Games of Love

October 30, 2017 | Author: Anonymous | Category: N/A
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. Publié aux États-Unis sous le titre The  Rachel van Dyken Games of Love : T02 Le Désir (French Edition ......

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© City Editions 2015 pour la traduction française © 2013 Rachel van Dyken Publié aux États-Unis sous le titre The Wager Couverture : © Shutterstock / Studio City ISBN : 9782824643441 Code Hachette : 22 0989 2 Rayon : Roman / New adult Collection dirigée par Christian English & Frédéric Thibaud Catalogue et manuscrits : www.city-editions.com Conformément au Code de la propriété intellectuelle, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage, et ce, par quelque moyen que ce soit, sans l’autorisation préalable de l’éditeur. Dépôt légal : octobre 2015 Imprimé en France

Sommaire Prologue 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38

39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 Épilogue Remerciements

À grand-mère Nadine. Tu es véritablement la source d’inspiration de cette série. Merci beaucoup d’être une grand-mère aussi pétulante, merveilleuse et aimante. C’est une telle chance de t’avoir dans ma vie. Je te souhaite encore de nombreuses années après tes quatre-vingt-six ans, grandmère, et merci encore de venir à toutes ces dédicaces avec moi. Tu es sincèrement l’une de mes meilleures amies. Je veux absolument être ta vice-présidente quand tu te porteras candidate aux élections… Il n’est jamais trop tard, hein ???

Prologue Été 2002 — Jake ! Rattrape-moi, rattrape-moi ! hurla Charlotte tandis qu’elle faisait l’exercice de confiance au camp pour ados. Elle avait le béguin pour Jake depuis des années. Mais ça allait mieux maintenant qu’elle finissait le collège et entrerait au lycée à l’automne. Les jambes rasées, les lèvres maquillées avec son nouveau gloss rose et les cheveux attachés en queue de cheval haute, elle savait qu’elle était jolie, et Jake était sur le point de découvrir à quel point quand elle tomberait dans ses bras…, littéralement. — Euh, ouais, dit Jake dans son dos. Je suis presque prêt. — D’accord. Soudain nerveuse, Charlotte prit plusieurs profondes inspirations. — J’y vais ! — Laisse tomber ! cria Jake. Le vent fouetta le dos de Charlotte, et elle se laissa partir en arrière. Mais elle continua à basculer : il n’y eut rien pour la rattraper. Quand elle heurta l’herbe avec un bruit sourd, elle ouvrit les yeux. Amy Stevens enroulait ses cheveux entre ses doigts et riait de ce que disait Jake. Ce type avait la capacité d’attention d’une fourmi. — Espèce d’idiot ! Charlotte frappa le sol avec son poing. — Jake ? On est partenaires et, si ça s’appelle un exercice de confiance, c’est qu’il y a une raison. Tu es censé me rattraper ! Il écarquilla les yeux. — Oh ! mince, je suis désolé, Charlotte. Amy avait besoin que je lui réexplique les instructions et elle n’a pas de partenaire, alors, je lui ai dit qu’elle pouvait se joindre à nous. — Oh ! mais… — Waouh ! Jake, heureusement que je t’ai proposé d’être ta partenaire. On ne sera pas trop de deux pour la rattraper. On dirait une baleine gonflée. Quand Amy se mit à rire et donna un petit coup de coude à Jake, Charlotte sentit comme un énorme poids dans son estomac. Elle savait bien qu’elle n’était pas aussi maigre qu’Amy ou les autres filles. Elle s’humecta timidement les lèvres, et un douloureux sentiment de rejet l’envahit. Le silence s’éternisant, des sanglots lui serrèrent la gorge. Charlotte regarda Jake. Ses joues rougirent légèrement, mais il resta silencieux. Il ne la défendit pas. Il ne fit rien. C’était peut-être ça, le pire. Le néant. Il aurait pu rire lui aussi, ce qui aurait au moins eu le mérite d’énerver assez Charlotte pour qu’elle lui mette son poing dans la figure. Mais il se contentait de la regarder avec pitié… comme si ce qu’avait dit Amy était vrai. Comme s’il pensait la même chose, mais ne savait pas de quelle façon le lui dire. Charlotte baissa les yeux vers l’herbe sèche. Des larmes montaient. — Hé ! vous êtes prêts pour l’exercice de confiance ?

Kacey, sa meilleure amie, avança vers eux en souriant, mettant Charlotte encore plus mal à l’aise. La seule fille à qui Jake se confiait était Kacey. Charlotte et Jake partageaient une meilleure amie, ce qui craignait vraiment, selon elle ; cela voulait dire qu’elle était toujours la cinquième roue du carrosse, la fille maladroite qui n’avait jamais vraiment sa place. Jake la tira vers elle pour la serrer dans ses bras. — On ne faisait que s’échauffer. — Cool. Kacey baissa les yeux sur Charlotte. — Allez ! Arrête de faire la flemmarde allongée par terre. Amy éclata de rire. — De l’exercice, Charlotte. Tu sais ce que c’est ? Kacey lança un regard furieux à Amy et tendit la main à Charlotte. — Ignore-la. Elle est jalouse parce que tu as une plus grosse poitrine qu’elle. Charlotte se redressa en levant les yeux au ciel et jeta un dernier coup d’œil à Jake. Elle en avait marre d’en pincer pour lui. C’était absolument terminé. Après tout, quelle fille veut tomber amoureuse d’un garçon qui ne vient pas à son secours quand elle en a le plus besoin ? Elle voulait un homme, comme ceux qu’elle voyait dans les films et à la télévision. Un véritable héros l’aurait sauvée. Les vrais hommes se battent avec des pistolets et des épées pour les femmes qu’ils aiment. L’année précédente, quand ils avaient regardé Roméo et Juliette en cours, Charlotte avait dû cacher les larmes qui coulaient sur son visage lors de la scène finale. C’était ça qu’elle voulait : un homme qui était tellement amoureux d’elle qu’il l’aurait suivie dans l’au-delà. Quand elle avait dit ça à voix haute, Jake l’avait regardée comme si elle était devenue folle. Eh bien, la plaisanterie finirait par se retourner contre lui. Elle trouverait son premier rôle masculin, et Jake Titus pourrait bien… mourir, elle s’en moquerait.

1 Aujourd’hui — Grand-mère, qu’est-ce que tu fous, merde ? Jake récupéra ses deux immenses valises, son sac à main Coach et ce qui ressemblait à un animal mort posé sur sa tête avant de jurer à nouveau. — Surveille ton langage, Jake. Grand-mère Nadine redressa les épaules et le poussa pour atteindre le guichet. Oh non ! Bon sang, non. Pitié, mon Dieu. Jake chercha du regard Aileen, sa dernière conquête qu’il avait amenée à la fête de fiançailles de son frère Travis. — Oui, il ne me faut qu’un billet aller, annonça grand-mère d’une voix forte à l’employé d’Alaska Airlines au kiosque. Avec un mélange d’horreur et de panique, Jake observait sa grand-mère acheter un billet sur le même vol que lui.Faites que sa carte de crédit soit refusée, s’il vous plaît, s’il vous plaît. — Et voilà ! L’envoyée du diable lui tendit une carte d’embarquement et sourit à grand-mère. Jake lança un regard furieux à l’employée, puis à sa grand-mère. — Non, dit-il en secouant la tête quand elle s’approcha de lui, tout sourire. Tu ne viens pas. Il croisa les bras et resta planté là. — Si, répondit grand-mère en agitant son billet sous son nez et en souriant. Maintenant, prends mes bagages. — Mais… — Jaky ? Aileen avança vers lui en se pavanant. Elle portait une jupe plus courte que ce qui aurait dû être autorisé dans un lieu public, surtout un aéroport. Elle secoua ses cheveux et se mit à marcher à ses côtés. Sa tignasse blonde décolorée était fixée par au moins deux bombes de laque, et, à en voir son incapacité à marcher droit, l’alcool de la veille faisait toujours effet. Grand-mère afficha un large sourire. — Comme c’est mignon ! On dirait que ta traînée est arrivée. Jake grommela et couvrit son visage avec ses mains. Il ne voyait pas de solution. Sa grand-mère allait causer sa mort. Mesdames les infirmières des urgences, j’arrive. — Pardon ? Aileen mit ses mains sur ses hanches et hocha bizarrement la tête vers grand-mère, ce qui faillit lui faire perdre l’équilibre sur ses talons hauts. Oh ! ça ne sentait pas bon. Pas bon du tout. Grand-mère tendit la main et tapota le bras d’Aileen. — Mon ange, c’est moi qui porte des prothèses auditives, pas toi. Je t’ai traitée de traînée. Tu veux aussi que je t’épelle ce mot ? ajouta-t-elle en donnant un petit coup de coude à Jake. Qu’est-ce que tu as fait ? Tu l’as trouvée à la journée d’orientation du lycée ? Puis, d’une voix effroyablement forte, elle se mit à épeler :

— T-R-A-Î-N-É-E. Sa grand-mère était-elle vraiment en train d’épeler le mot « traînée » au beau milieu d’un aéroport international ? À sa petite amie ? Partenaire sexuelle ? Qu’était-elle au juste ? Merde, il ne connaissait même pas son nom. C’était probablement mauvais signe. — Vous devez savoir que… — Jake, j’ai faim. Amène-moi manger quelque part. Grand-mère attrapa son bras et commença à le tirer, avec plus de force qu’une femme de quatre-vingtsix ans devrait en avoir, vers le poste de sécurité. — Et moi ? demanda Aileen en faisant la moue derrière lui. Grand-mère s’arrêta brusquement et se retourna. — Chérie, je suis sûre que tu peux trouver un autre gentil petit jouet d’ici à l’heure de départ de ton vol. Celui-ci est pris. Aileen ronchonna : — Je ne pensais pas que tu t’intéressais à ce genre de femme. Elle s’adressait à Jake. Il ouvrit la bouche pour dire : « C’est ma grand-mère. » Mais, au lieu de cela, grand-mère plaqua un gros baiser sur la joue de Jake et lui pinça les fesses. — Oh ! chérie, tu n’as pas idée de ce qu’il aime. Puis elle fit un clin d’œil. Mon Dieu, elle venait de faire un clin d’œil et suggérer que Jake était… Il ne pouvait même pas aller jusqu’au bout de sa pensée. Horrifié, il vit les yeux d’Aileen s’écarquiller. Il ouvrit la bouche pour parler, mais reçut une petite tape sur les fesses tandis que sa grand-mère le tirait dans une autre direction. Mauvais karma : il s’abattait finalement sur lui. Et c’était sous la forme d’une vieille dame de quatrevingt-six ans avec du rouge à lèvres sur les dents. Merde.

2 — Respire, Charlotte, respire. Inspire et expire, tu vas y arriver. Charlotte essayait de réguler sa respiration, mais elle trouvait ça très difficile, sachant que sa sœur continuait de lui taper dans le dos chaque fois qu’elle ouvrait la bouche. — Donne-moi le sac en papier. Charlotte arracha le sac des mains de sa sœur et se mit à respirer lentement à l’intérieur. Après deux minutes à penser qu’elle allait mourir, la crise de panique se calma enfin. — Ça va mieux ? murmura Beth. — Non. Charlotte se mordit la lèvre et regarda vers l’allée. Cette même allée où Jake Titus avait marché, quelques minutes auparavant. Il avait même regardé dans sa direction, affiché un sourire poli, puis continué à se diriger vers son siège. Un sourire. C’était tout ce qu’elle valait. Un sourire poli. Le fait que l’avion avait justement choisi ce moment précis pour être agité par la pire turbulence de sa vie n’avait pas aidé. Mais la cerise sur le gâteau, ce qui fit vraiment de ce jour le pire de sa vie, ce fut lorsque les seins de l’hôtesse sortirent accidentellement (bien sûr, accidentellement) de son chemisier pour se retrouver sous le nez de Jake. Il dut être neutralisé. Cet homme était un véritable sex-symbol, et tout son entourage le savait. Même s’il n’était pas vraiment une célébrité, il attirait quand même les femmes comme le fromage attire les souris. Charlotte était une souris, autrefois. — Salaud, marmonna-t-elle en serrant les poings. Mais c’était des années auparavant. Elle était blasée, maintenant. Plus sage et plus forte. Oui, plus forte. C’était une personnalité reconnue, pour l’amour de Dieu ! Elle pouvait et devait agir comme si tout allait bien. Et c’était le cas. Tout va bien, tout va bien, tout va bien. — Charlotte ? dit Beth en lui donnant un petit coup de coude. Tu recommences à te balancer d’avant en arrière. Je dois ressortir le sac ? — Non. Charlotte sentit un sourire s’étendre sur ses lèvres. — Je reviens tout de suite ! lança-t-elle. Beth tendit le bras pour empêcher Charlotte de passer. — Non, jamais. Tu as cet éclat fou dans les yeux. Et je n’ai vraiment pas envie que tu ailles en prison. Comme je suis ta sœur et future demoiselle d’honneur, je ne peux pas te laisser faire ça. — Je t’achèterai un nouveau sac à main Louis Vuitton. — D’un autre côté…, tu es une adulte et tu peux prendre tes propres décisions, dit Beth en baissant le bras. Le noir. Je veux le noir.

Charlotte leva les yeux au plafond et se dirigea vers le siège de Jake. Le voyantATTACHEZ VOS CEINTURESétant éteint, Charlotte avait le feu vert. Elle avait répété ce discours depuis ce jour fatidique de l’année précédente quand ils s’étaient retrouvés. Charlotte aurait voulu plus qu’un coup d’un soir, et Jake…, eh bien, il s’était contenté d’un coup d’un soir et d’un merci. Elle ne l’avait jamais dit à leur amie commune Kacey et s’était promis de l’emporter dans la tombe. Enfin, ça, c’était si elle ne le revoyait jamais… Là, personne ne pouvait dire ce qui allait se passer. Elle s’était demandé ce qu’elle lui dirait si elle le revoyait. Comme réagirait-il ? S’excuserait-il d’avoir été un salaud ? Ou se souviendrait-il d’elle ? Là, il ne semblait même pas l’avoir reconnue ! Ses cheveux étaient plus longs, aujourd’hui. Mais les visages ne changeaient pas. Malheureusement. C’est vraiment ce qu’elle aurait dû demander à Dieu. Jake avait besoin de plus qu’un nouveau visage. En fait, il avait besoin d’un vrai cœur à l’intérieur de ce corps musclé. Elle examina les quelques rangées de passagers qui se trouvaient derrière lui. Une jeune fille avait un gobelet d’eau posé sur sa tablette. — Hé ! ma belle, je peux t’emprunter ça ? — Oh mon Dieu ! La fille, qui semblait avoir environ douze ans, se mit à frapper des mains frénétiquement. — Vous êtes la dame du journal ? — Oui. D’habitude, Charlotte aimait être reconnue, mais pas maintenant. Là, elle avait besoin de passer incognito. Elle essaya d’ignorer le sourire d’excitation sur le visage de la jeune fille, mais en vain. Acceptant son destin, elle engagea la conversation : — Tu dois beaucoup regarder les informations, n’est-ce pas ? — Non, répondit la fillette en soupirant. Mais ma maman et mon papa ont beaucoup ri quand vous êtes tombée de votre chaise. Ils ont dit que vous aviez bu de l’alcool et que c’était pour ça que vous étiez tombée. Gé-nial. Tout le monde avait-il vu cette vidéo sur YouTube ? Elle avait été filmée le soir après qu’elle avait couché avec Jake. Elle avait eu pitié de lui, et c’était la première mauvaise décision. Suivie par la seconde : apporter une bouteille de tequila et se réveiller dans une chambre d’hôtel avec rien d’autre qu’un petit mot de remerciement et une sacrée gueule de bois. Elle avait eu de la chance d’arriver au boulot à l’heure. Mais ce n’était pas la chance qui lui avait fait récolter deux millions de vues sur YouTube et un passage dans le Today Show de Kathie Lee et Hoda, qui refusèrent gracieusement leur verre de vin et offrirent à Charlotte un shot de tequila en l’honneur de sa soirée de la honte. — Je n’avais pas bu, expliqua Charlotte. J’étais… fatiguée, surmenée et… Bon sang, elle allait officiellement perdre la face devant une gamine de douze ans. — Tu sais quoi ? Peu importe. Cinq billets, ça te va ? — Cinq billets ? — Donne-moi ton verre d’eau et je te donne cinq billets. — Disons dix. Charlotte lui jeta un regard noir. La jeune fille le lui retourna. Dix dollars pour se soulager du fait que Jake est un connard ? Marché conclu. Charlotte sortit un billet de vingt de sa poche de derrière. Merde. La fille le lui arracha de la main avant que Charlotte n’ait le temps de faire quoi que ce soit. Elle saisit le gobelet en marmonnant et

s’avança vers le siège de Jake. Plus que deux rangées. Enfin. Elle s’arrêta à celle de Jake et s’éclaircit la voix. Il ne broncha pas. Elle s’éclaircit la voix une nouvelle fois. Finalement, il leva lentement la tête et resta bouche bée. — Charlotte ? — Jake, roucoula-t-elle. — Comment vas-tu ? Ça fait un bail ! Son sourire n’atteignit pas ses yeux. En fait, cela faisait onze mois, une semaine et cinq jours. Mais, bon, qui faisait les comptes ? Pas elle. — Ah bon ? Elle s’appuya contre son siège. — On devrait rattraper le temps perdu. Il la dévisagea de la tête aux pieds avant de tousser et détourner le regard. — En effet. Elle était d’accord, mais, avant de perdre son sang-froid, elle versa tout le contenu du gobelet sur son pantalon. — Mais je ne sors pas avec des connards qui m’abandonnent après avoir couché avec moi. — Mais que… Il allait se lever juste au moment où elle fit signe à l’hôtesse et annonça à voix haute : — Pardon, on dirait que Jake Titus vient de faire pipi dans son pantalon. Pouvez-vous nous aider, s’il vous plaît ? Des petits rires s’élevèrent tout autour d’eux, et Charlotte adressa un sourire narquois à Jake, sous le choc. Il tendit le bras vers une vieille dame assise près de lui. — Bien, bien. Charlotte se pencha au-dessus du siège et murmura : — On dirait que tu te tournes vers tous les types de femmes aujourd’hui, hein, Jake ? — Oh ! tout à fait, intervint la dame. Saviez-vous qu’il avait eu le cran d’amener une traînée à la fête de fiançailles de son frère ? Bon sang, faites que cette vieille dame parle de quelqu’un d’autre et ne fasse pas référence à elle. — Je, euh… Charlotte prit un moment pour se calmer. — En fait, je n’ai pas de mal à le croire. — Et vous savez quoi ? La femme lâcha la main de Jake et se pencha au-dessus de son siège. Il leva les yeux au plafond, mais resta muet. — Quoi donc ? Peu importe qui était cette vieille folle, Charlotte l’aimait bien. Elle l’aimait même beaucoup. Dommage que Jake soit sur le point de lui briser le cœur. Sans porter de jugement, était-il vraiment le genre de gars à sortir avec des femmes qui avaient deux fois son âge ? — Son béguin du lycée se marie avec son frère. Il essaie de faire comme si ça ne le dérangeait pas. Mais une grand-mère sait ce genre de choses. Elle caressa la main de Jake.

Ah !… Grand-mère. Attendez ? Était-ce la célèbre grand-mère Nadine dont Kacey parlait tout le temps ? Même si Charlotte avait grandi assez près de la famille Titus, elle n’avait jamais rencontré cette vieille dame… jusqu’à aujourd’hui. — Alors…, ajouta grand-mère en se rasseyant au fond de son siège. Je vais le tenir. Jake ronchonna. — Vous voulez dire que vous allez le castrer ? — Oh ! chérie, dit grand-mère en riant. Il n’y aurait rien de mieux pour ce garçon qu’être castré. Tu sais que j’ai même cherché une ceinture de chasteté ? Jake ronchonna à nouveau. — Mon Dieu, protégez-moi du sexe féminin. — Le sexe, souffla Charlotte. Un peu comme ce qui t’a fichu dans cette situation fâcheuse au départ, non ? L’hôtesse choisit ce moment précis pour s’approcher. — Où est le jeune garçon qui a mouillé son pantalon ? Elle avait une couche-culotte à la main. Grand-mère et Charlotte désignèrent toutes les deux Jake du doigt.

3 Mauvais karma. Qu’est-ce qu’il détestait ça ! Voilà ce qui lui tombait dessus. Après tout, un type ne peut courir les filles à travers le monde que jusqu’à ce que Dieu commence à sévir ou tuer, ou, dans le cas de Jake, à le harceler avec des femmes enragées. — Je n’ai pas… Jake s’éclaircit la voix et chuchota : — … eu d’accident. Cette femme, ajouta-t-il en désignant Charlotte, m’a agressé. L’hôtesse regarda entre les deux. — Avec quoi, monsieur ? — De l’eau, répondit grand-mère à sa place. Elle lui a jeté de l’eau dessus. — Euh… L’hôtesse remua nerveusement. — Monsieur, voulez-vous, euh – comment dire ? –, voulez-vous la signaler ? — À qui ? demanda Charlotte en riant. À l’agent de sécurité aérienne ? Que va-t-il faire ? Me « taser » pour avoir jeté de l’eau sur la partie du corps préférée de cet homme ? Elle pointa du doigt le visage de Jake et éclata de rire. — Sérieusement ! Ce n’est pas comme si j’avais prononcé le mot « bombe ». — Oh merde ! Jake se pinça l’arête du nez tandis que le mot « bombe » était répété et murmuré sur plusieurs sièges derrière lui, jusqu’à ce que, comme s’il y avait eu une vraie bombe, une vive agitation règne dans l’avion. — Madame ! L’hôtesse leva les mains devant le visage de Charlotte. — Calmez-vous. Vous devez vous calmer. Avez-vous une bombe ? — Quoi ? Le visage de Charlotte s’assombrit. — Mais pourquoi donc aurais-je une bombe ? Bon. Au moins, elle avait assez de bon sens pour arrêter de parler quand… — Si j’avais une bombe, je ne serais pas assez stupide pour le déclarer, de toute façon ! La blague. Aucun bon sens, aucune logique. Comment avait-il pu oublier ? C’était de Charlotte qu’il s’agissait. Elle adoptait des chiens aveugles et pleurait devant les publicités stupides de sauvetage d’animaux de Sarah McLaughlin. Clairement, le bon sens ne faisait pas partie de ses points forts. — Madame ! Vous devez arrêter de parler si fort. L’hôtesse fit un signe à quelqu’un derrière elle. Quelques secondes plus tard, un homme en jean et teeshirt blanc apparut. Bon, il n’aurait pas été juste de le qualifier simplement d’homme puisqu’il devait certainement manger des enfants au petit-déjeuner. Même Jake était mal à l’aise devant lui et remua en évitant de croiser son regard. — C’est vous qui avez parlé de faire exploser l’avion ? demanda-t-il. — Quoi ? Charlotte regarda Jake pour qu’il lui vienne en aide. Et, honnêtement, l’aider aurait probablement été

la chose à faire, vu la situation. Mais elle lui avait jeté de l’eau sur le pantalon, puis l’avait accusé d’avoir eu un accident. Et il y avait aussi cette fois où, au lycée, elle avait dit à tout le monde que la raison pour laquelle il ne faisait pas de sport était qu’il avait peur que tout le monde voie ses parties génitales féminines dans les vestiaires. Alors, ouais. Peut-être qu’il ne se sentait pas vraiment l’âme d’un Samaritain. — Jake ! Charlotte lui donna une tape sur l’épaule. — Aide-moi ! Avec un sourire malicieux, il ouvrit la bouche pour parler, mais sa grand-mère posa sa main dessus avant qu’un mot ne puisse sortir. — Tous les deux. Ils ont tous les deux des bombes. Puis, grand-mère Nadine éclata aussitôt en sanglots. De vraies larmes sincères. Soudain, Jake se retrouva ligoté avec un lien en plastique et forcé à avaler des cacahuètes par un homme dont les mains étaient plus grandes que le visage de Jake, parce qu’à la minute où il fut sorti de son siège, il avait failli s’évanouir. Super, conséquence de sa dépression nerveuse. Encore une chose à ajouter au fait d’avoir traversé les pires mois de sa vie. Et puis, il découvrit Charlotte en train de débiter des idioties sur le fait que Jake avait besoin de protéines. Pour une raison ou une autre (peut-être parce que tout semblait tourner autour de lui), il ne put réagir assez vite pour dire qu’il détestait les cacahuètes. Il essayait toujours de déterminer ce qui était le plus effrayant : le fait qu’un homme tentait de le forcer à avaler quelque chose qui rimait avec « quéquette » ou que les doigts de cet homme soient plus doux que tout ce qu’il avait jamais senti contre ses lèvres. Ce qui soulevait la question : pourquoi ces doigts touchaient-ils les lèvres de Jake ? Et pourquoi se sentait-il aussi… ? Eh merde. Il attrapa l’accoudoir et eut un mouvement de recul. Était-il en train de changer de camp ? — Arrêtez avec ces quéquettes, je veux dire cacahuètes. Mince. Charlotte regarda autour de lui et demanda, choquée : — Est-ce que tu viens de dire qué… — Non ! Jake émit un rire forcé et essaya de s’éloigner le plus possible de l’homme assis entre eux. — J’ai dit « cacahuètes ». — Non, insista Charlotte avec un large sourire. — Si. — Non. — S’il vous plaît, peut-on me retirer ces choses ? demanda Jake en se serrant contre l’accoudoir. Les liens ne bougeaient pas et laissaient des traces sur sa peau. — Ce n’est pas comme si on avait vraiment des bombes ! Ma grand-mère est folle, je veux dire, littéralement folle ! Vous n’avez pas idée de ce dont elle est capable ! — Les chiens ne font pas des chats, souffla Charlotte. — Ça te dérangerait de te taire ? Jake regarda l’agent de sécurité. — J’essaie de nous sortir d’une situation délicate. Tu pourrais au moins m’aider ou t’excuser ! — M’excuser ? répéta Charlotte, les yeux écarquillés. M’excuser ?

Ses narines se dilatèrent tandis qu’elle se penchait aussi loin que ses liens le lui permettaient et jetait un regard furieux à Jake. — Je suis surprise que tu connaisses la définition de ce mot. Jake souffla. — Je sais ce qu’il signifie, mais je ne suis pas coupable. — Bon sang, j’ai tellement envie de te foutre une beigne… — « Me foutre une beigne » ? Mais qui parle comme ça ? Cette bonne vieille Charlotte, toujours à aboyer sans jamais mordre. D’ailleurs, je te rappelle que tes mains sont liées. Je peux dire tout ce que je veux, tu devras rester assise là et écouter. En fait… Il marqua une pause et se retourna pour que son sourire éclatant de star de cinéma fasse tout son effet sur Charlotte. Ses dents blanches parfaitement alignées apparurent au moment où il se lécha lentement la lèvre inférieure en se penchant avec l’air d’attendre quelque chose. Une mèche rebelle de cheveux noirs tomba sur son œil. Mince, cet homme était si attirant sexuellement que ça en devenait repoussant. — Ne fais pas ça, Jake Titus. Ne t’avise pas de faire ça ! Je vais, je vais… Jake bâilla. — J’attends. — Je vais… — C’est donc comme ça que ça s’est passé. Jake se retourna vers l’agent de sécurité et s’éclaircit la voix, mais, pour une raison inconnue, elle ne s’éclaircit pas. Il eut soudain l’impression d’avaler du coton. — Chaw… Il avait l’impression que sa langue était énorme. — Chaw, je… — Bon sang ! cria Charlotte en gigotant dans son siège. Euh, Jake, euh… Monsieur l’agent de sécurité… — Randall. Je m’appelle Randall. Le type tendit la main, puis, réalisant que Charlotte était toujours ligotée, il se mit à rire. Il ne pouvait pas du tout voir Jake de sa position. Bizarre ; c’était presque comme s’il avait du mal à respirer. C’était peut-être à cause de l’altitude ? Il essaya de nouveau d’avaler. Merde. Respirer était de plus en plus difficile. Que se passait-il ? — Jake ! cria Charlotte encore plus fort cette fois-ci en donnant un coup de pied à l’agent de sécurité. Regardez, Randall ! Nous avons un problème. Vous êtes à cinq secondes d’avoir un mort sur les bras. — Mow ?! lança Jake d’une voix rauque. Charlotte allait-elle le tuer ? L’avion était-il en train de s’écraser ? Ce n’était pas comme s’il y avait encore quelque chose qui méritait d’être vécu maintenant que sa grand-mère avait menacé de ruiner sa carrière s’il ne se reprenait pas. Ce serait donc elle ou une autre femme bafouée qui le tuerait. Il prendrait le risque avec Charlotte plutôt qu’une vieille excitée de quatre-vingt-six ans qui avait assez de rouge à lèvres pour tracer le contour de son corps inanimé pour la police. Il voyait déjà l’article dans le journal :Jake Titus, lebad boymillionnaire, déshérité par toute sa famille, est mort dans le crash d’un avion, des miettes de cacahuètes sur le visage.Encore fallait-il qu’il trouve les miettes de cacahuètes, étant donné que son corps serait probablement calciné… Quand sa vie était-elle devenue aussi déprimante ? Il rejetait la faute sur le mariage imminent de son frère. Tout avait commencé à se dégrader depuis que son frère avait fait sa demande en mariage à la meilleure amie d’enfance de Jake.

— Pardon ? L’agent de sécurité se raidit, sortant Jake de son rêve (ou de son cauchemar, selon la façon dont on voulait voir les choses). — Regardez ! Charlotte fit signe de la tête vers Jake. C’était donc comme ça qu’il allait mourir ? De la main de Charlotte…, une femme bafouée. Bon, techniquement, ce serait de la main douce de l’agent de sécurité qui lui avait donné des cacahuètes. Comment avait-il bien pu finir à l’affiche de son propre téléfilm mélodramatique ? — Monsieur, calmez-vous. Les yeux de l’agent de sécurité s’agrandirent, puis il se cogna la tête contre le plafond en se levant, jura et courut dans l’allée. Jake le suivit du regard. Mince, c’était quoi, son problème ? S’inquiétait-il si peu pour la mort imminente de Jake ? — Bon…, dit Charlotte en plissant les yeux. Tu es allergique à quelque chose, Jake ? — Ha, ha ! répondit-il d’une voix enrouée. Ouais. Pouwquoi, tu comptes m’empoisonner ? Désolé, chéwie, je suis un homme pawfait. La bouche en forme de cœur de Charlotte afficha un air renfrogné. — O.K., je peux faire une croix sur mes excuses. — Pouwquoi ? Jake se redressa dans son siège. Peut-être que, s’il bougeait, il respirerait mieux ? Avec un juron étouffé, Charlotte haussa les épaules et détourna le regard. Est-ce qu’il faisait chaud dans cet avion ? Qu’arrivait-il à sa bouche ? Ses mains commençaient à sérieusement le démanger. Il baissa les yeux et se figea en fixant ses mains. Des mains de Mickey Mouse très enflées. — Putain de mewde ! lança-t-il en se jetant violemment au fond de son siège. Mes pains, mes pains ! — Pains ? Une dame se retourna et les regarda tous les deux. Charlotte hocha la tête d’un air solennel. — Veuillez excuser mon ami. Il se prend pour un boulanger. La panique s’installa alors qu’il lui était de plus en plus difficile de respirer. Faisait-il une réaction allergique ou s’agissait-il simplement d’une crise ? Il n’avait jamais connu quelque chose de semblable auparavant. Il regarda vers l’allée et remarqua sa grand-mère qui revenait avec un objet dans les mains. Super. Maintenant, il allait se faire poignarder par sa propre grand-mère. Les vols ne se passeraient-ils jamais normalement, pour lui ? — Ne t’inquiète pas, Jake ! Grand-mère le montrait du doigt en hochant la tête. — Grand-mère a ce qu’il faut. Elle leva la main en l’air. Jake ferma les yeux. Peut-être que ce n’était qu’un mauvais rêve ? Peut-être qu’il n’était pas vraiment ligoté, peut-être qu’il faisait une dépression nerveuse et… — Putain ! gémit Jake tandis que grand-mère enfonçait une aiguille directement dans sa cuisse par le trou dans son jean. Eh bien, s’il ne mourait pas, il s’évanouirait sans doute à cause de la douleur. Quel programme palpitant ! Quand la pression baissa et l’aiguille eut disparu (merci, mon Dieu), il ouvrit un œil, puis l’autre, pour découvrir grand-mère debout devant lui avec ce qui ne pouvait être décrit que comme un instrument de

torture dans la main. — Il était allergique quand il était petit. Je me demande si le stress… Elle se retourna vers Charlotte. — Merci, ma belle. Je ne sais pas ce qu’on aurait fait si tu n’avais pas dit à Randall que Jake allait mourir. — Vous êtes une héroïne, m’dame. La lèvre inférieure de Randall se mit à trembler alors qu’il penchait la tête et baissait les yeux. Vous déconnez ? Tous les regards se tournèrent vers Jake. Il aurait juré que tout l’habitacle de l’avion était devenu complètement silencieux. À dire vrai, le silence fut extrêmement court puisque le vol de Portland à Seattle durait moins d’une heure. — Jake, dit grand-mère en soupirant. Tu n’as pas quelque chose à dire à Charlotte ? Tu es folle ? Tu as failli me tuer ? J’ai envie de t’étrangler ! Il se retourna en marmonnant pour la regarder…, vraiment la regarder. Mince, elle était toujours d’une beauté agaçante. Il pouvait presque sentir ses cheveux soyeux entre ses doigts. Et cette bouche ? Elle suffisait à distraire n’importe quel homme. Même dans son état actuel, il voulait toucher ses lèvres et… Bon sang, mais d’où lui venait cette idée ? Ce doit être la réaction allergique. De longs cheveux châtains tombaient en vagues sur ses épaules. Ses yeux bleus s’écarquillèrent légèrement tandis que son regard descendait sur ses lèvres roses et charnues. Mais ils ne s’écarquillaient pas à cause de l’inquiétude ; elle essayait simplement de ne pas rire. — Non, dit Jake en jetant un regard furieux. Elle sait ce que je pense d’elle. Le sourire narquois de Charlotte tomba, et son regard se fit glacial. — Il a raison. Elle regarda vers grand-mère. — Il a dit tout ce qu’il devait dire après avoir couché avec moi et laissé un message sur mon oreiller qui disait : Merci. C’est bien ça, Jake ? Il aurait dû voir la gifle venir. Mais, pour être honnête, il était encore sous le choc parce que Charlotte osait laver leur linge sale en public. Quand l’air siffla dans ses oreilles, il fit ce que tout homme aurait fait : il se baissa. Dommage que sa grand-mère ne fût pas du genre à abandonner aussi facilement. Il eut droit à un revers sévère. — Je t’ai mieux élevé que ça ! Grand-mère Nadine agita son doigt devant le visage de Jake et secoua la tête. Elle défroissa sa veste et ordonna à Randall, l’agent de sécurité larmoyant, de détacher Charlotte en expliquant qu’en réalité, le problème ne venait pas d’elle, mais bien de Jake. Se sentant trahi, Jake se mit à crier à l’agent que c’était Charlotte qui avait parlé de bombe. Mais il aggrava son cas en répétant ce mot. Jake reçut le coup fatal lorsque grand-mère regarda Randall dans les yeux et lui dit : — Elle lui a sauvé la vie. L’heure suivante a été la plus longue de toute sa vie. Sa respiration était haletante. Son visage était très probablement encore enflé à cause à la fois de la réaction et de la gifle de grand-mère. Il n’avait jamais eu autant l’impression de ne pas être un homme. Et tout était la faute de Charlotte.

4 Jake la fusillait littéralement du regard. Heureusement pour elle, chaque fois qu’elle se retournait, il était bouffi et en sueur, ce qui ruinait totalement l’image de sex-symbol à laquelle elle l’avait toujours associé. Elle agita les doigts dans sa direction. Il plissa les yeux en se recroquevillant de nouveau contre le siège. Charlotte souffla et se contorsionna sur son épaule droite pour voir Beth assise à sa place, profondément endormie. Avait-elle réellement raté toute la scène ? La pire… sœur… au monde. — Encore un peu de vin. Grand-mère Nadine tendit son gobelet vide à Charlotte. Qu’était-elle censée faire avec ça ? Une hôtesse apparut de nulle part et remplit le verre à ras bord. Comment une personne pouvait-elle bien obtenir ce genre de service sur un vol aussi court ? Ils ne voyageaient même pas en première classe ! Sans prononcer un mot, grand-mère Nadine arracha le gobelet de la main de Charlotte et prit une longue gorgée. Son rouge à lèvres couvrait chaque centimètre du bord du verre en plastique, indiquant que c’était le sien et rien que le sien. Sincèrement, il y avait plus de rouge à lèvres là-dessus que sur la bouche de toutes les employées de Sephora réunies. — Bon, Charlotte. Je sais que Jake est un imbécile… Charlotte éclata de rire. Grand-mère Nadine pouvait l’accompagner en avion quand elle voulait. — … mais…, ajouta-t-elle avant d’avaler une nouvelle gorgée de vin. Mais c’est mon imbécile. Charlotte s’étrangla en riant. — Enfin…, ajouta-t-elle en émettant un profond soupir. Pas vraiment « mon » imbécile ; honnêtement, il se débrouille très bien tout seul pour ça. Je l’ai trop gâté quand il était petit. Il avait peur de tout, tu sais. — Ah ? Charlotte fit semblant de ne pas s’intéresser alors que son cœur battait dans sa poitrine au fil des renseignements que grand-mère lui fournissait. — Je n’étais pas au courant. — Oh ! chérie ! lança grand-mère en riant. Il avait peur de son ombre quand il était gamin ! Il a dormi avec ses parents pendant les six premières années de sa vie ! Pauvres parents. — En tout cas… Grand-mère prit encore du vin. Ses bijoux tintèrent à son poignet quand elle agitait la main par-ci parlà en parlant. — C’est ma mission, mon sacerdoce, d’agir pour son bien. De le faire progresser, de faire de lui l’homme qu’il est censé être avant qu’il ne soit trop tard. Le cœur de Charlotte se serra et elle murmura : — Vous êtes mourante ? — Moi ? dit grand-mère en riant. Oh ! chérie, Dieu ne veut pas encore de moi. Il me l’a justement dit ce matin même. Grand-mère parlait donc à Dieu. Charlotte se demanda si cela voulait dire qu’elle essayait de sauver

l’âme de Jake. — Alors…, reprit Charlotte en expirant et en essuyant ses mains sur son jean. Quel est votre plan ? — Oh ! répondit grand-mère avant de finir son verre comme une rock star et le rendre à Charlotte. C’est simple. Je l’ai déjà déshérité. Tout ce qu’il lui reste, c’est l’argent de ses fonds de placement. Et je l’ai licencié. Même s’il ne le sait pas encore. — Hmmm. — C’est mignon, dit grand-mère en lui tapotant la jambe. Je devine que tu te fais du souci pour lui. Ne t’inquiète pas ; il retombera sur ses pieds. C’est ce que font toujours les imbéciles. Elle marqua une pause. — À moins que ce ne soient les chats ? Elle secoua la tête et tapota son menton avec son doigt. — En tout cas…, tout ira bien pour lui. — Donc, vous le ruinez pour son bien ? demanda Charlotte. — Absolument. Grand-mère se pencha en avant, sa poitrine ferme débordant partiellement de son décolleté en V plongeant. Comment arrivait-elle à conserver ce corps ? Sérieusement, grand-mère Nadine aurait pu vendre n’importe quoi ; les clients auraient afflué. — Tout le monde, je veux bien dire tout le monde, commença grand-mère en souriant et en posant sa main parfaitement manucurée sur le bras de Charlotte, mérite une bonne ruine. Ça rend les gens reconnaissants. Je vais le ruiner, et, au final, il sera reconnaissant, heureux, épanoui et… Elle jeta un coup d’œil derrière elle. — … pas trop moche…, poursuivit-elle. Oh mon Dieu ! Ce garçon était beau autrefois. Maintenant, il met ces trucs dans ses cheveux et fait des soins du visage et… La ruine et la saleté, affirma-t-elle en haussant les épaules. Il aura les deux. Le temps que j’y parvienne, il ne saura pas ce qui lui est arrivé. Et si ça ne marche pas… Fascinée, Charlotte se contentait d’attendre la prochaine perle de sagesse qui sortirait de la bouche de grand-mère Nadine. — Il y a toujours le séminaire, conclut cette dernière. — Vous l’enverriez en séminaire ? — Pas du tout ! Grand-mère appuya sa main sur sa poitrine en prenant un air offensé. — Il proposera de lui-même d’y aller pour me calmer et retourner dans mes bonnes grâces… et celles de Dieu ; on ne doit pas l’oublier. Jake l’agace depuis des années ; béni soit ce coureur de salopes… — Euh…, je crois que vous ne devriez pas dire « salope » et « Dieu » dans la même phrase. — Oh ! Grand-mère lui fit signe de partir. — Maintenant, je suis fatiguée. Je vais reposer mes yeux. Bonne nuit. Manifestement, la conversation était terminée. C’était ça, ou les trois verres de vin avaient eu raison de grand-mère. En quelques secondes, elle s’endormit et se mit à ronfler. Ils atterrirent vingt minutes plus tard, et cela mit fin au vol le plus étrange et terrifiant de l’existence de Charlotte. *** À la seconde où le voyant ATTACHEZ VOS CEINTURES s’éteignit, Charlotte bondit de son siège. Grand-

mère se réveilla soudainement et bâilla. — Déjà arrivés ? — Ouais. Charlotte ne voulait pas paraître grossière, mais elle voulait vraiment en finir avec ce cauchemar. Elle retourna aussi vite que possible à sa place, où Beth l’attendait patiemment. — On doit y aller, maintenant ! ordonna Charlotte à sa sœur. Rassemble nos affaires. Il ne faut pas que grand-mère Nadine pense que… — Charlotte ! cria une voix féminine familière. Charlotte ! À l’aide. Prise de panique, Charlotte se dirigea tout droit vers grand-mère. La vieille dame était calmement assise sur son siège. — Oui ? C’est votre cœur ? Vous êtes malade ? Vous êtes… — Mes sacs sont trop lourds et je crois que j’ai bu trop de vin. Le choc du siècle. La dernière fois que Charlotte avait bu autant de vin en vingt minutes, elle s’était retrouvée couchée dans le panier d’un chien près d’un labrador qui s’appelait Lucifer et qui avait clairement profité d’elle toute la nuit d’après les poils qu’elle avait dans la bouche. — Tu me les portes ? Grand-mère Nadine affichait un sourire si doux que Charlotte n’eut d’autre choix que d’obtempérer. Voilà pourquoi elle se retrouva dans la zone de livraison des bagages une heure plus tard avec Beth, grand-mère et Jake, toujours enflé, à sa suite.

5 Les lunettes de soleil ne lui étaient d’aucune aide. Chancelant en attendant les bagages, Jake faisait de son mieux pour garder les yeux rivés sur le carrousel ; à l’instant où ses sacs apparurent, il se jeta sur eux. Grand-mère était une adulte. Elle pouvait trouver son fichu hôtel toute seule et, s’il devait faire face à Charlotte une nouvelle fois, soit il perdrait la tête et ferait quelque chose de complètement fou comme fixer ses lèvres, soit il l’étranglerait. Franchement, c’était pile ou face. — Jake ? l’appela grand-mère. Jake, tu as trouvé ma valise ? — Non, maugréa-t-il, probablement parce que je ne la cherche pas. Je cherche mon sac. Tu peux te débrouiller pour trouver tes bagages et aller au joli petit hôtel que tu as toujours aimé dans le centre de Seattle ? Grand-mère attrapa sa main et la serra. — Oh ! mais je sais déjà où je vais séjourner. — Fantastique. Grand-mère lui lâcha la main et sortit son téléphone portable. — Oui, juste la limousine, s’il vous plaît. Parfait. Oui, deux passagers. Elle fit signe à Charlotte et une autre fille. Charlotte ignorait complètement Jake, ce qui lui allait très bien ; il ne voulait même pas se rappeler que ce jour avait existé. Il marcha vers l’autre côté de la zone de récupération des bagages et observa Charlotte et la fille qui l’accompagnait prendre leurs sacs et s’éloigner. Bon débarras. Il avait simplement envie d’aller dormir. Le bon côté des choses, c’était qu’au moins, grand-mère lui payait la limousine. Ce n’était pas qu’il fût pauvre ou quoi, mais être déshérité d’une entreprise à plusieurs millions de dollars n’était pas exactement un élément qui jouait en sa faveur, pas après avoir eu le style de vie qu’il avait eu ces cinq dernières années. Il avait fait la fête pendant toutes ses études, dépensé de l’argent comme s’il n’y avait pas de lendemain et se fichait de tout sauf de sa propre personne. Ce qui lui aurait très bien convenu si l’argent n’était pas venu soudainement à manquer. Enfin, pour être exact, il ne manquait pas. Il était toujours millionnaire, mais, sans l’héritage de grand-mère, les choses allaient être plus tendues que prévu. Au revoir les vols impromptus vers les îles Caïmans, les suites de grand standing et les beuveries d’anniversaire à six chiffres. Il aurait dû récupérer la compagnie cette année. Au lieu de cela, sa grand-mère avait interrompu sa retraite et repris le plein contrôle du comité, laissant Jake à sa misérable place de vice-président. Sans le salaire d’un PDG, il ressentait une certaine… rancune. À moins que ce ne fût que de l’agacement ? Il ne savait pas trop. Mais il avait besoin d’un verre d’alcool fort et de sexe avant de pouvoir ne serait-ce que penser retourner au travail lundi. Peut-être que Sarah serait disponible ? Ou Natasha ? Il s’était bien amusé avec elle. — La voilà ! cria grand-mère en mettant un coup de coude à Jake pour qu’il s’approche de l’immense valise rose à motifs léopard. — Attrape-la. Quand il la souleva du carrousel en râlant, il faillit s’écrouler. — Mais, bon sang, qu’est-ce que tu as mis là-dedans ? — Oh ! tu sais bien…, répondit grand-mère en faisant un signe de la main. Une fille ne peut pas se déplacer sans ses vêtements et son maquillage.

— Je vois. Il repéra son sac et l’attrapa. — Alors, où est la limousine ? — Quelle limousine ? Elle sortit ses lunettes de soleil Chanel de son sac à main. — La limousine, répéta Jake. La fatigue suite à l’épisode de l’avion commençait vraiment à se faire sentir. — Tu viens de téléphoner et dire que tu voulais une limousine pour deux personnes. Où est-elle ? — Jake, je suis sûre que beaucoup de limousines peuvent contenir plus de deux personnes, et, pour être honnête, je ne sais pas où en trouver une. J’ai donné ces instructions au chauffeur pour qu’il vienne récupérer Charlotte et sa sœur. — Mais pourquoi as-tu fait ça ? — Parce que la pauvre petite était épuisée ! Grand-mère ouvrit la bouche en pointant son doigt vers le visage de Jake. — Après tout ce que tu lui as fait subir ! Un mot de remerciement ? Pour quoi ? Un orgasme ? C’est vraiment ce que font les jeunes d’aujourd’hui ? Elle lui jeta un regard mauvais. — La pauvre ne se souvient même pas comment c’était. J’ai l’impression que tu as perdu ton savoirfaire…, enfin, si tu en as eu un jour. — Quoi ? aboya Jake. Mais de quoi tu parles, bon sang ? Je peux procurer du plaisir à n’importe qui, n’importe où ! Je suis super doué pour donner des orgasmes ! De petits rires s’élevèrent autour d’eux. Grand-mère lui tapotait le bras avec condescendance. — Mais bien sûr, mon chéri. Elle articula un « Désolée » silencieux aux personnes derrière eux et prit le bras de son petit-fils. C’était quoi, cette histoire ? Charlotte ne se souvenait pas d’avoir couché avec lui ? Pas du tout ? Sérieux ? Elle avait perdu la tête ou quoi ? Il se souvenait de chaque petit détail. De la douceur de ses cheveux qui sentaient légèrement la lavande aux petits sons qui venaient du fond de sa gorge quand il l’avait embrassée. Et son goût… Mince, un homme ne pouvait pas oublier le goût d’une femme, et tout chez Charlotte était unique, rien qu’à elle. Il lui avait fallu des mois pour ne plus avoir son goût dans la bouche, pour oublier comment elle avait serré les draps entre ses doigts, puis utilisé ses mains talentueuses pour toucher Jake… — Je sais exactement ce que tu ressens, murmura grand-mère à son oreille. Moi aussi, les trajets en avion m’ont toujours un peu titillée. Ça te passera. Maintenant, s’il te plaît, est-ce qu’on peut partir avant que les gens voient que l’excitation des aéroports t’a stimulé ? Déjà que tu as hurlé le mot « orgasme ». Dieu sait que j’ai fait preuve d’assez de patience avec toi aujourd’hui. — Que… — Jake, une grand-mère sait tout. Ça va. Quand j’avais ton âge… Elle gloussa. — Une fois, ton grand-père et moi, nous sommes allés dans les toilettes de l’aéroport – ils étaient plus petits, à l’époque – et je portais des escarpins rouges qui me permettaient d’avoir la taille parfaite pour… — Grand-mère, s’il te plaît, je t’en supplie, ne me dis pas pour quoi. Mon imagination est bien assez galopante comme ça. J’ai juste… besoin que cette journée se termine. J’ai besoin de dormir un peu avant de retourner au travail, d’accord ? Dis-moi où je dois te raccompagner pour que je puisse rentrer chez moi.

Grand-mère haussa les épaules et passa devant lui pour se diriger vers la sortie. Elle leva la main pour arrêter un taxi et lui donna les instructions pendant que Jake aidait à mettre la valise à l’arrière. Une fois sur l’autoroute I5, il se détendit enfin. Grand-mère était assise en silence à côté de lui et regardait le paysage qu’offrait Seattle. Il savait que c’était sa ville préférée. Et c’était justifié. L’air y était vif, et la métropole agitée était encerclée par la forêt. Soudain, il pensa à une chose : depuis quand n’avait-il pas fait une promenade ou apprécié la ville dans laquelle il vivait ? Certainement depuis toujours. Merde, il avait besoin de vacances. Moins de dix minutes plus tard, grand-mère ronflait. Au moins, elle avait cessé de proférer des obscénités. Avec sa chance habituelle, elle se serait remise à parler de ses escarpins rouges et d’orgasmes. Oh ! bon sang. Il ne verrait plus jamais les escarpins rouges de la même façon. Il consulta les messages sur son téléphone. Quelques-uns de la part d’Aileen, dans lesquels elle faisait des fautes d’orthographe à des mots que n’importe quelle personne de son âge savait écrire. Si une femme luttait déjà pour écrire un texto, peut-être qu’elle n’était pas faite pour sortir avec lui. Mais il ne dirait jamais à grand-mère qu’elle avait raison, de peur qu’elle ne le lui fasse remarquer jusqu’à la fin de ses jours. Le dernier message était de Travis. Date du mariage avancée. On ne peut plus attendre. Impossible d’arrêter Kacey et maman. Tienstoi prêt pour dans deux semaines, cher témoin ! Jake frappa le téléphone contre le siège et jura à nouveau. Grand-mère remua, mais ne se réveilla pas. Comment était-il censé affronter Kacey et Travis après tout ce qui s’était passé ? Il avait été le meilleur ami de Kacey pendant toute sa vie, et puis… les choses avaient changé ; il avait changé, elle avait changé. Les gens changeaient, hein ? Il était normal d’aller de l’avant ! Il était normal de se détacher de ses amis. Ce qui n’était pas normal, c’était de coucher avec, puis de les abandonner. Jake avait clairement un problème avec l’engagement. Il détestait la manière dont les femmes se plaignaient le matin. Elles étaient comme des pièges collants, s’agrippant à lui avec leurs jambes, les lèvres contre son dos… Non. Il détestait ça. Il ne voulait que cet instant précis. Il refusait de donner plus. Parce qu’au final, quand vous donniez plus, les gens vous quittaient, exactement comme les parents de Kacey l’avaient quittée. Ils étaient morts la nuit où il lui avait pris sa virginité. Il n’avait jamais eu l’occasion de s’excuser d’avoir manqué de respect à leur fille. Mais, le pire, c’était qu’il n’avait jamais pu dire au revoir aux deux personnes à qui il devait tout. Les deux seules personnes dans l’univers qui savaient ce qu’il avait fait au lycée…, elles lui avaient sauvé la vie. Et maintenant…, elles étaient parties. L’idée d’assister au mariage lui laissait un goût amer dans la bouche. Kacey n’avait pas de père avec qui marcher dans l’allée, et elle méritait ça plus que toute autre femme. Le pire, c’était que Jake se contentait très bien de vivre sa vie jusqu’à ce qu’il fasse l’erreur d’implorer Kacey pour qu’elle accepte qu’il soit son faux fiancé pour un week-end. Il ne s’était pas attendu à ce qu’elle le touche autant. Mais le coup fatal avait été infligé à sa fierté quand Kacey avait craqué pour son frère aîné, le même frère aîné qui lui jetait des pierres et bégayait. Où était la justice là-dedans ? Il voulait mettre les choses en ordre pour le mariage. Il devait le faire. Après tout, les apparences et l’argent… C’étaient les deux seules choses qu’il avait. Il savait qu’il ne méritait pas l’amour de quelqu’un et il n’avait jamais demandé à l’avoir. Il espérait uniquement que son faux sentiment de sécurité durerait assez longtemps pour lui permettre de traverser les deux prochaines semaines et accomplir son devoir de témoin.

Mince. Maintenant, il fallait qu’il trouve une fille qui accepterait de l’accompagner au mariage. D’après les messages hauts en couleur d’Aileen, elle était éliminée. La fille avant Aileen lui ayant rappelé Kacey, elle était éliminée aussi. Il sentait une migraine venir, mais l’ignora tandis que le taxi prenait la sortie suivante. Sa sortie. Celle vers le lac Washington. Il haussa les épaules ; peut-être que grand-mère serait déposée après lui. Quand le taxi atteignit la maison de Jake sur le lac, il sortit d’un bond et attrapa ses sacs avant de se retourner. Ça n’aurait pas été sympa de réveiller grand-mère. Après tout, elle dormait profondément. Cela faisait-il de lui une mauvaise personne ? Ce n’était pas comme si le chauffeur allait la tuer ou quoi. Après tout, qui tuerait une gentille vieille dame qui avait de la bave au coin de la bouche… — Merci ! cria grand-mère. Priant pour la première fois depuis des années, Jake se retourna et vit sa grand-mère, sa valise à la main, qui faisait signe au taxi qui s’éloignait. Au moment où Jake se préparait à ouvrir la bouche, elle déclara : — Prends mes sacs ! Je suis fatiguée. Où est mon téléphone ? Est-ce que tu as vu mon téléphone, Jake ? Elle fouilla dans son sac à main géant et finit par en sortir l’iPhone couvert de motifs zèbre. Non. Mon Dieu, non. Elle allait rester avec lui ? Pour combien de temps ? Je vous en prie, mon Dieu, pas jusqu’au mariage… — Oh Seigneur ! Le mariage a lieu dans deux semaines. Cela nous laisse tout juste le temps ! — Le temps pour quoi ? Dieu le punissait ; c’était ça ou alors grand-mère était possédée. C’était forcément l’un ou l’autre. — Oui. Le sourire de grand-mère s’adoucit lorsqu’elle attrapa la main de Jake pour l’embrasser. — Le temps pour te ruiner. — Me ruiner ? Jake ricana en retirant sa main. — Je dirais plutôt…, hum, sortir de la ruine. Mais merci. — Comme tu veux ! lança grand-mère en haussant les épaules. Oh ! et, Jake ? — Quoi ? dit-il en marmonnant tandis qu’il portait sa lourde valise vers l’escalier. — Tu es viré. La valise lui échappa des mains. Des taches noires apparurent dans son champ de vision quand il répéta : — Viré ?

6 — J’ai besoin de boire un verre, annonça Charlotte une fois qu’elle et Beth furent arrivées à l’appartement qu’elles partageaient sur Queen Anne Hill. Oublie ça. J’ai besoin de dix verres et un sédatif. — Et alors ? dit Beth en ouvrant une bouteille de vin et en sortant deux verres. Tu t’es fait arrêter et ligoter à un homme super sexy. Franchement, il y a des choses bien pires dans la vie. — Comme faire un choc anaphylactique et voir ta grand-mère t’enfoncer une aiguille pas loin des parties intimes ? Charlotte gloussa et prit une gorgée de merlot. — Ça, j’ai bien aimé. — Ouais, enfin, heureusement que grand-mère vise bien et que Jake pourra encore avoir des enfants après ce petit incident. Comment j’ai bien pu dormir pendant ce temps ? Charlotte haussa les épaules. — Aucune idée. Mais, je suis bien contente que ce soit terminé. — Bien sûr, dit Beth en riant. Ce n’est pas moi qui traque le héros de Vampire Diaries sur Twitter. — Tu sais bien que ce n’est pas lui, Beth. — Ne gâche pas mon rêve, Charlotte. Charlotte soupira et s’appuya contre la table. — J’allais très bien ; je veux dire, en le revoyant. Pas de flash-back de cette folle nuit que nous avons partagée, pas de pensées ni de sentiments sulfureux ni… Beth arqua les sourcils. — Oh ! continue. Ça devient intéressant. — Ce n’était pas intéressant. C’était horrible. Avec un petit sourire narquois, Beth vida son verre et avala. — C’est ce que tu répètes, encore et encore et encore… — On ne peut pas juste… Charlotte agita sa main dans les airs. — … oublier ? Ce n’est pas comme si j’allais le revoir. Même s’il serait probablement présent au mariage de Kacey ; mais ce n’était pas important. Il aurait déjà de la chance s’il arrivait à voir quelque chose malgré le brouillard de whisky et les femmes pendues à ses bras. O.K. Et s’il se débarrassait des poufiasses assez longtemps pour embêter Charlotte et faire de sa vie un enfer ? Ça ne serait pas un problème parce qu’elle n’allait pas laisser ça devenir un problème. Comment ? S’ils assistaient tous les deux au mariage, elle n’aurait qu’à l’éviter à tout prix. Et elle le droguerait s’il le fallait. Pas question qu’elle le laisse s’approcher d’elle. — Tu ferais mieux d’espérer que ce soit le cas parce que, la prochaine fois, ce ne sera pas pour la grand-mère que je m’inquiéterai, mais pour toi. — Arrête, c’est l’opposé du mec sexy. — Attention, Pinocchio ; tu ne voudrais pas que ton immense nez t’empêche de boire ton verre de vin ? Sur ces mots, Beth quitta la cuisine. Comme si Jake comptait pour elle. Même s’il était attirant, il le savait, et c’était bien ça le problème.

Il l’avait toujours su. C’était un salaud égoïste, et elle n’allait pas craquer à nouveau pour lui. Elle ne se laisserait pas faire, car les histoires tragiques finissaient toujours mal. Avec un bac de glace Ben & Jerry’s et une bouteille de vin, elle allait regarder Downton Abbey sur Netflix.

7 Cette folie devait cesser. Grand-mère n’était avec lui que depuis un jour (un JOUR) et, en l’espace de vingt-quatre heures, elle avait déjà tellement mis la pagaille dans sa vie qu’il finirait probablement à l’hôpital psychiatrique avant vendredi. Grand-mère l’avait réveillé à deux heures du matin. Pour quelle raison ? Elle pensait avoir vu une mygale tueuse d’hommes. O.K. Une araignée qui, selon ses recherches sur Internet, ne vivait qu’en Australie. Mais, quand Jake lui avait apporté cette information, grand-mère avait crié qu’elle était allée en Australie quelques mois auparavant et qu’il était possible qu’une araignée se soit faufilée dans son sac et ait pondu des œufs. Évidemment, Jake n’aurait pas dû lancer cette discussion avec sa grand-mère. Sa question était pourtant simple : pourquoi donc une araignée aurait-elle choisi son sac ? Parmi tous les sacs du monde, elle aurait choisi le sien ? Peu probable. Sa réponse ? « Parce qu’il brille, et tout le monde sait que les araignées aiment ce qui brille. » Puis, elle avait brandi une lampe de poche et l’avait forcé à fouiller toute la maison à la recherche de ladite araignée. À quatre heures, Jake était prêt à se couper les oreilles. Apparemment, grand-mère avait un problème de ronflement. À six heures, c’était encore pire. Grand-mère faisait du yoga. Jake avait eu le privilège de le découvrir en premier lieu quand elle avait lancé son DVD de yoga, dont le son avait retenti dans toute la maison. Ce qui n’aurait pas été si grave si elle l’avait prévenu qu’il s’agissait d’un genre de yoga pour vieilles dames strip-teaseuses, en d’autres mots pour des cougars. Il y avait l’image dudit félin sur sa tenue d’entraînement. Cela lui avait fait un sacré choc. Jake avait fini par fermer sa porte à clé. Mais grand-mère était implacable. Après plusieurs coups et un bruit métallique, la porte était sortie de ses gonds. — Jake ? Bonté divine ! J’ai cru que tu étais mort ! — Dieu n’est pas assez bon pour ça. Crois-moi. Je l’ai déjà supplié. — Oh ! Jake. Grand-mère s’était assise allègrement sur son lit. — Courage ! Considère le fait que je t’ai viré comme une bonne occasion de prendre des vacances. — Sauf que…, avait grogné Jake, ce n’est pas le cas. Je suis au chômage. Je n’ai pas de boulot, pas d’argent, je n’ai rien, et tu es en bas en train de faire ce fichu yoga de cougar comme si le soleil continuait de briller ! Grand-mère avait marqué un temps d’arrêt, puis était allée jusqu’à la fenêtre pour ouvrir brusquement les rideaux. — Mais le soleil brille… et c’est une belle journée. Je pense que, si tu sortais simplement courir un peu, tu te rendrais compte à quel point c’est agréable d’être en congé. — Viré, avait corrigé Jake. — En congé, avait répété grand-mère sur un ton sévère. Maintenant, je vais faire les boutiques avec cette gentille jeune fille d’hier. C’est la demoiselle d’honneur de Kacey et nous n’avons que deux

semaines pour… — Attends, l’avait interrompue Jake en sautant de son lit. Répète. Qui est la demoiselle d’honneur de Kacey ? — Cette gentille jeune fille qui t’a sauvé la vie hier. Elle et Kacey sont amies depuis des années ! Elle était à Portland avec sa sœur pour de petites vacances et, comme il n’y avait que la famille, à part ta traînée, à la fête de fiançailles, elle n’était pas présente. — Mais… — Allez ! avait lancé grand-mère en tapant dans ses mains. Va profiter de ta journée de repos et moi je vais faire du shopping ! — Mais… — Et habille-toi, mon garçon. Tu n’as personne à impressionner dans cette maison. Sur ce, grand-mère était sortie de sa chambre, laissant la porte dégondée appuyée contre le mur et Jake la fixant en se demandant si on le mettrait en prison s’il s’en prenait à une vieille dame. Viré. Plus accès à la fortune familiale. Et il devait assister au mariage de son frère dans deux semaines. Avec une femme qu’il avait bafouée pas une, mais deux fois dans sa vie. Peut-être qu’il apporterait quelques cacahuètes, juste au cas où il aurait besoin de s’échapper… ou d’un nouveau moyen pour rencontrer son Créateur, puisque, apparemment, Dieu avait l’intention de garder Jake sur terre pour pouvoir le torturer jusqu’à la fin de ses jours.

8 — Elle est marron. Charlotte cligna plusieurs fois des yeux devant son reflet dans le miroir. — Pourquoi cette robe est-elle marron ? demanda-t-elle. Elle avait vraiment posé une journée de congé pour faire du shopping et se sentir grosse et déprimée dans une robe de demoiselle d’honneur ? — Parce que c’est sa couleur, chérie. Grand-mère Nadine avala une gorgée de champagne et pencha la tête. — Mais elle est affreuse, ajouta-t-elle. Vous pensez que Kacey a pu se tromper sur la couleur ? — Mon Dieu, j’espère bien. Charlotte frémit devant son reflet. La robe était d’un étrange orange qui tirait sur le marron, comme un arbre qui aurait changé de couleur à l’automne, mais avait oublié de quelle couleur il devait être exactement et décidé d’être moche en dernier recours. Elle n’avait pas de bretelles et était moulante jusqu’aux hanches, puis tellement évasée que Charlotte ressemblait à une médiocre copie de MarieAntoinette. Si cette pauvre femme avait été forcée de porter ça, pas étonnant qu’elle ait été décapitée. Charlotte soupira tandis que grand-mère sortait son téléphone portable. — Kacey ? C’est grand-mère. Elle cria si fort dans le téléphone que Charlotte fit un bond. — Kacey ! Je ne t’entends pas ! Oh ! attends, attends deux secondes. Grand-mère se leva et se dirigea vers la vitrine. — Oui ? C’est mieux ? Oh ! magnifique. Je suis sûre que cette tenue serait fantastique sur toi, Charlotte ! Viens par ici. N’ayant pas vraiment le choix, Charlotte avança en traînant les pieds jusqu’au mannequin dans la vitrine. — C’est une robe de mariée. — Je sais ! lança grand-mère en posant la main sur le micro du téléphone. Elle serait divine sur toi ! Essaie-la ! Juste une fois, allez ! Ça ne prendra qu’une minute ! Grand-mère la chassa d’un geste de la main. — Kacey ! Kacey ! Désolée, je parlais à ta copine. Elle est superbe, d’ailleurs et… Oh ! je vois… Mal à l’aise, Charlotte soupira alors qu’elle cherchait le portant où se trouvait la robe de la vitrine. Ses doigts touchèrent la soie délicate. C’était une très belle robe, mais ce n’était pas comme si elle allait se marier. Cela ne portait-il pas la poisse d’essayer une robe de mariée avant même d’avoir un fiancé ? — Essaie-la ! cria grand-mère, faisant sursauter Charlotte. Quelle bonne idée, Kacey ! Oui. Oui, je comprends. Oui. Non. Non, laisse grand-mère opérer sa magie. Oui. Non. Bien, Kacey… O.K. Dis-lui que je suis prête à parier. Charlotte marqua un temps d’arrêt en espérant que si elle restait assez calme elle pourrait entendre ce dont Kacey et grand-mère pouvaient bien parler. — Va l’essayer ! Ouste ! Grand-mère fit un geste de la main et tourna le dos à Charlotte.

— Dis à Travis qu’on fait un pari. Charlotte décrocha soigneusement la robe du portant et entra dans la cabine d’essayage. Après tout, qu’avait-elle à perdre ? Elle s’extirpa de la robe de demoiselle d’honneur marron et descendit délicatement la fermeture éclair de la robe de mariée en soie. Elle était entièrement ouverte dans le dos, ce qui signifiait qu’elle ne pouvait pas porter de soutiengorge. Elle s’attachait uniquement sur la nuque et avait un décolleté assez plongeant devant. Une fois la robe fermée sur le côté, Charlotte regarda le miroir. Mince. Elle n’allait pas pleurer. Pas pour une jolie robe. En retenant ces larmes ridicules, elle ouvrit le rideau et monta sur la plate-forme devant le miroir. La sensation de la robe contre ses jambes nues était incroyable. Comme la robe bruissait avec ses mouvements, Charlotte entendit des applaudissements. — J’ai une question, dit une voix masculine agaçante derrière elle. Elle tourna brusquement la tête et vit le reflet de Jake dans la glace. — Ça ne porte pas la poisse d’essayer une robe de mariée avant même d’avoir des projets ? Qu’il aille au diable ! — Non, lança Charlotte avec un regard furieux. Pas du tout. D’ailleurs, grand-mère a dit que c’était une bonne idée. — Toujours le dernier mot, dit Jake en sifflant. Grand-mère est aussi debout dans la vitrine en train de crier dans un téléphone zèbre comme si la personne à l’autre bout du fil se trouvait sur Mars. Je ne suis pas sûr que je l’utiliserais comme excuse infaillible. Agacée, Charlotte le rembarra : — Y a-t-il une raison à ta présence ici ? Je veux dire, en dehors du fait qu’on t’a viré. Son visage pâlit. Charlotte afficha un sourire triomphant. — Je suis en congé…, dit-il avant de tousser. En fait, j’ai reçu un message de Travis me disant qu’il fallait que je passe récupérer quelques trucs pour lui et qu’on prenne mes mesures pour un smoking. Alors, oui. J’accomplis mon devoir de témoin. — Témoin ? répéta Charlotte. L’effroi s’installa au creux de son ventre. — Je devine à ton excitation que tu es ravie. Oh ! attends. À moins que ce soit parce que tu ne portes pas de soutien-gorge. Au temps pour moi. — Tu n’es qu’un imbécile. — Merci, répondit-il avec un petit sourire satisfait. Merde, Charlotte n’était pas sûre de savoir si elle devait couvrir sa poitrine ou se contenter de lui offrir une vue de ses lolos pour lui faire comprendre une bonne fois pour toutes qu’il l’avait eue, mais ne l’aurait plus jamais. Ses yeux noisette s’écarquillèrent. — Si ça peut te consoler…, j’aime bien cette robe. Charlotte déglutit lentement. Il faisait un pas prudent vers elle. Pourquoi était-il si beau ? Ses cheveux châtain doré formaient cette ondulation brillante que les gens normaux ne voient que sur les couvertures en papier glacé des magazines. Son sourire était ravageur, et, à cet instant, ses yeux – ses yeux perçants – étaient plongés dans les siens. Elle s’humecta les lèvres alors qu’il faisait un autre pas vers elle. La pièce lui sembla soudain trop petite, trop chaude, trop tout. Il tendit la main pour l’aider à descendre de la plate-forme. Elle n’aurait vraiment pas dû la prendre. Parce qu’à l’instant où sa peau entra en contact avec la

sienne…, elle se souvint. La nuit ardente qu’elle avait partagée avec lui était absolument inoubliable. La sensation de ses lèvres sur les siennes resterait gravée dans sa mémoire et ne pourrait jamais être exorcisée. — Jake ! cria grand-mère en contournant le mannequin. Aide-la à retirer cette robe ! Nous avons une urgence nuptiale ! Dépêche-toi ! — D’accord. Jake lâcha la main de Charlotte, qui secoua la tête en faisant un pas en arrière. — Ça ne sera pas la première fois que je t’aiderai à enlever tes vêtements, hein, Charlotte ? Et l’instant spécial fut oublié. Ignorant la sensation de chaleur sur son visage, Charlotte retourna dans la cabine et tira le rideau. — Tu n’as pas besoin d’aide ? — Je crois que je sais comment me déshabiller, Jake. — Oui. Son petit rire donna envie à Charlotte de le gifler. Elle attrapa la fermeture éclair en tremblant. — Mais quand c’est moi qui le fais, c’est inoubliable. C’est tout ce que je peux dire. Bon. Elle en avait assez. Refusant de le laisser penser qu’elle avait peur qu’il la touche, elle releva le défi. Elle prit la mouche et tira le rideau. — Prouve-le. Les yeux de Jake s’écarquillèrent, et un sourire malicieux apparut sur ses lèvres. — Avec plaisir. Sa façon de prononcer le mot « plaisir » eut vraiment un effet malencontreux sur le corps de Charlotte, un effet qui faillit lui faire regretter sa décision irréfléchie. — Où est la fermeture éclair ? — Oh !… Tu ne la trouves pas ? Ça t’arrive souvent, Jake ? « Je ne trouve pas la fermeture, mais où est donc mon matos… » — Ah ça, ça ne me pose jamais aucun problème. Tu devrais le savoir. Elle plissa les yeux en le regardant fermer le rideau et lui faire signe de se retourner. Elle s’exécuta et se retrouva face au miroir. Jake posa ses mains sur ses épaules, puis les fit descendre le long de ses bras. Elle ne frémirait pas, elle ne réagirait pas ! Il posa ses mains sur ses hanches, puis détacha la robe avant de les faire remonter sur ses flancs, jusqu’à ce qu’elles effleurent ses seins. La respiration de Charlotte se bloqua quand il lui fit un clin d’œil dans le miroir en contournant sa poitrine pour atteindre le lien sur sa nuque. Charlotte se mordilla la lèvre inférieure alors qu’elle le regardait défaire délicatement le nœud et retenir la robe contre son corps pour qu’elle ne tombe pas. — Tu as des cheveux magnifiques. Il passa ses doigts dans sa chevelure et soupira, les yeux plongés dans les siens dans le miroir. Il ne souriait pas. Lui faisait-il sérieusement un compliment ? Sur son visage ? Sur son reflet ? — Je, euh… — C’est juste un compliment, Charlotte. Pas une proposition. Elle rougit excessivement. — Merci. La façon qu’il avait de la regarder lui donnait l’impression d’être nue. Elle se souvenait maintenant des raisons pour lesquelles les choses s’étaient détraquées. Elle ne savait jamais à quel Jake elle parlait. Celui qui avait été son ami quand elle était petite, ou le play-boy millionnaire qui n’avait aucune âme.

