, déclarés « loi d’État » par Napoléon, en 1809. quatre septembre 1870 (révolution du) ! septembre 1870 (révolution du 4) Quatre Vieilles (les), surnom resté célèbre désignant les quatre impôts directs créés sous la Révolution, et qui n’ont disparu qu’au XXe siècle : la contribution foncière, la contribution personnelle et mobilière, la patente, et la contribution des portes et fenêtres. • Les modalités d’imposition. La contribution foncière, instituée le 23 novembre 1790, frappe les propriétés foncières. À l’instar de la taille d’Ancien Régime, c’est un impôt de répartition : l’Assemblée nationale en fixe le montant global, qui est ensuite réparti entre les départements, les districts (les arrondissements, au XIXe siècle) et les communes. À l’échelon de ces dernières, les rôles d’impôt sont établis après confrontation entre les déclarations écrites ou orales des propriétaires et les évaluations effectuées par la municipalité (par l’administration fiscale, au XIXe siècle). L’élaboration du cadastre, entre 1807 et 1850, a pour but de donner une base matérielle objec-tive à cette confrontation. En 1881, la contribution foncière est divisée en deux rubriques : l’une concerne le foncier non bâti, et l’autre, le foncier bâti. En 1914, elle cesse d’être un impôt de répartition pour devenir un impôt de quotité, théoriquement proportionnel au revenu de la propriété. La contribution personnelle et mobilière (13 janvier 1791) se compose de cinq taxes différentes (un contribuable peut ne pas être assujetti à toutes les cinq) : taxes sur les domestiques, sur les chevaux, sur les revenus « d’industrie » (c’est-à-dire issus du travail), sur les richesses mobilières (évaluées à partir du loyer payé ou perçu par le contribuable), et enfin taxe d’habitation (calculée sur les mêmes bases que la précédente). Leur montant est fixé après déclaration des contribuables. En 1832, le nombre de ces taxes est réduit à deux : la contribution personnelle, qui devient une capitation payée par tous, dont le montant est égal à la valeur locale de trois journées de salaire ; la contribution mobilière, qui est due par tout habitant d’un logement, son montant étant proportionnel à la valeur locative de celui-ci. La patente, établie le 2 mars 1791, est
payée par les commerçants et les industriels ; son montant est proportionnel à la valeur locative du bâtiment où ils exercent leur activité professionnelle. Le 1er brumaire an VII (22 octobre 1798), d’autres critères sont pris en compte pour moduler cette proportionnalité : la taille de la commune et la nature de l’activité. La contribution des portes et fenêtres, adoptée sous le Directoire (29 novembre 1798), est une taxe fixe en une commune (mais modulée selon la taille de celle-ci). Elle soumet à l’impôt les propriétés mobilières, et, plus précisément, chacune des ouvertures pratiquées dans un immeuble, de quelque nature qu’il soit. • Le « rendement » puis la disparition des Quatre Vieilles. En réformant le système fiscal d’Ancien Régime et en supprimant les taxes indirectes, les révolutionnaires pensent s’en tenir aux seules quatre contributions directes nouvellement créées. Toutefois, acculé par les nécessités financières, le Directoire rétablit certains impôts indirects, qui finiront par durer et par avoir un meilleur rendement que les Quatre Vieilles : celles-ci ne fournissent que 30 % des ressources fiscales de l’État en 1830, moins de 15 % en 1914. Durant la même période, la part de la foncière dans le produit total des Quatre Vieilles est tombée de 68 à 43 %, alors que celle de la patente est passée de 10 à 26 %. Si l’on peut considérer les quatre contributions directes « révolutionnaires » comme une sorte d’impôt sur le revenu, on constate pourtant que leur courbe d’évolution a été exactement contraire à celle de la croissance du revenu national, mais que la structure de leur produit a mieux reflété le développement industriel et commercial du pays. La création de l’impôt sur le revenu en 1914 entraîne la disparition des Quatre Vieilles en tant qu’impôts destinés à l’État. Mais, si la contribution personnelle et mobilière est définitivement abandonnée, les trois autres contributions sont conservées en tant qu’impôts locaux. En 1959, toutefois, la contribution des portes et fenêtres disparaît à son tour, et la patente est remplacée par la taxe professionnelle. Le produit de celleci, ainsi que ceux de la foncière et de la taxe d’habitation vont désormais aux communes. Québec ! Canada Quesnay (François), chirurgien, médecin et maître à penser des physiocrates (Méré,
près Montfort-l’Amaury, 1694 - Versailles 1774). Huitième d’une famille de treize enfants dont le père est marchand laboureur, cet esprit curieux et fécond, qui a appris à lire seul à l’âge de 11 ans, est mis en apprentissage chez un graveur parisien mais préfère suivre des cours de chirurgie. Diplômé (1718), il exerce à l’hôtel-Dieu de Mantes (1724), se signale par une controverse sur la saignée (1727) et par divers ouvrages, parmi lesquels Observations sur les usages de la saignée (1730) et Essai downloadModeText.vue.download 759 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 748 physique sur l’économie animale (1735). Le duc de Villeroy l’attache à son service (1734) ; La Peyronie, premier chirurgien du roi qu’il soutient contre la Faculté de médecine, l’introduit au Collège (1737), puis à l’Académie de chirurgie (1740). Docteur en médecine (1744), Quesnay passe au service de Mme de Pompadour (1749) puis devient associé libre de l’Académie des sciences (1751). Il est anobli pour avoir sauvé le dauphin de la petite vérole (1752), et acquiert la charge de premier médecin ordinaire du roi (1755-1761). Converti alors à l’économie, il rédige pour l’Encyclopédie, en 17561757, les articles « évidence », « fermiers » et « grains » (« homme » et « impôts » ne sont pas publiés). Le Tableau économique (1758), que suivent d’autres ouvrages, expose les principes de sa « science économique ». Entouré de disciples, qui se réunissent périodiquement dans son logement du château de Versailles, à partir de 1762-1763, il collabore de 1765 à 1772 au Journal de l’agriculture puis aux Éphémérides du citoyen ; Dupont de Nemours rassemble ses articles dans Physiocratie ou Constitution naturelle du gouvernement le plus avantageux au genre humain (1767). La physiocratie jouissant d’une moindre faveur après 1770, Quesnay consacre les deux dernières années de sa vie à l’étude des mathématiques. Queuille (Henri), homme politique (Neuvic-d’Ussel, Corrèze, 1884 - Paris 1970). Médecin, maire de sa ville natale de 1912 à 1965 (sauf sous le régime de Vichy), il accomplit une longue carrière de parlementaire : député de 1914 à 1935, sénateur de 1935
à 1940, puis à nouveau député de 1946 à 1958. Dans l’entre-deux-guerres, ce notable radical exerce également des responsabilités gouvernementales, au ministère de l’Agriculture (en tant que sous-secrétaire d’État puis ministre pendant une période cumulée de près de huit ans), mais aussi dans d’autres départements ministériels : Santé publique, PTT, Travaux publics, où il gère la création de la SNCF (1937). Il s’abstient lors du vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940, se retire en Corrèze, avant de gagner Londres en 1943. Il devient viceprésident du Comité français de libération nationale (CFLN), apportant au général de Gaulle sa caution de républicain de la vieille école, malgré ses réserves quant au style gaulliste. Il participe à la reconstitution du Parti radical à la Libération, et occupe plusieurs postes ministériels sous la IVe République. Président du Conseil de septembre 1948 à octobre 1949 (le plus long ministère de la législature), il réprime les grèves des mineurs avec son ministre de l’Intérieur Jules Moch, et reporte les élections cantonales, évitant un raz de marée des gaullistes du RPF. En 1951, de nouveau à Matignon, il « invente » le système des apparentements afin d’assurer la majorité à la « troisième force » face aux communistes et aux gaullistes. Ces habiletés subalternes sont sans doute en partie le reflet de l’immobilisme d’un homme pour qui « tout problème peut être réglé par une longue absence de solution », mais elles permettent à la IVe République de circonscrire ses opposants irréductibles : le ministre-technicien de la IIIe prouve ainsi qu’il est aussi un chef de gouvernement avisé. Quiberon (expédition de), tentative de débarquement organisée par les chefs chouans avec l’aide des Anglais. Le 27 juin 1795, en baie de Quiberon, sur la côte sud de la Bretagne, où 18 000 chouans sont rassemblés, des bâtiments de la flotte britannique débarquent 4 500 hommes, des milliers de fusils et d’uniformes, ainsi que plusieurs mois de vivres, pour lutter contre les troupes républicaines. Cette action doit assurer la victoire aux royalistes ; le fiasco n’en sera que plus terrible. La disparité règne au sein des troupes : des émigrés ayant combattu le régime révolutionnaire - dont beaucoup de jeunes nobles côtoient des prisonniers républicains français, sortis pour l’occasion des pontons anglais ; le commandement est divisé entre Puisaye,
ancien révolutionnaire fédéraliste, proclamé général des chouans, et le comte d’Hervilly, qui a seul la confiance des princes français en exil ; les nobles méprisent les chouans, dont la masse pourtant constitue une force indispensable. Le débarquement, réalisé sans encombres, ne s’accompagne d’aucune offensive décisive. Aussi, le général républicain Hoche en profite-t-il pour rassembler ses hommes et engager, le 20 juillet, une bataille qui rejette à la mer une partie des émigrés, fait entre 800 et 1 200 morts parmi les royalistes (contre 23 parmi les républicains) et plus de 6 200 prisonniers. En un geste politique, la quasi-totalité des chouans sont libérés tandis que 750 personnes (les chefs et l’élite nobiliaire) sont passées par les armes. L’échec de l’expédition illustre la fragilité des alliances entre émigrés et Britanniques, entre nobles et chouans ; il est exploité par le Directoire, qui insiste sur la collusion des émigrés avec les étrangers en guerre contre le pays. Quierzy (capitulaire de), texte promulgué par le roi Charles II le Chauve le 14 juin 877, à Quierzy-sur-Oise, à l’issue d’une assemblée générale des évêques et des comtes du royaume. Empereur depuis 875, Charles se prépare à partir pour l’Italie, où le pape Jean VIII l’appelle au secours. Or, la plupart des grands du royaume sont hostiles à cette expédition et le roi lui-même n’a guère confiance en son fils, Louis le Bègue, auquel il doit confier le gouvernement : aussi établit-il à ses côtés un Conseil de régence, formé de membres, laïcs et ecclésiastiques, de l’aristocratie franque. Le capitulaire règle l’organisation du royaume en son absence, de manière que l’équilibre des pouvoirs entre les grands et le roi ne soit pas menacé. Les articles 8 et 9 - les plus célèbres stipulent qu’en cas de décès d’un détenteur d’une charge publique ou d’un bénéfice royal, nul n’aura le pouvoir d’établir un successeur avant le retour du roi. Ainsi, Charles préserve le droit exclusif du monarque de nommer à toutes ces charges, mais il réserve aussi les droits du fils du défunt, auquel il donnera la priorité. Il ne s’agit cependant pas d’une procédure de transmission automatique des fonctions publiques, puisque l’investiture royale reste nécessaire et que le roi conserve le droit de choisir son successeur. Cette mesure vise surtout à inciter les grands à participer à l’expédition italienne.
quiétisme, courant mystique qui recherche l’abandon en Dieu. Son inspirateur est le théologien espagnol Miguel de Molinos (1628-1696), devenu à Rome, à partir de 1663, un directeur de conscience recherché, notamment par les religieuses. Son Guide spirituel (1675) prône un désintéressement absolu, allant jusqu’à l’indifférence au péché et au salut personnel : le « pur amour » pour Dieu mène ainsi à la passivité de l’âme. Cette doctrine est condamnée par la bulle Coelestis pastor (1687), et son auteur, enfermé dans un couvent où il finira ses jours. L’exigence spirituelle de Molinos, qui pousse à l’extrême des tendances souvent présentes dans la mystique antérieure, trouve en France un écho chez le Père Lacombe et sa disciple, Mme Guyon. Le zèle de cette dernière, à qui Mme de Maintenon a confié l’éducation des jeunes filles de l’institution de Saint-Cyr, inquiète sa protectrice, qui alerte Bossuet. L’évêque de Meaux, le Père Tronson, supérieur de la compagnie de SaintSulpice, et l’évêque de Châlons, Noailles, réunis en des « conférences d’Issy », condamnent Mme Guyon, qui se soumet. Celle-ci a cependant trouvé en Fénelon, promu archevêque de Cambrai, un admirateur qui, tout en reconnaissant les faiblesses théologiques de sa protégée, est sensible à la pureté de sa recherche. Se faisant fort d’étayer la doctrine par la tradition spirituelle de l’Église, il publie, en janvier 1697, son Explication des maximes des saints sur la vie intérieure, à laquelle Bossuet répond la même année par des Instructions sur les états d’oraison puis par une Relation sur le quiétisme (1698). La cour et les ordres religieux se divisent, et il faut toute l’autorité de Louis XIV, qui soutient Bossuet, pour obtenir d’Innocent XII la condamnation du livre de Fénelon (1699). Au-delà des péripéties, où l’évêque de Meaux apparaît parfois plus soucieux d’ordre que de vérité, la « querelle du pur amour » révèle des oppositions spirituelles profondes. Bossuet, dont la foi est nourrie des Pères de l’Église, se refuse au sentimentalisme ; il est rétif à l’expérience mystique lorsque celle-ci risque d’éloigner les fidèles des enseignements du magistère. Fénelon, son cadet - et longtemps son protégé -, témoigne pour une piété plus sensible, plus personnelle, secouant le formalisme d’une religion des oeuvres. Vaincu, le quiétisme s’incline devant un catholicisme intellectualiste qui coupe court à l’efflorescence mystique de la première moitié du XVIIe siècle ; mais il annonce aussi un désir d’émancipation qui prend place dans la
« crise de la conscience européenne » (Paul Hazard), à l’orée du XVIIIe siècle. Quinet (Edgar), écrivain et homme politique (Bourg-en-Bresse 1803 - Versailles 1875). La figure d’Edgar Quinet accompagne près d’un siècle d’histoire du mouvement romandownloadModeText.vue.download 760 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 749 tique et républicain. De brillantes études le conduisent à Paris, où il devient l’élève de Victor Cousin et le condisciple de Michelet. Sous l’influence de l’idéalisme éclectique de Cousin, il traduit les Idées sur la philosophie de l’histoire de l’humanité de Herder, en 18271828. Esprit universel, épris d’idées libérales, européen avant la lettre, il séjourne à Heidelberg en 1827-1828, visite la Grèce en 1829, acclame la révolution qui éclate à Paris en juillet 1830, puis découvre l’Italie en 18321833. Son oeuvre, multiforme et abondante, intéresse tout à la fois la poésie, l’histoire de la littérature et celle des nationalités ou des religions. Revenu en France (1836), il est nommé professeur de littérature étrangère à l’université de Lyon (1839) ; il obtient la chaire de langues et littératures du sud de l’Europe au Collège de France (1841). De cette nouvelle tribune, il combat le catholicisme aux côtés de Michelet (Des jésuites, 1843 ; l’Ultramontanisme, 1844) et critique l’insuffisance de la mutation spirituelle opérée par la Révolution (Christianisme et Révolution française, 1845). Suspendu de cours en 1846, il est élu représentant du département de l’Ain aux Assemblées constituante (1848) et législative (1849). Il siège à l’extrême gauche républicaine et anticléricale, réclame la séparation de l’Église et de l’État et la laïcité de l’école (l’Enseignement du peuple, 1850). Exilé au lendemain du coup d’État de 1851, il se réfugie en Belgique puis en Suisse, publie une autobiographie (Histoire de mes idées, 1858), refuse l’amnistie de 1859 et se sépare du fatalisme historique de Thiers (Philosophie de l’histoire de France, 1855) comme du mysticisme démocratique de Michelet (la Révolution, 1865 ; Critique de la Révolution, 1867). Rentré en France à la chute de l’Empire, il est élu député républicain à l’Assemblée nationale (1871). downloadModeText.vue.download 761 sur 975 downloadModeText.vue.download 762 sur 975
R Rabaut Saint-Étienne (Jean-Paul Rabaut, dit), homme politique, (Nîmes 1743 - Paris 1793). Fils d’un pasteur calviniste, Jean-Paul Rabaut fait ses études en Suisse. Consacré au séminaire français de Lausanne en 1764, il rentre en France pour seconder son père, à Nîmes. Les persécutions religieuses à l’égard des protestants sont alors moins fortes, mais l’arsenal répressif de l’Ancien Régime demeure. Rabaut oeuvre pour l’égalité des droits de toutes les confessions et, en 1785, il est délégué à Paris pour défendre ses coreligionnaires. Cependant, l’édit de tolérance de 1787, qui accorde un état civil aux protestants, ne le satisfait pas. Élu député du Tiers aux états généraux de 1789, il se range aux côtés des réformateurs tout en restant fidèle à Louis XVI. Il s’évertue, sans succès, à obtenir une totale liberté de culte dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Puis il consacre l’essentiel de ses travaux à la préparation de la Constitution de 1791, ce qui le porte à la présidence de l’Assemblée en mars 1790. La fuite de Varennes n’ébranle pas sa confiance en la monarchie constitutionnelle, et il quitte momentanément le Club des jacobins pour celui des feuillants. Lorsque les constitutionnels se séparent, Rabaut SaintÉtienne reste à Paris. Il y rédige un Précis historique de la Révolution française ; défenseur de la liberté de la presse, il participe également à la rédaction de la Feuille villageoise et écrit dans plusieurs journaux. Il rejoint de nouveau les jacobins et se rapproche des brissotins. Les premiers désastres militaires et l’attitude du roi font évoluer ses convictions : en août 1792, il se dit favorable à un gouvernement républicain. Élu député de l’Aube à la Convention nationale en septembre 1792, il soutient les décisions des girondins. Mais les luttes politiques qui divisent la Convention le désolent. Lors du procès du roi, il affirme son modérantisme, se prononce pour l’appel au peuple et le sursis. Sa prise de position n’empêche pas son élection à la présidence de l’Assemblée, le 23 janvier 1793. Dans la presse, il s’exprime en faveur d’une meilleure répartition des fortunes mais sans avoir à recourir à des méthodes autoritaires ou violentes.
Au printemps 1793, la lutte entre la Montagne et la Gironde est à son comble. Rabaut est membre de la commission extraordinaire des Douze qui tente d’enrayer le pouvoir grandissant de la Commune de Paris. Le 2 juin, il fait partie des vingt-neuf députés girondins décrétés d’arrestation. Réfugié en province, il encourage la révolte fédéraliste. Arrêté le 5 décembre 1793 et envoyé devant le Tribunal révolutionnaire, il est exécuté le jour même. Rabelais (François), écrivain (La Devinière, près de Chinon, 1483 ou 1484 - Paris 1553). Si les personnages et les épisodes de l’oeuvre rabelaisienne sont devenus, au fil des siècles, des repères « mythologiques » de la culture nationale, l’existence de leur créateur continue, pour une large part, à se dérober aux recherches érudites. • Prêtre, moine, médecin et... écrivain. « Ce que nous en savons le mieux, écrivait Michelet, c’est qu’il eut l’existence des grands penseurs du temps, une vie inquiète, errante, fugitive. » On sait que l’éducation du jeune Rabelais est confiée aux moines, et l’on suppose qu’aux alentours de 1510 il est novice dans un couvent de cordeliers près d’Angers. Vraisemblablement ordonné prêtre dans les années qui suivent, il s’initie aux langues anciennes et adresse au célèbre humaniste Guillaume Budé, en 1521, une lettre respectueuse qui nous apprend qu’il est moine franciscain au couvent de Fontenayle-Comte. Budé encourage l’activité littéraire et philologique du néophyte, mais, en 1523, les supérieurs de Rabelais, sensibles au vent d’obscurantisme qui souffle de la Sorbonne, lui confisquent ses livres de grec. Il passe alors chez les bénédictins, moins fermés aux innovations culturelles. En 1528, il abandonne le froc pour l’habit de prêtre séculier. Deux ans plus tard, il est inscrit sur le registre des étudiants de la faculté de médecine de Montpellier. Commence alors une période d’intense activité éditoriale, qui témoigne d’une curiosité encyclopédique. En 1532, il publie une traduction latine des Aphorismes d’Hippocrate, puis les Epistres médicinales de l’Italien Manardi. Nommé médecin à l’hôtel-Dieu Notre-Dame de la Piété du Pont-du-Rhône, il publie Pantagruel vraisemblablement à la fin de la même année, sous le pseudonyme d’Alcofribas Nasier (anagramme de François Rabelais). En 1533, l’ouvrage est condamné par la Sorbonne pour obscénité. Le cardinal
Jean du Bellay prend alors Rabelais sous sa protection et l’emmène à Rome comme médecin et secrétaire. Rabelais y réédite la Topographia antiquae Romae de l’érudit milanais Marliani. De retour à Lyon en 1534, il publie Gargantua et la Pantagruéline Prognostication. Reçu docteur en médecine à la faculté de Montpellier en 1538, il exerce désormais dans cette ville. L’imprimeur et humaniste Étienne Dolet écrit alors que Rabelais est l’« un des meilleurs médecins du monde ». En 1543, Pantagruel et Gargantua sont censurés par le parlement de Paris à la demande des théologiens. Le Tiers Livre, qui paraît à Paris en 1546, est immédiatement condamné par la Sorbonne. Rabelais quitte alors la France pour Metz, ville d’Empire, qui lui offre un poste de médecin. En 1547, il accompagne une nouvelle fois à Rome, le cardinal Jean du Bellay qui lui fait conférer les cures de Meudon et de Saint-Christophe-du-Jambet quelques années plus tard. En 1552, paraît le Quart Livre, également vite censuré par les théologiens. L’année suivante, Rabelais meurt après avoir résigné ses deux cures. L’Isle Sonnante - seize chapitres du futur Cinquième Livre est publiée en 1562, et deux ans plus tard paraît l’intégralité du Cinquième Livre, dont la paternité reste aujourd’hui encore sujette à discussions. • Verve, fantaisie et sagesse. Effervescente, chaotique et multiforme, jouissant de hautes protections et frôlant sans cesse les flammes du bûcher, l’existence de Rabelais downloadModeText.vue.download 763 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 752 est sans doute la meilleure introduction à une oeuvre qui se dérobe à toute signification univoque. Si les histoires des géants et de leurs compagnons - Panurge, Frère Jean des Entommeures - se sont inscrites avec une telle force dans la mémoire collective, c’est qu’elles gardent, par-delà les sages morceaux choisis auxquels la tradition scolaire les a trop souvent réduites, une insolence verbale et une puissance de questionnement intacte. Après la relative éclipse des siècles classiques, l’esprit de Pantagruel et de Gargantua n’a cessé de souffler sur les grands créateurs de la littérature française - Victor Hugo, Balzac, Céline et Claudel. L’adjectif « rabelaisien », passé dans le langage courant pour qualifier une verve truculente, apparaît finalement restrictif au regard d’une oeuvre dans laquelle Michelet
voyait l’Iliade et l’Odyssée du patrimoine littéraire français. radical (Parti). Du 21 au 23 juin 1901 se tient à Paris le congrès fondateur du Parti républicain radical et radical-socialiste, premier des partis politiques français modernes. Cette nouvelle formation est l’héritière d’une longue tradition. Sa création parachève un mouvement d’unification de toutes les composantes de la « famille radicale », qui s’est accéléré dans les années 1890. En effet, le danger nationaliste, révélé lors de l’affaire Dreyfus, mais aussi l’essor des organisations socialistes poussent les radicaux à se rassembler pour préparer les élections de 1902. • L’âge d’or du Parti radical (1901-1914). Au début du XXe siècle, les radicaux n’expriment certes plus l’impatience réformatrice des années 1880, mais ils demeurent attachés à la défense de la République. En ce sens, ils prétendent incarner le « parti républicain » qui, désormais, doit consolider un régime en construction permanente. Le parti connaît un indéniable apogée à la Belle Époque. Les radicaux deviennent la force principale du Bloc des gauches, victorieux aux élections de 1902. Cette prééminence est encore renforcée par les scrutins législatifs suivants : 247 députés sur 585 en 1906 (115 radicaux indépendants et 132 radicaux-socialistes) ; 261 sur 587 en 1910 (112 appartenant à la Gauche radicale, et 149 au Parti radical-socialiste). De même, les élections locales, municipales et cantonales soulignent régulièrement l’enracinement d’un parti très influent. Entre 1902 et le début de la Première Guerre mondiale, les radicaux président à six reprises le gouvernement, avec, notamment Émile Combes (1902-1905), Georges Clemenceau (1906-1909) et Joseph Caillaux (1911-1912). Les radicaux se sont dotés d’une organisation caractéristique d’un parti moderne, fondée sur le recrutement d’adhérents, voire de militants, une structure pyramidale, un programme. Pourtant, leur parti ressemble plus à une confédération qu’à une fédération : des cercles et des comités politiques, des sociétés de pensée (des loges maçonniques), des journaux (notamment la Dépêche de Toulouse), un réseau de parlementaires et de maires, en constituent le maillage inégalement dense, ses principaux bastions se situant dans la France méridionale. Mais, à la veille de la guerre,
le parti demeure insuffisamment apte à rassembler tous ceux qui se reconnaissent dans « l’esprit radical », même au sein du Parlement. Le dynamisme du militantisme varie selon la conjoncture. À l’époque du combisme triomphant, le parti peut annoncer 200 000 adhérents. Les forces radicales appartiennent, pour l’essentiel, à la « France qui travaille », aux classes moyennes « inférieures » (entrepreneurs et artisans, commerçants, petits exploitants agricoles, fonctionnaires, membres des professions libérales), habitant davantage dans les villes petites et moyennes que dans les campagnes ou les grandes métropoles (le radicalisme est peu implanté à Paris depuis la crise boulangiste). Pour les radicaux, comme pour tous les républicains dont ils sont l’aile avancée, le suffrage universel garantit l’émancipation politique, et l’école assure la promotion sociale individuelle. Le radicalisme de la Belle Époque se prétend réformateur. Les radicaux continuent de lutter contre ce qui leur paraît constituer des obstacles à la démocratie politique - l’Église, le Sénat (lequel fait toutefois l’objet de critiques moins virulentes à mesure qu’il se peuple de républicains) - et définissent un projet de société où les principes de 1789 doivent s’épanouir. Opposés au collectivisme des socialistes, ils proposent des réformes économiques et sociales qui, avec l’impôt sur le revenu, un système de retraite, la réduction de la durée du travail, doivent contribuer à la limitation des inégalités et à l’instauration d’un État-providence. La réforme est une nécessité de la modernisation politique et sociale afin d’éviter à la fois la révolution et la réaction. Le solidarisme, inspiré par Léon Bourgeois, leur permet d’élaborer une stratégie qui, même face à la concurrence socialiste, les maintient dans le camp de la gauche. En outre, les radicaux sont particulièrement attachés à la laïcité, voire à l’anticléricalisme militant. Ils trouvent en Émile Combes un interprète de choix pour mener un combat qui n’est pas, selon eux, un alibi mais une étape nécessaire à la modernisation. Le combisme est longtemps évoqué avec enthousiasme puis avec nostalgie par les militants. Cependant, il trouve des adversaires dans les rangs même du radicalisme, de la part de Clemenceau, notamment, qui fustige son « jésuitisme retourné ». Enfin, dans le domaine de la politique étrangère, les convictions des radicaux reposent à la fois sur le patriotisme et sur l’espoir de substituer le droit à la force dans les rapports entre nations. Mais, au-delà
de ces grands principes, leurs positions - sur les relations franco-allemandes, sur la politique coloniale - laissent place à des nuances. À la veille de la Grande Guerre, le parti a conscience d’avoir réalisé l’essentiel de son programme : la séparation des Églises et de l’État est effective depuis 1905 ; le projet d’impôt sur le revenu, bloqué à divers reprises par un vote hostile du Sénat, est finalement adopté en juillet 1914. Mais la « réforme radicale » tend à marquer le pas car le parti ne parvient pas à imaginer des solutions novatrices par rapport à ses concurrents ou à ses adversaires. Le socialisme, en progressant rapidement dans les centres industriels, puis dans les villes moyennes, commence à supplanter le radicalisme dans de nombreuses régions. Par ailleurs, le patriotisme humaniste des radicaux ne peut contrecarrer la diffusion du nationalisme dans de larges fractions de la population. La rénovation du parti - de son programme comme de son organisation - devient nécessaire. Joseph Caillaux, devenu président du parti en 1913, tente d’associer dans une même démarche technicité et principes, en défendant son projet d’impôt sur le revenu ou en luttant contre la loi des trois ans (service militaire). En outre, l’unicité du groupe parlementaire, l’organisation de fédérations départementales, les campagnes d’adhésions, le renforcement de l’exécutif, sont autant de moyens mis en oeuvre pour consolider les structures du parti. Mais le temps manque à Joseph Caillaux, qui doit renoncer temporairement à toute action politique, Mme Caillaux ayant assassiné en mars 1914 le directeur du Figaro, qui publiait des documents censés être compromettants pour son époux. Malgré la voie ouverte par Caillaux - celle d’un radicalisme gestionnaire -, les radicaux demeurent fidèles à la stratégie d’union des gauches qu’ils ont suivie depuis les débuts de la République. Les désistements entre socialistes et radicaux permettent un succès des gauches aux élections de 1914. • Les ambiguïtés de l’entre-deuxguerres. Entre 1914 et 1918, les radicaux participent à tous les gouvernements de guerre - au nom de l’« union sacrée » -, y assumant des responsabilités importantes (l’Intérieur, l’Instruction publique), sans pour autant en occuper la présidence : en effet, Georges Clemenceau, chef du gouvernement à partir de novembre 1917, est certes une grande figure historique du radicalisme, mais il n’a adhéré que très peu de temps au Parti radical, et en a
démissionné en 1909. Ces quatre années de guerre affaiblissent le parti, que l’on juge souvent responsable des difficultés d’alors. La politique de Clemenceau divise ses dirigeants, dont certains Louis Malvy, Joseph Caillaux - sont accusés de pacifisme et traduits en Haute Cour. Dès la fin des hostilités, ce discrédit a un impact sur ses résultats électoraux : à l’automne 1919, le groupe parlementaire radical perd le tiers de ses effectifs de 1914. Sa rupture avec la SFIO interdit la survie du Bloc des gauches, tandis que le scrutin de liste contribue à exacerber les tendances centrifuges. Cependant, même affaibli et divisé, le parti demeure un acteur essentiel du jeu politique et parlementaire car il est indispensable à toute coalition. De 1919 à 1924, il a plutôt tendance à s’opposer aux gouvernements de Bloc national, coalition à laquelle il a été, un temps, associé. Certes, des radicaux participent, à titre personnel, à des combinaisons ministérielles conservatrices, mais Édouard Herriot, leur nouveau président, s’efforce d’ancrer le parti à gauche, de le réorganiser en exploitant sa propre popularité et en faisant reconnaître par les notables radicaux la légitimité de l’organisation politique. Les radicaux et les socialistes, associés dans le Cartel des gauches, remportent les élections de 1924, et Herriot devient président du Conseil en juin. downloadModeText.vue.download 764 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 753 Mais très rapidement les contradictions de la coalition parlementaire et les ambiguïtés du Parti radical éclatent au grand jour. Les alliés peuvent sauvegarder leur accord sur les projets politiques : la défense de la laïcité (vaine tentative d’appliquer la loi de séparation des Églises et de l’État en Alsace-Lorraine), la promotion de la paix et de la sécurité collective (règlement du problème des « réparations » allemandes, entrée de l’Allemagne à la Société des nations, reconnaissance de l’Union soviétique). Mais les questions financières, la sauvegarde du franc, révèlent les faiblesses d’un gouvernement auquel les socialistes ne participent pas. Par ailleurs, les tensions internes au Parti radical affaiblissent une équipe ministérielle confrontée à une polémique intense. Dès lors, d’hésitations en renoncements, le Cartel des gauches doit admettre son échec. Édouard Herriot, après s’être heurté au « mur
de l’argent », démissionne en avril 1925. La fiction du Cartel subsiste jusqu’en 1926, pour laisser place - sous l’appellation d’Union nationale - à une concentration des centres à laquelle les radicaux collaborent jusqu’en 1928, avant d’entrer dans l’opposition. La complexité de ces choix stratégiques illustre les difficultés du Parti radical à s’adapter à une conjoncture politique et sociale nouvelle. Tout en demeurant jusqu’en 1936 le premier parti de France, il tend à prolonger des orientations qui sont antérieures à la Grande Guerre. Dans un pays où progresse le nombre des salariés, les radicaux restent attachés à leurs soutiens traditionnels (boutiquiers, artisans, rentiers). Enfin, le parti persiste dans sa défense de la laïcité de l’État, alors que celle-ci est désormais acquise. En se situant toujours à gauche, il rencontre une concurrence de plus en plus forte de la SFIO, qui prétend, non pas revenir à un « âge d’or perdu », mais transformer la société pour construire une « utopie sociale ». En ce sens, l’échec d’Édouard Herriot exprime la relative inadéquation des réponses radicales aux problèmes de l’entre-deux-guerres. Les rivalités entre les dirigeants - Herriot, Caillaux, Daladier (lequel incarne une nouvelle génération) - ne font qu’aiguiser les tensions internes. À la fin des années 1920, le mouvement « Jeunes-Turcs » (Émile Roche, Pierre Cot, Jean Zay, Pierre Mendès France) tente de rénover les méthodes, le programme et la clientèle du parti. L’attention portée à l’économie, à la réforme de l’État, aux projets d’organisation internationale, fédère un groupe de novateurs que n’épargnent pas les divergences stratégiques classiques. Pourtant, les « Jeunes-Turcs » contribuent, avec l’appui d’Édouard Daladier, au renouvellement de l’alliance à gauche. Après leur victoire électorale de mai 1932, les radicaux accèdent de nouveau au pouvoir : Édouard Herriot, qui préside le gouvernement, pense trouver des « majorités d’idées » sur les thèmes politiques principaux (budget, affaires internationales). Pour être habile, sa démarche se heurte néanmoins à une conjoncture très défavorable, les effets de la crise mondiale se faisant durement ressentir. Herriot démissionne en décembre 1932 : ce nouvel échec souligne les contradictions d’un radicalisme peu apte à définir une stratégie claire, et la crise d’un parti qui ne parvient pas à se renouveler. Plusieurs autres cabinets à direction radicale - Daladier, Chautemps,
puis de nouveau Daladier - appliquent une politique de déflation, qui n’apporte aucune solution à la crise. Une partie de l’opinion accuse les radicaux d’être responsables de l’impuissance du régime à résoudre les problèmes essentiels du pays. Les événements du 6 février 1934, qui entraînent la démission du gouvernement Daladier, révèlent l’ampleur du discrédit. En choisissant de s’associer au Front populaire, le Parti radical définit une démarche cohérente : l’alliance des classes moyennes et du prolétariat doit assurer la défense de la République, celle de la paix, et améliorer le sort des catégories sociales éprouvées par la crise. Mais Daladier ne peut entraîner tout le parti dans l’union des gauches, dont les radicaux donnent des versions contrastées. Sortis affaiblis des élections, les radicaux, qui appartiennent au gouvernement dirigé par Léon Blum, approuvent les premières réformes ; mais, dès l’été 1936, la fronde se développe : la perte de la prééminence parlementaire, l’impression de moins peser sur l’action ministérielle, la crainte des désordres sociaux, forgent les amertumes. Certes, socialistes et radicaux gouvernent ensemble jusqu’au printemps 1938, mais l’enthousiasme des débuts du Front populaire s’est effondré. À partir de l’automne 1938, Édouard Daladier - chef du gouvernement d’avril 1938 à mars 1940 - rompt nettement avec les socialistes et infléchit la tradition radicale en s’alliant étroitement avec les droites et en exerçant un gouvernement d’autorité jusqu’en mars 1940 (pratique des décrets-lois). Sa politique - et notamment la signature des accords de Munich, en septembre 1938 - lui assure une évidente popularité. Aussi, dans les mois qui précèdent la guerre, le Parti radical semble retrouver une partie du lustre qu’il avait perdu. • Survie du radicalisme ? À la Libération, le Parti radical souffre d’un triple handicap : il incarne la IIIe République, régime qu’une large majorité de l’opinion réprouve ; il n’est pas représentatif de l’esprit de la Résistance, même si certains de ses dirigeants ont participé au combat contre l’occupant et le régime de Vichy (Henri Queuille, Pierre Mendès France) et en ont été victimes (Jean Zay, Maurice Sarraut, Jean Moulin) ; enfin, son attachement à la propriété et à l’individualisme n’est guère en phase avec l’esprit réformateur qui souffle au lendemain de la Libération. Les résultats électoraux de 1945 et de 1946 illustrent le déclin d’un parti qui n’a pas sa place dans la configuration politique du tripartisme (formé par le PCF, la SFIO et le MRP).
La rupture du tripartisme, en 1947, offre au Parti radical une nouvelle chance puisque les coalitions de la « troisième force », qui se succèdent au pouvoir jusqu’en 1951, font appel à lui. À nouveau, les radicaux occupent des responsabilités importantes, dans les Assemblées de la IVe République (Édouard Herriot, Gaston Monnerville, Albert Sarraut) et à la tête de plusieurs gouvernements (André Marie, Henri Queuille, René Mayer). Dans la continuité du néoradicalisme des années 19381940, le radicalisme persiste dans son hostilité au communisme, se montre très réservé quant aux réformes de structure et au rôle de l’État dans l’économie, même s’il est favorable à certaines lois sociales (la Sécurité sociale). Demeuré attaché à la République parlementaire, il s’éloigne néanmoins de la laïcité militante. La reconstruction du parti sur des bases sociologiques traditionnelles mais de plus en plus discordantes par rapport à la France du début des années 1950 (« le parti des boutiquiers, des bureaux de tabac, des banquets législatifs..., des vertus moyennes », dénoncé par Albert Camus) limite le dynamisme d’une organisation politique dont l’électorat demeure celui des zones rurales (le Sud-Ouest, la Normandie, la Bourgogne). Seules des personnalités très influentes parviennent à maintenir une tradition en milieu urbain (Herriot à Lyon, Baylet à Toulouse). Pierre Mendès France tente alors un effort de rénovation du parti. Connaisseur réputé des problèmes internationaux et expert économique plus que militant et politicien, il souffre d’un certain isolement au sein du Parlement. Mais l’enlisement dans lequel s’enfonce la IVe République lui confère le statut d’homme providentiel. En développant quelques thèmes choisis - la modernisation économique et sociale, le choix de l’avenir, la paix en Indochine -, il crée une dynamique autour de son nom, que relaie l’hebdomadaire l’Express. Son expérience gouvernementale, à partir de juin 1954, impressionne favorablement l’opinion mais inquiète les parlementaires : une opposition composite renverse son gouvernement en février 1955. Fort de sa popularité, « PMF » conquiert le parti, y attire des jeunes et des cadres, et élargit son audience électorale. Mais cette tentative se brise sur le drame algérien et la crise du régime : le Parti radical se disloque, et son aile droite fait sécession pour créer le Centre républicain. L’avènement de la Ve République accélère l’effacement et le déclin du Parti radical. Divisés sur la Constitution de 1958 et les grandes
orientations politiques du général de Gaulle, les radicaux perdent peu à peu leurs militants les plus dynamiques (exclusion des mendésistes, en 1959), et même leurs électeurs : dans la première Assemblée de la Ve République, ils ne peuvent constituer un groupe parlementaire. Le Parti radical se réfugie dans l’opposition : s’il approuve, majoritairement, la politique algérienne, il dénonce la « monarchie républicaine », le recours au « plébiscite », les complaisances pour l’école privée. Le tournant constitutionnel de 1962 (l’élection du président de la République au suffrage universel) pousse les radicaux à rejoindre une coalition. La majorité d’entre eux (avec Maurice Faure, président du parti depuis 1961) souhaitent une nouvelle « concentration des centres ». Mais la bipolarisation de la vie politique - résultante de l’élection présidentielle les contraint au choix de la gauche en 1965 et les fait participer à la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS) de François Mitterrand, qui échoue toutefois aux législatives de juin 1968. Une nouvelle tentative de rénovation est engagée en 1969-1970 par Jean-Jacques Servan-Schreiber (« JJSS »), ancien mendésiste et fondateur de l’Express. En février 1970, « JJSS » rédige le manifeste « Ciel et terre », downloadModeText.vue.download 765 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 754 qui devient la charte du parti. Résolument moderniste, notamment en matière économique, cette « réforme radicale » s’inspire du socialisme scandinave et obtient quelques succès auprès des jeunes et des cadres. Toutefois, la création d’un Mouvement réformateur (1971) inquiète nombre de parlementaires radicaux, élus grâce aux reports des voix socialistes et communistes. La signature du programme commun de gouvernement par le PS et le PCF en 1972 provoque une nouvelle scission. Sous l’impulsion de Servan-Schreiber, le Parti radical « valoisien » (ainsi qualifié à cause de son adresse, place de Valois, à Paris) rejette l’alliance avec les communistes et tente de rassembler les centristes réformateurs, en se rapprochant du Centre démocrate de Jean Lecanuet. Lors de l’élection présidentielle de 1974, la majorité des radicaux valoisiens appuie Valéry Giscard d’Estaing, puis, en 1978, rejoint l’UDF. L’aile qui accepte le programme
commun constitue, en 1973, le Mouvement des radicaux de gauche (MRG), qui parvient à obtenir des sièges à l’Assemblée grâce à son alliance avec le PS. À l’évidence, le radicalisme est vassalisé depuis les années 1970. Les quelques velléités d’autonomie sont sans lendemain : le candidat du MRG à l’élection présidentielle de 1981 - Michel Crépeau - n’obtient qu’un nombre infime de suffrages, et les gouvernements de gauche ne laissent que peu de place aux radicaux. De même, les valoisiens ne peuvent guère assurer leur identité au sein de l’UDF. Néanmoins, subsiste un « esprit radical », puisque, selon le politologue Hugues Portelli, le socialisme, depuis les années 1980, a assumé l’héritage du plus ancien parti de France. radiodiffusion ! médias audiovisuels Raimond IV de Saint-Gilles, comte de Toulouse de 1088 à 1105, comte de Tripoli de 1102 à 1105 (1042 - Mont-Pélerin, 1105). Fils cadet du comte Pons de Toulouse et d’Almodis de la Marche, Raimond est comte de Saint-Gilles, puis recueille les comtés de Rouergue, Nîmes et Narbonne en 1066. Son frère Guillaume, comte de Toulouse, lui vend le comté lors de son départ en pèlerinage en 1088. Les contemporains de Raimond de SaintGilles font état de sa foi et de son goût pour les grandes entreprises : il s’engage en Espagne dans les combats contre les Maures en 1087. Dans le même état d’esprit, il répond à l’appel à la croisade lancé par le pape Urbain II. Parti de France en 1096, avec une forte armée qui fait de lui l’un des chefs de l’expédition, il emprunte la voie terrestre. Comme Godefroi de Bouillon, il refuse de prêter hommage à l’empereur byzantin Alexis II pour les terres à conquérir, mais lui fait néanmoins serment de fidélité. Cette attitude ambiguë va nuire, par la suite, à son autorité morale. Il prend Antioche avec Bohémond de Tarente, puis Jérusalem avec Godefroi de Bouillon, mais son comportement fantasque lui vaut d’être évincé de chacune de ces villes. C’est probablement à partir de ce moment qu’il envisage de s’établir définitivement en Terre sainte. Il entreprend la conquête de la Syrie du Nord : Lattaquié est enlevé en 1099, Tortose en 1102, Gibelet en 1104. Premier comte de Tripoli, dont il fait le siège à partir
de 1103, il construit la forteresse de MontPélerin, où il meurt en 1105, sans avoir pris la ville. Son fils Bertrand achève la conquête, et la famille de Saint-Gilles s’établit durablement à Tripoli. Raimond V, comte de Toulouse de 1148 à 1194 (1134 - Nîmes 1194). Petit-fils de Raimond IV de Saint-Gilles, fils du comte de Toulouse Alphonse Jourdain et de Faidide d’Uzès, Raimond V hérite du comté en 1148, dans un contexte politique mouvant. Lorsque le roi Louis VII divorce d’Aliénor d’Aquitaine en 1152, les deux hommes trouvent intérêt à s’allier - une alliance qui permet à Louis VII de conserver des liens avec le Midi et à Raimond V de contrer Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre et duc d’Aquitaine, son suzerain en puissance. Le comte de Toulouse entre dans l’alliance française en épousant Constance de France, soeur du roi. Mais le jeu est délicat, car les ingérences du roi de France dans le Midi auprès des vassaux du comte, le vicomte de Béziers Raimond Trencavel et la vicomtesse de Narbonne Ermengarde, menacent l’autorité comtale, tout comme les velléités de conquête d’Henri II Plantagenêt. Louis VII soutient efficacement le comte de Toulouse en 1159, lorsque le Plantagenêt fait le siège de la ville, puis il obtient la normalisation des relations avec Béziers et Narbonne. Mais Raimond V se rapproche alors d’Henri II Plantagenêt : il répudie Constance de France en 1166 et se reconnaît vassal du duc d’Aquitaine en 1173. Cependant, il fait à nouveau appel au roi de France, Philippe Auguste, lors d’un deuxième siège de Toulouse en 1188. Contemporain des débuts du catharisme, Raimond V demande à Louis VII l’envoi d’une mission cistercienne en 1177. Mais son fils Raimond VI héritera d’une situation religieuse et politique en passe de devenir explosive. Raimond VI, comte de Toulouse de 1194 à 1222 (Toulouse 1156 - id. 1222). Fils du comte Raimond V et de Constance de France, Raimond VI accroît ses États en épousant Jeanne d’Angleterre, fille d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri II Plantagenêt, qui lui apporte en dot le Quercy et l’Agenais. Après s’être opposé à son beau-frère Richard Coeur de Lion, il finit par reconnaître la suzeraineté de ce dernier sur la dot de sa femme. La grande affaire de Raimond VI de Toulouse est la progression du catharisme, no-
tamment dans les villes, alliées naturelles du comte - qui devient ainsi complice de l’hérésie. S’il ne s’engage pas lui-même, Raimond VI laisse monter dans ses domaines l’opposition au pouvoir temporel de l’Église. Pour cette raison, il est excommunié en 1207 par Pierre de Castelnau, légat du pape Innocent III. Après l’assassinat du légat en 1208 par des officiers de Raimond VI, le pape fait prêcher la croisade contre les hérétiques. Conduite par Simon de Montfort, seigneur originaire d’Îlede-France, une armée s’élance alors vers le Midi, tandis que Raimond VI se hâte de faire pénitence, se joint à la croisade et prend part aux sièges de Béziers et de Carcassonne en 1209. Puis, inquiet de la puissance de Simon de Montfort, il fait volte-face et prend la tête de la résistance aux croisés. Déchu, excommunié une nouvelle fois par le pape en 1211, Raimond VI trouve le soutien du roi Pierre II d’Aragon, que les menées françaises en Languedoc inquiètent. Pierre II obtient d’abord d’Innocent III des sanctions contre les abus des croisés, mais ces derniers s’en défendent et le roi d’Aragon se résout à engager le combat. La bataille de Muret, le 12 septembre 1213, est un moment capital dans l’histoire du Midi : la mort de Pierre II d’Aragon marque la fin des prétentions aragonaises dans la région, et la victoire de Simon de Montfort constitue un jalon dans l’intégration du Midi au royaume. Battu, Raimond VI se réfugie en Angleterre, sans pour autant se soumettre. Au quatrième concile du Latran, en 1215, Simon de Montfort obtient la dépossession totale du comte de Toulouse à son profit. Mais ses exactions amènent les Toulousains à se soulever et Raimond VI reprend la ville en 1217, à la faveur de la révolte. Simon de Montfort est tué en 1218 en essayant de reprendre la ville. Son jeune fils, Amaury de Montfort, puis le futur Louis VIII échouent à la reconquérir. À sa mort, Raimond VI est redevenu maître de la quasi-totalité de ses États, mais l’avenir de la principauté toulousaine dépend désormais de l’engagement du roi de France dans la croisade. Raimond VII, comte de Toulouse de 1222 à 1249 (Beaucaire 1197 - Millau 1249). Fils de Raimond VI et de Jeanne d’Angleterre, Raimond VII hérite d’un comté en lutte contre les croisés. S’appuyant sur la fidélité des villes, il s’efforce d’achever la reconstruction engagée par son père et chasse Amaury de Montfort de
Carcassonne en 1224. Il fait également cesser les persécutions contre les cathares. Indigné, le pape Honorius III envoie en France le cardinal de Saint-Ange afin de redonner souffle à la lutte contre les hérétiques du Midi. Au concile de Bourges de 1225, Raimond VII est excommunié, une nouvelle croisade est prêchée. Le roi Louis VIII, auquel Amaury de Montfort a abandonné tous ses droits sur les terres languedociennes, a ainsi plus d’une raison de se lancer dans l’aventure. L’expédition royale de 1226 est un relatif succès. Si Louis VIII s’empare avec difficulté d’Avignon, possession du comte de Toulouse, il prend aisément Nîmes, Carcassonne et Béziers, où il fait établir des sénéchaussées royales. Mais il renonce à assiéger Toulouse et meurt sur le chemin du retour. Pendant deux ans, le sénéchal Humbert de Beaujeu poursuit l’oeuvre royale. En 1228, Raimond VII, à bout de ressources, accepte enfin de négocier avec la régente, Blanche de Castille. Le jeudi saint de 1229, il fait amende honorable à Notre-Dame de Paris, et signe un traité par lequel il cède au roi tout le bas Languedoc, donne en mariage à Alphonse de Poitiers, frère de Louis IX, sa fille Jeanne, héritière de tous ses biens s’il n’a pas d’autre endownloadModeText.vue.download 766 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 755 fant, et s’engage à partir en croisade. Le traité de Paris met en coupe réglée le Midi, qui entre dans l’orbite française. Blanche de Castille, en effet, avec la complicité du cardinal de SaintAnge, s’emploie à ce que Raimond VII ne se remarie pas. Une université est implantée à Toulouse pour lutter contre l’hérésie et l’Inquisition s’installe dans la ville. Le Languedoc s’enflamme à nouveau en 1240, lorsque l’héritier du vicomte de Béziers, Raimond Trencavel, tente de reconquérir son héritage. Raimond VII met peu d’empressement à le contrer, s’engageant de plus aux côtés du roi Henri III d’Angleterre et du comte de la Marche dans la révolte baronniale de 1242. L’assassinat de deux inquisiteurs à Avignonet, dans lequel Raimond VII semble impliqué, relance la croisade. Raimond VII se soumet à la paix de Lorris en 1243, promettant de contribuer à l’extermination des hérétiques. À sa mort, il ne laisse d’autre héritier que sa fille, et Alphonse de Poitiers recueille tout le Midi toulousain, qui revient en 1271
dans le domaine royal. Rais, Rays ou Retz (Gilles de), baron de Bretagne et maréchal de France (Champtocé-sur-Loire, Maine-et-Loire, 1404 - Nantes 1440). Fils de Gui de Laval-Blaison et de Marie de Craon, il possède, par héritage et par mariage - il épouse, en 1420, sa cousine Catherine de Thouars -, des fiefs importants et nombreux en Bretagne, Maine, Anjou et Poitou. Chef de guerre, il combat tout d’abord dans de petites opérations militaires. Son rôle s’accroît quand il entre, en 1428, dans la clientèle de Georges de La Trémoille, personnage très influent auprès du roi Charles VII. En 1429, il devient l’un des compagnons de Jeanne d’Arc et combat à ses côtés pour la libération de la ville d’Orléans (8 mai) ; il l’accompagne ensuite pour le sacre du roi à Reims, où il est fait maréchal de France. Il est alors au faîte de sa gloire, mais, dès 1431, en raison de la disgrâce de son protecteur, il ne mène plus que de petits combats, souvent pour son propre compte. La guerre, l’entretien de troupes et son train de vie très luxueux le conduisent à s’endetter ; pour faire face à ses dépenses, il vend peu à peu une partie de ses seigneuries, dilapidant ainsi son patrimoine. À partir de 1440, il doit affronter deux procès où il est accusé d’hérésie, d’évocation des démons, de sodomie, d’enlèvements et de meurtres d’enfants. Condamné à mort, il est pendu le 26 octobre 1440. Même si certains écrivains se sont élevés au xxe siècle contre cette sentence, sa culpabilité semble ne faire aucun doute, les témoignages étant nombreux et divers. Devenu un personnage mythique, il n’est pourtant pas, comme on le prétend parfois, à l’origine de la légende de Barbe-Bleue. ralliement. On entend par ce mot l’acceptation des institutions républicaines par l’Église, que la papauté préconise à partir de 1890. Élu pape en 1878, Léon XIII (Gioacchino Pecci) assiste à l’offensive anticléricale et laïque menée par le gouvernement et la majorité parlementaire dans les années 1880. Il prend la mesure de la solidité du régime républicain et de l’impuissance de la droite française (Chesnelong, Mackau, Keller, de Mun, Mgr Freppel) dans son double combat pour la défense de l’Église et la restauration de la monarchie. Aussi s’efforce-t-il, à travers ses encycliques (Immortale Dei, 1885 ; Libertas, 1888), de définir une « politique chrétienne »
en distinguant ce qui relève de l’autorité religieuse de ce qui appartient à la sphère étatique. Il sait aussi trouver un terrain d’accord avec les républicains de gouvernement, dits « opportunistes » (Gambetta, Grévy, Ferry), sur le maintien du concordat entre l’Église et l’État, gage de protection légale pour la première, d’exercice d’un contrôle pour le second. La politique du ralliement s’opère en trois temps. Le 12 novembre 1890, le cardinal Lavigerie porte à Alger un toast retentissant à la marine de la République en proposant « une adhésion sans arrière-pensée à cette forme de gouvernement ». Le 20 février 1892, Léon XIII publie l’encyclique Au milieu des sollicitudes : il y affirme la contingence des régimes politiques, distingue le pouvoir, respectable en lui-même, des législations, toujours réformables, et plaide contre la séparation de l’Église et de l’État. Le 3 mai 1892, dans une lettre adressée aux cardinaux français, le pape enjoint nettement à ces derniers d’accepter la République. La directive pontificale divise la droite entre « ralliés », favorables à la création d’un grand parti conservateur (de Mun, Piou, mais aussi des journaux, tels l’Univers ou la Croix), et « réfractaires » (le monarchiste d’Haussonville, le bonapartiste Cassagnac et l’Autorité, l’antisémite Drumont et la Libre Parole). Les élections de l’été 1893 voient l’échec des monarchistes tandis que les ralliés forment, autour de Jacques Piou, le petit groupe de la « droite constitutionnelle ». Le 3 mars 1894, Eugène Spuller, alors ministre de l’Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes, célèbre à la Chambre un « esprit nouveau » dans les relations entre l’Église et l’État. Mais les affrontements de l’affaire Dreyfus conduiront à la loi de séparation de 1905 ; et il faudra, à l’aube des années 1920, un second ralliement pour qu’un modus vivendi stable puisse s’instaurer, en régime de laïcité, entre Église et République. Essentiel sur le principe, le ralliement préconisé par Léon XIII n’aura été qu’un bref répit sur le chemin qui conduit, à terme, à la disparition du système concordataire. Ramadier (Paul), homme politique (La Rochelle 1888 - Rodez 1961). Avocat à la cour d’appel de Paris, Paul Ramadier adhère au mouvement socialiste dès 1904. Grand blessé de guerre, il entre en 1916 au cabinet du ministère de l’Armement, dirigé par le socialiste Albert Thomas. Il est
« l’homme de Decazeville », ville dont il est maire de 1919 à 1959. Il est aussi élu conseiller général et député en 1928. Favorable à la participation des socialistes au pouvoir, il quitte la SFIO en 1933 avec les néosocialistes. Sa capacité de travail, ses dons de conciliateur, lui valent d’être nommé par Léon Blum sous-secrétaire d’État aux Travaux publics en juin 1936 ; il le reste jusqu’en janvier 1938, avant d’être ministre du Travail dans le cabinet Chautemps, puis dans le gouvernement Daladier, dont il démissionne le 21 août 1938, refusant la remise en question de la semaine de quarante heures. En juillet 1940, il ne vote pas les pouvoirs constituants au maréchal Pétain et s’engage ensuite dans la Résistance. Il retrouve ses mandats après la guerre, sous l’étiquette SFIO, et entre dans le gouvernement de Gaulle comme ministre du Ravitaillement. Président du Conseil de janvier à novembre 1947, il doit alors gérer une situation économique et sociale difficile, marquée par les grandes grèves de l’automne, organisées par les communistes après l’éviction de leurs ministres en mai. Ministre d’État puis de la Défense en 1948, il est rappelé au gouvernement en 1957 par Guy Mollet, qui lui confie les Affaires économiques et financières. Il est à ce titre l’instigateur de la vignette automobile. La fin de la IVe République est aussi celle de sa carrière : il est battu aux législatives de 1958 et aux municipales de 1959. Rambuteau (Claude Philibert Barthelot, comte de), administrateur et homme politique (Charnay, près de Mâcon, 1781 - château de Rambuteau 1869). C’est Napoléon Ier qui donne à ce jeune homme d’ancienne noblesse ses premières responsabilités préfectorales, à partir de 1811. Destitué en 1815, il se retire dans ses terres où il s’adonne à l’agriculture sans s’occuper de politique. Pourtant les électeurs de l’arrondissement de Mâcon le choisissent pour les représenter en 1827 ; à la Chambre, il soutient discrètement l’opposition libérale. Partisan convaincu de Louis-Philippe et de la politique de « résistance », il obtient en 1833 la préfecture de la Seine, poste stratégique qu’il conserve jusqu’en 1848. Ce pilier du régime est fait pair de France en 1835, grand officier de la Légion d’honneur en 1844. Même si son oeuvre est éclipsée, dans les mémoires, par celle du baron Haussmann, il imprime déjà un élan décisif à la modernisation de la capitale. Il substitue l’action de l’État à l’initiative privée pour donner aux Parisiens « de l’air, de l’eau, de l’agrément » : élargissement ou percement
de voies nouvelles dans des quartiers centraux menacés d’engorgement, aménagement de boulevards, remaniement ou construction de plus de cent kilomètres d’égouts, décuplement du nombre des fontaines, plantations d’arbres. À son actif figurent aussi l’achèvement de l’Arc de triomphe, l’érection de l’obélisque de Louqsor sur la place de la Concorde, la construction du pont Louis-Philippe, l’agrandissement de l’Hôtel de Ville, les premiers grands chantiers ferroviaires. Ramus (Pierre de La Ramée, plus connu sous le nom latin de), philosophe, mathématicien et théologien (Cuts, Vermandois, 1515 - Paris 1572). Tour à tour platonicien, contre l’aristotélisme universitaire, et calviniste « hétérodoxe », contre la majorité genevoise, cet esprit encyclopédique témoigne de l’effervescence humaniste de son époque. downloadModeText.vue.download 767 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 756 En 1543, les Dialecticae institutiones et les Aristotelicae animadversiones le rendent célèbre dans le milieu intellectuel parisien. Le jeune maître ès arts reproche aux partisans d’Aristote de dispenser une morale ignorant le salut chrétien. Un arrêt du Conseil du roi lui interdit alors de professer la philosophie. En 1545, Ramus récidive dans le Songe de Scipion : il y défend la conception platonicienne de l’âme mais en attribuant la cause du mouvement spirituel à Dieu. Henri II réhabilite l’humaniste, qui obtient, en 1551, une chaire au Collège royal. La Dialectique (1555) propose une nouvelle logique « naturelle », à partir de laquelle Ramus fonde une rhétorique particulièrement adaptée aux textes antiques. En 1561, il se convertit au calvinisme. Il affronte par la suite le « cléricalisme » de Théodore de Bèze, qui encourage un contrôle étroit de la Compagnie des ministres sur le choix des pasteurs. Sa conception de la discipline promeut, au contraire, la liberté d’élection et de prophétie. Mais les synodes de La Rochelle (1571) et de Nîmes (1572) condamnent ses thèses et le menacent même d’excommunication. Les massacreurs de la Saint-Barthélemy l’assassinent le 26 août 1572 devant sa table de travail du collège de Presles, alors qu’il achevait une Exhortation à la paix entre les chrétiens.
Raoul, roi des Francs de 923 à 936 ( ? - 936). Fils aîné du duc de Bourgogne Richard le Justicier, Raoul succède à son père en 921. En épousant Emme, fille du roi Robert Ier, il entre dans le cercle d’alliance des Robertiens. La royauté est alors disputée par les Carolingiens, très affaiblis, et les Robertiens, de plus en plus puissants. Mais le pouvoir du roi est soumis au bon vouloir des ducs et des barons. Les Robertiens s’engagent donc très prudemment dans l’aventure royale, afin de préserver leur puissance territoriale. C’est ainsi qu’après la mort de Robert Ier (roi des Francs depuis 922), tué lors d’un combat contre le Carolingien Charles III le Simple, près de Soissons (juin 923), Hugues le Grand, son fils, renonce à la royauté car il est le seul adulte de sa génération. Raoul, beau-frère d’Hugues le Grand, peut, lui, compter sur son frère Hugues le Noir, auquel il confie le duché de Bourgogne. Il est élu et sacré à Saint-Médard de Soissons, le 13 juillet 923. Sa situation est périlleuse : Charles le Simple est prisonnier du puissant comte Herbert II de Vermandois, qui dispose ainsi d’un moyen de pression sur le nouveau souverain. Raoul, dont les intérêts en Neustrie sont mineurs, doit jouer l’équilibre entre Hugues le Grand et Herbert II de Vermandois. Après la mort de Charles le Simple en 929, Raoul s’allie à Hugues le Grand contre Herbert de Vermandois, qui fait lui-même appel au roi de Germanie Henri l’Oiseleur, inaugurant ainsi les interventions des rois de Germanie dans le royaume. En 935, Herbert II fait la paix avec le roi Raoul, qui meurt l’année suivante. La royauté franque souffre alors d’une telle perte de prestige qu’Hugues le Grand renonce à la couronne et fait appel au Carolingien Louis IV d’Outremer. Rashi (rabbi Salomon ben Isaac, dit), rabbin et exégète du judaïsme médiéval (Troyes 1040 - 1103). La région natale de Rashi, le comté de Champagne, possède, à l’époque médiévale, de très nombreuses communautés juives. Après des études à Worms et à Mayence, Rashi revient à Troyes, où il vit de son travail de vigneron et de son enseignement dans la communauté juive locale. Il rédige alors un commentaire des Écritures et un commentaire du Talmud, dont l’exhaustivité, la simplicité et la rigueur lui assurent un prestige immédiat. Il fonde une école talmudique, appelée « école des tossaphistes », qui contribue au rayonnement de sa pensée sur tout le judaïsme de la moitié nord de la France et de Rhénanie jusqu’à la fin du XIIIe siècle.
L’oeuvre de Rashi est progressivement connue en Provence, en Languedoc et en Orient, et finit par s’imposer comme le fondement de toute exégèse talmudique. Son influence s’étend même aux auteurs chrétiens. Au XIIe siècle, Bernard de Clairvaux s’en inspire pour son Commentaire du Cantique des cantiques. Au XVe siècle, des ouvrages de Rashi sont traduits en latin par le franciscain Nicolas de Lyre, ce qui permet à de nombreux clercs, dont Martin Luther, d’en avoir connaissance. Il n’est ainsi guère étonnant qu’en 1475 le Commentaire du Pentateuque du célèbre rabbin soit le premier livre imprimé en langue hébraïque. Raspail (François Vincent), scientifique, journaliste et homme politique (Carpentras 1794 - Arcueil 1878). Après les années passées au séminaire d’Avignon comme élève puis comme professeur de théologie, le jeune Raspail rompt avec la religion et s’installe à Paris, en 1816, où il gagne sa vie comme professeur, puis comme répétiteur. Ses idées avancées le conduisent à s’affilier à la charbonnerie (1822). Attiré par la science, il mène en autodidacte des travaux novateurs en botanique, en chimie organique. En juillet 1830, il participe avec enthousiasme à la révolution qui jette à bas la Restauration. Blessé, décoré, il se tient cependant à l’écart du nouveau régime, avant d’en dénoncer les dérives réactionnaires par des articles virulents qu’il publie dans son journal, le Réformateur. Dirigeant de la Société des amis du peuple, il fait l’objet de nombreuses poursuites et connaît la détention à plusieurs reprises. La notoriété dont il jouit auprès des Parisiens modestes s’accroît encore lorsqu’il décide de concilier, dans l’exercice d’une médecine à la portée de tous, son idéal républicain et ses connaissances scientifiques. À partir de 1835, il multiplie les recherches dans les domaines de la thérapeutique et de l’hygiène ; il rédige de nombreux ouvrages de vulgarisation où il prône l’hygiène et la tempérance. Le succès de la « méthode Raspail » (Manuel annuaire de la santé, 1843) ne se dément pas. Les autorités politiques et médicales en prennent ombrage : il est condamné en 1846 pour exercice illégal de la médecine. En février 1848, Raspail fait partie du groupe qui proclame la République à l’Hôtel de Ville. Il fonde un journal (l’Ami du peuple) et un club révolutionnaire. Candidat malheureux des socialistes à la présidence de la Répu-
blique en décembre, il est condamné l’année suivante à six ans de détention pour avoir pris part aux troubles du 15 mai 1848. Après avoir purgé sa peine, il gagne la Belgique en 1853, pour dix ans. Il a 75 ans lorsque les électeurs du Rhône le choisissent comme représentant au Corps législatif, de préférence à Jules Favre (1869). Personnalité politique inclassable, Raspail intervient peu dans les débats mais continue à défendre les valeurs qui lui sont chères : la liberté, l’instruction, la morale. Condamné à deux ans de prison pour avoir fustigé la sauvagerie de la répression contre la Commune (1874), il est néanmoins élu député de Marseille en 1876, puis en 1877. À la Chambre, il mène ses derniers combats pour l’amnistie des communards et contre la politique de Mac-Mahon. Rastadt (congrès de), congrès prévu par le traité de Campoformio pour régler le sort de la rive gauche du Rhin, et qui réunit les représentants du Saint Empire, de l’Autriche et de la France, du 16 novembre 1797 au 23 avril 1799. La rive gauche du Rhin est en effet occupée par la France, qui veut l’annexer. L’Autriche s’est engagée à appuyer celle-ci pour qu’elle obtienne le Palatinat, Trèves et Mayence, mais le représentant français, Treilhard, réclame en outre Cologne. La Diète germanique en accepte le principe (9 mars 1798), à la fureur du ministre autrichien, Cobenzl, qui exige une compensation en Italie. Le refus de Treilhard bloque la négociation. Tandis que le congrès s’enlise, le Directoire se lance dans l’expédition d’Égypte (mai 1798), qui, menaçant la route des Indes, irrite l’Angleterre, la Turquie et la Russie, et favorise la formation de la deuxième coalition contre la France. L’attaque de la République romaine par le roi de Naples (novembre 1798) donne le signal d’une reprise générale des hostilités et, le 12 mars 1799, le Directoire déclare la guerre à l’Autriche. Le congrès de Rastadt, qui n’a abouti à rien, n’a plus qu’à se séparer. Quittant la ville le 28 avril, deux plénipotentiaires français, Bonnier et Roberjot, sont assassinés par des hussards autrichiens, et un troisième, Debry, est grièvement blessé. Cet attentat, dont la responsabilité ne sera jamais éclaircie, soulève l’indignation en France. Selon Albert Soboul, il marque le « caractère implacable » de la guerre qui recommence, « celle de l’Europe aristocratique contre la nation révolutionnaire ». Rastadt (traité de paix de), traité signé le
6 mars 1714 entre la France et le Saint Empire qui met fin à la guerre de la Succession d’Espagne. Après les traités d’Utrecht (janvier-avril 1713), seul l’empereur Charles VI, ancien prétendant à la couronne d’Espagne, s’obstine à ne pas mettre fin aux hostilités contre la France. Les combats tournent à l’avantage de celle-ci : le maréchal de Villars s’empare de Spire, de Worms, de Kaiserslautern, de Landau, et surtout de Fribourg, le 16 novembre 1713. Les négociations, inévitables, s’ouvrent downloadModeText.vue.download 768 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 757 le 26 novembre au château de Rastadt, menées par deux généraux : Villars et, du côté impérial, le prince Eugène, encore auréolé de ses anciennes victoires. La raideur de Villars est tempérée depuis Versailles par le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, le marquis de Torcy. Le traité, confirmé le 7 septembre 1714 par l’ensemble des États de l’Empire, se fait au détriment de l’Espagne. Contre l’abandon de la plupart de ses conquêtes récentes, la France fait accepter son annexion de Strasbourg, occupé depuis 1681, et garde Landau, porte de l’Alsace. Ses alliés allemands, les Électeurs de Cologne et de Bavière, récupèrent leurs États et leurs dignités dans l’Empire. Surtout, contre la renonciation de Charles VI au trône de Madrid, l’Espagne abandonne à l’empereur les Pays-Bas, Milan, Naples, la Toscane et la Sardaigne. Cette redistribution met fin à une géographie politique fixée au XVe siècle avec l’héritage de Charles le Téméraire, et au XVIe siècle avec les guerres d’Italie. L’Espagne n’aura de cesse de récupérer ses possessions italiennes, ce qui créera un trouble durable dans les relations européennes. Ravachol (François Claudius Koenigstein, dit), anarchiste (Saint-Chamond, Loire, 1859 - Montbrison, id., 1892). Fils d’un immigré hollandais tôt décédé, Ravachol quitte rapidement l’école, devient gardien de bestiaux, nourrit sa révolte de la lecture d’Eugène Sue et de discours anticléricaux, répudie le nom de son père pour porter celui de sa mère. Devenu ouvrier teinturier à Saint-Étienne, il manifeste sa haine des patrons, quitte son emploi, commet vols et assassinats (en 1886, il tue un brocanteur d’Izieux et, en 1891, un ermite qui entassait
les aumônes). Arrêté, il s’évade, tue encore deux quincaillières, fuit à Lyon, où le cache un militant anarchiste qui l’endoctrine, le convertit à la « propagande par le fait » et l’envoie à Paris. En mars 1892, il place des bombes boulevard Saint-Germain, chez un juge qui a condamné à cinq ans de prison un manifestant du 1er Mai, puis rue de Clichy, chez l’avocat général du même procès. Dénoncé, arrêté, il est condamné en avril aux travaux forcés à perpétuité pour ses attentats, verdict qu’il accueille en hurlant : « Vive l’anarchie ! » Transféré à Montbrison pour répondre de ses meurtres antérieurs, il y est condamné à mort, et exécuté le 11 juillet. Il meurt en criant : « Vive la ré... [volution] ! » Ravachol devient alors un symbole. L’écrivain anarchiste Paul Adam clame : « Un saint nous est né ! » L’hebdomadaire le Père Peinard le montre portant sa tête dans ses mains tel un saint médiéval. Sa mort donne le signal d’une série d’attentats, qui culmine avec l’assassinat du président Carnot en 1894. Ravaillac (François), régicide, assassin d’Henri IV (Angoulême 1578 - Paris 1610). Fils d’un petit juriste d’Angoulême, élevé par une mère très pieuse, François Ravaillac est un « intellectuel besogneux », successivement clerc de justice, valet de chambre et maître d’école, vivant dans un état proche de la mendicité. Profondément dévot, il tente d’entrer dans les ordres, mais il est rejeté par les feuillants, auxquels ses « visions » le rendent suspect, puis par les jésuites. Il se croit investi de la mission de délivrer la France du « tyran » Henri IV, coupable à ses yeux de protéger les protestants et de vouloir faire la guerre au pape. Après plusieurs tentatives infructueuses, il revient à Paris en 1610 dans l’intention d’exécuter son projet, alors qu’Henri IV s’apprête à entrer en guerre contre le Saint Empire. Le 14 mai 1610, profitant d’un encombrement qui immobilise la voiture royale dans la rue de la Ferronnerie, il poignarde le roi, qui expire presque immédiatement. Arrêté et torturé, Ravaillac nie obstinément avoir été l’instrument d’une conspiration ourdie par les jésuites et par l’Espagne. Si son geste semble bien être celui d’un individu isolé, il doit être mis en relation avec la diffusion des thèses légitimant le tyrannicide, développées notamment par les jésuites Mariana (De rege et regis institutione, 1598) et Sâ (Institutions des confesseurs, 1593), et qui influencèrent de nombreux « Ravaillac en puissance » (Roland Mousnier). Au terme d’un procès instruit par le parlement de Paris,
Ravaillac est condamné le 27 mai à être écartelé et brûlé. Le même jour, le parlement fait condamner par la Sorbonne les thèses de Mariana, dont l’ouvrage sera brûlé le 8 juin. Ravenne (bataille de), bataille remportée par l’armée française sur les troupes hispano-pontificales le 11 avril 1512. Elle marque l’aboutissement d’une campagne restée dans l’histoire comme l’un des premiers exemples modernes de la guerre de mouvement. Attaquée en janvier 1512, à l’est, par les Vénitiens et menacée, au sud, par les troupes de la Sainte Ligue mise sur pied par le pape Jules II, l’armée française de Lombardie, commandée par Gaston de Foix, mène une contre-offensive qui lui permet en un mois de reprendre tour à tour les places de Bologne, de Brescia et de Ravenne. Décidé à s’ouvrir le chemin de Rome, le brillant chef de guerre français provoque alors une bataille rangée, qu’il voudrait décisive, le 11 avril 1512. Le combat, opposant deux armées de vingt mille hommes chacune, est l’un des plus violents et des plus meurtriers des guerres d’Italie. Pour la première fois, l’utilisation de l’artillerie est une des clés de la victoire : les canons du duc de Ferrare, allié des Français, éclaircissent les rangs ennemis, préparant puis soutenant les assauts des lansquenets et de la cavalerie lourde. Toutefois, dans une dernière charge - inutile - contre l’infanterie espagnole qui se replie en bon ordre, Gaston de Foix, dont l’intelligence tactique va de pair avec le respect de valeurs chevaleresques d’un autre temps, trouve la mort. La rivalité entre les capitaines français ainsi que leur manque de clairvoyance ôtent alors à l’armée victorieuse les bénéfices de son succès, l’acculant à une retraite sans gloire au-delà des Alpes, provoquant la perte du duché de Milan quelques semaines seulement après cette victoire à la Pyrrhus. Raymond comtes de Toulouse ! Raimond Raynal (Guillaume Thomas François, abbé), philosophe et historien (Lapanouze, Rouergue, 1713 - Chaillot 1796). Entré chez les jésuites, devenu prêtre, il quitte la vie sacerdotale en 1747 et se rend à Paris où, correspondant littéraire de la cour de Saxe-Gotha, il fréquente Helvétius et le baron d’Holbach. Il publie plusieurs ouvrages, parmi lesquels l’Histoire du stathoudérat et l’Histoire du parlement d’Angleterre, qui lui
valent d’être nommé membre de l’Académie des sciences et des belles-lettres de Berlin (1750) puis membre de la Société royale de Londres (1751). Parallèlement à ces activités, il est responsable de la rédaction du Mercure de France (1750-1754). C’est en 1770 qu’il publie l’ouvrage qui le rendra célèbre : Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes. Avec dix-sept éditions, au moins, entre 1772 et 1780, et un tirage de vingt-cinq mille exemplaires environ, ce livre, auquel Diderot a participé, prend violemment position contre l’esclavage et, plus généralement, contre l’Ancien Régime. L’ouvrage est bientôt interdit par un arrêt du Conseil (1772). La deuxième édition est mise à l’Index (1774). Parti en Suisse pour surveiller une nouvelle publication de l’ouvrage, Raynal est décrété de « prise de corps » à son retour à Paris. L’Histoire est condamnée par le parlement de Paris à être brûlée (1781). L’abbé se réfugie alors à l’étranger avant d’obtenir l’autorisation de revenir en France, en 1784. Élu député du Tiers de Marseille aux états généraux de 1789, il renonce à ce mandat en raison de son âge. Il devient membre de l’Institut en 1795. réaction nobiliaire, offensive des fractions les plus anciennes du second ordre contre les roturiers et les anoblis. Parfois relayée par le pouvoir royal, la réaction nobiliaire s’est manifestée de façon récurrente, entre les guerres de Religion et la fin de l’Ancien Régime. • Les frustrations politiques et sociales de la gentilhommerie. L’intégration massive de riches roturiers dans les rangs de la noblesse au cours du XVIe siècle, l’essor corrélatif des officiers dans l’appareil d’État et le sentiment de s’appauvrir nourrissent l’insatisfaction sociale de la gentilhommerie : comme en témoignent notamment ses doléances présentées aux états généraux de 1614, elle n’attend pas seulement du roi l’extension de ses privilèges fiscaux, l’abolition de la vénalité des offices, le monopole des dignités curiales et des charges de baillis et de sénéchaux, sans préjudice du tiers des offices de cours souveraines ; elle réclame aussi une répression accrue des usurpations de noblesse et la restriction des anoblissements ; en outre, pour renforcer la visibilité de la hiérarchie sociale, elle exige l’interdiction du port de la soie par les roturiers et obtient des lois somptuaires, dont la multiplication prouve l’inapplication. Or, le pouvoir est d’autant moins disposé
à se priver des officiers qu’il y trouve politiquement et financièrement son compte. En revanche, il a tout intérêt à enrayer l’hémorragie des rôles de taille et de franc-fief et à contrôler les voies d’anoblissement, ne seraitdownloadModeText.vue.download 769 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 758 ce que pour les fiscaliser à sa guise. Lancée par l’ordonnance d’Orléans (1560), l’offensive royale contre les usurpateurs de noblesse est tour à tour complétée par l’ordonnance de Blois (1579), interdisant l’anoblissement par les fiefs, et par les édits sur les tailles de 1583, de 1600 et de 1634. Mais c’est seulement sous Louis XIV que l’État parvient à traduire dans les faits sa volonté de ramener les faux nobles dans les rangs du tiers état, au moyen des recherches diligentées dans toutes les provinces du royaume. Pour autant, cette politique ne comble pas les voeux des zélateurs de la pureté séminale de la noblesse, qui affectent de ne voir dans les anoblis de la robe et de la finance qu’une « vile bourgeoisie » (Saint-Simon). • La conquête de l’exclusivisme nobiliaire. Les prétentions du second ordre à monopoliser les hautes fonctions de la monarchie - ainsi que celles de l’Église qui sont au choix du roi - ne se relâchent pas au long du XVIIIe siècle. L’exclusivisme nobiliaire est de règle non seulement au parlement de Bretagne, où il est codifié dès 1678, mais aussi à ceux de Paris, Grenoble, Aix, Toulouse et Besançon, où la proportion de roturiers varie de 10 à 25 %. Quand bien même les autres cours restent plus ouvertes aux hommes nouveaux, il s’ensuit une diminution des anoblissements effectifs par charge, qui participe étroitement de l’exaspération des frustrations roturières. Mais l’exclusivisme nobiliaire ne revêt pas un caractère moins marqué dans l’armée : confrontée à la concurrence des courtisans, de la noblesse provinciale aisée et de riches roturiers (en nombre croissant depuis la fin du règne de Louis XIV), toute une noblesse désargentée se voit exclue de la profession militaire, en raison de la vénalité des grades. Accusée d’inutilité sociale, elle devient, dans les années 1750, l’enjeu d’un important débat sur son rôle dans une société où la richesse et l’instruction le disputent de plus en plus à l’hérédité. Or, avant même que la défaite de Rossbach (1757) pose au grand jour la ques-
tion de la compétence des officiers nobles, Louis XV a tenté de concilier naissance et talent, en instituant, en 1751, une École militaire, accessible aux gentilshommes de quatre degrés et aux fils de chevaliers de Saint-Louis. Les déconvenues de la guerre de Sept Ans accélèrent la « renobilisation » des cadres de l’armée : dès 1758, une instruction ministérielle favorise l’avancement des officiers bien nés aux dépens des roturiers ; en 1776, le comte de Saint-Germain organise l’extinction progressive de la vénalité des grades et crée douze collèges militaires, où six cents nobles réputés pauvres sont instruits aux frais du roi. Mais, à cette lutte entre les ordres, s’ajoute une compétition sans merci au sein du second : en dressant une barrière généalogique de quatre degrés de noblesse pour accéder à l’épaulette, le règlement adopté par le comte de Ségur le 22 mai 1781 consacre, en même temps que le plan de « castification » du corps des officiers, la volonté nobiliaire d’indexer la hiérarchie de l’ordre sur le seul critère de l’ancienneté. Récamier (Jeanne Françoise Julie Adélaïde Bernard, épouse Récamier, dite Mme), figure éminente de la vie mondaine, littéraire et politique des premières décennies du XIXe siècle (Lyon 1777 - Paris 1849). Issue de la bourgeoisie aisée de Lyon, la jeune fille, surnommée Juliette, épouse en 1792 le banquier Jacques Récamier, qui fait fortune sous le Directoire et le Consulat. L’hôtel Récamier, sis à la Chaussée d’Antin, à Paris, devient à la mode, et le salon de Mme Récamier - laquelle n’a avec son époux que des relations lointaines - connaît un éclatant triomphe mondain : elle y reçoit des hommes en vue du régime (Lucien Bonaparte), mais aussi des émigrés (les Montmorency) et des libéraux (notamment Benjamin Constant et Mme de Staël, avec laquelle elle noue une amitié profonde et durable). Bien que Mme Récamier ne soit pas une femme engagée, son salon comprend trop de libéraux pour ne pas être menacé par l’autorité impériale. Exilée de Paris en 1811, elle voyage en Italie, où elle se rapproche des Murat. Le retour des Bourbons lui permet de reformer son salon en 1814, malgré la ruine qui s’abat sur les affaires de son mari. En 1817, elle rencontre Chateaubriand, avec lequel elle forme très vite l’un des couples les plus célèbres d’Europe. En 1819, des soucis financiers la contraignent à s’installer comme pensionnaire à l’Abbaye-aux-Bois, à Paris. Son salon se mue en un cénacle littéraire, lieu clé du
romantisme et consacré, après 1830, à la gloire de Chateaubriand, qui y donne, au fil de leur rédaction, à partir de 1834, la lecture des Mémoires d’outre-tombe. Mme Récamier a été célébrée par les écrivains du temps pour sa beauté, son charme, son intelligence et ses talents mondains : « C’est par de telles influences, écrit d’elle Sainte-Beuve, que la société devient société autant que possible et qu’elle acquiert tout son liant et toute sa grâce. » Reclus (Jean Jacques Élisée, dit Élisée), géographe et homme politique (Sainte-Foyla-Grande, Gironde, 1830 - Torhout, Belgique, 1905). Fils de pasteur, il fait ses études de théologie à Montauban et à Berlin, où il lit les travaux des géographes prussiens. Étudiant de droit à Paris, il fréquente les milieux républicains et quitte la France après le coup d’État du 2 décembre 1851. Il profite de cet exil pour visiter la Grande-Bretagne, l’Amérique du Sud et les États-Unis. De retour en France en 1857, il fait montre de ses talents d’observateur à la Revue des Deux Mondes, où il publie des articles remarqués sur la guerre de Sécession américaine. Il partage ses activités éditoriales entre témoignages et récits de voyage (Tour du Monde), géographie locale touristique (Guides Joanne) et grandes synthèses géographiques (la Terre, description des phénomènes de la vie du Globe, 1867-1868). À la fin du Second Empire, il participe avec son frère aîné Élie au mouvement anarcho-socialiste, au sein de l’Alliance internationale de la démocratie sociale, fondée avec Bakounine. Combattant de la Commune, il est arrêté en avril 1871 et condamné à la déportation jusqu’à ce que Thiers, sous la pression de personnalités scientifiques étrangères, commue sa peine en dix ans de bannissement. Dans son exil, Reclus entame sa Géographie universelle (publiée de 1875 à 1894) et commence en 1892 une carrière de professeur de géographie à l’université de Bruxelles. Passionné comme son frère Onésime de géographie pittoresque, il demeure néanmoins lié à la grande veine de vulgarisation scientifique des « géographies universelles », poursuivie par Vidal de La Blache et Lucien Gallois. reconstruction, nom donné à l’entreprise de relèvement de la France après la Libération. Le terme évoque la reconstruction des édifices détruits mais, dans les faits, la priorité a alors été donnée aux infrastructures et à l’industrie lourde, devant le logement.
• Les infrastructures collectives et l’industrie lourde. La reconstruction de ces équipements, jugée prioritaire, est achevée en 1949. Après une première phase de déminage, de déblayage et de réparations (1944-1945), elle s’incarne dans la remise en état des ports de l’Atlantique et du réseau ferroviaire (9 000 kilomètres de lignes et 160 triages), dans la réouverture des canaux, dans le remplacement de milliers de ponts (au besoin, par des ouvrages provisoires), enfin dans la restauration des aéroports et des centrales électriques. À partir de 1948, l’aide Marshall permet d’accélérer cet effort, mais, comme nombre de travaux sont déjà engagés, elle favorise le rééquipement en machines plus que les infrastructures. La réédification de vastes ensembles manufacturiers anéantis sous les bombes (Peugeot, à Sochaux) n’est pas oubliée. Après l’hiver 1949-1950, l’énergie n’est plus rationnée, et le retour à un fonctionnement normal des transports contribue à la fin du rationnement des biens alimentaires et manufacturés. • Le logement. En 1940, 403 000 bâtiments ont été détruits ou gravement endommagés ; en 1944, 283 000 autres l’ont été du fait des raids alliés, avant le débarquement de Normandie. Au total, au 8 mai 1945, les destructions touchent 1 884 000 immeubles, dont 452 000 anéantis, et 1 432 000 sérieusement détériorés. Les destructions majeures de 1940 ont été diffuses, avec peu de « villes martyres » (à l’exception de Saint-Quentin, Arras, Cambrai, Dunkerque et Tours). En revanche, les destructions ultérieures ont affecté des régions entières, d’abord la Normandie (destruction quasi totale des villes du Calvados, de l’Eure, de la Seine-Maritime et de l’Orne) et la Somme, mais aussi le littoral varois, et nombre d’installations réparties sur l’ensemble du territoire (triages, dépôts ferroviaires, raffineries, biefs et ports fluviaux, usines de la métallurgie et de la mécanique), ainsi que plusieurs villes pivots de la défense allemande (Royan, Brest, Lorient, Saint-Dié, etc.). La reconstruction, préparée par le gouvernement de Vichy en 1941-1943, confiée à Raoul Dautry en 1944 et à François Billoux en 1946, est néanmoins lente et tardive, faute de moyens. De 1946 à 1950, on construit 500 000 logements, dont les deux tiers pour l’habitat social des cheminots et des mineurs, pourtant assez peu atteint par la guerre. Seuls 150 000 logements remplacent vraiment des immeubles détruits. Le mouvement s’accédownloadModeText.vue.download 770 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 759 lère en 1952 avec la loi Claudius-Petit, mais il s’intègre dans une politique plus large, rendue urgente par les besoins nés du baby-boom, de l’exode rural et de l’immigration. Au début des années 1950, bien des communes relèvent à peine leurs ruines, mais nombre de plans de reconstruction, parfois conçus dès 1942, sont de vrais plans d’urbanisme : le tissu urbain est « aéré » pour s’adapter à la circulation automobile ; des quartiers sont spécialisés (résidence, activités commerçantes, etc.). Plusieurs de ces plans sacrifient aussi à un monumentalisme tel que l’a défendu Le Corbusier. Le béton armé, matériau de prédilection de l’architecte Perret, symbolise également cet élan dans de nombreuses villes (Amiens, Le Havre, Brest, Dunkerque...) ; ailleurs (en Normandie, à Tours), la tradition architecturale locale est mieux respectée. On peut situer au début des années 1960 la fin de la reconstruction, quand disparaissent les dernières « cités provisoires » de la Libération et de l’après-guerre dans les « villes martyres ». La vie quotidienne des Français reprend un cours normal, même si nombre d’entre eux demeurent des mal-logés. référendum, consultation électorale par laquelle les citoyens se prononcent par « oui » ou par « non » pour approuver ou rejeter une mesure proposée par le pouvoir politique. Le référendum est une méthode de participation directe au gouvernement de la cité. Toutefois, en France, il a longtemps été considéré comme incompatible avec le régime représentatif, en raison des précédents historiques qu’ont été les plébiscites sous le premier et le second Empires, assimilés à des appels au peuple contre ses représentants. • Les aléas du référendum, de la Révolution à la IIIe République. Mode d’expression directe de la volonté générale, le référendum ne peut s’appliquer que si la souveraineté appartient au peuple. Sous la Révolution, la souveraineté est transférée du roi à la nation. Cependant, pour des raisons matérielles - un gouvernement direct n’est envisageable que si les citoyens sont en nombre restreint, comme dans les cités antiques - et surtout pour des raisons intellectuelles - l’idée que la nation ne peut s’exprimer que par des porte-parole qualifiés -, les premiers constituants n’envi-
sagent pas plus de faire discuter que de faire ratifier la loi par l’ensemble des citoyens. En effet, selon la Constitution de 1791, la nation souveraine ne peut exercer ses pouvoirs que par « délégation » (article 3), c’est-à-dire par l’entremise de ses représentants. En revanche, la Constitution montagnarde de l’an I (24 juin 1793) prévoit des procédures de démocratie semi-directe : le peuple (les citoyens mâles réunis dans le cadre des assemblées primaires des départements) peut demander une modification constitutionnelle (article 115) et s’opposer aux propositions de lois élaborées par l’Assemblée unique (articles 57 à 60). En outre, un décret de la Convention du 21 septembre 1792 stipule qu’« il ne peut y avoir de Constitution que celle qui est acceptée par le peuple ». La Constitution de l’an I est effectivement soumise à une ratification durant l’été 1793. Mais le scrutin étant public et oral, l’abstention est importante, et seuls 11 610 électeurs osent voter « non », contre 1 801 918 qui approuvent le texte. Le principe référendaire, qui revient alors à un droit de censure populaire tant en matière constitutionnelle que législative, est donc institutionnalisé, même si le mot de « référendum » n’apparaît pas dans la Constitution de l’an I. Cependant, à peine promulguée, celle-ci est suspendue « jusqu’à la paix » et ne sera jamais appliquée. La Constitution qui lui succède, celle du Directoire, en l’an III (1795), restreint le champ d’application du référendum (lequel n’est toujours pas mentionné). Elle ne prévoit de recourir à cette votation que dans le cas d’une révision constitutionnelle, au terme d’une procédure longue et compliquée, qui ne sera, au reste, jamais mise en oeuvre. Sous les différents régimes napoléoniens, la consultation directe du peuple n’est également envisagée qu’en matière constitutionnelle, pour approuver de nouvelles institutions : celles du Consulat (1799), du consulat à vie (1802), de l’Empire (1804), et enfin l’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire (1815). En outre, Napoléon Bonaparte personnalise le procédé : alors que les libertés publiques sont bâillonnées, il utilise le vote populaire pour faire ratifier sa prise de pouvoir. Le plébiscite se distingue donc du référendum car il a pour but d’assurer un triomphe personnel et une légitimation du césarisme. Un demi-siècle plus tard - après deux régimes monarchiques (la Restauration et la monarchie de Juillet) et une République (la deuxième), qui ne font aucune place au référendum -, le second Empire exploitera à son tour cette pratique en faisant
appel au peuple pour abolir la Constitution de 1848, restaurer l’Empire, puis adopter l’« Empire libéral » (plébiscites de 1851, de 1852, et de 1870). Après la chute du second Empire (1870), la IIIe République, régie par les lois constitutionnelles de 1875, ne prévoit pas de procédure référendaire. Le vote du peuple est alors exclusivement sollicité pour désigner des représentants. Les pratiques plébiscitaires du premier et du second empires ont en effet discrédité - pour longtemps - toute autre consultation directe, et, de ce fait, seul le régime représentatif est jugé compatible avec l’orthodoxie républicaine. • Consécration de la procédure référendaire. À la Libération, le général de Gaulle et le Gouvernement provisoire (GPRF) qu’il préside décident de recourir au référendum pour résoudre le problème des institutions : en effet, tous les actes du régime de Vichy ayant été déclarés nuls, on aurait pu revenir au statu quo ante, c’est-à-dire à la IIIe République, et procéder à des élections législatives dans le cadre des lois constitutionnelles de 1875. Mais le général de Gaulle ne souhaite pas « revenir aux errements d’hier » ; il ne veut pas davantage d’une Assemblée constituante dont les pouvoirs ne seraient pas délimités, à un moment où, notamment, le Parti communiste gagne en influence. Ainsi, par le référendum du 21 octobre 1945, deux questions sont posées aux électeurs : « Voulez-vous que l’Assemblée élue ce jour soit constituante ? Si le corps électoral a répondu « oui » à la première question, approuvezvous que les pouvoirs publics soient, jusqu’à la mise en vigueur de la nouvelle Constitution, organisés conformément au projet de loi ci-contre ? ». En répondant majoritairement « oui » aux deux questions (respectivement, 96,4 % et 66,3 % des suffrages exprimés), les Français repoussent le retour aux institutions de la IIIe République et acceptent la limitation des pouvoirs de l’Assemblée constituante. Cette première sollicitation de l’avis du peuple depuis l’ère napoléonienne (à laquelle participent, pour la première fois, les femmes) est suivie par une série de nouvelles consultations. Alors que, depuis le 20 janvier 1946, de Gaulle a quitté le pouvoir pour marquer son désaccord avec les orientations des constituants, le 5 mai 1946, l’électorat rejette le projet de Constitution du 19 avril. En revanche, le 13 octobre suivant, il accepte, sans enthousiasme (36 % de « oui », 31,2 % de « non », 31,2 % d’abstention), un
deuxième projet, qui devient ainsi la Constitution de la IVe République. Celle-ci fait une place modeste et classique au référendum en le cantonnant au domaine constitutionnel (article 3) ; les conditions de recours à cette procédure sont, en outre, étroitement limitées (article 90). • Les référendums sous la Ve République. De retour au pouvoir en 1958, le général de Gaulle veut restaurer l’autorité de l’État en donnant au président de la République des pouvoirs importants - notamment celui de recourir au référendum -, afin de lui permettre de jouer son rôle d’arbitre au-dessus des partis. Pour cela, la consultation du peuple devient un outil de gouvernement destiné à répondre à la gravité de certaines situations. Selon l’article 3 de la Constitution de 1958, « la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Par ailleurs, le champ d’application du référendum est notablement élargi. La pratique référendaire n’est pas réservée seulement à l’approbation d’une révision constitutionnelle (article 89) ou d’engagements internationaux (article 53). Elle peut s’appliquer également à certaines matières législatives : « Tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, comportant approbation d’un accord de souveraineté ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui [...] aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions » (article 11). Plusieurs référendums d’autodétermination locaux sont organisés : à Wallis-et-Futuna (27 décembre 1959), en Algérie (1er juillet 1962), à Djibouti (19 mars 1967 et 27 juin 1977) et aux Comores (8 février et 11 avril 1976). Tous les autres référendums l’ont été en vertu de l’article 11, qui, contrairement à l’article 89, n’implique ni proposition initiale ni vote du Parlement avant l’approbation populaire. En outre, à chaque fois qu’il recourt à un référendum de portée nationale, le général de Gaulle remet son mandat en jeu ; ce qui autorise ses détracteurs à dénoncer un détournement « plébiscitaire » de la pratique référendaire. En effet, il utilise cette procédure, à la fois, pour rendre irréversible une mesure politique qu’il juge essentielle et pour retremper sa propre légitimité. Ainsi, après la downloadModeText.vue.download 771 sur 975
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victoire du « non » au référendum du 27 avril 1969, il cesse immédiatement d’exercer ses fonctions. Rompant avec l’usage gaullien du référendum, Georges Pompidou en 1972, François Mitterrand en 1992 (le référendum de 1988 sur la Nouvelle-Calédonie revient davantage à l’initiative du Premier ministre Michel Rocard et Jacques Chirac en 2000 et 2005) n’engagent pas leur responsabilité par le référendum ; ils se contentent de soumettre un texte aux électeurs, n’obligeant pas ces derniers à se déterminer par rapport à l’auteur de la question. Le Parlement, réuni en Congrès le 31 juillet 1995, entérine une révision constitutionnelle qui élargit le champ référendaire prévu par l’article 11 aux « réformes relatives à la politique économique et sociale de la nation et aux services publics qui y concourent ». Les Français seront-ils ainsi mieux associés aux décisions importantes, au profit d’une démocratie plus vivante réconciliant les citoyens avec la politique ? Ou bien, l’extension de l’usage référendaire par le président de la République amplifiera-t-elle l’affaiblissement du Parlement, le déséquilibre des pouvoirs au détriment de ce dernier étant souvent considéré comme un défaut des institutions de la Ve République ? Réforme (la), mouvement religieux, apparu au XVIe siècle, qui soustrait à l’obédience du catholicisme une partie des chrétiens et donne naissance aux Églises protestantes entre le XVIe et le XVIIIe siècle. La France n’est pas restée à l’écart des troubles qui agitent l’Empire depuis la rédaction par Luther des 95 thèses contestant les indulgences pontificales. La Sorbonne, dès 1521, condamne le réformateur allemand, dont les propositions théologiques et ecclésiales - justification par la foi seule, médiation unique de Jésus-Christ, autorité de l’Écriture, négation du sacrement ex opere operato, sacerdoce universel - se répandent dans la société cléricale et dans diverses strates du monde laïc, recoupant les intuitions évangéliques d’un Lefèvre d’Étaples. L’unité religieuse du royaume de France ne tarde pas à se briser. Il faudra plus de deux siècles et demi pour qu’enfin, par-delà l’intermède du régime de l’édit de Nantes, la dissidence réformée soit acceptée. • Espérances et vicissitudes au XVIe siècle. C’est en 1534 (17-18 octobre), que s’ouvre une période de crise religieuse, à l’occasion
de l’affichage, dans plusieurs villes, de placards dénonçant la messe romaine. En mars 1536, à Bâle, intervient la publication d’une première version latine de l’Institution de la religion chrestienne. L’auteur, Calvin, qui a dû fuir la France, organise à Genève, à partir de 1540, une vie de l’Église et de la cité conforme à la volonté divine telle qu’il la conçoit, et met en action, dès 1552-1554, un processus missionnaire qui vise à contourner la répression royale : des ministres du culte sont envoyés vers les communautés clandestines de prières, des églises sont dressées (Paris, 1555), tandis qu’une confession de foi et une organisation synodale sont adoptées selon le modèle genevois (1559). Il semble que, même si les élites urbaines se trouvent surreprésentées parmi les calvinistes, la Réforme exerce un attrait sur tous les groupes sociaux, à l’exception du monde rural. En 1560, on estime à quelque deux millions le nombre de croyants qui adhèrent aux idées nouvelles ; dynamisés par la mort d’Henri II, ils réclament la liberté de conscience, n’hésitant pas à occuper des églises pour y célébrer leur culte. Parmi eux apparaissent des figures de la haute noblesse - le prince de Condé et l’amiral de Coligny -, derrière lesquelles la Réforme se constitue en groupe de pression politique. À l’issue d’une période de troubles (conjuration d’Amboise en 1560, iconoclasme en 1561) et de négociations (colloque de Poissy en 1561, édit de janvier en 1562), les réformés tentent par trois guerres civiles de desserrer l’emprise du catholicisme et de prendre le contrôle de l’État royal au nom de la liberté de culte (mars 1562-mars 1563, et septembre 1567-mars 1568, septembre 1568-août 1570). Mais ils ne parviennent pas, malgré d’indéniables succès militaires, à faire pencher le sort des armes en leur faveur. Le massacre de la Saint-Barthélemy (24 août 1572) clôt cette phase ascendante de la Réforme, entraînant exils et abjurations, qui réduisent, surtout au nord de la Loire, la puissance et l’assise des Églises réformées. Il conditionne l’élaboration d’une théorie du pouvoir anti-absolutiste et la constitution d’une organisation politique qui, appelée par les historiens « les Provinces unies du Midi » (assemblée de Millau, 1573), entame la lutte en s’alliant avec les catholiques modérés du maréchal de Damville, puis du duc d’Alençon. C’est en s’appuyant sur cette force dont il est reconnu le « protecteur » qu’Henri de Navarre (futur Henri IV) amorce la stratégie de conquête du royaume de France à partir de 1585. Henri III, avec lequel il conclut au Ples-
sis-lez-Tours un accord pour lutter contre la Ligue, le reconnaît sur son lit de mort comme son légitime successeur (1er-2 août 1589), et la Réforme, avec les victoires militaires du Béarnais, paraît retrouver la dynamique conquérante du milieu du siècle. Mais, face à l’intransigeance du parti ligueur, Henri IV abjure à Saint-Denis, et poursuit une pacification du royaume qui marginalise peu à peu les réformés, les contraignant à accepter l’édit de Nantes (13 avril 1598), qui leur accorde la liberté de conscience et de culte. • Stabilisation et ambiguïté du premier XVIIe siècle. Au cours des années 1598-1660, la Réforme semble en recul en France. La mise en place du régime de l’édit de Nantes entend déterminer le culte calviniste de manière quasi immuable sur des bases restrictives et concède aux réformés des privilèges judiciaires, politiques et scolaires tout en leur imposant des devoirs (acceptation du rétablissement du culte catholique, observance des jours festifs du calendrier). On estime qu’il y aurait alors un peu plus d’un million de calvinistes - environ un vingtième des habitants du royaume dont quelque 80 % sont installés au sud de la Loire (Poitou, Saintonge, Guyenne, Cévennes, Béarn, Quercy, Vivarais, Dauphiné) ; de nombreuses villes de ces régions - Millau, Nîmes, Die - ont une population très majoritairement calviniste, tandis que, dans le Nord, les calvinistes sont nettement minoritaires. Au sortir des guerres civiles, la société protestante méridionale, urbaine et rurale, paraît divisée : dans les villes, le contraste semble marqué entre une bourgeoisie d’offices ou marchande, soucieuse de bonne entente avec les catholiques, et les artisans du cuir ou du textile, nettement moins iréniques. C’est le temple qui réunit autour du ministre, le dimanche pour le culte ou en semaine pour des prières, ces mondes sociaux divers, la Cène étant célébrée à Noël, à Pâques, à la Pentecôte et en septembre. Le consistoire, qui comprend le ministre et des « anciens » - cooptés et appartenant pour la plupart aux différentes élites locales -, administre l’Église et constitue une instance de contrôle disciplinaire, pouvant imposer aux fidèles des peines qui vont de la repentance privée à l’excommunication en cas de blasphème, d’ivresse, de danse ou de fréquentation de catholiques. Être protestant, c’est se différencier des catholiques par une éthique rigoureuse. L’ouverture d’une petite école cherche à renforcer cette spécificité et des ouvrages pédagogiques
sont publiés, comme l’ABC des chrétiens, qui visent à parfaire l’instruction des fidèles, dont un grand nombre connaissent mal les Écritures. Être protestant, c’est également appartenir à une Église intégrée dans un système synodo-presbytéral. Le royaume est divisé en seize provinces synodales, elles-mêmes subdivisées en colloques : chaque année, l’Église délègue un pasteur et un ancien au synode provincial qui a la mission de débattre de la discipline, de l’instruction, de la réception et désignation des pasteurs, du financement des académies (Saumur, Nîmes, Montauban...) ; des représentants au synode national sont nommés, lequel dispose de l’autorité ultime en matière dogmatique (en 1620, le synode d’Alès condamne les thèses arminiennes). Malgré cette « normalisation », une déception est perceptible, qui peut se traduire ponctuellement par des attitudes de défi aux clercs venus récupérer les églises et les biens confisqués. Plus que dans des gestes de contestation, l’affirmation identitaire protestante s’inscrit dans des controverses publiques touchant au dogme et auxquelles participent des ministres, ainsi que dans des duels à distance qui, utilisant le support de l’imprimé, opposent aux « erreurs » romaines la « vérité évangélique » (Traité de l’Eucharistie, de Duplessis Mornay...). C’est en fonction de cette tension militante que se comprennent les guerres (1621-1622, 1625-1626, et 1627-1629) dans lesquelles le parti protestant s’engage. Ces conflits aboutissent à la paix d’Alès (27-28 juin 1629) qui, tout en maintenant le système des privilèges de l’édit de Nantes, supprime les clauses des brevets annexes - places de sûreté et assemblées politiques. S’amorce alors un mouvement de pression de la part de la monarchie (dernier synode national toléré tenu à Loudun, en 1659 ; transfert de l’académie de Montauban à Puylaurens ; obligation de choisir le premier consul, dans les villes, parmi les catholiques). Malgré cette conjoncture défavorable, durcie par les missions des jésuites et des capucins, la Réforme semble demeurer downloadModeText.vue.download 772 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 761 une force de conquête dans certaines régions : dans le diocèse de Nîmes, les conversions de catholiques sont nombreuses, et il semble que les problèmes politiques liés à la mino-
rité de Louis XIII aient favorisé l’apparition de temples sans existence légale. L’industrie lainière, dans le Midi, est en plein essor, et cette prospérité a peut-être été un facteur de dynamisme social réformé. Le point faible de la société calviniste est toutefois la noblesse, qui subit directement la pression monarchique (1622, conversion de Lesdiguières). Charges de cour et honneurs militaires ne sont plus accordés aux gentilshommes huguenots, ce qui explique les abjurations, nombreuses après 1630. La mort de Rohan puis celle de Soubise accentuent cette érosion, qui modifie la sociologie réformée. • Le drame de 1685. Avec Mazarin, au début du règne de Louis XIV, vient le temps de l’offensive antiréformée. Une action continue est menée par les capucins, jésuites, récollets, les congrégations de prêtres séculiers, les confréries et les évêques surtout. À partir de 1670, la reconquête catholique passe moins par les missions que par la pastorale et par « une croisade de scolarisation » et d’encadrement des populations. De plus, la création d’une « caisse des conversions » a pour objet de monnayer les retours à l’Église romaine, tandis que l’État royal multiplie les mesures discriminatoires visant à éliminer des fonctions politiques ou corporatives les calvinistes (interdiction de l’exercice de certaines professions : imprimeur, libraire, avocat, médecin). À partir de 1679, les dragonnades sont systématisées à l’initiative des intendants afin de terroriser les protestants, dont certains prennent sans succès les armes entre mai et septembre 1683. Cette répression donne à la monarchie l’illusion d’un recul de la Réforme. L’édit de Fontainebleau révoque l’édit de Nantes (18 octobre 1685), interdisant les réunions cultuelles calvinistes, les écoles, les académies et les temples, proscrivant les ministres. Il est suivi par la mise en pratique d’une politique d’abjurations forcées et de poursuites contre ceux qui continuent à vouloir vivre leur foi. Plusieurs centaines de milliers de calvinistes, bravant la loi royale, quittent clandestinement le royaume pour Genève, l’Allemagne, l’Angleterre et les PaysBas, tandis que demeurent nombre d’« opiniâtres » persécutés, et que certains des « nouveaux catholiques » continuent à pratiquer un culte familial secret. Les Cévennes sont le théâtre d’une résistance armée, attisée par des prophètes et prophétesses autour desquels, au Désert, se rassemblent des fidèles qui, pourchassés, prennent les armes de 1702 à 1704. Bien que la guerre des camisards cesse grâce aux tractations entre Jean Cavalier et le maréchal de Villars, les persécutions et
poursuites continuent de manière de moins en moins systématique (affaire Calas, 1762). Le culte familial, surtout dans la bourgeoisie urbaine, est maintenu. L’édit de tolérance du 29 novembre 1787 sanctionne l’échec de la révocation : la profession publique du protestantisme n’est certes pas autorisée, et les pasteurs ne sont pas reconnus, mais les protestants sont en mesure d’accéder à toutes les charges et à tous les emplois. Des calvinistes - Rabaud Saint-Étienne, Jeanbon Saint-André - s’engagent dans la vie politique révolutionnaire, mais ce n’est qu’avec le régime des « articles organiques » que le culte protestant accède enfin à la reconnaissance, autorisant bientôt le « réveil » réformé du XIXe siècle. Réforme (la), quotidien républicain « radical » fondé en 1843 par Ferdinand Flocon, inspiré par Ledru-Rollin, et auxquels collaborent notamment Louis Blanc, Étienne Arago et Godefroy Cavaignac (le frère du général). Allié et concurrent du National, il s’en démarque par une attitude plus rigoriste et par la volonté de mener plus loin la révolution qui doit mettre un terme au règne de Louis-Philippe et à la monarchie. Il prône des réformes politiques, mais aussi leur prolongation par de profondes réformes sociales, sanction et but d’une révolution démocratique. Sur bien des aspects, le radicalisme politique de LedruRollin se rapproche du socialisme modéré de Louis Blanc (qui, à lui seul, compose parfois deux pages du journal). Avec le National, la Réforme constitue l’un des foyers les plus actifs de la révolution de février 1848. Le quotidien se fait amplement l’écho des banquets républicains, qui annoncent cette révolution. Ses bureaux sont aussi l’un des lieux où se dessine le Gouvernement provisoire : le journal y impose plusieurs de ses rédacteurs, dont Flocon et Ledru-Rollin (Intérieur). À l’élection présidentielle de décembre 1848, la Réforme soutient la candidature de ce dernier : c’est un cuisant échec (371 000 voix). Le quotidien subit alors le sort réservé par Louis Napoléon Bonaparte aux démocrates-socialistes, impitoyablement réprimés : la Réforme est interdite dès le mois de janvier 1850. S’il a marqué l’esprit républicain, le journal n’a cependant jamais bénéficié d’une large assise populaire. Vendu à un prix élevé, il visait un public bourgeois et démocrate. Son audience, aux trois quarts provinciale, resta limitée ; son tirage ne dépassa jamais
2 000 exemplaires. Réforme catholique et ContreRéforme. La première expression désigne traditionnellement la transformation interne de l’Église catholique au XVIe siècle ; cette transformation déborde largement la seule opposition au protestantisme - ou ContreRéforme -, même si ce dernier concept rend bien la tonalité de combat qui anime le catholicisme après le concile de Trente. Si la lutte contre la « Réformation » (Réforme luthérienne et calviniste) a accéléré et orienté la réforme interne du catholicisme, elle ne lui a pas donné naissance, car celle-ci est antérieure à la rupture protestante. De l’Église de la fin du Moyen Âge à l’Église baroque, la mutation est en effet profonde et continue ; elle est la réponse aux changements culturels et la mise en ordre d’un idéal de réformes pluriséculaire. • Un héritage médiéval de réformes. La Réforme catholique est née au concile de Vienne, en 1311, avec la notion de Reformatio in capite et in membris (« Réforme de la papauté et des différents corps de l’Église »). Elle intervient un siècle après le concile du Latran IV (1215), qui avait lancé une réforme pastorale en profondeur, et lié le salut de tout chrétien à la confession et à la communion pascale annuelles obligatoires dans sa paroisse. Elle exalte la charge d’âmes en fixant les droits, les devoirs et l’honneur de celui qui l’exerce, dénommé désormais « curé ». Cet effort est sensible au XIVe siècle, mais l’aggravation de la conjoncture après la Grande Peste puis le Grand Schisme (1378-1417) enlisent le processus. La réforme reste un idéal, la critique obligée des structures ecclésiales ; elle n’est plus un programme d’action, moins encore une politique épiscopale. Au XVe siècle, la vie religieuse fait pourtant preuve d’un grand dynamisme, marqué par le culte de la Passion et de l’Eucharistie. La Fête-Dieu devient un sommet de l’année liturgique, éclipsant l’Ascension et la Pentecôte. Dans des processions de plus en plus unanimistes et grandioses, on transporte ensemble les reliques et le saint sacrement : la Cour céleste siège ainsi au milieu de l’Église locale. Le développement du « culte de la présence réelle » provoque la généralisation du tabernacle, la permanence du luminaire, la solennisation du transport du Viatique. Le culte eucharistique correspond à une perception de l’eucharistie qui s’était élaborée tout au long
du Moyen Âge. Il en est de même de la dévotion à la Vierge, attestée par le succès de l’Ave Maria, qui provoque la naissance de la méditation du rosaire, que répand le dominicain Alain de La Roche (mort en 1485). Ces pratiques constituent une éducation à l’intériorisation de la foi par l’intermédiaire d’un culte sensible : les illettrés comme les lettrés ont accès à la dévotion nouvelle. Audelà du foisonnement excessif des rites, et stimulée par le développement de l’examen de conscience, une élite grandissante de « virtuoses du religieux » expérimente le dialogue personnel et intérieur avec le Christ et ses saints. Cette élite réclame des pasteurs exemplaires. Or, précisément, le retour à la paix permet une restauration de l’institution et l’élaboration d’une politique de réformes, promue à la fois par l’Église et par l’État, ce que tentent la Saxe (1485) et la France (1485, 1493). • Réforme en continuité et Contre-Réforme (1490-1563). La réforme du clergé est conduite dans une grande dispersion. Les ordres religieux centralisés, plus homogènes, sont les premiers à rechercher la « vie apostolique » voulue par leur règle primitive ; après les dominicains, les carmes et les minimes, les bénédictins se réforment à Cluny et à Chezal-Benoît. Nombre d’humanistes parisiens rejoignent alors la vie monastique, tels Guy Jouenneaux à Chezal-Benoît (1492) et Jean Raulin à Cluny (1497). Ils y favorisent l’essor des nouvelles pratiques de dévotion. Soutenues par la croyance en la fin du monde, les réformes sont entreprises dans une tension parfois insoutenable. La violence n’est pas rare : elle témoigne d’une urgence rénovatrice, qui ne tarde pas à provoquer la rupture luthérienne. Certains refusent le schisme. En ce temps d’« abus », il y a néanmoins de très grands évêques, tels François d’Estaing (1460-1529) downloadModeText.vue.download 773 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 762 à Rodez, ou Guillaume Briçonnet (14701534) à Lodève puis à Meaux. Issus tous deux de l’humanisme parisien, entourés d’intellectuels gallicans, ils tentent une réforme de leurs diocèses, visitant et surveillant eux-mêmes les prêtres ayant charge d’âmes, organisant la prédication, particulièrement dans les années
1517-1520. Ils cherchent à promouvoir une réforme du clergé, dont la tâche pastorale leur paraît plus essentielle que jamais. La réalisation de cet idéal se heurte à des difficultés économiques et institutionnelles majeures, mais elle donne au corps clérical une claire vision du but à atteindre et des difficultés à surmonter. Les décisions du concile de Trente en reprendront l’essentiel. Cette réforme, à laquelle il manque peu de chose pour réussir, est uniquement cléricale. L’idée d’une autonomie des laïcs lui est étrangère, voire bientôt hérétique. Il est évident qu’elle ne couvre pas toutes les aspirations du corps chrétien, mais le principal obstacle est certainement à chercher du côté de la papauté. En ne décidant pas la tenue d’un concile, Clément VII (1523/1534) a laissé l’initiative de la réforme de l’Église au luthéranisme. Paul III (1534/1549), élu par ceux qui veulent un concile et des réformes, appelle enfin au Sacré Collège quelques-uns des plus éminents tenants de la réforme. Pour des raisons politiques, l’ouverture du concile tardera jusqu’en 1545, mais la volonté pontificale de coordonner les aspirations à la réforme est manifeste. Toutefois, le concile vient trop tard pour résoudre le schisme. De nombreux décrets conciliaires ont pour objet de réfuter point par point la Réformation protestante, mais le souci du concile est aussi - indissociablement - de poursuivre les expériences antérieures à cette Réformation. La réalisation de la réforme en continuité du catholicisme est l’oeuvre conjointe du concile et de la papauté. Le concile de Trente traite, en parallèle, des dogmes et de la discipline. Si la Réformation protestante guide, pour une grande part, les mises au point sur les dogmes, ces dernières ne se réduisent pas à une simple réaction, moins encore à une crispation sur la foi et sur les pratiques de l’Église éternelle. Les décrets du concile de Trente sont le fruit de discussions et de conciliations entre les « intransigeants », qui entendent formuler une réponse ferme à l’« hérésie », et les « humanistes », qui cherchent à dire la foi dans la culture de leur temps. Le résultat est l’élaboration de définitions dogmatiques parfaitement adaptées aux débats et au vocabulaire d’alors. Particulièrement caractéristiques sont les décrets sur les sources de la révélation, la justification, les sacrements. L’Écriture est la base du christianisme, mais sa juste interprétation ne peut être faite que par l’Église ; la justification naît de la collaboration de l’homme et de Dieu. Les
sacrements sont des signes sensibles efficaces : la réponse aux critiques protestantes est première, mais la définition de l’eucharistie, par exemple, va plus loin que la polémique. Si la défense de l’idée de présence réelle du Christ dans les substances consacrées et l’utilisation du terme « transsubstantiation » sont bien dans la lignée de l’évolution médiévale, la définition de l’eucharistie comme aliment des âmes, antidote des fautes quotidiennes par la réitération permanente du sacrifice, est le prélude à la communion fréquente. Les décrets disciplinaires sur la résidence des évêques et des curés sont directement issus des réformes antérieures ; très attendus, ils sont la conséquence d’un mûrissement des réformes dans l’Église entière et, plus encore, de leur diffusion coordonnée. • La réformation de l’Église catholique (1564-1660). La grande force du concile de Trente est d’avoir été promu immédiatement par les évêques et par les papes. Non seulement le pape Pie IV (1559/1565) sanctionne dès le 26 janvier 1564 l’ensemble des décrets, mais il crée aussi une congrégation chargée d’en surveiller l’exécution. Son neveu, Charles Borromée, en organise l’application dans son archevêché de Milan par les synodes provinciaux de 1565 et 1569. Avec la publication du catéchisme romain (1566), celle des nouveaux livres liturgiques - bréviaire (1568), missel (1570), rituel (1614) - et l’uniformité imposée à tous les diocèses n’ayant pas une liturgie vieille de plus de deux cents ans, avec le renforcement des nonciatures permanentes, la papauté prend en main l’application du concile et la réforme catholique. La réforme de la curie par Sixte V (1588) est la preuve de cette volonté d’efficacité. En même temps, la transformation des moeurs à Rome, le retour des successeurs de saint Pierre à une vie digne, modifient profondément l’image du souverain pontife et de son action. La domination exclusive de l’autorité papale n’était pourtant pas une fatalité. Les débats conciliaires avaient renforcé le pouvoir des évêques et la collégialité épiscopale ; les décrets n’auraient jamais été appliqués si les synodes provinciaux n’avaient agi très vite et très fermement. Au refus politique plus ou moins affirmé (par l’Espagne ou par la France) d’accepter le concile comme loi de l’État, il faut en effet opposer l’acceptation locale générale des décrets dogmatiques et disciplinaires, qui les font entrer dans les faits. Un délai plus ou moins long
est cependant nécessaire pour que les fruits du concile se fassent sentir dans les paroisses. Si la résidence des évêques dans leurs diocèses et des curés dans leurs paroisses devient effective, le catéchisme n’est régulièrement prêché que vers 1630. Les séminaires ne commencent à former les prêtres de façon uniforme qu’à la fin du XVIIe siècle. L’architecture invente un nouvel espace intérieur des églises pour servir d’écrin au culte de l’eucharistie, pour le coordonner avec la multiplication des messes pour le salut des âmes et la prédication, pour rendre le monde divin proche et familier par l’élévation des coupoles et la splendeur des décors. Cet art baroque se développe en Italie à partir de 1580, mais ses canons ne se mettent en place qu’entre 1630 et 1660. Malgré l’aspiration des fidèles et des évêques, malgré la qualité des papes et le dévouement des ordres nouveaux, malgré l’aiguillon protestant, il a fallu plus d’un siècle pour réformer le catholicisme selon les canons tridentins. réfractaires (prêtres), sous la Révolution, prêtres ayant refusé de prêter le serment de fidélité à la nation, à la loi, au roi et à la Constitution, imposé par la Constitution civile du clergé. L’Assemblée nationale adopte la Constitution civile du clergé le 12 juillet 1790, qui fait des clercs de véritables fonctionnaires. Mais sa mise en application tarde, ce qui complique la vente des anciens biens du clergé, devenus « biens nationaux ». Pour éclaircir la situation, l’Assemblée met le clergé de France à l’épreuve : initialement, le serment était prévu uniquement pour les nouveaux ecclésiastiques élus, mais la loi du 24 juillet l’étend à tous les fonctionnaires en exercice ; puis, le 27 novembre 1790, un décret exige la prestation du serment sous huit jours, sous peine d’être considéré comme démissionnaire. Prêter serment de « maintenir de tout leur pouvoir la Constitution » revient ainsi, pour les prêtres, à accepter une nouvelle organisation de l’Église, que condamne la majorité du haut clergé (puis le pape, en mars-avril 1791). L’intransigeance de l’Assemblée conduit à un schisme d’une ampleur imprévue : il n’y a que sept évêques, dont Talleyrand, qui acceptent le serment ; un tiers seulement des ecclésiastiques députés de l’Assemblée jurent fidélité. Pour l’ensemble de la France, 45 à 48 % des ecclésiastiques sont réfractaires. Il faut cependant noter de fortes variations régionales : l’ouest de la France, le sud du Massif central, le Pays basque, le Roussillon, l’Alsace, le Nord et le Pas-de-Calais sont
fortement réfractaires ; reurs » (appelés aussi « ou « constitutionnels ») le Bassin parisien et le
parallèlement, les « juprêtres assermentés » sont majoritaires dans Sud-Est.
Ni l’âge, ni l’origine sociale ou géographique, ni le revenu, ni la formation, n’expliquent les raisons du choix de prêter serment ou non. Il semble que les réseaux de relations existant entre les ecclésiastiques ont pu jouer contre la prestation du serment. Les liens entre les prêtres et leurs paroissiens ont pu également avoir une certaine influence. Le choix des prêtres reflète alors l’opinion de la population face aux innovations révolutionnaires. Après une courte tentative de cohabitation, le pouvoir lutte contre les prêtres réfractaires. En 1792, ils sont susceptibles d’être déportés s’ils ne s’exilent pas. Plus de 200 d’entre eux sont assassinés lors des massacres de septembre 1792. En 1793, la peine de mort est promise aux prêtres signalés pour leur incivisme. Près de 30 000 réfractaires partent à l’étranger, d’autres participent aux insurrections contre-révolutionnaires. Avec la séparation de l’Église et de l’État de février 1795, certains rentrent en France. Mais, jusqu’en 1799, les périodes de répression succèdent à celles de liberté. Le concordat de 1801 apaise finalement les tensions. régale, droit pour le roi de France de percevoir les revenus des abbayes et évêchés vacants (régale temporelle) et de disposer des bénéfices qui en dépendent (régale spirituelle), ce second aspect n’étant attesté que depuis Philippe Auguste (1190). L’origine de ce droit remonte à l’époque carolingienne, quand le roi nommait les évêques et les abbés au même titre que les comtes, tous downloadModeText.vue.download 774 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 763 détenteurs d’un « honneur », d’une charge publique. Lorsque l’évêque décédait, les biens attachés à sa fonction retombaient donc dans la main du roi jusqu’à ce que celui-ci nomme un nouveau titulaire. Sous les premiers Capétiens, la régale n’est perçue que dans le domaine royal. Bien que ce droit se développe aux XIIIe et XIVe siècles, on n’en trouve de formulation juridique claire qu’en 1438, dans la pragmatique sanction de Bourges. Certains
diocèses, notamment du Dauphiné, du Languedoc et de Provence, estiment cependant que la régale ne leur est pas applicable. Cette contestation est à l’origine d’un conflit qui oppose Louis XIV à la papauté : après la déclaration royale du 10 février 1673 affirmant l’existence du droit de régale sur tous les diocèses du royaume (à l’exception de ceux qui s’en étaient rachetés), deux dignitaires languedociens - Nicolas Pavillon et François de Caulet, respectivement évêques d’Alet et de Pamiers - refusent de s’incliner. Innocent XI, pape depuis 1676, leur apporte son soutien. Le 3 février 1682, à la suite d’un accord avec le clergé, le roi promulgue un édit qui règlemente l’exercice du droit de régale dans tout le royaume. Cependant, le vote de la déclaration des Quatre Articles (affirmation des libertés gallicanes) par l’assemblée du clergé de France en mars 1682 conduit le pape à s’opposer à l’édit de février et à refuser l’investiture des nouveaux évêques nommés par le roi jusqu’en 1689. Cette querelle ne s’apaise qu’en 1693, lorsque le pape Innocent XII (1691/1700) accepte l’exercice du droit de régale tel que le prévoyait l’édit de 1682. l RÉGENCE. La France a connu sept régences, mais la Régence par excellence est celle exercée par Philippe d’Orléans pendant la minorité de Louis XV, de 1715 à 1723. Cette brève période s’inscrit en réaction contre l’autoritarisme des dernières décennies du règne précédent. Le siècle de Louis XIV s’achève, et celui des Lumières est en train de poindre. Qu’il s’agisse de politique, de religion, ou d’esthétique, la volonté de changement se manifeste partout, et en même temps. Et la frénésie de plaisir qui s’empare de l’aristocratie et d’une partie de la bourgeoisie n’est que la réponse d’une société trop longtemps tenue sous l’étouffoir d’un monarque vieillissant et confit en dévotion. L’ÉTABLISSEMENT DE LA RÉGENCE Le jeune Louis XV n’ayant que 5 ans à la mort de son arrière-grand-père (1er septembre 1715), une régence s’impose. Cette charge est traditionnellement dévolue à la mère du souverain mineur, ou au premier prince du sang ; les lois fondamentales de la monarchie ne précisant rien sur ce point, on doit s’en remettre à la coutume. La mère de l’enfant-roi étant morte depuis trois ans, le pouvoir semble devoir revenir de droit au duc d’Orléans, fils de Monsieur, frère de Louis XIV. Cependant, le vieux monarque, se méfiant du prince qu’il soupçonnait d’avoir conspiré contre lui, avait
déposé un testament auprès du parlement de Paris. En vertu de cet acte, son neveu se voit dépouillé de ses principales prérogatives au profit d’un Conseil de régence, où le duc du Maine, fils bâtard légitimé du défunt, doit jouer un rôle essentiel. Le 2 septembre 1715, Philippe d’Orléans demande au parlement d’ouvrir le testament et revendique la régence, qui lui est officiellement déférée. Le parlement casse le testament, et le prince obtient ainsi le gouvernement du royaume et la tutelle de Louis XV. Au reste, ce n’est pas la première fois que le parlement agit de la sorte : déjà, en 1643, il avait annulé le testament de Louis XIII. En retour, cette docilité appelle récompense : le 15 septembre, le Régent rend aux magistrats le droit de remontrances supprimé depuis 1673. Louis XV, le Régent et la cour quittent Versailles pour Paris, qui retrouve sa fonction de capitale. Alors que l’enfant-roi s’installe pour quelques mois au château de Vincennes, le Palais-Royal devient le centre de la vie politique. À 41 ans, sans avoir jamais exercé d’autre responsabilité que celle de commandements militaires, Philippe d’Orléans passe avant tout pour un libertin sans scrupule. Il séduit et inquiète ceux qui l’approchent, à commencer par Saint-Simon, l’un de ses fidèles. Les gazetiers insistent sur son inconstance, sur son indulgence pour ses « roués » - et sur ses amours, qui prêtent au scandale. On ignore souvent que ce sceptique blasé est aussi un artiste, un mécène, un homme pétri de la culture de son temps, et qu’il est loin d’être indifférent aux problèmes de l’État. Dès qu’il accède au pouvoir, il se révèle être un travailleur sérieux, au fait de toutes les affaires importantes du royaume. Pourtant, l’héritage est lourd : à l’intérieur, se réveillent l’opposition de la noblesse et celle du parlement, trop longtemps matées par Louis XIV ; la situation financière est préoccupante et les problèmes religieux restent en suspens ; en Europe, il faut beaucoup de prudence pour atténuer les sentiments de haine et de jalousie suscités par la politique belliqueuse des décennies précédentes. LA POLYSYNODIE Dès son accession au pouvoir, pour complaire aux princes du sang et aux gentilshommes de vieille souche dépités d’avoir été mis à l’écart du pouvoir au profit de ministres anoblis de fraîche date, Philippe d’Orléans institue un nouveau mode de gouvernement, la polysynodie. S’inspirant des idées développées dans l’entourage du feu duc de Bourgogne (les ducs
de Chevreuse, de Beauvillier et de Saint-Simon, Fénelon...), il remplace les secrétaires d’État par des Conseils, qui comprennent sept membres, tous d’ancienne noblesse. Le président de chaque Conseil soumet les avis de son groupe au Régent, auquel revient la décision. Les ministres sont réduits au rôle de simples agents d’exécution. Ce nouveau mode de gouvernement qui semble mettre fin au « despotisme ministériel » n’affecte pas, en réalité, la nature du pouvoir royal. Les Conseils, à l’exception de celui des finances présidé par le duc de Noailles, se révèlent parfaitement incompétents. Le duc d’Orléans abandonne cette pratique en septembre 1718. Il gouverne, dès lors, secondé par le cardinal Dubois, un homme d’origine modeste (il est fils d’apothicaire), promu Premier ministre et assisté par le Conseil de régence (qui fait également office de Conseil de tutelle) ; les secrétaires d’État retrouvent leurs anciennes fonctions. À la Régence aristocratique succède la Régence autoritaire : l’absolutisme demeure intact, malgré le réveil de l’opposition parlementaire. L’EXPÉRIENCE DE LAW La situation financière du royaume est alors désastreuse. Le Conseil des finances a déclaré une banqueroute partielle et entrepris une « chasse aux traitants », dans l’espoir de faire rendre gorge à quelques-uns d’entre eux. Mais la Chambre de justice, créée à cette fin, a dû abandonner ses poursuites après quelques condamnations retentissantes : l’État a trop besoin des financiers pour poursuivre une épuration qui lui aurait été préjudiciable. Le Régent pense trouver la solution au marasme en adoptant le système préconisé par l’Écossais John Law. Ce dernier estime pouvoir diminuer la dette de l’État grâce à une politique d’inflation, tout en relançant l’économie par la circulation de billets émis par une banque, gagés sur une compagnie de commerce nationale et garantis par l’État. En 1716, Law crée une banque privée, et l’année suivante, la Compagnie du commerce de l’Occident, qui deviendra la Compagnie des Indes en 1718 et dont les actions ne tardent pas à rencontrer un succès considérable. En 1718, sa banque devient banque d’État, et la Compagnie se voit attribuer le monopole de l’exploitation de la Louisiane, ainsi que la Ferme des impôts indirects et directs ; elle est même autorisée à prêter de l’argent au roi pour rembourser la dette. En 1720, Law est nommé contrôleur général des Finances. Cependant, l’énorme disproportion entre l’encaisse métallique et la masse de papier émis rend le système très fra-
gile. Les Français se livrent à une spéculation effrénée. Dès 1719, la confiance commence à faire défaut. L’année suivante, plusieurs gros spéculateurs (le prince de Conti, le duc de Bourbon) ayant demandé le remboursement de leurs actions, s’ensuit une panique financière. Law impose alors le cours forcé des billets, mais, le 10 octobre 1720, le gouvernement met fin à l’expérience. Quelque vilipendé qu’il soit, et malgré un certain nombre de débâcles financières, le « système » a néanmoins permis à l’État de payer une partie de ses dettes et d’augmenter ses recettes ; le commerce atlantique s’est développé et le monde rural a été l’un des principaux bénéficiaires de la multiplication des moyens d’échange. LE PROBLÈME JANSÉNISTE Pendant que le Régent tente d’éviter la banqueroute, il se heurte à l’opposition janséniste. Malgré les persécutions dont il a fait l’objet sous le règne de Louis XIV, ce mouvement a survécu, grâce au soutien des docteurs de la Sorbonne, des évêques, de très nombreux curés, des jurisconsultes (d’Aguesseau) ainsi que de bon nombre de parlementaires. Par leur appel à la conscience individuelle, et à l’esprit de libre arbitre, les jansénistes ont contribué à la naissance d’une conscience collective du corps civique ; leurs réunions sont les lieux d’apprentissage d’une nouvelle forme de démocratie. Le pape avait déjà condamné à trois reprises cette doctrine, la dernière condamnation datant de 1713 (bulle Unigenitus). Quoique sommé downloadModeText.vue.download 775 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 764 d’enregistrer cette bulle, le parlement l’avait déclarée irrecevable. On en était resté là. Or, le 5 mars 1717, quatre évêques, suivis par trois mille ecclésiastiques, relancent le débat en demandant officiellement la réunion d’un concile pour condamner la bulle papale. Ils affirment ainsi la supériorité du concile sur le pape. De ce fait, ils critiquent le pouvoir royal, lui reprochant d’être placé sous la tutelle du souverain pontife et d’avoir violé les « saintes libertés gallicanes ». L’affaire fait grand bruit, et l’on polémique jusque dans les églises. Le désordre et la confusion s’installant, le duc d’Orléans doit renoncer à la politique de conciliation qu’il souhaitait appliquer. Il exige du parlement (déclaration du 4 août 1720) qu’il soit désormais interdit d’écrire contre la
bulle Unigenitus et de faire appel à un concile. Deux ans plus tard, les jansénistes n’ayant pas désarmé, le pouvoir sévit : trois mille « agitateurs » reçoivent une lettre de cachet. D’autre part, la déclaration du 11 juillet 1722 enjoint à tous les ecclésiastiques voulant obtenir un bénéfice de signer le Formulaire (acte de 1664 par lequel le pape Alexandre VII confirmait la condamnation portée en 1653 contre Jansenius par Innocent X). L’affaire est loin d’être réglée. Elle rebondira en 1727. LA POLITIQUE EXTÉRIEURE En Europe, un nouvel équilibre des forces s’est établi au lendemain du traité d’Utrecht (1713) : il n’y a plus qu’un seul Habsbourg régnant (l’empereur), puisqu’un Bourbon (Philippe V, petit-fils de Louis XIV) a accédé au trône d’Espagne. Louis XIV avait comblé les voeux jadis exprimés par Richelieu, qui avait préconisé l’abaissement de la maison de Habsbourg. La France avait acquis, au siècle précédent, l’Alsace, la Flandre, la FrancheComté et le Roussillon : mieux vaut, désormais, songer à conserver plutôt qu’à conquérir. Soucieux de confirmer le traité d’Utrecht, le Régent désire également s’assurer un allié si l’enfant-roi vient à mourir prématurément, ou si Philippe V tente de briguer la succession au trône de France. C’est la raison pour laquelle, le 4 janvier 1717, Philippe d’Orléans signe un traité d’alliance défensive avec l’Angleterre et les Provinces-Unies, puissances que Louis XIV avait combattues : cet engagement doit conduire la France à mener une brève campagne contre l’Espagne. Mais le conflit naît aussi des ambitions de Philippe V qui, n’admettant pas d’avoir été dépossédé de la Sicile, décide de l’occuper. Les gouvernements français et britannique, défenseurs du statu quo, lui déclarent aussitôt la guerre. Bien que la campagne se révèle brève et facile (été 1719), elle suscite en France une vive hostilité contre le Régent : on ne comprend guère pourquoi l’on combat l’Espagne, l’allié d’hier, pour lequel on a mené une guerre si longue et si coûteuse peu de temps auparavant (guerre de la Succession d’Espagne, 1702-1713). Dans l’espoir de se justifier, le Régent fait écrire par Fontenelle un « Manifeste du roi de France », tout en dénonçant une conspiration du prince de Cellamare, ambassadeur d’Espagne, qui intrigue avec la « vieille cour » pour tenter de mettre Philippe V sur le trône de France. Pas plus que le plaidoyer de Fontenelle, la révélation de ce romanesque complot, ourdi dans l’entourage du duc et de la duchesse du Maine, ne peut retourner l’opinion en faveur du Régent. Ce-
pendant, le conflit prend fin rapidement : par le traité de Madrid (janvier 1720), Philippe V accepte de reconnaître les clauses d’Utrecht et adhère à la Triple Alliance. L’année suivante, pour sceller la réconciliation franco-espagnole, on prévoit de marier Louis XV à l’Infante, âgée de 3 ans. Le Régent a contribué à consolider la paix européenne. LA MORT DU RÉGENT Très aimé par la population parisienne, l’enfant-roi fait son apprentissage de monarque. Dès 1719, le Régent a de longs entretiens avec lui pour l’initier, dans la mesure du possible, aux affaires de l’État. Il lui laisse présider symboliquement certains Conseils à partir de 1720. Des liens de solide affection unissent l’oncle et le neveu. Aussi, l’adolescent manifeste-t-il un vif chagrin lorsqu’il apprend le décès brutal de ce prince, le 2 décembre 1723. Officiellement, la Régence s’est achevée le 15 février de cette même année, Louis XV ayant atteint la majorité royale et reçu le sacre. Le jeune souverain demande néanmoins au duc d’Orléans de poursuivre sa tâche avec le titre de principal ministre, bien que l’impopularité de l’ex-Régent soit alors à son comble. En effet, de violents pamphlets (en particulier les Philippiques, de La Grange-Chancel) le chargent de tous les maux - voire de tous les crimes, puisque certains l’accusent de vouloir assassiner le roi ! En décembre 1723, le duc de Bourbon succède au duc d’Orléans aux fonctions de Premier ministre, jusqu’à sa disgrâce en 1726 ; mais la réalité du pouvoir est déjà exercée par le cardinal de Fleury, précepteur du roi. En revanche, c’est à l’instigation du duc de Bourbon, pressé de voir Louis XV assurer sa postérité, que l’Infante est renvoyée et que le mariage du roi avec Marie Leszczynska est scellé (1725). LES « FÊTES GALANTES » : APPARENCES ET RÉALITÉS Dire que la Régence est la période des « fêtes galantes » relève du cliché. À la mort de Louis XIV, s’ouvre en effet une ère d’« années folles », où la haute société est prise d’un irrésistible appétit de jouissance. C’est le temps du plaisir. La presse relate avec un inlassable émerveillement les divertissements qui se succèdent à Paris. La capitale retrouve un rayonnement qu’elle avait perdu depuis l’installation de la cour à Versailles. Trois nuits par semaine (excepté pendant le Carême), il y a bal à l’Opéra. Le modique prix d’entrée (6 sols), le masque et le domino favorisent la
confusion des rangs. Le succès est tel qu’une seconde salle s’ouvre bientôt au Louvre. La fureur du jeu s’empare des Parisiens : on joue au Palais-Royal, dans les hôtels aristocratiques, les cabarets, les tripots. Le Régent essaiera de réglementer cette folie. En vain. Tous les spectacles connaissent alors une vogue extraordinaire. Si les comédiens-français continuent d’attirer un public nombreux, les comédiensitaliens, expulsés en 1697 sous l’influence de Mme de Maintenon, reviennent en 1716 : abandonnant bientôt la comedia dell’arte, ils jouent en français à partir de 1718 et Marivaux devient leur auteur favori (Arlequin poli par l’Amour, la Surprise de l’amour, la Double Inconstance...). Des femmes renouvellent la mode des salons. Déjà, à la fin du règne de Louis XIV, la duchesse du Maine à Sceaux, la princesse de Conti à Choisy ou à Champs, avaient constitué de véritables petites cours en marge de Versailles, où elles recevaient tous les beaux esprits du temps. Ces salons se maintiennent sous la Régence. Voltaire lit son OEdipe chez la duchesse du Maine (l’oeuvre sera publiée en 1718). Mais ces princesses ont fait des émules. Rue de Richelieu, hantée par le souvenir de Mme de Rambouillet, Mme de Lambert reçoit Fontenelle, Houdar de La Motte, Montesquieu, Marivaux, le président Hénault, la savante Mme Dacier, Adrienne Lecouvreur à ses débuts... Dans le salon de Mme de Tencin, rue Saint-Honoré, se presse également toute l’élite mondaine et intellectuelle. De plus en plus nombreuses, les académies de province stimulent la vie littéraire et artistique. Dans les cafés (La Régence, Le Procope...), on discute de science et d’art. D’une façon générale, les écrivains déjouent beaucoup plus facilement les pièges de la censure que sous Louis XIV. C’est en 1721 que Montesquieu fait paraître ses Lettres persanes où il se livre à une virulente critique de la société et des institutions, n’hésitant pas à condamner le « despotisme » et à railler l’autorité du pape. Dans son roman picaresque, Gil Blas (1715-1735), dont l’action se situe en Espagne, Lesage peint en réalité la société de la Régence. Les arts expriment les aspirations d’une société en quête de nouveauté. Mécène et collectionneur, le Régent commande aux Coypel quatorze toiles célébrant les amours de Didon et d’Énée. Elles seront exposées dans l’immense galerie de l’aile gauche du PalaisRoyal et qu’on appellera désormais « galerie d’Énée ». C’est l’une des curiosités de la capitale. Toujours au Palais-Royal, dans le salon conçu par l’architecte Oppenord et dans les cabinets qui suivent en enfilade, s’entassent les
oeuvres des plus grands maîtres italiens, flamands, allemands et français des deux siècles précédents et que le prince fait acheter dans l’Europe entière. Il augmente les collections de médailles et de pierres gravées apportées d’Allemagne par la princesse Palatine, sa mère. Les artistes abandonnent la solennité majestueuse qui a fait la gloire du règne précédent. L’art louis-quatorzien cède la place à l’exubérance du rococo. On se plaît à représenter la vie quotidienne, à exalter l’intimité. Si Le Moyne (1688-1737) reste le peintre officiel, Watteau (1684-1721) s’affirme comme le plus original. C’est lui qui domine la période (les ComédiensItaliens, les Comédiens-Français, [vers 1715], l’Embarquement pour Cythère [1717], l’Enseigne de Gersaint [1720] ...). La décoration intérieure évolue. Le « goût moderne » s’impose, avec ses tons clairs. Le meuble se transforme sous l’influence d’ébénistes tels que Cressent. En architecture, Boffrand et Lassurance poursuivent l’oeuvre de Mansart. À Paris, on construit l’hôtel Matignon, l’hôtel de Lassay, l’hôtel d’Évreux (l’Élysée), le Palais-Bourbon... Toutefois, cette effervescence créatrice ne concerne que les élites et ceux qui gravitent dans leur orbite. Aucun bouleversement notable n’affecte la vie économique. En dehors des grandes villes, la société change peu : downloadModeText.vue.download 776 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 765 85 % de la population vit à la campagne, monde de « silence » peu propice aux mutations soudaines. En fait, la chronique quotidienne relate plus de crimes, de vols (affaire Cartouche), de ruines et de calamités que de fêtes galantes. La Régence est aussi le temps des hivers dramatiques (on parle de « petit âge glaciaire » pour la période allant de 1690 à 1730), des incendies dévastateurs (celui du Petit-Pont, à Paris, en avril 1718 ; celui de Rennes, en septembre 1720), des inondations et des épidémies. La variole frappe en 1716, en 1719-1720, en 1723, et la peste ravage Marseille en 1720. La Régence n’est une période de mutation que pour les privilégiés. Régent (Philippe, duc de Chartres, puis duc d’Orléans, dit le), neveu de Louis XIV, régent de France de septembre 1715 à février 1723, durant la minorité de Louis XV, puis principal ministre jusqu’en décembre 1723 (Saint-Cloud 1674 - Versailles 1723).
Mort en galante compagnie, ami des « roués », amant - dit-on - de sa propre fille (la duchesse de Berry), anglophile au point de combattre le Bourbon d’Espagne (1719), l’homme vaut pourtant mieux que sa légende. Intelligent, excellent musicien, peintre de talent, cultivé, pacifiste mais bon soldat, il sert en Flandre, est blessé au siège de Turin (1706) à la tête des armées d’Italie, commande les armées d’Espagne (1707-1708). Il est le fils de Monsieur, frère homosexuel de Louis XIV, et de la princesse Palatine. Il a pour précepteur l’abbé Dubois, et, en 1692, on lui impose un mariage avec Mlle de Blois, fille de Louis XIV et de Mme de Montespan (sa mère, qui désapprouve cette mésalliance entre un duc de Chartres et une bâtarde, le gifle en public le jour des noces). À la mort de Monsieur, en 1701, il devient duc d’Orléans, et jouit d’une immense fortune. Le roi ayant un fils légitime, trois petits-fils et plusieurs arrière-petits-fils, Philippe n’apparaît guère en position d’accéder au trône, ni même au pouvoir. Privé d’avenir, il s’amuse. Le roi s’en scandalise et se méfie de ce prince dont on dit qu’il a intrigué avec l’Angleterre pour être fait roi d’Espagne. En 1710, néanmoins, Louis XIV marie la fille de Philippe, 15 ans, au deuxième de ses petits-fils, le duc de Berry. Puis meurent le dauphin (avril 1711), le petit dauphin et sa femme (février 1712), et leur fils, le duc de Bretagne (mars 1712). Philippe est suspecté : trop de morts autour de ce troublant amateur de chimie. Inquiet, Louis XIV viole les lois fondamentales du royaume et déclare ses fils légitimés - les ducs du Maine et de Toulouse - « aptes à régner ». Le roi mort (1er septembre 1715), Philippe d’Orléans fait casser le testament par le parlement et obtient la régence et la tutelle du jeune Louis XV. Il quitte Versailles, s’installe à Paris, au PalaisRoyal, instaure la polysynodie - qui remet en selle la noblesse de cour au détriment des grands commis louis-quatorziens. En outre, il développe le commerce, s’intéresse à la mer, favorise Lorient, la Compagnie des Indes, crée la Compagnie des gardes du Pavillon amiral et le corps des Ponts et Chaussées (1716), le Dépôt des cartes et plans de la marine (1720). Certes, la banqueroute de Law ruine le « système » mis en place par le financier écossais, mais les actions de la rue Quincampoix, bien vendues ou perdues, génèrent un certain renouvellement des élites. En outre, l’anglophilie du Régent va assurer au royaume trente et une années de paix (1713-1744) à l’issue des cinquante années de guerre du règne du feu roi.
régicides, nom donné, a posteriori, aux conventionnels qui votent la mort de Louis XVI, en janvier 1793. Pourquoi les régicides sont-ils devenus objets d’un mythe ? La Restauration n’est pas seule en cause, même si elle donne consistance à l’image du « régicide-parricide » : la publication de l’Homme sans nom de Ballanche (1820), apologue complexe sur le conventionnel régicide, déchu et réhabilité, ouvre une large page à ce mythe dans la littérature du XIXe siècle, jusqu’aux Misérables de Victor Hugo (1862). Sans évoquer le procès du roi, reconnu « coupable » par une majorité écrasante de la Convention, ni présenter le débat sur « l’appel au peuple », rejeté le 15 janvier 1793, intéressons-nous au troisième appel nominal : « Quelle peine Louis, ci-devant roi des Français, a-t-il encourue ? » Controversés, les résultats sont proclamés le 18 janvier : 28 des 749 députés conventionnels étant absents, la majorité absolue est donc de 361 voix ; or, 334 votent la détention ou le bannissement, 361 la mort pure et simple, et 26 la mort en demandant un débat sur le sursis, qui est refusé le lendemain. C’est sans doute cette courte majorité qui nourrira la légende du « roi martyr ». C’est aussi le fait que, le 20 janvier, Le Peletier de Saint-Fargeau tombe sous le poignard d’un ancien garde du corps royal et devient le premier « martyr de la liberté » : le « régicide » précède le « roi parjure » dans la mort. Les régicides appartenaient à tous les groupes politiques de la Convention. Mais la seconde Restauration réunit en un même ensemble les 206 survivants : la loi d’amnistie du 12 janvier 1816, dans son article 7, condamne à l’exil les régicides ayant voté l’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire, ou exercé des fonctions durant les CentJours, soit 153 anciens conventionnels. La diaspora des bannis trouve un centre autour de Bruxelles. Ces hommes - une coalition hétéroclite de magnats bonapartistes et d’exilés désargentés demeurés ardents révolutionnaires - jouent un rôle essentiel dans la formation des jeunes républicains de la première moitié du XIXe siècle. La révolution de 1830 autorise la quarantaine de survivants à rentrer en France ; leur ombre légendaire planera sur la nouvelle génération : ainsi du montagnard régicide Baudot qui lègue ses papiers à Edgar Quinet.
registres paroissiaux ou registres de catholicité, registres dans lesquels les curés ou vicaires relèvent, sous l’Ancien Régime, baptêmes, mariages et sépultures survenus dans le cadre paroissial. Apparus dans les diocèses au XVe siècle, ils se généralisent au siècle suivant. Mais leur mise en place est laborieuse et leur tenue inégale, malgré la réglementation royale et les décisions du concile de Trente. En 1539, l’ordonnance de Villers-Cotterêts contraint les curés à tenir, en langue française, des registres de baptêmes des nouveau-nés. Puis, par l’ordonnance de Blois (1579), l’enregistrement des mariages est rendu obligatoire. Tous les ans, les curés doivent dorénavant déposer leurs registres de baptêmes, mariages et sépultures au greffe du tribunal royal. L’ordonnance civile de 1629, dite « Code Michau », renouvelle la nécessité pour les curés de tenir « bons et fidèles registres » et de les remettre au greffe, sous peine d’une amende. L’ordonnance de Saint-Germain-enLaye (1667) prévoit deux exemplaires pour ces documents : le premier, la minute, reste à la cure ; le second, la grosse, simple copie, est destinée au greffe du bailliage ou de la sénéchaussée. Les actes doivent être inscrits dans l’ordre chronologique et signés par les intéressés, les témoins et le curé. Mais ces ordonnances sont mal appliquées jusqu’à la déclaration royale de 1736, qui rappelle et précise les dispositions de 1667. Ces registres comptabilisent la seule population catholique et présentent bien des lacunes : sous-enregistrement (décès d’enfants non signalés), mauvaise identification des personnes, imprécision des liens de parenté, etc. Ils demeurent néanmoins une source essentielle pour les historiens. Dès les années 1950, des méthodes d’examen et d’exploitation de ces documents sont élaborées par Pierre Goubert et Louis Henry. Ce dernier met au point un système d’étude « longitudinale », par la reconstitution des familles ; chaque événement démographique est alors analysé par rapport au précédent, et les générations sont suivies. Pour étudier la population de Rouen aux XVIIe et XVIIIe siècles, Jean-Pierre Bardet a mis sur fiches, par famille, les informations de près de 250 000 actes, obtenant près de 6 000 fiches différentes, des documents proches des livrets de famille contemporains. Reims (cathédrale de), édifice gothique, appelé cathédrale Notre-Dame, construit au
XIIIe siècle. C’est dans ce lieu que les rois de France ont été sacrés jusqu’en 1825 (Charles X), exception faite d’Henri IV (sacré à Chartres) et de Louis XVIII (qui n’a pas été sacré). Plusieurs monuments se sont succédé jusqu’à l’édification de la cathédrale Notre-Dame. Reims étant le siège d’un évêché dès le IIIe siècle, une cathédrale y est construite au Ve siècle, et c’est vraisemblablement dans le baptistère que Clovis, entre 496 et 501, reçoit le baptême des mains de l’évêque Remi. En 816, Louis Ier le Pieux est couronné empereur par l’archevêque Ebbon et donne à ce dernier l’autorisation de bâtir une cathédrale ; cet édifice carolingien sera remanié au milieu du XIIe siècle par l’archevêque Samson. En 1210, un important incendie détruit le centre de la ville, et la reconstruction du groupe épiscopal débute dès l’année suivante, sous la direction de l’archevêque Aubry de Humbert. L’essentiel des travaux est achevé en 1275, mais l’activité du chantier est ralentie aux XIVe et XVe siècles, avant que les ravages d’un incendie l’interrompent de nouveau en 1516. downloadModeText.vue.download 777 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 766 Les proportions de l’édifice (150 mètres de long, et 38 mètres de hauteur sous voûte) témoignent de la finesse de son architecture gothique, qui s’élève à l’intérieur sur trois étages : grandes arcades, triforium à quadruple arcature, fenêtres hautes. Le revers de la façade est richement décoré de cinquantedeux statues qui encadrent la grande rose du portail ajouré. Une partie du programme iconographique, aussi bien les sculptures du portail central que les vitraux des deux roses de la façade, est consacrée à la Vierge, à laquelle la cathédrale est dédiée. L’histoire de l’église de Reims occupe une partie des vitraux du choeur (où sont représentés les évêques de la province métropolitaine) ainsi que les sculptures du portail central (saints de l’église de Reims) et de la galerie des Rois de la façade (rois sacrés de l’Ancien Testament et baptême de Clovis). L’ensemble est dominé par la figure du Christ de la Passion et du Jugement. Au cours de la Première Guerre mondiale, la cathédrale est bombardée à plusieurs reprises et sérieusement endommagée après l’incendie de la charpente. La restauration est conduite pendant plus de vingt ans par
l’architecte Henri Deneux pour redonner à la cathédrale sa splendeur initiale. Mais le délitement de la pierre calcaire impose d’importants travaux de préservation. reine. Le titre de reine est réservé à l’épouse du roi lorsque le mariage a été contracté publiquement. La reine jouit d’un certain nombre de privilèges importants, tels que la disposition de sa propre Maison, d’un chancelier, de grands officiers et d’une garde particulière. Sacrée et couronnée en même temps que le roi - sauf si le mariage a lieu après le sacre -, elle n’est cependant pas ointe de la sainte ampoule, ne partage pas les pouvoirs thaumaturgiques de son époux, et son sacre n’implique aucun engagement envers la nation. Pas plus que l’épouse du monarque ne possède les attributs de la souveraineté, la couronne ne peut revenir à une femme. La loi salique, qui dès l’époque franque exclut les filles d’une succession paternelle tant qu’il reste des héritiers mâles, est étendue au trône par les juristes du XIVe siècle : la masculinité de la succession royale, que la présence d’héritiers mâles avait assurée sans interruption de 987 à 1316, est ainsi sanctionnée par le droit. Cette exclusion des femmes n’interdit pas qu’en des circonstances exceptionnelles - mort du roi et minorité de son fils, absence ou défaillance du souverain - les reines aient exercé un pouvoir effectif, souvent décisif pour l’histoire de la monarchie. • Usages du pouvoir. Plusieurs mères ou épouses des héritiers légitimes du trône ont dirigé, de manière occulte ou proclamée, les affaires du royaume. Lorsque le roi meurt et que l’héritier du trône n’a pas atteint la majorité, la reine devient régente et gouverne au nom de son fils : c’est le cas, entre autres, de Blanche de Castille, de Marie de Médicis et d’Anne d’Autriche. Blanche de Castille, que son mari Louis VIII n’a jamais manqué de consulter sur les questions politiques, exerce même la régence à deux reprises : d’abord à la mort de son époux, ensuite lorsque son fils Louis IX, en 1248, entreprend une croisade en Terre sainte. De la même manière, il arrive que le roi confie la régence à sa femme lorsqu’il guerroie au loin : Henri II laisse ainsi plusieurs fois le gouvernement du royaume à Catherine de Médicis. Durant ces périodes de régence, la reine doit souvent faire face à des troubles - mouvement populaire des pastoureaux et révolte de vassaux (Blanche de Castille), Fronde
aristocratique et parlementaire (Anne d’Autriche) - et affronter une opinion publique qui ne manque pas une occasion de lui rappeler qu’elle est « étrangère » au royaume de France. Si la reine, dans ces circonstances, dispose de pouvoirs explicitement énoncés, il peut également arriver qu’elle règne dans l’ombre d’un souverain, ou qu’elle partage avec lui le pouvoir effectif. L’exemple le plus célèbre est celui de Catherine de Médicis, qui détient une réelle autorité sous les règnes successifs de ses trois fils, François II, Charles IX et Henri III ; fait paradoxal : celle que l’opinion a qualifiée d’étrangère et accusée de toutes les perfidies machiavéliques fait preuve, au début des guerres de Religion, d’un sens indéniable de l’État et de la grandeur de la monarchie. De la même façon, Anne d’Autriche, qui, en s’attachant les services de Mazarin, s’attire une impopularité d’une rare violence, apparaît guidée par le souci de laisser à son fils un royaume intact. • Représentation de la monarchie. Le roi régnant, le rôle de la reine est moindre ; il n’est pas pour autant aisé. Associée à la majesté royale, l’épouse doit animer une vie de cour où les prérogatives de la reine mère et les intrigues nouées par les maîtresses royales ne lui facilitent pas la tâche. L’Espagnole MarieThérèse, épouse effacée de Louis XIV, souffrira toujours de mal parler le français et de ne pas maîtriser les codes mondains. Lorsque la reine, par sa légèreté et ses habitudes dispendieuses, perd le sens de ce qu’elle doit à la représentation monarchique, elle alimente toutes sortes de rumeurs et d’accusations ; c’est le cas de Marie-Antoinette, dont les agissements ne sont pas étrangers au climat délétère où sombre la cour à la veille de la Révolution. Quelques reines, manifestement peu à l’aise dans une représentation réduite à la superficialité courtisane, ont su remplir leurs devoirs de souveraine en animant des foyers de culture : Anne de Bretagne, femme de Louis XII, protège les arts et les lettres, tandis que Marie Leszczynska, femme de Louis XV, devient le centre d’un groupe savant où musique et histoire sont à l’honneur. D’une manière générale, le rôle de la reine reste quelque peu ingrat : privée d’intimité - son accouchement est public -, condamnée à accepter les aventures amoureuses de son royal époux, obligée d’affronter une cour et une opinion publique hostiles, elle est bien souvent, selon la formule d’un historien contemporain, « confinée dans la procréation et la dévotion ».
l RELIGION (GUERRES DE). De 1562 à 1598, la France connaît une longue période de troubles au cours de laquelle des factions se revendiquant plus ou moins ouvertement d’un engagement religieux se combattent. Ces guerres de Religion ont laissé, dans la mémoire, l’image réductrice d’un temps dramatique et sanglant de régression durant lequel la violence la plus « inhumaine », les massacres les plus « horribles », auraient fait glisser le royaume dans la « barbarie » et le « fanatisme ». Mais elles furent aussi l’occasion d’une série de découvertes ou redécouvertes historiquement fondamentales à court, moyen ou long terme : de l’idée de concorde à l’affirmation d’une souveraineté contractuelle, de la valorisation d’un roi incarnant la raison à la théorisation d’une royauté absolue, de la quête intellectuelle des penseurs de l’histoire « parfaite » à la réflexion novatrice des Essais de Montaigne... D’emblée, trois précisions doivent être apportées. D’abord, les « guerres de Religion » sont entrecoupées d’expériences discontinues de pacification d’une durée totale de plus de vingt années ; plus d’une année sur deux ne connaît pas d’engagements militaires. Ensuite, lorsqu’il y a guerre, les différents espaces du royaume sont atteints avec des niveaux d’intensité de violence divers ; une vision trop uniformément sombre empêcherait de comprendre la rapidité du redressement économique et démographique après 1598. Enfin, l’expression « guerres de Religion » est trompeuse, laissant entendre que les affrontements présentent une unité alors que, globalement, deux séquences bien différenciées doivent être distinguées : dans la première, qui concerne les trois premières guerres, la confrontation oppose catholiques et calvinistes ; dans la seconde, qui débute après le choc de la Saint-Barthélemy et s’achève avec la promulgation de l’édit de Nantes, des catholiques prennent les armes contre d’autres catholiques, cherchant à obtenir l’appui du parti réformé. Le problème est alors de savoir si ces guerres ont une finalité uniquement religieuse ou si elles ne conditionnent pas aussi, par la résolution de certaines contradictions, la transition historique de l’ordre monarchique de la Renaissance vers le système du pouvoir absolu du XVIIe siècle. UNE « GUERRE DE RELIGION » AVANT LES GUERRES DE RELIGION Il est factice d’opposer le temps troublé des guerres civiles à un premier XVIe siècle qui
aurait été celui de la Renaissance française. • Les paradoxes du « beau XVIe siècle ». Depuis plusieurs décennies, en effet, le royaume vit dans un univers d’illusions qui dissimule la virulence d’une crise socio-économique (paupérisation d’une partie des sociétés urbaines, faillite financière de l’État, endettement des lignages aristocratiques) et, surtout, la montée en force de l’hétérodoxie religieuse et sa construction confessionnelle calviniste. Certes, depuis l’avènement de François Ier, l’État royal a développé une idéologie triomphaliste, dans laquelle le roi était dit exercer sa prééminence comme le Soleil exerce la sienne sur les planètes gravitant autour. L’ordre politique était présenté comme inné parmi les sujets du roi, sécrétant naturellement l’obéissance. Sol in orbe terrarum : le roi était dit régner sur un État parfait. Mais le discours dissimule une tension de plus en downloadModeText.vue.download 778 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 767 plus forte depuis 1534-1535 (affaire des Placards) et 1536 (première édition de l’Institution de la religion chrétienne, de Calvin) : tous les efforts de la monarchie pour endiguer le processus de désunion religieuse, par la répression et la censure, se sont révélés vains. Il est indéniable que les conflits de religion ont commencé avant les guerres de Religion. Tôt, des signes d’impatience sont perceptibles : paroles blasphématoires et actes iconoclastes dirigés contre les croix, les images saintes, le saint sacrement ; les réformés ne cessent de défier l’Église romaine, voire la justice royale, lors des rituels d’exécution capitale au cours desquels les condamnés exaltent leur abandon à la grâce divine. • La crise de la « monarchie parfaite ». La base sociale du recrutement de la « religion de la Vérité » s’élargit vers le haut, les élites urbaines se faisant plus nombreuses à partir de 1545. La dynamique touche même les différentes strates de la noblesse, derrière des princes du sang comme Louis de Condé ou derrière les trois frères Châtillon. De Genève partent des ministres qui ont pour tâche d’aller organiser les communautés de fidèles. Dès 1555, l’Église de Paris est dressée et, l’année suivante, plusieurs milliers de « religionnaires » chantent les psaumes au Pré-aux-Clercs. En mai 1559, à Paris, se tient un synode national qui adopte une confession de foi d’inspiration calviniste.
Surtout, à la multiplication des Églises, dont le nombre dépasserait deux mille en 1562, correspond, du côté catholique, un militantisme qui entrevoit précocement, face à une désunion religieuse qui risque d’attirer sur le royaume la « colère de Dieu », la solution de la violence. Prédicateurs et libellistes demandent publiquement l’éradication des « luthériens », dénonçant toute politique royale qui n’engagerait pas un processus de destruction de ceux qui sont accusés de profaner la gloire de Dieu. Une violence couve dans le royaume, débridée par l’événement décisif de la mort accidentelle du roi Henri II (10 juillet 1559), suivie de l’accession au trône de son fils François II. La fin du mythe de l’ordre de perfection advient vite, du fait de la stratégie offensive de certains gentilshommes calvinistes qui dénoncent un État royal perverti par le contrôle qu’exercent sur le roi les Guises, accusés d’être des tyrans étrangers et de priver les princes du sang de leur fonction naturelle de « conseil ». Est réclamée une périodicité des états généraux, auxquels est reconnu un droit de contrôle sur la monarchie. Des insurrections iconoclastes ont lieu, les protestants occupant des églises et organisant des cènes publiques. Déjà apparaissent, du côté catholique, des violences collectives dont sont victimes des « hérétiques », violences encouragées par des prêtres et des libellistes : selon eux, tuer un ennemi de Dieu n’est pas un péché. • L’impatience protestante. La conjuration d’Amboise (mars 1560), violemment réprimée, intervient dans ce cadre : il s’agissait, derrière un « chef muet », d’aller présenter au roi une confession de foi et, peut-être, de le soustraire par la force à la domination des Guises. La mort de François II (5 décembre 1560) contribue à l’accélération du processus de crise. Au premier semestre 1561, une vague de violences survient dans le Sud-Ouest : dans nombre de villes, des édifices cultuels sont occupés par la force par des religionnaires désirant obtenir un lieu de culte. Parfois, ceux-ci n’en restent pas là : les images sont rompues, les ornements ecclésiastiques, pillés ; puis les iconoclastes partent en troupes proclamer la loi divine dans les paroisses voisines. Sont touchées, à partir du mois d’août, des villes telles que Agen, Montauban, Montpellier... Il est difficile de savoir comment ces violences surgissent : dans quelques cas, elles sont facilitées par la passivité du magistrat ou d’officiers royaux ; dans d’autres, la présence du
ministre parmi les iconoclastes, ses probables incitations à détruire les « superstitions », ont dû avoir un effet d’entraînement. Tout laisse entrevoir que, pour les protestants, le « règne de la Vérité » ne peut pas attendre face aux idolâtries. Aux origines de cette mobilisation il y a un providentialisme, et la violence destructrice des profanations vise à enseigner la gloire de Dieu à tous. La violence se veut illumination qui doit permettre à chacun de comprendre que les temps de l’Évangile sont venus et que rien ne peut entraver la restitution de la vraie religion : « La vérité a besogné d’une telle force, que les adversaires en sont comme effrayés, et frayeur les a saisys ! Ô chose admirable. Voicy le jour est venu, et les ombres se sont abaissées... » • La mobilisation catholique. L’impuissance de l’État est d’autant plus manifeste que les catholiques, qui refusent toute présence de l’« hérésie », sont engagés dans une mobilisation violente. Les séditions meurtrières initiées par les « papistes » sont nombreuses. Elles éclatent dans des situations précises : quand des huguenots sont découverts chantant des psaumes dans une maison, quand l’un d’eux se précipite au passage d’une procession sur le « Dieu de pâte » et cherche à le jeter à terre, quand une image est découverte souillée, quand jaillit une parole blasphématoire, quand une procession longe des maisons dont les propriétaires ont refusé de tendre des tapisseries, continuent de travailler ou refusent d’ôter leurs chapeaux devant une sainte relique. Les victimes huguenotes sont mises à mort collectivement, puis traînées à travers les rues, avant d’être jetées à la rivière ou abandonnées sur un fumier. Le « peuple » brandit le « glaive de la force et de la justice » par-dessus ceux qui, au nom du roi, exercent « injustement » l’autorité en tolérant que Baal soit honoré aux côtés du Christ. Des affrontements ont lieu lorsque les religionnaires reviennent du prêche ou veulent inhumer un des leurs dans un cimetière : attendus par des catholiques, qu’ils n’hésitent pas à défier, ils sont pris à partie, et certains d’entre eux ne se relèvent pas. La présence de clercs parmi les agresseurs implique une prise en charge de la violence par ceux qui revendiquent d’être institués par Dieu pour veiller sur les âmes des fidèles. Enfin, se constitue (6-7 avril 1561) un triumvirat catholique qui se fixe comme mission la défense de l’unité religieuse du royaume et auquel participent le duc François de Guise, le connétable de Montmorency et le maréchal de Saint-André. • Le tournant de l’édit de janvier et son
échec. La monarchie est prise dans un étau ; elle tente de répondre à cette situation insurrectionnelle dès le mois d’avril 1560 et, surtout, après l’accession au trône de Charles IX (décembre 1560), par l’adoption d’une politique de « modération » défendue par le chancelier de L’Hospital, par la régente Catherine de Médicis et par le groupe des « moyenneurs ». C’est lors de la réunion des états généraux (décembre 1560-janvier 1561) qu’est affirmée la nécessité d’une « tolérance » temporaire qui permettrait aux fidèles des confessions antagonistes de chercher un règlement pacifique de leurs différends : « Ostons des mots diaboliques, noms de parts, factions et seditions, lutheriens, huguenots, papistes : ne changeons le nom de chrétien. » Puis, après l’édit de juillet 1561, qui interdit à la fois les violences contre les réformés et leurs conventicules, c’est par le colloque de Poissy réunissant théologiens catholiques et calvinistes (septembre-octobre 1561) que Catherine de Médicis et son chancelier essaient de briser la dynamique de violences. Sans succès. Enfin, l’édit de Saint-Germain (17 janvier 1562) tente de reconstruire la paix civile sur les bases d’une cohabitation religieuse fondée sur les libertés de conscience et de culte. Pour L’Hospital, il est du devoir du Prince et de ceux qui l’entourent d’empêcher le désordre, de maintenir une « police » fondée sur l’exercice d’une justice. L’État doit s’opposer à la violence, parce que la violence a pour effet l’oubli de Dieu et entraîne sa malédiction sur les hommes : c’est dans la paix civile que les hommes sont en condition d’honorer Dieu. Le Prince est le dispensateur unique de l’ordre, puisque « Dieu nostre Père, ayant d’une main visité nostre Roy, de l’autre l’élèvera plus haut que jamais, et le courronera de graces nouvelles, et de biens non espérés ». La reconstruction de l’ordre politique doit être fondée sur la puissance absolue d’un souverain, qui est le représentant de Dieu sur terre. CATHOLIQUES CONTRE PROTESTANTS C’est dans ces conditions que se produit le passage à la première guerre, dans un climat de méfiance réciproque des communautés catholiques et protestantes, et du fait d’une intervention du duc de Guise. Le 1er mars 1562 a lieu un massacre de religionnaires à Wassy, auquel répond, trois semaines plus tard, un ordre de mobilisation calviniste : c’est pour libérer le roi mineur de ses mauvais conseillers et pour redonner une légalité au gouvernement du royaume que Condé déclare avoir pris les armes. Malgré les tentatives de Catherine de Médicis pour empêcher le
conflit, la guerre commence, s’ouvrant par des succès calvinistes : prises d’Orléans, de Tours, de Rouen et d’un nombre important d’autres villes, signature d’un traité par lequel Élisabeth d’Angleterre promet son appui militaire (traité d’Hampton Court). • Le temps des rites de violence. La guerre est perçue comme « inouïe ». D’une part, parce qu’après un temps d’attente, le combat protestant devient un combat contre les profanations de Dieu que sont les images : partout où les calvinistes sont vainqueurs, l’iconoclasme scande la victoire ; d’autre part, downloadModeText.vue.download 779 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 768 parce que les clercs deviennent des cibles privilégiées pour les combattants huguenots, dans un désir d’anéantissement de ceux qui, nommés la « peste du monde », organisent la « résistance à la Vérité ». Mais le déchaînement de la violence frappe aussi les huguenots : assassinats d’hommes et de femmes, grands massacres collectifs (Sens) mis en scène selon des rituels de marquage et de mutilation des corps. La violence est l’acte par lequel les catholiques expriment à Dieu leur fidélité. Le corps de l’hérétique n’est, pour eux, que le sépulcre d’une âme morte. L’hérétique est pensé comme un être possédé par Satan et devenu une bête ; puisqu’il n’a plus d’âme, il n’est plus homme... Parallèlement à ces rites de violence, la guerre, classiquement, repose sur des armées constituées à la fois de professionnels démobilisés après la paix avec l’Espagne, de volontaires (recrutés dans les églises mêmes pour l’armée réformée) et aussi de mercenaires (Suisses, Wallons, Allemands), ces derniers représentant peut-être, en 1562, près de la moitié des armées, tant royale que huguenote. Les effectifs de ces armées atteignent à peine les 2 000 hommes mais, peu à peu, une société militaire plus large qu’auparavant se constitue, le rôle des hommes de pied continuant à s’affirmer. La tactique consiste à progresser en colonnes à travers le royaume afin de contrôler les points stratégiques que sont les villes, et donc à alterner les avancées et une guerre statique de siège. Les grandes confrontations sont peu recherchées ; elles sont perçues comme des « jugements de Dieu », et sont précédées par des prières et
des services religieux. Elles donnent lieu, de la part de l’armée défaite, à une guerre de mouvement ayant pour objectif de déstabiliser la stratégie de l’adversaire. • Entre politique et colère de Dieu. Il est difficile de discerner les causes d’un conflit qui n’est jamais que la reprise des armes après la paix de Cateau-Cambrésis avec l’Espagne (3 avril 1559) : au point que l’on peut se demander si la guerre n’est pas une nécessité pour la société française de l’époque, et notamment pour sa composante nobiliaire. Par-delà les ambitions individuelles, le facteur politique peut rendre compte des partages : pour les lignages aristocratiques et leurs clientèles, l’enjeu aurait été le contrôle du Conseil royal, lieu de la puissance où se distribuent pensions, dons et charges (la crise des finances monarchiques aurait limité la grâce royale, dans un moment où les finances nobiliaires auraient été fragilisées). La religion aurait fonctionné comme l’outil du politique, et, dans les villes, certaines élites bourgeoises l’auraient instrumentalisée contre l’État, pour la défense des privilèges urbains et contre les officiers royaux. Il est possible aussi que des antagonismes socio-économiques aient suscité, de part et d’autre, des mobilisations religieuses. Mais il est possible encore que la crise religieuse renvoie à des déterminations véritablement religieuses, la conversion au calvinisme permettant de rompre avec une angoisse eschatologique ascendante depuis la fin du XVe siècle, et le maintien dans la religion traditionnelle assurant au fidèle de faire son salut dans un rêve de croisade. La guerre ne dure qu’une année. Deux événements contribuent à la cessation des hostilités : la bataille de Dreux, qui tourne à l’avantage de l’armée royale (19 décembre 1562), et où le prince Louis Ier de Condé est fait prisonnier ; l’assassinat du duc de Guise, devant Orléans (18 février 1563). • Un temps de concorde. Les négociations débouchent sur la promulgation de l’édit d’Amboise, qui garantit aux huguenots la liberté de conscience (19 mars 1563). Le culte calviniste n’est autorisé que dans les maisons des seigneurs hauts justiciers, pour leurs familles et leurs sujets, ainsi que dans une ville par bailliage. Cette paix apparaît aux « bons catholiques » comme une offense à Dieu, dont la colère ne va pas tarder à s’abattre sur un peuple impie. S’ouvre néanmoins une période de calme civil, entrecoupée de temps à autre d’agressions interconfessionnelles, et marquée par le grand voyage
de Charles IX et de Catherine de Médicis à travers le royaume. Après avoir fait proclamer la majorité du jeune souverain (17 août 1563) par le parlement de Rouen, Catherine de Médicis tente en effet de parfaire la cohabitation religieuse par l’établissement de relations personnelles entre le roi et les élites du royaume. L’idéologie de la concorde affirme que l’État doit être préservé, par-delà les divisions religieuses ; il doit, avant tout, faire vivre les Français dans la paix civile, parce que la guerre ne peut que le détruire par la rupture de tout lien de « police » entre les hommes ; mais la paix n’implique pas une autonomisation du politique : la « tolérance » de deux religions n’est pas une fin de l’action royale, mais un moyen qui doit déboucher, dans un futur plus ou moins proche, sur une réunion des contraires. • La radicalisation des deuxième et troisième guerres. Un événement extérieur à la France (la répression espagnole aux Pays-Bas) contribue au déclenchement de la deuxième guerre civile ; dans ce contexte, le prince de Condé, par la « surprise de Meaux » (28 septembre 1567), tente de s’emparer de la personne royale, justifiant son action au nom du bien public et de la défense de l’État. Il subit un échec militaire lors de la bataille de Saint-Denis (10 novembre) et négocie la paix de Longjumeau (23 mars 1568). Charles IX et sa mère sont alors convaincus que les chefs militaires huguenots constituent un obstacle à la pérennité de la paix civile, et tentent pour cette raison de les capturer (29 juillet 1568) : l’entreprise échoue. Débute la troisième guerre de Religion, qui voit une radicalisation : engagement royal dans une l’éradication du calvinisme, textes huguenots évoquant le droit de résistance au Prince qui empêche son peuple de vivre dans la vraie foi, politiques de violence systématique de part et d’autre. Les opérations tournent d’abord au détriment des armées protestantes : défaites à Jarnac, où le prince de Condé est exécuté (13 mars 1569), et à Moncontour (3 octobre). Coligny redresse la situation, au terme d’une marche qui le conduit d’abord en Languedoc, dans la vallée du Rhône, et lui permet ensuite de menacer l’Île-de-France (bataille d’Arnay-le-Duc). Le pouvoir monarchique, face à l’impossibilité d’une solution militaire, renoue avec sa philosophie de la concorde : le 8 août 1570, il promulgue l’édit de Saint-Germain, qui concède aux religionnaires la liberté de conscience et l’exercice du culte là où il était pratiqué avant
la guerre, ainsi que quatre villes de sûreté pour une durée de deux ans. • À la recherche de l’« âge d’or »... Cette paix ne s’impose que difficilement : les chefs huguenots se tiennent éloignés de la cour jusqu’en septembre 1571, dans une attitude de méfiance. Quant aux catholiques « exclusivistes », leur mécontentement reflète leur angoisse car les prédicateurs, depuis plusieurs décennies, les ont persuadés que les calvinistes sont les faux prophètes de l’Apocalypse. La paix n’est dès lors qu’illusion, et un châtiment imminent est annoncé. Dieu déclenchera sa fureur contre le Prince qui aura édicté une loi contre la Loi. Accepter de vivre dans la division religieuse, c’est entrer dans un temps de malédiction : « C’est une torche qui allumera un feu si grand qu’il consumera tout le royaume de France : voire, qui sera pour consumer tout le monde. » S’ajoute une revendication des Guises, qui demandent justice contre Coligny, accusé d’avoir fomenté l’assassinat du duc François, en 1563. Malgré ces tensions, qui maintiennent un état de guerre dans les esprits en dépit de la cessation des hostilités, Charles IX et sa mère réussissent à remettre en confiance la noblesse calviniste en paraissant favorables à une intervention française aux Pays-Bas. En avril 1572, ils signent le contrat de mariage de Marguerite de Valois et d’Henri de Navarre. La cérémonie, retardée par la mort de Jeanne d’Albret, a lieu le 18 août 1572, dans une capitale où sont venus nombre de gentilshommes protestants. Pour Charles IX, elle conditionne l’entrée dans un « âge d’or » de réconciliation de ses sujets. • La coupure du massacre de la SaintBarthélemy. Mais, à la suite de l’attentat contre l’amiral de Coligny (22 août), a lieu le massacre de la Saint-Barthélemy (24 août). Probablement décidé par le roi - à moins que l’initiative en revienne à de grands seigneurs catholiques -, il devait viser à l’origine un nombre restreint de capitaines protestants. Mais le massacre est sanglant, parce que la milice parisienne et des éléments du prolétariat urbain entament jusqu’au 28 août une action d’éradication des réformés. La province est également touchée. Les conséquences sont capitales : en France du Nord, les Églises sont affaiblies par un mouvement d’abjurations ou d’exils. La Réforme devient un fait principalement méridional : dans le Midi, la résistance est structurée
par une confédération qui s’approprie, par des assemblées politiques, la souveraineté « par provision » (décembre 1573). Sont publiés des traités « monarchomaques » qui justifient la résistance au tyran au nom de la souveraineté du peuple. Et la guerre reprend, marquée par l’échec, devant La Rochelle, de l’armée royale : elle dure jusqu’à la publication de l’édit de Boulogne, qui accorde la liberté de conscience et, de manière limitative, celle de culte (11 juillet 1573). downloadModeText.vue.download 780 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 769 CATHOLIQUES LIGUEURS CONTRE CATHOLIQUES MODÉRÉS ALLIÉS AUX PROTESTANTS L’histoire des guerres de Religion subit une inflexion capitale après la mort de Charles IX : l’avènement de son frère Henri III voit d’abord les catholiques modérés du Languedoc, derrière le maréchal de Damville, conclure une alliance avec les protestants. • Le front des « malcontents ». La fuite du duc d’Alençon de la cour, où il était quasiment retenu prisonnier, permet la constitution d’un front de « malcontents » : c’est un nouveau programme qui justifie l’engagement militaire, codifié dans une remontrance demandant le libre exercice de la religion réformée, sans restriction de lieu, de temps ou de personnes. Grâce au soutien d’une armée de 20 000 mercenaires allemands commandés par Jean Casimir, fils de l’Électeur palatin, les adversaires d’Henri III obtiennent une manière de capitulation : la paix de Monsieur, avec la promulgation de l’édit de Beaulieu (6 mai 1576), consacre la réhabilitation des victimes de 1572, autorise l’exercice du culte protestant partout dans le royaume, sauf à Paris et dans les résidences royales, concède aux protestants huit places de sûreté et l’institution de chambres mi-parties dans chaque parlement. • La première Ligue et la paix retrouvée. La réaction catholique prend immédiatement forme avec la constitution de la première Ligue : est rédigé, à l’initiative du gouverneur de Péronne, un manifeste nobiliaire dont les articles définissent un programme d’exclusivisme catholique, de restitution des droits et privilèges des provinces et villes, de contrôle des
états généraux sur la monarchie. Aux états généraux, réunis à Blois (novembre 1576), le roi prend parti pour le rétablissement de l’« unité de foi ». S’ensuit une sixième guerre. Henri III bénéficie alors du ralliement de Damville, et surtout de son propre frère, le duc d’Alençon - devenu duc d’Anjou -, à qui le commandement de l’armée royale est confié. Malgré le succès de la prise de La Charité (1er mai 1577), et en raison de difficultés financières, il doit signer la paix de Bergerac (17 septembre 1577), confirmée par l’édit de Poitiers, qui restreint les avantages accordés par la paix de Beaulieu. Quelque peu modifié par la suite (traité de Nérac, 28 février 1579 ; paix de Fleix, qui met fin à la septième guerre, 26 novembre 1580), ce texte régit la vie du royaume. Puis, dans ce contexte de stabilisation relative, intervient la mort du duc d’Anjou (10 juin 1584) : le plus proche héritier du trône en ligne directe est désormais Henri de Navarre, qui, depuis 1581, a été élevé à la dignité de « protecteur » de tous les protestants du royaume. • La seconde Ligue et la genèse d’un conflit inexpiable. Face à la possibilité d’accession au trône d’un « hérétique », et dans un contexte d’angoisse eschatologique grandissante, deux organisations se mettent en place : une ligue nobiliaire, en septembre 1584, derrière Henri de Guise, qui conclut une alliance secrète avec l’Espagne (traité de Joinville, décembre 1584), et une ligue parisienne, organisation clandestine. Le 30 mars 1585, un programme est rendu public à Péronne : il invite les « bons » catholiques à se préparer à une guerre d’éradication ; mais il revêt aussi une dimension de contestation politique : sont dénoncés les favoris royaux, qui accaparent l’État et poussent le roi à augmenter la fiscalité et à multiplier les officiers ; est réclamée la périodicité des états généraux. Autant que sur le rétablissement de l’unité religieuse, seule condition de la réconciliation de Dieu avec son peuple, la Ligue fonde son militantisme sur un idéal de rapports contractuels à l’intérieur de l’État. Par une prise d’armes, ses chefs obligent le roi à se rallier à leur stratégie d’éradication (traité de Nemours, juillet 1585). Le conflit imbrique très étroitement le religieux et le politique. La Ligue s’oppose à une sursacralisation de la personne royale. Les rois, dans l’imaginaire monarchique, sont l’idée de Dieu, « duquel ils sont le vray type, pourtraict et image, tant pour l’unité du gouvernement de Dieu représenté en eux, que pour leur naturel bening, misericordieux et
bienfacteur au genre humain, comme est celuy de Dieu ». Les rois sont Dieu, ils sont aux hommes ce que le Soleil est au monde sensible. Entre le royaume et l’univers, selon Jacques de La Guesle, il y a imitation voulue par Dieu du second par le premier. Sans Dieu, ou si Dieu se détournait de lui, l’univers ne serait que chaos, privé de lumière et d’âme. Derrière la lutte pour l’unité religieuse, il y a une lutte contre cette appropriation royale du divin. Le roi dont rêvent les ligueurs est un « officier » dont la mission est de faire régner la loi de Dieu, par le glaive de justice et la guerre. Le peuple, qui a conclu une alliance avec Dieu, est le détenteur de la souveraineté. La huitième guerre débute avec la publication d’un édit qui proscrit la Réforme et proclame le roi de Navarre déchu de ses droits (18 juillet 1585). Elle donne lieu à des opérations confuses, dont trois batailles : le duc de Joyeuse est tué à Coutras, première victoire d’Henri de Navarre (20 octobre) ; Henri de Guise, à Vimory (26 octobre) et Auneau (24 novembre), est vainqueur d’une armée de secours levée en Allemagne. Le pouvoir royal se trouve confronté à une contradiction. En effet, la crise financière rend impossible tout engagement militaire efficace contre les réformés, qui tiennent une grande partie du Sud-Ouest, tandis que les succès militaires du duc de Guise contribuent au durcissement ligueur : le roi en vient à être soupçonné de collusion avec les réformés. • Henri III : du coup d’État de Blois au régicide. C’est dans un contexte d’internationalisation de la guerre (expédition de l’Invincible Armada vers l’Angleterre pour y renverser le protestantisme) qu’Henri III doit quitter Paris aux mains des ligueurs (journée des Barricades, 12 mai 1588), puis multiplier les concessions à la Ligue : il nomme Guise lieutenant général, convoque les états généraux de Blois, jure l’édit d’Union, s’engageant à ne tolérer qu’une seule religion dans son royaume. Mais il fait assassiner Guise (23 décembre). Paris puis une série de villes entrent en rébellion, d’Orléans à Amiens, Abbeville, Lyon, Rouen, Marseille, la Sorbonne ayant rendu publique une déclaration déliant le peuple de l’obéissance au « tyran ». La guerre change de configuration, les fronts se multiplient : c’est une guerre de l’écrit, par le biais d’une production pamphlétaire proliférante. Les royalistes défendent le droit du monarque d’exercer une justice immédiate sur tout sujet
menaçant sa personne et son État ; les ligueurs avancent que le Prince qui fait assassiner ses sujets est un tyran et doit être déposé. C’est ensuite une guerre que chaque ligueur mène contre le péché : ainsi dans la capitale qui, durant l’hiver, est sillonnée de processions pénitentielles. Enfin, c’est une guerre éclatée, car, par-delà les parcours des grandes armées, chaque province, chaque « pays », voit des troupes aux effectifs limités s’affronter pour le contrôle du plat pays et de ses ressources, avec parfois l’application d’une stratégie de la terre brûlée qui vise, par des razzias, à affaiblir l’ennemi ; les conséquences sont très dures pour les populations civiles : villages anéantis, récoltes saisies ou détruites, insécurité qui désorganise les échanges, « pestes » qui vont et viennent. C’est l’époque du « chaos », selon le mot des libellistes royalistes. Henri III tente de réagir contre la Ligue, qui désigne le duc de Mayenne lieutenant général du royaume. Le 30 avril 1589, le roi conclut une alliance avec Henri de Navarre. Mais, tandis que les deux armées alliées viennent mettre le siège devant Paris, il est assassiné par le dominicain Jacques Clément (1er août). • Deux rois pour la France. Henri de Navarre, qu’Henri III a reconnu comme son successeur avant de mourir, s’engage par une déclaration à maintenir l’intégrité de la religion catholique (4 août). Mais les ligueurs pensent la guerre comme une véritable croisade : prince « hérétique » et relaps, Henri de Navarre est, à leurs yeux, un tyran qui veut mettre à mort les catholiques ; son hérésie le rend indigne du trône, qui revient à son oncle le cardinal de Bourbon. Surtout, il est licite à tout bon chrétien de porter la main sur le tyran, au nom de la justice de Dieu, et tout ligueur appartenant à une sainte union qui se veut « union de conjonction et de société très fraternelle avec Jésus-Christ » a le devoir de « zèle ». La guerre ligueuse est une prise de croix collective. Elle évolue défavorablement pour les ligueurs, pour trois raisons. D’abord, les dissensions internes à la Ligue - entre des éléments radicaux qui veulent fonder la distinction sociale sur le critère de l’intensité de la foi et certaines élites bourgeoises et nobiliaires socialement conservatrices : ces contradictions éclatent dans Paris entre novembre et décembre 1591, après la pendaison du président Brisson et la répression menée par le duc de Mayenne. Joue ensuite le génie militaire et idéologique d’Henri de Navarre, que ses
victoires d’Arques (septembre 1589) et d’Ivry (mars 1590) mettent en situation de force et que sa propagande présente comme un souverain providentiel, envoyé par Dieu pour lutter contre les passions et pour restaurer un âge d’or. Henri de Navarre se veut le roi d’un pouvoir absolu, à qui ses sujets doivent l’obéissance parce que l’obéissance fait partie de l’ordre de l’univers. Le roi est divin, nouvel Hercule. C’est une révolution politique qui est ainsi formulée, imposant l’absolutisme downloadModeText.vue.download 781 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 770 comme un ordre de la raison. Enfin et surtout, le support des catholiques « politiques » au nouveau souverain est décisif. • De la conversion à la paix. Après que les ligueurs ont échoué dans leur tentative pour donner un roi à la France (états généraux de Paris, janvier 1593), Henri de Navarre abjure à Saint-Denis (25 juillet 1593), puis est couronné à Chartres (27 février 1594). Le 22 mars 1594 a lieu son entrée dans Paris, qui entraîne la reddition de nombre de villes et le début d’un mouvement de soumission des grands seigneurs ligueurs. Puis l’internationalisation du conflit est officialisée avec la déclaration de guerre à l’Espagne (17 janvier 1595) et la victoire royale de Fontaine-Française (5 juin), qui permettent à la propagande royaliste de présenter le Béarnais comme le roi de la « patrie », en lutte contre les « desnaturez François ». Geste capital, le duc de Mayenne fait sa soumission au roi et, malgré la prise provisoire d’Amiens par les Espagnols (mars-septembre), la royauté impose sa solution à ses adversaires, ainsi qu’à ses alliés huguenots qui, s’ils se voient concéder la liberté de conscience et certains privilèges, ne reçoivent qu’une liberté de culte étroitement limitée : le duc de Mercoeur se soumet (février 1598), la paix de Vervins est signée avec l’Espagne (2 mai), et l’édit de Nantes est promulgué (13-30 avril). S’achève ainsi une longue période qui apparaît autant comme le temps d’une adaptation à la modernité religieuse que comme une phase de transition entre deux systèmes monarchiques. Rèmes, en latin Remi, peuple gaulois qui occupait l’actuelle Champagne et qui a laissé son nom à la ville de Reims.
Les Rèmes, l’un des peuples belges les plus méridionaux, se trouvaient en contact direct avec la Gaule celtique. Cette position intermédiaire explique sans doute que la pénétration romaine y fut plus marquée qu’ailleurs. L’oppidum de Variscourt, au nord de Reims, témoigne de l’existence, dès la fin du IIe siècle avant J.-C., de processus d’urbanisation avancés, d’une économie monétaire déjà développée et d’échanges commerciaux avec le monde romain (présence d’amphores à vin notamment). Lorsqu’en 57 avant J.-C. l’ensemble des Belges se coalisent pour expulser de Gaule les armées romaines, les Rèmes se désolidarisent de leurs frères d’armes pour proposer leurs services à César. L’un de leurs oppidums, Bibrax (Saint-Thomas, dans l’Aisne), est alors assiégé par les 300 000 guerriers belges coalisés. César parvient à faire lever le siège puis écrase ses ennemis sur l’Aisne. Les Rèmes lui restent ensuite fidèles, même lors de la révolte générale conduite par Vercingétorix ; dans la Gaule conquise, ils reçoivent le statut privilégié de « peuple fédéré » - c’est-à-dire allié de Rome -, à l’instar des Éduens. C’est vers la fin du Ier siècle avant J.-C. que semble se développer l’oppidum de Durocortorum, qui deviendra Reims. Agglomération gauloise protégée par deux enceintes, il se transforme en une ville romaine dotée de quatre portes et de nombreux monuments (dont il subsiste un arc de triomphe et des cryptoportiques), et qui sera le siège du gouverneur de Gaule Belgique. remontrances (droit de), prérogative qu’avaient les cours souveraines de demander au roi de modifier ses édits et ordonnances avant de les inscrire sur leurs registres. Les cours souveraines - parlements, cours des comptes ou chambres des aides - sont des émanations spécialisées de l’ancienne curia regis des souverains médiévaux, ensemble de conseillers qui participaient au travail législatif. Elles sont garantes de la régularité des lois. Avec la distinction accrue entre le Conseil du roi, qui élabore les textes légaux, et les tribunaux supérieurs que sont les cours souveraines, censées les appliquer, les occasions de frictions se multiplient. Dès le XVe siècle, l’enregistrement des lois devient l’occasion de remontrances qui, souvent, arguant de prétextes techniques, portent sur l’opportunité des décisions royales, notamment dans le domaine fiscal. Le roi peut passer outre et
exiger, par des lettres de jussion, l’enregistrement immédiat. Si les magistrats s’obstinent, il peut tenir devant le parlement un lit de justice, séance solennelle où l’enregistrement se fait en sa présence. À plusieurs reprises - par exemple, lors de la Fronde, ou lors des conflits avec les parlements sous Louis XV -, l’usage du droit de remontrances accule le pouvoir absolu à rappeler que les cours souveraines ne sont ni des institutions représentatives, ni des substituts aux états généraux. En 1673, Louis XIV en vient à interdire toute remontrance préalable à l’enregistrement - une interdiction qu’abrogera le régent Philippe d’Orléans en septembre 1715. Rémusat (Charles François Marie, comte de), écrivain et homme politique (Paris 1797 - id. 1875). Durant sa jeunesse, Rémusat se range dans le camp des Doctrinaires, tenants d’une monarchie parlementaire et censitaire qui fréquentent le salon animé par sa mère au début de la Restauration. Avocat en 1819, il trouve sa voie dans le journalisme et la critique littéraire. Il collabore notamment au Globe à partir de 1824, se lie avec Thiers, et avec Perier, dont il épouse la nièce. Après la victoire de LouisPhilippe, il est élu à la Chambre des députés (octobre 1830), et compte parmi les partisans d’une politique d’ordre. L’amitié de Thiers lui ouvre les portes du ministère de l’Intérieur, en 1840. Puis il met son éloquence au service des ennemis de Guizot. L’instauration de la République, en février 1848, l’attriste mais ne le décourage pas. Il devient en mai représentant de la Haute-Garonne à l’Assemblée, et siège à droite. Hostile à la politique de Louis Napoléon Bonaparte, il s’oppose au coup d’État du 2 décembre et abandonne la vie politique pendant l’Empire. Au début de la IIIe République, il obtient le portefeuille des Affaires étrangères dans le ministère Thiers (18711873), puis retrouve un siège de député, en Haute-Garonne. Il contribue à la conception et à la rédaction des lois constitutionnelles de 1875. Les Mémoires qu’il laisse représentent une source de tout premier ordre pour l’histoire politique et intellectuelle du XIXe siècle. Renaissance. C’est dans la France du XVIe siècle, selon l’historien de l’art Erwin Panofsky, que le mot « renaissance », d’un sens limité (la renovatio comme renouvellement de quelque chose à un moment donné), acquiert une signification plus précise et plus vaste : le
renouveau de toute chose durant une période particulière préparant aux temps modernes. De multiples interrogations subsistent encore quant aux limites chronologiques de la période désignée, voire quant à la pertinence d’une telle coupure, surtout depuis qu’avec le double succès, très français, de l’histoire médiévale et de l’histoire économique, certains vont jusqu’à postuler un « long Moyen Âge » qui durerait jusqu’à la révolution industrielle du XIXe siècle. Il n’en reste pas moins que, dès le XVe siècle, lettrés et artistes français - et ce, jusqu’à la fin du XVIe siècle - ont conscience d’appartenir à une génération dont la vision du monde rompt avec un passé défini souvent comme « gothique ». • Spécificité française et nouvelle vision du monde. Plus religieuse et moins laïque qu’on ne l’a souvent dit, plus précoce que l’on a longtemps voulu le croire, sans doute plus liée à la tradition médiévale autochtone et moins fascinée par l’Antiquité que son homologue italienne, la Renaissance française possède des caractéristiques propres. Tout en restant redevable à l’humanisme transalpin - mais aussi flamand, à commencer par l’oeuvre d’Érasme - ainsi qu’aux artistes découverts durant les guerres d’Italie, les protagonistes de la Renaissance française savent en effet se rappeler l’enracinement de la culture nationale dans une brillante tradition médiévale liée à la translatio studii, chère à l’Université parisienne ou aux écoles cathédrales. La critique du concept de « renaissance » tient souvent à sa réduction au domaine littéraire et artistique : il est certain que le phénomène est avant tout culturel et « élitiste », la Renaissance ne concernant, de prime abord, qu’une infime partie de la population : les « savants » et leurs mécènes. Toutefois, cette affirmation mérite d’être nuancée si l’on songe aux implications beaucoup plus générales que comportent les mutations en cours, durant cette période, quant à la place de l’homme, à la conception du temps et de l’espace, aux formes de transmission du savoir ou au rapport avec le divin. Ainsi, on sait bien que l’humanisme replace l’homme au centre du monde et confère un rôle essentiel à l’éducation des individus. De même, la perspective à point central réorganise l’espace de la représentation, et l’architecture nouvelle fait redécouvrir un plaisir de l’habitat où l’ordre n’est pas seulement fonctionnel. L’émergence de la langue vulgaire donne peu à peu à la littérature nationale ses lettres de noblesse, et au royaume un instrument indispensable d’unification adminis-
trative (édit de Villers-Cotterêts). Les traités de comportement, à la suite du Courtisan de Castiglione, diffusent une sociabilité plus policée. L’omniprésence de la guerre favorise downloadModeText.vue.download 782 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 771 une pensée du politique et des rapports entre États plus pragmatique et laïque. C’est ainsi, sinon l’ensemble du royaume, au moins une bonne part de la société urbaine qui est dès lors concernée. Le nouveau goût, loin d’être confiné dans des cercles savants, parisiens ou courtisans, irrigue les provinces les plus lointaines grâce, entre autres, au développement de l’imprimerie (pour laquelle Lyon, ville-frontière et ville-pont avec la culture italienne, joue un rôle essentiel) et à un système de commandite où les gens de robe ne sont pas les moins actifs. • Les raisons de l’expérience. Percevant la rupture comme positive, lettrés et artistes reconnaissent une singularité radicale à l’auteur et à son oeuvre, unique parce qu’humaine, humaine parce qu’unique. À cet égard, il serait erroné de conférer un poids excessif à l’imitation de l’Antiquité : le modèle est digne d’admiration mais il convient d’insuffler une nouvelle vie à ces exemples lointains et livresques, qu’il s’agisse des dialogues de Platon ou du traité de Vitruve, de la poésie d’Ovide, des comédies de Plaute ou des tragédies de Sénèque. L’objectif ne paraît pas inaccessible parce que les hommes de la Renaissance entendent, à tout moment, s’appuyer sur une « méthode », qui mesure toute création à l’aune de la « raison », et sur une « expérience », qui est intimement liée à la théorie. Ils diffusent ainsi une confiance optimiste en des temps nouveaux, riches de promesses et d’inventions à venir. La découverte d’un autre continent en est l’exemple le plus évident - et pas le moins productif pour la pensée -, par le décentrement anthropologique qu’il favorise et les questionnements qu’il suscite. Il est difficile aujourd’hui d’enfermer l’analyse de la Renaissance dans les catégories idéalistes ou formelles telles qu’elles ont été établies au XIXe siècle - à l’instar de Burckhardt ou de Wölfflin - et il est encore plus malaisé de n’y voir qu’une brillante illustration du progrès inéluctable d’une « humanité » tolérante, libérale et pacifique. Il convient aussi de mettre l’accent sur la géographie des Renaissances nationales, à travers les caractéristiques et les
rythmes différents selon les pays, surtout en France, où pèse la continuité monarchique. Ce temps est également, il est vrai, celui des inquiétudes religieuses, de la Réforme et, bientôt, des luttes acharnées des « guerriers de Dieu ». Toutefois, au-delà des ambiguïtés et des contradictions, malgré l’absence d’un corps doctrinal cohérent, se dessine au fil de ces deux siècles une posture inédite, entraînant avec elle une nouvelle perception et, de ce fait, un nouveau gouvernement des signes, des choses, des mots ou des hommes. Premier moment de l’histoire où sont pensées radicalement les ruptures et les distinctions entre les « époques », et où bascule du même coup la relation de l’homme avec son passé et sa tradition, la Renaissance permet ainsi, entre autres, de considérer dans leur spécificité le classicisme du siècle suivant et l’organisation moderne de l’État français. Renan (Ernest), écrivain et philologue (Tréguier, Côtes-d’Armor, 1823 - Paris 1892). Le principal représentant de l’« antichristianisme » français du XIXe siècle est un pur produit de l’éducation ecclésiastique. Fils d’un capitaine au long cours, orphelin à 5 ans, élève des petits séminaires de Tréguier et de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, il entre en 1841 à Saint-Sulpice, où l’abbé Le Hir l’initie à l’hébreu et au syriaque. Il quitte le séminaire en octobre 1845, rompt avec la foi chrétienne et se lie aux milieux positivistes (l’Avenir de la science, rédigé en 1848, publié en 1890). Il achève sa formation philologique auprès d’Eugène Burnouf et s’impose comme un spécialiste des langues sémitiques. Élu dès 1856 à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, il accomplit une mission en Syrie, où meurt sa soeur et collaboratrice Henriette Renan (1861). Professeur d’hébreu au Collège de France (1862), il voit son cours aussitôt suspendu pour avoir qualifié le Christ d’« homme incomparable ». La publication de sa Vie de Jésus (1863), exégèse rationaliste et critique des Évangiles, fait scandale, mais assure la célébrité de son auteur. Destitué de sa chaire, Renan entreprend la rédaction d’une Histoire des origines du christianisme (1863-1887). Il se rallie à l’Empire libéral, qui lui restitue ses fonctions ; cependant, la défaite de Sedan lui inspire le programme de restauration nationale de la Réforme intellectuelle et morale (1871). Membre de l’Académie française (1878), administrateur du Collège de France (1883), il publie encore une Histoire du peuple d’Israël (1887-1893) et de subtils Souvenirs d’enfance et de jeunesse (1883).
Renaudot (Théophraste), médecin et publiciste (Loudun, Vienne, 1586 - Paris 1653). Fondateur de la Gazette, future Gazette de France, Renaudot doit toute sa carrière au cardinal de Richelieu, auquel l’unissent des liens de clientèle et dont il sert fidèlement la politique. Grâce à cette protection, il accumule titres, pensions et monopoles, qui sont autant d’entorses aux privilèges traditionnels des corps de métiers parisiens - Renaudot n’appartenant à aucune corporation. C’est dans sa province natale, où il exerce la médecine - il a été reçu docteur en médecine à Montpellier, en 1606 -, qu’il fait la connaissance de Richelieu, évêque de Luçon alors en disgrâce. Dès 1625, il le rejoint à Paris, où il renonce à la confession protestante pour se convertir au catholicisme. Il doit alors batailler contre les six corps des marchands de Paris et les imprimeurs-libraires pour faire confirmer les multiples brevets royaux l’autorisant à ouvrir un « bureau d’adresse » (1630) - sorte d’agence d’emploi pour les pauvres, à la fois mont-depiété et salle des ventes - et à imprimer la très officielle Gazette (1631), ainsi que la Feuille du bureau d’adresse (1633), journal de petites annonces. Il s’attire, de surcroît, l’hostilité de la faculté de médecine en organisant des conférences (1633) et en ouvrant un centre de soins gratuit (1640) contraire tant au monopole qu’à l’enseignement de la Faculté. Les procès qui se multiplient à partir de 1640, au moment où disparaissent ses protecteurs Richelieu et Louis XIII, ont raison de l’opiniâtre Renaudot, qui est contraint, en 1644, de cesser toutes ses activités, à l’exception de celles liées à la Gazette. Ce journal, qui prend d’emblée parti pour Mazarin, survit sous la Fronde et revient aux descendants de Renaudot, mort à demi ruiné. Renault, société de construction automobile créée le 25 février 1899 sous le nom de « Société Renault frères » par Marcel et Fernand Renault. À partir de mai, ils produisent une voiturette dérivée du prototype conçu par leur frère Louis, dont la diffusion progresse vite : de 71 unités en 1899, elle passe à 1 600 en 1903, Renault appuyant son développement industriel sur ses succès sportifs. En 1909, Louis Renault se retrouve seul à la tête de la société et mise, pour développer l’entreprise, sur une large gamme de véhicules, de la populaire 6 CV à la distinguée 40 CV. En novembre 1929, Renault inaugure l’« usine de demain »,
bâtie sur l’île Seguin, à Boulogne. La Seconde Guerre mondiale marque une rupture radicale. Incarcéré à la prison de Fresnes pour faits de collaboration, Louis Renault y meurt le 24 octobre 1944. Pierre Lefaucheux est nommé administrateur des Usines Renault, transformées en Régie nationale le 16 janvier 1945. Avec la 4 CV, présentée en 1946, Renault adopte une stratégie nouvelle, axée sur la « démocratisation » de l’automobile. En janvier 1952, l’ouverture de l’usine de Flins, entre Paris et Rouen, amorce la décentralisation de l’entreprise. Pierre Dreyfus remplace Pierre Lefaucheux en février 1955 et lance une grande offensive sur le marché américain : les exportations passent de 3 670 unités en 1956 à 117 000 en 1959 ... avant de décliner. Dreyfus encourage aussi l’étude de voitures fonctionnelles : la rustique R4 (1961), la familiale R16 (1965), la citadine R5 (1972). En mai 1968, Boulogne-Billancourt symbolise la révolte ouvrière. En 1975, Pierre Dreyfus cède sa place à Bernard Vernier-Palliez, qui engage la Régie en formule 1 (1977). En janvier 1979, Renault entre dans le capital d’American Motors. Nommé en 1982, Bernard Hanon décide de lancer le modèle Espace. Georges Besse lui succède en 1985, avec la lourde tâche de gérer la crise économique, mais il est assassiné le 17 novembre 1986, et c’est Raymond Lévy qui accomplira son oeuvre. Ce dernier cède American Motors à Chrysler (1987), amorce la politique de « qualité totale » (1988), signe un protocole d’accord avec Volvo (1990), achève la prise de contrôle du constructeur d’autobus Mack (1990) et donne le feu vert au lancement de la Twingo (1992). Louis Schweitzer, président depuis 1992, prépare de nouvelles mutations, entame une privatisation partielle de l’entreprise (1994), se retire de la formule 1 - avec six titres de champion du monde des constructeurs (1992-1997) - et s’inscrit dans une stratégie de mondialisation en installant une usine au Brésil (1997). Mais Renault, incarnation pendant de longues années de la France industrielle, de ses conflits et de ses avancées sociales, semble avoir perdu sa place dans l’imaginaire collectif. La vente de l’île Seguin marque peut-être, symboliquement, la fin d’une époque. Après son rapprochement raté avec Volvo, Renault, qui passe alors au secteur privé, downloadModeText.vue.download 783 sur 975
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772 l’État réduisant sa participation à 15,7%, se rapproche du constructeur japonais, Nissan, en 1999 et investit en Roumanie pour lancer la voiture à petit prix destinée au marché des pays de l’Est. René d’Anjou, dit le Roi René, roi de Jérusalem et de Sicile de 1435 à 1480, duc d’Anjou et comte de Provence de 1434 à 1480 (Angers 1409 - Aix-en-Provence 1480). La figure du « bon roi » René illustre particulièrement bien le personnage du prince mécène et lettré, si caractéristique de la fin du Moyen Âge. Second fils de Louis II d’Anjou et de Yolande d’Aragon, René d’Anjou n’a jamais eu le destin politique qu’il ambitionnait. Il connaît en effet de nombreuses difficultés pour asseoir son autorité sur un triple héritage territorial. Duc de Bar (1430), duc de Lorraine (1431) par son mariage avec Isabelle de Lorraine, puis duc d’Anjou, roi de NaplesSicile à la mort de son frère Louis en 1434, et enfin roi de Naples à la mort de la reine Jeanne en 1435, il se voit contester ses titres sur l’ensemble de ces possessions. Chassé de Lorraine en 1431 et emprisonné, il doit ensuite abandonner Naples en 1442 et revenir en France. À l’exception de quelques participations à des expéditions militaires, au côté notamment de Charles VII, il se partage alors entre ses principautés d’Anjou et de Provence. Peu de temps après sa mort, en raison d’une politique successorale maladroite, l’Anjou et la Provence reviennent au royaume de France. Placé par ses héritages au carrefour géographique de plusieurs cultures, le Roi René a contribué à l’essor des échanges intellectuels et artistiques : sa cour, à Angers comme en Provence, accueille des artistes italiens, des peintres ou des sculpteurs flamands et allemands ; à Nicolas Froment, il commande le célèbre retable du Buisson ardent. Homme de lettres et homme de livres, il ouvre son importante bibliothèque aux oeuvres italiennes (Pétrarque, Boccace, etc.), dont il facilite les traductions et multiplie les copies enluminées. Son oeuvre littéraire, écrite en grande partie après son remariage de passion avec Isabelle de Laval en 1454, s’inscrit dans la tradition allégorique et courtoise dont le XVe siècle voit également le renouveau. Le Livre du Coeur d’amour épris, composé en 1457, raconte, sous la forme classique du songe et du pèlerinage allégoriques, la conquête de Coeur parti
à la rencontre de sa Dame. Construit selon un codage symbolique tout imprégné de la dévotion au coeur crucifié du Christ qui se développe considérablement en France dans la seconde moitié du XVe siècle, ce récit se rattache aux grandes quêtes médiévales et spirituelles de l’amour (Roman de la Rose, Quête du saint Graal). Mais ses accents spirituels, en même temps qu’ils donnent un ultime épanouissement à la littérature allégorique, soulignent aussi la mélancolie d’un siècle finissant et d’une religiosité hantée par la mort. rentes sur l’Hôtel de Ville de Paris, type spécifique de rente d’État sous l’Ancien Régime. En 1522, pour la première fois, la monarchie passe contrat avec la municipalité parisienne pour l’émission de rentes dont le paiement est assigné sur une recette fiscale précise. La municipalité, quant à elle, place ces rentes auprès du public et reverse le capital au Trésor ; elle assure ensuite aux rentiers le paiement des arrérages (intérêts) avec l’argent que lui fournissent officiers et fermiers de la monarchie : celle-ci a en effet conservé le contrôle des recettes assignées. Les versements, qui se font par « quartier » (trimestre), sont d’abord effectués par le receveur de la Ville puis par des payeurs des rentes. Perpétuelles, les rentes constituent une forme de crédit public à long terme. Mais, faute d’inspirer suffisamment confiance, l’État doit s’appuyer sur une autre institution : la Ville. Celle-ci joue ensuite régulièrement le rôle de défenseur des intérêts des rentiers. Les émissions, limitées sous François Ier, prennent une grande ampleur à partir du règne d’Henri II jusqu’à celui d’Henri III. Leur succès, réel, doit être nuancé : certaines opérations relèvent, en effet, de l’emprunt forcé. De plus, certains financiers acquièrent des rentes sans verser le capital en espèces, dans un but spéculatif. Malgré la prise en charge d’une partie des arrérages par le clergé à partir de 1561 (contrat de Poissy), des retards sérieux se produisent bientôt. L’ampleur (théorique) du fardeau, qui atteint 3,4 millions de livres à l’avènement d’Henri IV, incite Sully à mener une politique de réduction drastique : un tri est opéré entre les rentes, et les versements sont réduits autoritairement. En 1610, ils n’atteignent plus que 2 millions. Une explosion se produit de 1621 à 1660, qui se traduit par 20 millions d’arrérages supplémentaires. Dans sa détresse, liée aux guerres, la monarchie aurait même vendu des rentes au denier 4 (25 % d’intérêt), voire au de-
nier 2... Colbert reprend la politique de Sully et les rentiers subissent une banqueroute des deux tiers. Les difficultés de la fin du règne de Louis XIV obligent de nouveau à multiplier les rentes perpétuelles. Mais celles-ci connaissent une nette désaffection au XVIIIe siècle, au profit des rentes viagères. Cependant, malgré les réductions du taux de la rente (5 % en 1710) et les retranchements divers, elles constituent toujours un élément de la dette de 1789. Elles seront intégrées, lors du règlement financier révolutionnaire, dans le grand livre de la dette publique d’août 1793. réparations, indemnités financières imposées à l’Allemagne à l’issue de la Première Guerre mondiale. « L’Allemagne paiera » : tel est le leitmotiv qui anime l’essentiel de la politique extérieure française au début des années 1920. • Une pomme de discorde. L’idée de réclamer des dommages de guerre à un pays considéré comme l’agresseur s’impose avant la fin des hostilités et figure dans les conventions de l’armistice du 11 novembre 1918. Victime d’immenses destructions, la France, dont le territoire a subi la plupart des combats livrés sur le front occidental, entend financer une grande partie de sa reconstruction par le biais des réparations qu’elle exige de l’Allemagne : le traité de Versailles, conclu en juin 1919, en énonce le principe, notamment dans son article 231, mais les textes demeurent imparfaits et imprécis, les Alliés n’étant pas tombés d’accord sur le montant des sommes à exiger ni sur les modalités de remboursement. Les vainqueurs de la Grande Guerre, divisés, s’en remettent à des commissions ad hoc pour résoudre la question : une commission des réparations est ainsi créée au printemps 1920. Pour la France, qui se voit attribuer, en juillet 1920, 52 % du total des réparations, l’affaire est liée de manière très étroite à celle des dettes de guerre contractées auprès de la Grande-Bretagne et, surtout, des ÉtatsUnis, qui font montre d’intransigeance en la matière. Partisans d’une politique de fermeté à l’égard de l’Allemagne, les Français se heurtent à leurs alliés d’hier, qui préconisent une attitude plus souple. En effet, les Britanniques, estimant que le relèvement allemand est une condition indispensable à l’équilibre européen, pensent qu’en procédant de la sorte la France place la République de Weimar dans une position délicate. De fait, l’Allemagne ne respecte pas les échéances fixées, et les troupes françaises, en guise d’avertissement,
occupent quelques villes de la Ruhr (mars 1921). Mais, après la conférence de Washington, Aristide Briand, président du Conseil en place, soucieux de ne pas laisser son pays s’isoler, se montre plus conciliant. En butte aux attaques des tenants d’une ligne ferme, parmi lesquels figure le président de la République, Alexandre Millerand, il est contraint à la démission en janvier 1922. Les Allemands, en proie à de graves difficultés politiques et économiques, demandent alors un moratoire. Raymond Poincaré, qui a succédé à Briand, décide de prendre des gages en occupant, en janvier 1923, avec l’aide des Belges, le bassin industriel de la Ruhr. Outre qu’elle accélère la dégradation économique du pays, menaçant même l’Allemagne d’asphyxie, cette initiative crée une situation très difficile, marquée par des sabotages et des attentats contre les forces d’occupation. • Une question lancinante jusqu’en 1932. Pour sortir de l’impasse, Poincaré accepte la constitution d’un comité : présidé par l’Américain Dawes, ce comité est mis en place en 1924, en vue d’élaborer un plan de rééchelonnement de la dette allemande et de déterminer les modalités d’un prêt. Le gouvernement français profite de la circonstance pour renégocier ses dettes de guerre avec ses anciens alliés. À l’arrivée au pouvoir du Cartel des gauches, en mai 1924, le nouveau président du Conseil, Édouard Herriot, est confronté au même problème que ses prédécesseurs. La situation évolue dans le sens d’une solution qui satisfait les parties en présence : à l’occasion de la conférence de Londres (juillet-août 1924), le plan Dawes est approuvé par les Alliés, et la France s’engage à évacuer la Ruhr dans un délai d’un an. Revigorée par les crédits américains, l’Allemagne parvient désormais à honorer ses engagements. À la veille de la Grande Dépression, le plan Young prévoit un nouveau réaménagement des dettes allemandes, tout en reliant cette procédure à la question des dettes interalliées. downloadModeText.vue.download 784 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 773 Ces mesures ne soulagent guère le régime de Weimar, menacé par la montée du nazisme qui sait instrumentaliser à son profit le problème des réparations. En définitive, la part
des versements allemands - auxquels il est mis fin en juillet 1932 - ne représentera qu’un tiers des sommes investies par la France dans sa reconstruction. républicain (parti ou mouvement). Mouvement ou parti qui, à partir de la Révolution, se réclame de la Répiblique. Au début du XIXe siècle, la notion de « parti » demeure ambiguë. Certes, la Révolution française a favorisé l’éclosion de sociétés politiques - les clubs - qui ont exercé pendant quelque dix années une action permanente. Le Consulat et l’Empire les ont jugulées. En soumettant leur création à une autorisation administrative préalable - alors qu’auparavant une déclaration suffisait -, le Code pénal napoléonien limite le droit des associations. Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, les opinions politiques peuvent s’exprimer plus librement, mais les lois de 18341835 ne définissent toujours pas la liberté des partis, que le législateur appréhende encore comme des factions. Néanmoins, à travers les consultations électorales, et plus généralement à travers la presse, s’exprime une sensibilité républicaine, de façon progressive et continue, dans la première partie du XIXe siècle. • Une sensibilité républicaine. L’esprit républicain s’enracine dans l’héritage de la Grande Révolution. En 1815, il se traduit par l’opposition au retour des Bourbons et par une colère patriotique devant l’occupation d’une partie du territoire national par les armées coalisées de l’Europe. Favorable à un État fort, soucieux de sauvegarder l’égalité et d’assurer la défense de la nation, le républicanisme se distingue mal du jacobinisme et du bonapartisme. La jeunesse et la population des villes y sont attachées, particulièrement à Paris et dans le sud-est du pays. Après 1820, il prend de l’ampleur à travers des organisations secrètes telles que la charbonnerie. Le mouvement révolutionnaire de juillet 1830 est fort influencé par l’esprit républicain. Mais ce sont les orléanistes, expression du libéralisme, qui imposent le nouveau régime au profit du duc d’Orléans, Louis-Philippe. Cependant, la monarchie de Juillet ne peut enrayer, sinon une agitation, du moins une fébrilité républicaine permanente. En effet, la sensibilité républicaine, qui demeure toujours marquée par un attachement aux idées de la Révolution - notamment, l’exaltation de la nation rallie progressivement ceux qui, à gauche,
estiment que le nouveau régime instauré en juillet 1830, en confisquant le pouvoir, empêche l’expression de la véritable souveraineté nationale. Les difficultés économiques et sociales contribuent à forger une nouvelle alliance, autour de l’idéal républicain, de tous ceux qui veulent transformer le régime politique, mais aussi, de plus en plus, l’organisation de la société. Les libéraux du journal le National d’Armand Carrel se rapprochent d’hommes qui, tels Lamennais, Buchez, Ledru-Rollin ou Louis Blanc, appartiennent aux courants démocrates et socialistes. Cette opposition républicaine, complexe et hétérogène, prend son essor véritable dans les années 1840. Au début de la décennie, elle commence, timidement, à s’organiser. Populaire - sinon ouvrière -, réformatrice, la mouvance républicaine diffuse la revendication de la réforme politique. Patriote, elle condamne les hésitations en matière de politique extérieure des gouvernements, particulièrement celui de Guizot, qui semblent trop disposés aux compromis avec les dynasties régnantes en Europe. Cette sensibilité insiste aussi sur les valeurs de solidarité et de fraternité, tant la misère des villes semble mettre en cause les principes politiques du régime de Juillet. L’idée républicaine rallie de plus en plus de jeunes, notamment chez les étudiants mais aussi dans les élites provinciales les plus proches du peuple (médecins, avocats, journalistes). Cette expansion, même si elle doit demeurer clandestine, exploite de nombreux réseaux de sociabilité : les sociétés de secours mutuel, les sociétés de pensée, les groupes de socialistes utopiques, la presse. En avançant à grands pas, la « république clandestine » peut faire taire l’appel à l’insurrection et à la prise du pouvoir par la force. Pourtant, cette opposition ne constitue pas un parti politique, même si les élections législatives permettent le succès de quelques républicains (Ledru-Rollin, François Arago, Lazare Hippolyte Carnot). La conjoncture économique et sociale des années 1845-1847, en aggravant l’impatience populaire et en soulignant le discrédit croissant auquel est confronté le régime de Juillet, permet aux dirigeants républicains, souvent dispersés, de se retrouver autour d’un projet de campagne antimonarchiste : y participent les vétérans (Dupont de l’Eure) mais aussi des jeunes (Armand Marrast, Louis Garnier-Pagès), des universitaires (Edgar Quinet, Jules Michelet), des militants parisiens (Michel Goudchaux) ou provinciaux. La « campagne
des banquets », engagée dans le pays tout entier à partir de juillet 1847, suppose une organisation qui mobilise, à côté des hommes politiques, les élites bourgeoises locales, les étudiants, les ouvriers. L’« incendie des banquets » atteste l’impopularité de Louis-Philippe et permet à la propagande républicaine, qui appelle à la réforme politique, de rallier un certain nombre de dirigeants de la gauche dynastique (Odilon Barrot), déçus par le gouvernement monarchique sans pour autant être séduits par la revendication des républicains. Le programme des opposants au régime a prévu un dernier banquet à Paris, le 22 février 1848. L’interdiction de cette réunion par Guizot provoque une manifestation qui, rapidement, se transforme en émeute et en insurrection. Une révolution s’improvise à partir de cortèges d’étudiants et d’ouvriers, qui s’opposent à des forces armées mal commandées, tandis que la Garde nationale hésite. Dans la nuit du 23 au 24 février 1848, des faubourgs populaires au centre de Paris, sont érigées des centaines de barricades, que gardent de jeunes militants républicains. Convaincus que la crise de régime, illustrée par l’incapacité du roi à réagir, peut être exploitée, les dirigeants républicains veulent éviter l’erreur de 1830. Le 24 février, le succès manifeste de l’insurrection pousse Louis-Philippe à l’abdication et empêche l’installation d’une régence. Dans la soirée, un gouvernement constitué de républicains s’installe à Paris et proclame la république. C’est le fruit d’un compromis, dont les limites apparaissent rapidement. • L’apprentissage de la république. De sensibles divergences séparent les hommes qui prennent le pouvoir au nom de la république. Certes, les républicains souhaitent construire un État libéral qui trouve sa légitimité dans le suffrage universel ; mais ce projet ne peut satisfaire toute la nébuleuse républicaine. Le succès républicain provient des masses populaires et ne peut occulter leurs aspirations à une autre société, à des réformes démocratiques qui ne resteraient pas cantonnées au domaine politique mais auraient une tonalité sociale. La stratégie républicaine est en cause. Elle nourrit le débat auquel participent Lamartine - « une république à visage humain » - et Louis Blanc - « un socialisme de l’urgence » et que tranchent les élections générales d’avril 1848. En donnant la majorité, sinon aux « républicains du lendemain », du moins aux républicains modérés, plutôt conservateurs
sur les questions sociales, les résultats des élections poussent à l’insurrection populaire et ouvrière de juin 1848. Même si ces journées de juin traduisent le désespoir d’ouvriers mis au chômage, elles apparaissent alors, le plus souvent, comme un refus du verdict des urnes, comme une tentative antiparlementaire de la part des révolutionnaires parisiens. L’illusion républicaine se brise sur la réalité sociale et politique. La rupture de la mouvance républicaine entre légalistes et révolutionnaires a pour conséquence de marginaliser, de fait, les républicains modérés face aux conservateurs. La mise en place des institutions de la IIe République - élection du président de l’Assemblée, désignation du gouvernement - s’effectue contre les républicains, qui sont écartés du pouvoir par le parti de l’Ordre. Le contenu même de la république est sévèrement réglementé, puis limité. Dès l’été 1849, les droits d’expression et de réunion sont réduits, tandis que le droit de vote subit, au printemps 1850, une remise en cause spectaculaire. La « dérépublicanisation » mise en oeuvre avec l’élection de Louis Napoléon Bonaparte, en décembre 1848, ressoude l’opposition républicaine autour d’un projet « démocrate socialiste », comme l’illustrent les élections législatives du printemps 1849. Les « rouges » (ou « montagnards »), bien représentés dans la moitié méridionale du pays, perpétuent l’espérance républicaine. Un réseau tend à s’organiser, qui s’enracine aussi bien dans l’électorat citadin et ouvrier (Paris, Lyon, Marseille) que dans la population rurale (le Centre, le SudEst, le Sud-Ouest). Si la vie des « cercles » ou des « comités » devient de plus en plus difficile, les associations diverses qui tissent le réseau de « sociabilité coutumière » provinciale tendent à se politiser et à constituer l’embryon d’un parti. La presse devient un centre de ralliement de l’opposition, qui irrigue la province grâce à ses moyens de diffusion (le colportage, downloadModeText.vue.download 785 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 774 la lecture dans les cafés ou les chambrées). Les solidarités professionnelles, les relations familiales ou sociales, les proximités de quartiers, les fêtes populaires, permettent de contourner les limites imposées aux libertés publiques et de perpétuer le message républicain, par la chanson, le folklore, les affiches, les images.
Avocats et journalistes sont de plus en plus nombreux, dans les bourgs de la France méridionale, à adhérer au projet d’une république de la démocratie fraternelle et solidaire. Les lettrés (Victor Hugo) reconstruisent une mystique de l’émancipation et de la résistance. Le groupe parlementaire de la gauche - où les députés restent nombreux jusqu’au 2 décembre 1851 - offre à la fois une tribune à la revendication républicaine et une forme d’organisation politique et partisane. • À la recherche d’une légitimité républicaine. Le coup d’État du 2 décembre 1851 marque le déclenchement d’une répression antirépublicaine massive car la résistance, pour l’essentiel, se déroule dans la « province rouge », où elle prend la forme d’un soulèvement populaire contre la violation du droit constitutionnel et contre ceux qui brisent le rêve d’une république de la démocratie sociale. Car, le coup d’État, malgré quelques accents démocratiques ou populistes, sanctionne la victoire du camp de l’ordre. Le souvenir de l’épuration demeurera dans la glorification emblématique de Marianne. L’instauration de l’Empire autoritaire bâillonne l’opposition. Le Corps législatif, élu en 1852, ne comprend que trois députés républicains. Pourtant, malgré la censure, les déportations, les condamnations à la privation de liberté, les exils, l’enracinement du projet républicain persiste. Son cheminement est lent, difficile, longtemps clandestin puisque le parti républicain traverse un nouvel exil intérieur de plus de dix ans. La période est d’autant plus délicate pour cette opposition que le pays se modernise, que le capitalisme industriel et financier se développe, que s’engage la « révolution des transports », et que tend à revenir la prospérité. Dès lors, même si dans les années 1860 les républicains reprennent vigueur, notamment dans les grandes villes (Paris, Lyon, Marseille et la majorité des cités de plus de 50 000 habitants), la libéralisation ambiguë du régime entraîne des ralliements à l’Empire (Émile Ollivier) et une réflexion approfondie sur les « libertés nécessaires ». Une autre génération de républicains, plus réaliste, marquée par le positivisme et le sens de l’efficacité, émerge à la fin du Second Empire. Léon Gambetta, Jules Ferry, Jules Simon et d’autres figures commencent à l’illustrer tandis qu’un programme d’action - le programme de Belleville élaboré, en 1869, en prévision du retour au pouvoir - cherche à fédérer les divers courants républicains. De nouveaux équilibres tendent à s’établir.
