Love in dream T1 Connexion

October 30, 2017 | Author: Anonymous | Category: N/A
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Love In Dream. [Tome 1 : Connexion]. Page 5. Page 6. © 2016, Abby Soffer. © 2016, Something. Else ......

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Love In Dream [Tome 1 : Connexion]

© 2016, Abby Soffer. © 2016, Something Else Editions Tous droits réservés. Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelques procédés que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Crédit photo : ©Fotolia

Illustration : ©Erica Petit ISBN papier : 979-10-96785-00-1 Something Else Éditions, 8 square Surcouf, 91350 Grigny E-mail : [email protected] Site Internet : www.something-elseeditions.com

Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les lieux et les événements sont le fruit de l’imagination de l’auteur ou utilisés fictivement, et toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou mortes, des établissements d’affaires, des évènements ou des lieux ne serait que pure coïncidence.

« Je t’ai rêvé si fort que j’ai pu te toucher » Anonyme « Je vais t’aimer comme on ne t’a jamais aimé, je vais t’aimer plus loin que tes rêves ont imaginé » Michel Sardou, Je vais t’aimer. (1976) « C’est dans ses rêves que l’homme trouve la liberté. Cela fut, est et restera » R. Williams

Prologue Jadde 3 mois plus tôt… Raide comme un I, dans une pièce où règne un chahut organisé, je m’interroge sur les raisons de ma présence. À bien y réfléchir, j’ignore même comment j’ai pu arriver jusqu’ici. Autour de moi, tout paraît étrangement immatériel. Le martèlement intempestif des doigts sur les claviers couvre légèrement le bourdonnement étouffé des

conversations. Mais rien n’arrive vraiment à retenir mon attention. Je ne parviens à me concentrer que sur une seule chose, la fraîcheur de l’eau dans ma bouche tandis que la glace pilée brûle légèrement ma langue et que les glaçons anesthésient mes lèvres. Boire est censé apaiser le feu bouillonnant dans mes veines. Mais mon corps est branché sur deux cent mille volts et n’en fait qu’à sa tête. Mon sang palpite tandis que j’ai envie de hurler ma frustration. L’atmosphère crépite de tension contenue, hérissant jusqu’aux poils de ma nuque ! Toutefois, je ne dis rien, ne manifeste pas la moindre impatience et ne laisse

transparaître qu’un calme olympien. À mes côtés, une de mes plus anciennes complices, Meghan, semble nerveuse se dandinant d’une jambe sur l’autre. Tandis que son regard papillonne alentour tout en m’évitant avec soin, ses yeux se fixent sur un point derrière moi. Ses yeux s’écarquillent et son visage se décompose. Au même instant, les picotements dans mon cou s’intensifient, et mon cœur manque un battement. J’ai l’inconfortable sensation que ma situation est sur le point de basculer. C’est si vif qu’en se serrant mon estomac me laisse un goût âpre et acide en bouche. Mon corps, mu par une volonté propre, décide de faire face sans plus attendre.

Dans un même mouvement, mon buste et mes jambes se tournent, tandis que ma tête, réticente, tarde à rejoindre la manœuvre. Quand elle pivote enfin, mon cerveau est incapable d’intégrer l’information qu’il reçoit. Mes mains se mettent à trembler et lâchent le verre qu’elles retenaient. À l’instant où il s’écrase pitoyablement au sol, mes jambes se dérobent, mon souffle reste en suspens et je perds connaissance avant que ma tête n’ait heurté le sol. Je rouvre les yeux, haletante et en nage. Allongée dans mon lit, les yeux fixés sur le plafond, je suis de retour dans ma réalité. Outre

ce

songe

particulièrement

déstabilisant, ce qui me désarçonne vraiment, c’est le sentiment que ce rêve n’avait absolument rien d’ordinaire…

Chapitre 1 Jadde Vendredi 19 juin Assise devant mon bureau depuis des heures, je me laisse submerger par ma douleur et suis bien incapable de retranscrire la moindre idée sur ce maudit ordinateur. Et voilà de jours que ça dure ! Mais pire que tout, j’ai perdu l’énergie pour m’en inquiéter. Ça ne risque pas de s’arranger avec ma dette de sommeil qui s’accroît à vue d’œil. Mais après tout,

quarante-huit ou soixante-douze heures quelle importance quand son cœur succombe ? Chaque année à cette même date, je me terre dans ma solitude. J’éteins mon téléphone, ferme les volets et me vautre dans mon désespoir. Pas question d’imposer ça à qui que ce soit ! Je préfère cent fois me repaitre, en solo, des bribes de souvenirs de mon bonheur perdu. Une multitude d’images se succède et se superpose dans mon esprit embrumé. Petites tranches de vie éphémères dont on ne réalise l’importance qu’une fois disparues. La même question revient sans cesse : comment suis-je censée survivre quand il

ne me reste rien d’autre qu’une culpabilité dévorante aussi vaine que stupide ? Pourquoi a-t-il fallu que cet odieux jour de juin devienne le témoin de ce coup du sort ? Alors que pour la centième fois de la journée, je redessine mentalement son visage angélique, un bruit assourdissant me tire de ma contemplation. Surprise, je sursaute et manque de basculer de ma chaise. Il me faut plusieurs secondes pour associer le son à l’idée qu’on frappe à la porte. Rapidement, une voix rauque et éraillée s’élève et accompagne le vacarme. − Jadde ! Ouvre cette fichue porte ! Tout

le monde essaie de te joindre depuis deux jours ! Eddy hurle derrière la cloison. J’aurai reconnu son comportement excessif entre mille. Il faut dire que mon meilleur ami ne fait jamais dans la dentelle. J’ai beau l’adorer, là je ne suis pas du tout préparée à recevoir de la visite. Et je n’en ai pas la moindre envie. Aussi paradoxal que ça puisse paraître sa présence m’oblige à affronter ma solitude et « son absence » alors je tente de les fuir par tous les moyens. Si je ne réponds pas, il finira peut-être par partir. Pensée totalement ridicule ! Je sais pertinemment qu’Eddy ne lâche pas prise aussi facilement. S’il a décidé

d’entrer, rien ne pourra l’en empêcher. Comme pour confirmer mes pensées, il reprend excédé : − Jadde, ouvre sinon je démolis ce foutu bout de bois qui te sert d’entrée ! Pas la peine de te cacher, je sais que tu es là ! Il est à bout de nerfs, c’est évident. Céder est ma seule option, dans le cas contraire il mettra sa menace à exécution sans autre forme de procès. Je me traîne jusqu’au seuil tandis que les coups redoublent. Il pousse un soupir de soulagement quand la clef résonne dans la serrure. J’ouvre et me retrouve nez à nez avec mon armoire à glace préférée, un grand

gaillard d’un mètre quatre-vingt-dix tout en muscles. Son visage tendu exprime à la fois sa colère et le soulagement. Il me jauge moins d’une seconde et toutes ses émotions se dissolvent au profit de l’inquiétude. − Jadde ! soupire-t-il en m’attirant affectueusement dans ses bras. Bon sang ! Ça me tue qu’il me voie dans cet état ! Je suis une loque ! J’ai honte d’être si faible. Pudique dans la détresse, je ne suis pas du genre à me laisser aller aux larmes. Mais là, je ne suis pas capable de jouer le rôle dans lequel je m’affiche en général. Eddy me connaît bien pourtant jamais je n’ai accepté qu’on me voit dans

cet état. Nous nous connaissons depuis trois ans seulement, mais il est l’une des personnes les plus importantes dans ma vie, et j’occupe une place similaire dans la sienne. Je m’amuse souvent à dire que nous sommes des jumeaux de cœur et que le lien qui nous unit va bien au-delà de ce que les mots sont capables d’exprimer. Ses gestes pleins de tendresses en sont la plus belle preuve. − Nous étions si inquiets ! s’exclame-t-il en mettant fin à son étreinte. Tu ne peux pas te réfugier ici sans que nous ayons un moyen pour te joindre ! Il aurait pu t’arriver n’importe quoi ! Il frissonne et son regard se voile à la

lueur des horreurs qu’il a dû imaginer. − Tu es si loin de toute âme qui vive dans ta bicoque ! Sa colère est palpable mais conscient que ça n’apportera rien de bon, il essaie de retrouver son calme. Il respire profondément sans me lâcher des yeux : − Ça fait deux jours que ta mère essaie de te joindre. Comme Mark bosse à l’autre bout de la France, elle est toujours coincée sans bagnole. Elle m’a appelé en larmes. Tu connais ta mère ! Et bien sûr pour vous, j’ai tout laissé en plan, mais merde, tu as une idée de la trouille que tu lui as foutue ? Sa voix tremble, mais il passe sous

silence sa propre inquiétude. Il s’éclaircit la voix. − Je sais à quel point cette période est difficile pour toi, mais tu n’as pas le droit de te couper du monde de cette façon ! Tout en me parlant, il coince mon menton entre son pouce et son index, m’obligeant à me confronter à son expression déterminée. La sincérité de ses grands yeux noirs me blesse autant qu’elle me réconforte. Je me sens coupable et j’ai du mal à soutenir les émotions à peine voilées de son visage. À aucun moment l’idée que l’on puisse essayer de me joindre ne m’a effleuré l’esprit. J’étais si obnubilée par ma douleur et mon besoin de solitude que j’ai

fini par occulter le reste du monde. − Je ne sais pas quoi te dire, je suis désolée, lui répondis-je d’une voix éteinte. Il grimace et la ride d’expression de son front se creuse. Il est inquiet et mon visage blafard ne doit rien arranger. Il hausse les épaules et soupire : − Allez ! Passons à autre chose, tu nous as juste offert une belle frayeur. Imaginer que tu aies pu faire un malaise ou je ne sais quoi d’autre, j’en tremble encore. Alors, promets-moi de ne plus jamais éteindre ton maudit portable quand tu t’enfermes ici ! Il m’offre un sourire affectueux dont il a

le secret. − Tu as une mine affreuse, princesse, tu ferais bien de prendre quelques heures de repos. − Tu as sûrement raison. Je n’ai même pas la force d’esquisser un semblant de sourire. Il ne me répond pas. Comme toujours, il préfère agir. Il ferme la porte et s’avance jusqu’à la cuisine. Je l’entends ouvrir un placard. S’ensuit le tintement de deux tasses que l’on entrechoque. Quelques secondes plus tard, la bouilloire se met à siffler. Pendant qu’il poursuit ses préparatifs, j’essaie de me concentrer sur ses gestes sans vraiment y parvenir. Le

plus idiot, c’est que je n’ai toujours pas amorcé le moindre mouvement. Je suis toujours prostrée devant l’entrée. Lorsqu’il a terminé, il dépose les mugs sur la table basse et reviens vers moi. Avec douceur, il prend mes mains tout en m’incitant à le suivre jusqu’au canapé. Pas un mot n’est échangé. Le silence n’exprime aucune gêne mais à sa façon d’incliner la tête, je sais que ce qu’il s’apprête à exprimer ne va pas me plaire. Très calmement, alors qu’il m’offre le réconfort de sa main, il me fait part de ses inquiétudes : − Jadde, tu sais à quel point je t’aime, je ne suis pas là pour te faire la leçon. Mais te voir t’enfermer dans ta douleur, ça ne

peut pas continuer. Il est normal qu’ils te manquent mais te malmener de cette façon ne les ramènera pas. La boule qui obstrue ma gorge enfle tellement que j’ai un mal fou à déglutir. Je baisse la tête, incapable de l’affronter. Il ne se laisse pas impressionner pour autant : − Tu crois être la seule à connaître cette souffrance ? À t’interroger sur les raisons qui te poussent à te lever tous les matins ? À te demander si ça vaut la peine de continuer ? Tu connais les réponses à ces questions aussi bien que moi. Nos histoires sont trop similaires pour que je te laisse te dérober. Tu n’as pas le droit de baisser les bras. Tu as le devoir de

vivre pour eux. Et là, je ne fais que reprendre mot pour mot tes propres paroles, princesse. Survivre n’est plus suffisant ! Tu as les ressources nécessaires pour rebondir et continuer alors fait ce qu’il faut parce que ça ne peut plus durer. Il accompagne ses paroles d’un sourire affectueux pour m’encourager. Mais les paroles sont dites et leur écho me bouscule au plus profond de mon âme. La douleur se déchaîne et m’enserre la poitrine. Plutôt que de poursuivre, il se contente de me tendre ma tasse et me laisser réfléchir. Je l’attrape machinalement et la porte à mes lèvres sans vraiment y réfléchir.

L’odeur agréable de menthe fraiche me chatouille les narines. J’avale une gorgée. C’est brûlant, mais ça m’est bien égal parce qu’au moins je ressens autre chose que ce vide immense qui m’habite sans cesse. Comment fait-il pour savoir toujours très exactement ce dont j’ai besoin ? Je romps le silence, en parlant si bas que j’ignore si c’est à lui ou à moi que je m’adresse : − Je sais que tu as raison. J’ignore comment m’y prendre. J’ai mal. Tout ce que j’ai tenté de construire s’écroule. J’aimerais parvenir à vivre avec et continuer à avancer, j’y parviens d’ailleurs quelques fois mais...

Je réprime un sanglot et me force à prendre une grande inspiration pour le faire disparaître. Je n’ai plus de porte de secours. Autrefois, l’écriture m’apportait un certain soulagement. Couchées sur le papier, mes angoisses disparaissaient comme par magie. Comme s’il avait entendu mes pensées, il me propose une alternative : − Je ne te juge pas, princesse, je ne comprends que trop bien ce que tu traverses. Mais t’enfermer dans ton monde ne t’apportera rien de bon. Et certainement pas le soulagement que tu cherches désespérément. Il est temps de le laisser partir. Éloigne-toi d’ici quelque temps, laisse Jack et le passé à leur

place. Si seulement il suffisait de le dire pour le faire ! C’est si difficile de vivre sans lui ! Partir d’ici, c’est un peu comme le laisser mourir une deuxième fois. Cette maison, c’est tout ce qu’il me reste. La peine me prend en étau. Je me plie en deux, mes yeux se brouillent et j’ai beau tenter de réprimer mes pleurs, c’est une bataille perdue d’avance. Quand une larme silencieuse roule sur ma joue, il passe tendrement son pouce pour l’essuyer. Il n’en faut pas plus pour qu’un flot d’émotions me submerge. De longs sanglots me secouent, toutes mes angoisses et ma douleur remontent à la surface et j’abdique.

Il m’attire dans ses bras et me serre doucement. Je me recroqueville contre lui. Il caresse doucement mes cheveux et me berce, comme on le ferait pour un enfant. Étrangement, laisser sortir toutes les émotions que je contiens depuis toutes ces années apaise quelque chose en moi. Bercée par les battements de son cœur, épuisée, je finis par lâcher prise et sombre dans les bras de Morphée. *** Un peu désorientée, les yeux à la fois lourds de sommeil et douloureux d’avoir tant pleuré, j’émerge lentement. Je suis surprise d’être allongée sur mon lit transformé en véritable champ de

bataille. Mais il n’y a rien de surprenant, les cauchemars agitent chacune de mes nuits. Je m’imprègne doucement de l’ambiance apaisante de la chambre. Les rideaux clairs se soulèvent légèrement sous l’effet de la brise. Un filet de soleil vif passe à travers les persiennes, la journée doit être bien avancée Mon attention est très vite accaparée par des bruits dans la pièce d’à côté. J’en frissonne de plaisir. C’est si agréable de sentir de la vie vibrée contre les murs de notre nid douillet. Je me souviens de notre première visite, un vrai coup de cœur. Dès les premiers pas dans la pièce à vivre, j’ai su qu’elle

deviendrait la nôtre. Le reste de la maison n’avait fait que confirmer cette attraction. Le plus étrange, c’est que nous en avions déjà visité des tas mais que c’est celle-là, avec tous ses petits défauts, qui nous avait tapée dans l’œil. Même le mobilier hétéroclite de la cuisine m’avait fait sourire plus que de raison. La vieille console et son four à bois frisaient le ridicule mais peu importe c’était la mienne tout simplement. Si la pièce à vivre alliée à merveille rustique et modernité, les chambres nous plongeaient dans un univers différent. La première, d’un vert pâle, gardait les

stigmates des anciens meubles, ombres délavées rendant palpable un passé rassurant et omniprésent. Petite mais pourvue d’un petit bureau attenant — devenu plus tard mon antre —, elle nous offrait le confort cosy des espaces réduits. Sans avoir eu besoin de nous concerter, nous savions viscéralement qu’elle abriterait notre amour. Juste en face, la seconde d’un rose très pâle paraissait beaucoup plus spacieuse. Autour de la fenêtre volaient des rideaux ternis par le soleil et les embruns maritimes. Elle était si belle que je m’étais laissé emporter par mon imaginaire. J’entendais déjà les rires joyeux de nos futurs enfants résonner dans la pièce. Même sa vieille moquette

murale ne parvenait pas à atténuer son charme ensorcelant. Ce qui m’avait le plus marqué, c’était la luminosité quasi hypnotique qui inondait chaque recoin du lieu. Il faut dire que les immenses baies vitrées s’ouvrant sur la terrasse tout aussi impressionnante ne pouvaient que nous offrir une lumière hors norme. Si l’intérieur nous comblait, ce n’était qu’un bonus parce que le vrai trésor de la maison se trouvait à l’extérieur. Encore aujourd’hui je reste sans voix devant la vue spectaculaire. Un panorama de verdure se jetant, plusieurs centaines de mètres plus bas, dans une mer Méditerranée époustouflante. Un décor à

couper le souffle. Nous avons été tellement heureux ici ! Mais c’est déjà du passé, pourtant je m’attends encore à voir Jack surgir à tout instant, me courant après avec la mousse à raser à la main pour se venger de mes dernières blagues. Parfois je l’imagine simplement attablé, le visage absorbé par les détails de son dernier projet. Savoir que tous ces moments, aussi simples soient-ils, sont perdus à jamais m’ait insupportable. Du coup, je m’y raccroche comme un naufragé à son radeau de fortune. Pourtant, à mesure que les mois s’égrainent, les images et les sensations s’estompent. Le jour où j’ai réalisé que je

ne sentais plus son parfum sur ses vêtements sales a rendu sa disparition réelle. Incapable d’y faire face, j’ai cherché pendant des heures sa fragrance, comme une camée en manque, retournant tous ses tiroirs, ses placards… C’est après cet épisode pathétique que j’ai décidé de rejoindre un groupe d’entraide. À défaut de m’aider, il m’a au moins permis de rencontrer Eddy. Repasser en boucle tous ces souvenirs me rend mélancolique, aussi je préfère concentrer mon énergie sur l’odeur agréable qui a envahi la maison. Reposée, et étrangement sereine, je me sens à nouveau capable d’interagir avec les autres.

Les arômes de pain chaud et de café tout juste moulu redonnent vie à ma prison dorée, et je me lève presque heureuse pour rejoindre mon ami. En repensant à la soirée d’hier, je réalise à quel point j’ai de la chance d’avoir un être aussi exceptionnel qu’Eddy dans ma vie. Outre sa patience et sa compassion, il a trouvé les mots pour me toucher et a dissipé le nuage cotonneux qui entourait mon esprit. J’ai enfin pu trouver le sommeil et pour la première fois depuis des mois, j’ai dormi d’une traite. En même temps, sa clairvoyance ne me surprend même pas. J’ai parfois l’impression qu’il sait avant moi ce dont j’ai besoin.

Lorsque j’arrive dans la cuisine, il est en train de manipuler mon grille-pain pervers et je n’ai pas le temps de l’avertir qu’il jure déjà à tout va : − Bordel de merde ! Saleté de machine ! Il retire si vivement la main qu’il la cogne au meuble suspendu juste audessus. Il lance une série de jurons, et je dois retenir un sourire. Ça a dû m’arriver une bonne centaine de fois. − Ça va, Ed ? Eddy sursaute, surpris, esquisse un geste un peu brusque pour se tourner et renverse le grille-pain. Pour retenir l’appareil, il se baisse tout en battant les bras avec maladresse. Évidemment, il

échoue lamentablement, et l’instrument de torture s’écrase pitoyablement par terre. Mon ami le récupère, visiblement agacé, et se heurte la tête au placard en se remettant debout. Une autre bordée d’injures plus tard, il finit par me faire face piteux. Son expression désolée s’efface quasi instantanément quand il m’aperçoit, et laisse place à un éclat de rire tonitruant. Comme je dois avoir l’air surprise, il tente de s’expliquer sans pour autant parvenir à se contenir. − Tu verrais ta tête, ça vaut la photo ! Tu es à mi-chemin entre Sonic sous ecstasy et Lady Gaga dans ses bons jours ! Je pense qu’un café bien corsé s’impose et

puis peut-être une bonne douche parce que là… c’est juste pas possible… Ses rires redoublent quand il me voit tenter de dompter ma tignasse façon nidd’oiseau. Évidemment, c’est peine perdue. Le feu me monte aux joues et je baisse la tête pour cacher mon propre amusement. J’avais oublié le plaisir d’avoir Ed à la maison, accompagné de sa propension à ne rien prendre avec sérieux, moqueur à souhait et toujours d’humeur joyeuse. Si on ajoute à cela sa fidélité et sa capacité à lire dans mes pensées, c’est facile de comprendre comment il est devenu mon meilleur ami. Pendant qu’il tente de se maîtriser, je le

rejoins. − Montre-moi ta main, tu ne t’es pas fait mal ? Autant rapidement changer de sujet pour limiter ses railleries. − Non ! T’inquiètes ! J’avais juste oublié que ton toasteur veut attenter à mes jours. − C’est vrai qu’il faut savoir lui parler si on veut qu’il se tienne tranquille… un peu comme toi ! Ma blague minable relance ses rires. − Très drôle, princesse ! Allez, va prendre ta douche, je prépare ta noisette. − Très bien, chef, à vos ordres ! Je lui souris, mimant un salut militaire,

fais demi-tour et m’exécute. Bon sang, quel pied ! Après une bonne douche presque bouillante, je me sens mille fois mieux. Quelques minutes plus tard, j’ai enfin repris forme humaine tandis qu’Ed dévore une énième tartine beurrée. Je m’attable à l’îlot central en silence. Un long moment s’écoule sans que ni lui ni moi n’éprouvions le besoin de parler. Finalement, alors que je sirote mon troisième café crème, je sens le regard de mon ami peser sur moi. Je relève la tête tandis qu’il me dévisage avec insistance. Je lui offre mon air interrogateur qui va à coup sûr le faire réagir. Je le sens hésiter, comme s’il cherchait la meilleure façon

d’aborder le sujet qui le préoccupe : − Jadde, Meghan m’a appelé. Elle t’a proposé de partir faire ta promotion aux États-Unis pour ton dernier bouquin. J’opine soudain, méfiante. S’il le remarque, il n’en tient aucun compte et poursuit : − Je crois que tu devrais accepter. Je grimace mais il fait comme si de rien n’était et enchaîne rapidement. D’un mouvement de main circulaire, il désigne la maison puis arrête son geste dans ma direction. − Tu ne peux pas continuer ainsi. Cette maison, cette vie de recluse, il faut que ça change, et que tu reprennes ta vie en main.

De préférence loin d’ici. Je connais les arguments que tu vas me donner : tu ne peux pas partir, tu as ta famille, tes amis, ton boulot… − Oui c’est exactement ça ! Je le coupe, me sentant rosir de colère. − Je n’en reviens pas qu’elle t’ait appelé et que tu te hasardes à me parler de ce voyage ! Sans détourner le regard et avec une agitation visible, il reprend en tentant de contenir son agacement : − Arrête ton char ! Tes soi-disant excuses ne sont que des prétextes et tu le sais aussi bien que moi ! Ta famille, tu veux vraiment que nous abordions ce sujet ?

Depuis quand n’as-tu pas rendu visite à ta mère ? Un an, deux ans, peut-être. Si tu crois que discuter au téléphone une ou deux fois par semaine est une excuse suffisante pour refuser ce voyage, tu te fourres le doigt dans l’œil ! Quant à tes amis, laisse-moi rire ! Ne te sers pas de Sofia, Meghan ou moi comme argument pour échapper à cette discussion. Tu crois vraiment que te voir heureuse ne compenserait pas largement ton absence ? Quand il clôt son monologue, il est à bout de souffle, le visage roussi. De mon côté, je ne sais absolument pas quoi lui répondre. Pendant de longues secondes nous nous affrontons en silence, colère contre stupéfaction.

Il finit par poursuivre en secouant de la tête, comme s’il était dépité par mon obstination qui lui semble ridicule. − Tu veux poursuivre l’argumentaire ? Tiens prenons ta seconde excuse : le boulot, c’est le prétexte le plus minable de tous ! Ce métier c’est ta vie, mais ce n’est pas en vivant reclus que tu vas retrouver l’inspiration. Faire ta promo fait partie du taf, en plus voyager te permettrait de donner un nouveau souffle à tes personnages de fiction. Ma stupéfaction est vite remplacée par la colère, on peut être deux à ce jeu-là ! − Tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi ! J’en ai assez avec les remarques insistantes de Meg, j’ai besoin d’être ici, c’est vital

pour moi ! Il soupire, exaspéré, et je sais que je lui oppose aucun argument digne de nom, alors je baisse la tête pour qu’il voie pas le doute sur mes traits. poursuis sur la défensive :

ne ce ne Je

− Je suis incapable d’écrire une ligne si… Il m’interrompt, en m’attrapant par les épaules comme s’il allait me secouer. − Arrête ça ! Tu peux raconter tes conneries aux autres mais avec moi ça ne prend pas ! Depuis quand tu n’as pas écrit ? Tu t’inventes des excuses pour rester ici ! Meghan m’a dit que tu devais lui rendre les premières épreuves de ton prochain

roman, il y a deux mois et elle n’a encore rien reçu. Et tu sais aussi bien que moi que ton envie d’être ici n’a rien à voir avec ton inspiration ! Acculée, je pourrais baisser les bras mais ce serait mal me connaître. Je cherche la faille dans son argumentaire et m’y engouffre. J’ai beau savoir que ce que je vais lui dire est parfaitement injuste, je rassemble ce qui me reste de dignité et lui rétorque, glaciale : − Elle a trouvé un nouveau toutou pour jouer les intermédiaires. Et puis, tu sais l’inspiration ne fonctionne pas sur commande, je ne suis pas un scribouilleur qui noircit des pages comme un automate. Loin d’être décontenancé par mes piques,

il réplique amer : − Elle s’inquiète pour toi, comme nous tous. Pourquoi crois-tu que je me suis précipitée ici aussi vite ? Et ne me fais pas croire qu’elle n’a pas abordé la question avec toi ! Le vrai problème c’est que tu préfères garder tes œillères et te complaire dans ton malheur plutôt qu’affronter la réalité. Il est mort et ne reviendra pas. Toi tu es en vie, entourée de gens qui t’aiment et qui souffrent de te voir te démolir. Il reprend son souffle saccadé par l’émotion. Puis il pointe un doigt accusateur dans ma direction et s’exprime avec une sincérité déchirante. − Une chose est sûre, ta chute libre a

assez duré ! Si je dois être celui qui te botte les fesses pour que tu te reprennes, crois-moi, je n’aurai aucun scrupule ! Je préfère cent fois que tu me détestes, plutôt que de rester le témoin consentant de ta déchéance. Dire que je suis abasourdie est bien en deçà de la réalité, et comme je n’ai aucune réponse à lui donner, je me mue dans le silence en rongeant mon frein. Il me traite comme une sale môme capricieuse et butée. Ça me fait mal parce que je sais qu’il a raison. Je me déteste pour ça. Il respecte mon mutisme sans pour autant capituler. Il poursuit sa mise au point un ton plus bas mais plus déterminé que

jamais : − Je ne te demande pas de tout abandonner derrière toi sans jamais te retourner. Je veux juste que tu prennes un peu de recul, tu as besoin de te retrouver. Essaie, au moins ! Et si penser à demain t’effraie, contente-toi de vivre ce présent qui n’en peut plus de t’attendre ! Un silence pesant s’installe et perdure. J’ignore ce qui me blesse le plus qu’il ait visé si juste ou que j’ai été incapable de m’en apercevoir seule. J’ai encore besoin de temps pour admettre qu’il a raison et que j’agis depuis des mois comme une idiote bornée et peureuse aussi je finis juste par lâcher en guise de conciliation :

− Je vais y réfléchir. En réponse, il approuve mes paroles d’un simple signe de tête puis, conscient qu’il serait inutile d’insister, change complètement de sujet. Je ne peux que lui en être reconnaissante. Des heures durant, nous partageons des moments de complicité sereine et la tension qui nous avait opposés s’évanouit aussi vite qu’elle était apparue. J’ignore si Eddy a encore besoin de se rassurer sur mon état ou s’il a juste envie que nous profitions l’un de l’autre mais il décide de passer la fin de semaine à mes côtés. Partager un quotidien avec lui, c’est

comme poser des points sur une plaie béante, ça ne la guérit pas mais ça aide incontestablement. La douleur ne disparait pas pour autant mais sa présence me soutient et je réalise que pour la première fois depuis longtemps, l’oppression qui m’empêchait de respirer s’est un peu allégée. Je n’ai rien oublié des paroles troublantes de mon ami. Je rumine toujours quand il repart chez lui le dimanche soir. Je lui ai promis d’y réfléchir et c’est exactement ce que je fais. Ce qui me trouble le plus, c’est qu’elles me poursuivent jusque dans mon sommeil, transformant mes cauchemars ridiculement rassurants en réminiscences de souvenirs heureux.

Lorsque le mercredi suivant arrive, je parviens même à me mettre au lit à une heure décente. Le plus surprenant, c’est qu’à peine couchée, mon esprit s’embrume, je m’endors sans même m’en apercevoir. Au moment où j’ouvre les yeux, Jack pose ses lèvres douces contre les miennes, sa barbe naissante frôle ma joue et je frissonne. J’exulte quand son goût mentholé remplit ma bouche tandis que nos langues avides se dégustent. Le poids de son corps me maintient plaquée au lit. Tandis que mes mains redessinent à l’aveugle les muscles puissants de son dos, son pouce caresse ma joue avec douceur. Profitant du délice de le sentir sa peau contre la mienne, je resserre mon étreinte et l’embrasse

encore. Quand il plaque ses paumes chaudes sur la peau nue de mes hanches, mon corps réagit instinctivement et se rapproche du sien. Très vite, les images de notre étreinte se noient dans un brouillard de sensations délicieuses. Un peu comme si j’étais enfermée dans une bulle de bien-être ou un cocon de sécurité. Entre murmure taquin, caresse coquine et baisers passionnés, la boule d’excitation enfle et m’enivre. C’est la seule perception tangible à laquelle me raccrocher, tous mes autres sens étant submergés par la jouissance toute proche.

Puis il me murmure à l’oreille de sa voix grave et suave bien plus belle que dans mes souvenirs. − Je t’aime, mon amour. Tandis que son souffle chaud me fait frémir, je ferme les paupières, grisée par le moment, et je bascule dans les abîmes du plaisir. Bercée par l’endorphine qui coule dans mes veines, je rouvre les yeux, encore béate de bonheur. J’étends machinalement le bras à la recherche de son corps. C’est alors que je réalise : il est cinq heures du matin, je suis haletante, en sueur et désespérément seule…

Chapitre 2 Braden Jeudi 25 juin, New-York Je n’en peux plus ! Toutes les nuits, c’est la même chose. Après un rêve infiniment érotique, je me réveille en transe et épuisé. Dans mes fantasmes nocturnes, une jeune femme, toujours la même, rivalise d’ingéniosité pour m’empêcher de l’oublier. Ma Cam – comme j’aime l’appeler – a élu domicile dans mon esprit chaque

heure de chaque jour. J’ai beau être parfaitement conscient du ridicule de la situation, je ne parviens pas à la chasser de mon esprit. Pourtant, j’ai essayé de passer à autre chose, veillant jusqu’à tomber d’épuisement, pratiquant du sport pardelà mon endurance. J’ai tenté de l’éloigner avec des coups d’un soir. N’obtenant aucun soulagement, j’ai fini par aller consulter mon toubib. Il m’a écouté, a souri et m’a répondu qu’il était normal pour un homme en pleine force de l’âge d’avoir des rêves érotiques. Tu parles ! Il s’est foutu de moi, ce con ! Devant mon insistance, il a fini par me donner des comprimés qui n’ont réussi qu’à m’abrutir. Autant vous dire qu’ils

n’ont pas mis longtemps à dégager ! Mais cette nuit bat tous les records. Il n’est qu’une heure du matin et malgré une journée harassante, je suis incapable de retrouver le sommeil. Il faut dire que se réveiller en sursaut trempé jusqu’aux os, le pantalon collant comme un adolescent en rut, est un poil perturbant. Le plus pathétique dans cette situation, c’est que je prie chaque jour pour que mon calvaire s’arrête, mais chaque nuit j’espère qu’elle sera là à m’attendre. Allez comprendre ! En même temps, comment pourrait-on m’en vouloir de céder à la tentation de la plus magnifique créature qu’il m’ait été donné de rencontrer ? Elle est si belle !

Plus que ça, elle est époustouflante, en un mot elle est parfaite. Hormis son visage qui reste étonnamment flou, le reste de son corps n’a plus de secret pour moi. Je sens encore sous mes doigts sa peau aussi douce que de la soie. Je connais la moindre courbe de son corps musculeux. Mes mains ont caressé cent fois son cou, son ventre plat ou ses fesses bombées. Je connais ses seins mieux que je me connais moi-même, je suis même capable de dessiner les yeux fermés leur galbe unique. Je leur ai tout fait : les lécher, les mordiller, les baiser et bien d’autres choses encore. Laissant souvent libre cours à mes penchants les plus pervers. Avec elle, je suis libre et je ne retiens rien.

Sa respiration saccadée est un doux murmure à mon oreille quand je lui offre son plaisir. J’aime les tremblements qui la parcourent quand je la touche, comme si elle s’animait sous mes doigts par un fil invisible que je serais le seul à contrôler. Ses gémissements quand elle jouit me filent une trique de tous les diables ! Sa voix est toujours voilée, j’ignore ce qu’elle me susurre même si son corps parle pour elle la plupart du temps. Et comme si cela ne suffisait pas, son odeur, mélange de camélia, de miel et de fleurs sauvages, annihile la moindre pensée cohérente, me laissant subjugué et désespérément seul quand elle disparait. Elle m’obsède. Même quand je baise une autre femme, c’est encore elle qui me fait

bander. Je sais, ça fait de moi un gros salopard mais mon corps a des besoins que ma main ne comble pas. Le fruit de mon imagination de détraqué a pris une place démentielle dans mon existence et putain, je suis bon à enfermer ! Ça doit s’arrêter, je dois me la sortir de la tête ! Je tente une énième fois de me raisonner, de reprendre le dessus et de me rendormir. Une énorme journée m’attend. Je me tourne, me retourne, écrase l’oreiller, change de position pour finir par capituler vers deux heures. Malgré la fatigue, je me lève et consacre les heures qui suivent à peaufiner les détails du contrat que je m’apprête à

signer avec mon dernier investisseur en date : Court-Line Investissement. J’ai été très surpris quand ils m’ont contacté deux mois plus tôt, pour m’apporter les fonds qui manquaient pour ouvrir l’établissement de New York. Cette aide, véritable pain béni, tombait juste au moment où je commençais à douter de la viabilité de mon dernier projet. Comment refuser quand il me permettait de faire un bon en avant de plusieurs mois en quelques minutes ? Et puis avoir recours à ce type d’aide est une étape obligatoire lorsque l’on a un tant soit peu d’ambition et c’est une qualité dont je déborde. En plus d’être l’heureux propriétaire de

quatre restaurants plutôt lucratifs, j’ai la prétention d’être l’un des chefs les plus titrés du paysage culinaire américain. Et franchement, c’est le pied de vivre de sa passion ! Il y a encore quelques mois, avant que ma chimère apparaisse, j’aurais même dit que la cuisine était toute ma vie. Avoir plusieurs restaurants, c’est juste une manière de donner du plaisir à un maximum de gens, et j’adore ça. Mais jouer les chefs d’entreprise, ce n’est pas mal non plus, d’autant que je m’en sors vraiment pas mal ! Parfait représentant du rêve américain, je ne suis parti de rien, me suis construit seul et commence à récolter les fruits de mes années de labeur.

Une décennie de travail acharné, plus de quinze heures de fourneaux quotidiens sept jours sur sept, un travail titanesque mais tellement captivant ! C’est un challenge quotidien de toujours offrir le meilleur quels que soient ses états d’âme, ses soucis et je refuse d’offrir moins que la perfection. Poursuivant mon ascension, je suis en passe d’ouvrir mon cinquième établissement. Mais là où le pari est carrément jouissif, c’est que j’ai choisi New York pour pigmenter le défi. Cette ville hallucinante fourmille de vie quelle que soit l’heure. Tout s’y déroule en accéléré, pas plutôt arrivés que l’on veut déjà repartir, on spécule sur l’argent

que l’on n’a pas encore gagné, on fait du sport tout en écoutant de la musique et en boursicotant. Dans ce contexte, manger au sens strict n’est plus une priorité, ce doit être rapide, efficace et accessoirement délicieux. C’est là où j’interviens. Ouvrir un restaurant gastronomique en respectant le timing et l’exaltation de cette ville fantastique, c’est mon nouveau fer-de-lance. Comme je me suis toujours donné les moyens de mon ambition, j’ai choisi un emplacement stratégique au centre de Manhattan. Bel immeuble de dix étages tout proche de Central Park aux façades vitrées rutilantes. Ce qui rend la compétition encore plus attrayante, c’est que je suis loin d’être le

premier à avoir tenté l’expérience. Nombre d’établissements prestigieux m’ont devancé. Mais la compétition ne m’effraie pas, au contraire je suis doué, je le sais, et rien ne viendra se mettre sur mon chemin. Quand j’ai terminé d’affiner ma stratégie financière, je repasse mon planning du jour. Et bordel, la journée va être interminable ! En plus des démarches administratives coutumières, je dois absolument réajuster certains éléments avec l’architecte. Mais pas seulement, je dois aussi assurer la transition culinaire avec les chefs de mes différents établissements ce qui s’avère

parfois particulièrement complexe. Je contrôle tout dans le moindre domaine, et leur passer la main me demande sans cesse de petits ajustements. Heureusement, au milieu de cette montagne de boulot nécessaire mais insipide, le déjeuner avec ma Mila devrait adoucir l’ensemble. L’après-midi, par contre, va vite me replonger dans le vif du sujet et rien que d’y penser je suis déjà épuisé. Et pour compléter ce planning déjà très chargé, j’ai un dîner d’affaires particulièrement déplaisant. Incapable d’envisager cette corvée dans mon état lamentable je prends mes dispositions pour le déplacer au lendemain.

Je ne peux pas me permettre de laisser mon esprit divaguer, du coup, je m’occupe sans cesse, c’en est presque une question de survie. Dans le cas contraire, c’est vers elle qu’il va immanquablement se tourner et je n’ai ni le temps ni l’énergie pour y faire face. Après trois heures de boulot supplémentaires, il est temps d’aller se dégourdir les jambes et l’esprit. Une heure de course effrénée plus tard, j’ai déchargé une partie de mes frustrations, mais aussi mes dernières ressources. Génial, ma journée commence à peine ! Ça promet ! Je remonte dans ma chambre, prends une douche rapide et consulte mes mails. À

part un message de ma chargée de communication, rien de très intéressant. Elle souhaite m’organiser une interview avec une journaliste responsable de l’événementiel sur New York pour annoncer l’inauguration prochaine du restaurant. C’est essentiel en termes de marketing, mais franchement je n’ai pas vraiment la tête à ça. On verra ça plus tard. Il n’est que sept heures et comme mes premiers collaborateurs sont déjà à pied d’œuvre, je teste la température. Ils ont dû réceptionner les livraisons et attaquer certaines des préparations. Première étape : Joyce ma jeune chef emblématique et talentueuse en charge du

Blue Even en mon absence. Je compose son numéro et après deux ou trois sonneries, sa voix chantante me répond : − Bonjour, chef, déjà debout ? Je sens qu’elle sourit. C’est une vieille boutade entre nous, elle sait pertinemment que je suis toujours debout avant le lever du soleil. − Alors comment ça se passe ? questionné-je, amusé. − Très bien, je gère parfaitement la situation ! Par contre je viens de passer un savon à l’un de nos fournisseurs ! − Que s’est-il passé ?

La connaissant, je suis certain qu’il y a une bonne raison pour expliquer son agacement. − Il nous a livrés deux jours de suite avec deux heures de retard des produits de qualité très moyenne. Jamais il ne se serait permis d’amener des fraises gâtées ou des melons à peine mûrs, si vous aviez été présent. − Bah merde, je suis surpris ! La plupart me suivent depuis le premier restau. Mais tu as bien fait, Joyce, pas question qu’ils se reposent sur leurs lauriers sous prétexte qu’on bosse ensemble depuis longtemps ! Après quelques secondes, elle enchaîne :

− Vous ne me demandez pas de qui il s’agit ? − Pour quoi faire ? Tu as fait ton boulot, je suis sûr qu’après ça ils agiront en conséquence. Dans le cas contraire, tu m’en reparles et nous aviserons. − C’est la première fois que j’ai à jouer ce rôle sans que soyez là pour appuyer mes paroles ou valider mes décisions, répond-elle avec un soupir de soulagement. Merci de votre confiance, elle me touche profondément. − Tu n’as pas à me remercier, je t’ai laissé le Blue Even parce que je connais ta valeur, crois en toi et tout va bien se passer. N’hésite pas à me joindre si tu as besoin, je pense que je vais rester encore

une bonne semaine à New York. Je peux t’apporter mon aide pour d’autres choses ? − Non, je peux gérer le reste sans problème. Bonne journée, chef ! − Bonne journée, Joyce. Je comprends qu’elle soit surprise. Mais malgré son parcours atypique, elle est le meilleur de mes seconds et n’en a absolument pas conscience. En plus d’être investie à deux cents pour cent dans son travail, elle est d’une rigueur et d’un professionnalisme qui ne peut que faire pâlir de jalousie mes concurrents. Cet appel est le premier d’une longue série. Malheureusement, je n’ai pas la

chance d’avoir une « Joyce » dans chacun de mes établissements. Deux crises majeures accaparent le reste de ma matinée. À Boston, une surcharge électrique a fait griller une de nos deux chambres froides, c’est le chaos en cuisine. Le temps de donner les directives pour sécuriser la chaîne du froid, joindre les réparateurs, insister pour qu’ils se déplacent au plus vite et trouver une solution temporaire, plus de deux heures se sont écoulées. J’ai à peine géré le premier pépin que c’est reparti pour un tour ! Mon chef de Philadelphie est débordé. Privé de trois cuisiniers et deux serveurs, il doute de pouvoir assurer le service habituel. Et

merde ! Les agences d’intérim auxquelles j’ai habituellement recours ne peuvent nous envoyer d’aide que pour le service du soir. Ça s’annonce tendu pour les deux services de midi. Je sais que les chefs à qui j’ai confié la gestion des restaurants sont capables de gérer la situation en cuisine, malheureusement ils sont moins performants dans la gestion des impondérables. Les crises sont contenues vers onze heures trente, heureusement que j’ai des employés du tonnerre qui ont accepté de revenir sur leurs périodes de congés pour me dépanner.

C’est seulement après avoir raccroché que je découvre le message de ma petite sœur. Elle me donne rendez-vous dans Central Park pour un déjeuner en plein air. Qu’a-t-elle encore inventé ! Comme si j’avais le temps de m’amuser ! Mais comme toujours, je ne peux rien lui refuser, je me plierais en quatre juste pour lui faire plaisir. Elle est la raison principale pour laquelle j’ai choisi de m’implanter à Manhattan. Je n’aurais jamais cru, quand elle a déménagé ici trois ans plus tôt pour ses études de commerce international, que ses excentricités allaient me manquer autant ! Il faut dire qu’elle et mon père sont la seule famille qu’il me reste.

Notre mère nous a quittés il y a déjà plusieurs années alors que j’apprenais encore à être un adulte et Mila se débattait avec sa rébellion d’adolescente. Nous souffrons encore terriblement de son absence et Mila en est encore plus affectée que moi. Il faut dire que rien ne pouvait nous préparer au vide qu’elle a laissé en nous quittant si tôt. Et c’est encore plus vrai pour ma sœur. Elles étaient si complices, passant des journées entières à débattre de tous les sujets possibles et imaginables ! Et moi, je les écoutais, amusé, fasciné par leur éloquence. Encore aujourd’hui je revois notre mère dans certaines attitudes de Mila et ça me secoue toujours autant.

Je me doute qu’il doit en être de même pour mon père. Quand il la regarde, ses yeux se chargent d’un voile de douleur qu’il peine à cacher. Mais comme j’ai rarement l’occasion et l’envie de le côtoyer, je ne sais pas trop où il en est ces derniers temps. Nos relations sont réduites au strict nécessaire. Incapables de nous comprendre, nous entrons en conflit à chaque fois que nous nous croisons. À l’opposé de ma mère, il est taciturne, peu loquace, toujours enclin à critiquer le moindre de nos choix. C’est simple, je ne me souviens pas d’une fois où j’ai réussi à satisfaire ses exigences démesurées. Il attendait de moi que je reprenne l’affaire familiale, alors que je rêvais de me délier de mes chaînes et

d’exister par moi-même. Pourtant ma mère me disait souvent que ma combativité et ma détermination étaient les plus beaux cadeaux qu’il m’avait offerts. Une chose est certaine cependant : quelle que soit mon opinion sur lui, il a aimé profondément ma mère et je le respecte pour cela. Il l’a rendue heureuse jusqu’à son dernier souffle. Ils formaient un couple heureux, deux moitiés d’un même tout. C’est toujours de cette façon que je les ai perçus, deux êtres distincts pour former une âme complète. Quand elle est morte, rongé par le

chagrin, il s’est replié sur lui-même. Nos liens déjà mis à mal n’ont pas résisté et m’ont laissé orphelin bien avant l’heure. Nous continuons de nous voir pour les fêtes, mais nos relations sont tendues. Mila joue les arbitres. Sans elle, nous aurions probablement rompu tous contacts. Tout en me préparant pour rejoindre ma sœur, je décide d’appeler l’architecte pour convenir d’un rendez-vous l’aprèsmidi même. Nous nous verrons sur le chantier, cela me permettra en même temps de contrôler l’avancée des travaux. Certains éléments de la cuisine doivent arriver dans la journée et je voudrais vérifier leur qualité avant d’en surveiller

l’installation. C’est un chantier à plusieurs millions de dollars et je n’ai pas l’intention de laisser un seul élément perturber la mise en place. Je prends ma carte magnétique, enfile ma veste et descends les dix étages qui séparent ma chambre du hall d’accueil par la cage d’escalier, histoire de continuer à m’occuper l’esprit. Je m’arrange pour croiser le moins de monde possible. Lorsque je quitte la réception climatisée, je suis assailli par la chaleur étouffante de ce mois de juin. Je parcours à pied la petite distance qui me sépare de l’entrée de Central Park. Il ne me faut que quelques minutes pour

retrouver Mila qui m’attend, perdue dans ses pensées. Comme toujours, je suis touché par la finesse de ses traits. Et tandis qu’étendue sur sa couverture elle n’a pas encore remarqué ma présence, je souris de la voir encore si insouciante. Allongée sur le côté, les yeux fermés, ses cheveux blonds lâchés au vent, elle porte une petite robe d’été jaune et prend un bain-de-soleil. Sans maquillage, elle paraît encore si jeune. − Coucou, Tia. Elle sursaute légèrement, ouvre les yeux. Son sourire radieux illumine son visage puis elle me tend la main pour que je la rejoigne. − Salut, blaireau, tu es chiant avec ton

surnom ! Je hausse un sourcil, pour lui signifier que je ne suis pas dupe - elle adore que je l’associe à une passion de notre mère, la fleur de Tiaré. Elle me tire la langue, aussi mature qu’une gosse de dix ans, et enchaîne pour couper court. − Comment va mon chef d’entreprise surbooké préféré ? Tu as une mine à faire peur ! Tu as dormi quand pour la dernière fois ? Comme toujours, droit au but, sans concession. − Dormir, quelle perte de temps ! Si elle savait ! Je rêve de passer une nuit calme depuis des mois. Je ne lui ai rien

raconté. De toute façon, elle ne pourrait rien faire à part s’inquiéter. Et puis que lui dire exactement ? Je deviens cinglé, voilà la vérité ! Pour couvrir mes pensées, je souris histoire de changer de sujet à mon tour. − C’est quoi cette nouvelle lubie de nous retrouver dans le parc ? Je comprends de suite que je viens de poser la mauvaise question et de mettre les pieds dans le plat. Elle me regarde, gênée. Houla, c’est quoi cette farce ? Mila n’est jamais intimidée. − Ce n’est pas un caprice, je trouve cet endroit magique et c’est certainement le lieu qui m’a le plus séduit depuis que je

suis arrivée à New York ! Je voulais juste le partager avec toi, me dit-elle avec un air piqué. Je sens dans sa façon de se comporter qu’elle ne me dit pas tout, elle me cache autre chose. Mais je la connais suffisamment pour savoir qu’il me suffit de patienter pour qu’elle se livre. Je fais donc ce qu’elle me demande en m’imprégnant du lieu. À l’écart des regards, le petit coin de verdure qu’elle a choisi est ombragé, surplombé d’immenses arbres bas très feuillus, ce qui rend la température plus supportable. Le calme qui règne dans cette partie du parc crée un contraste saisissant avec cette ville survoltée. C’est plutôt agréable, elle a raison.

Nous ne sommes qu’à quelques mètres d’une petite étendue d’eau rafraîchissant un peu plus l’air brûlant. L’odeur de l’herbe fraîchement coupée me renvoie des années plus tôt dans notre maison familiale, bien avant la série de drames qui a déchiré notre famille. Mais je referme la boite à démons aussi vite que je l’ai ouverte. Ce n’est ni le moment ni l’endroit pour laisser libre cours à mes travers. Le chant entêtant des oiseaux me ramène au présent. Je me laisse bercer pouvant presque m’imaginer perdu en pleine nature, loin de la ville et de ses contraintes. La lumière qui hante ces lieux finit de me

séduire, à la fois vive et feutrée. Elle baigne la nature environnante d’un voile envoûtant, nous laissant spectateurs de l’ombre. Si j’y croyais, je pourrais presque croire qu’une parcelle de magie habite cette alcôve. Quand elle voit que j’ai fini par me détendre et baisser ma garde, elle s’exprime d’une voix incertaine, en se tortillant, mal à l’aise : − Je savais qu’il te plairait. Reprenant sa respiration comme si elle était en apnée jusque là, elle marmonne pour elle-même un « Autant se jeter à l’eau tout de suite ! » puis elle continue en évitant sciemment mon regard.

− Pour moi, il possède quelque chose de plus, c’est la deuxième raison qui m’a poussée à te demander de me retrouver ici. Je me redresse pour l’observer avec attention en tendant l’oreille. Elle veut me parler d’un truc qui la touche particulièrement, c’est évident. Si c’était nécessaire, la petite couleur rosée qui teinte ses joues finirait de m’en convaincre. Elle poursuit dans un murmure : − C’est mon petit coin particulier parce que c’est ici que j’ai rencontré l’homme que j’aime. Houla ! Mais c’est quoi cette histoire ? Un sale type pose ses mains sur ma sœur

et je ne suis pas au courant ? Merde, si je m’attendais à ça ! Elle est trop jeune, putain ! − L’homme que tu aimes ? Je ne trouve rien de mieux à lui dire et l’observe fixement, abasourdi. Inquiète, elle jette un coup d’œil dans ma direction et glousse en voyant ma tête puis se détourne soudain comme subjuguée par l’horizon. − Je ne savais pas comment te l’annoncer. Tu es tellement protecteur par moments, j’appréhendais ta réaction. Andrew a vingt-six ans, il est comptable dans une entreprise de bâtiment. C’est un homme fantastique, attentionné, doux.

Nous nous sommes rencontrés il y a trois mois pendant une de mes séances de jogging post révisions. Il sortait du boulot et je me suis étalée par terre quand son chien s’est échappé et m’a coupé la route. Il m’a proposé de m’offrir un café pour se faire pardonner. Le courant est passé de suite. Je crois que je suis raide dingue de lui. Puis elle risque à nouveau un regard dans ma direction, tentant de me jauger. Et moi j’éclate de rire même si j’attends ce jeune premier de pied ferme. − Pourquoi appréhendais-tu autant ma réaction ? Je ne suis pas un monstre ! Je sais que je n’ai pas toujours été d’accord avec tes choix de parasites, mais

reconnais que pendant ta période rebelle, tu nous as ramené tous les spécimens loufoques que tu pouvais trouver ! Elle m’adresse une moue contrariée qui fait repartir mon rire de plus belle. − Tu sais, c’est mon boulot de grand frère de critiquer tous les types que tu choisis. Je veux juste que tu sois heureuse et en sécurité. À son tour, elle rit avec un soulagement visible : − D’accord, j’admets, mon inquiétude est un poil exagérée, mais il compte vraiment pour moi. J’aimerais que tu fasses un effort pour être accueillant et gentil. Aucune question indiscrète et tu évites les

menaces façon homme des cavernes. Si tu lui fais peur, je te hanterai jusqu’à ta mort, c’est clair ! Je lève les mains en signe de reddition. − Je te promets que je vais essayer de limiter mes inquisitions, hoquetai-je même si j’ai bien l’intention de le passer sur le grill. Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé plus tôt ? − Je voulais être sûre de moi, ce n’est pas tous les jours que je te présente une personne aussi importante pour moi. − Tu en as parlé à papa ? − Oui, il l’a même déjà rencontré à deux reprises. Je vais de surprise en surprise, mais cette

dernière aurait tendance à me blesser. Je n’ai pas besoin de parler pour qu’elle s’en aperçoive. − Eh, Brad, je n’avais pas l’intention de te vexer, c’est même tout le contraire ! Ton opinion a toujours eu beaucoup plus d’importance pour moi que la sienne. Tu t’intéresses vraiment à ce que je fais, qui je fréquente alors qu’il se contente de surveiller son investissement. Elle marque un temps de pause, résignée, puis enchaîne : − De toute façon, il me prête autant d’attention qu’à un meuble. Il est sans cesse ailleurs, il évite de me regarder comme si notre ressemblance lui brisait le cœur. Et quand il essaie, il est

tellement borné qu’il veut faire entrer un cercle dans un carré, sauf que c’est impossible. Je ne pourrais jamais correspondre à ce qu’il attend de moi et je n’ai même pas envie d’essayer. J’ignorais qu’elle aussi souffrait du poids des exigences de notre patriarche. C’est la première fois que nous abordons vraiment le sujet, mais j’aurais dû m’en douter, même s’il m’avait toujours semblé qu’il la ménageait. Il faut croire qu’il demande toujours bien plus de ce que nous sommes capables de lui donner. Malgré la surprise et l’émotion que suscite cet aveu, je sens poindre un autre sentiment bien moins noble : la colère. Décidément, mon père ne pige rien à rien

! − Ce sera avec plaisir, Tia, quand tu veux. Un merveilleux sourire ourle ses lèvres tandis qu’elle redresse les épaules, comme si d’un coup je venais de lui offrir le plus magnifique des cadeaux. Elle redevient instantanément ma Mila, une jolie jeune femme déterminée, sûre d’elle et épanouie. Nous passons près de deux heures à profiter de ce moment d’échange fraternel, discutant entre autres de ses études. L’heure des résultats approche et si je n’avais pas une confiance aveugle en ses capacités, son anxiété me ferait presque flipper. Pourtant elle a un sens

des affaires quasi inné, elle tient ça de notre père. À dix-huit ans, munis d’une intuition infaillible, elle m’a incité à ouvrir mon deuxième restaurant. Elle n’a pas hésité à investir l’héritage de notre mère dans le Blue Even, devenant du coup mon associée. Sans elle, mon projet n’aurait probablement pas abouti. Elle m’a donné le coup de pouce que les banques me refusaient, je lui en serai éternellement redevable. Quand j’ai évoqué le projet d’ouvrir un nouveau restaurant, c’est sur ses conseils que la balance a penché en faveur de New York. En stratégie marketing, elle

est mon arme secrète. Investie et intéressée, elle n’hésite pas à remettre en cause mes décisions. Et pour un homme habitué à tout diriger, c’est à la fois troublant et rafraîchissant. Sautant d’un sujet à l’autre, elle finit par proposer son aide pour partir en quête d’un nouvel appartement. Apparemment, elle juge que la vie à l’hôtel a ses charmes mais qu’il est temps pour moi d’arrêter de vivre comme un nomade et d’avoir une vraie vie sociale. Sans me laisser le choix, elle prend les choses en main. − Samedi ce sera ton jour, je le sens, tu vas devenir un vrai New-Yorkais, on va te dégoter un appart aussi génial que celui

de Baltimore, clame-t-elle avec un enthousiasme démesuré. Lorsque, vers quatorze heures, nous nous séparons, je regarde Mila s’éloigner, heureux, pour la première fois depuis des jours. L’esprit absorbé par le chantier, je m’éloigne à pas vifs tandis que mon téléphone vibre. Sans me donner la peine de consulter le numéro, je décroche. − Allo ! − M. Miller ? − Lui-même…

Chapitre 3 Jadde Jeudi 25 juin, Sud-est de la France Malgré mon esprit embrumé, je m’enivre de l’effet puissant de l’adrénaline qui a inondé mes veines. Jamais encore depuis la perte de Jack je n’ai ressenti de telles sensations. J’arrive à percevoir ses doigts sur mes lèvres, sa langue sur mon corps. Si je ferme les yeux, je discerne le velouté de sa peau, son dos et son sexe. C’est impensable ! J’étais persuadée que

jamais plus je ne connaîtrais une telle connexion. Je tourne et retourne la scène cent fois dans ma tête et, bien que les endorphines fassent encore leur effet, je sens peu à peu mon rythme cardiaque ralentir. Je reprends pied dans la réalité et la conclusion qui s’impose m’afflige : ce n’était qu’un rêve. Je me lève, prise d’un soudain et inextricable sentiment d’urgence. Il faut que je sorte d’ici ! J’étouffe ! Cette maison, véritable refuge depuis tant d’années, m’écrase sous son poids. D’autant qu’en plus de ce besoin vital de reprendre mon souffle, une culpabilité aussi mal venue qu’incompréhensible me prend par surprise.

Je ne réfléchis pas. Je prends une paire de tennis, enfile un tee-shirt, un short et sors en courant de la maison. Je prends le petit chemin de terre menant à la route en sprintant. Je cours à perdre haleine pendant plus d’une heure, je suis en transe. Quand j’ai enfin réussi à me calmer, le soleil s’est levé. Je ne comprends pas rien de ce qui m’arrive, mais je ne sais qu’une chose : il y a truc qui cloche. Je tente de rationaliser sachant pertinemment que cette sensation n’est basée sur rien de concret. Je ressasse les scènes en boucle. Sa voix résonne encore dans ma tête : « Je t’aime, mon amour ». Elle n’était qu’un

chuchotis quand il l’a prononcée. Maintenant, elle s’époumone à me faire perdre la tête comme si elle avait une vie propre. De plus en plus consciente de l’ampleur de ma folie, j’essaie d’occuper mon esprit de toutes les façons possibles : écrire, lire, cuisiner… le tout avec une frénésie ridicule. Je dois vraiment être désespérée ! Mais rien n’y fait, je ne comprends pas pourquoi ces simples paroles me font perdre tout sens commun. À court de solutions, je décide qu’un retour aux sources m’aidera peut-être et compose le numéro de ma mère. − Salut, Maman, comment vas-tu ? − Bonjour, ma chérie, contente que tu m’appelles enfin !

Sans plus de préambule, elle enchaîne : − Tu m’as fait une sacrée frayeur le week-end dernier ! Je ne m’en suis pas encore remise ! Pourquoi ne pas m’avoir rappelé plus tôt ? − Je suis vraiment désolée. Je voulais juste être seule pour écrire. Ed m’a dit qu’il t’appellerait, du coup, j’ai pensé que mon appel pouvait attendre un peu afin de boucler les premières épreuves de mon prochain roman. J’adore ma mère, mais son naturel intrusif et inquiet est difficile à gérer. Ne pas céder à la moindre de ses angoisses est une façon, pas toujours très fair-play de me protéger. Et même si je culpabilise un peu de lui mentir de façon si éhontée, je

me vois mal lui décrire à quel point j’étais anéantie quelques jours plus tôt. − Je suis si inquiète, ma chérie ! Tu habites tellement loin ! En plus, tu es rarement injoignable, j’ai vraiment cru qu’il t’était arrivé quelque chose. C’est pour ça que j’ai appelé Eddy. Je n’aurais pas dû m’alarmer, mais tu me connais ! Je ne peux pas me raisonner quand il s’agit de ta sécurité. Effectivement, ma mère perd toute notion de mesure dans ce domaine. Bien que je m’en veuille encore terriblement d’avoir été aussi égoïste, je ne peux pas lui expliquer que mon comportement avait l’objectif inverse. La protéger, comme elle l’a si souvent fait

pour moi. Elle ne comprendrait pas. Et puis quel intérêt de lui révéler ce vide intérieur qui me ronge ? Elle sait que je suis malheureuse, mais ne soupçonne pas une seconde à quel point ce sentiment prime sur le reste. Dans le cas contraire, elle aurait élu domicile chez moi depuis belle lurette ! Bizarrement, discuter avec ma mère me fait réaliser que mon état d’esprit a sensiblement évolué depuis la visite d’Eddy. Ne rêvons pas, le désarroi couve toujours, mais une différence subtile émerge doucement. Comme je n’ai pas vraiment envie de m’appesantir sur le sujet j’utilise une méthode infaillible pour retomber sur mes pieds : l’évitement

suivi d’une subtile sortie en touche. − N’en parlons plus si tu veux bien. Comment va Mark, il ne te manque pas trop ? − Si bien sûr, son absence me pèse énormément, mais je savais, quand je l’ai épousé, qu’il aurait une relation extraconjugale très envahissante ! Je l’entends pouffer de rire et je ne peux m’empêcher de l’accompagner tant nous savons toutes les deux que ce qu’elle dit est très proche de la réalité. Cette boutade a le don de détendre l’atmosphère devenue chargée. Ma mère s’est remariée il y a six ans. Depuis leur union, mon beau père a dû

passer auprès d’elle une année tout au plus. Pourtant il l’adore, mais son travail accapare le plus clair de son temps. Entrepreneur, il dirige une grosse boîte en travaux publics avec une bonne centaine d’employés. Il ne compte pas ses heures et se déplace au gré de ses plus gros chantiers. Le dernier en date se trouve à l’autre bout du pays à la frontière francobelge, d’où son absence prolongée. − Quand doit-il rentrer, Maman ? Tu as dû me le dire, mais je ne l’ai pas retenu. En fait, dès qu’elle me parle de Mark, je mets en route la marche automatique et réponds par des « Ah d’accord », « Non tu crois », « Tu as raison », sans avoir écouté un traître mot.