Charlotte doutait qu’il le sache lui-même. Elle devait juste s’assurer de bien le garder en mémoire, de peur de finir de nouveau avec un cœur brisé. — Tout le monde est dans une tenue décente ? cria grand-mère de l’autre côté du rideau. Jake fit un pas en arrière en faisant un clin d’œil. — Malheureusement. Charlotte sentit son visage chauffer. — Eh bien ! lança grand-mère. Tu as perdu la main, fiston. — Comme si je ne le savais pas. Il s’humecta les lèvres et fit un dernier signe de tête à Charlotte avant de passer de l’autre côté du rideau. C’était quoi, ça ? Il fallut cinq bonnes minutes à Charlotte pour remettre son jean. Ses stupides mains tremblaient tellement qu’elle n’arrivait pas à remonter la braguette. Voilà pourquoi les hommes comme Jake ne devaient pas être laissés en liberté. C’était dangereux, vraiment dangereux. — Tu es prête ? demanda Jake. Grand-mère s’impatiente. — J’arrive. Charlotte surgit hors de la cabine, son sac à la main. — Alors, c’est quoi, cette urgence ? Jake soupira et montra du doigt grand-mère qui était en train de tournoyer au milieu du magasin. — Je suis perplexe. Elle est soûle ? Charlotte observa grand-mère alors qu’elle continuait avec deux pas, une pirouette, une pause, un swing, et recommençait l’enchaînement. — Ça ne m’étonnerait pas d’elle, chuchota Jake. — Chut ! Grand-mère s’interrompit au milieu d’une pirouette. — J’ai trouvé ! — C’est marrant, je croyais qu’elle l’avait perdue, murmura Charlotte. — Tous les deux ! lança grand-mère en les désignant. Allez-y. — Où ça ? demanda Charlotte. — Tous les deux ? s’interrogea Jake. — Voilà, c’est réglé. Après tout, je ne peux pas annuler ma manucure. Voici la liste des choses à faire. La plupart de ces tâches doivent être terminées avant notre départ à la fin de la semaine. Oh ! et soyez à l’heure. Madame déteste les retardataires. Elle défroissa sa longue écharpe rose et tapa joyeusement des mains. — Je suis si contente que nous ayons tout résolu ! Kacey était tellement paniquée ! Vous avez sauvé la mise, tous les deux ! Charlotte laissa échapper un râle sans pouvoir le retenir. Jake tendit les mains en avant comme pour calmer grand-mère – ou peut-être pour se calmer lui-même. — Grand-mère, on ne peut pas passer nos journées ensemble pour régler chaque détail de dernière minute pour le mariage. — Et pourquoi pas ? Grand-mère marqua une pause, ses sourcils affichant une certaine inquiétude. — Parce que… je suis occupé. — S’apitoyer sur son sort n’est pas une occupation.

— Ni courir les filles… Regardez où ça l’a mené, ajouta Charlotte. — Tu vois ce que je voulais dire ? dit Jake en désignant Charlotte à sa grand-mère. Je ne peux plus rester avec elle ; alors, ne parlons même pas de faire quelque chose ensemble. Tu veux avoir sa mort sur la conscience ? — Tout va bien se passer. D’ailleurs, Charlotte a besoin de toi… Après tout, elle, elle a un travail, un travail fantastique même. Et puis, vous savez comment me contacter si vous avez besoin de moi. Grand-mère sortit ses lunettes de soleil de son sac géant et les posa sur son nez. — Je vous aime. Le carillon de la porte retentit, et grand-mère sortit de la boutique, laissant Jake avec une liste dans les mains et Charlotte en train de se demander s’il était possible de tuer quelqu’un en le poignardant dans le dos avec les yeux.

9 — Grand-mère manigance quelque chose. Kacey regarda la photo que lui avait envoyée grand-mère sur son téléphone et soupira. Travis se mit à rire. — Quand n’est-elle pas en train de manigancer quelque chose ? Je suis presque désolé pour Jake. En voyant le regard furieux de Kacey, il leva les mains devant lui. — Tout doux, tigresse, je dis simplement que grand-mère peut être impitoyable. Déjà, elle dort chez lui. — Et elle l’a viré. — Quoi ? rugit Travis. De Titus Enterprises ? Elle a le droit de faire ça ? — Apparemment. Kacey haussa les épaules et montra la photo à Travis. — Et elle a tendance à jouer les entremetteuses. Travis attrapa le téléphone et éclata de rire. — C’est Charlotte ? — Ouais. — En robe de mariée. — C’est ça. — Et Jake est derrière elle… en train de la regarder. — De baver…, le corrigea Kacey. Il bave. — Tu ne vois même pas son visage. — Non. Kacey récupéra son portable et montra Jake du doigt. — Mais il est en position Musclor. — Pardon ? — Tu sais, dit Kacey en lui donnant un petit coup de coude. Musclor. — Quelle langue parles-tu ? Avec un soupir exagéré, Kacey posa ses mains sur ses hanches et montra à Travis comment Jake se tenait. — Tu vois ce que je veux dire ? Les mecs ne se tiennent comme ça que lorsqu’ils sont en représentation ou se prennent pour Musclor. Ils prennent le maximum de place pour donner l’impression d’être plus grand et plus protecteur. Quelqu’un klaxonna Kacey. Elle leva les yeux au ciel et se retourna pour lancer un regard noir vers la voiture pleine de passagers. Quand elle revint vers Travis, il avait les mains sur les hanches et les jambes écartées. — Qu’est-ce que je disais ? Kacey désigna Travis et se mit à rire. — Mouais, dit-il en levant les yeux au ciel. Ça ne prouve rien, et soyons honnêtes : si Jake voulait sortir avec Charlotte, il aurait pu le faire depuis des années. Ce n’est pas comme si elle était étrangère à ta famille. Elle a pratiquement grandi avec nous.

Ha ! les hommes. Kacey rejeta la tête en arrière et continua à rire. — O.K., et toi et moi, on a grandi ensemble. Pourtant, on vient juste de se retrouver et, maintenant, on se marie. Grandir ensemble ne veut rien dire. — On va continuer nos commérages sur mon coureur de frère ? Travis lui mit une tape sur les fesses et la dépassa en courant. — Rappelle-moi pourquoi j’ai pensé que faire cet entraînement militaire pour le mariage était une bonne idée ? — Tu as lu ça dans un de ces stupides magazines que tu amasses comme un écureuil garde ses noisettes. J’ai remarqué la fille aux tablettes de chocolat, tu m’as fait un bleu sur le bras, merci au passage, et tu as dit que tu serais encore plus sexy qu’elle à ton mariage. Voilà comment nous sommes arrivés à cette course de huit kilomètres qui me fait rêver d’une bonne douche chaude. Kacey se cala sur sa foulée près de lui. — Bon, O.K., mais ce n’est pas ma faute si tu marques comme une poire. — Hé ! bébé… Tu sais que je me fiche de ce genre de coups. Il se mordit la lèvre et s’arrêta de courir pour prendre Kacey dans ses bras. — Je t’aime. Kacey fronça les sourcils. — Mais qu’est-ce qu’on va faire pour grand-mère ? — Les femmes sont bizarres. J’évoque l’idée de mordiller chaque centimètre carré de ton corps et tu veux qu’on parle de ma grand-mère ? Vraiment ? — Travis. — Kacey. Il mordilla la lèvre inférieure de sa fiancée et déposa un baiser sur son nez. — On va la prendre à son propre piège. Si elle veut jouer les entremetteuses, nous jouerons simplement les entremetteurs aussi. — Tu veux dire que nous allons tendre un piège à Jake, nous aussi, et voir qui gagnera ? — Absolument. — J’aime bien l’idée. Kacey passa ses bras autour du cou de Travis. — Après tout, ajouta-t-elle, nous savons ce qui est le mieux pour lui. — Le monastère ? Kacey se mit à rire. — Probablement. Mais on peut quand même inviter quelques filles célibataires au mariage, des filles qui correspondraient bien à sa personnalité. — Un pari, dit Travis en hochant la tête. Entre nous et grand-mère. On gagne, elle nous offre la lune de miel. Elle gagne… — … elle pourra chanter au mariage, dit Kacey en soupirant. — Non ! Travis appuya son front contre celui de Kacey. — Je ne suis pas aussi fou que ça. Je préférerais lui acheter un bateau ou lui payer ses cours de striptease chaque semaine. — C’est ce qu’elle veut. — Elle veut aussi acheter un tigre comme celui de Mike Tyson. Le fait qu’elle veuille quelque chose ne veut pas dire qu’elle doit l’avoir. — Travis, insista Kacey en l’embrassant délicatement sur les lèvres. Il n’y a pas à s’inquiéter : ce

n’est pas comme si elle allait gagner. Travis embrassa son front en marmonnant : — O.K., mais si finalement grand-mère gagne et finit avec un micro entre les mains, ce sera ta faute. Maintenant, parcourons notre dernier kilomètre pour que je puisse me retrouver avec toi sous la douche. — Il va d’abord falloir m’attraper ! cria Kacey en le doublant à toute vitesse.

10 — C’est une plaisanterie ? Jake fixait l’immeuble avec un mélange d’horreur et de perplexité. — On a dû se tromper d’adresse, ajouta-t-il. Charlotte lui arracha la feuille des mains. — Laisse-moi voir. — Je sais lire, tu sais. Elle vérifia le papier d’un air exaspéré. — C’est incroyable. — Quoi ? Il se pencha au-dessus de son épaule pour regarder l’adresse. Son parfum monta jusqu’à lui, titillant ses sens. — Que tu saches lire. — Très drôle. — C’est la bonne adresse. Charlotte plaqua la feuille contre son torse et avança vers la porte noire. — Je suppose qu’on doit… entrer ? — Il en est hors de question, affirma Jake en croisant les bras. — La liste dit que Madame nous attend à treize heures ! On va être en retard si on n’entre pas. Jake s’humecta les lèvres et regarda de nouveau l’immeuble. Les fenêtres étaient couvertes de photos de femmes en train de rire et de lancer des confettis pendant que des hommes dansaient avec elles. On aurait dit une mauvaise pub pour les tampons. — Non. Et qui est cette Madame d’abord ? Charlotte leva les yeux au ciel. — C’est son nom. Pourquoi ? Tu as peur de te voir pousser une paire de seins ? Que tes attributs virils disparaissent ? Jake souffla. — C’est bon, on y va. Agacé, il l’attrapa par le bras avec sa main gauche et poussa la porte avec la droite. La pièce était toute noire. — Tu vois, on s’est trompés d’adresse. Jake lâcha le bras de Charlotte et sortit son portable juste au moment où une musique retentit. Puis, quelques projecteurs s’allumèrent, aveuglant temporairement Jake. — Qu’est-ce que c’est ? La chanson commença. Charlotte se raidit derrière lui. D’autres lumières jaillirent, même si Jake n’avait aucune idée d’où elles sortaient ; il voyait toujours des taches à cause des premières. Il essaya de faire un pas sur le côté, mais heurta une table. En posant les mains dessus, il baissa les yeux. Des photos de Chippendales torse nu l’accueillirent.

Il fit un bond en arrière et se cogna contre quelque chose de dur. Il se retourna alors pour retenir ce qu’il avait heurté. Une statue de nu. D’un type. Par où était-il censé le tenir ? Il tendit les mains pour attraper la taille de la statue puisqu’elle avait, comme par hasard, été posée sur une table de manière à ce que ses yeux soient au même niveau que sa nudité. Charlotte le heurta à son tour, luttant manifestement elle aussi avec un bouquet de ballons en forme de… membre masculin. — Bon sang ! lança-t-elle en attrapant la main de Jake. Il faut qu’on file. — On dirait l’enfer, mais en pire. Jake accepta de lui prendre le bras. — Bienvenue, bienvenue ! dit soudain une voix dans les haut-parleurs. — Merde, nous sommes officiellement dans Hunger Games. Jake attrapa Charlotte et la plaça derrière lui. — Laissez-moi mourir en premier. S’il vous plaît, mon Dieu, laissez-moi mourir en premier. — Je vous attendais ! annonça la voix féminine. — Bizarrement, cela ne me met pas plus à l’aise, murmura Charlotte derrière Jake. Oh ! Au passage, te sacrifier pour moi n’est romantique que si cela ne représente pas la meilleure option, jolie ballerine ! Jake se figea. — Jure que tu emporteras ça dans la tombe ! — Oups ! dit Charlotte en haussant les épaules. Combien de temps as-tu fait des ballets ? Un an ? Deux ? — Oups mes fesses ! Pourquoi fallait-il qu’elle ressorte ce vieux surnom ? Après tout ce temps ? Se rendait-elle compte à quel point il le dévirilisait ? — Ne bouge pas… — Je vous entends et je vous observe, dit la voix. Et je n’ai pas toute la journée. Maintenant, laissezmoi vous regarder. — Nous sommes officiellement passés de Hunger Games à Saw. Jake secoua la tête et cria à l’intention de la voix. — Est-ce que vous pouvez au moins éteindre les projecteurs ? On ne peut pas vous voir. — Chéri, répondit la voix en riant, c’est justement le but, non ? — Euh…, non ? Charlotte émit un rire creux. — Je n’ai pas toute la journée ! hurla la voix. Maintenant, écartez-vous. J’ai besoin de voir ce que j’ai sous la main pour travailler. Charlotte fit lentement un pas sur le côté et se tint la tête haute. Jake ne pouvait que l’admirer. N’importe quelle autre fille se serait enfuie. Mince, lui était un mec et il allait en faire des cauchemars. — Pas mal, dit froidement la voix. Pas mal du tout. — Merci. Charlotte sourit. Jake leva les yeux au plafond. — Elle te complimente uniquement pour que tu sois bien détendue et heureuse au moment où elle te tuera.

— Il a la langue bien pendue, celui-ci, annonça la voix. Mais tu feras l’affaire. Hein, Jake, tu feras bien l’affaire. Dis-moi : comment te sens-tu sur scène ? — Pas très bien. Pas bien du tout, vous voyez. J’ai ce genou qui me fait mal et… — Son genou va très bien ! intervint Charlotte avec un clin d’œil. Il se jeta vers elle, mais les projecteurs s’éteignirent et la salle retrouva son état habituel. À la lumière normale, ce n’était pas aussi intimidant. Cela ressemblait à un mélange de studio de danse et de boutique d’articles de fête très bizarre. — Hello ! Une femme apparut d’un balcon au-dessus d’eux. — Désolée de vous mettre dans l’embarras comme ça, mais ta chère grand-mère a dit que vous aviez besoin de rigoler un peu. — Ha, ha ! Jake allait étrangler sa grand-mère. — Bon, je présume qu’on vous a donné les instructions à propos de la danse que vous devrez exécuter ? — Danse ? demanda Jake. — Exécuter ? fit écho Charlotte. — Mais bien sûr ! Je suis Madame, le meilleur professeur de danse de toute la ville. Ouais, Jake en doutait fortement. Cette femme avait au moins l’âge de sa grand-mère et descendait l’escalier si lentement qu’il était presque sûr qu’elle était en train de vieillir sous ses yeux. — Hum, je crois que ma grand-mère était désorientée. Les yeux de Jake étaient rivés sur les jambes tremblantes de Madame tandis qu’elle descendait lentement. Seigneur, ses talons devaient mesurer au moins quinze centimètres, et sa jupe… ne couvrait rien. Pour être honnête, ses jambes étaient plutôt pas mal. Il pencha la tête pour avoir une meilleure vue. — Je crois que c’est lui qui est désorienté, dit Charlotte en donnant un coup de coude à Jake. Ou alors, il est sous le charme d’une longue paire de jambes. Madame afficha un large sourire en s’arrêtant au dernier palier. — Cela arrive tout le temps. Que voulez-vous que je dise ? Je suis un véritable plaisir pour les yeux. Elle gonfla la poitrine et fit un clin d’œil à Jake. — Je veux rentrer chez moi, murmura Jake en attrapant la main de Charlotte. Mais elle le rejeta et s’approcha de Madame. — Comme le disait Jake, je pense que grand-mère s’est trompée. Vous voyez, nous avons une liste de choses à accomplir avant le mariage. C’était le prochain rendez-vous. Alors, devons-nous récupérer quelque chose ou… ? — Silence ! cria Madame. Je ne compte pas supporter vos impertinences. Grand-mère a dit que vous exécuterez la danse, alors, dansez ! — Danser ? répéta Jake d’une voix rauque. — Dansez ! Madame fit demi-tour devant eux et claqua des doigts au-dessus de sa tête. — Je dois vous apprendre la danse de l’amour. Vous l’exécuterez à la cérémonie de mariage. Cette danse spéciale est un rituel d’accouplement. Jake prit plusieurs profondes inspirations. — Il n’y aura pas d’accouplement sur la piste de danse, ajouta-t-il. Madame éclata de rire.

— Bien sûr que non ! Vous allez danser ! C’est un rituel, pas l’acte en lui-même, petit coquin. Avec un clin d’œil, elle tendit la main et leva le menton de Jake vers elle. — Mais c’est que tu es mignon ! Jake allait tuer sa grand-mère. Mais il était trop traumatisé, trop choqué pour faire quoi que ce soit à part fixer les yeux de la cougar et prier pour qu’elle ne le ligote pas avant de le mettre dans une cage. Madame grommela et lâcha son menton. — Maintenant, au milieu de la piste. Souvenez-vous, cette danse est ce qui portera chance à cette union. Gâchez-la et vous aurez le bonheur futur de ton frère sur la conscience. — Pas de pression, dit Charlotte. Madame appuya sur un bouton, et les lumières se baissèrent à nouveau. Une musique douce qui ressemblait à un genre de tango se fit entendre en fond. — Au milieu de la piste, ordonna Madame. Jake alla au milieu de la piste et tendit la main à Charlotte. — Allez, plus vite on en aura fini avec ça, plus vite on pourra partir et se prendre une cuite. Les yeux de Charlotte faisaient des allers-retours entre sa main et son visage avant qu’elle prenne sa main à contrecœur et s’avance tout contre son corps. — O.K., mais garde tes mains baladeuses pour toi. — Je t’en prie. Comme si ton corps représentait une tentation irrésistible pour un homme de mon genre. Charlotte sourit gentiment. — J’avais oublié : tu préfères quand c’est faux… Au temps pour moi. — Je… — Bien ! cria Madame en tapant des mains. Fermez les yeux ! Je dois vous diriger dans la danse, mais vous devez me faire confiance, vous devez vous faire confiance. *** Les mains de Charlotte transpiraient. Ce mot : « confiance ». Il la ramena instantanément au camp d’ados. Quand elle et Jake avaient effectué l’exercice de confiance… Quand il lui avait promis de la rattraper… et qu’il ne l’avait pas fait. Quand on l’avait traitée de grosse. Et qu’il ne l’avait pas défendue. La mère de Charlotte lui avait toujours dit qu’elle en rirait un jour, que les choses qui arrivent au collège n’ont aucun effet sur la vie d’adulte. Mais elle se trompait… Quand vous êtes blessée à un âge aussi vulnérable, il est impossible d’oublier cette blessure. Surtout si elle déclenche deux années de problèmes avec boulimie et pilules de régime. Alors, faire confiance ? Non, elle ne faisait pas confiance à Jake Titus parce qu’elle l’avait déjà fait deux fois. Et il l’avait laissée tomber. — La confiance, répéta Madame. Et suivez mes mains. Charlotte sentit sur son épaule une main qui la poussa dans les bras de Jake. La respiration du jeune homme se bloqua quand la joue de Charlotte toucha son torse ferme. — Maintenant, Jake, fais un pas en arrière, ordonna Madame. Et fais la… Oh ! tu dois bien savoir danser, non ? Charlotte ouvrit les yeux à l’instant où Jake la repoussa pour la faire tourner, puis la tira à nouveau

contre lui, la penchant au-dessus de sa jambe. — Fais-moi confiance, murmura-t-il en la retournant dans ses bras. Elle se retrouva le dos fermement pressé contre son torse. C’était très agréable. Après une autre pirouette, elle fut de nouveau face à lui. — Bien ! cria Madame. Il y a une série de sept inclinaisons. Assure-toi de la faire tourner, inclinezvous d’un côté et… Oh ! fantastique, mon garçon. As-tu déjà réalisé la danse de l’accouplement auparavant ? Jake rougit. Charlotte ouvrit la bouche pour lui poser la même question, mais il l’inclina au-dessus de sa jambe, puis la fit tourner, ce qui faillit lui faire perdre l’équilibre jusqu’à ce qu’en la tirant, Jake la prenne de nouveau fermement dans ses bras ; sauf que, cette fois, les pieds de Charlotte se balançaient au-dessus du sol. Lentement, il la lâcha pour la laisser glisser le long de son corps, et elle sentit chaque muscle de ses tablettes de chocolat. Elle ne se rendit compte de leur présence que parce qu’elle put les compter pendant sa descente. La musique s’arrêta. Charlotte plongea ses yeux dans ceux de Jake. Il entrouvrit la bouche en se penchant en avant. — Merveilleux ! dit Madame en applaudissant. Charlotte fit un bond en arrière et s’essuya les mains sur son jean. — Tu as déjà fait ça, n’est-ce pas, chéri ? Madame fit un clin d’œil à Jake et lui donna une petite tape sur les fesses avant de se tourner vers Charlotte. — Tant que tu le laisses guider, vous serez parfaits pour le jour du mariage. Charlotte acquiesça. — Alors, on a fini ? — Danser fait partie de la vie. On n’a jamais fini de danser. — Ou de s’accoupler, dit Jake avec obligeance. Madame rougit et s’éventa le visage. — Un petit rafraîchissement ? Charlotte aurait tout aussi bien pu être invisible. Jake attrapa le bras de Charlotte et la tira contre lui. — Hum, non, merci. Je ferais mieux de raccompagner ma petite amie chez elle. Madame fit la moue. — Petite amie ? Jake serra la taille de Charlotte encore plus fort. — Ouais, Jake, ta petite amie ? Je veux dire… Charlotte se retourna vers lui pour ajouter : — Je ne savais pas qu’on allait officialiser notre relation. Ses narines se dilatèrent tandis que ses yeux allaient de Madame à Charlotte. — Nous n’avons qu’à la sceller par un baiser, hein ? Avant que Charlotte ne puisse protester, ses lèvres étaient contre les siennes. Bon sang ! Il avait le goût d’un homme viril. Il entrouvrit les lèvres de Charlotte avec sa langue et l’enfonça dans

les profondeurs de sa bouche. Ses lèvres étaient comme du velours, parfaitement formées contre les siennes qui ne se débattaient pas, mais… participaient. Avec un gémissement, Charlotte passa ses bras autour de son cou, s’oubliant totalement, et lui rendit son baiser. Il émit un son grave et guttural en renforçant son étreinte sur son corps. — Nous ne sommes pas… dans un bordel, les interrompit froidement Madame. — Je ne l’aurais jamais cru, dit Jake contre les lèvres de Charlotte. En riant doucement, Charlotte s’éloigna. — Merci, Madame, merci pour tout. Mais, comme vous venez de le voir, mon petit copain et moi avons besoin de fêter ça ! — Bien, alors, filez. La voix de Madame partit dans les aigus, et elle pinçait les lèvres comme si elle venait de sucer quelque chose de très acide. Ils quittèrent les lieux et coururent jusqu’à la BMW de Jake. À la seconde où Charlotte ferma la portière, ils éclatèrent de rire. Jake fit démarrer la voiture. — Et je croyais que grand-mère était folle. — Vraiment ? Charlotte était à bout de souffle. Super : maintenant, elle ne pouvait plus parler comme un être humain normal en présence de Jake. C’était un baiser, juste un fichu baiser pour repousser la cougar, rien de plus. — Merci de… La voiture s’arrêta à un feu. — … de m’avoir aidé. Si j’avais été seul…, je suis presque sûr que j’aurais fait les gros titres du journal de ce soir. — Bonbon, dit Charlotte en hochant la tête. — Hein ? Le feu passa au vert. — C’est comme ça qu’elle t’aurait attiré dans sa chambre. Elle aurait éparpillé des bonbons jusqu’à sa chambre. C’est comme ça que font toutes les cougars. Et puis, une fois que tu y aurais été, elle t’aurait proposé à boire pour te soûler, tu aurais accepté, ça ou n’importe quoi d’autre pour ne pas garder de souvenirs de cette nuit, et voilà. Esclave sexuel. Dans le magazine Dateline. Rubrique « La vengeance des femmes ». Jake secoua la tête en riant. — Je suis effrayé en me rendant compte de ce qui te passe par la tête. — Hé ! dit Charlotte en levant les mains en l’air. Moi, je dis ça, je ne dis rien. Jake frissonna et rejoignit la voie rapide vers le centre. — Alors, on va prendre un verre ? Je te l’ai promis et je crois que je te dois bien ça. Après ce baiser ? Non, c’était en fait elle qui lui devait quelque chose. Un sentiment de rejet bien trop familier envahit Charlotte. Bien sûr, elle pouvait aller boire quelques verres avec lui, puis craquer pour toutes ces choses pour lesquelles la plupart des filles normales craquaient. Il serait juste assez éméché pour lui demander de l’accompagner chez lui. Ils partageraient un taxi, elle lui dirait qu’elle monterait pour un dernier verre, et ils finiraient dans sa chambre. En se réveillant, elle découvrirait sur son oreiller un mot de remerciement et un billet de vingt dollars pour payer le taxi pour rentrer chez elle. Non, merci. — En fait…

Charlotte regarda sa montre. — Je peux encore passer tout l’après-midi au bureau. Tu peux me déposer à la station KOMO ? Jake se gratta nerveusement la tête et haussa les épaules. — Bien sûr, si c’est ce que tu veux. Mais je trouve que boire des margaritas serait quand même plus agréable que travailler. — Ouais, dit Charlotte en mettant ses lunettes de soleil. Mais, bon, comme tu es au chômage en ce moment… — Merci de me le rappeler, marmonna-t-il en prenant la sortie vers le centre. Je, euh… Je jette un œil aux autres tâches que grand-mère a mises sur sa liste et je t’appelle. — Il te faut mon numéro. — Je le demanderai à grand-mère. Qu’il aille au diable. Il ne pouvait même pas lui demander son numéro ? Vraiment ? — Bien. Charlotte ouvrit la portière quand il arrêta la voiture. — Je ne voudrais pas te forcer à entrer mon numéro dans ton portable et prendre le risque d’occuper la place de tes plans cul. — Charlotte, attends… Elle claqua la portière avant qu’il n’ait le temps de finir ce qu’il allait dire et se dirigea vers l’immeuble de bureaux d’un pas décidé.

11 Mais c’était quoi, ça ? Un instant, ils plaisantaient et riaient ensemble et, le suivant, Charlotte parlait de ses plans cul et lui claquait la portière au nez ? Qu’avait-il dit ? Comme elle semblait pressée, il n’avait pas voulu l’énerver plus en la faisant l’attendre pour récupérer son numéro. Dans sa tête, il avait été gentleman ou, en tout cas, il avait essayé de l’être. Mais, d’après Charlotte, c’était un crétin ? Ah ! les femmes. Les comprendrait-il un jour ? Tandis qu’il quittait le bas-côté en passant en revue les raisons pour lesquelles avoir embrassé une nouvelle fois Charlotte pouvait avoir été une mauvaise idée, son téléphone sonna. — Quoi ? dit-il d’une voix rauque. — Houlà…, mauvaise journée ? demanda Travis en riant. — J’ai suivi un cours de danse. Alors, évidemment que oui. — Pardon, est-ce que tu viens de dire que tu as suivi un cours de danse ? — Je ne le répéterai pas, dit Jake d’un ton sec. Oh ! et, d’ailleurs, grand-mère risque de ne pas venir au mariage. — Hein ? Pourquoi ? — Je vais la tuer. Ce soir. C’est ça ou je mets des somnifères dans son laxatif. — Oh ! Je vois. Mais n’utilise pas de Benadryl. Elle s’y est habituée. — Ouais, enfin, depuis Kacey, je crois que nous nous y sommes tous habitués. La dernière fois que j’ai fait une allergie, j’ai dû m’en enfiler une boîte entière. — On a de la chance que tu respires encore. — Arrête de faire l’idiot. Qu’est-ce que tu veux ? Travis rit à nouveau. — D’abord, raconte-moi cette histoire de danse. — La danse de l’accouplement, précisa Jake en prenant la direction de la boutique de smoking. Ça s’est bien passé. Charlotte m’a sauvé les miches. La Madame – eh oui, c’est son nom – voulait un nouveau joujou. — Pardon ? — Un truc à se mettre sous la dent, un joujou, une figurine à habiller et avec laquelle jouer. Ouais, tu ne m’aurais probablement plus jamais revu. — Ça fait peur. Jake secoua la tête. — Tu n’as pas idée. Bref, je viens de déposer Charlotte au boulot et, là, je vais donner mes mensurations pour mon smoking. — O.K. Silence. — Travis, tu es toujours là ? — Ouais, dit Travis, mais il se tut de nouveau. Il faut que je te demande quelque chose. — Non, je ne te donnerai pas un rein… Prends-en un à grand-mère. — Elle n’en a déjà plus qu’un.

— Justement. Travis soupira. — Ce n’est pas ça, c’est… — Arrête, tu me fais peur, là. — Eh bien, tu sais que papa va marcher avec Kacey jusqu’à l’autel ? Jake entra sur le parking et soupira. — Oui. — Elle, euh… Travis lâcha un juron avant de se lancer : — Elle voulait savoir si tu serais d’accord pour… les accompagner. — Moi ? cria Jake. Pourquoi voudrait-elle que je sois à son bras ? C’est une blague ? Ce n’est pas drôle… — Arrête de crier, le pria Travis. Tu vois ? Je savais que tu piquerais une crise. Mais c’est que… tu as été le meilleur ami de Kacey pendant tellement longtemps et, même si vous vous êtes disputés il y a quelques années, tu comptes encore beaucoup dans sa vie, et elle veut t’honorer pour ça. Merde. Jake ne pleurait jamais. Jamais. La dernière fois qu’il avait pleuré, c’était quand les parents de Kacey étaient morts et, même là, il s’était enfermé dans sa chambre à l’université et soûlé pour ne pas se souvenir du fait qu’il avait vraiment versé des larmes. Mais là…, il sentait qu’il n’était vraiment pas loin de craquer. Parce que ce n’était pas lui qui aurait dû accompagner Kacey à l’autel, ni leur père…, mais le sien. Une partie de lui, une petite partie, avait le sentiment que c’était sa faute. Que, s’il avait pu revenir en arrière et arranger quelques trucs, tout le monde aurait été vivant et heureux. — Jake, tu es toujours là ? — Ouais, maugréa-t-il. Je peux…, euh, je peux y réfléchir ? — Bien sûr. — Bon, dit Jake en tapant le volant avec sa main. Il faut que je file. Passe le bonjour à Kacey de ma part. — D’accord. À plus, mec. Jake arrêta le moteur et frappa le volant. Une fois ne suffit pas. Il le tapa encore et encore jusqu’à ce que sa main finisse par être tellement engourdie qu’il devrait certainement la couvrir de glace plus tard. Un de ces jours, il lui dirait tout. Il lui expliquerait que son père… lui avait sauvé la vie. Un goût amer envahit sa bouche alors qu’il repensait au passé…, à son passé en particulier. Bill aurait-il été fier de Jake et ses choix ? Ou aurait-il fait la même chose que huit ans auparavant…, c’est-àdire l’amener débiter du bois et creuser des trous jusqu’à ce que ses doigts saignent…, jusqu’à ce que Jake réalise l’énorme erreur de jugement qu’il avait faite ? Avec un juron, Jake sortit de la voiture et marcha vers la boutique de smokings. Il y réfléchirait… Il réfléchirait à l’idée d’accompagner Kacey à l’autel…, même si cela voulait dire que ce ne serait pas lui l’homme qui la découvrirait au bout. Il n’avait jamais mérité ce genre d’amour et ne le mériterait probablement jamais.

12 Beth claqua des doigts devant les yeux de Charlotte. — Euh, tu as entendu ce que je viens de dire ? Charlotte sentit ses joues chauffer tandis qu’elle prenait une gorgée de vin. — Bien sûr, tu parlais du travail. Ce n’était pas comme si c’était nouveau. Avec son travail de chimiste dans un laboratoire médical ? Beth revenait toujours avec des histoires ennuyeuses à raconter. — Et ? demanda Charlotte en posant son verre avant d’utiliser sa fourchette pour étaler sa salade sur son assiette. Beth soupira. — Vraiment ? Je viens juste de lister le tableau périodique des éléments et tu veux entendre la suite ? Charlotte se pencha en avant en soufflant. — Pas étonnant que j’aie décroché. — Où as-tu la tête, ce soir ? C’est soirée filles ! Tu te souviens ? Manger ? Boire ? S’amuser ? Oh ! tu sais exactement où vagabondent les pensées de toutes les autres filles. Embrasser Jake, toucher son torse musclé, passer sa langue sur sa lèvre inférieure rebondie et… — Est-ce que quelqu’un a dit « soirée filles » ? Une voix familière retentit dans le restaurant. Charlotte se retourna et découvrit grand-mère. Plus précisément, grand-mère et une veste dorée aveuglante avec un col en fourrure léopard. Son jean moulant était mis en valeur par des escarpins léopard assortis. — Comment… ? — Oh ! l’interrompit grand-mère en faisant un signe à Charlotte et en s’installant à leur table. Il existe une application pour tout. Tu le savais ? — Oui, mais… — Bref. Grand-mère fit signe au serveur et commanda trois shots de tequila. Il valait mieux que ce soit pour elle ; il n’était pas question que Charlotte boive de l’alcool avec la grand-mère de Jake ! — C’est grâce à cette petite application bien pratique qui s’appelle Find a friend ! Charlotte attrapa son portable. — Je ne savais même pas qu’elle était installée sur mon téléphone ni que vous… Grand-mère haussa les épaules comme si elle dévoilait un immense secret. — C’est comme ça que je suis la trace des traînées de Jake. Beth recracha le contenu de son verre sur la table et se mit à tousser. Totalement indifférente à la réaction de Beth, grand-mère bâilla et examina ses ongles. Charlotte jeta un regard noir à sa sœur et se retourna vers grand-mère. — Je suis presque sûre qu’ils ont créé cette application pour que les gens ne s’inquiètent pas pour leurs amis et leur famille, vous savez. Pas pour traquer les gens. — Chacun son truc. Grand-mère posa son portable et appuya sur l’écran avec un doigt, puis encore et encore. Beth articula silencieusement quelque chose à Charlotte, mais elle ne comprenait pas.

Le serveur déposa les shots juste au moment où grand-mère bondit en tapant des mains. — Je le savais ! Beth semblait être en transe alors qu’elle observait grand-mère frapper dans ses mains et agiter son téléphone en l’air. — Il sera bientôt là. — Qui sera bientôt là ? demanda Beth. Grand-mère fit comme si Beth n’avait rien dit. — Ah ! C’est bien moi, grand-mère. Elle l’affirma de manière si normal, si factuel, que Charlotte la reconnut bien, là. Après tout, y avait-il d’autres moyens de décrire cette femme ? Dire « C’est bien moi, grand-mère » devait cacher une multitude de péchés. — Santé ! lança grand-mère en prenant un verre et en le levant avant de mesurer du regard Charlotte et Beth. Après avoir avalé une grande gorgée d’eau, Beth attrapa un shot et le leva avec grand-mère. — Portons un toast, dit grand-mère. À ma chanson au mariage de mon petit-fils ! — Bien sûr, dit Beth en faisant tinter son verre contre celui de grand-mère. Je vais boire à ça aussi. Charlotte haussa les épaules et prit le dernier verre. Ce fut juste à cet instant que Jake entra dans le restaurant et se dirigea tout droit vers leur table. On ne peut pas vraiment dire que Charlotte ne fût pas habituée à la tequila…, pas du tout, même. Mais, pour une raison ou une autre, la manière dont le jean usé de Jake serrait ses cuisses musclées lui fit quelque chose. L’alcool la brûla sur son passage, puis menaça de remonter, surtout quand Jake fit un clin d’œil dans sa direction et se pencha pour embrasser sa grand-mère sur la joue. Charlotte se mit à tousser. Beth soupira. Charlotte donna un coup de pied à sa sœur sous la table. Et grand-mère commanda d’autres verres de tequila. — Euh, dit Charlotte avant de rire nerveusement. On fête quelque chose ? — La soirée filles ! annonça grand-mère en agitant sa poitrine de joie d’avant en arrière. Jake détourna le regard et rougit. C’était étrange de voir rougir un homme sans aucune morale. — Mais Jake est là. Charlotte désigna l’homme qui sentait scandaleusement bon et priait pour qu’il se penche juste un peu plus près et qu’elle puisse percevoir la chaleur émanant de son corps sans donner l’impression d’être une cinglée en rut. Grand-mère toisa son petit-fils. — Il ne compte pas. — Merci, grand-mère, dit Jake sur un ton froid. — Salut. Je suis Beth, se présenta la sœur de Charlotte en tendant la main au-dessus de la table pour serrer celle de Jake. Je t’aurais bien dit bonjour dans l’avion, mais tu étais tout gonflé. — Merci de me le rappeler. — De rien ! lança-t-elle en faisant un clin d’œil. Bienvenue à la soirée filles. — Je suis sûre que ça va être génial. Jake prit sa main et la serra avant de se tourner vers sa grand-mère. — Bon, alors, à voir ta tenue, tu ne t’es pas fait rouler dessus par un camion, tu ne souffres pas non plus d’une commotion cérébrale ni de la scarlatine… Oui, c’est une nouvelle lubie, ajouta-t-il à l’intention de Charlotte. D’habitude, elle réserve les maladies rares pour quelqu’un de plus crédule,

comme mon frère. Il se retourna vers grand-mère. — Que t’arrive-t-il ? lui demanda-t-il. Grand-mère leva le doigt, puis se mit à fouiller dans son sac géant. Jake marmonna. — Je suis sûr qu’il y a des enfants disparus dans ce sac. Tu ne peux pas juste nous dire ce qui se passe pour nous éviter d’attendre ? Grand-mère lui fit signe de se taire. Jake prit deuxshotssur la table et les avala. Charlotte lui tapota le dos. Le pauvre garçon. Elle avait sincèrement presque envie d’être désolée pour lui. Grand-mère pousserait n’importe qui à boire excessivement. — Le voilà ! Grand-mère sortit un morceau de papier avec sa main tremblante et commença à le lire. — Tous les deux, vous avez encore quelques trucs à faire sur la liste que je vous ai donnée tout à l’heure. Elle posa la liste sur la table. — Où est-elle, d’ailleurs ? Elle se remit à fouiller dans son sac et en sortit une paire de lunettes de vue incrustée de diamants. — Ta tête ? demanda Jake. Peut-être qu’elle est dans ton sac. Beth s’éclaircit la voix pour cacher son éclat de rire. — Non, imbécile, siffla grand-mère. Charlotte commanda d’autres boissons. C’était mauvais signe. — La liste que je vous ai donnée, à Charlotte et toi, ce matin ! Toutes les tâches que vous devez accomplir pour le mariage étaient inscrites dessus… Où est-elle ? — Dans la voiture, dit Jake. — On l’a perdue, dit Charlotte en même temps. Ils se regardèrent avec un air mauvais. — Je vais juste… Beth se leva de table. — Assis ! cria Charlotte. Beth s’assit. — C’est Jake qui l’a. Charlotte le désigna du doigt et lui adressa un sourire. Un muscle se contracta dans sa mâchoire lorsqu’il se pencha sur la table en prenant une profonde inspiration. — Ouais, elle est… en sécurité. — En sécurité ! lança grand-mère. Bon, assurez-vous de bien terminer les dernières tâches. — Pourquoi ne peux-tu pas le faire toi-même ? demanda Jake. Tu es à la retraite ; tu ne peux pas simplement… aller faire un tour avec l’une de mes voitures et faire ces courses ? Grand-mère marqua un temps d’arrêt en respirant consciencieusement. Puis, elle tourna la tête aussi délicatement en direction de Jake. Un sourire figé apparut sur son visage avant qu’elle n’attrape soigneusement la liste et la range dans son sac. — Si tu n’étais pas aussi idiot, tu saurais pourquoi. J’ai bridge avec les filles. — Tous les jours ? demanda Jake.

— Tous les jours. Au moins…, commença grand-mère en riant comme si elle se souvenait qu’elle était de bonne humeur. Le matin. — Super. Alors, tu peux faire ça après. — Oh ! Jake, dit-elle en lui tapotant le bras. Tu es bien naïf. Ce fut au tour de Charlotte de s’étouffer avec son verre. — Le soir est réservé à d’autres… activités, ajouta grand-mère. — Mon Dieu, essaie au moins de cacher le fait que tu sors pour… faire des trucs. — Quels trucs ? demanda soudain Beth en se penchant au-dessus de la table. — Ne t’en occupe pas, dit Jake à Beth en lui jetant un regard noir et en secouant la tête. Grand-mère gloussa. — Tu sais bien : des trucs. Elle prononça le mot « trucs » avec beaucoup de soin, comme si cela sous-entendait quelque chose de très important, puis elle se remit à ricaner. — J’adore le soir, vraiment, ajouta-t-elle. Ses yeux prirent un aspect vitreux. — On va avoir besoin de plus d’alcool, murmura Charlotte à Jake. — Et d’un sédatif, ajouta Jake. Je ne veux pas me souvenir de cette conversation. Jamais. — Demain, dit grand-mère en s’écartant de la table pour se lever. Jake, ramène-moi à la maison. Je suis fatiguée. Mais, demain, tu retrouveras Charlotte, disons…, à l’heure du déjeuner, à la maison ? Et terminez la liste avant qu’on prenne l’avion jeudi. — Jeudi ? crièrent à l’unisson Jake et Charlotte. Grand-mère leur jeta un coup d’œil. — Mais bien sûr ! Vous devez arriver au moins une semaine avant le mariage ! Qu’est-ce qui cloche chez les jeunes gens d’aujourd’hui ? Elle sortit un billet de cinquante de son sac et le lâcha sur la table. — Amusez-vous bien, les filles. Ne faites rien que je ne ferais pas. — Super, grand-mère ! lança Jake. Autant leur donner la permission de se faire arrêter par la police. — Ça n’est arrivé qu’une fois ! riposta grand-mère. — Tu t’es retrouvée dans une prison mexicaine. On a eu de la chance que tu survives. — Oh ! Pablo… C’était quelque chose. Grand-mère tira sur son collier et se mit à caresser les perles. Beth resta bouche bée. Charlotte dut lui redonner un coup de pied sous la table pour qu’elle la ferme. — Bon, allez ! Grand-mère fit un signe de la main et tira Jake par la chemise jusqu’à ce qu’ils passent la porte. Le silence tomba sur la table. Il y avait des verres à tequila partout. Beth regarda Charlotte. Charlotte regarda la table. — Eh bien, dit Beth en suçant une tranche de citron. C’était marrant. Charlotte râla et se frappa la tête contre la table. — Comment je vais survivre aux prochaines semaines avec ces deux-là ? Beth éclata de rire. — Facile. — Hein ? — Xanax.

— Très amusant.

13 Jake faisait les cent pas devant la porte. Charlotte lui avait envoyé un message disant qu’elle passerait vers midi. Il était officiellement et cinq. Où était-elle ? Il fallait qu’il trouve un moyen de retrouver son boulot et sa virilité, et de préférence dans l’ordre inverse. La matinée avait commencé assez normalement : grand-mère avait fait son fichu yoga et lui avait demandé de la déposer pour qu’elle rejoigne son groupe de bridge. Mais, même quand grand-mère demandait quelque chose, ça ne se limitait jamais à un seul service. Non, elle vous demandait de faire autre chose, sans donner d’explications, et vous regardait comme si vous étiez un imbécile si vous osiez demander pourquoi. Il avait l’impression d’être de nouveau un gamin, comme quand grand-mère l’avait attrapé en train de voler des M&M’s à l’épicerie du coin, lui avait acheté un sac de deux kilos avant de lui demander de s’asseoir pour manger tout le contenu devant elle. Son raisonnement était que ça l’empêcherait de voler à nouveau. Parce que, si elle l’attrapait la main dans le sac, soit il devrait avaler immédiatement l’article en question, soit le ramener à la maison. Au lycée, c’était arrivé une nouvelle fois avec des bières. Elle lui avait donné un pack de six et l’avait forcé à les avaler jusqu’à ce qu’il soit malade. Au bout de trois, il avait vomi. Naturellement, grand-mère avait fini les autres. Tout ça pour dire qu’il était toujours plus sage d’être d’accord avec une femme que de tenter le diable. Alors, il l’avait conduite en ville, avait joué au gentil petit-fils, puis prié Dieu pour qu’elle le réembauche et qu’il puisse arrêter de faire le chauffeur et l’organisateur de mariage. Bon sang, il allait se transformer en femme à force d’attendre cette fille agaçante ! La sonnette retentit. Il courut à la porte, puis s’arrêta pour prendre une profonde inspiration. Ouais, il se transformait bien en femme. Il se comportait comme si c’était un premier rendez-vous ! C’était Charlotte ! Charlotte ! Il dut répéter son nom plusieurs fois à haute voix avant de pouvoir enfin ouvrir la porte. Son sourire égaya son humeur, et il se souvint soudain pourquoi il restait loin des filles comme elle. Elles étaient synonymes de problèmes. Elles vous promettaient du plaisir et, au final, elles voulaient s’engager, quelque chose que n’importe quel mec fuirait, surtout un mec comme lui. Il ne méritait rien de ce genre ; il n’était pas assez idiot pour ne pas savoir qu’une fille comme Charlotte…, eh bien, pour savoir qu’elle méritait le meilleur. Et ce n’était pas lui. C’était évident. Ses yeux brillèrent quand il lui sourit. Merde. Il fallait qu’il arrête de flirter avec elle. Elle allait se faire des idées et lui allait devenir fou, s’il devait faire équipe avec elle durant toute la semaine du mariage, à force de se demander si elle attendait juste le bon moment pour lui enfoncer un couteau dans le dos. — Entre. Il ouvrit grand la porte et s’efforça de ne pas regarder ses fesses quand elle passa devant lui, ses talons cliquetant sur le sol en marbre. À l’évidence, elle arrivait du travail. Elle portait une jupe crayon moulante, un chemisier blanc et des escarpins rouges. Mauvais choix. Parce que maintenant il pensait à grand-mère et sa stupide histoire d’aéroport et…

— Jake ? La douce voix de Charlotte le ramena à l’instant présent. — Tu as entendu ce que je viens de dire ? — Non, avoua-t-il en riant, mal à l’aise. Je, euh…, j’admirais tes chaussures. — Mes chaussures ? répéta-t-elle en levant les sourcils, visiblement amusée. Tu as un truc avec les chaussures à talons ? — Sur toi ? dit-il en acquiesçant. Ce serait bien possible. Merde, il remettait ça. Qu’est-ce qui clochait chez lui ? C’était comme une seconde nature avec Charlotte, comme s’il ne pouvait pas s’empêcher d’être attiré par elle. Son corps s’approchait involontairement d’elle. Ce n’était pas physique ; c’était quelque chose de complètement différent, quelque chose d’inconnu. Une chose sur laquelle il ne voulait pas s’attarder parce qu’il devrait alors admettre qu’il avait en fait un cœur, ce qui ne pouvait signifier qu’une chose : il finirait par se briser, sauf que, cette fois-ci, il n’aurait rien sur quoi se reposer, juste de l’air et le néant. Il déglutit et détourna le regard. — Alors, on mange ? Elle prit son bras et jeta un coup d’œil à la maison. — Pas mal, dit-elle en plissant les yeux. — Quoi ? demanda-t-il en s’arrêtant net. Qu’est-ce qui ne va pas ? — Les filles ont tendance à oublier. Elle rit légèrement. — Oublier ? — À quel point tu es ridiculement riche. Jake souffla. — Au chômage actuellement, mais merci. — Oh ! je t’en prie. Charlotte retira son bras et le devança pour entrer dans l’immense cuisine. — Tout ça ? Les gens rêvent toute leur vie de vivre ainsi. Je veux dire, je tuerais pour une cuisine comme celle-là. Tu as deux fours ! C’est à peine si le mien fonctionne. Amusé, Jake s’appuya contre le plan de travail. — Tu aimes cuisiner ? — J’adore ça, dit-elle avec un soupir. Je n’ai plus autant de temps qu’avant, et ma cuisine craint un peu, comme toi…, ajouta-t-elle avec un doux sourire. Si j’avais un endroit comme ça, je ne m’apitoierai pas sur mon sort comme tu le fais. — Je vois, merci, marmonna-t-il, ayant l’impression de se faire gronder. Et je ne m’apitoie pas sur mon sort. — Si, si. Charlotte tapota le plan de travail en granit avec ses doigts. — Alors ? Où est le repas ? — Dans le frigo. Charlotte traversa la cuisine et ouvrit le réfrigérateur. — Tu as plus de nourriture que la plupart des petits pays. — Grand-mère aime ses petits plats, dit-il en haussant les épaules. Je vais sortir les croissants sandwiches et les légumes. Tu veux manger dehors sur la terrasse pour qu’on puisse s’asseoir près de l’eau ? — Hum, bien sûr.

Charlotte regarda la cuisine. — Il faut autre chose ? demanda-t-elle. — Attrape une bouteille de vin dans le frigo. Du blanc peut-être ? Comme tu veux. Il lui fit un clin d’œil avant de se diriger vers la baie vitrée menant à la véranda qui donnait sur le lac Washington. Il ne leur restait plus qu’à manger, se comporter gentiment, en finir avec la satanée liste de grand-mère, et il serait libre de continuer sa petite vie. Ses projets étaient toujours les mêmes : survivre à la troisième guerre mondiale, aussi connue sous le nom d’« invasion de grand-mère », puis retourner à son mode de vie habituel. Mais, tandis qu’il prenait une minute pour profiter de la vue, tranquillement assis, il réalisa qu’il avait l’impression que ça faisait des années qu’il n’avait pas été assez détendu ou sobre pour vraiment l’apprécier. Les pas de Charlotte résonnèrent sur la terrasse. — Voilà. Elle lui tendit un verre de vin et posa la bouteille sur la table. — C’est joli par ici. — Sans doute. Il plissa les yeux à cause du soleil et haussa les épaules, renonçant au verre de vin et prenant plutôt une gorgée d’eau. — Je crois que je ne m’en rends pas vraiment compte. Charlotte secoua la tête en riant. — Alors, cette liste. Finissons-en. Changement de sujet abrupt, mais bienvenu. Jake sortit une nouvelle feuille de papier. — O.K., on doit bien faire attention à celle-là. La dernière a été perdue dans un tragique accident de déchiqueteuse. J’ai dû voler la copie de grand-mère pendant qu’elle dormait cette nuit. — Waouh ! Tu es un vrai 007. — Elle dort comme une souche. — Alors, c’était facile ? — Elle garde un flingue sous son oreiller et n’a jamais pris une leçon de tir de toute sa vie… Alors, facile ? Un frisson le traversa. — Pas si tu veux rester entier, conclut-il. — Ce n’est pas faux. Jake s’éclaircit la voix : — On dirait qu’on a juste à s’occuper de la figurine du gâteau et du cadeau de mariage de Kacey et Travis. Grand-mère dit qu’il sera livré dans l’après-midi ; donc, je suppose qu’on le prendra dans l’avion avec nous ? — O.K. Un silence gêné les entoura. Jake n’était pas sûr de savoir pourquoi la situation semblait si peu naturelle. Comme si toute l’agressivité de Charlotte avait disparu et qu’elle fût soudainement prête à faire tout ce qu’on lui ordonnait. Finalement, c’était exactement ce qu’il était en train de faire. Sauf qu’il voulait qu’elle ait envie d’être avec lui. Il aimait sa fougue. Merde, il était plus heureux quand ils se battaient que quand elle était calme. — Dure journée ? demanda-t-il après quelques minutes de silence inconfortable.

Charlotte haussa les épaules. — Oh ! c’est moi qui hausse les épaules, dit-il en lui versant un autre verre de vin. Tu veux en parler ? Charlotte pencha la tête en soupirant et le regarda. — Pas vraiment. — Je n’insiste pas, dit-il en levant les mains. Mais si je peux aider. — Ah ! le millionnaire qui offre son aide. Comme c’est attentionné. Jake grimaça. — Quel est ton problème ? — Mon problème ? répéta Charlotte. Elle bondit de sa chaise, renversant presque son verre, et jeta sa serviette. — Mon problème, c’est que tout est tellement facile pour toi ! Et ça l’a toujours été ! Tu as cette vie parfaite, cette grand-mère parfaite… Et ne t’avise pas de dire quoi que ce soit contre elle. Elle est peutêtre folle, mais au moins tu as une famille qui s’inquiète pour toi, pas des parents qui ont oublié ton anniversaire, encore une fois. Jake se figea. Il sentit son estomac se nouer en voyant la tristesse envahir le visage de Charlotte. Il connaissait cette expression…, il la connaissait bien : la solitude. Avoir le sentiment d’être l’oubliée de la famille était presque aussi désagréable qu’être le mouton noir, celui que personne ne veut. Alors, oui, peut-être que leurs situations étaient différentes, mais pas tant que ça. Elle était l’oubliée et lui était la risée. — Ça va, dit Charlotte avec un rire amer. On ne se parle presque plus ; je ne vois pas comment tu aurais pu savoir que c’était mon anniversaire. C’est juste que… je ne sais pas. Beth a dû partir en déplacement professionnel ce matin et je sais qu’elle était stressée. Peut-être que je réagis comme une gamine, mais, juste pour une fois…, je voulais que quelqu’un, autre que Kacey, s’en souvienne. — Je suis un imbécile, murmura Jake. Je suis désolé. — Non. Tu vois, ce n’est pas ce que je veux. La pitié, c’est différent. Ça craint. J’inspire toujours la pitié. « Oh ! regarde, c’est la pauvre journaliste qui était soûle pour le journal de cinq heures et qui est tombée de sa chaise ! » « Oh ! regarde, Charlotte est là ; elle est marrante, mais ne la prends pas au sérieux. » « Oh ! comme c’est triste ! La famille de Charlotte ne fête même pas Noël avec parce qu’ils sont partis en vacances. » Et qu’est-ce que tu penses de celle-là : je ne peux même pas aller voir mes parents aujourd’hui et leur dire ce que j’en pense parce qu’ils passent le week-end à Alki Beach. Jake s’humecta les lèvres et regarda les cheveux noirs de Charlotte voler au vent. Son chemisier serrait sa poitrine qui montait et descendait au rythme de ses paroles animées. — Je suis désolée, finit-elle par dire. Peut-être que ce déjeuner n’était pas une bonne idée. Je ne suis tout simplement pas d’humeur à voir du monde, et, pourtant, je suis venue ici et tout est si facile pour toi, et tu as l’audace d’être triste parce que ta grand-mère vit avec toi et te force à manger des donuts et boire du vin. Bon sang, je tuerais pour tout ça. Jake ne s’était jamais senti aussi minable de toute sa vie. Il avait justement crié après grand-mère ce matin pour une histoire d’œufs. En fait, il lui avait dit de manger ses foutus œufs et de lui ficher la paix. Puis, il était allé plus loin en lui demandant de lui rendre son boulot. Et Charlotte était là, seule pour son anniversaire, à s’excuser de ne pas être de bonne compagnie. Qu’est-ce qui n’allait pas chez lui ? Il méritait ses réprimandes et plus encore, même si, pour être honnête, personne d’autre que grand-mère ne l’avait jamais réprimandé. Et c’est là qu’il comprit. Cette attirance, la raison pour laquelle il était incapable de la laisser tranquille, c’était sa force. Il avait besoin de ce qu’il voyait en elle ; la boussole morale de son subconscient – tout chez lui était

tellement détraqué qu’il était accro à elle comme un alcoolique est accro au whisky. Indépendamment de ses sentiments, il devait avancer prudemment. La dernière chose qu’il voulait, c’était s’engager avec quelqu’un en sachant que sa propre vie se trouvait sur un terrain glissant. Mais il pouvait (non, il allait) arranger les choses. On lui offrait une seconde chance d’être le héros, d’être le bon garçon et il allait la saisir. Il se leva très lentement et contourna la table jusqu’à la place de Charlotte. Avec des gestes fluides, il l’enlaça et la tira vers lui pour l’étreindre. — Tu sais où séjournent tes parents ? Elle jura contre son torse. — Je peux toujours leur envoyer un message ; enfin, s’ils prennent la peine de répondre. Pourquoi ? Jake se mit à rire, même si, à l’intérieur, il traitait ses parents de tous les noms pour leur égoïsme. — Eh bien, j’ai une idée. On va aller les voir tout de suite. Appelle à ton travail. Son cœur battait un peu plus vite dans sa poitrine, presque comme s’il avait reçu une décharge d’adrénaline, tandis qu’un plan prenait forme dans sa tête. Peut-être que c’était de la fierté, pas une fierté égoïste, mais le fait de se sentir fier de la décision qu’il prenait pour le bien de quelqu’un d’autre. — Mais, Jake, dit Charlotte en s’écartant. Qu’est-ce qu’on va faire ? Arriver à leur chambre d’hôte et leur demander de me souhaiter un joyeux anniversaire ? Jake se mit à rire. — Tu verras. — Jake, sérieusement, je ne suis pas d’humeur à jouer et je ne sais même pas où ils sont. — On ne le sait peut-être pas, mais je crois que je connais une femme qui a travaillé pour la CIA autrefois. — Hein ? — Laisse-moi appeler mon contact. — Ton « contact » ? répéta Charlotte. Je crois qu’être au chômage a déjà embrouillé le cerveau de l’homme sexy que tu es. Elle plaqua ses mains sur sa bouche en retenant son souffle. — Bon sang ! Fichu vin ! — Tu me trouves sexy ? Il lui fit un clin d’œil ; les vieilles habitudes ont la dent dure. Et il n’avait pourtant pas pratiqué lesdites habitudes depuis maintenant une semaine. Le fait qu’elle lui dise qu’il était sexy provoquait en lui à la fois la peur et l’excitation. Le sang circulait aux mauvais endroits. Facile, lui dit son cerveau, ce serait tellement facile de se la mettre dans la poche, et, ensuite, tu pourrais oublier de te soucier d’elle. Oublier de se soucier d’elle. La vérité ? C’était qu’il avait la trouille qu’à la minute où il tenterait quelque chose avec quelqu’un qui en valait vraiment la peine, cette personne lui rie au nez. Il n’était pas assez bien pour Kacey ; pourquoi le serait-il pour Charlotte ? — Non. Elle se retourna et secoua la tête comme pour essayer de comprendre d’où venait le mot « sexy » qu’elle avait prononcé. — Ce n’est pas grave, dit Jake en se mettant derrière elle. C’est le cas de beaucoup de femmes. — J’avais besoin que tu me le dises. — Pourquoi ? Il se raidit quand elle se retourna et passa ses doigts le long de son torse. — Ça me permet de me souvenir à quel point tu es égoïste.

— Tu pourrais bien changer de refrain après cet après-midi. — J’en doute. Jake se pencha jusqu’à ce que leurs lèvres se touchent presque. — Je ferai tout pour te prouver que tu te trompes. Charlotte soupira. — O.K., passe ce coup de fil. Je serais bonne à rien au boulot, de toute façon. Avec un immense sourire, Jake sortit son téléphone et composa le numéro de grand-mère. Elle répondit à la seconde sonnerie. — J’espère que c’est une bonne nouvelle, Jake. Je suis en train de gagner. — J’ai besoin que tu me trouves quelqu’un. Grand-mère ne dit rien. Jake râla. — C’est pour Charlotte. — Envoie-moi les détails par texto. Puis, elle ajouta à voix basse : — Je verrai ce que je peux faire. Elle raccrocha, et Jake rangea son portable dans sa poche arrière. Charlotte le fixait derrière ses longs cils. — C’est ça, ton contact ? — Mon ange, tu n’as pas idée. Il passa un bras autour de ses épaules et attrapa le plat avec l’autre. — Maintenant, rentre chez toi, mets quelque chose de sexy, prépare un petit sac de voyage et rejoinsmoi ici dans une heure. On a quelque chose à fêter. Les épaules de Charlotte s’affaissèrent sous le bras de Jake. — Tu n’as pas à faire ça. Sérieusement, je vais mieux. Tu vois ? Tout va bien. Elle pointa son visage du doigt et afficha un sourire navrant. N’ayant pas le cœur à aggraver son état en lui avouant comme elle avait l’air triste, il opta pour une autre solution. Celle qui donnait l’impression que c’était un imbécile. Au moins, il savait comment se glisser dans la peau de ce type. Le genre de mec qui savait exactement quoi dire pour provoquer une femme. Sauf que, cette fois, c’était pour la sauver d’elle-même, pas pour la convaincre égoïstement de sortir avec lui. C’est étrange comme des faiblesses passées peuvent se transformer en forces. Il lui sourit du coin des lèvres et la toisa de haut en bas avant de tendre la main vers son visage et le pencher comme s’il regardait s’il y avait des rides. — Bon. Fais comme tu veux, mais si je prenais une année de plus et approchais dangereusement de la trentaine comme toi, j’aimerais être avec quelqu’un qui sait comment passer du bon temps. D’ailleurs, je t’invite à dîner. Elle plissa les yeux. — Mais tu es au chômage. — Et, comme tu l’as fait remarquer…, toujours millionnaire. Jake posa la bouteille de vin sur la table et attrapa la main de Charlotte pour y déposer un baiser. — Laisse-moi me rattraper. S’il te plaît. La dernière fois qu’il avait dit « s’il te plaît » en le pensant sincèrement, c’était un an auparavant, quand il avait supplié Kacey de l’accompagner chez ses parents. Super ; donc, en vérité, la dernière fois qu’il l’avait dit sincèrement pour des raisons qui n’étaient pas égoïstes, il avait huit ans et voulait une

glace à l’eau pour son ami imaginaire. Les yeux de Charlotte firent des allers et retours entre la porte et le sol. — O.K., mais… ne sois pas trop gentil. Je pourrais prendre ça pour de la pitié et me mettre à nouveau en colère contre toi. — Marché conclu, dit-il en désignant la porte d’un signe de la tête. Maintenant, ramène ton petit cul sexy chez toi et mets quelque chose de… Il fit un pas en arrière pour la regarder de la tête aux pieds. — … d’émoustillant, finit-il. — Ce n’est pas émoustillant, ça ? Elle tournoya devant lui, sa bonne humeur apparemment revenue. Il rit doucement tandis qu’elle tournait sur elle-même comme une petite fille. Mince, elle était vraiment jolie. Il s’éclaircit la voix et détourna le regard. — Tu serais belle dans n’importe quoi, mais il faut que tu portes une tenue d’anniversaire. Les yeux de Charlotte pétillaient d’amusement. — D’accord. Je reviens vite. Jake acquiesça en la regardant balancer ses hanches pendant qu’elle s’éloignait. Au moment d’atteindre la porte, elle se retourna. — Jake… — Ouais ? — Merci. — Ouais, enfin, je ne t’aime toujours pas. Elle se mit à rire. — Ouais, moi non plus. La porte se ferma, et Jake dut s’asseoir pour retrouver ses esprits. Le problème, c’était qu’ils étaient éparpillés un peu partout. Il commençait à être un peu trop attaché aux sourires de Charlotte. Et ça lui faisait vraiment mal de savoir qu’elle se sentait aussi seule. Quel genre de personne cela faisait-il de lui ? Un homme qui resterait assis pour s’apitoyer sur son sort alors qu’elle n’avait qu’un four qui marchait à peine et une famille qui se fichait que ce soit son anniversaire ? Sa famille s’inquiétait peut-être un peu trop pour lui. Et il n’avait jamais su l’apprécier, jusqu’ici. La main tremblante, il sortit son téléphone portable et composa le numéro de Travis. — Allô ? répondit Travis d’un ton bourru. — Je vais le faire. — Hein ? dit le futur marié en toussant. Tu ne t’es pas trompé en faisant mon numéro ? Jake leva les yeux au plafond. — Arrête de rendre les choses difficiles. J’ai dit que je le ferai, et c’est tout. Il y eut un moment de silence. — Tu es toujours là ? demanda Jake. — Ouais. Travis se mit à rire. — Je regardais juste ma montre pour voir si c’était l’heure de l’apéro ou un truc dans le genre. Tu es bourré ? — Je ne suis pas bourré ! cria Jake, de plus en plus énervé. Je voulais juste que tu saches que j’y avais réfléchi et que je veux le faire. Je veux accompagner Kacey jusqu’à l’autel avec papa. Il n’avait pas prévu que sa voix déraillerait à la fin de sa phrase. Bon sang, combien de temps son

passé le hanterait-il ? Il imagina le sourire de Bill, la manière dont il avait regardé Kacey, et sa gorge se serra à nouveau. C’était la moindre des choses qu’il pouvait faire pour la famille…, celle de Kacey ou la sienne. — Merci, répondit Travis d’une voix rauque. C’est…, ça compte beaucoup pour nous. Pour alléger l’atmosphère, Jake se mit à rire. — Ouais, bon, considère que c’est ma bonne action de l’année. — C’est noté, dit Travis en soupirant. Et, sinon, tout va bien ? — Ouais. Jake jeta un coup d’œil à sa maison vide et, pour la première fois de sa vie, il se sentit coupable de ce qu’il avait. Coupable d’avoir considéré tout ça pour acquis. — Ça va aller. — Tu es sûr que tu n’es pas malade ? — Je vais très bien, répondit-il en s’éclaircissant la voix. Bon, il faut que j’y aille. On discutera plus tard. — Bye.

14 Il fallut plus d’une heure à Charlotte pour qu’elle se prépare. Rien ne semblait aller, et elle voulait quand même être jolie au cas où on la verrait avec une célébrité. Qu’était-elle censée porter, d’ailleurs ? La manière dont Jake l’avait regardée la fit frissonner. Tout se mélangeait dans sa tête, et elle était soudainement contente d’avoir pris une heure plutôt que ses vingt minutes habituelles. Elle devait se rappeler continuellement qu’elle lui faisait juste pitié. Il n’était pas vraiment aussi altruiste. C’était Jake Titus, pour l’amour de Dieu ! Il ne pouvait pas s’empêcher de se regarder quand il passait devant des miroirs. Elle conduisit sa vieille Ford Escape jusque chez lui, alternant entre la panique totale, l’envie de faire demi-tour et la détermination. C’était son anniversaire. Elle devait s’amuser. Elle le méritait bien, et les seuls autres projets qu’elle avait consistaient en une série de quatre tomes sur son Kindle et une bouteille de vin. Si elle faisait demi-tour, elle finirait la soirée en s’endormant devant Jimmy Fallon et Justin Timberlake en train de débiter leur septième histoire du rap et se réveillerait devant les divagations de Carson Daly à deux heures du matin. Déprimant. C’était le moins qu’on puisse dire. Jake l’attendait déjà quand elle arrêta sa voiture devant la maison. Elle faillit rester bouche bée. Qu’est-ce que… ? Elle n’avait vu ce genre de voitures qu’à la télévision et, même là, elle n’était pas sûre qu’elles existaient vraiment. Une chose était certaine : elle était complètement dépassée. Soudain, garer sa vieille voiture à côté de celle de Jake ne lui semblait pas être une bonne idée. Elle attrapa son sac à main et descendit du SUV. Jake portait un jean slim, des lunettes aviateur et une chemise bleu pâle avec quelques boutons ouverts en haut. Une veste en cuir camel ajustée peaufinait le tout et, pour être honnête, il était presque trop beau pour qu’on l’admire. Déjà qu’elle avait du mal à regarder la voiture. Elle était presque aveuglée. C’était…, c’était incroyable. Aucun mot ne lui venait. — Tu aimes la voiture ? demanda-t-il en lançant les clés dans sa direction. Elle faillit perdre l’équilibre en les attrapant en l’air. — C’est réel ? Jake éclata de rire. — Quoi ? La voiture ? Charlotte ne put qu’acquiescer. — Je ne sais pas. Pourquoi ne la ferais-tu pas démarrer pour le savoir ? Pressée de monter dans cette chose qui semblait venue de l’espace, elle ouvrit aussitôt la portière côté conducteur et s’assit sur le siège en cuir confortable. Il lui allait comme un gant. C’était comme si la voiture se façonnait autour de son corps, la moulant comme une robe. — C’est quoi ? — Une Bugatti Veyron.

— Elle est… Charlotte passa sa main sur le volant et regarda Jake, qui était désormais assis sur le siège passager. — Elle est belle. Les voitures peuvent-elles être belles ? Jake se pencha en riant pour caresser le siège près de la jambe de Charlotte. — Tu sens ça ? Il aurait fallu qu’elle soit morte pour ne pas sentir la chaleur de ses doigts tandis qu’ils caressaient le cuir juste à côté de sa cuisse. — Cousu à la main. Incroyable, non ? Une voiture peut donc paraître sexy. Sa main se déplaça vers la jambe de Charlotte. — Je voulais que tu te sentes sexy pour ton anniversaire. Tu es magnifique, d’ailleurs. J’adore le rouge. Elle avait choisi, après avoir fait passer un ouragan dans sa chambre, une robe dos nu moulante rouge et des escarpins dorés. — Tu es prête à y aller ? lui demanda Jake en reculant. Tu peux conduire, si tu veux. Charlotte secoua la tête et s’apprêta à lui laisser la place du conducteur. — Pas question. Elle est trop chère pour moi. Je roulerais à vingt à l’heure sur l’autoroute de peur que quelqu’un nous rentre dedans. Jake contourna la voiture et l’aida à sortir du siège bas, mais elle trébucha et finit dans ses bras avec un air maladroit. — Désolée. — Ne le sois pas. Les yeux de Jake se concentrèrent sur ses lèvres une courte seconde avant qu’il ne recule. — Première règle d’anniversaire : ne jamais être désolé. Maintenant, en voiture. Nous avons des parents à trouver. — Jake, je doute que tu y arrives… — C’est déjà fait. Ou devrais-je dire : grand-mère l’a fait. Ils séjournent au premier endroit qu’elle a appelé. Elle a dit que c’était l’un des plus jolis lieux d’Alki et que c’était par là qu’il fallait commencer. Tout ce qu’elle a fait, c’est appeler et dire qu’elle était sur son lit de mort et avait besoin de parler à son fils. Elle a donné le nom de ton père et… elle a raccroché. — C’est un génie du mal. Jake mit la voiture en marche. — Un jour, elle régnera sur le monde. Note ces paroles. Il tendit la main du côté de Charlotte et boucla sa ceinture. — Attends. Je n’ai conduit cette chose qu’une fois et elle va vite. *** Il ne plaisantait pas en disant qu’elle était rapide. Ni sur le fait qu’il ne l’avait conduite qu’une fois. À plusieurs reprises, ils étaient tellement absorbés par leur conversation qu’il ne réalisa pas qu’il allait à plus de cent soixante kilomètres à l’heure. Pour une fois dans sa vie, Charlotte avait l’impression d’être dans un conte de fées. Quand elle était plus jeune, elle avait été la fille qui ne pouvait pas faire craquer Jake, et là… Elle lui jeta un coup d’œil furtif alors qu’il changeait la station de radio. Elle était sa Cendrillon. C’était agréable, même si c’était par pitié. Pour une fois, quelqu’un était venu la chercher.

Elle ne s’était jamais rendu compte à quel point elle en avait besoin. Jusqu’à cet instant.