Certes, les hommes de 1848 (Edgar Quinet, Louis Blanc) demeurent influents et n’abandonnent pas leurs perspectives, c’est-à-dire un « gouvernement direct du peuple » nourri par un républicanisme sentimental sinon messianique. Mais s’imposent de plus en plus les républicains formés au comtisme, au culte de la science. Juristes, ils réprouvent la violence et le despotisme, au profit d’une conquête progressive des esprits. Adeptes d’un pouvoir spirituel qui nourrisse la « morale républicaine », à l’instar d’Auguste Comte, ou simplement rationalistes, tel Jules Ferry, ils veulent rompre avec toutes les entraves à la liberté individuelle, qu’imposent l’Église comme le gouvernement autoritaire. Leur république est une démocratie libérale qui repose sur la promotion sociale individuelle plus que sur l’émancipation collective. Jules Ferry, Paul Bert et Léon Gambetta en sont les principaux « commis voyageurs ». Ils tendent à marginaliser ceux qui prétendent imposer des mutations révolutionnaires et l’organisation d’un mouvement populaire, voire ouvrier (Charles Delescluze). La défaite de Sedan et la chute de l’Empire, en septembre 1870, offrent aux républicains une divine surprise. Certes, les émeutes populaires permettent la proclamation, le 4 septembre, de la république, mais c’est la dernière fois que les républicains prennent appui sur une tentative révolutionnaire pour mettre en oeuvre leur projet. Ils gardent leur attachement au suffrage universel, mais, instruits des limites de la formation politique du pays, il leur faut d’abord éviter tout césarisme, construire le régime des libertés, puis « républicaniser les esprits », c’est-à-dire bâtir dans la durée une république nouvelle. Le refus d’apporter un appui explicite à l’insurrection communale de 1871, tout en condamnant la dureté de la répression menée par les versaillais, donne aux nouveaux dirigeants républicains un autre visage : il lève tout soupçon insurrectionnel, condamne implicitement la Terreur, même si, selon le mot célèbre de Clemenceau, « la Révolution française est un bloc ». Au total, au nom de la démocratie politique et des libertés publiques, monarchistes modérés et républicains peuvent se retrouver pour fonder une république de raison qui, dans le même mouvement, entraîne la revendication ouvrière dans une forme d’exil intérieur. Dans la seconde partie des années 1870, de surcroît, le contexte historique a changé : la république, d’abord politiquement incer-
taine sur ses bases, s’enracine après le remplacement, à la présidence de la République, du monarchiste Mac-Mahon par Jules Grévy, en 1879. Désormais, les républicains, déjà majoritaires à la Chambre et au Sénat, sont également maîtres du pouvoir exécutif : de « Marianne au combat », on est alors passé à « Marianne au pouvoir » (Maurice Agulhon). Républicains indépendants, à l’origine, groupe parlementaire de 36 députés constitué en décembre 1962. Ce n’est pas un hasard si cette appellation reprend celle du groupe modéré que présidait Paul Reynaud à l’Assemblée constituante de 1946. Alors que les Républicains indépendants de 1946 sont devenus l’une des composantes du Centre national des indépendants et paysans (CNIP), parti de la droite libérale, ceux de 1962 en sont les dissidents. Ils refusent la politique d’opposition au gaullisme préconisée par le CNIP après son échec aux élections de novembre 1962. Le 3 juin 1966, le groupe devient parti, sous le nom de Fédération nationale des républicains indépendants (FNRI), présidée par Valéry Giscard d’Estaing ; celui-ci résume par le célèbre « oui, mais » l’attitude de sa formation, qui entend demeurer dans la majorité tout en sauvegardant son indépendance ; c’est le refus de « marier la carpe et le lapin », dit encore Michel Poniatowski, chargé de l’organisation du parti entre 1969 et 1974. L’histoire de la FNRI se confond alors avec la carrière de Valéry Giscard d’Estaing. Paradoxalement, c’est lorsque celui-ci est élu président de la République, en 1974, que les Républicains indépendants connaissent de nouvelles difficultés. Le courant giscardien dépasse en effet très largement leur représentation parlementaire (55 sièges en 1973), et ils n’ont d’autre solution que de se fondre dans d’autres formations comme le Parti républicain, créé en mai 1977, puis l’Union pour la démocratie française (UDF), créée le 1er février 1978. l RÉPUBLIQUE. La définition la plus simple de la république, c’est de n’être pas la monarchie. Dans un royaume ou un empire, le chef de l’État est désigné par hérédité au sein d’une famille ; en république, il est un citoyen choisi parmi les autres citoyens. C’est aussi par là que la république se distingue, quoique moins nettement, de la dictature : un dictateur, même issu du peuple, n’arrive pas toujours au pouvoir par élection, et le quitte rarement de
son plein gré. Aussi tenons-nous aujourd’hui la république comme exclusive de la dictature tout autant que de la monarchie, et le simple fait de cette exclusion implicite atteste que nous lions la république aux idées, réputées bonnes, de libéralisme et de respect du droit. Car la république n’est pas seulement un système constitutionnel, elle est aussi un idéal. La bonne idée que la république et les républicains ont d’eux-mêmes peut s’étayer d’une tradition culturelle ancienne, celle qui, venue d’Athènes et de Rome, mettait au sommet des vertus le dévouement du citoyen à la chose publique (res publica, en latin), donc le goût de la politique et le respect de ses institutions. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, en France, « républicain » était déjà un mot connu, nom ou adjectif, pour désigner non pas nécessairement celui qui voulait chasser les rois, mais celui qui avait un idéal de bonne et lucide citoyenneté. En outre, à partir de 1776, cette admiration philosophique pour les républiques de jadis avait été relayée par celle qu’inspirait, à peine moins exotique, la république d’un pays neuf, celle de Benjamin Franklin et de George Washington. Bien des Français des années 1780 qui n’envisageaient pas - ou pas encore de chasser Louis XVI étaient « républicains » par admiration pour cette expérience civique en terre vierge. Marie-Joseph Chénier pourra écrire en l’an II, dans le Chant du départ, cette phrase d’orgueil lapidaire : « Les républicains sont des hommes/Les esclaves sont des enfants ». Autrement dit, les citoyens des républiques ont atteint la maturité, les « esclaves » (sujets des monarchies) n’y sont pas encore parvenus. Ainsi, dès l’origine, en France, « république » évoque non pas un système constitutionnel quelconque, mais un système réputé bon. downloadModeText.vue.download 786 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 775 UN ENJEU DURABLE DE CONFLIT Mais les termes de la définition de la république sont bientôt alourdis de bien d’autres complications. En 1789, personne ne songeait à transposer le modèle athénien ou le modèle américain dans les grands États de la vieille Europe. La volonté de moderniser, de « révolutionner » la France a d’abord pris la forme d’une monarchie constitutionnelle. Ce n’est pas le lieu ici de chercher pourquoi ce système a échoué. Le fait est que, dès 1792, les
adversaires de la Révolution s’accrochant à la forme monarchique de l’État, les partisans de la Révolution se sont résolus à l’utopie « république ». Ce fut le point de départ de plus d’un siècle de combat : une Ire République, du 21 septembre 1792 jusqu’à mai 1804 ; une IIe République, de 1848 à 1852 ; la IIIe, du 4 septembre 1870 au 10 juillet 1940 ; la IVe, de la Libération au 28 septembre 1958. Et la Ve, depuis lors. On notera, au passage, que les changements de numéros correspondaient jadis à des solutions de continuité : 1848 rétablit la république après un demi-siècle ou presque de monarchies diverses ; 1870 la rétablit après Napoléon III, 1944 la rétablit après Pétain... Seul le changement de 1958, de la IVe à la Ve, correspondra à un changement de Constitution au sein d’une continuité de la forme républicaine. Quoi qu’il en soit, ces longs épisodes de combat farouche ont lourdement pesé sur la définition, ou plutôt les définitions, de la république. LA RÉPUBLIQUE SELON SES FONDATEURS Le fait caractéristique et durable de la situation française, au long du XIXe siècle et dans une grande part encore du XXe, est l’association étroite qu’établissent les partisans de la république entre ce qu’elle est stricto sensu - un système constitutionnel - et ce qui l’a accompagnée - l’ensemble des valeurs de la Révolution. En clair, au XIXe siècle, un bon républicain n’est pas seulement un homme qui refuse la monarchie, pas seulement un citoyen épris des principes élémentaires de la modernité politique (la liberté, traduite par le règne du droit et de la loi, et la souveraineté du peuple, traduite par l’élection), mais aussi quelqu’un qui aime et respecte la grande Révolution, qui aime la patrie (France messagère du droit nouveau), qui aime le peuple (ces classes pauvres parmi lesquelles, à Paris et à Lyon, le combat républicain a recruté ses fantassins), qui tient à la laïcité de l’État et se méfie du clergé catholique, et enfin qui tient au primat des assemblées élues, se méfie du pouvoir exécutif, voire de toute personnalité excessivement dominante. Ce système d’exigences républicaines, en quelque sorte supplémentaires, est à l’évidence un concentré d’expériences historiques : on aime la Révolution parce que la république en est « la fille » ; on déteste l’Église catholique parce que, dès 1791 et jusqu’au coeur du XXe siècle, elle a, au premier chef, fourni une idéologie et une base sociale au camp de la monarchie ; on déteste les grands hommes, les héros et les chefs parce
que, quand ils ne trahissent pas la cause, tel Mirabeau - ou encore tel Danton (pour les robespierristes) ou Robespierre (pour les thermidoriens) -, ils ont la fâcheuse habitude, tels les Bonaparte, de faire des coups d’État. Il est bien connu que, pour un « bon républicain », vers 1900, un républicain autoproclamé qui agirait en ami du clergé ou bien en partisan d’un renforcement de l’exécutif ne saurait être un républicain véritable. Ce système de pensée est, bien entendu - on l’aura reconnu -, celui de la gauche. Il apparaît aussi, très vite, comme le contenu de la « tradition républicaine ». Il constitue enfin ce que nous avons proposé d’appeler une « définition maximale de la république » : le droit strict, plus quelques valeurs contingentes et complémentaires. Exaltée par le combat, par le martyre parfois (après 1851), cette idée de la république a suscité assez naturellement des phénomènes de vénération, de culte, d’imploration rhétorique (« La République nous appelle... », « la Grande République/Montrant du doigt les cieux », etc.) ; c’est à elle que s’attachent aussi les phénomènes de personnification et de multireprésentation, toute cette mystique et toute cette symbolique qui vont bien audelà du juridisme strict. LA RÉPUBLIQUE SELON SES ADEPTES TARDIFS La situation est d’abord restée symétrique. De 1800 à 1848, l’idée de république n’a évoqué, pour le camp de la contre-révolution, de la monarchie et de l’ordre, que des idées hautement répulsives, au mieux d’utopie absurde, au pis de terrorisme et d’impiété conjugués. Tout devait changer lorsque la république gagnerait la partie, deviendrait le régime durable de la France, et recevrait en conséquence des vagues d’adhésions nouvelles. Dès 1848, de hardis précurseurs comme Alexis de Tocqueville, étant trop libéraux pour trouver tolérables le royalisme « légitime », passéiste et clérical du comte de Chambord, le royalisme incertain et corruptible des Orléans ou le « sabre » bonapartiste, envisageaient, en quelque sorte par élimination, une république à l’américaine, qu’on pourrait faire durable. C’est le calcul que devait reprendre et faire triompher Adolphe Thiers entre 1871 et 1873. La république a été fondée lorsque la gauche a reçu le renfort décisif du plus brillant des transfuges de l’orléanisme. Dès lors devait se constituer progressivement, à côté du républicanisme essentiel de la gauche, un républica-
nisme issu de la droite ; à côté de la république des fondateurs (ou de la « tradition républicaine »), une république des ralliés ; à côté de la république à définition maximale, une république à définition minimale. Le mot de « ralliement », dans le vocabulaire historique usuel, évoque la grande initiative du pape Léon XIII (1892), lorsqu’il fit observer aux catholiques français que l’existence de la monarchie n’était pas un article de foi, et qu’il pouvait être plus utile d’accepter la forme républicaine du régime pour mieux combattre ce que sa législation avait de réellement impie (le divorce, l’école sans Dieu, etc.). Initiative d’abord peu suivie d’effets, mais de longue portée dans son principe. On peut en rapprocher celle de Pie XI, qui, en condamnant l’Action française (1926), incitera plus nettement encore les catholiques à se détacher de leur vieille fascination monarchique et autoritaire pour se consacrer à fonder une démocratie chrétienne, républicaine évidemment. Mais on doit pouvoir parler de mouvement de ralliement à la république en donnant son sens le plus général au terme « ralliement », et en prenant en compte d’autres motivations. Peut-être d’abord, tout simplement, l’effet du temps, qui rendit de plus en plus improbable une restauration monarchique, et qui laissa les royalistes ou bonapartistes s’acclimater à la vie des institutions libérales et débonnaires de la république, laquelle leur livrait d’ailleurs de larges espaces d’influences locales et régionales. Un républicanisme d’accoutumance, en quelque sorte. La principale raison, cependant, d’acceptation de la république par la droite reste sans doute le patriotisme. La droite contre-révolutionnaire et catholique s’était très vite, au XIXe siècle, détournée des antécédents douteux (car fort peu nationaux) de l’émigration et de la chouannerie, pour intégrer (ou réintégrer) la patrie française dans son système de valeurs. Son patriotisme ne le cédait en rien à celui de la gauche, bien qu’il fût fondé sur d’autres prémisses. Or, il se trouva qu’en 1870-1871 la république (le gouvernement de la Défense nationale) avait, comme on dit, sauvé l’honneur, tandis que le dernier monarque de la France l’avait compromis (désastre de Sedan, trahison de Bazaine...). Cet argument - la République fut plus nationale que l’Empire - avait valeur d’évidence dans les années 1870, et Gambetta
sut d’ailleurs en user avec quelque efficacité pour attirer vers la république une partie des cadres de l’armée. Bien des légitimistes qui s’étaient habitués à servir « la France » dans l’armée, même après 1830, continuèrent à « la » servir dans l’armée de la République, et finirent par se retrouver républicains lorsqu’il fut devenu manifeste que la « République française » était l’avatar présent de la France tout court. Il est à peine besoin d’ajouter que la république devait être encore renforcée, dans cet esprit, par le fait d’avoir présidé à la victoire et à l’énorme exaltation nationale de 1918. Poincaré et Clemenceau, républicains symboles de la victoire, parachevaient l’oeuvre morale de Gambetta. À cette date, dans le premier quart du XXe siècle, il est devenu tout à fait clair qu’on peut être républicain et conservateur ; en d’autres termes, qu’il y a des républicains à droite (bien que, nous l’avons dit, la gauche dût longtemps refuser d’en convenir). Mais ces républicains de droite sont aussi des républicains à définition minimale : leur république est réduite à l’essentiel (pas de roi, État de droit, libertés et élections), elle ne leur impose ni de respecter la Révolution, ni de défendre la laïcité, ni d’identifier les institutions idéales au régime parlementaire. LA RÉPUBLIQUE RENDUE CENTRISTE PAR LA LUTTE SOCIALE Par une autre voie, les termes de « république » et « républicain » connaissent vers la même époque, environ vers la fin du XIXe siècle, un autre infléchissement de leurs connotations. Nous faisons allusion à la question sociale. Vers 1880, toute la gauche était républicaine, et ce mot portait tous ses espoirs, y downloadModeText.vue.download 787 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 776 compris celui du bien-être et de l’harmonie sociale. Or, vers 1890, une partie de ces espoirs était déçue, la république s’était trouvée adaptable et adoptable par le capitalisme et la bourgeoisie, et le mouvement ouvrier, épris de justice sociale, s’était rendu compte qu’il fallait chercher au-delà, vers un programme et un idéal socialistes. Dès lors, ceux des républicains avancés qui sont devenus socialistes ont fait l’essentiel de leur propagande sur le thème
et le mot de « socialisme », et ils ont, du coup, laissé l’usage permanent de « république » et de « républicain » à ceux qui, n’étant pas devenus socialistes, se trouvaient désormais plus à droite qu’eux ! Chacun le sait bien, du reste, les Clemenceau, les Brisson ou les Combes eurent plus souvent la république à la bouche que les Guesde ou les Jaurès. La gauche socialiste est républicaine, certes. Mais elle s’affirme surtout comme telle - et aujourd’hui encore - dans les grandes occasions, quand il y a une révolution à commémorer, ou quand une menace paraît peser sur la démocratie. En dehors de ces deux cas, la gauche socialiste ou communiste s’affirme ... socialiste ou communiste, et donne donc l’impression d’un républicanisme à éclipses. Rude handicap en face des radicaux ou des modérés qui parlent, eux, de république tous les jours ! Ainsi s’explique ce fait incontestable que la famille de mots « république », « républicain »... s’est historiquement, longuement, donc irrésistiblement, liée à une position de centre gauche, un centre gauche où l’on admet deux fronts de lutte : l’un, principal, contre la droite, l’autre, en principe secondaire, contre l’extrémisme révolutionnaire plus ou moins marxiste. Sous Louis-Philippe le « républicanisme » naissant était situé à l’extrême gauche. Sous la IIIe République, il est assez nettement positionné au centre gauche. Rançon de la victoire, en quelque sorte. LA RÉPUBLIQUE, NIÉE PAR VICHY ET CONQUISE PAR LE GAULLISME Les péripéties du XXe siècle ont ajouté à cette évolution de longue durée deux tournants importants mais de bien inégale portée, et qu’évoquent les noms de Philippe Pétain et de Charles de Gaulle. En 1940, les hommes de Vichy, loin d’enregistrer le fait patent de la banalisation et de l’embourgeoisement du régime républicain, ont retrouvé contre lui les vieilles haines contre-révolutionnaires : en s’intitulant « État français », Vichy supprimait ostensiblement la République française. Aussi bien, l’effigie du Maréchal remplaçait-elle celle de Marianne sur les monnaies et les timbres-poste. Bien entendu, la défaite du nouveau régime et sa compromission avec l’ennemi hitlérien rendirent, par contrecoup, du lustre à la république. De 1940 à 1944, la plupart des mouvements de la Résistance s’étaient proclamés républicains en même temps que patriotes, et, dans la France libre, de Londres à Alger, l’idée de restaurer la république en même temps
que l’indépendance nationale s’était vite fait sa place. En 1944, personne ne doutait que le général de Gaulle fût l’acteur principal de ce rétablissement de la république, dont il avait été en quelque sorte le gardien « légitime » pendant la parenthèse vichyssoise. On hésita seulement sur la question de savoir si ce principe de restauration devait amener à rétablir la IIIe République, ou s’il fallait rajeunir les institutions en instaurant une République quatrième, ce qui fut finalement décidé, comme on sait, par référendum dès 1945. Plus intéressantes sont les péripéties de 1958, lorsque le Général, trouvant à son tour mauvaises les institutions de la IVe, fit campagne pour un nouveau changement. Alors, du 13 mai 1958 (putsch d’Alger) au 28 septembre (victoire du « oui » gaulliste au référendum) en passant par le 1er juin (de Gaulle élu président du Conseil par l’Assemblée), le conflit entre partisans et adversaires du Général a été présenté par ces derniers comme un combat de défense de la république. Le Général, homme issu de la droite, assez indifférent à la laïcité, grand partisan de l’exécutif fort, capable de s’appuyer avec opportunisme sur le putsch d’Alger plutôt que de le dénoncer, avait tous les caractères de ces républicains autoproclamés que la gauche dénonçait comme inauthentiques parce qu’il leur manquait quelques-uns des bons critères. On évoquait les spectres de Bonaparte et de Boulanger. Il serait à peine exagéré de dire que la bataille politique de 1958 fut la dernière bataille idéologique du XIXe siècle. Comme on le sait, le gaullisme a démenti les pronostics sinistres de ses adversaires : tout compte fait, de Gaulle n’a pas gouverné en dictateur, et la Ve République a connu, en 1981, une première alternance. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé à plusieurs reprises d’enregistrer ce fait dans des conventions de langage objectives. Il n’est plus possible aujourd’hui de soutenir que la gauche seule est authentiquement républicaine, alors que la droite le serait fallacieusement. La droite n’est pas « républicaine » selon les normes de la « tradition » cultivée à gauche, elle l’est autrement. Il existe un consensus sur l’idéal de république en son sens le plus général et sur la version minimale du programme ; il y a débat sur le reste, comme il y a débat sur maints autres problèmes de la vie publique. Les observateurs d’aujourd’hui ne peuvent
d’ailleurs qu’être frappés du fait que les mots « république » et « républicain » sont désormais plus fréquents dans le vocabulaire des partis classés à droite que dans ceux de la gauche. Les gaullistes, en particulier, apparaissent à beaucoup d’égards comme les principaux héritiers de la droite républicaine, quand ce n’est pas de l’ancien centre gauche de la IIIe République. À gauche, on est déconcerté devant cette évidence, et deux réactions tout à fait contradictoires se dessinent : les uns veulent s’affirmer toujours et encore « républicains » et s’acharner à disputer à la droite le label de républicanisme ; les autres, au contraire, veulent considérer que l’idéal « républicain », capté par le gaullisme, est désormais réactionnaire, et que le progrès consisterait à se dire « démocrate ». Il est trop tôt pour savoir ce qu’il adviendra de ces innovations verbales, un peu ésotériques. RÉPUBLIQUE ET RHÉTORIQUE La république, cette forme française de la démocratie libérale, est acceptée par la quasiunanimité des citoyens du pays. Pour la grande majorité d’entre eux, « république » et « républicain » sont des mots réputés bons et présumés efficaces. De là, de curieuses habitudes du langage politique, dont l’accoutumance nous a fait oublier le caractère emphatique, redondant ou pléonastique : « maintenir (ou rétablir) l’ordre républicain », « faire appliquer les lois de la République », « maintenir [la Nouvelle-Calédonie, la Corse...] dans la République »... Emphase et redondance significatives en elles-mêmes, et aussi par leur usage, que l’on trouve aussi bien à droite qu’à gauche. Cependant, ce consensus de fait n’est pas reconnu comme tel, tant sont importantes, entre la droite et la gauche, non seulement les divergences d’avis sur maints problèmes concrets, mais encore les différences de sensibilité nourries par une longue histoire. République (Ire), régime instauré le 22 septembre 1792, quand la Convention nationale décrète que les actes sont désormais datés de l’an I de la République ; elle adopte le lendemain la formule de la « République une et indivisible ». Alors que plus d’un mois s’est écoulé depuis la chute de la monarchie (10 août 1792), le décret d’abolition de la royauté (21 septembre) n’a pas entraîné sur-le-champ la proclamation officielle de la République. En effet, le nouveau régime est d’abord un état de fait, fondé par l’insurrection populaire du 10 août et par
l’élection d’une nouvelle Assemblée constituante. Cependant, loin de s’identifier à la seule Constitution de 1793, qui sera adoptée par la Convention puis ratifiée par les assemblées primaires, cette première République connaît plusieurs modes de gouvernement successifs. Dès le 10 octobre 1793, Robespierre présente, au nom des comités, les principes du gouvernement révolutionnaire et affirme que « le but du gouvernement constitutionnel est de conserver la République, celui du gouvernement révolutionnaire est de la fonder ». Les premiers temps de la République sont ceux d’une guerre contre la tyrannie, où le militant comme le soldat patriote républicain incarnent la souveraineté populaire, où les conventionnels expriment la volonté générale, qu’ils représentent, et où la vertu doit guider l’ensemble des actes révolutionnaires. Les thermidoriens récusent ce gouvernement révolutionnaire et prétendent, contre la Terreur, rétablir un régime constitutionnel. Loin de mettre en oeuvre la Constitution démocratique de 1793, qui institue un pouvoir législatif dominant, ils inventent un nouveau régime, censitaire, où l’exécutif est prépondérant : le Directoire. Le coup d’État de Napoléon Bonaparte (18-19 brumaire an VIII [9-10 novembre 1799]) se présente encore comme le combat d’un républicain contre les royalistes. La référence républicaine ne disparaît pas même avec l’Empire, puisque la Constitution du 18 mai 1804 proclame que « le gouvernement de la République est confié à un empereur ». downloadModeText.vue.download 788 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 777 République (IIe), régime politique instauré le 25 février 1848, à la suite du renversement de la monarchie de Juillet. L’histoire de la plus brève des Républiques en France est celle d’un échec qui a alimenté de nombreux débats. • Les handicaps originels. La IIe République, mise en place par surprise, a souffert tout d’abord de l’absence d’un véritable parti républicain à la veille de la révolution de 1848. Celui-ci exerce bien une influence sur les milieux artistiques et intellectuels de la capitale - et, dans une certaine mesure, sur le peuple de Paris, perméable aux idéologies
les plus diverses. Mais la répression gouvernementale sous la monarchie de Juillet a brisé dans l’oeuf toute tentative de reconstitution du parti. La République a certes bénéficié d’un ralliement quasi général après sa proclamation : les notables conservateurs, soucieux de garder leur prépondérance sociale, ménagent le nouveau pouvoir ; les royalistes légitimistes se réjouissent de la chute des Orléans ; le clergé, sensible au climat libéral et romantique, bénit les arbres de la Liberté. Mais il y a désormais beaucoup plus de « républicains du lendemain » que « de la veille ». En effet, l’idéologie républicaine n’est pas enracinée dans un corps électoral masculin appelé à voter pour la première fois au suffrage universel afin d’élire l’Assemblée constituante. L’ajournement des élections ayant été écarté malgré la pression des démocrates parisiens, le gouvernement en est réduit à intervenir dans la campagne électorale par l’intermédiaire des commissaires de la République, qui prônent le vote en faveur d’authentiques républicains. À l’issue du scrutin du 23 avril 1848, ces derniers obtiennent 500 sièges, les ralliés 300, auxquels s’ajoutent une centaine de démocrates et socialistes. Les « républicains du lendemain » ont cependant l’avantage d’une plus grande notoriété et de l’expérience politique. La IIe République a souffert, en second lieu, de la crise économique et sociale dont elle était issue. La révolution a en effet relancé la crise - en voie de résorption - en provoquant le retrait massif de capitaux chez les détenteurs apeurés. Les cours de la Bourse s’effondrent ; plusieurs établissements de crédit font faillite, aggravant le marasme industriel et commercial ; le chômage s’accroît. Face à ces difficultés, le gouvernement prend quelques mesures utiles, telle la création de comptoirs d’escompte offrant au petit commerce un crédit à meilleur marché. Mais il manque d’audace, et commet une grave erreur politique en augmentant de 45 % les impôts directs. Il mine ainsi sa popularité dans les campagnes auprès d’une paysannerie fortement endettée. À Paris, la pression populaire l’oblige à prendre des initiatives : adoption du décret sur le « droit au travail » le 25 février ; création des ateliers nationaux le 26 ; constitution, le 28, de la « commission du gouvernement pour les travailleurs » (Commission du Luxembourg), chargée d’étudier les moyens d’améliorer la condition ouvrière ; décret du 2 mars sur la limitation de la journée de travail à dix heures à Paris, et à douze heures en
province. Mais l’application de ces mesures va se révéler décevante. La majorité du Gouvernement provisoire est en effet composée de bourgeois libéraux hostiles aux réformes sociales. Les ateliers nationaux, loin d’être les ateliers sociaux rêvés par Louis Blanc pour modifier les rapports du capital et du travail, prennent la forme d’ateliers de charité où les chômeurs sont enrôlés pour des travaux de terrassement. Leur afflux est tel qu’il faut réduire le salaire versé. Quant à la Commission du Luxembourg, composée en majorité d’ouvriers, elle se réduit à un superclub où l’on débat des divers systèmes socialistes, au grand effroi de la bourgeoisie, même si elle intervient utilement dans l’arbitrage des conflits du travail et pousse à la fondation de coopératives ouvrières. La IIe République a ainsi déçu ses soutiens potentiels sans rassurer des alliés conditionnels. • Les journées de juin et la fin de la République démocratique. La IIe République a fait l’expérience, à ses débuts, d’une démocratisation totale de la vie politique. Toutes les libertés publiques - réunion, presse, association - sont accordées sans restriction. La Garde nationale est ouverte à tous. L’humanitarisme ambiant se traduit en outre par la suppression de la contrainte par corps et des châtiments corporels, et par l’abrogation de l’esclavage dans les colonies. Cette libéralisation provoque une floraison de clubs à Paris et l’éclosion d’une presse démocratique à bon marché libérée du cautionnement. Une telle effervescence sur fond de crise sociale est lourde de menaces pour la paix civile, d’autant que le fossé se creuse entre une gauche révolutionnaire déçue par les résultats du 23 avril et la Commission exécutive formée après la réunion de l’Assemblée, orientée plus à droite que le Gouvernement provisoire. La première épreuve de force surgit le 15 mai. Une immense manifestation en faveur d’un soutien à la Pologne insurgée aboutit, faute de mesures préventives suffisantes - on a même parlé de piège -, à l’invasion de l’Assemblée par la foule et à une tentative de coup d’État par les dirigeants révolutionnaires parisiens groupés autour de Barbès et de Blanqui. L’ordre est facilement rétabli, et les leaders de la journée sont arrêtés. Mais cet attentat contre la souveraineté d’une Assemblée élue récemment au suffrage universel laisse des traces profondes et provoque un début de réaction politique, comme en témoigne le succès en province de « républicains du lendemain »
tels que Thiers aux élections complémentaires du 4 juin - succès qui contraste avec celui des candidats démocrates ou socialistes à Paris. La dissolution des ateliers nationaux provoque l’épreuve décisive. Leur existence est condamnée par la majorité des constituants pour des raisons financières et politiques. Sous la pression de l’Assemblée, la Commission exécutive décrète, le 21 juin, l’enrôlement dans l’armée des hommes de moins de 25 ans et la dispersion des autres sur les chantiers de province. La dissolution provoque une insurrection spontanée du Paris ouvrier des quartiers est, qui résistent pendant trois jours aux forces de l’ordre regroupant l’armée, la garde mobile et les bataillons bourgeois de la Garde nationale. L’Assemblée proclame le 24 juin l’état de siège, confie les pleins pouvoirs au général Cavaignac, ministre de la Guerre, qui fait appel aux gardes nationaux de province. L’écrasement de l’insurrection, les 25 et 26 juin, se solde par plusieurs milliers de morts, surtout dans les rangs des insurgés. La répression est vigoureuse : 25 000 arrestations, dont 11 000 condamnations à la prison ou à la déportation en Algérie. Parisienne ou provinciale, la bourgeoisie apeurée est désormais gagnée au parti de l’Ordre. Les ouvriers parisiens prennent leurs distances avec une République bourgeoise. La province a fait une irruption décisive sur la scène politique. Enfin, la révolte des ouvriers parisiens marque le début d’une réaction politique. À la tête du pouvoir exécutif, débarrassé des anciens membres du Gouvernement provisoire et de la Commission exécutive, Cavaignac, tout en gardant des convictions authentiquement républicaines, limite l’exercice du droit de réunion et rétablit le système de cautionnement pour les journaux, décision qui sonne le glas de la presse démocratique. Les élections municipales et cantonales de l’été 1848 voient le retour en force des notables de la monarchie de Juillet. À l’automne, l’avenir de la République est déjà fortement hypothéqué. • Les imprudences constitutionnelles. La nouvelle Constitution, votée le 4 novembre 1848, repose sur trois principes - régime représentatif, souveraineté du peuple et séparation des pouvoirs - et s’inspire de deux modèles : la Ire République et la Constitution américaine. Du premier, les constituants ont retenu le monocamérisme et le nombre élevé des représentants du peuple pour corriger les effets du système représentatif. Une Assem-
blée unique de 750 membres, élue pour trois ans, est investie du pouvoir législatif. La personnalisation du pouvoir exécutif, l’élection au suffrage universel du chef de l’État doté d’un mandat de quatre ans, s’inspirent en revanche de la démocratie américaine, comme le principe de la séparation des pouvoirs. Le président de la République ne peut dissoudre l’Assemblée mais garde le contrôle de ses ministres. De telles dispositions impliquent une confiance totale dans la sagesse du suffrage universel et dans la vertu des dirigeants politiques. Les garanties « républicaines » sont minces : pour le président, obligation de prêter serment de fidélité à la République démocratique devant l’Assemblée, et traduction éventuelle devant la Haute Cour de justice en cas de forfaiture. Mais rien n’est prévu en cas de conflit aigu entre les deux pouvoirs. Quant à la disposition interdisant la réélection immédiate, elle va se révéler plus dangereuse qu’utile. • La République sans républicains. Cinq candidats se présentent à l’élection présidentielle du 10 décembre. Cavaignac, auréolé de son succès de juin, apparaît comme le candidat des notables et de l’autorité, soutenu par les républicains modérés et de nombreux ralliés. Il a aussi pour lui l’administration et la plupart des journaux, au risque d’apparaître comme le candidat du pouvoir incarnant la gestion de la crise économique, l’« impôt des 45 centimes », la répression sociale. C’est downloadModeText.vue.download 789 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 778 pourquoi, les députés de la Montagne lui préfèrent Ledru-Rollin, ancien ministre de l’Intérieur, qui incarne le courant radical appuyé par un réseau de sociétés républicaines. Les socialistes soutiennent Raspail, le médecin des pauvres, tandis que Lamartine, s’illusionnant sur sa popularité, tente aussi le sort des urnes. Très vite, l’adversaire le plus dangereux pour Cavaignac est le prince Louis Napoléon Bonaparte, rentré récemment d’exil. Il a en sa faveur un nom illustre, la force de la légende napoléonienne, le ralliement de la plupart des dirigeants du parti de l’Ordre formé autour des principaux leaders monarchistes, légitimistes ou orléanistes, et des membres du parti catholique. Au terme d’une habile campagne, il remporte 74 % des suffrages exprimés, contre 19 % à Cavaignac. Le faible score de Ledru-Rollin (5 %) révèle le manque
d’organisation de l’extrême gauche, Raspail et Lamartine ne recueillant que des scores confidentiels (0,5 % et 0,1 %). En accord avec le parti de l’Ordre, le prince-président compose un gouvernement, qu’il confie à Odilon Barrot, lequel épure l’administration de ses cadres républicains et engage la lutte contre les hommes de février. Aux législatives du 13 mai 1849, les républicains modérés subissent une nouvelle défaite et, avec 11 % des suffrages, n’ont que 75 élus. Le parti de l’Ordre obtient 53 % des voix et 450 représentants sur 750. La surprise vient du succès relatif de l’extrême gauche - 35 % des suffrages -, qui comptabilise 200 parlementaires au terme d’une campagne axée sur les aspirations du monde rural. Mais la Montagne perd le bénéfice de cette poussée en provoquant une inutile manifestation à Paris, le 13 juin, contre l’expédition romaine en faveur du rétablissement du pouvoir temporel du pape. Ses leaders doivent prendre la fuite, et le parti de l’Ordre en profite pour durcir l’arsenal législatif répressif contre les clubs et la presse démocratique. • La fin de la République. Entre les mains de ses adversaires que leurs divisions neutralisent, la République va survivre encore deux ans et demi. Tout en s’émancipant de la tutelle du parti de l’Ordre par la formation, le 31 octobre 1849, d’un ministère extraparlementaire, Louis Napoléon laisse l’Assemblée légiférer et adopter la loi Falloux (15 mars 1850), qui règle le problème de la liberté de l’enseignement secondaire mais place l’Université sous la tutelle des autorités sociales et du clergé. Il la laisse resteindre le suffrage universel par la loi du 31 mai 1850, qui exclut les électeurs domiciliés depuis moins de trois ans dans leur commune. Pendant ce temps, le prince-président tisse sa toile dans l’administration et crée à l’Assemblée un parti élyséen. Les oppositions entre légitimistes et orléanistes s’étant accrues après l’échec du projet de fusion consécutif à la mort de LouisPhilippe, de nombreux parlementaires s’inquiètent de l’échéance de 1852. Les ultras du légitimisme et de l’orléanisme minent l’essai d’une République conservatrice. Dans de telles conditions, le président se sent assez fort pour se débarrasser du général Changarnier, commandant des troupes de Paris et principal obstacle à un éventuel coup d’État (9 janvier 1851). Malgré ses protestations, l’Assemblée s’incline. La dernière chance de sauver la IIe République est de
réviser la Constitution pour éviter, en mai 1852, la double vacance du pouvoir exécutif et législatif et pour permettre la réélection, selon ses voeux, de Louis Napoléon. La majorité du parti de l’Ordre s’y résigne mais n’obtient pas, le 19 juillet 1851, le minimum des trois quarts des votants exigé par la Constitution, en raison de l’opposition d’une fraction d’orléanistes irréductibles groupés autour de Thiers. Le coup d’État est devenu inévitable. Il est habilement préparé techniquement et politiquement, le prince-président proposant le rétablissement du suffrage universel repoussé par l’Assemblée le 13 novembre. La droite tente alors d’assurer la sécurité de l’Assemblée en prévoyant le droit, pour son président, de requérir la force armée. C’est au tour des républicains de s’unir aux bonapartistes pour repousser la proposition (17 novembre). Par le coup d’État du 2 décembre 1851, l’Assemblée est dissoute, le suffrage universel rétabli, et la souveraineté de l’Assemblée dessaisie au profit du peuple français appelé à confier au président de la République le pouvoir de promulguer une Constitution sur la base de quelques principes rappelant celle de l’an VIII. C’est une triple violation de la Constitution de 1848, à laquelle Louis Napoléon avait prêté serment. Les républicains organisent la résistance, plutôt limitée à Paris malgré quelques relais en province (notamment dans le Centre et le Midi, où éclatent des troubles insurrectionnels), autour des sociétés secrètes qui s’y sont multipliées. Cette résistance permet au pouvoir d’engager une vaste répression, qui se traduit par 27 000 arrestations, 10 000 déportations en Algérie. Elle favorise le ralliement des partis conservateurs, épouvantés par la présentation qu’en fait la presse gouvernementale, qui dénonce la « nouvelle jacquerie ». Le plébiscite des 21 et 22 décembre ratifie à une très grande majorité le coup d’État (92 % de « oui »). Il signe l’acte de décès de la République, abandonnée par le peuple, même si elle se maintient nominalement encore une année, mais avec une Constitution qui est déjà celle du second Empire. l RÉPUBLIQUE (IIIe). La plus longue des Républiques que la France a connues - 1870-1940 - ne bénéficie pas toujours d’une excellente réputation. Le souvenir, trop souvent, s’attarde sur les scandales (Panamá ou Stavisky) qui l’ont éclaboussée, sur l’instabilité de ses gouverne-
ments, sur la faible efficacité de son système parlementaire. D’autres reproches concernent son incapacité à résoudre la « question sociale » et son attachement à l’individualisme libéral, générateur de sclérose et de conservatisme. Pourtant, les valeurs de la IIIe République - les libertés, l’égalité devant la loi, la laïcité, mais aussi la solidarité -, lentement acclimatées pendant ces soixante-dix ans, représentent un héritage plus que jamais vivant, même si le contexte social est aujourd’hui différent. FONDATION ET CONSOLIDATION (1870-1893) La République ne s’impose qu’au terme d’un long combat, mené au cours des années 1870. Durant les années 1880, les républicains, victorieux, forgent le système juridique et institutionnel caractéristique de la IIIe République. Vers 1890, celle-ci semble bien enracinée et des reclassements politiques majeurs s’opèrent. • La genèse (1870-1875). Discrédité par sa défaite dans la guerre franco-allemande, le second Empire s’écroule brutalement le 4 septembre 1870, lors d’une journée dont le déroulement s’inscrit dans la tradition révolutionnaire : après avoir proclamé la déchéance du souverain au Palais-Bourbon, les députés républicains, accompagnés d’une foule de manifestants, se rendent à l’Hôtel de Ville de Paris et y proclament la république. Mais les tenants du nouveau régime ne forment pas un front uni : aux modérés, soucieux d’éviter tout débordement révolutionnaire, tel Jules Favre, s’opposent des républicains avancés, plus sensibles au souvenir de la tradition jacobine, comme Léon Gambetta. Ce dernier, après avoir quitté Paris investi par les Prussiens à partir du 19 septembre, organise en province la défense nationale, tandis que le nouveau gouvernement est confronté, dans la capitale assiégée, à l’agitation de l’extrême gauche qui réclame, dans la tradition de 1793, une dictature révolutionnaire et la guerre à outrance en vue de chasser l’envahisseur. La capitulation de Paris permet la tenue d’élections générales le 8 février 1871. Les électeurs, qui assimilent le parti républicain à la poursuite de la guerre, désignent une Assemblée nationale dominée par une majorité « conservatrice », c’est-à-dire royaliste. Cette assemblée met en place un exécutif dirigé par Adolphe Thiers, vieil homme d’État venu de l’orléanisme, qui appelle plusieurs républi-
cains modérés à siéger dans son gouvernement. Entre l’Assemblée nationale, à majorité monarchiste, qui décide au début de mars de siéger à Versailles, et les révolutionnaires parisiens, appuyés sur une large fraction de la population de la capitale, le conflit est inévitable. Le féroce écrasement de la Commune de Paris, au cours de la Semaine sanglante (21-28 mai 1871), puis les nombreuses condamnations (à mort, aux travaux forcés ou à la déportation) prononcées par les conseils de guerre laminent le courant révolutionnaire. L’hypothèque révolutionnaire levée, le moment semble venu pour Thiers, confirmé dans ses fonctions de chef de l’État le 31 août 1871, de proposer l’instauration d’une « république conservatrice ». La majorité de l’Assemblée nationale le contraint toutefois au départ, le 24 mai 1873, et tente de procéder à la restauration de la monarchie, sous l’égide du nouveau président, le maréchal de Mac-Mahon, et du duc de Broglie, nommé vice-président du Conseil. Favorables dans leur ensemble à l’« Ordre moral » (un système social fondé sur le respect des croyances et de l’ordre hiérarchique traditionnels), les monarchistes sont pourtant divisés sur la nature du régime politique à mettre en place : les « légitimistes » - partisans du comte de Chambord, prétendant au trône issu de la branche aînée des downloadModeText.vue.download 790 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 779 Bourbons - s’opposent aux « orléanistes » qui soutiennent le comte de Paris, descendant de Louis-Philippe. Les seconds, au contraire des premiers, ne sont guère favorables à une trop forte influence de l’Église catholique sur la vie politique et sont en outre profondément attachés au régime parlementaire. Ces divergences et l’intransigeance du comte de Chambord (qui refuse de renoncer au drapeau blanc de ses ancêtres) aboutissent à l’échec de la restauration monarchique (octobre 1873). Dès lors, une majorité centriste se dessine, formée des orléanistes les plus modérés et des républicains ralliés à une solution de compromis sur le plan institutionnel : le 30 janvier 1875, par 353 voix contre 352, l’amendement Wallon est adopté, qui prévoit l’élection du président de la République par le Sénat et la Chambre des députés. Les lois constitutionnelles de 1875 visent à instituer un véritable régime parlementaire - la res-
ponsabilité ministérielle est affirmée, mais le président dispose de l’arme de la dissolution. Elles créent deux chambres : la Chambre des députés, élue au suffrage universel direct, et le Sénat, au suffrage indirect. En effet, sur 300 sénateurs, 75 - inamovibles - sont élus par l’Assemblée nationale de 1871, et les 225 autres par un collège électoral au sein duquel les représentants des communes rurales (réputés conservateurs) sont les plus nombreux. Doté des mêmes prérogatives que la Chambre, le Sénat doit avoir pour rôle essentiel de freiner les élans « irréfléchis » résultant du suffrage populaire. • La mise en place de la République. Au cours des années 1876-1879, l’enjeu institutionnel demeure source de conflits entre conservateurs et républicains. Mac-Mahon, président de la République élu pour un mandat de sept ans en novembre 1873, se trouve confronté à une Chambre à majorité républicaine, issue des élections de 1876. Très vite, les présidents du Conseil modérés qu’il désigne - Jules Dufaure, puis Jules Simon doivent faire face à une offensive de la majorité à propos de la question religieuse. Le 16 mai 1877, Mac-Mahon exige la démission de Jules Simon et désigne le duc de Broglie pour lui succéder, puis, après un vote de défiance des députés à l’encontre de ce nouveau gouvernement, dissout la Chambre le 25 juin : le désaccord, dont l’issue est capitale pour l’avenir des institutions, est tranché par les élections des 14 et 28 octobre 1877. La victoire de la majorité sortante, par 323 sièges contre 208 aux conservateurs, qui témoigne de la conquête de l’opinion par les républicains, aboutit à l’instauration d’un régime dans lequel les Chambres deviennent l’élément prépondérant. Le dernier acte du conflit se joue en janvier 1879 : les républicains, sortis vainqueurs des élections sénatoriales, obtiennent la démission du président MacMahon, qui est remplacé par Jules Grévy. Désormais, le pouvoir est exercé par les républicains de gouvernement - ou « opportunistes » - tel Jules Ferry (président du Conseil en 1880-1881 et en 1883-1885) -, tandis que les « radicaux », favorables à l’application immédiate et intégrale du programme républicain, forment une opposition d’extrême gauche. Dans la première partie des années 1880, d’importantes réformes sont mises en oeuvre, qui vont modeler pour longtemps le visage de la nation. La victoire de cette République qui se proclame l’héritière de la Révolution est d’abord celle du libéralisme et de la dé-
mocratie. Ses lois garantissent la liberté de la presse (loi du 29 juillet 1881) et le droit de réunion (loi du 30 juin 1881), qui avaient été bafoués par le régime impérial et les hommes de l’« Ordre moral ». La démocratie communale reçoit une impulsion décisive par la loi du 5 avril 1884, selon laquelle le maire est élu par le conseil municipal. Si, contrairement au voeu des radicaux, le Sénat n’est pas supprimé, son mode d’élection est néanmoins modifié par la suppression des sénateurs inamovibles. Mais c’est la politique de laïcité qui est considérée comme la pièce essentielle de la politique républicaine. Mise en oeuvre par des hommes professant une opinion positiviste, voire matérialiste - tels Jules Ferry ou Paul Bert -, elle a surtout pour but de libérer les esprits de l’emprise « cléricale » : la suppression de l’obligation légale du repos dominical et le rétablissement du divorce (1884) manifestent également un souci de sécularisation de l’État. Dans le domaine scolaire, plusieurs mesures sont prises en vue d’un même objectif : les ministres des cultes sont exclus du Conseil supérieur de l’Instruction publique ; l’octroi des grades universitaires relève du monopole de l’État ; des lycées de jeunes filles sont créés ; la neutralité des programmes de l’enseignement primaire est imposée par la loi de 1882 ; enfin, l’exercice de l’enseignement est interdit aux membres des congrégations non autorisées, dont certaines sont dispersées. On souligne souvent les limites de la politique républicaine dans le domaine social. En fait, les républicains restent fidèles à l’inspiration individualiste de la Révolution française, hostile aux groupes et aux « corps intermédiaires » susceptibles de brimer la liberté des individus. La seule mesure sociale conséquente demeure donc la politique scolaire : l’instauration de l’obligation scolaire (1881) et de la gratuité de l’enseignement primaire (1882) permet à une minorité de « boursiers », issus de milieu modeste, d’accéder à l’enseignement des lycées, qui, lui, demeure payant. Seules les promotions sociales individuelles sont donc favorisées. La République naissante ne fait pas figurer la liberté d’association parmi les libertés fondamentales, par crainte de renforcer la puissance des congrégations religieuses. L’importance des mouvements collectifs dans la vie industrielle conduit toutefois les républicains à reconnaître la liberté de création des syndicats par la loi de 1884, tout en limitant le champ d’activité de ces organisations à la défense des intérêts professionnels. Le régime trouve des appuis dans les
milieux les plus variés : fractions des oligarchies économiques séduites par la politique libérale ; paysannerie soucieuse de stabilité, mais défiante à l’égard des notables traditionnels ; et, surtout, représentants des couches moyennes - petits producteurs, membres des professions libérales, fonctionnaires - avides de promotion sociale et politique, et qui peuplent, dans les années 1880, les assemblées locales, communales ou départementales. L’ampleur de ce soutien découle de son ambivalence fondamentale : la République défend l’ordre et la propriété, mais se montre aussi soucieuse de promotion et de mobilité. • La contestation boulangiste et la redistribution des forces politiques. Politiquement, le régime acquiert durant la première partie des années 1880 ses traits les plus carac téristiques. La crise de 1876-1877 a définitivement déséquilibré le système institutionnel en faveur des Assemblées, surtout de la Chambre, au détriment du président de la République (le droit de dissolution étant désormais entaché de conservatisme monarchiste). Comme il n’existe pas dans les Assemblées de majorités durables, l’instabilité ministérielle devient une caractéristique essentielle du régime. Mais elle est compensée par la permanence du personnel politique et de la haute fonction publique. Enfin, il n’existe pas dans le pays de forces organisées au plan national susceptibles de coordonner l’action des comités locaux. Les loges maçonniques y pourvoient en partie, sans que jamais la francmaçonnerie joue le rôle de gouvernement occulte que lui attribueront ses adversaires. Ce régime, d’implantation encore récente et fragile, doit affronter une première vague de contestation de grande ampleur à la fin des années 1880. Les difficultés économiques, liées à la dépression du dernier quart du XIXe siècle, affectent les classes moyennes et le prolétariat ouvrier. Ce dernier, dont une large fraction a apporté son appui électoral à la République, s’estime lésé par ce régime au conservatisme social avéré. Enfin, l’instabilité ministérielle et l’omnipotence du législatif contribuent à forger l’image d’un régime d’impuissance et d’immobilisme, qui déçoit et inquiète les nationalistes, pour lesquels la priorité est la revanche contre l’Allemagne. En outre, la politique de conquête coloniale, engagée sur une vaste échelle par les « opportunistes », fait l’objet de vives critiques de la part des conservateurs comme des républicains « avancés ». Le nationalisme, les aspirations sociales et l’antiparlementarisme sont les trois ressorts de l’agitation boulangiste. Sous
l’égide du général Boulanger, ancien ministre de la Guerre dans un cabinet « opportuniste », se noue une coalition disparate de conservateurs, de catholiques et de monarchistes (qui n’acceptent pas la laïcité et espèrent se servir du général pour renverser la République), d’une fraction de l’extrême gauche radicale (qui voit en lui un « jacobin botté » soucieux de réformes sociales), et de nationalistes (qui, groupés dans la puissante Ligue des patriotes, caressent leur projet de « revanche »). Le général, qui aspire à l’établissement d’un régime plébiscitaire, obtient tout au long de l’année 1888 un grand succès populaire, en se présentant à plusieurs élections partielles successives. Mais le caractère hétéroclite de ses soutiens et sa propre indécision entraînent l’échec de son entreprise. Sa fuite, en avril 1889, permet aux républicains de l’emporter aux élections de septembre. L’échec de Boulanger conforte la République, mais l’épisode n’en est pas moins révélateur d’une désaffection de certains milieux populaires à l’égard du régime, désaffection confirmée par la poussée du socialisme, pendownloadModeText.vue.download 791 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 780 dant la seconde partie des années 1880 et au début des années 1890. Les socialistes sont divisés : les uns sont antiparlementaires, les autres, proches de l’extrême gauche radicale, sont favorables aux institutions démocratiques, et voient dans le socialisme l’achèvement de l’idéal républicain. Leur succès est conforté lors des élections de 1893, à l’issue desquelles près de cinquante socialistes entrent à la Chambre. Rompant avec les radicaux, les républicains de gouvernement ex-« opportunistes », qui se désignent désormais sous le vocable de « progressistes » -, avant tout préoccupés par le maintien de l’ordre social qui leur semble menacé par la vague d’attentats anarchistes des années 1890-1893, cherchent alors un appui du côté de la droite. Celle-ci subit, elle aussi, un processus de recomposition. Une partie des conservateurs catholiques, répondant à l’appel lancé en 1892 par le pape Léon XIII, décident d’accepter la forme républicaine de gouvernement, tout en restant très réservés à l’égard de la législation laïque. Les « ralliés » n’en forment pas moins une droite assagie, dont les républicains les plus modérés acceptent le concours dans leur lutte contre
l’extrême gauche. Dans le même temps, alors que le scandale de Panamá (1892-1893) entraîne la mise à l’écart de figures de première importance, modérées ou radicales, comme Georges Clemenceau, une nouvelle génération accède au pouvoir à la suite des élections de 1889 et 1893, tels Raymond Poincaré et Louis Barthou. LA BELLE ÉPOQUE ET LA GRANDE GUERRE (1893-1918) • La contestation antidreyfusarde, la défense républicaine et le Bloc des gauches. À l’extrême fin du siècle, alors que la République semble avoir trouvé un équilibre avec le gouvernement des « modérés », l’affaire Dreyfus déclenche une deuxième grande vague de contestation contre le régime. Les controverses autour de la condamnation pour espionnage au profit de l’Allemagne du capitaine Alfred Dreyfus, à la fin de 1894, ne gagnent le devant de la scène publique qu’en 1898, avec la publication du « J’accuse... ! » d’Émile Zola, dénonciation de l’acharnement du haut étatmajor à l’encontre d’un innocent. En août 1898, après la découverte d’un faux fabriqué par les services du 2e bureau pour accabler Dreyfus, une violente polémique oppose les « révisionnistes » - ou « dreyfusards » -, partisans de la révision du procès au nom de la défense du droit et de la justice, aux « antirévisionnistes » - ou « antidreyfusards » -, qui prétendent défendre l’honneur et l’autorité de l’armée en s’opposant à toute remise en cause de la chose jugée. Les premiers, qui agissent, notamment, au sein de la Ligue des droits de l’homme, bénéficient du soutien d’hommes politiques de gauche, tels Jean Jaurès et Georges Clemenceau, et de beaucoup d’« intellectuels ». Les seconds se regroupent dans des ligues nationalistes : la Ligue des patriotes, antiparlementaire et favorable à une République plébiscitaire, la Ligue de la patrie française, conservatrice et traditionaliste, la Ligue antisémitique, qui incarne un nationalisme populaire, « révolutionnaire » et xénophobe. Les républicains de gouvernement, dans le souci de ménager le haut étatmajor, manifestent d’abord une très grande prudence devant les demandes de révision. Mais l’agitation nationaliste prend, au début de 1899, des formes ouvertement factieuses. Paul Déroulède, chef de la Ligue des patriotes, tente, pendant les obsèques du président Félix Faure le 23 février, d’entraîner la troupe sur l’Élysée. Aussi, nombre de parlementaires modérés envisagent-ils une nouvelle formule d’alliance,
incluant les radicaux, voire les socialistes, autour d’un programme de « défense républicaine ». Dans le gouvernement présidé par Pierre Waldeck-Rousseau, formé en juin 1899, les « républicains de gauche » - la dénomination « progressistes » étant désormais réservée aux modérés hostiles à la nouvelle formule sont associés à des radicaux et à un socialiste (Alexandre Millerand, nommé ministre du Commerce et de l’Industrie). Cette nouvelle coalition - le Bloc des gauches - sort victorieuse des élections de 1902. Les radicaux, devenus la force principale de la majorité, accèdent à la présidence du Conseil après la démission de Waldeck-Rousseau, remplacé par Émile Combes en juin 1902. Une politique de laïcisation d’une extrême vigueur est alors menée par la majorité du Bloc, solidement organisée à la Chambre autour d’une « délégation des gauches », dans laquelle figurent les représentants de toutes ses composantes. Toutefois, les socialistes quittent cette délégation dès 1905 - année de la création de la SFIO -, à l’exception des socialistes « indépendants », qui refusent de se soumettre aux directives de l’Internationale. Si les élections de 1906 confirment la prédominance des radicaux, qui assument la responsabilité du pouvoir sous la direction de Georges Clemenceau (octobre 1906-juillet 1909), l’hostilité des socialistes, mécontents du caractère limité des lois sociales et soucieux de ne pas soutenir un gouvernement « bourgeois », empêche la reconduction de la formule du Bloc des gauches. Mais il faut attendre la chute de Clemenceau, remplacé par Aristide Briand, et les élections de 1910 pour assister à un véritable infléchissement vers le centre. • La poussée démocratique des premières années du siècle. Les radicaux se présentent volontiers comme l’« avant-garde démocratique », dont le programme est dominé par deux objectifs : la laïcisation et la républicanisation de la France. La politique de laïcisation est en partie une réponse à l’engagement de certaines congrégations religieuses dans le combat antidreyfusard, tels les Pères assomptionnistes par le biais du journal la Croix. L’action de ces « moines ligueurs » paraît d’autant plus dangereuse que ces organisations échappent en grande partie au contrôle de l’Église de France, liée à l’État par le Concordat de 1801. Les congrégations enseignantes sont soupçonnées d’inculquer à leurs élèves, souvent les futurs cadres de la nation, des principes contraires à ceux de la Révolution, introduisant dans les esprits des germes d’une division morale incompatible avec l’existence même
de la République. Aussi, le premier volet de la politique de laïcisation vise-t-il les congrégations. La loi Waldeck-Rousseau du 1er juillet 1901 pose le principe de la liberté d’association, sauf pour les congrégations, qui devront solliciter une autorisation auprès du Parlement. Sous la pression des comités radicaux, Combes applique avec brutalité cette loi - que son auteur avait conçue dans un esprit libéral. Les autorisations sont refusées, et les congrégations non autorisées, dispersées ; une loi de 1904 interdit l’activité d’enseignement à toute congrégation, même autorisée. Cette politique, qui rend difficile l’application du Concordat, provoque, au printemps 1904, la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican, puis l’adoption, le 9 décembre 1905, de la loi de séparation des Églises et de l’État. Tout en garantissant la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, la République se refuse à reconnaître ou à financer aucun de ces cultes. Le clergé cesse d’être rémunéré par l’État, qui n’a plus à intervenir dans la nomination de ses membres. Les biens nécessaires à l’exercice du culte feront l’objet d’inventaires et seront gérés par des associations cultuelles laïques. Le pape, mécontent de n’avoir pas été consulté et soupçonnant ces associations de porter atteinte au pouvoir hiérarchique des évêques, condamne la loi. Les inventaires des biens d’Église se déroulent dans une atmosphère de combat. Mais, bien que le clivage demeure très fort entre catholiques et anticléricaux, la loi de séparation fait finalement passer au second plan la « question religieuse ». La politique de républicanisation - autre aspect essentiel de la défense républicaine est, elle aussi, menée très différemment par Waldeck-Rousseau et par Combes. Le premier se borne, en plaçant le recrutement des officiers sous la responsabilité directe du ministre, à affirmer le principe de la supériorité du pouvoir civil sur le commandement militaire. Le second, partisan d’un véritable « gouvernement militant », incite les « bons républicains » à exercer une surveillance sur tous les fonctionnaires afin d’éprouver leur fidélité à la République. La majorité de la Chambre ne le suit pas ; il démissionne en janvier 1905, à la suite de l’affaire des Fiches (un système de renseignement sur les convictions politiques et religieuses des officiers). Cette oeuvre de laïcisation et de républicanisation, qui met en cause les autorités traditionnelles et bénéficie d’un réel appui populaire, s’inscrit dans un contexte plus large de démocratisation du régime. Le per-
sonnel parlementaire qui siège à la Chambre à la suite des élections de 1902 est en grande partie issu des couches moyennes. Ces élus ne disposant plus de l’indépendance que la fortune conférait aux notables traditionnels, le rôle des comités de base s’en trouve accru, alors que, dans le même temps, apparaissent les premières grandes formations partisanes organisées au plan national : l’Action libérale populaire, qui groupe les catholiques « ralliés », la Fédération républicaine, qui tente de rassembler les progressistes, l’Alliance démocratique, qui vise à réunir les républicains de gauche, tandis qu’à gauche, où le poids des militants est beaucoup plus considérable, sont fondés le Parti radical-socialiste (1901) et le parti socialiste SFIO (1905). À la Chambre, les députés ne peuvent plus, à partir de 1910, s’inscrire simultanément dans plusieurs groupes parlementaires, mais, sauf chez les socialistes, l’unité de vote est loin d’être réadownloadModeText.vue.download 792 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 781 lisée à l’intérieur de chaque groupe. À partir de 1905, la « question constitutionnelle » et la « question religieuse » passent au second plan : la « question sociale » devient le problème majeur. Révélée dans les grands débats des années 1890, à l’époque de la poussée électorale des socialistes et de la formation de la CGT (1895), elle se manifeste alors avec intensité : l’unification du mouvement socialiste (1905), la vague de grèves des années 19041907, durement réprimée, attestent la vigueur du mouvement ouvrier, alors que des mouvements de type nouveau apparaissent, comme celui des fonctionnaires réclamant le droit de syndicalisation. La République reste néanmoins fidèle à la défense de l’ordre libéral, dans le droit fil de la Révolution de 1789. Les mesures législatives en matière sociale restent rares : en 1900, le socialiste Millerand, ministre dans le gouvernement Waldeck-Rousseau, fait adopter une loi qui limite à onze heures la durée quotidienne du travail (mais cette mesure rend caduque la loi de 1892, qui restreignait à dix heures la journée de travail des enfants de 13 à 16 ans) ; en 1904, la durée légale pour tous passe de onze à dix heures ; en 1906, le repos dominical est rétabli. Il se produit, toutefois, une triple évolution, doctrinale, juridique et institutionnelle. La doctrine « solidariste », développée notamment par le radical Léon Bourgeois,
insiste sur la notion de solidarité entre les membres du corps social, sans supprimer celle de concurrence, chère aux libéraux ; elle influence notablement les législateurs républicains. Au plan juridique, l’ordre libéral et individualiste est mis en cause par la loi de 1898 sur les accidents du travail, qui fonde le principe de l’indemnisation du salarié sur la notion de risque professionnel inhérent au travail industriel, indépendamment des responsabilités individuelles. Mais cette notion nouvelle d’« assurances sociales » ne reçoit que tardivement une application concrète, avec la loi de 1910, instituant les retraites ouvrières et paysannes, qui garde une portée limitée. L’État républicain met en place des structures d’arbitrage (loi de 1892), et crée, tardivement, un ministère du Travail (1906). Ces réformes restent toutefois modestes, dans une société dominée par les producteurs et travailleurs indépendants, attachés au libéralisme. Ces réticences expliquent la longueur de la procédure législative concernant l’impôt sur le revenu : proposée en 1907 par Joseph Caillaux, cette loi n’est votée qu’en 1914. • La « question nationale », la Grande Guerre et l’« union sacrée ». La « question nationale » devient centrale dans les années 1910-1914. Les problèmes soulevés par la montée des tensions avec l’Allemagne et les débats à propos de la défense nationale suscitent de nouveaux clivages. À propos de la crise marocaine (1911) et de la loi sur la durée du service militaire (que l’état-major demande, en 1913, de porter à trois ans), s’opposent les partisans du durcissement et ceux d’une attitude plus conciliante. Les premiers, sous l’impulsion de Raymond Poincaré et Louis Barthou, deux républicains de gauche, parviennent à faire voter la loi des trois ans, en 1913. Cependant, les radicaux et les socialistes, hostiles à cette loi, emportent les élections de 1914. Le nationalisme connaît un réel regain mais reste l’apanage d’une minorité, le sentiment le plus répandu, largement diffusé par l’école républicaine, étant celui du patriotisme défensif dont la nature est bien différente : ce dernier, en effet, ne sépare pas la cause de la France de celle de la République et se réfère à la visée universaliste de la Révolution française. Cette conception est partagée par l’ensemble des socialistes, à l’exception d’une frange antimilitariste, influente dans les milieux syndicalistes révolutionnaires. Aussi, les querelles portentelles davantage sur les modalités que sur le principe même de la défense nationale. Ainsi s’explique la formation de l’« union sacrée », en août 1914, qui se concrétise par le rallie-
ment de la CGT et des socialistes à l’effort de défense nationale. La terrible épreuve de la Grande Guerre renforce le régime. Pourtant, la longueur du conflit et son caractère particulièrement meurtrier auraient pu ébranler la cohésion nationale et modifier profondément le fonctionnement des institutions. En fait, l’« union sacrée » n’est guère contestée durant les deux premières années - de 1914 à 1916 -, sauf par les « minoritaires » socialistes, acquis à l’idée d’une paix de compromis. Ce n’est qu’en septembre 1917 que les socialistes quittent le gouvernement d’« union sacrée », après les mutineries du printemps (provoquées par la lassitude des troupes, qui prennent conscience de l’inutilité des tueries), et après une vague de grèves à l’« arrière ». Néanmoins, jusqu’à la fin de la guerre, aucun courant « défaitiste » n’émerge de façon significative. Sur le plan du fonctionnement du régime, les autorités, pressées par la nécessité, acceptent des entorses aux principes républicains : la censure est instaurée, et une véritable économie dirigée est mise en place, surtout à partir de 1917. Toutefois, le Parlement conserve ses prérogatives, exerçant son droit de contrôle sur l’exécutif, même si Georges Clemenceau, nommé président du Conseil dans un contexte de crise politique en novembre 1917, adopte une pratique plus autoritaire du pouvoir, en s’appuyant sur l’opinion publique. La victoire de 1918 apparaît comme l’oeuvre du « Tigre », mais aussi comme l’aboutissement des immenses sacrifices des citoyens mobilisés et de la nation républicaine toute entière. LA IIIe RÉPUBLIQUE FACE À UN MONDE NOUVEAU (1918-1940) Malgré les difficultés nées de la reconstruction au lendemain de la Grande Guerre, la IIIe République ne semble d’abord pas affaiblie. En revanche, les années 1930 laissent l’image d’une période de crise et de difficultés. En effet, le régime doit faire face aux mutations en profondeur qui affectent la société française et l’environnement international. • Les années 1920 : un âge d’or ? L’espoir d’un renouvellement politique est manifeste lors des élections générales de 1919. Mais les années 1920 se caractérisent finalement par la persistance des clivages d’avant-guerre. La formule du Bloc national, correspondant à la législature de la « Chambre bleu horizon » (1919-1924), et présentée comme le prolongement de l’« union sacrée » (à l’exclusion des
socialistes), recouvre une coalition hétérogène formée de nationalistes, de radicaux et de modérés, en désaccord sur de nombreux points. Les gouvernements de ce « Bloc » sont dominés par des hommes du centre droit. En vue des élections de 1924, le Cartel des gauches est constitué, qui unit radicaux et socialistes sur la base de la laïcité. Mais, une fois au pouvoir, la coalition se divise sur les questions financière et monétaire, désormais placées au coeur des débats politiques : les socialistes, qui refusent de participer en position minoritaire à un gouvernement « bourgeois », sont favorables à un impôt sur le capital, que rejettent de nombreux radicaux. À la suite de la chute du gouvernement du radical Édouard Herriot, une nouvelle majorité se forme à la Chambre en juin 1926 : Raymond Poincaré constitue alors un gouvernement d’union nationale, dont l’objectif principal est de « sauver le franc ». Il est soutenu par les radicaux, les modérés et la droite parlementaire, héritière des « progressistes » et des « ralliés ». La formule, qui rappelle l’« union sacrée » et le Bloc national, est abandonnée en 1928, quand les radicaux, sous la pression de leur aile gauche, quittent cette majorité. Le centre et la droite gardent le pouvoir jusqu’aux élections de 1932, sous la direction d’hommes nouveaux - André Tardieu et Pierre Laval -, qui remplacent ceux de la génération des années 1890. En apparence, la République parlementaire est parvenue à résoudre tous les problèmes de l’avant-guerre. La « question constitutionnelle » semble réglée, la République n’étant contestée dans son principe que par l’Action française, ligue royaliste d’extrême droite. Il subsiste cependant des partisans d’un État plébiscitaire, notamment à la ligue des Jeunesses patriotes. À l’extrême gauche, les socialistes favorables à une dictature révolutionnaire de type léniniste se sont regroupés dans le Parti communiste, créé en 1920. La « question religieuse » divise encore le pays dans la première partie des années 1920. Alors que le Bloc national rétablit les relations diplomatiques avec le Vatican et pratique une politique très ouverte à l’égard des congrégations, le Cartel des gauches veut renouer avec le « laïcisme » militant ; mais l’opposition des catholiques conduit ses dirigeants à renoncer à leurs projets. Désormais, la République applique de manière tolérante les lois qui ont instauré la laïcité. La « question sociale » se pose avec acuité au lendemain de la Grande Guerre : les grèves de 1919-1920, qui doivent en partie leur tonalité à l’influence de la révolution russe, sont réprimées avec
vigueur par le Bloc national. Mais la République, dans les années 1920, reste fidèle à son modèle social initial : peu de mesures législatives, sauf l’importante loi de 1919 sur la journée de huit heures ; encouragement de la promotion individuelle, par le biais de la gratuité de l’enseignement secondaire à partir de 1930 ; poursuite de l’édification du système de protection « assurantielle » (les lois de 1928 et de 1930 organisent l’extension et la généralisation des assurances sociales, dans le respect du vieil esprit mutualiste). Enfin, la « question nationale » n’est plus abordée sous le même angle : les déconvenues nées de la politique de stricte application du traité de Versailles de 1919 à 1924 et le constat de la downloadModeText.vue.download 793 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 782 faiblesse démographique du pays poussent le régime à suivre la politique d’apaisement mise en oeuvre par Aristide Briand (1925-1932), fondée sur la sécurité collective et le rapprochement franco-allemand. Toutefois, cette apparente continuité masque des déséquilibres sous-jacents. La société française n’est plus celle de l’avantguerre. La catégorie des petits rentiers a été durement éprouvée par l’inflation. Cette dernière est jugulée par la « stabilisation » de 1928, mais le « franc Poincaré » n’a plus que le cinquième de la valeur du franc or de 1914. En outre, une distorsion de plus en plus marquée se fait jour entre la philosophie de l’individualisme libéral et les processus engendrés par la concentration croissante des moyens de production. • Les années 1930 : la crise et les évolutions décisives. À la fin de 1931, la crise économique atteint la France, plus tardivement que d’autres pays occidentaux. Le ralentissement de l’activité frappe le commerce, l’artisanat, la petite entreprise, l’agriculture ; le chômage s’étend chez les salariés ; le déficit budgétaire s’accroît. Les radicaux et les socialistes, majoritaires à la suite des élections de 1932, restent divisés sur la nature des mesures de rigueur financière qui, de plus en plus, semblent s’imposer. L’instabilité ministérielle qui en résulte - cinq gouvernements radicaux se succèdent en 1932-1933 - contribue à donner du régime une image d’impuissance et d’instabilité. À cela s’ajoute le poids de plusieurs scandales financiers (Hanau, Oustric,
Stavisky), qui compromettent une partie, d’ailleurs limitée, de la classe politique. Dès lors, la IIIe République doit affronter la plus virulente vague de contestation de son histoire, vague qui revêt un aspect multiforme : agitation ligueuse (Jeunesses patriotes, Francisme, Croix-de-Feu), mécontentement des anciens combattants, critiques de cercles d’intellectuels - sceptiques quant à la capacité du régime parlementaire à résoudre la crise morale et sociale. La manifestation sanglante du 6 février 1934, organisée par des ligues de droite et des anciens combattants, provoque la chute du gouvernement radical d’Édouard Daladier. Pour faire face à la menace de déstabilisation, deux formules sont successivement mises en oeuvre. La première est l’union nationale, dans la tradition du « poincarisme ». Le gouvernement formé par Gaston Doumergue s’appuie sur une majorité qui regroupe la droite, le centre droit et les radicaux autour d’un programme de défense du franc - devenu le symbole de la sauvegarde des classes moyennes et du régime - et de réforme de l’État. L’échec est patent : la politique de déflation accentue le ralentissement de l’économie ; les mesures visant à renforcer l’exécutif se heurtent aux défenseurs des prérogatives du Parlement, nombreux chez les radicaux. Aussi, en 1934-1935, un second type de coalition se forme-t-il, héritier de la défense républicaine et du Cartel des gauches : le Front populaire, qui remporte les élections de juin 1936. Mais ce rassemblement des gauches revêt un visage nouveau : il n’est plus dominé par le Parti radical, mais par la SFIO, devenue le premier parti de gauche, dont le chef, Léon Blum, assure la direction du gouvernement ; le Parti communiste, sorti de sa marginalité, y joue un rôle important, sans toutefois accepter que ses membres assument des responsabilités ministérielles. La lutte contre les ligues factieuses et un programme de relance de l’économie par la consommation constituent l’essentiel de son programme, mis en oeuvre jusqu’en 1938, date de la dislocation du Front Populaire. Les radicaux, appuyés sur le centre et la droite, ont alors la tâche difficile de gérer le pays jusqu’au désastre de juin 1940. Par-delà les renversements de majorités, d’importants changements se manifestent au long des années 1930. Le rôle des acteurs collectifs dans la vie publique se trouve définitivement confirmé : avec les groupes de
pression patronaux et syndicaux, les cercles d’intellectuels, les associations d’anciens combattants, les partis de mieux en mieux structurés et centralisés, la « République des comités » connaît une mutation décisive. La puissance publique, pour faire face aux tensions sociales, élargit son champ d’intervention. Le Front populaire tente de remédier à la crise économique en stimulant la consommation, et surtout intervient directement dans le domaine social par voies arbitrale (accords Matignon, en juin 1936) et législative (réduction du temps de travail). Enfin, le déséquilibre des pouvoirs s’atténue en faveur de l’exécutif : la délégation des pouvoirs parlementaires au président du Conseil devient fréquente, à partir de 1934, grâce à la procédure des « décrets-lois ». • Les périls extérieurs et la fin du régime. Ces évolutions auraient sans doute évité à la IIIe République une fin brutale, si les événements extérieurs n’avaient joué un rôle décisif dans le naufrage du régime. Il est, certes, aisé de discerner les faiblesses de la politique extérieure des années 1930. Trop longtemps, les dirigeants conservent leurs illusions sur la sécurité collective et tardent à resserrer les alliances contre l’Allemagne. Les hésitations à se rapprocher de l’Union soviétique, par peur du communisme, compromettent largement les efforts pour réduire les tensions internationales. Enfin, le choix de la stratégie défensive se révélera désastreux au moment de l’épreuve. Ces faiblesses diplomatiques et militaires expliquent le manque de réaction devant les coups de force hitlériens : la remilitarisation de la Rhénanie en 1936, l’invasion de l’Autriche en 1938, le rattachement du territoire des Sudètes, arraché à la Tchécoslovaquie, en septembre 1938, et approuvé par les accords quadripartites de Munich, le dépècement de la Tchécoslovaquie en 1939. Il faut remarquer, toutefois, que l’effort de réarmement, entrepris à partir de 1936, a été réel, bien que tardif. Surtout, les gouvernements partagent l’état d’esprit pacifiste, largement répandu : le souvenir des massacres de 19141918 est encore présent, la conscience de l’affaiblissement démographique du pays, très vive. Incontestablement, des sentiments xénophobes et antisémites s’emparent d’une partie de l’opinion à partir de 1936, liés à la peur du conflit que pourraient susciter les étrangers réfugiés en France. Toutefois, quand la France s’engage dans la guerre en septembre 1939, le défaitisme n’est pas l’attitude dominante, bien qu’une nouvelle « union sacrée » ne puisse se constituer, les communistes se déclarant
hostiles à la guerre par solidarité avec l’Union soviétique. Mais, autant que la stratégie défensive, l’espoir d’un accord avec l’Allemagne, chez une partie du personnel dirigeant, est générateur de l’attentisme de la « drôle de guerre ». La défaite de mai-juin 1940, qui, en quelques semaines, aboutit à la dislocation totale du dispositif français, foudroie littéralement la IIIe République. Les députés et sénateurs, qui, réunis à Vichy le 10 juillet 1940, confèrent au maréchal Pétain les pouvoirs constituants à une énorme majorité, paraissent reconnaître la faillite du régime. Avec le système parlementaire, ce sont les principes même de la République, le libéralisme et la démocratie, qui semblent condamnés à disparaître. Ces valeurs, cependant, par-delà l’expérience autoritaire de Vichy, devaient inspirer les forces de résistance et le renouveau national de la Libération. l RÉPUBLIQUE (IVe). La IVe République, établie le 13 octobre 1946 après référendum, prend fin le 28 septembre 1958, après un autre référendum par lequel les Français approuvent la Constitution de la Ve République. Temps de la reconstruction et de la reprise sur le plan économique, mais aussi de crises politiques aiguës et persistantes, la IVe République a eu, somme toute, une existence éphémère. Dans un contexte de vives tensions internationales, l’instabilité ministérielle, le jeu complexe des forces politiques - inconciliables sur bien des points mais souvent condamnées à s’allier pour faire pièce aux communistes et aux gaullistes - et le drame algérien ont enlisé un régime dont on a stigmatisé l’impuissance, et qui disparaît après une ultime crise à la faveur de laquelle le général de Gaulle revient au pouvoir. UNE CONSTITUTION DE COMPROMIS À la Libération, le général de Gaulle ne proclame pas la IVe République car il considère que la France libre, à Londres puis à Alger, a assuré la continuité républicaine, malgré l’« État français » instauré par le maréchal Pétain. Le pouvoir est assumé par le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), créé en juin 1944 à Alger, avec à sa tête le général de Gaulle. Mais, dès 1945, l’idée de donner une identité nouvelle à la France à travers une réforme constitutionnelle rompant avec la IIIe République et le régime de Vichy fait son chemin. Le désir de rupture avec l’ordre ancien et avec le temps de la guerre est net et profond : un changement pa-
raît nécessaire à la relance d’un pays très affaibli par l’Occupation. Le 21 octobre, lors d’un double scrutin (législatives et référendum), les Français se prononcent à 96,4 % pour que l’Assemblée élue ce jour soit constituante. La IVe République n’est pas encore née, mais la IIIe est morte, accusée d’avoir conduit à la défaite de 1940 et à ses conséquences. Autre enseignement du scrutin : le reclassement politique, qui donne une forte majorité à la downloadModeText.vue.download 794 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 783 gauche. Le Parti communiste français (PCF) le « parti des 75 000 fusillés » - est le premier parti de France, avec plus de 26 % des voix. Mais le Mouvement des républicains populaires (MRP) de Georges Bidault - « faux nez de la droite » - le talonne, avec 25,6 %, devançant la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO, 24,6 %), tandis que la droite classique (les « modérés ») et les radicaux subissent un important recul par rapport aux dernières législatives, datant de 1936. Peu après cette consultation électorale d’octobre 1945, le 20 janvier 1946, de Gaulle démissionne de la direction du GPRF, que revendiquent les trois principales forces politiques. Convaincu de la nécessité d’une réforme de l’État, il entendait la mener luimême et obtenir une ratification de ses propres vues, favorables à un renforcement de l’exécutif, contrairement à la majorité des acteurs politiques. Le débat constitutionnel et cette démission obligent donc à une recomposition politique qui donne naissance au « tripartisme », alliance de circonstance scellée entre le PCF, la SFIO et le MRP. Félix Gouin (socialiste), puis Georges Bidault (MRP) et Léon Blum en prennent, successivement, la tête (janvier 1946-janvier 1947). Toutefois, si le PCF et la SFIO forment à eux seuls une majorité virtuelle de gauche, sur le fond, ils sont désunis. Pour l’heure, cependant, le PCF joue la carte de la conciliation et de l’alliance gouvernementale. Mais il demeure que le tripartisme, pur exercice d’équilibre politique entre trois partis représentant plus de 75 % des électeurs, ne préjuge pas de l’unanimité des forces gouvernementales sur la question constitutionnelle. Le MRP tente de défendre les prérogatives du pouvoir exécutif et l’existence d’une Chambre haute, mais la gauche, en position de force, propose
une organisation dominée par une Assemblée unique toute puissante. Le 5 mai 1946, par référendum, les Français rejettent ce projet de régime d’Assemblée. Ce veto impose l’élection d’une nouvelle Constituante. Lors du vote du 2 juin, le MRP devient le premier parti de France avec 28 % des suffrages. De son côté, de Gaulle préconise d’instaurer un régime semi-présidentiel (le discours de Bayeux, le 16 juin, annonce les grandes lignes constitutionnelles de la ... Ve République). Toutefois, c’est un texte d’inflexion parlementariste qui est finalement présenté aux électeurs. Le 13 octobre, un vote « mou » des Français entérine ce choix (36 % de « oui », 31,3 % de « non ») et illustre déjà l’absence d’un consensus susceptible de fonder une majorité effective et durable. En fait, la Constitution de la IVe République est d’abord un compromis taillé sur mesure pour la coalition tripartite : en effet, la prééminence de l’Assemblée (élue pour cinq ans au suffrage universel masculin et féminin) impose le « règne des partis ». Le Conseil de la République (avatar du Sénat) n’est désigné qu’au suffrage indirect ; le président de la République, qui doit nommer le président du Conseil, est élu pour sept ans par les Chambres réunies en Congrès. Toutefois, en dépit de la prépondérance parlementaire et des partis déjà soulignée, les constituants ont souhaité protéger l’exécutif d’une trop grande versatilité des députés (investiture et renversement du gouvernement doivent se faire à la majorité absolue). Pourtant, l’instabilité ministérielle sera le principal écueil des nouvelles institutions, soumises aux aléas et aux pressions des jeux d’équilibre, des affrontements politiques de l’Assemblée. UN IMMÉDIAT DIFFICILE La coexistence de trois grands partis recueillant chacun environ un quart des voix n’est pas remise en cause par les élections au Conseil de la République et les législatives du 10 novembre 1946, qui remanient cependant légèrement les équilibres politiques. Le PCF repasse devant le MRP. La SFIO recule. En janvier 1947, le socialiste Vincent Auriol devient le premier président de la IVe République, le radical Édouard Herriot accède à la présidence de l’Assemblée, et Paul Ramadier (SFIO) prend la tête d’un « gouvernement d’accord général », soumis à des alliances moins d’idées que de circonstances, lesquelles ne sont pas, loin s’en faut, synonymes de sta-
bilité. En outre, la IVe naît dans une conjoncture difficile. Le gouvernement doit relancer l’économie, rassurer un pays éprouvé par la guerre. Or, la reprise tarde : l’indice de production est de 84 (100 en 1938). Manque de matières premières, infrastructures vieillies, énergie rationnée, agriculture fragile... Le rétablissement de la carte de pain, en septembre, nourrit l’inquiétude de la population. La baisse autoritaire des prix n’endigue pas leur flambée. Le pouvoir d’achat recule. Le précaire équilibre de 1947 se complique donc de l’incertitude sociale et économique, renforcée par les grèves du printemps. Or, l’Assemblée refuse le déblocage des salaires. Les manifestations du 1er mai, puis l’exclusion des ministres communistes (le 5 mai, Ramadier les révoque pour avoir refusé d’avaliser sa politique des prix et des salaires) enfoncent le coin, viennent à bout du tripartisme, désunissent la gauche, isolent durablement le PCF - qui abandonne à l’automne tout penchant conciliatoire - tout en favorisant une flambée d’anticommunisme. Pendant des années, la géométrie politique se définira sur un mode manichéen, « avec ou contre le PCF » - lequel agira, jusqu’en 1958, et au-delà, comme un puissant repoussoir politique. La situation, déjà passablement confuse, est encore compliquée par l’irruption d’un puissant courant gaulliste, incarné par le Rassemblement du peuple français (RPF). En avril 1947, de Gaulle a en effet appelé ses partisans à se regrouper, afin de lutter contre le communisme, de fonder un pôle de résistance aux institutions de la IVe République, et d’éviter la déliquescence de l’État dans un contexte national et international qu’il juge chaotique. Son appel rencontre un succès foudroyant : selon le RPF, 500 000 Français adhèrent en deux mois. Cette vague souligne clairement la renaissance d’une opinion marquée à droite (bien que le RPF soit un camaïeu de sensibilités politiques, y compris de gauche). Très vite, le RPF s’impose comme la seule formation susceptible de rivaliser avec les 800 000 adhérents revendiqués par le PCF. Cela étant, cette énorme force de pression et de vigilance ne doit pas, selon le voeu du général de Gaulle lui-même, devenir un parti. Voilà qui complique singulièrement la géographie politique sans offrir de solution car, sans représentation politique, le RPF ne peut prétendre à diriger le pays. LA NAISSANCE
DE LA « TROISIÈME FORCE » Dans un tel contexte, les opposants irréductibles au régime que sont le PCF et le RPF prennent le centre en tenaille (aux municipales de 1947, ils recueillent en effet, respectivement, 30 % et 38 % des voix). Fatalement, cette bipolarisation ne laisse la place qu’à une majorité de substitution, obligée de s’entendre à cause de l’auto-exclusion délibérée et hostile des communistes et des gaullistes. « Entre Malraux d’un côté et Aragon de l’autre, la République de Vincent Auriol apparaît dès le départ sans gloire, sans panache, sans idéologie et sans défenseurs » (Pierre Nora). Le MRP « invente » alors la « troisième force » (12 novembre 1947), seule formule politique, quadripartite (SFIO, Parti radical, MRP, libéraux), permettant de quitter l’impasse. Le gouvernement échoit à Robert Schuman (MRP). Ses ministres sont d’emblée, selon le mot d’Henri Queuille, « condamnés à vivre ensemble ». Dans cette mosaïque d’obédiences centristes, un indéniable décalage vers la droite a lieu, témoignant de la recomposition sous-jacente d’un paysage politique plus orthodoxe qui, point essentiel, se stabilise d’autant mieux que le gaullisme « partisan » s’étiole progressivement tandis que le PCF se révèle incapable de peser sur autre chose que sur sa propre citadelle. Cependant, la « troisième force » n’a qu’une faible légitimité et peu de cohésion. Elle reste une combinaison parlementaire à géométrie variable, qui doit mettre sous le boisseau les questions qui peuvent semer une complète zizanie : c’est le cas, en particulier, de la question scolaire (les socialistes sont fermement opposés à l’école libre) ou de l’augmentation des salaires (là encore, les socialistes, partisans d’une politique progressiste, s’opposent aux libéraux, pour qui la stabilisation des salaires est un dogme). Ainsi, la « troisième force » est proprement inadaptée pour affronter les soubresauts du corps social. Or les grèves, persistantes en 1947, s’aggravent tout au long de 1948, suscitant en retour un anticommunisme de plus en plus virulent à droite, au centre et à la SFIO. Crise politique et sociale, parésie économique, supputations infondées sur un éventuel coup de force du PCF : la situation est explosive - à tel point que les réservistes sont rappelés en octobre 1948 lorsque Queuille affirme le caractère « insurrectionnel » des grèves et qu’en effet la France paraît sombrer
dans un climat de guerre civile larvée. Mais les forces de l’ordre endiguent les manifestations et la France retourne au travail, tandis que la « troisième force » est préservée grâce au radical Queuille, qui, par son immobilisme, évite de poser les questions trop déstabilisantes. ARRÊT SUR IMAGE Au-delà de cette stabilité trompeuse, la force unitaire de la Libération s’est brutalement downloadModeText.vue.download 795 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 784 diluée devant l’extrême tension de l’automne 1948, alors que les grèves sont matées par l’action de Jules Moch, socialiste « briseur de grève ». Une auréole d’éternel provisoire nimbe déjà les institutions. Tout paraît retombé de l’esprit de la Résistance, dont la plupart des acteurs politiques disaient naguère qu’il devait innerver la philosophie de la reconstruction dans l’unanimité et l’union nationale. En un an, le paysage a foncièrement changé. La IVe affiche les symptômes d’une incurable maladie : le pouvoir, aimanté à un centre indécis, gouverne très difficilement et à vue ; on le sait menacé en permanence par une épée de Damoclès. En définitive, pourtant, la IVe République a survécu au furieux assaut social et politique de 1947-1948. Elle y a gagné une légitimité certaine face au gaullisme et au communisme des lisières. Mais ce gain d’autorité n’est que partiel : le choc social a été d’une grande violence, et l’économie tarde à redémarrer. Or, c’est la pierre angulaire de toute stabilisation du climat social et politique. Les Français attendent les signes de la reprise, insensibles (le premier véritable cycle de reprise et de croissance court sur la période 1949-1953). Sontils pour autant désemparés ? Non, on sait la reprise prochaine, il y a une confiance diffuse, l’entrée dans un nouveau temps, symbolisé notamment par un des succès de l’industrie automobile, la 4 CV - la voiture populaire -, ou la renaissance de l’événement sportif - le Tour de France (1947). N’oublions pas l’effervescence artistique et intellectuelle de SaintGermain-des-Prés, ni, dans un autre registre, le très populaire Henri Genès chantant « À la mi-août, c’est tellement plus romantique »... Il y a là plusieurs France, décalées ; la France politique, qui peine à trouver son point d’équilibre, et la nation qui veut le changement, le
bien-être, l’expansion. Tectonique incertaine. L’AMORCE DE LA REPRISE L’indice de la production industrielle de 1948 est supérieur à celui de 1938. Début 1949, le pays entre dans des eaux plus calmes : reconstruction, relèvement des rations, vente libre des voitures, réouverture à l’économie de marché. Les pleins effets de la relance économique se feront sentir en 1951-1952, mais c’est bien la fin de dix années de privations. La France est au travail. Le plein emploi rassure. Le projet d’union nationale pour la modernisation et l’expansion réunit les volontés. Le premier plan (1947-1952), mis au point par Jean Monnet (charbon, électricité, acier, ciment, transport, tracteurs : 30 % du secteur industriel), porte ses fruits. Toutefois, sans l’aide extérieure du plan Marshall, la France n’aurait pu « ni relever ses ruines, ni rattraper son retard, ni amorcer son expansion » (René Rémond). Grâce à elle, les objectifs majeurs sont atteints : croissance industrielle, gain de productivité des secteurs clés (électricité, acier), modernisation de la SNCF, balance extérieure excédentaire, libéralisation des échanges avec l’OECE. Restent des faiblesses : l’inflation n’a pas été jugulée, la priorité à l’industrie lourde a retardé l’équipement en infrastructures (logement, route), l’agriculture n’a été soutenue que par le plan tracteur. Progrès et retards favorisent un virage à droite de la « troisième force » et l’affirmation de l’antidirigisme à partir de 1949. IMPASSE COLONIALE ET GUERRE FROIDE Sous d’autres horizons se joue une partition fatale : la crise coloniale. Dix ans avant de mourir de la guerre d’Algérie, la IVe est presque unanimement intégrationniste, alors que le fossé ne cesse de s’élargir entre la métropole et les colonies. En Indochine, dès le déclenchement de la lutte entre l’armée française et les nationalistes vietnamiens (décembre 1946), la guerre prend des allures de cause perdue, et coûteuse. Pourtant, seule une partie des intellectuels de gauche réclame la fin de la « sale guerre » et la reconnaissance du pouvoir d’Hô Chi Minh (la France a transféré ses pouvoirs à Bao Dai, en 1949). Le conflit franco-vietnamien constitue, en outre, un enjeu dans le duel Est-Ouest. En Afrique du Nord, la crise est larvée depuis les massacres de Sétif et de Guelma, en Algérie (1945). Les nationalismes
nord-africains s’exacerbent. Quant à la crise malgache de 1947-1948, elle débouche sur une répression faisant plus de 11 000 morts (le chiffre de 89 000 victimes a même été avancé). Une autre difficulté est l’absence d’étanchéité entre vie politique intérieure et relations internationales. La IVe a ratifié le pacte Atlantique en juillet 1949. La guerre froide, conjuguée et déplacée en France par la puissance du PCF et les enjeux de la guerre d’Indochine, accentue la portée de ce choix, qui entraîne les récriminations des neutralistes et des communistes, et, par exemple, le succès de l’appel de Stockholm contre l’armement nucléaire (18 mars 1950). Au total, le débat politique français est soumis à la pression déstabilisante et stérilisante du duel EstOuest. Mais il n’en reste pas moins que certains acteurs de la IVe font aussi preuve de volontarisme, mettant en oeuvre une politique extérieure qui ne traduit pas un alignement sur les positions américaines. En témoigne l’européanisme de Monnet et de Schuman, qui promeuvent la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), en 1951. L’ÉQUILIBRE IMPOSSIBLE ET LE VIRAGE À DROITE Entre 1946 et 1951, tour à tour, six présidents du Conseil - Ramadier, Schuman, Marie, Queuille, Bidault et Pleven - dirigent neuf courts gouvernements. Les majorités de circonstance divorcent « à l’italienne » dès qu’une question épineuse exacerbe les clivages à l’intérieur de la « troisième force », qui se passe bientôt des services des ministres socialistes (démissionnaires en février 1950, sous Bidault). Aussi, afin d’affaiblir le RPF et le PCF sur l’échiquier politique, de contrecarrer les effets de la sécession socialiste et de dégager une majorité mieux assise et plus durable, une réforme électorale est-elle adoptée pour les législatives de juin 1951. Elle a pour principal objet de désavantager les isolés et les francs-tireurs, grâce au système des « apparentements ». La manoeuvre aboutit. Ainsi, avec 11 points de moins que le PCF (15,3 %), la SFIO obtient plus de sièges (107) que lui (103). Au sortir du scrutin, la « troisième force » dispose d’une majorité théorique de plus de 350 élus. Au reste et sur le fond, force est de constater que le paysage politique demeure scindé en six parts, entre RPF, PCF, SFIO, Indépen-
dants (les libéraux se sont regroupés sous cette étiquette à partir de 1949), MRP, et l’ensemble formé par les radicaux et l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR). Mais ces élections constituent bien une charnière : droite et centre droit sont redevenus majoritaires, et c’est dans un contexte de querelle scolaire (latente depuis 1949) que devra se jouer la succession du second gouvernement Queuille (mars-juillet 1951). En août, René Pleven est désigné, après plusieurs semaines de crise ministérielle, et dirige le gouvernement jusqu’en janvier 1952. Il représente l’aile conservatrice de l’UDSR, une origine politique qui souligne une inflexion vers la droite après la cure de centrisme de 1949-1950 - tendance que renforce l’adoption des lois Marie et Barangé (extension du système des bourses et des aides à la scolarité pour le privé), sur fond de grève des enseignants, de hausse des prix et d’enlisement en Indochine. Progressivement, la IVe République glisse à droite, avec Pleven, puis avec le radical Edgar Faure (janvier-février 1952), et l’indépendant Antoine Pinay (mars 1952-janvier 1953), qui met un terme à l’histoire de la « troisième force ». PINAY ET LE CENTRE DROIT : L’ESPOIR DU RECOURS La scission du groupe RPF à l’occasion de l’investiture de Pinay souligne une nouvelle métamorphose de la IVe République. À bien y regarder, la renaissance du clivage gauchedroite (compliqué de tensions internes aux familles politiques) a au moins une incidence majeure : elle clarifie la situation. Il n’en reste pas moins que le gouvernement Pinay est lui aussi le fruit d’un « bricolage majoritaire » ; on parle d’« expérience Pinay », puis de l’« expérience Mendès France ». « Expérience », c’est un peu la métaphore de la IVe République. Pinay offre une image rassurante. Arcbouté sur l’idéal du « bon sens », il veut divorcer avec le dirigisme, limiter le train de vie de l’État, défendre la monnaie, stopper l’inflation. Sa popularité croît grâce à la hausse des indices, à la poursuite de la reconstruction, au blocage des prix, au lancement du fameux emprunt Pinay. Malgré le ralentissement de l’investissement et la stagnation des salaires, les premiers signes des « Trente Glorieuses » font de lui un homme de recours. La reprise n’est pas encore assurée pourtant, car l’effet Pinay est surtout psychologique, servi par une habile propagande masquant une récession sensible (déficit extérieur notamment).
La IVe République reste « malade ». L’anticommunisme et l’antiatlantisme activent une tension que renforcent notamment l’affaire des Pigeons (en mai 1952, Jacques Duclos, secrétaire général du PCF, est soupçonné d’espionnage, arrêté, et momentanément accusé d’atteinte à la sûreté de l’État) et l’affaire du « trafic des piastres » en Indochine (19521953). La France n’a pas trouvé son équilibre. La paralysie du système institutionnel est particulièrement patente : treize tours de scrudownloadModeText.vue.download 796 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 785 tin sont nécessaires au Congrès pour élire, en décembre 1953, le modéré René Coty à l’Élysée ! Le pays ne prend pas la mesure de la principale impasse dans laquelle il s’est enfermé : la crise coloniale. En 1952-1953, sous les gouvernements Pinay, puis René Mayer (janvier-mai 1953), et Joseph Laniel (juin 1953-juin 1954), l’indépendance indochinoise n’est toujours pas à l’ordre du jour. Une répression silencieuse s’abat sur les nationalistes maghrébins, sans que les Français s’en émeuvent. Quoique les questions tunisienne et marocaine soient portées devant l’ONU (octobre 1953), la politique française est figée. Pis, les gouvernements refusent de voir qu’en Algérie se prépare une grave crise. Bref, le conservatisme rassurant du centre droit ne conduit pas vers une harmonie profitable. Puis intervient le choc : la défaite de Diên Biên Phu (7 mai 1954). La guerre d’Indochine est perdue et Pierre Mendès France arrive aux affaires (18 juin 1954). MENDÈS FRANCE : HÉROS, OU « BRADEUR » ? « Mendès », c’est le retour de la gauche républicaine classique. Avec une confortable majorité, il applique sa maxime : « Gouverner, c’est choisir ». Les accords de Genève mettent fin à la guerre d’Indochine (21 juillet 1954). Le discours de Carthage (31 juillet) prévoit l’indépendance tunisienne. La France semble renouer avec une logique de paix, de concorde. Cependant, il reste l’épineux problème du projet de Communauté européenne de défense (CED), qui envisage la construction d’une armée européenne intégrant des soldats allemands sous un commandement supranational, tout en évitant le réarmement
outre-Rhin. Depuis la signature du traité (mai 1952, sous Pinay), la CED n’a pas été ratifiée par le Parlement, et cette question n’a cessé d’empoisonner la vie politique. Sur fond de germanophobie et de débat sur la question supranationale, cédistes et anticédistes, dont les attaches transgressent les frontières traditionnelles de l’échiquier politique, s’affrontent durement. Mendès impose finalement le débat. Mais, le 30 août, la CED est rejetée. On parle alors de « crime » : pour les cédistes, Mendès devient le « bradeur de Genève » et de l’Europe (malgré les accords de Paris - sur l’entrée de l’Allemagne dans l’OTAN -, qui heurteront les anticédistes cette fois-ci, en octobre-novembre 1954). Il en ressort une situation d’équivoque qui empêche Mendès de poursuivre son programme socioéconomique, lancé grâce à l’obtention des pouvoirs spéciaux en matière économique (13 août 1954). Soutien à l’agriculture, construction d’établissements scolaires et de logements, lutte contre l’alcoolisme et campagne du lait, création du haut commissariat à la Jeunesse et d’un Fonds de reconversion de l’industrie et de la main-d’oeuvre : Mendès pratique une politique audacieuse, arrimée à l’idéal de la « modernisation ». Néanmoins, passions et vents contraires ont raison de sa hardiesse et mettent encore à nu les déficiences d’une République tiraillée entre philosophie moderniste et réflexes conservateurs. Il en va ainsi de l’Algérie. À la Toussaint 1954, les nationalistes passent à l’action. Pour toute réaction, sitôt après la paix asiatique, Mendès et François Mitterrand (ministre de l’Intérieur) avalisent la politique de l’ordre. Après la crise de la CED et au lendemain de la paix indochinoise, le 1er novembre algérien brise les espoirs de stabilité. Le 6 février 1955, le gouvernement Mendès est renversé. La parenthèse de l’espoir se referme. En voulant gouverner au-dessus des partis, fort d’une légitimité surtout extraparlementaire, il s’est attiré beaucoup d’inimitiés. S’il est entré dans la légende de la IVe et de la gauche, c’est probablement à cause de son pragmatisme et peut-être aussi des attentes - parfois confuses - que sa pensée et sa gestion politique font naître chez nombre de Français en une période très troublée. UNE CRISE DE « CROISSANCE » Dès lors, le régime semble soumis à une paralysie due à la fatalité des antagonismes politiques français. Il y a de cela, c’est indéniable ;
mais la crise de croissance sociale et politique est plus déterminante. Les mentalités n’arrivent pas toutes à « adopter » la société qui se profile. Parmi les signes de cette évolution et des refus qu’elle nourrit, relevons le cas du poujadisme, contestation très circonstancielle. Quand le mendésisme incarne une aspiration à la rénovation, le poujadisme est nostalgique. Fondée, à l’origine, à partir d’une fronde antifiscale de petits commerçants réunis, en 1953, autour de Pierre Poujade, papetier à Saint-Céré, l’Union des commerçants et des artisans (UDCA) illustre le malaise d’une opinion de droite qui se sent flouée et oubliée par la modernisation. Dans un langage empruntant au populisme autoritaire et antiparlementariste, mythifiant le passé, l’ordre, la grandeur française, le poujadisme - qui entre au Palais Bourbon en 1956 - n’est au départ qu’un sursaut corporatiste, désespérément conservateur. L’ambivalence de l’identité mendésiste comme le poujadisme montrent que la France est avide d’un recours (Pierre Poujade, lui aussi, est un homme plein de charisme), mais qu’elle assimile mal le passage à la société d’après-guerre, qu’elle aspire à bénéficier des fruits de la croissance. Il y a une disjonction entre la gravité des crises politiques, la reprise économique et industrielle (qui dépasse l’indice 150 en 1954, l’indice 100 de 1938 servant de référence) et les mentalités mal préparées aux métamorphoses socioculturelles (poussée des classes moyennes, notamment). L’idéal optimiste de la France moderne trouve grâce aux yeux de tous. Mais le fait d’avoir à gérer, pratiquement, la nouveauté est une autre affaire. Ainsi vue, la période 1953-1955 est une phase de sédimentation culturelle et des sensibilités qui témoigne du passage, plein de soubresauts, de la société du « premier » XXe siècle à celle du « second ». Les expressions naissantes - « nouveau roman », « nouvelle vague », « nouvelle gauche » - symbolisent cette transition d’abord intégrée par les « avant-gardes ». Ainsi en va-t-il de la télévision, emblème de la modernité conquérante et d’une balbutiante mais profonde transformation des pratiques culturelles. Et puis encore : les ménagères lavent toujours avec d’encombrantes lessiveuses, mais elles convoitent déjà - sans pouvoir les acheter - les machines à laver, gazinières, Frigidaires et autres Cocottes-Minute que magnifient les Salons des arts ménagers et la philosophie du « confort moderne ». Les
bases de la prospérité sont perceptibles, mais la croissance et la consommation de masse ne s’épanouiront véritablement qu’au cours des années 1960. UNE ANNÉE DE TRANSITION : 1955 Sur le plan politique, les passions retombent en partie lorsque Edgar Faure, investi le 25 février 1955, engage, en stratège, une politique fondée sur la recherche d’une « majorité d’idées », au cas par cas. « Mendésisme sans Mendès », ont dit certains - à cela près que Faure est soutenu par les modérés, les indépendants, le MRP et une partie seulement des radicaux. L’autonomie tunisienne est effective en mai, l’indépendance du Maroc annoncée en novembre. En économie, les notions de modernisation, d’investissement (en hausse de 13 %), de productivité profitent d’une expansion continue, d’innovations marquantes (Fonds de développement social et économique), de faits symboliques (Edgar Faure obtient, lui aussi, les pouvoirs spéciaux) et enfin les effets du « second plan » (plan Hirsch). L’effort porte sur les équipements sociaux (les dépenses d’hygiène et de santé progressent de 77 % de 1949 à 1957), le logement, la modernisation agricole. La distribution des revenus assure le décollage d’une consommation dopée par la poussée démographique d’après-guerre. Sur le plan social, le calme est relatif. Endémique depuis 1953, l’agitation syndicale se durcit durant l’été 1955, mais, à l’automne, les salariés obtiennent de substantiels avantages (troisième semaine de congés payés chez Renault). Sur le plan international, la coexistence décrispe le débat intérieur et l’européanisme progresse. Mais la guerre d’Algérie demeure le principal écueil de la vie politique (vote de l’état d’urgence, 2 avril ; mobilisation anticoloniale intellectuelle durant l’été ; rappel des réservistes, 24 août). Il n’y a pas de dialogue entre le FLN et la France. Edgar Faure est convaincu que seule une nouvelle majorité peut rompre avec cette logique néfaste. C’est donc dans un climat malgré tout tendu et incertain qu’il chute (29 novembre) et décide d’une dissolution - historique - de l’Assemblée nationale (il fait jouer une clause constitutionnelle jamais utilisée depuis 1877, ce qui ne va pas sans émotion), susceptible de recomposer la géographie politique. Une courte campagne électorale de trois semaines s’engage, rythmée pour la première fois par les médias modernes, télévision et radio.
LE FRONT RÉPUBLICAIN La coalition du Front républicain - SFIO, radicaux mendésistes, gaullistes de l’Union des républicains d’action sociale (URAS, présidée par Jacques Chaban-Delmas), UDSR est opposée au PCF et aux droites (radicaux fauristes, MRP, Indépendants, certains gaullistes). L’alternative se pose entre Pinay ou Mendès, qu’on suppose capables de « soigner » la France. Consciente de l’enjeu, l’opidownloadModeText.vue.download 797 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 786 nion se réveille (1,2 million de nouveaux inscrits sur les listes électorales). Le 2 janvier 1956, le Front républicain obtient sensiblement autant de voix que le cartel hétérogène des droites (environ 28 %), tandis que le score du PCF est de 25,8 %, celui de l’UDCA (Poujade) de 11,6 %, et que les gaullistes (hors URAS) obtiennent de très faibles résultats (moins de 3 %). Toutefois, la gauche prédomine, ce qui fixe une bipolarisation plus nette, et, à droite, le MRP est en recul. Alors que les Français s’attendent à voir le retour de Mendès, le président Coty lui préfère Guy Mollet, secrétaire général de la SFIO. Ce dernier est investi, début février, grâce à une majorité extensive - de l’UDSR aux gaullistes de gauche. LA FRANCE « JANUS » DE GUY MOLLET Il incombe au nouveau président du Conseil de gérer la guerre, mais après un catastrophique voyage à Alger (6 février), il accentue la politique d’affrontement (pouvoirs spéciaux, 12 mars 1956). Durant l’été, 400 000 Français se battent en Algérie (80 000 en 1954). La spirale de la violence est engagée. Mollet choisit-il la voie du « national-molletisme », selon l’expression de ses détracteurs de gauche ? Non, il est fidèle à la tradition républicaine : la mission « civilisatrice », y compris par la remise en ordre, doit parachever l’entreprise coloniale. Aussi, bien qu’attaquées par la droite, les décisions de Mollet colorent-elles sa gestion de jusqu’au-boutisme (politique qui répond à la brutalité d’un FLN ne lésinant pas à faire payer l’impôt du sang). Fin 1956, le conflit franco-algérien s’engage donc dans un cul-de-sac. Après l’expédition de Suez (contre le nationalisme arabe de Nasser), vite suspendue après la pression des États-Unis et de
l’URSS, le climat intérieur se détériore sous les coups de boutoir des campagnes colonialistes et anticolonialistes. Autour de l’Algérie, des fractures grandissantes nourrissent la radicalisation des positions et achèvent de faire perdre à cette République toute identité. Nonobstant, ce serait faire injure à Mollet de réduire son action à l’Algérie. Il relance l’ouverture européenne : la naissance d’Euratom précède la signature du traité de Rome (25 mars 1957). Le taux de croissance économique atteint 10 % en 1956, la troisième semaine de congés payés est généralisée, un Fonds national de solidarité (retraites) créé, la politique de logement maintenue. En 1957, le pouvoir d’achat retrouve le niveau de 1938. Mollet a profité de l’expansion rapide de la période 1953-1957, marquée par la progression de la consommation (plus de 5 % par an en moyenne depuis 1954), qu’illustre l’explosion du parc automobile (multiplié par six depuis 1945). Ainsi, le molletisme est ambivalent. D’ailleurs, le 21 mai 1957, le gouvernement Mollet - le plus long de la IVe - ne chute pas sur la guerre d’Algérie, ni sur les réformes sociales, mais sur leurs coûts conjugués. LE RÉGIME DE LA CONFUSION Après trois semaines d’intenses tractations, le 12 juin 1957, Bourgès-Maunoury, radical pro-Algérie française et ancien ministre de la Défense de Guy Mollet, est investi par la majorité la plus faible qu’ait connue un président du Conseil de la IVe . Il chute le 30 septembre, sa politique algérienne étant jugée laxiste par les uns, trop conciliante par les autres. Félix Gaillard, radical, lui succède (5 novembre). Son gouvernement de « défense républicaine » adopte une loi-cadre présupposant le retour à l’ordre en Algérie. Voeu pieux ou inconsistance ? La gravité de la situation financière elle-même s’oppose à cette politique. La grogne monte : manifestation des policiers devant l’Assemblée (13 mars 1958), résurgence du thème frontiste à gauche, radicalisation antiparlementaire et anticommuniste à droite. Les institutions ne répondent plus. Le système des partis est bloqué. De cette tension naît une instabilité paroxystique. Les événements font le reste. Le 8 février, l’armée française bombarde Sakhiet-Sidi-Youssef, camp de l’ALN situé en Tunisie, aux confins algériens. L’internationalisation de l’affaire est immédiate. Droite et
gauche ferraillent, sans trouver d’issue. L’Assemblée perd définitivement son peu de cohésion et Gaillard démissionne (15 avril). Deux noms s’imposent alors : Pinay et Mollet. Mais René Coty désigne finalement Pierre Pflimlin, président du MRP, ministre à de nombreuses reprises, à qui revient la haute responsabilité d’affronter une très grande confusion politique. L’AGONIE Méfiant, Pflimlin entend s’engager sur la loicadre pour l’émancipation de l’Afrique noire, mais place un indépendant, André Mutter, à la Défense, afin de rassurer le camp colonial. L’avenir semble cependant vouloir se jouer à Alger... Le 13 mai, le jour même de l’investiture de Pflimlin, un comité de « salut public » (formé de civils et de militaires) envahit les bâtiments du gouvernement d’Alger et adresse un ultimatum à Coty : le maintien de l’Algérie française ou le chaos. Pflimlin stoppe toute relation avec les insurgés. L’ombre de la guerre civile se profile. Partis et syndicats de gauche manifestent leur désarroi, craignent qu’une déroute donne un blanc-seing pour une politique autoritaire. Sombres nuages, que le retour sur scène du général de Gaulle disperse peu à peu. Absent depuis 1953, de Gaulle est sollicité, consulté depuis plusieurs mois. À Alger, le général Salan a terminé son discours du 15 mai par un « Vive de Gaulle ! ». Progressivement s’esquisse la « solution de Gaulle ». Le 15 mai, le général propose d’assumer le pouvoir. Le 19, au cours d’une conférence de presse, il rassure en se montrant légaliste. Les putschistes algérois font des émules : le 24 mai, les parachutistes liés au comité d’Alger se rendent maîtres de la Corse. L’armée semble avoir choisi son camp et l’on redoute un débarquement en Méditerranée. Cette menace favorise les ralliements au général de Gaulle. Le 27, celui-ci fait paraître un communiqué disant qu’il a « entamé le processus régulier nécessaire à l’établissement d’un gouvernement républicain », et Pflimlin démissionne dans la nuit. Le 1er juin, de Gaulle est investi avec un gouvernement comprenant trois anciens président du Conseil (Pinay, Mollet, Pflimlin) incarnant la continuité et la légitimité républicaines. Il obtient de l’Assemblée les pleins pouvoirs constitutionnels. Quelque connotation qu’il prenne, le retour de de Gaulle - assimilé par certains à un coup d’État - libère les esprits et dégage l’horizon malgré la crise algérienne qui continuera
de peser sur la vie politique française jusqu’en mars 1962. Durant l’été, le travail constitutionnel est mené à bien et la Ve République est portée sur les fonts baptismaux par le référendum du 28 septembre 1958. « L’IMPUISSANCE ET L’EXPANSION » En définitive, la IVe n’a-t-elle été qu’une parenthèse entre un long et difficile après-guerre et la naissance de la Ve ? Sans doute, et il faut pondérer l’image de discrédit qui l’a entourée, jusque récemment, dans la mémoire collective et l’historiographie. Avant tout, la IVe s’est brisée sur le récif algérien. René Rémond souligne que, sans l’Algérie, la IVe aurait peut-être survécu « à l’italienne », malgré ses imperfections constitutionnelles et partisanes et le contexte de crises internationales et coloniales. À aucun moment, cependant, elle n’a su ni pu dégager un équilibre. Cet échec n’est pas le seul fait des politiques et des institutions. C’est aussi celui des électeurs et de l’opinion, fractionnée, indécise. Ainsi, il est évident que la IVe République s’est elle-même condamnée par sa propre incapacité à dégager un espace de discussion et de gestion pacifique dans l’ensemble du corps social et politique. La IVe surtout est morte - par suicide - de n’être pas autre chose qu’un compromis. Cela étant, « cette République impuissante et troublée ne fut pas stérile » (Jean-Pierre Rioux) sur le plan économique et social. La Ve République est redevable à la IVe d’avoir cimenté le socle d’une modernisation économique et sociale, dont le souvenir - c’est notoire - a été occulté. L’héritage de la IVe a déterminé pour une part la morphologie sociale, économique et culturelle de la République actuelle. À ce titre, la IVe République aura d’abord été un régime de transition. l RÉPUBLIQUE (Ve). Analyser les cinquante ans d’existence de ce régime, né en 1958, est une tâche complexe, tant nous manquons de recul. Étudier un organisme vivant contraint l’historien à une démarche à géométrie variable. Pour la phase « algérienne », jusqu’en 1962, et celle d’« enracinement », dans les années 1960, une approche strictement chronologique paraît nécessaire : la Ve République est née d’un événement - celui du 13 mai 1958 -, et sa stabilisation s’opère au fil des crises qu’elle surmonte tour à tour. Mais, une fois que le régime a atteint sa vitesse de croisière, l’analyse portera davantage sur son « métabolisme », ses tendances structurelles : le départ
du général de Gaulle en 1969, qui marque une césure essentielle ; les changements économiques et sociaux de la fin des années 1970, qui, avant même l’alternance politique de 1981, soumettent la Ve République à de nouvelles tensions... downloadModeText.vue.download 798 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 787 LA RÉPUBLIQUE GAULLIENNE Après le 13 mai 1958 et la crise politique qui s’ensuit, le général de Gaulle devient président du Conseil le 1er juin. Le lendemain, il est autorisé par l’Assemblée nationale à préparer une nouvelle Constitution : ce vote du 2 juin, d’une certaine façon, constitue l’arrêt de mort de la IVe République. Une telle fin a-t-elle été préméditée ? La question a été maintes fois posée, les adversaires du Général parlant de « complot », voire de « coup d’État ». • Naissance d’une République. La réalité, avec le recul, apparaît singulièrement plus complexe. Assurément, durant les journées troublées de mai 1958, manoeuvres et rumeurs se multiplient à Alger, et les gaullistes y tiennent leur rôle. Mais il est plus exact de parler d’une situation « canalisée » par le général de Gaulle à son profit que d’un complot. De surcroît, la procédure de retour au pouvoir de l’homme du 18 juin est constitutionnellement régulière et ne constitue donc en aucun cas un coup d’État. Il reste que ce retour est favorisé par la crainte d’un coup de force venu d’Alger, et c’est cette menace supposée de rébellion, voire de guerre civile, que le Général et ses partisans utilisent avec adresse. Durant l’été 1958, un projet de Constitution est rédigé, que de Gaulle présente au pays le 4 septembre, place de la République, à Paris, date et lieu hautement symboliques (après la défaite de Sedan, en 1870, la République fut proclamée ce jour-là). Les électeurs sont appelés à se prononcer sur ce projet par voie de référendum, fixé au 28 septembre. Les résultats de cette consultation constituent une double victoire pour le général de Gaulle : malgré l’appel à voter « non » du Parti communiste, d’une minorité de socialistes et de radicaux, et de quelques personnalités de gauche comme Pierre Mendès France ou François Mitterrand, les nouvelles institutions sont approuvées par 79 % des suffrages exprimés, et le taux de participation (84 %) leur
confère une indéniable légitimité. Le contraste est frappant avec le référendum du 13 octobre 1946 (36 % de « oui » par rapport aux inscrits, près d’un tiers d’abstention), qui avait ratifié la Constitution de la IVe République. Le peuple souverain ayant donné sa caution à la nouvelle Constitution, celle-ci se trouve de facto adoptée ; aussi, le 28 septembre peut-il être considéré comme la date de naissance du nouveau régime. Les élections législatives de novembre 1958 confirment les succès des gaullistes, qui, regroupés au sein de l’Union pour la nouvelle République (UNR), obtiennent 188 députés, soit presque 30 % des sièges. Ces élections se sont déroulées au scrutin uninominal à deux tours - autre changement par rapport à la IVe République - afin de permettre de dégager des majorités cohérentes. Celles-ci dépendent, il est vrai, des accords tissés entre les alliés pouvant déboucher sur des désistements entre les deux tours. Déjà se trouve en germe un principe de bipolarisation de la vie politique française, qui ne s’enclenchera réellement qu’en 1962 avec l’élection du président de la République au suffrage universel, opposant, au second tour, deux candidats seulement. Or, tel n’est pas le cas en 1958 : l’article 6 des institutions prévoit alors l’élection du président par un « collège électoral comprenant les membres du Parlement, des conseils généraux et des assemblées des territoires d’outre-mer, ainsi que les représentants élus des conseils municipaux ». Le 21 décembre 1958, 78,5 % de ces 80 000 grands électeurs se prononcent en faveur du général de Gaulle, qui devient ainsi le premier président de la Ve République. Celui-ci entre officiellement en fonctions le 9 janvier 1959 ; le lendemain, il désigne Michel Debré, l’un des principaux rédacteurs de la nouvelle Constitution, comme Premier ministre. La phase de changement institutionnel ouverte huit mois plus tôt avec le 13 mai 1958 se termine. Mais, en ce début d’année 1959, le problème algérien reste entier. • De Gaulle et l’Algérie. C’est le drame algérien qui a donné au général de Gaulle l’occasion de son retour au pouvoir, et, en ce domaine, les attentes des Français sont immenses mais ambiguës : les uns espèrent que le président maintiendra l’Algérie française ; d’autres souhaitent l’ouverture de négociations avec le Front de libération nationale (FLN) ; la majorité veut surtout un retour rapide de la paix. Face à de telles aspirations contradictoires, quelles étaient les intentions
du général de Gaulle ? Là encore, l’historien se trouve confronté à un débat qui n’est toujours pas tranché, près de quarante ans après les faits. Y a-t-il eu mensonge délibéré sur le sort que le président destinait à l’Algérie ? Ou bien, initialement partisan du maintien de l’Algérie française, a-t-il évolué en révisant progressivement son analyse et en en tirant les conséquences ? Préméditée ou progressivement adaptée aux circonstances, la gestion gaullienne de la crise algérienne a connu plusieurs phases successives. La première ne diffère guère, au moins en apparence, de la politique menée jusque-là par la IVe République. Certes, le général de Gaulle a lancé, dès le 4 juin 1958, un sibyllin « Je vous ai compris », mais à l’automne il s’en tient à des promesses de réformes d’ordre économique (plan de Constantine) et appelle de ses voeux une « paix des braves ». En fait, c’est l’année suivante qu’intervient la première inflexion décisive. Le 16 septembre 1959, le Général avance le principe de l’« autodétermination » : le mieux serait, à ses yeux, que les habitants de l’Algérie se prononcent eux-mêmes sur leur avenir. À cette date, il se contente d’énumérer trois formules possibles : sécession (indépendance), francisation complète, association. Mais de ce moment date le premier divorce entre de Gaulle et les partisans de l’« Algérie française », qui ont le sentiment d’avoir été abusés. Des activistes tentent un soulèvement à Alger. Cet épisode de la « semaine des barricades » (24 janvier1er février 1960) illustre l’ampleur de la rupture. C’est en cette même année 1960 qu’a lieu la seconde inflexion décisive : le chef de l’État semble s’engager dans la recherche d’une solution négociée conduisant à l’indépendance. En septembre, il évoque pour la première fois l’éventualité d’une « République algérienne », et, en janvier 1961, un référendum portant sur le principe de l’autodétermination obtient 75,2 % de « oui ». Ce succès renforce l’autorité du général de Gaulle tout en radicalisant la position de ses adversaires. Le symptôme en est, les 21-25 avril suivants, le « putsch des généraux », qui tourne court, la fermeté du chef de l’État ayant dissuadé l’armée de rejoindre massivement les putschistes. Les temps ont changé. À la différence de la IVe République face au 13 mai 1958, le nouveau régime reste maître de la situation : chaque crise surmontée paraît faire la preuve de son efficacité et contribue à son enracinement.
Loin de décroître, la tension se fait encore plus vive en Algérie. Sur fond d’attentats commis par le FLN et l’OAS (une organisation clandestine de partisans de l’« Algérie française »), une véritable psychose s’empare des Européens d’Algérie, qui craignent désormais pour leur sécurité et pour leur vie, tant le fossé entre les deux communautés - européenne et musulmane - s’est élargi. Meurtris et amers, les « pieds-noirs » commencent à quitter l’Algérie avant même le référendum d’autodétermination du 1er juillet 1962. Celui-ci donne 99,7 % de « oui » en faveur de l’indépendance, qui devient effective dès le 3 juillet. L’exode des « pieds-noirs » s’accélère, dans des conditions précaires et souvent dramatiques : en quelques semaines, la quasitotalité d’entre eux traversent la Méditerranée, et deviennent des « rapatriés ». • Un automne 62. En dépit des sanglants soubresauts de la fin de la guerre d’Algérie, la Ve République, somme toute, est sortie renforcée de ses tumultueuses premières années. Cela étant, ses formes institutionnelles ne sont modifiées qu’au cours de cette même année 1962, au terme d’un second semestre marqué par une grande bataille politique entre le général de Gaulle et la plupart des partis. Après l’indépendance de l’Algérie, en effet, le chef de l’État, loin de considérer que son action est terminée, comme le pense une partie de la classe politique, entend non seulement mener à terme son septennat mais, de surcroît, prémunir la Ve République contre tous dangers d’affaiblissement. Deux facteurs ont alors joué en ce sens, qui tiennent aux conceptions politiques du président : la volonté gaullienne de promouvoir un État fort, sous-tendu par un exécutif solide et stable, et celle de doter la fonction présidentielle d’une légitimité incontestable, grâce au suffrage universel. En outre, ce projet de révision constitutionnelle a été, semble-t-il, accéléré par l’attentat du PetitClamart, le 22 août 1962 : ce jour-là, le chef de l’État échappe de peu à une tentative d’assassinat fomentée par des membres de l’OAS. Cet épisode et l’âge déjà avancé du Général - il a alors 72 ans - ont probablement incité ce dernier à hâter un processus de réforme pour en faire bénéficier ses successeurs. Dès le 12 septembre, il annonce un référendum sur une révision constitutionnelle instaurant l’élection du président au suffrage universel. Une bataille politique s’engage immédiatement, sur un double registre. En effet, la plupart des parlementaires critiquent la procédure choisie : ils considèrent que c’est à eux, en premier ressort, de trancher sur une éven-
tuelle révision constitutionnelle et qu’il n’y a pas lieu de recourir au référendum. De plus, la plus grande partie de la classe politique condamne le principe même de l’élection prédownloadModeText.vue.download 799 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 788 sidentielle au suffrage universel. Le 5 octobre, 280 voix sur 482 expriment leur hostilité en votant la censure du gouvernement dirigé par Georges Pompidou (ce dernier a remplacé Michel Debré en avril 1962). De Gaulle riposte immédiatement par la dissolution de l’Assemblée nationale, comme l’y autorise la Constitution. Le peuple français est donc appelé à arbitrer cette bataille politique par deux consultations : le référendum, programmé pour le 28 octobre, puis les élections législatives, prévues pour les 18 et 25 novembre. A priori, la partie est loin d’être gagnée par le chef de l’État. Au moment du référendum fondateur de l’automne 1958, la SFIO, le MRP et le Centre national des indépendants (CNI) - soit un large éventail allant de la gauche non communiste à la droite libérale - appuyaient les gaullistes. En 1962, au contraire, ces derniers sont presque seuls contre tous : exceptées l’UNR gaulliste et une fraction dissidente du CNI emmenée par le jeune ministre des Finances Valéry Giscard d’Estaing, l’ensemble des autres partis, vite appelé le « cartel des non », recommande de refuser la réforme. Pourtant, le verdict des urnes est doublement - et très largement - favorable au général de Gaulle. Lors du référendum, le « oui » l’emporte avec 61,7 % des suffrages exprimés. Ces résultats sont assurément moins spectaculaires que ceux obtenus en 1958 ou lors des deux référendums sur l’Algérie, mais, compte tenu du rapport de forces initial, ils peuvent être considérés comme une incontestable victoire personnelle pour le général de Gaulle. La réforme constitutionnelle est donc adoptée par voie référendaire. La date du 28 octobre 1962 peut être considérée comme historique car elle donne lieu à une « refondation » de la Ve République : désormais, son magistrat suprême sera élu au suffrage universel. La victoire du général de Gaulle est confirmée, « en appel », par les élections législatives : les gaullistes obtiennent à eux seuls 233 sièges (soit presque la moitié) ; avec l’appoint de 35 Indépendants dissidents, ils sont assurés d’une majorité stable. Celle-ci soutient le gouvernement Pompidou, ce dernier ayant été
reconduit dans ses fonctions après les élections législatives. • Au coeur des « Trente Glorieuses ». Les années 1962-1965 correspondent à une période nouvelle dans l’histoire de la Ve République. En effet, les institutions ont reçu deux fois l’adoubement du suffrage universel, leur fondateur est sorti renforcé des crises successives, la guerre d’Algérie est terminée depuis l’été 1962, et la prochaine consultation électorale importante n’est programmée que pour la fin de l’année 1965. De plus, cette phase 1962-1965 est nichée au coeur des « Trente Glorieuses », qui emportent la France dans une croissance conquérante et dans une mutation sociologique sans précédent. Tandis que le Premier ministre prend en charge la politique économique et sociale - l’historien Jean Touchard parle, pour cette période qui n’est du reste pas exempte de conflits sociaux, comme la grève des mineurs en 1963, d’un « gaullisme de gestion » -, le président de la République se consacre à son autre grand dessein : après avoir forgé des institutions garantes, à ses yeux, de la stabilité politique du pays, il entend promouvoir son indépendance et, maître mot du vocabulaire gaullien, son « rang ». Avant même 1962, il avait poussé à la mise en oeuvre rapide d’une force de dissuasion nucléaire. Après la première expérimentation d’une « bombe A », réalisée en février 1960, la France se lance dans la construction de sous-marins nucléaires, qui viendront s’ajouter aux bombardiers Mirage IV. Et en 1966, le chef de l’État, tout en restant fidèle à l’Alliance atlantique, décide la sortie de la France du commandement militaire de l’OTAN. Cette décision intervient au début de son second mandat présidentiel. Pendant longtemps, le public n’a pas su si de Gaulle serait candidat à l’élection présidentielle. Jusqu’au 4 novembre 1965, à un mois du premier tour, il a laissé planer le doute sur ses intentions. En revanche, les partis de l’ancien « cartel des non » ont tenté de s’organiser longtemps à l’avance, pour aborder l’échéance électorale en position de force. Cette préparation n’estelle pas, en définitive, une preuve supplémentaire de l’enracinement précoce des institutions de la Ve République ? Au sein de l’opposition, la SFIO occupe une position centrale : elle peut choisir de s’allier avec les centristes ou avec les communistes. Or, les deux formules ont prévalu, successivement. De 1963 à juin 1965, le socialiste
Gaston Defferre, soutenu par l’hebdomadaire l’Express, cherche à promouvoir une coalition regroupant, sous le nom de « Grande Fédération », la SFIO, les radicaux et le MRP. Mais, après deux ans de négociations, la tentative fait long feu, faute d’accord entre la SFIO et le MRP sur des points essentiels. À six mois de l’échéance présidentielle, l’opposition au général de Gaulle se retrouve donc sans véritable projet alternatif. C’est alors que François Mitterrand entre en scène. L’homme a été plusieurs fois ministre sous la IVe République et s’est opposé dès 1958 aux institutions de la Ve - qualifiées par lui, en 1964, de « coup d’État permanent ». Avec beaucoup d’habileté, il profite de ce vide politique et, s’étant déclaré candidat le 9 septembre, il parvient en quelques jours à être soutenu à la fois par la SFIO, à laquelle il n’appartient pas, et par les communistes, desquels il avait été jusque-là fort éloigné. Si l’on ajoute les radicaux qui se rallient également à sa candidature, c’est toute la gauche que François Mitterrand parvient à réunir sous son nom. Cet opposant de la première heure à la Ve République comprend que l’élection du président de la République au suffrage universel, contre laquelle il s’est d’abord élevé, a créé des mécanismes nouveaux d’accès au pouvoir. Sa démarche est aussi le reflet d’une mue en train de s’opérer - la bipolarisation de la vie politique -, qui va marquer durablement la Ve République. Certes, le général de Gaulle ne doit pas sa mise en ballottage du 5 décembre 1965 (44,65 % des suffrages exprimés) au seul François Mitterrand (31,72 %) : le score de Jean Lecanuet (15,57 %) y est également pour beaucoup, et témoigne de la force relativement importante du centre d’opposition à cette date. Il n’empêche, un processus de perte d’autorité du président fondateur s’est enclenché, que les bons résultats de François Mitterrand au second tour (44,8 %) vont, du reste, accélérer. Le ballottage, aujourd’hui considéré comme un phénomène banal, est interprété à l’époque, y compris par le principal intéressé, comme un demi-échec. De plus, le chef de l’État a alors 75 ans : l’âge, désormais, ne peut que jouer contre lui. Surtout, au cours des années suivantes, la progression de l’opposition érode les positions des gaullistes. Alors qu’en 1965 de Gaulle a encore pu réunir sur son nom plusieurs millions de voix venues de gauche, la base électorale du parti présidentiel semble se rétracter dès les élections législatives de mars 1967. La gauche, encouragée par les résultats de François Mitterrand
en 1965 et renforcée par un accord de désistement conclu l’année suivante, obtient près de 200 députés. Si l’on ajoute 41 élus parmi les centristes d’opposition, la majorité sortante l’emporte d’extrême justesse : au soir du second tour, les gaullistes et leurs alliés (les Républicains indépendants, appartenant au parti fondé en 1966 par Valéry Giscard d’Estaing) ne conservent la majorité absolue que d’un siège : 244 sur 487. Certes, le ralliement, au cours des jours suivants, de quelques noninscrits étoffe un peu la marge de manoeuvre du gouvernement de Georges Pompidou - qui avait été reconduit dans ses fonctions après la réélection de Charles de Gaulle. Mais l’avertissement a été clair. Nul ne conteste plus la légitimité du chef de l’État, réactivée par l’onction populaire de décembre 1965, mais les temps héroïques sont terminés : l’opposition se renforce et le général de Gaulle a 77 ans. Cela étant, si ces symptômes peuvent être interprétés comme ceux d’un essoufflement, un diagnostic exactement inverse peut aussi être avancé : la France est sortie de sa période de crise, un jeu démocratique apaisé s’est mis en place, le président est alors l’un des chefs d’État de stature internationale. Peu importe, au fond, l’hypothèse retenue. Car ces deux diagnostics sont les reflets opposés d’une même réalité, celle d’une France qui a retrouvé une stabilité politique mais qui est emportée, dans le même temps, par la mutation sociologique la plus rapide de son histoire. Cela conduit à une situation quelque peu paradoxale : les institutions, au bout de dix ans, ont fait leurs preuves et ont trouvé leur assise, mais simultanément, elles vont être remises en cause, comme symbole d’une France vieillie, par une contestation multiforme. • Mai 68. À la différence de ce qui se passe, la même année, dans d’autres pays de l’Occident industrialisé, les événements de mai 68 paraissent déboucher en France sur une crise de régime. Les débuts peuvent pourtant sembler relativement banals - à l’échelle de l’Histoire -, et en rien spécifiques à la France. La crise, en effet, est d’abord universitaire. Le 3 mai, le milieu étudiant parisien, qui connaît depuis plusieurs mois déjà une agitation endémique, entre en effervescence. Parcouru par des idéologies d’extrême gauche qui contestent la société capitaliste, fragilisé par une augmentation très rapide de ses effectifs - multipliés par trois depuis le début des années 1960 -, inquiet du manque de débouchés dans les filières des sciences humaines et sociales, ce milieu étudiant se heurte à la downloadModeText.vue.download 800 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 789 police après la fermeture de la faculté de Nanterre. La rudesse des premiers affrontements - qui débouchent sur l’érection de barricades au Quartier latin - joue le rôle de catalyseur. En quelques jours, le mouvement gagne la province. À l’image de la Sorbonne, nombre d’établissements universitaires sont occupés par leurs étudiants. Rapidement, la crise va s’élargir. Pour protester contre la « répression policière » du « régime gaulliste », les forces syndicales appellent à la grève générale pour le 13 mai. Le lendemain, le mouvement fait tache d’huile : initialement prévue pour une seule journée, la grève se prolonge et s’amplifie. Au bout de quelques jours, la plupart des entreprises sont occupées par leurs salariés et l’économie française est à son tour paralysée - plus qu’elle ne l’a été lors de la grande vague de grèves du printemps 1936. D’universitaire, la crise est devenue sociale. De plus, elle acquiert, dans la dernière décade de mai, une dimension politique. En effet, dans un premier temps, le président de la République n’a aucune prise sur l’événement. La magie du verbe gaulliste n’opère plus : la proposition d’un référendum sur la « participation » tourne court. Dans ces conditions, c’est le régime lui-même qui paraît ébranlé. D’autant que les tentatives pour abréger la crise semblent faire long feu : le 27 mai, les accords de Grenelle sont signés mais, malgré les fortes hausses de salaire prévues, ils sont repoussés le même jour par la base ouvrière, qui proclame sa volonté de poursuivre la grève. Le pouvoir gaulliste semble dans l’impasse. Du reste, le lendemain, François Mitterrand se déclare prêt à succéder à Charles de Gaulle si celui-ci, en se retirant, enclenche une élection présidentielle. Pourtant, en quelques jours, le général de Gaulle retourne la situation en sa faveur. Le 29 mai, tout d’abord, il disparaît durant quelques heures vers une destination inconnue. On apprendra par la suite qu’il s’est rendu en Allemagne, à Baden-Baden, pour rencontrer le général Massu. Ce voyage révélait-il une faiblesse passagère, l’aveu d’un doute étreignant le chef de l’État ? Ou s’agissait-il d’une habile manoeuvre, d’une brève disparition savamment mise en scène pour frapper l’opinion ? Les deux thèses ont été
avancées. Toujours est-il que, lorsqu’il annonce le lendemain, à la radio, la dissolution de l’Assemblée nationale, le président semble avoir repris la situation en main. Le soir du même jour, une manifestation gaulliste forte de plusieurs centaines de milliers de personnes se déroule sur les Champs-Élysées pour proclamer son soutien au chef de l’État. Celui-ci est également conforté par le retournement, en cette fin de mai, de l’opinion publique, d’abord favorable au mouvement mais bientôt inquiète devant une crise qui paraît s’éterniser. Les élections législatives, fixées aux 23 et 30 juin, vont jouer un rôle de canalisation de la crise, ce qui, à tout prendre, peut être porté au crédit du régime. Durant la brève campagne électorale, le Premier ministre Georges Pompidou joue avec habileté de cette peur du désordre qui s’est emparée d’une partie du pays. Bien plus, il attribue l’origine de la crise de mai aux partis de gauche. Si l’assertion est historiquement inexacte, elle se révèle politiquement payante. Au bout du compte, une « majorité silencieuse », devenue hostile au mouvement, assure aux gaullistes une très large victoire : à eux seuls, ils ont, au soir du second tour, la majorité absolue à l’Assemblée nationale, avec 294 sièges sur 487. Si le régime de la Ve République ne sort pas amoindri de la crise, en est-il de même pour son fondateur ? En fait, le général de Gaulle est, lui, profondément ébranlé par mai 68. En effet, l’opinion attribue davantage au Premier ministre qu’au président la résolution de la crise. Le second en a-t-il conçu de l’irritation ? Quelques jours après la victoire électorale, de Gaulle change de chef du gouvernement, Maurice Couve de Murville succédant à Georges Pompidou. En outre, il est parfaitement conscient de la fragilité du résultat électoral de juin 1968 - obtenu en réaction à une conjoncture jugée dramatique. Il le ressent d’autant plus durement qu’il a une très haute idée de la légitimité du pouvoir, lequel, pour se maintenir, doit être assuré de l’appui du peuple souverain. C’est probablement pour cette raison que le chef de l’État propose, en février 1969, un référendum sur la réforme du Sénat et la régionalisation. L’initiative s’explique, certes, par un souhait de faire passer une réforme qu’il juge nécessaire et par un souci de reprendre l’initiative politique, mais aussi, plus largement, par la volonté de retremper une légitimité qu’il pressent atteinte. Depuis
son retour au pouvoir, le général de Gaulle a souvent testé le soutien populaire. Mais ce référendum, bientôt fixé au 27 avril, sera la consultation de trop. Le projet présidentiel se heurte immédiatement à une opposition multiforme et résolue, jusque dans les rangs de la majorité : Valéry Giscard d’Estaing préconise explicitement le « non ». André Mal raux, l’un des fidèles du général, a interprété l’échec du 27 avril comme une attitude délibérément suicidaire de de Gaulle, afin de mettre en scène sa sortie de l’Histoire. L’historien ne peut que rester sceptique devant une telle hypothèse. Initialement, le chef de l’État avait bien l’intention de faire passer son projet et de ressourcer une légitimité qu’il sentait écornée. Ce n’est qu’au fil des semaines qu’il prit conscience que la campagne tournait en sa défaveur. Rien ne l’obligeait dans la Constitution ou dans la pratique de la Ve République à mettre son mandat en jeu. Mais une telle attitude correspondait, on l’a vu, à l’idée qu’il se faisait des rapports avec le peuple souverain. D’où, comme par le passé, une implication personnelle annoncée avant le scrutin. L’avant-veille du 27 avril, il déclare à la télévision : « Si je suis désavoué par une majorité d’entre vous, [...] je cesserai aussitôt d’exercer mes fonctions. » Il y a là moins une dramaturgie du départ qu’une dramatisation du scrutin, dont le chef de l’État était coutumier. Si le résultat du référendum est sans ambiguïté - 53,2 % de « non » -, l’attitude du général de Gaulle est elle aussi sans appel. Peu après minuit, un communiqué laconique est publié par l’Élysée : « Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi. » De fait, le lundi 28 avril 1969, le chef de l’État se retire. Avec son départ, c’est une phase de l’histoire de la Ve République qui se termine. Le régime, né au forceps dans l’épreuve de la guerre d’Algérie, remodelé dans le feu de la crise politique de 1962, s’est enraciné rapidement et a montré en 1968 sa capacité à surmonter des phases de crise aiguë. Il n’est pas jusqu’au départ volontaire de son fondateur qui n’apparaisse, d’une certaine façon, comme la preuve de sa pérennité. Ce 28 avril, pourtant, deux questions sont encore sans réponse concernant ces institutions. Comment cellesci vont-elles évoluer en l’absence de leur fondateur ? Et, plus largement, une alternance politique pourrait-elle aisément s’opérer dans le cadre qu’elles dessinent ? La première réponse allait être donnée dès les semaines suivantes. Pour la seconde, douze années allaient encore s’écouler.
LA Ve RÉPUBLIQUE SANS DE GAULLE Durant ces douze années, trois défis historiques sont tour à tour surmontés par la Ve République. Elle survit à son fondateur. C’est sans drame que la magistrature suprême passe des gaullistes à la droite libérale en 1974. Enfin, elle subit sans contrecoup notable l’effritement du socle socioéconomique qui avait été celui de ses années de jeunesse : les « Trente Glorieuses » se terminent brutalement et vient le temps de la stagnation. • Les années Pompidou. C’est un gaulliste qui succède en juin 1969 au général de Gaulle. Certes, les relations entre ce dernier et Georges Pompidou s’étaient progressivement dégradées, surtout après la non-reconduction du Premier ministre à son poste en juillet 1968. Georges Pompidou y avait vu de l’ingratitude et avait vécu l’épisode comme une éviction. Mais cela n’avait pas suffi à lui retirer le statut de « dauphin », que ses fonctions de chef du gouvernement pendant plus de six ans lui avaient conféré. Intronisé candidat gaulliste par l’UDR (qui a succédé l’année précédente à l’UNR), il est confronté à une gauche désunie et au président du Sénat, le centriste d’opposition Alain Poher. Et c’est avec ce dernier, en raison de la multiplication des candidats de gauche, qu’il reste en lice au second tour. Le 15 juin 1969, il est élu sans difficulté, avec 57,8 % des suffrages exprimés. Les grands principes qui avaient marqué les onze années de République gaullienne sont préservés et l’essentiel de l’héritage gaulliste est maintenu, même si le ralliement d’une partie des centristes s’est fait au prix d’un infléchissement de la politique étrangère, désormais plus favorable à la construction européenne. À bien y regarder, le mandat de Georges Pompidou est placé à la croisée des « Trente Glorieuses », qui se poursuivent, et de l’ombre portée de mai 68 sur la société française. Et les effets des unes et de l’autre ne seront pas gérés dans le même esprit par le président. Il y a chez Georges Pompidou une ferme intention de poursuivre la modernisation du pays : cet objectif, déjà présent chez le Premier ministre entre 1962 et 1968, est réaffirmé par le président à partir de 1969. Dans un contexte de croissance forte, l’avenir passe par une politique industrielle qui doit hisser la France au rang des très grandes puissances. downloadModeText.vue.download 801 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 790 Plus complexe est, en revanche, la gestion pompidolienne de l’après-mai 68. Dans un premier temps, il soutient la politique sociale de son Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas. Celui-ci, en mettant en oeuvre un projet ambitieux de « nouvelle société », veut à la fois mieux répartir les fruits de la croissance et moderniser une société française en mutation rapide et ébranlée par la contestation multiforme de mai 68. Mais, à mesure que se rapproche l’échéance des élections législatives de mars 1973, une partie de la majorité s’inquiète d’un programme jugé trop libéral. Aux yeux des plus réticents, le gouvernement fait davantage la politique de l’opposition que celle qu’attend l’électorat de droite. Le président se montre de plus en plus attentif à ces critiques, à tel point que, le 5 juillet 1972, il contraint son Premier ministre à la démission. Dans l’histoire de la Ve République, l’épisode, même s’il convient de ne pas en exagérer l’importance, est doublement significatif. D’abord, il est le reflet de l’alchimie complexe que représente la dyarchie à la tête de l’État. La brouille, sur le tard, entre de Gaulle et Pompidou avait déjà montré la fragilité de tels attelages institutionnels. Inversement, les thuriféraires de la Constitution pourront faire valoir qu’à la différence des interminables crises ministérielles de la IVe République, le système fait la preuve de sa faculté à s’autoréguler : force reste toujours, au bout du compte, au président, tant que la majorité parlementaire est de son camp. L’autre enseignement de cette brève crise de juillet 1972 a, lui aussi, valeur générale. Le gaullisme, au fil des années 1960, avait montré une capacité à dépasser le clivage droite-gauche qui ne relevait pas seulement de l’incantation. À partir de 1967, pourtant, un reclassement avait commencé à s’opérer, que la présidence pompidolienne vient confirmer : le gaullisme est reporté vers la partie droite du paysage politique. Et l’évolution est encore renforcée, à partir de 1972, par la signature, entre les partis de gauche, d’un programme commun de gouvernement. Dès lors, ce sera l’une des aspirations toujours proclamée du gaullisme que de tenter de retrouver cette aptitude à transcender la summa divisio droite-gauche de la vie politique française. Pour l’heure, en cet été 1972, il n’en est rien. Après le temps des réformes, le nouveau chef du gouvernement, Pierre Messmer, doit
rassurer l’électorat et les parlementaires de la majorité par une politique globalement plus conservatrice. Politique qui, apparemment, atteint son objectif : aux élections législatives de mars 1973, malgré une progression sensible de l’union de la gauche, la majorité sortante est reconduite à l’Assemblée nationale. Mais, à l’échelle des décennies, cette année 1973 est restée importante dans l’histoire de la Ve République. En effet, même si l’effervescence d’extrême gauche activée par mai 68 s’estompe progressivement à partir de 1972, l’effet de traîne de ce mouvement et les mutations profondes de la société française induisent de nouvelles formes de luttes sociales. Une forte agitation lycéenne et étudiante, par exemple, a lieu au mois de mars, contre la loi Debré, qui réaménage le sursis militaire pour les étudiants. Surtout, des formes de contestation sociale nouvelles se multiplient et deviennent momentanément endémiques : ainsi la longue grève et l’expérience autogestionnaire des salariés de l’usine Lip, à Besançon, ou la série de manifestations antimilitaristes contre l’extension du camp du Larzac. D’autre part, en cette année 1973, la bipolarisation de la vie politique française se poursuit. Les élections de mars ont surtout consisté en un affrontement entre la majorité et la gauche unie autour du programme commun de gouvernement. Le centre d’opposition décline, laminé par cette structure d’affrontement binaire et affaibli par les ralliements d’une partie des siens à Georges Pompidou dès la campagne présidentielle de 1969. Déjà se profilent pour la prochaine échéance présidentielle les signes d’une agrégation des vestiges de ce centre à l’un ou l’autre des deux blocs en présence. L’élection présidentielle est déjà devenue le moment « structurant » de la vie politique française : les alliances se nouent en prévision de cette échéance et, en dehors même de ces alliances, les ralliements s’opèrent à cette occasion. À ce moment, la joute présidentielle paraît lointaine puisque Georges Pompidou vient à peine de dépasser le mitan de son septennat. Mais - et c’est un autre élément important de cette année 1973 -, pour la première fois depuis quinze ans d’existence de la Ve République, le président, pièce maîtresse du dispositif institutionnel, est frappé par la maladie. Celle-ci n’a pas fait l’objet d’une annonce officielle, mais les changements dans l’apparence physique de Georges Pompidou ne peuvent laisser aucun doute. La Ve République se trouve brutalement confrontée avec
cette question, au demeurant classique dans les grandes démocraties modernes : un pays peut-il être gouverné par un homme malade ? La réponse, en fait, est affaire d’appréciation plus que d’expertise historique. L’historien se bornera à constater que, surmontant des douleurs de plus en plus vives, le président répondit par l’affirmative à une telle question et mourut, en fonctions, le 2 avril 1974. Mais l’année 1973 a été également fondamentale pour une autre raison, peut-être la plus importante puisqu’elle introduit un changement structurel dans l’histoire de la Ve République. À l’automne 1973, le premier « choc pétrolier » entraîne en deux mois un quadruplement du prix du baril de pétrole brut. Même si, probablement, cette augmentation brutale n’est qu’une des causes de la dégradation économique qui s’ensuit, le point d’inflexion se situe bien à ce moment. Aux « Trente Glorieuses » conquérantes succède une stagnation durable qui modifie la donne : alors que la production industrielle française avait progressé de 100 % en douze ans (de 1962 à 1974), elle n’enregistre qu’une hausse de 10 % au cours des douze années suivantes. Ce phénomène, accompagné d’une augmentation des prix atteignant dès 1974 15,2 % et d’une dégradation rapide du marché de l’emploi, sonne la fin des « années faciles » (Jean Fourastié). Désormais les gouvernements de la Ve République doivent gérer une situation économique difficile, placée sous le signe de la « stagflation » - c’est ainsi que les observateurs baptisent alors le couple stagnation économique/inflation - et du chômage. Assurément, la perception de ce changement de contexte économique par une opinion publique et par une classe politique habituées jusqu’ici à une croissance économique forte et à une société de quasi-plein emploi n’est pas immédiate. Pour cette raison même, les difficultés socioéconomiques se traduisent vite par une baisse de popularité des gouvernants. Valéry Giscard d’Estaing sera ainsi le premier président confronté à un tel contexte. • La présidence giscardienne (1974-1981). Face au candidat de l’Union de la gauche - François Mitterrand -, Valéry Giscard d’Estaing l’emporte avec seulement 425 000 voix d’écart. Mais le nouveau président dispose apparemment de forts atouts pour mettre en oeuvre sa politique. Tout d’abord, il est parvenu à distancer au premier tour le candidat gaulliste, Jacques Chaban-Delmas. À cet égard, cette élection marque bien un tournant. D’autre part, dans une France qui n’est
encore qu’effleurée par la crise économique, le jeune président - il a 48 ans - entend promouvoir le « changement ». Et, de fait, plusieurs mesures sont adoptées pendant les premiers mois du septennat qui paraissent prendre en charge les évolutions socioculturelles du pays perceptibles depuis le milieu des années 1960 : majorité à 18 ans, libéralisation de la contraception, loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse. De même que la « nouvelle société » de Jacques Chaban-Delmas avait absorbé une partie de l’onde de choc née des événements de mai 68, les réformes du président Giscard d’Estaing prennent acte des aspirations d’une société française parcourue par des forces de changement très puissantes. Cela étant, comme pour le projet de Jacques Chaban-Delmas, les réticences et les obstacles se manifestent rapidement. Réticences d’une partie de la majorité présidentielle, sensibles au moment du vote de la loi Veil, qui n’est adoptée qu’avec l’appoint de parlementaires de gauche. Obstacles, aussi, en raison des premiers effets de la crise économique, que Jacques Chirac, nommé Premier ministre par le président, et son gouvernement doivent affronter. Pour toute une génération de responsables politiques dont la carrière s’est déroulée jusque-là sous le signe des « Trente Glorieuses » - c’est le cas notamment de Valéry Giscard d’Estaing et du Premier ministre Jacques Chirac (alors âgé de 41 ans) -, cette crise naissante est véritablement hors normes : elle surgit brutalement dans le paysage d’une société de croissance et de plein emploi. Si l’on ajoute que les forces de l’union de la gauche continuent à enregistrer (aux élections cantonales du printemps 1976) une forte progression et que des tensions réapparaissent entre la droite libérale et le gaullisme - unis au pouvoir, mais dans un rapport de forces différent de celui prévalant sous de Gaulle et Pompidou -, on saisit mieux la place particulière de ce septennat dans l’histoire de la Ve République. Placé sous le signe d’un « changement » qui n’est pas seulement un slogan de campagne électorale mais aussi l’expression sincère d’une volonté de faire évoluer le cadre législatif et administratif d’une société française en pleine mue, il est vite rattrapé par downloadModeText.vue.download 802 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 791
les effets de la crise économique. Considéré comme le moment d’une « décrispation » politique, jugée nécessaire par le nouveau président, il est devenu au contraire - et très rapidement - le cadre chronologique d’une bipolarisation presque chimiquement pure. Bien plus, les contrecoups de la concurrence électorale du premier tour de l’élection présidentielle confèrent rapidement à la majorité en place l’apparence d’un duo discordant. La démission de Jacques Chirac en août 1976 est la suite logique de ces tensions internes. Certes, le Premier ministre, au printemps 1974, a soutenu Valéry Giscard d’Estaing contre le candidat gaulliste Jacques Chaban-Delmas. Mais ce choix, probablement dicté par la conviction que « Chaban » ne pourrait pas battre Mitterrand, peut-être motivé aussi par les préventions des pompidoliens - auxquels appartient Jacques Chirac envers le promoteur de la « nouvelle société », n’a pas empêché Jacques Chirac de s’assurer le contrôle du parti gaulliste dès l’automne 1974. La démission d’août 1976, par-delà le choc des personnes et l’affrontement des caractères, apparaît donc comme le reflet de la compétition récurrente entre gaullistes et libéraux. Tant que ces derniers, affaiblis par les scissions des débuts de la Ve République, étaient une force d’appoint, la concurrence entre les deux principales branches de la droite française restait surtout virtuelle. La victoire de Valéry Giscard d’Estaing, en 1974, la réactive. Bien plus, une telle concurrence - et la compétition qu’elle engendre - devient dès lors une donnée quasi structurelle de la vie politique sous la Ve République. Un ballet à quatre danseurs - le « quadrille bipolaire », selon l’expression que forge alors le politologue Maurice Duverger - voit s’opposer deux couples - communistes et socialistes, gaullistes et libéraux - unis par leur antagonisme réciproque mais parcourus aussi de forces centrifuges. Amorcé dans les années 1960, ce « quadrille bipolaire » s’épanouit dans les années soixante-dix : les élections présidentielles de 1974 et de 1981 en sont les formes les plus achevées. Les quatre partis recueillent alors, à eux seuls, près de 90 % des suffrages exprimés. Pour l’heure, en ce milieu des années 1970, malgré la crise naissante et les difficultés croissantes rencontrées par Valéry Giscard d’Estaing, la Ve République paraît avoir atteint sa vitesse de croisière : ses institutions ne sont plus remises en cause par aucune grande force politique ; elles ont survécu, tour à tour, au
départ de leur fondateur et à la perte de la magistrature suprême par les gaullistes ; le mode de scrutin semble déboucher sur un clivage droite-gauche au sein duquel s’expriment les quatre grandes sensibilités politiques du moment. Bien plus, le régime paraît faire la preuve d’une capacité à gérer et à accompagner les mutations de la société française. Mais, déjà, en toile de fond, et sans que les contemporains en aient sur le moment une réelle perception, des facteurs de perturbation commencent à opérer, vivifiés par la crise économique. Le Premier ministre qui doit affronter ce dérèglement est un nouveau venu en politique : Raymond Barre, successeur de Jacques Chirac, est inconnu des Français lorsqu’il est nommé à la tête du gouvernement par Valéry Giscard d’Estaing. Ce dernier le présente alors à ses concitoyens comme le « meilleur économiste de France ». Il y a probablement dans une telle étiquette une volonté d’exorciser la crise et une indication donnée au pays sur l’importance des mutations économiques en cours. Le plan de redressement que Raymond Barre met en place porte ses premiers fruits, qui sont cependant éphémères. Un second choc pétrolier, intervenu en 1979, ruine ces efforts : l’inflation repart et dépasse 13 % en 1980, tandis que le chômage s’accroît, jusqu’à toucher 1,65 million de personnes à la fin du septennat. Raymond Barre demeure Premier ministre jusqu’à cette date. Il est donc resté chef du gouvernement pendant près de cinq ans (le record de longévité à ce poste - six ans - revient à Georges Pompidou). Or, par la suite, jusqu’à Lionel Jospin, aucun Premier ministre ne demeurera plus de trois ans aux affaires. En effet, de la crise semble résulter une plus grande difficulté pour les responsables politiques à inscrire leur action dans la durée. De surcroît, Raymond Barre n’a pas alors une tâche aisée. Aux problèmes économiques s’ajoutent de vives tensions politiques. Jacques Chirac crée en décembre 1976 le Rassemblement pour la République (RPR), tandis que les partisans du chef de l’État se regroupent en février 1978 au sein de l’Union pour la démocratie française (UDF). Ces deux grands partis de la droite sont dotés de forces à peu près comparables. D’autre part, communistes et socialistes continuent leur montée en puissance électorale, malgré de profondes dissensions qui se font jour entre eux. Mais, aux législatives de mars 1978, que la gauche
semble en mesure de gagner, ces désaccords ont un effet désastreux sur l’électorat : aussi, la droite reste-elle majoritaire (292 sièges, contre 200 aux partis de gauche). Comme par le passé, c’est l’élection présidentielle qui apparaît comme le moment de vérité. La droite, affaiblie par la crise qu’elle subit de plein fouet en étant aux affaires, at-elle été seulement « miraculée » (René Rémond) en 1978, ou est-elle alors en train de sortir de l’ornière où l’avaient placée les difficultés persistantes ? Et la gauche continue-telle à cette époque sa progression, malgré la forte houle entre socialistes et communistes et la rivalité, au sein du PS, entre Michel Rocard et François Mitterrand ? • Les septennats de François Mitterrand. Alors que, quelques mois avant l’élection présidentielle de mai 1981, les sondages donnent encore Valéry Giscard d’Estaing vainqueur de François Mitterrand, c’est ce dernier qui l’emporte finalement. Cette victoire n’est pas seulement la revanche de la gauche sur l’échec de 1974, c’est surtout l’une des dates essentielles de l’histoire de la Ve République : pour la première fois depuis vingt-trois ans, s’opère l’« alternance politique », comme la baptisent à chaud les observateurs. En 1974, la présidence de la République avait échappé aux gaullistes mais elle était restée à la droite. Le 10 mai au soir, le changement politique est complet. Il est confirmé le mois suivant, quand les élections législatives ratifient, tout en l’amplifiant, le succès socialiste : avec 37,7 % des suffrages exprimés, le PS obtient 285 sièges. Comme l’UDR en 1968, il a, à lui seul, la majorité absolue à l’Assemblée nationale. La dynamique de la remontée socialiste dans les années 1970 et le brusque décrochage communiste (15 % des voix) aux élections de 1981 ont entraîné un rééquilibrage à gauche. Le « danseur » communiste du « quadrille bipolaire » ne retrouvera jamais ses marques d’avant 1981 ; bien au contraire, il frôlera dès 1984 la barre symbolique des 10 % des suffrages exprimés. Si la bipolarisation prévaut donc encore en ce début des années 1980, le PS est devenu à gauche un parti dominant, comme l’avaient été à droite l’UNR puis l’UDR, de 1958 à 1974. Porté par le contexte de l’« état de grâce » qui suit la victoire politique de la gauche, le nouveau Premier ministre Pierre Mauroy met rapidement en oeuvre plusieurs réformes, présentées comme le « socle du changement » :
abolition de la peine de mort, durée du travail hebdomadaire ramenée à trente-neuf heures, généralisation de la cinquième semaine de congés payés, retraite à soixante ans, lois Auroux concernant le droit du travail, loi de décentralisation, autorisation des radios privées et création de la Haute Autorité de l’audiovisuel. Ces réformes sont complétées, sur le plan économique, par une extension du secteur public : cinq sociétés industrielles, dont Saint-Gobain et Rhône-Poulenc, deux compagnies financières (Paribas et Suez) et trente-six banques sont nationalisées. Et, à court terme, le gouvernement entend s’engager dans une « bataille de l’emploi », en favorisant une reprise de l’activité économique par la consommation des ménages. Mais cette politique va rapidement se révéler un échec : le chômage continue à augmenter, le déficit de la balance commerciale s’aggrave. Dès juin 1982, un changement de cap est opéré, par l’annonce d’un plan de « rigueur ». Ce tournant est important dans l’histoire de la Ve République. D’une part, s’amorce à ce moment la gestation d’une « culture de gouvernement » de gauche : restée dans l’opposition pendant près d’un quart de siècle, la gauche française, autant qu’une force alternative, y incarnait une sorte d’au-delà politique, où au principe de réalité était parfois substituée la volonté de « changer la vie ». Cette position lui conférait une identité - le réel peut être modifié, à condition de le vouloir - et une force - surtout dans l’opposition, par temps de crise. L’arrivée aux affaires ne pouvait donc qu’être un moment de vérité. À cet égard, le tournant de 1982, sur le long terme, est plus qu’une inflexion. La gauche, désormais, se veut elle aussi gestionnaire, et la « rigueur » induit, sans encore le dire, l’acceptation de l’économie de marché. Le point est essentiel. Pour la gauche, d’abord : les uns voient dans cette évolution une perte d’identité et de substance, les autres y perçoivent la modernisation du socialisme français, promu parti de gouvernement. Pour la Ve République, ensuite : le point de clivage entre la droite et la gauche ne sera plus désormais la question, downloadModeText.vue.download 803 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 792 jusque-là fondamentale, de l’économie de marché. Il s’agit bien là d’une mutation struc-
turelle. D’autre part, si la gauche elle-même proclame la « rigueur », il n’y a plus d’alternative à la réalité de la crise : celle-ci persiste et ne peut être supprimée par décret. Neuf ans après le premier choc pétrolier, la France se trouve de plain-pied dans une nouvelle configuration socioéconomique. Une page est tournée et, dès lors, à gauche autant qu’à droite, la « rigueur » sera souvent invoquée. Là encore, la France de la fin des années 1990 est bien la fille de ces années tournantes. Mais un tel retournement ne peut rester sans effets sur l’état de l’opinion. Depuis la fin des années 1970, la crise rendait déjà la position des gouvernements inconfortable (alors que, dans les périodes stables, on observait généralement une prime au sortant) ; désormais, les équipes en place sont fragilisées. En 1981, 1986, 1988, 1993, 1997 et 2002, l’alternance devient la règle (1995 étant apparemment une exception, mais, à cette date, Jacques Chirac est élu contre Édouard Balladur autant que contre la gauche). Autre mutation politique majeure qui s’enclenche en ces années-là : le dérèglement du « quadrille bipolaire ». Un tel constat n’est pas fondé seulement sur l’affaissement, à gauche, du Parti communiste. Plus généralement, les quatre partis dits « de gouvernement » voient baisser leur audience globale dans l’électorat, à tel point que l’on parle d’une crise de la représentation politique. À la fois symptôme et facteur de ce dérèglement, la montée du Front national est frappante à partir des élections européennes de 1984. Le parti de JeanMarie Le Pen, qui avait obtenu 0,74 % des suffrages exprimés à l’élection présidentielle de 1974, et n’avait même pas pu être présent, faute d’avoir réuni les signatures nécessaires, à celle de 1981, obtient alors 11 % des voix. Et à l’élection présidentielle de 1988, Le Pen réunit 14,39 % des suffrages, score confirmé en 1995 et surtout en 2002 où il atteint le second tour. L’installation en position de hautes eaux électorales d’un parti politiquement situé à l’extrême droite est le reflet d’une triple crise : sociale, identitaire et politique. Le terreau en est le tissu social déchiré par la hausse du chômage et par le désarroi de plus en plus étendu qui l’accompagne. S’y ajoutent un rejet de l’immigration et une inquiétude diffuse face à la progression de la construction européenne : l’identité française est ainsi perçue par l’électorat du Front national comme doublement et dangereusement menacée. Et tout cela s’inscrit
dans la crise de la représentation politique. Les craintes et les aspirations d’un électorat fragilisé par la crise ne sont plus aussi aisément que par le passé relayées par les partis de gouvernement, de gauche ou de droite. La Ve République se trouve ainsi confrontée à une situation complexe et ambivalente. La victoire de la droite - en 1986 puis en 1993 -, sous un président de gauche, y introduit la dernière variante - encore inédite - du jeu institutionnel : la cohabitation. Là encore, le régime montre sa grande souplesse. Pourtant, en profondeur, certains des fondements de ce régime paraissent s’éroder. La crise de la représentation politique débouche, en effet, sur un « vote éclaté » (Pascal Perrineau, Colette Ysmal et Philippe Habert), où les partis de gouvernement ne représentent plus guère que la moitié de l’électorat : le fait est ainsi patent aux élections régionales de mars 1992, où le PS, l’UDF et le RPR n’obtiennent, à eux trois, que 51 % des suffrages exprimés. • Une remise en cause ? À mesure que l’on se rapproche du temps immédiat, la tâche devient délicate pour l’historien : faute de réel recul, comment distinguer l’essentiel de l’accessoire, l’anecdotique du décisif ? En apparence, l’enracinement du régime et le bon fonctionnement de ses rouages se trouvent confirmés dans les années 90 : une alternance en sens inverse de celle de 1981 a lieu lors de l’élection présidentielle de 1995 (un homme de la droite - Jacques Chirac - succède à un président socialiste), et une cohabitation du chef de l’État avec une majorité législative de gauche suit la dissolution de l’Assemblée nationale du printemps 1997. Mais certains signes montrent que cet enracinement connaît une remise en cause depuis plusieurs années. En effet, le corps électoral est aujourd’hui constitué, pour partie, d’une génération qui n’a pas connu la période fondatrice. L’acculturation de ces nouveaux électeurs est rendue difficile par le changement de décor : à la France des « Trente Glorieuses », portée par un optimisme conquérant, y compris dans ses variantes contestatrices, a succédé une France ankylosée, doutant de son présent comme de son avenir. En 1968, la crise aiguë n’avait pas dégénéré en crise de régime parce qu’une majorité de Français s’étaient déjà acclimatés à la Ve République : celle-ci, massivement adoptée en 1958 et largement confirmée en 1962, était alors l’ointe du peuple souverain. Le changement de son contexte économique et les relèves de génération ont, semble-t-il, érodé une
telle légitimité. Bien que le régime a jusque-là montré sa capacité à s’adapter et à s’amender comme en témoigne en 2000 la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans, l’idée d’une remise à plat des institutions de 1958 fait son chemin et certains parlent ouvertement d’une « sixième République ». Républiques soeurs, appellation désignant les États créés par le Directoire dans les pays conquis par la France entre 1795 et 1799. • Une définition évolutive. L’idée de « République soeur » apparaît dans les discours « patriotes », dès les premières années de la Révolution. Desmoulins considère par exemple les Républiques belge et liégeoise de 1789 comme des alliées naturelles de la France « régénérée ». Après l’instauration de la république (septembre 1792), l’expression s’applique surtout aux États-Unis et à la Suisse, dont on espère l’aide contre la « coalition des tyrans ». C’est l’identité des principes politiques dont se réclament les « peuples frères » (la souveraineté populaire, la reconnaissance des droits de l’homme...) qui constitue la base du concept : aussi, les États aristocratiques tels que Venise ne sontils pas considérés comme des « Républiques soeurs ». Sous la Convention, les partisans de la guerre de conquête - notamment certains girondins - donnent un nouveau contenu à cette idée : les peuples voisins sont sommés de se « républicaniser », sous peine d’être rejetés parmi les ennemis de la France. Les « Républiques soeurs » doivent constituer un glacis protecteur et une zone d’influence pour la puissance française. Après le 9 Thermidor, le Directoire met en place des régimes républicains dans une partie des pays conquis : le terme de « République soeur » prend alors son sens communément admis d’État satellite créé par l’intervention militaire française. Ainsi naissent, successivement, les Républiques batave (1795), cisalpine (1797), ligurienne (1797), romaine (1798), helvétique (1798) et l’éphémère République parthénopéenne (dans le royaume de Naples, en 1799). Cette définition ne doit pas néanmoins induire en erreur, car ces États satellites ne sont pas tous des régimes fantoches totalement manipulés par la France. Certains sont dirigés par des révolutionnaires locaux, qui bénéficient du soutien d’une partie de la popula-
tion. C’est le cas notamment de la République batave : la Hollande avait connu une révolution avortée entre 1783 et 1787, à l’issue de laquelle les « patriotes » locaux avaient dû se réfugier en France ; la République batave est donc avant tout une « restauration » patriote. Les Républiques soeurs italiennes ont sans doute une légitimité politique moins grande, car elles doivent beaucoup à la politique de Bonaparte qui entend utiliser, à ses propres fins, le mouvement patriote italien. Enfin, la République helvétique s’appuie sur un mouvement local représenté par le Bâlois Ochs et le Vaudois La Harpe. • La politique de la France dans les Républiques soeurs. Elle est hésitante et évolue au gré de la situation politique et militaire, mais on peut tout de même y relever certaines constantes. Les Français ont tendance à s’appuyer sur les notables patriotes plutôt que sur les éléments les plus radicaux : on le constate notamment dans la Péninsule, où Bonaparte écarte les partisans de l’unité italienne. Le Directoire pratique dans les Républiques soeurs comme en France une politique de bascule, soutenant tour à tour différentes factions révolutionnaires par le biais de nombreux coups d’État organisés avec les troupes françaises, comme par exemple en Hollande le 22 janvier 1798. L’influence de « la Grande Nation » peut également se lire dans les textes constitutionnels adoptés par les Républiques soeurs : ceux-ci se présentent souvent comme des variantes de la Constitution de l’an III. Quand les patriotes locaux proposent des solutions institutionnelles plus radicales, les Français n’hésitent pas à influer sur les votes des assemblées : ainsi, Bonaparte fait-il modifier dans un sens conservateur le projet des patriotes italiens réunis à Bologne en 1796. D’une manière générale, le Directoire entend avant tout doter les États conquis d’une administration soumise à ses volontés. Comme le dit La Revellière-Lépeaux à propos de la République cisalpine, les gouvernements locaux doivent « servir aux intérêts exclusifs de la République française » ; les Républiques soeurs doivent downloadModeText.vue.download 804 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 793 être « assez puissantes pour nous être utiles et [...] jamais assez pour nous nuire ». La politique sociale reste, dans l’ensemble, très timide : on ne veut pas aller contre les no-
tables sur lesquels on entend s’appuyer. Ainsi, par exemple, les redevances de type féodal, tels les cens et champarts, ne sont pas abolies dans la République batave, mais déclarées rachetables. Les différentes Républiques soeurs disparaissent lorsque Napoléon Ier réorganise la carte de l’Europe. l RÉSISTANCE. Attitude politique de refus de la défaite de 1940 et de l’Occupation, la Résistance se traduit par la constitution d’un authentique contre-pouvoir au régime du maréchal Pétain. Alors que l’entre-deux-guerres a été une période de luttes politiques acharnées, elle demeure un phénomène unique dans l’histoire de la France contemporaine, réalisant une imprévisible union nationale. Pour autant, cette union n’est ni totale ni immédiate : la Résistance ne parvient pas à éliminer toutes les divisions politiques qui la parcourent, et son discours ne se forge que lentement, par la sédimentation de différentes influences. LES PREMIÈRES RÉSISTANCES La Résistance des premières heures frappe par sa pluralité et sa faiblesse. En dépit des mythologies politiques triomphantes de l’aprèsguerre - le gaullisme et le communisme -, la Résistance, à l’origine, ne doit rien à ces deux puissants futurs tuteurs et a surgi spontanément. La plupart des premiers combattants de l’ombre n’ont pas entendu l’appel du 18 juin et ont mis très longtemps avant d’établir un contact permanent avec Londres et d’accepter - difficilement - de se considérer comme les soldats en service commandé de la France libre ; quant au communisme, les premiers résistants auraient plutôt eu tendance à l’abhorrer. Spontanée, la Résistance est également faible. À l’été 1940, dans une France abasourdie par la défaite et anesthésiée par le discours pétainiste, seules des initiatives dispersées et disparates sont concevables : à Brive, Edmond Michelet mobilise les réseaux d’influence de la démocratie chrétienne au bénéfice des réfugiés antifascistes ; à Marseille, un capitaine démobilisé, nettement à droite avant la guerre, Henri Frenay, n’accepte pas la défaite et cherche à recruter des volontaires pour former une future armée secrète ; en zone nord, un militant socialiste, Jean Texcier, diffuse des tracts qui invitent les Français à ignorer les Allemands ; à Paris, le 11 novembre 1940, des lycéens et des étudiants tentent de célébrer, à l’Arc de triomphe, le jour anniversaire de la victoire de 1918, et sont violemment dispersés par les Allemands. Ces petits groupes
mettront de longs mois avant de commencer à coordonner leur action. D’ailleurs, tout manque à ces premiers résistants : l’argent, les armes, les contacts, les volontaires, l’expérience de la vie clandestine et, surtout, l’appui de la population. Henri Frenay, après des mois de quête, ne parvient à réunir que quelques milliers de francs et une centaine de compagnons. Indice de cette extrême faiblesse, la première organisation de quelque importance de la zone nord - le réseau du Musée de l’homme, animé par des chercheurs du musée (Boris Vildé, Anatole Lewitsky) et soutenu par son directeur, Paul Rivet - est décapitée par la Gestapo à l’hiver 1941. Pourtant, peu à peu, ces initiatives se renforcent et les premières convergences apparaissent. On distingue souvent deux types d’organisations résistantes : les mouvements - organisations politiques clandestines qui entendent privilégier la diffusion de la propagande ou de la contre-propagande - et les réseaux, qui, très tôt, s’engagent dans une lutte de type paramilitaire (évasion, renseignement, voire sabotage). Toutefois, cette distinction, commode pour établir rétrospectivement des classifications, ne doit pas être systématisée, tant il est vrai que la plupart des grands mouvements disposaient de leurs propres réseaux. En zone sud, Henri Frenay parvient à former une petite équipe (Bertie Albrecht, Robert Guédon, Claude Bourdet) qui diffuse un périodique, les Petites Ailes (qui, en août 1941, deviennent Vérités). Au même moment, des professeurs de droit de Lyon, de ClermontFerrand et de Montpellier, comme François de Menthon ou Pierre-Henri Teitgen, anciennement engagés dans des organisations démocrates-chrétiennes, diffusent le périodique Liberté. À la fin de 1941, les groupes de Frenay et de de Menthon s’unissent pour former le réseau Combat. À l’été 1941, à ClermontFerrand, Emmanuel d’Astier de La Vigerie fonde Libération-Sud, qui reçoit les ralliements des époux Aubrac, de Robert Lacoste ou de Jean Cavaillès. Le plus tard venu des grands mouvements de zone sud est Franc-Tireur, formé à Lyon, au début de 1942, par des résistants aux origines politiques très diverses (Élie Péju, Jean-Pierre Lévy, Marc Bloch). En zone nord, cinq principaux mouvements de résistance se distinguent. L’Organisation civile et militaire (OCM) est constituée au début de 1941 par la convergence d’initiatives d’officiers (les colonels Heur-
teaux et Touny) et d’anciens adhérents de la Confédération des travailleurs intellectuels (Maxime Blocq-Mascart). Libération-Nord, fondé par le syndicaliste Christian Pineau, regroupe de nombreux anciens militants de la SFIO ou de la CGT et diffuse Libération. Ceux de la Résistance (CDLR) de LecompteBoinet et Ceux de la Libération (CDLL) de Médéric associent diffusion de la propagande et formation de groupes de sabotage. Enfin, les communistes forment, en mai 1941, le Front national. Initialement destiné à fédérer l’ensemble des oppositions à Vichy, le Front national devient, après l’entrée en guerre de l’URSS, le principal vecteur de la résistance politique du PCF. Sur le modèle des fronts antifascistes d’avant-guerre, il affiche un pluralisme officiel (Georges Bidault, Louis Marin ou Mgr Chevrot en furent membres), même si tous les postes de responsabilité sont sous le contrôle des communistes (en particulier de Villon). Le Front national présente, en outre, l’originalité de multiplier les sections à la fois géographiques et corporatistes : il y a les Fronts des avocats, des paysans, des médecins et même des cinéastes et des architectes. Dans la mesure où chaque section diffuse ses périodiques, le Front national se retrouve, dès 1942, à la tête d’une imposante presse clandestine forte de plusieurs dizaines de titres. Il est impossible de mentionner ici l’ensemble des réseaux de résistance (plus de 260 sont répertoriés) qui agissent en France durant la guerre. Observons que les réseaux, qui constituent la cheville ouvrière de la Résistance, en sont également la face la plus mal connue. Une grande partie d’entre eux sont rattachés aux services spéciaux alliés. L’un des premiers réseaux agissant en France, le réseau « Famille », est formé par des officiers polonais travaillant pour le compte des Britanniques. Ces derniers, précisément, sont particulièrement actifs en France. Dès juillet 1940, Churchill crée un service spécialement chargé des missions clandestines en Europe occupée, le Special Operations Service (SOE), dont la branche française est dirigée par le colonel Buckmaster ; le SOE contrôle, en France, nombre de réseaux, dont le fameux réseau « Alliance ». La France libre, qui voit d’un fort mauvais oeil ce qu’elle considère comme une mise sous tutelle britannique de la Résistance, s’efforce également de développer ses propres réseaux. Le colonel Passy, responsable des services secrets de la France libre (le BCRA), et ses agents parviennent ainsi à constituer une efficace toile d’araignée dont la Confrérie Notre-Dame est la branche la plus active. En
1943, de vastes « centrales » sont constituées, qui coordonnent et rendent plus efficace l’action de plusieurs réseaux. Les Américains, tard venus dans la guerre secrète en Europe, contrôlent également certains réseaux en France (« Hi-Hi », « Ho-Ho »...). À l’origine, l’activité des réseaux est fort modeste : il s’agit de constituer des filières d’évasion pour les aviateurs britanniques ou pour les personnalités de la Résistance qui doivent (re)gagner Londres. Il faut ainsi organiser d’épuisantes filières qui traversent la France, les Pyrénées et l’Espagne pour aboutir au Portugal et à Gibraltar. La collecte des renseignements militaires constitue l’autre activité principale des réseaux. Les Alliés, bien avant le débarquement, sont friands de renseignements sur les mouvements des troupes allemandes en France. On connaît le fameux exemple de l’ingénieur Stosskopf, du réseau Alliance, qui parvient à ravir aux Allemands les plans de la base sous-marine de Lorient. Le problème principal que rencontrent les réseaux est celui de la transmission des informations. L’acheminement par les Pyrénées, aléatoire et dangereux, est aussi peu efficace car très long ; il y a donc de fortes chances pour que les informations soient périmées lorsqu’elles parviennent à Londres. Les émissions radio présentent également d’importants inconvénients : elles sont fort dangereuses (tout « pianiste » émettant en continu plus de dix minutes a de fortes chances d’être repéré par les voitures « gonio » des Allemands), et n’autorisent la transmission ou la réception que de brefs messages, en aucun cas de textes très longs et, encore moins, de plans. La seule solution passe par des opérations d’atterrissages-décollages en France par petits avions Lysander. Il faut pour cela sélectionner des terrains, recruter et former downloadModeText.vue.download 805 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 794 des équipes de réception, missions dans lesquelles se spécialisent certains réseaux. La Résistance des premiers temps se singularise, enfin, par l’ambiguïté de son orientation politique. À qui et à quoi résiste-t-on ? Le groupe de Frenay ou les démocrates-chrétiens du réseau Liberté se caractérisent par un farouche antigermanisme - qui les conduit à refuser l’armistice et à condamner la Collabo-
ration -, mais aussi par un fort anticommunisme et une évidente bienveillance à l’égard de la « révolution nationale » du régime de Vichy. À l’inverse, les communistes sont enfermés, depuis leur acceptation du pacte germano-soviétique (août 1939), dans la logique de la dénonciation de la guerre « impérialiste ». Cette ligne politique les conduit à refuser de participer à l’effort de guerre français, puis à condamner Vichy sans ambiguïté. Mais elle les pousse aussi, à l’été 1940, à se montrer conciliants à l’égard des Allemands, alors alliés du « grand frère » soviétique. Encore en juin 1941, les militants du PCF clandestin qui encadrent la grande grève des mineurs du Nord prennent soin de placer cette grève dans le cadre de strictes revendications sociales et de lui ôter toute signification patriotique. Toutefois, certains militants « antifascistes viscéraux », comme les intellectuels Georges Politzer ou Gabriel Péri qui animent la revue l’Université libre, acceptent de moins en moins cette ligne imposée par le Komintern, mais ils ne peuvent en imposer le renversement. Il faut attendre le déclenchement de l’invasion de l’URSS par l’Allemagne (22 juin 1941) pour voir le PCF basculer subitement dans une opposition absolue à Vichy et aux Allemands. Ainsi, le Front national, qu’il crée en mai 1941, est d’abord conçu comme un outil politique contre Vichy et ne se pose en coordinateur de la lutte anti-allemande qu’après que Staline a ordonné aux partis communistes d’Europe de constituer des fronts sur les arrières de la Wehrmacht. De leur côté, les résistants « nationaux » (qualificatif désignant des personnalités le plus souvent venues des rangs de la droite) se détachent peu à peu de l’étreinte vichyssoise. Ils y sont poussés par l’engagement de compagnons de lutte qui n’ont jamais été attirés par Vichy (ainsi les militants de Libération-Sud) et par la politique même de ce régime : le gouvernement du maréchal Pétain s’enferre, en effet, dans la Collaboration, la répression de la Résistance et un antisémitisme d’État qui révulse les chrétiens résistants (tel le Père Chaillet, fondateur, en 1941, des Cahiers du Témoignage chrétien). La fin de 1941 et le début de 1942 marquent une étape décisive dans l’histoire de la Résistance : tous les résistants sont désormais en accord sur le principe d’une opposition commune à Vichy et à l’occupant. L’unification de la Résistance devient possible. LA DIFFICILE UNIFICATION À partir de 1942, la Résistance commence à s’unir et à coordonner ses efforts, même si la divergence des points de vue des différents
acteurs rend ce processus long et difficile. Le général de Gaulle est le premier à réclamer une unification de la Résistance intérieure, qui consoliderait la légitimité de la France libre et renforcerait aux yeux des Alliés ses prétentions politiques. En outre, à partir de novembre 1942 (débarquement allié en Afrique du Nord) et du surgissement d’une autre résistance extérieure, sous obédience américaine (le darlanisme puis le giraudisme, apparus, respectivement, autour de l’amiral Darlan et du général Giraud), le contrôle de la Résistance intérieure devient pour les Français libres un enjeu tactique de toute première importance. Aussi, aux yeux de De Gaulle, l’unification est-elle conçue comme un ralliement et une sujétion de la Résistance intérieure à la France libre, supposée seule incarner la volonté nationale. Tel n’est pas l’avis des chefs clandestins de la Résistance intérieure. Ces derniers, même divisés par des querelles intestines (l’incompatibilité d’humeur entre Frenay et d’Astier de La Vigerie est notoire), admettent et revendiquent le principe de l’unification. La faiblesse de la Résistance et son dramatique manque d’armes, d’hommes et d’argent imposent d’ailleurs une coordination des efforts. Toutefois, si les résistants admettent la nécessité d’une fédération et s’ils reconnaissent que le fédérateur ne peut venir que de l’extérieur, la coordination, dans leur esprit, doit se limiter aux questions militaires et ne déboucher en aucun cas sur une soumission politique. N’ayant pas le sentiment que leur engagement procède de l’appel du général de Gaulle, ils rechignent à en devenir les bons et obéissants soldats. À cette première opposition s’ajoute un vif conflit relatif aux partis politiques. De Gaulle, qui enregistre en 1942 le ralliement de diverses personnalités politiques (de Léon Blum à Pierre Mendès France, de Louis Marin à Henri Queuille), souhaite de toutes ses forces la pleine association des partis à l’univers résistant afin de mieux étayer sa propre légitimité. Ce souci est d’autant plus affirmé que le procès de Riom (interrompu par Vichy en avril 1942 tant les accusés s’emploient, magistralement, à retourner l’accusation) vient d’offrir aux partis politiques une chance inespérée de retour en grâce et de démontrer qu’en France la démocratie est inséparable de l’idée républicaine. Les responsables de la Résistance intérieure, pour leur part, rejettent avec force la participation des partis politiques, que, dans leur très grande majorité, ils rendent responsables de la défaite. Pourtant, leur intransigeance finit par s’amender. Non seulement parce que la détermination de De Gaulle est, sur ce
point, absolue, mais aussi, et surtout, parce que les militants des partis, et au premier rang d’entre eux les communistes, prennent chaque jour une part plus active au combat commun. Pour accoucher cette délicate unification, de Gaulle choisit Jean Moulin, un jeune préfet radical de 43 ans, révoqué par Vichy, et qui est parvenu à gagner Londres à l’automne 1941. Avec le titre de « représentant personnel du général de Gaulle en France », Moulin, dont la mission ne porte que sur la zone sud, est parachuté dans les Alpilles dans la nuit du 1er janvier 1942. Après plusieurs semaines nécessaires aux prises de contact, il commence par unifier les services techniques des principaux mouvements de zone sud. Ainsi, en avril 1942, il crée le Bureau d’information et de presse (BIP), sorte d’agence de presse de la Résistance, chargé de distribuer aux périodiques clandestins les informations venues de Londres. Pour diriger le BIP, Moulin choisit Bidault, l’ancien directeur de l’Aube, le principal journal démocrate-chrétien d’avant-guerre. Au même moment, Moulin crée la Section des atterrissages et parachutages (SAP), qui coordonne, en zone sud, ces importantes missions. En juillet 1942, c’est le tour du « Comité des experts » - qui deviendra le Comité général d’études (CGE) en février 1943 -, chargé de rassembler les projets et les études de la Résistance et d’en transmettre à Londres des synthèses ; PierreHenri Teitgen et Alexandre Parodi animent et recrutent une petite équipe formée essentiellement de juristes et d’universitaires. Le CGE gagne peu à peu en autorité, au point d’être considéré, même s’il est abondamment critiqué par nombre de résistants en raison de son « gaullisme » trop affirmé, comme un véritable « Conseil d’État de la clandestinité ». Reste l’aspect le plus délicat de la mission : l’unification politique et militaire. Après de longues négociations et les voyages à Londres, en septembre 1942, de Frenay et d’Astier, Moulin impose aux trois grands mouvements de zone sud (Combat, Libération et Franc-Tireur) le principe de leur fusion dans les Mouvements unis de résistance (MUR). Le premier comité coordinateur des MUR, sous la présidence de Moulin, se réunit en janvier 1943. L’unification de la zone nord est autrement plus difficile. Non seulement les oppositions politiques, en raison de l’importante implantation communiste, sont plus fortes qu’en zone sud, mais les mouvements y sont plus
nombreux et plus éclatés du fait de l’impitoyable répression allemande. Au début de 1943, deux des principaux responsables du BCRA, Passy et Brossolette, se rendent personnellement en zone nord pour une mission exploratoire. En mars 1943, est constitué un Comité de coordination de zone nord, formé du Front national, de l’OCM, de CDLR, de CDLL et de Libération-Nord. Au même moment, Moulin, devenu commissaire du Comité national français, est de nouveau parachuté en France. Son autorité est désormais étendue aux deux zones. Sa mission, aux termes des instructions de de Gaulle, consiste à former un Conseil national de la résistance (CNR). La question de la participation des partis politiques continue de soulever des tempêtes. Toutefois, l’opposition des résistants de l’intérieur commence à s’émousser sous l’effet de la querelle de Gaulle-Giraud. En effet, le général Giraud a profondément choqué les résistants en faisant très peu de cas de leur combat et en maintenant, en Afrique, la législation de Vichy. De Gaulle apparaît ainsi chaque jour davantage comme le seul fédérateur possible de la Résistance. Surmontant leurs réticences, les résistants finissent par se résoudre à accepter la solution proposée par Moulin, qui, au reste, se montre conciliant (au sein du CNR, les partis ne sont pas représentés en tant que tels, mais seules sont officiellement admises des « tendances politiques »). Malgré cette subtile distinction, la création du CNR, le 27 mai 1943, marque le triomphe de la conception gaullienne de l’unification. Sous l’autorité de Moulin, le downloadModeText.vue.download 806 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 795 CNR réunit huit mouvements de résistance (les trois mouvements des MUR et les cinq du Comité de zone nord), six « tendances politiques » (communistes, socialistes, radicaux, démocrates-chrétiens et les deux familles de la droite libérale représentées avant la guerre par l’Alliance démocratique et la Fédération républicaine) et deux syndicats (la CFTC et la CGT, laquelle vient de se reconstituer en avril 1943 après la réconciliation des réformistes de Jouhaux et des communistes de Frachon). Après l’arrestation de Jean Moulin à Caluire (21 juin 1943), la direction du CNR revient à Georges Bidault. Cette nomination marque le début du refroidissement des relations entre le CNR et de Gaulle. Pour celui-ci, en effet, le CNR n’est qu’un organe de légitimation et
sa présidence ne peut être exercée que par son propre représentant en France. Pour les résistants de l’intérieur, et en particulier pour les communistes (qui ont fortement appuyé la candidature de Bidault et qui ont entrepris une opération de conquête de la Résistance intérieure), le CNR, fort de sa propre légitimité, a vocation à devenir le gouvernement de la Libération. À partir de la fin de l’année 1943, une suite ininterrompue d’accrochages émaille les relations entre le CNR et le CFLN (Comité français de libération nationale). Parallèlement au processus d’unification, les années 1942-1943 sont marquées par un net renforcement de la Résistance. La presse clandestine s’affirme comme une entreprise de toute première importance et pénètre en profondeur la société française. Les archives de la seule Bibliothèque nationale indiquent l’existence de plus de mille titres. Chaque mouvement dispose de son organe principal, aux tirages dorénavant considérables et aux éditions régionales diversifiées : Combat tire à 80 000 exemplaires en 1943, puis à 150 000 en 1944, et s’appuie sur cinq éditions régionales. Les mouvements développent également une presse spécialisée dans les études et la réflexion où les grandes questions de la Libération sont abordées (les Cahiers politiques pour le CGE, les Cahiers de la Libération pour Libération, ou l’Université libre pour le Front national). Alors que l’encre et le papier sont interdits à la vente, ces tirages importants contraignent les responsables de la Résistance à réaliser des prodiges. Les seuls besoins de Combat s’élèvent, en 1944, à 3 tonnes de papier par mois, et son responsable, André Bollier, n’hésite pas à monter de fausses sociétés qui passent des commandes jusqu’en Allemagne ! À la marge de la presse clandestine, surgit une abondante littérature résistante. Les Éditions de Minuit, fondées par Pierre de Lescure et Vercors, publient dans la clandestinité les chefs-d’oeuvre de cette littérature : le Cahier noir de Mauriac, le Silence de la mer de Vercors ou le Musée Grévin d’Aragon. Sur le plan des effectifs, l’année 1943 marque un tournant considérable. La loi sur la mobilisation de la main-d’oeuvre (septembre 1942) et l’organisation du Service du travail obligatoire (STO), en février 1943, provoquent un brusque afflux de jeunes volontaires (les « réfractaires ») et l’apparition du phénomène des maquis. Alors que la Résistance manque d’armes et d’argent, il faut, en catastrophe, encadrer, former et nourrir ces milliers de volontaires. Les MUR créent
un Service national des maquis (dirigé par Brault) et un Comité d’action contre la déportation (Yves Farge), qui fabrique des milliers de fausses cartes d’identité. Pourtant, tous les problèmes sont loin d’être réglés. Les armes et l’argent continuent à faire défaut, au point que la tentation est parfois forte d’accepter les offres d’enrôlement des services secrets américains. Certains maquis en sont réduits à des expédients (aide de la population paysanne, réquisitions, voire attaques de banques) ou à écouler les « bons du Trésor » émis à Alger par le CFLN. La question primordiale demeure celle des armes : dans les maquis, il n’est pas rare de compter une arme (bien souvent un vieux fusil) pour quatre ou cinq combattants. Cette pénurie s’explique par le fait que les Alliés, qui doutent de l’efficacité de la guérilla en France, ne souhaitent pas affecter les équipages de leurs bombardiers (déjà en nombre insuffisant sur l’Allemagne) à des opérations de parachutage des armes. En outre, lorsqu’il y a parachutage, c’est le plus souvent au bénéfice des réseaux ou des maquis directement encadrés par les services alliés, les FTP (communistes) faisant fréquemment les frais de ces partages inégaux. Il faut attendre le début de 1944, dans le cadre de la préparation du débarquement, pour voir les parachutages se faire plus nombreux, les Alliés finissant par être convaincus que des destructions sélectives peuvent être plus efficaces que les raids de terreur sur les agglomérations industrielles françaises. LA RÉSISTANCE DANS LA LIBÉRATION Partagée par de profondes lignes de fracture, la Résistance est cependant officiellement unifiée au début de 1944, y compris les forces armées. L’ordonnance du CFLN du 1er février 1944 crée les Forces françaises de l’intérieur (FFI), qui regroupent l’Armée secrète des mouvements (elle-même difficilement unifiée), les Francs-Tireurs et Partisans (FTP), et les éléments de l’Organisation de résistance de l’armée (ORA), formée d’anciens cadres de l’armée de l’armistice dissoute par les Allemands en janvier 1943. Pourtant, au sein des FFI, chacun entend conserver son autonomie et les hommes de l’ORA sont tenus en suspicion par les résistants de la première heure. En outre, la méthode d’emploi des forces de la Résistance alimente une vive polémique entre partisans et adversaires de l’« action immédiate ». Les premiers (les communistes et la majorité des résistants de l’intérieur) considèrent qu’il est stupide de recruter des volontaires pour les laisser dans l’inactivité et émousser ainsi leur combativité. Les seconds
(essentiellement le CFLN et ses représentants en France) estiment qu’étant donné la puissance de la Wehrmacht il est suicidaire de provoquer le combat et qu’il convient d’orienter les forces de la Résistance, dans le cadre des ordres alliés, à préparer le jour « J » du débarquement. Ces considérations militaires ne sont pas exemptes d’arrière-pensées politiques. Les communistes, en effet, lient l’action immédiate à la préparation d’une « insurrection populaire » (ils créent, à cet effet, au début de 1944, des « milices patriotiques »). De Gaulle, de son côté, ne refuse pas le principe d’une telle insurrection, mais souhaite la contrôler afin d’éviter des troubles qui offriraient aux Américains un nouveau prétexte pour établir une administration militaire et, surtout, afin de prévenir une prise du pouvoir par les communistes. Un conflit plus vif encore oppose le CNR et le CFLN quant au commandement des FFI. Alors que le CNR plaide en faveur d’un commandement depuis la France et au profit de son propre organe militaire (l’état-major FFI de Pontcarral), de Gaulle opte pour un commandement extérieur (en avril 1944, le général Koenig est nommé chef suprême des FFI) et, localement, pour l’appui sur douze délégués militaires régionaux (DMR), envoyés spécialement par Alger. Le conflit est résolu par les faits : le CNR, privé par les services gaullistes de postes radio-émetteurs, ne peut, à l’exception de la région parisienne, exercer le commandement des FFI. Au reste, les forces de la Résistance se montrent dans l’ensemble fidèles aux ordres des DMR ou des officiers des armées alliées qui se présentent à elles. Il est difficile d’apprécier l’importance du rôle militaire joué par la Résistance dans la libération du pays. On sait qu’Eisenhower a estimé cet apport à l’équivalent de douze divisions. Étant donné l’évidente inégalité du rapport de forces, toutes les fois que la Résistance a affronté seule l’armée allemande sa déroute a été dramatique, comme l’illustrent, en 1944, les impitoyables répressions des maquis des Glières (mars), du mont Mouchet (juin) ou du Vercors (juillet). En revanche, l’action de renseignement a été fondamentale et les sabotages effectués dans le cadre de la préparation du débarquement, et selon des plans précisément élaborés, ont été très efficaces. Ainsi, le 6 juin 1944, aucun train ne circule en Normandie (les Allemands sont contraints d’utiliser de lents convois sur la Seine pour ravitailler leurs troupes) et les lignes longue distance des PTT qu’utilise la Wehrmacht sont constamment coupées. De même, le harcèlement des divi-
sions allemandes qui montent au front a pu démoraliser certaines d’entre elles (on connaît l’exemple de la « colonne Elster », forte de 20 000 hommes, qui finit par se rendre aux Américains en septembre 1944), même si les représailles allemandes sont parfois atroces (massacre d’Oradour-sur-Glane, le 10 juin 1944). La Résistance joue, en outre, un précieux rôle d’appoint sur les arrières des armées alliées, permettant à celles-ci d’économiser un nombre appréciable de divisions pour des missions d’occupation : ainsi, après la percée d’Avranches, Patton confie à la Résistance de l’Ouest le soin de pacifier la Bretagne et de monter la garde devant les « poches » allemandes de l’Atlantique - qui ne se rendent que le 8 mai 1945. Ces missions présentent aussi le considérable avantage politique de « crédibiliser » la Résistance aux yeux des Alliés et d’éloigner la perspective de l’installation de l’AMGOT (Allied Military Government of the Occupied Territories) en France. Plus généralement, à mesure que les armées allemandes opèrent leur repli, la Résistance libère des dizaines de départements (en particulier dans le Sud-Ouest et le Midi) et favorise, parfois non sans heurts, l’installation du pouvoir gaullien. Enfin, localement, notamment dans downloadModeText.vue.download 807 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 796 la vallée du Rhône et à Paris, la Résistance peut directement participer auprès des forces alliées à la libération du pays. En septembre 1944, le GPRF s’installe à Paris et de Gaulle décide de fondre les effectifs des FFI dans l’armée régulière du général de Lattre de Tassigny. La restauration de la légalité républicaine est en marche. Elle conduira souvent les résistants à se sentir frustrés de leur victoire et, tel Frenay, à regretter, amers, le « retour à la normale », sans que leurs ambitions révolutionnaires aient été satisfaites. Ce sentiment d’échec politique doit pourtant être nuancé dans la mesure où le gouvernement de la Libération entreprend les grandes réformes souhaitées par la charte du CNR de mars 1944 et dans la mesure où la grande majorité du personnel politique de la IVe République et de la Ve République gaullienne est fournie par les « hommes nouveaux » de la Résistance. La Résistance occupe une place privilégiée dans l’imaginaire politique français du
XXe siècle. Il convient pourtant de souligner le décalage qui existe entre l’influence politique, morale ou culturelle qu’elle a exercée et la réalité de sa force militaire. S’il est exagéré de réduire le phénomène résistant à une simple « prise de parole » politique, il est toutefois devenu impossible de le présenter comme un événement majeur de l’histoire militaire de la Seconde Guerre mondiale. l RESTAURATION. Contrairement à ce que son nom laisse supposer, la Restauration, de 1814 à 1830, n’a restauré ni l’Ancien Régime ni la royauté de droit divin : elle constitue au contraire un régime de transition et une forme de transaction entre le principe monarchique, les institutions parlementaires et la Révolution. Et c’est peut-être cette volonté de « renouer la chaîne des temps, que de funestes écarts avaient interrompue », comme l’affirme le préambule de la Charte de 1814, qui lui a donné cette tonalité particulière de respiration entre l’ancien et le nouveau et cette fécondité exceptionnelle dans le domaine politique et philosophique : « Ces admirables temps de la Restauration, où l’on avait des âmes romantiques avec une discipline classique », écrira Barrès. LES CIRCONSTANCES DE LA RESTAURATION La restauration des Bourbons sur le trône de France est le fruit de l’effondrement de l’Empire. Vaincu militairement par les armées coalisées de l’Europe - les Alliés entrent à Paris le 31 mars 1814 -, abandonné par les élites sociales et politiques, Napoléon est déchu par le Sénat le 3 avril et abdique à Fontainebleau le 6. La France, saignée à blanc par la conscription, appauvrie par le Blocus continental, lasse de vingt-deux ans de guerre et de quatorze ans de dictature, aspire à retrouver la paix, la prospérité et la liberté. L’Europe exige qu’elle rentre dans ses anciennes limites et se dote d’un régime stable et conservateur. Aussi, les assemblées impériales et les Alliés écartent-ils rapidement la solution fragile d’une régence de l’impératrice Marie-Louise au nom du roi de Rome, l’enfant mineur de Napoléon, au profit d’un retour de l’héritier légitime des Bourbons, Louis XVIII, frère puîné de Louis XVI, réfugié à Hartwell, près de Londres. Simultanément, les noyaux royalistes des « Chevaliers de la foi » contribuent à faire reconnaître Louis XVIII par les Français en multipliant à Bordeaux (12 mars), à Toulouse et à Paris (12 avril) des manifestations monarchiques à l’occasion du retour en
France du duc d’Angoulême et du comte d’Artois, neveu et frère du prétendant. L’homme clé de la transition politique du printemps 1814 est Talleyrand, qui forme le 1er avril un gouvernement provisoire et s’efforce de négocier à la fois la cessation des combats et un accord politique respectant la légitimité royale et les garanties constitutionnelles. La paix avec les Alliés (premier traité de Paris) est signée dès le 30 mai 1814 : elle ne prévoit ni occupation du territoire, ni paiement d’une indemnité ; elle ramène la France à ses frontières de 1792 (perte de la Belgique, des départements italiens et de la rive gauche du Rhin), mais lui conserve Avignon et le Comtat Venaissin, Montbéliard, Mulhouse et une partie de la Sarre et de la Savoie, et lui restitue ses colonies ; Napoléon est confiné à l’île d’Elbe. Entré à Paris le 3 mai après avoir promis une Constitution (déclaration de Saint-Ouen, 2 mai), Louis XVIII promulgue le 4 juin 1814 une charte constitutionnelle calquée sur les institutions britanniques et la Constitution de 1791. LA CHARTE CONSTITUTIONNELLE Le principe monarchique est fortement réaffirmé dans le préambule (la Charte est « octroyée » et datée de la dix-neuvième année du règne, soit de 1795, année présumée de la mort du fils de Louis XVI). « Chef suprême de l’État », le roi dispose de l’exécutif : sa personne est « inviolable et sacrée » ; il choisit et renvoie les ministres, sanctionne et promulgue les lois et nomme à l’ensemble des fonctions publiques et judiciaires ; il peut gouverner par ordonnances (article 14). Le pouvoir législatif est exercé par le roi (qui a l’initiative des lois) et par deux assemblées : une Chambre des pairs, dont les membres sont nommés à titre héréditaire ou à vie par le roi ; une Chambre des députés, élue au suffrage restreint (il faut avoir 40 ans et acquitter 1 000 francs d’imposition directe [cens] pour être éligible, avoir 30 ans et payer 300 francs d’impôts pour être électeur). Ainsi, le corps électoral ne comprend alors que quelque 120 000 personnes. La Charte garantit l’égalité devant l’impôt et devant la loi, la liberté de culte, d’opinion et de presse ainsi que la propriété des biens, y compris des biens nationaux acquis pendant la Révolution. La religion catholique retrouve son statut de « religion de l’État ». La Charte de 1814 établit ainsi une monarchie parlementaire (mais sans responsabilité ministérielle, les ministres ne relevant que du roi et n’étant pas tenus d’avoir une majorité), fondée sur les notables et garante des principes d’égalité et de liberté civiles.
LA PREMIÈRE RESTAURATION Cette phase (juin 1814-mars 1815) constitue, toutefois, une réaction trop profonde contre le cours politique initié en 1789 pour ne pas susciter tensions et ressentiments. Plusieurs mesures accentuent l’image d’une dynastie rentrée en France « dans les fourgons de l’étranger » : la démobilisation de l’armée impériale, le remplacement du drapeau tricolore par le drapeau blanc, la réduction du revenu des officiers et sous-officiers à une « demisolde », la promotion d’officiers nobles sans états de service ou ayant combattu dans les armées alliées. En outre, l’épuration de l’administration au profit de gentilshommes en raison, non de leur compétence, mais de leur nom et leur fidélité irrite la bourgeoisie « à talents ». Le rétablissement de l’autorité sociale de l’Église catholique (processions, fermeture des cabarets pendant les offices) et sa participation aux « cérémonies expiatoires » de la Révolution unissent la bourgeoisie libérale et l’anticléricalisme populaire contre « l’alliance du trône et de l’autel ». Informé du mécontentement de l’opinion, Napoléon débarque de l’île d’Elbe au Golfe-Juan le 1er mars 1815. Le ralliement de l’armée ainsi que d’une partie de la bourgeoisie et des couches populaires lui permet de gagner triomphalement Paris le 20 mars, tandis que Louis XVIII et ses ministres se réfugient à Gand. Pourtant, l’héroïque et désastreuse aventure des Cent-Jours s’achève sur la défaite de Waterloo (18 juin 1815). LA SECONDE RESTAURATION Elle débute sous des auspices difficiles, tandis que la constitution d’un ministère dirigé par Talleyrand et Fouché rouvre à Louis XVIII le chemin de Paris (8 juillet). Durant l’été, 1,2 million de soldats venus de toute l’Europe déferlent sur le pays. Le congrès de Vienne (dont l’acte final est daté du 9 juin 1815) et la Sainte Alliance (Russie, Autriche et Prusse), conclue le 26 septembre, consacrent l’abaissement de la France en Europe. Le deuxième traité de Paris (20 novembre 1815) lui enlève ses forteresses de la frontière nord ainsi que la Savoie, et lui impose le versement d’une indemnité de guerre de 700 millions, assortie d’une occupation militaire par 150 000 hommes pendant cinq ans. Les élections d’août 1815 amènent une majorité de nouveaux députés exaltés, « plus royalistes que le roi » : une « Chambre introuvable », dira Louis XVIII, qui aurait souhaité une
assemblée plus encline à la conciliation. La Chambre des pairs est épurée ; le maréchal Ney est condamné à mort et exécuté pour s’être rallié à Napoléon pendant les CentJours ; le quart des fonctionnaires publics est écarté. La Chambre vote une loi de sûreté générale (octobre 1815) ainsi qu’une loi contre les cris et écrits séditieux (novembre) et crée des juridictions d’exception - les cours prévôtales - qui peuvent condamner en flagrant délit les opposants : les libéraux dénoncent alors la « terreur blanche » qui s’abat sur le pays. En outre, en janvier 1816, les anciens conventionnels régicides sont expulsés de France. Ces mesures réactionnaires viennent contredire cependant la prudence politique de Louis XVIII, qui a formé en septembre 1815 un ministère modéré, dirigé par le duc de Richelieu qu’épaule le favori royal, Élie Decazes. La Chambre est ajournée en avril downloadModeText.vue.download 808 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 797 1816 puis dissoute le 5 septembre : les élections organisées le même mois amènent une majorité de députés ministériels. Sous l’égide de Richelieu (jusqu’en décembre 1818) et de Decazes, la Restauration connaît de septembre 1816 à février 1820 une phase constitutionnelle marquée par une oeuvre législative importante. À l’extérieur, le duc de Richelieu rembourse en trois ans l’indemnité de guerre et obtient, avec deux ans d’avance, l’évacuation des troupes alliées (traité d’Aix-la-Chapelle, octobre 1818). À l’intérieur, la loi Laîné (février 1817) fixe, pour les élections, les règles du scrutin d’arrondissement ; la loi Gouvion-Saint-Cyr (mars 1818) réorganise le service militaire sur la base du tirage au sort (et autorise les conscrits à se faire remplacer en payant un volontaire) ; la loi Serre (mai 1819) institue un régime de relative liberté pour la presse. Mais les progrès de l’opposition libérale (La Fayette, Manuel, Foy) et surtout l’assassinat du duc de Berry (14 février 1820), second fils du comte d’Artois, par l’ouvrier Louvel précipitent la chute de Decazes. En effet, les ultraroyalistes rendent le ministre responsable du climat politique qui aurait favorisé ce crime. Ils remportent les élections de novembre 1820 et la dynastie est confortée par la naissance d’un fils posthume du duc de Berry, Henri, duc de Bordeaux, « l’enfant du miracle ».
Un ministère de transition, à nouveau confié au duc de Richelieu (février 1820-décembre 1821), engage une politique de répression en restreignant la liberté individuelle et la liberté de la presse ; la loi dite « du double vote » (juin 1820) attribue au quart des électeurs les plus imposés, réunis au chef-lieu du département, le choix d’environ la moitié des députés. En décembre 1821 se met en place un ministère ultra, bientôt placé sous la direction du pragmatique ministre des Finances, Villèle, qui restera plus de six ans au pouvoir. Les tentatives d’insurrections militaires des sociétés secrètes d’opposition - la charbonnerie - échouent (Saumur, février 1822) et sont sévèrement réprimées (exécution des quatre sergents « de La Rochelle », septembre 1822). À l’extérieur, les armées françaises se placent au service de la Sainte Alliance afin de rétablir sur son trône le roi Ferdinand VII d’Espagne : l’expédition dans la péninsule Ibérique, commandée par le duc d’Angoulême, conduit à la prise de la ville de Trocadero (septembre 1823) et à l’écrasement des libéraux espagnols. Au début de l’année 1824, les élections législatives assurent le triomphe des ultras : c’est la « Chambre retrouvée ». Louis XVIII meurt le 16 septembre 1824. Au prudent monarque, circonvenu à la fin de sa vie par sa favorite Zoé du Cayla, favorable à l’extrême droite, succède son frère Charles X, esprit nostalgique de l’Ancien Régime. Le nouveau roi se fait sacrer à Reims le 29 mai 1825. Cette même année, Villèle fait voter la loi sur le sacrilège (avril) - qui condamne les profanateurs d’hosties consacrées à la peine des parricides (la mort), et réintroduit le droit de l’Église dans le droit pénal - ainsi que la loi d’indemnisation des émigrés (avril également). Mais cette mesure, « le milliard des émigrés », mécontente le monde de la rente car le remboursement des propriétés vendues sous la Révolution est financé par une conversion des obligations d’État. En outre, l’opposition de la Chambre des pairs interdit à Villèle de rétablir le droit d’aînesse (avril 1826). Son impopularité va croissant dans l’opinion tant sur le plan religieux (campagne anticléricale du gallican Montlosier contre les jésuites, 1826) que sur le plan politique (dissolution de la Garde nationale de Paris, « coupable » d’avoir hué les ministres en avril 1827). Ses opposants ayant remporté les élections de novembre 1827, Villèle démissionne en janvier 1828. L’ÉCONOMIE ET LA SOCIÉTÉ
La France a renoué au milieu des années 1820, par-delà la crise de 1816-1817, avec la prospérité. L’économie apparaît globalement dynamique en termes de croissance malgré une dépression durable des prix. L’amélioration des techniques agronomiques (marnage et chaulage des terres) et les progrès de l’élevage, liés à l’introduction des plantes fourragères, favorisent la hausse des rendements et des productions, jusqu’à la crise frumentaire de 1827-1829. L’État, plus colbertiste que proprement libéral, conduit une politique tarifaire protectionniste, assure l’équilibre budgétaire, garantit la stabilité du franc, et prend en charge l’aménagement des voies fluviales (plan Becquey, 1827). Si le système bancaire, concentré dans la capitale (Banque de France, haute banque parisienne), irrigue faiblement les campagnes en moyens de crédit et demeure étranger à l’investissement, l’activité industrielle et commerciale, en revanche, à l’abri de droits douaniers élevés, reste vive et repose sur les industries de luxe, l’artisanat et le textile (soieries de Lyon ; filatures de coton du Nord, d’Alsace et de Normandie) ; les secteurs miniers et métallurgiques sont actifs mais technologiquement peu développés. La population française connaît un accroissement rapide : la France compte 29,4 millions d’habitants en 1815 (32,6 millions en 1831), malgré une baisse sensible du taux de natalité liée à la diffusion des méthodes contraceptives. La société française demeure essentiellement rurale : 79 % des Français résident dans des localités de moins de 2 000 habitants et plus de 60 % travaillent dans l’agriculture. La Restauration soutient idéologiquement et socialement la grande propriété, en limitant notamment son fractionnement lors des successions par le biais du « majorat » (décret adopté en 1808 par Napoléon, qui rétablit partiellement les privilèges de l’héritier aîné). Principale bénéficiaire de l’indemnisation des émigrés, la noblesse maintient sa fortune et son influence dans le Bassin parisien, l’Ouest intérieur ou le Bassin aquitain. Cependant, le morcellement des terres (10 millions de cotes foncières en 1815, près de 11 millions en 1830), lié à l’application du droit successoral égalitaire du Code civil, s’accentue dans un monde paysan encore très divers, et profondément inégalitaire. La France urbaine compte peu de grandes villes : Paris, qui passe de 650 000 à 800 000 habitants de 1815 à 1830, concentre les industries de luxe et les activités commerciales et financières, de presse et d’édition ;
Lyon (130 000 habitants) et son industrie de la soie, Marseille (115 000) et son port, Bordeaux, Rouen, Nantes sont les principaux pôles de développement. Dans un paysage urbain peu modifié, où coexistent quartiers aristocratiques et faubourgs misérables, étages nobles et garnis des greniers, la distance sociale entre les hommes demeure extrême, et l’indigence, les naissances illégitimes et la prostitution touchent une part considérable des populations ouvrières. LE RENOUVEAU INTELLECTUEL La Restauration connaît un remarquable renouvellement intellectuel et culturel. Principal soutien du régime, l’Église gallicane opère un redressement spectaculaire : le nombre des diocèses passe de 50 à 80 en 1822, les ordinations se multiplient (750 en 1815, 1 400 en 1821, 2 300 en 1830), le clergé s’accroît et rajeunit, les congrégations féminines et masculines s’étoffent ou renaissent. Le théologien et philosophe Lamennais fait l’apologie de la foi catholique et combat avec vigueur l’indifférence en matière de religion (Essai sur l’indifférence, 1817). Mais cette dynamique religieuse, relayée par l’autorité publique et ponctuée de retentissantes missions intérieures, suscite, en retour, un vif anticléricalisme. En outre, si l’analphabétisme demeure majoritaire au sud d’une ligne SaintMalo - Genève et si la scolarisation est laissée aux initiatives locales, la liberté d’opinion stimule la presse, malgré le cautionnement et la censure : le Journal des débats des frères Bertin, la Quotidienne, la Gazette de France, le Drapeau blanc (droite) et le Constitutionnel (gauche) alimentent les discussions dans les cercles et les cafés. La Restauration se situe au carrefour des Lumières du XVIIIe siècle, prolongées par les Idéologues, et du spiritualisme du premier XIXe siècle (Maine de Biran, Jouffroy, Victor Cousin) ; tour à tour, traditionaliste avec Bonald, Maistre, Ballanche et Lamennais, libérale avec Jean-Baptiste Say, Royer-Collard, Guizot, Chateaubriand, Paul-Louis Courier et Benjamin Constant, utopique avec SaintSimon et Fourier, elle marque un moment exceptionnel dans l’histoire de la pensée. Guizot et Augustin Thierry, Mignet et Thiers inventent l’histoire, renouvelée dans ses méthodes par la fondation de l’École des chartes (1821) ; Champollion déchiffre les hiéroglyphes ; Cuvier, Lamarck et Geoffroy SaintHilaire s’affrontent sur l’origine des espèces. Cauchy illustre la mathématique ; Fresnel, Ampère et Sadi Carnot font progresser la physique ; Gay-Lussac et Chevreul, la chimie ; Broussais, Laennec, Dupuytren et Récamier,
la médecine ; Pinel et Esquirol, la psychiatrie. Les canons de la culture classique sont ébranlés par les élégies posthumes d’André Chénier (1819), les Méditations poétiques (1820) de Lamartine, les populaires Chansons de Béranger et le coup d’éclat d’Hernani (1830) de Victor Hugo : enfant tardif du grand romantisme européen, le romantisme français s’impose, porté par une nouvelle génération d’écrivains (Nodier, Lamartine, Hugo, Vigny, Balzac), tandis que la peinture s’arrache à l’esthétique néoclassique des élèves de David (Girodet, Gros, Gérard) pour enfanter les vives et sombres couleurs du Radeau de la Méduse downloadModeText.vue.download 809 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 798 (1819) de Géricault et des Massacres de Scio (1824) de Delacroix. LA CHUTE DU RÉGIME C’est dans cette effervescence d’idées et d’opinions qu’il faut saisir la chute du régime. En janvier 1828, Charles X s’est résigné à un ministère de compromis dirigé par l’habile Martignac : pour apaiser l’opposition, ce dernier exclut les jésuites des petits séminaires (juin 1828), assouplit les lois sur la presse et contribue avec le comte de La Ferronnays à l’indépendance de la Grèce (traité d’Andrinople, septembre 1829). Mais le roi lui substitue, en août 1829, un ministère ultraroyaliste présidé par Polignac. L’affrontement est inévitable entre le roi et son gouvernement, déterminés à faire prévaloir la volonté de l’exécutif, et la majorité de la Chambre des députés, qui défend le principe parlementaire de la responsabilité ministérielle (interprétation libérale de la Charte). Le 2 mars 1830, soutenu par 221 députés, Royer-Collard lit une adresse de défiance au roi. En réponse, le 16 mai, Charles X dissout la Chambre et entreprend, dans le but de reconquérir l’opinion, une expédition militaire contre le dey d’Alger : la ville est occupée le 5 juillet. Mais les élections des 23 juin et 3 juillet renvoient une majorité de 274 opposants. Polignac fait alors signer au roi les quatre ordonnances du 26 juillet 1830 : elles suspendent la liberté de la presse, dissolvent la nouvelle Chambre, restreignent le droit de vote de la bourgeoisie commerçante (par l’exclusion de la patente dans le calcul du cens) et organisent de nouvelles élections. Le peuple de Paris s’insurge dès le lendemain. Au terme de violents combats (les
Trois Glorieuses, 27, 28 et 29 juillet 1830), le maréchal Marmont, qui dirige l’armée royale, doit évacuer la capitale. Tandis que les libéraux, réunis autour de La Fayette, portent au pouvoir le prince Louis-Philippe d’Orléans, cousin du roi, en qualité de lieutenant général du royaume (31 juillet) puis de « roi des Français » (9 août), Charles X, réfugié à Rambouillet, abdique le 2 août 1830 en faveur de son petit-fils Henri V et reprend le chemin de l’exil. La Restauration s’achève ainsi sur une révolution qui fait triompher la Charte contre la monarchie. Le principe parlementaire et la dynamique révolutionnaire l’ont emporté sur la légitimité royale. Rethel (bataille de), bataille remportée par les troupes du maréchal du Plessis-Praslin sur celles de Turenne, pendant la Fronde, le 15 décembre 1650. Turenne, qui guerroie en Champagne pour le parti des princes contre les troupes fidèles à Mazarin, s’empare de Mouzon avec l’aide de l’Espagne, après un long siège ; sitôt après, la plupart des unités espagnoles se retirent pour prendre leurs quartiers d’hiver. Le 9 décembre 1650, Plessis-Pralin en profite pour mettre le siège devant Rethel, base arrière que Turenne, par ailleurs bien appuyé sur ses possessions de Sedan, a fait occuper. Le 14, le commandant de la place, Degli Ponti, peut-être acheté, capitule. L’armée de secours de Turenne, arrivée trop tard, engage le combat le lendemain, au sud-ouest de Vouziers, près du village de Sommepy. L’armée royale, supérieure en nombre, écrase les troupes de la Fronde, malgré leur belle défense, et capture 4 000 prisonniers, dont de nombreux officiers. Parmi les 2 000 morts, figure Philippe, frère cadet de l’Électeur palatin ; Turenne lui-même manque d’être capturé. La nouvelle plonge Paris dans l’affliction : « Je n’eus toute la nuit chez moi que des pleureux et des désespérés », rapporte le cardinal de Retz. Mazarin ne profite pas longtemps de ce succès. Par son ampleur même, la défaite pousse les adversaires du cardinal à s’unir et à obtenir son exil en février 1651. Pour sa part, Turenne, rentré à Paris en mai, prend ses distances avec la Fronde, avant d’accepter en février 1652 le commandement de l’armée royale, aux côtés du maréchal d’Hocquincourt, qui l’a combattu à Rethel. Rétif (ou Restif) de La Bretonne (Nicolas Edme Rétif, dit), écrivain (Sacy, Yonne, 1734 - Paris 1806).
Fils de paysan, passé de la charrue à la plume, Rétif tire de cette expérience du déracinement une grande partie de son inspiration. Envoyé à l’école janséniste de Bicêtre, il est ensuite mis en apprentissage dans une imprimerie d’Auxerre, puis travaille à Paris. De l’artisanat typographique, il passe à la création littéraire, et prend le nom à consonance aristocratique de « Rétif de La Bretonne » : ses premiers romans, la Famille vertueuse (1767) et Lucile ou les Progrès de la vertu (1768), se placent résolument sous le signe de la vertu mais explorent les échanges entre désir, pathétique et morale. Rétif compose et publie avec frénésie une oeuvre abondante, à la fois répétitive et inventive. Même s’il n’est pas aussi autodidacte qu’il le prétend, il échappe à la formation classique, ce qui le rend d’autant plus libre de mêler fiction et théorie, récit romanesque et théâtre, autobiographie et fantastique. Ses ambitions théoriques, qui associent audace réformatrice et conformisme intellectuel, s’expriment dans une série d’oeuvres qu’il nomme les « graphes » : il échafaude ainsi une réforme de la prostitution (le Pornographe, 1769), du théâtre et du statut des comédiens (la Mimographe, 1770), du statut des femmes (les Gynographes, 1777), de la vie sociale (l’Andrographe, 1782), des lois (le Thesmographe, 1789). Le besoin de se raconter est manifeste, que ce soit par le roman - le Paysan perverti, paru en 1775, relate la déchéance du paysan monté à Paris et puni dans l’excès de ses ambitions -, ou par l’autobiographie - Monsieur Nicolas ou le Coeur humain dévoilé (1796-1797). Grand succès de librairie, le Paysan perverti est complété en 1784 par la Paysanne pervertie. Après avoir évoqué une vie rurale et patriarcale dans la Vie de mon père (1779), Rétif explore les bas-fonds de la capitale et montre sa fascination pour la prostitution et la sexualité dans les Nuits de Paris (1788-1794), dont le volume VIII, la Semaine nocturne (1790), est souvent titré les Nuits révolutionnaires. Le refus des canons classiques, la force des fantasmes et le modèle nouveau du journalisme expliquent le choix des formes ouvertes, des recueils de nouvelles infiniment extensibles, voués à la peinture des femmes (les Contemporaines, 1780-1785, ne comptent pas moins de cinquante volumes). Vivant de plus en plus dans la marginalité, Rétif tourne finalement son invention littéraire vers le fantastique : son dernier ouvrage, les Posthumes (1802), est un défi au temps qui passe, à l’âge qui vient, à la société qui change. Retz (Jean François Paul de Gondi, cardinal de), ecclésiastique et écrivain (Montmirail
1613 - Paris 1679). Coadjuteur de son oncle (de 1643 à 1654) avec le titre d’archevêque in partibus de Corinthe, puis archevêque de Paris, Retz s’agita dans la Fronde et s’illustra dans les lettres. Issu d’une famille de banquiers florentins arrivés à Lyon lors du mariage de Catherine de Médicis (1533), Gondi compte dans sa parenté un maréchal de France (son grandoncle, premier duc de Retz), cinq généraux de galères dont son père, deux dignitaires ecclésiastiques (l’évêque de Paris de 1598 à 1622 et le premier archevêque du diocèse de 1622 à 1654, ses oncles). Tonsuré en 1623, élève des jésuites, bachelier en 1631, il manifeste une ambition qui agace, au point qu’en 1651 La Rochefoucauld tentera de l’étrangler entre les deux battants d’une porte ! Mondain, duelliste, amateur de femmes, esprit brillant (premier à la licence de théologie, en 1638), il est aussi un intrigant et conspire contre Richelieu avec le comte de Soissons. Aussi n’est-il nommé coadjuteur de Paris qu’après la mort du Cardinal. Sacré en 1644, il devient populaire en prêchant, mais reste galant. Pendant la Fronde, qui débute en 1648, il donne la mesure de son inconstance : éconduit par Mazarin, il lève un régiment de chevau-légers - les Corinthiens - puis se rapproche du roi (1650) contre Condé, dans l’espoir de revêtir la pourpre cardinalice. En attendant, il travaille à l’union de la Fronde parlementaire et de la Fronde des princes, et contribue à l’exil de Mazarin (février 1651) ; il empêche alors le roi de quitter le Palais-Royal (9-10 février 1651), puis se rapproche de la reine (avril). Enfin créé cardinal en février 1652, il est arrêté au Louvre en décembre pour avoir à nouveau comploté contre Mazarin. Enfermé à Vincennes, contraint de démissionner de son archevêché, incarcéré à Nantes, il s’évade, gagne Machecoul (duché de Retz), Belle-Isle (fief des Gondi), Saint-Sébastien, Piombino, et Rome, enfin, en 1654. Là, il révoque sa démission, provoquant l’ire de Louis XIV, et contribue à l’élection du pape Alexandre VII. Endetté, il s’enfuit une nouvelle fois dans plusieurs pays d’Europe. En 1661, la mort de Mazarin le ramène à Paris, où il démissionne à nouveau de son archevêché, en contrepartie de l’abbaye de Saint-Denis qui lui est attribuée. Il se retire à Commercy, publie sa Conjuration du comte Jean-Louis de Fiesque (1665), échoue dans une mission auprès du pape (1665-1666), participe aux conclaves de 1667, 1670, et 1676, et multiplie les retraites. Il paie alors ses dettes et rédige ses Mémoires (1662-1677), dans lesquels l’écrivain se ré-
vèle supérieur au politique. Sans souci de la rhétorique, il croque personnages et événements de la Fronde, élevant parfois jusqu’à la maxime ses talents aigus d’observation. Retz est inhumé dans l’abbaye de Saint-Denis mais, downloadModeText.vue.download 810 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 799 en raison d’une interdiction de Louis XIV, aucune inscription ne figure sur sa tombe. Reubell ou Rewbell (Jean François), homme politique (Colmar 1747 - id. 1807). Cet avocat au conseil souverain d’Alsace est élu député du Tiers aux états généraux de 1789 par le bailliage de Colmar et Sélestat, et acquiert suffisamment d’influence pour devenir président de l’Assemblée constituante (avril-mai 1791). Sous la Législative, il assure la fonction de procureur général syndic du Haut-Rhin. Il est élu à la Convention en septembre 1792, et se voit confier, avec deux autres représentants en mission, la défense de Mayence, ville prise par Custine en octobre mais encerclée d’avril à juillet 1793 par les forces du roi de Prusse. L’acte de capitulation de cette place (22 juillet) stipulant que les troupes françaises peuvent retourner librement en France à condition de ne plus servir sur la frontière, Reubell rejoint la Vendée avec les soldats de l’armée de Mayence. Mais il rentre finalement à Paris, où il observe une prudente discrétion jusqu’à la chute de Robespierre. Thermidor relance sa carrière : il entre au Comité de sûreté générale (octobredécembre 1794), puis au Comité de salut public (mars-juillet 1795). En novembre 1795, il devient l’un des cinq directeurs prévus par la nouvelle Constitution, chargé notamment des Affaires extérieures. Contre Carnot, partisan de la paix et de la stabilisation de la Révolution, il prône alors une politique de conquête : en particulier, il considère le Rhin comme l’une des « frontières naturelles » de la France. Par ce choix stratégique, il se range parmi les adversaires de Bonaparte, qui, lui, est plutôt favorable à une politique offensive vers l’Italie. Contraint par tirage sort de quitter le pouvoir exécutif en mai 1799 (le Directoire est en effet partiellement renouvelé chaque année), il devient membre du Conseil des Anciens, et perd toute influence après le coup d’État du 18 brumaire. Jusqu’à sa mort (23 novembre 1807),
Reubell se trouve aux prises avec de graves difficultés financières, sa fortune, glanée de manière plus ou moins légale au cours de ses années de pouvoir, ayant été dilapidée par l’un de ses fils. Réunion (la), île de l’océan Indien, colonie française de 1642 à 1946, département d’outre-mer depuis 1946. C’est en 1642 que la Compagnie d’Orient prend possession de cette île déserte découverte au siècle précédent par les Portugais, et lui donne le nom d’île Bourbon. Quelques colons y séjournent de 1654 à 1657, mais c’est seulement à partir de 1662, avec l’arrivée de Payen de Vitry, que s’installe une population permanente. En 1664, l’île est concédée à la Compagnie des Indes orientales ; les débuts du peuplement y sont lents et il n’y a encore que 1 500 habitants au début du XVIIIe siècle. La mise en valeur progresse alors sous l’administration du gouverneur de Parat (introduction de la culture du café vers 1715), puis sous celles de Benoît Dumas (1727/1735) et, surtout, du gouverneur général Mahé de La Bourdonnais (1735/1746). Par la suite, l’intendant Pierre Poivre (1767/1771) encourage la production d’épices. Le privilège de la Compagnie des Indes orientales est aboli en 1769. En 1778, l’île compte 47 000 habitants, dont 37 000 esclaves. Les décrets de la Convention abolissant l’esclavage n’y sont pas appliqués. L’île, rebaptisée « île de la Réunion » en 1793, est occupée par les Anglais en 1810, puis rétrocédée à la France en 1815, en vertu du traité de Paris : dépourvue de port - à la différence de l’île Maurice -, elle n’intéresse pas les Anglais. À partir de 1830, le groupe des Francs-Créoles s’oppose à l’émancipation des esclaves et encourage le peuplement des cirques des hauteurs, où vont s’établir les « petits Blancs des Hauts ». Lors de la révolution de 1848, le Gouvernement provisoire décrète l’abolition de l’esclavage (63 000 affranchis), entraînant le déclin de l’économie de plantation (canne à sucre) et l’immigration de main-d’oeuvre indienne : jusqu’en 1885, plus de 100 000 Malabars viennent s’y établir. Sous la IIIe République, l’île est dotée d’une représentation parlementaire et les députés de la Réunion jouent un rôle important dans les origines de l’intervention française à Madagascar. Ralliée à la France libre en novembre 1942,
la Réunion est érigée en département d’outremer en mars 1946. Des progrès notables sont alors réalisés dans les domaines de l’équipement hospitalier, scolaire et routier. Depuis 1982, l’île forme une région monodépartementale. Elle est peuplée d’environ 630 000 habitants (estimation de 1994), et 150 000 Réunionnais se seraient établis en métropole. Cinq députés et trois sénateurs la représentent au Parlement. Fondé en 1959, le Parti communiste réunionnais revendique un statut d’autonomie. Le chômage et un malaise social certain, surtout perceptible parmi la jeunesse, ont à plusieurs reprises engendré des émeutes dans la ville de Saint-Denis. Réunions (politique des), série d’annexions pratiquées par Louis XIV de 1679 à 1684, en pleine période de paix. Après la paix de Nimègue (1678-1679), qui met fin à la guerre de Hollande, le roi et Louvois, s’inspirant de la politique du « pré carré » prônée par Vauban, cherchent à renforcer les frontières du royaume en résorbant les enclaves étrangères et en s’assurant de points d’appui. Sur le modèle utilisé par Richelieu et Mazarin, ils exploitent les possibilités du droit féodal en exigeant que les vassaux étrangers de terres françaises prêtent hommage au roi de France, sous peine de confiscation de leurs domaines. Les magistrats des chambres de réunion des parlements de Metz et de Besançon et du conseil souverain d’Alsace parviennent à des résultats spectaculaires. Le procureur général de Metz, Ravaulx, se distingue particulièrement. Le bourg de Fraulauter est enlevé au duc de Nassau-Sarrebrück et on y édifie la citadelle de Sarrelouis ; le duché de Deux-Ponts est annexé, au grand dam du roi de Suède, parent du duc ; la principauté de Montbéliard est retirée au duc de Wurtemberg ; en Alsace, plusieurs villes, parmi lesquelles Lauterbourg, sont prises à l’Électeur palatin. Le comté de Chiny est lui aussi déclaré « réuni », ouvrant la voie à des revendications sur les autres territoires du Luxembourg qui appartiennent à l’Espagne. En revanche, c’est sans recourir à des arguties juridiques qu’en septembre 1681 Louis XIV occupe Strasbourg, ville libre d’Empire, dont il refuse de reconnaître la neutralité. En même temps, il s’empare de Casale, capitale du Montferrat et clé de la vallée du Pô. Cette politique de « défense agressive » est soutenue par le secrétaire d’État aux Affaires étrangères Colbert de Croissy, qui a remplacé le trop conciliant Pomponne en 1679. Elle
repose sur la puissance militaire de la France, qui n’a pas démobilisé au retour de la paix, et tire parti des difficultés de l’empereur Léopold Ier face aux révoltés hongrois et aux Turcs. Devant les protestations de la diète d’Empire, la constitution d’une alliance défensive entre la Suède et les Provinces-Unies (octobre 1681), la formation de la ligue des Princes du Rhin en septembre 1682 et la tiédeur de son ancien allié bavarois, le roi de France renforce son alliance avec le Brandebourg et le Danemark. À la faveur du siège de Vienne par les Turcs en 1683 - qui immobilise Léopold - et Charles II d’Espagne ayant déclaré la guerre à la France, Louis XIV s’empare de Luxembourg en juin 1684. Cependant, après la défaite des Turcs, il faut bien composer. Le 15 août 1684, une trêve est signée à Ratisbonne entre la France, l’Empire et l’Espagne ; la France conserve pour vingt ans les « Réunions ». Mais l’équilibre trouvé est précaire : contre la menace française, la ligue d’Augsbourg se forme en juillet 1686. revanche (la), thème important de la conscience nationale apparu après la défaite de 1870 contre la Prusse, et récurrent jusqu’à la Première Guerre mondiale. Fondée sur l’idée d’une reconquête impérative des provinces perdues, « la revanche » conjugue le désir d’expiation des fautes qui ont conduit au désastre, et la volonté d’en comprendre les causes. Le premier sentiment provoque un repli sur soi, qui condamne l’universalisme politique et philosophique présupposé du second Empire ; le second inspire les grandes lois réformatrices sur l’école et l’armée. Bien qu’impulsée, à l’origine, par Gambetta, « la revanche » transcende pourtant les clivages politiques, de Clemenceau à Maurras. Les littérateurs et publicistes - Erckmann et Chatrian, et surtout Déroulède - la popularisent dans l’opinion. Mais, à mesure que la défaite s’éloigne dans le temps, l’idée perd de sa force émotionnelle. En outre, elle est battue en brèche par la promotion de l’idée coloniale, qui ressuscite le thème universaliste de la France porteuse de lumières dans le monde. Les polémiques sont vives autour de l’abandon supposé des provinces de l’Est. Le thème de « la revanche » tend alors à devenir l’apanage des nationalistes, qui font de son oubli l’un des signes de l’affaissement de la nation. Pourtant, l’unanimité se recrée dans les années 1900 : la crise de Tanger (1905) révèle une Allemagne belliciste et fait resurgir l’imminence d’un conflit. Le souvenir de
l’Alsace et de la Lorraine est ravivé dans la littérature (Barrès, Péguy, René Bazin, Hansi) et downloadModeText.vue.download 811 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 800 dans le monde politique (comité « Vers l’Alsace », auquel adhère Poincaré). À la veille de la Grande Guerre, « la revanche » réconcilie les deux sources du patriotisme : la défense du territoire, et la France - « soldat du droit » face à l’« agresseur ». Réveillon (affaire), émeute déclenchée à Paris, dans le faubourg Saint-Antoine, les 27 et 28 avril 1789. Riche entrepreneur, Jean-Baptiste Réveillon possède deux manufactures de papier - dont la plus importante est sise au faubourg Saint-Antoine - et emploie, dès 1784, plus de 400 ouvriers. Le 23 avril 1789, lors d’une réunion électorale, il aurait préconisé la réduction des taxes sur les denrées pour pouvoir diminuer les prix et les salaires. Aussitôt, le bruit se répand parmi les ouvriers du faubourg (qui sont exclus des assemblées électorales) que Réveillon ne veut plus payer que 15 sols la journée au lieu de 20. Dans le contexte de disette du printemps 1789, il n’en faut pas plus pour que la population manifeste son mécontentement. Le lundi 27, une foule brûle une effigie de Réveillon et détruit la manufacture d’un autre industriel nommé Henriot. Le lendemain, une foule plus dense encore se porte chez Réveillon. La troupe tire, tuant de nombreux manifestants venus de plusieurs quartiers ouvriers, mais dont aucun n’est employé chez Réveillon. Jacques Godechot estime à 300 le nombre des victimes. Il s’agit d’une des plus graves émeutes de l’année 1789. Certains historiens ont mis en cause l’action du duc d’Orléans, mais l’émeute témoigne surtout du climat électrique qui règne dans Paris au printemps 1789. Le caractère général des revendications populaires (baisse du prix du pain, mais aussi soutien au tiers état) fait de l’émeute Réveillon « un prélude aux journées révolutionnaires » (Raymonde Monnier). révoltes populaires. Cette notion est de celles qui se prêtent aux vastes interprétations, et donc à des querelles entre historiens. Il est aisé, en effet, de présenter la plupart de ces révoltes comme une simple résistance au
« changement », voire une vaine résistance au « progrès » que constitue, par exemple, l’accroissement des ressources de l’État au XVIIe siècle, ou la mécanisation de l’industrie, contestée en particulier dans les années 1830 (la grande révolte des canuts lyonnais date de 1831). Ce caractère apparemment primaire des révoltes populaires peut expliquer leur soudaineté, leur force, et le fait qu’elles trouvent quelques alliés hors du peuple, chez des individus eux aussi victimes des changements ou heurtés par ceux-ci : ainsi le chef de la jacquerie de 1358, Guillaume Carle, ou les petits nobles et prêtres souvent impliqués dans les troubles du XVIIe siècle. Il arrive, aussi, que l’idéologie donne une cohésion particulière à un mouvement qui transcende alors en partie les classes sociales, à l’exemple de la révolte des camisards, protestants persécutés des Cévennes (1702-1704), et sans doute de celle des insurgés vendéens et chouans de 1793. Les révoltes populaires n’en sont pas moins, dans la plupart des cas, des mouvements profonds de résistance à la brutalité d’un changement, comme lors de la grande vague de révoltes - citadines, et surtout rurales - que la formidable hausse du prélèvement fiscal entraîne entre 1620 et 1640 environ (« croquants » du Quercy et du Périgord, « nupieds » de Normandie...). Elles manifestent, aussi, une résistance devant l’inégalité de la répartition sociale des coûts et des bénéfices du changement : une bonne part des révoltes du XIXe siècle sont ainsi directement liées, bien plus qu’à la mécanisation, aux conséquences du triomphe d’un capitalisme sauvage. • Des révélateurs. Le glissement des révoltes des campagnes vers les villes, au XIXe siècle, indique bien qu’elles sont un des meilleurs révélateurs de mutations économiques mais aussi sociales et parfois politiques : difficultés du système seigneurial répercutées trop brutalement sur les paysans (jacquerie de 1358) ; augmentation des besoins de l’État au XVIIe siècle, alors que la paysannerie supporte l’essentiel de l’impôt ; mécanisation du capitalisme industriel avec son cortège d’injustices et de misère. Les révoltes populaires doivent donc se lire dans le long terme, en dépassant la défaite immédiate, qui est le plus souvent totale. Elles expriment, presque toujours, une perception assez consciente d’un rapport de forces et conduisent à terme à des résultats significatifs : il n’est pas abusif d’en faire des régulateurs de la société. Dans quelques cas,
la révolte n’est même que la première manifestation d’une révolution, lorsqu’elle s’accompagne de la proposition cohérente d’une société nouvelle : c’est le cas des Communes de 1871, ou des mouvements, initialement très modestes, que sont la prise de la Bastille et la Grande Peur de l’été 1789. • L’évolution des formes de la révolte. L’importance du contexte explique aussi l’importance que les historiens accordent aujourd’hui aux aspects culturels de ces révoltes : les formes de la violence, les manifestations festives, les incompréhensions nées des différences culturelles. La réflexion sur l’articulation entre les formes et le fond conduit aussi à percevoir, derrière l’évident recul de la violence, la persistance de « révoltes populaires » jusqu’à notre époque : l’ampleur du mouvement social de décembre 1995 révèle ainsi le même type d’incompréhensions que lors des révoltes populaires anciennes, tout en mettant en évidence des aspects culturels tels l’aspiration à la dignité ou le refus de ce qui est perçu comme un mépris de la part du pouvoir. Ce prolongement indique bien que les révoltes populaires demeurent, malgré les très nombreuses études qui leur ont été consacrées, un terrain en devenir de la recherche historique. révolution agricole, expression désignant la mutation de l’agriculture sensible en France au XVIIIe siècle, et accélérée au siècle suivant. C’est en fait la deuxième révolution agricole, après celle du néolithique au VIIe millénaire avant J.-C., et avant celle de la seconde moitié du XXe siècle, marquée par l’effondrement du nombre des agriculteurs à partir de 1960. Née de l’accumulation et de l’interaction de petits changements, elle contribue à expliquer comment au XVIIIe siècle une population est passée, à frontières égales, de 22 à 26 millions d’habitants, tout en bénéficiant d’un meilleur bilan alimentaire (les famines disparaissent et les disettes sont moins fréquentes). • L’amélioration des techniques culturales et de l’outillage. Si les défrichements n’ajoutent pas plus de 4 % de terres - assez médiocres - à la surface cultivée du royaume, si le rendement général des céréales, principale ressource agricole, demeure stable, en revanche progressent le rendement global de la terre et la productivité d’un travail agricole qui occupe alors huit actifs sur dix. On passe de l’assolement biennal à l’assolement
triennal, ou mieux - mais plus rarement - au remplacement de la jachère par la rotation continue d’une association culturale de meilleure valeur agronomique : céréales, plantes sarclées, légumineuses fourragères. Sont en effet étendues ou introduites des cultures de sarrasin, maïs (dans le Sud-Ouest), pomme de terre (répandue partout après 1750), carotte, chou, navet, sainfoin, luzerne, trèfle, colza, houblon, betterave sucrière (apparue en 1786 dans le Bassin parisien). L’outillage traditionnel s’améliore lorsque le fer se substitue au bois ; des instruments nouveaux sont mis au point, comme les faneuses, les tarares qui perfectionnent le criblage du grain, ou la faux qui remplace la faucille ; d’autres se mécanisent : houe tractée, batteuses (on en invente en France en 1722, 1766, 1808), surtout, charrue à versoir et semoir, pour un ensemencement mécanique en ligne, et non plus à la volée. La sélection des semences élève dans certaines régions les rendements céréaliers, et celle des reproducteurs accroît le poids des animaux. Le drainage bonifie fonds d’étangs et sols humides ; la quantité disponible d’engrais naturel suit la croissance du cheptel et de la population. Le cheval est davantage employé, qui surclasse le boeuf en vitesse de traction : 0,5 à 0,6 hectare labouré par jour, contre 0,4 auparavant, et 0,8 hectare vers 1790 avec une charrue améliorée (mais 5 hectares vers 1850 avec la traction à vapeur, et 40 avec un équipement moderne de 1990). • Individualisme et agriculture spéculative. Ces transformations s’accompagnent de la montée de l’individualisme agraire. Les terrains communaux tendent à être partagés et annexés à des exploitations clôturées, tournées vers le profit commercial (liberté de clore et remembrements sont favorisés en 1762 et 1791) ; leur diminution provoque la prolétarisation ou le départ des trop petits propriétaires. Une agronomie de prosélytes, encouragée par les physiocrates favorables au capitalisme agricole, soutient le mouvement. Elle a ses vulgarisateurs (Duhamel du Monceau, Traité de la culture des terres, 17501758) et ses pionniers qui, du fait des modes de diffusion de l’information, des investissements requis, de la capacité à supporter les risques de la nouveauté, sont les grands propriétaires gagnés par l’« agromanie » de la seconde moitié du XVIIIe siècle - parmi les plus downloadModeText.vue.download 812 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 801
connus, les ducs de La Rochefoucauld-Liancourt et de Charost-Béthune. Périodiques et ouvrages assurent la publicité de leurs expériences, connues de quelques grands fermiers, en Île-de-France par exemple, mais recueillies surtout par d’autres propriétaires éclairés dont certains, après 1760, animent les sociétés d’agriculture. Les campagnes périurbaines, les terres limoneuses du Bassin parisien, du Nord ou de la Limagne, les « pays » désenclavés par des réseaux de communication améliorés, sont les plus touchés par la révolution agricole. Le développement des centres de consommation (Paris notamment), la libéralisation des échanges et la hausse des prix agricoles renforcent ou favorisent la création de spécialisations : céréales du pays toulousain, vignobles du Bordelais ou de Charente, boeufs d’Auvergne ou du pays d’Auge ; bois du Morvan, laine des moutons du Languedoc ou garance d’Alsace sont destinées à l’industrie. Cette dernière est liée à la révolution agricole par des effets d’entraînement : l’industrie sidérurgique profite de la hausse de la demande d’outillage, ferrures de chevaux, essieux des charrettes, etc. ; l’essor de l’élevage ovin, une population accrue, mieux nourrie et demandeuse de produits d’habillement, mais insuffisamment employée par une agriculture plus productive, offrent matières premières, débouchés et travail à la production textile, moteur de l’industrialisation. révolution de 1848. Cette révolution, déclenchée par les journées insurrectionnelles des 22, 23 et 24 février 1848, a été, aux yeux de ses contemporains, une surprise car, à la différence de la révolution de juillet 1830, elle n’a pas été précédée d’une crise politique aiguë. Pourtant, le recul du temps permet de mieux la situer dans un processus logique. Débouchant sur un vide politique, elle n’a pas été suivie d’un retour à la normale dans l’immédiat : le climat d’effervescence, sur fond de crise sociale, a perduré plusieurs mois, culminant lors des journées de juin, durement réprimées. Le processus révolutionnaire est alors stoppé net, mais, en se coupant de ses bases populaires, le nouveau régime républicain se trouve profondément fragilisé. • Un événement imprévu mais explicable. Depuis l’avènement du ministère Guizot (1840), la monarchie de Juillet paraît avoir trouvé la stabilité. Mais elle ne résiste pas à une nouvelle crise à la fois économique, morale et politique.