Ça n’a rien à voir avec eux, j’aime bien Mark. Il est très attentionné avec ma mère, toujours à son écoute malgré la distance qui les sépare la plupart du temps. Il la rend heureuse. Mais les voir ensemble, c’est un vrai crève-cœur. Ils sont si liés que ça me renvoie à ma propre solitude. Avec le temps, cela m’est devenu presque insupportable. − Il doit arriver en fin de semaine, je suis encore seule pour deux jours. Je sens à son intonation qu’elle s’apprêtait à me dire autre chose, mais qu’elle s’est ravisée au dernier moment. Quelques secondes passent dans un silence gêné. − Qu’y a-t-il, maman ?

− Rien, rien… Elle marque un temps d’hésitation puis enchaîne : − Je voulais juste te proposer de venir me rejoindre. Sans réfléchir une seconde, je m’entends lui répondre : − Oui, pourquoi pas. Je me demande alors laquelle de nous deux est la plus surprise par ma réponse. − Oh, ma chérie, comme je suis contente ! Ça me fait plaisir, ça fait si longtemps ! Devant son tel enthousiasme, je ne peux pas revenir sur mes paroles. Et puis, elle me manque, je dois le reconnaître. Aller

passer un ou deux jours en sa compagnie ne va pas me tuer. Qui sait ? Cela soulagera peut-être le trouble qui me poursuit depuis mon réveil. − Quand comptes-tu arriver, ma chérie ? Prise de cours, je lui réponds que je vais y penser et que cela devrait être pour les prochains jours. Je la sens acquiescer et elle poursuit : − Et toi, mon cœur, comment te sens-tu ? Ton livre avance ? Eddy m’a dit que vous aviez passé le week-end à discuter et que tu semblais beaucoup mieux dimanche. Il semblerait que ça devienne une habitude ! Je suis le centre de leur conversation, ce qui a franchement le don

de m’exaspérer. Mais mon ami est tombé juste, sa visite a été comme un phare dans une nuit d’encre. − Je vais bien, merci, juste un peu de fatigue… Si elle savait ! − Et mon livre prend forme petit à petit… Je me surprends alors à lui expliquer en quelques mots la base de l’intrigue, les personnages. J’ignore ce qu’il m’arrive, jamais je ne me montre si prolixe. J’évoque rarement mes romans avant d’avoir posé un point final à mes histoires, Meghan est la seule exception. Mais là, j’ai envie de lui en parler, d’être proche d’elle, de repousser le moment

fatidique de notre séparation. Je sais que la peur de voir s’intensifier cette angoisse n’est pas anodine dans ma démarche. Mais peu importe la raison, lui parler m’aide et je finis même par me détendre. Quand je jette un coup d’œil à la pendule, je suis surprise de constater que deux heures sont passées. − Je vais devoir te laisser, m’annonce finalement ma mère, j’ai un rendez-vous important dans une demi-heure. Merci, ma chérie, c’est un vrai bonheur d’avoir passé ce petit moment en ta compagnie. Tu me manques tant ! Tiens-moi au courant de tes projets, je suis vraiment impatiente de te serrer dans mes bras ! J’acquiesce de mauvaise grâce, lui

souhaite bon courage pour ses entrevues et lui promets de l’avertir dès que j’aurai pris une décision. Les événements s’enchaînent et me poussent à prendre mes distances, à partir. Il est peut-être temps que j’y pense. La visite chez ma mère pourrait me faire du bien, qui sait ? Toujours soucieuse d’avoir l’esprit occupé, je me plonge à corps perdu dans le travail. Il est vingt-deux heures quand je relève la tête de mon ordinateur. J’ai loupé le déjeuner, et c’est la soif qui m’a décidé à me détourner de mon roman. C’est à peine croyable, cela faisait une éternité que je n’avais été si productive. Comme si tout d’un coup, mes neurones

étaient sortis de leur léthargie. Enfin ! J’ai réalisé un travail colossal et j’ai presque terminé la partie que je dois présenter à Meghan. Autant l’avertir, cela m’évitera peut-être une autre ingérence de sa part : « Salut Meg, je sais ça fait longtemps, petit message pour t’avertir que les premières épreuves sont presque bouclées. » Elle devait être devant son téléphone parce qu’elle me répond quasi instantanément : « SUPER ! Il faut qu’on se voit, je sais ce qu’Ed t’a dit, nous ne pouvons pas en discuter par SMS, je suis désolée ! »

Elle peut l’être ! Elle fait tout ça parce qu’elle est inquiète, mais ça n’excuse pas tout. J’écris une réponse cinglante, la relis et au moment de l’envoyer, j’efface tout. Il vaut mieux que nous en parlions face à face. « Trop compliqué de parler par SMS suis d’accord, te vois demain. » « ENFIN ! Bonne soirée. » Elle a un culot, c’est phénoménal ! Elle arrive toujours à retourner toutes les situations à son avantage. Il va falloir qu’on discute sérieusement, elle est mon amie depuis toujours même si nous n’avons jamais été aussi proches que je le suis d’Eddy ou de Sofia. Mais

elle dépasse les bornes. Je ne sais pas ce qui m’énerve le plus : le fait qu’elle s’immisce dans ma vie, qu’elle ait appelé Ed, ou encore qu’elle retourne la situation pour me mettre sur la sellette. Étrange comme les vieilles habitudes ont vite fait de réapparaître. Notre trio a toujours fonctionné ainsi. La confrontation entre la pétillante rouquine et moi n’est pas vraiment une nouveauté. Et Sofia a toujours temporisé. Sans réfléchir, je compose son numéro. Elle décroche deux sonneries plus tard : − Coucou Jad, me dit-elle gaiement. − Salut, Pikasièt, tu sais pourquoi j’appelle ?

− Je m’en doute, Meg vient de m’envoyer un message. Nous sommes amies depuis la maternelle et nos relations ont grandi avec nous. Notre amitié m’a empêchée de me laisser emporter par mon chagrin et de commettre l’irréparable. Et tandis que leur honnêteté impitoyable me ramenait à la vie, j’éloignais jour après jour mes pensées morbides. Pourtant nous sommes si différentes, les drôles de dames dans toute leur splendeur. L’une est survoltée, et mène une vie exaltante pleine d’excès en tout genre et sans inhibition. La seconde prône le calme et la sérénité avec l’enthousiasme d’une enfant de six ans. Et

puis il y a moi qui suis tout ce qu’elles ne sont pas. J’ai besoin de la quiétude rassurante de Sofia qui m’aide à relativiser les choses. − Elle ne peut s’empêcher de mettre son grain de sel partout ! Elle t’a expliqué sa dernière grande trouvaille ? − Laquelle ? − Comment ça, laquelle ? − Eh bien son idée de promotion aux États-Unis ou le fait qu’elle ait appelé Eddy ? − Les deux en fait. J’accompagne mes mots de grands gestes rageurs comme si elle pouvait me voir.

− J’aurais dû me douter qu’elle te parlerait de ses projets. Vous vous ennuyez ou quoi ? Vous n’avez pas d’autre sujet de conversation ? − Tu vas commencer par te calmer. Je refuse de discuter avec toi si tu hausses le ton. Je prends une grande inspiration pour relâcher la tension et lui réponds plus posément : − Désolée, vas-y je t’écoute. − C’est moi qui ai appelé Eddy. Mince alors ! Là, elle me coupe la chique ! − Je sais ce que tu penses. Mais je ne vois pas pourquoi tu es si surprise ! Ça

fait des mois que tu n’es plus que l’ombre de toi-même. J’ai respecté ton besoin de faire ton deuil, mais trop c’est trop, ma chérie ! La situation s’est suffisamment dégradée, je t’aime tellement que tu ne peux pas me demander de rester sans réagir. Elle me laisse digérer ses paroles et reprend, encore plus déterminée : − Je ne me souviens même plus de la dernière fois où nous sommes sorties ensemble pour rire et décompresser. Elle déglutit avec difficulté, étouffant dans l’œuf les larmes qui tintaient sa voix. Ça me comprime la poitrine de la sentir si fragile.

− Il est mort, Jadde ! Ce qui t’est arrivé est horrible, mais tu es encore en vie. Pourtant j’ai l’impression que nous t’avons perdue en même temps que Jack. Eddy étant le seul que tu écoutes, je lui ai confié la lourde responsabilité de te ramener à la raison. Alors aujourd’hui que tu sembles prête à m’entendre je te le dis haut et fort, je te le crie même s’il le faut : stop ! Il faut que ça change. Nous sommes là pour t’aider à te sortir de là. Comme nous l’avons toujours été, mais laisse-nous entrer ! Abasourdie, je me demande comment j’ai pu croire un seul instant que je les protégeais en m’isolant. Des années durant, ils ont tous été bien plus clairvoyants que moi. Aveugle et obtuse,

j’ai repoussé leur aide si souvent que ça m’étonne qu’ils soient encore à mes côtés. Fuir la réalité était devenue ma seule obsession et c’est eux qui en ont subi les conséquences. Mon complice, mon ami, mon amour est mort et je dois accepter la situation. J’ai envie de hurler que c’est moi qui dois vivre avec son absence au quotidien, mais les mots restent coincés dans ma gorge. Je sais qu’elle a raison, ils ont perdu non pas un, mais deux amis et que je suis la seule à pouvoir remédier à la situation. Serai-je seulement capable de sauter le pas ? Je me tais. J’ai beau avoir entendu ce

qu’elle avait à me dire, je ne trouve pas de réplique adaptée en réponse. J’ai conscience de la chance que j’ai de les avoir. − Merci d’être toujours là et de m’aider à regarder la réalité en face. Elle lâche un soupir de soulagement. − Putain ! Enfin ! C’est pas trop tôt ! Tu nous as écoutés ! J’ai cru que ce moment n’arriverait jamais. Je la sens presque soulagée d’avoir pu vider son sac. − Je t’en prie, Jad, essaie d’être un peu indulgente avec Meg demain. Si quelqu’un est à blâmer, ce n’est certainement pas elle !

− Ne t’inquiète pas, je n’ai pas du tout l’intention de me battre. J’ai la chance de vous avoir toutes les deux. Vous êtes des amies formidables. − Bah tu n’es pas mal non plus dans ton genre, mais par pitié arrête les violons ! On va se mettre à chialer et la fatigue ne m’aidera pas à m’en remettre. − Désolée de t’avoir appelé si tard. Je te laisse, Pikasièt, on se rappelle très vite. Promis. − J’espère bien ! Mais, Jadde, on se fout de l’heure, OK ? Je serai toujours là pour toi. Bonne nuit. Waouh, quand le destin décide de me secouer, il ne fait pas les choses à moitié

! Tous les éléments s’imbriquent pour me sortir de ma léthargie. Mon esprit torturé ressasse en boucle les paroles de mes amies et ma mère tandis que je me glisse dans mes draps frais. Leurs propos se disloquent lentement, seuls les mots de Jack restent figés dans mon esprit. J’ignore pourquoi le fait qu’il me parle de ses sentiments m’emplit de joie autant que ça me met mal à l’aise. Affirmer aussi ouvertement qu’il m’aime ôte un poids de mes épaules et tandis que le sommeil gagne sa bataille, l’idée que ce sera toujours le cas et peu importe où je me trouve me frappe de plein fouet. Et bon sang ! Cette prise de conscience

m’offre peut-être la clef du futur. Quand la fatigue finit par m’emporter, un sentiment de paix m’apaise pour la première fois depuis des lustres.  

Chapitre 4 Braden Jeudi 25 juin, l’après-midi à New-York Non, mais quel culot ! Je regarde le mail de confirmation que je viens de recevoir pour une interview en fin de semaine prochaine. Je n’en reviens toujours pas d’avoir accepté de rencontrer cette journaliste. Il faut dire qu’elle m’a scotché avec son sans gêne et sa ténacité. Non seulement elle a enquêté dur pour obtenir mon numéro de

téléphone personnel mais elle a su mettre en avant des arguments imparables pour obtenir ce rendez vous. Elle a gagné l’entretien mais j’ai joué selon mes règles… Après son coup de téléphone, je suis resté comme un con devant mon Smartphone à me demander par quel miracle, elle avait réussi à me faire céder. Maintenant que j’ai donné mon aval ça ne sert à rien de tergiverser, autant me concentrer sur la journée en cours c’est déjà bien suffisant. Les heures filent si vite que lorsque la fin d’après midi arrive, je n’ai pas réussi à souffler une seconde. Et ma journée n’est pas encore terminée. Je passe quelques coups de téléphone et termine par mes

restaurants. Finalement, la situation s’est avérée moins catastrophique que prévue. Les chefs ont géré les difficultés rencontrées avec professionnalisme et même s’ils m’ont avoué être sur les rotules, ils s’en sont très bien sortis. Joyce m’a juste évoqué à demi-mot quelques imprévus venus perturber le bon déroulement du service. Notamment l’arrivée inopinée d’un critique gastronomique de renom. Il fait et défait des réputations en un rien de temps. Devant ma faible réaction, je crois qu’elle a mesuré vraiment l’ampleur de la confiance que j’avais mise en elle. Plus tard, je consulte mon agenda

électronique afin de vérifier que je n’ai plus rien « sur le feu ». Merde ! La soirée de samedi m’était totalement sortie de l’esprit ! Gérald l’un de mes plus fidèles amis a prévu un virée à deux pour fêter mon installation à New York. Sauf que mon pote et moi n’avons pas la même version d’une soirée de rêve, pas du tout même. Franchement, je n’ai ni l’envie ni la force de boire comme un trou ou de draguer tout ce qui bouge. Et pourtant c’est sa définition d’une réussite. Je prends mon courage à deux mains, sachant que la lutte va être rude. Il ne va pas me laisser me désister, d’autant que je lui ai déjà fait faux bond deux fois en quelques

semaines. Je le cherche dans mon répertoire, j’hésite quelques secondes. Est-ce que ça vaut le coup d’essayer ? Une vieille devise me revient à l’esprit « qui tente rien n’a rien », du coup je compose le numéro en m’entendant à me faire rembarrer. Il décroche à la troisième sonnerie. − Salut, Gérald. − Salut, mon pote, comment va ? − Bien, je t’appelle à propos de samedi. − Je t’arrête net. N’y pense même pas ! − Mais je n’ai encore rien dit. Bon sang, il ne va pas me laisser en

placer une ! Comme s’il avait entendu mes pensées, il enchaîne aussitôt : − Oui mais tu t’apprêtais à le faire. Et il n’est pas question que tu me plantes une fois de plus. J’ai besoin d’un appât pathétique et vu ta tronche en ce moment tu seras parfait. Il éclate de rire, non mais quel con celui −là ! Je t’en foutrai des faire-valoir ! − Trouve-toi un autre pigeon, mec, si c’est pour ça que tu m’oblige à venir ! − Tu peux toujours rêver ! Je te retrouve à vingt heures chez toi. − Bon sang, Gérald ! Je ne dors que quelques heures par nuit depuis des mois et le peu que j’ai, tu veux me le retirer

pour aller sauter sur tout ce qui bouge ? − C’est encore ton obsession qui te bouffe les nuits ? Son changement de sujet si abrupt me déstabilise quelques secondes. C’est la seule personne à qui j’en ai parlé, un soir alors que j’étais épuisé et passablement éméché. Je lui ai décrit ce que je vivais avec tellement d’intensité qu’il n’a soit disant pas débandé de la nuit. C’est un vrai pervers ! Nous avons trente-quatre ans, mais à l’écouter on le prendrait pour un adolescent en rut. − Ce n’est pas la question, j’ai besoin de repos − Tu es vraiment atteint, tu le sais !

Parce que tu crois que je ne suis pas déjà au courant ? − Pas la peine de me le dire, j’en ai conscience, merci. − De toute façon, cela ne pourra pas être pire, donc le problème est résolu, on se retrouve à vingt heures chez toi et ne tente pas de te faire porter pâle, c’est merdique comme excuse. Sur ce, il raccroche sans autre forme de procès. Non mais, c’est vraiment un connard de première. J’hésite à le rappeler mais sachant qu’il ne changera pas d’avis, je m’épargne cette peine. Exaspéré et épuisé, je m’affale sur le canapé de ma suite et me laisse aller à la

rêverie. Le sommeil me submerge si vite que je réalise que je dors quand une myriade de sensations réveille ma libido. Mes paupières se ferment et je plonge dans l’inconscience, sans barrière. Je suis seul dans une petite salle, sans fenêtre, debout au milieu de la pièce, ne portant qu’un pantalon en lin clair. Autour de moi, un décor surprenant. Mes pieds s’enfoncent dans d’épais tapis sombres qui réchauffent l’atmosphère déjà bouillante. Les murs sont clairs, je ne parviens pas à reconnaître leur couleur tant la lumière qui tamise le décor les rend irréels. Sur la table, paradant au milieu de la pièce comme un autel attend sa déesse,

est posé un seul objet : un foulard de soie. J’entends des pas dans le couloir, ils accaparent toute mon attention. Aucun doute, c’est elle. Un léger coup frappé à la porte et mon cœur loupe un battement. Elle attend mon autorisation pour entrer et j’en tremble d’excitation, le jeu et lancé ce soir je me laisse aller à mes plus vils penchants. Je m’entends lui dire : − Mon amour, viens me rejoindre. Je lui tends la main qu’elle attrape sans la moindre hésitation et je l’installe sur son estrade. Ma nymphe est là même si son visage est dans le vague, elle est à mes côtés et c’est

tout ce qui compte. Tandis qu’elle s’assoie, je passe derrière elle et la contemple longuement. Elle ne porte qu’une nuisette de soie noire très courte qui dévoile la naissance de ses fesses. Il a suffi qu’elle rentre dans la pièce pour que mon sexe se dresse et plus je la regarde plus il m’élance douloureusement. Ses seins magnifiques sont entourés de dentelle. Sa beauté me coupe le souffle. J’effleure la peau de son épaule brûlante et la douce électricité qui circule entre nous lui donne la chair de poule. Je dois faire preuve d’une folle détermination pour contrôler mes ardeurs. Aujourd’hui c’est elle qui est à l’honneur.

− On va jouer à un petit jeu qui devrait te plaire, mon cœur. Elle ne me répond pas mais je vois qu'elle est déjà toute excitée par le rôle qu’elle a endossé. Je suis aussi en transe qu’elle à cette idée. Je susurre à son oreille. − N’aie pas peur, je vais te bander les yeux. J’attrape le foulard et le lui place délicatement en faisant très attention à ne pas la frôler. − Tu vois quelque chose ? D’un simple signe de la tête, elle me confirme que je peux continuer. Son cœur s’affole à l’instar du mien.

Je retire avec une lenteur exagérée sa nuisette, en évitant que nos peaux n’entrent en contact, puis recule pour la contempler à loisir. Ses longs cheveux bruns courent jusqu'à ses hanches. Ils brillent de mille feux. Si je m'écoutais, je glisserais volontiers mes doigts au milieu de ses boucles. Mais alors le retour en arrière deviendrait impossible et je ne trouverai l’apaisement qu’en entrant en elle. Impossible ! Je préfère la tension sexuelle qui crépite entre nous sans la toucher. Elle tressaille à chacun de mes gestes et j’aime la savoir si réceptive à l’écoute du plaisir que je vais lui offrir. Je tourne autour d’elle, faisant perdre les pédales à

ses autres sens. Je délace la fine attache de son soutiengorge sans qu’elle s’y attende. Sa poitrine délicieuse s’offerte à ma vue et j’en lâche un gémissement. Avoir envie de faire durer le plaisir, ne signifie pas je vais parvenir à rester loin d’elle, surtout que ne pas la toucher est une véritable torture. Alors j’effleure sa joue et ses lèvres. Ma main poursuit son chemin interminable sur son cou, ses épaules et ses bras, avec une lenteur maitrisée. Je veux qu’elle me sente partout autour d’elle, sans jamais savoir d’où vont venir mes assauts. Un éclat vif et frustrant marquant la fin du jeu me prend par surprise. Il arrive

toujours quand je m’y attends le moins et me prive de tout contrôle. Sous l’influence de la lumière, la suite n’est qu’un enchevêtrement de sensations : son odeur, ses geignements, sa saveur fabuleuse sur ma langue, son sexe humide quand elle jouit contre ma bouche. Je ne dirige plus rien, je ne peux que ressentir, même si les perceptions sont identiques, je subis la situation comme si je devenais un simple observateur. Par moments les images s’arrêtent sur un geste, un coup de langue ou un baiser et redeviennent floues et immatérielles dans la foulée. C’est à la fois merveilleux et atroce. Notre

plaisir

s’intensifie

irrémédiablement, impossible de ralentir la cadence. Quand j’atteins le haut de la vague, mes sensations redeviennent normales et je laisse libre court à ma jouissance. Nous restons ainsi un long moment, nos sexes toujours imbriqués. Je suis partagé entre extase et l’impression d’être spolié. Pourtant ce qui prédomine c’est la plénitude, comme si, ainsi connecté, je me sentais enfin complet, qu’elle était ma moitié. C’est étrange de se sentir à sa place uniquement dans ses rêves. Comme si atteindre un tel niveau de plénitude, ne pouvait relever que de l’irréel, de l’utopie. Je retire le bandeau, j’ai sais qu’elle

sourit, épuisée et comblée. Je dois me relever pour la laisser se tourner. Elle est désormais face à moi. Son visage trouble me ramène au côté éphémère de mon bien être. La frustration m'envahit. Elle sent mon angoisse, et m’effleure la joue, comme si tout cela était bien réel. C'est sur cette étrange conclusion que mon esprit se fige, jusqu’à ce qu'elle ramène mon attention en me faisant signe de m’asseoir. Mon cœur s’accélère à nouveau et je ne peux réprimer un sourire en la voyant ramasser son soutien-gorge. Pas besoin qu’elle exprime ses intentions, j’ai compris où elle voulait en venir, et comme pour lui donner le pouvoir, je lui tends mes deux mains en signe de totale

reddition. Un rire innocent, franc et joueur tinte à mes oreilles et je frémis de plaisir. Elle attrape une de mes mains, la passe dans mon dos, fait de même avec la seconde puis les noue entre elles. Elle s’éloigne, me laissant nu et à sa merci. Je souffre de la distance entre nos corps mais respecte ses règles. − J’espère que ce que tu vois te plaît, mon amour. Pour toute réponse, elle prend le second tabouret, s’y assoit à califourchon en me faisant face. Sans me quitter des yeux, elle glisse lentement ses mains le long de son cou

puis ses seins s’attardant ça et là. Elle humidifie l’un de ses doigts, puis caresse sa poitrine avec une certaine rudesse. La réponse suit sans attendre, ma queue se dresse instantanément. Elle me fait payer son impuissance de tout à l’heure mais pour être honnête, elle peut me châtier de cette façon autant de fois qu’elle le souhaite. Elle me met à la torture en cajolant son ventre, puis direction plein sud. Elle cajole son sexe en alternant les rythmes excitants pour les mettre au diapason de mes veines en ébullition. De petits cris accompagnent chacune de ses flatteries. Je pourrai la rejoindre mais elle en a décidé autrement et comme elle

la fait je respecte les règles fixées. Quand elle sent que mon excitation atteint le point de rupture, elle s’arrête et s’approche. Elle se met à genoux, et d’un mouvement abrupt, insère mon sexe dans sa bouche. Les mots me manquent. Dans son antre humide je suis au paradis des sens. Sa langue me taquine et les mouvements de va et vient de ses mains me fond toucher le septième ciel. Elle enfonce mon membre une dernière fois entre ses lèvres et la laisse doucement ressortir. Elle me lèche, me déguste avec excitation, laissant transparaitre à quel point elle aime m’offrir du plaisir. Son désir augmente le mien. Je suis incapable de retarder ma

jouissance. − Oh, my godness ! Elle donne un grand coup de langue, renforce la pression qu’elle exerce sur mon sexe et disparaît... Bordel de merde !  

Chapitre 5 Jadde Vendredi 26 juin, Sud-est de la France Le téléphone braillant à tue-tête me réveille en sursaut. Machinalement je jette un coup d’œil à l'heure, il est midi. Oh, mon dieu ! Midi ! L’esprit confus, perdu entre rêve et réalité, me laisse une désagréable impression d’inachevé. Mais déjà les images m’échappent, ne laissant qu’une insatisfaction et une envie de le rejoindre

vraiment déroutante. Je lutte pour redescendre de mon nuage. Excédée par la sonnerie qui n’a cessé de hurler, je saisis le portable à contre cœur. − Oui, dis-je d’une voix à la fois ensommeillée et irritée. − Jadde, enfin qu’est-ce que tu fous ? Ça fait une heure que je t’attends ! Ce qui m’arrive, franchement j’aimerais le savoir ! Aïe, ça va chauffer ! Meg est furax. − Je... je ne me suis pas réveillée, je suis désolée. Laisse-moi dix minutes, le temps d’émerger. Je me prépare et je te rejoins d’ici trois quarts d’heure. − Mais qu’est-ce qui te prend ? Ce n’est

pas dans tes habitudes de faire la grasse mat’ ! Pas besoin d’être devin pour entendre son agacement − Je n’en sais rien, Meg, j’étais épuisée et j'ai dormi d’une traite, je te retrouve au bureau rapidement. À tout à l’heure ! Sans lui laisser le loisir de m’interroger, je raccroche. Une chose est sûre pour remettre les pieds sur terre après un tel rêve rien de plus efficace. Pourtant mon corps vibre toujours de toutes les attentions dont il a été la victime consentante. J’'inspire profondément pour tenter de ralentir le sang pulsant douloureusement sur mes

tempes. C’est à peine concevable qu’un fantasme puisse me mettre dans un tel état. Déboussolée, je viens de raccrocher au nez d’une de mes meilleures amies, parce qu’une illusion m’a laissée sur ma faim. C’est officiel, je suis bonne à enfermer. Tandis que je me débats avec mes sentiments, la panique et la culpabilité de la veille m’envahissent. À nouveau. STOP, STOP, STOP ! Pas question de me laisser emporter par ce type de pensée, je n’ai ni le temps ni l’énergie pour ça. Je me lève d’un bond, me rafraîchis en vitesse, m’habille en cinq secondes. Je ne prends même pas la peine de passer devant un miroir, inutile je sais

parfaitement la tête que j’arbore et franchement ce ne doit pas être beau à voir. Pressée, je ramasse mes papiers, enfile mes ballerines et cours jusqu’à ma voiture. Je me rends à peine compte du trajet qui mène au bureau de mon amie en plein centre de Marseille. Quand je gare ma voiture quarante minutes plus tard, j’aperçois Meg qui m’attend sur le trottoir, les bras croisés. Elle affiche son visage « je suis folle de rage ». Oh punaise, ça va barder ! Elle s’avance vers moi, d'un pas décidé et, sans me laisser le temps de la rejoindre, entre et s’assoit côté passager. Elle me dévisage sans prononcer un mot.

Le silence devient très rapidement gênant. Je me risque à la regarder, me sentant comme une petite fille, attendant l’énoncé de la sentence après une grosse bêtise. Et franchement, après l’avoir regardée, je suis encore plus perplexe devant son visage indéchiffrable. − Je te présente toutes mes excuses pour mon retard, Meg. Je ne comprends pas ce qui s’est passé. Jamais encore je ne m’étais oubliée ainsi. Elle inspire brusquement et la tension de ses épaules se relâche d’un coup. − Putain de bordel de merde ! J’ai cru qu’il t’était arrivé quelque chose ! Tu n’es jamais en retard ! Jamais ! Pas même une minute ! Il ne t’est pas venu à l’esprit

que je pourrais m’inquiéter ? Et plutôt que de me rassurer, tu me raccroches au nez. Mais enfin je ne te reconnais plus ! Jamais ma plus vieille amie n’aurait agis ainsi sans une bonne raison. Et pour être tout à fait honnête, je suis aussi perturbée par ton retard que par ton expression « je me suis envoyée en l’air toute la nuit et je suis pleinement satisfaite ». Tu as rencontré quelqu’un ? Je me suis figée au milieu de son discours. Comment a-t-elle su ? Je suis si facile à déchiffrer ? Elle ne me quitte pas des yeux. Je sens mes joues qui virent du rosé au rouge puis au cramoisi. Pas besoin d’être visionnaire pour savoir qu’elle y voit une preuve supplémentaire de ma luxure.

L’expression triomphale qui traverse ses traits me met presque en panique. Pourtant elle est bien loin du compte. Je suis coincée. Si je ne lui dis rien, elle ne me lâchera pas avant de connaître le fin mot de l’histoire. Et si je lui raconte tout, elle me conduira de force dans un centre de traitement des maladies mentales et veillera à ce qu’on serre bien la camisole. J’opte pour une demi-vérité, incapable d’être crédible dans le mensonge, d’autant qu’elle me connaît trop bien pour se laisser duper. Je retiens ma respiration avant de lui répondre : − Ce n’est pas ce que tu crois, j’ai vraiment dormi jusqu’à ton coup de fil. Je

suis exténuée et pour la première fois depuis des mois je dors. Et la visite inopinée d’Eddy n’y est pas étrangère… Elle me coupe, l’air incrédule : − Tu couches avec Eddy ? − Non, bien sûr que non ! Comment cette idée peut-elle seulement lui traverser l’esprit ? Il est à mes yeux mon ami et ne sera jamais plus que ça. − Tu veux bien me laisser finir ? Elle acquiesce, penchant la tête sur le côté comme pour lire en moi tout ce que je tais : − Nous avons beaucoup parlé, de tes idées saugrenues entre autres choses, ou

de ta capacité à m’exaspérer en t’occupant de choses qui ne te concernent en rien. À son expression, je sais que j’ai tapé dans le mille. Mais je ne cherche pas à l’accabler alors je continue en tentant de maîtriser ma voix. − Nous avons parlé de Jack, de sa mort et de ma vie. Puis j’ai parlé à ma mère et à Sofia. Pour la première fois depuis longtemps j’ai entendu ce qu'ils avaient à me dire. Elle esquisse un sourire et attend que je poursuive. − J’ai enfin compris : cette situation ne peut plus durer. Le passé est derrière moi.

Je dois m’en servir pour avancer, ou en tout cas essayer. − Je suis contente de l’entendre, mais concrètement que comptes-tu faire ? − Je vais commencer par aller voir ma mère pendant quelques jours. Ses lèvres s’étirent franchement cette fois, laissant transparaître une sincérité déroutante. − Enfin ! Souffle-t-elle simplement. − Il faut croire que c’est votre expression consacrée. Sofia m’a dit exactement la même chose. Elle pouffe de rire, se moquant sans vergogne de mon expression gênée, mais reprend son sérieux bien trop vite à mon

goût. − Je suis ravie que tu aies pris la mesure du grand n’importe quoi qui guidait ta vie. Mais tu esquives une partie de ma question. J’ai pigé, tu étais crevée. Et c’est encore le cas. Mais ton expression post-coïtale ne laisse aucun doute sur tes activités nocturnes. Alors qui est l’heureux élu ? Et merde ! Il y a des fois où je déteste qu’elle me connaisse si bien ! − Là encore tu te trompes. J’ai juste fait un rêve érotique. − Eh bien, il devait être chaud bouillant, si j’en crois ton expression de chatte repue ! Et si ça satisfait tes besoins

bestiaux, tu devrais en prendre une double dose ! Comme toujours sa franchise et son sens de la répartie me laissent sans voix. Pour toute réponse, je me penche et la serre dans mes bras. Passée la surprise, elle me rend mon étreinte. Lorsque nous quittons la voiture, il est déjà treize heures trente. Il est temps de donner un coup de collier, le boulot ne va pas se faire tout seul. Nous passons les heures suivantes à lire, corriger et retravailler mes ébauches. Je suis impressionnée par la quantité de travail abattu, en deux jours j’ai

quasiment rattrapé le retard que j’avais accumulé. Le grognement de nos ventres affamés nous pousse à nous arrêter en début de soirée. N’ayant rien avalé d’autre qu’une cafetière de drogue liquide, j’ai largement dépassé le stade de l’hypoglycémie et Meg a l'air aussi mal en point que moi. Après une journée aussi productive, nous méritons bien une bonne grosse dose de réconfort et sortons dîner dans un petit restaurant à quelques pas du bureau. À mon grand dam, je réalise que cela fait une éternité que nous ne sommes pas sorties ensemble. Et je m’en veux, d’autant que ce petit intermède est

purement délicieux. Les discussions s’enchaînent naturellement sans temps mort et je découvre, avec agacement, que j’ai été une amie déplorable. Si j’avais un doute, là c’est confirmé : je ne les mérite pas. Si Meghan suspecte mon trouble elle n’en laisse rien paraître. Elle me parle de ses conquêtes autant professionnelles que personnelles. Elle qui a toujours été une croqueuse d’hommes montre la même détermination dans son milieu professionnel. En plus d’être séduisante et talentueuse, elle réussit tout ce qu’elle entreprend parce qu’elle a la conviction que tout est possible du moment que l’on s’en donne les moyens et qu’on y croit

assez fort. Alors qu’elle serait en droit d’avoir un égo surdimensionné, elle fait preuve d’une autodérision qui nous fait exploser de rire, attirant les regards courroucés des autres clients. Mais franchement ça m’est bien égal parce que ça fait vraiment un bien fou! Nos échanges sont si animés et revigorants que je suis triste quand vient le moment de la séparation. Lorsqu’elle me raccompagne à la voiture, elle me surprend en me serrant affectueusement dans ses bras. Peu habituée à de telles démonstrations d’affection de sa part, j’ai un temps d’hésitation avant de lui rendre son geste.

− Enfin je te retrouve, ma chérie, ça fait cinq ans que j’attends ce moment. Tu ne peux pas savoir à quel point tu m’as manquée ! − Toi aussi. Merci pour cette soirée. Je suis triste qu’elle soit déjà terminée. − Si je ne bossais pas demain nous aurions pu sortir. Mais ça ne serait pas raisonnable. Nous avons toutes les deux besoin de repos. Quand as-tu prévu de partir chez ta mère ? J’ignore si c’est l’intonation de sa voix mais son interrogatoire m’irrite plus qu’il ne le devrait. − Pourquoi cette question ? Tu recommences à jouer les détectives ? Lui

dis-je, taquine. Elle prend une moue affligée, levant les yeux au ciel en signe d’exaspération. − Ça n'a rien à voir, je voulais juste savoir quand nous pourrions organiser une petite sortie entre copines. Je suis sûre que Sofia va nous détester de ne pas avoir pu partager ça avec nous. Je me sens parfaitement stupide de lui avoir prêté de mauvaises intentions. − Je suis désolée, j’ai du mal à me débarrasser de mes vieux réflexes. Je lui adresse un clin d’œil complice, mais remarque qu’elle baisse les yeux en rougissant, tout en se grattant nerveusement l’intérieur du poignet.

Houlà ça ne sent pas bon ! − Qu’est-ce que tu me caches ? Je sais reconnaître quand quelque chose ne tourne pas rond. Mon amie exubérante d’habitude semble d’un coup beaucoup plus embarrassée, elle se dandine d’un pied sur l’autre. Quand elle relève enfin la tête, ses grands yeux noisette sont pleins d’incertitudes. Elle déglutit bruyamment et me regarde intensément. J’ignore ce qu’elle voit mais elle reprend contenance et se jette à l'eau : − Avant que tu ne montes sur tes grands chevaux, je veux que tu me promettes de m’écouter jusqu’au bout.

J’hésite, convaincue que je ne vais pas tarder à regretter de l’avoir écouter. Pourtant face à son silence obstiné, je finis par acquiescer. − Comme je n’étais pas convaincue que la discussion avec Eddy te ferait entendre raison et que te laisser poursuivre en mode autodestruction n’était pas envisageable, j’ai décidé de prendre les choses en main. Je sens mon agacement monter en flèche, je sais que la suite ne va pas me plaire. Espérons que je me trompe parce que si elle a osé me faire un coup pareil... Les mâchoires crispées elle parait en plein débat intérieur. Je suis à fleur de peau. Elle prend une profonde inspiration

et me lance avec toute sa détermination: − Je nous ai organisé des vacances. Enfin pour Sofia et Eddy surtout, toi et moi nous allons bosser mais nous aurons aussi tout le loisir de jouer les touristes enchaine-t elle très vite. Je ne m’attendais pas à cette réponse. Je suis étonnée, agacée certes, mais plus surprise encore. Je me tais et j’attends qu’elle s’explique. Mes ongles meurtrissent la paume de mes mains mais j’y prête à peine attention, bien trop crispée par ce qui se profile à l’horizon. − J’ai pensé qu’il fallait prendre le taureau par les cornes, comme on dit, et agir pour ton bien.

Chaque parole renforce encore un peu mon exaspération. − Va droit au but et arrête de tourner autour du pot, Meghan. J’ai prononcé ces paroles sur un ton caustique, pourtant elle ne cille même pas. La tension atteint son apogée quand elle reprend d’une toute petite voix : − J'ai accepté pour toi la tournée promotionnelle aux États-Unis. Je le savais ! − Comment as-tu osé ? Hors de moi, je bafouille, mais avant que je puisse l’incendier comme il se doit,

elle enchaîne : − Si tu crois que j’avais le choix ! Tu as refusé toutes mes propositions ces cinq dernières années et je n’ai pas insisté, mais cette fois, je n’ai pas pu dire non. Les yeux irradiant de colère, elle reprend de plus belle. − Soit je te forçais à accepter, soit mon patron nommait une nouvelle éditrice pour t’assister. Et là, c’était la catastrophe assurée ! Que pouvais-je faire ? Tu as été libre de t’organiser comme tu le souhaitais jusque à maintenant, uniquement parce que c’était moi qui pondérais leur exigence. Je t’ai protégée autant que j'ai pu, et tu ne m’as jamais déçue par la qualité de ton travail.

Je sais que tu as besoin de cette latitude pour écrire avec passion et sincérité. Mais si une autre personne prenait ma place... Elle marque une petite pause pour clarifier sa pensée ou choisir ses mots avec pertinence. − Elle agirait différemment au risque de te priver de la seule chose qui te permettait jusqu’ici de tenir debout. Mon patron veut que tu fasses cette promotion. Tes livres se vendent vraiment bien et il est persuadé qu’Outre-Atlantique tu vas faire un malheur ! Dans la mesure où l’industrie du livre n’est pas vraiment au beau fixe, il se refuse de perdre de l’argent pour un « caprice ». Quand il

tient un bon filon, il ne le lâche pas. À ses yeux, tes trois best-sellers et tes deux récompenses sont une preuve suffisante que tu plais et qu’il faut surfer sur la vague du succès. Je n’ai vraiment pas eu le choix. Elle tourne son regard vers moi, tourmentée, attendant visiblement que je déchaîne ma colère. Tout un flot d’émotions me traverse. À aucun moment je n’ai cherché à voir les choses avec plus de perspective. C’est le résumé de ma vie ces cinq dernières années : Moi, moi et encore moi. Mais quelle sale égoïste je fais ! Pourquoi ne me suis-je jamais interrogée sur les pressions qu’elle subissait de son côté ?

Tout est limpide désormais. Mes certitudes ont pris un chemin que cinq minutes plus tôt je n’aurais jamais cru possible. Mon amie a raison, l’écriture a été mon seul refuge pendant ma longue traversée du désert. Sans Meg, jamais je n’aurai pu vivre de ma passion. Aussi comment pourrais-je envisager qu’une autre la remplace ? La tension qui m’animait encore disparaît, et pour toute réponse, je lui offre une accolade affectueuse. Elle se détend, consciente que ma décision est la preuve qu’elle attendait : je vais enfin relever la tête et avancer. Tout doucement, au creux de son oreille, je lui dis :

− Merci pour tout. Je la ferai, cette promotion, même si ça ne m’emballe pas vraiment ! Alors arrange-toi pour que nous puissions faire un maximum de visites. Bien que j’éprouve des sentiments plutôt mitigés face à cette nouvelle « mission », les dés sont désormais jetés. Je vais m’éloigner de cette vie confortablement triste et sans surprise pour partir vers un futur menaçant et incertain. La vie reprend ses droits et je dois prendre le train en marche. Meg m’explique ses projets plus en détails et nous nous séparons étrangement transportées par la perspective de m’offrir une nouvelle chance.

Lorsque je rentre à la maison tard dans la nuit, je sors mes valises et commence à les remplir en récupérant ci et là mes affaires, à commencer par mon passeport. Comme d’habitude, la tornade rousse a encore frappé ! Elle a prévu le décollage pour lundi prochain. Non mais sérieusement ? Lundi ! Tout ça pour faire correspondre le voyage au début des vacances scolaires ! Pas que je m’en plaigne ! Grâce à cette disposition, Sofia se joint à nous pour les quinze premiers jours de cette épopée. Le meilleur, c’est que même Eddy est du voyage, bien qu’il ne puisse nous rejoindre qu’un peu plus tard. Je mentirais en prétendant ne pas être

totalement paniquée à l’idée de quitter la sécurité de mon univers. Mais l’heure est venue, trop de signes vont dans ce sens pour que je les ignore. Je réalise que je ne pourrai rendre visite à ma mère que ce week-end. J’ai beau savoir que quitter ma retraite est un mal nécessaire, ça n’atténue en rien la douleur qui me vrille le ventre. Partir me donne l’impression d’abandonner mon passé, ma vie avec Jack, mes souvenirs… Je ne suis pas stupide au point de croire en ces mensonges. Jack a fait de moi ce que je suis et ce lieu en a été le témoin. Et tout cela ne va pas s’évaporer en un claquement de doigts, mais la peur est là, irrationnelle. Les souvenirs sont tout ce

qu’il me reste. Pendant près de douze ans, toute ma vie s’est résumée à lui, à nous. Et j’ai beau avoir envie d’avancer, je me heurte à ce mur d’angoisses. Mue d’un besoin viscéral de m’imprégner des lieux, je passe de pièce en pièce, soucieuse de ne rien oublier. Peu de choses ont changé depuis que nous l’avons acheté. Des petits travaux d’embellissement et de remise en état mais aucun changement en profondeur. À notre arrivée, Jack avait des tas de projets, mais je me suis opposée à la plupart. Pas parce que ses idées étaient mauvaises, mais plutôt parce que notre chalet m’avait séduite avec ses défauts.

Le transformer revenait à perdre une petite part du charme qui le caractérisait. Jack se moquait toujours de mon côté trop sentimental. Il avait probablement raison. Quand je retourne au salon, il est presque deux heures du matin. Je me sens épuisée, vidée. Je me couche sur le canapé, le regard hypnotisé par le panorama magique de la mer embrassant la lumière de la lune. Tandis que mes paupières se ferment, cette image apaisante fait naître une émotion nouvelle : de l’excitation. Peutêtre vais-je pouvoir retrouver Jack une nuit encore, même si c’est la dernière…



Chapitre 6 Braden Vendredi 26 juin, New-York Bordel ! Il y a vraiment des jours où on ferait mieux de se casser une jambe plutôt que se lever ! Cette journée de merde en est le parfait exemple. Elle a commencé par ce rêve fantastique qui m’a laissé la queue tendue comme un arc dès le réveil. J’ai dû faire trois heures de sport non-stop pour que mon sexe arrête de pulser frénétiquement.

Après tous ces efforts, j’ai enfin été capable de réfléchir et je me suis attelé à mes coups de fils habituels. Mes restaurants étant en haut de mes priorités, j’ai commencé par eux. Évidemment rien ne s’est passé comme je l’espérais et les événements déplaisants se sont enchaînés. À croire que je me suis attiré les foudres de quelqu’un de très haut placé. L’épidémie de gastro-entérite s’est propagée au sein de l’équipe de Boston. Malgré les renforts de l’agence d’intérim, nous n’avons pas pu assurer le service du soir. C’est la première fois que cela arrive depuis l’ouverture. C’est une catastrophe en termes de publicité surtout que reporter les réservations est un vrai casse-tête. J’ai passé deux heures à

reprogrammer les réservations. J’ai beau savoir que l’hygiène du personnel n’est pas en cause puisque les clients n’ont pas été contaminés, l’image du restaurant prend un coup dans l’aile et je déteste ça. Heureusement pour moi, les premiers malades semblent avoir suffisamment récupérés pour reprendre leur poste dès demain. À l’antipode, le Blue Even a enregistré une hausse importante de fréquentation grâce à l’article plus qu’élogieux du critique gastronomique, ce qui ne m’enchante guère. C’est ridicule, je devrais être ravi, sauf que la liste d’attente pour espérer obtenir une place est à présent de six mois minimum.

Classant mon restaurant sur la liste des endroits les plus courus de Baltimore, alors que c’est aux antipodes de mes objectifs. C’est pour cette raison que mon choix de la cuisine française avait été une évidence. Pour moi elle représente à la fois raffinement et partage, sophistication et goût. Je voulais mettre en avant une cuisine familiale avec un goût d’innovation mais en aucun cas en faire le dernier endroit en vogue. Les modes changent alors que les traditions restent. Cette petite victoire me laisse un goût amer. J’ai félicité Joyce de sa réussite, mais je sais qu’elle a senti que le cœur n’y était pas vraiment. Elle connaît mon aversion pour cette parodie de

reconnaissance. La fidélité et la satisfaction de mes clients sont les seules récompenses qui comptent à mes yeux. Sur le chantier, rien ne va plus ! Lors du transfert de certains éléments de la cuisine, un colis a chuté de plusieurs mètres et trois des meubles sont irrécupérables. On a frôlé la catastrophe, manquant de peu deux déménageurs. Leur chef m’a affirmé que cela ne leur était encore jamais arrivé tout en se confondant en excuses. S’il savait comme je m’en fous de ses précédents, la seule chose qui importe : constater qu’il a fallu que ces problèmes surviennent dans mon établissement ! En plus d’avoir risqué la vie de ses

hommes, cet imbécile compromet mes chances d’ouverture à la date prévue. Bien entendu les assurances vont payer pour remplacer le matériel endommagé mais le problème n’est pas là. La fabrication des meubles sur mesure prend du temps et je ne vois pas comment le menuisier va parvenir à remplacer les pièces manquantes dans un délai aussi réduit. Quand le sort s’acharne et que le mauvais karma s’en mêle, que peut-on y faire ? Et comme si ce n’était pas suffisant pour me faire vaciller, ma magnifique chimère a envahi tous les espaces restants. Je suis pathétique et le pire c’est que j’ai beau m’en apercevoir, je ne fais rien pour que

ça change. Tandis que ma seule obsession est de retourner me vautrer dans mes draps, je vais devoir repousser mes besoins pour laisser place à mon repas d’affaires. Une chaîne de presse télévisuelle veut faire une émission de télé-réalité en associant mon image à leur concept. Si j’ai bien compris, ils veulent que je sois membre du jury. Je n’aurais pas accepté de les rencontrer si ma sœur ne m’avait pas poussé dans ce sens, mais j’ai beau lui faire une entière confiance, j’y vais clairement à reculons. Je suis prêt bien avant l’heure et j’ai trop de temps à tuer pour rester à ne rien faire au risque de succomber à l’appel de la

chair. Pas le choix, il faut que je m’occupe. Je tourne en rond dans la pièce comme un lion en cage. Je sens la pression monter et ces saletés de minutes n’avancent pas. Si elle continue sur sa lancée, la soirée va être interminable. J’avale mon deuxième verre de whisky sec d’une traite. Accablé, je décide de descendre dans le hall pour héler un taxi. Je sais que l’hôtel met des chauffeurs à disposition, mais j’ai juste envie de me mettre dans la peau d’un vrai new-yorkais. Je saute dans mon taxi, et je me retrouve dans un autre univers. Malgré ce début de soirée, la circulation est très dense. Les voitures sont collées les unes aux autres.

J’adore conduire, mais ici ce doit être un exercice d’hyper-vigilance. Les véhicules débouchent de tous les côtés avec impétuosité. Entre les bruits de circulation assourdissants, les klaxons intempestifs, et les crissements de pneus dignes des dérapages hollywoodiens, je devrais être submergé par l’inquiétude. Pourtant, c’est à peine si je les remarque. Toute mon attention est accaparée par mon taxi. Je n’ai pas choisi le premier tacot qui passait. J’ai attendu cinq bonnes minutes pour en trouver un à mon goût. Quand j’ai entendu la musique reggae pulser à tue-tête par la fenêtre d’une des bagnoles, j’ai su que ce serait le mien. Je me suis installé rapidement. Je ne peux réprimer un sourire en constatant

l’absence de vitre de séparation, fait déjà exceptionnel en soit. Tout l’intérieur du véhicule est aux couleurs du haut lieu de la zen attitude : des sièges en passant par le volant, tous se déclinent en vert et noir avec une pointe de rouge. Même le Saint Fiacre, grand protecteur des chauffeurs de taxi, s’accorde à l’ambiance. Évidemment le conducteur n’échappe pas à la règle : un mec d’une trentaine d’années d’origine afro-américaine, des dreadlocks jusqu’au milieu du dos, l’air parfaitement déconnecté. − Salut, mec ! − Salut, j’adore ta musique, man, tu peux me conduire au Plazza Hotel ?

− Tu as raison, mec, la musique elle est cool, il n’y a que ça de vrai. Allez c’est parti. Roule ma poule ! Tu es pressé, mec ? − Non pas vraiment, il faut combien de temps pour y aller ? − En dix minutes, pas plus ! − Tu as toute mon attention pour les trente prochaines minutes, lui rétorqué-je en souriant. Je suis convaincu qu’il n’attendait que ça, il monte le son, déjà assourdissant, et nous succombons au plaisir de ce moment de totale évasion. J’ai eu ma période baba cool à l’adolescence. Mes parents avaient une

trouille bleue que je tourne mal. Je pense qu’ils ont cru que je succombais à des addictions dangereuses, alors que la seule chose qui me plaisait, c’était la musique et l’attitude nonchalante de ses adorateurs. L’opposé de ce qu’on me contraignait à adopter. Ce style de musique m’apporte toujours la même paix, la même déconnection. Aujourd’hui mes goûts en matière de musique sont très éclectiques mais l’affection que j’éprouve pour le reggae reste intacte. Je suis tellement concentré sur la détente que me procure la musique que je réalise que nous sommes arrivés quand le véhicule s’immobilise. Comme je ne sors pas de suite, il se retourne et ironise gentiment :

− Je resterai volontiers toute la nuit avec un vrai amateur du dieu de la musique, mais je pense que tu vas être en retard, mec ! Surpris, je regarde ma montre, effectivement il me reste deux minutes avant le début de mon entretien. Je lui tends un billet de cent dollars, lui fais signe qu'il peut tout garder. − Mec, tiens voici ma carte ! Des clients comme toi, j’en veux tous les jours ! Tu m’appelles quand tu veux, je suis à ta disposition. Il accompagne son geste d’un sourire sincère. Je récupère son numéro en y jetant un coup d’œil « Bob Reg, taxi man, roi du rythme ». Je souris en la lisant et la

glisse dans mon portefeuille. − C’est noté, man, à bientôt ! Grâce à cet intermède, mon état d’esprit s’est radicalement transformé. Je suis prêt à affronter la bête. J’entre et m’approche de l’hôtesse qui m’indique le bar. J’y découvre, surpris, une jeune femme de dos. Je prends le temps de la regarder pour tenter de percer à jour la stratégie choisie par la chaîne de télévision. Ils ont préféré une jolie rousse, d’un mètre soixante-dix au moins, les cheveux mi-longs, agréable à regarder certes, mais pas exceptionnelle. Elle porte un tailleur crème qui met ses formes en valeur. Une

mallette entrouverte est posée sur l’un des sièges et elle regarde attentivement une liasse de papier. Je sens d’ici son anxiété, ses mains tremblent légèrement quand elle les passe dans ses cheveux. Je la rejoins sans me presser. − Bonsoir. Elle sursaute au son de ma voix et se retourne vivement. Son visage s’illumine quand elle pose son regard sur moi. − Bonsoir, monsieur Miller, Tout en me tendant sa paume, elle ajoute : − Jessica Foussette. Je suis la créatrice du jeu pour lequel nous sommes là aujourd’hui. Enchantée de faire votre connaissance.

− De même. Sa voix a tremblé quand elle a parlé et ses joues ont rosi. Intéressant ! − Vous m’accompagnez, monsieur Miller ? me demande-t-elle en désignant son verre. D’un signe j’interpelle le serveur et lui réclame un whisky. Elle me gratifie d'un sourire discret et après avoir rangé ses affaires, nous nous dirigeons vers une table. Sans perdre de temps, elle se lance dans la description de son projet tout en évitant de croiser mon regard. Je la mets mal à l’aise ou je l’attire, au choix. J’aime bien sa façon d’aller droit au but

mais je sens qu’il s’agit de son baptême du feu. Elle maîtrise parfaitement le sujet qu’elle développe. Mais son corps trahit son appréhension. Un autre que moi ne l’aurait probablement pas remarqué. Sauf que dans mon cas, tous ses signes de nervosité sont aussi visibles qu’un nez au milieu de la figure. Je connais les femmes, je les comprends, je lis en elles. Je cerne assez facilement leur besoin et cela m’a valu un certain succès. Gérald me charrie suffisamment à ce sujet. D’après lui, j’ai un décodeur à la place du cerveau et il ne comprend pas que je n’abuse pas de cette aptitude étrange.

Plus je l’écoute, mieux je saisis les raisons pour lesquelles ils ont choisi de me l’envoyer. J’ai d’abord cru qu’ils voulaient me charmer. Mais je me suis manifestement trompé et c’est tant mieux. Cette demoiselle est passionnée par son travail. C’est d’autant plus remarquable que ses collègues à qui j’ai eu à faire m’ont paru insignifiants, plus intéressés par l’appât du gain et la notoriété que par la flamme créative. En gros tout ce que j’exècre. La vie publique ne me plaît pas, et si toute cette parade n’était pas une nécessité pour avancer rapidement, je m’en passerais volontiers. J’ai travaillé sans relâche pour arriver où j’en suis. Ce que je possède, je le dois à

la seule force de mes poignets. Jessica me ressemble, elle est totalement investie par son objectif, elle ne renonce pas et s’accroche. J’aime cet état d'esprit. Soucieux de ne pas lui faire perdre ses moyens, je prends soin de ne pas l’interrompre et pose quelques questions. J’avoue que la manière de concevoir le projet possède un certain attrait, non seulement car il est très novateur, mais surtout parce que c’est elle qui le présente. Elle le porte à bout de bras. Elle m’impressionne presque. Au bout d'une heure pendant laquelle j’ai consciencieusement écouté l’ensemble de ses arguments, une question me brûle les lèvres. Je vais la déstabiliser, pourtant

sans la lâcher des yeux, je l’interroge : − J’ai bien compris le concept de l’émission que vous souhaitez mettre en place, mademoiselle Foussette. Pourtant vous avez évité toute la soirée de me dire pour quelles raisons vous avez pensé à moi pour y participer… Comme je m’y attendais, ses pommettes deviennent d’un rouge vif et son corps qui s’était progressivement détendu se crispe à nouveau. − Je… j’ai pensé à vous parce que je suis avec attention votre ascension fulgurante. Je suis d’ailleurs venue tester vos talents à de nombreuses reprises lorsque je vivais encore à Philadelphie. Et c’est aussi la raison qui m’a poussé à venir

vous présenter mon projet en personne. Tout en continuant à éviter mon regard, sa respiration s’accélère visiblement. Elle rassemble ses cheveux sur l’une de ses épaules. Ce geste à la fois nerveux et sensuel n’a rien de volontaire, ce qui le rend presque attirant. Les paroles sont inutiles quand le corps parle avec autant d’aisance, j’ai très bien compris les sousentendus et tout ce qu’elle tait. Malgré son attirance manifeste, elle ne s’est pas laissé intimider. Elle est déterminée, ambitieuse et sait faire preuve de discernement malgré ses sentiments. Voilà qui me donne à réfléchir. La plupart des femmes auraient agi de

deux façons distinctes : soit elles auraient joué la carte du charme, soit elles m’auraient reluqué sans scrupule. Rares sont celles qui choisissent la confrontation directe et encore moins dans le cadre de leur boulot. La situation pouvant rapidement les mettre en danger, elles l’évitent, certainement à juste titre. Alors, celles qui osent retiennent mon attention. Je n’ai pas la prétention de faire craquer toutes les femmes mais il semblerait que j’en laisse peu indifférentes. − Je suis flatté d’avoir suscité votre intérêt. Je dois vous avouer qu’à mon arrivée, j’avais décidé de refuser tout net votre offre. Mais la passion que vous

déployez lorsque vous parlez de votre « bébé » m’a convaincu de revoir ma copie et d’y repenser plus sérieusement. Je ne vous promets pas pour autant d’accepter mais je vais y réfléchir. Elle se tourne instinctivement vers moi dès que je prends la parole tout en plongeant ses yeux dans les miens pour la première fois. Ses pupilles se dilatent et son corps s’avance imperceptiblement dans ma direction tandis que ses lèvres s’ouvrent légèrement. Elle s’empourpre, visiblement gênée par mes paroles. Pourtant elle maintient notre contact visuel. Je lui souris et elle passe ses doigts dans ses cheveux pour la trentième fois de la soirée.

− Merci de m’avoir laissé une chance de vous convaincre. Mes collègues m’avaient avertie que vous n’aviez pas l’air très intéressé. Je suis très satisfaite si vous y réfléchissez. De pas du tout à un peut-être, c’est déjà une nette progression. Elle accompagne sa déclaration d’une mimique amusante. Nous poursuivons nos discussions animées et je constate, étonné, que l’heure est déjà très avancée. Le vin aidant, elle s’est relâchée au fil de la conversation. Nous en sommes même venus à parler de sa vie privée. La mienne étant restreinte avec la place que prend mon métier, le tour de la question a été vite réglé. Pour

être honnête, je ne parle jamais de moi, je m’arrange toujours pour ramener la conversation sur l’autre et ce soir ne fait pas exception. Au moment de rejoindre le hall du restaurant, elle me surprend à nouveau par son franc parlé. − Vous êtes un homme très intrigant, monsieur Miller. C’est vraiment quelque chose que j’apprécie, et particulièrement chez vous. Ses paroles peuvent avoir un double sens et elle en a parfaitement conscience. Son corps exprime le reste. Sa main posée négligemment sur mon bras, ses œillades appuyées, autant de signes incontournables. Elle accepterait de

prendre un dernier verre en ma compagnie sans que j’aie à fournir le moindre effort. Pourtant je fais mine de ne pas saisir ses sous-entendus, c’est bien moins blessant que de refuser ouvertement ses avances. Plusieurs raisons me poussent dans ce sens. J’évite toujours de combiner travail et plaisir, mauvais mélange. Ensuite, au regard le nombre de verres qu’elle a avalés, j’aurai la sensation d’abuser de la situation. Céder la placerait dans un contexte très inconfortable si nous venions à travailler ensemble. Et soyons lucide, la vraie raison c’est mon obsession. Je refuse de faire de mademoiselle Foussette un visage parmi

tant d’autres pour une nouvelle séance de sexe exutoire. Son professionnalisme m’a conduit à éprouver un certain respect pour elle et je ne pourrai plus me regarder en face si je répondais à ses avances. La seule femme que je désire n’existe que dans mes rêves, tant pis si cela fait de moi un fou. Si Gérald apprend ça un jour, je n'ai pas fini d’en entendre parler. Je vois qu’elle est déçue que je ne me montre pas plus réceptif. Je feins de ne pas le voir et hèle un taxi. Elle hésite à se montrer plus directe, mais y renonce quand sa voiture s’arrête devant nous. C’est de toute façon la meilleure décision à prendre autant pour elle que pour moi.

− Bonne soirée, monsieur Miller. Je vous recontacte dans quelques jours. Merci pour cet excellent moment. − Tout le plaisir était pour moi. Bon retour, je réfléchis de mon côté et nous en reparlons très bientôt. Lorsque je retourne à l’hôtel, il est minuit passé. Je prends une douche rapide pour tenter d’apaiser mon excitation avant de la rejoindre. Je me jette sur le lit et m’endors avant même que ma tête n’ait atteint l’oreiller. Elle m'attend sur une plage déserte où seul le clapotis des vagues fait écho à sa respiration rapide. Et bordel comme à chaque fois que mes fantasmes me conduisent dans un lieu publique, même

désert, j’ai envie de la prendre et de la marquée comme mienne. Elle porte un minuscule bikini vert qui ne cache que l’essentiel. Sa peau halée brille sous la chape de plomb d’un soleil haut perché. Couchée sur une large serviette, elle est prête à m’accueillir. Elle sent ma présence mais reste immobile. Elle aime que je la dévore des yeux, l’attente fait partie du plaisir. Elle est si belle que je ne me lasserai jamais de ce spectacle, pourtant ce soir je n’ai aucune envie d’être patient, j’ai besoin de sentir sa peau sous ma paume. Je m’agenouille entre ses jambes et, d’un geste, les écarte. Elle a l’air surprise mais me laisse faire.

Le goût d’inassouvi de nos ébats de la veille ne m’a pas quitté de la journée et j’ai un besoin urgent de la sentir humide, chaude et brûlante de désir. Mon sexe pulse douloureusement, si je ne connaissais pas son étroitesse et la taille de ma queue, je la pénétrerais sans plus de préliminaires. Sauf que son plaisir passe avant le mien. Aussi, je pose ses jambes sur mes épaules et soulève son bassin jusqu’à ce que seuls ses bras, sa tête et ses épaules touchent encore le sol. Son pubis est alors collé à mes lèvres. Seule l’épaisseur de son minuscule maillot nous sépare encore. Plus pour longtemps, puisque je finis par l’arracher d’un coup sec et le

balance sans le moindre regret. Et enfin, je savoure son délicieux goût salin. − Oh mon cœur, tu es délicieuse ! Le flash lumineux et le flou coutumier accompagnent la peau rougissante de son cou, la scène se fait plus vague et rapide. Je me délecte de voir à quel point elle est excitée. Je sens son cœur pulser furieusement tandis que je tente de graver chaque sensation. Ses tétons tendus n’attendant que ma langue, ses poils s’irisent. Elle se tortille et je suis sûr qu’elle gémit. Ma réponse instinctive est immédiate, mon sexe déjà tendu n’y tient plus et s'agite. Elle est prête, je me vois la pénétrer dans la même position. Je sens

son antre humide se refermer autour de ma hampe mais les images et les perceptions s’évanouissent, déjà emportées par les affres du plaisir.  