15 Jake gara la voiture sur la première place de parking. — On dirait bien qu’on y est. Ils croient qu’ils ont gagné une sorte de concours organisé par la chambre d’hôte. On doit faire en sorte d’arriver quand ils seront assis pour leurs cocktails. Charlotte se mit à rire. — Waouh ! Tu es donc aussi redoutable que ta grand-mère avec toutes tes manigances. — C’est bon à savoir ; si je ne récupère jamais mon boulot, je saurai que je peux au moins manipuler les gens pour gagner ma vie. Heureux que ce soit la seule chose que ma grand-mère m’ait transmise. — Ça et un goût irréprochable, murmura Charlotte en jetant un coup d’œil à la voiture. — Je trouve aussi, dit Jake. Mais, quand Charlotte le regarda, il ne fixait pas la voiture ; il la fixait, elle. Ce n’était pas réel, ce n’était pas réel. Il tendit le bras. — On y va ? Avec un petit rire nerveux, elle prit son bras et entra avec lui dans la grande chambre d’hôte. Elle était rattachée à un restaurant vraiment haut de gamme installé juste sur Alki Beach. Le soleil était encore haut dans le ciel, mais il ne faisait pas trop chaud pour se promener sur la plage ou dîner dehors. Charlotte avait envie des deux. Enfin, si elle ne se transformait pas en citrouille avant. — Tu es prête ? chuchota Jake à son oreille après lui avoir ouvert la portière. Incapable de trouver ses mots, elle attrapa son bras et acquiesça.L’odeur de nourriture riche envahit ses sens tandis qu’ils entraient bras dessus, bras dessous. — Ah ! monsieur Titus ! dit un monsieur d’un certain âge en trois-pièces apparu devant eux. Nous avons préparé la table selon vos prescriptions. Désirez-vous commencer avec du champagne ? Jake regarda Charlotte comme s’il attendait qu’elle lui donne son avis. — Du ch-champagne, ce sera très bien. La nervosité lui serrait la gorge alors qu’elle parcourait des yeux le restaurant pour atterrir finalement sur ses parents. Ils étaient assis dans un coin et en pleine conversation. La respiration de Charlotte se bloqua. Elle perdit soudain son sang-froid et s’apprêtait à faire demitour, mais Jake la retint fermement. Quand ses deux parents regardèrent dans sa direction avec curiosité, Jake prétendit ne pas les avoir reconnus ; il fit simplement un petit signe de la tête dans leur direction alors que le serveur les guidait vers leur section réservée du restaurant. Charlotte faillit pleurer en voyant la table. Elle était couverte de pétales de rose et, sur les assiettes était écrit en chocolat : JOYEUX ANNIVERSAIRE. Des fraises étaient disposées autour du message. Dans le coin, il y avait un cadeau gigantesque. Elle dut retenir ses larmes pour éviter qu’elles coulent sur son visage et gâchent son maquillage. Personne n’avait jamais fait quelque chose de semblable pour elle auparavant. Il était inconcevable que Jake ait pu ne serait-ce que penser à faire ça, sans parler de l’organiser en une heure ! Ça devait être l’œuvre de grand-mère. Il n’avait certainement pas un grand cœur comme ça… Ou alors, il se sentait simplement coupable parce qu’elle l’avait accusé d’être égoïste. Alors qu’il lui tirait sa chaise, il murmura à nouveau à son oreille : — Joyeux anniversaire.

Charlotte se sentit rougir et se concentra sur sa respiration. Elle avait bien du mal à respirer, étant donné qu’elle venait de sentir ses lèvres tout près de son oreille, ce qui fit battre son cœur à tout rompre. Jake s’assit, et le serveur fit sauter le bouchon de la bouteille de champagne. Quand Jake lui indiqua qu’il pouvait disposer, ils se retrouvèrent seuls avec les amuse-gueules et les coupes. — Jake Titus ? Le père de Charlotte lui tendit la main. — J’ai entendu dire que tu avais été licencié par ta propre grand-mère. Ça doit faire mal. Tu tiens le coup ? Charlotte dut se secouer pour ne pas rester bouche bée. Avec beaucoup d’élégance, Jake se leva et serra la main de son père. — Bien sûr, je vais fantastiquement bien. Ce n’est qu’un travail. Ce qui compte, c’est que Charlotte soit là pour me soutenir. Tant que je l’ai, tout va bien. Si elle n’avait pas su qu’il mentait, elle l’aurait cru. Sa mère jeta un coup d’œil de l’un à l’autre. — Est-ce que vous… sortez ensemble ? Charlotte ouvrit la bouche pour intervenir, mais Jake l’en empêcha. — Bien sûr. Pourquoi serions-nous ici sinon ? Sa mère afficha un sourire pincé en baissant les yeux sur la tenue de Charlotte, puis sur son assiette. — Oh ! chérie ! Bien sûr, c’est ton anniversaire ! Comment avons-nous pu encore oublier ? — Je ne sais pas, dit Charlotte d’une voix rauque en attrapant sa coupe de champagne. J’ai vingt-trois ans aujourd’hui. Santé. Jake leva son verre et trinqua avec elle. — Oh ! comme c’est mignon, dit sa mère en penchant la tête vers Charlotte. Jake t’a juste invitée au restaurant pour ton anniversaire. Ce n’est donc pas vraiment sérieux. — Sérieux ? répéta Charlotte. Ils étaient fous ou quoi ? Comment pouvaient-ils passer des plates excuses pour avoir oublié son anniversaire au fait de ne pas être convaincus que Jake puisse vraiment sortir avec elle ? Elle se mordit la lèvre et regarda Jake. Tous ses doutes la submergeaient à nouveau. Pourquoi serait-il avec elle ? C’était l’un des plus célèbres célibataires de Seattle. Il était même sorti avec plusieurs top-modèles. Elle allait partir. Anniversaire ou pas, elle ne pouvait pas en supporter plus. Mais, quand elle se leva, Jake la tira vers lui et l’assit sur ses genoux. — Il vaut peut-être mieux qu’ils l’entendent directement de notre bouche, Charlotte. — Entendre quoi ? demanda son père qui semblait tout à fait inconscient de la tension sous-jacente. — Pour nous, répondit Jake en caressant délicatement les bras de Charlotte de haut en bas. Nous sortons ensemble et c’est assez sérieux. Charlotte se raidit. Sa mère éclata de rire. Son père en fit de même. Charlotte essaya de s’écarter, mais Jake la tenait fermement. Elle pouvait sentir la colère qui émanait de lui. — Tu sais quoi, mon ange ? Charlotte se retourna sur ses genoux. — Pourquoi n’irions-nous pas fêter ça ailleurs ? J’ai un appartement juste sur la plage… On pourrait célébrer ton anniversaire avec le reste de la famille. Il l’avait vraiment fait ; il l’avait sauvée, et la grenouille s’était transformée en prince. Sa respiration s’accéléra quand il caressa sa joue du bout des doigts. Ce n’était pas réel. Ça ne pouvait pas être réel.

Les doutes du lycée l’assaillaient à nouveau. Une baleine. C’était une baleine, et là, elle était assise sur ses genoux. Charlotte demandait à son cœur d’arrêter de battre aussi vite. Elle devait rappeler à son corps que Jake était particulièrement doué pour provoquer une réaction physique. C’était pour ça qu’il était connu. Il l’avait fait succomber deux fois dans sa vie ; elle n’allait quand même pas tomber une nouvelle fois amoureuse de lui ? Il bougea alors son autre main et lui frotta le dos. Elle eut un frisson involontaire. N’avait-elle pas toujours voulu que Jake la défende ? O.K., elle était bien plus âgée aujourd’hui, et, bien sûr, c’était trop tard, mais elle arrivait presque à croire qu’il avait le potentiel pour être l’homme dont elle avait toujours rêvé. Celui qui ne se contentait pas de choisir le chemin le plus facile qu’on lui proposait, mais empruntait aussi les plus difficiles. Elle avait absolument besoin de retrouver cette qualité chez un homme, surtout après avoir revu sa mère et son père. Elle ne voulait pas du genre de relation qu’ils avaient. De ce genre de couple qui vit dans sa petite bulle. Charlotte voulait de l’amour, de l’excitation, un héros, un meilleur ami. Mince, peut-être projetait-elle simplement tous ces besoins et désirs sur Jake parce que c’était le seul qui lui adressait la parole. Ce qui la ramena à son doute numéro un : pourquoi voudrait-il soudainement d’elle ? Ce n’était pas le cas. La vérité faisait mal, mais elle devait rester forte devant ses parents pour qu’ils croient en ce mensonge, même si elle aurait tellement aimé que ce soit la vérité. Il était là parce que, pour une raison ou une autre, il essayait de faire ce qui était probablement son unique bonne action de l’année…, pas parce que son cœur s’était soudain libéré de sa cage de glace et battait pour elle. — La famille ? répéta sa mère qui semblait désormais agacée. Quelle famille ? Toute sa famille est ici. Enfin…, à part Beth ; elle est en déplacement professionnel à L.A., expliqua-t-elle avant de soupirer. Quelle réussite, notre Beth ! Tu savais qu’elle était chimiste ? Charlotte avait envie de pleurer. En fait, elle voulait sauter des genoux de Jake et balancer quelque chose. Jake avait représenté une meilleure famille en seulement quelques heures que ses parents l’avaient été en des années ! La famille ? Pour sa part, il avait plus agi comme une famille qu’ils ne l’avaient jamais fait. Une bataille faisait rage en elle : se lever et gifler sa propre mère ? Ou partir en furie ? Au lieu de cela, elle se libéra de la poigne d’acier de Jake et se leva en jetant un regard noir à ses deux parents pendant un instant. Elle ne chercherait jamais leur approbation. Comme il était inutile d’essayer, elle allait s’amuser en leur montrant qu’elle pouvait être heureuse sans eux. — Jake, tu as raison. Appelons grand-mère pour voir si elle veut se joindre à nous pour le dîner. Il se leva et la tira dans ses bras. — Excellent programme. Sans la prévenir, il plaqua ses lèvres sur les siennes. Il l’embrassa comme s’il ne faisait pas semblant. Comme s’il l’aimait vraiment et voulait montrer à ses parents ce qu’ils rataient. Encore une fois, elle fut happée par le sentiment que devait procurer le fait d’être désirée. Elle passa ses bras autour du cou de Jake et soupira contre sa bouche. C’était son anniversaire, après tout. Ils se séparèrent quand son père s’éclaircit la voix : — Ça suffit, Charlotte. Tu crois que c’est bien d’être vue avec un play-boy ?… Jake se mit à rire. — Un play-boy millionnaire. Son sourire était tellement condescendant que Charlotte avait envie de lui mettre son poing dans la figure, mais ils l’avaient cherché. — Utilisez au moins le bon titre. Il fit un clin d’œil et sortit plusieurs billets de cent dollars de sa poche. — Allons-y, mon amour. En se limitant à un léger signe de la main, ils quittèrent le restaurant et montèrent dans la voiture de

Jake. Un sentiment de satisfaction agréable les envahit quand les yeux du père de Charlotte s’écarquillèrent à la vue de la voiture. Et puis, une fois qu’ils furent à au moins un kilomètre du restaurant, Charlotte fondit en larmes.

16 Jake gara la voiture en jurant avant de l’arrêter. — Je suis vraiment désolé, Charlotte. Si j’avais su qu’ils te traiteraient comme… Il se remit à jurer avec une furieuse envie d’étrangler ses parents pour avoir gâché l’anniversaire de leur fille. Bon sang, mais à quoi pensaient-ils en comparant Charlotte à sa sœur ? Charlotte était unique, elle était elle, tout simplement. Normalement, c’était comme ça qu’il décrivait les femmes sans corps ni personnalité, mais pas Charlotte. Il le pensait sincèrement. Elle était différente, mais d’une façon qui attirait l’attention d’un homme. Elle avait indéniablement un tempérament explosif… Avec un corps d’une beauté insolente et une attitude qui l’était tout autant, il ne comprenait pas comment ses parents pouvaient la trouver bête. Une chimiste ? Sa sœur était une chimiste ennuyeuse ? Et alors ? Ce n’était pas logique. Ils n’étaient pas logiques. Plus il y pensait, plus ça l’énervait. — … de la merde ? suggéra Charlotte en s’essuyant les yeux. Ça va. Je ne sais pas pourquoi je m’attendais à autre chose. Je suppose que c’est à cause de la voiture, ou de la robe, ou peut-être même de toi. — Je pensais qu’au moins, s’ils te voyaient, ils culpabiliseraient, et que, si ça ne marchait pas, ils seraient au moins jaloux que tu passes un super moment. Je te jure que ce n’était pas ce que j’avais prévu. — Oh ! dit Charlotte en riant bêtement. Et qu’avais-tu prévu ? — Tu sais, répondit Jake en jouant avec une mèche de ses cheveux avant de la mettre derrière son oreille. Provoquer en toi un coup de foudre. Être le prince charmant de sa Cendrillon…, sauf que, pour une fois, le plan, c’était d’être le type qui retire la chaussure plutôt que celui qui essaie de trouver la fille à qui elle va. — Alors, tu serais le méchant prince charmant ? Qui enlèverait les chaussures de la princesse ? C’est scandaleux. Jake se mit à rire. Son cœur battait fort dans sa poitrine. — Je n’ai pas dit que j’avais complètement changé, tu sais. Charlotte sembla apprécier cette affirmation. Elle rit, puis leva ses yeux verts vers lui. — Alors, c’est un vilain petit garçon que j’aime bien. Elle était si près. Il ne l’avait pas embrassée sincèrement au restaurant, mais il était tellement énervé par ses parents ; il avait voulu leur prouver que, même s’ils ne trouvaient pas leur fille digne, lui, si, et il n’avait aucun doute là-dessus. Le seul problème, c’était que, même si Charlotte pensait que c’était le prince, lui avait vraiment l’impression d’être le méchant. Il ne pouvait pas craquer pour elle… et il était légèrement terrifié à l’idée que ce soit déjà à moitié le cas. — Est-ce que tu vas m’embrasser encore une fois ? Jake acquiesça. — Une autre règle d’anniversaire. — Ah ouais, et laquelle, exactement ? Charlotte se pencha plus près jusqu’à ce que ses lèvres effleurent les siennes. — Les baisers ne comptent pas. Donc, si je t’embrasse, juste là… Ses lèvres touchèrent les siennes. — Et encore, là…, tu ne peux pas me gifler ni le retenir contre moi.

— Vraiment ? — Ouais. Il lécha le coin de la bouche de Charlotte, puis posa ses mains de chaque côté de sa tête en intensifiant son baiser. Son téléphone vibra dans sa poche, mais il l’ignora. Il ignorait tout, en dehors du fait que le goût acidulé du champagne de sa langue le rendait fou. Mais le portable ne s’arrêterait pas. Il finit par reculer et répondre sur un ton bourru : — Allô ? — Espèces d’imbéciles ! cria grand-mère. — Hein ? — Je suis sur la route. Jake était trop concentré sur la robe courte et les lèvres charnues de Charlotte. — Où vas-tu ? — Vous retrouver. Stuart m’a appelée. Il m’a tout raconté. — Stuart ? C’est qui, ce Stuart ? Grand-mère poussa un profond soupir, comme si c’était lui qui était ridicule. — Le serveur, Jake. Tu sais, des fois, je me pose des questions sur toi. Il avait un badge. Rejoins-moi à l’appartement. Nous passerons la nuit là-bas et nous allons lui offrir une fête qu’elle n’oubliera jamais ! Grand-mère raccrocha. Jake souffla et regarda Charlotte. — C’était donc grand-mère. — Ouais, je l’ai entendue. Cette femme ne parle pas très doucement. — Elle veut t’organiser une fête. Jake fixait toujours son téléphone avant de retourner aux lèvres de Charlotte. — On devrait peut-être lui faire plaisir. — Bon. Charlotte boucla sa ceinture. — C’est mon anniversaire, après tout…, et je suis affamée. — Moi aussi, reconnut Jake, mais il n’avait pas faim de nourriture. Non. Il voulait encore ses lèvres. Mince, il voulait la dévorer. Contenant son désir, il fit redémarrer la voiture. — Eh bien, ne faisons pas attendre Son Altesse.

17 Jake ne s’était pas du tout préparé à ce que grand-mère avait prévu. Il n’était que quatre heures de l’après-midi, après tout. Il pensait qu’ils feraient seulement un petit dîner anticipé accompagné de quelques verres. Alors que jusqu’ici il s’était contenté d’essayer de faire tourner la tête de Charlotte, grand-mère avait désormais pris les choses en mains pour mettre en œuvre tous les gestes gentils auxquels il n’avait même jamais pensé. Elle était venue avec la meilleure amie de Charlotte. — Kacey ? Charlotte resta bouche bée quand Kacey et Travis arrivèrent à l’appartement. Grand-mère avait dit à Jake et Charlotte de s’asseoir avec une coupe de champagne et d’attendre la fête du siècle. C’étaient les paroles de grand-mère, pas celles de Jake. Après deux heures, il était convaincu que grand-mère s’était endormie au volant. Ce n’était pas comme s’il s’en inquiétait. Charlotte avait voulu aller marcher sur la plage ; il avait accepté pour lui faire plaisir. Puis, elle avait voulu plus de champagne ; en fait, il lui aurait donné tout ce dont elle avait envie. Il voulait juste qu’elle se sente… convoitée…, désirée. Et il ferait tout pour être le gars qui lui donnerait ce sentiment. Quelques heures avaient passé depuis leur dernier baiser, et il réfléchissait sérieusement à verrouiller la porte de l’appartement pour pouvoir le refaire, quand son frère et sa future belle-sœur avaient fait irruption. — Surprise ! avait crié Kacey en courant à travers le grand séjour. — Je n’arrive pas à croire que vous soyez là ! dit Charlotte en se jetant dans les bras de Kacey pour l’étreindre. Comment avez-vous… ? — Grand-mère, dit tout le monde à l’unisson. Jake se leva du canapé et alla serrer la main de son frère. — Je suis surpris que vous ayez trouvé un vol. Travis souffla. — Moi aussi. On a à peine eu le temps de faire nos bagages. J’ai ramassé des fringues par terre avant de les jeter dans mon sac et j’ai pris des machins à dentelles pour Kacey. — De la lingerie, reprit cette dernière en soupirant. Il a pris ma lingerie en soie. Travis haussa les épaules. — Je suis un mec. — Et je ne peux pas me balader toute nue ! cria presque Kacey. Cela ne sembla pas perturber Travis, le chanceux. — Ça ira, dit-il en lui faisant un clin d’œil. Kacey rougit et détourna le regard. — Alors, Charlotte, grand-mère dit que Jake a été ton chevalier en armure rutilante aujourd’hui. — Holà ! lança Jake en levant les mains. Ne va pas ruiner ma réputation. Kacey cligna des yeux. — Même pas en rêve. Il reste un imbécile, Charlotte. J’espère que tu le sais.

Charlotte se mit à rire avec Kacey. Jake ne riait pas, lui. Pas du tout. N’était-il qu’un sujet de raillerie pour tout le monde ? — Bref, dit Kacey en tirant Charlotte sur le canapé. Je suis heureuse de pouvoir t’annoncer ça face à face pour pouvoir voir ta réaction. — Tu es enceinte ! cria Charlotte. Travis cracha l’alcool qu’il avait dans la bouche et se mit à tousser. — Euh, non. Kacey jeta un regard noir à Travis. — Nous avons donc deux imbéciles, ajouta-t-elle. — Ça ne serait pas la première fois qu’elle nous accuse, dit Jake en levant son champagne pour porter un toast avec son frère avant de prendre une bonne gorgée. — Tu te souviens de Jace Munroe ? demanda Kacey. Les yeux de Charlotte s’écarquillèrent. — Le fameux Jace Munroe ? Le quarterback de l’école rivale qui ressemblait à Justin Timberlake en plus sexy ? — Hum, ouais, celui-là même, dit Kacey en riant. Je l’ai invité au mariage. — Je ne te suis pas, affirma Charlotte. Elle enleva ses chaussures et glissa ses pieds sous ses fesses sur le canapé. Dommage parce que Jake observait attentivement ses jambes bien galbées. — Pourquoi inviterais-tu quelqu’un que tu connais à peine à ton mariage ? — Travis joue au golf avec lui. — Et alors ? — Ils ont sympathisé, ils sont amis et il est célibataire. Jake avala son champagne trop vite et se mit à tousser, mais le cacha en riant – même s’il ne trouvait rien d’amusant dans cette situation. Charlotte eut un mouvement de recul. — Je n’aime pas qu’on me piège de cette manière. — Ne vois pas les choses comme ça, argumenta Kacey en posant sa main sur le bras de Charlotte. D’ailleurs, il se souvient de toi. — Vraiment ? Le visage de Charlotte s’éclaira. Oh ! mince. Comment pouvait-elle être aussi peu consciente de son propre charme ? Cette fille était magnifique. Évidemment que ce type se souvenait d’elle : ce crétin était probablement sorti avec une centaine de femmes dans sa vie et se sentait enfin prêt pour se ranger avec la bonne. Et c’était exactement ce qu’était Charlotte. Salaud. — On lui a un peu dit que tu serais là, et…, je pense que tu devrais te lancer ! — Pardon, intervint Jake. « Se lancer » ? — Hum, ouais, dit Kacey en lui pinçant le bras. Elle a besoin de sortir et de voir des mecs. Au rythme où elle va, elle va finir par acheter une centaine de chats et vivre dans une caravane au fond de notre jardin. — Ce n’est pas vrai, réagit Charlotte en rougissant. Je suis simplement difficile. — C’est la faute du collège, affirma Kacey. Sérieusement, depuis le camp en fin de troisième, tu as juré de renoncer à la plupart des hommes qui osent ne serait-ce que poser deux fois les yeux sur toi. Charlotte rougit et baissa les yeux sur ses mains jointes.

— La troisième ? répéta Jake. Hé ! mais j’étais à ce camp avec vous. Charlotte leva la tête et sourit. — C’est vrai. J’avais oublié. Ce n’était assurément pas le cas de Jake. Il avait conclu avec une tonne de filles, cet été-là. Ça avait été le meilleur été de toute sa vie. Il avait même eu un petit béguin pour Charlotte avant qu’elle commence à agir de manière complètement folle avec lui : un jour, ils étaient amis et, le lendemain, ennemis jurés. Jusqu’à ce jour fatidique où il avait couché avec elle. Là, ils avaient été plus que des amis pendant quelques heures. Ce qui soulevait la question : qu’étaient-ils aujourd’hui ? Ce n’était pas comme s’il avait envie qu’elle sorte avec quelqu’un d’autre. Non, il tuerait n’importe quel autre type qui la toucherait. Ça ne voulait pas dire qu’il voulait être le type qui la toucherait. Ses yeux parcoururent son visage, ses lèvres, ses yeux. Merde. Peut-être qu’il voulait essayer d’être ce type qui la faisait glousser avec Kacey. Vous savez, si une fille fait encore ce genre de truc à vingt-trois ans… — S’il te plaît, la supplia Kacey. Pour moi ? Reste juste réceptive quand tu le verras, d’accord ? Et si quelque chose arrive…, dit-elle en haussant les épaules, eh bien, ça arrivera. Jake vola au secours de Charlotte, en tout cas dans sa tête, en y ajoutant son grain de sel : — Ne lui mets pas la pression, Kace. Être seule n’est pas une chose horrible. Je connais beaucoup de filles célibataires qui sont parfaitement heureuses avec leur carrière et leur vie. Tout le monde ne veut pas forcément se marier et avoir des enfants. — C’est vrai, concéda Kacey en désignant Jake du doigt. Et si tu veux finir comme lui, alors, je t’en prie, Charlotte. — Mais…, balbutia Jake en secouant la tête. Ce que j’essaie de dire, c’est que c’est à elle de choisir. — Tout comme c’est à toi de choisir de courir les filles vulgaires. Kacey le tapa dans le dos. — À chacun ses goûts, hein ? Pourquoi était-il soudain gêné par son passé ? Et pourquoi donc laissait-il Kacey l’intimider ainsi ? Charlotte le regardait comme si elle attendait qu’il dise quelque chose ou la défende, mais il ne savait pas ce qu’il était censé dire ou faire. La seule chose qu’il remarqua, ce fut qu’elle rougit légèrement. Était-elle gênée, elle aussi ? — Enfin ! cria grand-mère en débarquant par la porte d’entrée avec une tonne de bagages dans les mains. Savez-vous comme c’est difficile de trouver un bon feu d’artifice à Seattle ? — Hum, on devrait peut-être s’inquiéter… Charlotte montra un sac sur lequel il y avait une étiquette indiquant FEU D’ARTIFICE. — Pas tant qu’elle n’a pas d’allumettes, répondit Travis juste à l’instant où grand-mère sortait assez d’allumettes pour mettre le feu à tout Alki Beach. — Je t’ai dit que ce serait le meilleur des anniversaires ! lança-t-elle avec le sourire. Elle laissa tomber ses sacs, puis marcha vers Charlotte, qui, une seconde plus tard, se retrouva dans les bras de grand-mère. — Tu es une fille spéciale et tu mérites une journée spéciale en famille. Une larme coula le long du visage de Charlotte quand elle s’écarta de grand-mère et la remercia. Le silence régna jusqu’à ce que grand-mère se mette à aboyer des ordres à propos d’un gâteau, de feux d’artifice et de margaritas.

18 Si quelqu’un avait dit à Charlotte, quand elle s’était réveillée ce matin-là, qu’elle aurait le meilleur anniversaire de sa vie dans un appart à un million de dollars sur Alki Beach, elle aurait bien ri. C’était difficile à croire, même si elle était en train de le vivre. Grand-mère avait acheté un gâteau ridiculement bon au centre-ville. C’était un Red Velvet qui avait le glaçage le plus merveilleux qu’elle ait jamais vu de toute sa vie. Elle avait même apporté ce qu’il fallait pour faire des margaritas, le cocktail préféré de Charlotte. Depuis l’arrivée de grand-mère, Jake était distant, presque froid. Elle espérait que ce n’était pas à cause de leurs baisers. Ça l’avait bouleversée, mais il avait simplement essayé d’être gentil. Comme il l’avait dit, ce n’était pas réel. Ça ne comptait pas parce que c’était son anniversaire. N’est-ce pas ? — Alors, tu tiens le coup ? demanda Jake en s’asseyant près d’elle. Ton meilleur anniversaire ? Charlotte se mit à rire et trinqua avec lui. — Le meilleur de toute ma vie. En tout cas, tant que grand-mère ne met pas le feu à quelqu’un. Là, ça serait le chapeau. — On sera chanceux si personne ne finit aux urgences ce soir, dit Travis, qui était un peu plus loin sur la plage. Lui et grand-mère se débattaient en vain avec les feux d’artifice depuis plus d’une heure pendant que tout le monde buvait des margaritas en les observant. — Je suis contente qu’on fasse ça, dit Kacey. Avant la folie du mariage. C’est agréable de passer simplement du temps tous ensemble. Grand-mère maugréa en sortant une autre allumette. Travis recula brusquement quand elle l’agita en l’air. — La folie du mariage, c’est le mot. Et n’allez pas croire que je vous pardonne tous les deux d’avoir invité Pétunia. Travis marmonna : — C’est ta sœur. — Ce n’est qu’une source de déception ! lança grand-mère en levant le poing. — Qu’est-ce qu’elle a fait ? demanda Charlotte, même si Jake disait non de la tête et Travis faisait des signes frénétiques derrière grand-mère. — Qu’est-ce qu’elle a fait ? répéta grand-mère. Qu’est-ce qu’elle a fait ? — Elle se répète, maugréa Jake. C’est mauvais signe. Vite, apportez-lui un autre margarita. Grand-mère lui mit une tape derrière la tête et s’approcha de Charlotte. — Ma sœur m’a traitée de catin. Charlotte se mordit la lèvre pour ne pas rire. — À mon propre mariage ! Jake leva la main. — Grand-mère, j’espère que tu réalises qu’elle a dit ça parce que tu étais debout sur la table… — Chhhut ! dit grand-mère en le chassant de la main. Elle est pudibonde et ne porte que du blanc. Charlotte fronça les sourcils. — Pourquoi seulement du blanc ?

Jake grommela près d’elle, mais elle l’ignora. Grand-mère jeta l’allumette dans le feu et secoua la tête. — Elle dit que le rouge est la couleur du diable. — Et le noir ? — Celle de l’enfer. — Le bleu ? dut demander Charlotte. — De la tristesse. — C’est idiot. — En effet, concéda grand-mère. Elle a besoin de rencontrer un homme, mais elle a tellement peur d’eux qu’elle est toujours restée célibataire. Pendant toutes ces années. Elle secoua la tête en émettant un long « Tsss ». — Et avec plein de chats, chantonna Kacey derrière grand-mère. — Ce sera ton avenir, dit Travis en hochant la tête, si tu ne suis pas nos conseils et ne sors pas avec Jace. — Jace ? répéta grand-mère en se retournant brusquement. Tu as invité ce type au mariage ? — En amour comme à la guerre, répondit Kacey. Je veux dire, ce qu’on veut, c’est bien égaliser les chances entre tous les couples, non ? Grand-mère jeta un regard mauvais, puis commença à se tordre les mains. Charlotte s’approcha rapidement de Jake. — Je crois qu’il y a quelque chose qu’on ne sait pas. — Ne me regarde pas ! Je suis aussi paumé que toi. Grand-mère se mit alors à rire. — Je confirme. Dites-moi, vous êtes-vous occupés des préparatifs pour le mariage, aujourd’hui ? Jake toussa et détourna le regard. — Deux jours ! cria grand-mère en levant deux doigts. Et, Charlotte, n’oublie pas de demander deux jours de congé supplémentaires à ton patron. On ne voudrait pas que tu te fasses virer, ajouta-t-elle en faisant un clin d’œil à Jake. — Très amusant, marmonna-t-il. — Je crois qu’on est prêts ! déclara Travis, qui se trouvait à quelques mètres derrière eux. — Moi d’abord ! Grand-mère fonça vers lui avec son allumette et l’alluma. Après quelques secondes, le feu d’artifice monta dans le ciel et explosa. Des feux d’artifice, et ils étaient tirés spécialement pour elle… Charlotte riait bêtement et essayait de se mettre à l’aise sur le sable. Elle sentit des doigts lui caresser l’épaule, puis Jake la tira dans ses bras. Elle s’adossa contre lui et soupira quand il murmura dans ses cheveux : — Joyeux anniversaire, Cendrillon. — Merci, prince charmant. — Puis-je t’enlever tes chaussures, maintenant ? — Pas question. Il se raidit derrière elle. — Mais tu peux me tenir la main, concéda-t-elle. — C’est encore mieux. Ses mains attrapèrent les siennes tandis qu’il les plaçait dans la bulle de son étreinte. C’était un moment parfait.

Jusqu’à ce qu’ils entendent les sirènes. — Euh…, grand-mère ? dit Travis en se grattant la tête. Tu as bien obtenu un permis de la part des pompiers pour faire un feu d’artifice sur la plage, n’est-ce pas ? Le silence de grand-mère fut suffisamment éloquent. Tout le monde se leva d’un bond et se mit à courir. Pendant ce temps, grand-mère hurlait : — Je ne retournerai pas en taule ! Heureusement, ils rentrèrent sans encombre dans la maison juste avant que le camion de pompiers et les flics n’arrivent sur la plage. Ils éteignirent toutes les lumières et verrouillèrent la porte. — Puisqu’on est là, chuchota gaiement grand-mère, on va se coucher ? — Oui, marmonna Travis en tirant Kacey contre lui. Mais elle s’écarta. — Pas avant le mariage, champion… J’espère que tu apprécieras le canapé. Elle lui tapa le ventre en faisant un clin d’œil, mais Travis n’avait pas l’intention de laisser passer ça. Il la tira dans ses bras et l’embrassa bruyamment en la poussant contre le mur. — Ferme les yeux, murmura Jake à l’oreille de Charlotte. La dernière fois, je les ai gardés ouverts trop longtemps et j’ai vu une langue… Les choses ne sont plus les mêmes depuis. Il émit un petit grognement quand Charlotte lui donna une tape sur le ventre et se dirigea vers la chambre. — Oh ! Charlotte ? Jake et toi pouvez prendre le loft, proposa grand-mère en leur souhaitant bonne nuit d’un signe de la main alors qu’elle s’éloignait. — Mais…, lui répondit Charlotte. Il n’y a pas plus de chambres ? — Non, murmura doucement Jake. On dirait que tu es piégée avec moi. Regarde le bon côté des choses : c’est encore ton anniversaire. Peut-être que tu auras de la chance. Il s’écarta avant que Charlotte n’ait le temps de le frapper. — Et peut-être que tu survivras à cette nuit sans être castré. — Ce n’est pas ce que tu disais la dernière fois. Charlotte lui lança un regard méchant. — Tu veux vraiment qu’on reparle de la dernière fois alors que j’ai des couteaux et des allumettes à portée de main ? Jake acquiesça et fit un pas en arrière. — Je vais prendre une douche et voir si je peux te trouver quelque chose à porter pour dormir.

19 Il allait bien. Bien, bien, bien. Il y avait bien trop de « bien » dans cette phrase. À l’évidence, Jake arrivait parfaitement à se convaincre qu’être dans la même chambre que Charlotte n’allait pas le tuer. C’était comme s’ils revivaient le camp d’ados à l’époque du collège. Sauf que, cette fois, il savait exactement ce qu’il loupait pendant que cette fille dormait si loin de lui. Il passa ses doigts dans ses cheveux et essaya de se concentrer sur sa tâche : trouver des vêtements pour Charlotte. Là encore, ne rien porter était toujours une option. Il afficha un petit sourire narquois, puis se souvint de sa menace. Il poursuivit donc ses recherches. En ouvrant la porte du placard, il trouva un boxer et un tee-shirt qu’il portait à l’époque du lycée. Ça ferait l’affaire. Le temps qu’il monte l’escalier jusqu’au loft, il s’était presque persuadé que ça ne posait pas de problème. « Presque » étant le mot-clé. Charlotte était déjà allongée sur le lit, les jambes croisées et les bras derrière la tête, ce qui moulait sa robe sur ses seins de manière tellement grisante que Jake dut fermer les yeux un bref instant.Je reviens sur ce que j’ai dit : ce n’est pas comme le camp d’ados, absolument pas. — Je t’ai trouvé des vêtements. Il les lui lança dans la figure. D’accord, ça ressemblait peut-être un peu au camp d’ados, après tout, puisqu’il malmenait toujours les filles qu’il appréciait. Où était passé son pouvoir avec les filles ? Il s’était certainement envolé par la fenêtre. — Merci, marmonna Charlotte en enlevant les vêtements de son visage. Hé ! je me souviens de ce teeshirt. Elle se mit à rire et l’étendit devant elle. — L’homme de l’année ? Jake se gratta la tête et détourna le regard. — Ouais, bon, c’était il y a longtemps. Il avait été élu « Homme de l’année » au lycée, ce qui, en gros, pour un adolescent bourré d’hormones, revient à dire que c’était une sorte de dieu du sexe descendu sur terre pour accorder son attention à toutes les filles qui l’entouraient. Elles adoraient ce tee-shirt. Chaque fois qu’il le portait… Bon, disons simplement que, chaque fois qu’il le portait, il arrivait en retard en cours. — Je détestais ce tee-shirt, affirma Charlotte en le posant sur le lit et en soupirant. — Tu le détestais ? Jake s’assit près d’elle et attrapa le tee-shirt. Il avait vraiment été aussi petit ? Mince, à l’époque, il croyait être un dieu musclé et bien foutu. Pathétique, vraiment. Il ne pourrait même pas entrer dedans aujourd’hui. — Je le détestais, répéta-t-elle avant de s’appuyer sur ses bras. Je trouvais que c’était stupide que les gens votent pour quelque chose d’aussi idiot que ça et que les filles le prennent au sérieux. Genre : « Oh mon Dieu ! Tu as vu Jake Titus aujourd’hui ? Il est trop sexy et il porte le tee-shirt. Tu sais ce que ça veut dire. » — Comment tu étais au courant ?

— Tout le monde savait, dit-elle en riant. Si tu portais ce tee-shirt, ça voulait dire que tu étais prêt pour une petite…, pour une petite sortie extrascolaire derrière le gymnase. Les filles allaient à leur casier, remettaient du rouge à lèvres, remontaient leur jupe et se contentaient d’attendre que tu viennes les choisir. Oh oui, je détestais ce tee-shirt. Elle soupira. — Les choses n’ont pas beaucoup changé, en fait ; reprit-elle. Sauf qu’aujourd’hui, tu fais ton choix sans ce tee-shirt, non ? Il ne savait pas vraiment quoi répondre à ça. Était-il censé approuver ? Ou mentir comme un arracheur de dents ? Parce que, techniquement et malheureusement, elle avait raison. — Bref, il faut que je me change, dit-elle en le regardant ostensiblement. Il ne bougea pas. — Alors…, ajouta-t-elle en indiquant la porte d’un signe de la tête. Jake haussa les épaules. — Je peux fermer les yeux si tu es si prude, mais laisse-moi justifier mes actes rapidement… — Oh ! je t’en prie, vas-y. Charlotte se retourna vers lui les bras croisés, sa robe moulant de nouveau sa poitrine. Bon sang, elle avait vraiment un joli corps. Il s’humecta les lèvres et détourna le regard pour pouvoir se concentrer. — Je t’ai vue nue au moins quatre fois dans ma vie. — Quatre ? — Oui, quatre, confirma-t-il avant de lever un doigt. Une fois quand on était en sixième. J’étais censé être dans ma chambre quand Kacey et toi vous êtes changées pour aller à la piscine. Mais je me suis faufilé dans la chambre d’amis et j’ai regardé discrètement par la porte. — Pervers. — Hé ! Je venais juste de découvrir que j’aimais les filles. — Au lieu de quoi ? Les souris ? — C’est mignon, dit-il d’un air renfrogné. La deuxième fois, continua-t-il en agitant devant son visage deux doigts qu’elle repoussa sans que cela l’empêche de poursuivre. Au camp d’ados. Kacey et toi pensiez que je dormais et vous vous êtes mises en pyjama. Je jure que, depuis ce jour, je ne peux plus regarder les sous-vêtements à rayures bleues et blanches sans avoir… — Stop, l’interrompit Charlotte en se levant. Je pense qu’il vaut mieux partir du principe que je sais comment va se terminer cette phrase. — … un large sourire sur le visage, finit-il en lui faisant un clin d’œil. Depuis, j’adore les rayures. Ensuite, la troisième fois, c’était au lycée, quand tu as fait un essai pour entrer dans l’équipe de basket et que tu es allée prendre rapidement une douche parce que tu étais malade et que tu as dû rentrer chez toi. — Tu réalises que tu passes pour un voyeur ? Jake haussa les épaules. — Et tu réalises que les mecs sont assez désespérés pour se foutre royalement de passer pour de gros dégoûtants. Dès qu’on entend le mot « nue », plus rien n’est impossible. — Ce qui nous fait revenir à notre point de départ. Tu veux que je te fasse confiance pour ne pas regarder, et nous savons très bien tous les deux que tu le feras, alors, finissons-en. — P-pardon ? — Lève-toi. Il n’était pas très sûr de pouvoir, ni de devoir, d’ailleurs. — Ou assieds-toi. Charlotte s’approcha pour se mettre à califourchon sur ses jambes. Bon sang, était-ce vraiment en train

d’arriver ? Allait-elle… ? — Je crois que tu te trompes sur moi en pensant que je ne sais pas comment pensent les mecs. — Eh bien, je… — À cause de ce petit quiproquo, et après toutes ces fois où tu m’as regardée comme le petit lycéen obsédé et dégueulasse que tu étais… Elle attrapa ses mains et les plaça de chaque côté de ses cuisses. — … tu ne verras rien. Cela voulait-il dire qu’il pourrait toucher ? Elle fit passer les mains de Jake de ses cuisses à ses flancs, les arrêtant juste sous ses seins, puis elle monta ses mains jusqu’à sa poitrine et son visage. — Tu sens ça, Jake Titus ? Oh oui ! Il le sentait ! Il sentait ses yeux gonfler de désir tandis que son corps vibrait du besoin de la prendre. — Maintenant, tu n’as plus besoin de regarder, dit Charlotte en s’éloignant. Toi et ton petit esprit pervers pouvez très bien imaginer. Et maintenant, dehors. Elle désigna la porte du doigt avant de croiser les bras. Était-elle sérieuse ? Elle voulait qu’il se lève ? Maintenant ? Et qu’il marche jusqu’à la porte ? Et la referme derrière lui ? Sans… — J’attends ! lança-t-elle en lui faisant un clin d’œil. Bien joué. Il se leva péniblement et sortit de la chambre en traînant les pieds. Ce ne fut que lorsque la porte fut fermée derrière lui qu’il réussit à souffler et, même là, il dut s’appuyer contre le mur pour ne pas se vautrer dans la mare de son propre désir insatisfait. — Tout se passe bien ? dit une voix qui venait d’en bas. Travis monta lentement le rejoindre avec un sourire narquois. — Donc, tu l’as définitivement perdu. — Hein ? Alors, il rampait, maintenant ? Mince alors ! Depuis quand une femme avait-elle autant de pouvoir sur lui ! — Ton pouvoir, tes talents, ta magie pour la drague, ta capacité à charmer une nonne pour qu’elle enlève ses jupes… — Je vois, l’interrompit Jake. — Alors…, tenta Travis en croisant les bras. Toi et Char, hein ? Jake ne dit rien. — Ne fais pas ça. — Clairement, je ne fais rien. Et c’est bien le problème, marmonna Jake. — Juste…, ne fais rien d’irréfléchi avant le mariage, d’accord ? Je n’imagine même pas comment Kacey serait énervée si elle découvrait que tu essaies de flirter avec sa meilleure amie et demoiselle d’honneur. — Il n’y a eu aucun flirt, crois-moi. Était-ce de l’amertume qui imprégnait chacune de ses paroles ? — Bien, dit Travis en lui tapant dans le dos. Parce que j’ai déjà quelqu’un pour elle. Quelqu’un de stable qui ne sort pas avec des nénettes avec des noms comme Jak-Jak ou Doudou. — Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire, ça ?

Jake s’écarta du mur. — Ça veut dire, commença Travis en s’approchant de lui, reste loin d’elle. Tu ne la veux que parce qu’elle te résiste. À la minute où elle se laissera faire, tu auras disparu, et je devrai gérer deux femmes hystériques, sans parler de grand-mère, le jour le plus heureux de ma vie. Alors…, Jake, pour une fois dans ta vie, laisse tomber, d’accord ? Merde alors. Quelque chose lui tordit les tripes. Était-ce de la déception ? La culpabilité ? La honte ? Il ne savait pas très bien, mais, la dernière chose qu’il voulait, c’était continuer à abandonner tout le monde dans sa vie. Il recula et soupira. — De toute façon, elle n’est pas mon genre. Travis leva les yeux au plafond. Ouais, il ne le croyait pas non plus, principalement parce qu’il mentait effrontément. — Et, ajouta-t-il en haussant les épaules, nous sommes trop bons amis. Je ne voudrais pas gâcher ça. Je n’ai jamais eu d’amie ; enfin, à part Kacey il y a longtemps. Je voulais faire quelque chose de gentil pour son anniversaire. C’est tout, je le jure. — Vraiment ? insista Travis en plissant les yeux. — Bien sûr, répondit Jake en affichant un sourire forcé. D’ailleurs, tu sais que j’adore les blondes. — Travis ! cria grand-mère dans l’autre chambre. Canapé ! Tout de suite ! — Interdit de dormir près de Kacey jusqu’à après le mariage. Ordre de grand-mère, marmonna Travis. Si tu entends un gémissement d’homme au milieu de la nuit, ignore-le. Jake grimaça. — Console-toi : tu as moins de deux semaines de torture à supporter. — C’est vrai. Dis ça à ma… — Travis ! cria à nouveau grand-mère. Travis descendit l’escalier en marmonnant des jurons pour rejoindre le canapé. Jake se tourna et frappa à la porte. Charlotte était déjà au lit, lumières éteintes. Déçu, Jake enleva son tee-shirt et son pantalon. Vêtu seulement de son boxer, il s’allongea sur le lit et tira la couverture sur son corps. Elle s’était endormie. Comment pouvait-elle s’endormir à un moment pareil ? Le désir ne faisait-il pas frémir son corps ? N’éprouvait-elle donc aucun sentiment pour lui ? Et pourquoi cela l’affectait-il autant ? Il bâilla et ferma les yeux pour essayer de dormir.

20 Charlotte essuya une chaude larme et essaya de ne pas faire trop de bruit tandis qu’elle reniflait sous la couverture. C’était pathétique, vraiment. Elle pleurait pour Jake Titus… encore une fois. Sauf que, cette fois, il n’avait pas été grossier, juste honnête. Mais ça faisait quand même un mal de chien. Ça lui donnait envie de noyer son chagrin dans de la crème glacée et pleurer un bon coup, même si cela n’arrangerait rien. Amie. Une bonne amie. Et il aimait les blondes. Elle ne savait pas vraiment pourquoi ça lui faisait si mal d’être à nouveau rejetée. Peut-être que c’était à cause de la manière dont il l’avait embrassée ou parce qu’il avait été vraiment gentil avec elle aujourd’hui. Mais, encore une fois, c’était son anniversaire. Il essayait uniquement d’être gentil parce qu’il était probable que, sous cette vanité et cet égoïsme, Jake était en fait un mec bien. Mais ce n’était simplement pas son mec. En faisant bien attention à ne pas faire de bruit, Charlotte sortit son téléphone de sous les couvertures et envoya un message à Kacey : Excitée à l’idée de voir Jace ! Voilà. Envoyé. Elle irait de l’avant, parce que, sinon, elle deviendrait vraiment cette vieille fille aux chats qui attendrait que Jake ouvre ses fichus yeux et déclare son amour éternel. Ses chances que cela arrive étaient probablement aussi minces que celles que Brad quitte Angelina pour elle. Elle soupira et mit son réveil à six heures pour pouvoir passer à son appartement et se changer avant d’aller au travail. Une fois le réveil programmé, elle remit son téléphone sous les couvertures et essaya de s’endormir. *** Le son des Maroon 5 sortit Charlotte du sommeil si brusquement qu’elle faillit tomber du lit. En fait, c’est certainement ce qu’elle aurait fait si une jambe musclée et chaude ne l’avait pas clouée au matelas. Sans savoir comment, au milieu de la nuit, elle avait balancé les couvertures et se trouvait désormais sous quatre-vingt-cinq kilos de muscles masculins. Peut-être qu’elle aurait dû simplement profiter de cet instant puisqu’il ne se reproduirait plus jamais. La respiration de Jake se fit plus profonde. Quand Charlotte essaya de se libérer, le bras de Jake entoura sa taille et la serra fermement contre son corps. Avec un râle, il enfonça son nez dans ses cheveux et soupira. Merde. Elle jeta un regard désespéré autour d’elle, puis réalisa que son portable était toujours dans sa main. Elle appuya sur plusieurs icônes pour trouver la sonnerie insupportable qui réveillait tout le monde en râlant. Avec comme une légère envie de revanche, elle tint le téléphone tout près de l’oreille de Jake. À l’instant où l’alarme retentit, il ouvrit grand les yeux, mais ne bougea pas. Au lieu de cela, il fixa son regard sur celui de Charlotte comme si c’était un rêve. Ses pupilles se dilatèrent et sa respiration accéléra. Chaque muscle sur elle se contracta. Charlotte aurait pu jurer qu’elle entendait les battements de cœur de Jake tandis qu’il continuait à la fixer. Et là, comme s’il sortait soudainement de sa stupeur, il sursauta et détourna le regard. — Merci pour le réveil. Cela ne me donne pas du tout envie de te tuer. — De rien, répliqua Charlotte. Tu dormais comme une souche.

— J’avais chaud. — Tu m’as utilisée comme couverture, fit remarquer Charlotte en se levant. — Les femmes en font d’excellentes. Il se mit sur le côté et lui fit un clin d’œil. Elle lui jeta un oreiller dans la figure. Raté. — Espèce de cochon. — Au moins, je ne suis pas une allumeuse, chantonna-t-il. — Quoi ?! Charlotte avança vers son côté du lit et lui mit un coup dans le torse. — C’est moi, l’allumeuse ? Moi, au moins, je n’embrasse pas les gens en disant que ce n’est pas grave puisque c’est leur anniversaire ! Elle décrivit des guillemets avec ses doigts et jeta un regard mauvais à Jake. — Tu as aimé ça. Admets-le. Et tu restes une allumeuse. Au moins, moi, j’ai été honnête à propos de ce que je faisais. Et, oui, j’ai aimé t’embrasser. Et alors ? Fais-moi un procès. J’aime embrasser ma grand-mère aussi… Est-ce que cela veut dire que… ? Son visage se déforma. — Non, ne t’arrête pas ! lança Charlotte, les bras croisés. J’ai très envie d’entendre jusqu’où tu comptais aller avec cette phrase. — Oh ! la ferme. Il est tôt, je suis excité et tu mets ta propre vie en danger en restant si près de moi alors que je ne porte qu’un tee-shirt et un boxer. — Alors, maintenant, je ne suis plus une allumeuse, je suis juste à ta disposition ? Il haussa les épaules. — Si la chaussure te va… Cendrillon. Quel coup bas ! Bouillonnant, elle leva la main pour le gifler, mais il la retint et la tira sur le lit avant de rouler sur elle. — Admets-le. Tu pensais à la même chose. « Oh ! tiens, le coureur du siècle me désire ; je vais prendre une part de mon gâteau d’anniversaire en avance… » Ses yeux prirent une couleur différente, presque comme s’il était en colère. Elle essaya de le repousser, mais Jake était comme un rocher inébranlable. Chaque partie de son corps semblait avoir été sculptée dans la pierre, mais il était chaud, tellement chaud que le simple fait de le toucher lui faisait mal. Il était à deux doigts de la tuer en la brûlant. — Très bien, mentit-elle. J’avais justement envie de le goûter. La rage écarquilla les yeux de Jake. — Qui dit que tu ne peux pas avoir ton gâteau pour le manger, toi aussi ? ajouta-t-elle. Il murmura un juron et la relâcha avant de rouler sur le dos. — Je te ramène chez toi. — Quoi ? Pas de réplique cinglante ? demanda Charlotte en toute innocence. Il resta silencieux un moment, puis marmonna quelque chose à propos de ses grands-mères et de leurs habitudes manipulatrices avant de dire à voix basse : — Non. Rien. — Bien. — Très bien ! cria-t-il. — Très bien ! Elle le repoussa sur le lit et courut vers la porte, mais elle s’ouvrit avant qu’elle ne pose les mains sur la poignée. — Tout va bien par ici ? demanda Kacey en regardant derrière Charlotte pour faire des yeux de tueuse

à Jake. — Super, dit Jake sur un ton faussement joyeux, toujours allongé sur le dos et fixant le plafond. Je vais foutrement bien. J’attends que Charlotte se prépare pour que je puisse la raccompagner en ville. Charlotte plaqua un sourire sur son visage. — Il faut que je prenne une douche pour me débarrasser de ce que le coureur a laissé sur mon corps. Il y en a parmi nous qui ont encore un travail auquel ils doivent aller. — J’ai entendu ! cria Jake du lit. — Je suis surprise d’apprendre que tu entends bien quand on sait comme tu ronfles fort ! répliqua Charlotte en sortant de la chambre en trombe.

21 Complètement fou de rage, Jake continua à fixer le plafond. Quelque chose heurta son pied. Il refusa de bouger. — Qu’est-ce que tu as fait ? Le matelas s’affaissa alors que Kacey s’asseyait près de lui. — Sérieusement. — Rien, grommela-t-il. C’est bien ça, le problème. — Le problème, c’est que tu n’as rien fait ? — Exact. — Tu es soûl ? — Pourquoi est-ce toujours la première chose que les gens me demandent ? Ai-je vraiment eu le comportement d’un alcoolique ces trois dernières années ? Il se redressa et soupira. — Tu veux vraiment que je réponde à cette question ? — Non. — Sérieusement, dit Kacey en lui donnant un petit coup de coude. Qu’est-ce qui cloche chez toi ? — Je pense que l’homme de fer-blanc a découvert qu’il avait un cœur. — Était-ce avant que tu n’aies rien fait ou après ? — Les deux. Jake se leva du lit et s’étira. — Même si ce n’est pas important, j’ai choisi la voie vers des manières irréprochables et, pourtant, on se dispute encore. Kacey haussa les épaules. — Les manières irréprochables permettent d’obtenir de plus belles récompenses… — … dit la future mariée heureuse, ajouta Jake en se retournant pour lui faire un clin d’œil. Ne le prends pas mal, mais je pense que je préfère l’autre voie. — Probablement parce que tu aimes la facilité. — Ce n’est pas vrai. — Bien sûr que si. — Mauvais karma, dit Jake en pinçant les lèvres. Pour la première fois, je pense qu’il se pourrait que je veuille quelque chose que je n’ai aucune chance d’obtenir, aucune chance de mériter ou de remporter, et ça rend tout ça encore pire. Kacey se leva. — Pourquoi est-ce pire ? — Tu te souviens quand je t’ai offert cette tortue à Noël ? Kacey se mit à rire. — Speedy ? Ouais, mon plus beau cadeau. — Tu as fini par la relâcher dans la mare parce que tu disais qu’il valait mieux qu’elle soit avec sa famille ? Kacey mit la main sur le front de Jake.

— Sérieusement, murmura-t-elle. Tu as pris de la drogue ? — Non, répondit-il en écartant sa main. J’essaie de communiquer. — Applique-toi mieux parce que, là, tu me fais flipper. — Si tu aimes quelque chose, laisse-le partir. La gorge serrée, il détourna le regard. — Je ne pense pas que ce soit vrai. Kacey prit Jake dans ses bras pour lui faire un rapide câlin et l’embrassa sur la joue. — Depuis quand fuis-tu le combat ? Charlotte rentra dans la chambre, rompant leur moment de complicité. — Tu es prêt ? — Non, répondit Jake. Reviens dans une minute. Charlotte sortit de la pièce, la laissant plus vide qu’avant. Ce qui était ridicule. Peut-être qu’il était simplement épuisé. Mais Jake se contenta de hausser les épaules et répondre à Kacey : — Je ne fuis pas le combat. Je choisis simplement de ne pas y participer, surtout quand je sais que je ne mérite même pas d’y participer, alors, le gagner…

22 Kacey réveilla Travis avec un coup de pied. Il ronflait toujours sur le canapé. Le pauvre. Il allait être épuisé lors de leur vol pour rentrer chez eux. — Quoi ? Il sursauta et souffla. — Sérieusement ? Tu m’as donné un coup de pied ? Pourquoi ne pas me réveiller avec un baiser ou du sexe ou… — Nous avons un problème. — Il n’y a pas de « nous », affirma Travis en se frottant les yeux. Il n’y a que moi. J’ai un problème. J’ai dormi sur ce foutu canapé. J’ai deux nœuds dans le cou et, si je ne peux pas bientôt partager le même lit que toi, je vais finir par devenir fou. — Un peu de principes, voyons. Kacey lui frappa la jambe pour le forcer à se mettre assis et lui laisser une place sur le canapé. — Je les ai perdus. Et je ne compte pas les chercher, fit-il avant de bâiller. Pourquoi tu m’as réveillé, déjà ? — Le problème. — Ah oui, dit-il en soupirant. Je peux avoir une tasse de café avant ? — Non ! aboya-t-elle. C’est grave ! — Eh merde. Tu es… ? — Pourquoi tout le monde n’arrête pas de me demander si je suis enceinte ? De toute façon, comment cela pourrait-il arriver vu que tu dors dans un lit séparé ? Travis sembla vraiment y réfléchir. Kacey attrapa sa main en levant les yeux au plafond. — Concentre-toi. Je crois qu’il y a quelque chose qui ne va pas chez Jake. Travis rit bêtement. — Si j’avais reçu un dollar chaque fois que tu m’as dit ça… — La ferme. Je suis sérieuse ! Il avait vraiment l’air triste. Il était tout déprimé et… — Bonjour, Jake ! lança Travis à Jake qui descendait l’escalier. — Salut, dit-il avec un signe de la main. Charlotte est déjà dans la voiture ? Kacey acquiesça. Jake s’humecta les lèvres et se dirigea vers la porte. À l’instant où son frère fut sorti, Travis prit la parole. — Mince, je crois qu’il y a quelque chose qui ne va pas chez Jake. Kacey dut faire preuve d’une patience extrême pour se retenir d’exprimer sa contrariété en râlant. — Comme je disais, nous avons un problème. Et s’il l’aimait vraiment ? — Impossible, dit Travis. Ce type n’a jamais eu de relation sérieuse. Ce qu’il a eu qui s’en rapprochait le plus, c’était avec toi, et nous savons tous les deux comment ça a fini. Kacey l’ignora et poursuivit : — On dirait qu’elle le trouble vraiment. Lui as-tu dit quelque chose hier soir ? Travis ne répondit pas.

— Bébé ? Travis regardait ses mains. — Lui as-tu parlé de Charlotte ? — Je lui ai peut-être adressé un petit… avertissement. — Un avertissement ? répéta Kacey. Quel genre d’avertissement ? — Tu sais…, du genre où je lui dis d’enfiler sa tenue de grand garçon, d’arrêter de manger où il fait ses besoins et de laisser Charlotte tranquille. — Et il t’a écouté ? — Bizarre, non ? dit Travis avec un petit sourire satisfait. De toute façon, nous connaissons tous les deux Jake mieux que personne. Il ne l’aime pas ; il pense juste que c’est le cas parce que c’est probablement la seule fille qui n’a pas relevé sa jupe pour lui. Jace est mieux pour elle, je te le garantis. — Mais… — Kace, commença Travis en attrapant sa main pour l’embrasser. Souviens-toi : si on perd, grandmère chante à notre mariage. Je t’assure que, si tu pousses Charlotte dans les bras de Jake, il couchera avec elle et la laissera tomber comme toutes les autres filles qui sont passées dans son lit. — D’accord. Elle s’affala au fond du canapé. — Bébé, dit Travis en riant. Je sais que tu as un grand cœur et que tu veux qu’ils soient tous les deux heureux, mais Jake ne peut pas s’être acheté une conduite aussi vite. C’est impossible. Et tu ne veux pas voir ta meilleure amie souffrir, surtout juste avant le mariage. Fais-moi confiance, O.K. ? — O.K., mais si tu te trompes… Kacey posa ses jambes sur les genoux de Travis. — Pas de sexe pendant une semaine, finit-elle. — Tu te rends compte que nous n’avons pas de rapports sexuels de toute façon, en ce moment ? — Une fois que nous serons mariés. — Tu refuserais ça à ton époux ? — Pour gagner un pari ? demanda Kacey en lui faisant un clin d’œil. Absolument. — Sans cœur. — Non, dit-elle en déposant un baiser sur sa joue. C’est grand-mère. C’est elle qui t’a banni sur le canapé. — Je ne l’écoute que parce qu’elle a acheté un collier de dressage électrique l’autre jour. Kacey le regarda avec un air perplexe. — Elle n’a pas de chien, Kacey. Et elle a acheté un collier. Si je ne l’écoute pas, elle pourrait l’utiliser sur moi. Cette femme est capable de tout. — Kacey ! Travis ! cria grand-mère de l’autre pièce. C’est l’heure du petit-déjeuner ! J’ai faim ! Travis prit son visage entre ses mains en râlant. — Tu penses qu’elle a un bouton mute ? Finalement, je ne mourrai pas de désir. Je préfère devenir sourd. On n’entendit rien pendant une seconde et : — J’ai entendu ! cria grand-mère. Travis, contrarié, leva les mains sans rien dire, puis se leva du canapé. Il tendit la main à Kacey et la tira vers lui pour l’étreindre. — Sérieusement, Kacey, ne t’inquiète pas pour ça. Je te le promets. Jake est toujours Jake, d’accord ? Elle acquiesça, mais elle n’était pas convaincue. Parce que, pour la première fois depuis des années,

Jake avait vraiment l’air… triste à cause de ce qui s’était passé pendant la nuit. Il ne semblait vraiment pas heureux, et c’était bien ça, le problème : il n’avait jamais laissé une fille l’affecter comme ça auparavant. Pas même quand elle et lui avaient été ensemble. Voilà pourquoi Kacey se demandait s’il n’était pas en train de tomber amoureux de sa meilleure amie.

23 — Peux-tu rouler plus vite ? demanda Charlotte, un peu embêtée que cela leur prenne aussi longtemps de retourner en ville. Elle avait exactement quarante minutes pour se préparer et aller au bureau. — Bien sûr. Je vais me prendre une contravention pour excès de vitesse, répondit Jake. — Ce n’est pas comme si tu ne pouvais pas la payer. — Qu’est-ce qui t’arrive ? Jake s’inséra sur la voie réservée au covoiturage. — Tout allait bien hier soir, continua-t-il, et, d’un coup, tu es devenue une sal… — Si tu tiens à ta vie, ne termine pas cette phrase. — … sale gosse, dit-il en souriant tandis qu’il doublait une voiture. Charlotte ignora son sourire ridiculement éclatant et regarda par la vitre. — Je vais bien ; tout va bien. J’ai juste beaucoup de choses à faire si je veux pouvoir prendre tous ces jours de congé pour le mariage. Ils se turent. Après quelques minutes, Jake demanda : — Est-ce que c’est à cause de quelque chose que j’ai fait ? Quelque chose qu’il a fait ?Était-il si stupide que ça ? Il jouait avec ses sentiments ! Il se débrouillait pour la faire craquer alors qu’il ne voulait rien de plus que rester ami avec elle. — Non, mentit-elle. Je suis simplement fatiguée. — Je suis désolé. Il prit la route vers Queen Anne Hill. — Tu sais, je ne voulais pas te faire de la peine avec tes parents, ni nous faire arrêter, ni… — Jake, l’interrompit Charlotte. C’était le meilleur anniversaire de toute ma vie. Je te le promets. Il faut que je retourne à la réalité, tu sais ? Mon Dieu, qu’est-ce que cela semblait déprimant ! Retourner à la réalité, où elle n’était pas une princesse, où Jake n’était assurément pas un prince, et où elle travaillait dans un environnement où les gens ricanaient derrière leur bloc-notes. Cette réponse sembla le satisfaire puisqu’il ne dit plus rien et se contenta de garer la voiture pour la laisser s’éloigner sans dire autre chose qu’un au revoir. C’était mieux ainsi. Il le fallait. *** Le temps que Charlotte se rende au travail, elle avait déjà dix minutes de retard et n’avait pas pu prendre son café du matin. Quelques personnes chuchotèrent quand elle passa devant eux, ce qui n’était pas vraiment inhabituel. Elle se dirigea vers son bureau sous tous ces regards. Bon sang ! Ce n’était pas comme si elle faisait la marche de la honte, même si elle ne se serait pas opposée à cette idée la veille au soir. Comment pouvait-elle être aussi stupide ! Cet homme était sa

kryptonite ! Un baiser et elle devenait impuissante. Il fallait poser une étiquette ATTENTION sur le front de ce type ou que le gouvernement rédige un texte pour prévenir les femmes sans méfiance. — Hé ! lança un homme qu’elle n’avait jamais vu auparavant. Bon anniversaire, Charlotte. J’espère que c’était chouette. — Euh, ouais, merci. Gênée, Charlotte regarda la salle et remarqua que tous les regards étaient rivés sur elle. Gardant la tête baissée, elle se dirigea tout droit vers son bureau. Il était couvert de roses. Des centaines de roses jaunes. Les mains tremblantes, elle saisit la carte. À l’intérieur était simplement écrit : Désolé que tu aies pleuré. J’espère que tu as passé un bon anniversaire. Je passerai te prendre à dix-sept heures pour qu’on termine la liste. Jake — Mince. — De qui viennent-elles ? Son patron, Mark, apparut derrière elle avec le sourire. — Et pourquoi ne nous as-tu pas dit que c’était ton anniversaire ? — Je, euh… — Tu n’es pas obligée de me le dire, mais j’ai besoin de te voir une seconde, d’accord ? Dès que tu seras disponible. Il leva sa tasse de café, ce qui lui offrit une bouffée de la caféine dont elle avait désespérément besoin, et s’éloigna. Charlotte posa son sac à main dans son tiroir et se rendit dans le bureau de Mark. Après avoir refermé la porte, elle s’assit. — Tu ne m’as pas dit que tu assisterais au mariage des Titus, commença-t-il. Pas de bonjour ni de « Salut, comment ça va ? » Rien. Une simple affirmation. Elle avait oublié de mentionner qu’elle allait assister au mariage du siècle. Oups ? — Je, euh, j’essayais de respecter leur vie privée. Ce mensonge lui vint promptement ; en fait, elle essayait de détourner l’attention d’elle et Jake. La rumeur finirait par se répandre et elle n’avait pas envie d’être harcelée par ses collègues féminines qui lui demanderaient ce qu’il sentait. — Je veux que tu couvres l’événement. — Mais j’y participe. — Exactement. Il se pencha en avant et joignit ses mains sur le bureau. Ses yeux gris pétillaient tandis que les néons attiraient l’attention sur une veine sur son front. Puis, il reprit : — Depuis l’incident… C’était comme ça qu’il l’appelait. L’incident où elle s’était présentée pour un bulletin d’information complètement dévastée après ce coup d’un soir avec le plus tristement célèbre des célibataires de Seattle. Finiraient-ils un jour par oublier ? Mark marqua un temps d’arrêt et s’éclaircit la voix. — Tu t’occupes de quelques sujets par-ci par-là pour nous, mais tu dois encore te faire ta place pour être l’une de nos reporters de choix. Ce n’est pas toi. C’est ta réputation qui est concernée. Nous ne pouvons pas avoir une fille avec ton genre de… Oh ! voilà qui devrait être intéressant. — … réputation, vu que tu serais le visage de l’actualité de KOMO, mais j’accepterai de te donner

une autre chance si tu fais du bon boulot en couvrant ce mariage. Tous les journaux veulent y être, mais nous sommes les seuls à avoir une entrée. Nous t’avons, toi. — Je dois demander la permission, Mark. Vous le savez. Il haussa les épaules. — Demande la permission ou pas. À toi de voir, mais, s’ils disent non, je veux quand même que tu le fasses. — Mais… — C’est ta carrière, Charlotte. Veux-tu vraiment une autre chance ou pas ? Si tu n’en veux pas, la porte est derrière toi. Il alluma son ordinateur et ne lui lança pas un autre regard. — La discussion est close. Charlotte se leva doucement. — Oui, monsieur. — Et, Charlotte ? Elle se retourna. — Je réfléchirais très sérieusement à ton avenir. Peut-être que KOMO News n’est pas la meilleure place pour toi. Il y a plein d’autres diplômés qui rêvent d’avoir ton poste. Retenant ses larmes, Charlotte sortit de la pièce et se dirigea vers son bureau. Le parfum des roses la prit littéralement à la gorge. À moins que ce ne soit la peur. Elle ne savait trop. Les mains tremblantes, elle décrocha le téléphone et composa le numéro de Kacey. Répondeur. Bien sûr. Ils étaient probablement dans l’avion. Le truc, c’était que Charlotte savait que Kacey voulait préserver son intimité. C’était l’une des raisons principales pour lesquelles ils avaient choisi de se marier à Titus Abbey plutôt que dans une grande église. Leur maison était une propriété privée et ils pourraient donc maîtriser les paparazzis. Soit, Travis n’était pas aussi célèbre que Jake, mais leur famille était propriétaire de pratiquement la moitié de Seattle et était apparue dans Forbes plus de fois que Charlotte pouvait les compter. Ce mariage était un événement. C’étaient des nababs. Et les gens étaient obsédés par les frères Titus, presque autant qu’ils l’étaient par l’équipe des Seahawks. Cette journée avait vraiment mal commencé pour Charlotte. Elle travailla pendant l’heure du déjeuner et, quand il fut dix-sept heures, elle était tellement pressée de partir qu’elle avait presque envie de se ruer sur la porte. — Prête ? dit une voix derrière elle. Charlotte entendit des personnes murmurer et retenir leur souffle, quelques jurons et un gémissement. Oui, une femme avait vraiment gémi à voix haute. — Jake. Charlotte déglutit et se retourna, prête à affronter le dieu en personne. Il portait un jean déchiré et un tee-shirt blanc. Bon sang qu’il était beau ! Maintenant, elle comprenait le gémissement. Faisant semblant de ne pas être décontenancée par ses yeux noisette qui croisèrent les siens, elle attrapa son sac et s’apprêta à se lever. — Je suis prête si tu l’es. Certaines personnes levèrent leur téléphone portable en l’air dans leur direction. Le sourire de Jake n’atteignit pas ses yeux. En fait, il semblait presque… en colère. Il s’humecta les lèvres et fit un petit signe aux gens qui les entouraient avant de s’en détourner. Plusieurs femmes se mirent à parler bruyamment près du box de Charlotte.

— Super. Il sourit et l’aida à se lever, puis posa sa main dans le creux de son dos tandis qu’il l’accompagnait dans l’allée. Ils entendirent encore d’autres ricanements en passant devant les bureaux. Et un sifflement. La main de Jake dans son dos était brûlante. Elle ne manqua pas le fait que, quand elle passa devant le bureau de Mark, elle aperçut un éclat de satisfaction dans ses yeux. Pauvre type. Ils en auraient bientôt fini. Charlotte appuya sur le bouton de l’ascenseur et pria pour qu’il arrive plus vite. On pouvait véritablement entendre une mouche voler. La pièce, habituellement emplie de conversations et de rire, était étrangement silencieuse. — Jake ? Jake Titus ? osa une femme en s’éclaircissant la voix. Charlotte et Jake se retournèrent. Michelle Klike était la journaliste qui avait remplacé Charlotte pour le bulletin de dix-sept heures. Elle avait des cheveux blond clair et avait les proportions de Barbie ; son surnom était Gambettes. — Ouais ? Jake se lécha les lèvres et afficha de nouveau ce sourire hypocrite. — Michelle Klike. Je suis sûre que vous m’avez déjà vue aux infos. Elle rejeta en arrière sa chevelure platine et fit un clin d’œil. — On devrait déjeuner ensemble un de ces quatre. J’aimerais beaucoup apprendre à mieux vous connaître. Évidemment. Charlotte souffla doucement. Michelle lui jeta un regard noir et retourna son attention sur Jake. — Je, euh… Jake secoua la tête et passa son bras autour de Charlotte. — Je suis pris. Le sourire de Michelle devint carnassier tandis qu’elle toisait Charlotte, Jake, puis à nouveau Charlotte, ses sourcils froncés trahissant sa perplexité. — Eh bien, reprit-elle en sortant une carte, faites-moi savoir quand vous en aurez terminé avec Charlotte et je nous organiserai une sortie. Terminé ? Charlotte haussa brusquement les sourcils, qui faillirent se perdre dans son cuir chevelu. Elle fit un pas vers Michelle. Les muscles de Jake se contractèrent quand il retint Charlotte et prit la carte de l’autre main. — Merci, mais j’ai déjà une journaliste avec qui m’entretenir. — Pour le moment. Michelle afficha à nouveau ce fichu sourire et s’éloigna en se pavanant. Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent, Dieu merci. Jake appuya au moins dix fois sur le bouton pour les refermer, et une musique ringarde enveloppa alors leur silence gêné. — Désolé, finit-il par dire d’une voix rauque. Ça ne se passe pas si mal, d’habitude. Je veux dire… — Jake, dit Charlotte en levant la main. Tu n’as pas à te justifier. Je sais qui tu es et ce que tu es, d’accord ? Restons-en là. Et qui sait ? Au moins, maintenant, tu n’auras pas à aller au club pour ton prochain plan cul, hein ? Les narines dilatées et un éclat glacial dans les yeux, il détourna le regard et secoua la tête. Quand les portes de l’ascenseur finirent par se rouvrir, il laissa Charlotte passer devant et posa à nouveau sa main dans le creux de son dos. Que faisait-il ? Elle venait de le repousser et il tâchait encore d’être quoi ?

D’être gentil ? Elle l’observa avec méfiance. — À quoi tu joues, là ? Il haussa les épaules. Ils se dirigèrent vers le parking. — J’ai pensé qu’on pourrait manger avant de s’occuper du cadeau de mariage et de la figurine du gâteau, dit Jake en déverrouillant les portières de la BMW blanche. Sérieusement, combien ce mec avait-il de voitures ? — Bien sûr. Charlotte monta dans le véhicule et se dit encore une fois qu’elle se raccrochait à de faux espoirs en s’imaginant qu’elle pourrait être avec un mec comme Jake. Il jouait avec elle : c’était son truc. À la minute où elle ne serait plus là, il appellerait Gambettes. — Bien. Il mit la voiture en marche. Mon Dieu, qu’est-ce qu’il portait ? Quel genre d’eau de Cologne était-ce ? Elle se pencha et devina que son visage s’empourprait quand elle frissonna en sentant son parfum. — Que fais-tu ? demanda Jake, les yeux pétillant d’amusement. — Euh…, bredouilla Charlotte en reculant. C’est pour que tu puisses voir. — Voir quoi ? — La circulation. Elle pointa du doigt les voitures inexistantes derrière eux, dans le parking. — Je crois que je peux très bien me débrouiller tout seul. Il lui fit un clin d’œil et continua à reculer pendant que Charlotte priait pour disparaître de sa vue. — Alors, ce restaurant, dit-elle pour changer de sujet en cherchant un gloss dans son sac à main. Il se trouve près du magasin pour la figurine du gâteau ? — Ouais. — Cool. Bon sang. Cela serait-il toujours aussi inconfortable ? — Merci, pour les fleurs. Elles étaient vraiment jolies ! lança-t-elle en guise de réconciliation. — Elles étaient jaunes, fit remarquer Jake alors qu’il prenait la Troisième Avenue. — Oui, dit lentement Charlotte. — Le jaune correspond au pardon. — D’accord. — J’ai pensé qu’il était important que tu le saches, ajouta-t-il en haussant les épaules. — Jake, tu n’as rien fait de mal. Il ne dit rien et se contenta de conduire. Charlotte, elle, s’efforçait de ne pas ressembler à une chienne en chaleur alors que l’odeur de Jake flottait toujours entre eux. Il gara la voiture sur une place de parking près d’un petit restaurant et contourna la voiture en courant pour aider Charlotte à en sortir. — Je sais qu’il ne paie pas de mine, mais on y mange vraiment très bien. Je te le garantis. C’était un vieux bâtiment en briques comme la plupart des immeubles du centre-ville de Seattle. La porte du restaurant était rouge, et à côté était tagué LA FOURCHETTE. Hum. Elle haussa les épaules et le suivit à l’intérieur. Les clients étaient éparpillés, assis à des tables dépareillées avec des nappes à carreaux sur lesquelles étaient posés des verres de vin géants. Peut-être que cet endroit allait lui plaire, finalement. Jake lui prit la main, l’amena à une table dans un coin et tira sa chaise. — Tu as déjà commandé ? demanda-t-elle en désignant les verres de vin pleins sur la table. — Non, répondit-il avec le sourire. C’est comme ça ici. Le vin est inclus, autant que tu veux, tout le

temps. Le premier verre contient toujours le vin maison, puis, ensuite, ils t’apportent ce que tu préfères. — Mince, laissa échapper Charlotte en regardant son verre avec envie. Tu m’as amenée au paradis. Son sourire était si grand que Charlotte retint sa respiration avant de baisser les yeux sur la carte posée sur la table. Elle était écrite à la main sur une petite ardoise installée comme un set de table à côté de ses couverts. — Tu aimes ? demanda-t-il. — J’adore. Leurs regards se croisèrent, et Charlotte sourit.