La conjoncture économique, favorable au début des années 1840, se retourne après les mauvaises récoltes céréalières de l’été 1846 : le cours du blé double pendant l’hiver 18461847, atteignant le chiffre record de 38 francs le quintal au printemps 1847. La hausse du prix du pain se conjugue avec une pénurie de pommes de terre, une maladie de ce tubercule, apparue en Irlande en 1845, ayant désormais gagné le continent. La disette provoque des troubles de subsistance classiques : pillages des convois et des marchés de grains, manifestation contre les possédants et les négociants accusés d’accaparement. Le gouvernement doit dégarnir Paris de nombre de ses troupes pour rétablir l’ordre. L’industrie et le commerce sont inévitablement touchés par la crise agricole : la flambée des prix alimentaires entraîne une restriction des achats, notamment de produits textiles. Parallèlement s’ouvre une crise financière, imputable au surinvestissement effectué pendant les années fastes (dans les compagnies ferroviaires et la métallurgie surtout) et à l’augmentation de l’appel au crédit pour faire face à la baisse des revenus. La hausse du taux de l’escompte et le manque de capitaux provoquent des faillites dans les compagnies ferroviaires et une baisse brutale des valeurs mobilières. Les industriels restreignent leur production. Les licenciements atteignent 30 % des effectifs dans la métallurgie et le textile. La récession est également très forte dans le bâtiment. Des troubles éclatent dans les villes, où se cumulent hausse des denrées alimentaires, baisse des salaires et chômage. Le nombre des indigents s’accroît. Les ouvriers détruisent des machines dans plusieurs centres textiles. La misère favorise la diffusion des idées socialistes au sein de l’aristocratie ouvrière. Enfin, la crise affecte les recettes fiscales et fait réapparaître le « hideux déficit » des finances publiques. À l’automne 1847, la situation alimentaire redevient normale et, à l’aube de l’année suivante, la crise du crédit prend fin. Mais les effets sociaux des difficultés économiques sont loin d’être dissipés lors de l’épreuve de force de février, d’autant que s’y ajoute un malaise moral. En effet, deux scandales jettent un discrédit sur le personnel dirigeant pendant l’année 1847. L’affaire « Teste-Cubières » révèle un cas de concussion entre deux pairs de France, le premier ayant vendu à son collègue la concession d’une mine de sel alors qu’il était ministre des Travaux publics. Plus tard, on apprend l’assassinat de la duchesse de Choiseul-Praslin par son mari, également pair de France. L’opposition exploite, contre le mi-
nistère Guizot, ces affaires qui déconsidèrent aux yeux de l’opinion les élites au pouvoir. Au même moment, le souvenir de la Révolution et de la Ire République est fortement ravivé grâce aux travaux des historiens Michelet et Lamartine, qui réhabilitent le grand sursaut républicain de 1792. En outre, le régime de Juillet, marqué par une dérive conservatrice sous le ministère Guizot, connaît une nouvelle crise politique. L’autoritarisme croissant de Louis-Philippe est d’autant plus mal supporté par la gauche dynastique que celle-ci ne s’attend plus à une libéralisation du régime : la mort, en 1842, du fils aîné du roi, le populaire duc Ferdinand d’Orléans, laisse présager une régence du duc de Nemours, connu pour ses idées conservatrices. L’immobilisme du régime et l’impossibilité de modifier le rapport des forces à la Chambre sans une réforme électorale conduisent l’opposition à réclamer une nouvelle fois l’exclusion des députés-fonctionnaires et un abaissement du cens électoral. Après l’échec de ces propositions devant la Chambre, elle fait appel au pays grâce à la « campagne des banquets ». Elle tourne ainsi l’interdiction gouvernementale des réunions politiques publiques, les toasts tenant lieu de discours. Le premier banquet, organisé à Paris le 9 juillet 1847, est suivi par près de soixante-dix autres en province. Progressivement, l’opposition républicaine déborde l’opposition dynastique. À Lille, le 7 novembre, Ledru-Rollin attaque ouvertement le régime lors des toasts. Guizot commet la maladresse d’interdire le dernier banquet de cette campagne, prévu à Paris le 22 février. • Trois journées décisives. Les organisateurs de ce banquet (Odilon Barrot et ses amis) s’inclinent lorsque le gouvernement renouvelle son interdiction le 21. Mais il est trop tard. Des manifestants se rassemblent pour exhorter les convives à se réunir. La journée du 22 est marquée par une série d’escarmouches avec les forces de l’ordre dans le Quartier latin et dans l’est de la capitale. Elles laissent l’avantage à la troupe, mais la persistance de l’agitation le lendemain matin conduit le gouvernement à requérir la Garde nationale, demeurée jusque-là le rempart du régime. Or celle-ci, en prenant position dans la rue au matin du 23, conspue le ministère aux cris de « Vive la réforme ! » et de « Guizot démission ! ». La crise de régime est désormais ouverte. Prenant soudain conscience de l’impopularité du gouvernement, le roi « accepte » la démission de Guizot au début
de l’après-midi et fait appel au comte Molé. La situation se détend quelque peu. Mais elle bascule définitivement, dans la soirée, à la suite d’une fusillade sur le boulevard des Capucines : se sentant menacée, la troupe tire sur les manifestants venus fêter leur succès devant le ministère des Affaires étrangères, faisant seize morts. Leurs cadavres sont transportés durant la nuit dans les quartiers populaires de Paris, qui se hérissent de barricades. Molé s’étant retiré, Louis-Philippe tente en vain, le 24 février, de faire appel à Thiers puis à Odilon Barrot, qui se récusent. Le maréchal Bugeaud est alors investi du commandement militaire de Paris. Cependant, l’émeute progresse et, vers midi, menace le palais des Tuileries. Ne voulant pas « verser inutilement le sang français », Louis-Philippe se résout à abdiquer en faveur de son petit-fils, le comte de Paris, âgé de 9 ans, dont la mère, la duchesse d’Orléans, tente d’obtenir de la Chambre la régence, tandis que le roi déchu part pour l’Angleterre. Mais les émeutiers ont envahi la salle des séances, et les parlementaires, à l’exception d’Odilon Barrot, abandonnent la cause de la couronne. Lamartine et Ledru-Rollin font acclamer la composition d’un gouvernement provisoire dont la liste a été préparée dans les bureaux du journal le National : outre ces deux personnalités, elle comprend cinq notoriétés parlementaires, « républicains de la veille » modérés : le vieux Dupont de l’Eure, le savant François Arago, Pierre Marie, Louis Garnier-Pagès et Adolphe Crémieux. On y ajoute Armand Marrast et Ferdinand Flocon, directeurs respectivement du National et de la Réforme . Mais, à peine formée, cette équipe, dont Ledru-Rollin et Flocon représentent l’aile avancée, se heurte à la concurrence d’un autre gouvernement, composé de radicaux et de socialistes, émanant des sociétés secrètes qui occupent les points stratégiques de la capitale. Les parlementaires républicains gagnent en hâte l’Hôtel de Ville et, à l’issue de négociations, le Gouvernement provisoire est définitivement downloadModeText.vue.download 813 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 802 constitué avec l’adjonction de deux nouveaux membres, le théoricien socialiste Louis Blanc et l’ouvrier Albert. Ainsi, le pouvoir monarchique s’est effondré sans résistance, révélant son usure. Une
fois de plus, le peuple de Paris a imposé sa loi. La surprise est grande, aussi bien chez les vaincus que dans le camp des vainqueurs, non préparé à l’exercice du pouvoir. Le vide politique est total. Il n’y plus ni dynastie de recours, ni Constitution, ni même une Assemblée représentative. La nouvelle équipe gouvernementale tient son pouvoir d’une insurrection victorieuse. • Persistance d’une situation révolutionnaire. Loin de clore un processus politique, la révolution de février est suivie d’une période d’effervescence et de troubles traduisant, selon l’expression de l’historien Philippe Vigier, « un profond ébranlement des esprits et des coeurs ». L’historiographie a inventé le terme d’« illusion lyrique » pour définir l’idéal qui prévalut dans le climat romantique du moment, un idéal de réconciliation des classes et d’avènement d’une société fraternelle sans violence. Cet idéal s’accompagne d’une mystique du peuple, encouragée par Lamartine et Michelet, et qu’illustre très bien le refrain à la mode : « Chapeau bas devant la casquette, à genoux devant l’ouvrier ». La fièvre politique est tout d’abord la conséquence de la disparition de l’autorité publique. Le peuple en armes est maître de la rue à Paris, multipliant les manifestations pour obtenir la satisfaction de ses revendications et pour ne pas se voir confisquer sa révolution, comme en 1830. La liberté totale de réunion et de presse est accordée le 4 mars. Dès lors, les clubs se multiplient à Paris, dépassant le chiffre de 250 en quelques semaines - Flaubert en a restitué l’atmosphère dans l’Éducation sentimentale. On y discute de projets de réforme de la société, dont l’audace se conjugue le plus souvent avec un ton débonnaire. Si le socialisme qualifié d’« utopique » s’y exprime pleinement, la lutte de classes n’est prônée que par une minorité. Des revendications féministes sont formulées dans certains clubs. Parallèlement, une presse démocratique à bon marché, libérée du cautionnement, peut se développer et, en quelques jours, 274 nouveaux journaux font leur apparition dans la capitale. L’effervescence se nourrit aussi de l’aggravation de la crise économique. Les épargnants, inquiets, retirent leurs fonds des caisses d’épargne et des divers établissements financiers, provoquant une pénurie de capitaux, des fermetures de caisses de crédit et une hausse brutale du taux d’escompte, qui entraînent un ralentissement de l’activité économique, une montée du chômage et divers
mouvements sociaux. L’« illusion lyrique » s’en trouve dissipée. Elle a d’ailleurs été plus le fait de Paris que de la province, où s’expriment dès février des rancoeurs contre l’ancien personnel dirigeant et les autorités sociales. Les troubles agraires se multiplient : les paysans s’en prennent à l’administration des Eaux et forêts, accusée de limiter les droits de pacage dans les bois communaux ou nationaux ; des châteaux sont pillés ; des grands propriétaires sont menacés et contraints de relever les salaires agricoles. Les ouvriers opèrent de nouvelles destructions de machines en Normandie et dans le Lyonnais ; le matériel ferroviaire est saboté sur la ligne Paris-Le Havre par des mariniers et des voituriers victimes de la concurrence du chemin de fer. Au lendemain de la révolution, les désordres amplifient l’immense peur sociale des notables, qui se terrent. Cette situation contraint le Gouvernement provisoire à multiplier les concessions et les réformes dès les jours qui suivent la révolution : proclamation du droit au travail et création, en application de ce principe, des ateliers nationaux (25 et 26 février) ; instauration, à défaut d’un ministère du Travail, de la Commission du gouvernement pour les travailleurs (28 février) - la « Commission du Luxembourg » -, présidée par Louis Blanc, accréditant l’idée d’une révolution sociale en marche ; décret du 2 mars sur la limitation de la journée de travail à dix heures à Paris, et douze heures en province. À ces initiatives sociales s’ajoutent les grandes réformes politiques et humanistes : adoption, le 5 mars, du suffrage universel masculin pour les citoyens âgés de 21 ans et plus, véritable « saut dans l’inconnu » faisant passer le corps électoral de 250 000 à 9 millions de personnes ; abolition de la contrainte par corps et des châtiments corporels ; ouverture de la Garde nationale à tous les citoyens et dissolution des compagnies d’élite ; abolition de l’esclavage aux colonies. Ces mesures, en apportant des satisfactions immédiates, ont pu prolonger quelque temps l’« illusion lyrique » avant l’épreuve de force entre les partisans de la révolution démocratique et sociale et les tenants de l’ordre bourgeois. • L’épreuve de force. Soucieux d’asseoir sa légitimité, le Gouvernement provisoire souhaite organiser au plus vite les élections à l’Assemblée constituante. Le décret du 5 mars en fixe la date au 9 avril. Mais les républicains avancés en désirent l’ajournement, estimant que le peuple inculte ne peut
exercer ses droits sans une formation civique préalable. Le 17 mars, une importante manifestation est organisée pour riposter à celle des « bonnets à poils » de la Garde nationale qui s’opposent à la dissolution des compagnies d’élite. Une délégation obtient un délai supplémentaire de 15 jours. Le 16 avril, une nouvelle manifestation en faveur d’un report plus important échoue devant la mobilisation des bataillons bourgeois de la Garde nationale, premier succès des adversaires de la révolution. Le gouvernement en profite pour réintroduire quelques troupes de garnison dans la capitale. Elles viennent renforcer la Garde nationale mobile, recrutée parmi les ouvriers chômeurs. Le rapport de forces commence à se modifier. Les élections se déroulent le 23 avril. Malgré le zèle des commissaires de la République envoyés en province par Ledru-Rollin, malgré l’action des clubistes parisiens et celle de quelques instituteurs stimulés par Hippolyte Carnot (devenu ministre de l’Instruction publique), les électeurs votent en grande majorité pour des républicains authentiques mais modérés. Les radicaux de la tendance LedruRollin et les socialistes sont nettement battus. Les conséquences politiques sont immédiates puisque la Commission exécutive de cinq membres, élue les 9 et 10 mai, est nettement plus conservatrice que le Gouvernement provisoire qu’elle remplace : elle est composée d’Arago, Garnier-Pagès, Marie, Lamartine et Ledru-Rollin, ce dernier étant le seul représentant du courant le plus avancé. L’épreuve de force avec le peuple parisien est dès lors menaçante. Le premier acte se joue le 15 mai. À l’appel de plusieurs clubs d’extrême gauche, une grande manifestation de soutien à la Pologne insurgée est organisée en riposte à la politique de non-intervention définie par Lamartine le 4 mars. Ce rassemblement est aussi une réplique à la décision de l’Assemblée constituante du 12 mai d’interdire aux clubs de présenter des pétitions, ainsi qu’une démonstration d’hostilité à l’égard des nouveaux élus n’ayant pas la confiance du peuple parisien. Son ampleur semble avoir surpris la Commission exécutive, qui a négligé de prendre des mesures élémentaires de précaution, au point que la thèse d’une provocation destinée à éliminer les leaders de l’extrême gauche a été avancée - sans preuves par certains historiens. Les incidences de cette journée sont importantes. L’Assemblée, envahie dans un tumulte indescriptible, est proclamée dissoute par le révolutionnaire Aloy-
sius Huber, tandis que Barbès et Blanqui font acclamer un gouvernement révolutionnaire à l’Hôtel de Ville. La Commission exécutive parvient néanmoins à rétablir l’ordre grâce au concours des bataillons bourgeois de la Garde nationale, de la garde mobile et de l’armée. Les meneurs de l’extrême gauche sont arrêtés. Le mouvement populaire est décapité, tandis que le front de l’ordre se renforce, l’attentat contre l’Assemblée - émanation de la souveraineté nationale - ayant provoqué un mouvement d’indignation, largement exploité par des conservateurs en province lors des élections complémentaires du 4 juin. Le rapport de force a définitivement basculé du côté de l’ordre. La dissolution des ateliers nationaux en est l’épreuve décisive. Les effectifs de ceuxci, créés dès février, ont pris une extension considérable, dépassant 115 000 hommes à la mi-mai. Au lieu de répondre à la conception de Louis Blanc d’ateliers sociaux destinés à prendre en main l’activité économique en se transformant en coopératives de production, ils sont en fait des ateliers de charité destinés à occuper les chômeurs et à les tenir à l’écart des clubs. Mais cette précaution est devenue superflue car, désoeuvrés et aigris, les ouvriers des ateliers nationaux sont progressivement gagnés par la propagande socialiste des délégués de la Commission du Luxembourg. Dès le début du mois de juin, l’agitation reprend tous les soirs sur les boulevards parisiens, et la propagande bonapartiste - après la quadruple élection de Louis Napoléon Bonaparte à l’Assemblée nationale, le 4 juin - contribue à l’entretenir. De surcroît, les ateliers nationaux coûtent très cher (150 000 francs par jour). Dès la fin mai, la Commission exécutive souhaite leur dissolution. Le front commun ouvrier l’amène à différer la mesure et à envisager une solution de repli : l’emploi des ouvriers des ateliers sur les chantiers ferroviaires downloadModeText.vue.download 814 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 803 des compagnies qui seraient nationalisées. La droite conservatrice s’élève contre ce projet et impose la dissolution : un décret oblige les ouvriers de 17 à 25 ans qu’ils emploient à s’enrôler dans l’armée ou à partir travailler en province. Annoncé le 21 juin, ce décret suscite une protestation d’abord pacifique puis armée des ouvriers parisiens - une révolte spontanée du désespoir et de la faim : le 23,
des barricades sont élevées dans les quartiers de l’Est ; les forces de l’ordre contre-attaquent victorieusement le 25, avec le renfort des gardes nationaux de province appelés par le ministre de la Guerre, le général Louis Eugène Cavaignac, investi des pleins pouvoirs. Au prix d’une terrible bataille de rue, au cours de laquelle succombe l’archevêque de Paris, Mgr Affre, venu s’interposer, l’insurrection est écrasée. Plusieurs milliers d’insurgés sont tués au combat, 1 500 fusillés, 25 000 arrêtés dont 11 000 emprisonnés ou déportés. L’impression laissée par cette répression est extrêmement forte dans les deux camps. La révolution est définitivement vaincue, et la République, privée de ses soutiens populaires, est mortellement atteinte. Pour la première fois, Paris est défait par la province. De la révolution de 1848 subsistera malgré tout le suffrage universel masculin et un souvenir qui ressurgira, vivace, au moment de la Commune. Par ailleurs, la révolution de février a déclenché le processus révolutionnaire du « printemps des peuples de 1848 » : encouragés par les événements de France, les Viennois obligent Metternich à démissionner et à fuir, une victoire temporaire qui déstabilise néanmoins le système absolutiste et centraliste de l’Empire d’Autriche. l RÉVOLUTION FRANÇAISE. La courte période allant de mai 1789 à novembre 1799, qui a reçu l’appellation de « Révolution française », constitue l’un des tournants essentiels de l’histoire de France. Bien plus qu’un simple changement de régime, elle signe la naissance d’une nouvelle société, mettant en cause règles politiques et rapports avec le sacré, instituant même une autre façon de découper le temps. En outre, elle illustre immédiatement et durablement la possibilité de changer le monde qui hantera les consciences jusqu’à la fin du XXe siècle. Pour comprendre cette décennie, conflictuelle et hasardeuse, il est nécessaire de suivre le déroulement des faits mais aussi d’étudier les commentaires dont ils ont fait l’objet : les interprétations immédiates - car il y a peu d’autres exemples dans l’histoire d’une pareille volonté des acteurs de donner du sens à leurs actes - et celles données au cours des deux siècles suivants, qui ont été déterminés par la rupture révolutionnaire. LA NAISSANCE DE LA RÉVOLUTION Il est de tradition de dater le début de la Révolution aux 4 et 5 mai 1789, jours des
séances d’ouverture des états généraux réunis à Versailles. Pourtant, la convocation de ces états signifie simplement que le roi et le gouvernement ont échoué dans leurs tentatives de trouver des appuis auprès des institutions et des élites (assemblées des notables, réunies en 1787) pour réformer le royaume : la situation n’est donc pas à proprement parler « révolutionnaire ». L’élection des députés (au nombre de 1 139 selon certains historiens, de 1 177 d’après les travaux récents de Timothy Tackett) a suscité de nombreux débats dans le pays et a été précédée de la rédaction de « cahiers de doléances ». Parmi les demandes exprimées dans ces cahiers, on trouve certes l’établissement d’une Constitution, mais dans le respect du cadre monarchique ; de même, les griefs contre les privilèges et les impôts ne s’accompagnent pas d’une contestation de l’organisation du royaume ou de la personne du roi. Rien de « révolutionnaire », donc, au sens où on l’entendra ensuite, sinon le fait que le monarque remet en cause les fondements même de son pouvoir en cherchant une nouvelle légitimité auprès d’une assemblée jamais réunie depuis 1614 et que, de surcroît, il agit sans précaution puisqu’il n’a pas réglementé les procédures de vote. La conjoncture particulière dans laquelle cette réunion se tient - agitation politique entre les différents courants porteurs d’idées réformatrices opposées, bouillonnement intellectuel, crise économique et rivalités sociales va conduire à la transformation rapide de mouvements de mécontentement en torrent révolutionnaire. L’historiographie du XIXe siècle, frappée par l’importance de l’enjeu d’alors et par la rupture qu’il introduit dans la vie institutionnelle, a consacré cette ouverture des États généraux comme le commencement de la Révolution. L’accent mis sur cet acte inaugural a permis que la mémoire collective ne se focalise pas uniquement sur la violence ultérieure. Mais des recherches récentes ont tendance à souligner le caractère arbitraire de cette datation : en effet, dès 1788, le pouvoir est « aux enchères », la monarchie absolutiste est déjà remplacée par une monarchie parlementaire, et la presse est libre de fait. Cette perspective conteste utilement les recherches des « causes » de la Révolution : elle souligne que les principales innovations politiques sont antérieures à mai 1789 et que la périodisation traditionnelle n’est due qu’à la mémoire militante du XIXe siècle. S’il n’est plus possible d’affirmer sans précaution que la Révolution
commence par cette réunion, cette dernière n’en a pas moins mis en marche les engrenages politiques. C’est en effet la vérification des mandats des députés qui est à l’origine de l’épreuve de force en ces journées du printemps 1789. Le débat n’est ni formel ni secondaire. Dès le 5 mai, les élus du tiers état - identifiés par leurs habits uniformément noirs et par leurs places éloignées du roi - exigent que cette vérification se déroule en commun, et non en chambres séparées par ordre (tiers état, noblesse et clergé). Cette question de procédure s’enracine dans leur culture juridique ; surtout, elle implique que l’unité de la nation se réalise autour du Tiers et que les votes ultérieurs aient lieu par tête et non par ordre, ce qui avantagerait ses représentants (les plus nombreux). Ce débat permet d’exprimer les graves divergences qui opposent depuis plusieurs années les partisans du retour à une monarchie aristocratique à ceux d’une monarchie réformée, soutenue par des élites ouvertes aux anoblis et aux roturiers éclairés ; la définition même de la nation française se joue dans ces querelles, qui attestent de la profondeur des désaccords, de la détermination des représentants du Tiers - décidés à tenir tête aux deux autres ordres, plus prestigieux - et de l’incapacité tactique du roi et de ses ministres. Pendant plus d’un mois, les États généraux demeurent incapables de passer outre cette étape initiale. La force dénoue ce blocage : le 17 juin, le tiers état, se proclamant seul représentant de toute la nation, se transforme en « assemblée nationale ». Le 19, le clergé et quelques nobles libéraux décident de se réunir au Tiers. Mais la majorité de la noblesse et le roi refusent le fait accompli, si bien que, le 20, les députés du Tiers trouvent la porte de leur salle fermée. En réaction, ils s’installent dans la salle du Jeu de paume et prêtent serment de ne pas se séparer avant d’avoir donné une Constitution au royaume, rejetant ainsi tout compromis avec le roi. Celui-ci adopte alors une tactique qui se révèlera dangereuse : il cède, tout en rassemblant des troupes autour de la capitale et en renvoyant les ministres libéraux, dont Necker. La peur d’une répression militaire, dont la réalité ne fait pas de doute à en juger par les incidents provoqués par l’armée dans les jardins des Tuileries, conduit les Parisiens à chercher des armes. Dans cette quête, ils investissent, le 14 juillet, la Bastille, dont ils mettent à mort le gouverneur. La violence fait reculer le roi, qui accepte, le 17 juillet, d’arbo-
rer la cocarde tricolore, symbole de l’union de la nation et du roi. Cet épisode célèbre - la date de la prise de la Bastille devient, à partir de 1880, jour de la fête nationale - suscite des controverses : n’y voyant que le siège confus d’une prison quasi déserte, une historiographie a pu le qualifier de « tuerie inutile ». Il est cependant possible de lire dans cette journée l’expression des rancoeurs de la population à l’encontre d’un symbole de la toute-puissance du pouvoir et le résultat des antagonismes profonds qui opposaient les groupes sociaux. Face à la noblesse, qui se constitue en caste intransigeante, et au clergé, qui se scinde (le bas clergé étant partisan des réformes), le peuple des villes intervient dans la vie politique en prenant le parti du Tiers. La violence politique n’est donc plus l’apanage du pouvoir royal, qui en perd progressivement le contrôle, d’autant qu’une partie des troupes se solidarise avec le Tiers devenu « assemblée nationale ». Même s’il ne s’agit pas véritablement encore d’une révolution, la vie quotidienne du pays est brutalement orientée par les nouvelles divisions politiques. Alors que les « patriotes » contrôlent les municipalités et forment des milices, quelques nobles, dont le futur Charles X, quittent le pays, inaugurant une émigration politique durable. Les événements du printemps et de l’été 1789 rencontrent un écho particulier dans les campagnes : se sentant menacés par des « brigands » introuvables, les ruraux s’en prennent aux propriétaires, à leurs châteaux et à leurs titres de propriété, dans une « grande peur » qui témoigne d’attentes ancestrales : moins downloadModeText.vue.download 815 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 804 d’impôts et plus de terres. La vacance du pouvoir a ainsi libéré les demandes les plus contradictoires, émanant de groupes sociaux différents, qui s’expriment sans aucune unité politique. Pour répondre à ces ébranlements et tenter de juguler les mouvements populaires, les députés, dans la nuit du 4 août, décrètent l’abolition des privilèges, alliant le calcul politique à une générosité incontestable et interdisant aux ultraconservateurs d’imposer leurs vues. D’un seul coup, les rapports sociaux s’en trouvent transformés : le clergé ne peut plus
exiger des paysans le paiement de la dîme, les seigneurs perdent leurs droits honorifiques (les droits fonciers étant convertis en rente rachetable), et l’Assemblée décide, en préambule à toute Constitution, de rédiger une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui est adoptée le 26 août. L’énumération des droits consacre la liberté individuelle, l’égalité civique et la propriété, mais soulève des problèmes redoutables : la loi devient l’expression de la nation, quel que soit le régime de l’État (la Constitution de 1791 entérinera ce principe en donnant au roi le simple titre de « roi des Français ») ; cette nouvelle conception de la souveraineté fait des Français des citoyens sans que l’on sache comment organiser la participation de tous à la vie politique ; la religion catholique perd son statut de religion d’État (la Déclaration est placée « sous les auspices de l’Être suprême »). Cette courte déclaration - elle ne compte qu’un préambule et 17 articles -, élaborée dans des conditions confuses et porteuse de contradictions, oblige donc à repenser les règles communes dans tous les domaines de la vie publique. Est-elle, comme le soutiennent certains, l’expression d’une politique abstraite, prélude à un régime autoritaire et violent, ou est-elle un compromis riche de promesses ? Elle inaugure en tout cas une pratique nationale importante : l’ancrage de tout régime dans une loi fondamentale. Ce n’est qu’en octobre 1789 que les Français prennent véritablement conscience d’être entrés en révolution lorsque, le 5, une foule de Parisiens et surtout de Parisiennes envahit le château de Versailles et tue quelques soldats. La manifestation, plus ou moins orchestrée, trouve son origine dans le mécontentement des femmes devant la hausse des prix, notamment du pain. Mais l’indignation du peuple rejoint les craintes des patriotes suscitées par le blocage politique et l’hostilité ouverte des aristocrates. Là encore, courants politiques et mouvements populaires s’allient contre le roi et la cour. La violence est une nouvelle fois victorieuse, puisque le roi accepte toutes les mutations politiques et qu’il quitte Versailles pour Paris, avec sa famille. L’Assemblée ayant suivi le roi dans la capitale, l’ensemble des pouvoirs est désormais sous les yeux des Parisiens. À partir de novembre 1789, alors que les réformateurs modérés perdent toute influence - certains quittent même le pays, refusant la violence -, et que les émigrés se regroupent, notamment à Turin, le pays doit trouver un équilibre autour de principes inédits : ces derniers ont été promus à la faveur du vide politique créé par les États généraux, dans une France marquée par
de multiples tensions sociales. LES CONTRADICTIONS DE LA RÉGÉNÉRATION ET L’ÉCHEC DES MODÉRÉS Par volonté autant que par nécessité, l’Assemblée nationale constituante s’engage dans un véritable remodelage du royaume. On peut apprécier l’importance de ce processus réformateur avec la question religieuse. Celle-ci constitue une priorité, puisque la nuit du 4 août a supprimé les ressources du clergé, que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a circonscrit les opinions religieuses au domaine privé, et qu’enfin l’Assemblée s’est approprié les biens de l’Église pour rembourser la dette nationale. Cette dernière décision a une dimension économique (des « assignats » sont émis, portant intérêt à 5 %). En outre, la nation prend à sa charge les dépenses d’éducation et d’assistance, qui incombaient auparavant au clergé, et doit allouer des salaires aux prêtres. L’opportunité politique s’ajoutant à la tradition gallicane, l’Assemblée réorganise l’Église. La Constitution civile du clergé est votée le 12 juillet 1790. Elle harmonise les circonscriptions religieuses (paroisses et évêchés) avec le découpage administratif (communes et départements), introduit la procédure de l’élection pour la désignation des curés et des évêques - comme pour tous les individus chargés d’un service public -, et impose à ces « fonctionnaires » religieux la prestation d’un serment de fidélité « à la loi, au roi et à la nation ». Ces mesures sont moins le fait de la minorité des députés protestants que le résultat des habitudes gallicanes, marquées par l’intervention régulière de l’État dans les affaires ecclésiastiques. Elles témoignent également d’un souci d’organiser le pays selon des principes rationnels, exempts cependant d’une volonté de déchristianisation que dénoncera une historiographie antirévolutionnaire. Les conséquences de cette Constitution civile du clergé, qui remet en cause le concordat de 1516, sont considérables et inattendues. Alors que, au même moment, en Avignon (cité qui fait partie des États pontificaux depuis le XIVe siècle), partisans et adversaires du rattachement à la France se déchirent, le pape ne condamne la réforme qu’en mars 1791, confortant la désapprobation muette du roi et achevant de diviser l’Église de France en deux : presque tous les évêques et un peu moins de la moitié des prêtres ont refusé de prêter serment. Dans l’Ouest et le Midi (notamment à Montauban et à Nîmes), les que-
relles religieuses prennent des dimensions dramatiques. La religion devient la pierre de touche de l’acceptation ou du refus de la Révolution. Cette réorganisation religieuse témoigne des principes généraux qui inspirent les mesures adoptées depuis 1789 : rationalisation, séparation des pouvoirs et principe électif, enfin adhésion des citoyens. La Chambre unique, élue pour deux ans, établit et vote le budget et les lois ; elle possède un pouvoir considérable puisque le « roi des Français » ne dispose que d’un droit de veto suspensif (c’est-à-dire limité à deux législatures). Les élections, régies par un système censitaire, excluent, outre les femmes, la population de travailleurs occasionnels et de journaliers, les « citoyens passifs » (qui ne jouissent que des droits civils, mais ne peuvent voter). Par une volonté d’unification, un nouveau réseau administratif est mis en place (communes, cantons, districts et 83 départements), dont les agents sont désignés par l’élection. La nouvelle classe dirigeante est donc ouverte à l’ambition de tous les diplômés et de tous les talents. L’organisation de la justice est, elle aussi, entièrement remodelée selon les mêmes principes, et les peines encourues varient selon la gravité des délits. Dans l’armée, les grades d’officiers ne sont plus réservés aux seuls nobles. Enfin, le libéralisme économique, en mettant l’accent sur l’esprit d’entreprise et sur la concurrence, a des effets importants : les associations de travailleurs sont interdites, les douanes provinciales et les impôts sur la circulation des marchandises, supprimés. Tous ces remaniements, qui trouvent leur origine dans les débats philosophiques du siècle et notamment dans la philosophie du droit naturel, sont consacrés par l’élan fédérateur qui rassemble les « gardes nationaux », levés spontanément pour défendre la Révolution, et qui culmine le 14 juillet 1790, sur le Champ-de-Mars, à Paris, en présence du roi, lors d’une manifestation dont l’unanimité est d’autant plus proclamée que les antagonismes restent mal acceptés. La compréhension des oppositions à la Révolution demeure une question sensible dans toute l’historiographie française. L’insistance mise sur le caractère inéluctable de l’essor révolutionnaire a fait négliger l’hétérogénéité de ses supports et l’aspect conjoncturel de leur unité. L’instauration d’un nouveau régime appliquant des principes réformateurs stricts ne peut que rendre sensibles à la propagande de la Contre-Révolution des groupes et des
communautés mécontentés par la politique religieuse, par la hausse des prix et par la disparition de nombreux liens d’assistance. Dès 1790, des mouvements contre-révolutionnaires (notamment une presse très active) sont à l’oeuvre à l’intérieur du pays ; ils rassemblent des paysans dans les camps de Jalès (Ardèche) ou contribuent à des affrontements, parfois mortels, dans l’Ouest. Dans ce contexte troublé, la fuite du roi et de sa famille, le 21 juin 1791, vers la frontière orientale, aggrave les luttes. L’arrestation de Louis XVI, à Varennes, et son retour forcé à Paris ne résolvent rien puisque l’Assemblée, décidée à achever la Révolution et à éviter toute aventure démocratique ou sociale, s’attache à la fiction de l’enlèvement du roi, prive ce dernier de tout pouvoir et maintient les institutions. Ce pari va être rapidement perdu : les bouleversements ont été trop importants et ont suscité trop d’espoirs et de frustrations pour que les modérés de l’Assemblée constituante puissent imposer l’arrêt du processus révolutionnaire. LES LUTTES POUR LE POUVOIR Après juin 1791, les divisions deviennent patentes, faisant le jeu des extrémistes des deux camps. L’agitation sociale est entretenue par le club révolutionnaire des Cordeliers, qui accepte en son sein des citoyens « passifs » désireux de jouer un rôle politique - et que l’on commence à appeler les « sans-culottes ». Le 17 juillet, la Garde nationale, débordée, tire sur une foule de pétitionnaires, venue downloadModeText.vue.download 816 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 805 au Champ-de-Mars réclamer la déchéance de Louis XVI. Une cinquantaine de manifestants sont tués. Cette journée rompt l’unité des « patriotes » - qui se divisent entre « jacobins », qui veulent poursuivre le cours de la Révolution, et « feuillants », plus modérés. Dans le même temps, nombre d’officiers de l’armée refusent de prêter serment et émigrent à l’étranger. Tandis que les sans-culottes arborent le bonnet phrygien, symbole de la liberté, et commencent à s’organiser au sein de « sections », des jacqueries rurales affectent de nombreuses régions (Orléanais, vallée du Rhône). Enfin, à Saint-Domingue, la révolte des esclaves entraîne une véritable guerre civile. Les réactions hors de France aggravent la
situation, alimentées par les Réflexions sur la Révolution française de l’Irlandais Edmund Burke, contempteur de la mutation française. L’inquiétude des cours européennes devant le messianisme révolutionnaire, qui remet en cause toutes les hiérarchies, se traduit par la déclaration dite « de Pillnitz », par laquelle, en août 1791, l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse se disent prêts à « agir promptement » pour rétablir les droits du roi. Cette proclamation maladroite a finalement pour effet de faire apparaître le couple royal comme traître à la France. L’Assemblée législative, mise en place par la Constitution du 3 septembre 1791, qui rassemble à partir du 1er octobre 1791 des députés révolutionnaires modérés pour l’essentiel, renforce les mesures prises contre les prêtres réfractaires et contre les émigrés, et demande aux princes allemands de disperser les bandes d’émigrés rassemblées aux frontières du pays. Ces décrets, belliqueux, sont le prétexte à la guerre. La droite et le roi attendent une défaite rapide des troupes françaises, permettant une restauration monarchique ; la gauche (alors dominée par Brissot) espère démasquer les traîtres et compte sur le soutien des autres peuples européens. Rares sont ceux qui, comme Robespierre, prêchent la prudence. Le roi, qui tente la politique du pire, évince les feuillants des ministères, pour en confier la direction à des jacobins, amis de Brissot. Le 20 avril 1792, le roi et l’Assemblée déclarent, pour des raisons opposées, la guerre au « roi de Bohème et de Hongrie » François II, qui est aussitôt après élu à la tête du Saint Empire, et qui est allié du roi de Prusse. Les armées françaises connaissent immédiatement des défaites, applaudies par les contre-révolutionnaires, tandis que les révolutionnaires crient à la trahison. Or, un élan patriotique pousse de nombreux jeunes gens à s’enrôler, unissant la Révolution à l’armée nationale, ce qu’illustre le succès du Chant de guerre pour l’armée du Rhin (appelé rapidement la Marseillaise). Face à l’avance des armées étrangères, la détermination du gouvernement se renforce, qui décrète la déportation des prêtres réfractaires (27 mai) et la constitution, sous les murs de Paris, d’un camp de volontaires (8 juin). Le roi oppose alors son veto à ces décrets et congédie des ministres brissotins (Roland, Servan, Clavière), qu’il remplace par des feuillants. En réaction, les sans-culottes envahissent le palais des Tuileries le 20 juin. Acculé par la foule, Louis XVI coiffe le bonnet phrygien et « boit à la santé de la nation », mais ne fléchit pas. Le conflit est devenu inso-
luble. L’affrontement est inévitable, tandis qu’un coup de force en faveur du roi, tenté par La Fayette, échoue en juillet. Les Tuileries, où le roi s’entoure d’une garde dévouée, sont attaquées dans la nuit du 9 au 10 août 1792 par les sans-culottes dirigés par le comité dit « de l’Évêché », qui demeure toujours mal connu des historiens. Le coup d’État réussit au terme d’un bain de sang, les gardes suisses ayant été massacrés. Le roi est suspendu, emprisonné au Temple avec sa famille, et la convocation d’une nouvelle assemblée - la Convention est décrétée. Cet épisode témoigne de la défaite des courants - souvent rivaux - opposés à la Révolution, qui ont pratiqué la politique du pire et participé à la radicalisation des opinions en ne soutenant pas les tentatives des modérés pour asseoir le nouveau régime. Longtemps négligée par l’historiographie, la Contre-Révolution est aujourd’hui, perçue, et de plus en plus, comme un ensemble disparate de forces, de réseaux et de journaux sans réelle unité. Dans l’immédiat, le trône est vide et la Révolution, relancée. L’Assemblée a perdu tout pouvoir, la Commune insurrectionnelle de Paris siège en permanence ; dans les villes, comités de surveillance et sociétés populaires s’arrogent le droit de contrôler l’administration, de surveiller les populations et de traquer les « traîtres », notamment les prêtres réfractaires. Entre le 2 et le 6 septembre, à Paris et à Orléans, les « fédérés » et des sansculottes massacrent plus d’un millier de prisonniers - prêtres réfractaires et « suspects » (parmi lesquels la princesse de Lamballe) -, sans que les autorités n’interviennent. Encore objets d’âpres débats, ces massacres ont été causés par la peur suscitée par l’avancée ennemie et ont été réclamés par les extrémistes ; ils expriment autant des habitudes de violence que des calculs politiques. Ils provoquent d’emblée une réaction de rejet, si bien que les révolutionnaires les plus légalistes, les girondins (appelés alors « brissotins »), prennent le contrôle de la Convention, aidés par la victoire inespérée obtenue par l’armée française au moulin de Valmy, le 20 septembre. Ces massacres ne doivent pas être considérés comme l’expression ordinaire de la Révolution ; cependant, ils représentent un tournant important, confirmant que la violence populaire la plus archaïque est alors utilisée pour conforter les calculs politiques des dirigeants, qui ont évité de s’engager publiquement à leur propos. Ils achèvent de diviser l’opinion, tandis que nombre d’étrangers jusque-là favo-
rables à la Révolution s’en détournent. L’IMPOSSIBLE ARRÊT DE LA RÉVOLUTION Dès sa première séance, le 21 septembre 1792, la Convention abolit la royauté, et, le lendemain, décide de dater désormais les actes publics de « l’an I de la République ». Les tâches de la nouvelle Assemblée se révèlent considérables et contradictoires. Elle doit définir les orientations politiques du nouveau régime et combattre la Contre-Révolution, à l’intérieur comme à l’extérieur, alors que la majorité du peuple s’installe dans une position attentiste et que les forces révolutionnaires se déchirent. Dans ce contexte, les girondins, au pouvoir, sont situés dans une position conservatrice, face aux montagnards et aux sans-culottes, désireux de prolonger la Révolution. Le procès intenté au roi participe de ces rivalités. Après un mois de débats, conduits par les montagnards qui veulent empêcher tout retour en arrière, la peine de mort est votée à quelques voix de majorité et appliquée, le 21 janvier 1793. La mort du roi sert peu la Révolution, davantage la ContreRévolution, qui fait aussitôt de Louis XVI un martyr. Elle déconsidère les girondins, qui se sont révélés peu habiles au cours du procès, et pousse le gouvernement anglais à entrer en guerre contre la France, aux côtés des puissances continentales. Pour faire face aux menaces extérieures, le 24 février 1793, la Convention adopte le décret qui organise la « levée de 300 000 hommes » sous la surveillance de députés envoyés dans les départements. Cette réquisition de jeunes gens (souvent effectuée par tirage au sort) provoque des soulèvements : en Bretagne, en Alsace, dans le Massif central, et au sud de la Loire, où les insurgés prennent le contrôle de plusieurs villes (Machecoul, Clisson, Mortagne, Saint-Florent-le-Vieil...) et battent, le 19 mars, des troupes républicaines venues de La Rochelle. Cette victoire permet aux insurgés de s’organiser en « armées catholiques et royales », protagonistes essentiels de ce qui va être la guerre dite « de Vendée ». Il paraît vain de chercher l’explication de cette guerre civile dans l’unité respective des camps révolutionnaire et contre-révolutionnaire, comme de nombreux historiens l’ont fait, prolongeant jusqu’au XXe siècle les divisions idéologiques entre une « gauche » jacobine et une « droite » catholique. La guerre de Vendée est d’abord le résultat conjoncturel des luttes antérieures. Elle est rendue possible par le succès imprévu du 19 mars, et elle est ensuite alimentée en grande partie par les rivalités politiques de
toutes les factions - girondines, montagnardes, sans-culottes -, qui profitent de cette occasion pour défendre leurs propres intérêts. Sans-culottes et « enragés » veulent en effet une révolution sociale (ils réclament notamment la taxation des riches et la fixation du prix des grains) ; ils s’allient aux montagnards, lesquels acceptent les principes de l’égalité sociale, pour dénoncer le « modérantisme » des girondins. Ces derniers, refusant ces atteintes au droit de propriété, contre-attaquent en mettant en accusation Marat et des chefs de file sans-culottes (tel Hébert), et en menaçant Paris d’une invasion de troupes qui viendraient des départements. Mais, le 31 mai et le 2 juin, employant la force armée, les sans-culottes parisiens donnent la direction de la Convention aux montagnards et obtiennent l’arrestation des principaux députés girondins. Or, dans le même temps, à Lyon, le pouvoir change de mains au profit des girondins, et les administrateurs de nombreuses villes et départements refusent également l’« anarchie » de la capitale : cependant, ce mouvement de protestations, qui va bientôt recevoir de ses adversaires le nom de « fédéralisme », ne réussit pas à s’organiser et à s’opposer militairement aux sansculottes, notamment par peur de livrer le pays downloadModeText.vue.download 817 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 806 aux contre-révolutionnaires. Les montagnards et sans-culottes parisiens, appuyés sur le réseau des sociétés jacobines, assimilent le fédéralisme à la Contre-Révolution et le combattent. Ils identifient la révolution dirigée depuis Paris à l’unité nationale, justifiant le centralisme français. Les montagnards tentent, en adoptant une nouvelle Constitution (24 juin 1793), de « fixer » la Révolution autour de principes généreux, mais dont l’application est repoussée à la paix. Au-delà des catégories consacrées par l’historiographie pour distinguer les modérés des extrémistes sur les questions économiques et sociales, girondins et montagnards sont, de fait, attachés aux principes universalistes, libéraux, alors que les sans-culottes appartiennent aux courants communautaristes. Les conflits politiques doivent donc être interprétés selon ces multiples critères, qui expliquent les alliances, les revirements brutaux et les luttes byzantines, donnant lieu à des configurations complexes. L’été et l’automne 1793 sont marqués par
un effort de guerre exceptionnel contre les armées étrangères et les ennemis de l’intérieur (fédéralistes, vendéens). L’assassinat de Marat par Charlotte Corday, le 13 juillet, aggrave la tension. « La terreur est mise à l’ordre du jour » par la Convention le 5 septembre, et le Tribunal révolutionnaire, créé en mars, est réorganisé. Fédéralistes, émigrés et prêtres réfractaires sont déclarés coupables de « crimes contre-révolutionnaires » et passibles de la peine capitale ; les « rebelles » vendéens doivent être détruits, en même temps que les insurgés de Lyon et de Marseille (ces deux villes reçoivent de nouveaux noms : « Commune-Affranchie » et « Ville-sans-Nom »). Cette surenchère est d’abord liée à la vacuité du pouvoir - une situation qui exacerbe les rivalités entre factions révolutionnaires. Ainsi, les montagnards acceptent des mesures sociales (loi du maximum, mise en vente par petits lots des biens nationaux, abolition définitive des droits pesant sur la terre) et rompent symboliquement avec le passé en remplaçant le calendrier romain par le calendrier révolutionnaire : cela leur vaut un soutien populaire, qui, paradoxalement, leur permet d’envoyer en prison les enragés (Varlet et Jacques Roux sont arrêtés, en septembre 1793) et de fermer les clubs les plus extrémistes, dont ceux des femmes révolutionnaires (30 octobre). Durant les derniers mois de l’année 1793, les troupes ennemies sont repoussées ou contenues sur tous les fronts (batailles de Wattignies en octobre, ou de Wissembourg en décembre), et une victoire importante est remportée sur les vendéens (bataille de Cholet, 17 octobre). Cependant, les sans-culottes restent puissants : ils contrôlent le ministère de la Guerre, dirigent une « armée révolutionnaire », jouent un rôle prédominant en Vendée, et l’un de leurs chefs principaux, Hébert, détient l’un des journaux les plus lus, le Père Duchesne. Ils obligent le Tribunal révolutionnaire à juger la reine - accusée ignoblement par Hébert -, et à la faire exécuter (16 octobre). Plusieurs dizaines de personnalités, de la Gironde (notamment Brissot et Vergniaud, le 31 octobre ; Mme Roland, le 8 novembre) ou d’autres tendances révolutionnaires (Bailly, le 12 novembre ; Barnave, le 29) sont également condamnées à l’échafaud. En province, certains représentants en mission organisent une véritable déchristianisation et mènent une répression violente contre les prêtres, les riches et les modérés. Quelques groupes d’extrémistes couvrent par des mots d’ordre politiques des pratiques relevant du droit commun. Javogues à Saint-
Étienne, Fouché à Lyon, Tallien à Bordeaux, Carrier à Nantes, puis le général Turreau dans les campagnes du sud de la Loire, commettent et laissent commettre des atrocités et des massacres. Toutefois, les montagnards du Comité de salut public opèrent progressivement une reprise en main, parvenant à contrôler la situation au début de l’année 1794. La liberté des cultes est réaffirmée, le « vandalisme » condamné par la voix de Grégoire, et surtout la Terreur centralisée à Paris. L’atténuation des dangers immédiats permet d’accuser les hébertistes de complot et de les faire exécuter le 24 mars 1794, mettant fin ainsi à la « première terreur » provinciale. Les montagnards se retournent ensuite contre les « indulgents », ces révolutionnaires précédemment radicaux, comme Danton, qui souhaitent abandonner l’usage de la violence politique. Mis en cause pour corruption, Danton et ses amis sont envoyés à la guillotine le 5 avril. Les montagnards robespierristes, qui dominent le Comité de salut public, obtiennent tous les pouvoirs, contrôlent les sections sansculottes, suppriment les tribunaux extraordinaires et tentent de réaliser une révolution morale, exigeante et utopique afin de créer une société régie par l’égalité et la vertu. Ainsi, le décret du 7 mai 1794 stipule que « le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme », et instaure une fête spécifique, célébrée en grande pompe sous la conduite de Robespierre le 8 juin 1794. Ces mesures, censées assurer la cohésion nationale, achèvent en fait de désorienter nombre de révolutionnaires, qui ne comprennent plus les épurations successives. L’autre volet de cette politique volontariste reste le renforcement de la Terreur pour établir le bonheur collectif. La « grande terreur », instaurée par la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794), vise tous les coupables d’accaparement, de défaitisme et de dilapidation, appelés « ennemis du peuple ». Même si cette loi est circonstancielle, même si elle est appliquée presque exclusivement à Paris, elle marque les esprits, au moment où les victoires des armées rendent la violence moins indispensable. Les rivalités internes aux groupes dirigeants (entre Comité de sûreté générale et Comité de salut public, lequel est animé par Robespierre, Saint-Just et Couthon notamment) se perpétuent et trouvent un exutoire politique : durant l’été 1794, des rumeurs accusent Robespierre de vouloir capter à son profit la Révolution. Un front du refus hétérogène se forme, qui s’exprime le 9 thermidor
(27 juillet). Alors que, la veille, Robespierre a annoncé de nouvelles mesures répressives contre des « conspirateurs » (qu’il ne nomme pas), les députés font bloc, le mettent en minorité et le décrètent d’arrestation, ainsi que ses proches. Malgré une intervention in extremis des sans-culottes, qui délivrent les prisonniers et les conduisent à l’Hôtel de Ville de Paris, les forces de la Convention, dirigées par Barras, s’emparent de Robespierre et de ses amis, qui sont exécutés le lendemain, le 10 thermidor (28 juillet 1794). Le reste du pays applaudit à l’annonce de la chute du « tyran », tandis que les différents courants de la Convention, naguère antagonistes, se retrouvent solidaires dans cette conjuration : anciens girondins sortis de la clandestinité et anciens terroristes désireux de faire oublier leur propre passé. Alors que Robespierre a essayé, en vain, de maîtriser les débordements terroristes, la réussite des thermidoriens sera de subjuguer par la force tous les courants révolutionnaires, et de persuader le pays, par la propagande, que seuls Robespierre et ses amis ont été responsables des violences de la Terreur. La chute de Robespierre (épisode qui marquera en fait l’histoire du monde, de nombreux révolutionnaires - bolcheviques ou autres - traquant leurs rivaux pour éviter qu’ils ne deviennent de nouveaux « thermidoriens ») illustre les mécanismes qui n’ont pas cessé de faire s’emballer la Révolution : les factions révolutionnaires ont toujours été rivales, provoquant une surenchère et un détournement des mots d’ordre politiques ; les opinions ont été manipulées. Ce jeu politicien compte autant que les discussions politiques et philosophiques menées au sein des différentes assemblées et doit être compris à sa juste importance. LA RÉVOLUTION ÉQUILIBRISTE Les révolutionnaires vont dorénavant s’employer à stabiliser les acquis de la Révolution, et à lutter contre leurs rivaux, de gauche et de droite. Pour sortir de la Terreur, ils commencent par laisser faire la chasse aux « buveurs de sang », c’est-à-dire aux anciens terroristes et robespierristes, auxquels l’abbé Grégoire impute les destructions d’oeuvres d’art. Quelques conventionnels paient de leur vie (Carrier, exécuté en décembre 1794) ou de quelques mois de prison (le général Turreau) ce revirement politique, tandis que d’autres (Vadier, Barère) sont condamnés à la déportation ou à l’exil. Six d’entre eux se suicident, devenant les martyrs de la Révolution démocratique. Dans tout le pays, la réaction
contre les sans-culottes est violente. À Paris, les manifestations des sans-culottes - qui réclament « du pain et la Constitution de 93 » sont brisées par l’armée en avril et mai 1795 ; dans la vallée du Rhône, les règlements de compte, pratiqués par la « jeunesse dorée » (les muscadins) et couverts par les autorités politiques, font des dizaines de morts parmi les sans-culottes : c’est la Terreur blanche. Dans le même temps, le gouvernement tente de revenir aux principes de 1789 et de trouver des compromis avec l’ensemble des modérés, discrédités depuis 1791. À la fin de 1794 et au début de 1795, révolutionnaires et contre-révolutionnaires modérés cherchent à établir une paix civile et un régime stable. Les conséquences de ce retournement sont considérables puisque la vie quotidienne des Français ne dépend plus de langages politiques exclusifs. Face aux rivalités qui demeurent vives entre anciens girondins, devenus majoritaires, anciens montagnards et anciens terroristes reconvertis, les modérés peuvent downloadModeText.vue.download 818 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 807 prétendre jouer un rôle d’arbitre ; ils doivent aussi affronter la concurrence des royalistes, qui se réunissent dans le club dit « de Clichy » pour préparer légalement l’arrivée au pouvoir du roi, Louis XVIII, oncle du jeune Louis XVII mort en prison. Dans le cadre de ce fragile équilibre qui repose sur la condamnation de la violence terroriste, la République reconnaît la liberté des cultes, tolère la présence de prêtres réfractaires, et accepte de signer une paix équivoque avec les vendéens et les chouans. Alors que le pays est affaibli par une anarchie administrative et par les menaces royalistes, la réorganisation politique va passer finalement par l’élaboration d’une Constitution libérale, dont le préambule comprend une Déclaration des droits et une Déclaration des devoirs. Cette Constitution de l’an III, votée le 22 août 1795 et proclamée le 23 septembre, prévoit un système parlementaire bicamériste, l’exécutif étant confié à cinq directeurs élus par les Chambres : ce nouveau régime - le Directoire - succède à la Convention thermidorienne en octobre, et doit affronter des difficultés majeures. En effet, des bandes de brigands - les « chauffeurs » - terrorisent les campagnes en infligeant des brûlures à leurs victimes pour
leur voler leurs économies, et secondent parfois des troupes contre-révolutionnaires - « compagnons de Jésus » dans la vallée du Rhône, ou chouans de l’Ouest. Ces derniers, qui continuent de tenir les campagnes entre Seine et Loire, ont reçu l’aide d’émigrés et des Anglais, débarqués à Quiberon, en juin 1795. Toutefois, cette expédition a échoué, le 20 juillet, grâce à l’action du général Hoche. Prenant la mesure de cet échec, et voulant tirer partie d’un royalisme diffus perceptible dans tout le pays, les royalistes modérés s’engagent dans la campagne politique à l’occasion des élections des deux assemblées mises en place par la nouvelle Constitution : le Conseil des Cinq-Cents et le Conseil des Anciens. Les risques de voir les royalistes accéder au pouvoir sont tels que la Convention thermidorienne décide de réserver les deux tiers des sièges des assemblées à ses propres membres. Les royalistes tentent alors un coup d’État à Paris, le 5 octobre 1795 (13 vendémiaire an IV), mais l’armée (et notamment le jeune général Bonaparte) réprime l’insurrection. Le régime va trouver sa légitimité dans ses succès militaires : tandis que les dangers extérieurs persistent et que les complots royalistes sont nombreux, l’armée continue d’identifier la nation à la Révolution. En outre, les réussites militaires assurent des rentrées d’argent et de denrées qui compensent la désorganisation économique. Les opposants sont présentés comme des ennemis, d’autant que les forces des émigrés sont dorénavant intégrées dans les troupes étrangères. En Vendée, Charette et Stofflet sont capturés et fusillés ; en Bretagne, les chouans sont obligés de dissoudre leurs bandes et de limiter leurs opérations. À l’extérieur, la Convention thermidorienne puis le Directoire peuvent se prévaloir de réussites notables. Le succès des offensives françaises et l’épuisement des combattants conduisent plusieurs pays européens à accepter l’ouverture de négociations. Des traités de paix sont signés : traités de Bâle avec la Prusse en avril 1795, puis en juillet avec l’Espagne, de La Haye avec la Hollande en mai. Seuls la Grande-Bretagne et l’Empire d’Autriche continuent la guerre, mais les frontières sont libérées et la Belgique occupée. Cette situation permet la réorganisation de la vie publique : l’école, l’hôpital, l’armée, font l’objet d’une attention particulière, cette dernière devenant l’une des institutions les plus importantes du régime. La loi Jourdan-Delbrel (1798) jette les bases de la conscription,
et celle du 28 germinal an VII (17 avril 1799) autorise la pratique du « remplacement », les jeunes gens désignés par le tirage au sort pouvant, moyennant finance, présenter un remplaçant. En revanche, l’État reste impuissant face aux difficultés économiques et à l’aggravation des conditions de vie. La démonétisation de l’assignat puis du « mandat territorial », l’incapacité à faire rentrer les impôts affaiblissent l’économie, si bien que les emprunts effectués auprès du bey d’Alger et de commerçants de Hambourg, la vente des biens nationaux belges, les envois d’argent depuis l’Italie ne peuvent suffire à redresser les finances publiques, mises à mal par un agiotage effréné. En septembre 1797, le Directoire décrète la banqueroute dite « des deux tiers » : un tiers de la dette publique est consolidé, les deux autres tiers étant remboursés en bons au porteur, qui se déprécient immédiatement. Les créanciers de l’État sont donc brutalement spoliés, entraînant la ruine des rentiers, tandis que les fournisseurs des armées et les spéculateurs s’enrichissent. Le système politique, qui essaie de conjuguer la centralisation administrative, amorcée en 1793, avec l’autonomie accordée aux institutions départementales depuis 1789, ne peut trouver dans le pays de soutiens suffisants. Sa faiblesse résulte de son échec social. Deux années de disette, en 1794 et 1795, ont répandu la misère parmi les couches urbaines pauvres, devenues politiquement muettes. Les écarts sociaux n’ont jamais été aussi provocants depuis 1789 ; la prospérité des nouveaux riches est une véritable insulte face à la déchéance des puissants déclassés ou des jacobins déchus. La jeunesse dorée des villes inaugure des modes vestimentaires qui s’opposent au rigorisme moral et politique de la période précédente, marquant ainsi sa victoire sociale et politique avec ostentation, jusque dans la coupe des cheveux ou l’abandon de la carmagnole. Alors que les réseaux contre-révolutionnaires connaissent une activité sans précédent, que les jeunes nobles émigrés viennent clandestinement encadrer les chouans, les classes populaires sont écartées de la vie politique. Cela explique l’ultime tentative de résurrection des pratiques sans-culottes faite par Gracchus Babeuf, qui préfigure l’action des avant-gardes sociales des XIXe et XXe siècles tout en prolongeant certains idéaux révolutionnaires. En 1796, Babeuf organise un parti « plébéien » clandestin, formé d’anciens jacobins et de militants sans-culottes de l’an II, et doté d’un « comité insurrecteur » (ou « directoire secret de salut public »), qui fomente un
coup d’État. Le projet trouve un écho parmi les ouvriers parisiens touchés par la crise de subsistances. Cependant, le 10 mai 1796, Babeuf est arrêté par la police, qui avait infiltré son mouvement ; traduit, un an plus tard, devant la Haute Cour de justice, il est exécuté en mai 1797. Son procès coïncidant avec la découverte d’un complot militaire imputé à des opposants de gauche, le Directoire réprime violemment les derniers représentants de la gauche jacobine. Ces coups portés à la gauche suscitent, involontairement, la naissance d’une tradition révolutionnaire soucieuse d’égalité sociale et dénonciatrice de la révolution « bourgeoise ». Le climat social s’améliore après 1796, grâce à des récoltes abondantes ; mais si la baisse des prix des denrées alimentaires soulage les classes populaires urbaines, elle entraîne des pertes de revenu chez les producteurs ruraux. Le marasme industriel est général, sauf dans quelques secteurs (coton, charbon et métallurgie), tandis que le trafic des ports de l’Atlantique continue de subir les effets de la guerre avec la GrandeBretagne et de l’interruption du commerce colonial. L’économie française, exsangue, peine à retrouver un rythme de croissance. Toutes ces conditions difficiles et ces combats politiques complexes permettent de comprendre les contradictions dans lesquelles les dirigeants sont enfermés ; loin d’être seulement un régime « bourgeois », comme l’a assuré une partie de l’historiographie, ou de ne constituer qu’une transition incertaine, le Directoire illustre, par ses errements, la difficulté à entreprendre des choix devant les multiples voies ouvertes depuis 1789 et à ne pas céder à la tentation constante de résoudre les oppositions par la force. Établi par un coup d’État initial, le Directoire échappe à grand-peine à une succession de tentatives de prises de pouvoir. Le brutal arrêt donné aux progrès des royalistes avait favorisé le retour des idées jacobines, avec Babeuf. Après la répression de ce courant, les royalistes tentent de profiter à nouveau de la situation : ils s’appuient sur leurs réseaux, entretiennent des liens avec les chouans de Bretagne et des déserteurs dans toute la France, et rallient à l’idée d’une monarchie parlementaire des révolutionnaires déçus, comme Carnot ou Pichegru. Ce courant royaliste ayant remporté des succès électoraux, les directeurs républicains et les Conseils « épurés » cassent les élections dans 49 départements et condamnent à la déportation 65 personnes (coup d’État du 18 fructidor an V-4 septembre 1797).
Le Directoire s’engage à nouveau dans un anticléricalisme jacobin, rendant vaine même la tentative du directeur La Revellière-Lépeaux, qui invente une religion officielle, la « théophilanthropie », sorte de synthèse des cultes protestant et catholique et des rituels révolutionnaires et francs-maçons. Quelques directeurs font condamner à l’exil ou à la mort les prêtres réfractaires revenus en France et en Belgique, pays où le clergé paie le plus lourd tribut. Des églises sont à nouveau dévastées et le pape Pie VI, déchu après l’entrée des armées françaises à Rome (février 1798), puis retenu en détention, meurt en France en août 1799. Le Directoire revient finalement à une religion civique, un « culte décadaire », censé extirper le catholicisme - cela ancrera ensuite la Révolutuion dans les traditions antirelidownloadModeText.vue.download 819 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 808 gieuses. Mais les populations ne respectent pas les décadis, auxquels ils préfèrent les dimanches, et protègent les prêtres catholiques redevenus clandestins. La Révolution a donc échoué à transformer le tissu social ; elle cherche sa dernière raison d’être dans l’expansion nationale et le pouvoir de l’armée - élément de l’héritage jacobin - lui aussi détourné de son sens originel. LA RÉVOLUTION ET LA « GRANDE NATION » La guerre s’est prolongée contre l’Angleterre et l’Autriche. Alors que des armées françaises piétinent sur le Rhin et que les Anglais gardent le contrôle des mers et des colonies (excepté Saint-Domingue), les prouesses du général Bonaparte, commandant de l’armée d’Italie, font basculer les équilibres. Devant les menaces d’invasion qui pèsent sur le Tyrol, l’empereur d’Autriche est obligé d’accepter les préliminaires de paix proposés par Bonaparte (préliminaires de Léoben, 18 avril 1797). Le jeune général remporte des succès militaires inespérés, qui font de lui le sauveur du régime. Le 17 octobre, il impose à l’Autriche un traité de paix, signé à Campoformio, sans en référer au Directoire. L’Italie du Nord est partagée : l’Autriche garde la Vénétie - pourtant conquise par Bonaparte -, à l’exception des côtes ioniennes ; la Lombardie est
annexée, tandis que la Cisalpine et la Ligurie deviennent des « Républiques soeurs », et les États du pape, une « République romaine ». Après l’échec d’une attaque visant à restaurer le pouvoir pontifical, le royaume de Naples est conquis à son tour, et transformé en « République parthénopéenne » (janvier 1799). L’ensemble de l’Italie est ainsi soumis directement ou indirectement à la France. Au nord, les Pays-Bas, mués en « République batave » depuis février 1795, sont également placés sous sujétion française ; tandis que la France a annexé la Belgique en octobre 1795 et qu’elle contrôle la rive gauche du Rhin. Sous des prétextes politiques, la Suisse est elle aussi envahie, et une « République helvétique » est proclamée (avril 1798), malgré une résistance paysanne parfois virulente. Ces succès, qui reposent pour une part sur l’engouement que la Révolution française a suscité chez certains réformateurs étrangers, se révèlent en fait fragiles. Les populations européennes se révoltent rapidement contre les Français ; en Suisse, une véritable insurrection se développe dans les montagnes ; en Belgique, les campagnes catholiques sont le théâtre de la « guerre des paysans » ; en Italie du Sud, enfin, des bandes se soulèvent au nom de la religion. Des forces anglaises réussissent à débarquer en Hollande (mai 1799), tandis que les troupes françaises capitulent dans Naples, assiégée par les ruraux armés et par l’amiral Nelson, qui tient la mer. Enfin, un vaste mouvement contre-révolutionnaire essaie de coordonner des soulèvements en France avec une offensive sur les frontières. Des villes sont prises momentanément en Bretagne durant l’automne 1799, après qu’un assaut sur Toulouse a échoué et entraîné la mort de quelques milliers de personnes. La crise militaire met ainsi à nouveau en jeu l’existence du régime. L’expédition d’Égypte, dans laquelle Bonaparte s’est lancé dès le printemps 1798, tourne court, après des débuts prometteurs. Les Anglais détruisent la flotte française à Aboukir le 1er août, et si Bonaparte peut entrer dans Gaza (février 1799), il échoue devant Saint-Jean-d’Acre (mars) et doit repousser une armée turque (juillet) avant de s’embarquer pour la France (août). Face à ces déboires militaires, aux difficultés économiques et à l’aggravation du déficit public, qui oblige à créer de nouveaux impôts, le discrédit du régime est à son comble. Sieyès, qui en a dénoncé les faiblesses depuis 1795, devient directeur en mai 1799, en remplacement de Reubell, et prépare un
coup d’État pour établir un exécutif fort. En juin 1799, il impose, avec Barras, un remaniement du collège directorial, faisant élire des directeurs jacobins, grâce à l’appui de l’armée. Les conjurés trouvent en Bonaparte, de retour d’Égypte le 9 octobre, le chef prestigieux qui leur manquait. Avec la complicité des directeurs et du propre frère du général, Lucien Bonaparte, alors président du Conseil des Cinq-Cents, le coup d’État est réalisé les 9 et 10 novembre 1799 (18 et 19 brumaire). Le 10 novembre, le Directoire est aboli par les membres des Conseils, qui acceptent de siéger, et est remplacé par le Consulat. Les pleins pouvoirs sont donnés à trois consuls provisoires - Bonaparte, Sieyès et Ducos -, un triumvirat dirigé de fait par Bonaparte. La Révolution est stabilisée dans un régime autoritaire, qui garantit les mutations sociales antérieures et s’appuie sur l’armée nationale. révolution industrielle, phénomène né en Angleterre au XVIIIe siècle, qui aurait touché la France à partir de 1760-1780, se prolongeant jusque dans les années 1880 et marquant le passage rapide d’une économie d’ancien type, dans laquelle l’agriculture est prépondérante, à une économie dont l’industrie est le moteur essentiel. L’expression « révolution industrielle » fait référence au démarrage d’une croissance d’un type nouveau, auquel correspondent des innovations techniques, et renvoie à l’épanouissement du capitalisme triomphant. Les historiens ont même distingué plusieurs révolutions industrielles successives : la première serait fondée sur l’énergie de la vapeur, la seconde sur celle de l’électricité, la troisième sur le nucléaire. Pourtant, le concept de révolution industrielle pour le XIXe siècle n’appartient plus aujourd’hui qu’à une tradition historiographique infirmée par les résultats des recherches sur les modalités de l’industrialisation des régions françaises. • Des évolutions majeures dans le domaine des techniques. Les conditions de la production industrielle ont été modifiées par des innovations technologiques dans des secteurs industriels porteurs. L’Angleterre demeure la matrice de ces progrès : dans le textile, invention par John Kay de la navette volante en 1733, qui permet de tisser des pièces d’étoffe de grande largeur ; mise au point, entre 1765 et 1779, de la mule jenny, nouvelle technique de filage répondant à l’augmentation de la demande ; fabrication, en 1785, par Cartwright, du premier tissage
mécanique. Mais ces techniques ne pénètrent que lentement dans quelques centres textiles français, comme les usines Pouyer-Quertier, en Normandie, sous la monarchie de Juillet. La métallurgie progresse elle aussi grâce au puddlage, dont le brevet est déposé en Angleterre, en 1784 : permettant, par brassage, d’éliminer les impuretés de la fonte au coke, ce procédé est expérimenté au Creusot dès 1785. De continuelles améliorations, tel le convertisseur Bessemer (1855), marquent ensuite l’histoire de la sidérurgie. La machine à vapeur, perfectionnée par James Watt entre 1769 et 1781, fournit, quant à elle, l’énergie nécessaire à l’exploitation des mines de charbon et de fer, à la mécanisation de certaines usines textiles ou forges, puis au fonctionnement des chemins de fer à partir de 1831. Adaptées progressivement et ponctuellement en France, ces techniques impliquent une mutation qualitative fondamentale entre 1760 et 1870, avec la rationalisation des processus de production et l’apprentissage de la discipline du travail collectif ; mais elles n’induisent nullement une « révolution » : elles comptent seulement parmi les préalables d’une évolution industrielle tandis que les progrès techniques du XIXe siècle font souvent appel au savoir-faire artisanal. • Les autres préalables d’une hypothétique révolution industrielle. Les travaux menés sur le cas anglais ont conduit les historiens à définir les préalables de la révolution industrielle : à la révolution technologique s’ajouteraient l’accumulation antérieure de capital, la révolution démographique, la révolution agricole. En réalité, les débuts de l’industrialisation ont nécessité peu de capitaux tandis que l’industrialisation de la seconde moitié du XIXe siècle en demande bien davantage ; les relations entre démographie et industrialisation sont indirectes, le surpeuplement des campagnes ayant induit une pluriactivité sans fournir aux entrepreneurs tous les ouvriers qualifiés dont ils avaient besoin ; les grands progrès agricoles n’ont pas précédé mais suivi ceux de la première industrialisation. En définitive, il n’est pas pertinent de lire l’histoire de l’industrialisation de la France à l’aune du modèle anglais car il existe une voie d’industrialisation à la française. • « Un développement sans révolution » (Denis Woronoff). Les indicateurs macroéconomiques indiquent que l’évolution quantitative a été progressive, en accélération constante, du début du XVIIIe siècle à nos jours : les changements se sont produits sans take off (décollage), ce qui rend peu opératoire
le concept de « révolution industrielle ». Le taux de croissance de 1815 à 1914 est modéré, entre 1,8 % et 2,6 % par an, avec toutefois une décélération après 1860. Néanmoins, l’approche quantitative globale convient mal à la perception des transformations (Patrick Verley). Certains secteurs comme le coton connaissent une incontestable modernisation et une croissance soutenue jusqu’à la fin des années 1850, à l’abri cependant d’une législation protectionniste qui souligne le rôle de l’État dans le développement industriel. Quelques régions comme le nord de la downloadModeText.vue.download 820 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 809 France offrent des paysages caractéristiques de la « révolution industrielle » à l’anglaise, même si, en 1850, « le charbon n’a pas encore gagné la partie » (Claude Fohlen) : il est vrai que l’amélioration des turbines hydrauliques permet à de nombreuses unités de production d’échapper au coûteux achat d’une machine à vapeur et de profiter de l’énergie des cours d’eau, animant ainsi de nombreuses vallées industrielles. Du reste, l’accroissement de la productivité, de 1,2 % à 1,6 % par an entre 1835 et 1874, s’explique autant par une augmentation des effectifs ouvriers que par des investissements de capitaux dans de nouvelles formes de production. • De grandes entreprises minoritaires. Rares sont en définitive les entreprises correspondant, dans la France du XIXe siècle, à la définition que Pierre Léon donne de la grande industrie (« entreprises concentrant plusieurs catégories de travailleurs spécialisés, utilisant des machines et des techniques nouvelles et des capitaux importants »). Elles sont minoritaires face aux petites unités, notamment aux ateliers de la proto-industrie qui sont insérés dans une économie de marché mais font appel à une main-d’oeuvre rurale et pluriactive. Ces petites entreprises ont souvent constitué un premier pas vers l’industrialisation, et leur modeste vitalité suffit à rappeler que la notion de « révolution industrielle » est à utiliser avec précaution. Révolution nationale ! Pétain (Philippe), Vichy (régime de) Révolutions de Paris, journal révolutionnaire parisien (1789-1794).
Paraissant pour la première fois le 19 juillet 1789, peu après la prise de la Bastille dont elles font un récit héroïque et détaillé, les Révolutions de Paris, alors feuille occasionnelle, obtiennent un succès tel que ses auteurs, le libraire-imprimeur Louis Marie Prudhomme et Antoine Tournon, décident d’en faire un périodique. Inventeur du reportage, cet hebdomadaire d’une cinquantaine de pages, qui propose une chronique journalière de la semaine écoulée, devient d’emblée l’un des plus importants journaux de la Révolution, véritable monument et source précieuse pour l’historien. Son discours ardent, mobilisateur et ultrarévolutionnaire - comme l’illustre l’épigraphe « Les grands ne nous paraissent grands que parce que nous sommes à genoux... Levons-nous... » - impose une image conquérante de la Révolution mais sait surtout mettre en perspective les événements dans de fines analyses politiques. C’est particulièrement le cas lorsque Élysée Loustallot, qui considère le journalisme comme un apostolat, remplace Tournon à la rédaction en octobre 1789, ce dernier lançant alors, sous le même titre, son propre et éphémère journal. Mais Loustallot meurt prématurément en septembre 1790. Avec Chaumette, Maréchal ou Fabre d’Églantine à la rédaction, le journal demeure à l’extrême gauche, même si Prudhomme modère quelque peu son radicalisme, ce qui lui vaut une brève arrestation au lendemain de la journée du 2 juin 1793 qui voit la chute des girondins. Cependant, Prudhomme, suspecté sous la Terreur, choisit de cesser la publication, prétextant des ennuis de santé dans le dernier numéro, daté du 10 ventôse an II (28 février 1794). Revue des Deux Mondes, publication fondée en août 1829. Elle se veut d’abord le « journal des voyages » et un « recueil de la politique, de l’administration et des moeurs ». Reprise deux ans après sa création par François Buloz, elle devient bimensuelle. Par la contribution d’académiciens, d’universitaires et d’hommes de lettres, le directeur-gérant en fait le point de ralliement de la monarchie constitutionnelle et de la bourgeoisie libérale. La Revue des Deux Mondes publie dès lors tous les auteurs romantiques restés les plus célèbres (de Chateaubriand à Hugo) ; Sainte-Beuve et Gustave Planche y critiquent les pièces de Scribe ou de Dumas, les romans de Stendhal, Mérimée, Heine et Tourgueniev, tous publiés dans la revue. En 1855, plus de 10 000 abonnés y découvriront les poèmes d’un inconnu, Charles Baudelaire.
Après la révolution de février 1848, Buloz définit sa revue comme « un grand centre littéraire » : le gouvernement romantique de Lamartine sert ses intérêts, et il s’enorgueillit d’ouvrir la Revue des Deux Mondes à des préoccupations sociopolitiques. Sous l’Empire, il manifeste une opposition de moins en moins feutrée et conquiert un large public en confiant chaque rubrique à des spécialistes : les beaux-arts à Delacroix puis à Henri Regnault, les sciences à Littré, Taine et Claude Bernard ; la politique et l’économie à Victor Cousin, Guizot, Quinet ; l’histoire à Renan et Michelet. Prenant la succession de son père en 1877, Charles Buloz conserve la même ligne éditoriale. Mais l’arrivée de Ferdinand Brunetière, en 1893, oriente la Revue des Deux Mondes vers un catholicisme violemment antidreyfusard, qui se transforme, au XXe siècle, en un conservatisme et en un traditionalisme de droite. Brunetière publie essentiellement « les oeuvres ayant une haute portée morale et sociologique, même religieuse », tels les romans psychologiques de Paul Bourget, les articles de Bédier et de Sorel, et ce jusqu’à sa mort en 1906. Après une ouverture vers le centre qui lui coûte un nombre non négligeable d’abonnés, la Revue des Deux Mondes est reprise en 1915 par René Doumic, qui en fait la porte-parole des intellectuels, des hommes politiques et des militaires de droite, et le flambeau du nationalisme. La revue atteint en 1939 sa plus large diffusion (93 pays). Après une interruption de quatre ans à la Libération, les directeurs successifs ont poursuivi, jusqu’à nos jours la politique éditoriale de cette revue séculaire et conservatrice. Reynaud (Paul), homme politique (Barcelonnette, Alpes-de-Haute-Provence, 1878 - Paris 1966). Avocat, député (de 1919 à 1924 et de 1928 à 1940), plusieurs fois ministre à partir de 1930 dans les gouvernements d’André Tardieu et de Pierre Laval, il entre en 1938 dans le cabinet d’Édouard Daladier, chargé d’abord des Sceaux, puis des Finances. Il succède au chef radical le 21 mars 1940 comme président du Conseil, dans une situation de crise du pouvoir. Sa réputation est alors celle d’un homme de droite capable de prises de position fermes et originales quant à la nécessité de dévaluer ou d’appliquer les conceptions militaires du général de Gaulle, et qui, par ailleurs, a dû davantage affronter les foudres de sa propre famille politique que celles de la gauche. Anti-
munichois, il resserre les liens avec la GrandeBretagne, organisant avec cette dernière une expédition militaire en Norvège (Narvik, avril 1940) et se montre partisan de la poursuite de la guerre après la débâcle de mai-juin. Mais, Reynaud est isolé dans un cabinet hétérogène, où il a appelé de Gaulle et ... Pétain. Il démissionne le 16 juin et cède la place au Maréchal, qui le fait emprisonner, puis comparaître au procès de Riom. Il est déporté de 1942 à 1945. Revenu à la politique, il s’engage en faveur de l’Europe, un des sujets qui, avec la politique à l’égard de l’OTAN, l’éloigne du général de Gaulle, auquel il a apporté son soutien en 1958. Rhin (Confédération du), réunion d’États allemands autour de la Bavière, du Wurtemberg et du grand-duché de Bade, sous la protection de l’« Empereur des Français », entre 1806 et 1813. Dans sa lutte contre une Autriche affaiblie, Napoléon cherche à se constituer une clientèle auprès des princes de l’Allemagne du Sud et des confins rhénans. Outre une active politique matrimoniale - Jérôme Bonaparte épouse Catherine de Wurtemberg, et Eugène de Beauharnais la fille du roi de Bavière -, il obtient la création, le 16 juillet 1806, d’une Confédération du Rhin (Rheinbund), qui compte à l’origine seize États. Cet acte entraîne la disparition du Saint Empire romain germanique (6 août 1806) et, dès 1808, le Rheinbund comprend 38 États, soit presque toute l’Allemagne, à l’exception de la Prusse. Ce système est pour Napoléon une simple alliance diplomatique, qui peut mettre à sa disposition une armée de 63 000 hommes ; il constitue une marche militaire, une « zone tampon » entre la France et l’Autriche, la Prusse et la Russie. Certes, l’Empereur souhaite que les membres de la Confédération se dotent d’institutions inspirées de celles de la France, mais il n’intervient pas dans les affaires intérieures des États. Enfin, aucune institution fédérale n’est créée. Le Rheinbund n’est pas davantage une union douanière et les produits allemands ne bénéficient d’aucune préférence en France. Cette construction se désagrège d’ailleurs rapidement, au lendemain de la défaite française à la bataille de Leipzig (octobre 1813). Loin d’être une préfiguration de l’unité allemande, la Confédération du Rhin est néanmoins à l’origine d’une politique de modernisation des institutions (centralisation, sécularisation des biens de l’Église, etc.). Après 1814, la plupart des États allemands se
doteront d’une Constitution et la Rhénanie deviendra le foyer du libéralisme et du nationalisme allemands. downloadModeText.vue.download 821 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 810 Ribemont-sur-Ancre, important sanctuaire celtique belge du IIIe siècle avant J.-C., auquel succéda un vaste ensemble gallo-romain. Situé sur une pente dominant la rivière Ancre, le sanctuaire de Ribemont (Somme) se compose principalement, comme celui de Gournay-sur-Aronde et bien d’autres, d’un fossé quadrangulaire d’environ 50 mètres de côté, lui-même entouré d’un enclos elliptique plus vaste. Ce fossé atteint 5 mètres de largeur et 4 mètres de profondeur ; il était sans doute doublé d’une palissade et d’une levée de terre. Les éléments qu’on y a mis au jour témoignent de complexes rituels liés à la guerre. À l’extérieur ont été retrouvés les restes d’une soixantaine d’hommes en armes décapités, qui avaient sans doute été dressés en guise de trophées, avant de se décomposer ; ils portaient de nombreuses traces de blessures. À l’intérieur, dans chacun des deux angles déjà étudiés par les archéologues, étaient dressées des sortes d’« autels » quadrangulaires, de près de 2 mètres de côté, faits de membres humains empilés. Enfin, divers restes humains étaient dispersés le long du fossé, certains étant volontairement fragmentés. Au total, plus d’un millier de corps ont déjà été recensés, alors que les fouilles demeurent très partielles. La position du sanctuaire, à la périphérie du territoire des Ambiens et à la limite des territoires de deux autres peuples belges, suggère qu’il devait jouer un rôle fédérateur, sans doute à l’occasion de combats menés en commun. Il n’est cependant pas aisé de distinguer, dans le traitement des corps, entre ceux des ennemis tués et exposés, et ceux de guerriers morts au combat et honorés. L’importance du sanctuaire est confirmée par son développement considérable à l’époque gallo-romaine. Le site est alors aménagé en plusieurs terrasses successives, échelonnées vers l’Ancre sur près d’un kilomètre. Le sanctuaire primitif est remplacé par un vaste temple de plus de 30 mètres de côté, construit dès les débuts de notre ère. Un théâtre et des thermes, de taille plus modeste, sont ajoutés, ainsi que de nombreuses
constructions en pierre, édifiées de part et d’autre de l’alignement principal. Ribot (Alexandre), homme politique (Saint Omer, Pas-de-Calais, 1842 - Paris 1923). Avocat, puis magistrat, il entre en politique en 1877. Député du Pas-de-Calais (18781885 ; 1887-1909), il siège au centre gauche et devient l’un des chefs de file du parti républicain modéré. Avec Georges Clemenceau, il s’oppose à la politique coloniale de Jules Ferry. Ministre des Affaires étrangères (mars 1890-janvier 1893) et président du Conseil (décembre 1892-janvier 1893), il est le principal artisan de l’alliance franco-russe. Lorsqu’éclate le scandale de Panamá, il fait arrêter Ferdinand de Lesseps, lever l’immunité parlementaire de cinq députés, et réussit à préserver le régime sans étouffer l’affaire, avant de devoir démissionner. Rappelé à la tête du gouvernement (janvier-octobre 1895), il décide d’envoyer une expédition de reconquête à Madagascar. Sénateur à partir de 1909, il est choisi par Poincaré pour former un gouvernement (juin 1914) afin de défendre la loi des trois ans (service militaire), mais ce modéré est immédiatement renversé par la majorité de gauche. Avec l’« union sacrée », il retrouve le pouvoir dès le début de la guerre comme ministre des Finances, portefeuille qu’il détient jusqu’en mars 1917. Il crée alors les « bons de la Défense nationale », emprunt à court terme souscrit par les banques et les particuliers pour financer l’effort de guerre. Il est à nouveau président du Conseil (mars-septembre 1917), tandis que, après les sanglantes et vaines offensives lancées par le général en chef Nivelle, des mutineries se multiplient sur le front. Il obtient le remplacement de ce dernier par Philippe Pétain. Son gouvernement tombe lorsque le ministre de l’Intérieur, Jean-Louis Malvy, est accusé de haute trahison et traduit devant la Haute Cour de justice, mais Ribot conserve le ministère des Affaires étrangères jusqu’au 23 octobre 1917. Il achève sa carrière au Sénat, où il siège jusqu’à sa mort. Richard le Justicier, comte carolingien, puis duc de Bourgogne à partir de 918 (mort en 921). Fils du comte Biwin, il est le frère de Boson et de Richilde, seconde épouse de Charles le Chauve. D’après les sources conservées, il apparaît pour la première fois en tant que comte en 876, et on le voit agir comme représentant (missus) du roi Charles en Italie, dans
l’entourage de son frère Boson (877). Il participe à l’élection de ce dernier comme « roi de Provence » (879), mais semble se rallier très vite au roi carolingien Carloman qui, en 880, lui confie le comté d’Autun et l’abbaye SaintSymphorien. Vers 887, il hérite de charges tenues par l’oncle de sa femme, Hugues l’Abbé, en particulier le comté d’Auxerre et l’abbaye Sainte-Colombe de Sens. Ce cumul de comtés lui vaut bientôt le titre de marquis (marchio), attesté en 888, et c’est à partir de ce noyau qu’il construit peu à peu sa puissance sur une partie de la Bourgogne, évitant, de manière assez habile, de s’immiscer dans les grands conflits qui déchirent l’aristocratie du royaume dans les années 890-920. Richard soumet les comtes de Nevers et de Troyes, et parvient à mettre la main sur l’ensemble des évêchés de son territoire (Autun, Auxerre, Langres - dont il a fait aveugler l’évêque), et même sur l’archevêché de Sens. Ses nombreuses victoires contre les Normands, sa richesse et sa réputation de « justicier » contribuent à son autorité et légitiment le titre ducal qu’il porte à partir de 918. On peut le considérer comme le fondateur du duché de Bourgogne. Il est enterré à Sainte-Colombe de Sens. Richard-Lenoir (François Richard, dit), industriel (Épinay-sur-Odon, Calvados, 1756 - Paris 1839). Ce fils de fermier normand s’installe à Paris en 1786, après avoir été garçon de magasin à Rouen. Sous le Directoire, il s’enrichit en spéculant notamment sur l’assignat, sur les biens nationaux et sur les textiles anglais. Associé en 1797 au négociant Lenoir-Dufresne, il réinvestit ses capitaux dans l’industrie textile. Pour délivrer les manufactures de coton de leur dépendance à l’égard de l’Angleterre, les deux hommes introduisent en France la mull jenny, une machine destinée à filer mécaniquement le coton. Ils fondent des ateliers de filature et de tissage à Paris, en Normandie et en Picardie. Après la mort de son associé (1806), Richard prend le nom de RichardLenoir. En 1810, il est nommé membre du Conseil des manufactures par Napoléon, qui s’était intéressé à lui dès ses premiers essais industriels. En 1813, il possède trenteneuf établissements, où il emploie jusqu’à 15 000 ouvriers, et sa fortune est immense ; pour s’affranchir des contraintes imposées par le Blocus continental, il lance des cultures de coton dans le royaume de Naples. Fidèle de Napoléon, il participe à la défense de Paris contre les Bourbons, en 1814 ; pendant les
Cent-Jours, il entre au conseil général de la Seine. Après la chute de l’Empereur, il est rayé de la liste de proscription grâce à l’intervention du tsar de Russie. Ruiné par l’abolition des droits sur le coton et par la crise de 1817, il doit vendre ce qu’il possède et, jusqu’à sa mort, vit assez misérablement à Paris. Richelieu (Armand Emmanuel du Plessis, duc de), homme politique (Paris 1767 - id. 1822). Le nom du duc de Richelieu reste attaché à la politique de conciliation qui permit, après la défaite de Waterloo, le retrait de France des armées de la grande coalition. Petit-fils du maréchal de Richelieu (lui-même petitneveu du cardinal de Richelieu), le duc émigre dès octobre 1789 pour se mettre au service de l’armée russe contre les Turcs. Le tsar Alexandre Ier lui confie le gouvernement d’Odessa (1803), dont il assure le développement et la prospérité. Rentré en France à l’aube de la Restauration, Richelieu est nommé pair de France par Louis XVIII (1814), puis, après le renvoi de Fouché et de Talleyrand, ministre des Affaires étrangères et président du Conseil (septembre 1815). Fort de l’amitié du tsar Alexandre et de l’appui de l’Angleterre ainsi que de sa loyauté envers le roi, il obtient quelques atténuations des exigences des alliés dans le second traité de Paris (20 novembre 1815). Il préside ensuite à la dissolution de la « Chambre introuvable » dominée par les ultraroyalistes (septembre 1816) et à la mise en place, avec l’appui de Decazes, d’une politique constitutionnelle modérée. Il se retire en décembre 1818 après le départ des troupes d’occupation (traité d’Aix-la-Chapelle, octobre 1818). Il est rappelé au pouvoir au lendemain de l’assassinat du duc de Berry (février 1820), mais son second ministère est marqué par la réaction politique que mènent les ultras à la Chambre (loi du double vote et loi sur la presse, 1820). Il se retire en décembre 1821, pour céder la place à Villèle. Richelieu (Armand Jean du Plessis, duc de), ecclésiastique et homme politique (Paris 1585 - id. 1642). Le cardinal de Richelieu occupe une place à part dans la mémoire collective. Il continue de susciter une indéniable admiration, en particulier pour les qualités qui ont fait downloadModeText.vue.download 822 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
811 de lui comme un modèle de l’homme d’État (« Puissance des idées, connaissance des faits, capacité de travail considérable, aptitude à la décision et, lorsque celle-ci est prise, capacité à en choisir l’instant d’exécution », Madeleine Foisil). Il incarne le parfait serviteur de la monarchie, qu’il a contribué à renforcer en luttant contre toutes les oppositions au pouvoir royal. C’est cette lutte qui fit aussi de lui un homme dur et implacable, dont les portraits par Philippe de Champaigne ont donné une image distinguée et sévère : cette sévérité fut pratiquée au nom de l’autorité de l’État et de la raison d’État, qui ne reconnaît pas les raisons ordinaires des hommes. Néanmoins, derrière ces apparences, les chroniqueurs et les historiens ont dessiné les traits d’un être complexe. Lui-même, homme d’écriture, proche des écrivains de son temps, a laissé bien des traces d’une réflexion ample et ambitieuse, auxquelles il faut ajouter la masse de ses papiers, depuis longtemps objet de l’attention des érudits. • De la religion à la politique. Armand Jean du Plessis est le fils d’un fidèle d’Henri III qui, issu de la noblesse poitevine, était devenu grand prévôt de France - il assurait le service d’ordre de la Maison du roi - et mourut, jeune encore, en 1590. Par sa mère, Armand Jean descend d’un avocat, donc de la riche bourgeoisie. L’évêché de Luçon étant traditionnellement dans la famille, et son frère y ayant renoncé pour être moine, Armand Jean devint docteur en Sorbonne et fut sacré évêque (1607). Il s’occupa avec soin de son diocèse et poursuivit une réflexion théologique très sérieuse. Les états généraux de 1614 donnèrent une orientation nouvelle à sa vie ; ce fut lui qui prononça, au nom du clergé, la harangue de clôture en 1615. Marie de Médicis, qui dirigeait le gouvernement du royaume, le remarqua ; Concini, le favori de la reine mère, confia au jeune évêque la direction des Affaires étrangères (1616). Les débuts de « monsieur de Luçon » furent délicats, car il hésitait entre la politique pro-espagnole et catholique menée par la reine mère et les choix internationaux favorables aux princes protestants qui étaient ceux de la France depuis le XVIe siècle. Surtout, l’assassinat de Concini, ordonné par le jeune roi Louis XIII, le 24 avril 1617, lui fit perdre ses fonctions ; il vit de près la colère populaire, mais demeura le grand aumônier et le plus proche conseiller de la reine mère, qui fut exilée à Blois. Après quelques années,
Marie de Médicis se réconcilia avec son fils et obtint comme gage de cette réconciliation le chapeau de cardinal pour Richelieu (5 septembre 1622). La guerre (qui fut dite « de Trente Ans ») avait commencé en 1618 et menaçait de s’étendre à l’Europe tout entière : face à cette crise majeure, Louis XIII manquait de collaborateurs capables de comprendre les événements. Marie de Médicis obtint, malgré les réticences du roi, que Richelieu fut appelé au Conseil (29 avril 1624), et peu à peu le Cardinal prit la direction du gouvernement. Il fallut néanmoins attendre 1629 pour qu’il fût déclaré « principal ministre de l’État ». • Le principal ministre de Louis XIII. De 1624 à 1642, la collaboration fut étroite entre Louis XIII, roi méfiant et soucieux de conserver toute son autorité, et Richelieu, dont la puissante intelligence dut en permanence trouver des arguments pour convaincre le monarque de la justesse de ses idées et de ses choix. Le Cardinal sut proposer au souverain une politique cohérente : à l’intérieur, l’affirmation de l’État royal signifia l’obéissance des sujets, la soumission de la noblesse rebelle, la fin de l’indépendance protestante ; à l’extérieur, il s’agissait de résister à la puissance des Habsbourg en Europe, de trouver des alliés pour le roi de France, de préparer des interventions en Italie et en Allemagne. Malgré une santé qui fut toujours fragile et un tempérament souvent dépressif, Richelieu révéla, au cours des années, être d’une volonté de fer, n’hésitant pas à punir et à châtier, et il mit au service de Louis XIII une exceptionnelle capacité de travail, favorisée par un choix judicieux de secrétaires et de collaborateurs talentueux. Pour renforcer l’État royal et pour asseoir sa propre position, le Cardinal fit en sorte que deux grands offices de la couronne n’eussent plus de titulaires : après la mort de Lesdiguières (1626), il n’y eut plus de connétable de France, et Richelieu remplaça l’amiral de France en devenant lui-même grand maître de la Navigation et du Commerce. Il encouragea la création de compagnies de commerce (Compagnie des Cent-Associés au Canada, Compagnie de Saint-Christophe aux Antilles), qui devaient contribuer à l’établissement de colonies ; il voulut assurer la défense des côtes en devenant gouverneur de Brouage, puis de La Rochelle, du Havre, de Brest, de Honfleur, contrôlant une bonne part de la façade de l’Atlantique et de la Manche ; il eut le souci de
donner au royaume une marine et des ports. • La lutte contre les « ennemis intérieurs ». La noblesse avait l’habitude de fomenter des conspirations et de préparer des prises d’armes, au nom du « devoir de révolte » (Arlette Jouanna). Contre Richelieu, qui parlait et agissait avec fermeté au nom du roi, les intrigues ne manquèrent pas, et elles trouvaient un allié de poids en la personne de Gaston d’Orléans, frère du roi et héritier du royaume jusqu’en 1638. En mai 1626, Louis XIII fit arrêter le maréchal d’Ornano puis ses demi-frères, les Vendôme ; en août, le marquis de Chalais fut condamné à mort et exécuté. Comme les duels étaient une autre tradition de la noblesse, et que ces affrontements sanglants au nom du point d’honneur semblaient défier la monarchie, l’édit de février 1626 visa à punir ceux qui s’y livraient, et Louis XIII se montra inexorable en juin 1627 à l’égard de Montmorency-Bouteville, qui avait plus de vingt duels à son actif. Le Cardinal voulut aussi mettre fin à l’indépendance politique des protestants. Les Anglais ayant débarqué sur l’île de Ré et les Rochelais semblant prêts à les aider, Louis XIII choisit de mettre le siège devant la ville, capitale du protestantisme français, et laissa bientôt Richelieu conduire les opérations comme lieutenant général des armées. La construction de la digue, proposée le 27 novembre 1627, permit d’affamer la ville, qui capitula le 28 octobre 1628. Cet éclatant succès, suivi d’une grande modération après la victoire, fut en grande partie attribué au Cardinal. Comme les villes protestantes du Languedoc se soulevaient sous la conduite du duc de Rohan, en 1629, Richelieu se chargea de les soumettre : l’édit d’Alès du 28 juin 1629 décida la destruction des fortifications, mais sauvegarda la liberté du culte protestant. • Guerres, complots et révoltes. Richelieu proposa surtout à Louis XIII une politique étrangère active en engageant le royaume dans une « guerre couverte » contre les Habsbourg. Cela conduisit à une intervention des troupes françaises en Italie du Nord en 1628 et en 1629. De tels choix affaiblirent la position du Cardinal en 1630 : en effet, sur les conseils de Richelieu, Louis XIII refusa de ratifier le traité qui avait été signé à Ratisbonne le 13 octobre, prévoyant le retrait de tous les belligérants d’Italie du Nord. Alors qu’une trêve avec les Espagnols était obtenue par Mazarin devant Casale, le 26 octobre, il apparaissait de plus en plus que la politique de Richelieu visait
à prolonger la guerre contre les puissances catholiques et à maintenir l’aide aux puissances protestantes : il fallait donc poursuivre la politique autoritaire pratiquée à l’intérieur du royaume. La reine mère se fit alors l’interprète de toutes les oppositions et, le 11 novembre 1630, elle exigea le renvoi du principal ministre. Le Cardinal se croyait perdu, mais Louis XIII, qui lui avait fait dire de le rejoindre à Versailles, lui demanda de continuer à tenir « le timon des affaires ». Ce fut la « journée des dupes », selon l’expression d’un contemporain : les principaux adversaires de Richelieu furent écartés et emprisonnés et Marie de Médicis finit par quitter le royaume. En 1632 encore, le duc Henri II de Montmorency se dressa contre l’autorité du roi et de Richelieu, estimant que son lignage, le premier de France, avait été persécuté et humilié par le cardinal-ministre ; mais il fut vaincu, fait prisonnier, jugé, et exécuté le 30 octobre 1632. Après le « grand orage » de 1630, le Cardinal eut les mains plus libres pour conduire sa politique, qui s’orientait vers une intervention diplomatique et militaire en Europe : la France soutint financièrement l’offensive de Gustave-Adolphe de Suède, intervint contre le duc de Lorraine, conclut des alliances avec le duc de Bavière et les Hollandais. Finalement, le roi de France déclara la guerre aux autorités espagnoles le 19 mai 1635. Désormais, la conduite du conflit - financement des armées, choix stratégiques, négociations diplomatiques - occupa le Cardinal, qui s’entoura de collaborateurs talentueux, dont le Père Joseph puis Mazarin pour les Affaires étrangères. Le début de la guerre fut marqué par des campagnes qui échouèrent et par une profonde incursion des armées espagnoles dans le royaume : la prise de Corbie (1636), ville située à 120 kilomètres de Paris, effraya la population de la capitale. La pression fiscale qu’exigeait la poursuite des hostilités suscita en outre des révoltes populaires : en 1636-1637, les « croquants » se soulevèrent dans les villes de Guyenne, et il fallut une petite armée pour venir à bout des insurgés ; en 1639, les « nudownloadModeText.vue.download 823 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 812 pieds » se révoltèrent autour d’Avranches, et là encore la répression fut terrible.
En 1641, le gouvernement dut affronter le comte de Soissons, un prince du sang qui entra dans le royaume avec une petite armée, fut victorieux, mais trouva la mort par accident sur le champ de bataille. En 1642, Richelieu fut encore la cible de la conjuration menée par CinqMars. Ce favori du roi envisageait de faire un coup d’État contre le principal ministre, avec le soutien de l’Espagne. Le jeune homme se laissa entraîner jusqu’à signer un traité, dont Richelieu obtint une copie qui lui permit de convaincre le roi de cette trahison. Cinq-Mars fut arrêté, jugé, exécuté. Les opposants de l’intérieur trouvaient de l’aide chez les ennemis : Richelieu parvint à neutraliser les premiers pour poursuivre la guerre contre les seconds. Le 4 décembre 1642, le Cardinal s’éteignait alors qu’une victoire française semblait possible. • L’héritage. S’il se faisait craindre, Richelieu était aussi soucieux d’être bien informé et il chercha à convaincre. Pour cela, il encouragea la création de la Gazette de Théophraste Renaudot (1631), un périodique d’information au service de l’État. Il s’efforça également de gagner la confiance des hommes de lettres par la création de l’Académie française (1635). Il s’intéressa au théâtre, auquel il accorda un appui financier, et participa lui-même à l’élaboration d’oeuvres dramatiques. Ainsi, sa propre réflexion politique se nourrissait au contact des écrivains, dont certains l’aidèrent à formuler ses idées et à les faire accepter. Richelieu pensait, comme les hommes de son temps, qu’un grand roi devait faire la fortune de ses ministres. La sienne était, à sa mort, de 20 millions de livres. Il avait accumulé les dignités et les charges. Comme grand maître de la Navigation, il rassemblait les revenus de l’ancienne amirauté de France. Il possédait aussi deux duchéspairies (Richelieu et Fronsac) et de grands biens fonciers en Poitou et en Anjou. Il tira également des profits du domaine royal : il avait ainsi une énorme rente sur les cinq grosses fermes. Il reçut en bénéfice de nombreuses abbayes (Saint-Riquier, Cluny, Marmoutier, Cîteaux, Saint-Benoît-sur-Loire...). Pour marquer l’éclat de son nom, il fit construire, à Richelieu (en Touraine), un château, et une ville nouvelle autour du château. À Paris, il fit édifier le Palais-Cardinal (le Palais-Royal actuel), qu’il légua à la couronne. Proviseur de la Sorbonne, il consacra de vastes sommes pour la construction de nouveaux bâtiments, sur les plans de Jacques Lemercier, en particulier la belle chapelle où il fut enseveli. Si sa vie personnelle fut largement consacrée au travail - son état de santé
le conduisait à travailler surtout la nuit -, il ne négligea pas le faste, d’autant plus que Louis XIII y était tout à fait étranger. Par son testament, Richelieu tenta, dans un souci aristocratique, de donner les moyens à son lignage et à son nom de durer ; il avait établi ses proches parents : son frère, archevêque de Lyon et cardinal, son cousin le maréchal de La Meilleraye, son neveu, grand maître de la Navigation à son tour, son beau-frère, le maréchal de Brézé ; une de ses nièces épousa le Grand Condé, et sa nièce très aimée, Madeleine de Vignerot, fut faite duchesse d’Aiguillon. Richelieu laissait aussi de précieux papiers, des Mémoires et un texte important, le Testament politique. Richemont (connétable de) ! Arthur III Rif (guerre du), rébellion des tribus marocaines de la région montagneuse du Rif contre les protectorats espagnol et français dans les années 1920. Depuis le traité de Fès (1912), le Maroc est divisé en trois ensembles : un protectorat espagnol (au nord) ; un protectorat français (la plus grande partie du pays), mis en place par Lyautey, résident général au Maroc de 1912 à 1925 ; une zone internationale (Tanger). Situé dans la partie espagnole, le Rif, chaîne montagneuse peuplée de tribus berbères rivales, est une région peu accessible mais bientôt convoitée par les compagnies européennes pour ses richesses minérales. Ce sont ces convoitises qui suscitent un soulèvement contre les deux puissances coloniales. Il est mené par Abd el-Krim, de la tribu des Béni Ouriaghel, l’une des plus puissantes du Rif. Le chef nationaliste, né en 1882, concilie une formation traditionnelle de lettré arabe et une bonne connaissance des milieux administratifs coloniaux, acquise comme responsable des « affaires indigènes ». Quittant l’administration en 1919, il se fixe à Ajdir et contribue à soulever les populations locales contre l’occupant espagnol. La répression, menée par le général Silvestre, pousse alors les tribus hésitantes dans la rébellion. L’ensemble du pays rifain passe à la dissidence et Abd el-Krim inflige à l’armée espagnole la sévère défaite d’Anoual (21-26 juillet 1921). Le chef marocain proclame alors l’indépendance de la République du Rif, dont il prend la présidence, et dote ce nouvel État d’institutions modernes. Il mène hors des frontières une propagande habile et reçoit divers sou-
tiens : ceux du mouvement panislamiste, de la IIIe Internationale (Komintern) et du Parti communiste français, qui dénoncent l’impérialisme occidental, mais aussi des Britanniques, intéressés par les richesses minières des montagnes. En 1924, les Espagnols, usés par une guérilla incessante, se replient vers le littoral. En avril 1925, Abd el-Krim lance une offensive contre le Maroc français. Quelques mois plus tard, Paris dépêche sur place le maréchal Pétain. Ce dernier, avec l’accord du dictateur espagnol Primo de Rivera, rassemble des forces franco-espagnoles de plus de 300 000 hommes, appuyées par les blindés et l’aviation, qui pilonnent les villages et les vallées. Le 27 mai 1926, encerclé près de Targuist, Abd el-Krim se soumet et est exilé. Cependant, les escarmouches se poursuivent jusqu’en 1928. La guerre du Rif n’est pas seulement un épisode violent de la conquête française du Maroc. Elle préfigure aussi les conflits anticoloniaux ultérieurs : en effet, par son but (l’indépendance) et ses méthodes (technique de la guérilla, mise en condition des populations, propagande), cette lutte apparaît comme un modèle des guerres de décolonisation, et inspirera, à ce titre, nombre de mouvements nationalistes. Riom (procès de), procès politique intenté par le régime de Vichy à certains dignitaires de la IIIe République. Dès 1940, le maréchal Pétain impose l’idée, à des cercles vichyssois réticents, d’un procès de la défaite qui serait en même temps celui de la République. La liste des prévenus fut limitée à trois hommes politiques - Léon Blum, Édouard Daladier et Guy La Chambre - et à deux militaires - les généraux Gamelin, ancien généralissime, et Jacomet, intendant général des armées en 1940. Dès octobre 1941, avant même que le procès ne s’ouvre, les accusés sont déclarés coupables et condamnés à la détention à perpétuité par le Maréchal. Le choix des prévenus (censé imputer la responsabilité de la défaite au seul Front populaire), l’illégalité grossière de la procédure et la publicité que Vichy entend donner aux débats démontrent le caractère politique de l’entreprise. Une autre ambiguïté plane sur le procès : si les Allemands autorisent cette parodie de justice, c’est dans le but d’établir, non pas les responsabilités françaises dans la défaite, mais celles de la France dans le déclenchement de la guerre. Après une longue
et difficile instruction, le procès finit par s’ouvrir le 19 février 1942, ses débats étant présidés par le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation. À la barre, les accusés s’emploient à retourner l’accusation. Daladier se fait le défenseur implacable de la République, tandis que Blum, aidé par son avocat Félix Gouin, défend le bilan militaire du Front populaire et démontre la propre responsabilité de Pétain, ministre de la Guerre en 1934 et longtemps vice-président du Conseil supérieur de la guerre, dans l’impréparation du pays et le choix de la stratégie défensive. Le 11 avril 1942, cinq jours avant le retour au pouvoir de Laval, sur la double pression des Allemands et des milieux ultracollaborateurs, les débats sont suspendus « pour supplément d’information ». Suivis, malgré la censure, par la presse internationale, abondamment commentés par la presse clandestine, raillés par les Français libres, ils ont contribué à discréditer le régime de Vichy et offert aux partis politiques l’occasion d’un retour en grâce inespéré. Rivarol (Antoine Rivaroli, dit le comte de), essayiste et polémiste virtuose, hostile à la Révolution dès juillet 1789 (Bagnols-sur-Cèze, Languedoc, 1753 - Berlin 1801). D’origine lombarde, aîné d’une famille de seize enfants dont le père, cultivé, exerça divers métiers (aubergiste, maître d’école...), c’est un jeune homme doué qui, après un passage par le petit séminaire, gagne Paris en 1777. Sa brillante conversation, jointe à un physique séduisant, provoquent l’engouement des salons. Il acquiert la célébrité en 1784 avec une traduction de l’Enfer de Dante et, surtout, avec son Discours sur l’universalité de la langue française, couronné par l’Académie de Berlin et récompensé d’une pension par Louis XVI. Plus philosophiques, les Lettres à M. Necker sur la religion et sur la morale (1788) attestent downloadModeText.vue.download 824 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 813 aussi le talent du pamphlétaire. Ses portraits satiriques du Petit Almanach de nos grands hommes (1788), puis du Petit Dictionnaire des grands hommes de la Révolution (1790), ridiculisent nombre de gens de lettres et d’acteurs de la Révolution. Ne voyant dans cette dernière que tromperie démagogique, Rivarol défend l’ordre social dans les colonnes du Journal politique national (1789-1790) puis dans celles des
Actes des Apôtres (1790-1791), et exhorte le roi à l’action. L’émigration le conduit à Bruxelles (juin 1792), Londres (1794), Hambourg (1796), Berlin enfin (1800). Il a ébauché un Nouveau Dictionnaire de la langue française, dont le Prospectus et le Discours préliminaire sont imprimés (1797), et entamé un Traité sur la nature du corps politique, lorsqu’il est emporté par une pleurésie. Rivet (loi), première loi constitutionnelle, provisoire, de la IIIe République, votée le 31 août 1871 sur proposition de Jean Charles Rivet (1800-1872), représentant de la Corrèze à l’Assemblée nationale. Elle définit les attributions de Thiers, chef du pouvoir exécutif de la République française depuis le 17 février 1871, en lui donnant le titre, plus prestigieux, de « président de la République ». En effet, Thiers, qui s’était engagé à respecter une neutralité sur la question du régime lors du pacte de Bordeaux (10 mars 1871), apparaît comme irremplaçable depuis la répression de la Commune et la signature du traité de Francfort avec la Prusse. Il souhaite désormais mettre sur pied une République conservatrice, qui permettrait en outre d’assurer la pérennité de son propre pouvoir. D’après la loi Rivet, le « président de la République » cumule les fonctions de chef de l’État, de chef de gouvernement pour la durée des travaux de l’Assemblée et de député. Le président, dont tous les actes doivent recevoir le contreseing ministériel, nomme et révoque les ministres ; mais il n’est que le délégué de l’Assemblée, devant laquelle il est responsable, tout comme le sont les ministres. Cette loi est un texte de compromis entre Thiers et ses amis républicains conservateurs, d’une part, et la majorité monarchiste, d’autre part, laquelle est déterminée à affirmer la suprématie de l’Assemblée nationale dans l’espoir de permettre, un jour, une restauration monarchique. La loi est également votée par les républicains gambettistes, qui contestent pourtant le pouvoir constituant de l’Assemblée, dont ils réclament la dissolution. En désignant ainsi Thiers (qui a été élu député dans vingtsix départements, en février) à cette fonction, l’Assemblée se conforme au choix des Français et tend en fait à perpétuer la République. La présidence du Conseil des ministres par le chef de l’État - contraire à l’usage parlementaire traditionnel - a été l’un des héritages durables de cette loi. Rivoli (bataille de), victoire décisive remportée par Bonaparte sur les Autrichiens le
14 janvier 1797, lors de la première campagne d’Italie. Depuis juin 1796, les Français assiègent Mantoue. Une armée de secours, envoyée par les Autrichiens, parvient à entrer dans la place en août, mais ne peut faire lever le siège malgré sa supériorité numérique. Après ses succès en Allemagne, l’armée autrichienne peut envoyer en Italie de nouvelles troupes. Commandées par le général Alvinzi, fortes de près de 50 000 hommes, ces dernières s’attaquent à la division Joubert à Rivoli, une localité proche de Vérone, pour se porter ensuite sur Mantoue. Bonaparte découvre la manoeuvre, et presse Masséna de marcher sur Rivoli. Persuadé que seul Joubert lui fait face, Alvinzi divise son armée en six colonnes afin de l’encercler. Deux heures après le début des combats, les Autrichiens parviennent difficilement à faire reculer les troupes de Joubert. C’est alors que Masséna se lance dans la bataille et repousse l’ennemi. Bonaparte met en batterie quinze pièces d’artillerie et transforme cette retraite en déroute. Les colonnes autrichiennes, désorganisées par cette attaque centrale, subissent de lourdes pertes. Pour achever la victoire, la cavalerie poursuit les fuyards, fait de nombreux prisonniers et s’empare de quelques canons. Le lendemain, Murat, habilement placé par Bonaparte, coupe la retraite d’Alvinzi. Mantoue tombe le 2 février 1797, et Bonaparte reprend son offensive vers l’Autriche, qui est rapidement contrainte de signer les préliminaires de Leoben (18 avril). Robert Ier, roi des Francs du 29 juin 922 au 15 juin 923 ( ? - près de Soissons 923). Fils de Robert le Fort (mort en 866), il récupère, dans les années 880, les charges publiques dévolues à son père en Neustrie, puis celles de son frère aîné, Eudes, lorsque ce dernier est élu roi des Francs (888). À partir de 893, il porte le titre de marchio (« marquis ») de Neustrie, territoire où il cumule plusieurs charges comtales (en particulier comtés de Paris, Blois, Tours, Angers et Orléans) et de nombreuses charges d’abbé laïc (notamment à Marmoutier, Saint-Martin-de-Tours, Saint-Denis, Saint-Germain-des-Prés et SaintAmand). Ce titre de marchio lui donne la prééminence sur tous les autres comtes de Neustrie. À la mort d’Eudes (898), Robert reconnaît le Carolingien Charles le Simple comme roi et apparaît régulièrement dans son entourage.
Il joue un rôle militaire d’importance dans la lutte contre les Vikings, actifs dans la basse vallée de la Seine, et c’est lui qui se trouve à la tête de l’armée victorieuse lors de la bataille de Chartres (juillet 911). Aussi, Robert donne-til son consentement à la proposition du roi Charles d’établir officiellement ces Vikings dans l’actuelle Normandie (traité de SaintClair-sur-Epte), à condition qu’ils se convertissent au christianisme. Il accepte en outre d’être le parrain de Rollon, le chef viking, dont descend la famille ducale de Normandie. Cependant, à partir de 920, Robert s’oppose à Charles le Simple, auquel il reproche de favoriser outrageusement Haganon, un conseiller lotharingien. L’aristocratie se soulève alors contre Charles et choisit Robert pour roi, le 29 juin 922, à Reims ; il est sacré quelques jours plus tard par l’archevêque Gauthier de Sens. Le nouveau monarque appuie son pouvoir sur une bonne partie des grands de Neustrie et de Francie, même si Charles le Simple conserve toujours quelques partisans en Francie et surtout en Lotharingie. En janvier 923, Robert rencontre Henri Ier de Germanie sur la Ruhr : les deux rois scellent un pacte d’amitié et Henri reconnaît à Robert la possession de toute la Lotharingie, ce qui est un beau succès diplomatique. Mais, quelques mois plus tard, le 15 juin 923, près de Soissons, Robert tombe dans un combat contre des troupes de Charles le Simple. Son fils Hugues le Grand ayant renoncé à la couronne, son gendre Raoul de Bourgogne est alors élu roi des Francs par les grands. La tradition a souvent interprété la mort de Robert Ier comme un jugement de Dieu, le punissant pour avoir trahi le roi qu’il avait reconnu et pour avoir usurpé son trône. Robert II le Pieux, roi des Francs de 996 à 1031 (Orléans vers 970 - Melun 1031). Son règne est marqué par les prémices de la renaissance du pouvoir royal avec l’arrivée des Capétiens. Fils d’Hugues Capet et d’Adélaïde d’Aquitaine, Robert est associé au trône dès 987, année du sacre de son père. Contournant le principe de l’élection, cette précaution assure à la dynastie capétienne sa légitimité. Le roi gouverne cependant comme un prince territorial, même s’il a tenté jusque-là de donner une « façade » carolingienne à son pouvoir. Sa cour, désertée peu à peu par les évêques - soutiens essentiels des Carolingiens -, est constituée en majorité de membres de l’aristocratie du Bassin parisien (châtelains et seigneurs). En effet, les grands vassaux assoient
leur puissance en bâtissant des châteaux et en s’emparant des droits seigneuriaux ; ils s’imposent désormais à un pouvoir royal politiquement affaibli. Tout en essayant d’agrandir son domaine territorial, Robert le Pieux ne peut empêcher son morcellement : la Bourgogne, reconquise sur un usurpateur, le comte de Bourgogne Othe-Guillaume, passe par exemple à une branche cadette de la dynastie capétienne. Le roi ne peut non plus empêcher la séparation de la Touraine, pour laquelle il livre jusqu’en 1016 une guerre permanente contre le comte d’Anjou. En outre, les affaires matrimoniales du roi contribuent à créer une situation territoriale compliquée : Robert s’est marié trois fois, successivement à Rosala Suzanne, à Berthe de Bourgogne et enfin à Constance d’Arles. Le modèle chrétien du mariage (indissolubilité), que l’Église tente d’imposer, remplace alors difficilement le modèle royal et aristocratique, fondé sur l’endogamie et le patrimoine. L’union de Robert avec Berthe de Bourgogne, veuve du comte Eudes de Blois, est condamnée comme incestueuse par l’Église (998). Mais le pouvoir royal reste idéologiquement intact et commence par ailleurs à affiner sa propre dimension spirituelle. Le biographe de Robert le Pieux, le moine Helgaud, qui a donné au roi son surnom de « pieux », mentionne ainsi pour la première fois la capacité du roi à guérir les lépreux. Les bases de la monarchie sacrée, sur laquelle se reconstruit progressivement l’autorité monarchique des XIIe et XIIIe siècles, sont désormais posées. downloadModeText.vue.download 825 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 814 Robert d’Arbrissel, ermite fondateur de l’abbaye ligérienne de Fontevraud (Arbrissel, près de Rennes, vers 1045 - prieuré d’Orsan, Berry, 1116). Fils d’un prêtre rural, auquel il succède, Robert d’Arbrissel est bouleversé par la déposition de l’évêque de Rennes pour simonie, en 1078. Il gagne alors Paris, où il étudie et adopte les idées de la réforme grégorienne. De retour dans le diocèse de Rennes, il devient le promoteur de la cause réformatrice, en tant qu’archiprêtre, aux côtés de l’évêque Sylvestre de La Guerche, qui a été rétabli. Mais Robert choisit bientôt de se conformer
plus rigoureusement à une vie d’ascèse, de pauvreté et d’humilité, et devient ermite dans la forêt de Craon, vers 1095. En 1096, il obtient du pape Urbain II, à Angers, l’autorisation de prêcher. Il commence alors une vie itinérante et parcourt les routes de Bretagne, d’Anjou et de Poitou. Son message pénitentiel s’adresse autant aux laïcs qu’aux clercs et rencontre immédiatement l’adhésion des populations. Mais la sévérité de ses critiques envers les richesses et les abus du clergé, en particulier le concubinage des prêtres, ainsi que la foule nombreuse qui l’accompagne - où se mêlent indistinctement clercs et laïcs, nobles et pauvres, hommes et femmes - inquiètent l’Église. Celle-ci le contraint finalement à se fixer à Fontevraud (1101), non loin de Saumur, sur des terres données par un seigneur du voisinage. Robert établit alors une communauté originale, accueillant à la fois des hommes et des femmes, et qui suit la règle bénédictine, partiellement adaptée. Des bâtiments sont construits pour cinq catégories de personnes : les moniales, les « repenties » - parmi lesquelles on compte beaucoup d’anciennes prostituées ou concubines de prêtres -, les frères (prêtres ou laïcs), les lépreux, les autres malades. Il s’agit de faire son salut en menant ensemble, hommes et femmes, une vie rigoureusement chaste. Cette proximité de vie, ainsi que la soumission de l’ensemble de la communauté à une femme (qui prend le titre de prieure) et non à un abbé, témoignant de la dimension pénitentielle, toute d’humilité et de soumission, de la nouvelle fondation. Le succès de Fontevraud auprès de la noblesse, qui y envoie ses filles en grand nombre, est immédiat et prend place dans le cadre de l’essor du lignage agnatique aux XIe et XIIe siècles. Après 1116, Fontevraud devient ainsi l’abbaye mère d’un ordre éminemment aristocratique, privilégié par Henri II Plantagenêt et Aliénor d’Aquitaine - qui décident d’en faire leur nécropole. La vie et l’action de Robert d’Arbrissel s’inscrivent au sein du mouvement érémitique qui parcourt la société du XIe siècle et qui contribue, d’une certaine manière, au succès de la réforme grégorienne. Cependant, au tournant des XIe et XIIe siècles, son oeuvre finit par être rigoureusement encadrée par l’Église, pour donner naissance à un nouvel ordre. Robert Guiscard, conquérant normand de l’Italie du Sud et de la Sicile (vers 1015 - Céphalonie, Grèce, 1085). Fils de Tancrède de Hauteville, petit seigneur de Normandie, Robert Guiscard s’impose
comme l’un des principaux chefs guerriers normands attirés par les richesses de l’Italie méridionale du XIe siècle, déchirée par les rivalités entre Byzantins, Lombards et Arabes. En 1058, il est acclamé duc par ses troupes de Calabre, et en 1059, à Melfi, il est investi duc de Calabre, de Pouille et de Sicile par le pape Nicolas II, dont il se reconnaît le fidèle. Il poursuit ensuite activement la conquête de ces terres. Maître de la Calabre dès 1060, il conquiert d’abord, avec son frère Roger, la plus grande partie de la Sicile musulmane (1060-1072). Puis il achève la conquête de la Pouille byzantine (en prenant sa capitale, Bari, en 1071), et celle de la principauté lombarde de Salerne, dont la capitale tombe en 1077. Robert Guiscard se montre dans le même temps le principal soutien de la papauté dans le conflit qui l’oppose à l’empereur Henri IV : en 1080, il renouvelle sa fidélité au pape Grégoire VII, qu’il délivre de Rome et accueille à Salerne en 1084. Fort de ses conquêtes et de l’appui du souverain pontife, il s’efforce d’imposer son autorité à l’ensemble des chefs normands. Son mariage, en secondes noces, avec la princesse salernitaine Sikelgayta achève d’en faire un véritable prince. Même si au XIIe siècle les rois de Sicile sont issus de la descendance de son frère Roger, Robert passe rapidement pour le fondateur de l’État normand d’Italie du Sud. En outre, sa renommée de combattant valeureux et victorieux fait de lui l’un des principaux héros guerriers célébrés par l’aristocratie chevaleresque du XIIe au XVe siècle. Robertiens, nom utilisé pour désigner le clan aristocratique issu de Robert le Fort (mort en 866) jusqu’à ce que son descendant Hugues Capet devienne roi en 987. À la fin du IXe siècle, les Robertiens apparaissent comme la plus puissante famille de Neustrie et se posent en rivaux des souverains carolingiens dans le royaume de Francie. Ils dominent entièrement les régions comprises entre la Seine et la Loire. Dès l’époque de Robert le Fort, ils sont comtes de Tours et d’Angers et reçoivent le titre de marchio (« marquis ») de Neustrie. En 882-883, ils acquièrent le comté de Paris et, au Xe siècle, les comtés d’Orléans, de Blois et du Mans, ainsi que plusieurs comtés bourguignons. En outre, ils multiplient les alliances avec les autres grandes familles de Neustrie, en particulier celle de Vermandois, et s’attachent un vaste réseau de fidèles, qu’ils placent à la tête de leurs cités comme vicomtes ou qu’ils nomment aux sièges épiscopaux. Ils contrôlent, enfin, de très nombreuses abbayes, en par-
ticulier l’abbaye royale de Saint-Martin-deTours et celle de Saint-Denis, acquise en 891. En 914, le roi est contraint de reconnaître la transmission héréditaire de tous leurs honores, titres, droits et domaines : ils sont désormais des princes territoriaux indépendants. L’adoption précoce d’une structure lignagère patrilinéaire et de la règle de la primogéniture accroît encore leur puissance. Plusieurs membres du clan parviennent à devenir rois à la faveur des invasions normandes et des difficultés des souverains carolingiens : Eudes, fils de Robert le Fort, est ainsi élu, couronné et sacré roi en 888 (il en sera de même pour son fils Robert Ier, en 922). En 936, Hugues le Grand est reconnu par le roi carolingien Louis IV comme le second personnage du royaume et reçoit le titre de « duc des Francs », porté jadis par Charles Martel et Pépin le Bref. En 937, Hugues s’intitule « duc des Francs par la grâce de Dieu ». Il entreprend une politique matrimoniale de prestige avec les Otton, rois de Germanie, et exerce une véritable tutelle sur Louis IV (mort en 954), qu’il retient même prisonnier quelques mois en 945. Son fils Hugues Capet recueille cet héritage et parvient, grâce aux réseaux de fidélité qu’il a su constituer en Lorraine et grâce à l’appui de l’archevêque de Reims, Adalbéron, à être élu roi en 987, après la mort du dernier souverain carolingien, Louis V. À la Noël de la même année, le couronnement et le sacre de son fils Robert (futur Robert II le Pieux, qui est donc associé au trône du vivant de son père) font définitivement entrer la couronne dans le patrimoine de son lignage. Robert le Fort, marquis de Neustrie de 852 à 856, puis d’Auxerre et de Nevers de 856 à 866 ( ? - Brissarthe, près d’Angers, 866). D’après les sources conservées, Robert, comte franc d’une famille aristocratique neustrienne, n’apparaît au service du Carolingien Charles le Chauve qu’en 852, comme comte de Tours et d’Angers. Dans la marche occidentale du royaume, il reçoit probablement le titre de marchio (« marquis ») et, plus sûrement, celui de missus (« envoyé ») dans les comtés voisins (Maine, Touraine), chargé de défendre la région contre les Bretons et les Normands. Cette forte position fait de lui le maître d’abbayes prestigieuses, telles que Saint-Martinde-Tours ou Marmoutier. L’hégémonie de Robert le Fort sur l’ouest du royaume est battue en brèche lorsqu’en 856 Charles le Chauve marie son fils Louis le Bègue avec la fille d’Erispoë, chef des Bre-
tons, et lui attribue le duché du Mans. Robert prend alors la tête d’un parti des grands de Neustrie, qui ne tarde pas à faire appel à la protection de Louis le Germanique (858). Mais Charles le Chauve obtient la soumission du marquis de Neustrie en lui restituant ses titres, puis rétablit Louis le Bègue au Mans tout en dédommageant le marquis, auquel il octroie des terres en Bourgogne. Ainsi, Robert le Fort est rappelé en Neustrie en 866 pour défendre la région contre les Normands, et meurt héroïquement à la bataille de Brissarthe la même année, laissant deux fils, Eudes et Robert (futur Robert Ier). Robert le Fort doit à sa descendance d’être demeuré dans l’histoire comme une figure dominante du IXe siècle : il est en effet le plus ancien ancêtre connu des Capétiens, et l’historiographie capétienne n’aura de cesse de rappeler les exploits du glorieux aïeul. Robespierre (Maximilien Marie Isidore de), homme politique (Arras 1758 - Paris 1794). Si le révolutionnaire est, de loin, le plus connu de tous, l’homme reste plus mystérieux : cette notice n’entend proposer que quelques pistes explicatives. • Le censeur de la vie publique. Né dans une famille de robins et de marchands, Maximilien de Robespierre, orphelin de mère et downloadModeText.vue.download 826 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 815 tôt délaissé par son père, connaît d’abord la réussite scolaire - il obtient une bourse pour étudier au lycée Louis-le-Grand, à Paris, où il fréquente Camille Desmoulins - puis la réussite sociale dans sa ville d’origine. Avocat à partir de 1781, il y gagne des procès et y devient membre de l’Académie des belleslettres (secrétaire perpétuel, puis directeur élu en 1786). Cette ascension, somme toute modeste, se heurte cependant à un ostracisme local, qu’il provoque par ses dénonciations abruptes des travers de ses contemporains. Il accentue sa mise à l’écart de la société par des écrits où il critique le clientélisme des métiers de justice puis, en 1788, la volonté des notables d’Arras de protéger leurs privilèges aux états d’Artois. Cette entrée en politique sous le signe de la radicalité se traduit par son élection - difficile - aux états généraux de 1789 comme député du Tiers. Il va s’y faire remarquer par de très nombreuses prises de parole (plus de mille entre 1789 et 1794), in-
dépendamment de ses qualités d’orateur, qui restent controversées. Sa vie va désormais se confondre avec un engagement public de tous les instants. Quant à l’absence de vie privée, elle correspond à une inclination, mais aussi à un choix qui explique ses engagements ultérieurs et donne à l’homme une personnalité hors du commun : vivant frugalement chez le menuisier Duplay, à Paris, Robespierre a pu - à bon droit - être appelé « l’Incorruptible ». En 1789-1791, il est de ceux qui ne veulent pas voir la Révolution se prolonger contre les dirigeants précédents et les nantis ; membre du Club des jacobins, il est pacifiste, partisan de l’universalisation des principes révolutionnaires, opposé à l’esclavage, à la peine de mort et à la censure ; il souhaite des restrictions sur le commerce des grains, soucieux de faire bénéficier le plus grand nombre des avantages politiques, juridiques ou économiques qui peuvent être obtenus. Son influence est tangible en 1791, surtout après la fuite du roi, et lorsqu’il fait admettre le principe de la nonréélection des députés de la Constituante à l’Assemblée législative ; enfin, il est accueilli triomphalement à Arras. Après septembre 1791 - il est alors, depuis juin, accusateur public au tribunal de Paris -, il devient l’homme fort du Club des jacobins, même si c’est en vain qu’il dénonce les risques encourus du fait de la déclaration de guerre. Il est l’un des inspirateurs de la journée du 10 août 1792 qui porte un coup fatal à la monarchie, mais il ne prend pas part aux insurrections populaires et exprime des réserves sur les massacres de septembre, sans pour autant en condamner les auteurs. • Le guide de la Révolution. Robespierre atteint l’apogée de sa carrière à la Convention, où il est élu en tête de la délégation parisienne en septembre 1792, alors qu’il n’entre au Comité de salut public que le 27 juillet 1793. Il anime la lutte contre les girondins, auxquels il reproche leur politique belliciste et leur attachement au libéralisme, et joue un rôle essentiel lors du procès du roi, qu’il place sur le terrain des principes ; face à la guerre et aux revendications sociales, il stigmatise l’incurie ministérielle et dénonce les menées personnelles de généraux comme Dumouriez. L’action de la Commune de Paris, qui exclut les girondins de l’Assemblée en juin 1793, lui permet de concrétiser l’ascendant qu’il exerce par ses discours. Mais il se heurte alors aux prétentions des « enragés », dont il ne partage pas les « chimères » égalitaires, puis aux sansculottes, dont les dirigeants sont ses rivaux
et qu’il critique pour leur athéisme et pour la terreur populaire qu’ils ont instaurée dans le pays ; il se heurte enfin aux « indulgents », auxquels il reproche leurs compromissions et leur abandon des principes. Au cours de l’automne et de l’hiver 1793-1794, il élimine progressivement ces groupes, renforçant le pouvoir central, qui coiffe désormais les sociétés jacobines. Cette volonté centralisatrice, le durcissement de la Terreur étatique par la loi du 22 prairial (10 juin 1794) et l’institution du culte de l’Être suprême, dont il est le promoteur, l’isolent alors de ses appuis populaires et le rendent vulnérable aux accusations de ses nouveaux rivaux politiques, qui siègent notamment au Comité de sûreté générale. Il passe pour vouloir rétablir la monarchie à son profit, pour vouloir créer une nouvelle religion... Une absence de quelques semaines à la Convention puis un retour marqué par un discours menaçant envers les « traîtres » de l’Assemblée entraînent sa mise en minorité, son jugement hâtif, et son exécution - avec son frère et ses proches -, malgré une mobilisation, limitée, de la Commune de Paris en sa faveur. Sa mémoire est aussitôt ternie par les thermidoriens, qui le rendent responsable de toutes les violences passées, y compris celles qu’il avait désavouées, comme celles commises par Carrier. Ils dressent le portrait d’un ambitieux, frustré et hypocrite, dogmatique et insensible. Le teint brouillé, les yeux chassieux et la perruque poudrée entrent ainsi dans la mémoire collective, repris ensuite par tous les contempteurs de la Révolution. Robespierre doit indiscutablement à Thermidor son image d’instigateur de la Révolution violente. • Un politique liant les principes et l’action. Il est possible de proposer une lecture qui insiste sur les ambitions d’un homme soucieux de lier principes et action, et dont l’unité psychologique viendrait du primat accordé aux principes moraux, à une religion civile fondée sur la morale et à une recherche obstinée de la vertu - qu’il juge supérieure au talent, à la différence des girondins. Cette recherche personnelle a pu lui faire prendre des décisions apparemment contradictoires. Ainsi, sa conduite des affaires est fondée à la fois sur la volonté générale (dans le droit fil de la pensée de Rousseau) et sur le respect du rôle du représentant comme de la séparation des pouvoirs hérités de Montesquieu. Opposé au « fanatisme » clérical, mais partisan de la liberté individuelle des croyances, il est reli-
gieux et opposé à l’athéisme. Obnubilé par les traîtres et les factieux, qu’il traque au sein même des assemblées, il refuse la Terreur de l’hiver 1703-1794 dans ses modalités, mais en accepte le principe lorsqu’elle exprime la volonté générale - ce qui explique son refus de la peine de mort en 1791, et son acceptation de la répression nécessaire en 1794. Il est hostile aux ministres lorsqu’ils dépendent du roi, mais les accepte quand ils sont nommés par la Convention, le pouvoir individuel étant alors théoriquement limité. C’est encore au nom du droit des gens qu’il soutient le rattachement d’Avignon à la France, et qu’il s’oppose à la guerre de conquête. Plus problématique est la conjonction qu’il tente d’opérer entre quête du civisme et universalisme : elle lui fait rejeter hors de la nation les opposants au progrès, condamner les Anglais et les insurgés vendéens, se méprendre sur Paoli... Sa volonté de recourir à une grille politique d’une grande rigueur produit ainsi des effets pervers. Elle induit aussi une approche faussée de l’esclavage et de la situation réelle à Saint-Domingue, si bien que le peuple, référent permanent, est plus un mythe que l’objet d’une analyse rationnelle. D’où des déceptions et des recherches d’adéquation impossibles. Ainsi, la vision de Robespierre est essentiellement morale et individuelle, ce qui n’a pas manqué de lui donner la force de juger et de critiquer des projets moins audacieux et moins cohérents, mais a contribué en même temps à l’isoler dans une série d’exigences dont les conséquences apparaissent contradictoires. En économie, la dimension morale restant toujours prédominante, il entend créer un libéralisme égalitaire, pour assurer le droit à l’existence et limiter le luxe sans toucher à la propriété ; il s’inscrit ainsi dans la tradition des législations somptuaires, bien en deçà des demandes plus radicales. Cette trop subtile balance l’a obligé à des dosages tout aussi subtils ; elle a donné une « souplesse » à ses discours, qui peut être entendue soit comme une adaptation après coup aux situations, soit comme une désignation symbolique des événements, soit enfin comme une pratique ordinaire d’avocat. On comprend dès lors que l’homme a suscité nombre de malentendus. Socialement, il revendique une position de porte-parole, appelant à une révolution permanente, en s’appuyant sur l’idée fondamentale qu’il convient toujours de trouver la légitimité dans le peuple. Cepen-
dant, au quotidien, cette position théorique revendiquée lui donne les moyens de contrôler fermement les voies d’accès au pouvoir à la Convention, puis elle finit par l’isoler complètement et par permettre à des manoeuvriers de retourner contre lui ses propres principes. Ces paradoxes et ces contradictions expliquent que ses contemporains n’aient pas toujours bien compris Robespierre et que ses biographes aient simplifié l’analyse du personnage, versant sans nuance dans l’éloge ou le dénigrement. Il n’a pourtant été ni un pur esprit rationalisateur, ni un manipulateur diabolique, ni un homme frustré appliquant maladroitement des principes mal compris, ni le maître absolu de la Révolution ; il aura été davantage un individu porté par une recherche sans faiblesse de nouvelles conditions de vivre en politique, osant proposer des notions inédites. Il est en tout cas impossible de le considérer comme porteur d’une vision totalitaire de la société, puisque sa quête de l’universel ne vise pas l’établissement d’un contrôle des relations entre les individus, mais exprime seulement la volonté d’élever à la dignité politique la part d’universel contenue en chacun. Reste qu’il a couvert de son autorité downloadModeText.vue.download 827 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 816 ou de son silence des violences extrêmes et qu’il n’a pas réussi à « fixer » la Révolution ; enfin, il a eu recours, lui aussi, aux exécutions d’adversaires ; si bien que les souvenirs laissés par la Révolution et les interprétations qui en ont découlé, ont retenu avant tout la violence de ses discours et les actes qui furent commis, sinon en son nom, du moins pendant sa vie publique, pour en faire le prototype des dictateurs paranoïaques du XXe siècle. Rocard (Michel), homme politique (Courbevoie, Hauts-de-Seine, 1930). Fils du physicien Yves Rocard, Michel Rocard fait un brillant parcours : il est reçu à l’ENA en 1954, avant d’intégrer l’Inspection des finances en 1958. Mais ce jeune technocrate est aussi un militant représentatif de la génération de la guerre d’Algérie : alors qu’il a adhéré aux Étudiants socialistes dès l’âge de 19 ans, en désaccord avec la politique algérienne de Guy Mollet, il rompt avec la SFIO en 1958. En avril 1960, il participe à la création du Parti socialiste unifié (PSU), dont il
assume la direction de 1967 à 1973. Proche de Pierre Mendès France, il est partisan d’un socialisme moderne et ne croit guère à la stratégie d’union de la gauche suivie par François Mitterrand dès 1965. En 1969, candidat du PSU à l’élection présidentielle, il obtient 3,66 % des voix, puis ravit à Maurice Couve de Murville, ancien Premier ministre, le siège de député des Yvelines. Peu à peu isolé au sein d’un PSU qui se radicalise, il participe à la campagne de François Mitterrand de 1974, avant de rejoindre le Parti socialiste. Il y incarne la « deuxième gauche », plus autogestionnaire et décentralisatrice qu’étatiste et jacobine, dénonce l’« archaïsme » de la direction après l’échec de la gauche aux législatives de mars 1978, et figure parmi les minoritaires lors du congrès de Metz (1979). « Candidat à la candidature » en vue de l’élection présidentielle de 1981, il doit finalement s’effacer devant François Mitterrand, qui remporte la victoire. Successivement ministre du Plan (1981-1983) et de l’Agriculture (1983-1985), il démissionne du gouvernement Fabius le 4 avril 1985 pour protester contre l’adoption du scrutin proportionnel. Après avoir dû renoncer de nouveau à se présenter à l’élection présidentielle de 1988, il est nommé Premier ministre par François Mitterrand. Il règle alors le conflit néo-calédonien (signature des accords Matignon, ratifiés par référendum le 6 novembre 1988), instaure un revenu minimum d’insertion (RMI) et amorce une réforme du financement de la protection sociale (création de la CSG). Malgré des avancées dans les domaines de l’éducation nationale et de la politique de la ville (notamment par une solidarité financière entre les communes), il ne peut mener à bien tous les « chantiers » qu’il a engagés. En outre, l’« ouverture » dont il est partisan se limite au débauchage de quelques ministres centristes sans déboucher sur une nouvelle majorité parlementaire. « Remercié » en mai 1991, il doit quitter Matignon, mais soigne alors son image de présidentiable. Après la défaite des socialistes aux élections législatives de mars 1993 (lui-même étant battu dans les Yvelines), il remplace Laurent Fabius au poste de Premier secrétaire du PS. Toutefois, la déroute de la liste qu’il conduit aux élections européennes de juin 1994 (14,5 % des suffrages) met un terme à ses ambitions présidentielles : contesté dans ses propres rangs, il démissionne de la direction du PS (assumée temporairement par Henri Emmanuelli), et abandonne son mandat de maire de ConflansSainte-Honorine. S’il continue d’apporter une
contribution active au débat politique national et européen, il doit laisser à Lionel Jospin le rôle de chef de file des socialistes. Le destin politique de Michel Rocard apparaît comme une victoire à la Pyrrhus : bien que son réalisme de gauche l’ait emporté dès 1982, il n’a pas été en mesure de s’imposer face à François Mitterrand, ni de lui succéder. Rochambeau (Jean-Baptiste Donatien de Vimeur, comte de), maréchal de France (Vendôme 1725 - Thoré, Loir-et-Cher, 1807). Issu d’une ancienne famille du Vendômois connue depuis 1378, Rochambeau se distingue durant la guerre de la Succession d’Autriche (1740-1748), à la bataille de Lawfeld (1747), puis se fait remarquer en 1760 à Clostercamp, pendant la guerre de Sept Ans (1756-1763). Colonel, maréchal de camp en 1761, conseiller du comte de Saint-Germain en 1769, secrétaire d’État à la Guerre, il est nommé lieutenant général des armées du roi en 1780. En 1781, il s’illustre dans la guerre d’indépendance des États-Unis d’Amérique en contribuant à la capitulation de Yorktown. Devenu ensuite gouverneur de Picardie, il siège en 1788 à l’Assemblée des notables, où il vote pour le doublement de la représentation du Tiers aux États généraux. En 1791, son commandement du corps de troupes envoyé soutenir la cause des Insurgents lui vaut le bâton de maréchal de France. La même année, il est placé à la tête de l’armée du Nord, qu’il commande jusqu’en mai 1792. Son échec à Quiévrain et, surtout, sa naissance (il est cousin du roi) lui valent les cachots révolutionnaires. Libéré par Thermidor, il rédige ses Mémoires, publiés sous Louis-Philippe (1836-1838). Rochefort (Victor Henri, marquis de Rochefort-Luçay, dit Henri), journaliste et homme politique (Paris 1830 - Aix-les-Bains, Savoie, 1913). Petit-fils d’émigré, fils d’un marquis ruiné auteur de vaudevilles, il écrit lui-même des pièces de boulevard mais est avant tout un journaliste. Il débute en 1854 au Mousquetaire de Dumas père, entre en 1859 au Charivari, où il donne plus de 900 articles, collabore au Nain jaune, au Figaro, au Soleil, etc. Il y distille un humour féroce, affirmant par exemple en 1867 que « César est actuellement un des Romains les mieux vus à la cour. Il demanderait une sous-préfecture qu’elle lui serait accordée séance tenante ». En 1868, il lance la Lanterne, du nom d’un instrument servant « à éclairer les honnêtes gens et à pendre les malfaiteurs ». Le succès est immense :
120 000 exemplaires dès le premier numéro. Il y explique que « la France contient [...] trente-six millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement », imagine Rocambole prenant la place d’un ministre - et si voleur que nul ne s’en doute -, prend la défense d’Algériens exécutés pour des incendies aux causes en fait ... naturelles, et ne recule pas devant le scabreux, montrant la mère de Napoléon III, dont la vie privée fut agitée, faisant « de faux Louis ». Il accumule saisies, amendes et peines de prison, fuit en Belgique, d’où il envoie des numéros en contrebande. Candidat, malgré sa condamnation, à une élection partielle au Corps législatif en 1869, il est élu député de Paris, ville où il crée la Marseillaise : l’un de ses collaborateurs, Victor Noir, est assassiné par le prince Pierre Bonaparte, et lui-même est emprisonné pour avoir parlé des Bonaparte comme d’une « famille où le meurtre et le guet-apens sont de tradition et d’usage », dans un numéro vendu à 145 000 exemplaires avant saisie. Libéré par la révolution du 4 septembre 1870, il devient membre du gouvernement de la Défense nationale, mais démissionne dès novembre, furieux du conservatisme de ses collègues. Il lance un nouveau journal, le Mot d’ordre, y défend la Commune, ce qui le fait déporter en Nouvelle-Calédonie. Évadé en mars 1874, il ressuscite, de Suisse, la Lanterne, dirigeant désormais ses attaques contre le président Mac-Mahon. L’amnistie de 1880 permet un nouveau retour : il crée alors l’Intransigeant, contre l’opportunisme, y explique par exemple les motifs financiers de la conquête de la Tunisie. Député blanquiste en 1885, il démissionne après avoir siégé quatre mois, tourne à l’antiparlementarisme, soutient le général Boulanger - d’où un nouvel exil, jusqu’à l’amnistie de 1895 -, continue de pourfendre le gouvernement, en particulier dans l’affaire de Panamá, et poursuit sa dérive politique en devenant antidreyfusard et antisémite. Il perd l’essentiel de son public, n’écrit plus après 1907, et meurt, isolé et oublié. Mais il doit à sa plume pleine de verve un jugement indulgent de la postérité qui en a fait l’archétype du polémiste. Rochelle (affaire des Quatre Sergents de La) ! Sergents de La Rochelle (affaire des Quatre) Rochelle (siège de La), siège mené par Richelieu et Louis XIII à partir d’octobre 1627, et qui s’achève par la capitulation de la ville en octobre de l’année suivante.
Avec 25 000 habitants, La Rochelle, riche de sa flotte et de son commerce, est l’une des dix plus grandes villes du royaume. Gagnée à la Réforme, elle fait figure de capitale pour les protestants du Midi. Sa municipalité se conduit comme une petite république indépendante. La reprise, en 1621, des guerres contre les protestants fait de la réduction de cette citadelle une question prioritaire. La nouvelle attitude agressive de l’Angleterre aggrave le problème. Le 10 juillet 1627, une flotte anglaise, avec à son bord le duc de Buckingham et Soubise, l’un des chefs du parti protestant français, s’ancre devant La Rochelle. Prudents, les échevins lui refusent l’entrée du port. Les Anglais vont alors attaquer l’île de Ré, où ils débarquent le 25 juillet (ils en seront chassés en novembre). Cependant, downloadModeText.vue.download 828 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 817 le 10 septembre, les Rochelais ouvrent le feu sur les troupes royales : le siège commence. Arrivés sur place le 12 octobre, Louis XIII et Richelieu mobilisent près de 30 000 hommes, bien encadrés et bien payés. Pour bloquer le port, l’architecte Métezeau élève une digue de 1 500 mètres, à laquelle travaillent des milliers de paysans requis. Toujours présent, le Cardinal fait régner l’ordre dans la véritable ville qu’est devenu le camp du roi : voleurs et violeurs sont exécutés. Dirigée par le Père Joseph, une armée de capucins pourvoit aux besoins spirituels. Parfois, Richelieu luimême donne la communion aux officiers. Aile marchante de la Réforme catholique, les assiégeants doivent être exemplaires. En face, les assiégés sont décimés par la famine - d’autant que le Cardinal a refusé de laisser évacuer les femmes et les enfants. Toutefois, galvanisés par leur maire élu en avril 1628, l’amiral Jean Guiton, qui menace de tuer quiconque parlera de se rendre, ils repoussent les assauts. Mais les expéditions de secours anglaises échouent ; à bout de force et désireux d’éviter une mise à sac et un massacre final, les échevins capitulent le 28 octobre 1628. Le 1er novembre, Louis XIII entre dans une ville qui compte moins de 6 000 survivants. Richelieu a plaidé pour l’indulgence : seuls le maire et quelques échevins sont bannis, et le culte protestant est maintenu. Cependant, la messe est rétablie, les remparts sont rasés, la ville perd ses privilèges. Partout en France, de grandes fêtes célèbrent le triomphe du roi et
du catholicisme. L’influence de Richelieu en sort grandie, et, jusque dans les manuels scolaires de la IIIe République, le Cardinal restera l’homme à la grande cape rouge arpentant la digue devant La Rochelle. Rochet (Waldeck), homme politique (Sainte-Croix, Saône-et-Loire, 1905 - Nanterre, Hauts-de-Seine, 1983). Son père, un artisan fervent républicain, a choisi son prénom en hommage à WaldeckRousseau. Contraint de travailler comme ouvrier maraîcher dès l’âge de 8 ans, il adhère aux Jeunesses communistes en 1923, et au PCF l’année suivante, suit une formation à l’école des cadres de Moscou au début des années 1930, et devient membre du comité central en 1936, où il s’affirme comme le spécialiste des questions paysannes. Député de 1936 à 1939 (le PCF est dissous par décret en septembre 1939), il est arrêté en octobre 1940, en même temps que d’autres députés communistes, pour reconstitution d’organisation dissoute, et est emprisonné en France, puis à Alger. Libéré en février 1943, il représente alors le parti auprès du général de Gaulle. De nouveau député à la Libération, il poursuit parallèlement son ascension politique au sein du PCF : membre suppléant du bureau politique en 1945, puis titulaire en 1950, il est secrétaire général adjoint en 1961, avant de succéder à Maurice Thorez au poste de secrétaire général en mai 1964. À l’instar de l’action menée par Khrouchtchev en URSS entre 1953 et 1964, il amorce une nouvelle ligne politique, plus ouverte : sous sa direction, le PCF désapprouve l’intervention soviétique à Prague en 1968 (tout en cautionnant la politique de normalisation), et inaugure une politique d’union de la gauche en soutenant la candidature de François Mitterrand lors de l’élection présidentielle de 1965 puis en se rapprochant de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS). Waldeck Rochet étant très malade à partir de 1969, c’est Georges Marchais, interlocuteur privilégié des Soviétiques, qui signe le programme commun de gouvernement avec le PS, en juin 1972, puis lui succède au poste de secrétaire général en décembre de la même année. Rocroi (bataille de), victoire remportée par le duc d’Enghien, le futur Grand Condé, sur les Espagnols, le 19 mai 1643. Dans le conflit qui oppose la France à l’Espagne depuis 1635, la frontière du Nord est
la plus difficile à défendre, comme l’a montré l’affaire de Corbie (ville de la Somme prise par les Espagnols en août 1536, et reconquise en novembre de la même année). Le gouverneur des Pays-Bas, don Francisco de Melo, veut profiter du désarroi causé par la mort de Richelieu (4 décembre 1642) et l’agonie de Louis XIII pour prendre Rocroi et marcher sur Paris par les vallées de l’Aisne et de la Marne. Il dispose de 20 000 fantassins aguerris et de 8 000 cavaliers. En face, le jeune duc d’Enghien, chaperonné par le vieux maréchal de L’Hôpital, a reçu l’ordre de ne rien hasarder : toute défaite serait un désastre. Il se porte cependant au secours de Rocroi, avec 14 000 fantassins et 6 000 cavaliers. Sûr de sa force, Melo ne cherche pas à surprendre les Français pendant qu’ils se disposent sur le plateau, le 18 mai. Le lendemain, la cavalerie française de Gassion, sur l’aile droite, enfonce celle du duc d’Albuquerque. Puis, par un vaste mouvement tournant, Enghien lui fait prendre à revers l’autre aile espagnole, qui mettait en danger l’aile gauche française. Après l’avoir balayée, il se tourne contre le dispositif central de l’ennemi, constitué par les tercios, « cette redoutable infanterie de l’armée d’Espagne », toute hérissée de piques, dont parlera Bossuet dans l’oraison funèbre de Condé. Il faut trois assauts furieux pour rompre les meilleurs fantassins du monde. On compte 7 000 morts et 6 000 prisonniers dans les rangs espagnols, qui perdent en outre toute leur artillerie et des dizaines de drapeaux. Melo échappe de peu à la capture ; Bernard de Fontaine, le chef des tercios, est tué sur la chaise d’où, cloué par la goutte, il dirigeait ses troupes. La réputation d’invincibilité du tercio s’évanouit en une journée, à la surprise de l’Europe. S’il a été bien conseillé par Gassion, partisan, comme son maître, le Suédois Gustave-Adolphe, de l’attaque à outrance et du choc de cavalerie, le duc d’Enghien a été l’âme du succès, se dépensant sans compter à la tête de ses hommes, les galvanisant par son exemple : on le voit partout « étonner de ses regards étincelants ceux qui échappent à ses coups » (Bossuet). À la victoire, il ajoute la clémence, faisant cesser le massacre des vaincus. La bataille de Rocroi fonde la gloire d’un général de 22 ans, lui donnant à jamais la réputation d’une « grande âme » (« l’Alexandre des Français »). Elle inaugure aussi le règne de Louis XIV, roi de 4 ans, qui, la veille, a tenu le lit de justice confiant la régence à sa mère Anne d’Autriche. Roederer (Pierre Louis), homme politique,
conseiller d’État et comte de l’Empire (Metz 1754 - Bois-Roussel, Orne, 1835). Fils d’un procureur général près le parlement de Metz, il suit des études de droit à Strasbourg tout en se passionnant pour les écrits des philosophes des Lumières. Il devient avocat à Metz en 1771, puis achète une charge de conseiller au parlement en 1780. Tirant profit des bouleversements de l’été 1789, il s’impose à la tête de l’hôtel de ville messin avant d’être élu à l’Assemblée constituante, le 27 octobre 1789. Politiquement proche de Sieyès, il siège avec la gauche modérée. Le 10 août 1792, c’est lui qui suggère à la famille royale de se placer sous la protection de la Législative. Accusé d’avoir donné l’ordre de tirer sur la foule aux Tuileries, il doit s’enfuir et se cacher jusqu’au 9 thermidor, après quoi il fait oeuvre de journaliste et se montre partisan d’un État fort, capable de sauvegarder les acquis de 1789. Acteur du coup d’État du 18 brumaire aux côtés des Idéologues, puis conseiller d’État, il est l’un des proches de Bonaparte jusqu’en 1802. Il entre alors au Sénat puis devient ministre des Finances de Joseph Bonaparte dans le royaume de Naples. En 1810, il est nommé secrétaire d’État du grandduché de Berg. Fidèle de la dernière heure en 1814, il se rallie à Napoléon durant les Cent-Jours et reçoit le titre de pair de France. Retiré sur sa terre normande de Bois-Roussel sous la Restauration, il se consacre à la rédaction d’ouvrages historiques ou politiques. La monarchie de Juillet lui permet de reprendre sa place à la Chambre des pairs. l ROI. De Clovis à Charles X, le roi, entouré de son Conseil, gouverne le royaume, investi de pouvoirs dont les modalités d’exercice ont beaucoup varié au cours des siècles. Il a pour ministère de défendre le pays contre ses ennemis et d’y faire triompher la paix et le bien commun par une bonne justice, en faisant peser sur chacun une fiscalité raisonnable. Pour les sujets, aimer le roi est aussi bien un devoir qu’un sentiment ; le souverain leur apparaît comme un personnage à la fois proche et lointain, doté de pouvoirs et de qualités spécifiques qui en font une sorte d’intermédiaire entre Dieu et les hommes. Cette idée, renforcée à partir du VIIIe siècle par l’onction du sacre, reçue des mains de l’Église, demeurera très vivace dans un pays où le roi est également thaumaturge. FIGURATIONS DU SOUVERAIN Théologiens et penseurs ont symbolisé le roi
par diverses images destinées à le situer par rapport à ses sujets et à montrer comment le monarque et ceux-ci sont indissociables. Dès le XIIe siècle, le royaume est présenté comme un corps dont le roi est la tête ; les ecclésiastiques : les yeux, le cerveau ou le coeur ; les nobles : la poitrine ou les mains ; et le peuple : le ventre ou les pieds. Chacun joue son rôle et doit remplir son office, dans l’intérêt commun. Tête et corps sont soudés : pas de roi sans peuple, pas de peuple sans roi. downloadModeText.vue.download 829 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 818 À partir du XIIIe siècle, le jeu d’échecs, alors en vogue, devient une illustration des hiérarchies politiques. Le roi l’emporte en dignité sur toutes les autres pièces, soumises à son commandement et éclairées par la gloire de ses vertus. Durant la partie, chacun cherche son chemin dans les cases blanches - le bien et dans les cases noires - le mal. Au XIVe siècle, le roi devient symboliquement le pilote d’un bateau, image du royaume. Les passagers y embarquent dès leur naissance et la mort seule leur fait quitter l’équipage. Le roi-pilote dirige le navire depuis un palais qui surmonte la poupe. Au-dessous de lui figure le peuple des marchands, encadré par les nobles, les conseillers royaux et les clercs. Le roi seul a une vue claire de la route à suivre. À la même période, on montre également le roi à l’image du Christ-jardinier, jardinier d’un royaume où, protégées par des palissades qui sont autant de frontières, les brebis (le peuple) paissent tranquillement au bord des fontaines. LE SACRE, INSTRUMENT DE LÉGITIMITÉ À Rome, le pouvoir impérial provient de l’élection par l’armée ; le sacre est alors inconnu. Après les Grandes Invasions, lors de la fusion des mondes romain et barbare, hérédité et élection sont utilisées, selon les circonstances, alternativement ou concurremment. Les rois francs païens marquent leur accession au pouvoir par des rites civils et militaires tels que la remise d’armes et l’élévation sur le pavois ; mais ils se distinguent des autres guerriers et aristocrates car la légende leur attribue une ascendance divine, leur sang étant censé leur conférer la capacité de remporter la victoire et celle d’obtenir d’abondantes récoltes. Les Mérovingiens ne se font pas sacrer, ces souverains se contentant des effets divins du baptême. Lorsque le Carolingien Pépin le Bref, maire du palais qui
détient la réalité du pouvoir, entend exercer la royauté, il réussit à s’imposer grâce à l’appui des grandes familles aristocratiques, mais aussi grâce à celui du pape, qui le sacre en 751. Cette cérémonie fait du roi l’oint du Seigneur, et lui confère une légitimité, qui devient rapidement héréditaire. En effet, pour éviter toute querelle de succession, les rois associent leur fils aîné à l’exercice de la royauté en les faisant sacrer de leur vivant. Lorsque, à la fin du Xe siècle, le trône est disputé aux Carolingiens par les descendants des Robertiens, Hugues Capet se fait élire aux dépens de la lignée carolingienne ; il est sacré à Noyon en 987, tandis que son fils Robert le Pieux l’est, la même année, à Orléans. Il impose ensuite le principe de l’hérédité, assorti d’une élection de plus en plus symbolique. À partir du règne de Philippe Auguste, la succession héréditaire étant devenue automatique, il n’apparaît plus utile de sacrer le fils héritier du vivant de son père. On lie aussi au sacre le pouvoir thaumaturgique des rois de France, l’onction du saint chrême faisant participer le monarque à la divinité. La croyance en ce don miraculeux apparaît dès l’époque de Robert le Pieux et se précise progressivement : ce sont les écrouelles, affection de la peau d’origine tuberculeuse, que les rois de France passent pour pouvoir guérir par simple imposition des mains. Ainsi, le toucher des écrouelles devient une pratique royale ritualisée, peutêtre dès le règne de Saint Louis. L’ÉDUCATION DU PRINCE Les qualités attendues chez un roi sont soigneusement répertoriées et commentées par les théologiens et les juristes. Certes, durant le haut Moyen Âge, les clercs ne tiennent pas à ce qu’un roi trop savant mette en cause leur statut d’intermédiaires uniques entre le ciel et la terre. Ainsi, Charlemagne, s’il connaît très tôt le métier des armes, n’apprend à écrire que fort tard. Mais peu à peu s’impose l’idée selon laquelle le roi, pour être digne de sa fonction, doit acquérir des qualités conformes à son rang grâce à l’éducation. Robert le Pieux est ainsi formé à l’abbaye de Fleury-sur-Loire, les Capétiens Louis VI et Louis VII le sont à l’abbaye de Saint-Denis. À partir du XIIe siècle, l’héritier reçoit une éducation individuelle fort soignée, selon le principe qui veut qu’« un roi illettré est un âne couronné ». La formation initiale est délivrée par la mère du souverain - ainsi Blanche de Castille pour Saint Louis qui lui apprend les prières fondamentales et les rudiments de la lecture sur le psautier.
Vers l’âge de 7 ans, le relais est pris par des précepteurs de grande qualité, les uns chargés de la formation militaire, les autres de la formation théorique. Très tôt, le prince paraît sur le champ de bataille. Les fils de Jean II accompagnent leur père à Poitiers (1356) ; le fils de Louis XV participe, à l’âge de 15 ans, à la bataille de Fontenoy (1745). Les précepteurs chargés de l’éducation théorique sont de savants docteurs en théologie : ainsi Gilles de Rome, précepteur du futur Philippe IV le Bel, qui compose pour son élève un De regimine principum célèbre ; Bossuet, précepteur du Grand Dauphin en 1670, écrit à l’intention de celui-ci un Discours sur l’histoire universelle ; le cardinal de Fleury rédige un catéchisme pour Louis XV. L’éducation princière importe d’autant plus que la conscience du roi est la seule borne à son pouvoir. Cette éducation est d’abord religieuse, car il faut former le jeune prince à la prière et lui inculquer l’habitude de l’introspection : qui n’est pas capable de se discipliner ne peut discipliner autrui. L’éducation intellectuelle s’inspire de celle des grandes universités, à cette différence qu’elle est donnée en langue vulgaire. En effet, peu de princes maîtrisent ou connaissent le latin avant le XVe siècle, même si Louis XI et Charles VII le manient aisément. Les sept disciplines des arts libéraux - grammaire, rhétorique, dialectique, arithmétique, géométrie, astronomie, musique - leur sont enseignées. Mais le roi a droit aussi à une formation spécifique, en particulier l’étude des langues étrangères : de Louis XI à Louis XVI, tous parlent l’italien, auquel s’ajoutent l’espagnol pour Henri IV, Louis XIII et Louis XIV, l’anglais pour Louis XVI. La géographie est parfois enseignée : ainsi pour Henri IV, Louis XIV ou Louis XVI. Quant aux lectures profanes, elles ne sont conseillées qu’à partir du XVIe siècle. Dès sa dixième année, le prince commence à participer aux cérémonies officielles et au Conseil du roi. Déjà censé être doté de qualités exceptionnelles par son sang, le roi de France acquiert par son éducation les caractères d’un homme pieux, sage, savant, vertueux et juste, cumulant les vertus du simple chrétien et celles du juge et du chevalier. Il ne saurait en France y avoir de mauvais roi ou de tyran. LES DEVOIRS DU ROI Le premier de ces devoirs est de protéger les églises et le clergé, de favoriser l’encadrement des fidèles en prêtant à l’Église l’appui de la
force publique. Il se doit également de lutter contre les hérétiques. Le roi dispose d’une chapelle, c’est-à-dire d’un ensemble de clercs qui répondent aux besoins spirituels de la famille royale et conservent les prestigieuses reliques que tout souverain se doit de posséder. Philippe Auguste prie avant la bataille de Bouvines (1214) et bénit ses troupes ; Charles VII multiplie les oraisons pour obtenir le retour à la paix. La vie du monarque est ponctuée de cérémonies et pratiques religieuses (messes dominicales, sermons, carême...). De même, toute cérémonie officielle a son versant religieux - messe et/ou procession -, notamment pour l’ouverture des états généraux, après une entrée royale dans une ville, à l’occasion des traités de paix ou des victoires. Pieux, le roi est souvent un roi savant, ou du moins protecteur du savoir. Saint Louis rassemble un grand nombre d’ouvrages dans une bibliothèque ouverte à tous. Charles V, appelé « le Sage » par ses contemporains, réunit autour de lui un cercle de juristes et de théologiens auxquels il commande des traductions d’auteurs anciens ; il fait également rédiger des compilations qui résument ses conceptions du pouvoir monarchique. Sa bibliothèque de neuf cents manuscrits, abritée dans la tour du Louvre, est léguée, comme le trône, au fils aîné et n’est jamais partagée entre les différents descendants (elle sera à l’origine de la Bibliothèque nationale). Outre la piété et la sagesse, le roi doit avoir les mêmes vertus que les autres fidèles, et pratiquer par conséquent les trois vertus théologales - foi, espérance, charité - ainsi que les quatre vertus cardinales - force (courage), justice, prudence, tempérance. Il lui faut également respecter les normes de l’Église en matière de chasteté ; néanmoins, même si Philippe IV et Charles V se conforment à cette prescription, la maîtresse royale devient une figure familière de la cour à la fin du XIVe siècle. En outre, le roi doit être sobre dans la façon aussi bien de s’alimenter que de se vêtir, excepté lors des cérémonies officielles au cours desquelles il lui faut affirmer sa splendeur. Il doit surtout se préserver de ces ambitions terrestres que sont l’orgueil, la soif de dominer et la vaine gloire. LES PRÉROGATIVES ROYALES Pour les juristes, le pouvoir royal se définit non par ses fins mais par les moyens de son action. Tous les rois sont prioritairement justiciers car, sans justice, ni bien commun ni paix ne sont possibles. Sans doute, la justice est-elle encore exercée par des ecclésiastiques ou par certains seigneurs, mais tous les justi-
ciables peuvent faire appel au roi. Beaucoup préfèrent d’ailleurs s’adresser directement à la justice royale, dont les lenteurs sont contrebalancées par l’impartialité. Le roi punit le non-respect de la loi. Celle-ci doit se confordownloadModeText.vue.download 830 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 819 mer à la loi de Dieu et respecter les bonnes coutumes. À partir du XIIIe siècle, le roi a le pouvoir de promulguer de nouvelles lois, à condition qu’elles fassent l’objet d’une délibération en Conseil et qu’elles soient conformes à la raison. Du pouvoir judiciaire renaît progressivement le pouvoir législatif : les ordonnances de Saint Louis s’appliquent dans tout le royaume. Le roi récupère aussi peu à peu le monopole de la guerre, qui est d’abord une simple conséquence du pouvoir judiciaire : il faut lutter contre les brigands ou les rebelles. À l’extérieur, ce monopole se justifie par la nécessité de protéger les frontières et les habitants du royaume. Très présent sur les théâtres d’opérations militaires, le roi médiéval incite ses vassaux à la prouesse en montrant lui-même l’exemple. Philippe II sera dit « Auguste » ; Jean II, « le Bon » (c’est-à-dire « le Brave ») ; Charles VII, « le Très Victorieux ». Cet engagement personnel dans les combats présente toutefois des risques, ainsi qu’en témoigne la capture de Jean II à Poitiers, en 1356. Malgré tout, François Ier charge à la tête de la cavalerie à Pavie (1525), Louis XIII s’expose pendant le siège de La Rochelle (1627-1628) et Louis XIV s’affirme comme un roi de guerre. DÉPENSES NOMBREUSES, REVENUS IRRÉGULIERS La guerre exige naturellement des fonds considérables. Le roi se doit donc d’être riche. Ses revenus proviennent des terres qu’il possède en propre, de l’exploitation du sous-sol et du paiement de droits divers. Cet ensemble de ressources constitue son domaine ou ses revenus ordinaires. À partir de la fin du XIIIe siècle, le roi lève l’impôt, à condition de pouvoir le justifier, car une levée sans raison constitue un péché mortel : plutôt que d’avoir à répondre de prélèvements arbitraires lors du Jugement dernier, plusieurs rois, avant de mourir, abolissent l’impôt, au grand dam de leurs successeurs. Car l’impôt doit être
consenti. Certains sont coutumiers, tels ceux prélevés pour le mariage de la fille aînée, pour l’adoubement du fils, pour une rançon à acquitter ou pour un départ à la croisade. La guerre demeure la nécessité la plus facile à justifier : ainsi, la guerre de Cent Ans permet le passage à l’impôt annuel permanent. De cet argent, le roi ne doit garder pour lui que ce qu’il lui faut pour subvenir aux soins de sa famille et aux besoins de l’État, sans thésauriser. Les dépenses sont multiples car il appartient au monarque d’être charitable envers les pauvres et les églises, large envers ses barons. À partir du XIIIe siècle, il doit également financer des administrations plus nombreuses, des guerres, et une diplomatie plus coûteuse. L’impôt étant mal réparti, injuste - les clercs et les nobles en sont exemptés et les élites urbaines n’y sont guère assujetties -, les caisses royales sont fréquemment vides. La fiscalité est, par-delà les siècles, le talon d’Achille de la monarchie française. L’APPAREIL MONARCHIQUE Pour remplir ses multiples tâches, le roi peut compter sur l’aide de sa famille - ceux du « sang de France » -, mais également sur le conseil des grands vassaux, qui lui sont liés par l’hommage, et enfin sur un appareil d’État composé d’officiers spécialisés. Cette spécialisation s’accentue à mesure que la monarchie s’affirme comme absolue. Après sa réorganisation par Louis XIII et Richelieu, le système des Conseils atteint la perfection sous le règne de Louis XIV, la principale de ces instances de gouvernement étant le Conseil des affaires (appelé aussi Conseil d’en haut, ou Conseil d’État), où ne siègent que les ministres d’État. Même si le roi est à l’origine de toute décision, il a, dès le haut Moyen Âge, un devoir de consultation préalable. Il doit savoir s’entourer de bons conseillers, vassaux ou spécialistes. Les réunions des états ou les assemblées provinciales sont une autre façon de solliciter le Conseil, mais les états généraux ne sont plus réunis entre 1614 et 1789. Nombreuses également sont les remontrances de l’Université, des parlements, de la Chambre des comptes. Quoi qu’il en soit, c’est le roi qui décide en dernier ressort, en s’efforçant toujours de respecter la coutume et de ne pas brusquer ses sujets. Il lui convient d’innover sans se couper des traditions. Ainsi, la réforme de l’administration provinciale décidée par Louis XVI (1778) est-elle d’abord testée dans le Berry.
LA SUCCESSION ROYALE La succession royale reste longtemps coutumière. Même si Clovis succède seul à son père Childéric Ier en 481, la coutume franque de répartition équitable du patrimoine paternel entre tous les fils perdure jusqu’au Xe siècle. Elle est peu à peu remise en cause par l’habitude de privilégier le fils aîné : les Capétiens se succéderont ainsi de père en fils jusqu’au début du XIVe siècle. Mais en 1316 meurt Louis X, premier fils de Philippe le Bel, en ne laissant qu’une fille (son fils posthume, Jean Ier, ne vit pas au-delà de quelques jours). Avec l’appui des grands du royaume, l’aîné des frères de Louis X, Philippe, écarte sa nièce de la succession en évoquant la coutume de masculinité et accède au trône sous le nom de Philippe V. Ce dernier ne laissant également que des filles, la même procédure est appliquée en 1322, au profit de leur oncle Charles IV. De même, quand celui-ci meurt en 1328 sans postérité masculine, son cousin Philippe VI de Valois est reconnu comme roi par les barons du royaume afin d’exclure de la succession les descendants mâles des filles royales (notamment le futur Édouard III d’Angleterre, fils d’Isabelle de France et petit-fils de Philippe le Bel). La loi salique, loi franque redécouverte au XIVe siècle (selon laquelle « tout l’héritage de la terre doit passer au sexe viril »), ne sera alléguée qu’a posteriori, sous le règne de Charles V. La grande ordonnance de 1374 est la première à formaliser les principes de la succession royale en France. Désormais, le fils aîné du roi, ou son plus proche parent par les mâles, accède au trône (avec tutelle par la reine en cas de minorité). Pas plus que le roi ne peut choisir son successeur, l’héritier ne peut refuser la succession. La fonction royale est conçue comme l’administration temporelle d’une couronne qui appartient à la communauté du royaume et non au roi. À partir du XVIe siècle, la succession est instantanée : « Le roi est mort. Vive le roi ! ». Bien que tardif, cet automatisme successoral est parfaitement intégré. Henri IV rallie bon nombre de catholiques dès la mort de son prédécesseur, alors que son cousinage par les mâles remonte au XIIIe siècle, et que son protestantisme est contraire à la coutume. Les rois enfants Louis XIII, Louis XIV et Louis XV sont accueillis dans l’enthousiasme. Une seule obligation est constamment réitérée : un roi doit être français et catholique. C’est pourquoi Henri IV abjurera finalement sa foi protestante (1593).
Les principes de perpétuité dynastique sont donc bien établis par les règles de la succession royale. Peut-on néanmoins changer de roi ? Les théologiens abordent la question à travers deux notions fondamentales : le roi « inutile » et le roi « tyran ». La première est invoquée par les Carolingiens, qui justifient leur arrivée au pouvoir en présentant les derniers Mérovingiens comme des « rois fainéants » ; elle est reprise par les penseurs de l’époque des Lumières qui, n’osant pas s’en prendre directement à la personne de Louis XVI, ridiculisent le « bon roi Dagobert ». Quant à la seconde, aucun roi n’a été jamais été, en France, durablement considéré comme un tyran ; seuls ses conseillers portent la responsabilité des décisions considérées comme arbitraires. Jamais le tyrannicide n’a été vraiment en faveur dans l’opinion, et la maladie, pas même la folie (Charles VI), n’a autorisé à déposer un roi. Aucun corps politique n’existe d’ailleurs, face au roi, pour endosser une telle responsabilité. LES MANIFESTATIONS PUBLIQUES Le roi doit imposer le respect et maintenir une distance entre sa personne et le peuple. Ses apparitions publiques sont entourées de faste et de majesté. Ritualisées à partir du XIIIe siècle, les « entrées royales » dans une ville se pratiquent jusque vers 1650. Elles ont pour but de témoigner de la nature des liens qui unissent le roi et son peuple venu l’accueillir. Une telle cérémonie se prépare longtemps à l’avance. Selon les cas, le roi entre par la plus grande porte de la cité et se rend directement à la cathédrale, ou bien il fait d’abord le tour de la ville, partout acclamé par le peuple en liesse. Il est reçu hors les murs par le corps de ville, tandis que le clergé l’attend à la cathédrale, et marque de nombreuses stations sur les places ou devant les monuments publics afin d’assister aux spectacles et d’écouter les demandes de la population. L’enfermement du spectacle royal dans la cour de Louis XIV à Versailles réduit les occasions de contacts directs entre le souverain et son peuple, et les humbles ne voient plus du pouvoir que des manifestations bien abstraites. Seules les funérailles royales demeureront publiques. Il faut en effet pleurer le roi, mais également exprimer l’idée de la continuité du corps politique. En 1223, la dépouille mortelle de Philippe Auguste, qui a été embaumée, est conduite de Mantes à Saint-Denis, vêtue d’or, couronnée et tenant le sceptre, visage découvert. Le mannequin funéraire, apparu en Angleterre en 1327 à l’occasion de
la mort d’Édouard II, est utilisé en France en 1422 pour représenter le défunt Charles VI. Dans l’attente de l’arrivée du duc de Bedford, downloadModeText.vue.download 831 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 820 régent en vertu du traité de Troyes (1420), on fabrique une effigie vêtue de la robe du sacre, mains et visage de cire, portant les regalia. Jusqu’en 1610, tous les rois, à l’exception de Louis XI, auront leur effigie. À la fin du XVe siècle, celle-ci est articulée, et l’héritier n’assiste plus aux funérailles paternelles. Cette pratique de représentation du roi par un mannequin, censé symboliser l’immortalité de la dignité royale, est abandonnée bien après le concile de Trente, l’Église ayant toujours marqué de fortes réticences à son égard. La mort des rois de France s’aligne alors, dans une certaine mesure, sur le lot commun. rois fainéants, expression péjorative longtemps utilisée par les historiens pour désigner les derniers rois mérovingiens, surtout ceux qui ont régné après Dagobert (629/639) et ont laissé leurs maires du palais gouverner : Clovis II, Childéric II, Childebert III, Chilpéric II, Thierry IV... jusqu’à Childéric III qui, en 751, est définitivement détrôné par Pépin le Bref et, tonsuré, envoyé au monastère de Saint-Bertin pour y finir ses jours. Dans son Histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain (publiée en 1776-1781 et traduite de l’anglais par Guizot en 1812), Edward Gibbon écrit : « Le malheur ou la faiblesse des derniers rois de la race mérovingienne avait attaché à leurs noms le titre de fainéants [...]. Toutes les années aux mois de mars et de mai, un chariot attelé de six boeufs les menait à l’assemblée des Francs... » Ferdinand Lot, quant à lui, dans la Fin du monde antique et le début du Moyen Âge (1927), affirme : « Louis XV parlait comme eût parlé un roi mérovingien, si celui-ci eût été capable de réfléchir sur la nature du pouvoir qu’il exerçait. » Le mépris à l’égard des derniers successeurs de Mérovée a longtemps été véhiculé par les manuels scolaires républicains. Même Dagobert, le « roi qui met sa culotte à l’envers », n’échappe pas à la dérision dans la chanson enfantine qui le présente comme un monarque stupide, impuissant et lâche, heureusement flanqué d’un sage conseiller en la personne de saint Éloi.
Cette image des « rois fainéants » émane directement de la propagande antimérovingienne orchestrée par les Carolingiens pour jeter le discrédit sur la dynastie précédente. Évoquant les derniers rois mérovingiens, Éginhard, le biographe de Charlemagne, écrit ainsi vers 826 : « S’il fallait aller quelque part, c’était sur un char traîné par un attelage de boeufs qu’un bouvier menait à la manière des paysans. » L’impotence des derniers successeurs de Clovis n’est pourtant pas due à leur « fainéantise », ni à la dégénérescence de leur race (comme le pensaient les historiens du XIXe siècle), mais à des circonstances historiques précises : la montée en puissance des maires du palais (famille des Pippinides) qui accaparent le pouvoir, les multiples partages du royaume franc, les guerres fratricides et les nombreuses régences causées par la minorité des rois. Roland (Jeanne-Marie ou Manon Phlipon, épouse Roland de La Platière, dite Mme), femme politique (Paris 1754 - id. 1793). Fille unique d’un maître graveur aisé, la jeune Manon reçoit une éducation soignée ; elle fréquente de nombreux artistes et lit beaucoup, de Plutarque à Rousseau (dont l’oeuvre influencera son évolution religieuse vers le déisme). En 1780, elle épouse Jean Marie Roland de La Platière et participe à ses travaux. Ayant la plume facile, elle rédige une partie de l’oeuvre de son mari - des traités techniques et économiques –, et correspond avec les milieux opposés à l’absolutisme. Profondément révoltée par les inégalités sociales de l’Ancien Régime, dont elle a souffert comme fille d’artisan, et marquée par ses lectures, elle est d’emblée favorable à la Révolution. De Lyon, elle envoie des articles, non signés, au Patriote français de Brissot et poursuit sa correspondance avec ses amis révolutionnaires, leur conseillant de s’appuyer sur les sociétés populaires. Lorsque le couple s’installe à Paris en 1791, elle ouvre un salon politique, où se réunissent plusieurs fois par semaine les patriotes les plus radicaux du temps. Elle exerce sur eux une forte influence et contribue à l’élaboration de la politique girondine sous la Législative. Lorsque Roland devient ministre en mars 1792, elle continue à travailler avec lui, rédigeant plusieurs de ses textes, notamment la célèbre lettre envoyée à Louis XVI le 10 juin 1792, qui enjoint à ce dernier de renoncer à son veto, et qui est à l’origine du renvoi du ministère girondin. Véritable femme politique au rôle important, elle ne publie pourtant
guère que sous le nom de son mari ou anonymement. « Je ne crois pas que nos moeurs permettent encore aux femmes de se montrer ; elles doivent inspirer le bien et nourrir, enflammer tous les sentiments utiles à la patrie, mais non paraître concourir à l’oeuvre politique », écrit-elle en 1791. Ses adversaires politiques ne s’y trompent pas, et notamment Danton, qui déclare : « Nous avons besoin de ministres qui voient par d’autres yeux que par ceux de leur femme. » Arrêtée avec les girondins en juin 1793, elle rédige en prison ses Mémoires, qui, mêlant souvenirs personnels et politiques, constituent un témoignage de grand intérêt. Condamnée à mort, guillotinée le 8 novembre 1793, elle aurait prononcé ces mots sur l’échafaud : « Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! » Peu après, un article adressé « aux républicaines », associant dans sa critique Olympe de Gouges à Mme Roland, conclut que « le désir d’être savante la conduisit à l’oubli des vertus de son sexe ». Pour les historiens du XIXe siècle, elle ne fut que l’égérie des girondins. Roland de La Platière (Jean Marie), homme politique (Thizy, Beaujolais, 1734 - Bourg-Beaudoin, Eure, 1793). Entré en 1754 dans l’administration royale du commerce, il devient inspecteur des manufactures de Picardie, à Amiens, en 1766. En 1780, il épouse Manon Phlipon. Leur couple reflète un certain idéal des Lumières : fondé sur l’« amitié », la confiance, l’estime et non sur les stratégies familiales, il est aussi le lieu d’une collaboration et d’un partage intellectuels. Mme Roland aide son mari dans son travail, dans la rédaction de ses livres d’économie. Roland publie en effet de nombreux ouvrages : rapports d’inspection des manufactures, discours académiques, traités techniques sur la fabrication des étoffes de laine et de coton ou sur la préparation de la tourbe. En collaboration avec sa femme, il écrit les articles consacrés aux arts et manufactures dans l’Encyclopédie méthodique de Panckouke. Roland s’y révèle adepte du libéralisme économique ; plus influencé par sa pratique d’inspecteur des manufactures et par les travaux d’Adam Smith que par ceux des physiocrates, il considère l’industrie et le commerce comme les premières richesses d’un pays, et souhaite les libérer des réglementations qui entravent leur essor. Il est nommé inspecteur des manufactures
à Lyon (1784), et accueille avec enthousiasme la Révolution. En 1790, il est élu à la municipalité lyonnaise, qui l’envoie défendre ses intérêts auprès de l’Assemblée nationale. En 1791, les époux Roland s’installent à Paris, s’engageant activement dans le parti patriote. Roland adhère au Club des jacobins et fréquente le Cercle social ; après la fuite du roi, il se rapproche des milieux républicains. Lié à Brissot, il est, comme lui, favorable à la guerre contre l’Autriche et, en mars 1792, entre dans le ministère girondin, où il détient le portefeuille de l’Intérieur. Toujours avec la collaboration de sa femme, il y mène une politique de propagande révolutionnaire qui s’appuie sur les sociétés populaires. Il est renvoyé avec l’ensemble du ministère girondin par le roi (juin 1792). Redevenu ministre de l’Intérieur après le 10 août 1792, il laisse faire les massacres de septembre et recommande ensuite leur oubli. Élu député à la Convention, il renonce à siéger, préférant rester ministre. Il est alors l’objet de vives attaques de la part des montagnards, qui l’accusent d’avoir détruit des papiers de l’« armoire de fer » compromettants pour ses amis girondins et se moquent de l’ascendant intellectuel qu’exerce sa femme sur lui : il démissionne le 23 janvier 1793. Proscrit avec les girondins en juin, il se cache à Rouen mais se suicide lorsqu’il apprend l’exécution de sa femme en novembre 1793. Rollon (Göngu-Hrolfr, dit), chef viking, probablement d’origine norvégienne (mort en 932). Il s’établit en 912, avec ses guerriers, dans la basse vallée de la Seine, à la suite du traité de Saint-Clair-sur-Epte passé avec le roi Charles le Simple. Entre 900 et 910, Rollon ravage les vallées de la Seine et de ses affluents. En 911, il met le siège devant Chartres, où il est battu par les armées franques. Il accepte alors les conditions de paix que lui propose le roi, sur le conseil des archevêques de Rouen et de Reims et avec le consentement du marquis de Neustrie. En échange de sa soumission au roi franc, de sa conversion au christianisme et de la promesse de défendre la vallée de la Seine, Charles le Simple abandonne au chef viking la région de Rouen, Évreux et Lisieux : downloadModeText.vue.download 832 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 821
Rollon se trouve alors à la tête d’une nouvelle principauté. En 912, imité par l’ensemble de ses guerriers, il est baptisé sous le nom de « Robert », puis épouse une princesse carolingienne. Il s’appuie largement sur les structures administratives carolingiennes et manifeste son soutien à l’Église en favorisant l’archevêque de Rouen et les moines bénédictins. En 924, en échange de sa soumission au duc des Francs Hugues le Grand, il obtient les cités du Mans et de Bayeux et réalise ainsi la première extension vers l’ouest de la principauté normande. Rollon apparaît comme le fondateur d’une nouvelle principauté territoriale, la future Normandie, creuset d’une fusion progressive entre une population de guerriers venus du Nord - les Normands - et les populations gallo-romaines et franques. romaine (question). La question de l’unité italienne et des États pontificaux est au coeur de l’actualité politique et religieuse de la France au milieu du XIXe siècle. En effet, le pape Pie IX (1846-1878) est encore « souverain pontife » : « souverain », car il règne de Bologne à Rome sur un État de trois millions d’habitants reconnu internationalement ; « pontife », car il est le chef de l’Église catholique (le catholicisme étant, aux termes du Concordat, la religion de la « très grande majorité des citoyens français »). Trois points de vue antagonistes s’affrontent : le pape voit dans l’indépendance et l’intégrité de ses États la garantie de la liberté de l’Église ; Cavour et les patriotes italiens veulent la disparition du pouvoir temporel pontifical afin d’achever la formation de l’Italie, avec Rome pour capitale ; les gouvernements conservateurs français cherchent l’appui de l’électorat catholique dans une politique de soutien de la papauté. De 1849 à 1870, la question romaine traverse quatre phases. En 1849, la IIe République, présidée par Louis Napoléon Bonaparte et dominée par le parti de l’Ordre, organise une expédition militaire à Rome pour en chasser les républicains : malgré la résistance de Garibaldi, le général Oudinot entre dans Rome le 3 juillet et rétablit le pouvoir temporel du pape Pie IX. En 1859, Napoléon III, allié au Piémont contre l’Autriche (entrevue de Plombières, 1858), décide de recomposer la carte politique de l’Italie du Nord ; mais c’est l’ensemble de la Péninsule, à l’exception de Rome et de Venise, que ses victoires contre l’Autriche (Magenta, Solferino, juin 1859) et l’expédition de Garibaldi en Sicile et à Naples entraînent dans le mouvement
unitaire. Malgré sa rapide volte-face sous la pression des catholiques et des conservateurs (armistice de Villafranca, juillet 1859), l’empereur reconnaît le nouveau royaume italien tout en assurant à Pie IX une protection militaire. De 1861 à 1870, la France maintient ses troupes à Rome et s’efforce d’obtenir de l’Italie qu’elle renonce à en faire sa capitale (convention de septembre 1864, qui fixe la capitale à Florence en échange d’un désengagement français). La tentative armée des volontaires de Garibaldi contre Rome est repoussée à Mentana (3 novembre 1867) par une expédition française épaulée par les « zouaves pontificaux », volontaires recrutés principalement dans l’Ouest et le Midi. En 1870, enfin, dès ses premières défaites dans la guerre qui l’oppose à la Prusse, la France retire sa garnison de Rome : le 20 septembre 1870, les troupes italiennes entrent dans la ville par la brèche de la Porta Pia et mettent fin à l’existence de l’État pontifical tandis que Pie IX s’enferme au Vatican. l ROMAN (ART). Trois hauts lieux pourraient résumer l’art roman : Cluny, Compostelle, la Terre sainte. Autrement dit, l’expansion des ordres monastiques, les routes des pèlerinages, le mouvement des croisades. Trois dynamiques qui ont fait de la France, autour des Xe et XIIe siècles, le riche creuset d’une architecture novatrice aux apports décisifs, d’une forme de sculpture originale et admirée dans l’Europe entière, et dont témoignent la littérature épique et les chansons de troubadours. Trois impulsions qui ont permis à la France, dans la subtilité des échanges politiques, économiques, religieux, pacifiques ou conflictuels entre Latins et Barbares, entre Occident et Orient, d’être le réceptacle fécond de formes anciennes universelles, parfois venues de très loin dans le temps et dans l’espace. Lorsqu’en 1818 l’archéologue Charles de Guerville qualifiait de « romans » les monuments édifiés depuis le VIIIe siècle jusqu’au début de l’époque gothique, il employait à dessein un terme en usage depuis le XVIe siècle pour désigner les langues médiévales issues du latin et pour en souligner l’abâtardissement par rapport aux productions romaines. Le mot ne perd son caractère péjoratif qu’à la fin du XIXe siècle, lorsque l’Antiquité classique est reconnue comme n’étant pas le seul ferment de l’art. En intégrant de façon aussi singulière les tendances et les techniques orientales, byzantines, celtiques, l’art roman ne pouvait plus être considéré comme une simple dégénérescence de l’Antiquité, mais apparaissait comme
l’une des manifestations les plus originales de l’Occident chrétien. UNE ÈRE NOUVELLE La langue d’aujourd’hui restreint l’usage de l’adjectif « roman » à l’art des deux premiers siècles du deuxième millénaire. En Occident, cette période correspond, du point de vue historique, à la constitution d’une Europe chrétienne avec, à l’origine, l’établissement de deux formations politiques : la monarchie capétienne dans le royaume franc, avec l’avènement d’Hugues Capet (987), et le Saint Empire romain germanique, avec le sacre d’Otton Ier à Rome (967). À cela s’ajoute un concours d’événements essentiels : stabilisation et conversion des Barbares normands et hongrois, reconquête de l’Espagne sur les Maures, sécurité politique et sociale, forte expansion démographique et réouverture des routes de commerce, notamment des comptoirs méditerranéens. À l’orée du second millénaire, une ère nouvelle s’ouvre en Occident. • « Une blanche robe d’églises ». Actrice et bénéficiaire de cette nouvelle donne économique et sociale, la France, morcelée, est en quête d’unité et de stabilité. L’Église apparaît alors comme un puisant facteur de cohésion, au carrefour des quatre grandes régions qui font la France. En effet, elle est soutenue et stimulée par d’énergiques figures : les abbés de Cluny, l’abbé de Saint-Étienne de Caen (Lanfranc), les abbés de Saint-Michel de Cuxa et de Gellone en pays de langue d’oc, l’abbé de Saint-Germain-des-Prés (Morart), les évêques, dont le fameux et brillant Fulbert de Chartres (1007-1028). Libre et influente, l’Église met en place son hégémonie par une grande réforme liturgique et monastique (Cluny d’abord, puis Cîteaux avec saint Bernard), par le renforcement de son assise intellectuelle (les écoles de Chartres et de Saint-Victor, à Paris, ont établi leur réputation dans toute l’Europe) et par le développement d’un réseau paroissial rural et urbain si considérable que, selon le moine clunisien Raoul Glaber, chroniqueur et poète, « on eût dit que le monde entier, d’un commun accord, avait dépouillé ses antiques haillons pour se couvrir d’une robe blanche d’églises ». • Construire : souci politique et quête spirituelle. Bâtir est une manière d’affirmer sa présence. Les éléments en bois, jugés trop fragiles, s’effacent au profit de constructions en pierre : au château, le donjon (Langeais, Montbazon, Château-Gaillard), à l’église, la voûte ; l’un et l’autre assurent la solidité de
l’édifice et peuvent être considérés comme des créations romanes. Cependant, si la pierre élimine la menace du feu, elle soulève bien d’autres problèmes : comment faire tenir une structure courbe de pierres, et comment l’épauler ? Cette quête technique, lente au départ puis de plus en plus systématique, est le trait le plus original et le plus caractéristique de l’art roman. Pourtant, cette recherche ne doit pas être réduite à une simple question technique. En entreprenant d’adapter une couverture en pierre à l’ancienne basilique, les architectes romans proposent plus qu’un nouveau procédé constructif : ils recherchent l’unité harmonieuse et spirituelle de l’espace architectural. La charpente, réceptacle peu sensible aux harmonies du chant, rompait l’unité liturgique de l’édifice jusqu’alors voûté uniquement au-dessus du choeur. Fruit d’une nécessité politique autant que spirituelle, le nouvel art d’appareiller la pierre conduit à un développement presque organique de l’édifice, au-delà même des particularités régionales. PARTICULARITÉS RÉGIONALES ET PÉRIODES ROMANES Quatre grandes provinces partagent alors la France : le domaine royal (qu’on appellera « Île-de-France »), le sillon Rhône-Saône (principalement la Bourgogne), la région sud (Aquitaine et Roussillon), enfin la Normandie, dont les initiatives politiques s’orientent vers l’Angleterre et la Sicile. Dans ce cadre géographique, on considère deux grandes périodes. • Le premier art roman. Autour de l’an mil (960-1060), au nord des Alpes, le legs carolingien fructifie, privilégiant la tradition liturgique eucharistique et le culte des reliques (l’architecture en témoigne : crypte, massif occidental, et déploiement du choeur). Quant aux régions du Sud, elles accueillent des emprunts aux mondes gréco-romain et oriental, qui expliquent l’apparition précoce de nefs voûtées dans des édifices comme Saint-Michel de Cuxa et Saint-Martin du Canigou (1001downloadModeText.vue.download 833 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 822 1009). Le plan des églises de ce premier art roman reste modeste ; extérieurement, les murs en moellons sont rythmés et renforcés de lésènes (festons de petits arcs appelés aussi « bandes lombardes », dont le seul nom
indique l’origine). Cependant, dans le duché prospère et conquérant qu’est la Normandie, d’ambitieuses constructions aux modes de couvrement hardis permettent déjà, et sans transition, l’adoption de la croisée d’ogives : à Avranches (1015), au Mont-Saint-Michel (1023-1034), à Bernay (1013-1050) et à Jumièges (consacrée en 1067). • L’affirmation du style. À partir de 1080, l’art roman atteint sa pleine maturité. Les architectes multiplient et affinent les recherches : voûtes en berceau (Saint-Savin-surGartempe), voûtes en plein cintre renforcées par des doubleaux (Vézelay), berceau brisé (Cluny III, dernière église de Cluny édifiée en 1088) et, au point névralgique de l’articulation de la coupole et du transept, coupoles sur trompes (Le Puy) ou sur pendentifs (Angoulême). Afin de ne pas obscurcir la nef en épaississant les murs de soutien, les bâtisseurs créent des supports nouveaux, plus ou moins complexes en fonction des retombées de voûtes : tribunes et demi-berceaux sur les bas-côtés ou collatéraux, piles composées dites « cruciformes ». Là encore, les traditions et les particularités régionales ont joué leur rôle. Mais, tout en constatant les modalités et les caractéristiques propres à chaque région, les historiens n’adhèrent plus à la théorie des « écoles régionales », insistant au contraire sur l’extrême mobilité et sur la liberté de la création artistique. Parmi l’extraordinaire rayonnement des foyers créateurs, une place à part revient à la Bourgogne, où le paysage architectural impose aux regards, par l’implantation de Cluny et notamment de Cluny III, les constructions les plus prestigieuses et les plus décisives : Tournus, La Charité-sur-Loire, Vézelay... Le rôle novateur de l’Aquitaine est aussi reconnu, quoique plus diversifié, avec trois grands pôles : Poitiers, Toulouse et, à l’extrémité orientale, Clermont. C’est dans cette région que les croisades influèrent le plus sur l’art. ÉCHANGES ET FILIATIONS, PÈLERINAGES ET CROISADES L’étude des multiples sources de l’art roman ne peut faire perdre de vue le flux de dévots qui se déversait alors sur les routes, pèlerins de tout bord, rois et manants, prêtres, moines et laïcs. On sait qu’en 1030 le roi Robert II, auquel la soumission à l’Église valut le surnom de « Pieux », se mit en route vers Saint-Gilles dans le Gard et vers Sainte-Foy à
Conques. On sait aussi que, dès le Xe siècle, le Mont-Saint-Michel était le pendant français du monte Gargano italien. On connaît surtout Compostelle. Le pèlerinage en ce lieu plus proche que Rome ou que Jérusalem était une véritable croisade : on allait sur les traces de celui dont la légende avait fait un matamaure (« celui qui tue les Maures ») et auprès du tombeau d’un disciple du Christ, saint Jacques. En amont, ce « fait pèlerin » fut favorisé par la sécurité des routes et la « décontraction économique », pour reprendre les termes de Georges Duby ; en aval, il eut des conséquences considérables, dont les échanges avec le monde musulman ne sont pas les moindres, ni l’ouverture des grands chantiers, précisément entre 1050 et 1130 (Conques, Saint-Martial à Limoges, SaintSernin à Toulouse...). Pour faciliter l’accueil des pèlerins et la vénération des reliques, une architecture savante se met en place, avec des cryptes et de vastes déambulatoires ouvrant sur des chapelles rayonnantes. Pourtant, il faut introduire ici une précision d’importance car longtemps ces superbes compositions architecturales ont été expliquées par la nécessité de bâtir des « églises de pèlerinage ». Or, l’examen d’oeuvres plus anciennes conduit à constater aujourd’hui que certaines de ces églises possédaient antérieurement ces caractéristiques (crypte de la cathédrale de Clermont, Xe siècle), et que d’autres en avaient été dotées pour des motifs de liturgie monastique principalement (Saint-Benoît-sur-Loire). L’éclectisme des sources, qui est une constante de l’art roman, s’accentue avec le phénomène des croisades. Depuis l’occupation de Jérusalem par les Turcs, le premier et le plus saint de tous les lieux de pèlerinages était inaccessible. Mais, à partir du XIe siècle, le commerce est rétabli en Méditerranée, l’homme européen n’a plus peur de reprendre la mer et, l’établissement d’une monarchie chrétienne aidant, l’ancien pèlerinage devient croisade, prêchée par le pape Urbain II, lors du concile de Clermont (27 novembre 1095). L’Église reprend à son compte la combativité féodale. Deux siècles s’ensuivent où alternent conquêtes et défaites. Le va-et-vient des croisés qui s’installent en terre d’Orient ou qui en reviennent crée un phénomène d’interpénétration culturelle. À titre d’exemple, la reconstruction du Saint-Sépulcre à Jérusalem suit des principes architecturaux romans, tandis qu’en Occident naissent les églises à file de coupole de type oriental. UN DÉCOR FONCTIONNEL
ET ARCHITECTONIQUE Jamais décor d’église n’aura été aussi dépendant de l’architecture qu’au cours de cette période. L’édifice roman, commandé par les besoins de la liturgie, ordonne à son tour couleurs et reliefs. Car considérer les créations décoratives comme des expressions artistiques autonomes est aux antipodes de l’esprit médiéval : ni placage ni ajout, elles obéissent au primat architectural. L’oeuvre fondamentale est l’église, et tout motif sculpté ou peint fait corps avec l’édifice, dont il souligne les éléments. • La sculpture : du méplat au relief. Après les siècles mouvementés des Invasions, où seuls des petits objets de bronze, pierreries et orfèvrerie maintenaient l’art du relief, la sculpture renaît quasi simultanément dans les différents territoires, usant de motifs qui trahissent la multiplicité de ses origines. Ce constat pose aux médiévistes une question difficile, celle de la chronologie des chantiers et de la complexité des contacts qu’ils entretenaient. Comme l’architecture dans laquelle elle s’insère, la sculpture romane relève de deux traditions. Dans les premiers temps est pratiquée une taille « en méplat », proche de la glyptique ou de l’orfèvrerie ; la technique et les motifs restent dépendants de leurs sources (ivoires, enluminures, tissus, arts précieux) : les linteaux du Roussillon (Saint-Genis-desFontaines, Saint-André de Sorède, Arles-surTech) et la série des chapiteaux de Bernay signés « Isembardus » sont de ce type. Mais, au cours de la seconde période, le relief se creuse, les formes s’assouplissent, deviennent dynamiques et élégantes. Il faut reconnaître ici les rôles privilégiés et moteurs de la Bourgogne - où s’illustrent le Maître des chapiteaux du choeur de Cluny III, et Gislebert à Autun - et de l’Aquitaine, en particulier des grands centres situés sur la route de Compostelle : Saint-Sernin de Toulouse et Moissac. • La sculpture : du chapiteau au portail. Au temps du premier art roman, ce sont surtout les chapiteaux qui accaparent les artistes. D’inspiration corinthienne ou byzantine, tous ont la même fonction architectonique : faire passer l’arrondi de la colonne (base ou astragale) au plan carré de l’arcade qu’elle soutient (tailloir) par une forme géométrique appelée « corbeille ». Dans ce cadre contraignant, le sculpteur roman déploie une imagination inépuisable. Il s’inspire d’abord de l’iconographie des arts précieux qui lui fournissent des motifs
importés d’Orient, thèmes fantastiques, faune et flore. Puis, au XIIe siècle, le décor sculpté s’épanouit et envahit tout l’édifice, cloîtres, chevets et portails. C’est à ce moment que l’architecture romane reçoit de grands programmes iconographiques. Le décor s’ouvre à la figuration humaine jusqu’alors quasi inexistante : sans doute peut-on reconnaître là, plus qu’ailleurs, un souci d’enseignement. • La peinture. La nudité des églises romanes dans leur état actuel est trompeuse. La polychromie de la sculpture, les pavements colorés, les peintures murales, les vitraux, irradiaient alors des jeux de couleurs dans une ambiance chaleureuse. Nous ne pouvons plus aujourd’hui imaginer ce règne de la couleur, qui triomphait partout en Europe, entretenue par la circulation des enluminures et des arts précieux. Ambulants, les ateliers de peinture murale sont plus difficiles à cerner que les foyers de sculpture : dans bien des cas, la multiplicité des sources laisse en suspens la question de l’antériorité entre l’enluminure, la plaque d’orfèvrerie ou la peinture. Le style, les techniques et l’iconographie permettent cependant, avec nuance et prudence, de diviser, schématiquement, les peintures murales françaises en deux groupes. Dans l’Ouest de la France (du Berry au Poitou, la vallée du Loir) se manifeste une prédilection pour les peintures mates à fond clair, procédé le plus répandu. Outre le remarquable cycle de Saint-Savin-sur-Gartempe, deux ensembles sont restés presque intacts, à Vicq et à Brinay, dans l’Indre. Le style véhément du premier contraste avec celui tout en douceur du second. Mais, dans tous les cas, et de même que dans la petite crypte de Tavant (Indre-et-Loire), au graphisme presque expressionniste, la gamme des couleurs est réduite : ocre, vermillon, un peu de vert, et des rehauts noir et blanc. Les peintres privilégient le mouvement et ignorent les dégradés, qui donnent l’illusion du volume. downloadModeText.vue.download 834 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 823 Par l’intermédiaire de Cluny III, de ses rapports privilégiés avec le monastère italien du Mont-Cassin, les provinces de Bourgogne, d’Auvergne et du Sud-Est adoptent les peintures brillantes à fond sombre, dans lesquelles techniques savantes « à la grecque » et motifs byzantins (grecques, rubans, draperies
peintes) se conjuguent aux thèmes hiératiques romains. La traditio legis (remise de la Loi à Pierre) - thème cher au Saint-Siège -, représentée dans l’abside du prieuré de Berzé-laVille, en est un remarquable exemple, affirmation picturale de la dépendance étroite de Cluny avec Rome. • Les arts précieux. On objectera que tous les arts ne sont pas nécessairement tributaires de l’architecture. S’il fallait chercher des exceptions, on avancerait sans doute les arts somptuaires. Pourtant, cette prodigieuse production n’en est pas si indépendante, soit parce que les oeuvres sont elles-mêmes des édifices miniatures à une ou trois nefs, allant jusqu’à reprendre l’iconographie développée sur les monuments, soit parce qu’elles ont été créées, précisément, pour magnifier un sanctuaire et contribuer à sa « splendeur céleste ». Les matériaux s’affinent entre le XIe et le XIIe siècle. Les techniques aussi. Le travail conjugué de l’orfèvre et de l’émailleur, et la richesse des gisements métalliques du Limousin favorisent l’essor de prestigieux ateliers et l’exportation internationale de l’oeuvre de Limoges. Cette extrême mobilité a permis aux arts précieux de bénéficier, plus que toute autre forme d’art, des échanges artistiques en Europe et au-delà de la Méditerranée. UN DÉCOR DIDACTIQUE ET SYMBOLIQUE Puisque l’esprit médiéval appréhende l’édifice comme une fusion entre les parties architecturales au sens strict et le décor sculpté ou peint, il n’est pas étonnant que les « noeuds » fonctionnels du monument - portail d’entrée, transept, abside et autel - soient privilégiés : « Plus que jamais l’esprit de la forme définit la forme de l’esprit » (Henri Focillon). L’activité artistique des XIe et XIIe siècles a un but avoué : le sanctuaire est conçu comme la réplique sur terre de l’Église au ciel, la Jérusalem céleste. Pour cette raison, on a souvent qualifié cet art de « religieux ». Or, les critiques d’un saint Bernard devant ce qu’on pourrait appeler la démesure à la fois inquiétante et séduisante du décor obligent à cerner de plus près cette notion de « religieux ». • Un univers religieux, un monde ordonné. Le XIe siècle est un temps de croyances mêlées, où le divin se confond avec le magique et le fantastique, où le combat des passions (orgueil, argent, sexe) est intense, voire violent, où le sacré et le profane, le visible et l’invisible, ne sauraient être opposés, car l’univers tout entier est envisagé dans une perspective sacrale, selon une puissance or-
donnée dans laquelle chaque élément, flore, faune, homme, occupe une place de choix. Parallèlement, ces puissances obscures ont fait naître une foule d’initiatives personnelles comme celles des ermites, des « reclus », des fondateurs d’ordres éphémères, que l’excès et l’intransigeance ont conduit à l’hérésie dualiste. Pour y répondre, les ordres monastiques (Cluny, Cîteaux) et de grands penseurs (Bernard de Clairvaux, Bernard de Chartres, Alain de Lille, Jean de Salisbury...) ont entrepris un remarquable effort de mise en ordre de la pensée et engagé de rudes combats contre les doctrines dualistes, fondamentalement opposées à la religion chrétienne. L’existence de tous ces mouvements de fond, qui dominent l’époque romane, interdisent d’appréhender la structure et le décor d’église par le seul biais de considérations constructives ou esthétiques. • Plan basilical et plan orienté. Sauf exception, les églises romanes procèdent du plan basilical hérité du début du christianisme, lequel avait adopté, à l’encontre du temple païen, la basilique romaine, édifice civil destiné à accueillir divers rassemblements du peuple. Ce choix est significatif : pour le chrétien, le lieu de la présence divine n’est pas lié à un espace forclos ou infranchissable, mais au rassemblement des fidèles, ce que traduit le double sens du mot ekklesia. En second lieu, image de la présence divine, l’église romane se doit de refléter l’ordre universel qui émane de la divinité. Par ses mesures et ses formes, elle reprend à son compte le carré - dont les quatre côtés égaux symbolisent le Cosmos, l’Univers créé, ses éléments - et le cercle, figure parfaite d’éternité et d’incréé. Le carré du transept, sur lequel s’élève la coupole sphérique, est le lieu privilégié où s’exprime cette symbolique associant macrocosme et microcosme, qui, si l’on se réfère à la littérature, jouit au XIIe siècle d’une très grande fortune. Enfin, une troisième mesure est à prendre en ligne de compte, celle de l’homme. De nombreux textes médiévaux établissent en effet une analogie formelle entre le corps de l’homme et le corps mystique de la chrétienté, la Jérusalem céleste - projection imaginaire du vieux principe augustinien de la civitas Dei (cité de Dieu). D’où la structure ad quadratum de la nef, réservée aux fidèles, et la forme concave de l’abside, emblème de l’espace divin, auxquelles s’ajoute la symbolique du contraste lumière/ténèbres opérée par l’orientation du chevet au Levant (sol salutis). • Le portail, accès à la Révélation. La porte
est, sans aucun doute, le lieu le plus caractéristique de cet univers symbolique. Sur les tympans, dans une monumentale composition en éventail qui reprend en plan l’image de l’abside, de grandioses théophanies se trouvent projetées à l’adresse des fidèles. À la face de l’Univers, enveloppé d’une « gloire » rayonnante (mandorle), plus grand et plus haut que les autres personnages, selon l’échelle hiérarchique médiévale, au centre de la vision, s’impose le Christ Pantocrator, alpha et oméga, premier et dernier, principe et fin. C’est à Moissac, dès 1100, que ce thème trouve son plein épanouissement. • L’iconographie, langage nouveau, répertoire ancien. Dans ce contexte religieux, l’Église entend jouer des valeurs symboliques pour détourner les esprits des forces hideuses du mal. La fonction symbolique de ces images « médiatrices de mystère » (Chenu) s’exprime avant tout dans ce qu’on appelle le « bestiaire ». Surabondant est ce répertoire animalier, et tel qu’on a parfois l’impression d’un véritable délire imaginatif : les monstres, difficilement identifiables, s’entre-dévorent, faune mi-réelle mi-fantastique. Tout un fonds d’images venues d’Asie, « des formes vieilles de trois mille ans » (Émile Mâle), véhiculées par les siècles précédents, renouvelées et enrichies par les contacts avec les chrétientés d’Orient ou l’islam, est réinterprété aux XIe et XIIe siècles par une abondante littérature appelée précisément Bestiaires. Ceux-ci font, avec verve et grand succès, une relecture chrétienne et moralisante du Physiologus, compilation écrite à Alexandrie au IIIe siècle, sorte d’encyclopédie où le monde animal, réel ou fabuleux, est considéré comme un miroir des passions humaines. La figuration humaine a elle aussi reçu cette charge symbolique. Le corps humain n’a aucune valeur en soi : accessible aux métamorphoses, il est traité selon ce qu’on veut montrer. L’image, simple décor ou instrument d’enseignement acquiert, grâce à la maîtrise des registres et à la juxtaposition des formules, un pouvoir extraordinaire : « Femme je suis povrette et ancienne, /Ne riens ne sçait, oncques lettres ne leuz. / Au moustier voy, dont suis paroissienne, / Paradis painct, où sont harpes et luze, /Et ung enfer où dampnez sont boulluz. /L’ung ma fait peur, l’aultre joye et liesse... » (Villon, OEuvres poétiques). UNE ÉVOLUTION DES MOEURS Au fil du XIIe siècle, le fossé se creuse entre la vie rurale, sédentaire et cloîtrée des moines,
et la vie citadine. Le commerce et l’artisanat engendrent de nouveaux modes de vie. Les mentalités, moins tributaires de la nature, se transforment et appréhendent différemment le réel, la société, ses exigences, et par là-même l’art. Au sein même de l’Église, une exigence spirituelle et intellectuelle surgit, dont saint Bernard et l’abbé Suger sont, chacun à leur manière, les chefs de file. Ces deux hommes se sont connus, estimés et confrontés. Il ne convient pas d’opposer, comme on l’a fait si souvent, deux évolutions parallèles. S’il n’eurent pas les mêmes idées en ce qui concerne l’art et son usage, du moins lui firent-ils faire, l’un comme l’autre, un bond prodigieux, le premier en orientant l’art roman vers l’épure harmonieuse des murs, des formes et des mesures, le second en misant sur la richesse et le rayonnement des choses précieuses, éclats des choses invisibles. L’impulsion était alors donnée qui allait trouver son épanouissement dans l’art gothique. Roman de la Rose (le), titre d’une oeuvre derrière lequel se cachent en fait deux textes différents, l’un écrit par Guillaume de Lorris vers 1225-1230, l’autre dû à Jean Chopinel, dit Jean de Meung, qui reprit et enrichit l’oeuvre de son devancier vers 1270-1275. Le texte initial est un « art d’aimer » courtois allégorique. Après que le dieu d’amour l’a frappé de ses cinq flèches, le narrateur part à la conquête de la Rose, figure de la jeune fille belle, fragile, mais difficile à approcher, dont il s’est épris. Il est aidé par divers complices (Bel Accueil), ou contrarié par des adversaires (Danger, Raison, Male-Bouche, etc.) de l’amour, auxquels sont prêtés une apparence et un comportement humains. Le poème, downloadModeText.vue.download 835 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 824 long de quatre mille vers, reste inachevé et s’interrompt lorsque l’Amant, en butte à Jalousie, semble en difficulté. Jean de Meung, clerc érudit, traducteur de textes latins anciens et contemporains (notamment les Lettres d’Héloïse et Abélard), reprend et détourne totalement l’oeuvre, à laquelle il ajoute quelque dix-huit mille vers. S’il garde la fiction de la conquête de la Rose, son poème prend la forme d’une encyclopédie satirique qui, de polémique (contre les femmes ou les ordres mendiants) en disser-
tation, passe en revue avec ironie la plupart des sujets susceptibles d’intéresser un clerc de son époque. Comme dans toute encyclopédie médiévale, la compilation est de règle. Mais Jean de Meung la met en perspective à l’aide d’idées personnelles percutantes. Il en ressort notamment, au-delà d’une grivoiserie typique de la cléricature, un hymne à la nature qui n’épargne guère la littérature courtoise et dans lequel on a pu voir une sorte de « communisme nostalgique » et utopique. Le Roman de la Rose est une oeuvre capitale : presque tous les grands noms du Moyen Âge finissant ont des dettes envers lui. De nombreux poètes reprendront les allégories de Guillaume de Lorris ; beaucoup de penseurs seront fascinés par l’esprit de libre examen de Jean de Meung. Roman de Renart, ensemble de récits de longueur inégale appelés « branches » et composés, pour l’essentiel, entre1170 et 1250, par des auteurs presque tous inconnus. Contrairement au roman - au sens moderne du terme -, ces branches se succèdent sans ordre logique ou chronologique : les plus anciennes s’enchaînent encore dans une continuité narrative minimale, mais les plus récentes deviennent indépendantes. À partir de la matrice initiale de ces contes - la guerre entre Renart et le loup Ysengrin - s’élaborent des récits dont le sujet majeur est la perfidie de Renart. Emblème de la ruse et de la méchanceté, le « roux de pute aire » trompe des victimes humaines, et surtout animales qui, d’une espèce à l’autre, incarnent des qualités ou des défauts tirés de l’observation de la nature : le manque de courage du lièvre Couard, la fatuité du coq Chanteclerc, la gourmandise de l’ours Brun, etc. Mais, derrière ces histoires simples, comiques et volontiers grivoises, se déploient une satire sociale qui, sur fond d’anticléricalisme marqué, attaque la féodalité - Renart se révolte souvent contre le lion Noble - et une parodie littéraire qui raille les chansons de geste et l’amour courtois. Le Roman de Renart, dont les sources, très discutées, sont à la fois folkloriques et cléricales, connaît un succès considérable dès l’origine, à tel point que, de nom propre à consonance germanique, Renart (Reinhart) devient un nom commun (« renard »), remplaçant le mot français « goupil ». Il reste le type même du conte animal et de l’écrit satirique. Rome (traité de) ! européenne (construction)
Romme (Gilbert), homme politique (Riom, Puy-de-Dôme, 1750 - Paris 1795). Éduqué d’abord par les oratoriens de Riom, il étudie ensuite la médecine à Paris, puis devient précepteur du fils du comte Stroganov. En 1779, il part avec son élève pour Saint-Pétersbourg, où il séjourne cinq ans, et revient s’établir à Paris en 1789. Homme de principes et de projets politiques radicaux, il s’enthousiasme pour la Révolution, et l’« égalité absolue à parité de mérite ». Aussi accueille-t-il très favorablement l’abolition des privilèges. En 1790, il fonde son propre club - la Société des amis de la loi -, dont les membres se réunissent chez Théroigne de Méricourt et défendent notamment l’égalité des droits entre les sexes. Élu à la Législative, il rédige pour le Comité d’instruction publique un projet d’éducation « pour les enfants des deux sexes issus de toutes les classes de la société », qu’il développe ensuite à la Convention en proposant une éducation nationale pour tous, gratuite et obligatoire. Le procès du roi marque une évolution dans son parcours politique ; il rejoint les rangs de la Montagne, où il retrouve son ami Couthon, avec qui il avait dirigé la Société populaire jacobine de Riom. Son engagement associe fidélité et singularité. Représentant en mission, il est emprisonné à Caen par les fédéralistes (mai 1793), mais refuse que l’on sanctionne ses ravisseurs. Il milite pour la déchristianisation tout en soutenant le gouvernement révolutionnaire lors de la mission qu’il effectue dans le SudOuest du 5 ventôse an II au 4 vendémiaire an III (23 février-25 septembre 1794), puis s’oppose à la réaction thermidorienne. Sans avoir préparé l’insurrection du 1er prairial an III (20 mai 1795) - au cours de laquelle des sans-culottes envahissent la Convention en réclamant du pain et l’application de la Constitution de 1793 -, il se retrouve au premier plan pour défendre « les droits de l’homme et les lois qui doivent les garantir ». Décrété d’arrestation sur une motion de Tallien, il déclare pour sa défense : « J’ai vu dans la mêlée des hommes affamés de crimes ; j’en ai vu de pressés par le besoin demandant de bonne foi du pain et une garantie de la liberté. Aux premiers la justice doit toutes ses rigueurs. L’humanité ne doit-elle pas aux autres une main secourable ? » Il réaffirme ainsi son adhésion au projet politique de l’an II avant de se poignarder pour en témoigner aux côtés des autres martyrs de prairial.
Roncevaux (bataille de), nom donné à un épisode du règne de Charlemagne, au cours duquel, le 15 août 778, les Basques écrasent l’arrière-garde de l’armée franque commandée par l’empereur au retour d’une malencontreuse expédition en Espagne. Voulant tirer profit de la révolte des musulmans contre Cordoue, Charlemagne fait route avec deux armées jusqu’à Saragosse, ville qui, redevenue fidèle à l’émir, ne lui ouvre pas ses portes. Mal reçu par les Basques, pourtant chrétiens, Charles ordonne d’incendier Pampelune et peut-être est-ce là la raison de l’attaque de l’arrière-garde franque dans le défilé de Roncevaux, où plusieurs grands personnages trouvent la mort, notamment Roland, préfet de la Marche de Bretagne, et le sénéchal Eggihard. Si cette bataille a une réalité historique, c’est néanmoins la littérature épique médiévale qui l’a rendue célèbre par l’intermédiaire de la Chanson de Roland, composée vers la fin du XIe siècle, et qui est l’un des premiers grands textes littéraires en ancien français. Dans ce long poème, imprégné par les idées de reconquête espagnole contre les musulmans, les Basques deviennent des « Sarrasins » et Roland acquiert des attributs légendaires, comme sa merveilleuse épée Durandal qui entaille la montagne (la Brêche de Roland, visible depuis le cirque de Gavarnie) et son olifant, que l’église de Blaye conserve comme une relique. Ce texte connaît un immense succès au Moyen Âge, et bien plus tard, après la défaite de 1870, il sera exalté comme une expression du « génie national » français, Roland étant alors enrôlé parmi les héros guerriers symbolisant la France éternelle et résistant toujours à l’« envahisseur ». Rossbach (bataille de), défaite des Français et des Autrichiens face aux forces de Frédéric II de Prusse, le 5 novembre 1757, pendant la guerre de Sept Ans. Après l’ouverture des hostilités, en 1756, les opérations en Allemagne ont tourné au détriment de la Prusse, que les Russes ont envahie. L’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche souhaite livrer une bataille décisive. Les armées se concentrent en Saxe, au nord-est de Leipzig : aux côtés des 24 000 Français du prince de Soubise, les troupes impériales alignent 30 000 hommes, commandés par le médiocre Hildburg-hausen, mal entraînés et indisciplinés. Frédéric II, lui, ne dispose que de 21 000 hommes, mais bien encadrés. Face aux alliés retranchés dans le village de Rossbach, il fait mine de battre en retraite. Hildburghausen
décide de tourner les positions prussiennes sur leur gauche, scindant ainsi troupes françaises et troupes impériales. Faisant volte-face, Frédéric II attaque ses adversaires en pleine marche ; les Impériaux se débandent sous les charges de la cavalerie prussienne. Soubise ne parvient pas à regrouper ses unités disloquées par la déroute de leurs alliés. Les meilleures se battent jusqu’à la nuit et ne se replient qu’après la mort de leurs officiers. Les vaincus perdent près de 8 000 hommes ; les Prussiens ont 165 tués et 376 blessés. Rossbach eut un impact d’abord psychologique, révélant la médiocrité des généraux coalisés et affermissant la volonté belliciste de l’Angleterre, jusque-là alliée chancelante de la Prusse. La brillante victoire de Leuthen, remportée sur les Autrichiens le 5 décembre suivant, parachève le succès de Rossbach et permet à Frédéric II de reconquérir la Silésie. Rossel (Louis Nathaniel), officier et communard (Saint-Brieuc, Côtes-d’Armor, 1844 - Satory, Yvelines, 1871). Ce protestant d’origine cévenole, fils d’un officier qui a voté « non » au plébiscite de 1851, est polytechnicien en 1864, et sous-lieutenant, pendant la guerre franco-allemande. Fait prisonnier à Metz alors qu’il tente une sortie, il réussit à s’évader et, après un passage par la Belgique et l’Angleterre, reprend le combat comme colonel du génie. Refusant downloadModeText.vue.download 836 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 825 l’armistice du 28 janvier 1871, il quitte l’armée, rejoint Paris le 20 mars, et devient chef d’état-major de la Commune, puis délégué à la Guerre. Cependant, devant l’indiscipline et l’inefficacité de ses troupes, il démissionne dès le 9 mai. Taxé de trahison, il est arrêté ; mais il s’évade, se cache, et ne participe donc pas à la Semaine sanglante. Pris par les versaillais, il est condamné à mort, et exécuté le 28 novembre malgré des manifestations et de vives protestations dans la presse. Quelque dix ans après son exécution, lors de la campagne pour l’amnistie des communards, des voix s’élèvent pour saluer sa mémoire. Dans une chanson, une strophe attribuée à Hugo le magnifie en « mort glorieux pour le salut du monde, comme le Christ est mort par la main des bourreaux », et une
autre, due à Rochefort, affirme que « si le peuple un jour refaisait la Commune, c’est au nom de Rossel qu’il se soulèverait ». Un siècle plus tard, Rossel reste une référence pour une partie de la gauche jacobine (Jean-Pierre Chevènement lui a consacré un téléfilm), mais aussi pour les nationalistes-révolutionnaires d’extrême droite, du fait de ses ambiguïtés d’homme d’ordre au service d’une révolution. Rotgang (saint)! Chrodegang (saint) Rothschild, famille de financiers juifs originaires de Francfort, dont la branche française - l’une des cinq lignées descendant de Meyer Amschel Rothschild (1743-1812) - a acquis une telle place dans l’histoire politique et économique du pays depuis près de deux siècles que le patronyme est entré dans le langage courant comme un synonyme de richesse et de puissance. Cette richesse, les Rothschild la tiennent, initialement, du placement des emprunts d’État sur les marchés financiers : ainsi Alphonse (1827-1905), fils du premier des Rothschild à s’être établi en France (James, 1792-1868), fait-il fortune en plaçant l’emprunt émis en juillet 1872 pour le remboursement des indemnités de guerre (5 milliards de francs or) exigées par l’Allemagne à l’issue du traité de Francfort (mai 1871). Parallèlement à leurs activités bancaires, les Rothschild savent aussi saisir les opportunités offertes par l’industrialisation de la France, dans la seconde moitié du XIXe siècle : sous le Second Empire, ils soutiennent financièrement la Compagnie du Nord et la Société de construction des Batignolles. Dès lors, la puissance économique acquise leur vaut de siéger régulièrement dans de nombreux conseils d’administration (27 en 1863), notamment dans celui de la Banque de France, à partir de 1855. De ce fait, les liens entre les Rothschild et le pouvoir politique sont étroits. Alphonse de Rothschild est ainsi un proche de Napoléon III, qu’il invite à chasser dans son château de Ferrières, et se présente auprès de l’empereur comme un rival des Pereire. Mais l’affaire Dreyfus - malgré la discrétion d’Alphonse de Rothschild, alors président du Consistoire -, l’entre-deux-guerres, puis le régime de Vichy sont marqués par un antisémitisme dont les Rothschild sont victimes. Aujourd’hui, après la nationalisation de la banque Rothschild en 1982, Rothschild & Cie Banque, héritier de l’établissement du même nom créée en 1817 par James de
Rothschild, se concentre sur la gestion de fonds et le financement des sociétés, et n’occupe qu’une place mineure dans le classement mondial des géants financiers. Mais la famille contrôle d’autres établissements financiers, qui entretiennent des liens étroits avec la banque anglaise NM Rothschild and Sons. La fortune familiale est également immobilière, industrielle et vinicole, avec la production de crus prestigieux, mouton-rothschild et lafiterothschild. Rouher (Eugène), homme politique (Riom, Puy-de-Dôme, 1814 - Paris 1884). Fils d’un avoué auvergnat, Rouher fait son droit à Paris, avant de devenir avocat d’affaires dans sa ville natale. Par son mariage avec la fille du maire de Clermont-Ferrand, il s’affirme comme une notabilité locale. Morny le remarque et le pousse à se présenter aux élections législatives de 1846. C’est un échec. Et lorsque la révolution de 1848 survient, Rouher abandonne le camp conservateur pour se faire élire comme républicain à l’Assemblée constituante. Il revient vite, il est vrai, à des positions très conservatrices et se rapproche du prince-président qui le nomme ministre de la Justice en octobre 1849. Après le coup d’État du 2 décembre 1851, il entre au Conseil d’État. En 1855, il devient ministre de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics, et joue un rôle déterminant dans le développement économique du pays sous le Second Empire, notamment en négociant le traité de libre-échange avec l’Angleterre en 1860. Mais c’est comme ministre d’État, de 1863 à 1869, que sa carrière prend un tour décisif. Chargé de défendre la politique impériale devant les Chambres, il profite du décès de Morny, de l’affaiblissement de Napoléon III, malade, et du soutien de l’impératrice pour s’affirmer comme une sorte de vice-empereur. Il est alors tout-puissant et cumule même, durant quelques mois en 1867, son ministère et celui des Finances. Politiquement, il incarne la résistance à la libéralisation du régime - une orientation que Napoléon III le force pourtant parfois à défendre. Orateur brillant, homme d’État énergique, Rouher pèche toutefois par manque de convictions profondes et par une certaine surenchère verbale qui le conduit à qualifier péremptoirement l’expédition du Mexique de « grande pensée du règne » ou encore à affirmer que le royaume d’Italie ne s’emparera « jamais » de Rome. En 1869, l’orientation libérale se confirmant, il démissionne le 12 juillet, puis est nommé président du Sénat. Rouher garde assez d’influence auprès de Napoléon III pour
lui suggérer le plébiscite de mai 1870. Après la chute de l’Empire, il continue à animer le parti bonapartiste et siège à la Chambre de 1872 à 1881. Défenseur inlassable de la Constitution de 1852 et serviteur fidèle de Napoléon III, Rouher symbolise l’Empire autoritaire et le gouvernement personnel ; sa lutte acharnée contre les partisans d’une libéralisation du régime a dominé la vie politique des années 1860. Il n’a pu empêcher une évolution qu’il a cependant considérablement freinée. Rousseau (Jean-Jacques), écrivain genevois d’expression française (Genève 1712 - Ermenonville, Oise, 1778). Sa vie autant que son oeuvre, en décalage par rapport aux modèles sociaux et littéraires classiques, s’imposèrent à travers l’Europe entière comme le signe d’une sensibilité nouvelle. • De la célébrité à l’exil. Fils d’un horloger genevois, Jean-Jacques perd sa mère à sa naissance et passe son enfance de pensions en apprentissages. En 1728, il abandonne Genève et le protestantisme, découvre l’amour avec Mme de Warens, à Chambéry puis aux Charmettes, et la sensualité du catholicisme. Supplanté par un rival auprès de Mme de Warens, il est condamné à une vie errante avant de devenir précepteur à Lyon, secrétaire à Paris, puis à Venise auprès de l’ambassadeur de France. Il tente à Paris une carrière musicale, fait jouer les Muses galantes (1745), puis le Devin de village (1752), prend parti pour la musique italienne dans la querelle des Bouffons. Il se lie alors avec Diderot, qui le charge de rédiger les articles musicaux de l’Encyclopédie. Allant visiter son ami, prisonnier au château de Vincennes, il aurait eu la révélation de tout son système : l’aliénation des hommes, qui font de la perfectibilité de l’espèce une chute vertigineuse dans l’égoïsme de la propriété, dans l’artifice de la technique et de l’art. Il développe cette intuition dans deux réponses à des concours académiques, le Discours sur les sciences et les arts (1750), qui le fait connaître, et le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755), qui lui assure un succès de scandale. En l’espace de quelques mois, il devient célèbre. Mais les milieux littéraires ont tendance à réduire à de brillants paradoxes ce qui constitue pour Rousseau un engagement vital. Se réconciliant avec Genève, dont il reprend le titre de citoyen, il abjure le catholicisme. Il marque de plus en plus ses distances par rapport au groupe encyclopédique, par rapport à Diderot lui-même. La rupture est
consommée à propos de l’article « Genève » de l’Encyclopédie, rédigé par d’Alembert, qui attaque le refus du théâtre par les pasteurs genevois. Rousseau réplique par une Lettre à d’Alembert sur les spectacles (1758) : le théâtre serait illusion et mensonge, alors que la fête où chacun est à la fois acteur et spectateur scelle une communauté. Il donne coup sur coup un roman, Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761), et deux traités, Émile et Du contrat social (1762). Les trois oeuvres se complètent dans une tension entre la politique, la pédagogie et la vie vécue. À l’aliénation des sociétés existantes, Rousseau oppose un même idéal qui s’exprime dans des modèles différents : Émile critique les modes d’éducation en vigueur et propose la formation d’un homme libre ; le Contrat social analyse une cité fondée sur la volonté générale ; Julie ou la Nouvelle Héloïse cherche dans une communauté réduite à quelques belles âmes une solution aux conflits entre le désir et l’ordre. Émile et le Contrat social s’attirant la condamnation des autorités françaises, Rousseau prend la downloadModeText.vue.download 837 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 826 fuite pour éviter l’arrestation. Il se réfugie à Môtiers-Travers, en Suisse, puis dans l’île de Saint-Pierre, sur le lac de Bienne, non sans essayer de répondre aux critiques et de justifier ses livres dans une Lettre à Christophe de Beaumont (archevêque de Paris, qui avait attaqué Émile, et en particulier la fameuse « Profession de foi du vicaire savoyard ») et des Lettres écrites de la montagne (réponse aux Lettres écrites de la campagne de Jean-Robert Tronchin, procureur à Genève, à l’origine de la condamnation des livres de Rousseau). À la suite d’une invitation lancée par Hume, l’illustre fugitif se rend en Angleterre, mais une brouille survient bientôt entre les deux hommes et le rend à sa vie errante. • Les plaidoyers d’un solitaire. Rousseau marque sa fidélité à lui-même par le mariage et par l’écriture autobiographique. En 1768, il épouse Marie-Thérèse Levasseur, servante sans éducation avec laquelle il vit depuis plus de vingt ans, et dont il aurait eu cinq enfants, abandonnés aux Enfants trouvés. Elle restera sa compagne jusqu’à sa mort, sans qu’on puisse comprendre exactement la nature du lien qui les a unis. Avec les Confessions, il entreprend de justifier moins ses livres et sa pensée que sa propre personnalité, garante de
l’honnêteté de son oeuvre littéraire et philosophique : cette histoire de sa vie est écrite dans la nudité du chrétien qui se confesse devant Dieu, dans le dépouillement du solitaire qui ne peut plus compter sur l’aide de ses semblables, mais aussi dans la complicité de l’écrivain qui s’adresse à des lecteurs anonymes et à une postérité sans visage. Revenu à Paris, Rousseau reprend son métier de copiste. Il fait des lectures des Confessions dans quelques cercles qui lui sont favorables, suscitant l’inquiétude de ses anciens amis encyclopédistes qui composent ce qu’on a pu nommer des « Contre-confessions », les Mémoires de Mme de Montbrillant, mémoires romancés de Mme d’Épinay. Les attaques et manoeuvres qui entourent sa personne le persuadent qu’il est l’objet d’un complot visant à étouffer sa voix : il compose alors Rousseau juge de Jean-Jacques. Dialogues, ouvrage qui entérine le clivage entre Rousseau et Jean-Jacques, entre l’être et le paraître, et engage la conversation avec un Français de bon sens et de bonne foi. Après les Confessions, il entend poser la question même de la communication et de la parole. En 1776, il tente de déposer un manuscrit des Dialogues sur le grand autel de Notre-Dame, et son échec lui semble sceller sa solitude ici-bas. Ses dernières années sont celles de promenades dans les alentours de Paris et de relations avec quelques rares amis, Bernardin de Saint-Pierre ou le marquis de Girardin, dont il accepte l’hospitalité à Ermenonville. Il écrit alors les Rêveries du promeneur solitaire, dix rêveries d’un homme libéré du souci de raconter sa vie (comme dans les Confessions) ou bien de la justifier (comme dans les Dialogues). La liberté de la flânerie et le plaisir de l’écriture sont à l’image de cette difficile indépendance morale qu’il estime avoir conquise. En juillet 1778, sa mort, qui survient quelques mois après celle de Voltaire, frappe l’opinion comme le signe de la fin d’une époque. • L’intégration à la mémoire nationale. En 1780 et 1782 paraissent les Dialogues, en 1782 et 1789 les Confessions, dont la lecture bouleverse l’Europe. Julie ou la Nouvelle Héloïse avait déjà été l’un des grands succès romanesques du siècle, suscitant des échanges épistolaires entre le romancier et ses lecteurs, justifiant toutes les identifications. Le rapport émotif direct avec le texte bouscule toutes les conventions esthétiques classiques, et fait de Jean-Jacques-le-proscrit l’apôtre d’une nouvelle sensibilité. Les pèlerinages qui se multiplient dans l’île des Peupliers, à Ermenonville, où le marquis de Girardin a fait inhumer son ami, puis, lors d’une grande fête révolutionnaire en 1794, le transfert solennel de ses
cendres au Panthéon, nouvellement devenu le temple de la mémoire nationale, illustrent bien la double destinée de celui qui reste à la fois Rousseau et Jean-Jacques : Rousseau le romain, penseur de la vertu républicaine, référence des révolutionnaires en quête de caution idéologique, et Jean-Jacques le romantique, âme sensible qui parle à d’autres âmes sensibles, écrivain libre de toute compromission avec les institutions littéraires. La collection complète de ses oeuvres est éditée par ses amis fidèles et disciples - le marquis de Girardin, le Genevois Moultou et le Neuchâtelois Du Peyrou -, de 1779 à 1782, et suivie de compléments. Elle mêle textes littéraires et philosophiques et correspondances, donnant à lire un écrivain, un théoricien et un individu dans sa singularité. Le cas personnel devient dès lors l’illustration d’une aliénation analysée théoriquement. Le geste autobiographique apparaît comme le fondement et comme le dépassement de la réflexion philosophique, tandis que des textes mineurs prennent sens dans l’ensemble d’une démarche. L’Essai sur l’origine des langues, qui n’est à l’origine qu’une note détachée du second Discours, et le Dictionnaire de musique, né de la collaboration à l’Encyclopédie, fondent une esthétique. Les Lettres sur la botanique et les Fragments pour un dictionnaire de botanique associent précision scientifique et plaisir d’écrire. Le Projet de Constitution pour la Corse et les Considérations sur le gouvernement de Pologne complètent et nuancent l’abstraction du Contrat social, en prenant en compte deux cas particuliers et concrets. Ce solitaire rêvant de solidarité, ce Genevois ayant surtout vécu hors de sa cité natale, ce contempteur de la culture auteur d’opéras et de romans, incarne les contradictions de son temps et de la postérité. Si son nom est revendiqué par les libéraux du XIXe siècle en lutte contre la réaction idéologique, il sert aussi à certains défenseurs du christianisme pour attaquer une philosophie des Lumières matérialiste et athée, ou bien aux premiers socialistes et à la génération de 1848 pour marquer leur distance à l’égard de l’égoïsme voltairien et bourgeois. Inversement, Rousseau apparaît à la tradition cléricale et monarchiste comme le responsable de tous les errements politiques et esthétiques : il incarnerait la perte de l’identité française et la ruine du classicisme sous l’influence d’un esprit genevois, protestant, féminin. Charles Maurras dénonce ainsi l’homme qui a livré la France à la Révolution et au romantisme.