Chapitre 7 Jadde Samedi 27 Juin, Sud-est de la France Je sens son sexe profondément enfoui en moi et mon bonheur est indescriptible. Pas besoin d’un décodeur pour percevoir l’urgence qui nous anime, l’attente a été suffisamment longue après l’interruption brutale de la veille. Mais malgré la révolte de nos corps, il reste immobile, le visage concentré. Je gémis, soucieuse de le faire lâcher prise. Alors il commence à se retirer tout

doucement une fois, puis deux puis trois. D'un coup sec, il se retire totalement et me pénètre à nouveau tout aussi brusquement. Je me cambre sous les assauts de cette exquise torture : − Oh, mon dieu ! Il sourit, content de lui, et s’exécute. La danse langoureuse de nos corps nous oppose et m’emporte dans un univers où le plaisir est roi. L’élan cotonneux ressurgit, rendant ma frustration tangible. Voir la scène défiler sous mes yeux, ne rien pouvoir retenir tout en m’inondant de la moindre sensation est excitant. Être à la fois actrice et spectatrice est atrocement érotique, bestial, et le peu de contrôle

qu’il me restait s’évanouit quand nos corps assouvis se laissent dévaster par la jouissance. Enfin libérée de cette agaçante insatisfaction qui ne m’a pas quitté de la journée, je le serre dans mes bras lorsqu’il s’effondre à mes cotés, son sexe bandé toujours en moi. Je me love contre lui et, bercée par le bruit incessant des vagues s'écrasant sur la plage, je sombre dans un sommeil profond. J’ouvre les yeux au petit matin et tends machinalement le bras vers son corps chaud. Mais à la place, dans ce grand lit froid, je ne rencontre que le vide. Seuls les draps froissés me ramènent au souvenir de cette nuit magique. Mais je

suis désespérément seule, incomplète, comme si une part de moi venait de s’envoler. J’avais demandé une dernière nuit avec Jack, on me l’a offerte. Que puis-je espérer de mieux ? Mon rire hystérique me prend par surprise tandis que la douleur s’épanouit et m’accule. Très vite, les sanglots se mêlent au rire et contrairement à mes anciennes habitudes, je ne refoule rien et laisse mes émotions, si longtemps contenues, s’exprimer librement. Aucun doute, il est parti pour toujours, cette fois. Grâce à son aide, je survis à mes derniers instants de sécurité dans notre cocon d’amour et cette vérité

m’accable autant qu’elle me libère. Comment pourrais-je me satisfaire de ces quelques instants volés ? Longtemps, le flot âcre de ma peine dévale mes joues, laissant mon corps étrangement apaisé. Lorsque mes yeux sont trop bouffis deviennent douloureux, je passe dans la salle de bain pour me rafraichir. Le bip stressant de ma messagerie instantanée retentit et je m’oblige à me secouer. Je décide que cette évolution est une porte ouverte vers un renouveau : je vis donc le premier jour de ma vie d’après. Finis l’apitoiement ! Mue par cette soudaine énergie, je rejoins la cuisine pour consulter mon téléphone où l’enveloppe indique que j’ai reçu deux

texto. Ma mère a écrit le premier : « Ma chérie, ravie que tu viennes enfin, je suis impatience de te serrer dans mes bras. Avertis-moi quand tu prends la route et surtout sois prudente. Je t’aime. » Perdue dans une myriade de sentiments contradictoires, je peine à ressentir le même engouement. Si seulement je parvenais à départager ma tristesse de ma joie, mon envie de rester de mon besoin de partir, tout serait tellement plus simple ! Mais ce n’est pas en restant prostrée que

les choses vont avancer. Aussi, tout en lisant mon second message, je m’équipe pour évacuer ce surplus d’énergie bien trop dangereuse pour mon esprit torturé. « Coucou, princesse, Suis un peu pressé, t’appelle en fin de journée, profite de ton week-end chez ta mère. Tu as pris la bonne décision pour les États-Unis. Tu t’es enfin décidée à te secouer ! Bravo, suis fier de toi ! Et arrête de te poser des questions, tu n’es pas seule, on est là et quoi que tu puisses faire, on y restera. Vis et profite sans plus réfléchir.

Je t’aime, à ce soir. Eddy » Décidément le téléphone « arabe » fonctionne très bien. On ne peut rien leur cacher à cette bande de pipelettes. J’ai beau me retrancher derrière le sarcasme pour pester contre leur attitude surprotectrice, une profonde gratitude prend le pas sur mon agacement. Sans leur acharnement, je serais encore en train de me morfondre comme une idiote. Avant de toucher le fond, on ignore de quelle façon on va réagir dans l’adversité. Le fond je m’y suis vautrée pendant les cinq dernières années, en

essayant en vain de retenir un passé inaccessible. Sauf qu’aujourd’hui j’ai bien l’intension d’avancer et ça commence de suite ! Courir étant mon lef motive, j’enfile mes baskets et pars arpenter les chemins résineux qui entourent la maison. J’accélère, mes pieds martèlent le sol comme pour donner le rythme de mes pensées. Un, deux, un, deux ! Vite, plus vite, toujours plus vite jusqu'à perdre haleine. J’aime sentir mon corps repousser ses barrières et les dépasser. Quand, au bord de l’effondrement, mon esprit atteint enfin ses limites, je sais exactement quels seront mes priorités.

À mon retour, les pleurs du réveil semblent presque appartenir à un autre temps. Fatiguée mais satisfaite, j’utilise ma vieille technique d’auto-persuasion qui a largement fait ses preuves. Je me répète en boucle : « Tout va bien se passer ! » histoire de me donner le courage nécessaire pour avancer. Si j’en doute, autant rendre les armes de suite. Une chose est sûre, si cela arrive, ce ne sera pas sans combattre. Après une douche rapide, je charge mes affaires dans la voiture, ferme les volets et les portes à clefs. Je me retourne une dernière fois, envoie un baiser virtuel à l’adresse de mon ancienne vie, démarre

le moteur et prend la route. Il est tout juste treize heures lorsque je me gare dans l’allée gravillonneuse du pavillon de ma mère. Je suis surprise de ne pas y trouver sa voiture. Je m’avance jusqu’à la porte et tape à tout hasard. Pas de réponse. Je fais le tour de la bâtisse et vais m’asseoir sur la table en marbre qui se trouve à l’arrière de la maison. J’observe avec délice le panorama grandiose depuis la terrasse. Ce décor est l’une des choses qui m’a le plus manqué après mon émancipation. Retranchée sur les hauteurs de Condatomagos, la villa surplombe la cité enclavée dans un bassin montagneux. Les pentes abruptes et verdoyantes des pics

alentours m’ont toujours apporté un sentiment d’appartenance, comme si j’avais envie retrouvé ma terre mon chez moi. Et aujourd’hui ne déroge pas à la règle. Lorsque le soleil s’insère au centre des gorges alentours le spectacle est éblouissant et me coupe toujours le souffle. À certaine heure, on a presque l’impression que la lumière devient torrent et s’écoule vers nous pour nous inonder de sa magie enchanteresse. En contrebas, une large rivière s’écoule. Adolescentes, Sofia, Meg et moi y avons passé des heures entières, les pieds dans l’eau, la tête dans les nuages, rêvant à des lendemains grandioses.

Ce paysage propice aux sports extrêmes comme le parapente ou le deltaplane fait le bonheur des amateurs de sensations fortes. Le diaporama dans les airs est époustouflant. Si je n’avais pas tenté l’expérience avec mes amies je doute que j’aurai pu imaginer de telles sensations. Aujourd’hui ça parait tout droit sorti d’une autre vie. Le retard de ma mère tombe à pic, il m’a permis de m’imprégner de l’ambiance des lieux. J’ai un trousseau de clefs, je pourrais parfaitement rentrer mais le délice de sentir la brise légère sur ma peau me retient. Les odeurs d’herbe fraîche, des fleurs qui tapissent les parterres m’entêtent et

annihilent tous mes autres sens. Les yeux clos, je me laisse bercer par ce bonheur apaisant. Plus tard, le bourdonnement des abeilles vient compléter le tableau. Leurs ronronnements de bien-être accompagnent les miens. Quelques minutes ou quelques heures plus tard, des bruits de pneus sur les gravillons de l’entrée, suivis de pas rapides me font redescendre de mon nuage. Je relève la tête et je la vois se précipiter dans ma direction : − Ma chérie ! Elle me serre dans ses bras, c’est tellement bon de la retrouver ! Son odeur de citron et de jasmin, si familière, me ramène pendant quelques secondes dans

mon enfance et ne manque pas de me tirer un frisson de plaisir. − Je suis heureuse de te voir, me dit-elle, la voix tremblante d’émotions. Quelques secondes s’écoulent avant qu’elle n’enchaîne tout en relâchant son étreinte. − Quand j’ai aperçu ta voiture, j’étais sûre de te retrouver ici. Tu as fais bonne route ? − La circulation était assez fluide, mais je suis surtout ravie de revenir aux sources. Son visage s’illumine, elle éprouve exactement la même chose. − Désolée d’avoir été absente à ton arrivée, je suis partie faire quelques

courses pour pouvoir vous préparer un festin. − Tu es adorable, ta cuisine me manque terriblement. Je suis toujours aussi lamentable derrière un fourneau. Qu’as-tu prévu de nous préparer ? − Un osso-buco, votre plat préféré. Mark m’en parle sans cesse depuis qu’il sait que tu viens. − Mmmh... J’en ai déjà l’eau à la bouche. Au fait, il n’est pas avec toi ? Avec un petit air conspirateur, elle me répond : − Il est allé faire un petit tour chez des amis, histoire qu’on soit tranquilles et te permettre de prendre tes marques. Nous

avons pensé que cela te faciliterait la tâche. − Délicate attention, comme toujours. Mais je pense que ce n’est plus nécessaire de prendre autant de précautions, Maman, dis-je d’un ton espiègle. Elle incline la tête, interrogatrice. Avec conviction, je lui explique les derniers événements, les discussions avec mes amies et le rôle, qu’elle a sans le vouloir, joué dans ma prise de conscience. Elle écoute, le sourire aux lèvres, mon exposé détaillé. Je finis par lui parler de l’imminence de mon départ pour l’autre

côté du monde. Quand j’évoque mon voyage, son visage se transforme, et son habituelle bonne humeur laisse place à un vent de panique. Elle se reprend très vite mais ne parvient pas à effacer entièrement l’angoisse de son expression. − Qu’est-ce qui se passe maman? − C’est rien, ma puce, tu sais à quel point je suis inquiète quand tu es loin de moi. Les États-Unis, mon cœur, c’est à l’autre bout du monde ! Te savoir là-bas me terrifie… Comme pour faire oublier ce qu’elle vient de dire ou faire diversion sur ce qu’elle tait, elle poursuit rapidement. − Mais je suis ravie que tu te sentes enfin

mieux, c’est tout ce qui compte. Son corps reste tendu mais je la connais trop bien pour insister. Peut-être pourrons-nous aborder le sujet plus tard. Pour détendre l’atmosphère électrique, je reprends taquine : − Vois le côté positif, Maman ! Au moins le fait que je sois bilingue me servira enfin à quelque chose. − Très drôle, ma chérie. Ma boutade a au moins l’effet escompté et lui tire un sourire. Toute mon enfance, ma mère ne me parlait qu’anglais lorsque nous étions à la maison. Et bien que cela m’ait servi à de nombreuses reprises, c’était aussi source de conflits virulents.

Je détestais me sentir différente. Mais elle refusait toutes discussions à ce sujet et coupait court aux contestations. Je n’ai jamais compris pourquoi ça lui tenait tant à cœur et elle a toujours refusé de s’expliquer sur la question. Devant son entêtement, j’ai fini par lâcher prise. Les heures suivantes, nous échangeons sur tout et n’importe quoi. De ses dernières lubies aux prochains travaux de réaménagement de sa maison en passant par mon roman tout y passe. Nous évoquons même Jack. Elle s’y risque pour jauger ma réaction. Je lutte alors courageusement contre mon envie de fuir à toutes jambes et à mon grand étonnement, j’y parviens sans trop de difficulté. Je dois donner le change avec

brio, puisqu’elle réitère ses questions à plusieurs reprises. Malgré tout, elle reste tendue. Elle s’évertue à contourner le sujet qui blesse, me confirmant qu’elle est bien plus affectée par cette perceptive qu’elle le laisse transparaître. Je tente de détendre l’ambiance en vain. J’essaie même de revenir sur le sujet, mais rien n’y fait, elle refuse de me dire pourquoi une telle appréhension. Des années de pratique à la côtoyer m’incitent à éviter la confrontation directe. Elle se braquerait, ce qui ne résoudrait en rien mon problème. Ne supportant plus l’atmosphère, je m’éclipse, prétextant être fatiguée par le

voyage. Je suis presque soulagée quand je me retrouve enfin seule et j’en profite pour partir faire une petite ballade dans les alentours. Je marche tout en cherchant à comprendre son entêtement. Ma mère est rarement aussi à cran. Elle a même fui mon regard à deux ou trois reprises. Ça ne lui ressemble pas. Les rares fois où elle a agi ainsi, je m'étais risquée à lui poser des questions sur son passé ou sur mon père. Du coup je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement. Elle a toujours été très secrète sur sa vie avant ma naissance. Durant des années, en échafaudant toutes sortes de plan, j’ai essayé d’en savoir

davantage sur notre histoire mais elle n’a jamais rien lâché. Et à chaque fois que j’évoquais ce passé, je voyais une telle souffrance dans son regard que j’ai fini par m’abstenir. J’aimerais l’amener à vider son sac. Se taire n’arrange rien. Tenter d’ignorer ses démons, sans leur faire face, c’est aussi efficace que planter une punaise dans une jambe de bois. Malgré bonne volonté, je ne me sens pas encore la force de me battre contre elle, surtout s’il s’agit de lui tirer les vers du nez ! À mon retour, les détails de la ballade sont flous, bien trop absorbée par mes sombres pensées. Elles s’évanouissent

dès que l’odeur alléchante de mon plat préféré me chatouille les papilles. À mon arrivée, on s’agite dans le salon. Curieuse, je passe la tête dans l’entrebâillement pour découvrir un Mark en grande conversation téléphonique avec un de ses chefs de chantiers. J’esquisse un sourire et pars à la recherche de ma mère. Je la retrouve « dévorée » par l’une de ses nombreuses passions : la peinture. Elle est si concentrée qu’elle ne remarque même pas ma présence. Elle s’affaire, les yeux dans le vague, obnubilée par son œuvre. Surprise de la voir un peu amaigrie, je prends le temps de la détailler. Outre son

vieux jean délavé, elle porte des petites ballerines noires et un débardeur de la même couleur. Sur ses épaules repose un vieux sweat-shirt gris clair. Elle a toujours été fine mais là elle a l’air de flotter dans ses fringues. Ses bras athlétiques et sa taille sont bien plus sveltes que dans mon souvenir. Une queue de cheval maintient ses longs cheveux en arrière, exposant ses pommettes saillantes. Ses yeux noirs cernés accentuent l’impression de fatigue. Pourtant elle reste magnifique, elle n’a jamais eu besoin du moindre artifice pour être époustouflante. Elle est le genre de femme qu’on rêve d’être, du haut de sa petite cinquantaine. Je suis toujours saisie

par sa beauté métissée. J’ai eu la chance d’hériter de son teint hâlé masquant sans difficulté les outrages du temps. Mais c’est la première fois que j’ai l'impression qu’elle fait vraiment son âge. Tout en avançant vers le centre de la pièce, je l’interpelle doucement : − Maman ! Elle sursaute et lève les yeux. − Ma chérie, tu es là depuis longtemps ? − Non, je viens juste d’arriver. − Dis moi, tu n’as pas l'air en très grande forme. Je vois bien que tu as beaucoup maigri depuis notre dernière rencontre. Tu vas bien ? À quand remonte ta dernière visite chez le médecin ?

− Tu vois vraiment le noir partout, Jadde ! Je vais très bien, juste les effets très désagréables de la ménopause. La plupart des femmes grossissent et bien dans notre famille nous faisons l’inverse. J’ai fait un bilan complet et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Un peu vexée par son ton piquant, je lui rétorque un peu sèchement : − Ma question ne doit pas être si stupide, puisque tu as jugé nécessaire de faire un check-up. Elle me regarde et rit : − Ok, ok, un point partout, ma fille. Je ne comprenais pas plus que toi pourquoi je perdais autant de poids. Du coup, j’ai

consulté le docteur Létrier. Après quelques examens, il m’a rassurée et prescrit un traitement hormonal. Fin de l’histoire. Rassure-toi ! Je suis en pleine santé. Les choses devraient rentrer dans l’ordre rapidement d’après lui. Tu vas encore devoir me supporter quelques années. Son ardeur est communicative. Nos voix enthousiastes se combinent et couvrent la musique d’ambiance qu’elle avait mise pour travailler. − Et si nous allions jouer les femmes jalouses avec ton beau-père, me dit-elle d’humeur bien plus légère. − Excellente idée, je l’ai entendu parler avec dévotion à son grand amour.

− Pourquoi crois-tu que je me sois retranchée dans mon atelier ? Bras dessus bras dessous, nous partons le rejoindre au salon. En nous voyant entrer, Mark donne rapidement ses dernières consignes avant de prendre congés. − Désolé, les filles, encore des soucis de chantier qui ne pouvaient pas attendre. Jadde, je suis content que tu sois là, ça fait une éternité que je ne t’ai pas croisé ! Tu m'as l’air en forme. Aussi rayonnante que ma belle Angelina. − Vil flatteur, lui répond ma mère en rougissant. Il sourit, et viens l’embrasser sur la joue tout en me jetant un cou d’œil inquiet. La

semaine dernière ce simple signe d’affection m’aurait été insupportable. Là, il ne me tire qu’un simple pincement au cœur. J’avance peut-être vraiment, finalement. Soucieuse de les rassurer, je renchéris : − Tu n’es définitivement pas objectif, Mark. Mais comme les compliments sont toujours bons à prendre, je les accepte volontiers. Moi aussi, je suis ravie de te voir. Nous avions décidé de te séparer de ta maîtresse pendant quelques heures. Crois-tu que ce soit envisageable ? Mon intonation est tellement moqueuse qu’elle lui tire une mimique. − Je crois que ça l’est, si j’obtiens quelques faveurs en compensation bien

sûr, nous répond-il en faisant un clin d’œil suggestif à ma mère qui glousse comme une adolescence. Juste avant de passer à table, Eddy tente de me joindre. Sans me laisser le loisir de dire autre chose que bonjour, il commence à se confondre en excuses. Avant la fin de ses supplications délectables, je l’interromps sans ménagement. − Tu veux bien arrêter de te flageller, s’il te plaît ? Tu n’as absolument rien à te reprocher. J’ai été aveugle, sourde et muette pendant cinq ans et si quelqu’un doit s’excuser, c’est moi. Je l’entends sourire. Puis il réplique, de bonne guerre :

− Tu aurais pu m’interrompre bien avant. Je suis certain que tu as adoré le moindre mot. − Oh que oui ! Il n’était pas question que je me prive du plaisir d’entendre mon meilleur ami s’excuser, il ne faut pas rêver non plus ! Eddy, le type fier par excellence, ne fait jamais dans la dentelle, c’est contre tous ses principes. Alors se justifier ou demander qu’on le pardonne, c’est de l’ordre de l’évènement national. Cette petite vengeance, un peu mesquine je l’avoue, me fait oublier bien vite ses petits mensonges et ses manipulations. Les compteurs sont remis à zéro, il en est aussi conscient que moi.

La discussion se porte tout naturellement sur nos projets communs. J’en profite pour lui donner les derniers détails dont je dispose pour planifier nos retrouvailles. Je raccroche ravie de mon petit tour et rejoins ma famille pour partager le succulent repas qui n’attend plus que moi pour être dévoré. L’ambiance apaisée et propice à la détente me permet de profiter de chaque minute en leur compagnie. Je me ressource. Je n’ai rien vécu de si doux depuis… la nuit dernière. Cette pensée fait disparaître, comme sous le coup d’un mauvais sort, toute trace de gaieté. Pourtant je m’efforce de ne rien laisser paraître. En disant au revoir à mon

ancienne vie, j’ai mesuré avec exactitude le poids de ma décision. Je n’aurai plus jamais le sentiment, si enivrant, d’être parfaitement à ma place. L’attraction entre nos deux âmes, qui transcendait mon plaisir, s’est évanouie avec mon départ. Oublié aussi le bien-être qui envahissait la moindre parcelle de mon corps. Renaître demande ce sacrifice. J’ai mis assez longtemps à le comprendre, c’est ma seule chance de revivre. Malgré cette certitude, je ne peux m’empêcher d’être abattue quand je repense à l’ampleur de ce que je laisse derrière moi. Je termine mon repas devenu insipide et mon esprit shunte une bonne partie des conversations. Je ne rêve que d’une chose

: m’évader. Aussi je ne m’attarde pas et rejoins la sécurité apaisante de ma vieille chambre. Rien n’a changé depuis mon départ, même mes vieux posters fanés trônent toujours au-dessus de mon lit. Cette constatation me laisse figée dans l’entrée. Des flashbacks, plus vivants que natures, bombardent mon esprit complètement dérouté. Je me revois enfant jouant aux poupées avec mes amies. Puis plus tard les genoux rassemblés sous ma vieille couverture en train de dévorer les œuvres de mes auteurs préférés. Mon premier baiser, mes premiers câlins, les premières déceptions, les premières larmes… Plus

les images défilent et plus je réalise que cette fille a disparu, envolée. L’impression d’être en sécurité s’est dissipée avec elle. Vaine utopie ! Le temps est passé, laissant des stigmates indélébiles. La vie s’est chargée de m’ôter mes illusions. L’ancienne Jadde était morte avec Jack, la nouvelle tente de renaître peu à peu de ses cendres. − Allez ma grande, ne soit pas ridicule fait preuve d’un peu de courage ! me fustigé-je à voix haute. J’avance dans ma chambre comme pour tenter de rassembler les morceaux épars de mes deux identités, mon moi d’aujourd’hui et celui d’autrefois.

Je me glisse dans les draps. J’ai beau être physiquement épuisée, mon cerveau, lui, lutte longtemps avant de sombrer dans le sommeil…  

Chapitre 8 Braden Samedi 27 juin, en journée à New-York Emporté par ce besoin vital de la faire mienne, je l’ai prise et possédée presque sauvagement, sans jeu de séduction, sans autre idée que d’assouvir ce besoin qui me bouffe la vie. L’urgence de m’enfoncer en elle m’empêchait de patienter une seconde de plus. Je suis resté ainsi une bonne partie de la nuit, longtemps après qu’elle ait succombé à la

fatigue. La contempler durant des heures est l’une de mes activités favorites et je ne m’en prive jamais. Je la dévore du regard, tout en refusant de bouger pour ne pas troubler son repos. Le seul geste que je n’ai pu retenir : passer la main dans la masse ébène de ses cheveux brillants. Mes doigts ont glissé dans ses boucles un bon million de fois, mais l’effet reste le même. Rien que d’y repenser, un frisson d’excitation inonde mes reins et je bande comme un fou. Cela fait déjà un bout de temps que je me suis fait une raison, je suis incapable de vivre sans elle. Comme un accro au

crack, je ne survis qu’en pensant à ma prochaine dose. Tout serait plus simple si j’arrivais à passer une nuit entière sans rêver d’elle. Peut-être serais-je alors capable de me désintoxiquer ou au moins réfléchir posément à la situation. Néanmoins, ce n’est ni le moment ni l’endroit d’y penser. Après quatre heures de sport, je prends un petit moment sous la douche, pour détendre mes muscles noués autant par le sport que par mon manque d’elle. Et ouais, encore ! À ce rythme-là, je vais finir avec la queue en feu ! Les idées embrumées par le désir, j’en suis réduis à m’adonner au plaisir

solitaire pour atténuer la tension. Mes mains effectuent un va et vient sur ma queue, serrant l’anneau dans mes doigts juste comme il faut pour me soulager. Bien sûr, j’imagine que ce sont les siennes. Je me vois m’installer entre ses jambes. J’imprime ma marque sur sa peau avec mes doigts encrés sur ses hanches tout en la couvrant de baisers. Ces pensées me suffisent pour être au bord de l’explosion. C’est à peine concevable, je me fais l’effet d’un ado submergée par sa montée d’hormones. Habituellement je suis maître dans l’art de l’attente, la montée lente et progressive du plaisir. En un mot, la frustration, je maîtrise.

Pourtant, lorsqu’il s’agit d’elle, je ne contrôle plus rien. Il me suffit de me rappeler son goût délicieux pour basculer. Je tapisse les parois de la douche que je rince d’un geste machinal. Je devrais être calmé à présent, mais c’est sans compter sur l’effet « reviens-y» qu’elle a sur moi. Agacé, frustré, je sors et cherche n’importe quel moyen de m’occuper l’esprit. Comme toujours, c’est sur le boulot que je passe mes nerfs. Ne pas me mettre derrière mes fourneaux est une vraie torture. L’adrénaline qui coule à flots dans mes veines au moment des rushs, les vapeurs des ingrédients frémissant, les textures de la pâte qu’on façonne à souhait, tout cela me manque terriblement.

Seulement c’est lorsque je cuisine que le culte que je lui voue est à son apogée. La nuit dernière pendant que je la mangeais du regard, plusieurs idées de mélanges surprenants m’ont traversés l’esprit. En plus d’être mon amante, elle est ma muse. Tout stimule mon imaginaire, de la couleur de sa peau à la douceur de ses seins. Créer, c’est ma façon de lui rendre hommage. Comment pourrait-elle être loin de mes pensées ? L’extravagance culinaire est ma spécialité, mais rien de comparable au mélange étonnant que son aura m’inspire. Je suis définitivement bon à enfermer. C’est l’une des raisons qui m’a poussé à venir suivre l’avancement des travaux. Il y en a d’autres, bien sûr, comme recevoir

les différents candidats pour les postes qu’il reste à pourvoir au sein du restaurant. C’est bien trop important pour que je puisse le déléguer. Mais j’aurais pu repousser mon arrivée. Je pensais à tort que l’esprit absorbé par l’aménagement je serais moins enclin à la laisser m’envahir. Comme si c’était seulement possible ! Après mes quelques appels incontournables, je me retrouve vite à cours d’activité. Même les quelques formalités pour la réception au Blue Even la semaine suivante ne m’occupe pas assez longtemps pour me détendre. D’autant que Joyce aurait parfaitement pu régler ses détails à ma place, mais la cliente, une des plus fidèles, marie sa

fille. Vu qu’elle a réservé tout le restaurant pour la soirée et le lendemain et que ma présence était sa seule exigence, je ne me pouvais pas la lui refuser. L’accident sur le chantier m’oblige à revoir mon planning pour les jours à venir. Je vais devoir modifier la date de l’interview de la journaliste qui n’a pas froid aux yeux. Je n’ai pas le choix, même si ça ne m’enchante guère. Je compose son numéro croisant les doigts pour l’éviter. Par chance, je tombe sur son répondeur et lui laisse un message. Dix minutes plus tard, elle rappelle et nous convenons d’un nouveau rendez-vous pour le mardi. Elle a l’air

contrarié, je ne sais pas trop pourquoi et en fait, je m’en fous. Nous nous retrouverons donc à son bureau vers 10 heures. Au moins, je me débarrasserais de cette corvée plus rapidement que prévu. Midi approche et comme Mila m’a convaincu de visiter quelques appartements cet après-midi, j’enfile les premières fringues qui me tombent sous la main. Elle a organisé six visites, autant dire un vrai marathon, je me dis que c’est le planning parfait pour me vider la tête. La soirée risquant d’être nettement moins enrichissante, je préfère ne pas y penser. Même si Gérald doit me rejoindre à vingt heures, jusque-là je l’oublie. J’aurais

presque envie d’inviter ma sœur, sauf que je préfère que ces deux-là évitent de trop se croiser. Avec lui on ne sait jamais, il pourrait avoir l’idée géniale de l’ouvrir plus que de raison. Quand il boit, il parle trop et ça m’a déjà valu assez de problèmes. J’enfile ma chemise quand on frappe à la porte, Mila est en avance, c’est un peu étonnant de sa part, mais une fois n’est pas coutume. Lorsque j’ouvre la porte, je la trouve échevelée et un sourire béat aux lèvres. Des images d’elle avec un inconnu me traverse brièvement l’esprit et beurk ! Je crois que je vais vomir….. Mais avant je vais arranger le portrait à ce petit con qui

a osé toucher à ma sœur ! Je regarde par-dessus son épaule pour voir s’il l’accompagne. J’ai le poing qui me démange d’un coup. Bon d’accord je me la joue homme des cavernes mais merde c’est ma Tia, ma petite fleur de tiaré, celle qui me coiffait avec des élastiques multicolores pour s’entrainer à jouer à la coiffeuse. Comment dois-je le prendre quand un mec lui fait tourner la tête ? Elle suit mon regard cherchant à comprendre ce qui m’arrive. Quand elle regarde mes poings serrés, son sourire s’agrandit et elle secoue la tête exaspérée, puis elle s’avance, en me poussant pour rentrer dans ma chambre.

Elle passe machinalement sa main dans ces cheveux pour y remettre un peu d’ordre et s’adresse à moi avec des yeux pleins d’étoiles. − Non mais tu as quel âge sans rire, je suis plus une petite fille, tu te doutes bien que j’ai une vie sexuelle quand même. Je réprime une grimace de dégout avec la plus grande difficulté. Elle rigole et ajoute comme pour me mettre au défi. − Il doit être en bas si tu veux la jouer « grand frère protecteur »… Je hausse les épaules tout en fermant la porte. − Pourquoi tu ne lui as pas proposé de se joindre à nous ? Lui demandé-je ravi

qu’elle ne l’ait pas fait. − C’est une vraie question où tu te la joues rhétorique ? Parce que tu crois vraiment que je suis pressée de vous mettre en présence quand je te vois jouer les papas poules pour un simple baiser fougueux…. En plus même s’il insiste de son côté pour te rencontrer, je ne suis pas encore tout à fait prête à lui faire subir ton interrogatoire. D’ailleurs je t’interdis de le questionner quand il m’accompagnera au gala de charité, ajoute-t-elle en pointant vers moi un doigt accusateur. Je lève les bras en signe de reddition, et part nous servir un verre pour couper court à la discussion.

Quelques minutes plus tard, nous voilà en route pour découvrir les merveilles qu’elle a sélectionnées sur annonce. Enfin, merveilles, c’est un bien grand mot ! Les trois premières visites s’apparentent plus à une débandade. Nous n’avons même pas besoin de nous consulter pour tourner les talons. Le quatrième appartement plait à Mila avec ses deux grandes baies vitrées passantes il est baigné de lumière, la pièce principale parait intéressante. Les chambres, en revanche, sont vraiment minuscules. Et que dire de la cuisine, si on peut l’appeler ainsi ! Trois mètres carrés tout au plus, impossible de m’y projeter.

Le cinquième, quant à lui, rassemble tous mes critères de recherche, sur le papier du moins. Je ne sais pas qui a pris les photos mais il faut que je l’appelle. Pour mettre en valeur les espaces confinés, il est imbattable. Rechercher un appartement dans les rues de Manhattan relève du parcours du combattant. J’en avais une vague idée mais là c’est confirmé. Quand nous arrivons devant le dernier logement que ma sœur a sélectionné, je crois que nous décrochons la palme d’or. Nous éclatons d’un rire nerveux. L’état de la façade et des parties communes nous refroidit instantanément, pas la peine de perdre notre temps.

Déçus, nous décidons de rejoindre l’hôtel à pied, histoire de décompresser un peu après ce fiasco. Il est clair que réexaminer les critères de recherches s’avèrent indispensables. J’ignore pour quelle raison, mon œil est attiré par une petite pancarte « À vendre »fixée à la fenêtre du troisième étage d’un petit immeuble qui n’en compte que quatre. Le bâtiment apparemment bien entretenu est bien différent des « merveilles » que nous venons de découvrir. Les volets en PVC donnent une touche contemporaine à la vieille bâtisse. Son charme désuet agit sur moi comme un aimant. N’ayant rien à perdre, nous décidons de

tenter notre chance. Je sonne à l’interphone et une voix féminine me répond. − Oui ? − Bonjour, je viens de voir le panneau « À vendre » apposé à votre fenêtre. Où puis-je me renseigner pour pouvoir le visiter ? Un cours silence me répond puis la voix reprend. − Vous êtes seul ? Un peu surpris par la question, je mets quelques secondes à répondre. − Non, ma sœur m’accompagne. − Quel type de bien recherchez-vous ?

− Pourquoi ? Vous êtes agent immobilier ? demandé-je pour plaisanter. Je l’entends glousser par le haut parleur et je saisis ma chance. − Je veux juste un appartement lumineux et pratique. Avec une cuisine convenable, et des chambres suffisamment grandes pour y placer un lit. Je ne suis pas très exigent quant à son état, je peux y réaliser certains travaux. Il faut juste qu'il me donne envie d'y vivre. − Vous voulez combien de pièces ? − Trois ou quatre. − Je ne fais jamais ça d'habitude mais vous m'avez l’air sympathique et j’aime bien votre voix. À cette heure-ci l’agence

est fermée. Si vous voulez vous pouvez monter le visiter. Mais je vous préviens, pas d’entourloupe ! − Merci, c’est vraiment sympa. On vous rejoint. Un peu surpris mais plutôt satisfait de la tournure que prennent les événements, nous montons les trois étages au pas de course. Je constate que ma première impression se confirme, les parties communes sont en super état et c’est une excellente nouvelle. Une quinquagénaire replète nous attend sur le pas de la porte, le sourire aux lèvres. Sans nous laisser le temps de la saluer, elle nous regarde et se met à siffler.

− Eh bien, mazette, j’ai tiré le gros lot ! Vous n’êtes pas célibataire, jeune homme, par hasard ? Ma sœur, qui était restée silencieuse jusque-là, éclate de rire et lui répond : − Vous avez de la chance, il est libre comme l’air ! Un sourire taquin illumine son visage. J’ai une envie folle de la fusiller sur place mais je m’abstiens en voyant la propriétaire nous observer. Pour détourner leur attention, je tente une diversion en ramenant sur le tapis le sujet qui me préoccupe : − Vous êtes toujours d’accord pour que nous visitions l’appartement ?

− Plutôt deux fois qu’une, beau gosse ! Finalement, c’est moi qui commence à m’inquiéter pour ma sécurité. Cette pensée me tire un sourire et nous entrons dans l’appartement. Je m’y sens immédiatement à mon aise. Nous débouchons directement dans le salon-salle à manger baigné de lumière grâce à d’immenses baies vitrées de parts et d’autres de la pièce. Bien que de taille modeste, elle offre une sensation d’espace grâce à de petits arrangements astucieux. Les tapisseries vieillottes et les parquets usés lui donnent un charme d’antan. Même si l’espace a besoin d’un bon rafraîchissement, j’en vois instantanément le potentiel.

Un petit couloir dessert deux immenses chambres. Les murs sont recouverts de moquettes murales artistiquement déchirée. Un peu partout sont suspendus des portraits de famille où des enfants hilares s’amusent avec l’objectif. Les pièces semblent d’autant plus grandes que très peu de meubles y restent entreposés. La dernière porte du couloir s’ouvre sur une salle de bain où même l’émail de la baignoire semble exprimer toute sa lassitude. À l’opposé du corridor s’ouvre une petite cuisine. Son agencement et sa luminosité lèvent les derniers doutes qui pouvaient encore subsister : cet appartement est fait pour moi.

Mila m’a suivi, le sourire aux lèvres. D’un simple geste elle valide mon choix avec enthousiasme. Après la visite des lieux, Félicia, la propriétaire, nous propose un café. Elle commence alors à nous parler de l’appartement, des problèmes de santé qui l’obligent à déménager. Son petit bijou est en vente depuis moins d’une semaine et elle a eu de nombreuses visites pourtant elle attendait d’avoir le coup de cœur pour ses futurs acheteurs. Félicia nous sourit, j’ai compris le message. Pour confirmer mon impression, elle me gratifie de propositions toutes plus indécentes les unes que les autres. Tandis que Mila s’amuse comme une

petite folle et se délecte, sans honte, de la situation, je me sens pris au piège. Je ne veux pas blesser Félicia, elle est attachante, cette petite dame, mais ses avances me font venir des sueurs froides. Je fais tout mon possible pour ne rien laisser paraître mais c’est loin d’être gagné. Elle nous demande ce que nous faisons dans la vie. Elle fait le rapprochement avec l’ouverture du restaurant qui est à deux pas d’ici. − Je savais bien que j’avais déjà croisé ta jolie gueule d’ange, beau gosse. Tu es le Braden Miller qu’on voit dans les journaux. Je croyais que les gens des magazines ne cherchaient pas eux-mêmes leur appartement.

− Oui, c’est moi. Et vous savez, le monde des people et la vraie vie n’ont rien à voir. Ce n’est que du paraître. Je n’ai pas l’habitude que l’on fasse les choses à ma place, et encore moins lorsqu’il s’agit de choisir l’endroit où je vais vivre. − Tu sais que tu me plais bien? J’ai vu que tu étais tombé amoureux de mon appartement, si tu le veux, il est à toi. Et promis, j’arrête de te faire des avances, enfin je vais essayer. − Sérieux, Félicia ? Nous n’avons même pas discuté du prix ! Elle me regarde intensément et sa voix intransigeante confirme ses dires. − Je ne me trompe jamais sur l’âme des

gens, Braden, et la tienne est magnifique, aussi belle que ton joli minois. Elle esquisse un sourire. — Je sais que tu me feras une proposition honnête, je ne suis pas inquiète. Je vous propose qu’on se retrouve chez le notaire dans quelques jours. Je n’aime pas les affaires qui traînent en longueur. Passez à l’agence et faites-moi passer le compromis, je le signerai. Je suis estomaqué. Au mieux j’espérais obtenir une contre-visite, et me voilà assis dans le salon de mon futur appartement. C’est génial ! Ma sœur doit être aussi surprise que moi, si j’en crois sa bouche grande ouverte.

Nous convenons des différentes modalités. J’insiste pour connaître le prix qu’elle a fixé. Je souris quand elle finit par me le donner. J’aurais effectivement proposé quasiment la même somme. Au bout d’une heure, nous prenons congé en laissant la future ex-propriétaire dans son dédale de cartons. En retournant à l’hôtel, Mila, surexcitée, n’arrête pas de parler. Elle repasse la scène en long, en large et en travers. Quand elle termine son discours au pied de l’hôtel, elle me lance, aussi piquante qu’amusée. − Tu sais ce qui l’a fait craquer, blaireau ? − Non mais je sens que tu vas te faire un

plaisir de me le dire. − Outre ta « belle gueule d’ange » et ton sex-appeal, encore une qui ne résiste pas au charme du plus beau gosse de Manhattan. Je lui tire la langue, nous voilà redevenus des gosses de dix ans qui se moquent éperdument de paraître ridicules. Evidement elle éclate de rire et je l’accompagne. − C’est vrai que tu es d’une grande objectivité, Tia. Le feeling est passé, rien à voir avec un quelconque charme. À ce propos, merci pour ton soutien. Elle m’embrasse sur la joue et rigole de plus belle tout en s’éloignant pour héler

un taxi. Quand elle s’engouffre dans le véhicule, elle se retourne et, dans un éclat de rire, articule : − À bientôt, tombeur ! J’adore la voir si insouciante. Quand elle disparaît au coin de la rue, je rejoins ma chambre, le sourire aux lèvres. Je ne suis pas vraiment enclin à croire au hasard, ma conviction profonde est que rien n’arrive sans raison. Et cette certitude vient encore de se confirmer. Sans cet ensemble de circonstances, je ne serais pas passé dans cette ruelle, je n’aurais pas remarqué cette affiche et encore moins découvert ce petit bijou. J’imagine déjà comment mettre en valeur

cette nouvelle acquisition. Un nouveau défi, voilà ce qu’il me fallait ! Le corps en activité c’est tellement plus simple de garder en muselière mon esprit de détraqué !  

Chapitre 9 Jadde Dimanche 28 juin, Sud-ouest de la France Au matin, je me réveille d’humeur massacrante. Je n’ai pas retrouvé mon mari dans mes rêves et même si je m’y étais préparée, j’ai du mal à contenir ma déception. Comme je refuse de me laisser parasiter, j’utilise ma distraction préférée. J’enfile mes baskets sans prêter attention à l’heure matinale et pars pour

un périple censé soulager ma frustration. Heureusement, pour une fois, l’effet obtenu est à la hauteur de mes espérances. Lorsque je rentre, ma mère est attablée au bar de la cuisine, une tasse de café à la main. Elle ne cache pas sa surprise quand elle me voit surgir, rouge comme une pivoine et dégoulinante de sueur. − Et bien ma chérie, je te pensais encore endormie. − Je me suis levée très tôt, j’avais envie de me défouler, aussi je suis allée courir. − Tu devais avoir une sacrée dose d’énergie à griller ma chérie. Je t’ai entendue descendre vers six heures, j’ai pensé que tu étais allée boire un coup.

Remarque, comme je ne t’ai pas entendu remonter j’aurais pu m’en douter. Sans vouloir me mêler de ce qui ne me regarde pas, il y a d’autres moyens pour dépenser ce surplus d’énergie. Une petite partie de jambes en l’air par exemple. Tu devrais y penser ! dit-elle, apparemment ravie de me laisser bouche bée. − Maman ! − Oh ma chérie, ne joue pas les prudes ! Tu sais aussi bien que moi qu’il n’y a vraiment rien de mieux pour se détendre. Dans mon embarras j’ai de la chance, je suis déjà aussi rouge qu’une tomate trop mûre, du coup elle ne voit pas à quel point elle me met mal à l’aise. Ce n’est pas que parler de sexe me pose un

problème – je suis plutôt à l’aise dans ce domaine – mais avec ma mère, c’est une autre histoire. − Ce n’est qu’un conseil de femme à femme, ne sois pas si étonnée. Tout le monde a des besoins et c’est bien normal. − Désolée, mais ce n’est pas vraiment un sujet que nous avons l’habitude d’aborder ensemble. La dernière fois que tu m’en as parlé, j’avais à peu près six ans. Tu as disserté pendant plus d’une heure sur les roses et les choux. Comme je n’ai pas compris grand chose, j'ai pensé à l’époque que tu avais noyé le poisson. Du coup, je me suis tourné vers les livres. Elle pouffe de rire et je ris avec elle.

− Je prends cependant bonne note de tes conseils. Soucieuse de couper court à cette conversation pour le moins gênante, je prends congé. − Si ça ne t’ennuie pas, je vais prendre un bain, histoire de reprendre figure humaine. Décidément, je vais de surprise en surprise, cette semaine. Voilà que ma mère m’incite à m’envoyer en l’air. J’aurais vraiment tout vu ! Ça m’amuse tellement que je ne résiste pas au plaisir d’envoyer un mail à Sofia pour lui raconter ma mésaventure. Au moins Pikasièt et la Rouquine auront de

quoi agrémenter leur conversation. Ça me renvoie, nostalgique, à l’époque où nous partagions chaque pan de nos vies d’adolescentes. En appuyant sur « envoyer » je suis certaine qu’elles vont rire autant que moi en écrivant le message. La journée défile à toute vitesse, j’ai à peine le temps de me retourner que le début de soirée se profile. Fidèle à ses habitudes, Angelina a organisé un véritable marathon pour m’empêcher de réfléchir. Comme toujours, elle m’apporte le soutien et l’aide dont seule une mère est capable. Comme j’ai besoin de réalisme pour les décors de mes livres, elle

alimente mon imagination de toutes les façons possibles. Cette fois, elle a choisi une visite en bateau des gorges avoisinantes en ce premier jour de juillet. Ça me fait un bien fou ! J’ai visité de nombreux lieux dans ma vie mais ces parois rocheuses se jetant dans la rivière sont l’une de mes images préférées. Je suis toujours subjuguée par la clarté qui émane des profondeurs des détroits rocheux. Certains passages sont si étroits que l’on peut toucher la pierre alors que nous marchons sur le pont du bateau. Et pourtant, le reflet du soleil sur l’eau donne un éclat presque mystique à cet endroit. Au-dessus de nos têtes, des arbres centenaires sont comme suspendus dans le vide. Si on les observe avec plus

d’attention, on remarque alors qu’un réseau sophistiqué de racines et de roches les cloue littéralement aux falaises. Mais les sentir au-dessus de nos têtes me donne toujours un petit frisson d’appréhension. À notre retour, je suis lessivée. J’ai perdu l’habitude d’être autant sollicitée. Mais je m’abstiens de faire le moindre commentaire. Elle saisirait l’occasion pour me reparler de ma période « grosse déprime ». Et je préfère éviter autant que possible d’y faire référence. J’ai suffisamment à faire avec mes frustrations pour occuper mon esprit. C’est la dernière soirée que je passe avec ma mère. Pourtant j’ai encore tant de choses à lui dire et si peu de temps pour

le faire. Absorbée par mon mal vivre, j’ai laissé de côté les personnes qui m’étaient chères, ma mère tout particulièrement. Moi qui me targuais de les protéger en m’éloignant, mais comment ai-je pu y croire une seule seconde ? Admettre mon erreur est la première étape dans le processus de guérison. Maintenant, le plus dur reste à faire, je dois exprimer tout ce que j’ai gardé sous silence pendant des années, à commencer par mes sentiments. Et là c’est une autre paire de manche ! D’habitude, je fuis les grandes déclarations comme la peste, préférant me retrancher derrière des banalités. Lui

exprimer simplement à quel point je l’aime me. C’est ridicule mais les mots restent coincés dans ma gorge. Même avec Jack, j’en ai toujours été incapable et je le regrette amèrement aujourd’hui. Leur livrer mon cœur est ma limite infranchissable. Le seul endroit où je laisse libre cours à mes émotions, sans tabou : mes livres. D’ailleurs, c’est lors de la dédicace de mon premier roman que je lui ai dit que je l’aimais pour la toute première fois. Je me souviens de l’épitaphe : « Aucun mot n’est en mesure de décrire avec exactitude ce que je ressens pour toi. Ce qui s’en rapprocherait le plus : je t’aime

». Mais ce soir la situation est différente, je suis différente. Je dois lui dire à quel point elle est importante pour moi. Je ne remettrai plus jamais à demain l’expression de la vérité juste parce que je suis une grosse peureuse. Je regarde la personne qui m’a élevé s’affairer en cuisine et cela me replonge dans mes souvenirs. Lorsque j’étais enfant, elle travaillait comme traiteur à domicile. Déjà à l’époque, des heures durant, j’adorais l’observer s’agiter derrière les fourneaux. Aujourd’hui encore, elle est magnifique, quand perdue dans ses recettes, les joues rosies par la chaleur, elle coupe, détaille,

émulsionne… C’est un peu comme si, par sa simple présence, elle donnait vie à tous ses ustensiles, robots et autres casseroles. Elle lève les yeux, me regarde longuement et part se servir une tasse de café. Quand elle revient s’asseoir, je l’entends soupirer et elle finit par exprimer ce qui la tracasse : − Tu es vraiment obligée de partir si vite, ma chérie ? Un peu décontenancée par sa question, je lui réponds : − Oui, malheureusement, je t’ai expliqué à quel point c’était important que je fasse ce voyage. Meghan a déjà tout organisé.

Je ne peux pas lui faire faux bond. La mine renfrognée, elle poursuit : − Je comprends, ma chérie. J’arriverai peut-être à me détendre si tu m'expliques les détails de votre périple. Un peu surprise par sa requête, je m’exécute : − Je ne connais pas tous les détails avec précision mais si j’ai bien suivi, nous n’allons pas faire le tour de tous les états. Meg a jugé que ce serait inutile. Du coup, notre périple va se limiter aux grandes agglomérations américaines. Si je me souviens bien elle a décidé de commencer par les grandes villes de l’est comme Boston, Philadelphie, Washington,

Baltimore et New York. Elle me regarde et je lis dans ses yeux une compréhension qui me prend un peu de court, mais je continue, soucieuse de l’aider à apaiser ses inquiétudes. − Je doute que ce soit dans cet ordre mais c’est l’idée. Ensuite suivront Détroit, Chicago, Memphis, Dallas et Phoenix. Nous terminerons sur la côte ouest avec San Diego, Los Angeles, San Francisco, Portland et Seattle. Je crois qu’elle m’a allégé le programme autant qu’elle a pu mais ce sont d’après elle les incontournables. − Je constate qu’elle maîtrise son sujet. Elle a choisi les points stratégiques. Tu vas découvrir des merveilles, c’est

absolument magnifique à cette période de l'année. Décontenancée par sa révélation, je la regarde en inclinant la tête et elle me sourit. − Tu as l’air de bien connaitre les lieux, me risqué-je à poursuivre − Oui, j’y ai même vécu de nombreuses années. Mais ça fait une éternité que je n’y ai pas remis les pieds. Et c’est comme si, avec ces simples paroles, elle m’ouvrait la porte d’un univers dont elle ne m’avait jamais révélé l’existence. Elle décrit tout ce dont elle se souvient avec ses yeux d’artiste : les décors irréels, la démesure, la multitude

de paysages aussi différents que la glace et le feu… Elle n’a jamais été si loquace et je l’écoute sans piper mot pendant plus d’une heure. Je sais qu’elle ne me dit pas tout et en fait ça m’est bien égal, elle me parle enfin d’un passé qu’elle m’a caché pendant toute ma vie. C’est la seule chose qui compte à mes yeux. Au fur et à mesure, une intense émotion la submerge. Ses yeux vert se voilent, sa respiration s’accélère, comme si elle revivait les scènes de son passé. La profondeur de son récit est troublante. Elle n’y mettrait pas plus d’intensité si elle était en train de le vivre. Prise par son récit, elle n’est plus ma

mère, elle est redevenue la jeune Angelina, étudiante en arts, qui découvre le monde avec un émerveillement juvénile. Elle discourt longtemps, ponctuant son monologue de profondes inspirations où elle peine à retenir ses larmes. Quand le silence reprend ses droits, elle me dévisage avec une expression incertaine. Comme si elle redoutait ma réaction. Émue, je lui souris et ses épaules se relâchent, comme si mon attitude lui ôtait un fardeau des épaules. Avant que je n’aie eu l’opportunité de parler, elle conclut sa description par une phrase surprenante − Sois prudente, ma chérie.

Il y a quelque chose dans sa voix qui me fait frissonner. Et j’opine sans vraiment réfléchir. Son visage reprend son expression affectueuse habituelle et elle ne m’en dira pas davantage. Pour être honnête, je doute d’être capable d’en entendre plus, même si ses révélations m’ont soulagée d’un poids que j’ignorais porter. Je m’approche d’elle et la prends dans mes bras. − Je te le promets, tout va bien se passer. Merci, Maman. − De rien, mon cœur, j’espère que tu as raison.

Nous restons ainsi dans les bras l’une de l’autre pendant un long moment, jusqu’à ce que l’arrivée de Mark interrompe nos si rares effusions. Pendant le repas, alors que nous mangeons dans un silence confortable, je repense à toutes ses confidences et j’en suis encore toute abasourdie. Je veux croire qu’avec le temps elle parviendra à me dire ce qu’elle retient encore. Vers vingt-deux heures, épuisée, je fais mes adieux à Mark et pars me coucher sans demander mon reste. Je m’endors comme une masse au moment où ma tête s’écrase sur mon oreiller.

Chapitre 10 Braden Samedi 27 juin en soirée, New-York Il est dix-neuf heures trente, Gérald ne va pas tarder. Je ne sais pas ce qu’il a imaginé mais je sais par avance que ça ne va pas me plaire. Les minutes défilent lentement, très lentement. Quand il arrive enfin avec vingt minutes de retard, j’ai eu le temps d’arpenter la chambre et le salon attenant dans tous les sens. Il sait que je déteste attendre mais il

s’en moque. C’est sa façon de me ramener les pieds sur terre, me rappelant ainsi que je ne peux pas toujours tout contrôler. Et bien entendu ce qui le comble particulièrement, c’est de me contredire. D’ailleurs, il agit ainsi pour presque tout ce qui me concerne et ceci depuis le jour de notre rencontre vingthuit ans plus tôt. Cette journée mémorable a marqué le début d’une amitié franchement improbable. Les contraires s’attirent, c’est sans aucun doute la phrase clef quand nous évoquons notre camaraderie. Tout nous sépare à commencer par nos familles. Il est devenu orphelin très jeune. Sa mère

est morte alors qu’il n’avait que trois ans et il n’a jamais connu son père. Il a été baladé de foyers en familles d’accueil où il a subi des tas de choses odieuses que nous n’évoquons jamais. J’en suis malade rien que d’y penser. Un autre que lui aurait sombré dans l’alcool ou la drogue. Mais pas Gérald. Il a toujours gardé la tête haute et une combativité hors norme. C’est cette force qui lui a permis de me sauver la vie alors que nous n’avions que six ans. J’avais fait un malaise après une insolation dans l’étang où nous campions cet été là avec mes parents. J’aurais pu mourir dix fois. Pourtant, je m’en suis sorti et c’est uniquement grâce à lui. Il a hurlé jusqu’à donner l’alerte. Sa rapidité et son courage m’ont maintenu

suffisamment longtemps hors de l’eau pour qu’un adulte vienne l’aider. Depuis ce jour, nous sommes comme deux frères. Je suis convaincu que nous étions destinés à nous rencontrer. Sinon, par quel heureux hasard aurions-nous pu nous retrouver sur le chemin l'un de l’autre ? Surtout quand on sait que rien dans nos vies respectives ne nous y prédestinait. Moi, issu de la couche plutôt aisée de la société de Baltimore et lui natif de ses bas-fonds. Outre nos origines sociales très différentes, nos fréquentations allaient évidement de pair. Tandis qu’il se confrontait régulièrement à des criminels sans scrupule, j’ai été relativement épargné, au moins dans ce domaine. Ce

qui est sûr, c’est que nous rencontrer a été un élément déterminant de nos vies. Sans l’aide de ma mère, nous n’aurions jamais pu rester amis pendant toutes ces années. Elle nous a toujours soutenus, facilitant nos rencontres et mettant tout en œuvre pour lui donner une chance de s’en sortir. J’ignore si l’affection qu’elle éprouvait à son égard était liée ou non à son acte de bravoure, mais il a toujours eu une place particulière dans son cœur. Mon père, par contre, trouvait tous les prétextes pour le dénigrer. Même quand il a décidé de faire l’école de police et qu’il est sorti major de promotion, il a encore trouvé le moyen de le déprécier. Heureusement, son opinion n’a en rien

entamé notre amitié, au contraire. Nous nous voyons trop peu et pour palier à la situation, il a décidé d’organiser cette soirée. Objectif : fêter mon déménagement sur New York. Il y réside depuis trois ans et, le connaissant, il doit en avoir repéré la moindre parcelle. Même si mon choix de venir ici n’a pas été dicté par sa présence, je dois reconnaître que je suis ravi que nous ayons la chance de nous voir un peu plus. Tout serait parfait si nous avions la même conception d’un moment de détente. − Salut, l’affreux, tu as l’air au bord de l’explosion ! − Il faut dire que tu as un tel sens de la ponctualité !

− Ne commence pas tes jérémiades, on va faire une fête à tout péter. − Qu’est ce que tu as prévu ? − Je vais te faire découvrir tous les coins chauds bouillants des environs. Mais d’abord, on va casser la croûte, j’ai la dalle. − Je suppose que tu ne me laisses pas le choix, dis-je en soupirant. Il a haussé un sourcil moqueur et je poursuis, dépité : — Va pour ta soirée de débauche mais on se fait un bon resto avant. J’ai rien avalé depuis sept heures du mat’ et j’ai l'estomac dans les talons. − Pour sûr, t’as pas le choix, et pour le

casse-dalle je suis d’accord, mais puisque tu me contraries, c’est toi qui paies. − Je n’envisageais autrement.

pas

la

chose

Nous descendons dîner dans le restaurant de l’hôtel. Comme si nous nous étions quittés la veille, la conversation bat son plein. Il commence par me raconter – en gros – la soirée. Comme je m’y attendais, je vais avoir mal au casque demain. Toujours à l’affût d’infos croustillantes, il grappille des nouvelles sur la progression des travaux. Il s’attarde avec plus d’attention sur son domaine de prédilection, la sécurité, pour laquelle il me donne des conseils avisés.

Grâce à son aide, je n’ai eu aucun mal à obtenir les autorisations nécessaires pour l’ouverture de mon restaurant. Je n’ai eu qu’à lui parler du projet et il m’a orienté vers les bonnes personnes. Il m’a permis d’économiser un temps précieux. Quand je le lui ai fait remarquer, il m’a répondu que je lui avais sauvé la mise tellement de fois que c’était le minimum qu’il pouvait faire. Foutaises ! Je sais qu’il préfère juste éviter de s’engager sur cette voie. Il déteste être mis en avant. Pour couper court, il me branche sur la soirée de la veille. Je commence alors à lui raconter ma rencontre avec Mlle Foussette. Je lui explique les grandes lignes du concept. Il me pose des tas de questions sur leurs idées pour la mise en

œuvre. Quand je conclus sur le sujet en disant que j’ai pris l’engagement d’y réfléchir, il me regarde, l’air surpris. − Je n’aurais pas cru qu’un tel projet pourrait retenir ton attention. Tu méprises la télé-réalité et tu réfléchis à y participer ? Alors là, tu me la coupes ! C’est encore une histoire de gonzesse ? La poulette t’a fait son speech et tu lui as fait le reste ? − Tu es vraiment le roi des cons, Gérald. Je n’ai pas une bite à la place du cerveau. − Tu parles, je suis certain que c’est encore une de ces poulettes que tu aurais pu mettre dix fois dans ton lit ! Et que ton sens de l’honneur t’a encore ordonné de laisser filer. C’est toi, le roi des cons.

− Si seulement c’était si simple ! − C’est toi qui compliques les choses avec ton respect sans borne pour la gente féminine. Prendre son pied avec une fille qui ne demande que ça, je ne vois pas vraiment ce qu’il y a d’alambiqué làdedans ! Et pour aggraver la situation, tu n’arrives pas à décrocher d’une chimère qui te vole jusqu’à l’envie d’en culbuter une autre. Tu as pensé à consulter ? Mais bon sang, qu’est-ce qui m’a pris de le lui raconter ? Comme si ce n’était pas suffisamment compliqué sans qu’il vienne y fourrer son nez ! − Ça t’ennuierait si, pour une fois, nous évitions le sujet ? Je n’ai pas l’intention de te raconter quoi que ce soit la

concernant. Et pour ce qui est de consulter, j’y ai pensé et je l’ai fait. Mais quand on est cinglé, il n’y a rien à faire. − Si tu crois échapper au descriptif détaillé, tu te fourres le doigt dans l’œil. J’ai bien l’intention de mettre le feu au dance-floor ce soir. Pour être chaud bouillant, il suffit que tu me parles d’elle. Mes propres fantasmes s’emballent et je suis prêt à dégoupiller. Alors crois-moi, l’affreux, tu ne vas pas y échapper ! Alors que nous sommes encore installés au bar, attendant une table, il rappelle le barman d’un geste pour la troisième fois depuis notre arrivée. Tandis que ce dernier s’exécute et nous sert une nouvelle tournée de whisky, je ne peux

pas m’empêcher de mettre fin à cette parodie de discussion. − Tu es le pire pervers que je connaisse. Fais appel à tes mains et ton imagination, c’est tout ce que tu auras. Il éclate de rire et, d’un mouvement, me met au défi de l’accompagner pour boire notre verre cul sec. C’est confirmé, la soirée va être interminable. Quand nous sortons du restaurant vers vingt-trois heures trente, nous sommes déjà passablement éméchés. Heureusement nous avons mangé, sinon je serai déjà ivre mort. Avant de passer à table, j’avais donné des consignes au maître d’hôtel pour qu’il nous appelle un de ses chauffeurs. Précaution plus

qu’indispensable au regard de notre état. Gérald, nettement plus alerte que moi, glisse un billet au conducteur pour qu’il vienne nous récupérer dans trois heures. Autant dire une éternité ! Il a évoqué cet établissement en début de soirée, mais s’est abstenu de me préciser qu’il s’agissait d’un club de strip-tease. Rien que la devanture tape à l’œil me rebute et me donne envie de m’enfuir à toutes jambes. Les hôtesses dont la tenue est artistiquement peinte sur leurs corps ne font rien pour me rassurer. Je devrais être aux anges comme n’importe quel type. Sauf qu’à cet instant, ce n’est pas du tout ce que j’éprouve. Pour accentuer mon malaise, il a organisé une petite séance

privée de pole-dance pour laquelle il ne va pas me laisser me dérober. Je suis coincé. J’ai arrêté de le suivre dans ses paris débiles mais je sens que l’alcool ingurgité suffit déjà largement, pour ne plus être totalement maître de mes actes. Il a raison, je suis le roi des cons. Je sais sur quelle pente glissante il m’emmène et je le laisse faire. Si encore ça me soulageait ! Mais bien sûr que non, je me sens encore plus minable! Et lui, il exulte, entouré de femmes qui se trémoussent. Au bout de quelques minutes, une des hôtesses me conduit dans un salon privé. En quittant ma chaise, j’adresse un regard assassin à mon pote, bien trop absorbé

par les fesses d’une des danseuses pour s’en apercevoir. Je ne peux même pas m’éclipser, il serait bien trop fier de confirmer sa théorie selon laquelle je suis bon à enfermer. Arrivé dans une petite alcôve sombre, elle m’incite à m’asseoir sur l’un des fauteuils dans le fond de la petite pièce. Au centre de cet espace confiné, à deux pas des canapés rouges sombres, une barre verticale se dresse fièrement. Je suppose que c’est là que la jeune femme va faire son cirque. N’importe quel type se damnerait pour une séance de ce style. Tandis que moi, en total abruti, alors que rien ne m’en empêche, je n’ai qu’une envie : me faire la belle. Les vapeurs d’alcool troublent mes pensées. Pourtant,

dans ce chaos intérieur, un sentiment étrange de culpabilité reste perceptible. Plusieurs minutes s’écoulent dans un calme relatif. Seules quelques bribes me parviennent de l’autre côté du rideau. Puis plus rien. Alors, un son très doux commence à emplir l’espace. J’entends une porte s’ouvrir derrière moi. Je ne bouge pas, ferme les yeux pour calquer les battements effrénés de mon cœur au rythme de la musique. Un courant d’air frais passe furtivement à proximité, mais je continue obstinément à me concentrer sur la mélodie. C’est très surprenant d’entendre un concerto de piano aussi agréable dans ce genre d’endroit. Le tempo s’accélère progressivement. Mes autres sens, aiguisés par la perte de la

vue, perçoivent de mieux en mieux les mouvements sur la barre devant moi. Je sursaute et ouvre les yeux quand je sens une main frôler la mienne. Une jolie femme blonde me regarde en souriant. − J’en ai croisé des tas de gars ici, mais tu es le premier qui préfère écouter la musique plutôt que me regarder. − Je suis désolé, je ne suis pas très à l’aise dans ce genre d’endroit, sans vouloir vous vexer. − Pas de soucis, mais ton ami a choisi la formule grand luxe avec supplément. Et j’ai bien l’intention de lui en donner pour son argent. Alors tente d’en profiter. Puis un ton plus bas comme si elle se

parlait à elle-même, elle rajoute : − En plus, pour une fois que je peux danser devant un étalon, je ne vais pas m’en priver. Ce qui est censé être un compliment me fait l’effet d’une baffe. Tu parles d’un étalon ! Il court après un rêve ! Je lui retourne son sourire pour donner le change. Elle recommence alors à bouger au rythme régulier de la musique. D’abord des rotations lentes, elle glisse ensuite ses longues jambes fines autour de la barre, tout en continuant à tournoyer. Elle effectue ses gestes avec précision et sensualité. Entre certains arcs de cercle, elle s’arc-boute avec volupté en

remontant, se caresse sensuellement les jambes puis les cuisses, son ventre ferme et ses seins. Tout son corps accompagne chacun de ses mouvements avec une lenteur exagérée. Elle me regarde intensément. Tout en se rapprochant de moi, elle délaisse sa barre et poursuit ses extravagances par une séance de lap dance très suggestive. Elle pose ses mains sur mes cuisses et commence à se déhancher, monte, descend puis remonte. Elle effleure mon sexe avec ses fesses, probablement pour évaluer mon excitation. Je ne vois pas son visage mais je sens sa déception. Elle poursuit ses gestes langoureux, en frôlant ma mâchoire avec ses seins. Elle passe même sa main

sur mon torse, frôle mes mains avec la paume des siennes. N’importe quel type tenterait de l’attraper, de la toucher, de l’embrasser mais je reste là, incapable de bouger un cil. Il y a vraiment quelque chose qui ne tourne plus rond chez moi. Le temps me semble ralenti dans cet espace réduit. Elle fait vraiment tout son possible pour que je m’intéresse à elle. Mais rien n’y fait. Je ne peux retenir un soupir de soulagement quand la musique s’arrête enfin et qu’elle s’éloigne. Je sais que je l’ai blessée. Je l’ai senti quand elle a cessé de me regarder. Elle sort sans même m’accorder un regard. Je reste assis pendant un long moment, encore sous le coup de ma faiblesse. Finalement,

je me décide à me secouer lorsque j’entends du bruit dans le couloir. Quand je retourne dans la pièce principale, Gérald n’a pas bougé un orteil et remarque à peine mon retour. Sans se tourner, il lance : − Alors, heureux ? J’ai envie de le cogner, ce con. Il l’a fait exprès ! Je sais qu’il veut me montrer à quel point tout cela est ridicule. Comme si je ne le savais pas ! Il sait exactement ce qui s’est passé et il jubile. − Connard. Un sourire espiègle s’épanouit sur son visage. − Quand je te le dis qu’il te faut te faire

soigner ! Tu es vraiment irrécupérable ! − Ca va ! On peut y aller maintenant que tu m’as humilié ? Ou tu n’as pas encore ta dose de déhanchements dénudés ? − Va boire un coup, ça te fera patienter. Tu as encore plus d’une heure à tuer ! − Va te faire voir, je rentre ! Comme ça tu pourras profiter de ta soirée ! − Arrête de jouer les vierges effarouchées, bon sang ! Vis ! Là, tu es dans la réalité, pas dans tes rêves, Brad. Elles ont toutes les yeux rivés sur toi et tu ne les vois même pas. Secoue-toi, mon pote, ça ne peut plus durer ! Et puis si tu pars, qui va les appâter ? − Tu es le pire emmerdeur que la Terre

ait porté. Tu n’as pas besoin de moi pour les attirer, secoue-toi un peu, traite-les avec respect, arrête de te fringuer comme un ado et elles devraient finir par te remarquer ! Mon ton sarcastique le fait quitter des yeux le fessier provoquant de la jeune femme. − Allez, accorde-moi encore cinq minutes et on décolle. Je peux le traiter de tous les noms d’oiseaux si ça me chante, il ne cillera même pas. Mais si je hausse le ton ou que mon intonation devient agressive, il arrête net toutes ses expériences débiles pour redevenir mon ami le plus fidèle.