24 C’était un accident. Il ne voulait commander qu’une fleur. Mais il avait alors pensé à l’air découragé de Charlotte et comme elle avait semblé triste quand elle était sortie de la voiture. Il en avait donc commandé un peu plus. C’était vraiment comme s’il ne maîtrisait plus sa bouche quand il avait parlé au fleuriste. Lorsque l’homme lui avait demandé pourquoi il envoyait ces fleurs…, eh bien, la situation lui avait échappé. Parce qu’il ne pouvait empêcher son imagination de lui montrer le visage de Charlotte quand elle arriverait au travail et verrait son bureau envahi de fleurs. Il était convaincu que personne n’avait jamais pris le temps de faire quelque chose de gentil pour elle. Il était prêt à y mettre sa main au feu. Alors, d’accord. Il avait exagéré. Peut-être un peu trop. Mais c’était un cadeau de réconciliation. Qui donc avait dit que les cadeaux de réconciliation ne pouvaient pas être excessifs ? Il voulait qu’elle se sente bien. Mission accomplie. Jusqu’à ce qu’il revoie son visage. Il fallait vraiment qu’il arrête de la voir en personne. Cela lui faisait ressentir des choses qu’il ne voulait pas ressentir, comme l’impression d’être vulnérable et stupide. Et là, elle le regardait à nouveau comme ça. Ce regard qu’avaient les filles quand elles succombaient à ses charmes. Habituellement, il détestait ça. Mais là ? Il en était accro. Lentement, elle l’anéantissait. Il ne savait trop s’il devait s’enfuir en courant dans la direction opposée ou simplement l’embrasser et en finir. Mais cette peur agaçante bloquait toujours toute pensée logique, ce qui lui faisait revoir chacun de ses choix. Il savait que c’était un imbécile et qu’il ne la méritait pas. Il savait aussi qu’il gâcherait très probablement tout et qu’elle le détesterait. Et puis, il y avait aussi son passé avec les femmes. Il fallait ajouter à ça toutes les choses honteuses qu’il avait faites à Kacey et le fait qu’il n’était même pas sûr de pouvoir lui-même se faire confiance, et encore moins permettre à quelqu’un d’autre de lui accorder sa confiance. Il rebaissa les yeux sur la carte en soupirant et essaya de trouver quelque chose à commander. Tout semblait confus ; rien ne lui donnait envie, sauf elle. Malheureusement, Charlotte n’apparaissait pas sur la carte. Peut-être que, s’il trouvait une craie, il pourrait l’inscrire dessus et gentiment la commander. Puis, il pousserait gentiment tout ce qu’il y avait sur la table. Et lui enlèverait gentiment ses vêtements. Puis prendrait gentiment possession de ses… — Jake ? l’interrompit Charlotte. Tu es tout rouge. Tu vas bien ? Oh non ! Il n’allait pas bien. Il s’agrippa aux bords de sa chaise et lui fit un bref signe de tête. — J’étais en train de réfléchir. — Tu veux me raconter ? demanda-t-elle en riant. Tes pensées semblent excitantes. Oh ! si elle savait !

— Avez-vous fait votre choix ? demanda un serveur apparu de nulle part. Mince. Si Jake avait vraiment regardé la carte, il aurait pu dire quelque chose, mais il eut un blanc et, maintenant, il fixait la bouche de Charlotte, comme un crève-la-faim. Parfait. Il devenait fou. Grand-mère serait contente d’elle. — Je vais prendre la salade du chef avec des frites. Jake se mit à rire et montra Charlotte du doigt. — La même chose pour moi. Elle prit une gorgée de vin et ferma les yeux. La gorge sèche, Jake la regarda savourer le vin rouge et déglutit. Il aurait de la chance s’il arrivait à sortir du restaurant sans mourir d’excitation. Il s’éclaircit la voix et parvint à détourner le regard. — Alors, des frites et de la salade, hein ? — Le meilleur des deux mondes, répondit Charlotte. Du coin de l’œil, il remarqua que le verre de la tentation, son verre de vin, était de nouveau sur la table. Il expira et réussit à reprendre un peu le contrôle alors que leurs yeux se croisaient. — On mange, dit Charlotte en se mordillant la lèvre inférieure, puis, on va chercher la figurine pour le gâteau, et il ne nous restera plus qu’une mission ? — Ouais. — Ça devrait être facile. — On en aura fini en un rien de temps, affirma-t-il en lui adressant un clin d’œil.

25 — Il faut vraiment qu’on arrête de dire ce genre de truc, dit Charlotte en soupirant tandis qu’ils regardaient la vieille dame taper sur son ordinateur en utilisant seulement ses deux index. — Voilà, dit Blanche, la propriétaire de la pâtisserie, en s’arrêtant de taper. Quel était le nom de famille ? — Titus, répondit lentement Jake. — Vous pouvez me l’épeler, s’il vous plaît ? La dame sourit, révélant une dentition parfaite. — Euh, bien sûr : T-I-T-U-S. — T. Elle tapa sur le clavier et leva la tête. Charlotte eut bien du mal à se retenir de rire. Elle dut détourner le regard. — I, dit Jake avant de marquer une pause. Évidemment, Blanche leva encore les yeux. Mince, cette femme mettrait la patience d’un saint à l’épreuve ! — T, continua-t-il. — Tit ? lança Blanche. Quel genre de nom de famille est-ce donc ? — Non, non, non, dit Jake en se penchant sur le comptoir. Il y a encore deux lettres. Blanche posa ses mains sur ses joues et se mit à rire. — Chéri, je suis désolée, ce vieux cerveau ne fonctionne plus aussi bien que dans le temps ! — Est-ce qu’il fonctionne, déjà ? marmonna Charlotte à voix basse. Jake lui donna un petit coup de coude alors qu’il continuait à épeler. — U. Blanche appuya sur le bouton U et leva la tête. Sérieusement. Ils auraient eu le temps de faire cuire du pain pendant que cette femme tapait un nom. — S. Elle et Jake soufflèrent tandis que Blanche tapait enfin la dernière lettre et appuyait sur ENTRÉE. Le seul bruit dans le petit magasin était le bourdonnement de l’ordinateur et la légère musique de fond au violon. Il y avait des cupcakes exposés dans une vitrine devant la caisse et quelques figurines tout autour. L’un dans l’autre, c’était vraiment une toute petite boutique. — Oh non ! soupira Blanche. Jake jeta un coup d’œil à Charlotte, et une expression d’irritation totale apparut sur ses traits parfaits avant qu’il dise d’une voix tendue : — Blanche, quelque chose ne va pas ? — C’est la figurine. — Oui ? — Celle qui est arrivée n’est pas pareille que celle que nous avons commandée. J’ai essayé d’appeler le numéro que vous m’avez donné, mais personne ne m’a jamais répondu. — Quel numéro avez-vous ? demanda Jake. Les mains lentes de Blanche se déplacèrent sur le clavier d’ordinateur. Deux minutes plus tard, elle

lisait le numéro. — Grand-mère ! dirent en même temps Charlotte et Jake comme si c’était une interjection. — Et si je vous la montrais pour que vous preniez la décision ? proposa-t-elle avant de lever une main en l’air. Je vais la chercher. Il faut simplement que je la trouve. Quand elle disparut dans l’arrière-boutique, Charlotte s’appuya contre le comptoir et soupira. — Le temps qu’elle revienne, je serai trop vieille pour avoir des enfants. — Au moins, tu n’auras pas tous ces chats ! lança Jake avec un clin d’œil. — Waouh ! Trop aimable, monsieur Sensible. Merci. Il haussa les épaules et examina la boutique. — Ça ne ressemble pas au genre d’endroit que Kacey choisirait pour une figurine de gâteau. — Ne m’en parle pas, marmonna Charlotte. La robe que j’ai dû essayer était horrible. J’étais persuadée que grand-mère m’avait amenée dans le mauvais magasin. Ils retinrent tous les deux leur souffle en se regardant. — Tu crois que… ? demanda Jake. — Quoi ? Charlotte mit ses mains sur ses hanches. — Que c’est une sorte de mauvaise blague que grand-mère nous fait exprès pour nous torturer ? — Non, dit Jake en secouant la tête. Tu crois ? Charlotte plissa les yeux et regarda la porte. C’était une boutique réputée, et la dame semblait vraiment avoir de jolis modèles. — Je ne crois pas qu’elle s’abaisserait jusque-là. — Elle a fait croire qu’elle allait mourir pour que Kacey et Travis sortent ensemble. Crois-moi, c’est exactement le genre de truc qu’elle ferait. — La voilà ! Blanche réapparut avec une figurine qui paraissait parfaitement normale. C’était un couple qui ressemblait à Kacey et Travis dansant enlacés. — Pas mal, dit Jake en regardant Blanche. Quel est le problème ? Blanche leva la main et sortit le présentoir de la boîte, puis posa la figurine de verre dessus. Il était écrit :TÉTÉS POUR TOUJOURS. — Oh zut ! jura Jake à voix basse. Comment le « i » et le « u » ont-ils pu se transformer en « é » ? On ne peut pas ramener ça au mariage ! Charlotte couvrit sa bouche avec sa main pour s’empêcher de rire, puis s’éclaircit la voix. — Est-ce que, euh… ? Est-ce qu’on ne pourrait pas mettre la figurine sans le présentoir ? Blanche sembla horrifiée par le fait même qu’elle ait osé le suggérer. — Sans le présentoir ? Charlotte acquiesça. — Sans le présentoir ? répéta Blanche, les yeux écarquillés. — Recule lentement, murmura Jake à Charlotte en lui attrapant la main et en la protégeant de son corps. — Le présentoir est indispensable ! cria Blanche. Chaque figurine a un présentoir fabriqué spécialement pour l’installer sur le gâteau ; sinon, elle s’enfonce dedans. Voulez-vous ruiner ce mariage ? Quel genre de future mariée êtes-vous ? — Oh ! laissa échapper Charlotte en passant sa tête par-dessus l’épaule de Jake. Je ne suis pas la future mariée.

Blanche plissa les yeux. — Mais vous venez récupérer la figurine. — Je suis demoiselle d’honneur, l’informa Charlotte en levant la main. Blanche regarda Jake. — Je…, euh…, bégaya-t-il. Je suis le frère. Et témoin. — Et vous laissez cela arriver ? Vous les avez laissés commander une figurine de gâteau avec la mauvaise écriture ? Blanche contourna lentement le comptoir pour se retrouver face à eux. — Quel genre d’amis êtes-vous ? ajouta-t-elle. — De mauvais amis, concéda Jake. Des amis lamentables. Blanche secoua la tête. — Quand a lieu le mariage ? — La semaine prochaine, répondit Charlotte. — Bien, alors, bonne chance pour quand vous leur annoncerez que vous n’avez pas de figurine. — On va la prendre ! cria Charlotte derrière Jake. Il pivota. — Il est écrit : TÉTÉS POUR TOUJOURS. Il est absolument hors de question que ça atterrisse sur le gâteau de mariage. — Il leur faut une figurine ! protesta Charlotte. Tu es un mec. Tu ne pourrais pas fabriquer quelque chose pour le gâteau, pour qu’on puisse quand même utiliser la figurine qu’ils ont commandée ? Elle est vraiment jolie. Je veux dire, quand on oublie le « Tétés ». Jake afficha un sourire. Charlotte détourna à nouveau le regard. — Mince ! lança-t-il en sortant sa carte de crédit. On va la prendre. Avec le présentoir. — Fantastique, dit Blanche, tout sourire. Je suis sûre que les futurs mariés l’adoreront. Et si jamais vous avez besoin d’une autre figurine dans l’avenir, je vous en prie, pensez à Toys R Us. — Il faudrait me passer sur le corps, marmonna Jake en tendant le reçu à Charlotte pendant qu’il attrapait la boîte et se dirigeait vers la porte. Charlotte le suivit. Ils montèrent dans la voiture. Puis éclatèrent de rire. — On ne devrait vraiment pas nous confier quoi que ce soit, finit par dire Charlotte quand elle s’arrêta de rire. — Mais qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire ? Si c’est bien celle que Kacey a commandée, elle va piquer une crise en voyant qu’elle est ratée. Charlotte haussa les épaules. — On va bien trouver quelque chose. D’abord, finissons ce que nous avons à faire. On doit partir demain soir. — C’est vrai. — Oh ! et tiens. Elle lui tendit le reçu avant de boucler sa ceinture. — Tu dois bien te moquer de moi. Jake froissa le reçu dans sa main avant de le jeter sur le sol. — Quelque chose ne va pas ? — Ouais, cette figurine coûte deux mille dollars.

— Quoi ? cria Charlotte. Jake afficha un petit sourire narquois. — Il faut dire qu’une paire de seins, ça coûte cher, de nos jours. Charlotte se couvrit le visage avec ses mains et se remit à rire. Mais elle se figea quand elle sentit Jake passer sa main derrière elle et toucher l’arrière de son siège pour reculer. Sa main effleura sa nuque. Un frisson involontaire lui traversa le corps. — Hum. Elle se pencha en avant et attrapa la liste. — Bon, maintenant, nous n’avons plus qu’à récupérer le cadeau de grand-mère. — Où ça ? Charlotte plissa les yeux. — C’est bizarre. — Quoi ? — Il n’y a qu’une adresse ? Jake haussa les épaules. — Laquelle ? Je vais l’entrer dans le GPS. Charlotte lut l’adresse à voix haute. Heureusement, l’endroit où ils se rendaient ne se situait qu’à quelques pâtés de maisons du centre-ville, pas loin de l’université et de Queen Anne Hill. Après avoir suivi l’itinéraire, Jake ajouta : — Ça ne m’étonnerait pas que grand-mère leur ait pris quelque chose d’inapproprié ; je préfère te prévenir. — Voyons, dit Charlotte en levant les yeux au plafond. Qu’est-ce qu’elle pourrait bien avoir choisi qui ne convienne pas ?

26 Jake réalisa à quel point ça pouvait être inconvenable quand ils arrivèrent devant une pharmacie. — Je ne comprends pas. C’est l’adresse qu’elle nous a donnée ? Il regarda à nouveau le papier, puis sa montre. Il se faisait tard et, même si ça ne le dérangeait pas d’être avec Charlotte, il n’y avait aucune chance pour qu’il reste avec elle jusque tard dans la soirée, pas lorsqu’on voyait comment réagissait son corps. Il gâcherait tout. Waouh ! Il était donc en train de se transformer en déserteur. Il n’avait jamais pensé voir ça un jour. — Alors, on s’en va ? demanda Charlotte. — Je vais l’appeler. Jake sortit son portable et composa le numéro de grand-mère. Elle répondit à la deuxième sonnerie. — Quoi ? — Nous sommes devant une pharmacie. Tu ne nous aurais pas donné une mauvaise adresse pour le cadeau ? — Non. Mince, cette femme mettrait à l’épreuve la patience d’un prêtre. — Bon. Alors, il est dans la pharmacie ? — Oui, ils sont là. — Il y en a plusieurs ? Grand-mère cria quelque chose et couvrit le téléphone avant de s’éclaircir la voix. — Oui, contentez-vous d’entrer et de dire que vous êtes là pour récupérer les articles pour Jake Titus. — Pourquoi les as-tu commandés à mon nom ? Grand-mère marqua une pause et se mit à rire. — Oh ! j’arrive ! — Hein ? — Pas à toi, dit-elle en riant. C’est à ton nom parce que c’est toi qui récupères tout. Maintenant, va te présenter au gentil gérant. Il doit travailler ce soir et il t’attend. — Grand-mère, je déteste te demander… — Alors, ne le fais pas ! Elle raccrocha. Jake jura et rangea le téléphone dans sa poche de devant. — Quelque chose me dit qu’on ne devrait pas entrer. Charlotte l’ignora et ouvrit la portière. — Allez, sois un homme. Ce n’est qu’une pharmacie. Elle leur a peut-être offert un chèque-cadeau ou un truc dans le genre qu’il faut qu’on récupère. Jake se dit qu’il devrait vraiment apprendre à écouter son instinct. Vous savez, la voix qui hurle : « Attention ! » ou « Alerte rouge ! » quand vous avancez vers un piège. Tout ce qui concernait cette pharmacie sentait le guet-apens. Plutôt que d’écouter son instinct, Jake l’ignora, principalement parce que Charlotte avançait devant lui et qu’il se retrouva hypnotisé par le balancement de ses hanches. Il ne pouvait rien faire d’autre que la suivre.

Mais il aurait vraiment dû rester où il était. Il le sut à la minute où ils entrèrent dans le magasin et où il se présenta. — Oh ! lança Bob, le gérant, en lui tendant la main. Nous vous attendions ! Je pense que j’ai tout ce dont votre grand-mère avait besoin pour la soirée de mariage ! Il fit un clin d’œil. Jake grimaça. Charlotte regarda dans le panier. Elle n’aurait vraiment pas dû. Pensant qu’elle ne voyait pas bien le contenu du panier, Bob le vida sur le comptoir. — Voilà, dit-il en se raclant la gorge. Votre grand-mère a exprimé son intérêt pour ses petits-enfants. C’est le meilleur des tests de fertilité. Il vous montrera, bien sûr, quand la jolie dame ovulera. Il fit un signe vers Charlotte. — Savez-vous comment ça s’utilise, mademoiselle ? Charlotte écarquilla les yeux, horrifiée. Sa bouche s’ouvrit, puis se referma. Jake émit un rire nerveux. — Elle euh… Je veux dire…, nous… le découvrirons. Charlotte lui jeta un regard qui disait « Il faudrait que tu me passes sur le corps pour qu’on découvre ça ensemble ». Mais elle ne dit rien. — Ensuite, ça. Bob sortit une boîte de préservatifs et l’agita en l’air. — Oh ! attendez, non, ça ne va pas. Ce n’est pas la bonne taille. — On les prend tous. Jake essaya de remettre les préservatifs dans le panier, mais Bob les écarta juste à temps. — Non, jeune homme, dit-il en agitant son doigt devant les yeux de Jake. Vous savez autant que moi comme il est inconscient de porter un préservatif qui n’est pas exactement à la bonne taille. Votre grandmère et moi avons évoqué tous vos… problèmes. Il vous faut la bonne taille… — C’est bon ! l’interrompit Jake, sentant son visage chauffer. Ceux-là sont parfaits. Il tendit le bras vers la boîte, mais Bob la retira et appela dans l’interphone. — Oui, Stacey, pouvez-vous retourner en allée trois et prendre une boîte de Durex extra small ? Un client en a besoin. Mon Dieu. Il allait tuer sa grand-mère. Jake rit nerveusement. — Non, vraiment, c’est une blague. Ma grand-mère plaisantait. Je ne suis pas vraiment… Je veux dire, ce n’est pas vrai. Je ne fais pas cette taille ; je fais, je fais… Qu’était-il censé dire ? Pris de panique, il jeta un regard suppliant à Charlotte, comme un appel à l’aide. Elle rit bêtement, puis battit des paupières vers Bob. Non. Elle n’allait quand même pas lui faire ça ? — Jake, ronronna-t-elle en passant ses bras autour de lui. Nous avons déjà parlé de ça en long et en large. Quel choix de mots malheureux ! — Et nous étions d’accord là-dessus, poursuivit-elle. Tu dois accepter l’image de ton corps. Tout le monde a ses… petits, mini, minuscules défauts. N’est-ce pas, Bob ? — Je n’ai pas un petit p… — Les voilà !

Une fille d’environ vingt-cinq ans s’approcha de la caisse avec une petite boîte et jeta un regard furtif à Jake, quand ses yeux s’écarquillèrent. — Jake ? Jake Titus ? Était-il possible de mourir d’embarras ? Stacey. Il ne se souvenait pas de son nom, mais il se souvenait de son visage. Deux mois plus tôt, dans un bar de Belltown. Quelles étaient les chances que la seule fille avec laquelle il avait eu une panne se trouve dans une pharmacie ? Eh bien, voilà. C’était sûr : grand-mère avait posé un micro sur son corps. Quelque part. Elle écoutait et observait tout. Merde, elle bossait pour la NASA ! — Tu vas bien ? demanda Stacey en jouant avec la boîte. Puis, quand elle sembla se souvenir qu’elle l’avait dans la main, elle la posa et marqua un temps d’arrêt. — Attends, elles sont pour toi ? Charlotte attrapa la boîte. — Oui. Hein, Jaky ? Jake ne put qu’acquiescer tandis qu’une partie de sa virilité s’éloignait en flottant devant ses yeux. Autant passer prendre le DVD d’une comédie romantique et le regarder en sirotant une bouteille de vin et en discutant de ses syndromes prémenstruels. Il était foutu. — Bien, euh… Stacey commença à reculer lentement. Comme toute femme saine d’esprit l’aurait fait face à ce genre de situation. Il remerciait Dieu pour ces petites faveurs alors qu’elle disparaissait dans l’allée. — D’accord, dit Bob en tapant des mains. Voyons ce que cet amour de grand-mère a mis d’autre sur cette liste. — Oui, dit Charlotte avec un large sourire. Voyons ça. — Vraiment ? marmonna Jake, les dents serrées, en mettant un coup de coude dans les côtes de Charlotte. Un minuscule problème ? Tu sais que ce n’est pas vrai. Je veux dire, tu sais vraiment que ce n’est pas vrai. Elle haussa les épaules. Mince. Vous savez qu’un homme est désespéré quand il est prêt à se déshabiller et s’exposer au type de la pharmacie simplement pour prouver ce qu’il dit. Désespéré ou prêt à aller en prison. Mais, merde, quand cette journée se terminerait-elle ? — Ah ! nous y voilà, dit Bob en sortant un petit sac blanc sur lequel était agrafée une ordonnance. Cela devrait énormément vous aider. Enfin, faites bien attention de n’en prendre que lorsque vous en avez besoin. Si votre érection dure plus de quatre heures, appelez immédiatement les urgences. Mais ça devrait grandement améliorer la lune de miel. Si vous voyez ce que je veux dire, ajouta-t-il en faisant un clin d’œil à Charlotte. Elle rit bêtement. — Je n’ai pas besoin de ça, protesta Jake, les bras croisés. — Votre grand-mère a dit… — Elle est sénile ! La semaine dernière, elle voulait monter un spectacle à Las Vegas avec des tigres ! cria Jake. — Mon garçon…

— Jake, intervint Charlotte en lui tapotant le bras. C’est bien d’admettre que tu as un problème. Se forçant à sourire, il se retourna vers elle. — Tu sais quoi, mon ange ? Ses yeux pétillaient. — Quoi ? — Tu as raison. — Vraiment ? Son sourire disparut alors qu’elle plissait les yeux. — Bien sûr, concéda Jake en passant son bras autour des épaules de Charlotte. C’est probablement pour ça que grand-mère a choisi de ne pas mettre d’alcool fort ou de vin sur la liste. — Mais… — Problème d’alcoolisme, affirma Jake en penchant la tête vers Charlotte. Mais ça va. Après tout, cela fait vraiment longtemps que tu es sobre, hein, chérie ? continua-t-il avant de claquer des doigts. Oh ! attends, j’oubliais la flasque dans ton sac à main. Bébé, c’est bon de savoir que nous pouvons parler de ce genre de choses ensemble. Peut-être que maintenant que tu m’as dit que tu allais arrêter de boire, on va pouvoir envisager de faire un bébé. Alors, merci pour ce test de fertilité. Les yeux de Charlotte s’enflammèrent. — Oui. Merci beaucoup, dit-elle d’un ton sec. Après tout, au moins, si tu prends du Viagra, je pourrai me souvenir que nous avons couché ensemble ! — Oh oui, tu t’en souviendras ! — C’est marrant, la nuit dernière, j’ai pu faire ma liste de courses ! — Pour acheter plus d’alcool ! cria Jake. Ils étaient nez à nez, respiraient fort, et, pour une raison insensée, tout ce à quoi pensait Jake, c’était l’embrasser. Violemment. Lui donner une bonne leçon et la pousser contre le comptoir, de préférence loin du test de fertilité, et lui montrer les mauvaises manières, encore et encore. Les yeux de Charlotte descendaient vers ses lèvres. Jake tendit les bras vers elle, mais elle l’attrapa en premier. Leurs bouches se heurtèrent avec une telle force que Jake gémit. Les lèvres de Charlotte étaient charnues et avaient le goût du vin et du sel. Mon Dieu, il avait envie de lécher tout son corps jusqu’à ce qu’elle le supplie d’arrêter. — Euh, monsieur Titus, osa Bob en s’éclaircissant la voix. Jake s’écarta brusquement de Charlotte. — Le…, le test de fertilité, dit-elle d’une voix rauque. Tu sais, tous ces trucs et formules magiques pour faire un bébé. Ses yeux se fermèrent comme si elle réalisait que ça sonnait faux. — On prend tout. Jake s’essuya la bouche avec le dos de la main et regarda Charlotte secouer la tête avant de sortir du magasin. Merde. — Bien, voulez-vous que j’ajoute quelques bonbons pour cinquante cents de plus ? demanda Bob. — Pas de bonbons. — Des chewing-gums ? — Non plus ! lança Jake en se pinçant l’arête du nez. Seulement ce que grand-mère a mis sur la liste. Bob haussa les épaules, prit la carte de crédit de Jake et rangea tout très lentement dans un sac. Dès que Jake obtint son reçu, il courut hors du magasin. Charlotte l’attendait près de la voiture. Le bruit de ses

pas résonnait sur le béton tandis qu’il approchait de la BMW. — Tu vas bien ? Elle soupira et se retourna vers lui. — Ouais, en fait, là, je regrette de ne pas avoir une flasque. — Ah bon ? Elle parvint à afficher un petit sourire. Jake frissonna. — Moi, je ne regrette pas de ne pas avoir à utiliser de préservatifs en taille XS, merci bien. Cela redonna le sourire à Charlotte. Jake déverrouilla les portières pour qu’ils puissent monter en voiture. — Voilà, dit-il avant de démarrer. Mission accomplie. — Oui, on dirait bien. — Ouais. Énervé contre lui-même, Jake insista. — As-tu besoin que je passe te prendre pour aller à l’aéroport jeudi ? — Euh…, non, ça ira, répondit-elle en se léchant les lèvres. Elles étaient encore enflées à cause de leur baiser. Qu’est-ce qui lui avait pris ? C’était le test de fertilité… À coup sûr, ça marchait sans même le sortir de sa boîte. Il saisit fermement le volant et parvint à conserver un sourire aussi crispé que le reste de son corps. — Jake ? dit Charlotte après quelques minutes de silence. Il envisageait sérieusement de s’arrêter sur le bord de la route et lui sauter dessus. — Ouais ? — À propos du mariage. Penses-tu qu’ils laisseront entrer la presse, tu sais, pour couvrir ce qui se passera avant la cérémonie et accorder quelques interviews ? Pauvre Charlotte, elle avait probablement peur d’être à nouveau éclaboussée par l’événement. Il devait la mettre à l’aise. — Absolument pas. Kacey a été très claire à propos des médias. Tu n’as aucune inquiétude à avoir. Ils ne veulent pas que ça fasse les choux gras de la presse. Je veux dire, tu sais aussi bien que moi ce qui se passe quand les médias sont impliqués. — Bien sûr. — Ne le prends pas mal. Il se fit tout petit, ayant oublié momentanément qu’elle était journaliste, même s’il ne l’avait pas vue depuis longtemps à l’écran. Ce qui ne voulait pas dire que c’était un de ces mecs louches qui enregistraient chacun de ses passages ou quoi. — Comment ça se passe au boulot ? s’enquit-il. — Super. — Tu as de gros projets ? Comme venir à bout de la faim dans le monde ou un truc dans le genre ? — Un truc dans le genre. Charlotte laissa échapper un soupir et regarda par la vitre. — Au fait, je suis désolée. — Pour ? — Les préservatifs. Elle se tourna pour le regarder. Le clair de lune qui pénétrait dans la voiture par les vitres mettait en valeur la courbe de son cou délicat. Il gigota sur son siège et finit par s’éclaircir la voix pour donner l’impression d’être relativement

normal et pas du tout excité comme il l’était. Mince. C’était quand, la dernière fois que la simple présence d’une fille l’avait fait se comporter comme s’il avait de nouveau quatorze ans ? — Ouais, je suis désolé de t’avoir traitée d’alcoolique. Elle afficha un sourire, le genre de sourire dont rêvaient les mecs la nuit, le sourire qui fait des promesses d’éternité et de baisers volés, de grands éclats de rire, et… Il secoua la tête. Ce n’était pas à l’ordre du jour pour lui, pas dans sa vie, pas dans son avenir. Il la déposa devant son travail, où sa voiture était garée. La radio jouait une musique douce en fond. Ce n’était pas un rendez-vous. Ce n’était pas censé être ça, sauf que ça en avait l’air. Ils étaient mal à l’aise comme à un premier rendez-vous. Le genre de moment où vous ne savez pas où poser vos mains, où vous êtes terrifié à l’idée d’avoir de la salade sur les dents ou de faire mauvaise impression. Charlotte attrapa la poignée et ouvrit la portière. — À bientôt, Jake. — Ouais. Il la laissa partir. Encore une fois. On aurait dit qu’il faisait toujours ça. Elle se dirigeait toujours vers quelque chose et, pour une raison qu’il ignorait, cela lui donnait toujours envie de lui courir après. Comme si elle était un zèbre, et lui, un lion qui avait besoin de lui sauter dessus. Voulait-il d’elle seulement parce qu’elle était toujours en colère et difficile à obtenir ? Ou y avait-il plus que ça ? Il reprit la route et monta le volume de la musique. La réalité. Il avait besoin d’une bonne dose de réalité. Ou d’une douche froide. Travis l’avait prévenu et, pour une fois dans sa vie, il n’avait pas l’intention de décevoir Travis ou Kacey. — Siri, dit-il à voix haute à son téléphone. Trouve-moi le bar le plus proche.

27 Pourquoi donc, alors que Charlotte et Jake ne sortaient pas ensemble, tout ce qu’elle voulut faire quand elle rentra chez elle fut d’ouvrir une gigantesque bouteille de vin et regarder une mauvaise émission de téléréalité ? Il n’avait rien fait de mal. À part être d’une beauté affligeante, la traiter comme une princesse, puis l’accuser d’être alcoolique. Elle afficha un petit rire affecté et ouvrit la bouteille de vin avant de se servir un verre. Beth dormait déjà, mais Charlotte ne pouvait toujours pas faire sortir les événements de l’après-midi de sa tête. Comme le faisaient toutes les filles, elle voulait disséquer chaque morceau de conversation qu’elle avait eue avec Jake jusqu’à ce qu’elle découvre tout ce qu’elle voulait dire. Était-il simplement gentil ? S’était-il simplement racheté une conduite ? Ou tout cela n’était-il qu’un stratagème pour la mettre à nouveau dans son lit ? Ne resterait-il ce type que jusqu’à ce qu’il ait obtenu ce qu’il voulait ? Et, déjà, avait-il vraiment envie d’elle ou se lassait-il simplement de son mode de vie de play-boy ? Pour ajouter à sa liste de problèmes déjà importants, il avait dit : « Pas de médias. » Peut-être que, si elle présentait son cas différemment, qu’elle était complètement honnête avec lui et lui disait qu’elle se retrouverait sans travail exactement comme lui si elle ne couvrait pas le mariage… Peut-être aurait-il pitié d’elle ? Honnêtement, elle était vraiment douée pour son boulot. Ce fameux petit incident n’était pas représentatif ; tout ce dont elle avait besoin, c’était de quelques détails sur le mariage, quelques photos, et elle aurait tout gagné. Personne n’aurait jamais à savoir que c’était elle qui avait fourni ces informations à la presse. D’ailleurs, ne préféreraient-ils pas avoir une amie pour couvrir une journée aussi spéciale plutôt qu’une personne inconnue armée d’un appareil photo ? Charlotte pouvait-elle leur demander une telle faveur ? Surtout avec le stress du mariage ? Elle ne voulait pas en rajouter, et, à vrai dire, ce n’était pas le problème de Kacey si le patron de Charlotte était un connard cupide qui n’avait aucune morale. Le tic-tac de l’horloge dans sa chambre avait beau ne pas être fort, elle avait l’impression d’être dans le jeuJeopardy. Elle se mit à la place de Kacey : que ferait-elle ? Kacey faisait toujours ce qui était bien, même si c’était extrêmement difficile pour elle. D’un autre côté, Charlotte, elle, n’était pas sur le point d’épouser un membre fortuné de la famille Titus. Elle avait besoin d’argent pour manger ! Après sa rétrogradation, elle savait que ce serait le coup de grâce. Si elle n’obtenait pas des photos, son rêve de présenter le journal serait officiellement terminé. Et si elle posait simplement la question à Kacey ? Ou à Travis ? Ou même à grand-mère ? Une migraine commençait à battre à ses tempes. Son téléphone sonna. Elle regarda l’écran : c’était un e-mail qu’elle ouvrit aussitôt. Un mot. C’était tout. Un mot et un point d’interrogation. Alors ? Il venait de Mark. La seule réponse qu’il lui vint en tête rimait : C’est mort. C’était tout. Comme si elle avait besoin d’un autre signe, le visage de Kacey apparut sur son portable. Il lui fallait un conseil, un conseil sage, quelque chose, n’importe quoi. Ou peut-être une autre discussion avec son patron. Peut-être qu’il abandonnerait si elle lui expliquait la situation ? Elle ferma les yeux une seconde en soufflant et laissa tout le stress de la journée s’évacuer. Elle avait besoin de bosser. Point. Jake Titus ? Eh bien, ça ressemblait plus à un besoin à assouvir, et elle n’avait toujours pas compris s’il avait perdu la tête ou découvert d’une manière ou d’une autre un cœur dans son

corps musclé. Avec un grognement, elle s’assit sur le canapé et alluma la télé. Ses yeux se firent rapidement lourds et elle s’endormit. *** Le son de la télévision la réveilla brusquement. Charlotte se leva lentement du canapé et attrapa la télécommande pour l’éteindre. Mais, alors qu’elle allait appuyer sur le bouton, quelque chose à l’écran attira son attention. — Merde. Elle monta le volume, plus alerte qu’elle l’avait été depuis des heures. — Le play-boy millionnaire Jake Titus revient dans le monde de la nuit, dit le journaliste. Il a été vu en ville dans les boîtes de nuit Brazeel et Ice. Nos sources indiquent qu’il est parti non pas avec une, mais deux femmes à ses bras. Les rumeurs se sont propagées cette semaine, depuis que monsieur Titus a été mis à pied de Titus Enterprises. Toutes les femmes de Seattle doivent être heureuses de voir le plus célèbre célibataire de la ville enjoué et redevenu lui-même. La télécommande lui tomba de la main. Charlotte prit une gorgée de vin, tremblante. L’imbécile. Il s’était moqué d’elle ; il jouait un rôle et elle avait complètement craqué de nouveau ! Combien de fois ces derniers jours s’était-elle promis de ne pas succomber ? Pourtant, elle avait justifié ses sentiments par le fait qu’il semblait tellement différent. Chassez le naturel, il revient au galop. Et Jake Titus pouvait bien coucher avec qui il voulait. Elle n’en pouvait plus. C’était fini.

28 La première chose que pensa Jake quand il se réveilla seul dans son lit fut que Dieu lui avait enlevé ses pulsions sexuelles afin de le punir. Mais s’il était vraiment honnête… Ce n’était pas Dieu. C’était Charlotte. Il ne savait pas bien s’il devait la détester ou simplement courir jusque chez elle et lui faire l’amour, encore et encore. Deux filles, toutes les deux superbes, toutes les deux mannequins… et rien. Absolument rien. Même le whisky avait tourné dans son estomac à la minute où elles avaient commencé à se déshabiller devant lui. Il leur avait alors dit qu’il devait aller à la salle de bain. Le pire moment de toute sa vie. La salle de bain ? Il avait perdu la tête ou quoi ? Il avait poussé une des nanas, couru dans la salle de bain et s’était assis sur le siège des toilettes, la tête entre les mains et… Il tremblait. Oui, il tremblait en ayant l’impression d’avoir complètement perdu le contrôle de sa vie. Tout ça à cause d’une fille stupide qu’il avait rencontrée dans un collège stupide, qui avait un corps stupidement sublime, des yeux clairs stupidement beaux et des lèvres stupidement pulpeuses… Bon, là, dans la salle de bain, ses pulsions étaient revenues. Mais, quand il avait entendu les filles, les jumelles, dire son nom… Disparues. Dans les toilettes. Il était resté assis là une dizaine de minutes. Puis, il était sorti avec la pire excuse de tous les temps. — Écoutez, je ne me sens pas très bien ce soir. Je suis malade. Les filles s’étaient regardées, puis approchées de lui. La jumelle numéro un avait un soutien-gorge en dentelle noir et une petite culotte ; la numéro deux ne portait absolument rien. Peut-être était-il gay ? Quand elles avaient été assez près pour le toucher, il s’était éloigné. Leur parfum l’avait fait littéralement suffoquer. Pourquoi ne pouvaient-elles pas sentir plus comme Ch… — Merde ! avait-il crié, ce qui avait fait sursauter les filles. Désolé, ce n’est pas vous, c’est moi. — Vraiment ? avait dit l’une. Tu nous mets dehors ? C’est quoi, ton problème ? — Vous. Toutes les deux, avait grommelé Jake. Maintenant, partez. Elles lui avaient fait un doigt d’honneur en synchronisation parfaite et avaient ramassé leurs vêtements. À la minute où la porte s’était fermée derrière elles, il s’était écroulé sur le canapé en soufflant. Que son frère aille au diable avec ses conseils pour rester à l’écart de la seule fille qui lui donnait vraiment envie de céder. Il devait se répéter que les choses s’arrangeraient, que bientôt il n’aurait plus ce problème. Parce qu’au final, il savait qu’il était le genre de mec qui ferait souffrir Charlotte. Il n’y aurait pas de fin heureuse parce que les types comme lui ne savaient pas comment y parvenir, et il ne savait pas s’il était capable d’être ce qui fallait pour elle. Avait-il jamais été ce mec ? Celui que vont voir les filles quand quelque chose ne va pas ? Non,

c’était son frère Travis. Jake était le paumé, le noceur, celui que le père de Kacey avait surpris à quatorze ans en train de sniffer de la cocaïne et faire la fête avec des filles qui avaient deux fois son âge, le gamin qu’il avait attrapé par l’oreille en lui disant qu’il était en train de ruiner sa vie. Et il avait raison. Pour arranger le tout, quand Bill l’avait attrapé, Jake était tellement défoncé et désorienté qu’il était tombé dans la rivière près de leur maison et avait failli se noyer. Il n’avait plus touché à la drogue depuis. L’alcool ? Si, peut-être parce que c’était le seul moyen de tout soulager. Jake ne prétendait jamais être ce qu’il n’était pas… Il n’était simplement plus sûr d’aimer ce qu’il était.

29 — Hé ! crétin ! l’appela une voix féminine énervée dans son rêve. Réveille-toi ! C’est l’heure de prendre l’avion ! — Pourquoi tu hurles ? murmura Jake en portant ses mains à ses tempes. Et c’est quoi, cette tenue ? Charlotte était debout devant lui, les mains sur les hanches, et portait une tenue de sport rose pâle tout droit sortie des pages du catalogue Victoria’s Secret. — Bon sang, éteins la lumière, dit-il en mettant ses mains devant ses yeux et en continuant à jurer. — Oh ! je suis désolée, dit Charlotte en parlant toujours aussi fort. Ma tenue claire fait-elle empirer ta migraine ? Et que dirais-tu d’un petit verre de tequila, hein ? Son estomac se noua à cette idée. Comment pouvait-il être complètement bourré et quand même réussir à repousser deux femmes en même temps ? Et pourtant, l’objet de son affection semblait être à deux doigts de lui planter un couteau dans les parties intimes. — Non, maugréa-t-il. Pas d’alcool. — Tu t’es bien amusé hier soir ? demanda-t-elle, les bras croisés. Ses yeux bleus et brillants étaient aussi clairs que le matin. Mais que lui arrivait-il ? Il jouait les poètes, maintenant ? Il se frappa la poitrine et s’éclaircit la voix. Voilà qui était mieux. En se tapant sur le torse, il avait recours au style homme des cavernes qui prouvait qu’il était toujours un vrai mec. Il agita sa main en l’air comme pour chasser cette dernière fausse preuve de virilité. Puis, il réalisa qu’il devait être encore un peu soûl. — Lève-toi, lui ordonna Charlotte en mettant un coup de pied dans son fauteuil. — Non. Il avait besoin de manger. Et comment était-il arrivé à l’aéroport ? En taxi ? Oui, en taxi, puis il l’avait payé, avait pris ses billets et passé la sécurité d’un pas joyeux avec une odeur dégoûtante. Marrant. C’était comme si son dernier vol se répétait. — Pourquoi souris-tu ? lui demanda Charlotte en l’attrapant par le bras pour le mettre debout. Et comment ça se fait que tu pues ? As-tu au moins pris une douche ? Son cerveau se mit en marche, lentement, tandis qu’il réfléchissait à sa matinée. Comme il avait oublié de faire ses bagages, il avait couru d’un meuble à l’autre pour être prêt à l’heure, avait tout juste eu le temps de prendre son téléphone portable pour appeler un taxi, mais il n’avait pas pensé une minute à prendre une douche. — Euh…, pas eu le temps. — Tu es rentré chez toi à neuf heures hier soir. La soirée avec Blanc-Bonnet et Bonnet-Blanc a dû être chargée. Il choisit de ne rien dire. Il s’appuya sur Charlotte cependant qu’ils tendaient leurs cartes d’embarquement et traversaient le terminal jusqu’à leur avion. Au moins, ce serait un vol long. Il tenait aussi de source sûre que grand-mère voyageait en première classe ; il n’y aurait donc pas de menaces de bombes, de seringues ou d’arrestations. Mais où donc était grand-mère ? Une fois dans l’avion, il regarda autour de lui. Elle n’était pas en première classe, en tout cas, pour ce

qu’il pouvait en voir, et elle n’était pas non plus en classe éco. — Où est grand-mère ? demanda-t-il à Charlotte, détestant le ton grave de sa voix. — Elle est partie hier soir en parlant d’une urgence nuptiale. Il t’arrive de vérifier ton téléphone ou tu te contentes de le fixer bêtement et de demander à Siri de te lire tes messages ? Jake regarda le sol avec un air coupable et préféra à nouveau ne pas répondre. — Bref, dit encore Charlotte. Sérieusement, pourquoi continuait-elle à parler ? Ne voyait-elle pas qu’il était à deux doigts de vomir ses tripes ? Elle leva les yeux au plafond et se pencha sur lui pour lui attacher sa ceinture. Super. Maintenant, il avait deux ans. Et ce fut évidemment à ce moment précis que sa virilité décida de se réveiller et faire une apparition. Mais il était trop mal pour y faire attention. — Comment s’est passée ta nuit ? Elle était énervée. Ouais, vraiment énervée. — Horrible, répondit-il sincèrement. J’ai beaucoup trop bu et j’ai fini par réaliser quelque chose que j’aurais dû comprendre il y a longtemps. — Ah bon ? dit Charlotte sur un ton pince-sans-rire. Quoi donc ? Jake répondit avec un petit haussement d’épaules. — Je déteste les blondes. Le premier sourire de la matinée apparut sur le visage de Charlotte avant qu’elle se tourne pour regarder par le hublot. — Ça ne change rien. — Ah non ? — Non. Elle se retourna vers lui. — Tu pues toujours autant. *** Il sentit chaque secousse. Chaque mouvement. Un petit singe savant qui jouait du tambour avait élu domicile dans sa tête, et un éléphant possédé par le démon, dans son estomac. Il faillit vomir cinq fois avant la fin du vol. Charlotte ne fut d’aucune aide. Elle refusa de lui parler, de le regarder, de le toucher. Il était évident qu’il était passé à la télé ; c’était la seule explication possible. Il se souvint vaguement de flashes d’appareils photo. Comment pouvait-il être aussi insensible ? Il savait ce qu’il faisait, mais il l’avait fait quand même. Pour prouver quelque chose. Pour se prouver quelque chose. Maintenant, il avait l’impression que quelqu’un lui était passé dessus avec un camion, puis avait reculé juste pour s’assurer qu’il était bien mort. Quand l’avion eut atterri, il parcourut l’allée d’un pas lourd et se dirigea vers la zone de réception des bagages en espérant que, pour une fois dans sa vie, grand-mère aurait eu pitié de lui et aurait fait venir une voiture, un flingue ou peut-être uniquement un cachet d’aspirine. Ouais, il prendrait l’aspirine. Mais il n’eut pas cette chance. — Où est tout le monde ? Il posa son bagage à main et fut pris par une nouvelle vague de nausée. Jack Daniels revenait le hanter.

Son estomac bouillonnait. Il ferma les yeux et essaya de se concentrer pour inspirer et expirer lentement. — Charlotte ? dit une voix grave masculine. Jake ouvrit brusquement les yeux. Une sorte de personnification de Thor avança vers eux. — Mais qui êtes-vous ? demanda Jake, la voix tendue. Il rassembla toutes ses forces pour se redresser et fixer le type dans les yeux. — Oh ! dit ce dernier avec le sourire, révélant des dents blanches et bien droites mises en valeur par son teint hâlé. J’aide la famille pour le mariage. Travis et moi sommes vraiment bons amis et… — Jace ? La voix de Charlotte exprima trop d’espoir et d’excitation au goût de Jake. — Tu te souviens de moi ? demanda-t-il en s’approchant d’elle. — Bien sûr ! Elle avança vers ses bras tendus et l’enlaça pendant que Jake imaginait ce que ça ferait de mettre ses mains autour du cou de Jace et de l’étrangler. — Je ne savais pas que tu aidais Travis et Kacey, ajouta Charlotte. — Oui. Il fit un pas de côté et haussa les épaules. Venait-il de rougir ? Sérieusement ? Les types prétentieux savaient probablement rougir sur commande pour se la jouer. Se frayant un chemin entre Charlotte et Thor, Jake tendit la main. — Je suis Jake, témoin et frère du futur marié. Et Charlotte est à moi, elle est à moi.Il montra probablement les dents et aurait pu grogner ; il ne manquait plus qu’il pisse pour marquer son territoire. — Oh ! dit Jace alors que ses yeux faisaient des va-et-vient entre Charlotte et Jake. J’ai beaucoup entendu parler de toi. — En bien, je suis sûr, dit Jake en plissant les yeux. Jace afficha un petit sourire narquois. — Si tu le dis. Sans savoir comment, ils se retrouvèrent torse contre torse. Thor était un peu plus grand, mais seulement de quelques centimètres. Jake l’avait déjà jaugé : même si Jace était plus costaud, Jake avait une musculature plus élancée. — On devrait, euh…, on devrait y aller. Quand Jake sentit la main de Charlotte s’appuyer contre son torse, il baissa les yeux vers son regard implorant et recula, mais seulement de quelques centimètres. Il ne voulait pas être celui qui se replierait en premier. — Tu as raison, dit Jace en secouant la tête. Il réussit à paraître aussi humble qu’une merde. Le crétin. — On y va ? reprit-il en attrapant le sac de Charlotte et en lui offrant son bras. Pourquoi Jake n’avait-il pas pensé à porter son sac ? Oh ! bien sûr ; parce qu’il était toujours ravagé par la nuit dernière et avait passé la majeure partie du vol à s’efforcer de garder tous les liquides corporels à l’intérieur. Il n’y avait pas pensé, tout comme il n’avait pas pensé à arrêter d’être un imbécile avant de dire quelque chose qu’il regretterait ou permettre à son cœur de s’engager auprès du sien. Avec un juron, il les suivit dehors. Jusqu’à la limousine.

Bien sûr. — Alors, la famille a envoyé une limousine ? demanda nonchalamment Jake en tendant son sac au chauffeur. — Non, répondit Jace en haussant les épaules. J’ai pensé que Charlotte serait peut-être fatiguée, alors, j’ai demandé à ce qu’on me rende un service exceptionnel. Il était donc pauvre. Jake pourrait s’y faire. — Un service ? demanda Charlotte en prenant la main de Jake tandis qu’il l’aidait à monter à l’arrière. — Oui. Jace tint la portière ouverte et laissa Jake entrer en premier. — Je n’utilise pas de limousine ou de voiture, normalement, mais j’ai décidé que pour une fois ça valait la peine puisque tu serais très fatiguée. Il lui fit un clin d’œil. Jake leva les yeux au plafond. — Normalement, tu n’utilises pas de limousine ou de voiture parce que tu te rends au centre commercial où tu travailles ? Dis-moi, comment se portent Abercrombie & Fitch ces temps-ci ? — Très bien, répondit Jace avec un petit sourire satisfait. Même si, à en voir ta tenue, tu as dû y aller plus récemment que moi. Crétin. — Prêt, monsieur le sénateur ? demanda le chauffeur. — Oui, Donald. Merci. — Je vous en prie, monsieur. — Sénateur ? répéta Charlotte en levant les sourcils. Salaud. Le sourire de Jake se figea sur son visage alors que Jace haussait les épaules et sortait une bouteille d’eau. — Le plus jeune sénateur de l’Oregon de l’histoire. — Waouh ! lança Charlotte avec un immense sourire. Tu dois être fier ! Et Jace sortit de nouveau ce stupide air humble qu’il maîtrisait si bien ; pas étonnant qu’il soit bon acteur : c’était un politicien ! Ne te laisse pas avoir, Charlotte ! Il ment, il triche… Merde, c’était comme s’il regardait dans un fichu miroir. À quoi pouvait donc penser Travis ? La voiture commença à avancer, et l’estomac de Jake se remit à tourner. Il ne tiendrait jamais les quinze minutes qui les séparaient de la maison. Être assis à l’arrière n’aidait pas. Charlotte et Jace se lancèrent dans une conversation tranquille pendant que Jake ouvrait la vitre et se demandait si c’était vraiment horrible de sauter d’un véhicule en marche ou même de prévoir un homicide. Risquait-il toujours une peine de prison s’il payait quelqu’un pour le faire ? La voiture s’arrêta. Jake grommela contre la vitre. — Hé ! champion, tu vas bien ? « Champion » ? Jace venait-il de l’appeler « champion » ? — Super bien, dit Jake, les dents serrées. Le sourire de Jace était tellement énervant que, si Jake vomissait, il promettait de le faire sur le teeshirt noir et le pantalon en lin blanc de ce type. Mais qui portait des pantalons en lin en ville ? Ils n’étaient pas à la plage, et on voyait presque à travers. Ce mec pouvait tout aussi bien dire : « N’hésitez

pas à regarder ma camelote. » — Jake, tu es sûr que ça va ? demanda Charlotte, qui semblait réellement inquiète. Quand il posa les yeux sur elle, il eut envie de hurler. Il n’allait pas bien, loin de là, mais il devait donner l’impression d’être fort. Son estime de soi avait assez souffert comme ça. Ravalant la bile qui montait dans sa gorge, il hocha une fois la tête et fit un clin d’œil à Charlotte. Ses joues prirent une jolie teinte rose avant que ses yeux se détournent des siens et se dirigent de nouveau vers Jace. — D’ailleurs, comme je le disais… Jace s’éclaircit la voix et jeta un regard agaçant à Jake avant d’adresser son sourire éclatant à Charlotte. Une odeur de fast-food entra par la fenêtre. Jake essaya d’appuyer sur le bouton pour remonter la vitre, mais il était trop tard. Elle le frappa de plein fouet. Toute la nausée qu’il retenait remonta dans le fond de sa gorge. — Je crois que je vais être ma… Il n’eut pas le temps de finir sa phrase ; il passa la tête par la fenêtre et rendit chaque verre qu’il avait bu la veille et probablement toute l’année passée sur la portière. Puis, il entendit des sirènes. Trop mal pour dire quoi que ce soit, il ne put que fixer avec horreur les flics se ranger près de la limousine et s’approcher de la portière salie par le vomi de Jake. — Monsieur, vous savez qu’il est illégal de… — C’est bon, Jim, dit Jace derrière Jake. Il est avec moi. — Monsieur le sénateur ! Quelle belle journée, n’est-ce pas ? dit Jim, un flic grassouillet. Vous êtes sûr que vous vous en occupez ? Je pourrais l’amener au poste et le malmener un peu. Tu sais que tu as la gueule de bois quand l’idée d’aller en prison te semble être une alternative attrayante au martèlement constant dans ta tête. — Ce n’est pas nécessaire, rit Jace en mettant une tape dans le dos de Jake. On dirait qu’il ne supporte pas l’alcool. — Peu d’hommes peuvent rivaliser avec vous, monsieur le sénateur. — Prenez une chambre, marmonna Jake tout bas. — Pardon ? Jim mit la main sur son Taser. Oh non ! Jace s’éclaircit la voix : — On doit continuer notre route, Jim. Passez le bonjour à Linda et aux enfants. — Ce sera fait ! dit Jim avec un signe de la main avant de se pencher vers Jake. Je compte bien garder un œil sur ton petit cul de voyou. Super. Ce n’était donc pas seulement un chic type (quel soulagement !), maintenant, c’était un jeune voyou. Cela voulait-il dire qu’il n’irait qu’en centre de détention pour mineurs s’il mettait à exécution son projet de meurtre ? Hum… À réfléchir. La voiture redémarra, et Jake fut de nouveau laissé dans son coin pendant que Charlotte et Jace riaient et discutaient comme s’ils étaient déjà sur le point d’acheter une maison ensemble. Merde. Il fallait qu’il trouve un plan A et vite. Pour la première fois de sa vie, il avait un sérieux concurrent. Bien sûr, avec son putain de karma, il s’avérait que c’était aussi la première fois où il risquait de perdre non seulement la compétition, mais aussi son cœur.

30 Jace était sexy. Il était plus que sexy. Il ressemblait à Thor, sauf que ses yeux étaient verts, pas bleus. Elle le remarqua parce qu’ils étaient entourés de cils tellement longs qu’elle se demanda presque si cet homme portait des extensions ou quelque chose du genre. Il était incroyable. Et cette peau hâlée ? Il était comme un dessert, un très joli dessert que ta mère ne te laisserait manger que lorsque tu aurais terminé ton assiette… Le dessert qui te gâche l’envie de tous les autres desserts. Le genre d’homme que les filles regardent de loin, mais à qui elles ne parlent jamais vraiment. Et il lui parlait, à elle. Son estomac se noua d’excitation, jusqu’à ce qu’elle regarde vers Jake. Il était mal. Elle ne voulait pas être désolée pour lui. Après tout, il avait passé la nuit avec des traînées, mais quand même. Alors que son corps réagissait à Jace, son cœur appelait Jake, ce qu’elle trouvait vraiment nul, si vous lui aviez posé la question. Ce n’était pas juste ; pour une fois, dans sa vie, il semblait qu’un type s’intéressait à elle, comme tout le monde le lui avait dit, et son cœur décidait que ça ne l’intéressait pas ? Sérieusement ? Ils s’arrêtèrent devant Titus Abbey. Une bonne semaine les séparait encore du mariage, mais c’était difficile à deviner quand on voyait les lieux. Il y avait des camionnettes de traiteurs partout, ainsi que des décorateurs, des fleuristes… Mon Dieu, c’était comme si un magazine de mariage avait vomi à cet endroit. — Charlotte ! Kacey sortit de la maison en courant pour se précipiter vers la limousine et s’arrêta net. — Bon sang, vous avez écrasé un chat moisi ou quoi ? — Un chat moisi, répéta Jace en riant alors qu’il descendait de la voiture. C’est à peu près ça, hein, Jake ? Jake sortit de la voiture en râlant et se dirigea tout droit vers la maison. — Oh ! allez, ce n’est pas si nul que ça, un mariage, Jake ! lui lança Jace en riant toujours. Charlotte grimaça, n’appréciant pas que Jace se moque de Jake. Honnêtement, il le méritait, et plus encore, mais tout de même. Cela n’avait rien de séduisant. Pas à ses yeux. — On dirait que Jake a retrouvé ses habitudes festives, hein ? Complètement inconsciente que le cœur de son amie se serrait dans sa poitrine à cette idée, Kacey mit un coup de coude à Charlotte et lui prit le bras. Il avait passé quelques jours avec elle. Et ça n’avait pas suffi pour le garder loin de ce style de vie. Ce qui était une nouvelle preuve : il n’en valait pas la peine parce qu’au final, il choisirait toujours sa propre personne, son mode de vie, son argent. Ça ne serait jamais elle. — Ouais, dit Charlotte, ignorant la douleur dans sa poitrine et préférant changer de sujet. Jace est vraiment gentil. — Il est sénateur, dit Kacey d’un air joyeux. Et il a eu son diplôme avec deux années d’avance. Il est membre de l’association Mensa, qui regroupe les hommes les plus intelligents du monde, et je sais de source sûre qu’il adopte des chiens blessés.

— Tu parles de Jace ? Travis apparut et embrassa Kacey sur le front. — C’est comme du porno pour les femmes, ajouta-t-il. Sérieusement, si tu ne l’aimes pas, il n’y a plus aucun espoir pour toi. Charlotte n’eut pas le temps de répondre. Grand-mère débarqua dans la pièce avec un gros micro orné de petits cristaux roses. — Euh, c’est quoi ? demanda Charlotte en désignant l’instrument incriminé. — Mon micro, pour le mariage. Grand-mère le sortit de son étui et le tendit à Charlotte. — Il me fait ressembler à Mariah Carey. — Si Mariah Carey était un écureuil mort, dit Kacey à voix basse. — J’ai entendu ! aboya grand-mère. — Tu ne chanteras pas au mariage, affirma Kacey avec un grand sourire. Alors, ça n’a pas d’importance. Grand-mère récupéra le micro et le cala sous son bras. — Ce que vous préparez, Travis et toi, ce ne sont que des enfantillages. Je suis sortie avec un Kennedy, déclara-t-elle en défroissant son chemisier. J’en ai dit suffisamment. Maintenant, circulez, j’ai des choses à faire. Ce soir, nous avons quelque chose à fêter ! — De quoi parle-t-elle ? dit Charlotte en se demandant pourquoi Travis et Kacey fixaient grand-mère comme s’ils pouvaient résoudre le puzzle que représentaient sa vie et son comportement. — Un dîner et un cocktail pour les invités, dit Kacey qui regardait toujours grand-mère. Je n’aime pas son ton. Que sait-elle que nous ne savons pas ? Travis se gratta la tête. — Elle essaie de nous monter la tête. — J’ai l’impression d’être tenue à l’écart, dit Charlotte en levant la main. Vous êtes en guerre contre grand-mère ? — Non ! lança brusquement Kacey en revenant à Charlotte. Une bataille des esprits, peut-être…, mais nous gagnerons. Grand-mère pense qu’elle sait ce qui est le mieux, mais, pour une fois, elle se trompe. Nous allons le prouver, et elle ne chantera pas à notre mariage.

31 Charlotte, Travis et Kacey regardèrent grand-mère aller au centre de la pièce et sortir un sifflet rouge. — Qui a bien pu lui donner un sifflet ? Travis jura à voix basse et expliqua en râlant que la légère brise avait tendance à l’exciter, juste au moment où grand-mère siffla assez fort pour les rendre tous sourds. — Hello ! cria-t-elle avant de souffler à nouveau dans son sifflet. Charlotte cacha un sourire quand elle entendit des gros mots surgir de quelque part dans la maison. Jake n’était clairement pas fan du sifflet, lui non plus. — Je réclame l’attention de tout le monde, annonça grand-mère en sortant un bloc-notes. J’ai été désignée… — Tu t’es portée volontaire, corrigea Travis. Et avec insistance, si je peux me permettre. Grand-mère ignora sa remarque et continua à parler : — Comme je le disais, j’ai été désignée, répéta-t-elle en jetant un regard noir à Travis, pour être l’organisatrice de mariage pour la durée de votre séjour ici, à Titus Abbey. Comme la majeure partie de la fête se passera à la maison, nous avons décidé d’attribuer des chambres. Charlotte écoutait la voix de grand-mère ronronner alors qu’elle parcourait la pièce des yeux au cas où Jake aurait refait surface. Que faisait-elle ? Elle était simplement un peu inquiète à l’idée qu’il se soit étouffé dans son vomi, se soit pris une porte ou un truc du genre. — Comme nous n’avons qu’une seule suite et que Travis a volontiers fait vœu de célibat… Travis mima un tir au pistolet dirigé vers sa propre tête avec sa main. — … la suite devra donc être partagée, dit-elle avec un grand sourire. L’emploi du temps est fixé à la minute près. Essayez de ne pas être en retard aux activités. Nous avons beaucoup à faire. Je veux que tout le monde retourne dans sa chambre pour se changer avant l’heure du cocktail. Grand-mère distribua des feuilles plastifiées où était imprimé l’emploi du temps. — Aucune modification ne sera acceptée, alors, ne faites aucune demande. Si vous avez des questions… Travis leva la main. — … qui ne concernent pas les dispositions pour les nuits… Travis baissa la main. — … alors, je vous écoute. Charlotte prit l’emploi du temps et marmonna. Jace s’avança derrière elle. — Hé ! tu crois que Jake accepterait de changer de partenaire de chambre ? Si Jake lui avait dit quelque chose comme ça, elle aurait levé les yeux au plafond et se serait mise à rire parce que c’était tout à fait son genre. Mais entendre Jace le prononcer lui fit l’effet d’une douche froide ; en fait, elle eut même un léger mouvement de recul. Comment un mec sexy qui flirtait avec elle pouvait-il lui faire cet effet ? Elle se força à rire doucement et agita l’emploi du temps sous son nez. — Les règles fixées par grand-mère sont définitives. Crois-moi, j’ai bien appris ma leçon à ce sujet. — Dis-moi, dit grand-mère derrière elle. Comment cela s’est-il passé avec ces tests de fertilité,

Charlotte ? Les yeux de Jace s’écarquillèrent, et Charlotte resta bouche bée. Bon sang ! Qu’était-elle censée dire à ça ? Elle bégaya : — Ha, ha ! très marrant, grand-mère. Vous voulez parler des tests que vous avez achetés pour Kacey et Travis ? — Bien sûr, répondit-elle avec un clin d’œil. Le visage de Charlotte s’empourpra quand elle se tourna vers Jace. — Elle plaisantait. Je le jure. — J’aime bien les enfants, affirma-t-il en la dévisageant de la tête aux pieds. En d’autres termes : n’importe quel homme aurait de la chance d’avoir des enfants avec toi. Cela allait décidément trop loin. — Bon ! lança-t-elle en s’étouffant. Je vais aller me rafraîchir un peu. — Je vais porter tes sacs. Il tendit les bras vers ses bagages, mais elle tapa sur sa main. — Non, dit Charlotte en riant légèrement. Je m’en occupe. On se retrouve dans une heure. Il afficha un sourire suffisant alors qu’il s’éloignait. Charlotte monta l’escalier aussi vite qu’elle le pouvait. Ils avaient la suite. Elle et Jake. Cela devait être une mauvaise plaisanterie. La seule et unique suite ? Celle destinée à Kacey et Travis, et elle devait la partager avec Jake ? Le dragueur qui se mettait à hurler dès que quelqu’un prononçait le mot « engagement » et se soûlait volontairement pour prouver à la société qu’il était exactement ce que tout le monde pensait : un manipulateur ? Elle poussa la porte avec un grognement et laissa immédiatement tomber son sac par terre. Il y avait quelque chose qui n’allait pas chez elle. C’était comme si les émotions refoulées de son enfance, son passé, le drame de ses parents, pour finir, la pression de ruiner sa carrière la heurtaient de plein fouet. Stupides fleurs. C’était leur faute. C’étaient des roses jaunes, tout comme celles que Jake lui avait offertes quelques jours auparavant. Qu’il aille au diable. Elle prit une rose dans le vase et la sentit. Pendant une courte minute, elle s’autorisa à rêver que c’était sa suite de lune de miel. Que Jake était son mari, qu’il lui avait acheté des fleurs et n’avait pas vomi juste une heure avant. Quand elle ouvrit les yeux, elle se prit la réalité en pleine figure. Sous la forme d’un unique lit king size. Tout près et pourtant toujours si loin ; c’était l’histoire de sa vie. Elle était si près d’être diplômée avec les félicitations, mais c’était finalement Beth qui avait décroché le titre académique. Quand elle avait eu son premier entretien d’embauche, ses parents l’avaient amenée dîner, mais n’avaient pas caché leur déception en apprenant que c’était un boulot pour un journal télévisé. Quand Beth avait eu son premier poste, ils lui avaient offert une voiture. C’était comme si toutes les choses qu’elle avait toujours voulues dans sa vie étaient toujours assez proches pour qu’elle les désire, mais pourtant jamais assez pour qu’elle les saisisse. Elle était comme ce malheureux hamster et sa roue. Elle détestait les hamsters. Elle s’assit sur le lit en soufflant et regarda la porte s’ouvrir, révélant un Jake au regard hagard. Au moins, il y avait une personne qui passait une journée encore plus mauvaise qu’elle.

— Comment vas-tu, princesse ? lui demanda-t-il. — Je déteste ma vie. Il s’écroula sur le lit, et sa tête s’enfonça dans les couvertures. — Le meilleur moment de ma journée… Vas-y, devine. Charlotte s’appuya sur ses coudes pour pouvoir mieux le voir. — Quand tu as failli te faire arrêter par la police ? Il secoua la tête. — Hum, rencontrer le plus jeune sénateur d’Oregon de l’histoire ? Jake lui montra son majeur. Charlotte rit et continua à chercher. — Vomir enfin dans les toilettes comme un grand garçon ? Il soupira et leva la tête pour river ses yeux dans ceux de Charlotte. — Apprendre que je partage cette chambre avec toi. Le sourire taquin disparut du visage de Charlotte, et son cœur se mit à battre la chamade dans sa poitrine. Le silence régna dans la chambre, à l’exception du son de sa respiration saccadée. Elle avait soudain l’impression d’avoir du mal à inspirer et expirer doucement. Elle parvint finalement par émettre un « Oh ! » Jake continua à la fixer comme si elle était la chose la plus précieuse de son existence, comme s’il pensait sincèrement ce qu’il avait dit, que le meilleur moment de sa journée était de se retrouver avec elle dans une chambre. Mais, encore une fois, c’était un joueur. Peut-être se disait-il qu’il allait avoir une main chanceuse. — Eh bien, je déteste casser tes rêves, champion… Il plissa les yeux. — Mais tu ne dors pas avec moi, affirma Charlotte. Il se leva lentement et glissa ses mains dans ses poches. — Je le savais déjà. Je suis presque sûr que le sol et moi allons passer du bon temps ensemble ce soir. Tous ces halètements et ces grincements. — Mais quel genre de nuit as-tu prévu avec le parquet ? Et dans quel monde ce que tu viens de dire at-il un sens ? Jake afficha un large sourire. — Tu aimerais bien le savoir, hein ? Tu sais que tu pourras toujours nous rejoindre, le sol et moi, si ton lit est trop mou. — J’aime les choses molles. Les yeux de Jake pétillèrent. — Dommage. — Jake Titus ! Charlotte lui jeta un oreiller dans la figure. Il se dirigea vers la salle de bain en riant. — Dépêche-toi, Charlotte. Nous devons nous rafraîchir pour être à l’heure au cocktail. D’ailleurs, ditil en ouvrant le robinet et en sortant un gant de toilette, qui a bien pu donner un sifflet à grand-mère ? Ça devrait être mentionné comme illégal dans les cinquante États. Charlotte ne répondit pas. Fascinée, elle l’observa se préparer en se passant le gant sur le visage. Des petites gouttes d’eau tombèrent sur le lavabo. Sentant sa température monter, elle retira son sweat-shirt. Fichu Jake Titus qui arrivait à rendre l’application d’un collyre pour les yeux sexy. Il cligna des yeux,

une fois, deux fois, puis les gouttes coulèrent le long de ses joues bien dessinées. — Arrête de me regarder, Charlotte ! lança Jake. Il y a dix minutes, ça me donnait la chair de poule, mais, maintenant, je me demande carrément si tu n’as pas fait une crise cardiaque ou un truc du genre. Troublée, Charlotte faillit tomber du lit en se prenant les pieds dans son sac. Elle le fouilla à la recherche d’une robe de cocktail sexy. Elle aussi pouvait jouer à ce jeu. Mais elle ne voulait pas seulement jouer…, elle voulait gagner.

32 — Jake ? La voix de Travis était étouffée par le grondement du sang qui battait dans les oreilles de Jake. — As-tu entendu ce que je viens de te demander ? Non, désolé, je regardais des jambes. Deux pour être exact, et ces jambes appartenaient à une superbe brune avec de magnifiques yeux bleus et un sourire si éclatant qu’il pouvait tuer un homme comme une balle en plein cœur. — Bien sûr, l’enterrement de vie de garçon. Je serai là. — Pas de strip-teaseuses. Cette phrase venait de Kacey. Il approuva en acquiesçant, les yeux toujours rivés sur les jambes de Charlotte, qui se trouvait à quelques mètres de là et parlait avec la mère de Jake. Travis claqua des doigts devant ses yeux. — Fais gaffe, mec. Si tu ne te réveilles pas, tu vas finir par rêver. C’était déjà le cas. — Désolé, je suis distrait. Il se racla la gorge et se tourna pour regarder Travis et Kacey. Travis avait l’air énervé, et Kacey, inquiète. Oh ! super. Il allait encore être le sujet de la conversation. — Kacey, je vais bien. J’ai passé une mauvaise nuit, fait de mauvais choix, mais je vais mieux, maintenant, et je suis à l’eau, plus à l’alcool. Sérieusement, tu n’es pas ma mère. Cela sonna plus dur que ce qu’il avait imaginé, ce qui fut prouvé quand Travis fit un pas en avant. Mais Kacey l’arrêta d’un signe de la main. Puis, son regard suivit celui de Jake, qui jetait un autre coup d’œil vers Charlotte. Elle tendit son verre à Travis et traîna Jake dehors en le tirant par l’oreille. — Waouh ! Qu’est-ce qui te prend, Kace ! — Tu as couché avec elle ! — Quoi ? Qui ? — Charlotte ! — Oui ! Les yeux de Kacey doublèrent leur taille habituelle. — Non, je veux dire, il y a longtemps, oui. Merde, il transpirait. Kacey lâcha l’oreille prise en otage et croisa les bras. — Il y a combien de temps ? — Environ un an, répondit-il en baissant les yeux. C’était une bêtise. — Toi ! lança-t-elle en lui mettant un coup dans la poitrine alors que Jake essayait de la faire taire. C’est avec toi qu’elle a passé la nuit avant la fameuse vidéo YouTube. — Coupable. Sur plus d’un plan. L’air renfrogné, Kacey secoua la tête. — J’aurais dû m’en douter. Tous les signes indiquaient un Titus.