Le premier centenaire de sa mort en 1878, peu après la fin de l’Empire, la répression de la Commune et l’instauration de la IIIe République, puis le bicentenaire de sa naissance en 1912 sont prétexte à de violentes joutes verbales et à des affrontements politiques visant à déterminer le rôle de l’État dans la commémoration. Le XXe siècle a fait jouer de nouveaux rôles à Rousseau, devenu l’ancêtre d’un mouvement libertaire et hippie ou bien d’une conscience écologique, tandis que les débats sur le totalitarisme ou sur le féminisme se crispent souvent sur l’interprétation de son oeuvre. Son nom reste, aujourd’hui encore, l’objet d’adhésions enthousiastes et de rejets non moins passionnés. Roussillon, territoire compris entre les Pyrénées et la Méditerranée, dont le centre vital est Perpignan - la Ruscino antique. Ancienne province, il forme aujourd’hui le département des Pyrénées-Orientales. Zone de passage, le Roussillon a subi diverses dominations (Romains, Vandales, Alains, Suèves, Wisigoths, Sarrasins), avant de passer sous celle des Carolingiens : Pépin le Bref s’empare de Narbonne en 759, puis Charlemagne organise la marche d’Espagne en s’appuyant sur le pouvoir des comtes. Le temps est aussi à la construction de grandes abbayes, telles que Saint-Michel de Cuxa et Saint-Martin du Canigou (883-900). En 1172, Alphonse II d’Aragon hérite du dernier des comtes le Roussillon, sur lequel Saint Louis abandonne ses droits en 1258. Puis Jacques le Conquérant, comte de Barcelone, roi d’Aragon, unit les comtés de Roussillon et de Cerdagne aux Baléares, à la vicomté d’Aumelas et au territoire de Montpellier pour former au profit de son frère le royaume de Majorque, indépendant de 1276 à 1344. Perpignan s’enrichit, à cette époque, de prestigieux édifices : la cathédrale (1324), le palais des rois de Majorque, la forteresse du Castillet (1368), ou encore la Loge de mer, destinée à servir de Bourse (1397). En 1463, Louis XI annexe la ville et, douze ans plus tard, Jean d’Aragon lui cède le comté contre son soutien. Des Français s’y installent, attirés par le développement agropastoral, le textile, les mines, les voies de communication. Mais, en 1493, Charles VIII rend le comté aux Rois Catholiques. C’est seulement au XVIIe siècle que la France rétablit sa domination : en 1640, profitant de la guerre franco-espagnole (1635-1659), les Catalans, révoltés contre la Castille, offrent la
couronne comtale à Louis XIII, qui prend Perpignan et Salses en 1642. Au traité des Pyrénées (1659), Louis XIV obtient définitivement le Roussillon et la Cerdagne puis, à la conférence de Céret (1660), la frontière franco-espagnole est plus ou moins fixée. Mais, à Villefranche, un complot est organisé en 1674 pour rendre le Roussillon à l’Espagne. En Vallespir, une guerre civile éclate (1666-1674). Louis XIV envoie alors Vauban fortifier plusieurs places et s’attache au développement de Perpignan : gouvernement militaire, intendance, conseil souverain (1660) ; évêché ; fonderie de canons (1666). Dès 1682, pour accéder aux professions libérales, l’usage du français devient obligatoire et, par un édit de downloadModeText.vue.download 838 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 827 1700, il remplace le latin et le catalan. Les Catalans s’assimilent mais, jusqu’à aujourd’hui, ils conservent leur langue, et certains pensent que « le peuple du Roussillon se nomme et s’estime catalan et regarderait comme une dégradation ou une injure le nom de Français ou de Catalan français » (comte de Boulainvilliers). Rouvier (Maurice), homme politique (Aixen-Provence 1842 - Neuilly 1911). Venu du monde de la banque, cet ami de Gambetta devient parlementaire, député des Bouches-du-Rhône de 1871à 1885, puis des Alpes-Maritimes jusqu’à 1903, avant d’être sénateur de ce département jusqu’à sa mort. Il entre comme ministre du Commerce et des Colonies dans le « grand ministère » constitué par Gambetta en novembre 1881, mais qui ne dure que deux mois. Jules Ferry lui confie le même portefeuille (octobre 1884-mars 1885). En 1887, cumulant les fonctions de ministre des Finances et de président du Conseil, Rouvier dirige le premier gouvernement républicain, bénéficiant de la neutralité des droites, dont il entend ne pas dépendre pour sa majorité mais qu’il incite au ralliement. Il n’échoue qu’à cause de la démission du président de la République Jules Grévy après la révélation du scandale des décorations. De nouveau ministre des Finances de février 1889 à décembre 1892, dans les gouvernements Tirard, Freycinet, Loubet et Ribot, il pratique une politique « orthodoxe », limitant les dépenses publiques. Lors du scandale de Panamá, il admet avoir reçu des subsides
d’amis banquiers pour financer la lutte contre le boulangisme : il doit donc interrompre sa carrière ministérielle. En juin 1902, Émile Combes le rappelle aux Finances pour rassurer les possédants. Il enterre alors les projets d’impôt sur le revenu, puis succède à Combes à la tête du gouvernement en janvier 1905. Cette désignation concrétise un reclassement au centre et préfigure la dislocation du Bloc des gauches. Il désavoue son ministre des Affaires étrangères Théophile Delcassé, partisan de la fermeté à l’égard de l’Allemagne après le discours de Tanger de l’empereur Guillaume II (31 mars 1905), et prépare la conférence d’Algésiras pour régler le différend franco-allemand à propos du Maroc. Il gracie les ligueurs condamnés sous le gouvernement Waldeck-Rousseau, refuse d’accorder aux ouvriers de l’État le droit de se syndiquer, et se désintéresse de la loi de séparation des Églises et de l’État, qui est néanmoins votée en décembre 1905 grâce à l’action de son rapporteur Aristide Briand. L’inventaire des biens cultuels, prescrit par la loi de séparation, vaut à Rouvier des interpellations par les députés de droite. Cette crise, qui le fait tomber en mars 1906, clôt la carrière ministérielle de ce parfait exemple de modérantisme républicain et de fusion entre politique et intérêts financiers. Roux (Jacques), homme politique (Pranzac, Charente, 1752 - Bicêtre, près de Paris, 1794). Prêtre depuis 1779, il prononce dès 1789 des sermons enthousiastes en faveur des vainqueurs de la Bastille et des paysans révoltés, puis approuve la nationalisation des biens du clergé. Accusé d’avoir fomenté des émeutes dans son village et dans les paroisses voisines, il est révoqué en avril 1790. Il rejoint alors Paris, fréquente le Club des cordeliers, prête serment à la Constitution civile du clergé, est nommé vicaire à Saint-Nicolas-des-Champs, dans le quartier populaire des Gravilliers. Proche de Marat en 1792, il se distingue par des discours prononcés dans plusieurs églises, où il réclame des mesures radicales contre les « ennemis de la patrie » et les fonctionnaires modérés, notamment la peine de mort pour les accapareurs et les spéculateurs. Il devient alors le meneur des « enragés » parisiens. Membre du Conseil général de la Commune de Paris à partir du 29 décembre 1792, il exprime sa méfiance pour les hommes en place : « Le modérantisme perd la chose publique », ou « le despotisme sénatorial est aussi terrible que le sceptre des rois », avancet-il. Il apparaît comme le principal soutien
du mouvement populaire en faveur de la taxation lorsque, le 25 juin 1793, il présente avec véhémence à la barre de la Convention les mesures qu’il a toujours préconisées (son adresse est connue sous le nom de « Manifeste des enragés »). Conventionnels et jacobins le dénoncent alors comme un « ennemi du peuple ». La Commune le suspend de son poste et les cordeliers décident son expulsion. Enfin, Marat en fait, dans son journal, une figure de « faux patriote ». Cependant, Roux continue son combat politique, réclamant un maximum général et la levée en masse. Il devient même président de la section des Gravilliers, dont les membres obtiennent sa libération quand il est arrêté une première fois en août 1793. Emprisonné à nouveau le 5 septembre 1793, jugé quelques mois plus tard par le Tribunal révolutionnaire, il se poignarde en pleine audience. Soigné à Bicêtre, le « curé rouge » renouvelle son geste et meurt le 10 février 1794. Royer-Collard (Pierre Paul), homme politique et philosophe (Sompuis, Marne, 1763 - Châteauvieux, Loir-et-Cher, 1845). Royer-Collard est, avec Guizot et Victor Cousin, l’un des fondateurs du courant intellectuel et politique des Doctrinaires, qui exprime les idées de la bourgeoisie monarchiste libérale opposée aux ultras de la Restauration. Après avoir siégé brièvement au Conseil des Cinq-Cents sous le Directoire, Royer-Collard entretient une correspondance avec le futur Louis XVIII en exil, qu’il exhorte à se montrer conciliant à l’égard des principes hérités de 1789. Sous l’Empire, il est nommé professeur de philosophie à la Sorbonne (1811). Marqué par son éducation janséniste, influencé par la philosophie de la perception inspirée des Écossais Thomas Reid et Dugald Stewart, et faisant une critique sévère du sensualisme de Condillac, il développe le principe de la « souveraineté de la raison », qui repose sur l’idée que la souveraineté ne peut jamais être pleinement incarnée. Sa doctrine s’oppose ainsi tant à la conception révolutionnaire de la souveraineté du peuple qu’à l’absolutisme monarchique. Au début de la Restauration, Royer-Collard abandonne sa chaire universitaire et s’engage dans le combat politique à la Chambre, où il est élu en 1815. Il défend alors des lois libérales, notamment celles relatives à la presse et à l’enseignement (contre les prétentions de l’Église), et s’oppose aux lois électorales favorables aux monarchistes
ultras. Il contribue à la chute de Charles X en présentant au roi l’« adresse des 221 » (mars 1830) contre le ministère ultra de Polignac, et appuie le régime de la monarchie de Juillet. Confiant dans l’avenir d’une élite bourgeoise éduquée et dans l’utilisation rationnelle des « capacités », Royer-Collard salue l’oeuvre politique de Tocqueville (De la démocratie en Amérique, 1835), dans lequel il reconnaît une sorte de Montesquieu du XIXe siècle. RPF (Rassemblement du peuple français), formation politique fondée le 7 avril 1947, à Strasbourg, par le général de Gaulle. Après sa démission en janvier 1946, n’ayant pu faire triompher ses vues dans les projets constitutionnels de la IVe République, le Général entend promouvoir un mouvement populaire à la fois pour contrecarrer l’influence du communisme et pour entreprendre la révision des institutions. À Bruneval, le 30 mars 1947, il justifie sa décision en ces termes : « Le jour va venir où, rejetant les jeux stériles et réformant le cadre mal bâti où s’égare la nation et se disqualifie l’État, la masse immense des Français se rassemblera avec la France. » Le Rassemblement, qui est présidé par de Gaulle (aidé du secrétaire général Jacques Soustelle), connaît des débuts prometteurs. Aux élections municipales d’octobre 1947, il recueille environ 35 % des suffrages exprimés dans les villes de plus de 9 000 habitants. Les mairies de grandes villes telles que Rennes, Bordeaux ou Strasbourg lui sont acquises. Mais son recul est tout aussi soudain. Fort de plus de 400 000 adhérents en 1947-1948, le RPF préfère se présenter seul (à quelques exceptions locales près) aux élections législatives de juin 1951, et refuse les « apparentements » (alliance entre plusieurs listes pour le décompte des voix et donc pour la répartition des sièges). Avec 121 députés (dont 3 apparentés), le RPF constitue le premier groupe parlementaire, mais il n’est pas en mesure d’imposer le changement institutionnel. En outre, il ne réussit pas à attirer à lui une partie des modérés : au contraire, 27 députés RPF votent l’investiture d’Antoine Pinay, le 6 mars 1952, et forment le groupe dissident Action républicaine et sociale (ARS). De plus, en juin 1953, 77 parlementaires RPF s’inscrivent à l’Union des républicains d’action sociale (URAS), présidée par Jacques Chaban-Delmas, qui accepte des fonctions ministérielles et, par conséquent, l’intégration au système politique de la IVe République. Un communiqué du général de Gaulle, le 13 septembre 1955, annonce la mise en sommeil du RPF.
La courte expérience du RPF s’explique par ses ambiguïtés. Alors qu’il a vocation d’être un rassemblement - dont seuls les communistes sont a priori exclus -, il devient en fait un parti à cause du refus même des partis constitués de permettre à leurs membres la « double appartenance ». En outre, le groupe parlementaire RPF concilie mal l’attitude d’opposition systématique au régime et le jeu électoral. Le RPF souffre aussi de la concurrence du MoudownloadModeText.vue.download 839 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 828 vement républicain populaire (MRP) et du Centre national des indépendants et paysans (CNIP). Enfin, il n’a pas le monopole de l’anticommunisme et du nationalisme. Le RPF méritait-il davantage que les quelques lignes que lui a consacrées le général de Gaulle dans ses Mémoires ? La réponse est affirmative si l’on évalue combien est important l’héritage du RPF dans la Ve République gaullienne, tant chez les élites que dans la culture gaullistes. RPR (Rassemblement pour la République), parti politique fondé en 1976 par Jacques Chirac et qui succède à l’Union des démocrates pour la Ve République (UDR). Cette formation revendique l’héritage du gaullisme, c’est-à-dire une « certaine idée de la France » et de l’indépendance nationale, un État souverain et volontariste, un engagement en faveur des droits de l’homme, de la liberté individuelle et du progrès social. Jacques Chirac prend l’initiative de transformer l’UDR en RPR, le 5 décembre 1976, pour faire face à une situation inédite pour le mouvement gaulliste depuis 1958 : la perte du pouvoir. Après l’élection, en 1974, d’un non-gaulliste à la présidence de la République - Valéry Giscard d’Estaing -, dont il devient pourtant le Premier ministre, Jacques Chirac s’oppose au chef de l’État à l’été 1976 et quitte Matignon. Les gaullistes restent dans la majorité mais il leur faut s’adapter pour ne pas être réduits à une simple force d’appoint. Avec le RPR, dont il est le président, Jacques Chirac se dote d’un outil pour conquérir le pouvoir, avec un objectif immédiat : préparer les élections municipales de 1977, et législatives de 1978. Il réduit l’influence des gaullistes historiques (Jacques Chaban-Delmas,
Olivier Guichard) au profit d’une nouvelle génération, développe une organisation qui mêle les caractères d’un parti de cadres et d’un parti de masse, fort de 150 000 membres. Cette « machine électorale » permet à son président d’être élu maire de Paris en 1977, et remporte un succès aux législatives de 1978 (22,7 % des voix pour le RPR ; 20,2 % pour l’UDF), mais échoue à l’élection présidentielle de 1981. En 1986, le RPR ayant le groupe parlementaire le plus important, le président de la République François Mitterrand nomme son chef à Matignon. Mais, après un nouvel échec de Jacques Chirac à l’élection présidentielle de 1988, le RPR connaît de fortes tensions internes, ses membres étant divisés sur la construction européenne (son secrétaire général, Alain Juppé, en accord avec Jacques Chirac, approuve le traité de Maastricht, au contraire de Philippe Séguin et de Charles Pasqua). L’élection présidentielle de 1995 donne lieu à de nouvelles dissensions au sein du RPR, qui voit s’opposer au premier tour deux candidats issus de ses rangs, Édouard Balladur et Jacques Chirac. Ce dernier est finalement élu et nomme au poste de Premier ministre Alain Juppé, qui assure la présidence par intérim du RPR depuis 1994. Mais, après la dissolution de l’Assemblée nationale en avril 1997, et la victoire de la gauche aux élections législatives (juin), Philippe Séguin accède à la tête du RPR (juillet), et tente de le réformer en décidant de l’élection de son président par l’ensemble des militants. Il réaffirme les valeurs traditionnelles du gaullisme pour rassembler les « compagnons », mais le RPR recule lors des élections régionales de mars 1998, certains de ses élus étant même tentés par un rapprochement avec le Front national. Devant le flottement de l’opposition républicaine, et pour retrouver une dynamique électorale, le RPR esquisse une stratégie de rapprochement avec l’UDF en créant une éphémère structure commune, l’Alliance. Mais à l’approche de l’élection présidentielle de 2002, une nouvelle tentative de création d’un grand parti rassemblant diverses tendances de droite, est lancée pour soutenir la candidature de Jacques Chirac. Peu après, l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP) voit le jour en 2002 dans laquelle se fondent le RPR ainsi qu’une partie de l’UDF (notamment Démocratie libérale). rubané, nom donné à la première civilisation néolithique de la moitié nord de la France, qui introduisit l’agriculture sédentaire et l’élevage dans cette région, durant la première moitié du Ve millénaire.
Le rubané représente, plus précisément, l’extrême avancée occidentale d’une culture néolithique née vers la fin du VIe millénaire en Europe centrale, appelée « culture à céramique linéaire », qui se répandit dans la quasi-totalité de l’Europe tempérée, de la mer Noire à l’Atlantique et des Alpes à la Baltique. Le rubané, ou plus exactement le « rubané récent du Bassin parisien », en est donc une variante régionale relativement tardive et, souvent, de par sa situation périphérique, plus pauvre dans les manifestations de sa culture matérielle. L’appellation « rubané » provient de la manière dont sont décorées les poteries (avec des motifs géométriques rectilignes ou curvilignes gravés sur la pâte fraîche, ou imprimés à l’aide d’outils en os à plusieurs dents). Particulièrement typiques sont les habitations rectangulaires en bois et en terre, qui pouvaient atteindre 45 mètres de long, dont le toit à double pente était supporté par de nombreuses rangées transversales de trois poteaux. Plusieurs villages ont été mis au jour, le plus complet étant celui de Cuiry-lès-Chaudardes (Aisne). Ces villages étaient disposés régulièrement le long des principales rivières du Bassin parisien. Leur économie reposait essentiellement sur l’élevage du boeuf et du porc, accessoirement sur celui du mouton et de la chèvre, et sur la culture des céréales. Les morts étaient inhumés en position foetale, à l’écart du village, et quelques objets étaient disposés dans leurs tombes. Les défunts étaient souvent porteurs de parures de coquillages, certaines provenant de l’océan Atlantique. Le rubané, qui supplanta partout le tardenoisien et ses chasseurs-cueilleurs mésolithiques, évolua lui-même sur place. À partir de la seconde moitié du Ve millénaire, on parle du « groupe de Villeneuve-Saint-Germain », qui étendit encore un peu plus la colonisation néolithique vers le sud, la mettant en contact avec le courant néolithique méditerranéen (ou « épi-cardial »). Puis succéda la « culture de Cerny », dans laquelle se firent jour les premiers phénomènes de différenciation sociale (monuments funéraires, enceintes cérémonielles) qui devaient déboucher sur le chalcolithique. Rubrouck (Guillaume de), religieux missionnaire (Rubrouck, près de Cassel, Nord, vers 1220 - vers 1270). Franciscain originaire des Flandres françaises, Guillaume de Rubrouck appartient à l’une des premières générations mission-
naires des ordres mendiants du XIIIe siècle qui, alors que la croisade en Terre sainte connaît des signes d’essoufflement, prônent un nouvel idéal d’évangélisation. Très certainement compagnon de Saint Louis pendant la croisade d’Égypte, il est chargé par ce dernier d’une mission évangélique en Asie centrale, vers 1253 ; les ambitions diplomatiques du roi de France sous-tendent ce projet missionnaire chez les Mongols. De retour à Saint-Jean d’Acre, où il est retenu par son ordre religieux, Guillaume de Rubrouck relate son périple asiatique dans deux longues missives adressées au roi (Des moeurs des Tartares, Itinéraire de l’Orient). Il y raconte avec précision les différents aspects de la vie quotidienne des Mongols et y fait part de ses connaissances géographiques acquises sur le terrain (à cette époque, les travaux des géographes arabes sont très peu connus en Occident). Dans le cadre de son action missionnaire, il participe à des débats théologiques avec les bouddhistes et les musulmans notamment, témoignant ainsi de la conception de la mission dans la pensée franciscaine du XIIIe siècle, fondée sur la conversion « pacifique » des peuples, tout en restant au service de fins apologétiques. Rueil (paix de), accord conclu entre Mazarin et les frondeurs, le 11 mars 1649. Dans la nuit du 5 janvier 1649, Mazarin, la régente Anne d’Autriche et le jeune Louis XIV fuient Paris insurgé pour s’établir à Saint-Germain-en-Laye, sous la protection du prince de Condé. La guerre civile commence. Condé organise le blocus de la capitale, ravage les campagnes environnantes, harcèle l’armée frondeuse et fait noyer les prisonniers pour terroriser les Parisiens. Le prix du blé quadruple en deux mois sur le marché parisien, entraînant la disette pour les plus pauvres. Passé à la Fronde, Turenne ne parvient pas à faire marcher l’armée d’Allemagne sur Paris. Certains frondeurs cherchent l’aide de l’Espagne, ce qui inquiète les patriotes. Par ailleurs, le 19 février, on apprend avec effroi l’exécution « sacrilège » de Charles Ier d’Angleterre par ses sujets révoltés. Un parti modéré s’affirme alors derrière Molé, premier président du parlement, et obtient que l’on engage des pourparlers avec Mazarin. Les rebelles sont amnistiés ; leurs principaux chefs reçoivent même des gouvernements de province et des sommes considérables (jusqu’à 700 000 livres pour le duc de Longueville) ; Conti entre au Conseil d’en haut. En outre, Mazarin promet de limiter les impôts et le recours à l’emprunt. Cependant, cette récon-
ciliation générale - même la duchesse de Chevreuse, exilée à Bruxelles depuis cinq ans, est autorisée à rentrer en France - est une façade. Elle laisse « un levain de mécontents » (Retz), downloadModeText.vue.download 840 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 829 et le Grand Condé est devenu l’arbitre de la situation, ce dont Mazarin ne tarde pas à s’inquiéter. Ruhr (occupation de la), occupation par des troupes françaises et belges des principaux centres miniers de la Ruhr, de 1923 à 1925, afin de garantir la livraison d’actifs dus par l’Allemagne au titre des réparations de guerre. Le 11 janvier 1923, en réaction aux demandes de moratoire du gouvernement allemand, la France, approuvée par la Belgique, envoie dans la Ruhr une Mission internationale pour le contrôle des usines et des mines (Micum), escortée par des troupes nombreuses (47 000 hommes). Cette occupation du coeur industriel de l’Allemagne, qui déclenche aussitôt une résistance passive de la population, appuyée par le gouvernement du chancelier Wilhelm Cuno, est présentée par le président du Conseil Raymond Poincaré comme un moyen d’aller « chercher du charbon », et d’obliger l’Allemagne à une attitude plus conciliante sur le problème des réparations, dont le traité de Versailles (1919) a affirmé le principe mais sans en fixer le montant. Désapprouvée par la Grande-Bretagne, pour qui le relèvement économique de l’Allemagne est indispensable à l’équilibre européen, cette politique de force, élaborée par le gouvernement français au cours de l’année 1922, recouvre plusieurs objectifs. Considérant l’occupation et la saisie du « gage productif » comme une « solution » au problème des réparations, cette politique doit aussi permettre une mainmise française durable sur les mines allemandes, tout en renforçant la sécurité de la France, grâce à une réorganisation de la Rhénanie, séparée du reste de l’Allemagne. En octobre 1923, au moment où s’effondre l’idée d’une république rhénane (échec du « putsch d’Aix-la-Chapelle », fomenté par un industriel belge), la position française change du tout au tout. Cédant à la pression de la Grande-Bretagne et des États-Unis afin de sortir de son isolement diplomatique et de
faire cesser les attaques contre le franc, le gouvernement Poincaré accepte la constitution d’une commission d’experts, chargée de fixer la capacité de paiement de l’Allemagne. Ce retournement est confirmé par le gouvernement Herriot qui, à la conférence de Londres d’août 1924, approuve le plan Dawes (rééchelonnement des versements allemands) et décide d’évacuer, sans contreparties, la Ruhr en l’espace d’un an. L’occupation de la Ruhr en 1923, qui fut approuvée par une grande majorité de l’opinion française (à l’exception des communistes), ne saurait être considérée comme une simple parenthèse, un essai sans lendemain d’une politique d’application rigoureuse des traités de paix en ayant recours à la contrainte. Cet épisode charnière, qui envenima profondément les relations franco-allemandes, peut être interprété, à la fois, comme « le dernier soubresaut du gigantesque effort » fourni par la France en guerre (Jean-Jacques Becker et Serge Berstein) et comme le moyen « de dénouer une situation bloquée » (Stanislas Jeannesson), sans renoncer à un retour, ultérieur, à la négociation. Russie (campagne et retraite de), campagne militaire qui, en 1812, a conduit la Grande Armée jusqu’à Moscou, et s’est achevée par une longue et douloureuse retraite. L’alliance franco-russe conclue à Tilsit (1807) se défait peu à peu, le tsar Alexandre Ier acceptant mal la constitution du grand-duché de Varsovie aux portes de la Russie et le refus de Napoléon de partager la Turquie. Fort des préparatifs diplomatiques et militaires opérés dès l’été 1811, le tsar adresse un ultimatum à l’Empereur (8 avril 1812), lui enjoignant d’évacuer la Prusse et de négocier un traité de commerce avec la Russie. Ayant reçu les renforts de ses alliés autrichiens et prussiens à Dresde, Napoléon prend la route de la Pologne, le 28 mai 1812, à la tête de 600 000 hommes issus de vingt nations. Cette armée s’engage sur le territoire russe le 24 juin, après avoir franchi le Niémen, à Kaunas (Kovno), afin de marcher sur Vilna. Mais les troupes russes, qui ne réunissent que 230 000 soldats, se dérobent à tout affrontement, tandis que Jérôme Bonaparte arrive trop tard pour empêcher la retraite de la IIe armée russe, commandée par le prince Bagration : les manoeuvres visant à encercler et à écraser les adversaires à Vitebsk puis à Smolensk échouent. La victoire de Valoutina, le 19 août, n’est qu’un engagement partiel entre l’avant-garde française et
l’arrière-garde russe. Ce n’est qu’aux portes de Moscou que Davout, Ney et Poniatowski permettent la victoire de la Moskova, les 6 et 7 septembre. Mais, lorsque les Français pénètrent dans la capitale le 14 septembre, celle-ci est ravagée par un incendie provoqué par les Russes, qui ne veulent pas laisser à l’ennemi une ville intacte. Le tsar refusant la paix, la décision de la retraite est prise le 19 octobre. Koutouzov oblige alors Napoléon à reprendre la route du Nord, dévastée à l’aller. L’armée, déjà épuisée par une longue campagne, progresse lentement, « sur trois ou quatre files d’une longueur infinie » (comte de Ségur), victime des attaques des cosaques, des ri gueurs de l’hiver russe et de la famine : au passage de la Berezina, effectué entre les 26 et 29 novembre grâce à l’héroïsme des pontonniers du général Éblé, elle ne compte plus que 30 000 hommes ; lorsqu’elle arrive à Vilna, le 9 décembre, elle n’en réunit plus que 5 000. Entre-temps, le 3 décembre, le 29e bulletin de la Grande Armée annonce le désastre ; le 4, Napoléon quitte son armée pour rentrer en France à l’annonce du coup d’État tenté par le général Malet et en confie le commandement à Murat. Cette campagne meurtrière et qui ne renforce en rien la position de la France en Europe apparaît alors, aux yeux des détracteurs de Napoléon, comme annonciatrice de la chute de l’Empire. Ryswick (traités de), traités mettant fin à la guerre de la Ligue d’Augsbourg, signés les 20 septembre et 30 octobre 1697 dans une localité située au sud de La Haye. Ils sont conclus entre la France, et plusieurs pays - d’abord l’Angleterre, les ProvincesUnies et l’Espagne, puis avec l’empereur Léopold, qui s’obstinait à réclamer Strasbourg -, et marquent un recul de la puissance française. Louis XIV, abandonnant la cause de Jacques II, reconnaît Guillaume III d’Orange comme roi d’Angleterre. Il accepte que les Hollandais tiennent garnison dans certaines villes des Pays-Bas espagnols, formant ainsi une « barrière » de protection. La France restitue ses conquêtes acquises depuis le traité de Nimègue (1678-1679), notamment les « réunions » (sauf Strasbourg), perdant ainsi Trèves, Philippsburg, le duché de Deux-Ponts et, sur la rive droite du Rhin, Fribourg, Brisach et Kehl. Le Luxembourg est rendu à l’Espagne, la ville de Pignerol donnée à la Savoie. Le duc de Lorraine retrouve la quasi-totalité de ses territoires, à l’exception de Longwy et
de Sarrelouis. L’Angleterre récupère TerreNeuve et la baie d’Hudson, dont la France s’était emparée. Allié de Louis XIV, le cardinal de Fürstenberg est rétabli dans ses biens, mais l’Électorat de Cologne reste à la maison de Bavière. Pour prix de ses droits sur le Palatinat, Madame (la princesse Palatine, belle-soeur de Louis XIV) reçoit une indemnité. L’opinion française accueille mal cette paix, conclue alors même que le sort des combats prenait un tour favorable. Pourtant, les Alliés ont échoué dans leur projet de ramener la France à ses frontières de 1648 ou de 1659. Cette paix mesurée, où personne n’est perdant, permet à l’Europe d’attendre dans une relative concorde la succession d’Espagne (le roi Charles II d’Espagne, resté sans enfant, doit désigner un successeur), enjeu considérable qui ne manquera pas de provoquer une nouvelle guerre. downloadModeText.vue.download 841 sur 975 downloadModeText.vue.download 842 sur 975
S sacre, cérémonie religieuse qui confère au roi un caractère divin, et le place au-dessus de tous les laïcs. Les premiers rois sacrés apparaissent dans l’Ancien Testament : dans le Livre des Rois, le grand prêtre oint le prince d’une huile sainte destinée à lui communiquer force et grâce divines, avant de lui remettre le diadème, insigne de son pouvoir. Cette cérémonie permettait de désigner clairement le nouveau roi et d’assurer son inviolabilité. Elle était également supposée changer le coeur et l’esprit du monarque, et lui donner les qualités nécessaires à l’exercice de sa fonction. • L’origine du sacre. Le sacre était inconnu à Rome et à Byzance. Quant à l’accession au pouvoir des rois germaniques, elle était seulement marquée par des rites laïcs tels que la remise de la lance ou l’élévation sur le pavois. Les rois se distinguaient alors des autres guerriers par le port d’une couronne, de vêtements royaux, et par la longueur de leurs cheveux ; leur personne était naturellement sacrée car la légende leur attribuait une ascendance divine. Leur charisme était attesté par leurs victoires ainsi que par l’abondance des récoltes. Le sacre était également inconnu des premiers rois chrétiens : tous les Mérovingiens après Clovis se contentaient de leur charisme personnel et des effets divins du baptême.
Le rituel sacral réapparaît en 672 dans l’Espagne wisigothique, lors du quatrième concile de Tolède, où les évêques veulent protéger le nouveau souverain contre la rébellion des grands et les tentatives de ceux qui veulent attenter à sa vie. Mais le premier roi franc sacré est le Carolingien Pépin le Bref (751) : la cérémonie lui permet d’éliminer le prétendant mérovingien et d’affermir, avec l’aide de l’Église, une légitimité contestée. Le sacre fait du roi - ou de l’empereur, après 800 - un élu de Dieu et un protecteur de l’Église. Lorsqu’au XIe siècle la papauté, plus forte, libère l’Église des mains des laïcs, la réforme grégorienne entraîne une désacralisation des rois : la cérémonie n’est pas comptée au nombre des sacrements, et ne fait plus du monarque que le premier des laïcs. Cependant, la menace de l’excommunication papale, qui pèse sur les empereurs, est nettement moins grave pour les rois de France, fidèles alliés de l’Église et sacrés par l’un de leurs évêques. Quant au pouvoir thaumaturgique royal, qui apparaît vers l’an mil et tend peu à peu à s’exprimer - plus particulièrement à partir du XIIe siècle - dans la guérison des écrouelles, il est rattaché au sacre, malgré les réticences des clercs et le silence des ordines liturgiques. • Le choix de Reims. Il a fallu longtemps pour que soient fixés le lieu du sacre et la dignité de l’officiant (pape, légat pontifical ou archevêque). Reims n’a eu de prétention à l’exclusivité qu’à partir de la fin du IXe siècle, à l’initiative de son archevêque Hincmar. Le premier sacre célébré en ce lieu est celui de Louis le Pieux (816), par le pape Étienne ; par la suite, Hincmar de Reims sacre Charles II le Chauve (869) et Louis II le Bègue (877). En revanche, Charlemagne a été sacré par le pape, à Rome (800), et plusieurs rois, dont le dernier est Louis VI le Gros (1108), l’ont été par l’archevêque de Sens, métropolitain de Paris. L’abbaye de Saint-Denis émet également des prétentions sur cette cérémonie, se fondant sur un faux attribué à Charlemagne, selon lequel « les rois de France ne sauraient être couronnés ailleurs qu’à Saint-Denis ». La prestigieuse abbaye n’obtient finalement que la garde des regalia, objets et vêtements du sacre qui se transmettent d’un roi à un autre ; en outre, à partir de Philippe Auguste, il est de coutume que la tenue de la première cour du nouveau roi ait lieu à Saint-Denis. Cette concurrence explique que le choix exclu-
sif de Reims mette longtemps à s’imposer : il ne triomphe qu’à partir du XIIe siècle, au point qu’il paraît ensuite impensable pour le roi de se faire sacrer ailleurs, et ce jusqu’à Charles X en 1825. Avec l’aide de Jeanne d’Arc, Charles VII n’hésite pas à traverser, pour l’occasion, en 1429, la France sous domination anglaise. Seul Henri IV recevra le sacre à Chartres, pour des raisons de nécessité militaire. Reims a réussi à l’emporter grâce aux poids conjugués de l’histoire et de la légende. L’archevêque de Reims est le plus puissant prélat de France et, depuis toujours, un fidèle soutien de la monarchie. Il peut arguer du fait que le baptême de Clovis a été célébré par saint Remi dans le baptistère de la cathédrale pour laisser entendre que ce baptême était un sacre : au moment décisif, le chrême faisant défaut, une colombe aurait apporté du ciel un baume miraculeux avec lequel le roi aurait été baptisé et sacré. Cette invention de la sainte ampoule trouve sa forme définitive dans la Vita remigii, rédigée par Hincmar à la fin du IXe siècle. À la fin du Moyen Âge, la légende s’enrichit d’autres éléments : on prétend que l’huile contenue dans la sainte ampoule, désormais conservée à l’abbaye de Saint-Remi, reste toujours au même niveau et qu’elle ne se fluidifie pas pour les usurpateurs. • Le rituel. La fixation de ces règles sacrales a pris plusieurs siècles. À la base de tous les rituels futurs, on trouve l’ordo, écrit à la fin du IXe siècle pour Hincmar, et qui institue le serment comme préalable aux deux rites anciens, l’onction et le couronnement. L’ordo de Fulrad, un siècle plus tard, incorpore ces trois temps de la cérémonie à l’intérieur d’une messe solennelle. Mais le plus explicite et le plus usité des rituels français est l’ordo dit « de Saint Louis », composé en 12201230 : aux gestes anciens, il ajoute la remise de l’épée et des éperons, rappelant que le roi est un guerrier. La présence à la cérémonie des douze pairs de France - autre nouveauté illustre le soutien des nobles : ce corps, créé à l’image des douze preux compagnons de Charlemagne, regroupe six ecclésiastiques et six laïcs, ducs et comtes qui symbolisent l’union des grands autour du roi. L’ordo de Saint Louis est modifié par Charles V, qui fait rédiger par Jean Golein un Traité du sacre. Les prières pour avoir une nombreuse descendance, triompher de ses ennemis et maintenir downloadModeText.vue.download 843 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 832 la paix sont multipliées ; la clause d’inaliénabilité complète le serment. À l’occasion de la cérémonie, un décor provisoire de bois peint, de tentures et de tapisseries est dressé dans la cathédrale. Sur l’estrade édifiée dans le transept sont installés le trône et les sièges des dignitaires, entourant l’autel. Très tôt le matin, tous les participants prennent place, et le fait de ne pas assister au sacre est assimilé à une trahison. La cérémonie nécessite, en effet, la présence de tous les états de la société autour du roi. Le clergé de Reims (archevêque, chapitre, évêques de Soissons, Laon, Beauvais, Châlons et Noyons, l’abbé de Saint-Remi et quelques-uns de ses moines) se voit rejoint par l’abbé de Saint-Denis et ses dignitaires. Quant au peuple, il se trouve dans la nef. Lorsque commence la cérémonie proprement dite, le roi récite le Credo, puis touche l’Évangile de sa main gauche et lève la main droite en signe de foi jurée. Il fait le serment de protéger l’Église et les clercs et promet au peuple justice, miséricorde et paix. Chaque partie du serment est suivie d’un Te Deum et de Fiat Fiat lancés par les clercs et le peuple, en guise d’acclamation - seul legs de l’ancienne élection du prince par les grands et le peuple. Ensuite, le roi change d’habits (chacun d’eux a une signification symbolique précise) : il revêt la chemise fendue (pour les onctions) et la tunique à fleurs de lys d’or ; le duc de Bourgogne lui chausse les souliers aux éperons d’or, emblème de la chevalerie ; l’archevêque de Reims lui donne l’épée qui lui permettra de protéger les églises et de rendre justice au peuple. Vient ensuite l’onction : l’archevêque prend avec une aiguille d’or un peu d’huile dans la sainte ampoule et y ajoute du chrême, oignant la tête du roi puis tous les autres sièges corporels de la force (poitrine, épaules, bras). Le couronnement est précédé de la remise des autres insignes de la royauté par les grands officiers : tunique fleurdelysée et chape, anneau en signe d’union avec le peuple, sceptre et main de justice. Enfin, l’archevêque bénit la couronne et la pose sur la tête du roi, tandis que les douze pairs la soutiennent de leurs mains. Le roi est alors mené au trône, où il reçoit, de l’archevêque puis des autres grands, le baiser de paix et de fidélité. Si le roi est marié, le sacre de la reine suit
immédiatement, avec des prières beaucoup plus simples, qui sont toutes des appels à la fertilité du couple. La messe reprend, puis le roi et la reine communient sous les deux espèces - pain et vin -, comme les clercs. Le soir, un banquet réunit les principaux participants tandis que les rues s’emplissent des rumeurs de la fête populaire. À partir du XIVe siècle s’adjoint à cette cérémonie le premier toucher des écrouelles, qui a lieu le lendemain à Corbeny. Ce prieuré, qui dépend de Saint-Rémi de Reims, conserve le corps de saint Marcoul, lui-même guérisseur de cette maladie de peau proche de l’adénite tuberculeuse. Puis le roi reprend la direction de Paris. Après s’être arrêté à Saint-Denis pour y tenir sa cour, il fait à Paris sa première « entrée » triomphale, entouré d’une foule en liesse. À partir du XVIe siècle, le rituel est complété également par la cérémonie dite « du roi dormant » : auparavant, l’usage voulait que les évêques aillent chercher le roi, au matin, pour le ramener en procession à la cathédrale ; pour Henri II ou François II, ils assistent au lever ; quant à Charles IX, en 1561, il dort encore à l’arrivée des douze pairs de France, qui doivent attendre son réveil devant la porte. Enfin, lors du sacre de Louis XIII (1610), par trois fois l’évêque frappe à la porte et, chaque fois, il lui est répondu : « Il dort ». Quand s’ouvre la porte, le roi paraît. S’agit-il d’un symbolisme solaire qui identifierait le lever du roi de France à celui du Soleil rédempteur ? • Fonction du sacre. Dès la fin du Moyen Âge, on considère que le sacre est utile pour faire connaître et aimer le roi, mais qu’il n’est pas indispensable à la dévolution du pouvoir. La succession royale étant automatique, il n’est plus nécessaire, depuis Philippe Auguste, de sacrer l’héritier du vivant de son père. Selon les juristes, seuls ont besoin du sacre les héritiers qui sont contestés ou les usurpateurs. Mais le peuple est attaché à la cérémonie : il est significatif, à cet égard, que Jeanne d’Arc qualifie Charles VII de « dauphin » jusqu’au sacre de Reims. Le roi y tient autant que ses sujets. C’est seulement à partir de 1750 que se font jour des réactions hostiles à la cérémonie. L’avènement de Louis XVI relance les discussions. Turgot propose de transférer la cérémonie à Paris afin d’en alléger le coût. Mais Louis XVI ne veut rien entendre et souhaite, à l’instar de ses prédécesseurs, un sacre à Reims, « fastueux comme un opéra ». Après la Révolution, le sacre de Napoléon par le pape témoigne de la volonté de
l’Empereur de rétablir l’Empire héréditaire à son profit, et de doter le nouveau régime d’un prestige qui ne le cède en rien à celui des vieilles dynasties européennes. La Restauration aurait dû recourir au sacre, bien que la sainte ampoule ait été détruite en 1793 : au début de l’automne 1814, on procède aux préparatifs du sacre de Louis XVIII, mais le roi préfère renoncer à cette cérémonie désuète et coûteuse. Le dernier sacre est celui de Charles X, le 28 mai 1825 ; la cérémonie est simplifiée et raccourcie, et trois princes du sang seulement y assistent. Le roi ne prête ni serment ecclésiastique ni serment du royaume, mais jure de respecter la Charte ; puis il touche les écrouelles. Jamais il n’a été question de sacre pour Louis-Philippe, mais certains partisans de Napoléon III en ont réclamé un durant tout son règne. En vain : la cérémonie appartenait à une époque révolue. Sacré-Coeur (basilique du), basilique édifiée au sommet de la colline de Montmartre, à Paris, entre 1876 et 1910. À l’origine, sa construction est le fruit d’une initiative laïque : elle est la conséquence du voeu formulé en décembre 1870 par deux membres de la Société de Saint-Vincent de Paul pour la libération de Paris, le salut de la France et la délivrance du pape, prisonnier dans Rome ; sanctionnée par l’Assemblée nationale en juillet 1873, cette résolution, adoptée par un groupe de députés, déclare d’utilité publique la construction de la basilique du Sacré-Coeur sur la colline de Montmartre. En effet, en ces débuts de la IIIe République, l’Assemblée nationale compte une majorité monarchiste associée aux milieux catholiques qui pense que le moment est venu pour une triple restauration : de la monarchie, du pape à la tête de ses États, et de la foi dans le pays (la Révolution étant assimilée à une apostasie). La diffusion du culte du Sacré-Coeur, et sa spiritualité « réparatrice » liée à l’idée de Rédemption, fournissent le terrain idéal à ce patriotisme contre-révolutionnaire en quête du salut de la France, censée devoir expier les « fautes » de la Commune. Inaugurée partiellement le 19 novembre 1886, la basilique, construite d’après le projet architectural de Paul Abadie et entièrement financée sur des fonds privés, est consacrée le 16 octobre 1919. Entre-temps, avec l’enracinement de la République, l’édifice, perçu comme « un défi au pouvoir politique républicain » (François Loyer), a été la cible d’attaques antireli-
gieuses : Clemenceau souhaitait en changer l’affectation, et Zola introduit dans son Paris (1898) un protagoniste qui veut détruire le Sacré-Coeur. Aujourd’hui, devenu à la fois église de pèlerinage et monument du tourisme international (plus de six millions de visiteurs par an), le Sacré-Coeur symbolise Paris dans le monde entier. Sade (Donatien Alphonse François, marquis de), écrivain (Paris 1740 - Charenton 1814). Le « cas » Sade se trouve au confluent d’une crise politique, d’une situation familiale et d’une équation personnelle. La crise politique est celle qui met en cause les anciens privilèges aristocratiques ; la situation familiale est celle de féodaux provençaux ruinés par leur venue à la cour et par des alliances avec les princes du sang ; l’équation personnelle est celle de Donatien, marié, après ses études à Louis-le-Grand et une carrière d’officier durant la guerre de Sept Ans, à une riche héritière de la noblesse de robe. Ses frasques de libertin auraient continué si elles n’avaient, par deux fois au moins, provoqué le scandale : en 1768, à la suite de la flagellation d’une jeune femme, dans une « petite maison », le jour de Pâques, puis, en 1772, à la suite d’une partie fine à Marseille avec son valet et des prostituées, qui se sont cru empoisonnées par des pastilles aphrodisiaques. L’opinion publique, qui se saisit de ces affaires, et l’entêtement du libertin l’emportent finalement sur les protections dont il pouvait se prévaloir : après divers épisodes - fuite, condamnation à mort par contumace, arrestation, évasion, jugement cassé, etc. -, Sade est enfermé par lettre de cachet. Il est libéré à la faveur de la Révolution, avant d’être enfermé à nouveau, pour « modérantisme », en 1793. Thermidor le sauve de la guillotine. L’ordre moral, qui triomphe sous le Consulat et l’Empire, ne peut évidemment que lui être hostile : par mesure de police, Sade est incarcéré en 1801, à Charenton, où il restera jusqu’à la fin de sa vie. Libertin soudain livré à la solitude, il lit et écrit. Son oeuvre littéraire cherche à la fois une compensation aux frustrations et une revanche. L’ancien noble déchu se médownloadModeText.vue.download 844 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 833 tamorphose en homme de lettres. Il répartit sa création en textes alors impubliables (les
Cent Vingt Journées de Sodome, ouvrage révélé au public en 1904), en romans publiés clandestinement sans nom d’auteur (Justine ou les Malheurs de la vertu, 1791 ; la Philosophie dans le boudoir, 1795 ; la Nouvelle Justine ou les Malheurs de la vertu, suivie de l’Histoire de Juliette sa soeur, 1797 [en fait 1799-1801]) et en textes reconnus et signés (Aline et Valcour, 1795 ; les Crimes de l’amour, 1800). Cette oeuvre, à l’écriture brillante, s’impose par un mélange de recettes littéraires traditionnelles, de crudités pornographiques, de discussions philosophiques paradoxales et provocatrices. Longtemps considérée comme symptôme clinique, tandis que le terme « sadisme » était lexicalisé, elle a été reconnue progressivement comme une création littéraire originale, s’inscrivant entre classicisme et romantisme ; ce n’est pas sa qualité la moins singulière que d’allier, à l’athéisme et au matérialisme des Lumières, l’ancien élitisme aristocratique et la méfiance obsessionnelle de la sexualité propre à la Contre-Réforme. Saint-Acheul, site éponyme de l’acheuléen, la plus ancienne civilisation préhistorique attestée sur le sol français. La localité de Saint-Acheul fait maintenant partie du territoire de la ville d’Amiens (Somme). Située sur un promontoire dominant la confluence de l’Avre et de la Somme, elle a été entamée au siècle dernier par plusieurs carrières d’extraction de graviers et de limons. Dès le milieu du XIXe siècle, des bifaces étaient identifiés et plusieurs fouilles successives eurent lieu, les principales menées par Commont entre 1905 et 1917, dans la carrière dite « Bultel-Tellier ». Au cours de l’ère quaternaire, la Somme s’est progressivement enfoncée, creusant sa vallée mais déposant en même temps des alluvions sous forme de terrasses, dont les plus anciennes sont donc les plus hautes. Si certains sites ont été localisés dans ces dernières, les vestiges archéologiques trouvés à Saint-Acheul sont inclus, en plusieurs niveaux successifs, dans les alluvions d’une moyenne terrasse, qui doivent dater d’un demi-million d’années environ. Ces vestiges se composent principalement de bifaces en silex, mais les outils sur simples éclats tendent à se développer dans le temps, pour dominer à la période suivante, celle du moustérien (200 00035 000 ans avant J.-C. environ), au paléolithique moyen. Des vestiges identiques, de niveau comparable, ont été également identifiés dans les carrières de Cagny, à 4 kilomètres de là.
C’est Gabriel de Mortillet qui créa en 1872 le terme d’« acheuléen » pour qualifier la principale civilisation du paléolithique inférieur ; il la faisait encore précéder d’un « chelléen », tombé depuis en désuétude. Si des restes de faune ont été découverts à SaintAcheul (bovidés, chevaux, éléphants), on n’y a pas trouvé trace d’ossements humains, qui devraient appartenir à Homo erectus. Saint-Antoine (faubourg), quartier populaire de l’Est parisien, célèbre pour son industrie de l’ameublement et son engagement révolutionnaire. Turenne y bat les troupes de la Fronde (juillet 1652), mais c’est la Révolution française qui fait entrer véritablement le « glorieux faubourg » dans l’histoire. Rattaché à Paris depuis 1702, ce quartier pauvre, aux rues étroites et boueuses, abrite, à la fin du XVIIIe siècle, 7 % des Parisiens (43 000 habitants) mais concentre 20 % des indigents de la capitale (environ un tiers des habitants du faubourg sont secourus comme tels pendant la Révolution). La majorité des faubouriens sont occupés dans l’artisanat, et surtout par la fabrication de meubles, même si on trouve aussi quelques manufactures. Sa réputation de faubourg révolutionnaire naît dès le printemps 1789. En effet, en avril, s’y déroule la première émeute parisienne, contre le manufacturier Réveillon, accusé par la rumeur de vouloir baisser les salaires. Et 70 % des officiels « vainqueurs de la Bastille » sont des artisans et compagnons du faubourg. Le 20 juin 1792, ce sont les sans-culottes des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel (l’autre grand quartier révolutionnaire) qui manifestent contre le roi. Le faubourg SaintAntoine est encore aux premiers rangs le 10 août 1792 : plus du quart des assaillants tués lors de l’assaut des Tuileries y habitaient. L’intervention des faubouriens n’est pas limitée aux insurrections : à plusieurs reprises, ses trois sections (Montreuil, Quinze-Vingts, Popincourt) adressent à la Convention des pétitions, qui illustrent bien les aspirations des sans-culottes. Au printemps 1795, on s’attend à ce que le faubourg s’insurge contre la Convention thermidorienne : en effet, il joue un rôle décisif dans l’insurrection de prairial an III, mais le 4 prairial, cerné par la force militaire, il capitule, et la répression qui s’ensuit affecte durement son petit peuple. Appelé au XIXe siècle « le Faubourg », il
est le symbole du Paris populaire et révolutionnaire : en juillet 1830 et en juin 1848, il se couvre de barricades ; lors du coup d’État de 2 décembre 1851, les députés de gauche exhortent les ouvriers du faubourg à résister ; et, sans se distinguer particulièrement, il participe à la Commune de Paris. Au XXe siècle, tout en conservant son caractère populaire et plutôt marqué à gauche, le faubourg cesse de se signaler par ses interventions révolutionnaires, et devient dès lors un des « lieux de mémoire » de l’histoire. Saint-Arnaud (Jacques Arnaud Le Roy, dit Jacques Achille Le Roy de), militaire et homme politique (Paris 1798 - en mer Noire, à bord du Berthollet, 1854). Cheville ouvrière du coup d’État du 2 décembre 1851, Saint-Arnaud est la figure type des hommes nouveaux, ambitieux et énergiques sur lesquels Louis Napoléon Bonaparte s’appuie pour parvenir au pouvoir. Sa jeunesse est celle d’un déclassé : orphelin d’un père préfet d’Empire, il mène une vie aventureuse en Europe, sous-lieutenant dans la Légion corse, combattant en Grèce puis exilé misérable en Angleterre. Réintégré dans l’armée en 1831, il sert sous les ordres du général Bugeaud, à qui la garde de la duchesse de Berry est confiée, avant de s’engager en 1836 dans la Légion étrangère. Envoyé en Algérie l’année suivante, il est alors simple lieutenant, mais termine l’expédition coloniale avec le grade de général de brigade. Il s’illustre notamment lors de l’assaut de Constantine et des expéditions de Mascara, Mostaganem ou Laghouat. Rappelé par Bugeaud en métropole pour maintenir l’ordre à Paris durant les journées de février 1848, il convainc peu, ce qui dresse cet ambitieux déçu contre la République. De retour en Algérie, il est remarqué par Louis Napoléon Bonaparte, qui cherche à gagner des officiers généraux à sa cause. Nommé, par faveur, général de division, il est muté à Paris en août 1851 et devient en octobre ministre de la Guerre, poste stratégique dans l’optique du coup d’État qui se prépare. Les 2 et 3 décembre, il prend dans Paris les dispositions militaires qui assurent le succès de l’opération. Désormais personnage important du régime, il est fait maréchal de France et grand écuyer de l’empereur. Il est commandant en chef de l’armée d’Orient lors de la guerre de Crimée. Mais atteint du choléra, il cède le
commandement à Canrobert après la victoire de l’Alma et meurt sur le bateau qui le ramène en France. Saint-Barthélemy (massacre de la), massacre de protestants déclenché à Paris dans la nuit du 24 août 1572, et suivi d’actions similaires en province. La Saint-Barthélemy est un événement capital des guerres de Religion parce qu’elle modifie les rapports de forces déterminants. Affaibli par des abjurations et des exils, le protestantisme français ne demeure puissant qu’en Languedoc, Béarn, Guyenne, Saintonge et Poitou. Il s’engage, par les écrits monarchomaques et par la mise en place d’assemblées politiques, dans une contestation de l’absolutisme, et doit s’unir avec des catholiques modérés pour mener la lutte pour la liberté de culte et de conscience. • L’action royale en faveur de la paix : août 1570-août 1572. En arrière-plan de la Saint-Barthélemy, il y a la paix précaire de Saint-Germain (8 août 1570) : précaire, car elle laisse un goût d’amertume aux catholiques exclusivistes, toujours persuadés que la présence des « hérétiques » attire la colère divine sur le royaume ; précaire aussi, parce que les chefs huguenots se retirent loin de la cour, vivant dans la crainte d’un piège, et parce qu’entre les deux factions - catholique et calviniste - reste ouvert le contentieux de l’assassinat du duc de Guise (1563), dont la responsabilité est attribuée par les Guises à un protestant, l’amiral de Coligny. Enfin, les huguenots ont en tête un projet de guerre qui unirait la noblesse française contre l’Espagne, pour défendre la liberté des Pays-Bas. L’action de la monarchie vise alors à casser ces potentialités conflictuelles : ainsi, à l’occasion de pourparlers engagés avec un groupe de gentilshommes huguenots en juillet 1571, le pouvoir royal semble donner son aval à un plan d’invasion des Pays-Bas espagnols, couplé à un soulèvement local des calvinistes et à downloadModeText.vue.download 845 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 834 un débarquement anglais ; en contrepartie, il obtient le retour de Coligny à la cour, tandis que les Guises sont invités à l’oubli du passé. Cependant, dès le mois d’octobre 1571,
la bataille de Lépante démontre la réalité de la puissance militaire espagnole. Le roi Charles IX et sa mère, Catherine de Médicis, semblent s’être alors partagés les rôles afin de parvenir à l’événement qui restaurerait magiquement l’union du royaume : le mariage du prince protestant Henri de Navarre et de la soeur du roi, Marguerite de Valois. Tout se passe comme si Charles IX avait pris le parti de soutenir les huguenots dans leur projet guerrier, tandis que sa mère s’y opposait. Ce théâtre de l’incertitude se traduit par un succès, car la reine de Navarre finit par accepter l’union de son fils avec la soeur du roi. C’est alors que, les 31 mars et 1er avril 1572, des « gueux de mer », corsaires zélandais et hollandais réfugiés dans les ports anglais, occupent de façon imprévue les places de Flessingue et Brielle. La guerre contre l’Espagne semble proche. Dans un premier temps, Charles IX pose comme condition à son propre engagement militaire un appui anglais aux insurgés. Puis, comme les chefs militaires huguenots se font plus pressants, il semble avoir fait le choix de laisser partir Louis de Nassau et François de La Noue occuper Mons et Valenciennes (22-23 mai), où les deux capitaines sont vite assiégés par les troupes espagnoles du duc d’Albe. Alors que Coligny accentue sa pression sur le pouvoir, la politique royale semble n’avoir eu pour fin que de laisser l’histoire se décanter (« Il ne cherchait qu’à gagner du temps »). Gagner du temps pour que puisse se réaliser le mariage royal, repoussé au mois d’août par la mort de Jeanne d’Albret. L’échec des appels au soulèvement des Pays-Bas et l’inertie de l’Angleterre permettent à Charles IX de reprendre le contrôle de la situation par la tenue, le 26 juin, d’un premier Conseil, qui refuse son satisfecit au projet d’intervention militaire. Puis, le 12 juillet, pour retarder peut-être toute décision de plus grande portée, le roi aurait laissé un contingent expéditionnaire quitter la France afin d’aller secourir les réformés assiégés dans la ville de Mons. L’écrasement de ce contingent par une armée espagnole est décisif. Les 9 et 10 août, au cours d’une réunion du Conseil, le plan de guerre est définitivement abandonné, juste avant le mariage d’Henri de Navarre et de Marguerite de Valois, à l’occasion duquel une part importante de la noblesse calviniste s’est rendue dans la capitale. C’est-à-dire que le massacre de la SaintBarthélemy va se dérouler à contre-courant de l’histoire voulue par une monarchie qui paraît n’avoir souhaité que la paix civile, et qui désirait mettre en représentation sa politique dans la cérémonie même du mariage.
• Les incertitudes quant au déroulement d’une tuerie. Une chronologie succincte peut être proposée, qui débute le 18 août avec la cérémonie du mariage royal, accompagnée de festivités le soir et les jours suivants. Tout bascule le 22 août, vers 11 heures du matin, lorsque, au sortir du Louvre, l’amiral Coligny est blessé par un homme embusqué ; dans l’après-midi, le roi, ses frères, sa mère et des grands du royaume se rendent au chevet de l’amiral. Les capitaines huguenots auraient alors réclamé justice, soupçonnant les Guises d’être les instigateurs de l’attentat. Un climat de tension s’instaure, qui ne s’apaise pas avec la nuit. Le lendemain, des huguenots seraient venus réitérer au roi leurs exigences de justice, et Charles IX aurait demandé aux Guises de quitter Paris. Ceux-ci auraient fait mine d’obtempérer, tout en se repliant dans leur hôtel. Dans la soirée, l’histoire se dérobe : plusieurs conseils, plus ou moins formels, se seraient tenus au Louvre, qui auraient décidé, dans des conditions encore obscures, l’exécution d’un nombre limité de huguenots avec l’appui des Guises. Vers 11 heures ou minuit, Claude Marcel, l’ancien prévôt des marchands, et Antoine Le Charon, le prévôt en exercice, auraient été convoqués au Louvre, recevant l’ordre de mobiliser la milice, de faire fermer les portes de la capitale et d’installer des pièces d’artillerie en place de Grève. Le 24 août, entre 1 heure et 4 heures du matin, des groupes d’hommes se répandent dans la ville, mettant à mort les capitaines réformés, à commencer par l’amiral Coligny, et poursuivant leur forfait dans la population civile calviniste. Les cloches sonnent dans Paris ; surtout, un « miracle » advient dans le cimetière des Saints-Innocents, où une aubépine, sèche depuis plusieurs années, fleurit à contre-saison : l’imaginaire des « bons » catholiques y voit un signe d’acquiescement divin. Vers 11 heures, le roi tente d’arrêter le massacre en faisant publier un mandement selon lequel la mort de l’amiral et de ses lieutenants est due à un conflit privé. Le prévôt des marchands est convoqué au Louvre et reçoit l’ordre de faire cesser la tuerie, sans qu’aucun résultat n’intervienne. Dans la soirée et tout au long de la journée du 25, Charles IX et sa mère adressent des lettres aux gouverneurs de province, dans lesquelles ils dénient toute responsabilité dans une violence qu’ils ne peuvent toujours pas contenir. Ils demandent que tout soit fait pour que les vies des huguenots soient préservées et que les clauses de l’édit de pacification
d’août 1570 continuent à être appliquées. L’instant capital a lieu le mardi 26, alors que Paris est toujours en sédition : le roi se rend solennellement au parlement et, au cours d’un lit de justice ou d’une séance royale, il renverse son argumentation, déclarant que les événements ont été déclenchés par sa volonté, qu’il a lui-même commandité l’exécution des huguenots et de leurs chefs parce qu’ils complotaient contre lui, sa famille et l’État. Il ordonne, d’une part, la fin des violences - qui ne cesseront que le 28 août sans doute - et, d’autre part, réaffirme la validité de l’édit de pacification de Saint-Germain. Entre-temps, ce sont 1 500 à 3 000 calvinistes qui sont assassinés, traînés sur les berges de la Seine ou exécutés dans les rues. Les corps sont jetés dans le fleuve. Celui de Coligny, décapité, émasculé et horriblement mutilé, est abandonné sur les berges par un groupe d’enfants, avant d’être suspendu au gibet de Montfaucon. • Les massacres en province. La Saint-Barthélemy n’est pas un événement exclusivement parisien. À la fin du mois d’août, des maisons huguenotes auraient été pillées à Tours, Blois, Vendôme, Amboise, et probablement à Beaugency et Jargeau, ainsi que dans les campagnes environnantes. À Soissons, le 29 août, « trois de condition » furent tués. À Montreuil, il y aurait eu également quelques morts. À Parthenay, des maisons huguenotes furent pillées, et deux civils tués, ainsi qu’un capitaine. Poitiers aurait été atteint, mais plus tardivement : le 27 octobre, on dénombrait quatre procureurs « et autres huguenots morts ». Toutes les agressions antiprotestantes postérieures à la Saint-Barthélemy ne répondent pas toutefois à une même impulsion. Le massacre d’Orléans, commencé dans la nuit du 25 au 26 août, est comme une continuation des violences parisiennes, avec une plus grande intensité sans doute (entre 500 et 1 500 morts), de même que les violences de La Charité-sur-Loire, Saumur et Angers. Les modalités d’exécution du crime sont autres à Meaux, Lyon, Troyes et Bourges : les événements s’y déroulent en trois temps. Le premier est celui de l’emprisonnement préventif des huguenots, une fois parvenues en ville les nouvelles de Paris. Suit une phase d’attente, entrecoupée d’agressions ponctuelles contre des huguenots ou des suspects d’« hérésie » qui n’ont pas été emprisonnés,
ou contre leurs maisons. Enfin, après l’arrivée de messagers venus de Paris, les prisons sont le théâtre de massacres, dans lesquels peut être soupçonné le rôle d’éléments issus des notabilités ultracatholiques. Plus éloignés, dans le temps, de la Saint-Barthélemy, les derniers massacres concernent Rouen (1720 septembre), Romans (20-21 septembre), Bordeaux (3 octobre), Toulouse (4 octobre), Gaillac (5 octobre)... • Pourquoi la Saint-Barthélemy ? Les contemporains disposèrent sur-le-champ de deux versions contradictoires, mais devint dominante celle qui fut élaborée par les polémistes huguenots dans les années 15731580 : de grands pamphlets avancèrent l’idée d’un plan machiavélique inspiré par la Florentine Catherine de Médicis ; le massacre n’aurait été que l’aboutissement d’un long travail de dissimulation, commencé vers 1565, et qui visait à faire tomber dans un piège les réformés français et à les exterminer. Récemment, à partir de 1970, certains historiens ont avancé l’explication d’une préméditation dans le court terme : Charles IX se serait rallié au projet anti-espagnol de Coligny, délaissant le conseil de sa mère. À la fois pour éviter une guerre contre l’Espagne catholique et pour ne pas perdre le pouvoir, la reine mère aurait fait tirer sur Coligny, en collusion avec les Guises. Inquiète des conséquences de l’échec de l’attentat, elle aurait contraint le roi à accepter le principe d’un massacre général des réformés de Paris. Il y aurait donc eu un crime politique suivi d’un crime « populaire » (Janine Garrisson). Plus récemment, Jean-Louis Bourgeon a présenté la Saint-Barthélemy comme un coup de force ultracatholique dirigé par les Guises contre la politique de modération royale. Auraient joué aussi le mécontentement de la bourgeoisie parisienne contre la fiscalité royale, la pression de l’ambassadeur d’Espagne, les soldes impayées des gardes royaux, l’hostidownloadModeText.vue.download 846 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 835 lité du parlement et des élites à l’égard de la paix de 1570. Charles IX aurait été contraint d’accepter le principe d’un massacre. Enfin, il faut souligner la source néoplatonicienne de la politique de concorde royale, une politique que l’attentat du 22 août vient déstabiliser. Dans l’espoir de la préserver et face à un blocage des rapports de forces, Charles IX
et sa mère auraient conclu un accord avec les Guises, leur concédant la mort de Coligny et des chefs militaires protestants. Un arrangement politique aurait été élaboré, qui laissait la royauté à l’écart de la violence et devait lui permettre de tenter de maintenir la paix. Il y aurait eu, en quelque sorte, « crime d’amour », qui échoua parce que la capitale s’emplit d’un « rêve mystique » d’adhésion à une geste de violence « inspirée divinement ». Dans ces circonstances, Charles IX aurait pris l’initiative d’un autre simulacre, avec la déclaration qui revendiquait la responsabilité de l’ensemble du massacre. Mais, en définitive, par-delà la réalité du massacre, la Saint-Barthélemy demeure, dans son interprétation, un sujet historique dont les clés apparaissent plurielles. Saint-Clair-sur-Epte (traité de), nom donné à un accord conclu entre le chef viking Rollon et le roi Charles III le Simple, en 911, et qui est à l’origine de la formation de la Normandie. À la suite de sa défaite face aux armées franques devant Chartres, Rollon est conduit à négocier avec le roi. Les deux hommes se seraient rencontrés à Saint-Clair-sur-Epte et seraient parvenus à un accord, sans qu’il soit vraiment possible de parler de traité. Sur les conseils des archevêques Gui de Rouen et Hervé de Reims, et avec le consentement du marquis de Neustrie Robert, le roi Charles concède à Rollon et à ses guerriers le droit de s’installer définitivement dans la basse vallée de la Seine, entre l’Epte, l’Eure, la Dive et la mer, autour des cités de Rouen, Lisieux et Évreux. En contrepartie, Rollon accepte de se convertir au christianisme, de devenir le fidèle du roi et d’assurer la défense de la vallée de la Seine contre toute attaque viking. Rollon reçoit alors le titre de comte des Normands et, en 912, il est baptisé, avec ses guerriers, par l’archevêque de Rouen. Contrairement aux allégations d’une tradition tenace, le « traité » de Saint-Clairsur-Epte est loin d’être défavorable au roi. Il lui permet tout d’abord de gagner des populations païennes à la foi chrétienne et d’apparaître ainsi comme le continuateur des grands souverains carolingiens engagés dans l’extension de la chrétienté en Germanie. Il garantit en outre la sécurité du royaume : à partir de 912, la France du Nord est effectivement préservée des attaques vikings. Enfin, il permet au roi d’accroître son réseau de fidélité au sein de la haute aristocratie. Plus durablement, l’accord de Saint-Clair-sur-Epte
marque la naissance d’une nouvelle principauté territoriale, bientôt appelée « Normandie », du nom de ces guerriers venus du Nord, qui continuent à s’y installer tout au long du Xe siècle et qui finissent par se mêler aux populations gallo-romaines et franques. C’est ce dont témoignent, au XIe siècle, Dudon de Saint-Quentin dans son Histoire des ducs de Normandie et, au XIIe siècle, le poète normand Wace dans son Roman de Rou, c’est-à-dire de Rollon. Saint-Cyr (École spéciale militaire de), école de formation des officiers de l’armée de terre. Créée le 28 janvier 1803 par Bonaparte, elle est installée initialement à Fontainebleau, puis transférée en 1808 à Saint-Cyr, près de Versailles, dans les anciens locaux de la Maison royale de Saint-Louis (fondée par Mme de Maintenon en 1686). Les nouveaux élèves ont entre 16 et 18 ans et reçoivent durant deux ans une formation générale et une instruction militaire. Toutefois, durant l’Empire, en raison des besoins importants de l’armée, ils quittent souvent l’école avant l’achèvement de leur préparation. Il s’agit alors essentiellement de jeunes gens issus de l’ancienne ou de la nouvelle noblesse, qui entrent ensuite dans un corps de cavalerie ou d’état-major. Dès la Restauration, l’école, réorganisée par Gouvion-Saint-Cyr, n’est accessible que par un concours qui exige un bon niveau de culture générale et auquel prépare le collège de La Flèche (Sarthe). De plus, le diplôme de bachelier ès sciences est exigé pour l’inscription au concours à partir de 1853. La préparation de Saint-Cyr implique donc un investissement financier qui ne peut être le fait que des catégories sociales aisées aptes à assumer une scolarité qui coûte 1 000 francs par an. Or, la vocation militaire n’est pas forte dans ces milieux, du moins jusqu’en 1850 ; aussi, la proportion de fils d’officiers est-elle élevée parmi les élèves, d’autant que des bourses sont attribuées aux plus nécessiteux d’entre eux : sous le Second Empire, 45 % des élèves de Saint-Cyr sont boursiers. Par ailleurs, nombre des fils de la noblesse impériale figurent dans les promotions successives. À l’issue des deux années d’école, les saint-cyriens rejoignent un régiment de cavalerie ou d’infanterie, à moins qu’ils ne fassent partie des vingt premiers, qui sont admis à l’École d’application du corps d’état-major. Réfugiée à Aix-en-Provence en 1940, l’école s’installe à Guéret en 1943 ; solidaires de l’armée d’Afrique, la plupart de ses élèves rejoignent le maquis en juin 1944. Éta-
blie à Coëtquidan (Morbihan) depuis 1946, l’École spéciale militaire de Saint-Cyr forme aujourd’hui encore une partie des officiers de l’armée. Saint-Cyr (Maison royale de Saint-Louis, à), institution d’éducation des jeunes filles pauvres de la noblesse, créée par Louis XIV en 1686 et supprimée par décret de la Convention le 16 mars 1793. L’initiative de cette fondation royale revient à Mme de Maintenon, obsédée par le souvenir de son enfance négligée et désireuse de se ménager une retraite à l’écart de la cour ; le roi luimême n’est pas insensible au sort de familles nobles que le manque de fortune empêche de tenir leur rang et de servir l’État. Dès 1684, les premières pensionnaires s’installent à Noisy, avant que Mansart construise à Saint-Cyr un vaste édifice, inauguré en août 1686. Encadrées par trente-six dames professes et vingtquatre soeurs converses et réparties en quatre classes - rouge de 7 à 11 ans, verte de 11 à 14 ans, jaune de 14 à 17 ans, et bleue de 17 à 20 ans -, deux cent cinquante demoiselles y reçoivent une solide instruction religieuse, que complètent, dès la classe verte, des éléments d’histoire et de géographie, puis, à partir de la classe jaune, des leçons de dessin, de musique et de danse ; les travaux d’aiguille et les taches ménagères participent aussi de la formation de jeunes filles appelées, soit comme dames, soit comme mères de famille, à perpétuer cette éducation d’ordre. Après les remous provoqués en 1689 par le succès des représentations d’Esther devant la cour - pièce composée par Racine pour les protégées de Mme de Maintenon -, puis par la crise du quiétisme (1694), la maison de Saint-Cyr se fige dans un formalisme rigide, qui lui fait traverser le siècle des Lumières sans rien renier de l’esprit de ses fondateurs. Saint-Cyran (Jean Duvergier de Hauranne, abbé de), théologien janséniste (Bayonne 1581 - Paris 1643). D’une famille de bonne bourgeoisie, tonsuré dès 1591, il étudie la théologie à Louvain, mais c’est à Paris, en 1609, qu’il rencontre Jansénius et devient son ami. Pendant cinq ans, ils travaillent ensemble, puis restent en correspondance, établissant en commun le plan de l’oeuvre fondatrice du jansénisme, l’Augustinus. Celui qui est depuis 1620 abbé de Saint-Cyran en Brenne passe, selon Richelieu, pour « le plus savant homme de l’Europe », lié à Bérulle, à Vincent de Paul et à l’élite dévote. Il défend l’autorité des évêques
contre les jésuites. Angélique Arnauld en fait le directeur spirituel de Port-Royal. Méfiant envers le mysticisme, Saint-Cyran prône une voie humble, empreinte de piété mariale, où la prière brève mais répétée place l’homme devant un Créateur incommensurable : « Il suffit que nous nous mettions humblement devant Dieu et que nous nous estimions trop heureux qu’Il nous regarde. » Depuis la mort de Bérulle, il fait figure de maître du parti dévot, hostile aux alliances de Richelieu avec les protestants allemands. Son intransigeance irrite le ministre, inquiet du retrait hors du monde que conseille Saint-Cyran aux élites laïques. Arrêté le 14 mai 1638, enfermé à Vincennes mais continuant à diriger ses pénitents, celui que Richelieu juge désormais « plus dangereux que six armées » n’est libéré que le 6 février 1643, après la mort du Cardinal, et meurt le 10 octobre. Saint-Denis (abbaye), basilique paléochrétienne au Ve siècle, abbatiale au XIIe siècle, nécropole royale jusqu’à la Révolution et, depuis 1966, cathédrale en Île-de-France. • De la basilique de sainte Geneviève à l’« église de Dagobert ». Un siècle de fouilles et l’étude des textes ou légendes hagiographiques ont permis d’éclairer l’histoire d’un édifice qui garde, malgré tout, ses zones d’ombre et de mystère. Les fondations qui subsistent à l’aplomb du maître-autel actuel sont celles d’une basilique du Ve siècle, construite à la manière des basilicae romaines édifiées sur les nécropoles à l’extérieur de la ville. Or, très tôt, la tradition populaire situe downloadModeText.vue.download 847 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 836 en ce lieu-dit « Catulliacus » la basilique que sainte Geneviève fit élever en 475 à la mémoire du martyr saint Denis, premier évêque de Paris. Vers ce haut lieu de pèlerinage, les fidèles affluaient toujours plus nombreux, avec le désir d’être enterrés ad sanctos. La mise au jour du riche sarcophage d’Arégonde, une des femmes de Clotaire Ier (511/561), atteste l’intérêt que les souverains mérovingiens portaient à la basilique. Dagobert (629/639) se montra si généreux qu’il en reçut le titre mythique de « fondateur », titre dû également au fait qu’il renonça à être inhumé, selon la tradition, à Saint-Vincent-de-Croix (aujourd’hui Saint-Germain-des-Prés), pour élire la basilique comme dernière demeure.
• Établissement d’une coutume. Depuis la réforme monastique de la reine Bathilde, épouse de Clovis II, Saint-Denis était le siège d’une importante communauté de moines. En 741, l’abbé Fulrad scelle le destin de son abbaye en recevant la dépouille mortelle de Charles Martel. Treize ans plus tard, au nom du pape Étienne II, il accorde l’onction royale à Pépin le Bref puis à ses deux fils, Carloman et le futur Charlemagne. Cette initiative a valeur fondatrice car elle légitime la dynastie carolingienne et sanctionne l’alliance de la papauté avec la monarchie franque. Saint-Denis est alors l’objet des faveurs royales et Fulrad rêve d’un véritable Saint-Pierre érigé au nord des Alpes, d’où la fondation more romano (« à l’image de Rome ») d’une crypte-martyrium destinée à faciliter la circulation des pèlerins, ainsi que l’édification, en 775, d’un somptueux monument dédié au saint patron. Mais c’est à l’abbé Hilduin (814/841), chapelain de Louis le Pieux puis chancelier de Charles le Chauve, que revient l’extension considérable du sanctuaire, en lien avec l’architecture et la liturgie romaine que les Carolingiens cherchaient à établir en Gaule. L’abbaye est alors si étroitement liée à la monarchie carolingienne que Charlemagne fait le voeu d’y être inhumé à côté de ses deux ancêtres. Le royaume s’est cependant trop étendu vers l’Est pour que ses proches puissent respecter son désir. Il faut attendre Charles le Chauve pour que l’abbaye retrouve son rôle et sa splendeur. Puis vient l’intermède robertien : le baron Eudes, comte de Paris, élu roi des Francs en 888 après avoir tenu tête aux Normands, s’institue abbé laïc de Saint-Denis. À ce titre, il s’y fait inhumer, ainsi que son neveu Hugues le Grand (mort en 956). Lorsque Hugues III, dit Capet, accède au trône en 987, la tradition est établie. De ce jour, et jusqu’au XVIIIe siècle, tous les rois de France seront inhumés dans ce panthéon royal, garant de la continuité de la dynastie capétienne, à l’exception de Philippe Ier, Louis VII et Louis XI. • L’abbaye de Suger : architecture et mystique. Lorsqu’en 1122 Suger est élu abbé de Saint-Denis, l’édifice carolingien paraît trop exigu et incommode. L’abbé décide donc de le faire reconstruire. Ses motivations sont indéniablement politiques : l’abbaye a désormais partie liée avec la monarchie capétienne - Suger lui-même sera conseiller des rois Louis VI et Louis VII, puis nommé régent du royaume au cours de la seconde croisade. Mais l’initiative n’en garde pas moins une
dimension essentiellement religieuse : pour le moine, élevé au sein de l’abbaye depuis sa jeunesse, Saint-Denis est d’abord une « maison de prière ». Dans une série de textes (De consecratione, De administratione, De constructione), Suger rend compte de son entreprise : il s’agit de permettre à l’esprit, par les beautés matérielles, de saisir les choses immatérielles (« De materialibus ad immaterialia excitans »). « Reflet des clartés célestes » dans la transparence de la lumière, « ascension de l’âme » suscitée par la légèreté de l’architecture, « confession du divin » par la richesse des matériaux, tout concourt à cette démarche anagogique déjà exposée par les Pères de l’Église, mais reprise avec une telle maîtrise par Suger qu’il sera considéré comme l’initiateur du gothique. Conscient du culte attaché à la basilique vieille de trois siècles, Suger entend faire en sorte que la reconstruction ne soit pas synonyme de destruction. Aussi commence-t-il par agrandir l’édifice à l’ouest, en le prolongeant par un massif antérieur. Consacré le 9 juin 1140, le jour de l’ouverture de la foire du Lendit, ce dernier inaugure le type des façades gothiques élevées selon un rythme ternaire, en hommage à la Trinité. Mais la nouveauté radicale tient surtout aux vingt grandes statues, appelées commodément mais improprement « statues-colonnes ». En reprenant à son compte, au porche d’une abbaye royale, la réflexion ancienne du rapport typologique des deux Testaments, Suger lui confère une dimension inédite : rois et reines, prêtres et patriarches, sont investis des relations subtiles qu’entretiennent les deux pouvoirs, royal et sacerdotal, dans l’abbaye en particulier et dans l’Église de France en général. Le second chantier est celui du chevet, à l’est. Tout en prenant soin de ne rien détruire, ni la « confession » (crypte où se trouve le tombeau) ni la chapelle d’Hilduin, Suger introduit, par une conception architecturale nouvelle, l’idée du sanctuaire-écrin. Imprégné des écrits du Pseudo-Denys, qu’il confond avec le saint patron de l’abbaye, il a élaboré une mystique de la lumière. Les retombées de la grandiose consécration du 11 juin 1144 prouvent que le succès de l’art gothique doit infiniment à la mystique esthétique qui l’a suscité. L’éblouissante lumière, aux nuances diaprées, qui pénètre dans la couronne du déambulatoire par les baies des sept chapelles rayonnantes et la resplendissante galerie de verre et de saphir impressionnent tant les évêques invités qu’ils s’en souviendront au moment où ils entreprendront à leur tour la
reconstruction de leur cathédrale. Enfin, Suger ouvre le troisième chantier qui doit permettre de relier ces deux extrémités. Mais à sa mort, le 13 janvier 1151, les travaux sont interrompus, et la basilique est alors loin d’être achevée ; mais, grâce aux libéralités de Saint Louis, ils reprennent sous l’abbatiat d’Eudes Clément (1231). L’architecte Pierre de Montreuil (1247) et l’abbé Matthieu de Vendôme (1258/1286) complètent l’ouvrage. • Du « cimetière aux rois » à l’agonie de l’abbatiale. La tradition a pris l’habitude d’appeler « commande de Saint Louis » l’initiative de faire de l’abbatiale le seul cimetière royal. En 1263, le souverain fait sculpter une série de gisants et les dispose selon un ordre destiné à montrer qu’il est l’héritier d’une lignée ininterrompue depuis Clovis. Cependant, à la fin du XIIIe siècle, l’art funéraire adopte une esthétique nouvelle. Le tombeau de Philippe III le Hardi bouleverse la belle ordonnance, inaugurant la série des tombeaux des XIVe, XVe et XVIe siècles qui, sous l’influence italienne, deviennent oeuvres de sculpteurs réputés (Philibert Delorme, Pierre Bontemps, André Beauneveu, Germain Pilon). À l’image des mausolées antiques, les Valois regroupent leurs tombes sous une rotonde dans le bras nord de l’abbatiale. Les Bourbons rêvent à leur tour d’un mausolée familial, mais la commande faite par Colbert à Mansart reste à l’état de projet. Les fastes monarchiques retentissaient trop sous les voûtes de l’abbatiale pour que celleci ne subît pas les foudres révolutionnaires. Les récits qu’en livrent les témoins ne sont pas ceux d’un saccage colérique, mais d’une profanation rituelle. « La main puissante de la République » doit effacer ces « porte-sceptre qui ont fait tant de mal à la France » (discours de Barrère, le 1er août 1793). Cependant, l’oeuvre de destruction a précédé la Révolution. Ruinée par les guerres de Religion, par le peu de scrupules des abbés commendataires et par l’affectation de ses revenus à la maison royale de Saint-Cyr sous Louis XIV, SaintDenis n’est plus abbatiale en 1691 ; le titre d’abbé est d’ailleurs supprimé. En 1781, le prieur lui-même, Dom Maleret, demande l’autorisation - qu’on lui refuse - de supprimer les tombeaux royaux. La Révolution donne le coup de grâce : « Saint-Denis est désert, écrit Chateaubriand, l’oiseau l’a pris pour passage ; l’herbe croît sur ses autels brisés... » • Une lente renaissance, du monastère à la cathédrale. En 1806, Napoléon décide la restauration de l’église. L’édifice joue une
fois encore son rôle emblématique : Napoléon le veut lieu de sépulture impériale. Mais, à son départ pour l’île d’Elbe, ses projets restent inachevés. Seuls se maintiennent, nobles et grandioses, les bâtiments conventuels reconstruits au XVIIIe siècle sur les plans de Robert de Cotte, et dans lesquels l’Empereur a installé la Maison de la Légion d’honneur. En 1846, la flèche nord de l’église, mal remontée, doit être détruite et les architectes entreprennent des restaurations plus ou moins heureuses. Malgré tout, l’édifice renaît peu à peu de ses cendres et, en raison du nombre grandissant des habitants de la ville, il est rendu au culte comme église paroissiale en 1875. Il faut attendre l’éclatement de la région parisienne en nouveaux départements et nouveaux évêchés pour que l’ancienne abbatiale devienne, en 1966, cathédrale de l’évêque de Seine-SaintDenis, accédant ainsi, officiellement, à un titre que tous lui conféraient naturellement. Saint-Domingue, partie occidentale de l’île d’Haïti ; colonie française de 1697 à 1804. Dès 1636, des boucaniers français fondent un établissement dans l’île de la Tortue, située au nord de Saint-Domingue - alors possession espagnole -, puis prennent pied dans cette île elle-même à partir de 1659. Cette occupation de fait est officiellement reconnue par le traité de Ryswick (1697), la partie occidownloadModeText.vue.download 848 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 837 dentale de Saint-Domingue étant alors cédée à la France par l’Espagne. Une politique de colonisation active est dès lors mise en oeuvre, marquée par une importante immigration de Français, surtout originaires des provinces de l’Ouest (Anjou). Saint-Domingue va rapidement devenir une colonie florissante, la plus prospère du premier empire colonial français. Mais ses grands colons aristocrates - les « seigneurs », par opposition aux « messieurs » de la Martinique et aux « bonnes gens » de la Guadeloupe - se montrent turbulents et frondeurs ; ainsi, de graves troubles se produisent en 1722 : les planteurs exigent le départ de la Compagnie des Indes (de John Law), et l’obtiennent en 1727. Le gouvernement de la colonie est réorganisé par une ordonnance de 1763, qui suscite de nouveaux désordres : en 1769, les membres du Conseil supérieur (institution chargée de fixer le montant des impositions) sont expulsés de l’île.
En 1730, Ricard a mis au point un nouveau système d’irrigation permettant le développement des plantations : on en dénombre quelque 8 000 en 1789, alors que la population est composée de près de 28 000 Blancs, 22 000 « gens de couleur libres », et plus de 400 000 esclaves. Un soulèvement des esclaves éclate en août 1791. Les délégués de la Convention Sonthonax et Polverel n’ont d’autre issue que de proclamer l’abolition de l’esclavage (août 1793), décision qui sera officialisée par le décret du 16 pluviôse an II (4 février 1794). Toussaint Louverture, un ancien esclave devenu petit exploitant agricole, qui combat à partir de 1794 sous les couleurs de la République française, impose rapidement son autorité à l’ensemble de l’île (l’Espagne cède la partie orientale à la France, en 1795) et repousse les assauts des Anglais, qui quittent le territoire en 1798. Toutefois, influencé par le lobby créole animé par Joséphine, Bonaparte refuse d’entrer en pourparlers avec Toussaint, qui a proclamé l’autonomie de l’île en 1801, et envoie en 1802 le corps expéditionnaire du général Leclerc avec une mission de reconquête. Toussaint est alors capturé par traîtrise et déporté en France, où il meurt le 7 avril 1803, mais son successeur Dessalines proclame l’indépendance de la République d’Haïti (1er janvier 1804). Quelques unités françaises isolées poursuivent une vaine résistance jusqu’en 1809. Les traités de Paris (1814) restituent formellement Saint-Domingue à la France, mais toute reconquête est impossible ; l’indépendance n’est cependant officiellement reconnue qu’en 1825, par Charles X. Un contentieux relatif à une indemnité de 150 millions de francs destinée aux anciens planteurs n’est réglé qu’en 1886. Sainte-Chapelle, chapelle édifiée entre 1243 et 1248 dans l’enclos du Palais de la Cité, à Paris, et qui reste associée au souvenir de Saint Louis. C’est le roi dévot qui a souhaité abriter dans cette châsse monumentale les reliques de la Passion du Christ, notamment la couronne d’épines, glorieux symbole d’une royauté souffrante qu’il fit venir de Constantinople. Tout dans la Sainte-Chapelle est exceptionnel : la rapidité de construction (moins de cinq ans), le coût (40 000 livres tournois, d’après le procès de canonisation de Saint Louis), la prouesse architecturale. Le maître d’oeuvre demeure inconnu - les historiens ont parfois avancé le nom de Pierre de Montreuil,
architecte de Notre-Dame et de Saint-Denis. Il a su, en tout cas, sublimer les canons architecturaux des chapelles palatines pour faire de ce reliquaire royal un chef-d’oeuvre de l’art gothique. Deux niveaux sont clairement distincts. La chapelle basse, massive, fait reposer ses voûtes surbaissées sur des arcs-boutants d’une grande légèreté, l’essentiel de la pression étant supporté par de puissants contreforts. Ceuxci permettent à la chapelle haute, lumineuse et aérienne, d’élever ses magnifiques verrières séparées seulement par de fines colonnettes. Cette audace architecturale se retrouve également dans le décor des statues et des vitraux, qui déploient un riche programme iconographique à la gloire d’une monarchie christique. Admirée par ses contemporains comme le monument protecteur du royaume de France, la Sainte-Chapelle - pour laquelle Saint Louis commanda de nombreux objets et manuscrits précieux - fut aussi l’un des plus brillants foyers de l’art royal au XIIIe siècle. Sainte-Foy de Conques, importante abbaye bénédictine du Moyen Âge, située dans le Rouergue, non loin de Rodez. La première mention d’une communauté monastique dans les environs de Conques semble remonter au Ve siècle ; pourtant, la véritable fondation de l’abbaye date du milieu du VIIIe siècle, à l’initiative d’un ermite nommé Dadon. Au IXe siècle, les moines adoptent la règle de saint Benoît et reçoivent de nombreuses donations, en particulier de Louis le Pieux et de Pépin II, roi d’Aquitaine. Mais la fortune de l’abbaye provient de la possession des reliques de sainte Foy, qu’un de ses moines dérobe au monastère d’Agen vers 866. Sainte Foy, jeune chrétienne qui passe pour avoir été victime d’une persécution vers 286-288, était invoquée pour la guérison des aveugles et la libération des captifs. À partir du Xe siècle, ses reliques font l’objet d’une fervente dévotion et attirent de nombreux pèlerins au monastère. Au tout début du XIe siècle, Bernard, écolâtre d’Angers, séjourne à Conques à trois reprises ; il assure le succès du pèlerinage en composant un Livre des miracles de sainte Foy (Liber miraculorum sanctae fidis). Dans le même temps, l’abbaye devient une étape importante sur l’une des routes du pèlerinage de SaintJacques de Compostelle, la route du Puy. Le monastère noue alors des relations suivies avec les royaumes chrétiens de la péninsule Ibérique et participe, grâce à ses richesses, au financement de la Reconquête.
Afin de répondre à l’afflux des pèlerins, les moines de Sainte-Foy entreprennent à partir du milieu du XIe siècle, sous l’abbatiat d’Odolric, la reconstruction de l’abbatiale. Les travaux durent environ un siècle et aboutissent à la réalisation d’un monument qui compte aujourd’hui parmi les plus remarquables de l’architecture romane. L’église, bâtie sur le modèle des grands sanctuaires de pèlerinage, se caractérise par une haute nef, un transept saillant et une croisée voûtée d’une coupole sur trompes, un déambulatoire. Très célèbre, le tympan du portail a pour thème le Jugement dernier. Sculpté dans un calcaire très fin et à l’origine polychrome, il représente, au centre, Jésus-Christ dans une mandorle, avec, à sa droite, les Élus - conduits par la Vierge, saint Pierre, Dadon et Charlemagne - et le Paradis, à sa gauche, les Damnés et l’Enfer. Enfin, la renommée de Sainte-Foy de Conques s’explique aussi par la richesse de son trésor, qui renferme plusieurs beaux spécimens de l’orfèvrerie des XIe et XIIe siècles, notamment la statue-reliquaire de sainte Foy, l’autel portatif de l’abbé Bégon et le reliquaire en forme de « A », dit « de Charlemagne ». Saint-Florentin (comte de) ! Phélypeaux (Louis) Saint-Germain (Claude Louis Robert, comte de), général (château de Vertamboz, Jura, 1707 - Paris 1778). Élève des jésuites, le comte de Saint-Germain envisage d’abord une carrière ecclésiastique puis embrasse la vie militaire. Ayant dû quitter la France à la suite d’un duel, il se met au service de l’Électeur palatin puis d’autres armées étrangères. De retour en France, il est nommé lieutenant général en 1748, et se distingue tout particulièrement pendant la guerre de Sept Ans. Mais un conflit personnel avec le duc de Broglie l’incite à s’exiler de nouveau, en 1760. Il se rend alors au Danemark, où il réorganise l’armée du roi Frédéric V, qui l’a nommé feld-maréchal. Revenu en Alsace en 1772, il se retire sur ses terres, mais cette quiétude ne dure guère. Turgot, qui a apprécié l’homme de guerre et reconnu l’organisateur, a également remarqué son Mémoire sur les vices du système militaire français. Il convainc Louis XVI de confier à Saint-Germain le ministère de la Guerre. Nommé en 1775, le nouveau ministre entreprend des réformes considérables : il diminue les dépenses de prestige pour augmenter les effectifs de l’infanterie,
et insiste particulièrement sur l’importance d’une artillerie moderne en soutenant les projets de Gribeauval. Soucieux de renouveler les cadres et de donner aux gentilshommes moins fortunés la possibilité de servir la couronne, il crée douze écoles militaires qui les préparent à intégrer l’École militaire de Paris. Ces mesures irritent la cour, et nombreux sont ceux qui intriguent auprès du roi pour obtenir son renvoi. En rétablissant un cadre disciplinaire fort dans la troupe, il provoque un vif mécontentement en son sein et donne à ses ennemis prétexte à de nouvelles cabales. Il doit démissionner en 1777. Saint-Germain-des-Prés, quartier de Paris qui, après la vogue des cabarets de Montmartre à la Belle Époque et les frasques du Montparnasse des Années folles, devient à la Libération le haut lieu de la vie artistique et nocturne parisienne. Par une curieuse contamination, la présence de quelques étoiles montantes des lettres et de grottes jazziques qualifiées de caves « existentialistes » - abritant une jeunesse troglodyte, elle-même affublée du même qualificatif - a downloadModeText.vue.download 849 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 838 fait de tout le quartier le centre d’un existentialisme folklorique et touristique, incarné par quelques silhouettes reconnaissables, de JeanPaul Sartre à Juliette Gréco. Pourtant, comme le précise Boris Vian dans son Manuel de Saint-Germain-des-Prés, il faut faire une distinction rigoureuse entre « les acceptions différentes du qualificatif «existentialiste» selon qu’il est accolé au mot «cave» ou qu’on le rencontre dans les ouvrages d’éminents philosophes dont Jean-Paul Sartre est l’exemple le plus connu. Ce dernier, d’habitudes relativement sédentaires, se cantonne en général sur les coteaux avoisinant la place de l’Église et fréquente fort peu les caves ». La présence de nombreux éditeurs dans les environs, dont le prestigieux Gallimard, l’accueil chaleureux de quelques cafés - dont le poêle permit, pendant l’Occupation, à la main glacée de soutenir le stylo -, tout cela explique que Le Pont-Royal, Les Deux Magots, la brasserie Lipp - Léon-Paul Fargue dans un coin, Galtier-Boissière dans l’autre - ou le Café de Flore servent autant de débits de boissons que de salles de rédaction pour le comité des
Temps modernes. Beauvoir, Sartre, Jean Cau, Merleau-Ponty, les frères Bost, font partie du décor et chaque café, fonctionnant comme un club anglais, possède ses rites et ses clans - le clan Sartre, le clan Confluences, le clan des ex-surréalistes... La face nocturne et souterraine du quartier est tout aussi fameuse, et certaines « institutions » n’ont rien à envier aux cafés : le Club Saint-Germain, le Saint-Yves, Le Bar vert - où l’on voit Roger Blin, Pichette, Queneau, Roger Vailland -, mais surtout Le Tabou, rue Dauphine, où officient Boris Vian et son orchestre, ainsi que Juliette Gréco ; La Rose rouge aussi, qui accueille les fameux Frères Jacques et les mises en scène d’Yves Robert ou de la compagnie Grenier-Hussenot. À côté des spectacles de poésie (Anne-Marie Cazalis), des tours de chant (Mouloudji), des pochades, du théâtre (le Vieux-Colombier n’est pas loin), les caves de Saint-Germain ont contribué à populariser la musique de jazz en France ; elles ont participé à la révolution en marche en accueillant les ténors du be-bop, qui appréciaient à Paris la liberté d’allure et de ton et l’absence du racisme au quotidien : Charlie Parker, Buck Clayton, Kenny Clarke, Coleman Hawkins ou Miles Davies ont souvent joué dans la capitale et enchanté des nuits mémorables. Ainsi, durant quelques années, il se fit une concentration intellectuelle et artistique exceptionnelle autour du vieux clocher de Saint-Germain, belle époque désormais mythique d’un après-guerre qui trouva des prolongements jusqu’à la fin des années 1950, mais ne résista pas à l’entrée dans une plus morne décennie de modernisation et de consommation. Saint-Gobain (manufacture de), fabrique réputée de verre plat, à l’origine de la plus ancienne société de France. En dépit d’une tradition française de verrerie, c’est l’industrie vénitienne qui répond principalement, après 1630, à la demande nationale de glaces et miroirs. Avec l’aide de transfuges vénitiens, Colbert crée alors à Paris, faubourg Saint-Antoine, une manufacture royale (1665), privée mais pourvue d’un monopole de fabrication et de vente, qui réalise la Galerie des glaces du château de Versailles. En raison de la lourdeur des investissements et de la difficulté à maîtriser les techniques et le travail d’usine, cinq sociétés se succèdent jusqu’en 1702. La production se répartit sur trois sites, dont le principal est ouvert en 1688 dans l’ancien château fort de Saint-Gobain, niché au
coeur d’une forêt du Soissonnais. Y est mis en place en 1692 un procédé de coulage sur table (le verre en fusion est laminé sur une table de cuivre), qui permet de doubler la hauteur des glaces - mais le soufflage n’est définitivement abandonné qu’en 1763. Son directeur Delaunay-Deslandes (1758-1789) crée de nouvelles halles et améliore l’organisation du travail des ouvriers, qui sont bien rémunérés, logés et bénéficient d’une « couverture sociale ». Sur les 2 500 personnes employées en 1780, 2 000 occupent la cité modèle du hameau-usine de Saint-Gobain ; les autres se partagent entre Tourlaville, près de Cherbourg, et l’usine de Reuilly qui, au faubourg Saint-Antoine, assure le finissage à proximité du principal marché (Paris). La Révolution abolit ses privilèges, mais l’entreprise survit, se mécanise et, devenue société anonyme en 1830, elle grandit jusqu’à constituer, vers 1950, le premier groupe verrier d’Europe. Fusionnée avec Pont-à-Mousson en 1970, c’est aujourd’hui une firme multinationale qui exploite les technologies verrières dans les domaines de l’emballage, de l’automobile, du bâtiment et des travaux publics. Saint-Jacques (chemins de), chemins de pèlerinage aboutissant au « tombeau » de l’apôtre Jacques le Majeur, à Compostelle, en Galice (Espagne). Tracés à l’intention du pèlerin dans un Guide composé au milieu du XIIe siècle par un moine resté anonyme, les chemins pour se rendre au « tombeau » de saint Jacques sont, en France, au nombre de quatre, chacun comportant des variantes. Selon ce guide, le premier chemin commence à Tours (où sont conservées les reliques de saint Martin), le second démarre de Vézelay et traverse le Limousin, le troisième débute au Puy pour atteindre Conques (qui abrite les reliques de sainte Foy), tandis que le quatrième part d’Arles, rassemblant ainsi les pèlerins venus d’Italie. Bien balisés, ces chemins assurent au pèlerin des relais (églises, couvents, auberges) pour son repos et sa sécurité. Les confraternités de Saint-Jacques, apparues au milieu du XIIe siècle, puis celles de l’ordre hospitalier de Saint-Jacques, approuvé par le pape en 1175, dans le cadre de la Reconquête, concourent à l’édification et à la protection des pèlerins ainsi qu’à l’entretien des chemins. L’insigne du pèlerinage, la coquille Saint-Jacques, est le signe de reconnaissance de ces chrétiens qui effectuent les étapes d’un parcours spi-
rituel définissant alors le maillage cultuel du royaume de France. Très fréquenté pendant le Moyen Âge, le pèlerinage décline à la fin du XVe siècle. Les chemins désertés par les pèlerins subissent aussi les conséquences des relations difficiles entre les monarchies française et espagnole à l’époque moderne. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle, au moment où se définit le catholicisme social, que les chemins de Saint-Jacques connaissent à nouveau une importante fréquentation. En 1989, le site a accueilli les quatrièmes Journées mondiales de la jeunesse. Saint-Just (Louis Antoine Léon), homme politique (Decize, Nièvre, 1767 - Paris 1794). Saint-Just, acteur majeur du Gouvernement révolutionnaire, n’a pas 27 ans lorsqu’il monte sur l’échafaud, le 10 thermidor an II (28 juillet 1794). Il vient d’écrire : « Je méprise la poussière qui me compose et qui vous parle, on pourra la persécuter et faire mourir cette poussière ! Mais je défie qu’on m’arrache cette vie indépendante que je me suis donnée dans les siècles et dans les cieux. » Naît alors le mythe de l’« archange de la Terreur ». Mais derrière la légende, ces quelques phrases sont à prendre à la lettre. L’idée d’indépendance est en effet fondatrice de sa philosophie politique, où l’action est indissociable des principes qui donnent sens à la vie. • La découverte d’une société rurale communautaire. Saint-Just a d’abord grandi dans la maison bourgeoise de son grand-père maternel, dans le Nivernais, puis, à partir de 1776, à Blérancourt, où son père, capitaine de cavalerie, a hérité de biens de sa famille de fermiers picards. Rebelle, il fugue dès sa sortie du collège de Soissons ; sa mère le fait arrêter pour un vol et obtient contre lui une lettre de cachet. Pendant ses six mois de détention, il écrit huit mille vers de satire des institutions politiques et religieuses. Mais c’est le spectacle de l’organisation des communautés villageoises de Picardie qui fonde ses conceptions philosophiques. Dans le manuscrit De la nature, de l’état civil, de la cité ou la règle de l’indépendance du gouvernement, Saint-Just donne une expression rétrospective de la société rurale (Miguel Abensour). Le régime agraire de Picardie, pays de champs ouverts, reposait sur la propriété et l’exploitation collective des biens communaux, sur un jeu de contraintes collectives et de droits d’usage limitant la propriété privée, à l’origine d’une forte discipline sociale, d’une solida-
rité remarquable. Les idées de Saint-Just sur l’homme de droit social, producteur au sein d’un groupe humain plus vaste et qui l’englobe, l’idéal d’une société non déchirée, lieu d’harmonie et d’égalité, en sont directement issues. L’union nécessaire et naturelle doit prévaloir sur l’union volontaire. Saint-Just prend part activement aux conflits contre la réaction seigneuriale et l’usurpation des biens communaux, puis, à partir de 1789, soutient et partage les combats des paysans contre les privilèges. À 25 ans, en septembre 1792, il est élu pour représenter ces paysans à la Convention nationale. • Puissance du discours, radicalité de l’engagement. Il s’associe d’emblée aux montagnards, et se fait connaître en prononçant le 13 novembre 1792 un grand discours lors du procès de Louis XVI, dont il réclame la tête. Il développe alors une conception radicale des liens de civilité et démontre que le roi doit être jugé non pas en citoyen mais en ennemi étranger, selon les règles du droit downloadModeText.vue.download 850 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 839 des gens. La Convention découvre un orateur jeune, enflammé et convaincant. Le 30 mai 1793, il entre au Comité de salut public et participe à la rédaction de la nouvelle Constitution, mais c’est comme acteur du Gouvernement révolutionnaire qu’il donne toute la mesure de son engagement. Représentant en mission aux armées du Rhin et du Nord, il organise les victoires de Landau et Fleurus. Rapporteur attitré du Comité de salut public, il joue un rôle fondamental dans la « crise des factions » ; il prononce le discours du 23 ventôse an II annonçant que les hébertistes constituent une faction de l’étranger, puis celui du 11 germinal contre les dantonistes, enfin celui du 26 germinal an II qui referme la crise et propose de faire entrer la révolution dans les moeurs en fondant des institutions civiles. Ces institutions doivent rendre naturelle l’union des citoyens, et garantir leur indépendance - qui n’est pas l’isolement mais la possibilité de construire des relations amicales et réciproques. C’est aussi au nom de cette indépendance nécessaire que sont prononcés les discours sur les décrets de ventôse qui visent à redistribuer les richesses des ennemis de la patrie aux patriotes indigents. En effet, selon les mots
de Saint-Just, « les malheureux sont les puissances de la terre ; ils ont le droit de parler en maîtres aux gouvernements qui les négligent » (8 ventôse) ; « le bonheur est une idée neuve en Europe » (13 ventôse). C’est dans les Fragments d’institutions républicaines que Saint-Just tente de fixer les conquêtes révolutionnaires, mais la conscience de l’action impossible, d’une révolution glacée, le hante : « Le jour où je me serai convaincu qu’il est impossible de donner au peuple français des moeurs douces et énergiques, sensibles et inexorables pour la tyrannie et l’injustice, je me poignarderai. » Les 9 et 10 thermidor, lors de sa chute, SaintJust est resté silencieux. Saint Louis ! Louis IX Saint-Médard (convulsionnaires de), nom donné à des jansénistes illuminés en proie à des phénomènes de transes au XVIIIe siècle. Le diacre François Pâris meurt en 1727 après avoir mené une vie pieuse, conforme au jansénisme. La rumeur que des miracles se produisent sur la tombe du « saint » homme, au cimetière Saint-Médard, à Paris, se répand très vite. Les pèlerins s’y pressent nombreux et sont témoins de phénomènes extraordinaires : certains d’entre eux sont saisis de spasmes convulsifs, prédisent l’avenir ou guérissent de leur paralysie, telle Melle Hardouin, en août 1731. Au début, certains prêtres y voient un signe de Dieu en faveur du jansénisme. Bientôt l’hystérie s’empare des convulsionnaires : des femmes se soumettent en hurlant à des supplices divers... Les manifestations jansénistes deviennent trop voyantes. L’enquête du parlement et l’intervention de l’archevêché de Paris conduisent à la fermeture du cimetière par ordonnance royale (janvier 1732) ; les parlementaires qui soutiennent le jansénisme sont exilés. En février, un pamphlet est affiché sur la porte du cimetière : « De par le Roi, défense à Dieu de faire miracle en ce lieu ». Pourtant, les réunions des convulsionnaires se poursuivent en secret et redoublent d’intensité : les femmes « se faisaient fouetter sans qu’il y parût le lendemain ; on leur donnait des coups de bûches sur leur estomac bien cuirassé, bien rembourré, sans leur faire de mal [...] ; enfin comme tous les arts se perfectionnent, on a fini par leur enfoncer des épées dans les chairs, et par les crucifier » (Voltaire, Dictionnaire philosophique, article « convulsions »). Ce phénomène collectif,
qui se poursuit jusque dans les années 1780, s’inscrit dans la lutte entre la monarchie et les jansénistes menée depuis Richelieu : il constitue la dernière expression notable et publique de ce courant de dévotion, l’application de la bulle Unigenitus (1713) l’ayant déjà considérablement affaibli. L’unité religieuse, tant recherchée par Louis XIV depuis la révocation de l’édit de Nantes (1685) et la destruction de Port-Royal (1711), semble enfin rétablie. Pourtant, le jansénisme ne s’éteint pas, un esprit de résistance perdurant durant tout le XVIIIe siècle. Saint-Nicaise (attentat de la rue), attentat royaliste perpétré contre Bonaparte le 24 décembre 1800. Dans le cadre de son oeuvre de pacification intérieure, Bonaparte a pratiqué la politique de la main tendue, tant en direction des jacobins que des royalistes, proposant à ces derniers un armistice en Vendée et l’amnistie pour les émigrés rentrés en France. Cependant, les pourparlers engagés entre le Premier consul et le chef chouan Cadoudal sont un échec, si bien que la fermeté est de nouveau employée : en Normandie, Frotté, qui a pris la tête d’une rébellion, est fusillé ; en Bretagne, les derniers remous de la chouannerie sont sévèrement réprimés par Bernadotte. Les royalistes répondent en tentant d’assassiner Bonaparte : alors que ce dernier se rend à l’Opéra, une explosion retentit derrière son cortège qui vient de dépasser le coin de la rue Saint-Nicaise. Une machine infernale de forte puissance, en éclatant, éventre plusieurs maisons, et fait 22 morts et 56 blessés : Bonaparte n’a été épargné que grâce à son cocher, qui, ce soir-là, conduit rapidement. Le Premier consul saisit cette occasion pour accuser et éliminer les jacobins : 130 sont déportés sans jugement, 4 sont exécutés. Mais la preuve étant faite de la culpabilité des chouans, ceux-ci sont à leur tour poursuivis : Saint-Réjant et Carbon sont exécutés, les derniers réseaux royalistes démantelés, une centaine de leurs membres emprisonnés. Cette vigoureuse réaction inaugure l’évolution de Napoléon vers la dictature. Saint-Ouen (déclaration de), proclamation faite par Louis XVIII le 2 mai 1814 par laquelle il promet de doter la France d’un régime représentatif. Depuis l’abdication de Napoléon, les membres du Sénat préparent une nouvelle Constitution destinée à fonder une monarchie sur le modèle
anglais. Le texte, ratifié par cette assemblée le 6 avril, vise avant tout à préserver les acquis sociaux de la Révolution et de l’Empire, et prévoit de subordonner le roi à la nation. De plus, la ratification du nouveau texte législatif par Louis XVIII est posée comme condition au retour du souverain. Arrivé à Compiègne le 29 avril, celui-ci refuse cette clause et, de Saint-Ouen, aux portes nord de Paris, il fait une proclamation, préparée par Talleyrand mais corrigée selon ses vues par Blacas, Vitrolles et La Maisonfort. Commençant par les termes « Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre », elle est une négation du Sénat, de la nation et des acquis historiques depuis la Révolution. Elle accepte la Constitution du Sénat seulement sous réserve de modification des articles que désapprouve le roi. Elle promet le respect de l’égalité et des libertés publiques et individuelles, annonce la mise en place d’un gouvernement représentatif, et garantit l’inviolabilité des propriétés, y compris des biens nationaux, ainsi que le maintien de la Légion d’honneur. Si la déclaration de Saint-Ouen n’induit pas un retour à la monarchie absolue, elle n’en annonce pas moins le rétablissement d’une monarchie de droit divin. Saint-Pierre-et-Miquelon, collectivité territoriale de la République composée de huit îles, dont deux habitées (moins de 7 000 habitants). En 1763, le traité de Paris restitue à la France les îles Saint-Pierre-et-Miquelon, reconnues par Jacques Cartier en 1536 puis cédées à l’Angleterre au traité d’Utrecht (1713). Il n’y a de population permanente (pêcheurs basques et bretons) dans les îles qu’à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Une nouvelle occupation anglaise (1778-1783) oblige les quelque 1 600 insulaires à se replier sur Bordeaux et Rochefort pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire ; ils ne regagnent leurs demeures qu’en 1816. Au XIXe siècle, Saint-Pierre devient une florissante station de pêche morutière, où sont armées de nombreuses goélettes et où relâchent les voiliers de Saint-Malo qui fréquentent les bancs de TerreNeuve. Mais le déclin survient au XXe siècle, avec l’abandon du droit de pêche sur le french shore (1904) et, surtout, l’apparition des chalutiers et la raréfaction du poisson. Érigé en territoire d’outre-mer en 1946, l’archipel devient département d’outre-mer en 1976, mais l’expérience est abandonnée en 1985 devant les protestations des insulaires. Il
forme depuis lors une collectivité territoriale représentée au Parlement par un député et un sénateur. L’extension des eaux territoriales canadiennes menace sérieusement l’économie locale, bien qu’une zone maritime de près de 9 000 kilomètres carrés ait été reconnue à la France en 1992. Saint-Sacrement (Compagnie du), association catholique de dévotion et de charité fondée en 1630 à Paris par le duc de LévisVentadour, conseillé par le capucin Philippe d’Angoumois et l’oratorien Condren. La Compagnie est coiffée par un supérieur, souvent un laïc, et par un directeur, un clerc nécessairement : son originalité est justement dans cette union des laïcs (peutdownloadModeText.vue.download 851 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 840 être la moitié des confrères) et des clercs, à l’exclusion des réguliers. La Compagnie prend son essor en province à partir de 1638, réunissant peut-être 4 000 confrères, présents dans une soixantaine de villes. Si une partie d’entre eux sont des marchands, le recrutement touche d’abord les élites : grands seigneurs (le duc de Liancourt, le prince de Conti, les maréchaux de Schomberg et de La Meilleraye), aristocrates tel Gaston de Renty, modèle du noble dévot, gens de robe tels Lamoignon ou Olivier Lefèvre d’Ormesson (les parlementaires représenteraient 20 % des confrères laïcs), évêques (Godeau à Grasse, Solminihac à Cahors), figures spirituelles tels Vincent de Paul, Olier, Bossuet. Des associations charitables féminines doublent l’activité de la compagnie. L’ensemble, sous la tutelle parisienne, forme un réseau national, ce qui, dans la société d’ordres et dans l’État absolutiste d’alors, constitue une autre originalité, presque subversive. Tenus au secret, mais partout présents dans les lieux de décision, les confrères travaillent, selon l’idéal dévot, à christianiser la société par l’action apostolique et charitable, notamment lors des misères de la Fronde ; ils contribuent à fonder des hôpitaux, financent séminaires et missions. Si leur spiritualité, sans coloration propre, prend les nuances diverses de la piété tridentine (dévotion au Saint Sacrement, tout particulièrement), ils participent
également à des conférences sur des sujets le plus souvent moraux et pratiques. Ils incitent à lutter contre les protestants par l’observation restrictive de l’édit de Nantes. Enfin, diffusant dans les mentalités une attitude rigoriste, ils dénoncent blasphémateurs et libertins. Ce dernier aspect suscite la charge de Molière dans Tartuffe (interdit dans une première version de 1664, avant d’être accepté dans une version modifiée en 1669), qui fait scandale. Cependant, le pouvoir s’inquiète depuis longtemps de l’action secrète de la Compagnie. En 1660, le parlement de Paris interdit les réunions qui se font sans autorisation « sous le voile de piété et de dévotion » ; les confrères parisiens, étroitement surveillés, cessent leurs activités après 1667, mais ceux de province les poursuivent parfois jusqu’à la fin du siècle. Saint-Simon (Claude Henri de Rouvroy, comte de), philosophe (Paris, 1760 - id. 1825). Membre d’une famille noble ruinée - celle de l’auteur des célèbres Mémoires -, Saint-Simon participe à la guerre d’Indépendance américaine, puis fait fortune sous la Révolution en montant une entreprise de spéculation sur les biens nationaux. En 1798, il liquide ses affaires et décide de se consacrer à l’étude des sciences, menant désormais une existence très précaire. En 1814, il engage comme secrétaire Augustin Thierry et publie De la réorganisation de la société européenne, où il prône l’union avec l’Angleterre et une organisation de la paix en Europe. Dans les revues l’Industrie, puis le Politique, rédigé avec Auguste Comte, son secrétaire à partir de 1818, il réfléchit sur l’activité économique ; en 1819, il est poursuivi pour un pamphlet publié dans le premier numéro de l’Organisateur : il y explique que la disparition du personnel gouvernemental ne provoquerait aucun dommage pour la nation, et qu’il faut dresser la classe industrielle (les « producteurs ») contre les oisifs. Dans ce journal, il expose les voies pour parvenir au « régime industriel », création collective où chacun participerait, selon ses moyens, à la production des richesses. Cet optimisme industrialiste s’infléchit à la fin de sa vie. Il se tourne alors vers la religion pour faire advenir la société industrielle : dans son Nouveau Christianisme (1825), il s’appuie sur le message de l’Évangile comme morale qui fera fraterniser les entrepreneurs et le prolétariat. L’un des premiers à porter son attention sur l’activité économique pour analyser les sociétés, Saint-Simon a donné une oeuvre
diverse et ambiguë, qui a inspiré les libéraux comme les socialistes. Saint-Simon (Louis de Rouvroy, duc de), pair de France et grand d’Espagne (Paris 1675 - id. 1755). Ce filleul de Louis XIV ne sert dans l’armée royale que l’espace d’une décennie : dès 1702, il se partage entre son château de La FertéVidame et Versailles, où, en 1710, la nomination de son épouse comme dame d’honneur de la duchesse de Berry le pourvoit d’un logement. Mais, si l’on en croit une confidence qu’il fit à l’abbé de Rancé, c’est vers 1694 qu’il s’est assigné pour mission d’observer la cour et d’en percer les cabales. Dès cette époque aussi, éclate sa passion des préséances, qui le conduit, sa vie durant, à défendre le rang des ducs et pairs, que ce soit contre le maréchal de Luxembourg, les bâtards de Louis XIV ou le parlement de Paris, lors de l’affaire du Bonnet. Mais le « petit duc » est avant tout une tête politique : élevé dans le culte de Louis XIII, dont son père avait reçu les bienfaits, il blâme Louis XIV de la ruine du royaume et de l’avilissement de la noblesse, et le presse, dans la Lettre anonyme au roi, de « gouverner autrement » ; dévot, il réprouve la révocation de l’édit de Nantes et la destruction de Port-Royal et se range d’emblée parmi les opposants à la bulle Unigenitus. Or, la mort du duc de Bourgogne, en 1712, ruine les Projets de gouvernement qu’il lui attribue, mais qui sont d’abord les siens et le situent « dans la longue tradition d’un humanisme chrétien visant à accorder aux droits de la nation ceux du prince et ceux de l’aristocratie » (Yves Coirault). Pour en finir avec le « règne de vile bourgeoisie », il se rapproche du régent Philippe d’Orléans, promeut la polysynodie, mais voit son influence au Conseil de régence - où il est entré en 1715 - s’effriter à mesure que grandit la faveur de Dubois ; ses seules satisfactions lui sont fournies par le lit de justice du 26 août 1718, qui réduit le duc du Maine et le comte de Toulouse à leur rang de pairs, et par son ambassade extraordinaire en Espagne, en vue du mariage de Louis XV avec l’infante, qui lui procure la grandesse. La mort du Régent, en 1723, lui ouvre une retraite définitive, entièrement vouée à l’écriture : entre différents travaux relatifs aux ducs et pairs, il annote, entre 1729 et 1738, le Journal du marquis de Dangeau, que lui a communiqué le duc de Luynes, puis consacre toute la décennie 1740 à la rédaction de ses Mémoires. Les deuils qui l’accablent (la mort de son épouse, en 1743, puis celles de ses
deux fils, en 1749 et en 1754) n’entament pas d’une once la haine que lui inspirent, par-delà le tombeau, Mme de Maintenon, Vendôme, Noailles et quelque trois mille de ses contemporains de la cour de Louis XIV et du Régent, dont il s’est fait, selon le mot de Sainte-Beuve, le « Tacite à la Shakespeare ». saint-simonisme, mouvement de pensée divers, inspiré par l’oeuvre du comte de Saint-Simon. Après la mort de l’auteur du Nouveau Christianisme se constitue autour de la revue le Producteur (1825-1826) un groupe, les saintsimoniens, dont la plupart n’ont pas connu le philosophe. De son oeuvre, ils ont retenu l’élaboration d’une théorie de l’histoire qui oppose la société féodale, consacrée à la guerre, à la société industrielle, non encore advenue, consacrée au travail ; ils ont retenu l’appel aux industriels et aux savants à lutter pour l’établissement du système industriel, régime de prospérité et de liberté. Ils ont aussi été marqués par l’orientation religieuse de la dernière partie de l’oeuvre de Saint-Simon, dans laquelle ce dernier annonce que la religion seule peut gouverner les hommes et constituer le lien social de la société industrielle. L’école saint-simonienne réaffirme que le but de l’humanité est l’exploitation du monde par l’industrie, et prône l’association des producteurs et l’organisation de la production. Après 1826, elle se transforme en « Église » autour de deux « Pères », Saint-Armand Bazard et Prosper Enfantin. Les saint-simoniens plaident alors pour l’amélioration du sort matériel et moral de la classe la plus pauvre, l’émancipation des femmes, et pour une société où chacun recevrait « selon sa capacité, et chaque capacité selon ses oeuvres ». Ils appellent à une réforme de la propriété privée, légitime seulement lorsqu’elle est détenue par ceux qui produisent des richesses. L’appel au sentiment, à la régénération de l’humanité par l’amour prend une place croissante dans les préoccupations de l’« Église », qui connaît de nombreux schismes et se resserre autour de la personnalité charismatique d’Enfantin, retiré au « couvent » de Ménilmontant avec ses disciples en 1831. L’« Église » est dissoute en 1832, au terme d’un procès intenté à Enfantin pour association illicite et outrage aux moeurs. Le saint-simonisme est alors institutionnellement mort, mais garde une influence chez les socialistes qui sont passés par l’école, comme Leroux ou Buchez. Par ailleurs, il nourrit un intérêt pour
l’Orient, qui se marque aussi bien dans le voyage d’Enfantin et des « Compagnons de la femme » en Égypte de 1833 à 1837, que dans la formation du conseiller de Napoléon III pour la politique arabe, Ismaïl Urbain. Enfin, la célébration des bienfaits de l’industrie et du libre-échange, ainsi que le souci d’organiser la production inspirent certains industriels et banquiers sous le second Empire (Ferdinand de Lesseps, les frères Pereire) et une partie de la politique économique du régime, politique mise en oeuvre par un professeur d’économie et saint-simonien de la première heure, Michel Chevalier. C’est dans cette acception downloadModeText.vue.download 852 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 841 « industrialiste » et pratique que le terme « saint-simonisme » est encore utilisé. Saint-Sulpice (Compagnie de), société de prêtres séculiers fondée en 1641 par JeanJacques Olier. Afin de les préparer à leur charge d’âmes, Olier oblige les élèves de son séminaire de Saint-Sulpice à participer à la gestion de cette grande paroisse parisienne ; par ailleurs, maîtres et séminaristes sont astreints à une vie commune qui fait de l’Église leur famille. Selon la constitution de la Compagnie, approuvée par Rome en 1664, les membres ne prononcent pas de voeux particuliers ; ils gardent la propriété de leurs biens individuels. En accord avec le souhait d’Olier (« Que la Providence veuille faire de ce lieu un séminaire universel pour l’Église »), ce mode d’organisation et de formation, conforme à l’idéal tridentin tourné vers la vie paroissiale et la dignité sacerdotale, s’étend à la province : les sulpiciens sont appelés pour créer des séminaires à Nantes (1649), Viviers (1650), Le Puy (1652), Clermont, et jusqu’à Montréal ; au total, ils dirigent en 1789 une trentaine de séminaires, par lesquels sont passés environ 50 évêques au XVIIe siècle et près de 200 au siècle suivant. Dans la lignée de l’enseignement du troisième supérieur général Louis Tronson (1676/1700), l’esprit sulpicien a marqué profondément le clergé français : régularité de vie teintée d’ascétisme, méfiance envers le mysticisme, sens des responsabilités pratiques et respect des autorités. Pendant la Révolution, le supérieur général Émery, réfugié aux États-Unis, fonda en 1791 à Baltimore un séminaire qui fit découvrir aux catholiques
américains le modèle français. saints (culte des), culte des personnes qui, par leur cheminement personnel, ont fait de leur vie un modèle à l’image et à la ressemblance de la vie du Christ. Tout chrétien est appelé à s’engager dans cette voie. À ce titre, le saint joue le rôle d’un « témoin » auprès du peuple de Dieu. Le culte des saints naît en Orient, au IIe siècle, du culte des martyrs et se répand dans l’Occident latin à partir du IIIe siècle. Les chrétiens se réunissent alors sur les tombes de ceux qui sont morts pour leur foi, afin de célébrer l’eucharistie, marquant ainsi le lien entre leur sacrifice et celui du Christ mort sur la croix. La commémoration des martyrs, et aussi des Apôtres, engendre en Gaule, dès le IVe siècle, la vénération de leurs reliques - fragments de corps ou objets ayant touché ces corps -, pour lesquelles des églises sont construites. Progressivement, la vénération s’étend aux évêques fondateurs d’églises locales et aux moines évangélisateurs, puis aux saints ascètes et aux vierges (sainte Geneviève, saint Denis, saint Germain, saint Remi, saint Hilaire, etc.). Elle connaît un succès croissant en Gaule, aux Ve et VIe siècles. Le culte des saints est alors devenu un aspect fondamental de la piété chrétienne, auquel s’ajoute la diffusion des modèles de sainteté par le biais de la rédaction des « vies de saints » (hagiographies). L’évolution du sanctoral (calendrier des fêtes en l’honneur de la Vierge et des saints) contribue à l’adoption progressive d’un calendrier de saints unique pour toute l’Église au VIIe siècle. Soucieux d’assurer l’unification de l’Empire par tous les moyens, y compris liturgiques, Charlemagne, vers 800, impose comme livre officiel un calendrier de saints provenant de Rome, auquel les liturgistes impériaux ajoutent des fêtes de saints francs. Ultérieurement enrichi par les liturgistes franco-germaniques aux IXe et Xe siècles, celui-ci finit par constituer le calendrier universel de l’Église de Rome. • Les modèles de la sainteté. Sous l’influence des ordres monastiques, qui obtiennent l’inscription au calendrier romain de plusieurs de leurs serviteurs, le culte des saints évolue notablement au XIIe siècle. L’Église reconnaît alors pour la première fois comme saints des contemporains, et leur nombre s’accroît considérablement. L’ouverture du sanctoral à de nombreux religieux franciscains et dominicains au XIIIe siècle, mais
aussi aux laïcs qui donnent des exemples de piété et de charité (à l’instar de Saint Louis) concourt à une spiritualisation croissante de la notion de sainteté et à l’émergence d’un modèle évangélique et apostolique. La mainmise de la papauté sur la procédure de canonisation au début du XIIIe siècle contribue alors à établir un contrôle sévère sur les vertus et les miracles réalisés par les serviteurs de Dieu. Il existe désormais deux catégories de saints : ceux qui, reconnus par le pape, font l’objet d’un culte liturgique (les « saints ») et ceux qui doivent se contenter d’une vénération locale (les « bienheureux »). À la fin du Moyen Âge, sans doute en réaction à l’importance croissante prise par les canonisations des saints à la parole visionnaire inspirée, l’Église privilégie les prédicateurs ainsi que les réformateurs dont l’action sociale est reconnue (sainte Colette de Corbie, 1381 ou 1382-1447). Avec le concile de Trente s’ouvre une nouvelle étape. Confiées à la Congrégation des rites (1588), les causes de saints font désormais l’objet d’une procédure très rigoureusement définie - elle sera amplement commentée par le futur pape Benoît XIV (1740/1758) au début du XVIIIe siècle. Après avoir glorifié les grandes figures de la Réforme catholique mais aussi les spirituels et les bons pasteurs (François de Sales, canonisé en 1665), l’Église remet en faveur les modèles de fondateurs ou réformateurs d’ordres : canonisation de Vincent de Paul en 1737, de Jeanne de Chantal en 1767, de Marie de l’Incarnation en 1791. Elle exalte également les missionnaires, tel le jésuite François Régis, canonisé en 1737. Ainsi, au XVIIIe siècle, les causes concernant les saints français reçoivent assez souvent une suite favorable, après une longue éclipse du XVe au XVIIe siècle. La reconnaissance fréquente de saints français au XIXe siècle s’explique par le souci de l’Église de renouer avec ses racines après la grande tourmente révolutionnaire en promouvant les fondateurs mais aussi les simples : Alphonse Marie de Liguori, mort en 1787 et canonisé en 1839, ou Benoît Joseph Labre, mort en 1783 et canonisé en 1881. • Vers la définition d’une nouvelle sainteté. Au XXe siècle, le nombre de canonisations augmente fortement (106 en quatrevingt-cinq ans), contribuant à rajeunir le panaroma de la sainteté (45 canonisations et béatifications de personnes décédées depuis 1900) et à élargir sa « géographie » à tous les continents. Cette série de canonisations s’inscrit dans les perspectives antérieures,
avec une orientation renouvelée : mise en exergue du modèle des prêtres représenté par le curé d’Ars, canonisé en 1925. L’exaltation du modèle des martyrs, avec la béatification d’un grand nombre de martyrs de la Révolution, mais aussi du modèle de la sainteté humble, fruit de l’expérience intérieure et de l’amour du Christ, participe de cette nouvelle orientation, dont témoignent la canonisation de Thérèse de Lisieux en 1925, celle de Bernadette Soubirous en 1933, ou celle de Marguerite-Marie Alacoque en 1920. La canonisation de Frédéric Ozanam (1813-1853), à l’occasion des Journées mondiales de la jeunesse de 1997, illustre la volonté papale de proposer aux jeunes un modèle d’action sociale conforme à la nouvelle idéologie humanitaire et évangélique prônée par l’Église. Saisset (Bernard), évêque de Pamiers, en Languedoc (1232 environ - 1311). Saisset est à l’origine d’une grave crise politique entre le roi Philippe IV le Bel et le pape Boniface VIII. Issu de la noblesse méridionale et abbé de Saint-Antonin de Pamiers, il s’oppose aux officiers royaux au sujet de la seigneurie de la ville de Pamiers. Proche du pape Boniface VIII, il obtient de ce dernier l’érection de l’abbaye en évêché et devient le premier évêque de Pamiers en 1295. Il accentue alors son opposition à l’administration royale et va jusqu’à comploter contre le roi en proposant au comte de Foix de s’emparer de la souveraineté sur le Languedoc, intégré depuis peu au domaine royal. Averti, le roi fait arrêter l’évêque et le fait conduire, en octobre 1301, à Senlis, où il organise solennellement sa mise en accusation pour hérésie, haute trahison et lèse-majesté, en dépit de l’embarras de plusieurs grands ecclésiastiques, dont l’archevêque de Reims. Lorsqu’en décembre 1301, par la bulle Ausculta fili, Boniface VIII proteste contre ce qu’il considère comme un empiétement royal sur la juridiction ecclésiastique et convoque à Rome l’ensemble des évêques français, l’affaire prend de l’ampleur. Elle débouche sur une véritable confrontation entre la papauté et la royauté capétienne et, au-delà, sur l’opposition irréductible entre deux conceptions du pouvoir, la théocratie pontificale et la monarchie sacrée. Soucieux de ne pas laisser l’affaire se prolonger, Philippe le Bel finit par exiler l’évêque hors du royaume. Bernard Saisset meurt à Rome, à la cour pontificale, en 1311. L’affaire Saisset s’inscrit ainsi dans le cadre du renforcement du pouvoir royal au XIVe siècle. Salan (Raoul), général (Roquecourbe, Tarn,
1899 - Paris 1984). Cet ancien élève de Saint-Cyr réalise l’essentiel de sa carrière dans l’armée coloniale, principalement en Extrême-Orient, à partir des années vingt. Il succède au général de Lattre à la tête des troupes françaises d’Indochine. downloadModeText.vue.download 853 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 842 Inspecteur général de la défense du territoire en 1954, « le Mandarin » - son surnom d’alors - doit à sa réputation républicaine d’être nommé, en novembre 1956, commandant en chef en Algérie. Il dispose de pouvoirs considérables. D’abord mal accueilli par les plus actifs des partisans de l’Algérie française, qui l’accusent de vouloir brader le pays, il est victime, le 16 janvier 1957, d’un attentat au bazooka commandité, semble-t-il, par des extrémistes gaullistes. Le 13 mai 1958, hésitant, il laisse Massu occuper le devant de la scène, mais son ralliement public à de Gaulle, le 15, facilite le règlement de la crise. Ses réticences à se soumettre aux volontés du nouveau gouvernement lui valent une mutation en métropole, où il exerce les fonctions d’inspecteur général de la défense puis de gouverneur militaire de Paris. Il prend sa retraite en 1960. Installé en Espagne, il s’engage de façon déterminée pour l’Algérie française. Au moment du putsch des généraux d’avril 1961, il rejoint Alger sans avoir été sollicité. Mais sa présence est bien accueillie et, après l’échec du putsch, il entre dans la clandestinité et devient le chef de l’OAS, cherchant d’abord à présenter l’organisation sous un jour acceptable puis l’entraînant sur la voie du terrorisme. Arrêté à Alger le 20 avril 1962, il est traduit devant la Haute Cour de justice, qui le condamne à la détention criminelle à perpétuité. Il est libéré en 1968, puis bénéficie de la loi d’amnistie en 1982. Salengro (Roger), homme politique (Lille 1890 - id. 1936). Issu d’un milieu de classes moyennes, Roger Salengro milite à partir de 1909 dans la fédération du Nord de la SFIO, alors profondément marquée par l’influence de Jules Guesde. Hostile à la « loi des trois ans », inscrit sur le « carnet B » (répertoire des éléments suspectés d’antimilitarisme et susceptibles d’être emprisonnés en cas de guerre), Salengro, qui pourtant ne refuse pas le principe de la dé-
fense nationale, est incarcéré en août 1914, avant d’être incorporé et de participer à la bataille de Champagne. Le 7 octobre 1915, il tente, après un assaut meurtrier, de ramener le cadavre d’un ami mort au combat. Parti seul, il est fait prisonnier. Après une dure captivité, au cours de laquelle il est condamné par un conseil de guerre allemand pour avoir incité ses camarades à refuser d’exécuter des travaux non conformes à la convention de Genève, il est compris dans un échange de prisonniers et peut regagner la France. Au lendemain de la guerre, il réalise une rapide ascension au sein de la section lilloise et des structures nationales de la SFIO. Parallèlement, il est élu maire de Lille en 1925, puis député du Nord en 1928. Devenu ministre de l’Intérieur du gouvernement Blum en juin 1936, il joue un rôle décisif dans la conclusion des accords Matignon et signe le décret de dissolution des ligues factieuses. La droite nationaliste ne le lui pardonne pas : une campagne de presse est engagée contre lui dès l’été 1936, orchestrée par une feuille à très gros tirage, Gringoire. On l’accuse d’avoir déserté et d’être passé à l’ennemi le 7 octobre 1915. Malgré une conclusion rendue en sa faveur par une commission d’anciens combattants, et malgré un vote de la Chambre qui repousse les accusations dont il est l’objet, le ministre, nerveusement épuisé, se donne la mort le 18 novembre 1936. Sales (François de) ! François de Sales (saint) salique (loi), corpus de textes juridiques s’appliquant aux Francs Saliens, rédigé au début du VIe siècle puis amendé par Charlemagne. Redécouverte au XIVe siècle, la loi salique désigne alors une loi fondamentale du royaume excluant les femmes de la succession au trône de France. C’est cette seconde acception qui lui a valu son intégration dans la mémoire nationale. • Le « Pactus legis salicae ». La loi salique appartient à la série des lois germaniques mises par écrit, en latin, au VIe et au VIIe siècles. Elle s’applique uniquement aux Francs Saliens, selon le principe de la personnalité des lois. La promulgation de ce texte date des derniers mois du règne de Clovis (511). Le prologue explique la méthode suivie pour son élaboration : quatre grands, choisis parmi les Francs, ont siégé, à trois reprises, au tribu-
nal public (mallus), en présence de tous les hommes libres. Les sentences rendues dans les causes examinées ont alors été enregistrées dans la loi. Ces articles concernent pour l’essentiel le droit privé, civil ou pénal. Ils émanent, selon la coutume, de l’accord du peuple franc et sont enregistrés par le roi qui, sur le modèle romain, leur confère leur autorité. Le but de l’édiction de cette loi est explicitement affirmé : « Il a plu et on s’est accordé entre Francs et leurs grands pour servir leur zèle à établir la paix entre eux afin d’éliminer tout ce qui fait croître les rixes. » C’est donc une institution de paix, visant à éliminer la vengeance privée qui prévalait alors dans les règlements des conflits entre clans. Ainsi, la majeure partie des dispositions met en place un principe de tarification (Wergeld) permettant de compenser le méfait commis. Par exemple, toucher la main d’une femme coûtait 15 sous. Le tarif augmentait en fonction de la partie du corps touchée (30 pour l’avant-bras, 35 pour le bras et 45 pour le sein). Si l’on peut penser que le noyau de la loi remonte à une tradition orale du IVe siècle, certaines dispositions sont très certainement contemporaines de Clovis, telle l’interdiction des mariages incestueux, définis selon les critères du droit canonique. Cette mesure distend les liens claniques au sein de la famille franque et tend à disqualifier la parenté cognatique au profit de l’agnatique. Globalement, le Pactus vise donc à limiter la puissance des familles élargies franques. La loi salique est encore augmentée par Charlemagne, qui l’infléchit dans un sens plus nettement public. À partir du Xe siècle, elle se dissout dans la masse du droit coutumier du nord de la France. • Loi fondamentale du royaume. Tombé dans l’oubli au cours des siècles suivants, le Pactus doit à l’un de ses articles d’avoir été redécouvert au milieu du XIVe siècle. En effet, dans le titre 62 (De alodiis), il est écrit que « pour la terre salique, aucune part de l’héritage ne doit être transmise à une femme mais [que] tout l’héritage de la terre doit passer au sexe viril ». Cette clause règle, en fait, la succession des terres des ancêtres dans le droit privé des Francs. Dans le contexte de la guerre de Cent Ans, et au prix d’une grossière manipulation, elle est requise pour justifier l’exclusion des femmes et de leurs héritiers au trône de France. Si elle n’est guère invoquée en 1316 (lors de l’avènement de Phi-
lippe V), ni même en 1328 pour récuser les prétentions anglaises (lors de l’avènement de Philippe VI), elle fait son apparition dans la traduction des Échecs moralisés de Jacques de Cessoles par Jean de Vignay (entre 1337 et 1350). Cependant, c’est un moine de SaintDenis, Richard Lescot, qui, en 1358, exhume de la bibliothèque du monastère un manuscrit comportant le texte du Pactus ; il en propose une interprétation qui, pour être fausse, n’en est pas moins opportune. À sa suite, d’autres auteurs se réfèrent à la loi salique : Jean de Montreuil (début du XVe siècle), Jean Juvénal des Ursins fils (entre 1430 et 1440), l’auteur anonyme du Grand Traité de la loy salique (vers 1464)... L’intense travail propagandiste parvient à assurer le succès définitif du mythe de la loi salique. Pourtant, à partir du milieu du XVIe siècle, les juristes français, par un retour aux documents originaux, critiquent la loi et mettent en évidence la falsification (François Hotman, 1524-1590). Si Jean Bodin la cite encore dans sa République (1576), c’est pour immédiatement lui préférer une « loi de nature », fondant l’exclusion politique des femmes sur leur supposée infériorité biologique et sur une analogie avec le régime matrimonial. salon, réunion privée et régulière où gens du monde et gens de lettres - intellectuels et artistes - se rencontrent pour converser. Le terme, d’origine italienne, n’apparaît en ce sens qu’au début du XIXe siècle, après avoir désigné, au XVIIe une salle, et au XVIIIe les expositions de peintures organisées au Salon carré du Louvre. • Une alternative à la cour. La réalité a cependant précédé l’acception sociale du mot : les salons naissent dans la première moitié du XVIIe siècle, sous une double impulsion, aristocratique et féminine (Mme de Rambouillet), qui marquera durablement la pratique salonnière. Le salon se distingue donc de la cour, qui obéit à une autre logique de sociabilité, ouverte, publique et réglée par l’étiquette, sous l’oeil du monarque. Le cercle de Mme de Rambouillet est, à l’écart du palais royal, une cour privée et choisie : ses élus, élite sociale et intellectuelle, pratiquent, ou plutôt inventent, entre eux et pour eux, l’art ingénieux des bonnes manières et de la conversation, matrices de la préciosité et de la galanterie, si influentes sur le goût et la littérature du siècle. Ici se forge l’idéal de l’honnête homme, mélange d’élégance mondaine et de culture distanciée, qui, en refusant la rusticité nobiliaire tout comme l’érudition professionnelle,
affine à la fois les aristocrates et les écrivains downloadModeText.vue.download 854 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 843 par leur commerce au contact des femmes. Qu’il y ait rapport entre la cour et les salons, rien ne le montre mieux que l’éclipse de ces derniers lorsque le Versailles louis-quatorzien accapare les élites. Mais le salon se démarque aussi, par sa mondanité féminisée, des cercles plus spécialisés, tel celui de l’écrivain Valentin Conrart dont sortira, par la volonté de Richelieu, l’Académie française. • Mondanité et philosophie. C’est au XVIIIe siècle que les salons connaissent leur apogée, jusqu’à s’identifier à l’image plus ou moins convenue, mais indéracinable, de la civilisation des Lumières. Le salon de Mme de Lambert (1647-1733), ouvert vers 1690, fréquenté par Fontenelle, Montesquieu, Marivaux, fait la transition entre les règnes de Louis XIV et de Louis XV. Mme de Tencin (1682-1749) prend sa succession. Un autre cercle célèbre, celui de Mme du Deffand (1697-1780), attire à partir de 1730 l’élite aristocratique de France et d’Europe, qui peut y côtoyer, à l’exception de Diderot, les plus brillants Philosophes, dont certains se partagent entre son salon et celui, plus modeste mais plus ouvert aux idées, de Mlle de Lespinasse (1732-1776). Si l’on y ajoute la riche Mme Geoffrin (1699-1777), qui recueille l’héritage du salon Tencin, Mme Necker (1739-1794) et Mme Lavoisier (tournée vers les sciences), on est tenté de conclure que les Lumières parachèvent l’intime liaison, apparue dès le XVIIe siècle, entre l’élite mondaine et les hommes de talent, par la médiation d’une hôtesse capable d’imprimer son style aux réunions. Reste qu’il y a aussi des hôtes masculins, tels Helvétius (1715-1771) et d’Holbach (17231789). • Derniers feux. Le salon est trop ancré dans la sociabilité pour ne pas renaître de la tourmente révolutionnaire (Mme Helvétius, Mme de Staël), mais il ne s’épanouit de nouveau véritablement qu’avec la Restauration (Mme Récamier, Mme Ancelot). Il semble que le salon du XIXe réduise - peut-être sous l’influence du modèle anglais - la prééminence féminine, et qu’il fasse place aux clivages politiques induits par les bouleversements constitutionnels successifs ; il semble également qu’il s’oriente, sous les noms de « cénacle », « réunion », « lundi », « mardi », etc., vers une convivialité
plus étroite, plus privée, plus spécialisée, au service d’écoles ou de partis. Le salon trouve son chant du cygne avec Proust, et meurt sur la ligne Maginot. Toute tentative pour le faire renaître à la télévision dévoile impitoyablement qu’il est incompatible avec le narcissisme, l’emportement idéologique, l’avidité marchande, la rivalité professionnelle, poisons mortels de la conversation entendue, pendant plus de deux siècles, comme art élitaire de lier un commerce élégant sous l’égide des femmes. Salut public (Comité de) ! Comité de Salut public Samory Touré, conquérant et souverain africain (Manyambaladougou, Guinée, vers 1830 [1835 ?] - Ndjolé, Gabon, 1900). Considéré comme un oppresseur sanglant par les colonisateurs, Samory Touré est un héros de la résistance anticoloniale pour la génération de l’indépendance. De famille animiste, rattaché par sa mère à la puissante lignée des Kamaras, Samory est dioula (colporteur) comme son père, avant d’apprendre le métier des armes au service du clan musulman des Sisés. À partir de 1861, il devient chef de guerre au service de ses oncles. De l869 à 1881, il construit un empire qui favorise le développement du commerce entre le Haut-Niger et la colonie britannique de Sierra Leone. En 1881, à l’apogée de sa puissance, installé à Bissandougou, ayant conquis le centre islamique de Kankan et vaincu les Sisés, Samory prend le titre d’almany (de l’arabe imam, « celui qui dirige la prière ») et réorganise la société malinkée selon le droit musulman. Il se heurte alors aux Français, qui entreprennent la conquête du Soudan. Repoussé sur la rive droite du Niger, il signe deux traités, dont celui de Bissandougou en 1887 qui le laisse libre d’agrandir son empire vers l’est. Mais, alors qu’il assiège la ville senoufo de Sikasso, une grande révolte, favorisée par Gallieni, éclate dans son empire contre l’islamisation forcée de la société. À peine son autorité rétablie, il est attaqué par le colonel Archinard (1891). Contraint de fuir, il fonde un nouvel empire plus à l’est, mais doit bientôt affronter Français et Britanniques. Malgré plusieurs victoires, il fuit de nouveau en 1898, vers l’ouest cette fois. Capturé par la colonne du capitaine Gouraud, il est exilé au Gabon. Deux de ses fils mourront sous l’uniforme français, dont l’un en 1915 à Gallipoli sous les ordres de Gouraud.
Sanche Sanchez, dit Mitarra (c’està-dire « le Sauvage »), premier duc gascon indépendant du pouvoir central franc (mort en 864). Sanche Sanchez est le second fils du duc Sanche Loup, fidèle de l’empereur Louis le Pieux, qui meurt dans un combat contre les musulmans d’Espagne (816). Après la mort de son frère aîné (836), Sanche Sanchez reprend l’héritage paternel et impose son pouvoir en Gascogne. Dans les années 840, il est comte de Fézensac et, en 848, il porte pour la première fois le titre de duc. Il affermit son pouvoir sur la région en organisant la défense de la Gascogne contre les Normands qui remontent les vallées de la Garonne et de l’Adour (844, 848, 863-864) et en combattant les Sarrasins, au sud des Pyrénées (861). Indépendant de fait du pouvoir royal, il soutient d’abord la révolte de Pépin II d’Aquitaine, avant de le capturer et de le livrer à Charles le Chauve (852). Après sa mort, sa principauté est divisée entre ses cousins et ses neveux, et sa figure devient vite légendaire. La vie et l’action de Sanche Sanchez témoignent ainsi de l’affaiblissement du pouvoir royal et de l’apparition des premières principautés régionales au cours du IXe siècle. Sand (Aurore Dupin, baronne Dudevant, dite George), écrivain (Paris 1804 - Nohant, Indre, 1876). George Sand s’impose comme la principale figure de femme de lettres dans la France du XIXe siècle. Elle tire de ses origines (qui la rattachent aux rois de Pologne par sa grandmère, fille naturelle du maréchal de Saxe) et de son éducation (elle est élevée dans l’esprit des Lumières, puis dans l’aristocratique couvent des Dames anglaises, à Paris) une force de caractère et une originalité dont son autobiographie (Histoire de ma vie, 1854-1855) exaltera la singularité : mariée à 18 ans au baron Casimir Dudevant, mère de deux enfants - Maurice et Solange (nés respectivement en 1823 et en 1828) -, elle devient une figure de la vie intellectuelle, à la double destinée de femme libre et d’écrivain. Affichant sa liaison avec Jules Sandeau (été 1830), elle revendique hautement les droits de la passion, établit, à Paris et à Nohant, les bases de son indépendance matérielle, prend part à l’effervescence créatrice et affective du premier romantisme et se sépare définitivement de son mari, en 1836. Elle connaît alors des amours orageuses avec Musset (voyage à Venise, 1833-1834), des liaisons avec Michel de Bourges, Charles
Didier et Chopin, des amitiés ferventes avec Marie Dorval et Marie d’Agoult, Delacroix et Flaubert ; mais elle est aussi poursuivie de tenaces haines littéraires (Baudelaire, Barbey d’Aurevilly). Elle est d’abord romancière du coeur féminin (Indiana, 1832 ; Lélia, 1833 ; Mauprat, 1837), mais le renouveau religieux (Lamennais), démocratique (Michel de Bourges) et socialiste (Pierre Leroux) la conduit vers le monde initiatique du XVIIIe siècle (Consuelo, 1843 ; la Comtesse de Rudolstadt, 1844). Ses aspirations humanitaires et son expérience des réalités rurales du Berry lui inspirent ensuite des romans champêtres (le Meunier d’Angibault, 1845 ; la Mare au diable, 1846 ; la Petite Fadette, 1849 ; François le Champi, 1850 ; les Maîtres Sonneurs, 1853). Au printemps 1848, elle adhère avec enthousiasme à la révolution et rédige pour Ledru-Rollin le Bulletin de la République se réfugie dans la vie privée après les journées de juin 1848 et contribue, en 1852, à obtenir la grâce de plusieurs républicains, dont Pauline Roland. Sous l’Empire, son hostilité au catholicisme oriente son oeuvre romanesque, toujours abondante (les Beaux Messieurs de Bois-Doré, 1858 ; la Ville noire, 1861), vers les thèmes anticléricaux (la Daniella, 1857 ; Mademoiselle de La Quintinie, 1863). Elle a laissé une très vivante Correspondance, publiée de façon posthume en 1882-1884. Sangnier (Marc), homme politique et intellectuel (Paris 1873 - id. 1950). Marc Sangnier est issu de la grande bourgeoisie libérale marquée par les enseignements du pape Léon XIII qui, en 1892, appelle au ralliement des catholiques à la République par l’encyclique Au milieu des sollicitudes. Le jeune homme fonde à l’âge de 26 ans le Sillon, un mouvement destiné à mettre en pratique l’idéal du christianisme démocratique et social car, selon l’analyse que propose Sangnier dans le Sillon, esprit et méthode (1905), la démocratie « tend à porter au maximum la conscience et la responsabilité civique de chacun », et c’est pour cela qu’il faut lui apporter le concours des forces vives du catholicisme. Toutefois, après avoir été accueilli favorablement par le Vatican, le Sillon gagne trop en downloadModeText.vue.download 855 sur 975
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indépendance ; on lui reproche une dérive moderniste, et il est condamné en 1910 par le pape Pie X. Marc Sangnier se soumet, sans renoncer pour autant à toute action publique : la fondation d’un quotidien, la Démocratie (1910), celle du mouvement de la Jeune République (1912), lui en donnent l’occasion. En 1919, il est élu député de Paris. Par ailleurs, il prône la réconciliation franco-allemande, à l’occasion de congrès pour la paix et de rencontres de jeunes. En 1944, il trouve dans la présidence d’honneur du MRP une reconnaissance de son influence sur le courant démocrate-chrétien. Symbole d’un renouvellement de la pensée et de l’engagement chrétiens, Marc Sangnier reçoit des obsèques nationales, célébrées à Notre-Dame de Paris. sans-culottes, militants en majorité d’origine populaire qui, de 1792 à 1795, tiennent un rôle de premier plan dans la Révolution française, notamment à Paris. Le terme « sans-culotte » apparaît vers 17901791, avec un sens péjoratif, pour désigner le petit peuple révolutionnaire, souvent vêtu non pas de la culotte coupée aux genoux, mais de pantalon qui couvre la jambe. Le mot acquiert une charge positive quand, dans le contexte de radicalisation de l’été 1792, les sans-culottes font leur apparition comme force politique sur la scène révolutionnaire. Leur image se complète alors par de nouveaux attributs : le bonnet rouge, la cocarde et la pique. • Origines et organisation. Parmi les militants les plus actifs, on compte une majorité de petits artisans et commerçants : 57 % à Paris (selon Albert Soboul), 50 % à Marseille (selon Michel Vovelle). Les membres de la moyenne bourgeoisie représentent 18 % du total à Paris et 30 % à Marseille, et les salariés de l’artisanat 20 %. Mais ces derniers forment la base de la sans-culotterie, moins visible par l’historien car moins engagée dans les structures politiques. Bien que les militantes populaires soient exclues des organisations sans-culottes, il existe bien une composante féminine de la sans-culotterie, à laquelle l’historiographie s’intéresse depuis peu. Si le sans-culotte type est un père de famille d’une quarantaine d’années, les militantes sont au contraire des femmes relativement jeunes (moins de 30 ans) ou âgées (plus de 50 ans), qui n’ont pas la charge de plusieurs enfants. Les sans-culottes sont organisés à l’intérieur des sections (divisions territoriales et administratives créées en juin 1790, à Paris),
dont ils forment en l’an II le personnel administratif. Ils se retrouvent le soir dans l’assemblée générale ou dans la société populaire de leur section, et fréquentent également les Clubs des jacobins ou des cordeliers. Ils sont armés au sein de la Garde nationale : cela leur permet de jouer un rôle décisif lors des insurrections (10 août 1792, 31 mai-2 juin 1793, printemps 1795). • Conceptions politiques et revendications. La notion de souveraineté populaire, comprise de façon très concrète, est au coeur des conceptions politiques des sans-culottes : le peuple est le souverain, et les députés ne sont que ses « agents », élus pour « assurer son bonheur ». De là découle leur attachement à la démocratie directe, qui se marque par différentes pratiques : surveillance et contrôle des élus, voire exigence de pouvoir les révoquer ; pétition par laquelle le peuple souverain fait entendre sa voix et ses désirs à ses « mandataires ». Le droit à l’insurrection est l’aboutissement logique de cette conception de la souveraineté populaire : si les représentants « trahissent » leur mandat, les sans-culottes considèrent que le peuple peut reprendre l’exercice de sa souveraineté et que les insurgés représentent alors la loi. L’égalitarisme est à la base de leurs motivations socioéconomiques : aspirant à l’égalité sociale, ils refusent que l’« aristocratie des riches » remplace l’« aristocratie nobiliaire ». Une de leurs principales revendications concerne la question des subsistances, du pain. Ils appréhendent la lutte contre la vie chère en termes de droit : le droit à l’existence, considéré par eux comme le premier des droits de l’homme. « Là où il n’y a pas de pain, il n’y a plus de lois, plus de libertés, plus de République », assurent-ils dans une pétition de février 1793, en demandant le maximum du prix des denrées, qui doit, selon eux, permettre d’abolir les inégalités alimentaires. Du droit à l’existence ils passent à l’« égalité des jouissances » - des biens matériels mais aussi de l’instruction. Issus majoritairement du petit artisanat indépendant, ils ne sont pas contre la propriété privée, mais pour sa limitation, afin de faire « disparaître peu à peu la trop grande inégalité des fortunes et croître le nombre de propriétaires » (pétition de septembre 1793). L’échec de l’insurrection de prairial an III (mai 1795) marque la fin de l’intervention des sans-culottes dans la Révolution. Mais ils subsisteront dans la mémoire du mouvement
ouvrier français, longtemps marqué par leur égalitarisme radical. Sanson, dynastie d’exécuteurs des hautes oeuvres à Paris de 1688 à 1847. Cadet désargenté, allié par mariage aux Jouënne, exécuteurs de Normandie, Charles Sanson (1635-1707) est à l’origine d’une véritable dynastie de bourreaux, qui comptera six générations. Il fait son apprentissage comme valet d’échafaud auprès de son beaupère avant d’obtenir en 1688 sa lettre de provision d’office pour la charge de Paris, le titulaire ayant été destitué pour faute professionnelle. Exécuteur des « hautes oeuvres », c’est-à-dire de la « haute justice », celle qui applique la peine capitale, Sanson manifeste la puissance punitive du roi et la ritualise par le spectacle public de la mise à mort. D’où le statut ambigu de celui dont la charge fait le bras armé de la justice mais dont le métier fait un paria. Cette opprobre sociale, qui voue les bourreaux à se constituer en caste, ainsi que la vénalité et l’hérédité des offices expliquent la transmission de la charge entre les membres d’une même famille : en 1707, Charles Sanson II (1681-1726) succède à son père. Charles Jean-Baptiste (1699-1778) n’a, quant à lui, que 7 ans en 1726, lorsqu’il hérite la charge qu’il transmet de fait, sinon de droit, suite à une paraplégie, en 1754. De la famille Sanson, Charles Henri (17401806) est le plus célèbre. L’évolution de la législation des peines modifie alors fondamentalement l’office du bourreau - la grande réforme de 1790 voit la suppression de la roue, l’uniformisation des peines -, mais c’est toujours le même homme qui l’exerce. Ainsi, celui qui, sous l’Ancien Régime, a décapité le comte de Lally ou le chevalier de La Barre (1766), sera aussi l’exécuteur de la justice révolutionnaire, faisant passer sous la guillotine près de trois mille condamnés, parmi lesquels Louis XVI. Avec l’adoption de la guillotine (1792), le rôle de Sanson se borne désormais sur le théâtre des châtiments à une figuration mécanique sans commune mesure avec l’ancien déploiement de la violence légale. Cet effacement du caractère spectaculaire s’affirmera encore avec l’arrêt de 1832 (l’échafaud devant être désormais placé aux portes des villes et non plus sur la place publique). Aussi Henri (1767-1840), qui reçoit la charge en 1795, ne participe-t-il plus activement aux exécutions et s’enrichit dans la médecine empirique et la petite chirurgie. Lorsque Henri Clément (1799-1889) lui succède en 1840, il délaisse son office, mène une vie dissolue.
Incarcéré pour dettes il va jusqu’à gager la guillotine. Bourreau sans vocation ni instrument de travail, il est révoqué en 1847 et disparaît sous un nom d’emprunt. Ses Mémoires apocryphes (1862) contribueront à la légende d’une dynastie née dans le sang et achevée dans le fait divers. Santerre (Antoine Joseph), homme politique (Paris, 1752 - id. 1809). Antoine Joseph Santerre est le fils d’un riche brasseur cambrésien installé à Paris. À l’âge de 20 ans, lui-même s’installe comme brasseur dans le faubourg Saint-Antoine, où ses compétences techniques et son sens des affaires en font un personnage important et reconnu. C’est sans la moindre hésitation qu’il se lance dans l’aventure révolutionnaire. Bien qu’il soit désigné électeur, ce n’est pas grâce aux urnes que Santerre devient un chef politique, mais grâce à sa notoriété. Il est parmi les principaux meneurs de la prise de la Bastille, puis il fréquente les clubs, celui des jacobins et surtout celui des cordeliers. Officier de la Garde nationale, opposé à La Fayette, il voit sa popularité augmenter au rythme de la révolution populaire. Son action déterminante lors de la chute de la royauté, le 10 août 1792, en fait le commandant général de la Garde nationale. Dès lors, il délaisse ses affaires pour l’action politique. Après avoir été responsable du maintien de l’ordre à Paris, il est promu général et part combattre en Vendée, en mai 1793. Comme bien d’autres généraux sans-culottes, hormis la bravoure, il n’a pas de réelles compétences militaires et essuie de sérieux revers. Arrêté après l’élimination des chefs cordeliers, il est libéré par les thermidoriens. Santerre quitte alors la politique et refait fortune sous le Directoire en spéculant sur les biens nationaux. Mais il meurt ruiné et oublié sous l’Empire. Sarcelles, ville du Val d’Oise, située au nord de l’agglomération parisienne, et soudownloadModeText.vue.download 856 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 845 vent considérée comme un symbole des constructions standardisées réalisées pendant les « Trente Glorieuses ». Elle s’est en outre rendue célèbre à partir des années 1960 par la lutte de ses habitants
contre les problèmes suscités par la vie dans les grands ensembles, problèmes vites appelés « sarcellitte ». En 1954, une société immobilière filiale de la Caisse des dépôts et consignations - la SCIC - choisit cette commune rurale de 1 000 habitants pour y construire un programme de 13 000 logements. Le nouveau Sarcelles naît. Les locataires affluent, attirés par le confort et le loyer modique des logements, mais sont vite mécontents de leur environnement : pas de gare (avant 1965) ni de transports en commun, des écoles et des commerces rares et mal situés. L’insatisfaction grandit, et Sarcelles devient le symbole honni des grands ensembles naissants. Le Figaro (14 janvier 1960) parle de « silo à hommes, [...] univers concentrationnaire ». La même année (5 décembre), le Parisien libéré surenchérit : « Sarcelles, merveille des grands ensembles ! Géométrie glacée de blocs livides. Vertige de la technicité. » Les habitants réagissent. Le maire communiste, élu en 1965, ouvre une négociation avec la SCIC, qui accélère la création d’équipements. La population s’accroît (51 803 habitants, en 1968) et se diversifie, notamment avec l’installation d’une importante communauté de juifs d’Afrique du Nord (aujourd’hui, 15 % de la population), originaires surtout de Tunisie, qui conservent à Sarcelles des réseaux de sociabilité actifs. Dans les années 1970, les grands programmes de logements étant achevés, la population se stabilise (57 121, en 1990), et la ville continue de s’équiper. Aujourd’hui, Sarcelles semble échapper aux problèmes les plus durs que connaissent nombre de banlieues. Sarraut (Albert), homme politique (Bordeaux 1872 - Paris 1962). Albert Sarraut est l’un des représentants du fief radical-socialiste du Sud-Ouest, organisé autour du journal la Dépêche de Toulouse, que dirige son frère Maurice. Il siège comme député de l’Aude de 1902 à 1924, puis comme sénateur de 1926 à 1940. Dès 1906, il est sous-secrétaire d’État à l’Intérieur. Son nom est associé à la politique coloniale de la IIIe République, qu’il représente comme gouverneur de l’Indochine de 1911 à 1914, et de 1916 à 1919, puis comme titulaire du portefeuille des Colonies dans les ministères du Bloc national entre 1920 et 1924. Le plan Sarraut d’avril 1921 préconise un vaste programme d’investissements économiques et sociaux qui n’est pas réalisé dans son intégralité,
mais qui fait alors référence. Albert Sarraut est de nouveau ministre des Colonies entre juin 1932 et octobre 1933. Il est l’auteur de la Mise en valeur des colonies françaises (1922) et de Grandeur et servitudes coloniales (1931). Investi comme président du Conseil en octobre 1933, ce modéré reste au pouvoir un mois seulement, se heurtant aux critiques des radicaux de gauche. En janvier 1936, il est de nouveau appelé à la tête du gouvernement pour assurer le bon déroulement de la campagne électorale qui va porter le Front populaire au pouvoir. Il assiste alors impuissant à la remilitarisation de la Rhénanie. Une nouvelle fois ministre de l’Intérieur, de 1938 à 1940 - un portefeuille qu’il avait détenu de juillet 1926 à novembre 1928, dans le gouvernement d’« union nationale » de Poincaré, puis au lendemain du 6 février 1934 -, il est écarté du gouvernement par Paul Reynaud, en juin 1940 ; il vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain mais se tient à l’écart du régime. Son frère Maurice est tué par la Milice en 1943. En 1951, il est élu président de l’Assemblée de l’Union française, mais ses pouvoirs sont limités. Sarre (question de la), différend entre la France et l’Allemagne concernant le rattachement à l’un ou à l’autre pays de la région minière de la Sarre. Après la Première Guerre mondiale, Clemenceau, alors président du Conseil, demande l’annexion de ce territoire à la France en faisant prévaloir des droits historiques (Sarrelouis fut fondée par Louis XIV en 1680, et cédée à la Prusse en 1815). Cette revendication est rejetée par les Alliés, mais le traité de Versailles (1919) octroie à la France la propriété des mines de charbon, tandis que l’administration du territoire est confiée à la Société des nations (SDN) jusqu’en 1935, date à laquelle les Sarrois doivent choisir par plébiscite entre trois solutions : le maintien du régime international, le rattachement à la France ou le rattachement à l’Allemagne. Les électeurs s’étant prononcés, le 13 janvier 1935, pour cette dernière option (90,8 % des voix), la Sarre est placée sous la souveraineté du Reich, qui rachète les mines à la France. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Sarre est placée dans la zone d’occupation française, et, en 1947, devient un territoire autonome rattaché par une union douanière à la France, laquelle est responsable en outre de la Défense et des Affaires
étrangères. Obstacle à la construction européenne, ce statut est révisé au profit d’un statut européen prévoyant le maintien de l’union douanière franco-sarroise (accords Mendès France-Adenauer du 23 octobre 1954). Mais ce compromis est rejeté par 67,7 % des votants lors du référendum du 23 octobre 1955. La Sarre est donc rattachée à la République fédérale d’Allemagne, l’intégration politique étant réalisée le 1er janvier 1957 (la Sarre devient alors un Land de la RFA), et l’intégration économique étant achevée le 5 juillet 1959, par l’abolition de l’union douanière francosarroise. Sarrien (Jean-Marie Ferdinand), homme politique (Bourbon-Lancy, Saône-et-Loire, 1840 - Paris 1915). Fils d’un tanneur devenu maire de BourbonLancy, il fait des études de droit et exerce la profession d’avocat à Lyon, avant de commencer une carrière politique classique de notable républicain : maire de sa ville natale en 1871 et conseiller général, il est un temps révoqué par le gouvernement d’Ordre moral du duc de Broglie, puis devient député de Saône-etLoire en 1876. Constamment réélu par la suite, ce radical modéré est membre de plusieurs gouvernements dans les années 1880 et 1890 : ministre des Postes dans le cabinet Brisson, de l’Intérieur dans les cabinets Freycinet, Tirard et Bourgeois, il est garde des Sceaux en 1898 en pleine affaire Dreyfus, dans le gouvernement Brisson, marqué par l’affaire du « faux » dû au colonel Henry. À partir de 1902, durant le ministère Combes, il est président de la Délégation des gauches : cette institution originale formée de délégués élus par leurs groupes parlementaires sert d’organe directeur à la coalition gouvernementale du Bloc des gauches. Vice-président de l’Assemblée, il est appelé en 1906 à former le gouvernement. Il y nomme des figures marquantes (Poincaré aux Finances ; Clemenceau et Briand - ministres pour la première fois -, respectivement à l’Intérieur et aux Affaires étrangères), et luimême paraît effacé. Son oeuvre n’est pourtant pas négligeable : application libérale de la loi de séparation des Églises et de l’État, défense des libertés syndicales, projet d’impôt sur le revenu. Mais fatigué et malade, Sarrien cède bientôt le pouvoir à Clemenceau, dont il a favorisé la grande rentrée politique. Personnage moqué malgré ses qualités (les mots de Clemenceau sont cruels : « Ça ?...
Rien » ; « La borne à laquelle on attache le char de l’État »), Sarrien est le type même du républicain modéré, apôtre du régime de la représentation, qui, sans avoir adhéré au Parti radical, fondé en 1901, incarne le radicalisme des petits notables ruraux, tel que l’a décrit Albert Thibaudet. Sartine (Antoine Raymond Jean Gabriel de), comte d’Alby, homme politique (Barcelone 1729 - Tarragone 1801). Fils d’un intendant français de Catalogne au service de Philippe V, Sartine devient conseiller au Châtelet en 1752, lieutenant criminel en 1755, puis lieutenant général de police de Paris en 1759, fonction qu’il occupe pendant quatorze ans. Il fonde alors la police moderne. Le « cabinet noir » préfigure les Renseignements généraux, et ses services veillent sur la capitale : approvisionnement de la ville, amélioration de l’éclairage et nettoiement des rues, fermeture des tripots, ouverture de maisons de jeu taxées au profit du fisc. Nommé secrétaire d’État à la Marine en 1774, entouré de conseillers (Fleurieu), Sartine rénove la marine de Colbert et poursuit l’oeuvre de Choiseul (1764) et de Boynes (1771), faisant promulguer les ordonnances de 1775-1776. Par elles, il accroît le pouvoir de l’épée sur la plume, privilégiant les officiers au détriment des administrateurs civils, et augmente les crédits de son département : 35 millions de livres en 1776, 169 en 1780 ; il fait construire vaisseaux et frégates, et reprend l’idée de Tourville de former cadres et équipages à bord d’escadres d’évolution armées tous les étés. Il dote ainsi la marine des conditions nécessaires au succès, alors que s’ouvre la guerre d’Amérique (1778). Mais, en conflit avec Necker du fait de l’énormité des dépenses de son département, il doit quitter le ministère le 14 octobre 1780, laissant Castries downloadModeText.vue.download 857 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 846 tirer les fruits de son travail. Conseiller d’État ordinaire l’année du victorieux traité de Versailles (1783), Sartine émigre à la Révolution et meurt dans le pays de sa naissance. Sartre (Jean-Paul), écrivain et philosophe, l’une des principales figures de l’intelligentsia de gauche à partir de 1945 (Paris 1905 - id. 1980).
• Sous le signe des « mots ». Vivant avec sa mère et ses grands-parents, Sartre, après de brillantes études secondaires, intègre la khâgne de Louis-le-Grand en 1922, publie sa première fiction à l’âge de 18 ans, puis entre à « Normale sup » en 1924. Il y côtoie Nizan, un ami d’enfance, Aron, Canguilhem, Merleau-Ponty : cette sociabilité ulmienne, anticonformiste et antiélitiste, fait son « bonheur ». Sartre se définit alors comme un « esthète d’opposition », apolitique. Le futur chantre de l’engagement intellectuel se passionne d’abord pour la littérature et la philosophie. Il préfère la position de Sirius : « Ni à droite, ni à gauche, mais en l’air », selon la formule qu’il appliquera à Albert Camus au lendemain de la guerre. Après l’agrégation en 1929 (premier rang), puis le service militaire (avec certificat de bonne conduite), il est nommé professeur de philosophie au Havre. Jeune homme tranquille, il tente vainement de faire publier son premier essai, au titre symbolique : Légende de la vérité. Il voyage, lit et travaille à la Nausée, affûte ses talents de conférencier. Fin 1933, il découvre la phénoménologie grâce à Raymond Aron, auquel il succède comme boursier de l’Institut français de Berlin. De cette découverte dépendent ses futures recherches ; mais dans le Berlin de 1933-1934, il observe toujours le monde avec l’oeil de celui qui n’est pour rien ni pour personne. • Prise de conscience. De retour au Havre, Sartre assume mal le professorat. Il s’échappe par l’écriture, la recherche, vivant au rythme des premiers et rituels refus d’éditeurs (Jean Paulhan dédaigne Melancholia, qui deviendra la Nausée) et de son attention pour Simone de Beauvoir. En 1936, deux événements aiguillonnent sa conscience politique : le Front populaire et la guerre d’Espagne. Mais, quoique de gauche et se sentant antifasciste, Sartre demeure un scrutateur non engagé. Son horizon reste d’abord littéraire : Gallimard publie le Mur (1937), puis la Nausée (1938), qui obtient un grand succès. Après la signature du pacte germano-soviétique, entre dégoût, peur et sens du devoir, Sartre accepte la mobilisation, convaincu que la guerre sera courte. Durant la « drôle de guerre », il écrit le canevas de l’Âge de raison, de l’Être et le Néant, et rédige des carnets. En mai 1940, Paul Nizan est tué. Sartre, qui vient d’obtenir le prix du Roman populiste pour le Mur, est douloureusement choqué par cette mort. Fait prisonnier en juin 1940, il est libéré en mars 1941 et participe à la création d’un
éphémère réseau, « Socialisme et Liberté », parce qu’il faut préparer l’après-guerre, ne pas laisser les « jeunes » avec des « consciences malheureuses ». Une fois cette parenthèse refermée, il revient à la littérature. En 1943, Charles Dullin monte les Mouches, Gallimard publie l’Être et le Néant, ouvrage philosophique ardu que Sartre conçoit comme un acte de résistance à la faillite de la démocratie et de la liberté. Le professeur de khâgne à Condorcet commence à être connu pour sa rigueur, mais également décrié. Électron libre, il ne respire qu’à travers les gageures. Certains de ses pairs, à l’intérieur et hors du Comité national des écrivains, le lui reprochent. Peu importe. Il collabore alors à Combat et aux Lettres françaises - double lien significatif : avec l’organe de la « résistance » libre qui doit mener à la « révolution » et avec le PCF. • De l’existentialisme au sartrisme. La guerre terminée, l’abondante publication de Sartre (1944-1945 : Huis clos, l’Âge de raison, le Sursis) propulse son nom à l’avant-scène intellectuelle. La vogue existentialiste bat son plein. Le 28 octobre 1945, il prononce sa célèbre conférence au Club Maintenant (« L’existentialisme est un humanisme »). La jeunesse intellectuelle parisienne, avide de prospective esthétique, morale et politique, s’y précipite. Promu héros de l’existentialisme, Sartre est encombré de sa gloire soudaine. « Il y a ce personnage, cet Autre qu’on trimballe tout le temps après soi... », écrira-t-il. Cassandre et directeur de conscience ? La position l’incommode, mais la notoriété et le débat le stimulent. Il se découvre une vocation missionnaire qui lui permet d’oublier l’enseignement et de donner la mesure de son talent, dans une époque dont beaucoup attendent de symboliques ruptures. De plus, le lancement réussi des Temps modernes (octobre 1945) donne une assise au « sartrisme », que confortent les parutions, en 1946-1947, de Morts sans sépulture, la Putain respectueuse, L’existentialisme est un humanisme, Qu’est-ce que la littérature ?. Les 6 000 exemplaires de la revue irriguent le paysage intellectuel parisien. Sartre, figure de l’effervescence germanopratine, devient un emblème - dont témoigne aujourd’hui encore la représentation fréquente de l’âge d’or des intellectuels par un cliché du couple Sartre-Beauvoir dans un café de la rive gauche. Au coeur du « village existentialiste », la revue tisse la toile d’un « pouvoir de résonance » (Jean-François Sirinelli) nourri par la politisation croissante de Sartre
et par le contexte national et international, qui donne du grain à moudre à la nouvelle génération des tribuns et des moralistes : Bourdet, Camus, Mounier... et Sartre, qui endosse le rôle titre du clerc engagé. • Sartre compagnon de route. Fidèle à son dessein, Sartre stigmatise les intellectuels qui ignorent leur devoir : agir dans la conscience de l’Histoire pour s’inscrire en elle. Legs des années 1930 revivifié par la Résistance, par la vitalité du mythe révolutionnaire et l’activisme des extrêmes gauches intellectuelles, ce mode d’engagement commence à creuser le sillon d’un nouveau dreyfusisme qui s’épanouira pleinement avec la guerre d’Algérie. Socialisme, humanisme, bohème et révolution : les ingrédients fondant l’éthique sartrienne séduisent plusieurs générations d’intellectuels. André Gide dénonce le « faux prophète », mais Sartre est déjà porté par la vague d’un succès et d’un contexte qui le conduisent peu à peu vers un compagnonnage critique avec les communistes. En 1948 toutefois, il tente l’aventure partisane avec la création du Rassemblement démocratique révolutionnaire (RDR). Feu de paille, le RDR catalyse pourtant l’insatisfaction d’une partie de la gauche. L’expérience prouve qu’il existe une « troisième voie », entre PCF et SFIO, et un terreau fertile : l’anticonformisme intellectuel de gauche. Néanmoins, subjugué par la légende, la puissance et la dialectique communiste, Sartre se rapproche du PCF. En 1952, il est vivement contesté lorsqu’il affirme dans « Les communistes et la paix », qu’on ne peut que coopérer avec le parti. « Je n’avais qu’un fil d’Ariane, l’expérience inépuisable de la lutte des classes. [...] J’avais des os dans le cerveau. Je les fis craquer. » Jusqu’en 1956, Sartre reste la principale figure du compagnonnage libre. Reste que bon nombre de membres du parti le considèrent comme une « hyène dactylographe », voire un « traître en puissance ». • Le repli. En 1956, sur fond de guerre d’Algérie, la crise hongroise et celle du PCF ouvrent une brèche : Sartre renoue avec sa liberté critique et dénonce l’arbitraire communiste (« Le fantôme de Staline », 1957). Il retrouve une pensée autocritique centrée sur l’ego et l’idée d’abîme. Rompant avec son idéalisme initial, Questions de méthode (1957) et Critique de la raison dialectique (1960) engagent une confrontation philosophique avec le marxisme, d’où ressort une approche anthropologico-po-
litique de l’aliénation. Sartre est alors proche des « porteurs de valises », tel Jeanson. Il dénonce la torture et signe le « Manifeste des 121 ». Face à l’arrivée en politique de nouvelles générations séduites par ses diatribes, l’apologiste de la révolution conserve son aura. Dans l’espace libéré par la faillite du communisme stalinien, le tiers-mondisme et l’intérêt pour les expériences révolutionnaires atypiques (Cuba) se développent. Dégagé des contraintes d’obédience, Sartre prend de la hauteur. Ex cathedra, il peut à la fois manier les symboles (refus du Nobel, 1964), oser l’introspection (les Mots, 1964), suivre l’événement avec le privilège du sage qu’on courtise et qu’on consulte (par exemple, l’interview de lancement du Nouvel Observateur, en novembre 1964). • La légende vivante de Cassandre. Grand pétitionnaire, Sartre demeure, au cours des années 1960, le modèle de l’intellectuel de gauche non affilié. C’est pourquoi il accueille mai 68 avec enthousiasme, avant de prendre le virage du gauchisme. Tchécoslovaquie, Viêtnam, question chinoise ou basque : la période favorise un engagement protéiforme auprès des groupuscules gauchistes - la Gauche prolétarienne, surtout -, auxquels il apporte sa caution et son savoir-faire. L’image de Sartre au cours de ces années est celle d’un homme déjà âgé, vendant la Cause du peuple à la criée, se dépensant en harangues devant les ouvriers de Renault en grève (1972), soutenant la fondation du premier Libération (1973). Mais cette fébrilité ne le satisfait plus. Il sonde sa mauvaise conscience, la « rançon de l’intellectuel dans le siècle ». En ne « voulant pas désespérer Billancourt », il n’a pas pu ou su être autre chose qu’un bourgeois prophédownloadModeText.vue.download 858 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 847 tique. L’Homme et son double : la question l’a toujours hantée. Pourtant, bateleur du politique, travailleur impénitent toisant la maladie, il persiste et étoffe sa légende vivante, qui excite les passions. N’est-il pas diable et bon dieu à la fois, éreinté par certains comme « faux prophète » pendant que d’autres l’inscrivent au programme du baccalauréat ? En 1972, Alexandre Astruc tourne un film sur sa vie et son oeuvre, dont la diffusion sera retardée jusqu’à sa mort. Trublion et « esthète d’opposition », Sartre sillonne
l’Europe pour rencontrer les révolutions (du Portugal de la « révolution des OEillets » à la cellule de Baader) et ne cesse de fustiger les institutions, les élections, qu’il fait rimer avec « piège à cons ». En 1975, dans un entretien au Nouvel Observateur, il fait un bilan. À demi-aveugle, il regrette l’écriture et la lecture, puis se déclare « socialiste libertaire ». Est-ce un retour à la matrice ulmienne et au terreau anticonformiste des années 1920 ? Partiellement libéré de son rôle tutélaire de « conscience du monde intellectuel », il peut enfin vitupérer en humaniste contre les « saletés » du monde, célébrer l’agonie de Franco - le « salaud latin » -, soutenir les dissidents soviétiques ou se battre pour les boat-people. « À moitié victime, à moitié complice, comme tout le monde » (les Mains sales) : à la fin de sa vie, la légende sartrienne témoigne des ambiguïtés de l’engagement radical. Le doute est infiltré, comme une mise en garde un regret ? - à l’heure où Sartre ressent la perversité du don intellectuel, qui, sans réciprocité naturelle, est d’abord principe de contestation, éprouvante réinvention quotidienne d’un rôle ingrat pour l’ego. À l’aube de sa mort, Sartre, héros et archétype de l’engagement total, publiera une série d’entretiens à mi-chemin de l’autocritique et du parjure. Mais, à bien y regarder, son histoire témoigne d’abord d’une grande pugnacité et - à condition de ne pas surreprésenter son compagnonnage (vernis révolutionnaire ?) - d’une certaine permanence de la liberté, celle de sa jeunesse et celle qu’il reconquiert après 1968. Sartre a été constitué en mythe de son vivant, et a sans doute oeuvré lui-même à cette mythification. Le choc de sa disparition, en mars 1980, laisse orphelines plusieurs générations de gauche et met un terme symbolique à la longue épopée de l’engagement intellectuel des années 1945-1980. Satire (ou Satyre) Ménippée, pamphlet politique collectif dirigé contre la Ligue et publié en 1594 ; il est dû aux chanoines Jacques Gillot et Pierre Le Roy, à l’humaniste Jean Passerat, à l’érudit Florent Chrestien, aux juristes Gilles Durant, Nicolas Rapin et Pierre Pithou. Baptisée ainsi en référence au philosophe cynique grec Ménippe, connu pour son style satirique, cette oeuvre pleine de verve naît dans le Paris des guerres de Religion : sous l’impulsion du duc de Mayenne, la Sainte Ligue a
convoqué en février 1593 les états généraux pour « élire un roi » afin d’écarter du trône Henri de Navarre (futur Henri IV), héritier légitime mais chef du parti protestant. La Satire Ménippée représente l’opinion du parti des « politiques », catholiques modérés opposés à l’extrémisme des ligueurs - qu’ils accusent de collusion avec le roi d’Espagne Philippe II - et favorables à un compromis avec les huguenots. Cette oeuvre composite, qui fait alterner les morceaux d’éloquence juridico-politique les plus solennels et les bouffonneries scatologiques à la Rabelais, relate la session des états généraux du 10 février 1593 : tandis que les discours des ligueurs reflètent le cynisme profond de leurs motivations, la rhétorique cicéronienne d’un dénommé d’Aubray, personnage représentant le parti modéré, invoque les principes de la continuité dynastique et relativise la question de l’appartenance religieuse de l’héritier du trône. La Satire Ménippée atteste l’effort de la bourgeoisie humaniste pour sortir de l’impasse sanglante où les guerres de Religion ont enfermé la France plus de trente années durant. Savary (Jacques), négociant (Doué, Anjou, 1622 - Paris 1690). Savary est resté célèbre pour son oeuvre normative et pédagogique qui couronne une carrière juridique, commerciale et financière, et accompagne l’épanouissement du capitalisme commercial. Issu d’une famille réputée d’origine noble, mais marchande depuis le XVIe siècle, Savary se frotte de droit chez un procureur, puis un notaire parisien, avant de s’établir comme marchand mercier dans la capitale. Entré dans la clientèle du surintendant des Finances Fouquet, il délaisse dès 1656-1658 le commerce pour la gestion des Fermes des douanes. Mais sa position ayant été compromise à la chute de son protecteur en 1661, il se consacre à une activité de conseil. C’est ainsi qu’en 1670 il adresse à Colbert deux mémoires (diagnostic et remèdes) sur les législations du royaume en matière de commerce. Ses propositions inspirent l’édit pour le commerce des marchands en gros et en détail de mars 1673 (appelé couramment « Ordonnance sur le commerce de terre », « Code marchand » ou « Code Savary »), complété en 1681 par des dispositions portant sur le commerce maritime. Il l’illustre en 1675 par un vade-mecum à l’usage des commerçants et des banquiers, également très utile aux magistrats : le Parfait négociant, ou Instruction générale pour tout ce qui regarde
le commerce tant de France que de l’étranger. Complété en 1688 par un recueil de jurisprudence, Parères, ou Avis et conseils sur les plus importantes matières du commerce, l’ouvrage est réédité de nombreuses fois jusqu’à la fin du XVIIIe siècle et traduit en plusieurs langues. Deux des dix-sept enfants de Savary, Philémon-Louis (1654-1727), chanoine de SaintMaur, et Jacques Savary des Brûlons (16571716), inspecteur de la douane de Paris, se font connaître par un Dictionnaire universel de commerce, d’histoire naturelle, d’art et de métiers, paru en 1723, puis réédité et augmenté à plusieurs reprises. Savary (Jean Marie René), duc de Rovigo, général de division et homme politique (Marcq, Ardennes, 1774 - Paris 1833). Fils d’un capitaine de cavalerie, formé au collège de Metz, il est engagé volontaire en 1790, rejoint l’armée du Rhin en 1793, puis participe à l’expédition d’Égypte et à la seconde campagne d’Italie, au cours de laquelle il se fait apprécier de Bonaparte, dont il devient l’un des aides de camp. Il est dès lors désigné pour des missions de confiance et des enquêtes délicates et parvient à déjouer en Vendée une nouvelle rébellion chouanne, si bien qu’il est promu général de brigade le 29 août 1803. Durant le procès du duc d’Enghien (mars 1804), il précipite le jugement et hâte l’exécution de la sentence. Général de division en février 1805, il est occupé à des tâches strictement militaires durant la campagne de 1806, avant d’être chargé de missions diplomatiques en Russie, puis en Espagne, où Napoléon souhaite placer son frère Joseph sur le trône. Nommé le 3 juin 1810 à la tête du ministère de la Police générale en remplacement de Fouché, Savary établit un étroit réseau de surveillance et procède à de nombreuses arrestations d’opposants potentiels. Il ne parvient pas pour autant à déjouer la conspiration du général Malet (1812). Retiré lors de la première Restauration, il incite l’Empereur à reprendre le pouvoir. Il est condamné à mort par contumace en 1816 pour son action durant les Cent-Jours et passe l’essentiel de la Restauration en exil, non sans avoir proposé ses services à Louis XVIII. Le régime de Juillet l’emploie de nouveau, en tant que commandant en chef en Algérie, mais ces fonctions ont rapidement raison de sa santé. Savoie, région historique correspondant aux départements actuels de la Haute-Savoie et de la Savoie.
Berceau des Allobroges à l’époque gauloise, la Savoie est conquise par les Romains en 121 avant J.-C. Le nom de Sapaudia (d’où dérive « Savoie ») apparaît au IVe siècle. Devenue burgonde aux Ve et VIe siècles, elle est annexée par les Mérovingiens, puis fait partie de la Lotharingie sous les Carolingiens. • L’essor de la maison de Savoie. Au XIe siècle, les comtes de Savoie profitent du contrôle qu’ils exercent sur les routes alpines pour constituer un État indépendant, à cheval sur les deux versants des Alpes. Le premier de cette lignée est Humbert Ier « BlanchesMains », comte de 1027 à 1048. Ses successeurs reconnaissent l’autorité de l’empereur germanique, qui accorde l’érection du comté de Savoie en duché (1416). Les ducs de Savoie jouent sur les intérêts divergents de leurs voisins : la France, le Saint Empire romain germanique et les États italiens. Ainsi, en 1419, Amédée VIII incorpore le Piémont à ses États. La seconde moitié du XVe siècle peut être considérée comme une période d’apogée pour la Savoie, dont la dynastie se lie à toutes les familles royales occidentales. • La Savoie : une province d’un État italien. Le conflit entre l’Empire germanique et la France au XVIe siècle modifie la situation. Les princes de Savoie se détournent de leurs possessions sises sur le versant ouest des Alpes : Genève est perdue ; la capitale des ducs est transférée de Chambéry à Turin. La France exerce une influence de plus en plus importante dans l’ancienne Savoie et, en 1601, Charles-Emmanuel Ier doit céder le downloadModeText.vue.download 859 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 848 pays de Gex, le Bugey, la Bresse et le Valromey à Henri IV pour conserver le marquisat de Saluces. Tout au long du XVIIe siècle, les princes de Savoie-Piémont renforcent la centralisation administrative dans leurs États - à l’image de ce que font les rois de France - et profitent des antagonismes entre les grandes puissances pour se maintenir et même agrandir leurs territoires. Ainsi, ils obtiennent la Sardaigne et le titre de « roi de Sicile » par le traité d’Utrecht (1713). À la veille de 1789, la Savoie proprement dite est délaissée par ses souverains, qui regardent de plus en plus vers l’Italie. À Chambéry, on estime que l’atonie des activités agricoles, industrielles, commerciales
ou culturelles est à mettre sur le compte du désintérêt des princes pour leurs possessions occidentales. L’influence française se fait de plus en plus forte, et les idées des Lumières pénètrent les milieux cultivés. • Vers le rattachement à la France. Les premiers mouvements révolutionnaires - telle la journée des Tuiles, à Grenoble - sont accueillis avec sympathie par la population savoisienne. À partir de 1789, l’afflux des émigrés - qui se rendent à Turin - suscite un sentiment de rejet pour les ennemis de la France révolutionnaire. Un mouvement « patriote » apparaît, d’où émerge la figure du médecin François-Amédée Doppet. Poursuivi par les princes émigrés, celui-ci se réfugie à Paris et participe aux séances du Club des jacobins et à celles du Club helvétique. En septembre 1792, la France déclare la guerre à Victor-Amédée III. Le général Montesquiou entre sans coup férir à Chambéry le 24 septembre, les troupes sardo-piémontaises s’étant retirées. Aussitôt, la Convention envoie quatre représentants en mission en Savoie. Un vif débat agite l’Assemblée et les clubs sur la légitimité de la réunion de la Savoie à la France. Très vite, une « Assemblée nationale des Allobroges », composée de délégués des communes savoisiennes, demande le rattachement à la France, qui est voté le 27 novembre sur rapport de l’abbé Grégoire, et malgré l’avis de Marat, qui estime que la République ne doit pas dépasser ses limites frontalières. Un nouveau département est créé sous le nom de « Mont-Blanc ». Le roi de Piémont renonce à ses droits sur ce territoire par le traité de Turin, en juin 1796. Sous l’Empire, la Savoie bénéficie de sa position de carrefour orienté vers l’Italie. Les voies de communication sont améliorées. Mais le second traité de Paris (1815) rend la Savoie à ses anciens princes. Toutefois, la francisation de la région est irréversible : la culture et les intérêts économiques rapprochent la Savoie de la France, et non de l’Italie. Un plébiscite, organisé en avril 1860 dans le cadre d’un accord général franco-piémontais, réunit la Savoie à la France. Savoie (guerre de), conflit entre la France et le duché de Savoie (1600-1601). Lors des guerres d’Italie, la France avait annexé le marquisat de Saluces (1548), terre piémontaise que le duc de Savoie-Piémont avait réoccupée en 1588. En 1599, Henri IV se dit prêt à reconnaître le retour de ce territoire dans le giron de la maison de Savoie, contre la ces-
sion à la France des terres savoyardes situées sur la rive droite du Rhône. Le duc CharlesEmmanuel fait traîner les pourparlers, espérant tout conserver. Somptueusement reçu en France, il finit par signer un premier traité le 27 février 1600 à Paris, qui lui laisse trois mois pour répondre favorablement ou non à l’offre d’Henri IV. À l’expiration du délai, devant les nouvelles tergiversations du duc, le roi décide d’une expédition : arrivé à Lyon le 9 juillet, il masse 30 000 hommes aux frontières. Le 13 août, le maréchal duc de Biron prend Bourg-en-Bresse ; puis Lesdiguières s’empare de Montmélian et de Chambéry. Resté du côté piémontais, Charles-Emmanuel, malgré l’entremise du pape Clément VIII et de l’Espagne, doit céder. Le 17 janvier 1601, au traité de Lyon, il garde Saluces mais cède la Bresse, le Bugey, le Valromey et le pays de Gex, et doit payer une lourde indemnité de guerre. Situé naguère presque sur la frontière, Lyon est ainsi doté d’un large arrière-pays français au nord et à l’est, et la ville libre de Genève, alliée de la France, est dégagée de l’emprise savoyarde. Mais l’opinion française regrette l’abandon de Saluces, dont la possession aurait permis de garder un pied de l’autre côté des Alpes. Saxe (Maurice, comte de), dit le Maréchal de Saxe, maréchal de France (Goslar, Allemagne, 1696 - Chambord 1750). Fils naturel d’Auguste II, Électeur de Saxe et roi de Pologne, Maurice de Saxe embrasse la carrière des armes encore adolescent et entre au service du roi de France en 1720. Il s’illustre au siège de Philippsburg et devient lieutenant général en 1734. Mais c’est durant la guerre de la Succession d’Autriche (1740-1748) qu’il se couvre de gloire. Pendant la campagne de Bohême, il prend d’assaut Prague (1741). Maréchal de France en 1744, il dirige la campagne de Flandre et étonne l’Europe en enlevant les places de Menin, Ypres, Knocke et Furnes en moins de quarante jours. Par la victoire de Fontenoy (1745), la prise de Bruxelles (1746), les victoires de Rocourt (1746) et de Lawfeld (1747), il achève la conquête des Pays-Bas. Pour prix de ses services, Louis XV le nomme maréchal général des armées françaises et lui accorde le gouvernement de l’Alsace ainsi que le domaine de Chambord. Le maréchal de Saxe, qui n’a jamais été vaincu, est considéré comme le plus grand capitaine de son temps. Il a manifesté le souci d’épargner la vie humaine, se rendant très
populaire auprès de la troupe par sa bravoure et sa simplicité. Sa carrière militaire se double d’une réflexion sur la guerre. Dans un ouvrage qui sera publié après sa mort, les Rêveries, il exprime des vues novatrices sur la tactique, la conscription, les fortifications, l’équipement du soldat... Serviteur du roi de France mais aussi prince allemand, Maurice de Saxe joue un rôle sur l’échiquier européen : élu duc de Courlande en 1726, il doit rapidement abandonner le duché en raison de l’opposition de l’impératrice Catherine Ire de Russie ; des projets de mariage avec les futures tsarines Anna Ivanovna et Élisabeth Petrovna, qui auraient pu le porter sur le trône de Russie, échouent. Surtout, il favorise le rapprochement entre la France et le royaume polono-saxon, prélude à l’alliance autrichienne, ainsi que le mariage du dauphin, fils de Louis XV, avec sa nièce, Marie-Josèphe de Saxe, en 1747. Saxons, peuple germanique installé entre le Rhin et l’Elbe, difficilement intégré au royaume franc et converti au christianisme par Charlemagne entre 772 et 799. Dès le Ve siècle, les Saxons apparaissent comme les adversaires des Francs, et le roi Childéric Ier les combat avec l’aide des armées romaines. À partir de 556-557, les rois mérovingiens parviennent à imposer aux Saxons d’importants tributs, qui sont renforcés après les campagnes de Dagobert Ier (623-638). Mais au cours du VIIe siècle, les Saxons reprennent leur indépendance et mènent des expéditions en Thuringe et en Rhénanie. Au début du VIIIe siècle, Pépin le Jeune puis Charles Martel conduisent contre eux plusieurs campagnes de représailles. Cependant, ce n’est qu’à partir de 772 que Charlemagne entreprend de soumettre définitivement ce peuple en l’intégrant au royaume franc et à la chrétienté. Une campagne de destruction systématique des points fortifiés et des lieux de culte saxons est menée entre 775 et 780 et aboutit à la création de comtés et à la nomination de missionnaires. En 782, une grande révolte est très sévèrement réprimée - plusieurs milliers de personnes sont massacrées à Verden. À partir de 785, le premier capitulaire saxon établit un régime de terreur et de christianisation forcée. En 793, une nouvelle révolte conduit cependant Charlemagne à adopter une politique plus souple : les lois saxonnes sont maintenues et le premier capitulaire saxon est remplacé par un second, plus clément, qui introduit une égalité progressive
entre Francs et Saxons (797). Enfin, la fondation de plusieurs évêchés (Brême, Paderborn, Verden) et de grands monastères (Werden, Corvey) transfère aux clercs la responsabilité d’une christianisation moins brutale. Au cours du IXe siècle, les élites aristocratiques saxonnes sont définitivement intégrées à l’Empire et à la chrétienté occidentale, au point de faire de la Saxe le foyer de la renaissance impériale au siècle suivant : en 962, Otton Ier est sacré à Rome, fondant ainsi le Saint Empire romain germanique. sceau de majesté, cachet d’authentification de documents royaux, dont l’empreinte représente un souverain dans une attitude hiératique. Le sceau, qui équivaut à une signature, est attaché à un acte public ou privé. Il est constitué d’une bulle de cire ou de plomb sur laquelle est gravé, par empreinte, un symbole ou une effigie propre à celui qui l’appose. Réservé aux chancelleries royales à l’époque carolingienne, l’emploi du sceau se généralise à partir du XIe siècle dans les milieux aristocratiques, et devient jusqu’au XVe siècle le mode de validation par excellence des actes. Le sceau de majesté apparaît en France sous le règne d’Henri Ier (1031-1060), au moment où la monarchie capétienne cherche à affermir son autorité face aux grands du downloadModeText.vue.download 860 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 849 royaume. Il représente le plus souvent le souverain assis sur son trône, couronné, et tenant à la main les insignes royaux : une fleur de lys, un sceptre, un globe ou une main de justice. Le roi dispose d’autres sceaux, notamment de type équestre, le représentant à cheval, ou de type armorial, et il use d’un petit sceau (ou sceau du secret) pour sceller des lettres à caractère confidentiel. À partir du XIVe siècle, le sceau de majesté se prête à de nombreuses variations sur la figuration du trône mais aussi sur les motifs iconographiques. scélérates (lois), nom donné par l’opposition radicale et socialiste aux lois votées par la majorité parlementaire en 1893 et 1894 pour lutter contre les anarchistes. Le 9 décembre 1893, Auguste Vaillant lance une bombe dans l’enceinte de la Chambre
des députés ; le 24 juin 1894, le président de la République Sadi Carnot, qui a refusé de gracier Vaillant, est assassiné par l’Italien Sante Caserio : mettant à profit l’émotion suscitée par ces attentats, les gouvernements dirigés par Casimir-Perier puis par Charles Dupuy font voter trois lois qui restreignent la liberté de la presse et qui facilitent les poursuites contre les menées anarchistes. La loi du 12 décembre 1893 définit le délit de « provocation indirecte aux faits qualifiés crimes », c’est-à-dire l’apologie des crimes de sang, pillage, incendie ou vol. La deuxième loi, votée le 17 décembre, vise les « associations de malfaiteurs » : les poursuites ne sont plus engagées seulement contre les auteurs de crime ou de délit mais contre tout organisme jugé potentiellement dangereux. Enfin, la loi du 27 juillet 1894 traduit devant le tribunal correctionnel, moins sensible aux mouvements de l’opinion que les jurys, les délits, très vaguement définis, de « propagande anarchiste par voie de presse ». Ces lois, adoptées malgré l’opposition des socialistes et des radicaux, sont très vite contestées pour l’usage qui en est fait. Alors que les attentats anarchistes cessent rapidement, elles deviennent l’outil privilégié des gouvernements pour atteindre d’autres cibles. Elles sont en particulier utilisées pour lutter contre le mouvement socialiste et antimilitariste à la veille de la Première Guerre mondiale et contre le Parti communiste entre les deux guerres. Leur abrogation, maintes fois réclamée, ne sera effective qu’en 1939. Scheurer-Kestner (Auguste), chimiste, industriel et homme politique (Mulhouse 1833 - Bagnères-de-Luchon 1899). L’histoire a retenu le nom de ScheurerKestner car il a su faire usage de son influence comme vice-président du Sénat pour animer le mouvement qui a conduit à la révision du procès du capitaine Dreyfus. À l’issue de ses études secondaires, Scheurer-Kestner travaille dans l’usine d’indiennes de son père à Thann, près de Mulhouse, tout en faisant des séjours à Paris pour étudier la chimie. Ayant épousé la fille de l’industriel et homme politique Charles Kestner en 1856, il entre dans l’entreprise chimique de celui-ci pour la diriger ensuite jusqu’en 1899, bien que résidant le plus souvent à Paris depuis 1870. Républicain déterminé comme son beau-père, Scheurer-Kestner a connu la prison à Paris en 1862. Il est élu député du Haut-Rhin lors du scrutin de 1871 et, à ce titre, signe la « pro-
testation de Bordeaux », refusant la cession de sa région natale à l’Allemagne. Contraint à la démission, il se fait élire dans la Seine dès juillet comme député gambettiste. Entre 1879 et 1884, il dirige la République française, le journal du groupe de l’Union républicaine. En 1875, il devient sénateur inamovible, puis vice-président du Sénat (1895-1897). Tout en développant son entreprise, en publiant ses recherches dans le domaine de la chimie, Scheurer-Kestner a contribué activement au départ du président de la République monarchiste Mac-Mahon (1879) et à l’affermissement du régime républicain. À Jules Méline qui déclarait le 7 décembre 1897 : « Il n’y a pas d’affaire Dreyfus », Scheurer-Kestner, qui avait conclu à l’innocence du capitaine après avoir mené sa propre enquête, répondit : « La justice, elle, se fera, Messieurs... Tôt ou tard, la vérité finit par triompher. » Schnaebelé (affaire), banale affaire d’espionnage survenue en avril 1887, qui déclencha une brève mais vive crise dans les rapports franco-allemands et conféra une grande popularité au ministre de la Guerre, le général Boulanger, surnommé dès lors « général Revanche ». Alsacien d’origine, Guillaume Schnaebelé est affecté comme commissaire spécial à la gare frontière de Pagny-sur-Moselle. Des services allemands mal identifiés le soupçonnent de collecter des renseignements sur le Reichsland et, à l’occasion d’une réunion organisée sous prétexte d’échange d’informations entre collègues, ils s’emparent de lui par la force, près de Novéant (Moselle), le 20 avril 1887. L’incident provoque une émotion considérable en France. La presse, la droite nationaliste, font monter la tension ; les esprits s’échauffent également en Allemagne. Pour le gouvernement Goblet, la guerre paraît imminente. Cet accès de tension n’est en réalité que la cristallisation de plusieurs faits successifs, notamment des incidents frontaliers plus fréquents, le récent triomphe des députés protestataires dans le Reichsland, l’expulsion du député Antoine vers la France le 31 mars. À partir du 26 avril, le président de la République Jules Grévy entreprend de résoudre pacifiquement la crise. Il obtient l’accord de Bismarck, hostile lui aussi à toute aventure, et qui libère Schnaebelé le 30 avril, non sans avoir profité des circonstances pour faire enfin voter la loi militaire par le Reichstag. Peu actif au cours de la crise, mais cible privilégiée de la presse allemande, le général Boulanger en
tire un bénéfice politique, passant pour celui qui a fait reculer Bismarck. Schneider (Eugène), industriel et homme politique (Bidestroff, Moselle, 1805 - Paris 1875). Orphelin sans fortune, Eugène Schneider est employé à la banque du baron Seillière, où il a rejoint son frère aîné Adolphe. Le soutien de cette puissante dynastie d’affaires lui permet de mettre en oeuvre ses premiers projets : en 1830, il se voit confier la direction des forges de Bazeilles, dans les Ardennes. En 1836, surtout, les frères Schneider rachètent l’ancienne Fonderie royale du Creusot, où avait été fabriqué le premier rail français, mais qui périclitait. Adolphe et Eugène - puis Eugène seul, après la mort de son aîné, en 1845 - vont faire de cette fabrique traditionnelle l’un des plus vastes établissements industriels du monde. Le moment est propice : la naissance du réseau ferré français suscite un besoin considérable en produits métallurgiques, rails et machines. À l’imitation des entrepreneurs anglais, Schneider se lance dans la construction de locomotives, qu’il vend à l’ensemble des compagnies de chemin de fer françaises. Il produit également les moteurs des bateaux à vapeur qui naviguent sur la Saône et le Rhône. Soumis à une demande sans cesse plus pressante et talonné à partir de 1860 par la concurrence anglaise, l’industriel mène une politique d’investissement - voire de surinvestissement ininterrompue, qui fait des établissements du Creusot un immense et moderne complexe industriel : c’est dans ses ateliers qu’est installé en 1836 le premier marteau-pilon, pour lequel il dépose un brevet. Après la signature du traité de commerce franco-anglais (1860), Schneider renouvelle son outillage, augmentant le nombre des hauts-fourneaux, introduisant le procédé Bessemer d’affinage pneumatique de la fonte. Il organise parallèlement la vie sociale de son personnel, construisant des cités ouvrières et mettant en place un système de retraite. Sous le second Empire, il est le plus grand industriel français possédant, outre les usines métallurgiques de Saône-et-Loire, les houillères de Montchanin et de la Nièvre et des participations dans les aciéries de Joeuf et les constructions navales de la Gironde. Actif au conseil d’administration du PLM, président du conseil d’administration de la Société générale, il devient régent de la Banque de
France, où il inspire notamment la loi de 1857 qui fait de cet établissement le prêteur de dernier ressort, garantissant le bon fonctionnement de l’escompte nécessaire au mouvement des affaires. Eugène Schneider est également un homme politique - député (1845), ministre de l’Agriculture et du Commerce (janvieravril 1851) –, qui se rallie à Napoléon III après le coup d’État du 2 décembre 1851. Sous le second Empire, il exerce la charge de président du Corps législatif (1867-1870) et soutient l’évolution libérale du régime. Mais, après la défaite de Sedan, il renonce à l’action publique pour se consacrer, jusqu’à sa mort, à la direction de ses entreprises. Schoelcher (Victor), homme politique, intellectuel et philanthrope républicain dont le nom reste attaché à l’abolition de l’esclavage en 1848 (Paris 1804 - Houilles, Yvelines, 1893). Fils d’un fabricant de porcelaine alsacien, il hérite de l’entreprise familiale dès 1832 et peut ainsi financer ses activités philanthropiques. Fréquentant les salons des années 1830, où il rencontre George Sand, Berlioz, Liszt, il collabore, en tant que journaliste, à l’Artiste. À la même période, il voyage en downloadModeText.vue.download 861 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 850 Amérique, en Europe et en Orient, et publie ses premiers écrits sur l’esclavage. Devenu dès 1840 partisan de son abolition immédiate, il fustige l’attitude des colons et les préjugés sur l’infériorité de la « race noire ». Revenu du Sénégal après la révolution de février 1848, il rencontre Arago, ministre de la Marine dans le Gouvernement provisoire, et devient soussecrétaire d’État. Ses propositions conduisent au décret d’abolition du 27 avril 1848. Mais le gouvernement refuse d’exproprier les colons et d’indemniser les anciens esclaves démunis. Ayant démissionné, candidat malheureux à Paris aux législatives qui se déroulent en avril, Schoelcher est élu député de la Martinique et de la Guadeloupe en août. Il siège alors dans les rangs de la Montagne et tente de faire abolir la peine de mort - vainement, puisque des centaines d’insurgés de juin sont fusillés. Opposé au coup d’État du 2 décembre 1851, il doit s’enfuir après avoir échappé à la fusillade au cours de laquelle est tué le député Baudin, sur une barricade du faubourg SaintAntoine. Caché chez des religieux, déguisé
en prêtre, il gagne la Suisse, puis Bruxelles et Londres en janvier. Durant son exil anglais, il rencontre Victor Hugo, rédige à Jersey l’Histoire du crime du 2 Décembre, voyage, et aide d’autres proscrits. Rentré en août 1870 dès les premières défaites, présent à l’Hôtel de Ville le 4 septembre, il devient colonel d’état-major de la Garde nationale, vice-président de la commission des barricades, chef de la légion d’artillerie pendant le siège de Paris. Favorable à une conciliation entre Versailles et la Commune, il déplaît aux deux camps ; il est même emprisonné par les communards. Réélu député de la Martinique (1871), membre de l’Union républicaine (le groupe parlementaire de Gambetta), il devient sénateur inamovible (1875) et défend une politique d’assimilation dans les colonies. Il est enterré au Père-Lachaise le 5 janvier 1894, et des monuments sont érigés à sa mémoire à la Martinique et à la Guadeloupe. À l’occasion du centenaire de la révolution de 1848 et de l’abolition de l’esclavage, Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire lui rendent hommage. Ses cendres sont transférées au Panthéon en même temps que celles de Félix Éboué (1949). En mai 1981, le jour de son accession au pouvoir, François Mitterrand se rend au Panthéon et dépose une rose sur sa tombe. Schuman (Robert), homme politique (Clausen, Luxembourg, 1886 - Scy-Chazelles, Moselle, 1963). Né au Luxembourg, de nationalité allemande jusqu’en 1918, Robert Schuman est d’abord un homme de la Moselle, dont il est élu député en 1919 : de cette région profondément germanisée de 1871 à 1918, il garde une double culture, mise à profit lors de ses études de droit dans diverses universités allemandes ; de la tradition politique locale, il tient son attachement à la démocratie chrétienne ; de la position géographique de la Lorraine du Nord, le sentiment aigu qu’il faut, par intérêt économique et pour préserver la paix, bâtir une Union européenne. Les premiers combats de Robert Schuman au Palais-Bourbon concernent la défense du statut local de l’Alsace et de la Lorraine, notamment le maintien du concordat avec Rome. À la Chambre, il siège au centre droit et adhère, de 1932 à 1939, au Parti démocrate populaire. Son influence est encore limitée, mais ses convictions pacifistes sont assez enracinées pour qu’il épouse tour à tour les espoirs (sou-
tien à la politique de Briand dans les années 1920) et les renoncements de son temps (soutien aux accords de Munich en 1938). Nommé sous-secrétaire d’État aux réfugiés en mars 1940 dans le gouvernement Reynaud, il assiste impuissant à l’exode de juin. Emprisonné puis placé en résidence surveillée par les nazis, il s’évade en août 1942 et entre dans la clandestinité. Député MRP de Moselle jusqu’en 1958, Robert Schuman devient, en raison de sa participation à tous les gouvernements de 1946 à 1952, l’une des personnalités éminentes de la IVe République. Ministre des Finances (juin 1946-novembre 1947), il s’efforce d’appliquer un programme d’austérité. Dans un pays frappé par les grèves (décembre 1947), il exerce avec sa fermeté coutumière la présidence du Conseil (novembre 1947-juillet 1948). De juillet 1948 à décembre 1952, il est ministre des Affaires étrangères, puis garde des Sceaux de février 1955 à janvier 1956. C’est au Quai d’Orsay qu’il bâtit l’essentiel de son oeuvre politique, au service de la construction européenne : la création du Conseil de l’Europe (mai 1949), la déclaration du 9 mai 1950 qui propose l’institution de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA, avril 1951), sont autant d’étapes importantes d’une action pragmatique en faveur d’une Europe supranationale, action fondée sur des plans limités et concrets. Schuman échoue cependant sur le projet de Communauté européenne de défense (CED). À la construction européenne, il consacre néanmoins les dernières années de sa vie publique : il préside le Mouvement européen de 1955 à 1961, et l’Assemblée parlementaire européenne de 1958 à 1960. Schweitzer (Albert), médecin, musicologue et théologien (Kaysersberg, Alsace, 1875 - Lambaréné, Gabon, 1965). Fils de pasteur, Albert Schweitzer présente des dons précoces pour la musique et la philosophie. Après une scolarité secondaire à Mulhouse, il se partage entre Paris, où il poursuit des études de philosophie en Sorbonne et travaille l’orgue sous la direction de Charles-Marie Widor, et Strasbourg, où il suit des cours à l’université de théologie. À l’âge de 20 ans, sa renommée d’organiste est établie et il donne des récitals dans toute l’Europe. Docteur en philosophie en 1899 et en théologie en 1902, il est nommé vicaire adjoint de l’église SaintNicolas de Strasbourg et maître de conférence à la faculté de théologie protestante. Parallèlement, il s’attache à la sauvegarde des vieilles
orgues alsaciennes et fonde des oeuvres de charité. En 1904, il est ébranlé par la lecture d’un rapport sur l’état sanitaire du Gabon. Il entreprend aussitôt sept années d’études de médecine générale et tropicale. En 1913, après avoir recueilli au cours de ses récitals et de ses conférences l’argent nécessaire au financement de son projet médical, il s’embarque à destination de l’Afrique en compagnie de sa femme. C’est à Lambaréné (Gabon), sur les rives de l’Ogoué, au milieu du peuple des Pahouins, qu’il fonde un hôpital, conçu sur le modèle des villages africains pour ne pas dépayser ses malades. Il doit lutter contre la malaria, la fièvre jaune et la lèpre, mais aussi affronter les sorciers et les croyances locales, les difficultés du ravitaillement et l’insalubrité du climat. En 1914, il est interné en France en tant que citoyen allemand. Au lendemain de l’armistice, il sillonne l’Europe comme concertiste et conférencier, publie des livres et, avec l’argent de ses tournées, retourne à Lambaréné en 1924. Des médecins de différents pays le rejoignent. Sa célébrité est alors devenue mondiale. En 1943, en pleine guerre, le gouvernement des États-Unis n’hésite pas à ravitailler Lambaréné en vivres et en médicaments. Après son voyage triomphal aux ÉtatsUnis, en 1948, la presse, la radio, le cinéma et le théâtre s’emparent de son personnage. Docteur honoris causa de plusieurs universités, Prix Nobel de la paix (1952), Albert Schweitzer consacre la fin de sa vie à la dénonciation des essais nucléaires. Outre quelques ouvrages autobiographiques, il est l’auteur de Jean-Sébastien Bach, le musicien poète (1905), de la Mystique de l’apôtre Paul (1930) et des Grands Penseurs de l’Inde (1936). scrutin, « manière de recueillir les suffrages sans que l’on sache de quel avis chacun a été ». Cette technique apparaît à la fin du IIe siècle avant J.-C., lorsque les comices de la République romaine abandonnent l’usage du vote oral afin d’éviter la corruption ; l’histoire va lentement la perfectionner. • Un outil de stratégie politique. C’est à la fin de l’Ancien Régime, et consécutivement au développement des thèses relatives à la nature de la souveraineté, que la question de la représentation met à l’ordre du jour celle, subséquente, du mode de scrutin. Certes, la monarchie a connu l’élection pour désigner les premiers rois de France puis les députés aux états. Mais elle se faisait par acclamation ou, plus généralement, à haute voix. Or, en 1789,
on attend des propositions de réformes de la réunion des trois ordres. La désignation de leurs représentants n’est donc pas innocente ; elle exige une technique dont le choix revêt un caractère politique. Avec les brochures de Sieyès et le règlement royal du 24 janvier 1789 - premier texte officiel de technique électorale -, le mode de scrutin devient une composante de la stratégie politique. • Un moyen de contrôle. Les incertitudes et les excès de la période révolutionnaire conduisent, au XIXe siècle, à des tentatives de contrôle de la représentation nationale. Aussi, jusqu’en 1848, superpose-t-on les collèges électoraux. Trois degrés sous l’Empire, quand le suffrage est universel, deux sous les monarchies, quand il redevient censitaire, permettent de filtrer le corps électoral par réductions successives afin de faire primer les choix personnels sur les questions politiques. Les idées qui président à l’avènement définitif du suffrage universel masculin (5 mars 1848) imposent un changement de méthode à une downloadModeText.vue.download 862 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 851 classe politique animée du même souci. Le second Empire, la IIIe République à ses débuts, ou lorsqu’elle est en crise après l’affaire Boulanger (1889), optent pour le scrutin d’arrondissement. Le caractère uninominal de ce dernier personnalise l’élection et dénature le suffrage universel ; l’exiguïté de la circonscription, dont la délimitation est laissée à la discrétion du gouvernement, facilite les pressions, crée des dépendances, et assure la prédominance des personnalités locales ; enfin, le jeu des candidatures multiples permet la composition artificielle de majorités. Parfois, des sursauts libéraux se produisent : sous la IIe République, puis en 1871 et en 1885. Le contrôle s’assouplit ; le scrutin devient « de liste » et départemental. Ce ne sont là qu’épisodes : ils laissent subsister l’affirmation que les modes de scrutin ont édifié la « France des notables ». • Une doctrine. Mais les forces politiques changent et, avec elles, les idées. À l’orée du XXe siècle, à droite comme à gauche, le scrutin majoritaire, jusque-là seul connu, fait l’objet de critiques acerbes : sa personnalisation interdit l’émergence de véritables groupes politiques structurés à partir de programmes, et son principe prive de représentation les opi-
nions minoritaires. Pour structurer l’action politique et réaliser enfin les conditions du jeu parlementaire, il faut construire des partis ... et tous, les représenter. Une autre technique électorale doit s’appliquer, c’est la représentation proportionnelle (« RP »), mise au point par le mathématicien belge Hondt à la fin du XIXe siècle. La question divise l’opinion, bientôt partagée entre « erpéistes » et « antierpéistes ». En 1919, une loi Dessoye transige en combinant scrutin de liste départemental et systèmes majoritaire et proportionnaliste. L’expérience s’achève en 1927 avec le retour au scrutin d’arrondissement. L’esprit démocratique qui anime la Constitution de 1946 conduit ses auteurs à revenir à la « RP » : la doctrine républicaine impose l’équité. Mais la représentation des extrêmes compromet l’émergence de majorités solides, et la doctrine se retourne contre le régime. En 1951, un nouveau compromis complique le scrutin proportionnel par le système des apparentements ; la réforme sauve provisoirement le régime. Mais la question revient en 1958. Or, la leçon de l’histoire est claire : l’efficacité exige des majorités. On rétablit donc pour les législatives un scrutin majoritaire et uninominal, qui devient l’emblème des nouvelles institutions. Puis le succès électoral des partis de gauche en 1981 impose, en 1985, l’adoption de la « RP », jusqu’à ce que la droite, revenue aux affaires en 1986, dicte le retour au statu quo ante. Au fil des ans, le volume des débats sur le mode de scrutin est devenu le baromètre de la santé politique d’une démocratie. Depuis 1793, la sagesse des constituants leur dicte de ne plus enfermer les dispositions électorales dans les textes constitutionnels. SDN (Société des nations), première organisation politique internationale permanente, créée en 1919, et ayant pour vocation le maintien de la paix mondiale, mais qui, impuissante dès les années 1930, est dissoute en 1946. L’idée d’une assemblée pérenne des États, émise à la fin du XVIIIe siècle par Kant notamment (Projet de paix perpétuelle, 1795), connaît un regain de faveur au début du XXe siècle. À la suite des atrocités provoquées par le conflit de 1914-1918, une impulsion décisive est donnée au projet d’une organisation mondiale capable d’empêcher la guerre. Le président des États-Unis, Woodrow Wilson, se fait l’avocat de la future société, dont il propose la création dans le dernier de ses
« Quatorze Points », programme de paix exposé le 8 janvier 1918. En avril 1919, il parvient à faire adopter par les Alliés le pacte constitutif de la Société des nations (SDN), qui est ensuite incorporé à tous les traités de paix. La SDN naît officiellement en janvier 1920, lors de l’entrée en vigueur du traité de Versailles. Son siège est à Genève, c’est-à-dire dans un pays neutre. Cependant, la défection américaine - après le refus du Sénat de ratifier les traités de paix (mars 1920) - limite la représentativité de la nouvelle instance, d’autant que la Russie soviétique et les pays vaincus en sont également absents. Les institutions de la SDN constituent une autre source de faiblesse. À côté d’une Assemblée générale, où tous les États membres disposent d’une voix, se trouve un Conseil, composé des membres permanents - France, Royaume-Uni, Italie, Japon, Chine (laquelle remplace les États-Unis après leur défection), auxquels s’ajoutent l’Allemagne entre 1926 et 1933, et l’URSS à partir de 1934 - et d’un certain nombre de membres non permanents. Au Conseil, la règle de l’unanimité réduit l’efficacité des prises de décision. Le suivi des dossiers est assuré par un secrétariat, avec à sa tête un secrétaire général (É. Dummond jusqu’en 1932, puis J. Avenol), et une équipe de fonctionnaires internationaux (parmi lesquels Jean Monnet, de 1919 à 1923). Ces faiblesses relatives contrastent avec l’importance des missions confiées à la SDN : veiller au maintien de la paix en garantissant la « sécurité collective », inciter au désarmement, contrôler les mandats coloniaux. Le rôle d’arbitrage dévolu à la SDN, en cas de conflit entre États, est censé s’exercer par le vote de sanctions contre l’« agresseur. » Mais l’absence de force de police internationale en limite la portée. L’âge d’or de la SDN, entre 1925 et la fin des années 1920, période marquée notamment par un rapprochement franco-allemand, se situe à un moment de détente et de prospérité. Cependant, dès le début de la décennie suivante, la crise économique mondiale et la détérioration des relations internationales (occupation de la Mandchourie par le Japon, en 1931) fragilisent l’édifice et démontrent l’échec des projets de désarmement. Après le retrait du Japon et de l’Allemagne (1933), la crise éthiopienne de 1935 accélère le délabrement de la SDN. En effet, les sanctions économiques et financières prises à l’automne
1935 contre l’Italie fasciste - qui a conquis un autre État membre de la SDN - sont levées dès juillet 1936, après que le roi d’Italie a été proclamé empereur d’Éthiopie. Ayant perdu toute consistance depuis dix ans, la SDN cède officiellement la place à l’ONU en avril 1946. secrétaires d’État. Modestes officiers travaillant dans l’entourage du chancelier au Moyen Âge, les secrétaires d’État deviennent sous l’Ancien Régime les principaux ministres du roi, en charge chacun d’un département ministériel. Dans le fonctionnement de la monarchie capétienne médiévale, l’administration de la chancellerie joue un rôle majeur en rédigeant les actes royaux, en attestant leur conformité à la volonté du roi, et en les expédiant à leurs destinataires. Dans l’entourage du chancelier - ou du garde des Sceaux - se développe ainsi la fonction de « notaire-secrétaire du roi », dont le titulaire met en forme les ordres du souverain. D’un collège assez nombreux émergent au XIVe siècle quatre « clercs du secret » ou « secrétaires des Finances », qui ont pouvoir de dresser les lettres de paiement et qui attestent par leur contreseing l’authenticité de la signature royale. • Un prestige grandissant. À la Renaissance, le rôle des secrétaires des Finances évolue pour devenir plus politique. La carrière exceptionnelle de l’un d’entre eux - Florimond Robertet, principal conseiller de Louis XII - rehausse, en effet, le prestige de leur fonction. En outre, Henri II, suivant peut-être en cela les exemples anglais ou espagnol, leur confère le titre de « secrétaire d’État et des Finances de Sa Majesté » (1559). Leur mission est progressivement précisée : ils reçoivent et exécutent sans intermédiaire les ordres du roi, auquel ils prêtent directement serment à partir de 1588, et font leur entrée au Conseil. Chacun d’eux est de service par roulement auprès du monarque pour recueillir et mettre en forme ses directives mais aussi pour s’acquitter d’une mission ponctuelle. Afin de faciliter l’expédition de ses ordres, le souverain prend l’habitude de distribuer affaires et commandements selon un découpage territorial : chaque secrétaire se voit donc confier un secteur géographique (un certain nombre de provinces et les relations avec les pays étrangers voisins). Participant de près au gouvernement du royaume, acquérant peu à peu une spécialisation, les secrétaires du roi se transforment
ainsi en véritables ministres. Richelieu va sanctionner cette évolution par le règlement de 1626, qui crée quatre départements ministériels - la Guerre, la Marine, les Affaires étrangères et la Maison du roi –, confiés chacun à un secrétaire d’État. Louis XIV étoffe leur sphère de compétences : il les charge de nouveaux domaines spécialisés (relations avec le clergé, bâtiments, affaires de la « religion prétendue réformée », etc.). En outre, il répartit l’administration des provinces selon un découpage logique : les secrétaires d’État à la Marine et à la Guerre commencent à s’occuper, respectivement, des pays de mer et des régions frontalières ; le secrétaire d’État aux Affaires étrangères a dans ses attributions la Provence, à cause des relations de cette région avec le Levant ; le secrétaire à la Maison du roi hérite du lot le plus important de provinces, downloadModeText.vue.download 863 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 852 celles du « dedans », ce qui fait de lui un ministre de l’Intérieur avant la lettre. Siégeant auprès du roi au Conseil d’en haut, coordonnant leur action dans les provinces au sein du Conseil des dépêches, membres de droit du Conseil privé, les quatre secrétaires d’État forment le noyau du gouvernement de la monarchie absolue. Selon les époques, ils rendent compte soit au principal ministre - tel Richelieu - soit directement au souverain - Louis XIV puis Louis XV. Robins d’origine, vite anoblis, ils se mêlent assez tôt à la noblesse d’épée et créent des dynasties ministérielles qui forment l’élite politico-administrative du royaume de la fin du XVIIe siècle à 1789. • L’évolution de la fonction dans la période contemporaine. Sous la Révolution, la Constitution de 1791 supprime le titre de secrétaire d’État pour le remplacer par celui de « ministre ». La fonction de sous-secrétaire d’État puis de secrétaire d’État ne ressuscite pas avant la IIIe République, qui lui donne un contenu différent : il s’agit désormais d’auxiliaires des principaux ministres, qui secondent ces derniers dans leur tâche. Absents du Conseil des ministres dans les premiers temps, les secrétaires d’État prennent peu à peu l’habitude d’y siéger, notamment lorsqu’ils prennent en charge, par délégation, l’administration directe d’un domaine d’activité. La IVe et, surtout, la Ve République
consacrent cette évolution de la fonction. Sécurité sociale, système national de protection économique des individus face aux risques sociaux, mis en place par l’ordonnance du 4 octobre 1945. • Références et héritage. L’organisation de la Sécurité sociale n’est ni naissance ni achèvement. Sa mise en place exprime néanmoins un choix décisif entre une « logique bismarckienne », dans laquelle la protection sociale est la contrepartie de cotisations versées par les salariés, et le système britannique promu par William Beveridge, fondé sur une solidarité entre les citoyens financée par l’impôt. Le choix de la logique bismarckienne est l’héritage d’une tradition mutuelliste ancienne, consacrée par le décret impérial de mars 1852 qui légalisa les sociétés de secours mutuel tout en les mettant sous surveillance, et par la loi républicaine du 1er avril 1898 qui les émancipa. C’est cette tradition qui a inspiré les dispositifs mis en place en 1930 et en 1932, avec la création des assurances sociales puis des allocations familiales, dispositifs confirmés par le Code de la famille de juillet 1939, et respectés par les mesures complémentaires de Vichy (allocations de salaire unique et aux vieux travailleurs salariés, en mars 1941). Il en découle les règles posées en 1945 : le financement est assuré par les cotisations des salariés et des employeurs ; la gestion incombe aux conseils d’administration des caisses, représentant les assurés et les entreprises. Le respect de l’héritage conduit à admettre une multiplication de régimes spéciaux sauvegardant des avantages catégoriels acquis, et une couverture complémentaire des risques assurée par des mutuelles. • Risques couverts et population concernée. Les risques couverts en 1945 sont ceux prévus dans les textes antérieurs : maladie, invalidité, accidents du travail et maladies professionnelles, vieillesse et décès ainsi que maternité ; en outre, les allocations familiales versent des prestations pour compenser certaines charges de famille. L’assurance retraite repose sur la logique de répartition, qui la met à la charge des actifs et la rend donc vulnérable aux déséquilibres entre actifs et retraités. Les allocations chômage restent en dehors du système. La Sécurité sociale, en n’intéressant à l’origine que les seuls salariés, se mettait en contradiction avec le préambule de la Constitution de 1946, plus proche des principes de Beveridge,
qui affirmait : « Tout être humain [...] a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens corrects d’existence... » Aussi, une loi du 22 mai 1946 prévoit-elle sa généralisation à tous les Français. Son histoire sous les IVe et Ve Républiques est celle d’un élargissement progressif à des catégories sociales qui n’en bénéficiaient pas en 1945 : après qu’une loi de janvier 1948 eut prévu des régimes pour non-salariés, l’assurance maladie est étendue aux exploitants agricoles en 1961, puis aux non-salariés non agricoles (artisans et commerçants) en 1966. Elle bénéficie aussi à partir de 1975 aux adultes handicapés, puis est quasiment généralisée en janvier 1978 avec l’instauration d’une « assurance personnelle ». Sans devenir pour autant partie intégrante de la Sécurité sociale, l’assurance chômage voit le jour par l’accord du 31 décembre 1958 entre patronat et syndicats créant les Assedic et l’Unedic. • L’accroissement des besoins et des déficits. Dès 1953, on avait constaté que la Sécurité sociale ne pouvait couvrir certains besoins, pris en charge par des formes traditionnelles d’assistance réorganisées sous l’appellation d’« aide sociale » ; en outre, l’action de l’abbé Pierre ou du Père Wresinski et, plus tard, celle de Coluche illustrent l’importance persistante de la charité - ou de la solidarité - privée (dans des domaines toutefois qui ne relèvent pas directement de la sphère d’intervention de la Sécurité sociale : logement, nutrition, formation). Enfin, la loi du 1er décembre 1988 portant création du revenu minimum d’insertion (RMI), en marge de la Sécurité sociale qui en reçoit néanmoins la gestion, entend répondre au problème de la marginalisation des sans-emploi. Le RMI est financé par l’État. L’histoire de la Sécurité sociale est aussi, de longue date, celle de son déficit. La réforme Jeanneney de 1966-1967 avait essayé - sans grand succès - d’y répondre en séparant les caisses gérant les différents risques. Aujourd’hui, tandis que les ressources augmentent moins vite à cause du chômage, les dépenses se sont accrues, notamment à cause du vieillissement de la population. D’où une série de réformes visant à contrôler les dépenses de santé et le régime des retraites, d’une part, et à améliorer le financement de la protection sociale, d’autre part (création d’impôts tels que la contribution sociale généralisée, CSG). Le déficit demeure néanmoins élevé : pour le régime général, il atteignait 11,9 milliards d’euros en 2005. Sedan (bataille de), défaite de l’armée de
Napoléon III face aux armées du roi de Prusse, le 1er septembre 1870, qui se conclut par une capitulation et la captivité de l’empereur. • Les opérations. La bataille de Sedan marque l’échec d’une manoeuvre risquée, ordonnée par le Premier ministre Palikao et l’impératrice Eugénie : une armée constituée au camp de Châlons par Mac-Mahon à partir des restes de l’armée d’Alsace devait secourir Bazaine, assiégé dans Metz. Remontant vers le nord, sans informations précises, les troupes de Mac-Mahon sont prises en chasse par deux armées allemandes, celle de la Meuse, venue de Metz, et celle du prince royal, remontant de Châlons. Le 30 août, le 5e corps français commandé par de Failly, surpris à Beaumont, subit de lourdes pertes et se replie en désordre sur Sedan, où il rejoint l’armée de Mac-Mahon, qui, le soir du 31, s’installe sur la rive droite de la Meuse. Les forces prussiennes entreprennent alors de bloquer les positions françaises par le sud. Le 1er septembre, dès 4 heures du matin, les Bavarois attaquent Bazeilles, commune située au sud-est de Sedan, tandis que l’armée de la Meuse et la garde royale avancent à l’est. Blessé vers 6 heures du matin, Mac-Mahon est remplacé par Ducrot, qui ordonne la retraite sur Mézières, puis par Wimpffen, qui prône la reprise de Bazeilles et l’offensive vers Montmédy. Le sort de la bataille se joue au nord : la prise du plateau d’Illy par les Prussiens, vers midi, achève l’encerclement des Français, malgré le sacrifice de la division Margueritte, qui charge inutilement pour reprendre la position. Les troupes refluent vers Sedan et Napoléon III fait hisser le drapeau blanc. Après une dernière tentative de sortie vers Bazeilles en début d’après-midi, Wimpffen doit accepter de négocier les conditions de la capitulation avec Moltke. Celle-ci est signée le matin du 2 septembre, alors que Napoléon III est allé se constituer prisonnier auprès du roi de Prusse. Le bilan est très lourd : 17 000 morts (14 % de pertes), environ 80 000 prisonniers envoyés en Allemagne, 14 000 blessés, et l’empereur est captif. • Les conséquences et la mémoire de l’événement. L’annonce de ce désastre, retardée par les autorités jusqu’au 3, provoque dans les grandes villes à majorité républicaine une colère collective. Le mouvement insurrectionnel qui en résulte le 4 septembre aboutit à la déchéance de l’empereur et à la proclamation de la République à Lyon, Paris, Marseille, etc. D’un point de vue historique, Sedan
marque ainsi la défaite de la France impériale, et le 4 septembre, le moment initial de la Défense nationale. Cependant, cette bataille, célébrée annuellement du côté allemand (le Sedantag), ternit le sursaut du 4 septembre dans la mémoire nationale française. De ce fait, en 1880, quand s’instaure le débat parlementaire pour déterminer le jour de célébration de la fête nationale, le 4 septembre ne trouve guère de défenseurs car il évoque trop la défaite face à la Prusse, qui fut suivie d’autres événements funestes (le terrible siège de Paris, la Commune). Sedan est donc perçue comme le symbole de l’effondrement d’un régime et d’une société, même si le peintre downloadModeText.vue.download 864 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 853 Alphonse de Neuville brosse un tableau héroïque de l’épisode de Bazeilles (la Maison des dernières cartouches, présentée au Salon de 1873). Avant-dernier roman du cycle des Rougon-Macquart d’Émile Zola, la Débâcle (1892) fait de Sedan la sanction inéluctable du déclin moral et matériel de la France impériale. Si Verdun, la bataille de la Marne et la victoire de 1918 effacent l’image humiliante de Sedan, la défaite de mai 1940 apparaît à certains comme un second Sedan, dont le régime de Vichy prétend également tirer des leçons politiques et morales. Seguin (Marc), ingénieur (Annonay, Ardèche, 1786 - id. 1875). Figure marquante de l’essor technique et industriel français dans la première partie du XIXe siècle, Marc Seguin baigne dès l’enfance dans le milieu des inventeurs et des manufacturiers : son oncle est le célèbre Joseph de Montgolfier et son père exerce la profession de fabricant de draps. Le jeune homme, qui apprend la mécanique dans la fabrique paternelle et acquiert de solides connaissances en chimie, excelle à perfectionner des systèmes existants. Il conçoit et construit en 1824 un pont suspendu en fer qui enjambe le Rhône. En 1826, il obtient avec ses frères - notamment Camille - la concession d’une ligne de chemin de fer entre Saint-Étienne et Lyon. Sur une distance de 58 kilomètres, il réalise en six ans une liaison moderne, ponctuée de tunnels. Les recherches de Seguin portent aussi sur la structure des traverses et sur les rails : il les construit en fer, et non plus en fonte. En 1827, il met au point une chaudière tubulaire
qui permet d’augmenter la surface de chauffe et la puissance des machines. Il l’applique tout naturellement aux locomotives, et il en équipe la fameuse « Rocket » de l’Anglais Stephenson, en 1830. Celle-ci atteint alors la vitesse de 47 kilomètres-heure : la locomotive est désormais plus rapide que le cheval. seigneurie, territoire sur lequel un homme - le seigneur - réputé être l’unique propriétaire foncier détient l’ensemble des pouvoirs de commandement. Apparue au Xe siècle, la seigneurie est la structure essentielle de tout l’édifice social de la France du Moyen Âge et de l’époque moderne. Le démantèlement de l’État carolingien, au Xe siècle, permet à l’aristocratie foncière de transférer à son profit une très grande part des droits de la puissance publique, par usurpation pure et simple, mais également par délégation du souverain. Les droits militaires - construire des forteresses ou commander à une force armée - sont ainsi appropriés par des personnes privées ou par des institutions ecclésiastiques. Il en va de même pour le droit de rendre la justice et de percevoir les amendes ou pour celui de prélever des péages sur les routes dont le seigneur assure la sécurité et parfois l’entretien. Certains seigneurs possèdent aussi le droit de battre monnaie. Les droits issus du foncier se situent dans l’exact prolongement de ce qu’exigeait, à l’époque carolingienne, un seigneur détenteur de domaine. Il s’agit donc essentiellement de redevances fixes (cens) et surtout proportionnelles à la récolte (champarts). La corvée peut également être requise si le seigneur a conservé une réserve - ce qui n’est pas toujours le cas. Droits économiques et droits politiques sont confondus à l’intérieur de cette organisation. Ainsi, le seigneur peut faire exercer la garde de son château par ses tenanciers ou encore les contraindre à des travaux d’entretien de ses fortifications. • L’arbitraire seigneurial. La seigneurie est une structure caractérisée, du moins à ses débuts, par une grande violence. Elle n’apparaît véritablement que lorsque les seigneurs, usant des droits qu’ils ont usurpés ou qui leur ont été concédés, s’approprient les terres paysannes et exigent de nouvelles taxes totalement arbitraires par leur montant et le caractère irrégulier de leur périodicité, telle la taille. Son émergence et sa consolidation correspondent à la volonté d’asseoir le revenu
seigneurial sur la rente, et non sur le fairevaloir direct. La fin du Xe siècle et la première moitié du XIe voient ainsi la disparition de la propriété paysanne parcellaire. Les seigneurs se font attribuer les exploitations paysannes par la contrainte ou les achètent à vil prix. Ils les restituent ensuite à titre de tenure. Le procédé n’est pas nouveau : il est attesté dès le IXe siècle, mais il devient général et, surtout, s’accompagne de violences extrêmes. Le groupe de combattants à cheval (milites ou caballarii, « chevaliers »), que le seigneur entretient, constitue une force de coercition, dont la fonction est de prélever de nouvelles taxes et de maintenir les paysans dans un état de terreur tel qu’ils acceptent d’être dépossédés et de payer. Du point de vue économique, cette structure permet une intensification de la production paysanne. L’ampleur des prélèvements opérés favorise le développement des échanges. Des quantités croissantes de biens sont mises à la disposition des seigneurs, qui, sans avoir à investir directement dans la production, peuvent intervenir sur les marchés. Toutefois, le système souffre d’une certaine rigidité. En effet, le prélèvement est fixé par la coutume : son taux ne peut varier facilement. En outre, dès le XIIe siècle, les paysans rachètent certaines taxes ou s’abonnent. Ainsi, des prélèvements en nature peuvent être abandonnés soit contre le versement d’une somme unique importante, soit contre celui d’une rente en argent. En conséquence, sur le long terme, le revenu seigneurial a tendance à baisser. Cela crée périodiquement des tensions et suscite des tentatives de réajustements, que l’on désigne sous le terme de « réactions seigneuriales » : les deux principales se produisent à la fin du Moyen Âge - au XIVe siècle -, et durant la période pré-révolutionnaire. La seigneurie, forme dominante de la grande propriété terrienne, est abolie en France dans la nuit du 4 août 1789. Seignobos (Charles), historien, maître de l’école positiviste ou méthodique (Lamastre, Ardèche, 1854 - Paris 1942). Issu d’un milieu protestant, Charles Seignobos est le fils d’un député républicain de l’Ardèche. Il entre à l’École normale supérieure en 1874, est reçu premier à l’agrégation d’histoire en 1877, puis séjourne à Rome et
surtout à Berlin, avant d’entamer une carrière universitaire. Sa thèse d’histoire médiévale soutenue, il donne en 1883 ses premiers cours en Sorbonne, où il terminera sa carrière comme professeur d’histoire politique moderne et contemporaine (1925). Avec la publication de l’Introduction aux études historiques (1898), écrite en collaboration avec Charles-Victor Langlois, il se pose en maître d’une méthode historique limitée pour l’essentiel à la critique des documents écrits, à la quête de l’authenticité et à une perception de la psychologie des acteurs identique à celle de l’historien. Paradoxalement, ce maître de la méthode de recherche historique va consacrer la suite de son oeuvre à des synthèses. Son Histoire politique de l’Europe contemporaine (1897) rencontre un succès public qui dépasse les cercles universitaires. Et sa participation active à la définition des nouveaux programmes de l’enseignement secondaire (1902) témoigne de son influence. Apôtre d’une histoire scientifique « aseptisée », Seignobos le radical se jette cependant dans la bataille dreyfusarde et appartient au comité central de la Ligue des droits de l’homme. En 1903, pour défendre l’histoire face à la sociologie, Charles Seignobos affronte l’un des disciples de Durkheim, François Simiand, pour qui les sciences sociales ne peuvent rendre compte que des faits qui se répètent. Par la suite, son enseignement méthodologique en Sorbonne, ses publications (dans l’Histoire de la France contemporaine, sous la direction d’Ernest Lavisse, 1921-1922 ; l’Histoire sincère de la nation française, 1933), sont caricaturés par Lucien Febvre, qui n’y voit qu’une « histoire événementielle ». Mais une relecture actuelle de ses textes méthodologiques (De la méthode historique appliquée aux sciences sociales, 1901) révèle une conception très contemporaine de l’histoire comme connaissance par traces. Seine (source de la), sanctuaire gallo-romain dédié à la divinité guérisseuse de la source de la Seine, Sequana. Découvert de 1836 à 1842, fouillé de nouveau en 1932 puis en 1953, le site révéla de nombreuses sculptures votives ainsi qu’un vase contenant 120 ex-voto et 836 pièces de monnaies. Aucune de celles-ci n’est postérieure au règne de l’usurpateur Maxime (383388), mais un grand nombre d’entre elles furent émises au milieu du IVe siècle, signe que le sanctuaire était encore fréquenté avant le tournant anti-païen de l’Empire, sous le règne de Théodose Ier (379-395).