Il me le prouve encore une fois. Je vais l’attendre dehors, j’étouffe dans cette ambiance. Je suis encore trop imbibé d’alcool pour envisager de rentrer à pied et franchement, c’est bien dommage. J’ai beau m’en vouloir de lui avoir gâché la soirée, je ne désire qu’elle. Qu’est-ce que j’y peux ? C’est triste, mais à part avaler une double dose de pilule bleue, je ne vois pas comment monter la tente autrement. Le pire, c’est qu’une simple référence à ma belle suffit à réveiller mon compagnon de route. Suis-je contraint de vivre éternellement cette histoire impossible ? Ai-je seulement envie de vivre autre chose ?

J’attrape mon portefeuille pour appeler le chauffeur de l’hôtel et tombe sur la carte du taxi mélomane. Maintenant je sais comment rattraper la soirée. Je passe le coup de fil et attends que mon ami daigne me rejoindre. Quand il sort dix minutes plus tard, il a le sourire aux lèvres. − Ça, c’est de la soirée ! − Enfin pour toi sans aucun doute ! Petit changement de programme pour la suite. − Pas question qu’on rentre se coucher comme les poules, il n’est que deux heures du matin et la nuit est à nous ! − Je n’ai pas l'intention d’aller me vautrer dans mon lit, même si ce n’est pas l’envie qui m’en manque ! Je te propose autre

chose d’un peu différent. − Musique et poulettes ? − Musique oui, filles non. De toute façon, vu ta consommation d’alcool, tu serais incapable de satisfaire même les moins exigeantes. − Parle pour toi ! Frigide. − Ferme-là pour une fois et fais-moi confiance. Tu sais que je ne me trompe jamais en matière d’activités ludiques. Il s’amuse comme un gosse, je le vois aux éclats qui barrent ses yeux joueurs. Il râle pour m’agacer et me faire sortir de mes gonds, mais il sait pertinemment quel bouton appuyé pour me faire réagir. Dans la cacophonie propre aux nuits new-

yorkaises, je commence à distinguer une musique qui me parle. Lui n’a encore rien entendu. Quelques secondes plus tard, ses mains commencent à jouer sur sa cuisse au rythme prenant du djembé. Quand il voit le taxi s’arrêter devant nous, il éclate de rire et, tout en grimpant dans le véhicule, il me regarde et me dit d’un timbre solennel : − Je te déclare, définitivement, patron des nuits de folie à New York. − J’étais certain que ça te plairait. En m’asseyant, je m’adresse au conducteur apparemment ravi de me voir : − Salut, man !

− Salut, mec, content de te revoir aussi vite ! J’étais sûr que tu allais me rappeler. Quand on aime ces rythmes, on ne peut pas s’en passer. Je vous conduis où les gars ? Sans me laisser le temps de répondre, Gérald lui répond : − Où tu veux et aussi longtemps que tu le souhaites, c’est lui qui paie. Une petite chose sans importance, je suis flic et je n’ai pas franchement envie de bosser ce soir alors évite la fumette. Je vois Bob sourire dans le rétroviseur et sans hésitation, il répond : − Aucun souci pour moi, man ! De la musique, rien que de la musique, et

jusqu’au bout de la nuit. Dans trois heures je finis mon service alors profitons de ce temps de pur bonheur dans les rues de New York. Les portes closes et le son au zénith, les mélodies inondent l’habitacle et décuplent notre plaisir. Les baffles tremblent et nos corps vibrent au même rythme. Nous roulons ainsi pendant des heures qui me semblent ne durer que quelques minutes. Et lorsqu’il nous dépose devant mon hôtel, je suis sidéré que les trois heures soient déjà écoulées. Gérald est encore en transe quand nous quittons le véhicule. J’ai payé largement la course et remercié le chauffeur. − De rien, man, c’est un plaisir, tu reviens

quand tu veux, je serai toujours à ta disposition ! Entre frères de rythme, on se serre les coudes ! Quand le taxi s’éloigne, Gérald sort enfin de sa phase d’extase. − En plus de replonger quinze ans en arrière, j’ai pris un pied d’enfer, Brad. Presque aussi bien qu’une nuit avec deux poulettes simultanément. − Tu n’es qu’un pervers mais le plus dramatique, c’est que je comprends parfaitement ce que tu ressens. − Finalement tu auras pris ton pied ce soir... − Je ne t’ai pas dit que j’avais ressenti la même chose. Je pense que la discussion

va s’arrêter là pour ce soir. Tu tiens à peine debout, tu dors ici. Pas question que tu repartes dans cet état. Sans vraiment se faire prier, il m’accompagne jusqu’à l’étage. Il est tellement saoul qu’il manque de nous faire tomber deux fois. Il déambule dans les couloirs en chantant à tue-tête. Si nous ne finissons pas à la rue, nous aurons de la chance. Épuisé, enivré, il s’effondre sur le canapé tout habillé. Ses ronflements envahissent le salon et la chambre. Ça va être difficile de trouver le sommeil, avec ce train intermittent dans la pièce d’à côté. Pourtant, je suis tellement à bout de force qu’en posant mon coussin sur la tête, je sombre rapidement à mon tour.



Chapitre 11 Braden Dimanche 28 juin, New York J’ouvre un œil et regarde machinalement mon réveil : il est dix-sept heures. Il faut plusieurs secondes pour que l’information atteigne mon cerveau embrumé. Quoi ? Dix-sept heures ! J’ai dormi douze heures consécutives ! Oh merde ! Impossible de me rappeler de la dernière fois où ça m’est arrivé. Le plus dramatique, c’est que j’ai beau avoir

dormi une demi-journée, je ne me sens pas reposé, mais plutôt complément vide. Quand le voile de sommeil se lève, je réalise que mon malaise n’a rien à voir avec l’épuisement. Je n’ai aucun souvenir de cette nuit et ce n’est absolument pas normal d’autant que cela signifie que je ne l’ai pas rejointe elle. En six mois ce n’était jamais arrivé, pas une seule fois. Au lieu d’en être heureux, et enfin apaisé d’en être débarrassé, j’éprouve un mélange équivoque de frustration et d’angoisse. Je suis perdu. Elle est devenue une composante immuable de ma vie. Celle vers qui je me tourne pour trouver un refuge, un apaisement. Si elle disparaît, je

n’ai plus rien pour lequel me battre. Je suis condamné à errer sans but précis, sans inspiration. Elle est ma moitié. Mon complément. Mon équilibre. J’ai peur et ça me paralyse. Je rassemble le peu de contrôle qu'il me reste et m'assois au bord du lit. − Mais qu’est-ce qui t’arrive, Brad ? Quelqu’un est mort ? C’est la voix de Gérald qui me ramène au présent. Pourtant je ne lui réponds pas de suite. J’ai conscience d’être ridicule, pourtant je suis incapable de me contrôler, c’est comme si un morceau de mon moi s’était volatilisé. Ne me voyant toujours pas réagir mon

camarade, commence à paniquer et me secoue avec plus de virulence. − Brad, bon sang ! Tu vas me répondre ! Qu’est-ce qui t’arrive ? Je ne t’ai jamais vu comme ça ! Tu es blanc comme un linge. Tu as l’air d’avoir croiser un fantôme. Dis quelque chose, Merde ! Sa supplique finit de me faire sortir de ma léthargie. Conscient que ma réaction doit paraitre incompréhensible, je lui explique ce qui me met dans cet état. Je le vois reprendre des couleurs. Puis la consternation prend le relai de l’inquiétude, quand il comprend de quoi je parle. − Tu te fous de ma gueule ! Tu viens de me faire la peur de ma vie parce que tu

n’as pas rêvé de ton mirage. C’est une blague ! Brad, tu es vraiment malade, il te faut te faire soigner, mon pote. Ce n’est qu’un rêve, une illusion. Même si elle te fait prendre un pied d’enfer, ce n’est pas réel. Je n’en reviens pas que tu te mettes dans un tel état ! − Je sais très bien que ça te semble idiot. Mais ce truc que je vis c’est si… réel, je ne peux pas l’expliquer, c’est au-delà des mots. Et là, j’ai juste l’impression qu’on vient de m’arracher un bras sans anesthésie. J’ai mal, putain ! À en crever, Gérald ! Je me rends compte que c’est ridicule mais c’est incontrôlable… − Braden, stop ! Ressaisis-toi ! Merde ! Arrête tes conneries ! Tu nous fais quoi là

? Ce n’est pas toi ça. Tu es le mec le plus fort que je connaisse. Même quand ta mère nous a quittés, tu as fais face, en tenant ta famille à bout de bras. Tu vas te lever, bordel, prendre une douche, boire un bon café et te bouger le cul ! Debout ! Contraint de me reprendre, je me mets en mouvement et rejoins la salle de bain. Sous le flot de la douche froide, mes yeux se mettent à me brûler et pour la première fois depuis une éternité, je pleure comme un gosse. J’ai été élevé dans le culte de l’homme fort qui ne montre jamais ses émotions. Mais je suis incapable de les réprimer, c’est comme si toutes les larmes que j’ai contenues pendant des années se déversaient d’un seul coup.

Incapable de les apaiser, je les laisse s’écouler en espérant qu'elles inonderont le trou béant que son absence crée dans mon âme. Elles finissent par se tarir, quand je prends une décision. Je dois la retrouver et ça ne pourra se faire qu’en me débarrassant de Gérald. Ça ne va pas être simple avec la scène à laquelle il vient d’assister. Revigoré par la perspective de la rejoindre, je sors rapidement de la douche, m’habille et sors éjecter manu-militari mon meilleur ami. Quand je le rejoins, il est installé dans le salon, un café noir à la main. Son visage tourmenté s’apaise quand il voit ma mine ragaillardie. Mais je sais qu’il n’est pas dupe et que ça ne va pas suffire pour le

convaincre que je me sens mieux. Je sens qu’il observe chacun de mes gestes tandis que je traverse la pièce d’un pas décidé. Résolu à donner le change, et même si j’ai la nausée, je me sers une grande tasse de drogue noire et prends un pancake. Je joue la comédie, feignant d’avoir repris le contrôle de mes émotions. Nous n’échangeons pas une seule parole et je m’applique à faire patte blanche, pour lever ses inquiétudes. Je n’ai pas l’intention de lui fournir des raisons pour s’incruster. Conscient que je dois jouer avec finesse et que le silence ne m’aidera pas, j’engage la conversation.

− Tu avais raison, rien ne vaut une bonne douche et un café pour retrouver ses esprits. − Et c’est tout ? Tu crois que je vais gober ce que tu me racontes sans moufter ? − Tu n’as jamais eu de moment de faiblesse ? Il n’y a pas de quoi fouetter un chat, ça arrive à tout le monde ! Ma réaction était parfaitement ridicule mais j’ai retrouvé mes esprits. À ces paroles, ma gorge se serre mais je me force à continuer sans rien laisser paraitre. − Je viens de te prouver que je ne suis qu’un colosse aux pieds d’argile. Alors

laisse-moi le peu de dignité qu'il me reste et évitons d’aborder le sujet. Ça fait longtemps que tu es réveillé ? − Une bonne heure. Il me jauge, je sais qu’il essaie de comprendre ce revirement de situation. Mais pas question de lui accorder cet avantage qui pourrait faire basculer la partie. − Tu aurais dû me réveiller, j’ai plein de choses à faire. Je n’ai pas le temps de prendre une journée à flemmarder. − Fais ce que tu as à faire, je n’ai rien d’urgent à gérer aujourd'hui. Et merde ! Je n’ai pas dû être aussi convainquant que je le pensais. Sans

baisser ma garde, je m’attelle à mes activités habituelles. Et pas de chance pour mon équilibre mental, aucune catastrophe n’est à déplorer. Je n’avais d'ailleurs pas prévu de les appeler aujourd’hui. Tandis que je m’affaire, il ne me quitte pas des yeux, analyse la moindre de mes réactions. J’ai l’impression d’être en train de passer des examens. C’est exaspérant ! Pendant une heure, je fais ce qu’il faut, mais j’arrive aux bouts de mes possibilités. Voyant qu’il n’a toujours pas l’intention de partir, je lui propose d’aller visiter le chantier. Comme c’est à deux pas, il accepte volontiers. La visite nous prend une bonne heure de plus. J’ai l’impression que les minutes s’étirent en

longueur. J’atteins le paroxysme de l’agacement quand il décrète à dix neuf heures trente que nous allons manger ensemble. Je n’ai pas la possibilité de refuser, il se servirait de cette excuse pour rester. Alors nous dînons une nouvelle fois au restaurant de l’hôtel. Je dévore le repas sous son œil suspicieux. Sans faire mine de le remarquer, je relance les sujets de conversation en faisant particulièrement attention aux thèmes choisis. Vers vingt-deux heures, il se décide enfin à lever le camp. Je vois bien qu’il hésite mais je ne lui laisse pas l’opportunité de revenir sur sa décision. − On s’appelle en fin de semaine, Gérald.

Avant ça risque d’être un peu animé entre mes rendez-vous, le restaurant et ma soirée au Blue Even. − J’ai très bien compris que tu veux la rejoindre Braden. Tu crois qu’après presque trente ans d’amitié, tu peux encore me rouler dans la farine ? Je veux juste être sûr que le jeu en vaut la chandelle. Te voir si désemparé ce matin, je… je n’ai pas de mot pour ça. Tu es persuadé que j’ai une force et une volonté à toutes épreuves. Tu n’as jamais voulu entendre que c’est toi qui me les as toujours inspirés. Sois prudent vieux ! L’émotion dans sa voix, ses yeux luisants et ses paroles me laissent prostré. Sans me laisser le temps de répondre, il tourne

les talons, hèle un taxi. Au moment, où il s’installe dans le véhicule, il me crie : − On s’appelle en fin de semaine, Brad ! Le taxi s’éloigne, je reste sans réaction quelques secondes encore, puis l’espoir de la voir reprend le dessus. L’urgence est si vive que faire le pied de grue devant l’ascenseur est insupportable. Du coup, je remonte aux pas de course les dix étages de l’hôtel. J’arrive dans ma chambre à bout de souffle, et me précipite sur mon lit. Malheureusement, vouloir et pouvoir sont deux choses bien différentes et il me faut bien une heure pour trouver le sommeil.

Chapitre 12 Jadde Lundi 29 juin, Sud ouest de la France Installée dans mon lit, je sens sa peau brûlante contre la mienne. Mais la joie de le retrouver est si intense qu’elle occulte toute autre idée cohérente. Il glisse sa main sur mon ventre et me serre contre lui. Dans son geste transparaît toute la force de son désespoir. Il chuchote à mon oreille alors que son souffle chaud me donne des frissons :

− Oh, mon amour, j’ai cru t’avoir perdue ! Je sais exactement ce qu’il ressent. La même souffrance m’a brûlée le cœur au fer rouge. Pourtant, je m’étais presque fait une raison, comprenant d’instinct que le laisser partir était certainement ma seule chance de salut. Aucun mot n’est assez fort pour exprimer le bonheur que je ressens quand il me tient ainsi, c’est comme si mon âme avait enfin retrouvé son chemin pour faire de moi un être à part entière. Sentir son odeur, son souffle chaud dans mon cou, anime la bête de désir qui sommeillait en moi. Il doit le sentir parce qu’il raffermit son étreinte, finissant d’éveiller mes sens au passage.

De mon côté, je me retourne et je pose une main dans sa nuque, la seconde au creux de ses reins tandis que nos membres s’entremêlent. Je serai bien incapable de déterminer où commence son corps et où finit le mien. Tandis que mes doigts progressent en douceur dans leur lente exploration, la scène devient floue et pour la première fois, même si je perçois toutes les sensations, j’ai du mal à réprimer ma frustration. J’aurais aimé pouvoir assouvir mon besoin de lui. Ses mains sont partout et nulle part, je vis le plaisir et le lui offre mais je ne contrôle aucun geste. La tension monte dans mon bas ventre, mon cœur s’accélère et je vacille déjà au bord du gouffre.

La scène reprend ses formes tandis que nous échangeons encore des baisers passionnés. Mes doigts encadrent son magnifique visage tandis que, les yeux fermés, il se livre, docile, à mon exploration. Comme un aveugle à la recherche de son chemin, je passe mes phalanges sur chaque courbe de son menton tandis que nos bouches affamées continuent de se dévorer. Quand, à bout de souffle, elles se détachent, c’est nos mains qui prennent le relai, toujours plus avides. Je découvre même des détails insignifiants qui m’avaient échappé. Je n’aurais jamais cru cela possible, mais je décèle une petite cicatrice le long de son

arcade. Infime détail que je bénis de découvrir. Mes doigts la touchent avec précaution comme pour l’intégrer dans mon schéma mental. Elle est si fine que je la sens à peine. Je goûte tout juste à ses délices que l’état cotonneux m’envahit à nouveau. J’en pleurerai d’impatience. Pourtant je me laisse à nouveau submerger par ce plaisir démesuré qui me fait défaillir. Certaines perceptions sont plus vives que d’autres : sa musculature contractée soumise au caprice de mes ongles quand je l’incite à accélérer ses coups de reins ; ses cris incontrôlables lorsque mon sexe enserre le sien et cette jouissance si vive qu’elle emporte nos âmes par-delà les

étoiles. Puis le voile se dissipe et, lentement, je reviens à la réalité de nos corps enchevêtrés. Assouvie et sereine, je sombre dans un sommeil apaisant. Lorsque le réveil sonne, j’ouvre les yeux. Les souvenirs de cette nuit sont marqués dans mon esprit à l’encre indélébile. Comme toujours, mon lit ressemble à un champ de mine mais je me sens si bien que j’y prête à peine attention. Dans un petit coin de ma tête, je perçois toujours cet étrange sentiment de culpabilité. Mais comme je n’ai ni le temps ni l’envie d’y réfléchir, je le repousse aussi loin que possible, bien trop heureuse pour me laisser parasiter.

La journée va être longue et chargée entre la route, le vol puis l’installation et nous allons cumuler la fatigue. Pour autant, je suis impatiente de rejoindre mes amies afin de me lancer dans cette nouvelle aventure. Heureusement, après le doute vient la détermination. Aussi, lorsque je prends une décision, j’avance coûte que coûte. J’admets volontiers que la présence rassurante de mes amies m’aide à rendre la perspective de ce voyage presque attrayante. — Allez, ma grande, on se secoue ! énoncé-je pour moi-même tout en me levant d’un bond. En avant, toute ! Le soleil chasse à peine l’obscurité quand

je descends dans la cuisine. Ma mère, déjà debout, m’a préparé des crêpes, histoire de s’occuper en m’attendant. − Bonjour, ma chérie, bien dormi ? − Oui, comme un charme. Notre discussion d’hier m’a fait un bien fou, je n’avais pas dormi aussi bien depuis une éternité. Un peu gênée par ce que je m’apprête à lui dire, je baisse les yeux et ma voix s’étrangle presque dans ma gorge : − Merci, Maman, de m’avoir confié un peu de nos origines. Je sais très bien que ça n’a pas été facile. Je te promets d’être prudente. Quand nos regards se croisent, j’aimerais

lui dire combien je l’aime mais rien ne sort, alors je me contente de lui sourire. Elle a compris et me serre dans ses bras. − Non, ça n’a pas été facile, ma chérie, et je suis encore surprise d’y être parvenue. Mais j’ai trop longtemps repoussé cette discussion, peut-être que je parviendrai un jour à te raconter le reste de notre histoire. − Ce jour-là, je serai prête à t'entendre, Maman. Ne te fais aucun reproche, je ne sais pas si j’aurais été capable de t’écouter plus tôt. − Ne commençons pas à faire dans le sentimentalisme sinon je ne vais pas réussir à me contenir bien longtemps. Mange, ma chérie, tu vas avoir besoin

d’énergie pour cette nouvelle aventure. Pour alléger l’ambiance, je m’attable et commence à raconter ma mésaventure de la veille avec Eddy. Je sais très bien que je vais atteindre mon objectif. Ma mère est fan de mon ami. Elle est tombée sous son charme dès leur première rencontre. Je les soupçonne même de se téléphoner régulièrement. En tout bien tout honneur bien entendu, ma mère n’a rien d’une cougar. Une profonde affection est née entre eux et j’en suis ravie. À la fin de l’anecdote, elle est presque hilare en l’imaginant débiter sa série d’excuses. La diversion a parfaitement réussi et nous rions aux éclats pendant que je termine mon petit-déjeuner.

L’heure de prendre la route arrive bien trop vite et c’est en évitant consciencieusement de me retourner que je m’éloigne de ma mère. Je refuse qu’elle me voit pleurer et encore moins d’emporter cette image d’elle. Alors j’agite juste mon bras à la fenêtre et m’éloigne rapidement. C’est étonnant comme ce départ à un goût de définitif. Cette sensation inédite me laisse un goût amer. Sans doute suis-je influencée par les angoisses étranges de ma mère qui m’affectent plus qu’elles ne le devraient. Le trajet se déroule sans encombre. Grâce à cette petite avance, j’ai le temps d’avaler un café sur le pouce en attendant les filles. Une vraie bénédiction !

Quand elles arrivent vingt-cinq minutes plus tard, je suis incapable de retenir mes rires devant une Sofia croulant sous les bagages. Elle prend un air offusqué se qui relance mes rires de plus bel. − Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi ? C’est suffisant avec Meg qui riait tellement que tout le monde s’est retourné quand je suis sortie du taxi. Du coup je l’ai plantée devant l’entrée. − Pardon, mais ton sens m’étonnera toujours.

pratique

− Je déteste être prise de court. − Dans la mesure où tu as dû emmener les trois quarts de tes affaires, ça ne risque pas d’arriver.

− Très drôle ! Et tu veux le meilleur ? Je ne sais même pas si je n’ai pas oublié mon passeport. − Ah, Sofia ! Si on ne t’avait pas, il faudrait t’inventer ! Malgré l’aéroport bondé, le rire aigu de Meghan surpasse le brouhaha ambiant et ne passe pas inaperçu, à l’image de la grande rousse plantureuse qui me sert d’amie. Quand Pikasièt constate que je n’emporte que deux valises, elle nous adresse une moue désabusée et râle dans sa barbe. − J’ai peut-être un peu abusé. − Tu es sûre qu’ils vont te laisser prendre l’avion avec tout ce fatras ?

− Je comptais sur votre sens des priorités pour palier à mes excédents. Mais je ne suis pas certaine que ça va suffire. Meghan, en grande organisatrice, regarde Sofia avec affection. − J’étais certaine que tu allais nous rejoindre avec une montagne de choses inutiles, alors j’ai demandé à mon assistant de venir récupérer ton excédent. Comme tu penses à tout sauf aux choses indispensables, j’ai récupéré ton passeport hier soir. Je suis sûre que tu t’es demandé si tu ne l’avais pas oublié. Sofia, parfaitement consciente de ses faiblesses, lui répond en souriant : − Voilà, tout est réglé ! Merci les filles !

Meg, tu es et resteras la plus organisée de nous trois. − Aucun doute ! acquiescé-je en pouffant. Comme toujours, notre belle rousse a prévu les choses en grand. Attablées dans le salon de première classe, nous attendons notre vol devant une coupe de champagne. En leader née, Meg décide de porter un toast pour fêter notre nouvelle aventure. − À notre voyage, les filles ! Et à la réussite de ta promotion ! En levant son verre à son tour, mon italienne poursuit : − À ton retour ! À notre découverte du nouveau monde !

C’est à mon tour et pour leur signifier à quel point j’ai révisé ma copie ces derniers jours, je lance : − À notre virée entre amies, ma nouvelle vie, ma renaissance et surtout à vos amours. D’un claquement commun nous ajoutons en cœur : − À nous ! Lorsque nous atterrissons enfin onze heures trente plus tard, je suis épuisée. Vive le décalage horaire ! J’ai les jambes comme des poteaux téléphériques et je me damnerai pour un bon bain, un lit et une heure avec lui. Sofia a l’air en aussi piteux état que moi.

Mais dans son cas elle a une excuse puisqu’elle expérimentait les longs courriers. Meg, par contre, est fraîche et dispo. Je ne comprendrai jamais comment elle s’y prend pour paraître toujours parfaitement alerte, comme si la fatigue ne la concernait pas. Elle a beau faire ce voyage plusieurs fois par an et être habituée à ces changements de fuseau horaire, son teint de pêche n’en reste pas moins injuste. Comme je suis incapable de me détendre dans un avion, je ressemble à une vieille pomme toute ridée. C’est leur faute, aussi ! Comment pourrait-on être serein quand leur premier geste après nous avoir fait

boucler notre ceinture est de nous répéter les consignes de sécurité ? Croient-ils vraiment qu’en cas de catastrophe, cela pourrait faire la différence ? En attendant, j’ai une tête de papier mâché et je vais devoir patienter encore pour pouvoir me laisser aller à mes envies. Entre le débarquement, le voyage jusqu'à l’hôtel et l’installation, j’ai le temps de m’effondrer mille fois. Connaissant Meg, elle va vouloir revoir avec moi les différentes interviews du lendemain matin. Si j’ai bien suivi ce qu’elle m’a expliqué dans l’avion, nous devons rencontrer une journaliste d’un des magazines les plus couru du moment sur New York vers neuf heures. Puis nous

enchaînerons avec un autre rendez-vous beaucoup plus important. Je vais faire la connaissance de l’éditrice américaine qui va diffuser mon livre aux Etats Unis. Meghan la connaît bien et a une très haute opinion de son travail. Cela me rassure mais juste un peu. Les portes de l’avion viennent juste de s’ouvrir et nous commençons à descendre. Lorsque j’atteins le terminal 4 de débarquement du JFK Kennedy Airport, je suis totalement subjuguée par ce que je découvre.  

Chapitre 13 Braden Lundi 29 juin, New York Encore une journée qui, malgré un fantastique amorçage, est allée de mal en pis. Je suis à l’aéroport pour récupérer mon futur second venu pour finaliser le contrat et découvrir le restaurant. Il a eu l’opportunité de participer au projet en donnant son avis sur les plans mais la visite déterminante, c’est aujourd’hui. Et comme pour le faire exprès, rien ne

fonctionne comme je l’espérais. Son avion a plus d’une heure de retard et je fais le planton comme un con alors que j’ai des millions de choses à faire. Je regarde ma montre pour la vingtième fois en dix minutes, comme si cela pouvait motiver les aiguilles à avancer plus vite. Il n’est que seize heures et il arrivera dans quinze minutes. Fatigué par ma nuit torride et par une matinée plutôt agitée, je ne rêve que de prendre un bon expresso noir bien serré. Je me décide à rejoindre le bar quand le panneau d’affichage se modifie encore et indique que l’avion aura dix minutes de retard supplémentaire. Là, je crois vraiment que le sort s’acharne. Tout en me dirigeant vers le bar, je me

repasse le fil de la journée qui, dès le réveil, était vouée au fiasco. J’ai maudit mille fois mon imbécile de sonnerie. J’aurais tout donné pour que cette nuit dure éternellement. La joie de la retrouver, de la sentir contre moi, la douceur de ses caresses et l’intensité de ses baisers ont fait de moi un homme comblé. Le plus agréable et étrange à la fois, c’est qu’elle semblait sincèrement heureuse de me retrouver. Comme si mon subconscient avait adapté sa réaction à mes attentes. Sans parvenir à me l’expliquer, la savoir heureuse a apaisé quelque chose en moi, encore un truc parfaitement idiot. En

même temps, je ne suis plus à ça prêt. À peine levé, j’ai rejoint la salle de sport pour une séance d’une heure de jogging. J‘ai à peine eu le temps de me détendre, que l’heure de la reprise sonnait déjà. Comme il était encore un peu tôt pour appeler mes chefs, je me suis décidé à revoir en vitesse le questionnaire que m’a faxé la journaliste pour notre entretien de demain. Pour l’obtenir j’ai dû faire le forcing et la menacer d’annuler l’entrevue. Je déteste jouer au chantage mais vu l’attitude de cette femme, j’ai senti qu'il valait mieux que je sache où j’allais mettre les pieds. Mon intuition ne m’avait pas trahi, elle avait l’intention de me poser des questions franchement très

personnelles, sur la mort de ma mère par exemple. Le sachant, je vais pouvoir lui couper l’herbe sous le pied. Je juge qu’il y a des limites à ne pas franchir, même lorsqu’on est un personnage public. Et le décès de ma mère est l’une d’entre elles. Je ne peine pas à retenir un sourire en découvrant le sort qu’elle me réserve, non mais franchement elle croyait vraiment me déstabiliser en me posant celle-là : − Monsieur Miller, on vous a photographié au bras de nombreuses femmes. Avez-vous un problème avec les relations durables depuis votre séparation ? Ou vous vous affichez avec elles pour

cacher un autre secret ? Je sais parfaitement sur quel terrain elle veut me conduire. À trente-quatre ans, si on ne te connaît pas de relation stable, on te catalogue soit homo soit cinglé, soit les deux à la fois. Si en prime une armada de jeunes femmes te tournent autour mais que tu ne trouves pas chaussures à ton pied, tu es définitivement suspect ! Je ne risque pas de lui avouer que j’entre dans la seconde catégorie, et les deux pieds dedans en plus ! Comme ce genre d’insinuation m’exaspère, je lui réserve un chien de ma chienne, nous verrons bien lequel de nous deux sera le plus embarrassé.

La prochaine fois elle y réfléchira peutêtre à deux fois avant de tenter le scoop avec un coming-out. Vers sept heures trente, je pourvois à mes obligations en appelant mes chefs. Et là, les emmerdes commencent, ils ont décidé de me faire perdre un temps considérable en m’abreuvant de détails inutiles. Du coup, ce qui devait prendre une petite heure m’en a fait perdre deux. Et ça n’aurait pas d’importance si je n’avais pas de rendez vous. Sauf qu’avec leurs conneries je n’ai pas pu honorer ma rencontre avec le chef de chantier. Et bordel, ça me fout en rogne ! Contraint de reporter l’entretien au dernier moment, j’ai dû batailler ferme

pour le réintégrer dans mon planning minuté. Aucune autre solution que de le glisser à la place de ma pause repas. Mais comme je rejoins le Blue Even demain dans la l’après midi, impossible de nous rencontrer avant la fin de la semaine suivante. Un peu plus tard, un appel de mon futur second a encore compliqué les choses. Il m'a annoncé son arrivée pour l’aprèsmidi, même. C’est d’ailleurs pour cette raison que je suis en train de faire le pied de grue à l’aéroport. Son patron actuel l’a averti ce matin qu’il lui donnait sa journée. Du coup il a sauté sur l’occasion pour venir découvrir son nouveau poste de travail.

En fonction de nos emplois du temps respectifs, trouver un créneau relève du miracle. Si seulement il avait pu me prévenir plus tôt ! Mais bien sûr, il ne faut pas rêver, ça aurait été trop simple ! J’ai dû shunter mes autres entrevues pour le placer en priorité. Cette visite inopinée me met dans une panade noire. D’autant qu’il ne connait absolument pas New York et que je me voyais mal le laisser livré à lui-même pour sa première prise de contact. Il y a de quoi partir en courant… Comme les journées déplorables le sont en général jusqu’au bout, une fuite d’eau sur le chantier a contraint de stopper l’avancée des travaux dans les

commodités. Ce qui n’aurait pas été trop dramatique si les dégâts n’avaient pas endommagé une des cloisons de la pièce principale. Je hais ma vie, par moment ! Pour compléter le tableau, les gars de l’assurance ne peuvent se déplacer sur le chantier que demain alors que je serai embringué dans cet interview à la con ! Je ne suis pas du genre à me laisser démoraliser, mais il y a vraiment des jours où on ferait mieux de rester couché. Rajouter à cela quatre tête-à-tête grotesques avec des postulants pour les postes de serveur, c’est le cocktail parfait. Je crois vraiment qu’après une journée

pareille, un café ne sera vraiment pas du luxe. Même si pour être honnête, dans mon état de tension, j’aspire à un truc un peu plus fort.  

Chapitre 14 Jadde Lundi, New York Le souffle coupé, je dévore des yeux tout ce qui m’entoure. C’est comme si en traversant la porte de débarquement j’avais atterri dans un autre monde. Tout est tellement grand, disproportionné ! Je pensais connaitre le goût pour l’extravagance des américains. Mais en observant l’aéroport par la fenêtre, je ne peux que constater à quel point j’étais loin de la réalité. Devant moi, pas moins

de quatre restaurants, trois bars et plusieurs magasins de souvenirs s’étalent. Je pourrais aisément me croire dans un centre commercial. Mais c’est à l’extérieur que je découvre à quel point la démesure fait partie de leur quotidien. Comme nous avons un panorama plongeant, je m’y attarde. Et franchement, je suis scotchée par les immenses bâtisses à perte de vue entourant pas moins de cinq parkings titanesques. Ils sont tellement vastes que même à cette hauteur je ne peux pas les voir en entiers. Le plus troublant reste le train aérien qui relie les différents lieux de débarquements entre eux. Il me faut bien

une minute pour retrouver mes moyens. Même en faisant un gros effort, j’ai du mal à contenir mon enthousiasme. Je dois vraiment avoir l’air de la touriste de base. Après un passage obligé par le poste d’immigration, nous traversons les portiques de sécurité pour nous diriger vers la douane. Quelques formalités plus tard, je suis en route vers le café le plus proche quand Meg m’interpelle. − Non, Jadde, nous n’avons pas le temps de nous arrêter boire un coup. Notre chauffeur nous attend et j’ai des tas de choses à organiser. Si tu veux, vous pourrez prendre un café au bar de l’hôtel un peu plus tard.

− Ça ne devait pas être des vacances à la base ? protesté-je histoire de l’agacer. Tu es un vrai tyran ! − J’en suis parfaitement conscience et ce n’est qu’un début ! me dit-elle avec un sourire moqueur. Il me semble bien que je t’ai dit que ça serait des congés pour Sofia mais nous, on a du pain sur la planche ! Pour me faire pardonner, je vous ai réservé une petite surprise. Je suis sûre que vous allez l’adorer. Sofia frétille d’impatience. On dirait une gosse devant un sapin de Noël, c’est tout juste si elle ne saute pas sur place pour manifester son enthousiasme. − Arrête de nous faire languir ! s’exclame-t-elle.

Meghan, les yeux pétillants d’humour, lève les mains en signe de complaisance. − J’ai choisi un hôtel en fonction de vos hobbies respectifs, idéalement situé, à deux pas de Central Park. Comme je connais ton penchant pour l’activité physique, j’ai choisi celui avec la plus grande salle de sport. Il fait dix étages et, évidemment, nous avons trois des suites au dernier. Et pour toi ma petite Sofia, tu vas pouvoir faire palpiter tes papilles dans l’un des meilleurs restaurants gastronomiques de Manhattan. Elle a mis tellement d’excitation dans sa réplique que je bats en retraite sans difficulté. Tant pis pour le café qui aurait au moins eu le mérite de me donner un

coup de fouet. En plus, dans les aéroports, les expresso ressemblent plus à du jus de chaussettes qu’à un vrai café. Alors aucun regret ! − Comme tu as l’air de t’être vraiment donnée du mal, je veux bien me passer de ma dose de drogue dure. Allons-y ! Une Mercedes grise nous attend devant l’entrée. Le chauffeur, un homme d’une quarantaine d’année, nous ouvre la porte. À peine installées, le véhicule démarre en trombe. Il s’insinue dans la circulation dense de cette fin d’après-midi. Je ne suis pas franchement rassurée par la conduite sportive du pilote. Aussi, pendant que Meg passe des tas de coups de téléphone, Sofia et moi ne quittons pas la route des

yeux. Un gros soupir de soulagement accompagne notre arrivée. Le bâtiment que Meghan a choisi pour notre séjour est somptueux. Je n’ai jamais réussi à m’habituer au luxe que peut m’offrir mon métier. D’habitude, je ne me sens pas à l’aise dans ce genre d’endroit mais je ne peux que rester admirative devant tant de beauté. Le hall est à l’image du lieu, luxueux sans être guindé. Les boiseries en bois noble côtoient élégamment les marbreries. Le reste du mobilier oscille entre soie, velours et or. Ce qui me surprend le plus, c’est la simplicité qui se dégage de cet endroit, on ne peut que s’y sentir à son

aise. Meg, apparemment en terrain connu, se dirige sans ralentir vers la réception et, dans un anglais parfait, demande nos cartes magnétiques. Les bagagistes récupèrent nos sacs et nous précédent pour les monter dans nos chambres. Je ne peux m’empêcher de plaindre celui qui gère les affaires de Sofia. Elle a deviné mes pensées et me tire la langue discrètement en signe de protestation. Le petit voyage en voiture a au moins eu le don de nous réveiller et c’est toutes excitées que nous montons découvrir nos chambres. Dix minutes plus tard, après avoir envoyé un message à Eddy et ma mère, je vais

frapper aux portes de mes amies. Je meurs d’envie d’aller me dégourdir les jambes. Évidemment, après une telle journée, je ne trouve aucune amatrice pour se joindre à moi. Meg m’indique où se trouve la salle de sport et la piscine intérieure et avec un geste met fin à notre rencontre quand son téléphone sonne. Sofia, me gratifie d’un « toi, tu es vraiment dingue, Jad ! » et se jette sur le canapé. Sans me démonter, je descends les dix étages en courant et rejoins le sous-sol pour me détendre.

Chapitre 15 Braden Lundi, New-York Après une heure et demie d’attente exaspérante et un café limite imbuvable, je vais enfin retrouver mon collègue à la sortie du terminal 4 du plus grand aéroport de New York. Originaire du Texas, il abandonne son état pour venir travailler à mes côtés. Nous nous sommes déjà rencontrés à plusieurs reprises et j’ai eu le plaisir de

goûter à ses plats décalés. C’est un jeune chef de vingt-cinq ans, prometteur s’il continue sur sa lancée. Sa capacité à mélanger les genres est un atout indéniable. Je me souviens de la première fois où j’ai testé sa cuisine, il avait décidé de mener une carte entière sur le thème de l’orange et l’avait déclinée de façon étonnante. Outre le carpaccio et le classique canard à l’orange qui bien que formidablement réalisés n’ont rien de très originaux, il avait intégré sa pulpe et son zeste à un tajine aux noix de Saint-Jacques absolument fabuleux. En dessert, et j’en ai encore l’eau à la bouche, j’avais dégusté un moelleux au chocolat surprise dans lequel une glace orange basilic

remplaçait une partie du traditionnel fondant. En deux mots : un délice. Je suis honoré qu’il ait décidé de rejoindre mon équipe. Notre collaboration va être un puits d’inspiration et nous allons en tirer partis autant l’un que l’autre. D’un commun accord et pour l’année à venir, il va prendre la place du second et si tout se déroule comme je l’espère, il prendra ma suite au bout de ce délai. Ainsi je pourrai continuer à passer de villes en villes, au gré de mes obligations. Sa grande taille me permet de le voir arriver de loin et c’est aussi facilement qu’il me repère. Ce grand gaillard d’au moins un mètre quatre-vingt-quinze aurait

le profil parfait pour être un défenseur de première ligne dans un match de football américain. Pourtant sa passion pour l’art culinaire l’a emportée et tant mieux pour moi. Il arrive et me fait face, affublé de son chapeau de cow-boy, de son ceinturon hors norme et de ses santiags. Il donne l’impression de sortir d’un western. − Salut, chef ! − Bonjour Phil, content de te voir enfin ! J’ai cru que tu n’allais jamais atterrir. Tu as fait bon vol ? − Il a été un peu mouvementé mais heureusement nous sommes enfin arrivés. Désolé de vous avoir fait perdre votre temps.

− Pas de problème. Mais sans vouloir te bousculer, je te propose d’aller dès à présent jusqu’au restaurant pour que tu puisses constater par toi-même les améliorations qui ont été apportées. Ensuite, nous nous attellerons à ton contrat pour que tout soit clair. Nous finirons par confronter nos idées pour la future carte. Autant dire que je ne vais pas te laisser une minute de répit. Sur son visage je vois clairement que quelque chose le contrarie, j’essaie de récapituler le planning et j’ai beau chercher, je ne vois pas pourquoi il fait cette tête. − Qu’est-ce qui t’arrive ? D’un air un peu gêné, il regarde autour de

lui et en quelques secondes son visage s’illumine quand une jolie blonde s’approche pour nous rejoindre. − En fait, j’avais espéré que nous pourrions régler rapidement cette histoire de contrat. Et que je pourrais conduire ma fiancée, Ana, faire le tour des agences immobilières. Nous prenons un nouveau départ tous les deux et nous avons décidé de nous installer ensemble. Mais je ne veux pas contrarier vos plans plus que je ne l’ai déjà fait. Je sais que vous avez un planning très chargé et je suis venu m’incruster au dernier moment. − Je suis un imbécile. Je n'ai même pas pensé que tu pourrais profiter de ta visite pour te chercher un appartement. Ravi

que tu fasses d’une pierre deux coups. Comme je manque de temps, je t’avoue que ça m’arrange presque. Tout en tendant une main amicale vers Ana, je rajoute. − Enchanté, mademoiselle ! La jeune femme au teint laiteux et aux pommettes rouge vif, me répond avec un léger sourire. − De même, monsieur Miller ! − Ne perdons pas de temps avec de longs discours inutiles. C’est réglé ! Pour le menu, je te propose de me faire passer tes suggestions et nous en discuterons dès que possible via Skype. − Merci d’être si compréhensif. Allons

vite jusqu’au restaurant, histoire que je découvre cette merveille, me répond-il soulagé. D'un pas enthousiaste nous rejoignons le chauffeur que l’hôtel m’a laissé à disposition. Après trois quarts d’heure de slaloms intempestifs entre les autres véhicules, nous nous arrêtons enfin devant le chantier. S’en suit une visite détaillée du lieu de toutes nos attentions. Il en ressort enchanté tout comme sa compagne qui s’est peu à peu détendue. Je leur propose, pour être plus au calme, de rejoindre mon hôtel pour finaliser le contrat. Quelques minutes plus tard, installés au bar, je l’incite à prendre connaissance de

l’ensemble de nos engagements mutuels. Je ne suis pas le genre de patron à tenter d’escroquer mes collaborateurs. Mais je suis aussi extrêmement exigeant et il le sait. Je ne lui ai jamais rien caché. Je pars d’un principe simple : si tu veux que tes employés s’investissent, entoure-toi des meilleurs et donne-leur les moyens de rester les plus performants. Ils savent très bien que je suis aussi intransigeant avec moi que je le suis avec eux. Travailler avec moi signifie ne pas compter ses heures mais je les rétribue généreusement en retour. Je leur assure aussi une épargne santé très correcte et participe largement à leur plan retraite.

Sans compter que je figure parmi les leaders dans mon domaine. À ma demande, il a rencontré trois de mes quatre chefs pour discuter avec eux du poste qu’il va occuper. Je me suis éclipsé dès le début des entretiens pour laisser libre court à leur échange. Devant mon insistance pour qu’il détaille le contrat, il me sourit, prend le crayon et paraphe toutes les pages. − Il te faut lire le contrat, Phil, tu pourrais être en désaccord avec certaines clauses. − Si j’avais le moindre doute sur votre intégrité, je n’aurais pas quitté le poste très couru que j’occupais. Votre passion et votre honnêteté ne me laissent aucun doute. Vous avez les mêmes

collaborateurs depuis l’ouverture. C’est une preuve suffisante de vos qualités de meneur. Lire, soit, mais dans le cas présent, je n’en vois pas la nécessité. Les conditions, nous les avons déjà largement évoquées. Vos collaborateurs m’ont dit le reste. Alors signer ne m’effraie pas, je sais à quoi je m’engage. Vous m’avez débauché et j’en suis ravi, maintenant j’ai hâte que notre collaboration débute. − Très bien, je suis touché par le crédit que tu m’accordes. Nous discutons une bonne vingtaine de minutes en sirotant une bière. Comme il est tard, ils ne repartiront que le lendemain. Séduits par mon hôtel, ils ont décidé d’y

prendre une chambre. Je comprends pertinemment leur choix puisque je descends systématiquement ici lorsque je viens à Manhattan. Je m’y sens bien, il est à la fois confortable et tout en simplicité. Il dispose d’un excellent restaurant, d’une piscine et d’une superbe salle de sport dont je ne peux m’empêcher de leur vanter les mérites. Apparemment aussi sportif que moi, Phil me demande de la lui faire visiter. Et bien entendu je ne peux résister à ce plaisir. Nous descendons donc au sous-sol. Enthousiasmé par ma description du lieu, Phil ouvre la marche. Au moment où nous sortons de la cage d’escalier, j’entends vaguement le bip caractéristique de l’ascenseur. Le temps que j’atteigne le

hall, les portes se sont déjà refermées.  

Chapitre 16 Jadde Lundi, New York Je remonte de ma séance de footing et mes deux kilomètres de natation vers dixhuit heures trente. Et heureusement que je n’y suis pas restée plus longtemps, j’aurais été dérangée. Quand je suis partie, un grand molosse sortait de la cage d’escalier. J’aime la solitude dans l’effort, me centrer sur moi-même et sur le but à atteindre.

Avoir cette salle de sport toute équipée juste pour mon bon plaisir a été une expérience grisante, ça aurait été nettement moins exaltant en présence d’inconnus. De toute façon, peu importe, je me sens bien et il me tarde de prendre un bon bain avant de me mettre à table. Au moment où je passe la porte, le téléphone de la chambre se met à sonner. − Oui ? Une voix surexcitée se met alors à me débiter à toute vitesse une supplication quasi incompréhensible. J’ai beau reconnaitre la voix de Sofia, je ne comprends pas un traître mot de ce qu’elle me raconte. Il faut dire que c’est une personne

surprenante. Elle est à la fois douce, réfléchie et pondérée mais une autre part d’elle est passionnée et enfantine. Mais il m’est impossible, quand je la dépeins, d’omettre son passe temps favori : l’amour de l’assiette. Je pense d’ailleurs qu’en la décrivant, j'aurais dû commencer par énoncer son goût immodéré pour l’art culinaire. Ce qui d’ailleurs est à l’origine de son surnom dont j’abuse volontiers : Pikasièt ! Elle consacre une bonne partie de ses vacances à faire le tour de France à la recherche de nouvelles sensations pour son palais expert. Je suis certaine qu’elle aurait fait un critique gastronomique de renom si sa dévotion pour les enfants ne l’avait pas emportée. Sa passion pour l’art culinaire me

surprend toujours autant. Comment un petit bout de femme d’à peine cinquante kilos peut-elle engloutir une telle quantité de nourriture ? J’avoue que ça restera toujours un grand mystère. Quand elle s’apprête à déguster un nouveau plat, elle jubile. C’est une expérience dont il faut être témoin pour y croire. − Calme-toi, Sof, j’ai du mal à te suivre ! Reprends tes explications un peu plus lentement, tu veux bien ? − Comment veux-tu que je reste calme quand un des chefs les plus courus du pays nous fait l’honneur de nous recevoir à sa table ? − Mais de quoi tu parles, bon sang ?

− Tu n’es pas au courant ? Meghan l’a rencontré il y a quatre ans lors d’une visite ici, elle n’a pas trop développé le sujet mais je crois qu’ils ont eu une histoire. Enfin bref, il a su qu’elle était ici pour la semaine et nous a donc toutes les trois invitées dans son restaurant. Manger dans son établissement c’est déjà un honneur, mais à sa table, c’est quasi inespéré ! Je suis surexcitée ! − Oui, j’avais remarqué, lui réponds-je moqueuse. Et quand doit avoir lieu cet événement mondain ? − Ne te moque ! Imagine que tu manges à la table de Camus ou Proust, tu ne serais pas en transe ? − Je ne veux pas te vexer, ma poulette,

mais comment peux-tu comparer des maîtres de l’écriture à des cuistots, même s’ils sont géniaux ? C’est comme si tu mettais au même niveau Usain Bolt et Fred Astaire. Incomparable ! − À tes yeux peut-être, mais pour moi, c’est un événement majeur. Alors bouge tes fesses, nous avons rendez vous dans une heure au Delight. − C’est bon, je me prépare, ne t’énerve pas. Je te rejoins dans trois quarts d’heure dans ta chambre et je te parie que je serai prête bien avant toi. − Pari tenu ! À tout de suite. Comme convenu, je retrouve mes deux amies dans la chambre de Sofia et, bien

entendu, j’ai gagné ma mise, elle est encore en culotte quand je m’installe sur le sofa. Sur le lit s’amoncelle une pile de vêtements digne des plus grands magasins parisiens. − J’ai gagné ! lancé-je histoire de l’agacer − N’en rajoute pas, je ne sais pas quoi me mettre ! Je veux faire honneur à notre hôte ! Meghan ne peut pas se retenir de lever les yeux au ciel et me regarde, l’air désemparé. − Et encore tu n’as rien vu ! Je suis là depuis vingt minutes et j’ai eu droit à la plupart des essayages. Je ne sais plus

quoi faire. Doucement, en me rapprochant de Meg, je lui murmure : − On fait comme quand on était ado, il n’y a que ça à faire pour la calmer, lui murmuré-je. Puis j’enchaîne plus fort : − Sofia, on ne rencontre pas la reine d’Angleterre, je te propose de choisir tes fringues pendant que Meg s’occupe de tes cheveux. Dans dix minutes au plus tard, tu es prête. − Je croyais que vous n’alliez jamais me le proposer ! Elle éclate de rire.

− Tu es vraiment gonflée ! − C’est pour ça que vous m’aimez ! Ce que j’avais vu depuis le salon n’était que la partie émergée de l’iceberg. L'intérieur de la chambre pourrait être classé en état de catastrophe naturelle. En plus du tas de linge sur le lit, Sofia a jeté des foulards, des chaussures et une multitude d’accessoires un peu partout. Je me demande comment, même avec toutes ses valises, elle a pu emmener autant de choses. Je sélectionne une petite robe blanche légère avec chandail bleu turquoise. Avec ses longs cheveux châtains et ses yeux verts en amande, elle va être fantastique. J’ai l’impression de nous revoir dix ans

plus tôt avant de passer nos entretiens d'embauche ou à la veille d’un rendezvous important. Finalement, malgré les années, rien n’a vraiment changé entre nous. Comme prévu, elle est fin prête en moins de dix minutes. Nous voilà en route pour rencontrer ce mystérieux restaurateur qui met le feu aux papilles de mes deux amies.  

Chapitre 17 Braden Lundi, New-York J’ai laissé Phil et Ana seuls il y a deux heures devant la salle de sport. Phil avait l’air d’un gosse devant un énorme plat de friandises. Et Ana, qui ne le quittait pas des yeux, semblait moyennement enchantée devant son enthousiasme. J’avais repoussé à plus tard certaines de mes obligations pour me consacrer à mon futur second. Grâce à ce changement de

programme, j’ai bouclé mes formalités avec le notaire pour l’achat de l’appartement. Il me faut encore passer au cabinet pour signer les paperasses mais le plus gros des démarches est fait. Je n’en reviens pas de la rapidité avec laquelle tout a été orchestré. Félicia ne mentait pas en disant vouloir que tout soit géré rapidement. Il n’aura fallu que deux jours pour tout régler. Si j’ai bien compris, son neveu notaire a fait ce qu’il fallait pour hâter la procédure. Du coup, dans moins d’une semaine, je vais pouvoir démarrer les travaux. Quand le notaire me l’a annoncé, j’étais aussi excité que Phil devant la salle de sport. J’ai rendez vous dans quinze minutes

avec l’un de mes investisseurs. J’ai choisi de l’inviter dans l’établissement d’un de mes amis. Heureusement que nous sommes amis d’ailleurs, sinon je n’aurais jamais pu obtenir une place aussi facilement. Les gens font le pied de grue devant son restaurant pour espérer y entrer pendant des heures. Il y a quelques mois, quand je lui ai annoncé que je venais m’installer ici, j’appréhendais sa réaction. Je m’attendais à une certaine déception ou amertume dans la mesure où nos restaurants allaient entrer en compétition directe. Mais je n’ai obtenu que le plus sincère des enthousiasmes. Le monde des restaurateurs n’a rien d’un

milieu d’enfants de chœur. La concurrence est rude et certains sont prêts à tout pour se remplir les poches. Je sais très bien qu’il n’en fait pas partie mais j’ai été tout de même surpris qu’il me réserve un tel accueil. J’aurais pu le prévoir pourtant. Nous avons fait nos études en même temps et notre parcours est très similaire, au détail près qu’il ne possède qu’un seul établissement et une vie de célibataire bien remplie. Nous avons fait de nombreuses virées ensemble quand nous étions commis, puis nous avons gravi les échelons et le temps nous a manqué pour nous voir aussi souvent. Il reste l’une des personnes qui me connaît le mieux. Et c’est toujours avec un grand plaisir que je

goûte à ses subtiles préparations. Tout en achevant de me raser, je me remémore certains de nos moments inoubliables. Comme la fois où nous avions passé des vacances sur la côte ouest dans sa famille. Nous avions hérité d’un minuscule appartement de vingt-cinq mètres carrés avec une seule chambre. Ce qui n’aurait posé aucun souci si Logan n’avait pas ramené une fille différente chaque soir. Du coup, j’ai dû dormir sur la plage une bonne partie de la semaine. Je dois reconnaître que ça ne m’a pas déplu jusqu’à ce que Logan soit obligé de venir me récupérer au poste de police où j’ai été embarqué pour vagabondage. Quand j’y pense, vraiment quelle petite

enflure ! Je lui ai téléphoné à vingt-et-une heures et il est venu me récupérer le lendemain en fin de matinée, fraîchement douché. Prétextant qu’il n’avait pas eu le message, tu parles ! Je lui ai bien rendu la monnaie de sa pièce quelques années plus tard, mais là je n’en suis pas très fier… Quand j’entre dans le restaurant, je vais m’installer au bar en m’arrangeant pour tourner le dos au reste de la salle. Pas question de me faire accoster ce soir, j’ai d’autres chats à fouetter. Heureusement mon investisseur ne tarde pas à me rejoindre et une hôtesse nous conduit jusqu’à notre table. Logan nous a installés dans un coin, un peu en retrait. C’est exactement ce dont

j’avais besoin. La discussion se passe sans encombre. J’obtiens même plus d’argent que je n’en espérais, autant dire que c’est un entretien productif ! Pourtant, mon esprit a du mal à se concentrer sur la conversation, tant je suis distrait par des rires qui me parviennent depuis l’arrièresalle.

Chapitre 18 Jadde Lundi, New-York En moins de dix minutes, nous rejoignons le restaurant. Le seuil est à peine franchi que Meghan passe de l’expression de détente au masque de sirène inaccessible. Intéressant ! Je la connais suffisamment pour voir qu’il y a anguille sous roche. Finalement cette soirée commence à devenir sacrément captivante. Je n’ai pas envie de jouer les

voyeuses mais c’est si rare de voir ma belle rousse en situation de vulnérabilité que j’aimerais bien savoir ce qu’il a de si spécial ? D’autant que c’est la première fois que je vois Meg interagir avec l’un de ses anciens amants. D’habitude elle les zappe et passe simplement à autre chose. Quoiqu’elle souhaite nous faire croire, leur histoire n’appartient pas au passé. J’en suis intimement convaincu. Tandis qu’elle nous la joue femme inabordable, Sofia frôle l’infarctus. Elle danse d’un pied sur l’autre surexcitée. Je l’ai rarement vu ainsi. Un homme capable de mettre mes amies dans un tel état est plus qu’intriguant.

Je n’ai pas bien longtemps à attendre pour le rencontrer. Il nous attend, apprêté, dans une petite pièce à l’écart. Une chose est sûre, il a mis les petits plats dans les grands. Si la salle de restaurant est somptueuse, l’arrière salle n’a vraiment rien à lui envier. De la table au moindre élément du décor, tout a été étudié et disposé avec goût. Je ne sais pas s’il apporte autant d’attention à toutes ses conquêtes, mais il est clairement attiré par mon amie et nous le fait savoir sans l’ombre d’un doute. J’ai beau être distraite par l’aménagement de la pièce, je ne passe pas à côté du sourire discret qui illumine furtivement le visage de Meg. Elle se reprend très vite

en replaçant son masque d’indifférence mais sa fébrilité ne m’a pas échappé. Suivant le regard de mes deux amis, je braque mes yeux sur un homme d’une trentaine d’année à la carrure d’un surfeur californien qui vient de faire son apparition. Il faudrait être aveugle pour ne pas sentir l’air grésiller quand leur regard se croise. Sofia, dont l’exaltation n’a pas diminué d’un pouce mais qui semble un peu gênée par leurs retrouvailles muettes ne bouge pas d’un cil. Un silence pesant s'installe. Pour briser la glace, je m’avance de quelques pas dans sa direction. Mon pied s’accroche au tapis et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, je me retrouve

affalée sur le sol. Ah, bah bravo ! Chapeau bas pour l’entrée en toute distinction ! Et comme si ma maladresse levait comme par magie la gêne de la pièce, un fou rire général nous prend par surprise. Peu après, une main virile se tend vers moi et m’aide à me remettre sur pieds. Je balbutie des paroles d’excuses entre deux rires. − Je suppose que tu es Jadde, me dit-il, sûr de lui. − Effectivement, je vois réputation m’a précédée.

que

ma

− Non, mais Meg m’a fait une description si fidèle que je ne vois vraiment pas

comment j’aurais pu me tromper. Enchantée de faire ta connaissance, moi c’est Logan. Après s’être assuré que j’ai bien retrouvé mon équilibre, il se dirige vers Sofia et lui tend la main. − Et si je ne me méprends pas, toi, tu dois être Sofia. − Je... oui c’est bien ça, enchantée ! Tiens ! Tiens ! Notre petite cachotière lui a parlé de nous, voilà qui est bigrement intéressant ! Il a quelque chose de spécial ce garçon, et même s’il ne m’attire absolument pas, le fait qu’il fasse perdre à Sofia et Meghan leur flegme habituel le rend diablement… captivant !