— Les signes ? — Ouais, l’alcool, la débauche, l’insouciance, la télévision… Jake leva la main pour l’arrêter. — C’est bon, j’ai saisi. Mais je n’ai rien fait depuis, et tu le sais. C’était sympa de sa part de lui rappeler ses conneries. Quand il s’était soûlé à sa fête de fiançailles, Kacey lui avait dit sérieusement de se secouer ou il finirait par mourir dans le lit d’une prostituée. Ce n’était pas comme s’il n’essayait pas de faire les choses correctement, mais on aurait dit que chaque fois il merdait. C’était tellement plus facile de prendre l’autre chemin, d’être ce que les gens attendaient. Un type irréfléchi et insouciant. On aurait dit qu’à la minute où il essayait d’agir de manière sérieuse et responsable…, on lui demandait s’il était bourré. C’était embarrassant et cela lui donnait à nouveau envie de fuir, se retirer et retrouver ses vieilles habitudes. — Tu as cette expression, dit Kacey, interrompant ses pensées moroses. — Cette expression… Quelle expression ? Jake essaya de changer de tête, mais échoua lamentablement quand Charlotte passa devant la fenêtre. — Cette expression ! cria Kacey en lui mettant un autre coup dans la poitrine. Tu es amoureux d’elle ! — Non ! — Si ! Jake s’essuya le visage avec la main et jura : — Tu ne peux pas te comporter en adulte, s’il te plaît ? — … dit le type qui a couché avec des jumelles ivres la nuit dernière. — Je n’ai pas couché avec elles, dit rapidement Jake. Je n’ai pas pu… Je veux dire…, je n’ai pas voulu et je ne l’ai pas fait. — Pas pu ? Ou pas fait ? Jake sentit son visage rougir. — Les deux. Mince, peut-être qu’il avait vraiment besoin de Viagra. Quelle idée déprimante ! Quel âge avait-il déjà ? Vingt-trois ans ? — Tu lui as fait du mal, affirma Kacey en appuyant un peu plus son doigt contre le torse de Jake. Je vais te couper les… — Dîner ! cria grand-mère en ouvrant la porte de la véranda. Kacey se retourna et répondit : — On arrive, grand-mère ! Puis, elle jeta un regard noir à Jake. — Utilise ton imagination. — Doigts ? tenta-t-il gentiment. — Tu n’es qu’un imbécile. Elle lui prit le bras pour contourner la maison et atteindre le pavillon de jardin où serait servi le dîner. Jake souffla. — C’est ce qu’on me dit encore et encore. Kacey s’arrêta de marcher et soupira. — Et tu n’en as pas assez ? Elle plongea son regard implorant dans le sien et, pour une fois dans la vie de Jake, il ne put enfiler son masque d’indifférence, celui que tous les mecs mal dans leur peau utilisaient quand ils envoyaient le monde balader pour ne vivre que pour eux. Il haussa les épaules malgré un violent frisson. C’était tout ce qu’il était capable de faire. Les mots semblaient trop difficiles à prononcer.

Kacey regarda vers le pavillon, où Charlotte était accompagnée de Jace. — Je déteste perdre ; alors, sache que je te dis ça uniquement parce que je t’aime…, mais… Jake attendit. — … l’amour en vaut toujours la peine, conclut-elle. Sur ce, Kacey se mit sur la pointe des pieds pour l’embrasser sur la joue, puis elle rejoignit Travis qui l’attendait.

33 Charlotte allait ronger son propre bras et le manger. Pourquoi la mère de Jake essayait-elle de la tourmenter en agitant sous son nez ces pommes de terre qui sentaient délicieusement bon ? Charlotte avait entendu dire que la mère de Jake avait tendance à parler trop, mais elle n’imaginait pas du tout que c’était à ce point. La cuillère allait et venait tandis que Bets discutait. Au-dessus de l’assiette, au-dessus du saladier, audessus de l’assiette, au-dessus du saladier. Elle devait ressembler à un chat qui jouait avec sa souris. Bets riait avec Kacey, plongeait la cuillère dans la purée et la levait pour servir Charlotte, mais elle était alors distraite par la conversation. La cuillère planait à nouveau au-dessus de l’assiette de Charlotte, puis retournait à son saladier de service. Charlotte aurait juré que Kacey faisait exprès de faire parler Bets. Finalement, trois heures plus tard (bon, O.K., ça devait plutôt être vingt minutes), tout le monde fut servi et put manger gaiement. Enfin, si manger gaiement comprend le fait que grand-mère ait raconté ses souvenirs de Las Vegas pendant que Travis fixait le poulet comme s’il l’excitait. Charlotte ne le plaignait qu’à moitié ; il allait se marier dans une semaine. Ce n’était pas comme s’il allait bientôt mourir. Jace était assis à droite de Charlotte, et Jake, à sa gauche. Ouais, ça n’aurait pas pu être plus inconfortable. Chaque fois que le bras de Jace effleurait le sien, elle se penchait un peu plus vers Jake, ce qui la faisait frissonner dès que leurs peaux entraient en contact. Boire de l’eau avait toujours été son tic nerveux. Un moment embarrassant ? Prends une gorgée d’eau. Tu ne sais pas quoi dire ? Prends une gorgée d’eau. Elle n’avait pas d’eau. Seulement du vin. Ce qui signifiait que, si elle avait le moindre espoir de finir la nuit, elle allait siffler chaque bouteille qui se trouvait sur la table. Elle avait déjà bu deux verres, et ils n’en étaient qu’au troisième plat. — Alors, dit Jace en lui servant un autre verre. Oh ! mince. — Travis m’a dit que tu étais reporter-vedette. — Je ne sais pas si je dirais « vedette »… — Oh ! bien sûr que si, dit Travis en lui faisant un clin d’œil de l’autre côté de la table. C’est une des favorites de Seattle. — Alors, tu seras ma favorite, affirma Jace. Jake toussa violemment à côté d’elle. Elle lui donna un coup dans les côtes alors qu’elle gardait les yeux rivés sur ceux de Jace. — Merci. C’est gentil. Il haussa les épaules d’une manière exagérée qui donna envie à Charlotte de vomir, puis il dit : — Oui, mais, c’est vrai. Charlotte détourna le regard et prit une bouchée de purée. Au moins, la nourriture était fantastique, même si les personnes qui l’entouraient perdaient toutes lentement la tête. Jace dit autre chose, mais elle n’était pas assez concentrée pour y faire attention, pas quand la jambe de Jake touchait la sienne. Mais

son attention fut toutefois attirée par Jace, qui riait et se penchait vers elle. — Pardon, c’est juste que tu as un peu de purée sur le visage. Sa bouche se trouvait à seulement quelques centimètres de la sienne quand soudain Jake se leva brusquement de sa chaise. — Le fils de pute ! — Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ? Wescott Titus, le père de Jake, bondit de sa place, et ses yeux firent le tour de la table. — Euh…, bafouilla Jake avec un air hésitant. Un écureuil. J’ai cru voir un écureuil. Kacey prit une gorgée de vin. — Jake a peur des écureuils. — Rappelle-moi d’en mettre un dans ton pantalon, plaisanta Charlotte. — Peut-être que ça l’aiderait à retrouver ses noix ! lança Travis. Bets émit un rire gêné en se servant un autre verre de vin, puis donna un petit coup de coude à Wescott pour qu’il dise quelque chose, mais grand-mère s’en chargeait déjà. — Oh ! je ne pense pas. Tous mes petits-fils ont des noix. Chacun d’entre eux. Je me suis assurée que c’étaient tous des hommes à leur naissance, n’est-ce pas, Wescott ? — Je, euh… Wescott regarda Bets et hocha la tête de manière exagérée. — À la plus consciencieuse des grands-mères ! lança-t-il en faisant une petite grimace et en levant son verre de vin. Santé. — Pas de noix ? répéta Jake, apparemment toujours bloqué sur le premier coup donné contre sa virilité. — Tu as bien entendu, dit Jace, à la droite de Charlotte. La première étape, c’est d’admettre que tu as un problème. — Avec quoi ? dit Jake en serrant les poings. Avec mes noix ? Ma virilité ? Mes couilles ? Pour qui tu te prends ? Son visage était devenu écarlate. — Oh ! il est sénateur, intervint Bets inutilement. Quelqu’un donna un coup de pied à Charlotte. Il était probablement destiné à Bets parce que, quelques secondes plus tard, elle grimaça de douleur. — Vous savez quoi ? dit Jake en jetant sa serviette. J’en ai assez de vous et de votre attitude, monsieur le sénateur. — Vraiment ? fit froidement Jace tandis qu’il posait son verre d’eau avec un grand sourire. C’est marrant parce que j’en ai eu assez à la minute où j’ai appris que tu serais présent à ce mariage. Dis-moi, c’était quand, la dernière fois que tu as ne serait-ce que dîné avec Travis ? Quand as-tu joué au golf avec lui ? Hein ? Rencontré ses amis ? Cela te dit-il quelque chose, monsieur le témoin ? Jace adressa un sourire suffisant à Jake. — Tu es son frère, et il a donc été obligé de te donner ce titre, mais en ce qui concerne l’amitié ? Tu es aussi merdique que possible. — Ça suffit ! Jake se jeta sur Jace. Jace recula et mit un coup de poing dans le visage de Jake. — Et tiens-toi à l’écart de Charlotte ! Jake balança un coup dans la joue de Jace, mais ce dernier l’évita juste à temps pour que Jake écrase son poing sur la table et renverse du vin partout.

Charlotte se leva, mais grand-mère la força à se rasseoir et chuchota : — Oh ! chérie, contente-toi d’apprécier. C’est un divertissement positivement charmant. Laisse-les se battre. Elle lui fit un clin d’œil et se mit à jouer avec les perles de son collier. — Jake ! hurla Wescott. Arrête ! Travis se leva de table et marcha jusqu’à l’endroit où Jake était tombé et chancelait sur ses pieds. Il l’attrapa juste au moment où Jake allait se jeter à nouveau sur Jace. — Arrête, dit Travis avec un ton inflexible. Je suis sérieux, Jake. Il s’appuya contre le torse de son frère. — Pour une fois dans ta vie, laisse tomber. — Mais… Le visage de Jake se tordit de douleur alors qu’il regardait les expressions choquées des personnes autour de la table. L’estomac de Charlotte se noua quand il la supplia des yeux. Qu’était-elle censée dire ? Couverte de honte, elle baissa la tête sur son assiette et entendit Jake partir en jurant. — Eh bien, c’était amusant, dit Kacey en riant nerveusement. Tout le monde fit de même. Jace regagna sa place près de Charlotte et arrangea sa cravate. — Désolé, dit-il en portant une serviette à sa lèvre ensanglantée. Ce type sait jouer des poings. — Il s’entraîne, dit Wescott en lui versant un autre verre de vin. Tous les jours. — Il s’entraîne ? demanda Charlotte. Que voulez-vous dire par là ? Bets tapota son mari dans le dos et adressa un sourire embarrassé à Charlotte. — La boxe, chérie. Il fait de la boxe. — Il a probablement besoin de s’entraîner à se battre, étant donné le nombre de femmes qu’il a traitées avec mépris, dit Travis d’une extrémité de la table. — Assez ! cria Kacey en se levant de sa chaise. Bon sang, combien de disputes allaient éclater ? Les yeux de Travis sortirent de leur orbite, et Kacey le pointa du doigt. — Je ne sais pas ce qui ne va pas chez toi, mais c’est ton frère ! Elle leva les mains en l’air. — Avez-vous déjà pensé que vous pourriez lui laisser une chance ? Je suis désolée de ruiner ton emploi du temps, grand-mère, mais je suis fatiguée. Sur ce, Kacey quitta la table et partit vers la maison. Travis déglutit et regarda la table d’un air coupable. — Je reviens tout de suite.

34 Furieuse, Kacey partit à la recherche de Jake, mais ne le trouva nulle part. Quelle idée avait-il eue de choisir ce week-end-là, le week-end de son mariage, pour trouver soudain une conscience ? Le timing n’aurait pu être pire ! Mais ses yeux, quand il avait regardé Charlotte, puis le reste de la famille… Cela l’avait rendue malade. Oui, c’était un imbécile, mais toute personne qui avait deux yeux pouvait voir qu’il faisait vraiment des efforts, sans considérer le petit accident de la nuit précédente où il avait fait une légère rechute. Mais il avait dit qu’il ne s’était rien passé. Les hommes avec cet éclat dans les yeux ne mentaient pas. Il était trop vulnérable, déjà trop à vif pour faire quoi que ce soit. — Kacey…, appela Travis du hall. Elle n’était pas assez cachée dans le couloir. Le bruit des pas de Travis approcha jusqu’à ce qu’il s’arrête juste derrière elle. — Quoi ? — Je suis désolé. — Ça ne suffit pas. — Mince. Travis l’attrapa par-derrière et la fit tourner pour la coincer contre le mur. — J’ai dit que j’étais désolé. — Pour quoi exactement es-tu désolé ? D’être un imbécile avec ton frère ? De lui dire de se tenir à l’écart de la seule fille qu’il aime vraiment ? Ou de le rabaisser constamment devant tes parents et même devant Jace ? Hein ? Je t’écoute. Elle essaya de se débattre, mais Travis était bien trop fort. Sa mâchoire se contracta quand il se pencha vers elle. Pourquoi devait-il être aussi attirant ? Ce serait bien plus facile de lutter s’il était moche, ou si le bégaiement qu’il avait quand il était enfant se décidait à faire une soudaine réapparition. — Écoute, dit-il avec le sourire en lui faisant lever le menton. Je ne peux pas m’en empêcher. — Ce sont les pires excuses que j’aie jamais entendues. — Je n’ai pas terminé. Les yeux de Travis s’éclairèrent alors qu’il l’embrassait délicatement sur la bouche avant de reculer. — J’ai toujours des problèmes avec lui. Clairement, tu le vois bien, Kacey. Je veux dire, il a couché avec toi et t’a abandonnée à l’université. Jusqu’à encore l’année dernière, il envisageait de t’épouser tout en gardant une maîtresse sous le bras. En plus, il trouvait que c’était une idée brillante ! Il t’a utilisée pour avancer dans son travail, et, maintenant, quelques mois plus tard, tu veux que je le soutienne tête baissée ? Il ne nous a rien prouvé. La confiance, ça se mérite, et il n’a rien appris. Il n’a jamais eu à le faire. Kacey soupira et se mordilla la lèvre inférieure avant de répondre. — Je comprends, mais tu dois me faire confiance. Je connais cette expression sur son visage. Je le connais. C’est ton frère, oui, mais il a longtemps été mon meilleur ami. Je pense qu’il en a assez d’être le mouton noir, mais il n’ira pas mieux s’il sent qu’on ne lui donnera jamais une chance. Peut-être qu’on devrait les laisser se débrouiller ? — Et alors quoi ? lança Travis. Tu veux que j’aille lui faire un câlin ou quoi ? Et, je suis désolé, mais

les laisser faire signifie non seulement qu’on prend un risque avec Jake, mais, si on perd…, et, d’ailleurs, il y a quatre-vingts pour cent de chances que ça arrive, grand-mère va chanter à notre mariage pendant toute une heure alors que les gens se soûleront jusqu’à la mort. Ah ! Travis… Toujours aussi protecteur et brut de décoffrage. Voilà pourquoi elle l’épousait. C’était l’homme le plus attirant qu’elle ait jamais rencontré, et il serait rien qu’à elle. Avec un sourire sensuel, elle se pencha et lui mordilla les lèvres. — Je veux que tu essaies. S’il te plaît ? Pour moi ? — Essayer ? répéta-t-il d’une voix rauque. Essayer quoi ? — Essayer de ne pas être un imbécile et de lui laisser une chance. Il grogna contre sa bouche et la coinça plus fermement contre le mur, leurs corps alignés tandis qu’il la soulevait dans ses bras et se pressait contre elle. — Bien. Je vais essayer, mais si moi j’essaie avec lui, ça veut dire que tu dois essayer avec grandmère. — Hein ? Les lèvres de Travis s’éloignèrent de celles de Kacey pour décrire un trajet chaud le long de son cou. — Grand-mère. Essaie de voir avec elle pour ce soir. — Pour quoi ? C’était nouveau, ça ? Sa langue était si agréable en descendant dans le creux de son cou qu’elle serra la chemise de Travis dans sa main et gémit. — Parce que j’ai envie de toi. Il tira sur le devant de sa robe avec ses dents et continua son assaut plus bas. — Et je pourrais mourir si je ne suis pas avec toi. — Ne sois pas comme ça, dit-elle, le souffle court. — Hum, dit une voix dans le hall. Travis laissa doucement Kacey retomber sur ses pieds et la poussa devant lui. Le lâche. Grand-mère était là, les bras croisés, et les fusillant tous les deux du regard. — Avez-vous oublié les règles ? Vous n’êtes que des gamins. — Je n’aimerais pas que mes enfants se comportent comme ça…, dit Travis derrière Kacey. Il fallait toujours qu’il dise quelque chose. Grand-mère plissa les yeux en avançant jusqu’à eux d’un pas lourd. En fiancée obéissante qu’elle était, Kacey s’écarta pour que grand-mère puisse attraper l’oreille de Travis et le traîner dans le hall. — Merci beaucoup, Kace ! cria-t-il tandis que grand-mère l’amenait dehors.

35 La brise froide de la nuit soufflait sur la rivière Columbia tandis que Jake prenait une gorgée de bière. La vue de la cabane avait toujours été l’une des préférées de toute la famille. La cabane dans l’arbre avait été construite en gardant la rivière à l’esprit. Elle était assez haute pour qu’on ait une vue au-delà des arbres, mais pas trop. Ainsi, quand Jake, Travis et Kacey étaient petits, ils ne risquaient pas de se tuer en tombant. Charlotte y était allée une fois, peut-être deux. Il avait huit ans quand il l’avait rencontrée pour la première fois. Elle avait avancé droit vers lui et lui avait mis son poing dans le nez. Quand le saignement avait cessé deux heures plus tard, il lui avait demandé pourquoi elle avait fait ça. Sa réponse ? Il l’avait regardée bizarrement. Furieux, il lui avait crié après et dit que, si elle n’avait pas été aussi moche, il ne l’aurait pas regardée comme ça. Elle avait pleuré… et c’était ainsi qu’avait commencé leur relation tumultueuse dès l’école primaire. Ensuite, les choses avaient changé. Elle avait commencé à devenir une très jolie fille, qui ne voulait toujours rien avoir à faire avec lui. Jusqu’à la fin de l’école primaire, où il lui avait écrit un message pendant la permanence pour lui demander de le rejoindre pendant la pause. Ils avaient été inséparables, après ça. Puis, il y avait eu cette histoire avec ces fichus Twinkies. Ces gâteaux qui pourraient probablement résister à une attaque nucléaire. Sérieusement, ce serait la seule nourriture que les extraterrestres trouveraient dans plusieurs millions d’années. Sans moisissure. Aussi jaune. Il avait toujours détesté les Twinkies, mais, ce jour-là, il avait décidé d’en prendre un. Il ne lui avoua jamais qu’il les détestait. Il prétendait les garder pour plus tard tout en la regardant manger le sien. Elle était si jolie. Ses cheveux étaient bien plus foncés qu’aujourd’hui. Plus bruns que châtains. Ses yeux contrastaient si joliment avec ses cheveux foncés qu’il s’était surpris à la fixer. Cette fois-là, elle ne l’avait pas frappé : elle s’était contentée de rougir et détourner le regard. À cet instant, il avait su que son béguin était sérieux. Il avait même été trop gêné pour en parler à Kacey, qui était sa meilleure amie au monde, à cette époque. Sans parler de le dire à Travis ; son frère détestait tout le monde, et Jake avait toujours eu le sentiment d’être comparé à Travis quand ils étaient enfants. Alors, il l’avait gardé pour lui. Tout comme sa collection de Twinkies. Dans la cabane. Il se mit à rire en se remémorant ce souvenir. Quelqu’un les avait-il déjà trouvés en se demandant pourquoi il pouvait bien les stocker là comme un écureuil à moitié mort de faim ? Même en cherchant bien, il n’arrivait pas à se souvenir de ce qui avait provoqué l’animosité et la division entre lui et Charlotte. En entrant au lycée, elle avait simplement arrêté de lui parler. Il lui avait même acheté une boîte de Twinkies qu’il avait déposée dans son casier avec un mot. Il savait qu’elle l’avait eue parce qu’il l’avait regardée sourire alors qu’elle avait lu le message et ouvert la boîte. Mais c’était aussi le premier jour de lycée. Et le lycée avait été l’apogée de Jake. C’était

difficile de lui parler quand elle se rendait aussi indisponible. Les autres filles, elles, étant ridiculement disponibles, il en avait profité. Après le lycée, Charlotte n’était plus devenue qu’une connaissance, puis il y avait eu ce coup d’un soir, et maintenant…, maintenant, ce n’était…, ce n’était plus qu’un bourbier compliqué entre lui et cette fille sexy. Un bourbier dans lequel il voulait sauter pour tout arranger. Sauf que, sans qu’il sache comment, il en était la cause. La chose la plus intelligente, la plus juste à faire aurait été de demander ce qui s’était passé. Mais le passé était le passé ; il fallait qu’il aille de l’avant. Quand sa vie était-elle devenue quelque chose dont il n’était plus fier ? On lui avait tout donné, et il s’était débrouillé pour tout gâcher. Son propre frère ne voulait même pas de lui comme témoin ! Comment ne s’en était-il pas rendu compte ? Il ne s’était rendu compte de rien. Il ne s’était pas rendu compte que son père semblait avoir vingt ans de plus que la dernière fois qu’il l’avait vu, ni que sa mère prétendait que tout allait bien avec grand-mère, alors qu’il avait vu cette dernière cracher ses poumons dans la salle de bain avant le dîner. Il sentit comme un grand coup dans la poitrine. Mais, bon sang, qu’était-il en train de faire de sa vie ? L’estomac noué, il prit une autre bière, la deuxième de ces quinze dernières minutes. Une mouette atterrit sur le toit de la cabane et le fixa. Il leva sa bouteille pour la saluer et grimaça. Voilà à quoi se résumait son avenir. De la bière, des mouettes, une cabane. La mouette fit un bruit qui ressemblait affreusement à un cri de cour d’école. Super. En plus, il perdait la tête. Une silhouette quitta la maison et vint vers lui. Il l’ignora et finit sa bière avant d’en décapsuler une autre. Quand il entendit quelqu’un grimper dans l’échelle, son estomac se noua plus encore. S’il s’agissait de Travis ou Jace, il ne pourrait pas être tenu responsable de ses actes. Absolument pas. La trappe s’ouvrit, et Charlotte apparut, avec sa magnifique robe et tout le reste. — Jake ! Il se prépara mentalement à recevoir l’effet puissant que lui faisait sa beauté, sa robe, ce que provoquaient en lui ses yeux de cristal. — Ouais ? Houlà, il fallait qu’il travaille son jeu d’acteur. Sa voix semblait si tendue que c’en était ridicule. — Tu vas bien ? Charlotte se hissa et vint s’asseoir près de lui. — Bien sûr, dit-il en haussant les épaules. J’avais besoin de m’isoler un peu. Joue-la cool, reste simple. Il haussa de nouveau les épaules. Peut-être que ça faisait trop. Ses épaules se levèrent comme si elles voulaient le faire une fois supplémentaire. D’accord, oublions les leçons de comédie et contentons-nous de boire de l’alcool. Il reprit une longue gorgée et détourna le regard, comme un gamin pubère au collège. — Tu n’as pas l’air en forme, dit doucement Charlotte. Ses yeux revinrent vers elle avant qu’il ne se lèche les lèvres et désigne la rivière Columbia. — Tu savais qu’à certains endroits, la rivière atteint trois cent soixante mètres de profondeur ? — C’est, euh, intéress… — Et, l’interrompit-il en s’éclaircissant la voix, les Amérindiens croient qu’une dispute entre deux frères a causé l’éruption du mont Saint Helens. Tu vois, ils étaient tous les deux amoureux de la même fille, mais, comme elle n’a pas réussi à choisir, ils se sont mis en colère. Une dispute a éclaté, des

villages ont été détruits, et le père, furieux que ses fils n’aient pas fait passer la famille avant leur amour pour une fille, les a transformés en montagnes. Charlotte sourit et regarda la rivière au loin. — Quelles montagnes ? — Le premier fils a été transformé en mont Hood, la tête fièrement dressée vers le ciel. Jake montra le mont Hood. On pouvait le voir d’ici lors des journées les plus claires, et ils avaient la chance qu’il ne fasse pas encore trop sombre. — L’autre frère a été transformé en mont Adams, avec le visage baissé vers l’endroit où est tombé son amour. Charlotte regarda vers le mont Adams en silence. — Et la fille ? Que lui est-il arrivé ? — Elle a explosé. En voyant Charlotte retenir son souffle avec un air choqué, Jake se mit à rire, se sentant mieux qu’il ne l’avait été de toute la journée. — Non, plus sérieusement, la légende dit qu’elle a été transformée en mont Saint Helens. — Donc… Charlotte s’appuya en arrière sur ses mains et inclina la tête. — Tu me racontes que deux frères la désiraient, qu’elle n’a pas pu choisir et qu’au final, tout le monde a souffert et qu’elle est morte ? Ouais, ce n’était probablement pas la meilleure histoire à raconter à Charlotte à ce moment-là, mais il se raccrochait désespérément à un semblant d’espoir, essayait de l’empêcher de poser les questions évidentes sur ce qui n’allait pas et le fait qu’il avait laissé échapper ses sentiments. — Je pense que je sais pourquoi tu aimes cette histoire, dit-elle. Surpris, Jake rit doucement. — Quoi ? Ce n’est pas qu’une histoire ? — Non, confirma Charlotte en désignant la rivière. La leçon sur la profondeur de la rivière Columbia, c’était toi qui évites de dévoiler tes sentiments. La légende, par contre, c’est ta manière de le faire. — Pardon ? Depuis quand était-elle devenue psy ? Charlotte attrapa une bière. — Te serais-tu battu pour la fille, pour la fille que tu aimes ? Ou aurais-tu laissé tomber ? Jake resta silencieux. Ses yeux se dirigèrent vers les deux montagnes au loin. — J’aurais choisi la facilité. — C’est-à-dire ? Il haussa les épaules. Bon sang, qu’est-ce qu’il avait avec les haussements d’épaules ! — Je me serais enfui. — Pourquoi ? — Parce que c’est ce que je fais, Charlotte. Je fuis. Je prends la route la plus facile. N’est-ce pas ce que tu veux entendre ? Tu veux que je te dise que je ne suis pas comme ça ? Que je suis un mec bien ? Le type qui se bat pour ce qu’il veut ? Eh bien, je ne me bats pas pour des conneries. Je n’ai pas à le faire et je n’ai jamais eu à le faire. Charlotte but sa bière en silence, mais sa main tremblait quand elle la porta à ses lèvres. Il soupira et détourna le regard. — Je ne suis pas ce mec-là. — Qui dit ça ? dit-elle d’une voix triste.

Jake secoua la tête et dirigea son regard vers la maison. Des éclats de rire flottaient au-dessus de la cour. — Tout le monde. — Même grand-mère ? — O.K., j’ai une fan. — Deux. Soudain, la bière de Charlotte se retrouva devant lui ; elle trinqua et sourit. — Tu as deux fans. Jake se mit à rire. — … dit la fille qui m’a menacé combien de fois la semaine dernière ? — Hé ! Charlotte ne se sauva pas. Au lieu de cela, elle s’appuya contre lui. — Quand on est partenaires pour la danse de la fertilité, on doit rester collés l’un à l’autre. — C’est vrai. Apparemment, j’ai bien besoin d’aide, tu sais, puisque mon estime de soi est vraiment en berne à cause des préservatifs en taille XS. — Je serais mal placée pour juger, dit Charlotte avec un clin d’œil. J’aime la bouteille et j’ai un problème avec l’alcool. Ils se mirent à rire sans retenue, jusqu’à ce que le vent change et que Jake sente son parfum fleuri. Il se raidit, et, comme si elle pouvait le ressentir elle aussi, elle leva la tête et se pencha. — Charlotte ! appela Jace en bas. Tu es là-haut ? Je ne te vois pas ! C’est l’heure du dessert ! — Je sais. Ses yeux ne quittèrent pas ceux de Jake. — Dommage, murmura Jake, en attrapant son menton. Je m’apprêtais justement à prendre mon dessert en avance. — La plupart des gens doivent travailler dur pour obtenir un tel avantage. La gorge serrée, il baissa les yeux sur ses lèvres charnues. — Je promets que je le ferai. — Ne te transforme pas en montagne. — Hein ? Il recula. Charlotte se leva. — N’abandonne pas ; ne deviens pas une montagne. — Alors, que suis-je censé être ? Charlotte ne lui répondit. Elle rejoignit l’échelle et commença à descendre, mais, juste avant que sa tête ne disparaisse, elle murmura : — Toi-même, Jake. Juste toi-même.

36 Charlotte fut réveillée par des bruits. Après sa conversation bizarre avec Jake, où elle était sûre à quatre-vingts pour cent qu’il était ivre, elle avait fait croire qu’elle avait la migraine et était allée se coucher, ratant le dessert et la soirée de jeux en famille. Elle attrapa son portable et regarda l’heure. Une heure ? Étaient-ils toujours debout ? Sans réfléchir, elle balança ses pieds sur le côté du lit et effleura quelque chose de moelleux. Ça grogna, puis jura quand elle sortit ses pieds et qu’ils atterrirent sur la chose avec un bruit sourd. — Jake ? murmura-t-elle. — Non, c’est un cinglé à moitié mort de faim et bourré qui parle aux mouettes. Oui, c’est moi, Jake. Qui d’autre pourrait dormir par terre ? — Bien vu. — Tu peux enlever tes pieds ? marmonna-t-il. — Pourquoi parles-tu aux mouettes ? — C’est tout ce que tu as retenu de ma phrase précédente ? Tu ne vas même pas me poser de questions sur le fait que je meurs de faim et que je suis bourré ? Tu vas droit aux mouettes ? Charlotte s’éloigna de son corps chaud et soupira bruyamment. — Ce n’est qu’une déduction. — Hein ? — Il y avait un intrus dans ta phrase. La nourriture et l’alcool vont ensemble. Parler aux mouettes ? Pas trop. — Soit tu es brillante, soit tu es ivre. Je n’arrive pas à me décider. Le ton de sa voix était râpeux. — Pourquoi as-tu marché sur moi ? Plus précisément, pourquoi es-tu sortie de ton lit ? — J’ai entendu un bruit. — Ça s’appelle la respiration, Charlotte. Certaines personnes en ont besoin pour vivre. — La ferme, imbécile. Elle le poussa et se dirigea vers la porte. — C’était plus que ça. Comme un grattement ou quelque chose comme ça. — Nous avons donc un problème d’écureuil, affirma-t-il sur un ton las. — Tu détestes les écureuils. — Laisse-les m’attraper ! Vous entendez ça, les écureuils ! Je suis prêt ! Jake leva les mains en l’air et soupira. — Combien de bières as-tu bues ? Il se leva péniblement en jurant. — Clairement pas assez. Sinon, je serais toujours dans les vapes à l’heure qu’il est, au lieu d’avoir cette conversation ridicule avec toi. Il s’avança dans la lueur de la lune. Charlotte eut la bouche sèche. Cet homme était un dieu. Comment avait-elle pu l’oublier ?

Des muscles saillants marquaient ses abdominaux et plongeaient dans son pantalon de pyjama. Chaque partie de son corps était glabre et hâlée. Simplement… bien trop beau pour être réel. Elle fit un pas en avant. Était-il possible qu’un homme soit « photoshopé » ? Dans la vraie vie ? En personne ? Curieuse, elle posa une main sur son torse. Il était tellement chaud et dur. Bon sang, mais tout son corps était dur. — Charlotte ? dit-il d’une voix rauque. Tu es sûre que tu n’es pas somnambule ? Enlevant brusquement sa main, elle se mit à rire nerveusement. — J’ai cru voir une…, euh…, une égratignure, juste là. Elle montra la peau parfaitement lisse de son torse. — Une égratignure ? répéta Jake en levant les sourcils. Vraiment ? Si tu es tellement inquiète, je suis sûr que tu peux m’enlever mon pantalon pour vérifier ailleurs. Tu ne voudrais pas que je ne me réveille pas demain matin ! J’ai entendu dire que les égratignures peuvent s’infecter, dit-il avec un clin d’œil. — Idiot. Charlotte le poussa pour atteindre la porte qu’elle ouvrit brusquement. — Charlotte, grogna Jake. Je suis exténué. Comme je l’ai dit, c’est probablement rien… Charlotte lui mit un grand coup dans le ventre et lui demanda de se taire avant de montrer le couloir du doigt. En effet, Kacey descendait vers la chambre de Travis. Sa porte était ouverte. Il lui indiquait silencieusement les directions et lui désigna le sol. Voulait-il que Kacey rampe ? Puis, il agita ses mains et se couvrit les oreilles. — Hum, murmura Charlotte. Le sol grince ? — Ouais, dit Jake en gloussant. Elle sentit son souffle chaud sur sa nuque. — Tu sais à quels endroits ? — Oh ! bien sûr. Il passa devant pour entrer dans le hall, et ses yeux passèrent de Travis à Kacey avec un air suffisant. Kacey plissa les yeux. Elle fit mine de se trancher la gorge avec la main avant de lui faire un doigt d’honneur. Comme un psychopathe, Travis faisait des gestes obscènes vers Jake. On aurait dit qu’il le menaçait, mais Charlotte n’en était pas vraiment certaine. Elle avait l’impression de regarder un mime qui s’énervait. Ses mains s’agitaient partout dans les airs, mais c’était trop drôle pour que ça veuille dire quelque chose. Et grand-mère était assise dans un fauteuil inclinable au milieu de l’entrée. La bouche entrouverte et ronflant comme un orgue. Son pyjama à imprimés léopard brillait presque à la lumière de la lune, et son visage était couvert par l’un de ses effrayants masques de nuit sur lequel étaient dessinés des yeux, comme pour dire qu’elle veillait en permanence. Jake fit un pas hésitant vers grand-mère. Kacey agita frénétiquement les mains. Charlotte se couvrit la bouche pour cacher son rire. Kacey lui lança un regard noir. Un gros grincement surgit dans l’entrée. Jake fit un autre pas. Le deuxième grincement fut encore plus fort. Travis se mit à se frapper doucement la tête contre le mur. On avait l’impression que Kacey allait se mettre à prier.

Et là, soudainement, grand-mère bougea. Sans enlever son masque, elle sortit une arme à feu de sous son coussin et la pointa directement sur Travis. — Tu sors en douce, fiston ? Charlotte resta bouche bée tandis que Jake se dépêchait de revenir vers leur chambre. — Je, euh…, bredouilla Travis en fermant les yeux. Vas-y. Fais-le. Tue-moi. Je suis assez malheureux comme ça. Pardon, Kacey, je ne peux pas. Je ne peux pas venir ; si cela me rend plus faible, alors, soit. — Kacey ! rouspéta grand-mère en levant son masque pour pouvoir voir. Quand je pense que je rejetais la faute sur ce pauvre Travis pour ce fiasco, mais regarde-toi ! Au milieu du couloir ! Espèce de petite dévergondée. Jake ricana derrière Charlotte. — Tous les deux ! cria grand-mère en agitant son arme dans les airs. Travis l’observa timidement pendant que Kacey s’affaissait contre le mur. — Maintenant, continua grand-mère en pointant son arme vers Travis. Retournez dans vos chambres. Au lit. Vous serez bientôt mariés et vous pourrez avoir tout le sexe que vous voudrez. — Grand-mère vient de dire « sexe », commenta Jake derrière Charlotte. Je pense que c’est ma nuit préférée de toute ma vie. — Et toi ! lança grand-mère en pointant son pistolet vers Kacey. Arrête de le tenter ! C’est un garçon ! Il ne peut pas maîtriser ses pulsions. — La blague, dit Jake. « Pulsions », « pulsions » dépasse « sexe ». — Allez ! Tous les deux, retournez dans vos chambres et oubliez cette histoire de fornication ! — Le voilà, chuchota Charlotte. Le gagnant de la nuit. — « Fornication ». Jake leva le bras derrière Charlotte. Elle lui frappa dans la main avant qu’ils ne referment lentement leur porte. Grand-mère cria leurs noms : — Vite ! dit Charlotte. Au sol ! Ce n’est pas un entraînement ! Jake plongea sur son oreiller et enfonça sa tête dans ses couvertures tandis que Charlotte se vautrait sur son lit. La porte s’ouvrit. Grand-mère soupira. — Quels gentils gamins qui savent bien se tenir ! Quand la porte se referma, Charlotte souffla bruyamment. — C’était juste. — Je suis curieux. — À propos de quoi ? — Elle avait un sifflet ce matin… et, maintenant, elle a une arme. Je suis persuadé que mon père ferme le meuble à armes à feu à clé pour cette raison. Il cache même les munitions. — J’ai arrêté de me poser des questions quand ça concerne grand-mère. Jake se mit à rire. Le son de sa voix enveloppa Charlotte comme une couverture bien chaude. Elle se mit sur le côté et regarda au bord du lit. Jake leva les yeux vers elle. — Quoi ? Tu cherches d’autres égratignures ? Ma proposition tient toujours, tu sais. Il descendit les mains sur la ceinture de son pantalon de pyjama et commença à le baisser. Charlotte se couvrit les yeux. — Garde ton pantalon. — Hum, dit Jake. Je crois que c’est la première fois qu’une fille me demande ça en étant dans la même

chambre que moi et dans le noir. — Et ça fait quoi ? — Ça pique un peu. Les yeux de Charlotte étaient toujours fermés quand elle sentit les mains de Jake sur ses joues. Elle n’eut d’autre choix que de les rouvrir et sentir le puissant effet que ses yeux noisette avaient sur elle. Il souriait, un vrai sourire sexy, absolument sincère, le cœur à nu, du genre à donner envie de vendre sa grand-mère à la Corée du Nord pour pouvoir l’épouser. — Ça pique toujours avant d’aller mieux, ajouta-t-il. — Quoi ? Les mots n’étaient pas très bien articulés, pas avec ses mains posées sur ses joues, son torse nu devant elle et ses yeux fixant son visage comme si elle était la plus belle fille qu’il ait jamais rencontrée. — Les égratignures. Elles piquent toujours avant de guérir. Alors, ça pique d’être repoussé, mais je pense qu’au final, ça vaudra la peine. — Tu devrais boire plus souvent, plaisanta Charlotte. Ça te rend sentimental. — Ce n’est pas l’alcool, murmura Jake, les lèvres si proches de celles de Charlotte qu’elle pouvait presque les goûter. Bonne nuit, Charlotte. — Bonne nuit. Sa propre voix lui parut étrangère et claire. Jake lâcha son visage et se glissa de nouveau dans son lit de fortune. — Fais de beaux rêves, ajouta-t-elle. Il se tourna sur le côté et lui adressa un autre de ses sourires éclatants. — Si tu entends ton nom, tu sauras pourquoi. Et il se coucha. Merde. Charlotte réussit à sourire avant de s’allonger sur le dos et d’engager une véritable lutte contre ellemême. Et si Jake était réellement en train de changer ? Et s’il essayait et qu’elle l’ait manqué parce qu’elle était trop concentrée sur Jace ? Jace était intéressé. Jake était une entreprise risquée. Ajoutez à cela une autre nuit d’insomnie à la liste de ses problèmes. Sans parler du fait qu’elle avait ignoré tous les appels venant du boulot. Lui. C’était lui qu’elle avait toujours voulu, et, maintenant qu’il se trouvait à sa portée, vulnérable et prêt à essayer, elle se devait d’essayer aussi. Elle allait le faire. Et probablement perdre son boulot, et son cœur, encore une fois, pour une minuscule chance que ce garçon du collège veuille vraiment lui rendre son baiser.

37 C’était réglé. Le karma était venu et reparti. Au passage, il avait offert à Jake un cœur. Un cœur d’une tendresse si agaçante qu’il était à deux doigts de devenir fou. Elle sourit. Il se sentit mal, véritablement, comme si son cœur faisait un bond dans sa poitrine. Quand Charlotte lui proposa de l’accompagner en ville, il fut carrément excité. Vraiment ? Excité à l’idée de passer l’après-midi avec Charlotte au tribunal ? Que lui arrivait-il ? Deux mois plus tôt, il aurait eu envie de se suicider. Et là…, là, il attendait avec impatience de passer simplement du temps avec Charlotte, une fille, une femme pour être exact. Son plus long rendez-vous depuis des années avait lieu dans un tribunal. Ça devait être mauvais signe. Grand-mère avait oublié de récupérer le certificat de mariage après que Kacey et Travis s’étaient arrêtés pour prouver leur identité. De toute façon, tout ce que Jake avait à faire, en tant que témoin, c’était récupérer le certificat, puis amener Charlotte déjeuner. Rien de bien difficile. Cela paraissait ridicule que cette tâche lui revienne, mais grand-mère avait piqué une telle crise ce matin à propos du café qu’il aurait dit oui à n’importe quoi, même prendre l’avion pour lutter pour le droit des lions en Afrique, si cela pouvait la faire taire. Travis et Kacey étaient occupés avec un problème de dernière minute concernant le programme du groupe de musiciens pour le mariage, et tous les autres aidaient aux préparatifs. Il ne restait plus que Charlotte et lui. Charlotte était ravie de sortir de la maison et fuir grand-mère qui la suivait partout en lui braillant des ordres. Jace avait demandé à venir avec eux. La réponse de Jake ? Hors de question, et grand-mère, que Dieu la bénisse, avait déclaré avoir besoin de Jace pour un truc urgent, ce qui était probablement faux. Mais il s’en fichait ; la situation avait totalement tourné en sa faveur. Le tribunal n’était pas très loin de chez eux. Il venait juste d’ouvrir quand Charlotte et lui arrivèrent devant l’employée de l’état civil. — Puis-je vous aider ? demanda la vieille dame. Elle avait des lunettes de chouette posées au bout du nez, du rouge à lèvres rouge vif et un chemisier bleu électrique criard. C’était comme regarder le double de grand-mère. — Oui, dit doucement Jake. Nous devons récupérer le certificat de mariage des Titus. — Oh ! Son visage s’assombrit. — Juste un instant, je vais simplement… Elle marmonna quelque chose et chercha dans un document sur son bureau en tremblotant. Charlotte se mordilla la lèvre inférieure en tapotant le comptoir avec les doigts pendant que la dame cherchait. Jake regardait Charlotte. Ses cheveux étaient attachés en une queue de cheval qui mettait en valeur ses pommettes hautes et son cou gracieux. Il avait envie de tendre le bras et la toucher, sentir sa

peau douce sous ses doigts. — Il y a un problème, annonça la dame en s’éclaircissant la voix. Je ne l’ai pas. — Pardon, quoi ? Jake détourna brusquement son attention de Charlotte et regarda la dame. — Le certificat ? Mais ils se marient ce week-end. — Oui, dit la dame en souriant nerveusement. Du rouge à lèvres tachait ses deux dents de devant. — J’ai une idée, poursuivit-elle, mais je pourrais être renvoyée… — Je suis tout ouïe. Jake essaya de rester calme. — Parce que j’ai besoin de ce papier avant dimanche soir. — On peut accélérer la procédure. Je vais falsifier la date, mais je devrai laisser les noms en blanc sur le certificat. — Pourquoi ? demanda Charlotte. Ne pouvez-vous pas simplement les écrire et tout falsifier ? — Ils le découvriraient, murmura la dame en indiquant toutes les personnes qui travaillaient dans le bureau. Et, comme je vous l’ai dit, je pourrais être renvoyée. Jake râla et regarda Charlotte. — Qu’est-ce qu’on fait ? — Il nous faut un certificat ! souffla Charlotte. Bon, d’accord. Qu’est-ce qu’on doit faire ? — Sally, dit soudain une femme qui approchait. Tout va bien par ici ? — Parfaitement ! s’écria Sally. Ces jeunes gens venaient récupérer leur certificat de mariage ! Ils se marient cette semaine ! Ses yeux imploraient les leurs. — Exactement ! lança Jake en mettant un petit coup de coude à Charlotte. Nous sommes si excités. N’est-ce pas, mon chou à la crème ? — Bien sûr, mon Twinkie, dit Charlotte, les dents serrées. Tellement, tellement excités par cette union sacrée. — Devant Dieu, ajouta Jake. Et notre famille. Charlotte hocha la tête de manière exagérée. — C’est trop nul que je sois tombée enceinte avant le mariage, hein ? — Je ne dirais pas « nul », corrigea Jake en plissant les yeux alors qu’il renforçait son étreinte autour de ses épaules. En fait, je dirais que c’est très, très, très bien. Charlotte haussa les épaules. — Tout se passe très, très, très bien. Sally et la dame gloussèrent. — Si vous voyez ce que je veux dire, ajouta Charlotte avec un clin d’œil. — Nous sommes tellement amoureux ! cria Jake pour essayer de créer une diversion et que Charlotte arrête de parler de ses prouesses sexuelles. — Oh ! dit Sally en tapant dans ses mains. J’ai failli oublier. J’aurais besoin de vos permis de conduire juste pour prouver vos identités. Charlotte marcha sur le pied de Jake et tendit son permis. Jake sortit le sien en marmonnant. — Tout est bon ! lança Sally d’un air radieux. La dame derrière elle disparut. Tout le monde souffla.

— Je suis désolée, dit Sally. Je sais que je manque de professionnalisme. Maintenant, souvenez-vous bien : vous devrez écrire les noms des deux mariés, ainsi que ceux des témoins, c’est compris ? — Parfait, répondit Jake en prenant la feuille de papier avec un clin d’œil. Combien vous devons-nous pour ce certificat ? — Soixante dollars en espèces, annonça Sally en tendant la main. Jake faillit s’étouffer. — Soixante dollars ? Pour obtenir un morceau de papier ? Était-il imprimé sur une feuille d’or ? Qui pouvait bien payer soixante dollars pour quelque chose qu’on pouvait taper en deux secondes ? Charlotte lui donna un coup dans les côtes. Heureusement, comme il avait toujours du liquide sur lui, il sortit trois billets de vingt dollars et les tendit à Sally. — Merci beaucoup ! Et félicitations. Jake la fixa une minute. Pourquoi paraissait-elle si familière ? — Oh ! regardez ! C’est l’heure du déjeuner ! s’écria-t-elle en se levant. Maintenant, allez-vous-en ! — Il est dix heures, fit remarquer Jake. — J’adore manger, affirma Sally en s’éloignant. Jake la regarda partir. — Allons-nous-en, suggéra Charlotte en attrapant l’enveloppe en papier kraft qui contenait le certificat. Mission accomplie, et ta grand-mère m’a promis que ça vaudrait le coup de venir parce que tu m’inviterais à déjeuner. En fait, son but était que ce soit un vrai rendez-vous, mais elle n’avait pas à le savoir. Ça l’aurait fait flipper ; il flippait lui-même. Il allait vraiment le faire. Était-il prêt ? Serait-il jamais prêt à faire le grand plongeon ? Sa virilité était en vacances, son cerveau, encore confus à cause de la nuit précédente, et le short blanc et court de Charlotte ne l’aidait pas à avoir les idées claires. — Allô ? Elle avait décroché son téléphone qui avait sonné. — O.K. D’accord, ouais, pas de problème. Euh… Elle rougit et détourna le regard de Jake. — Je ne crois pas… Elle s’éloigna un peu. — Bien, d’accord, oui. — Tu vas bien ? — Bien sûr, dit Charlotte en le chassant d’un signe de la main. C’est rien, juste le travail. — Ils savent que tu es en vacances, n’est-ce pas ? — Je ne suis pas sûre qu’on puisse mettre « vacances » et « grand-mère » dans la même phrase. — Ne m’en parle pas, maugréa-t-il alors qu’il conduisait la voiture vers son petit restaurant préféré. Je peux parler à ton patron, tu sais, si tu veux. Le silence s’installa dans la voiture. — Mon patron ? répéta Charlotte en riant. Et que ferais-tu ? Tu ferais irruption là-bas, balancerais ton nom et ferais disparaître tous mes problèmes ? — Il te cause donc des problèmes ? — Laisse tomber, Jake. Tu n’es pas le grand frère qui protège sa sœur des petites brutes de la cour d’école.

— Mon Dieu, non, pas un frère. Je pensais plus à un super-héros, comme Superman, qui apparaîtrait pour tout arranger. Charlotte leva les yeux au plafond et se mit à rire ; l’ambiance était déjà plus légère. — Alors, tu choisirais Superman ? — Oui, dit Jake en soufflant tandis qu’ils arrivaient devant le bistrot. Ne serait-ce que pour porter un caleçon super moulant pour que tout le monde puisse voir que je n’utilise pas de préservatifs en taille extra small. Il aurait dû se souvenir que la vitre était baissée. Une femme qui montait dans sa voiture eut le souffle coupé. Son jeune fils demanda : — Maman, c’est quoi, un préservatif ? Jake pensa qu’il n’était pas approprié de répondre « Un jouet », alors, il se contenta de sourire et articuler silencieusement un « Désolé » à la mère tout en pensant que Dieu devait vraiment le détester. — Je trouve que tu aurais dû le lui expliquer, dit Charlotte en riant avant de détacher sa ceinture une fois qu’ils furent garés. Jake sortit et claqua la portière. — C’est ça, et finir arrêté par les flics pour avoir utilisé des termes anatomiques inappropriés pour un enfant de son âge ? J’imagine comment ça aurait été repris. Jake Titus s’exhibe devant un jeune garçon sur un parking. — Oh ! arrête ! lança Charlotte en levant les mains en l’air. Tu exagères. Les médias ne sont pas aussi mauvais. — Hum, si, ils le sont. Jake lui ouvrit la porte, et l’odeur de café bio flotta autour d’eux. — Et comment pourrais-tu défendre les médias ? Tu sais aussi bien que moi que, si je venais simplement en aide à un jeune garçon, cela serait évidemment détourné pour raconter que je lui aurais volé sa glace ou un truc dans le genre. Charlotte lui attrapa la main et la serra. — Les médias ne sont pas contre toi. — Pardon ? T’arrive-t-il de regarder les informations ? Jake serra sa main et refusa de la laisser partir. En fait, il la retenait en otage, pour toujours. Waouh ! Quelle maturité ! Ils s’avancèrent vers un bar où l’on servait du café et des sandwiches. — Ce sera quoi ? demanda la serveuse qui dévisageait Jake de la tête aux pieds en ignorant complètement Charlotte et tous ceux qui pouvaient les entourer. Pourquoi cela le dérangeait-il soudain autant que les femmes le matent et ignorent ouvertement Charlotte ? Agacé, Jake mentit. — Ma fiancée et moi…, eh bien, nous venons juste de récupérer notre certificat de mariage, expliquat-il avant de soupirer amoureusement en regardant Charlotte dans les yeux. Et, en fait, j’aimerais fêter ça en invitant ma petite chérie à prendre sa boisson préférée. Je veux que ce soit aussi délicieux qu’elle. Oh ! bâillonnez-le. Charlotte se tourna vers lui en gloussant légèrement et passa ses bras autour de son cou, entrant dans son jeu, même si elle était un peu raide dans ses bras. Jake murmura « Continue » dans son oreille, et, avant qu’il ne s’en rende compte, elle déclara :

— Mais, bébé, tout ce dont j’ai besoin, c’est toi. Et elle l’embrassa. Soudain… Mince, au diable la main. Il prit sa bouche en otage. Avec un râle, il lui rendit son baiser et glissa sa langue dans sa bouche. Il ne se lasserait jamais de son goût. Il était accro à tout chez elle, la manière dont ses mains jouaient avec ses cheveux sur sa nuque, la sensation de ses dents contre ses lèvres. — Excusez-moi, dit la serveuse bien fort. Il y a des personnes derrière vous, et des enfants sont présents. S’il vous plaît, allez louer une chambre. Jake se détacha avec peine et jeta un regard noir à la serveuse. — Nous en avons déjà une, mais merci pour la suggestion. Deux cafés glacés avec de la crème. Sans lâcher Charlotte, il sortit un billet de vingt de sa poche. — Gardez la monnaie. La serveuse s’empourpra et marmonna un merci tandis que Jake éloignait Charlotte du comptoir avant d’attaquer sa bouche à nouveau. Charlotte ne disait rien, mais il s’en fichait. Mince, s’ils avaient été n’importe où ailleurs que dans un lieu public, il l’aurait déjà déshabillée. Il se serait complètement perdu en elle et ne se serait pas contenté d’une seule fois. Non, cela aurait été un marathon de niveau olympique. Il l’aurait enchaînée au lit pour qu’elle ne puisse pas partir, même si elle l’avait voulu. Waouh ! Il ne se savait pas amateur de bondage et de SM jusque-là. Jusqu’à ce que l’idée qu’elle le repousse et le quitte devienne une réalité potentielle. — Jake. Son assaut avait rendu les lèvres de Charlotte rouge cerise et vraiment enflées. — Elle ne regarde plus. C’est bien pour cette raison que tu as fait ça, n’est-ce pas ? Tu peux t’arrêter. — Oui, dit-il en soufflant. Je suppose. Il essaya de contrôler sa respiration saccadée alors qu’il entendait de l’air passer entre ses lèvres gonflées. — Mais tu continues à m’embrasser. — Oui. — Deux cafés glacés sur le bar ! annonça quelqu’un. Sans attendre que Charlotte pose d’autres questions, Jake attrapa les deux verres et la mena dehors. Après avoir pris une gorgée, elle ouvrit sa séduisante bouche pour parler, mais son téléphone sonna à nouveau. — Oui, grand-mère ? Oui, nous avons le certificat. Non, non, nous… Non… Charlotte posa son portable sur la table en jurant. — Tu crois qu’ils mettraient une goutte de vodka là-dedans si je le leur demandais ? — Je croyais que tu devais arrêter ? plaisanta Jake en faisant un clin d’œil. — La ferme. Grand-mère a besoin de nous pour rassembler tout le nécessaire pour la fête mixte d’enterrement de vie de jeune garçon et de jeune fille. — Attends. Jake marqua une pause, son verre à mi-chemin entre la table et ses lèvres. — Mixte ? — Tu m’as bien entendue. — Pourquoi ? Je croyais que Travis allait me laisser…

— La virilité de Travis n’est plus entre ses mains. Charlotte sirota son café et mâchonna sa paille. — Je crois qu’on est d’accord pour dire que grand-mère le tient d’une poigne d’acier. Jusqu’à ce qu’il soit marié, il restera dans cet état. — Pauvre idiot. — Ne m’en parle pas, dit Charlotte en remuant son café. Si c’était moi qui me mariais, je partirais très, très loin ou je ne le dirais à personne. — Bon plan. Tu l’annonceras à grand-mère après t’être mariée, mais assure-toi de le faire par téléphone ; comme ça, quand elle sortira son flingue, la seule chose sur laquelle elle pourra tirer sera le mur. Le sourire de Charlotte lui mit un coup dans le ventre. Il dut détourner le regard. — Alors, où doit-on aller, maintenant ? Remuant sur sa chaise, Charlotte avala le reste de son verre en évitant de croiser son regard. — Eh bien, euh… Grand-mère avait prévu un thé, mais l’a annulé ce matin. — Pourquoi ? — Pétunia arrive. — Ah ! Grand-tante Pétunia. Les souvenirs de tante Pétunia étaient tous très chaleureux : elle lui tricotait la plus hideuse des écharpes chaque Noël, mais n’oubliait jamais de lui envoyer une carte d’anniversaire. Elle avait même assisté à toutes ses remises de diplôme et à quelques-uns de ses matches de base-ball. Quel dommage que grand-mère et Pétunia se détestent ! — Mais attends : pourquoi vous ne prenez pas le thé, vous ? Charlotte fit la grimace. — Eh bien, il semblerait que grand-mère ait prévu quelque chose de plus animé pour la visite de Pétunia. — Animé comment ? Charlotte ne répondit pas.

38 Jake se tenait au milieu de la Salle des plaisirs et essayait de garder les yeux concentrés sur la démonstratrice qui lui expliquait comment allait se passer la séance. Ses lèvres bougeaient, mais il avait bien des difficultés à faire attention à ce qu’elle disait. Comme n’importe quel autre mec, il était mal à l’aise. — Voilà, fit la vendeuse en sortant une feuille de papier. Faites simplement une croix en face de tous les produits que vous voulez que je présente. Je m’assurerai de les faire au plus tôt. Oh ! et il y a des frais supplémentaires pour les costumes. — Les costumes ? Elle acquiesça d’un signe de tête. — Oui, bien sûr ! Je pensais que Nadine vous en avait parlé au téléphone ! La fête sera costumée. Elle a choisi le thème : « Cuir et dentelle » ! Fantastique, non ? La vendeuse fit éclater une bulle de chewing-gum et fit un clin d’œil à Jake. Il faillit s’étouffer avec sa langue. — Donc, vous apportez les costumes, et on… — … vous les porterez, continua-t-elle avec le sourire. Pendant que je présenterai les produits, les gens mangeront, boiront du vin… — Du scotch, corrigea Jake. De grandes quantités de scotch. — Comme vous voulez, oui. Et les gens pourront aller dans des chambres et regarder les articles de plus près, si vous voyez ce que je veux dire. Elle se mordit la lèvre et pressa le bras de Jake. — Super, dit sèchement Charlotte à sa droite. J’attendais justement pour essayer le, euh… Elle lut la liste. — … le pack « Fouette-moi » depuis longtemps. Jake jeta à Charlotte un regard désespéré. Elle ne pouvait pas s’attendre à ce qu’il reste de marbre. Comment était-il censé se concentrer ? Du cuir ? De la dentelle ? Des fouets ? Il s’agrippa à la table et essaya de garder sa respiration régulière. — Bon, je vous laisse décider, tous les deux. — Très bien ! lança Jake. Sa mâchoire était tellement crispée qu’il allait finir coincé. Une fois que la vendeuse ne put plus les entendre, Jake souffla et se pencha au-dessus de la table. — Tu vas bien ? demanda Charlotte en lui tapotant le dos. — Ne me touche pas. Il ne voulait pas paraître désagréable, mais il était vraiment à deux doigts de péter un plomb. — Ah ! Mince, Charlotte continuait à le toucher. — La tension sexuelle. Cela fait longtemps, mon vieux ? Tu es un peu… tendu ? Ses mains passèrent sur son dos, puis remontèrent sur sa nuque. Il émit un râle guttural. — Je vois que vous appréciez la liste ! dit la voix de la démonstratrice de la pièce d’à côté. Jake se secoua un peu et s’écarta de Charlotte.

— Choisissez ! lui lança-t-il. Mets toi-même les croix devant les machins. Ça m’est égal. — Vraiment ? Charlotte s’avança lentement vers lui. Même le métal froid du comptoir qui appuyait contre son dos ne suffisait pas à calmer ses ardeurs. — Ça t’est égal ? — Oui, mentit-il. Oh ! bien sûr que ça l’intéressait ; ça l’intéressait beaucoup trop même. — Et… Elle leva la feuille et lut le nom de certains articles qu’il n’aurait même pas su épeler. — Tu penses que ça sera bon ? — Dieu et grand-mère ont une dent contre moi, dit-il honnêtement. Voilà ce que je pense. Et je pense aussi… Il s’éloigna du comptoir et se dirigea vers Charlotte qui recula. — … que, si tu n’arrêtes pas de me regarder comme ça, je ne pourrai répondre de mes actes. — Comme quoi ? Ses yeux imploraient les siens. Merde, ils la suppliaient presque de l’embrasser. Il se retourna en jurant, rompant le contact visuel. — Comme ça. — C’est bon ? demanda la vendeuse qui revenait. — Pas vraiment, répondit Charlotte en lui tendant la feuille. Pouvez-vous choisir pour nous ? Je suis sûre que ce sera très bien. La dame attrapa le papier en haussant les épaules, puis leur tendit une carte. — J’y serai vers dix-neuf heures pour tout préparer. À ce soir ! — Ce soir ? dirent Jake et Charlotte à l’unisson. La vendeuse sembla perplexe. — Oui, ce soir. On m’a dit que le dîner de répétition avait lieu samedi, et, aujourd’hui, nous sommes vendredi. C’est la seule soirée disponible pour ce genre de démonstration. — Bon, et combien de temps cela dure-t-il ? demanda Jake. — Oh ! chéri, dit-elle avec un clin d’œil. Si c’est la seule question que tu te poses, c’est que tu t’y prends mal. Charlotte dut le forcer physiquement à sortir de la boutique. Je m’y prends mal ? Je m’y prends mal ? *** À en croire l’expression sur le visage de Jake, il était prêt à frapper quelqu’un. — Holà ! Tout doux, cow-boy. Calme-toi. Elle l’amena jusqu’à la voiture, sentant chaque centimètre carré de ses muscles contracté sous ses mains. — Je m’y prends mal ? répéta-t-il, cette fois avec une voix plus douce, comme s’il essayait vraiment de savoir s’il s’y prenait mal depuis toujours. Charlotte ? Il leva les yeux. Oh non ! — Hum ? fit-elle en jouant avec ses cheveux et en regardant ailleurs. — C’est vrai ? — Quoi ? Il ne dit plus rien, mais tempêta pendant quelques secondes.

— Tu sais très bien de quoi je parle, finit-il par dire. — Non. — Si. — Non, je ne crois pas… — Charlotte. Jake contourna la voiture pour l’attraper. Elle aurait certainement dû tourner ses inquiétudes en dérision et se dégager. Il aurait été plus intelligent de mentir effrontément, mais elle ne pouvait pas, pas quand il la touchait comme ça. Ni quand son visage déterminé était si près du sien. — Réponds-moi. Alors que son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine, Charlotte déglutit et répondit : — Tu pourrais me rafraîchir la mémoire parce que ce souvenir est un peu flou… Il afficha soudain un large sourire. — Ah oui ? — Oui. — Je crois que je peux arranger ça. Ses mains glissèrent le long de ses flancs. Puis, son fichu téléphone sonna à nouveau. Le boulot. Merde. Jake recula d’un pas tandis qu’elle appuyait surIGNORER. — Quelque chose ne va pas ? demanda-t-il avec un air inquiet. — Non. Ça va vraiment très bien. Elle se mit sur la pointe des pieds et l’embrassa fougueusement sur la bouche. Il remit ses deux mains sur chacun de ses côtés et utilisa son corps pour la pousser contre la voiture. — Qu’est-ce qu’on est en train de faire ? murmura-t-il contre ses lèvres. — On s’embrasse. La langue de Jake plongea dans la bouche de Charlotte. Sa manière d’embrasser, son goût étaient impossibles à décrire. La chaleur monta dans toutes les parties de son corps ; ses nerfs étaient à fleur de peau, si bien que le moindre contact de sa langue envoyait des frissons jusqu’à ses orteils ; et, même lorsqu’il ne faisait que l’effleurer, elle se liquéfiait à ses pieds. Tout ce qu’il faisait semblait l’enflammer, la marquer au fer. Si c’était ça, un baiser, ceux des autres hommes n’auraient plus jamais d’intérêt pour elle. Il recula légèrement. — Es-tu sûre de vouloir faire ça ? Elle ne l’avait jamais vu aussi vulnérable. Ses yeux étaient pleins de désir, mais c’était plus que ça ; il y avait le désir, mais aussi le doute. Toute sa vie, elle avait voulu être celle qui lui ôterait ses doutes, être son roc. Elle avait toujours voulu le beurre et l’argent du beurre, des amis qui tombaient amoureux, et là, elle sentait qu’elle pouvait les avoir. — J’en suis sûre. Le portable sonna à nouveau. Jake lâcha un juron. — Sérieusement, je vais balancer ton téléphone dans la rivière. Elle jeta un rapide coup d’œil et soupira. — C’est grand-mère. Si on ne répond pas, on devra en subir les conséquences. Jake prit le téléphone de la main de Charlotte et décrocha avant de mettre le haut-parleur.

— J’espère que c’est important. Son regard s’assombrit alors qu’il s’humectait les lèvres. — Je suis en train de mourir ! gémit grand-mère. — Où es-tu ? cria Jake. — À la maison ! Dépêchez-vous ! — Merde ! Jake déverrouilla les portières de la voiture, et ils montèrent à bord. Prise de panique, Charlotte ne put que se cramponner au siège et espérer que tout irait bien pour grand-mère. Ça ne pouvait pas tomber moins bien !

39 Jake arrêta la BMW devant la maison, sortit et courut vers la porte d’entrée sans avoir coupé le moteur. — Grand-mère ! — Jake ! Elle surgit devant la porte, son sac à la main. — Emmène-moi à l’hôpital. Il marqua un temps d’arrêt. Elle semblait aller très bien. En fait, elle portait un joli tailleur-pantalon blanc et ses immenses lunettes de soleil noires. Elle passa près de lui d’un pas lourd et ouvrit la portière arrière. — Salut, Charlotte. Elle fit claquer la portière derrière elle. Et là, Jake vit l’objet du mépris de sa grand-mère passer la porte de la maison. Pétunia. À ses traits tirés, Jake devina que la rencontre ne s’était pas bien passée. Pétunia portait un cardigan oversize rose sur un haut à col roulé, même si c’était l’été. On pouvait apercevoir des collants chair sous sa longue jupe en jean. La tenue était complétée par une paire de chaussures orthopédiques. — Oh ! Jake ! lança Pétunia. Tu m’as manqué, mon garçon ! Il passa ses bras autour d’elle et l’étreignit. — Tante Pétunia, tu sembles toujours avoir cinquante ans. — Oh ! toi ! Elle lui donna une petite tape. Ses cheveux blancs étaient tirés et attachés sur le haut de sa tête ; ses lunettes surdimensionnées glissaient sur son nez. Elle les remonta et mit ses mains sur ses hanches. — Elle n’est pas mourante, au fait. — Ouais, j’ai vu ça. Jake regarda la voiture, où grand-mère venait de finir de se remettre du rouge à lèvres. — Elle n’a pas de voiture, dit Pétunia en regardant par-dessus l’épaule de Jake. Le reste du clan est parti faire des courses pour le mariage, nous laissant, Nadine et moi, seules. — Est-ce que j’ai du sang à essuyer ? Jake regarda derrière elle vers l’intérieur de la maison. — Ou des objets cassés à ramasser ? Quelque chose ? — Bien sûr que non, dit Pétunia en riant doucement. J’ai simplement eu une conversation avec Nadine concernant sa tenue criarde. — Mais elle porte du blanc, fit remarquer Jake en se grattant la tête, perplexe. Tu n’aimes pas le blanc ? — Ce n’est pas la couleur, chéri. Elle porte des talons aiguilles rouges, et, quand elle me les a montrés, tu sais ce que j’ai vu ? — Quoi ?

— Un tatouage ! cria Pétunia avant de faire un signe de croix sur son cœur et sortir un chapelet. — C’est probablement un faux, mentit Jake. O.K. Grand-mère s’était probablement fait tatouer uniquement pour énerver sa sœur. — Non ! Je lui ai posé la question ! Pétunia rangea son chapelet dans son chemisier et soupira. — Je ne veux simplement pas qu’elle aille en enfer. Est-ce trop demander ? — Les tatouages n’envoient pas les gens en enfer. — Tu as raison, dit Pétunia en se redressant. C’est Dieu qui le fait, et, à la minute où il verra ce tatouage, le sort en sera jeté ! Vexée, elle se retourna et rentra dans la maison. Les femmes… Jake regagna la voiture en se frottant la nuque et tapa à la vitre. Grand-mère la baissa, mais refusa de le regarder dans les yeux. Elle se contenta de faire la moue et fixer devant elle. — Bon, vas-y, dit-elle. Sois insolent et fais-moi la morale. — Grand-mère, je ne vais pas être insolent, dit Jake, sidéré. Mais pourquoi n’essayez-vous pas simplement de vous entendre ? — J’ai mis du blanc ! Elle tendit le doigt en direction de la maison. — Et cette, cette femme, a dit que j’étais une abomination ! — Je vois, mais tu aurais peut-être dû cacher ton tatouage. — Monsieur Casbon m’a offert ce tatouage à Hawaii l’hiver dernier. C’était un cadeau. Je ne peux pas dire non à un cadeau. — Monsieur Casbon ? demanda Charlotte, à l’avant. — Un voisin, marmonna Jake. Ne pose pas de questions. — Il a un déambulateur, maintenant, ajouta grand-mère. C’est plus difficile pour lui de passer me voir, même s’il se montre plus inventif ces derniers temps. Elle rit bêtement. — Vous le verrez au mariage, finit-elle. — Je suis impatiente, dit Charlotte avec un grand sourire et en faisant un clin d’œil à Jake. — Très bien, fit-il en ouvrant la portière. Montre-moi ça. — Je ne vois pas du tout de quoi tu parles. — Relève le bas de ton pantalon. Et montre-le-moi. Si tu ne me laisses pas le voir, je l’annonce dans le bulletin de l’église. Grand-mère retint son souffle. — Tu n’oserais pas ! — Il oserait, intervint Charlotte. Croyez-moi, il a de qui tenir. Grand-mère afficha un large sourire. — Ça, c’est mon garçon. — Lève, insista Jake, ignorant le compliment. — D’accord. Grand-mère releva le bas de son pantalon. Le tatouage était très coloré ; en fait, cela aurait été un très joli tatouage si la femme en jupe hawaïenne n’avait pas été nue. — Une bouteille de rhum Sailor Jerry, devina Jake. En entendant Charlotte retenir son souffle, grand-mère dit :

— C’est un classique ! On le voyait partout pendant la guerre ! — Un nu est un nu, que ce soit la guerre ou pas, dit Jake. — Topless, répliqua grand-mère en haussant les épaules. Elle n’est pas nue. Ce n’est pas comme si j’avais les filles… — Et tu continues, l’interrompit Jake. Alors, qu’est-ce qu’on fait ? Charlotte et moi devons nous occuper de cette soirée mixte que tu as sortie de nulle part, et tu ne veux rien avoir à faire avec Pétunia. Avec un soupir théâtral, grand-mère descendit de voiture. — C’est bon, je vais être gentille. Mais ne laissez pas cette, cette femme m’approcher ! — Grand-mère, dit Jake en lui embrassant la main. Je savais que nous tomberions d’accord. — Voyou ! lança-t-elle en lui faisant un clin d’œil. Tu as toujours été mon préféré. — C’est marrant, je t’ai entendue dire la même chose à Travis il n’y a pas très longtemps. — Oui, O.K., mais, maintenant, il est sur ma liste noire. Charlotte éclata de rire. Grand-mère s’adressa à elle : — Je sais, je parle de liste noire, mais c’est la vérité. Il est sorti de sa chambre en douce ! Et il faut dire qu’il n’est vraiment pas doué pour ça. Il me remerciera après la nuit de noces. Enfin, s’il ne meurt pas avant. Mais, au moins, s’il meurt, ce sera en homme pur et pas en pécheur. — Je pense que Kacey et lui ont déjà… — Chut, c’est bon. Je vais chercher de la vodka. Je vais avoir besoin d’alcools forts si je dois respirer le même air que Pétunia la Prude. Charlotte descendit de voiture et les suivit. — Grand-mère, il n’est que dix heures du matin. — Chérie, dit grand-mère en se retournant pour faire face à Charlotte. Quand tu as quatre-vingt-six ans et que tu as eu une vie longue, heureuse et bien remplie, la dernière chose à laquelle tu fais attention, c’est l’heure. Alors, il est dix heures du matin ? It’s five o’clock somewhere ! Sur ce, elle s’éloigna en dansant. — Hum, dit Charlotte. — Quoi ? Jake la prit par le bras. — J’essaie de savoir ce qui m’effraie le plus. — Hein ? Jake s’arrêta de marcher. — Grand-mère en train d’écouter cette chanson country ou le fait qu’elle commence à boire neuf heures avant la fête ? — Elle se déguisera peut-être en abat-jour, concéda Jake. Mais, tu l’as entendue, et ses paroles font loi. — Alors, peut-être qu’avoir quatre-vingt-six ans, ce n’est pas si mal, conclut Charlotte en riant. — Vis selon ses règles, commença Jake en montrant du doigt la cuisine, où grand-mère se servait un petit remontant, et je suis sûr que non.

40 — Ouvre la porte, Charlotte. Ça ne peut pas être si horrible. Jake tapa à la porte pour la dixième fois et attendit. Charlotte jura de l’autre côté. — Charlotte ? J’attends. On est les hôtes de la soirée plaisir. — Ne l’appelle pas comme ça, dit-elle. — Comment veux-tu que je l’appelle ? Elle ouvrit la porte en grognant. — Ne rigole pas. Rigoler ? Était-elle folle ? Elle ressemblait à Britney Spears en plus sexy et avant qu’elle ne soit folle. Ses longs cheveux châtains étaient lissés et couvraient sa poitrine. Elle portait un chapeau en cuir assorti à sa robe courte. Elle posa ses mains sur ses hanches ; elles étaient recouvertes de gants en dentelle. — Retourne là-dedans, marmonna-t-il. Les yeux de Charlotte s’écarquillèrent tandis qu’elle reculait. Jake ferma la porte d’un coup de pied alors que sa bouche trouvait la sienne. Il la souleva sur le meuble, et elle enroula ses jambes autour de sa taille. — Bon sang, ce que tu es bonne. Il embrassa son cou découvert. Elle pencha la tête en arrière et laissa échapper un doux soupir féminin tandis que ses doigts s’enfonçaient dans son dos. — C’est l’heure ! dit quelqu’un en donnant de grands coups dans la porte. — Non, protesta Jake sans détacher ses lèvres du cou de Charlotte. — Oh ! mais si. La porte s’ouvrit brusquement, révélant la dame du magasin. — Je vois que vous essayez certains articles. Les costumes marchent à tous les coups. Jake s’écarta de Charlotte en pestant et en essuyant sa bouche du revers de la main. — C’est votre tour, déclara la dame en tendant une tenue à Jake. Tout le monde est prêt sauf vous. — Je vois, dit-il en regardant le costume. Merci de me le rappeler. Elle resta là et attendit que Charlotte parte avant de refermer la porte. La tenue de Charlotte semblait tout droit venue de ses fantasmes les plus fous ; la sienne ne pouvait pas être aussi horrible que ça, n’est-ce pas ? *** — As-tu vu Jake ? demanda Jace alors qu’il s’asseyait en face de Charlotte. Je voulais lui poser des questions à propos de son discours. J’aimerais bien faire quelque chose demain soir, moi aussi ; enfin, s’il arrête de faire l’autruche et accepte de me parler. Charlotte lui adressa un sourire poli. — Je ne l’ai pas encore vu, mais je suis sûre que cela lui sera égal. — Il ne te mérite pas, tu sais, dit Jace d’une voix si basse que seule Charlotte put l’entendre.