Lieu de pèlerinage, le site comprenait un temple, une piscine et un bassin. Les malades ou leurs proches venaient y faire leurs ablutions, jeter une pièce, dédier ex-voto et sculptures représentant les parties malades du corps. Les images livrent un tableau sélectif des maladies - ostéo-articulaires, oculaires et génitales - qui provoquaient le recours au sacré. Des figures de nourrissons emmaillotés attestent aussi des démarches de couples ou parents soucieux d’obtenir la fécondité ou la guérison de leurs enfants. Les prières downloadModeText.vue.download 865 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 854 des malades s’adressaient à la déesse, associée probablement à Apollon Guérisseur comme sur d’autres sites (Apollon Vorvo à Bourbonne, Virotutis à Jublains). Les sanctuaires des eaux guérisseuses étaient étroitement liés aux villes, bien que situés à l’écart. Les riches notables les édifiaient et les entretenaient à leurs frais ; les populations urbaines s’y déplaçaient, témoignant de la popularité de ces sanctuaires hospitaliers, auxquels se substitua le charisme du saint homme dans la Gaule chrétienne. sel. Indispensable à la survie de l’homme, le sel appartient au quotidien de la France traditionnelle et, à la différence du sucre et du poivre, n’a jamais été réservé aux élites. Aliment de base, il est aussi une substance sacrée. Sa production, qui existe en France depuis le Moyen Âge, s’est industrialisée à l’époque moderne. • Un aliment et un remède. Bien qu’il soit une denrée chère dans les pays de grande gabelle, le sel se retrouve sur toutes les tables d’Ancien Régime. Présenter ostensiblement le pot de sel est une marque d’hospitalité, le renverser constitue une provocation. Son absence témoigne de la misère la plus extrême. À partir du XVIe siècle, la conservation des produits par le sel permet d’atténuer les effets des pénuries. La morue de Terre-Neuve devient alors un aliment courant, et la viande salée l’emporte sur la viande fraîche. À la fin du XVIe siècle, le sel ibérique, réputé pour les salaisons, fait la fortune du port de Dunkerque, sous domination espagnole. Le sel est aussi un remède, à la fois médical et spirituel. Dans la conception de la médecine
humorale, ses vertus « chaudes et sèches » sont un antidote aux maladies « froides et moites » telles que la goutte ou l’hydropisie. On l’administre à travers des bains d’eau salée, comme purgatif et vomitif afin de réchauffer le patient. Utilisé comme désinfectant et contrepoison, il est crédité également de propriétés magiques : dans de nombreuses régions, on l’utilise pour se protéger contre les maléfices. Ainsi, en Béarn, on jette du sel dans le feu lorsque le cri de la chouette retentit, afin de se protéger de la prochaine visite des sorcières. Enfin, le sel appartient à la liturgie. Jean Bodin le considère comme une « marque d’éternité et pureté parce qu’il ne pourrit et ne se corrompt jamais. C’est pourquoi il est commandé en la loi de Dieu de mettre du sel sur la table du sanctuaire ». Le prêtre en use d’ailleurs pour le sacrement de l’extrême-onction. • Les techniques de production. Le sel de mer est fabriqué à partir d’une saumure résultant de l’évaporation de l’eau de mer, et le sel gemme à partir de l’évaporation des sources continentales. On perfectionne la première technique en réduisant les bassins des marais salants afin d’allonger la durée de précipitation des impuretés avant la récolte. Sur le littoral méditerranéen, la production s’étend à Berre, en Camargue et à Peccais. Elle croît au XIIIe siècle en liaison avec le développement du port d’Aigues-Mortes. Sur la côte atlantique, à La Baie et à Brouage, l’activité saline s’intensifie, à l’occasion de la hausse des coûts du sel hanséatique et anglais. L’exploitation des sources salantes nécessite une plus grande ingéniosité ; elle se situe dans les Trois-Évêchés, en Lorraine et en Franche-Comté. À partir de la fin du XVIIe siècle, elle permet d’augmenter la production nationale. La saumure, ou muire, est extraite en augmentant le débit d’eau par le creusement d’un puits, et est emportée seau par seau à la saunerie ; là, les poêles cuisent la solution afin d’en dégager le sel. Le bâtiment de graduation, inventé vers 1550, concentre la saumure de 3 à 4 degrés supplémentaires, à l’aide du soleil et du vent. Des roues à godets la hissent au sommet, d’où elle s’écoule sur de la paille - puis sur des épines, au XVIIIe siècle -, pour être recueillie dans un bassin. L’opération, répétée plusieurs fois, permet une cuisson plus efficace. La saunerie d’Arc-et-Senans, bâtie par l’architecte Claude-Nicolas Ledoux en 1775, est l’exemple de cette technique, déjà industrielle. Afin de remédier au déclin de la salinité de la source et à l’épuisement des ressources de bois, on transfère la Grande Saunerie de Salins sur un plateau ensoleillé,
près de la forêt de Chaux. Mais la production n’atteint que la moitié du niveau escompté. C’est seulement avec la substitution du charbon au bois, à la fin du XVIIIe siècle, que le problème de l’énergie sera résolu. La majesté monumentale d’Arc-et-Senans représente l’absolutisme triomphant. Mais elle contraste avec l’inefficacité de la gabelle. Peu rentable et décriée dans les cahiers de doléances de 1789, cette taxe est supprimée en 1790, ce qui contribue à la banalisation du condiment. Semaine sanglante, semaine du 21 au 28 mai 1871 au cours de laquelle les troupes envoyées par le gouvernement (qui siège à Versailles) reconquièrent Paris insurgé depuis le 18 mars, mettant fin à la Commune. Après avoir repris les forts de Vanves et d’Issy, les troupes versaillaises, fortes de près de 130 000 hommes, commencent à bombarder Paris le 20 mai, où elles entrent le lendemain vers 18 heures par les portes du Point-duJour et de Saint-Cloud. La Commune ne peut aligner que 40 000 gardes nationaux, mal équipés, indisciplinés et non mobilisables en même temps. Charles Delescluze, alors délégué à la Guerre, contribue à la désorganisation de la résistance par son appel dramatique du 22 mai (« Assez de militarisme... Place au peuple, aux combattants aux bras nus. La guerre révolutionnaire a sonné ! »). De nombreux fédérés se terrent, cherchant à échapper à la répression, tandis que les plus résolus se bornent à défendre leurs quartiers en hérissant des barricades, souvent fragiles, médiocrement armées, aisément contournables. Les assaillants progressent lentement, par crainte des mines ou des tireurs embusqués ; il leur faut trois jours pour occuper la partie occidentale de Paris, où la résistance est faible. En outre, ils sont ralentis par les incendies qu’allument les communards dès le 23 mai, incendies qui ont pour cause des nécessités stratégiques mais aussi une volonté de détruire des édifices emblématiques de l’ancien pouvoir impérial et de l’État : les Tuileries, le Palais-Royal, le Palais de justice, l’Hôtel de Ville, la Préfecture de police sont ainsi la proie des flammes. L’armée versaillaise met aussi à profit sa lenteur pour ratisser toutes les rues de la capitale et arrêter de nombreux suspects, fusillés sans jugement dès le 22 mai. La Commune réplique en mettant à mort 74 otages, parmi lesquels Mgr Darboy, archevêque de Paris. Le 24 mai, les troupes gouvernemen-
tales reprennent la butte Montmartre et la montagne Sainte-Geneviève, mais le lendemain, elles se heurtent à une forte résistance dans les arrondissements ouvriers, défendus sur la ligne du canal Saint-Martin. Les bastions sont enlevés un à un, au prix de combats acharnés, et bientôt ne subsistent que des poches de résistance aux Buttes-Chaumont, au cimetière du Père-Lachaise, où les derniers combattants sont fusillés dans la nuit du 27 mai (le long du mur appelé, depuis lors, « des Fédérés »), et à Belleville, dont l’ultime barricade est prise d’assaut le 28 mai, vers 15 heures. Les combats firent 877 tués et 181 disparus parmi les forces de l’ordre et environ 3 000 chez leurs adversaires. La répression fut terrible : entre 17 000 et 25 000 communards ou simples suspects furent victimes d’exécutions sommaires, les massacres, couverts par le haut commandement, s’étant poursuivis la semaine suivante. Il faut ajouter à ce bilan la destruction d’une part importante du patrimoine architectural et culturel de Paris (les archives de la ville et du département ont brûlé ainsi que 200 000 ouvrages des bibliothèques du Louvre et de l’Hôtel de ville). Semblançay (Jacques de Beaune, baron de), financier de la couronne (Tours, vers 1445 - Montfaucon 1527). Fils de Jean de Beaune, marchand drapier et bourgeois de Tours, et de Jeanne Binet, il s’enrichit en menant une double carrière de marchand et de banquier. Grâce à sa fortune et à ses talents, il va connaître une ascension sociale fulgurante : il est trésorier d’Anne de Bretagne à partir de 1491, général des Finances du Languedoc de 1495 à 1516, maire de Tours dès 1498, bailli et gouverneur de Touraine en 1516. En 1516, Louise de Savoie, dont il gère la fortune, l’élève au rang de baron, et François Ier lui confie en 1518 « la charge, la connaissance et l’intendance du fait et maniement de toutes nos dites finances tant ordinaires qu’extraordinaires ». Sa fortune est alors considérable : il fait agrandir ses hôtels de Tours et de Paris ; il achète des seigneuries... Harassé par le coût des guerres d’Italie, le roi le presse de fournir des subsides pour l’armée. Mais cela n’y suffit pas, et l’expédition italienne tourne court. Le tenant pour principal responsable de cet échec, le roi nomme, le 11 mars 1524, une commission chargée d’examiner ses comptes. Accusé de fraude et de malversation, il est exilé de la cour puis condamné à mort et pendu au gibet de Montfaucon, en août 1527. François Ier s’attribue tous ses biens. Les
monarques français entrent dans une logique absolutiste : il ne faut pas paraître plus riche ou plus puissant que le roi. Sénat, assemblée politique dont l’origine remonte à l’Antiquité. downloadModeText.vue.download 866 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 855 À Rome, le sénat - du latin senex, « vieillard » est un conseil qui regroupe les représentants des familles les plus prestigieuses. Utilisé à des fins politiques sous la République, il perd progressivement de son influence sous l’Empire mais conserve néanmoins son prestige du fait de la richesse des sénateurs qui, éduqués à l’art oratoire, affichant des qualités de sagesse, de gravité et de dignité, occupent un rang d’excellence dans la société romaine, où ils incarnent la mesure et la continuité des traditions. • L’oubli monarchique. Au VIe siècle, l’avènement en Occident des royaumes barbares relègue momentanément dans l’oubli les modèles antiques. Des assemblées se forment autour du roi : réunions de compagnons d’armes, bientôt de vassaux, elles n’ont plus rien à voir avec le sénat romain. Des siècles plus tard, la monarchie s’édifie autour des thèses absolutistes qui interdisent la reconnaissance de la moindre structure susceptible de participer au pouvoir royal. « Le roi est monarque et n’a point de compagnon en sa majesté royale », écrit le jurisconsulte Guy Coquille (1523-1603) : c’est dire le caractère exclusif de la souveraineté monarchique et la confusion des pouvoirs qui en résulte. • Sénat et bicamérisme. En 1789, la souveraineté devient nationale ; elle exige, pour s’exprimer, des représentants constitués en assemblée. S’ouvre alors le débat sur le mono ou le bicamérisme. L’Angleterre et l’Amérique ont opté pour un système bicaméral. Mais, parce qu’on s’efforce d’effacer les particularismes locaux, on se doit de rejeter un sénat à l’américaine incarnant les entités territoriales. De même, au lendemain de l’abolition des ordres, on ne peut imaginer une division du législatif à l’anglaise, qui, pour les révolutionnaires, serait l’expression d’une division sociale. Puisque le souverain - la nation - est unique, seule l’unité du pouvoir peut incarner cette souveraineté : aussi les constituants de 1791 et de 1793 optent-ils pour le monocamérisme.
• La Chambre haute. En 1795, l’apaisement fait oublier les vieux griefs. On crée une seconde Chambre : le Conseil des Anciens. Avec lui, la tradition bicamérale entre dans les institutions françaises ; elle n’en sera provisoirement exclue que sous la IIe République. C’est le Consulat qui, dans son goût affiché pour l’Antiquité, revient à la dénomination romaine. Mais, Sénat ou, plus tard, Chambre des pairs, l’idée est la même : il s’agit de représenter des élites choisies pour leur maturité et leur fidélité au régime, et utilisées pour freiner et affaiblir les initiatives redoutées de la représentation nationale. Les sénateurs comme les pairs sont en effet membres de droit ou nommés par le chef de l’État, et inamovibles. Les Sénats consulaire ou impériaux sont gardiens de la Constitution ; ils l’interprètent et en contrôlent le strict respect par les pouvoirs législatif et judiciaire. Ils légifèrent aussi parfois, au moyen de sénatus-consultes dictés par le Premier consul puis par l’Empereur : ils sont un auxiliaire servile du régime, le « paravent du pouvoir personnel ». Pourtant, les réformes du second Empire finissant, en introduisant le sénat dans le jeu parlementaire, préfigurent son évolution ultérieure. • Vers l’Assemblée parlementaire. Nouveauté et tradition caractérisent le Sénat de la IIIe République : les trois quarts des membres en sont élus au suffrage universel indirect pour neuf ans. Seul le quart restant est, jusqu’en 1884, nommé à vie, mais par l’Assemblée. Le Sénat participe au travail législatif en partageant avec la Chambre l’initiative et le vote des lois. Il est un élément fondamental du jeu institutionnel puisqu’il est associé à la désignation du président de la République et doit donner son aval pour toute dissolution de la Chambre par l’exécutif. Lui-même indissoluble, installé dans la durée (neuf ans), il tempère et régule la vie politique par son rôle d’institution de contrepoids, autorisant en France l’ancrage du régime républicain. Mais, à partir de 1930, un conservatisme excessif le conduit à bloquer le système politique en renversant les gouvernements. À ce jeu, il se déconsidère, au point de disparaître de la Constitution de 1946. Un Conseil de la République le remplace mais, hormis sa participation à l’élection du chef de l’État, il est vidé de tout pouvoir susceptible d’en faire une Chambre d’opposition. La Ve République retrouve un Sénat traditionnel et novateur, qui « assure la représentation des collectivités territoriales de la République » (article 24). Sa mise à l’écart du
jeu parlementaire - le Sénat ne peut renverser le gouvernement ni être dissous - en fait une Chambre d’équilibre, capable de contrebalancer les changements brusques de majorité à l’Assemblée. L’élection au suffrage indirect et la durée du mandat de ses membres permettent au Sénat de travailler sur le long terme, en étant en partie libéré du souci des échéances électorales, pour participer à un véritable enrichissement de la création parlementaire. sénéchaussée ! bailliage Sénégal, ancienne colonie française, intégrée à l’A-OF de 1895 à 1946, devenue territoire d’outre-mer en 1946, puis République autonome en 1958, avant d’accéder à l’indépendance en 1960. • Le sort chaotique d’une colonie négrière. Un premier établissement fixe est fondé dans l’estuaire du Sénégal en 1638 par des marchands de Rouen ; abandonné quelques années plus tard, il est rebâti en 1658, sous le nom de « Saint-Louis ». Occupée en 1677, l’île de Gorée devient rapidement un centre actif de la traite négrière : 8 000 esclaves y sont embarqués chaque année vers 1720, et 23 000 en 1782. D’autres comptoirs sont fondés, à Rufisque et à Joal. Le commerce de la gomme sur le fleuve enrichit les négociants de Saint-Louis. Le Sénégal passe sous domination anglaise en 1693, puis à nouveau de 1758 à 1778. Il est abandonné à son sort pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire mais parvient cependant à repousser les assauts anglais jusqu’en 1809. Restitué au gouverneur Schmaltz en 1817, ce n’est plus qu’un établissement léthargique, appauvri par l’arrêt de la traite négrière. Les efforts du baron Roger, gouverneur de 1821 à 1827, pour développer des cultures tropicales sont infructueux et la seule ressource reste le commerce de la gomme, confié à des compagnies privilégiées dont la réputation est détestable. Les Français ne se maintiennent sur place qu’en versant des redevances aux chefs du voisinage. En 1848, la colonie paraît ruinée par l’affranchissement des esclaves (12 000 personnes sur 18 000 habitants) et son abandon est envisagé. Mais la Commission des comptoirs se prononce pour le maintien de la présence française et le développement de la production d’arachides. • La structuration de la colonie. Sous le
gouvernement du marin Protet (1850-1854) puis, surtout, sous celui de Louis Faidherbe (1854-1861, et 1863-1865) dont l’action est soutenue par les importateurs d’arachides bordelais, le Sénégal connaît une expansion décisive et passe de l’état de groupe de comptoirs littoraux à celui de colonie étendue, préfiguration de l’Afrique-Occidentale française. L’expédition de Médine sur le haut fleuve repousse les Toucouleurs d’El-Hadj Omar (1857) ; des établissements sont fondés au Sine-Saloun et en Casamance. La colonie est dotée d’écoles, de routes, d’une administration moderne ; la ville de Saint-Louis est agrandie et assainie. Les successeurs de Faidherbe vont poursuivre sa politique d’expansion et d’équipement (création du port de Dakar en 1868, sur le site du comptoir fondé en 1857). L’annexion du Cayor (1886) marque le point final de la pacification du territoire sénégalais et Dakar, siège du gouvernement général de l’Afrique-Occidentale française à partir de 1902, devient la grande métropole de l’Ouest africain. Son école de médecine, fondée en 1918, forme des médecins indigènes pour toute l’Afrique française. La vocation arachidière de la colonie se confirme et fait la prospérité de Kaolack. Cas unique en Afrique, les quatre communes de Saint-Louis, Rufisque, Gorée et Dakar élisent un député : en 1914, Blaise Diagne est le premier Africain à siéger au Palais-Bourbon. Il contribue pendant la Première Guerre mondiale à la mobilisation des troupes noires (les tirailleurs sénégalais). Son successeur, Galandou Diouf (élu en 1932), sera le premier député musulman. • Vers la décolonisation. En 1940, le gouverneur général Boisson reste fidèle au gouvernement de Vichy et repousse par la force une tentative de débarquement de Français libres. Mais, en novembre 1942, il n’a d’autre issue que de se rallier à de Gaulle et de nombreux Sénégalais servent alors dans les armées de la France combattante. Devenu territoire d’outre-mer en 1946, le Sénégal est doté d’une assemblée locale. Il est brillamment représenté au Palais-Bourbon par Lamine Gueye, maire socialiste de Dakar et, surtout, par Léopold Sédar Senghor, leader des Indépendants d’outre-mer et plusieurs fois ministre. En vertu de la loi-cadre de 1956, le territoire est doté d’une autonomie restreinte puis, en 1958, il opte pour le statut d’État autonome, membre de la Communauté. Des rivalités se font rapidement jour entre Senghor et le dirigeant ivoirien Félix Houphouët-Boigny. Elles conduisent à l’échec
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DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 856 des projets de grande fédération d’Afrique de l’Ouest. Senghor met cependant sur pied une Fédération du Mali avec le Soudan et ne dissimule pas ses aspirations à l’indépendance, qui est effective le 20 juin 1960. La Fédération éclate deux mois plus tard en raison de la mésentente entre Senghor et Modibo Keita. Senghor (Léopold Sédar), homme politique et écrivain sénégalais (Joal, Sénégal, 1906). Issu d’une riche famille catholique de l’ethnie sérère, Léopold Sédar Senghor étudie chez les Pères du Saint-Esprit, puis au collège de Dakar. Il s’embarque pour la France en 1928, prépare l’agrégation de grammaire à la Sorbonne et devient le premier africain à réussir le concours. Il enseigne à Tours puis à Saint-Maur, avant d’être emprisonné deux ans pendant la guerre. Après la Libération, il est professeur à l’École nationale de la France d’outre-mer. Senghor approfondit dans les années quarante le concept de « négritude », élaboré dès la décennie précédente au contact notamment de l’Antillais Aimé Césaire ; parallèlement à son oeuvre littéraire et critique (Chants d’ombre, 1945 ; Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache, préfacée par Jean-Paul Sartre, 1948), il participe à la fondation de la revue Présence africaine. Il est parmi les premiers à rêver d’un espace francophone. En 1966, à Dakar, il concevra le Festival des arts nègres pour présenter le patrimoine et les espoirs des nations africaines. Entré dans la vie politique en 1945 comme député du Sénégal à l’Assemblée constituante, Senghor mène de pair carrière publique et oeuvre d’écrivain (Hosties noires, 1948 ; Éthiopiques, 1956). Réélu à l’Assemblée nationale, il est secrétaire d’État à la présidence du Conseil (1955-1956), puis ministre conseiller du gouvernement français (1959-1960). Ayant quitté la SFIO en 1948, il crée son propre parti, le Bloc démocratique sénégalais (BDS), qui remporte les élections de 1956 ; il milite sans succès pour le maintien des liens fédéraux entre les divers États de l’Afrique-Occidentale française (A-OF). En septembre 1960, il est élu président du Sénégal indépendant, fonction
qu’il occupe jusqu’à décembre 1980. Humaniste d’une stature exceptionnelle, Senghor a été élu à l’Académie française en 1983. Ses principaux essais sont réunis dans les cinq tomes de Liberté (1964-1993). Senlis (traité de), traité signé le 23 mai 1493 entre le roi Charles VIII et l’empereur Maximilien de Habsbourg. Il révise le traité d’Arras de 1482, selon lequel Charles, alors dauphin, devait épouser Marguerite d’Autriche, fille de Maximilien et petite-fille de Charles le Téméraire. En 1491, Charles VIII, roi depuis 1483, se marie avec Anne de Bretagne, que Maximilien, « roi des Romains » et futur empereur germanique, avait épousée par procuration quelque temps auparavant, en décembre 1490. Cet événement ravive les tensions entre la France et les Habsbourg. La guerre reprend alors. Maximilien participe à une coalition englobant l’Angleterre et l’Espagne des Rois Catholiques contre la France. Il mène campagne dans le nord du royaume (prises de Lens et d’Arras), et s’empare du comté de Bourgogne (Franche-Comté), qui faisait partie, en 1482, de la dot accordée à sa fille Marguerite. Menacé, Charles VIII, dont les regards sont déjà tournés vers l’Italie, traite avec Ferdinand d’Espagne et le roi Henri VII d’Angleterre, et répond à Maximilien par la négociation : c’est la paix de Senlis. Le roi de France rend à Maximilien le comté de Bourgogne et l’Artois, conformément aux clauses du traité d’Arras qui prévoyaient une restitution de la dot au cas où le mariage entre Charles VIII et Marguerite d’Autriche n’aurait pas lieu, et il libère cette dernière, élevée à la cour de France depuis 1482. En revanche, il conserve l’Auxerrois, le Mâconnais et la châtellenie de Bar-sur-Seine. Le traité de Senlis met un terme définitif à la succession de Bourgogne, ouverte seize ans plus tôt avec la mort de Charles le Téméraire. séparation des Églises et de l’État (loi de), loi promulguée le 9 décembre 1905. Elle met fin au système concordataire et institue un régime de liberté religieuse fondé sur la laïcité de l’État, dont le principe est défini dans les deux premiers articles : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes [...]. La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » • La fin du système concordataire. Ce sys-
tème avait été mis en place par le Consulat et l’Empire à travers un ensemble de textes (concordat de 1801 avec la papauté ; articles organiques du culte catholique et du culte protestant en 1802 ; décrets de 1808 sur le culte israélite). L’État garantissait la liberté de conscience et de culte, rémunérait les membres des clergés (conséquence de la nationalisation des biens de l’Église gallicane en 1789), prenait en charge les édifices cultuels, et assurait la protection légale des trois confessions religieuses reconnues (catholicisme, protestantisme, judaïsme). En contrepartie, il nommait directement ou indirectement les ministres des cultes (les évêques étaient choisis par l’État, puis recevaient l’investiture canonique du pape), surveillait étroitement la discipline interne aux trois confessions et exigeait des prières pour le gouvernement. En cas de conflit entre clergé, autorités publiques et fidèles, le Conseil d’État était appelé à trancher selon la procédure d’« appel comme d’abus ». Le système concordataire n’est guère contesté avant le second Empire, hormis par le mouvement protestant du Réveil (Alexandre Vinet). Mais l’émergence d’une nouvelle génération de républicains, marquée par le positivisme, l’anticléricalisme ou l’athéisme militant, précipite une remise en cause radicale : le programme de Belleville (1869) réclame la séparation de l’Église et de l’État. Arrivés au pouvoir après la démission du président de la République monarchiste Mac-Mahon (1879), les républicains « opportunistes » (Léon Gambetta, Jules Ferry, Paul Bert) procèdent à la laïcisation de l’école publique et de l’État et multiplient déclarations et mesures anticléricales. Cependant, ils n’entendent pas mettre fin au concordat : les années 1880 sont donc l’âge du « discordat », auquel succède brièvement, à la suite du ralliement de l’Église au régime républicain préconisé par le pape Léon XIII, l’« esprit nouveau » des années 1890. Les convulsions de l’affaire Dreyfus, la victoire de la coalition de « Défense républicaine » (1899) puis du Bloc des gauches (1902), la mobilisation du camp laïc (francmaçonnerie, libre pensée, Ligue de l’enseignement), mais aussi l’impact profond et durable de la déchristianisation et la multiplication des affrontements entre maires, curés et instituteurs rendent la séparation inévitable. La loi Waldeck-Rousseau sur les associations (juillet 1901) permet au ministère dirigé par le radical Émile Combes (1902-1905) de procéder à l’interdiction légale des congrégations et à l’expulsion des religieux ; la France rompt
ses relations avec le Saint-Siège (juillet 1904), cosignataire du concordat de 1801. • Le nouveau cadre légal. Préparée sous l’égide d’Aristide Briand avec le concours d’un haut fonctionnaire protestant, Louis Méjan, la loi de séparation abolit le système concordataire, supprime le ministère des Cultes, prescrit un inventaire des biens cultuels et impose la création d’associations cultuelles de laïcs, auxquelles seront dévolus les édifices du culte, devenus propriétés de l’État, des départements ou des communes. Si protestants et juifs entrent aisément dans le nouveau cadre légal, la ligne intransigeante l’emporte chez les catholiques, malgré les efforts de conciliation des libéraux (les « cardinaux verts ») ou des démocrates (l’abbé Lemire) : les inventaires donnent lieu à des incidents, cependant limités, dans les terres de chrétienté. En 1906, le pape Pie X condamne la loi comme oppressive ; il considère qu’elle constitue une rupture unilatérale d’un pacte bilatéral (bulles Vehementer nos et Gravissimo). Il faut attendre le second ralliement des années vingt et le remplacement des associations cultuelles par des associations diocésaines, respectueuses de l’autorité épiscopale (encyclique Maximam gravissimamque de Pie XI, janvier 1924), pour que la loi de séparation soit progressivement acceptée par les catholiques. Mais elle ne sera pas étendue aux trois départements de l’Alsace-Lorraine. La laïcité de l’État s’impose au XXe siècle comme l’un des fondements de la République. Sept Ans (guerre de), conflit opposant de 1756 à 1763 la France, l’Autriche, la Russie et leurs alliés, d’une part, à l’Angleterre et à la Prusse, d’autre part. • Le jeu des rivalités et des alliances. La guerre de Sept Ans est le produit de deux rivalités qui se conjuguent. En Amérique du Nord, Français et Anglais s’affrontent à propos de l’Acadie, de Terre-Neuve et de la vallée de l’Ohio. Parallèlement, l’ancienne alliance franco-prussienne est menacée : en effet, pour empêcher le rapprochement entre la Russie et l’Angleterre, Frédéric II de Prusse s’allie avec celle-ci le 16 janvier 1756. Percevant cette évolution, Louis XV, contre une tradition diplomatique française hostile aux Habsbourg, accepte les propositions de Marie-Thérèse downloadModeText.vue.download 868 sur 975
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d’Autriche, laquelle, voulant reconquérir la Silésie annexée par la Prusse en 1745, gagne Mme de Pompadour à sa cause. Le renversement des alliances est scellé le 1er mai 1756 : l’Autriche ne s’engage pas contre l’Angleterre, mais chaque contractant doit armer un contingent de 24 000 hommes en cas d’agression prussienne. Dès 1757, la France porte le sien à plus de 100 000 hommes : elle devient un auxiliaire de la politique autrichienne dans une région où elle-même n’a d’autre intérêt que l’éventuelle élection du prince de Conti sur le trône de Pologne. • Les opérations militaires. Dès 1755, poussée par les colons américains, l’Angleterre arraisonne, sans déclaration de guerre, 300 bateaux de commerce français. Les hostilités s’ouvrent véritablement en mai 1756, et s’engagent bien pour la France : Minorque est prise aux Anglais. La Russie déclare, quant à elle, la guerre à Frédéric II, qui a envahi en août la Saxe, alliée de l’Autriche. Pendant l’été 1757, les Anglais, battus au Hanovre, songent à cesser le combat malgré la formation d’un gouvernement par l’énergique William Pitt. La victoire de Frédéric II à Rossbach sur les Franco-Autrichiens (5 novembre 1757), redoublée à Leuthen en décembre, retourne la situation. Dès lors, les opérations en Allemagne vont prendre un tour habituel. Régulièrement attaqué par les Russes et les Autrichiens, Frédéric II réussit chaque fois à empêcher leur jonction, même s’il concède quelques lourdes défaites (Künersdorf, août 1759), que les coalisés ne savent pas exploiter. Les Français alternent victoires et échecs, révélant la médiocrité de leurs chefs militaires et leurs rivalités. • Un dénouement défavorable à la France. La décision va venir de la mer et des colonies. Les Anglais, qui ont capturé 6 000 matelots sur les navires marchands, bloquent les ports français. La flotte de Toulon, partie rallier Brest en vue d’un débarquement en Angleterre, est vaincue au large du Portugal, à Lagos (18-19 août 1759) ; puis, c’est le tour de l’escadre de Brest devant Quiberon (novembre 1759). L’Angleterre est maîtresse des mers. Au Canada, d’abord vainqueur, Montcalm, sans secours, recule ; il meurt dans Québec assiégé (1759) et Montréal se rend en 1760. La Guadeloupe et la Martinique tombent en 1759 et en 1762. En Inde, Lally-Tollendal s’est aliéné les princes favorables à la France ; enfermé dans Pondichéry, il capitule au début de 1761. La situation semble se modifier lorsque
Choiseul, ministre des Affaires étrangères depuis 1758, rallie à la France les Bourbons de Madrid, de Naples et de Parme (pacte de Famille, 15 août 1761). Mais cet apport se révèle inefficace. Cependant, ayant atteint ses objectifs, le nouveau roi d’Angleterre, Georges III, est prêt à négocier. Il écarte l’intraitable Pitt en octobre 1761. À l’impératrice Élisabeth de Russie succède en 1762 Pierre III, admirateur de la Prusse, avec laquelle il signe une paix séparée en mai 1762. Marie-Thérèse doit renoncer à vaincre Frédéric II. La paix est signée à Paris et à Hubertsburg (10 et 15 février 1763). L’Allemagne revient au statu quo ante, mais la Prusse s’impose comme une nouvelle puissance continentale. La France perd ses colonies : le Canada - ces « arpents de neige » moqués par Voltaire ; la Louisiane, donnée à l’Espagne pour la dédommager de la cession de la Floride à l’Angleterre ; l’Inde, sauf cinq comptoirs ; le Sénégal, sauf Gorée. Mais Choiseul a sauvé les Antilles sucrières. Amputée de sa marine, avec une armée à réformer, la France traverse alors une crise morale, dont témoignent notamment l’attentat de Damiens (1757) et la contestation des parlements, et doit trouver les voies de son redressement. Septembre (massacres de), tueries perpétrées dans les prisons parisiennes du 2 au 6 septembre 1792. Dans l’histoire de la Révolution, ces massacres occupent une place spécifique. Ils sont dénoncés par les uns comme le symbole de la violence aveugle d’un peuple bestial, manipulé par des dirigeants sanguinaires ; ils sont « gênants » pour les autres, qui adoptent parfois la formule prémonitoire de Danton : « Que la justice des tribunaux commence et la justice du peuple cessera » (19 août 1792). • Les origines de l’exaspération populaire. Le 10 août 1792 (chute de la monarchie) est une journée sanglante : plus de 400 morts parmi les assaillants des Tuileries, sans-culottes parisiens et fédérés des départements, qui répliquent par le massacre des Suisses. Le peuple réclame vengeance pour les « victimes » et, le 17 août, est créé un Tribunal extraordinaire pour juger les « traîtres ». Toutefois, son action paraît trop lente et trop clémente, d’autant que la situation militaire est catastrophique. Le 19 août, La Fayette se livre aux Autrichiens et le territoire est envahi à l’Est : Longwy et Thionville tombent aisément. Le 30 août, les Prussiens assiègent Verdun, dernière place forte avant Paris. S’amplifie alors la rumeur d’une alliance entre ennemis de l’extérieur et de l’intérieur et, tan-
dis que les volontaires et les fédérés quittent Paris pour défendre les frontières, naît l’idée d’un « complot des prisons ». Le 2 septembre 1792, circule l’annonce de la chute de Verdun : vers 2 heures de l’après-midi, une vingtaine de prisonniers (essentiellement des prêtres réfractaires) transférés de l’Hôtel de Ville de Paris à l’Abbaye sont tués dans la cour de cette prison. C’est le début des massacres, qui durent cinq jours et touchent neuf des onze prisons parisiennes (y compris Bicêtre). • Massacres et justice. L’historiographie contre-révolutionnaire a amplifié le nombre des victimes : l’abbé Barruel parle de 12 000 morts. Mais, s’appuyant sur des sources indiscutables, Pierre Caron a comptabilisé, en 1935, entre 1 090 et 1 395 personnes massacrées (soit 41 à 53 % des détenus). La majorité d’entre elles sont des « droit commun », et 28 à 32 % des « politiques » (notamment 223 prêtres réfractaires enfermés aux Carmes ou à Saint-Firmin). Les lieux de détention des « politiques » ont d’ailleurs été touchés par de plus forts pourcentages d’exécutions. Le premier massacre est bien un phénomène de foule, mais rapidement s’organisent des « tribunaux populaires » avec un président et des juges qui lisent les registres d’écrou, appellent les prisonniers et délibèrent sur la culpabilité, punie de mort, ou la relaxe. Sauf dans le cas de la princesse de Lamballe - amie de la reine - emprisonnée à la Force, on n’observe pas de gestes de mutilation des corps : en ce sens, les massacres de Septembre sont un« événement charnière » entre l’émeute « primitive » et l’acte punitif de justice révolutionnaire. Selon certains historiens, les massacres auraient été commandités par les autorités révolutionnaires. En fait, le Conseil exécutif provisoire (avec les ministres Danton à la Justice et Roland à l’Intérieur) et l’Assemblée législative, embarrassés par ces événements, mais surtout inquiets des risques d’invasion, ont laissé faire. On a aussi accusé la Commune de Paris d’avoir encouragé, voire « payé » les massacreurs, et on a mis en avant le rôle de Marat, qui a souvent prôné l’élimination physique des contre-révolutionnaires. Mais aucune preuve d’une organisation des massacres n’a pu être trouvée. Ce n’est qu’après Valmy (20 septembre 1792), lors des premières séances de la Convention, que les girondins traitèrent les députés de Paris de « septembriseurs ». Ce
à quoi Robespierre répondit, le 5 novembre 1792 : « C’était un mouvement populaire. » Il n’empêche : le « septembriseur », assimilé plus tard au « terroriste », appartient à la légende noire de la Révolution. septembre 1793 (journées des 4 et 5), journées révolutionnaires qui permettent de retraduire le « désir de terreur » surgi à la suite de l’assassinat de Marat. C’est le 5 au soir que la Terreur est mise à l’ordre du jour à la Convention. La partie s’est jouée à quatre : le peuple de Paris, exaspéré par la crise de subsistances, la Commune de Paris, le Club des jacobins et la Convention nationale. L’émeute du 4 est d’abord une émeute de subsistances. En début d’après-midi, deux mille ouvriers se rassemblent en place de Grève et rédigent une pétition adressée à la Commune de Paris, réclamant que celle-ci s’occupe « des moyens que le salut public exige » pour que chacun puisse se procurer du pain. Les pétitionnaires refusent d’entendre les promesses du maire Pache lorsque le procureur de la Commune, Chaumette, s’écrie : « C’est ici la guerre des riches contre les pauvres. » Hébert, second de Chaumette, appelle le peuple à un rassemblement massif le lendemain, autour de la Convention. Le 5 septembre au matin, les manifestants rédigent un texte qui réclame l’établissement de l’armée révolutionnaire pour organiser le ravitaillement en donnant « force à la loi ». Ce texte doit être lu devant les conventionnels en présence du peuple. Or, une députation du Club des jacobins, soutenue par des délégués des 48 sections parisiennes, se présente également devant la Convention et exige la mise à l’ordre du jour de la Terreur. Si les conventionnels entendent cette injonction, préparée par Hébert et Royer, ils n’y mettent pas vraiment le même contenu que les pétitionnaires : ces derniers espèrent que le salut public sera incarné par l’armée révolutionnaire, alors que les conventionnels entendent mettre en oeuvre une justice sévère afin que le peuple ne soit pas tenté de se faire justice lui-même. downloadModeText.vue.download 869 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 858 septembre 1870 (révolution du 4), révolution qui mit fin au second Empire et dont sont issues la proclamation de la IIIe Répu-
blique et la création du gouvernement de la Défense nationale. • La guerre. Consolidé par le plébiscite du 8 mai 1870, le régime impérial n’était pas menacé à court terme par l’opposition républicaine. Mais la guerre contre la Prusse crée une situation nouvelle : l’impératrice est nommée régente ; Napoléon III quitte son palais de Saint-Cloud pour prendre le commandement d’une armée promise à une victoire facile. Or, les défaites se succèdent à partir du 6 août. L’empereur ayant été jugé responsable des revers, le commandement est confié à Bazaine, dès le 12. Et, c’est aux souvenirs de 1792 que l’opposition comme le gouvernement font alors appel pour inciter les Français à résister à l’invasion. Si la Saint-Napoléon, le 15 août, est à peine célébrée, si la foule manifeste son mécontentement à Paris dès le 9 août, lors de la convocation des Chambres, c’est l’annonce de la capitulation de Sedan, le 3 septembre, qui achève de saper la légitimité morale du régime. • Défaite militaire et révolution politique. Affichée à Paris et dans les grandes villes de province dès le matin, la nouvelle de la défaite provoque des réactions de colère. À Lyon, l’hôtel de ville est occupé dès 8 heures, le drapeau rouge arboré et la République proclamée par un Comité de salut public. À Marseille, la foule se porte à la préfecture, réclame la libération de prisonniers politiques, décapite une statue de Napoléon III ; le soir, le conseil municipal proclame la République et un Comité de salut public est, là aussi, constitué. À Bordeaux, la foule jette la statue de Napoléon III dans la Garonne. À Paris, enfin, aux manifestations mouvementées du 3 au soir sur les boulevards succède, le 4, vers midi, un rassemblement place de la Concorde, à l’occasion de la séance extraordinaire du Corps législatif. La foule, dans laquelle se trouvent de nombreux gardes nationaux, réclame la déchéance de l’Empire et la République. Elle envahit le Palais-Bourbon puis la salle des séances, pendant que les députés discutent dans les bureaux trois propositions allant de l’instauration d’une régence au vote de la déchéance. Ne parvenant pas à obtenir l’évacuation des lieux, Gambetta se résout à proclamer « révolutionnairement » la déchéance de l’empereur au nom du suffrage universel. Avec Jules Favre, il entraîne ensuite la foule à l’Hôtel de Ville pour y proclamer la République et former un gouvernement provisoire, le « gouvernement de la Défense nationale ». Dans le même temps, les Tuileries, d’où s’est enfuie l’impératrice, sont envahies par la population. Sur les grilles du palais comme dans les rues de Paris, les symboles de l’Empire
sont détruits. À Paris comme dans les grandes villes républicaines, le nouveau régime est salué avec enthousiasme et fêté par des chants et la plantation d’arbres de la liberté. • La mémoire de l’événement. Mais Paris est assiégé dès le 19 septembre. En janvier 1871, la défaite puis, en mai, la Commune de Paris sont l’occasion d’une remise en question de la « révolution » du 4 septembre. La majorité monarchiste de l’Assemblée élue en février décide une enquête parlementaire sur les actes du gouvernement de la Défense nationale qui fait le procès du 4 septembre. La célébration de l’événement est interdite. Dans la presse, de vifs débats opposent partisans et détracteurs de la révolution républicaine, accusée d’avoir provoqué la Commune et la perte de l’Alsace-Lorraine. Le choix des républicains modérés en faveur du 14 juillet, devenu fête nationale en 1880, marginalise le 4 septembre. Il faut attendre le cinquantenaire de 1920 pour que le souvenir en soit célébré ... le 11 novembre ! Le « second Sedan » de 1940 altère encore le souvenir de l’événement. La crise de la IVe République conduit cependant de Gaulle à en mobiliser le symbole : il présente son projet de Constitution le 4 septembre 1958, place de la République. Sergents de La Rochelle (affaire des Quatre), épisode politique et judiciaire lié aux complots de la charbonnerie contre la Restauration (mars-septembre 1822). Les quatre sergents - Bories, Pommier, Goubin et Raoulx - faisaient partie d’une « vente » militaire de la charbonnerie, créée en 1821 dans le 45e régiment d’infanterie en garnison à Paris. En mars 1822, le régiment est transféré à La Rochelle, où les quatre hommes sont dénoncés par des camarades, après de nombreuses imprudences. Les interrogatoires révèlent les réunions secrètes, la structure du mouvement de la charbonnerie, et le projet de soutenir le complot - avorté - du général Berton à Saumur (février 1822). Le procès est l’événement politique du mois d’août 1822. Les avocats des sous-officiers, membres importants de la société secrète, obtiennent la rétractation de leurs aveux pour protéger les chefs (Manuel, La Fayette) et sauver l’organisation. Malgré l’insuffisance des preuves, le gouvernement et le procureur général de Marchangy saisissent l’occasion de faire un exemple adressé à la France et à l’Europe. Les quatre sergents, ayant obtenu à la demande l’un d’eux (Bories) de rester solidaires, sont condamnés à mort, et guillotinés le 21 sep-
tembre 1822. L’affaire illustre l’échec de la stratégie insurrectionnelle de la charbonnerie, même si l’opposition libérale exploite le procès contre le gouvernement. Mais la rigueur de la sentence et la mort courageuse d’hommes jeunes suscitent une grande émotion, surtout à Paris. Ils deviennent aux yeux du peuple des martyrs de la cause de la liberté. serment. Au Moyen Âge, cet acte par lequel on prend Dieu à témoin de la vérité d’une parole se rencontre tant dans la vie professionnelle, judiciaire que politique. Il est véritablement au coeur des relations sociales en de nombreuses circonstances - serment du roi lors de son sacre, serment du vassal à son seigneur, serment communal... et donne lieu à une mise en scène rituelle qui participe de son efficacité symbolique. En effet, on jure alors sur des objets sacrés - les reliques - et de plus en plus sur les Évangiles. Largement présent dans l’Antiquité romaine mais condamné par Jésus et veau Testament, l’usage du serment pourtant une légitimité auprès des
grécole Noutrouve Pères de
l’Église, notamment saint Augustin dont les textes sont repris par le droit canon. L’Église s’approprie peu à peu le contrôle du serment, qui aboutit à sa constitution en un « quasi-sacrement ». Celui qui le rompt est « parjure » et relève de la compétence de la justice ecclésiastique. Dès lors, l’Église peut intervenir dans toute cause où l’on soupçonne la rupture d’un serment : elle y trouve un moyen d’accroître son emprise sociale. • Un acte social. Les clercs dénoncent les serments qui apparaissent dangereux pour l’ordre social, notamment ceux qui sont aux fondements des mouvements d’émancipation urbains, dès le XIe siècle dans la France du Nord. Les citadins qui s’assemblent pour obtenir libertés et franchises forment une conjuratio (étymologiquement, « jurer avec »), qui est à l’origine d’une forme particulière de charte de franchises, la commune. L’historien André Chédeville fait remarquer que « la grande originalité du serment communal réside dans le fait qu’il unit désormais des égaux, créant ainsi une solidarité horizontale entre des hommes égaux en droit et qui n’étaient pas issus de l’aristocratie ». Le serment intervient sans cesse dans le déroulement de la justice médiévale. Le serment purgatoire, dès l’époque franque, sert de preuve à l’accusé, qui le prête pour affirmer
son innocence. Son rôle décroît à la fin du Moyen Âge. Bien d’autres serments ponctuent le processus judiciaire, du serment du juge à celui du témoin. La société féodale, structurée par des liens d’homme à homme impliquant des devoirs et des services réciproques, fait un large usage du serment. Le vassal, après la prestation de l’hommage, doit jurer fidélité à son seigneur (l’expression médiévale « foi et hommage » rend compte de ce double rite). Après l’adoubement, les chevaliers prêtent également serment. Si l’engagement juré soude le monde des guerriers, il doit aussi garantir la paix : les Paix et Trêve de Dieu (dès la fin du Xe siècle) s’accomplissent par le serment. Et c’est encore par serments que sont scellés les « pactes d’amitié » entre confessions (catholique et protestante) à la fin des années 1560. • Un « outil » politique. Dès le haut Moyen Âge, le serment est un moyen de gouvernement. En 802, Charlemagne organise la prestation générale d’un serment de fidélité de ses sujets - serments recueillis par des envoyés temporaires (les missi dominici). Encore au XVe siècle, les rois de la dynastie des Valois (mais aussi le régent anglais Bedford) demandent à leurs sujets des prestations collectives de serment. En 1415, la paix d’Arras doit être jurée par tous, « tant nobles, comme non-nobles et tant d’Église, comme séculiers ». Les officiers royaux et princiers, quant à eux, prêtent serment lors de leur entrée en fonction. Serments, refus de sa prestation, accusations de parjure et appel aux autorités religieuses apparaissent comme des outils politiques dont on use en fonction des enjeux. Ainsi, en septembre 1419, Marguerite de Bavière, après le meurtre de son mari Jean sans Peur, duc de Bourgogne, par les hommes du dauphin Charles, envoie un ambassadeur auprès du pape pour lui demander de décladownloadModeText.vue.download 870 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 859 rer le dauphin parjure des serments de paix qu’il prêta peu auparavant, lors des accords de Pouilly. La Réforme (avec les critiques du serment et l’impossibilité pour les protestants d’endosser des formulations catholiques) et le développement de l’État moderne relèguent au second plan l’utilisation politique et sociale du serment. Pour autant, son rôle symbolique
ou judiciaire demeure, comme en témoignent le serment du Jeu de paume en 1789 ou le serment exigé au palais de justice, à la barre des témoins. Serre (lois), lois qui instituent en 1819 un régime de relative liberté pour la presse. Le comte de Serre, qui devient à la fin de 1818 garde des Sceaux dans le ministère Decazes, est un monarchiste sensible aux idées libérales, dans la droite ligne des Doctrinaires. Comme de Broglie ou Guizot, il se montre favorable à un assouplissement du régime de la presse. Dans un contexte de rupture avec les excès de la « terreur blanche », il fait adopter trois lois aux mois de mai et juin 1819. Elles portent en particulier sur l’abolition de la censure et sur le remplacement de la demande d’autorisation lors de la fondation d’un journal par une simple déclaration. La notion de délit de presse évolue vers plus de liberté : « Une opinion ne devient pas criminelle en devenant publique. » En cas d’outrage, de provocation grave, d’offense à l’égard du roi ou des Chambres, une garantie contre l’arbitraire est introduite puisque le procès doit se dérouler devant un jury. Par ailleurs, le régime de la presse devient en quelque sorte censitaire (comme le suffrage) car toute feuille politique est soumise à un lourd cautionnement. Sous l’effet des lois Serre, des journaux tels que la Quotidienne (ultra), le Conservateur de Chateaubriand (légitimiste) ou le Constitutionnel (libéral) connaissent un remarquable essor. Mais, devant la montée de l’opposition libérale, Decazes et de Serre esquissent, dès 1819, un rapprochement avec les ultras et, après l’assassinat du duc de Berry (13 février 1820), de nouvelles lois sur la presse effacent les avancées de l’année précédente. Serres (Olivier de), agronome (Villeneuve de Berg, Ardèche, vers 1539 - Le Pradel, près de Villeneuve de Berg, 1619). Diacre protestant issu de la petite noblesse méridionale, Olivier de Serres transforme progressivement son domaine du Pradel en exploitation modèle. Durant la période chaotique des guerres de Religion, il réussit à améliorer l’assolement en remplaçant les jachères par des plantes fourragères, acclimate le maïs, la betterave et le mûrier ; il introduit également la garance des Flandres et le houblon d’Angleterre. Appelé à Paris par Henri IV, qui s’intéresse aux innovations agronomiques, il plante vingt mille mûriers blancs dans le jardin des Tuileries et publie de 1599 à 1603 ses trois grands ouvrages, le Traité de la cueillette
et de la soye par la nourriture des vers qui la font (1599), le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs (1600) et la Seconde Richesse du mûrier blanc (1603). Devenu l’un des livres favoris d’Henri IV, le Théâtre d’agriculture est diffusé dans toutes les paroisses de France par décision royale. Cette oeuvre a-t-elle contribué à augmenter la productivité de l’agriculture française et à rénover ses méthodes ? Dans un siècle où une infime proportion de paysans savent lire, où les grands propriétaires exploitants ne se passionnent guère pour les progrès de l’agriculture, l’audience de tels traités ne peut que rester limitée. Olivier de Serres est un novateur trop tôt venu, dont les principes d’économie agricole ne seront véritablement mis en pratique qu’au XIXe siècle. servage, statut juridique, caractéristique du Moyen Âge central (Xe-XIIIe siècle), qui concerne des paysans soumis à un certain nombre d’astreintes et d’incapacités juridiques limitant leur liberté. Les serfs ne peuvent pas posséder librement la terre qu’ils travaillent. Ils ne peuvent ni la vendre ni l’échanger, non plus que transmettre leurs biens à leurs enfants, le seigneur prélevant sur l’héritage un droit de mainmorte. Il est également interdit aux serfs de se marier librement en dehors de la seigneurie où ils résident, à moins que le seigneur ne les y autorise, moyennant une compensation pécuniaire (taxe dite « de formariage »). Enfin, ils doivent verser chaque année une somme d’argent fixe, dont le montant est symbolique, et que l’on appelle le « chevage » (dans certaines régions, le serf est obligé de placer les pièces d’argent sur sa tête et de les porter ainsi à son seigneur). • Deux hypothèses sur l’origine du servage. On a longtemps pensé qu’il s’agissait d’une forme dégradée de l’esclavage : les serfs seraient les descendants des esclaves des grands domaines carolingiens. Le « chasement » des esclaves, c’est-à-dire le fait de leur confier une terre à exploiter eux-mêmes en échange de prestations sur la réserve seigneuriale (mise en valeur par le maître), aurait suffi à transformer l’institution en profondeur. Cependant, le serf, quoique placé dans une situation de soumission, n’en est pas moins considéré comme un homme, contrairement à l’esclave, qui est assimilé au bétail. Il existe donc une différence de nature entre les deux statuts. Les recherches récentes présentent les
choses de façon quelque peu différente. Elles insistent sur l’existence d’un hiatus chronologique important entre la disparition de l’esclavage et l’apparition du servage : il est en effet patent que l’esclavage n’existe plus en Europe passé la fin du IXe siècle. La première moitié du Xe siècle apparaît de plus en plus aux historiens comme une période où, pour des raisons complexes, les paysans sont libres. Les guerres civiles et les incursions normandes ou sarrasines réduisent l’efficacité du contrôle social. Ainsi, les plus opprimés des paysans peuvent se rendre libres en fuyant sur des terres à défricher, ou en refusant simplement d’accepter leur statut, sans que quiconque ait la force suffisante pour les contraindre. Mais durant la seconde moitié du Xe siècle et la première moitié du XIe, les seigneurs parviennent partiellement à reprendre en main le monde paysan en l’intégrant à la seigneurie. Le servage apparaît ainsi comme une nouvelle forme sociale, liée à une institution neuve, la seigneurie, à l’intérieur de laquelle la condition paysanne est fortement dégradée. Il est aujourd’hui impossible de trancher entre les deux hypothèses : transformation de l’esclavage antique ou dégradation du statut des paysans libres sont l’une et l’autre tout aussi vraisemblables et peut-être même, dans certains cas, concomitantes. • L’évolution du servage. Le second grand problème que pose le servage est celui du destin collectif de ceux qui l’ont subi. Il est évident que, dès le XIIe siècle, des serfs parviennent à s’enrichir et à accomplir des ascensions sociales souvent fulgurantes. En effet, les seigneurs ont recours aux compétences techniques de serviteurs non-libres, notamment pour gérer leurs terres : ils font de certains d’entre eux des « ministériaux ». Par ce biais, il est possible de s’enrichir et d’échapper à la condition servile, sans même avoir à racheter sa liberté. Mais il s’agit là de cas individuels. Dans l’ensemble, le servage s’est éteint parce que les communautés paysannes ont été en mesure, à partir du XIIe siècle, de payer leur affranchissement, d’ailleurs très cher. Les affranchissements collectifs sont l’occasion de rentrées d’argent importantes pour le Trésor royal comme pour les caisses des seigneurs. Au XIVe siècle, la crise économique amène les grands seigneurs à resserrer leur étau. Un second servage apparaît, qui ne se dissout que peu à peu, à l’époque moderne, alors que l’économie commerciale se développe. En 1789, il ne reste plus que quelques centaines
de serfs, uniquement sur des terres d’Église. service militaire. Sous l’Ancien Régime, l’armée est composée essentiellement de volontaires français ou étrangers, à l’exception de milices provinciales recrutées dans les campagnes. C’est sous blement la « levée en Delbrel du
la Révolution qu’apparaît véritanotion de service militaire, avec la masse » de 1793 et la loi Jourdan5 septembre 1798.
• La lente mise en place d’un service pour tous. La conscription demeure sous l’Empire, mais devient de plus en plus impopulaire au rythme de « levées » de plus en plus lourdes. Elle est supprimée en 1814. Cependant, faute d’engagements volontaires en nombre suffisant, une conscription est rétablie de manière détournée en 1818, par la loi Gouvion-SaintCyr. Le tirage au sort est maintenu et le service est d’une durée de six ans. Le remplacement est autorisé moyennant finances, jusqu’à son interdiction en 1848. En 1832, la loi Gouvion-Saint-Cyr a été confirmée par la loi Soult. Compte tenu de la longue durée du service, la France s’est ainsi dotée d’une armée semi-professionnelle. Après la défaite de 1871 s’impose le principe du service militaire obligatoire pour tous, associé à l’appel de réservistes en temps de guerre. Cependant subsistent des exceptions concernant les séminaristes ou les enseignants, et des régimes de faveur comme le volontariat d’un an. C’est en 1905 que le service national devient réellement obligatoire pour tous : sa durée, de deux ans, est portée à trois en 1913, en raison de la situation downloadModeText.vue.download 871 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 860 démographique de la France, qui la défavorise par rapport à l’Allemagne. Le service apparaît alors comme un instrument de brassage social, garant de l’unité de la nation. Au lendemain de la victoire de 1918, il est successivement ramené à dix-huit mois en 1923 et à un an en 1928, pour être porté à deux ans en 1935, du fait de l’arrivée à l’âge adulte des « classes creuses » : en raison de la baisse de la natalité pendant la Première Guerre mondiale, le contingent annuel mobilisable passe en effet de 240 000 à 120 000 hommes. Le service n’exclut d’ailleurs nullement le recours
à des volontaires et à des troupes coloniales. Après le désastre de 1940, il disparaît, avec la mise sur pied de l’armée de l’armistice de Vichy, composée exclusivement d’engagés ; mais, pour compenser les insuffisances de cette armée, une partie des jeunes classes est maintenue sous les drapeaux. En revanche, à partir de 1943, le service militaire est rétabli dans les territoires libérés, successivement en Afrique du Nord, en Corse, puis en métropole. Au lendemain du conflit, il est d’abord fixé à un an, puis à dixhuit mois, compte tenu des engagements de la France dans l’Alliance atlantique. Lors de la guerre d’Indochine, qui fait essentiellement appel à des professionnels associés à la Légion et à des contingents d’outre-mer, les appelés sont minoritaires, ne représentant que le tiers des effectifs. Il n’en va pas de même en Algérie, où leur proportion frôle les 60 %. Les appelés font alors vingt-huit mois de service, parfois davantage, et servent dans toutes les unités, y compris les parachutistes. • Les remises en cause. Avec la décolonisation, la création de la force de dissuasion et la refonte de l’armée, le service est ramené à dix-huit mois, puis à un an, et enfin à dix mois en 1991. Il cesse dès lors d’être égalitaire : des critères médicaux ou sociaux entraînent l’exemption du quart du contingent. Il présente de plus en plus une dimension civile, avec la coopération et l’aide technique, la participation aux tâches de sécurité civile, l’affectation à un service civil des objecteurs de conscience (bénéficiaires depuis 1964 d’un statut, amélioré en 1983). Une étape majeure intervient en 1996, avec l’annonce de la suppression du service militaire dans le cadre d’une réduction massive des effectifs, liée à la fin de la menace soviétique et au choix de la professionnalisation. En effet, une armée d’engagés semble offrir de nombreux avantages : meilleure instruction, taux de disponibilité élevé, capacité d’intervention globale à la mesure de la « projection de puissance », c’est-à-dire d’interventions extérieures. Le rétablissement d’un service national reste cependant prévu dans le cas où resurgirait une menace majeure imposant une armée d’effectifs. Le 30 novembre 2001, les derniers appelés sous drapeaux sont libérés. La conscription est remplacée par une Journée d’appel de préparation à la Défense, à laquelle les filles sont également soumises.
Sétif (émeutes de), soulèvement - impitoyablement réprimé - dont Sétif (située en Algérie orientale) fut l’épicentre après des événements meurtriers survenus lors d’une manifestation nationaliste organisée le 8 mai 1945. En ce jour de la victoire alliée sur le IIIe Reich, des cortèges d’Algériens musulmans défilent dans la plupart des villes d’Algérie, à l’appel des Amis du Manifeste et de la liberté (AML), mouvement créé par Ferhat Abbas en mars 1944. À Sétif, la manifestation est autorisée par le sous-préfet, à condition qu’il n’y ait pas de banderoles nationalistes. Mais des slogans anticoloniaux surgissent dans le cortège, et des coups de feu claquent, tirés par les forces de l’ordre et par des nationalistes : le bilan est de plus de vingt morts. Dans les heures qui suivent, les troubles s’étendent à Bône (aujourd’hui Annaba) et à Guelma, et gagnent les campagnes environnantes, où des fermes isolées sont attaquées : en une semaine, une centaine de d’Européens sont tués. Quant à la répression impitoyable qui s’ensuit, organisée par le général Henry Martin, commandant le 19e corps d’armée, elle fait plusieurs milliers de morts, mais aucun chiffre précis n’a pu être prouvé. Si l’ampleur de la répression prête à débat - les autorités algériennes ont évoqué, par la suite, 35 000 à 45 000 victimes -, l’interprétation de l’événement est, en elle-même, un enjeu de mémoire. Révolte de la misère pour les uns, insurrection frumentaire pour les autres, les émeutes du Nord-Constantinois constituent pour certains historiens, notamment algériens, une répétition générale de l’insurrection du 1er novembre 1954. Cette interprétation doit être nuancée car le mouvement se révèle largement improvisé et spontané. Mais l’indépendance de l’Algérie a bien été revendiquée, ouvertement, le jour de la victoire des Alliés. Sèvres (manufacture de), établissement créé à Vincennes en 1738, et installé à Sèvres en 1756, qui produit une porcelaine de renommée mondiale. La production de porcelaine tendre s’est perfectionnée en France entre 1675 et 1730, mais le secret de la porcelaine dure, connu des Chinois depuis le VIIIe siècle, n’a été découvert en Europe qu’en 1709, à Meissen, en Saxe. Soucieux de limiter les importations saxonnes, chinoises et japonaises, le contrôleur général Philibert Orry finance en 1738
un atelier de recherche installé dans les dépendances du château de Vincennes. Après plusieurs échecs, naît en 1745 une compagnie privée subventionnée, dotée du monopole de fabrication des porcelaines « de même qualité que celles qui se font en Saxe ». Pour la sauver de la faillite, la Pompadour la fait transformer en une Manufacture royale (1753), toujours privée, mais dont le roi possède le tiers des parts. Elle est transférée à Sèvres en 1756, entre Paris et Versailles, dans une longue bâtisse élevée par Perronet (et qui a ensuite abrité l’École normale supérieure de jeunes filles de 1881 à 1940, puis le Centre international d’études pédagogiques) ; des bâtiments annexes sont construits à Crécy, près de Dreux. À la suite de nouvelles difficultés financières, le roi s’en rend propriétaire en 1759 ; ses 250 ouvriers, au statut privilégié (chimistes, sculpteurs, modeleurs, enfourneurs, peintres, décorateurs, etc.), répondent, dans cette « usine » modèle, aux nombreuses commandes de la cour, parmi lesquelles un service royal de 1 733 pièces. Les motifs, dessinés par des artistes réputés (Boucher), les fines dorures et ciselures, la variété des couleurs, puis les biscuits (statuettes non émaillées) à partir de 1751, la font apprécier des souverains étrangers et des riches particuliers, qui visitent sa galerie d’exposition ou passent commande aux grands marchands-merciers parisiens. Elle devient la première manufacture de porcelaine d’Europe, et les cadeaux royaux - pièces de Sèvres offertes aux hôtes de marque de la France - en font un instrument diplomatique. À partir de 1768, Sèvres s’approvisionne en kaolin de Saint-Yrieix (Limousin), comme le font d’autres manufactures qui, protégées par des membres de la famille royale et installées à Paris, Orléans, Limoges ou Marseille, commencent, après 1780, à entamer son monopole. La perte de sa clientèle lors de la Révolution est catastrophique pour cette fabrique d’objets de luxe ; mais, en 1793, Catherine II de Russie la sauve de la faillite, en réglant le solde d’une commande d’un service de 755 pièces qu’elle avait passée en 1777. Manufacture impériale, royale ou nationale, Sèvres se modernise. Relogée dans des bâtiments édifiés (1862-1880) dans le parc de Saint-Cloud, elle se dote d’un musée de la porcelaine (1873) puis d’un laboratoire de recherche en céramique ouvert à l’industrie privée, et développe en 1890-1910 son réseau de commercialisation. Elle demeure une luxueuse vitrine du savoir-faire français,
avec une double vocation de conservatoire et, autour de l’atelier expérimental ouvert en 1982, de foyer de créativité. SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière), parti politique constitué lors du congrès d’unification des forces socialistes tenu à Paris, salle du Globe, du 23 au 25 avril 1905. • De l’unité à la scission. Les socialistes français étaient jusqu’alors divisés en formations rivales, malgré plusieurs tentatives d’unification. Sous la pression de l’Internationale et d’une base ouvrière désireuse d’unité, les diverses tendances se regroupent en un seul parti, ne laissant à l’écart que les plus modérés. À l’origine, la SFIO est une organisation peu bureaucratique, à la discipline assez lâche, et qui compte peu d’adhérents. Avant la Première Guerre mondiale, leur nombre passe cependant de 35 000 à plus de 90 000, et celui des députés de 50 à plus de 100 (ce qui, en 1914, représente environ 17 % des suffrages). Le parti dispose d’un organe officiel, le Socialiste, mais contrôle néanmoins, à partir de 1906, l’Humanité, demeurée le journal de Jaurès. Il est dirigé par une commission administrative permanente (CAP) et géré par un conseil national, qui tient des congrès annuels dans lesquels se décident les grandes orientations politiques. Ce type d’organisation restera à peu près stable jusqu’à la disparition de la SFIO, en 1969. downloadModeText.vue.download 872 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 861 La Première Guerre mondiale et la révolution bolchevique provoquent de graves dissensions au sein du jeune parti : une minorité pacifiste se dessine ; en décembre 1920, le congrès de Tours met fin à l’unité des socialistes, en raison de leur désaccord sur l’adhésion à la IIIe Internationale. Mais la minorité hostile à un ralliement à cet organisme de type bolchevique (le quart des congressistes) conserve la maîtrise de l’appareil de la SFIO (la « vieille maison », selon les termes de Léon Blum). • L’évolution vers un parti de gouvernement. Il faut alors reconstituer toute l’organisation. Les communistes ont repris l’Humanité, tandis que le Populaire devient le journal de la SFIO. En 1921, Paul Faure est
élu secrétaire général et Léon Blum se trouve placé à la tête du groupe parlementaire, resté majoritairement socialiste. Si, dans un premier temps, une majorité d’adhérents a rallié la Section française de l’Internationale communiste (SFIC) - le futur Parti communiste -, les socialistes bénéficient, dès les années 1923-1924, du retour de quelques militants importants. Les élections législatives de mai 1924, qui donnent une majorité au Cartel des gauches, confèrent à la SFIO une stature nouvelle, même si ses dirigeants refusent de participer au gouvernement. Dans l’entre-deux-guerres, le parti est divisé en tendances, qui incarnent des lignes politiques différentes. La « gauche » est représentée notamment par Bracke, Pivert et Zyromski, la « droite » par Renaudel. En 1933, les « néosocialistes » (Déat, Marquet, Montagnon), adeptes du « planisme », sont exclus. L’année suivante, la SFIO accepte de passer un pacte d’union avec le Parti communiste, qui vient de renoncer à sa ligne d’opposition absolue aux socialistes. Cette alliance lui permet d’accéder pour la première fois au pouvoir lors des élections législatives de mai-juin 1936. Léon Blum devient le premier président du Conseil du Front populaire. La SFIO, qui représente environ 20 % des voix et compte plus de 240 000 adhérents (1937), est désormais le principal parti de gauche, devant le Parti radical. Mais, divisée face à la guerre certains socialistes pacifistes verseront même dans la collaboration et 90 parlementaires socialistes voteront les pleins pouvoirs au maréchal Pétain -, elle se disloque. Léon Blum est emprisonné. Cependant, quelques militants tels que Daniel Mayer, présents dans la Résistance, recréent clandestinement le parti. À la Libération, Guy Mollet prend la tête d’une formation qui est redevenue un parti de gouvernement. Ses résultats électoraux oscillent entre 20 % et 25 %. La SFIO est représentée dans les cabinets tripartites (19461947) puis de « troisième force » jusqu’en 1951. Mais ces alliances incluant la droite l’affaiblissent dès cette période. • Le déclin. Il s’affirme dans les années 1950, principalement du fait de la politique coloniale de Guy Mollet. Ce dernier, président du Conseil en 1956 et 1957, et opposé à l’indépendance de l’Algérie, éloigne du parti une bonne fraction de l’opinion progressiste. L’aile gauche fait scission pour fonder le PSA (novembre 1958), puis le PSU (1960). Lors de l’élection présidentielle de 1965, la SFIO
ne parvient pas à présenter son propre candidat et doit accepter la candidature d’union de François Mitterrand. En 1969, Gaston Defferre, candidat socialiste à la présidence de la République, ne rassemble que 5 % de l’électorat (le parti a été presque tout à fait absent des événements de mai 1968). En juillet, la SFIO disparaît, se fondant dans le nouveau Parti socialiste né au congrès d’Issy-les-Moulineaux. Siam (ambassadeurs du), émissaires du roi Phra Naray qui règne sur le Siam de 1657 à 1688 et recherche une alliance européenne. Le 18 juin 1686 arrive à Brest l’ambassadeur Kosa Pan, qui est reçu par Louis XIV de manière particulièrement fastueuse. Ce voyage marque le point culminant d’échanges commencés en 1681 : une ambassade siamoise s’était alors perdue corps et biens ; trois ans plus tard, des envoyés de rang plus modeste, passés par l’Angleterre, avaient été, de ce fait, reçus avec suspicion ; en 1685, Louis XIV avait dépêché au Siam une ambassade, revenue avec Kosa Pan. Ces voyages cachent bien entendu des enjeux importants. Le Siam est alors la grande puissance de l’Asie du Sud-Est, et la tolérance qui y règne laisse d’illusoires espoirs de conversion au catholicisme. Le gouvernement siamois voit dans l’alliance française un moyen d’équilibrer l’influence hollandaise, et la Compagnie française des Indes orientales souhaite de son côté amplifier le succès remporté en 1680 avec l’obtention du monopole du commerce étranger. Les résultats sont à la mesure des illusions. Le prosélytisme des missionnaires, la pesante présence française (600 soldats) et des problèmes intérieurs provoquent en 1688 une révolution de palais dont les Français sont les principales victimes. C’est la fin de l’alliance avec le Siam, dont il reste en France de nombreux échos iconographiques, un éblouissement qu’exprime la fabrication des « siamoises », étoffes imitées des vêtements des ambassadeurs. Mais l’oubli finit par prévaloir, sauf à Brest, dont la rue principale, la rue de Siam, est demeurée suffisamment évocatrice pour inspirer notamment Pierre Mac Orlan. Sidoine Apollinaire, en latin Caius Sollius Modestus Sidonius Apollinaris, écrivain latin et évêque (Lyon, vers 431 - Clermont 488). Issu d’une très grande famille aristocratique gallo-romaine chrétienne, il est fils et petit-fils de préfets du prétoire des Gaules et gendre
de l’éphémère empereur Avitus (455/456). Entre 461 et 467, il se retire au bord du lac d’Aydat en Auvergne, sur son immense domaine d’Avitacum (peut-être 5 000 hectares), qui fait partie de la dot de son épouse Papianilla, fille d’Avitus. En 468, il devient préfet de la ville de Rome et reçoit le titre de comte. Devenu veuf, et alors qu’il n’est pas clerc, il est élu évêque de Clermont en 471. Il doit résister à l’attaque des Wisigoths d’Euric, qui envahissent l’Auvergne en 475 et s’emparent de la cité. Après quelques mois d’exil à Carcassonne, il reprend sa charge épiscopale. Il meurt en 488 et est inhumé dans l’église de Saint-Saturnin. Il nous a laissé de nombreux écrits, dans un latin parfait et un style recherché (parfois même compliqué) : 24 poèmes (carmina), des panégyriques impériaux (adressés à son beau-père, à Majorien et à Anthémius), qui lui permettent de montrer la force de sa rhétorique et d’exprimer sa réflexion politique, et 147 lettres datant de son épiscopat, réunies en neuf livres. Autant de témoignages exceptionnels sur les invasions barbares, les grands événements politiques du Ve siècle et sur le genre de vie aristocratique de l’époque. Sidoine Apollinaire incarne le passage du monde antique au Moyen Âge, illustrant parfaitement l’évolution du comportement et la capacité d’adaptation des élites gallo-romaines. En effet, il est, par les fonctions qu’il a occupées et par sa grande culture classique, un des derniers représentants de l’Empire romain en Gaule ; mais il est aussi, par le choix de l’épiscopat, le symbole de la nouvelle aristocratie du haut Moyen Âge, car les évêques deviennent alors les « nouveaux sénateurs ». Sieyès (Emmanuel Joseph, dit l’abbé), ecclésiastique et homme politique (Fréjus 1748 - Paris 1836). Fils d’un receveur des droits royaux, Sieyès naît dans un milieu aux revenus modestes et d’une grande piété. Il est formé dans un collège de jésuites puis, à Draguignan, dans un établissement de la congrégation de la Doctrine chrétienne. • Un prélat au siècle des Lumières. Obéissant aux voeux de ses parents, il se prépare à la prêtrise et entre au séminaire parisien de Saint-Sulpice (1765), où il manifeste un grand appétit de connaissances, en digne enfant des Lumières. Il est ordonné prêtre (1772), avant de devenir le secrétaire de monsieur de Luber-
sac (1775), évêque de Tréguier. Chanoine de ce chapitre (1778), il n’en affiche pas moins son indifférence au service de Dieu, semblable en cela à bien des prêtres d’alors. En 1780, il suit Lubersac à Chartres, y devient vicaire général puis grand vicaire, tout en fréquentant les salons parisiens, où sont appréciés ses talents de causeur et sa vaste culture. Mais son ascension sociale est ralentie par ses origines roturières - une situation qui inspire ses réflexions sociopolitiques. • Le chef de file des constituants. Coopté par le clergé pour siéger à l’Assemblée provinciale de l’Orléanais (1787), Sieyès y défend en réalité la cause du peuple, et conserve cette ligne de conduite en tant que représentant du tiers état de Paris aux états généraux de 1789. Il arrive dans la nouvelle assemblée précédé de la popularité que lui a valu la publication, en janvier 1789, de son essai intitulé Qu’est-ce que le tiers état ? : il y rappelle que cet ordre, qui est tout dans la nation, n’est officiellement rien dans l’ordre politique et aspire à y devenir quelque chose. Il revendique donc le vote par tête aux états généraux réunis à Versailles, qu’il contribue à transformer en Assemblée constituante, tandis que ses idées influencent les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Favorable à la souveraineté de la nation, il est opposé au droit downloadModeText.vue.download 873 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 862 de veto du roi mais soutient le principe du suffrage censitaire, garant des capacités du corps électoral, et celui du découpage de la France en départements. Il se montre méfiant à l’égard de l’insurrection urbaine et de la révolte des campagnes, ne concevant de révolution qu’accomplie au sein de l’Assemblée. Malgré son hostilité à la Constitution civile du clergé, il se tait, craignant d’être accusé de n’agir qu’au bénéfice de l’ordre dont il est issu. De plus en plus isolé, redoutant les excès de la Révolution, il se tient à l’écart après la dissolution de la Constituante. • Déclin et renaissance. Élu à la Convention, Sieyès siège au centre et vote la mort de Louis XVI. L’établissement de la dictature du Gouvernement révolutionnaire semble contraire à toutes ses attentes politiques : il ne s’est cependant jamais dressé contre Robespierre, et n’a pris aucune part aux événements de Thermidor. La nouvelle situation lui offre
pourtant l’occasion de revenir au-devant de la scène : le 20 avril 1795, il est élu président de la Convention, sans parvenir pour autant à imposer ses vues lors de la rédaction de la Constitution de l’an III. Après avoir approuvé les coups d’État successifs du Directoire en tant que membre du Conseil des Cinq-Cents, il prépare avec Bonaparte le coup d’État du 18 brumaire, appelant de ses voeux un homme fort à la tête du gouvernement. Devenu lui-même membre du Directoire (mai 1799), il remet les pouvoirs au général, qui le nomme ensuite consul provisoire. La nouvelle Constitution est en partie son oeuvre, notamment le suffrage restreint et le partage du pouvoir législatif entre deux Chambres. Sieyès ne joue plus ensuite aucun rôle politique, bien qu’il soit président du Sénat. Il est fait comte de l’Empire (1808) et pair de France (1815). Exilé en Belgique au début de la seconde Restauration, il rentre en France à la suite de la révolution de 1830. Considéré comme « l’une des clés de la révolution » (Jean-Denis Bredin), Sieyès incarne la victoire sur l’Ancien Régime tout en appartenant à cette bourgeoisie heureuse de confier à Napoléon le soin d’achever la Révolution. Sigebert III, roi d’Austrasie (633 ou 634/656). Fils aîné de Dagobert Ier, Sigebert est proclamé roi des Austrasiens à l’âge de 3 ans pour satisfaire le désir d’autonomie de l’aristocratie locale par rapport à la Neustrie. Son gouvernement est placé sous la tutelle des grandes familles de la région, représentées par le duc Adalgisel et par l’évêque de Cologne Cunibert, puis par Pépin de Landen, qui devient maire du palais en 639. La mort de ce dernier (640) ouvre cependant une crise politique opposant le parti des Pippinides, mené par Grimoald, fils de Pépin, à celui d’Otton, qui parvient à s’emparer de la mairie du palais. Ce n’est qu’à la suite de plusieurs révoltes, et notamment d’une expédition manquée contre le duc des Thuringiens Radulf, que Grimoald peut reprendre la charge de maire du palais ; il exerce par la suite une influence croissante sur le jeune roi. Tous deux participent à la fondation des monastères de Stavelot et Malmédy (646), sur la demande de Rémacle, successeur de saint Éloi comme abbé de Solignac, dans le Limousin, qui cherche à fonder une abbaye royale en Austrasie. Vers 646, Sigebert contracte un mariage, qui reste plusieurs années sans descendance ;
c’est la raison pour laquelle Grimoald parvient à faire adopter par le roi son propre fils, rebaptisé du nom mérovingien de Childebert - adoption qui donne à celui-ci droit au trône. Par la suite, le couple royal a un fils, prénommé Dagobert ; mais lorsque Sigebert tombe gravement malade au début de l’année 656, Grimoald confie le jeune Dagobert à l’évêque de Poitiers, qui l’expédie en Irlande. Sigebert meurt le 1er février 656 ; il est enterré dans l’abbaye Saint-Martin de Metz, qu’il avait lui-même fondée. Autour de sa tombe se développe un culte que réactive au XIe siècle la rédaction d’une Vie de saint Sigebert, par Sigebert de Gembloux. Mais, jusqu’au XVIe siècle, ce culte ne prospère qu’à Metz et à StavelotMalmédy, où l’ancien roi est vénéré comme saint fondateur. En revanche, lorsqu’en 1603 le duc de Lorraine Charles III fait transférer les reliques du saint de Metz à la primatiale (future cathédrale) de Nancy, Sigebert devient non seulement l’un des protecteurs de la ville, mais aussi un saint patron de la Lorraine. On l’invoquait à Nancy en cas de calamités publiques, lors de processions solennelles décrétées par les magistrats de la ville. Silhouette (Étienne de), éphémère contrôleur général des Finances en 1759 (Limoges 1709 - château de Bry-sur-Marne 1767). D’une famille originaire de Bayonne, il est le fils d’un receveur des tailles à Limoges fraîchement anobli, dont la fortune lui ouvre une carrière de magistrat administrateur : conseiller au parlement de Metz (1735), maître des requêtes (1745), chancelier-garde des Sceaux du duc d’Orléans (1746-1757), commissaire pour le règlement des limites de l’Acadie (1749), commissaire du roi auprès de la Compagnie des Indes (1751). Il voyage en Europe, apprécie l’Angleterre, traduit Alexander Pope et Bolingbroke dès 1729, et écrit sur la Chine. Protégé de la Pompadour et du maréchal de Belle-Isle, il devient contrôleur général des Finances le 4 mars 1759, et ministre d’État. De cet homme réputé original et éclairé, qui autorise la fabrication et l’importation des « indiennes » et crée au contrôle général une Bibliothèque des finances (juridique et administrative), on attend un financement miraculeux de la coûteuse guerre de Sept Ans. Mais, après avoir réalisé des économies et lancé un emprunt, il prévoit, par son édit de « subvention générale », une augmentation des droits des fermes, la taxation de dépenses somptuaires et la création d’un troisième impôt du vingtième qui, après ceux de 1749 et 1756,
inquiète les privilégiés. L’édit est difficilement enregistré par le parlement de Paris en septembre, cependant que, orchestrée par une campagne de libelles, l’impopularité croissante de Silhouette menace le crédit public : il démissionne le 21 novembre. Bertin, qui lui succède, abandonne la subvention générale au profit de... mesures similaires. Retiré dans son château de Bry, le ministre déchu se serait amusé à dessiner des profils obtenus par ombres chinoises : ainsi s’expliquerait l’origine du nom commun « silhouette ». Simon (Jules François Suisse, dit Jules), philosophe et homme politique républicain libéral (Lorient 1814 - Paris 1896). Normalien (1833) et agrégé de philosophie (1836), il devient suppléant de Victor Cousin à la Sorbonne en 1839. Député des Côtes-du-Nord à l’Assemblée constituante de 1848, il siège parmi les modérés, mais n’est pas réélu aux législatives d’avril 1849. Son cours à la Sorbonne est suspendu le 16 décembre 1851 parce qu’il a dénoncé en chaire le coup d’État du 2 décembre. Sous le second Empire, il publie une série d’ouvrages (le Devoir, 1854 ; la Religion naturelle, 1856 ; la Liberté, 1859, etc.) dans lesquels il définit son libéralisme républicain : rejetant aussi bien l’absolutisme traditionnel que l’absolutisme révolutionnaire, il associe loi morale - tirée de sa foi en Dieu –, affirmation de la liberté de l’individu, et éloge de la famille et de la propriété. Défenseur de l’idée d’association, il milite en faveur du mouvement coopératif et devient même membre de l’Association internationale des travailleurs (AIT), en 1865, ce qu’il refusera de reconnaître après la Commune. Élu dans la Seine aux législatives de 1863, réélu dans la Seine et dans la Gironde en 1869, il est un opposant résolu à l’Empire et critique sévèrement la déclaration de guerre contre la Prusse. En tant qu’élu de Paris, il devient membre du gouvernement de la Défense nationale au soir de la révolution du 4 septembre. Il a alors en charge l’Instruction publique. Avec ses collègues du Gouvernement provisoire restés à Paris, il s’oppose fermement à la Délégation de Bordeaux, dominée par Gambetta. En effet, ce dernier refuse la capitulation, mais est finalement contraint de démissionner. Représentant de la Marne à l’Assemblée législative élue en février 1871, Jules Simon conserve son poste de ministre de l’Instruction publique dans le nouveau gouvernement dirigé par Thiers, mais ne réussit pas à faire
admettre l’enseignement obligatoire par la majorité conservatrice de l’Assemblée, et démissionne le 18 mai 1873. Il reste un homme influent, président du groupe parlementaire de la Gauche républicaine, et défend, dans ses Souvenirs du 4 septembre (1874), l’action qu’il a menée au sein du gouvernement de la Défense nationale. Devenu sénateur inamovible en 1875 année où il est élu à l’Académie française -, Jules Simon se veut à la fois républicain et conservateur. En décembre 1876, il est appelé par le président Mac-Mahon à former le nouveau ministère, mais est rapidement contraint à la démission par ce dernier, qui lui reproche de ne pas contrôler suffisamment la Chambre des députés, où les républicains sont désormais majoritaires : ainsi s’ouvre la crise dite « du 16 mai 1877 ». Écarté du pouvoir exécutif, Jules Simon retrouve son siège au Sénat, où il lutte, à partir de 1879, contre le projet de Jules Ferry d’exclure de l’enseignement supérieur les congrégations non autorisées, combat le projet d’amnistie des communards défendu par Victor Hugo, s’oppose à la loi qui légalise le divorce en 1884. Sa fidélité à downloadModeText.vue.download 874 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 863 la République libérale le conduit à dénoncer le boulangisme (Souviens-toi du 2 Décembre, 1889). SMIC (salaire minimum interprofessionnel de croissance), rémunération minimale des salariés travaillant dans un secteur de droit privé. En janvier 1970, le SMIC remplace le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG), créé par la loi du 11 février 1950. Considéré comme un minimum vital, le SMIG avait été maintenu bas pour éviter une spirale inflationniste, et avait augmenté moins vite que le salaire horaire ouvrier moyen, avant d’être revalorisé lors des accords de Grenelle en 1968, et d’être transformé en SMIC en 1970, à l’instigation du président Pompidou. Ce nouveau salaire minimum s’applique à toutes les branches d’activité, à l’exception des administrations et des entreprises publiques, dont le personnel bénéficie d’un statut particulier. L’évolution des plus bas salaires est dorénavant conditionnée à la fois par l’indice des prix calculé par l’INSEE et par l’évolution du pou-
voir d’achat du salaire moyen ouvrier : fixé par le gouvernement chaque année, avec effet au 1er juillet, il est revalorisé automatiquement en cours d’année chaque fois que l’indice des prix à la consommation enregistre une hausse d’au moins 2 %. Le SMIC constitue un instrument de politique économique et sociale car son évolution détermine la progression de l’ensemble des bas salaires et contribue à limiter les disparités au bas de l’échelle des rémunérations. Défendu par les économistes keynésiens - car il est censé soutenir la consommation (la demande) -, il est mis en cause régulièrement par les économistes libéraux et par l’OCDE, pour lesquels il serait une entrave à la liberté des salaires et à la flexibilité du travail, voire un obstacle à la compétitivité des entreprises confrontées à la concurrence internationale. Au 1er janvier 2004, environ 3 millions de personnes sont payées au SMIC. La proportion de « smicards » est beaucoup plus forte dans les petites entreprises que dans les grandes (treize fois plus dans les établissements de 1 à 9 salariés que dans ceux de 500 salariés et plus), et elle est particulièrement élevée dans le secteur de l’hôtellerie-restauration (40 % des salariés de cette branche) ; de même les femmes (16,5 %, contre 7,5 % des hommes) et, plus encore, les jeunes de moins de 26 ans (33,5 %) sont surreprésentés parmi les salariés rémunérés au SMIC. socialisme. Le socialisme français prend place dans le mouvement d’ensemble né au XIXe siècle qui a dénoncé le capitalisme et voulu assurer une répartition plus égale des richesses. Les premières idées socialistes proprement dites apparaissent dans les années 1830. Les théoriciens du socialisme utopique - SaintSimon, Fourier, Leroux, Proudhon... - définissent des projets, forts différents, d’organisation de l’économie et de la société, qui, tous, s’opposent au libéralisme. Mais les luttes sociales et les luttes politiques se mêlent pendant plusieurs décennies. Il faut attendre la fin des années 1870 pour que prennent corps les premiers partis socialistes, et les années 1890 pour que ceux-ci remportent leurs premiers succès électoraux. La force de l’idée républicaine, qui impose alors les principaux clivages entre la gauche et la droite, et la faiblesse relative de la classe ouvrière, dans une France majoritairement rurale où l’industrialisation est lente, expliquent la double impossibilité dans laquelle s’est trouvé le socialisme naissant : rompre nettement avec les républicains
pour promouvoir un intérêt social propre, ou s’identifier pleinement à la République. Ses caractères originaux en découlent : division en courants idéologiques distincts ; influence doctrinale, notamment le marxisme, jusque dans les années 1970, comme point discriminant ; insuffisance organisationnelle ; faible liaison avec le syndicalisme ; importance de l’implantation municipale et des élus ; rôle clé des dirigeants, qui ont dû toujours chercher une « synthèse ». Ces traits visibles à la fin du XIXe siècle perdurent, pour la plupart, jusqu’à aujourd’hui. • Réforme ou révolution ? La participation du socialiste indépendant Alexandre Millerand dans le gouvernement de « défense républicaine » de Waldeck-Rousseau (18991901) fait éclater le premier regroupement des partis socialistes en 1901. Deux orientations s’opposent alors : celle du Parti socialiste de France, autour de Jules Guesde mais aussi d’Édouard Vaillant, héritier du blanquisme, qui se veut révolutionnaire, fidèle au marxisme, et condamne le « ministérialisme » ; celle du Parti socialiste français, autour de Jean Jaurès, qui soutient le Bloc des gauches et entend unir les valeurs de la République et du socialisme. Le compromis, imposé par l’Internationale socialiste, qui permet l’unité de 1905, amène la nouvelle Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) à adopter une déclaration de principe marxiste qui privilégie la lutte des classes et qui se donne pour finalité la socialisation des moyens de production et d’échange. Les controverses demeurent vives sur la question du pouvoir, sur la place des réformes, sur le rôle du syndicalisme, sur les moyens de lutter contre les menaces de guerre. Jean Jaurès, cependant, impose peu à peu son ascendant et prône une synthèse entre les idées de réforme et de révolution, entre le patriotisme et l’internationalisme. Ce socialisme s’avère plus adapté que celui des marxistes intransigeants à un électorat composite où se côtoient ouvriers, paysans, fonctionnaires et intellectuels. À la veillle de la Première Guerre mondiale, le socialisme devient une force notable. Un rapprochement s’esquisse avec la CGT, la centrale syndicaliste révolutionnaire, dans la lutte contre la loi des trois ans (service militaire). La guerre entraîne des bouleversements importants pour le socialisme. Elle montre la faiblesse de l’internationalisme. Après l’assassinat de Jaurès, le 31 août 1914, la grande majorité des socialistes se rallie à l’« union sacrée » ; trois socialistes - dont Jules Guesde participent aux premiers gouvernements de
guerre. Néanmoins, une opposition pacifiste relève peu à peu la tête. La révolution russe de 1917 va changer le rapport des forces. La SFIO quitte le gouvernement en septembre 1917. En 1919, les socialistes se trouvent devant le choix d’adhérer ou non à la IIIe Internationale, créée par Lénine. Au congrès de Tours (décembre 1920), les partisans de l’adhésion sont majoritaires. La question fondamentale qui sépare les nouveaux communistes et les socialistes (Léon Blum comptant parmi ces derniers) est celle du rôle de la démocratie dans le socialisme : est-elle une fin inséparable du socialisme ou un moyen qui peut être sacrifié au nom de la révolution ? Le choix est essentiel mais il n’a pas, sur le moment, la clarté que lui confère le temps. Les socialistes, en effet, ne veulent pas abandonner l’idée de révolution pour ne pas perdre leur légitimité de parti ouvrier. Les courants qui composent la SFIO dans l’entre-deux-guerres se déterminent d’abord par rapport à cet enjeu : une gauche marxiste, la « Bataille socialiste », qui cherche l’unité avec les communistes, s’individualise derrière Jean Zyromski ; un centre guesdiste, autour du secrétaire général Paul Faure, rejette le principe de la participation gouvernementale pour conserver l’identité socialiste ; une droite composite est tentée par l’accord avec les radicaux. Léon Blum, qui s’impose à la Chambre des députés comme la principale figure du groupe socialiste et dirige le journal le Populaire, tente d’ordonner le débat en proposant une distinction entre la « conquête du pouvoir » - quand les conditions sont réunies pour changer le régime de propriété - et l’« exercice du pouvoir » - qui permet des réformes mais non une transformation de la société. Le « soutien sans participation » des socialistes aux gouvernements radicaux du Cartel des gauches (1924-1925) ne satisfait ni la droite ni la gauche socialistes. La querelle de la participation finit par provoquer une crise. Les « néosocialistes », derrière Marcel Déat, remettent en cause la dualité « programme maximum » et « programme minimum », et proposent des réformes de structure par l’État national. En 1933, les « néos » quittent la SFIO pour fonder un parti qui ne put se développer. La crise des années 1930 change les données. La menace fasciste ouvre la voie à un mouvement populaire d’ampleur. Le changement d’orientation de l’Internationale communiste permet un rapprochement entre socialistes et communistes. Le Front populaire
est la première expérience d’exercice réel du pouvoir pour le socialisme, contribuant, par les réformes qu’il met en place, à la transformation durable de la société française. Mais les difficultés économiques entraînent des déceptions. Surtout, le danger de guerre montre les limites de l’antifascisme, et le pacifisme suscite de graves dissensions au sein de la SFIO. En 1936, Léon Blum déçoit de nombreux socialistes en optant pour la non-intervention en Espagne afin de ne pas s’aliéner l’alliance britannique, indispensable en cas de guerre. Après les accords de Munich (1938), l’opposition entre Léon Blum, qui défend l’effort de guerre contre les dictatures et accepte l’alliance avec l’URSS, et Paul Faure, qui refuse toute guerre par principe et nourrit une grande méfiance à l’égard du communisme, paralyse la SFIO. Ce conflit traverse tous les courants du parti. Seule une minorité de parlementaires, groupés autour de Léon Blum, downloadModeText.vue.download 875 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 864 refuse les pleins pouvoirs au maréchal Pétain en juillet 1940. La SFIO, devenue clandestine, se reconstruit dans la Résistance, notamment sous l’impulsion de Daniel Mayer. • Une troisième force ? Espoirs et désillusions marquent les années de l’immédiat après-guerre pour les socialistes. Leurs idées influencent les réformes de la Libération. Ils jouent un rôle majeur dans les gouvernements du général de Gaulle (1944-1946) et du tripartisme (1946-1947). Mais les socialistes se trouvent aussi confrontés à la concurrence, à gauche, d’un Parti communiste qui est alors au sommet de son influence électorale et, au centre, d’un nouveau parti, le Mouvement républicain populaire (MRP). Les médiocres résultats électoraux des socialistes précipitent une crise identitaire. À Léon Blum et Daniel Mayer, qui veulent ouvrir le parti et donner clairement une définition humaniste du socialisme et faire de la SFIO un parti de gouvernement qui s’accepte comme tel, une majorité composite, animée par Guy Mollet, oppose l’identité traditionnelle du parti, défend le principe de la lutte des classes et l’unité d’action avec le Parti communiste. Le congrès d’août 1946 voit la victoire de Guy Mollet. Mais la rupture du tripartisme en mai 1947, le contexte international de guerre
froide et la montée en puissance du Rassemblement du peuple français (RPF) conduisent la SFIO à entrer dans des coalitions dites « de troisième force » (1947-1951). Elle vit un malaise permanent, prise entre une doctrine inchangée et les contraintes de politiques qui lui ôtent toute initiative réelle. Elle connaît un déclin électoral et militant. En 1954, le radical Pierre Mendès France, plus que le socialiste Guy Mollet, paraît incarner le renouveau de la gauche non communiste. La guerre d’Algérie accuse encore les divisions de la gauche. Privilégiant le contexte de la guerre froide dans sa perception du nationalisme algérien, une majorité de socialistes derrière Guy Mollet, chef du gouvernement du Front républicain en 1956 et 1957, acceptent les contraintes de ce qui devient la guerre d’Algérie. Une minorité met en accusation la politique menée en Algérie et dénonce l’usage de la torture. Mais c’est l’attitude conciliante de Guy Mollet à l’égard du retour au pouvoir du général de Gaulle après la crise de mai 1958 qui entraîne une scission à l’automne, avec le départ d’une minorité qui fonde le Parti socialiste autonome (PSA). Les premières années de la Ve République sont difficiles pour les socialistes. La SFIO quitte le gouvernement en décembre 1959. Affaiblie, elle doit faire face à la concurrence du Parti socialiste unifié (PSU), créé en 1960, qui regroupe le PSA, des mouvements de chrétiens de gauche, des communistes dissidents et des clubs politiques. Après la fin de la guerre d’Algérie et jusqu’en 1971, deux débats majeurs dominent au sein de la gauche non communiste : comment tenir compte des institutions nouvelles, tout particulièrement de l’élection du président de la République au suffrage universel ; comment rassembler les électorats de la gauche ? François Mitterrand, contre Mendès France, Guy Mollet et Gaston Defferre, impose sa stratégie d’union de la gauche avec le Parti communiste en mettant à profit le coup d’éclat que représente sa « glorieuse défaite » devant le général de Gaulle lors de l’élection présidentielle de 1965. Cependant, la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS), qu’il constitue la même année, n’est qu’un cartel électoral regroupant la SFIO, le Parti radical et la Convention des institutions républicaines (CIR). Mai 1968 paraît tout remettre en cause. Les socialistes sont à nouveau divisés. • Le socialisme français et le pouvoir. L’échec de Gaston Defferre à l’élection présidentielle de 1969 impose une rénovation.
La constitution du Parti socialiste (PS) au Congrès d’Épinay (1971) en est l’étape décisive. Car les socialistes ont désormais un dirigeant reconnu - François Mitterrand -, une stratégie - l’union de la gauche -, et un programme qui entend définir « une rupture avec le capitalisme » en alliant un ensemble de nationalisations, une volonté de planification, une espérance autogestionnaire. La conclusion d’un programme commun de gouvernement avec le Parti communiste puis avec les Radicaux de gauche marque les années 1970. Cependant, l’union profite surtout aux socialistes. Des militants d’une génération nouvelle adhèrent au PS. Les Assises du socialisme, qui se tiennent à l’automne 1974, voient l’entrée d’une partie des militants du PSU, groupés autour de Michel Rocard. Les succès électoraux socialistes inquiètent le Parti communiste, qui n’est plus le premier parti de la gauche. La renégociation du programme commun en 1977 entraîne la rupture de l’union. Le PS, qui juxtapose des courants différents, connaît de grandes controverses. Ainsi, le CERES de Jean-Pierre Chevènement défend, sur les rapports avec le Parti communiste, une ligne strictement unitaire, et se montre réservé sur la construction européenne. Exclu de la majorité en 1975 par François Mitterrand, qui entend ne pas compromettre la construction européenne, il y revient pourtant en 1979. Car le défi que lance Michel Rocard en 1978 est de plus grande ampleur puisqu’il remet en cause la notion de « rupture avec le capitalisme », en opposant deux « cultures » au sein de la gauche, l’une principalement étatiste, l’autre plutôt décentralisatrice, privilégiant les réformes de société. Ce conflit idéologique s’inscrit aussi dans une rivalité de pouvoir en vue de l’élection présidentielle de 1981. Avec l’appui du CERES, François Mitterrand demeure majoritaire. Le « projet socialiste » de 1980 et les « 110 propositions » de la campagne présidentielle de 1981 reprennent pour l’essentiel le programme traditionnel du socialisme en reposant sur le triptyque « nationalisation, planification, autogestion ». Malgré la division de la gauche, les effets de la crise économique et l’affaiblissement de la droite permettent à François Mitterrand de remporter l’élection présidentielle du printemps 1981, et les législatives de juin donnent pour la première fois une majorité absolue aux socialistes à l’Assemblée. Pierre Mauroy forme un gouvernement auquel participent quatre ministres communistes, tandis que Lionel Jospin devient Premier secrétaire du PS. Dans un premier temps, des mesures importantes sont adoptées (abolition de la peine
de mort, augmentation du SMIC, retraite à 60 ans, nationalisations, décentralisation, etc.). Mais la persistance de la crise économique, les politiques d’orthodoxie monétaire et financière menées par la plupart des pays occidentaux, conduisent le gouvernement de Pierre Mauroy à opter, dès 1982 et surtout en 1983, pour une politique de « rigueur économique ». Cette décision découle principa lement du choix européen fait par François Mitterrand, alors que le courant de Jean-Pierre Chevènement défend la possibilité d’une « autre politique ». Les efforts positifs pour juguler l’inflation et limiter les déficits font peu à peu sentir leurs effets, mais le chômage augmente. Le Parti socialiste enregistre un recul aux élections municipales de 1983 et aux européennes de 1984. Cette même année, la résurgence de la question scolaire contribue à affaiblir les socialistes. Les communistes critiquent de plus en plus nettement la politique du gouvernement auquel ils participent. En juillet 1984, Laurent Fabius remplace Pierre Mauroy et forme un gouvernement sans les communistes. Il définit une politique qui veut allier la modernisation et la solidarité. Le congrès de Toulouse (1985) marque une évolution idéologique importante, que traduit la progression du courant rocardien. Sans le dire explicitement, le socialisme français accepte la logique de la social-démocratie européenne et l’économie de marché. Les socialistes perdent les élections législatives de 1986, tout en limitant leur érosion ; François Mitterrand nomme Jacques Chirac à la tête d’un gouvernement de « cohabitation ». En 1988, François Mitterrand est réélu avec 54 % des voix. Le candidat socialiste a fait campagne sur le thème de la « France unie ». Il nomme Michel Rocard Premier ministre. Les élections législatives de 1988 donnent une majorité relative au PS. Le gouvernement intègre des personnalités venues du centre. Mais le PS, seul grand parti à soutenir le gouvernement, connaît une crise interne. Le congrès de Rennes (1990) voit s’opposer durement les différents courants. Entre 1988 et 1992, les gouvernements de Michel Rocard et d’Édith Cresson donnent la priorité, à l’extérieur, à la construction européenne et au maintien d’une monnaie forte ; à l’intérieur, à des réformes portant notamment sur l’établissement d’un revenu minimum d’insertion (RMI), sur l’éducation et la politique de la ville. En 1992, Laurent Fabius remplace Pierre Mauroy à la tête du PS. À partir de 1991, le problème
persistant du chômage, la multiplication des « affaires », touchant notamment au financement du PS, l’affirmation de la concurrence écologiste et d’un populisme d’extrême droite, la défiance à l’égard de l’Europe dans une part importante de l’opinion (une courte majorité des électeurs se prononce pour le « oui » au référendum sur le traité de Maastricht), entraînent un déclin électoral prononcé. Le gouvernement de Pierre Bérégovoy, de mars 1992 à mars 1993, ne peut redresser cette situation. Le PS est sévèrement défait aux élections législatives de 1993. Les socialistes connaissent alors une grave crise interne. Michel Rocard succède à Laurent Fabius à la direction du parti. Mais ses downloadModeText.vue.download 876 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 865 efforts de redressement sont ruinés par le médiocre résultat aux élections européennes de 1994. Il est remplacé par Henri Emmanuelli, qui entend redonner une « ligne de gauche » au PS. Le déclin est arrêté mai 1995 : Lionel Jospin, désigné candidat par les militants au cours d’une « primaire » interne, obtient 47,3 % des suffrages au second tour de l’élection présidentielle. Le Parti socialiste - malgré la scission conduite par Jean-Pierre Chevènement - demeure le premier parti de la gauche. Lionel Jospin, devenu Premier ministre en juin 1997 à la suite d’élections législatives anticipées gagnées par la « gauche plurielle » qui rassemble socialistes, communistes et écologistes, conduit une politique qui entend retrouver une cohérence programmatique et renouer le dialogue avec les partis et les mouvements de gauche. Il tente de placer le socialisme français sous le signe du « réalisme de gauche ». Toutefois, désavoué par une partie des électeurs à la gauche du PS lors des élections présidentielles et législatives de 2002, le PS retourne dans l’opposition et se trouve confronté à nouveau au même problème entre ancrage à gauche et contraintes économiques, tandis que de nouvelles tensions se font jour lors du référendum sur le projet de constitution européenne en mai 2005, où une partie des socialistes, menée par Laurent Fabius se prononce pour le « non », contre l’avis de la direction du PS. Société générale, banque créée en 1864
à l’initiative de Paulin Talabot (1799-1885). Talabot est, à l’origine, un industriel influencé par le saint-simonisme qui, pour assurer le développement de ses mines, forges et aciéries, recourt aux méthodes de production les plus modernes (procédé Bessemer, pour l’acier) et investit massivement dans le chemin de fer. Afin notamment de financer ces compagnies ferroviaires, il crée une banque sur le modèle de la Société générale de Belgique, s’entourant d’hommes d’affaires anglais et néerlandais et obtenant la participation de plusieurs autres administrateurs de la société de chemin de fer PLM. Dès 1874, la Société générale possède 50 agences à Paris et engage sur l’ensemble du territoire une véritable « course au guichet » avec sa concurrente provinciale, le Crédit lyonnais, qui trouve elle-même rapidement une assise nationale. En 1931, la « Générale » possède 1 514 sièges permanents et périodiques. À la Libération, elle est l’une des « quatre vieilles » à être nationalisée, avec le Crédit lyonnais, le CNEP, la BNCI. Avant d’être privatisée en 1987, en même temps que Paribas, Suez et le Crédit Commercial de France. Soissons (congrès de), conférence diplomatique réunie à Soissons en 1728 visant à faire cesser l’état de guerre larvée entre les puissances européennes. Les années 1720 sont marquées par diverses initiatives visant à assurer la stabilité de l’Europe après le bouleversement engendré par la guerre de la Succession d’Espagne (17011714). Un premier congrès général des puissances se tient à Cambrai (1724) pour tenter de régler les problèmes entre la maison de Bourbon et la maison de Habsbourg, mais c’est un échec retentissant. En 1725, l’Europe apparaît comme coupée en deux : d’un côté, l’Espagne s’est rapprochée de l’Autriche - ellemême alliée à la Russie -, de l’autre, l’axe franco-britannique, dont les maîtres d’oeuvre sont le cardinal Fleury, ministre de Louis XV, et le Premier ministre anglais Walpole, tente d’éviter une guerre générale. De 1725 à 1727, les deux blocs sont en état de guerre larvée. La diplomatie de Fleury réussit néanmoins à organiser un congrès : les plénipotentiaires français, espagnols et impériaux se réunissent à Soissons, le 14 juin 1728. Les séances de négociations sont censées aborder le problème de Gibraltar et de Mahón (port des Baléares) sites occupés par les Anglais et réclamés par l’Espagne - ainsi que celui de l’établissement en Italie de l’infant don Carlos. Par ailleurs,
des problèmes secondaires, tel celui des privilèges des Compagnies commerciales, doivent être évoqués. Le congrès, qui n’aboutit à aucun résultat tangible, passe tout au long du XVIIIe siècle, auprès des philosophes des Lumières, pour l’archétype de la réunion diplomatique inutile et bavarde. Soissons (vase de), vase appartenant à un butin remporté par l’armée franque après la bataille livrée à Soissons contre les troupes de Syagrius, en 486. Au moment du partage du butin, pour se concilier l’Église, Clovis décida qu’un vase sacré serait restitué à l’évêque de la ville, enfreignant ainsi la coutume germanique selon laquelle tout le butin doit être distribué également et par tirage au sort. L’un de ses guerriers s’y opposa et brisa l’objet d’un coup de hache. Autant que d’une insolence, il s’agissait de l’application d’une méthode traditionnelle de répartition : en effet, les objets d’orfèvrerie n’étaient appréciés que pour leur contenu en métal précieux et étaient donc fréquemment brisés afin de permettre le partage. Le guerrier franc était donc dans son droit ; cependant, son attitude remettait en cause l’autorité absolue que le souverain franc prétendait exercer sur son peuple, à la mode romaine. En outre, la question des objets liturgiques risquait de compromettre la politique de bons rapports que, dès avant son baptême, Clovis avait instituée avec l’épiscopat gallo-romain. En conséquence, le roi tira vengeance de cet acte : l’année suivante, lors de la revue des armes tenue avant le départ en campagne, Clovis trouva un défaut à la tenue de son soldat, qu’il exécuta lui-même sur-le-champ en disant : « C’est ainsi que tu as fait à Soissons avec le vase. » L’anecdote, abondamment reprise dans les manuels d’histoire, illustre non pas la barbarie de Clovis, mais le changement de nature de son pouvoir : il est désormais un roi protecteur de l’Église, et non un chef de bande aux prérogatives bornées par les exigences de ses guerriers. Soldat inconnu (le), soldat français non identifié dont les restes ont été inhumés sous l’Arc de triomphe le 11 novembre 1920. Cette invention commémorative de la Grande Guerre s’inscrit dans un cadre international puisque des funérailles nationales sont célébrées dans plusieurs pays pour les centaines de milliers de morts impossibles à identifier en raison des carnages auxquels donnèrent lieu les combats entre 1914 et 1918. En
France, le choix du Soldat inconnu parmi les morts de Verdun - lieu désormais mythique -, et la date de son transfert à Paris vont de soi. Mais une forte hostilité conduit à dédoubler cette cérémonie, qui marque aussi le cinquantenaire de la République : au Panthéon, le coeur de Gambetta, grand homme « ordinaire » ; à l’Arc de triomphe, le « coeur de la France », le Soldat inconnu. Si la République victorieuse s’autocélèbre deux fois avec panache, la ferveur des centaines de milliers d’anonymes montre que la nation tout entière adopte le soldat inconnu : « C’est une poignée de terre sanglante qu’un nouveau miracle ressuscite en lui donnant la figure et l’âme de la France », écrit le journal le Temps. Durant des années, les provinciaux et les étrangers qui visitent Paris ne manquent pas de se rendre sur la tombe de l’Arc de triomphe. Au-delà des cérémonies officielles et des défilés militaires, le Soldat inconnu a bien synthétisé les valeurs de sacrifice liées à la guerre. Et par un retournement typique des années 1920 et 1930, la tombe est devenue aussi l’un des hauts lieux symboliques du pacifisme. Soleil (compagnies du), bandes armées royalistes qui pourchassaient les anciens révolutionnaires en Provence, sous la Convention thermidorienne et le Directoire. L’un des principaux foyers de la Terreur blanche, la Provence, est au printemps 1795 le théâtre de sanglantes représailles, facilitées par les représentants en mission et par les autorités locales, qui épurent les structures révolutionnaires, dont les Gardes nationales, bientôt dominées par les royalistes - à l’instar des Compagnies de Jéhu, qui sévissent dans le Lyonnais. Secondées par des muscadins, des émigrés revenus en France, mais aussi par des bourgeois, notables et artisans, ces bandes perpètrent nombre d’assassinats isolés, voire de supplices, et de massacres de prisonniers, anciens « terroristes » et jacobins ; elles sévissent notamment à Aix, à Tarascon et à Marseille (100 morts au Fort Saint-Jean, le 5 juin 1795). Ce phénomène de revanche collective, qui apparaît d’abord dans les villes en l’an III (1795), étant particulièrement vif dans les anciens foyers du fédéralisme (Bouchesdu-Rhône, Var, Avignon...), touche les campagnes en l’an IV et en l’an V (1796-1797), avant de tourner au brigandage. Cependant, ces tueries reflètent aussi la longue guerre que se livrent les clans opposés, entre 1790 et 1814, dans cette région aux structures sociales inégalitaires. Solferino (bataille de), victoire remportée
par les Franco-Sardes sur les Autrichiens, le 24 juin 1859, près du lac de Garde. Appelées par les Français « guerre d’Italie » et par leurs alliés italiens « deuxième guerre d’indépendance », les opérations militaires de mai-juin 1859 se déroulent en Lombardie et en Vénétie. Après l’entrée des troupes autrichiennes en Piémont le 27 avril 1859, Napoléon III prend la tête des armées alliées, remdownloadModeText.vue.download 877 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 866 portant les victoires de Montebello (20 mai), Palestro (31 mai) et Magenta (4 juin). Les Autrichiens, commandés par l’empereur François-Joseph en personne, sont massés près de Vérone. Le 24 juin, malgré leur infériorité numérique (140 000 hommes, contre plus de 160 000), les Franco-Sardes brisent les défenses autrichiennes du mont Fenile avant d’atteindre la bourgade de Solferino, où l’affrontement a lieu. La bataille s’achève dans une extrême confusion - à cause des intempéries - par la retraite des Autrichiens au-delà du Mincio et par l’installation symbolique de Napoléon III dans la maison occupée le matin même par François-Joseph. Frappant l’opinion par son caractère sanglant et désordonné, la bataille de Solferino met les Franco-Sardes aux portes de la Vénétie et leur assure le contrôle de la Lombardie. Malgré la victoire, le nombre des victimes (16 000 tués chez les alliés, 22 000 côté autrichien) et la cruauté des combats - spectacle terrible qui inspire au Suisse Henri Dunant l’idée de fonder la Croix-Rouge - rendent de plus en plus impopulaire en France la campagne d’Italie et expliquent le brusque retrait français de juillet 1859, qui se traduit par l’armistice de Villafranca. solutréen, civilisation appartenant au paléolithique supérieur, entre 20 000 et 15 000 ans avant notre ère environ, caractérisée par la production de très fins outils de silex en forme de « feuilles de saule » ou « en feuilles de laurier ». Le solutréen - qui doit son nom au site de Solutré-Pouilly, en Saône-et-Loire - peut être considéré comme une évolution régionale particulière du gravettien, limitée à l’Espagne et à la France. D’un point de vue technique, il se caractérise par un mode spécifique de
façonnage des outils, utilisant une « retouche » très plate qui permet la réalisation de pointes très minces et très régulières, dont certaines, comme celles trouvées au lieu-dit Volgu, à Rigny-sur-Arroux (Saône-et-Loire), peuvent atteindre 35 centimètres de longueur et comptent parmi les plus belles réussites jamais obtenues par la technique de la taille du silex. D’autres matières premières sont également employées, à des fins esthétiques, comme le jaspe ou le cristal de roche. Plus que celui de Solutré, le site de Laugerie-Haute, aux Eyzies (Dordogne), a permis de décrire l’évolution interne du solutréen, divisé en trois périodes principales, marquée chacune par un développement de la technique de la taille mais aussi par une extension géographique de cette culture, circonscrite dans ses phases anciennes au Périgord et à la basse vallée du Rhône. C’est dans la période récente qu’apparaissent les premières aiguilles à chas connues au monde, innovation déterminante pour la fabrication des vêtements. C’est aussi au solutréen que l’art rupestre prend son essor, pour s’épanouir au magdalénien. La plupart des gravures et peintures des grottes de l’Ardèche sont à dater de cette époque, dont nous sont également parvenus des bas-reliefs (roc de Sers, dans les Charentes). Solutré-Pouilly, célèbre site du paléolithique supérieur, éponyme de la civilisation du solutréen. Le site du Cros-du-Charnier, à Solutré-Pouilly (Saône-et-Loire), se trouve à une dizaine de kilomètres à l’ouest de Mâcon, au pied de la fameuse roche de Solutré, éperon calcaire d’âge jurassique dominant la vallée de la Saône. Entre 30 000 et 10 000 ans avant notre ère, environ, une série de campements préhistoriques s’y sont succédé, régulièrement recouverts par les éboulis provenant de la roche. Les plus anciens remontent à l’extrême fin du paléolithique moyen (moustérien) et au début du paléolithique supérieur (aurignacien). C’est de l’époque suivante, le gravettien (25 000-20 000 ans avant notre ère), que date la célèbre couche d’ossements de chevaux mise au jour : elle peut atteindre, par endroits, un mètre d’épaisseur et couvre près d’un hectare. Elle est à l’origine du nom du lieu-dit et a inspiré de nombreuses gravures fantaisistes, sur lesquelles sont représentés des hommes préhistoriques acculant les troupeaux de chevaux au bord de la falaise et les forçant à se précipiter dans le vide. Les fouilles ont révélé une réalité plus banale : les chevaux étaient
abattus au pied de la Roche, puis dépecés, et leur viande était séchée dans de nombreux foyers. Le site de Solutré était donc spécialisé dans la chasse aux chevaux, en un point sans doute favorable de leurs parcours. Après le gravettien, de nouvelles occupations sont attestées au solutréen proprement dit - la dénomination fut choisie par l’archéologue Gabriel de Mortillet en 1869 -, puis enfin au magdalénien. Plusieurs oeuvres d’art, gravures sur schiste ou os et statuettes en pierre représentant mammouth et cervidés, ont été découvertes dans les niveaux correspondant à ces périodes. Somalis (Côte française des) ! Djibouti Somme (bataille de la), bataille particulièrement meurtrière qui s’engage en juillet 1916 entre les troupes alliées et les troupes allemandes ; elle va durer plusieurs mois, sans résultat militaire décisif. L’offensive franco-britannique sur la Somme n’est pas une réponse à l’attaque allemande de février 1916 sur Verdun : elle a en effet été préparée dès l’automne 1915 pour être lancée au printemps 1916, mais le plan initial doit être en partie modifié car le gros des troupes françaises est mobilisé dans l’Est. On fixe finalement la date au 1er juillet et on raccourcit la longueur du front d’offensive. En outre, pour la première fois sur le front occidental, l’effort consenti par les Britanniques est supérieur à celui des Français. Les deux états-majors veulent épuiser l’ennemi avant de passer à l’étape décisive : une bataille de rupture qui conduirait à la victoire. Le 1er juillet 1916, les Britanniques s’élancent au nord de la Somme, les Français au sud, après un intense pilonnage d’artillerie depuis le 24 juin. Les Alliés sont persuadés que tout a été détruit dans les tranchées ennemies, et qu’il est donc possible de les atteindre sans risque et de les occuper. Mais c’était compter sans les formidables fortifications souterraines mises en place par les Allemands : en une heure, leurs mitrailleuses et leur artillerie tuent ou blessent 60 000 Britanniques. Au soir du 1er juillet, la percée n’a pas eu lieu. Quant aux Français, s’ils ont mieux rempli leurs objectifs, ils doivent néanmoins infléchir leur tactique et se résoudre à une bataille d’usure ; de juillet à novembre, les combats se poursuivent. Dans les deux camps, les hommes s’installent dans l’horreur quoti-
dienne. En novembre, le front allié a avancé de 10 kilomètres : c’est un échec. Joffre n’a pas plus tenu son pari dans la Somme que Falkenhayn à Verdun, et tous deux y perdront leur commandement. Alors que la bataille de Verdun est un affrontement franco-allemand, la bataille de la Somme est une bataille « mondiale », qui réunit une trentaine de peuples du fait de la présence d’importants contingents du Commonwealth et des colonies françaises et britanniques. Elle est aussi l’exemple le plus achevé de bataille totale, qui ne peut se terminer que par une victoire totale, sans quoi le carnage serait perçu comme complètement vain. 620 000 Britanniques et Français, 450 000 Allemands sont tombés lors de la bataille de la Somme : comme à Verdun, les attaquants sont plus touchés que les défenseurs. En outre, les civils eux-mêmes, soumis à l’occupation ennemie, rationnés à l’arrière, frappés par les drames de l’absence et du deuil, sont victimes d’une nouvelle forme de guerre qui atteint désormais l’ensemble de la population. Celle-ci se trouve immergée dans une culture de guerre fondée avant tout sur la ténacité et l’héroïsme des hommes de toutes origines qui se battent pour un sol devenu le leur, sacralisé par leurs morts. À ces différents titres, la bataille de la Somme marque un point de non-retour vers la « guerre totale ». somptuaires (lois), lois qui, au Moyen Âge et à l’époque moderne, ont pour but restreindre les dépenses de luxe et, de nière plus générale, de réglementer les festations sociales et individuelles du
de mamaniluxe.
En 1279, Philippe III le Hardi édicte une première ordonnance somptuaire - largement reprise en 1294 par Philippe le Bel - qui régit aussi bien la qualité des vêtements que le nombre et la nature des mets, et cela pour les différentes catégories sociales du royaume de France (bourgeois ou, au sein de la noblesse, ducs, comtes, barons, chevaliers bannerets, écuyers). À cette première loi somptuaire succèdent, entre la fin du XIIIe siècle et le milieu du XIVe, plusieurs ordonnances restreignant l’achat et même la possession de pièces d’orfèvrerie. En 1363, Charles V prohibe les fameux souliers allongés, dits « poulaines », « cette superfluité étant contre les bonnes moeurs, en dérision de Dieu et de l’Église, par vanité mondaine et folle présomption ». La production de lois somptuaires ne s’interrompt pas à la Renaissance. François Ier interdit en 1543 les draps d’or et d’argent et, quatre ans plus tard, Henri II réglemente l’achat et la pos-
session de vêtements luxueux ; en 1563, on limite à six le nombre de plats par service. Au XVIIe siècle, plus aucune réglementation n’est prise concernant les repas après l’édit de downloadModeText.vue.download 878 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 867 police de 1629, mais Louis XIV lui-même ne dédaigne pas de restreindre le luxe des habits et des équipages. À travers ces lois somptuaires, le pouvoir royal cherche peut-être à empêcher l’appauvrissement de sujets dont certains sont aussi des contribuables, tout en limitant les sorties d’espèces qu’occasionne l’importation des denrées de luxe. Enfin, comme pour les lois somptuaires élaborées par d’autres États, il s’agit de mieux marquer des distinctions sociales menacées par les reclassements de la fin du Moyen Âge et de l’époque moderne. Sorbonne, établissement public d’enseignement supérieur dont l’origine remonte au XIIIe siècle. Alors simple collège, la Sorbonne finit par se confondre avec l’Université de Paris, avant de n’en être plus aujourd’hui qu’un des éléments. • Un prestigieux collège. Dès les débuts de l’Université de Paris, au XIIIe siècle, se pose le problème de l’accueil des étudiants pauvres. C’est à ce besoin que répondent des institutions charitables, les collèges, dont la Sorbonne est le plus prestigieux. Née en 1257, elle tire son nom de son fondateur, Robert de Sorbon (1201-1274). Ce dernier est issu d’une modeste famille ardennaise (il est originaire de Sorbon, près de Rethel), mais fait de brillantes études de théologie qui le mènent jusqu’au doctorat ; prédicateur apprécié, c’est un familier de Saint Louis, dont il est le confesseur et le chapelain. Fort de l’appui royal, il entreprend de rassembler les bâtiments, rentes et revenus qui permettront d’accueillir des étudiants en théologie, déjà maîtres ès arts mais sans ressources. Toutefois, la nouvelle fondation se distingue des autres collèges parisiens par ses hautes ambitions : d’une part, c’est aux étudiants de toute la Chrétienté que le collège de Sorbonne est ouvert ; d’autre part, il s’agit rien moins que de faire pièce aux établissements fondés par les ordres monastiques, et singulièrement les ordres mendiants, en offrant aux clercs séculiers le soutien matériel et pédagogique que
franciscains et dominicains trouvent dans leurs couvents. Au reste, les premiers statuts insistent sur une vie collégiale, marquée notamment par les repas pris en commun. Le nouveau collège bénéficie de nombreux dons, qui lui permettent de se doter d’une bibliothèque considérable : avec quelque 1017 volumes en 1291, c’est l’une des plus importantes de l’époque. De telles ressources font de la Sorbonne un pôle très attractif : de 16 à l’origine, le nombre des « sociétaires » (qui ne sont pas tous boursiers) passe rapidement à une trentaine ; il faut en outre leur ajouter les hôtes payants, qui, n’étant pas membres à part entière du collège ni astreints à la vie commune, profitent néanmoins de certains des avantages offerts. La Sorbonne assure en effet, grâce à des régents de qualité, une partie des enseignements jusque-là dispensés à domicile par les maîtres : les disputes qui s’y tiennent deviennent un des temps forts des études théologiques parisiennes, et l’une des épreuves de la licence de théologie (appelée pour cela « sorbonique ») doit s’y dérouler. Fait significatif, c’est dans la bibliothèque même de la Sorbonne que s’implante à Paris une innovation promise à un grand avenir : l’imprimerie (1470). • Les avatars de l’institution : du collège à l’université. À partir du XVIe siècle, les transformations de l’institution collégiale s’accélèrent. L’enseignement s’y ouvre largement aux humanités et, en 1542, les statuts de la faculté des arts reconnaissent que les leçons publiques ne pourront plus se faire qu’au sein des collèges, qui répartissent progressivement leurs élèves par groupes de niveau. Siège de la faculté de théologie, renforcée par de nouvelles chaires (six entre 1577 et 1625, dont une de philosophie grecque), accueillant de bril-lants étudiants formés au collège du Plessis-Sorbonne, la Sorbonne occupe une place de choix dans le paysage intellectuel de l’Ancien Régime. Au point qu’à l’ensemble disparate constitué par Robert de Sorbon, Richelieu substitue des bâtiments homogènes construits par Lemercier. Mais la Sorbonne tend progressivement à se muer en un groupe de pression ultraconservateur, dont Voltaire stigmatise la « bêtise ». Il est vrai que, disposant depuis la Réforme du pouvoir de censurer les livres, elle s’oppose aux idées nouvelles incarnées par les philosophes du XVIIIe siècle. La suppression des collèges et facultés sous la Révolution semble condamner la Sorbonne, dont les biens, et notamment la
riche bibliothèque, sont confisqués. Avec la création de l’Université napoléonienne, l’institution retrouve toutes ses chances, mais elle est désormais concurrencée dans la formation des élites par l’École normale supérieure. Entre Restauration et Second Empire, les vieux bâtiments de Richelieu accueillent par intermittence les facultés de lettres, sciences et théologie. Il faut toutefois attendre la réforme universitaire de 1877 pour assister à un véritable renouveau pédagogique et institutionnel. Dotée de bâtiments neufs et plus étendus, construits par Nénot entre 1885 et 1901, la nouvelle Sorbonne républicaine est le centre d’un réseau de revues allant de la Revue historique à l’Année sociologique, en passant par la Revue philosophique et les Annales de géographie. Mais son corps professoral tend par la suite à se scléroser, et c’est par exemple depuis une dynamique université périphérique, celle de Strasbourg, que Lucien Febvre et Marc Bloch mènent le projet des Annales, qui bouleverse le champ historiographique de l’entre-deux-guerres. Symbole d’une université encore mal adaptée à la démocratisation de l’enseignement, la Sorbonne est l’un des lieux centraux de la révolte étudiante en mai 1968. Ne disposant déjà plus du monopole de l’enseignement universitaire en région parisienne, elle est par la suite divisée en plusieurs entités, dont seulement une partie occupe encore les antiques locaux du Quartier latin. l SORCELLERIE. La sorcellerie peut être considérée comme un ensemble de croyances magiques que certains êtres sont capables de mettre en action dans un but efficace, positif ou négatif. Au Moyen Âge, elle colore fortement la culture paysanne en composant une sorte de synthèse avec le christianisme, et les élites les plus cultivées croient à l’efficacité de telles pratiques magiques. Pourtant, à partir de la fin du XVe siècle dans certaines régions de la Chrétienté, une terrible chasse aux sorcières est déclenchée. En France, les bûchers de sorcellerie flambent surtout entre 1580 et 1630. La doctrine démonologique, qui soutient l’action des juges, définit alors la sorcellerie comme une activité suscitée directement par le Démon, et les sorciers comme les adeptes d’une secte satanique organisée. Le principal résultat de la répression est d’avoir séparé nettement l’univers des « superstitions » paysannes de celui de la religion établie et de la pensée savante. LE RENOUVEAU DE LA DÉMONOLOGIE
AU XVe SIÈCLE Au Moyen Âge, la magie s’impose à tous, savants ou gens du peuple. La sorcellerie n’est pourtant pas activement poursuivie avant le XVe siècle. La vieille démonologie, ou « science du diable », prend alors une forme plus systématique, pour dénoncer les crimes contre le genre humain perpétrés par le Démon et par ses adeptes. Les Alpes connaissent ainsi les premières poursuites contre des sorcières ou sorciers démoniaques : de 1428 à 1447, 110 femmes et 57 hommes sont poursuivis en Briançonnais ; on les accuse de s’envoler sur des balais pour aller adorer leur maître ; plusieurs d’entre eux sont pendus, noyés ou brûlés. Une deuxième impulsion vigoureuse est donnée à la répression par la bulle pontificale de 1484, qui ordonne une enquête pour découvrir les sorcières - que l’on prétend nombreuses en Germanie supérieure. Deux dominicains allemands, Henri Institoris et Jacques Sprenger, publient en 1486 un ouvrage en latin intitulé Malleus maleficarum (le Marteau des sorcières). Ils définissent une doctrine qui ignore encore les sabbats démoniaques, c’està-dire les assemblées nocturnes des membres de la secte des sorcières. Ils insistent sur une perversion hérétique propre à certaines femmes menées par leur passion charnelle, qui sont censées sceller un pacte explicite avec le Démon, avoir avec lui des relations sexuelles, puis en tirer le pouvoir de faire des maléfices. Il est frappant que ce sont surtout des femmes qui sont ainsi suspectées. Un antiféminisme clérical explique en partie l’orientation des poursuites contre de vieilles femmes, mais n’épuise pas l’énigme. Les historiens constatent que les bûchers concernent généralement quatre femmes pour un homme. L’imprimerie diffuse largement les idées de Sprenger et Institoris, et la vague démonologique produit une dizaine de procès par an en Europe à la fin du XVe siècle, surtout dans le Saint Empire, en Suisse et en Savoie. Elle s’apaise, pour plus d’un demi-siècle, vers 1520, moment où Luther commence à être connu. Certains auteurs pensent que l’activité répressive s’est alors détournée vers l’« hérésie » protestante, luthérienne puis calviniste. On constate, sans pouvoir bien l’expliquer, que la persécution de sorcières reprend en France vers 1580, c’est-à-dire à une époque où l’on cesse de considérer les calvinistes downloadModeText.vue.download 879 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 868 comme des hérétiques dignes du bûcher, mais plutôt comme des membres d’une nouvelle religion organisée. LE CRIME DE SORCELLERIE En France, la théorie démonologique ne prend réellement vigueur que vers 1580. L’humaniste et professeur de droit Jean Bodin publie, cette année-là, la Démonomanie des sorciers, ouvrage dans lequel il dénonce la pratique fréquente des sabbats. Le temps des grandes persécutions est venu. La répression n’est pas conduite par les tribunaux d’Église mais par ceux du roi ou des seigneurs, dont les membres sont désormais animés par la volonté de faire barrage aux entreprises d’un démon omniprésent. À leurs yeux, la sorcellerie est le pire crime qui puisse exister au monde, car elle vise à détruire l’ordre « naturel » donné au monde par Dieu. Bodin relève quinze chefs principaux d’accusation contre les sorciers, parmi lesquels le blasphème, l’adoration du diable, l’infanticide (avant le baptême), l’inceste, le cannibalisme (et le fait de boire le sang des chrétiens), l’assassinat par sortilèges, les relations sexuelles avec des démons. Celui ou celle qui commet ces crimes ne mérite donc rien d’autre que la mort sur le bûcher. Les moyens mis en oeuvre pour confondre les « coupables » et le déroulement du procès sont bien connus. Une rumeur anonyme, une dénonciation, l’envoi d’un juge spécialisé sur un site, constituent, selon les cas, le point de départ de l’affaire. Les paysans hésitent pourtant à se porter accusateurs, car il leur faut alors se constituer prisonniers. Si la preuve est faite qu’ils ont agi par pure calomnie, ils risquent la même peine que celle encourue par la personne dénoncée si elle avait été déclarée coupable. Ensuite, les magistrats ouvrent une enquête, convoquent et entendent des témoins, en secret. Ils ordonnent la prise de corps du suspect, puis conduisent son interrogatoire en consignant tout par écrit, toujours en secret. Les questions posées concernent son identité et les allégations rapportées par les officiers et par les témoins. L’accusé ne sait pas précisément ce qu’on lui reproche. Il ne le découvre qu’à travers les questions détaillées. Il y répond souvent de manière très laconique,
par oui ou par non, ou par le silence, les soupirs, les larmes, toutes choses que le scribe enregistre scrupuleusement. Viennent ensuite des confrontations, avec chaque témoin. Les pages d’écriture s’allongent, pour noter toutes les variations dans les dépositions ou le comportement des uns et des autres, avant le récolement des témoignages. Des perquisitions peuvent être décidées. Elles n’apportent guère de certitudes. Trouver des crapauds vêtus de couleurs vives au domicile d’une suspecte ou encore des charmes et talismans placés sous son seuil constituent des indices de sorcellerie, mais ténus. De même, découvrir un balai n’est pas suffisant pour en déduire que sa propriétaire s’est transportée dans les airs sur cet instrument. Le dossier est évalué dans sa totalité pour savoir si la procédure peut continuer par la torture. Il faut pour cela de solides raisons, constituées par des ensembles de témoignages qui se recoupent et par la découverte de la « marque diabolique » sur le corps de l’accusée. L’opération est conduite en présence des juges par un chirurgien ou par un bourreau. Elle repose sur l’idée qu’un pacte lie obligatoirement la sorcière au démon. Ce dernier lui a imprimé sa marque à un endroit quelconque, généralement du côté gauche. Il faut donc au préalable la raser de tous poils et vérifier sur son corps intégralement dénudé s’il existe un endroit suspect. L’attention de la patiente étant détournée, le chirurgien y enfonce une longue aiguille d’argent. En cas d’insensibilité et d’absence d’écoulement sanguin, le greffier note la présence d’une marque diabolique, sur la fesse gauche, à l’intérieur du sexe ou ailleurs. Plusieurs peuvent être détectées. Certains « piqueurs » monnayent ensuite leurs talents auprès de femmes affolées qui viennent les voir pour obtenir un certificat attestant l’absence de toute marque diabolique sur leur corps. Les gens du peuple vérifient parfois eux-mêmes une rumeur en « baignant » les suspectes : elles sont jetées à l’eau pieds et poings liés. Leur culpabilité est évidente si elles flottent à la surface, car le corps des sorcières est réputé plus léger que les autres, ce qui explique aussi les vols nocturnes sur un balai. La torture est réglementée, appliquée sous surveillance médicale. Les juges sont taxés de faute professionnelle lourde et poursuivis si l’accusée en meurt. Elle n’est pas utilisée systématiquement. Nombre de prétendues sorcières cèdent bien avant, s’effondrent psychologiquement et acceptent de répondre
positivement aux questions réitérées des magistrats. Avec ou sans torture, certaines donnent même de nombreux détails précis, courant au-devant de la mort avec une sorte de soulagement, après des semaines ou des mois d’emprisonnement et de pressions. Les procès-verbaux consignent toujours avec soin chaque parole, chaque geste. L’aveu entraîne la peine de mort, par le feu le plus souvent. Pour abréger les souffrances des condamnées les plus coopératives, le bourreau peut être autorisé à les étrangler secrètement en profitant des premières fumées du bûcher. Les sentences définissent trois éléments du crime de sorcellerie : la rencontre avec le diable, suivie d’un pacte signé de sa griffe sur le corps de la sorcière ; la participation au sabbat, sorte de messe maléfique calquée sur celle des catholiques, mais inversée ; les maléfices commis contre les êtres humains (surtout les petits enfants), les animaux ou les fruits de la terre. Lues en public avant le supplice, elles diffusent dans les populations le contenu de la doctrine démonologique en même temps que la peur d’être soi-même sorcier. Nombre de paysans y trouvent matière à s’inquiéter en découvrant alors qu’ils pratiquent quotidiennement des « superstitions » interdites. Les parents des sorciers sont d’autant plus concernés que le crime est considéré comme héréditaire. Selon l’opinion commune, les filles de sorcières sont sorcières, les garçons deviennent des loups-garous. Les dénonciations d’une condamnée font donc boule de neige. Un chapelet de bûchers en résulte dans certaines régions. Une minorité d’hommes se trouve dans ce contingent, qui comprend parfois de jeunes enfants. LA FRANCE DES BÛCHERS DE SORCELLERIE Le cas français n’est pas le mieux documenté. Les recherches n’ont pas beaucoup progressé depuis la publication en 1968 de la thèse de Robert Mandrou, plus centrée sur la psychologie des juges que sur celle des accusés de sorcellerie. La grande modération du parlement de Paris en ce domaine est à noter : dans son ressort, qui couvre la moitié du royaume, il a reçu en appel 1 254 cas entre 1540 et 1670 mais n’a entériné la sentence de mort que pour 115 suspects, soit 9 % du total. Les chiffres sont à comparer aux 22 500 bûchers de sorcellerie probablement allumés dans l’ensemble du Saint Empire, à peu près deux fois plus peuplé que les territoires contrôlés en appel par le parlement de Paris. La différence est tellement saisissante qu’elle invite à parler de grande clémence dans la partie centrale du royaume de France. La seule véri-
table période répressive - de 1580 à 1625 - est marquée par moins d’une centaine de bûchers de sorcellerie pour un ressort peuplé de près de dix millions d’habitants. Les décisions de relaxe pure et simple concernent par la suite plus de la moitié des accusés. Les périphéries du royaume sont encore plus mal connues. Il est cependant possible de distinguer trois grandes régions. Sur les territoires qui dépendent du parlement de Paris, les sorcières sont traitées avec beaucoup de clémence, malgré de rares poussées fiévreuses ne dépassant généralement pas quelques dizaines de cas. Les provinces occidentales et méridionales semblent relever du même modèle, avec quelques variantes, notamment plus de sévérité répressive en Normandie. Enfin, une troisième zone de l’Hexagone actuel, le nord et le nord-est, connaît une répression beaucoup plus vive et plus ample. Cependant, ces provinces ne sont pas françaises au moment du paroxysme des procès de sorcellerie : l’Artois n’est rattaché au royaume qu’en 1640-1659, la Flandre et le Hainaut en 1668-1678, la Franche-Comté en 1678, tandis que la Lorraine constitue un duché indépendant, acquis seulement en 1766. L’arc des persécutions, qui court de la Suisse aux Pays-Bas, recouvre des territoires appartenant à l’Espagne de la Contre-Réforme ou à ses alliés, au contact de zones du Saint Empire où la chasse aux sorcières fait rage. Une dernière vague de procès touche la France entre 1640 et 1680. Vers 1644-1645, une crise concerne surtout la Champagne, la Bourgogne, le Languedoc, Poitiers et le Bordelais. Elle est suivie d’une longue période d’apaisement jusqu’en 1670, qui exclut toutefois le Vivarais, gagné par la persécution vers 1650. Il est difficile de dire si le silence des sources correspond à la réalité ou si le manque de recherches contribue à fausser les perspectives. À partir de 1670, les bûchers flambent à nouveau en Normandie, en Béarn et en Guyenne. S’y ajoutent les procès conduits dans des régions devenues françaises depuis peu, Alsace, Flandre et Hainaut. Au total, le royaume de France dans ses frontières des années 1560-1630 n’est que très peu concerné par la chasse aux sorcières. On compte environ 200 bûchers pour l’ensemble des territoires du ressort des parlements de Paris, de Rouen et d’Aix-en-Provence, où vit downloadModeText.vue.download 880 sur 975
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869 alors largement plus de la moitié des Français. La Normandie fait figure de zone un peu plus sensible dans une France occidentale peu portée à de telles poursuites, où la Bretagne ne semble pas du tout touchée par la vague répressive. Les choses changent complètement vers l’est, au-delà des frontières de l’époque : en effet, dans les régions appelées à devenir françaises, on compte 900 bûchers attestés, auxquels s’ajoutent 1 600 à 2 400 autres en Lorraine, selon des estimations à vérifier. La France ne connaît guère d’« épidémies » de sorcellerie qui se propagent avec rapidité de village en village. Le nombre modéré des poursuites témoigne de ce fait. Seules quelques régions enregistrent de tels phénomènes. Les Ardennes, qui relèvent du parlement de Paris, voient ainsi éclater des paniques en divers lieux. Les juges supérieurs enrayent souvent le mouvement en sévissant contre les meneurs qui ont baigné une sorcière pour obtenir la preuve par l’eau. En général, la persécution s’éteint vite, faute de véritables incitations sur place. LES SORCIERS DEVENUS « FAUX » À la fin du XVIIe siècle, la sorcellerie devient un « faux crime » en France à la suite d’un édit royal de 1682 qui entérine des doutes longtemps exprimés par les parlementaires parisiens et par d’autres juges. Durant les persécutions, deux univers culturels parallèles se sont mieux définis, par opposition. Celui des élites sociales du pays obéit désormais de plus en plus au sens de l’impossible cartésien, en attendant les triomphes de la raison au siècle des Lumières. Pour ses membres devenus sceptiques, la sorcellerie n’est qu’une chimère, une sorte de folie qu’il convient davantage de soigner que de réprimer. Il faut cependant faire la part du crime, c’est-à-dire celle de la duplicité de certaines personnes utilisant la faiblesse d’esprit ou les croyances magiques pour arriver à leurs fins. L’autre monde mental demeure celui des vieilles « superstitions » villageoises. Si les bûchers ne s’allument plus pour exterminer de prétendus adeptes de Satan, sorciers et désenvoûteurs ont en effet repris leur place respective dans l’univers paysan, s’y enracinant jusqu’à nos jours. MAGIE ET SORCELLERIE
DES TEMPS CONTEMPORAINS L’une des conséquences des bûchers fut de séparer nettement la sorcellerie populaire des nombreuses variantes savantes du phénomène. Méprisée ou raillée, la première se trouve réduite aux anciennes traditions culturelles d’un univers paysan qui se rétracte d’ailleurs comme une peau de chagrin à la fin du XXe siècle. Ces pratiques considérées comme « superstitieuses » sont donc désormais le domaine d’étude d’ethnologues appliqués à constituer un musée imaginaire de formes en voie de rapide disparition. La Bretagne, qui ignora la chasse aux sorcières, on l’a vu, constitue un terrain de recherche privilégié en ce domaine. La magie savante ou urbaine, quant à elle, a pris des formes très diversifiées depuis le XVIIIe siècle. Les progrès de la science ont fait reculer certaines d’entre elles, comme l’hermétisme ou l’alchimie. Celle-ci reçoit ainsi un coup mortel de la chimie de Lavoisier dans les dernières décennies du XVIIIe siècle. Les manipulations opérées par Cagliostro ou par le comte de Saint-Germain, deux aventuriers du siècle des Lumières, contribuent à discréditer, aux yeux des gens cultivés, les phénomènes magiques en les liant à une crédulité excessive. Mais d’autres membres des couches sociales supérieures conservent jusqu’à nos jours un profond attachement au merveilleux et à l’onirique. Fondateur de la théorie du magnétisme animal, le médecin allemand Franz Anton Mesmer (1734-1815) attire les gens bien nés autour de son baquet guérisseur. La reine Marie-Antoinette l’autorise même à ouvrir une « clinique magnétique », avant que ses nombreux ennemis ne réussissent à le faire exiler. Victor Hugo, le préhistorien Boucher de Perthes ou le médecin Charles Richet se passionnent pour le spiritisme et font tourner les tables afin d’entrer en contact avec les âmes des disparus. Le Lyonnais Léon Rivail (1804-1869), sous le pseudonyme d’Allan Kardec, crée une véritable doctrine et une association, dotée d’une Revue spirite, qui aurait plus d’un million d’adeptes en Europe à la mort du fondateur. À la fin du XIXe siècle, l’hypnotisme est utilisé comme thérapeutique par Charcot (1825-1893), à l’hôpital de la Salpêtrière. Certaines des femmes traitées de cette manière avouent qu’elles ont feint l’hystérie, ce qui contribue à réduire par la suite l’hypnotisme au rang de phénomène de foire. Ces éléments disparates sont souvent éloignés de la sorcellerie proprement dite. Ils
attestent pourtant la permanence d’un attachement des Français de la fin du deuxième millénaire à l’idée qu’il est possible d’agir sur les forces invisibles. Horoscopes, boules de cristal, « clés des songes » font toujours recette, et pas seulement auprès d’un public peu cultivé. Ils se rattachent à l’oniromancie à but prophétique ou guérisseur. Le chemin de la croyance magique à la sorcellerie passe en effet par le désir d’influer sur son propre destin ainsi révélé. Nombreux sont ceux qui laissent lire leur avenir dans les lignes de la main, ou pratiquent des « techniques » magiques diverses, comme la radiesthésie en vue de découvrir des trésors cachés. Il y a trois siècles, de tels faits auraient attiré sur eux l’attention des voisins, peut-être celle des tribunaux à la suite d’une dénonciation. La sorcellerie, au fond, n’est-elle pas fondée sur des désirs inassouvis ? Désirs de richesse, de puissance, de vengeance, rêves amoureux, inquiétude face à l’avenir ou au vieillissement trouvent là les meilleurs canaux pour s’exprimer. Éminemment adaptable, cette sorcellerie se greffe aisément sur la culture de chaque époque, parce qu’elle donne l’espoir d’agir sur ce qui dépasse l’être humain. En témoignent d’abondance, à la fin du XXe siècle, les cabinets de désenvoûtement qui imitent ceux des médecins, la divination assistée par ordinateur, les sectes offrant leur réconfort moral au prix du marché capitaliste et parfois de la vie humaine. Le démon moderne se fait médiatique, à la télévision, dans la presse à sensation ou au cinéma. La vague hollywoodienne de la dernière décennie du deuxième millénaire le voit déferler sur tous les continents, en particulier sous la forme du Vampire ou du Mal cybernétique. Manières de tenter de l’exorciser ? Sorel (Agnès), favorite du roi de France Charles VII, fille de Jean Sorel, seigneur de Saint-Géran en Touraine (Fromenteau, Touraine [ou Froidmantel, Picardie], vers 1422 - près de Jumièges, Normandie, 1450). C’est à Toulouse, en 1444, qu’Isabelle de Lorraine, femme du Roi René, présente sa demoiselle d’honneur, Agnès, à Charles VII. Elle en devient la maîtresse. Des tableaux de l’époque où l’on croit reconnaître ses traits, notamment la Vierge à l’Enfant de Jean Fouquet, volet d’un célèbre diptyque (vers 1452), décrivent un visage gracieux. Olivier de La Marche dira n’avoir jamais vu femme plus belle. Charles VII lui ayant offert le château de Beauté-sur-Marne, Agnès est surnommée « la Dame de beauté ». Tolérée par la reine Marie d’Anjou, elle règne sur la cour dès 1444 et donne quatre filles à son royal amant.
Quoique son ascendant ait été longtemps exagéré, son influence sur le roi fut réelle. Décriée par les uns pour ses toilettes audacieuses, célébrée par les autres pour sa charité, elle est surtout fustigée, voire détestée, à cause de ses interventions qui aboutissent au renvoi de conseillers ou à la promotion d’hommes tels que Jacques Coeur ou Pierre de Brézé. Ce dernier est emprisonné en 1461, à l’avènement de Louis XI, preuve du ressentiment dont font l’objet les protégés d’Agnès. Celle-ci a sans doute poussé Charles VII à l’action à la fin de la guerre de Cent Ans, pour reconquérir la Normandie. C’est d’ailleurs en le rejoignant dans cette province qu’elle meurt subitement, après avoir donné naissance à une fille. Jamais probablement on ne saura si la rumeur disant que le dauphin Louis (futur Louis XI) la fit empoisonner est fondée. En revanche, il est certain que la première des favorites officielles de l’histoire de France a durablement marqué les esprits, à cause d’une légende forgée autour d’un souvenir très passionnel. Sorel (Georges), théoricien socialiste (Cherbourg 1847 - Boulogne 1922). Né dans une famille de la bourgeoisie catholique en butte à des difficultés matérielles, Sorel poursuit de brillantes études qui le conduisent à l’École polytechnique (1865). Ingénieur des Ponts et Chaussées, il ne commence à publier des articles à teneur historique et philosophique qu’à partir de 1886. Puis, en 1892, il renonce brutalement à sa carrière professionnelle pour se consacrer à la vie des idées. Il entre bientôt dans le comité de rédaction des premières revues marxistes françaises (l’Ère nouvelle, le Devenir social) et rédige de nombreux articles. Durant l’affaire Dreyfus, il se rallie à la cause des dreyfusards mais, vite déçu par la « révolution dreyfusienne », il se radicalise et passe bientôt pour le théoricien du syndicalisme révolutionnaire, hostile tant aux partis politiques qu’à l’État. En 1908, paraît son ouvrage le plus connu, Réflexions sur la violence, qui rassemble des articles publiés depuis plusieurs années dans la revue le Mouvement socialiste. downloadModeText.vue.download 881 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 870 De plus en plus, Sorel s’abandonne à un pessimisme indépassable qui encourage chez lui une critique de la démocratie, et des tendances antisémites. Il se rapproche briève-
ment de l’extrême droite et séduit certains intellectuels de l’Action française. Mais, écoeuré par la Première Guerre mondiale, il soutient en 1917 la révolution bolchevique. En Italie, pourtant, où il connut une fortune critique presque supérieure à celle qu’il eut en France, c’est Mussolini qui annexe ses idées au profit du fascisme. Là réside toute l’ambiguïté d’un penseur inclassable. Soubirous (Bernadette) ! Bernadette Soubirous (sainte) Soubise (Charles de Rohan, prince de), maréchal de France (Paris 1715 - id. 1787). Membre d’une illustre famille, orphelin à 9 ans, il doit sa carrière à Louis XV, qui a presque le même âge que lui et dont il reste jusqu’au bout l’« ami de coeur » et le familier. De manières affables, parfait courtisan, il sait se ménager aussi la protection des favorites, en particulier de Mme de Pompadour. Brigadier à 25 ans, maréchal de camp à 28, il sert comme aide de camp du roi en Flandre en 1744-1745. Il se signale surtout lors de la guerre de Sept Ans. Commandant les troupes françaises opérant en Saxe, il est battu par Frédéric II de Prusse à Rossbach (5 novembre 1757). La défaite incombe principalement au commandement de ses alliés autrichiens, mais Soubise en est jugé responsable par l’opinion, qui le chansonne en le représentant affublé d’une lanterne, partant à la recherche de ses troupes. Par la suite, il alterne les victoires - qui lui valent le bâton de maréchal en octobre 1758 et les défaites, dont certaines du fait de sa mésentente avec le maréchal de Broglie. Courageux, il manque cependant du sens de la décision. La paix met fin à sa carrière militaire, mais il devient ministre d’État en février 1759 et participe activement aux affaires jusqu’à la mort de Louis XV (1774) : sans jouer un rôle de premier plan, mais écouté par le roi, il reste l’ami des jésuites après la suppression de la Compagnie de Jésus (1764), contrebalance l’influence de Choiseul, se montre hostile au duc d’Aiguillon, et surtout défend l’autorité royale et Maupéou lors des conflits avec les parlements. Soudan ! AfriqueOccidentale française (A-O F) Soult (Jean de Dieu Nicolas), maréchal d’Empire, duc de Dalmatie, et homme poli-
tique (Saint-Amans-la-Bastide, aujourd’hui Saint-Amans-Soult, Tarn, 1769 - id. 1851). Il a grandi dans un milieu instruit car il est fils d’un notaire, décédé alors qu’il avait 10 ans. Destiné à reprendre l’étude de son père, il préfère s’engager, à 16 ans, comme volontaire au régiment Royal-Infanterie (1785), où il devient caporal dès 1787. Il est sergent en 1791, capitaine en 1793, et sa brillante conduite à Fleurus (1794) lui vaut le grade de général de brigade. Promu général de division en 1797, il est affecté à l’armée du Danube et joue un rôle de premier plan dans la campagne de Suisse en 1799. Au début du Consulat, il combat en Italie, où il se fait apprécier de Murat. Fort de cette protection et de celle de Lefebvre, il est nommé général de la Garde des consuls (1802) et rencontre alors Bonaparte pour la première fois. Grâce aux revenus que lui ont assurés ses fonctions en Italie, il fait l’acquisition d’un hôtel au faubourg Saint-Germain, à Paris, ainsi que d’une propriété à proximité de Saint-Cloud, manifestant ainsi son insertion dans la bonne société. Chargé en 1803 du commandement du camp de Saint-Omer, maréchal de France dès 1804, il fait preuve d’excellentes qualités de manoeuvrier lors de la bataille d’Austerlitz, talents souvent employés ensuite, notamment à Iéna et Eylau ; le 16 juin 1807, c’est lui qui s’empare de Koenigsberg. Fait duc de Dalmatie et chargé du commandement du 2e corps de l’armée d’Espagne en 1808, victorieux jusqu’en mars 1809, il est vaincu par Wellington, qui le force à évacuer le Portugal. Il continue cependant de combattre dans la péninsule Ibérique jusqu’en mars 1814, avec une interruption en 1813 pour participer à la campagne de Saxe. Ministre de la guerre de Louis XVIII, il se montre farouchement royaliste durant la première Restauration. Napoléon le nomme néanmoins pair de France et major général de l’armée durant les Cent-Jours. Banni lors de la seconde Restauration, il peut rentrer en France en 1819. Appelé par Charles X à réintégrer la Chambre des pairs en 1827, il y soutient le gouvernement, mais se rallie à Louis-Philippe en 1830. Ministre de la Guerre au début de la monarchie de Juillet, il dirige à ce titre la répression de la révolte des canuts lyonnais en 1831. Il est président du Conseil à trois reprises, d’octobre 1832 à juillet 1834, de mai 1839 à mars 1840, et d’octobre 1840 à février 1847 ; pendant cette dernière période, il retrouve en outre le portefeuille de la Guerre mais abandonne la réalité du pouvoir à Guizot. S’il ne joue plus dès lors qu’un rôle
de façade, il reçoit le titre prestigieux de maréchal-général (1847), montrant ainsi comment un haut dignitaire de l’Empire aux origines modestes est parvenu à pérenniser sa brillante réussite, fût-ce au prix de palinodies. souveraineté nationale. Le transfert de souveraineté du roi à la nation en 1789 constitue un événement révolutionnaire fondateur, et marque l’avènement de la souveraineté nationale. • La dynamique de 1789. Elle suit un mouvement triple. La révolution juridique du 17 juin 1789 constitue le tiers état en représentation nationale : l’Assemblée nationale, qui se réclame de la volonté du peuple, ne reconnaît que des individus égaux en lieu et place des ordres hiérarchisés. La prise de la Bastille, le 14 juillet, fonde la souveraineté populaire : le peuple est devenu un acteur capable de défendre l’Assemblée et d’abattre le symbole du despotisme. Enfin, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août affirme, conjointement, que « la loi est l’expression de la volonté générale » et que « tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants à sa formation », que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation » et que « nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». La Déclaration distingue ainsi le principe et l’exercice de la souveraineté mais ne présuppose pas que cet exercice soit du seul ressort des représentants de la nation. La place du roi et celle du peuple restent indéfinies. Or les constituants, s’ils découvrent avec étonnement le rôle primordial joué par le peuple pour rendre effectif ce transfert de souveraineté, ne souhaitent pas pour autant lui reconnaître une activité souveraine constante. Un conflit entre une conception donnant la puissance souveraine à des représentants et une conception qui fait de ceux-ci les simples dépositaires de la souveraineté populaire travaille en permanence le débat et le mouvement révolutionnaires. • Les fondements théoriques de la souveraineté nationale. L’avènement de la représentation nationale doit beaucoup à la critique du despotisme ministériel par les magistrats des parlements et au pamphlet de l’abbé Sieyès Qu’est-ce que le tiers état ? Les premiers ont mis à l’honneur un discours selon lequel la souveraineté émane historiquement du corps de la nation et ne peut être exercée que dans un rapport contractuel res-
pecté grâce à l’intervention de représentants, qui ne sont autres que les parlementaires. À ce titre, l’exigence de la tenue d’états généraux donne corps à la volonté nationale. Sieyès, en dotant le Tiers, devenu la nation, de la souveraineté immédiate définie par la théorie rousseauiste, en affirmant que la volonté nationale est une réalité toujours légale, fait advenir une souveraineté léguée par la modernité - une, indivisible, inaliénable, imprescriptible -, où ce n’est plus le roi qui unifie les intérêts divergents : c’est l’Assemblée nationale qui produit une volonté unitaire, par la délibération. • La souveraineté populaire. La prise de la Bastille affirme de facto que le souverain est le peuple agissant, armé pour défendre sa volonté, peuple justicier qui accomplit des actes punitifs. La réappropriation populaire de la souveraineté s’opère par l’exercice quotidien de la délibération des citoyens dans les assemblées primaires, sections et sociétés politiques. Elle s’opère aussi par le port des armes, la surveillance constante des élus et des fonctionnaires publics, la rédaction d’adresses et de pétitions envoyées à l’Assemblée, et l’affirmation du droit de résistance à l’oppression (ultime recours du peuple souverain s’il était trahi par des mandataires infidèles). La souveraineté populaire, pour garantir son caractère inaliénable, exige une unité du peuple qui résulte de rapports réciproques entre tous les citoyens, responsables chacun vis-à-vis de tous, et donne ainsi forme à l’unité nationale. Celle-ci se conçoit comme responsabilité collective qui engage le peuple souverain à l’égard du genre humain dans son ensemble. La souveraineté nationale en tant que souveraineté populaire est ainsi indissociable d’une « cosmopolitique » qui admet comme légitime la seule guerre de défense. downloadModeText.vue.download 882 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 871 Les constituants et les législateurs cherchent à poser les limites de cette souveraineté populaire en affirmant qu’aucune section du peuple, aucun individu, ne peut s’attacher l’exercice de la souveraineté. Néanmoins, le droit de résistance à l’oppression puis le devoir d’insurrection sont au fondement de tous les mouvements révolutionnaires qui, au nom du peuple, réaffirment les droits du souverain (10 août 1792, 31 mai et 2 juin 1793, 5 septembre 1793). Lorsqu’en l’an III la Terreur est rejetée, le droit de résistance et le devoir
d’insurrection sont refoulés au profit d’une conception essentiellement représentative de la souveraineté, qui sépare l’État administrateur et la société civile administrée. La souveraineté ne serait plus alors que l’expression rationnelle des besoins sociaux. Staël (Anne Louise Germaine Necker, épouse et baronne de Staël-Holstein, dite Mme de), écrivain (Paris 1776 - id. 1817). « Lorsqu’on accuse la philosophie des forfaits de la Révolution, l’on rattache d’indignes actions à de grandes pensées » : Mme de Staël est tout entière dans cette « Conclusion » du De la littérature (1800), où s’affirme son inébranlable foi en l’esprit humain et ses progrès. Ces « grandes pensées », ce sont celles pour lesquelles les Lumières ont combattu : la liberté et le bonheur. Et la fille du banquierministre n’aura de cesse de les vivre, au risque d’en éprouver les revers, tant affectivement - ce dont témoignent ses romans Delphine (1802) et Corinne (1807), et sa liaison avec Benjamin Constant - que politiquement (à partir de 1803, elle sera exilée par Napoléon, méfiant envers cette femme qui met la littérature au rang de guide éclairé des peuples). Parcourant l’Europe jusqu’en Russie - errance racontée dans les posthumes Dix années d’exil (1820) -, elle fait de Coppet, son château suisse, un foyer de cosmopolitisme littéraire et de libéralisme idéologique. Si celui-ci lui semble être la conclusion souhaitable d’un processus historique dévoyé par la Terreur (Des circonstances actuelles qui peuvent terminer la Révolution et des principes qui doivent fonder la République en France, 1798), celui-là ne peut qu’initier un mouvement de rupture d’avec un ordre esthétique enferré dans une imitation désormais inadaptée au goût du public révolutionné (De l’Allemagne, saisi par la police impériale en 1810, publié à Londres en 1813). Vingt ans avant les « enfants du siècle », Mme de Staël affirmait que littérature et société avaient partie liée : le romantisme avait trouvé en elle sa première théoricienne. Stavisky (affaire), scandale politico-financier à l’origine de l’émeute du 6 février 1934. Le 24 décembre 1933, alors qu’instabilité ministérielle et crise économique attisent l’antiparlementarisme, le directeur du Crédit municipal de Bayonne est arrêté pour avoir émis 200 millions de francs en bons de caisse gagés sur des bijoux faux ou volés. L’enquête permet de remonter jusqu’au fondateur de l’établissement, Alexandre Stavisky, déjà condamné pour escroquerie, abus de confiance, recel, etc., mais qui s’est constitué
un réseau d’amitiés politiques, de la droite aux radicaux. Ces derniers semblent en première ligne, avec Garat, député-maire de Bayonne, l’avocat Bonnaure, député de Paris, ou Chautemps, chef du gouvernement, dont le beau-frère, procureur général, a accordé à l’escroc dix-neuf reports de procès. Cette escroquerie n’est pas la pire qui ait été commise durant ces années : elle lèse, non pas directement les épargnants, mais des institutions. Mais c’est une affaire de plus, donc de trop. En outre, la droite parlementaire, salie par des affaires précédentes et dont certains membres étaient liés à Stavisky, saisit l’occasion de discréditer les radicaux. Elle fait donc chorus avec l’extrême droite, d’autant que Stavisky, en fuite, est retrouvé mort à Chamonix le 8 janvier, et que son suicide supposé laisse dubitatif. On accuse la police ; Chautemps démissionne le 28 ; et les ligues, mais aussi des organisations d’anciens combattants et le PCF, appellent à manifester à Paris, le 6 février, jour de l’investiture du nouveau président du Conseil, Édouard Daladier. STO (service du travail obligatoire), service institué en février 1943 par le gouvernement de Vichy, sous la pression des Allemands, pour contraindre les jeunes Français à travailler pour le compte du Reich. À partir de l’été 1942, Fritz Sauckel, responsable allemand du recrutement de la maind’oeuvre dans les pays occupés, accentue ses pressions pour obtenir le départ de travailleurs français en Allemagne : il s’agit de satisfaire les besoins de la machine de guerre hitlérienne. Laval imagine d’abord le dispositif de la « relève » (juin 1942), qui prévoit le départ de trois travailleurs contre le retour d’un soldat prisonnier. Fondé initialement sur le volontariat, ce dispositif devient vite coercitif. La loi du 16 février 1943, « portant institution du service du travail obligatoire », traduit cette évolution : tous les jeunes des classes 20, 21 et 22 (et bientôt une partie de la classe 19) sont astreints à un service civil de deux ans en Allemagne. Devant les résistances que suscitent ces départs forcés, la priorité est donnée à la mobilisation de la main-d’oeuvre en France même, dans des usines travaillant pour l’Allemagne (accords Speer-Bichelonne du 17 septembre 1943) ; jusqu’au mois de juin 1944, l’administration et la police de Vichy s’emploient, de concert avec l’occupant, à traquer réfractaires et « planqués ». À la Libération, environ 650 000 requis
français travaillent en Allemagne, notamment au titre du STO. La justice française refusera de leur reconnaître le titre de « déportés du travail ». Renforçant l’hostilité de la population à l’égard du régime de Vichy et des Allemands, le STO a décidé nombre de jeunes à rejoindre les maquis : son impopularité aura finalement servi la cause de la Résistance. Stofflet (Jean Nicolas), chef vendéen (près de Lunéville, Meurthe-et-Moselle, 1753 - Angers 1796). En 1770, il s’engage dans l’armée, où il devient caporal après plus de quinze ans de service, et y est remarqué par le comte Colbert de Maulévrier, propriétaire dans les Mauges (Anjou), qui le prend à son service comme garde des bois (1787). Résistant aux mesures de la Révolution, il se retrouve à la tête d’une bande de jeunes insurgés, dès mars 1793. Intégré dans la grande armée catholique et royale, il devient l’un de ses chefs et participe à toutes ses batailles de l’été 1793 comme major général. Il continue de combattre au cours de la « virée de Galerne » (marche vers les ports du nord de la Loire, dans l’espoir d’un débarquement anglo-émigré). Ayant réussi à traverser la Loire - en direction du sud - sous le commandement d’Henri de La Rochejaquelein, il devient général en chef de l’armée des Mauges après la mort de ce dernier, en janvier 1794. Résistant aux « colonnes infernales » de Turreau à partir de son camp établi dans la forêt d’Yzernai, il s’allie avec les autres chefs vendéens, Charette, Sapinaud et Marigny (il fait exécuter ce dernier en juillet 1794 après une décision collective). Son caractère, ses convictions, peut-être l’influence de son conseiller, l’abbé Bernier, lui font mener une politique autonome, jusqu’à battre monnaie au nom du roi. En 1795, il refuse de participer aux pourparlers de pacification de La Jaunaye, mais doit finalement se soumettre le 2 mai 1795. Il entretient ensuite des relations compliquées, tout à la fois, avec les émigrés, les républicains et Charette, retardant tout nouvel engagement. Il reprend la guerre en janvier 1796, pour se retirer aussitôt, faute d’être suivi par la population. Il trouve alors refuge dans la forêt ; mais, capturé par les républicains alors qu’il se rendait à une réunion clandestine, il est jugé et fusillé à Angers, en février 1796. Strasbourg (serments de), serments d’alliance entre Louis le Germanique et Charles le Chauve prononcés en février 842,
et considérés comme les premiers textes de la langue française. L’unité de la Chrétienté, réalisée par Charlemagne sous la pression de l’Église - mais aussi avec son aide -, reste fragile, parce que le principe de la monarchie héréditaire se heurte aux traditions barbares, selon lesquelles le territoire en héritage est partagé entre tous les « ayants droit ». À la mort de Charlemagne, Louis le Pieux n’a pas de rival, ses frères étant morts du vivant de l’empereur. En 817, poussé par les intellectuels ecclésiastiques de son entourage, il fait de son fils aîné, Lothaire, son seul successeur. Mais cette décision étant contraire à la coutume, la seconde femme de Louis revendique une part d’héritage pour son propre fils, le futur Charles le Chauve ; Louis lui donne satisfaction, créant les conditions d’un conflit. De fait, après la mort de Louis (840), Lothaire, soutenu par l’Église, et ses deux puînés, Louis le Germanique et Charles le Chauve, réclament chacun son dû. Ces deux derniers ont évidemment intérêt à s’unir contre leur aîné : ils scellent leur alliance par les serments de Strasbourg. Il y a en effet deux serments, prononcés tour à tour. Chacun des deux prétendants s’engage dans la langue de son allié : Charles le Chauve dans celle de Louis, la lingua teudisca, l’ancêtre de l’allemand, et Louis dans celle de Charles, la lingua romana rustica. C’est donc un « germanique » qui prononce le premier downloadModeText.vue.download 883 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 872 texte français connu, que Nithard, un historien de l’époque, consigne en langue vulgaire. Bien qu’il laisse entrevoir l’évolution vers ce qui sera l’ancien français, le texte reste marqué par le latin, sur le plan du vocabulaire, de la morphologie verbale et de la syntaxe. Il n’est en fait qu’un point de repère commode dans l’histoire du français et de la France. Parler « du » serment de Strasbourg, en effet, implique qu’on insiste sur la langue ; évoquer « les » serments de Strasbourg revient à souligner qu’ils annoncent la naissance de la féodalité en consacrant la fin de l’unité impériale bâtie sous Charlemagne. Dans les deux cas, il s’agit d’un acte symboliquement fondateur. Stresa (conférence de), conférence diplomatique réunissant, en avril 1935, à Stresa
(Piémont), l’Italie, la France et la Grande-Bretagne, dans le but de constituer un front commun face à l’Allemagne. Après les premiers entretiens Laval-Mussolini et le retour de la Sarre à l’Allemagne (janvier 1935), un rapprochement s’esquisse entre les gouvernements français et italien afin de faire face aux ambitions allemandes en Autriche (tentative d’Anschluss, juillet 1934) et de réagir à la politique hitlérienne (annonce de la constitution d’une armée de l’air et rétablissement du service militaire, en mars 1935, donc abrogation unilatérale des clauses militaires du traité de Versailles). Du 11 au 14 avril 1935, la conférence de Stresa réunit Mussolini pour l’Italie, Laval et Flandin pour la France, Ramsay MacDonald et John Simon pour la Grande-Bretagne. Alors que Français et Italiens souhaitent adopter des mesures susceptibles de porter un coup d’arrêt à l’expansion allemande, les Britanniques refusent de prendre des engagements fermes, autres que moraux. En dépit de ces divergences, et d’un communiqué final aussi vague que décevant, cette conférence est présentée comme la preuve qu’un « pacte » aurait été conclu. Mais les hésitations de Laval, la « politique d’apaisement » des Britanniques, les ambitions de Mussolini, ne permettent pas en fait d’élaborer une alliance destinée à contenir Hitler. « Il n’y eut pas, contrairement à la légende, de front de Stresa » (Jean-Baptiste Duroselle) : l’affaire éthiopienne (octobre-décembre 1935) devait d’ailleurs sonner le glas des « illusions de Stresa » (Léon Noël), en provoquant la rupture avec l’Italie. Struthof (camp du), camp de concentration bâti pendant la Seconde Guerre mondiale à Natzwiller, près du lieu-dit Struthof, au sudouest de Strasbourg, en Alsace alors annexée par l’Allemagne. Sa construction est décidée dès septembre 1940, dans le but de fournir de la maind’oeuvre pour des carrières de granit. Les 21 et 24 mai 1941 arrivent au camp deux groupes de déportés en provenance de Sachsenhausen : des condamnés de droit commun et des prisonniers politiques allemands et autrichiens, qui sont affectés à la construction. Le nombre d’internés augmente à partir du printemps 1942. En 1944, ils sont plus de 7 000, divisés en trois commandos chargés de travaux de terrassement et de la construction de routes. Des milliers de détenus supplémentaires sont envoyés en commandos extérieurs,
notamment dans la vallée de la Moselle et du Neckar. Le camp comporte dix-huit baraquements, disposés sur deux rangs et en paliers sur une pente de 30 % ; les conditions d’internement y sont extrêmement dures : isolement total, exécutions sommaires, tortures, sousalimentation et humiliations quotidiennes sont le lot de tous les prisonniers. Le taux de mortalité est particulièrement élevé. Sous la direction du SS Hauptsturmführer Hüttig jusqu’en février 1942, puis de Zill jusqu’en octobre 1942, suivi de Josef Kramer et enfin de Fritz Hartjenstein à partir de mai 1944, 200 SS tiennent le camp, dont 150 sont affectés à la surveillance. Ils sont secondés par des détenus, en général de droit commun, aussi cruels que leurs geôliers. Les Nacht und Nebel (« Nuit et brouillard », prisonniers politiques considérés comme particulièrement dangereux), signalés par d’immenses lettres NN barbouillées en rouge sur leurs vêtements, sont soumis à un régime extrêmement sévère. Les premiers NN français arrivent en juillet 1943, en trois convois (167 hommes). Ils sont rejoints d’avril à fin août 1944 par de nombreux autres, dont plus d’une centaine de membres du réseau Alliance, qui seront exécutés. Le tribunal militaire de Metz a établi, dans son audience du 15 juin 1954, qu’en trois ans et demi sont morts, au camp de Natzwiller, 4 471 Français, 4 500 Polonais, 508 Néerlandais, 353 Luxembourgeois, 307 Belges ainsi que des Allemands, Autrichiens, Tchèques, Russes, Norvégiens et Italiens, dont le nombre n’a pas été évalué. Les morts étaient incinérés dans un four crématoire, d’abord mobile, puis fixe à partir d’octobre 1943 et installé à l’intérieur même de l’enceinte électrifiée. Une chambre à gaz fut construite en août 1943, dans les dépendances de l’hôtel du Struthof. Le professeur August Hirt y a gazé 86 Juifs (dont trente femmes), envoyés d’Auschwitz, dans le but d’étudier leurs cadavres, qui, à la Libération, ont été retrouvés à l’université de Strasbourg, conservés dans du formol. D’autres expériences ont été pratiquées par Otto Bickenbach sur des Juifs et des Tziganes, pour tester leur résistance au gaz ou pour vérifier l’efficacité d’injections antityphus. Du 31 août au 4 septembre 1944, tous les détenus sont évacués à Dachau, en trois convois. Le camp est libéré le 23 novembre et accueille ensuite des miliciens et des Alsaciens accusés de collaboration avec l’Allemagne nazie. Le camp sera rasé le 29 mars 1954. Ne subsistent aujourd’hui que le bunker, le
crématoire, la cuisine des prisonniers et la baraque no 1, transformée en musée. Stuart (Marie) ! Marie Stuart Succession d’Autriche (guerre de la), conflit qui, de 1740 à 1748, met aux prises la plupart des puissances européennes, opposant notamment la Prusse, la France, la Bavière, la Saxe et l’Espagne à l’Autriche et l’Angleterre. • La succession d’Autriche. Le problème de la succession d’Autriche était posé depuis qu’en 1713 l’empereur Charles VI, sans héritier mâle, avait promulgué la pragmatique sanction qui visait à transmettre à sa fille Marie-Thérèse l’intégralité du patrimoine des Habsbourg, écartant ainsi d’éventuels prétendants, parmi lesquels l’Électeur de Bavière, Charles-Albert. Pendant plus d’un quart de siècle, Charles VI n’eut de cesse d’obtenir des autres souverains la reconnaissance des droits de sa fille. Lorsqu’il meurt en 1740, la pragmatique sanction est reconnue par les puissances européennes, la dernière en date étant la France, qui, en 1738, avait monnayé son acceptation contre la cession de la Lorraine, possession de François de Lorraine, époux de Marie-Thérèse, et candidat potentiel à l’Empire. Mais, à Versailles, un parti anti-autrichien très actif, animé par le comte de Belle-Isle, tente d’entraîner Louis XV et le cardinal Fleury, attachés à une politique de paix, à soutenir les droits de l’Électeur de Bavière, allié traditionnel de la France. Une solution moyenne est alors avancée : la France reconnaît à Marie-Thérèse les possessions familiales des Habsbourg, mais soutient la candidature de Charles-Albert de Bavière à la couronne impériale. • De la guerre de Silésie à la guerre généralisée. Ce compromis est mis en échec par les initiatives du nouveau roi de Prusse, Frédéric II, qui, sans déclaration de guerre, envahit la Silésie autrichienne, qu’il conquiert sans coup férir (décembre 1740avril 1741). C’est l’occasion, en France, pour le parti anti-autrichien et prussophile, auquel Voltaire prête sa plume, de mettre sur pied une vaste alliance, incluant, aux côtés de la Prusse et de la Bavière, la France, l’Espagne et la Saxe. Les armées bavaroises, appuyées par les troupes françaises du maréchal Maurice de Saxe, peuvent ainsi entrer à Prague, y faire couronner Charles-Albert roi de Bohême
(novembre 1741), puis le faire élire empereur sous le nom de Charles VII (janvier 1742). La ligne anti-autrichienne de la diplomatie française semble alors triompher : après avoir été écartés de la succession d’Espagne en 1713, les Habsbourg perdent la couronne impériale, qu’ils détenaient depuis quatre siècles. C’était sans compter avec la realpolitik de Frédéric II, qui, soucieux de digérer ses conquêtes, signe une paix séparée avec Marie-Thérèse (traité de Berlin, juillet 1742). La souveraine autrichienne, qui s’est assurée du soutien de la noblesse hongroise, peut alors contraindre les troupes franco-bavaroises à évacuer Prague. Elle reçoit aussi le renfort de l’Angleterre, neutre jusqu’alors, mais qui craint pour ses possessions hanovriennes, et qui est aux prises depuis 1739 avec les Espagnols et les Français en Amérique. En 1743, le conflit implique la quasi-totalité des pays européens. Tandis qu’en Italie, la France soutient les Bourbons d’Espagne et de Naples en des combats confus, elle appuie en Angleterre les tentatives de Charles-Édouard, le « prétendant Stuart », contre le roi George II. Parallèlement, Frédéric II reprend la guerre, remporte une seconde victoire sur l’Autriche, signe une nouvelle paix séparée (1745), et se retire définitivement du conflit, y ayant gagné la Silésie et le surnom de « Frédéric le Grand ». downloadModeText.vue.download 884 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 873 Entre-temps, Fleury étant mort en janvier 1743, Louis XV a repris l’offensive et porté le conflit sur le territoire des Pays-Bas, vieux théâtre d’affrontements avec les Habsbourg. En quelques mois (1744), l’armée du roi, secondé par Maurice de Saxe, s’empare de nombreuses places fortes (Menin, Ypres, Furnes, etc.). Le 11 mai 1745, à Fontenoy, le maréchal de Saxe écrase les troupes angloaustro-hollandaises de Cumberland ; puis il achève la conquête des Pays-Bas. La guerre est alors devenue principalement franco-anglaise, d’autant que la mort de Charles VII et l’élection de François Ier de Lorraine (l’époux de Marie-Thérèse) à l’Empire (1745) ont réglé la succession d’Autriche. • Une guerre « pour le roi de Prusse ». La lassitude aidant, et devant la menace d’une intervention russe, des négociations s’engagent en 1747. Elles aboutissent au traité d’Aix-
la-Chapelle (octobre 1748) : les troupes de Louis XV évacuent les Pays-Bas ; l’élection de François Ier de Lorraine à l’Empire est reconnue ; Français et Anglais se restituent leurs colonies. Ainsi, Marie-Thérèse s’en sort de manière presque inespérée. Mais le seul vainqueur incontestable est Frédéric II. La modération de Louis XV est mal comprise de l’opinion publique : la France, dit-on, s’est battue « pour le roi de Prusse ». En fait, la restitution des Pays-Bas à l’Autriche ouvre la voie à un « renversement des alliances », qui, en 1755, mettra un terme à la vieille querelle entre la France et les Habsbourg. La guerre de la Succession d’Autriche a mis en lumière les nouveaux antagonismes qui désormais structurent les relations internationales : la rivalité austro-prussienne sur le continent, et la rivalité franco-anglaise sur les mers. Succession de Bretagne (guerre de la), conflit dynastique qui oppose de 1341 à 1364 les Blois-Penthièvre et les Montfort, deux partis qui prétendent au titre de duc de Bretagne. C’est également l’un des épisodes de la guerre de Cent Ans. Au cours des dernières années du règne du duc Jean III de Bretagne, se pose clairement le problème de sa succession. En l’absence d’héritiers directs, le duché peut échoir à Jeanne de Penthièvre, qui revendiquerait ainsi l’héritage de son père, frère cadet du duc ; elle gouvernerait par l’intermédiaire de son mari Charles de Blois. L’autre prétendant est Jean de Montfort, demi-frère du duc. Les prétentions de la première trouvent leur légitimité dans la coutume de Bretagne, alors que celles du second s’appuient sur la coutume de France, qui refuse la succession féminine. Cependant, Jean III meurt sans avoir pris de décision quant à sa succession (30 avril 1341). Les deux prétendants posent alors le roi de France en arbitre, lui demandant, chacun, d’accepter son hommage-lige. Philippe VI accepte finalement celui de Charles de Blois, son neveu (7 septembre 1341). Au même moment, Jean de Montfort s’est déjà emparé de Nantes et du trésor de Jean III, et occupe militairement la totalité du duché. La décision royale rend la guerre civile inévitable. Les partisans des deux prétendants sont nettement différenciés. Jean de Montfort s’appuie sur la Bretagne « bretonnante », la petite noblesse, les couches populaires et le roi d’Angleterre. Charles de Blois est bien implanté dans le pays « gallo » (dialecte français)
et bénéficie de l’appui des hautes couches de la société et du roi de France. La guerre tourne d’abord à l’avantage de Charles, qui s’empare de Nantes et fait Jean prisonnier. Retranchés dans Hennebont, les montfortistes tiennent toutefois bon, menés par l’épouse de leur chef, Jeanne de Flandre, « au courage d’homme et au coeur de lion » (Froissart). L’aide de la flotte anglaise rétablit la balance. Le conflit s’enlise alors jusqu’à la trêve conclue à Malestroit, le 19 janvier 1343. La guerre reprend officiellement en 1345, bien que les partis soient momentanément affaiblis, d’une part, par la mort de Jean de Montfort en 1345, la folie de Jeanne de Flandre et la minorité de leur fils Jean, et, d’autre part, par la captivité de Charles de Blois à Londres de 1347 à 1356 et l’impuissance de Jeanne de Penthièvre, régente du duché. Les opérations sont confuses. S’y affrontent de grands capitaines tels Robert Knolles, Thomas Dagworth, Jean de Beaumanoir ou Bertrand du Guesclin, qui s’illustrent dans des actions héroïques, comme dans le combat des Trente, près de Josselin, le 25 mars 1351, ou dans la défense de Rennes face au siège du duc de Lancastre, du 3 octobre 1356 au 5 juillet 1357. En 1362, le débarquement du fils de Jean de Montfort modifie la situation. La guerre reprend avec intensité. Elle s’achève brutalement par la mort de Charles de Blois à la bataille d’Auray (29 septembre 1364). Le premier traité de Guérande (12 avril 1365) reconnaît Jean IV comme seul duc de Bretagne. Succession d’Espagne (guerre de la), dernière guerre du règne de Louis XIV, qui oppose la France et l’Espagne à une coalition de puissances européennes, de 1701 à 1714. • L’héritage espagnol. À la fin du XVIIe siècle, Charles II d’Espagne, qui appartient à la ligne espagnole des Habsbourg, règne sur d’immenses territoires : l’Espagne proprement dite et les colonies américaines, les Pays-Bas, le Milanais, Naples, la Sardaigne et la Sicile. Depuis longtemps, l’Europe attend la mort de ce roi à la santé fragile, qui n’a pas d’héritier direct. Ses successeurs éventuels sont les enfants et petits-enfants de Louis XIV et ceux de l’empereur germanique Léopold Ier, tous deux fils et époux d’infantes d’Espagne. La perspective d’un retour à Madrid des Habsbourg de la maison d’Autriche effraie l’Angleterre et les Provinces-Unies, qui l’acceptent néanmoins si les possessions espagnoles en Italie et aux Pays-Bas sont partagées. Mais un parti national convainc Charles II de refuser toute division de l’héritage : le roi meurt le 1er novembre 1700,
et son testament désigne comme son héritier Philippe de France, duc d’Anjou et second petit-fils de Louis XIV, à la condition qu’il renonce à ses droits sur la couronne de France. Non sans hésitation, Louis XIV accepte, et le duc d’Anjou accède au trône d’Espagne sous le nom de Philippe V. Après un antagonisme biséculaire entre la monarchie française et les Habsbourg d’Espagne, l’avènement d’un Bourbon à Madrid marque un tournant dans les relations internationales ; il ouvre également les colonies espagnoles d’Amérique au commerce français. Mais, alors que la paix en Europe ne remonte qu’à 1697 (traité de Ryswick, mettant fin à la guerre de la Ligue d’Augsbourg), l’acceptation par Louis XIV du testament de Charles II revient à choisir la guerre contre les Habsbourg d’Autriche : en effet, l’empereur Léopold soutient les droits de son fils cadet, l’archiduc Charles. Le conflit s’ouvre dans le Milanais, au printemps 1701. • Les forces en présence et l’extension du conflit. D’abord attentistes, l’Angleterre et les Provinces-Unies sont choquées par l’occupation préventive des Pays-Bas par les troupes françaises et par la subordination de Philippe V d’Espagne à son grand-père Louis XIV (l’asiento, fourniture d’esclaves noirs aux colonies espagnoles, est ainsi confié à des Français). Le 15 mai 1702, ces puissances maritimes se rangent du côté impérial, où l’empereur - Léopold Ier, auquel succède, à sa mort en 1705, son fils Joseph Ier - a rallié le Brandebourg et la majorité des princes allemands. La France s’appuie sur une Espagne militairement affaiblie, sur les Électeurs de Bavière et de Cologne, sur la neutralité bienveillante du Portugal, et sur une fragile entente avec la Savoie : c’est bien plus d’alliés qu’elle n’en avait lors des guerres précédentes. Mais, à l’exception de Villars et de Vendôme, les chefs de ses armées sont médiocres, alors que les coalisés ont deux généraux brillants : un Autrichien, le prince Eugène, et un Anglais, Marlborough. Les coalisés infligent une sévère défaite aux Franco-Bavarois à Blenheim (13 août 1704). La défection de la Savoie (VictorAmédée II change de camp, en novembre 1703) déséquilibre l’échiquier italien alors qu’au même moment le Portugal s’ouvre aux troupes anglaises : la guerre s’étend à la péninsule Ibérique. Gibraltar est pris par les Anglais en 1704 ; la Catalogne se donne au prétendant Habsbourg (qui y règne sous le nom de Charles III) ; Philippe V est chassé de Madrid en 1706. La même année, Marl-
borough, vainqueur à Ramillies, conquiert les Pays-Bas, et le prince Eugène, vainqueur à Turin, refoule peu à peu d’Italie les FrancoEspagnols. Un moment rétablie en 1707, la situation tourne à nouveau au détriment de la France : la défaite d’Oudenaarde (Audenarde), le 11 juillet 1708, entraîne la chute de Lille, le 22 octobre. Dans un pays menacé d’invasion, accablé par un terrible hiver, épuisé d’impôts, Louis XIV songe à négocier une paix de compromis : il y renonce devant l’exigence des coalisés, qui veulent lui faire combattre Philippe V. La bataille de Malplaquet (11 septembre 1709), demi-défaite pour la France, sauve cependant celle-ci de l’invasion. Le redressement se poursuit par un nouvel appel à l’impôt (le dixième, plus égalitaire), par la défense opiniâtre de la frontière nord par Villars, par la victoire de Vendôme en Espagne, à Villaviciosa (10 décembre 1710). Les corsaires malouins et dunkerquois mènent la vie dure au commerce anglais (plus de 3 000 navires capturés) et lancent des raids jusqu’en Amérique (prise downloadModeText.vue.download 885 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 874 de Rio de Janeiro par Duguay-Trouin, en septembre 1711). Le succès de Villars à Denain (24 juillet 1712) permet de repousser le prince Eugène sur le front du Nord. Surtout, la mort de Joseph Ier en 1711 fait accéder à la couronne impériale son frère Charles (l’empereur Charles VI, par ailleurs toujours prétendant au trône d’Espagne). L’Angleterre - où les tories, partisans de la paix, ont succédé aux whigs retrouve donc ses craintes d’une hégémonie autrichienne : elle retire ses troupes. • Le règlement du conflit. Commencées dès 1711, les négociations entre l’Angleterre et les Provinces-Unies, d’une part, et les Bourbons de France et d’Espagne, d’autre part, aboutissent au traité d’Utrecht (11 avril 1713). Charles VI est dès lors isolé, et ses armées sont battues à plusieurs reprises par Villars (prise de Fribourg-en-Brisgau, le 1er novembre 1713). Aussi se résout-il à la paix : le traité est signé à Rastadt, le 6 mars 1714. Philippe V est reconnu roi d’Espagne et renonce à ses droits sur le trône de France ; ses possessions en Italie et aux Pays-Bas passent à l’Autriche. La France cède à l’Angleterre Terre-Neuve, l’Acadie et la baie d’Hudson, mais Louis XIV a scellé une alliance espagnole qui change la
géopolitique de l’Europe. Succession de Pologne (guerre de la), conflit qui oppose, principalement, la France à l’Autriche, de 1733 à 1738. Le caractère électif de la couronne polonaise suscitait, lors de chaque succession, l’immixtion des puissances voisines (Suède, Autriche, Prusse, Russie). Auguste II de Saxe, élu en 1697, détrôné en 1704 par les Suédois au profit de Stanislas Leszczynski, puis rétabli en 1709, avait vainement tenté de rendre sa couronne héréditaire. À sa mort (1733), la Diète polonaise préfère l’ancien roi Stanislas, devenu entre-temps beau-père de Louis XV, au fils d’Auguste II, candidat du parti austrorusse, qui est néanmoins proclamé roi par ses partisans sous le nom d’Auguste III (octobre 1733). Renouant, malgré la prudence du cardinal Fleury, avec le vieux réflexe anti-autrichien, la France déclare la guerre à l’empereur Charles VI, et obtient l’alliance de la Savoie et de l’Espagne. À vrai dire, l’enjeu polonais s’efface assez vite derrière l’affrontement séculaire entre la France et les Habsbourg. Délaissant le terrain polonais, les armées françaises interviennent contre les Impériaux en Italie et sur le Rhin, où les opérations, d’ampleur limitée, leur sont plutôt favorables. Dès 1734, des négociations sont engagées, qui aboutissent en 1735 à un arrêt des combats et à des préliminaires de paix, ratifiés au traité de Vienne (2 mai 1738) : Auguste III est reconnu en Pologne ; Stanislas Leszczynski, à nouveau détrôné, reçoit la Lorraine, qui, à sa mort, reviendra à la France ; le duc de Lorraine, François III, gendre de l’empereur, obtient en compensation la Toscane, tandis que Naples et la Sicile reviennent à un Bourbon d’Espagne, don Carlos, fils de Philippe V. Aussi, cette guerre en trompe l’oeil confirme-t-elle la mainmise du parti austrorusse sur la Pologne, prélude à son démembrement ultérieur. Mais la France, poursuivant ses objectifs traditionnels, en a profité pour consolider sa frontière du Nord-Est, et l’Espagne pour récupérer une partie de ses anciennes possessions italiennes. Cette redistribution limitée des cartes n’a pas remis en cause l’équilibre issu des traités de 17131714, illustrant la politique du « juste milieu » poursuivie par Louis XV et Fleury. sucre. D’origine indienne (en sanskrit çarkâra), le mot a été transmis par le double
intermédiaire de la civilisation arabe (sukkar) et de l’Italie (zucchero). On le trouve, pour la première fois, au XIIe siècle, sous la plume de Chrétien de Troyes. L’apparition tardive de ses dérivés traduit la rareté du produit : « sucrer » ne date que du xve siècle, « sucrier » apparaît en 1555, « sucrerie » entre en usage à partir de 1658. L’essor de la production et de la consommation de sucre est lié à la naissance de l’économie-monde et à l’urbanité. • Le miel : le sucre avant le sucre. Jusqu’au Xe siècle, le sucre est connu par sa présence dans le lait, les agrumes et les fruits. Mais le miel est le seul produit qui contient une forte valeur de glucose et de lactose. L’apiculture et la récolte du miel sauvage sont en usage depuis l’Antiquité et, malgré une production limitée et dispersée, les ruraux n’ont jamais manqué de miel. Ils en consomment dans les médicaments, les fruits confits et les boissons, l’hydromel notamment (breuvage constitué d’eau et de miel fermenté durant plusieurs jours, auquel on mêle du vin ou des liqueurs). Dans sa Physiologie du goût (1825), Brillat-Savarin ironise sur le sucre qui est entré dans le monde par l’officine des apothicaires : ce préjugé résulte de l’opposition entre le miel, produit naturel, et le sucre, soumis à une transformation industrielle. La production du miel perdure en dépit de l’essor de la production de sucre colonial. • De la canne à la betterave : le sucre industriel. Originaire de la côte du Bengale, la canne à sucre se répand d’abord dans tout le Bassin méditerranéen. Puis, à la fin du XVe siècle, le déclin du commerce levantin et sa découverte des Amériques déplacent sa production outre-Atlantique, notamment au Brésil. Les Portugais et les Hollandais dominent alors le marché ; après 1670 leur succèdent les Français et les Anglais. En Guadeloupe, en Martinique et à Saint-Domingue, Colbert réserve le monopole antillais aux sujets de Sa Majesté. Le trafic d’esclaves doit être dirigé vers les exploitations sucrières, mais les raffineries sont localisées dans la métropole car il est plus sûr de transporter du sucre brut que raffiné. En 1735, quinze raffineries sont établies à Bordeaux et, en 1789, la France, première exportatrice d’Europe, produit 140 000 tonnes de sucre. Cette production repose sur de vastes exploitations et une importante maind’oeuvre. Elle est fondée sur le système de l’esclavage et l’afflux des capitaux des négociants. Des moulins transforment la plante par une série de presses, de cuissons et de lavages. La moscouade, sucre brut, est extraite de la canne écrasée ; elle est bouillie, puis coulée dans des
pots de terre et mélangée à une terre blanche. Il en résulte le sucre terré, ou cassonnade, qui fait l’objet d’un raffinage final. En 1747, le chimiste prussien Marggraf invente un procédé à base de betterave à sucre, qui est repris en France par Delessert (1811), afin de pallier les effets du Blocus continental, mais les résultats sont peu concluants. C’est sous le second Empire que les grands céréaliers du Bassin parisien assurent le succès du sucre de betterave, bien que son coût reste supérieur à celui du sucre des îles ; au début du XXe siècle, la production du premier dépasse, de manière éphémère, celle de son concurrent. • De la cour à la ville. L’usage du sucre s’est banalisé progressivement. En 1574, à Venise, Henri III est accueilli dans un décor en sucre massif, depuis les couverts jusqu’aux fresques. En 1789, à Paris, la consommation annuelle par habitant est de 500 grammes. Si le sucre est un peu plus coûteux que les oeufs, il l’est beaucoup moins que la viande. Il est un indice de la civilisation des moeurs : d’abord lié à un art de vivre aristocratique, il devient une habitude de sociabilité urbaine. Au XVIe siècle, le Grand Confiturier de Nostradamus témoigne de la vogue des confitures. Le sucre est l’ingrédient essentiel du développement des pâtisseries, des glaces d’origine italienne et des limonades. Au XVIIIe siècle, il est le complément du café et du cacao, et accompagne l’essor des cafés. Le petit-déjeuner à base de café au lait sucré, cher à JeanJacques Rousseau, fait son apparition. Si le goût de la douceur a aujourd’hui triomphé, la consommation annuelle de 30 à 35 kilos de sucre par Français semble atteindre un palier de saturation. Depuis plusieurs années, elle a même eu tendance à baisser fortement. Suessions, peuple gaulois qui occupait le sud de l’actuel département de l’Aisne et qui a laissé son nom à la ville de Soissons. Les Suessions sont l’un des peuples belges les plus puissants au moment de la guerre des Gaules. Il semble que leur territoire ait été anciennement plus grand encore et qu’ils aient même dominé une partie de la GrandeBretagne. L’un de leurs rois, Deiviciacos, dont le nom est également connu par des monnaies suessiones, est qualifié par César de « plus puissant chef de la Gaule entière ». Lors de la coalition belge qui se forme en 57 avant J.-C. contre les armées romaines, les Suessions peuvent fournir 50 000 guerriers, soit un sixième du total de l’armée belge. C’est contre leur capitale, Noviodunum, que se dirige
immédiatement César après avoir vaincu la coalition belge sur les bords de l’Aisne. La ville se rend sans combat, et il semble qu’on puisse l’identifier à l’oppidum de VilleneuveSaint-Germain, à l’est de Soissons, où toute une agglomération fortifiée gauloise, à l’urbanisme strict et à l’économie développée, a été retrouvée et partiellement fouillée. Les Suessions - décrits comme « frères de race » des Rèmes, « vivant sous les mêmes lois, ayant même chef de guerre, même magistrat » - passeront après leur défaite sous le contrôle politique de ces derniers, restés fidèles à Rome. La ville même de Soissons, Augusta Suessonum, sera fondée de toutes pièces au début de la période romaine ; elle comptait un théâtre, de nombreux monuments et de riches demeures décorées de peintures murales. downloadModeText.vue.download 886 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 875 Suez (canal de), canal situé en Égypte, mettant en relation la Méditerranée et la mer Rouge, réalisé de 1859 à 1869 sous la direction de Ferdinand de Lesseps. Dans l’Antiquité existait un système de canaux reliant le Nil à la mer Rouge, qui fut abandonné après la conquête arabe. L’idée d’unir directement les deux mers - sans passer par le Nil - renaît à la faveur de l’expédition de Bonaparte en Égypte (1798), mais l’ingénieur français Le Père conclut alors à l’impossibilité de percer un canal dans l’isthme de Suez. Sous la monarchie de Juillet, Prosper Enfantin et les milieux saint-simoniens se remettent à l’étude et parviennent à gagner au projet un jeune diplomate français, Ferdinand de Lesseps. Les ingénieurs Paulin Talabot et Linant de Bellefonds démontrent que la construction d’un canal entre les deux mers est techniquement possible. Lesseps bénéficie du soutien de son ami Saïd Pacha, qui devient khédive (vice-roi d’Égypte) en 1854. Le 30 novembre de la même année, il obtient une concession lui donnant le pouvoir de constituer une compagnie pour percer le canal : en 1858 est fondée la Compagnie universelle du canal maritime de Suez. D’emblée, elle marque la suprématie française sur l’entreprise : elle est de droit français et 51 % du capital initial est français. Les travaux débutent en 1859. L’inauguration de l’ouvrage par l’impératrice Eugénie réunit, le 17 novembre 1869, tout ce que l’Europe
compte de célébrités. La compagnie, qui obtient une concession de quatre-vingt-dixneuf ans à compter de ce jour d’ouverture, est financée grâce aux actions achetées surtout par de petits souscripteurs français mais aussi par le khédive Ismaïl Pacha, au pouvoir en Égypte depuis 1863. Long de 162 kilomètres, large de 40 à 85 mètres, le canal relie le bras occidental de la mer Rouge (Suez) à la Méditerranée (Port-Saïd). Symbole de la présence française en Méditerranée orientale, le projet s’est d’abord heurté à l’opposition du gouvernement britannique, qui a tenté de faire arrêter les travaux (1862) en intervenant auprès du sultan de Constantinople, suzerain de l’Égypte. Mais le canal facilite à tel point la route des Indes que la reine Victoria, en personne, se félicite de l’entreprise. En rachetant les actions d’Ismaïl (1875), les Britanniques réussissent même à devenir les principaux actionnaires de la compagnie : dès lors, malgré la présence à sa tête d’un administrateur français et son statut international - reconnu par la convention de Constantinople (1888) -, le canal de Suez sanctionne, dans les faits, la prédominance des Britanniques en Égypte, pays placé sous leur protectorat en 1914. L’annonce de la nationalisation de la Compagnie du canal par le président égyptien Nasser, en juillet 1956, provoque l’envoi de parachutistes français et britanniques à PortSaïd en novembre - signe d’une conjonction d’intérêts, mais qui est rendue vaine par les ultimatums de l’URSS et des États-Unis. En 1956, le canal achemine plus de 13 % du commerce mondial ; cependant, il a cessé de représenter pour l’imaginaire européen ce « lit nuptial de l’Occident et de l’Orient » cher à Prosper Enfantin. Suez (expédition de), expédition militaire lancée en octobre et novembre 1956 par des forces israéliennes, puis britanniques et françaises, dans la zone du canal de Suez. Le 26 juillet précédent, le colonel Nasser, homme fort de l’Égypte depuis 1954, a annoncé lors d’un discours à Alexandrie sa décision de nationaliser la Compagnie du canal de Suez, exploitée jusqu’alors par les Français et les Britanniques. Les conséquences financières de ce coup de force sont loin d’être dramatiques, une indemnisation ayant été prévue pour les actionnaires. En revanche, la crainte que Nasser, dans le contexte de la guerre d’Algérie, fasse des émules au sein du monde arabe pousse Londres et Paris à intervenir.
Le plan « Mousquetaire », préparé dans le plus grand secret dès la fin juillet, est présenté initialement comme une opération de maintien de l’ordre, après l’attaque israélienne contre l’Égypte du 29 octobre, dans la région d’Eilat, Al-Arich et Charm-el-Cheikh. Mais l’intervention franco-britannique est sensiblement retardée par les aléas du commandement intégré et n’est lancée réellement que le 5 novembre au matin ; en quarante-huit heures, les parachutistes français du général Massu et ceux des forces britanniques ont progressé de quarante kilomètres vers le sud, à partir de Port-Saïd. Les Américains sont mécontents de ne pas avoir été informés préalablement des opérations. Soumis à de multiples pressions, Anthony Eden, le Premier ministre conservateur anglais, est contraint d’accepter le cessez-le-feu exigé par l’Assemblée générale de l’ONU. C’est en effet la condition mise par les États-Unis pour renflouer la livre, dont les cours s’effondrent sur les marchés internationaux. Le président américain Eisenhower, qui vient d’être réélu, se pose en sauveur de la paix, et, pour modérer les Franco-Britanniques, joue de la menace nucléaire russe, exprimée explicitement par le maréchal soviétique Boulganine. Guy Mollet, le président du Conseil français, n’a plus qu’à suivre son homologue britannique. Le 7 novembre, l’ONU demande l’évacuation des forces étrangères et vote l’envoi d’une force internationale à Suez. L’opération « Mousquetaire » s’achève par l’échec des deux vieilles nations européennes, qui sont relayées par l’URSS et les États-Unis, dont le rôle au Moyen-Orient ira croissant. La logique de la guerre froide l’a emporté sur celle des impérialismes européens. Nasser, quant à lui, gagne en prestige, au terme d’un affrontement annonciateur des décolonisations triomphantes. suffrage (droit de), droit reconnu aux citoyens de voter pour élire leurs représentants ou pour exprimer leur volonté dans les décisions politiques. Quand le suffrage est censitaire - système adopté au début de la Révolution -, l’électorat est restreint par des conditions de fortune. En revanche, le suffrage universel ne comporte pas d’exclusive liée à l’argent : c’est le système électoral établi en France pour les hommes depuis 1848, puis pour les femmes depuis 1944. Sous l’Ancien Régime, certains Français peuvent voter, à de rares occasions, pour
élire les représentants des trois ordres du royaume (clergé, noblesse, tiers état) aux états généraux. Mais ces assemblées se tiennent uniquement sur convocation royale - il n’y a aucune réunion des états généraux entre 1614 et 1789 - et la souveraineté n’est nullement partagée entre le roi et ses sujets. En déclarant que la souveraineté appartient à la nation, les révolutionnaires font du suffrage l’un des attributs de la citoyenneté. • L’établissement du suffrage censitaire par la bourgeoisie révolutionnaire. Cependant, dès octobre 1789, les constituants réservent le droit de vote aux citoyens masculins qui payent une certaine somme d’impôt (appelée « cens » au XIXe siècle). Une césure est établie entre citoyens « actifs » et « passifs ». En outre, le suffrage est à deux degrés : les citoyens actifs, qui acquittent un impôt direct égal à trois jours de travail (1 à 3 livres), élisent les électeurs ; ceux-ci doivent payer une contribution équivalant au moins à dix jours de travail (5 à 10 livres) et élisent les députés, qui eux-mêmes doivent être des propriétaires imposés d’un marc d’argent (53 livres). La proportion d’actifs, inégale suivant les lieux, est plus élevée à la campagne, où les municipalités fixent parfois un cens très bas. Selon une estimation globale établie par l’historien Patrice Gueniffey, les actifs auraient représenté environ les deux tiers des hommes adultes, les électeurs 27 % et les éligibles 13 %. En 1789, les députés ne lient pas le droit de suffrage à la couleur de la peau ; mais, en 1791, les hommes libres de couleur en sont privés dans les colonies - ils peuvent l’exercer en France, dans le cadre censitaire. Ce dernier est modifié par la Constitution de 1791, qui supprime le cens d’éligibilité (marc d’argent) pour permettre à certains éléments de la bourgeoisie d’accéder à la fonction de député, mais réduit très nettement le nombre des électeurs (un impôt égal à la valeur de 150 à 200 jours de travail est désormais requis). La majorité des constituants considère que l’exercice des droits politiques suppose une indépendance de la personne, ce qui ne serait pas le cas des mineurs, des femmes, des domestiques, supposés soumis à l’influence de leurs parents, maris ou maîtres. De plus, l’idée est largement répandue que seuls les possédants ont un réel intérêt à la chose publique : « Ceux-là seuls qui contribuent à l’établissement public sont comme les vrais actionnaires de la grande entreprise sociale » (Sieyès). Les plus pauvres sont donc exclus du droit de suffrage ; le cens est même perçu comme un fac-
teur de progrès et d’émulation, devant inciter les citoyens passifs à s’enrichir par leur travail pour s’intégrer dans le corps électoral. L’exclusion des femmes et des domestiques ne soulève guère de protestations. En revanche, la gauche critique les mesures censitaires, jugées incompatibles avec le principe d’égalité énoncé dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : Robespierre assure qu’elles sont « anticonstitutionnelles et antisociales » et représentent la « violation la plus manifeste des droits de l’homme ». Les clubs et les sans-culottes font campagne contre le cens, qui est supprimé le 10 août 1792, après la chute de la monarchie. downloadModeText.vue.download 887 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 876 • Extensions et restrictions du suffrage. Pour la première fois en France, une élection, celle de la Convention (septembre 1792), est faite au suffrage universel masculin (limité par l’obligation d’une année de résidence). La Constitution de 1793 donne le droit de vote à tout citoyen âgé de 21 ans, domicilié depuis six mois dans le canton. La loi du 4 février 1794, qui supprime l’esclavage, étend le suffrage universel à « tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies », tous « citoyens français ». Le droit de vote reste cependant un apanage masculin, contesté seulement par quelques femmes en 1793. En 1795, la Constitution régissant le Directoire rétablit un cens (faible pour voter, mais élevé pour être électeur) et prévoit qu’à partir de 1804 seuls pourront voter ceux sachant lire et écrire. Boissy d’Anglas, l’un des inspirateurs de ce système, en explique l’enjeu en déclarant que le pays doit être gouverné par les « meilleurs », garants de l’« ordre social ». Sous le Consulat, toute condition censitaire est à nouveau annulée par la Constitution de 1799 ; mais les femmes et les domestiques ne peuvent voter et un système électoral pyramidal limite la portée du suffrage : l’électeur de base peut seulement désigner les membres d’une « liste de confiance » communale, qui, eux-mêmes, établissent une liste départementale, de laquelle résulte une liste nationale, et le Sénat - conservateur - « élit dans cette liste les législateurs ». La Constitution impériale de l’an X (1802) abandonne le système des listes de notabilités, mais réintroduit un cens d’éligibilité :
tous les citoyens votent au premier degré, mais les élus des collèges électoraux sont choisis parmi les plus imposés du département. La Restauration rétablit totalement le suffrage censitaire, très restreint : il faut avoir 30 ans et payer 300 francs d’impôts directs pour être électeur (le corps électoral ne comprend donc que 120 000 personnes), avoir 40 ans et acquitter 1 000 francs d’imposition pour être éligible (conditions remplies par 16 000 personnes). En outre, de 1820 à 1830, les plus imposés bénéficient d’un double vote. En 1830, sous la monarchie de Juillet, le cens est un peu abaissé, mais reste en vigueur. Cependant, la différence entre le « pays légal » (environ 200 000 électeurs) et le « pays réel » est de plus en plus mal ressentie. Dès 1840, le débat politique se cristallise sur cette question : les opposants prônent une diminution de moitié du cens, et les républicains sont favorables à sa suppression ; Guizot repousse ces propositions et préfère à toute extension du suffrage une évolution progressive des hiérarchies sociales, comme en témoigne sa célèbre formule : « Enrichissez-vous par le travail et par l’épargne. » Les républicains font de l’instauration du suffrage universel l’une de leurs principales revendications lors de la « campagne des banquets » (1847-1848) qui emporte le régime de Juillet. Le 5 mars 1848, le suffrage universel masculin est proclamé par les révolutionnaires, puis confirmé par la Constitution de la IIe République. Mais, après des élections favorables aux socialistes, la loi de mai 1850 l’« épure » en écartant les plus pauvres par plusieurs biais (obligation d’être inscrit au rôle de la taxe personnelle ; absence de toute condamnation, même légère ; résidence fixe depuis trois ans). En 1852, cette loi est abrogée par Louis Napoléon Bonaparte, qui supprime ainsi définitivement toute forme, même indirecte, de suffrage censitaire. • La difficile reconnaissance du suffrage féminin. En 1848, les féministes sont nombreuses à réclamer que le suffrage devienne réellement universel par son extension aux femmes ; l’une d’elles, Jeanne Deroin, présente même sa candidature aux élections au nom de « l’égalité civile et politique des deux sexes ». Dès la fin des années 1860, elles se mobilisent : procédant par actions symboliques (refus de payer les impôts, candidatures illégales...) ou menant des campagnes auprès des députés, leur mouvement fait progresser l’opinion sur la question. Après la Première Guerre mondiale, la généralisation du vote des femmes dans de nombreux
pays fait du cas français une anomalie. Dans l’Hexagone, les féministes, soutenues par certains hommes politiques, doivent donc poursuivre leur combat pour le suffrage. Mais le droit de vote des femmes, adopté par le Parlement en 1919, 1925, 1932, 1935, et 1936, est systématiquement repoussé par le Sénat. C’est finalement par l’ordonnance du Gouvernement provisoire (GPRF) du 21 avril 1944 que le droit de vote et d’éligibilité est accordé aux Françaises ; les élections de 1945 sont les premières à se dérouler au véritable suffrage universel. Suffren de Saint-Tropez (PierreAndré de) dit le bailli de Suffren, marin de la Royale et bailli de l’ordre de Malte, vice-amiral (château de Saint-Cannat, près d’Aix-enProvence, 1729 - Paris 1788). De bonne noblesse provençale, Suffren entre en 1743 dans les gardes de la marine pour devenir officier, puis rejoint l’ordre de Malte (1748), qui combat la piraterie barbaresque : il sera, successivement, chevalier, commandeur, puis bailli de cet ordre. Servant aussi dans la marine royale, il s’illustre lors de la prise de Port-Mahon (Minorque), en 1756, mais il est capturé par les Anglais l’année suivante. Après le traité de Paris (1763), qui met fin à la guerre de Sept Ans, il retourne chasser les Barbaresques à bord des galères de l’ordre de Malte. La participation de la France à la guerre de l’Indépendance américaine à partir de 1778 lui donne l’occasion de satisfaire son ambition et de se couvrir de gloire. Sous le commandement du comte d’Estaing, il prend part à plusieurs batailles navales, aux Antilles notamment (combat de Grenade, en 1779, qui permet de reprendre cette île aux Anglais, jusqu’en 1783). En 1781, Suffren est chargé de secourir la colonie hollandaise du Cap (Afrique du Sud), menacée par les Anglais ; lors d’une escale aux îles du Cap-Vert, son escadre bat la flotte du commodore Johnstone, qui devait attaquer le port sud-africain. Passé dans l’océan Indien, où il s’appuie sur les îles Mascareignes, Suffren arrive à Madras en février 1782. Lors de cette campagne des Indes, il cherche l’affrontement pendant deux ans, rencontrant les Anglais de l’amiral Hughes à plusieurs reprises : à Provédien (15 avril 1782), la bataille n’est qu’une mêlée indécise ; à Négapatan (6 juillet), Français et Anglais s’infligent des pertes terribles ; à Trinquemalé, beau port ceylanais tout juste conquis, Suffren repousse l’escadre anglaise (3 septembre) ; à Gondeloure (20 juin 1783),
il met ses adversaires en fuite. Offensif, accrocheur, sachant combiner opérations navales et ravitaillement terrestre parfois à longue distance (jusqu’à Sumatra), Suffren reçoit l’aide du rajah Hayder Ali, hostile aux Anglais. Ses succès ne sont jamais décisifs, mais ils vengent les anciennes défaites qu’ont subies les Français en Inde. Le traité du 3 septembre 1783 ayant mis fin au conflit, Suffren rentre en France, et est créé vice-amiral. Ce personnage obèse et truculent, redouté pour son caractère exécrable, meurt le 8 décembre 1788, peut-être au cours d’un duel. Suger, abbé de Saint-Denis et homme politique (Saint-Denis 1081 - id. 1151). L’oblation de Suger à l’abbaye de Saint-Denis par son père (1091) décide de la vocation du jeune homme, né dans une famille paysanne originaire de la région de Chennevières, aux environs de Paris. Moine à Saint-Denis (1101), il parfait son éducation auprès des maîtres des écoles parisiennes. Il devient progressivement le familier puis le conseiller du roi Louis VI, auquel il s’était lié d’amitié à Saint-Denis, et participe étroitement au gouvernement à partir de 1120. Élu dans le même temps abbé de Saint-Denis (1122), il se voit alors confier les missions les plus délicates (participation au premier concile du Latran, en 1123). Il est également chargé du redressement moral et matériel de l’abbaye de Saint-Denis, dont il entreprend la reconstruction de l’église après 1130. Les innovations architecturales et la recherche affichée d’un décor ostentatoire sont aussi l’expression de la doctrine théologique de Suger, empruntée à la spiritualité de l’école de Saint-Victor de Paris, selon laquelle le visible est une manifestation de l’invisible. À la mort de Louis VI (1137), l’abbé revient au premier plan de la scène politique en assumant le rôle de tuteur et de conseiller du futur Louis VII. Dix ans plus tard, il est désigné comme régent du royaume, pendant la deuxième croisade (1147-1149). Son intense activité littéraire inaugure l’historiographie royale (Vie de Louis VI le Gros, achevée vers 1144) mais aussi celle des arts de gouverner (lettres, chartes, Livre des choses faites pendant son administration). suisses, nom donné à des soldats mercenaires originaires de Suisse recrutés dans l’armée française sous l’Ancien Régime et sous la Restauration. À l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècle), le
recours à des soldats étrangers est commun à tous les États. Les cantons suisses, alors pauvres, « exportent » ainsi leur surplus d’hommes. Depuis le règne de Louis XI, des compagnies suisses servent en France. Cependant, après la victoire qu’il remporte à Marignan sur les Suisses payés par la Sainte Ligue, François Ier conclut avec les cantons confédérés la paix perpétuelle de Zurich (29 novembre 1516) : les Suisses sont désormais les alliés du roi de France, qui passe avec eux downloadModeText.vue.download 888 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 877 des conventions (capitulations) pour la levée de soldats. Sous le règne de Louis XIV, ces contingents reçoivent leur organisation définitive : les cent-suisses de la Maison du roi, le régiment des gardes-suisses, une douzaine de régiments de ligne, auxquels s’ajoutent quelques compagnies franches, soit au total environ 14 000 hommes en 1787, l’ensemble étant commandé par le « lieutenant général des suisses ». Ces troupes, essentiellement d’infanterie, fidèles et courageuses, ne peuvent cependant être utilisées outre-mer ni dans une guerre offensive contre le SaintSiège, le Brandebourg ou les Habsbourg. Liés à la personne du roi (« Le roi est notre seul allié, et nullement ses sujets », répondent les cantons helvétiques aux ligueurs, en 1583), les gardes-suisses défendent la Bastille le 14 juillet 1789 et quatre cents d’entre eux périssent dans l’ultime défense des Tuileries, le 10 août 1792. Licenciées dans l’été 1792, les unités suisses sont reformées sous la Restauration, de 1814 à 1830 ; environ 40 % des suisses à la solde d’un gouvernement étranger servent alors en France. Sully (Maximilien de Béthune, baron de Rosny, duc de), homme politique (Rosny-surSeine, près de Mantes, 1560 - Villebon, près de Chartres, 1641). Sully est né dans une famille noble originaire de l’Artois, qui connaît une crise financière au milieu du XVIe siècle et qui fait le choix de la Réforme. Il est présent à Paris lors du massacre de la Saint-Barthélemy et, sur la fin de l’année 1575, devient le chef de la maison de Rosny. • Du métier des armes à la politique. Dès 1576, Sully s’engage dans la fidélité d’Henri
de Navarre, auquel il a été présenté en 1572, et participe à ses côtés aux luttes civiles. Il est fait gentilhomme de la Chambre du roi de Navarre, puis chambellan et conseiller d’État. Il prend part à l’expédition du duc d’Anjou en Flandre (1582-1583), épouse Anne de Courtenay et rejoint définitivement le Béarnais. Il est présent aux grandes batailles des guerres de la Ligue, mais exerce aussi une activité négociatrice (ralliement de Villars-Brancas, gouverneur de Rouen, et du duc de Guise). Veuf, il se remarie en 1592 avec Rachel de Cochefilet. Dès 1596, il entre au Conseil des finances, étape décisive puisqu’il s’illustre en permettant le financement du siège d’Amiens grâce à l’invention d’« expédients » (créations d’offices, emprunt sur les plus aisés...). Il reçoit la charge de surintendant des Finances, et la paix accélère son ascension dans l’État royal grâce à une stratégie de cumul des charges administratives : il est fait grand maître de l’Artillerie et surintendant des Fortifications en 1599, capitaine du château de la Bastille et surintendant des Bâtiments en 1602, gouverneur du Poitou en 1603, tandis que la baronnie de Rosny est érigée en marquisat, puis la baronnie de Sully en duché-pairie. Peu à peu, son autorité s’impose et, après la disgrâce du chancelier Bellièvre, à partir de 1604-1605, sa prééminence au Conseil du roi est effective. • Un administrateur fortuné. L’action de Sully, relayée par plusieurs collaborateurs tels les frères Arnauld et orientée vers une centralisation administrative, est pensée dans le cadre d’un renforcement absolutiste du pouvoir royal (envoi de commissaires et de délégués permanents en province, constitution de chambres de justice, surveillance étroite de l’activité de la Chambre des comptes). Elle se traduit d’abord par une stabilisation financière : amortissement de la dette par rachat des rentes et des aliénations du domaine royal, réalisation de l’équilibre du Budget et, à partir de 1605, constitution d’une réserve. Pour l’historien Bernard Barbiche, Sully est l’artisan d’une transition de la monarchie de justice à l’État de finances, ce dont témoigne sa primauté sur le chancelier ; son action aboutit à une diminution du montant des tailles dès 1600, tandis que la gestion des gabelles, aides et traites est l’objet d’une restructuration qui permet un doublement de leur produit ; la paulette, ou « droit annuel », institutionnalisant la vénalité et l’hérédité des offices en 1604, est destinée à fournir un revenu supplémentaire à la monarchie.
Parallèlement, Sully perçoit le lien entre puissance financière de l’État et prospérité économique : c’est pour cette raison qu’il engage de grandes réalisations, encourageant les innovations agricoles, l’abolition de certains péages et, surtout, la remise en état du réseau des routes et des voies navigables (mise en chantier du canal de Briare en 1604, canalisation du Clain et de la Vesle). Ses interventions urbanistiques sont nombreuses, tant à Paris (construction de l’hôpital Saint-Louis, de la place Royale - aujourd’hui place des Vosges -, de la place et du quartier Dauphine, achèvement du pont Neuf, édification d’une liaison Louvre-Tuileries par galeries) qu’en province : création, dans la principauté de Boisbelle, de la ville d’Henrichemont (1609) et élévation de deux ailes nouvelles au château de Saint-Germain-en-Laye. Sully prête aussi attention à la défense du royaume, souci que traduisent la remise en état de l’Arsenal, l’affectation, dans chaque province frontière, d’un ingénieur ayant la mission de procéder aux travaux de fortification, à la fabrication de canons. Bernard Barbiche a démontré que Sully avait amassé une fortune considérable, supérieure à celle de la plupart des ducs et pairs de France, par des pratiques comparables à celles que mettront en oeuvre par la suite Richelieu ou Mazarin. Après sa disgrâce à la mort d’Henri IV, Sully se consacre à la gestion de son patrimoine (5 millions de livres), mais aussi à la rédaction des Économies royales (imprimées en 1638-1640) et des Estranges amours de la reine Myrrha. Fait maréchal de France (1634), demeuré calviniste sans prendre part toutefois aux dernières guerres protestantes, il meurt en 1641. Surcouf (Robert Charles), corsaire et armateur (Saint-Malo 1773 - id. 1827). À l’âge de 13 ans, Surcouf est mousse sur un navire marchand. Trois ans plus tard, il s’embarque pour les Indes. Capitaine à 20 ans, il pratique la traite pour les planteurs de la Réunion, avant de se lancer, en 1795, dans la guerre de course. Aux commandes de l’Émilie, Surcouf traque les navires anglais dans l’océan Indien et le golfe du Bengale. Mais, sans lettres de marque, il voit ses prises confisquées au début de 1796, à son retour à l’île de France (île Maurice). Il rentre alors en France pour plaider sa cause et obtient la restitution d’une partie du butin. En 1798, il reprend la mer à bord du Clarisse, opérant cette fois tout à fait officiellement, pour le compte du Directoire. Habile et téméraire,
il inflige de sérieuses pertes aux Anglais, qui reconnaissent bien vite son talent en mettant sa tête à prix. En 1800, c’est avec le Confiance qu’il capture le Kent, un navire de la Compagnie britannique des Indes, jaugeant 1 200 tonneaux, armé de 38 canons, et fort de 400 hommes d’équipage. Lorsqu’il regagne la France l’année suivante, sa fortune s’élève à 2 millions de livres. En 1803, après la rupture de la paix d’Amiens, Napoléon veut nommer Surcouf capitaine de vaisseau dans la marine impériale et lui donner le commandement de deux frégates dans la mer des Indes. Le Malouin refuse la proposition, préférant armer des navires pour la course. Néanmoins, il obtient la Légion d’honneur en 1804. En 1807, il embarque pour une dernière campagne à bord du Revenant. Baron d’Empire, il est chef de légion pendant les Cent-Jours. Sous la Restauration, il se contente d’armer des navires de commerce. surintendant des Finances ! contrôleur général des Finances surréalisme. Ni école ni groupe clairement délimité, le surréalisme s’apparente plutôt à un mouvement qui bouscule l’écriture artistique et cherche à appréhender le réel selon d’autres voies que celles de la conscience et de la raison. • Le jeu de l’imaginaire. C’est après avoir accueilli les productions dadaïstes, d’abord applaudies pour leur dimension provocatrice puis jugées trop destructrices, que les poètes qui ont fondé la revue Littérature en 1919 - Louis Aragon, André Breton, Philippe Soupault -, attirés par l’écriture automatique et les recherches sur l’inconscient, fondent en 1924, en compagnie de Paul Eluard, la Révolution surréaliste. Dirigée par Benjamin Péret et Pierre Naville, la revue attire autour d’elle des écrivains tels qu’Antonin Artaud, Michel Leiris, Raymond Roussel, Max Jacob... Les préoccupations communes au groupe se font jour dans l’acte de naissance théorique du surréalisme, signé par Breton en 1924, le Manifeste du surréalisme. Priorité est donnée à l’« automatisme psychique », à la recherche de l’insolite, à la part du rêve et de la démesure. Les univers surréalistes sont ainsi peuplés de personnages rapprochés par des hasards non fortuits, comme dans le Paysan de Paris (1926) d’Aragon ou dans Nadja (1928) de Breton, d’objets décontextualisés ou curieusement associés, comme dans les représentations fan-
tastiques de Salvador Dalí ou visionnaires de Max Ernst. L’amour fou, qui donne son titre à une oeuvre (1937) de Breton, apparaît comme une ouverture privilégiée à l’imaginaire et à la liberté. Le langage est également renouvelé : les poètes multiplient les jeux d’écriture tels les « cadavres exquis », les calembours, les downloadModeText.vue.download 889 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 878 associations d’images inattendues ; les peintres explorent de nouvelles techniques créatives telles que collages, frottages, réemploi de photographies (Max Ernst, Pierre Reverdy). Les correspondances poétiques de Rimbaud, l’oeuvre d’Apollinaire, les recherches de Freud, les pratiques hypnotiques et occultes, les expériences hallucinatoires mais aussi les arts dits « mineurs » sont autant de sources d’inspiration pour la famille surréaliste, avide de sonder l’inconscient humain et les multiples possibilités de création. • Divergences et ruptures. Cependant, les relations se détériorent rapidement au sein du groupe initial, et notamment pour des raisons politiques. Dès 1925, le rapprochement des revues Clarté et la Révolution surréaliste semble suggérer que la révolution poétique peut être associée à un projet de transformation politique. À partir de 1927, les adhésions des membres du groupe au Parti communiste, celles de Breton et d’Aragon en particulier, singularisent des surréalistes qui entendent jouer un rôle révolutionnaire. Le Second Manifeste du surréalisme, paru en 1929, incite les artistes à adopter une position politique claire ; en 1930, la revue est d’ailleurs rebaptisée le Surréalisme au service de la révolution. Mais plusieurs membres du groupe, Desnos par exemple, refusent cette allégeance politique. Aussi, une nouvelle coupure apparaîtelle entre les partisans d’une stricte obéissance à la ligne du PCF et les défenseurs d’une création autonome : Aragon, au service du parti, rompt en 1932 avec Breton. Au-delà des querelles politiques, l’esprit de chapelle que dénonce Michel Leiris - le poète n’hésite pas à évoquer l’« abominable intellectualité surréaliste » - fait fuir des artistes qui explorent des voies différentes de celles choisies par Breton, vite considéré comme le « pape du surréalisme » : ainsi, Georges Bataille s’interroge sur la puissance de la jouissance et de l’érotisme, Artaud se livre à
une exploration psychique vertigineuse, et Raymond Queneau axe ses recherches sur la complexité de la langue. Au sein même du groupe, les écarts sur le sens du travail artistique sont également remarquables : c’est ainsi que, par exemple, s’oppose la production picturale raisonnée de René Magritte à celle, bouillonnante, d’André Masson. De même, il n’y a guère de similitudes entre les artistes, tel Dalí, qui n’ont pas renoncé à une figuration minutieuse - même s’il s’agit d’objets fantasmatiques - et les artistes qui, tel Miró, empruntent la voie de l’abstraction. Pourtant, malgré ses divergences, le mouvement surréaliste exerce entre les deux guerres une profonde influence, perceptible dans sa forte capacité d’attraction. Au-delà de la poésie et de la peinture, le surréalisme a touché le cinéma (Buñuel), la photographie (Man Ray) et la sculpture (Jean Arp). Marginal dans les années 1920, il arrive à consécration dès les années 1930, notamment grâce à l’Exposition internationale de 1937. Au lendemain de la Libération, il influence d’autres familles artistiques telles que les peintres abstraits américains, et prend place parmi les chapitres les plus marquants de l’art contemporain. surveillance (comités révolutionnaires ou comités de), groupes de révolutionnaires exerçant des pouvoirs de police politique. En confiant, le 11 août 1792, la police de « sûreté générale » aux municipalités, l’Assemblée législative encourage la création spontanée de « comités de surveillance ». Avec la crise de février-mars 1793, ces comités se multiplient, souvent de façon désordonnée. Soucieuse de leur donner une assise légale et de les contrôler, la Convention décrète, le 21 mars 1793, la formation d’un comité de surveillance par commune (ou par section de commune, dans les villes de plus de 25 000 habitants). Composés de douze membres élus, ces comités sont chargés de recenser les étrangers. Leur organisation est, en fait, chaotique : certains outrepassent leurs attributions, d’autres inclinent au fédéralisme. La loi des suspects (17 septembre 1793) et la loi du 14 frimaire an II (4 décembre 1793) relative au Gouvernement révolutionnaire tentent de définir strictement leurs pouvoirs. Investis de l’application des « lois révolutionnaires et des mesures de sûreté générale et de salut public » - c’est-à-dire l’établissement des listes de suspects et, éventuellement, les arrestations, et le contrôle des certificats de
civisme -, les comités de surveillance doivent rendre des comptes décadaires à leur district. Les présidents et secrétaires sont renouvelés tous les quinze jours, et les membres, bientôt nommés. Rouages essentiels du gouvernement de l’an II, ces comités fonctionnent de façon variable et certaines communes n’en ont même pas. Après le 9 Thermidor, ils deviennent un symbole de la Terreur : caricatures et comédies en font des assemblées d’ivrognes illettrés et sanguinaires. Le 7 fructidor an II (24 août 1794), la Convention réduit leur nombre à un par chef-lieu de district (sauf pour les villes de plus de 8 000 habitants) et à douze pour l’ensemble de la capitale (un pour quatre sections parisiennes). Cette mesure permet l’épuration du personnel. Toutefois, les comités conservent le droit de lancer des mandats d’arrêt, mais ils doivent procéder aux interrogatoires dans les vingt-quatre heures et informer le Comité de sûreté générale dans les trois jours des motifs de l’arrestation. Le 1er ventôse an III (19 février 1795), on limite encore leur nombre (un comité par ville de plus de 50 000 habitants) et, en prairial (juin 1795), la Convention leur interdit la dénomination de « révolutionnaires ». L’institution des comités de surveillance précéda largement la Terreur ; nombre d’entre eux commirent des excès, bien d’autres se contentèrent, selon l’expression du conventionnel Robert Lindet, « d’affermir la tranquillité publique ». suspects (loi des), sous la Révolution, loi qui organise la répression pendant la Terreur. Elle est votée le 17 septembre 1793 par la Convention, mais elle s’inscrit en fait dans une continuité législative. En effet, très tôt, la crainte du « complot aristocratique » conduit les révolutionnaires à se méfier des opposants et à vouloir les contrôler, voire les exclure de la communauté. La notion de « suspect » apparaît pour la première fois dans un texte législatif en 1791. Après le 10 août 1792, l’usage du mot se répand pour désigner l’« ennemi de l’intérieur ». Parallèlement, une justice d’exception est peu à peu mise en place, marquée par la création d’un tribunal extraordinaire et par l’adoption de mesures répressives contre les prêtres réfractaires, en 1792, puis par l’instauration du Tribunal révolutionnaire, en mars 1793. En outre, le 21 mars 1793, la Convention décrète la formation d’un comité de surveillance (ou comité révolutionnaire) par commune (ou par
section de commune, dans les plus grandes villes), ces organismes étant chargés de rechercher et d’arrêter les suspects. Enfin, le 5 septembre 1793, à la suite de manifestations populaires, la Convention met la Terreur « à l’ordre du jour » et décrète « l’arrestation des suspects », mesure vivement réclamée par les sans-culottes pendant l’été. La loi du 17 septembre, présentée au nom du Comité de législation par le juriste Merlin de Douai, organise l’application de cette décision de principe. Elle réaffirme l’ordre d’arrêter tous les suspects, et donne de ceux-ci une définition légale très large : par « suspects », on entend les « partisans de la tyrannie, du fédéralisme et ennemis de la liberté », ceux à qui a été refusé un certificat de civisme, les fonctionnaires publics suspendus ou destitués, les émigrés et leurs parents s’ils n’ont pas « constamment manifesté leur attachement à la Révolution ». En outre, les comités révolutionnaires, qui sont chargés de leur arrestation, doivent eux-mêmes en dresser la liste. Des suspects sont arrêtés comme tels depuis août 1792, mais leur nombre s’accroît nettement après la loi du 17 septembre : jusqu’en août 1794, environ 500 000 « suspects » sont emprisonnés. Ils sont ensuite jugés par le Tribunal révolutionnaire ; mais nombreux sont ceux qui attendent en prison, pour des périodes plus ou moins longues (huit mois en moyenne à Paris), avant d’être libérés sans procès, sur ordre des comités révolutionnaires ou du Comité de sûreté générale. Dans la capitale, les arrestations de « suspects » sont particulièrement importantes à l’automne 1793 et au printemps 1794 ; mais, dès juillet 1794, le nombre des libérations est supérieur à celui des arrestations. Après le 9 thermidor an II (27 juillet 1994), on observe un mouvement de libérations massif. Bien qu’elle ait perdu de sa substance, la loi n’est cependant supprimée qu’à l’automne 1795. suzeraineté, pouvoir féodal suprême exercé par le roi de France. Issu du latin populaire superanus (« supérieur », « le plus élevé »), le terme « suzerain » désigne au Moyen Âge un puissant seigneur dont les vassaux possèdent eux-mêmes des vassaux ; de ce fait, ce « seigneur de seigneurs » est au sommet d’une pyramide féodale. Le suzerain par excellence est évidemment le roi de France, pour lequel les juristes forgent le concept de suzeraineté. Les Carolingiens avaient cherché à utili-
ser la vassalité pour s’attacher la fidélité des potentats locaux mais, aux Xe et XIe siècles, la dissociation accélérée des pouvoirs publics fait perdre au roi le contrôle des clientèles downloadModeText.vue.download 890 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 879 féodales. À partir du XIIe siècle, la suzeraineté apparaît comme l’un des instruments de reconquête du pouvoir royal. « Suprême seigneur fieffeux » qui ne peut lui-même être le vassal de quiconque, le roi exige l’hommage prioritaire des grands feudataires du royaume, y compris ceux qui, comme les comtes de Flandre ou de Toulouse, dépendent théoriquement de l’empereur germanique ou du roi d’Angleterre. Utilisant pleinement les ressources du droit féodal, il n’hésite pas à retirer leurs fiefs aux vassaux récalcitrants comme le roi d’Angleterre Jean sans Terre, qui se voit confisquer par Philippe Auguste la Normandie, l’Anjou, le Maine et le Poitou en 1202. Ainsi se constitue ce qu’on peut appeler une « monarchie féodale ». Au XIIIe siècle, la notion de « suzeraineté » glisse progressivement vers celle de « souveraineté » (fondée d’ailleurs sur la même racine latine). Les légistes d’alors, nourris de droit romain, étendent la protection suzeraine du roi à tous les habitants du royaume non engagés dans les liens vassaliques : au nom du principe que nul ne peut être sans seigneur, ces derniers sont désormais considérés comme les sujets du souverain, ainsi placé au-dessus de la hiérarchie féodale. La suzeraineté n’en disparaît pas pour autant, et ses principes continuent d’être invoqués durant l’Ancien Régime. C’est au nom de ceux-ci qu’est prononcée en 1523 la confiscation du fief du connétable de Bourbon, qui a trahi François Ier ; de même, les impôts levés sur les boissons conservent pendant longtemps le vieux nom féodal d’« aides », et l’on cherche périodiquement à réanimer le ban et l’arrière-ban. Jusqu’à la Révolution, la Chambre des comptes ne cesse d’enregistrer les actes d’hommage et de foi exigés de tout nouveau vassal par un roi décidément attaché à sa suzeraineté. Syagrius Afranius, chef militaire romain de Gaule du Nord qui, à la fin du Ve siècle, contrôle la région comprise entre la Loire et la Seine.