Il sourit à Meg et nous propose d’un geste de prendre place. Voyant que le silence dure plus que de raison, je décide de prendre la conversation en main, histoire de laisser aux filles le temps de retrouver leur langue. Il comprend ma diversion et c’est avec entrain qu’il se prête au jeu des questions. − Vous êtes donc un maestro de la casserole ? demandé-je, en souriant pour détendre l’atmosphère. − C’est ce qu’on dit, me réponds-il en rigolant, mais je suis surtout un fin gourmet. Et vous êtes une chasseuse d’émotions si je ne m’abuse ? − Disons que j’essaie, mais je suis plutôt spécialisée dans les joutes verbales, et

depuis quelque temps je suis passée d’illustre inconnue à illustre reconnue. Il éclate de rire devant la critique ouverte du statut de célébrité. − Nous voilà avec un sacré point commun, Jadde. Je ris à mon tour et poursuis notre discussion pour palier au mutisme persistant de mes amies. Heureusement qu’il est bon public et m’aide à détendre l’atmosphère. − Qu’est ce qui vous a conduit à une telle réussite ? lui demandé-je histoire de poursuivre sur le thème bateau de la célébrité. En plus, je suis un peu intriguée par le

petit accent que je perçois dans sa voix. − Vous me croirez si je vous dis que j’ai de la chance ? Comme je n’étais pas franchement une lumière en classe, mon père a jugé que j’avais besoin d’un bon coup de pied aux fesses et m’a envoyé en France pour « trouver ma voie » comme il disait. Et là j’ai eu un gros coup de bol ! J’ai rencontré un jeune gars, Braden Miller, sûr de lui et convaincu qu’il était fait pour devenir chef. On est rapidement devenu amis et il m’a aidé à trouver mon propre chemin. La vérité c’est que si mon ami n’avait pas été là, je n’en serais probablement pas là aujourd’hui. Vous devez déjà en avoir entendu parler, c’est l’un des chefs les plus courus des ÉtatsUnis. Cette canaille a fait une halte ici

pour la soirée, j’aimerais bien vous le présenter, nous confie-t-il sur le ton de la confidence. Il accompagne ses paroles d’un coup d’œil appuyé à ma rouquine qui fait mine de ne pas s’en apercevoir. Mais le sousentendu est clair. Qu’elle le veuille ou non, il lui fait partager son univers. Bizarrement, je meurs d’envie de mettre un visage sur ce nom qu’il semble tenir en haute estime. Je tais mon enthousiasme et acquiesce d’un geste poli. Bien que prise par notre échange, je n’ai pas manqué la réaction de Sofia quand il a fait cette proposition. Elle a retenu son souffle tout en secouant sa tête en geste de dénégation. Étrange !

Comme si elle voulait vite changer de sujet, elle prend la parole et se lance avec le maître des lieux dans une discussion pour le moins enflammée sur les vertus des fèves de cacao selon leur origine. Meghan se joint vite à la conversation qui est si animée que je ne vois pas le temps filer. Quand j’adresse mes félicitations méritées au chef, Sofia, qui a retrouvé sa contenance, me gratifie d’une moue signifiant « je te l’avais bien dit » qui nous tire un sourire. Avant de partir, il nous propose de rencontrer son ami. Mon cœur s’emballe à cette idée et simule des sauts périlleux

parfaitement ridicules approchons du but.

quand

nous

J’espère que ma déception ne se lit pas trop sur mon visage quand la serveuse nous apprend qu’il vient de partir. Pourquoi suis-je affectée par ce départ ? Décidément, j’ai des drôles de réactions ce soir : mon sang se met à bouillir pour un illustre inconnu, j’éprouve une déception démesurée de ne pas le rencontrer et tout ça sans culpabilité. Mais qu’est-ce qui m’arrive ? Je m’auto-sermonne face à ma propre bêtise. Logan prend congé en nous serrant la main mais retient Meg par le bras quand elle tente de se dérober.

Aussi consciente que moi que la situation mérite un peu d’intimité, Sofia et moi nous éclipsons rapidement, les laissant seuls sans pour autant quitter l’établissement. Plusieurs minutes passent avant qu’elle ne nous rejoigne, les yeux bouffis. Respectueuses, nous ne posons aucune question. Nous finissons la soirée dans un silence mélancolique qui me sert le cœur. Avant de nous séparer, je prends Meg dans mes bras pour lui glisser à l’oreille : − On est là, ma chérie. Si tu veux parler, n’hésite pas. Sofia nous rejoint. C’est Meghan qui rompt le lien et, dans un sourire murmure

: − Merci, les filles, parfois les sentiments que l’on pensait disparus reviennent frapper à notre porte sans s’annoncer. Une bonne nuit de sommeil et tout reprendra son cours normal. Sans nous laisser le temps de répondre, elle tourne les talons et entre dans sa chambre. Nous savons toutes les deux qu’elle ne nous dira rien de plus, alors nous rejoignons nos chambres respectives. Mais une fois seule dans la chambre, le poids de la fatigue ne tarde pas à se faire sentir. J’ai à peine le temps de retirer mes

chaussures que je sens l’oreiller m’attirer irrésistiblement. Je lui cède sans me faire prier et sombre instantanément.  

Chapitre 19 Braden Mardi 30 Juin, New-York Tandis que la nuit avance à pas de fourmi, j’essaie de trouver le sommeil. Pas facile quand la seule chose qui vous obsède est un rire argentin qui vous a émerveillé toute la soirée. Je crois que je n’avais jamais rien entendu d'aussi harmonieux. À la fin de mon rendez-vous, j’ai raccompagné mon investisseur jusqu’à l’entrée et suis retourné à ma table juste

pour le plaisir de l’écouter. J’aurais donné n’importe quoi pour avoir la chance d’y greffer un visage. Très étrange, cette attirance ! Personne depuis des mois n’était parvenu à attirer mon attention, dans le monde réel tout au moins. En quelques éclats de rire, elle a tout changé. Je suppose que, comme beaucoup d’autres, elle finira dans les draps de Logan et je ne sais pas pourquoi mais ça me rend malade. D’ailleurs, pour me calmer, je lui aurais bien collé mon poing dans la figure à ce don juan de pacotille. Le pire, c’est que ma colère est réelle, palpable même, mais ce n’est pas le seul sentiment que m’inspire ce rire. Une

excitation aussi intense que ridicule ne m’a pas quitté de la soirée. Malgré les efforts que je déploie pour apaiser le feu que ce merveilleux son a éveillé en moi, rien n’y fait, je tourne et me retourne dans mon lit sans que je ne parvienne à sombrer. Exténué, je tente de me détendre mais mes pensées bouillonnent. Quand je lis deux heures du matin sur mon réveil, je me décide à prendre un somnifère. Je vérifie deux fois que mon alarme est opérationnelle et me laisse gagner par les effets rapides de l’hypnotique. Mes dernières pensées oscillent entre ma chimère et les rires de mon inconnue que je meurs d’envie d’entendre à nouveau.

Quand je rouvre les yeux, ma belle est allongée totalement nue sur une couverture près du feu. Une musique douce au rythme lancinant tourne en boucle. Ses doigts battent la mesure au rythme de la symphonie. Quand elle sent ma présence, elle relève la tête s’appuie sur ses avant-bras et regarde dans ma direction. Je suis toujours surpris de constater à quel point mes souvenirs ne sont que de fades réminiscences de sa beauté. J’ai une envie folle de la caresser. Après une journée aussi chargée, où j’ai cru que la folie allait m’emporter cent fois, j’ai besoin de la tenir dans mes bras. Elle est la seule à avoir le pouvoir d’apaiser mes tourments.

Elle se lève et me rejoint, prend le temps d'embrasser chaque centimètre de peau qu’elle découvre en me déshabillant. De petits baisers légers bien loin de nos baisers passionnés habituels. Je n’ai pas envie de lui faire l’amour et, comme à chaque fois, elle se met au diapason de mes besoins. Sentir sa peau contre la mienne me suffit. Nus, enlacés, nous oscillons doucement au rythme de la musique. Quand mes doigts effleurent son dos, un frisson la parcourt. Elle se tortille pour échapper à ma délicieuse torture et rit. C’est la première fois que je le discerne si distinctement et il me cloue sur place. Mon esprit se joue de moi et me fait

encore une de ces mauvaises plaisanteries. Si mon cerveau offre à ma chimère le rire angélique de mon inconnue je ne vais plus jamais vouloir quitter mon monde imaginaire. Pourtant l’association de l’image et du son me paraît si naturelle, que je peine à croire que j’invente tout. Ma chimère n’est qu’un rêve tandis que mon inconnue n’est pas à moi. Je me crispe et ma belle resserre son étreinte comme pour répondre à mon besoin de la rendre réelle. Nous nous allongeons sur la couverture sans jamais nous éloigner l’un de l’autre. Elle cale sa tête sur mon torse et entrelace nos membres. Son besoin de

proximité se calque au mien et tandis que la musique ralentit, mon corps se relâche enfin. Nous restons ainsi une éternité avant de sombrer réellement. C’est la première fois depuis des mois que nous ne couchons pas ensemble. Nos rapports changent, c’est à la fois étrange, réconfortant et légèrement angoissant. Un son strident me tire de ma paisible retraite, je grimace et le fais taire d’un geste. Mais malgré ce réveil bruyant, je me sens étrangement bien. Je ne me suis pas senti ainsi depuis une éternité. La journée s’annonce sous les meilleurs auspices et même si je ne suis pas spécialement emballé par mes rendezvous à venir, cette étreinte et cette nuit de repos m’ont redonné la pêche.

Je m’habille très vite tandis que le soleil me taquine à travers la fenêtre. Sa chaleur me donne une envie irrépressible d’aller me dégourdir les jambes en plein air. Suivant mon instinct, j’avale rapidement un café et me rue dehors. J’ai un peu de temps avant mon rendezvous au journal, du coup je cours sans retenue, juste pour le plaisir de sentir mon corps peiner sous l’effort. Je ne peux réprimer un sourire lorsque je passe à proximité de l’alcôve de ma sœur. Tandis que je martèle le sol en rythme, mes pensées continuent à défiler en suivant leur propre fil conducteur. Elles me ramènent irrémédiablement vers Logan. La même colère que la veille me

reprend par surprise. Il me faut une sacrée détermination et une accélération musclée pour parvenir à mettre en sourdine mes réactions excessives. Des dizaines de fois, je l’ai vu achever sa soirée avec des magnifiques jeunes femmes plus belles les unes que les autres. Je n’en ai jamais éprouvé la moindre once de jalousie. Parce que c’est bien de ça qu’il s’agit, je suis jaloux à en crever ! Et ressentir un tel sentiment alors qu’il m’avait toujours été étranger a quelque chose de déstabilisant. Encore plus lorsqu’on sait que le fruit de ma convoitise m’est totalement inconnu. C’est encore plus étrange lorsqu’on connaît ma vision du couple. D’où sort ce

besoin de possession ou d’appartenance ? Ça reste un mystère. Ça ne veut pas dire que je ne crois pas en la fidélité, au contraire j’en suis même un fervent défenseur. Mais je n’ai encore jamais connu personne à qui je rêve de me donner corps et âme. Soucieux de m’éloigner de ces pensées perturbantes, je me concentre sur ma respiration jusqu’à atteindre pour la deuxième fois l’entrée de Central Park. Machinalement je regarde ma montre. Quinze kilomètres en moins d’une heure, pas mal ! Je rejoins l’hôtel en trottinant. Lorsque, fraîchement douché, je commence à me mettre au travail, je suis happé par un éclat de rire et une voix

mélodieuse dans le couloir. C’est son rire, la même sonorité grisante que la veille ! J’entends une deuxième voix lui répondre, j’en conclus que je ne suis pas en train de fabuler. Je traverse alors la pièce et me précipite pour la rejoindre. Le temps que j’y parvienne, le silence est revenu et je perçois le moteur de l’ascenseur amorcer sa descente. Il faut que je sache qui elle est, j’ai la sensation que c’est vital. Je dévale les escaliers comme si ma vie en dépendait et en moins d’une minute, je suis en bas. Malheureusement, à mon arrivée, l’ascenseur est vide, le hall aussi et ma déception est à la hauteur de l’effort que je viens de déployer. Je suis anéanti. Je sens le regard interrogatif des autres

clients, mais ça n’a vraiment aucune espèce d’importance. J’ai juste envie de me retrouver seul pour reprendre mes esprits. Comme l’un des ascenseurs est toujours ouvert, je me glisse à l’intérieur et remonte rejoindre ma chambre. Le comble, quand j’arrive sur le palier : une odeur étrangement familière se détache nettement. C’en est trop ! Mes jambes se mettent à trembler, incapable d’avancer, je me plie en deux comme si je venais de recevoir un coup de poing dans le ventre.  

Chapitre 20 Jadde Mardi 30 juin, New-York Repenser à mes émotions de cette nuit me fait culpabiliser. Alors que j’étais dans la chaleur réconfortante des bras de Jack, je repassais la soirée en boucle et j’éprouvais un malaise grandissant. Je ne me reconnaissais plus. Plutôt que d’apprécier l’instant de plénitude, je me raccrochais au réel, à cette rencontre avortée et surtout à ma déception

inexplicable. À chaque seconde qui passait, j’avais l’impression dérangeante de le trahir, sensation renforcée par sa bienveillance. J’en venais à penser que j’aurais préféré me perdre dans nos ébats pour arrêter de réfléchir. La fuite comme moyen de défense, comme c’est original ! Franchement je suis ridicule. D’un côté j’ai l’impression de trahir un mort et de l’autre je n’arrive pas à éloigner un strict inconnu de mon esprit. Ce qui m’énerve le plus, c’est que ça se voit comme le nez au milieu de la figure qu’il y a un truc qui cloche. Entre mes traits tirés et mon mutisme, pas besoin d’être une lumière pour le comprendre. Je

picore quelques céréales, prends une douche en vitesse et mets un coup de crayon sous mes yeux pour atténuer la misère. Une chose est sûre, ce n’est pas gagné. Pas la peine d’essayer de dompter ma tignasse, c’est peine perdue. En moins de deux, je remonte ma bête noire en chignon. Je me demande comment je pourrai paraître plus lamentable. Je prends soin d’éviter tous les miroirs de la chambre. J’ai juste envie de me mettre un sac sur la tête pour jouer l’autruche encore une journée. Je suis tellement douée pour ça ! − Allez, ma grande ! Tu arrêtes de penser et tu relèves la tête, me seriné-je, agacée.

Quand Sofia frappe à ma porte, j’accroche un sourire à mon visage fatigué et sors la rejoindre. Il suffit qu’elle me rappelle les entretiens à venir pour fissurer ma façade enjouée. − Super, la presse américaine ! Ma journée promet d’être géniale, pensé-je sarcastique. Heureusement, Sofia trouve les mots justes pour me dérider et nous rions sans retenue avant d’atteindre l’ascenseur. Malgré cet intermède je ne parviens pas à inverser mon humeur. À notre arrivée à la réception, mon éditrice finit tout juste de déjeuner. Sofia, en quête de découverte et munie d’un guide du routard franco-américain, a

décidé de nous abandonner pour aller visiter les quartiers avoisinants. Impatiente, elle n’attend même pas que nous embarquions dans la berline que l’hôtel nous a mise à disposition pour partir en exploration. Quelques minutes plus tard, après un périple aussi animé que la veille, nous nous retrouvons devant les locaux du Holding Free Writing plus communément appelé HFW. Meghan a pris le temps de me retracer le profil de la journaliste qui va m’interviewer. Comme la réussite de cette tournée promotionnelle dépend en partie de cette rencontre, elle en rajoute des tonnes pour que j’en saisisse parfaitement l’enjeu. Rien de tel pour me détendre !

Elle paraît tellement tendue que je ne relève pas. Mon aversion pour les médias est telle que j’ai refusé toutes les interviews qui m’ont été proposées ces dernières années. La plupart des journalistes ne cherche qu’à s’engouffrer dans la faille pour trouver le scoop, ils sont aussi intéressés par mon travail que par leur première rage de dent ! OK, j’en rajoute peut-être un peu, mais bon sang, le nœud qui pèse sur mon estomac est si serré que même déglutir relève de l’épreuve de force ! Allez ! Ça n’est qu’un mauvais moment à passer ! On arrache d’un coup sec le pansement et ça ira mieux après ! J’avale une grosse goulée d’air frais et

entre dans la cage aux lions. Tandis que Meg monte les cinq étages qui nous séparent du bureau de la journaliste, je la suis en silence. Je me détends un peu en voyant le sourire enthousiaste de la jeune standardiste qui nous accueille. Elle nous demande de patienter quelques instants le temps de prévenir la personne qui va nous recevoir. Moins d’une minute plus tard, une petite blondinette fait son entrée. Elle paraît très jeune, vingt ans tout au plus, pas vraiment le profil de la personne que je m’attendais à croiser. Je comprends vite qu’il ne s’agit que d’une assistante. Elle nous conduit rejoindre la journaliste d’un

pas crispé. Ça commence bien ! Quand nous atteignons notre destination, la pigiste est au téléphone. Elle nous fait signe d’entrer, mais ne met pas fin à sa conversation pour autant. Je l’observe et m’agace déjà de son comportement irrespectueux. Ses cheveux châtains tirés en arrière lui donnent un air sévère. Cette impression est renforcée par ses lunettes à bord large qui lui mangent la moitié du visage. La petite quarantaine, elle semble hautaine et pas particulièrement avenante. La quadragénaire nous observe à la dérobée, garde un visage de marbre ne laissant transparaitre aucune émotion. À l’exception de l’éclat étrange qui allume

ses prunelles quand elle les pose sur ma rouquine. D’un signe de tête, Madame Sourire nous fait signe de nous asseoir. De mieux en mieux ! Nous nous exécutons et, pour passer le temps, je détaille son espace de travail. La pièce extrêmement lumineuse déborde de paperasses empilées ci et là. De gros cartons sont entassés derrière le bureau. Je me demande bien comment elle parvient à retrouver ses dossiers dans un tel fouillis. Trois petits cadres photos dans lesquels posent un homme et deux enfants trônent en bonne place sur l’un des rares meubles de la pièce. Un vieux sac de sport est relégué dans un coin, recouvrant ainsi une vieille paire de

tennis depuis longtemps inutilisable. Regarder le décor apaise un peu les tensions qui me tiraillent. Ce qui, au regard de l’électricité qui grésille dans la pièce, n’est pas du luxe. Trois bonnes minutes se sont écoulées depuis notre arrivée et Meghan trépigne de colère. À plusieurs reprises, Meg semble vouloir me dire quelque chose mais se retient au dernier moment. Les coups d’œil de plus en plus appuyés de la journaliste n’y sont probablement pas étrangers. Deux minutes supplémentaires passent et Madame Sourire finit par raccrocher. Le ton est donné. Elle veut mener l’entretien, n’en déplaise à mon éditrice. Elle me

scrute avec insistance avant d’entamer la conversation. − Madame Simmons ! Enchantée de faire votre connaissance ! Kameron Olligan. Son ton hautain ne me laisse aucun doute, elle ne pense pas un mot de ce qu’elle raconte. Tout en parlant, elle me tend la main. Je lui rends son geste plus par politesse que par envie. Ne la voyant pas faire de même avec mon amie, je lance les hostilités. − Je pense que vous connaissez déjà mon éditrice et amie Meghan Blanc. − Nous avons eu l’occasion de nous rencontrer. Une

grimace

contrariée

traverse

furtivement ses traits. Pourtant, elle se reprend très vite et dépose un magnétophone sur le bureau en me demandant si j’accepte d’être enregistrée. J’acquiesce. Elle attrape un document et commence à lire la première question. − C’est votre premier voyage aux ÉtatsUnis, madame Simmons ? La question lui paraît parfaitement inintéressante si j’en juge par la moue dédaigneuse qui l’accompagne. − Oui, mais c’est un rêve de longue date de venir découvrir votre magnifique pays. Ma réponse l’énerve, aucun doute ! Pour quelle raison, c’est encore un mystère. Puis d’un geste condescendant, elle

relâche le document qu’elle tient, souffle et m’adresse un sourire machiavélique. − J’ai appris en faisant des recherches sur votre parcours que vous avez perdu votre mari il y a cinq ans. Depuis, vous vivez en recluse. Avez-vous enfin surmonté cette épreuve ? Oh la salope ! C’est vraiment un coup bas. Meghan est prête à lui tordre le cou, mais je l’arrête d’un geste. Puis je prends quelques secondes pour formuler une réponse à la hauteur de sa perfidie. − Votre question est parfaitement hors de propos. Elle est aussi mal venue que si je vous demandais des détails intimes sur votre vie de couple. Je sais qu’ici la vie privée est une notion vaguement abstraite.

Mais je doute que vous apprécieriez si j’exposais aux yeux du monde votre propre histoire. Si j’avais besoin d’une confirmation sur ce qui lie Meg à cette peau de vache, le coup d’œil assassin qu’elle lui jette m’en dit plus que de raison. Soucieuse de ne pas mettre mon amie en difficulté, je me hâte de poursuivre : − Certaines choses sont et resteront du domaine personnel. Je suis là pour parler de mon livre, certainement pas de mes états d’âme. Mais puisque cela à l’air de vous captiver, je vais très bien, merci de votre sollicitude. En attendant, si cela ne vous dérange pas trop, je souhaiterais que nous allions droit au but. J’ai une dizaine

d’autres journalistes à rencontrer aujourd’hui et je pense que vos lecteurs seront bien plus intéressés par mes romans que par ma vie anonyme et platonique. J’ai tapé dans le mile. Elle s’est décomposée dès que je l’ai vraiment remise à sa place et franchement, je jubile. Apparemment je ne suis pas la seule. Meg à mes côtés arbore le sourire de la chatte qui vient de coincer la dernière souris du coin. Mon ton est resté parfaitement courtois mais ironique, et j’en suis assez fière. Kameron tente de se redonner une contenance en se servant une tasse de café. D’un geste, elle nous propose de

l’accompagner. J’accepte, sentant qu’une dose de caféine sera la bienvenue, surtout si l’échange reste dans la même dynamique. Mon amie décline sa proposition. Peut-être craint-elle la dose d’arsenic. Vu le regard haineux de la journaliste, c’est certainement plus prudent ! − J’espère que ma question ne vous a pas remuée, finit-elle par reprendre avec un sourire narquois. Ici, parler de sa vie privée, c’est juste prouver que l’on n’a rien à cacher. Oh la sale manipulatrice ! Comme si j’allais croire un mot de ce qu’elle raconte ! Avant de la laisser poursuivre, je rétorque pleine de sarcasme :

− Oh, comme c’est aimable à vous de vous en inquiéter ! Maintenant que vous avez satisfait votre curiosité malsaine, si nous en revenions au sujet de ma visite ? À moins que vous n’ayez d’autres fadaises du même genre à nous faire partager. Je comprends un peu mieux pourquoi Meghan paraissait stressée par cette rencontre. Mais contrairement à ce que je croyais, ça tenait bien plus au sale caractère de la journaliste qu’à ma capacité d’être à la hauteur. Cette dernière se retient de me lancer une réplique cinglante mais un simple regard sur le magnétophone l’en dissuade. Elle finit par se rengorger et ravaler sa verve.

Elle reprend le document qu’elle avait précédemment négligé sur le bureau et rattrape le fil des questions. Je vois son agacement transparaître dans tous ses gestes et elle jette régulièrement des regards amers à l’appareil d’enregistrement. Les questions s’enchaînent et si j’en crois son agacement qui croit à mesure qu’elle les lit, j’en viens à me demander si c’est elle qui les a écrites. Elle m’interroge sur mes sources d’inspiration, sur les raisons de mon choix de carrière ou sur le lien entre mes personnages et ma personnalité. Je joue le jeu pendant près de trois quarts d’heure. Et franchement, ça me coûte une énergie considérable.

Elle adjoint, çà et là, des petits signes trahissant son mépris que je fais mine de ne pas remarquer. Pour alléger l’ambiance électrique, j’intègre quelques notes d'humour, le plus souvent possible. Au moment de prendre congé, Madame Olligan qui n’en a visiblement pas fini avec nous, me foudroie du regard. Elle éteint le petit enregistreur, et se lâche tandis que j’ouvre la porte : − Vous avez beau avoir du répondant Madame Simmons, je ne suis pas femme à me laisser clouer le bec aussi aisément. Nous aurons d’autres opportunités de nous rencontrer. − En ce qui me concerne, je n’avais pas la prétention de vous « clouer le bec »

mais simplement de vous envoyer planter vos griffes sur quelqu’un d’autre. Comme je doute que vous soyez l’auteur de la plupart des questions ni même que vous rédigiez l’article, votre opinion n’a absolument aucun intérêt pour moi. Elle émet un petit son outré et je souris : − J’aurais bien rajouté « au plaisir de vous revoir », mais nous savons toutes les deux que je n’en pense pas un mot. Au revoir, Madame Olligan ! Si j’en crois sa tête, elle ne s’attendait pas à une telle réaction. Nous sortons du bureau et lui fermons presque la porte au nez. L’espace vitré nous a offert en pâture à

toute la pièce et je déteste ça ! Un silence de mort accompagne notre entrée fracassante dans l’openspace. Puis, doucement, les activités reprennent et le poids des regards s’éloignent. Alors que je fais face à mon amie encore secouée par l’altercation, un petit bout de femme d’une trentaine d'années nous rejoint et commence à se confondre en excuses. Elle s’adresse à Meghan mais me jette plusieurs coups d’œil gênés. − Je suis vraiment confuse, je n’avais aucune idée de ce qu’elle avait l’intention de faire. Quand elle a proposé de vous interviewer, j’ai juste cru qu’elle souhaitait me rendre service. J’ignorais qu’elle voulait vous mettre dans l’embarras. Pour une fois qu’elle se

montrait agréable, j’aurais dû me douter qu'elle avait une idée derrière la tête. Devant le mutisme de Meghan – décidément ça devient une habitude ! –, je prends la parole, quelque peu excédée. Sentant le poids du public qui n’en perd pas une miette et qui me met mal à l’aise, je leur tourne le dos. Je ne garde à l’œil que mon amie, la dernière arrivée et le simulacre de journaliste qui a réalisé l’interview. − Commençons par le commencement, à qui ai-je l’honneur ? − Je suis désolée, je manque à tous mes devoirs. Je suis Isabelle Smith et c’est moi qui ai l’honneur de faire votre plébiscite.

Je la salue d’un signe de tête, encore bien trop sur les nerfs pour faire preuve de courtoisie. Mon attention passe lentement de madame Smith à Meghan. Les deux m’adressent un regard désolé qui m’énerve encore un peu plus. Pourtant, je me force à garder mon calme, rien ne sert de se donner un peu plus en spectacle. − J’apprécierais qu’on m’explique ce que j’ai pu manquer pour subir un tel comportement. Tandis que Meg déglutit bruyamment, Isabelle répond avec contrition. Encore ! Ça commence sérieusement à me taper sur les nerfs.

− Malheureusement, une autre interview est venue se greffer sur mon planning et je me retrouvais à court de temps pour vous recevoir correctement. Quand ma collègue s’est proposée, je n’ai pas vu le mal et après avoir informé votre éditrice, j’ai chargé Madame Olligan de vous poser les questions que j’avais préalablement préparées. J’espère que malgré son comportement déplorable, elle m’a fourni suffisamment de matière pour monter l’article. Seul notre mutisme lui répond et elle se sent obligée de rajouter. − Bien sûr, je vous le ferai valider avant de l’envoyer à l'impression. C’est vraiment le moins que je puisse faire pour

me faire pardonner. − C’est raisonnable, finit par articuler Meghan. Je suis d’accord, faites-moi parvenir votre édito et je le validerai avec ton accord, m’énonce-t-elle en se tournant dans ma direction. Et sache que si tu dois blâmer quelqu’un, c’est moi la responsable de ce fiasco. Je suis vraiment impardonnable. J’aurais dû refuser que cette énergumène gère le face à face. Elle a toujours été incapable d’être une professionnelle digne de ce nom. De toute façon, je ne suis pas là pour lui faire des reproches. Je n’ai aucune excuse. Même si ma curiosité est piquée au vif, ce début d’explication apaise les esprits. Je laisse traîner le silence. Je lui en veux

de ne pas m’avoir prévenue du traquenard dans lequel elle me jetait. Elle se frotte les mains, anxieuse. Quand je l’ai suffisamment fait mariner, je reprends : − Nous en reparlerons, lui affirmé-je. Quant à vous, ne vous accablez pas trop. Je ne peux pas dire que cet entretien m’ait enchanté, mais lorsque votre collègue a enfin daigné poser vos questions, elles étaient plutôt pertinentes. J’ai même pris un certain plaisir à y répondre. Elle me sourit, quelque peu rassurée, et me remercie d’un geste déférent. − Pour autant, je pense qu’il serait plus sage d’éviter de renouveler l’expérience. Maintenant, sans vouloir vous paraître cavalière, auriez-vous la gentillesse de

m’offrir un verre d’eau ? Le café qu’elle m’a donné, lui expliqué-je en désignant sa collègue, était aussi infect qu’elle ! Et je ne supporte plus ce goût acre dans la bouche. − Bien sûr ! Moins de dix secondes plus tard, elle me tend un verre plein d’eau fraiche et de glace pillée. Je la congratule d’un signe de tête et bois, faisant refluer le reste de ma tension. Machinalement, je tourne la tête et tombe sur le visage blême de Meghan. Je la dévisage, surprise. Au même moment, je sens le poids d’un regard dans mon dos. Un frisson me

parcourt la nuque et mon cœur s’emballe. J’ai déjà vécu ça, je le sais, je le sens sauf que c’est impossible… Je me retourne comme au ralenti. Quand je fais face à l’individu derrière moi, je lâche un cri presque inhumain, mes mains se mettent à trembler et mon gobelet s’écrase au sol. Mes jambes ne me supportent plus, tout devient flou. Et avant que j’aie eu le temps de réaliser, je m’effondre et sombre dans l’obscurité.  

Chapitre 21 Braden Mardi Il me faut un long moment pour trouver la force d’avancer jusqu’à la chambre. Je vais devenir dingue, il faut que ça s’arrête ! Mes pensées, comme des balles de ping-pong, oscillent entre le rire de mon inconnue, sa fragrance et sa voix mélodieuse d’un côté, et ma chimère, déesse parfaite issue de mon imagination de l’autre.

Moi, pauvre crétin obsédé, je suis perdu quelque part au milieu de ce gros bordel fantasmé. Et je suis tellement taré que je suis incapable de penser à autre chose. Quand je reviens à la réalité, je suis assis sur le canapé de ma chambre. Comment je m’y suis pris pour le rejoindre, alors là, mystère ! Machinalement, je jette un coup d’œil à mon téléphone ! Merde ! Je suis à la bourre pour cette satané d’interview au HFW. Je m’efforce de contenir la fébrilité qui ne me lâche pas depuis « l’apparition », et c’est loin d’être simple quand le rêve et la réalité se mêlent sans cesse. J’attrape mon téléphone et ma carte magnétique au passage, sors de la

chambre en courant. Je retiens ma respiration le temps de traverser le couloir même s’il y a peu de chance que son odeur flotte encore. Bordel, mais pourquoi j’ai accepté cette foutue rencontre ? Je savais bien que c’était une mauvaise idée ! Je ne suis pas en état pour toutes ces conneries ! Il en faudrait peu pour que j’appelle mon chargé de communication pour gérer la situation. Mais j’ai donné ma parole alors... Je descends les escaliers une nouvelle fois et atterris dans le hall où j’accélère encore le pas. Avancer, ne pas réfléchir, ne rien ressentir, voilà le crédo du moment. Je reprends mon souffle

librement quand je saute dans le premier taxi qui s’arrête. J’aurais rêvé que ce soit Bob le prince du reggae qui m’emmène à destination, mais cette fois je n’ai pas cette chance. Je me cale dans le véhicule on ne peut plus impersonnel et, après avoir donné ma destination, le conducteur ne m’adresse plus le moindre regard. Heureusement, les bourdonnements incessants de la circulation new-yorkaise me tiennent compagnie. Je m’évertue à ne pas laisser mon esprit ‘en détacher. Quinze minutes plus tard, je sors à reculons du taxi, paie le conducteur et me donne virtuellement un grand coup de pied au cul pour grimper jusqu’au

cinquième étage. J’ai à peine posé un pied à la réception que la tension ambiante m’électrise et accélère mes battements cardiaques. La réceptionniste lève les yeux sur moi, rougit et doit s’y reprendre à deux fois pour me demander mon nom et l’objet de ma visite. Elle me propose de m’asseoir en attendant que la journaliste daigne venir à ma rencontre. Lorsque qu’un jeune assistant me demande de le suivre, je me lève et l’accompagne sans conviction. Passé l’accueil, nous accédons à une immense openspace où, comme dans un Tétris grandeur nature, les bureaux s’emboîtent

les uns aux autres. Les pièces transparentes qui bordent l’espace central ajoutent à l’effervescence qui règne au centre de la pièce. Chacun vaque à ses occupations à toute vitesse, aussi afféré qu’un essaim d’abeille dans sa ruche. Le fond sonore est aussi assourdissant que calfeutré, peuplé de murmures, de petites mains martelant sur les claviers, les téléphones... Rien ne trouble cette danse maintes fois répétée jusqu’à ce qu’une voix, « sa » voix vienne accaparer toute mon attention. Je marque un temps d’arrêt à l’instar de mon accompagnateur en braquant le regard vers l’échange

houleux. À l’autre bout de la pièce, trois femmes échangent des propos peu amènes. Je n’entends que des bribes de conversations, pourtant même à cette distance la magnifique jeune femme qui me tourne le dos domine la discussion. Sans que je l’aie sciemment décidé, mon corps se rapproche instinctivement du petit attroupement. À cette distance je ne peux pas les distinguer avec précision. Mais soyons honnête, la seule qui m’intéresse : la magnétique brunette qui semble plutôt remontée. Quand elle regarde furtivement la pièce,

je me baisse comme si je voulais lacer mes chaussures sans pour autant quitter la scène des yeux. Pourquoi ? Je n’en ai pas la moindre idée ! Rapidement, les deux jeunes femmes qui ont quitté le bureau furibondes sont rejointes par une nouvelle. Elles ont toutes l’air d’avoir à peu près le même âge. Je continue à me rapprocher et j’entends de mieux en mieux leur échange. La dernière arrivée commence à débiter un tas de platitudes. Sa voix ne m’est pas inconnue mais ma réflexion commence et s’arrête à l’attractive jeune femme. Ce n’est que lorsque que je suis à une dizaine de pas que je reconnais la journaliste qui doit

m’interviewer. C’est à nouveau elle qui finit par prendre la direction de la discussion. Je n’arrive pas à décrocher mon regard de son corps élancé, fin et en même temps étonnamment musclé. Elle porte un jean et un simple débardeur qui mettent en valeur ses formes harmonieuses. Ces dernières me paraissent étrangement familières. Comme elle me tourne le dos, je ne peux distinguer son visage. Mais je peux continuer à m’extasier sur les mèches rebelles qui tombent dans son dos. Elle a de magnifiques cheveux, qu’elle a remontés sur le haut de sa tête. Sa peau a une couleur de miel, et je rêverais d’y goûter.

Mais qu’est-ce qui me prend ? Il ne manquait plus que l’étiquette de pervers à ma panoplie de déviances. Je fantasme sur une illustre inconnue ! Quand elle parle son ton à la fois calme et mordant me file des frissons. Dès qu’elle cesse, j’ai juste envie de l’entendre à nouveau. Si je laissais libre cours à mes désirs, je la prendrais dans mes bras. Lorsqu’elle tourne la tête vers son amie, j’accompagne son geste. Cette dernière me fixe d’un air horrifié. On dirait qu’elle vient de voir un fantôme. Puis, comme si la scène se jouait au ralenti, la merveilleuse créature se tourne à son tour. Lorsque ses magnifiques yeux

verts se posent sur moi, son visage pâlit instantanément. Son verre lui échappe et ses jambes, jusque-là solides comme des rocs, se dérobent. Ses yeux se révulsent, son corps tangue et s’écroule. Je me précipite pour la retenir en poussant sans ménagement tout ce qui nous séparait encore. Quand je la serre dans mes bras, le monde extérieur s’évanouit. Il ne reste plus que nous. Tandis qu’elle s’agrippe à moi, je m’enivre de son odeur pleine de douceur et de subtilité, douce fragrance de camélia, miel et cannelle. L’évidence me frappe : « Bon sang, c'est ma Cam ! ». Je tiens pour la première fois de ma vie ma chimère, mon refuge, mon âme sœur

dans mes bras. Cette certitude m’apparaît si clairement qu’elle me ramène au présent. Toute la scène m’a paru durer une éternité, pourtant seulement quelques secondes se sont écoulées depuis sa chute. Son amie qui a réagit à retardement tente de nous séparer. Mais ma beauté s’accroche à mon cou et ses lèvres entrouvertes prononcent un prénom qui n’a rien à voir avec le mien. − Jack. Ce simple mot me fait l’effet d’une claque. C’est seulement à ce moment que je prends la dimension de la situation. Elle m’a pris pour quelqu’un d’autre,

c’est à lui qu’elle se raccroche à moi. Je me sens idiot. Comment ai-je pu croire que l’attirance que je ressentais pour elle ait pu être instantanément réciproque ? Son amie n’a pas renoncé et, agacée par mon refus d’obtempérer, me tourne autour. Elle finit, quand nous atteignons la salle de repos et que la porte se referme derrière nous, par manifester clairement son impatience. − Merci de l’avoir secouru, posez-la maintenant, monsieur… ? Son ton presque agressif me laisse supposer que mon comportement me fait passer pour un fou. − Pardonnez-moi pour mon attitude un

peu cavalière, je m’appelle Braden, Braden Miller. Je me suis rapproché de votre groupe parce que j’avais rendezvous avec la journaliste qui vous accompagnait et quand j’ai vu votre amie tomber, j’ai voulu lui venir en aide. Si je vous ai donné une autre impression, je m’en excuse. Le visage un peu apaisé, elle me jauge pour évaluer ma sincérité. Je ne sais pas ce qu’elle voit dans mes traits mais son visage finit par se détendre. − Merci pour votre aide, monsieur Miller. Je m’excuse, j’ai dû vous paraître ingrate, je vous ai bien pris pour quelqu’un d’autre et je ne doute pas que Jadde ait eu la même idée. Pourriez-vous la poser sur

le canapé, s’il vous plaît ? Jadde… Ce prénom sonne comme une mélodie à mon oreille et lui convient à merveille. Je m’exécute à contre cœur. Pour prolonger encore quelques secondes notre contact, je me mets à genoux et la dépose délicatement sur le sofa. C’est le moment que choisit la journaliste pour entrer dans la pièce. Elle porte un verre d’eau dans une main et un petit flacon dans l’autre. Jadde est toujours inconsciente. Je suis sous le charme de son petit nez retroussé, ses pommettes hautes et son teint si lumineux. Je me détache à regret quand mademoiselle Smith approche d’un pas décidé.

− Madame Olligan a tendance à tourner de l’œil facilement, se sent-elle obligée de préciser, aussi nous avons des sels pour qu’elle reprenne plus vite ses esprits. Puis, comme si elle avait occulté notre présence, elle rajoute en marmonnant : − Au moins, elle aura servi à autre chose qu’à me causer des ennuis ! Elle agite le flacon sous le nez de ma déesse qui commence à s’agiter. Elle cligne plusieurs fois des yeux puis les rouvre définitivement et secoue la tête quand elle regarde dans ma direction. Son amie qui observe la scène, se rapproche d’elle et lui murmure quelque

chose à l’oreille. Je vois les yeux de Jadde se mettre à briller. Elle les ferme et, après quelques secondes, me fait face à nouveau. Son expression s’est imperceptiblement modifiée. Au moment où elle s’apprête à me parler, Mademoiselle Smith la précède. − Monsieur Miller, je sais que vous avez un planning très chargé, voulez-vous que nous passions dans mon bureau pour notre entretien ? Mon cœur me hurle de l’envoyer paître, mais je ne vois aucune porte de sortie. Alors, bien que je meure d’envie de rester près d’elle, je n’ai pas d’autre option que de la quitter. Je la regarde et il me semble discerner une pointe de

détresse dans son regard. Sans vraiment réfléchir, je m’adresse à la journaliste sans lâcher Jadde du regard. − Pourriez-vous m’accorder cinq minutes, Mademoiselle Smith ? Je vous rejoins dans votre bureau. Conscient que ma requête peut paraître étrange et ne souhaitant effrayer personne je rajoute : − Je veux juste m’assurer que notre amie a bien repris ses esprits, nous ne voudrions pas prendre de risque avec sa santé ! Comme je ne laisse aucune place à la discussion, et malgré son agacement manifeste, elle quitte la pièce non sans

m’avoir jeté un dernier coup d’œil. Jadde et celle qui l’accompagne ne me lâchent pas des yeux. Apparemment mon intervention satisfait l’une d’entre elle, tandis qu’elle agace la seconde : − Je ne veux pas vous paraître envahissant, je me sentirais coupable de m’éclipser sans avoir pris de vos nouvelles, mademoiselle ! Dans mon esprit, j’échafaude des millions de scénarios pour me donner l’opportunité de la revoir. Aucun ne me paraît crédible et je désespère. Incapable de me faire à l’idée que nos chemins risquent de se séparer, je me prépare à opter pour la franchise. Mais

rien ne se passe comme je ne m’y attendais.

Chapitre 22 Jadde Mardi Lorsque je reprends enfin conscience, je suis allongée sur un canapé à l’écart. Meghan est assise près de moi, la journaliste m’agite un flacon d’une odeur pestilentielle sous le nez. Je cligne des yeux plusieurs fois en essayant de me remémorer les derniers événements : l’interview chaotique, les excuses, la confrontation avec Meg et

Jack se tenant face à moi. Oh bon sang ! Jack. Devant Moi ! L’ai-je imaginé ? Je repense au visage défait de mon amie avant que je l’aperçoive et je réalise que tout cela était bien réel ! Oh mon Dieu! Mais comment est-ce possible ? À partir de là, c’est un mélange entre trou noir et flou artistique. Je me souviens du choc intense qui m’a coupé le souffle. Puis la sensation que mon sang n’arrivait plus jusqu’à mon cœur qui battait comme un dératé. Je ne me suis pas vue partir. Le néant m’a envahi avant que je comprenne vraiment ce qui se passait. Lorsque des bras puissants m’ont serrée contre un cœur qui vibrait au même rythme que le mien, j’ai ressentis un

besoin inexplicable de m’y coller. Puis cette odeur suave et musquée étonnamment familière a envahi mes sens et m’a fait tout oublier. Tout ce qui appartenait au monde extérieur s’est évanoui. Je pourrai jurer qu’autour de nous le silence s’est fait, jusqu’à ce que la voix crispée de mon amie me ramène au présent. L’oreille collée à son torse, j’entends sa réponse à travers les vibrations de la cage thoracique. C’est le son le plus doux qu’il m’ait été donné d’entendre. Douce mélodie chargée d’émotions qui n’a fait que renforcer ma détermination à la garder tout contre moi. Le sens de ses

paroles me restait inaccessible mais ça ne m’empêchait pas de me délecter du son harmonieux de ses mots. Le moment où nos corps se sont détachés est arrivé beaucoup trop vite. Depuis, la douleur du manque est presque intolérable et je donnerai n’importe quoi pour la faire disparaître. Quand je finis par reprendre totalement pied, mes yeux papillonnent avant de lui faire face. Je soupire de soulagement, je n’ai donc rien rêvé. Oh, Jack, mon Jack ! Tandis que ses grands yeux magnifiques ne me lâchent pas une seconde, mon fantasme explose d’un seul coup : mais

merde, ça ne peut pas être Jack ! Je secoue la tête pour tenter de trouver un sens à la situation. Meghan qui a compris mon désarroi me murmure à l’oreille. − Tu as raison, ma chérie, ce n’est pas lui. Je sais qu’il lui ressemble de façon stupéfiante mais crois-moi sur parole, ils sont très différents. Ses paroles, bien que confirmant mon intuition, me font mal mais n’altère pas l’étincelle de vie que sa présence à fait naître. Sans que je ne puisse rien y faire, mes yeux s’emplissent de larmes. Instinctivement je les ferme pour étouffer un sanglot. Je lutte pour contrôler mes émotions. Lorsque je parviens à me calmer suffisamment, mon regard comme

aimanté repart dans sa direction. À cet instant, la seule chose qui revêt de l’importance à mes yeux : prolonger notre rencontre le plus longtemps possible. J’ai beau savoir que ce moment de bonheur est aussi éphémère que factice, la joie qui m’envahit en sa présence n’en est pas moins réelle. Pour maintenir cette félicité, je passe en revue toutes les excuses crédibles. Lorsque je m’apprête à prendre la parole, Isabelle me coupe l'herbe sous le pied et nous ramène à la réalité. Je panique. Il ne peut pas s’en aller pas comme ça… Il ne me laisse pas me perdre en conjecture et, comme s’il avait senti mon angoisse, il éloigne la jeune femme sans même lui

adresser un regard. Si la situation s’y prêtait, je ferai la danse de la victoire, allez savoir pourquoi ! Je me contente de lui adresser un sourire reconnaissant. Plus les secondes s’égrainent, plus j’ai l’intime conviction que je ne peux pas me contenter de ces maigres réminiscences. J’ai l’étrange pressentiment qu’il n’a aucune envie de mettre fin à notre échange lui non plus. Lorsqu’il répond aux interrogations silencieuses de Meghan, aucun de nous n’est dupe sur ses intentions. Tout son corps le trahit, et je parierai que ça n’a rien d’habituel. Nul doute qu’il analyse les options dont nous disposons. Soumise à une nécessité incontrôlable et

sans m’encombrer des conséquences, je m’entends lui proposer : − Je vais mieux, je vous assure. Vous m’avez sans doute évité de me fracasser le crâne par terre. Je vous en suis infiniment reconnaissante. Je tiens à vous remercier pour votre intervention. Accepteriez-vous de vous joindre à nous pour partager notre repas ? Nous dînerons à l’hôtel du Blue County. J’ai conscience que ma proposition est un peu déplacée et que vous avez probablement des millions de choses à faire mais j’aimerai vraiment que vous acceptiez. Je doute que Meghan ait aperçu l’expression de soulagement qui a traversé son visage tant elle était soufflée

par mes paroles. Elle me regarde bouche bée et, pour être honnête, je suis sidérée par ma propre audace. Je le connais depuis deux minutes et l’invite à dîner. Mais qu’est-ce qui me prend ? J’ai encore perdu une bonne occasion de me taire. Le pompon : voilà que je me mets à rougir comme une lycéenne, idéal pour passer pour une idiote ! De toute façon, je ne vois pas comment je pourrais agir de façon cohérente quand d’un simple regard il me fait perdre tout sens commun. Bon sang... J’en ai la chair de poule. J’essaie de faire abstraction du regard meurtrier de ma rouquine qui n’a pas mis longtemps à se reprendre.

Partagée entre impatience et appréhension, j’attends en réfrénant ma manie, depuis longtemps oubliée, de me ronger les ongles pour calmer mes nerfs à vif. Il réfléchit, pendant quelques secondes. Quand il accompagne sa réponse d’un sourire renversant, mon ventre fait un lâcher de ballon tout azimut. − Je devais partir pour Baltimore en fin début d’après midi, mais comment refuser un tel témoignage de gratitude ? C’est moi qui suis honoré que vous m’acceptiez à votre table. Je vous rejoindrais vers vingt heures si vous êtes d’accord, Jadde. Pardonnez-moi de vous appeler ainsi mais j’ignore votre nom.

Idiote... Tu l’invites à dîner alors que tu ne t’es même pas présentée. Triple cruche ! − Je suis vraiment distraite je m’appelle Jadde Simmons. Et vingt heures, ce sera parfait. Je rougis de plus belle. Allez, comme si je ne m’étais pas assez rendue ridicule ! Mon trouble a l’air de l’amuser. Je suis alors partagée entre l’envie de lui faire avaler son arrogance et celle de retrouver l’apaisement dans ses bras. Il faut vraiment qu’il s’éloigne, c’est urgent. En nous adressant un sourire, il sort de la pièce non sans me jeter un dernier coup

d’œil. Quand la porte se ferme, je relâche le souffle que je n’avais pas conscience de retenir. Meghan me tombe dessus dès que la porte s’est refermée. − Mais bon sang, Jadde, qu’est-ce qui te prend ? − Je n’en sais rien, j’ai juste suivi mon instinct. Je suis incapable de t’expliquer mon comportement parce que j’ai suivi un besoin et non la logique. Toutes griffes dehors, elle va rentrer dans le vif sans attendre, c’est certain. − Tu as conscience de te servir de lui ? Leur ressemblance est assez incroyable, je te l’accorde. Mais c’est la seule

similitude, il n’est pas Jack et ne le sera jamais ! − Parce que tu crois que je ne le sais pas ! rétorqué-je agacée. − Comment va-t-il réagir quand il va apprendre que tu l’utilises ? Mais après tout, lui je m’en fous ! La vraie question, c’est de quelle façon vas-tu gérer leur ressemblance ? Parce que ne me raconte pas de connerie, c’est la raison qui t’a poussée à le revoir. Je mets plusieurs secondes pour lui répondre, je sais pertinemment qu’elle a raison et que je me suis laissée emporter. Pourtant je ne parviens pas à éprouver le moindre remord. Il m’offre sans le savoir la chance de partager quelques instants

avec ce qui se rapproche le plus de l’amour de ma vie. Alors, elle peut bien tourner la situation dans tous les sens, ce n’est pas elle qui va m’en dissuader. J’ai rarement été aussi convaincue de prendre la bonne décision, du coup, sans me détourner, je clos la conversation. − J’ai parfaitement conscience de la situation, Meg, je n’ai pas l’intention de te mentir en prétendant que mon invitation n’a rien à voir avec Jack. Je n’ai aucune réponse à t’apporter pour l’instant. J’entends tes craintes mais laisse-moi cette soirée pour tenter d’y voir plus clair. Elle me scrute pendant un long moment et finit par acquiescer. Je sais que ça ne

l’enchante pas mais elle n’a pas son mot à dire. Elle m’a donné son avis, je comprends qu’elle s’inquiète, mais ça ne change rien. Je veux le revoir, j’en ai besoin et je ne ferai pas marche arrière. En tout cas je ne suis pas la seule à devoir passer sur le grill. − En parlant d'y voir plus clair, je pense que je ne suis pas la seule à devoir des explications, tu ne crois pas ? Ses joues virent instantanément au cramoisi, elle avait certainement espéré s’éviter cette corvée. Elle s’assoit et baisse la tête. Puis, fidèle à son caractère, la relève et me fait face avec une détermination et une assurance retrouvées.

− Il y a trois ans, j’ai rencontré le mari de madame Olligan à un congrès sur les jeunes auteurs prometteurs de New York. Quand il m’a dragué, j’ai préféré croire qu’il était célibataire. C’était vraiment stupide de ma part. Comme je traversais une période plutôt difficile, et qu’il m’offrait un peu de réconfort, je me suis laissé séduire. Elle secoue la tête et lève les yeux au ciel, comme si elle se demandait encore comment elle avait pu se laisser berner. − Nous avons couché ensemble deux ou trois fois. Rien de sérieux, complète-telle en grimaçant de dégoût. Quand j’ai découvert un peu par hasard qu'il était marié, je l’ai envoyé balader sans

ménagement. L’histoire aurait pu s’arrêter là, sauf que son épouse a appris son infidélité. Depuis elle me juge responsable de la situation et cherche par tous les moyens à se venger. Elle a même tenté de détruire la réputation d’un de mes auteurs fétiches juste pour m’atteindre, ajoute-t-elle sur le ton de la colère. Puis elle hausse les épaules, l’air défait : − Ça fait presque un an qu’elle me laisse en paix, j’ai vraiment cru qu’elle était passée à autre chose. Je mérite son ressentiment mais qu’elle s’en prenne à mon entourage, c’est tellement minable ! J’ai hésité à t’en parler avant de venir, mais je ne voulais pas te mêler à cette histoire sordide. Cette idiote s’en est

chargée à ma place. Et je dois dire que je n’étais pas peu fière de la façon dont tu l’as scotchée avec tes réparties. Et tout ça, sans jamais hausser la voix. Je grimace à ce souvenir, je déteste les conflits en général mais je ne suis pas non plus du genre à me laisser marcher sur les pieds. − Je n’aurai pas agi autrement en connaissant toute l’histoire. Ce n’est pas parce qu’elle confond tout que je suis obligée de faire pareil. Elle te déteste et maintenant elle m’a jetée dans le même panier : les garces à abattre. Sympa comme mise en jambe ! Et son mari tu l’as recroisé ? − Non et franchement il n’a jamais

représenté autre chose qu’un plan cul. Je ne suis pas vraiment fière de moi dans cette histoire. Je pose ma main sur son épaule pour tenter de l’apaiser. Elle ébauche un simulacre de sourire. − Quittons cet endroit, il me file des frissons, murmure-t-elle tout en jetant un coup d’œil à sa montre. − Dépêchons-nous, nous n’avons que quinze minutes avant notre prochain rendez-vous. En partant, je me retourne machinalement, pour tenter d’apercevoir l’homme qui me fait étonnamment vibré. Le reste de la journée file sans que je

m’en rende compte. Même la rencontre avec mon éditrice américaine n’est qu’une partie de rigolade au regard de ce début de journée. Lorsque nous rejoignons enfin Sofia, elle prend un bain de soleil, accoudée à l’une des tables du patio de l'hôtel. La chaleur de ce début de juillet est étonnamment douce pour la saison. Avant même que nous ayons eu le loisir de nous asseoir, elle nous tend deux paquets. − Je voulais vous remercier de m’avoir fait profiter de ce séjour, les filles. Sans vous je n’aurais jamais pu me le permettre. Du coup, je suis tombée sur ces merveilles et j’ai de suite pensé à vous.

Alors que Meghan a déjà ouvert son paquet et qu’elle est train de s’extasier sur une petite robe rouge dos nu, je souris à Sofia. Je suis flattée de son attention mais je suis bien trop préoccupée pour vraiment en profiter. Ma seule réelle obsession : comment lui expliquer la présence de notre invité surprise au repas de ce soir ? J’y ai réfléchi une bonne partie de l’après-midi. Je me suis souvenue de sa réaction au restaurant la vieille à l'énoncé de son nom. − Tu sais que ce n’était vraiment pas nécessaire, Sofia, mais c’est super gentil. − Tu ne l’ouvres pas ? m’interroge-t-elle en me voyant hésiter.

− Si si, bien sûr ! Mais j’ai un truc à te demander avant. Où as-tu entendu parler de Braden Miller ? Elle agite les mains nerveusement et jette des coups d’œil angoissés vers Meg qui l’évite volontairement du regard. − C’est un chef culinaire de renommée internationale, Jadde ! En cuisine cet homme est un vrai maestro. Il a la réputation de sublimer n’importe quel met. Au point que la cuisine devient plus qu’un art, presque une religion. − Eh bien je connais ton attrait pour la cuisine mais tu as l’air passionnée par le talent de cet homme. Si je te disais, hypothétiquement bien sûr, qu’il va diner à notre table ce soir, qu’est-ce que tu en

penserais ? Passée la surprise, elle me répond sans laisser le moindre doute sur son avis. − Je te répondrai que ce n’est pas forcément la meilleure idée que tu aies ! − Ah bon ! Tu as fait preuve d’un tel enthousiasme pour rencontrer Logan hier que je suis surprise que tu n’aies pas le même engouement pour Monsieur Miller. − Ça n’a rien à voir, se défend-t-elle. Je serais ravie de faire sa connaissance mais je ne pense pas que votre entrevue soit une excellente idée. − Et pourquoi donc ? Parce qu’il ressemble comme deux gouttes d’eau à Jack, peut-être ?

− Tu es au courant, souffle-t-elle dépitée. Je suis désolée, je ne voulais pas que tu te retrouves face à cette situation. Apparemment, bien que leur ressemblance physique soit frappante, ils n’ont vraiment que ça en commun. Je hausse les épaules parce ue j’ai déjà pu le constater par moi-même. Puis plutôt que de tourner autour du pot, je lui raconte les événements de la matinée. Je tais certains points et Meghan m’en remercie d’un regard. Je vois le visage poupon de Sofia se décomposer au début de mon récit. Puis, quand je lui détaille la scène dans la salle de détente, elle s’empourpre et finit par éclater de rire après ma proposition parfaitement inopportune.

− Tu plaisantes, Jadde ? Tu n’as quand même pas osé lui faire une telle proposition ? − En fait, si, réponds-je en rougissant, je sais ce que tu vas dire : c’est une très mauvaise idée. Je te rassure, Meg t’a déjà devancée. Ce n’est pas Jack et blablabla… Elle lève la main pour me faire taire. − Je n’allais pas te faire un couplet dans ce style. Si j’ai bien compris, il n’est pas insensible à ton charme. Tu as pensé à lui dans ta petite expérience ? Meghan m’adresse un sourire entendu. Je lui réponds par un regard agacé, elle hausse les épaules, me tourne le dos et

part nous commander un cocktail au bar. − Jadde, je n’ai pas le pouvoir de te préserver autant que je le souhaiterais. Tu es sûre de toi dans cette histoire ? − Pas du tout, mais je me sens irrésistiblement attirée par cet homme et même si je le voulais, ce qui n’est pas le cas, je serais incapable de m’empêcher de le revoir. Je ne m’étais pas sentie aussi vivante depuis la disparition de Jack. − Tu sais que tu joues avec le feu ? Même si je n’approuve pas forcément ta décision, je n’ai pas à te juger et je serai avec toi quoi que tu décides. − Merci, Sofia, je n’en attendais pas

moins de toi. Pour clore le débat, j’attrape son cadeau en trépignant de hâte: − Alors, quel trésor renferme ce joli sac ? Oh bon sang, elles sont magnifiques ! Sofia m’a déniché une paire d’escarpins bleu roi absolument sublime. Les pompes, c’est ma folie. C’est cliché au possible mais franchement, je suis incapable de résister devant une paire de talons aiguilles. − Oh ! Tu es complètement folle, elles ont dû te coûter une vraie fortune ! Merci, merci, merci ! Dans un élan de gratitude, je lui saute au cou et manque de nous faire basculer de

la chaise toutes les deux. Heureusement, Meg intervient juste à temps et empêche la chute. Comme par magie l’ambiance pesante s’évapore. Je rejoins ma chambre vers dix-huit heures. J’ai beau paraître assurée, plus les minutes passent plus l’inquiétude prend le pas sur l’excitation. J’essaie de me convaincre que je ne fais rien de mal mais évidemment, c’est un échec cuisant. Pour faire taire les petites voix intérieures qui se moquent de moi, je décide d’aller faire un plongeon. En moins de deux minutes, je suis prête à descendre. Je textote mes deux complices pour les avertir de mes intentions et descends rapidement. À l’instant où je

m’apprête à entrer dans le vestiaire, une voix sensuelle et familière m’interpelle. Un frisson parcourt ma nuque. Mes jambes flageolent et mon cœur s’accélère. − Mademoiselle Simmons, quel plaisir de vous revoir ! Sa voix est douce, presque comme une caresse et je sens la chaleur de son corps alors qu’il est encore loin de moi. Mes seins se dressent comme pour répondre à son appel, mes joues s’empourprent. Brrr ! Je me déteste d’être incapable de me contrôler. − Monsieur Miller, je suis surprise de vous retrouver ici, dois-je supposer que vous me suivez ?

Je n’ai pas pu m’empêcher d’être cynique. Non pas que je le soupçonne vraiment de me suivre, mais je suis tellement en colère contre moi que je suis sur la défensive. Il penche la tête comme pour saisir le sens caché de mes paroles. Il est surpris de ma réaction. Alors, avec un sourire amusé, il me rétorque : − Non, pas du tout, mais il semblerait que nous logions dans le même hôtel. C’est une étrange et heureuse coïncidence n’estce pas ? Même si je suis d’accord avec lui, je refoule mon approbation et enchaîne rapidement pour ne pas avoir à répondre.

− Vous venez vous entraîner ? Il opine avant de rajouter : − Je suis accro aux endorphines depuis bien trop longtemps pour pouvoir m’en passer. Je lui souris parce que je sais très exactement ce qu’il veut dire. − Je comprends, d’autant qu’ils ont une salle de sport digne d’un camp d’entrainement de la NAVY. Il rigole parce que j’exagère un peu, nous le savons tous les deux. Nous échangeons une ou deux autres plaisanteries sur l’attrait et la place du sport dans nos vies respectives sans nous quitter du regard une seule seconde.

Une envie aussi surprenante qu’inopportune de lui poser mille questions sur lui, sur sa vie monte du tréfonds de mes trippes. Seulement nous ne nous connaissons pas et je n’ai aucune raison valable d’agir ainsi. Alors je me mords la lèvre et ravale mes interrogations. Cette ressemblance est vraiment déroutante. D’un côté je vois mon Jack et tout ce qui m’a toujours plu chez lui et de l’autre ce sont leurs différences subtiles qui m’attirent comme un aimant. Braden dégage un charisme et une virilité assumée que ne possédait pas mon mari. J’ai honte de l’admettre mais c’est la plus stricte vérité. Et je culpabilise d’être charmée par cet homme et pas uniquement

pour leur similitude. Je le détaille des pieds à la tête, incapable de m’en empêcher. Sa stature longiligne vibre de sex-appeal. Il porte un tee-shirt sans manches qui révèle une musculature saillante. Ses mains larges paraissent douces et je me prends à les imaginer courant sur mon corps. Houlà mais qu’est-ce qui m’arrive, bon sang ? Je me sens rougir à mesure que je le découvre, il est beau, plus que ça même ! Charismatique. Un silence chargé de tension s’est installé mais ni l’un ni l’autre n’amorçons le moindre geste pour partir. C’est pourtant ce que je devrais faire, mais ma volonté me fait défaut. Je poursuis ma lente

découverte tout en sentant la brûlure de son regard à lui sur ma peau. Lorsque j’atteins enfin son visage, après m’être attardé sur le dessin de son torse mis en valeur par le tee-shirt collant à chacun de ses muscles, son demi-sourire finit de m’achever. Prise en flagrant délit de matage en règle, je ne sais plus où me mettre. La tension qui brûle nous coupe le souffle, elle est si vibrante, palpable, qu’on la croirait vivante. Nos regards s’accrochent et je suis hypnotisée. Absorbée toute entière par son visage, savant mélange entre finesse et virilité, j’ai l’impression de jouer les funambules sur un fil tendu au-dessus du grand Canyon. Au moindre mouvement, je vais m’écraser pitoyablement, alors je

reste immobile à le regarder pendant une éternité. Tout mon corps hurle de lâcher prise et de faire un pas vers lui mais je ne peux pas, j’ai peur, et je suis bien trop engluée dans ma culpabilité pour me laisser aller. Je ne parviens pas à comprendre ce qui m’arrive, tout est si irrationnel ! Cette attirance défie toute logique alors que je ne le connais que depuis trois secondes. Pourtant mon corps me dicte ses propres règles et j’ai besoin de toute ma volonté pour ne pas lui céder. Il ne se passe rien de plus. Cet échange silencieux, si lourd de non-dits, est si intense que je m’étonne ne pas m’embraser spontanément. Il lève sa main

vers mon visage, et je sors brutalement de ma transe en faisant un pas en arrière. Son bras retombe et son regard bleu nuit redouble d’intensité. − Je crois que je ferai mieux de partir, murmuré-je mal à l’aise. Il me sonde pour comprendre ce revirement et son sourire s’estompe jusqu’à disparaître quand il comprend que je m’apprête à m’enfuir. − Je ne voulais pas vous effrayer. Je détourne le regard, bien trop consciente de ses yeux interrogateurs. Je n’ai pas la force de lui répondre et je choisis la solution de facilité en prenant la fuite. Il tente de me retenir en

m’attrapant le bras doucement. Je me libère sans difficulté. − Je ne peux pas, j’appartiens à un autre, je suis désolée. Puis je m’engouffre dans le corridor en laissant la porte se refermer derrière moi. Tiraillée entre ma tête et mon corps, je suis à bout de nerfs, bouleversée, toute tremblante. Une seule question me taraude : comment vais-je parvenir à lutter contre cette attraction qui me domine bien audelà du rationnel ?  