— Pardon ? Charlotte prit une gorgée de vin et sourit alors que les invités affluaient dans le vaste séjour. — Jake, répondit Jace en venant s’asseoir près d’elle sur le canapé. Il est joueur. Ce type est très fort dans ce qu’il fait, mais il ne s’engage pas. Tu devrais pourtant le savoir, ajouta-t-il avec un soupir. Les choses avec lui… Les relations avec ce genre de mec… Elles seront toujours difficiles à gérer. Et, au final, tu as toujours cinquante pour cent de chances que ton cœur soit brisé. — Merci de t’en inquiéter. Jace lui fit un clin d’œil. — C’est de l’égoïsme de sa part, du pur égoïsme. Je te trouve magnifique. Nous n’avons refait connaissance que depuis quelques jours, mais j’aimerais beaucoup t’inviter à sortir. — Eh bien, euh… Jake et moi, tu vois…, nous sommes… — Mesdames et messieurs, le témoin a proposé de faire une danse pour nous ! « Proposé », mais bien sûr, pensa Charlotte. Il avait probablement été contraint – ou drogué. On baissa les lumières, et un spot éclaira l’entrée. La chanson de Big and Rich, Save a Horse, Ride a Cowboy, retentit de la chaîne hi-fi. Jake apparut en jambières de cuir, avec ce qui ressemblait à un short de bain, mais rien, en haut. Enfin, à l’exception d’une cravate en dentelle et un chapeau de cow-boy noir. Super sexy. Ce type ouvrait vraiment l’appétit. À l’évidence, la vendeuse l’avait enduit d’un de ses produits : un liquide huileux faisait briller tout son torse. Charlotte resta bouche bée quand le regard de Jake croisa le sien. En se pavanant d’un air déterminé, il se dirigea vers elle. On glissait des billets dans son slip tandis qu’il traversait le salon. Il s’arrêta devant elle et s’appuya avant d’enfourcher ses genoux. Bon sang, bon sang… Elle regarda tout autour d’elle comme pour appeler à l’aide. Allait-il réellement lui faire une sorte de lap dance de cow-boy ? Comme dans Magic Mike ? Devant tous les invités du mariage ? Et grand-mère ? Il lui adressa un clin d’œil et se mit à bouger. Il articula un « Désolé » silencieux lorsqu’il mit un coup de coude dans la tête de Jace en exécutant une rotation. Bouge ton corps, Channing Tatum. Mince, elle allait faire une attaque. Le refrain arriva, et tout le monde chanta en chœur : « Save a horse, ride a cowboy ! » Jake inclina son chapeau vers Charlotte et quitta ses genoux. Si cela n’avait tenu qu’à elle, il y serait resté toute la soirée. Il traversa la pièce avec sa grâce de panthère. Ses cheveux blond foncé tombaient sur son visage et étaient légèrement ondulés. Elle ne savait trop si c’était la sueur ou l’huile qui les faisait boucler. Mais elle n’avait jamais remarqué qu’ils bouclaient autant naturellement, ni que c’était si sexy qu’elle pourrait littéralement pousser grand-mère sous un bus pour passer ses mains dans les cheveux de Jake. Plusieurs autres filles criaient son nom. Il dirigea son attention vers elles et se mit à danser pour leur groupe. — Qu’est-ce que je disais ? dit Jace à côté d’elle. Joueur un jour, joueur toujours. Tu crois qu’il changera un jour ? Pour toi ? Il n’avait pas prononcé ces deux derniers mots à haute voix, mais Charlotte les ressentit comme un coup dans la poitrine. La musique s’arrêta ; tout le monde applaudit. Charlotte baissa les yeux sur ses genoux et joua avec le pied de son verre à vin. — Et maintenant, veuillez accueillir les futurs mariés, accompagnés par une invitée spéciale ! Travis, l’air malheureux, parcourut l’entrée. Il semblait immense, tout de muscles saillants et de force brute. Il portait un costume d’homme des cavernes en cuir. Le pauvre, il avait visiblement tiré le mauvais

numéro. Kacey était vêtue d’une jupe courte en cuir blanc et d’un chemisier en dentelle blanche. Elle semblait prête à faire la fête. Grand-mère les suivait. En costume de chat, ce qui n’aurait pas été si surprenant si elle n’avait pas tracé des moustaches sur son visage. Cela n’étonnait personne ; c’était grand-mère. — Que la fête commence ! cria-t-elle. Kacey sirotait son vin tandis que de la techno retentit. Les personnes dans la salle se mêlaient et riaient, mais Charlotte se sentait très seule. Comme si on lui avait ôté toute envie de se battre. Avec cette robe, elle n’avait pas pu prendre son téléphone portable avec elle ; alors, elle était officiellement la fille triste qui fixait la table lors d’une fête qu’elle était censée organiser avec Jake. Jace se pencha à sa droite. — Tu veux que je remplisse ton verre de vin ? Elle aurait accepté n’importe quoi pour la débarrasser de lui et de son attitude condescendante. — Oui, merci. Elle lui tendit son verre et fixa Jake qui continuait à flirter et discuter avec des connaissances communes que Charlotte n’avait pas vues depuis un bail. Il s’agissait des autres demoiselles d’honneur. Techniquement, il revenait à Charlotte de faire les présentations et d’être le centre d’intérêt, mais elle avait plutôt envie de s’affaler. — Charlotte ! Jake l’appela de l’autre côté de la salle en lui faisant des signes. Elle essaya de ne pas avoir l’air renfrogné et se leva du canapé en sentant son visage chauffer alors que les filles la dévisageaient. On mesurait parfaitement la compétition. Quand elle fut assez proche, Jake l’enlaça et la retint en otage. — Voilà Charlotte. Il me semble que certaines d’entre vous sont allées au lycée avec elle. — Vraiment ? demanda Charlotte, ne reconnaissant aucun des visages. — Ouais, dit Jake en pressant son épaule. Vraiment ? Tu ne t’en souviens pas, Britney ? — Euh… Une grande blonde avec une grande bouche et des yeux marron tendit la main. — Ravie de te revoir. Note : Britney était gentille et avait un sourire très doux. — Et Lilian, dit Jake en désignant une Asiatique avec des mèches bleues dans les cheveux. Charlotte ne l’avait jamais vue auparavant, mais elle lui serra quand même la main. — Je sais que tu te souviens de moi, dit la fille suivante avec une pointe d’amertume dans la voix. Elle faisait à peu près la taille de Charlotte et avait les cheveux bouclés, un peu comme une Kardashian. — Amy… — … Stevens, termina Charlotte. Clairement, Dieu avait terminé de punir Jake et s’en prenait maintenant à elle. Super. Quelle était la probabilité de la revoir ? La fille avec qui ils avaient été au camp d’ados ? Et pourquoi Kacey l’avaitelle invitée à sa fête de mariage ? Sérieusement ? Pour sa défense, Kacey n’avait jamais su pourquoi Charlotte détestait Amy. Charlotte avait été trop gênée par son obsession pour Jake pour le lui dire. D’après ce qu’elle savait, Amy était restée en contact avec Kacey. Techniquement, c’était la faute de

Charlotte si cette fille était là ; elle était tellement concentrée sur son travail que, lorsque Kacey lui avait envoyé tous les renseignements à propos des demoiselles d’honneur, Charlotte avait quasiment tout ignoré et avait été d’accord avec ce qu’elle proposait. Maintenant, elle regrettait de ne pas avoir lu consciencieusement les mails de son amie. Comment avait-elle pu rater le nom d’Amy ? — Ravie de te revoir, Charlotte. Le sourire d’Amy n’atteignait pas ses yeux, et, après quelques secondes inconfortables, elle toucha légèrement le bras de Jake. — Alors, parle-moi de ta vie. J’adorerais qu’on rattrape le temps perdu ; ça fait une éternité. Charlotte fut écartée aussi facilement que ça. Jake lui jeta un coup d’œil et lui adressa un sourire pitoyablement gentil, qui ne fit qu’empirer les choses. Si c’était un pauvre type, au moins, elle pourrait être en colère contre lui. Mais quand il était gentil ou quand elle avait l’impression qu’il avait pitié d’elle ? Ça craignait… grave. — Voilà ton vin, dit Jace qui apparut à ses côtés. Salut, la chirurgie esthétique. Il secoua la tête et fixa Amy et Jake. Charlotte émit un râle guttural et prit le verre de la main de Jace. — Tu vas bien ? lui demanda-t-il. Charlotte souffla et se mit face à lui. Pourquoi ne pouvait-elle pas l’aimer ? Peut-être que, si elle fermait les yeux, elle arriverait à croire que c’était Jake, et pas Jace, qu’elle embrassait ou touchait. Tous les hommes échoueraient-ils en comparaison de Jake ? Vivrait-elle le restant de sa vie en commençant par les comparer à lui ? — Votre attention, s’il vous plaît ! Veuillez regagner vos places ! La démonstratrice se rendit au milieu de la salle et se mit à sortir lentement différents gadgets de leur boîte et à les installer sur une nappe en velours noir. Charlotte n’était pas prude, mais même elle était choquée. Impuissante, elle regarda vers Jake : il était encore en pleine conversation. Elle parcourut la salle des yeux. Kacey riait, Travis regardait Kacey amoureusement, et grand-mère était… Oh ! super. Grand-mère traînait Pétunia dans le hall pour assister au spectacle. Un combat épique allait éclater. Charlotte eut un mouvement de recul quand on baissa les lumières. La table luisait. Mince. — Alors, dit la vendeuse en tapant dans ses mains. Je suis Lola. Je serai votre experte consultante en plaisir pour la soirée. Jake s’étouffa à côté d’elle. Charlotte lui tapa dans le dos et il siffla un merci. — Pour rendre cette soirée plus intime, j’ai disposé différents articles sur des tables dans les chambres libres. J’ai aussi apporté de magnifiques pièces de lingerie issue de notre collection romantique. Parfaites pour la future mariée ! — Ici, ici ! cria Travis. La pièce se remplit de rires nerveux. — Bon…, fit Lola à l’autre bout de la table. Après une demi-heure de présentation, Charlotte était contente que les lumières soient baissées. Son visage était probablement aussi rouge qu’une tomate. Après la démonstration du dernier article, Jace chuchota près d’elle :

— Est-ce que ça amoindrit mes qualités d’homme si j’admets que je ne connaissais pas la moitié de ce dont elle a parlé ? — Non, cela fait de toi un homme normal, dit Charlotte. — Bien, parce que j’ai commencé à m’inquiéter au bout de quelques minutes. Charlotte se mit à rire et lui tapota le bras, juste au moment où les yeux de Jake tombèrent sur sa main, de l’autre côté de la pièce. Il secoua la tête, les lèvres pincées, et traversa le hall. — Des questions ? demanda Lola. Les lumières se rallumèrent. Grand-mère titubait au milieu de la pièce avec son verre de vin. Pétunia n’avait pas voulu se battre. Ou alors, elle était morte. Les jurés délibéraient encore. Ses yeux étaient fermés et elle était assise sur le canapé, la bouche ouverte. — Vous l’avez tuée, dit Charlotte en montrant Pétunia du doigt. — Je l’ai droguée, corrigea grand-mère en faisant une petite pirouette. Elle n’aurait pas arrêté de se plaindre de la fête. Alors, j’ai écrasé un Benadryl que j’ai mis dans son jus de fruits. — Grand-mère ! la réprimanda Charlotte. C’est dangereux ! Elle prit une longue gorgée de vin. — Je suis sortie avec un pharmacien à une époque. — Cela ne fait pas de vous une pharmacienne. — Oh ! ce n’est qu’un détail. Charlotte se pinça l’arête du nez et décida de ne pas s’engager dans cette bataille. — Tu vas bien, ma chérie ? demanda grand-mère, visiblement inquiète. — Mal à la tête. Mal au cœur ; c’était à peu près la même chose. — J’ai de l’aspirine dans ma chambre. Va chercher un cachet ; ils sont sur ma table de nuit, à côté du Benadryl. Assure-toi simplement de bien prendre la pilule blanche et pas la rose. Avec la pilule rose, tu serais ronde comme une queue de pelle. Charlotte acquiesça et quitta le hall pour prendre un cachet d’aspirine. La chambre de grand-mère se trouvait au rez-de-chaussée parce qu’elle détestait monter les escaliers. Kacey avait raconté que l’année dernière, grand-mère avait eu envie de s’installer à l’étage parce qu’elle avait vu le film Là-haut et pensé que ce serait amusant d’avoir un fauteuil monte-escalier, un peu comme un manège. On le lui avait refusé. Charlotte poussa la porte en soupirant et trouva Jake et Amy enlacés. Les bras d’Amy entouraient fermement son cou, et elle ne portait rien d’autre que la lingerie bon marché de la démonstration. Jake la repoussa, puis vit Charlotte. — Ça te dérangerait de nous laisser tranquilles ? cracha Amy en direction de Charlotte. On est un peu occupés, là. — Charlotte, attends ! cria Jake. Mais elle courait déjà, et en escarpins à plates-formes qui plus est, pour traverser le hall et passer la porte d’entrée.

41 — Bon sang, Amy ! cria Jake. Qu’est-ce qui cloche chez toi ? Je t’ai dit que je n’étais pas intéressé. — Tu en avais pourtant l’air. Elle arqua les sourcils alors qu’elle essayait de se rapprocher de lui. Jake leva les mains pour l’arrêter. — Sérieusement, je ne suis pas intéressé. Ni maintenant ni jamais. — Les gars comme toi… — Les gars comme moi, quoi ? dit-il d’un air méprisant. Termine ce que tu allais dire. Elle se lécha les lèvres et croisa les bras. — Ils ne disent pas non. Jake acquiesça. — Tu as raison. Amy afficha un sourire vicieux en approchant. — Je ne dois plus être ce genre de gars. Il sortit de la chambre comme un ouragan pour partir à la recherche de Charlotte. Une heure plus tard, il ne l’avait toujours pas trouvée pour lui faire des excuses. La seule raison pour laquelle il était dans cette chambre au départ, c’était parce qu’Amy avait tellement bu qu’il ne voulait pas qu’elle gâche la fête en causant une scène : il l’avait vue mettre des cachets dans son dernier verre de vin. Étouffant un autre juron, Jake monta à l’étage pour enlever l’huile qu’il avait sur le corps et enfiler une tenue qui ne lui donnait pas l’air d’un gigolo mal payé. C’était marrant de se rendre compte que, quelques mois plus tôt, ça ne l’aurait pas du tout dérangé. Là, il se sentait crasseux, sale, vulgaire. Il attrapa une serviette humide et commença à essuyer l’huile quand un téléphone se mit à sonner. Il regarda sur la table de nuit. C’était le portable de Charlotte, et l’écran indiquait que l’appel venait de son travail. Comme elle avait ignoré son téléphone tout le week-end, il décida de l’ignorer, lui aussi. Mais, dix minutes plus tard, après deux appels manqués, il perdit patience. — Allô ? aboya-t-il quand il sonna pour la troisième fois. — Qui est-ce ? demanda une voix masculine. — Jake Titus. Pourquoi ? Qui êtes-vous ? — Mike Cromwell. Je suis le patron de votre petite amie. Jake n’eut pas la force de dire qu’ils étaient tout sauf ensemble et que Charlotte prévoyait probablement de le tuer pendant son sommeil. — Que puis-je faire pour vous, Mike ? — Vous pouvez dire à Charlotte qu’elle a exactement six heures pour me fournir un sujet ou elle est virée. — Un sujet ? répéta Jake. N’importe quel sujet ? — Non, idiot. Sur le mariage. Elle était censée couvrir le mariage. — Mais… Mike raccrocha. Abasourdi, Jake s’assit sur le lit, le téléphone toujours en main. Alors, tout ça, c’était pour un

reportage ? Elle était gentille pour profiter de lui ? Comme toutes les autres filles. Charlotte voulait quelque chose, mais, maintenant, il se demandait si ce qu’elle voulait n’était pas ce qu’il acceptait de lui donner. Son corps ? Il eut un déclic. Peut-être qu’elle lui avait fait dépasser son point de rupture, mais il en avait assez. Non, il en avait plus qu’assez. Comment avait-elle pu lui faire ça ? Après tout ce qu’il lui avait dit ? Tout ce qu’ils avaient partagé ? Pour elle, tout ce qu’il valait, c’était un sourire éclatant et un sujet de reportage ? Mais pour lui ? Elle représentait tout. Les visages sans nom de toutes ses conquêtes passées apparurent dans sa tête. Toutes les femmes, le sexe, les soirées… Elles avaient toutes voulu quelque chose de lui, que ce soit son argent, son statut, son lit. Et Charlotte ? Elle s’était avérée être la pire de toutes parce qu’elle avait prétendu être son amie. Elle avait pris une telle place dans sa vie que l’idée de l’effacer était horrible. Il avait l’impression qu’il allait être malade. C’était donc ça qu’on ressentait quand on était trahi ? La sensation qu’on vous plantait des couteaux dans le ventre et dans le dos, une perte de contrôle absolu sur ses propres émotions ? Eh bien, il détestait ça. Il détestait le fait que Charlotte soit celle qui lui fasse ressentir ça. Il n’en avait jamais attendu moins des autres femmes parce qu’il savait ce qu’étaient ces relations. Elles voulaient quelque chose chez lui et il voulait quelque chose chez elles. Les deux partis étaient satisfaits. Mais là ? Il se sentait vidé, comme s’il venait d’offrir à Charlotte tout ce qu’il possédait dans l’espoir qu’elle lui fasse au moins un câlin en lui disant merci, plutôt que de lui passer dessus avec un semi-remorque. Il détestait devoir la mettre dans le même panier que les autres femmes. Il détestait l’idée que son nom soit inscrit à côté de leurs noms. Mais… Finalement, elle était exactement comme elles. La nausée l’envahit. Il posa le téléphone. Les mains tremblantes, il se passa les doigts dans les cheveux. Charlotte voulait seulement un morceau de Jake Titus, la risée de la famille. Ce qui ne pouvait signifier qu’une chose : il avait été prêt à sauter de la falaise de l’engagement sans parachute. Eh bien, si elle voulait un sujet, elle en aurait un. Pas question qu’il la laisse lui faire porter le chapeau pour avoir perdu son boulot. *** Une heure plus tard, Charlotte retourna dans sa chambre. Ses joues étaient enflammées, et ses cheveux, décoiffés. — Où étais-tu ? demanda Jake. Charlotte leva les yeux au plafond et essaya de ressortir, mais Jake l’attrapa par le bras et la tira à l’intérieur. — J’étais inquiet. — Oh ! épargne-moi. Tu avais l’air très inquiet dans les bras d’Amy. Jake marmonna et s’éloigna d’elle. — Je n’avais pas envie d’elle et je n’ai toujours pas envie d’elle, mais, pour croire mes paroles, encore faudrait-il que tu me fasses confiance. Ce qui veut dire que je devrais te faire confiance, moi aussi. Et ce n’est pas le cas. Charlotte jeta son sac à main par terre et fonça sur lui. — Comment oses-tu ?! Je n’ai rien fait pour… Il lui tendit son portable. — Mike a appelé.

— Tu n’es qu’un imbécile ! Charlotte lui arracha le téléphone des mains. — Tu as répondu ? C’est personnel. — Tu as de la chance que je sois un mec bien. Elle souffla. — Alors, interroge-moi. — Quoi ? dit Charlotte en parcourant ses messages. Que veux-tu que je te demande ? — Pour le mariage. Tu sais, sur les détails, qui sont les traiteurs, quelles célébrités vont venir…, tu sais, tous ces détails croustillants. Interviewe-moi. Le visage de Charlotte s’assombrit tandis qu’elle fixait ses yeux froids et impassibles. — Jake, je n’avais pas l’intention de faire cette interview. — Je m’en fiche. Il ne s’en fichait pas, mais il ne voulait pas le lui montrer parce que ça l’aurait rendu pathétique. — Pose-moi les questions. Il jeta une feuille de papier et un crayon sur le lit. — Allez. Tu veux te faire virer ? — Non, mais… — Je suis super énervé, là, dit Jake avec honnêteté. Mais je n’ai pas l’intention d’être la raison pour laquelle tu perdras ton boulot. — Ah ! parce que tu te prends pour Mère Teresa, maintenant ? Je croyais que tu me connaissais mieux que ça, Jake. Tu crois vraiment que je trahirais mes amis pour être projetée sur le devant de la scène ? Je ne suis pas toi ! — Tu es une vendue. — Tu es un abruti si tu as une si piètre opinion de moi ! cria-t-elle. — Ouais, eh bien, tu fais une amie lamentable ! lança Jake, les narines dilatées tandis que son ton montait. Je pensais que tu étais différente. C’est pour ça que je… — Jake ? La voix étouffée de Travis se fit entendre de l’autre côté de la porte. — La fête arrive à sa fin, mec. Tu as payé la folle aux sex-toys ? — Il y a trop de choses qui ne vont pas dans cette phrase, dit Jake en levant les yeux au plafond. J’arrive. Il avança vers la porte. — Toi, dit-il en pointant Charlotte du doigt. Pas un mot à Travis et Kacey. Ne leur dis même pas que tu as réfléchi à l’offre de ton patron. Ça leur briserait le cœur, et ils ont assez de préoccupations en ce moment. Je vais te donner de quoi faire ce foutu sujet. Je courrai nu dans la rue s’il le faut, mais laisse-les tranquilles. Dégoûtée, Jake sortit de la chambre tout en se demandant si son cœur pourrait de nouveau accorder sa confiance un jour.

42 Charlotte fixait la porte fermée, sous le choc. Que venait-il de se passer ? Jake lui donnait-il des conseils pour être une bonne amie ? Après l’avoir laissée tomber, avoir amené Amy dans une chambre et s’être envoyé en l’air avec elle ? Ce type était un connard ! Et il avait l’audace de dire que ce que Charlotte était censée faire était vil ? Elle n’allait même pas faire ces interviews ! Elle avait décidé de sacrifier sa carrière, un boulot dont elle avait besoin pour manger, parce qu’elle ne voulait pas trahir ses amis. Ce crétin ne lui avait même pas laissé l’occasion de s’expliquer ! Son attitude de monsieur Je-sais-tout avait refait surface, et elle se retrouvait seule, perplexe et le cœur brisé. Elle l’avait surpris lors d’un baiser torride avec son ennemie numéro un, et il lui faisait la leçon comme si c’était elle qui lui avait brisé le cœur ! Jake ne comprendrait jamais pourquoi elle avait hésité, car il avait toujours eu de l’argent. Il ne réalisait pas à quel point c’était tentant… pour payer son loyer, manger, ne pas décevoir ses parents à nouveau ! Elle poussa un cri en se jetant sur le lit et maudit Jake Titus. Ça devenait une habitude. Peut-être que, si elle le maudissait un certain nombre de fois, son cœur arrêterait de lui faire si mal. Si près et à la fois si loin. *** Pendant toute la journée de samedi, Jake ne dit quasiment rien à Charlotte. En fait, la seule fois où il lui avait adressé la parole, c’était pour lui demander du fil dentaire le matin. Elle l’avait suspendu sous son nez et avait attendu qu’il fasse une blague. Au lieu de cela, il l’avait pris, utilisé et avait quitté la chambre. En plus du chagrin et du sentiment d’avoir été insultée, depuis ce matin, elle n’avait plus de boulot. Elle avait dépassé la deadline. Il était bien possible que sa vie de reporter soit finie à jamais. Charlotte jeta un œil à sa montre. Il était déjà dix-sept heures, et Kacey et Travis n’étaient pas encore rentrés. Ils avaient des courses de dernière minute à faire. Elle essaya encore une fois d’appeler Kacey sur son téléphone, mais n’eut pas de réponse. Tout le monde s’agitait. Charlotte se mit à faire les cent pas devant le pavillon. Trente minutes plus tard, grand-mère surgit par la porte. — Ils ne seront pas là pour la répétition, annonça-t-elle. Des crevaisons. — « Des » ? Tu veux dire plusieurs pneus ? demanda Jake en se levant du banc de l’église. — J’en ai bien peur. Comme si quelqu’un les avait entaillés. Pétunia secoua la tête. — Portland est peuplé de gangsters. C’est probablement l’un d’entre eux. — Bien sûr, plaisanta Jake. Parce que nous savons que de nombreux gangsters nous en veulent. Pétunia se raidit. — Nous allons devoir continuer sans eux, dit grand-mère en se frottant les mains. Charlotte, comme tu

es la demoiselle d’honneur, tu prendras la place de Kacey. Jake, tu es le témoin ; donc, tu prendras celle de Travis. Charlotte sentit comme un poids dans son estomac. Dieu était cruel. Le seul homme qu’elle ait jamais aimé depuis le collège se tenait à la place de son futur époux, sauf que ce n’était pas réel. Son cœur se serra quand elle le regarda dans les yeux parce qu’elle savait que ça ne serait jamais sa réalité. C’était la pire blague de tout l’univers. Elle lui prit les mains ; il fit semblant de passer une alliance à son doigt. Et c’est tout. Charlotte sursauta quand grand-mère utilisa son sifflet. — Silence ! — Nous ne sommes pas au tribunal, grommela Jake. — J’ai besoin de silence ! Grand-mère souffla de nouveau dans son sifflet, cette fois juste dans l’oreille du pasteur. Il grimaça et détourna le regard, le pauvre. — Maintenant, que les filles se déploient sous le pavillon. Oui, parfait ! Elle désigna les garçons. — Et les hommes : alignez-vous de l’autre côté. Oh ! c’est très joli. C’était horrible, mais comme personne ne demanda son avis à Charlotte, elle ne dit rien. Encore une fois, c’était peut-être à cause de son humeur maussade. — Monsieur le pasteur ? dit grand-mère en levant la main plutôt qu’en sifflant, Dieu merci. — Oui, Nadine ? — Pouvez-vous, s’il vous plaît, célébrer l’ensemble de la cérémonie ? Je veux être sûre que les micros marchent et qu’on entendra bien les futurs mariés. — Bien sûr, répondit le pasteur en souriant et en tendant la main à Jake. Je m’appelle Jim. Jake lui serra la main. Le pasteur Jim se tourna vers Charlotte. — Et vous devez être la demoiselle d’honneur. Elle afficha un sourire crispé en lui serrant la main. — Mettez-vous juste là, tous les deux. Il les rapprocha l’un de l’autre. Charlotte faillit trébucher contre le torse ferme de Jake. Son regard était distant, comme s’il l’empêchait d’entrer dans son monde. Elle pouvait presque voir ses abdos à travers son tee-shirt noir moulant. Baisser les yeux ne l’aida pas, car elle avait vue sur son jean usé et ses bottines de marque qui avaient certainement coûté plus cher que la voiture de Charlotte. — Mes bien chers frères… Jim commença à réciter le discours d’accueil et la prière. — Nous allons maintenant passer à l’échange des consentements. Prenez-vous la main et répétez après moi. « Moi, Jake Titus », commença Jim. Jake s’éclaircit la voix. Ses mains, qui tenaient celles de Charlotte, étaient très chaudes. — Moi, Jake Titus, dit-il d’une voix voilée, je te reçois, Charlotte Lynn, comme épouse et te promets de te rester fidèle, pour le meilleur et pour le pire, dans la richesse et dans la pauvreté, dans la maladie et dans la santé. Sa voix se bloqua dans sa gorge tandis qu’il la regardait avec des yeux de braise. — De t’aimer et de te chérir, continua-t-il, d’être ton meilleur ami, à partir d’aujourd’hui et jusqu’à

mon dernier souffle… Je serai tien jusqu’à ce que la mort nous sépare. Charlotte se mordit la lèvre pour s’empêcher de pleurer. C’était tout ce qu’elle avait toujours voulu l’entendre dire. Jake ferma les yeux quand il eut fini. — Maintenant, Charlotte, dit Jim en s’éclaircissant la voix. Répétez après moi. « Moi, Charlotte Lynn… » Charlotte répéta les mêmes vœux. À mi-parcours, ses mains se mirent à trembler. Jake ouvrit les yeux et articula silencieusement « Tout va bien » pour qu’elle continue. Quand elle eut terminé, son cœur battait si fort qu’elle était sûre que Jake pouvait l’entendre. Il sourit avec un air triste quand ils durent lâcher les mains de l’autre. Jim s’adressa aux invités inexistants. — Travis et Kacey, ou dans ce cas Jake et Charlotte, ont exprimé la volonté de rédiger des vœux personnels. Nous allons maintenant les écouter. Il tendit le micro à Jake. Désemparé, Jake le repoussa. Jim secoua la tête. — Non, non, Nadine veut entendre votre voix. Je suis sûr que vous n’aurez aucun mal à parler d’une jolie fille comme Charlotte. Mince. Il allait lui faire honte devant tout le monde. — J’ai toujours aimé les jolies filles. Jake rit dans le micro, ruinant le bref moment de bonheur de Charlotte. — Et je peux dire honnêtement que Charlotte est la plus jolie que j’aie jamais rencontrée. Les demoiselles d’honneur soupirèrent derrière lui. — Dommage qu’elle soit folle, ajouta-t-il avec un clin d’œil. Je veux dire, vraiment folle. Elle m’a menacé plus de fois que je ne peux l’admettre. Ne parlons même pas des cadeaux de mariage et des pharmacies, qui font à la fois partie de mes meilleurs et pires moments passés avec elle. Il marqua une pause. — Peut-être que c’est ça, finalement, l’amour. On partage les bons et les mauvais moments, et on espère qu’au final la personne vous attendra encore de l’autre côté. Le mariage est un acte de foi entier et total… Je me suis toujours considéré comme un homme qui prend des risques. Le plus grand risque est de poursuivre une personne avec tout son cœur, en sachant qu’il est tout à fait possible qu’elle ne veuille pas de vous en retour. Charlotte n’était pas sûre de savoir si elle devait rire ou pleurer. Tout le monde restait silencieux. Une voiture arriva dans l’allée. C’étaient Kacey et Travis. Grand-mère siffla. — Terminez la cérémonie, Jim. Charlotte secoua la tête. — Mais… — Terminez-la ! cria grand-mère tandis qu’elle parcourait l’allée. — Voulez-vous la prendre pour épouse ? demanda Jim à Jake. — Euh, oui ? — Voulez-vous le prendre pour époux ? Charlotte plissa les yeux en hochant la tête nerveusement. — Vous devez dire oui, dit Jim en riant. — O.K. Oui. Je le prends. — Alors, par les pouvoirs qui me sont conférés par l’État de l’Oregon, je vous déclare mari et femme.

Vous pouvez embrasser la mariée ! Tout le monde applaudit sans conviction, jusqu’à ce que Jake fasse un pas en avant et tire Charlotte vers lui pour un baiser étourdissant qui anéantit toutes les protections qu’elle avait érigées depuis le matin. — On dirait que j’ai épousé la mégère ! lança-t-il avec un clin d’œil. — C’est toujours mieux qu’épouser le dragueur au harem ! tempêta Charlotte en appuyant sur son torse. Le pasteur Jim essaya de les séparer, mais ils étaient déjà nez à nez. — Est-ce de la jalousie que j’entends là ? dit Jake. — De la jalousie ? répéta Charlotte avant de rejeter la tête en arrière et se mettre à rire. Oui, je suis tellement jalouse de toutes ces femmes qui ont partagé ton lit ! Après tout, je ne suis qu’une croix sur ta tête de lit. — Deux, plaisanta Jake. Deux croix, et tu sais pourquoi. Charlotte lui sauta à la gorge, mais Jim se mit sur son passage. — Souris et ris tant que tu veux, Jake, mais, dans dix ans, quand je serai mariée avec des enfants et que j’aurai une vie heureuse, toi, tu ne seras rien d’autre qu’un célibataire seul. Elle ne pouvait empêcher les mots de sortir. C’était comme si toute la douleur en elle montait et forçait le passage pour se libérer. Le rejet de Jake avait rouvert tellement de vieilles blessures, des blessures qu’elle avait refoulées depuis si longtemps… Le sourire de Jake disparut. — Mieux vaut être un célibataire qu’une salope. L’assemblée se tut. Travis approcha, les mains dans les poches. — Alors, qu’avons-nous raté ? Le pasteur Jim se tenait toujours entre Charlotte et Jake, le visage cramoisi. — Une union bénie. Jake jura et partit en trombe. Kacey approcha à côté de Travis ; son regard suivit la silhouette de Jake qui disparaissait au loin. — Que s’est-il passé ? — Que se passe-t-il toujours avec Jake ? demanda Charlotte en haussant les épaules. Il s’enfuit.

43 Il ne pouvait pas noyer ses problèmes dans l’alcool, ni dans le sexe. C’était comme si, à chaque pas qu’il faisait vers Charlotte, il devait en faire un en arrière. Oui, il était toujours énervé par le fait qu’elle ait considéré la possibilité de vendre sa famille pour son boulot, mais, plus il y pensait, plus il la respectait pour avoir dit non à son patron. Elle avait besoin d’un travail. Contrairement à lui. Il pouvait dépérir pendant le restant de sa vie, il aurait encore de l’argent à ne pas savoir qu’en faire. Charlotte, elle, n’avait pas un héritage sur lequel se reposer ; elle n’avait pas une maison à plusieurs millions de dollars qu’elle pouvait vendre, ni un stock d’au moins dix voitures étrangères. Elle devait remplir le frigo et payer les factures, des choses dont Jake n’avait jamais eu à se soucier. Tout était programmé dans sa tête. Il plaisanterait un peu avec elle pour briser la glace, et puis, il s’excuserait de l’avoir rembarrée la veille. Sauf qu’ils avaient dû jouer les remplaçants pour cette fichue cérémonie de mariage, et les choses étaient devenues si incroyablement réelles qu’il s’était mis à trembler quand il avait pris les mains de Charlotte. Lorsqu’il avait prononcé ses vœux, il les pensait sincèrement. Pour la première fois de sa vie, il avait voulu que cet engagement soit réel. Mince, il voulait qu’elle voie au-delà de la façade qu’il mettait et simplement qu’elle l’accepte. À cet instant, quand il lui avait tenu les mains, quand il avait plongé dans ses yeux bleus, son cœur l’avait suppliée de voir plus loin que n’importe qui d’autre auparavant. Il pensait que, s’il y avait une personne qui pouvait voir au-delà de ses doutes, c’était Charlotte. Mais au lieu de voir au-delà… Elle l’avait mis à nu, comme un câble électrique, aux yeux du monde. Et, pour la première fois de sa vie, il n’y eut rien qu’il pût dire pour arranger les choses. Il l’avait traitée de salope et était parti. Encore une fois, il s’était enfui. C’était comme ça qu’il gérait les situations délicates ? En fuyant et en boudant ? Il ne voulait plus être ce type, celui qui ignorait toutes ses émotions, les enfouissait dans la zone la plus reculée de son cerveau et s’enivrait afin d’oublier qu’il les avait éprouvées. Le problème avec le fait de faire face à ses démons du passé, c’était qu’ils avaient fait partie de lui si longtemps qu’ils étaient presque devenus une sorte de réconfort ou, pour lui, une béquille. Il avait toujours des problèmes concernant la mort des parents de Kacey… Il ne s’était jamais remis du fait qu’ils leur avaient été enlevés, à Kacey et lui. Et il n’avait jamais eu le sentiment qu’il pourrait vivre selon les normes strictes que son père imposait pour être le Titus qu’il devait être. Surtout, il croyait sincèrement qu’il n’était pas capable d’aimer une personne comme Charlotte méritait d’être aimée. Toute sa vie, il avait eu peur de l’engagement, mais il commençait à réaliser qu’il était engagé dans une relation depuis vingt-trois ans. Il était entravé avec lui-même, dans une relation avec ses propres démons. La chose la plus importante dans sa vie avait toujours été de vivre au jour le jour, de vivre pour luimême. Les parents mettaient toujours leurs enfants en garde contre les dangers des relations malsaines avec les autres ; alors, pourquoi ne les alertaient-ils pas des dangers d’une relation malsaine avec euxmêmes ? Avec leur propre cœur ? Jake alla à l’arrière de la maison et avança sur le quai qui surplombait la rivière. Il s’assit sur la rive

en soupirant et observa un bateau de dîner-croisière passer lentement. La vie était tellement plus facile quand il était petit, quand ses seules préoccupations étaient de savoir si maman allait laver sa tenue de basket à temps ou si les gamins de l’école voudraient jouer au kick-ball avec lui. Être adulte, c’était nul. Et réaliser qu’on était un imbécile égoïste n’aidait pas. — Je peux m’asseoir ? demanda Travis derrière lui. — Bien sûr, répondit Jake. — Il fait bon ce soir. Les genoux de Travis craquèrent quand il s’assit sur le quai. Jake acquiesça en continuant de regarder l’eau. S’il regardait son frère dans les yeux, il risquait de mordre… Il était vraiment à cran. — Tu veux bien me dire ce qui se passe ? demanda Travis. Jake s’appuya en arrière sur ses mains et secoua la tête. — Pas particulièrement, non. Un mouvement attira le regard de Jake. Il vit Travis sortir une petite enveloppe de sa poche. — On divorce ? demanda Jake. Il essaya de paraître enjoué, mais il était un peu paniqué. Que pouvait-il bien y avoir dans cette enveloppe ? Travis leva les yeux au ciel. — Tu serais trop heureux de te débarrasser de moi. Non, ça n’a rien à voir. C’est juste… L’année dernière, Kacey a fini par lire certaines des lettres que ses parents lui avaient laissées dans leur testament. Apparemment, ils l’avaient modifié un an avant de mourir et y avaient joint quelques souvenirs, juste au cas où. Jake se mordit la lèvre et détourna le regard tandis que ses larmes lui montaient aux yeux. Voilà pourquoi il n’évoquait jamais ses sentiments. Le simple fait de parler des parents de Kacey lui faisait mal au cœur. Mince, pourquoi avait-il fallu qu’ils meurent comme ça ? Pourquoi avait-il fallu que ce soit la même nuit que celle où Jake avait été surpris en train de faire une autre chose irresponsable ? Pourquoi Jake n’avait-il pas eu la chance de faire ses excuses au père de Kacey ? Travis tendit l’enveloppe à Jake. — Celle-là est pour toi. — Pour moi ? répéta Jake en prenant l’enveloppe. Pourquoi maintenant ? Pourquoi me donnes-tu ça maintenant ? Travis afficha un petit sourire narquois. — Parce que ma future épouse est implacable…, dit-il en donnant un petit coup dans les côtes de Jake. Et parce qu’il y avait des instructions strictes pour qu’on te la donne quand il t’arriverait quelque chose de précis. — Ah ouais ? Quoi ? La folie ? Travis s’humecta les lèvres et détourna les yeux. — Non, quand tu tomberais amoureux. — J’ai comme l’impression qu’il se passe quelque chose entre nous, là, plaisanta Jake. — La ferme, dit Travis en riant. Ils ont rédigé des lettres pour la famille et les amis. Apparemment, la mère de Kacey était du genre à prendre des notes ; elle avait tout un carnet plein de pensées et de poèmes. En tout cas, il restait deux lettres. Une était pour Kacey, le jour de son mariage, et l’autre, pour toi… — Et toi ? Tu as eu une lettre ? demanda Jake. Travis secoua la tête. — Moi, j’ai Kacey. Je suppose que nous saurons ce que dit cette lettre demain, quand nous

prononcerons nos vœux. Tu comptes toujours l’accompagner jusqu’à l’autel avec papa ? Jake tâcha de contrôler le martèlement de son cœur et acquiesça brusquement. — Bien, fit-il en lui tapant dans le dos. Je vais te laisser pour… Travis indiqua la lettre. — On se voit au dîner, ajouta-t-il. Jake serra la lettre dans sa main et regarda Travis s’éloigner. Les doigts tremblants, il rompit le sceau de l’enveloppe et en sortit une feuille de papier. Son contenu était court, mais allait à l’essentiel dans une écriture en pattes de mouche. Je savais que ça arriverait. J’ai justement dit à Rose ce matin que ça allait se produire et elle s’est moquée de moi. Je doute que ce soit Kacey qui a fini par attirer ton attention. Ah ! un père sait tout, et la manière dont tu la regardes est celle dont un homme regarde sa meilleure amie. Je devine ce genre de choses. Bref. Nous n’avons jamais parlé de cette nuit, Jake. Tu sais à laquelle je fais référence. Je doute que tu oublies un jour avoir creusé des trous dans le jardin et dû t’excuser encore et encore d’avoir été surpris avec de la drogue et des femmes avec qui tu n’avais rien à faire. Tu as toujours été du genre fougueux. À cet instant, Jake, j’ai su que tu deviendrais l’un de ces grands hommes d’affaires. Du genre à avoir des voitures de luxe et des femmes légères. Tu avais cet air-là, et, je dois l’admettre, imaginer Kacey avec toi me faisait un peu peur. Je suppose que je dois simplement avoir confiance pour que ce qui t’a été transmis quand tu étais petit reste en toi. Ça devrait être le cas, si ta grand-mère a son mot à dire. Rose dit que nous devons écrire des lettres à nos amis et à la famille au cas où. Je sais que tu te demandes probablement pourquoi je t’en écris une. Tu as toujours été comme un fils pour moi, Jake. Je t’ai connu alors que tu portais encore des couches. Une pensée m’a traversé l’esprit aujourd’hui : et si je ne pouvais pas te voir adulte ? Et si je ne pouvais pas te voir le jour de ton mariage ? Et si je ne pouvais pas faire partie de ta vie, de ton avenir ? Quand un homme vieillit, il pense au passé, à ses regrets. Mon regret était de ne jamais avoir parlé une dernière fois à mon père avant qu’il ne quitte ce monde et passe dans l’autre. Même si tu as déjà un très bon père, j’ai toujours eu le sentiment d’en être un autre pour toi. Cela étant dit, Jake, je suis vraiment très fier de toi. J’espère que tu as connu aussi bien des échecs que des succès, mais, plus que ça, je suis fier que tu aies trouvé une personne qui mérite que tu t’accroches. Quand les hommes tombent, ils tombent vraiment, ils tombent à l’eau sans gilet de sauvetage…, et tu es l’un de ces hommes, Jake. Mon conseil ? Sois un homme. Ne te laisse pas sombrer. Ne fuis pas la sécurité du bateau en courant ou en nageant. Le bateau, c’est ton foyer, ta famille, ta vie. Le gilet de sauvetage qui te permet de garder la tête hors de l’eau sera toujours ta femme, ta partenaire. Sans gilet, tu te noies ; un gilet sans personne à maintenir n’a pas d’intérêt. Alors, tu vois, vous avez besoin l’un de l’autre… Vous avez besoin de vous appuyer l’un sur l’autre pour tout. N’oublie jamais qu’une chose qui ne mérite pas qu’on se batte pour elle ne mérite pas qu’on la possède. Quand tu as envie d’abandonner, quand tu as l’impression que tu ne peux pas être assez fort, souviens-toi qu’aucun d’entre nous ne l’est vraiment. Nous sommes tous indignes de la femme de notre vie, mais il faut bien qu’on essaie chaque jour de mériter un peu plus son amour. Je crois que ce que j’essaie de te dire, c’est… aime-la. Fais-lui plaisir, chéris-la et, je te le garantis, mon fils, ses sourires seront plus nombreux que ses larmes. À mon deuxième fils… et sa nouvelle femme…, que votre lit soit empli de rires, vos nuits, de plaisir, votre maison, de l’odeur des bons petits plats, et vos cœurs, de joie. C’est la raison pour laquelle nous sommes sur cette terre : pour aimer.

Jake repoussa l’énorme nœud qu’il avait dans la gorge et glissa la lettre dans sa poche. Sacré Bill, qui réussissait à lui donner l’impression d’être une femme émotive. L’aimait-il ? Charlotte ? Sa respiration s’accéléra tandis qu’il commençait à penser aux dernières semaines. Ils venaient de se retrouver, mais il l’avait connue toute sa vie. Il connaissait le grain de beauté sur sa hanche, son aversion pour les cornichons ou tout ce qui était vert, et enfin son rire. Oh ! il connaissait son rire, car il avait le sentiment d’être un super-héros quand il la faisait rire. Et maintenant, il avait le sentiment d’être un imbécile parce que la dernière fois qu’elle avait ri remontait à bien longtemps, et il était en grande partie la cause de ses larmes. Il se leva du quai en jurant et se dirigea vers la maison.

44 Charlotte but son deuxième verre de vin et s’assit à la grande table installée à l’extérieur. Le dîner était un repas de traiteur avec tous les divertissements traditionnels. Il aurait dû être accueilli par les parents de Kacey, mais, comme ils n’étaient plus là, l’ensemble du clan Titus payait la facture. Plusieurs tentes étaient éparpillées sur le côté. La table principale était longue et couverte de différentes fleurs tropicales et de bougies. Tout était atrocement romantique. Grand-mère s’assit près de Charlotte et jeta un œil à son verre de vin. — Combien en as-tu déjà bus ? — Assez, soupira Charlotte. — Hum. Grand-mère fouilla dans son grand sac à main et en sortit une enveloppe en papier kraft. — Le pasteur m’a donné la permission de vous faire signer ça séparément, à toi et Jake, puisque vous êtes fâchés. Charlotte regarda le certificat de mariage. — On n’est pas censés le remplir demain ? — Oh ! fit grand-mère en éludant la question d’un geste de la main. Ce n’est qu’un détail de plus dont on n’aura pas à se soucier. Signe ici. La feuille sortait très légèrement de l’enveloppe de manière à ce que la majeure partie soit couverte, ce qui valait mieux, quand Charlotte y réfléchit bien. Elle ne voulait même pas voir l’endroit où Jake était censé signer. Ils avaient tous les deux perdu leur sang-froid. Elle ne se souvenait même plus pourquoi elle s’était mise autant en colère. Si elle y réfléchissait bien, ce n’était pas de la colère ; c’était un sentiment de rejet et d’humiliation total. Il l’avait fait succomber. Et elle avait succombé, complètement. Après le mariage, ils prendraient des directions séparées, et elle resterait allongée sur son canapé, au chômage, et regretterait que le seul mec qu’elle ait jamais aimé ne l’aime pas en retour ou ne la désire pas assez pour essayer de l’aimer. Charlotte signa rapidement et rendit le stylo à grand-mère. — Voilà, voilà, dit grand-mère en lui tapotant le dos. Tout finira par s’arranger. Fais confiance à ta grand-mère. — Il n’y a qu’un problème, objecta Charlotte en se penchant vers elle pour chuchoter. Vous n’êtes pas ma grand-mère. Le sourire sur le visage de grand-mère s’agrandit légèrement avant de reprendre sa taille normale. — Mais bien sûr que si. Tu te souviens quand je t’ai dit que je ruinerais Jake ? Charlotte ne voulait pas vraiment parler de Jake ; elle acquiesça, mais essaya de prétendre que ça ne l’intéressait pas. — Il était déjà ruiné, poursuivit-elle en caressant la main de Charlotte. À la minute où il a posé les yeux sur toi dans cette robe de mariée. Je l’ai achetée, tu sais. — Quoi ? cria Charlotte, attirant l’attention de tous les invités autour de la table qui attendaient le

premier plat. Elle toussa et se cacha derrière ses cheveux bruns. — Dites-moi que vous plaisantez, grand-mère ! — Oups, fit grand-mère en haussant les épaules. Je croyais que tu aimais cette robe. Et elle était si jolie sur toi. Absolument divine. Elle se versa un verre de vin et ferma les yeux pour en prendre une bonne gorgée, puis reposa le verre sur la table. — D’ailleurs, tu pourrais en avoir besoin un de ces jours. Charlotte retint ses larmes. — Tout reste possible. — En effet, dit grand-mère. Savais-tu que j’ai toujours voulu être une marraine de conte de fées ? — Hein ? — La plupart des filles veulent être la princesse dans l’histoire. Moi, je veux être la marraine. Était-elle soûle ? Déjà ? — D’accord, dit Charlotte en clignant des yeux. Donc, tout ce dont vous avez besoin, c’est une baguette et un peu de magie, et tout est réalisable. — J’ai déjà ma baguette, et toutes les mamies ont des pouvoirs magiques, affirma-t-elle en haussant les épaules à nouveau. Alors, parle-moi de Jace. — Il est… Charlotte regarda de l’autre côté de la table. Ses cheveux blonds étaient peignés en arrière, révélant ses parfaits yeux verts et son visage ciselé. — … gentil. Grand-mère éclata de rire. — Oh ! chérie, cet homme a plein de qualités. Mais « gentil » n’est pas le mot que j’aurais utilisé pour le décrire. Il est super sexy, voilà ce qu’il est. Une bête parmi les hommes. — Grand-mère, rouspéta Charlotte. Parlez moins fort. — Bref, dit grand-mère en levant les mains en l’air. Tout ce que je dis, c’est que cet homme pourrait faire fondre une fille d’un simple regard. Comme s’il les entendait, Jace regarda grand-mère et lui fit un clin d’œil. — Mon Dieu, je crois que je viens d’avoir une miniattaque. — Sérieusement ? demanda Charlotte en attrapant le bras de la vieille dame d’un air paniqué. — Enfin, dit grand-mère en rendant son clin d’œil à Jace. Si c’était une attaque, je veux bien en avoir une autre. Charlotte sentit son visage rougir. — Il ne met pas tes hormones en ébullition ? demanda grand-mère. Charlotte s’étouffa avec son vin et se mit à tousser violemment tandis que grand-mère lui tapait fort dans le dos. — Chérie, bois plus lentement. Tu vas faire une tache sur ta jolie robe jaune. — C’est la faute du vin, dit Charlotte d’une voix rauque. Pas des hormones. Grand-mère se pencha vers elle et murmura : — Comment vous dites, déjà, les jeunes, aujourd’hui ? Est-ce qu’il te fait… ? — Grand-mère ! siffla Charlotte. Arrêtez, s’il vous plaît, arrêtez. Gênée, elle couvrit son visage avec ses mains.

— C’est un gentil garçon, continua Charlotte, mais ce n’est pas… Elle allait dire « ce n’est pas Jake » quand il entra et s’assit au bout de la table. Les yeux de Charlotte trahirent ses pensées lorsqu’ils examinèrent avec envie chaque centimètre carré de son corps parfait. Jake se pencha au-dessus de la table, ses avant-bras frôlant les fleurs éparpillées autour de son assiette. Oh ! si seulement elle était une fleur… — Je vois, dit grand-mère à voix basse. Ce n’est pas mon petit-fils. — Quoi ? Charlotte arracha son regard de Jake et se mit à se tordre les mains sur ses genoux. — Jace, fit remarquer grand-mère. Il pourrait être encore mieux que Marlon Brando, tu continuerais à le voir comme s’il n’était rien d’autre qu’une doublure… — Marlon Brando ? Une doublure ? Charlotte sourit avec un air crispé, mais ne regarda pas grand-mère. — … de celui que tu veux vraiment. Grand-mère posa ses mains sur celles de Charlotte pour la calmer. Plusieurs bagues en diamant brillaient à ses doigts alors qu’elle continuait à tapoter. — Mon petit-fils. Tu es amoureuse de lui. — Je suis… Mais, comme elle ne put le nier, elle regarda grand-mère dans les yeux et dit : — S’il vous plaît, ne lui dites pas. Grand-mère souffla en se balançant en arrière. — Mon ange, s’il ne sait pas encore que tu l’aimes, c’est que c’est un idiot. En même temps, c’est un homme, ajouta-t-elle en regardant dans sa direction. Il n’a pas l’air d’avoir le moral. Probablement le manque de sexe. Le cœur de Charlotte s’emballa. Grand-mère venait-elle de dire « sexe » une nouvelle fois ? Lors du dîner ? Cette fois, ses paroles attirèrent l’attention de Travis et Kacey, qui lui lancèrent un regard suppliant l’air de dire : « S’il te plaît, on a eu assez de moments embarrassants comme ça. » Le pasteur Jim s’étouffa avec son vin pendant que le silence tombait sur la table. Désespérée, Charlotte regarda vers grand-mère. — Je rapportais les propos de Pétunia. Oh non ! Tante Pétunia se raidit de l’autre côté de la table et plissa les yeux vers grand-mère comme si c’était le suppôt de Satan. — Je n’utilise pas de mots aussi vulgaires. — Non, tu te contentes de tricoter et lire des livres cochons. — Je n’ai jamais… — Ne le nie pas ! lança grand-mère qui faisait tourner son vin dans son verre. J’ai vu ces livres de mes propres yeux. Tu n’es pas aussi prude que tu le laisses paraître, ma sœur. Pétunia pinça les lèvres en parcourant l’ensemble de la table des yeux. — À l’évidence, elle est ivre. — Dis-moi, le capitaine Jack est-il rentré avec la jeune esclave ? Je ne suis pas encore arrivée à cette partie, mais je dois admettre que je suis très excitée à l’idée de découvrir s’ils vont finir par… — Grand-mère, la mit en garde Travis. Elle haussa les épaules. — J’allais dire « tomber amoureux ». Pétunia jeta à grand-mère un regard noir.

— Tu es une hérétique. — Au moins, je ne suis pas une hérétique en camouflage… Où est ton fouet, Pétunia ? Charlotte écarquilla les yeux. Wescott gloussa. — Et si nous nous calmions ? Nous sommes là pour célébrer… — Probablement avec tes escarpins rouges, espèce de dévergondée tatouée ! cria Pétunia. — J’adore ces escarpins, dit grand-mère. — Voilà le dîner ! s’écria Bets d’une voix aiguë. Mangez, mangez ! Elle tapa dans ses mains et se mit à entasser sur son plat la nourriture apportée par les serveurs qui arrivaient avec le chariot de traiteur. — Des huîtres, fit remarquer grand-mère. Régale-toi, Travis. Tu en auras besoin demain soir. Il jura en levant les yeux au ciel. — Et j’arrivais si bien à me maîtriser. — Si tu appelles ça te maîtriser, je suis une nonne. Grand-mère fit un clin d’œil à Travis, qui maugréa et s’éloigna de Kacey. — Oh ! lança Bets en désignant le milieu de la table. Il n’y a plus de vin. — Je vais en chercher ! cria Travis qui s’écarta de la table en attrapant fermement l’avant-bras de Kacey. Grand-mère fouilla calmement dans son sac et en sortit un collier qui ressemblait beaucoup à ce qu’on met à un chien pour le faire obéir avec une décharge électrique. — Assis, Travis. Il s’assit en lançant un juron. — Je, euh… Je vais y aller, intervint Charlotte en se levant de sa chaise. — Moi aussi, dit Jace. Tu pourrais te perdre dans la cave à vin. — Mon sauveur, dit sèchement Charlotte. Mais il ne sembla pas le remarquer. Son regard s’attardait sur grand-mère. Il fit un simple geste de la tête, puis retourna à Charlotte. — Prête ? Il lui proposa son bras et ignora son air curieux. Ils marchèrent en silence jusqu’à la maison.

45 Jake leur donnerait exactement cinq minutes seuls avant de faire irruption dans la cave, à couteaux tirés. Il s’apprêtait justement à lui proposer de l’accompagner quand Jace s’était levé à l’autre bout de la table. Il avait alors échangé un regard bizarre avec grand-mère, puis était parti. En plissant les yeux, Jake prit une gorgée de vin et observa la porte, attendant leur retour. Il vérifia sa montre. Mince, cela ne faisait que trente secondes. — Ça, par exemple, fit grand-mère en tirant une chaise près de lui. Je n’aurais jamais cru voir ça un jour. — Hein ? Jake sursauta quand un oiseau atterrit sur le bouton de porte. Waouh ! Il était vraiment pathétique. — Tu as fait le bon choix, affirma grand-mère avec un soupir. Moi-même, je l’aurais choisie, si j’avais été concernée. Mais le temps où je jouais les entremetteuses est révolu, comme tu le sais. — C’est bien. Jake s’humecta les lèvres et regarda sa montre une nouvelle fois. Une minute et demie. Il vivait un enfer. — J’ai juste besoin que tu signes ici. Elle le força à saisir un stylo. Il jeta à peine un regard sur le papier et signa où grand-mère le lui indiquait, puis lui rendit le stylo. — Trois minutes, Jake. Ça ne fait que trois minutes. Il ne peut pas se passer grand-chose en trois minutes. Enfin, à part… Grand-mère rit doucement. — … cette fois où ton grand-père et moi n’avions que cinq minutes. Tu ne croiras pas ce que nous… Jake se leva d’un bond et fonça vers la maison. *** La cave à vin des Titus semblait tout droit sortie d’un magazine. Il y avait un bar en granit d’un côté de la pièce avec des tabourets en cuir. Ils avaient même leur propre marque de bière, puisque le brassage était l’un des loisirs de Wescott. Les murs étaient presque entièrement recouverts de rangées de bouteilles de vin. Ça aurait pu être le paradis. Même la compagnie n’était pas mal, sauf que, encore une fois, ce n’était pas cet homme qu’elle aurait choisi. Peut-être devait-elle simplement être reconnaissante. — Alors, dit Jace en prenant une bouteille. Que penses-tu de celui-là ? Un merlot millésimé ? — Parfait. Charlotte n’aurait pas pu s’en ficher plus. Elle se dirigea inconsciemment vers le bar. Quelques photos encadrées étaient disposées sur la table. L’une d’entre elles montrait Jake et Travis enfants. Kacey se trouvait entre eux deux et embrassait Jake sur la joue. Kacey avait toujours été où Charlotte aurait aimé être. La jalousie n’avait jamais été assez forte pour menacer leur amitié, mais, avec Kacey, les choses avaient toujours été si faciles. — Tu vas bien ? demanda Jace qui apparut derrière elle et posa ses mains sur ses épaules.

— Oui, répondit-elle en se raidissant. Pourquoi poses-tu cette question ? — Parce que je te parle depuis plusieurs minutes et tu n’as absolument rien dit. Je commençais à me demander si tu respirais encore. Un éclat de rire échappa à Charlotte avant qu’elle ne puisse le retenir. — Le voilà, murmura Jace. — Quoi ? Elle se retourna pour lui faire face. — Ton rire. J’aime ta façon de rire. Et tu ne le fais pas assez. Charlotte s’humecta les lèvres et s’adossa au bar. — La semaine a été difficile. Que veux-tu que je te dise ? Jace hocha la tête. — Je sais. Comment pouvait-il savoir ? Il ne la connaissait même pas ! — L’amour non partagé est difficile à supporter. Il saisit le tire-bouchon et ouvrit la bouteille avant de leur servir deux petits verres. Il leva le sien pour trinquer avec elle. — Comment tiens-tu le coup ? — Comment peux-tu savoir ?… Jace se mit à rire. — Je ne suis pas bête. Mais laisse-moi te poser une question. Il prit le verre de ses mains et le posa sur la table. — Quoi ? Ses yeux étaient si clairs et beaux qu’il était difficile de ne pas s’y perdre. — Tu ne crois pas que…, commença-t-il en coinçant une mèche de ses cheveux derrière son oreille et en appuyant son front contre le sien. Que si tu l’aimes, ou penses l’aimer, c’est peut-être parce qu’il n’a jamais répondu à tes sentiments ? Peut-être que, ce dont tu as besoin, c’est tourner la page. Charlotte trembla sous ses doigts. — Est-ce ce que tu m’offres ? Tourner la page ? Les mains de Jace se posèrent sur ses joues tandis que ses pouces effleuraient sa lèvre inférieure. — Je n’aime pas être en deuxième position, Charlotte. Mais j’accepterais d’être ton second choix. Enfin, si tu veux de moi. J’adorerais t’inviter en rendez-vous, boire du vin et dîner avec toi, te donner le sentiment d’être digne parce que, honnêtement, en tant qu’homme, c’est mon rôle. Te permettre de te voir comme je te vois. Et je ne crois pas que tu aies une image très juste de toi-même. Je crois que toute ta vie peut être résumée en un mot. Elle essaya de s’écarter de lui, mais il la tenait fermement. — Ah oui, docteur, et lequel ? Il afficha un sourire triste. — « Presque ». Voilà comment tu te définis : « presque ». Et cela me rend triste parce que tu n’es pas une fille du genre « presque ». — Et tu sais quel genre de fille je suis ? — Absolument. — Et alors ? Jace inclina la tête sur le côté et fit doucement descendre sa main droite le long de son cou. — « Pour toujours ». Tu es la fille « pour toujours ». Sa bouche toucha délicatement la sienne avant qu’il ne recule.

— La question est : veux-tu l’oublier ? Veux-tu aller de l’avant ? Peut-être avec moi ? Et cela suffiraitil ? Mes paroles, mon argent, tout ce que signifierait une relation avec moi… Est-ce que ce serait suffisant pour l’effacer de manière définitive de ta mémoire ? La lèvre inférieure de Charlotte trembla. Elle retint son souffle et secoua la tête. — Non, Jace. Je suis désolée, mais, non. Avec un sourire éclatant, il recula. — Je suis content. — Hein ? Il haussa les épaules avec un air nonchalant. — J’ai suivi des cours de théâtre pour m’amuser au lycée. Je dois l’admettre, je n’avais pas passé un aussi bon moment depuis des années. Perplexe, Charlotte ne put rien faire d’autre que le fixer. — Espèce d’idiot ! Tu as fait semblant de m’aimer ? — Bien sûr que non, répliqua Jace en lui prenant les mains. J’aurais été ravi de te libérer de l’emprise de cet imbécile, mais ce n’est pas ce que tu veux. Je me trompe ? — Je ne comprends pas, dit Charlotte en se massant les tempes. — Un mot : grand-mère. — Non ! souffla Charlotte. Elle te paie ? — Pas besoin d’argent, seulement de me remettre d’une mauvaise rupture. Cette femme a essayé de m’aider pendant toute cette année. Elle m’a remis en contact avec Travis, et la suite a découlé. Je prévoyais déjà d’assister au mariage, c’était trop facile. Travis a voulu que je te rencontre. Grand-mère avait d’autres projets. Et me voilà. À boire du vin pendant que tout le monde commère sur nos noces imminentes. — Bon sang ! lança Charlotte en faisant les cent pas devant lui. Cette femme est folle. — Une folle géniale, corrigea Jace en levant son verre. Admets-le. Elle a plus aidé que fait du mal. — Elle m’a acheté une robe de mariée. — Ça ne porte pas malheur ? demanda Jace en penchant la tête. Simple curiosité. — Tu n’es donc pas vraiment un crétin prétentieux ? Il parut réfléchir, puis dit : — Non, je ne crois pas. Mais si tu demandais à mon ex, elle te dirait que si, et même pire que ça. J’essaie de survivre à ce mariage sans que ta grand-mère me tue et enterre mon corps. Tu sais qu’elle a acheté un collier de dressage ? Charlotte éclata de rire et se jeta au cou de Jace. — Je ne sais pas si je dois te remercier ou te gifler pour m’avoir embrassée. — Hé ! dit Jace en reculant pour l’embrasser sur la joue. Mon offre tient toujours. Sans ton incroyable grand-mère manipulatrice, j’aurais quand même voulu obtenir ton numéro. — Merci. Elle déposa un bref baiser sur ses lèvres. Mais, apparemment, il ne fut pas assez bref. Parce qu’à la seconde qui suivit, Jake descendait l’escalier en trombe, les yeux fous de rage.

46 Jake vit rouge. Jace l’enlaçait. Sa copine, sa femme, son avenir… entre les mains de ce politicien véreux ! Avec un cri de guerre qui aurait rendu fier tout fan de Braveheart, Jake fondit vers Jace et le renversa sur le comptoir. Son poing vola vers le visage de Jace et atterrit sur sa mâchoire, et l’arrière de sa tête heurta la table. Malgré son esprit confus, il entendit vaguement Charlotte lui hurler d’arrêter, mais il était trop tard. Jace s’écroula par terre. — Merde ! cria-t-elle en se couvrant le visage. Tu viens d’assommer un sénateur ! — Ouais, mais il te touchait ! — Super ! lança Charlotte en faisant les cent pas. N’oublie pas de le dire au juge quand on te demandera pourquoi tu ne dois pas aller en prison ! Elle lui mit un coup dans le ventre en lançant un juron. — Je suis désolé. J’ai… paniqué. C’était pour protéger ton honneur ! — Hé ! monsieur Hôpital, dit Charlotte. Vous n’avez pas l’impression de vous moquer de la charité ? Jake lui jeta un regard noir. — Très amusant. — Qu’allons-nous faire ? demanda-t-elle en désignant le corps de Jace. Tu ne l’as pas tué, hein ? — Je n’ai pas frappé fort, murmura Jake avant de se pencher au-dessus de Jace. Il s’est probablement évanoui. — Et combien de temps devons-nous attendre avant qu’il se réveille ? Charlotte faisait toujours les cent pas, sauf que, maintenant, elle agitait son verre de vin en l’air, et alternait entre boire et crier. — Je ne sais pas. Pose ce verre. Tu me rends nerveux. — Je te rends nerveux ? Au moins, elle s’était arrêtée de marcher. — D’ailleurs, quel droit as-tu de voler à mon secours ? Jake laissa échapper un profond soupir. — J’ai toujours voulu être le chevalier en armure rutilante. — C’est marrant, je n’ai pas souvenir que le chevalier cognait un innocent. — Innocent, mon cul ! hurla Jake. Il avait posé les mains sur toi ! — Et alors ? dit-elle en croisant les bras. En quoi ça te regarde ? — Merde, Charlotte ! En deux pas, elle se retrouva dans ses bras ; sa bouche s’ouvrit et, à la seconde où sa langue toucha la sienne, elle fut en feu. Il la poussa contre le comptoir et renforça son baiser. Le corps de Charlotte réagissait au sien. Ils s’embrassaient comme s’ils se battaient : tout en agressivité, en passion ; il n’y avait rien de lent et posé là-dedans. Incapable de se contrôler plus longtemps, il fit glisser les bretelles de sa robe. Sa peau était comme du velours. Les mains de Charlotte s’emmêlaient dans ses cheveux tandis que sa langue descendait sur sa lèvre inférieure pour goûter le vin dans sa bouche. Il vit sa poitrine se couvrir de chair de poule quand ses lèvres quittèrent les siennes pour descendre dans son décolleté et s’arrêter juste au-dessus de son soutien-gorge. Jace émit un râle par terre.

Jake l’ignora. Le râle se fit plus fort. Charlotte enfonça ses doigts dans le dos de Jake. Dieu le détestait. La lâcher dut être la chose la plus dure qu’il ait eue à faire de toute son existence. Jace s’agitait sur le sol. — On devrait y aller. Jake dut lutter pour retenir son souffle quand il croisa le regard de Charlotte. Il l’avait fougueusement embrassée, dévastée pendant une minute, et il adorait savoir que c’était lui l’homme à l’origine de cet air sur son visage. L’expression de la luxure, du désir, et tout ça à cause de lui. Jace grogna encore une fois. — On fuit la scène de crime ? suggéra Charlotte en attrapant la main de Jake avant de remonter au rezde-chaussée. — Si quelqu’un pose des questions, on l’a vu trébucher. — Dans ton poing ? demanda Charlotte. Vraiment ? C’est le mensonge qu’on va leur servir ? — Pardon si mon cerveau ne marche pas très bien, là. On a de la chance que je puisse marcher et parler en même temps sans te coincer contre l’escalier et relever ta jupe. — Tu peux, tu sais ? Jake se figea. — Je peux ? — Relever ma jupe. — C’est une punition, c’est ça ? Charlotte afficha un large sourire et murmura à son oreille : — J’ai acheté de la lingerie lors de la soirée. Penses-y pendant le dîner. — Super ! lança Jake. Et que va s’imaginer grand-mère ? Que les fleurs m’excitent ? Que les huîtres me font de l’effet ? À mon avis, ce sera très inconfortable. Et si on ratait le dîner ? Une fois en haut de l’escalier, il la poussa contre le mur le plus proche et la bloqua avec son corps. — Juste un autre baiser. — Ce n’est jamais qu’un baiser avec toi, Jake. Il ne put empêcher l’immense sourire qui apparut sur son visage. — Tant mieux. Parce que je veux qu’ils ne se terminent jamais, affirma-t-il avant de déposer un baiser sur son nez. J’ai besoin de te prouver que ça ne sera pas qu’un baiser. Ses lèvres effleurèrent les siennes. — Parce que ce sera le premier d’une centaine de milliers de baisers. Il passa ses lèvres dans le creux de son cou. — Ce sera le premier des derniers baisers que tu recevras. Sa langue lécha sa clavicule pendant qu’il remontait de l’autre côté de son cou. — Je veux te passer l’envie d’embrasser qui que ce soit d’autre. Je veux te marquer comme mienne. Je veux t’entendre dire mon nom, pas parce que tu es énervée, mais parce que tu es tellement excitée que tu ne peux plus réfléchir correctement. Je veux te faire tout ça. Je veux te faire mienne. — Tienne ? Les yeux de Charlotte étaient pleins de larmes. — Je suis un homme très possessif, si tu ne l’avais pas deviné. J’en ai assez de fuir. — Tu peux m’en faire la promesse ? Jake prit son visage entre ses mains. — Pour l’éternité. Telle est mon offre. — C’est donc un contrat ? demanda-t-elle avec un petit sourire taquin.

— Absolument. Il la tira dans ses bras et l’embrassa sur le front. — Il faudra évidemment que tu signes cette clause de confidentialité rédigée par des avocats qui n’ont rien de mieux à faire que me protéger. Tu devras signer au bas de la page, comme d’habitude, quoi, pour confirmer que tu acceptes d’être mon esclave sexuelle à toute heure du jour ou de la nuit. Et je te punirai quand tu essaieras de me quitter. — Sympa. Si tu étais toujours PDG, je pourrais t’appeler Christian Grey. — Jake Titus ! Le cri de grand-mère aurait pu réveiller un mort. — Où es-tu ? Il faut que je te parle ! — On court ? demanda Charlotte. — Grand-mère voit tout, répondit-il. Ce serait comme essayer de se cacher de Dieu. Ils se séparèrent, non sans un soupir. Jake porta la main de Charlotte à ses lèvres. — Nous pourrons discuter plus tard. — À propos de cette histoire d’éternité ? Ses yeux étaient pleins d’espoir, ce qui fit bondir son cœur dans sa poitrine. — Oui, à propos de cette histoire d’éternité. — Vous voilà ! souffla grand-mère. Je vous ai cherchés partout, tous les deux ! C’est l’heure du toast ! Attendez. Où est Jace ? — Il dort, dit une voix derrière eux. J’ai décidé de faire une petite sieste. — Dans la cave à vin ? demanda grand-mère, les bras croisés. Oh ! chéri ! Qu’est-il donc arrivé à ton œil ? — L’écureuil, déclara Jace en regardant Jake les yeux plissés. On dirait qu’il a retrouvé ses noix et m’a attaqué avec, le petit salopiot. — Oh ! je vois, acquiesça grand-mère. Eh bien, je suis sûre que ses noix ne sont pas aussi impressionnantes qu’il veut nous le faire croire. — Oh ! mais si, intervint Charlotte. Jace couvrit son sourire et regarda grand-mère d’un air sérieux. — Si vous êtes prête, nous devrions probablement retourner au dîner. — D’accord. Elle prit son bras, et ils partirent devant Jake et Charlotte. — Merci, dit Jake en lui prenant la main, d’avoir défendu ma virilité. — Ah ! elle s’est pris une sacrée claque, récemment. Je me suis dit qu’il fallait que je lui donne un petit coup de main. Avec un sourire suffisant, Jake la tira contre son corps et murmura : — Je crois que c’est plutôt moi qui te donnerai un coup de main tout à l’heure. — On verra. Il croisa brièvement son regard avant qu’elle batte des paupières et détourne les yeux.