Syagrius appartient à une vieille famille aristocratique gallo-romaine. À la mort de son père, le général Aegidius (464), il prend le commandement de la grande armée d’intervention en Gaule du Nord. Avant même la disparition du dernier empereur d’Occident (476), il exerce déjà le pouvoir de manière totalement indépendante en Gaule Lyonnaise et sur une partie de la Gaule Belgique. Depuis Soissons, sa capitale, il maintient les cadres administratifs romains, contrôle les biens fiscaux, prélève les impôts et soutient les évêques catholiques à la tête des cités. À l’imitation de son père, Syagrius accepte de collaborer avec les élites barbares installées à l’intérieur du limes. Il s’allie d’abord au roi franc Childéric Ier. Mais, dans la rivalité qui oppose les Francs aux Wisigoths pour la domination de la Gaule, Syagrius choisit finalement le camp gothique du roi Alaric II - qui domine l’Espagne, l’Aquitaine et la Septimanie -, et se heurte bientôt au fils et successeur de Childéric, Clovis. L’arianisme des Wisigoths détourne cependant de lui les élites catholiques, en particulier les évêques. En 486, une rapide campagne de Clovis, uni aux autres chefs francs saliens - ses parents - et aux Francs Rhénans, aboutit à la défaite de Syagrius lors de la bataille de Soissons et à son exil auprès d’Alaric II. Ce dernier finit par le livrer à Clovis, qui le fait assassiner. La mort de Syagrius marque la disparition de la dernière forme de pouvoir romain en Gaule. Sylvestre II (Gerbert d’Aurillac), savant et ecclésiastique, pape de 999 à 1003 (Auvergne 945/950 - Rome 1003). Issu d’un milieu modeste, Gerbert entre au monastère Saint-Géraud d’Aurillac, qu’il quitte en 967 pour suivre le comte Borell en Catalogne, où il étudie le quadrivium (arithmétique, géométrie, musique, astronomie). De Rome, où il a accompagné Borell et l’évêque de Vich et où il rencontre la famille impériale, il gagne Reims (972), où il devient écolâtre. Sa renommée de pédagogue est vite établie. En 982 ou 983, l’empereur Otton II lui offre l’abbaye de Bobbio, qui possède alors l’une des plus grandes bibliothèques d’Occident (sa vie durant, il reste fidèle aux Ottoniens). Il ne tarde pas à la quitter, après la mort de son protecteur, et reprend son enseignement à Reims (984-989), comptant parmi ses élèves le futur roi Robert II le Pieux. Il joue aux côtés de l’archevêque de Reims Adalbéron un rôle important dans l’élection d’Hugues Capet (987). Il doit pourtant traverser une période
confuse après la mort du prélat (janvier 989), avant d’être promu au siège archiépiscopal de Reims (juin 991). Contesté par ses ennemis et par la papauté, Gerbert finit par quitter Reims en acceptant l’invitation que lui fait le jeune empereur Otton III de devenir son précepteur. Otton est à l’origine de sa nomination comme archevêque de Ravenne (avril 998), puis comme pape - sous le nom de Sylvestre II (avril 999). Le nouveau souverain pontife, qui a été, du reste, un partisan de la restauration impériale, collabore étroitement avec l’empereur. Contraint de quitter Rome devenue peu sûre (février 1001), il y revient après la mort d’Otton et s’y éteint le 12 mai 1003. Gerbert a franchi bien des étapes de sa brillante carrière grâce à sa renommée de savant. Il manifesta une solide connaissance dans toutes les sciences du quadrivium, mais écrivit aussi un traité de logique. Admirable promoteur de la science, il fut indéniablement un précurseur dans l’introduction en Occident - et notamment en Francie - d’apports de la science arabe (ainsi la numération à neuf chiffres, dont la valeur changeait selon la position sur l’abaque, et qui est à l’origine de ce qu’on nomme « chiffres arabes »...). Sa correspondance, enfin, atteste un goût pour la rhétorique classique. Syrie ! Levant (mandats du) système métrique, système de poids et mesures institué en France en 1795, dont la base est le mètre. Fondé sur une mosaïque de pays et de coutumes, sur un assemblage composite de particularités locales dû à ses origines féodales, l’Ancien Régime n’est jamais parvenu à créer ni à imposer un système simplifié et uniforme de mesures, malgré les voix qui le réclamaient et les efforts centralisateurs de la monarchie. L’invention et la diffusion d’un tel système sont filles de la Révolution : attachés à la libre circulation des biens et à l’essor du commerce tout autant qu’à une uniformisation pensée comme égalitaire, les législateurs révolutionnaires se préoccupent dès 1790 de la diversité des poids et mesures, préjudiciable aux échanges sur le territoire national. En effet, comment s’y retrouver quand près de huit cents mesures cohabitent ? Aussi, l’Assemblée constituante décide-t-elle, le 8 mai 1790, de confier à des spécialistes la création d’un système entièrement nouveau. Une Commission des poids et mesures est constituée, qui regroupe d’éminents savants tels Lagrange,
Laplace, Monge, Borda ou Lavoisier. Rapidement, elle décide que l’unité de base, qui servira à définir toutes les mesures (longueur, surface, volume, contenance, poids), s’appellera le mètre, et que l’ensemble du système se déclinera en multiples et sous-multiples de dix : le système décimal est né. Reste à étalonner le mètre. Stable, uniforme, simple d’utilisation, il doit aussi être universel : or, quoi de plus universel que la Terre, mère commune à tous les hommes, et, sur Terre, que le méridien, qui passe sous les pieds de chacun ? Le mètre est donc bientôt défini comme la dix millionième partie du quart du méridien terrestre. Encore faut-il calculer avec précision l’arc du méridien : deux astronomes, Pierre Méchain et Jean-Baptiste Delambre, s’y emploient entre 1792 et 1798, prenant comme référence le méridien compris entre Dunkerque et Barcelone. Leur travail, vérifié par une commission internationale, aboutit à la réalisation du premier mètre étalon, qui est présenté aux Conseils des CinqCents et des Anciens le 22 juin 1799. Institué en 1795 (sur la base d’un étalon provisoire), le système métrique a mis plusieurs décennies à s’imposer, d’abord en France puis à l’étranger. Le mètre, dont un nouvel étalon a été réalisé en 1870, s’est depuis précisé, au gré des progrès scientifiques et technologiques : depuis 1983, il se définit comme la distance parcourue par la lumière dans le vide en 1/299 792 458 seconde. downloadModeText.vue.download 891 sur 975 downloadModeText.vue.download 892 sur 975
T TAAF, initiales de Terres australes et antarctiques françaises, territoire d’outre-mer de la République française institué par une loi du 6 août 1955, et subdivisé en quatre districts : trois archipels subantarctiques de l’océan Indien - les îles Crozet, les îles SaintPaul et Nouvelle-Amsterdam, les îles Kerguelen - et une portion du continent Antarctique - la Terre Adélie. Si les îles Saint-Paul et Nouvelle-Amsterdam sont découvertes au milieu du XVIe siècle par les Portugais, ce n’est qu’en 1772 que le navigateur français Yves Kerguelen de Trémarec reconnaît l’archipel qui, depuis, porte son nom. La même année, le capitaine Nicolas Thomas Marion-Dufresne découvre un autre archipel, auquel il donne le nom de l’historien de l’expédition, Julien Marie Crozet. Au
cours d’une mission d’exploration des régions antarctiques, Dumont d’Urville découvre en 1840 la Terre Adélie, ainsi baptisée en hommage à sa femme. En 1842-1843, le gouvernement français ordonne la prise de possession des trois archipels. La Terre Adélie est, quant à elle, attribuée à la France par une conférence internationale, en 1934 ; cette attribution est confirmée par le traité de Washington (1959), qui prescrit la démilitarisation de l’ensemble du continent antarctique. Les Terres australes et antarctiques françaises sont dépourvues de population permanente : en conséquence, ce territoire d’outremer n’a ni représentation parlementaire ni institutions représentatives. Il est placé sous l’autorité d’un administrateur supérieur (l’adsup) résidant à Paris et accomplissant de fréquentes tournées dans le territoire. Un pavillon dérogatoire de la marine marchande, domicilié aux Kerguelen (Port-aux-Français), est institué depuis 1986. Des missions scientifiques (météorologie, océanographie, physique du globe, glaciologie, biologie) séjournent dans chaque district et sont ravitaillées par des bâtiments de la marine nationale. Ces territoires garantissent à la France une vaste zone de pêche et sont d’une grande importance géopolitique. tabac. Dénommée tabaco par les Espagnols de Saint-Domingue, et petum par les Portugais du Brésil, la plante est rapportée du Canada par Jacques Cartier (1536), puis du Brésil par le moine franciscain André Thevet (1556). Elle devient en France une panacée prise en décoction, bain ou fumigation, après qu’en 1561 Catherine de Médicis eut fait usage, contre la migraine, des feuilles de cette nouvelle plante expédiées par le représentant du roi de France à Lisbonne, Jean Nicot. Mais elle est le plus souvent « prisée » par les hommes et par les femmes des classes aisées qui, du XVIIe au XIXe siècle, adoptent l’usage des tabatières ornées. Le peuple, surtout les marins et les soldats, chique plutôt, ou fume au moyen de pipes en argile, os ou corne - les pipes en racine de bruyère, confectionnées depuis 1858, sont une spécialité jurassienne -, parfois dans des « tabacs » ou « tabagies », cabarets spécialisés apparus sous Louis XIII. La consommation de cette drogue stimulante, qui est aussi un coupe-faim compensateur des insuffisances alimentaires, décuple au XVIIIe siècle, puis passe de 1 kilo par adulte et par an en 1865 à 1,6 en 1925 et 2,4 en 1985. À la suite des expéditions militaires françaises en Espagne (1808-1813, 1823), le cigare est introduit dans les fumoirs de la bonne société masculine ; enfin, produite
en France depuis 1842, la cigarette devient en 1919 la principale forme de consommation de tabac. Tous deux font, entre 1880 et 1950, le bonheur des « mégotiers ». L’État tire profit de la taxation des importations de tabac dès 1624, ensuite de leur monopole (de 1664 à nos jours) ; ceux du débit (1674) et de la fabrication (1681) sont attribués jusqu’en 1774 à une puissante Ferme du tabac, puis sont mis en régie. La culture, d’abord répandue en Guyenne, en Provence et en Normandie, est réservée en 1719 aux provinces du Nord et de l’Est, conquises sous Louis XIV. De sorte qu’une contrebande intérieure massive se développe, quoique punie des galères ou de mort. En 1791 est rétablie la liberté de culture, de fabrication et de vente, mais Napoléon Bonaparte institue un nouveau monopole d’État pour la fabrication et la distribution (1810). À la Régie des tabacs se substitue en 1926 le Service - depuis 1980, la Société - d’exploitation industrielle des tabacs, qui reçoit en 1935 le monopole des allumettes (Seita). Également tournée vers l’exportation, elle ravitaillait 43 000 débitants en 1985 (autant qu’en 1785) en marques étrangères et françaises (Gitanes et Gauloises sont créées en 1910). Si, dès le XVIIe siècle, l’Église et quelques médecins s’inquiètent des consommations immodérées, c’est en 1868 que moralistes, hygiénistes et médecins, dénonçant les effets malfaisants de l’« opium occidental », fondent une Association française contre l’abus du tabac. Un siècle plus tard, le Comité national contre le tabagisme incite l’État à développer une législation contraignante, mise en oeuvre dès lors que les dépenses de sécurité sociale liées au tabac (cancers, maladies cardio-vasculaires) contrebalancent les recettes de son commerce. Tahiti ! Polynésie française Taillebourg et Saintes (batailles de), batailles remportées par Louis IX sur le roi d’Angleterre Henri III Plantagenêt, les 21 et 22 juillet 1242. Durant la première moitié du règne de Louis IX, les Plantagenêts maintiennent leurs prétentions sur le Poitou. En 1241, lorsqu’Alphonse de Poitiers reçoit le Poitou en apanage, le frère du roi d’Angleterre, Richard de Cornouailles, porte le titre de comte de Poitou. Les barons poitevins font d’abord hommage à Alphonse, y compris le comte de la Marche Hugues X de Lusignan,
longtemps chef de l’opposition au pouvoir royal. Mais son épouse, Isabelle d’Angoulême, naguère reine d’Angleterre, l’incite à soulever les barons du Poitou, et fait miroiter à son fils Henri III Plantagenêt la perspective d’une conquête facile. À Noël 1241, les Lusignan défient publiquement Alphonse de Poitiers. Au printemps 1242, l’armée royale s’avance depuis Chinon, tandis qu’Henri III débarque downloadModeText.vue.download 893 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 882 à Royan le 20 mai. Profitant des griefs du sire de Taillebourg contre Hugues de Lusignan, Louis IX, à la tête de son armée, pénètre dans Taillebourg avant Henri III, qui parlementait en vain avec le maître des lieux. Le 21 juillet 1242, l’armée anglaise bat en retraite pour chercher un meilleur terrain de combat. Au cours de la bataille, qui a lieu le lendemain à Saintes, Louis IX met Henri III en déroute. Les barons poitevins s’avouent immédiatement vaincus, tandis que le roi d’Angleterre obtient une trêve, tente d’assiéger La Rochelle, puis rembarque définitivement pour l’Angleterre. La dernière tentative d’Henri III et de ses alliés poitevins pour reprendre possession du Poitou tourne ainsi au profit du roi de France, qui retire de la victoire une brillante réputation de chef militaire. Taine (Hyppolyte Adolphe), essayiste, critique, historien, l’une des figures intellectuelles majeures de la seconde moitié du XIXe siècle (Vouziers, Ardennes, 1828 - Paris 1893). Gabriel Monod l’a décrit comme « le philosophe et le théoricien du mouvement scientifique et réaliste qui a succédé en France au mouvement romantique et éclectique ». Brillant normalien, deux fois recalé à l’agrégation de philosophie en raison de son hostilité à l’éclectisme alors dominant de Victor Cousin, Taine abandonne la carrière universitaire et complète sa formation par l’étude de la médecine et des sciences naturelles. Collaborant au Journal des débats à partir de 1857 ainsi qu’à la Revue des Deux Mondes, fréquentant les fameux dîners Magny avec Renan, Sainte-Beuve, Flaubert, il devient très vite une figure de la république des lettres.
S’étant d’abord adonné à des études d’esthétique, avec des essais sur les fables de La Fontaine (1853, 1861), un Essai sur Tite-Live (1855), une Histoire de la littérature anglaise (1864-1872), il applique ensuite la méthode du déterminisme scientifique à la recherche des causes des sentiments et des idées car, selon sa formule, « le vice et la vertu ne sont que des produits comme le vitriol et le sucre ». La causalité qu’il met en oeuvre est animée par trois facteurs : la race, le milieu (climat et organisation sociale) et le moment ; les oeuvres d’art s’expliquent selon le même schéma (la Philosophie de l’art, 1865, 1882). Marqué par le double choc de la Commune et de la défaite de 1870, il applique son système à l’histoire dans les Origines de la France contemporaine (11 volumes, 1876-1893). Tel « un naturaliste devant un insecte », Taine explique la Révolution comme un phénomène pathologique propre à la France, saisie par l’anarchie « spontanée », puis par l’anarchie légale qui transforme la dictature erratique et sanglante des foules en « caserne philosophique ». Nostalgique d’une France des notables et admirateur des institutions anglaises, il laisse une oeuvre à la destinée contrastée : attaquée par les historiens positivistes (Aulard), qui dénoncent son mépris des documents (que Taine cite pourtant d’abondance), il trouve une large audience chez les historiens de l’Action française. Talleyrand-Périgord (Charles Maurice de), homme politique (Paris 1754 - id. 1838). Talleyrand est l’aîné d’une famille appartenant à la vieille aristocratie française, issue d’une des branches des comtes souverains du Périgord. Boiteux dès son enfance, il doit renoncer à la carrière des armes et devient, sans vocation, ecclésiastique. • Un noble en Révolution. Conformément à son rang social et après de solides études au séminaire de Saint-Sulpice, qui contribuent à le doter d’une grande culture, Talleyrand est fait agent général du clergé de France en 1780, évêque d’Autun en 1788. La « douceur de vivre » de l’Ancien Régime, qu’il évoquera dans ses Mémoires (publiés en 1891-1892), ne l’empêche pas de choisir le parti des idées nouvelles : avec d’autres aristocrates d’ancienne noblesse (La Fayette, le duc d’Aiguillon, le duc de La Rochefoucauld et son cousin Liancourt), il contribue au mouvement d’abolition des privilèges. Ainsi, élu député de son ordre aux États généraux, il fait adopter par l’Assemblée constituante, le 2 novembre 1789,
sa proposition de « mettre à la disposition de la nation » les biens du clergé, s’opposant en revanche à l’émission d’assignats gagés sur ces biens (17 avril 1790). Devenu chef du clergé constitutionnel à la suite de l’adoption de la Constitution civile du clergé (12 juillet 1790), il célèbre la messe au Champ-de-Mars lors de la fête de la Fédération (14 juillet 1790) et consacre les premiers évêques constitutionnels. Condamné par le pape comme schismatique, il abandonne l’Église et s’engage dans une carrière diplomatique sous la Législative. • Un diplomate sans attaches. En février 1792, Talleyrand est envoyé à Londres, sur sa demande, afin de négocier la neutralité de l’Angleterre. Compromis après la découverte des « papiers secrets » de Louis XVI (suspendu le 10 août 1792), décrété d’arrestation par la Convention, il gagne les États-Unis (1794), dont il revient deux ans plus tard, ayant été radié de la liste des émigrés. En juillet 1797, il est nommé ministre des Relations extérieures grâce à l’intervention pressante de Mme de Staël auprès de Barras. Bien que le Directoire ait couvert de très nombreuses malversations, les moyens dont use Talleyrand finissent par compromettre sa réputation, au point qu’il est contraint de démissionner en juillet 1799. Mais l’ancien évêque d’Autun, qui a prêté son concours au coup d’État du 18 brumaire, retrouve bientôt son portefeuille ministériel. Entre Bonaparte et Talleyrand naissent des relations passionnées : la culture, l’habileté et le style du grand seigneur fascinent celui qui est admiré, en retour, pour son génie militaire et politique. Inspirateur des articles organiques du Concordat, d’orientation gallicane, négociateur à Lunéville (1801), Amiens (1802), Presbourg (1805) et Tilsit (1807), Talleyrand est fait successivement grand chambellan (1804), prince de Bénévent (1806), vice-Grand Électeur (1807). Mais, après avoir conseillé l’alliance avec l’Autriche dans une vision classique d’équilibre des forces en Europe, Talleyrand est privé de son ministère en 1807. Devenu simple conseiller, il pousse à l’intervention en Espagne et trahit à Erfurt en incitant le tsar à ne pas soutenir Napoléon contre l’Autriche. L’Empereur, qui le soupçonne, le disgracie en janvier 1809, après une scène terrible. Talleyrand se vend alors à l’Autriche aussi bien qu’à la Russie et, à la chute de l’Empire, s’impose comme médiateur entre les alliés et le Sénat, auquel il fait accepter la déchéance de l’Empereur et le retour des Bourbons. Louis XVIII le rappelle alors au poste de ministre des Affaires étrangères et il parvient, au congrès de Vienne, à dresser l’Autriche et l’Angleterre contre la
Russie et la Prusse, avant que les Cent-Jours ne reforment l’unité des alliés, ruinant ainsi tous ses efforts. Devenu président du Conseil au début de la seconde Restauration, en juillet 1815, il est contraint à la démission dès septembre, sous la pression des ultras, et rejoint à la Chambre des pairs l’opposition libérale, favorable à la branche des Orléans. Après les journées de juillet 1830, Louis-Philippe le nomme ambassadeur à Londres, où, jusqu’en 1835, il consacre son habileté au rapprochement franco-anglais. Au terme de sa vie, Talleyrand se réconcilie avec l’Église et reçoit l’extrême onction dans les formes dues à un évêque. Il laisse de nombreux enfants naturels, dont Eugène Delacroix... Tallien (Jean Lambert), homme politique (Paris 1767 - id. 1820). Fils d’un maître d’hôtel du marquis de Bercy, il fait des études de droit qui le conduisent à divers emplois de clerc et de secrétaire. En 1789, il s’engage dans la Révolution et devient membre de la Société des amis de la Constitution (le Club des jacobins). En 1791, il fonde un journal, l’Ami des citoyens. Tallien est alors un de ces multiples relais qui diffusent les décrets de l’Assemblée nationale. Secrétaire-greffier de la Commune de Paris après le 10 août 1792, il est élu en septembre député à la Convention par la Seine-et-Oise et siège à la Montagne. Il entre au Comité de sûreté générale et participe activement à la chute des girondins, en juin 1793 ; envoyé en mission en août, il est chargé d’organiser la « levée en masse » puis d’établir le Gouvernement révolutionnaire en Gironde (décembre 1793). Son train de vie fastueux, sa liaison avec Thérésa Cabarrus, fille d’un agioteur et divorcée d’un marquis, son « modérantisme », enfin, provoquent son rappel et l’arrestation de sa compagne. Surtout, Tallien incarne un courant de la Montagne dont le projet politique (guerre de conquête, déchristianisation) et la versatilité (violence et modérantisme) heurtent les conceptions des robespierristes. Aussi est-il l’un des acteurs de leur chute, lors du 9 Thermidor. Sous la Convention thermidorienne, il pousse à la répression antijacobine et entre au Conseil des Cinq-Cents. Poursuivi par son passé terroriste, il voit sa carrière politique s’achever après l’expédition d’Égypte, où il accompagna Bonaparte. Il finit sa vie dans la misère et la maladie. Tallien (Mme) ! Cabarrus (Jeanne Marie Ignacia Thérésa) Tanger (crise de), crise internationale
suscitée en 1905 par l’empereur d’Allemagne downloadModeText.vue.download 894 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 883 Guillaume II, qui veut contrer les ambitions de la France au Maroc. Fruit de l’antagonisme franco-allemand, cet épisode constitue l’un des nombreux révélateurs des tensions qui surgissent entre les deux grandes puissances européennes au cours de la « paix armée ». La France, qui a colonisé l’Algérie et mis en place son protectorat sur la Tunisie, entend faire valoir des droits au Maroc, où elle a déjà obtenu des avantages économiques, afin d’exercer son autorité sur l’ensemble de l’Afrique du Nord. Aussi, lorsqu’une insurrection d’une partie des tribus menace l’État chérifien, qui se débat en outre dans une crise financière profonde, Paris propose-t-il au sultan de l’aider à rétablir l’ordre. Décidé à n’être pas exclu d’un pays d’Afrique encore indépendant, et voulant tester la capacité de réaction de l’Entente cordiale réalisée entre la France et l’Angleterre (1904), Guillaume II provoque, le 31 mars 1905, à Tanger, un incident diplomatique sérieux, en faisant explicitement part de son intention d’empêcher la France de s’établir au Maroc. Son initiative suscite d’importants remous sur la scène politique française : le ministre des Affaires étrangères Delcassé, partisan d’une politique radicale à l’égard de l’Allemagne, désavoué par le président du Conseil Rouvier, est contraint de démissionner (6 juin 1905) : ce dernier estime en effet que la France, en proie à de graves problèmes intérieurs, ne peut se permettre un conflit avec le Reich. Il se résigne à accepter l’internationalisation de l’affaire marocaine : une conférence réunissant les représentants de treize puissances (parmi lesquelles le Maroc, les États-Unis, la Russie et la plupart des pays d’Europe occidentale) siège à Algésiras de janvier à avril 1906. Loin de conforter le point de vue allemand, l’acte d’Algésiras confie à la France et à l’Espagne l’organisation et l’encadrement de la police dans les ports marocains, donnant à ces deux pays le moyen d’exercer une influence prépondérante auprès du sultan. tardenoisien, dernière civilisation des chasseurs-cueilleurs mésolithiques, environ de 7 000 à 5 000 ans avant notre ère, caracté-
risée par la production d’outillage en silex de petite taille et de forme très régulière. Par une évolution endogène, la civilisation du tardenoisien (du nom de la région du Tardenois, dans le sud du département de l’Aisne, où ont été fouillés de nombreux sites) succède à celles de l’azilien et du sauveterrien. Elle est définie essentiellement par la forme de ses pointes de flèches - parmi lesquelles les archéologues ont distingué de nombreuses variantes –, et notamment par des pointes trapézoïdales. Il s’agit en général d’objets de très petite taille, très soignés, qui constituent le point d’aboutissement de la tendance au « microlithisme » du mésolithique et témoignent aussi de la valorisation de la chasse dans ces sociétés. Plusieurs de ces pointes devaient sans doute être montées sur une même hampe de flèche pour être efficaces. On trouve en outre, d’exécution nettement plus sommaire, un outillage courant, pour le travail de l’os ou des peaux, mais aussi des pics de grande taille (macrolithiques), sans doute destinés au travail du bois : ces pics sont dits « montmorenciens » parce qu’on les a exhumés dans la forêt de Montmorency. Le sol acide des forêts où ont été retrouvés la plupart des campements tardenoisiens a peu favorisé la conservation des vestiges. On connaît néanmoins quelques traces de foyers, ainsi que de très rares sépultures à inhumation. En forêt de Fontainebleau et dans le Tardenois, plusieurs gravures rupestres semblent pouvoir être attribuées au tardenoisien. Elles présentent des motifs géométriques élémentaires, rainures profondes, grilles, ainsi que lignes d’ovales peints. Les populations du tardenoisien - les dernières à pratiquer une économie de chasseurscueilleurs - sont nécessairement entrées en contact avec les premiers colons agricoles du rubané, qui apparaissent dans le Bassin parisien vers 5 000 ans avant notre ère : en effet, on a découvert dans certains de ces villages néolithiques des poteries grossières, et des pointes de flèches dont la forme est proche de celle caractéristique du tardenoisien. Tardieu (André), homme politique (Paris 1876 - Menton, Alpes-Maritimes, 1945). Issu d’une famille de la vieille bourgeoisie parisienne, Tardieu collectionne les prix au concours général, figure en tête du concours d’admission à l’École normale supérieure, pour en démissionner aussitôt. En 1897, il
entre au Quai d’Orsay, qu’il quitte dès 1900 pour rejoindre le cabinet de Waldeck-Rousseau, où il rédige la loi de 1901 sur les associations. Sa carrière se poursuit à l’Inspection générale du ministère de l’Intérieur et comme enseignant à Harvard, à l’École libre de sciences politiques et à l’École de guerre ; il tient également, de 1903 à 1914, le « bulletin de l’étranger » du Temps, voix officieuse du Quai d’Orsay. Élu député de Seine-etOise en 1914, puis mobilisé, il est nommé en 1917 haut-commissaire de France aux États-Unis, où il gère aussi bien les relations financières que la propagande ; il seconde ensuite Clemenceau lors de la conférence de la paix, incarnant, comme lui, l’intransigeance nationaliste. Ministre des Régions libérées, il démissionne en 1920 quand Clemenceau est écarté du gouvernement. Il n’est pas réélu en 1924 mais seulement en 1926, lors d’une partielle à Belfort. Ministre des Travaux publics puis de l’Intérieur sous Poincaré, il dirige le gouvernement à trois reprises, entre 1929 et 1932 : il entend relancer l’économie par un vaste « plan d’outillage national », crée le ministère de la Santé et la retraite des anciens combattants, impose la gratuité de l’enseignement secondaire, généralise allocations familiales et assurances sociales. En fait, il veut acheter la paix sociale par des réformes, mais aussi renforcer le pouvoir exécutif et fonder un bipartisme à l’anglaise. La crise économique obère ces projets : les élections de 1932 sont pour lui un échec personnel. À la suite des événements du 6 février 1934, il est nommé ministre d’État par Doumergue. Il vise alors à élargir le collège qui élit le président de la République, à faciliter la dissolution, à introduire le référendum, à ôter l’initiative des dépenses aux députés, mais se perd en polémiques avec les radicaux. Ses projets s’ensablent et, fin 1934, il se retire dans le Midi, croyant peser encore sur l’opinion par ses livres, telle la Révolution à refaire, qui prône la réforme de l’État. En 1939, une attaque cérébrale brise ce personnage brillant qui, par orgueil, a cru pouvoir faire fi des traditions parlementaires, a critiqué souvent injustement les radicaux, dont il était séparé plus par le style que par les idées, puis, par dépit, s’est rapproché de l’antiparlementarisme, voire des ligues, en une dérive qui a pu faire oublier son action sociale, et l’influence de ses idées sur la Constitution de 1958. Tautavel, commune des Pyrénées-Orientales où ont été découverts, dans la grotte dite « de la Caune de l’Arago », des restes humains datant du paléolithique inférieur.
Dans cette grotte, qui mesure environ 35 mètres de long et 10 de large, des sédiments se sont accumulés sur une dizaine de mètres d’épaisseur (entre 400 000 et 100 000 ans environ avant notre ère), et ont été scellés par un plancher de stalagmites. Animaux et humains ont fréquenté ce site à diverses reprises. C’est dans les niveaux moyens (sols F et G) que plusieurs dizaines de fragments humains dispersés ont été recueillis, les plus complets étant la partie avant d’un crâne et deux mandibules. Ils correspondent à des formes évoluées d’Homo erectus, déjà très proches de l’homme de Néanderthal, qu’on peut donc qualifier d’« anténéanderthaliennes », voire de « néanderthaliennes archaïques », et qui ont vécu entre 300 000 et 200 000 ans avant notre ère. Ils comptent parmi les plus anciens vestiges humains découverts en France, et néanmoins parmi les moins incomplets. L’outillage en pierre qui les accompagne est rudimentaire et taillé dans du quartz. On l’attribue au groupe tayacien, contemporain de l’acheuléen et plutôt caractéristique des régions méditerranéennes. La grotte n’a pas livré d’aménagements particuliers liés à l’habitat, ni de traces de feu ou de foyers. Les ossements animaux appartiennent notamment à diverses variétés de rhinocéros, de canidés, d’ours et d’équidés. À l’occupation tayacienne ont succédé des niveaux acheuléens évolués. Tchad ! Afrique-Équatoriale française (A-É F) Teilhard de Chardin (Pierre), théologien, paléontologue et philosophe (château de Sarcenat, Orcines, Puy-de-Dôme, 1881 - New York 1955). Entré dans l’ordre des jésuites (1899), ordonné prêtre (1911), il sert comme brancardier pendant la Première Guerre mondiale, puis soutient une thèse sur les Mammifères de l’éocène inférieur en France (1922) et enseigne la paléontologie et la géologie à l’Institut catholique de Paris. Membre de nombreuses expéditions scientifiques en Extrême-Orient, il exhume, avec le Père Licent, les vestiges d’un homme paléolithique (civilisation des Ordos) en Chine du Nord (1923) et participe à la découvert du sinanthrope, près de Pékin (1929). Après la Seconde Guerre mondiale, downloadModeText.vue.download 895 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
884 il dirige des recherches en Afrique australe, dans le cadre d’une institution établie à New York. La théologie de Teilhard de Chardin est fondée sur une conception mystique de l’évolutionnisme, qui voit dans le triomphe du Christ l’aboutissement d’un processus de spiritualisation de la matière. L’originalité de sa pensée, qui se veut héritière de saint Paul mais peut paraître proche d’une forme de panthéisme (« À la foi confuse en un monde un et infaillible, je m’abandonne où qu’elle me conduise », Comment je crois, posthume, 1969), rencontre la suspicion de l’Église : Teilhard de Chardin se voit refuser en 1947 l’imprimatur pour son ouvrage le Phénomène humain, et ses textes philosophiques ne seront publiés qu’après sa mort. L’édition posthume de son oeuvre et de ses Lettres intimes ont révélé la douleur avec laquelle il a vécu son « martyre du silence » et la promulgation de l’encyclique de Pie XII, Humani generis (1950), qui déclarait « inacceptables » les « hypothèses » scientifiques s’opposant « directement ou indirectement à la doctrine révélée par Dieu ». Ses livres ont néanmoins exercé une profonde influence sur de nombreux penseurs et savants catholiques. Temple (prison du), donjon d’un ancien prieuré fortifié appartenant à l’ordre des templiers, où furent emprisonnés Louis XVI et sa famille. Fondé au XIIe siècle, le prieuré du Temple est attribué, à la disparition de l’ordre des templiers (1312), à l’ordre des hospitaliers (appelé « ordre de Malte » à partir de 1530). Son enclos abrite, au XVIIIe siècle, le palais du grand prieur, reconstruit en 1667 par Pierre Delisle-Mansart contre le gros donjon carré, de quinze mètres de côté, lui-même édifié vers 1265. L’expropriation des ordres religieux en novembre 1789 livre de nouveaux bâtiments, devenus biens nationaux, aux besoins pénitentiaires. Ainsi, la famille royale, déchue le 10 août 1792, entre au Temple le 13 août 1792, sur ordre de la Commune insurrectionnelle de Paris. Elle est bientôt détenue dans les deux derniers étages d’un donjon ceinturé d’une nouvelle muraille, cependant qu’au premier étage et au rez-de-chaussée logent les gardes nationaux et les commissaires de la Commune. C’est depuis ce lieu que Louis XVI est conduit à l’échafaud, le 21 janvier 1793 (il en sera de même pour sa soeur, Mme Élisabeth, en mai 1794). La reine Marie-Antoinette est
transférée à la Conciergerie en août 1793 ; sa fille, Mme Royale, est échangée en septembre 1795 contre des révolutionnaires prisonniers des rois européens en guerre contre la France. Quant au dauphin (« Louis XVII »), confié en juillet 1793 aux Simon, un couple d’artisans de l’enclos du Temple, il est tenu isolé de janvier 1794 jusqu’à sa mort en juin 1795, à l’âge de 10 ans. La tour du Temple sert encore de prison à Pichegru, Moreau et Cadoudal. Mais Napoléon Ier la fait démolir en 1808 afin d’éviter qu’elle ne devienne un lieu de pèlerinage royaliste. Une loi de 1854 prévoit d’ériger un monument commémoratif de la mort de Louis XVI, mais, finalement, seul le square du Temple est aménagé en 1855, sur l’emplacement du palais du grand prieur, qui a été rasé en 1853 ; Mme Royale y a planté un saule pleureur. templiers, membres d’un ordre religieux militaire fondé à Jérusalem en 1119. La première croisade, qui aboutit en 1099 à la prise de Jérusalem, était à la fois un pèlerinage méritoire, une guerre de reconquête sacralisée et une expédition à caractère eschatologique. Après la délivrance du Saint-Sépulcre, la plupart des croisés rentrent chez eux, puisque le but est atteint et que le retour du Christ sur Terre semble éloigné. Pour défendre les nouveaux États latins d’Outremer et protéger les nombreux pèlerins, un Champenois, Hugues de Payns, regroupe autour de lui quelques chevaliers désireux de prolonger jusqu’à leur mort leur voeu de croisé. Ils forment la communauté des « pauvres chevaliers du Christ », bientôt appelés « templiers » car le roi Baudouin de Jérusalem leur a donné une partie de son palais, situé dans la mosquée Al-Aqsa, que l’on croit être l’ancien temple de Salomon. Ainsi naît le premier des ordres religieux militaires, synthèse de deux notions opposées, le monachisme et la chevalerie. Sa règle est adoptée au concile de Troyes en 1129. • L’organisation de l’ordre et son rôle historique. Après des débuts difficiles, l’ordre reçoit l’appui de saint Bernard, qui écrit à son intention la Louange de la nouvelle chevalerie, où il oppose la chevalerie du monde, qui combat au péril de son âme, et la chevalerie du Christ, celle des templiers, conjuguant les vertus des moines et des chevaliers et, ainsi, assurée de gagner le ciel. Dès lors, le recrutement s’amplifie et les donations affluent.
Comme tous les membres d’ordres religieux, les templiers sont soumis au triple voeu d’obéissance, de pauvreté et de chasteté. Mais leur mission première étant la lutte armée contre les Infidèles, les règles monastiques sont adoucies pour eux : méditation, travail manuel et intellectuel et, surtout, jeûnes et abstinences occupent une place réduite, l’accent étant mis sur l’entraînement, l’obéissance, la discipline. L’ordre est très hiérarchisé. À sa tête, le maître, élu à vie ; il s’appuie sur un chapitre (collège de frères) et est assisté d’un maréchal pour les activités militaires. Les chapelains font office de clergé, les chevaliers et les sergents d’armes combattent, et les frères de métiers accomplissent les besognes utilitaires dans les forteresses en Terre sainte et, plus encore, dans les nombreuses maisons ou commanderies que le Temple vient à posséder en Occident, principalement en France (plus de 1 000). Le recrutement des chevaliers s’effectue dans les milieux aristocratiques au XIIIe siècle : il n’est plus ouvert désormais qu’aux nobles. Le manteau blanc (à croix rouge depuis 1143) leur est réservé ; les sergents sont vêtus de bure brune ou noire. Les possessions du Temple en Europe, généralement bien gérées par les frères, (gestion qui les oppose parfois au clergé séculier jaloux de leurs privilèges, et leur vaut une réputation de richesse excessive et d’avarice) lui permettent de disposer de revenus considérables ; la majeure partie est acheminée en Terre sainte pour entretenir les forteresses et fournir aux frères combattants les chevaux et les armes nécessaires. Ces transferts de capitaux conduisent les templiers à développer des activités de type bancaire (dépôt, change, « lettres de crédit » etc.) qui accroissent leur richesse et excitent les convoitises. Le rôle historique de l’ordre du Temple n’est pas négligeable. Avec les deux autres ordres guerriers, Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem (transformés en ordre militaire entre 1130 et 1140) et chevaliers Teutoniques (créés en 1190), ils forment l’ossature permanente, motivée et disciplinée des contingents chrétiens en Terre sainte, constitués des armées féodales d’Outremer et surtout des croisés temporaires venus d’Occident. Leur connaissance des lieux et des mentalités fut très utile, et leur comportement au combat, souvent héroïque ; Saladin ne s’y trompait pas en faisant décapiter, après sa victoire à Hattin (1187), tous les moines-soldats capturés - à l’exception du maître Gérard de Rideford. Toutefois, la défense des États d’Outremer, entourés d’en-
nemis, ne pouvait guère se concevoir sans une mobilisation constante de l’Occident. Celle-ci fit souvent défaut et entraîna la perte définitive de la Terre sainte, en 1291. • Disparition de l’ordre et survie d’un mythe. Les templiers, qui n’avaient qu’une vocation guerrière, ne voulurent ou ne surent pas fonder un État (comme les Teutoniques en Prusse) ni se consacrer à une mission hospitalière et humanitaire (comme les Hospitaliers) ; leur richesse supposée, leur inaction depuis la chute de l’Orient latin et leur refus de se fondre en un ordre unique dirigé par le roi de France poussèrent Philippe le Bel à organiser contre eux des procès qu’à notre époque on qualifierait de « staliniens » ; arrêtés en 1307, les templiers « avouèrent », sous la menace et la torture, tout ce qu’on leur soufflait : moeurs dissolues, sodomie, idolâtrie, hérésie, etc. Beaucoup se rétractèrent peu après et furent donc brûlés comme « relaps ». La pression royale sur le pape Clément V conduisit celui-ci à les abandonner : en 1312, l’ordre fut supprimé et ses biens attribués aux Hospitaliers et à quelques autres ordres militaires d’Espagne et du Portugal, où les templiers avaient également participé à la Reconquête chrétienne sur les musulmans. Cette disparition dramatique de l’ordre du Temple et ses richesses, supposées cachées, ont fait naître tout au long de l’histoire des spéculations multiples, sans fondement historique. Une partie de la franc-maçonnerie s’est réclamée d’une origine templière secrète, ainsi que divers mouvements ésotériques, souvent farfelus ou dangereux, qui se prolongent (ou renaissent) jusqu’à nos jours. Temps (le), quotidien du soir fondé par Auguste Nefftzer, en avril 1861. Malgré un tirage relativement limité par rapport à celui des grands journaux populaires d’alors, le Temps s’est imposé comme un organe de presse de référence sous la IIIe République. Dirigé par Adrien Hébrard de 1872 à 1914, puis par ses fils jusqu’en 1929, ensuite par un consortium d’actionnaires issus du grand patronat (parmi lesquels François de Wendel et les Rothschild), le Temps défend, downloadModeText.vue.download 896 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 885 en politique intérieure, une ligne républicaine
modérée. Proche des idées de Jules Ferry, anticlérical, antiboulangiste, dreyfusard sur le tard, il se situe d’abord au centre gauche. Mais, dans l’entre-deux-guerres, sa méfiance à l’égard des radicaux, son hostilité aux socialistes et son anticommunisme le font basculer nettement vers le centre droit. La rédaction du Temps a cependant toujours affirmé son indépendance à l’égard des partis. Ce journal sérieux, bien écrit et bien informé se caractérise avant tout par la qualité de ses analyses en politique étrangère ; il apparaît ainsi, en France et dans le reste de l’Europe, comme le porte-parole officieux du Quai d’Orsay. Après la défaite de 1940, le journal s’installe à Lyon, où, favorable au régime de Vichy, il continue de paraître jusqu’au 29 novembre 1942. Cette attitude lui vaut, à la Libération, une interdiction de se reconstituer. Le pouvoir issu de la Résistance préfère appuyer la fondation d’un nouveau quotidien, le Monde, qui occupe le créneau laissé libre par le Temps. Au journal de référence de la IIIe République succède ainsi, à la même adresse, rue des Italiens, celui de l’après-guerre. Tène (La), site archéologique des bords du lac de Neuchâtel, en Suisse, qui a donné son nom au second âge du fer (vers 480 avant J.C.-vers 50 avant J.-C.). • Un site, une culture. Le site même de La Tène, découvert en 1857 sur la commune de Marin-Épagnier, semble avoir revêtu un caractère cultuel. Plus de 2 500 objets - dont un grand nombre d’armes -, datant pour l’essentiel des IIIe et IIe siècles avant J.-C., ainsi que des squelettes d’animaux et d’humains ont été mis au jour dans ce lieu marécageux auquel on accédait par deux ponts de bois. Le nom de « La Tène » a été par la suite employé pour désigner l’ensemble du second âge du fer. Toutefois, il caractérise plus spécifiquement une civilisation particulière du second âge du fer, qui s’étend au nord des Alpes depuis le Bassin parisien jusqu’à la Bohême, et qu’on estime généralement être celles des Celtes historiques. De ce point de vue, la culture ou civilisation de La Tène fait suite, sans rupture, à la culture de Hallstatt. Le passage de l’une à l’autre est marqué par un événement historique et social : l’effondrement des « résidences princières », et la disparition de l’artisanat et du commerce somptuaires qui leur étaient liés. • Expansion et migrations. La culture de La Tène est traditionnellement divisée en trois périodes, qui ont reçu des dénominations diverses. Le début de la première, ou période
de La Tène ancienne (dite aussi « A-B » ou « I »), est marqué par un retour à des formes sociales plus simples, dont témoignent les faibles différences observées dans le mobilier funéraire. Vers la fin du Ve siècle avant J.-C., néanmoins, de riches tombes apparaissent de nouveau, caractérisées dans l’est de la France par la déposition d’un char de guerre et par la présence d’objets d’artisanat de luxe, notamment vaisselle en bronze et ornements des chars et des chevaux. C’est au début du IVe siècle que les populations celtiques, confinées à l’origine dans le même territoire que celui de la culture de Hallstatt (soit la moitié orientale du Bassin parisien, l’Allemagne du Sud, la Suisse et la Bohême), entreprennent des migrations dans différentes directions. Ces migrations sont bien attestées par les auteurs antiques lorsqu’ils évoquent le fameux siège de Rome par les Gaulois, les menaces sur Delphes (Grèce), ou l’installation des Galates en Turquie. Elles sont confirmées par l’archéologie, qui constate dans de nombreuses régions du sud et de l’est de l’Europe la présence d’objets laténiens ou celtiques traditionnels. Seule reste discutée l’importance démographique de ces déplacements selon les régions, en particulier le midi de la France et les îles Britanniques. Un art celtique s’épanouit à cette époque, qui s’exprime dans la production d’objets de prestige et de parures caractérisés par une ornementation géométrique curviligne. • Stabilisation et déclin. Vers le milieu du IIIe siècle avant J.-C., les mouvements de population sont stabilisés, voire refluent dans certaines régions, tel le nord de l’Italie : c’est le début de la deuxième période de La Tène, ou La Tène moyenne (« C » ou « II »). Faute de territoires d’expansion, les sociétés laténiennes se réorganisent. Émergent alors des centres proto-urbains (les oppidums), qui conduisent à la constitution de véritables États. Ce processus est plus net encore dans le Midi, qui subit la forte influence des colonies grecques installées sur le littoral et du commerce d’origine grecque ou italique. Les premières monnaies - un support supplémentaire de l’art celtique - font leur apparition. La dernière période de La Tène, ou La Tène finale (« D » ou « III »), s’étend de la fin du IIe siècle au troisième quart du Ier siècle avant J.-C. Les États celtiques constitués connaissent des tensions internes et doivent faire face également à la pression des peuples germaniques au nord, mais surtout à l’expansionnisme romain. Ces tensions débouchent sur la conquête de
la Gaule par César, entre 58 et 51 avant J.-C. Terray (Joseph Marie, dit l’abbé), ecclésiastique et homme politique, contrôleur général des Finances de 1769 à 1774 (Boën, Loire, 1715 - Paris 1778). Cadet d’un fermier général directeur des gabelles de Lyon anobli en 1720, il est destiné à la cléricature, et rejoint à Paris son oncle, François Terray, médecin et conseiller au parlement de Paris, auquel il succède comme conseiller-clerc (1736). Il devient, après 1756, le rapporteur de la cour pour les affaires financières, et joue un rôle dans l’expulsion des jésuites (1764), recevant, en récompense, le bénéfice de l’abbaye de Molesme. Proche de Maupeou, premier président au parlement de Paris devenu chancelier en 1768, il est nommé contrôleur général des Finances (décembre 1769) puis ministre d’État (février 1770). Il est aussi secrétaire d’État de la Marine par intérim (1770-1771), directeur général des Bâtiments du roi (1773-1774), et secrétaire-commandeur des Ordres du roi (1770-1774). Avec Maupeou et le duc d’Aiguillon, il forme une sorte de « triumvirat », qui domine le Conseil royal de 1771 jusqu’à la mort de Louis XV (mai 1774). En fournissant les fonds nécessaires au rachat des offices judiciaires et à la rémunération des magistrats des nouvelles cours de justice, il soutient le « coup de majesté » qui, en 1771-1772, balaie l’institution parlementaire en organisant une administration judiciaire. L’« abbé vide-gousset » - comme on le surnomme - renfloue fermement un Trésor grevé des dépenses de la guerre de Sept Ans. Parallèlement à l’emprunt (le premier lancé officiellement à l’étranger), il recourt aux expédients traditionnels : réduction de pensions et de rentes, suspension de l’amortissement des dettes, nouvelles taxes sur divers produits, imposition des bénéfices de la Ferme générale (il augmente son bail lors du renouvellement de 1774), prorogation des deux vingtièmes. Après l’élimination des parlements, il révise les rôles des vingtièmes (1771), établit une taille tarifée (proportionnelle aux revenus) dans la généralité de Paris (1772). En revanche, la cour s’oppose à la conversion de la corvée royale en taxe et à la réduction du nombre de parties prenantes au bail de la Ferme générale. De mauvaises récoltes le font revenir, en 17701771, sur les dispositions qui avaient instauré la libre circulation des grains en 1763-1764 ; il constitue des stocks, destinés, grâce à une régie des blés, à réguler le marché en cas de
disette : ses adversaires dénoncent alors calomnieusement un « pacte de famine », faisant croire à l’organisation d’un monopole du commerce des grains censé renflouer le Trésor au détriment de la population. Terray fait ouvrir des écoles d’agriculture, protège les entreprises industrielles innovantes, vient à bout de la liquidation de la Compagnie des Indes, réorganise les institutions de charité. Ses nombreuses initiatives, qui consolident l’État, accroissent aussi sa fortune personnelle et lui attirent de nombreux ennemis. Très impopulaire, il est victime du virage libéral opéré à l’avènement de Louis XVI : il est remplacé par Turgot le 24 août 1774. Terres australes et antarctiques françaises ! TAAF Terreur, nom donné à la période de la Révolution française correspondant à l’application légale d’une violence d’État dirigée contre les ennemis ou les opposants du pouvoir révolutionnaire. La Terreur jette une ombre sur l’histoire de la Révolution. Qu’un régime ait pu légaliser une telle violence quelque quatre années après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne manque pas d’étonner et de choquer, d’autant que, depuis, d’autres régimes n’ont pas hésité à adopter aussi des politiques « terroristes ». Le souvenir de la Terreur est resté longtemps très présent et nourrit jusqu’à aujourd’hui des luttes civiles et politiques, rendant parfois difficilement compréhensible l’histoire même de la Révolution. • Une période précise. Au sens strict, la Terreur est mise à l’ordre du jour par la Convention, le 5 septembre 1793, au moment où les sans-culottes exercent la plus grande pression sur la direction montagnarde. Leur exigence : le gouvernement doit être « révolutionnaire jusqu’à la paix ». Le mot même de « terreur » downloadModeText.vue.download 897 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 886 sous-entend que les opposants sont considérés comme des « êtres nuisibles au devenir même de l’humanité ». Son emploi vise aussi à donner une ligne politique cohérente à des mesures diverses, plus ou moins anciennes, qui ont été prises pour faire face aux menaces
intérieures et extérieures. Concrètement, tous les domaines d’activité sont contrôlés : arrestation des suspects - sans doute près de 500 000 personnes entre la fin de 1793 et le printemps 1794 -, création d’une armée révolutionnaire et de comités de surveillance, réquisition des grains et lutte contre les accapareurs... Ces décisions, liées originellement aux circonstances de la fin de l’été 1793 (défaites face aux Anglais à Toulon, face aux Autrichiens au Quesnoy, face aux Espagnols à Truillas, notamment), sont cependant renforcées par la suite, alors que la Convention remporte des victoires militaires (ainsi à Wattignies, face aux Autrichiens, le 16 octobre). Au printemps 1794, l’organisation de la Terreur est même centralisée à Paris, sous la surveillance directe du Comité de salut public, répondant à l’obsession du complot et à la pratique systématique de l’exclusion des opposants. La « Grande Terreur » est alors en place dans la capitale, atteignant son paroxysme lors de l’institution de la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794), qui modifie le fonctionnement du Tribunal révolutionnaire : nulle preuve objective n’est requise pour appliquer l’unique peine prévue - la mort - en cas de reconnaissance d’une culpabilité ; la défense ne peut plus se faire entendre ; tout est fondé sur l’intime conviction du juge. C’est contre cette spirale d’arbitraire et contre le pouvoir exorbitant accordé à Robespierre et à ses proches que les conventionnels engagent la procédure de mise en accusation de Robespierre, qui est arrêté le 9 thermidor. Par la suite, ils imputeront toutes les décisions de la Terreur aux seuls robespierristes. • Une orientation et des pratiques antérieures à la période elle-même. Pourtant, il est possible de penser que les principes de la Terreur étaient déjà à l’oeuvre dès août-septembre 1792 : réaction provoquée par la peur devant des ennemis eux-mêmes considérés comme « terrifiants », recours à la violence jugée indispensable, volonté de purifier la société, sont autant de traits qui expliquent la prise des Tuileries le 10 août, la création d’un tribunal extraordinaire (tribunal dit « du 17 août », chargé de juger les « contre-révolutionnaires », en l’occurrence les défenseurs du roi), la traque de suspects (nobles et prêtres réfractaires), et surtout les massacres de septembre, perpétrés essentiellement dans les prisons parisiennes. Par la suite, des lois contribuent peu à peu à l’édification d’un système de répression : le 10 mars 1793, le Tribunal révolutionnaire est créé (cette juri-
diction d’exception est, à l’encontre du principe de séparation des pouvoirs, directement liée au gouvernement) ; le 19 mars suivant, la peine de mort est requise pour tous les rebelles pris les armes à la main ou porteurs d’une cocarde blanche (les insurgés bretons étant les premiers visés) puis, le 23 avril, pour les prêtres réfractaires rentrés clandestinement en France. L’escalade se poursuit lorsqu’au printemps 1793 les rivalités entre girondins et sans-culottes débouchent sur l’éviction des premiers, au moment du coup d’État des 31 mai-2 juin, inscrivant le pouvoir politique dans les rapports de force. En outre, les représentants en mission dans les départements créent de très nombreuses juridictions extraordinaires, chargées de réprimer tous les contre-révolutionnaires ; ces instances fonctionnent souvent en parallèle avec les commissions militaires mises en place dans le cadre de la répression menée par les armées : la province connaît ainsi ce que les historiens désignent du nom de « première Terreur », qui est conduite au gré des représentants en mission et des généraux, à l’automne et au début de l’hiver 1793. Cette première Terreur est une réaction de peur, suscitée par l’entrée en France des armées contre-révolutionnaires, par les guerres civiles déclenchées à la suite des insurrections fédéralistes et vendéennes. Elle est aussi le fruit des rivalités entre révolutionnaires, les différents groupes utilisant leurs succès en province pour affirmer leurs positions : les révolutionnaires locaux s’organisent en sociétés populaires, mènent une répression contre les « accapareurs », les « aristocrates » et les « fanatiques », et participent souvent à la campagne de déchristianisation. Fouché à Lyon et dans la Nièvre, Tallien à Bordeaux, Carrier à Nantes, se signalent particulièrement par la violence qu’ils exercent directement ou qu’ils laissent commettre pendant ces quelques mois. Cet aspect des choses est essentiel. Sous couvert d’idéologie, un certain nombre d’hommes profitent des principes de la Terreur pour se livrer à des actes violents et laisser libre cours à leur perversité. Les mises en scène macabres de Nantes, les fusillades perpétrées à Angers et les exactions commises en Vendée par une partie des « colonnes infernales » commandées par Turreau trouvent là leur explication. Néanmoins, il convient de comprendre la « Grande Terreur » comme un procédé politique, entre autres, employé par Robespierre pour tenter de contrer à la
fois cette terreur provinciale et une ligne politique montagnarde plus radicale, qui a laissé proliférer une violence jugée dangereuse pour la survie de la Révolution elle-même. La reprise en main robespierriste s’accompagne de l’abandon de la déchristianisation, du contrôle des prix et de l’indépendance des sociétés populaires. Mais l’échec de Robespierre tient à ce souhait de contrôler la Terreur sans vouloir en répudier les principes, puisque l’Incorruptible admet que la Terreur soit utilisée à l’encontre des récalcitrants à la loi révolutionnaire. • Des conséquences considérables et des échos lointains. Le bilan de cet ensemble de « terreurs » est complexe. Selon les seules archives judiciaires, on en dénombre quelque 40 000 victimes, mais il conviendrait d’ajouter à ce chiffre toutes les personnes exécutées sans jugement, massacrées dans les campagnes, ou mortes des conséquences des guerres civiles. Les mesures terroristes ont également suscité, en France et en Europe, des réactions de panique. En France, elles ont poussé des paysans alsaciens à fuir leur région en nombre, elles ont radicalisé les guerres civiles, et ont finalement contribué à détacher la masse de la population du régime. Si la violence a pu être momentanément admise, alors que les pressions exercées par les contre-révolutionnaires étaient les plus fortes, les excès des commissions militaires, les dérives de certaines troupes et, surtout, le maintien des contraintes alors que les menaces s’affaiblissaient ont rendu la Terreur inacceptable. Le revirement de l’opinion est perceptible à Paris dans l’été 1794 ; il est général au moment de Thermidor, et lorsque les atrocités commises à Nantes sont largement dévoilées. En Europe, la Terreur jette un discrédit sur la Révolution : les intellectuels allemands ou anglais, favorables jusque-là aux luttes contre l’Ancien Régime, ne peuvent pas non plus justifier les brutalités exercées envers les populations des pays conquis par l’armée française. Après Thermidor, les conventionnels assimilent l’ensemble de l’épisode montagnard et robespierriste à la Terreur. Le coup d’État permet aux thermidoriens de conclure une paix avec Charette en Vendée et d’entamer des rapprochements avec les royalistes modérés. La dénonciation de la Terreur est utilisée, de façon polémique, par des pamphlétaires comme Babeuf, mais aussi par des opportunistes, tel Fouché, qui entament une nouvelle carrière politique. Enfin, toute une historiographie contre-révolutionnaire s’empare de
la Terreur pour dénoncer l’ensemble de la période révolutionnaire, l’interprétation du phénomène « terroriste » donnant lieu à d’intenses polémiques qui se prolongent jusqu’à la sphère politique. Récemment, la Terreur a été amalgamée aux systèmes totalitaires, dans la mesure où elle a limité les droits individuels au profit de l’État. Pourtant, la Terreur n’a jamais été un système organisé, mais une succession de « moments » pendant lesquels des équilibres différents ont été réalisés. Même la Grande Terreur, fondée sur une vision politique globale, a largement dépendu du climat de rivalités et de l’obsession des complots qui a facilité la mise en oeuvre des mesures violentes. La confusion provient des proclamations déclamatoires qui accompagnaient et justifiaient les mesures terroristes, mais aussi de la condamnation thermidorienne, qui a ainsi unifié ce qui ne l’avait jamais été. La notion de « terreur » doit être replacée dans l’horizon esthétique et philosophique de l’époque : elle participe de l’idée du « contrat social » qui ne fait pas de place aux individus qui lui seraient hostiles. La Terreur doit également être comprise comme un épisode charnière. Elle est en effet la continuation de pratiques de violences héritées, qui ont ponctué - et permis - le cours de la Révolution depuis le printemps 1789 et qui ont été illustrées par les événements du 14 juillet et des 5 et 6 octobre 1789. Elle trouve également un prolongement dans la « Terreur blanche », mouvement d’épuration politique - témoignant lui aussi des moeurs du temps - marqué par les actes de vengeance et de répression commis à l’initiative des contre-révolutionnaires envers les jacobins et les sans-culottes vaincus après 1794, et qui se solde par quelques milliers d’assassinats. Enfin, la Terreur participe downloadModeText.vue.download 898 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 887 bien de cet empiètement accru de l’État sur les libertés individuelles. Par l’énoncé de principes radicaux, elle remet en cause les modes de gouvernement fondés sur les traditions, introduisant la désacralisation des pouvoirs qui sera au coeur des débats du XIXe siècle et annonçant le contrôle des individus par l’État, qui est, lui, au coeur des débats du XXe siècle. Terreur blanche, nom donné aux mou-
vements d’épuration politique et de représailles sanglantes déclenchés à la fin de la Révolution (1795-1797), puis au début de la Restauration (1815-1816). La chute de Robespierre, le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), et la fin de la Terreur, suivie de la libération massive de détenus, sonnent l’heure des règlements de compte. Commence alors, outre l’épuration légale, une chasse à l’homme contre les « terroristes » - jacobins, prêtres constitutionnels ou acquéreurs de biens nationaux -, qui prend la forme de représailles, collectives ou personnelles. Ces agissements sont facilités par une série de lois, votées entre février et avril 1795, qui obligent les anciens cadres de l’an II à se regrouper dans leur commune d’origine, qui désarment et astreignent à résidence les militants populaires, et autorisent le retour d’exil des émigrés partis après la chute des girondins. Cette Terreur blanche, exercée par des royalistes hostiles à la République mais aussi par des notables soucieux d’éliminer le péril démocrate, se solde par des meurtres ou des massacres, souvent perpétrés dans la plus complète impunité par des bandes armées, telles les Compagnies de Jéhu ou du Soleil. Elle est particulièrement violente du printemps à l’automne 1795 (an III) dans le Lyonnais, la vallée du Rhône et la Provence, régions qui ont connu la guerre civile et une pacification brutale en l’an II. À l’été 1795, cependant, les thermidoriens s’émeuvent de la résurgence du royalisme et parviennent à endiguer le phénomène après l’échec de la révolte royaliste du 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795). Dès lors, si elle resurgit avec une moindre intensité en 1796 et en 1797, la Terreur blanche se confond avec le simple brigandage. Elle renaît toutefois entre juin et août 1815, à la nouvelle de la défaite de Waterloo et de l’abdication de Napoléon Ier. C’est encore dans le Midi, où les luttes politiques (royalistes contre bonapartistes et jacobins) se doublent du conflit latent entre protestants et catholiques, que l’expression des haines est la plus violente. Mais bientôt les furieux bataillons de volontaires royaux (« miquelets » ou « verdets ») mis sur pied par le duc d’Angoulême, sont dissous sur l’intervention de Louis XVIII. Il reste qu’une Terreur blanche légale sévit entre l’été 1815 et l’automne 1816, sous la pression des royalistes ultras. C’est ainsi qu’une série de lois d’exception permettent l’épuration politique et administrative, l’arrestation - on en dénombre 70 000 -, la proscription ou l’exécution de suspects ou des complices des Cent-Jours, notamment les
anciens conventionnels régicides bannis à vie par la loi d’amnistie de janvier 1816. Cette politique répressive s’achève avec la dissolution de la Chambre ultra, en septembre 1816. Tertry (bataille de), bataille menée en 687 par Pépin II de Herstal, maire du palais d’Austrasie, à l’issue de laquelle il remporte une victoire définitive sur les Neustriens, et clôt ainsi la guerre civile qui ravageait les royaumes francs depuis 673. La situation était particulièrement confuse dans le royaume neustro-burgonde, dont l’aristocratie s’était ralliée au roi d’Austrasie Childéric II, en 673, pour lutter contre les tentatives centralisatrices, qualifiées de tyranniques, du maire du palais Ébroïn. Pourtant, dès 675, Childéric est en butte à l’hostilité d’une partie de l’aristocratie neustrienne, qui le fait assassiner, ainsi que sa femme et ses enfants. De cette conspiration naît une panique indescriptible qu’un chroniqueur contemporain appelle « la guerre de tous contre tous », dont Ébroïn semble cependant sortir vainqueur : en 679, au Bois de Fay (dans les Ardennes), il bat les Austrasiens à plate couture. Mais cette victoire est de courte durée, car Ébroïn est à son tour assassiné (680) et son successeur à la mairie du palais, Warathon, conclut la paix avec les Austrasiens et reconnaît la suprématie de Pépin II sur l’Austrasie. La situation politique se stabilise quelques années, jusqu’à la disparition de Warathon (686) et à la révolte d’une partie de l’aristocratie neustrienne contre le nouveau maire du palais, Berchaire. C’est cette dissension entre les Neustriens que Pépin II met habilement à profit : il se rallie les opposants à Berchaire et prend la tête d’une expédition qui marche vers Paris, capitale de la Neustrie. Les deux armées se rencontrent à Tertry, près de SaintQuentin, et Pépin y remporte une victoire éclatante. Ainsi parvient-il à mettre la main sur la mairie du palais de Neustrie tout en conservant celle d’Austrasie. Dès le VIIIe siècle, l’importance de cet épisode qui a permis d’asseoir la puissance des ancêtres des Carolingiens était clairement perçue : en réunissant sous sa houlette les deux mairies du palais, Pépin II devenait le véritable régent du royaume, gouvernant au nom du roi Thierry III jusqu’en 690, puis des fils de ce dernier, Clovis III (690/694) et Childebert III (694/711). Mais il serait abusif de considérer la victoire de Tertry comme le fondement du pouvoir exclusif des Carolingiens sur l’ensemble du royaume : Pépin II devra encore travailler au renforcement de son auto-
rité en Neustrie, c’est-à-dire à la consolidation des alliances passées avec l’aristocratie neustrienne, et à la multiplication des relais de son pouvoir par la fondation de nombreuses abbayes entre Seine et Ardennes. Tessier (Gaston), syndicaliste (Paris 1887 - id. 1960). Employé d’une maison de commerce dès l’âge de 16 ans, il adhère à 18 ans au Syndicat des employés du commerce et de l’industrie (SECI), parrainé par deux illustres aînés, Jules Zirnheld et Charles Viennet ; en 1914, il en est le secrétaire général. Réformé pour raisons de santé, il ne prend pas part aux combats de la Première Guerre mondiale. En 1919, lorsque la CFTC voit le jour, Gaston Tessier en est le premier secrétaire général ; il prend également la tête de la Confédération internationale des syndicats chrétiens, en 1921. En février 1927, avec Jules Zirnheld, il se rend au Vatican pour plaider, avec succès, la cause de la CFTC en réfutant la critique de déviation marxiste dont elle était l’objet. Au mois de juin 1929, une lettre de la congrégation du Concile rejette ces accusations et exhorte les travailleurs catholiques à adhérer au syndicat. En novembre 1940, avec Zirnheld et Bouladoux, Gaston Tessier signe le « Manifeste des Douze », premier texte fondamental signé en commun avec la CGT, qui réaffirme, face au corporatisme vichyste, la liberté du syndicalisme authentique ; puis il prend part à la fondation du mouvement de résistance Libération-Nord, qui rassemble socialistes et syndicalistes confédérés et chrétiens. Soucieux de préserver l’autonomie du syndicat, il refuse de siéger, en 1946, à la direction du MRP. Élu le 17 mai 1948 président de la CFTC, il doit alors lutter contre le courant minoritaire Reconstruction, favorable à une déconfessionnalisation du syndicat. À partir de 1953, il reste président d’honneur de la CFTC mais renonce à la diriger. Théot (affaire Catherine), cas de mysticisme, sous la Révolution (1794), dont la publicité visa à affaiblir les robespierristes. Catherine Théot, vieille servante illuminée se prétendant « mère de Dieu » et prédisant le renversement des rois, avait été enfermée à la Bastille en 1779, puis dans un hôpital jusqu’en 1782. Dans ses « conférences », qu’elle reprend sous la Révolution, elle annonce la venue d’un nouveau Messie et l’imminence de la régénération et du bonheur général. Le Comité de sûreté générale, dominé par Vadier, la
fait arrêter le 28 floréal an II (17 mai 1794), puis exploite l’affaire pour s’opposer à la politique religieuse de Robespierre et du Comité de salut public. Le 22 prairial (10 juin), au lendemain de la fête de l’Être suprême, Vadier fait un rapport dévastateur à la Convention : il y présente Robespierre comme le Messie annoncé par Catherine Théot, aspirant à la dictature par le biais de la nouvelle religion nationale, qu’il tourne en ridicule. Dans son fameux discours-réquisitoire du 8 thermidor (26 juillet), qui provoque sa chute le lendemain, Robespierre évoque cette affaire - « sujet inépuisable de sarcasmes indécents ou puérils » -, dénonçant la volonté de « renouveler les querelles religieuses », la « prédication ouverte de l’athéisme » et les « persécutions dirigées contre le peuple, sous prétexte de superstition ». Cette accusation a pour conséquence le ralliement de Vadier à la coalition hétéroclite du 9 Thermidor. Thérèse de Lisieux (Thérèse Martin, dite, en religion, Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face, plus connue sous le nom de sainte), religieuse carmélite (Alençon 1873 - Lisieux 1897). Dans le dernier quart du XIXe siècle, cette religieuse cloîtrée invente une « petite voie », ou « voie d’enfance spirituelle », qui renouvelle la mystique chrétienne. Thérèse est la benjamine d’une famille de la bourgeoisie catholique. Le père, Louis Martin (1823-1894), horloger-bijoutier, et la downloadModeText.vue.download 899 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 888 mère, Zélie Guérin (1831-1877), dentellière, ont neuf enfants : les cinq filles survivantes entrent toutes en religion. Grandie dans un milieu d’une exceptionnelle ferveur, Thérèse perd sa mère à l’âge de 4 ans ; elle est élevée par les bénédictines de l’abbaye de Lisieux. Sa vocation religieuse se dessine très tôt à travers une conversion (Noël 1886) qui l’arrache à l’enfance. En 1887, elle vient à Rome demander au pape Léon XIII l’autorisation de devenir religieuse avant l’âge : le 9 avril 1888, elle est admise au carmel de Lisieux, auprès de ses soeurs, et y fait profession. Sa vie spirituelle est centrée sur la simplicité de coeur, l’abandon à la bonté de Dieu, la toute-puissance de la prière. Maîtresse des novices, elle compose
des poèmes et des Récréations pieuses, et rédige une autobiographie spirituelle, publiée après sa mort (Histoire d’une âme, 1898), qui rencontre un immense écho ; elle meurt à l’âge de 24 ans de la tuberculose. Le pape Pie XI la proclame tour à tour bienheureuse (29 avril 1923), sainte (17 mai 1925) et patronne des missions. Elle est l’une des saintes les plus populaires du catholicisme. thermidor an II (journée du 9), journée révolutionnaire qui provoque la chute de Robespierre et son exécution ainsi que celle de ses partisans. L’historiographie du 9 thermidor an II (27 juillet 1794) est si contradictoire qu’elle a brouillé la lisibilité des faits. Trois explications ont communément été retenues. La première met l’accent sur la crise politique et sociale de la sans-culotterie parisienne. La deuxième privilégie la thèse d’un « complot » des députés de la Plaine, appuyés par des membres de la Montagne suspects d’avoir commis des excès lors de leurs missions. La dernière insiste sur les divisions entre le Comité de sûreté générale et le Comité de salut public : le premier, composé d’athées, aurait été hostile au culte de l’Être suprême - en témoignerait l’exploitation par Vadier, en juin, de l’affaire Catherine Théot, une illuminée se prétendant « mère de Dieu » qui aurait fait de Robespierre un « nouveau Messie ». Par ailleurs, la création du Bureau de police, dépendant du Comité de salut public, aurait empiété sur les compétences du Comité de sûreté. Enfin, des divisions internes au Comité de salut public auraient exaspéré la crise. Toutes ces explications, non contradictoires, sont cependant à réévaluer. • Le déroulement des faits. Après une séance de conciliation entre les deux Comités, le 5 thermidor, dont Barère rend compte dans un rapport optimiste le 7, Robespierre, qui peut-être ne croit pas en cette réconciliation, prononce le 8 thermidor un long réquisitoire. Il y réclame la punition des « traîtres » (sans les nommer) et, de façon suicidaire, conclut : « Je suis fait pour combattre le crime, non pour le gouverner. » La rupture est consommée. Le 9 thermidor, à midi, Saint-Just, proche de l’Incorruptible, entame un discours par ces mots : « Je ne suis d’aucune faction, je les combattrai toutes. » Mais, interrompu par Tallien, Robespierre ne peut se faire entendre. Tout va alors très vite. Billaud-Varenne (membre du Comité de salut public) dénonce Hanriot, commandant de la Garde
nationale parisienne, et obtient son arrestation. Puis Robespierre, présumé chef de la « conjuration », est décrété d’arrestation, de même que Couthon et Saint-Just. Le Bas et Augustin Robespierre demandent à partager leur sort. La deuxième étape est l’insurrection ratée de la Commune de Paris. Vers 14 heures, les autorités municipales font sonner le tocsin pour mobiliser les sections. Mais seulement 16 des 48 sections parisiennes répondent à l’appel. À 19 heures, la Convention met hors la loi Robespierre, ses quatre compagnons, et leurs « complices », ce qui permettra de les exécuter sans jugement. Les robespierristes, libérés par la Commune, gagnent l’Hôtel de Ville, mais hésitent à prendre la tête d’une insurrection, et les militants sectionnaires, laissés sans instructions, se dispersent. La Convention, quant à elle, est très active. Elle fait fermer le Club des jacobins et rassemble les sections qui lui sont restées fidèles. À 2 heures du matin, ces forces pénètrent dans l’Hôtel de Ville : Le Bas se tue, Couthon et Robespierre le Jeune se blessent grièvement en tentant de se suicider (un doute subsiste sur l’origine de la blessure à la mâchoire de Robespierre). • L’épilogue et le sens du coup d’État. Le 10 thermidor, la Convention ordonne au Tribunal révolutionnaire, non de juger, mais de constater l’identité des hors-la-loi. Le premier groupe des guillotinés compte vingt-deux personnes (parmi lesquelles Robespierre, Saint-Just, Hanriot et les dirigeants de la Commune) ; le lendemain, soixante et onze « complices » (le personnel communal) sont exécutés, et douze encore le 12 thermidor, soit, au total, cent huit victimes (en comptant Le Bas, et deux « fuyards », vite retrouvés). Il s’agit donc de la plus importante purge de la Grande Terreur. « Événement à la recherche de sa signification » (Bronislaw Baczko), Thermidor est ambigu : le complot des députés de la Plaine ne paraît guère probable puisque, sur trente-cinq députés qui interviennent contre Robespierre à la Convention, trente-trois sont montagnards, et la plupart seront, en l’an III, condamnés à la prison ou à la déportation comme complices de Robespierre. C’est dire combien cette journée parlementaire révèle surtout l’hétérogénéité de la Montagne. Le 9 Thermidor s’inscrit, en fait, comme un tragique non-événement entre deux ruptures majeures : l’élimination des factions (hébertistes, dantonistes...) en germinal an II (marsavril 1794), et l’offensive réactionnaire de
l’hiver de l’an III (première Terreur blanche, à partir de février 1795). Symbole de toute « dérévolution », Thermidor a hanté l’imaginaire collectif jusqu’au XXe siècle, à cause de la personnalité des révolutionnaires qui ont alors été évincés, mais l’imaginaire n’est pas toujours le reflet exact de la réalité historique. thermidoriens, nom donné aux acteurs supposés du 9 Thermidor (27 juillet 1794) et aux députés qui dominent la Convention jusqu’à sa séparation, le 4 brumaire an IV (26 octobre 1795). Le mot « thermidoriens » est ambigu car il suggère l’existence d’un groupe politique homogène, distinct de celui des montagnards. Or, rien n’est moins vrai. En effet, durant les quinze mois qui vont de la chute de Robespierre à l’installation du Directoire, le « moment thermidorien » voit la fin de la Terreur, non de la violence, la prise en main, non le démantèlement, du Gouvernement révolutionnaire par une coalition hétéroclite de montagnards, de députés de la Plaine et, plus tardivement, de girondins, réintégrés à l’Assemblée en frimaire et ventôse an III (décembre 1794-mars 1795). • Ambiguïté du « moment thermidorien ». Le 9 Thermidor est d’abord une affaire interne à la Montagne. L’ancien conventionnel montagnard et jacobin Levasseur de la Sarthe écrit dans ses Mémoires : « Nous étions tous thermidoriens. » Beaucoup, après Thermidor, se sont attribué - par forfanterie ou par prudence - un rôle dans le complot : anciens représentants en mission, amis de Danton, hommes de la Plaine, tous, en fait, étonnamment muets le 9 thermidor. Le mot « thermidoriens » n’a de signification que dans la mesure où Thermidor est un événement construit. Cette construction se fait d’abord par les pétitions, issues des sociétés populaires et des autorités constituées, qui dénoncent les « complots liberticides » de Robespierre et félicitent les « vertueux montagnards ». Puis, au fil du discours, s’impose l’idée qu’il faut « sortir de la Terreur » : la crise passée, il s’agit de gouverner la République pour terminer la Révolution. • Gouverner la République. Le décret du 7 fructidor an II (24 août 1794) fixe les nouvelles règles du gouvernement. Les comités de la Convention, dorénavant renouvelés tous les mois, sont réduits à seize (au lieu de vingtet-un) et leurs compétences sont précisées : ainsi, le Comité de salut public conserve un rôle central dans la conduite de la guerre et
le problème des subsistances ; le Comité de sûreté générale gère toujours la Police ; le Comité de législation acquiert une influence nouvelle en matière de surveillance. D’août 1794 à mars 1795, les renouvellements au sein des comités attestent le succès des « montagnards réacteurs » et des députés de la Plaine, et signent l’éviction des « derniers montagnards ». Le même phénomène est perceptible chez les représentants en mission : à ces postes également, les « derniers montagnards » sont remplacés par des « montagnards réacteurs », par des modérés et bientôt par des girondins, qui procèdent à l’épuration des sociétés populaires et des autorités constituées, à la libération des suspects et à l’arrestation des « terroristes ». Mais la chasse aux « terroristes », dont témoignent la fermeture du Club des jacobins (12 novembre 1794) et le procès de Carrier (exécuté le 16 décembre), inaugure le temps de la revanche, celui de la « jeunesse dorée », des « compagnons de Jéhu » ou « du Soleil ». • L’« impossible oubli » de la Terreur. À partir de l’hiver de l’an III se développe une vaste épuration politique : la « queue de Robespierre » (Barère, Billaud-Varenne, Collot d’Herbois, Vadier, acteurs influents du downloadModeText.vue.download 900 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 889 9 Thermidor) est mise en accusation et la Terreur blanche se déploie à Lyon et dans le Midi. Les thermidoriens profitent des journées parisiennes des 12 germinal (1er avril 1795) et 1er prairial an III (20 mai) pour briser le mouvement populaire et décimer les « derniers montagnards » : soixante-cinq d’entre eux sont déportés, arrêtés, voire condamnés à mort. Surtout, la Convention affirme son projet - « ni 1791 ni 1793 » - en rédigeant une nouvelle Constitution. Ce texte, adopté le 5 fructidor (11 août 1795), rompt, certes, avec 1793, mais aussi avec 1789 : dans la « Déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen » sont abandonnés les droits naturels et imprescriptibles, au profit « des droits de l’homme en société » et des obligations de chacun envers la société. Toutefois, les thermidoriens se montrent clairement républicains, et, le 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795), ils ordonnent à l’armée d’écraser la révolte royaliste parisienne, comme elle avait réprimé les insurgés de prairial. Ainsi débute le périlleux exercice de ba-
lance fondé sur le mot d’ordre « Ni royalisme, ni terrorisme » qui caractérise la République directoriale. Théroigne de Méricourt (Anne Josèphe Terwagne, dite), révolutionnaire (Marcourt, Belgique, 1762 - Paris 1815). Issue d’une famille aisée de paysans ardennais (Pays-Bas autrichiens), elle voyage et se fait entretenir, avant de se fixer en France, en 1789. Elle s’enthousiasme pour la Révolution, suit quotidiennement les débats de l’Assemblée, fréquente plusieurs députés, fonde un club avec Romme, connaît la célébrité. Mais, devenue la cible de la presse royaliste, traitée de courtisane, accusée - à tort - d’avoir pris la tête des manifestantes d’octobre 1789, elle retourne en mai 1790 à Marcourt, où elle est enlevée en février 1791 par des émigrés français ; emprisonnée par l’empereur Joseph II, elle est libérée en novembre 1791 et regagne Paris au début de 1792. Elle prône alors l’entrée en guerre et appelle les femmes à « briser leurs fers », à sortir de la « honteuse nullité » où les hommes les tiennent asservies et à former un « bataillon d’amazones ». Elle participe le 10 août à l’assaut des Tuileries : les fédérés lui offrent une couronne civique, les royalistes l’accusent du massacre du journaliste Suleau. Déplorant le conflit entre la Gironde et la Montagne, elle passe en 1793 pour girondine, ce qui lui vaut d’être fouettée en mai par des jacobines ; elle quitte alors la scène publique. Arrêtée en 1794, elle est internée comme folle à la Salpêtrière jusqu’à sa mort. Son mythe lui survit, notamment dans la célèbre description de son cas par Esquirol, qui l’a soignée, dans un sonnet de Baudelaire (Sisina, « amante du carnage »), dans l’interprétation théâtrale qu’en donna Sarah Bernhardt. Et, jusqu’au début du XXe siècle, les historiens contribuent eux-mêmes à forger la légende de « la belle Liégeoise », « l’amazone de la Révolution ». Thibaud IV, dit le Chansonnier, comte de Champagne de 1201 à 1253, roi de Navarre de 1234 à 1253 sous le nom de Thibaud Ier (Troyes 1201 - Pampelune, Espagne, 1253). Fils posthume de Thibaud III de Champagne et de Blanche de Navarre, Thibaud IV est comte dès sa naissance. Élevé en grande partie à la cour du roi Philippe Auguste, avec Blanche de Castille et Arthur de Bretagne, il règne sur la Champagne à partir de 1214, avec
l’aide de sa mère, et épouse en 1220 Gertrude de Metz, puis en 1223 Agnès de Beaujeu. Sa politique est faite d’indécision et de volte-face. S’il accompagne le roi Louis VIII dans sa campagne contre les Anglais (1224), il l’abandonne néanmoins lors du siège d’Avignon (1226), et on l’accuse même d’avoir empoisonné le roi, mort peu de temps après. En 1227, il prend la tête de l’opposition baronniale contre la régente Blanche de Castille, puis se rallie à elle : attaqué par ses anciens alliés, il lui doit la défense de la Champagne. Pour quelques années, il semble lui rester fidèle : il mène campagne contre les Anglais (1228), sert de médiateur dans les négociations avec le comte de Toulouse Raimond VII (1229), et épouse en 1232 Marguerite de Bourbon. Mais un nouveau revirement intervient en 1235, lorsqu’il prend la tête d’une rébellion contre la régente et le roi Louis IX, avant de se soumettre en 1236, ayant promis de se croiser. De fait, Thibaud IV prend part à la cinquième croisade (1239), dite « croisade des barons ». Mais il ne s’attarde pas en Terre sainte et revient en France dès 1240, assiste Louis IX aux batailles de Taillebourg et Saintes (1242). On sait encore de lui qu’il effectue un pèlerinage à Rome (1245), sans doute pour se faire pardonner son inconstance. Dès 1234, il devient roi de Navarre, succédant à son oncle Sanche IV, mort sans héritier. Bien plus que par sa vie politique, Thibaud IV se distingue par sa vie littéraire, qui fait de lui un personnage exceptionnel. Trouvère apprécié de son vivant, il a laissé plus de soixante-dix pièces de poésie, dont plus de la moitié consacrées à l’amour courtois : la dame de ses poèmes serait Blanche de Castille - thèse que réfutent certains spécialistes -, à qui il aurait voué une passion fort complexe. Si cette dernière n’a jamais cédé à son prince charmant, comme l’auraient voulu les calomnies qui s’abattirent sur elle, il est probable qu’elle a tiré le meilleur parti politique des sentiments qu’elle pouvait inspirer. Cela expliquerait certains des brusques revirements de Thibaud de Champagne en faveur de la régente. Thibaudeau (Antoine Claire), homme politique, figure emblématique du révolutionnaire pour les historiens du XIXe siècle (Poitiers 1765 - Paris 1854). De son arrivée à Paris (1789) à sa nomination au Sénat par Napoléon III (1852), il suit une longue et tortueuse carrière. Son père, René Thibaudeau, avocat comme lui, ayant été élu député du Tiers du bailliage de Poitiers, il l’ac-
compagne aux États généraux, et assiste aux débats de la Constituante. Si son père assume ensuite des fonctions locales, lui-même, lié aux milieux jacobins, est élu à la Convention, où il réussit à ne pas être inscrit dans une faction. Il vote la mort du roi, puis obtient que ses parents ne soient pas considérés comme girondins, même s’ils ont participé à la révolte fédéraliste de la Vienne. Il se consacre ensuite aux travaux du Comité d’instruction publique et garde une attitude neutre lors de la journée du 9 thermidor an II. Pendant le soulèvement royaliste de vendémiaire an IV (octobre 1795), il apparaît comme un révolutionnaire déterminé à lutter contre toutes les factions. Élu au Conseil des Cinq-Cents, il s’oppose à la gauche de l’Assemblée, sans être considéré comme royaliste. Proche des frères Bonaparte, il devient préfet de la Gironde (1800), puis des Bouches-du-Rhône (1803), et est fait comte d’Empire (1809). Révoqué par Louis XVIII en 1814, il siège à la Chambre des pairs durant les Cent-Jours, et doit s’exiler lors de la seconde Restauration. Il réside successivement dans plusieurs pays d’Europe, publie ses Mémoires, puis revient en France en 1830, mais se tient écarté de la vie politique sous la monarchie de Juillet avant de se rallier à Napoléon III. Thibaud le Grand, comte de Blois de 1102 à 1152 sous le nom de Thibaud IV, et comte de Champagne de 1125 à 1152 sous le nom de Thibaud II (1093 - Lagny, près de Meaux, 1152). Fils d’Henri-Étienne de Blois et d’Adèle d’Angleterre, Thibaud est, par sa mère, petit-fils de Guillaume le Conquérant. Puissant vassal du roi Louis VI, il est en conflit avec lui pendant la majeure partie de son règne, notamment lorsqu’il rassemble une vaste coalition en 1111, dont Louis VI a raison en 1112. Revenu à de meilleurs sentiments, il répond en 1124 à l’appel du roi contre l’invasion de l’empereur Henri V. L’année suivante, lorsque son oncle Hugues décide de devenir templier et lui abandonne tous ses biens champenois, Thibaud IV de Blois devient Thibaud II de Champagne ; ses possessions enserrent alors le domaine royal. À la mort du roi Henri Ier Beauclerc d’Angleterre (1135), Thibaud le Grand soutient avec succès son frère Étienne de Blois, qui dispute la couronne à Mathilde, fille d’Henri et épouse de Geoffroi Plantagenêt. Protecteur des mystiques, dont Bernard de Clairvaux, il bénéficie du soutien de ce dernier dans le conflit qui l’oppose en 1142 au roi Louis VII, à propos des investitures ecclésiastiques. Le roi, qui a
envahi la Champagne et fait incendier l’église de Vitry-le-François, au prix de 1 300 victimes, est désavoué par Suger et par Bernard de Clairvaux et se réconcilie avec son adversaire. À la mort de Thibaud, ses possessions sont partagées entre ses fils. L’aîné, Henri Ier le Libéral, obtient le riche comté de Champagne et ses foires prospères ; le cadet, Thibaud V, conserve le fief patrimonial de Blois. Thierry Ier, roi des Austrasiens de 511 à 533 (avant 484 - 533). Thierry est le fils aîné que Clovis a eu d’une épouse austrasienne, avant son mariage avec Clotilde. À la mort de son père, lors du partage de 511, il s’arroge la part du lion : il hérite d’un bon tiers de la Francie, entre Loire et Rhin, et de toutes les terres au-delà du Rhin, ainsi que d’un bon tiers de l’Aquitaine (l’Auvergne, qu’il avait lui-même conquise en 508, downloadModeText.vue.download 901 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 890 et le Limousin). Mais, dans un esprit de collaboration avec ses frères, il fixe sa résidence à Reims, à proximité des autres royaumes, et cherche à étendre son influence en priorité en Germanie. En revanche, il refuse de s’associer à la campagne menée par ses frères en Burgondie. En 531, avec son frère Clotaire Ier et avec l’aide des Saxons, il monte une expédition contre les Thuringiens, qui sont vaincus sur l’Unstrut : leur roi Herminefrid doit payer un tribut aux Francs et, en 533, lors d’une visite qu’il rend à Thierry, il est précipité du haut des murailles de Tolbiac (Zülpich). La Thuringe passe alors sous le contrôle direct des Francs. Tout comme Thierry avait prolongé la politique aquitaine de son père Clovis en achevant la conquête de l’Auvergne, Théodebert, fils aîné de Thierry, mène plusieurs campagnes dans le sud de l’Aquitaine en 532-533, fixant ainsi ce qui sera la frontière entre le royaume des Francs et celui des Wisigoths jusqu’à la conquête musulmane du VIIIe siècle. Après 533, Théodebert parviendra, avec quelques difficultés, à récupérer la totalité de l’héritage paternel. Thiers (Adolphe), homme politique, journaliste et historien (Marseille 1797 - Saint-Germain 1877).
Thiers est, sans conteste, l’une des figures politiques les plus controversées du XIXe siècle. Il est longtemps resté, aux yeux de ses détracteurs, l’artisan principal de la répression de la Commune et l’incarnation d’une bourgeoisie agressivement conservatrice. Le jugement des historiens est aujourd’hui plus nuancé, et se résume rarement à une condamnation sans appel : Thiers n’a-t-il pas su, mieux que d’autres, acclimater dans le pays l’idée républicaine ? • Une plume talentueuse. Thiers n’est pas, selon les critères de la bourgeoisie de notables du XIXe siècle, un enfant « bien né » car son père, chevalier d’industrie peu scrupuleux, a eu maille à partir avec la justice. Après d’excellentes études au lycée de Marseille, il fait son droit à la faculté d’Aix, où il découvre les philosophes du XVIIIe siècle et se lie d’amitié avec Auguste Mignet, qui sera quelques années plus tard son collaborateur. En 1821, il s’installe à Paris où, grâce à l’appui du député libéral de Provence Manuel, qui le présente au banquier Laffitte, il entre à la rédaction du Constitutionnel : il y donne de la plume dans des domaines variés, fréquente les salons parisiens aussi bien que le milieu intellectuel et artistique de la capitale, fait la connaissance de Talleyrand. En 1823, il publie les deux premiers volumes de son Histoire de la Révolution française, qui en comptera dix. Bien accueilli par la critique et le public, l’ouvrage fonde sa notoriété. Correspondant de la Gazette d’Augsbourg depuis 1824, Thiers peut s’y exprimer plus librement sur les problèmes de politique étrangère. Le 3 janvier 1830, associé à Armand Carrel et à Mignet, il crée le National pour combattre ouvertement le ministère Polignac avec le concours de libéraux avancés, de républicains et de bonapartistes. Thiers joue dans la révolution de 1830 un rôle capital, qui assurera sa carrière politique. Le 26 juillet, il rédige, pour l’essentiel, l’appel à la résistance des journalistes contre les ordonnances royales et, le 30, la proclamation en faveur du duc d’Orléans, présenté comme un prince national acquis à la cause de la révolution. Il parvient de surcroît à rallier la duchesse d’Orléans, peu disposée à accepter la couronne. Grâce à l’acquisition de l’hôtel Saint-Georges, il accède à l’éligibilité : il devient député des Bouches-du-Rhône le 22 octobre 1830. La même année, il épouse Élise Dosne, dont la mère exerce sur l’homme d’État une influence politique.
• Entre ministères et opposition. Son ascension politique est désormais rapide. Le 4 novembre 1830, il est nommé sous-secrétaire d’État aux Finances dans le cabinet Laffitte. Il se rallie ensuite à son adversaire Casimir Perier pour devenir l’un des leaders du parti de la Résistance. Il ne quitte plus désormais les allées du pouvoir : ministre de l’Intérieur du « grand ministère » Soult, formé le 11 octobre 1832, il est ensuite nommé ministre de l’Agriculture et du Commerce dans le même cabinet, où le portefeuille de l’Intérieur lui est de surcroît attribué en avril 1834, tout comme dans le cabinet Mortier. Par sa place et son action gouvernementale, Thiers est l’avocat du nouveau régime, dont les débuts sont difficiles. Il fait arrêter la duchesse de Berry à l’automne 1832, après sa tentative de soulever la Vendée et, en avril 1834, il écrase l’insurrection républicaine de Lyon et de Paris, payant directement de sa personne. Après l’attentat de Fieschi, il fait voter les lois répressives de septembre 1835, qui condamnent l’opposition républicaine à la clandestinité et lui valent la haine des républicains, exprimée en caricatures vengeresses par Honoré Daumier. Parallèlement, sa jeune carrière d’écrivain se voit couronnée par une élection précoce à l’Académie française, à l’âge de 36 ans. L’ascension politique de Thiers se poursuit avec son accession à la tête du gouvernement le 22 février 1836. Ce ministère est néanmoins un échec : Thiers, qui ne peut s’appuyer sur des personnalités de premier plan et ne dispose pas de majorité parlementaire, s’attire le désaveu du roi lorsqu’il veut intervenir dans la guerre civile espagnole en faveur des constitutionnels contre les carlistes. Une seconde chance lui est offerte le 1er mars 1840. Il obtient de l’Angleterre le retour des cendres de Napoléon, déjoue la conspiration bonapartiste de Boulogne, mais il est de nouveau désavoué dans sa politique extérieure après avoir subi un affront diplomatique. En effet, son soutien au pacha d’Égypte, en conflit avec le sultan de Constantinople, a provoqué la signature du traité de Londres (15 juillet 1840), renouvelant la quadruple alliance européenne contre la France et son exclusion du règlement de la question d’Orient. Thiers tente alors de résister en s’appuyant sur le sentiment nationaliste français et en prenant des mesures de défense, mais le roi, soucieux de maintenir la paix, préfère sacrifier son Premier ministre. Le second passage de Thiers à la direction des affaires aura duré à peine huit mois. La raison majeure de cet insuccès tient à sa conception de l’action
gouvernementale selon laquelle le roi « règne et ne gouverne pas », ce que Louis-Philippe ne peut accepter. Thiers est dès lors relégué dans l’opposition au ministère Guizot, dont il combat la politique extérieure. Tout en restant fidèle à la monarchie de Juillet, il se tient de plus en plus à l’écart d’un régime dont il déplore la dérive conservatrice et d’un monarque qu’il juge autoritaire et distant. • Face à l’Empire. Lorsque la révolution de février 1848 éclate, Louis-Philippe rappelle Thiers, qui ne peut que constater l’impuissance du pouvoir. Il se rallie à la République, mais la première épreuve du suffrage universel lui est défavorable à Marseille. Il prend sa revanche aux élections partielles du 4 juin, où il est élu dans quatre départements, et opte pour la Seine-Inférieure. Il devient rapidement l’un des leaders du parti de l’Ordre et soutient la candidature du prince Louis Napoléon à la présidence, par hostilité envers Cavaignac, dont il a essuyé les rebuffades pendant les journées de juin. Lors de la discussion des grandes lois proposées par le parti de l’Ordre, il affiche des positions de plus en plus nettement conservatrices. L’ancien adversaire des jésuites propose de placer l’enseignement primaire sous le contrôle du clergé - par aversion des instituteurs, qui sont présentés comme « d’affreux petits rhéteurs ». Il soutient ardemment le projet de loi amputant le suffrage universel, et profite de cette occasion pour dénoncer la « vile multitude ». Mais sa clairvoyance à l’égard des intentions du prince-président est totale en 1851. Incitant l’Assemblée à résister à la destitution du général Changarnier au début de l’année 1851, il déclare : « l’Empire est fait. » Il s’oppose à la révision de la Constitution, qui aurait permis un second mandat présidentiel, intrigue en faveur de la candidature du prince de Joinville pour la future élection présidentielle de 1852. Cet activisme lui vaut d’être emprisonné lors du coup d’État du 2 décembre 1851, puis d’être exilé pour peu de temps, ce qu’il ne pardonnera jamais à Napoléon III. Revenu en France en 1852, il mène à bien l’Histoire du Consulat et de l’Empire, événement littéraire de l’année 1862 qui lui vaut le qualificatif « d’historien national », attribué par l’empereur lui-même. Les élections de 1863 marquent son retour dans l’arène politique. S’il échoue à Valenciennes et à Aix face aux candidats officiels, il est élu à Paris grâce à la coalition des républicains, des légitimistes et des orléanistes. Devenu chef de l’opposition libérale, il prononce
au Corps législatif, le 11 janvier 1864, un retentissant discours sur « les libertés nécessaires ». Il plaide pour un retour au protectionnisme, condamne le soutien de l’Empire à la cause italienne, pressentant que l’unité de la Péninsule annonce celle de l’Allemagne. Tout en encourageant l’expérience du ministère Ollivier, il ne se rallie pas à l’Empire, malgré l’évolution libérale du régime, et s’oppose au plébiscite du 8 mai 1870. En juillet, il est le seul parlementaire à résister à l’hystérie belliciste de la Chambre et à s’opposer à la guerre avec la Prusse, qu’il juge aussi injustifiée qu’imprudente. À l’annonce de la défaite de Sedan, il propose, avant le triomphe de la révolution du 4 septembre, de donner les pleins pouvoirs au Corps législatif. Sa lucidité lui vaut en septembre la charge d’une mission diplomatique auprès des États neutres downloadModeText.vue.download 902 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 891 afin de les inciter à intervenir dans le conflit franco-prussien. Il est ensuite mandaté auprès de Bismarck pour négocier un armistice, mais la discussion achoppe sur la question du ravitaillement de Paris. Après ces tentatives infructueuses, Thiers est convaincu de l’urgence de mettre fin à la guerre, et se dresse contre Gambetta, qu’il qualifie de « fou furieux ». Cette attitude est approuvée par le corps électoral français, qui le porte à l’Assemblée nationale dans 26 départements lors des élections du 8 février 1871. Devenu « l’homme inévitable », il est élu, le 17 du même mois, chef du pouvoir exécutif de la République française. • Le premier président de la IIIe République. Il négocie alors le traité de Francfort, réussissant à sauver Belfort et à réduire l’indemnité de guerre. Par le pacte de Bordeaux, il s’engage à respecter une totale neutralité sur la question du régime. Mais il se heurte à la Commune de Paris. En réprimant très durement l’insurrection (la Semaine sanglante, 21-28 mai 1871), il focalise sur lui la vindicte des communards. Devenu, le 31 août 1871, président d’une République qu’il espère dominer, il organise le redressement de la France vaincue. Il assure le paiement de l’indemnité de guerre grâce à la souscription triomphale de deux emprunts, et fait voter la loi militaire de 1872 - un compromis entre les partisans de l’armée de métier et ceux qui souhaitaient adopter le système prussien de service universel - ; il amorce également une timide décentralisation par la loi sur les conseils généraux.
Mais il est contesté par la majorité conservatrice, qui lui reproche une politique trop conciliante à l’égard des républicains, dont les élections partielles attestent la progression. Jugeant les royalistes trop divisés pour restaurer la monarchie, il se rallie sans équivoque à la République : le 13 novembre 1872, il propose à l’Assemblée de fonder une République conservatrice. La majorité cherche dès lors à le renverser. Thiers a cessé d’être indispensable depuis la signature de la convention du 15 mars 1873 sur l’évacuation anticipée du territoire. Le 24 mai, il est renversé par l’Assemblée qui vote une motion hostile : il démissionne immédiatement, sans y être contraint puisque son mandat était prévu pour durer autant que celui de l’Assemblée. Tout en restant député, il cesse dès lors d’intervenir dans la vie politique. Il reçoit de la majorité républicaine de la Chambre, élue en février 1876, un ultime hommage adressé au « libérateur du territoire ». Il meurt le 3 septembre 1877, durant la campagne électorale qui fait suite à la crise du 16 mai. Son épouse ayant refusé des obsèques nationales, ses funérailles deviennent une grande manifestation républicaine, prélude à la victoire électorale définitive de la République, en octobre 1877. Thiers (Jean-Baptiste), prêtre connu pour être l’auteur de traités marqués par l’esprit de la Réforme catholique (Chartres 1636 - 1703). Docteur en théologie après de solides études à Paris, il est représentatif d’un clergé cultivé et dévot. C’est aussi un pasteur qui exerce son ministère pendant plus de trente ans dans diverses paroisses des diocèses de Chartres et du Mans. Auteur de nombreux ouvrages, il se montre un défenseur sourcilleux de la discipline ecclésiastique et un adversaire déclaré de toute innovation en matière de clôture des religieuses ou encore d’exposition du saint sacrement. Procédurier, il demeure longtemps en litige avec le chapitre de Chartres. Alliant l’érudition - il a une connaissance approfondie des écrits didactiques anciens - et l’observation de ses paroissiens, il publie en 1679 le Traité des superstitions, son ouvrage le plus célèbre. Au nom d’une religion purifiée, conforme à la fois à la tradition de l’Église et à la raison, il dresse un véritable catalogue des usages condamnables à ses yeux, tels que la dévotion aux faux saints et aux fausses reliques, les pratiques magiques pour jeter des sorts ou se délivrer des maléfices, ou encore les procédés de divination. Il appuie également l’action des évêques visant à réduire le nombre de fêtes chômées. Son inventaire des pratiques superstitieuses constitue pour les historiens
une source irremplaçable d’informations sur la religion et les traditions populaires. Thomas (Albert), homme politique (Champigny-sur-Marne 1878 - Paris 1932). Fils d’un boulanger, Albert Thomas illustre à merveille la méritocratie républicaine : brillant élève du lycée Michelet de Vanves, il entre à l’École normale supérieure (1898) et en sort agrégé d’histoire (1902), puis soutient une thèse de doctorat en droit (1910). Il est happé par la politique au retour d’un séjour en Allemagne, d’où il rapporte une étude très remarquée sur le syndicalisme d’outre-Rhin. Jaurès le fait entrer à l’Humanité pour tenir la rubrique sociale. Socialiste, soucieux de nouer des relations entre son parti et le mouvement syndical, Albert Thomas milite également en faveur des coopératives, voyant dans ce type d’entreprise un moyen de préparer les ouvriers à la gestion économique. Conseiller municipal de Champigny à partir de 1904, il est maire de cette ville de 1912 à 1925. Il est élu député de la Seine en 1910, et s’affirme au sein du groupe socialiste, notamment en se spécialisant dans les questions économiques. Durant le premier conflit mondial, il est avec Jules Guesde et Marcel Sembat l’un des trois membres de la SFIO à participer aux gouvernements de guerre : il est soussecrétaire d’État à l’Artillerie et aux Équipements militaires (mai 1915-décembre 1916), puis ministre de l’Armement et des Fabrications de guerre (décembre 1916-septembre 1917). Cette participation active et prolongée aux gouvernements d’« union sacrée » comme son opposition irréductible à la révolution bolchevique tendent à l’isoler à l’intérieur de la SFIO, parti auquel il reste pourtant fidèle. Il est de nouveau élu député - du Tarn, cette fois - en 1919, mais se démet de son mandat en 1921, pour se consacrer entièrement au Bureau international du travail (BIT), dont il est le véritable fondateur et le premier directeur (1920-1932). Thorez (Maurice), homme politique, dirigeant du Parti communiste (Noyelles-Godault, Pas-de-Calais, 1900 - à bord du navire Litva, en mer Noire, 1964). Issu d’une famille de mineurs du Pas-deCalais, Maurice Thorez exerce, dès l’âge de 12 ans, divers métiers (mineur, valet de ferme, ouvrier du bâtiment). En 1919, il adhère à la CGT, puis à la SFIO, où il milite dans la ten-
dance favorable à la IIIe Internationale. Après la scission du congrès de Tours, il choisit le Parti communiste. Il y devient permanent dès 1923, se pliant à la rude discipline imposée par l’Internationale communiste (IC), et fait figure de militant révolutionnaire modèle. Nommé au bureau politique en 1925, secrétaire à l’organisation en 1926, il compte alors parmi les principaux dirigeants du parti. Membre du comité exécutif de l’Internationale communiste en 1928, désigné pour assurer les fonctions de secrétaire général du PCF en 1930, il est chargé de mettre en application la ligne « sectaire » de refus de tout rapprochement avec les autres forces de gauche. Au début des années 1930, il met sur pied une organisation solide, pourvue d’une direction stable, placée sous le contrôle de l’IC, mais dont les effectifs partisans et l’électorat sont en nette diminution. La victoire de Hitler en Allemagne en 1933 n’entraînant pas de changement de ligne de l’IC, Thorez poursuit l’application de la ligne sectaire, n’hésitant pas à traiter les autres forces de gauche de « social-fascistes ». Le 26 juin 1934 seulement, sur l’ordre de Moscou, il proclame la nécessité de l’alliance « à tout prix » avec la SFIO. Il met alors en oeuvre avec zèle et talent la nouvelle directive, lançant la formule de « Front populaire » (octobre 1934), prônant très tôt l’élargissement de la coalition aux radicaux, donnant du PCF une image patriotique, « tendant la main » aux catholiques et aux Croixde-Feu (avril 1936). Après la victoire électorale du Front populaire, le PCF montre, par la voix de son secrétaire général, son « esprit de responsabilité » en appelant les travailleurs à mettre fin aux grèves, dès lors que « satisfaction a été obtenue ». Les succès du parti pendant cette période font de Thorez l’un des principaux hommes politiques français. La publication de son autobiographie en 1937, Fils du peuple, marque le sommet de sa popularité. Surpris lui-même par la signature du pacte germano-soviétique du 23 août 1939, Thorez défend toutefois cette politique auprès des communistes français. Mobilisé après la déclaration de guerre, il rejoint son unité le 3 septembre. Mais, le 4 octobre, cédant aux injonctions de l’IC, il part clandestinement pour l’URSS, où il séjourne durant toute la guerre, politiquement marginalisé. En novembre 1944, amnistié par le général de Gaulle, il rentre en France et reprend ses fonctions de secrétaire général. Il s’applique alors à donner du PCF une image rassurante. Ministre de novembre 1945 à mai 1947, il appelle à gagner la « bataille de la produc-
tion », mais les communistes, en butte à l’hostilité de leurs alliés, doivent quitter le gouvernement Ramadier en mai 1947. Suivant les injonctions du représentant de Staline lors de la conférence des partis communistes de septembre 1947, le parti dénonce désormais avec ardeur les gouvernement français de la « troisième force » et « entre » dans la guerre froide : Thorez proclame de façon marquée son appartenance au camp socialiste. Il dedownloadModeText.vue.download 903 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 892 vient lui-même, à l’exemple de Staline, l’objet d’un véritable culte. Victime d’une attaque cérébrale en 1950, soigné en URSS, de retour en France après la mort de Staline (1953), il reste jusqu’à sa mort le numéro un du PCF, engageant le parti dans la sclérose doctrinale et manifestant jusqu’au bout sa réticence devant l’oeuvre de dénonciation du stalinisme engagée par Khrouchtchev. Thou (Jacques Auguste de), magistrat, homme politique et historien (Paris 1553 - id. 1617). Il appartient à une illustre famille de l’aristocratie de robe originaire d’Orléans et, comme son père Christophe, il devient conseiller au parlement de Paris (1576). Homme de confiance d’Henri III, il poursuit une carrière brillante, obtenant successivement les charges de maître des requêtes (1586), de président à mortier (1587) et de conseiller d’État (1588). Au plus fort des troubles ligueurs, il reste fidèle au souverain légitime. Il contribue à la préparation de l’édit de Nantes. En 1604, il publie le premier volume d’une Histoire de mon temps, somme qui traite des troubles ayant agité la France de 1546 à 1607 et marque les débuts de l’histoire érudite. Au même titre que les Recherches de la France d’Étienne Pasquier (1560), l’ouvrage propose une histoire nationale en rupture avec les chroniques médiévales. Il s’attache à l’événement rapporté de première main et proclame son impartialité. Mais dans sa préface, en bon politique, l’auteur affirme que l’obéissance à la loi, identifiée au souverain, est la principale garantie de la paix civile. La soumission au roi revêt un caractère religieux plus important que la défense des croyances partisanes. D’où un mépris pour la Ligue, identifiée à la « monstruosité populaire ». De
Thou reste attaché à une histoire rhétorique. Il place son livre sous le patronage de Tite-Live et le rédige en latin, allant jusqu’à latiniser les noms propres - tel le duc de Joyeuse, devenu « Lepidus » - ou des expressions intraduisibles - tel « maréchal de France » transformé en tribunus equitum. Cependant, il fascina les érudits du XVIIe siècle et imposa durablement sa vision « politique » des guerres de Religion. tiers état, troisième ordre de la société d’Ancien Régime, auquel appartiennent ceux qui ne sont ni clercs ni nobles. Dans la France du bas Moyen Âge et de l’époque moderne, les ordres constituent l’un des fondements idéologique et juridique de l’organisation sociale. Ils trouvent leur origine dans une vision du monde qui s’affirme aux alentours de l’an mil et qui divise la société en trois catégories d’hommes : ceux qui prient, ceux qui combattent, et ceux qui travaillent, les laboratores. L’Église dès le haut Moyen Âge, la noblesse à partir du XIe siècle, se structurent en groupes relativement cohérents, auxquels sont associés des droits et des privilèges particuliers. Le troisième groupe, qui comprend la grande majorité des habitants du royaume, se constitue plus lentement : sa désignation « tiers état » n’apparaît qu’à la fin du XVe siècle. À cette époque, la distinction de la société en ordres s’est définitivement imposée et appartient à la loi fondamentale du royaume. • Un ordre disparate. Contrairement aux deux premiers ordres, le tiers état se définit juridiquement de façon négative, comme celui auquel, dans son ensemble, n’est attaché aucun privilège. Toutefois, ses membres sont les seuls à pouvoir exercer une activité marchande ou professionnelle, dans le cadre d’une corporation de métier. Par son extension même - près de 98 % de la population totale -, le tiers état est hétérogène : officiers du roi, médecins, avocats, financiers, marchands, laboureurs, gens de métier, journaliers et vagabonds se mêlent dans un même ordre, tout en ayant des intérêts et des modes de vie différents. À partir des XIVe et XVe siècles, la frange supérieure de cet ordre disparate, la bourgeoisie, commence cependant à se distinguer et à acquérir une influence grandissante dans la société. C’est elle, en particulier, qui dispose du seul rôle politique légal accordé au Tiers : la présence aux états provinciaux et aux états généraux. En effet, ces assemblées consultatives sont constituées de représentants des trois ordres, qui siègent et délibèrent indépendamment les uns des autres.
La bourgeoisie accapare l’essentiel des places attribuées au Tiers et accroît ainsi son assise sociale, d’autant que la monarchie s’appuie fréquemment sur celui-ci pour imposer ses vues aux ordres privilégiés. Mais, après ceux de 1614-1615, les états généraux ne seront plus réunis avant 1789. Le tiers état n’a donc plus de représentation politique, d’autant que les assemblées provinciales tendent à disparaître ou sont mises au pas sous la pression de la centralisation entreprise par la monarchie absolue. • La montée en puissance du Tiers. Les deux derniers siècles de l’Ancien Régime accentuent l’écart, de plus en plus mal vécu, qui existe entre l’inégalité civique et juridique des membres du Tiers et leur influence démographique et économique réelle dans le pays. Ainsi, lorsqu’est annoncée la convocation des états généraux, en juillet 1788, les membres les plus éclairés et les plus puissants du tiers état entendent bien faire de cette assemblée une tribune pour leurs revendications. Au cours de l’hiver 1788-1789, le débat se focalise sur le doublement du nombre des représentants du Tiers et sur le vote par tête et non par ordre ; le premier point est acquis en décembre tandis que le second est laissé en suspens. L’expression « tiers état » connaît alors, au début de l’année 1789, une fortune politique sans précédent, notamment après la publication de la célèbre brochure de l’abbé Sieyès Qu’est-ce que le tiers état ? L’auteur y exprime en termes percutants certaines des idées qui ont contribué au succès des Lumières : « Ainsi, qu’est-ce que le tiers état ? Tout, mais un tout entravé et opprimé. Que serait-il sans l’ordre privilégié ? Tout, mais un tout libre et florissant. Rien ne peut aller sans lui, tout irait infiniment mieux sans les autres. » Le tiers état devient dès lors synonyme de liberté ; il est, à lui seul, contre l’inégalité formelle des ordres, la nation affranchie. Avec l’abolition des privilèges, lors de la nuit du 4 août, il perd sa signification juridique et sociale. À la société d’ordres succède, dans les représentations politiques, une société de classes. tiers parti ! politiques ou malcontents Tiers Parti, nom donné, sous le second Empire, à un groupe politique soucieux de se démarquer tout à la fois du bonapartisme autoritaire pratiqué depuis le début du règne de Napoléon III et de l’opposition antidynastique à majorité républicaine.
Le Tiers Parti est apparu au début de la législature 1863-1869 et résulte de la conjonction de deux courants, l’un venu des rangs de députés officiels déçus par la politique économique et religieuse du gouvernement, l’autre, composé de républicains ralliés abandonnant une opposition stérile sous la condition que le régime se libéralise. La figure principale du Tiers Parti, Émile Ollivier, relève de cette dernière tendance, mais il n’a guère de troupes derrière lui, et les membres du Tiers Parti appartiennent dans leur grande majorité à la bourgeoisie cléricale et protectionniste. Le Tiers Parti se manifeste avec force en janvier 1866, lors de la discussion de l’« Adresse au Corps législatif » : 45 députés déposent un amendement demandant de nouvelles réformes libérales après les concessions accordées par l’empereur en 1860. Il obtient un premier succès le 19 janvier 1867, avec l’octroi du droit d’interpellation et l’annonce d’une libéralisation du statut de la presse et du droit de réunion. Mais ses adversaires, notamment le ministre d’État Rouher, demeurent au pouvoir. Il faut attendre l’échec gouvernemental aux élections de 1869 et une demande d’interpellation signée cette fois par 116 parlementaires, le 6 juillet 1869, pour que Napoléon III fasse droit à ses revendications par le sénatus-consulte du 8 septembre 1869. La nomination d’Émile Ollivier à la tête d’un ministère parlementaire, le 2 janvier 1870, parachève ce succès, même si le gouvernement comprend quelques hommes de l’empereur. Le Tiers Parti se divise alors en un centre droit, composé de bonapartistes libéraux, et un centre gauche, représentant une tendance libérale intransigeante d’esprit orléaniste, incarnée par les éphémères ministres Buffet et Daru. Le clivage apparaît nettement lors du plébiscite du 8 mai 1870, le centre droit prônant le « oui » malgré le risque d’exploitation du plébiscite par les bonapartistes autoritaires, le centre gauche se réfugiant dans l’abstention ou prônant un vote négatif par opposition au principe plébiscitaire. Tilsit (traités de), expression désignant deux traités, l’un conclu entre la France et la Russie le 7 juillet 1807, l’autre entre la France et la Prusse deux jours plus tard. Vaincu à Friedland (14 juin 1807) par Napoléon, le tsar Alexandre Ier n’a pas encore perdu la guerre, mais, mécontent de ses alliés - la Prusse, l’Angleterre et l’Autriche - et désireux d’intervenir en Orient, il demande à traiter : il rencontre l’empereur le 25 juin à Tilsit, en
Prusse orientale, sur un radeau, au milieu du Niemen. Le traité signé après l’entrevue, le downloadModeText.vue.download 904 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 893 7 juillet 1807, est d’abord une alliance, offensive et défensive, contre l’Angleterre. Le tsar promet de fermer ses ports au commerce britannique, permettant ainsi la réalisation du Blocus continental. Par ailleurs, le traité prévoit une médiation française dans le conflit russo-turc et un éventuel démembrement de l’Empire ottoman. L’alliance se fait ensuite aux dépens de la Prusse, vaincue à Iéna l’année précédente. Le second traité de Tilsit, signé le 9 juillet, enlève à ce pays la moitié de ses habitants : les territoires prussiens situés entre l’Elbe et le Rhin, joints à une partie du Hanovre, constituent un nouveau royaume, la Westphalie, attribué à Jérôme Bonaparte. À l’est de l’Elbe, les parties polonaises de la Prusse forment le grand-duché de Varsovie. En outre, la Westphalie et la Saxe entrent dans la Confédération du Rhin, qui regroupe ainsi, sous la protection française, toute l’Allemagne, sauf la Prusse, et l’Autriche. Hégémonie française en Allemagne et isolement de l’Angleterre : Tilsit marque l’apogée de la puissance napoléonienne. Mais l’alliance russe est un leurre. L’économie russe ne pourra s’accommoder du Blocus continental et le versatile Alexandre fera marche arrière dès 1808. timbre. Ce n’est qu’au terme de plusieurs années de polémiques et de débats parlementaires mouvementés que le premier timbre français est émis le 1er janvier 1849, neuf ans après l’apparition du penny black anglais, qui avait entre-temps fait des émules dans les cantons suisses, au Brésil et au États-Unis. Le « 20 centimes noir » sur lequel le profil de Cérès, allégorie agricole et symbole de liberté, célèbre la naissance de la IIe République, est un enfant de la révolution de 1848. Il est surtout le fruit de la détermination d’Étienne Arago, frère du célèbre physicien-astronome et directeur général des Postes, qui fait adopter par l’Assemblée nationale le décret-loi des 23 et 30 août 1848 autorisant l’utilisation du timbre-poste pour l’affranchissement préalable des correspondances. Le système qui prévalait avant son apparition, et qui consistait à faire payer le destinataire en « numé-
raire », avait ses fervents défenseurs : il était une importante source de profit pour les banques, qui taxaient des frais de port sur les effets remis à l’encaissement, et pour les parlementaires, qui abusaient de la franchise postale. L’apparition du timbre en France marque donc une double révolution : la division par cinq du tarif postal de longue distance et la généralisation d’un tarif unique pour l’ensemble du territoire - « France, Corse et Algérie » -, quelle que soit la distance parcourue par la lettre. Grâce à la démocratisation du courrier que permet le timbre, le trafic passe de 126 millions de lettres en 1848 à 700 millions en 1865. De 1849 à nos jours, les services postaux ont émis plus de 3 000 timbres, dont le programme est fixé deux fois par an par arrêté ministériel après un arbitrage entre les demandes d’élus et de Français et la consultation d’une commission composée de personnalités qualifiées. À l’exception des portraits de Napoléon III et du maréchal Pétain, « timbrifiés » de leur vivant, et de Louis Pasteur, immortalisé huit ans après sa disparition, le timbre courant a toujours représenté une allégorie ou un symbole de la République : Cérès, Mercure, Paix, Semeuse, Marianne, Arc de triomphe... Les timbres du programme philatélique français constituent un double reflet historique : le choix du thème de leur illustration, année après année, nous renseigne sur l’évolution du regard politique sur l’histoire depuis 1849. Au-delà, les dates, les personnages et les valeurs qu’ils commémorent nous racontent l’histoire et la géographie de notre pays, en taille douce, en offset ou en héliogravure. tirailleurs sénégalais, unités militaires créées en 1857 et incorporées en 1900 dans les troupes coloniales. Les régiments de tirailleurs sénégalais, composés - malgré leur nom - de recrues originaires de plusieurs pays de l’Afrique française, ont été engagés dans les deux conflits mondiaux ainsi que dans la guerre d’Indochine. Cependant, c’est leur participation à la Grande Guerre qui les a inscrits dans la mémoire collective. Les colonies françaises fournissent pendant le premier conflit mondial environ 600 000 combattants et travailleurs mobilisés en métropole, parmi lesquels 134 000 tirailleurs sénégalais. Ceux-ci subissent le même pourcentage de pertes que les forces françaises au front : 29 000 ne retournent pas en
Afrique, morts au combat ou victimes du froid, des maladies, du déracinement. Le recours à cette « force noire », préconisé par le colonel Mangin, montre que « la plus grande France » constitue une ferme « deuxième ligne de défense », même si ce n’est qu’avec 4 % des effectifs combattants. En outre, la présence de ces hommes suscite un conflit de représentations, dans une guerre perçue par les belligérants comme une « lutte pour la civilisation » : les Allemands considèrent que le recrutement de soldats africains est une preuve de barbarie, tandis que la propagande française tend à présenter les ressortissants des colonies comme de « nouveaux civilisés », grâce à la République qui se bat « pour le droit ». Les Français découvrent, entre paternalisme et racisme, l’exotisme de ces hommes vus à la fois comme de grands enfants et des soldats courageux. Quant aux combattants africains, ils prennent conscience de leurs différences et sauront les affirmer par la suite : le coût humain, la cruauté d’un déracinement pour une cause si éloignée, ne pouvaient que fonder la protestation anticoloniale. « Écoutez-nous, morts étendus dans l’eau au profond des plaines du Nord et de l’Est.../Recevez le salut de vos camarades noirs, tirailleurs sénégalais/Morts pour la République ! » (Léopold Sédar Senghor, 1938). Tirard (Pierre Emmanuel), homme politique (Genève 1827 - Paris 1893). Cet homme d’affaires républicain entre tardivement en politique, comme maire du IIe arrondissement de Paris (1870). Élu député de la Seine en 1871, il dénonce la Commune de Paris et opte pour Adolphe Thiers, puis refuse en 1877 le gouvernement d’Ordre moral du duc de Broglie. Sa carrière ministérielle commence avec le portefeuille du Commerce (1879), et se poursuit aux Finances (août 1882-avril 1885), avant un éphémère passage à la présidence du Conseil (décembre 1887mars 1888). Revenu aux Finances, Tirard, homme des situations délicates, convertit les rentes à 5 % en rentes à 4,5 % pour alléger la dette de l’État, assure la promulgation des lois protectionnistes sur quelques produits manufacturés, sur le blé et le bétail. Élu vice-président du Sénat en janvier 1889, il démissionne dès le 22 février pour devenir président du Conseil. Il affronte alors la crise boulangiste. Il dissout la Ligue des patriotes de Paul Déroulède, dont il fait poursuivre les membres pour délit de société secrète, et fait interdire les candidatures multiples pour le scrutin législatif de 1889, ce qui permet une victoire républicaine. Se heurtant à un Sénat de plus en plus protec-
tionniste, et ne pouvant faire ratifier le traité de commerce avec l’Empire ottoman, il démissionne le 16 mars 1890. En décembre 1892, Alexandre Ribot lui confie le ministère des Finances pour suivre l’enquête sur le scandale de Panamá. Tirard brûle alors ses dernières forces à défendre les valeurs républicaines. Tocqueville (Charles Alexis Henri Clérel de), sociologue et historien (Paris 1805 - Cannes 1859). Né dans une famille de la noblesse normande, il choisit le service de l’État, à l’instar de son père Henri, préfet sous la Restauration, et commence sa carrière au parquet de Versailles, en 1827. Parti avec le procureur du roi Gustave de Beaumont aux États-Unis pour en étudier le système pénitentiaire (le Système pénitentiaire, 1833), il quitte la magistrature pour s’investir dans ses travaux intellectuels, mais aussi dans la politique, en tant que député de Valognes, de 1839 à 1851. De la démocratie en Amérique, ouvrage publié en 1835 et en 1840, lui vaut d’emblée une célébrité, consacrée par son élection à l’Académie des sciences morales et politiques (1838), puis à l’Académie française (1841). Guère surpris par la révolution de 1848, il garde son siège de député de Valognes lors de l’élection de la Constituante ; il soutient le parti de l’Ordre tout en décrivant avec lucidité les journées de juin 1848 comme une « guerre servile ». Sa carrière politique est à son apogée lorsqu’il obtient le portefeuille des Affaires étrangères dans le cabinet dirigé par Odilon Barrot (2 juin 1849-30 octobre 1849). Mais, au lendemain du coup d’État du 2 décembre 1851, il refuse de se rallier au nouveau régime. • L’expérience américaine. L’enquête sur le système pénitentiaire américain conduit rapidement le jeune Tocqueville à une réflexion sur l’origine de la spécificité du développement historique français. Grand lecteur de Montesquieu, auditeur passionné des cours de Guizot sur les institutions françaises et anglaises, il utilise l’analyse de la société américaine comme un terme de comparaison renouvelé. Par l’égalité qui y règne, comme nulle part ailleurs, sur les conditions et les statuts sociaux, par les modes de vie qui y ont cours, les États-Unis illustrent à ses yeux le déclin de l’aristocratie et la marche inexorable des sociétés vers la démocratie. Le cas américain lui permet de se demander pourquoi la France, dans son évolution vers un régime démocratique, a tant de mal à préserver la downloadModeText.vue.download 905 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 894 liberté, alors que les États-Unis y parviennent. Le comparatisme est un instrument qui cerne les spécificités autant qu’un outil d’élaboration des lois générales. Les circonstances particulières de la naissance de la nation américaine, préservée des guerres, paraissent importantes à Tocqueville. Néanmoins, deux autres facteurs lui semblent décisifs. Selon Raymond Aron, « la société américaine est aux yeux de Tocqueville celle qui a su joindre l’esprit de religion et l’esprit de liberté » ; d’autre part, sa Constitution fédérale unit les avantages qui résultent « de la grandeur et de la petitesse des nations ». Tocqueville croit discerner dans la société américaine les antidotes au caractère irrémédiablement liberticide du processus démocratique français. Bien que les deux derniers tomes de l’ouvrage aient reçu un accueil moins enthousiaste, De la démocratie en Amérique devient immédiatement un classique. Par la suite, l’engagement politique de Tocqueville interrompt une production que sa retraite forcée de 1851 va relancer. • L’Ancien Régime et la Révolution française. Comme nombre de ses contemporains, Tocqueville cherche à comprendre la France à travers l’épisode révolutionnaire. Marqué par la pensée de Montesquieu, il ne peut envisager le cours de la Révolution sans ausculter les institutions. Son enquête le conduit à dépouiller systématiquement les cahiers de doléances de la généralité de Tours, ville où il réside durant l’année 1853. Lors de sa parution en 1856, l’Ancien Régime et la Révolution tranche sur l’ensemble des tentatives antérieures et devient une enquête sur le passage d’une ancienne à une nouvelle France. Le coeur de la démonstration fait de la Révolution l’héritière d’une mission centralisatrice que la crise de l’Ancien Régime ne permettait plus de mener à bien. Et l’Ancien Régime, par l’abaissement progressif de l’aristocratie, y est dépeint comme l’ouvrier secret et inconscient du phénomène démocratique. Tocqueville établit une opposition entre liberté et démocratie, un lien entre la mort de l’aristocratie et la montée du despotisme : « Parmi toutes les sociétés du monde, celles qui auront toujours le plus de peine à échapper pendant longtemps au gouvernement absolu seront précisément ces sociétés où l’aristocratie n’est plus et ne peut plus être », écrit-il dans l’Ancien Régime et la Révolution
• Une pensée, une démarche. Sur un plan historiographique, la dernière oeuvre de Tocqueville marque le dépassement de l’opposition entre des auteurs qui s’attachent à intégrer le legs de la Révolution dans l’histoire nationale (Mignet, Thiers, Guizot, Louis Blanc) et d’autres qui sont nostalgiques de l’Ancien Régime (Bonald, de Maistre...). Avec lucidité, il utilise son appartenance au clan des vaincus pour dévoiler le sens caché de l’événement, pour « penser la Révolution », selon la formule de François Furet. Cet apport, qui rend sa figure singulière jusqu’à nos jours, s’appuie sur une remarquable qualité d’investigation : qu’il s’agisse de l’enquête sur le terrain en Amérique ou de l’exploration pionnière des sources d’archives telles que les cahiers de doléances, Tocqueville fonde ses hypothèses générales sur une documentation de première main. Avec l’Ancien Régime et la Révolution, il offre l’un des premiers modèles d’interprétation sociologique d’une crise historique. Bien que croyant à des lois de l’histoire et au comparatisme hérité de Montesquieu - ce qui l’amène à surestimer le rôle déterminant des institutions au détriment des hommes -, il partage avec Marx l’intérêt pour les facteurs idéologiques à l’oeuvre dans le corps social et la conviction que les « classes, elles seules, doivent occuper l’histoire ». Situer Tocqueville demeure donc une épreuve : Jaurès et Taine y puisent, chacun, des arguments. Versant aristocratique de l’idéologie libérale, il demeure irréductible à Guizot, pour qui l’aristocratie est un obstacle à la liberté. Si sa nostalgie l’enracine à droite, sa vision de l’histoire en fait le prophète d’un usage raisonné de la démocratie. Toison d’or (ordre de la), ordre de chevalerie fondé à Bruges, le 10 janvier 1430, par le duc de Bourgogne Philippe le Bon. L’ordre de la Toison d’or, ainsi nommé par référence à la légende de Jason et à la tunique de Gédéon, rassemble 31, puis 51 et finalement 61 nobles des états bourguignons, élus par cooptation puis nommés, sous l’autorité du duc, grand-maître de l’ordre. À l’instar des autres ordres de chevalerie créés aux XIVe et XVe siècles, celui de la Toison d’or cherche à restaurer l’état nobiliaire et les valeurs chevaleresques minés par la crise économique et sociale et par l’essor des pouvoirs souverains. Ses statuts insistent ainsi sur les rites de la fraternité chevaleresque et sur le faste des fêtes qui réunissent régulièrement l’ensemble
des membres. Toutefois, l’ordre de la Toison d’or se distingue par l’accent mis sur l’idée de croisade et par la volonté des ducs de Bourgogne de regrouper autour d’eux l’élite de la noblesse d’une principauté éclatée entre la Flandre et leur domaine. Ces caractéristiques expliquent sans doute la postérité exceptionnelle de l’ordre au XVIe siècle, une fois celui-ci transmis à la maison de Habsbourg après la mort de Charles le Téméraire. L’ordre connaît un second apogée sous Charles Quint, qui élargit son recrutement à la dimension de son Empire et l’ouvre à des Espagnols, des Italiens et des Allemands. Il demeure le conservatoire de l’idéologie chevaleresque et de l’esprit de croisade, qui s’incarne alors dans la lutte contre les Turcs. Après l’extinction des Habsbourg d’Espagne, en 1700, il est conféré à la fois par les Habsbourg d’Autriche et par les Bourbons d’Espagne. Tolbiac (bataille de), affrontement entre les Alamans et les Francs (vers 496), qui, selon la tradition, marque une étape majeure dans le processus de conversion de Clovis au christianisme. À la fin du Ve siècle, les Francs sont encore divisés : les Rhénans ont pour capitale Cologne, et les Saliens Tournai. Les Alamans, quant à eux, sont alors, avec les Thuringiens et les Romains de Syagrius, l’un des peuples à entrer en conflit avec les guerriers francs ; ils se sont stabilisés dans la région du Rhin supérieur, mais la menace thuringienne les amène à étendre leur territoire vers le nord en se heurtant aux Francs Rhénans. Sigebert, roi des Rhénans, est blessé (de là son surnom de « Boiteux ») lors d’un premier assaut contre la forteresse de Tulpiacum (Tolbiac, aujourd’hui Zülpich), située à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Cologne. Il appelle à la rescousse son allié Clovis, roi des Francs Saliens. Celui-ci espère prendre les Alamans à revers en contournant Cologne par la rive droite du Rhin, mais il doit abandonner sa tactique et rejoindre Tolbiac, que les Rhénans n’ont pas pu tenir. Selon les récits - écrits bien après les événements - de Grégoire de Tours (vers 538594) et de Jonas de Bobbio (vers 600-659), Clovis invoque le dieu chrétien de sa femme Clotilde, dieu auquel il promet de se convertir par le baptême s’il lui donne la victoire. Peu après ce serment, les Alamans, dont le roi meurt, sont mis en déroute, et Clovis devient catéchumène. Les Alamans sont de nouveau battus par Clovis à Tolbiac en 506 et passent alors sous le contrôle des Mérovingiens.
Tolentino (traité de), traité signé le 19 février 1797 par Bonaparte et par le cardinal Mattei, représentant du pape Pie VI. Quoique officiellement neutres, les États de l’Église entretiennent de très mauvaises relations avec la République française, dont ils condamnent les mesures antireligieuses. En 1796, le Directoire veut profiter du succès foudroyant de la campagne d’Italie pour faire « chanceler la tiare ». Bonaparte envahit les territoires pontificaux et occupe les Légations (Bologne, Ferrare et Ravenne). Le pape Pie VI signe aussitôt l’armistice de Bologne (23 juin) et entame des négociations. Après leur rupture, Bonaparte conquiert en quelques jours la Romagne, le duché d’Urbino et la marche d’Ancône (février 1797), et peut alors imposer au souverain pontife un traité très dur, signé à Tolentino le 19 février : Pie VI reconnaît l’annexion d’Avignon et du Comtat Venaissin, cède les Légations et Ancône, ainsi qu’un lourd tribut de 20 millions et quantité d’oeuvres d’art. Il doit en outre fermer ses ports aux Anglais. Première atteinte grave à la souveraineté temporelle du pape, ce traité laisse cependant intacts le rôle et le prestige spirituels du pontife. En effet, Pie VI ne cède rien sur ce plan et ne revient pas sur sa condamnation de la Constitution civile du clergé. Mais l’année suivante, les Français occuperont la Ville éternelle, proclameront la République romaine (15 février 1798) et contraindront le pape à l’exil. Tonkin ! Indochine Toulon (siège de), bataille menée en 1793 par les troupes de la Convention pour reprendre Toulon occupé par les Anglais. En juillet 1793, une insurrection fédéraliste éclate à Toulon. Les notables de la ville se soulèvent contre la Convention montagnarde : les autorités municipales sont dissoutes, la société populaire est interdite, les jacobins les plus engagés et les représentants en mission de la Convention sont emprisonnés, des dirigeants révolutionnaires sont exécutés. Comme dans bien d’autres cas - à Lyon, notamment -, le mouvement est progressivedownloadModeText.vue.download 906 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 895 ment « récupéré » par les royalistes. À la fin du mois d’août, ceux-ci entrent en contact
avec l’amiral Hood, commandant des forces anglaises, et lui remettent la ville. La Convention réagit au début du mois de septembre : les représentants en mission, dont Barras, Louis Fréron et Augustin Robespierre, font encercler Toulon par les troupes placées sous le commandement du général Carteaux. Mais les puissantes fortifications toulonnaises, et notamment le fort du « petit Gibraltar », au sud-ouest de la rade, retardent les opérations. Au mois de décembre, Dugommier adopte le plan proposé par le capitaine d’artillerie Bonaparte, qui se distingue en prenant le « petit Gibraltar » le 17. Le lendemain, les Anglais abandonnent précipitamment la ville, laissant derrière eux une partie de leurs « alliés » royalistes. La répression qui s’ensuit fait environ un millier de victimes. Le siège de Toulon contribue à la popularité naissante de Bonaparte, qui est nommé général de brigade dès le 22 décembre. Toulouse (comté de), comté médiéval du sud de la France qui a progressivement unifié le Languedoc féodal. Maintes fois conquis et reconquis, le Toulousain, poste avancé du royaume franc, est érigé en comté par Charlemagne, en 778, afin de protéger l’Aquitaine des invasions. Le comté devient héréditaire avec Frédelon, investi par Charles le Chauve, en 849, et premier comte de Toulouse connu. Dès lors, à la faveur du déclin des Carolingiens, la dynastie de Toulouse, peu soumise à l’influence franque, devient peu à peu l’une des plus puissantes maisons féodales du royaume. À la fin du Xe siècle, les comtes de Toulouse, suzerains des comtes de Foix et de Carcassonne, sont maîtres du Toulousain, du Quercy et de l’Albigeois. En 1066, par héritage, le comté de Rouergue et le marquisat de Gothie (littoral méditerranéen des Pyrénées jusqu’au Rhône) passent sous la suzeraineté de Raimond IV, futur comte de Toulouse (1088-1105), qui les adjoint au comté, ainsi que le comté de Gévaudan, le pays d’Uzès et Narbonne. En 1125, Alphonse Ier (1112-1148) augmente le domaine comtal du marquisat de Provence (nord de la Provence, dont Avignon et le Comtat Venaissin). Enfin, après que Raimond V (1148-1194) eut renforcé l’unité de ses États, Raimond VI (1194-1222) acquiert par mariage l’Agenais (1198) et la mouvance des comtés gascons d’Armagnac et d’Astarac. Puissante principauté comptant de nombreux vassaux, le comté est, au XIIe siècle, l’un des six grands fiefs relevant de la couronne de France. Sa prospérité excite la convoitise de ses voisins, les ducs d’Aquitaine, auxquels
succèdent les rois d’Angleterre et les comtes de Barcelone, qui tentent à plusieurs reprises de le conquérir. Mais ses plus grands rivaux sont les rois capétiens, qui, cherchant à assujettir les grands seigneurs féodaux et à étendre leur domaine, profitent de la condamnation par le pape de l’hérésie cathare, tolérée par les comtes de Toulouse : lancée en 1208 par le pape Innocent III, qui excommunie Raimond VI, la croisade contre les albigeois est féroce et dévastatrice. D’abord vaincu, Raimond VI reconquiert Toulouse (1217) puis presque tous ses États. Mais son successeur, Raimond VII, s’incline après l’intervention du roi de France et signe le traité de Meaux-Paris (1229), qui donne la moitié orientale de ses États à Louis IX et impose le mariage de sa fille Jeanne avec le frère du roi, Alphonse de Poitiers. Héritier de ce qu’il reste du comté à la mort de Raimond VII (1249), le comte Alphonse, qui n’a pas de descendant, lègue au roi Philippe III le Hardi ses terres, dès lors réunies au domaine royal (1271). Touraine, ancienne province dont les limites correspondent à celles de l’actuel département d’Indre-et-Loire. Conquise par les Romains au Ier siècle avant J.-C., la Touraine est, à l’origine, le territoire des Celtes Turones. Elle est incluse, à la fin du IVe siècle, dans la Lyonnaise IIIe, vaste province de la Gaule romaine, dont Tours (Civitas Turonum ou Caesarodunum) devient la capitale. • Prospérité et rayonnement spirituel. La Touraine est déjà un centre important lorsque saint Martin, évêque de Tours, fonde le monastère de Marmoutier, en 372, créant ainsi l’un des deux foyers de l’expansion du christianisme dans la Gaule du Ve siècle. Envahie par les Wisigoths en 475, la Touraine passe sous la domination des Francs après la victoire de Clovis à Vouillé en 507, qui porte un coup mortel au royaume wisigoth de Toulouse. La province est alors à la croisée de routes commerciales et l’une des clés reliant le Nord au Sud, tandis que Tours, qui abrite le tombeau de saint Martin, devient le premier lieu de pèlerinage de la Gaule mérovingienne, l’un des plus fréquentés de l’Occident chrétien. Sous les Mérovingiens, la Touraine, dont le gouvernement est confié à des comtes, est bien souvent morcelée et partagée entre les héritiers francs du royaume de Neustrie, au nord, et de celui d’Aquitaine, au sud. En 806, lorsque Charlemagne décide qu’à sa mort son Empire sera divisé entre ses trois fils, elle est rattachée à la Neustrie. Sa prospérité et sa situation stratégique font d’elle une province
convoitée, tant par les princes francs que par les Sarrasins, dont la progression est stoppée au VIIIe siècle, ou par les Normands, qui entreprennent de nombreuses incursions au IXe siècle. Et c’est naturellement que Tours, où le chapitre de l’abbaye Saint-Martin bat monnaie (d’où le nom des deniers « tournois »), s’affirme comme l’un des centres de la renaissance carolingienne. • L’extension capétienne et les résistances féodales. Au début de l’époque féodale, vers la fin du Xe siècle, les frontières du comté de Touraine, désormais héréditaire, se stabilisent. Pendant plusieurs siècles, et à l’image d’autres territoires, la Touraine, fief dépendant des rois de France, est un enjeu pour les Capétiens, désireux d’unifier leur domaine et de contrôler les grands seigneurs féodaux. Dans la première moitié du XIe siècle, tandis que les maisons de Blois et d’Anjou se disputent la Touraine, qui se hérisse de châteaux forts, Thibaud III de Blois, comte de Touraine, refuse de rendre hommage au roi de France. Aussi, ce dernier donne-t-il le comté à Geoffroi II Martel, comte d’Anjou, qui conquiert la province en 1044. La Touraine, incorporée à l’héritage angevin, fait désormais partie de l’empire des Plantagenêts, qui comprend également le Maine, la Normandie et bientôt l’Aquitaine. Elle devient anglaise lorsque Henri Plantagenêt, comte d’Anjou, accède au trône d’Angleterre, en 1154, sous le nom d’Henri II. Dès lors, les rois de France n’ont de cesse de reprendre cet empire à la dynastie anglaise. Après avoir confisqué les fiefs français du roi anglais Jean sans Terre, sous prétexte de félonie, Philippe Auguste conquiert la Touraine (1205), qui devient une sénéchaussée héréditaire. Jean sans Terre reconnaît cette conquête par le traité de Chinon (1214), confirmé par le traité de Paris (1259), qui rattache la Touraine au domaine royal de France. Cependant, érigée en duché-pairie au XIVe siècle, la province est détachée du domaine royal et donnée en apanage aux princes du sang. Restée fidèle à la couronne de France durant la guerre de Cent Ans, elle accueille Charles VII, qui décide de la rédaction de ses coutumes, établies de 1453 à 1461, avant celles du reste du royaume. Aux XVe et XVIe siècles, la Touraine devient la résidence favorite des rois de France et le centre politique et intellectuel du royaume, avant d’être éclipsée par la région parisienne. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, elle forme, avec les duchés d’Alençon, d’Anjou et de Berry, le nouvel apanage d’Alençon consti-
tué en faveur du frère d’Henri III, François d’Anjou. À la mort de ce dernier (1584), l’apanage est donné à Henri de Navarre, dernier grand possesseur de fiefs (qui accédera au trône de France sous le nom d’Henri IV). En 1607, le roi est contraint par les parlements de prendre un édit royal qui fait revenir ses biens patrimoniaux, dont la Touraine, à la couronne. tour de France, voyage initiatique qu’entreprenaient les jeunes ouvriers artisans afin de parfaire leur formation tant morale que professionnelle. Apparue dès le Moyen Âge, cette pratique se développe à partir du XVIe siècle. Le tour de France, organisé par les compagnons, constitue un long et dur apprentissage : à la fois pédagogie et épreuve, il enseigne la connaissance des différentes techniques du métier mais aussi celle des hommes, et doit conduire à l’éveil de la conscience pour atteindre un idéal moral et social. L’ordre, la discipline, l’amour du travail bien fait, le dépassement de soi, la fidélité et la solidarité sont les principales valeurs acquises le long de ce périple. De cette formation spirituelle découlent de nombreux rites secrets, qui varient selon les sociétés compagnonniques (les Devoirs) et dont la compréhension est réservée aux seuls initiés qui ont accompli le tour. Trois initiations jalonnent le voyage : l’adoption, la réception et la finition. Quittant sa famille et son maître, le jeune apprenti doit être accepté comme aspirant par la société qu’il a choisie. Suivi par un tuteur, il est soumis d’abord aux plus basses tâches. Puis, plus tard, après avoir exécuté un chef-d’oeuvre prouvant la maîtrise de son métier, il est reçu compagnon. Enfin, au terme d’un voyage de plusieurs années, le « compagnon fini », homme fait, « remercie la société » et rentre chez lui. downloadModeText.vue.download 907 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 896 Baptisé d’un surnom, voyageant le plus souvent à pied, sac au dos et muni d’une canne emblématique remise par la société, l’ouvrier est tenu de s’arrêter dans des villes déterminées. À chacune de ces étapes, il est assuré du gîte et du couvert dans un foyer (la « cayenne »), siège de la direction locale de la société, où vivent d’autres compagnons. Deux autorités respectées dirigent la
cayenne : la « mère », hôtesse dévouée, et le « premier en ville », régulièrement élu, qui pourront mettre le compagnon à l’amende à chaque manquement moral, amende destinée à grossir la bourse commune. Dès l’arrivée du compagnon, le « rouleur », qui tient registre, lui cherche un emploi dans un atelier ou une boutique, et l’introduit auprès de l’employeur. Lorsqu’il repart sur la route du tour (le « trimard »), une escorte, en grande tenue, lui fait la « conduite en règle » en l’accompagnant à la limite de la ville. Temps fort de la vie du compagnon, le tour de France devient une pratique minoritaire dans la seconde moitié du XIXe siècle, du fait de la révolution industrielle. Tour de France, course cycliste par étapes créée en 1903. Venue d’Angleterre dans les années 1880, la bicyclette a tôt fait de conquérir la France. L’avenir pourrait apparaître radieux pour le quotidien sportif le Vélo, qui a alors la mainmise sur les courses, si son directeur, Pierre Giffard, dreyfusard convaincu, n’interdisait ses colonnes au comte de Dion, industriel entreprenant mais antidreyfusard notoire. L’homme d’affaires réplique en lançant l’Auto-Vélo (devenu rapidement l’Auto), dont il confie les destinées à un ancien recordman de l’heure, Henri Desgrange, lequel décide d’organiser « la plus grande course cycliste du monde ». Couru du 1er au 18 juillet 1903, de jour comme de nuit, dessinant une boucle intérieure en six étapes - de Paris à Paris -, ce premier Tour de France connaît un immense succès populaire, voit Maurice Garin triompher et l’Auto « terrasser » le Vélo. Desgrange ne cesse ensuite d’encadrer et d’organiser « son » Tour : les étapes deviennent plus nombreuses, et la course épouse progressivement la forme de l’Hexagone ; la montagne vient durcir l’épreuve ; en 1930, les formations nationales remplacent les équipes commerciales, pour la plus grande joie de l’Action française, qui voit dans la course un moyen de satisfaire son idéologie. Les classements se multiplient : au maillot jaune - apparu dès 1919 - viennent s’ajouter un maillot du meilleur grimpeur, un autre pour la régularité, etc. Des véhicules extra-sportifs apparaissent, embryon de cette caravane et de ce « village » publicitaires qui font désormais du Tour le prétexte sportif d’un gigantesque cirque ambulant aux enjeux économiques déterminants. Car derrière la compétition se cache une véritable entreprise : la Société du Tour de France. Filiale du groupe de presse Amaury - organisateur de l’épreuve depuis 1947 -, elle s’occupe non
seulement du quotidien de la course, mais surtout de la mise sur pied de la « Grande Boucle » : négociation avec les villes-étapes, aménagement du parcours avec les autorités administratives, exploitation des droits télévisés, etc. Mais le succès populaire, non démenti, tient à autre chose qu’à une organisation impeccable : à la capacité du Tour de se faire légende, de produire des mythes. Campés en héros par Albert Londres, les « forçats de la route » se confrontent d’abord aux éléments, avant de s’affronter entre eux selon une dramaturgie presque trop bien réglée, et qui intègre même les coups du destin. Lecture homérique qui distribue les rôles autant que les prix et fait du Tour une mythologie tout à la fois nationale saluant dans son parcours les hauts lieux du patrimoine, il en devient l’élément fédérateur - et universelle. Tour de la France par deux enfants (le), ouvrage pédagogique de G. Bruno (pseudonyme d’Augustine Fouillée [1823-1923]), publié en 1877 chez Belin. Ce qui était, à l’origine, un « livre de lecture courante » pour le cours moyen s’est transformé en objet patrimonial témoignant d’un moment du savoir et de sa transmission. Usant des ressources du roman populaire - édulcoré, public enfantin oblige, des figures du Mal -, Mme Fouillée lance sur les routes de France deux jeunes Lorrains en quête de famille, au lendemain de la défaite face à l’Allemagne. La fiction sert ici de support à un projet pédagogico-civique : « faire voir et toucher » le pays par les enfants de la IIIe République, afin qu’ils l’aiment et le servent. D’où, redoublant le récit, tout un ensemble de documents (cartes de régions, bustes des grands hommes, dessins techniques) qui assimilent l’ouvrage à une encyclopédie. D’où, aussi, l’exploitation de la forme du récit de voyage : diversités et particularismes régionaux ne sont rappelés que parce qu’ils se fondent dans l’idée unificatrice de patrie. D’où, enfin, ces maximes de morale générale placées en exergue des chapitres - « Rien ne soutient mieux notre courage que la pensée du devoir à remplir » - et qui achèvent de faire de ce Tour de la France un véritable catéchisme, laïque mais consensuel. Il fut vendu à trois millions d’exemplaires dans les dix années suivant la première édition. tour Eiffel, monument métallique érigé à partir de janvier 1887 par les ateliers Eiffel, à l’extrémité du Champ-de-Mars de Paris, à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889.
Personnification de l’« art de l’ingénieur moderne », la tour Eiffel appelle d’abord les chiffres : près de 4 000 dessins et plans divers, quelque 18 000 pièces de métal, 2,5 millions de rivets, une hauteur de 300,65 mètres (320 mètres aujourd’hui), une masse de 9 700 tonnes (dont 7 300 tonnes pour la partie métallique), etc. Le coût du chantier s’éleva à 8 millions de francs d’alors, dont 1,5 de subventions de l’État, le reste étant apporté par la Société de la Tour Eiffel détenue à égalité par Gustave Eiffel et par un consortium bancaire -, à laquelle fut concédée l’exploitation du monument pour une durée de vingt ans. Triomphal l’année de son inauguration (près de 2 millions de visiteurs pour les six premiers mois), le succès populaire retomba vite (moins de 150 000 à l’aube du XXe siècle). Dans le même temps, l’existence de la Tour était menacée, et Eiffel dut s’attacher à en démontrer l’utilité scientifique - station météorologique, mesures spectroscopiques, anémométrie, etc. - pour éviter qu’elle ne retourne à l’état de ferraille. C’était revivre le débat qui avait, à l’origine, suscité l’opposition des artistes et des architectes contre « l’inutile et monstrueuse tour » : « squelette de beffroi » (Verlaine), « lampadaire véritablement tragique » (Léon Bloy), c’est à une « cheminée d’usine » qu’elle fut le plus souvent comparée. Comparaison résumant l’ensemble des griefs qui lui étaient adressés en ce qu’elle signifiait, tout à la fois, l’irruption au sein de la monumentalité gothique et classique parisienne d’une modernité de rupture, l’écrasement de Notre-Dame de la Cité par celle que Huysmans baptisera dérisoirement « Notre-Dame de la Brocante », l’assomption de la « liturgie du capital » au service d’une bourgeoisie républicaine fêtant à travers elle son centenaire. En fait, la Tour cristallisait tous les motifs de rejet - esthétiques, spirituels, idéologiques - de l’époque qui l’avait vue naître, au nom d’un passé recomposé comme un mythique âge d’or. Rien d’étonnant, dès lors, qu’elle ait fasciné les avant-gardes qui, d’Apollinaire aux surréalistes, de Chagall à Delaunay, ont vu en elle une oeuvre offerte à toutes les interprétations formelles et à tous les fantasmes. Ayant démontré tout à la fois son esthétique à travers « sa beauté propre » (Eiffel) et son utilité (patriotique pendant la Grande Guerre ; publicitaire pour Citroën, de 1925 à 1936 ; résistante sous l’Occupation, les ascenseurs ayant été sabotés ; technique, avec l’installation d’un relais hertzien), la tour Eiffel s’inscrit
désormais dans l’intemporalité d’un paysage qu’elle regarde autant qu’il la regarde. tournoi, combat équestre ritualisé pratiqué au Moyen Âge. Né en France vers le milieu du XIe siècle, le tournoi, simulacre de combat, est autant un entraînement militaire qu’un jeu. À l’origine, le tournoi se distingue peu de la guerre, dont il emprunte les armes, les techniques et les tactiques ; il oppose, dans de grandes mêlées, deux petites armées qui bataillent dans un vaste espace comprenant villes, châteaux et campagnes. Cependant, la présence d’une zone de sécurité permet aux participants de se replier pour prendre du repos ou soigner leurs blessures : le but est non pas de tuer mais de capturer, de s’enrichir par la prise d’un butin ou grâce aux rançons, et de briller par des exploits individuels. Le tournoi, très en vogue au XIIe siècle, correspond à un changement profond des techniques guerrières, qui voit la naissance d’une cavalerie d’élite, pièce maîtresse de la guerre ; il s’agit alors de s’exercer à maintenir la cohésion des charges collectives à cheval. À maintes reprises, l’Église condamne ces jeux violents, souvent meurtriers, où soif de gloire et appât du gain se donnent libre cours. En 1139, le pape Innocent II décide même de priver de sépulture chrétienne ceux qui meurent en tournoi. Peine perdue : chevaliers et spectateurs se ruent aux tournois, les chevaliers pauvres surtout, qui peuvent espérer, à l’issue des combats, être recrutés dans l’armée d’un prince ou d’un haut baron, voire épouser une riche héritière. Mais ce moyen de promodownloadModeText.vue.download 908 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 897 tion sociale n’est plus de mise dès la seconde moitié du XIIIe siècle. La participation aux tournois est alors très coûteuse, tandis que la chevalerie est réservée à une élite et que la caste aristocratique se forme et se ferme. Aux XIVe et XVe siècles, prix, rançon et butin ont disparu, et le tournoi devient une pratique mondaine, codifiée, où les familles aristocratiques se défient avec des armes émoussées, dites « courtoises ». Les mêlées, se déroulant désormais en « champ clos », sont concurrencées par les joutes, moins meurtrières, où seuls deux combattants s’affrontent à la longue lance, dans un espace réduit, fermé par des palissades (les lices). Bien souvent, au XVe siècle, les tournois
ne sont plus que des cérémonies où dominent le faste et l’ostentation, permettant à l’aristocratie d’afficher sa puissance. Sous l’influence de la littérature et des romans courtois, la noblesse se forge dans ces réunions un passé mythique et célèbre une chevalerie idéalisée. La mort du roi Henri II, tué en 1559 lors d’une joute, sonne le glas du tournoi en France. tournois, monnaie médiévale devenue progressivement la monnaie de compte du royaume. Denier d’argent frappé à l’abbaye Saint-Martin de Tours, entre le VIIIe et le XIIIe siècle, le tournois est très répandu au Moyen Âge. Après la conquête de la Touraine par Philippe Auguste (1205), l’atelier de frappe de Tours devient un atelier royal, mais le tournois subsiste aux côtés des autres monnaies du royaume, denier parisis (plus fort d’un cinquième) ou denier provinois. En 1266, devant l’essor des échanges commerciaux, Louis IX décide la création du « gros tournois » d’argent, ou « gros », valant douze deniers tournois. Dès lors, le tournois d’un denier devient une monnaie d’appoint, monnaie de billon qui disparaîtra au XVIIe siècle. Afin de lutter contre l’anarchie monétaire et de faire prévaloir la monnaie royale, Louis IX fait également de la livre tournois - non matérialisée par des pièces - l’unité de compte officielle du royaume. Devenue l’unique monnaie de compte à la disparition de la livre parisis (1667), la monnaie tournois est définitivement remplacée par le franc durant la Révolution. Tournon (François de), cardinal et homme politique (Tournon, Ardèche, 1489 - SaintGermain-en-Laye 1562). Chanoine à 12 ans, archevêque d’Embrun à 28, puis de Bourges quelques années plus tard, grand esprit et habile négociateur, il exerce une très grande influence sous le règne de François Ier. Il signe le traité de Madrid (1526), par lequel il obtient la liberté du roi, prisonnier de Charles Quint depuis la bataille de Pavie (1525), prend une part active au traité de Cambrai (1529), qui ramène pour un temps la paix, et négocie le mariage de François Ier avec Éléonore d’Autriche (1530), ce qui lui vaut l’abbaye de Saint-Germaindes-Prés et le chapeau de cardinal. Ce grand protecteur des arts et des lettres verse aussi dans l’art militaire : lieutenant général, il repousse les troupes de Charles Quint en Provence et signe la paix de Nice (1538). Écarté du pouvoir par Henri II, qui le nomme ambassadeur à Rome (1547-1559), où il est
fait archevêque de Lyon, il retrouve son crédit sous François II et Charles IX. Très hostile à la Réforme, il fonde à Tournon un collège dont la direction est confiée à des jésuites et se montre très intransigeant lors du colloque de Poissy (1561), réuni pour tenter de rétablir la concorde entre protestants et catholiques. Tours (congrès de), congrès national du parti socialiste SFIO, tenu du 25 au 30 décembre 1920, qui consacre la rupture historique entre les familles socialiste et communiste, désormais rivales. • La SFIO au lendemain de la Grande Guerre. La SFIO d’avant 1914 avait connu des débats doctrinaux difficiles portant sur les rapports entre les perspectives révolutionnaires à long terme et les nécessités de l’action immédiate, législative et parlementaire ; mais elle était toujours parvenue à maintenir son unité, grâce notamment à Jean Jaurès. Cependant, le déclenchement de la Grande Guerre avait mis en lumière l’incapacité des socialistes à peser dans le sens du maintien de la paix, et l’horreur provoquée par l’hécatombe de 1914-1918 avait suscité un sentiment pacifiste généralisé et aiguisé la volonté de mettre fin au système capitaliste, considéré comme responsable du massacre. Toutefois, la révolution russe d’octobre 1917 n’avait pas été immédiatement perçu comme un modèle applicable à la France. En effet, le mouvement ouvrier et socialiste français, tout en proclamant son attachement à la révolution prolétarienne, ne faisait guère référence à la pratique centralisée, autoritaire et violente des bolcheviks. La SFIO, d’une part, donnait la priorité à une action politique qui, combinant le combat électoral et parlementaire avec une action d’éducation des masses, aboutirait à une démocratisation de la société, prélude à l’appropriation collective des moyens de production. D’autre part, une tradition propre au mouvement syndical, incarné par la Confédération générale du travail (CGT), prônait la transformation de la société par un moyen spécifiquement ouvrier, la grève générale. Or, les deux formations subissent au lendemain de la Grande Guerre un cuisant échec : aux élections générales du 16 novembre 1919, le parti socialiste recueille 23 % des suffrages et n’obtient que 68 élus. Par ailleurs, la vague de grèves, qui culmine au printemps de 1920, ne débouche sur aucun résultat et affaiblit le mouvement ouvrier, laminé par une sévère répression. • Pour ou contre la IIIe Internationale ? Ce double échec survient alors que le recrutement du parti se renouvelle profondément, les
nouveaux adhérents, plus jeunes, subissant plus fortement l’attraction du bolchevisme. À partir de 1920, le parti socialiste se divise sur la question de l’adhésion à la IIIe Internationale, créée par les bolcheviks en 1919, et destinée à remplacer la IIe Internationale, accusée de réformisme et d’impuissance face à la guerre. Au début de 1920, une majorité se déclare en faveur d’une « reconstruction » de l’organisation par la fusion des éléments de la IIe Internationale « restés fidèles au principe de la lutte des classes » et des partisans de la révolution bolchevique. Dans le courant de l’été 1920, deux des « reconstructeurs », le secrétaire général du parti, Ludovic Oscar Frossard, et le directeur de l’Humanité, Marcel Cachin, envoyés à Moscou pour négocier l’adhésion à l’Internationale communiste, prennent connaissance des « 21 conditions » requises pour y être admis. Soumission des militants et des parlementaires à l’autorité d’un organe central faisant régner une « discipline de fer », création d’une direction clandestine à côté de l’organisation légale, exclusion des réformistes, noyautage des syndicats, agitation antimilitariste : ces pratiques orientées vers des modes d’action radicaux vont à l’encontre de celles de la SFIO, décentralisée et ouverte à la discussion démocratique. Au cours des mois suivants, plusieurs positions s’affrontent au sein du parti. Frossard et Cachin, soutenus par une majorité, sont favorables à l’adhésion : outre la fascination qu’exerce sur eux le premier exemple mondial de pouvoir prolétarien, ils estiment que la IIIe Internationale peut offrir un cadre à la reconstruction et ne prennent guère au sérieux les « 21 conditions ». Cependant, Jean Longuet, petit-fils de Karl Marx et militant très respecté, propose d’adhérer en émettant des réserves, notamment sur la possibilité d’expression des minorités au sein du parti. Mais, quand le congrès s’ouvre, les jeux sont déjà faits. Au cours des débats, un télégramme de l’Internationale jette l’exclusive contre Longuet, dont la motion n’obtient que 22 % des mandats, contre 69 % aux partisans de l’adhésion pure et simple - 8 % des votants s’abstenant, à la demande de Léon Blum. Ce dernier, en effet, a déclaré son attachement à la SFIO, « la vieille maison », à laquelle restent fidèles 40 000 adhérents sur les 180 000 que compte alors le parti, ainsi que la majorité des parlementaires, un grand nombre d’élus locaux et le journal le Populaire, alors que l’Humanité devient l’organe de la Section française de l’Internationale communiste (futur Parti communiste français). Un an plus tard, la scission du parti est suivie par la rupture de l’unité
syndicale : les éléments procommunistes de la CGT se séparent de celle-ci pour former la Confédération générale du travail unitaire (CGTU). En réalité, le vote majoritaire au congrés de Tours reposait sur une équivoque. Les partisans de l’adhésion à la IIIe- internationale, en n’évaluant pas la portée réelle des « 21 conditions », avaient commis une grave erreur d’appréciation sur la véritable nature du projet bolchevique, dont ils ne percevaient pas le caractère radical. Au cours des années suivantes, le nouveau parti est épuré, puis « bolchevisé » : la formation dont Maurice Thorez prend la direction en 1930 n’a plus qu’un lointain rapport avec le parti né à Tours en décembre 1920. Tourville (Anne Hilarion de Cotentin, comte de), maréchal de France (château de Tourville, Manche, 1642 - Paris 1701). Destiné dès l’enfance à l’état militaire, il commence sa carrière dans la marine au service de l’ordre de Malte, remportant victoire sur victoire, en Méditerranée, contre les Turcs et les corsaires barbaresques. Entré dans la marine royale en 1661, capitaine de vaisseau à 24 ans, il se couvre de gloire en participant avec sucdownloadModeText.vue.download 909 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 898 cès à de multiples campagnes, notamment pour défendre le commerce français en Méditerranée. Placé longtemps sous les ordres de Duquesne, il est nommé chef d’escadre (1676), lieutenant général des armées navales (1682), vice-amiral des mers du Levant (1689), et prend une part active à l’organisation de la marine militaire et commerciale du royaume. Durant la guerre de la Ligue d’Augsbourg, il défait la flotte anglo-hollandaise lors de la bataille du cap Béveziers, au sud de l’Angleterre (1690), mais subit un cuisant échec à la bataille de La Hougue (1692). Il est néanmoins fait maréchal de France l’année suivante, eu égard au courage dont il a fait preuve, et remporte une dernière victoire importante, au large du cap Saint-Vincent. Il abandonne la mer en 1697, au lendemain de la paix de Ryswick. Toussaint Louverture (François Dominique Toussaint, dit), homme politique haïtien (Le Cap, Saint-Domingue, 1743 - fort de Joux, Doubs, 1803).
Esclave né dans une plantation, près du Cap, affranchi en 1776, Toussaint Louverture mène jusqu’à la Révolution une vie de petit exploitant agricole dans la partie française de SaintDomingue, l’actuel Haïti. Espérant obtenir l’égalité des droits avec les Blancs, il est déçu par les revirements de l’Assemblée nationale à Paris, dus à l’obstruction des colons blancs. Aussi rejoint-il la grande insurrection des esclaves noirs de l’île, qui a éclaté en août 1791. Ses capacités politiques et militaires - il doit son surnom à son talent à ouvrir des brèches dans les rangs ennemis - le portent bientôt à la tête de l’armée insurgée. Visant davantage l’indépendance de Saint-Domingue et le pouvoir noir que l’abolition de l’esclavage, il s’allie tour à tour avec les Français, les Espagnols ou les Anglais, en fonction de ses objectifs, et au gré des événements. Lorsque la guerre éclate entre la France et l’Espagne (1793), il s’engage dans l’armée espagnole, et ce malgré l’abolition de l’esclavage à Saint-Domingue décrétée par le commissaire français Sonthonax le 29 août 1793. Nommé général, il remporte quelques succès contre l’armée française. Puis, devant l’avancée des Anglais qui rétablissent l’esclavage dans les villes conquises, il se rallie, en mai 1794, à la République française, qui a officiellement aboli l’esclavage dans toutes ses colonies quatre mois plus tôt. Dès lors, Toussaint s’empare progressivement du pouvoir. Entre 1794 et 1797, il réorganise le pays dévasté par la guerre, écrase les révoltes métisses, chasse les Espagnols, maintient les grandes exploitations dont il refuse le morcellement, distribue les plantations à l’abandon à ses officiers - créant ainsi une véritable élite noire -, et institue un travail forcé pour les paysans proche de l’esclavage. Après avoir expulsé Sonthonax et vaincu les Anglais, qui quittent le territoire en 1798, il devient maître de SaintDomingue. La Constitution promulguée en 1801 lui donne tous les pouvoirs et le titre de « gouverneur général à vie ». En réaction à la quasi-indépendance de l’île, Bonaparte envoie en 1802 une armée qui contraint Toussaint à se rendre. Déporté en France, il est incarcéré au fort de Joux, dans le Jura, jusqu’à sa mort. Personnage ambigu, ayant maintenu une certaine forme d’esclavage au profit d’une élite qui lui était acquise, Toussaint Louverture n’en demeure pas moins un grand politique et une figure légendaire de l’émancipation des Noirs. Il a jeté les bases de l’indépendance d’Haïti, proclamée en 1804. Touvier (procès), procès qui s’est déroulé
en 1994 pour juger un ancien membre de la Milice pendant l’Occupation, premier Français jugé pour « complicité de crimes contre l’humanité ». Paul Touvier, né en 1915, à Saint-Vincentsur-Jabron (Alpes-de-Haute-Provence), ancien chef du service de renseignements de la Milice à Lyon, est condamné deux fois à mort par contumace pour intelligences avec l’ennemi (1946, 1947) ; ses condamnations criminelles sont prescrites après un délai de vingt ans (1967). En 1971, il obtient la grâce du président Pompidou, qui annule deux peines accessoires (interdiction de séjour et confiscation des biens), tout en maintenant la suppression des droits civiques. Plusieurs plaintes ayant été déposées contre lui à partir de 1973, Touvier est finalement arrêté en 1989. En avril 1992, il bénéficie d’un arrêt de non-lieu, que la Cour de cassation casse dès novembre, mais, sur onze inculpations initiales, seule sa participation au massacre de sept otages juifs à Rillieux-la-Pape (Rhône), en juin 1944, fait alors l’objet d’une poursuite dans le cadre juridique d’une procédure pour complicité de crimes contre l’humanité. L’instruction de ce procès tardif, qui, pour la première fois, porte sur la participation d’un Français, sous le régime de Vichy, à un crime contre l’humanité, met aussi en lumière les lenteurs et les hésitations de l’appareil judiciaire, ainsi que le rôle d’un certain nombre de gens d’Église, qui ont longtemps protégé et aidé Touvier dans sa fuite pour échapper à la justice. Le 20 avril 1994, Touvier est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Il meurt deux ans plus tard, à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes. Trafalgar (bataille de), bataille navale remportée par les Anglais sur la flotte combinée franco-espagnole, à l’ouest de Gibraltar, le 21 octobre 1805. Afin d’assurer à la France la suprématie commerciale et coloniale face à l’Angleterre, Napoléon projette un débarquement outre-Manche. Pour ce faire, il charge l’amiral de Villeneuve d’attirer la flotte ennemie sur la route des Antilles, puis de rejoindre Brest accompagné de la flotte espagnole : après avoir quitté Toulon en mars 1805, Villeneuve est suivi jusqu’à la Martinique par l’escadre anglaise, commandée par l’amiral Nelson. Au retour, cependant, il ne parvient pas à se défaire des Anglais et, au lieu de se diriger vers Brest, où sont bloqués les navires du vice-amiral Ganteaume, il s’enferme dans le port de Cadix (18 août). Soumis à un blocus, Villeneuve quitte finale-
ment le port et affronte Nelson, au large du cap Trafalgar (21 octobre). Manoeuvrant en ligne de file, il voit sa tactique battue en brèche par son adversaire qui, avec ses navires organisés en deux colonnes, coupe la ligne. La flotte franco-espagnole perd dans la bataille vingtdeux vaisseaux et plus de quatre mille marins. Nelson meurt au combat ; quant à Villeneuve, fait prisonnier, il se suicidera après sa libération. La bataille de Trafalgar, véritable désastre pour la France, dont la marine est anéantie, est un triomphe pour l’Angleterre, dès lors maîtresse incontestée des mers. traite des Noirs, trafic d’esclaves entre les côtes d’Afrique occidentale et les colonies d’Amérique, pratiqué par la France du XVIIe au XIXe siècle. Dès le début du XVIIe siècle, la traite des Noirs permet d’utiliser une main-d’oeuvre servile pour exploiter les plantations des Antilles. Le trafic négrier, véritable institution, est confié à de grandes compagnies de commerce colonial qui bénéficient d’un monopole et obtiennent de l’État primes et privilèges. Longue est la liste de ces compagnies, dont la plus connue est la Compagnie des Indes occidentales, créée en 1664. Bien moins dynamiques que leurs concurrentes anglaises ou hollandaises, elles périclitent et succèdent les unes aux autres durant deux siècles. Et si, en 1701, la France obtient de l’Espagne l’asiento (monopole de la traite négrière vers les colonies espagnoles d’Amérique), ce sont les Anglais, maîtres dans l’art du trafic de contrebande, qui remportent le contrat en 1713 (traité d’Utrecht). On estime à 1,6 million le nombre d’esclaves « importés » en Amérique française entre le XVIIe et le XIXe siècle, dont plus de 80 % l’ont été durant le XVIIIe siècle. La traite commence sur les côtes du Sénégal et de Guinée, le long de la Côte de l’Or et du golfe du Bénin, à partir de forts, à la fois comptoirs commerciaux et places militaires. Troqués par des rabatteurs africains contre des denrées bon marché et des armes, les esclaves, entassés sur des navires, meurent en grand nombre durant la traversée de l’Atlantique par l’absence d’hygiène. Cependant, par souci de rentabilité, les négriers s’attachent à réduire le taux de mortalité, qui passe de 10 % à 5 % durant le XVIIIe siècle. À leur arrivée en Amérique, les Noirs sont vendus, sur le bateau ou à terre, à des intermédiaires qui s’enrichissent à la revente. Négoce prospère bien qu’onéreux, la traite fait la fortune des ports de l’Atlantique, dont Nantes qui, avec deux cents navires par
an, est, au XVIIIe siècle, le premier port négrier de France. Contrairement à une idée reçue, tous les navires négriers ne ramènent pas en France des produits tropicaux, transportés par des bâtiments d’un plus gros tonnage, et le « commerce triangulaire » est en fait souvent un commerce bilatéral. Malgré les pressions de la Société des amis des Noirs, créée à Paris en 1788, la traite n’est pas abolie durant la Révolution. Seules les primes aux armateurs négriers sont supprimées en 1793. Ce n’est que le 29 mars 1815, pendant les Cent-Jours, que Napoléon, cherchant à s’attirer les bonnes grâces de l’Angleterre, décide de supprimer la traite. Toutefois, le trafic clandestin demeure et ne disparaîtra qu’après l’abolition définitive de l’esclavage, en 1848. traites, droits de douane perçus sur les marchandises, sous l’Ancien Régime, aux downloadModeText.vue.download 910 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 899 frontières non seulement du royaume mais aussi des provinces. Au fil des siècles, le rattachement à la couronne française de provinces conservant le plus souvent leurs usages a eu pour conséquence de perpétuer de multiples frontières intérieures, au passage desquelles les marchandises sont taxées. La perception de ces impôts indirects est affermée, les droits variant en outre selon les régions. Il en résulte un système douanier intérieur d’une extrême complexité, favorisant abus et fraudes, et entravant gravement le commerce et la production nationale. En 1664, Colbert décide de simplifier et d’uniformiser les traites dans les provinces dites « des cinq fermes », la plupart voisines de l’Île-deFrance et intégrées depuis longtemps au domaine royal. Cependant, à côté de ce groupe, dénommé « l’Étendue », deux autres systèmes douaniers subsistent, concernant les provinces « réputées étrangères » (Bretagne, Angoumois, Guyenne, Limousin, Languedoc, Provence, Dauphiné, Lyonnais, Artois, Flandre) et celles de l’« étranger effectif », tardivement annexées au royaume (Alsace, Lorraine et Franche-Comté). Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les économistes réclament la réforme des traites, tandis qu’en 1789 de nombreux cahiers de doléances en dénoncent l’arbitraire. En les abolissant le 5 novembre
1790, la Constituante libère enfin le marché intérieur. tranchées, dispositif défensif enterré, particulièrement caractéristique de la guerre de positions menée pendant le premier conflit mondial. Dès la fin de l’année 1914, l’échec de la guerre de mouvement condamne les différentes armées à s’installer dans des tranchées. Cette organisation très particulière du front marque l’incapacité d’appliquer les principes appris dans toutes les écoles de guerre, ceux de l’offensive rapide. Désormais, il s’agit d’une guerre de siège : il faut tenir et tenter de chasser l’ennemi de la position d’en face. Jusqu’à la reprise de la guerre de mouvement au printemps 1918, les hommes vont donc vivre, combattre et mourir dans ces longs réseaux de boyaux parallèles, qui courent, sur le front occidental, de la mer du Nord à la Suisse, soit environ 650 kilomètres. • Le système des tranchées. Bien que les techniques de construction varient selon la nature des terrains rencontrés, les réseaux de tranchées sont organisés partout de manière identique : une première position composée de plusieurs lignes de tranchées espacées de quelques centaines de mètres, une deuxième position située à quelques kilomètres à l’arrière, où l’on essaie, quand le terrain le permet (comme au Chemin des Dames ou dans la région de Noyon), d’utiliser grottes et « creutes » qui fournissent des abris plus sûrs, pour aménager des postes de secours ou même de véritables casernements. Les différentes lignes sont reliées par des boyaux de communication, tous les tracés étant sinueux afin d’arrêter le cours des obus. Ces tranchées, profondes de 2 à 3 mètres, larges de 50 à 80 centimètres, menacent de s’ébouler et sont perpétuellement boueuses, d’où la mise en place d’étais en bois sur les parois et de caillebotis sur le sol. Entre les deux réseaux parallèles creusés par les belligérants, un no man’s land, parfois extrêmement étroit (les soldats peuvent même s’entendre, s’observer), est recouvert de gigantesques amas de fil de fer barbelé plus ou moins déroulé. L’essentiel du front est stable, jusqu’au repli stratégique des Allemands en Picardie, en 1917 : les tranchées sont, par secteurs, prises et reprises, modifiées, adaptées, au gré des décisions des états-majors - tenter des percées ou user l’ennemi. Elles sont repérées par les aviateurs, qui les photographient en permanence. • La vie quotidienne. Les soldats ne mon-
tent en première ligne que pour combattre, y vivant alors plusieurs jours de suite, sans eau pour se laver et parfois pour boire, dépendant de l’arrivée des « roulantes » pour se ravitailler, la plupart du temps sans courrier, soumis à la saleté, aux poux, aux odeurs des charniers et des déjections. Les tranchées françaises et anglaises sont en outre généralement moins bien équipées que celles des Allemands, qui sont, elles, quelquefois maçonnées. Mais tous les soldats sont en permanence sous le feu de l’artillerie et la menace des mines placées sous les tranchées. Les montées en lignes, ou relèves, comptent certainement parmi les plus terribles moments : trajets de nuit, avec 30 kilos de paquetage sur le dos, à travers les boyaux boueux. « Il y a des veines rouges sur cette flaque de boue. C’est le sang d’un blessé. L’enfer n’est pas du feu. Ce ne serait pas le comble de la souffrance. L’enfer, c’est la boue. » (le Bochofage, journal de tranchée.) • Le symbole. Si les tranchées ont pris une telle importance, au point de devenir le symbole même de la Grande Guerre, c’est qu’elles sont directement liées à la perception du conflit, que les différents belligérants considèrent comme une défense du sol. Cela est particulièrement vrai pour les Français, dont le sol même a été profané par l’invasion et l’occupation allemandes. S’y enfoncer, c’est doublement le sacraliser. La tranchée est sacrée parce qu’elle est le lieu de la mort des soldats, dont les corps servent parfois de protection parmi les sacs de terre, parce qu’elle est le lieu de l’engagement physique et moral pour la patrie, engagement qui prend bien souvent une connotation de ferveur quasi religieuse : pour le capitaine Dupouey, ne s’agit-il pas « de la longue ligne mystique où coule tant de sang » ? Les tranchées sont aussi le lieu d’une redoutable violence d’individu à individu, quand les égorgeurs (ou nettoyeurs) utilisent leurs matraques ou leurs couteaux contre les ennemis. Lieux de la souffrance extrême, les tranchées sont encore celui de la haine extrême : c’est là que les combattants « tiennent », sur cette frontière du patriotisme et de la mort. Transnonain (massacre de la rue), tuerie perpétrée par l’armée à Paris le 14 avril 1834. Cherchant à étouffer l’agitation politique et sociale qui ébranle régulièrement la monarchie de Juillet, le gouvernement prépare au printemps 1834 une loi contre les associations et leur division en sections. Cette mesure, qui vise la très républicaine Société des droits de l’homme, provoque un soulèvement à Lyon
(9-12 avril), puis à Paris où, le 13 avril, malgré l’arrestation préventive de chefs républicains, des barricades s’élèvent dans les quartiers du Temple et du Marais. Conjuguant leurs efforts, Thiers, ministre de l’Intérieur, et le général Bugeaud, commandant militaire de Paris à la tête de quarante mille hommes de troupe, réduisent l’insurrection dans la soirée. Cependant, des barricades obstruent encore quelques rues, dont la rue Transnonain (une partie de l’actuelle rue Beaubourg) ; au matin du 14, elles sont balayées mais, à la suite de coups de feu tirés depuis une croisée du 12 de la rue Transnonain, des soldats pénètrent dans l’immeuble et massacrent ses habitants, sans distinction d’âge ou de sexe. Cette tuerie, qui s’inscrit dans le martyrologe républicain, met un terme à ces journées d’insurrection du mois d’avril 1834, les dernières avant celles de 1848. Trappe (la), ordre monastique cistercien, dont l’origine remonte à la fondation en 1140, à Soligny (Orne), par des moines de la congrégation de Savigny, de l’abbaye Notre-Dame de la Trappe, affiliée dès 1147 à l’ordre de Cîteaux. Entrée en décadence au XVe siècle, la Trappe va connaître deux réformateurs, dont le plus important est l’abbé de Rancé, fervent adepte de l’ascétisme et de la pureté primitive de la règle de saint Benoît. En 1664, Rancé établit la très austère « règle de la stricte observance », qui impose le silence absolu à des moines partageant leur temps entre la prière et le travail manuel, et vivant dans une pauvreté et une frugalité proches de la mortification. Mais Rancé ne peut imposer ses vues aux autres cisterciens, et la Trappe n’essaime guère. Après la Révolution, qui a supprimé les monastères, dom Augustin de Lestrange rachète l’abbaye de la Trappe (1815), établit l’ordre dans plusieurs autres abbayes, et y instaure une règle si rigoureuse - elle est souvent jugée morbide par les contemporains - qu’elle provoque l’éclatement de l’ordre. D’abord scindée en trois congrégations - une belge (1836) et deux françaises (1847) -, la Trappe prend, après leur réunification en 1892, le nom d’« Ordre des cisterciens réformés de la stricte observance ». Cet ordre restaure l’abbaye de Cîteaux en 1898, et abandonne les réformes les plus radicales de Rancé et de Lestrange. Treilhard (Jean-Baptiste), homme politique (Brive-la-Gaillarde, Corrèze, 1742 - Paris 1810).
Avocat de renom au parlement de Paris, il met ses compétences juridiques au service de la Révolution. Député du Tiers en 1789, il est de tous les débats à la Constituante et participe à divers comités de l’Assemblée, notamment au comité ecclésiastique, pour lequel il présente le rapport sur la suppression des ordres monastiques et la restitution de leurs biens à la nation. Par la suite, il réagit peu aux événements et préfère le travail de cabinet. Élu député à la Convention, il siège au premier Comité de salut public (avril-juin 1793), remplit quelques missions dans les départements, participe aux travaux du Comité de législation mais demeure prudent dans ses positions politiques jusqu’à la downloadModeText.vue.download 911 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 900 chute de Robespierre. Nommé à plusieurs reprises au Comité de salut public (1794-1795), il siège ensuite au Conseil des Cinq-Cents (1795-1797) - où il prononce un discours fameux de « haine à la royauté » - puis est élu pour peu de temps au Directoire (1798). Après s’être rallié au coup d’État du 18 brumaire (novembre 1799), il devient un fidèle de Napoléon. Féru de législation et d’organisation judiciaire, il prend alors une part active à la rédaction de plusieurs codes, notamment le Code civil. Conseiller d’État, comte d’Empire puis ministre d’État en 1809, il meurt d’épuisement. Il est inhumé au Panthéon. Trente (combat des), épisode de la rivalité franco-anglaise et de la guerre de Cent Ans qui se déroule le 25 mars 1351. Entre 1341 et 1364, la Bretagne est ravagée par une guerre de succession opposant Charles de Blois, soutenu par le roi de France Jean II le Bon, à Jean de Montfort, allié aux Anglais. Lors d’une trêve, Jean de Beaumanoir, commandant le château de Josselin pour le parti de Blois, demande à l’Anglais Richard Bramborough, commandant la place voisine de Ploërmel, de cesser les razzias. Les deux hommes décident de régler l’affaire par un combat sur la lande, à « trente contre trente ». « Combat à volonté » - chacun choisit ses armes -, le combat des Trente relève plus du tournoi que de la guerre. Durant une journée et devant des « spectateurs », les guerriers s’affrontent dans une furieuse mêlée, interrompue par une trêve, qui s’achève sur la victoire de Beaumanoir. Bramborough est tué au
combat, et les Anglais faits prisonniers sont invités à racheter leur liberté contre rançon. Ce fait d’armes, sans incidence sur la suite de la guerre, eut néanmoins un grand retentissement dans le pays. Trente (concile de), dix-neuvième concile oecuménique de l’Église catholique, dont les vingt-cinq sessions se déroulèrent entre 1545 et 1563, dans la ville de Trente, en Italie du Nord. Il marque une étape essentielle dans l’histoire du catholicisme européen et français. Depuis la fin du XVe siècle, l’idée d’engager une rénovation du christianisme par la réunion d’un concile fait son chemin. Mais les vicissitudes politiques, notamment le conflit entre François Ier et Charles Quint, empêchent sa tenue. En 1541, le colloque théologique de Ratisbonne signifie l’échec définitif d’une réintégration des luthériens dans l’Église romaine. Le concile, enfin ouvert par Paul III en 1545, consacre la rupture. En mars 1547, il est transféré à Bologne à cause de la peste, puis suspendu sine die en 1549 parce que l’empereur exige son retour à Trente, terre d’Empire. Rouvert en 1551 par Jules III, il est interrompu en 1552 en raison de la reprise de la guerre entre l’empereur et les princes protestants allemands. Paul IV en convoque enfin les dernières sessions, de 1562 à 1563. En 1547, l’évêque Pietro Bertramo résumait ainsi l’ambition du concile : « [Il] n’aidera pas ceux qui sont déjà perdus à l’Église, il aidera au moins ceux qui sont en passe d’être perdus. » L’Église de France s’y rallie, en dépit des traditions gallicanes du royaume. • Une réforme cléricale. Lors du concile, une majorité italienne se dégage pour élaborer une théologie et une discipline opposées à celles des protestants : l’Écriture sainte et la tradition sont fixées comme sources de la foi, le libre arbitre de l’homme est proclamé, les oeuvres sont considérées à l’égal de la foi, et les sept sacrements sont maintenus. L’affirmation de la transsubstantiation symbolise l’ecclésiologie tridentine. Lors de la messe, le sacrifice réel du Christ exalte la mission de ceux qui ont reçu l’ordination. Le clerc est sanctifié en vertu même de sa fonction et doit donc donner l’exemple de la sainteté à ses ouailles. En outre, il est encadré par une hiérarchie de droit divin. Seuls les évêques sont aptes à administrer la confirmation et l’ordination. L’institution du séminaire, l’obligation de résider dans le diocèse et d’effectuer une
visite paroissiale annuelle, la publication d’un bréviaire et d’un catéchisme officiels, ponctuent l’effort disciplinaire et « centraliseur ». • Le compromis français. La position française à l’égard du concile de Trente est complexe. Fort de sa mainmise sur l’Église gallicane, François Ier redoute que le concile soit une tribune de contestation pour les opposants au concordat de Bologne (1516), qui a conféré au roi la nomination des évêques. Il se méfie aussi de Charles Quint, qui attend de la réunion du concile le règlement de la crise religieuse. De même, Henri II utilise le concile comme un simple instrument contre l’empereur : il soutient ainsi les représentants de l’Église lorsqu’ils désirent transférer la réunion à Bologne et s’oppose à son retour à Trente, sous Jules III. Enfin, en 1561, le projet de concile national avancé par Catherine de Médicis est en contradiction avec le concile oecuménique. Mais Charles de Guise, cardinal de Lorraine et chef du parti catholique, opte pour Trente. Lors de la reprise des sessions en 1562, un seul prélat français est présent. En revanche, lors de la clôture, la délégation est portée à vingt-sept sur deux cent trentesept présents. Elle fixe un compromis avec la papauté. « En échange du respect de son particularisme, elle se range dans le camp de la Réforme catholique, qui, pour elle, est la seule Contre-Réforme efficace » (Alain Talon). Le cardinal de Lorraine participe à l’élaboration de la motion finale selon laquelle le pape est « évêque de l’Église universelle ». • Une application épiscopale. Les parlements français refusent d’enregistrer les décrets du concile de Trente, n’acceptant pas que toute juridiction ecclésiastique dérive de l’autorité papale : cela signifierait une diminution de leur compétence. De même, Trente contrarie l’édit d’Amboise (19 mars 1563), qui autorise la liberté de conscience et une liberté limitée du culte réformé. En revanche, les conciles provinciaux, dans le cadre des diocèses, mettent en pratique les innovations tridentines, comme à Reims, en 1564, sous l’impulsion du cardinal de Lorraine. En 1579, à l’assemblée de Melun, les évêques décident d’appliquer les mesures disciplinaires et liturgiques préconisées par le concile. En 1583, le concile de Bordeaux, pourtant très gallican, publie des statuts d’inspiration tridentine ; à la fin du siècle, la majorité des provinces ecclésiastiques a adopté les décrets, et, en 1615, l’assemblée du clergé les reçoit officiellement. L’esprit tridentin se diffuse par l’intermédiaire des mouvements spiritualistes, des congrégations et des séminaires dans la France clas-
sique. Bien qu’ils n’aient jamais figuré parmi les lois du royaume, les décrets tridentins ont façonné la catholicité de la France moderne. Trente Ans (guerre de), conflit politique et religieux né à Prague, et qui opposa de 1618 à 1648 une grande partie des puissances européennes. La monarchie française s’y engagea, peu à peu, pour résister à la puissance des Habsbourg d’Autriche et d’Espagne. • Les origines de la guerre. Les seigneurs protestants de Bohême n’acceptaient pas leur nouveau roi, Ferdinand de Styrie - issu d’une branche cadette de la maison de Habsbourg -, car ce catholique fervent était favorable à une reconquête religieuse, dans ses domaines mais aussi en Allemagne et dans l’ensemble de la Chrétienté. Le 23 mai 1618, la révolte des protestants éclata par la « défenestration de Prague » : trois administrateurs royaux furent jetés par la fenêtre du palais ; bien qu’ils n’eussent aucun mal, l’attentat marquait une rupture. Le conflit s’étendit à tout le Saint Empire, d’autant que Ferdinand fut élu empereur sous le nom de Ferdinand II, le 28 août 1619. Les révoltés de Bohême se donnèrent alors un roi calviniste, l’Électeur palatin Frédéric. Mais les troupes protestantes furent vaincues près de Prague, à la Montagne Blanche, le 8 novembre 1620. Loin de mettre un terme au conflit, cette défaite le relançait. Comme l’Espagne ne reconnaissait toujours pas l’indépendance des Provinces-Unies, la guerre reprit en 1621 entre le roi d’Espagne et les Hollandais calvinistes. Les deux branches, ibérique et germanique, des Habsbourg étaient désormais liées par une alliance solide et par une politique commune. • L’engagement français. Face à ce front commun, la monarchie française montra d’abord une grande prudence. Néanmoins, les occasions de discorde se multiplièrent entre la France et l’Espagne, très présente en Italie : ainsi à propos de la Valteline, la haute vallée de l’Adda, passage stratégique à travers les Alpes. Cette tension internationale conduisit Louis XIII à confier, en 1624, la direction des affaires du royaume au cardinal de Richelieu. Peu à peu, le roi de France s’engagea en Italie dans un affrontement non déclaré contre l’Espagne - dans une « guerre couverte ». Une crise éclata à propos de la succession du duché de Mantoue et, à partir de 1627, mena l’Europe au bord de la guerre générale. Un envoyé du pape, Giulio Mazarini - son nom fut francisé en Mazarin -, réussit néanmoins à obtenir une suspension d’armes, en septembre 1630. Des négociations ultérieures
permirent à la France de conserver la forteresse de Pignerol, considérée comme une « porte » vers l’Italie. La situation en Italie du Nord n’était pas indépendante de celle du Saint Empire. En Allemagne, l’incontestable victoire militaire des Habsbourg signifiait à la fois une recondownloadModeText.vue.download 912 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 901 quête religieuse, qui permettrait de récupérer des territoires contrôlés par des princes protestants, et une réorganisation de l’Empire donnant plus d’autorité à son souverain. Dans ce contexte, Richelieu proposa de résister à la puissance nouvelle des Habsbourg en soutenant les princes protestants. Le Cardinal, considéré par certains comme le responsable de la poursuite de la guerre, dut alors affronter les attaques de Marie de Médicis lors du « grand orage » de novembre 1630. Sa victoire politique finale fut saluée comme celle des « bons Français » et comme la défaite du parti favorable à l’Espagne. • La diplomatie de la France. La diplomatie française permit de sauver la cause du protestantisme dans l’Empire en favorisant, politiquement et financièrement, une intervention suédoise. Le roi Gustave II Adolphe de Suède, dont l’avancée irrésistible plongea l’Europe dans la stupeur, battit les Impériaux à Breitenfeld (17 septembre 1631) et s’installa en Rhénanie ; il semblait alors l’arbitre de l’Europe. Richelieu, assisté de son conseiller, le Père Joseph, maintenait également une forte pression sur le duc de Lorraine, Charles IV, qui préféra quitter son duché pour offrir ses services à l’empereur. La Lorraine allait être désormais traversée par les armées françaises - en 1634, le graveur lorrain Jacques Callot fit paraître une série de gravures saisissantes sur les Misères et malheurs de la guerre -, et un certain nombre de princes allemands se placèrent sous la protection du roi de France. L’empereur, effrayé par les victoires de Gustave II Adolphe, rappela un général qu’il avait écarté auparavant, Wallenstein. Celui-ci affronta les Suédois à Lützen (16 novembre 1632) en un combat long et indécis, au cours duquel Gustave II Adolphe trouva la mort. Cette disparition ne changea guère la situation internationale, car les armées suédoises
avaient à leur tête de bons généraux, dont Bernard de Saxe-Weimar. Néanmoins, une armée espagnole, commandée par le frère du roi d’Espagne, le cardinal infant, fit sa jonction avec les troupes impériales et remporta une grande victoire contre les Suédois, à Nördlingen (6 septembre 1634). Le cardinal infant fut chargé ensuite de gouverner les Pays-Bas espagnols et de tenter un dernier effort pour soumettre les Hollandais à l’autorité du Roi Catholique. Au cours des négociations qui s’engagèrent en 1634, Ferdinand II choisit la voie de l’apaisement, ce qui permit une réconciliation entre l’empereur et la plus grande partie des princes protestants. La perspective de cette paix religieuse, ajoutée aux défaites suédoises, conduisit à l’entrée effective de la France dans la guerre. • Les opérations militaires françaises. Louis XIII signa des accords avec les Hollandais, pour préparer une offensive commune, et avec les Suédois. La provocation vint des Espagnols : pénétrant dans l’Électorat de Trèves, ils s’emparèrent, le 26 mars 1635, de l’Électeur placé sous la protection de la France et le retinrent prisonnier. Le 19 mai, la déclaration de guerre de Louis XIII fut portée au cardinal infant, à Bruxelles, par un héraut d’armes, selon les formes féodales. Les opérations menées par les Français en 1635 se soldèrent par un échec. L’armée espagnole put ainsi lancer une grande offensive en 1636 dans le nord de la France, tandis qu’un général impérial, Jean de Werth, entrait en Champagne. Le 15 août, la ville de Corbie, à 120 kilomètres de Paris, fut prise. La panique s’installa dans la capitale, et l’« année de Corbie » devait rester longtemps inscrite dans la mémoire collective. Trois provinces - Champagne, Picardie et Bourgogne - furent ainsi « foulées » par les armées ennemies. Néanmoins, l’Espagne n’avait pu mener à bien, à partir du sud, l’offensive qui, au moment de la bataille de Corbie, aurait pu emporter la décision. Ainsi commençait une longue guerre. Le royaume de France subit une pression fiscale accrue, qui permit d’entretenir d’importantes armées sur plusieurs fronts mais provoqua des résistances et des révoltes, réprimées avec rigueur par Louis XIII et Richelieu. En définitive, malgré bien des péripéties, l’alliance franco-suédoise se révéla solide. Bernard de Saxe-Weimar s’empara de Fribourg-en-Brisgau, puis de Brisach, sur la rive droite du Rhin (avril-17 décembre 1638). La France
protégeait l’Alsace, prenait pied au-delà du Rhin et rompait les communications de ses ennemis. Lorsque Bernard de Saxe-Weimar mourut (juillet 1639), son armée reconnut le pouvoir du roi de France et passa sous commandement français. À la suite de la victoire décisive des Hollandais sur les Espagnols près de Douvres, aux Dunes (21 octobre 1639), l’indépendance des Provinces-Unies devenait inéluctable. Un retournement international se produisait donc partout, aux dépens des Habsbourg. En Espagne même, la tension due à la guerre aboutit à une rébellion ouverte, en Catalogne et au Portugal (1640). La Catalogne se plaça sous la souveraineté du roi de France, tandis que le Portugal se choisit un nouveau roi, le duc de Bragance, qui remplaça le roi d’Espagne, son souverain depuis 1580. Richelieu mourut en 1642, et Louis XIII l’année suivante, tandis qu’une armée espagnole tentait d’envahir la France depuis les Flandres. Mais elle subit une défaite décisive à Rocroi (19 mai 1643). Cette bataille révéla, à la fois, que les redoutables tercios de l’infanterie espagnole n’étaient nullement invincibles et que la politique du roi défunt et du cardinal-ministre commençait à porter ses fruits. Mazarin, qui avait travaillé aux côtés de Richelieu, proposa à la régente de France, Anne d’Autriche, pourtant soeur du roi d’Espagne, de poursuivre l’effort de guerre. Contre toute attente, elle accepta cette politique, au nom des intérêts de son fils, le jeune Louis XIV. En 1644, les armées françaises envahirent l’Alsace et occupèrent toute la rive gauche du Rhin, de Bâle à la frontière hollandaise. En 1645, elles s’emparèrent de dix villes majeures aux Pays-Bas et, en 1646, de Dunkerque. L’Italie fut aussi un champ d’action rêvé pour Mazarin, Italien d’origine. En revanche, les Français perdirent du terrain en Catalogne. Les négociations avec l’Empire se profilaient depuis la fin du ministère de Richelieu, la politique française ayant été fixée à travers la grande « instruction » du 30 septembre 1643, préparée par le Cardinal pour les négociateurs français. La France ne prétendait pas s’agrandir en Allemagne et en Italie aux dépens des autres puissances. Le traité franco-suédois de 1641 avait désigné Münster et Osnabrück comme sièges des négociations avec l’Empire. Les plénipotentiaires arrivèrent en août 1643, et le congrès ne s’ouvrit qu’en décembre 1644. La plupart des puissances européennes y furent représentées, à l’exception de l’Angleterre, en proie à la révolution, et de la Russie. Les
catholiques s’installèrent à Münster, les protestants à Osnabrück. L’empereur dut bientôt s’incliner devant les autres princes allemands : le 29 août 1645, chaque prince indépendant du Saint Empire se vit reconnaître le droit de faire la guerre ou la paix, donc le droit à la parole au Congrès. C’était une étape décisive. Des préliminaires de paix entre l’Espagne et les Provinces-Unies furent signés dès le 8 janvier 1647. Amsterdam l’emportait sur Anvers, et la fermeture de l’Escaut était décidée. Un an plus tard, cette paix était ratifiée. Mais il fallut encore les victoires de l’armée commandée par Turenne et des troupes suédoises pour forcer l’empereur à déposer les armes. À Lens, le 20 août 1648, les Espagnols se virent infliger une sévère défaite par les armées de Condé. Malgré la Fronde, qui affaiblissait le gouvernement de Mazarin, ces victoires françaises précipitèrent les événements et, le 24 octobre 1648, les traités de Westphalie furent signés. Ils ramenaient la paix en Allemagne et donnaient une stabilité nouvelle au Saint Empire, lui permettant de survivre malgré la complexité de son organisation politico-religieuse. Le calvinisme y était reconnu, à côté du catholicisme et du luthéranisme. Cette disposition transforma la règle du cujus regio, ejus religio : un prince pouvait changer de religion sans que ses sujets fussent tenus d’en faire autant. L’Empire subit des sacrifices territoriaux définitifs : les cantons suisses et les Provinces-Unies accédaient à l’indépendance. La France était reconnue souveraine des Trois-Évêchés (Toul, Metz et Verdun) ; elle obtenait deux têtes de pont au-delà du Rhin (Brisach et un droit de garnison à Philippsbourg), ainsi que les territoires de la maison d’Autriche en Alsace : le landgraviat de Haute-Alsace, de Basse-Alsace, la protection de la Décapole (ligue de dix villes : Landau, Wissembourg, Haguenau, Rosheim, Obernai, Sélestat, Kaysersberg, Colmar, Turckheim et Munster). Le Rhin faisait désormais office de frontière naturelle sur une partie de son cours. La France et la Suède étaient garantes des accords de Westphalie, « y compris de ses dispositions internes à l’Empire, dans les affaires duquel ces deux puissances acquirent ainsi un titre permanent d’ingérence » (Jean-François Noël). Entre la France et l’Espagne, la guerre ne s’acheva qu’en 1659, avec la paix des Pyrénées. l TRENTE GLORIEUSES (LES). Née sous la plume de l’économiste Jean Fourastié dans un ouvrage paru en 1979, l’expression « Trente Glorieuses » - en référence aux « Trois Glorieuses » de la révolution de juillet 1830 - s’est imposée jusqu’à désigner communément la période d’expansion qui a carac-
térisé la France des années 1946-1947 à 1975. Outre la prospérité économique, le pays connaît alors une importante métamorphose downloadModeText.vue.download 913 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 902 sociodémographique et une rapide évolution des conditions de vie, des pratiques culturelles et des mentalités. LES CONDITIONS DE LA CROISSANCE La croissance française des années 1946-1975 a deux causes principales : d’une part, la modernisation, l’accroissement, la métamorphose des moyens de production ; d’autre part, le gonflement et la transformation de la demande. Outre la croissance du capital, le facteur travail joue un rôle clé, qui se lit notamment dans la progression et la spécialisation des effectifs salariés, dans le déplacement du centre de gravité de l’économie vers le secteur tertiaire. Dès la fin des années 1940, la conjonction de ces éléments génère un gain de productivité, conforté par les stimulations réciproques des progrès techniques et de la consommation. Une consommation elle-même favorisée par la hausse du niveau de vie, la pression démographique, l’évolution des modes de vie et l’urbanisation en cours. Cette évolution est continûment vivifiée, après la reconstruction, par le maintien, puis la hausse, de l’investissement dans les biens d’équipements et par la persistance d’une démarche modernisatrice chez les entrepreneurs. Ces derniers s’appuient surtout sur la demande intérieure et profitent de l’effort de l’État (plan), du perfectionnement des outils de prévision. Comme le souligne Jean-François Eck, « la croissance des Trente Glorieuses ne peut [donc] se comprendre qu’à travers de multiples interdépendances : entre offre et demande, capital et travail, consommation et investissement, facteurs internes et externes, tendances spontanées de l’économie et orientations volontaristes choisies par les pouvoirs publics ». LES ANNÉES 1950 : RECONSTRUCTION ET MODERNISATION De 1950 à 1959, la formidable impulsion donnée par la reconstruction industrielle, par les besoins en biens d’équipement, en infrastructures collectives et en logements, fixe le taux de croissance du produit intérieur brut
(PIB) au niveau de 4,6 % l’an. Les efforts faits dans le cadre du premier plan (plan Monnet, 1947-1953) ont pour but de relancer les productions industrielles vitales : charbon, électricité, acier, ciment, transports, tracteurs, carburants, engrais. Cependant, en 1952, les objectifs initiaux ne sont pas atteints (la production est supérieure de 12 % à celle de 1929, meilleure année d’avant-guerre, l’objectif étant de 25 %) ; la croissance de la production industrielle a été de 7 % l’an (21 % pour le charbon, 56 % pour l’électricité, et jusqu’à 220 % pour le ciment, qui bénéficie du boom de la reconstruction). La machine économique est relancée. De nouveaux instruments sont créés pour surveiller, stimuler et gérer les progrès économiques, tels que le Fonds de modernisation et d’équipement (1948) ou le Service des études économiques et financières (1950). La bataille de l’énergie, des transports, des infrastructures et du logement engage un mouvement - conforté sous le IIe plan (plan Hirsch, 1954-1957) - qui se préoccupe en outre de la reconversion du monde agricole et de celle de la main-d’oeuvre en fonction des nouveaux besoins techniques et de consommation. En 1958, sous l’impulsion de secteurs de production et de consommation nouveaux ou rénovés (électroménager, automobile et logement en tête), l’« aiguillon de la croissance » (Jean-Pierre Rioux) a métamorphosé le paysage économique français. Il a assuré l’« expansion dans la stabilité » - un mot d’ordre rassurant commun à plusieurs présidents du Conseil (Antoine Pinay en 1952, Pierre Mendès France en 1954, Edgar Faure en 1955). Sur une base 100 en 1938, l’indice de la production industrielle est passé à 213 en 1958, tandis que le revenu national a vu son indice grimper de 118 en 1950 à 167 en 1958. Cette expansion est surtout fondée sur le dynamisme du marché intérieur et sur l’intervention régulatrice et protectrice de l’État. La France opère en effet sa mutation d’aprèsguerre dans un contexte où la planification indicative donne un rôle moteur au secteur public (Renault, SNCF), favorisant une meilleure gestion de la modernisation infrastructurelle et une politique de réduction des inégalités sociales. Cette orientation s’estompe, cependant, durant le second cycle de l’expansion. L’accroissement de l’investissement permet alors à l’économie française de se mettre à l’heure du monde.
DE L’ÂGE D’OR DE L’EXPANSION À LA CRISE Sous la Ve République, l’économie française confirme sa vigueur, jusqu’aux chocs pétroliers de 1973-1974. De 4,6 % entre 1946 et 1958, le taux de croissance passe au chiffre impressionnant de 5,5 % de 1958 à 1973. Fait nouveau, cette évolution est soutenue par le gonflement de l’investissement, par la mobilisation de l’épargne, par le recours au crédit ; et, dans les échanges avec l’extérieur, par l’effet du Marché commun (exportations françaises vers l’Europe : + 70 % de 1959 à 1973). La France talonne les pays aux PIB les plus dynamiques (République fédérale d’Allemagne, Japon), se hisse dans le peloton de tête des nations industrialisées, prend part à la mondialisation de l’économie. Témoins de la puissance acquise, les réalisations de prestige chères au général de Gaulle, puis à Georges Pompidou, servent de vitrine internationale. La commercialisation de la Caravelle (1958), l’ouverture de l’aéroport d’Orly en 1961 (lieu le plus visité du début des années 1960), le lancement du paquebot France (1962), la présentation du Concorde et du projet Beaubourg (1969), du train Corail (1973), illustrent l’esprit conquérant de l’époque. La croissance industrialisante est soutenue et transformée par le déplacement du centre de gravité des secteurs d’activité. Parmi les secteurs en difficulté, l’agriculture accuse la plus forte dépression, suivie par les bâtiments et travaux publics (BTP) et le petit commerce. Parmi les secteurs vigoureux : l’énergie, l’équipement, les industries de consommation, de transport, les télécommunications. Leurs progressions respectives sont comprises entre 8 % (biens de consommation) et 53 % (biens d’équipement). Enfin, à côté du dynamisme de la banque, de l’assurance, de la publicité, et du développement des secteurs de pointe (machinisme, électronique, chimie, notamment), l’industrie et l’économie connaissent un changement d’échelle : la taille des entreprises s’accroît ; les moyens de communication s’améliorent, réduisant ainsi les distances et leur coût. La période 1958-1975 est le temps d’une mutation majeure. Devenue une grande puissance industrielle (deuxième taux de croissance du PIB sur la période 1960-1973, après le Japon et devant la République fédérale d’Allemagne), la France a su croquer les fruits de l’expansion mondiale. Le bond de la branche
automobile, dont la croissance est de 10 % l’an de 1965 à 1973 (autant qu’au Japon), en est le symbole. À partir de 1974, cependant, l’économie française, à l’instar de l’ensemble du monde capitaliste et industrialisé, entre dans la crise. Tout d’abord, la France résiste mieux que d’autres pays aux chocs pétroliers. Mais, en 1975, la production industrielle marque le pas. C’est le premier recul depuis 1945. La surchauffe inflationniste, permanente depuis 1968, et la dégradation d’autres indicateurs (fléchissement du commerce extérieur et développement du chômage) assombrissent la conjoncture. Emblème de la « crise », le nombre de chômeurs passe la barre du million en 1975 (4,1 %), alors qu’il se maintenait entre 0,4 à 0,7 million depuis 1946 (2 à 3 %). UNE PROFONDE MUTATION DÉMOGRAPHIQUE Parallèlement à l’expansion économique, les Trente Glorieuses sont marquées par une mutation du profil démographique du pays. De 1946 à 1975, la population croît rapidement : de 40,3 à 52,6 millions. Cet essor s’explique d’abord par l’accroissement naturel dû au baby-boom : pour 630 000 naissances en 1936, on en compte plus de 800 000 par an, environ, de 1946 à 1958, avant que le mouvement s’estompe peu à peu à partir de 1964. La hausse de la natalité a été encouragée par la création des allocations prénatales (1946), l’accroissement des prestations sociales, et surtout par le recul de la mortalité infantile (70/1 000 dans l’après-guerre, 14/1 000 en 1975). La société française rajeunit alors globalement (33 % de moins de 20 ans en 1974 ; à peine 28 % en 1946), tandis que la population du troisième âge croît également et vit mieux grâce à la généralisation du système des retraites (assurance vieillesse en 1947, Fonds national de solidarité en 1956), aux perfectionnements de l’encadrement médical et paramédical. Les plus de 80 ans sont 536 000 en 1946 (1,3 % de la population) pour 1 467 000 en 1975 (2,7 %). La durée de vie moyenne augmente : de 61,9 ans à 69,1 pour les hommes, de 67,4 à 77 pour les femmes. Enfin, l’essor démographique est affermi par l’apport de la population immigrée, qui double au cours de la période, pour atteindre 3,4 millions de personnes. VILLE ET CAMPAGNE Autre trait des Trente Glorieuses : l’exode rural modifie le visage de la France des champs, tandis que triomphe une urbanisa-
tion conquérante. Le monde rural se transforme à mesure qu’il se vide, se modernise, se downloadModeText.vue.download 914 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 903 mécanise. Les exploitations s’agrandissent, le nombre de salariés agricoles et d’exploitants s’effondre. Progrès d’un côté, déperdition de l’autre. Les conditions de vie des campagnes changent avec l’arrivée de l’eau courante, de l’électricité, l’habitude des achats en ville. Mais, comme le souligne Jean-François Eck, une « partie de la société paysanne ne peut faire face au progrès », il y a des « oubliés de la modernité ». Une brèche s’ouvre entre générations. La métamorphose des structures et des mentalités rurales entraîne une profonde rupture avec l’identité française d’avantguerre. Ce n’est pas pour autant la « fin des paysans », expression diffusée - longtemps acceptée - par l’ouvrage homonyme d’Henri Mendras (1967). Mais, sans que les campagnes deviennent un désert, les villes et leurs couronnes industrielles attirent la maind’oeuvre rurale, tant par leur capacité d’aspiration économique que par l’attraction de la modernité citadine. De 1946 à 1962, la population urbaine passe en effet de 46,3 % à 50,8 % de la population totale. Entre 1968 et 1975, la progression est plus spectaculaire encore : de 52 % à 72,9 %, avec des exemples extrêmes comme celui de Montpellier, où le nombre d’habitants croît de 65 %. Le glissement du primaire au tertiaire joue ici un rôle clé : la société rompt avec la dominante rurale et la relative stagnation démographique de la première moitié du XXe siècle. La politique du logement entraîne l’extension et la densification du réseau urbain grâce au lancement des constructions en préfabriqué (1945), des HLM (1950), des grands ensembles (le chantier de la Cité des 4 000, à la Courneuve, s’ouvre en 1956), du programme des zones à urbaniser en priorité (ZUP, 1958), des « villes nouvelles » (projet lancé en 1965). En trente ans, la France est devenue un grand pays industriel à dominante urbaine. UNE NOUVELLE STRUCTURE DE L’EMPLOI Conséquence majeure de la métamorphose industrialo-économique et de la passation des pouvoirs entre campagnes et villes, la structure socioprofessionnelle de la population ac-
tive est modifiée. De 1946 à 1962, puis 1975, le secteur primaire chute de 36 % à 19,9 % des actifs, puis à 10,1 %. Le secondaire croît, puis se stabilise : de 32 % à 38 %, puis à 38,5 %. Enfin, de 32 %, le tertiaire passe à 42,1 %, puis à 51,4 %. Alors que l’agriculture perd près de 32 % de salariés de 1968 à 1975 et que les industries traditionnelles enregistrent des reculs considérables (- 44,7 % dans l’activité minière combustible), les secteurs liés à la restructuration et à la modernisation industrielle créent de nouveaux besoins. Ils avantagent les nouvelles classes salariées. Ainsi, une partie de l’exode rural vient alimenter l’industrie, qui gagne 1,4 million de salariés. Les tendances antérieures s’accentuent, comme en témoignent les taux de croissance de l’emploi dans la période 1968-1975 : 20,5 %, dans l’administration, l’enseignement, la banque, les assurances, 21 % dans les industries mécaniques, 22,2 % dans les services, 37,5 % dans l’automobile, 42,5 % dans l’industrie électronique. Face à cette mutation, les difficultés et le vieillissement économique de l’artisanat et du petit commerce illustrent la métamorphose et le changement d’échelle de la vie économique, des modes (et modèles) de consommation, de l’éventail des profils professionnels. En contrepoint de la crise naissante du commerce de proximité, l’inauguration des premiers supermarchés à la fin des années 1950 et du premier hypermarché Carrefour en 1963 marquent la naissance de la « grande distribution ». Cette modification de la structure socio-économique française ne va pas sans soubresauts. La rupture avec les cadres économiques d’avant-guerre suscite, notamment, la fronde des petits commerçants et artisans poujadistes (1953-1956), puis la réaction corporatiste du CID-UNATI au début des années 1970. L’expansion a ses laissés-pour-compte, dont certains se font les avocats, comme l’abbé Pierre lors de la campagne de l’hiver 1954, qui aboutit à la création d’Emmaüs. À l’inverse, les classes moyennes salariées s’affirment. Qu’elles vivent leur « âge d’or » (Serge Berstein) est un autre trait caractéristique de la période. Le nombre de « cadres moyens » et « cadres supérieurs » - terminologie développée au cours des années 1960 passe de 8 à 18 % de la population active de 1954 à 1975. La progression de la catégorie « employés » suit une courbe analogue. DE MEILLEURES CONDITIONS DE TRAVAIL
Les Français travaillent beaucoup durant les premières années de la reconstruction. Puis, peu à peu, l’étau se desserre. De 1900 à 1946, l’horaire annuel travaillé était passé de 3 000 à 2 500 heures (- 17 %). Le recul est plus net durant les Trente Glorieuses, avec 1 850 heures en 1975 (- 26 %). Cette évolution capitale - pour le temps qu’elle libère - se conjugue avec la fin de l’embauche des moins de 16 ans, du fait de l’allongement de l’obligation de scolarité (1959), et avec l’effacement progressif de la main-d’oeuvre âgée, en raison notamment de l’allocation retraite. En outre, la mécanisation et la transformation des profils d’emploi entraînant la régression des structures artisanales, les conditions de travail s’améliorent. Une amélioration à laquelle contribuent notamment la loi sur les conventions collectives (1950) et la création du SMIG (1950), puis du SMIC (1970). D’autres éléments concourent à modifier la représentation de l’univers du travail : extension des congés payés (3 semaines en 1956, 4 en 1969), accords interprofessionnels sur le congé formation, sur la mensualisation des salariés (1970), création de l’allocation chômage (1959), de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE, 1967). On assiste donc au passage de témoin, dans le monde du travail, du critère de l’énergie humaine à celui de l’énergie technicienne et intellectuelle. Ce tournant est indissociable de l’accélération et du rôle grandissant de la communication (transports, télécommunications, informatique), de la transformation de nature des conditions et des contrats de travail. Ce gain qualitatif et l’évolution des qualifications résultant d’exigences accrues accompagnent et déterminent à la fois l’explosion et la spécialisation du système éducatif. UNE REMARQUABLE CROISSANCE DE LA SCOLARITÉ La croissance du nombre d’enfants scolarisés en maternelle et en primaire découle de la pression du baby-boom et de l’influence grandissante des usages culturels citadins. En revanche, l’expansion du secondaire et de l’Université, en partie subordonnée à la pression démographique, provient aussi de la politique d’accompagnement de l’État et d’une mutation profonde des mentalités à l’égard de l’enjeu scolaire et de la notion d’« ascension sociale », très en vogue durant cette époque dynamique et épargnée par le chômage.
L’enseignement secondaire explose et mue. Le certificat d’études n’est plus ce cap symbolique lié à la tradition des cursus courts ouvrant sur une intégration immédiate en apprentissage ou dans la vie active. Une qualification supérieure est requise pour répondre aux besoins de main-d’oeuvre spécialisée. La pression du baby-boom, dès le milieu des années 1950, la prolongation de la scolarité obligatoire, la création des collèges d’enseignement secondaire (1963), affermissent cette révolution. Le nombre d’enfants scolarisés dans le second degré (public et privé) passe de 1 million en 1950-1951 à plus de 4 millions en 1975. Quand, en 1945, moins de 14 % d’une classe d’âge obtenait le baccalauréat, le taux approche les 25 % en 1975. Pour répondre à cette progression, le nombre d’enseignants ne cesse d’augmenter : + 43 % entre 1965-1966 et 1974-1975 (de 371 000 à 531 000). Enfin, la mixité se généralise, ce qui conforte la rupture avec les représentations anciennes de l’univers scolaire. Quant à l’Université, elle compte quelque 130 000 étudiants en 1950, 200 000 en 1960, et plus de 600 000 en 1970. Habitué à accueillir les élites, l’enseignement supérieur doit s’ouvrir, bâtir les structures efficaces d’un nouveau « monstre éducatif » tenu de dispenser un enseignement général (filières universitaires classiques) ou spécialisé (BTS, IUT) à l’ensemble des titulaires du baccalauréat. En 1966, l’inauguration de l’université de Nanterre est l’une des grandes étapes de cette « conquête universitaire ». En 1968, l’impact des grèves étudiantes sur le pays témoigne de la force acquise par l’Université en l’espace de vingt ans. SANTÉ ET HABITAT : VERS UN AUTRE QUOTIDIEN La modernisation du système de santé et de l’habitat fait également ressortir la métamorphose de la société française et de son quotidien. Soutenue par la généralisation de l’assurance maladie, la croissance du secteur médical et paramédical est remarquable : les médecins sont au nombre de 29 000 en 1946 (7/1 000), 81 000 en 1975 (15/1 000). La population des médecins, dentistes et pharmaciens passe de 50 000 en 1946 à 138 500 en 1975. Le réseau hospitalier se modernise et s’étend : création des centres hospitaliers universitaires (CHU) en 1958, de la carte sanitaire en 1970. Cette évolution influence en profondeur les modes de vie, à travers la dédramatisation de la relation à la mala-
die, la banalisation de la médicalisation (les dépenses médicales doublent entre 1950 et downloadModeText.vue.download 915 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 904 1970, passant de 4,4 % à 9,4 % de la consommation totale des ménages), le recul de peurs anciennes du fait de la chute de la mortalité infantile et des progrès remarquables de la vaccination. Ce « mieux-être » quotidien dépend aussi étroitement d’une politique du logement dynamique et soucieuse d’hygiène. De 1935 à 1939, 70 000 logements étaient construits chaque année. Après-guerre, la courbe témoigne d’un spectaculaire essor : 200 000 en moyenne de 1945 à 1965 ; 350 000 de 1965 à 1968 ; plus de 440 000 ensuite. En 1975, au terme d’un renouvellement accéléré du parc de logements, plus de 45 % des appartements et maisons ont moins de vingt-cinq ans d’âge. Enfin, grâce aux progrès de l’épargne (épargne logement, 1965) et du crédit, et grâce à l’élévation générale du niveau de vie, le nombre de propriétaires est passé de 30 % à 47 %. La nature des logements témoigne, elle aussi, d’une très sensible amélioration des conditions de vie. En 1946, moins de 20 % des logements disposaient de toilettes intérieures ; en 1975, 73 % des foyers en sont équipés. Dans le même temps, le pourcentage de foyers comptant une salle de bains est passé de 5 à 70,3. Sanitaires et salles de bain privés, auxquels s’ajoutent l’eau chaude et le chauffage central, sont devenus la norme des grands ensembles à « loyer modéré » et des pavillons individuels. Selon les critères de l’INSEE, le taux de « logements confortables » passe de 3,8 % en 1946 à 65,3 % en 1975. LE CREDO MODERNISTE : CONTESTATIONS ET ACCEPTATION Ce panorama non exhaustif rend compte du bouleversement du cadre et des conditions de vie des Français. Pourtant, jusqu’au milieu des années 1950, la société façonnée par les expériences d’avant-guerre vit l’irruption de cette « modernité » avec circonspection. C’est une phase transitoire d’adaptation, de sédimentation socioculturelle et des sensibilités
qui signe le passage, plein de soubresauts, de la société de la première moitié du XXe siècle à celle de la seconde. En témoignent les frondes du poujadisme, du CID-UNATI, des paysans au début des années 1960. Dans un autre registre, mai 68 traduit un refus du credo moderniste défini depuis l’après-guerre. Par ailleurs, les Trente Glorieuses n’ont pas fait disparaître les inégalités sociales. Si, de 1949 à 1957, le salaire moyen passe de l’indice 100 à 228, et le coût de la vie de 100 à 159, cette tendance très positive s’infléchit par la suite, avec des incidences plus marquées sur les bas salaires, qui stagnent. La revalorisation du SMIG en 1970 découle de ce constat : de 1960 à 1967, le gain cumulé en pouvoir d’achat du SMIG est de 2,7 %, contre 28 % pour les salaires ouvriers. Enfin, il apparaît que l’idéal de promotion et de mobilité sociale - par l’école, en particulier - ne s’est pas traduit massivement dans les faits. Même si 15 % des enfants d’ouvriers accèdent au statut de cadre au début des années 1970, et malgré le rôle de promotion sociale de l’exode rural, l’étalement du processus sur plusieurs générations constitue un obstacle qui explique les pourcentages - somme toute assez faibles - d’individus bénéficiaires de cette ascension. Toutefois, malgré les infortunes de la pensée unitariste et égalitariste des années d’après-guerre, un tournant majeur s’est bien joué entre la IVe République et les années gaulliennes. Les « derniers vestiges de la France des petits héritée du XIXe siècle » disparaissent (Serge Berstein). Le maintien des inégalités salariales, la mobilité sociale toute relative, ne font pas obstacle à la progressive transformation de l’identité économique et socioculturelle française. Dans le débat entre « ancien » et « nouveau », l’affirmation du mieux-être général et du partage de la prospérité finit par sanctionner l’adoption du credo moderniste, que confortent l’amélioration des niveaux de vie et l’image tutélaire de l’État-providence. La représentation de la société, de son avenir, et les aspirations des Français s’en trouvent changées. Une fois bannie l’illusion d’une uniformisation absolue des modes de vie, il reste qu’en dépit des réticences de certains groupes sociaux, culturels ou politiques, le modèle de la société nouvelle, citadine et consumériste, l’emporte au tournant des années 1960. BIEN-ÊTRE ET CONSOMMATION DE MASSE L’affirmation de la philosophie du mieux-
être est donc sous-tendue et légitimée par le désir - en partie satisfait - d’une redistribution de la prospérité nationale. Outre les progrès essentiels du logement, l’évolution des postes de consommation des ménages illustre cette donnée. La progression de l’équipement en électroménager est spectaculaire, comme l’atteste l’explosion des dépenses durant la seule période 1954-1956 (de 54 à 128 millions de francs), grâce notamment à la création du crédit pour l’électroménager (1952). De 1946 à 1975, l’essor des ventes est fulgurant. Réfrigérateur, gazinière, machine à laver le linge (1955), moulin à café électrique (1956), séchoir (1957), congélateur (début des années 1960), magnétophone et transistor de poche (1963 et 1965), etc., pénètrent la majorité des foyers français. Élément de décoration, vecteur de divertissement, lucarne ouverte sur le monde et écran-témoin de la réussite sociale, la télévision est l’un des objets les plus convoités. Rare dans les années 1950, elle est présente dans plus de 80 % des foyers au milieu des années 1970. Et, en 1976, ce sont 66 % des ménages qui possèdent à la fois réfrigérateur, machine à laver et télévision. L’automobile est l’autre grande gagnante de cette frénésie de consommation. En 1946, le parc français compte 1 million de voitures ; en 1975, 15,5 millions. Le succès des 4 CV, 2 CV, DS, 404, 4 L symbolise cet engouement, indissociable de l’allongement des congés payés et du temps consacré aux loisirs. Enfin, tandis que les indices liés à l’équipement et aux loisirs croissent, la part des budgets consacrée à l’habillement et à l’alimentation recule en proportion de l’augmentation des budgets familiaux. Développement de la consommation de masse et recherche d’un mieux-être quotidien : cette tendance agit sur l’évolution des moeurs et des mentalités, à travers l’omniprésence d’une philosophie moderniste aux penchants hédonistes. L’irruption de la culture et du loisir de masse l’illustre parfaitement, en soi et à travers son influence sur les pratiques et les imaginaires sociaux. LA CULTURE DE MASSE EN QUESTION La France des Trente Glorieuses nourrit une philosophie idéaliste de réduction des écarts sociaux et socioculturels. On a vu quelles en sont les limites dans le monde du travail. Ces limites, conjuguées à la tension née de l’instabilité politique jusqu’en 1958 et des guerres coloniales, taillent dans le vif de l’unitarisme
et de l’optimisme de l’après-guerre et de la période de la reconstruction. Il n’en reste pas moins que l’on renoue alors avec les espoirs du Front populaire en matière de politique culturelle. Teinté d’idéalisme militant, le projet de partage et de diffusion de la culture au bénéfice du peuple est mis en avant à la fin des années 1940 - relayé par la création du ministère des Affaires culturelles (1959). La création du nouveau Théâtre national populaire (1951) et la politique de décentralisation théâtrale sous la IVe République témoignent du volontarisme de l’État en matière de redistribution culturelle d’une part de la richesse acquise. Dans un autre registre, le succès des mouvements de jeunesse et des associations héritiers du Front populaire illustre la valorisation des loisirs, de l’accès de tous à la culture (auberges de jeunesse, Jeunesses musicales de France, ciné-clubs, maisons de la culture, etc.). Sur le fond, toutefois, on ne peut parler, pour cette période, d’une authentique démocratisation de l’accès à la culture, du moins celle véhiculée par les élites, qui se trouve en décalage évident avec les aspirations de la majorité de la population. LE TEMPS DU LOISIR Pour comprendre la réalité de la mutation culturelle d’alors, il faut se reporter à d’autres indices. Les années 1950 et 1960 sont l’âge d’or de la radio. Le nombre de postes passe de 5 à près de 11 millions entre 1945 et 1958. Europe n° 1, qui révolutionne le monde radiophonique, naît en 1955. C’est aussi l’heure de l’essor des divertissements télévisuels ; les émissions les plus suivies s’appellent la Piste aux étoiles (1953) ou Jeux sans frontières (1967). Le Petit Rapporteur, de Jacques Martin, devient la messe dominicale du tube cathodique (1975). Le « Livre de poche », lancé en 1953, connaît un rapide succès, qui fait suite à celui de la « Série noire », lancée en 1945. En 1954 naît le tiercé, en 1976 le Loto. La presse féminine rajeunit et séduit (Elle, Marie-Claire). La mode devient une préoccupation pour un nombre grandissant de Français, à en juger par la réussite du premier Salon du prêt-à-porter (1957) ou l’impact de la « guerre du genou » engagée par Yves Saint Laurent (1960)... Ces éléments disparates soulignent l’entrée progressive dans une ère des loisirs populaires, dans une culture de masse et de consommation, différant, dans sa forme, ses objets et ses finalités, de la notion de culture démocratique telle qu’elle a pu être définie par les intellectuels. Toutefois, la démo-
cratisation n’est pas restée sans effets pour certaines catégories sociales (enseignants, downloadModeText.vue.download 916 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 905 journalistes, cadres supérieurs, membres des professions libérales) qui font notamment le public des festivals (Cannes, 1946 ; Avignon, 1947 ; Aix, 1948 ; Royan, 1965) ou des mensuels spécialisés tels les Cahiers du cinéma (1951). Il y a ici une rupture capitale entre deux univers : entre celui de la culture et du loisir cultivé, et celui de la culture et du loisir de masse. LA « RÉVOLUTION CULTURELLE » DU TEMPS LIBRE Cela étant, de nouvelles valeurs culturelles transcendent les catégories sociales. Les vacances constituent l’exemple le plus emblématique de la révolution du temps libre. Dans l’imaginaire collectif, « la Méditerranée devient le lieu exemplaire du bonheur et du loisir » (Dominique Borne). Le mythe du Sud - tropézien, notamment - est nourri par maints éléments disparates dont l’écho souligne leur emprise sur le corps social : la popularité de Brigitte Bardot, la madone de « Saint-Trop » à partir de la seconde moitié des années 1950, le succès du Gendarme de Saint-Tropez (1964), l’image ludique et attractive du Club Méditerranée (1950), de Nouvelles Frontières (1967), le boom immobilier du Languedoc-Roussillon à l’aube des années 1970 et la progression du tourisme français en Espagne (malgré le franquisme), l’idéale autoroute A1-A6 (la jonction Lille-Marseille est réalisée en 1970), la séduisante fluidité de la DS qui emmène les familles françaises vers une chaude oisiveté... L’oisiveté ? Voici une autre « valeur » clé : elle a cessé d’être suspecte. Insigne rupture avec la première moitié du XXe siècle, elle offre indirectement un indice des progrès de l’individualisme et du reflux de la notion de solidarité héritée de temps plus durs. Il est désormais permis de « ne rien faire », de consacrer du temps à la recherche du loisir-plaisir. De nombreux jalons témoignent de cette évolution et de son champ d’influence : les Vacances de M. Hulot, de Jacques Tati, fresque désabusée et souriante qui met en scène un « homme moyen » vivant avec ingénuité la
conquête du loisir de masse (1953) ; le succès des aventures scandaleuses de la jeune fille de bonne famille que Françoise Sagan décrit dans Bonjour tristesse (1954) ; le triomphe, chez les jeunes, de Salut les copains (1962), puis de la vague yé-yé (1963-1964) ; l’un des plus illustres slogans de 1968 : « Sous les pavés, la plage » ; la création de France Loisirs (1970) ; le lancement des premiers clubs Vitatop (1974) ; le doublement des effectifs de la Fédération française de tennis, entre 1966 et le coeur des années 1970 ; la mode du footing au milieu des seventies. Quant aux productions critiques du cinéaste Jacques Tati (Mon oncle, 1958), du sociologue Edgar Morin (l’Esprit du temps, 1962), de l’écrivain Georges Perec (les Choses, 1965), dénonçant l’aliénation par la consommation et l’illusion du droit à la culture, elles ne sauraient s’opposer à une telle vague de fond. LES COMPORTEMENTS Pour prendre la pleine mesure de ce bouleversement socioculturel et de ses conséquences, il faut enfin évoquer quelques aspects de l’évolution des comportements. Les années 1960-1970 sont notamment le terrain d’une indéniable libération sexuelle. Expression supplémentaire de la recherche d’une liberté accrue dans une société rajeunie, l’évolution se noue notamment autour du développement du Planning familial (1956), de la première diffusion de la pilule (1961), puis du stérilet, enfin du débat houleux sur le droit à la contraception et à l’avortement (de la loi Neuwirth en 1967, à celle sur l’IVG, dite « loi Veil », 1975). La révolution mentale qui accompagne cette mutation exemplaire des comportements et de l’approche législative témoigne à la fois d’une transformation de la « morale » entourant l’acte de procréation et d’une déculpabilisation de l’acte sexuel, ainsi que d’une profonde rupture avec l’avantguerre et le legs de l’histoire en matière de morale et de civisme. À compter de la fin des années 1950, les progrès de cette « permissivité » - en pleine adéquation avec la recherche contemporaine du bonheur et du ludisme - sont également soulignés par d’autres signes : le scandale, puis le succès de Et Dieu créa la femme, de Roger Vadim avec Brigitte Bardot (1956) ; la création de Lui, qui affiche l’érotisme en kiosque (1963) ; l’instrumentalisation croissante du corps féminin dans la publicité ou la
mode ; la banalisation du débat sur la sexualité dans les grands hebdomadaires (le Nouvel Observateur) ; le succès du cinéma érotique (Emmanuelle, 1974) ; celui de la sexologie symbolisé par les ventes colossales de la Fonction de l’orgasme (Wilhelm Reich, traduit en 1967) ; l’apparition des seins nus sur les plages et la vogue du naturisme... Cette transformation n’a pas été sans débat. En 1945, la traduction de Tropique du Cancer, d’Henry Miller, déclenche un scandale. Cette ode à la libération sexuelle, publiée en France mais interdite au États-Unis, ne dit-elle pas la puissance subversive de la sexualité ? L’image de la famille et du mariage commence à changer. La pratique du concubinage se répand : 17 % des couples en 1969, 37 % en 1974 - avec des taux plus élevés en milieu urbain. Le taux de divorce croît très sensiblement (1 pour 16 mariages en 1925, 1/11 en 1946, 1/8,5 en 1972), sur un rythme que l’on peut mettre en parallèle avec le recul significatif de la pratique religieuse, en passe de devenir une « position culturelle » (Dominique Borne) et non plus - ou plus seulement - la manifestation d’une croyance stricto sensu. Autant d’éléments qui permettent de souligner les progrès d’une philosophie de la vie refusant toute codification du bonheur personnel ou familial. Outre la libération sexuelle et l’évolution de la représentation de la famille, l’image de la femme est sans doute l’un des plus puissants leviers de cette révolution des moeurs. Le débat ouvert par l’ouvrage de Simone de Beauvoir, le Deuxième Sexe (1949), ne se refermera plus. Les femmes acquièrent une autonomie jusqu’alors inconnue et un statut qui rompt avec l’image dominante de la « mère au foyer », au long d’un processus jalonné par l’accession au droit de vote (1944), la libération représentée par l’aide de l’électroménager, l’apparition d’émissions TV spécifiques (les Femmes aussi, 1964), la vague féministe des années 1960-1970, etc. UN « NOUVEL HOMME » ? Les Trente Glorieuses constituent une indéniable « accélération » de l’histoire qui transforme l’identité de la société française. Partant de la métamorphose de l’économie, de l’accroissement rassurant et régulateur du rôle de l’État, de la pression démographique et urbaine, de la modification du tissu socioprofessionnel et social, de l’amélioration des conditions et de la transformation des modes de vie, la période 1947-1975 constitue un temps
euphorique et « glorieux », qui favorise, selon l’expression de Jean Fourastié, l’émergence d’un « nouveau type d’homme ». Fondé sur les gains de la prospérité, sur le recul d’un certain nombre de contraintes physiques et temporelles, il permet la diffusion d’une philosophie de la vie nettement dégagée, par rapport à la première moitié du XXe siècle, du poids envahissant des contraintes matérielles quotidiennes et des conditions de travail. Bien au-delà des métamorphoses économiques, un profond fossé sépare donc la société de l’aprèsguerre de celle des années 1970. La victoire du modernisme, l’avènement et la célébration de la société de consommation et du bienêtre, la révolution du temps libre et des loisirs, les progrès de l’individualisme et la mue des comportements, l’idéal en partie réalisé de la mobilité sociale, sont passés par là. Considérés comme des conquêtes définitives, ils instituent une nouvelle hiérarchie des valeurs socioculturelles et déterminent une rupture fondamentale avec l’image d’une société figée dans laquelle les statuts sociaux constitueraient une norme immuable. Sans doute peuton parler de l’affirmation d’un système social du « mouvement » dont témoignent, parmi bien d’autres exemples, l’image de la voiture, des vacances, de la télévision, la libération des moeurs. Ce droit au « mouvement » renforce et est renforcé par - l’émergence de nouveaux imaginaires sociaux. L’homme au miroir de lui-même n’est plus le même. En définitive, selon l’expression de Jean-Pierre Rioux, la société édifiée par les Trente Glorieuses semble avant tout avoir favorisé la recherche d’une « éternelle adolescence ». Après 1975, cette philosophie optimiste et conquérante se heurte à la crise. Cependant, on peut postuler qu’elle constitue toujours une part non négligeable du socle des représentations du bonheur individuel et collectif, tant a été grande la force d’imprégnation de la révolution socioculturelle des Trente Glorieuses. Trésor de l’épargne, principale caisse des finances monarchiques à partir du règne de François Ier. À la fin du Moyen Âge, le roi de France - ainsi que certaines principautés telles la Bretagne ou la Bourgogne - a plusieurs fois recours à une « épargne » comme caisse de réserve. Mais c’est en 1523 que le Trésor de l’épargne naît véritablement, dans un contexte de grave crise militaire et financière. François Ier cherche alors à mieux contrôler les fonds et à en accélérer la collecte. D’abord conçu pour recevoir les recettes extraordinaires et casuelles (mars
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DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 906 1523), puis destiné à centraliser tout l’argent du roi (décembre 1523), le Trésor de l’épargne recueille finalement, à partir de 1524, l’argent du domaine - celui du Trésor royal du Moyen Âge - et celui des impôts, désormais considérés comme des recettes ordinaires. Le trésorier de l’Épargne devient le principal « caissier » de la monarchie et les autres comptables lui sont subordonnés. Il rend compte chaque semaine, au Conseil du roi, de l’état des fonds. L’office devient alternatif sous Henri II, puis triennal sous Louis XIII. Par un édit d’avril 1664, pris dans le cadre de la réorganisation financière qui suit la suppression de la surintendance, le Trésor de l’épargne est remplacé par le Trésor royal, dénomination qui reprend celle du Moyen Âge. Celui-ci est géré par deux commissaires généraux dits « gardes du Trésor », dont la commission devient un office en 1689. Trésor royal, organe financier de la cour du roi au Moyen Âge. Il se détache peu à peu de la cour et s’affirme tant que les ressources du roi proviennent du domaine royal. À l’origine, le camérier, un proche du roi chargé de la Chambre royale, avait la haute main sur les objets de valeur, la vaisselle d’or et d’argent ainsi que le butin des Mérovingiens et des Carolingiens. Par la suite, la monarchie des premiers Capétiens dispose de revenus beaucoup plus réduits. Ces derniers reposent essentiellement sur les recettes du domaine royal, ensemble de possessions, de seigneuries et de droits divers encore concentrés au XIIe siècle dans le centre du Bassin parisien, mais que les rois de France accroissent au fil de leurs conquêtes. Le chambellan, l’un des plus importants officiers de l’Hôtel du roi, surveille la gestion des agents locaux et a la charge de la caisse de l’Hôtel, conservée au XIIIe siècle dans la tour du Louvre. Louis VII (1137-1180) finit par confier aux Templiers, qui sont les principaux financiers du royaume, la garde du Trésor royal. En échange de cette garantie, les moines-soldats soutiennent de leurs prêts la monarchie. La Chambre des comptes, émanation de la cour du roi, surveille les dépenses et les recettes des Templiers. Toutefois, en 1295, Philippe IV le Bel récupère la gestion directe du Trésor royal, et donc de revenus du royaume de plus en plus
importants. Enfin, son fils Philippe V installe définitivement au Louvre le Trésor royal (1317), qui est désormais géré uniquement par des officiers royaux. L’administration du domaine devenant de plus en plus complexe, différents trésoriers sont chargés de la gestion des Finances, chacun dans une partie du royaume à partir de Charles VII (1422-1461). À leur tête, le trésorier de France contrôle l’ensemble des revenus et a la garde du Trésor. Dans le courant du XIVe siècle, les trésoriers s’entourent d’un personnel qualifié de plus en plus nombreux. Par ailleurs, devant la multiplication des conflits fiscaux, est instituée la Chambre du Trésor (1390), chargée de régler les contentieux. À partir du XVe siècle et avec l’instauration de recettes fiscales permanentes, les impôts nouveaux tels que le fouage ou la taille échappent au Trésor royal. Ils sont désormais du ressort des généraux des Finances et des receveurs généraux des Finances. À partir de 1523-1524, ces receveurs généraux doivent envoyer leurs fonds au Trésor de l’épargne, chargé désormais de les centraliser. Trêve de Dieu ! Paix de Dieu Tribunal révolutionnaire, tribunal d’exception qui siège à Paris de mars 1793 à mai 1795. Cette juridiction a un précédent : le « Tribunal du 17 août », créé sous la pression de la Commune de Paris par l’Assemblée législative pour juger les « crimes » commis par les défenseurs du roi le 10 août 1792, lors de l’invasion des Tuileries. Cette première juridiction révolutionnaire est supprimée le 29 novembre 1792. Mais, devant la montée des périls extérieurs et intérieurs, les tribunaux ordinaires paraissent inaptes à juger les « ennemis de la Révolution ». Par les décrets des 9 et 10 mars 1793, la Convention décide d’établir à Paris un tribunal jugeant « sans appel et sans recours les conspirateurs et les contre-révolutionnaires ». Il est composé d’un président, de cinq juges, de douze jurés, d’un accusateur public et de deux substituts, nommés par l’Assemblée. Le rôle de l’accusateur public - essentiel - est confié à Fouquier-Tinville, ancien membre du « Tribunal du 17 août ». Toutefois, jusqu’à l’été 1793, le Tribunal révolutionnaire examine peu d’affaires et prononce plus d’acquittements que de condamnations. • Un instrument de la Terreur. La crise fédéraliste, la guerre civile en Vendée et les
défaites militaires conduisent à des modifications du Tribunal : le nombre des juges est porté à dix, celui des jurés à trente, et le personnel est épuré. Les journées des 4 et 5 septembre 1793, au cours desquelles les sans-culottes obtiennent la mise à l’ordre du jour de la Terreur, entraînent une nouvelle organisation : divisé en quatre sections, le Tribunal comprend dorénavant, outre le président, l’accusateur public et cinq substituts, seize juges et soixante jurés. C’est ce Tribunal, dénommé « révolutionnaire » le 30 octobre, qui condamne la reine Marie-Antoinette, les girondins et les feuillants à l’automne 1793. Il est autorisé, lors du procès des girondins, à réduire à trois jours la durée des débats. La lutte des « factions » et la condamnation des hébertistes et des dantonistes, la suppression des tribunaux révolutionnaires provinciaux, les attentats d’Admirat (contre Collot d’Herbois) et de Cécile Renault (contre Robespierre) sont pour beaucoup dans le vote de la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794). Adoptée après un débat houleux, au cours duquel Couthon déclare que « le délai pour punir les ennemis de la patrie ne doit être que le temps de les reconnaître », cette loi modifie encore le fonctionnement du Tribunal révolutionnaire : il ne compte plus que le président, l’accusateur public, quatre substituts, douze juges et cinquante jurés. L’unique peine prévue est désormais la mort ; les « défenseurs officieux » sont supprimés et les « preuves morales » introduites ; enfin, « la règle des jugements » se trouve dans « la conscience des jurés ». Ainsi commence ce qu’on a appelé la « Grande Terreur », marquée par les exécutions en masse de détenus dont on redoute un « complot ». On connaît le mot de Fouquier : « Les têtes tombaient comme des ardoises. » En effet, le Tribunal révolutionnaire prononce 1 251 condamnations à mort, de mars 1793 au 13 juin 1794 (25 prairial an II), c’est-àdire en un an et quelque trois mois, et il en prononce 1 376 en un peu plus d’un mois, du 25 prairial au 12 thermidor an II (30 juillet 1794), la centaine de robespierristes guillotinés étant comprise dans ce chiffre. • Un outil de la réaction thermidorienne. La loi du 22 prairial est abolie le 14 thermidor (1er août 1794), Fouquier-Tinville arrêté, et le Tribunal révolutionnaire suspendu ; il siège de nouveau à partir du 23 thermidor (10 août), avec un personnel réduit (trente jurés) et renouvelé. En effet, les thermidoriens n’entendent pas se priver de cette juridiction d’exception. Mais les coupables visés
ne sont plus les mêmes : aux « contre-révolutionnaires » succèdent les « buveurs de sang ». Ainsi, d’anciens membres du comité révolutionnaire de Nantes et Carrier sont condamnés, et exécutés le 26 frimaire an III (16 décembre 1794). Après une ultime réorganisation le 8 nivôse an III (28 décembre 1794), le Tribunal révolutionnaire condamne à mort Fouquier-Tinville et d’anciens jurés de l’an II, le 17 floréal an III (6 mai 1795). Finalement, cette juridiction est supprimée par un décret de la Convention du 12 prairial an III (31 mai 1795). Mais, entre-temps, est intervenue l’insurrection populaire du 1er prairial (20 mai) : des sans-culottes parisiens ont envahi la Convention en réclamant du pain et l’application de la Constitution de 1793, et ont assassiné le député Féraud. Afin de juger les « coupables » (y compris six députés), la Convention crée une commission militaire. Ainsi, à la justice révolutionnaire succède la justice militaire, promise à un avenir durable en matière de répression politique. Tribunat, assemblée consultative en matière législative, instituée par la Constitution de l’an VIII (décembre 1799). Elle siège au Palais Royal et est composée de cents « tribuns », âgés d’au moins 25 ans, élus pour cinq ans et renouvelables par cinquième tous les ans. Comme ceux du Corps législatif, les membres du Tribunat sont choisis par le Sénat sur la « liste nationale » (liste de notabilités). Leur fonction essentielle est de discuter les projets de lois qui leur sont soumis par le gouvernement (le Consulat), après avis du Conseil d’État, et d’émettre un simple voeu - l’adoption ou le rejet du projet - à l’intention du Corps législatif. En cas de voeu négatif, trois tribuns débattent contradictoirement avec trois conseillers d’État devant le Corps législatif, qui, lui-même, se prononce par un vote final sans pouvoir prendre part à la discussion. Les velléités frondeuses du Tribunat, qui le font passer pour un foyer d’opposition, sont contrecarrées par Bonaparte : en ventôse an X (mars 1802), les tribuns les plus hostiles sont évincés à l’occasion d’un renouvellement par cinquième ; le 11 germinal suivant (1er avril), l’assemblée est divisée en trois sections (législation, intérieur et finances) devant délibérer downloadModeText.vue.download 918 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 907 séparément ; enfin, le sénatus-consulte du
16 thermidor an X (4 août 1802), nouvelle Constitution établissant le Consulat à vie, prévoit la possibilité de dissolution du Tribunat par le Sénat et la réduction du nombre des tribuns de 100 à 50. Dès lors, le Tribunat n’émet plus que de très rares voeux négatifs, et, le 3 floréal an XII (23 avril 1804), malgré les protestations isolées de Carnot, il approuve la motion présentée par le tribun Curée tendant à l’établissement de l’Empire héréditaire. Devenu inutile, le Tribunat est supprimé par le sénatus-consulte du 19 août 1807. tribunaux. En France, l’histoire des tribunaux est celle d’un renforcement continu et d’une spécialisation des instances civiles et criminelles. Dès le haut Moyen Âge, les rois cherchent à contrôler l’encadrement judiciaire pour faire pièce aux justices privées et seigneuriales. Sous l’Ancien Régime, le système monarchique est, à la fois, consolidé par la création de nouvelles instances et organisé de manière pyramidale par le jeu de l’appel. Au XIXe siècle se met en place une nouvelle structure, dont l’essentiel est conservé de nos jours, avec certaines adaptations liées aux changements sociaux et politiques. • Des juridictions concurrentes au Moyen Âge. Dès le haut Moyen Âge, les rois tentent de proposer une punition publique aux délits de droit commun, qui sont traditionnellement réglés par la vengeance. Charlemagne légifère à son tour pour que l’homicide, la vengeance, l’inceste et le parjure soient jugés par le mallus comtal, premier tribunal public, qui subsiste jusqu’au Xe siècle. Mais, à cette époque marquée par l’émiettement des juridictions et des pouvoirs, les tribunaux seigneuriaux deviennent la base du système judiciaire. Les seigneurs peuvent présider eux-mêmes les audiences ou déléguer cette compétence à l’un de leurs officiers, prévôt ou bailli. Selon les cas, ils disposent de la haute, de la moyenne ou de la basse justice. La haute justice reprend les attributions des anciens comtes carolingiens ; elle s’applique à tous les crimes commis dans la seigneurie ; les fourches patibulaires, le pilori ou le carcan sont ses instruments et ses symboles. La moyenne justice examine les délits qui entraînent des punitions corporelles légères, des bannissements temporaires ou des amendes limitées. La basse justice ne traite que les causes civiles mineures, passibles de faibles amendes.