Chapitre 23 Braden Mardi Tu parles, comme si un tapis de course pouvait suffire ! C’est un ring de boxe qu’il me faut ! Comment j’ai pu croire une seule minute que mon rêve pouvait devenir accessible ? Le premier mot qu’elle a prononcé c’est son prénom, pas le mien ! Tu n’es qu’un foutu crétin ! Il ne m’a fallu que quelques secondes pour comprendre qu’elle est celle qui

hante la moindre de mes pensées. Mais bien sûr qu’elle en aime un autre. J’en suis malade ! Le pire c’est de savoir que je l’attire, si j’avais eu le moindre doute sur la question, avec notre échange de tout à l’heure, il s’est envolé. Notre conversation silencieuse était presque mystique. Sans rire, je n’avais jamais connu un truc pareil et putain, je me fais l’effet d’une mauviette en pensant ça ! J’ai eu l’impression que le monde commençait avec elle et se terminait avec nous. Malheureusement j’ai aussi compris que l’attirance physique ne suffit pas. Nous en avons conscience tous les deux. Je ne sais

pas ce que je donnerai pour qu’elle me laisse un espoir, même minime, que nous ayons un avenir possible. J’espère au moins que ce type a une idée de la chance qu’il a. Je cours depuis plus d’une heure mais rien n’y fait, je suis aussi tendu que tout à l’heure lorsque je l’ai laissé partir. Je n’ai pensé qu’à elle toute la journée, ses yeux, ses lèvres, sa peau. J’ai ressassé le moindre de mes souvenirs des milliers de fois. Pour la voir ce soir, j’ai dû réaménager tout mon planning et ça n’a pas été du gâteau. Il m’a fallu pas moins de trois heures pour adapter mon organisation. Et le pire, c’est que malgré toutes ces difficultés, et même si je ne peux avoir que cette soirée, je n’ai

absolument aucun regret. Je finis par croire que je suis vraiment maso. Si j’étais dépendant de ma chimère, les sentiments qui m’habitent aujourd’hui sont bien pires. Dévoré par l’envie, je vais devoir me contenter de la regarder. À l’idée de la sentir frémir sous mes baisers, j’étais ivre d’excitation. Devant la porte des vestiaires, je ne pensais qu’à l’embrasser. Mais il faut que je me fasse une raison, ça n’arrivera pas. Le temps défile et même si ne m’a apporté aucun apaisement, je suspends mon effort pour me préparer. Je prends une douche, me rase, et tente de discipliner mes cheveux. Comme toujours, c’est un échec. Dix minutes plus

tard, je suis devant le restaurant. Elles ne sont pas encore arrivées. Ça me laisse un peu de temps pour commander un double whisky sec que j’avale d’une traite. L’alcool me brûle la gorge mais peu importe, je sens que je vais en avoir besoin. Une voix sèche commente mon geste. − Eh bien, Monsieur Miller, vous avez une sacrée descente ! Il me semble reconnaître la voix de la jeune femme qui accompagnait Jadde. Quand je me retourne pour lui faire face, elle est debout à quelques pas de moi. − Bonsoir, mademoiselle… ? − Blanc. Meghan, ça suffira. Je ne suis

pas vraiment fan des courbettes. − Braden me conviendra aussi. Vous êtes seule ? lancé-je en tentant de masquer ma déception. − Mes amies nous rejoignent dans quelques minutes. Je voulais vous voir en tête à tête avant leur arrivée. − Je ne suis pas certain que ce soit une excellente idée, Meghan. Je déteste parler des personnes en leur absence et je me tiens à cette règle en toutes circonstances. − Je ne vous demande pas de parler mais de m’écouter. Jadde est une personne aussi forte que fragile mais elle ne survivra pas à une autre peine de cœur. − Je n’ai plus aucune arrière-pensée à son

égard, elle s’est montrée extrêmement claire cet après-midi. − Je sais que vous vous êtes rencontrés mais elle a refusé de nous en dire plus. Elle n’a pas paru profondément bouleversée et la voir souffrir m’est juste insupportable. Cette discussion n’a pas de sens. Pourquoi était-elle affectée par notre rencontre ? Et cette peine de cœur ? Toutes ces questions me brûlent les lèvres mais je ne dérogerai pas à ma ligne de conduite, pas même pour m’apaiser. Si Jadde veut m’en parler, je l’écouterai. Dans le cas contraire, je ne veux rien savoir. − Je vous le répète, j’ignore ce qui a pu

la toucher à ce point. Elle m’a simplement signifié que son cœur était déjà pris et que je n’avais rien à espérer. Mais vous devez le savoir mieux que moi, non ? Elle me regarde mais son expression demeure indéchiffrable alors que je peine à masquer mes émotions. − Je suis désolée, Braden, mais elle ne vous a pas tout dit. Et vous avez le droit de savoir contre qui vous vous battez. − Il n’y a aucun combat puisqu’elle m’a mis hors-jeu d’entrée. − Rien n’est jamais aussi simple qu’il n’y parait… Elle n’ajoute rien de plus mais s’installe

à mes côtés et commande un Bloody Mary. Tout en sirotant son verre, elle commence à me poser des questions sur mon métier, mes restaurants... Au moins, voilà un sujet que je maîtrise. Au fil des échanges, j’apprends qu’elle est l’éditrice de Jadde et qu’elles sont amies depuis toujours. Elle m’explique qu’elles sont aux États-Unis pour faire la promotion de son dernier livre et ne tarit pas d’éloge sur le talent incontestable de son écrivain. Les informations que nous partageons sont comme les pavés dans la mare. Plus j’en apprends plus, je suis séduit et plus j’en veux. Et merde ! Dix bonnes minutes s’écoulent avant que les filles fassent leur apparition. Meghan

m’a averti de la présence d’une de leurs amies. Elle a ajouté avec un léger sourire qu’elle est impatiente de faire ma connaissance. Habituellement, j’aurais probablement été intrigué par tout ce mystère. Mais mon esprit n’a aucune intention de s’attarder sur un autre sujet que Jadde. Et la voir arriver rayonnante dans une robe de soirée et des escarpins vertigineux est loin d’arranger la situation. Je remarque à peine la jeune femme qui l’accompagne. Elle est probablement très belle, j’en suis persuadé mais Jadde est capable d’éclipser le soleil. Quand elle s’approche de nous, elle adresse un regard lourd de sens à son amie. Je suppose qu’elle n’est pas ravie

de constater que Meghan les a précédées. Cette dernière, en esquissant un sourire, rejoint la troisième jeune femme restée en retrait et me la présente. Jadde a l’air de fulminer, c’est étrange. − Braden, voici Sofia Julianny. En m’efforçant de quitter Jadde des yeux, j’accorde le premier regard à Sofia. − Enchanté mademoiselle Julianny. Aussi rouge qu’un coquelicot, elle me répond gênée : − Et moi donc, vous n’avez pas idée ! Je suis une des plus ferventes admiratrices de votre travail, monsieur Miller, c’est un honneur de faire votre connaissance. Et appelez-moi Sofia, je me sentirai peut-

être un peu moins intimidée. − Très bien, Sofia, croyez-moi, vous n’avez aucune raison d’être embarrassée. Je suis flatté que vous connaissiez mon humble contribution à l’art culinaire. Je suis toujours étonné que l’on puisse parler de moi ailleurs que dans mes établissements. Alors Outre-Atlantique ! Ma note d’humour réussit à lui décrocher un sourire. Elle est très jolie malgré son teint écarlate, une beauté méditerranéenne avec des yeux oscillant entre le vert et bleu. Elle paraît toute petite à côté des jambes et du corps élancé de Jadde mais sa taille fine et ses formes avantageuses font d’elle une beauté remarquable. À voir le regard envieux des autres clients

du restaurant, je suis l’homme le plus chanceux du moment. Un serveur nous conduit jusqu’à une table un peu en retrait et lorgne sans vergogne les trois beautés qui m’accompagnent. Chaque fois que son regard dérive sur Jadde, je ressens l’envie terrible de lui décrocher une droite et maîtriser mes instincts me demande un tel effort que je dois attendre qu’il ait disparu pour reprendre la parole. − Mesdemoiselles, je suis sans conteste l’homme le plus envié de Manhattan. Vous êtes absolument splendides ! Évidemment personne n’est dupe, j’ai prononcé ces paroles sans parvenir à décrocher mon regard des yeux de Jadde.

Ses pommettes rosissent et elle se mord la lèvre. Je déglutis difficilement. Malheureusement, son regard se voile à nouveau et même si elle ne me lâche pas une seconde, il est évident qu’elle livre son propre combat intérieur. Elle paraît indécise sur la suite à donner à la situation. Au bout d’une heure, Jadde n’a toujours pas décroché un seul mot. La conversation animée de ses deux complices semble accentuer son mutisme. Je vois les rouages de son esprit s’activer dans tous les sens. Nous n’interrompons notre discussion silencieuse que pour répondre aux questions que nous posent les filles. Je suis bien incapable de me remémorer les mets que nous venons de

partager tandis que l’assiette de Jadde est quasi intacte. Je meurs d’envie de lui parler, de connaître ses démons, ses combats, mais je n’en fais rien. Elle s’est montrée on ne peut plus claire sur notre non-relation. Et même si j’en crève, j’ai bien l’intention de respecter sa demande. Pourtant, les bribes d’informations que Meghan a lâchées ont instillé le doute. Je me raccroche probablement à des illusions mais c’est tout ce qu’il me restera à la fin de la soirée. Puis, à notre plus grande surprise, Jadde se lève et sans accorder un regard à ses amies, me demande : −

Monsieur

Miller,

pourriez-vous

m’accompagner ? Etonné mais secrètement ravi du tour que prennent les événements, je me lève, opine et m’excuse auprès de ces amies. Nous nous éloignons de la table. Elle me surprend en traversant le hall, puis descend au sous-sol jusqu’à la salle de sport et tout ça dans un silence électrique. Je la suis, déconcerté, je ne sais pas à quoi je dois m'attendre. Avant d’avoir compris quelles sont ses intentions, elle me pousse contre l’un des murs dans une alcôve, à l’abri des regards. Mon dos heurte une surface froide mais c’est tout juste si je m’en rends compte parce qu’elle colle ses lèvres sur les miennes. Putain de bordel

de merde ! Mon dieu, si j’en ai rêvé, la réalité dépasse tout ce que j’étais capable d’imaginer. Sa bouche est douce, sauvage. Je me délecte du moindre de ses gestes. J’ai l’impression d’embrasser une femme pour la première fois. Son odeur est partout, douce senteur de camélia, avec une pointe de vanille. Je suis incapable de retenir ma possessivité et la serre contre moi. Elle agrippe mes cheveux et les tire doucement, récoltant un grognement de pur plaisir. Pourtant derrière sa passion évidente, je perçois une note désespérée. Lorsque je sens le goût salé de ses larmes se joindre à la danse sensuelle de nos langues, je

mets fin à notre corps-à-corps. Me détacher relève de la torture, mais quand je fais face à son visage défait, ma passion se transforme en doute puis en incompréhension et finit par se muer en colère. − Je peux savoir ce que tu fais, Jadde ? Tu m’interdis de t’approcher mais tu te jettes sur moi. Tu es entreprenante mais tu fonds en larmes. Franchement je ne comprends rien à ce qui se passe ! Parlemoi ! Tu ne peux pas m’offrir ce baiser et revenir en arrière comme si rien ne s'était passé en retournant à table. − Je sais et ce n’était pas mon intention parce que nous n’y retournerons pas. − Pardon ?

− Tu m’as très bien comprise, je suis incapable de penser à autre chose qu’à tes yeux, ta bouche et ton odeur. Je ne peux rien te promettre, rien t’offrir d’autre que cette nuit. Mon cœur appartient à un autre mais mon corps, lui, t'a choisi. Je n’ai pas trouvé d’autre solution pour que tu cesses enfin d’occuper tout mon esprit. J’ai envie de toi, ici et maintenant. Mais tu ne dois rien attendre de plus. J’ai besoin de quelques secondes pour vérifier que je ne suis pas en train d’halluciner, ce dont je commence sérieusement à douter. − Non ! Elle pose la main sur ses lèvres pour

retenir une exclamation de surprise. − Ne va pas t’imaginer que je n’en ai pas envie, putain j’en crève depuis la minute où je t’ai tenue dans mes bras. Et bien avant ça… Et merde ! Je ne veux pas de sexe pour du sexe, pas avec toi ! Si c’est tout ce que tu as à m’offrir, je le respecte. Mais pour une raison qui m’échappe, si je te laisse entrer dans ma vie, même si c’est juste dans mon lit, il n’y aura aucune remise de peine pour moi. Je ne peux pas te laisser faire, pas pour que tu disparaisses la minute suivante, je suis désolé. Je m’apprête à partir mais elle me retient par le bras et m'enlace à nouveau. − Je t’en prie, me murmure-t-elle, reste un

peu, s’il te plaît. Je n’arrive pas à te l’expliquer mais j’en ai besoin. Accordemoi au moins ça. Aussi désespéré qu’elle, je lui rends son étreinte et nous restons ainsi dans les bras l’un de l’autre. C’est le seul endroit où j’ai envie d’être, pourtant je redoute l’instant où nous allons nous éloigner. Elle sanglote contre mon épaule et aucun de mes gestes ne semble parvenir à l’apaiser. Je suis incapable de combler le vide que je sens en elle, surtout quand j’ignore de quoi il en retourne. Nous restons ainsi immobiles, dans les bras l’un de l’autre, un temps infini et pourtant bien trop court. Je m’enivre de sa présence même si le cœur n’est plus à

la fête. Ses sanglots finissent par se tarir et laissent place à des soupirs accablés. Elle finit par me repousser doucement et, avec une douceur extrême, dépose un baiser au coin de mes lèvres. Dans un souffle, elle me chuchote : − Merci. Avant que je n’ai pu réagir elle s’est déjà enfuie. Je reste planté comme un abruti longtemps après son départ. Je sais que la repousser était la seule option mais bon sang, je n’ai jamais rien fait d’aussi difficile de ma vie ! J’entends déjà les remarques acerbes de Gérald s’il venait à apprendre dans quel pétrin je me suis encore fourré. Pourquoi je pense à lui d’ailleurs ? Ce n’est vraiment pas le

moment de me faire traiter de crétin impuissant. Je n'ai pas le courage de retourner à table. Je m’oblige à me mettre en route et remonte dans ma chambre. Là je tourne en rond comme un beau diable torturé par la situation étrange dans laquelle je me retrouve impliquée jusqu’au cou. D’un côté Jadde représente mon idéal, elle est celle qui hante mes nuits depuis des mois, je n’ai aucun doute là-dessus. Je l’ai trouvée, je n’ai pas l’intention de la laisser partir. D’un autre elle ne veut pas de moi de la façon dont je l’espère. Que suis-je prêt à faire pour qu’elle fasse partie de ma vie ? La réponse est évidente, je suis près à tout. Et bordel, je

suis complètement malade, mais c’est ELLE, c’est aussi simple que ça. À ce stade j’ai deux options, soit je laisse tomber et accepte la situation en m’effaçant soit je me bats. Sans conteste la deuxième solution me fait de l’œil. Alors j’opte pour le compromis. Je prends un papier, griffonne quelques mots et les glisses dans une petite enveloppe à l’effigie de l’hôtel. Avant de changer d’avis, je descends jusqu’à la réception. Au moment, de remettre le message au réceptionniste, je suis pris d’un doute, et si elle ne me contactait pas ? Putain ! Pourquoi en aime-t-elle un autre ? À bout de nerfs, je tourne les talons et me retrouve sans trop savoir comment

accoudé au bar, un verre de whisky à la main. Je ne l’entends pas arriver, c’est son raclement de gorge qui me fait détourner les yeux…  

Chapitre 24 Jadde Mercredi 30 Juin, New-York Deux heures du matin et je ne dors toujours pas. De toute façon, comment le pourrais-je, rongée par la culpabilité ? Pour la cinquantième fois, je ressasse les événements de la soirée pour tenter d’y voir un peu plus clair. Comment les choses ont-elles pu déraper ainsi ? Avant de même de le voir, les choses ne tournaient déjà pas très rond. Utiliser les

talents de Sofia pour trouver une tenue décente, ce n’est pas moi ça. Jamais ô grand jamais je n’ai dû faire appel à son coté fashion victim pour me sentir femme. Mais bien sûr, absorbée par mon impatience et mon inquiétude, j’ai préféré fermer les yeux sur mon comportement. Lorsque nous sommes descendues les rejoindre au bar, Meghan est déjà là. Pas besoin d’être devin pour en connaître les raisons. Elle est partie à la pêche aux infos. Et tout ça parce que j’ai refusé de lui expliquer pourquoi j’étais si bouleversée en remontant de la piscine. Elle est incorrigible. Quand arrêtera-telle de s’inquiéter pour moi ? Certainement le jour où j’arrêterai de lui donner des raisons de le faire…

Peu importe, son attitude m’exaspère, pas besoin de mot pour le lui faire savoir, mon regard furibond était suffisamment parlant. Et pour toute réponse, elle m’a souri et a présenté Sofia à Braden, histoire de clore le débat. À quoi bon se battre avec elle, elle n’en fait qu’à sa tête ! Lorsque nous nous sommes assis et qu’il s’est installé en face moi, mon sang s’est mis à bouillir, et tous mes sens se sont activés en mode « hypervigilance ». Jamais je n’allais pouvoir résister à son regard intense directement planté dans le mien. Impossible de réfléchir quand son odeur flottait partout autour de moi. Et si ce n’était que ça ! J’ai cru mille fois défaillir en le regardant. Son corps en

tenue d’apparat m’a donné des palpitations. Dans son costume gris clair taillé sur mesure et sa chemise bleu roi, il était beau à se damner. Le point d’orgue, c’est qu’à l’instant où il m’est apparu, je suis devenue incapable de penser à autre chose. Il m’obsédait, je ne parvenais pas à décrocher mes yeux des siens comme s’ils y étaient aimantés. J’ai essayé de donner le change mais j’y revenais encore et encore. Mon combat intérieur devenait tellement puissant que j’avais du mal à tenir en place. Si j’avais prononcé un mot je me serais trahie à coup sûr. Aussi, je me contentais d’opiner lorsque c’était nécessaire.

L’ambiguïté des sentiments qu’il a fait émerger m’effraie. Incapable de refouler mon attirance, j’ai culpabilisé. À chacune de mes pensées obscènes je trahis Jack, et ma douleur n’en est que plus insupportable. D’autant que l’évidence m’est apparue ce soir, ils ont beau paraître semblables, ils sont aussi terriblement différents. Et le plus terrifiant ce sont ces différences qui me tiennent en haleine. Tout serait tellement plus simple si je parvenais à refouler cette attirance ! J’ai eu beau tout faire pour me raisonner, rien n’a réussi à me convaincre totalement. Insidieusement, une affreuse pensée a même fait son chemin dans mon esprit, mettant mon corps au supplice… Très

vite, cette idée parfaitement inappropriée a fait disparaître toutes les autres. Seul restait mon désir de lui et ma culpabilité s’affrontant dans un combat musclé. L'attraction de nos corps est si évidente ! Le fait de connaître exactement ses intentions n’était pas vraiment fait pour me sortir de ce guêpier. Je me suis répétée une bonne centaine de fois qu’apaiser nos frustrations ne serait rien d’autre qu’une réponse à nos besoins primaux, que ça ne représenterait rien. Je me voilais la face, c’est évident, mais je n’étais et ne suis toujours pas prête à l’admettre. Peu à peu, ma conscience a perdu la bataille. Le besoin de le toucher est

devenu vital. Je devais sentir ses lèvres contre les miennes, plus rien d’autre n’avait d’importance. J’en suis venue à me persuader que l’aventure ne durerait qu’une seule et unique nuit. Quand elle prendrait fin, je nous détesterais tellement, mon amertume serait si grande que je le rejetterais à coup sûr. Notre attirance ne serait qu’un souvenir et je pourrais reprendre le cours de ma vie… Je me suis répétée ces phrases avec tant d’acharnement que j’ai fini par m’en convaincre. Quand je n’ai plus trouvé la force de lutter, j’ai mis fin à cette mascarade. Je l’ai conduit à l’écart, histoire de reprendre où nous nous étions arrêtés.

À partir de là, tout s’est mis à dérailler. Pourquoi a-t-il fallu qu’il me repousse ? Son attitude n’entrait pas du tout dans le plan et bon sang, ça n’apaise en rien mon envie de lui ! Je crois que le plus étrange dans tout ça, c’est que j’ai compris les raisons qui l’ont poussé à agir ainsi. J’ai un pouvoir étrange sur ses émotions, tout comme il influence les miennes. J’ai ressenti une telle culpabilité quand j’ai lu la peine dans son regard. Savoir que j’en étais responsable m’a pris aux tripes et au lieu de le laisser partir, ce qui aurait été la meilleur option pour nous deux, je l’ai retenu en recherchant son étreinte. J’aurais compris qu’il me rejette

à nouveau, sauf qu’il m’a offert ses bras protecteurs alors même que je venais de le blesser. Ses gestes tendres ont eu raison de mes résistances et je me suis laissé déborder par mes émotions. Encore ! Il a piétiné mes barrières, me laissant à nu sans protection, les émotions à vif, complètement déboussolée. J’ai déversé toute ma rage, ma culpabilité et ma colère avec mes larmes. Tandis qu’il m’a donné, sans la moindre hésitation, le réconfort dont j’avais désespérément besoin. Quand j’ai récupéré suffisamment de contrôle sur moi-même, je l’ai abandonné en m’enfuyant comme une voleuse parce que j’ai adoré la moindre seconde passée

dans ses bras, la moindre de ses caresses. Et que ce n’était pas censé se passer de cette façon. Maintenant que je suis loin de lui, je m’en veux mais j’ignore encore si je vais être capable d’affronter mes montagnes d’angoisses. Quand j’ai rejoint ma chambre et que j’ai envoyé un SMS aux filles, leur expliquant de ne pas nous attendre, j’étais tellement honteuse que j’aurai volontiers enfoui ma tête dans le sable histoire de jouer l’autruche. Elles ont dû lire entre les lignes parce que deux minutes plus tard Sofia frappait à ma porte. Face à mon expression défaite, elle est restée sans voix. Elle n’a pas eu bien longtemps à insister pour que je lui raconte ce qui s’était passé.

Au fur et à mesure, son visage est passé de la compassion à l’incompréhension. − Si j’ai bien compris, tu t’es barrée et tu l’as planté comme un con en bas, sans lui donner la moindre explication sur ton attitude pour le moins ambigüe ? a-t-elle maugréé, perplexe. J’ai vaguement acquiescé en baissant la tête, pas vraiment fière de moi. − Je ne sais pas quoi te dire, Jadde. Je comprends que tu puisses avoir peur. Je comprends même que tu ne veuilles pas t’engager dans une nouvelle relation mais là, ce n’est pas toi ! Depuis quand tu agis sans prendre en compte les sentiments de l’autre ? a-t-elle repris, visiblement déçue.

− Ce n’était pas mon intention, mais j’ai eu peur de ce qu’il me fait ressentir. Je l’implore du regard de ne pas me pousser plus loin. J’ai la boule au ventre rien que de l’admettre. Elle penche la tête et me regarde intensément. Quand elle reprend, sa voix se fait calme mais ferme. − Tu n’as pas le droit de le laisser dans l’ignorance. Peu importe tes peurs, tu dois lui dire la vérité, au moins pour rester honnête avec toi-même. J’essaie de répondre mais elle m’en dissuade d’un regard. Quelques secondes passent, elle cherche ses mots puis reprend d’un air déterminé. − Laisse-toi la nuit pour y réfléchir et

passe le voir demain. Parle-lui, par respect pour toi comme pour lui. D’un geste, elle m’a sommée de me taire et s’est installé sur le lit à mes côtés. Qu’aurais-je pu ajouter de toute façon ? Je sais qu’elle avait raison. Elle connait les doutes et les inquiétudes qui m’assaillent, aussi elle se met à fredonner une vieille chanson italienne que sa mère nous chantait quand nous étions enfants. C’était mon air préféré. L’entendre me renvoie quelques années plus tôt à l’époque où tout était tellement plus simple. Soucieuse de cacher mes émotions, je ferme les yeux et me laisse bercer. Je finis par me détendre sans pour autant trouver le sommeil. Sofia cesse de chanter et sa respiration apaisée remplace

la douce mélodie quand elle finit par s’endormir. Je ressasse encore et encore. Une chose est sûre, je dois lui parler, mais comment m’y prendre ? Que dois-je lui dire ? Autant d’interrogations qui ne trouveront de réponse qu’en le voyant. S’il n’était pas si tard, je me serai levée pour aller frapper à sa porte mais je doute qu’il ait envie de me voir ce soir ni même un autre jour d’ailleurs. Je suis incapable de l’éloigner de mon esprit. Longtemps je veille, immobile. Lentement, sans m'en rendre compte, je finis par sombrer dans un sommeil dénué de rêve. Quand j’ouvre les yeux, il est neuf heures et une agréable odeur de café vient titiller

mes narines. C’est la voix guillerette de Meghan qui me fait émerger. Avec son « debout la marmotte » culte, j’ai rêvé cent fois de lui envoyer l’oreiller dans la figure. Mais ce matin, j’apprécie ce réveil amical. Sofia est déjà debout, fraîchement douchée et prête à se joindre à nous pour les entrevues de la journée. Meg me laisse à peine le temps de sortir du sommeil qu’elle commence à me décrire en détail le planning. Entre visites touristiques et interviews, je ne vais pas avoir le temps de réfléchir. Pour autant, pas question de me défiler une nouvelle fois. Je dois lui parler et clarifier la situation et ce tant que j’en ai le courage. Je me lève et, sans lui laisser le temps de finir sa description, vais me préparer.

− Jadde, tu m’écoutes ? C’est important ! − Oui, ne t’inquiète pas, mais avant que ton chrono ne démarre, j’ai une chose à faire. J’ai honte de mon comportement et je dois aller régler les choses avec Braden. Leurs visages pâlissent à l’unisson et elles se jettent un regard plein de sousentendus. − Je peux savoir ce que j’ai loupé, les filles ? − Il est parti très tôt ce matin, Jadde. Il a pris l’avion pour Baltimore. Confuse, je cherche mes mots pour obtenir une explication. − Mais, mais... Vous croyez que je l’ai

fait fuir ? − Ne sois pas idiote ! Il nous a parlé de ce voyage hier, au journal, si tu te souviens bien. Après votre… échange qui a fait suite au dîner, je l’ai croisé quand je montais vous rejoindre. C’est là qu’il m’a chargée de tout t’expliquer. D’un air contrit, elle continue : − Pendant que Sofia te rejoignait, j’ai passé mes derniers coups de fil, organisé le planning pour deux autres auteurs, bref, je n’ai pas vu l’heure passer, tu me connais ! Et c’est là que je l’ai aperçu, accoudé au bar, un verre à la main, l’air à côté de ses pompes. Elle me regarde comme si elle attendait

de moi que je lui fournisse des détails. N’en ayant pas du tout l’intention, je grimace, consciente de ma responsabilité dans cette histoire. − Il semblait si vulnérable ! Je n’aurais pas dû m’en soucier sauf que je n’ai pas pu me résoudre à partir, ajoute-t-elle en haussant les épaules. J’avais le sentiment que je devais rester. Il lui ressemble tant… et mon meilleur ami me manque, murmure-t-elle en détournant les yeux. J’ai un pincement à cœur, je sais que son absence lui pèse presque autant qu’à moi. − J’ai tergiversé un moment, sauf que tu n’avais pas besoin de moi, tu avais Sofia. Lui était seul et avait clairement besoin de quelqu’un à qui parler.

Je me sens mal, je déteste l’idée de l’avoir blessé. − Mais je n’ai jamais voulu que les choses prennent cette tournure ! murmuréje touché. Elle acquiesce comme pour me dire qu’elle le sait, mais... Ma conscience décide de se rappeler à mon bon souvenir. Tu es fière de toi ? Non seulement tu trahis l’amour de Jack, mais en plus tu trouves le moyen de torturer la seule personne qui t’a fait te sentir vivante depuis des années ! De mieux en mieux, c’est quoi la prochaine étape ? J’inspire un grand coup et prenant mon courage à deux mains, j’ose demander :

− Que t’a-t-il raconté ? − Pas grand-chose en ce qui te concerne en tout cas. Nous sommes restés silencieux un moment et j’ai vraiment cru que j’avais eu tort de le rejoindre. Je n’étais visiblement pas la personne qu’il espérait voir. J’ai presque failli partir mais son regard m’y a fait renoncer. Peu à peu, il s’est déridé et nous avons passé le reste de la nuit à discuter. Il a un don pour pousser à la confidence. Je me suis surprise à lui dévoiler des morceaux de mon parcours. Lui m’a parlé du sien. Elle sourit, attendrie à ces souvenirs, et une douleur étrange me traverse la poitrine. Quand elle reprend, sa voix se fait douce :

− Nos destins sont si intimement liés que je ne peux pas parler de ma vie sans évoquer quelques bribes de la tienne et à chaque fois, il s’illuminait. Pas besoin d’être cartomancienne pour savoir qu’il voulait en savoir plus, pourtant il n’a pas posé la moindre question. Tu ne vas pas avoir bien longtemps à patienter, il revient vendredi matin. Il m’a aussi chargée de te remettre ce message. J’ignore ce qu’il contient mais il m’a fait promettre de te le donner. Elle me tend une petite enveloppe. Je meurs d’envie de la lire mais me retiens et la glisse dans la poche du jean que je viens d’enfiler. Les filles, surprises, me demandent d’une même voix :

− Mais tu ne l'ouvres pas ? − Non, je le ferai quand je serai prête. Et seule mais ça, je me le garde pour moi. − Alors toi, je te jure ! Tu vas nous tenir en haleine longtemps ? ricane Meghan. − Aussi longtemps que nécessaire pour te faire payer ta haute trahison, l’allumé-je en essayant de rester sérieuse. Elle incline la tête, l'air surprise. Je lui explique en parvenant difficilement à retenir mes rires. − Et notre serment ? On ne passe pas la nuit avec le flirt d’une copine ! Ma boutade a l’effet escompté et nous nous retrouvons hilares en moins de deux

J’ai beau tenter d’afficher un certain détachement, je ne parviens pas à apaiser mes appréhensions. J’ai besoin de lui parler, de le voir. Je suis ridicule, deux jours ce n’est rien, ça va passer en un éclair essayé-je de me persuader. Tandis que les filles montrent un enthousiasme débordant, je me contente de faire acte de présence. Je m’applique du mieux que je peux à participer aux activités que Meghan a organisées. Pourtant, entre les interviews interminables et l’entretien avec la traductrice, j’ai du mal à trouver un rythme de croisière. Heureusement, après l’effort, le réconfort ! Elle nous conduit sur le site des tours

jumelles. Voir cet immense site en cours de reconstruction me bouleverse. Je me souviens très bien de ce jour de septembre 2001 où j‘ai vu jusqu’où l’Homme était capable d’aller. Mais étrangement, face à ce chantier, c’est un immense sentiment d’espoir que je ressens. Comme si, à l'instar de mon chemin, la vie avait repris ses droits. Évidemment la visite de New York serait incomplète si on omettait l'incontournable statue de la liberté sur Liberty Island au sud de Manhattan ! Et comme Meg ne manque jamais de faire les choses en grand, nous avons fait le grand chelem, visite de la couronne incluse. En empruntant de longs et étroits escaliers en colimaçon nous avons atterri dans un petit

espace surplombant le port de New York et la pointe de Manhattan. Waouh ! La vue, c’était vraiment quelque chose ! Je ne sais pas vraiment à quoi je m’attendais. Mais certainement pas à avoir l’impression d'être arrimée à une immense balise plantée au milieu de l’océan. Le plus troublant : cette ville intimidante à quelques kilomètres de nous. Malgré les efforts de mes amies, la journée m’a paru interminable, probablement parce que je n’ai pas réussi à éloigner Braden de mes pensées. Quel n’est pas mon soulagement quand nous arrivons enfin à l’hôtel en fin d’aprèsmidi ! Je trépigne d’impatience à l’idée

d’avoir enfin quelques minutes de solitude pour découvrir le message qu’il m’a laissé. Exténuée après ma journée marathon, je monte dans ma chambre, ravie d’échapper enfin à mes geôlières. Elles tentent une dernière percée pour découvrir ce que cache la poche de mon jean mais je réussis une échappée digne d’un coureur du tour de France. Elles sont curieuses comme des pies mais cette fois elles ne seront rien! En arrivant dans ma suite, je me déchausse, rejoins le canapé où je m’affale de tout mon long en remuant mes orteils endoloris par la marche. Je glisse ma main dans ma poche pour extraire le

précieux graal au moment où mon téléphone se met à sonner. Je sursaute, surprise, non mais ce n’est pas vrai ! Ils se sont donné le mot ou quoi ? Je jette un coup d’œil à l’écran. Je rêve d’être tranquille mais il est la seule personne à qui je consens à répondre. − Eddy, quelle surprise ! − Jadde, je m’ennuyais de toi. Ça fait une semaine que je n’ai pas eu de nouvelles, comment se passe ton expatriation ? − Tu n’as pas besoin d’excuses pour m’appeler ! Tout se passe à merveille, en tout cas ce soir nous avons tellement marché que j’ai les pieds en compote. − Pourquoi ai-je la sensation qu’il y a un

« mais » dans ta phrase ? Brrr ! Pourquoi faut-il qu’il me connaisse si bien ? − C’est un peu compliqué à expliquer par téléphone. Soucieuse de m’éloigner rapidement du sujet qui fâche, j’enchaîne sans plus m’étendre : − Il me tarde que tu sois là ! Je me languis de te voir. D’ailleurs, à ce propos, quand dois-tu atterrir ? − J’ai pu me libérer un peu plus tôt que prévu et je devrais arriver vendredi au lieu du milieu de la semaine prochaine. − C’est génial, tu n'as pas eu de mal à modifier tes réservations ?

− Non avec les billets de première classe de Meg, c’est enfantin. Je devrais être là vers dix-neuf heures. Et je pourrai vous accompagner pendant une dizaine de jours. − C’est la meilleure nouvelle de la journée ! Il me tarde de te retrouver. Je cours avertir les filles. − Ce n’est pas nécessaire, me dit-il d’une voix gênée, j’ai averti Sofia de mes intentions hier. Ne leur en veux pas, je ne voulais pas que tu sois déçue si je ne parvenais pas à changer les places, du coup je leur ai demandé de ne rien te dire. Je soupire, exaspérée.

− Vous voulez bien arrêter de me faire ce genre de plans ? J’ai l’impression d'être une enfant. Je peux supporter une déception, tu sais, je ne suis pas en sucre ! − Ne sois pas ridicule, tu sais très bien que ça n’a rien à voir. Et puis, il faut que je t’avoue autre chose, Sofia m’a tout raconté. Mon ton change, passant de l’agacement à la suspicion. − Que t’a-t-elle raconté exactement ? − Eh bien, ta rencontre avec un certain Braden par exemple. Merde ! Merde ! Merde ! − Ah non, pas toi, s’il te plaît ! Oublie

tout ce qu’elles ont pu te dire. J’ai vraiment besoin de penser à autre chose. Parle-moi de ce que tu veux mais évitons ce sujet. Mon ton suppliant coupe court à cette conversation. Nous évoquons ma mère en transe depuis mon départ. Je comprends à demi-mot qu’il a rencontré quelqu’un mais impossible d’en savoir plus. Notre conversation dure presque vingt minutes. Quand je raccroche, il m’a rendu le pep’s qui me manquait. Sans hésiter, j’attrape le message de Braden qui me brûle la poche d’impatience. Jadde, Mon meilleur ami te dirait que je suis un

crétin et je finis par croire qu’il a raison ! Sinon comment expliquer que je t’ai laissé partir hier ? Je suis prêt à accepter ce que tu peux m’offrir, même si je dois me contenter de rester ton ami, mais ne me demande pas de m’effacer j‘en serai bien incapable. Nous avons besoin d’en discuter. Libre à toi de venir vers moi. Je te laisse ma carte pro, tu as toutes les lignes où me joindre. Brad. Je lis et relis ces lignes une bonne vingtaine de fois. Je me surprends à suivre les courbes parfaites de son écriture. Elles sont à son image, assurées,

directes et sans détour. Je tergiverse un moment sans jamais me résoudre à lui parler. Comment le pourrais-je alors que je me sens si « morveuse » ? Aussi j’opte pour la sécurité : le SMS. Je rédige mon message en quelques secondes, n’écoutant que mon instinct. « Bonsoir, Pour tout t’avouer, je n’ai pas vraiment envie que tu t’effaces, sauf que j’ai de mauvaises raisons pour ça. Tu as pris la bonne décision en me laissant partir. J’ai agi sans réfléchir, aveuglée par notre attirance évidente. Ce matin, quand j’ai réalisé que tu n’étais plus là, je me suis maudite de n’avoir pas eu le courage de

t’expliquer de quoi il retournait. Jadde. » Quelques secondes lui suffisent pour me répondre : « Coucou, J’ai cru ne jamais te lire ! J’ai presque honte de l’admettre mais je respire enfin ! Nous avons un certain nombre de choses à régler, toi et moi. Je ne t’ai jamais caché mes envies. Je regrette juste que les tiennes ne soient pas les mêmes. Mais peu importe, si c’est la seule façon d’être à tes côtés, je l’accepte. Brad. »

C’est exactement ce que j’avais envie d’entendre, alors pourquoi j’ai un tel pincement en cœur en lisant ses mots ? « Je doute que tu tiennes le même discours lorsque tu connaîtras la vérité. Je ne t’ai jamais menti, mon corps a parlé à ma place bien plus souvent qu’il n’aurait dû. La situation est plus compliquée qu’il n’y paraît et j’ignore si je parviendrais à affronter ce qui me hante. Ta présence a réveillé en moi des envies que je croyais perdues à jamais. Merci pour ça ! Jadde. »

Sa réponse tardant à venir, je regarde machinalement l’heure. Oh merde ! Les filles vont me tuer. Elles font le pied de grue depuis un quart d’heure. Mais bon sang, qu’est-ce qui m’arrive ? J’enfile la première tenue qui me passe sous la main, lâche mes cheveux et pars au pas de course les rejoindre. La situation est si inhabituelle que je réalise que j’ai oublié mon portable et ma carte d’accès que la porte de la suite claque dans mon dos. C’est pas vrai ! Tant pis, je vais devoir patienter, je n’ai vraiment pas le temps de gérer ça maintenant ! Je descends en courant les dix étages et arrive essoufflée dans le hall de l’hôtel,

vide. Je me dirige naturellement vers le bar où je surprends une discussion intéressante entre Meghan et Logan. Eh bien, il semblerait que je ne sois pas la seule à vivre des situations éprouvantes ! Je ne peux pas entendre leur conversation mais l’attitude de Logan est bien plus parlante que des mots. Il est tout proche d’elle et lui tient la main, l’autre lui caresse la joue. Je vois les yeux de Meg briller bien plus que d’ordinaire. Elle ne parle pas, elle l’écoute. Devant leur intimité évidente, je me fais l’effet d’une voyeuse ! Il est temps de partir ! Je rebrousse chemin à la recherche de Sofia, qui s’est retranchée dans sa chambre. ¬− Te voilà ! Toi aussi tu t’es sentie de

trop ? se marre-t-elle amusée. − On peut le dire ! Ça avait l’air intense en bas. − Et encore tu n’as pas vu l’arrivée de notre jeune énamouré. J’ai cru qu’elle allait nous faire un malaise. Ils avaient besoin de discuter sans qu’elle trouve le moyen de se défiler en nous utilisant comme excuse. Je souris. Connaissant la propension de Meg à fuir les entraves d’une relation comme la peste ça ne m’aurait pas surprise. − Je pensais que tu allais retourner te reposer après notre journée pour le moins éprouvante.

− Et encore tu ne sais pas tout, quand j’ai enfin posé les fesses sur le canapé, devine qui m’a appelé ? Elle détourne les yeux et ses joues rosissent. Bizarre ! − Je ne vois pas, répond-elle mais je n’en crois pas un mot. Elle me cache un truc et cette impression se renforce à chaque seconde. Quand j’aborde les révélations de mon ami sur sa vie sentimentale, elle semble mal à l’aise, tape nerveusement du pied en se triturant les doigts. Elle n’a jamais su mentir. Elle en sait bien plus qu’elle ne veut me l’avouer ou... comme si je venais d’avoir

une illumination, je recoupe toutes les infos dont je dispose. Oh my godness ! C’est évident ! Comment ai-je pu passer à côté ? − Quand avais-tu l’intention de m’en parler ? − De quoi parles-tu ? réplique-t-elle tentant vainement de prendre un air innocent. − De ta relation avec Eddy. Elle s’étouffe et passe par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, avant de parvenir à reprendre son souffle. − Mais... je... oh ! bégaye-t-elle. Et là je sais que j’ai vu juste ! Et franchement je suis sur le cul.

Elle finit par reprendre contenance et relève la tête, un peu incertaine de ma réaction. − Nous voulions t’en parler à son arrivée. − Et votre histoire dure depuis combien de temps ? demandé-je, encore sous le choc. Elle prend un air coupable et murmure sa réponse. − Six mois. − Six mois, c’est… waouh ! m’exclaméje, scotchée. Impossible de masquer ma surprise. − Tu me l’as caché pendant tout ce temps !

Ses yeux rieurs s’illuminent puis elle hausse les épaules, consciente que je suis un peu vexée qu’ils ne m’aient pas fait suffisamment confiance pour m’en parler. − À notre décharge, reconnais que tu n’étais pas vraiment en état d’encaisser l’information. Tu refusais d’aller voir ta mère et ton beau-père parce que voir leur bonheur te brisait le cœur. Qu’elle aurait été ta réaction face à notre histoire ? Et puis, pour être honnête, nous n’en avons parlé à personne. Tu es la première à découvrir le pot aux roses. Nous ne voulions pas nous mettre la pression. − Donc je suppose que votre histoire devient sérieuse pour que vous vous décidiez à en parler ?

− La situation vient de prendre un cours un peu inattendu. Je fronce un sourcil interrogateur. Elle me répond par un sourire. − Il m’a demandé de l’épouser. Si je m'attendais à ça ! J’en ai le souffle court. Les jambes coupées, je me laisse tomber sur la chaise. − Oh Sofia ! Je ne sais pas quoi dire, c’est… inattendu ! Elle paraît toujours inquiète alors je m’empresse de rajouter : − Je suis vraiment heureuse pour vous ! Tu ne pouvais pas faire un meilleur choix. Et lui, j’espère qu'il a conscience de la chance qu’il a ! Je ne suis pas censée être

au courant et je vais lui laisser le loisir de m’expliquer ce qui a fait que vous vous rapprochiez. Je suis certaine qu’il n’en peut plus de se taire. − Il est dingue tu veux dire ! Et à chaque fois que tu l’avais au téléphone, j’ai cru qu’il allait te lâcher le morceau. Ne rien te dire a été une vraie torture pour nous deux. − N’en parlons plus. Et Meg, tu ne la mets pas dans la confidence ? − J’ai l’impression qu’elle a d’autres chats à fouetter. − Ce n’est pas faux ! Elle me regarde et paraît bien sérieuse d’un coup.

− Tu crois que nous aurions dû rester avec elle ? − D’après ce que j’ai entrevu, ils n’ont pas vraiment besoin de nous. Mais on lui offrira une porte de sortie tout à l’heure si tu veux, ce sera à elle de décider. Que dirais-tu en attendant de commander une salade au showroom ? − C’est sans aucun doute ta meilleure idée de la journée. Va pour la salade ! Tu veux peut-être que je te prête mon pass pour que tu puisses prendre tes affaires dans ta chambre ? − J’ai cru que tu ne me le proposerais jamais ! En la prenant dans mes bras, j’ajoute le

sourire, aux lèvres : − Je suis vraiment trop heureuse pour vous, Sof! − Ouaip moi aussi ! se marre-t-elle. Pressée de récupérer ma « clef » mais surtout mon Smartphone, j’attrape son passe et lui lance en sortant : − Pendant que tu te charges du repas, je vais chercher mon téléphone. J’en profiterai pour envoyer un message à Meg pour lui donner notre programme si jamais elle souhaite nous rejoindre. Je sors de sa chambre et m’engouffre dans la mienne. J’attrape mon portable, le cœur battant. Sauf qu’il ralentit aussi sec en l’absence de message. Bon sang, on

dirait une adolescente devant ses premiers texto, sans rire ! Reprends-toi, idiote ! Nous n’avons pas à attendre longtemps pour être servies et l’heure qui suit est consacrée à l’échange d’anecdotes croustillantes sur notre confident commun. Je dois admettre que torturer un peu Eddy avec tout ce que j’ai appris me fait glousser par anticipation. Le repas terminé, et en l’absence de message, nous commençons sérieusement à nous poser des questions. Que Braden me laisse sans nouvelle, c’est presque compréhensible, mais ce n’est pas le genre de Meghan. Sofia a visiblement les mêmes inquiétudes. Sans nous concerter,

nous décidons de la retrouver au bar sauf qu’ils n’y sont plus depuis longtemps, elle reste injoignable sur son portable et ça, c’est encore plus inhabituel. Je sais bien qu’elle est adulte et que je ne devrais certainement pas m’inquiéter, sauf que Meg n’est jamais introuvable. Jamais. Les heures défilent tandis que notre angoisse augmente. N’y tenant plus, je décide de tenter de joindre Logan. Sauf que je n’ai pas de numéro et que je ne connais qu’une seule personne à même de me répondre. Je compose rapidement son numéro, mémorisé sans le vouloir. Il décroche à la deuxième sonnerie. − Jadde ! Tu as des regrets ?

Un frisson de plaisir à l’intonation de sa voix me parcourt le dos mais je fais taire mon corps aussi sec. − Bonsoir, Braden, tu as un numéro où je peux joindre Logan, s’il te plaît ? − Pourquoi ? me rétorque-t-il, visiblement agacé voire légèrement agressif. − Pour faire court, Meg et lui ont passé le début de soirée ensemble, depuis elle est introuvable et ça ne lui ressemble pas. Il pousse un soupir, et me donne l’information avec une intonation radoucie. Je ne lui laisse pas le temps d’engager la discussion, je le remercie et lui raccroche presque au nez. Non mais

c’est quoi ce quoi ce ton sans rire ! Sofia se retient de rire mais ne fait aucun commentaire. Tant mieux, là je ne suis pas d’humeur. Sans attendre, je compose la série de chiffres. Trois tonalités plus tard c’est la voix familière de ma grande rousse qui répond sans me laisser le temps d’en placer une. − Désolée, les filles, je ne voulais pas vous inquiétez, je ne peux pas vous parler. Je vais très bien. La visite inopinée de Logan m’a prise au dépourvu mais je suis en sécurité. Je n’ai juste plus de batterie sur mon portable. Je vous retrouve demain à la première heure. Bonne soirée. Et avant que je n’ai le temps de dire « ouf

! », elle a raccroché. Je reste comme une idiote, le portable à la main en regardant Sofia, l’air hébété. Je finis par retrouver mes esprits, pourtant je suis un peu mal à l’aise. Il y a quelque chose qui ne tourne vraiment pas rond et j’ai du mal à savoir si je dois m’inquiéter ou laisser faire. − Au moins, elle va bien, c’est déjà ça ! chuchote Sof comme pour se rassurer. Elle hausse les épaules, me sourit. J’opine, pas tout à fait convaincue. − Ça t’ennuie si je dors avec toi cette nuit ? Je ne me sens pas de me retrouver seule dans ma chambre. − Quelle question, bien entendu que tu

peux rester ! Enfin si on arrive à trouver une place dans mon capharnaüm. Avec un peu de chance, tu ne m’enverras pas valdinguer par terre cette nuit ! − Oh merde, désolée, ma chérie ! − T’inquiètes pas, c’était l’heure de se lever de toute façon. Nous échangeons un sourire complice, et comme la journée a été harassante, nous ne tardons pas à nous mettre au lit après nous être frayées un chemin sous la montagne de fringues. Le sommeil m’engloutit rapidement dans une nuit où je le retrouve enfin.

Chapitre 25 Braden Mercredi 30 juin, New-York Je n’ai pas fermé l’œil la nuit dernière, et je me demande comment je tiens encore debout. Lorsque Meghan m’a rejoint pour mon ivresse improvisée, je n’ai pas réussi à lui dissimiler ma déception. Elle a eu l’intelligence de ne pas insister et a réussi à me faire baisser la garde. Il faut dire qu’il y a de quoi être perturbé par cette jolie rousse un poil exubérante

et sûre d’elle, parce que sous son apparence superficielle, elle cache une perspicacité et un naturel assez déroutants. Une chose en entraînant une autre, nous avons parlé pendant de longues heures sans vraiment nous en apercevoir. Fait plutôt surprenant si on considère que mon entourage me reproche souvent d’être peu loquace. Je ne saurai pas vraiment dire pourquoi je me suis livré si facilement, la situation ou ma frustration peut-être, en tout cas cette rencontre m’a apaisé. Au fil de nos confidences, j’ai compris pourquoi elles sont amies. L’affection qu’elle a pour les filles est évidente et va

bien au-delà d’une simple amitié. Elle a dirigé régulièrement la discussion vers elles, probablement pour jauger de ma réaction. Et comme un idiot, j’ai souri niaisement à chaque fois qu’elle l’a évoquée. D’anecdotes en boutades nous avons appris à voir un peu sous la surface. Quand nos métiers, part essentielle de nos vies respectives, sont entrés dans la discussion, je jurerai l’avoir vue s’illuminer. Elle a multiplié les superlatifs en parlant de ses protégés, pour un peu je me serais presque mis à lire. Plus tard, elle a orienté la conversation sur ma propre histoire et je me suis surpris à lui

répondre. Étonnamment nous avons parlé de mes amis alors que c’est un sujet que j’évite d’habitude. Si elle ne m’avait pas avoué connaître Logan, je me demande si j’aurais accepté qu’elle vienne sur ce terrain. Bien sûr je l’ai principalement écoutée, mais j’ai surtout découvert, à travers ses yeux, une autre facette de mon pote. Elle a d’ailleurs montré un intérêt difficilement dissimulable pour ce dernier. Elle ne m’a pas posé de questions directes mais aucun doute, elle le connaît bien. Encore une qui est tombée sous son charme. Cette pensée me ramène à lundi, et je ne peux refréner une brusque montée

d’adrénaline. Savoir que Jadde aurait pu succomber aux charmes de mon pote me met en transe. Ça fait ressurgir en moi des comportements bestiaux ridicules mais je suis incapable de le contrôler. Si de son côté Jadde n’a pas succombé, ce n’est pas le cas de sa copine qui a mon sens est irrécupérable. Elle est tombée dans ses filets et ça ne date pas d’hier. La nuit est passée si vite que lorsque l’alarme de mon portable s’est mise à vibrer, je suis tombé des nues. Avant qu’elle ne s’éclipse, j’ai choisi de faire de Meghan ma messagère. J’aurai peutêtre du suivre ma première idée sauf que je trouvais ça malvenu après avoir partagé ce moment complicité. Elle a

accepté, apparemment ravie, puis elle s’est retirée en me souhaitant bon voyage. J’ai récupéré mes affaires avant de sauter dans le premier taxi pour attraper mon avion en direction de Baltimore. Heureusement j’ai pu somnoler pendant le vol, parce que dès l’instant où j’ai posé les pieds dans la ville de mon enfance, les choses sérieuses ont repris. Après une demi-heure de voiture, j’arrive devant le Blue Even prêt à reprendre du service. Joyce est déjà à pied d’œuvre depuis un bout de temps. Elle sourit jusqu’aux oreilles lorsque je franchis les portes battantes des cuisines. − Bonjour, chef, heureuse que vous soyez

enfin de retour ! Vous avez fait bon voyage ? − Disons qu’il était surprenant. Elle penche la tête sur le côté en prenant un air interrogatif. Je lui fais signe de laisser tomber et enchaîne histoire de changer de sujet. − On en est où ? − En cuisine, je maîtrise mais j’ai quelques difficultés à gérer Madame Jones. Pour ma défense, elle a déjà téléphoné quatre fois pour vérifier si vous étiez arrivé. − Je m’attendais à une bonne dizaine. Elle est quelque peu stressée… − J’aurais plutôt dit stressante mais c’est

juste un point de vue ! me répond-elle en grimaçant. J’ai du mal à réprimer mon rire. − Allez c’est à votre tour ! s’exclame-telle en se débarrassant du téléphone comme si c’était le mal incarné. Les relations humaines avec les folles furieuses, très peu pour moi ! Je suis bien meilleure derrière des fourneaux que pour faire la conversation à nos clients. Avec un clin d’œil complice, je lui réponds : − Il faut bien que je serve à quelque chose, Joyce. − Et c’est pour ça que vous êtes le patron et moi votre employée, chef, rajoute-t-

elle en riant. − Non, ça c’est parce que tu adores m’avoir pour boss ! lui rétorqué-je pincesans-rire. Allez, assez plaisanté, nous avons du pain sur la planche ! − Ça, c’est certain ! Je ne relève les yeux de nos préparatifs qu’après cinq heures de travail acharné et seulement parce que mon estomac s’est mis à crier famine. Je dois reconnaître que ma brigade a fait un travail remarquable. À mon arrivée, ils avaient déjà achevé la première pièce montée et la seconde prenait forme. Ma décoratrice habituelle avait aussi largement contribué à la

réussite de la soirée. Elle a réalisé un travail de dingue dans la salle de réception. Nul doute que Madame Jones va être soufflée par le résultat. Cette dernière finance le mariage de sa fille dans sa totalité. Aussi a-t-elle décidé du thème de la décoration : les anges. La salle dépasse largement ses exigences comme toujours. Mais la vraie surprise qui l’attend, c’est dans l’assiette qu’elle va la trouver. La famille Jones n’a pas voulu goûter les plats à l’avance comme le font la plupart des futurs mariés. Elle s’est même vexée quand je le leur ai proposé sous le prétexte qu’elle se refusait à brider mon génie créatif ! Non, mais j’aurai tout entendu !

De toute façon, je compte bien lui offrir le rêve qu’elle m’a demandé et ma Cam n’est pas innocente dans l’aboutissement du projet. J’étais tellement inspiré que même Joyce n’a rien trouvé à redire quand je lui ai proposé mon idée pour le menu. Quand on connait son esprit critique et acéré, ça relève de l’exploit. Bref, le reste de la journée a défilé sur le même rythme intense, exaltant et soucieux. Vers dix-huit heures, le flot des invités a commencé à se présenter. Deux cents personnes plus tard, les mariés ont fait leur entrée sous une salve d’applaudissements. C’est à ce moment précis que Jadde a choisi de m’envoyer sa réponse. Même si

je suis bien trop fier pour l’avouer, la boule d’angoisse s’est enfin dénouée quand j’ai reçu son message. Je n’ai cessé de penser à elle. Mais comment pourrait-il en être autrement puisqu’elle m’a inspirée la moindre de mes créations depuis l’instant où elle est apparu dans mes rêves ? Sa réponse m’a apaisé d’une certaine façon mais m’a ouvert un champ de questions bien plus large encore. Mais qu’est-ce qui la retient vraiment ? Un autre homme de toute évidence, mais pourquoi ai-je la sensation que je vais devoir me battre mais que le combat sera inégal Mon cœur a fait son show quand elle a

avoué ressentir le lien tangible entre nous. Je tape rapidement une répartie et trépigne d’impatience en attendant son retour qui me parvient sans attendre. Je m’apprête à lui répondre quand la mère de la mariée fait irruption dans la cuisine. − Monsieur Miller, je tiens à vous remercier personnellement pour votre travail, la salle est somptueuse et l’apéritif remporte tous les suffrages ! J’étais certaine que vous transformeriez cette journée en événement inoubliable ! − Merci de votre sollicitude, je suis touché que notre travail vous plaise, mais tout le mérite en revient à mon équipe. Ils ont travaillé d’arrache-pied pour que

cette journée soit à la hauteur et je suis ravi que nous y soyons parvenus. Le meilleur reste encore à venir et je vous invite à retourner profiter de la fête en toute quiétude. − Oui bien sûr, merci encore, je vous reverrai dans quelques heures pour la pièce montée. − Bien entendu, je ne quitte pas mon restaurant avant que le dernier invité ait déserté la fête. N’hésitez pas à venir me voir si vous avez la moindre demande, je suis à votre disposition. − Je suis rassurée, à tout à l’heure. Elle n’a pas plus tôt quitté la cuisine que j’entends le rire étouffé de Joyce dans

mon dos. Je lui réponds discrètement avec un regard plein de sous-entendus, mais je dois lutter pour m’empêcher de l’accompagner. Je n’aurais probablement pas la même réaction avec une autre cliente, mais Madame Jones a toujours fait preuve d’une telle confiance et de si peu d’exigences que je n’ai pas le droit de la décevoir. Elle attend de moi que je sois plein d’attention et si c’est ce qu’elle désire, je n’ai aucun problème pour m’y conformer. Dans la salle, le ballet des serveurs commence tandis que les invités s’installent à table. Je vais devoir patienter pour répondre à Jadde. J’ai

besoin d’être concentré un maximum pour reprendre la direction de la brigade. Joyce a repris son poste de second sans que nous ayons eu à en discuter, c’est un accord implicite entre nous. Elle sait combien être en cuisine, sentir l’ivresse du coup de feu, me manquent quand je suis en déplacement et elle me laisse sa place sans même réfléchir. C’est parti ! Je peux enfin profiter pleinement du moment, la fatigue s’envole et je vibre de plaisir en gérant les finitions. Les serveurs arrivent en continu pour prendre les assiettes, et aucune ne quitte la cuisine sans que je ne lui ai accordé l’attention qu’elle mérite. Les entrées servies, le bal reprend pour

préparer les poissons. Comme toujours, quand les dégustations commencent, j’ai une montée d’adrénaline. J’ai beau être un chef reconnu par mes pairs, les vrais juges sont assis à table avec leurs fourchettes à la main. Il suffit d’un signe de félicitations de mes serveurs pour que la pression redescende et que je me replonge dans la suite du menu. La valse reprend de plus belle. Mes collaborateurs sont attelés à la tâche et aucun ne se détourne de son rôle. C’est une machine bien rodée dont je maîtrise parfaitement les rouages, aucune fausse note n’est possible et je suis là pour donner la mesure. Vers une heure du matin, alors que je

viens de faire partir le dernier plat, mon téléphone sonne. À la lecture de son prénom, la montée d’endorphines qu’elle est la seule à me faire ressentir me secoue. Le temps de sortir de la pièce et de faire signe à Joyce de me remplacer, je décroche. Pour rester sur le ton léger de nos messages, je lance une boutade. Sa réponse me glace immédiatement. Que veut-elle faire du numéro de Logan ? Des dizaines de questions se bousculent dans ma tête. Me serais-je trompé ? Existe-t-il un lien que j’ignore entre eux ? Ma réponse fuse sans que je ne sois parvenu à me contrôler. Je regrette immédiatement le ton que j’ai

employé et c’est encore plus le cas quand elle me donne la raison de sa demande. Je me sens parfaitement idiot et elle semble être parvenue à la même conclusion. Après un sommaire « bonne soirée », elle me raccroche au nez. La discussion n’a duré que quelques secondes mais m’en remettre me prend bien plus de temps. J’hésite même à la rappeler. Mais j’y renonce, piteux, et retourne en cuisine. Malheureusement le cœur n’y est plus et la fatigue devient de plus en plus pesante. Mais bordel, qu’est ce qui m’a pris ? Habituellement, je suis maître de mes réactions et ne me laisse jamais diriger par mes émotions. Je perds complètement les pédales !

Lentement, la danse des plats reprend sa place dans mon esprit mais je n’ai plus la même ardeur. Le temps a ralenti et les heures qu’il me reste loin d’elle me paraissent tout à coup interminables. Je m’en veux et, en même temps, j’ai peur parce que j’ai conscience que tout va trop vite. Ce besoin que j’ai de la voir, cette sensation qu’elle m’influence dans tout ce que j’entreprends, ce n’est pas sain. Ça dépasse l’obsession, c’est incontrôlable et putain, je vais finir par perdre la boule à ce rythme ! Je ferme le restaurant, recrû de fatigue, à cinq heures du matin. J’ai tenu à rester pour ranger la salle et les aider à faire le ménage afin de préparer la pièce pour le brunch de midi. J’ai intérêt à ne pas

traîner pour aller dormir un peu. Nul doute que deux nuits blanches et mes réactions façon montagne russe vont finir par avoir ma peau. Heureusement que mon appartement est à deux pas. Moins d’une minute après avoir franchi le seuil, je m’écroule sur le lit. Je m’endors avant même de le réaliser et la rejoins dans une cabine d’essayage. Habituellement, mes rêves sont accompagnés de musique mais pour la première fois, j’entends des bruits de voix toutes proches, et putain mon côté pervers exulte ! Elle est debout face à moi et quand elle pose ses mains sur mes bras nus, un frisson me parcourt. Sa peau est douce et elle effleure de ses doigts les poils de mon torse. Elle me caresse avec

une telle douceur que je suis obligé de me concentrer pour la sentir sur ma peau. Absorbé par les sensations, le monde extérieur s’évanouit. Notre bulle se referme sans que nous n’ayons quitté l’exiguïté des lieux. J’aimerais m’excuser pour mon attitude ridicule mais les mots restent coincés dans ma gorge. Elle continue son voyage sur mon torse, ajoutant ici et là de minuscules baisers. La cabine comporte trois grands miroirs et je n’arrive pas à décrocher mon regard de l’image qu’elle renvoie. Ses formes sont si douces, même sa taille a l’air d’avoir été conçue pour que mes mains s’y fondent. Quoi qu’il arrive dans notre réalité, ici,

elle est irrémédiablement mienne. Cette possessivité décuple mon plaisir tandis que je colle mes mains sur la cambrure de ses fesses pour l’unir à moi. J’ai envie de hurler qu’elle m’appartient, pourtant je me contente de profiter de ses seins tendus tout contre mon torse et de son odeur enivrante qui inonde tous mes sens. Elle me donne un baiser tandis que nos corps se resserrent, toujours plus proches. Joueuse, elle mordille ma lèvre et glisse sa langue entre mes lèvres. Je grogne. L’embrasser, c’est comme déguster le plus fabuleux des mets. Mes sens sont tenus en haleine entre sa douce senteur de vanille et son fumet subtil du camélia.