47 Kacey ne put s’empêcher de remarquer l’œil au beurre noir de Jace alors qu’il revenait à table. Charlotte et Jake le suivaient, pratiquement tête contre tête. Charlotte se mit à rire. Jake lui toucha le bras. Oh non ! Kacey plissa les yeux en jetant un regard furieux vers grand-mère, qui avait l’air très fière d’elle. — Elle est en train de gagner, dit Kacey à Travis en lui mettant un petit coup dans les côtes. — Crois-moi, dit-il en se cognant bruyamment la tête contre la table. Je le sais. — Oh ! arrête. Il te reste vingt-quatre heures. — Je viens de passer les deux plus longues semaines de ma vie, affirma Travis avec un soupir. C’est quoi, vingt-quatre heures de plus ? Il passa son bras autour de Kacey et se raidit. — Quoi ? Qu’est-ce qui ne va pas ? dit-elle. — Il l’a embrassée. — Hein ? — Mais quel bouffon ! dit-il en souriant. Regarde-le. Kacey regardait dans la direction que lui montrait Travis. Jake souriait devant son assiette et faisait tourner son verre de vin. Toutes les trente secondes, il croisait le regard de Charlotte, et ils échangeaient un sourire entendu. — Sacrebleu, marmonna Travis. — Ça ne marche pas non plus. Nous ne sommes plus au Moyen-Âge, dit Kacey en soupirant. Grand-mère se mit debout et leva son verre. — Le témoin aimerait dire quelques mots aux futurs mariés. Jake ? Jake s’humecta les lèvres et se leva, tenant son verre devant lui. — Je t’ai embrassée en premier. Kacey éclata de rire alors que Travis maugréait. Jake fit un clin d’œil et continua : — Je crois me souvenir d’un pari stupide que mon frère et moi avons fait concernant le fait de se marier avec la voisine. Eh bien, mon frère, je pense que tu as gagné. Merci pour la facture, au passage, j’apprécie. Vous avez tous les deux une grande importance dans ma vie, et je n’ai pas de mots pour vous dire à quel point cela me rend heureux de voir mes deux meilleurs amis se marier ensemble. Aux futurs mariés ! Il leva son verre. — Santé ! dit tout le monde en chœur. Jake fit un geste vers Jace. — Tu ne veux pas dire un mot ? Jace repoussa sa proposition d’un signe de la main. — Non, je pense que tu as tout dit. — Mince, murmura Kacey. Il y a vraiment quelque chose qui cloche. Ils se sont battus toute la semaine ! Kacey serra la main de Travis fermement. Grand-mère leur fit un clin d’œil et indiqua le sol.

Son fichu étui à micro s’y trouvait. — Merde, marmonna Travis. Elle va nous battre. — Je crois que c’est déjà le cas, dit Kacey en montrant Jake. Il était assis en face de Charlotte et lui lançait des regards tellement lascifs et déplacés que Kacey se demandait si elle ne devait pas simplement avoir pitié de Travis et lui cacher les yeux. Mais quand elle se tourna pour lui dire quelque chose, un sourire sournois étirait ses lèvres. — Oh, oh ! fit Kacey. À quoi tu penses ? — Je pense qu’on va être à égalité. — À égalité ? — Il la désire ardemment, expliqua Travis en riant doucement. Et il pense qu’il l’aura dès ce soir, mais… — Quoi ? — Quel genre de frère serais-je si je ne protégeais pas le cœur de Jake ? Quel genre d’homme seraisje si je ne protégeais pas la vertu de Charlotte ? Il secoua la tête et posa sa main sur son cœur. — Je ne pourrais pas continuer à vivre… — Jake va me tuer. — La consolation des malheureux est d’avoir des semblables, affirma Travis en prenant une gorgée d’eau. Oh oui !

48 Les desserts furent servis. Charlotte choisit un soufflé au chocolat avec de la crème fouettée. À l’instant où il fut posé devant elle, elle vit le regard plein d’envie de Jake. Avec un sourire malicieux, elle plongea son doigt dans la crème et le lécha avec indolence. La bouche de Jake s’ouvrit lentement. Elle se lécha les lèvres et replongea son doigt. Jake se pencha en avant, et ses yeux se fermèrent presque tandis que son regard taquin devenait lascif. Charlotte se demanda à quand remontait la dernière fois que le joueur avait joué ou qu’il avait vraiment attendu pour obtenir quelque chose. Prudemment, elle enleva ses escarpins compensés et se détendit un peu plus sur sa chaise. En essayant d’agir de manière nonchalante, elle prit une autre bouchée de son dessert et regarda Jake la regarder. Elle sut exactement à quel moment son pied entra en contact avec sa jambe. Il sursauta et attrapa le bord de la table en lançant un juron. — Tout va bien, Jake ? demanda Pétunia qui l’examinait à travers ses lunettes. — Très bien, dit-il d’une voix tendue. J’ai un peu chaud. Ses yeux mi-clos clignèrent plusieurs fois avant qu’il attrape son verre d’eau et en prenne une grande gorgée. — Il fait un peu lourd, dit Pétunia en s’éventant. Mais tu es vraiment très rouge. Tu n’as pas attrapé quelque chose ? — Malheureusement, non, répondit Jake. — Pardon ? dit-elle, les sourcils froncés. — Jolie vaisselle ! lança-t-il en montrant le beurrier au centre de la table. Charlotte se mordit la lèvre pour se retenir de rire ; elle prit une autre lente bouchée de soufflé et lécha sa fourchette. Jake grommela de l’autre côté de la table. Le pied de Charlotte toucha sa peau. — Bon sang de… — Jake ? dit Pétunia en secouant la tête. Tu m’inquiètes. — Moi aussi. Charlotte se lécha les lèvres et fit remonter son pied le long de la jambe de Jake. Il joignit les mains sur la table, et l’intensité de son regard enflamma. — Tout va bien. Ses yeux se fermèrent quand elle frotta son mollet avec son pied et serra sa jambe avec les deux siennes, le tirant plus près de la table. — Merde, souffla-t-il. — Je te demande pardon ? le réprimanda Pétunia. Jake Titus, veux-tu arrêter tes grossièretés ? — C’est vraiment un vilain, vilain garçon, concéda grand-mère avec un clin d’œil. Jake grommela, ses yeux suppliant Charlotte d’arrêter ou de continuer, mais de le tuer sur-le-champ. — Tu sais ce qui arrive aux vilains garçons, dit Charlotte avec obligeance. — Quoi ? demanda-t-il d’une voix rauque.

— La fessée, lâcha Pétunia. Déculottée ! Jake lâcha une bordée de jurons. — Wescott ! exigea Pétunia. S’il te plaît, maîtrise ton fils ! On dirait qu’il ne peut s’empêcher d’utiliser un langage grossier à table ! À mon époque, on envoyait les enfants dans leur chambre s’ils faisaient ce genre de chose. — Très bien, dit Wescott en levant les yeux au ciel. Va dans ta chambre, Jake, et accepte cette punition comme un homme. — Je, euh…, bégaya Jake. Je ferais probablement mieux de rester ici. — Tu as entendu ton père, insista Pétunia en secouant la tête. Tu dois être puni. — S’il vous plaît, pleurnicha-t-il en appuyant sa tête dans ses mains. — Jake…, intervint Charlotte, retirant son pied et se penchant en avant. Tu devrais écouter ton père. Si tu ne veux pas avoir de problème…, va dans ta chambre. — Je ne peux pas, dit-il, les dents serrées. Grand-mère s’approcha de Charlotte et heurta une cruche d’eau glacée qui se renversa sur les genoux de Jake. Ses yeux sortirent de leurs orbites quand elle se pencha pour que seuls lui et Charlotte puissent l’entendre. — De rien. — Je veux mourir, dit Jake. — Quel maladroit ! Va changer de pantalon, ordonna grand-mère. Charlotte, pourquoi ne nous ramènerais-tu pas un peu d’eau de la cuisine ? Inutile de le lui dire deux fois. Jake posa sa serviette et partit derrière elle. Pieds nus, elle put courir dans l’herbe. Une fois dans la maison, elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Jake la rattrapait. L’expression sur son visage était celle d’un prédateur. Elle laissa échapper un couinement et monta l’escalier jusqu’à la chambre, au moment où les bras puissants de Jake l’enlacèrent pour la pousser dans la pièce. — Vilaine fille. Je vais te le faire payer. Elle se retourna dans ses bras et lui lécha le menton comme elle l’avait fait avec son soufflé. — Tu me le promets ? — Déshabille-toi. Il la lâcha, avança jusqu’au lit et s’enfonça lentement dedans. — Tout de suite, ajouta-t-il. — Exigeant, dit Charlotte en mettant ses mains sur ses hanches. Hein ? — Oui, répondit Jake en s’appuyant sur ses coudes. Tu me dois bien ça. Non seulement j’ai fait une danse cochonne pour toi, et avec des jambières, mais tu m’as torturé pendant tout le dessert, alors que ma grand-tante, la prude, me disait que j’avais besoin d’une fessée. Charlotte se mit à rire. — Ce n’est pas amusant, grommela Jake. J’ai vécu le moment le plus gênant de ma vie. — Avant ou après que grand-mère t’a refroidi ? demanda-t-elle. — Si tu veux que je puisse encore fonctionner correctement, ne mentionne plus jamais cet épisode. Charlotte tripotait les bretelles de sa robe. — Je me souviens. — Tu te souviens de quoi ? Les yeux de Jake étaient attirés par ses doigts tandis qu’elle jouait avec ses bretelles en les faisant descendre le long de ses épaules.

— De quoi te souviens-tu ? — De nous. Charlotte laissa sa robe tomber par terre et fit un pas sur le côté. — Je me souviens de notre nuit ensemble. J’ai menti. J’ai dit à Beth que je ne m’en souvenais pas. Je t’ai dit que c’était nul. J’essayais simplement de faire en sorte que tu te sentes mal. — Hum, fit Jake en se levant et en s’approchant lentement d’elle. Je le méritais. — Je sais. — Alors…, sur une échelle de un à dix… Jake toucha ses épaules et promena ses mains le long de ses bras. — Un étant le pire moment de ta vie, et dix, le meilleur… — Six, dit Charlotte avec honnêteté. Tu avais bu de la tequila. — Mince ! lança Jake. J’ai vraiment dû perdre la main. — Je n’avais aucun élément de comparaison. Les mains de Jake s’immobilisèrent sur ses bras. — Tu veux dire que tu n’avais personne à qui me comparer ? Ou tu as décidé de ne pas comparer parce que c’était vraiment nul ? Et la voilà. La raison principale pour laquelle elle lui avait offert son cœur, pour toujours. — Je…, euh… On peut dire que je n’avais personne pour comparer. Jake lança un juron et appuya son front contre le sien. — Je suis un crétin. Je ne savais pas. Je veux dire, comme tu l’as dit, beaucoup de tequila et… — Ça va. Elle l’embrassa doucement. — Non, dit-il en reculant. Ça ne va pas. C’est une honte ; voilà ce que c’est. Avant que Charlotte ne puisse dire quoi que ce soit, il l’avait soulevée dans ses bras et portée jusqu’au lit. — Ça devrait être renversant, bouleversant, étourdissant. Tu devrais sentir chaque effleurement du bout de mes doigts. Il promena ses doigts du bord de son soutien-gorge jusqu’à son ventre. — Tes muscles devraient se contracter chaque fois que mon souffle passe sur ton visage. Ton corps devrait littéralement se cambrer vers moi, il devrait me supplier de le toucher, et le mien devrait être assez altruiste pour te donner ce dont tu as besoin avant même de penser à moi. Charlotte gémit tandis qu’il enlevait sa chemise et se penchait au-dessus d’elle. — Le sexe peut être pratiqué de manière insouciante ou en toute conscience. Cela peut devenir une habitude ou une simple libération. Cela peut être totalement égoïste. Mais j’ai décidé de ne plus aimer le sexe. — Quoi ? La passion qu’éprouvait Charlotte se dissipa légèrement. — Que veux-tu dire par là ? — Je veux faire l’amour, murmura Jake. Avec toi. Je ne veux pas que ce soit purement physique. J’ai besoin que ce soit spirituel parce qu’avec toi, c’est bien plus, Charlotte. C’est tout. Peut-être que pour toi ce sera autre chose, mais pour moi… Jake secoua la tête et l’embrassa fermement sur la bouche. — J’ai fait le grand saut, ajouta-t-il. Tu viens avec moi ? — Je suis déjà tombée. Charlotte l’enlaça et le tira pour qu’il couvre son corps. Elle ne pouvait qu’imaginer à quel point être

avec lui serait fantastique après ce discours.

49 Vierge. Elle était vierge. Il avait couché avec elle un soir et il avait alors gâché cette fille parfaite. La fille la plus fantastique, son âme sœur. Jake déposa un tendre baiser sur son front et recula. — Où vas-tu ? demanda Charlotte. — Nulle part, dit-il, sincèrement. Il n’allait nulle part, surtout si elle était à ses côtés. Il laissa tomber son pantalon par terre et s’approcha du lit. Charlotte l’observait. Mince, il aurait pu passer sa journée à la regarder. Ses cheveux châtains éparpillés sur son soutien-gorge de dentelle rouge. Elle avait bien acheté de la lingerie. Et elle la portait bien, trop bien, à en juger par les points noirs qui troublaient sa vision. Il allait perdre la tête s’il ne pouvait pas l’avoir… maintenant. Il s’agenouilla à califourchon sur elle sur le lit. — J’ai quelque chose à te dire. — Ah oui ? Charlotte frissonna à son contact. Il attrapa sa main et suça l’un de ses doigts. — Ça fait une heure que je suis jaloux de ce doigt. J’étais jaloux de la crème fouettée. Elle gémit. — Et maintenant ? — Maintenant, je veux lécher tout ton corps. Il plaça ses mains sur les hanches de Charlotte. — Chaque centimètre carré… Rien ne restera intact… — Rien ? demanda Charlotte en haussant les sourcils. — Rien, répéta-t-il en prenant possession de sa bouche. Il s’appuya sur elle et l’embrassa bruyamment, la dévora et, à cet instant, il réalisa que son goût serait à jamais gravé en lui. Tout chez elle lui convenait parfaitement ; il avait été trop aveugle pour le voir avant. Et, désormais, il ne la laisserait jamais s’en aller. Ses lèvres touchèrent délicatement les siennes alors qu’il appuyait son corps contre sa chaleur, mais, quand elle soupira, il recula. — Qu’est-ce qui ne va pas ? — Qu’est-ce qui a changé ? Les mots ne voulaient pas venir. Ainsi, non seulement il avait officiellement perdu la main, mais il était incapable de partager l’un des éléments les plus importants de son existence. Les yeux de Charlotte papillonnèrent avant de se fermer. Quand ils se rouvrirent, ils étaient humides. Jake tint son visage dans ses mains et dit très doucement : — Moi. J’ai changé. Elle fronça les sourcils. — C’était moi, pas toi. Tu as toujours été la même. Que tu veuilles me tuer ou m’embrasser, tu n’as jamais changé. C’est moi ; je suis différent. — Juste comme ça ? demanda Charlotte, sceptique. Il avait très envie de commencer par se perdre en elle et avoir cette conversation sérieuse ensuite, mais il savait mieux que quiconque que les femmes ne voient pas les choses ainsi. Alors, avec le selfcontrol qui lui faisait souvent défaut, il se redressa et s’assit sur le lit, ne portant rien d’autre qu’un boxer,

et attendit qu’elle s’asseye elle aussi. Il la prit alors dans ses bras et la souleva du lit pour la porter jusqu’à un fauteuil devant la fenêtre où ils pourraient admirer le lac, ses souvenirs…, son passé. Après l’avoir installée sur ses genoux, il attrapa une couverture dans un panier sur le sol et les couvrit. La sensation de sa peau faisait vibrer tout son corps tandis qu’ils étaient assis enlacés sur le fauteuil, les jambes enchevêtrées. Il posa son menton sur sa tête et passa ses bras autour de ses côtes. — C’était là-bas, sur le quai. Charlotte expira. — Quoi ? — La première fois que j’ai pris de la drogue. Elle se raidit. Jake déglutit. — J’étais un gamin…, bête, jeune et bien trop prétentieux. Je sais ce que tu penses : il y a des choses qui ne changent jamais, mais je ne peux pas imaginer ce que je serais devenu s’il ne m’avait pas trouvé. — Qui ? — Bill. Jake attrapa ses deux mains. — Le père de Kacey, précisa-t-il. J’avais trop bu ce soir-là. J’avais de la chance d’être encore en vie ; je n’arrêtais pas de boire parce que je n’arrêtais pas de sniffer de la cocaïne. Je me sentais invincible, comme si j’avais pu m’envoler. Je veux dire : je n’étais même pas fatigué. Je voulais rester debout toute la nuit et faire la fête. J’avais l’impression d’être adulte, de pouvoir gérer la situation. — Que s’est-il passé ? Jake se mit à rire. — Eh bien, mes parents étaient partis pour le week-end. J’étais resté à la maison avec Travis, mais il était sorti avec des amis, me laissant tout seul. J’ai organisé une petite fête. Avec quelques personnes. Elles étaient toutes au moins en terminale. J’avais l’impression de déchirer. Bref, poursuivit-il en s’éclaircissant la voix, mon père avait demandé à Bill de jeter un œil sur nous pendant le week-end. Évidemment, je n’étais pas au courant. Il m’a trouvé juste après que j’ai sauté du bout du quai, et, sans qu’on sache comment, ma tête a heurté le bateau arrimé là. Tous mes soi-disant amis étaient trop défoncés ou bourrés pour le remarquer. Mais Bill s’était arrêté en voyant la scène. Il a couru et a plongé. Il m’a sauvé la vie. Charlotte serra ses mains encore plus fort. — Je suppose… Après avoir failli mourir, tu aurais dû changer de comportement ? Je ne comprends pas. — C’est ce que j’ai fait, affirma Jake en haussant les épaules. Pendant un temps. J’ai obtenu de bonnes notes, pratiqué tous les sports possibles, je me suis répandu en excuses devant Bill. Il ne l’a raconté qu’à sa femme, jamais à mes parents ni à Kacey. Ce secret nous liait. Je le regardais avec admiration, je le respectais parce que c’était la première fois de mon adolescence qu’un adulte m’avait traité en adulte ; alors, je voulais simplement qu’il soit aussi fier de moi qu’il l’était de Travis et Kacey. Tremblant, Jake ferma les yeux et murmura un juron. Pourquoi était-ce si dur ? Peut-être parce que c’était la première fois qu’il en parlait à voix haute et que c’était à quelqu’un qui comptait vraiment pour lui, quelqu’un qu’il aimait. En mettant son âme à nu, il réalisait comme c’était terrifiant d’aimer une autre personne. En aimant quelqu’un, vous lui donniez tous les pouvoirs pour vous blesser, pour vous rejeter. Et il savait au fond de lui qu’à la minute où il révélerait qui il était vraiment, le masque tomberait, et il ne serait plus que lui, Jake Titus, l’homme brisé. Au final, voudrait-elle encore de lui ? Ou le laisserait-elle, comme il le méritait ?

— Au lycée, continua-t-il, Kacey et moi étions inséparables. Je sais que tu connais toute cette histoire sordide. Je veux dire, je suis presque sûr que c’est toi qui as continué à m’envoyer des messages méchants pendant toute une année à partir d’un numéro inconnu. Charlotte se mit à rire. — Bref, dit-il avec un sourire. Nous avons couché ensemble au lycée…, mais une seule nuit. Je savais très bien ce que je faisais. Je lui ai dit que j’étais jeune et stupide, mais un mec sait comment ça se passe. Je m’en fichais. Je savais que ça changerait notre relation, mais je voulais quand même le faire. Je la voulais, même si je savais que ça n’irait pas plus loin que cette nuit-là. Je pense qu’au fond de moi, j’ai toujours su que nous étions mieux en tant qu’amis. Bill m’avait répété encore et encore que les garçons et les filles ne pouvaient pas être amis. Je pense qu’il voulait me mettre en garde sur le fait que, peu importe ce qu’on pense, les hormones prennent le dessus. Et quand on mélange l’alcool et les hormones, eh bien… Bon sang, il détestait lui raconter cette partie de l’histoire. — Kacey ne se souvient plus de grand-chose, mais moi, si. — Que veux-tu dire ? demanda Charlotte avec une petite voix. Ça ne menait à rien. — Nous avons bu autant l’un que l’autre, mais elle est bien plus menue que moi. Elle se souvient d’avoir couché avec moi, elle se souvient qu’on était gênés, mais je ne pense pas qu’elle se souvienne d’avoir pleuré. Ni le fait qu’environ à la moitié, elle m’a demandé d’arrêter ; elle a dit qu’elle ne voulait pas décevoir son père… Charlotte se retourna vers lui. — Et tu ne t’es pas arrêté, c’est ça ? — Non, dit Jake en s’étouffant presque. Je lui ai dit que tout irait bien, que c’était normal d’avoir peur. J’ai… Jake ferma les yeux. — Je lui ai dit que je l’aimais. Et que, comme je l’aimais, ça allait. — Et tu es parti. Charlotte termina l’histoire. — Comme le crétin que j’étais. Je suis parti, confirma Jake en soupirant. J’ai quitté sa chambre et je me suis directement rendu au bâtiment d’une sororité. Je me sentais tellement coupable, que j’avais envie de m’assommer ; je voulais disparaître. J’ai bu comme un trou, je me suis réveillé dans le lit d’une autre fille et j’ai découvert quelques heures plus tard qu’au moment exact où je trahissais Kacey et son père…, ses parents étaient morts dans un accident. Ils restèrent silencieux quelques minutes, jusqu’à ce que Jake ajoute : — Le pire dans tout ça ? J’ai eu le choix. J’aurais pu facilement courir la voir, lui demander pardon, pleurer avec elle. Bon sang, j’aurais pu être l’ami qu’elle méritait d’avoir. Au lieu de cela, je me suis lamenté sur mon sort. J’avais l’impression que c’était ma faute s’ils étaient morts, que, si je m’étais arrêté quand elle l’avait demandé, ils seraient toujours en vie. — Jake, dit Charlotte en prenant son visage entre ses mains. C’est faux et tu le sais. Tu ne pouvais pas l’éviter par tes actes, tout comme tu ne pouvais pas en être la cause. — Je crois que je le sais, maintenant, affirma Jake. Mais je me sens toujours mal, ça me hante toujours, et, honnêtement, c’était trop facile d’ignorer tout ça, de me dire que je pouvais vivre pleinement et tout faire. Je voulais être le plus loin possible de Kacey et tout ce qu’elle représentait. — Elle t’avait confié son cœur… — … et je l’ai brisé, termina Jake. En mille morceaux. Et quand on m’a donné la chance de le réparer,

j’ai marché sur les morceaux pour les enfoncer un peu plus dans la terre en détruisant tout ce qu’était notre amitié. Charlotte fixait son torse et ne bougeait plus. — À quoi penses-tu ? murmura-t-il, sachant pertinemment que son comportement manquait de virilité, mais il s’en fichait totalement. — Je suis triste pour toi, dit-elle en faisant descendre son doigt le long du torse de Jake. Je suis triste pour ce garçon de quatorze ans qui lutte encore pour être l’homme qu’il est censé être. — Je le suis, affirma-t-il en attrapant son visage. Je suis cet homme. Je veux être cet homme. Tu me donnes envie de l’être. Charlotte regarda dans ses yeux, recherchant quelque chose, attendant quelque chose. — Travis m’a donné quelque chose aujourd’hui. Il la déplaça délicatement et se leva pour aller jusqu’à la commode. Il ouvrit le premier tiroir et en sortit la lettre. — C’est quoi ? demanda Charlotte en lui prenant le papier des mains. — Un message, de la part de Bill. Elle retint son souffle, et Jake continua à parler : — Travis avait des instructions strictes pour ne me le transmettre qu’à une seule condition. — Laquelle ? — Que je sois amoureux. La lettre tomba des mains de Charlotte et voleta jusqu’au sol. — Tu le penses vraiment ? En deux pas, Jake se retrouva devant elle. Il la souleva et l’embrassa sur la bouche. — Oui, je t’aime, et je suis désolé de me présenter avec ces bagages. Je suis désolé d’avoir un passé, je suis désolé d’avoir embrassé une fille et de l’avoir fait pleurer, je suis désolé que la fille que j’ai fait pleurer, ce soit toi, je suis désolé de ne pas avoir été l’homme que j’étais censé devenir, mais avec toi, Charlotte… Il l’embrassa de nouveau goulûment. — Je suis lui. Tu me fais devenir cet homme parce que tu me fais croire que je peux l’être. Charlotte acquiesça tandis que des larmes coulaient le long de son visage. — Que dit-il ? demanda-t-elle en désignant le message. — Tout ce que j’avais besoin d’entendre, répondit honnêtement Jake. Tout ce que je ne voulais pas entendre. Il a dit que tes sourires seront plus nombreux que tes larmes. Jake essuya ses larmes avec son pouce, les étalant sur sa joue. — Il a dit que je devrais te chérir en tant que partenaire, pas seulement comme une amoureuse. Jake porta les doigts de Charlotte à ses lèvres et les embrassa un par un. — C’est presque comme si je savais que j’allais tout gâcher, mais que je t’aimais quand même. — Jake, c’est ça, l’amour. — L’amour, répéta-t-il avec le sourire. L’amour, ce n’est pas facile ; ça fait mal. Quand je te regarde, j’ai l’impression que ma poitrine va exploser ; quand tu me touches, je le sens partout ; quand tu inspires, je retiens mon souffle jusqu’à ce que tu expires. L’amour, c’est l’enfer, la torture, ça rend un homme fou, et c’est la chose la plus effrayante que j’aie jamais ressentie. J’ai l’impression d’avoir sauté dans un immeuble en feu…, mais, Charlotte, tu es mon eau. Et j’ai besoin de savoir une chose. — Quoi ? murmura-t-elle. — Viendras-tu me sauver ?

50 Sans répondre, Charlotte se mit sur la pointe des pieds et embrassa Jake. Sa langue toucha la sienne, pénétrant lentement dans sa bouche alors qu’il lui rendait timidement son baiser. Elle posa ses mains sur son torse et le poussa sur le lit. — Jake Titus, si tu me laisses un mot de remerciement après ce soir, je te traquerai et te tuerai. Jake rejeta la tête en arrière et se mit à rire. — Cela veut-il dire que tu m’aimes ? — Non, répondit-elle avec un clin d’œil. Ça veut dire qu’une femme méprisée, ce n’est pas beau à voir. — Oh ! Son visage s’assombrit. — Mais, ajouta-t-elle en haussant les épaules, je suppose que, puisque nous en sommes aux confessions… Elle laissa tomber ce qui lui restait de vêtements par terre. — Je t’ai aimé dès la première fois que je t’ai vu. — Tu m’aimais quand j’avais cinq ans et que je me cachais dans la chambre de mes parents parce que les feux d’artifice faisaient trop de bruit le 4 juillet ? — Tu avais les cheveux blonds, se remémora Charlotte à voix haute. Ils sont bruns maintenant, mais, quand tu étais petit, tu avais des cheveux extrêmement blonds. Je me souviens que je me disais que j’avais envie de les toucher parce qu’ils étaient très beaux. Jake sourit, sans rien dire, alors qu’il la dévorait des yeux. — Je voulais que tu sois mon premier baiser, admit Charlotte, qui grimpa sur le lit et l’enfourcha. Jake se redressa et murmura contre sa bouche. — Et si j’étais ton dernier ? — Qu’est-ce que tu… ? — Je t’aime… Je suis amoureux de toi, déclara Jake en attrapant le visage de Charlotte entre ses mains. Je veux tout faire avec toi. Je te veux tout entière… Il se jeta sur elle pour l’embrasser fougueusement et passa ses mains le long de ses hanches avant de la tirer vers lui. Les lèvres de Jake descendirent dans son cou pendant qu’il honorait son corps, les yeux fermés. Il fit tout au toucher, descendit lentement de ses hanches à ses jambes, puis remonta jusqu’à prendre ses seins au creux de ses mains. Puis, il les enleva et se dégagea. — Jake ? — Pas comme ça, dit-il avant de se diriger vers l’interrupteur pour faire de la lumière. Charlotte essaya de se couvrir. — Ne fais pas ça. Je veux te voir, je veux que… Il regarda ses lèvres. — J’ai besoin que ce soit différent. — Jake… — Tu n’es pas une croix, dit Jake. Charlotte, tu n’es pas une de ces fichues croix sur ma tête de lit, tu

n’es pas simplement une fille de plus. Ce n’est pas une fin de soirée arrosée que nous allons partager. Ce n’est pas une autre de mes nuits de dragueur. Je n’ai rien d’autre à t’offrir que moi, et je ne veux rien d’autre en retour que ton cœur tout entier. Charlotte hocha lentement la tête. — Dis-le, lui demanda-t-il d’une voix râpeuse. — Il est à toi, murmura Charlotte. — Quoi ? Il marcha lentement vers le lit. — Mon cœur, répondit Charlotte en se mettant à genoux. Moi, tout entière. Je veux que tout t’appartienne. Quand il l’atteignit, il ferma les yeux. — Je jure que je ne te laisserai pas partir. — Depuis quand es-tu si romantique ? — Je ne sais pas…, répondit-il en la prenant dans ses bras. Quand es-tu devenue si belle que ça m’a donné envie de déclamer de la poésie ? — Embrasse-moi. — Non, dit Jake en la repoussant doucement. Je vais faire les choses lentement. — Je t’en prie, fais-le vite, réclama Charlotte, ressentant l’absence de son contact comme un air froid sur son corps. — Non. Jake effleura son menton du bout des doigts. — Je veux te savourer. Charlotte retint son souffle quand il tira son visage vers le sien et lui lécha la lèvre inférieure, puis la suça, sa langue passant sur ses dents pour la goûter. — Bon sang, tu es fantastique, marmonna-t-il contre ses lèvres avant de mordiller sa bouche et explorer chaque ridule de son visage. Ses mains erraient partout sur elle. Il était impossible pour Charlotte de réfléchir ou faire quoi que ce soit d’autre que réagir alors qu’il l’amadouait, la touchait, l’aimait. Avec un soupir, il la porta dans ses bras et l’amena sur le lit, où il l’allongea délicatement. Il recula et l’observa, le désir assombrissant son regard, mais il se retint. Tout sourire, il passa ses doigts dans les cheveux de Charlotte et les étala autour de sa tête, les peignant encore et encore comme s’il était hypnotisé par la sensation sur ses doigts. — J’ai rêvé de ça, tu sais, dit Jake. À tes cheveux sur ce lit, sur des draps de satin, sur un peu tout, en fait. Ils sont magnifiques. Tu es magnifique. Charlotte ouvrit la bouche pour parler, mais il l’en empêcha avec son doigt. Sa tête descendait tandis qu’il embrassait son cou et remontait vers son oreille pour lécher le lobe et souffler à l’intérieur, lui donnant la chair de poule sur tout le corps. — Tu es si sensible. Ses lèvres passèrent sur sa mâchoire et dans son cou pour atteindre l’autre oreille. Il répéta la procédure, puis déposa un baiser humide entre ses seins avant de souffler doucement dessus, éveillant à nouveau son corps, chaque nerf à fleur de peau, anticipant le prochain contact. Les mains chaudes de Jake saisirent les fesses de Charlotte, puis il l’allongea sur le lit. La chaleur de son corps la brûla lorsqu’il passa au-dessus d’elle, et ses yeux ne quittèrent jamais son visage quand ses mains passèrent de ses hanches à ses cuisses. — Ce soir, ce n’est pas pour moi. C’est pour toi, rien que toi.

— Mais… Toute pensée consciente lui échappa alors que les mains de Jake opéraient leur magie sur son corps. Quand elle cria, il déposa un baiser sur son front, puis ses paupières, et ses mains massèrent ses cuisses, ses mollets, et revinrent vers ses épaules. C’était comme vivre le meilleur rêve érotique de sa vie ; chaque baiser, chaque sensation étaient telle une drogue. Quand il la pénétra enfin, elle était tellement excitée qu’elle ne put s’empêcher de crier son nom. Et ce fut là que son self-control, sa lenteur éprouvante et toute sa patience disparurent et firent place à un homme amoureux possessif et bestial, qui faisait tout ce qui était en son pouvoir pour la faire sienne. — Je t’aime, murmura-t-il. Leurs corps bougeaient ensemble, la sueur les faisant glisser l’un contre l’autre. Le monde de Charlotte explosa, changea. Les couleurs devinrent plus claires, les sentiments, plus forts, et son âme rejoignit celle de Jake. — Pour toujours, ajouta-t-il, à bout de souffle. Tu es à moi pour toujours.

51 Ils avaient dû s’endormir. Jake n’avait pas pu s’arrêter après la première fois, ni la deuxième. Mince, il avait du mal à trouver l’énergie pour lever la tête. Les autres invités durent supposer qu’il boudait. Ils ne pouvaient pas être plus loin de la vérité : il était transporté de joie, comblé, toujours excité… Bon sang, comment était-ce possible ? Il ne perdait pas une goutte de la peau crémeuse de Charlotte, de la manière dont ses cheveux châtains tombaient sur ses épaules. Incroyable, elle était incroyable. Il soupira et regarda vers la fenêtre. Il faisait sombre. Jake se leva d’un bond quand il entendit des voix venir du hall. — Charlotte ! dit-il en la secouant légèrement. Réveille-toi ! Le drap glissa de son corps. Il se trouva face à un terrible dilemme. Lui faire l’amour encore une fois ou risquer qu’on ouvre la porte et que sa grand-mère voie de ses propres yeux ce qui se passait quand on l’envoyait dans sa chambre avec une fille super sexy. Grand-mère cria quelque chose. La peur le gagna. — Dépêche-toi ! Il sauta du lit et lui jeta sa robe. Jake attrapa son pantalon et sa chemise, et les enfila aussi vite que possible. Quand on tourna la poignée, il essayait de refaire le lit. La porte s’ouvrit. Charlotte était assise au bord du lit, les mains jointes. Jake la rejoignit en soufflant. Grand-mère surgit par la porte. — Où étiez-vous ? — Ici, répondit Jake en s’éclaircissant la voix. C’est toi qui nous as envoyés ici au départ. Travis et Kacey suivirent grand-mère dans la chambre. Super. Jake essaya de ne pas laisser paraître la culpabilité sur son visage, mais le regard de Travis lui disait qu’il n’était vraiment pas doué pour avoir l’air innocent. Était-ce sa faute s’il ne pouvait s’empêcher de sourire comme s’il venait de gagner au loto ? Il sentit son sourire s’élargir ; génial. Autant accepter le fait qu’il ne pouvait rien cacher à son frère. — Que faites-vous tous les deux… seuls ? Grand-mère croisa les bras, et ses bracelets cliquetèrent à ses poignets. — Pas de bêtises, hein ? — Non, m’dame, répondit Jake en secouant la tête. On jouait juste… — … aux charades en action, finit Charlotte. — À deux ? demanda grand-mère en plissant les yeux et en regardant le lit derrière Charlotte. — Bien sûr, dit Jake qui s’étrangla en riant. Les strip-charades, un classique. — C’est une nouvelle version, ajouta-t-il. Travis grommela. — Mince, j’aimerais bien jouer aux charades. — Trouve-toi un partenaire ! aboya Jake.

— Ce n’est pas le partenaire, le problème, c’est l’arbitre, dit-il en jetant un regard mauvais vers grand-mère. — Nous parlons bien de charades, là ? demanda innocemment grand-mère. — Oui ! lança Charlotte avec un rire faux. C’est…, euh… C’est juste que le jeu est devenu très intense. — Tu m’étonnes, maugréa Travis. — Qui a gagné ? demanda Kacey. — Moi, répondirent Jake et Charlotte à l’unisson. — Combien de parties avez-vous faites ? demanda Kacey. Travis lui donna un petit coup dans les côtes. — Quoi ? — On s’en fiche. — Désolée, marmonna-t-elle alors que Jake voyait Charlotte montrer quatre doigts. Kacey leva le pouce. — Mes petits-fils font tellement peu attention à moi que ça en devient ridicule. Grand-mère se dirigea vers la chaise où se trouvait le soutien-gorge de Charlotte et s’assit. Les yeux de Jake s’écarquillèrent d’horreur. Travis gloussa. Kacey passa discrètement derrière grand-mère et fit tomber le soutien-gorge par terre. — Moi, je fais attention à toi, grand-mère. — C’est juste qu’il fallait que je parle à Charlotte et Jake avant que ce soit trop tard. — Trop tard ? demanda Charlotte. Pour quoi ? — Un divorce, bien sûr ! cria grand-mère. Qu’est-ce qui pourrait m’inquiéter ? Jake ouvrit la bouche et la referma. — Pourquoi aurions-nous besoin d’un divorce ? Nous ne sommes pas mariés. — À ce propos… Grand-mère tripota un fil de son chemisier. — Il semblerait que le document que vous avez signé, à la place des futurs mariés… Techniquement, vous êtes mari et femme. Elle haussa les épaules. — Oups ? ajouta-t-elle. — Oups ? répéta Jake. Oups, mon cul ! Tu as tout organisé ! — Comment oses-tu ? dit grand-mère en se levant. Même moi, je ne m’abaisserais pas au point de rouler mon petit-fils préféré pour qu’il se marie. — C’était moi, ton préféré, ce matin, se sentit obligé de faire remarquer Travis. Grand-mère l’ignora. — Vous n’avez qu’à rester mariés. Après tout, cette famille ne croit pas au divorce et, vu l’état des cheveux de Charlotte, je devine que vous avez déjà… Grand-mère eut le bon sens de rougir. — … joué aux charades. Comme si elle se souvenait qu’elle était grand-mère et n’avait en fait aucune retenue, elle regarda Charlotte. — Dis-moi, chérie, comment était cette partie ? Charlotte rougit et prit la main de Jake. — Renversante, bouleversante, étourdissante.

Le cœur de Jake battit un peu plus vite après son aveu ; elle avait répété ce qu’il avait dit. Au diable. Il l’attrapa par la nuque et l’embrassa comme un fou. Leurs lèvres se heurtèrent frénétiquement. Il rompit leur baiser trop tôt et afficha un sourire démentiel. — Frimeur, grommela Travis. — Oh ! chéri, une fois que tu seras marié demain, tu pourras faire toutes les parties de charade que tu voudras ! dit grand-mère en lui tapotant le bras. Qui sait, peut-être que ta grand-mère aura un peu de temps pour une soirée jeux chez monsieur Casbon. — Bon Dieu ! J’espère que non, marmonna Jake à voix basse. — Bien. Grand-mère, qui avait l’air très contente d’elle, se leva de la chaise. — Maintenant que c’est arrangé, retournons au travail. Jake, demain, toi et Charlotte devrez vous assurer que la figurine du gâteau arrive bien jusqu’au traiteur et n’oubliez pas votre danse. Jake lança un juron. — Je me sens beaucoup mieux, soudainement, dit Travis avec un air satisfait. — Danse ? Quelle danse ? demanda Kacey. — Ne gâche pas la surprise, dit Travis, la guidant vers la porte et adressant à Jake un dernier sourire narquois. — Au lit, tous les deux ! Grand-mère fit sortir Travis et Kacey de la chambre. — Eux, ils sont mariés. Par contre, vous, vous avez encore une nuit à passer séparés avant de pouvoir vous adonner à vos petits jeux. — Je te déteste, Jake ! lança Travis alors qu’on le faisait sortir de la chambre. — Dors bien, Travis ! Il lui fit un doigt d’honneur avant que la porte ne se referme derrière grand-mère. — Elle a tout organisé, dit Charlotte en secouant la tête. Cette femme dangereuse avait tout organisé. Jake se rassit sur le lit et s’allongea. — On devrait lui donner un diplôme d’honneur à Harvard. — Je me demande s’ils ont une section « manipulation », dit Charlotte. — Ce n’est pas de la manipulation, c’est l’art de la guerre. — Je parie que, dans une autre vie, elle était générale, concéda Charlotte. Il y eut un moment de silence. Jake prit sa main. — J’avais un discours très romantique à dire et, soudain, j’ai réalisé que je n’avais pas mangé au dîner et que je mourais de faim. Tu veux qu’on descende et dévalise la cuisine ? — Oui, répondit-elle en sautant du lit. Je n’ai même pas fini mon verre de vin ! Elle semblait horrifiée. — Les pauvres enfants en Afrique. Je n’arrive pas à croire que tu n’aies pas fini ton verre. Tu sais qu’ils n’ont même pas de vin là-bas ? — Très drôle. Charlotte le bouscula et passa la porte. Grand-mère était déjà occupée à positionner son fauteuil au milieu du couloir.Quelque chose aboya.Jake eut un mouvement de recul. L’aboiement se fit plus fort ; il baissa les yeux. Mince alors, grand-mère avait acheté un Ewok. — Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda-t-il, pointant le doigt vers l’animal incriminé et priant pour que ce soit une hallucination.

Cette chose était bien trop petite et agaçante pour être un chien de garde. — C’est mon protecteur, répondit grand-mère en attrapant le chiot. N’est-ce pas, Charles Barkley ? — Tu lui as donné le nom d’un basketteur ? Je ne savais même pas que tu regardais le basket-ball. Grand-mère haussa les épaules. — Il y a beaucoup de choses que tu ne sais pas sur moi. Et je trouve cet homme… fascinant. Il est si grand et autoritaire, si tu vois ce que je veux dire. Jake décida volontairement de ne pas voir ce qu’elle voulait dire pour éviter de faire des cauchemars pendant le reste de son existence. — Grand-mère, s’il te plaît, ne dis plus jamais ce genre de choses. — Quoi ? dit-elle en haussant les épaules. C’est la vérité. D’ailleurs, j’ai découvert que mon sifflet antiviol n’était pas assez efficace contre les intrus. Mais le petit Charles fait de l’excellent travail. Alors, je peux dormir comme une souche ! — Tu vis avec maman et papa, fit remarquer Jake. — Au rez-de-chaussée, dit-elle avec un air exaspéré. Le temps que j’attrape mon sifflet, ils seront déjà dans ma chambre. Et, une fois dans ma chambre, ce sera extinction des feux pour grand-mère. Ouais, Jake n’était pas sûr que grand-mère risque quelque chose. Si quelqu’un devait être traumatisé, ce serait probablement l’intrus en question. Charlotte observait la discussion avec amusement. — Alors, grand-mère, c’était pour lui, le collier de dressage ? — Ah ! maintenant, ça devient logique. — Quoi donc ? Grand-mère posa le chien sur son fauteuil. — Le collier de dressage. C’est pour Charles ? — Non, dit-elle en caressant son chien. C’est un bon garçon. Hein, que c’est un bon garçon ? Charles est entraîné, dit-elle en se tournant vers Jake. Le chien aboya de nouveau. — C’est le chien parfait. Il écoute chacune de mes paroles. Il continua à aboyer. — Il connaît même l’espagnol ! Le chien aboya pour exprimer son accord. — Comment l’as-tu découvert ? Jake jeta un regard mauvais au chien qui lui montrait les dents. Grand-mère agita la main en l’air. — Il est né en Espagne, si, si ! Le chien s’arrêta d’aboyer et s’assit. — Le collier de dressage, c’était pour flanquer la trouille à Travis. — Merci, grand-mère ! dit Travis de l’une des chambres. — Je t’aime, Travy ! cria grand-mère. — O.K., dit Jake en reculant lentement. Bref, Charlotte et moi allons manger un morceau. On revient. Comment pouvons-nous, euh…, passer ton chien de garde ? — Jake, dit grand-mère en secouant la tête. Je suis déçue. S’il y a bien une personne qui devrait savoir comment passer devant un chien, c’est bien toi. Après tout, tu en as été un. — Bien vu, grand-mère, dit Charlotte derrière lui. Quand grand-mère se mit à rire, il plissa les yeux. — Comment passe-t-on devant ce fichu chien ?

— Vois ça comme un autre « jeu ». Grand-mère le chassa d’un geste de la main. — Bon appétit, vous deux ! ajouta-t-elle.

52 — Elle a trop de temps libre, dit Jake en entrant dans la cuisine. Charlotte n’avait pas soif ; elle était toujours enivrée par les quelques heures qu’ils avaient passées au lit. Par contre, elle avait besoin de manger. — Ce n’est pas sa faute si son passe-temps favori s’avère être ses petits-fils. Charlotte repéra les verres et en apporta deux sur l’îlot central de la grande cuisine gastronomique. Jake saisit une bouteille de vin rouge et les servit. — Hé ! fit-il en se mordant la lèvre. Et si on apportait ça dans la cabane ? Je veux te montrer quelque chose. — Quel dragueur ! Je parie que tu as dit ça à toutes les filles du collège. Jake leva les yeux au plafond. — Prends ton verre et on y va. Elle le suivit dans la nuit fraîche, avec la tête qui tournait. C’était vraiment ridicule, mais elle avait le sentiment que toute sa conception de la vie avait changé. Peut-être était-ce parce qu’elle était enfin avec le seul homme qu’elle avait toujours voulu. Elle était mariée, pour être exacte. Ils ne faisaient pas que sortir ensemble. Alors, comme ça, ils avaient commencé par la fin ? Cela lui convenait très bien. — Viens. Jake attrapa son verre et le posa sur le sol de la cabane pour l’aider à grimper. Une fois dans la petite pièce, Jake alluma une bougie et éteignit l’allumette. — Tu es prête pour la surprise ? — Ça dépend, dit Charlotte en prenant une gorgée de vin. Vas-tu me raconter une histoire de fantômes ou comptes-tu vraiment me surprendre ? — Oui ou non ? Il se pencha et l’embrassa. — Oui. Le corps de Charlotte la trahissait. — Ferme les yeux. Elle fit la moue. — Ferme-les. — Bien. Elle ferma les yeux et entendit des mouvements, puis un bruissement d’emballage papier ou plastique. — Ouvre la bouche. — Je ne suis pas sûre de vouloir, dit-elle. — Fais-moi confiance, murmura-t-il. Et parce qu’il avait dit qu’il l’aimait et que, finalement, elle lui faisait confiance, elle accepta. Elle ouvrit la bouche. La première chose qu’elle sentit fut une crème sucrée. Elle ouvrit brusquement les yeux.

— Un Twinkie ! Elle le lui arracha des mains en riant. — Mais pourquoi as-tu des Twinkies ici ? On aurait dit que Jake rougissait. Il se mordit la lèvre et s’assit à côté d’elle. — Et maintenant, la petite histoire… Elle posa sa tête sur son épaule. — Il était une fois un jeune garçon qui rencontra une fille. Il la vexa en la fixant ; alors, elle lui mit son poing dans la figure. Charlotte rit. Il poursuivit : — Un jour, elle lui donna un Twinkie. Apparemment, à l’école primaire, la nourriture était considérée comme un cadeau de réconciliation. Le garçon n’ayant pas le cœur à dire à cette fille très jolie qu’il n’aimait pas les Twinkies, il le mit de côté. Chaque fois qu’elle lui en donnait un, il rentrait chez lui et le cachait dans sa cabane. Les yeux de Charlotte se remplirent de larmes. — Comme un écureuil. — Comme un foutu écureuil, répéta Jake en riant. Jusqu’au jour où il n’y eut plus de Twinkies. Tu vois, parfois, les petits garçons grandissent et deviennent de parfaits idiots. Ils pensent que, parce que des poils poussent sur leur menton ou qu’ils découvrent qu’ils ont un muscle dans le bras, ils n’ont soudain plus besoin des filles avec des Twinkies. Ils pensent qu’ils devraient avoir plein de filles, pas seulement une. Alors, ils gâchent tout. J’ai… Il se tourna vers elle, la gorge serrée. — J’ai tout gâché tellement de fois avec toi. Je craquais complètement pour toi au collège et, d’un coup, c’était comme si ni l’un ni l’autre ne voulait continuer à essayer. La première fois que je me suis éloigné de toi, ce fut ma première erreur… Charlotte repoussa ses larmes. — Et ta deuxième erreur ? — Te laisser à nouveau, la nuit où j’ai profité de toi égoïstement pour faire en sorte que je me sente mieux, expliqua-t-il avec un soupir. Et la troisième et dernière erreur dans mon histoire tragique… — C’est quoi ? — Ne pas t’avoir embrassée dès que je t’ai revue et ne pas m’être excusé de t’avoir laissée…, de t’avoir abandonnée alors que je savais au fond de mon cœur que ça a toujours été toi, Charlotte. Elle essuya les larmes qui coulaient à flots sur son visage. — Et Kacey ? Je veux dire, toi et elle, vous étiez… — Ça n’a jamais été pareil, affirma Jake en secouant la tête. Jamais. Il prit un air sérieux et mit le doigt sous le menton de Charlotte pour qu’elle redresse la tête. — C’est indescriptible. — Oh ! — Waouh ! Après tout ça, tu te contentes d’un « Oh » ? Charlotte afficha un large sourire et reposa sa tête sur son épaule. — Ouais, je suis un peu fatiguée après avoir joué aux charades. — Dommage ! lança-t-il. J’avais encore quelques jeux à te proposer. — Évidemment, le Tigre. Des bruits surgirent à l’extérieur. Jake lui fit signe de se taire et regarda en bas. Il vit grand-mère traverser la pelouse de leur voisin.

— Que fait-elle ? chuchota Charlotte. — On dirait qu’elle va à un… rendez-vous nocturne ? suggéra-t-il. — Avec qui ? — Le voisin, un vieux fou qui ne porte que des chemises hawaïennes et pince les fesses de grand-mère pendant les repas de famille. Il est amoureux d’elle. Il fait son emploi du temps en fonction de ses promenades matinales. — Waouh ! Quel dévouement ! — À l’évidence, elle fait quelque chose de bien. Charlotte se mit à rire. — C’est une Titus. — Bien dit. Il se lécha les lèvres et la tira vers lui pour un autre baiser. — Je ne l’ai pas embrassée, tu sais. Je n’en avais pas envie. Je n’en ai jamais eu envie. — Qui ? — Amy. — Oh ! elle, souffla Charlotte. Mon ennemie jurée du collège et la plus méchante fille des environs. Je sais, laisse tomber. J’ai eu des doutes quand j’ai vu ses griffes peintes transpercer ton torse. — Elle m’a fait mal, dit Jake en riant. Vraiment. Et ce n’était pas une bonne douleur. Juste une douleur qui donne envie à un homme de s’éloigner lentement pour ne pas se faire manger. La lumière du porche de la maison de M. Casbon s’alluma et, avec un éclat de rire, grand-mère fut attirée à l’intérieur. — Bon, dit Jake en tendant la main. Tu sais ce que ça veut dire ? Charlotte mit sa main dans la sienne. — Qu’on peut retourner se coucher ? Il la tira dans ses bras avec un râle et l’embrassa brutalement sur la bouche. — Sans avoir à craindre que grand-mère surgisse. Charlotte inclina la tête en se mordant la lèvre. — Je crois que j’ai vu de la crème fouettée dans le réfrigérateur. — On y va ! Jake éclata de rire et l’aida à descendre de l’échelle pour rentrer à la maison. Une fois dans la cuisine, Jake repéra les fruits et la crème fouettée, et Charlotte, le vin. Ils montèrent les marches deux à deux, mais se figèrent quand ils entendirent un grognement grave.

53 — C’était trop facile, dit Travis en haut de l’escalier. Tu vois, Jake n’a jamais voulu apprendre l’espagnol. Il trouvait ça trop exotique à son goût. N’est-ce pas, frérot ? — Travis… Le ton de Jake était devenu menaçant. Que pouvait bien manigancer son frère ? Kacey était assise sur ses genoux. Une expression de satisfaction apparut sur leurs visages quand le chien se leva pour bloquer le passage de Jake et Charlotte vers leur chambre. — Un peu de self-control ne vous fera pas de mal, dit Kacey en embrassant Travis dans le cou. Je veux dire, vraiment, on vous rend service, là. — Comment vous êtes-vous débarrassés de grand-mère ? demanda Jake. Elle ne vous aurait jamais laissés seuls. Travis afficha un sourire réjoui. — Monsieur Casbon. Il semble qu’il se sente assez seul depuis que grand-mère a élu domicile ici, dans le couloir. Un coup de téléphone et elle est partie. Jake avait envie de donner une claque à son frère pour faire disparaître son sourire. — Bien, vous avez gagné ; vous êtes plus rusés qu’une fouine. Laissez-nous monter. Kacey et Travis se regardèrent comme pour dire : « Qu’en penses-tu ? » Charlotte grommela derrière Jake. — Voyez ça comme un exercice pour mettre à l’épreuve votre sens de l’équipe, finit par dire Kacey. Vous devez assembler vos efforts pour monter cet escalier et atteindre votre chambre. Par contre, nous ignorerons tout appel à l’aide. — Pourquoi faites-vous ça ? demanda Jake. — Nous avons perdu un pari, dit Kacey, les dents serrées. Il serait donc juste que nous obtenions une satisfaction quelque part. — Pourquoi tout le monde ne pourrait-il pas obtenir satisfaction ? s’interrogea Jake à voix haute. — Parce que c’est votre faute si grand-mère va chanter au mariage, répondit Kacey. Ainsi, on a une compensation, et vous, vous avez… Elle désigna le petit chien blanc avant de finir sa phrase. — … Charles Barkley. Travis lui tapa dans la main tandis qu’ils quittaient le couloir, laissant Jake et Charlotte seuls avec l’animal. — Il ne doit pas être bien dangereux… Jake tendit les doigts. Charles Barkley se mit à grogner et montrer les dents. — Il fait semblant, hein ? Ce n’est pas un mauvais garçon, n’est-ce pas, Charles ? Il réessaya. Cette fois-ci, le chien faillit lui arracher le doigt. — Ouais, je ne m’approcherais pas plus, à ta place, dit Charlotte en tirant Jake en arrière. Il pourrait décider de mordre autre chose que tes doigts, et je suis sûre que notre soirée serait clairement moins excitante. Jake se gratta la tête. — Qu’est-ce qu’on fait ? Il garde le passage vers notre chambre, et les autres sont occupées par les

invités du mariage. — On pourrait crier « Au feu ! » près de celle d’Amy, puis l’enfermer dehors quand elle en serait sortie ? suggéra Charlotte sur un ton plein d’espoir. — Charlotte, dit Jake en lui prenant la main. Sois la plus mature. — Il le faut vraiment ? — Essaie. Jake rit doucement et la prit dans ses bras avant de déposer un baiser amoureux sur sa bouche. Cela sembla inquiéter le chien qui se mit à aboyer. Jake s’écarta de Charlotte en râlant. — Tais-toi ! Le chien aboya encore plus fort, cette fois en bondissant sur ses pattes, comme s’il essayait de sauter en l’air. — Chuuut ! dit Charlotte. On n’aboie pas ! Le chien se tut pendant deux secondes avant de hurler à nouveau. — Je déteste grand-mère ! lança Jake. Charlotte restait derrière lui. — Eh bien, merci, dit Jake. Je suis passé de petit ami à bouclier humain ? Elle éclata de rire. — À vrai dire, nous sommes mariés, maintenant. — Bien vu. — Qu’allons-nous faire ? Il était évident que le chien ne bougerait pas, et Jake ne prendrait pas le risque qu’il lui arrache une partie plus importante de son anatomie. Coincé, il regarda en bas vers l’autre bout du couloir. — J’ai une idée. Dix minutes plus tard, ils étaient de retour dans la cabane. Sauf que, cette fois, ils avaient des couvertures, plus de vin et du pop-corn. Jake tendit la main et attrapa les doigts de Charlotte tandis qu’il regardait la rivière par la fenêtre. — À propos de ton boulot… — Oublie ça, dit Charlotte en passant ses bras autour de son cou et en grimpant sur ses genoux. Ce n’est qu’un travail. — Mais tu l’aimais vraiment. Il enleva les bras de Charlotte de son cou et la regarda dans les yeux. — Kacey et toi présentiez déjà le journal du matin dans la cabane quand vous aviez sept ans. Je suis presque sûr que c’était ton rêve. — J’aimais raconter des histoires, j’aimais écrire…, dit-elle avant de hausser les épaules. Mais je t’aime encore plus. Parfois, dans la vie, les choses que nous voulons vraiment se trouvent juste sous notre nez. Jake se mit à rire. — Waouh ! Est-ce que je rougis ? C’était un compliment hyper sexy, ça. Je suis tellement heureux que tu m’aimes… On pourrait peut-être sortir, puis un jour se marier ? Oh ! attends, dit-il en se frappant le front. Je crois qu’on a fait ça à l’envers. — Non, dit Charlotte en appuyant sa tête contre celle de Jake. Parfois, ce qui est à l’envers pour certains est à l’endroit pour d’autres. Jake plongea son regard dans le sien, lui promettant de ne jamais la laisser partir.

— Je crois que j’aime bien faire les choses à l’envers. Charlotte sourit, ses yeux bleus brillant à la lueur de la lune. — Moi aussi.

54 — Je vais peut-être mourir, jura Travis. Juste pour que tu le saches, je pourrais bien mourir tout de suite. Ça apparaîtra dans le journal, les gens riront ; ça pourrait être vraiment moche, Kace. Je préfère te le dire dès maintenant. — Juste au cas où ? demanda Kacey en enlevant son chemisier. Travis écarquilla les yeux. — Voilà, juste au cas où. — Je vois. Elle se débarrassa de son short et le laissa tomber par terre. — Bon sang, j’ai l’impression d’être un gamin. — Tu essaies de gâcher l’ambiance ? lui demanda Kacey en lui jetant un regard noir, les mains sur les hanches. Travis détourna les yeux. — Ouais, enfin, non, ce n’est pas ce que je voulais dire. — Tu peux t’expliquer ? — Un petit jeune, rectifia Travis avec un grand sourire. Comme la première fois que je t’ai vue en maillot de bain. — Ah ! tes histoires d’ado pervers. Dis-moi, Satan… — Ooooh ! des cochonneries. J’aime ça. Kacey leva les yeux au ciel. — Quelle était la couleur de mon maillot de bain ? Travis s’humecta les lèvres en avança vers elle. — Rose. Il était rose vif, et c’était un bikini. Il la tira dans ses bras et lécha son oreille. — C’était chaud. — Ah oui ? murmura Kacey en reculant. Et c’est pour ça que tu m’as poussée dans la piscine ? — J’ai dit que c’était « chaud », dit-il en mordillant les lèvres de Kacey. Tu avais besoin d’un peu de fraîcheur… J’ai agi en gentleman. — Tu as agi en crétin, corrigea Kacey. — Aussi. Travis passa ses mains dans les cheveux de Kacey. — Qu’est-ce que tu es belle ! Sentant ses joues chauffer, elle baissa les yeux. Il ne le lui avait pas dit depuis une bonne semaine, ce qui était tout à fait compréhensible puisqu’ils avaient été séparés par grand-mère. C’était bon de l’entendre. — Non, dit Travis en riant. Ne sois pas timide avec moi, tout à coup. — Je ne suis pas timide, dit-elle en croisant son regard. Juste heureuse de te l’entendre dire. Travis fronça les sourcils. — Je ne te le dis pas assez ?

— Si. Le ton de Kacey n’arriva même pas à la convaincre elle-même. — Mince, je deviens exigeante. C’est parce que tu m’as trop gâtée ! Elle lui pinça le bras et trouva satisfaction dans son cri de douleur. — Petite peste. Travis la poussa sur le lit, grimpa sur elle et l’immobilisa en lui tenant les poignets. Kacey se débattit. Bon sang, mais c’est qu’il était fort ! Un muscle tressaillit dans sa mâchoire tandis qu’il serrait les dents et fermait les yeux. Ses cheveux ondulés noirs pendaient sur son front alors qu’il se penchait assez pour pouvoir l’embrasser. Mais il se contenta d’inspirer. — Euh, Travis, murmura Kacey. — Hmmm ? — Que fais-tu ? J’ai cru que tu étais en train de mourir. Je croyais que tu avais dit que tu allais devenir fou si tu n’avais aucun contact physique, et tu… Elle se mit à rire à gorge déployée. — Et tu me renifles ? — Ouais. Il continua à la respirer, son nez effleurant les côtés de son visage pendant qu’il descendait dans son cou. Que c’était bon d’être contre lui ! Elle avait oublié comme ils étaient bien ensemble, comme le simple fait d’être près de Travis lui donnait soudain l’impression que tout allait bien. Le monde s’effaçait ; il n’y avait plus qu’eux. — J’aime ton cou, murmura-t-il, les lèvres brûlant sa peau alors qu’il continuait à parler. Il sent les fleurs. Ça a toujours été le cas, mais je ne sais pas si c’est ton parfum ou juste toi. C’est incroyable. Sa langue sortit entre ses lèvres pour goûter la peau de Kacey, lentement, puis il l’embrassa, une fois, deux fois, marquant une pause entre chaque baiser comme pour mémoriser le goût exact de chaque endroit qu’il touchait. Les lèvres de Travis quittèrent son cou pour atteindre son épaule. — Ton épaule m’a obsédé une année entière. — Tais-toi ! cria Kacey en riant. Ça ne va pas ou quoi ? Il prit son épaule droite dans sa main et promena son pouce sur sa peau délicate, lui donnant la chair de poule sur tout le corps. — C’est vrai. Tu portais un tee-shirt qui tombait juste sur cette épaule, la droite. Je n’arrêtais pas d’arpenter le couloir parce que j’étais concentré sur cette petite portion de peau. Je me suis juré qu’un jour je la toucherais. Mais, bien sûr, quand j’étais adolescent, ça allait plus loin que ça. Je voulais… — M’embrasser ? Coucher avec moi ? Quand Travis se mit à rire, Kacey ressentit de drôles de choses dans le ventre. Il ne se rendait pas compte comme il était irrésistible. — Non, ma chérie. Je voulais uniquement te prendre la main. Et c’est la vérité. — Me prendre la main ? C’est un peu barbant, tu ne trouves pas ? — Pas pour moi. La gorge serrée, toute sa sensibilité se vit dans ses yeux. Il se lécha les lèvres et écarta les cheveux du visage de Kacey. — Je savais que tu ne m’embrasserais pas, pas à l’époque ; alors, je me disais que, si je pouvais au moins te prendre la main…

— Quoi ? demanda Kacey, fébrile. Travis attrapa la main qui était toujours plaquée au-dessus de la tête de Kacey et y entremêla ses doigts. — … ça me suffirait. L’émotion serrait la gorge de Kacey. Elle ne pouvait pas répondre. Qu’aurait-elle pu dire à ça ? — J’aurais été satisfait, poursuivit Travis. J’aurais été heureux même… J’aurais pu vivre ma vie, continuer d’avancer, loin de mon premier amour, si j’avais pu simplement te tenir la main. En tout cas, c’est ce que je croyais. Kacey serra sa main et la porta à sa joue. — Et maintenant, que crois-tu ? — Oh non, dit-il d’une voix rauque. Pour l’éternité. Il lâcha sa main et attrapa son visage. — Le simple fait que tu m’effleures du bout des doigts aurait-il suffi ? Il glissa son pouce dans la bouche de Kacey. — Ça m’aurait tué. Aujourd’hui, je te veux tout le temps, chaque seconde de chaque jour. Je ne peux pas te faire sortir de ma tête. Je ne serai jamais rassasié de toi. Et j’espère que ça, cette chaleur, cette fièvre que tu provoques en moi, ne disparaîtra jamais. Il prit sa bouche avec la sienne et suça ses lèvres avant de reculer. — Au cas où tu en douterais, je te trouve tellement jolie. Les yeux de Kacey étaient pleins de larmes. — Je t’ai dit un jour, il y a quelques mois, que tu devrais l’entendre tous les jours… Clairement, j’ai été trop égoïste pour penser à te le dire. Je n’ai pas réfléchi au-delà du fait que ta main manquait à son meilleur ami : moi, dit-il avec un clin d’œil. Mais, Kace, quelle chance j’ai que tu sois à moi, car tu es tellement belle ! J’aime tes cils… — … Travis. Elle l’interrompit avec un baiser. Il recula. — Laisse-moi finir. J’aime tes cils ; ils sourient avec le reste de tes yeux. Et tes mains, Dieu les a faites pour tenir les miennes. Sérieusement, grand-mère le lui a demandé, et il a dit oui, d’ailleurs… — Ah ouais ? Qu’a-t-il dit d’autre ? plaisanta Kacey. — Que tu m’appartenais, dès le premier jour, dès que j’ai ressenti le désir de voir ton épaule, de tenir ta main, d’embrasser cette bouche parfaite. C’était toi et moi contre le reste du monde, et ce sera toujours ainsi, dit-il avec un soupir. Le mariage n’est que le début de notre histoire, et j’espère que, quand Dieu écrira le mot « fin » sur la dernière page, nous nous tiendrons toujours la main. Kacey n’osa pas parler ; elle ne put qu’acquiescer alors qu’elle voyait tout l’amour que Travis éprouvait pour elle s’afficher sur les traits de son visage, de ses yeux à la position protectrice de son corps au-dessus d’elle. — Je t’aime, dit-elle. Il soupira contre ses lèvres. — Ma chérie, je t’aime tant. Je suis impatient de t’épouser. Et sache que je suis désolé à l’avance. Déjà abasourdie, Kacey secoua la tête. — Pour quoi ? Que vas-tu faire ? Travis lui fit un clin d’œil, se leva et remit sa chemise. — Travis, attends… — Je t’aime… et je sais que je vais le regretter dans environ cinq secondes, ce qui signifie que je dois

fermer ta porte à clé… Mais, chérie, je vais suivre le conseil de grand-mère en prenant en compte qu’à l’origine c’est grâce à elle si nous sommes ensemble. Je vais passer cette porte et attendre encore douze heures. — Hum, fit Kacey en jouant avec la bretelle de son soutien-gorge. Vraiment ? Encore douze heures ? — Diablesse ! lança Travis en fermant les yeux. Oui. Maintenant, remets tes sous-vêtements pendant que j’essaie de passer devant ce foutu chien sans me faire tuer. Il se dirigea lentement vers la porte, comme s’il doutait déjà de sa décision. Avec un soupir, Kacey se leva du lit et marcha vers lui ; elle l’enlaça par-derrière et posa son menton contre son dos. — Je t’aime, Travis Titus. — Tu…, commença Travis avant de marquer une pause, ses muscles se contractant dans les bras de Kacey. Tu es toute ma vie, future madame Kacey Titus. Elle le lâcha. Il tourna la poignée de la porte et sortit. Cet homme avait le sang-froid d’un saint, et, au lieu de la mettre en colère, cela renforça son amour pour lui. Dans douze heures, il serait à elle, tout à elle.

55 Charlotte gémit doucement alors qu’un bras la rapprochait de quelque chose de chaud. Elle soupira joyeusement lorsque des lèvres affamées touchèrent les siennes. Jake monta sur elle et enleva sa chemise. Cet homme était insatiable…, ce qui lui convenait très bien. Il s’écarta légèrement et lui fit signe d’approcher. Elle remonta son haut à moitié. Il se précipita sur elle pour la déshabiller et faire descendre les bretelles de son soutien-gorge. Sa bouche se retrouva sur la sienne en un instant. Les mains de Jake se posèrent sur ses hanches tandis qu’il la tirait contre lui. Il émit un son guttural qui ressemblait à une plainte désespérée. — Je ne me lasse pas, dit-il en lui volant un autre baiser brutal. S’il te plaît, ne me déteste pas parce que je te désire encore. Le détester ? Elle n’arrivait pas à retirer ses vêtements assez rapidement. Qui aurait cru qu’elle passerait sa nuit de noces dans une cabane dans un arbre ? Avec Jake Titus ? Et des Twinkies. Bon, O.K., finalement, Dieu avait peut-être le sens de l’humour. — Bon sang, qu’est-ce que tu es bonne ! Sa langue se mêlait à la sienne alors que ses mains se promenaient sur ses hanches. Des feux d’artifice retentirent à l’instant où ses mains entrèrent en contact avec sa peau, à moins que ce ne fût un sifflement. Elle renforça son baiser. Les feux d’artifice se firent plus forts encore. Et quelqu’un frappa à la porte de la cabane. — Allez, tous les deux ! cria grand-mère. Descendez de là ! Nous avons des plans à faire ! Et nous devons assister à un mariage ! Descendez ! Jake, qui visiblement s’en fichait, continua de l’embrasser. Charlotte lui rendit son baiser ; en tout cas, jusqu’à ce qu’il lui soit enlevé par grand-mère en personne, le sifflet à la main. Jake proféra un juron en cachant son corps sous une couverture. — Mais, bon sang, qu’est-ce que tu fous ? Grand-mère haussa les épaules. — Vous avez toute la vie pour forniquer dans une cabane… — Ce n’est pas de la fornication puisque nous sommes mariés, fit remarquer Jake. — O.K. Alors, vous pourrez vous envoyer en l’air plus tard, dit grand-mère avec un œil mauvais. Mais les traiteurs sont ici, et le gâteau est arrivé. Il me faut la figurine. Charlotte sentit ses yeux s’écarquiller. — Euh, elle était, euh… — Je sais que vous avez la figurine, dit grand-mère sur un ton las. Blanche m’a confirmé que vous l’avez payée. — Et elle a coûté cher, cette figurine, grommela Jake. — En bas, tous les deux. Grand-mère utilisa une dernière fois son sifflet et descendit de l’échelle tout en hurlant : — Vous avez dix minutes pour m’apporter la figurine. — Ou quoi ? demanda Jake.

Pour seule réponse, ils entendirent un coup de sifflet et Charles Barkley. Il avait un collier de dressage autour du cou. Soudain, il s’arrêta d’aboyer et gémit, tombant dans l’herbe à cause de la douleur. — Utilise ton imagination. Je crois qu’ils en font pour les hommes qui… — C’est bon ! cria Jake. Tes désirs sont des ordres. C’était le moment de paniquer. — Jake, nous n’avons pas de présentoir pour la figurine. On ne peut pas la laisser gâcher le gâteau. Jake souffla. — Elle gâchera le gâteau soit en sombrant à l’intérieur, soit en affichant TÉTÉS POUR TOUJOURS. Charlotte se couvrit la bouche avec les mains et éclata de rire. — Je crois qu’on a un peu oublié de s’en occuper. — C’est toi, fit-il remarquer. Tu m’as distrait. Si tu n’avais pas dansé autour de moi en escarpins et jupe courte, j’aurais fabriqué un super présentoir. — Je comprends. Et où est ton marteau ? En voyant l’air coupable de Jake, Charlotte lui lança un regard triomphant. — Sais-tu au moins ce qu’est un clou ? Il afficha un large sourire. — Je crois que j’ai prouvé que je savais enfoncer les choses. — Bon sang, je suis partagée entre l’envie de te féliciter et celle de te gifler. — Qu’est-il arrivé à l’option « toute nue » ? Elle a disparu ? — Affirmatif, répondit Charlotte en enfilant son haut et en se levant. Elle s’est volatilisée à la seconde où grand-mère a mentionné les colliers de dressage et a fait allusion aux parties masculines. — C’est noté, dit Jake en grimaçant. Bon, finissons-en avec cette mission. Peut-être que personne ne remarquera ? — Bien sûr, acquiesça Charlotte. Et peut-être que grand-mère et monsieur Casbon n’ont pas joué aux charades cette nuit. Jake tressaillit. — Excitation… disparue. — Bien. Charlotte lui tendit la main pour l’aider à descendre de l’échelle. — Parce qu’il paraîtrait tout à fait inapproprié que tu arrives en étant manifestement très excité pour livrer la figurine au traiteur. Jake descendit derrière elle. — Tu as toujours le bon mot. — C’est pour ça que tu m’as épousée, dit-elle avec un large sourire. Jake la souleva dans ses bras et la porta à travers la pelouse. — Entre autres choses. — Repose-moi ! — Une fois qu’on aura passé le seuil, dit-il en lui envoyant un baiser. Je fais les choses comme il faut. — Ou pas, fit remarquer Charlotte. — Certaines choses, alors. Il la posa sur ses pieds dès qu’ils furent dans la cuisine. — Je fais bien les choses les plus importantes, celles qui concernent une certaine Charlotte. Si tu ne m’as pas entendu, même si je l’ai dit à peu près un milliard de fois cette nuit… Il la fit rougir en la tirant contre son corps. — Je t’aime.

— Je t’aime aussi, dit-elle. Ses yeux se remplirent de larmes, puis un autre sifflement retentit. — La figurine ! Jake la lâcha et courut dans le couloir.

56 Jake inclina la tête vers la droite et fit un clin d’œil. — Ça me paraît pas mal, non ? Charlotte restait immobile près de lui. Il lui donna un petit coup de coude. — Hein ? Son incapacité à parler et son air tendu ne lui permettaient pas de se sentir mieux vis-à-vis de ce qu’ils avaient fait. Le traiteur leur avait proposé une idée brillante : il mettrait du glaçage de côté juste au cas où les rubans sur le gâteau s’affaisseraient. C’était un gâteau noir et blanc avec du glaçage blanc et des rubans noirs, simple, élégant, selon les paroles de Charlotte : « Mignon. » Heureusement pour eux, il leur permettait de cacher facilement « Tétés ». Du coup, il n’y avait plus que « pour toujours ». Mais ce n’était pas bien centré et on pouvait deviner qu’il y avait un autre mot. — Ça va, finit par dire Charlotte. Je ne vois plus « Tétés ». Jake souffla. — Vraiment ? Aucun « Tétés » ? Grand-mère choisit ce moment précis pour entrer. — Ai-je entendu parler de poitrine ? Elle mit une tape à l’arrière de la tête de Jake. — Es-tu capable, juste cinq minutes, d’arrêter de penser au sexe et te concentrer sur autre chose ? Charlotte lui mit un coup de pied dans le tibia auquel il réagit en disant : — Non, je ne peux pas m’en empêcher. Je suis une… Il émit un profond soupir en sentant ses épaules s’affaisser. — Une cause perdue, poursuivit-il. Voilà ce que je suis. Désolé, grand-mère, cela n’arrivera plus, je vais faire des efforts. Il serra les dents et jeta à Charlotte un regard mauvais. Grand-mère les toisa tous les deux d’un air inquisiteur avant de faire le tour du gâteau. — Il y a quelque chose de différent. — Dehors, lâcha Charlotte. C’est parce que nous sommes dehors, et la lumière du, euh…, la lumière des particules dans l’air… — … et le soleil ! cria presque Jake. Le soleil rend le gâteau… — … magnifique ! Grand-mère tapa dans ses mains, et Jake et Charlotte soupirèrent alors en chœur. — Bien joué ! Je savais que je pouvais vous faire confiance. Jake ferma les yeux et souffla alors que grand-mère s’éloignait. — On va finir par la tuer. Si elle découvre qu’on a fait ça… Il se gratta la tête. — Elle ne peut pas le découvrir, ajouta-t-il. C’est tout ; je ne serai pas responsable de la ruine de ce mariage. Charlotte attrapa sa main. — Ça ira ! Personne ne verra jamais les « tétés ».