Les ressorts de ces tribunaux s’enchevêtrent souvent. Des querelles de juridiction peuvent les opposer aux justices municipales, devenues fortes à partir du XIIIe siècle, et aux officialités. Ces dernières sont des instances ecclésiastiques qui traitent les délits commis par le clergé et les affaires touchant à la spiritualité (hérésie, sorcellerie, sacrilège, atteintes aux serments du mariage, etc.), en renvoyant toute exécution capitale à la justice séculière. La monarchie reprend cependant peu à peu l’initiative. Au XIe siècle, les rois commencent à créer des instances judiciaires de base, les prévôtés, qui portent divers noms selon les régions (vicomtés en Normandie, vigueries en Languedoc ou encore châtellenies en Île-deFrance). À la fin du XIIe siècle, l’apparition des baillis royaux marque un effort supplémentaire d’encadrement. D’abord itinérants, ils se fixent dans leur bailliage ou sénéchaussée vers le milieu du XIIIe siècle. D’un rang supérieur aux prévôts, ils surveillent ces derniers et peuvent recevoir l’appel de leurs sentences. Ils s’occupent en outre des « cas royaux », crimes graves qui relèvent uniquement d’une cour souveraine. Ils peuvent aussi juger directement une affaire par « prévention ». Tout plaideur mécontent a cependant le droit de faire appel de leurs décisions devant le roi : la mémoire populaire retient l’image de Saint Louis rendant la justice sous le chêne de Vincennes. Doté d’un local dans la Cité et d’attributions précises par Philippe le Bel, le parlement de Paris juge seul les nobles en première instance et joue un rôle de cour d’appel suprême pour toutes les juridictions du royaume. Trois chambres le composent : la Grand-Chambre, la Chambre des enquêtes et la Chambre des requêtes. L’extension de son activité a nécessité la création de nouvelles chambres et celle d’autres parlements dans les grands fiefs réunis à la couronne : il en existe six en 1515 (Toulouse, Grenoble, Bordeaux, Dijon, Aix et Rouen). • Vers une justice centralisée (XVIeXVIIIe siècle). À l’époque moderne, la justice royale prend un ascendant croissant et réduit le rôle des autres tribunaux sans les faire disparaître. L’idée selon laquelle toute justice n’existe que par délégation royale permet en outre au souverain de se réserver le jugement des crimes qu’il estime les plus importants. Et la pyramide judiciaire monarchique se présente de manière de plus en plus hiérarchisée. Dans le monde rural, les prévôtés jugent toujours en première instance les homicides, les incendies, les blasphèmes, les rapts ou encore
les sortilèges. Au deuxième degré, le nombre de bailliages augmente, de 97 sous François Ier à plusieurs centaines au XVIIIe siècle, pour mieux prendre en compte les appels des prévôtés, ainsi que les cas royaux définis dans l’ordonnance criminelle de 1670. En 1552, Henri II a transformé certains bailliages en sièges présidiaux, leur donnant, en plus de leurs anciennes compétences, le droit de recevoir les appels venus des bailliages, ce qui soulage les parlements. D’une soixantaine au XVIe siècle, les présidiaux passent à une centaine à la fin de l’Ancien Régime, mais leur compétence s’est alors réduite. Au sommet du système, les parlements drainent de plus en plus de causes en appel. À Paris, de nouvelles chambres des enquêtes sont créées pour répondre à cet afflux : la Tournelle, spécialisée en matière criminelle, en 1515 ; la Chambre des vacations, en 1519. Dans les provinces, sept nouveaux parlements voient le jour (Dombes - supprimé en 1771 –, Bretagne, Pau, Metz, Franche-Comté, Flandres, Nancy), ainsi que des conseils souverains, qui ont des compétences identiques dans les régions frontières devenues françaises sous le règne de Louis XIV (Artois, Alsace, Roussillon) et en Corse (acquise en 1768). De la promulgation de l’édit de Nantes (1598) jusqu’à sa révocation (1685), certains parlements, dont celui de Paris, ont disposé, pour juger équitablement les protestants, d’une chambre mi-partie, composée de magistrats catholiques et protestants. Les Grands Jours, apparus au XVIe siècle, voient les membres d’un parlement se déplacer dans une ville de leur ressort en des circonstances exceptionnelles. Des juridictions extraordinaires ou d’exception complètent le tableau. Sans être juges, les prévôts des maréchaux poursuivent les vagabonds, les soldats criminels ou déserteurs, les repris de justice et les errants, puis convoquent un tribunal en choisissant des magistrats locaux et exécutent la sentence sans possibilité d’appel. Au XVIIIe siècle, la maréchaussée s’occupe de plus en plus de la sécurité des routes et du plat pays. Devenue « gendarmerie nationale » en 1791, elle perd alors sa juridiction prévôtale. Il faut ajouter à cela des tribunaux d’exception, composés de juges choisis par le roi pour trancher de graves problèmes, telle la Chambre ardente réunie pour juger l’affaire des Poisons après la mort suspecte d’Henriette d’Angleterre (1670), la belle-soeur de Louis XIV. Enfin, une volonté de spécialisation amène la royauté à créer de nouvelles juridictions tels la Maîtrise des
eaux et forêts, les Greniers à sel, la Cour des aides ou les Amirautés. Elles gèrent les causes civiles mais peuvent à l’occasion traiter une affaire criminelle de leur compétence. • Le système judiciaire contemporain. Après les expériences révolutionnaires, le système judiciaire se simplifie et se modernise. Le principe de la séparation des pouvoirs et celui de l’inamovibilité des juges l’emportent désormais. Trois types de juridictions voient le jour : créés en 1800, 361 tribunaux de première instance (d’arrondissement) demeurent quasiment inchangés jusqu’en 1919 ; 27 cours d’appel (plus celle de Chambéry, après 1860) reçoivent en 1856 la compétence sur les appels de tout leur ressort ; enfin, les cours d’assises sont instaurées en 1810 pour juger sans appel les affaires criminelles les plus importantes dans un département. En 1808, le Code d’instruction criminelle redéfinit un arsenal de condamnations plus « modernes », incluant la peine capitale, qui ne sera abolie qu’en 1981. Les tribunaux pour enfants complètent le système, en 1912. Puis deux réformes, en 1927 et en 1958, affinent l’organisation de l’ensemble. Aujourd’hui, on distingue les juridictions de l’ordre administratif et les juridictions de l’ordre judiciaire, civiles et pénales ; le tribunal des conflits peut être saisi pour arbitrer les conflits de compétence entre ces deux ordres. Ainsi, les 33 tribunaux administratifs, les cours administratives d’appel et le Conseil d’État (qui fait office de juge de premier ressort, d’appel ou de cassation, selon les cas) connaissent des litiges qui surgissent entre l’État ou l’administration et les particuliers. Concernant la justice civile, on trouve, au premier degré, une seule juridiction de droit commun : le tribunal de grande instance, qui a son siège au chef-lieu de chaque département et de certains arrondissements. Tous les autres tribunaux - dit « d’exception » - ont des compétences expressément définies par la loi : parmi ceux-ci, on compte les 473 tribunaux d’instance, mais aussi des juridictions plus spécialisées. Ainsi, l’essor indusdownloadModeText.vue.download 919 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 908 triel et tertiaire a contribué à la naissance des
conseils de prud’hommes, qui s’occupent des conflits individuels entre les salariés et leurs employeurs. Les tribunaux de commerce, qui connaissent des litiges nés à l’occasion des relations commerciales, se révèlent très actifs, en temps de crise économique, pour statuer en matière de « procédures collectives » (faillites). Les tribunaux paritaires des baux ruraux sont saisis des litiges entre propriétaires et exploitants agricoles locataires, et le tribunal des affaires de sécurité sociale du contentieux lié aux cotisations et prestations de sécurité sociale. Au civil, l’appel est une voie de recours de droit commun permettant un nouvel examen d’une affaire par une juridiction supérieure, la cour d’appel. En matière pénale, on distingue les contraventions, les délits et les crimes. Les premières sont passibles d’une peine d’amende et sont jugées par le tribunal de police. Les délits sont du ressort des 191 tribunaux correctionnels, qui peuvent prononcer des peines d’amende, d’emprisonnement (d’une durée inférieure à dix ans) ou de travaux d’intérêt général. Quant aux crimes - meurtres, assassinats, viols, incestes, hold-up, etc. –, ils relèvent des 102 cours d’assises, où siègent neuf jurés aux côtés de trois magistrats (le président et ses deux assesseurs). Pour les délits, un appel peut être interjeté devant la chambre des appels correctionnels de l’une des 35 cours d’appel, mais les jugements sanctionnant les crimes ne sont pas susceptibles d’appel puisqu’ils sont rendus par un jury populaire, censé représenter la nation. Toutefois, une loi sur la présomption d’innocence de juin 2000 instaure que la cour d’assises peut aussi connaître des appels formés contre les arrêts d’une autre cour d’assises ayant statué en premier ressort. Au niveau supérieur, enfin, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, siégeant à Paris, reçoit d’éventuels pourvois et statue, non pas sur le fond, mais en vue de vérifier si les règles de droit ont été bien appliquées par les cours d’appel pour un délit et par les cours d’assises pour un crime. Si elle casse la décision de ces juridictions, l’affaire est alors renvoyée devant une autre cour d’appel ou d’assises. Un besoin impérieux de réforme de la carte judiciaire s’est manifesté, à la suite de grands déséquilibres régionaux qui ont surgi dans le traitement de certains contentieux. Cependant, pour conserver les prérogatives judiciaires et les emplois, certains élus de petites villes refusent la disparition d’instances trop peu chargées, tandis que d’autres tribunaux se trouvent engorgés. Sont donc apparus,
en matière civile, les « audiences foraines » (tribunaux ambulants) et le principe du juge unique (institué notamment pour les affaires familiales) pour répondre à un souci d’efficacité face au nombre croissant d’affaires soumises à la justice. Le Conseil constitutionnel a cependant condamné l’extension de ces pratiques au criminel. En fait, l’adaptation des tribunaux à la société d’aujourd’hui se veut plus que jamais pragmatique. tricoteuses, surnom donné aux femmes révolutionnaires, dont l’apparition et le sens soulèvent plusieurs interrogations historiques. On croit aujourd’hui qu’il désignait pendant la Révolution les femmes du peuple qui auraient tricoté dans les assemblées ou devant la guillotine, et on lui associe donc une image de férocité sanguinaire. Or, le terme n’apparaît qu’en 1795, dans le discours « modéré », où il est d’ailleurs très peu fréquent, nettement moins que l’expression « habituées des tribunes ». De plus, il n’est alors jamais employé pour évoquer l’assiduité aux exécutions (on préfère parler des « furies de guillotine »), mais en référence à l’action politique des militantes, à leur présence active dans les tribunes de la Convention ou des clubs - où aucun témoignage n’indique qu’elles y auraient tricoté, pas plus que devant la guillotine. En revanche, « tricoteuses » semble avoir été une injure (rare) au XVIIIe siècle. Pourquoi alors ce qualificatif, peu usité, a-t-il éclipsé les autres, plus expressifs ? Caractériser par une fonction domestique (le tricot), la femme qui fait acte politique souligne la déviance de celle qui franchit la barrière entre privé (féminin) et public (masculin), et l’anormalité de sa présence dans l’espace politique. Déviance qui est censée déboucher sur la férocité : une fois franchi le seuil de leur maison, les femmes deviendraient des monstres. Au XIXe siècle, l’imaginaire et la littérature (en particulier Dickens dans Tale of two Cities) ont ainsi fait passer les tricoteuses des tribunes publiques au pied de l’échafaud, et les ont érigées en symbole de la violence, révolutionnaire, féminine, populaire. tripartisme, terme qui désigne la coalition au pouvoir entre janvier 1946 et mai 1947, regroupant le Parti communiste français (PCF), la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) et le Mouvement républicain populaire (MRP). À la suite de la démission du général de Gaulle
de la présidence du Gouvernement provisoire (20 janvier 1946), seule une coalition des principaux partis vainqueurs des élections de 1945 est en mesure d’exercer le pouvoir. Après le refus des socialistes (23,4 % des voix aux élections d’octobre 1945) de rejoindre les communistes (premier parti de France, avec 26,2 % des voix) au sein d’un gouvernement de gauche, c’est la formule d’une union tripartite incluant le MRP (23,9 % des voix) qui finit par s’imposer. Cette combinaison politique est moins l’expression d’une volonté délibérée et unanime de ses participants qu’un mariage de raison résultant de l’impossibilité momentanée de présenter une autre formule politique. La charte signée le 23 janvier 1946 par les trois partis fait figure de « pacte de non-agression », et le gouvernement du socialiste Félix Gouin relève d’un jeu d’équilibres instables. Le rejet par les électeurs d’un premier projet constitutionnel, en mai 1946, renforce les tensions, le MRP, favorable au bicamérisme et à un exécutif plus fort, ayant appelé au vote négatif. Son président, Georges Bidault, prend alors la tête du gouvernement (23 juin-12 décembre 1946). Ce ne sont pas pourtant des problèmes d’ordre institutionnel, mais plutôt de politique extérieure qui vont venir à bout du tripartisme. Après un éphémère gouvernement socialiste homogène conduit par Léon Blum, le socialiste Paul Ramadier forme un gouvernement « d’accord général » (janvier 1947), comprenant, au-delà des trois partis principaux, des représentants de petites formations. Au mois de mars, les députés communistes refusent de voter les crédits militaires destinés à financer la guerre d’Indochine. L’aggravation de la guerre froide rend la situation intenable. Au moment où la France est amenée à se ranger derrière les États-Unis, dans le camp des démocraties occidentales, le maintien de ministres communistes au gouvernement semble condamné. Le 4 mai 1947, rompant ouvertement avec la solidarité gouvernementale, les députés communistes refusent de voter la confiance demandée par Ramadier à propos de la politique économique et salariale. C’est l’occasion de la rupture. Les ministres communistes sont renvoyés du gouvernement le 5 mai, et le PCF se trouve marginalisé. À l’automne 1947, la recomposition politique autour des partis hostiles à la fois aux gaullistes et aux communistes aboutit à une formule de gouvernement qui unit socia-
listes, MRP, radicaux et ceux qu’on appellera bientôt les « indépendants » : ces formations, « condamnées à vivre ensemble » (Henri Queuille), composent la « troisième force ». Triple-Alliance de La Haye ! Haye (Triple-Alliance de La) Triple-Entente, système d’alliance non formelle entre la France, la Russie et le Royaume-Uni (1907). Reposant sur l’Alliance franco-russe de 1891 et sur l’Entente cordiale franco-britannique de 1904, la Triple-Entente est complétée par le rapprochement anglo-russe, qu’encourage vivement la France. L’inquiétude britannique face aux ambitions allemandes et l’affaiblissement de la Russie (1905 : défaite face au Japon et révolution) permettent, malgré les réticences de l’opinion anglaise à l’égard du régime tsariste, la signature d’une convention, le 30 août 1907, qui règle les principaux litiges (Tibet, Afghanistan, Perse). Cette entente est cependant fragile : Londres n’a aucun engagement précis et n’est pas entièrement insensible aux ouvertures de Berlin, qui cherche à briser son encerclement (crises bosniaque et d’Agadir). Toutefois, de 1912 à 1914, les liens militaires et diplomatiques se resserrent entre les trois pays ; si bien que l’opposition entre la Triple-Entente et la Triple-Alliance qu’elle équilibre efficacement (maîtrise des mers, réserves d’hommes) - peut engendrer un conflit généralisé. L’entrée en guerre des Britanniques, le 5 août 1914, transforme l’Entente en une véritable alliance. Même si les trois États poursuivent des buts différents, ils rejettent ensemble toute paix séparée (septembre 1914), cosignent le traité de Londres (26 avril 1915, entrée en guerre de l’Italie), et se concertent lors de conférences interalliées. Pour conforter l’alliance avec la Russie, downloadModeText.vue.download 920 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 909 Londres et Paris acceptent même en 1915 d’éventuelles annexions (Constantinople, les Détroits) ; mais, quand les bolcheviks engagent unilatéralement des négociations avec les Empires centraux, la Triple-Entente disparaît (décembre 1917). Tristan (Flore Tristan Moscoso, dite Flora), femme de lettres et féministe (Paris 1803 - Bordeaux 1844).
Née d’un père péruvien, officier en Espagne, et d’une mère française, Flora Tristan passe sa jeunesse à Paris et s’y marie en 1821. Dès 1825, pourtant, elle quitte le domicile conjugal pour échapper à une union désastreuse, séjourne en Angleterre, puis s’embarque pour le Pérou (1833), où elle espère faire valoir ses droits à l’héritage paternel. À son retour en France (1835), elle publie une brochure intitulée Nécessité de faire bon accueil aux femmes étrangères, puis un récit de son voyage au Pérou, significativement intitulé Pérégrinations d’une paria (1837), dans lequel elle laisse éclater son indignation face au sort réservé aux femmes de toutes conditions en Amérique latine. Elle-même entend illustrer par sa vie privée la liberté dont la femme est statutairement et moralement privée dans la société. Ayant obtenu la séparation de corps d’avec son mari (1837), qui n’a cessé de la poursuivre, elle est sauvagement agressée par lui et quitte de nouveau la France pour l’Angleterre, après une longue convalescence. Dès lors, son action de militante itinérante et son oeuvre littéraire sont influencées par le socialisme utopique. Ses Promenades dans Londres (1840), avec une édition « populaire » remaniée en 1842, où est dénoncée l’aristocratie insolente, comme le Journal inédit de son tour de France effectué de 1843 à 1844, qui fustige la bourgeoisie provinciale, mettent au premier plan le rôle de la coopération, la fameuse « union ouvrière » à laquelle elle consacre un ouvrage (publié en 1843), pour lutter contre l’exploitation du prolétariat. La place qu’elle réserve aux femmes dans la résolution de la « question sociale » – par l’associationnisme éducatif et philanthropique – fait de Flora Tristan l’une des figures pionnières du féminisme socialiste pré-marxiste. triumvirat, terme désignant pendant la Révolution française, sous la Constituante, le groupe constitué d’Antoine Barnave, d’Adrien Duport et d’Alexandre de Lameth. Hostiles à la société d’Ancien Régime - le premier a défendu le principe de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le deuxième est à l’origine du vote par l’Assemblée de l’arrêté du 4 août 1789 relatif à l’abolition du régime féodal, le troisième se prononce en faveur de la séparation des pouvoirs et du veto suspensif –, ces constituants bénéficient d’une importante popularité au début de la Révolution. Ils défendent, par la suite, des idées modérées proches de celles de Mirabeau, dont ils poursuivent en quelque sorte le combat après sa mort, le 2 avril 1791. Partisans d’une
monarchie constitutionnelle disposant d’un exécutif puissant, ils militent en faveur du renforcement des pouvoirs du roi et de l’élévation du cens. Ils sont hostiles à l’émancipation des hommes de couleur comme à l’abolition de l’esclavage dans les colonies (Lameth a pourtant été membre de la Société des amis des Noirs), et cherchent à arrêter le cours de la Révolution, qu’ils estiment menacée, entre autres, par la radicalisation des revendications populaires. Ils fondent alors le Club des feuillants en quittant, après la fuite de Louis XVI à Varennes (1791), le Club des jacobins. Mais, à ce moment, les triumvirs sont de plus en plus isolés. Parallèlement à leurs activités publiques, au cours de l’été 1791, ils deviennent les conseillers clandestins du roi, avant d’être contraints à l’exil (Duport et Lameth) ou condamnés à la guillotine (Barnave). Trocadero (bataille du), principale victoire française pendant l’expédition d’Espagne, remportée le 31 août 1823. En 1820, un pronunciamento a imposé une Constitution libérale au roi Ferdinand VII d’Espagne, devenu quasiment prisonnier des Cortes. Réunis à Vérone à l’automne 1822, les représentants des puissances de la SainteAlliance, sous la pression des ultras, décident de confier à la France une intervention militaire pour rétablir l’absolutisme. Louis XVIII et le Premier ministre Villèle sont réticents, mais Chateaubriand, qui vient d’être nommé ministre des Affaires étrangères, leur force la main. Commandée par le duc d’Angoulême, l’armée française entre à Madrid, sans résistance, le 24 mai 1823, et poursuit le gouvernement libéral, qui s’est réfugié à Cadix. Le 31 août, la prise du fort Trocadero, qui défend cette ville, est décisive et permet la libération de Ferdinand VII. Contrairement aux soldats de Napoléon quinze ans plus tôt, ceux de Louis XVIII sont accueillis en libérateurs, par une population majoritairement royaliste. Paradoxalement, c’est avec ses alliés, les absolutistes espagnols, que le duc d’Angoulême a le plus de mal. Il s’oppose courageusement à leurs excès et se brouille ainsi rapidement avec Ferdinand VII, refusant le titre de prince de Trocadero qui lui est offert. Il regagne la France, laissant sur place un corps expéditionnaire de 45 000 hommes, jusqu’en 1828. Le succès de l’expédition d’Espagne consacre en France le triomphe des ultras, qui viennent par ailleurs de démanteler la char-
bonnerie. Cette « simple promenade » militaire rétablit, à bon compte, le prestige international de la France, humiliée depuis 1814. Trochu (Louis Jules), général et homme politique, président du gouvernement de la Défense nationale (Le Palais, Morbihan, 1815 - Tours 1896). Aide de camp de Bugeaud en Algérie, de Saint-Arnaud en Crimée, où il devient général de brigade en 1854, il fait la campagne d’Italie de 1859 en tant que général de division. Chargé d’étudier la réorganisation de l’armée, il publie en 1867 l’Armée française, ouvrage critique où transparaissent des sentiments orléanistes, ce qui lui vaut d’être laissé sans emploi jusqu’en août 1870. Trochu se voit alors confier l’organisation du XIIe corps au camp de Chalons, avant d’être nommé gouverneur de Paris par Napoléon III, dont il doit précéder le retour. Tenu à distance par le comte de Palikao, il est en revanche soutenu par l’opposition et bénéficie d’une certaine popularité ; il accepte d’entrer dans le gouvernement de la Défense nationale (4 septembre 1870), à condition de le présider. Mais la longueur du siège de Paris et l’échec des tentatives de sortie, auxquelles il refuse d’associer la Garde nationale, le rendent impopulaire et le conduisent à démissionner de son poste de gouverneur après le dernier échec de Buzenval, en janvier 1871. Élu député en février, il doit faire face aux critiques de tous bords sur son bilan. Devenu favorable à un régime républicain conservateur, il répond aux rapports de la commission d’enquête parlementaire sur les actes du gouvernement de la Défense nationale par des discours puis par une série d’ouvrages, publiés entre 1871 et 1874 ; il intente même un procès au Figaro en mars 1872. Retiré de la vie publique dès 1872, il laisse des OEuvres posthumes en forme de plaidoyer pour son action. trois ans (loi de), loi du 9 août 1913 allongeant d’une année la durée du service militaire obligatoire, instauré en 1905. La faiblesse démographique du pays, la crainte d’une brusque attaque allemande avivée par les projets de réarmement outre-Rhin et le souhait de conforter l’alliance francorusse incitent les milieux dirigeants militaires (Joffre) et politiques (Poincaré, Briand, Barthou) à proposer cette réforme, qui va susciter une vive polémique. Les nationalistes, certains catholiques (Albert de Mun), les modérés de la droite jusqu’au centre gauche
(Clemenceau) - ces derniers obéissant à des motifs défensifs –, la jugent nécessaire. Leur campagne de presse présente cette affaire comme une question « nationale » devant transcender les clivages politiques. En face, les antimilitaristes, les pacifistes, la CGT, les socialistes, une partie des radicaux (Caillaux), s’y opposent fermement. La SFIO organise une campagne de masse (pétitions, meetings) ; avec Jaurès (l’Armée nouvelle, 1911), elle met en avant l’idée de « nation armée » reposant sur des milices et d’efficaces troupes de réserve. L’agitation dans certaines casernes incite le pouvoir à renforcer la surveillance des milieux d’extrême gauche. Adoptée au Parlement après un débat houleux, la loi reste contestée ; mais ses détracteurs sortent encore minoritaires des élections de 1914. Avec ce texte, qui n’a pas eu d’utilité militaire directe, sont apparues d’inquiétantes divisions mais aussi un rapprochement des forces de gauche et un discours d’« union sacrée ». Trois-Évêchés (les), partie de la province de Lorraine distincte du duché et centrée sur les trois villes épiscopales de Toul, Metz et Verdun ; elle ne correspond pas aux trois diocèses, qui recouvrent, eux, l’ensemble de la province (jusqu’à la création des évêchés de Nancy et Saint-Dié, en 1777). La partition interne de la Lorraine est héritée de la politique des rois germaniques du haut Moyen Âge. Au début du XVIe siècle, les évêchés, intégrés dans l’Empire mais militairement fragiles, sont déjà en partie sous downloadModeText.vue.download 921 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 910 influence française. En janvier 1552, pour répondre à l’aide militaire et financière que le roi de France leur fournit, les princes protestants allemands lui concèdent - sans avoir qualité pour ce faire - le droit de prendre le contrôle de ces trois cités de langue française. Baptisé pour l’occasion « vicaire de l’Empire », Henri II fait son entrée dans les villes au printemps et y installe des garnisons. Il y voit sans doute une monnaie d’échange utile pour ses ambitions italiennes. Charles Quint réagit et vient, avec une immense armée de 55 000 hommes et 150 canons, mettre le siège devant Metz, défendu par François de Guise. L’échec de l’empereur, après plus de deux mois d’efforts (octobre 1552-janvier 1553) a un énorme retentissement. L’impor-
tance stratégique de Metz est mise en évidence : désormais, les Français s’installent durablement dans les Trois-Évêchés, dont le sort n’est pourtant pas évoqué au traité du CateauCambrésis (1559) ; il ne s’agit donc que d’une occupation de facto. Le roi de France est représenté par des gouverneurs et par un « président royal » (administrateur civil), établi à Metz. Même si les Français donnent la priorité aux mesures militaires, leur présence contribue néanmoins à distendre progressivement les liens politiques entre les villes et l’Empire. Sous le règne d’Henri IV, une action énergique est menée (serment de fidélité, contrôle plus strict des évêques) : en 1610, il ne s’agit plus d’une simple protection, mais nettement d’une sujétion. Les institutions suivent : un parlement est créé à Metz en 1633, un intendant nommé dès 1637. Les traités de Westphalie (1648) reconnaissent officiellement la souveraineté française sur les Trois-Évêchés, désormais désignés sous le nom de « généralité de Metz ». Le rattachement définitif du duché de Lorraine au royaume (1766) ne met pas un terme à la partition administrative de la province. Les habitants du duché relèvent en effet d’une nouvelle généralité, celle de Nancy. C’est la réorganisation révolutionnaire qui, en remodelant les circonscriptions, fait disparaître les Trois-Évêchés. Trois Glorieuses ! juillet 1830 (journées des 27 28 et 29) troisième force, expression désignant la coalition politique entre plusieurs partis de gouvernement de la IVe République qui, de 1947 à 1951, unissent leurs efforts contre une double opposition, celle du Parti communiste français (PCF) et celle du Rassemblement du peuple français (RPF), créé par le général de Gaulle en avril 1947. Le noyau dur de la troisième force, constitué par les socialistes et les républicains populaires, prend acte de l’éclatement du tripartisme qui avait fondé la IVe République. Les débuts de la guerre froide entraînent, en effet, un durcissement dans l’attitude du PCF, dont les ministres sont révoqués par le président du Conseil socialiste Ramadier le 5 mai 1947. Mais l’opposition du RPF est tout aussi dangereuse pour les défenseurs des institutions de la IVe République. Les périls extérieurs poussent donc à l’union la SFIO et le MRP, qui s’opposent cependant sur bien des points, notamment dans la querelle de la laïcité. La troisième force connaît une évolution
sensible, jusqu’à sa désagrégation en 1951. Après la chute du gouvernement Ramadier (novembre 1947), un gouvernement ouvert au centre droit est formé par le MRP Robert Schuman. La SFIO abandonne ainsi aux Républicains populaires le rôle principal dans la constitution des majorités. La mésentente favorise l’arbitrage d’autres formations comme le Parti radical - pourtant discrédité par son identification à la IIIe République -, ou la droite modérée. Le radical Henri Queuille constitue ainsi son gouvernement (11 septembre 1948) avec une majorité élargie comprenant le Parti radical, l’UDSR, le MRP, la SFIO et la droite modérée. Revenu au pouvoir en mars 1951, il préconise un compromis électoral qui, en permettant l’apparentement entre listes distinctes, isole le PCF et le RPF. La troisième force, avec 50,49 % des suffrages exprimés et 388 sièges sur 627, sort confortée des élections législatives du 17 juin 1951. Mais la coalition éclate à propos des lois Marie et Barangé, l’une d’origine gouvernementale, l’autre d’origine parlementaire (MRP), qui prévoient d’accorder des bourses aux élèves de l’enseignement secondaire privé et une aide aux écoles primaires, privées comme publiques. Les textes sont votés en septembre 1951 par le MRP, une partie des radicaux et le RPF. Les socialistes, refusant cette atteinte à la laïcité, font chuter le gouvernement Pleven (janvier 1952). Après le bref gouvernement du radical Edgar Faure, Antoine Pinay, dirigeant du Centre national des indépendants et paysans, est investi le 6 mars 1952 grâce à l’apport des voix de 27 députés RPF. C’est le signe d’un début de parlementarisation du RPF et la preuve qu’une majorité gouvernementale autour de la droite peut désormais se substituer à la troisième force, dont la principale faiblesse a été l’absence de cohérence. Tronchet (François Denis), juriste et homme politique (Paris 1726 - id. 1806). Fils d’un procureur au parlement de Paris, avocat à 19 ans, Tronchet, devenu grâce à ses consultations (rédactions de notes savantes) une célébrité du barreau de Paris - il est élu bâtonnier en mai 1789 -, est un grand juriste plutôt qu’un politique. Cette caractéristique éclaire toute sa carrière sous la Révolution. Élu député aux états généraux de 1789 et signataire du serment du Jeu de paume, il est partisan de la conciliation et apparaît comme un modéré. Pourtant, sans être membre d’aucun club, ce spécialiste du droit coutumier est très écouté à l’Assemblée constituante, où il intervient souvent, essentiellement sur les questions relatives aux droits féodaux et au
système judiciaire. Juge à la Haute Cour de justice (1791), il accepte, en décembre 1792, d’être l’un des défenseurs du roi lors de son procès, conseillant Malesherbes et de Sèze sur le principe de l’inviolabilité royale. Ce qui le contraint à une prudente retraite au lendemain de la chute des girondins (31 mai 1793), jusqu’à celle de Robespierre le 9 thermidor an II (27 juillet 1794). Sous le Directoire, il siège au Conseil des Anciens (1795-1799), et, sous le Consulat, ses compétences juridiques comme sa modération lui valent nombre d’honneurs. Il est ainsi nommé président du Tribunal de cassation (1800), puis président de la commission chargée de rédiger le Code civil, à laquelle il apporte son pragmatisme et son esprit de compromis. L’année suivante, il entre au Sénat, qu’il préside en 1802. Officier de la Légion d’honneur (1804), il est inhumé au Panthéon en mai 1806. Troppmann (affaire), célèbre affaire judiciaire du second Empire (septembre 1869-janvier 1870). Le 20 septembre 1869, six cadavres atrocement mutilés sont découverts dans le champ d’un agriculteur de la plaine de Pantin, au nord de Paris. Ce sont ceux d’une mère de famille, et de cinq de ses enfants. Les Kink sont arrivés, le 19 septembre, de Roubaix pour un mystérieux rendez-vous - semble-t-il, avec le père de famille, parti faire fortune dans les Vosges. Au terme d’une enquête menée tambour battant par la police scientifique, Jean-Baptiste Troppmann, un jeune mécanicien alsacien de 19 ans, fait figure de principal suspect. Le mobile du crime, pourtant, reste obscur : crime passionnel ou meurtre motivé par la cupidité ? Nul ne le sait encore, le jour où Troppmann est condamné à mort. Son exécution, le 19 janvier 1870, draine une foule importante : celle des lecteurs du Petit Journal, qui vend jusqu’à 500 000 exemplaires par jour grâce à cette affaire ; celle des curieux qui vont en pèlerinage sur le lieu du crime ; celle des amateurs d’émotions fortes. Les journaux notent le courage du condamné. Mais ils témoignent surtout des peurs de l’opinion : phobie des ouvriers, incarnés par Troppmann qui s’est attaqué à une honnête famille bourgeoise, phobie du monstre au mobile incertain, phobie de l’Alsacien tenu pour un agent de l’Allemagne. En inventant le « fait divers », la presse populaire sait en tirer profit. Elle offre à l’historien une grille de lecture des angoisses de la fin du second Empire. troubadours et trouvères, poètes qui
mettent en oeuvre diverses formes de l’idéologie courtoise. Le terme de « troubadours » calque le vocable occitan trobadores, issu du bas latin tropare (« composer des mélodies appelées tropes », puis « trouver », « créer ») ; « trouvères » représente l’évolution septentrionale du mot. Comme cette étymologie l’indique, troubadours et trouvères écrivent des chansons (d’une cinquantaine de vers en moyenne). Dans les années 1130-1150, une première génération de troubadours, venue du Poitou, du Limousin ou de la Saintonge, nuance et enrichit la fin’amor, dont Guillaume IX d’Aquitaine a jeté les bases. Sans réelle synthèse théorique, se met en place une métaphysique érotique : l’Amant, entièrement soumis, acceptant la concurrence avec ses rivaux, stimulé par tous les obstacles (notamment sociaux, la fin’amor étant essentiellement adultère), voue à sa Dame un amour sublimé, exclusif et définitif ; il discipline son langage et son désir, à soi-même sa propre récompense, bien que satisfait in fine. Mais chaque auteur adapte ce cadre. Ainsi, Cercamon redownloadModeText.vue.download 922 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 911 prend à Guillaume IX sa conception sensuelle de l’amour. Marcabru, son disciple présumé, inaugure la tradition du trobar clus (clos, fermé), c’est-à-dire d’un hermétisme présenté comme une nécessité, la perfection du chant garantissant la force de l’amour. Enfin, Jaufré Rudel développe le thème de l’« amour de loin », sentiment mystique envers la plus belle des femmes, réelle (la comtesse de Tripoli ?) ou imaginaire, qu’il n’a jamais vue et ne verra peut-être jamais. Bernard de Ventadour, sans doute le troubadour le plus célèbre de son vivant, assure la transition avec la génération suivante. Ce protégé d’Aliénor d’Aquitaine et du comte de Toulouse Raimond V insiste sur les liens de vassalité qui unissent le soupirant à sa Dame, non toutefois sans réclamer ses ultimes faveurs. Grâce à sa créativité, le chant courtois, où tension de l’expression et élan du désir vont de pair, s’épanouit totalement. La « génération classique », après 1150, a pour figures de proue les Périgourdins Arnaud de Mareuil, Guiraut de Borneil, friand de
dialogue lyrique et de poésie morale, Arnaud Daniel - selon Dante, « le plus grand artiste » de tous, en raison d’une virtuosité dans le jeu des rimes et des sons - et Bertrand de Born, grand seigneur qui se tourne vers une poésie politique. Le Provençal Raimbaud d’Orange cultive, quant à lui, une forme précieuse et subtile, tandis que le Toulousain Peire Vidal, qui vit jusqu’au début du XIIIe siècle, choisit, pour exprimer sa fantaisie, une expression plus claire. À partir de 1160, l’érotique des troubadours passe en France du Nord. Les poètes lyriques, les « trouvères », l’infléchissent : insistance sur l’ascèse de l’Amant, importance des épreuves chevaleresques, codification précise des étapes à franchir pour accéder à la Dame, retenue face à la sexualité et aux descriptions érotiques. Gace Brulé et Conon de Béthune (fin XIIe siècle), Guiot de Provins (début XIIIe siècle) et Thibaud de Champagne (deuxième quart du XIIIe siècle) contribuent ainsi à la vision « platonique » - en partie fausse - de l’idéologie courtoise. troupes coloniales, unités plus spécialement destinées à servir aux colonies. Sous l’Ancien Régime et encore au début du XIXe siècle, la défense des colonies fait l’objet de tâtonnements successifs. À certaines périodes, cette défense est assurée par des troupes spécifiques, de recrutement local ; à d’autres, elle relève de régiments de la métropole, séjournant outre-mer à tour de rôle. Une clarification apparaît sous la monarchie de Juillet, avec la création de 2 régiments de marine en 1831, portés à 3 en 1838 et à 4 en 1858. En 1890, on compte 8 régiments stationnés en France et 4 aux colonies. L’infanterie de marine participe non seulement à la défense de possessions d’outre-mer, mais aussi à celle de la métropole, comme le prouvent les « marsouins », qui s’illustrent à Sedan (1870) et pendant le siège de Paris. Avec la création du ministère des Colonies, détaché de celui de la Marine, l’infanterie de marine est placée sous la direction du ministère de la Guerre (1900) et prend le nom d’« infanterie coloniale ». Sur 19 régiments, 12 stationnent en métropole. Toutefois, des forces métropolitaines peuvent servir dans les colonies, ainsi que la Légion et des régiments de tirailleurs algériens ou tunisiens. Dès la fin du second Empire, des troupes indigènes ont été intégrées dans l’infanterie coloniale. On compte 37 bataillons de tirailleurs séné-
galais en 1914, et 92 en 1918. L’appellation est d’ailleurs trompeuse : le recrutement de ces soldats ne se limite pas au Sénégal mais concerne toute l’Afrique noire. S’ajoutent à ces unités indigènes, 7 régiments levés en Indochine et 3 à Madagascar. Entre les deux guerres, pour pallier les difficultés de recrutement liées au déficit des naissances et à la réduction de la durée du service militaire, un nouveau développement est donné aux troupes coloniales, qui comptent 8 divisions en 1939, composées pour les deux tiers d’indigènes. Ces unités tiennent une grande place dans la Ire armée française, en 1944-1945. Depuis la décolonisation, l’infanterie coloniale a repris le nom d’« infanterie de marine », sans pour autant retomber sous le contrôle de la Rue Royale. Intégrées dans plusieurs grandes unités, ces troupes sont composées en majorité de soldats professionnels. Fortes de près de 35 000 hommes, elles comptent 16 régiments stationnés en métropole et 7 autres basés outre-mer. Dans le cadre de l’ONU, elles ont participé à des missions humanitaires ou d’interposition au Liban, en Somalie ou en Bosnie. Troyes (traité de), accord de paix conclu le 21 mai 1420, pendant la guerre de Cent Ans, par lequel le roi de France Charles VI reconnaît comme héritier de la couronne le roi Henri V d’Angleterre. Ce traité intervient dans un contexte politique très complexe. D’une part, depuis 1415, Henri V d’Angleterre a entrepris la conquête du royaume de France : après avoir remporté la bataille d’Azincourt (25 octobre 1415), il s’empare progressivement de la Normandie, et menace directement Paris (1419). D’autre part, le roi de France, Charles VI, atteint de crises de folie depuis 1392, est incapable de gouverner. Le royaume voit alors s’affronter différents princes, en particulier les ducs d’Orléans et de Bourgogne, dont la lutte se transforme en une violente guerre civile. Lorsque des partisans du dauphin Charles (futur Charles VII) assassinent le duc de Bourgogne, Jean sans Peur, à Montereau (10 septembre 1419), la France est véritablement coupée en deux camps irréconciliables, laissant les Anglais maîtres du jeu. Henri V, qui revendique la couronne de France, conclut tout d’abord une alliance avec le nouveau duc de Bourgogne, Philippe le Bon, soucieux avant tout de venger le meurtre de son père en s’attaquant au dauphin. Le duc persuade
ensuite la reine, Isabeau de Bavière, qui dépend politiquement et financièrement de lui, d’accepter les conditions anglaises. Le traité de Troyes est donc signé en mai 1420. Il stipule que Charles VI déshérite son fils unique et exclut de la succession royale ce « soi-disant dauphin », justifiant cet acte par le meurtre perpétré à Montereau. Il donne sa fille Catherine en mariage à Henri V, qui devient ainsi son fils, héritier de la couronne à sa mort et, immédiatement, régent du royaume. Les deux pays restent toutefois séparés, conservant chacun leurs coutumes, leurs droits, leurs institutions et leur monnaie. Enfin, les contractants jurent de ne pas traiter séparément de paix avec le dauphin. Peu après, les Parisiens et une assemblée des trois états acceptent le traité. Cependant, cet accord demeure sans effet puisqu’il n’épargne pas au roi d’Angleterre une guerre de conquête contre le dauphin, qui dispose d’institutions et d’un gouvernement viables dans la moitié sud de la France ; de plus, ses partisans ont tout de suite déclaré le traité juridiquement nul, arguant que le roi ne peut disposer de la couronne à sa guise : selon la loi salique, elle doit revenir au fils aîné du souverain ; la légitimité reposant sur le sang, le roi ne peut ainsi déshériter son successeur. Le « honteux traité de Troyes » - ainsi est-il passé dans la mémoire nationale - n’a donc apporté aucune issue politique à la guerre de Cent Ans, ni à la division du royaume, destinée à perdurer encore plus de deux décennies. Trudaine (Daniel Charles), sieur de Montigny et de Champigny, grand administrateur (Paris 1703 - id. 1769). Fils d’un prévôt des marchands de Paris, il est conseiller au parlement (1721) puis maître des requêtes (1727), rédacteur de textes de loi au sein du Bureau de législation du chancelier d’Aguesseau. Intendant d’Auvergne (1730), bientôt conseiller d’État, il reçoit de Gaumont, l’oncle de son épouse, sa charge d’intendant des Finances (1734). Lorsque s’y ajoutent celles d’intendant du Commerce (1749) et de conseiller au Conseil royal du commerce et au Conseil royal des finances, ce membre honoraire de l’Académie des sciences (1743) devient le maître d’oeuvre de la politique économique du Contrôle général des finances. Il dirige l’aménagement routier voulu par Orry en créant un Bureau de cartographes (1744), transformé en une École d’ingénieurs des ponts et chaussées (1747), confiée à l’ingénieur Perronet. Il prévoit aussi l’ouverture
d’une École d’ingénieurs des mines (qui ne verra le jour qu’en 1783), crée un Bureau des mines, et conçoit la réglementation de l’exploitation des mines de houille (1744). Il protège encore l’installation de manufactures nouvelles, organise la fondation des premières sociétés d’agriculture (1760), chapeautées par le Comité d’agriculture installé en 1759 au Contrôle général, élabore avec le contrôleur Bertin les édits qui encouragent les défrichements et les partages de terrains communaux (1761-1762), ainsi que la déclaration de mai 1763 libéralisant la circulation des grains dans le royaume. Affaibli par la maladie à partir de 1759, il s’adjoint son fils Jean Charles Philibert Trudaine de Montigny (1733-1777), qui, à sa mort, lui succède dans ses charges. tuchins, paysans révoltés à la fin du XIVe siècle. Le tuchinat, ou révolte des tuchins, est un mouvement social parti d’Auvergne et du Languedoc, vers 1360. Cette année-là, par le traité de Brétigny, le roi de France Jean le Bon downloadModeText.vue.download 923 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 912 (1350 -1364), emprisonné, est obligé d’abandonner à son adversaire le roi Édouard III d’Angleterre une grande partie de l’Auvergne et du Languedoc. Ces provinces entrent dans la nouvelle principauté anglaise gouvernée par le Prince noir et, comme les régions voisines, sont alors occupées, pendant des années, par les compagnies anglaises, groupes de soldats détachés de leurs armées qui vivent « sur le pays » en pillant et en rançonnant ses populations. C’est dans ce contexte que les paysans du Languedoc, excédés, commencent à attaquer dès les années 1360 les châteaux, s’en prenant aux nobles, mais aussi aux clercs et aux plus riches laboureurs. Cette jacquerie exprime le mécontentement des plus pauvres des paysans à l’égard des diverses charges, notamment fiscales, et des exactions qui les affament. Sous le règne de Charles V (1364-1380), dans le Toulousain, le Limousin, le Rouergue et le Poitou, des groupes d’insurgés se forment çà et là, organisés en compagnies armées et assermentées, qui ont parfois même des chefs issus de la petite noblesse et que l’on assimile à des brigands. Ce n’est qu’au début du règne de Charles VI (1380-1422), après la recon-
quête, que le duc de Berry, lieutenant général du roi en Languedoc, procède à une répression très dure et soumet tout le pays à une forte amende (1382). Tuileries (palais des), résidence parisienne de six rois et de deux empereurs, entre 1667 et 1870, et haut lieu révolutionnaire, aujourd’hui disparu. • Un lieu de fastes et de spectacles. C’est Catherine de Médicis qui fait élever le palais à partir de 1564, au-delà de la muraille érigée par Charles V, sur le site de fabriques de tuiles du XIIe siècle. Le projet est confié à Philibert Delorme, puis à Jean Bullant, qui bâtissent une demeure de plaisance rectangulaire ouverte sur la campagne et perpendiculaire à la Seine. Le premier dôme édifié à Paris couronne son pavillon central. À l’ouest, le Florentin Bernardo Carnessechi lui adjoint un parc « à l’italienne » ceint de hauts murs (1564-1567). Par la galerie du Bord-de-l’Eau et le pavillon de Flore, Henri IV relie le Louvre aux Tuileries, que Mazarin puis Colbert chargent Le Vau d’agrandir et de réaménager. Un nouveau dôme, quadrangulaire, surmonte le pavillon central après qu’une aile nord a été édifiée, symétrique de l’aile sud et terminée par le pavillon de Pomone (aujourd’hui, pavillon de Marsan). Les scénographies des Tuileries donnent alors son lustre à la monarchie : Mazarin y fait aménager par Vigarani le théâtre « à l’italienne » (1659-1662), destiné aux premières représentations d’opéra en France ; en 1662 se déroule un fameux carrousel sur la place ménagée devant la façade orientale du château. En 1666, Le Nôtre redessine le parc : autour de bassins centraux, aux parterres en arabesques qui s’étalent au pied du palais, succède une région boisée bordée par deux terrasses surplombant les perspectives tracées au-delà du parc, vers la campagne au couchant (les Champs-Élysées), et vers le fleuve, au midi. De 1667 à 1672, Louis XIV réside deux mois par an dans ce palais rénové, puis les Tuileries sont abandonnées pour Versailles - sauf pendant la minorité de Louis XV. Des particuliers y occupent des appartements ; l’orchestre du Concert spirituel (1725-1790) s’y produit ; l’Opéra (1763-1770) puis la Comédie-Française (1770-1782) s’y réfugient. Séparé par un fossé de la place Louis-XV (aujourd’hui place de la Concorde), son jardin public offre cafés, chaises à louer et bancs aux promeneurs ; la société y est mêlée, à l’exclusion des pauvres en haillons, des domestiques et des soldats.
• Un centre du pouvoir politique. À partir d’octobre 1789, la résidence surveillée de Louis XVI aux Tuileries en fait le centre du pouvoir exécutif. La monarchie constitutionnelle y est renversée le 10 août 1792, laissant place à la Convention et à ses comités révolutionnaires (1793-1795). Rebaptisées « Palais national », les Tuileries abritent le Conseil des Anciens du Directoire (1795-1799), avant que Bonaparte n’en prenne possession (1800). Elles restent le siège habituel de l’exécutif jusqu’en 1870, sauf en 1830-1831 et durant la IIe République (1848-1851) : Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe Ier, Napoléon III, s’y succèdent, les révolutionnaires de 1830 et de 1848 s’en emparent ; jusqu’à la fin du XIXe siècle, les fêtes officielles de tous les régimes illuminent son parc. En 1806, Napoléon Ier a fait dresser une entrée triomphale, l’arc du Carrousel, et lancé à partir des Tuileries une galerie qui longe la rue de Rivoli. Achevée en 1857 sous Napoléon III, celle-ci clôt le quadrilatère Louvre-Tuileries, décor des fastes du second Empire. En mai 1871, un incendie déclenché sous la Commune ravage les Tuileries. La restauration est possible, mais l’édifice est un encombrant symbole monarchique pour la fragile IIIe République : il est finalement détruit en 1882, à l’exception des pavillons de Flore et de Marsan. L’Orangerie des Tuileries, bâtie au sud du jardin (1853), et le Jeu de paume (1861), au nord, accueillent aujourd’hui des expositions. Tuiles (journée des), expression désignant l’émeute (ou « émotion populaire ») qui agita Grenoble le 7 juin 1788. Cet événement s’inscrit dans le cadre du mouvement prérévolutionnaire qui touche la France entre 1787 et 1789. En 1787, en effet, pressé par la crise financière, Calonne, alors contrôleur général des Finances, réunit une assemblée des notables à qui il veut faire consentir des réformes importantes. Face à la résistance qu’il rencontre, il doit démissionner en mai. Il est remplacé par Loménie de Brienne, qui propose lui aussi des réformes, dissout l’assemblée récalcitrante, et engage un bras de fer avec les parlements, forteresses d’une noblesse anti-absolutiste bénéficiant d’une grande popularité. L’affrontement entre l’autorité royale et les parlementaires culmine au printemps 1788, le roi imposant, le 8 mai, l’enregistrement de six édits préparés par son garde des Sceaux, Lamoignon, qui réorganisent la justice et diluent le rôle politique et financier des parlements. Après une vive protestation, le parlement de Grenoble est contraint à l’exil. Le
départ de « ces Messieurs » est prévu le 7 juin ; mais, en ce jour de marché, la foule se montre solidaire de ses parlementaires et, montée sur les toits de la ville, elle jette tuiles et pierres sur la troupe du duc de Clermont-Tonnerre venue exécuter l’ordre royal d’exil. La troupe recule : au soir, les magistrats regagnent leur palais. Ils quittent finalement Grenoble quelques jours plus tard, renonçant à défier davantage l’autorité royale. Mais l’émeute marque le début de l’ébullition politique du Dauphiné, dont l’assemblée de Vizille constitue le point d’orgue, véritable avant-propos des journées révolutionnaires de 1789. Tunisie, pays de l’Afrique du Nord, placé sous protectorat français de 1881 à 1956. Province ottomane depuis le XVIe siècle, la Régence de Tunis s’est rendue quasiment indépendante de la Sublime Porte sous l’égide de la dynastie husseinide, fondée par Hussein Benali au début du XVIIIe siècle. À partir de 1864, sa situation financière devient désastreuse, en raison notamment de la corruption de ses dirigeants et des dépenses inconsidérées du bey Mohammed es-Sadok (1859/1882). En 1869, les Finances sont mises en tutelle par l’institution d’une Caisse de la dette, gérée par une commission internationale où les Français ont une situation prépondérante. Au congrès de Berlin (1878), Bismarck et les Britanniques encouragent vivement la France à intervenir dans la Régence, prolongement naturel de l’Algérie. En 1881, Jules Ferry, qui veut devancer toute initiative italienne pour s’implanter en Tunisie, décide d’y envoyer des troupes. • Mise en place du protectorat. Sous le prétexte d’incidents frontaliers occasionnés par des éleveurs khroumirs, une expédition rapidement menée aboutit à la signature du traité du Bardo (12 mai 1881), qui stipule la délégation à la France du contrôle des Relations extérieures et de la Défense de la Régence. Ce traité est complété par la convention de La Marsa (8 juin 1883), qui renforce le protectorat en élargissant les attributions du ministre résident général, représentant de la France à Tunis. L’autonomie de l’État tunisien se trouve dès lors très réduite : le bey n’a plus que deux ministres, qui n’ont guère de latitude d’action. Les structures du protectorat sont mises en place par le résident général Paul Cambon, qui installe dans les principales localités des contrôleurs civils, vice-consuls de France, chargés de superviser l’action des caïds.
La réalité du pouvoir appartient au résident général, qui prend en mains l’assainissement financier et l’activité économique : réalisation d’un programme de travaux publics, avec construction de 4 000 kilomètres de routes et d’un réseau ferroviaire ; mise en valeur agricole (le nombre des pieds d’oliviers du caïdat de Sfax passe de 380 000 en 1881 à 2,8 millions en 1914) ; exploitation du sous-sol (phosphates de Gafsa). En outre, l’institut Pasteur de Tunis est fondé en 1903 par Charles Nicolle. Une immigration massive de colons italiens amène un journaliste allemand à noter avec humour que la Tunisie est une colonie italienne administrée par les Français, tandis que les milieux coloniaux français évoquent le « péril italien ». downloadModeText.vue.download 924 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 913 • Naissance d’un sentiment national. Toutefois, l’absence de toute vie politique suscite, aussi bien dans la bourgeoisie de Tunis que dans les milieux populaires, un mécontentement qui se traduit, dès avant la Première Guerre mondiale, par l’apparition du mouvement Jeune-Tunisien. Des troubles survenus en 1911 entraînent la proclamation de l’état de siège, qui est maintenu jusqu’en 1921. Au lendemain de la guerre, les nationalistes adressent des plaintes au président américain Wilson et à la Société des nations ; en 1920, un parti d’opposition est créé sous le nom de Destour (« Constitution »). Le résident Lucien Saint (1920-1927) rétablit le calme en introduisant quelques réformes, notamment la création d’un Grand Conseil de Tunisie (1922). À partir de 1934, la situation s’aggrave, à la suite de diverses maladresses françaises (un congrès eucharistique, organisé à Carthage, apparaît pour les Tunisiens comme une provocation) mais aussi d’une scission du parti nationaliste, en un « Vieux Destour », attaché à la tradition islamique, et un « Néo-Destour », dirigé notamment par Habib Bourguiba. En avril 1938, de graves incidents à Tunis et dans les principales villes tournent à l’émeute et la répression fait plusieurs victimes. Ces faits ont pour conséquences la dissolution du Néo-Destour par les autorités françaises et l’arrestation de ses dirigeants. • La Tunisie dans la Seconde Guerre mondiale. Dès le début du conflit, la Tunisie est ouvertement convoitée par l’Italie fasciste. Au cours de son bref règne (juin 1942-juin
1943), le bey Moncef, souverain énergique, refuse le rôle de figuration imposé à ses prédécesseurs : il montre sa volonté de gouverner et tente d’obtenir un assouplissement du protectorat en formant un gouvernement de tendance nationaliste et en demandant le rappel de l’amiral Estéva, résident général nommé par Vichy, connu pour son opposition à toute concession aux nationalistes. De décembre 1942 à mai 1943, la Tunisie est le théâtre de furieux combats entre Alliés et forces germano-italiennes. Les hostilités prennent fin par la capitulation de l’Afrikakorps du maréchal Rommel, au Cap-Bon (13 mai 1943). Peu après, Moncef est déposé par ordre du gouvernement d’Alger, au motif fallacieux de « collaboration avec les occupants ». En fait, le pouvoir colonial ne lui pardonne pas ses velléités d’émancipation. • Vers l’indépendance (1945-1956). Au lendemain des hostilités, les autorités françaises se contentent de réformes insignifiantes. Placé sur le trône en remplacement de Moncef, le bey Sidi Lamine se comporte d’abord en serviteur docile du protectorat. Mais la tension monte rapidement sous l’influence du Néo-Destour (réduit à la clandestinité) et de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) ; grèves et manifestations sont organisées sous l’impulsion d’Habib Bourguiba, de Salah Benyoussef et du syndicaliste Ferhat Hached. En 1950, le bey constitue un gouvernement, dirigé par Mohammed Chenik, où entre Salah Benyoussef, secrétaire général du Néo-Destour. Un compromis, conclu entre Robert Schuman et le ministère Chenik le 8 février 1951, laisse prévoir une évolution vers l’autonomie, mais les colons font échec à toute mesure libérale : les plus intransigeants d’entre eux fondent une organisation terroriste, La Main rouge, qui multiplie les assassinats. De plus, un document du gouvernement français (15 décembre 1951) parle de « co-souveraineté définitive sur la Tunisie ». Partisan de la manière forte, le résident Jean de Hauteclocque (janvier 1952-septembre 1953) use de mesures de rigueur à l’égard des nationalistes, fait procéder au « ratissage » du Cap-Bon et arrêter puis interner Bourguiba et les ministres tunisiens, contribuant ainsi à accélérer la montée des désordres : des groupes armés (fellagha) se forment dans le sud du pays ; l’économie est bientôt paralysée ; divers projets de réorganisation sont repoussés par les nationalistes. En 1954, Pierre Mendès France décide de
revenir à un exercice loyal du protectorat, c’est-à-dire de reconnaître l’autonomie interne de la Tunisie : il expose ses vues dans un discours qu’il prononce à Carthage, le 31 juillet 1954. Un ministère de transition est alors constitué par Tahar Benammar. Le calme revient rapidement, tandis que Bourguiba rentre d’exil. Des accords sanctionnant le nouveau régime des relations franco-tunisiennes sont signés le 3 juin 1955. Cependant, sous l’égide de Bourguiba, devenu chef du gouvernement, et à l’exemple du Maroc, la Tunisie évolue rapidement vers l’indépendance. Celle-ci est reconnue par le traité du 20 mars 1956. La monarchie est abolie l’année suivante, et la République proclamée. Un contentieux relatif à la base navale de Bizerte, que la France refuse d’évacuer, se terminera, cinq ans plus tard, par une épreuve de force qui fera plusieurs dizaines de morts : mais, dès 1962, les relations diplomatiques sont rétablies entre Tunis et Paris, et la France abandonne définitivement la base en 1963. Turenne (Henri de La Tour d’Auvergne, vicomte de), maréchal de France (Sedan 1611 - Sasbach, Bade - Wurtemberg, Allemagne, 1675). Cadet d’une grande famille qui possède le duché de Bouillon et la principauté de Sedan, petit-fils, par sa mère, de Guillaume Ier de Nassau, Turenne reçoit une solide éducation calviniste et humaniste qui l’intègre à l’Europe protestante. Il fait ses premières armes en Hollande, en 1629, avec son oncle le prince d’Orange et n’abandonne le service hollandais qu’en 1633. Pourvu, à 14 ans, d’un régiment en France, il s’illustre désormais sur tous les théâtres de la guerre de Trente Ans, devenant maréchal à 32 ans. Commandant en Allemagne, il mène la campagne de 1644, marquée par la victoire de Fribourg sur le baron von Mercy, qui commande les troupes bavaroises, et par la conquête de la rive gauche du Rhin. L’année suivante, battu par Mercy, il prend sa revanche à Nördlingen, en Souabe (3 août 1645). Combinant les opérations de 1646 avec ses alliés suédois, il ravage la Bavière et pousse l’Électeur à un armistice (1647). En 1648, il bat les Bavarois à Zusmarshausen et prend Munich, une victoire qui hâte la conclusion de la paix. Couvert de gloire, Turenne est pourtant insatisfait : l’agitation de son frère, le duc de Bouillon, l’éloigne de la faveur de Mazarin, et le gouvernement de l’Alsace, qu’on lui offre, lui paraît insuffisant. Il se jette alors dans la Fronde, mais, vaincu à Rethel (1650), il rejoint le camp royal. Il bat
Condé sous les murs de Paris, au faubourg Saint-Antoine (2 juillet 1652), puis remporte sur l’Espagne la victoire d’Arras (1654), et surtout celle des Dunes (14 juin 1658), prélude à la paix des Pyrénées. En 1660, Louis XIV lui octroie le titre insolite de « maréchal général », ne voulant pas rétablir celui de connétable. Les guerres de Louis XIV le mènent en Flandre (1667) puis en Allemagne. Vainqueur à Sinzheim (juin 1674), il dévaste le Palatinat, mais, pris à revers, doit évacuer l’Alsace en octobre. La campagne de 1675 est son chef-d’oeuvre : en plein hiver, il pousse ses troupes à travers les Vosges enneigées, et surprend au sud les Impériaux, qu’il écrase à Turckheim (5 janvier 1675) et oblige à repasser le Rhin. Il est tué par un boulet en pays de Bade. Aimé de ses hommes, admiré de ses adversaires, ce chrétien sincère, converti par Bossuet au catholicisme en 1668, n’a cependant jamais reculé devant la brutalité. Formé à l’école suédoise du choc frontal, il est aussi un maître du « style indirect » (Jean Bérenger) : ravager les campagnes pour épuiser l’ennemi, tactique qu’il utilise en Allemagne mais aussi pendant la Fronde. Louis XIV le fait enterrer dans la basilique royale de Saint-Denis, et Napoléon transfère sa dépouille aux Invalides. Turgot (Anne Robert Jacques), baron de l’Aulne, contrôleur général des Finances de 1774 à 1776, dernier grand ministre réformateur de l’Ancien Régime (Paris 1727 - id. 1781). Issu d’une famille noble d’origine normande, il est le troisième fils de Turgot de Sousmons, président au parlement et prévôt des marchands de Paris. On le destine à l’Église : élève des jésuites, séminariste à Saint-Sulpice, il est élu prieur de la Sorbonne (1749). Mais ce théologien agnostique se fait magistrat dès la mort de son père. • Un penseur et un réformateur. Substitut du procureur général (1751), conseiller au parlement de Paris (1752), puis maître des requêtes (1753), il est aussi un philosophe habitué des salons, qui rédige en 1750 un optimiste Tableau philosophique des progrès successifs de l’esprit humain et défend la tolérance religieuse (Lettres à un grand vicaire sur la tolérance, 1753-1754). Polyglotte volontiers traducteur, vulgarisateur en sciences, il est surtout un économiste libéral, qui, disciple d’un Gournay promoteur du commerce et de l’industrie, puise aussi dans la physiocratie pour mûrir une pensée personnelle (Réflexions sur la formation et la distribution des richesses, 1766). Il collabore à l’Encyclopédie en philosophe (articles « étymologie », « existence »),
en physicien (« expansibilité [des gaz] »), en économiste (« fondations », « foires et marchés »). Son administration d’intendant de Limoges (1761-1774) est réformatrice : il améliore la collecte de l’impôt, convertit la corvée royale en numéraire, développe le réseau routier en employant des ouvriers salariés, met sur pied une politique d’assistance par le travail, soutient la production agricole par l’allègement des charges paysannes, contribue à promouvoir les prairies artificielles et les cultures nouvelles (pomme de terre), et met downloadModeText.vue.download 925 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 914 en oeuvre, en 1763-1770, le libre commerce des grains. Quoique malade de la goutte, sur le conseil de l’abbé de Véri, son ancien condisciple à la Sorbonne, il est recommandé à Louis XVI par Maurepas. Devenu secrétaire d’État à la Marine le 20 juillet 1774, il se démet de cette fonction lorsqu’il accède, le 24 août, au contrôle général des Finances. Il s’entoure de physiocrates et de philosophes, tel Condorcet - nommé inspecteur général des Monnaies (et auteur, en 1786, d’une Vie de M. Turgot) -, et suspend, en 1775, l’Année littéraire du publiciste Élie Fréron, adversaire de Voltaire et des Philosophes. • « Point de banqueroute, point d’augmentations d’impôts, point d’emprunts ». Turgot annonce de la sorte au roi une politique de réformes permise par le déficit maîtrisé hérité de l’abbé Terray. Il diminue le train de vie de la cour et réduit les activités de la Ferme générale (mise en régie du domaine du roi, des messageries royales, des poudres, réduction des taxes d’octroi...). Surtout, il instaure une totale liberté de la circulation des grains et des farines (13 septembre 1774), en dépit d’une récolte peu abondante. L’augmentation des prix provoque en avril-mai 1775 la « guerre des farines » : de graves troubles réprimés par la troupe en Bourgogne, dans le Bassin parisien et à Paris. La bonne récolte de l’été ramène un calme inquiet. En 1775, Turgot supprime, sauf à Paris, les dépôts de mendicité, où sont internés vagabonds et mendiants, et préconise leur mise au travail ; il libère les derniers huguenots condamnés aux galères et songe, avec Malesherbes, à légaliser la présence des protestants ; il encourage les sciences, donne des statuts à l’École des ponts et chaussées, autorise en mars 1776 la création d’une Caisse d’escompte,
destinée à soutenir l’activité par des prêts à faible intérêt. Mais son action, qui ébranle la société d’Ancien Régime, suscite de violentes protestations de la part des parlementaires. En mars 1776, un lit de justice est nécessaire pour contraindre le parlement de Paris à enregistrer six édits réformateurs : l’un de ces édits substitue à la corvée royale un impôt dû par tous les propriétaires, privilégiés inclus ; un autre interdit les coalitions et supprime la presque totalité des jurandes, maîtrises et corporations de métiers au nom du « droit de travailler [qui] est la propriété de tout homme », rendant ainsi plus libre l’exercice des métiers urbains. Puis, dans un ambitieux Mémoire sur les municipalités, rédigé avec le concours du physiocrate Dupont de Nemours et présenté au roi au printemps 1776, Turgot vante les mérites d’une constitution qui fournirait les cadres du bien public ; il propose la formation d’assemblées de propriétaires fonciers, qui seraient associées à l’administration locale ; il définit une subvention territoriale, un impôt foncier unique payable par tous les propriétaires, et se prononce pour une instruction populaire. Devant le déchaînement des oppositions conservatrices, Turgot est renvoyé le 13 mai 1776. Il se tourne alors vers l’étude des sciences et la philosophie de la connaissance. Quoique modifiés, les communautés de métiers, la corvée royale et les dépôts de mendicité sont vite rétablis ; la législation frumentaire libérale est rapportée en 1777. En mettant fin aux réformes d’envergure, Louis XVI apaise les tensions politiques dans la perspective de la guerre d’Amérique. Turin (Comité de), conseil contre-révolutionnaire (1789-1790) formé en Italie par le comte d’Artois, frère de Louis XVI. Émigré dès le 16 juillet 1789, le comte d’Artois (futur Charles X) entraîne avec lui nobles et grands seigneurs hostiles à tout compromis avec la révolution naissante et partisans du coup de force. Le comité qu’il met en place dès septembre 1789 est ainsi composé du prince de Condé et de son fils, le duc de Bourbon, d’un certain nombre de nobles (de Sérent, d’Autichamp, de la Rouzière...) et de l’abbé Marie, son précepteur, bientôt rejoints par l’évêque d’Arras, monseigneur de Conzié, et surtout, en novembre 1790, par Calonne, qui devient la tête politique de l’émigration. Turin, terre de Victor-Amédée III, roi de Sardaigne et beau-père du comte d’Artois, a alors l’avantage d’être proche de la France et de son turbulent Sud-Est. Le comité constitue un réseau d’agents et d’agitateurs dans toute la France et demeure en liaison avec la cour de Louis XVI. Son dessein est de libérer la
famille royale et de rendre au roi son pouvoir en organisant sa fuite ou en l’enlevant, mais aussi de provoquer une insurrection armée dans les provinces. C’est ainsi qu’il propose au roi de multiples plans de fuite, et entretient, en mettant notamment à profit le conflit religieux, une importante agitation contre-révolutionnaire. Cependant, à la suite du retentissant échec de la conspiration de Lyon (décembre 1790), qu’il a organisée et à laquelle Louis XVI était hostile, le comte d’Artois est contraint de quitter Turin en janvier 1791. Il rejoint bientôt la Rhénanie, où s’organise l’émigration militaire avec pour but la reconquête du royaume depuis l’étranger. tutelle (territoires sous) ! mandat (territoires sous) downloadModeText.vue.download 926 sur 975 downloadModeText.vue.download 927 sur 975 downloadModeText.vue.download 928 sur 975
UV UDF (Union pour la démocratie française), rassemblement politique créé en février 1978, à la veille d’élections législatives, par Valéry Giscard d’Estaing, alors président de la République. Destinée à l’origine à devenir un grand parti centriste, entre le Parti socialiste et les gaullistes du Rassemblement pour la République (fondé en décembre 1976), l’UDF est demeurée une confédération, qui a regroupé au fil du temps six forces politiques d’importance inégale (Parti républicain, Centre des démocrates-sociaux, Parti radical, Parti socialdémocrate, clubs Perspectives et Réalités, Mouvement des adhérents directs), toutes jalouses de leur indépendance et de leur identité. Aussi, malgré de bons résultats en 1978 (21,4 % des voix aux législatives) et en 1979 (27,55 % des voix aux européennes), et après la défaite électorale de Valéry Giscard d’Estaing à la présidentielle de 1981, qui impose de faire bloc, l’UDF cède aux divisions : ceux que l’historien René Rémond considère comme les héritiers de la droite orléaniste s’opposent sur le rôle de l’État, la politique de l’immigration et la construction européenne. D’autant que la réforme des statuts de l’UDF (juin 1991) ne parvient pas à donner un rôle précis à son président - Jean Lecanuet (19781988), puis Valéry Giscard d’Estaing (19881996) - ni à régler les rapports de force entre ses composantes. La création d’un groupe centriste autonome à l’Assemblée nationale (1988), l’organisation d’une liste Veil concur-
rente de la liste RPR-UDF aux élections européennes de 1989, ou encore l’émergence de personnalités dissidentes (Philippe de Villiers en juin 1994, puis Alain Madelin en 1995), sont autant de signes de division qui laissent augurer une recomposition de la droite libérale et centriste. Sous l’impulsion de François Bayrou, président depuis 1998 (il avait succédé à François Léotard), l’UDF, après avoir perdu une partie de ses élus qui ont rejoint l’UMP en 2002, tente de se repositionner au centre, indépendant des majorités, y compris celles de droite. UDR (Union des démocrates pour la République), nom pris par la formation gaulliste UNR (Union pour la nouvelle République), en 1971. À l’origine, le développé du sigle UDR était « Union des démocrates pour la Ve République » ; au lendemain de la crise de maijuin 1968, il est modifié en « Union pour la défense de la République ». Le thème semble bien choisi car l’UDR obtient 293 élus sur 487 aux élections législatives de juin 1968. Mais une nouvelle crise surgit lorsque le général de Gaulle, prenant acte du résultat négatif du référendum sur les réformes du Sénat et la décentralisation, démissionne le 28 avril 1969. Un gaulliste, Georges Pompidou, lui succède à la présidence de la République. Quant à l’UDR, elle conserve la majorité à l’Assemblée nationale aux législatives de mars 1973, avec 24 % des suffrages exprimés et 162 élus : ce recul relatif est le résultat de difficultés internes à la majorité, qui ont conduit à la « révocation » du Premier ministre Jacques Chaban-Delmas (juillet 1972), et du renforcement de l’opposition de gauche, dont les partis ont signé un programme commun de gouvernement (juin 1972). Certes, l’intervention personnelle de Georges Pompidou dans la campagne électorale de ces législatives a été utile, mais ses promesses de réformes n’ont pas été tenues et sa politique fait l’objet de critiques aux Assises de Nantes, les 17 et 18 novembre 1973. Jacques Chaban-Delmas est alors intronisé comme candidat potentiel à l’Élysée. La mort de Georges Pompidou, le 2 avril 1974, puis l’échec, lors du scrutin présidentiel, de Jacques Chaban-Delmas face au candidat non gaulliste Valéry Giscard d’Estaing, précipitent le déclin de l’UDR. C’est le nouveau Premier ministre Jacques Chirac qui est élu secrétaire général du parti et engage sa rénovation, mais dans le cadre du Rassemblement pour la République (RPR), qu’il crée en décembre 1976.
UDSR (Union démocratique et socialiste de la Résistance), parti politique créé le 25 juin 1945 à partir d’une fédération de mouvements de la Résistance non communistes. Qualifiée de « petit parti de gestion des affaires de la République » par l’historien Éric Duhamel, l’UDSR veut rassembler la gauche non communiste en y intégrant des éléments chrétiens. Mais, concurrencée par le MRP et rejetée par la SFIO, elle s’allie au Parti radical pour créer le Rassemblement des gauches républicaines en vue des élections législatives de juin 1946. Avec neuf élus métropolitains en 1951, puis six en 1956, elle doit sa survie parlementaire à l’apport de députés du Rassemblement démocratique africain, formation dirigée par l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny. Sa présidence est disputée entre René Pleven et François Mitterrand, ce dernier l’emportant au congrès de Nantes, en 1953. À partir de 1954, l’UDSR s’attache particulièrement aux débats sur la construction européenne - chère à René Pleven - et préconise la constitution d’un ensemble fédéral puis confédéral francoafricain : une politique que défend François Mitterrand, ministre de la France d’outre-mer dans le gouvernement Pleven (1950) puis ministre de l’Intérieur du gouvernement de Pierre Mendès France (1954). En 1958, François Mitterrand refuse son soutien au général de Gaulle, ce qui conduit René Pleven et Eugène Claudius-Petit à quitter l’UDSR. François Mitterrand s’appuie alors sur ce qui reste du parti dans son oeuvre de rénovation de la gauche. Sa candidature à l’élection présidentielle de 1965, marquée par la création de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS) le 10 septembre, signe l’acte de décès de l’UDSR. Ulm (bataille d’), bataille remportée par Napoléon sur les troupes autrichiennes commandées par le général Mack (15-20 octobre 1805). Durant la campagne d’Allemagne (1805), qui va s’achever bientôt par la victoire d’Austerlitz, la bataille d’Ulm constitue une étape stratégique. downloadModeText.vue.download 929 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 918 Depuis 1803, la ville d’Ulm, située sur la
rive gauche du Danube, est annexée à la Bavière. L’Autriche, après avoir mené de vaines négociations afin d’entraîner cette dernière dans la coalition anti-napoléonienne, y envoie le général Mack pour tenir tête aux troupes françaises, qu’on s’attend à voir déboucher de la Forêt Noire. Mais la stratégie de Napoléon consiste, durant les premiers jours d’octobre, à effectuer un vaste mouvement tournant, semblable à celui qui lui a valu la victoire de Marengo : la Grande Armée surgit à Donauwerth, sur les arrières de l’armée de Mack, et l’isole totalement ; elle s’interpose ainsi entre les Autrichiens et les Russes qui doivent les secourir. Après quelques engagements, Mack se réfugie avec ses 60 000 hommes dans le camp retranché qui domine Ulm. Son attente de l’arrivée imminente des Russes est déçue, et il se retrouve bloqué dans la ville. Durant la nuit du 14 au 15 octobre, Napoléon donne à ses généraux - Ney, Lannes, Soult, Murat - l’ordre d’attaquer les positions autrichiennes. Mack, sommé de capituler le 15, refuse de rendre la place, mais, au terme d’une entrevue avec Napoléon le 19, il signe la reddition le 20. D’Ulm, Napoléon peut marcher sur Vienne, dont il s’emparera sans rencontrer de résistance. ultraroyalistes, terme qui désigne, à partir de janvier 1815, les hommes qui veulent une restauration complète de l’Ancien Régime. Les « ultras » sont donc plus royalistes que le roi (Louis XVIII) : ils rejettent l’héritage de la Révolution et sont hostiles à la Charte constitutionnelle (1814) qui confirme la disparition de la société d’ordres. Appartenant surtout à la noblesse provinciale et au monde des propriétaires fonciers, mais parfois aussi aux couches moyennes et populaires, ils sont résolument tournés vers le passé. Ils n’en conquièrent pas moins une forte majorité aux élections d’août 1815, et forment alors la « Chambre introuvable ». Ils sont aussi la première force politique à esquisser une structuration préfigurant celle des partis politiques modernes : en effet, s’ils s’appuient sur l’organisation des sociétés secrètes de la Congrégation et des Chevaliers de la foi, s’ils disposent d’une audience dans de célèbres salons parisiens, comme la « réunion Piet », ils n’en utilisent pas moins le soutien de journaux qui leur sont acquis, tels la Gazette de France, la Quotidienne ou le Drapeau Blanc, et adoptent une discipline de vote par des concertations précédant les scrutins. Après la dissolution de la « Chambre introuvable » (5 septembre 1816), ils sont rejetés dans
l’opposition, mais gagnent de nouveau les élections en 1824. Cependant, la politique de Villèle n’est pas alors à la hauteur de leurs ambitions. Même la loi d’indemnisation des émigrés - la loi dite « du milliard » (avril 1825) - les déçoit car elle entérine la vente des biens nationaux. Confronté à la défection de Chateaubriand, à l’opposition des « pointus » (ultras extrémistes) et à la division entre gallicans et ultramontains, Villèle n’a guère appliqué, du programme de sa majorité initiale, que le principe de « l’union du trône et de l’autel ». De plus, 1830 marque l’échec de l’ultraroyalisme, qui devient une force d’opposition, sous le nom de « légitimisme ». Unigenitus (bulle), constitution promulguée par le pape Clément XI le 8 septembre 1713, à la demande de Louis XIV. La bulle Unigenitus Dei Filius condamne les « Cent Une Propositions » extraites du livre du Père Pasquier Quesnel intitulé Nouveau Testament en français avec des réflexions morales sur chaque verset (1692), ouvrage qui était devenu pour les jansénistes une oeuvre de référence, au même titre que l’Augustinus de Jansénius (1640). Ces fameuses « Cent Une Propositions » sont consacrées principalement aux problèmes théologiques de la grâce et du libre arbitre, qui tiennent une place essentielle dans les controverses entre jésuites et jansénistes. Tout - de la destruction de l’abbaye de Port-Royal sur ordre de Louis XIV (1711) à la présence de nombreux jésuites dans l’entourage du Roi-Soleil - laissait penser que cette décision papale ne susciterait aucune opposition. Pourtant, dès 1713, quelques prélats (parmi lesquels le cardinal de Noailles, archevêque de Paris) et des parlementaires gagnés par le jansénisme refusent - au nom du gallicanisme - de recevoir la bulle papale, qui n’est toujours pas enregistrée par le parlement lorsque Louis XIV meurt (1715). La période instable de la Régence n’est guère plus propice à l’obtention de l’enregistrement parlementaire : en 1717, quatre évêques, suivis par 3 000 ecclésiastiques, demandent la réunion d’un concile général. Finalement, en 1730, Louis XV décide l’enregistrement forcé de la bulle, qui devient une loi du royaume. Néanmoins, les conflits religieux et politiques suscités par la condamnation papale du jansénisme se prolongent durant la majeure partie du XVIIIe siècle. Union européenne ! européenne (construction)
Union française, sous la IVe République (1946-1958), dénomination constitutionnelle de l’ensemble formé par la République française (métropole, départements et territoires d’outre-mer) et les États et territoires associés. La nécessité de doter l’empire colonial d’un statut organique apparaît dès la conférence de Brazzaville (1944). Après la Libération, les deux Assemblées constituantes successives adoptent le terme d’« Union française » pour le substituer à celui d’« empire », employé jusqu’alors mais qui n’a jamais eu de réalité constitutionnelle. La première Assemblée, élue en octobre 1945, inscrit dans son projet de Constitution diverses dispositions concernant les anciennes colonies, des mesures inspirées par les principes de décentralisation et de libre appartenance. Ce projet ayant été repoussé par le référendum du 5 mai 1946, il revient à la seconde Assemblée, élue en juin 1946, d’élaborer la nouvelle Constitution, adoptée en octobre. Les principes d’organisation de l’Union française y sont définis par le titre VIII (articles 60 à 82). Les institutions communes sont au nombre de trois : le président, charge dévolue au président de la République française, représente les « intérêts permanents » de l’Union et préside le Haut Conseil ; ce dernier, organe de coordination aux attributions imprécises, « est composé, par moitié, de membres représentant la France métropolitaine et, par moitié, de membres représentant les départements et territoires d’outre-mer et les États associés » ; enfin, l’Assemblée de l’Union française, institution consultative siégeant à Versailles, comprend quelque 230 délégués (125 pour la métropole, 75 pour les DOM-TOM et environ 30 pour les États associés). On distingue cinq catégories différentes parmi les territoires membres de l’Union : les départements d’outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion) ; les territoires d’outre-mer (A-OF, A-ÉF, Madagascar, Comores, Côte des Somalis, Inde française, Nouvelle-Calédonie, Polynésie, Saint-Pierreet-Miquelon) ; l’Algérie, qui est alors un groupe de départements doté d’un statut particulier (en fait, très mal défini) ; les territoires associés (Cameroun et Togo, anciens « territoires sous mandat », devenus « territoires sous tutelle » des Nations unies) ; enfin, les États associés (Viêt Nam, Cambodge, Laos).
Contrairement à ce qui a parfois été prétendu, les protectorats du Maroc et de Tunisie n’ont jamais fait partie de l’Union française, même s’il a été un moment question de leur donner le statut d’État associé. L’Union française est une construction bâtarde, fruit d’une tentative de synthèse entre deux tendances incompatibles : l’assimilation et l’association. Elle ne correspond à aucune catégorie connue du droit constitutionnel (confédération, fédération, État fédéral) ; aussi est-elle qualifiée par un contemporain de « monstruosité juridique ». L’historienne Denise Bouche estime qu’« au terme d’une gestation pénible, l’Union française n’était pas née viable », et le juriste Pinto écrit : « En fermant aux nationalistes [...] les voies pacifiques d’une transformation progressive, la Constitution ouvrait le cycle infernal des insurrections et des guerres civiles. » Les institutions fonctionnent en effet très mal, et le Haut Conseil ne se réunit que de 1951 à 1954. L’Assemblée, dont les membres métropolitains sont souvent désignés parmi des candidats battus aux législatives et n’ont pas de compétence en la matière, offre surtout un « lot de consolation pour recalés du suffrage universel ». Elle élabore divers projets de réorganisation, qui ne sont finalement pas étudiés par le législateur. L’échec de l’Union française est particulièrement net en Indochine, où les États associés cherchent rapidement à s’affranchir du régime qui leur est imposé. L’Union française disparaît en septembre 1958, avec l’adoption de la Constitution de la Ve République, et fait place à une nouvelle structure à l’existence éphémère (1958-1960), la Communauté. Union générale (krach de l’), faillite d’une banque d’affaire qui, en 1882, met fin à un important mouvement de spéculation. À la fin des années 1870, l’économie française bénéficie d’une conjoncture favorable : afflux downloadModeText.vue.download 930 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 919 de capitaux, hausse des valeurs boursières, lancement des grands travaux publics du plan Freycinet... les signes d’optimisme ne manquent pas. C’est dans ce contexte propice à la spéculation que l’ingénieur Eugène Bontoux fonde l’Union générale, en mai 1878.
Ce catholique conservateur entend rivaliser avec la « finance juive ou protestante » : la plupart des actionnaires et des administrateurs de la nouvelle banque sont issus des milieux orléanistes ou légitimistes, ainsi que de la bourgeoisie lyonnaise. Bontoux, qui multiplie les opérations financières en Europe centrale, se lance dans une course effrénée à la spéculation. Soutenue par des petits souscripteurs, l’ascension de la banque est rapide et le cours de ses actions s’envole. Mais cette réussite est artificielle, dans la mesure où Bontoux cherche à accroître le capital de l’Union générale en spéculant sur ses propres titres et sans disposer de réserves financières suffisantes. En janvier 1882, la conjoncture se retourne, emportant l’Union générale dans la spirale du krach boursier : mis en faillite, l’établissement entraîne alors dans sa chute de nombreuses entreprises et banques d’affaires. Rappelant l’échec du Crédit mobilier (1871), le krach de l’Union générale marque fortement les contemporains et incite les banques d’affaires à une gestion plus prudente de leurs intérêts dans un environnement économique déprimé. Union nationale, formule de majorité parlementaire mise en oeuvre sous la IIIe République, de 1926 à 1928 et de 1934 à 1936. L’expérience du Cartel des gauches, menée en 1924, à la suite de la victoire de la coalition unissant radicaux et socialistes, aboutit en juin 1926 à un échec, sanctionné par la chute du gouvernement radical d’Édouard Herriot. Pour faire face à la baisse du franc, le président Doumergue fait appel à Raymond Poincaré, ancien président de la République et dirigeant du centre droit, qui bénéficie de la confiance des épargnants. Celui-ci forme un cabinet appuyé sur une nouvelle majorité, qui regroupe le centre - axe de la combinaison -, la droite et les radicaux, la participation de ces derniers étant acquise au nom de la « défense de la monnaie nationale », en écho à l’« union sacrée » de 1914. Le nouveau président du Conseil prend des mesures d’assainissement financier, tandis que Briand, aux Affaires étrangères, poursuit sa politique d’apaisement. Mais la coalition se défait, en novembre 1928 : au congrès radical d’Angers, la gauche du parti parvient à imposer la sortie du gouvernement, en vue d’un rapprochement avec les socialistes. La seconde expérience, tentée en 1934, fait suite à l’émeute sanglante du 6 février, à l’issue de laquelle la majorité de gauche élue en 1932 s’est disloquée. L’ancien président Dou-
mergue, rappelé de sa retraite, prend alors la tête d’un gouvernement appuyé sur le centre, les radicaux et la droite, avec un double objectif : réaliser la « réforme de l’État » et assainir la situation financière. Mais l’opposition des radicaux et l’impopularité de sa politique de déflation le contraignent à la démission, en novembre 1934. Sous ses successeurs, Flandin et Laval, l’Union nationale survit péniblement, constamment menacée par la défection des radicaux, qui subissent l’attraction du Front populaire. En janvier 1936, elle a vécu : un cabinet de transition, dont la droite ne fait pas partie, est formé sous la direction du radical Sarraut ; il gère les affaires courantes jusqu’aux élections de mai-juin 1936, qui voient la victoire du Front populaire. union sacrée, expression qui renvoie à la volonté collective des Français, en 1914, d’oublier leurs divisions et leurs querelles au seul bénéfice de la défense de la patrie. L’« union sacrée », image même de la France de 1914 tout entière dressée contre l’Allemagne, naît de la somme des différentes formes du sentiment national sollicitées par l’état de guerre. La formule, due au président de la République Raymond Poincaré, est lue à l’Assemblée nationale le 4 août 1914 par le président du Conseil René Viviani : « La France vient d’être l’objet d’une agression préméditée, qui est un insolent défi au droit des gens [...]. Étroitement unie en un même sentiment, la nation persévérera dans le sang-froid dont elle a donné, depuis l’ouverture de la crise, l’exemple quotidien [...]. Elle sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l’ennemi l’union sacrée. » • Les divisions surmontées. Si la formule a eu un tel impact, c’est que les Français de 1914 se perçoivent comme profondément désunis, du fait des graves querelles politiques de l’époque, relatives notamment aux questions de défense. L’« union sacrée », sans mettre fin aux divergences, permet néanmoins une série d’accords destinés à faire passer celles-ci au second plan pendant la durée d’une guerre qu’on imagine courte. Droite et gauche s’entendent alors sur un point fondamental : une France attaquée doit être défendue. L’union se fait dans un premier temps contre l’agression, dans un second temps contre l’envahisseur qui occupe une partie du sol « sacré » de la patrie. Une trêve des luttes politiques s’instaure très rapidement. L’assassinat de Jaurès en donne le signal tragique, comme en témoigne la « une » de la Guerre sociale
du 1er août : « Défense nationale d’abord ! Ils ont assassiné Jaurès ! Nous n’assassinerons pas la France ! » Le matin du 4 août, devant la tombe de Jaurès, le secrétaire général de la CGT, Léon Jouhaux, abandonne le pacifisme au nom de la démocratie et de l’espoir de la fraternité socialiste : « Empereurs d’Allemagne et d’Autriche-Hongrie, hobereaux de Prusse et grands seigneurs autrichiens qui, par haine de la démocratie, avez voulu la guerre, nous prenons l’engagement de sonner le glas de votre règne. » L’« union sacrée » n’a évidemment pas la même signification pour les socialistes et pour les nationalistes : ces derniers espèrent surtout la défaite de la nation allemande et la revanche de la France. Mais l’ardeur patriotique est telle que l’étatmajor, qui s’attendait à avoir au moins 13 % de réfractaires, n’en décompte que 1,5 %, un pourcentage considéré comme infime. • De la mystique nationale à la négociation. Le mot « sacré » n’a pas été choisi au hasard par Poincaré. Comme l’« amour sacré » de la Marseillaise, l’« union sacrée » est une forme de ferveur à la fois nationale et religieuse, à laquelle se joignent des antimilitaristes, les antirépublicains et les cléricaux qui ont été malmenés dans les années précédentes. Socialistes et catholiques vivent, toutes proportions gardées, le même déchirement entre leurs élans universalistes et leur sentiment national : devant l’agression, ils optent avec résolution pour le second. Les 98 députés socialistes, le 4 août, votent à l’unanimité les crédits de guerre, tandis que les membres des congrégations religieuses dispersées rentrent pour s’engager. Tous s’accordent sur un messianisme français, qu’il soit celui de la « République en danger » ou de la « France éternelle de Jeanne d’Arc » ; surtout, ils croient se battre pour la dernière des guerres, celle qui amènera le triomphe de leur cause, la fraternité républicaine ou les valeurs traditionnelles de la patrie, de l’armée ou de la religion. L’organisation pratique et politique de cette unité n’en est pas moins délicate. On ne parvient à former un cabinet d’« union sacrée » que le 26 août et, durant toute la guerre, les divisions politiques, sociales et religieuses ne manqueront pas. En 1917, l’ardeur « sacrée » des débuts est largement entamée. Pourtant, si des Français - en nombre infime en 1914 et 1915, plus nombreux à partir de 1916 - ont refusé l’« union sacrée », la majorité d’entre eux a consenti jusqu’en 1918 aux efforts considérables exigés par la guerre. C’est sans
doute pourquoi le désastre de 1940 peut, en partie, s’expliquer par les désillusions nées de l’« union sacrée », martelées pendant les années 1920 et 1930, à gauche comme à droite. Univers (l’), quotidien catholique publié à Paris de 1833 à 1914. L’Univers religieux, politique, philosophique, scientifique et littéraire - son titre d’origine est une entreprise éditoriale de l’abbé Migne, confiée à Melchior du Lac. À l’initiative de Montalembert, l’Univers absorbe en 1842 le journal légitimiste l’Union, et s’adjoint en 1843 la collaboration de Louis Veuillot. Promu rédacteur en chef en 1848, ce dernier fait de l’Univers l’organe du catholicisme intransigeant et lui imprime son talent polémique et son âpreté de ton parfois outrancière. L’Univers lutte contre le monopole universitaire et pour la liberté de l’enseignement, mais condamne la loi Falloux (1850) sur l’enseignement secondaire, la considérant comme une formule de transaction. Il mène avec dom Guéranger, abbé de Solesmes, la bataille pour la liturgie romaine et avec Mgr Gaume la lutte contre les classiques païens. Il combat le libéralisme catholique (Montalembert, Lacordaire, Maret) et s’appuie sur Rome contre l’épiscopat (Mgrs Sibour, Dupanloup, Darboy). Après avoir soutenu l’Empire autoritaire, il lutte contre la politique italienne de Napoléon III, se voit suspendu en janvier 1860 pour la publication d’une encyclique de Pie IX, et ne reparaît qu’en mars 1867. Il applaudit à l’infaillibilité pontificale proclamée au concile Vatican I (1870), puis soutient les tentatives de restauration monarchique. En 1874, Louis Veuillot abandonne la direction du journal à son frère Eugène, qui adopte en 1892 la ligne politique du ralliement à downloadModeText.vue.download 931 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 920 la République préconisée par Léon XIII ; sa soeur, Élise, regroupe alors les monarchistes autour de la Vérité, tandis que l’Univers ne peut enrayer son déclin. universités. Les universités sont des établissements regroupant ce qu’on appela d’abord des « écoles », puis des « collèges » ou des « facultés », où est dispensé l’enseignement supérieur. Elles disposent d’un régime administratif et
financier légalement défini. L’importance de la notion d’autonomie ou d’indépendance universitaire remonte aux origines mêmes de l’institution. • Naissance de foyers d’« intellectuels ». Les troisième et quatrième conciles du Latran (1179 et 1215) décident qu’à tout évêché doit être attaché un maître de théologie. La lecture et l’explication de la Bible deviennent alors, et pour longtemps, le fondement de toute science. Au XIIe siècle, à Paris, l’école cathédrale du cloître Notre-Dame, qui donnait exclusivement, et sous la direction de l’évêque, l’enseignement de la théologie, voit naître et prospérer les écoles indépendantes de la montagne Sainte-Geneviève, où des étudiants toujours plus nombreux, attirés par la renommée de maîtres tels qu’Abélard ou Guillaume de Champeaux, viennent se former aux disciplines du trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) et du quadrivium (arithmétique, géométrie, astronomie, musique). L’Université de Paris, la première de France, est née de la fusion de ces diverses écoles. C’est d’ailleurs à cette époque que Jacques Le Goff situe la « naissance des intellectuels », qui professent la nécessité d’une liaison entre science et enseignement, c’est-à-dire d’une diffusion, d’une mise en circulation des connaissances et des idées : « À ces artisans de l’esprit entraînés dans l’essor urbain du XIIe siècle, écrit-il, il reste de s’organiser, au sein du grand mouvement corporatif couronné par le mouvement communal. Ces corporations de maîtres et d’étudiants, ce seront, au sens strict du mot, les universités. Ce sera l’oeuvre du XIIIe siècle. » • Organisation et nouvelles fondations. La corporation des maîtres et des écoliers de Paris (Universitas magistrorum et scolarium Parisiensium) obtient du roi Philippe Auguste une charte (1200) puis, une bulle papale (1215) qui lui accordent les droits et privilèges d’une corporation ecclésiastique. Elle a en particulier le droit exclusif de conférer les grades, dès lors établis : le baccalauréat, la licence, la maîtrise ou le doctorat. L’écolier, admis vers 15 ans à la faculté des arts, y devient, en six ans, bachelier et licencié. Les treize années d’études à la faculté de théologie permettent d’accéder au grade de docteur. En 1255, la corporation reçoit du pape Innocent IV l’autorisation d’avoir son propre sceau. Elle s’organise en quatre « facultés » : théologie, droit canon, médecine et arts libéraux. La faculté des arts libéraux, qui attire le plus grand nombre d’étudiants, se divise elle-même en quatre « nations » afin de répartir les jeunes gens selon leur pays d’origine : France, Normandie, Picardie et Angleterre.
Chacune de ces « nations » désigne un représentant, nommé « procureur ». À partir de 1245, les quatre procureurs sont placés sous l’autorité d’un « recteur », lui aussi élu. Les trois autres facultés élisent, de leur côté, chacune un « doyen ». Mais le recteur des quatre « nations » s’impose rapidement comme le chef de toute l’Université. Les « collèges », qui avaient à l’origine pour fonction de loger les boursiers pauvres ou étrangers, se transforment bientôt en établissements d’enseignement. L’une des premières de ces maisons, fondée en 1257 par Robert de Sorbon à l’usage des étudiants en théologie, devient, sous le nom de « Sorbonne », le siège de la faculté de théologie elle-même. Du XIIIe au XVe siècle, seize universités sont fondées dans les provinces, à Toulouse (1229), Montpellier (1289), Avignon (1303), Orléans (1306), Cahors (1332), Grenoble (1339), Angers (1364), Orange (1365), Aix (1409), Dole (1423), Poitiers (1431), Caen (1432), Bordeaux (1441), Nantes (1460), Besançon (1464) et Bourges (1469), tandis que celle de Paris reste l’une des plus prestigieuses de l’Occident. • Déclin et nouveaux principes. Faute de s’être ouverte aux apports de l’humanisme, l’Université de Paris connaît à partir du XVIe siècle un long déclin. Rigidement attachée à la vieille scolastique, elle doit subir une double concurrence : celle du Collège royal (futur Collège de France), créé en 1529, en dehors d’elle, par le roi François Ier, et à l’instigation de Guillaume Budé, afin que soit donné à Paris un enseignement plus conforme aux idées de la Renaissance ; puis celle du collège de Clermont, ouvert en 1563 par les jésuites, auxquels elle conteste - en vain - jusqu’au droit d’enseigner. La Sorbonne seule garde son rang : aussi son nom finit-il par désigner l’ensemble de l’Université de Paris. Gardienne de l’orthodoxie, elle est, à ce titre, appelée à se prononcer contre les jansénistes, puis contre les philosophes du XVIIIe siècle. Parce qu’elle établit la légitimité de l’autorité fondée sur les Lumières, la révolution de 1789 prépare les conditions d’une réorganisation générale de l’instruction publique. Talleyrand et Condorcet s’accordent à la diviser en trois degrés. Pour le troisième degré, Talleyrand prévoit d’ouvrir, dans les chefs-lieux des départements, des « écoles spéciales », mais il concentre à Paris, en un Institut national, « toute la haute science et tout le haut enseignement » (Jean Jaurès). En 1792, Condorcet propose d’y ajouter, sous le nom de « lycées », neuf établissements d’enseigne-
ment supérieur, qui sont installés à Douai, Strasbourg, Dijon, Montpellier, Toulouse, Poitiers, Rennes, Clermont-Ferrand et Paris. Mais si la Convention a supprimé, par décret du 15 décembre 1793, les universités d’Ancien Régime, elle n’a pu se donner le temps ni les moyens d’établir durablement les institutions destinées à les remplacer. Le décret du 17 mars 1808 organise l’Université impériale (fondée par la loi du 10 mai 1806), c’est-à-dire l’ensemble de l’administration et du corps enseignant chargés d’assurer, sous l’autorité d’un « grand-maître » assisté d’un Conseil, l’instruction publique sur le territoire de l’Empire, divisé en académies dirigées chacune par un recteur. Napoléon Ier remet en usage le terme de « facultés » pour désigner les établissements d’enseignement supérieur, qui sont de cinq ordres, correspondant aux cinq disciplines fondamentales : théologie, droit, médecine, lettres, et sciences mathématiques et physiques. Dans ses grandes lignes, cette organisation administrative a été maintenue par les régimes suivants. Mais, comme pour l’enseignement primaire, c’est aux fondateurs de la IIIe République que revient le mérite d’avoir, après la « longue stagnation des années 1800-1880 » (Antoine Prost), réformé l’institution universitaire dans la fidélité aux vues de la Révolution. Cette réforme, note Antoine Prost, répondait à « une idée philosophique de la science ». « C’était l’Encyclopédie mise en acte » : telle était, à propos de ce qu’il appelait la « théorie » de l’enseignement supérieur propre aux hommes de la Révolution, l’opinion de Louis Liard, qui a rempli, pour la réforme universitaire, le rôle joué par Ferdinand Buisson dans la réorganisation de l’enseignement primaire. En effet, il entendait créer « un vrai organisme, un et multiple à la fois, ouvert à tout ce qui peut être sujet d’études et de recherches ». Mais son but, qui était de faire des universités « de puissants foyers d’étude et de science, réunissant toutes les facultés », n’a pas été atteint. Deux décrets du 25 juillet 1885 ont donné aux facultés la personnalité civile et les ont autorisées à recevoir des subventions des particuliers aussi bien que des collectivités locales. Le décret du 28 décembre 1885 définit la composition et les attributions du conseil général des facultés, puis du conseil et de l’assemblée de chaque faculté. Mais ce cadre juridique, à la fois logique et libéral, permet en réalité de développer la structure des facultés au détriment de la coordination, de l’unité auxquelles aurait dû conduire l’or-
ganisation de véritables universités. Finalement, en 1896, le législateur se contente de donner le titre d’université aux groupes de facultés déjà installés dans chacun des chefslieux d’académie créés en 1808. • Crises et réformes. Il faut attendre les lendemains de la crise de mai 68 pour que soit réformée en profondeur cette structure institutionnelle, qui a fait de l’université, suivant la formule d’Alain Touraine, non pas seulement « un laboratoire mais un conservatoire ». La « loi-cadre d’orientation universitaire » mise sur pied par Edgar Faure durant l’été 1968, définitivement adoptée le 12 novembre de la même année, apporte la réponse de l’État aux doléances et aux voeux de la communauté universitaire en révolte. Elle obéit à deux principes fondamentaux. En premier lieu, l’idée de la « participation », qui conduit à confier la gestion des établissements et des unités d’enseignement et de recherche (UER) qui les composent à des conseils élus, où seront représentés non plus seulement les professeurs, mais l’ensemble de ceux qui y travaillent, enseignants de tous les grades, étudiants et personnels d’administration et de service. La loi confirme, d’autre part, le principe de l’« autonomie universitaire », dont le champ d’application reste cependant limité aux méthodes et aux contenus de l’enseignement et de la recherche. Les diplômes doivent conserver une validité nationale, et les universités n’obtiennent pas l’autonomie financière. La loi Savary (26 janvier 1984), dans la downloadModeText.vue.download 932 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 921 logique de l’alternance politique de 1981, ne modifie pas radicalement le système mis en place en 1968. Pour l’essentiel, les remarques formulées en 1984 par René Rémond sur « la crise des universités » conservent aujourd’hui toute leur pertinence. Celles-ci, en effet, continuent de « subir les contrecoups d’un afflux d’étudiants sans précédent dans leur longue histoire ». Le total de la population étudiante, qui était passé, entre la Belle Époque et 1939, de 31 000 à 76 000, s’est accru à un rythme accéléré après la guerre : pour les seuls étudiants des universités, il était de 137 000 en 1950, de 213 000 en 1960, de 637 000 en 1970, de 801 000 en 1980, et il dépasse le million depuis 1990. Le statut même du savoir est remis en question dès lors que l’on attend avant tout du diplôme la garantie d’un
débouché professionnel. Le problème que pose, aux universitaires comme aux responsables politiques, « la concomitance contradictoire entre l’afflux à l’entrée et la réduction des débouchés à la sortie » (René Rémond) reste aujourd’hui sans solution. L’arrêté du 9 avril 1997 relatif au diplôme d’études universitaires générales (DEUG), à la licence et à la maîtrise s’efforce de remédier à l’échec massif en premier cycle, tout en écartant l’idée d’une « sélection » générale à l’entrée, tandis que l’harmonisation, européenne impose des changements notamment dans le second cycle (instauration de master remplaçant la maîtrise) mais favorise aussi les programmes d’échanges d’étudiants et de professeurs. En vérité, les dysfonctionnements de l’institution universitaire reflètent plus que jamais les maux dont souffre la société tout entière. UNR (Union pour la nouvelle République), fédération de formations gaullistes créée le 1er octobre 1958, au lendemain du référendum qui a approuvé la Constitution pour une nouvelle République, et en vue de la préparation des élections législatives de novembre. Comme son nom l’indique, l’histoire de l’UNR est attachée à celle de la Ve République des années de Gaulle, même si le Général, qui n’a jamais été très favorable aux structures partisanes et qui a souffert de l’échec du Rassemblement du peuple français (RPF) sous la IVe République, n’y intervient pas directement. Cependant, c’est grâce à sa popularité personnelle - il est à nouveau considéré par nombre de Français comme le « sauveur » de la France, aux prises alors avec la guerre d’Algérie - que l’UNR, à l’instar du RPF précédemment, est portée au pouvoir. Mais la nouvelle formation, au contraire du RPF, n’a pas la prétention d’être un parti de masse. Jean Charlot la définit comme « un parti d’électeurs, ministériel et parlementaire, mais sans dynamique militante ». Forte de ses 194 députés élus à l’Assemblée nationale en novembre 1958, elle constitue d’emblée le groupe le plus nombreux. Les premières Assises nationales, réunies à Bordeaux du 13 au 15 novembre 1959, opposent les partisans d’une politique d’« intégration » en Algérie, tel Jacques Soustelle, et les fidèles ou les ralliés à la politique du général de Gaulle. L’affaire algérienne entraîne l’exclusion de personnalités, dont Jacques Soustelle, en avril 1960. Néanmoins, les élections législatives de novembre 1962 sont un triomphe pour l’UNR, qui s’allie aux Républicains indépendants, parti fondé par Valéry Giscard d’Estaing, et
à l’Union démocratique du travail (UDT), créée par des gaullistes de gauche partisans d’une réforme de l’association capital-travail. L’UNR détient bien la « majorité » avec ses 233 sièges, alors que les partis traditionnels accusent un échec retentissant. Capable de se mobiliser pour les échéances électorales, elle ne constitue pas, en revanche, une force de proposition et se voit souvent qualifiée de « parti de godillots ». Son recul, certes limité, aux élections législatives de mars 1967 (180 sièges et 31,4 % des suffrages) favorise une réflexion doctrinale aux Assises de Lille, réunies en novembre. Georges Pompidou, alors Premier ministre, n’est pas étranger à cette entreprise de modernisation, qui se traduit notamment dans un changement de dénomination : l’UNR devient l’Union des démocrates pour la Ve République (UD Ve), puis l’Union pour la défense de la République (UDR) au moment d’affronter les élections de juin 1968. Mais c’est déjà l’après-gaullisme qui s’ouvre. Urbain (Appolline Thomas Urbain, dit Ismaïl), publiciste, conseiller de Napoléon III pour la politique algérienne (Cayenne 1812 - Alger 1884). Ce fils naturel d’un commerçant marseillais et d’une esclave affranchie vient à Paris en 1832, où il se lie aux saint-simoniens. Après avoir travaillé à la construction d’un phalanstère à Ménilmontant, il fait, avec Prosper Enfantin, un voyage à Constantinople, et gagne ensuite l’Égypte, pays qui symbolise, à ses yeux, le lieu de la fusion entre la race noire et la race blanche. Il se convertit à l’islam en 1835, puis se rend en Algérie, où il adopte le prénom d’Ismaïl et épouse une musulmane en 1840. Secrétaire du général Bugeaud, et présent lors de la capture de l’émir Abd el-Kader par le duc d’Aumale, il est présenté à la famille royale. Dès cette époque, hostile à la doctrine de l’assimilation-pacification, il prône une association entre Français et Algériens. Mais il ne devient influent que sous le Second Empire, sans parvenir pour autant à modifier véritablement l’esprit de la colonisation. Deux brochures, publiées anonymement en 1860 et en 1862 (L’Algérie pour les Algériens et l’Algérie française, indigènes et immigrants) lui permettent de préciser sa vision : chaque peuple doit suivre sa voie spécifique vers le progrès ; en Algérie, la colonisation agricole doit être l’oeuvre des indigènes et la colonisation industrielle, celle des immigrants. En inspirant à Napoléon III son idée d’un « royaume arabe », il s’attire la haine du parti colonial. Cependant, plusieurs révoltes indigènes conduisent l’em-
pereur à laisser l’armée se ranger aux côtés des colons. Interprète de Napoléon III en Algérie en 1865, Urbain parvient encore à l’informer de la famine qui y sévit en 1867, et que voulait dissimuler le gouverneur Mac-Mahon. Éloigné des milieux officiels après la chute de l’Empire, il continue cependant sa lutte en faveur de l’Algérie, où il retourne avant de mourir. Urbain V (Guillaume de Grimoard, pape et bienheureux sous le nom d’), pape de 1362 à 1370 (château de Grisac, Lozère, vers 1310 - Avignon 1370). Issu d’une famille noble du Gévaudan, il devient moine bénédictin à Chirac, près de Mende. Une solide formation théologique, une charge abbatiale à Saint-Germain d’Auxerre (1352) puis à Saint-Victor de Marseille (1361), des missions diplomatiques en Italie, l’ont préparé à sa future fonction. Il est élu pape le 28 septembre 1362, et vient s’installer en Avignon, ville où siège la papauté depuis le début du XIVe siècle. Sa politique témoigne d’une grande fermeté à l’égard des fonctionnaires de la curie, contraints presque systématiquement de choisir entre leur bénéfice et leur office. La bulle Horribilis (1366) apporte ainsi une réforme nécessaire en limitant le cumul des bénéfices ecclésiastiques. Le pape encourage également la formation des clercs par la création de collèges et d’universités (Orange, Cracovie, Vienne). Humaniste, il favorise les lettres et les arts. Contre l’avis des cardinaux et de son entourage, Urbain V tente de rétablir le siège pontifical à Rome, où il siège trois ans (1367-1370). Mais, devant les désordres qui règnent en Italie, il doit se résoudre à retourner en Avignon. La réputation de sainteté d’Urbain V se répand rapidement dans toute la Chrétienté par le biais de nombreux récits de miracles consignés par écrit peu de temps après sa mort. Uriage (école d’), école créée en novembre 1940, et destinée, à l’origine, à fournir au régime de Vichy des élites capables d’encadrer la population. Pierre Dunoyer de Segonzac, son fondateur, un militaire pétri d’humanisme, a alors deux préoccupations. Il s’agit d’abord, pour lui, de donner une solide éducation physique aux futurs cadres de la nation afin, semblet-il, de préparer une revanche militaire de la France. Il convient en outre de leur offrir une formation intellectuelle fondée tout à la fois sur la réflexion et sur l’apprentissage de valeurs morales jugées essentielles à toute quête spirituelle. Cours théoriques et réunions de
réflexion alternent donc avec les exercices sportifs. Cette démarche s’inscrit dans le droit fil de la condamnation de la « décadence » des années 1930, exprimée par les spiritualistes comme par les « non-conformistes » qui projettent de régénérer les hommes et le pays. Mais, dans un premier temps, elle intéresse surtout le maréchal Pétain et son entourage, qui y trouvent un écho à leurs préoccupations d’« assainissement » de la France. Toutefois, dès 1941, la trop grande indépendance de l’école, sa dénonciation d’un régime jugé trop conservateur, finissent par provoquer les réticences de Vichy. Alors qu’un nombre croissant de ses membres rejoignent la Résistance, l’école est dissoute par le gouvernement Laval, en décembre 1942. L’école d’Uriage a exercé une influence considérable sur les élites de l’après-guerre. Hubert Beuve-Méry, fondateur du Monde, Joffre Dumazedier, auteur de nombreux ouvrages sur l’éducation populaire et l’organisation des loisirs, Emmanuel Mounier et sa downloadModeText.vue.download 933 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 922 revue Esprit, ont participé à la diffusion de l’« esprit d’Uriage », dans la presse, l’enseignement (pédagogie), l’entreprise même, en accordant une place fondamentale à la réflexion, à la diffusion de la culture et à la gestion des hommes. Utrecht (traités d’), ensemble de traités signés en 1713 entre la France et l’Espagne, d’une part, et les puissances coalisées (moins le Saint Empire), d’autre part. En janvier 1712, un congrès de paix se réunit à Utrecht (aujourd’hui ville des Pays-Bas) pour mettre fin à la longue guerre de la Succession d’Espagne, commencée en 1701. Les négociations portèrent d’abord sur les questions dynastiques. Le gouvernement anglais souhaitait, pour éviter la réunion de l’Espagne et de la France, avoir des garanties : le roi d’Espagne, Philippe V, petit-fils de Louis XIV, dut renoncer à ses droits à la couronne de France ; son frère, le duc de Berry, et son cousin, le duc d’Orléans (le futur Régent), à leurs droits à la couronne d’Espagne. Louis XIV acceptait aussi la succession protestante en Angleterre telle qu’elle avait été organisée par Guillaume III : à la mort de la reine Anne Stuart, la maison de Hanovre, protestante,
obtiendrait la couronne d’Angleterre. Le « prétendant » Stuart, le frère catholique de la reine Anne, qui vivait en France, dut quitter ce royaume. Des troupes anglaises occupèrent temporairement Dunkerque dont les fortifications devaient être détruites. Dans la nuit du 11 au 12 avril 1713, les premiers traités furent signés entre la France, d’un côté, l’Angleterre, le Portugal, la Prusse, la Savoie et les Provinces-Unies, de l’autre. La France abandonnait l’Acadie, les territoires de la baie d’Hudson, l’île de Saint-Christophe et Terre-Neuve, où les marins français conservaient néanmoins le droit de pêche. Elle gardait l’île du Cap-Breton, à l’entrée du golfe du Saint-Laurent : les Français du Canada se rassemblaient donc dans la vallée de ce fleuve. Le duc de Savoie devenait roi de Sicile et Louis XIV reconnaissait l’Électeur de Brandebourg comme roi de Prusse. Un traité de commerce entre la France et l’Angleterre avait été signé mais le Parlement anglais refusa de le ratifier. En outre, Philippe V conservait l’Espagne et les colonies espagnoles d’Amérique, mais abandonnait ses possessions italiennes, et laissait Gibraltar et Minorque à l’Angleterre. La paix entre Louis XIV et l’empereur germanique ne fut signée que le 6 mars 1714, à Rastadt (ou Rastatt), et fut confirmée à Baden, en Argovie (Suisse), région située entre la France et l’Empire (7 septembre 1714). L’Alsace et Strasbourg restaient françaises. Cependant, Louis XIV rendait toutes les terres de la rive droite du Rhin - Brisach, Kehl, Fribourg mais gardait Landau. Les Électeurs de Cologne et de Bavière étaient simplement restaurés. L’empereur Charles VI, quant à lui, ancien prétendant au trône d’Espagne, devait avoir la souveraineté sur les Pays-Bas, jusqu’alors espagnols, et obtenait le Milanais, Naples, la Sardaigne, et des places en Toscane. Vadier (Marc Alexis Guillaume), homme politique (Pamiers, Ariège, 1736 - Bruxelles 1828). Membre du Comité de sûreté générale du 14 septembre 1793 au 1er septembre 1794 - soit durant tout l’an II de la Révolution –, Vadier est à ce Comité ce que Robespierre est au Comité de salut public. Fils d’un receveur des décimes du clergé de Pamiers, il est un temps soldat (1753-1757), puis petit propriétaire terrien dans sa région natale. En 1768, il commence des études de droit à Toulouse et, bachelier en 1770, il achète une charge de conseiller au présidial (tribunal local) de Pamiers. Élu député aux états généraux de
1789, il prête le serment du Jeu de paume mais ne joue alors guère de rôle politique marquant. Lorsque la Constituante se sépare, il devient président du tribunal du district de Mirepoix (Ariège). Député à la Convention en 1792, il siège avec les montagnards et vote la mort de Louis XVI. Sa véritable carrière commence au début de la Terreur, lorsqu’il est élu au Comité de sûreté générale, qu’il préside bientôt. Très actif, il fait poursuivre inlassablement prêtres, nobles et girondins, mais aussi Danton et les indulgents, contre lesquels il s’acharne et dont il obtient la condamnation, les faisant exclure des débats lors de leur procès. Il est surtout l’ennemi de Robespierre, qu’il juge trop modéré et dans lequel il veut voir un tyran. En fait, il s’agit là d’un conflit d’autorité, auquel s’ajoutent des griefs personnels, le Comité de salut public empiétant sur les compétences du Comité de sûreté générale. Après la fête de l’Être suprême, Vadier, athée notoire, exploite l’affaire Catherine Théot (une illuminée qui voit en Robespierre un Messie) contre l’Incorruptible, puis, profitant de l’absence de celui-ci, exacerbe les divisions au sein des deux Comités. Dénoncé sans être nommé le 8 thermidor an II (26 juillet 1794) par Robespierre, qui conclut à la nécessaire épuration du Comité de sûreté générale et à sa subordination au Comité de salut public, Vadier entre dans la conjuration du 9 Thermidor, où son intervention sera décisive. Resté montagnard après la chute de Robespierre, il est bientôt poursuivi comme terroriste et condamné par contumace à la déportation, après la journée du 12 germinal an III (1er avril 1795), à laquelle il n’a pris aucune part. Arrêté en juin 1796 à Toulouse, il est inclus dans la conjuration des Égaux, à laquelle il est pourtant étranger et, bien qu’acquitté, il demeure en prison jusqu’en septembre 1799. Dès lors, sous une constante surveillance policière, il vit dans la retraite, jusqu’aux Cent-Jours où il adhère à l’Acte additionnel. Il est condamné à l’exil, sous la Restauration, par la loi du 12 janvier 1816. Vaillant (Marie Édouard), ingénieur, médecin et homme politique (Vierzon, Cher, 1840 - Saint-Mandé 1915). Né d’un père notaire et homme d’affaires, et d’une mère attachée à sa foi catholique, Édouard Vaillant n’était pas appelé à devenir le socialiste révolutionnaire qu’il fut. Sorti ingénieur de l’École centrale en 1862, il est reçu docteur ès sciences en 1865 et docteur en médecine. Il partage alors avec une partie
de la « Jeunesse des Écoles » du Quartier latin des sentiments proudhoniens, dont il se défait lors d’un séjour en Allemagne pour se rapprocher du blanquisme. Dans le même temps, il adhère à la Ire Internationale. Combattant durant la guerre de 1870, il se montre patriote, hostile à tout abandon. La Commune le nomme à sa commission exécutive en tant que délégué à l’Instruction publique. Si le temps lui manque pour accomplir des transformations profondes, il s’efforce pourtant d’en jeter les bases : laïcisation, enseignement technique et féminin, réforme démocratique des études médicales. Après la Semaine sanglante, il se réfugie à Londres, où il fait la connaissance de Karl Marx, à la pensée duquel il se rallie, avant de revenir à ses convictions blanquistes. Rentré en France après l’amnistie de juillet 1880, il devient en 1881 l’un des principaux dirigeants d’un petit parti blanquiste, le Comité révolutionnaire central, qui se transforme en 1898 en Parti socialiste révolutionnaire. Élu conseiller municipal du XXe arrondissement de Paris en 1884, il y est ensuite régulièrement élu député de 1893 à 1914. Il ne cesse de jouer un rôle de premier plan dans l’histoire du socialisme français et international, participant notamment en 1901 à la création du Parti socialiste de France. Il est dreyfusard, travaille à l’unification des mouvements socialistes et lutte contre la guerre, au coude à coude avec Jaurès. En 1914, une fois le conflit déclaré, il s’engage avec ferveur dans la politique d’« union sacrée », renouant sans doute avec l’esprit de 1870. Valérien (mont), colline qui domine la ville de Suresnes, à l’ouest de Paris ; site religieux au Moyen Âge et à l’époque moderne, puis site militaire, un fort y ayant été bâti, devenu, après 1945, un haut lieu de la mémoire du second conflit mondial. La colline a longtemps été habitée par des ermites avant que, en 1634, un prêtre nommé Hubert Charpentier y fonde une congrégation et y élève un calvaire et un chemin de croix. Construit en 1830, consolidé lors de l’édification de l’enceinte de Paris en 1840, le fort du mont Valérien joue un rôle important en 1870-1871 : resté sous le contrôle des Français lors du siège de Paris, il permet de tenir les Prussiens à distance, et sert de point d’appui au moment de la vaine tentative de sortie dite « de Buzenval » (19 janvier 1871) ; pendant la Commune, il est tenu par les troupes versaillaises, qui repoussent l’offensive des fédérés en direction de Versailles, le 3 avril. Il
abrite ensuite une prison et des unités télégraphiques militaires. Pendant l’Occupation, plusieurs milliers de personnes, tirées des camps de détention ou des prisons, sont exécutées par les nazis dans les fossés qui entourent le fort. Ce dernier devient, dès 1945, un lieu de commémoration, symbole des sacrifices de la Résistance mais surtout haut lieu de la mémoire gaullienne : le 11 novembre 1945, l’inhumation - dans une crypte surmontée d’une croix de Lorraine - de 15 victimes de la guerre (3 résistants, 2 déportés, un prisonnier mort en captivité, 9 combattants de la France libre), downloadModeText.vue.download 934 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 923 puis, le 18 juin 1946, la cérémonie au cours de laquelle le général de Gaulle ranime la flamme de la crypte avec un flambeau allumé sur la tombe du Soldat inconnu de l’Arc de triomphe, inscrivent les morts de 39-45 dans la lignée de ceux de 14-18. Sous la IVe République, de Gaulle se rend chaque année au mont Valérien pour y célébrer l’anniversaire du 18 Juin. Dès son retour au pouvoir en 1958, il y fait élever le Mémorial de la France combattante, et, l’année suivante, y inaugure une dalle perpétuant le souvenir des prisonniers exécutés par les Allemands. En 1981, le président Mitterrand y vient à son tour célébrer l’Appel du 18 juin. De 1954 à 1985, les cérémonies de la Journée nationale de la déportation se déroulent au mont Valérien, avant que d’autres lieux ne lui soient préférés. À la fin du XXe siècle, le recul de la mémoire privilégiant, à la manière gaullienne, l’unité nationale et l’émergence d’une mémoire spécifique du génocide ont retiré au mont Valérien une partie de son importance. Vallès (Jules Louis), journaliste et écrivain (Le Puy-en-Velay, Haute-Loire, 1832 - Paris 1885). Fils d’un instituteur devenu agrégé de grammaire, Vallès est élève au lycée de Nantes, où il se lie aux révolutionnaires locaux, avant de s’enthousiasmer en 1848 pour la IIe République. Il s’installe alors à Paris, tente de résister au coup d’État de 1851, et doit se réfugier chez son père, qui le fait déclarer fou et interner quelques mois. Une fois bachelier, il regagne Paris, conspire contre l’Empire, mène une vie de journaliste bohème, puis en 1857
publie l’Argent, manuel du spéculateur en bourse, avec une préface sarcastique dédiée au financier Mirès. C’est le vrai début de sa carrière : il écrit pour le Figaro, le Progrès, l’Époque, etc., et, malgré la surveillance dont il est l’objet et les foudres de la censure, crée en 1867 la Rue, journal vite interdit. Les trois années suivantes sont jalonnées par plusieurs passages en prison et une sévère défaite aux législatives de 1869, face au républicain modéré Jules Simon. À la chute de l’Empire, Vallès se retrouve chef d’un bataillon de la Garde nationale et participe, dès octobre 1870, à une tentative de sédition contre le gouvernement de la Défense nationale. En février 1871, il lance un journal, le Cri du peuple, bientôt interdit. Emprisonné, libéré en mars quand Paris s’insurge, il ressuscite avec succès son journal, est élu au Conseil de la Commune, au sein duquel il s’occupe d’enseignement puis des relations extérieures, plaidant toujours pour la liberté d’expression. Durant la Semaine sanglante, il se bat sur les barricades, mais parvient à échapper aux versaillais. Une condamnation à mort est prononcée contre lui en 1872, pendant son exil en Angleterre, où il commence, avec l’Enfant (1879), une trilogie semi-autobiographique. Après l’amnistie de 1880 et son retour en France, suivent le Bachelier (1881) et l’Insurgé (posthume, 1886), tandis que reparaît le Cri du peuple (1883), ouvert aux socialistes de toutes nuances. Lors de ses obsèques, 60 000 personnes suivent le cercueil, la cérémonie donnant lieu à une manifestation houleuse. La postérité a retenu de Vallès sa trilogie, et surtout le premier volume, très dur pour ses parents, pour la petite-bourgeoisie soucieuse du qu’en-dira-t-on, pour une éducation fondée sur la répétition de modèles antiques. Il y met l’ironie au service d’une révolte moins intellectuelle qu’instinctive, manifeste sa tendresse pour les déshérités et sa nostalgie du monde rural, et témoigne de son époque et de son itinéraire, de l’enfance à la Commune, dans une langue chaleureuse, efficace, ennemie des rhétoriques traditionnelles. Valmy (bataille de), première victoire remportée par la France révolutionnaire sur la coalition austro-prussienne (20 septembre 1792). L’armée prussienne de Brunswick se met en marche en juin 1792. Malgré la guérilla des paysans qui la harcèle sur ses arrières, elle s’empare de Longwy le 23 août : la route de
Paris est ouverte. Le général Dumouriez, commandant l’armée française, décide d’arrêter Brunswick en l’obligeant au combat à Valmy, près de Sainte-Menehould. La bataille se résume en fait à une longue canonnade qui fait peu de victimes. Les troupes françaises, dirigées par Kellermann et composées de soldats de l’ancienne armée royale et de deux bataillons de volontaires, tiennent le choc sous les feux de l’artillerie ennemie. La résistance des Français - encouragée par Kellermann qui brandit son chapeau au bout de son sabre en leur faisant crier « Vive la nation » - étonne les Prussiens, qui rebroussent chemin. L’attitude des Français n’est pas la seule explication de cette retraite : les Prussiens sont décimés par la dysenterie et leur roi est plus motivé par le partage de la Pologne que par le sort de la France. Certains historiens ont voulu minimiser la portée de la bataille de Valmy, expliquant soit que la victoire aurait été le fait de la ci-devant armée royale et non des volontaires, soit qu’elle aurait été « achetée » par Danton avec la complicité de son « frère » en maçonnerie Brunswick. Que Valmy ait été une grande victoire militaire ou non importe peu. Elle est une victoire politique et surtout psychologique immense, la première de la République. Valois, dynastie qui régna sur la France de 1328 à 1589. Elle est issue de Charles, comte de Valois, frère du capétien Philippe IV le Bel. La lignée directe des Capétiens s’éteint en 1328, quand meurt, sans héritier mâle, le dernier fils de Philippe le Bel, Charles IV. Le cousin de ce dernier, Philippe de Valois (1293-1350), se fait alors reconnaître comme roi par les grands du royaume, et règne sous le nom de Philippe VI. Il est choisi parce qu’il est l’aîné des mâles de sang royal et « natif du royaume » : sont donc écartés de la succession Philippe d’Évreux (1301-1343), autre neveu de Philippe le Bel, et Édouard III d’Angleterre (1312-1377), petit-fils du même Philippe le Bel, mais en ligne féminine. L’ordre successoral n’est pas contesté dans l’immédiat, mais il servira bientôt de prétexte au déclenchement de la guerre dite « de Cent Ans », entre la France et l’Angleterre. Après la mort de Philippe VI, se succèdent de père en fils : Jean II le Bon (1350/1364), Charles V le Sage (1364/1380), Charles VI le Bien Aimé ou le Fol (1380/1422), Charles VII (1422/1461), Louis XI (1461/1483) et Charles VIII (1483/1498). La branche directe des Valois s’éteint donc à la septième génération, en 1498,
lorsque Charles VIII meurt sans héritier. La couronne revient alors au plus proche parent en ligne masculine du roi défunt, le duc Louis II d’Orléans, qui règne sous le nom de Louis XII : il est en effet le chef de la branche des Valois-Orléans, son grand-père étant Louis Ier d’Orléans, second fils du roi Charles V et frère puîné du roi Charles VI. La lignée royale des Valois-Orléans est éphémère, puisque Louis XII meurt en 1515, sans laisser de fils. Son cousin et gendre François Ier (14941547), fils de Charles d’Angoulême, luimême petit-fils du duc d’Orléans Louis Ier, devient roi de France. Cette ramification de la famille des Valois, dite « branche des ValoisAngoulême », se maintient jusqu’en 1589, le trône étant occupé successivement par le fils de François Ier, Henri II (1547/1559), puis par les trois fils que ce dernier a eus avec Catherine de Médicis : François II (1559/1560), Charles IX (1560/1574) et Henri III (1574/1589), tous décédés sans laisser de fils. Henri III mourant désigne expressément comme son successeur Henri de Bourbon, roi de Navarre, son cousin au vingt-deuxième degré, qui se trouve être le premier prince du sang (il appartient à la lignée fondée par Robert de Clermont, l’un des fils du roi capétien Saint Louis) selon les règles de dévolution de la couronne, et qui règne sous le nom d’Henri IV. Valois-Angoulême, branche cadette de la maison de Valois-Orléans qui régna sur la France de 1515 à 1589. Descendant de Jean d’Orléans (13991467), comte d’Angoulême, troisième fils de Louis d’Orléans (lui-même fils cadet du roi Charles V), puis de Charles d’Angoulême (1459-1496), la lignée des Valois-Angoulême accède au trône avec François Ier (né en 1494), fils du précédent et de Louise de Savoie (1476-1531), qui succède à son cousin et beau-père Louis XII, mort sans héritier mâle en 1515. Les Valois-Angoulême occupent le trône pendant trois générations. À François Ier (1515/1547) succèdent Henri II (1547/1559), puis les trois fils de ce dernier et de Catherine de Médicis, François II (1559/1560), Charles IX (1560/1574) et Henri III (1574/1589). Princes de la Renaissance, fascinés par l’Italie, les Valois-Angoulême encouragent les lettres et les arts et s’entourent d’une cour fastueuse. Grands législateurs, ils déve-
loppent l’administration royale et préparent l’État absolutiste. À l’extérieur, ils mènent une lutte de longue haleine, aux résultats inégaux, contre les Habsbourg représentés par Charles Quint puis Philippe II. Mais, après la mort d’Henri II, le royaume, qui a été gagné par la Réforme, sombre dans les guerres civiles et religieuses, sur fond de difficultés économiques et financières. En 1589, l’assassinat d’Henri III, mort sans héritier direct, survenant après la disparition, en 1584, de son frère downloadModeText.vue.download 935 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 924 François d’Alençon, dernier fils d’Henri II et de Catherine de Médicis, fait passer la couronne à Henri de Bourbon, roi de Navarre, qui devient roi de France sous le nom d’Henri IV. Au-delà des jugements - parfois féroces portés sur les derniers Valois-Angoulême, les historiens s’accordent aujourd’hui à leur reconnaître d’avoir maintenu, dans des circonstances parfois dramatiques, une certaine conception de l’État, dont les Bourbons recueilleront l’héritage. Varennes (fuite et arrestation du roi à), épisode et tournant de la Révolution au cours duquel Louis XVI s’enfuit pour gagner Montmédy, près de la frontière belge, mais est arrêté à Varennes-en-Argonne, le 21 juin 1791. Depuis les journées d’octobre 1789 (les Parisiens avaient alors contraint la famille royale à quitter Versailles et à s’installer aux Tuileries), la liberté de mouvement du roi est très restreinte. Or, Louis XVI et la cour hésitent entre plusieurs stratégies de restauration du pouvoir monarchique : soit provoquer une guerre de diversion par laquelle le roi reprendrait l’initiative politique et le contrôle des troupes, soit faire appel à l’intervention directe des puissances étrangères pour écraser le mouvement révolutionnaire. Pour concrétiser cette seconde option, Louis XVI doit impérativement s’éloigner de la capitale et se rapprocher des États de l’empereur. Le peuple parisien ne s’y trompe pas puisque, le 18 avril, il empêche le roi de se rendre à Saint-Cloud, craignant une fuite vers Bruxelles. Les avertissements ne manquent pas : en mai, Marat et Fréron dénoncent les projets de la cour. Le plan d’évasion est organisé par le comte de Fersen. Dans la nuit du 20 au 21 juin 1791, le roi, la reine, leur fille et le dauphin,
accompagnés de Mme Élisabeth, soeur de Louis XVI, et de Mme de Tourzel, gouvernante des enfants, s’enfuient sous des déguisements, à bord d’une berline, en direction de Montmédy, où les attend le marquis de Bouillé. Louis XVI laisse derrière lui une déclaration proclamant sans ambiguïtés son rejet de la Révolution. Mais l’évasion est mal conçue et, surtout, les populations sont sur le qui-vive ; le roi rate le rendez-vous avec les hommes envoyés par Bouillé. Il est reconnu à SainteMenehould par le maître de poste Drouet, qui le fait arrêter à Varennes-en-Argonne. Pendant ce temps, à Paris, l’Assemblée a appris la nouvelle et, effrayée de ses conséquences politiques, invente la fable de « l’enlèvement » du roi pour gagner du temps, puis le suspend de ses fonctions. Elle délègue Pétion, Barnave et Latour-Maubourg pour aller chercher Louis XVI et sa famille. Une partie des patriotes et des clubs révolutionnaires réclament immédiatement la déchéance du roi. Le retour à Paris a lieu le 25 juin, sous les regards de Parisiens hostiles mais silencieux. Après avoir entendu la déposition de Louis XVI, l’Assemblée fait le choix de le rétablir sur son trône constitutionnel, le 16 juillet. La fuite du roi marque un tournant dans la Révolution française : la popularité de Louis XVI est sérieusement écornée, et la répression du mouvement populaire qui suit la réinstallation du roi (fusillade du Champ-deMars, le 17 juillet) n’arrête pas la dynamique révolutionnaire. Malgré l’acceptation de la Constitution par Louis XVI, le 14 septembre, la monarchie constitutionnelle est ébranlée. variole. Cette maladie endémo-épidémique, se manifestant par d’impressionnantes éruptions cutanées, est l’un des principaux fléaux pathologiques qui, jusqu’au XIXe siècle, ont sévi en Europe occidentale. La variole emportait 15 à 20 % des malades infectés et aurait été responsable, bon an mal an, de 10 % de la mortalité générale, pouvant en outre rendre aveugle ou défigurer ceux qui en réchappaient. Au-delà de cet aspect démographico-biologique, l’histoire de la « petite vérole », comme on nomme alors la variole, est inséparable de la geste épique de la médecine moderne et, plus simplement, de la lente diffusion, aux XVIIIe et XIXe siècles, d’une conception nouvelle de la santé publique. De l’inoculation à la vaccination universelle peut se lire en filigrane le développement d’une « biopolitique » triomphante.
Les vertus immunisantes du cow-pox (ou vaccine), maladie des bovins, sont connues depuis longtemps, de façon empirique, dans différentes parties du monde, en particulier en Asie et très probablement aussi dans certaines campagnes occidentales : la contamination involontaire par la vaccine - mal bénin pour l’homme - protège de la contagion variolique. Sur la base de cette observation commune, l’inoculation volontaire aurait donc été pratiquée depuis fort longtemps. Selon la tradition, l’introduction raisonnée de l’inoculation en Europe est due à lady Mary Wortley Montagu, épouse de l’ambassadeur d’Angleterre en Turquie, qui, après avoir fait inoculer son fils avec succès, aurait promu cette technique en Angleterre, dès son retour en 1718. Parvenue en France en 1754, la technique de l’inoculation gagne peu à peu du terrain par le biais de la cour et des catégories urbaines privilégiées. Mais elle n’est pas sans risques : elle divise donc le milieu médical et reste, au total, relativement marginale. L’inoculation est alors à l’image d’une médecine dont les fondements scientifiques ne sont pas encore posés, mais aussi à l’image d’une santé publique balbutiante, dont l’État n’a pas encore fait une priorité. Tout se précipite à la fin du XVIIIe siècle : après une vingtaine d’années d’observations minutieuses et d’expérimentations soignées, le chirurgien anglais Edward Jenner publie à Londres, en 1798, son Enquête sur les causes et les effets de la variole vaccine et met au point, sur la base des principes de l’inoculation, le premier véritable procédé de vaccination. Beaucoup plus sûr quant à ses résultats et susceptible d’être reproduit à grande échelle grâce à sa technique de conservation, le vaccin ainsi créé fait bientôt l’unanimité. Médecins et pouvoirs publics mènent, dès 1800, sous l’impulsion du Premier consul Bonaparte, une grande campagne visant à vacciner la population. Malgré quelques difficultés initiales, la vaccination entre dans les moeurs et permet un recul spectaculaire de la mortalité variolique. Elle annonce, à l’orée du XIXe siècle, l’ère des découvertes pasteuriennes et l’avènement d’une santé publique efficace et omniprésente. Varlin (Louis Eugène), militant socialiste (Claye-Souilly, Seine-et-Marne, 1839 - Paris 1871). Né dans une famille de paysans, Eugène Varlin devient ouvrier relieur à Paris. Disciple de Proudhon, il joue un rôle éminent dans le mouvement mutualiste et coopératif : membre de la Société civile des relieurs en
1857, il fonde ensuite plusieurs coopératives de consommation. Il adhère à la Ire Internationale peu après sa création (1865) et devient rapidement l’un de ses dirigeants. Il connaît à ce titre la prison et doit s’exiler à la fin de l’Empire. Se définissant comme un « collectiviste anti-autoritaire », Varlin est hostile à la toutepuissance d’un parti qui organiserait la révolution et à la mise en place d’un État centralisé. Il plaide pour un mouvement social structuré à la base mais, contrairement à son maître Proudhon, il ne renonce pas à se mêler à la lutte sociale et politique, appelant à participer aux grèves et au jeu électoral aux côtés des radicaux, associant combat social et combat politique. En 1870, commandant du 193e bataillon de la Garde nationale, membre du Comité central provisoire des vingt arrondissements de Paris, il joue un rôle important pendant le siège de la capitale. Il est élu à la Commune en mars 1871 et occupe successivement des fonctions à la commission des finances, aux subsistances et à l’intendance. Au moment de la Semaine sanglante, il participe à la défense de la Commune et, le 28 mai, il est arrêté et fusillé. Personnage intègre, Varlin a été élevé au rang de martyr de la cause ouvrière. Varsovie (grand-duché de), État créé par Napoléon Ier à la suite de la paix de Tilsit (1807) et transformé en royaume de Pologne sous domination russe par le congrès de Vienne (1815). Depuis son troisième partage (1795), la Pologne a disparu de la carte de l’Europe : ses territoires sont attribués à la Russie, la Prusse et l’Autriche. Lorsque ses troupes prennent Varsovie (28 novembre 1806), Napoléon Ier exploite le sentiment national en appelant la population à prendre les armes contre ses voisins ; mais, en dépit des espoirs des exilés, il n’est pas question pour l’Empereur de rétablir l’indépendance. À la fin de 1807, la paix de Tilsit crée un nouvel État - le grand-duché de Varsovie, confié au roi de Saxe - à partir des provinces enlevées à la Prusse (Mazovie, Poznanie). En fait, le grand-duché est un État artificiel et dépendant. La réalité du contrôle politique revient au résident français. La Constitution du grand-duché est octroyée par Napoléon : elle proclame, certes, la liberté religieuse et l’égalité en droit, mais elle consacre surtout le rôle social et politique de l’aristocratie. L’abolition du servage - mesure apparemment la plus radicale - est une illusion, car les terres, les bâtiments et même l’outillage
agricole restent la propriété des seigneurs. La participation de troupes polonaises commandées par le prince Josef Poniatowski pendant la campagne napoléonienne de 1809 (en Allemagne et en Autriche) vaut au jeune État une extension de son territoire (Galicie, Cracovie, downloadModeText.vue.download 936 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 925 Lublin). Mais la retraite de Russie sonne le glas du grand-duché, dont le sort est réglé en 1815 par le congrès de Vienne : au quatrième partage de la Pologne, la Russie se taille la part du lion. vassalité, institution sociale qui organise et codifie les rapports hiérarchiques à l’intérieur de la société médiévale. Le vassal est un homme libre qui s’est volontairement placé dans la dépendance d’un autre homme en lui prêtant hommage. La relation instituée est viagère et ne peut être rompue, sauf en cas de manquement grave. Elle est réciproque : au devoir du vassal d’aider et de conseiller son seigneur répond l’obligation dans laquelle se trouve ce dernier de pourvoir à l’entretien de son homme en lui fournissant un bénéfice (IXe siècle) ou un fief (XIe siècle). Elle est toutefois fortement inégalitaire, le vassal se reconnaissant explicitement comme le subordonné de son seigneur. La vassalité trouve son origine dans les rituels de compagnonnage des sociétés germaniques. Elle est utilisée de façon systématique par les Carolingiens pour structurer des chaînes de commandement cohérentes à l’intérieur du groupe aristocratique. Dès le début de son règne impérial, en effet, Charlemagne a enjoint aux grands de faire entrer les hommes libres de leur région dans leur clientèle vassalique afin de faciliter le contrôle de la monarchie sur la société, c’est-à-dire afin de se donner les moyens de garantir la transmission et l’exécution des ordres donnés par le souverain. Il s’agit d’un palliatif dont la mise en place tient à l’absence de véritables institutions publiques. Après le règne de Charlemagne, la diffusion de la vassalité contribue fortement à rendre l’empire ingouvernable : la multiplication des clientèles vassaliques a eu comme principal effet de faire passer la fidélité envers le seigneur avant celle due au souverain. L’écla-
tement territorial des Xe et XIe siècles se traduit ainsi par la territorialisation des chaînes de fidélités, l’espace gouverné par un grand coïncidant avec les zones où se trouvent ses vassaux. Cette situation caractérise la société féodale, qui apparaît comme constituée de réseaux parallèles et rivaux, ancrés sur des territoires restreints. Le travail de reconstruction de l’autorité publique opéré par toutes les monarchies médiévales a essentiellement consisté à faire converger les clientèles vassaliques vers la personne du roi. Celui-ci, dès le XIIIe siècle, se trouve placé à la tête d’une pyramide de fidélités qui lui permet d’être effectivement obéi et de gouverner. Avec l’affermissement des institutions de l’État moderne au cours du XVe siècle, l’institution vassalique ne joue plus qu’un rôle secondaire dans les affaires publiques. Vauban (Sébastien Le Prestre, seigneur puis marquis de), maréchal de France (SaintLéger-de-Foucheret, aujourd’hui Saint-Léger-Vauban, près d’Avallon, 1633 - Paris 1707). Fils d’un hobereau, élève au collège de Semuren-Auxois, Vauban est d’abord cadet dans les rangs de la Fronde, au service de Condé (1651). S’étant rallié à Mazarin deux ans plus tard (1653), il devient ingénieur du roi (1655) et passe maître dans l’art d’établir des camps retranchés (castramétation) et de conduire les sièges (poliorcétique). La guerre de Dévolution (1667-1668) révèle à Louis XIV ce capitaine, qui va diriger avec talent une cinquantaine de sièges jusqu’en 1703, parmi lesquels ceux de Lille (1667), Maastricht (1673), Luxembourg (1684) ou Namur (1692). • Les réalisations militaires. Chargé en 1668 par Louvois des fonctions du commissaire général des Fortifications, avant d’en obtenir le titre (1678), Vauban perfectionne les travaux italiens, suédois, hollandais et français des XVe-XVIIe siècles, élaborant en trente ans trois systèmes successifs de fortification bastionnée, qui assurent une défense profonde grâce à l’échelonnement sophistiqué de plusieurs lignes de remparts, et démultiplient l’efficacité du feu par l’augmentation des angles de tir. Sont élevées ou remaniées plus de cent vingt places fortes, sur les côtes, mais surtout aux frontières ; quelques villes nouvelles, comme Neuf-Brisach (1698-1703), permettent à l’ingénieur de réaliser des modèles du genre. Cette « ceinture de fer » en
terre et maçonnerie est aménagée à la faveur des guerres de Hollande (1672-1679) et des « Réunions » de 1679-1684 (mais la plupart sont perdues en 1697). Partisan de la politique royale d’agrandissement territorial puis de linéarisation frontalière, Vauban écrit en 1672 que le roi doit « faire son pré carré ». Sa principale création, utilisée jusqu’en 1870, est le réseau défensif composé des trois lignes de places fortes qui barrent les faibles reliefs du Nord et de l’Est, de Dunkerque à Besançon. En campagne, Vauban invente le tir à ricochet de l’artillerie, structure les brigades d’ingénieurs du génie (1691), répand l’usage des grenades, fait adopter le fusil (1703). Il rédige des écrits militaires (Traité de l’attaque et de la défense des places, Essai sur les fortifications, etc.), publiés au XVIIIe siècle, ainsi que des mémoires géostratégiques. Magnifiés par l’adage « Ville défendue par Vauban, ville imprenable ; ville investie par Vauban, ville prise », ses succès le font gouverneur de la citadelle de Lille (1668), brigadier (1674), maréchal de camp (1676), lieutenant général (1688), gouverneur de Douai (1680), grand-croix de Saint-Louis (1693), membre honoraire de l’Académie des sciences (1699), maréchal de France (1703), chevalier du Saint-Esprit (1705). • Une intelligence multiforme au service de l’État. La polyvalence réclamée par ses fonctions et les tournées permanentes qu’elles requièrent, la participation à des travaux civils tels ceux de l’aqueduc de Maintenon ou du canal du Midi, un esprit d’observation joint à l’habitude de la mesure quantitative, un effort constant d’intégration des expertises au sein d’un raisonnement d’ensemble, font de Vauban un bon connaisseur du royaume, doublé d’un esprit indépendant, qui consigne ses spéculations chiffrées et ses projets de réforme dans des mémoires parfois communiqués au roi. Ainsi, son Projet d’une dîme royale, très lu au XVIIIe siècle, imprimé (mais non publié) sans autorisation en 1707, saisi et mis au pilon en un temps où les difficultés du royaume suscitent nombre de critiques. Visant la rentabilité fiscale, Vauban y préconise une meilleure répartition des charges par le prélèvement universel du dixième des revenus fonciers ; les privilégiés y seraient soumis, en contrepartie d’une moindre taxation des consommations. L’instauration provisoire de l’impôt du dixième (1710) en est un écho très affaibli. Ces réflexions suivent une multitude d’études locales ou sectorielles, la plupart
manuscrites. Le recours à la statistique démographique (Méthode générale et facile pour faire le dénombrement des peuples, 1686), l’amélioration de la fiscalité (« Projet de capitation », 1694), des subsistances (« De la cochonnerie » évalue la capacité de reproduction du porc), de l’organisation sociale (« Idée d’une excellente noblesse... »), de l’aménagement du territoire, des colonies, doivent profiter à l’État. En s’opposant à la révocation de l’édit de Nantes (1685), qui inquiète les États protestants et entraîne pour le royaume une perte de richesse en raison de l’exil de nombreux huguenots, Vauban, pieux catholique, manifeste, cette fois encore, le souci qu’il a toujours eu de préserver la puissance de l’État. Vaucanson (Jacques de), ingénieur mécanicien (Grenoble 1709 - Paris 1782). Fils d’un maître gantier de Grenoble, Vaucanson se rend à Paris en 1735 et y mène une carrière brillante - à la fois savante et mondaine - grâce à ses automates : en 1738, il présente à l’Académie des sciences son « Joueur de flûte », bientôt suivi du « Joueur de tambourin et de galoubet », du « Joueur d’échecs » et du « Canard ». Ces « anatomies mouvantes » portent au plus haut point les ambitions et les rêves de la médecine mécaniste (courant médical dont La Mettrie est le représentant le plus connu), mais révèlent en fait les limites de cette perception de la notion de vie. Cependant, l’échec du « mécanisme » ouvre la voie au machinisme et à la rationalisation du travail par la décomposition des mouvements. Philibert Orry, contrôleur général des Finances, charge Vaucanson de visiter les ateliers de tissage de Lyon (1740), pour préparer une réforme de la soierie française. Nommé inspecteur des Manufactures (1741), Vaucanson propose en 1743 un plan de redressement qui écarterait les maîtres ouvriers lyonnais de la direction de leur corporation, au bénéfice des marchands. En 1744, Lyon est en émoi et Vaucanson fuit à Paris, où il invente, l’année suivante, un métier à tisser automatique. En 1746, il devient membre de l’Académie des sciences et installe un atelier dans l’hôtel de Mortagne. Il y réalise diverses mécaniques, notamment des machines-outils, et prend part à la politique gouvernementale d’expertise et de conservation des objets techniques. Vaucanson participe ainsi à la naissance de la construction mécanique, secteur phare de l’ère industrielle. À sa mort, son atelier est acquis par l’État, et ses machines forment ensuite l’embryon des collections du Conservatoire national des arts et métiers. downloadModeText.vue.download 937 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 926 Vaux-le-Vicomte (château de), château construit entre 1656 et 1661, situé près de Melun (Seine-et-Marne), dont la composition d’ensemble est l’une des références du classicisme français. Nicolas Fouquet acquiert la terre de Vaux en 1641. Pour manifester sa promotion spectaculaire - il est devenu en 1653 surintendant des Finances -, il désire y faire construire un château. Les premiers travaux dessinent les jardins, et la construction des bâtiments, extrêmement rapide, est achevée en moins de cinq ans. Fouquet reçoit à Vaux la famille royale, y donne de grandes réceptions, dont la dernière, le 17 août 1661, a lieu trois semaines avant son arrestation. L’ensemble originel est, pour l’essentiel, parvenu jusqu’à nous, les restaurations effectuées à partir du XIXe siècle ayant été facilitées par l’abondance des témoignages d’époque. Le château proprement dit est construit par Louis Le Vau sur un plan massé, sans ailes et avec de vastes terrasses. La rotonde saillante sur la façade arrière, qui abrite un salon « à l’italienne », est une invention qui fait date. À l’intérieur, la place des escaliers, si importants dans la tradition française, est modeste : les principaux appartements sont en effet situés au rez-de-chaussée. Le travail de décoration est dirigé par Charles Le Brun, assisté, entre autres, des sculpteurs Michel Anguier et François Girardon. Le nouveau style à l’italienne domine (par exemple, dans les traitements des plafonds, assimilés à des voûtes), mais le baroque romain est ici assagi. L’iconographie, assez traditionnelle, repose sur la mythologie et l’emblématique, intégrant cependant quelques allusions contemporaines, dont un hommage allégorique à l’oeuvre de Mazarin. On a reproché à Le Vau des faiblesses dans l’organisation des volumes du château. Mais la priorité allait sans doute à la composition d’ensemble du domaine, dont il partage la paternité avec le paysagiste André Le Nôtre. Cette composition se déroule le long d’un axe de 1,5 kilomètre et englobe 500 hectares, dont 70 pour les jardins, ornés d’une abondante sculpture. La perspective principale est coupée par des axes transversaux, dont celui du grand canal, avec cascade et grotte. La hiérarchie des matériaux est nette : des moellons enduits réservés aux bâtiments les
plus humbles à la pierre seule retenue pour le château. L’alliance avec la brique, dont la mode est alors en train de passer, n’a plus cours que pour les dépendances. Sans précédent, cette composition sera souvent imitée par la suite. L’exceptionnelle équipe rassemblée par Fouquet passe entièrement au service de Louis XIV. Vaux annonce Versailles. Vel’d’hiv’ (rafle du), nom donné à une opération d’arrestation massive de Juifs, menée à Paris les 16 et 17 juillet 1942 ; acte de collaboration de l’État français à la « solution finale ». Le 16 juillet 1942, 4 500 policiers français, munis de fiches établies sur la base du recensement des Juifs effectué à l’automne 1940 par les services administratifs de la Préfecture de police en application d’une ordonnance allemande, reçoivent pour mission d’arrêter à Paris et en banlieue 27 361 Juifs apatrides - allemands, autrichiens, polonais, tchèques, russes d’origine, ou de nationalité indéterminée -, âgés d’au moins 2 ans et jusqu’à 55 ans pour les femmes et 60 ans pour les hommes. La rafle est dite « du Vel’d’hiv’ », mais en fait les célibataires et les couples sans enfants sont directement dirigés vers le camp de Drancy ; seules les familles sont internées quelques jours au Vélodrome d’hiver. Cette opération policière dure deux jours et se solde par l’arrestation de 13 152 Juifs, dont près de 6 000 femmes et plus de 4 000 enfants, qui seront déportés quelques jours plus tard à Auschwitz. D’autres rafles l’ont précédée depuis le début de l’Occupation. Le 14 mai 1941, 3 710 Juifs de Paris, polonais pour la plupart, se sont rendus à la convocation qui leur a été personnellement remise la veille à leur domicile par un policier et ont été arrêtés et internés dans les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande (Loiret). Le 21 août 1941, raflés cette fois - en trois jours - dans les rues de la capitale, 4 232 Juifs sont transférés au camp de Drancy. Le 12 décembre 1941 enfin, les Allemands arrêtent 743 notables juifs, presque tous français, qui prennent le chemin du camp de Compiègne. Mais la rafle du Vel’d’hiv’ diffère des précédentes par maints aspects : par son ampleur, par le fait qu’elle frappe aussi femmes et enfants, par le choc qu’elle produit dans l’opinion publique française et surtout par sa signification. Un mois auparavant (7 juin 1942), le port de l’étoile jaune a été imposé par une ordonnance des autorités militaires allemandes à tous les Juifs de zone occupée.
Des négociations entre les Allemands et le gouvernement de Vichy ont abouti à l’accord qui a permis le déroulement de la rafle : René Bousquet, secrétaire général à la Police, qui souhaite obtenir de l’occupant l’unification de la police française sous son autorité, a accepté le 2 juillet 1942 de livrer aux Allemands 10 000 Juifs étrangers de zone « libre » et de faire procéder par les policiers français aux arrestations qu’ils projettent en zone occupée. La rafle du Vel’d’hiv’, prélude d’une série de rafles qui vont se dérouler tant en zone occupée que dans le sud du pays, symbolise le passage d’une politique de ségrégation à l’application en France de la « solution finale », et donne tout son sens à la collaboration policière qui a facilité en définitive la déportation de plus de 75 000 Juifs de France. vénalité des offices, système par lequel un particulier peut acheter au roi une charge publique, la vendre à un tiers, ou la léguer à ses héritiers. D’après le jurisconsulte Charles Loyseau (1566-1627), qui juge très sévèrement ce système, l’office est considéré comme une « dignité ordinaire avec fonction publique ». Il est donc autant une marque d’honneur qu’une fonction, et est délivré de manière irrévocable et permanente. En principe, le roi est le seul dépositaire de la puissance publique. En réalité, il s’en considère comme le propriétaire, pouvant en vendre une part. De plus, il permet le trafic privé des charges - entre les titulaires des offices et leurs successeurs - en échange de la perception de taxes supplémentaires. Ce système, propre à la France d’Ancien Régime, perdure, malgré quelques réformes, jusqu’à la Révolution française. La vente des charges de finances apparaît à la fin du XVe siècle, sous le règne de Louis XII. François Ier généralise cette pratique, et vend même des offices de justice. Le prétendant à une charge doit avoir la capacité requise par cette fonction et doit être reçu par la compagnie des officiers en place. Aussi est-il soumis à des épreuves de droit, par exemple pour pouvoir devenir conseiller au parlement. Dans le cas de la vénalité publique, le roi cède un office par une « lettre de provision ». En contrepartie, le Trésor reçoit un prêt d’argent remboursé par le paiement de gages. À partir de 1522, les sommes sont collectées dans une caisse centrale, dite des « parties casuelles » (c’est-à-dire des recettes contingentes, inopinées). Jusqu’en 1586, la fiction de la conces-
sion au mérite est préservée alors qu’en vérité l’officier achète sa charge et perçoit un « salaire » en retour. Après quelques années d’exercice de sa charge, l’officier peut vouloir se retirer et vendre son office (résigner sa charge) : dans ce cas de vénalité privée, le résignant désigne son successeur - le résignataire - par acte notarié. Il présente alors la pièce au chancelier, qui l’accepte, moyennant versement d’un droit de résignation. La résignation de la charge est légale, à condition que le résignant survive quarante jours après l’expédition des provisions : les éventuelles pressions sur un agonisant sont ainsi évitées, et, surtout, les offices vacants, qui font retour au roi, sont nombreux, car il est courant que le résignant meure avant l’expiration du délai. C’est la raison pour laquelle les officiers en sont venus à réclamer un « droit de survivance », que la monarchie leur accorde au XVIe siècle : en échange du paiement d’une taxe (un tiers de la valeur de la charge en 1568), le résignataire est un membre de la famille du résignant. En 1604, l’édit de la Paulette - du nom de Charles Paulet, qui l’a proposé - consacre la patrimonialité de l’office puisqu’il supprime le verrou de la clause des quarante jours. La vénalité de l’office a été dénoncée comme une aliénation de la souveraineté, un détournement des richesses du royaume et un « foulement » des peuples. Cependant, le trafic des charges a permis la formation d’une administration publique à moindre frais et la rentrée de ressources immédiates, bien que les gages aient lourdement accru la dette à moyen terme. Enfin, la possibilité d’acquérir un office a assuré une relative mobilité sociale, quoiqu’une véritable aristocratie de l’office se soit constituée dès le XVIe siècle. l VENDÉE (GUERRE DE). L’expression « guerre de Vendée » désigne l’épisode de guerre civile qui a le plus marqué la Révolution française, par son écho national, par sa durée (1793-1796), par son ampleur et, enfin, par ses conséquences. Seule résistance à la Révolution ayant reçu l’appellation de « guerre », à la différence de la chouannerie (qui dure aussi longtemps) et des innombrables conflits meurtriers qui se déroulent dans la vallée du Rhône, de 1790 à downloadModeText.vue.download 938 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
927 1815, la « Vendée » est plus qu’une simple insurrection : dès 1793, elle a été érigée en symbole, par les révolutionnaires qui conduisent sur place une guerre politique inappropriée, puis en illustration du refus populaire de la Révolution par les opposants. Le caractère tragique des événements qui s’y déroulèrent explique la renommée de la région. LA NAISSANCE DE LA « VENDÉE » Le mot « Vendée » doit sa fortune à une bataille perdue par des troupes républicaines face à une forte bande d’insurgés, le 19 mars 1793, au centre du département de la Vendée, près de Saint-Vincent-Sterlanges. Alors que les principaux épicentres de l’insurrection se trouvent dans le sud de la Loire-Inférieure [aujourd’hui Loire-Atlantique], autour de Machecoul, ou dans le sud du Maine-et-Loire, près de Saint-Florent-le-Vieil, ce choc militaire, qui provoque un étonnement considérable dans toute la région, détermine le choix de la dénomination « Vendée » à la Convention. Celle-ci a été alertée par les nombreuses insurrections qui se sont produites à la suite du décret sur la « levée des 300 000 hommes » (février 1793), destiné à renforcer les troupes combattant aux frontières par l’apport de jeunes gens, tirés au sort ou désignés par leurs communautés. En effet, des mouvements de résistance se sont fait jour dans de nombreuses régions françaises déjà réfractaires aux mesures révolutionnaires, notamment en Bretagne et en Alsace. Les conventionnels, sous l’impulsion de la Montagne, se lancent alors dans une répression dont la clé est la loi du 19 mars 1793 instituant la peine de mort pour tous les insurgés. Mais, alors que les autres soulèvements - y compris celui qui a, dès le 15 mars, abouti au siège de Nantes sont matés par les troupes républicaines, celles-ci essuient une défaite dans le département de Vendée. Cet échec, qui surprend, est interprété comme l’effet d’une conspiration mêlant les contre-révolutionnaires anglais et belges aux ruraux de l’Ouest. La « guerre de Vendée » qualifie indiscutablement un mouvement de masse, composé de nombreuses bandes armées, progressivement regroupées autour de chefs. Ces insurrections de ruraux mécontents de la Révolution pour des raisons religieuses, sociales et économiques prennent la suite de deux années d’oppositions et de conflits. En effet, la ques-
tion religieuse a bouleversé les consciences, et les zones insurgées ont massivement soutenu les prêtres réfractaires, au point que quelquesuns d’entre eux sont restés sur place clandestinement, assurant des messes « illégales » dans les bois ou dans les granges. Les rivalités entre ruraux et élites urbaines à propos de l’achat de biens nationaux ont été vives, tournant le plus souvent au détriment des premiers. La suspicion des révolutionnaires à leur égard a achevé de les détourner de la Révolution, les amenant à rejoindre les nobles de l’Ouest, dont une partie était entrée de bonne heure dans la lutte contre-révolutionnaire autour de La Rouërie. Des heurts armés, entraînant mort d’hommes, ont eu lieu depuis 1791 et surtout en 1792. L’insurrection de 1793 n’est donc pas une surprise : les révolutionnaires locaux dénonçaient les risques de guerre civile depuis plusieurs années ; son succès crée cependant une situation nouvelle, au moment où les montagnards et les sans-culottes entament une lutte mortelle contre les girondins et s’entraînent mutuellement dans une surenchère politique. Enfin, quelques massacres de révolutionnaires (environ 150 personnes à Machecoul) reçoivent une publicité importante et immédiate, jetant l’opprobre sur la révolte, vue comme particulièrement sanguinaire. Dès avril 1793, le Comité de salut public naissant se fait apporter les nouvelles de la « Vendée » tous les jours, à midi. LA « RÉGION VENDÉE » Aux insurgés, dont les mots d’ordre réclament surtout un retour à la situation de 1789, plus qu’à une monarchie aristocratique, les révolutionnaires refusent toute concession. Ils font marcher sur la région des troupes venues de tout le pays pour écraser ce qui apparaît à leurs yeux comme un abcès contrerévolutionnaire. Le résultat sera inverse aux espérances : ces troupes composites, mal équipées, recrutées parfois parmi des militants sans aucune expérience, venus pour de mauvaises raisons, sont rapidement défaites par les armées dites « catholiques et royales » qui se sont constituées sur place autour de nobles locaux connus pour leurs sentiments antirévolutionnaires (d’Elbée, Bonchamps, La Rochejaquelein ou Charette), ou de meneurs repérés pour leur efficacité les années précédentes (Cathelineau ou Stofflet). Les insurgés se trouvent aux prises avec des divisions internes, qui ne les empêchent cependant pas de tenir tête aux troupes lancées contre eux au printemps 1793. Ils trouvent
même dans le combat des occasions de se renforcer, d’abord parce que des recrues étrangères viennent « en Vendée » pour passer à la Contre-Révolution, et former les noyaux de groupes de soldats permanents et expérimentés qui se trouveront au coeur des armées insurgées ; ensuite et surtout parce que les vendéens peuvent s’emparer des canons, des armes et de la poudre que leurs adversaires abandonnent dans leurs défaites. À la fin du printemps, les armées catholiques et royales sont puissantes de quelques milliers d’hommes, auxquels s’ajoutent les milliers de combattants rameutés au son du tocsin pour des opérations ponctuelles. Nombre d’enfants et quelques femmes participent directement aux combats, tandis que les autres soutiennent la révolte, soignent les blessés et tiennent les fermes pendant l’absence des hommes. Cet élan explique les victoires successives sur plusieurs villes : Fontenay-le-Comte, Thouars, Saumur, Angers. Mais ces armées aux effectifs fluctuants souffrent de plusieurs faiblesses. Elles ne peuvent pas occuper les villes conquises et leurs gains militaires sont éphémères. Surtout, les troupes demeurent divisées, autour de généraux aux personnalités contrastées. D’où l’échec des vendéens devant Nantes, à la fin juin 1793, qui empêche les Anglais d’apporter leur aide et laisse aux révolutionnaires le contrôle de la Loire et de la principale ville de l’Ouest. Le sort de la Révolution s’est joué à cette occasion. Les combats deviennent de plus en plus âpres au cours de l’été 1793. La région, tenue par des insurgés toujours divisés en groupes plus ou moins rivaux, est unifiée sous la houlette politique et religieuse d’un Conseil supérieur installé dans la petite ville de Châtillon-sur-Sèvre, et qui essaie de revenir à l’ordre catholique et royaliste d’avant 1789. Le ravitaillement, le stockage des armes, l’emprisonnement des soldats vaincus, sont organisés. Cependant, les insurgés marquent le pas devant Luçon et ne peuvent étendre leur zone d’influence, alors que les révolutionnaires dépêchent des troupes très nombreuses, dont certaines particulièrement aguerries. Avec les régions secouées par les insurrections « fédéralistes » (Lyon, puis Toulon, Bordeaux ou la Normandie), la Vendée fait partie de cette ceinture contre-révolutionnaire dont l’écrasement semble indispensable. Dès le 1er août, dans un discours célèbre qui unit la Vendée à toute la constellation contre-révolutionnaire en France et en Europe, le conventionnel Barère appelle à la destruction des « brigands de
la Vendée », recommandant toutefois de protéger les femmes, les enfants et les vieillards - il y joindra les « hommes sans armes », en octobre. Mais la guerre sur le terrain devient impitoyable, tandis que les généraux révolutionnaires mènent entre eux une guerre politique inexpiable, s’envoyant mutuellement à la guillotine. À partir de septembre 1793, l’initiative passe du côté des républicains. Leur première offensive échoue, du fait des rivalités entre les commandants montagnards (Canclaux) et sans-culottes (autour de Rossignol et Ronsin) : les armées sans-culottes rétrogradent, laissant les autres se faire battre par les vendéens. Mais, un mois plus tard, les sansculottes ayant obtenu le contrôle des armées de l’Ouest pendant cette première Terreur provinciale dirigée en partie contre Paris, la manoeuvre réussit et l’essentiel des armées vendéennes est écrasé à la bataille de Cholet, le 17 octobre. Ses principaux chefs, d’Elbée, Bonchamps, Lescure, sont hors de combat. Aussi, tandis que Charette continue la lutte dans l’Ouest et tient Noirmoutier, plusieurs dizaines de milliers de vendéens - soldats mais aussi femmes et enfants - franchissent la Loire et cherchent à rejoindre les Anglais (épisode qui recevra le nom de « virée de Galerne »). Ils traversent la Bretagne jusqu’à Saint-Malo, puis vont assiéger Granville, après avoir repoussé lors de batailles très sanglantes les troupes envoyées à leur poursuite. Ayant échoué, ils reviennent vers la Vendée et, acculés à combattre, se font décimer dans des batailles terribles, dont l’une, particulièrement longue et dévastatrice, a lieu au Mans. Une partie d’entre eux réussit cependant à franchir la Loire ; d’autres, telle la future marquise de La Rochejaquelein, se cachent dans les fermes ; plusieurs milliers enfin sont défaits militairement près de Nantes, dans la ville de Savenay, en décembre 1793. Ils auront terrorisé entre-temps toute la région et la France, personne ne comprenant comment les vaincus ont pu sillonner tout l’Ouest pendant deux mois - et même susciter la naissance de la chouannerie. downloadModeText.vue.download 939 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 928 LA RÉPRESSION Alors que la première Terreur est à son apogée, que sont appliquées les revendications
les plus extrémistes des sans-culottes et des montagnards, la répression est confiée au représentant en mission Carrier, qui s’établit à Nantes en octobre 1793. Ce dernier traque les contre-révolutionnaires et les modérés - il envoie 132 notables nantais à Paris pour les faire juger - et met en place un ensemble d’organismes répressifs qui se livrent à des actes d’une grande brutalité. Les prisons, où sont enfermés des milliers de vendéens, sont vidées par des fusillades et par des noyades, dont sont victimes des prêtres, des femmes et des enfants. Plusieurs milliers de personnes meurent dans ces conditions, tandis que les campagnes proches de Nantes sont soumises à une répression très violente. À Angers, d’autres représentants en mission organisent la répression selon les mêmes principes mais avec moins d’excès ; pourtant, en janvier 1794, une commission militaire détournée de ses objectifs politiques par un groupe d’hommes qui agissent sous couvert de mots d’ordre idéologiques y fait fusiller près de 2 000 femmes. Les conflits entre les différents groupes révolutionnaires atténuent cependant cette répression, et Carrier, dénoncé à la Convention pour ses pratiques, est rappelé dès février. Le pire est alors la répression qui s’abat sur les campagnes, sous les ordres du général Turreau. Celui-ci se lance dans une politique de destruction, interprétant librement les discours de Barère et laissant carte blanche à ses généraux. Certains refusent d’appliquer des ordres sans motifs et se cantonnent dans des opérations purement militaires, ou réussissent à quitter la région ; d’autres, à la tête des colonnes bientôt appelées « infernales », se rendent coupables d’incendies, de viols et de tueries. Les responsabilités de la Convention, aussi lourdes qu’elles soient, ont été relayées sur le terrain par celles des généraux, qui n’ont pas tenu compte de toutes les recommandations reçues. Dans ce contexte, les généraux vendéens, Charette, Stofflet, Sapinaud, se retrouvent à la tête de véritables petites armées, qui rassemblent les ruraux traqués ; ils peuvent alors se lancer dans une guérilla qui contient les attaques des républicains, et constituer de véritables petits royaumes à partir de l’été 1794. Les campagnes échappent ainsi à la République, qui ne contrôle que les villes et les grandes routes. LA FIN DE LA GUERRE La situation se dénoue après Thermidor (juil-
let 1794). Des négociations s’engagent avec Charette, après que les conventionnels, désireux de rompre avec la Terreur et de réunifier le pays, ont échoué à détacher les ruraux de leurs chefs. Un véritable traité de paix est signé, près de Nantes, à La Jaunaye, en février 1795. Il reconnaît la liberté des cultes, transforme les soldats de Charette en gendarmes et prévoit d’indemniser les populations. Stofflet a refusé de s’y associer, et il faudra employer la force pour qu’il se soumette en mai 1795. Cette paix, étendue à la chouannerie, sauf dans le Morbihan, est de courte durée, mais elle montre que les vendéens n’ont pas tissé de liens avec les émigrés et les armées contrerévolutionnaires et que l’expression des mécontentements - notamment religieux prime sur le désir de restaurer la royauté. Les relations se dégradent bientôt entre les vendéens de Charette et les républicains ; en outre, les émigrés et les chouans tentent une opération de débarquement à Quiberon (juin 1795), si bien que la reprise de la guerre avec les chouans entraîne un regain des actions militaires en Vendée. Charette repart en campagne, mais seul, car il n’obtient pas que le comte d’Artois, qui a débarqué sur l’île d’Yeu en novembre 1795, le rejoigne, lui donnant la caution qui lui manque. Mais les royalistes savent dorénavant que la victoire politique est envisageable et rechignent à entrer dans une lutte militaire aux issues incertaines, après l’échec de l’expédition de Quiberon. La guerre de Charette est condamnée, ses liaisons nouvelles avec les chouans et les réseaux de conspirateurs royalistes ne peuvent pas lui donner les bases militaires dont il disposait en 1793-1794, d’autant que le nouveau commandant des armées républicaines, Hoche, adopte une politique habile. Il évite de réprimer les paysans qui abandonnent le combat et, en contrepartie de ce désarmement, permet une quasi-liberté du culte dans la région. La tactique est efficace. Charette est progressivement abandonné par ses troupes et réduit à errer de cache en cache. Lorsque Stofflet reprend la guerre en janvier 1796, il n’est pas non plus suivi. Les deux chefs, isolés, sont finalement capturés, traduits devant des tribunaux qui les condamnent à mort, et exécutés, le premier à Nantes en mars 1796, le second à Angers en février. La guerre de Vendée en elle-même est morte. Le bilan de cette guerre est catastrophique. Il est très difficile à établir sur le plan démographique, puisque les archives manquent et que les causes de décès demeurent toujours
imprécises. On peut penser néanmoins que chacun des départements concernés a perdu, pour une cause ou une autre, entre 40 000 et 50 000 habitants, en tenant compte des personnes qui sont parties lors de la « virée de Galerne » ou ont gagné d’autres départements. Si toutes les zones de la région Vendée ne sont pas aussi affectées, certaines communes ont perdu entre 25 et 30 % de leur population. Il faut ajouter que ces guerres ont laissé d’innombrables blessés et estropiés, qui marqueront la région de leur présence et de leurs souvenirs pendant de longues décennies. La population subit un autre traumatisme du fait de l’importance des destructions affectant l’habitat et le cheptel. La reconstruction sera relativement rapide mais, en 1808 encore, les dégâts sont tels que Napoléon décide d’accorder des indemnisations aux habitants de la Vendée, de la Loire-Atlantique, puis des Deux-Sèvres. LES GUERRES DU SOUVENIR Entre-temps, la région n’a pas été pacifiée. Les vendéens vaincus, gardent néanmoins des réseaux de résistance, qui entravent la marche de l’administration et qui, en 1799, lancent à nouveau des troupes dans une brève révolte, liée à une offensive généralisée sur les frontières et dans les zones contre-révolutionnaires. La tentative fait long feu. Pendant le Consulat et l’Empire, les complots ne cessent pas, mais se heurtent à l’efficacité de la police. Puis la Vendée vit une renaissance en 1814, avec l’arrivée de l’envoyé du roi, Louis de La Rochejaquelein, frère d’Henri et époux de la veuve de Lescure. Mais les Cent-Jours provoquent la reprise de la guerre, qui se déroule parallèlement à la bataille de Waterloo : les vendéens et les chouans sont battus, et Louis de La Rochejaquelein tué. La Restauration accorde une reconnaissance limitée à la Vendée, qui accueille cependant la duchesse de Berry lors de sa tentative d’insurrection contre Louis-Philippe, en 1832. La division entre les royalistes et la médiocre mobilisation des ruraux conduisent le soulèvement à l’échec. Mais les vendéens, battus, deviennent les hérauts du légitimisme, et vont défendre ensuite les États du pape : la Vendée est entrée dans la légende. L’attrait qu’exerce la geste vendéenne sur certains auteurs (Balzac, Hugo, Botrel...), puis les revanches de la IIIe République, la sanctification des martyrs vendéens par Rome, les multiples relectures politiques et sociales opposant la Vendée à la Révolution, l’Ancien Régime à la
modernité, la campagne à la ville, contribuent ensuite à alimenter le recours à l’histoire vendéenne et à faire de cette région un des « lieux de mémoire » nationaux. Les jeux de mémoire ont continué à focaliser sur la région Vendée, aux limites imprécises, des luttes politiques et sociales qui ont façonné une personnalité régionale particulière, marquée par des engagements continuels. Le résultat social aura été la constitution d’une communauté soucieuse de maintenir vivaces ses souvenirs, dans un camp comme dans l’autre, soucieuse également de demeurer ancrée sur sa terre ; si bien que les élites conservatrices peuvent, à la fin du XIXe siècle, orienter la région vers une activité industrielle destinée à fixer la maind’oeuvre locale sur place. Paradoxalement, la guerre de Vendée aura été à la base d’une « invention régionale » tout à fait originale, dont les effets ne sont pas abolis. Des associations de défense du souvenir et certains spectacles ont contribué jusqu’à nos jours à entretenir cette singularité. Et, désormais, la France a intégré l’histoire de la Vendée, au point même que l’historiographie, longtemps hostile, en a fait un des points centraux de la compréhension de l’histoire de la Révolution. vendémiaire an IV (journée du 13), insurrection royaliste sous la Révolution (5 octobre 1795), dont la répression place audevant de la scène le général Bonaparte. En dépit du succès des armées républicaines face au débarquement de Quiberon (juillet 1795), il apparaît que le danger royaliste ne vient pas seulement de ceux qui combattent les armes à la main : les thermidoriens républicains prennent conscience que les élections qui doivent suivre la mise en place du nouveau régime - le Directoire - risquent de donner un pouvoir légal aux réactionnaires. Les 22 et 30 août 1795 sont donc promulgués des décrets stipulant que les deux tiers downloadModeText.vue.download 940 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 929 des représentants aux Conseils des Anciens et des Cinq-Cents devront être choisis parmi les anciens conventionnels. De surcroît, de nouvelles mesures sont prises contre les émigrés et contre les prêtres, tandis que les sans-culottes recouvrent l’autorisation d’être armés.
Dans la crainte du retour de la Terreur et dépourvus désormais de l’espoir de reconquérir le pouvoir par la voie légale, les royalistes déclenchent l’insurrection : les premiers troubles éclatent à Dreux le 10 vendémaire (2 octobre 1795). Les sections parisiennes favorables au mouvement prennent les armes le lendemain : celle de Lepeletier, qui correspond au quartier de la Bourse, devient le centre actif de la rébellion. Parmi les militaires qui dirigent la répression figure le général Menou, que ses sympathies royalistes empêchent d’agir avec efficacité. Le 13 vendémiaire, Barras, membre de la commission chargée par l’Assemblée de la direction des opérations, confie le commandement des troupes parisiennes à des généraux ayant déjà prouvé leur dévouement à la Révolution. Il désigne ainsi Bonaparte, sans emploi depuis le siège de Toulon. C’est lui qui prend les dispositions essentielles, laissant à Murat le soin de ramener aux Tuileries des pièces d’artillerie prises au camp des Sablons, ordonnant de barrer les avenues qui conduisent au siège du gouvernement : il fait ainsi échouer la tentative des manifestants de prendre le palais en s’infiltrant à la fois au nord et au sud. La mitraillade des derniers insurgés sur les marches de l’église Saint-Roch - épisode souvent mentionné - n’est en fait qu’une légende. La victoire est aisément remportée par les troupes de la Convention, dont l’organisation est de loin supérieure à celle des rebelles. En revanche, le succès est moins net sur le plan électoral : la poussée réactionnaire tant redoutée a lieu. Quant à Bonaparte, il est récompensé de ses services par une nomination, le 17 vendémiaire, aux fonctions de général en second de l’armée de l’Intérieur. Il devient général de division le 24. Vendôme (colonne), monument dédié à la Grande Armée, inauguré en 1810, au milieu de la place Vendôme, à Paris, à l’emplacement où se trouvait une statue équestre de Louis XIV, détruite le 7 août 1792. Le projet initial est modifié plusieurs fois. Bonaparte, alors Premier consul, pense d’abord transférer la colonne Trajane de Rome, mais y renonce bientôt. En 1803, il signe un arrêté ordonnant d’élever un monument inspiré de cette colonne triomphale romaine : le fût doit être orné de personnages allégoriques représentant les 108 départements de la République française et surmonté de la statue de Charlemagne (placée sur le tombeau de l’empereur carolingien, à Aix-la-Chapelle). Après la proclamation de l’Empire (mai 1804), on
prévoit finalement de coiffer la future colonne d’une statue de Napoléon. La victoire d’Austerlitz (décembre 1805) ayant permis la saisie de nombreux canons autrichiens, le bronze nécessaire à la réalisation du monument est obtenu par la fonte de ces pièces d’artillerie. Le peintre et graveur Pierre Bergeret conçoit les bas-reliefs en spirale, qui rappellent les faits d’arme de la campagne victorieuse de 1805, tandis qu’Antoine-Denis Chaudet crée une statue en bronze de l’Empereur, drapé à l’antique, tenant une Victoire et un glaive. Le 8 avril 1814, sous la Restauration, la statue est renversée, remplacée par le drapeau blanc à fleur de lys, symbole de la monarchie. Mais, dès son avènement, Louis-Philippe fait retirer le drapeau et décide d’ériger une nouvelle statue de Napoléon. OEuvre de CharlesMarie Seurre, la sculpture développe le thème du « petit caporal », vêtu de son uniforme de soldat, la main dans le gilet : le militaire est glorifié, non l’Empereur. La statue est placée en grande pompe sur la colonne lors du troisième anniversaire de la monarchie de Juillet. Sous le second Empire, Napoléon III la fait remplacer par une nouvelle sculpture, d’Auguste Dumont, renouant avec la tradition impériale : Napoléon Ier est représenté en César, tenant une Victoire et portant le glaive. Mais les communards, le 16 mai 1871, renversent la statue, « symbole de force brute et de fausse gloire [...], attentat perpétuel à l’un des trois grands principes de la Révolution française, la Fraternité ». La statue est néanmoins restaurée en 1873, et hissée sur la colonne le 27 décembre 1875 par la République naissante. Ayant perdu sa force symbolique, le monument n’est plus aujourd’hui un enjeu politique. Vénètes, peuple gaulois qui occupait un territoire correspondant à l’actuel Morbihan et qui a laissé son nom à la ville de Vannes (Gwenned, en breton). Plusieurs autres peuples protohistoriques ont porté le nom de « Vénètes » : Homère mentionne des « Hénètes », et les Vénètes les plus connus, ceux établis au nord de l’Adriatique, parlaient une langue proche du latin et ont laissé leur nom à la Vénétie. On rapproche aussi de cette racine le nom de « Wendes », donné par les Germains aux Slaves les plus occidentaux (ou Sorabes). Les Vénètes de Bretagne sont, au moment de la guerre des Gaules, le peuple le plus puis-
sant d’Armorique, et leurs monnaies - comptant parmi les plus anciennes qui existent circulent largement. Navigateurs experts, ils contrôlent les côtes et le commerce avec les îles Britanniques, en particulier celui de l’étain. La ferme fortifiée de Paule, près de Rostrenen, offre sans doute une idée de la prospérité des aristocrates de cette région. En l’an 56 avant J.-C., les Vénètes, après s’être apparemment soumis à César, se révoltent et prennent la tête d’une coalition antiromaine formée par les peuples de l’Ouest. César, qui s’est procuré des navires et en a fait construire d’autres, les affronte dans une bataille navale, sans doute près de la presqu’île de Rhuys, et parvient à les vaincre en déchirant leurs lourdes voiles de cuir avec des faux montées sur des perches. Il fait exécuter les dignitaires et vendre les simples citoyens. Les Vénètes font néanmoins partie de la coalition générale menée par Vercingétorix en 52 avant J.-C. À l’époque gallo-romaine, leur chef-lieu est Darioritum (l’actuelle Vannes), et Locmariaquer est une autre ville importante : on y a retrouvé un théâtre, un temple et des demeures de notables. ventôse an II (décrets de), décrets des 26 février et 3 mars 1794 prévoyant la redistribution des biens des suspects aux patriotes indigents, et constituant, selon l’historienne Mona Ozouf, les « mesures les plus avancées qu’une Assemblée révolutionnaire ait jamais votées ». Le 8 ventôse an II (26 février 1794), SaintJust, rapporteur au nom des Comités de salut public et de sûreté générale, assure que « celui qui s’est montré l’ennemi de son pays n’y peut être propriétaire » : « Abolissez la mendicité qui déshonore un État libre ; les propriétés des patriotes sont sacrées, mais les biens des conspirateurs sont là pour tous les malheureux. Les malheureux sont les puissances de la terre ; ils ont le droit de parler en maîtres aux gouvernements qui les négligent. » La Convention décrète le séquestre des biens des « ennemis de la Révolution », qui seront détenus jusqu’à la paix, puis bannis à perpétuité. Le 13 ventôse an II (3 mars 1794), après avoir entendu un autre rapport de Saint-Just - conclu par la célèbre formule : « Le bonheur est une idée neuve en Europe » -, l’Assemblée demande aux communes de recenser les « patriotes indigents », qui seront ensuite « indemnisés avec les biens des ennemis de la République » selon des moyens fixés après le recensement. Mais, après le 1er novembre 1794, la Convention thermidorienne revient sur les décrets des 8 et 13 ventôse, indirecte-
ment rapportés sans avoir eu le temps d’être appliqués, comme le constate Françoise Brunel. L’interprétation de ces décrets divise les historiens. Pour Jaurès, ils sont un « expédient », une « déclaration de guerre cachée » contre les cordeliers (dont la propagande vise les sans-culottes, et qui sont arrêtés le 23 ventôse), mais annonceraient pourtant « les institutions sociales ». Georges Lefebvre et Albert Soboul ont repris le premier point de cette analyse : « manoeuvre politique », « tactique » liée aux circonstances (la crise sociale et politique de ventôse), les décrets, à la portée sociale effective limitée, seraient destinés à retrouver la confiance des sans-culottes. Albert Mathiez, lui, les relie aux autres mesures du printemps, notamment à la loi sur l’assistance du 22 floréal (11 mai 1794), et y voit l’annonce d’une « politique sociale » ayant pour but « l’expropriation d’une classe au profit d’une autre ». À l’instar de Mathiez, Françoise Brunel souligne aujourd’hui comment ces décrets s’inscrivent dans un programme montagnard cohérent, repris et précisé dans d’autres textes (Billaud-Varenne, Barère) qui définissent un véritable « projet », non réductible à une « manoeuvre ». Mona Ozouf rejette, elle aussi, la thèse du calcul politique et lit les décrets comme « l’anticipation d’une révolution autre », non pas sociale (Mathiez), mais « morale, qui ne s’accomplira qu’avec la conversion des hommes au bien ». Vercingétorix, chef gaulois (vers 72 avant J.-C. - Rome, 46 avant J.-C.). Vercingétorix est à la fois un personnage historique, l’organisateur malheureux d’une coalition générale conduite contre l’occupation romaine en Gaule, et un personnage mydownloadModeText.vue.download 941 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 930 thique, entré au XIXe siècle dans la galerie des fondateurs de l’identité nationale française. Le détail des faits historiques est obscurci par cette fonction seconde, d’autant que notre unique source d’information est le récit de César, la Guerre des Gaules (De bello gallico), au moins autant oeuvre de propagande mise au service d’une ambition personnelle que travail d’historien. • Chef politique et tacticien. C’est au
livre VII - le dernier - de la Guerre des Gaules, qui narre la campagne décisive de 52 avant J.-C., que Vercingétorix fait son entrée. Le contexte politique semble alors favorable aux Gaulois : la situation très troublée à Rome à la fin de l’année 53 a donné à penser à plusieurs peuples gaulois, qui venaient d’être soumis par les légions romaines à six années d’occupation et de ravages, que César ne serait pas à même, depuis l’Italie, de rejoindre ses légions restées cantonnées en Gaule. Le projet d’une révolte généralisée prend corps à l’initiative des Carnutes qui, au jour dit, en janvier 52, massacrent en guise de signal les commerçants romains installés à Cenabum (Orléans). Un aristocrate arverne, Vercingétorix, décide de prendre le relais. Fils de Celtillos, un notable jadis mis à mort pour avoir tenté d’être roi, il se débarrasse, à la faveur d’une révolte populaire, de la prudente opposition de l’aristocratie arverne, puis prend la direction des opérations. Selon l’usage de l’époque, il se donne des garanties en demandant aux différents peuples coalisés de lui remettre des otages, et fixe pour chacun d’entre eux le quota de guerriers et la quantité d’armes à lui fournir. Quant à la légitimité de Vercingétorix, César insinue - dans le contexte de guerre civile larvée que connaît Rome à cette époque qu’elle ne repose pas sur sa naissance mais sur l’intrigue et la manipulation ; l’aristocrate romain insiste aussi sur la cruauté du chef arverne, qui châtie durement les récalcitrants et obtient par la terreur certains ralliements. Ainsi s’expliquerait d’autant mieux cette révolte générale, qui marque d’abord l’échec grave de la politique de pacification, par les armes et la diplomatie, menée jusque-là par César. Mais Vercingétorix fait aussi montre de réelles qualités de tacticien. Conscient de la faiblesse manoeuvrière des armées gauloises en rase campagne, face à des légions romaines aguerries, il instaure - et c’est sans doute l’une des premières fois dans l’histoire - une politique de « terre brûlée ». Villages, fermes, champs et même oppidums du pays biturige (l’actuel Berry) sont détruits par le feu, privant César de tout ravitaillement. Néanmoins, sensible aux supplications des Bituriges, qui estiment leur capitale imprenable, il laisse intact l’oppidum fortifié d’Avaricum (l’actuelle Bourges). César profite de l’erreur et, après avoir ravagé et incendié Cenabum, foyer de la révolte, il met le siège devant Avaricum en mars et prend la ville au bout d’un mois. Presque tous les habitants sont massa-
crés, mais les légions romaines sont à nouveau ravitaillées. • L’erreur d’Alésia. Ces événements n’incitent guère les autres peuples gaulois à la reddition : même les Éduens, pourtant « amis et frères du peuple romain », jusque-là les plus fidèles alliés de César, rejoignent la révolte. « La cupidité excite les uns, les autres obéissent à leur comportement naturel et à la légèreté qui est le trait dominant de la race », commente César, mortifié (De bello gallico, VII, 42), avec une indéniable mauvaise foi. César tente ensuite de prendre Gergovie, la capitale des Arvernes, mais échoue. Dans le même temps, les Éduens s’emparent de tous les bagages, vivres et otages que César avait laissés en confiance dans l’une de leurs places fortes, Noviodunum. La défection des Éduens donne l’ultime signal d’une révolte générale à laquelle tous les peuples gaulois se joignent, à l’exception des Rèmes et des Lingons, restés fidèles à Rome, et des Trévires, trop éloignés. Les Éduens tentent même, en vain, de ravir le commandement suprême à Vercingétorix, qui est confirmé dans sa fonction lors d’une assemblée des peuples gaulois réunie à Bibracte (il semble d’ailleurs que son nom même, « roi des héros », soit plus un titre qu’un patronyme). Ainsi, au milieu de l’été 52, il ne reste plus à César qu’à tenter de gagner, si possible en bon ordre, la Narbonnaise, province romaine du midi de la Gaule. Vercingétorix cherche à le harceler et à l’affamer, tandis qu’il lance une offensive, infructueuse, contre cette province. Il commet alors l’erreur, souvent commentée, d’attaquer l’armée romaine frontalement. Défait, il se replie dans un oppidum voisin, Alésia, sur le territoire des Mandubiens, dans l’actuelle Côte-d’Or. Tirant immédiatement parti de ce retournement inattendu, César entreprend le siège méthodique de la place forte ; il fait édifier les fameuses lignes de circonvallations, combinaison continue, sur 15 kilomètres de circonférence, de fossés, tours, palissades, trous, pièges, etc. L’armée de secours, qui aurait réuni près de 250 000 hommes face aux 50 000 soldats romains, arrive au bout de quatre semaines, mais elle est finalement mise en déroute. Il ne reste plus aux assiégés, affamés, qu’à se rendre. « Vercingétorix, dit César, convoque l’assemblée : il déclare que cette guerre n’a pas été entreprise par lui à des fins personnelles, mais pour conquérir la liberté de tous ; puisqu’il faut céder à la fortune, il s’offre à eux, ils peuvent, à leur choix, apaiser les
Romains par sa mort ou le livrer vivant. On envoie à ce sujet une députation à César. Il ordonne qu’on lui remette les armes, qu’on lui amène les chefs des cités. Il installe son siège au retranchement, devant son camp ; c’est là qu’on lui amène les chefs ; on lui livre Vercingétorix, on jette les armes à ses pieds » (De bello gallico, VII, 89). L’ensemble de la garnison est réduit en esclavage, à l’exception des Arvernes et des Éduens, dont César, conscient de leur puissance politique, ne désespère pas de retrouver les bonnes grâces. Il prend ensuite ses quartiers d’hiver à Bibracte (mont Beuvray), capitale des Éduens, et y rédige le De bello gallico. Quant à Vercingétorix, après six années de cachot à la prison Mamertine, à Rome, il figure au triomphe du dictateur dont il suit le char enchaîné et à pied, avant d’être étranglé. • Réalité historique et mythe national. Ainsi, le rôle historique de Vercingétorix n’aura pas excédé quelques mois. César nous décrit, on l’a vu, ses traits les plus sombres : cruauté et manipulation. Ses qualités stratégiques et politiques n’apparaissent qu’indirectement, dans l’allusion aux revers successifs subis par le proconsul. Même sa reddition, qui dans nos livres d’images ne manque pourtant pas de panache, est « expédiée » en quelques courtes phrases, rédigées à la forme passive : « Vercingétorix est livré [deditur] », et ses ultimes paroles sont rapportées au style indirect. L’historien grec Dion Cassius, qui écrit deux siècles plus tard mais a peut-être bénéficié de sources indépendantes, relate que Vercingétorix aurait d’abord servi dans les campagnes de César et que les deux hommes se connaissaient. Ainsi s’expliquerait la vindicte de César, dont Christian Goudineau a remarqué qu’elle s’appliquait particulièrement à ceux qui l’avaient « trompé », c’est-àdire confronté à ses propres erreurs. Pour le reste, c’est la sobriété même du récit césarien qui autorise toutes les interprétations. Vercingétorix n’eut jamais à jouer le rôle d’un homme d’État. Il fut placé presque par hasard à la tête d’une coalition dont la cause essentielle était l’exaspération des différents peuples gaulois - une soixantaine d’États indépendants se partageaient alors le territoire de la Gaule - à la suite de six années d’exactions. L’année précédente encore, César avait méthodiquement ravagé le territoire de plusieurs peuples belges et fait exécuter publiquement, dans les supplices, le chef gaulois Acco, coupable de conjuration.
Le seul jugement qui paraisse possible sur Vercingétorix porte donc sur ses qualités militaires, jugement qui ne peut être que nuancé. Le chef gaulois innove en effet par sa tactique, fructueuse, de terre brûlée et de guérilla. Mais il s’en écarte aussi, en épargnant Avaricum puis en affrontant César près d’Alésia. Cette dernière et fatale erreur paraît si considérable que certains historiens, tel Jacques Harmand, ont supposé que Vercingétorix jouait en fait double jeu ! D’autres, comme Michel Rambaud, ont considéré que César avait fortement amplifié les événements de l’année 52 et exagéré l’importance du personnage de Vercingétorix. Seule demeure, en fin de compte, une certitude minimale, c’est que Vercingétorix a bien existé : son nom figure sur une trentaine de monnaies arvernes, pour la plupart en or, les deux seules en bronze provenant d’Alésia même. Il n’est cependant pas sûr que la tête représentée sur ces monnaies soit un fidèle portrait du chef gaulois, car l’exécution en est très conventionnelle, et diffère en outre selon les monnaies. Il s’agit néanmoins d’un cas indéniable de convergence entre des sources écrites et des données archéologiques. Au-delà de ces éléments, l’interprétation du personnage de Vercingétorix relève de l’idéologie. Longtemps ignoré et considéré comme un barbare vaincu, il sort de l’ombre avec l’avènement des nationalismes au XIXe siècle. Napoléon III, qui tente d’asseoir son pouvoir sur un nationalisme populaire, fait fouiller Alésia, consacre un livre à César, et commande à Millet une statue de downloadModeText.vue.download 942 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 931 Vercingétorix, dont le socle porte l’inscription suivante : « La Gaule unie, ne formant qu’une seule nation, animée d’un même esprit, peut défier l’univers. Napoléon III » ! Mais la défaite de 1870 relance les enjeux. La IIIe République, à la différence de bien des régimes, n’a pas été fondée par une victoire mais par une défaite, celle qui a provoqué la chute du second Empire. Pour forger l’imaginaire national au travers de l’école publique, le recours à des héros vaincus, tels Jeanne d’Arc et Vercingétorix (c’était le cas de Napoléon Ier lui-même), s’impose, et les ouvrages de l’historien Camille Jullian en témoigneront avec talent. Dans des circonstances autres,
le maréchal Pétain organisera en 1942 une vaste cérémonie au pied du monument de Gergovie ; et le général de Gaulle évoquera un peu plus tard ce « vieux Gaulois acharné à défendre le sol et le génie de notre race ». Pourtant, quelles qu’aient été les qualités militaires du généralissime improvisé, l’idée d’une « nation » gauloise est, en 52 avant J.C., un anachronisme radical. César n’a cessé d’affronter des coalitions diverses et de circonstance, qui pouvaient même comprendre des Germains, lui-même utilisant toujours des auxiliaires gaulois. Si nous ignorerons à jamais les motivations profondes de Vercingétorix, la seule importance historique de son action éphémère est qu’il ait été vaincu, faisant ainsi passer les cités gauloises dans la sphère du monde romain, et de la protohistoire dans l’histoire. Vercors (maquis du), maquis formé au début de 1943 sur le plateau du Vercors. Selon ses promoteurs, tel Yves Farge, il devait être l’instrument du harcèlement des troupes allemandes présentes dans la vallée du Rhône. Cette mission est amplifiée, au début de 1944, par le Comité français de libération nationale (CFLN) : dans le cadre du plan « Caïman » (mai 1944), prolongation du plan « Montagnard », Jacques Soustelle imagine de constituer, dans les massifs montagneux, des « réduits » qui renforceraient l’autorité du CFLN. Le maquis du Vercors est alors chargé d’ouvrir l’axe Sisteron-Grenoble. Sur place, la mobilisation est décrétée le 9 juin. Le commandant Huet dispose d’environ 4 000 hommes, dépourvus d’armements lourds. Les Allemands, qui ont massé près de 10 000 hommes autour du plateau, soutenus par des blindés et des avions, commencent l’assaut le 21 juillet. Le maquis est vite décimé et les troupes allemandes se livrent à d’atroces représailles, à l’encontre tant desFFI (650 morts ; les prisonniers et les blessés sont achevés) que des civils (200 morts). Le drame du Vercors a alimenté de vives polémiques entre Soustelle et le communiste Grenier, commissaire à l’Air du CFLN. Le soutien aérien, longtemps promis, s’est réduit à peu de chose. En outre, l’attitude des Alliés s’est révélée ambiguë : Eisenhower, qui a décrété l’insurrection générale le 6 juin, n’envisage pas de dégarnir ses forces aériennes en Normandie ; quant au débarquement de Provence (15 août), il n’a pas encore eu lieu et ses plans initiaux ne prévoient la prise de Grenoble qu’au jour « J + 90 ». Cette somme
de dysfonctionnements, déjà observée au mont Mouchet (Haute-Loire) en juin 1944, illustre l’échec de la constitution des « réduits libérés ». Verdun (bataille de). Entre le 21 février et le mois de décembre 1916, l’offensive allemande contre Verdun donne lieu à une bataille qui prend rang parmi les plus terribles du siècle, tant par les souffrances des combattants que par le nombre de morts et de blessés. • Un coup de force audacieux. À considérer globalement la Grande Guerre, il est clair que l’état-major allemand a fait un certain nombre de paris qu’il a successivement perdus. En 1914, il a d’abord misé sur une manoeuvre d’avance rapide, qui est stoppée par une contre-offensive sur la Marne. Ensuite, il s’est efforcé de transformer la guerre de positions en guerre de mouvement, de manière à reprendre l’offensive et l’emporter : « Verdun doit servir à saigner à blanc l’armée française », écrit le général von Falkenhayn, chef de l’étatmajor allemand de 1914 à 1916, dans un mémoire censé être daté de Noël 1915. Mais ce texte a probablement été rédigé a posteriori, en 1919, pour excuser ou rationaliser l’échec de l’offensive de Verdun et transformer celleci en victoire tactique. Il semble que le but du général, en choisissant cette cible, était de remporter une victoire définitive. Cependant, devant les difficultés rencontrées, il doit redéfinir ses objectifs. En lançant une formidable attaque générale, il s’agit d’amener les Français à jeter toutes leurs réserves dans la bataille. Optimiste, Falkenhayn estime que ses troupes perdront trois fois moins d’hommes que l’adversaire. En fait, les pertes seront presque aussi terribles dans les deux camps : 143 000 morts et 187 000 blessés, côté allemand ; 163 000 morts et 216 000 blessés, côté français (chiffres considérables, mais qui ont pourtant été fortement exagérés par la suite, tant le sentiment d’horreur était fort). De plus, à partir de juillet 1916, les Allemands sont réduits à la défensive et, six mois plus tard, refoulés sur leurs premières positions, les Français étant finalement vainqueurs. Il ne fait pas de doute que l’attaque sur Verdun, du 21 février 1916, constitue pour les Français une immense surprise. Alors qu’ils sont occupés à mettre au point, avec les Britanniques, une offensive dans la Somme (prévue initialement pour le printemps, mais qui sera finalement fixée au 1er juillet), les Allemands les devancent en prenant une initiative dans un secteur où l’éventualité
d’une attaque était jugée invraisemblable. En effet, les forts de la « région fortifiée de Verdun » (RFV), véritable saillant dans les lignes allemandes, ont été en partie désarmés pour renforcer d’autres zones, et ce malgré les avertissements donnés par des connaisseurs des lieux, comme le lieutenant-colonel Driant (ancien député, connu comme écrivain sous le pseudonyme « capitaine Danrit », qui meurt le 22 février au bois des Caures, secteur soumis au bombardement le plus intensif) ; en septembre de l’année précédente, Gallieni, ministre de la Guerre, a également écrit à Joffre pour s’inquiéter des « défectuosités » du système de défense des régions de Toul et Verdun. Le pilonnage allemand, qui commence le 21 février vers 8 heures du matin, est destiné à tout hacher (Trommelfeuer signifiant « hachoir ») : plus de mille pièces d’artillerie tonnent sur la rive droite de la Meuse, le long d’un front de huit kilomètres. L’intensité du bombardement abasourdit les combattants et les civils de la région ; il prend également par surprise l’état-major, le commandement local et le gouvernement. Trois jours plus tard, la percée allemande apparaît extrêmement dangereuse. • La défense organisée par Pétain. Joffre, commandant en chef des armées françaises, confie alors le commandement du secteur à un officier qu’il apprécie beaucoup depuis le début de la guerre, le général Pétain, partisan de la défensive, une doctrine militaire alors peu prisée par l’école de guerre. Pétain prend ses fonctions le 25 février, jour de la chute du fort de Douaumont. Pendant les deux premiers mois de l’offensive allemande, Pétain organise la défense : « Nous ne céderons pas un pouce de sol français », affirme-t-il dans l’un de ses ordres du jour. Après la journée du 9 avril - qu’il qualifie de « glorieuse » -, il déclare : « Les Allemands attaqueront sans doute encore ; que chacun travaille et veille pour obtenir le même succès qu’hier. Courage... On les aura. » La défense du territoire national acquiert donc une dimension quasi passionnelle. Pétain s’attache à faire participer l’essentiel de l’armée française à la défense de Verdun : par le système de la noria ou du tourniquet, la bataille devient celle de tous. Deux tiers des divisions, soit 1,5 millions d’hommes, montent en ligne à un moment ou un autre de la bataille. En deux mois, le général Pétain se fait un nom, à tel point que les Français seront persuadés qu’il a commandé l’intégralité de la bataille de Verdun. Le haut commandement le remplace néanmoins le 1er mai par le général Nivelle, partisan de l’of-
fensive. C’est ce dernier qui mène la deuxième phase de la bataille, de juillet à décembre 1916, alors que les Alliés ont déclenché l’offensive sur la Somme, et que les Allemands, désormais sur la défensive à Verdun, perdent de nouveau les forts (Douaumont le 24 octobre, Vaux le 2 novembre), revenant plus ou moins à leur point de départ. Si l’échec des Allemands à Verdun est patent, les Français n’en paient pas moins à la victoire un très lourd tribut. • Une bataille « totale ». Verdun, au fond, constitue moins une bataille qu’un long siège en rase campagne ; c’est le laboratoire le plus achevé de la guerre industrielle. Pour alimenter en hommes et en matériel cette immense bataille, il faut une logistique impressionnante : des voies ferrées, et surtout des camions, qui empruntent ce qu’on nommera bientôt, à la suite de Maurice Barrès, la « voie sacrée », entre Bar-le-Duc et Verdun. Un camion Berliet passe toutes les quinze secondes : il arrive au front rempli d’hommes ou de matériel, et en repart chargé de blessés et de permissionnaires hagards. Cette bataille « totale » repose sur un paradoxe extraordinaire : si les moyens offensifs sont à la fois extrêmement meurtriers (60 millions d’obus de tous calibres tirés en trois cents jours) et sournois (les gaz et les lance-flammes), les downloadModeText.vue.download 943 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 932 moyens défensifs restent le plus souvent dérisoires (les trous d’obus servent de refuges, et les cadavres ou les sacs de sable de remparts). Dans ce secteur du front, un sol argileux - d’où l’« enfer de la boue » - repose sur un socle de roche dure, qui empêche de creuser des tranchées profondes. Conséquence de ce faible système défensif : 80 % des soldats sont tués par les obus et déchiquetés ; c’est pourquoi, quelques années plus tard, on ira chercher à Verdun, champ de bataille de la mort anonyme et des corps méconnaissables, le Soldat inconnu de la Grande Guerre. Qu’en a-t-il été, pour les combattants, de cet épisode que Pétain a appelé le « boulevard moral de la France » ? Dès le début, les soldats ont le sentiment d’un carnage indicible. Le lieu-dit du Mort-Homme est devenu réellement ce que son sinistre nom suggérait ; le village de Fleury est repris seize fois au mois de juillet avant d’être purement et simplement
rayé de la carte. « Un 305 ou un 380, je ne sais au juste, tombe en plein sur l’abri que j’occupe avec les 48 hommes de ma section. Le plus grand nombre de mes hommes est enseveli... Tout craque, tout s’écroule, tout s’effondre au fur et à mesure... Découragés, nous abandonnons ces malheureux à leur triste sort... Des obus tombent dans le boyau que nous occupons, projetant à plusieurs mètres de hauteur les hommes qui sont dans leur rayon d’action ; quelques-uns retombent indemnes, les autres pantelants et déchiquetés ; nous ne nous occupons plus des morts qui cependant nous encombrent... » (lieutenant J. Colson). Les combattants comprennent qu’ils sont les « sacrifiés ». Ils parviennent néanmoins à tenir, avec une âpreté qui ne manque pas de stupéfier l’adversaire. Les règles habituelles de la guerre des tranchées disparaissent à Verdun : manque de ravitaillement, pas de soins aux blessés, pas d’enterrements. Des petits groupes d’hommes, dont les lignes ont disparu, défendent des positions avec l’énergie du désespoir. Pourquoi et comment ont-ils tenu ? On ne peut l’expliquer que par l’existence d’une véritable culture de guerre, par la mobilisation des esprits au service de la défense d’un sol considéré comme sacré. « Qu’on aille jusqu’au bout, et que la haine, la haine implacable contre le Boche assassin, vive toujours, toujours », écrit en novembre 1916 un père en deuil, montrant ainsi son extraordinaire consentement à la mission patriotique. Face à ce consentement des Français à Verdun, que pèsent les multiples couvertures de l’Illustration, les six déplacements du président Poincaré sur le champ de bataille, ou les nombreuses visites de personnalités françaises ou étrangères qui veulent voir Verdun ou s’y faire voir ? • De l’horreur à la mythologie nationale. « Qui n’a pas fait Verdun n’a pas fait la guerre » (commandant d’Arnoux) : cette emphase pourrait passer pour une recréation idéologique d’après-guerre. Et, pourtant, tous les témoignages s’accordent : quelles que soient les conséquences personnelles, souvent opposées, que les combattants en auront tirées - du pacifisme le plus résolu au nationalisme cocardier, de la vocation religieuse à la perte de la foi -, la bataille de Verdun les a marqués d’une manière décisive. « Ce nom de Verdun représente désormais, déclare Raymond Poincaré, président de la République, lors d’une allocution le 13 septembre 1916, ce qu’il y a de plus beau dans l’âme française. Il est devenu synonyme synthétique de patriotisme, de bravoure et de générosité. »
Durant les années 1920 et 1930 est érigé à Verdun un immense ensemble commémoratif, où cimetières militaires, monuments aux morts et surtout l’ossuaire-chapelle de Douaumont (inauguré en 1927 par le maréchal Pétain) rappellent le sacrifice des soldats. Chaque année, des anciens combattants se rendent en pèlerinage sur les lieux. En même temps, toutes les communes de France donnent le nom de Verdun à une rue ou une place, le gravent sur leur monument aux morts, rapportent dans une urne un peu de la terre sacrée : horreur et gloire mêlées contribuent à pérenniser le souvenir de la bataille dans la France d’après-guerre. C’est probablement en 1940 que l’on prendra la mesure du terrible désastre qu’a constitué Verdun. Si, dans la France traumatisée par la défaite et par l’exode, le « maréchalisme » est si largement répandu, n’est-ce pas que « Pétain-Verdun » - celui qui aimait ses hommes, ce qui revenait à aimer la France - jouit d’un grand prestige populaire ? 1940 s’inscrit incontestablement dans le souvenir mythifié et horrifié de la bataille de Verdun. En 1984, François Mitterrand et Helmut Kohl, main dans la main à Douaumont, symbolisent la réconciliation franco-allemande. En 1996, Jacques Chirac, entouré de jeunes gens venus de toute l’Europe, proclame à Verdun que l’Europe en paix est devenue une réalité. Verdun (partage de), partage de l’Empire carolingien en trois royaumes, opéré en 843 par les trois fils de l’empereur Louis le Pieux. L’ordinatio imperii de 817 organisait la succession de Louis le Pieux dans le respect de la coutume franque du partage de l’héritage paternel entre tous les fils, tout en tenant compte de la nouvelle dimension impériale du pouvoir franc : l’aîné, Lothaire, recevait le titre impérial, l’essentiel du royaume franc et l’autorité sur ses frères, Pépin et Louis, pourvus de royaumes marginaux (Aquitaine et Bavière). Le remariage de Louis le Pieux avec Judith (819) et la naissance de Charles le Chauve (823) ruinent ces dispositions en introduisant un nouveau prétendant, soutenu par le puissant clan aristocratique de sa mère. De graves dissensions opposent alors Louis et ses différents fils. Sa mort, en 840, aggrave encore la situation. L’Empire franc est divisé, de fait, entre quatre prétendants : Lothaire, l’aîné et le seul à porter le titre impérial, Louis, roi à l’est de l’Empire, Charles, roi à l’ouest, et Pépin II,
petit-fils de Louis, roi en Aquitaine. Chacun s’efforce de s’emparer des trésors et des fiscs impériaux et d’obtenir le soutien des grands clans aristocratiques. Pépin II est rapidement marginalisé par Charles, qui s’allie avec son demi-frère Louis contre leur puissant aîné, Lothaire. Le 25 juin 841, à la bataille de Fontenoy-en-Puisaye, près d’Auxerre, Charles et Louis l’emportent sur Lothaire. Le 14 février 842, les deux demi-frères renouvellent solennellement leur alliance à Strasbourg, avant de marcher sur Aix-la-Chapelle et de contraindre Lothaire à négocier. En juin, les trois hommes se rencontrent près de Mâcon : ils prévoient de diviser équitablement l’Empire et désignent chacun quarante experts, chargés de définir la part de chacun. En août 843, ils se retrouvent à Verdun, où ils procèdent au partage : Lothaire conserve le titre impérial et obtient un royaume central, appelé plus tard Lotharingie, qui s’étend de la Frise à l’Italie ; Louis le Germanique obtient le royaume oriental, la Francie de l’Est, et Charles le Chauve le royaume occidental, la Francie de l’Ouest. Le partage cherche avant tout à répartir équitablement l’ensemble des fiscs, des évêchés et des comtés de l’Empire. En particulier, il divise entre les trois souverains le coeur de l’Empire, où se trouvent les grandes résidences royales : Lothaire obtient Aix-laChapelle et Liège, Louis, Worms et Francfort, et Charles, Laon et Paris. Le partage de Verdun a des conséquences considérables. Tout d’abord, il marque la fin de l’unité de l’Empire, ce que déplorent nombre de contemporains, en particulier parmi les clercs, qui entretiennent dès lors une idéologie impériale appelée à se perpétuer, en particulier en Germanie et en Italie. Ensuite, il manifeste l’avènement du royaume de Francie occidentale, le futur royaume de France, et celui du royaume de Francie orientale, bientôt appelé « Germanie ». Les frontières de la Francie occidentale sont ainsi durablement fixées le long de quatre rivières : l’Escaut, la Meuse, la Saône et le Rhône. En outre, dans le royaume occidental, le glissement du centre du pouvoir vers l’ouest, de la région de Laon et Reims vers celle de Paris et Orléans, accentue la rupture avec le coeur de l’ancien Empire. Enfin, le partage provoque une première territorialisation de la grande aristocratie : contraintes de choisir un seul souverain auquel prêter serment de fidélité et duquel tenir ses honneurs, les grandes familles restreignent leur horizon à un seul royaume. D’une certaine manière, le partage de Verdun a donné naissance au royaume de
France. Vergennes (Charles Gravier, comte de), diplomate et homme politique (Dijon 1719 - Versailles 1787). Issu d’une famille de parlementaires dijonnais, Charles Gravier, après des études chez les jésuites, entre dans la carrière diplomatique dans le sillage de son grand-oncle, l’ambassadeur Chavigny, qu’il accompagne comme secrétaire à Lisbonne (1740), puis à Francfort (1743). Remarqué par le marquis d’Argenson, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, il est envoyé auprès de l’Électeur de Trêves (1750), puis au congrès d’Hanovre (1752). Initié au « secret du roi » - une diplomatie secrète qui vise à constituer, avec la Pologne, la Suède et l’Empire ottoman, un bloc favorable à la France en Europe orientale -, il est nommé ambassadeur à Constantinople (1754-1768), où il presse le sultan de résister à la Russie, puis à Stockholm (1771), où il appuie le coup d’État de Gustave III contre la Diète alors dominée par le parti prorusse, dit « des Bonnets » (1772). downloadModeText.vue.download 944 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 933 Le 6 juin 1774, quelques jours après l’avènement de Louis XVI, Vergennes est nommé secrétaire d’État aux Affaires étrangères, poste qu’il conserve jusqu’à sa mort, et qu’il cumule à partir de 1783 avec la présidence du Conseil des finances. Arrivant aux affaires alors que la France est encore sous le coup de sa défaite dans la guerre de Sept Ans, il tente de mettre en oeuvre une politique d’équilibre, visant à rendre au pays un rôle d’arbitre en Europe en neutralisant les ambitions rivales de l’Autriche, de la Prusse et de la Russie : défense du statu quo dans l’Empire face aux ambitions autrichiennes, alliance avec la Suède face à la Russie. Pour contenir la puissance maritime et coloniale britannique, il se fait l’avocat d’une alliance privilégiée avec l’Espagne. Car, malgré sa prudence - et le médiocre état des finances -, il est acquis à l’idée d’une revanche, dont Choiseul avait forgé l’instrument. Aussi, lorsque les colonies anglaises d’Amérique se révoltent, et malgré son aversion pour les idées républicaines, Vergennes comprend le parti que la France peut en tirer pour affaiblir l’Angleterre. En dépit de l’opposition de Turgot, au renvoi duquel il contribue activement, il engage le royaume aux côtés des in-
surgents américains, leur accordant dès 1776 une aide secrète en armes et en argent, puis concluant avec les États-Unis une alliance officielle (6 février 1778), élargie à l’Espagne l’année suivante. Mais il redoute que le conflit maritime franco-anglais ne dégénère en guerre continentale. C’est pourquoi il freine les ardeurs autrichiennes dans les affaires de la succession de Bavière (1778), qui peuvent embraser l’Empire ; c’est aussi pourquoi il fait preuve de modération dans les négociations avec l’Angleterre, et que, la paix revenue, il est l’artisan du traité de commerce franco-anglais de 1786. Vergniaud (Pierre Victurnien), homme politique (Limoges 1753 - Paris 1793). Né dans une famille de la bourgeoisie limousine d’un père fournisseur des armées ruiné dans les années 1770, il fait ses études à Paris, puis à Bordeaux, où il devient avocat (1781). Il écrit des vers et fréquente les salons littéraires, se faisant remarquer par son éloquence. C’est celle-ci, plus que ses fonctions politiques, qui le distingue pendant la Révolution. En 1789, patriote actif, Vergniaud est l’un des fondateurs de la Société des amis de la Constitution (le Club des jacobins) de Bordeaux. Il est élu administrateur du département de la Gironde (1790), puis député à l’Assemblée législative (1791), et s’inscrit aux Club des jacobins de Paris. Proche de Brissot, il devient l’orateur du parti brissotin (girondin). Vergniaud multiplie les attaques violentes contre la monarchie à la tribune de l’Assemblée, mais, en secret, conseille Louis XVI, lui proposant de l’appuyer s’il rappelle les ministres girondins. Après la chute de la monarchie (10 août 1792), il est surtout désireux - comme les autres girondins d’endiguer le mouvement populaire. Élu à la Convention, Vergniaud s’engage alors contre la Commune de Paris et la Montagne. Il se montre un partisan enthousiaste d’une guerre de conquête, qui vire néanmoins au désastre ; il adopte une attitude ambiguë au cours du procès du roi, suggérant à ses collègues de faire appel au peuple tout en votant la mort, sans sursis ; il prône la liberté du commerce et soutient la grande propriété malgré la crise des subsistances : tels sont les choix politiques qui mènent Vergniaud à sa fin. À la suite de l’insurrection des 31 mai et 2 juin 1793, il est décrété d’arrestation, en même temps que les principaux chefs girondins, et guillotiné le 31 octobre 1793, avec 21 autres députés.