C’est attractif, addictif me rendant aussi dépendant d’elle que de mon oxygène. Je la soulève et tout son poids repose sur mes bras, mais c’est à peine si je m’en rends compte. Prise dans l’action, elle place ses jambes autour de ma taille et tout se trouble. Putain ! Tandis que ma queue, déjà à l’agonie, hurle de la sentir, les images défilent sans que je ne puisse rien y faire. Je ressens chaque caresse, chaque baiser mais j’ai plus l’impression d’en être le témoin que l’acteur et bon sang, ça déchaîne ma frustration ! Les images reprennent consistance quand elle tremble, au bord du gouffre. Son simple prénom murmuré au creux de son

oreille la fait basculer. Et elle disparaît...  

Chapitre 26 Jadde Jeudi 1er juillet, New-York Je me réveille en transe mais parfaitement consciente de la présence de mon ange gardien italien à mes côtés. Mon sang bouillonne, j’ai le corps en feu, mes vertiges ne s’apaisent pas, sentant encore le feu de ses caresses sur ma peau, son souffle chaud tout contre mon cou. Le summum de l’absurde, c’est qu’il m’a suffi d’entendre la voix caressante de

Braden murmurer mon prénom pour me faire basculer. Je suis troublée. Qu’est-ce que ça signifie ? Leur ressemblance est saisissante c’est un fait, mais à aucun moment je ne me suis demandé qui peuplait mes rêves. Ça ne peut être que Jack, comment pourrait-il en être autrement ? Sauf que ce n’était pas sa voix mais bien celle de Brad. Il interfère jusque dans mes songes. Je ne sais plus quoi en penser, je ne devrais pas rêver d’un autre homme ! Jamais ! Le plus étonnant, je n’arrive pas à me défaire de l’étrange sensation que ce n’est pas la première fois. Non, mais il faut vraiment que j’arrête de laisser mon imagination

galoper ! Je dois me concentrer sur l’essentiel jusqu’à demain ça exclut « monsieur le tourneur de tête ». Mais sincèrement, je vais devoir déployer toute mon énergie pour y parvenir. Je cherche machinalement mon téléphone. Comme il est resté dans le salon, je me lève en douceur, pour ne pas déranger mon amie. De toute façon, je ne vois pas bien comment je pourrais me rendormir dans mon état d’effervescence. Je quitte rapidement la chambre de Sofia en ayant pris soin de lui laisser un petit message. Je préférerai sincèrement faire taire mes tourments en courant en pleine nature. D’autant que Central Park est à

deux pas mais il est encore tôt et je ne suis pas franchement téméraire. Alors je vais me contenter du tapis de course. Devant le sas qui mène à la piscine, je revois la scène de l’avant-veille. Oh bon sang, comment vais-je parvenir à l’éloigner de mes pensées ? Arrivée dans la salle, je lance le programme à pleine vitesse, pas le temps de m’échauffer, il faut que je me vide la tête et vite ! Je m’arrête quand, le souffle court, je suis au bord de l’évanouissement. Malgré mes poumons en feu, ce n’est pas suffisant pour faire éteindre l’incendie qui me ravage. Quoi que je fasse, tout me ramène inlassablement vers lui.

Dans ma tête, c’est comme un disque rayé qui repasse sans cesse nos paroles, nos échanges et nos contacts. Tout ce qui a un rapport avec Braden est passé, ressassé, analysé et décortiqué. Le plus dingue dans tout ça, c’est que j’ai beau crever de culpabilité, je ne parviens jamais à le repousser aux oubliettes et c’est étrangement dérangeant. Je ressens comme un sentiment d’insécurité, une urgence d’être à ses côtés sans que je ne comprenne pourquoi ni comment j’en suis arrivée là. Je suis distraite par l’arrivée d’un homme étrange auquel je prête à peine attention. Il se place sur la machine derrière moi et je sens son regard pesant dans mon dos. Je ne sais pas pourquoi mais je me sens

instantanément mal à l’aise. Je ne suis vraiment pas sujette à la paranoïa d’habitude. Mais ayant du mal à réprimer ce sentiment, je termine ma séance prématurément. Il n’a pourtant rien fait, mais la traînée glaciale que son regard me laisse sur la peau me fait froid dans le dos. Je ramasse mes affaires et sors rapidement. Lorsque j’entends des bruits de pas derrière moi, une vague de panique me submerge. J’accélère la cadence et décide de remonter jusqu’au hall par les escaliers plutôt que d’attendre l’ascenseur. Quand j’atteins l’étage, je pousse un soupir de soulagement. C’est vraiment ridicule, pourquoi ai-je réagit ainsi ? Et puis

qu’est ce qu’il me voulait ce type ? C’est du grand n’importe quoi ! Si j’ajoute au tableau le sentiment de persécution, il ne manque plus que les voix et je suis hospitalisée d’office en service de santé mentale ! Je rejoins mes amies qui sont attablées dans le salon de Meghan. Bien que je sois encore un peu remuée par ces étranges perceptions de danger imminent, je les mets de côté bien décidée à revenir sur les événements de la veille. Si elle pense que je vais laisser passer son attitude, elle se fourre le doigt dans l’œil ! Elle me tourne le dos. − Alors, Meg, tu as passé une bonne nuit ?

Je vois que Sofia me jette un regard noir. Quoi ? Qu’est-ce que j’ai loupé encore ? Je fais comme si je ne l’avais pas vu mais me rapproche de la table − Excellente et toi ? me répond-elle sans daigner me regarder. − En fait, pas terrible. Une de mes meilleures amies nous a foutu une trouille bleue ! Quand elle se retourne vers moi, je regrette immédiatement mes paroles. Ses joues sont ravagées par des restes de mascara et ses yeux sont bouffis de larmes. − Je suis désolée, je suis con parfois ! Je ne voulais pas… Et puis merde, qu’est-ce

qui t’arrive, Meg ? Il t’a fait du mal ? Je te jure que si je l’attrape, je lui fais la peau ! lui assené-je, remontée. − Non, calme-toi. Je crois qu’il faut que je vous explique. Je pensais que j’arriverai à l’affronter seule mais je me sens un peu dépassée. Elle me fait signe de venir m’installer à ses côtés et commence son récit par une grande inspiration et se jette à l’eau. − J’ai rencontré Logan il y a un peu plus de quatre ans, tu venais de perdre ton compagnon, Jadde, et moi mon meilleur ami. Je déglutis bruyamment, elle ne me regarde pas et continue.

− À l’époque nous étions tous anéantis par le drame qui venait de frapper et Logan était une douce épaule pour pleurer. Il a été doux, tendre et attentif à ses heures et sans lui, je me demande si j’aurais réussi à remonter la pente. Nous ne nous étions rien promis. Il est un homme à femmes et ne me l’a jamais caché. J’ai eu des tas d’amants et notre relation nous convenait comme ça. Une amitié avec du sexe à l’occasion, chacun trouvant son compte dans l’histoire. Ça à durer presque deux ans sans que ni lui ni moi n’éprouvions le besoin d’aller plus loin. Elle se tourne vers Sofia avec un regard mêlant résignation et tristesse.

¬− Je sais que je te choque, Sof, mais je n’ai jamais été la femme d’un seul homme et Logan est pire que moi. Nous étions attachés l’un à l’autre bien plus que nous ne voulions l’avouer mais nous tenions encore plus à notre liberté. Tout aurait pu continuer ainsi indéfiniment si un événement inattendu n’était pas venu tout compliquer. Je suis tombée enceinte. − Quoi, mais Meg, tu n’as pas de moyen de contraception ? ne puis−je m’empêcher de l’interrompre. D’un signe elle me demande de la laisser poursuivre. Je m’exécute, sonnée par cette première révélation, tandis que je vois les yeux de Sofia se remplir de larmes comme si elle présentait la suite.

− Bien sûr que si ! Sauf que l’implant arrivait à la limite de son temps d’action et que je l’ignorais. Quand je l’ai découvert, j’ai paniqué et comme je n’avais pas eu d'autre amant depuis quelques semaines, j’ai su qu’il était le père. Je lui en ai parlé bien entendu. Ses larmes repartent de plus belle et c’est la voix pleine de sanglots qu’elle tente de poursuivre. Je me retiens de la prendre dans mes bras. Je sais sans qu’elle ne m’ait encore rien divulgué que ce qu’elle s’apprête à me dire va me déchirer de l’intérieur. − Sa réaction m’a sidérée. Il a été à la fois gentil et directif. Je ne veux pas d'enfants, je n’en ai jamais voulu. Je ne

me vois pas mère pour l’instant en tout cas. Et lui père, je ne pouvais pas le concevoir. Alors, forcée d’admettre que je serais incapable d’abandonner un enfant, il m’a poussée à mettre un terme à ma grossesse. Une douleur fulgurante me traverse le cœur quand elle prononce ces mots. Elle le sait et évite volontairement de croiser mon regard. − Je sais qu’il avait raison, nous le savons tous les deux, mais je lui en ai voulu pour parvenir à continuer à me regarder en face. Elle marque une pause et déglutit. Son récit est affreusement éprouvant pour nous toutes. Des larmes silencieuses

inondent ses joues. Elle détourne le regard et se contente de parler en fixant un point imaginaire. − J’ai choisi de couper toutes nos relations et de me perdre dans des histoires sans importance. Je repoussais toute pensée qui pouvait me l’évoquer jusqu’à ce coup de téléphone où il nous a invitées à manger dans son restaurant. Même si deux ans se sont écoulés, je pense sincèrement que si Sofia n’avait pas été là, je l’aurais éconduit. Mais j'ai voulu faire plaisir à mon amie et, sans le savoir, c’est à moi que j’ai fait du bien. Le revoir a été un électrochoc. Elle croise et décroise ses doigts, anxieuse, mais relève la tête et accroche

nos regards. − Quand il m’a retenue pour me parler, j’ai su. Tout ce que j’avais refoulé, évité, ne pouvait plus l’être. Nous avions besoin de nous parler, de nous expliquer, ce que je lui avais toujours refusé. Nos sentiments n’ont pas changé, je suis toujours aussi attachée que lui à ma liberté mais se perdre dans d’autres bras c'est de l'histoire ancienne, nous avons envie d’essayer quelque chose de tout nouveau pour nous : la monogamie. Malgré le choc de ses révélations, je souris quand elle prononce ce mot : on dirait une grossièreté dans sa bouche. Un silence pesant s’installe. Il dure longtemps, chacune de nous perdue dans

les méandres de son propre passé. Sofia ne dit rien et m’observe, apparemment c’est ma réaction qui va déterminer la suite. Les idées s’entrechoquent dans ma tête. Je suis heureuse qu’elle ait enfin trouvé quelqu’un avec qui elle a envie de créer quelque chose. Mais la douleur qu’a provoquée l’annonce de son avortement a du mal à s’estomper. J’aurais donné tout ce que je possède pour donner le jour à mon enfant, mais la vie m’a privé de ce plaisir. Penser à ce moment de mon parcours me déchire de l’intérieur, bien au-delà de ce que les mots sont capables de décrire. Je n’ai jamais pu en reparler à personne. Les filles l’ont appris par ma mère tout comme Eddy d’ailleurs. Il me

faut plusieurs minutes pour parvenir à trouver la force de reprendre la parole. − Je suis contente que tu aies trouvé quelqu’un avec qui tu as envie de faire un bout de chemin, Meg. Je suis triste que tu aies dû endurer cette épreuve seule. J’aurais été incapable de t’aider, c’est certain, mais le temps atténue les blessures. Ma voix s’étrangle dans ma gorge en prononçant ces mots. − J’aurais aimé avoir la force de t’épauler. Je n’ai aucun droit de te juger et je ne le ferai jamais. Vous avez agi de la façon qui vous paraissait nécessaire avec les armes dont vous disposiez. Maintenant, vous avez l’avenir devant

vous. J’ai appris récemment que le passé n’a pas à dicter le futur alors vivez, arrêtez de vous poser des questions. En prononçant ces paroles, je me rends compte à quel point c’est ironique qu’elles sortent de ma bouche. Je vis dans le passé depuis des années au point d’avoir annihilé tout futur possible. Je vois qu’elles sourient simultanément, apparemment elles ont la même idée. Sofia prend la parole la première. − Je crois que je n’aurais pas mieux dit ! Maintenant, il serait profitable que vous utilisiez, toutes les deux, ces belles paroles pour mettre de l’ordre dans vos vies.

Elle regarde Meg dans les yeux et elles m’étreignent par surprise. Nous basculons toutes les trois du canapé dans un éclat de rire stupéfait. Décidément, cette semaine me réserve vraiment son lot de surprises ! Couchées sur le dos, nous restons toutes les trois immobiles et silencieuses un moment. Meghan relance la conversation. − Dis moi, Jadde, qu’est-ce qu’il t’a écrit ton bel Apollon ? Bien que sa question m’agace, et au vu du courage dont elle vient de faire preuve juste avant, je n’ai pas l’audace de lui répondre que ça ne les regarde pas. Je leur résume en quelques mots nos échanges et j’insiste comme pour y trouver du sens sur sa réaction de la

veille. − Tu es vraiment aveugle, Jadde. Comment tu réagirais s’il t’appelait pour te demander le numéro de l’une de nous sans plus de préambule ? Il est jaloux, c’est évident ! − Mais c’est ridicule, nous nous connaissons à peine, je n’ai aucune attirance pour Logan, sans vouloir te vexer, Meg. Pourtant, cela expliquerait tellement bien son comportement, son agressivité sortie de nulle part ! Elle a peut-être raison après tout. Sofia, peu loquace jusque-là, enchaîne. − Je suis ton amie depuis toujours, Jadde.

Tu sais que j’essaie toujours de me montrer la plus honnête possible. Et là, la seule chose que j’ai envie de te dire c’est : FONCE ! Si un homme me regardait avec autant d’intensité et agissait comme il le fait avec toi, je peux te dire que je ne le laisserai pas filer. Sers-toi de ton passé comme d’un tremplin et non comme une fin en soit. Va le retrouver, tente l’aventure qu’est-ce que tu risques exactement ? Le pire tu l’as vécu, il ne reste que le meilleur maintenant. Oui, le pire je connais, mais je ne survivrai pas s’il se représentait, au fond c’est ça qui m’effraie, que je puisse à nouveau revivre cette atroce perte. Ça et le fait que j’appréhende d’oublier Jack, notre amour, notre vie, toutes ces petites

choses qui faisaient que je l’aimais profondément. En même temps, je sais que ma peur et ma douleur m’ont privée des cinq dernières années. Peut-être est-il temps que je l’affronte ? J’en meurs d’envie, surtout si je mets mon tourneur de tête dans la balance. À cette idée mon cœur s’emballe, mais en suis-je seulement capable ? Je le connais depuis deux jours et je suis prête à prendre l’avion pour le rejoindre. Ma spontanéité et ma maladresse ont toujours été deux de mes principaux traits de caractère. Elles sont souvent contrebalancées par mon sens aigu des responsabilités, avec ce côté terre à terre

et ancré dans la réalité. C’est probablement cette opposition permanente qui fait de moi un écrivain complet. En attendant, mon besoin de prendre des décisions réfléchies et de peser le pour et le contre s’oppose sans cesse à ma réaction instinctive. Et si pour une fois, ce sont mes tripes que je laissais parler ? Je suis à deux doigts de me laisser aller quand Meg m’apostrophe avec douceur : − Allez, Jadde, arrête de faire carburer tes méninges ! Rien d’important n'est programmé aujourd’hui. Je peux aisément tout remettre à demain. Tente ta chance, ma chérie, arrête d'avoir des regrets et vis !

Je me lève sans plus réfléchir et attrape mes affaires. − Vous avez raison, je n’ai rien à perdre ! Il m’attire c’est aussi évident que le nez au milieu de la figure. Je dois le voir pour poser les choses. Et peut-être… J’ai besoin de donner un coup de main au destin. Je suis maîtresse de ma vie, à moi de faire le nécessaire pour que les choses se passent comme je le veux. Apparemment les filles ne s’attendaient pas à cette réaction et une pluie d’encouragements accompagne ma tirade. − Va préparer tes affaires, Jadde, je m'occupe des réservations, si tu te dépêches tu seras à son restaurant pour midi. Je te cherche l’adresse, histoire

qu’un taxi t’y conduise sans peine. − Merci ! C’est le seul mot qui me vient, et encore, je le prononce alors que la porte se referme déjà derrière moi. En moins de cinq minutes, j’ai regroupé les indispensables. Quand je sors de la chambre, les filles m’attendent déjà dans le couloir et nous rejoignons le hall en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Une voiture nous attend devant la porte et nous conduit directement à l’aéroport. Moins d’une demi-heure plus tard, je suis assise à bord de l’avion pour Baltimore. Je crois que c’est à ce moment que je réalise vraiment ce que je viens de mettre en marche. Deux heures plus tard, assise

dans le taxi devant son établissement, les doutes qui m’ont assaillie durant le trajet reviennent me hanter. Mon impatience à l’idée de le retrouver m’aide à les tenir muselés. Je paie la course et m’avance vers le bâtiment où discute un petit attroupement. Le lieu est chic, la devanture arbore des allures à la fois moderne et élégante sans pour autant paraître ostentatoire. D’immenses baies vitrées donnent une vision panoramique sur la rue par réverbération. Leur taille imposante laisse imaginer que la pièce qu’elle cache doit être emplie de lumière. À mon arrivée, tout le monde me dévisage, ce qui accroit encore un peu ma nervosité.

Quand j’entre dans l’immense salle, je me demande si je n’ai pas fait erreur sur l’adresse. La pièce est sublime. Le sol est couvert d’un carrelage noir de toute beauté. Les murs peints dans des couleurs neutres et les boiseries donnent au lieu tout ce qu’il faut d’élégance et de sobriété. Mais le mobilier est couvert de luxueux nids de plumes, les décorations évoquent sans aucun doute la célébration d’une union. Des photos des mariés trônent un peu partout. Tous les regards des clients se tournent vers moi. Je sens le sang pulser sur mon visage et nul doute, je dois être écarlate. Un jeune homme d’une vingtaine d’années me rejoint d’un pas assuré, je mettrais ma main au feu qu’il s’agit de l’un des

serveurs. Quand les invités l’aperçoivent, leurs regards se détournent. − Bonjour mademoiselle, je suis désolé mais le restaurant est fermé pour la journée. Mais je peux peut-être vous renseigner, m’exprime-t-il avec un sourire poli. Je me sens ridiculement maladroite. − Merci beaucoup, je ne veux pas vous importuner, mais j’aurais souhaité voir le chef du restaurant, monsieur Miller. − Il est très demandé, malheureusement je crains qu’il ne puisse venir vous rejoindre de suite. Puis-je me permettre de vous demander votre nom ? Je vais me renseigner sur sa disponibilité, me

répond-il courtois.

aussi

professionnel

que

Je me sens un peu bête, c’est évident qu’il est occupé, comment ai-je pu espérer qu’il se libère alors qu’il est en plein boom? Je suis idiote. − Vraiment, je ne veux pas le déranger, pouvez-vous lui dire que Jadde Simmons est passée ? Je repasserai plus tard dans l’après-midi. Il sait comment me joindre quand il sera disponible. − Très bien, madame, je vais de ce pas l’en informer. Déçue, je tourne les talons et commence à m’éloigner. J’ai à peine le temps de faire une cinquantaine de mètres que sa voix

m’apostrophe. La scène se déroule au ralenti, un peu comme dans les films au cinéma, sauf que là tout est réel et vibrant d’intensité. Je me retourne, l’homme qui habite la moindre de mes pensées depuis des jours est là. Le monde s’arrête quand nos regards se trouvent, nous nous jaugeons en silence. J’ignore lequel de nous amorce le premier geste mais il ne nous faut que quelques secondes pour faire disparaître la distance qui nous sépare. Quand il me prend dans ses bras, j’ai l’impression que le monde qui nous entoure fond comme neige au soleil. Il pose son front sur le mien et ferme les yeux. Je doute à cet instant qu’il y ait quoi

que ce soit qui puisse troubler cet instant de pure grâce. Lentement je pose mes lèvres sur le coin de ses lèvres, il esquisse un sourire en s’éloignant de quelques centimètres pour plonger ses yeux dans les miens. Ses mains glissent du bas de mes reins à mon visage qu’il entoure avec douceur. Il incline légèrement la tête et se rapproche de ma bouche. Ce contact délicieux déclenche un frisson dans tout mon corps. Douces et sucrées, ses lèvres caressent les miennes avec dévotion. Puis quand sa langue les taquine, ce qui n’était que calme et volupté devient exigence et envie. Il n’en fallait pas plus pour que notre passion se déchaîne. Le baiser

s’approfondit et je découvre un monde aux mille couleurs. Ses dents mordillent ma bouche et envoient une décharge directement dans mon bas ventre. Affamés, on se dévore autant qu’on s’apprivoise. Sans la salve d’applaudissement qui raisonne derrière nous, qui sait combien de temps cela aurait pu durer ? Il finit par reculer. − Pardonne-moi, murmure-t-il en relâchant légèrement son étreinte, quand je t’ai vu je n’ai pas pu me contrôler. Je suis désolé. En essayant de retrouver l’équilibre, alors que je subis encore les effets de cet échange passionné, je lui réponds dans un

léger soupir : − Ne t’excuse pas, il faut être deux pour partager un baiser. Nos corps sont toujours si proches que je sens son attraction jusque dans me tripes. Nos lèvres se sont momentanément éloignées et nos fronts se touchent à nouveau comme pour maintenir le contact. − Je ne m’attendais vraiment pas à ta visite, Jadde. − Pour tout te dire, je ne prévoyais pas non plus de te rejoindre en me réveillant. Je cherchais même à t’éloigner de mes pensées, sauf que pour une raison que je ne m’explique pas, j’avais besoin de te voir et de te livrer mon histoire pour

tourner la page. Visiblement, il cherche ses mots. C’est pendant ce petit temps de latence que je réalise que nous n’avons pas bougé de la rue où nous sommes toujours la principale attraction. Il ne m’en faut pas plus pour rougir de plus belle. Quand il suit mon regard, il attrape ma main et me ramène rapidement jusqu’au restaurant. Il passe devant tous les clients qui ne nous quittent pas des yeux et se dirige vers le fond de la salle sans accorder la moindre attention aux personnes qui nous entourent. Je le suis, de plus en plus mal à l'aise, manquant de tomber une ou deux fois, tandis que les visages surpris s’accumulent. Heureusement, sentir ma main dans la sienne m’apporte une

certaine forme de sérénité et m’évite de me ridiculiser. Je remarque sans mal que la plupart des serveurs sont des femmes et qu’elles ne sont apparemment pas ravies de me rencontrer. Mais notre passage est si express que je me demande si toutes ses sensations sont bien réelles. S’ensuit une traversée mouvementée des cuisines où nous slalomons entre les professionnels affairés. Il avance en serrant ma main par à-coups comme pour vérifier que je n’ai pas disparu. A-t-il la même sensation ? Plusieurs fois il accompagne ses gestes de furtifs coups d’œil. Quand nous arrivons enfin dans un petit bureau, je reprends mon souffle. Il ferme

la porte d’un geste et, sans que je n’aie le temps de réaliser, reprend notre baiser où nous l’avions laissé. Mais cette fois, c’est moi qui l’interromps avant que je ne perde complètement la tête. − Attends, s’il te plaît, lui dis-je en sentant le feu qui flambe dans tout mon corps, je crois que ce n’est ni le lieu ni le moment de se lancer dans ce genre… d’échange. J’ai besoin que tu saches certaines choses avant qu’on envisage quoi que ce soit. Et je crains que ton opinion sur notre possible relation soit profondément bouleversée par mes révélations. Il est même possible que tu décides de mettre un terme à nos rapports quand tu connaîtras la vérité. Je dois prendre ce risque, sans quoi, ce truc entre

nous est voué à l’échec. − Je sais, que nous devons parler mais te voir devant moi, c’est si inattendu ! Tu es vraiment imprévisible! Laisse-moi juste quelques secondes pour profiter de cette jolie surprise. Sur ce, il me prend dans ses bras et dépose ses lèvres fermes et délicates sur mon front. Ce simple geste d’une douceur infinie me remue presque autant que ses baisers. Ses bras resserrent leur étau et je me laisse aller contre son torse. Plusieurs minutes passent quand une légère percussion sur la porte suivi d’un « chef, ça commence ! » met fin prématurément à notre étreinte. − Je suis désolée, Jadde, je dois y aller,

mais reste, je t’en prie. Ne t’en va pas. Viens t’installer dans la cuisine que je puisse profiter de ta présence ! Je suppose que tu n’as pas mangé. Laissemoi te faire partager ma passion. Sa voix s’est faite supplique et je n’ai pas le cœur à le lui refuser. Pour être honnête, sa requête n’était pas vraiment nécessaire, bien sûr que je vais rester ! − En fait, je suis honorée que tu me le proposes. Je n’avais pas l’intention de m’enfuir, pas cette fois. Dans ses yeux perce l’espoir et je lui souris pour appuyer mes paroles. Il reprend ma main et m’accompagne jusqu’à une petite table en cuisine. Je suis légèrement en retrait pour ne pas gêner

leurs déplacements mais j’ai une vue imprenable sur la vie de la brigade. Une jeune femme regarde la scène le sourire aux lèvres, elle est visiblement amusée par l’attitude de Brad qu’elle ne quitte pas des yeux. Il s’approche d’elle et lui murmure quelques mots que je n’entends pas. D’un signe de tête, elle me salue et retourne à son activité. La plupart des autres cuisiniers n’ont même pas détourné le regard de leurs activités et pour être honnête, ça me permet de me détendre. Contrairement à la salle, la plupart des cuisiniers sont des hommes, à l’exception de cette jeune femme qui me sourit épisodiquement et deux autres plus en retrait. Au regard du comportement des uns et des autres, je devine que la

collaboratrice de Brad doit être son second, c’est elle qui dirige la cuisine habituellement. On sent que c’est inné chez elle. Mais Braden est encore plus impressionnant. Je me rappelle de la façon dont Sofia en parlait : un maestro dans son orchestre. Je pense qu’elle serait sidérée par la maîtrise dont il fait preuve. En plus de passer de poste en poste sans interrompre ses collègues – sauf pour leur expliquer d’apporter telles ou telles modifications –, il gère la finition des plats, accommode les sauces et aide aux tâches les plus ingrates, sans jamais se départir de sa concentration. Il a encore le temps de me préparer un festin et de me sourire chaque fois qu’il

en a l’occasion. Il garde son calme même quand l’un des chefs fait malencontreusement tomber l’une des poêles et renverse le tout sur le sol. Sans qu’il n’ait besoin de faire le moindre geste deux des autres cuisiniers lâchent leur activité et viennent l’épauler pour rétablir la situation. Je m’attendais à des cris, de l’agitation ou au moins des gestes d’impatience mais à part le ballet incessant des casseroles, rien ne perturbe la vie agitée de la brigade. Les serveurs viennent épisodiquement chercher les plats mais je les remarque à peine. Je suis tellement absorbée par Braden que j’en oublie le reste. Quand

l’effervescence de la pièce retombe, il commence par applaudir ses collaborateurs qui suivent le rituel. Les dernières assiettes quittent la pièce et il me rejoint. − Je suis désolé d’avoir été si long, j’espère que tu ne t’es pas trop ennuyée. − Tu plaisantes ! J’ai adoré, tu veux dire ! C’est exaltant de vous voir tous œuvrer. Tu es vraiment impressionnant dans une cuisine. Mais je suppose que je ne suis pas la première à te le dire. − À vrai dire si, tu l’es. Jamais personne, à part mes collaborateurs, n’entre dans cet espace. Tu es la première que je laisse assister à un coup de feu.

J’incline la tête pour marquer ma surprise. − Merci, lui murmuré-je profondément touchée par cette attention. J’ai déjà observé plusieurs chefs travailler en France mais aucun ne m’a sidérée comme tu viens de le faire. Un sourire enfantin illumine ses traits comme si je venais de lui faire le plus merveilleux des compliments. Pour toute réponse, il pose un délicieux baiser sur mes lèvres. Avide de plus, mes mains échappent à mon contrôle, et l’attirent plus près pour prolonger notre contact. Quand je le relâche enfin, il se penche et me murmure au creux de l’oreille : − Je te promets de te faire découvrir cette

cuisine sous un autre aspect, très prochainement. Et peu importe ce que tu peux avoir à me dire. Je frissonne, il sourit et s’éloigne de nouveau. Et je réalise que mon cœur crève d’envie de le croire.  

Chapitre 27 Braden Jeudi 1er juillet, Baltimore J’ai passé la majeure partie du service de midi à la regarder. J’ai encore du mal à croire qu’elle soit ici. J’ai beau l’avoir touchée, embrassée, je ne parviens toujours pas à réaliser. Elle a choisi de me rejoindre alors qu’apparemment quelque chose de pesant la hante. Je ne sais pas ce qui va advenir de nous, ni même si le « nous » existe, mais peu

importe, j’ai tellement besoin qu’elle soit là que je suis prêt à tout endurer. M’éloigner d’elle pendant une malheureuse journée m’a donné la sensation qu’elle était irréelle et que j’avais tout imaginé. Sans parler du rêve inachevé de la nuit dernière qui n’a fait que renforcer cette désagréable impression. J’ai peur, pour la première fois de ma vie, de l’emprise qu’elle a sur moi. Sans la connaître, elle me donnait l’impression de devenir fou et maintenant d’être dépendant. C’est ma drogue, ma Cam et un seul regard a suffi à me faire devenir accro, c’est terrifiant. Bordel, je suis un mec, je ne suis pas censé réagir de cette façon, il faut que je me reprenne ! Allez, merde, secoue-toi !

D’autant que, soyons honnêtes, je suis dingue d’une image parce que je ne la connais pas, je ne sais pas qui elle est vraiment. Jusqu’à présent, à chaque fois que je découvre un nouveau bout d’elle, ça renforce mon attirance. Comble de l’ironie, c’est le jour de son arrivée qu’a choisi Amanda pour m’appeler. Pourquoi rien n'est jamais simple ? La question n'est pas là, de toute façon. Jadde veut me parler et il n’y a qu’elle qui compte à mes yeux. Encore une heure et je pourrai m’éclipser avant le rush de ce soir. J’ai juste envie d’être seul avec elle. Remise en ordre, ménage, réorganisation et relations publiques sont pour la

première fois de ma vie un fardeau lourd et fastidieux. Aussi cette dernière heure s'écoule au ralenti, tandis que l’impatience grandit en moi. De son côté, elle ne me lâche pas des yeux une seconde. A deux ou trois reprises, elle était à deux doigts de se lever quand je sortais de son champ de vision. Elle éprouve apparemment le même besoin incontrôlable d’être près de moi. Lorsque je peux enfin l’emmener ailleurs, mon corps est tellement en tension qu’il me suffirait d’une étincelle pour « exploser ». − Joyce, je peux te laisser le bateau pour quelques heures ? − Bien entendu, de toute façon tant que le

reste des clients n’est pas parti on ne peut pas faire grand-chose de plus. La mise en place pour ce soir est faite. Je pense que vous avez bien plus urgent sur le feu, chef ! Elle accompagne sa phrase d’un sourire directement adressé à Jadde qui le lui rend bien volontiers. − Merci. Moins de trois minutes plus tard, nous sommes en route pour mon appartement. Je l’ai prise par le bras pour qu’elle m’accompagne. Je m’attendais à une certaine réticence pour me suivre, pourtant elle ne m’a rien demandé, ni notre destination ni de combien de temps nous disposons. Elle est muette et,

derrière le désir évident que je lis dans ses yeux, se cache une douleur qu’elle ne parvient pas à dissimuler. J’ai hésité à la conduire chez moi, pas parce que je n’en ai pas envie mais je ne veux pas qu’elle se sente mal à l’aise. C’est mon univers et si elle veut me parler, un terrain neutre lui aurait simplifié la tache. Mais mon besoin égoïste de l’avoir pour moi seul a été le plus fort. Cinq minutes nous suffisent pour être au pied de l’immeuble. Nous avons marché en silence, seuls nos corps collés l’un à l’autre exprimant à quel point nous avons besoin de cette proximité. − Nous sommes chez moi, lui murmuré-je,

incertain. Un sourire se dessine sur ses lèvres et elle prend le temps de détailler le lieu. − C’est un peu rapide comme préliminaire, finit-elle par lâcher avec amusement. Je ne t’imaginais pas dans ce type d’endroit. Mais il y a quelque chose de vivant dans ce lieu, comme une âme qui transpire des pierres. − Oui, je suis d’accord avec toi et c'est d’ailleurs la raison de mon choix. Je ne veux pas te forcer, on peut aller ailleurs si tu préfères. − Non, non, c’est parfait. Et dans un murmure elle rajoute, comme si elle se parlait à elle-même :

− J’ai juste peur que tu me flanques à la porte quand tu connaîtras toute l’histoire. − Franchement, il n'y a aucun risque pour que ça arrive. Allez, suis-moi. J’enlace nos doigts et nous grimpons rapidement les trois étages qui me séparent de mon appartement. Sur le palier, elle patiente le temps que je déverrouille la serrure. Je la sens aussi impatiente qu’inquiète et je ne peux pas l’en blâmer. Quand je referme la porte derrière nous, elle frissonne. Pour la rassurer, je lutte contre mon envie irrépressible de l’embrasser avec toute la passion qu’elle m’inspire et opte pour une petite visite.

Nous passons de pièce en pièce et elle semble peu à peu se détendre. Ses épaules si contractées se relâchent à mesure qu’elle découvre mon univers. Pourtant un silence un peu gêné s’est installé entre nous. J’ai des millions de choses à lui dire mais aucune ne me paraît appropriée et je sens qu’elle éprouve la même chose. − Il te ressemble, articule-t-elle enfin. Elle doit lire la surprise sur mon visage parce qu’elle enchaîne très vite. − Ton appartement, il te ressemble. Il dégage la même force tranquille, le même charisme que toi. Je suis surprise de m’y sentir si à mon aise.

− Merci, mais tu t’attendais à quoi exactement ? − À une garçonnière, je pense. Elle semble hésiter à poursuivre, me regarde. Quand je lui souris, elle baisse la tête et prend une grande inspiration. − Le premier appartement où Jack avait emménagé ressemblait à s’y méprendre à l’antre du lion. Mais chez toi on sent une certaine subtilité, une touche féminine peut-être. Elle perçoit d’instinct ce qu’aucune autre avant elle n’avait jamais pris le temps de découvrir. Sauf que, comme un con, je suis déstabilisé par ce qu’elle est capable de découvrir de moi en suivant

simplement son intuition. − Tu as raison, ma sœur n’est pas pour rien dans le choix de la décoration. Je sais pertinemment que je dois lui poser la question mais je sais aussi que la réponse ne va pas forcément me plaire. De toute façon il faut que nous nous jetions à l’eau, alors ! − Qui est Jack ? Elle s’éloigne insensiblement de moi et tout son corps se raidit. Nous ne nous touchons plus et putain, j’en meurs de frustration ! Avant même qu’elle ne commence, je le sens déjà s’immiscer entre nous. Elle m’échappe dès qu’elle se replonge

dans son passé. Son regard se perd dans le vague, elle baisse les yeux. Elle parle lentement et sa voix se remplit d’émotions qu’elle tente de cacher derrière son ton monocorde. Mais je ne suis pas dupe et je vois bien que chaque mot la déchire de l’intérieur. Elle me raconte leur histoire qui débute bien avant leur rencontre. Meghan a connu Jack lors de la rénovation de son appartement. Ils se sont rapidement liés d’amitié. − Meg nous en parlait très souvent, affirme-t-elle, et puis un jour sans m’en avertir, bien entendu, ma rouquine pétillante a décidé de jouer les marieuses.

Elle sourit à ce souvenir mais l’apparente gaieté s’évanouit très vite. Elle me raconte à quel point tout était simple entre eux. Douloureux rappel du lien compliqué, inextricable et incontrôlable qui nous unis l’un à l’autre, pourtant j’essaie de ne rien laisser paraître. Elle m’explique avec émotions, qu’une chose en entrainant une autre, ils ont appris à se connaître puis à s’aimer, sans heurt, en douceur. C’est tout naturellement qu’ils ont emménagé ensemble alors qu’elle venait de publier son premier roman. Lui un peu plus âgé terminait tout juste ses études d’architecte. Elle rajoute quelques détails, que j’essaie d’occulter tellement l’entendre décrire

leur petite vie « parfaite » me vrille les tripes. J’ai beau savoir qu’elle a eu une vie avant moi, l’entendre en parler avec un tel engouement me coupe le souffle. Puis la douceur fait place à la peine. Sa voix s’éraille et je dois me retenir de la prendre dans mes bras pour apaiser cette tristesse qui s’apparente à de la torture pour moi. Insidieusement, je sens poindre le drame et je l’espère autant que je le redoute. C’est officiel, je suis un connard ! Elle poursuit son récit décrivant leur vie, leurs espoirs puis l'achat de leur maison. Comme pour ménager son auditoire, elle s’arrête et reprend son souffle. Elle lève

les yeux et me regarde sans vraiment me voir, perdue dans son passé. Quand elle finit par reprendre, une larme silencieuse coule sur sa joue. − Je me sentais mal, depuis une semaine, alternant nausées et vertiges et il était sur un chantier à Nîmes. Je l’ai imploré d’avoir pitié de moi et de venir me rejoindre pour la soirée alors qu’il ne devait rentrer que le jour suivant. Il était fatigué, je le savais mais mon désir de le voir prenait le pas sur le reste. Pour me faire plaisir, il a cédé et a pris la route en fin de journée. Deux heures plus tard, alors que j’attendais son arrivée imminente, j’ai reçu un coup de téléphone. Je ne me souviens que vaguement des heures et des semaines qui

ont suivies. Il était mort sur le coup. Tué dans son élan par un chauffard ivre. Intuitivement je sens qu’elle dissimule une partie de l’histoire mais l’émotion est telle que je n’ai pas le courage de l’interrompre. Elle me parle de sa descente aux enfers. De son abattement pendant des semaines, des mois puis des années. Elle reconnaît les avoir laissé filer, ne trouvant pas la force de rebondir. Sa vie n’a changé que récemment mais je m’abstiens de faire le moindre commentaire, je prends chacune de ses paroles comme un cadeau. Elle finit par se taire et comme son silence s’éternise, je suppose qu’elle ne veut pas en dire plus. Pourtant j’attends.

Si on veut avancer c’est elle qui doit prendre la décision de venir vers moi, une nouvelle fois. Puis elle esquisse un sourire timide et redresse la tête pour plonger ses yeux dans les miens. Mon cœur fait un raté quand nos regards se croisent : l’aigue marine contre l’émeraude, le ciel contre Mère Nature. − Quand il est mort, il a emporté une part de moi avec lui et quoi qu’il arrive, rien ne me la rendra, chuchote-t-elle. Malgré les années, malgré sa mort, je reste profondément éprise de lui. Un étau de plomb me tombe sur les épaules. J’entends tout ce qu’elle ne dit pas. Elle ne sait pas si elle a de la place pour moi. Mais elle ne l’énonce pas, elle

n’en a pas besoin, je le sais, je le sens. Et contre toute logique, je suis prêt à faire avec. Putain, si pour être avec elle je dois mettre ma fierté de mâle alpha de côté, en me contentant de ce qu’elle peut me donner, je suis prêt à le faire sans hésiter ! − Jusqu’il y a quelques jours, les choses étaient finalement assez simples. J’avais trouvé la personne avec qui je voulais partager ma vie, nous avons vécu heureux, je l’ai perdu, fin de l’histoire. Sauf que le destin a décidé de te mettre sur mon chemin et tu es venu mettre le foutoir dans ma tête. Même si j’ai du mal à comprendre comment un lien aussi

intense qu’indéfinissable nous unit, il existe et je suis incapable de m’y opposer. J’opine parce que je ne vois pas vraiment quoi lui répondre, pour moi ce lien va bien au-delà mais ce n’est ni le lieu ni le moment de le lui dire. − Il y a encore quelque chose que je dois t’avouer avant que tu prennes la moindre décision. Je dois admettre que je me serais bien passé qu’elle en rajoute encore dans sa série révélation en tous genres, mais si elle juge que ça peut faire pencher la balance, je dois l’écouter. Elle sort de son sac son portefeuille et me

tend une photo. Sur le moment je ne comprends pas où elle veut en venir et quand je la retourne pour la regarder les bras m’en tombent. C’est moi, enfin quelqu’un qui me ressemble vraiment beaucoup. − C’est Jack, murmure-t-elle. J’en reste sans voix, putain de bordel de merde ! Puis les événements survenus depuis notre rencontre reprennent leur place. Je comprends sa réaction quand elle m’a rencontré. Et même le prénom qu’elle a murmuré alors qu’elle était au bord de la conscience. Elle vient de m’avouer qu’elle en aime un

autre, je devrais la fuir à toutes jambes ou au moins prendre de la distance. Mais c’est vraiment la dernière chose que je souhaite. Je suis troublé par notre ressemblance, est-ce la raison de son attirance ? En fait, je veux me convaincre qu’il y a plus que ça. Ce qui est sûr c’est que je peux m’en contenter pour commencer. Cette alchimie entre nous, je la sens vibrer sans cesse. Elle sature l’air, inonde mes sens. Je ne peux pas croire que ce lien ne soit que de la poudre aux yeux ou une simple attraction. Pas quand, à chaque battement de cœur, je rêve de la découvrir, d’apprendre à la connaître, et pas seulement de la déshabiller.

Ma réaction va déterminer le chemin que va prendre notre histoire. Mon esprit reste concentré sur la photo que je ne quitte pas des yeux. Les interrogations se succèdent, jusqu’à ce que l’évidence me frappe : je ne peux pas la laisser partir, j’en suis incapable. Quand mon regard se pose enfin sur elle, le peu de doutes qu’il me restait s’envolent. Fébrile, elle a le souffle court et observe chacun de mes gestes pour tenter de comprendre mon état d’esprit. Je cherche les mots exacts pour la rassurer mais rien ne me vient. Les paroles m’échappent et me fuient. Finalement je fais la seule chose possible, je laisse mon corps parler à ma

place. Elle me regarde approcher, incertaine. Je lui laisse tout le loisir de partir et de me repousser mais elle ne le fait pas. J’effleure ses lèvres d’un baiser aussi léger qu’une plume, un deuxième le suit, plus long. Puis un troisième. Cette fois ce n’est pas sa bouche que j'embrasse mais le reste des larmes qui ont marqué ses joues. Doucement, je remonte jusqu’à ses yeux en semant sur mon sillage tout le réconfort dont je suis capable. Je pose l’une de mes mains sur les siennes et elle décide d’entrelacer nos doigts. L’autre vient caresser sa joue puis ses lèvres. Mes gestes sont volontairement lents, je veux lui laisser la

possibilité de revenir en arrière. Elle a toujours le choix. J’ai fait le mien : c’est elle. Avec son passé, ses casseroles et sa vie, je veux tout d’elle, sans rien laisser derrière. Elle ne me quitte pas des yeux, elle frissonne dès que nos peaux s’effleurent. Quand ma bouche redescend vers la sienne, je suspends mon geste à quelques millimètres de ses lèvres. Quand elle choisit de finir la course, nous savons tous les deux que les dés sont jetés. Chacun de nos gestes, à partir de cet instant, a pour but de se découvrir, de se sentir et de se faire vibrer. Nos bouches se dévorent tandis que nos langues se cherchent, nos doigts se mêlent

et démêlent, tentant de trouver le meilleur moyen de s’apprivoiser. Tout est confus, désordonné, affamé. Aimantés, nos corps se soudent alors que nos fringues font encore barrage. J’ai besoin de la sentir tout contre moi, plus proche, toujours plus proche. Ma main sur ses hanches, je la colle tout contre mon corps. Elle sent à quel point j’ai envie d’elle mais franchement je m’en fous. Pourquoi le cacher, d’un simple baiser elle a mis le feu aux poudres ! Bordel ! Je me fais l’effet d’un ado en rut. Où est passé mon sens de la retenue et du contrôle ? Tandis qu’elle défait un à un les boutons de ma chemise qui atterrit bientôt par

terre, ses mains caressent mon torse avec une certaine urgence. Les miennes retirent son top et raffermissent leur prise. Nos gestes sont fébriles, impatients, exigeants. D’un mouvement assuré, je dégrafe son soutien-gorge et j’ai besoin d’une seconde pour me remettre de ce qu’elle m’offre. Elle est magnifique. Si je la trouvais sublime dans mes rêves, dans la réalité elle est juste parfaite. Je prends ses seins en coupe, juste faits pour mes mains. Quand mon pouce effleure son mamelon, elle gémit doucement, ce qui n’a pour effet que d’aggraver l’étroitesse de mon jean. À ce rythme je vais imploser bien avant l’heure. Il faut que je me calme,

sauf qu’avec ses lèvres sur les miennes, c’est aussi facile que de gravir l’Everest. Elle embrasse ma gorge et sa langue suit les tracés de mon cou. Puis elle poursuit son chemin jusqu’à mon buste. Ses doigts retracent les contours des muscles de mon dos, de mes bras. Ce simple contact me procure un plaisir insensé au point d’être incapable de retenir mon corps qui va à la rencontre du contact. Je dessine une ligne avec ma langue de ses lobes jusqu’à ses seins en prenant soin d’éviter ses tétons. Lentement, la température monte, et notre avidité augmente avec elle. Je défais sa jupe et elle ouvre mon jean. Tous les deux finissent à l’autre bout de la pièce dans

les secondes qui suivent. Nos sousvêtements rejoignent rapidement le reste de nos affaires. Mon dieu, qu’elle est belle ! Mes fantasmes ne lui rendaient pas justice. Ses formes délicates attirent inlassablement mes doigts et je ne retiens rien. Tout est si naturel, comment douter que nos corps ont déjà fusionnés des centaines de fois ? Nous basculons sur le canapé et j’ai juste envie de la prendre, la posséder, lui faire oublier tout ce qui n’est pas nous. Elle attrape mes fesses et me rapproche encore. Chaque caresse, chaque geste nous conduit vers l’inévitable dénouement. Quand, à bout de patience, je prends ses seins en coupe et que je

m’amuse avec leur pointe érigée, je récolte un geignement qui finit de me faire perdre la tête. Tandis que ma langue remplace mes doigts, je me repais de la saveur exquise de sa peau. Je mords, suce, attise, pendant ce temps elle accroche sa main dans mes cheveux et se perd dans les affres du plaisir. Ma main, mue par sa propre volonté, est déjà en train de glisser de son ventre à son intimité. Bordel de merde, elle est déjà prête pour moi, je suis presque émerveillé de m’en apercevoir. Je caresse sa toison et je ne résiste pas longtemps à sentir ses muscles se refermer autour de mes doigts. Ses gémissements se font rauques tandis que

mon pouce agace son bourgeon. Je l’embrasse sans discontinu, dès que mes lèvres s’éloignent je replonge aussi sec, avide de m’imprégner de son goût, de son odeur. Mes sens sont dépassés et chaque coup de dent, de langue, me fait pulser le sang si vite que je me demande si ma queue ne va pas imploser… Quand sa paume s’enroule autour de mon sexe, j’ai les jambes qui tremblent. Elle resserre sa prise sur ma base en imprimant quelques mouvements de va et vient. Je jure que je pourrais jouir dans l’instant ! Quand, entre deux gémissements, elle m’implore au creux de l’oreille de la rejoindre, je suis incapable d’attendre

une seconde de plus. J’attrape un préservatif dans mon portefeuille à deux pas et l’enfile précipitamment. Le monde pourrait bien s’écrouler, à l’instant où je sens ses parois m’engloutir, je ne m’en apercevrais pas. Sa chaleur m’encercle, m’aspire et si ses ongles ne me griffaient pas le dos pour me ramener au présent, je jurerais que je suis au paradis. Quand je suis tout entier en elle, il me faut toute ma concentration pour ne pas basculer comme un débutant. Lentement, je me retire puis recommence mon mouvement, elle est divine et son corps s’adapte si parfaitement au mien que l’on pourrait croire deux pièces d’un même puzzle.

À chaque mouvement, j’ai de plus en plus de mal à me concentrer mais je ne basculerai pas sans elle. Ses jambes m’entourent et augmentent la pression de nos corps, c’est un message silencieux pour que j’accélère la cadence alors j’accroche son regard et je réponds à ses attentes. Notre corps-à-corps n’a rien de tendre mais ses yeux me disent le contraire. Chaque coup de boutoir la rapproche du point de non-retour. Je sens son sexe se crisper autour de moi, je lui souris et son corps me répond instinctivement. Elle bascule la tête en arrière et son visage, à mi-chemin entre douleur et extase, me livre une image qui restera gravée à jamais dans mon esprit. Si je l’ai trouvée

sublime, je n’ai pas de mot pour la décrire à cet instant. C’est juste magique. Je lâche prise à mon tour mais j’ai presque envie de dire que c’est accessoire et c’est bien la première fois que je ressens un truc pareil. Nos corps assouvis, dégoulinants de sueur, sont incapables de se séparer et s’emmêlent. Il me faut plusieurs minutes pour reprendre contenance et je retrouve ma Cam le sourire aux lèvres, la tête posée sur mon torse. Je sens qu’elle retient une petite remarque indélicate. − Qu’est-ce que tu as, Jadde ? − Toujours prêt ?

− C’est le préservatif qui te laisse supposer que c’est habituel ? Je suis juste avisé, c’est tout. Une petite lueur de tristesse traverse son regard. Elle se reprend très vite et poursuit en regardant mon sexe qui semble prêt à un deuxième round. − Et ta prévoyance prend en compte notre appétit insatiable ? − Malheureusement non, mais si tu me laisses te conduire jusqu’à ma chambre, je pense que l’on devrait pouvoir arranger ça. − Alors qu’est-ce tu attends ? me dit-elle en me lançant un regard de défi. − Alors comme ça, vous voulez jouer,

mademoiselle Simmons ? Dans un geste vif et assuré, je l’attrape par les jambes et la bascule sur mon épaule façon homme des cavernes. Je traverse la pièce en quelques secondes tandis qu’elle frappe mon dos pour tenter de se dégager. En réalité, elle donne le change parce qu’elle rit aux éclats en même temps. Cette relation naturelle qui nous lie désormais est étrangement rassurante, comme si partager cette intimité nous avait rapprochés bien plus que je ne l’espérais. Quand je la fais basculer sur le lit, elle me surprend par sa vivacité et roule sur le côté en un éclair. Elle est de l’autre côté du lit maintenant.

− J’ai effectivement envie de jouer, monsieur Cro-Magnon. Mais pour ça, il va falloir que tu arrives à m’attraper. − Ce n’est qu’une question de secondes, sois en certaine. − Prouve-le ! Je contourne le lit sur lequel elle se jette pour m’éviter. Elle roule mais j’avais senti la feinte et je l’arrête presque aussitôt en la clouant au lit sous mon poids. Elle rit de plus belle. Et je me sens comme le roi du monde à cet instant ! Jamais personne n’a produit cet effet sur moi. Je suis incapable d’arrêter de la dévorer des yeux. La sentir tout contre moi sera mon unique objectif. Nos rires raisonnent dans ma chambre mais sont

bientôt remplacés par nos gémissements. Nos corps nus se cherchent à nouveau. Après avoir goûté à nos saveurs mêlées et de l’avoir senti jouir sous les assauts répétés de ma langue, je la pénètre à nouveau pour tenter de calmer la bête affamée qui fait rage en moi. Épuisés, comblés, nous finissons par nous endormir dans les bras l’un de l’autre.  

Chapitre 28 Jadde Vendredi 2 juillet, Baltimore Les rayons du soleil viennent me sortir de ma délicieuse quiétude. Pour la première fois depuis des mois, j’ai eu un sommeil paisible, en sécurité, enlacée dans ses bras, mon dos collé contre son torse tandis que le reste de nos corps s’est naturellement enchevêtré. Son souffle calme et régulier titille mon oreille. Je serais prête à parier qu’il dort encore. Je

sens les battements de son cœur contre mon omoplate. C’est si agréable, presque envoûtant. Je me laisse bercer par cette douce mélodie et continue à somnoler un moment. Quand j’émerge enfin, je m’attends à subir le revers de ma trahison : culpabilité, angoisse... Mais rien ne vient à part une fantastique vague de bien-être. Même mes pensées pour Jack ne me tirent pas la douleur si amèrement familière. Décidément, cette journée commence magnifiquement bien. Mon regard erre dans la chambre de mon amant. Les souvenirs qu’il me reste de cette dernière sont assez vagues. Il était le seul objet de mon attention, le point de

mire de mes sens en ébullition. Quand je repense à notre conversation, je suis encore troublée par sa réaction. J’avais beau espérer qu’il ferait preuve d’empathie, je m’étais interdit de penser à la suite. Alors espérer qu’il réagisse ainsi, ne faisais pas partie de mes spéculations. Et honnêtement c’est le plus beau cadeau qu’il pouvait me faire, m’accepter tout entière avec mes doutes et mes contradictions. C’est seulement au moment où ses lèvres se sont posées sur les miennes que j’ai réalisé à quel point j’avais aspiré à ce dénouement sans vraiment vouloir me l’avouer. Je sais avec certitude que je suis désormais incapable de faire marche

arrière. Machinalement, mes doigts effleurent ma bouche comme pour réactiver le souvenir de ses lèvres sur les miennes. Je ferme les yeux pour prolonger les sensations de nos corps-à-corps. Je me surprends à m’enivrer une fois encore de son essence. Son délicieux rire résonne encore à mes oreilles tandis que le souvenir de son touché aussi tendre qu’exigent me fait presque haleter. Bon sang ! C’est presque immoral qu’un tel cocktail puisse être réuni dans une seule personne ! J’ai eu beau aimé Jack de tout mon cœur, jamais il n’a eu un tel ascendant sur moi, c'est très déroutant de l’admettre. Cette attirance n’est qu’un pâle témoin de notre

compatibilité. Notre danse sensuelle m’a bouleversée et terrifiée à la fois. Aussi je préfère laisser ses sensations de côté pour l’instant et me focaliser sur la décoration de sa chambre. L’ambiance masculine est si évidente que sa sœur n’a probablement pas eu son mot à dire pour l’aménagement. La pièce est aussi moderne qu’épurée. Les rares meubles sont élégants mais surtout ils transpirent la virilité. Une large penderie laisse entrevoir plusieurs costumes. C’est un adepte du pressing si j’en crois les housses qui recouvrent la plupart de ses fringues. En même temps avec un rythme de vie comme le sien, je n’imagine pas qu’il

puisse trouver le temps de repasser ses chemises. Pourquoi je m’attarde sur ce genre de détails ? Suis-je incapable de réprimer cette envie aussi prématurée qu’inopportune de tout connaître de lui ? Encore une idée que je ferai bien d’ensevelir sous des tonnes de gravas quelque part dans mon subconscient, histoire qu’elle évite de me mettre au supplice le jour où tout s’arrêtera. Parce que ça s’arrêtera. Il est impossible que j’aie droit à un tel bonheur une seconde fois dans ma vie. Je me serine intérieurement d’agir comme une petite idiote énamourée alors que je le connais à peine et que j’appartiens déjà à un autre. Je suis sur une pente savonneuse et pour éviter de m’étaler

autant me concentrer sur le plaisir dans l’instant même si je le sais éphémère. Je me replonge dans son univers en m’attardant sur le dernier élément de la pièce, berceau de nos caresses alanguies. Au dessus de ma tête, une toile de cuir sombre et écaillée joue le rôle de tête de lit. Cette touche supplémentaire de masculinité est accentuée par la taille hors norme du lit dont les draps de satins noirs recouvrent tout juste ma nudité. Quand je lève le regard vers la table de nuit, je tombe sur son réveil. Il est sept heures du matin s’il comptait retourner à son poste hier soir, il est clair que c’est foutu. Je me retourne délicatement et me retrouve nez à nez avec sa sérénité

terriblement sexy. Mes lèvres ne résistent pas à l’appel des siennes. Il ouvre un œil tandis que ses mains se resserrent autour de ma taille. Il me rend mon baiser et je dois rassembler toute ma volonté pour mettre fin à ses caresses. − Tu as une idée de l’heure ? lui murmuré-je la bouche encore collée à la sienne. Il se recule un peu et hausse un sourcil de surprise. − Non, pourquoi ? − Tu ne devais pas retourner au restaurant hier soir ? − Si, me répond-il en me souriant malicieusement.

− Mais tu ne l’as pas fait ? − Non, je n’ai pas pu me résoudre à partir. J’ai juste prévenu Joyce et je suis resté au seul endroit où j’avais réellement envie d’être. − Ah oui ? m’amusé-je. Il met fin à l’échange en éteignant mes mots par ses baisers. Alors que nos lèvres se goûtent, nos langues se sucent, mes pensées cohérentes se font la malle. Ses mains se font caresses, sa peau enflamme le brasier qui couve dans mon ventre et je me liquéfie dans ses bras. Il attrape mes mains dans un geste rapide, les coince au-dessus de ma tête avec l’une des siennes. Il me tient à sa merci et

profite largement de son avantage. Sa domination est plus symbolique que réelle je peux me libérer quand je le souhaite mais le sentir maitre du jeu à quelque chose d’excitant et de terriblement érotique. Sa langue embrase chaque centimètre de peau à sa portée et je me tortille pour l’éloigner. Sauf qu’il n’a pas du tout l’intension de me laisser faire et il raffermit sa prise tout en me murmurant à l’oreille : − Si tu crois que je vais te laisser te partir, tu rêves ! Je n’ai pas pu profiter de toi depuis au moins trois heures c’est beaucoup trop ! Alors arrête de gigoter sinon je sévis. J’arrive à peine à articuler une réponse :

− J’aimerais bien voir ça ! À la seconde où je prononce ces mots, je les regrette. Une lueur prédatrice s’allume dans ses yeux et je sais que ce qui va suivre sera beaucoup moins sensuel. Il me prend au mot et transforme ses caresses lascives en chatouilles irrésistibles tout en me maintenant fermement sous son corps. Je me dandine, me contorsionne pour tenter de me dérober mais rien à faire. Je glousse, pouffe et rigole sans plus pouvoir m’arrêter. J’ai mal au ventre et ça a l’air de lui plaire à ce « monstre ». Malgré mes suppliques il poursuit son manège, aussi euphorique que moi. Je me retrouve rapidement à bout de souffle. Je fais mine de ne plus parvenir à respirer : ruse. Je

profite de son instant de faiblesse pour le faire basculer. À califourchon sur ses hanches, je lève les bras au ciel et hurle, toujours hilare : − Je t’ai eu ! − Et quel est ton prix, au juste ? − Faire de toi ce que je veux, bien sûr ! Ses pupilles se dilatent et sa respiration s’accélère en réponse. − Si tel est ton désir, je hisse le drapeau blanc et admets volontiers ma défaite, me répond-il en souriant. Notre ballet sensuel redémarre mais pour la première fois, il me laisse les commandes et j’ai bien l’intention de les utiliser.

Mes mains avides se lancent dans une lente exploration, de la base de son cou à la ligne de poils sur bas ventre, en passant par le pourtour des muscles saillants de son torse. Je prends le temps de découvrir chaque parcelle de sa peau et ma langue suit de loin le trajet de mes doigts, laissant son goût submerger mes sens. Quand je m’attarde, je vois son corps frémir, son membre déjà tendu gonfle sans cesse un peu plus contre mes seins. Mais il est bien trop tôt pour envisager un rapprochement plus approfondis. Doucement, ma bouche progresse vers sa virilité, toujours à pas de fourmis exacerbant l’envie. Le feu brûle entre mes cuisses et c’est bien la première fois que

baiser un homme avec ma bouche me semble si prometteur. À chaque coup de langue, il se tend un peu plus, ses hanches se soulèvent pour attirer mon attention sur le centre de son monde. Son sexe palpite et déjà il luit d’excitation. Je continue ma progression et il refrène avec de plus en plus de difficulté son envie de me faire basculer et de me posséder sans retenue. Il agrippe les draps pour se retenir, ce qui ne fait qu’accentuer un peu plus ma propre envie. Dans mon ventre c’est un lâché de papillon qui se démultiplie au rythme de ses geignements. Je finis par laisser libre court à notre attraction. D’abord timidement, je titille

son gland, il gémit et je prends confiance. Lentement, j’insère son sexe dans ma bouche et prend sa base entre mes mains. L’anneau de mes doigts associé à la chaleur de ma bouche le fond inspirer brusquement et il bascule la tête en arrière. Je répète l’opération, variant l’intensité et la rapidité. Lui offrir du plaisir et aussi délectable que d’en recevoir. Mon manège dure et il tremble de plus en plus. Entre deux frémissements, il me supplie presque de suspendre mes assauts. − Je n’en peux plus, Jadde, je t’en prie, je vais, je vais oh mon dieu ! − J’ai les rênes, j’ai bien l’intention d’en profiter, alors lâche prise!