Un employé du traiteur passa par là et siffla. Jake lui lança : — Elle ne parlait pas de ses seins, elle parlait… Charlotte lui couvrit la bouche. — Laisse tomber. En sentant ses doigts contre ses lèvres, en voyant sa bouche si proche, il n’était plus du tout concentré sur le mariage, mais sur eux, ou sur elle, pour être exact. Sans y réfléchir plus longuement, il attrapa sa main et ramena Charlotte dans la maison. Grand-mère les repéra aussitôt. — Dépêchez-vous ! Nous devons faire les photos dans deux heures, et le cocktail a lieu à seize heures ! — Oui ! dit Jake d’une voix tendue alors qu’il continuait à tirer Charlotte dans l’escalier. Finalement, quand ils atteignirent la salle de bain, il claqua la porte derrière lui, vérifia qu’il l’avait bien fermée à clé et fit couler la douche. — Euh, qu’est-ce que tu fais ? Il enleva sa chemise. — Je prends une douche. Apparemment, nous devons nous préparer ; autant le faire maintenant. — Mais il faut… Charlotte secoua la tête. — Mais qu’est-ce que je dis ? reprit-elle. Pourquoi je proteste ? Jake éclata de rire. — Maintenant, enlève tes vêtements avant que je les déchire. — Il faut dire « S’il te plaît ». — Ah non. Jake la poussa contre le meuble et attrapa sa tête. — Je ne dis pas « S’il te plaît », mais toi, tu peux dire « Merci ». — Pour quoi ? demanda-t-elle en appuyant sur son torse. — Tu verras, répondit-il en se mordant la lèvre. C’est plus un « Merci d’avance, Jake Titus »… — Pas avant que tu n’aies dit « S’il te plaît », Jake Titus. — J’aime quand tu prononces mon nom. Charlotte saisit le pantalon de Jake et défit les boutons avant de laisser glisser son jean sur sa taille. — Je vois ça. Il gémit. — O.K. S’il te plaît. — Plus fort. — Oh oui, je te reconnais bien, là. Il attaqua sa bouche avec un baiser bestial. — S’il te plaît, répéta-t-il. Elle le poussa, cette fois assez fort pour qu’il fasse quelques pas en arrière, mais ça valait le coup. Oh oui ! Ça valait le coup de la voir se déshabiller devant lui. Se lasserait-il un jour de la manière dont elle réagissait face à lui ? Du rouge qui colorait ses joues ou de la façon dont son petit corps menu collait au sien à la perfection ? — Ouvre la porte, fiston ! hurla Wescott. Je sais que tu es là ! Tante Pétunia vous a vus, toi et, et… Son père lâcha un juron. — … Charlotte, reprit-il. Et, fiston, ce n’est pas bien. Les choses doivent changer ; tu ne peux pas

aller… Sa mère dit quelques mots à voix basse à son père. — Comme le dit ta mère, laisse cette pauvre fille tranquille. Tu lui as fait assez de peine, alors… Pas maintenant, Bets ! J’essaie d’avoir une conversation avec mon fils à propos de sa prodigalité ! Jake s’adossa contre le mur, les bras croisés, en attendant que les choses se tassent. — Fiston ! cria son père en frappant de nouveau à la porte. Pas maintenant, Bets ! Tu ne vois pas que je suis occupé ? On ne peut pas le laisser gâcher la journée spéciale de Travis avec sa… Le silence tomba. Puis, il y eut des piétinements, des jurons, et, merci mon Dieu, le sifflet de grand-mère. — À plus, papa ! lança Jake. — Hé ! fiston. Et ce fut tout. En petite tenue et visiblement en joie, Charlotte fixa Jake. — Alors, maintenant que tout le monde sait que nous sommes ici ensemble, tu veux toujours… ? Il ne la laissa pas terminer sa phrase. Au lieu de cela, il l’attrapa et la tira dans la douche avec ses sous-vêtements. Il s’en fichait ; il lui achèterait tout ce qu’elle voudrait. Mais, pour le moment, il la voulait exactement comme elle était : avec de l’eau qui ruisselait lentement sur son corps et le sien. Il se fichait que son père sache qu’il était tombé amoureux et qu’il prenait une douche avec sa femme. Il aurait été capable de le poster sur Facebook et de titrer : Good Morning America. En fait, ce n’était pas une mauvaise idée. Il voulait que tout le monde sache qu’il était pris… Parce qu’il était pris par une fille remarquable qui avait fini par lui faire comprendre ce qu’il avait raté pendant tout ce temps. Elle n’était pas que sa moitié ou son âme sœur ; dans son esprit, ces mots ressemblaient au genre de choses que les mecs disaient aux filles quand ils essayaient d’être romantiques ou de les mettre dans leur lit. Peut-être qu’il perdait complètement la tête, mais, alors qu’il la touchait, la goûtait, la sentait…, il réalisait que ce n’était pas que le fait que quelqu’un le complète, mais le sentiment nouveau d’épanouissement que lui procurait le fait d’être avec elle. Il n’avait pas saisi ce qu’il ratait jusqu’à ce qu’il considère Charlotte en tant que personne à part entière, et, maintenant, il se rendait compte d’une chose : il aurait préféré mourir plutôt que la laisser partir. C’était une complice, une meilleure amie, une amoureuse, une combattante, et elle était tout à lui.

57 Eh bien, prendre la douche ne serait plus jamais pareil. En fait, Charlotte était persuadée que, dans l’avenir, chaque fois qu’elle entendrait l’eau couler, elle ne pourrait pas s’empêcher d’afficher un sourire béat. Ses lèvres, ses mains… Que Dieu bénisse ses mains… Vraiment, Jake aurait dû donner des cours. Bon sang, qu’est-ce qu’il utilisait bien tout ce dont il était doté !… Le corps de Charlotte vibrait encore du contact de ses mains sur ses hanches, ses fesses, et de la sensation qu’elle avait eue quand il avait fait glisser son corps mouillé sur le sien dans la douche. Se sentant rougir, elle se mit à s’éventer lorsqu’elle se dirigea vers le cocktail. Son maquillage allait couler si elle ne faisait pas attention. Et puis, elle voulait être à son mieux pour cette stupide danse de la fertilité que grand-mère avait prévue, surtout qu’elle allait danser avec Jake et qu’elle voulait être belle pour lui. À l’instant où Charlotte se présenta au cocktail, grand-mère l’intercepta et la guida vers sa chambre. — Que faites-vous ? demanda Charlotte alors que grand-mère la poussait jusqu’à ce qu’elles se retrouvent dans la pièce. Sans dire un mot, grand-mère ferma la porte et se retourna brusquement. — Tu as une mine effroyable. — Euh…, merci ? dit Charlotte en baissant les yeux sur l’horrible robe de demoiselle d’honneur que Kacey avait choisie. Apparemment, ce n’était pas du tout Kacey qui les avait choisies, mais Bets, qui avait voulu aider Kacey à la préparation et les avait conçues elle-même. Voilà comment elle se retrouvait avec cette robe collection « vomi automnal » qui donnait l’impression qu’elle pesait vingt kilos de plus qu’en réalité. Grand-mère laissa échapper un profond soupir et posa sa main sur sa joue en regardant la tenue de Charlotte. — Ça ne va pas. Après tout, tu n’as jamais eu l’occasion de porter une robe de mariée. — Je me demande bien à qui la faute, fit remarquer Charlotte en levant les sourcils. Grand-mère haussa les épaules. Il était évident qu’elle jouait encore la carte de l’innocence. — De toute façon, une femme est toujours prête. Elle avança vers son armoire et ouvrit les portes. Après avoir marmonné et farfouillé dans une collection indécente de combinaisons léopard, elle décrocha une housse de la penderie. — C’est pour toi. Comme Charlotte hésitait, grand-mère posa la housse à vêtement sur le lit. Le bruit de la fermeture éclair était presque troublant. — Allez, dit grand-mère en faisant un pas en arrière. Regarde à l’intérieur. Un peu effrayée à l’idée de découvrir ce qui s’y trouvait, Charlotte s’humecta les lèvres et sortit une robe. La robe. Celle du magasin. — Mais ce n’est pas mon mariage ! lâcha Charlotte. — Ce n’est qu’un détail, écarta grand-mère avec un signe de la main. Kacey était plus qu’excitée à l’idée que sa meilleure amie porte quelque chose qui ressemble plus à une robe qu’à une énorme citrouille. Maintenant, enfilons ce truc pour donner une crise cardiaque à mon petit-fils. — Mais…

— Elle ne te plaît pas ? demanda grand-mère. Elle toucha la robe qui était toujours entre les mains de Charlotte et poussa un soupir. — J’ai cru, ce jour-là, au magasin… — Non, l’interrompit Charlotte, les larmes menaçant de couler. Ce n’est pas ça. C’est juste que j’ai l’impression de vivre un conte de fées. Elle avait aussi l’impression de ne pas mériter tout ça. — Mon Dieu, on est bien embêtés si Jake est le prince charmant, marmonna grand-mère. Il a encore du pain sur la planche, à commencer par cette danse que vous devez exécuter ensemble, puis me donner des arrière-petits-enfants. J’espère un bébé pour le printemps. Bouche bée, Charlotte resta immobile, puis sentit ses joues chauffer. — Nous, euh…, nous verrons ce que nous pourrons faire. Grand-mère était bien la seule à pouvoir aller jusqu’à faire ce genre de projet. — Bien dit, dit grand-mère en faisant un pas en arrière. J’ai prié pour que ton utérus soit fertile, tu sais. Maintenant, enlève tes vêtements. Il y avait tellement de mots incorrects dans cette phrase que Charlotte se figea avant de se retourner pour que grand-mère puisse descendre la fermeture de ce simulacre de robe. Charlotte l’enleva, la laissa tomber et fit un pas de côté avant de jeter un coup d’œil dubitatif : la robe était blanche, et ses sous-vêtements, noirs. — Oh ! j’ai failli oublier. Grand-mère leva la main et alla chercher un sac de magasin de grande marque sur le sol pour en sortir un corset blanc, un string assorti et des bas. Mais comment pouvait-elle connaître les mensurations de Charlotte ? — J’ai demandé à Jake, dit grand-mère. Il semblait connaître la taille exacte de tes hanches, tu te rends compte ? Et, pour ta poitrine…, bien, disons simplement que j’ai dû utiliser mon sifflet plusieurs fois avant qu’il soit capable à nouveau de se concentrer. Ce garçon se laisse vraiment facilement distraire. C’est ma faute. Son grand-père a toujours été amateur de poitrines. Grand-mère mit légèrement sa poitrine en avant. — Bref, enfile ça et je t’aiderai pour la robe. Charlotte marqua un temps d’arrêt. Grand-mère voulait-elle vraiment qu’elle se mette nue ? — Si tu vas encore plus lentement, je serai morte avant de voir mes arrière-petits-enfants. Crois-moi, tu n’as rien que je n’aie pas déjà vu avant. Bon, peut-être que je n’en ai pas vu depuis longtemps ; mon miroir a tendance à pointer vers le sud, ces derniers temps. Charlotte prit la lingerie des mains de grand-mère en riant et la posa sur le lit avant de se mettre en tenue d’Ève. Grand-mère soupira. — Quoi ? Charlotte s’arrêta alors qu’elle attrapait le corset. — Rien, répondit grand-mère en agitant la main. C’est juste que je doute que Jake tienne jusqu’à la cérémonie. Ne t’avise pas de le laisser te sauter dessus trop tôt, Charlotte ! Tu m’entends ? Dieu n’apprécie pas ce genre de choses. — Euh…, fit Charlotte en enfilant le corset. Quoi ? Des personnes mariées qui se sautent mutuellement dessus ? — Bien sûr que non, dit grand-mère en lui lançant un regard menaçant. Dieu n’aime simplement pas voir de jolies choses être gâchées, et toi, très chère, tu seras impressionnante. Alors, laisse-le se rassasier avant de lui donner à boire, tu comprends ?

Charlotte souriait jusqu’aux oreilles. — Tout à fait. Grand-mère grommela. Dix minutes plus tard, Charlotte était vêtue de la plus belle robe de soie qu’elle ait jamais vue de toute sa vie. Grand-mère ne s’était pas contentée de la lingerie. Non, elle avait aussi acheté des escarpins à talons hauts en cristal, qui donnaient à Charlotte l’air d’un top-modèle. Béni soit le grand cœur manipulateur de grand-mère. Charlotte se retourna et s’observa dans le miroir. Grand-mère se leva derrière elle, radieuse. — Fais-lui sa fête.

58 Jake prit une grande gorgée de whisky et tressaillit lorsque le liquide coula au fond de sa gorge. La chaleur était intense ; et le fait qu’il porte un costume noir et des bretelles n’aidait pas. Au moins, son costume n’était pas aussi horrible que la robe de Charlotte. La pauvre avait l’air malheureuse quand elle était partie s’habiller avec Kacey et les autres filles. Il prit une autre gorgée et fit la grimace quand Jace s’avança vers lui. — Alors, fit le sénateur en commandant une tequila et la descendant cul sec. Comment ça va ? — Tiens, on parle de la pluie et du beau temps, maintenant ? dit Jake en riant. Super bien. Et ton œil ? — Terriblement mal, merci. Jace secoua la tête. Jake chercha Charlotte des yeux. Où était-elle ? Ils étaient censés se retrouver une heure avant. Il attrapa le bras de Travis alors qu’il passait à côté de lui. — As-tu vu ma femme ? — Non, répondit son frère en haussant les épaules avant de rire. Ta femme. Merde. Je ne pensais pas voir ça un jour. Pétunia passa juste au moment où Travis jurait, ce qui lui valut une tape à l’arrière de la tête et une réprimande. Il passa son bras autour de sa grand-tante, lui présenta ses excuses et commanda deux verres de whisky dans son dos. Il semblait que les fruits de l’arbre de grand-mère n’étaient pas tombés très loin et avaient bien poussé l’un à côté de l’autre. — Ta femme ? dit Jace. Tu as une femme ? Et Charlotte ? Jake ne put cacher son sourire. — C’est une longue histoire, mais grand-mère nous a mariés accidentellement, dit-il en mimant des guillemets. — Veinard ! Le sourire de Jake s’élargit. — Je plaide coupable. Ses yeux parcoururent le patio une dernière fois et tombèrent sur une fille en robe blanche. Il continua à chercher, puis revint vers elle. C’était son épouse. C’était Charlotte. Elle portait la robe du magasin. Il ne put détourner son regard ; la chaleur envahit son corps tout entier. — Tu veux te battre pour elle ? murmura Jace. — J’ai déjà gagné. Jake passa devant lui et se dirigea droit vers sa fiancée…, sa femme. Il avait très envie de l’embrasser, mais cela aurait gâché l’image parfaite qu’il fixait. Ses cheveux étaient attachés en un chignon bas avec des mèches qui tombaient autour de son visage. Et elle était plus grande, peut-être à cause de talons hauts ; il n’était pas vraiment capable de réfléchir à cet instant. Elle souriait chaleureusement et n’avait d’yeux que pour lui. Dieu merci. — Je ne peux pas t’embrasser, dit-il une fois à ses côtés. Ça gâcherait ton maquillage.

— C’est bon, dit Charlotte en se penchant vers lui pour lui donner accès à ses lèvres tandis que ses mains glissaient sur la soie douce de sa robe. Une femme sage m’a dit un jour que tu avais besoin que quelqu’un t’en fasse voir de toutes les couleurs… Peut-être que ça pourrait être moi. Jake aurait juré entendre grand-mère ricaner ; mais il préféra embrasser sa femme, son amoureuse, et la soulever pour la faire tourner dans les airs. — Vous êtes mariés ! cria quelqu’un. Jake reposa Charlotte et se retourna. Une jeune femme avec des cheveux blonds et bouclés courait vers eux en agitant les bras dans tous les sens. C’était Beth. Charlotte émit un cri aigu et frappa dans ses mains tandis que sa sœur se jetait dans ses bras et hurlait : — Je n’arrive pas à y croire ! Je n’arrive pas à croire que vous êtes mariés. Quand grand-mère m’a appelée il y a quelques jours… — Il y a quelques jours ? demanda Jake avant de se tourner vers la coupable. Quelle assurance, dis donc ! Grand-mère haussa à peine les épaules. — Que veux-tu que je te dise ? Je connais mes garçons. — Bien vu. Beth pinça le bras de Charlotte. — Comment as-tu osé ne pas m’inviter ! — C’était… Charlotte regarda Jake pour qu’il lui vienne en aide. — … soudain, finit-il en passant son bras autour de Charlotte. Très, très soudain. On pourrait presque dire que nous ne savions même pas que ça allait arriver. Grand-mère s’était approchée discrètement et avait pris le bras de Beth. — Et maintenant, ma chère, si nous allions prendre un verre. J’ai entendu dire que tu étais célibataire… Beth rejeta la tête en arrière et se mit à rire. — Je suis mariée à mon travail. — Oh ! chérie, ton travail ne peut pas faire la même chose qu’un homme, crois-moi. Elle guida Beth plus près du bar, où Jace était assis et levait deux doigts en direction du barman. — Est-ce qu’elle… ? commença Charlotte en croisant les bras. — Elle n’est heureuse qu’en se mêlant des affaires des autres, dit Jake en la tirant vers lui. En voici un bon exemple. Il pencha la tête en direction de grand-mère, qui laissait Jace et Beth seuls avec leurs verres. Heureusement, ni l’un ni l’autre n’avait pris de Benadryl. Mais, concernant grand-mère, c’était difficile à dire. Elle avait un faible pour les médicaments en vente libre. — Tu es tellement belle, murmura Jake à l’oreille de Charlotte. Et si on remontait à l’étage et… Charlotte se mit hors de sa portée. — J’ai des instructions strictes à suivre pour te faire souffrir jusqu’après le mariage. — De la part de qui ? — Grand-mère, répondit Charlotte en gloussant. Je pense que je lui dois bien ça, après tout. Jake fronça les sourcils. — Pense à toutes ces choses cachées pour lesquelles tu dois patienter…, ajouta-t-elle. Puis, elle lui chuchota à l’oreille tout ce qu’elle portait, pièce par pièce, et mit fin à cette petite conversation érotique en lui mordillant le lobe. Les jambes flageolantes, il faillit s’écrouler.

Sacrée grand-mère ! Elle n’était heureuse que lorsque quelqu’un souffrait.

59 Dans deux heures, elle serait mariée. Le cocktail s’était super bien passé, mais, maintenant, c’était l’heure. Kacey avait choisi une robe blanc cassé avec un grand décolleté à l’avant et à l’arrière. Elle était un peu osée à son goût, et c’était exactement pour ça qu’elle l’avait choisie. Elle lui donnait l’impression d’être belle et audacieuse. En plus, elle s’était donnée à fond pour cet entraînement stupide ; elle méritait bien de porter une robe sexy le jour de son mariage. De fines lanières en perles étaient nouées dans son cou et pendaient dans son dos jusqu’à la robe. Elle était moulante jusqu’aux hanches, puis s’évasait en plusieurs couches légères de mousseline de soie. Le revêtement en dentelle et cristal qui allait de sa poitrine jusqu’en bas de la robe était sa partie préférée. Elle se retourna et sourit en se voyant dans le miroir. La traîne d’un mètre s’étalait à la perfection autour d’elle. Elle soupira. Elle était parfaite. Alors, pourquoi était-elle aussi nerveuse ? Ses mains serrèrent les côtés de sa robe, puis, se souvenant que ça risquait de la froisser, elle la lâcha et se mit à faire les cent pas devant le miroir. — Nerveuse, ma chérie ? demanda une douce voix féminine. Kacey leva les yeux. Pétunia se tenait sur le seuil en se tordant les mains. — Euh, un peu, admit Kacey. Pétunia acquiesça. — Je peux le comprendre. Après tout, c’est naturel de s’inquiéter de ce qu’on va trouver dans le lit conjugal. — Oh ! fit Kacey, la gorge serrée. Ce n’est pas… — Oh ! je sais. Il est délicat de parler de ce qui se passe dans la chambre à coucher. Et ce n’est pas avec moi qu’on a ce genre de discussion. À ta place, j’apporterais probablement une batte ou un autre objet dans le style juste au cas où il serait trop déluré. Frappe-le un bon coup ; ça lui donnera une leçon. — Une batte ? demanda Kacey en faisant la moue. Je ne crois pas que ce sera nécessaire et ce n’est pas le lit conjugal qui me rend nerveuse. — Oh ! dit Pétunia avec un petit rire. C’est normal d’être nerveuse, ma chérie. Tiens, tu n’auras qu’à appeler tante Pétunia si mon neveu devient trop… Elle rougit et détourna le regard. — Oh ! tu vois ce que je veux dire. S’il, s’il… Elle joignit les mains. — S’il te fait du mal, tu dois simplement lui dire non. — Je ne pense pas que Travis me ferait du mal, dit Kacey d’une voix calme, même si elle se retenait désespérément pour ne pas éclater de rire. Après tout, c’est un… homme attentionné. — Ah ! un bon amant, acquiesça Pétunia. Je vois… Et comment le sais-tu ? Kacey espérait ne pas avoir l’air coupable. Les yeux de Pétunia s’écarquillèrent. Puis, grand-mère surgit par la porte. — Pétunia ! Tu n’es pas censée être ici. — Je donnais des conseils très utiles.

— À propos du fait de rester vierge, à l’évidence, dit grand-mère en ronchonnant. Maintenant, va mettre ta tenue pour le mariage. — Je refuse, dit Pétunia en levant le menton. Tu sais ce que je pense des couleurs vives. Grand-mère ferma les yeux un instant et se pinça l’arête du nez. Quand elle rouvrit les yeux, même Kacey fit un pas en arrière. — Tu vas porter cette satanée robe et avec le sourire. Maintenant, va l’enfiler ou je drogue chacun de tes chats ! Pétunia retint son souffle. — Tu n’oserais pas ! — Dis-moi : comment va Garfield ? Il commence à se faire vieux. Ce serait dommage de le voir bouler les escaliers ou manger accidentellement quelque chose qu’il ne devrait pas. Vexée, Pétunia quitta la pièce d’un pas lourd. Grand-mère ferma la porte derrière elle et s’épousseta les mains. En ajustant sa veste dorée, ses yeux tombèrent sur Kacey. — Mon chou, qu’est-ce qui ne va pas ? Les larmes que retenait Kacey coulaient à flots sur son visage. Elle s’effondra dans les bras de grandmère en sanglotant doucement. — Oh ! chérie, petite chérie, ne pleure pas. Grand-mère est là. Tu sais, si tu as peur, c’est parfaitement normal. Les hommes peuvent être de vraies bêtes ! Ils font des bruits qu’aucun humain ne devrait produire en public. Ils se trouvent plus drôles que tout et ne comprennent pas le concept de faire la vaisselle… Kacey eut un hoquet. — Oh ! mais, ma jolie, ils sont merveilleux. Ils ont été créés pour nous, tu sais, faits spécialement pour être forts quand nous sommes faibles, pour être capables quand nous ne le sommes pas, et pour partager une union si sacrée que tu ne voudras plus jamais te souvenir de ce que ça faisait avant que cette bague soit à ton doigt. Chérie, continua grand-mère en s’écartant et en proposant à Kacey un mouchoir. L’amour est magique. Et toi, ma chérie, tu es très amoureuse ; ça se voit dans chacun de tes gestes, à chacune de tes respirations. Kacey se tamponna les yeux et réussit à contrôler son souffle. — Ce n’est pas lui, dit-elle en secouant la tête. Travis est une bénédiction. Il est incroyable. Ce n’est pas lui. C’est moi. Grand-mère tapota la main de Kacey sans rien dire. — Je l’aime tellement. J’aurais simplement aimé que… — Quoi ? — J’aurais aimé, dit Kacey, les lèvres tremblantes, que papa puisse m’accompagner jusqu’à l’autel. Que ma mère soit assise dans la première rangée avec le sourire… Je ne sais pas… J’aurais aimé qu’ils puissent me voir. — Oh ! Grand-mère prit Kacey dans ses bras. — Mais, mon chou, ils le peuvent ! Ils peuvent te voir ! N’ai-je pas dit que l’amour était magique ? Eh bien, j’imagine que l’amour que Travis et toi avez l’un pour l’autre a été créé par Dieu en personne, et, si Dieu y prête attention, comment cet amour pourrait-il ne pas attirer celle de tes parents ? Je suis sûre qu’ils auront leur place dans la première rangée ce soir. L’amour brille. C’est comme une étoile dans le ciel nocturne. On ne peut pas s’empêcher de le voir. C’est comme le soleil ; on ne peut pas s’empêcher de le sentir. C’est comme l’air ; on ne peut pas s’empêcher de le respirer. Oh ! chérie, tu ne dois pas

t’inquiéter de savoir si tes parents voient la beauté du jour de ton mariage… Ils sont là. Grand-mère toucha la poitrine de Kacey. — Et, chérie, ils sont ici aussi. Grand-mère sortit une petite boîte de son sac et la posa dans les mains de Kacey. — Allez, ouvre-la. Kacey ouvrit la boîte en tremblant. À l’intérieur, il y avait une longue chaîne en argent avec une amulette ovale. Il suffit d’un geste pour qu’elle s’ouvre et révèle une photo des parents de Kacey. — C’est ton objet ancien, murmura grand-mère. Elle est dans ma famille depuis très longtemps. Elle était à ma mère et à sa mère avant elle. Elle prit le collier des mains de Kacey et défit le fermoir. — Quand tu auras peur, je veux que tu te souviennes que tes parents ne sont jamais loin… Elle l’attacha dans le cou de Kacey, et l’amulette tomba directement entre ses seins. — Ils sont juste sur ton cœur. Avec un sanglot, Kacey se jeta au cou de grand-mère et la serra fort. Jamais dans sa vie elle ne s’était attendue à ça. C’était parfait, et, soudain, comme si un poids avait été levé, Kacey se sentit à nouveau vivante, excitée, prête, et elle en avait assez de n’être que Kacey. Elle était prête à devenir Kacey Titus. — Je vous aime, grand-mère. — Et je t’aime, mon cœur, dit grand-mère en soupirant. Maintenant, arrange ton maquillage. Tu ne veux pas donner l’impression d’avoir pleuré ? Kacey l’embrassa sur la joue et se leva. — Je pense qu’il me faut du rouge à lèvres rose. — Je te reconnais bien, là. Grand-mère fouilla dans son sac et en sortit un tube. — Utilise-le avec parcimonie. J’ai entendu dire que le rouge à lèvres rose avait des pouvoirs magiques. — Ah oui ? Qui a dit ça ? — Ton grand-père, que son âme repose en paix. Il adorait le rose. Avec un clin d’œil coquin, grand-mère se leva et passa la porte. — Que Dieu la bénisse, dit Kacey à voix haute. Et qu’il la maintienne en vie éternellement… Je sais que tu la veux à tes côtés, mais tu ne peux pas encore la reprendre.

60 — Prêt ? Jake mit quelques tapes dans le dos de Travis qui se regardait dans le miroir. — Bon sang, je n’arrête pas de trembler. Travis ferma les yeux et secoua les bras avant de sauter sur place. — Euh…, d’abord, ne saute pas. Jake posa ses mains sur les épaules de son frère. — Ce n’est pas une partie de basket. Nous ne sommes pas en finale nationale. — O.K. Travis s’arrêta de bouger et hocha la tête à plusieurs reprises. — Et arrête de hocher la tête. On dirait un cinglé. — Merde. Travis s’assit sur la chaise et prit sa tête entre ses mains. — Il faut que je sorte d’ici avant de péter un plomb. — Je suis d’accord, en convint Jake en cherchant dans sa poche de devant. Mais, avant tout, prends ça. Travis ne leva pas les yeux. — Jake, je ne crois pas que cette situation nécessite le remède préféré de grand-mère, du Benadryl. — Ce n’est pas une pilule rose. Jake avança la petite flasque d’alcool sous le nez de Travis. — Du courage liquide, mon ami. Bois. Travis ouvrit les yeux et saisit la petite bouteille. — Hum, alors, c’est un remède signé Jake Titus ? J’aime bien. — Ou tout simplement un remède signé Titus, même si maman préfère le vin, dit Jake en haussant les épaules. Quoi qu’il en soit, il serait injuste de m’en attribuer tous les mérites. Travis dévissa le bouchon et grimaça en buvant toute la bouteille de vodka bon marché. — C’est dégoûtant. — Je l’ai volée à grand-mère. Je me doutais que ce serait le cas. Je n’ai jamais vu une femme aimer autant la mauvaise vodka. De toute façon, il est presque l’heure de remonter l’allée jusqu’à l’autel. Et si on leur montrait qu’on en a dans le pantalon ? Après quelques secondes, Travis dit : — C’est bon. — Aucune pudeur, plaisanta Jake. — Je viens de réaliser que j’allais séduire ma femme dans exactement quarante-six minutes – quarante-quatre si je réussis à réciter mes vœux assez vite. — Bon esprit, dit Jake en lui tapotant dans le dos. Maintenant, je dois rejoindre ta future épouse : il semblerait que je doive aider une fille à avancer jusqu’à l’autel. — Si elle trébuche, tu te retrouves avec un œil au beurre noir. — C’est noté ! lança Jake en quittant la chambre pour partir à la recherche de Kacey. Elle attendait à la porte du porche, la musique jouant doucement en fond.

Charlotte était avec elle et elles discutaient en murmurant, jusqu’à ce que Jake se fasse remarquer en s’éclaircissant la voix bruyamment. Kacey fut la première à se retourner, les yeux pétillant d’excitation. — Je vais, euh…, dit Charlotte en désignant la direction derrière Jake. Je vais me mettre là-bas, jusqu’au moment de remonter l’allée. Le parfum de Charlotte flotta dans l’air alors qu’elle essayait de passer près de Jake. En vain. Il l’attrapa par la taille et l’embrassa sur la bouche. — Tu ne peux pas passer comme ça sans me saluer. Les lèvres de Charlotte touchèrent à nouveau les siennes. — C’est comme ça qu’on se salue, maintenant ? — Oui. Jake ouvrit les lèvres de Charlotte avec sa langue. — Oh oui ! ajouta-t-il. Charlotte s’écarta en lui faisant un clin d’œil coquin avant de s’éloigner. Il la suivait toujours du regard quand Kacey dit : — Je n’aurais jamais cru voir ça un jour. — Quoi ? Jake se gratta nerveusement la tête et s’approcha de Kacey. — De quoi tu parles ? — Tu sais bien. Elle croisa les bras et indiqua avec la tête la section de la salle où étaient assises Charlotte et les autres demoiselles d’honneur. — Ça. — Je ne vois toujours pas. Elle haussa les épaules. — Appelle ça ta puberté. Tu as fini par grandir et tomber amoureux. — Alors, je suis un homme, maintenant ? — Félicitations, lança Kacey en riant. Oh mon Dieu ! Je parie que tu as même des poils sur le torse ! Jake grimaça. Il avait toujours été du genre à s’épiler, et peut-être qu’il allait même un peu plus loin, avec ses soins du visage mensuels. Il mit une petite tape sur la main de Kacey quand elle essaya de toucher son torse. La sale gosse. — Tu es prête ? demanda-t-il pour changer de sujet. — Je crois. — Bien, dit-il en riant. Prépare-toi à être intimidée. En fait, prépare-toi à pleurer. J’ai entendu que grand-mère et toi aviez eu une grande conversation. — Cette femme ne peut donc pas garder un secret ? grommela Kacey. — Eh bien, j’ai toujours Charlotte sur le coup au cas où. Jake prit les mains de Kacey dans les siennes. — Kacey, je t’ai connue alors que tu n’étais qu’une petite fille avec des couettes. Tu étais obsédée par Barbie et me disais que je devrais être ton Ken. En fait, je suis sûr que j’ai joué le rôle de Ken plus souvent que je ne veux bien l’admettre. Kacey gloussa. — Nous avons ri ensemble, pleuré ensemble, crié l’un après l’autre, nous nous sommes battus, détestés…

Jake essaya de contrôler son émotion. Mince, en voyant Kacey en train de pleurer, il eut l’impression qu’il allait craquer. — Je t’ai brisé le cœur et ne l’ai jamais réparé. Il s’humecta les lèvres et laissa échapper un soupir. — Lui, si. Kacey prit la main de Jake et la serra. — Mon frère l’a réparé. Jake ferma les yeux un bref instant. — Kace, je t’ai volé ton cœur au lycée. Je l’ai volé et je n’en ai pas pris soin. J’étais insouciant, jeune, stupide, comme tu veux. Il lâcha sa main et sortit un cadeau de sa poche. — Alors, voilà ma façon de te rendre les morceaux brisés pour qu’il puisse tous les avoir. Travis mérite tout ça. Je voulais réparer ce que j’avais cassé, je voulais arranger ce qui avait mal tourné, mais tu sais que c’est difficile, alors… Il lui tendit une épingle à cheveux. — C’est un cœur bleu, un saphir. Ton objet bleu est aussi un objet neuf. Il haussa les épaules. — Je t’ai toujours aimée, Kacey. Il enfonça l’épingle dans ses cheveux et l’embrassa sur le front. Elle le frappa à l’épaule. — Arrête de me faire pleurer ! — Désolé ! dit-il en s’écartant, les mains en l’air. — Oh ! viens par là. Kacey le prit à nouveau dans ses bras et l’étreignit. — Merci, Jake. Merci pour tout. La musique retentit de l’extérieur. — Je n’ai pas encore fini. Il tendit les bras au moment où son père apparut. — Tu es prête, ma belle ? dit-il en essuyant quelques larmes sur son visage après avoir embrassé Kacey sur la joue. — Prête. La gorge serrée, elle prit le bras de Jake d’un côté et celui de son père de l’autre. — Allons-y. Charlotte approcha avec le bouquet de Kacey. Jake lui adressa un clin d’œil furtif avant de retourner son regard vers la porte. Jake sentit Kacey trembler à son bras. — Je vous aime, maman et papa, murmura Kacey à voix basse. — Je suis si fier de toi, dit le père de Jake alors qu’une larme coulait sur sa joue. Et je sais qu’eux aussi. Jake pressa le bras de Kacey et fit un signe de tête à son père, luttant de toutes ses forces pour ne pas céder à ses émotions. Mais c’était dur. Surtout quand la musique commença. Les souvenirs surgirent alors.

*** La cérémonie de mariage avait lieu près de la cabane. Kacey fut transportée des années en arrière, tandis qu’elle se regardait alors âgée de cinq ans courir autour de l’arbre, Jake à ses trousses. Sa mère apparut et cria : — Kacey, pose ça ! Ne t’avise pas de lui jeter de la boue ! Kacey ne l’écouta pas. Et ses souvenirs avancèrent de quelques années : la même cabane, le même garçon. Jake était plus vieux. Travis et lui se disputaient, et Travis dit à Kacey qu’il avait trouvé un serpent et le brandit devant son visage. Sa mère sortit en courant de la maison avec Bets et cria à Travis de tuer le serpent. Puis, elle se retrouva à l’époque du lycée. Travis l’observait de la maison pendant qu’elle et Jake traînaient près de la rivière. Elle se retourna pour le regarder et leva les yeux au ciel tandis qu’il sortait avec son père pour mettre le reste du matériel de pêche dans la camionnette. — Faites attention ! cria-t-elle. — Toujours ! répondit son père. Et alors, comme s’il venait de se souvenir de quelque chose, il courut vers elle, les bras grands ouverts. — J’ai failli oublier ! — Quoi ? demanda-t-elle en courant vers lui. — Un prince mérite toujours un baiser de sa princesse avant de partir à la guerre ! — Tu ne vas pas à la guerre ; tu vas attraper des poissons. — Et des lions, des tigres et des ours ! Son père fit les gros yeux pendant qu’il l’embrassait sur la joue, encore et encore. — Arrête ! Elle le repoussa en riant. — C’est bon, ajouta-t-elle. Voilà votre baiser, mon bon monsieur. Elle fit une révérence. Son père s’inclina. — Porterez-vous mes couleurs, cher prince ? — Mais bien sûr ! Son père tira un ruban de ses cheveux et le garda dans sa main. — Je le garderai à jamais, ma dame ! Quand Kacey fut ramenée au présent, elle réalisait que tous ces souvenirs, tout ce temps passé ici à Titus Abbey…, c’était comme si ses parents étaient là avec elle, la poussant vers l’avenir. Travis leva les yeux. Soudain, elle eut l’impression de ne pas marcher assez vite. Les yeux rivés sur les siens, elle se dirigea droit vers l’avant du pavillon. Il était si beau dans son costume noir. Ses cheveux étaient légèrement décoiffés, et son bronzage rendait son sourire encore plus irrésistible. Travis fit deux pas vers elle. Wescott lâcha son bras, tout comme Jake, et Travis attrapa sa main. Puis, il la retourna et ouvrit son poing serré. Dans sa paume, il déposa un ruban rose usé. Les yeux de Travis se remplirent de larmes quand il se pencha vers elle et murmura à son oreille. — Je le garderai à jamais.

Renonçant à la tradition selon laquelle elle ne devait pas toucher son mari jusqu’à ce que le pasteur lui en donne la permission, Kacey se jeta au cou de Travis et éclata en sanglots. Il lui fallut cinq bonnes minutes avant de pouvoir retrouver son calme. Elle savait qu’elle devait avoir une mine affreuse, mais elle s’en fichait. Travis lui prit le ruban des mains et l’accrocha sous l’épingle que lui avait offerte Jake. — Alors, commença le pasteur avec un grand sourire. Qui donne cette femme à cet homme ? Wescott et Jake ne dirent rien. Elle regarda derrière elle, et quelqu’un toucha son bras. Grand-mère. Elle adressa un sourire radieux à Kacey et mit ses mains douces sur celles de Travis et Kacey. — Ses parents et moi. — Et moi, dit Jake à sa droite. — Et mon épouse et moi, ajouta Wescott. Jamais Kacey ne s’était sentie aussi aimée et à sa place. Et elle se trouvait dans le jardin où elle avait joué toute sa vie. Avec un sourire humide, elle les serra tous dans ses bras et rejoignit Travis à l’avant du pavillon. Un air chaud passa. Kacey regarda vers la rivière alors que le pasteur indiquait aux invités qu’ils pouvaient s’asseoir. Et peut-être qu’elle s’imaginait des choses, mais elle aurait pu jurer voir ses parents sur le quai, main dans la main en train de la contempler, avec le sourire.

61 — Tu es prête ? murmura Jake à l’oreille de Charlotte. Elle secoua la tête. Comment pouvait-on être prêt ? Ils devaient réaliser une danse de la fertilité devant tout le monde ! Même si ça n’en avait pas vraiment l’air…, ça ressemblait plus à un tango, mais quand même. Elle ne comprenait pas pourquoi grand-mère les forçait à faire ça, mais ils étaient bien là, au milieu de la piste de danse, attendant que la musique commence, quand grand-mère s’éclaircit la voix dans le micro. — Oh non ! chuchota Charlotte. Ça ne sent pas bon. Elle va chanter pendant notre danse ? — Ça ne peut pas être pire, de toute façon…, marmonna Jake. — Est-ce que ce truc marche ? demanda grand-mère en tapant sur le micro, qui émit un larsen, avant de rire bruyamment. Oh ! j’adore la technologie. — Ouais, on sait, grand-mère, dit Charlotte. — Je suis tellement heureuse de voir mes deux petits-fils mariés et casés. La prochaine danse a été préparée avec soin. Chaque mouvement a un sens. — Je plaisantais, dit Jake. Ça peut être pire. Elle va expliquer le rituel d’accouplement. — La première pirouette représente l’amour sincère. La deuxième représente une vie heureuse et éternelle dans les bras de l’autre. Cette danse vient de la culture gitane. Ils croyaient qu’une danse pouvait unir deux personnes pour toujours, sans distinction d’origine, de race, de passé difficile… Tandis que grand-mère continuait à parler, les yeux de Charlotte s’écarquillèrent, comme ceux de Jake. — Alors, mon cadeau de mariage à Charlotte et Jake est cette danse. Celle qu’ils ont apprise il y a quelques semaines. Surprise ! La musique commença. Charlotte ne parvint pas à bouger. Grand-mère avait prévu ça depuis longtemps, la danse et tout le reste : elle était sûre que ça arriverait. La gorge serrée, elle contint son émotion alors que Jake la contournait et la tirait dans ses bras. Il la fit tourner une fois, puis deux, la regardant avec une telle intensité qu’il aurait été impossible de ne pas tomber amoureux de lui encore et encore. Chaque fois qu’il tournait, elle voyait un nouvel aspect de son sourire la captiver, lui dire « Je t’aime », « Je te désire ». Jake la serra tout contre son corps, et elle entoura sa taille avec sa jambe avant qu’il ne la fasse basculer en arrière. Il embrassa son cou exposé et la fit tournoyer encore une fois. Ils étaient face à face pour le reste de la danse. Il se pencha en avant, ses lèvres effleurant sa joue. — Tu me manquerais… si je ne t’avais jamais rencontrée, tu me manquerais parce que je saurais qu’une partie de moi ne serait pas là. Elle eut le souffle coupé. — Si je ne t’avais jamais rencontrée…, je te désirerais quand même. Jake promena ses mains sur les épaules de Charlotte et la prit par la taille pour la rapprocher de lui. — Même là, tu me manques. Ses lèvres frôlèrent son oreille. — Parce que, chaque fois que je te touche, c’est comme si tu n’étais pas assez près. Mon corps a mal

parce qu’il veut se rapprocher. Mais même quand il n’y a que la peau qui nous sépare, mon besoin désespéré ne s’adoucit pas. Il ne s’adoucit jamais, car c’est à ton essence même que je suis accro. Ils terminèrent la danse yeux dans les yeux. Charlotte les ferma, attira le visage de Jake plus près du sien et passa ses mains derrière sa tête pendant qu’ils restaient là, immobiles. Les lèvres de Jake touchèrent les siennes et il soupira. — Je passerai ma vie à te poursuivre, à te désirer, à te choyer, à te découvrir… En pleurs, elle écrasa sa bouche contre celle de Jake. Il la souleva dans ses bras et la fit tournoyer sur la piste de danse en rendant son baiser plus intense, plus insistant, plus audacieux. La chaleur envahit tout le corps de Charlotte ; un frisson la parcourut jusqu’aux bras et aux jambes. Il pressa son corps contre le sien, encore plus près, mais ce n’était toujours pas suffisant. Elle essaya de se rapprocher. — Hum, hum. Grand-mère gloussa dans le micro. — Peut-être que j’aurai un bébé avant même le printemps ! Les invités plaisantèrent, eux aussi. Le petit rire de Jake provoqua une vague de chaleur dans le cœur de Charlotte. Comment un homme qui, seulement quelques jours auparavant, avait peur de l’engagement pouvait-il soudain trouver attrayante l’idée d’avoir des enfants ? Un miracle, voilà ce que c’était. Il la libéra et la fit glisser contre son corps ferme jusqu’au sol. — Il est temps de danser ! cria grand-mère avant de se mettre à rapper. — Oh mon Dieu ! grommela Jake. — Ce moment était si spécial…, dit Charlotte en riant. Les Black Eyed Peas ne lui avaient jamais semblé aussi bons. Au moins, les invités trouvèrent cela hilarant et, pour être honnête, grand-mère n’était pas si mauvaise que ça. Travis et Kacey rejoignirent Charlotte et Jake sur la piste ; ils dansèrent gaiement, et grand-mère se pavana sur la scène en chantant « Tonight’s the night, let’s live it up ! I’ve got my money… » — Autant se lâcher, dit Travis en donnant un coup de coude à Jake. Ils se mirent à sauter en l’air, et le reste des invités suivit, transformant la danse romantique en franche rigolade animée, avec grand-mère sur le devant de la scène. À la fin des premières chansons, Charlotte était en sueur et avait besoin de boire un verre. Elle attrapa la main de Jake et le guida jusqu’à leurs places. La musique se fit plus douce. Grand-mère quitta la scène et s’approcha d’eux. Ses yeux brillaient d’excitation. — Comment j’étais ? demanda-t-elle. — Exceptionnelle, dit Jake. Absolument remarquable. Je n’ai jamais vu une femme de quatre-vingt-six ans faire du rap. Dix billets qu’on te retrouvera partout sur la Toile demain. — J’adore YouTube, soupira grand-mère. — Qu’y a-t-il de si important ? cria Pétunia qui se dirigeait vers leur petite table. Sa robe bleu vif mettait en valeur ses yeux azur et ses cheveux argentés. — Un instant, dit grand-mère en levant la main. Charlotte regarda autour d’eux. Qu’attendait-elle ? — Ah ! les voilà. Un magnifique vieil homme avec un déambulateur se mit à avancer vers eux. Un charmant monsieur en costume noir l’accompagnait.

— Qui est-ce ? — Mon amoureux. En fait, nous avons l’intention de nous marier cet hiver, dit-elle en haussant les épaules. Et il a un frère. Je voudrais te le présenter. — Non, dit Pétunia en croisant les bras. Je ne fais pas ce genre de choses… — Nadine ! cria M. Casbon en lui prenant la main pour l’embrasser. Toujours aussi jolie, et quelle belle chanson, ma chère ! — Je me suis entraînée, dit-elle, rayonnante. Jake se mit à rire, mais Charlotte lui donna un coup dans les côtes. Il s’arrêta et toussa. — Et qui est cette charmante créature ? dit l’autre homme à Pétunia. Je vous ai observée toute la soirée, ma chère. Vous êtes… superbe. — Euh… Pétunia regarda grand-mère, puis retourna son attention vers lui en lui tendant la main. — P…Pétunia. — Oh ! aussi jolie que la fleur ! lança-t-il en lui prenant la main. M’accorderiez-vous une danse ? Les joues de Pétunia se teintèrent de rose avant qu’elle n’acquiesce brièvement et le suive sur la piste. — Grand-mère, dit Jake en s’éclaircissant la voix. — Oui, chéri ? — Monsieur Casbon n’a pas de frère. L’homme gloussa et détourna le regard. — Où l’as-tu trouvé ? Grand-mère se mit à examiner ses ongles. — Grand-mère, insista Jake. Où l’as-tu trouvé ? — C’est un escort boy, répondit-elle en chassant Jake d’un signe de la main. Il facture une jolie petite somme, mais je pense qu’ils seront très mignons ensemble. Tu sais qu’il a perdu sa femme il y a quelques années ? Il fait ça juste pour s’amuser. De nombreuses veuves ont besoin de compagnie. Charlotte resta bouche bée. Jake toucha son menton et la lui referma. — On danse ? Grand-mère saisit M. Casbon par le bras et le guida sur la piste avec son déambulateur. Charlotte regarda d’un air choqué Pétunia rire et danser comme si elle passait le meilleur moment de sa vie. — Hum, fit Jake en secouant la tête. Un escort boy ? — Eh bien, au moins, elle est heureuse, fit remarquer Charlotte. Je veux dire, regarde-les ! Jake se leva en riant doucement et mit Charlotte debout. — Je ne veux pas les regarder. Je veux te regarder, toi. — Oh ! — Tu es magnifique. — Comme ça ? cria Bets dans le micro. Oh ! d’accord, très bien. Il est temps de couper le gâteau, annonça-t-elle. Tout le monde applaudit. Jake et Charlotte avancèrent bras dessus bras dessous vers la table du gâteau et se figèrent. Les rubans étaient en train de s’écrouler. — Merde, dit Jake à voix basse. Il faut qu’on fasse quelque chose. Le traiteur tourna le gâteau vers la foule. On entendit les gens retenir leur souffle, puis murmurer.

— Arrange ça ! dit Charlotte en poussant Jake vers le gâteau. Allez ! Il resta figé. — Oh non ! Je n’ai pas l’intention de tomber seul. Il attrapa son poignet et la tira vers lui juste au moment où Travis et Kacey avançaient vers la table. Le premier à remarquer le problème fut Travis. Ses yeux sortirent de leurs orbites, puis se dirigèrent vers Kacey. Elle le fixait avec un air admiratif, et comme si elle avait senti son désarroi, elle regarda la table et se couvrit la bouche. — Euh, surprise ! cria Charlotte assez fort pour que tout le monde l’entende. Travis resta bouche bée. — Surprise ? — On… Charlotte frappa Jake. — … voulait… Jake toussa. — … faire… Son visage pâlit. Oh non ! Il n’avait rien à dire, rien. Ce n’était vraiment pas le moment de perdre sa verve habituelle ! Kacey et Travis attendaient des explications. Jake finit par baisser la tête. — Nous sommes les pires témoin et demoiselle d’honneur qui puissent exister. Ils n’ont pas pu l’arranger à temps. Alors, il est écrit… — TÉTÉS POUR TOUJOURS ! cria grand-mère dans le micro. Et laissez-moi vous dire que ces deux jeunes Titus adorent les… — Portons un toast ! cria Bets plus fort que grand-mère. À Travis et Kacey ! Tout le monde leva son verre alors que Kacey et Travis se penchaient vers le gâteau pour examiner la figurine. — Au moins, elle nous ressemble, dit Kacey. — Et j’aime vraiment tes… — … ton cœur immense ! dit Bets. Bravo, c’est un très, très joli gâteau. Elle avala le reste de son verre de vin et sembla être à deux doigts de s’évanouir. Jake soupira. — Enlevons ce truc avant que maman ne tombe dans les pommes. Charlotte éclata de rire. — Tu as compris ? Retirez ces seins ! Ils eurent tous un fou rire jusqu’à ce que quelqu’un lui étale du gâteau sur le visage. C’était Jake, l’abruti ! Puis, Travis en mit sur le visage de Kacey. Et une guerre complète éclata. Une guerre où Travis et Jake revinrent sur leur décision en disant qu’ils ne voulaient pas gâcher le joli maquillage des filles. Mais Kacey et Charlotte connaissaient la vraie raison de leurs excuses : ils savaient qu’ils auraient perdu. Après tout, les garçons de la famille Titus n’avaient jamais eu la moindre chance.

62 — Prêt ? demanda Kacey en serrant la main de Travis. — Ouais. Il l’embrassa sur le haut de la tête, puis la guida à l’extérieur vers la voiture qui les attendait. Jake se disputait avec grand-mère, et Charlotte riait, les mains sur le visage. — Oh, oh ! fit Kacey en s’approchant de la voiture. Ai-je vraiment envie de savoir ? — Grand-mère se prend pour une artiste, dit Jake, les dents serrées. J’ai essayé de l’arrêter, mais… — Ah !... Kacey jeta un coup d’œil au pare-brise. Grand-mère avait dessiné une grosse poitrine et écrit : TITUS POUR L’ÉTERNITÉ sauf que l’« i » et l’« u » étaient légèrement transformés en « é ». — Charmant ! lança Kacey. — Pour un jour vraiment spécial, marmonna Travis derrière elle. — Allez, tous les deux ! cria grand-mère en soupirant. C’est l’heure. Elle les attira à l’écart. — J’imagine que vous savez comment ces trucs… fonctionnent. — Ces trucs ? répéta Kacey. Quels trucs ? — Oh ! chéri, dit grand-mère en prenant sa main pour la porter à sa joue. Je parle des trucs… pour faire des bébés, ajouta-t-elle en haussant les épaules. — Oh mon Dieu ! lança Travis en levant les yeux au ciel. — Il est important de garder les jambes en l’air. En tout cas, c’est comme ça que Wescott est arrivé dans ce bas monde ! Entre autres choses. Tu gardes les jambes en l’air, comme ça. Grand-mère ouvrit alors la portière de la voiture, s’assit et leva les jambes. — Mais, naturellement, tu es couchée. Tu comprends ? — Les gens commencent à regarder, grand-mère, dit Jake. — Et là, poursuivit-elle en baissant les jambes, après une demi-heure, tu te retournes, un peu comme tu retournerais un rôti dans le four. — Parce qu’on doit tourner le rôti dans le four ? s’interrogea Charlotte à voix haute. Je n’ai jamais cuisiné comme ça avant. — Alors, toi, ma chérie, tu ferais bien de noter quelques-uns de mes conseils ! aboya grand-mère. — Non, merci, dit Charlotte en faisant un pas en arrière. Grand-mère fixa son regard sur Travis et Kacey. — Ces petits soldats ont intérêt à être costauds ! Mais, comme ils ont du sang de Titus, ils devraient faire du travail correct. — Correct ? répéta Travis. Je pensais qu’ils seraient plus que corrects. — Mais oui, dit Kacey en lui tapotant le dos. — Les huîtres, ajouta grand-mère en hochant la tête. Mange plus d’huîtres : elles permettent au sang de couler dans toutes les bonnes zones ; comme ça, les petits soldats seront prêts pour une guerre totale ! — Ah ! la guerre, dit Jake. Une chimère, mais, pourtant, nous sommes toujours là. Grand-mère lui jeta un regard menaçant, puis retourna vers Kacey. — Chérie, as-tu des questions à poser à ta grand-mère ?

Travis leva la main, tout comme Jake. Grand-mère les ignora et caressa la main de Kacey. — Je sais que ça peut paraître effrayant, mais tout ce que tu feras, ce sera pour ta grand-mère. Contente-toi d’entrer dans cette chambre et dis-toi : « Je fais ça pour grand-mère. » — Non, dit Travis en secouant la tête. S’il te plaît, ne nous refile pas cette image, je t’en supplie… — Il me faut des arrière-petits-enfants, affirma grand-mère en haussant les épaules. Ne me décevez pas ! Elle fouilla dans son sac en soupirant. — Ça aussi, ça devrait vous aider. — C’est quoi ? demanda Travis lorsque grand-mère mit un grand collier autour du cou de Kacey. — Des perles de fertilité, dit grand-mère comme si tout le monde eût dû savoir de quoi il s’agissait. — Génial ! lança Jake en riant. — À vous maintenant, murmura Travis avant d’enlacer Kacey. Je crois qu’on ferait mieux d’aller… — … jouer à la bataille navale avec tes petits soldats ? Il afficha un large sourire. — Je ferai couler ton porte-avions à tous les coups. — Hum, peut-être que je te laisserai faire. Grand-mère mit un coup de coude dans les côtes de Jake. — Qu’est-ce que je t’ai dit ? Ces perles font des merveilles. Regarde ces deux-là. Kacey ignora grand-mère et monta dans la voiture. — Merci pour le, euh…, conseil. — De rien ! Et si vous avez des… problèmes, vous n’avez qu’à passer un coup de fil à grand-mère, d’accord ? — Quand les poules auront des dents ! lança Travis en faisant démarrer la voiture. — Pardon ? dit grand-mère en mettant sa main près de son oreille. — Je t’aime ! cria-t-il avant de quitter le parking. Kacey tendit le bras et attrapa sa main. — Prêt à jouer ? Il se mit à rire. — J’ai attendu ça toute ma vie. *** — Kacey, si tu ne passes pas cette porte d’ici cinq secondes, je la défonce ! cria Travis de la chambre. Ils passaient leur nuit de noces dans la nouvelle aile de la maison, au lieu de la suite où s’étaient installés Jake et Charlotte. — Encore une minute, dit-elle en riant. Elle se déshabilla entièrement. Il s’attendait à ce qu’elle porte de la lingerie fantaisie, mais non. Elle était naturelle. — Kace, je suis sérieux ! cria Travis. Tu es en train de me tuer. — Bon, dit-elle en déverrouillant la porte de la salle de bain. Je ne voudrais pas que mon jeune mari meure, hein ? Lentement, elle ouvrit la porte et se pencha dans l’encadrement. Travis se retourna et regarda son épouse. Bouche bée, il la caressa des yeux en partant de ses orteils pour remonter le long de son corps, jusqu’à ce qu’ils croisent son regard.

— Mince. — Vraiment ? dit-elle en souriant. — Seigneur. Il avança vers elle et la porta dans ses bras en écrasant sa bouche contre la sienne. — Je suis obsédé par ton corps. — Trav… Sa langue força la barrière de ses lèvres, et ses mains brûlaient ses hanches. Il la porta sur le lit et l’y allongea. — Je ne vais pas être doux. Je ne peux pas. Je t’aime et je te promets que la deuxième fois sera super lente, que je serai romantique et dirai plein de jolies choses, mais, là, tout ce que je veux, c’est être en toi, autour de toi, près de toi, sur toi, sous toi. Il lâcha un autre juron en déchirant ses vêtements. — Si je reste plus longtemps sans te toucher, je vais exploser. L’instant d’après, il était sur elle, l’embrassait, la titillait, lui tirait les cheveux et roulait sur le dos pour qu’elle puisse monter sur lui à califourchon. Les yeux de Travis chavirèrent. Il jura encore, ses mains se promenant sur sa peau et laissant les traces de sa chaleur à chaque contact. — Qu’est-ce que je t’aime ! — Je t’aime aussi. Elle se pencha en avant et l’embrassa, ses cheveux créant un rideau sur leur visage, et il la serra contre lui. Un sourire illumina les traits de Travis. Elle le tira sur le côté pour le laisser passer au-dessus. — Je ne peux pas… Ne me juge pas sur cette performance, c’est tout ce que je peux te dire. — Je ferai la moyenne des expériences passées et ajouterai celle-là, ça te va ? — Ça me va. Il entra en elle en poussant un râle. Quand elle retint son souffle, il s’arrêta, puis l’embrassa très lentement sur la bouche. — Qu’est-ce que je suis heureux que tu m’aies épousé ! — Cesse de te dérober, dit-elle en bougeant contre lui. — Oui, m’dame.

63 Jake observait Charlotte prendre un verre de vin avant de le rejoindre sur la terrasse à l’arrière de la maison. Beth et Jace étaient allés faire une promenade au bord de la rivière. Une idée de grand-mère, pas la leur. Mais ils avaient accepté pour lui faire plaisir, comme la plupart des gens, en disant qu’ils seraient bientôt de retour pour organiser le petit-déjeuner du lendemain. — Alors, dit Jake en trinquant avec Charlotte. Quelle destination pour la lune de miel ? Techniquement, tu as été virée ; alors, on pourrait partir tout un mois, si tu veux. Charlotte gloussa. — Juste comme ça ? On prend le premier avion pour n’importe où demain ? — Ouais, confirma-t-il en se penchant pour l’embrasser. Juste comme ça. — Mais je n’ai pas de passeport. Jake haussa les épaules. — Alors, on peut attendre pour l’obtenir et partir de Seattle, ou rester aux États-Unis. — Hawaii. Charlotte sembla nerveuse. Elle détourna le regard et prit une gorgée de vin. — Puis-je te demander pourquoi Hawaii ? Elle s’appuya en arrière sur ses mains, la lueur de la lune se reflétant sur sa peau bronzée. Elle ferma les yeux en soufflant. — Mes parents m’ont toujours promis de m’y amener. D’abord à la fin du collège, mais il y a eu un empêchement, puis après le lycée, et… tu sais… C’est resté une promesse en l’air. Et j’ai toujours voulu y aller. Il l’aimait tellement qu’il lui aurait offert Hawaii s’il avait pu. — Alors, ce sera Hawaii. Il l’embrassa sur la joue. — Les enfants ? Grand-mère ouvrit la porte de derrière et sortit. — Vous voilà ! Je vous cherchais partout. Elle tira une chaise et s’assit. — Bon, je sais que mes méthodes ne sont pas toujours sensées. — Je crois qu’on tient l’euphémisme du siècle, dit Jake. — Crétin ! lança grand-mère en plissant les yeux. Quoi qu’il en soit, j’aimerais vous présenter mes excuses. — Vraiment ? Jake s’accroupit et afficha un large sourire. — Pour quoi ? — Tout. — C’est-à-dire ? insista Jake. Quoi exactement ? Grand-mère détourna le regard et dit d’une voix agacée : — La danse de la fertilité, mais, pour ma défense, je devais m’assurer que vous sentiez la tension. — Oh ! ça, on l’a sentie.

Charlotte se mit à rire, puis, en remarquant l’air irrité de Jake, retrouva son calme. — Et ? dit-il en jetant un regard noir à sa grand-mère. — Pour le cadeau de mariage à la pharmacie, ajouta-t-elle en faisant la moue. — Ouais, merci. — Snobinard. Tu avais besoin qu’on te fasse redescendre un peu de ton piédestal, voire beaucoup. Dites-moi : ils ont utilisé les haut-parleurs pour échanger les préservatifs ? J’espérais tellement qu’ils le fassent ! Jake l’ignora et secoua la tête. — Quoi d’autre, grand-mère ? Pour quoi t’excuses-tu ? — Pour vous avoir dupés pour obtenir un certificat de mariage. Mais avez-vous conscience du nombre de lois que j’ai dû enfreindre pour y parvenir ?! De l’argent qui passait de main en main, des faveurs qu’on m’a accordées ! Elle se leva et se mit à faire les cent pas. — J’ai même dû faire un don à la chambre de commerce ! — Tu vas me faire pleurer, dit sèchement Jake. — Et tout ça pour vous rendre service. Après quelques secondes, Jake finit par dire : — Tu as raison. — Vraiment ? dit grand-mère en levant la tête. Je veux dire, oui, oui, j’ai raison, et ne l’oubliez pas ! Bon, où est ta charmante sœur, Charlotte ? — Oh non ! Jake attrapa la main de sa grand-mère et la fit tourner en direction de la maison. — Ta mission d’entremetteuse est terminée. — Mais… — Au lit, maintenant. Et assure-toi d’être seule ou je récupère le sifflet. — Tu n’oserais pas déranger mon intimité ! — J’oserais et je le ferai. C’est tout ce que tu mérites. La tête bien droite, elle retourna dans la maison d’un pas lourd, ses escarpins cliquetant sur le parquet du couloir. — Si tu le pouvais, est-ce que tu annulerais tout ? demanda Charlotte derrière lui. Il se retourna et la tira vers lui pour l’étreindre. — Non. Jamais, la question ne se pose même pas. Et toi ? — J’ai attendu d’être ta petite amie depuis la sixième ; alors, autant devenir ta femme. Elle fit un clin d’œil et l’embrassa fougueusement.

Épilogue Les avions. Chaque vol au cours de l’année passée avait été le théâtre de drames. Au moins, il pouvait désormais dormir sur ses deux oreilles. Sa femme était avec lui, sans parler de Travis et Kacey, qui, à la dernière minute, avaient décidé de changer leurs plans de lune de miel et d’aller avec eux à Hawaii. Qui aurait pu penser que Jake irait un jour en voyage de noces ? Avec son frère ? Et la fille qu’il avait bafouée ? Sans parler de son épouse. Mon Dieu, sa vie ressemblait à un mélodrame. Au moins, grand-mère ne les accompagnait pas. Il enleva ses lunettes de soleil en riant nerveusement et aida Charlotte à porter son sac dans le terminal. — Qu’est-ce qui est si drôle ? demanda-t-elle. — Rien, répondit-il en soupirant. La dernière fois que j’ai pris l’avion, grand-mère est apparue et a décidé de m’accompagner. Ma vie n’a plus jamais été la même. Charlotte se mit à rire. — Admets-le. Tu es heureux qu’elle se soit imposée. — Je l’emporterai dans ma tombe, maugréa Jake avant de l’embrasser sur la bouche. — Pas question, dit Travis, derrière eux. Pas avant d’être dans votre chambre de lune de miel et, même là, je me contenterai de prétendre que vous jouez aux échecs ou un truc dans le genre. — Bien sûr, intervint Kacey en secouant la tête. Parce que c’est ce que font les gens pendant leur voyage de noces. Jake ricana et tira Charlotte contre son torse pour l’embrasser sur le front. Des photographes prirent quelques photos, mais il était habitué aux médias ; cela ne le dérangeait pas vraiment. Jusqu’à ce que les photographes s’approchent. — Hé ! fit Jake en agitant sa main en l’air. Pas maintenant, les gars. Ils continuèrent à mitrailler avant de passer devant Jake et Travis pour s’attaquer à un autre groupe. — Waouh ! dit Travis en regardant les photographes courir. Ils t’ont écouté. — Sénateur, c’est bien ça ? Nos sources disent que vous étiez avec une prostituée la nuit où votre fiancée vous a quitté ? Jace se fraya un chemin dans la foule de photographes et se dirigea vers Jake et Travis. — Monsieur le sénateur ! Un journaliste courut vers Jace, qui lâcha un juron avant de se retourner pour s’adresser aux médias. — Aucun commentaire. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser. Jake et Travis formèrent une sorte de bulle autour de Jace en s’éloignant de la foule. Peu de temps après, les agents de sécurité de l’aéroport prirent les choses en main et repoussèrent les journalistes. — Mince ! lança Jace, la mâchoire serrée. Il faut que je disparaisse quelque temps. — Quelqu’un a parlé de disparaître ? dit une voix féminine derrière eux. Ils émirent tous un râle sonore lorsqu’ils se retournèrent et découvrirent grand-mère. Une carte de crédit à la main, elle se faufila entre eux. — Oui, il me faut trois billets pour Maui. Kihei ? C’est comme ça que ça s’appelle ? demanda grandmère en se tournant. Kacey, chérie, où faites-vous votre voyage de noces ? — Mens, dit Travis à voix basse juste au moment où Charlotte répondait :

— Kaanapali. — Bien sûr ! cria grand-mère avant de se retourner. Trois billets pour là-bas. Oui, j’aimerais utiliser mes points. — C’est une blague, hein ? demanda Jake. — J’espère, soupira Travis. C’est à croire qu’elle a un don pour surgir de nulle part. — Attends, dit Charlotte en se pressant contre Jake. Pourquoi trois billets ? Grand-mère fit signe à quelqu’un derrière le groupe. — Beth, chérie ? Viens ici. J’ai besoin de tes papiers d’identité. Sous le choc, Charlotte regarda Beth approcher, l’air pas si heureux que ça. — Qu’est-ce qu’elle a sur toi ? demanda Jake. Des photos cochonnes ? Une anecdote embarrassante ? Des messages envoyés en état d’ivresse ? Beth grimaça. — Des messages en état d’ivresse. — Certains ne sont pas doués, dit Jake en désignant Travis. Grand-mère l’a eu avec la même arme. — Trois mots, dit Travis en levant deux doigts. Danse d’accouplement. — Touché, soupira Jake. Alors, Beth ? Elle se mordit la lèvre inférieure et regarda vers grand-mère, puis lança un coup d’œil à Jace. Ils détournèrent immédiatement le regard. — Oh non, grommela Jake. Écoute, Beth, s’il y avait du Benadryl dans l’histoire… — Se faire droguer, ça arrive au meilleur ! lança Travis. — Grand-mère t’a droguée ? demanda Charlotte. Beth mit ses cheveux derrière son oreille. — Pas exactement. J’ai simplement, euh…, eh bien, elle… — Beth ! cria grand-mère assez fort pour attirer l’attention de toutes les personnes alentour. Viens, ne lambine pas, on n’a pas toute la journée ! Toi aussi, Jace, ramène ton joli minois par ici. Et laissez grandmère s’occuper de tout. Jake soupira. — C’est comme quand on attend qu’une tempête éclate. Peu importe combien de fois on crie « Ouragan ! Mettez-vous à couvert ! », les pauvres victimes sans méfiance se contentent de fixer le ciel avec de la crainte mêlée à de l’admiration. — C’est l’effet grand-mère. Charlotte prit le bras de Jake. — Je ne peux pas détourner le regard, dit Travis. Comme quand tu es témoin d’un accident de la route. Tu sais que tu devrais appeler le 911 et porter secours, mais tu ne peux rien faire d’autre que conduire lentement, bouche bée. — Seul Dieu peut leur venir en aide, maintenant, soupira Kacey. Ils fixèrent tous les quatre Jace et Beth tandis que grand-mère leur achetait des billets première classe vers le paradis. Enfin, cela se transformerait bientôt en enfer puisque la plupart des plans de grand-mère impliquaient douleur, humiliation, manipulation… En y repensant, Jake afficha un large sourire. — Pourquoi souris-tu ? Il haussa les épaules. — J’imagine que ce sentiment est le même que celui qu’a éprouvé Travis quand il a observé grandmère tirer les ficelles de nos vies. Travis éclata de rire. — Tu veux dire une béatitude extrême ?

— Ouais, c’est ça. — Je la ressens toujours, admit Travis. C’est bon de savoir qu’elle a changé de victimes. Travis et Kacey passèrent le poste de sécurité, laissant Jake et Charlotte seuls. — Tu vois notre relation comme un accident ? — Non, répondit Jake avec un clin d’œil. Je pense – ou au moins j’aimerais penser que je n’aurais pas été assez stupide pour t’ignorer éternellement. Tôt ou tard, nous aurions fini ensemble. Avec ou sans grand-mère. Cette dernière passa juste à cet instant et lança : — Crétin ! — Ou pas, dit Jake en riant. — Je t’aime. Charlotte se mit sur la pointe des pieds pour l’embrasser sur les lèvres. Il ne se lasserait jamais d’elle, jamais. Peut-être que sa grand-mère le savait mieux que lui. Après tout, il avait fallu pas mal de ruse pour lui ouvrir les yeux, et il savait que, tôt ou tard, il devrait remercier grand-mère pour sa tendance à la manipulation.

Remerciements D’abord et avant tout, je dois remercier Dieu de me permettre de vivre mon rêve chaque jour de ma vie. Je me pince encore tous les matins en me réveillant et tombe à genoux pour lui témoigner ma gratitude. Sans Lui…, je ne suis rien. Merci beaucoup à mon éditrice Lauren Plude. Les mots ne peuvent exprimer comme c’est amusant de travailler avec toi ! Tu es une éditrice qui sait me botter les fesses quand c’est nécessaire, mais je sais que c’est pour mon bien ; ça se voit dans tout ce que tu fais. J’ai tellement de chance de t’avoir pour m’encourager. Je l’ai déjà dit et je le redis, même si c’est bizarre : je t’aime méchamment ! Grand Central Publishing… Waouh ! Qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire ? Je me sens comme une nouvelle élève le jour de la rentrée. Vous avez tous dépassé mes attentes (et vous continuez à le faire !). Des illustrateurs de couverture à l’équipe marketing, je ne vous remercierai jamais assez pour la façon dont vous m’avez accueillie et mise à l’aise. Merci, merci, d’avoir misé sur moi et de m’avoir donné cette chance fantastique d’écrire pour vous. C’est véritablement un honneur. Mon mari, Nate, mon meilleur ami, merci de ne pas m’enlever mon ordinateur quand je tape à trois heures du matin. Sérieusement. Quand tu as caché ma liseuse, pour être honnête, j’étais inquiète. Mais, heureusement, tu as été vraiment génial quand on approchait follement des deadlines. Tu es mon héros… pour toujours. Tu es l’homme que je décris dans chaque histoire. La perfection. Je t’aime de tout mon cœur. Merci de ne pas être seulement un époux, mais aussi un partenaire, pas seulement un amoureux, mais aussi un meilleur ami. Je te dois tout parce que tu m’as tout donné. Enfin, au reste de la famille. Merci de croire en moi ! Liza Tice, Laura Heritage, Kristin Van Dyken, Julie Sherwood et Tiffany Davis. Mes bêta-lectrices et les premières personnes qui ont lu le début de cette série et qui y ont cru. Je vous aime.

Games of Love : l’enjeu Rachel van Dyken Jake et Kacey ont grandi ensemble. Au lycée, ils ont eu une brève relation qui s’est mal terminée. Malgré tout, ils ont réussi à rester amis. Quelques années plus tard, quand Jake lui demande de faire semblant d’être sa fiancée pour rassurer sa grand-mère très malade, Kacey accepte. Elle va passer le week-end dans la propriété familiale en faisant comme si elle allait se marier avec Jake. La belle jeune femme a toutefois oublié un léger détail : Travis. Le frère. Elle le détestait quand ils étaient adolescents. Mais le ténébreux Travis a bien grandi et son magnifique sourire exerce une attraction irrésistible… Deux frères. Une jeune femme. Elle ne veut pas tomber amoureuse. Et pourtant… ISBN : 978-2-8246-0639-2 www.city-editions .com

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