Les jugements posthumes portés sur cette figure de la Révolution varient selon les courants historiographiques, qui ont longtemps mesuré la lutte des girondins et des montagnards à l’aune des joutes oratoires ayant opposé Vergniaud et Robespierre. Lorsque certains magnifient en Vergniaud « la plus grande âme » de la Révolution (Michelet) ou voient en lui l’épicurien nonchalant amateur de saint-émilion, d’autres n’épargnent pas « l’organe de la pensée de Brissot » (Mathiez), l’homme aux habitudes paresseuses et aux discours lentement composés (Lamartine). Ces discours, appris par coeur, et joués comme par un acteur, suscitent, rapportent les témoignages, « des murmures d’admiration silencieuse ». Mais, d’après Mathiez, ce succès est littéraire, non politique, et même Michelet considère que Vergniaud est peu doté « d’esprit de suite, d’énergie dans les actes ». Vermandois (Herbert II, comte de), fils et successeur d’Herbert Ier (vers 900 - 943). Profitant de la faiblesse du roi Charles le Simple et de la désintégration des pouvoirs, Herbert II construit une vaste principauté qui, au nord et au nord-est de Paris, fait pendant à celle d’Hugues le Grand en Neustrie. Comte de Château-Thierry et de Châtillon, Herbert II est maître des anciennes possessions de la famille austrasienne des Thierry. Comte de Vermandois, il est abbé laïc de Saint-Quentin. Il possède également le comté de Meaux et le comté de Soissons, riches en biens d’Église très convoités pour leurs revenus. Mais Charles le Simple s’oppose à cette puissance grandissante. Herbert II soutient alors Raoul de Bourgogne, élu roi en 923, puis il fait prisonnier Charles le Simple, qu’il tient enfermé à Péronne. Il dispose ainsi d’un moyen de pression sur Raoul. En 925, avec l’accord de ce dernier, il s’empare du riche temporel de l’église de Reims en faisant élire comme archevêque son fils Hugues, âgé de 5 ans. Herbert II cherche ensuite à obtenir Laon, autre riche temporel qu’il possède un moment entre 929 et 932. Mais il menace alors les intérêts neustriens d’Hugues le Grand et du roi Raoul. En 932, son fils est expulsé de l’église de Reims pour faire place à l’archevêque Artaud, proche des Robertiens. L’année suivante, Herbert II perd Laon, puis se voit contraint de faire la paix avec Raoul. Candidat sérieux à la succession de Raoul en 936, il est écarté en faveur du Carolingien Louis IV d’Outremer, manipulé par Hugues
le Grand. Si le fondateur de la première puissance champenoise a échoué dans son ambition royale, il incarne l’un des principaux pouvoirs comtaux du Xe siècle, capable de tenir tête aussi bien aux Carolingiens qu’aux Robertiens, deux familles auxquelles il est lié. Mais, à sa mort, le vaste territoire sur lequel s’étend sa domination est partagé entre ses fils, au moment où le pouvoir comtal se disloque. Vermandois (maison de), maison comtale fondée par Herbert Ier, comte de Vermandois (mort entre 900 et 906), petit-fils de Bernard d’Italie, lui-même petit-fils de Charlemagne. Comme la famille des Baudoin de Flandre, qui est sa principale rivale en Francie, la maison de Vermandois prospère dans le dernier quart du IXe siècle en jouant de la rivalité entre Carolingiens et Robertiens : entre 886 et 899, Herbert Ier obtient les comtés de Soissons, de Meaux et de Mézerais, la forteresse de Château-Thierry, l’abbatiat laïc de Saint-Crépin et Saint-Médard de Soissons. En 896, nouvellement rallié au roi Eudes, il obtient de surcroît le comté de Vermandois et l’abbatiat laïc de Saint-Quentin. Toutes ces positions sont les fondements d’une principauté territoriale que la famille de Vermandois entend établir en Francie : Herbert II conforte les positions acquises par son père, n’hésite pas à garder en prison le roi Charles le Simple, capturé en 923 lors d’une révolte des grands du royaume, et étend sa puissance aux dépens des possessions de l’église de Reims en faisant élire archevêque son fils, Hugues, qui n’a que 5 ans. Herbert II entend occuper en Francie la première place après le roi ; dans les années 930-936 la maison de Vermandois apparaît ainsi comme la plus puissante dans le nord du royaume, situation qui amène les Robertiens à se rallier au Carolingien Louis IV et à le reconnaître pour roi. À la mort d’Herbert II (23 février 943), ses fils se disputent son héritage, et ce conflit, qui dure jusqu’en 946, fait perdre à la maison de Vermandois la prééminence qu’elle avait acquise. Herbert III reste en possession des comtés les plus importants et se met au service du roi Lothaire, qui lui confère en 967 le titre de comte palatin. Herbert porte aussi celui de comes Francorum, par analogie avec le titre de dux Francorum porté par les Robertiens. Mort sans héritier direct entre 980 et 984, Herbert III est le dernier représentant
de la maison de Vermandois, dont les possessions à l’est de la Francie sont la première ébauche de la maison de Champagne, qui prend sa succession au début du XIe siècle. L’essor de la maison de Vermandois a été soutenu par le développement économique très précoce de la Picardie et, si la principauté qu’elle a fondée s’est révélée éphémère, c’est sans doute en raison de son implantation même, en plein coeur des domaines carolingiens. C’est cette présence royale, tant carolingienne que capétienne, qui a finalement rendu impossible l’épanouissement durable d’une principauté territoriale. l VERSAILLES (CHÂTEAU DE). Longtemps les rois de France s’étaient déplacés de château en château, même si le palais du Louvre, avec les Tuileries, était la résidence royale par excellence. downloadModeText.vue.download 945 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 934 Du pavillon de chasse que son père avait fait construire au milieu de forêts giboyeuses, Louis XIV fit un palais luxueux, un lieu où il put inscrire sa gloire, fixer la cour à partir de 1682, et concentrer le pouvoir. Chantier permanent jusqu’à la fin du règne, oeuvre de Le Nôtre, Le Vau, Le Brun, Orbay, Hardouin-Mansart et de multiples artistes, ingénieurs et autres fontainiers, Versailles est l’un des principaux legs du Grand Siècle, peu modifié - simplement adapté - par Louis XV et Louis XVI, qui l’habitèrent sans en faire, comme leur aïeul, le centre du goût, des modes et de l’esprit de temps. UN ANCIEN RELAIS DE CHASSE AMÉNAGÉ POUR LES PLAISIRS ROYAUX Louis XIII chassait dans cette forêt proche de Paris et de Saint-Germain, et y avait fait construire, en 1623-1624 par Nicolas Huau, un petit château qui fut remanié par Philibert Le Roy de 1631 à 1634. C’était une construction en brique, pierre et ardoise, où un corps de logis et deux ailes en retour délimitaient une cour carrée, avec quatre pavillons aux angles extrêmes. Un fossé enserrait l’ensemble et, au-delà, deux bâtiments parallèles étaient réservés aux communs. Dans ce château de taille modeste, le roi ne recevait ni sa famille ni la cour. C’est là pourtant qu’il fit venir
Richelieu lors du « grand orage » de 1630 (journée des Dupes) pour le confirmer dans sa mission de Premier ministre. Par son style, ce « petit château de cartes » (Saint-Simon) était déjà démodé. Pourtant, Louis XIV chargea Le Vau d’agrandir et de transformer cette demeure, mais ces modifications furent encore modestes : un balcon de ferronnerie dorée, des bustes sur consoles pour la cour, quelques pièces décorées par Charles Errard et Noël Coypel. C’est surtout l’extension des jardins qui fut au centre du projet, et Le Nôtre commença à y travailler dès 1661-1663 : ce fut d’emblée une vaste entreprise d’un coût vite exorbitant, à tel point qu’il effrayait Colbert, devenu surintendant des Bâtiments en 1664. Il fallut aménager le site, qui était marécageux, et acheter des terrains. Des parterres - verdure au nord et fleurs au midi - furent créés, des perspectives dessinées, tracées pour n’avoir plus de limites à l’ouest. Le roi fit construire par Le Vau une ménagerie dans le parc (1663-1665) : un bâtiment central, de forme octogonale, était surmonté d’un dôme. Le rez-de-chaussée était constitué d’une grotte en rocailles ; au-dessus, un salon s’ouvrait par des portes-fenêtres sur sept cours, qui accueillaient les oiseaux, et bientôt des animaux plus exotiques, offerts à Louis XIV par des souverains étrangers. Une orangerie fut édifiée au midi, et la grotte de Thétis fut aussi construite en 1665-1666, au flanc du château. Le Grand Canal, dont la création fut décidée en 1667, commença à être creusé en 1668. C’est dans ce cadre du premier Versailles des jardins que Louis XIV abrita ses amours avec Mlle de La Vallière et qu’il donna de belles fêtes. En 1664, les « Plaisirs de l’île enchantée » furent une semaine entière de divertissements, Lully ayant en charge la musique et Molière les représentations théâtrales. Il y eut également des ballets, des feux d’artifice, des décors actionnés par des machines, des collations et des soupers... En 1668, le « Grand Divertissement royal » devait célébrer la paix d’Aix-la-Chapelle, mais aussi les amours du roi et de Mme de Montespan. À l’occasion de ces fêtes, le logis apparut comme étroit et peu commode : Louis XIV décida de lui donner plus d’ampleur. DEUXIÈME ÉTAPE DE TRANSFORMATIONS Le roi envisagea un moment de détruire le château de Louis XIII pour édifier une résidence totalement neuve, mais il revint à l’idée de
transformer le bâtiment existant. L’historien Jean-François Solnon a noté que ce parti pris devait peu de chose à la piété filiale, mais prenait en compte le souci d’économie, l’attachement de Louis XIV pour cette demeure dont il ne souhaitait pas s’éloigner longtemps, et enfin le désir de profiter des bâtiments déjà aménagés. Le Vau enveloppa le château de Louis XIII de nouvelles constructions, réussissant à aménager, entre le premier édifice et son enveloppe, deux cours intérieures. Si la cour de marbre conservait son aspect ancien - avec les trois couleurs, de la brique, de la pierre et de l’ardoise -, les trois autres façades étaient de pierre, et le toit était caché par des balustres, des trophées et des pots à feu. Deux enfilades parallèles de pièces correspondaient aux appartements - ceux du roi au nord, et ceux de la reine au midi : ils se terminaient par deux pavillons, et, à l’ouest, une terrasse à l’italienne sur les jardins allait de l’un à l’autre. Le Grand Escalier, dit « des Ambassadeurs », permettait d’accéder à l’appartement du roi. Au niveau du jardin, un appartement des bains fut aménagé. L’essentiel était réalisé en 1670, lorsque Le Vau mourut : il avait aussi édifié au nordouest le Trianon de porcelaine, un pavillon vêtu de faïence. D’Orbay continua l’entreprise, mais ce qui comptait surtout, c’était désormais le programme pour la décoration des appartements, que devait réaliser Le Brun, premier peintre du roi, qui dirigeait l’Académie de peinture et la Manufacture des Gobelins. Le Nôtre, Le Vau et Le Brun ont donc été à l’origine du palais de Versailles : Louis XIV a ainsi pris à son service les créateurs que son ancien surintendant Fouquet avait su distinguer pour son château de Vauxle-Vicomte. L’appartement du roi était composé de sept pièces, consacrées aux divinités de l’Olympe : Diane, Mars, Mercure, Apollon, Jupiter, Saturne et Vénus. Le visiteur gravissait le Grand Escalier (ou escalier des Ambassadeurs), trouvait deux salons, dont celui de Diane, traversait la Salle des gardes (Mars), l’Antichambre (Mercure), la Grande Chambre (Apollon). À l’extrémité occidentale se trouvaient le Grand Cabinet dédié à Jupiter (qui fut plus tard le salon de la Guerre), puis, sur les jardins, la Petite Chambre du roi (Saturne) et son Petit Cabinet (Vénus). Le plafond du Grand Escalier offrait une architecture en trompe l’oeil et Le Brun réalisa lui-même les peintures (16741679). Dans l’appartement, les murs étaient décorés de marbres et d’étoffes précieuses ; de grandes toiles ornaient les compartiments
des plafonds, séparés par des reliefs en stuc doré : ce fut l’oeuvre des disciples de Le Brun (1671-1679). Un mobilier d’argent, dessiné par le premier peintre, était destiné à l’étage royal. Les plafonds montraient la ronde des planètes autour du Soleil et, selon Félibien, historiographe des bâtiments, « il n’y a rien dans cette superbe maison qui n’ait rapport à cette divinité ». L’historienne Hélène Himelfarb a décelé les choix essentiels qui ordonnent les jardins : au nord, côté roi, la mer et les monstres marins (Sirène, grotte de Thétis, Pyramide, allée d’eau, Dragon) ; au sud, côté reine, la terre féconde (parterre de l’Amour, Orangerie, Labyrinthe ésopique). Des scènes solaires ponctuaient les axes : grotte, Latone, bassin d’Apollon, Saisons. Néanmoins, selon cette historienne, « le symbolisme est flou, les figures du roi varient, la sculpture vise plus à plaire qu’à instruire ». Le thème solaire relèverait de la « galanterie », du « bel esprit », dans un château construit pour les fêtes et les plaisirs, et il fut oublié lorsque Versailles changea de fonction. PRINCIPALE RÉSIDENCE ROYALE Les séjours de Louis XIV à Versailles furent de plus en plus longs et, en 1677, le roi annonça que ce palais serait sa principale résidence : c’était chose faite le 6 mai 1682. Le goût des promenades en plein air, de la chasse et de la nature explique cette décision, ainsi que la possibilité pour le monarque de réaliser sa propre résidence, selon ses souhaits. Peut-être faut-il aussi envisager une défiance tenace à l’égard d’une capitale que Louis XIV a connue rebelle pendant son enfance. Cependant, le roi avait multiplié les embellissements dans la capitale et ne se décida que bien tard pour Versailles. Sans doute ne doit-on pas négliger la volonté de regrouper en un même lieu la cour, avec la famille royale, les princes et les membres de la grande noblesse, d’un côté ; la Maison du roi, les ministres et secrétaires d’État, les Conseils, d’un autre côté. Tous « sous l’oeil du roi et du public, la résidence royale étant libre d’accès » (Hélène Himelfarb). Néanmoins, Louis XIV continua à fréquenter d’autres châteaux, tel Fontainebleau. Il fallut donner une dimension nouvelle au palais auquel devait venir s’ajouter une ville nouvelle. Ce fut Hardouin-Mansart qui fut chargé de l’ensemble et qui se fit à la fois architecte et urbaniste. Les travaux durèrent longtemps. La construction, supervisée par
Colbert, entraîna d’immenses dépenses et l’emploi de nombreux ouvriers (35 000 en 1685). Louvois y fit travailler des régiments. Le palais fut sans cesse remanié, car le roi changeait d’avis et multiplia les changements : il avait « un goût évolutif, jamais étroit, nullement figé » (François Bluche). Il fallut amener l’eau : après avoir tenté de détourner l’Eure grâce à l’aqueduc de Maintenon - cette tentative, vouée à l’échec, fut coûteuse en vies humaines -, on put tirer l’eau de la Seine grâce à la machine de Marly. De 1678 à 1689, deux grandes ailes sont ajoutées, sur jardin pour les princes, sur cour pour les courtisans : la façade sur le parc était longue de 570 mètres. La terrasse fut remplacée par la Grande Galerie, dite « Galerie des glaces ». Sous le parterre du sud fut aménagée une immense orangerie, longée par le monudownloadModeText.vue.download 946 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 935 mental escalier des Cent Marches et prolongée par la pièce d’eau des Suisses. Du côté oriental, l’avant-cour fut encadrée par les ailes des ministres. Les avenues de la ville nouvelle convergèrent vers le château, dessinant une place d’Armes où s’élevèrent la Grande et la Petite Écuries (1679-1682). Au sud se trouvaient la Chancellerie, la Surintendance, pour l’administration de l’État, le Grand Commun, destiné aux services du palais, qui occupa l’emplacement de l’ancien village détruit (1682-1684). L’installation de la cour entraîna un changement dans la décoration car Le Brun créa « «l’allégorie» réelle du règne, légendée en français » (Hélène Himelfarb). Le plafond de la Galerie des glaces racontait l’histoire du règne avec emphase, en présentant les grands événements et les principales décisions politiques, et en célébrant la personnalité de Louis XIV. Le panneau central représente le « roi qui gouverne par lui-même ». Le roi et l’histoire de son règne étaient en effet au centre du programme iconographique, et aussi, de plus en plus nettement derrière Louis XIV, la France elle-même. Le salon de la Guerre, au nord, et celui de la Paix, au sud, sont les extrémités de cette galerie de 73 mètres sur 10, qui s’ouvre sur les parterres par dix-sept fenêtres, tandis que la paroi opposée comporte dix-sept arcades, couvertes de panneaux de verre. Comme l’a remarqué
Hélène Himelfarb, cette galerie ne servit que rarement à des mariages ou à des réceptions d’ambassadeurs et « n’était sous l’Ancien Régime qu’un passage public, une salle des pas perdus ». Les bronzes des Fleuves et Rivières de France vinrent orner le parterre d’eau. Des bosquets furent aménagés comme la Salle de bal (1678-1682) ou la Colonnade (1685). Le Potager du roi fut créé pour l’horticulture de pointe. À la mort de Marie-Thérèse (1683), le roi agrandit son propre appartement, qui, avec celui de sa seconde femme, la marquise de Maintenon, occupait le tour complet de la cour de marbre, mais il abandonnait en même temps les grands salons, qui furent consacrés aux réceptions, le salon de Mars pour les bals parés, celui de Mercure pour le lit, le salon d’Apollon pour le trône. En 1701, la chambre du roi trouva - un peu par hasard - sa place définitive, ouvrant dans l’axe du château, à l’est : elle regardait le soleil se lever (l’historien Ernst Kantorowicz n’a-t-il pas fait remarquer que le symbole du « soleil levant » a traversé les âges depuis l’Antiquité). À côté de la chambre se trouvait le cabinet où se réunissait le Conseil des ministres, et, toujours sur la cour de marbre, la petite galerie rassemblait les plus beaux tableaux des collections royales (dont la Joconde). L’ancienne chambre du roi et le salon des Bassan - ainsi nommé pour les tableaux des Bassano qui l’ornaient formèrent le salon de l’OEil-de-boeuf, dont la corniche de « jeux d’enfants » montrait une nouvelle orientation esthétique : le roi voulait voir « de l’enfance répandue partout ». Ce salon était précédé de la salle du Grand Couvert, la « salle où le roi mange » comme on disait aussi. Sur la table était déposée la nef, contenant des serviettes pour le roi : en passant devant elle, les courtisans devaient la saluer, comme ils devaient le faire pour le lit royal. Tandis que la dauphine occupait les appartements de la reine, le dauphin, Monseigneur, recevait un logement au-dessous, au rez-de-chaussée du palais. Tous ces appartements comportaient des cabinets intérieurs pour la commodité et la vie privée. LE VERSAILLES DES COURTISANS ET LES RÉSIDENCES « SECONDAIRES » Vivre auprès du roi était un honneur. Avec Louis XIV, ce fut, pour les familles de la haute noblesse, une obligation, car le souverain avait vu dans sa jeunesse que les grands seigneurs n’hésitaient pas à se rebeller contre leur roi,
lorsqu’ils vivaient dans leurs provinces et pouvaient s’y appuyer sur leurs vassaux et leurs fidèles. La création de Versailles et l’autorité de Louis XIV les obligèrent à vivre une partie de l’année sous les yeux du monarque. Il fallait « faire sa cour » au roi pour obtenir de lui des pensions. De plus, le roi nommait les évêques et les abbés, les gouverneurs de province et de places fortes, les lieutenants généraux des armées et les ambassadeurs, et il fallait être bien connu - et bien considéré - de lui pour se voir confier de telles fonctions. La fortune et la réputation des familles nobles dépendaient donc largement de la faveur royale. Les courtisans suivaient les journées du roi, qui étaient parfaitement réglées. Certains avaient, par leur charge, un rôle à y tenir, selon qu’ils s’occupaient de la chambre du roi, de sa garde-robe, de sa garde, de sa table, de ses chevaux ou de ses chiens. Le lever du roi était la première étape de cette cérémonie royale. Selon leur rang et leur familiarité avec le monarque, les courtisans étaient autorisés à y assister : d’abord les grandes entrées pour les intimes, puis les premières entrées, ensuite l’entrée libre. La famille royale, elle, pouvait toujours se rendre auprès du roi « par les derrières », sans passer par l’antichambre. La messe, le dîner public, le coucher du roi, furent l’objet d’autant d’attention. La place de chacun était fixée d’avance. Seules certaines femmes - les duchesses, avant tout - avaient le droit d’être assises en présence du monarque. Les appartements des courtisans (ceux qui avaient la chance d’en avoir dans le palais luimême) étaient souvent inconfortables. Quant à la vie de cour, elle était ruineuse, car il fallait avoir des habits somptueux, inviter des amis, avoir des carrosses, et, en même temps, entretenir un hôtel particulier en ville et un château à la campagne. Louis XIV s’efforça pourtant de la rendre agréable, par des bals, des ballets, des opéras, des pièces de théâtre. La musique, que Louis XIV aimait infiniment, accompagnait la vie du roi, pendant la messe, les repas, les fêtes... Le palais de Versailles permettait d’exposer aux yeux de la noblesse de cour les chefsd’oeuvre des arts et métiers : tapis de la Savonnerie, glaces de Saint-Gobain, meubles de Boulle, tapisseries et argenteries des Gobelins, et les chefs-d’oeuvre des collections royales. Les antiques et les statues modernes faisaient aussi des jardins « le premier musée statuaire d’Europe » (Hélène Himelfarb). Louis XIV se fatigua lui-même des lourdes
obligations de Versailles et bientôt fit édifier une résidence plus simple dans le vallon de Marly (1678-1684). Autour du château réservé à la famille royale (qui fut rasé au XIXe siècle) se dressaient douze pavillons, comme les douze signes du Zodiaque autour du Soleil. Dans ce retour du thème solaire et cosmologique, Hélène Himelfarb voit la preuve que l’allégorie servait à plaire et à séduire, dans une maison qui était « une fantaisie d’été, de loisirs ou de retraite », alors qu’elle était abandonnée lorsque la demeure servait « à gouverner et à vivre ». À Marly, ne se rendaient que les courtisans invités par le roi et ils devaient solliciter cet insigne honneur. La vie était, là, plus simple et plus détendue. À la place du Trianon de porcelaine, le roi fit élever le Trianon de marbre (1687-1688), un palais à rez-de-jardin. Son architecture était audacieuse : l’édifice était ouvert entre cour et parterre, et coudé pour mieux protéger la vie privée du roi et de sa seconde épouse, Mme de Maintenon. Les pièces exiguës et blanches furent décorées de toiles de peintres coloristes. Marly, par le style de vie qui y était mené, Trianon, par son décor, mais aussi le salon de l’OEil-de-boeuf annonçaient des temps nouveaux et les aspirations qui triomphèrent après la mort du roi, pendant la Régence. Le roi conservait un goût infini pour ses jardins. Il rédigea lui-même, vers 1690, un texte en vingt-cinq paragraphes au style concis, une Manière de montrer les jardins de Versailles, et il insistait sur ce parcours complet des différents bosquets, en multipliant les haltes pour « considérer » le château, les statues, les bassins, les arbres, les fontaines, les parterres. Il aimait montrer ses jardins à des visiteurs étrangers. Sur le Grand Canal, une flottille évoquait les navires de combat du roi et ces modèles réduits permettaient des croisières vers Trianon. Même si, à la fin du règne, les guerres difficiles obligèrent à fondre le mobilier d’argent et rendirent plus délicate la poursuite de nouvelles entreprises, un chantier s’ouvrit à Versailles, avec la chapelle qui vint compléter l’immense palais (1699-1710) et dont les travaux furent dirigés par Robert de Cotte. Elle ne tenait pas, comme à l’Escorial, le centre du palais. Elle alliait une sobriété classique à des dorures qui annonçaient le style rocaille. Le roi et sa famille étaient à la tribune pour assister à l’office. Robert de Cotte conçut aussi,
tout à côté, pour mettre en valeur un immense tableau de Véronèse, le salon d’Hercule, qui ne fut achevé qu’en 1736. Car Louis XIV, à sa mort (1715), laissait un palais inachevé, où, en particulier, le petit château de Louis XIII n’avait toujours pas été démoli et remplacé. VERSAILLES APRÈS LOUIS XIV Avant même 1715, l’influence de Versailles et de la cour, en matière de création artistique, s’était sans doute atténuée, et lorsque le roi mourut, son neveu, Philippe d’Orléans décida que le jeune Louis XV vivrait à Paris : la cour abandonna donc Versailles. Néanmoins, elle s’y réinstalla en 1722, mais la vie n’y fut plus la même qu’autrefois. Louis XV n’imposait pas une présence assidue à la noblesse du royaume, et lui-même allait volontiers de château en château, avec des amis intimes. Les downloadModeText.vue.download 947 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 936 courtisans ne venaient plus au palais que pour accomplir les obligations de leurs charges, lorsqu’ils en avaient, ou pour des cérémonies importantes. Après le mariage du roi, la reine Marie Leszczynska tint sa place au centre de la cour ; cependant, studieuse et pieuse, elle ne sut pas vraiment lui donner un grand éclat. Ce fut plutôt la marquise de Pompadour, d’abord maîtresse du roi, puis son amie fidèle, qui sut organiser des fêtes à Versailles, mais c’était désormais dans l’intimité et dans le cadre des appartements privés que Louis XV s’était fait aménager. Ce roi avait permis l’achèvement du salon d’Hercule, dont le plafond fut peint par Le Moyne, puis il supervisa, dans la partie septentrionale des jardins, l’aménagement du bassin de Neptune (1733-1741), « le plus bel ensemble aquatique de Versailles » (Michel Antoine). À partir de 1742, et jusqu’à sa mort en 1774, le roi travailla avec Ange-Jacques Gabriel, son premier architecte. Il reprit un projet de Louis XIV : la construction d’un opéra ; mais la France manquait d’architectes capables d’élaborer ce type d’édifices, pour lesquels les Italiens excellaient. Il fallut attendre qu’une paix durable fût signée : les façades furent achevées en 1765, et la perspective du mariage du dauphin accéléra la réalisation du projet. La salle fut construite en bois pour l’acoustique, mais aussi par économie. Menuisiers et sculpteurs sur bois firent
des merveilles et la salle apparut à la fois délicate et précieuse. Un plancher mobile permettait de transformer cette salle de spectacle en salle pour les bals ou les festins royaux. C’est là que se déployèrent les fastes du mariage du dauphin Louis et de l’archiduchesse MarieAntoinette (1770). Respectant l’espace destiné au cérémonial monarchique, Louis XV fit réaménager les cabinets du roi, sur la cour de marbre : ce fut l’« appartement intérieur du roi », à la fois « officiel et privé » (Michel Antoine). La chambre du roi (la cérémonie du lever avait toujours lieu dans la chambre de Louis XIV), le cabinet de la Pendule - nommé ainsi en raison de l’extraordinaire objet créé par Passemant - et le cabinet intérieur du roi furent décorés et meublés par « des chefs-d’oeuvre absolus de décor et d’artisanat » (Hélène Himelfarb). Notons simplement parmi eux le bureau du roi, grand secrétaire à cylindre, commencé par ×ben et achevé par Riesener en 1769. Les filles du roi voulant avoir leurs propres appartements, cela conduisit à de profonds bouleversements, en particulier à la destruction de l’escalier des Ambassadeurs (1752). C’est Gabriel qui créa aussi une maison cubique de goût « grec », le petit Trianon (1762-1769) pour l’herbier du roi. Il prépara aussi la réédification sur cour (aile du Gouvernement), mais elle fut interrompue par la mort de Louis XV. La ville de Versailles se métamorphosa, et les ministères, comme celui des Affaires étrangères, furent construits avec le souci de protéger leurs archives du feu. Cette cité apparaissait bien comme une capitale. Au temps de Louis XVI, les difficultés financières, le caractère du roi et la brièveté même du règne expliquent que ce dernier ait laissé une trace moins nette à Versailles. Avant la Révolution, le souverain eut le temps de modifier les appartements de Louis XV, et l’influence préromantique se fit sentir dans les jardins à travers les bosquets paysagers (comme ceux peints par Hubert Robert). Marie-Antoinette aimait le changement et recréa toute la décoration de l’appartement de la reine. Elle transforma le petit Trianon que son mari lui avait donné, et fit créer la ferme modèle du Hameau. C’est à Versailles qu’en octobre 1789 la foule vint chercher la famille royale pour qu’elle s’installât à Paris. La Révolution nationalisa un palais qui demeurait inachevé : en juin 1794, au plus fort de la Terreur, la Convention en faisait un pa-
lais national qui devait être entretenu aux frais de la nation. Napoléon et Louis XVIII eurent des velléités de s’y installer et de compléter cet ensemble disparate. Au contraire, LouisPhilippe décida d’en faire un musée historique voué « à toutes les gloires de la France » (1837), ce qui entraîna une « transformation fondamentale » (Hélène Himelfarb). En 1871, et jusqu’en 1879, l’Assemblée nationale puis le Sénat s’installèrent à l’Opéra royal de Versailles, ce qui fut cause de nouveaux bouleversements et laissa des traces ineffaçables. Le Reich allemand fut proclamé dans la Galerie des glaces (18 janvier 1871) et le traité de Versailles y fut signé (1919). Le palais et les jardins de Versailles sont un lieu symbolique. Ils témoignent d’un « moment » de la monarchie française - le règne de Louis XIV, roi qui avait choisi d’affirmer une prépondérance politique de la France en Europe. Mais la « présence » de Versailles fut aussi culturelle ; le palais reste la vitrine d’une période féconde de l’art français. Versailles (traité de) [3 septembre 1783], traité qui met fin à la guerre de l’Indépendance américaine. En 1778, la France est intervenue dans le conflit opposant les treize colonies anglaises d’Amérique à leur métropole, entraînant dans son sillage l’Espagne, puis les ProvincesUnies. Après la victoire des troupes francoaméricaines à Yorktown (1781), les succès du bailli de Suffren dans l’océan Indien et les opérations espagnoles contre les positions anglaises en Méditerranée, un courant favorable à la paix se dessine en Angleterre, où les Communes pressent le roi George III de traiter. Des pourparlers sont engagés en mai 1782 avec les négociateurs américains, Benjamin Franklin, John Adams et John Jay. L’Angleterre mise sur les divergences d’intérêts entre ses adversaires et signe un accord préliminaire séparé avec les Américains, le 30 novembre 1782. La paix générale est conclue à Versailles, le 3 septembre 1783. L’Angleterre reconnaît l’indépendance des « treize États-Unis » et leur cède en outre tout le territoire situé entre les Appalaches et le Mississippi, mais elle conserve le Canada. Anglais et Néerlandais se restituent leurs conquêtes. L’Espagne recouvre Minorque et la Floride, mais renonce à Gibraltar. La France récupère le Sénégal et Tobago, perdus en 1763 (traité de Paris, qui mettait fin à la guerre de Sept Ans), obtient quelques agrandissements en Inde, et se voit confirmer la possession de
l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. Si les gains français sont relativement minimes, eu égard à l’effort de guerre fourni, le traité de Versailles n’en représente pas moins un succès politique pour la France, qui efface en partie l’échec de 1763. Versailles (traité de) [28 juin 1919], traité signé par les Alliés et l’Allemagne mettant fin à la Première Guerre mondiale. La conférence de la paix qui s’ouvre en janvier 1919 à Paris a de grandes ambitions : sanctionner les vaincus tout en organisant la paix pour le futur. Vingt-sept nations y participent, mais les véritables décisions sont prises par le « conseil des quatre », représentant les chefs d’État ou de gouvernement des pays vainqueurs : Woodrow Wilson (États-Unis), Georges Clemenceau (France), Lloyd George (Royaume-Uni) et Vittorio Emanuele Orlando (Italie). • Vainqueurs et vaincus. Le premier paradoxe de la conférence est que l’on n’a jamais pensé à inviter les vaincus, malgré l’objectif affiché de réorganiser l’Europe en s’inspirant des « quatorze points » proposés par Wilson en 1918, dont le plus important préconise le règlement des litiges territoriaux sur la base du principe des nationalités. Les négociations vont bientôt se heurter aux intérêts étroits de tous, et à la certitude de chacun des vainqueurs qu’il doit assurer sa sécurité territoriale, politique ou économique afin d’éviter qu’une catastrophe similaire ne se reproduise. Les habitudes diplomatiques anciennes règnent toujours, en dépit de la proclamation de nouveaux principes. Les tensions sont telles que le président Wilson décide de participer lui-même à la conférence, où il s’oppose surtout à Clemenceau qui, selon Keynes, « avait pour la France les sentiments de Périclès pour Athènes - elle seule était grande, rien d’autre ne comptait : mais sa conception de la politique était celle de Bismarck. Il avait une illusion, la France, et une désillusion, l’humanité, y compris les Français, sans parler de ses collègues ». • Créations et frustrations. Le deuxième paradoxe tient au fait que les vainqueurs veulent à la fois réorganiser l’Europe et châtier les vaincus. En témoignent les clauses signées le 28 juin 1919 dans la Galerie des glaces du château de Versailles - lieu de prestige, dont le choix rappelle la France rayonnante de Louis XIV et signifie l’effacement de l’humiliation de 1871, c’est-à-dire la proclamation, en
ce même lieu, de l’Empire allemand. Les cartes de l’Europe et du Proche-Orient sont totalement modifiées par le traité de Versailles et par les traités du Trianon, de SaintGermain-en-Laye, de Sèvres et de Neuilly, qui complètent certains aspects particuliers : les quatre Empires, allemand, austro-hongrois, ottoman et russe, ont disparu, remplacés par une série d’États fragiles. La vaste AutricheHongrie a éclaté, ses anciens territoires formant tout ou partie de sept États, dont trois nouveau-nés : la Tchécoslovaquie, la Pologne et le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (future Yougoslavie). Mais la fixation des nouvelles frontières ne peut tenir compte de la complexité immense des aspirations natiodownloadModeText.vue.download 948 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 937 nales : en fait, les négociateurs ont multiplié les minorités frustrées et les espoirs déçus, tout en croyant respecter le principe des nationalités. La création de la Société des nations (SDN) devait permettre enfin aux États de réfléchir ensemble à un avenir de paix. Mais le pacte de la SDN constitue le préambule d’un traité d’une dureté inacceptable pour l’Allemagne qui, comme les autres pays vaincus, ne peut être membre de l’organisation internationale. Quant à la Russie, perçue comme un foyer menaçant de contagion révolutionnaire, elle est également exclue. Ni les vainqueurs ni les vaincus ne sont satisfaits ; les marchandages, les compromis, ont frustré la France, qui n’a pas obtenu toutes les garanties indispensables à ses yeux. • Le sort inquiétant de l’Allemagne. Enfin, troisième et dernier paradoxe : l’Allemagne, bien que châtiée le plus durement, n’est pas démembrée. Cependant, toute reconstitution de sa puissance militaire lui est interdite et elle doit accepter d’importantes amputations territoriales : perte des colonies, restitution de l’Alsace-Lorraine à la France, attribution de la Posnanie et de la Prusse occidentale à la Pologne, établissement du corridor de Dantzig séparant la Prusse orientale du reste de l’Allemagne... En outre - clause particulièrement insupportable -, l’article 231 du traité la rend responsable de la guerre, ce qui implique des réparations morales et financières. Aussi, les Allemands protestent-ils avec énergie :
pour la majorité d’entre eux, le traité de Versailles est un diktat, qui ravit à leur pays son statut de grande puissance. De plus, nombre d’Allemands ont l’impression de n’avoir pas été vaincus sur le champ de bataille, mais du fait des agissements de « traîtres intérieurs » : socialistes, juifs, ou les deux. L’association des thèmes du « coup de couteau dans le dos » et du « diktat » aura de très graves conséquences dans le futur. Clemenceau déclarait le 28 septembre 1919, dans son discours de ratification du traité : « Il ne faut pas oublier que ce traité si complexe vaudra par ce que vous vaudrez vous-mêmes. Il sera ce que vous le ferez... Ce que vous allez voter aujourd’hui, ce n’est pas même un commencement, c’est le commencement d’un commencement. » Le traité de Versailles a bien donné naissance à une paix mort-née et à la Seconde Guerre mondiale. Et l’on peut considérer que l’Europe a connu, entre 1914 et 1945, une « guerre de trente ans ». Après 1989 et le démantèlement de l’empire soviétique, qui s’était en partie appuyé sur les « créations » de Versailles en Europe centrale et orientale, il ne reste strictement rien de ce traité. Vervins (paix de), paix conclue le 2 mai 1598 mettant fin au conflit franco-espagnol engagé en 1588. Les troupes espagnoles sont entrées en France à l’appel de la Ligue pour lutter contre le prétendant protestant Henri de Navarre. Celuici étant devenu roi (sous le nom d’Henri IV) après s’être converti au catholicisme, les opérations prennent un tour plus classique d’affrontement entre États. Les Espagnols ne peuvent empêcher Henri IV de reconquérir peu à peu son royaume ; ils sont vaincus en Bourgogne, à Fontaine-Française (5 juin 1596), mais en 1597 reprennent Cambrai et s’emparent de Calais et, un temps, d’Amiens. Cependant, le roi Philippe II d’Espagne, vieillissant et acculé à la banqueroute en 1596, se résigne à la paix. Dernière province ligueuse, la Bretagne se rend aux troupes royales. La médiation du pape Clément VIII permet d’activer les négociations. Pour l’essentiel, la paix de Vervins confirme les clauses du traité du Cateau-Cambrésis (1559) : les conquêtes réciproques sont restituées, l’Espagne ne gardant que Cambrai. Un accord est également prévu avec le duc de Savoie, qui a combattu aux côtés des Espagnols, mais le détail en est renvoyé à plus tard, ce qui occasionnera la guerre de Savoie. Venant après la
signature de l’édit de Nantes (30 avril 1598), qui assure la paix à l’intérieur, le traité avec l’Espagne semble garantir la reconstruction du royaume épuisé par la guerre. De fait, il ouvre, dans la séculaire rivalité entre les deux nations, une trêve qui durera jusqu’en 1635. veto royal (droit de), droit accordé au roi, sous la Révolution, de refuser sa sanction aux décrets de l’Assemblée nationale. Voté le 11 septembre 1789, au terme d’un long débat qui a divisé le pays, le droit de veto - (en latin, « je m’oppose ») - pose la question clé de l’avenir du gouvernement monarchique dans les nouvelles institutions. Ses partisans - aristocrates et monarchiens - défendent un pouvoir exécutif fort, où le roi doit concourir à l’établissement des lois et s’opposer à l’éventuel despotisme des députés, tandis que ses adversaires, notamment Sieyès, voient dans l’ancien monarque de droit divin le simple dépositaire du pouvoir exécutif, qui ne peut et ne doit pas se mêler au pouvoir législatif, ce dernier étant seul détenteur de la souveraineté. C’est finalement la conciliation qui l’emporte, avec Barnave ou l’abbé Grégoire, par le vote du veto dit « suspensif » - et non « absolu » -, c’est-à-dire limité à deux législatures de deux ans. Ainsi, lorsque deux législatures successives votent un même texte, celuici devient exécutoire, l’arbitrage étant laissé au peuple par l’élection des députés. Cependant, la réitération d’un vote pour lequel le roi a déjà opposé son veto constitue une rupture flagrante : loin d’être considéré comme supérieur à la nation, le roi devient le premier employé du régime, tandis que tous les textes législatifs ne sont pas soumis à sa sanction. Il reste que Louis XVI provoque le mécontentement populaire dès qu’il use - rarement - de son veto. Il doit ainsi retirer celui qu’il oppose à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et aux décrets du 4 août 1789 (abolition des privilèges) à la suite des journées d’octobre 1789, mais il ne cède pas devant la foule lors de la journée du 20 juin 1792, prélude à la chute de la monarchie. Veuillot (Louis), journaliste et écrivain (Boynes, Loiret, 1813 - Paris 1883). Fils d’un tonnelier établi à Bercy, le principal porte-parole du catholicisme intransigeant au XIXe siècle revendiquera toujours ses origines populaires. Clerc de notaire, puis collaborateur à Rouen puis à Périgueux de journaux favorables au gouvernement de Louis-Philippe, il acquiert par ses seuls moyens une
culture littéraire ; il se convertit au catholicisme lors d’un voyage à Rome en 1838 (Rome et Lorette, 1841). Devenu en 1843, au plus fort de la bataille pour la liberté de l’enseignement, le principal rédacteur du journal catholique l’Univers, il imprime à ce quotidien les traits saillants de sa personnalité intellectuelle - une foi fervente ; un attachement indéfectible à la papauté ; la passion de l’ordre et de l’autorité ; une hostilité de principe à la philosophie des Lumières et au libéralisme ; le sens de la formule, le goût de la polémique et l’art de la provocation, enfin -, dont témoigne encore une abondante oeuvre littéraire (Vie de Germaine Cousin, 1854 ; le Parfum de Rome, 1862 ; l’Illusion libérale, 1866 ; les Odeurs de Paris, 1867). Sur le plan religieux, il combat, avec une particulière âpreté, les catholiques libéraux et les gallicans. Sur le plan politique, après s’être rallié au coup d’État de 1851, il rompt en 1859 avec l’Empire pour soutenir la cause de Pie IX contre la politique italienne de Napoléon III. Ce dernier fait suspendre la publication de l’Univers de 1860 à 1867. Après l’instauration de la IIIe République, Louis Veuillot soutient, en vain, les projets de restauration monarchique, et, malade, passe en 1874 la direction du journal à son frère Eugène. Vézelay, l’un des grands centres de pèlerinage de la chrétienté au Moyen Âge, qui a pour origine une abbaye bénédictine fondée autour du tombeau présumé de Marie-Madeleine. Alors que le monachisme du IXe siècle est marqué par un retour à l’application rigoureuse de la règle bénédictine, après la réforme introduite par Benoît d’Aniane (750-821), les fondations de monastères se multiplient : celui des moniales de Vézelay est érigé en 867 et accueille les reliques de Marie-Madeleine, offertes par le seigneur Girard de Roussillon et sa femme Berthe. En partie détruit vers 873 par les invasions normandes qui ravagent alors le royaume, le monastère est reconstruit sur la colline de Vézelay. Une nouvelle église carolingienne est consacrée en 878, et reçoit les reliques vers 880. L’abbaye passe à l’observance clunisienne au début du XIe siècle. Après 1050, les reliques de Marie-Madeleine font l’objet d’un pèlerinage important, qui nécessite bientôt la construction d’un édifice plus vaste. Pour répondre à l’afflux des pèlerins, l’église de la Madeleine est élevée au début du XIIe siècle par l’abbé Artaud (1096/1106). Elle est consacrée en 1104 puis en partie détruite par l’incendie de 1120, et la nef est finalement achevée sous l’abbatiat
de Renaud de Semur, vers 1140. En mars 1146, saint Bernard de Clairvaux (vers 10901153) y prêche la deuxième croisade. Le choix habile de l’abbaye comme lieu d’appel à la croisade est pour le roi Louis VII (vers 1120-1180) l’occasion de manifester sa puissance face aux bourguignons, qui règnent en maître à proximité. C’est également depuis Vézelay que les armées de Philippe Auguste (1165-1223) et de Richard Coeur de Lion partent pour la troisième croisade, le 4 juillet downloadModeText.vue.download 949 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 938 1190. Saint Louis (1214-1270), à son tour, choisit l’église de la Madeleine comme point de départ vers la Terre sainte, en 1248 puis en 1270. Il y effectue aussi un pèlerinage, en avril 1267, pour relancer le culte des reliques. En effet, à la fin du XIIIe siècle, la ferveur des pèlerins se déplace vers SaintMaximin, en Provence, après l’authentification de nouvelles reliques de Marie-Madeleine. Jusqu’à la fin du Moyen Âge, l’abbaye continue cependant d’être l’un des principaux points de ralliement pour le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Le déclin du pèlerinage à l’époque moderne explique le progressif déclin de l’abbaye de Vézelay qui, peu après la Révolution, menace ruine. Sa sauvegarde est assurée par l’importante restauration entreprise en 1839 par l’architecte Viollet-le-Duc. L’église de la Madeleine, joyau de l’art roman, qui a inspiré artistes (Le Corbusier) et écrivains (Romain Rolland, Maurice Clavel), continue aujourd’hui encore d’attirer les foules. viande. Les viandes ont tenu, dans l’alimentation des Occidentaux, une place relativement importante, quoique variable selon les régions, les classes sociales et les époques. Variable aussi était le choix des animaux consommés : les paysans ont longtemps surtout mangé de la chair de porc salée ou fumée ; les gens des villes, de la viande de boeuf ou de mouton ; et les élites sociales, de la volaille. • Viandes de boucherie. À la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne, dans la plupart des régions, le boeuf était l’une des viandes les moins chères, et de loin la plus consommée. Pas toujours, certes : les Provençaux, par exemple, préféraient le mouton. À
Carpentras - ville pour laquelle on dispose de sources précises -, la viande ovine était plus appréciée, donc plus chère, mais néanmoins achetée en plus grande quantité. Même là, la consommation de boeuf et de vache l’emportait d’octobre à février : nombreux, en effet, étaient les paysans qui, à l’entrée de l’hiver, vendaient au boucher ces animaux qu’ils n’avaient pas intérêt à nourrir de foin durant toute la mauvaise saison. C’était le plus souvent de vieilles bêtes devenues impropres au travail, que les bouchers, avant de les abattre, engraissaient quelques mois dans les prairies qu’ils possédaient auprès des villes. Les découvertes archéologiques récentes d’ossements de jeunes boeufs sur certains sites, tel celui de La Charité-sur-Loire, ne suffisent pas à remettre en question ce schéma : l’élevage des bovins n’était qu’accessoirement tourné vers la production de viande. Car, d’une part, le besoin de traction animale était tel qu’on n’hésitait pas à atteler les vaches aussi bien que les boeufs. D’autre part, la chair du boeuf, jusqu’au XVIIe siècle, n’a pas eu meilleure réputation que celle de la vache, et elle ne valait généralement pas plus cher. Elle passait pour froide et sèche - comme l’élément terre -, donc grossière, indigeste et impropre à l’alimentation des élites sociales, quoique nourrissante et réputée convenir à l’estomac robuste des travailleurs de force. La sécheresse qu’on lui attribuait empêchait qu’on la fasse rôtir. De fait, les livres de cuisine aristocratiques, jusqu’au XVIIe siècle, mentionnent très peu de plats de boeuf, cette viande étant utilisée surtout pour faire des bouillons. Cela n’encourageait pas à élever des boeufs pour la boucherie, donc à les abattre avant de les avoir épuisés au travail. C’est dans le courant du XVIIe siècle que la réhabilitation du boeuf a commencé : dans les « marchés de pourvoierie » parisiens - d’après les tarifs sur lesquels un fournisseur et l’intendant d’une grande maison s’accordaient pour une ou plusieurs années -, il ne coûtait, au début du siècle, que 2 sols 6 deniers la livre, tandis que la livre de porc était à 3 sols, et celle de mouton ou de veau à 3 sols 9 deniers. Mais, à partir de 1639, boeuf, mouton et veau sont au même prix presque tous les ans. Vers le même moment, les recettes de boeuf se multiplient dans les livres de cuisine, et les morceaux utilisés ainsi que les cuissons auxquelles on les soumet se diversifient. C’est à partir de cette époque, apparemment, que l’on a cherché à produire du boeuf de qualité. Parmi les manifestations de cette améliora-
tion, on peut noter l’augmentation du poids des animaux au XVIIIe siècle : sur le marché de Genève, le poids moyen des boeufs, qui était de 187 kilos en 1730, passe à 343 en 1788, et même à 386 pour les boeufs de première qualité. Dans le même temps, le nombre des veaux abattus avait plus que triplé, alors que la vache et le porc étaient en plein déclin. Les mêmes tendances apparaissent dans les livres de cuisine français, si l’on en juge par le nombre des recettes et des morceaux mentionnés. On met le veau à toutes les sauces, alors que la tétine de vache, la hure, le groin et les pieds de porc disparaissent des bonnes tables, où ne subsiste guère que le jambon. La brebis et la chèvre ont toujours été des nourritures de pauvres ; le bouc gras n’est apprécié que dans certaines régions méridionales ; mais le chevreau, qui n’est plus servi au XVIIIe siècle, avait été, auparavant, très estimé des élites sociales ; peut-être aussi l’agneau de lait, qui passe désormais pour une viande fade, inférieure au mouton. • Volailles. Sauvages ou domestiques, c’étaient traditionnellement les oiseaux - en raison du prestige dont jouissait l’élément aérien - qui fournissaient les rôts aristocratiques. En tête venaient la perdrix, le chapon de haute graisse, puis, à partir du XVIe siècle, la dinde et, délicatesse suprême, les ortolans. Les oiseaux dits « de rivière », à la frontière de deux éléments - air et eau -, avaient mauvaise réputation. On ne se faisait pourtant pas faute de servir aux tables princières, outre les halbrans, bécasses et pluviers, des hérons, des grues et des cygnes - élégamment revêtus de leurs plumes comme les paons -, voire des cormorans et des cigognes. Si ces gros oiseaux décoratifs ont disparu entre la fin du XVe siècle et le milieu du XVIIe, on a continué de servir, tout au long des XVIIe et XVIIIe, de la macreuse accommodée de cent façons les jours maigres, parce que ce canard marin était assimilé au poisson dans le droit canon. l VICHY (RÉGIME DE). De 1940 à 1944, la France, vaincue et occupée, est soumise à une dictature, sous l’autorité du maréchal Pétain : le régime de Vichy prétend y conduire une révolution afin de « restaurer les vraies valeurs nationales ». Pourtant, l’expérience tourne court, aussi bien parce que le gouvernement de Vichy a lié son destin à celui de l’Allemagne nazie, que parce que le projet pétainiste, malgré d’incontestables appuis initiaux, finit par dresser contre
lui une formidable coalition politique. L’INSTALLATION DU RÉGIME En mai 1940, une fois la défaite consommée, deux options se présentent au gouvernement de Paul Reynaud. Les « bellicistes » (Reynaud lui-même, Georges Mandel, le général de Gaulle), partisans de la continuation du combat et fidèles à l’alliance britannique, sont favorables au départ du gouvernement vers l’empire. Cette hypothèse suppose l’abandon de la métropole et la capitulation de l’armée, qui laisseraient toute liberté au gouvernement. Les « pacifistes » (Georges Bonnet ou le maréchal Pétain, vice-président du Conseil depuis le 18 mai), estimant que la campagne de France scelle la fin de la guerre, refusent catégoriquement de poursuivre le combat. Le 16 juin, se croyant en minorité au sein du gouvernement à la suite du rejet d’une proposition d’union franco-britannique, Paul Reynaud présente sa démission. Le président de la République, Albert Lebrun, appelle alors le maréchal Pétain pour le remplacer. Ce dernier, le 17 juin, annonce aux Français la fin des combats et la demande de l’armistice. Plusieurs raisons expliquent le facile succès de la thèse pacifiste. Tout d’abord, les autorités militaires, le généralissime Weygand en tête, ont refusé d’assumer seules la responsabilité de la défaite et ont ouvertement réclamé la signature d’un armistice. En outre, des considérations techniques ont été mises en avant, en particulier par l’amiral Darlan, qui souligne les difficultés de transporter l’armée en Afrique du Nord. Les ambitions politiques de certains, et d’abord celles de Pétain lui-même, le désir de certains autres - tel Laval - de prendre une revanche sur la Chambre du Front populaire et, d’une façon générale, le désir d’une bonne partie de la droite nationaliste d’en finir avec un régime honni ont incontestablement précipité la solution de l’armistice. Enfin, on ne saurait négliger l’immense détresse des Français qui, par millions, fuient sur les routes de l’exode. À ce peuple écrasé par un désastre aux proportions inouïes, et dont la plupart des certitudes politiques, à commencer par la confiance dans la République, sont ébranlées, Pétain adresse un message de réconfort. Fort de l’immense prestige hérité de la Première Guerre mondiale et faisant quasi religieusement « don de sa personne à la France », il promet, comme en 1917, d’épargner des malheurs inutiles. Il annonce également un programme de redressement qui, dans le contexte politique et moral si particulier de l’été 1940, parvient à
séduire une large majorité de Français. L’armistice du 22 juin 1940 n’est donc pas une fin en soi mais le commencement d’une downloadModeText.vue.download 950 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 939 aventure politique. Le 9 juillet 1940, alors que les pouvoirs publics sont transférés de Bordeaux à Vichy, les Chambres votent le principe d’une révision de la Constitution. Le 10 juillet, le Parlement, réuni en Assemblée nationale, vote à une écrasante majorité (569 voix, contre 80, et 20 abstentions) les pleins pouvoirs au maréchal Pétain et le charge de rédiger une Constitution qui respecte les intérêts « du travail, de la famille et de la patrie ». LA « RÉVOLUTION NATIONALE » Le projet pétainiste puise ses références à des sources diverses. Il s’alimente du courant antiparlementaire des années 1930. Un certain nombre des thèmes alors développés par les ligues d’extrême droite se retrouvent dans l’argumentaire vichyste : nécessité de moraliser la vie politique, d’abolir un système parlementaire jugé inefficace, et d’établir un pouvoir fort ; nécessité encore d’éradiquer en France la menace communiste. Toutefois, le corps de doctrine est loin d’être homogène, et Vichy récupère aussi à son profit les réflexions des « planistes » (ainsi celles du groupe X-Crise), qui militent en faveur d’un encadrement de l’économie par l’État et de la promotion d’élites techniciennes. Le catholicisme social influence également la pensée pétainiste, de même que certaines réflexions des catholiques personnalistes - on songe à l’équipe d’Esprit -, notamment l’idéal d’une société « communautaire » qui écarterait le double péril de l’individualisme bourgeois et du collectivisme marxiste. D’une façon plus générale, cette « révolution nationale » puise l’essentiel de ses références dans le très ancien programme de la droite contre-révolutionnaire française, programme régénéré au début du XXe siècle par Charles Maurras et les penseurs de l’Action française. Ce nationalisme est fondé sur la certitude que la révolution de 1789 a produit un déchirement néfaste dans l’histoire de France. En désagrégeant l’ordre ancestral, elle aurait promu de fausses valeurs
(républicanisme, laïcité de l’État, égalitarisme démocratique), remis en cause les hiérarchies « naturelles » et ouvert la porte à des théories sociales encore plus corrosives, tel le marxisme. Opérant une relecture de l’histoire de France, Maurras formule l’hypothèse de l’opposition entre une « vraie France » et une « anti-France ». Celle-ci, dominée par les « quatre États confédérés » (juifs, francs-maçons, étrangers et protestants), aurait juré la perte du pays et, s’appuyant sur le régime républicain, aurait délibérément entrepris d’en saper les fondements. Selon cette analyse, le Front populaire aurait cristallisé la somme de ces errements : dirigé par un juif socialiste, il s’appuie sur les radicaux anticléricaux et les communistes bellicistes. Ainsi s’explique le singulier ralliement au pacifisme de la droite nationaliste à la fin des années 1930. Non pas - à quelques exceptions près - par sympathie pour les régimes fascistes, mais parce que ses membres se sont persuadés que le vrai combat à mener est d’ordre intérieur, alors qu’une guerre extérieure pourrait, comme en 1918, renforcer la « gueuse ». Ainsi s’expliquent également les singulières convergences qui se manifestent à l’époque des accords de Munich (septembre 1938) et qui se confirment, à l’été 1940, entre la droite nationaliste et la gauche pacifiste et anticommuniste : ces extrêmes se rapprochent par leur refus de la guerre et par leur haine du communisme (lequel, depuis le tournant antifasciste de 1934, a pris un visage belliciste avant de se déconsidérer en 1939, à cause du pacte germano-soviétique). Aux yeux des pétainistes, le désastre de 1940 apporte, rétrospectivement, une justification aux thèses maurrassiennes : l’accumulation des erreurs a fatalement conduit à une défaite, qu’il ne faut pas refuser, au risque d’éloigner toute chance de redressement, mais accepter et concevoir comme une sanction divine. Reprenant les accents de l’Ordre moral au lendemain de la défaite de 1870 et détournant habilement la problématique chrétienne de la faute et de la rédemption, Pétain appelle les Français à un redressement synonyme d’expiation nationale. Dans ce contexte, le terme de « révolution » doit être compris dans son sens premier et cosmologique de « retour à l’origine » : ce dont il s’agit, c’est de refonder la nation française sur ses valeurs et ses hiérarchies traditionnelles, ainsi que de mettre hors d’état de nuire les éléments étrangers qui ont pullulé en son sein. Ces valeurs sont l’autorité, l’ordre moral imprégné de catholicisme, l’attachement à la ruralité, l’esprit communautaire. Ces hiérarchies passent par le respect
de l’État, de l’armée, de l’Église, mais aussi par celui du patron ou du père de famille. Ce faisant, la « révolution nationale » révèle une forte ambiguïté. Prétendant unir et réconcilier les Français, elle a toutes les apparences d’une revanche de ceux qui nourrissent de la rancune envers la République : vieux maurrassiens, jeunes ligueurs, politiciens déchus, mais aussi paysans décimés dans les tranchées et furieux contre les ouvriers « planqués » de 1914 mais choyés en 1936, rentiers ruinés par l’inflation d’après-guerre, technocrates et élites tenus éloignés du pouvoir par le système parlementaire, militaires vaincus, rejetant la responsabilité de la défaite sur un régime jugé faible, patrons effrayés par les audaces de juin 1936, classes moyennes fragilisées par la baisse des revenus des années 1930. Dans ces conditions, on ne sera pas surpris d’observer la forte hétérogénéité du personnel politique vichyste. Certes, les principaux bataillons sont fournis par de vieux routiers de la droite nationaliste (ainsi Raphaël Alibert, qui fait figure de théoricien de la « révolution nationale », ou Xavier Vallat, un antisémite convaincu, qui dirige à partir de mars 1941 le Commissariat général aux questions juives). Mais on trouve aussi à Vichy de purs produits du parlementarisme (tels PierreÉtienne Flandin ou Pierre Laval) et même, du moins jusqu’en 1941, d’anciens socialistes ou syndicalistes pacifistes (ainsi René Belin, ancien secrétaire général adjoint de la CGT, qui devient ministre du Travail). D’une façon plus générale, la majorité des notables locaux se rallie au régime, comme en témoigne, en 1941, la composition du Conseil national, où figurent aussi bien le leader socialiste Paul Faure que le député modéré Antoine Pinay. La hiérarchie catholique apporte également son soutien actif au régime, qui le lui rend bien en érigeant l’Église au rang d’interlocuteur privilégié. De fait, en 1940, la seule opposition structurée à Vichy qui existe en France est animée, à Paris, sous la protection des Allemands, par les « collaborationnistes », vrais tenants du fascisme français (Jacques Doriot, Marcel Déat, Robert Brasillach). CONTRE LA RÉPUBLIQUE La première caractéristique du régime qui se met en place le 10 juillet 1940 est l’hostilité à la République, comme en témoigne l’abandon, dans la terminologie officielle, du terme même de « République » au profit de l’expression neutre d’« État français ». Les symboles républicains subissent le même
sort : la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » cède le pas au triptyque pétainiste « Travail, Famille, Patrie », tandis que le portrait du Maréchal se substitue au buste de Marianne. Le parlementarisme subit un ostracisme identique, même si le Parlement n’est pas officiellement dissous (les bureaux des Chambres ne le seront qu’en 1942). Le contrôle parlementaire ayant disparu, Pétain nomme et renvoie les ministres à sa guise, comme Laval en fait l’expérience en décembre 1940. Le régime, qui prétend rompre avec la médiocrité parlementaire, se caractérise pourtant par une singulière instabilité ministérielle : pour le seul département de l’Éducation nationale, Vichy n’use pas moins de quatre ministres en quatre ans. Si le suffrage universel n’est pas aboli, il est néanmoins vidé de sa substance, dans la mesure où l’on ne vote pas. Les élections municipales et cantonales sont ajournées. Bien plus, à l’été 1940, plusieurs centaines d’élus locaux trop ouvertement hostiles au régime sont destitués et remplacés par des notables dociles et nommés par les préfets, ce qui ruine la loi municipale de 1884 et exhume la vieille tutelle napoléonienne. En janvier 1941, le régime finit par convoquer un Conseil national. Mais il est impossible de voir en cette institution un Parlement, pas même un Parlement croupion : non seulement ses membres sont nommés par le Maréchal et non élus, mais ils ne disposent ni du droit de censure ni de celui de voter la loi. Le Conseil national se réduit à une assemblée de notables destinée à soutenir la politique du gouvernement. La nouvelle Constitution évoquée dans le vote du 10 juillet 1940, malgré l’étude de divers projets, ne verra jamais le jour. Cependant, comme il faut organiser l’équilibre des pouvoirs publics, le maréchal Pétain, autoproclamé chef de l’État, promulgue une série d’« actes constitutionnels » (les trois premiers, en date du 11 juillet 1940) qui lui offrent le cumul des pouvoirs exécutif et législatif - et même judiciaire, dans la mesure où, à partir d’août 1941, les magistrats doivent prêter un serment de fidélité à sa personne. Bien plus, l’acte constitutionnel numéro IV (12 juillet 1940) lui donne le pouvoir de désigner son successeur (d’abord Laval, puis Darlan), prérogative dont même les monarques absolus ne disposaient pas. Enfin, le Maréchal fait l’objet d’un culte de la personnalité aux proportions inconnues en France. Derrière la façade d’une « révolution », le régime de Vichy downloadModeText.vue.download 951 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 940 a ainsi toutes les apparences d’une dictature de type personnel, même si, dans la pratique, Pétain ne peut réellement exercer ce pouvoir, qu’il partage avec un cabinet tout-puissant. REFONDRE LA SOCIÉTÉ Le projet pétainiste porte en lui la volonté de rétablir la société française sur ses assises traditionnelles. Cette ambition précipite les pétainistes dans une véritable boulimie législative, sans que les résultats soient toujours à la hauteur de leurs espérances. Le monde du travail bénéficie de la plus grande sollicitude. En ce domaine, l’ambition est immense, puisqu’il s’agit d’éradiquer en France les ferments de la lutte des classes que l’on juge responsable de l’affaiblissement du pays et, donc, de la défaite - et de lui substituer la collaboration des classes dans un cadre corporatiste. Dans le monde paysan, la réforme corporatiste, souhaitée depuis longtemps par les agrariens et la majorité des syndicalistes paysans, est rapidement instaurée. La loi du 2 décembre 1940 crée la « Corporation paysanne », fondée sur les deux principes de l’organicisme et de l’autonomie. Les anciens syndicats disparaissent et sont remplacés par une organisation unique et obligatoire, qui regroupe aussi bien les ouvriers agricoles que les exploitants, propriétaires ou non. La Corporation est bâtie sur une logique pyramidale, depuis le syndic de village jusqu’à la commission nationale d’organisation corporative, elle-même placée sous la protection du « maréchal-paysan ». Malgré ses intentions, la Corporation n’autorise pas l’autonomie du monde paysan. Non seulement les rigueurs du temps imposent un strict contrôle de la production agricole, mais les services du ministère de l’Agriculture ne se laissent pas facilement dépouiller de leurs prérogatives. Dès 1942, la réforme est vidée de sa substance et détournée au profit d’un interventionnisme administratif accru. Dans le monde ouvrier, les ambitions pétainistes rencontrent beaucoup plus d’hostilité. Ces difficultés résultent d’abord des divergences de vue qui opposent les responsables vichystes. Le premier ministre du Travail de Vichy, René Belin, souhaite établir un système qui autorise la pleine autonomie du monde du travail, façon singulière de renouer avec le vieil idéal proudhonien d’autogestion
ouvrière. Les pétainistes de stricte obédience, tel le colonel Cèbe, mettent davantage l’accent sur la nécessité d’imposer la collaboration des classes, quitte à s’inspirer des modèles corporatistes fascistes. Au terme de laborieuses discussions, la Charte du travail n’est promulguée qu’en octobre 1941. Assez proche de la charte mussolinienne de 1927, elle impose la collaboration des classes par l’établissement, pour chaque profession, d’un syndicat unique et obligatoire. La Charte, que Pétain considère comme le grand oeuvre du régime, connaît un retentissant échec, qui est d’abord la conséquence de son extraordinaire complexité administrative. En outre, la volonté officiellement affirmée de traiter sur un pied d’égalité ouvriers et patrons est démentie par l’établissement des comités d’organisation qui associent, pour gérer la pénurie, administration et patronat, à l’exclusion des représentants ouvriers. Enfin, il est plus facile d’abolir la lutte des classes par décret que de susciter l’engouement du monde ouvrier. Celui-ci demeure méfiant, sinon hostile, et, malgré leur caractère obligatoire, les adhésions aux syndicats officiels sont peu nombreuses. Au reste, le climat social est loin d’être serein. Les difficultés du ravitaillement, puis, à partir de 1942, les menaces de départs forcés vers l’Allemagne, suscitent des grèves plus nombreuses qu’on ne le croit. Après l’exemplaire conflit des mineurs du Nord du printemps 1941, la région lyonnaise, à l’automne 1942, est frappée par une importante vague de grèves. À cette date, la Charte du travail n’est déjà plus qu’une coquille vide et les syndicats clandestins qui se réorganisent sont beaucoup plus à même d’encadrer le monde du travail. L’éducation est l’autre priorité fondamentale des pétainistes : l’objectif est non seulement de réformer un système éducatif accusé d’avoir conduit au désastre de 1940, mais aussi de forger « l’homme nouveau » capable de bâtir « la France de demain ». Dans ce domaine encore, le succès n’est pas au rendez-vous. Voire, le régime finit par perdre le contrôle de certaines de ses institutions et, à partir de 1943, sous la pression des Allemands, il doit démanteler ce qu’il a créé. L’école républicaine est accablée de tous les maux. Ses programmes trop ouvertement anticléricaux sont dénoncés pour avoir contribué à diviser artificiellement la jeunesse, tandis que ses instituteurs, réputés être pacifistes, socialistes et anticléricaux, deviennent les « bêtes noires » du régime. Il est également reproché à l’école de la IIIe République - argument que d’ailleurs ne rejettent pas les résis-
tants - d’avoir développé un enseignement trop abstrait, obsédé par la manie des classements et des prouesses intellectuelles, coupé de la « vraie vie » et qui, au total, a négligé la formation du corps et du « caractère ». Vichy s’attache donc d’abord à ruiner l’anticléricalisme de la République. Les programmes de morale sont révisés par la réintroduction des devoirs envers Dieu et l’enseignement confessionnel reçoit d’importantes subventions. Le corps enseignant est soigneusement épuré et, dès le mois d’août 1940, plusieurs milliers d’instituteurs et de professeurs « mal pensants » sont destitués. Point d’orgue de cette contre-offensive antilaïque, les écoles normales d’instituteurs sont supprimées en septembre 1940. Concernant le contenu de l’enseignement, les ministres successifs, auxquels est adjoint un Secrétariat général, s’attachent à développer l’« enseignement général et sportif ». Les programmes sont profondément refondus (par Jérôme Carcopino, en 1941) pour permettre l’introduction de la pratique du sport et de diverses activités d’éveil. Ces initiatives échouent largement, tant en raison du manque chronique de moyens, malgré les efforts du Secrétariat général, que de la sous-alimentation croissante des enfants, qui interdit les exercices sportifs prolongés et éveille l’inquiétude des parents. L’ambition de Vichy ne s’arrête pas à la réforme des programmes scolaires, mais vise à forger un « homme nouveau ». À cet effet, dès l’été 1940, sont constitués les Chantiers de la jeunesse. Voulus et encadrés par l’armée (qui s’inquiète, après l’armistice, de perdre tout contact avec les jeunes Français), ils sont confinés à la zone sud, en raison de l’hostilité des Allemands. Situés le plus souvent dans des régions retirées, ils doivent inculquer aux jeunes gens, qui y effectuent un séjour de huit mois (obligatoire à partir de janvier 1941), les valeurs de la « révolution nationale », et d’abord le culte du Maréchal, tout en leur donnant une discrète formation paramilitaire dans la perspective d’une « revanche ». Dans le même esprit, sont créées des « écoles de cadres » qui ont pour but de former les futurs dirigeants des mouvements de jeunesse, que Vichy s’emploie par ailleurs à subventionner abondamment. La plus célèbre de ces écoles, celle d’Uriage, résume à elle seule la tentative pétainiste, sa dérive et son échec final. Dirigée par le capitaine Dunoyer de Segonzac, elle se conçoit comme le lieu de formation d’une nouvelle élite. Exaltant l’esprit communautaire, les « chevaliers d’Uriage »,
quoiqu’à l’origine fermement pétainistes, demeurent ouverts à diverses influences, dont celle du personnalisme (Emmanuel Mounier leur donne plusieurs conférences). À partir de 1942, l’école prend ses distances avec le régime, au point que Laval en décrète la fermeture en décembre 1942. Une partie de ses cadres entre alors dans la Résistance et forme les « équipes volantes » du maquis du Vercors. Le régime de Vichy s’engage également dans la voie d’une ambitieuse politique familiale et populationniste, teintée de moralisme. Un ministère de la Famille est créé en 1940 et distribue force allocations aux familles nombreuses. Le régime exalte la mère et, à travers elle, le modèle traditionnel de la famille. Le divorce est rendu plus difficile et l’avortement est désormais passible de la peine de mort. Ici encore, les ambitions du régime buttent sur la réalité. Le projet d’interdire aux femmes mariées de travailler ne peut être appliqué, tant en raison de l’impossibilité de remplacer les femmes employées, par exemple dans les administrations, que des insondables difficultés financières devant lesquelles se retrouveraient celles dont le mari est retenu prisonnier. La volonté de « purifier » la société française de ses éléments « étrangers » conduit à la mise en oeuvre de politiques d’exclusion. L’administration et le personnel politique local font l’objet de sévères épurations. Dès août 1940, est promulguée une loi portant dissolution des « sociétés secrètes », vocable derrière lequel se dissimulent des persécutions antimaçonniques. Nombre d’étrangers sont parqués dans des camps et plus de 20 000 personnes (principalement des juifs d’Europe centrale) perdent la nationalité française qu’elles ont acquise durant l’entredeux-guerres. Précisément, les juifs sont les premières victimes de cette politique. L’antisémitisme de Vichy est spontané, au sens où il n’est pas, au début, imposé par les Allemands. Il est fondé sur une logique d’exclusion : le juif étant accusé de dissoudre la nation française, il importe de le mettre hors d’état de nuire. Les juifs étrangers sont internés dans des camps (à Gurs, à Rivesaltes...) ; quant aux juifs français, ils font l’objet de deux statuts (octobre 1940, et juin 1941) qui définissent downloadModeText.vue.download 952 sur 975
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juridiquement leur qualité et organisent leur exclusion de la société. Diverses professions relevant de la fonction publique leur sont interdites (police, armée, justice, enseignement) et d’autres (comme les professions libérales) sont soumises à de stricts numerus clausus. Si cet antisémitisme n’est pas exterminateur dans son fondement, le piège de la collaboration avec l’occupant conduit le régime de Vichy à se faire le complice actif du génocide nazi. Non seulement le gouvernement ne s’oppose pas aux mesures antisémites radicales que les Allemands imposent en zone nord dès 1940, mais, à l’été 1942 et en janvier 1943, il offre le concours de la police française aux Allemands qui organisent de grandes rafles. On estime à 300 000 le nombre de juifs, français ou étrangers, qui vivaient en France en 1939. De 1940 à 1944, plus de 75 000 d’entre eux furent déportés, parmi lesquels seuls 2 500 survécurent. L’ÉVOLUTION DU RÉGIME L’histoire de Vichy est faite d’un singulier mélange de continuités (ainsi le choix de la collaboration, engagé à Montoire en 1940 et jamais démenti) et d’inflexions sensibles. L’évolution du régime va dans le sens de l’abandon progressif des rêves de la « révolution nationale » au profit d’une politique de plus en plus répressive. Parallèlement, Vichy perd le peu d’autonomie qu’il possédait vis-à-vis de l’Allemagne, alors que la faction la plus proche du fascisme ne cesse de gagner en influence. En décembre 1940, le renvoi de Laval pour incompatibilité d’humeur et divergence de vues avec le Maréchal sur les questions africaines conduit à la promotion de l’amiral Darlan. Sur le plan extérieur, celui-ci ne fait qu’accentuer la politique collaboratrice et signe, en mai 1941, les « protocoles de Paris », qui prévoient notamment l’apport d’un soutien logistique aux Allemands en Syrie et en Afrique du Nord, en échange du droit de renforcer l’armée française en Afrique du Nord et de la libération de plusieurs milliers de prisonniers de guerre. Sur le plan intérieur, en revanche, l’inflexion est sensible. Officiellement, l’amiral poursuit la mise en oeuvre de la « révolution nationale », à laquelle il ne croit guère et qu’il juge passéiste. Mais la véritable ambition de Darlan et de son équipe est ailleurs. S’entourant de jeunes technocrates gagnés aux idées dirigistes (Jean Bichelonne à la Production industrielle, Yves Bouthillier aux Finances), il projette de moderniser l’économie française sous la houlette de l’État. Les comités d’organisation, mis en
place dès l’été 1940 dans le but de gérer la pénurie, et complétés par la création de préfectures économiques régionales, deviennent, sous Darlan, les instruments d’une véritable politique dirigiste (répartition autoritaire de la main-d’oeuvre et des matières premières, fixation de quotas de production, propositions de prix). En 1941, l’équipe de Darlan crée un Service national de statistique, afin de combler le retard que la France a accumulé dans ce domaine, une Fondation pour l’étude des problèmes humains (confiée à Alexis Carrel) afin de soutenir la politique populationniste et, surtout, une Délégation générale à l’économie nationale. Dirigée par François Lehideux, celle-ci jette les bases de la planification et élabore un « Plan de dix ans », dont Jean Monnet reprendra l’épure. Même si cette politique demeure prisonnière de ses fondements (il s’agit, d’abord, en rationalisant l’économie, d’accentuer la collaboration), certaines des structures mises en place par Vichy seront conservées à la Libération. Le retour de Laval, en avril 1942, marque un virage politique important. Dès le printemps 1941, Darlan a vu son étoile pâlir. L’aventureuse signature des « protocoles de Paris » conduit à la perte humiliante du Levant ; la politique de collaboration ne porte pas ses fruits (le pourrait-elle ?) et les lancinantes questions des prisonniers et du rationnement conduisent à la montée d’un mécontentement populaire qui sape les assises du régime et favorise les entreprises de la Résistance (en août 1941, Pétain fustige le « vent mauvais » qui se lève) ; surtout, les Allemands, engagés dans une guerre totale à l’Est, souhaitent le retour au pouvoir de celui qui a leur confiance : Laval, qui, en juin 1942, déclare souhaiter la victoire de l’Allemagne « parce que, sans elle, le bolchevisme, demain, s’installerait partout », accentue encore la collaboration, en particulier sur le plan économique, et lui donne un visage ultrarépressif (rafles de juifs, opérations militaires contre la Résistance). Alors que le rationnement ne cesse de s’aggraver, l’annonce, en septembre 1942, d’une loi sur l’orientation de la maind’oeuvre soulève de vives protestations. L’instauration du service du travail obligatoire (STO), en février 1943, provoque le divorce définitif entre le régime de Vichy et les Français et favorise l’apparition des maquis. Sur le plan politique, les deux dernières années du régime sont marquées par la montée en puissance des éléments les plus radicaux représentés, en particulier, par la Milice.
L’origine de ce corps paramilitaire se trouve dans la Légion française des combattants, créée à l’été 1940. La Légion, qui regroupait autoritairement l’ensemble des associations d’anciens combattants, était conçue par Pétain comme un instrument à la fois de propagande (les manifestations de la Légion rythmaient la vie des villes de zone sud) et de soutien du régime. Au sein de la Légion, Joseph Darnand a formé, en 1941, un Service d’ordre légionnaire qui, de simple service de sécurité des défilés de la Légion, s’est mué peu à peu en une redoutable police parallèle. En janvier 1943, avec l’autorisation de Laval, qui espère ainsi contrôler le mouvement, Darnand crée la Milice, qu’il place sous l’autorité conjointe des Allemands. La Milice, spécialisée dans la traque des juifs et la répression de la Résistance (elle participe à l’écrasement du maquis des Glières, à l’hiver 1944), ne cesse de gagner en influence et pénètre l’appareil d’État. En janvier 1944, Joseph Darnand entre au gouvernement en qualité de secrétaire général au maintien de l’ordre et impose la création de cours martiales composées de miliciens. Dans le même temps, les Allemands n’ont cessé de faire pression sur Pétain et sur Laval pour qu’ils ouvrent le gouvernement aux collaborationnistes parisiens, depuis longtemps engagés à leurs côtés. Déjà, en 1941, Vichy avait dû autoriser la création d’une Légion des volontaires français (LVF) qui, Doriot à sa tête, partait pour le front de l’Est et rêvait d’édifier, auprès des nazis, l’Europe nouvelle débarrassée du double fléau judéo-bolchevique. Avec la formation du ministère Laval, en avril 1942, certaines têtes pensantes de la collaboration parisienne (tel Abel Bonnard, à l’Éducation nationale) ont fait leur entrée au gouvernement. En novembre 1942, lors du débarquement des Américains en Afrique du Nord, la dernière chance de salut se présente au régime de Vichy ; mais Pétain, enfoncé dans un étroit nationalisme « terrien » et sans doute dernier fidèle de la « révolution nationale », écarte l’idée de gagner Alger. En janvier 1944, après une ultime et vaine tentative de résistance de Pétain, dont les actes sont désormais soumis au contrôle direct des Allemands, un nouveau pas est franchi avec l’élévation au rang de ministre de Philippe Henriot (à l’Information et à la Propagande) et de Marcel Déat (au Travail). Le régime de Vichy était-il fasciste ? À cette épineuse question, l’historiographie a apporté une réponse nuancée. Dans ses fondements idéologiques comme dans ses modalités d’application, la « révolution nationale » s’inspire
beaucoup plus de la pensée contre-révolutionnaire française que du fascisme. Ainsi, à Vichy, on ne trouve ni parti unique ni trace de paganisme. Même l’antisémitisme du régime s’inspire beaucoup plus des théories d’exclusion de Maurras que de la folie exterminatrice des nazis. Le compromis défini entre le régime et l’Église sur la question de l’autonomie des mouvements de jeunesse révèle le refus d’assumer un embrigadement totalitaire de la population. Néanmoins, l’étreinte allemande et le choix de la collaboration finirent par imposer des hommes et des solutions qui traduisaient une évidente dérive fasciste. Le dernier Vichy, dominé par la Milice, au visage ultrarépressif et complice du génocide nazi, était sans doute en voie de fascisation avancée. À l’été 1944, tandis que les Allemands enlèvent le gouvernement de Vichy et l’installent à Sigmaringen (où Pétain se considère comme leur prisonnier), le régime s’écroule sans la moindre résistance, exceptée celle de quelques miliciens privés de toute retraite et promis aux foudres de l’épuration populaire. Vichy, ayant depuis longtemps perdu tout soutien populaire et n’étant plus qu’un satellite de l’Allemagne nazie, a fini par dresser contre lui une coalition politique inédite qui, sous la direction du général de Gaulle, s’étend des communistes à la droite libérale. L’OMBRE DE VICHY Cinquante ans après sa chute, le régime de Vichy continue de hanter la mémoire collective des Français. L’attitude de la classe politique et de la société civile à l’égard de cet encombrant héritage n’a jamais été univoque. À une longue période d’oubli volontaire et sélectif a succédé, depuis le début des années 1970, une bruyante et parfois obsessionnelle « redécouverte » de Vichy. Dès la Libération, les éléments du « syndrome » décrit par l’historien Henry Rousso sont en place, constitués par la célébration de mythes résistancialistes et par l’occultation de Vichy. Gaullistes et communistes, qui downloadModeText.vue.download 953 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 942 dominent la scène idéologique d’alors, développent de puissants mythes qui, en exaltant leur propre action résistante, dédouanent la société de toute responsabilité. À l’équation
gaulliste - le général de Gaulle a incarné la Résistance, elle-même expression de la « vraie France » - s’oppose l’axiome communiste : le « Parti des 75 000 fusillés » a conduit l’action de la classe ouvrière, âme de la Résistance et de la nation. Quant à l’occultation de Vichy, elle commence durant la guerre. Dès octobre 1940, depuis Brazzaville, ralliée à la France libre, le général de Gaulle dénie au gouvernement de Vichy toute légitimité, le condamnant à l’oubli de l’histoire. À la Libération, l’occultation prend des formes diverses. Sur le plan juridique, elle passe par l’abrogation en bloc des « actes dits «lois» de l’autorité se prétendant «gouvernement de l’État français» ». L’épuration frappe de nombreux collaborateurs et prive de leurs droits civiques les parlementaires qui ont voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940. Les lois d’amnistie votées en 1951 puis en 1953 participent encore de ce refoulement. Pourtant, les pétainistes rescapés ne se résignent pas au silence. À la fin des années 1940, profitant du climat créé par la guerre froide, ils dénoncent les excès de l’épuration (le chanoine Desgranges publie, en 1948, les Crimes masqués du résistancialisme), pour mieux amorcer une réhabilitation de l’oeuvre du Maréchal. De même, les guerres coloniables offrent à l’extrême droite l’occasion de relever la tête. La guerre d’Algérie apparaît aux yeux des nostalgiques de Vichy comme une revanche posthume. Au sein de l’armée, les drames de conscience des années 1940 se répètent, souvent à fronts renversés : en 1961, des officiers putschistes n’hésitent pas à se référer à l’acte de rébellion du général de Gaulle le 18 juin 1940 pour justifier, au nom du respect de la parole donnée, leur opposition à une légalité qui leur semble vide de sens, dorénavant incarnée par le même de Gaulle. Le trouble est encore augmenté par l’engagement d’anciens résistants (Bidault, Soustelle) dans le camp de l’Algérie française, au nom des idéaux de la Résistance. Toutefois, au début de la Ve République, ce premier réveil de Vichy est étouffé par le poids de la mythologie gaullienne. En 1964, le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon et l’ostensible commémoration de la libération du territoire par les forces françaises marquent l’apogée de cette mythologie. Le climat change considérablement au début des années 1970. La mort du Général, l’élection de Georges Pompidou, moins porté à célébrer la geste résistante, les premiers effets de l’affaiblissement du gaullisme et du communisme contribuent à réveiller les vieux démons. La nouvelle génération, surgie
des barricades de mai 68, ne se satisfait plus du discours officiel et réclame des comptes à ses aînés. Ainsi, le réveil de la mémoire juive, longtemps étouffée par le culte résistancialiste, s’opère par le biais des « fils et filles de déportés », conduits par l’avocat Serge Klarsfeld. Une série d’ouvrages historiques (dont la France de Vichy, de l’Américain Robert Paxton, 1973) ou de films, d’abord documentaires (le Chagrin et la pitié, de Marcel Ophuls, 1971), puis de fiction (Lacombe Lucien, de Louis Malle, 1974) s’emploient à laminer les mythes d’un Vichy jouant un double jeu ou d’un peuple tout entier résistant. Profitant de cette brèche, une véritable « mode rétro » envahit les écrans, les librairies ou les colloques universitaires, en même temps que Vichy, par le biais de retentissantes affaires (interview de l’ancien Commissaire général aux questions juives Darquier de Pellepoix à l’Express en 1978, début de l’affaire Papon en 1981, procès Barbie en 1987), devient un élément du débat politique. Depuis 1983, la progression du Front national contribue encore à alimenter ces réminiscences. Cette singulière résurgence, comme l’occultation qui l’avait précédée, s’opère selon un mode sélectif. Le thème de la collaboration, obsessionnel à la Libération, tend à reculer devant la redécouverte du génocide des juifs : dans la mémoire collective, Auschwitz (camp d’extermination des juifs) supplante Buchenwald (camp de concentration pour les résistants) comme symbole du Mal. Ce « retour du refoulé » (Henry Rousso) s’accompagne d’anachronismes qui ne contribuent pas à éclairer le débat politique. Ainsi, une partie de la gauche mène, contre le Front national, le combat de l’antiracisme, assimilé à un « antifascisme » rien moins que nostalgique. Les attaques que subit la mémoire de la Résistance (ainsi, Jean Moulin), au nom d’un anticommunisme revisité à la lumière de la chute du mur de Berlin, manifestent le même anachronisme. Quant aux interférences entre « devoir de mémoire », logique judiciaire, analyse historique et arrière-pensées politiques, elles conduisent à l’enlisement, puis, en 1998, au singulier verdict du procès Papon. L’ombre de Vichy, toujours présente dans la mémoire collective comme dans le débat politique, souligne la profondeur du traumatisme infligé au peuple français par la défaite de 1940, l’Occupation et la Collaboration. Vicq d’Azyr (Félix), médecin (Valognes, Manche, 1748 - Paris 1794).
Membre important de l’establishment médical à la fin de l’Ancien Régime, Vicq d’Azyr est l’un de ces rares médecins qui ont, par leur influence plus que par leurs oeuvres, sorti l’art de guérir de ses impasses et lui ont ouvert les portes de la modernité. Étudiant à Caen puis à Paris, où il est formé par Petit et Daubenton à partir de 1765, Vicq d’Azyr devient docteur en 1774 et est élu la même année anatomiste adjoint à l’Académie des sciences. Esprit multiforme, anatomiste et physiologiste autant que vétérinaire, il est vite reconnu dans le milieu très fermé de la grande médecine parisienne. En 1775, Turgot le charge ainsi de réduire une épizootie qui sévit dans le Midi, ce dont il s’acquitte avec succès. En 1778, il est nommé secrétaire perpétuel de la Société royale de médecine, dont il a été l’un des fondateurs, deux ans plus tôt : à la tête de cette institution, il s’efforce de diffuser des idées nouvelles sur la santé publique ou l’enseignement médical, prônant le rattachement de la chirurgie à la médecine, contre l’avis de la puissante faculté de médecine de Paris. Sa notoriété va grandissant : professeur au Jardin du roi, membre de l’Académie française, médecin personnel de Marie-Antoinette à partir de 1788, il est élu à l’Assemblée constituante, où il fonde le Comité de salubrité. En 1790, il propose aux législateurs un projet de rénovation de l’enseignement médical. Jamais voté, ce projet a été repris par d’autres médecins éclairés et a très largement inspiré la loi de décembre 1794 créant les écoles de santé, dans lesquelles s’est, en grande partie, accomplie la révolution anatomo-clinique d’où est sortie la médecine moderne. Vidocq (François Eugène), aventurier et policier (Arras 1775 - Bruxelles 1857). Pendant les guerres révolutionnaires, le jeune Vidocq mène une vie tumultueuse. Il s’engage dans l’armée française puis autrichienne, déserte à plusieurs reprises, exerce une multitude de petits métiers, abandonne sa femme, fraye avec la canaille. En 1796, il est condamné à huit ans de travaux forcés pour escroquerie. Après plusieurs tentatives infructueuses, il parvient à s’évader du bagne de Brest. Repris puis de nouveau en fuite, il finit par se lasser de cette existence rocambolesque. Il offre alors ses services à la police de l’Empire. Comme il connaît parfaitement l’univers interlope des délinquants, la préfecture de police l’engage. Il met sur pied une brigade de sûreté composée en partie de for-
çats libérés (1811). Son audace et sa finesse de jugement lui ouvrent de multiples succès. Il remet pourtant sa démission en 1827, et fonde une fabrique de papier et carton. Bientôt ruiné, il est de retour à la préfecture de police, en 1832. Ne se contentant plus dès lors de pourchasser avec ses argousins les voleurs ou les forçats en rupture de ban, il se montre tout aussi efficace dans la répression politique, notamment lors de l’insurrection des 5 et 6 juin 1832. Cette collaboration s’achève brutalement : Vidocq est renvoyé à la fin de l’année 1832 pour avoir organisé un vol. Ses Mémoires (1828), dont il n’est pas l’auteur, ont contribué à forger sa sulfureuse réputation. Vienne (congrès de), congrès réuni dans la capitale autrichienne de septembre 1814 à juin 1815, avec pour objectifs principaux la réorganisation territoriale de l’Europe et l’établissement d’une paix durable après plus de vingt années de guerre. • Les acteurs et les négociations. Les quatre puissances victorieuses de Napoléon l’Angleterre, la Prusse, l’Autriche et la Russie - convoquent au congrès l’ensemble des chefs d’État européens. Des souverains y assistent - François Ier d’Autriche, le tsar Alexandre, le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III -, mais également des ministres, des courtisans et de simples observateurs. Si l’ouverture officielle des négociations a lieu le 1er novembre, les quatre grands ont tenu dans les semaines précédentes - dès le 15 septembre - des réunions préliminaires qui témoignent de leur volonté de régler entre eux les principales questions. L’Angleterre est représentée par Castlereagh (auquel succédera Wellington), l’Autriche par Metternich - qui joue un rôle majeur durant ces quelques mois et connaît l’apogée de sa downloadModeText.vue.download 954 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 943 carrière diplomatique -, la Prusse par Hardenberg et von Humboldt, la Russie par Nesselrode et Razoumovski. Talleyrand, qui représente la France de Louis XVIII, arrive le 24 septembre. Il a pour mission de défendre le principe de « légitimité », selon lequel « la souveraineté ne peut être acquise par le simple fait de la conquête, ni passer au conquérant si le souverain ne la cède ». A-t-il, par ses intrigues, réussi à
diviser les quatre grands, ou a-t-il, avec sa dextérité coutumière, profité de leurs dissensions ? Quoi qu’il en soit, il parvient à se faire admettre aux conférences préliminaires et à faire résonner, au milieu du concert des vainqueurs, la voix d’une France accablée par la défaite : s’élevant contre le pouvoir abusif que s’arrogent l’Angleterre, l’Autriche, la Prusse et la Russie, il reçoit le soutien de l’Espagne et réussit à grouper autour de lui les États secondaires, si bien que la direction du congrès est finalement assumée par un comité de huit pays comprenant, outre les quatre grands, la France, l’Espagne, le Portugal et la Suède. Mais les décisions importantes continuent d’être prises au cours de réunions restreintes, auxquelles Talleyrand est néanmoins admis. Jusqu’à la fin de l’année 1814, l’avancée des négociations est contrariée par la constitution d’un axe russo-prussien, auquel s’opposent la France, l’Autriche et l’Angleterre : l’antagonisme, né des visées de la Prusse sur la Saxe et de la volonté du tsar de rétablir à son profit l’ancien royaume de Pologne, n’est définitivement surmonté qu’au début du mois de février 1815. Le 13 mars, le congrès déclare hors la loi Napoléon, revenu en France après son exil de l’île d’Elbe : « En rompant la convention qui l’avait établi à l’île d’Elbe, Bonaparte détruit le seul titre légal auquel son existence se trouvait attachée. Comme ennemi et perturbateur du repos du monde, il s’est livré à la vindicte publique. » En un sens, ce retour de l’« usurpateur » intervient à point nommé pour souder les alliés et reléguer au second plan leurs dissentiments. Sans se laisser troubler outre mesure par les Cent-Jours, le congrès poursuit ses discussions. • Bilan territorial et politique. L’acte final est signé le 9 juin 1815. La France se voit dépossédée de l’ensemble des territoires conquis par Napoléon. L’une des idées directrices du congrès consiste à se prémunir de ses éventuelles visées hégémoniques en l’entourant d’un réseau d’États secondaires suffisamment forts pour ne pas tomber dans son orbite. De cet objectif procèdent la création du royaume des Pays-Bas, la reconstitution de la Confédération helvétique et la résurrection du royaume de Piémont-Sardaigne. Autre création politique : la Confédération germanique, réunissant trente-neuf États et villes libres et présidée par l’empereur d’Autriche. Sur le plan territorial, la Russie conserve la Finlande et la Bessarabie et place sous sa tutelle la plus grande partie de la Pologne ; la Prusse acquiert la Poméranie suédoise, une partie de la Saxe, la Westphalie et les provinces rhénanes ;
l’Autriche compense la perte de la Belgique par des gains en Italie et en Bavière ; l’Angleterre conserve plusieurs colonies conquises sur la France ; la Suède se voit reconnaître l’annexion de la Norvège, qui reçoit les duchés de Holstein et de Lauenburg. Quant à l’Italie, elle demeure divisée en sept États, sous l’influence prédominante de l’Autriche. Ce réaménagement considérable de l’Europe qui s’effectue après la tourmente napoléonienne assure incontestablement un équilibre des puissances, dont témoigneront plusieurs décennies de stabilité. Mais il n’en néglige pas moins - c’est son principal point faible - les revendications nationales : l’aspiration des peuples aura raison de l’édifice diplomatique laborieusement construit. Vienne (traité de), traité signé le 2 mai 1738, mais daté du 18 novembre, qui met fin à la guerre de la Succession de Pologne. Ouverte en 1733 pour soutenir l’élection du candidat de la France au trône de Pologne, Stanislas Leszczynski, beau-père de Louis XV, la guerre est quasiment achevée depuis 1735. Les Russes ont chassé Stanislas de Pologne au profit d’Auguste III ; les Français et les Espagnols ont occupé l’essentiel des possessions autrichiennes en Italie. Dès octobre 1735, des préliminaires de paix sont établis ; mais l’empereur Charles VI continue à finasser, espérant un retournement de situation, qui ne viendra pas. Après de longues tractations et le renvoi par le cardinal de Fleury du très anti-autrichien ministre des Affaires étrangères Chauvelin, l’accord est finalement signé en 1738. Il repose sur un vaste échange de royaumes. Pour dédommager Stanislas, on donne à ce dernier les duchés de Bar et de Lorraine, qui deviendront français à sa mort. Le duc François de Lorraine, qui a épousé Marie-Thérèse (1736), la fille de Charles VI, désignée par la pragmatique sanction de 1713 comme héritière du trône impérial, reçoit le grand-duché de Toscane, dont le souverain, le dernier Médicis, est mort en 1737. L’Autriche abandonne Parme et le royaume des DeuxSiciles à l’infant don Carlos, tandis que l’autre allié de la France, le roi de Sardaigne, agrandit le Piémont au détriment de la Lombardie, qui est restituée à l’Autriche. L’habileté de Fleury a donné sans drame la Lorraine à la France, et fait de celle-ci la bénéficiaire d’une guerre qu’elle n’avait pas souhaitée. Vienne (traité de) [14 octobre 1809], traité signé par la France et l’Autriche qui met fin à
la campagne napoléonienne de 1809. À la tête de l’armée autrichienne, l’archiduc Charles est vaincu par Napoléon à Wagram (6 juillet 1809). Bien que la situation puisse encore être sauvée, l’Autriche demande l’armistice le 12 juillet. Menés par Champagny, ministre français des Relations extérieures, et par Metternich pour l’Autriche, les pourparlers se concluent par un traité signé au château de Schönbrunn. L’Autriche cède à la France la Carinthie, la Carniole, une partie de la Croatie, Fiume et Trieste, et se voit contrainte d’entrer dans le Blocus continental. Elle doit en outre payer une indemnité de guerre de 75 millions de francs et dédommager les alliés de la France. Ainsi, la Bavière reçoit Salzbourg, la haute vallée de l’Inn et l’Engadine. Au grand-duché de Varsovie est attribué le nord de la Galicie (Cracovie et Lublin). Quant à la Russie, elle obtient, malgré son attitude ambiguë, la Galicie orientale. L’Autriche a perdu presque quatre millions de sujets et n’a plus accès à l’Adriatique. Si l’Empire français s’agrandit encore grâce à ce traité, son avenir s’assombrit. De plus en plus multinationale, la Grande Armée perd en cohésion, et, à Wagram, l’attitude des contingents allemands a failli compromettre la victoire. Deux jours avant la signature du traité, un étudiant saxon, Frédéric Staps, a tenté d’assassiner Napoléon, à Schönbrunn, révélant ainsi l’impopularité grandissante de l’Empereur en Allemagne. Enfin, le tsar Alexandre, qui espérait acquérir le grandduché de Varsovie, est mécontent du traité. Pour ébranler plus sûrement l’alliance francorusse, Metternich propose à Napoléon, qui a vainement sollicité la main d’une soeur du tsar, celle de l’archiduchesse Marie-Louise. Mais l’opinion française n’apprécie guère ce mariage avec une Autrichienne, petite-nièce de Marie-Antoinette, qui sera célébré à Paris le 1er avril 1810. Villaviciosa (bataille de), victoire francoespagnole pendant la guerre de la Succession d’Espagne (10 décembre 1710). Au milieu de l’année 1710, la situation du roi Philippe V d’Espagne, petit-fils de Louis XIV, paraît désespérée : battu à Saragosse, il doit abandonner Madrid, où son rival, l’archiduc Charles de Habsbourg, se fait couronner. Louis XIV envoie alors le duc de Vendôme au secours de son parent. Le sursaut des partisans de Philippe V permet de reconstituer rapidement une armée. Vendôme saisit
l’occasion provoquée par la séparation des forces adverses en deux groupes : les troupes impériales de Starhemberg, d’une part, et les Anglo-Hollandais de Stanhope, d’autre part. Attaqué, Stanhope se retranche dans Brihuega, à une centaine de kilomètres à l’est de Madrid, et capitule le soir du 9 décembre. Vendôme se retourne alors contre Starhemberg, qui arrive à marche forcée pour secourir son allié. Le 10, les armées se rencontrent dans la plaine de Villaviciosa, coupée de murs de pierres sèches qui gênent les cavaliers. Vendôme fait faire des brèches dans ces obstacles et se place à l’aile gauche ; Philippe V charge sur l’aile droite et enfonce la cavalerie adverse. Enveloppée, l’infanterie des Impériaux se forme en carrés et repousse les Français, au point que Vendôme croit la partie perdue. Une ultime charge rompt les lignes ennemies. Starhemberg parvient à s’échapper et à rejoindre la Catalogne, mais il laisse morts, blessés ou prisonniers, les trois quarts de ses 12 000 hommes, alors que les pertes des troupes françaises et espagnoles sont d’environ 2 500 tués et blessés. Le succès de Villaviciosa sauve le trône de Philippe V d’Espagne, et marque un retournement de situation dans ce pays. Villehardouin, famille de la noblesse champenoise qui s’est notamment illustrée en Orient, aux XIIe et XIIIe siècles. Chroniqueur et maréchal de Champagne sous le règne de Philippe Auguste, Geoffroi de Villehardouin (vers 1150-vers 1213) participe à l’organisation de la quatrième croisade (12021204), menée par Boniface II de Montferrat, downloadModeText.vue.download 955 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 944 et négocie avec les Vénitiens les conditions du voyage des croisés jusqu’en Orient. Habile orateur et fin diplomate, il joue un grand rôle dans les négociations avec l’empereur byzantin, Alexis III Ange, avant le détournement de la croisade sur Constantinople. Après la prise et le pillage de la ville (1204), il parvient à réconcilier le nouvel empereur choisi par les croisés, Baudouin Ier, avec Boniface de Montferrat, et reçoit le titre de maréchal de Romanie. Il accède par la suite au rang de premier conseiller du même Boniface de Montferrat, devenu roi de Thessalonique. Geoffroi de Villehardouin a aussi des talents littéraires, dont il fait preuve dans sa chronique, l’Histoire de la conquête de Constantinople, un témoignage
exceptionnel sur la quatrième croisade et les établissements latins en Grèce. En 1209, son neveu, Geoffroi Ier, se fait reconnaître comme prince d’Achaïe (ou de Morée), un territoire récemment conquis dans le Péloponnèse par Guillaume Ier de Champlitte. La dynastie Villehardouin se maintient jusqu’en 1278 dans la principauté d’Achaïe, qui est successivement gouvernée par Geoffroi II, fils de Geoffroi Ier et prince d’Achaïe de 1229 à 1246, puis par le fils de Geoffroi II, Guillaume de Villehardouin, prince d’Achaïe de 1246 à 1278. Villèle (Jean-Baptiste Guillaume Joseph, comte de), homme politique (Toulouse 1773 - id. 1854). Le principal représentant du parti ultraroyaliste incarne l’échec de la politique de réaction conduite sous la Restauration à partir de 1820. Aîné d’une famille noble du Lauragais, il entre en 1788 à l’École de marine d’Alais et participe aux combats navals contre l’Angleterre dans l’océan Indien. Hostile à la Révolution, il est emprisonné de mai à octobre 1794, puis s’établit dans l’île Bourbon (Réunion), où il combat l’abolition de l’esclavage, s’enrichit dans la culture du café et épouse, en 1799, la fille d’un riche planteur. Il regagne la France en 1807, et prend la tête de la vaste propriété familiale de Morvilles (Haute-Garonne). Il prête serment à l’Empire comme maire (1808) et conseiller général (1811), puis s’affilie en 1813 à la société secrète des Chevaliers de la foi et devient l’un des principaux chefs des royalistes toulousains. Après la première Restauration, il prend position contre la monarchie parlementaire (Observations sur le projet de Constitution, 1814). Opposant déclaré mais circonspect durant les Cent-Jours, il est nommé maire de Toulouse au début de la seconde Restauration (juillet 1815) ; il est alors débordé par les excès des « verdets » (groupes d’activistes royalistes arborant une cocarde verte, couleur du comte d’Artois), qui attaquent les jacobins et assassinent le général Ramel (août 1815). Élu député de la HauteGaronne - département où il sera constamment réélu jusqu’en 1830 -, il siège parmi les ultras dans la Chambre « introuvable » (août 1815-avril 1816) et s’oppose à la politique modérée conduite par Richelieu et Decazes ; il s’affirme au sein du parti ultraroyaliste par ses compétences financières et son habileté tactique.
Au lendemain de l’assassinat du duc de Berry (février 1820), il devient président de la Chambre (juin 1820) puis ministre d’État (décembre 1820), mais démissionne en juillet 1821. Après la chute de Richelieu, Louis XVIII le rappelle aux affaires, comme ministre des Finances (décembre 1821), puis président du Conseil (septembre 1822). Villèle conduit dès lors, pendant plus de six ans, une politique de réaction conservatrice marquée notamment par la répression des mouvements libéraux (exécution des quatre sergents de La Rochelle, 1822), et par l’expédition d’Espagne pour rétablir le roi Ferdinand VII sur son trône (1823). À partir de 1824, il bénéficie du soutien d’une majorité de députés - la Chambre « retrouvée » - et sert un nouveau roi, Charles X, esprit nostalgique de l’Ancien Régime, qui se fait sacrer à Reims (25 mai 1825). Villèle peut faire voter la loi sur le sacrilège (qui condamne les profanateurs d’hosties à la peine de mort) et la loi d’indemnisation des émigrés (datant toutes deux d’avril 1825), mais échoue dans sa tentative de rétablissement du droit d’aînesse (avril 1826) en raison de l’opposition de la Chambre des pairs, où les libéraux sont nombreux. Mis en minorité lors des élections de novembre 1827, il démissionne en janvier 1828, et se retire de la vie publique après 1830. Il laisse d’intéressants Mémoires, interrompus à l’année 1816 et publiés après sa mort (1888-1890). villeneuves et bastides, centres de peuplement créés au Moyen Âge, entre le XIe et le début du XIVe siècle, au fur et à mesure des conquêtes agraires. Villeneuves puis bastides (appellation donnée dans le Midi) sont toutes d’initiative seigneuriale : il est de l’intérêt de tout maître du sol, qu’il soit laïc ou ecclésiastique, de favoriser le peuplement de son domaine, pour augmenter le produit de ses redevances. C’est ainsi que, dès la seconde moitié du XIe siècle, s’engage ce vaste mouvement de fondations seigneuriales des nouvelles communautés de peuplement, souvent implantées dans des régions pionnières, tout juste défrichées ou récemment mises en valeur. Pour attirer les habitants dans ces villeneuves, des chartes de fondation sont établies, définissant des franchises collectives qui, dans un contexte de concurrence seigneuriale, doivent être attractives : liberté des personnes, redevances allégées, devoirs militaires modérés..., c’est-à-dire la fin de l’arbitraire seigneurial. C’est la situation locale qui dicte le détail de ces dispositions. Dans les régions trou-
blées par l’insécurité, comme dans l’Aquitaine du XIe siècle, les seigneurs - le plus souvent des ecclésiastiques - assurent aux nouveaux habitants le droit d’asile : on parle alors de « sauvetés ». Ailleurs, au contraire, comme en Normandie, dominent les privilèges de nature économique. Dans tous les cas, c’est la franchise qui fonde la villeneuve, et non son caractère urbain : la plupart de ces créations seigneuriales resteront des villages, et toutes n’avaient d’ailleurs pas vocation à devenir des villes. Il en va de même pour les bastides, dont la grande période de fondation se situe entre 1220 et 1340 ; de la création de Cordes en 1222 à celle de Villefranche-d’Albigeois en 1339 (deux localités situées dans l’actuel département du Tarn), près de cinq cents bastides sont répertoriées dans le midi de la France. La plupart se situent aux confins du domaine des Capétiens et de celui des Plantagenêts, entre le Quercy et le Bordelais : les princes territoriaux (comme Alphonse de Poitiers, qui en fonde trente-six) s’y associent fréquemment aux cisterciens en « pariage » (accords de seigneurie) pour permettre la mise en valeur agraire. Mais la spécificité de la bastide est d’assurer, outre cette fonction économique, un rôle de contrôle militaire du territoire. Aussi, ces bastides de frontière se présentent-elles sous la forme d’un habitat planifié et fortifié, organisé en un plan orthogonal centré sur une place rectangulaire. Toutefois, le plan régulier ne fait pas la ville, et nombre de bastides demeurent des villages fortifiés. À la fin du Moyen Âge, le nom même de « bastide » se confond d’ailleurs avec celui de « bastille » pour désigner toutes sortes d’édifices fortifiés. Villermé (Louis René), médecin et sociologue (Paris 1782 - id. 1863). Chirurgien dans l’armée napoléonienne, Louis René Villermé poursuit ses études de médecine, après son expérience sur les champs de bataille, avec une thèse sur la diphtérie. Brillant praticien, il délaisse pourtant cette activité pour se consacrer, à partir de 1818, à l’économie sociale et à la statistique. Après un rapport sur les conditions de vie des prisonniers (Des prisons telles qu’elles sont et telles qu’elles devraient être, 1820) et une étude comparée de la mortalité infantile selon les milieux sociaux, Villermé est chargé par l’Académie des sciences morales et politiques, au sein de laquelle il siège depuis 1832, d’une
grande enquête sur l’état physique et moral de la classe ouvrière. Limitant son analyse à l’industrie textile, il suit l’ouvrier dans toutes ses activités, au sein de l’entreprise et dans sa famille. La publication de son Tableau de l’état physique et moral des ouvriers dans les fabriques de coton, de laine et de soie (1840) connaît un large retentissement. Elle aboutit notamment à la promulgation de la loi sur le travail des enfants dans les manufactures (1841). Par leur précision, les travaux de Villermé offrent encore aux historiens des renseignements précieux sur les débuts de l’ère industrielle, en particulier dans le nord de la France, et sa méthode d’analyse a influencé durablement démographie et statistique. Villers-Cotterêts (ordonnance de), acte législatif promulgué par François Ier le 10 août 1539. Préparée par le chancelier Guillaume Poyet, ancien président au parlement de Paris, cette ordonnance a pour but de « pourvoir au bien de notre justice, abréviation des procès et soulagement de nos sujets ». Elle prend place dans un ensemble de textes réformateurs qui, depuis 1516, manifestent l’activité de la monarchie administrative et visent à unifier les pratiques juridiques du royaume (rédaction des coutumes, législation sur les forêts). En 192 articles, elle touche à de nombreux downloadModeText.vue.download 956 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 945 domaines. La compétence des tribunaux ecclésiastiques est désormais limitée aux affaires disciplinaires ou sacramentelles. La procédure pénale, jusqu’alors orale et publique, devient écrite et secrète, sur le modèle inquisitorial : l’accusé ignore les charges retenues contre lui. Les notaires doivent tenir registre de leurs minutes, et les officiers de justice consigner un relevé hebdomadaire des prix sur les marchés (les mercuriales). Tous les actes administratifs ou notariés doivent désormais être rédigés, dans tout le royaume, « en langage maternel françois » : le français devient donc la seule langue officielle, évinçant le latin ou les langues régionales, notamment dans le Midi. Dans le souci de réformer l’octroi des bénéfices ecclésiastiques (dont les principaux relèvent de l’autorité royale depuis le concordat de Bologne, en 1516) et de ne les accorder qu’à des individus majeurs, les articles de 50 à 54 font obligation aux curés d’enregistrer les
baptêmes - sur le modèle de ce qui se fait déjà dans quelques rares évêchés - ainsi que les « sépultures des personnes tenant bénéfices ». Ces registres doivent être déposés chaque année aux greffes des tribunaux royaux, où ils seront contrôlés : c’est l’origine de l’état civil en France. Enfin, face à l’agitation qui règne chez les compagnons imprimeurs, à Lyon et à Paris, l’ordonnance interdit les associations professionnelles, « confréries de gens de métiers et artisans », ainsi que les grèves ou « monopoles » : elle est ainsi le premier élément, répressif, d’une législation sociale. Toutes ces dispositions, notamment la tenue des registres paroissiaux, n’entreront que lentement dans les faits. Mais, par son ampleur, l’ordonnance de Villers-Cotterêts marque une étape décisive dans l’unification de la France ainsi que dans les progrès de la culture de l’écrit et d’une mémoire de l’État fondée sur la constitution et le contrôle d’archives. vin. La France produit et exporte du vin depuis le Ier siècle. L’histoire de ses vignobles exportateurs et de leurs grands crus a été bien étudiée, et l’on n’ignore rien de la manière dont les conjonctures commerciales les ont tour à tour favorisés. En revanche, l’histoire des vins paysans, consommés par leurs producteurs, est si mal connue qu’on a pu nier qu’il en ait existé avant la fin du XIXe siècle. On a travaillé sur les cépages et sur les techniques vinicoles, mais on découvre à peine l’histoire des manières de boire dans les différentes régions d’Europe, des fonctions du vin à différentes époques, des changements du goût et de ce qui les explique. LES DÉBUTS DU VIGNOBLE FRANÇAIS Les Gaulois mangeaient du raisin, mais ils ignoraient l’art viticole. Grands buveurs néanmoins, ils ne se contentaient pas de leur cervoise mais étaient friands des vins que leur apportaient les marchands italiens. Ce sont les Romains qui, après avoir conquis la Gaule, y ont installé la viticulture. Et, dès le Ier siècle, les vins gaulois s’exportaient en Italie. Nonobstant l’évolution des goûts et de la géographie viticole, le pays qui devait devenir la France n’a pas cessé depuis lors de produire et d’exporter des vins réputés. En 92, dans l’espoir d’éliminer cette concurrence, l’empereur Domitien a ordonné l’arrachage de la moitié des vignes des provinces gauloises. En vain : au cours du IIe siècle, significativement, le tonneau cel-
tique s’est substitué aux amphores grecques et romaines. Tournés surtout vers l’exportation à destination des régions du Nord, les grands crus gaulois sont alors installés aux frontières septentrionales de la Narbonnaise : à Gaillac, d’une part, dont le vignoble précède dans le temps celui de Bordeaux ; autour de Vienne, d’autre part. Celse et Pline l’Ancien ont vanté le cépage produisant les vins viennois, l’allobrogicum, que les Allobroges ont vraisemblablement trouvé à l’état sauvage dans les forêts rhodaniennes, mis en culture, puis amélioré. Il était sans doute proche de la syrah, qui donne aux grands vins de Côte-Rôtie et de L’Hermitage leur caractéristique parfum de violette, et de la mondeuse noire (ou grosse syrah), cépage traditionnel des bons rouges de Savoie. Quant au biturica, ancêtre du groupe des carmenets (qui comprend le cabernet, le cabernet-sauvignon, le merlot, le petit verdot, le carmenère et le sauvignon), ce serait un plant épirote adapté au climat bordelais par les Bituriges Vivisques. Au IIIe siècle se sont constitués les vignobles de la Côte-d’Or et du Rhin. Puis, après qu’en 276 l’empereur Probus a abrogé l’édit de Domitien, toutes les régions à l’ouest de l’axe Rhône-Rhin se sont à leur tour lancées dans la viticulture. Au IVe siècle, les vins de Lutèce séduisent déjà l’empereur Julien. LE COMMERCE ET LA RELIGION À cette implantation des vignobles, il y a dès l’origine deux moteurs : le commerce et la religion. C’est tantôt l’un qui domine et tantôt l’autre : le commerce, dès avant la conquête romaine puisque les vins romains et leurs marchands précèdent largement les légions en Gaule ; et il impose de nouveau sa logique à partir des Xe et XIe siècles. Mais, entre-temps, l’influence de la religion est prédominante. Le christianisme a besoin de vin pour son rituel. La christianisation s’est donc accompagnée - du sud au nord de la Gaule - d’un développement de la viticulture. C’était d’autant plus inévitable que le négoce, aux temps barbares (Ve-Xe siècle), était réduit à sa plus simple expression. On planta donc des vignes dans toute la Chrétienté, ou du moins bien au-delà des limites climatiques actuelles. Peu importait que le vin ne fût pas bon, pourvu que ce fût du vin. Car aucune autre boisson, alcoolisée ou non, n’a été admise en remplacement du jus de raisin fermenté - et cela explique sans doute que, dans les cultures européennes, le concept de vin soit tout à fait autre que celui de bière ou de cidre, alors que
les Arabes ou les Chinois différencient moins les diverses boissons fermentées, et les distinguent souvent mal des alcools distillés. Pendant le haut Moyen Âge, les moines ont beaucoup travaillé à l’expansion de la vigne et à la qualité du vin. Après le Xe siècle, ils continuent dans cette voie, pour les besoins rituels, mais surtout pour leur boisson quotidienne. Et comme ils ne consomment pas toute leur production, ils mettent sur le marché d’assez grandes quantités de bons vins. Le commerce, qui n’avait jamais totalement disparu, s’est en effet développé à partir du XIe siècle, grâce à l’essor démographique et à la renaissance des villes. Les marchés nordiques - surtout ceux d’Angleterre et de Flandre - favorisent les vignobles les plus septentrionaux : non seulement les vins de l’Île-de-France, transportés par bateaux sur la Seine jusqu’à Rouen et, de là, expédiés en Angleterre ou dans les ports flamands, mais aussi les vins du Beauvaisis, du Soissonnais, de la région de Laon, qui s’exportent vers les Flandres par les rivières ou les routes terrestres. LES CRUS EN VOGUE À cette époque, l’appellation « vins de France » désigne tous les vins du bassin de la Seine, au nord du pont de Sens, qui les sépare des « vins de Bourgogne », c’est-à-dire de la région d’Auxerre et de Chablis. Cette classification n’éclatera qu’au début du XVIIe siècle, les « vins de Champagne » en plein essor se distinguant désormais des « vins de Paris » en déclin. D’entre les vins de France, les meilleurs blancs étaient extraits du fromenteau - une sorte de pinot gris - et les meilleurs rouges du morillon, dont une rue de Paris conserve la mémoire. À partir du XIIe siècle, les marchands anglais et flamands cherchent à diversifier leurs sources d’approvisionnement pour atténuer les brusques variations de récolte et de prix. Comme ils fréquentent le Poitou - et particulièrement le port en eau profonde de La Rochelle - pour s’approvisionner en sel, un vignoble est créé dans cette région, qui, en quelques années, concurrence les vignobles français. Puis, les ports poitevins ayant été conquis par le roi de France (1224), les Anglais se tournent dès 1225 vers les vins gascons, qu’ils vont chercher à Bordeaux. Ces vignobles atlantiques ne doivent pas faire oublier les vins de Beaune - appréciés à la cour d’Avignon mais aussi en Flandre, en particulier sous la dynastie bourguignonne -, les vins
d’Orléans - alors fameux entre tous les vins de Loire -, ni celui de Saint-Pourçain - vin bourbonnais chéri de la cour pontificale. Mais rares sont les vignobles dont la réputation est définitive. Particulièrement frappante est l’humiliation subie par le vignoble parisien - que le négoce, visant une clientèle populaire, oriente, dès la fin du Moyen Âge, vers des plants médiocres à plus haut rendement tels le gouais et le gamay - et sa disparition après la crise du phylloxéra, alors qu’au même moment le vignoble champenois, à la même latitude, étend son prestige et son marché. Instructive aussi est la création aux XVIe et XVIIe siècles, pour la clientèle hollandaise et nordique, des vins blancs liquoreux d’Anjou, de Montbazillac, de Sauternes ; puis, pour les riches amateurs anglais, des grands vins de garde de Graves et du Médoc - Haut-Brion dès les années 1660, ensuite Margaux, Lafite et Latour - ; enfin, au XVIIIe siècle, l’essor des vins sombres de la côte de Nuits, en Bourgogne, qui désormais l’emportent sur les clairets traditionnels de l’Auxerrois ou de la côte de Beaune. Cette époque voit aussi réapparaître la réputation des grands vins des Côtes-duRhône : ceux de Côte-Rôtie, L’Hermitage, Condrieu, Saint-Péray, etc., sont présents à la downloadModeText.vue.download 957 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 946 fin du siècle dans les caves des amateurs parisiens, tandis que ceux de Châteauneuf-duPape et de Château-de-la-Nerthe se vendent en Angleterre. Entre ces nouveaux grands vins de garde et les vins ordinaires des mêmes régions, l’écart des prix se creuse : en 1647, pour les vins de Bordeaux, la différence n’est pas même du simple au double ; entre 1700 et 1710, elle est plus que du simple au triple (700 livres le tonneau, contre 200). De même, en Bourgogne : dans les blancs, le montrachet de 1775 coûte 1 300 livres la queue (futaille d’un muid et demi) et le meursault 260 seulement ; dans les rouges, le romanée-saint-vivant, le chambertin et le richebourg se négocient à 800 livres alors que le santenay n’est qu’à 150 et le bourgogne générique à 120. ATOUTS COMMERCIAUX ET CULTURELS DES VINS DU NORD
Examinons les conditions de ces dominations successives. Dans les vignobles septentrionaux, les mauvaises récoltes sont plus fréquentes et la rentabilité du travail agricole moins grande que dans ceux du Midi. Mais, à une époque où les transports étaient beaucoup plus longs et coûteux qu’aujourd’hui, la logique commerciale l’emportait sur la logique agricole : entre le XIe et le XIIIe siècle, beaucoup de régions exportatrices se trouvaient donc au nord de ce que nous appelons maintenant la « limite climatique » de la vigne. Bien situés commercialement le long des rivières, ces vignobles étaient à flanc de coteaux et bénéficiaient d’une bonne exposition (sud ou est). Néanmoins, un certain manque de chaleur et de luminosité retentissait sur la pigmentation et le sucre des raisins, et donc sur la couleur et le degré alcoolique du vin. Pour éviter que trop d’alcool ne s’évapore pendant la fermentation, on ne laissait pas les grappes cuver longtemps et l’on produisait donc surtout des blancs et des clairets. Dans la culture et le goût de l’époque, ces vins étaient d’ailleurs plus valorisés que les rouges, considérés comme grossiers et vulgaires. Ce goût ne découlait pas simplement de la localisation des vignobles en vogue. C’est en effet toute la physique aristotélicienne et toute la diététique hippocrato-galénique qui justifiaient la supériorité des vins blancs et clairets comme plus immatériels, plus fins, et donc plus digestes pour les estomacs délicats des gens de la bonne société, les vins sombres étant jugé épais, pleins de l’élément « terre », nourrissants mais lourds, adaptés à l’estomac plus robuste des travailleurs manuels et à leurs plus grands besoins énergétiques. LES BUVEURS INDIGÈNES En France, au Moyen Âge et au cours des temps modernes, qui buvait du vin ? C’est un sujet débattu. Les femmes en auraient bu beaucoup moins que les hommes, et un vin plus trempé - du moins, les femmes de la bonne société, disent nos témoins, qui sont plus réservés sur les pratiques des femmes du peuple. Quant aux enfants, ils auraient souvent bu de l’eau pure, le vin étant jugé dangereux pour eux par la plupart des médecins - mais pas par tous. Pour ce qui concerne les hommes adultes, on s’accorde à penser que, depuis le XIVe siècle au moins, les citadins en buvaient quotidiennement. Mais la plupart des historiens du vin pensent que les paysans n’en consommaient qu’ex-
ceptionnellement - l’eau, du mauvais cidre de pommes sauvages, ou au mieux de la piquette constituant leur boisson ordinaire. Plusieurs témoignages d’époque vont dans le même sens. Cette thèse est néanmoins contestable, au moins pour les régions où l’on a étudié la chose de près, comme la Provence, le Languedoc ou l’Alsace. En Provence, aux XIVe et XVe siècles, les paysans comme les bourgeois buvaient le vin de leurs vignes. Dans les villages comme dans les villes, il n’y avait pratiquement pas de maison sans tonneau, et le pauvre comme le riche possédait une parcelle de vigne. Or, en l’absence de débouchés extérieurs, c’est pour la consommation familiale que chacun faisait son vin. De même en bas Languedoc où, avant le XVIIIe siècle, la vigne n’a été cultivée que sur les coteaux pierreux impropres au blé, dans le cadre d’une économie de subsistance. Un médecin du XVIe siècle se plaignait d’ailleurs que, malade ou bien portant, le paysan languedocien crût ne pouvoir vivre sans boire de vin. En Alsace, jusque dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la bière, fabriquée par les brasseurs professionnels, devait s’acheter et n’était donc bue que par les gens de la ville, tandis que le paysan, qui n’avait pas d’argent à dépenser pour sa nourriture ni pour sa boisson, se limitait au vin qu’il produisait. Le développement de la production de bière, dans le nord et l’est de la France et même à Paris, est donc sans doute lié à l’essor de la population urbaine. Mais le développement de la production de cidre - beaucoup plus important -, qui se fait dans l’ouest de la France, à partir du XVIe siècle, au détriment des vins de consommation locale, concerne essentiellement des paysans, consommateurs de leur propre récolte. CHANGEMENT DES REPRÉSENTATIONS ET PRESSIONS DE L’ÉTRANGER Paradoxalement, leur tanin permettait à ces vins « grossiers », auxquels on mêlait l’âpre jus du pressoir, de se conserver plus longtemps que les « vins de mère goutte ». Ces derniers, qui s’écoulaient du raisin ni pressé ni même foulé aux pieds, étaient estimés les plus délicieux. Même en Bourgogne, dont les vins un peu âpres n’étaient souvent bus, voire expédiés et commercialisés qu’après un an de tonneau, il y en avait qui, comme les « vins français », aigrissaient au bout de quelques mois. Ainsi le volnay, un beau vin oeil-deperdrix, longtemps tenu pour le meilleur des
vins de Beaune, ne pouvait se conserver toute l’année. Les vins de plus longue conservation, qui sont apparus au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, sont moins le résultat d’un progrès technique, comme on le croit souvent, que d’un changement des représentations - lié au déclin de la physique d’Aristote et de la diététique hippocrato-galénique - et de la pression des marchands hollandais et anglais, qui avaient besoin de vins de garde et dont la clientèle avait d’autres goûts que les Français. Les Hollandais ont poussé les producteurs trop éloignés des marchés du Nord à distiller leur production de petits vins, le prix de l’eau-de-vie permettant d’amortir les frais de transport plus facilement. Cet alcool était ensuite bu par les marins des régions septentrionales, ou servait à remonter, dans les entrepôts bataves, des vins jugés trop faibles. Ce sont aussi les Hollandais qui ont convaincu les vignerons d’Anjou, de Montbazillac ou de Sauternes de retarder les vendanges jusqu’à l’extrême maturité des raisins. Bien que les Hollandais aient aussi acheté la plus grande partie des vins de Bordeaux (44 000 tonneaux pour eux et leurs clients du Nord vers 1710, contre 1 000 seulement pour les Anglais), c’est aux amateurs londoniens qu’allaient tous les vins les plus chers. Habitués aux portos, qui constituaient l’essentiel des vins bus en Angleterre, ces gourmets d’outre-Manche souhaitaient sans doute des vins plus foncés, plus lourds et de meilleure garde que les traditionnels clairets. Au reste, on sait que pendant deux siècles les marchands anglais n’ont pas hésité à mélanger ces grands crus, qu’ils jugeaient encore trop légers, à des vins espagnols, plus alcoolisés. Sans doute est-ce eux également qui ont obtenu, à la fin du XIXe siècle, une hausse très sensible du degré de ces grands bordeaux à la production. L’influence des clients du Nord est encore bien visible sur l’envolée des prix des sombres côtes-de-nuits et sur la régression des côtesde-beaune à partir de 1726 - certains amateurs français dénonçant ce renversement de la hiérarchie des crus. Elle s’est aussi vraisemblablement exercée en Champagne, où le contrôle de la mousse ne résulte pas d’une découverte miraculeuse du bouchon de liège et de bouteilles résistant bien à la pression : ces progrès techniques ont été patiemment recherchés pour répondre à l’attente d’une clientèle étrangère qui reconnaissait le champagne à sa mousse.
MALADIES, CRISES, ET NOUVELLE DONNE Après un siècle d’essor de sa production commercialisée, le vignoble français va être détruit, à partir de 1850, par une série de maladies venant toutes d’Amérique. L’oïdium, champignon signalé en Angleterre dès 1845, atteint la France en 1849 et y fait des ravages de 1850 à 1863. Le soufrage des vignes, expérimenté depuis 1852, finit par s’imposer et à venir à bout du mal. La croissance de la production reprend. Puis vient le phylloxéra, un puceron au cycle de vie compliqué, qui s’attaque aux racines de la vigne et a fait échouer toutes les plantations de vignes européennes en Amérique depuis le XVIe siècle. Arrivé en France en 1863, il envahit progressivement les vignobles à partir du Gard et de la Gironde, de 1870 jusqu’après 1890. L’injection dans le sol de sulfure de carbone, méthode trop onéreuse pour la plupart des vignerons, a constitué une solution pour les plus grands vins : par crainte d’une baisse de qualité, certains l’ont utilisée jusqu’après la Première Guerre mondiale (premiers crus du Médoc et de Chambertin), voire jusqu’à la Seconde (RomanéeConti), avant de devoir, comme les autres, se résoudre à replanter sur des porte-greffe downloadModeText.vue.download 958 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 947 américains plus résistants (la première récolte du romanée-conti reconstitué date de 1952). Dès les années 1880 dans certains cas, mais surtout après 1890, on n’a donc pas pu empêcher la destruction quasi générale des vignes, et l’implantation de nouveaux plants. Troisième maladie, le mildiou est dû à un champignon. Il est arrivé en France en 1878, en pleine crise du phylloxéra, et ses ravages prennent de l’importance à partir de 1882. Pour en venir à bout, on met au point un mélange de sulfate de cuivre et de chaux, la « bouillie bordelaise ». Tout le Médoc l’utilise à partir de 1886, en pulvérisant de 300 à 400 litres à l’hectare. Enfin, une autre maladie cryptogamique américaine prend de l’extension à la fin du siècle : le black-rot, qui dessèche les grains de raisin. Le sulfate de cuivre a une certaine efficacité contre elle, ainsi que la destruction par le feu des grappes contaminées. Mais elle reste aujourd’hui encore dangereuse dans les régions froides et humides.
Les conséquences de cette crise sont graves. La production viticole française, qui était de quelque 52 millions d’hectolitres en 1870-1879, est passée à environ 30 millions dans la décennie suivante. Des traitements ont été trouvés, qui, depuis lors, tiennent en respect les quatre maladies, mais ils coûtent cher et ont très sensiblement élevé le prix de revient du vin. Nombre de petits vignerons, incapables de cet effort financier, ont disparu dans la tourmente. D’autres ont, pendant un temps, abandonné les vignes françaises pour les hybrides producteurs directs (non utilisés comme porte-greffe), beaucoup plus résistants mais qui produisaient un mauvais vin destiné à une consommation familiale ou populaire. Ne furent replantées que les régions où les vins étaient chers (Champagne, Bourgogne, Bordelais, etc.) ou de hauts rendements (Languedoc et autres vignobles méridionaux). En outre, ces vignobles une fois reconstitués se sont heurtés à la concurrence du vignoble algérien, dont la production, dopée par la pénurie des vingt dernières années du XIXe siècle a oscillé entre 5 millions et 10 millions d’hectolitres de 1900 à 1914, alors qu’elle n’était que de 1 million en 1885. Au XXe siècle, tandis que la superficie du vignoble français diminue régulièrement, sa production augmente continuellement, et le rendement à l’hectare ne cesse de s’accroître. Cela va de pair avec un incontestable progrès des techniques viticoles et vinicoles, mais n’est guère cohérent avec la prétention affichée d’amélioration de la qualité du vin. La chute de la consommation de vin ordinaire, et l’accroissement très rapide des quantités de vins d’appellation contrôlée produites et consommées, qui fondent cette prétention, correspondent-ils à autre chose qu’à une série de décrets administratifs ? On a d’autant plus de raison de s’en inquiéter que le degré alcoolique - en principe, naturel - entre dans les critères de classification de la qualité des vins, et que la pratique de la chaptalisation affecte la plupart des régions. Vincennes (édit du Bois de), édit réglementant la succession au trône de France. Élaboré en août 1374 par le roi Charles V et ses conseillers, il est publié au parlement de Paris le 21 mai 1375. Sa principale disposition fixe la majorité des rois de France à leur entrée dans leur quatorzième année, c’est-à-dire à 13 ans et un jour : elle a pour but de limiter la durée d’une éventuelle régence. D’autres
dispositions définissent ensuite l’ordre de succession à la couronne : le fils aîné, puis le petitfils - ou, à défaut, le fils cadet -, enfin le frère le plus âgé. L’édit établit ainsi la dévolution de la couronne en faveur du petit-fils aîné, plutôt que du frère cadet, en cas de décès prématuré du dauphin avant celui du roi. En outre, l’édit exclut totalement les femmes de la succession, et prévient les éventuelles prétentions de leurs fils, à l’instar de celles du roi Édouard III d’Angleterre, petit-fils de Philippe IV le Bel par sa mère Isabelle, qui, depuis 1337, revendique la couronne de France. L’ensemble de ces dispositions traduit la volonté de favoriser une succession masculine directe et le souci d’assurer la continuité de l’État qui animent le roi Charles V et ses proches conseillers. La couronne n’est pas un bien propre du roi : sa dévolution respecte des règles précises - désormais rassemblées en un texte unique -, qui s’imposent au roi lui-même et garantissent la stabilité du gouvernement du royaume. L’édit du Bois de Vincennes s’accompagne des ordonnances d’octobre 1374 sur la régence, la tutelle des enfants royaux et les apanages et dots des cadets. Ces textes définissent un ensemble cohérent de règles qui président à la succession de la couronne de France, du XIVe siècle à la fin de l’Ancien Régime. Vincent de Beauvais, frère prêcheur, auteur de la plus célèbre encyclopédie médiévale (vers 1190 - 1264). Vraisemblablement originaire de Beauvais, Vincent entre au couvent dominicain de Paris, qui vient d’être fondé en 1218. En 1246, il est sous-prieur du couvent de Beauvais avant de devenir lecteur à l’abbaye cistercienne de Royaumont. Il est alors un proche de Louis IX : il prêche devant le roi et dédie à sa femme, la reine Marguerite, un ouvrage destiné à l’éducation des enfants royaux, le De eruditione puerorum. Le roi lui commande alors - ou peut-être soutient-il seulement la réalisation d’une grande encyclopédie, le Speculum majus, achevé vers 1257-1258. Il s’agit d’une vaste compilation de l’état des savoirs, divisée en trois volumes : le Miroir de l’histoire (Speculum historiale), le Miroir de la nature (Speculum naturale) et le Miroir des sciences (Speculum doctrinale). L’entreprise est collective : Vincent de Beauvais dirige, coordonne et complète les travaux d’une équipe composée de dominicains du couvent de Paris et de cisterciens de l’abbaye de Royaumont. L’appui du roi lui permet de bénéficier de grandes facilités de travail, en particulier pour
la consultation de manuscrits parfois rares et lointains. Le projet s’inscrit parfaitement dans le cadre de l’esprit totalisant des intellectuels du XIIIe siècle, férus de « sommes » et d’encyclopédies. L’ouvrage connaît d’ailleurs un succès immédiat et considérable. Dès 1271, une forme abrégée de la partie historique est réalisée par Adam de Clermont, et en 1333, paraît une traduction française, due à Jean de Vignay, sous le titre de Miroir historial : cette oeuvre fait désormais partie de la culture des élites laïques de la fin du Moyen Âge. Enfin, dès 1473, le Speculum majus est imprimé intégralement, en dix volumes. Il demeure une référence et connaît de nombreuses rééditions jusqu’au XVIIe siècle. Vincent de Paul (saint), missionnaire fondateur d’ordre (Pouy, aujourd’hui SaintVincent-de-Paul, Landes, 1581 - Paris 1660). Issu d’une famille de paysans pauvres, il peut, grâce à la protection du juge local, étudier au collège des cordeliers de Dax. Ordonné prêtre en 1600, il est d’abord pèlerin à Rome, puis étudiant en théologie à Toulouse, en quête d’un bénéfice pour s’établir. Enlevé par des pirates, il aurait même été esclave à Tunis, mais le fait n’est pas prouvé. Monté à Paris en 1608, il s’insinue dans l’entourage de Marguerite de Valois, « la Reine Margot », dont il devient aumônier (1610), et reçoit une petite abbaye. Il fréquente les milieux dévots, rencontre Bérulle, qui lui obtient la cure de Clichy (1612). Devenu précepteur dans la riche famille des Gondi (1613), il redécouvre sur leurs terres picardes la pauvreté paysanne, matérielle et spirituelle. Une conversion se fait en lui, qui le pousse, en 1617, à s’installer dans la misérable cure de Châtillon-surChalaronne, dans la Dombes ; il y édifie ses paroissiens par son zèle vertueux. Revenu à Paris, nommé en 1619 aumônier général des galères, il mène une vie consacrée à la charité et à l’activité missionnaire : rechristianiser le peuple n’est possible qu’à travers le secours aux plus démunis. En 1625, il fonde la Société des Prêtres de la Mission, dits « lazaristes » parce qu’ils s’installent en 1633 au prieuré Saint-Lazare, à Paris. Cette congrégation veut former des prêtres dans l’esprit tridentin ; chaque mardi se tiennent à Saint-Lazare des conférences spirituelles très prisées des clercs parisiens. Les lazaristes ouvrent des séminaires, prêchent l’exemple, assurent plusieurs centaines de missions, en France, en Pologne et jusqu’à Madagascar. Parallèlement, Vincent de Paul mobilise les laïcs à des fins charitables. Avec Louise de Marillac et la protection de dévotes de la haute société, il fonde
en 1633 les Filles de la Charité, dont le costume gris devient vite familier aux pauvres. Dans la collecte des dons ou pour l’oeuvre des Enfants trouvés, qu’il crée en 1638, il s’appuie sur les réseaux dévots, telle la Compagnie du Saint-Sacrement : il est particulièrement actif pour alléger les misères lors des troubles de la Fronde. « Monsieur Vincent » jouit d’un grand prestige, sauf auprès des jansénistes, qu’il combat. Anne d’Autriche en fait son directeur de conscience et le nomme au Conseil de conscience (1643), institution qui règle les affaires ecclésiastiques. Le souci premier de Vincent de Paul ne fut pas d’assurer son salut personnel hors du monde, mais de « bien faire la volonté de Dieu » au service d’autrui. Il fut canonisé en 1737. Sa correspondance et ses Instructions furent publiées au début du XXe siècle. downloadModeText.vue.download 959 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 948 vingtième, impôt direct instauré en 1749, à l’initiative du contrôleur général des Finances Machault d’Arnouville, qui devait, en principe, consister en un prélèvement de 5 % sur tous les revenus. La création du vingtième, en remplacement du dixième, marque la volonté de la monarchie d’assainir les finances publiques et de rénover le système fiscal du pays. Le produit de ce nouvel impôt doit être affecté, non aux dépenses courantes, mais à l’amortissement de la dette publique. Impôt universel, il doit en principe frapper tous les revenus, et être payable par tous, privilégiés ou non. Sa répartition doit se fonder sur des déclarations établies par les contribuables, et vérifiées par des contrôleurs royaux. D’emblée, le vingtième suscite une violente opposition, relayée par les parlements, tant en raison de son universalité, qui porte atteinte à l’immunité fiscale des privilégiés, que de ses modalités de contrôle, dénoncées comme une insupportable inquisition. Dès 1751, le clergé obtient d’en être exempté. Les autres corps privilégiés parviennent, grâce au système des abonnements, à se faire accorder de substantielles réductions, tandis que l’impossibilité d’un contrôle efficace empêche une véritable imposition des revenus mobiliers ou industriels. Si bien que le vingtième finit par ne représenter qu’un supplément à la
taille, pesant sur les seuls revenus de la terre, et retombant essentiellement sur le tiers état. Bien que doublé par la création d’un second vingtième en 1756, il est loin de produire les sommes escomptées, et ne rapporte en 1789 que 51 des 475 millions de livres d’impôts prélevés. L’idée d’un impôt universel ne fut pas pour autant abandonnée, puisqu’elle se retrouve au coeur des tentatives de réforme mises en oeuvre, sans plus de succès, par les derniers gouvernements de l’Ancien Régime. Viollet-le-Duc (Eugène Emmanuel), architecte et théoricien (Paris 1814 - Lausanne, Suisse, 1879). Fils d’un haut fonctionnaire, Viollet-le-Duc naît dans une famille d’architectes et de peintres, mais il se forme à l’architecture au contact d’Achille Leclère et à travers ses voyages en France et en Italie (1836-1837), sans emprunter la voie classique de l’École des beaux-arts. En 1840, à la demande de Prosper Mérimée, alors inspecteur général des Monuments historiques, il entreprend la restauration de l’abbatiale de la Madeleine, à Vézelay. Principal architecte-restaurateur de France, il assure également la réfection de nombreuses églises de Paris (Saint-Germain-des-Prés, Sainte-Chapelle et Notre-Dame), de la basilique de Saint-Denis, dont il reconstruit les trois portails, des remparts de Carcassonne, de plusieurs châteaux (Pierrefonds, Eu, Roquetaillade...), des cathédrales d’Amiens, de Clermont-Ferrand, de Lausanne. Autant Viollet-le-Duc force l’admiration de tous par son talent et sa défense du style gothique, qu’il contribue à sortir de l’oubli, autant il suscite rapidement des polémiques par l’audace de sa doctrine de restauration. « Restaurer un édifice, écrit-il dans son Dictionnaire raisonné d’architecture française du XIe au XVIe siècle (1854-1868), ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet, qui peut n’avoir jamais existé auparavant. » À l’époque, ce plaidoyer pour un « fonctionnalisme structurel » fait scandale, et Viollet-le-Duc est contraint de démissionner de la chaire d’esthétique et d’histoire de l’art de l’École des beaux-arts, où il avait été nommé en 1864. vitrail. Le terme « vitrail » désigne aussi bien les vitres colorées, les fenêtres d’églises, que les fenêtres peintes et les murs de verre. Son usage s’est répandu au XVIIe siècle, au
moment où l’architecture classique abandonnait la verrière colorée au profit d’une vitrerie incolore. Aussi, la connotation historique et religieuse attachée au mot « vitrail » est-elle très restrictive au regard de la diversité formelle et technique qui a fait évoluer cet art, « art français par excellence » (André Chastel), bien au-delà du domaine religieux. • Les origines du vitrail. La découverte de fioles à parfums et de vases funéraires en Égypte ancienne prouve que le verre était connu au IIIe millénaire avant J.-C. Très tôt, il fut coloré et utilisé en petites pièces serties dans des claustra (clôtures ajourées), en alternance avec divers matériaux. Cette technique se diffusa tout autour du Bassin méditerranéen, dans le monde arabe comme dans le monde romain, jusqu’au haut Moyen Âge. Peu à peu - on ne sait pas exactement quand -, le réseau de plâtre qui enchâssait le verre fut remplacé par du plomb, dont la solidité permettait de réduire au minimum les montures. Ces premiers « vitraux » étaient parfois colorés, mais non peints. • Le vitrail religieux. En l’état actuel des fouilles, les plus anciens vestiges de vitraux peints sont des bris retrouvés à Saint-Vital de Ravenne, qui dateraient du VIe siècle et représentent vraisemblablement un Christ. La tête de Christ datant du IXe siècle découverte à l’abbaye de Lorsch, en Allemagne, est à rapprocher de celle conservée au Musée de l’OEuvre Notre-Dame de Strasbourg, et qui est le plus ancien vitrail peint connu à ce jour en France. Mais aucun de ces fragments ne permet d’expliquer l’extraordinaire développement du vitrail au XIIe siècle. Technique et esthétique en font alors un art en pleine possession de ses moyens. Ses caractéristiques sont doubles : art monumental, il entretient avec l’architecture des relations structurelles ; sa facture, ouvragée à la manière des arts précieux (enluminure, émaillerie et étoffes), présente une très grande clarté de lecture et offre un fond décoratif luxueux. Au XIIe siècle, le vitrail est « historié » selon trois formules : personnages isolés, scènes compartimentées en file verticale ou occupant toute la largeur de la fenêtre. Deux noms peuvent lui être associés : Théophile, un moine rhénan qui consigne dans un traité les méthodes de fabrication et de coloration des verrières ; et Suger, l’abbé de Saint-Denis, qui confère au vitrail une très haute spiritualité, fondée sur la symbolique de la lumière, et une typologie biblique d’une densité remarquable. Sans éclipser d’autres exemples (Poitiers, Châlons-en-Champagne,
Le Mans...), l’esthétique décorative et les développements iconographiques des verrières de Chartres font de cette cathédrale un monument type de cette période. Au XIIIe siècle, les progrès de l’architecture permettent de répartir le poids de la voûte sur les piles et les contreforts. Libéré de son rôle architectural, le vitrail se met au service de la théologie et de la scolastique de l’époque gothique : sa fonction première est de faire jouer lumière et couleurs pour métamorphoser l’église en un reflet terrestre de la Jérusalem céleste. C’est à ce moment qu’apparaissent les premières roses, créations glorieuses qui prêtent leurs rayonnements à l’évocation de la Gloire divine, du Jugement dernier, de l’Image du monde, et du temps qui tourne (Zodiaque). Les vitraux des cathédrales de Lausanne, de Bourges, de Saint-Urbain à Troyes, de la Sainte-Chapelle à Paris en offrent de bons exemples. Dès le milieu du XIIIe siècle, deux innovations techniques annoncent les temps nouveaux : la grisaille, et le jaune d’argent. Elles sont à l’origine du formidable essor de l’art du vitrail au XIVe siècle. La vitrerie incolore, rehaussée de motifs en grisaille, permet la diffusion d’une lumière tamisée, qui met en valeur les délicates moulurations de l’architecture. Grâce au jaune d’argent, teinture composée de sels d’argent et d’ocre, on obtient une gamme colorée extrêmement variée et lumineuse. L’une et l’autre permettent de peindre le verre, qui se trouve libéré de la contrainte de la coupe. Les pièces deviennent plus grandes, le geste de l’artiste rejoint celui du peintre dans la délicatesse du modelé, le graphisme gracieux et les couleurs nuancées. En France, le premier exemple daté de l’utilisation du jaune d’argent se trouve à Mesnil-Villeman (Manche), et les grands ensembles de vitrerie à retenir sont, sans conteste, ceux de SaintOuen de Rouen, de la cathédrale d’Évreux et de l’abbaye de Fécamp. Au XVe siècle, la qualité technique s’affine et atteint son plein épanouissement. Le vitrail se rapproche de la peinture, avec une pointe de préciosité. Les peintres-verriers sortent de l’anonymat, tels André Robin, peintre du roi René d’Anjou, auquel on doit les roses de la cathédrale d’Angers, ou encore Arnoult de Nimègue, qui travaille à Tournai puis à Rouen. L’un des plus beaux témoins de l’époque est le vitrail donné par Jacques Coeur à la cathédrale de Bourges (vers 1450). Enfin, le XVIe siècle connaît le triomphe et le
déclin du vitrail. Triomphe par l’association de deux influences, celle de la peinture italienne, qui accroît luminosité, verve luxueuse et répertoire décoratif inédit, et celle des estampes du Nord et de l’Est, qui transparaît dans les grandes compositions. Des artistes d’envergure signent leurs oeuvres : Engrand le Prince, Nicolas et Jean de Beauvais, Jean Lecuyer à Bourges ; l’école troyenne reçoit de Dominique Florentin et Jean Soudain une solide réputation. Mais, dans la seconde moitié du siècle, s’amorce un déclin, qui s’aggrave dramatiquement durant les deux siècles suivants. Causes économiques et choix esthétiques se conjuguent, la mode change, l’architecture classique requiert une lumière blanche et indivise. Certaines productions sauvent malgré downloadModeText.vue.download 960 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 949 tout l’honneur : à Paris, les verrières de SaintÉtienne-du-Mont et de Saint-Eustache, et à Troyes, le Pressoir mystique, de Linard Gonthier. Après la Révolution, le vitrail renaît mais son expression se confond avec l’imitation d’un patrimoine perdu. Les deux courants vitrail-tableau de la manufacture de Sèvres (Chapelle royale de Dreux, 1844), et vitrail dit « archéologique » (celui que toutes les églises de France adoptent alors) - coupent l’art du vitrail de l’art vivant. C’est du vitrail civil que viendra l’impulsion qui le sortira de l’impasse. • Le vitrail civil. Dès le XVe siècle, les peintres-verriers, dont la profession était alors bien considérée, participaient à des réalisations civiles : châteaux, édifices communaux, hôtels de ville. Le XVIe siècle connut une vogue de petits panneaux héraldiques importée des Flandres. Pourtant, c’est aux XIXe et XXe siècles que le vitrail civil prend véritablement de l’importance, en particulier à partir des Expositions universelles. En 1884, le Printemps (Musée des arts décoratifs, à Paris), d’Eugène Grasset, marque un jalon décisif. La technique, entièrement nouvelle, exploite les possibilités infinies du verre : verres imprimés, motifs en relief, superposition, gravure... Dans l’entre-deux-guerres, elle ira encore plus loin, utilisant miroir et verre noir, sur lesquels une gamme de couleurs aux tons neutres, gris et beige, épure les reflets lumineux. Un art nouveau naît. Les noms d’artistes sont trop nombreux pour que l’on puisse les citer tous (Gaudí, Guimard...) ;
pourtant, l’iconographie, très académique et décorative, freine encore l’envol. Il faut attendre les lendemains de la Seconde Guerre mondiale pour qu’enfin le vitrail retrouve ses titres artistiques, grâce notamment à deux techniques nouvelles : la dalle de verre, dont les jeux de couleurs abstraits répondent à la structure de l’architecture en béton, et la pâte de verre, qui permet de grandes compositions figuratives. Mais c’est surtout la liberté avec laquelle les artistes usent de techniques variées, telles que gravures, collages, résines, thermoformage, et d’associations de matières inattendues (pierre, métal...), qui redonne à la création une ardeur décisive. Bazaine, Manessier, Chagall et Matisse en sont les pionniers. Aujourd’hui, les tendances de l’architecture, qui intègre lumière, environnement et nature, contribuent à un dynamisme nouveau de l’art du vitrail dans la construction civile comme dans les édifices religieux. Le vitrail gagne les lieux les plus variés - usines, halls, musées, églises anciennes à restaurer -, et bénéficie de découvertes techniques incessantes. Ses principaux représentants sont Gabriel Loire, qui a exporté ses harmonies lumineuses jusqu’aux États-Unis et au Japon (la Tour des enfants, Musée d’art moderne de Tokyo), Charles Marcq, qui a travaillé à la Fondation Cziffra à Senlis, Manessier, Soulages, Garouste, Jean-Pierre Raynaud, Marc Couturier... Un élan créateur résolument contemporain naît, le vitrail a encore une longue vie devant lui. Viviani (René), homme politique (Sidi-belAbbès, Algérie, 1863 - Le Plessis Robinson, Hauts-de-Seine, 1925). Fils d’un conseiller général d’Oran d’origine corse, René Viviani commence sa carrière au barreau d’Alger avant de se fixer à Paris. Acquis aux idées socialistes, il est l’avocat des cheminots ainsi que des mineurs de Carmaux et le rédacteur en chef de la Petite République. En 1893, il est élu député de Paris (il sera député de la Creuse de 1906 à 1922) et siège à la Chambre parmi les socialistes indépendants, aux côtés de Millerand et de Jaurès. Défenseur des droits des femmes, il obtient le vote de la loi qui leur permet d’accéder au métier d’avocat (1899) ; anticlérical, il salue la séparation des Églises et de l’État (1905). Mais, aussitôt l’unité socialiste réalisée, il rompt avec la SFIO pour devenir ministre du Travail des gouvernements Clemenceau et Briand (19061910). Premier titulaire de ce portefeuille, il fait progresser la législation sociale française (loi sur le repos hebdomadaire de 1906). Après la victoire de la gauche aux élections de 1914, Poincaré l’appelle à la présidence du
Conseil : il tente de sauver la paix, mais il doit se résoudre à la mobilisation générale et forme alors le premier cabinet d’« union sacrée ». Après avoir quitté la présidence du Conseil (octobre 1915), il prend en charge la Justice. La paix revenue, il joue un rôle international actif et représente la France à la SDN (19201921). Il rejoint le Sénat en 1922, mais sa carrière politique est brisée en juin 1923 par une attaque d’apoplexie qui le laisse paralysé. Vix (tombe de), célèbre tombe de l’âge du fer située en Bourgogne et datant d’environ 500 ans avant J.-C. ; on y a mis au jour le plus grand vase en bronze connu datant de l’Antiquité. La découverte de la tombe, en 1953, appartient à l’épopée de la recherche archéologique française. La sépulture a été trouvée à Vix, commune située à quelques kilomètres au nord de Châtillon-sur-Seine (Côte-d’Or), sur les bords de la Seine et au pied du mont Lassois. La chambre funéraire, en bois, mesurait trois mètres de côté et était recouverte d’un vaste tumulus en calcaire, presque arasé, d’une quarantaine de mètres de diamètre. La défunte reposait sur la caisse d’un char en bois rehaussé d’ornements de bronze, dont les quatre roues, démontées, étaient alignées contre la paroi est de la chambre. La « princesse » de Vix, âgée d’environ 30 à 40 ans, portait un torque en or (souvent considéré comme un diadème), terminé par deux boules ornées de petits chevaux ailés. Cet objet n’a pas d’équivalent et est parfois rapproché de l’art scythe. Le reste de la parure (fibules, torque creux en bronze, bracelets, perles) est typique de la fin de la période de Hallstatt dans la région. À côté se trouvait le fameux cratère en bronze, qui mesure 1,6 mètre de haut, pèse 200 kilos et peut contenir 1 000 litres. Il a sans doute été fabriqué dans une ville grecque d’Italie du Sud, à l’usage des Barbares du Nord et à des fins commerciales. Ses deux anses sont ornées d’une Gorgone et ses parois montrent des soldats en armes. Le couvercle pouvait servir de passoire à vin et était surmonté d’une statuette. Au-dessus et à côté se trouvaient encore plusieurs récipients en argent, en bronze ou en céramique, de provenance étrusque et grecque, et datant de la fin du VIe siècle avant J.-C. De toute évidence, la princesse de Vix, comme les occupants d’autres tombes voisines mais de moindre richesse, appartenait à l’aristocratie qui régnait sur la résidence princière du mont Lassois et tirait son pou-
voir du contrôle des échanges entre le monde méditerranéen, le nord de la Gaule et la Grande-Bretagne, par l’axe du Rhône, de la Saône et de la Seine. Les objets de prestige trouvés dans la tombe, liés à la consommation de vin par l’aristocratie, avaient été en partie fabriqués spécifiquement pour cet usage, le monde grec proprement dit n’ayant jamais utilisé de cratères d’une taille comparable. C’est peu après le creusement de la tombe que les résidences princières hallstattiennes furent abandonnées, aussi bien dans l’est de la France que dans le sud de l’Allemagne, tandis que prenait fin, pour un temps, le commerce entre la Méditerranée et l’intérieur. Vizille (assemblée de), réunion tenue le 21 juillet 1788 au château de Vizille, près de Grenoble, par des représentants des trois ordres de la province du Dauphiné. Après la « journée des tuiles » qui a agité Grenoble le 7 juin, l’effervescence politique qui gagne le royaume depuis 1787 s’accroît en Dauphiné, où elle prend un tour nouveau. Décidée le 14 juin, lors d’une rencontre tenue à l’hôtel de ville de Grenoble, la réunion de l’assemblée de Vizille se veut un acte de résistance positive aux mesures de réorganisation judiciaire et financière prises par l’autorité royale. Constituée de 50 ecclésiastiques, de 165 nobles et de 276 membres du tiers état, l’assemblée reprend les formes archaïques de la société d’ordres, mais la tonalité des propos est inédite. Emmenés par un jeune magistrat, Jean-Joseph Mounier, les représentants de la province réaffirment des exigences traditionnelles (rétablissement des parlements et des états du Dauphiné) mais prennent aussi, dans leur arrêté final, des résolutions novatrices : doublement du nombre des représentants du Tiers dans les états provinciaux, et prépondérance pour les questions fiscales des états généraux du royaume, dont la convocation est demandée. Plus importante encore est l’affirmation d’une solidarité nationale par-delà les particularismes locaux : « Les trois ordres du Dauphiné ne sépareront jamais leur cause de celle des autres provinces et, en soutenant leurs droits particuliers, ils n’abandonneront pas ceux de la nation. » Ce n’est certes pas le serment du Jeu de paume, mais Vizille marque une étape importante dans la constitution du discours politique révolutionnaire. Par cet acte, les Dauphinois recouvrent une partie de leurs droits ; surtout, à quelques mois de l’ouverture des états généraux de 1789, ils font entendre une voix nouvelle qui préfigure celle de la Révolution.
voies romaines. Si routes et chemins existaient en nombre dans la Gaule celtique, la conquête romaine accéléra la création d’un réseau routier planifié. La République avait fait construire une première voie du Rhône aux Pyrénées, la via downloadModeText.vue.download 961 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 950 Domitia, qui reliait ses possessions espagnoles à l’Italie. Après la conquête de la Gaule « chevelue », ce fut Agrippa, lieutenant d’Auguste, qui mit en place le tracé du réseau lors de son premier gouvernement en Gaule (38-37 avant J.-C.). Le géographe Strabon lui attribue le choix de Lyon comme carrefour central et la paternité des quatre grandes voies : route d’Aquitaine, qui reliait Saintes, capitale initiale de cette province, à Lyon ; route de l’Océan vers le Nord et route du Rhin, qui constituaient une voie unique jusqu’à Langres et se séparaient ensuite, la première se dirigeant vers la Manche, la seconde vers le Rhin ; route de Narbonnaise enfin, qui descendait le couloir rhodanien. Il existait aussi d’autres liaisons : les voies alpines, construites après les conquêtes de Drusus (25-15 avant J.-C.), trois routes augustéennes (de Bordeaux à Narbonne, de Chalon-sur-Saône à l’embouchure de la Seine, et de Roanne à l’Armorique), deux construites par Claude (41/54 après J.C.) à travers le Massif central et de Boulogne à Cologne, et une ouverte par les Flaviens pour relier Strasbourg au haut Danube. Il faut y ajouter les chemins vicinaux qui desservaient les agglomérations secondaires des cités (vici) et dont l’Itinéraire d’Antonin et la Carte de Peutinger ont livré, à défaut d’un tracé géographique, un plan de desserte. Les routes étaient composées de plusieurs couches de maçonnerie durcies et seuls les tronçons proches des villes et les sols fragiles étaient recouverts de pavés. Des bornes milliaires, gravées au nom des empereurs constructeurs ou réparateurs, rythmaient le voyage. De ce fait, les grandes périodes d’entretien sont bien connues : les règnes de Claude, d’Antonin (138/161), de Caracalla (211/217) et de Maximin (235/238), mais aussi des empereurs militaires du IIIe siècle et de Constantin (306/337). Si l’État s’occupait des constructions, qu’il confiait le plus souvent à la maind’oeuvre militaire, il transférait néanmoins aux
cités la charge de leur entretien. Le réseau gaulois indique bien la fonction première de la route, destinée au transport rapide des légions (du Rhin vers la Bretagne ou de Strasbourg vers le Danube), mais aussi aux déplacements des fonctionnaires, à l’acheminement du courrier officiel et aux recensements. Le choix de sites indigènes comme relais favorisa toutefois leur développement urbain et la route romaine fut un facteur essentiel d’urbanisation en Gaule. vol de l’Aigle, expression qui désigne la marche pacifique et victorieuse de Napoléon à travers la France et son retour à Paris après son premier exil à l’île d’Elbe. Moins d’un an après sa première abdication (11 avril 1814), Napoléon cherche à tirer parti du discrédit dans lequel sont rapidement tombés les alliés et les Bourbons auprès de la population française. Tandis qu’à Vienne les tractations entre les princes européens révèlent la nature réactionnaire et impérialiste des puissances qui ont abattu l’Empire, Napoléon s’embarque le 26 février 1815 avec sa garde sur l’Inconstant, en direction des côtes françaises. Le 1er mars, il débarque à Antibes et rallie à lui les soldats venus l’arrêter. Il remonte dès lors de ville en ville, gagnant peu à peu habitants et garnisons à sa cause. Parvenu à Grenoble le 7, à Lyon de 10, il entre à Paris le 20, tandis que Louis XVIII, pourtant soutenu par le Congrès, s’enfuit aux Pays-Bas sans être parvenu à mettre un terme à la course de celui qu’il appelle l’« usurpateur ». Revenu au pouvoir, Napoléon règne sur un pays plus résigné qu’enthousiaste à l’idée de son retour. Diplomatiquement isolé, il retrouve bientôt le chemin des champs de bataille : son aventure prend fin à Waterloo, le 18 juin 1815. Épisode héroïque de la légende napoléonienne, le vol de l’Aigle s’apparente au mythe d’Icare : pour avoir défié une condition et un destin qui n’étaient plus les siens, l’Empereur s’est brûlé les ailes au soleil qui avait été celui d’Austerlitz. La chute après l’ascension, sous forme d’un châtiment de l’histoire. Volney (Constantin François de Chasseboeuf, comte de), philosophe et écrivain (Craon, Anjou, 1757 - Paris 1820). Né dans une famille bourgeoise angevine, Constantin François étudie le droit, les langues orientales, la médecine et l’histoire. Il arrive à Paris en 1776 et se fait connaître
sous le nom de Boisgirais dans les salons de Mme Helvétius et du baron d’Holbach. De 1782 à 1785, il voyage en Orient (peut-être à l’initiative du ministre Vergennes) et publie, sous le nom de Volney, deux ouvrages qui le rendent célèbre : le Voyage en Égypte et en Syrie (1787) et les Considérations sur la guerre des Turcs et de la Russie (1788). À la fin de 1788, il se lance dans la bataille politique pour les États généraux en faisant paraître un journal « patriote » : la Sentinelle du peuple. Il est élu député du tiers état de l’Anjou et joue un rôle important dans les premiers mois de la Constituante. Ainsi, il intervient dans le débat sur la Corse (novembre 1789) et dans celui sur le droit de paix et de guerre (mai 1790). En 1791, il publie son ouvrage majeur : les Ruines ou Méditation sur les révolutions des empires. Le texte est immédiatement traduit et exerce une grande influence sur des personnes aussi différentes que le poète William Blake ou Mme de Staël. À la fin de 1791, Volney se retire en Corse, où il possède une propriété agricole. Il se lie à la famille Bonaparte et s’oppose à Paoli. Selon certains historiens, il aurait même joué un rôle dans la mise hors la loi de ce dernier, en 1793. De retour à Paris, il publie la Loi naturelle ou le Catéchisme du citoyen français. Il est arrêté en novembre 1793, non comme il l’affirmera plus tard en raison de ses opinions, mais pour défaut de paiement des annuités de sa propriété ; il n’est libéré qu’en août 1794. En 1795, sa réputation lui vaut d’être nommé professeur d’histoire à l’École normale ; puis, après un voyage aux ÉtatsUnis de 1795 à 1798, il entre à l’Institut. Familier des Bonaparte, Volney appuie le coup d’État de 18 brumaire et devient sénateur, mais l’évolution autocratique du régime napoléonien le fait retourner à ses études : il est alors l’un des membres du groupe des Idéologues. Sous l’Empire, il publie notamment les Recherches nouvelles sur l’histoire ancienne (1813). En 1814, il se rallie à la Charte et devient pair de France. Ses préoccupations multiples, ses recherches en histoire et en linguistique placent Volney parmi les précurseurs des disciplines anthropologiques. Il est à la charnière du siècle des Lumières et du romantisme. volontaires nationaux, soldats de la Révolution, en principe engagés volontaires. Le 12 juin 1791, inquiète des sentiments politiques de l’armée de ligne de l’Ancien Régime, l’Assemblée constituante décide de créer, parallèlement, des bataillons de volontaires issus de la Garde nationale. Soldats citoyens
vêtus aux couleurs nationales (et surnommés les « bleus »), ils sont mieux payés que les soldats de ligne (les « culs-blancs », en raison de la couleur de leur uniforme) ; ils sont soumis à une discipline moins lourde et élisent leurs officiers et sous-officiers ; leur engagement est limité à une seule saison de campagne. Ce sont environ 100 000 hommes qui répondent à l’appel de la Constituante : 80 % d’entre eux ont moins de 25 ans, 66 % sont artisans, 23 % paysans, 11 % bourgeois. Leurs cadres sont en majorité des bourgeois ou des nobles favorables au compromis. Lors de la crise politico-militaire de l’été 1792, l’Assemblée législative lance un nouvel appel aux volontaires (11 juillet). Dans un grand élan soutenu par la propagande révolutionnaire, des dizaines de milliers d’hommes s’engagent (15 000 à Paris ; probablement plus dans le Nord et dans l’Est que dans l’Ouest et le Sud) : on compterait alors un total d’environ 200 000 volontaires. Ceux de 1792 sont jeunes, d’origine plus populaire qu’en 1791. Majoritairement sans-culottes, ils élisent leurs officiers, eux-mêmes sansculottes militants ; se considérant avant tout comme des citoyens, ils sont politisés, lisent les journaux, forment des clubs, supportent mal la discipline et, souhaitant instaurer dans leurs bataillons les mêmes rapports de « démocratie directe » que dans leurs sections, ils revendiquent le droit à la parole et le contrôle des officiers élus. Ils contribuent largement aux victoires de l’automne 1792 ; cependant, considérant que leur engagement militaire est provisoire, beaucoup rentrent chez eux à l’hiver. Pour résoudre cette crise des effectifs, la Convention ordonne une « levée de 300 000 hommes », le 24 février 1793 ; le volontariat est maintenu, mais si le contingent demandé à chaque département n’est pas atteint, il doit être complété selon des modalités fixées localement. La levée provoque alors sentiments d’injustice et révoltes (notamment dans l’Ouest), et ne permet de réunir qu’environ 150 000 recrues. Par ailleurs, le 21 février 1793 est votée la loi de l’amalgame, pour mettre fin aux divisions entre les volontaires et la ligne : fusionnés au sein de demi-brigades, ils porteront le même uniforme, seront soumis à un traitement identique en matière de discipline, de règlement et de solde, l’avancement se faisant pour un tiers à l’ancienneté et pour deux tiers par élection et cooptation. Ayant pour but de « nationaliser » l’armée, l’amalgame n’est pleinement achevé qu’en 1795.
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DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 951 Voltaire (François-Marie Arouet, dit), écrivain (Paris 1694 - id. 1778). Fils indocile d’un homme de loi parisien originaire du Poitou, Voltaire est l’écrivain sans doute le plus illustre, sinon le plus génial, des Lumières françaises. Deux fois enfermé à la Bastille, en 1717 et en 1726, interdit de séjour à Paris à partir de 1753, mais visité par toute l’Europe dans son château de Ferney, il incarne à la fin de sa vie une des plus fortes nouveautés du siècle : le culte du grand homme. Avec lui, l’image chétive et vaguement ridicule de l’homme de lettres se métamorphose, jusqu’à la consécration : le transfert de ses restes au Panthéon, en 1791. • L’écrivain classique. Et pourtant, Voltaire débute par les genres les plus traditionnels. Non pas, comme Marivaux et Montesquieu, le roman, genre moderne qu’il affectera toujours de mépriser, non pas l’essai philosophique, comme Diderot et Rousseau, mais la tragédie (OEdipe, 1718) et l’épopée (la Henriade, 1728). Pendant presque un siècle, Voltaire passera pour le grand poète épique français, tandis que ses meilleures pièces triomphent sur toutes les scènes d’Europe. Il aura composé avec exaltation, en soixante ans, une cinquantaine de pièces, dont près de trente tragédies. Très conscient, bien avant les romantiques, des faiblesses de la tragédie française, Voltaire entend la rénover sans la bouleverser, contrairement aux tenants du drame bourgeois. Débordant du cadre antique, il renforce l’action et le plaisir de l’oeil (« Nous avons en France des tragédies estimées, qui sont plutôt des conversations qu’elles ne sont la représentation d’un événement »). Il cherche de grands sujets : la fatalité, dans OEdipe (1718) ; le heurt des religions, dans Zaïre (1732) ; le choc des civilisations, dans Alzire ou les Américains (1736) ; le fanatisme, dans Mahomet, (1741), etc. Mais il maintient les unités, les bienséances, l’alexandrin, la pompe, car il ne conçoit pas de tragédie sans poésie. Le prosateur a éclipsé le poète. Mais il serait déraisonnable d’opposer poésie et prose philosophique. Car le vers n’exclut nullement la philosophie, aussi bien dans les tragédies que
dans des poèmes pleins de force (le Mondain 1736 ; les six Discours en vers sur l’homme, 1738-1739 ; Poème sur le désastre de Lisbonne, 1756, etc.). • L’énergie anglaise. Pas de grand homme sans coup de pouce du destin. Bâtonné, en février 1726 par les domestiques du chevalier de Rohan-Chabot, Voltaire cherche un duel réparateur. Mais il est enfermé à la Bastille sur plainte des Rohan. Quelques jours plus tard, le pouvoir l’autorise à partir en Angleterre, où il restera de mai 1726 à novembre 1728, le temps d’apprendre à parler, écrire et rêver en anglais. Il y publie la Henriade, interdite en France, et deux essais en anglais, sur les guerres de Religion en France et sur la poésie épique. Il découvre une société selon son coeur - libérale, tolérante et commerçante -, mais aussi Shakespeare, qui le fascine et horrifie ses goûts classiques, et qu’il révèle à l’Europe. Il forme un projet de Lettres sur l’Angleterre, tandis que la rencontre d’un familier du fameux roi de Suède Charles XII lui donne l’idée d’un récit historique. Rentré en France en 1729, il achève l’Histoire de Charles XII (1731), fait pleurer Paris avec Zaïre (1732), publie clandestinement les explosives Lettres philosophiques (1734), d’abord parues à Londres en anglais, puis en français (preuve éditoriale, maintes fois répétée et ici inaugurée, qu’il s’adresse à un public européen). Voltaire n’a certes pas découvert les idées anglaises en Angleterre, mais on ne peut nier qu’il en revient mûri. Trois oeuvres majeures, conçues dans la foulée - bien que destinées pour deux d’entre elles à une très lente maturation -, sont des livres d’histoire : Histoire de Charles XII, le Siècle de Louis XIV (1752), Essai sur les moeurs (1756). Il a voulu rénover l’histoire par la philosophie. De quoi s’agit-il ? D’éliminer les « fables ». De préférer l’étude des peuples, des moeurs, des arts et des techniques, du commerce, à la fascination exclusive pour les rois et les guerres. L’histoire philosophique s’attache donc à la civilisation, aux progrès et aux erreurs de l’esprit humain. Elle dénonce les conquérants, les despotes, les fanatiques, au profit des artisans, artistes, savants, princes civilisateurs. Histoire utile, tournée vers un large public, elle méprise l’érudition pointilleuse et s’intéresse avant tout aux temps modernes. Mais la critique des religions conduit aussi Voltaire sur le terrain des études bibliques, malgré son ignorance de l’hébreu. Il faut insister sur les vingt-cinq Lettres phi-
losophiques (1734), une des grandes oeuvres de Voltaire, la première où s’expriment pleinement son style philosophique et sa vision du monde. Contrairement au Montesquieu des Lettres persanes (1721), il refuse toute intrigue romanesque, au profit d’un plan qui définit clairement les thèmes majeurs de sa philosophie et des Lumières : la religion (IVII), la politique (VIII-IX), le commerce et la médecine (X-XI), les sciences (XII-XVII), la littérature (XVIII-XXIV) et, enfin, une vive critique de Pascal, c’est-à-dire du christianisme (XXV). Dans cette comparaison très sérieuse et très spirituelle entre l’Angleterre, protestante et libérale, et la France, catholique et absolutiste, cette dernière n’a guère pour elle que le goût littéraire et les grandes académies ! Le livre fut aussitôt brûlé par le bourreau, et Voltaire dut fuir à Cirey, dans le château lorrain de sa belle et savante compagne de coeur, Mme du Châtelet. • Le jeu du pouvoir. Il poursuit l’étude des sciences (Éléments de la philosophie de Newton, 1738-1740), de l’histoire, sans nullement renoncer à la poésie et au théâtre. Sans renoncer non plus au désir d’approcher le pouvoir. Grâce à la mort, en 1743, du principal ministre, le cardinal de Fleury, il devient, de 1745 à 1747, historiographe de France, académicien et gentilhomme, poète officiel et rédacteur anonyme de textes diplomatiques. Incroyablement habile à flatter et à séduire, Voltaire n’a pourtant jamais pu réussir longtemps auprès des princes. Dès 1747, il est en disgrâce à Versailles, et son séjour à Berlin, de 1750 à 1753, auprès du roi Frédéric II de Prusse, se termine encore plus mal, par une arrestation humiliante à Francfort. Louis XV lui interdisant Paris, il finit par s’installer à Genève (1755), puis à Ferney (1760). Voltaire, à plus de 60 ans, loin des rois, s’invente alors une nouvelle vie de richissime châtelain philosophe. Seul l’argent garantit la liberté de l’homme de lettres, écrit-il dans une autobiographie distanciée, contemporaine de Candide (Mémoires pour servir à la vie de M. de Voltaire, écrits par lui-même, publié en 1784). La stratégie qu’il propose aux philosophes est bien de s’appuyer sur les princes et les élites européennes pour diffuser les Lumières. Mais estil bien utile de faire de Voltaire le zélateur du « despotisme éclairé », expression forgée au XIXe siècle ? • La terre tremble et Candide jardine. Candide ou l’Optimisme (1759) est devenu son livre le plus fameux. On le rattache d’ordi-
naire au Poème sur le désastre de Lisbonne (1756), qui déclenche une querelle européenne car l’auteur s’y demande comment un Dieu juste et bon permet un tremblement de terre aussi meurtrier (1er novembre 1755, 30 000 morts). En vérité, la question du mal, objection la plus terrible à l’existence de Dieu, traverse toute la philosophie de Voltaire, et la plupart de ses contes. En effet, à 53 ans, Voltaire s’était risqué à publier enfin un conte (Memnon, qui deviendra Zadig en 1748). Suivront Micromégas (1752), l’Ingénu (1767), la Princesse de Babylone et l’Homme aux quarante écus (1768), Histoire de Jenni ou le Sage et l’athée (1775). Il passe pour l’inventeur génial du « conte philosophique ». En fait, l’expression n’est pas de lui, pas plus qu’il n’a tranché entre contes et romans, ni fixé la liste de ses récits en vers et en prose. Plutôt que de chercher l’improbable définition unique et passe-partout du récit voltairien, mieux vaut souligner combien le romancier se refuse à répéter mécaniquement la même formule, allant même, par exemple dans l’Ingénu, jusqu’aux lisières du roman sensible, alors en pleine vogue. • « Écrelinf ». Fermement antichrétien depuis sa prime jeunesse - un rapport de police le signale très tôt -, Voltaire n’entre vraiment en guerre ouverte et violente contre l’Église qu’une fois installé à Ferney (le refus de signer ses textes, sa gloire et ses démentis indignés lui évitent les poursuites judiciaires). De Ferney et des imprimeries suisses va alors déferler sur l’Europe un flot ininterrompu de textes de toute espèce et de tout calibre, qui s’en prennent sur tous les tons et tous les modes au fanatisme, à la théologie, à la Bible, aux conciles, aux papes, aux saints, aux moines et aux nonnes, aux juifs, aux jésuites, aux jansénistes, aux protestants déraisonnables, aux fêtes religieuses et aux jours chômés, aux miracles et aux superstitions. Un slogan, inventé en 1762, les rassemble : « Écrasez l’infâme », qui devient parfois « Écrelinf ». Mais Voltaire combat aussi sur un autre front, à l’intérieur du camp philosophique, contre les athées (les matérialistes), qu’il n’imaginait pas aussi nombreux chez les « frères » parisiens (Diderot, d’Holbach, Helvétius, etc.). Car l’« illustre brigand du lac » (selon les mots de Diderot) est depuis toujours un déiste (théiste, après 1750), qui ne peut concevoir l’Univers, fixe et ordonné, sans un Dieu créateur. Mais si l’existence de Dieu s’impose à tout esprit raisonnable downloadModeText.vue.download 963 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 952 (sans pouvoir se démontrer rigoureusement), la raison humaine ne parviendra jamais à savoir comment Il agit, pourquoi Il permet le mal, comment l’homme pense, digère, se reproduit, s’il a une âme, s’il est une vie après la mort. La raison voltairienne, malgré son agressivité infernale, est donc une raison fragile, bornée, qui met entre Dieu et l’homme une distance infranchissable. La vraie philosophie se définit d’abord par son ignorance (le Philosophe ignorant, 1766). D’où précisément la nécessité de la tolérance, et la primauté absolue de la morale, une et universelle, sur les dogmes et les rites. Voltaire a répété ces idées partout, mais nulle part mieux que dans les 118 articles du Dictionnaire philosophique portatif (1764-1769), l’incontestable chef-d’oeuvre de Ferney, avec l’Ingénu, et la Correspondance, dont subsistent près de vingt mille lettres. Dictionnaire, lettres, textes inclassables : Voltaire excelle dans la forme brève typique des Lumières. Mais rien ne fit plus pour l’image de Voltaire que cette nouveauté inouïe : l’intervention publique d’un homme de lettres au « cri du sang innocent » (Traité sur la tolérance, à l’occasion de Jean Calas, 1763 ; affaires du chevalier de La Barre, de Sirven, etc.). Nul écrivain des Lumières ne se risqua à l’imiter. Il fallait l’argent (un des vingt plus gros revenus de France), la gloire, l’ardeur militante servie par un extraordinaire talent d’agitation, la proximité de la frontière, des relations dans toute l’Europe, mais aussi la montée en puissance de l’opinion et l’affaiblissement séculaire des croyances traditionnelles au profit d’une nouvelle conception de la religion, épurée par la morale et la raison, le déisme des élites. Vouillé (bataille de), bataille remportée par Clovis sur les Wisigoths en 507, qui permet aux Francs de prendre possession de l’Aquitaine et de dominer l’ensemble de la Gaule. Depuis sa victoire sur Syagrius en 486, Clovis détient le pouvoir dans toute la Gaule du Nord et s’efforce d’étendre sa domination sur les riches régions méridionales empreintes de romanité. Il se heurte alors au peuple wisigoth, qui domine l’Espagne et l’Aquitaine. Mais, depuis son baptême, Clovis bénéficie du soutien de l’épiscopat catholique dans sa
lutte contre les peuples gothiques, adeptes de l’arianisme. Il peut aussi compter sur l’appui de l’empereur romain d’Orient, qui combat le roi ostrogoth Théodoric, installé en Italie. En 507, fort de son alliance avec les Burgondes et les Francs Rhénans, Clovis rassemble son armée et franchit la Loire. Il se rend d’abord en pèlerinage à Tours, où il se place sous la protection de saint Martin, l’apôtre de la Gaule : ce geste achève de faire de lui le champion de l’orthodoxie chrétienne. Puis il se dirige vers le sud et écrase les troupes d’Alaric II, roi des Wisigoths, dans la plaine de Vouillé, près de Poitiers. Alaric II est tué dans le combat et les Wisigoths se replient en deçà des Pyrénées. Clovis poursuit systématiquement la conquête de l’Aquitaine jusqu’à la prise de Toulouse, capitale d’Alaric II, mais il ne peut toutefois s’emparer ni de la Septimanie, qui demeure sous contrôle wisigothique, ni de la Provence, envahie par les troupes de Théodoric. Cependant, pour la première fois, la domination franque s’étend au sud de la Loire. Clovis est désormais le plus puissant souverain de la Gaule. Cette situation nouvelle est rapidement reconnue par l’empereur d’Orient Anastase, qui lui accorde les insignes du consulat et le droit de porter le titre de « Roi Très-Glorieux ». En 508, Clovis prend d’ailleurs bien soin de marquer la fin de la campagne par une entrée triomphale à Tours : il manifeste ainsi la légitimité « romaine » de son pouvoir sur toute la Gaule. downloadModeText.vue.download 964 sur 975 downloadModeText.vue.download 965 sur 975 downloadModeText.vue.download 966 sur 975
W-Z Waddington (William Henry), savant et homme politique (Saint-Rémi-sur-Avre, Eure-et-Loir, 1826 - Paris 1894). Issu d’une famille d’origine anglaise protestante, ayant partagé ses études entre Paris et Cambridge, il se consacre d’abord à l’épigraphie et à la numismatique. Après deux voyages en Asie Mineure, dont il fait des comptes rendus savants, il est élu membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres en 1865 et, la même année, se présente dans l’Aisne comme candidat libéral aux élections législatives, sans succès. Il est en revanche élu en février 1871, et siège alors au centre droit ; en mai 1873, juste avant la chute de
Thiers, il devient ministre de l’Instruction publique. Après le 24 mai, il passe progressivement au centre gauche et vote en 1875 l’amendement Wallon et l’ensemble des lois constitutionnelles. L’année suivante, il est élu sénateur et redevient ministre de l’Instruction publique, défendant à ce poste des idées libérales et sociales. Mais son hostilité au président Mac-Mahon lors de la crise du 16 mai 1877 le conduit à démissionner. Il revient aux affaires en décembre, dans le nouveau cabinet Dufaure, comme ministre des Affaires étrangères. C’est à ce titre qu’il représente la France au congrès de Berlin (1878), où il défend les principes d’égalité politique dans les Balkans et obtient la liberté d’intervenir en Tunisie. Après l’élection de Jules Grévy à la présidence de la République, il conserve son poste et devient président du Conseil, continuant de défendre une politique républicaine modérée. Devant les critiques de la majorité, il se retire en décembre 1879. Il finit sa carrière comme ambassadeur à Londres (1883-1893) et reste sénateur de l’Aisne jusqu’à sa défaite de janvier 1894. Wagram (bataille de), bataille remportée par Napoléon Ier sur les Autrichiens les 5 et 6 juillet 1809. L’Autriche, engagée dans la cinquième coalition avec l’Angleterre, reprend le combat contre l’Empire français le 10 avril 1809. Les troupes autrichiennes progressent rapidement en Bavière, alors alliée de la France. La Grande Armée intervient le 17 avril, mais les premiers engagements sont autant de demi-victoires, les Autrichiens se retirant sans être vraiment défaits. Lancé à leur poursuite, Napoléon entre le 12 mai à Vienne. Après avoir tenté vainement de passer le Danube à Essling (2223 mai), la Grande Armée se replie sur l’île de Lobau, où elle doit rester six semaines pour restaurer ses forces et tenter un nouveau passage. L’armée française se compose d’environ 190 000 hommes, les Autrichiens disposent de quelque 270 000 soldats. Dans la nuit du 4 au 5 juillet, la Grande Armée entame sa traversée du Danube. Le combat s’engage le lendemain à l’aube, quand l’archiduc Charles décide de contrer l’offensive française. Cette opération est contenue par les forces de Davout. Le sort de la bataille se joue lorsque Napoléon lance une attaque sur le centre dégarni du dispositif ennemi, coupant ainsi les forces autrichiennes en deux. Les combats sont extrêmement meurtriers : les Autrichiens perdent 50 000 hommes et les Français environ 35 000. Victoire française, mais chère-
ment acquise, Wagram inaugure la série des batailles difficiles et indécises pour la Grande Armée : l’armée autrichienne est battue, mais pas anéantie. Waldeck-Rousseau (Pierre Marie René), homme politique (Nantes 1846 - Corbeil, Essonne, 1904). Issu de la bourgeoisie nantaise républicaine - son père a été député en 1848 -, WaldeckRousseau mène d’abord une brillante carrière d’avocat d’affaires. En 1879, il se lance dans la politique et est élu député de Rennes ; dix ans durant, il siège à la Chambre parmi les républicains modérés. Après avoir été ministre de l’Intérieur dans les gouvernements de Gambetta (novembre 1881-janvier 1882) et de Ferry (février 1883-mars 1885), il abandonne un temps la vie politique pour reprendre son métier d’avocat. Au barreau de Paris, il s’illustre alors dans des procès financiers aussi importants que celui de Panamá. En 1894, il devient sénateur de la Loire. S’il échoue devant Félix Faure lors de l’élection présidentielle de 1895, il est nommé président du Conseil en juin 1899 : au coeur de l’affaire Dreyfus, il parvient à contrer les offensives nationalistes en constituant un gouvernement de large coalition républicaine, où siègent le général Galliffet (« le fusilleur de la Commune »), mais aussi, pour la première fois, un socialiste, Alexandre Millerand. Ce ministère de « défense républicaine » sera le plus long de la IIIe République. Trois ans durant, Waldeck-Rousseau, qui détient aussi le portefeuille de l’Intérieur et des Cultes, se bat sur plusieurs fronts : il met un terme à l’Affaire en faisant annuler la peine infligée par le Conseil de guerre de Rennes à Dreyfus (grâce du président Loubet, septembre 1899), et en poursuivant devant la Haute Cour Déroulède et les chefs du parti nationaliste ; alors que les conflits sociaux se multiplient, il réaffirme la légalité du droit de grève, et place l’État en position d’arbitre ; soucieux d’étendre les prérogatives de l’État face à l’Église, il fait modifier la législation pour soumettre au droit commun les congrégations religieuses (loi sur les associations du 1er juillet 1901) ; il engage une importante réforme de l’enseignement secondaire (mai 1902) ; enfin, son ministre des Affaires étrangères Delcassé rapproche la France de l’Italie et de la Grande-Bretagne. Atteint par la maladie, Waldeck-Rousseau se retire après les élections de 1902, intervenant cependant pour condamner la politique
violemment anticléricale d’Émile Combes, son successeur. Celui qui se définissait luimême comme « républicain modéré, mais non modérément républicain » laisse une authentique postérité politique, faite du refus de tout excès allié à une grande détermination. Wallis et Futuna, protectorat français de 1889 à 1961, territoire d’outre-mer de 1961 à 2003, puis collectivité d’outre-mer depuis 2003, dotée d’une assez large autonomie, avec downloadModeText.vue.download 967 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 956 notamment une certaine reconnaissance du droit coutumier. En 1837, des missionnaires maristes conduits par le Père Bataillon débarquent dans les îles Wallis et Futuna (Polynésie occidentale), qui avaient été découvertes en 1767 par le navigateur anglais Samuel Willis. Après des débuts difficiles (le Père Chanel est mis à mort à Futuna), la mission place les royautés indigènes sous tutelle et instaure une véritable théocratie autoritaire et paternaliste. Après avoir fait l’objet d’un premier traité - conclu en 1842, mais non ratifié -, le protectorat français n’est officiellement instauré qu’en 1889. Il est aboli en 1961, à la suite du référendum du 27 décembre 1959 ; les deux îles forment depuis lors un territoire d’outre-mer, doté d’un conseil territorial et d’une assemblée territoriale élue, et représenté au Parlement par un député et un sénateur. L’influence des chefs coutumiers - le lavélua, roi d’Ouvéa (Wallis), et les rois de Sigavé et d’Alo (Futuna) - tend à décliner, de même que celle de la mission catholique (évêché de Lano), naguère omnipotente. Le coprah constitue la seule ressource d’exportation de l’archipel, dont la population est de 14 166 habitants (1996), avec un faible taux de croissance en raison de l’émigration de la jeunesse, surtout vers la Nouvelle-Calédonie. Wallon (Henri), historien et homme politique (Valenciennes 1812 - Paris 1904). Henri Wallon, issu d’une famille de la petite bourgeoisie, fait de brillantes études et devient en 1846 professeur suppléant de Guizot à la Sorbonne, après être passé par l’École normale supérieure. Il descend dans l’arène politique en 1848, après avoir publié un ouvrage intitulé l’Esclavage dans les colonies
(1847). Secrétaire de la Commission pour l’abolition de l’esclavage, il est élu second suppléant en Guadeloupe lors des élections à l’Assemblée constituante. Déplorant la suppression de la chaire de Guizot à la Sorbonne, il rallie le parti de l’Ordre et est élu député du Nord à l’Assemblée législative, en 1849. Mais il démissionne en 1850, après le vote de la loi du 31 mai amputant le suffrage universel. Il retrouve alors une chaire de professeur titulaire d’histoire moderne à la Sorbonne et poursuit ses travaux sur l’histoire sainte, l’apologétique, la Terreur. Sa véritable entrée en politique date de 1871. Le 8 février, il est à nouveau élu député du Nord, sur une liste conservatrice. Puis, à partir de 1874, il amorce un rapprochement avec le centre gauche, dans le souci de sortir des institutions provisoires. Le 30 janvier 1875, il entre dans l’histoire en faisant adopter - à une voix de majorité - le célèbre « amendement Wallon », qui fonde véritablement la République en établissant un septennat impersonnel : « Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et par la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans ; il est rééligible. » Henri Wallon fait aussi voter, le 1er février, un autre amendement stipulant que le droit de dissolution accordé au président de la République est subordonné à l’accord du Sénat. Enfin, le 19 février, il est chargé de rédiger les dispositions relatives à la composition du Sénat, résultat d’un compromis entre le centre droit et le centre gauche. Henri Wallon apparaît donc comme le père de la Constitution de 1875. Le 11 mars, il devient ministre de l’Instruction publique dans le cabinet Buffet et fait voter la loi sur la liberté de l’enseignement supérieur. Il est élu de justesse sénateur inamovible le 18 décembre 1875. Sa carrière ministérielle prend fin avec l’arrivée au pouvoir des républicains, à l’égard desquels il adopte une attitude d’indépendance. Wassy ou Vassy (massacre de), massacre perpétré par les gens du duc François de Guise contre la population protestante de Wassy (ou Vassy), le 1er mars 1562. De passage dans cette ville à son retour de Lorraine, François de Guise apprend que le culte réformé a lieu dans une grange située à l’intérieur des murs, et non en dehors, comme l’exige l’édit de tolérance promulgué au mois de janvier. Cette célébration lui paraît constituer une provocation. Il se rend aussitôt sur
les lieux en compagnie de son escorte, qui riposte aux jets de pierres des huguenots par des coups d’arquebuse. Les estimations du massacre varient considérablement selon les contemporains - elles dépendent, naturellement, de leurs affinités confessionnelles - et il reste hasardeux, aujourd’hui encore, d’avancer des chiffres précis. Si Agrippa d’Aubigné, dans son Histoire universelle, parle de « trois cents personnes esteintes en ce jour », il semble qu’il n’y eut qu’une soixantaine de morts et cent à deux cents blessés. Quoi qu’il en soit, cet épisode marque le début des guerres de Religion. Il s’agit, selon l’expression de Jean Delumeau, d’une « première Saint-Barthélemy », qui porte un coup meurtrier à la politique de modération menée jusqu’alors par Catherine de Médicis : la perspective d’une réconciliation des partis religieux sous l’égide du pouvoir civil s’estompe pour plus de trente années. Le 1er mars 1962, pour commémorer l’événement sous le signe de la réconciliation confessionnelle, catholiques et protestants ont prié ensemble sur les lieux du massacre. Waterloo (bataille de), dernière bataille de l’ère révolutionnaire et impériale, remportée le 18 juin 1815 par les armées anglohollandaise et prussienne, commandées par Wellington et Blücher, sur l’armée française de Napoléon. Après les combats du 16 juin - un engagement indécis à Quatre-Bras contre Wellington, une victoire française à Ligny sur les Prussiens -, les belligérants opèrent des choix stratégiques qui vont influer sur la bataille du 18 : les alliés font retraite parallèlement, en vue de réunir leurs armées, alors que Napoléon détache Grouchy à la poursuite de Blücher. Wellington a choisi de s’établir sur le plateau du Mont-Saint-Jean, une position forte, peu étendue, précédée de points d’appui (Hougoumont, La Haie-Sainte). La bataille s’engage vers 11 heures 30, par une canonnade française peu efficace et par une attaque de diversion sur Hougoumont. Alors que se précise à l’est la menace prussienne (Bülow), l’assaut principal débute vers 13 heures 30, à la charnière du centre et de l’aile gauche ennemie. Il est repoussé par l’infanterie puis par la cavalerie anglaise, un grave échec qui compromet la suite de la bataille. De 15 heures 30 à 18 heures, sous les ordres de Ney, l’ensemble de la cavalerie française effectue plusieurs charges brillantes mais désespérées, impuissantes à rompre le centre du
dispositif anglais, l’infanterie disponible étant engagée tardivement. À 18 heures, les Français prennent enfin La Haie-Sainte, succès qui rend vulnérable la ligne anglaise. Mais, depuis 14 heures, Napoléon ne dispose plus de réserves d’infanterie, hormis la Garde impériale, et à partir de 16 heures 30, il combat sur deux fronts. À un contre trois, les divisions de Lobau, renforcées par la jeune Garde, soutenues par la vieille Garde, bloquent l’armée prussienne en avant puis à hauteur de Plancenoît, qui est perdu vers 18 heures. La Garde refoule alors les Prussiens, mais leur pression a permis à Wellington de réorganiser ses troupes. Après 19 heures, l’attaque tardive de la vieille Garde est contenue puis repoussée, alors que l’aile droite française s’effondre du fait de l’arrivée de nouveaux corps prussiens. La contre-attaque anglaise signe la déroute de l’armée française, qui s’échappe grâce à la résistance des carrés de la vieille Garde et des unités de Plancenoît. La défense active conduite par Wellington, l’intervention prussienne, l’absence de manoeuvre, le manque de coordination des attaques, expliquent l’échec des troupes napoléoniennes. Les pertes sont élevées (Français : 28 000 tués et blessés, 8 000 prisonniers sur 71 000 hommes engagés dans la bataille ; Anglo-Hollandais : 15 000 sur 68 000 ; Prussiens : 8 000 sur 45 000). La défaite de Napoléon ouvre une ère de paix et de prépondérance anglaise. Wattignies (bataille de), bataille remportée les 15 et 16 octobre 1793 par l’armée française sur les troupes autrichiennes, qui permet de libérer la ville de Maubeuge. En septembre 1793, l’armée autrichienne du duc de Saxe-Cobourg met le siège devant Maubeuge. Les forces françaises, commandées par Jourdan et Carnot, font leur jonction le 8 octobre afin de débloquer la ville assiégée. Le plan initial consistait à attaquer la position ennemie sur les ailes pour préparer une attaque massive au centre et briser la ligne autrichienne. Mais, le 15 octobre, Jourdan échoue dans son approche. Les deux commandants décident alors de modifier leur tactique : on affaiblit la gauche et le centre du dispositif pour renforcer la droite, qui doit procéder à un mouvement enveloppant. Le 16 octobre, le brouillard facilite l’attaque française. Il faut néanmoins trois assauts successifs - dont le dernier est dirigé par Carnot et Jourdan euxmêmes - pour emporter la position de Wattignies. Le lendemain, le duc de Saxe-Cobourg se replie sur Mons sans être inquiété par la
garnison de Maubeuge et les Français font leur entrée dans la ville. La victoire de Wattignies - qui se produit six jours après la mise en place du gouvernement révolutionnaire marque le début du redressement militaire de la République. downloadModeText.vue.download 968 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 957 Weil (Simone), philosophe et écrivain (Paris 1909 - Ashford, Kent, 1943). Élève d’Alain, entrée en 1928 à l’École normale supérieure, Simone Weil passe avec succès l’agrégation de philosophie en 1931 et devient professeur de lycée. Vivement intéressée par les questions politiques et sociales, elle s’engage dans le syndicalisme révolutionnaire et prend un an de congé, en 1934-1935, pour travailler comme ouvrière chez Renault. Les écrits qui témoignent de cette période seront rassemblés en 1951 dans la Condition ouvrière. En 1936, elle rejoint les rangs des républicains espagnols. Sa découverte du christianisme, amorcée à la fin des années 1930, s’approfondit au début de la Seconde Guerre mondiale, notamment à travers les rencontres qu’elle fait à Marseille, où elle s’est réfugiée après l’occupation de la France. Elle gagne ensuite l’Ardèche, travaillant comme ouvrière agricole, puis, s’expatrie en 1942 à New York, avant de revenir à Londres où elle s’engage aux côtés de la France libre. Atteinte de tuberculose, elle se laisse dépérir et meurt dans un sanatorium du Kent (Angleterre). Avant la guerre, les analyses politiques et sociales de Simone Weil n’étaient guère connues que des milieux syndicaux révolutionnaires. Ses écrits philosophiques et religieux, publiés après sa mort - la Pesanteur et la grâce (1947), la Connaissance surnaturelle (1949), l’Enracinement (1950), la Source grecque (1953), Oppression et liberté (1955) ont révélé une pensée aiguë et pénétrante, à la fois attentive aux exigences du réel et acharnée à détruire dans sa propre quête tout ce qui n’est pas désir passionné de Dieu. Wendel (famille de), grande famille d’industriels. Petit-fils de Jean-Martin de Wendel, premier maître de forges installé en Lorraine en 1704 et anobli, Ignace de Wendel (1741-1795) est, comme Oberkampf, l’un des pionniers
de l’industrialisation de la France à la fin du XVIIIe siècle ; il est à l’origine des premières tentatives de production sidérurgique moderne dans le bassin du Creusot (Loire), utilisant des hauts fourneaux au coke au lieu du charbon de bois. Mais c’est dans le Bassin lorrain que la dynastie de Wendel construit sa prospérité, autour de deux sites principaux, Hayange et Moyeuvre, aménagés dès l’Empire avec l’aide de la banque Seillière. François de Wendel (1778-1825), fils d’Ignace, membre de la Chambre des représentants, puis son fils Charles (1809-1870), député de 1849 à 1867, constituent l’une des plus grosses fortunes industrielles de la France du XIXe siècle, comparable à celle des patrons du Creusot, les Schneider. En 1864, Charles est l’un des membres fondateurs du Comité des forges, organe représentant les intérêts des patrons de la sidérurgie, au sein duquel la famille de Wendel restera toujours très puissante. La perte de la Lorraine, en 1871, place les usines de Wendel en territoire allemand, mais elles se réimplantent en 1880 en France, à Joeuf, où sont construites des forges utilisant le procédé Thomas (qui permet d’employer le minerai lorrain) ; jusqu’à la Première Guerre mondiale, la société « Les Petits-Fils de François de Wendel et Cie » reste séparée en deux branches, la française, gérée par Henri (18441906) puis François (1874-1949), l’allemande, dirigée par Robert (1847-1903) puis Charles (1871-1931), qui furent tous deux députés au Reichstag. Ces « barons du fer » incarnent donc à la fois un pouvoir industriel, financier, et politique. François de Wendel, ingénieur des Mines, représente brillamment ce lien entre les affaires et la politique dans l’entre-deux-guerres : premier maître de forges de Lorraine, il dirige la compagnie familiale tout en cumulant les fonctions de député (1914) puis de sénateur (1932) de Meurthe-et-Moselle, d’animateur de la Fédération républicaine, l’un des deux grands groupes de la droite parlementaire, de régent de la Banque de France, et de président du Comité des forges. Libéral et patriote, même s’il reste un homme politique de moyenne envergure, il est considéré comme le symbole de la puissance capitaliste, de ce « mur de l’argent » qui, selon certains, peut faire échouer les politiques qui vont contre ses intérêts. Avec le déclin puis la crise de la sidérurgie française, le fils de François, Henri (19131982), est le dernier grand patron d’une dynastie profondément liée à l’histoire du développement industriel de la France aux
XIXe et XXe siècles. Westphalie (traités de), traités des 24 et 28 octobre 1648 mettant fin à la guerre de Trente Ans dans le Saint Empire. Les pourparlers duraient depuis 1644 dans les cités westphaliennes de Münster et Osnabrück. Ils butaient sur la restitution des biens catholiques confisqués par les protestants. Finalement, on s’accorde pour revenir au statu quo de 1624 ; le bénéfice de la liberté religieuse est étendu aux calvinistes allemands. Sur le plan politique et territorial, l’indépendance des Provinces-Unies et des cantons suisses est reconnue ; les princes alliés de la France retrouvent leurs États ; la Suède gagne la Poméranie occidentale et les évêchés de Brême et Verden, le Brandebourg s’empare de la Poméranie orientale, tandis que les négociateurs français (Servien et d’Avaux) obtiennent pour le roi, au détriment des Habsbourg d’Autriche, le landgraviat de la Haute et de la Basse-Alsace et la préfecture de la Décapole (dix villes, dont Colmar), mais pas Strasbourg. Le traité ne prévoit pas une annexion de l’Alsace à la France : son interprétation reste ouverte (« le plus fort l’emportera », selon Volmar, le négociateur impérial). La France contrôle le Rhin en tenant garnison à Philippsbourg et en occupant Brisach sur la rive droite. Cependant, en ménageant la Bavière catholique, qui conserve le Haut-Palatinat, Mazarin a veillé à ne pas déséquilibrer les forces en Allemagne au profit des protestants. Malgré ses possessions en Alsace, la France ne siège pas à la Diète impériale, mais, avec la Suède, elle devient explicitement garante de la paix et des « libertés germaniques » face à l’empereur. L’Espagne n’étant pas concernée par l’accord, la guerre franco-espagnole se poursuit jusqu’au traité des Pyrénées (1659). Weygand (Maxime), général (Bruxelles 1867 - Paris 1965). Saint-Cyrien, il sert dans la cavalerie et effectue presque toute la Grande Guerre sous les ordres du général Foch, devenant major général des armées alliées en mars 1918. Après avoir gagné la Pologne, où il prend part, en 1920, à la bataille de Varsovie contre les forces bolcheviques, il est nommé en 1923 haut commissaire et commandant militaire au Levant. En 1930, il est placé à la tête de l’étatmajor général de l’armée et, un an plus tard, il prend les fonctions de vice-président du Conseil supérieur de la guerre, ce qui le désigne comme généralissime en cas de conflit. À ce poste, où il demeure jusqu’en 1935,
Weygand joue un rôle non négligeable dans la préparation inadaptée de l’armée française à la guerre à venir. Ayant remplacé le général Gamelin à la tête des armées françaises en mai 1940, il essaie d’opposer une résistance sur la Somme et l’Aisne pour arrêter l’avancée des Allemands, mais ne peut empêcher le désastre. Partisan, comme le maréchal Pétain, d’un armistice avec l’Allemagne et l’Italie, cette personnalité réactionnaire et antirépublicaine devient ministre de la Défense nationale dans le premier gouvernement Laval, puis, en septembre 1940, délégué général du gouvernement de Vichy en Afrique du Nord, où il travaille à la réorganisation de l’armée et prend contact avec les Américains. Il est limogé en novembre 1941 sur intervention des nazis, qui l’enlèvent et le déportent en Allemagne en 1942. Déféré devant la Haute Cour de justice au lendemain des hostilités, il bénéficie d’un non-lieu. Au début des années 1960, il s’oppose au général de Gaulle en tant que partisan de l’Algérie française. Wisigoths, peuple germain originaire de Scandinavie, ayant établi un royaume en Gaule, au Ve siècle. Repoussés par les Huns, les Wisigoths s’installent dans l’Empire romain en 376, mais se soulèvent deux ans plus tard et, à la bataille d’Andrinople, écrasent les troupes de l’empereur Valens, qui est tué. Après une longue errance, marquée par le sac de Rome en 410, ils sont conduits par leur chef Athaulf dans la région de Bordeaux, vers 412. Installés une première fois en Narbonnaise en 413, les Wisigoths, bénéficiaires du statut de peuple fédéré, se voient accorder en 418 un traité particulièrement avantageux : bien que peu nombreux (environ 150 000), ils obtiennent, entre Toulouse et l’Océan, les deux tiers des terres et des biens ainsi que l’indépendance militaire, tout en restant théoriquement sous la tutelle politique de Rome. Théodoric Ier (418-451), tout en renouvelant le traité, se livre à des conquêtes territoriales. S’il échoue devant Arles en 425 et devant Narbonne en 436, il agrandit le royaume au-delà des Pyrénées. Il meurt en 451, aux champs Catalauniques, dans la grande bataille livrée contre Attila par les Romains et leurs alliés barbares. Son fils Théodoric II (453-466), qui monte sur le trône après l’assassinat de son frère aîné Thorismond, est, lui, en mesure d’imposer un empereur : à la mort de Valentinien III, en 455, il fait proclamer empereur downloadModeText.vue.download 969 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 958 à Arles un notable gallo-romain, Avitus, beau-père du poète Sidoine Apollinaire. Bien mieux, il réalise les ambitions de ses prédécesseurs en étendant son royaume jusqu’à la Méditerranée, puis jusqu’au Rhône et en Catalogne. C’est le roi Euric (466-484) qui porte la puissance du royaume à son apogée : tout le sud-ouest de la Gaule, de la Loire au Rhône, et presque toute la péninsule Ibérique sont sous sa domination. En Gaule, Euric occupe le Massif central et l’Auvergne en 475, et met fin à la fiction du traité de fédération en se faisant reconnaître comme roi indépendant. Les Wisigoths s’efforcent alors d’établir durablement leur royaume. Aidé par des juristes romains, Euric fait mettre par écrit les traditions juridiques de son peuple, que l’on connaît sous le nom de « Code d’Euric ». Ces lois ne s’appliquent qu’aux Wisigoths, les Gallo-Romains étant, eux, soumis aux lois romaines rassemblées dans le Bréviaire d’Alaric, successeur d’Euric. Mais la question religieuse est un obstacle à l’assimilation des Wisigoths en Aquitaine. Convertis au christianisme, au IVe siècle, avant leur entrée dans l’Empire romain, ils embrassent l’arianisme, une hérésie condamnée au concile de Nicée (325). Pour les notables gallo-romains, catholiques nicéens, d’abord prêts à composer, l’opposition entre des barbares ariens et la Rome catholique rend bientôt impossible toute entente, d’autant qu’Euric persécute des évêques nicéens. Lorsque Alaric II (484-507) succède à son père Euric, le royaume wisigothique est à son extension maximale, mais il se trouve fragilisé politiquement car les notables gallo-romains se tournent avec espoir vers les voisins Francs Saliens, dont le roi, Clovis, se convertit au christianisme nicéen, peu avant 500. La tentative de conciliation des élites à laquelle se livre Alaric en favorisant les nicéens, d’une part, en s’intéressant aux lois romaines, d’autre part, intervient trop tard : les populations d’Aquitaine sont ralliées à Clovis, qui cueille le royaume wisigothique comme un fruit mûr. À la bataille de Vouillé, près de Poitiers, en 507, Alaric II est tué et l’armée des Wisigoths mise en déroute. Leur royaume est conquis en peu de temps. Les Wisigoths se replient alors en Espagne. Convertis au catholicisme en 587, ils y maintiennent un royaume et la civilisation romaine jusqu’à la conquête arabe, en 711. En Gaule, les Wisigoths, fondateurs du
premier royaume barbare d’Occident, auront accompli la tentative la plus poussée de symbiose entre barbares et gallo-romains. Yves (saint), prêtre (Minihy, Côtes-du-Nord, vers 1248 - id. 1303). La canonisation de saint Yves en mai 1347 à Avignon, par le pape Clément VI, témoigne, pour la première fois au Moyen Âge, de l’idée d’une sainteté sacerdotale. La formation de juriste reçue par le saint prêtre, après des études de droit à Orléans et à Paris, lui permet de devenir juge ecclésiastique du diocèse de Tréguier, en Bretagne. Sa fréquentation des frères franciscains est sans doute à l’origine de sa progressive conversion à la pauvreté, vers 1290. Il met alors son savoir de juge et d’avocat au service des pauvres et consacre les dernières années de sa vie à la prédication itinérante dans le diocèse et à l’apostolat au milieu des paysans. De nombreux miracles attestent rapidement de la popularité de son culte dans la Bretagne de la fin du Moyen Âge. L’engouement pour le saint dépasse alors les frontières de la France et gagne toute l’Europe au XVIe siècle. De nombreuses confréries de magistrats et d’avocats ou de gens de justice se placent sous sa protection. Le culte de saint Yves connaît ensuite un net déclin à la Révolution, avant de renaître au XIXe siècle à partir de la Bretagne, dont Yves devient en 1924 le patron secondaire. Enraciné dans la piété et le folklore breton, le « bon juge » et l’« avocat des pauvres » suscitent toujours l’engouement et la ferveur populaires (Pardon de saint Yves, le 19 mai). Zay (Jean), homme politique (Orléans 1904 - Molles, Allier, 1944). Avocat de formation, Jean Zay est élu député radical en 1932, à l’âge de 27 ans - il sera réélu en 1936. Membre, aux côtés de Pierre Cot, Jacques Kayser et Pierre Mendès France, de la tendance des « Jeunes-Turcs » favorable au Front populaire, il est nommé ministre de l’Éducation nationale dans le cabinet de Léon Blum, en juin 1936. Occupant ce poste jusqu’en septembre 1939, il entreprend plusieurs réformes importantes, notamment la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans. Zay travaille à la réorganisation de l’enseignement primaire et secondaire, lance des expérimentations pédagogiques, soutient la politique de développement du sport
populaire et universitaire. Cet antimunichois demande à être mobilisé en 1940, puis s’embarque avec Daladier et Mendès France à bord du Massilia, afin de continuer la guerre en Afrique du Nord. Arrêté sur l’ordre du gouvernement de Vichy, condamné à la prison à perpétuité pour « désertion » et détenu à Riom, il est enlevé, puis assassiné par la Milice en juin 1944. Zola (Émile), homme de lettres (Paris 1840 - id. 1902). Zola se place dans la lignée des romanciers de la représentation du réel qui ont pris pour sujet de leur oeuvre la société et le monde contemporains. Il pense que le roman moderne, fondé sur des documents, empruntant aux sciences méthode et savoirs, participe à la grande enquête universelle qui caractérise l’époque et fournit aux politiques les faits sur lesquels ils peuvent légiférer : « Sur les documents vrais que les naturalistes apportent, écrit-il, on pourra sans doute un jour établir une société meilleure, qui vivra par la logique et la méthode. » Politique et littérature sont, pour lui, liées. Journaliste, il ne se borne pas à expliquer son esthétique. Il intervient pour défendre les grandes valeurs auxquelles il croit. Il devient, avec son intervention dans l’affaire Dreyfus, un des modèles de l’intellectuel. • « Je suis à l’aise parmi notre génération ». De 1843 à 1858, Émile Zola vit à Aix-en-Provence, le « Plassans » de ses romans. Orphelin de père à 7 ans, boursier - sa mère ne disposant plus que de ressources modestes -, il trouve refuge dans l’amitié : il forme avec Paul Cézanne et Jean-Baptistin Baille, futur polytechnicien et astronome, un trio d’inséparables, qui fuit le conformisme de l’enseignement et de la société aixoise en rêvant de gloire poétique au cours de longues promenades dans la campagne. Tout change quand il arrive à Paris, en février 1858. Il le rappellera : « À tout heure, Paris gronde, les lycées ressemblent à des cloîtres battus de tous côtés par les rudes secousses de l’activité moderne. » Le lycée SaintLouis, où il entre en seconde ès sciences, est pénétré par l’« air du dehors ». Dès lors, Zola adhère à son époque : malgré les graves difficultés matérielles qu’il affrontera pendant de longues années, il ne se repliera jamais dans une attitude d’indifférence ou de mépris. Son engagement pour Dreyfus a donc des racines profondes, et n’est pas, chez lui, un acte isolé.
Provincial sans relations, sans fortune personnelle ni diplôme - il a échoué au baccalauréat -, Zola ne fait partie d’aucun groupe de pression, d’aucune institution. Il doit gagner sa vie. Après quatre années passées chez Hachette comme chef de la publicité, il décide, en 1866, de vivre du journalisme. Il a compris la puissance de la presse et va désormais s’en servir pour défendre et imposer son esthétique comme critique littéraire, artistique, dramatique, mais aussi comme chroniqueur politique et parlementaire. C’est au même moment, soulignons-le, qu’il songe à écrire une grande fresque qui concurrencerait la Comédie humaine de Balzac, les Rougon-Macquart, dont le sous-titre est significatif : Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire. Au total vingt volumes, publiés entre 1871 et 1893, qu’il fait suivre de deux autres séries : la première, les Trois Villes (Lourdes, 1894 ; Rome, 1896 ; Paris, 1898), traite de problèmes contemporains, tels que, entre autres, le renouveau religieux, les attaques contre la science et la croyance au progrès, le développement des mouvements ouvriers et de l’anarchisme ; la seconde, les Quatre Évangiles (Fécondité, 1899 ; Travail, 1900 ; Vérité, 1902), imagine la Cité future, une nouvelle conception du travail, de l’enseignement, de l’urbanisme, des rapports entre les individus. Le quatrième Évangile, Justice, est resté à l’état de projet, à cause du décès du romancier, provoqué, très probablement, par des antidreyfusards : en effet, Zola est mort asphyxié, la cheminée de sa chambre ayant été bouchée, peut-être accidentellement, plus sûrement intentionnellement. Pendant toute sa vie, Zola mène ainsi une double activité de journaliste et de romancier, donnant sous forme de pamphlets ou de fictions sa vision de l’époque, des événements politiques, des régimes successifs, expliquant sa conception de la République, du rôle de la France, critiquant la société mise en place, en imaginant une autre, de justice, de fraternité et de liberté. • Une époque de mutation. « La caractéristique du mouvement moderne est la bousculade de toutes les ambitions, l’élan démocratique, l’avènement de toutes les classes », affirme-t-il dans les notes préliminaires à sa fresque romanesque. C’est ce déchaînement des appétits et des ambitions, cette « soif de jouir par la pensée surmenée et par le corps surmené », qu’il étudie, en particulier à tradownloadModeText.vue.download 970 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE 959 vers les aventures des membres de la famille des Rougon-Macquart. Zola aborde la plupart des grands problèmes posés par la révolution financière et économique : grands travaux, création des banques et des grands magasins, extension du réseau ferré, spéculation, lutte du capital et du travail, grèves, débuts du syndicalisme, question agraire, guerre, architecture et urbanisme, censure, liberté de l’art, journalisme, publicité, question religieuse, et, étroitement liée, celle de l’enseignement, plus particulièrement de l’éducation des filles, à ses yeux capitale et leitmotiv de son oeuvre. Sa position sur l’argent et le capitalisme est nuancée. D’un côté, il adhère à l’idéologie du capitalisme conquérant, qui répond à sa propre volonté d’ascension sociale et à sa mythologie personnelle. Il peint deux personnages, deux capitaines d’aventures, deux « poètes du million », qu’il admire : Saccard, l’homme d’affaires, et Mouret, le patron du grand magasin « Au Bonheur des dames ». « Agir, créer, se battre contre les faits, les vaincre ou être vaincu par eux, toute la joie et toute la santé humaine sont là », fait-il dire au second. De l’autre, il déplore les conséquences souvent désastreuses, les deuils, les morts, qu’entraînent les krachs boursiers, la politique des grands travaux, la « lutte pour la vie » forcenée, l’exploitation capitaliste. Il ne fait pas oeuvre d’historien, affirme-til souvent. Il transpose au niveau poétique, en se moquant volontairement des anachronismes, les grandes mutations du XIXe siècle que sont la naissance de l’âge industriel, l’émergence des masses, le développement des grandes villes et de leurs faubourgs, l’essor du capitalisme. Il choisit de décrire l’émergence d’une civilisation où l’homme réalise des choses étonnantes et souvent bénéfiques, mais où il est, nouvel apprenti sorcier, souvent broyé par les forces qu’il met en place, qu’il ne veut pas ou ne peut pas contrôler : machines, foules, ambitions, pouvoir, désirs. Zola peint une société menacée d’explosion sous l’effet de multiples tensions. Sa sympathie et sa pitié vont au peuple des faubourgs, aux travailleurs qu’il montre exploités par le capital-Minotaure à l’image des mineurs du Voreux, aux laissés-pour-compte
du système, aux vieux ouvriers abandonnés quand ils ne sont plus bons à rien, comme le père Bru ou Gervaise dans l’Assommoir. Il réfléchit au régime capable de diffuser les progrès de la science, les avancées technologiques, les richesses que l’on peut admirer dans les Expositions universelles, en vue du bien-être et du bonheur de tous. • Un républicain convaincu. Par tradition familiale, par expérience très réelle de la pauvreté, par tempérament, Zola est républicain. Il l’est surtout par conviction : la République, pense-t-il, est dans la logique de l’Histoire. Le mouvement démocratique issu de 1789 est irréversible. Sous le Second Empire, c’est un opposant. Il n’a jamais été invité, comme les Goncourt ou Flaubert, aux Tuileries, à Compiègne, ou chez la princesse Mathilde. Il n’a jamais été séduit, comme d’autres, par l’Empire libéral. Dès 1860, il déplore les iniquités sociales : cette indignation affective prend un contenu politique à partir de 1863-1864, et surtout de 1868, au contact de journalistes d’opposition. Il publie - dans la Tribune, le Rappel, la Cloche - des articles en prise directe sur l’actualité, mais sans réellement commenter les événements, se bornant à une réaction globale, plus sentimentale qu’analytique, souvent très polémique. Il met en question la légitimité de Napoléon III, critique sa politique - intérieure et extérieure -, fustige les profiteurs qui entourent l’empereur, offrant ainsi, de la société impériale, une vision volontairement partielle ou partiale. Après la chute de l’Empire, il dit son amertume à voir les « boutiques républicaines » se disputer le pouvoir. « Nous mourons de politique, de cette politique tumultueuse et encombrante que la bande des médiocres, affamés de bruit et de places, ont intérêt à entretenir, pour y pêcher en eau trouble » (« Les trente-six Républiques », le Figaro, 27 septembre 1880). Il est pris de pitié à voir Gambetta « en proie à sa terrible bande, qui fait à la fois sa force et sa misère. [...] L’Empire a été dévoré par ses créatures. M. Gambetta le sera par les siennes. C’est la loi constante » (« Esclaves ivres », 29 août 1881). Contre le règne des médiocres et des ambitieux, il appelle de ses voeux un gouvernement des « hommes supérieurs », mettant en application la « politique expérimentale », « s’appuyant sur les faits », « tenant compte de la race, du milieu et des circonstances », aidant « simplement l’évolution naturelle des sociétés, sans vouloir
les plier violemment à un idéal quelconque ». • La grande loi de l’évolution. Zola croit au progrès, à la marche en avant de l’humanité, malgré les obstacles et les arrêts inévitables. Aussi dénonce-t-il ce qui peut contrarier l’évolution, dérégler le bon fonctionnement, le bon équilibre de l’organisme qu’est la société. Loin de hâter le processus de l’évolution, la révolution le gêne. Elle est dangereuse. Comme tous ses contemporains, Zola a été durablement marqué par la Commune. Il stigmatise extrémismes et dogmatismes, de quelque ordre qu’ils soient. Selon lui, les habiles peuvent faire du peuple un instrument redoutable, qui échappe vite à tout contrôle. Il a peur des meneurs, des beaux parleurs au savoir mal digéré, qui manipulent la générosité, la naïveté, l’ignorance. Il dénonce le nationalisme ultra-catholique, militariste et raciste, forces de réaction menaçant la République contre lesquelles il est parti en guerre en s’engageant pour Dreyfus. En novembre 1897, il écrit un premier article dans le Figaro pour défendre l’action menée par le viceprésident du Sénat, M. Scheurer-Kestner, en faveur du capitaine déporté en Guyane. Le 13 janvier 1898, paraît dans l’Aurore son célèbre « J’accuse... ! », une adresse publique au président de la République qui lui vaut une condamnation à une année d’emprisonnement (peine qu’il ne purge pas en s’exilant à Londres pendant près d’un an). • Rêve d’avenir. « Le grand fait du XIXe siècle est l’avènement de la démocratie. » Une double poussée marque l’histoire contemporaine : le développement de la science, « seule révolutionnaire », le « seul facteur certain du progrès, de la justice et du bonheur » ; le développement de la liberté de pensée. Les héros de l’avenir seront le savant et l’instituteur laïque, le « semeur d’hommes », grâce auxquels pourra être créée la cité de paix, de liberté, de justice et de fraternité, les quatre grandes valeurs qu’il incombe désormais à la France de porter en Europe. Déjà le héros de Rome, Pierre, rêvait aux dernières lignes de l’oeuvre : « Enfin, l’humanité sans frontières, sans guerres possibles, l’humanité vivant du juste travail, dans la communauté universelle de tous les biens ! N’était-ce pas l’évolution, le but du labeur qui se fait partout, le dénouement de l’histoire ? [...] Ah ! cette patrie unique, la terre pacifiée et heureuse, dans combien de siècles, et quel rêve ! downloadModeText.vue.download 971 sur 975
CHANSONS ET DEVISES DE L’HISTOIRE DE FRANCE Ça ira !, chanson créée en 1790 par le chanteur des rues Ladré sur un air de Bécourt intitulé le Carillon national. Dynamique et contagieuse, la plus populaire des chansons de la Révolution apparaît lors de la fête de la Fédération du 14 juillet 1790, célébrant l’amour unanime de la liberté, et scellant en apparence l’alliance du roi et de la nation. Dès les jours précédents, aménageant le Champ-de-Mars au son des clarinettes, les Parisiens entonnent gaiement le refrain : « Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !, / Le peuple en ce jour sans cesse répète : / Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !, / Malgré les mutins tout réussira ! » Courant les rues en 1790, la formule « Ça ira ! », héritée de Benjamin Franklin et reprise par Ladré, exprime autant l’espérance que la détermination. Mais l’esprit bon enfant et l’allégresse font bientôt place à la vengeance, ce que traduit la variante « Les aristocrates à la lanterne ! », apparue au début de 1791, tandis qu’une autre variante, royaliste, promet le même sort aux démocrates. Le refrain devient un tocsin rythmant les émeutes populaires, en province comme à Paris, notamment lors du 10 août 1792. Omniprésent, il est chanté dans les fêtes, à l’armée et jusqu’au sein de l’Assemblée nationale. Sous le Directoire, il est classé parmi les « airs chéris des républicains », à faire jouer dans les salles de spectacle pour couvrir les manifestations royalistes (arrêtés des 8 janvier 1796 et 31 janvier 1799), avant d’être étouffé au début du Consulat. À l’instar de la Carmagnole, il n’est guère apprécié par les notables qui, sous la IIIe République, préféreront la Marseillaise aux chants des sansculottes portant la guerre davantage à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Carmagnole (la), chanson révolutionnaire anonyme née de la journée du 10 août 1792, intitulée, selon la première version imprimée, la Carmagnole des royalistes. Apparue entre le 10 août et le 12 septembre 1792, elle célèbre l’assaut du
château des Tuileries donné par les insurgés (fédérés et sans-culottes), qui sont d’abord défaits par les gardes suisses, puis victorieux « grâce aux [à nos] cannoniers ». Elle se rit de la reine, qui « avait promis de faire égorger tout Paris » (référence au manifeste de Brunswick), et du roi, désormais enfermés au Temple, « Madame » et « Monsieur Veto » faisant allusion au droit de veto dont Louis XVI peut user face aux décrets de l’Assemblée. La chanson rencontre un succès immédiat. L’origine de l’air demeure obscure ; le nom de « carmagnole », pour sa part, renvoie sans doute à une veste courte, d’origine piémontaise, portée par les ouvriers du Midi, introduite à Paris par les fédérés marseillais, et adoptée par les sans-culottes. Comme le Ça ira !, la Carmagnole, entraînante et joyeuse, incarne la Révolution populaire. Agressive, elle représente aussi un chant de guerre civile aux yeux des notables, qui ne la prisent guère, notamment sous le Directoire, et stigmatisent sa vulgarité. Chantée et dansée en tous lieux pendant la Révolution, elle connaît une cinquantaine de variantes et parodies, telles la Carmagnole des brigands de la Vendée ou la Carmagnole de FouquierTinville, avant de disparaître sous le Consulat. Symbole de la République et du pouvoir populaire, elle resurgit régulièrement lors des révolutions du XIXe siècle et des mouvements sociaux du XXe siècle. Chant des partisans (le), adaptation par Joseph Kessel et Maurice Druon, d’une marche écrite en russe par Anna Marly, où le mot « partisans » désigne les maquisards. Le Chant des partisans, créé à Londres en mai 1943, est devenu l’hymne de la Résistance française. L’accompagnement, mêlant imitation du bruit des pas sur les cordes bloquées d’une guitare et sifflements de marcheurs, fut choisi comme indicatif d’émissions de radio à destination de la France. Emmanuel d’Astier de La Vigerie demanda à Kessel d’y ajouter des paroles lui expliquant : « On ne gagne les guerres qu’avec des chansons : la Marseillaise, la Madelon. Il faudrait un chant qui ait l’air de venir du maquis,
comme l’indicatif. » Rentré clandestinement en France, Kessel le publie en septembre 1943 dans les Cahiers de la Libération. Mais la musique, diffusée deux fois par jour jusqu’en mai 1944, est connue et populaire bien avant les paroles. Celles-ci n’en sont pas moins d’une grande force, évoquant l’Occupation (« Le vol noir des corbeaux / Sur nos plaines », « Les cris sourds du pays / Qu’on enchaîne »), le caractère populaire de la Résistance (« Ohé ! partisans / Ouvriers et paysans / C’est l’alarme »), l’action et le destin tragique des clandestins (« Sortez de la paille / Les fusils, la mitraille / Les grenades », « Nous on marche et nous on tue / Nous on crève »), leur détermination (« Ici chacun sait / Ce qu’il veut, ce qu’il fait / Quand il passe... »), mais finissant de façon optimiste (« Sifflez compagnons... / Dans la nuit la liberté / Nous écoute... »), vision peut-être sommaire de la Résistance, mais aussi frappante qu’émouvante. Internationale (l’), hymne révolutionnaire composé sur un texte écrit en 1871 par le poète et communard Eugène Pottier. Un temps oublié, puis mis en musique en 1888 par Pierre Degeyter pour la fédération du Nord du Parti ouvrier français de Jules Guesde, il est adopté par tous les courants socialistes, chanté en français au congrès international de Paris (1900), puis dans toutes les langues à celui de Copenhague (1910), et devient l’hymne national de l’URSS. La musique est simple et entraînante, et le texte résume les idées socialistes : dans les années vingt, des sections communistes en font la base de l’éducation de leurs adhérents. Au-delà d’images approximatives (« La raison tonne en son cratère ») et d’échos de Sieyès (« Nous ne sommes rien, soyons tout ! »), ou encore de La Fontaine (« Le droit du pauvre est un mot creux », qui renvoie à « Selon que vous serez puissant ou misérable [...] »), le texte dénonce le capital (« Les rois de la mine et du rail / Ont-ils jamais fait autre chose / Que dévaliser le travail »), downloadModeText.vue.download 972 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE prône l’autonomie ouvrière (« Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes ») et le pacifisme. Ses couplets anarchisants eurent de singuliers interprètes : si les staliniens chantent, impavides, « Il n’est pas de sauveurs suprêmes / Ni Dieu, ni César, ni tribun », la SFIO de Guy Mollet et de la guerre d’Algérie passe sous silence la strophe « S’ils s’obstinent ces cannibales / À faire de nous des héros / Ils sauront bientôt que nos balles / Sont pour nos propres généraux », que, auparavant, l’extrême droite pacifiste des années trente avait maquillée en « Sont pour Mandel, Blum et Herriot », et qui, en 1894, avait valu un an de prison à l’éditeur. « Le roi est mort, vive le roi ! », maxime proférée lors de l’inhumation des rois – la plus populaire et la plus distinctive de la monarchie française, selon Ralph E. Giesey. Elle exprime l’idée de la perpétuité du pouvoir régnant malgré la mort physique du souverain. Elle fut employée pour la première fois de manière explicite durant les funérailles de Louis XII (1515) : lorsque les officiers abaissèrent les insignes de la couronne sur le tombeau, ils s’écrièrent « Le Roy est mort ! », puis, le premier chambellan « apportant la grand bannière de France, la gesta dedans le monument en criant semblable cry et incontinant la retira en criant vive le Roy ». Les funérailles de François Ier en 1547 fixent la tradition. On crie trois fois « Le roi est mort ! », puis vient la supplication « Priez Dieu pour son âme ! » ; ensuite, on crie trois fois « Vive le roi ! », exclamation suivie du nom du nouveau roi et d’une bénédiction telle que « à qui Dieu doint bonne vie ! ». Cette pratique cérémonielle semble s’inspirer de celles décrites dans la Chronique de Monstrelet, relatant les funérailles de Charles VI, en 1422. Le récit mentionne la formule mais occulte l’hostilité entre les officiers du Valois et ceux du Lancastre : « Le roi est mort » signifie, en effet, l’hommage rendu à la famille capétienne, tandis que « Vive le roi » acclame le nouveau souverain d’Angleterre et de France.
L’absurdité de cette anaphore est l’une des causes de son succès : si le roi est vivant alors qu’il est mort, c’est qu’en réalité « le roi ne meurt jamais ! ». La devise représente donc l’éternité de la couronne, incarnée, au XVIe siècle, par le truchement d’une effigie royale triomphante durant les funérailles. En 1824, à la mort de Louis XVIII, elle est clamée une dernière fois ; mais elle est un archaïsme : depuis la Révolution, l’« éternité » s’est déplacée du corps du roi à celui de la nation entière. « L’État c’est moi », formule traditionnellement attribuée à Louis XIV, mais qu’il n’a, semblet-il, jamais prononcée. On a voulu y voir l’expression de l’absolutisme à son apogée ou une manifestation de l’orgueil et de la mégalomanie du monarque. Si la phrase n’a jamais été prononcée, elle n’en correspond pas moins à une idée exprimée sous une autre forme par Louis XIV lui-même (« La nation ne fait pas corps en France. Elle réside tout entière dans la personne du roi ») ou par son entourage (« Tout l’État est en lui », Bossuet), et reprise par Louis XV (« C’est en ma personne seule que réside la puissance souveraine »). La formule évoque d’abord l’idée du pouvoir sans partage d’un monarque qui n’a de comptes à rendre à personne, déniant en particulier aux parlements leur prétention ancienne à s’ériger en corps politique représentant la nation. Elle renvoie aussi à la tradition des « deux corps du roi », dont elle constitue l’ultime avatar. La distinction, depuis longtemps établie par les juristes, entre la personne du roi et la dignité dont il est le dépositaire, s’abolit chez Louis XIV, le corps politique du royaume s’incarnant littéralement dans le corps naturel du roi. C’est ainsi qu’il faut comprendre la mise en scène quotidienne de la vie du roi, ses actes privés (lever, dîner, coucher) et les soins rendus à son corps devenant des cérémonials d’État qui, à travers sa personne, participent de la dignité royale. Pour autant, Louis XIV garde à l’esprit la distinction entre sa personne et la dignité qu’il incarne à titre viager, justifiant
ainsi le cérémonial de cour : « Nous ne sommes pas comme les particuliers, nous nous devons entièrement au public » ; ou déclarant à la veille de sa mort : « Je m’en vais, mais l’État demeurera après moi. » « Liberté, Égalité, Fraternité », devise républicaine. Dans de récents travaux, Florence Gauthier a montré qu’elle apparaît pour la première fois le 5 décembre 1790 au Club des jacobins quand Robespierre propose d’inscrire sur l’uniforme et les drapeaux des gardes nationales : « Le peuple français. Liberté, Égalité, Fraternité ». En mai 1791, le Club des cordeliers émet un souhait proche. La devise étant constituée, elle ne s’impose que très progressivement : si les allégories de la Liberté et de l’Égalité sont souvent rassemblées, la Fraternité est loin de leur être toujours associée, et LibertéÉgalité se conjugue parfois avec un troisième terme (Raison, Patrie, Unité, Justice...). Après le 10 août 1792, la triade semble s’établir : les Parisiens sont invités à peindre sur la façade des maisons « Unité-Indivisibilité de la République. Liberté-Égalité-Fraternité ou la mort » et, en 1793, la formule est inscrite sur les monuments publics. On la trouve également sur des en-têtes officiels, mais elle n’est pas institutionnalisée et d’autres lui font encore concurrence. Le Directoire l’abandonne au profit de « Liberté-Ordre » plus proche de son idéologie, avant que Napoléon ne la transforme en « Liberté-Ordre public ». Pourtant, la triade continue à cheminer dans les mémoires, notamment dans les sociétés secrètes et la francmaçonnerie. Elle devient « la » devise républicaine, de telle sorte qu’en 1830 Louis-Philippe lui préfère « Ordre et Liberté ». Sous la pression populaire, la IIe République décide, en février 1848, de l’inscrire sur le drapeau tricolore. Dans le grand élan de 1848, le clergé l’adopte comme symbole évangéliste, comparant même les trois valeurs aux saintes femmes de l’Évangile. L’ordre des mots est cependant sujet à débats : les chrétiens souhaitent mettre en avant la Fraternité et les socialistes l’Égalité. Après les journées de juin, la devise provoque une « amère ironie » parmi le
peuple (Marie d’Agoult), mais la Constitution de novembre 1848 la conserve comme « principe » de la République, tout en précisant aussitôt que la base en est « la Famille, le Travail, la Propriété, l’Ordre public ». Effacée des édifices publics par Napoléon III, elle y réapparaît officiellement en 1880, sous la IIIe République. Symbole des principes républicains, elle est constitutionnellement remplacée, en 1940, par une autre formule ternaire qui exprime l’idéologie du gouvernement de Vichy (« Travail, Famille, Patrie »). Aussi, les Constitutions de 1946 et de 1958 consacrent-elles ce « lieu de mémoire » (Mona Ozouf) de la France républicaine en assurant que « la devise de la République est : Liberté, Égalité, Fraternité ». Marseillaise (la), chant composé pendant la Révolution (1792) par Joseph Rouget de Lisle, et devenu hymne national en 1879. Doté d’une rare puissance mobilisatrice et d’une forte charge symbolique qui oscille entre subversion et natiodownloadModeText.vue.download 973 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE nalisme, ce premier des hymnes nationaux modernes connaît une histoire faite d’éclipsés et de renaissances. • De Strasbourg à Marseille. Chant républicain, proscrit par tous les régimes autoritaires (premier Empire, Restauration, monarchie de Juillet, second Empire, Ordre moral au début de la IIIe République, et Vichy), il est aussi, et peu à peu, revendiqué comme un emblème par la droite libérale et conservatrice, et même, à la fin du XXe siècle, par un parti d’extrême droite (Front national). C’est tout le paradoxe de cet hymne martial et âpre, à la fois chant de guerre et chant révolutionnaire, aux accents héroïques appelant « aux armes » les « citoyens » et les « enfants de la patrie ». La patrie, comme on l’entend sous la Révolution, est le lieu de la liberté nouvelle : « Liberté chérie » combattant la « tyrannie » des monarchies européennes – « horde d’esclaves » et « rois conjurés » – en guerre contre la France révolutionnaire. La Marseillaise
est alors synonyme d’engagement collectif et de citoyenneté. Elle naît en écho à l’effervescence patriotique que provoque à Strasbourg la nouvelle de la déclaration de guerre (20 avril 1792). Au soir du 25 avril, lors d’un repas offert par le maire de la ville Dietrich à l’élite municipale et militaire, le populaire Ça ira !, qui monte de la rue, incommode les convives, qui jugent cette chanson vulgaire et demandent à Rouget de Lisle, officier du génie, poète et musicien amateur, de créer un chant plus digne de la circonstance. Composée dans la nuit, sous le titre de Chant de guerre pour l’armée du Rhin, la nouvelle chanson chemine ensuite à travers le pays ; elle est adoptée par les fédérés marseillais, qui la chantent sur la route les menant à Paris en juillet 1792, mobilisés par « la Patrie en danger » et le manifeste de Brunswick. Ils la chantent surtout lors de la journée du 10 août, qui voit la chute de la monarchie. Dès lors, ce qui est devenu l’Hymne des Marseillais est indissolublement lié à la République. À l’automne 1792, Gossec, qui l’orchestre, lui donne son profil mélodique quasi définitif, tandis que lui est adjoint un septième couplet, dit des « enfants », symbole de la relève des générations. • Éclipses et renaissances. Jouée aux armées qu’elle galvanise, ou lors des fêtes civiques, devant être chantée dans tous les spectacles (décret du 24 novembre 1793), la Marseillaise se voit opposer, après la chute de Robespierre, le Réveil du peuple, chant violemment réactionnaire. Mais, par le décret du 14 juillet 1795, la Convention thermidorienne fait de la Marseillaise un chant national, tandis que le Directoire, luttant contre les royalistes, la consacre comme l’un des « airs chéris des Républicains » (1796). Chant séditieux au XIXe siècle, elle commence une vie clandestine sous le Consulat et resurgit lors des flambées révolutionnaires de 1830, 1848 et 1871, tandis qu’elle devient l’hymne privilégié des mouvements nationaux européens. Lorsque la République s’impose enfin, elle devient hymne national (14 février 1879) mais prend une teinte nettement nationaliste et chauvine à l’heure où l’on ne parle
que de revanche, après la défaite militaire de 1870 face à l’Allemagne. En outre, elle subit peu à peu la concurrence de l’Internationale, dans le camp démocratique et révolutionnaire. C’est durant cette période qui mène à la Première Guerre mondiale qu’elle connaît une diffusion sans précédent. Jouée jusqu’à saturation durant le conflit – les cendres de Rouget de Lisle sont transférées aux Invalides le 14 juillet 1915 –, elle connaît un certain rejet après 1918, répudiée surtout par les révolutionnaires des années 1930. Cependant, sous le Front populaire, les communistes se réapproprient l’hymne, réintégrant ainsi la « Grande Révolution », à l’image du film de Jean Renoir la Marseillaise (1938), financé par une souscription de la CGT et retraçant le périple des fédérés marseillais de 1792. Régénérée parla lutte antifasciste et la Résistance contre les nazis et le régime de Vichy – lequel lui oppose vainement le pâle Maréchal, nous voilà ! (1941) –, elle apparaît de nos jours comme un hymne incontesté, qu’aucune révolution ou guerre aux frontières ne semble devoir tirer de sa torpeur officielle. « Montjoie Saint-Denis ! », cri de guerre ou de ralliement des troupes autour du roi et signe d’encouragement au combat à la valeur symbolique. La « montjoie » est, à l’origine, un petit monticule de pierre bordant les chemins, qui indique aux pèlerins la route vers un sanctuaire. Cette sorte de signal routier a ensuite été adopté par les seigneurs féodaux pour désigner la bannière à laquelle ils devaient se rallier. La montjoie devient alors un cri d’arme qui semble déjà être en usage au XIIe siècle, comme l’attestent les chansons de geste. L’appel au ralliement de « Montjoie Saint-Denis ! » apparaît au XIIe siècle pour convier les vassaux à refermer les rangs autour du roi. Il est ensuite adopté comme un véritable cri de guerre dynastique, lancé notamment à l’occasion de toutes les batailles où la monarchie française est en péril. Ainsi, à la bataille de Poitiers en 1356, ce cri des rois de France se distingue de celui des partisans anglais du Prince Noir : « Saint-Georges Guyenne ! » Au milieu du XVe siècle, le cri, qui ne comporte
plus que l’appel à « Saint-Denis » puis tout simplement à la « France », prend un sens plus national que dynastique. Il est alors inscrit sur les blasons. Cette apparition dans l’héraldique permet aussi aux plus hautes familles de la noblesse de mêler le rappel de leur filiation royale à l’affirmation de leur lignage. « Montjoie au riche duc ! », font par exemple crier les premiers ducs de Bourgogne de la lignée des Valois. « Travail, Famille, Patrie », devise du régime de Vichy. Le 10 juillet 1940, le gouvernement de Pétain obtient des deux Chambres réunies à Vichy les pleins pouvoirs pour promulguer, selon l’article unique du texte adopté, « une nouvelle Constitution de l’État français. Cette Constitution devra garantir les droits du Travail, de la Famille et de la Patrie ». Puisqu’il s’agit aussi, sinon d’abord, à travers cette révision constitutionnelle, de liquider la République – « la gueuse » – et d’instaurer un nouveau régime, Pétain et Laval commencent par en finir avec ses signes emblématiques. Par un effet de symétrie évident, le slogan trinitaire est aussitôt compris comme un substitut à la devise républicaine héritée de la Révolution. La nouvelle devise signe, dès août 1940, le matériel de propagande de l’État français visant à modeler les esprits selon les principes de la « révolution nationale ». Pour autant, si devise il y a, elle n’est pas sortie tout armée de la tête des rédacteurs – Laval et Alibert – de la loi du 10 juillet. Agrégeant dans une juxtaposition lapidaire des courants idéologiques voisins sans pour autant être homogènes, « Travail, Famille, Patrie » a d’abord été, dès 1934, un mot d’ordre, celui des Croix-de-Feu puis du Parti social français. Ce slogan emprunté se donne donc à comprendre dans le prolongement – et comme l’avènement – des turbulences conservatrices et nationalistes qui avaient contesté le régime démocratique et parlementaire dans les années 1930. Opposant des déterminations concrètes au conceptualisme impersonnel de « Liberté, Égalité, Fraternité », la devise se veut réactionnaire au sens propre. Si cette réaction vise à éradiquer les abstractions rationalistes, au nom d’un retour au « réel » – la
« main à la charrue » vaut mieux que downloadModeText.vue.download 974 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE la « main à la plume » dans l’idéologie pétainiste –, la réaction se manifeste également contre l’individualisme hérité des Lumières, à quoi est opposée une vision organique et communautaire – un des maîtres mots des années 1930. Le maréchal Pétain s’emploiera d’ailleurs abondamment à développer ce contenu latent de la devise, réitérant en autant d’« Appels » et « Messages » une même déclaration des devoirs du citoyen : « Ces devoirs sont ceux que lui impose la triple communauté familiale, professionnelle et nationale... » Stigmatisant les supposés ferments de dissociation, d’éparpillement, la « troisième voie » pétainiste – ni libérale ni collectiviste – se prétend un retour aux hiérarchies naturelles fondées sur le principe d’autorité : communauté familiale, où domine la figure tutélaire du père, où la femme est mère et gardienne du foyer ; communauté de travail, fondée sur le corporatisme et illustrée par la Charte du travail ; communauté patriotique, fondée sur le sol, les valeurs ancestrales folkloristes et régionalistes, le respect de l’autorité et la vénération du chef thaumaturge. Sans doute, une devise est-elle plus un effet de discours qu’un programme, et « Travail, Famille, Patrie », trilogie commune aux courants disparates qui traversent le régime, permet d’en masquer les contradictions. Il n’empêche que se vérifie une cohérence qui n’est pas seulement de l’ordre du discours mais de la mise au pas. downloadModeText.vue.download 975 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE n° de projet : 11 00 4262 dépôt légal : septembre 2006 Imprimé par Mateu Cromo à Madrid (Espagne) Printed in Spain
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