− Et merde ! crache-t-il entre ses dents alors que sa semence s’échappe déjà de son sexe. Elle coule sur son ventre et quelques gouttes roulent jusqu’à mes doigts. Alors que mes yeux sont plantés dans les siens, je les lèche un à un pour savourer son nectar. Il a son goût avec une pointe de sel. − Bon sang ! Tu veux me tuer, c’est ça ? Tu as une idée à quel point tu es excitante quand tu fais ça ? Je lui souris avec malice et me lève d’un bond. − De toute façon, nous n’avons pas le temps d’envisager une autre séance, je

dois prendre mon avion dans une heure. Les filles m’attendent pour deux interviews cette après-midi et ce soir Eddy nous rejoint. − Eddy ? La petite touche d’angoisse dans sa voix ne m’a pas échappé et je rajoute autant pour l’apaiser que parce que ça me semble une évidence. − Mon meilleur ami, il atterrit à dix-neuf heures. Je suis impatiente de le voir. Il semble un peu déçu. − Je pensais que nous pourrions prendre le même vol pour rentrer. − Quand comptes-tu partir ?

− J’ai deux ou trois choses à régler avant de retourner à New-York. En milieu de matinée, ça semble jouable. Tu ne veux pas essayer de changer de vol ? − Ok mais tu te débrouilles avec Meg. Donnant-donnant, lui dis-je en partant. Et franchement, je doute que ce soit moi qui aie le rôle le plus ingrat. Meg déteste que l’on perturbe ses plans, c’est à tes risques et périls !  

Chapitre 29 Braden Vendredi 2 juillet, Baltimore Deux coups de fil plus tard, j’ai déjà du mal à contenir mon envie de la rejoindre. La même idée lui a traversé l’esprit puisque je trouve la porte de la salle de bain grande ouverte. Mais pour mon plus grand malheur, elle est déjà prête. Il a fallu que je choisisse la seule femme qui ne passe pas deux heures à se préparer. Quand elle sort pour me rejoindre, elle

sourit devant mon évidente déception et elle remue le couteau dans la plaie avec un sourire : − Dommage ! Elle se rapproche, passe son doigt sous mon menton et rajoute en posant ses lèvres sur les miennes un : − Peut-être une autre fois. En accompagnant mes paroles d’une petite tape sur la fesse je lui rétorque presque amusé. − Ah mais j’y compte bien, Cam. Avant que j’aie pu poursuivre, elle m’interrompt. − Cam ? Tu me confonds déjà avec une

autre ? − Aucun risque, rassure-toi ! Je suis un peu blessé par sa remarque. Comme s’il était seulement possible de penser à une autre alors que je suis avec elle ! − C’est à cause de ton odeur. Son regard interrogatif m’encourage à poursuivre et je prends le temps de m’expliquer. − Quand j’étais enfant, ma mère m’a initié très tôt à la découverte des senteurs et elle associait souvent ces odeurs au sobriquet qu’elle donnait aux gens. J’ai gardé cette habitude. Et la première fois que je t’ai tenu dans mes bras, tu sentais

le camélia. Chaque fois que je pense à toi c’est le surnom qui me vient. « Ma Cam ». Mais si ça te dérange... Elle ne me laisse pas le temps de poursuivre et répond les yeux pétillants. − Non aucun problème, j’aime bien l’idée que tu sois le seul à m’appeler ainsi. J’esquisse un sourire parce que je vois les choses de la même façon. Mais bien sûr je le garde pour moi, même si le fait que ça lui plaise remue un truc donc mon ventre que j’ai du mal à comprendre. Je préfère changer de sujet: − Au fait, ne t’occupe pas du vol, je viens de m’en charger. Tu avais raison, Meghan n’avait pas l’air ravie de ce contretemps

mais il semblerait que mes arguments aient fait mouche. Elle rigole franchement, parfaitement consciente que je ne lui dis pas tout et reprend : − Merci pour le vol. Tu devrais vite aller prendre ta douche et t’habiller sinon je crains que ce ne soit pas de deux heures que nous devions retarder notre départ, susurre-t-elle en jetant un coup d’œil suggestif à mon torse nu. − Ta proposition est vraiment tentante, pourtant Joyce m’attend et je ne peux pas lui faire faux bond deux fois en deux jours. Elle acquiesce même si aucun de nous

deux n’a réellement envie que la vie reprenne ses droits. Dix minutes plus tard, je suis fin prêt. Une délicieuse odeur de café a envahi l’appartement. Cam est installée sur le comptoir de la cuisine et sirote un café crème. − Je me suis permis de fouiller dans tes placards pour nous préparer un café, je ne suis bonne à rien si je n’ai pas eu ma dose du matin. − Ce n’est pourtant pas l’impression que tu m’as donnée tout à l’heure. Elle détourne le regard et ses joues rosissent légèrement, elle est juste magnifique. Elle évite de me répondre et

détourne la conversation. Belle stratégie d’évitement ! − Je ne savais pas trop comment tu l’aimes, me dit-elle en me montrant la tasse qu’elle a posée sur l'îlot central, alors je te l’ai laissé noir. − Tu as bien fait, c’est parfait. Je la rejoins et la prends dans mes bras. Au moment où je m’apprête à l’embrasser de nouveau, ma saleté de portable vibre sur le plan de travail. Je le hais celui-là ! Je tends le bras pour l’attraper tout en maintenant mes lèvres à deux doigts des siennes. − Salut, vieux ! − Bonjour, Gérald, que me vaut un appel

si matinal ? Nos lèvres se touchent presque maintenant, je la sens sourire quand elle entend la voix de mon ami. − C’est qui la poulette que tu embrassais à pleine bouche hier soir ? Son visage change instantanément. Elle n’a pas bougé d’un pouce et continue à entendre la totalité de la conversation. − Mais de quoi tu parles ? − Ne fais pas l’innocent, tu fais les gros titres de la plupart des magazines people. Une belle brune dont je ferai volontiers mon quatre heures. Tu ne vois pas de qui je parle ? Elle me repousse d’un geste et s’éloigne.

Elle est livide. − Et merde ! Bien sûr que si, mais je suis idiot, nous n’en avons même pas parlé. Je lui murmure du bout des lèvres un « je suis désolé » et poursuis ma conversation téléphonique. − Évite tes commentaires à la con d’accord ? Tu t’approches d’elle à moins de cent mètres et je te jure que tu va passer un sale quart d’heure ! − Pouah, tu crois que tu me fais peur ? Moi qui croyais que tu avais viré ta cuti. − Tu as fini de débiter tes conneries ? Jadde s’est terrée à l’autre bout de la pièce et ne me regarde plus, j’en crève. Bordel, ils me pourrissent la vie ces

médias et pourtant je n’arrive pas à regretter une seconde nos retrouvailles. − Je la rencontre quand, ta beauté ? − Bientôt, je te laisse, j’ai un double appel. − OK, à plus. Sans même regarder le portable, je sais de qui provient le second coup de fil. − Oui, Mila. À l’annonce du prénom, Jadde se retourne brusquement dans ma direction, elle se détend quand je murmure « ma sœur », mais ne se rapproche pas pour autant. − Alors comme ça, mon grand frère me fait des cachotteries et il faut que je le

découvre dans la presse ? − Tia, tu m’en veux beaucoup si je reporte les explications à plus tard ? Je te le promets, je t’appelle dès que je peux pour tout t’expliquer mais là je suis un peu occupé. − Avec ta belle brune ? − Oui. − Tu promets, tu rappelles ? − Juré ! − À plus tard, alors. − À toute. Je raccroche et retrouve Jadde toujours aussi pâle, adossée à la fenêtre du salon.

− Je suis désolé, je n’ai pas pensé une seconde aux conséquences de notre échange en pleine rue. Si ça peut te rassurer, ils n’ont pas fait encore le lien avec toi. Je traverse la pièce pour la rejoindre, mais m’abstiens pourtant de la prendre dans mes bras. − Pas d’excuses, nous étions deux pour ce baiser, non ? Je déteste les médias. Ils m’ont harcelée pendant des mois après la mort de Jack et encore, en France il y a moyen de se protéger. Tout va un peu trop vite. Je n’ai pas la moindre idée de ce que nous allons faire et déjà on nous propulse en pleine lumière. Je n’ai pas l’intention de vivre cachée mais pas sur

les bancs des tabloïds non plus. J’ai juste besoin d’un peu de temps. Elle s’est tournée pour me faire face. En passant l’index sous son menton, je l’oblige à me regarder dans les yeux. − Je comprends parfaitement ton point de vue bien que le mien soit un peu différent. Pour ma part, je sais très bien ce que je veux, et c’est toi. Le reste n’a vraiment aucune importance. Je ne te brusquerai pas. Prends le temps dont tu as besoin. Elle opine et détourne la tête. Son regard se perd dans le vague et repart errer, en contre bas, dans les rues de Baltimore. J’essaie d’imaginer les tumultes de ses réflexions. Un silence lourd et capitonné

s’installe avant que je ne me décide à reprendre les choses en main. − Je doute que des paparazzis attendent en bas, mais veux-tu que nous prenions quelques précautions ? − Non, je ne vivrai pas cachée. Allons-y avant que je ne flanche de nouveau. − Comme tu veux. Je prends sa main et enlace nos doigts. Je récupère nos quelques affaires et nous quittons d’un pas déterminé l’appartement en mettant fin à notre parenthèse hors du monde. 

Chapitre 30 Jadde Vendredi, Baltimore Comme prévu, nous rejoignons son restaurant. J’ai besoin de temps pour organiser mes idées. Sa présence me trouble tellement que c’est vraiment difficile, pourtant je suis contente qu’il m’ait demandé de rester. Je ressens sa présence comme un besoin et je suis incapable de me l’expliquer. Ça n’a rien de normal ou de fondé, c’est juste la

sensation que si je m’éloigne je vais me noyer. C’est grotesque, mais c’est incontrôlable et notre partie de jambe en l’air n’a fait qu’aggraver les choses. Je pensais que ce voyage m’aiderait à y voir clair. Mais bien entendu ça aurait été trop beau. Je suis encore plus perdue qu’avant de le rejoindre, génial on va aller loin comme ça ! Je me sens si belle à travers ses yeux que même notre nudité ne m’a pas mise dans l’embarras, ce qui est plutôt surprenant lorsqu’on apprend à découvrir l’autre. Une étrange intimité est présente entre nous. Comme si tout coulait de source. C’est aussi fascinant qu’effrayant. Est-ce à cause de sa ressemblance avec Jack ?

C’est possible, mais en fait je n’en suis plus tout à fait certaine. Quand il me regarde je me sens juste magnifique, sexy et désirable. Ça n’a rien à voir avec les sensations que j’éprouvais jadis sous le regard affectueux de mon époux. Jadde, arrête ça, putain ! Arrête de tout analyser tout le temps, profite de l’instant ! Merde, ce n’est pas si difficile ! Et comme si notre nouvelle... idylle n’était pas suffisamment déstabilisante, les médias viennent encore compliquer la donne. Brrrr ! Je les hais. Pas question que je les laisse faire ! Perdue dans mes réflexions, je m’aperçois que je n’ai pas dit un mot depuis notre échange dans l’appartement.

Il a respecté mon silence pendant tout le trajet puis, à notre arrivée, il s’est éclipsé dans son bureau alors que je m’installais sans même y réfléchir au bar du restaurant. Je me sens mal à l’aise. Pourquoi, pour une fois, les choses ne pourraient pas être simples, sans médias, sans comptes à rendre ? J’ai l’impression d’être une proie entourée d’une bande de vautours n’attendant que mon faux pas. Que je me prête aux jeux des questionsréponses pour la promotion passe encore, mais que l’on épie le moindre de mes faits et gestes est insupportable. J’ai l’impression d’être traquée. Et le fait que Brad soit aussi un personnage public complique la donne.

Je n’ai rien d’une héroïne de roman ou d’une icône de mode, en quoi notre histoire peut-elle intéresser les lecteurs de presse à scandale ? Bref, ma tête est en effervescence, bousculée par un tas questions qui tourbillonnent dans tous les sens. La seule chose dont je sois certaine c’est qu’il faut que je me reprenne et que je profite du peu de temps dont nous disposons. Parce que même si nous n’avons pas parlé, je sais que ce temps va être minuté. Quand la jeune femme qui servait de second à Brad s’avance dans ma direction, je laisse de côté mes tergiversations, n’ayant aucune réponse à fournir.

− Bonjour, me fait-elle souriante, je m’appelle Joyce et je suis le second de Braden. Il m’envoie vous chercher, il vous attend dans son bureau. − Bonjour, je suis contente de faire votre connaissance. J’ai été très impressionné par votre charisme en cuisine hier. Je n’y connais pas grand chose, mais vous êtes vraiment étonnante quand il s’agit de prendre les rênes. − C’est gentil, mais quoique je fasse, j’ai encore un sacré boulot si je veux un jour atteindre ses talents. Merci pour votre gentille remarque, me répond-elle en rougissant légèrement. − Elle est largement méritée. Ça vous ennuierait de m’y conduire ? Je ne suis

pas sûre de retrouver le chemin. La journée d’hier est un peu floue dans mon esprit. − Oh, je sais ce que c’est, il a cet effet sur la plupart des femmes ! Elle grimace, comme si ses paroles lui avaient échappé, et regrette déjà sa spontanéité. Malgré ma pointe de jalousie, j’ai dans l’idée qu’elle ne fait pas partie du lot et j’apprécie par sa franchise presque attendrissante. Quand je le rejoins, il est assis à son bureau, l’air tendu. Malgré mon inquiétude, j’attends que Joyce soit sortie pour le questionner. − Qu’est-ce qui se passe, Braden ?

Il semble réfléchir à la réponse à me donner, il cherche mon regard comme pour trouver une réponse à ses interrogations muettes. Il finit par souffler en relâchant d’un coup la tension de ses épaules. − La semaine dernière il y a eu un accident sur le chantier de mon nouveau restaurant à New York. Les experts de l’assurance sont intervenus ce matin pour évaluer le montant des préjudices. Sauf qu’il y a un souci. Il marque une pause comme pour réaliser l’énormité de ce qu’il s’apprête à me dire. − Apparemment l’accident n’en est pas vraiment un.

− Tu veux dire que quelqu'un l’aurait sciemment provoqué ? − C’est en tout cas la conclusion de l’expert de l'assurance, une enquête criminelle vient d’être ouverte. Je dois passer au poste de police dès que possible. Je suis sous le choc et la seule question qui me vient : − Il y a eu des blessés ? − Non heureusement, juste des dégâts matériels. Il faut que je téléphone à Gérald. Je dois paraître surprise car il rajoute rapidement : − Il est flic. Je n’y connais rien dans les

rouages judiciaires. Il m’aidera à y voir plus clair et surtout il me tiendra informé de l’avancement de l’affaire. J’ai l'impression d’être l’actrice d’un mauvais polar américain. Ça semble tellement énorme, comment quelqu’un peut-il risquer la vie des autres pour assouvir une vengeance ? C’est vraiment un mystère. Je me sens un peu inutile mais je veux être présent pour Brad même si je ne vois pas comment je peux l’aider. − Pendant ce temps je vais téléphoner à Meghan et voir avec elle comment réorganiser mon emploi du temps. Sans prendre le temps de réfléchir à ma proposition, il me répond du tac au tac, le front plissé et l’air préoccupé.

− Merci, j’apprécie ton offre, et franchement je préférerais que tu m’accompagnes mais j’ai promis à Meghan que tu ne lui ferais pas faux bond, je n’ai pas l’intention de manquer à ma parole. En plus, je n’ai pas envie que tu sois mêlée de près ou de loin à cette histoire. C’est abject qu’une personne ait volontairement mis en danger le personnel du chantier. Peu m’importe la raison, ça me met juste hors de moi. J’ai bien l’intention de faire ce qui est nécessaire pour que ce fou soit arrêté rapidement. Pas question de poursuivre le chantier tant qu’il y aura le moindre risque. Son ton est sans appel, et comme je sens que je n’aurai pas gain de cause, j’opine,

vaincue. Je suis un peu vexé je l’avoue mais je respecte sa décision et lui laisse la place dont il a l’air d’avoir besoin. La seule chose qui a l’air de l’apaiser, c’est de me sentir à ses côtés. Alors je prends une chaise et l’installe juste à côté de la sienne. J’attrape sa main qui s’arrime à la mienne et le laisse discuter avec son ami. Pendant plus d’une demiheure leur conversation s’anime. Braden est de plus en plus tendu même s’il fait tout pour le cacher. Gérald ne minimise rien et n’exclut pas la possibilité que Brad soit directement visé par cette attaque. J’en tremble rien que d’y penser. Dans tous les cas, cette situation va rapidement devenir un

problème puisqu’il suspend les travaux et retarde d’autant l’ouverture de son établissement. Même s’il repousse toutes les tentatives que lui offre Gérald pour aborder la question, je sens bien qu’il ne lui dit pas tout. Je me demande même s’il ne regrette pas de m’avoir demandé de le rejoindre. J’essaie de me dérober à deux ou trois reprises pour laisser libre court à leur échange mais mon amant ne l’entend pas du tout de cette oreille et raffermit sa prise pour m’empêcher de partir. À la fin de la conversation, il plante ses yeux dans les miens, cherchant probablement des réponses à mes tentatives d’esquive : − Pourquoi voulais-tu t’enfuir ?

− J’ai pensé que tu avais besoin d’aborder avec lui des sujets qui ne me concernent pas. − Si je n’avais pas confiance, tu ne serais pas là. − C’est ridicule, on se connaît depuis « deux secondes », on n’accorde pas sa confiance ainsi, ça s’acquiert, ça se gagne ! − Tu as probablement raison mais pour une raison qui m’échappe, j’ai confiance en toi et tu te plantes complètement si tu crois que j’ai étouffé dans l’œuf ces tentatives d’aborder ma situation financière à cause de toi. Je suis presque abasourdie par ses

paroles, j’ai suffisamment confiance pour lui livrer mon passé c’est un fait, mais de là à me livrer sans réserve comme il suggère de le faire, c’est juste inenvisageable ! Surtout pour une histoire qui, même si elle est passionnée voire obsessionnelle, est vouée à l’échec. Semblant indifférent à mes états d’âme, il poursuit comme si de rien n’était : ¬¬− Ce n’est juste pas la priorité du moment. Je ne serais pas à la tête de plusieurs restaurants si je n’étais pas capable de prendre des risques calculés. En attendant, je ne tiens pas à ce que mes employés se retrouvent en danger dans l’un de mes établissements. Si suspendre les travaux est le prix de la sécurité, je suis prêt à le payer sans hésiter.

Il rajoute sans que l’intensité de son regard ne faiblisse d’un pouce. − Merci d’être restée, tout me paraît nettement moins dramatique en ta présence, comme si je venais seulement de comprendre ce qui est vraiment important ! Je lui souris parce que j’éprouve la même chose d’une certaine façon, il m’offre la chance de tourner la page et de me sentir libérée et vivante à nouveau. Convaincue que cette situation n’est que passagère et que je dois lui offrir au moins autant qu’il me donne pendant le temps dont nous disposons, j’essaie de détendre l’atmosphère. Et quelle meilleure manière pour lui changer les

idées que de succomber à la seule chose qui m’empêche de réfléchir : l’embrasser. Il en a besoin et ne nous leurrons pas, moi j’en crève d’envie. Je me lève pour m’installer sur ses genoux à califourchon pendant qu’il me dévisage, intrigué. − Je pense pouvoir t’offrir un remède à tes sombres pensées mais tu conviendras comme moi qu’un baiser est notre seule alternative. Nous n’avons pas le temps d’envisager toute autre forme de séduction, lui dis-je sur le ton de l’avertissement pendant que mes lèvres descendent doucement vers les siennes. Pour toute réponse, il colle ses deux mains sur mes fesses et accole nos corps au point de sentir son sexe bandé contre

mon ventre. Quand il pose sa bouche sur la mienne, toutes mes belles résolutions s’envolent. Il me soulève et mes jambes s’enroulent automatiquement autour de ses hanches. Je n’entends que vaguement les affaires de son bureau se fracasser misérablement au sol. Les feuilles volent autour de nous mais je n’y prête déjà plus la moindre attention. De simples baisers et déjà je me sens totalement submergée, emportée. L’idée que la porte ne soit pas fermée à clef m’effleure un instant mais là ça a autant d’importance que ma première petite culotte.

J’ai besoin de le sentir en moi, lui de s’y perdre, et plus rien d’autre n’existe. Nos jeans disparaissent comme par enchantement et en moins de deux je suis nue sous la ceinture. Il m’assoit sur le bureau et descend explorer les profondeurs de ma féminité sans me laisser le temps de réagir. Sentir sa langue lécher, sucer mon sexe est le comble de l’impudeur. Encore plus quand mon talentueux partenaire ne peut s’empêcher de commenter : − Mon dieu, Jadde, tu es… parfaite. Et je ne parle même pas de ton goût bordel. Je crois que je pourrais passer la journée entre tes jambes, Cam. Si l’entendre murmurer ces paroles me

rend frémissante, les bruits mouillés de ses lèvres sont à la limite du supportable. Je me cambre en arquant mes hanches pour se rapprocher de lui. Il me dévore, semblant prendre un plaisir dévastateur à me faire perdre la tête sous ses assauts. Je gémis, il geint et c’est le son le plus sexy du monde. Les yeux fermés, le corps tendu, je tente de me soustraire à cette pression presque insupportable, mais il ne l’entend pas ainsi et redouble d’effort pour me faire lâcher prise. Mon plaisir monte et lorsque ses doigts se rajoutent à l’équation, je lutte de toutes mes forces pour ne pas succomber. C’est le moment qu’il choisit pour se relever. Je vois le fruit de mon excitation faire

luire ses lèvres et c’est presque aussi excitant que d’avoir sa bouche sur mon sexe. Je m’accroche à son cou et lui dérobe un baiser si passionné qu’il râle quand je taquine sa lèvre de mes dents. − Je suis incapable d’attendre une minute de plus. Tiens-toi au bureau, Jadde, je ne vais pas être tendre sur ce coup-là. En deux mots : court et intense. Si j’étais excitée, je frôle le malaise, me consumant au même rythme que le feu qui déferle dans mes veines. Il enfile d’un geste un préservatif sorti de je ne sais où. Quand il me pénètre directement jusqu’à la garde, je manque de m’étouffer de plaisir. Sauf que plutôt de nous laisser accéder à la délivrance, il

reste immobile plusieurs secondes. Puis très lentement, il se retire totalement et me pénètre à nouveau et réitère l’opération encore et encore. Ça n’a rien de doux ou de tendre, c’est frénétique, presque violent. Son manège rude et jubilatoire finit par avoir raison de ma conscience. Le plaisir monte, je sens la boule de tension enfler sans cesse dans mon ventre, irradiant dans tout le corps. Ma respiration s’accorde au rythme soutenu de nos corps qui claquent. Quand son souffle chaud et sa langue glissent le long de mon cou, je bascule dans les affres du plaisir et il me rejoint presque immédiatement. À bout de souffle, je parviens pourtant à

articuler : − Court mais intense, eh bien tu peux recommencer ta démonstration quand tu veux. Il éclate de rire et me souffle avec une satisfaction évidente : − Je m’en souviendrais. Bien trop vite à mon goût, il se relève retire son préservatif qu’il noue et jette à la poubelle. Tandis que je suis toujours alanguis sur le bureau, il me tend la main pour que je le rejoigne. − Il faut vraiment qu’on décolle, Cam, ou nous allons manquer notre vol et malheureusement, ni toi ni moi n’en avons les moyens.

− S’il le faut, réponds-je en haussant les épaules, résignée. Je sens encore son odeur mêlée à la mienne quand nous prenons la route pour l’aéroport. Après avoir enregistré nos bagages, direction le salon de première classe. Voyager dans de telles conditions est loin d’être dénué d’intérêt, d’autant que je ne sais pas comment il a réussi son coup mais il a obtenu deux sièges côte à côte. C’est vraiment un homme plein de ressources. Je me remémore notre escapade improvisée et je suis presque euphorique jusqu’à ce que mes pensées dérapent. Que va-t-il se passer ensuite ? Ma plénitude post-coïtale retombe aussi

vite qu’un de mes mauvais soufflés.

Chapitre 31 Braden Vendredi, Baltimore Jadde a le don de me redonner le sourire, ce qui au regard de la situation n’était pas courue d’avance. Pourtant, elle n’est pas parvenue à effacer les paroles de Gérald. Je n’avais même pas pensé à la possibilité que je puisse être la cible de ce sabotage. J’ai beau me répéter que c’est une idée absurde, je ne peux m’empêcher de repasser la liste des

personnes qui pourraient m’en vouloir. Aucun d’eux ne serait assez stupide pour mettre en danger la vie d’innocents pour m’atteindre, si ? Ne pas savoir me bouffe à petit feu et va me rendre dingue. Les pires scénarios m’ont heurté de plein fouet lorsque Jadde a proposé de m’accompagner. J’ai répondu instinctivement, sans même y réfléchir, avec pour seul objectif : la préserver à tout prix ! Heureusement qu’elle n’a pas jugé utile d’insister, je ne survivrai pas s’il lui arrivait quelque chose par ma faute. Cette pensée fait écho avec son passé et son lot de révélations. Je ne sais pas comment elle a réussi à refaire surface après un tel drame. Sa force de caractère m’impressionne.

Penser à elle me ramène à l’autre problématique qui m’obsède depuis notre départ. Dans un peu moins d’une heure, je vais la laisser devant notre hôtel et que va-t-il advenir de nous ensuite ? Je crève d’envie de lui poser la question, mais je ne veux pas qu’elle se sente forcée de prendre une décision. Choisir de lui laisser les rênes, c’est une putain de décision de merde, pourtant c’est la seule envisageable si je veux qu’elle vienne à moi. Mais être soumis à son bon vouloir va à l’encontre de tout ce à quoi je crois, et je ne sais pas du tout si je vais arriver à maintenir le cap. Elle s’est à nouveau murée dans le

silence dès que l’avion a quitté la piste et ça me tue de ne pas savoir ce qu’elle pense. Plusieurs fois, j’amorce un mot, un geste pour la faire revenir, mais me renfrogne avant qu’elle ne le remarque. Qui suis-je pour exiger qu’elle partage ses angoisses avec moi ? Parce que la ligne soucieuse qui barre son front ne laisse planer aucune ambiguïté. Quelque chose la travaille, reste à savoir quoi. Finalement, à bout de patience, je finis par briser le silence, tout en tentant de maîtriser les battements désordonnés de mon cœur en attendant sa réponse. − Tu es bien pensive, Cam. Elle hésite, les yeux rivés l’extérieur, soupire et me répond :

vers

− Je… qu’est-ce que tu envisages pour la suite ? Elle semble incertaine et me jette de petits coups d’œil inquiets par dessus son épaule. − Ce n’est pas à moi de prendre cette décision, si tu veux essayer de construire quelque chose de sérieux avec moi, je mettrais tout en œuvre pour que nous y parvenions. Qu’as-tu envie de faire ? Mon cœur est en chute libre en attendant sa réponse. − Je ne suis certaine que d’une chose, je ne veux pas que ça s’arrête maintenant, même si je ne sais pas du tout comment nous allons y arriver. Je commence un

périple de plusieurs semaines, et tu as tes obligations ici. − Ne t’en fais pas pour ça, nous allons trouver une solution, il y en a toujours une. Elle me sourit mais l’émotion n’atteint pas ses yeux, j’en ai des crampes dans le ventre. J’attrape sa main, ressentant le besoin inextricable de la toucher et elle enlace nos doigts. Pour alléger l’ambiance, j’essaie de la distraire en abordant le programme de la soirée et de la nuit surtout. J’évite sciemment l’après-midi qui promet d’être aussi interminable pour elle

que pour moi. Tandis que je ferai le clown et tenterai de glaner un maximum d’informations au commissariat, elle enchaînera les interviews et les séances de dédicace. De mon côté j’ai intérêt à ne pas trop lambiner parce que j’ai un certain nombre de démarches à effectuer pour faciliter la reprise du chantier dans des conditions de sécurité optimale. Quand le silence se fait, je réorganise mentalement mes activités afin de la rejoindre dès que possible. En énumérant le programme des jours à venir, je réalise que la soirée de gala en l’honneur de ma mère arrive à grands pas. Et avec lui son discours d’ouverture, ce qui ne m’enchante pas du tout. Le sujet est

si personnel qu’il m’est difficile d’en parler avec détachement. Mais je n’ai pas le choix, alors... Cette année, la soirée se déroule au Blue Even. C’est une partie de ma contribution. De son côté, Mila gère les invitations. Avec son carnet d’adresses bien fourni, ça n’a été qu’une simple formalité. Plus de trois cents personnes publiques sont attendues. Joyce et ma sœur ont tout régenté. Je suis juste intervenu pour les choix des extras et du personnel. Grosse soirée de boulot pour Joyce en perceptive tandis que je ferai « le planton » avec son lot de sourires factices au-devant de la scène ! Ce serait bien trop facile si c’étaient les

seules corvées qui restaient en suspens. La créatrice du show télévisuel m’a « harcelée » à deux reprises, il va bien falloir que je lui donne une réponse. Comme je n’ai aucune intention de faire le pantin devant les caméras, j’ai peutêtre une solution alternative à lui proposer. Je refuse d’être propulsé en pleine lumière, et c’est encore plus vrai maintenant que Jadde a fait irruption dans ma vie. Je suis convaincu que cette idée arrangera tout le monde. Et puis, un petit coup de pub ne pourra pas lui faire de mal. Je serai juste obligé de me rendre un peu plus disponible pour le nouveau restaurant.

Bon sang, quand je vois la liste de ce qu’il me reste à faire, je suis acculé par le poids de mes responsabilités ! Comment je vais parvenir à la faire passer avant tout le reste ? Lundi, elle quitte New York et la situation va sérieusement se compliquer. Si seulement j’arrivais à me passer d’elle, mais je m’étiole à l’idée que nous allons être séparés sans cesse dans les semaines à venir ! Je ne peux pas occulter ceux qui comptent sur moi sous prétexte que j’ai rencontré la femme. Arrivés à l’aéroport, l’imminence de notre séparation fait office d’aimant et nous franchissons les différents postes de surveillance collés l’un à l’autre.

Quand je hèle un taxi devant l’entrée du terminal, ses mains m’étreignent si fort que j’en ai tout le bras engourdi. Mais je ne m’en plains pas une seconde. Trente-cinq minutes et un SMS plus tard, le taxi s’arrête devant l’hôtel. Au moment où elle se glisse hors du véhicule, visiblement troublée, elle me murmure : − Tu me manques déjà. Sans me laisser le temps de répondre, elle disparaît presque en courant.  

Chapitre 32 Jadde Vendredi, New-York J’ai laissé Braden devant l’entrée, incapable de me confronter à son regard. Je suis tendue, j’ai l’impression que s’il s’éloigne je vais le perdre. Et ce sentiment s’accentue dès qu’il n’est pas avec moi. Est-ce en lien avec mon passé avec Jack ? Pourquoi je me ressens une telle insécurité ? Je me trouve tellement ridicule que je

lutte contre moi-même en permanence. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai une raison d’exister, et j’ai peur de la perdre. C’est malsain. D’autant que même si je veux l’occulter, dans notre relation tout va trop vite et c’est même presque trop intense. De toute façon, peu importe, je dois enfouir ses sensations le plus profondément possible, je n’ai pas le choix. J’ai des responsabilités, pas question de m’y soustraire, maintenant je me secoue et je fais ma part de marché ! Perdue dans mes machinalement par pour rejoindre ma franchi le premier

pensées je passe la cage d’escalier suite. A peine ai-je palier qu’une porte

claque derrière moi, je n’y aurais probablement prêté attention si un frisson glacé ne m’avais pas donné la chair de poule. Je m’arrête et jette un coup d’œil derrière moi, mais je ne vois rien. Le silence dans la cage d’escalier pourtant bien éclairé me met étrangement mal à l’aise. Je reprends mon ascension un peu plus rapidement que précédemment sur le qui vive. J’ai l’impression que l’on me suit mais à chaque fois que je m’arrête les bruits derrière moi aussi. Je me sermonne pour cette montée ridicule d’adrénaline. Mais mon cœur bat plus vite que d’ordinaire, et ce n’est pas uniquement lié à l’effort que je suis en train de fournir.

Plus je grimpe plus la sensation d’être observée s’accentue, mon sang pulse dans mes tempes et des sueurs froides coulent dans mon dos. C’est étrange, ces élans de panique, deux fois en quelques jours, ça ne me ressemble vraiment pas J’ai beau me sentir ridicule, j’accélère quand même le pas, me maudissant pour toutes ces réactions excessives. Rien de tout cela n’est réel, ce n’est qu’un mauvais tour de mon esprit perturbé. J’ai beau me répéter ces paroles, je n’arrive pas vraiment à y croire. Heureusement je rejoins rapidement le dixième étage. En sortant à mon étage, à bout de souffle je retrouve Meg et Sofia qui font le pied de grue devant ma

chambre. − Salut, les filles ! − Salut, Jadde, enfin de retour parmi les vivants ! Ça va ? Tu es toute pâle. Je prends une grande inspiration pour apaiser ma respiration douloureuse et les rassure d’un geste de main. Sans s’encombrer de préambule, Meghan lance amusée. − Alors comme ça tu n’arrives plus à te lever ? − Disons que la soirée a été riche en émotion et j’étais un peu fatigué lui réponds-je en essayant de ne pas rougir. − Tu m’étonnes si la soirée a été à

l’image de votre démonstration d’affection devant son restaurant, je comprends que tu puisses être fatiguée. Puis elles se regardent et pouffent complice. − Vous êtes déjà au courant ? − Je ne vois pas comment nous aurions pu passer à côté. Vous faites la une de trois des plus grands tabloïds américains. Le célibataire le plus couru de l’est des États-Unis aurait-il enfin trouvé chaussure à son pied ? Et encore, c’est le commentaire le moins extravagant ! J’ai sous-estimé la popularité de Braden. Heureusement, ils n’ont pas encore fait le lien avec toi sinon ces charognards ne vont plus nous lâcher d’une semelle ! Ils

ont même fait la liste des prétendantes supposées. Et franchement, ils méjugent largement les goûts de ton Don Juan. Tu veux voir ? − Non, je me fous royalement de leurs conneries. Qu’ils pensent ce qu’ils veulent, ça n’a aucune espèce d’importance ! répliqué-je avec une certaine agressivité. − Tu as tort, Jadde, me répond-elle, apparemment surprise par mon hostilité. Ça peut servir tes intérêts autant que les siens. C’est de la publicité gratuite qui peut vous aider à faire parler de vous. − Je vais faire comme si tu n’avais rien dit, tu crois vraiment que je serais capable d’utiliser notre relation comme

tremplin pour me mettre en avant ? Je déteste cette mascarade, si je me prête au jeu c’est juste pour toi et uniquement pour ça. Au fur et à mesure, ma voix grimpe de plusieurs octaves et je vois Meghan pâlir à vue d’œil. − Ne me demande pas de mettre ma vie privée au-devant de la scène. Je n’en reviens pas que tu oses me demander un truc pareil. Tu ne me connais pas ou quoi ? Tu ne te souviens pas du harcèlement que j’ai subi après la mort de Jack ? − Les filles ! On se calme ! s’interpose Sofia. Elle ne t’a jamais demandé d’exposer des photos de vous ou de surfer sur le filon de votre relation, mais

il semblerait que le fait qu’on vous voit ensemble puisse servir votre image. Tu n’as apparemment rien à voir avec ses anciennes relations éphémères qu’on lui attribue depuis la rupture de ses fiançailles. − La quoi ? − Je… Eh bien… Il ne t’en a pas parlé ? − Non, … Je déglutis, vexée de ne rien savoir, et laisse exploser mon frustration. − Quoi qu’il en soit je n’ai pas l’intention de nous exposer aux griffes des médias. Pour autant je ne vivrai pas cachée, si c’est que tu veux savoir. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, je dois aller

prendre une douche pour mon tête à tête avec le dernier magazine littéraire à la mode. Je rentre dans la chambre et leur claque la porte au nez. Il ne manquerait plus qu’elle me demande de me travestir. Je dois rêver ! Je sais que ma réaction est outrée et injuste, mais avec ses montagnes russes d’émotions, je suis à fleur de peau. J’ai besoin de recul, de temps et surtout je dois mettre mon cerveau en sourdine ! Mais putain ! Comment suis-je censé m’y prend quand même Braden me complique les choses. Non mais merde, il a été fiancé ce n’est pas rien et il ne m’en a rien dis. Je ne sais pas, il aurait au moins pu m’en

touché un mot histoire que je ne tombe pas des nues quand l’information me tombe dessus. Surtout que de mon côté, je lui ai révélé des choses extrêmement intimes sur ma vie. Je suis en colère même si je sais que c’est irrationnel. C’est la merde, j’en ai ma claque, qu’estce qu’ils ont tous à me compliquer l’existence ? Excédée, je balance mes fringues à travers la salle de bain et entre sous le jet d’eau brulante. J’y reste un long moment, ralentissant progressivement le sang qui bouillonne dans mes veines. Ma fureur exagérée se dissout même si je continue de penser que je ne suis pas la seule à être à la faute. Elles ont raison,

mais j’ai toujours trouvé indécent d’exposer sa vie privée au grand jour. Ce n’est pas sans raison qu’on la nomme ainsi. Je suis assez adepte du vieil adage « pour être heureux vivons caché » même s’il peut difficilement s’adapter à ma situation. En attendant, qu’elles me demandent de m’en servir comme d’une opportunité a le don de me mettre les nerfs en pelote. Je suis pourtant la seule que ça a l’air de gêner puisque même Brad n’y trouve rien à redire. D’ailleurs, en pensant à lui, je suis blessée qu’il ne m’ait rien dis. En même temps je m’attendais à quoi ? C’est évident qu’un homme comme lui a un passé chargé de conquêtes toutes plus magnifiques les unes que les autres. Et si

je me montre honnête avec moi-même, je n’ai posé aucune question sur son passé sentimental et je l’ai fais sciemment en plus. D’abord parce que j’espérais qu’il m’en parle sans avoir à lui tirer les vers du nez. Et ensuite parce que c’est un homme à femmes, qu’il respire le sexe et que je n’ai pas besoin qu’il me l’expose pour le savoir. En plus, aborder ce sujet revient à lui demander comment il envisage notre relation et je ne suis pas tout à fait prête à m’y confronter. Fidèle, ou infidèle. Homme d’une seule femme ou homme tout cours ? Je l’ignore et ça e terrifie. Encore une fois on fait tout à l’envers, emportés par le tourbillon émotionnel de notre relation.

Pourtant, la principale raison de mes réticences est ailleurs et elle est bien plus personnelle. J’ai peur de ce que je pourrais découvrir. Si je n’étais pas à la hauteur de toutes les femmes qu’il a pu connaître, j’en crèverais de jalousie, et ça me déstabilise. Je ne suis pas envieuse, ni possessive, je ne l’ai jamais été en tout cas. Je n’en ai jamais eu besoin. Jack n’a jamais regardé que moi et je n’en ai jamais douté. Mais Brad est différent. Son charisme et sa prestance ne peuvent qu’attirer la convoitise. Les femmes lui tournent autour comme des abeilles autour d’un pot de miel. Il ne fait rien pour les encourager, il n’en a pas besoin. Et quelle est sa réponse à toutes ces sollicitations,

je n’en ai pas la moindre idée ! Mes pensées ressassent alors nos moments partagés, à la recherche d’indices. Mais comme toujours quand je pense à lui, mes idées dérapent et je perds toute once de lucidité. Et c’est reparti pour un tour ! Putain, mais il ne peut pas sortir de mes pensées plus de dix minutes ! Heureusement pour moi, l’heure de l’entrevue avec le critique littéraire approche et je vais avoir suffisamment à faire pour m’occuper l’esprit. Encore sous l’effet de notre dispute, c’est avec soulagement que je vois un homme d’une cinquantaine d’années faire son apparition, seul. Nous nous installons au

salon privé de l’hôtel réservé pour l’occasion. Notre entretien dure près d’une heure et demie. Il a largement étudié son sujet avant notre rencontre et c’est avec enthousiasme qu’il décortique mes inspirations et mes influences. Il est plutôt agréable et ne tente pas de me déstabiliser. Il a l’air vraiment intrigué par mes choix et je prends plaisir à détailler mes préférences, les liens unissant tel ou tel personnage ou encore ce qui prend racine dans ma propre existence. Sans jamais outrepasser ses prérogatives, il se montre curieux et intéressé. L’entretien se termine bien plus sereinement qu’il n’avait commencé.

Rapidement le second intervenant prend sa place. Je me rends compte de suite qu’il n’a pas éprouvé le même attrait que son prédécesseur pour mon travail. Sans me démonter et bien que la conversation soit du coup plus tendue, elle se déroule sans grande difficulté. Nous confrontons nos opinions et quand nous nous séparons une heure plus tard, ses dispositions à mon égard ont l’air d’avoir évoluées. À ma sortie du salon, je retrouve Sofia dans le patio, un cocktail dans les mains, en train de prendre un bain de soleil. − Salut, Sof. − Salut, Jad, je t’attendais. − Je sais.

Pas vraiment disposée à faire preuve de compassion, elle rentre directement dans le vif du sujet. − Tu n’as pas la sensation d’avoir réagi de façon exagérée, tout à l’heure ? − Peut-être mais connaissant mon histoire, je pense que ça peut se comprendre, non ? Ça te plairait qu’on expose ta vie privée avec Eddy sur la place publique ? Je connais le revers de la célébrité. Ils te donnent sans compter quand tu as le vent en poupe. Le jour où ton monde s’écroule, ils te le reprennent au centuple. Je dois me retenir d’exploser à nouveau, en détournant le regard et en serrant les poings. Quand j’ai réussi à calmer

l’acidité qui me brûle l’œsophage, je réponds un ton plus bas : − Tu te souviens des gros titres des tabloïds, quand Jack est mort ? D’après eux, il avait trop bu, ou il était avec sa maîtresse et venait me rejoindre pour cacher ses infidélités. Je ne sais quelles autres conneries ils sont allés inventer pour vendre leur torchon ! En plus de devoir gérer ma douleur, il a fallu que j’affronte ces inepties. Tout ça parce que j’étais sous les feux de la rampe. À l’époque, vous pensiez certainement que je ne me rendais compte de rien, enfermée dans ma bulle de mutisme. Mais après les chocs répétés, j’ai fermé ma coquille, incapable d’en supporter davantage. Maintenant redis-moi que j’ai

réagi de façon outrée ! Elle secoue la tête avec empathie mais ne s’avoue pas vaincue pour autant. Je la vois peser ses mots. Quand elle reprend, sa voix s’est faite compatissante. − Ta vision des choses est tronquée. Même si je comprends mieux ta réaction, tu ne prends en compte qu’un aspect des choses. Sans eux, tu n'aurais rien de ce que tu as aujourd’hui. Je ne dis pas pour autant que tu dois tout accepter mais Meg agit dans votre intérêt. Maintenant tu es la seule à pouvoir décider de ce qui est bon pour toi. Et je suis certaine que te disputer avec Meg ne fait pas partie du retour à l’équilibre. Discutes-en avec Braden et vous trouverez une solution.

C’est l’un des sujets que nous avons évité consciencieusement ces cinq dernières années. Aussi, admettre que ma vision n’est pas entièrement le reflet de la réalité n’est pas facile à admettre. J’ai passé tellement d’années à les haïr, comme s’ils étaient responsables de mes peines, qu’il m’est difficile d’imaginer fonctionner différemment. J’exècre ces feuilles de choux qui avancent des théories sans jamais vérifier leur véracité. Malgré tout, je ne dois pas tous les mettre dans le même sac. Et plus important encore, ils m’utilisent autant que je me sers d’eux, je ne dois plus l’oublier. − Admettons, finis-je par lâcher. C’est

certain qu’une dispute avec Meg ne va rien résoudre. Et je veux bien t’accorder que nous nous servons les uns des autres. Mais je vais jouer selon mes règles et non les leurs. Je choisirai quand et comment ils mettront un visage sur leur élucubration. Je n’ai pas l’intention de me servir de Braden pour servir mes intérêts. Si on doit parler de moi, je préfère que ce soit pour mon travail. Lui a déjà une certaine notoriété et n’a rien à prouver. Pour moi ici tout reste à faire. Heureusement pour nous, nos domaines d’expertise sont très différents. Elle acquiesce et enchaîne : − Dis, ça t’ennuie qu’on parle d’autre chose ?

− Tu plaisantes ! J’en ai ma claque d’être le centre d’attention ! Alors, comment tu te sens à une heure de vos retrouvailles ? − Ne te moque pas. Ça fait à peine une semaine et je suis tellement excitée par l’idée de le serrer dans mes bras que je n’ai pas fermée l’œil de la nuit. − Je sens que la soirée promet d’être haute en couleurs ! Un magnifique sourire se dessine et illumine son visage, ça m’émeut de la voir aussi heureuse, avec mon meilleur ami qui plus est ! Ils ne pouvaient pas mieux tomber. Un silence confortable s’installe un moment jusqu’à ce qu’elle se tourne vers

moi mi-inquiète, mi-amusée. − Je m’en veux un peu de ne rien avoir dit à Meg. Pourtant ce ne sont pas les occasions qui m’ont manqué. − Moi, je frétille d’impatience, au contraire ! Pour une fois que je vais pouvoir la scotcher sur place, c’est tellement rare ! Par contre, gare au retour de bâton ! − Si tu me dis ça pour me faire peur, eh bien c’est réussi, se marre-t-elle, pas vraiment soucieuse. En attendant l’arrivée de la troisième drôle de dame, nous sirotons notre cocktail avec enthousiasme. Une demiheure plus tard, nous sommes en route

vers l’aéroport où Eddy devrait atterrir d’un instant à l’autre. Dans le taxi, les tensions s’envolent avec une accolade et l’excitation. Nous savons l’une comme l’autre que le problème n’est pas réglé mais nous disputer ne changera rien. Quand le conducteur nous dépose devant l’entrée du JFK – Kennedy Airport, les souvenirs de notre arrivée reviennent par vague. Il n’y a que quelques jours que nous sommes là mais tant de choses se sont passées depuis. L'arrivée dans ce pays, cette ville, ma rencontre avec cet homme, c’est comme si j’avais retrouvé un but, une existence.

L’agitation de Sofia me ramène à l’instant. Je me demande bien comment Meg perçoit son émotivité. Elle est impatiente, c’est évident, mais je suis dans la confidence alors... Lorsque pointent les cheveux en bataille de mon ami, j’ai à peine le temps de lui faire signe que déjà Sofia est partie le rejoindre et lui saute dans les bras. Meg regarde la scène, stupéfaite. Quand elle se tourne vers moi, un air interrogatif peint sur le visage, elle découvre mon expression d’amusement. − Non, mais je rêve ! Tu étais au courant ! Pourquoi je suis toujours la dernière avertie ? Eddy a lâché ses valises quand Sofia l’a

rejoint, il l’a soulevée et l’embrasse à pleine bouche. Même au courant j’ai du mal à les regarder sans avoir l’impression de jouer les voyeurs. Qui aurait cru voir couler dans les veines de mon armoire à glace de la lave en fusion. Cerise sur le gâteau, voir la tête de Meg vaut vraiment la peine de passer sous silence les révélations de mon amie. Évidemment elle reprend rapidement contenance et retrouve son flegme habituel en commençant à épier les alentours. J’en déduis qu’il est temps de mettre fin à leur accolade. − Dites, les amoureux, il y a des chambres pour ça ! Eddy ouvre un œil et me jette un regard

amusé. − Jalouse ! Il est où ton type d’ailleurs ? Il est irresponsable de laisser une aussi jolie fille se balader sans un garde du corps surentraîné. Laisse-moi te regarder ! Princesse, tu es sublime ! Tu transpires le bonheur. Du plus loin que je m’en souvienne, je ne t’ai jamais vue ainsi. − Pardonnez-moi d’interrompre vos retrouvailles mais quelqu’un aurait la gentillesse de m’expliquer tout ce que j’ai loupé ? s’agace Meghan alors qu’Eddy me serre dans ses bras. Sofia, les joues encore rosées par leur baiser, prend notre amie par le bras et commence à l’éloigner de notre étreinte en se lançant dans les détails de ses

aventures. − Tu m’as vraiment manqué, Eddy ! − Pas tant que ça, apparemment, répond-il avec un clin d’œil. Je suis content pour toi, princesse. Je rencontre quand cette perle qui te fait tourner la tête ? − Ce soir après ma séance de dédicace. Il doit nous rejoindre pour dîner. Mais avant, je veux tout savoir. Comment as-tu pu maintenir un secret pareil pendant plus de six mois ? − Je rage de ne pas avoir pu voir ta tête quand elle a craché le morceau, ça devait valoir son pesant d’or. Je lui donne un coup de coude dans les côtes pour qu’il arrête de se moquer de

moi. − Tu es sans cœur ! Non, mais sans rire, six mois ! Et puis, à sa décharge, elle n’a pas vendu la mèche, je l’ai découvert toute seule. − Tu parles, elle ne sait pas mentir. − Je ne peux pas te dire le contraire. Allez raconte-moi tout et depuis le début, avec moult détails bien entendu ! − J’ai cru que tu ne me le demanderais jamais, mais c’est donnant-donnant, princesse ! Tu passes sur le grill juste après…  

Chapitre 33 Braden Vendredi, New-York Il est presque vingt heures quand j’arrive devant la librairie. J’ai couru tout l’après-midi pour réussir à me libérer et la surprendre à sa dédicace. Attendre encore deux heures pour la rejoindre, c’était juste insupportable. Je me suis acquitté de la plupart de mes obligations malgré les trois heures perdues au commissariat. Et c’est le

terme exact puisqu’à part m’apprendre qu’ils ont découvert une empreinte digitale partielle n’appartenant pas à l’un des employés du site, je n’ai rien obtenu de concret. L’inspecteur chargé de l’enquête m’a paru plus intéressé par les jambes de la témoin du bureau d’à côté que par notre enquête. Heureusement que Gérald m’avait prévenu, ainsi j’ai pu retenir deux ou trois remarques acides qui me piquaient la langue. Une telle arrogance et un tel manque de professionnalisme, ça me sidère ! Il attend quoi pour réagir, qu’il y ait un mort ? Parce que c’est ce qui risque d’arriver, s'il ne fait rien. Nous avons repassé mon planning les

jours des faits, comme si je pouvais être à l’origine d’un tel acte. Quand j’ai voulu protester, il m’a rétorqué que ce n’étaient que des questions de routine. Je t’en foutrai, moi ! J’ai dû énumérer toutes les personnes qui seraient susceptibles de me mettre des bâtons dans les roues. Heureusement que j’avais déjà réfléchi à la question. Quelques noms me sont venus à l’esprit, mais aucun n’a l’étoffe suffisante pour passer à l’acte. Du coup, je ne suis pas certain d’avoir servi à quelque chose. Il m’a assuré que d’ici une petite semaine, nous pourrions à nouveau disposer du chantier. Mais même si c’est important, j’appréhende la suite si on ne trouve pas

le coupable. J’ai téléphoné à Gérald dès la fin de l’entretien pour le tenir informé. Entre grincements de dents et agitation manifeste, je ne sais pas qu’elle était la plus flippante de ses réactions. Quand j’ai conclu mon récit, il m’a dit qu’il s’en occupait et a raccroché dans la foulée. Mon esprit n’a pas mis longtemps à occulter tous mes ennuis parce qu’à présent mon attention converge désormais vers son seul point de ralliement : ma Cam. Lorsque j’entre dans la bibliothèque, je découvre non sans une certaine surprise qu’il y a une queue impressionnante pour prendre place dans une pièce annexe.

De grandes affiches avec la couverture d’un roman et quelques lignes griffonnées en dessous font office d’affiche publicitaire. Il me faut presque dix minutes pour rejoindre enfin la salle. Elle est pleine à craquer. Je ne m’attendais pas à une telle affluence. Dix minutes s’écoulent dans un brouhaha assourdissant. Puis une jeune femme s’approche du micro et commence à parler du roman et surtout de son auteur. Son discours bien qu’élogieux sonne faux, comme si elle ne la connaissait pas. Jadde grimace à plusieurs reprises mais elle se ravise très vite et se contient pour ne pas l’interrompre.

Après plusieurs minutes, elle laisse enfin la place à la voix sensuelle de Jadde qui, contre toute attente, se contente de lire les cinq premières pages de son livre. Elle tient en haleine son public, ça se sent. Quand elle referme le livre et le pose, elle ponctue son récit par une plaisanterie à son image. − Mes très chers amis, si vous voulez connaître la suite, il va falloir emprunter le livre à votre voisine parce que je viens d’apprendre que nous avons vendu le stock prévu pour le lancement. Pas de chance ! Comme le ton de la plaisanterie est explicite, les premiers éclats de rire fusent. S’en suit un tonnerre

d’applaudissements qui lui tire un sourire timide. Tandis qu’elle répond aux questions de son auditorat, je reste en retrait. Elle ne peut pas me voir et c’est tant mieux, je peux ainsi l’observer à loisir. Elle dégage une aura solaire, lumineuse et attractive. Comme si l’univers gravissait naturellement autour d’elle. Je n’ai jamais été un grand amateur de lecture mais je suis presque tenté de m’y mettre tant je suis sous le charme. Toute la salle respire au rythme de ses mots. Et quand elle se rassoit et commence à dédicacer ses bouquins, elle est à la fois l’auteur mais aussi la confidente et l’amie. Une telle proximité

avec ses fans finit de me conquérir. À plusieurs reprises, elle scrute la foule dans ma direction mais sans jamais croiser mon regard. Je la soupçonne pourtant d’avoir senti ma présence ou tout au moins qu’on l’observe, sans parvenir à définir d’où vient le regard insistant. Quelques minutes passent et je la vois se pencher à l’oreille de Meghan. Elle lui dit quelques mots et lui sourit. Quelques secondes plus tard, son amie s’éclipse et retourne à son poste presque aussitôt. Alors que mon regard est incapable de se détourner d’elle, je sens une main se poser sur mon épaule.

− Monsieur Miller ? m’interrompt un jeune homme. − Oui. − Madame Simmons vous demande de la rejoindre. Pourriez-vous me suivre ? J’avais vu juste ! Ravi, j’opine et suis mon guide. Nous quittons la pièce où elle officie, je regrette déjà de m’éloigner. Quand j’atterris dans une salle en retrait où un molosse discute avec Sofia, je ne peux pas dire que je me sente particulièrement à mon aise. − Braden ! lance Sofia à travers la pièce. Elles ont presque fini. Viens que je te présente Eddy, mon fiancé.

Lorsqu’elle parle, elle jette un coup d’œil en coin à son compagnon qui se regorge de fierté. Je réprime un sourire pour accompagner sa déclaration. − Ah ! C’est lui, le fameux Braden ? Attends que je le scrute un peu. Effectivement, belle bête ! ajoute-t-il comme s’il se parlait à lui-même. Sa ressemblance avec Jack est assez impressionnante. Comme toujours, à l’évocation du passé de Cam, une lame aiguisée transperce mon poumon et me coupe le souffle quelques secondes. Il traverse la pièce d’un pas décidé et me tend la main. − Salut, moi c’est Eddy.

− Bonjour. Enchanté de faire ta connaissance et tu n’es pas mal non plus dans le genre colosse. Ma réflexion lui tire un sourire. Si je n’étais pas habitué à ce genre de poigne franche et ferme, il m’aurait probablement broyé les doigts. Mais apparemment, c’est la mienne qui lui tire une grimace. L’avertissement est clair et ma réponse tout autant. Il n’y a pas besoin de parole et ça me va très bien. Il me scrute, cherchant probablement le moindre signe de perfidie. On s’affronte du regard et je sens Sofia, toujours en retrait, un peu mal à l’aise. Quand elle toussote histoire de briser le

silence, il affiche interrogations.

clairement

ses

− Quels sont tes intentions vis-à-vis de Jadde ? − Elles sont très claires mais ne concernent qu’elle, il me semble. Aussi tu me pardonneras de préférer les taire et les lui réserver. Il opine en rétorquant − Une chose doit être claire entre nous dès aujourd'hui. Fais-lui du mal et tu n'auras pas le loisir de recommencer. Me suis-je montré suffisamment explicite ? − Limpide, ne va pas croire que je prends tes paroles à la légère, si un jour je devais être à l’origine de sa tristesse, j’en

serai malade. Mais mes intentions sont à l’opposé. C’est la seule chose dont tu peux être convaincu. − Tu me plais. Jadde a un don pour sentir l’âme des gens, comme toujours je me range derrière son opinion ! s’exclame-til en me donnant une bourrasque amicale sur l’épaule. Alors que je m’apprête à lui répondre, la sonnerie de mon téléphone m’interrompt. Après m’être excusé, je sors de la pièce pour répondre à ma sœur. − Tia ? − Tu m’avais promis ! − La journée n’est pas finie ! − Moque-toi, tu me parles où il faut que

je te tire les vers du nez ? − Que veux-tu savoir ? rétorqué-je, avec indulgence. − Qui est-ce ? − Elle s’appelle Jadde rencontreras bientôt.

et

tu la

− Tu as plutôt intérêt. Elle fait quoi dans la vie ? − Elle écrit. − Tu n’as pas plus vague comme description ? Je rigole mais je sais qu’elle boude à l’autre bout du fil. − Comme je l’ai toujours fait, je te laisserai te faire ta propre opinion. Moins

je t’en dirai, moins je t’influencerai. − C’est du sérieux ? − Pour moi, aucun doute. − Ben merde, alors ! Je désespérais de t’entendre me dire ça un jour ! − Je suppose mais rien n’est jamais aussi simple qu’on le voudrait. Consciente que je n’en dirai pas plus, elle repart à l’assaut. − Vous vous connaissez depuis longtemps ? − C’est un véritable interrogatoire ! Non, c’est récent, très récent, même. − Tu es sûr de toi ?

− Oui. − Il faut vraiment que je la voie. − Très bientôt, c’est promis. Je dois te laisser, elle m'attend. On s’appelle demain pour les derniers préparatifs. − Pas la peine, je sais que tout est parfaitement millimétré comme toujours. Amène-la à la soirée de gala, même si je n’aurai pas le temps de beaucoup la voir, j’ai besoin d’être rassurée. Promets-le. − Mila, ce n’est pas aussi simple ! − Arrête ton char, vous vous embrassez à pleine bouche dans la rue, alors une soirée de gala, c’est de la rigolade ! Promets-le ! Bon sang, comme elle peut m’exaspérer

par moment ! − Le mieux que je puisse faire, c’est te promettre de lui en parler. − Donc je la rajoute à notre table. Bonne soirée, grand frère ! Et avant même de pouvoir protester, elle m’a raccroché au nez. Décidément, elle sait toujours comment faire pour obtenir de moi ce qu’elle veut. Comment vais-je en parler à Jadde, maintenant ? J’y ai déjà pensé mais on se connaît depuis une semaine. Sans rire, même si je meurs d’envie qu’elle m’accompagne, je doute qu’elle apprécie d’être immergée direct avec les grands requins blancs ! Quand j’arrive dans la salle, Meghan est

arrivée. Les discussions vont bon train et l’ambiance s’est considérablement allégée. Je ne les connais que peu mais je me sens à mon aise en leur présence. Cinq minutes plus tard, c’est Jadde qui fait son apparition. Comme toujours, du moment où nos regards se croisent, l’atmosphère se charge d’électricité. Et le monde qui nous entoure se dissipe d’un seul coup. Même la présence d’Eddy n’y change rien. Quand elle me rejoint, je dois me retenir de ne pas l’embrasser en dehors des limites de la décence. De son côté, elle fait preuve d’une retenue étonnante et pose un baiser chaste sur ma joue. C’est largement suffisant

pour qu’un frisson me parcoure mais bien loin des manifestations d’affection du matin. Elle agit étrangement allant jusqu’à mettre une distance physique entre nous. Je me rapproche pour tenter de comprendre ce qui lui arrive. − Quelque chose ne va pas Cam ? − Je… tu… ce n’est pas grave laisse tomber, dit elle en détournant la tête. − Ecoute parle moi ! Je vois bien qu’il y a un truc qui te tracasse. Elle prend une grosse inspiration autant pour se calmer que pour se donner du courage, et chuchote si bas que je peine à entendre. − Quand avais-tu l’intention de me parler

de ta fiancée ? − De quoi tu parles ? − J’ai été surprise d’apprendre que tu étais fiancé ou au moins que tu l’avais été. − Tu veux vraiment que l’on parle de ça ici ? − Ici peut-être pas, mais je me pensais capable de faire abstraction et je n’y arrive pas. Bordel, je déteste ce que je deviens. J’ai besoin de savoir et c’est tout ce que je suis prête à admettre. Comme elle a haussé le ton, envoyant les chuchotements aux oubliettes, tous les regards se tournent vers nous. Je lui prends la main et la conduis dans la

première pièce à l’écart que je trouve. Elle ne résiste pas. Manque de bol, ce sont les toilettes. Le bon côté des choses, c’est que je peux les fermer à double tour dès que nous nous y trouvons tous les deux. − Quel est le problème ? Que je ne t’en ai pas parlé ? Que j’ai eu une vie avant ton arrivée ? Parce que pour les deux cas, ça n’a pas la moindre importance à mes yeux. Et puis, tu ne m’as pas posé la question. C’est minable comme excuse mais ça a si peu d’importance que je n’ai même pas pensé à te le dire. Ça appartient au passé. − Qui est-ce ? − Je te le répète, ça n’a vraiment aucune

importance. − Dis-le-moi. − Elle s’appelle Amanda. C’est la fille d’un riche industriel. Nous nous sommes rencontrés il y a des années et avons partagé une histoire pendant quatre ou cinq ans. Nous avons fini par nous fiancer alors que ni l’un ni l'autre nous n’étions vraiment prêts à envisager une vie de couple. Trop jeunes, trop fougueux. Nous manquions d’expérience et nous étions ensemble plus par habitude que par envie. Quand j’ai réalisé que nous courions à la catastrophe, j’ai joué les salopards pour la pousser à me quitter. Ce qu’elle n’a pas mit longtemps à faire d’ailleurs. Ses yeux brûlent du feu de la jalousie et

je suis tiraillé par plusieurs sentiments diamétralement opposés. Même si j’ai horreur d’avoir à me justifier, je comprends qu’elle ait besoin de savoir. − Tu la vois encore ? − Jadde qu’est-ce que ça change ? − J’en sais rien mais je veux apaiser ce feu qui brûle en moi et pour ça tu dois me donner des réponses ! Je soupire plus par défaite que par exaspération. − Oui, je la vois de temps en temps. Nous sommes restés en contact mais je peux t’assurer qu’elle n’est rien de plus qu’une amie. − Tu diras la même chose de moi quand

on se séparera. Sa réponse me prend tellement par surprise que je mets quelques secondes à lui répondre, incrédule. Je comble la distance qui nous sépare et prends son visage entre mes mains pour qu’elle lise à quel point je suis sincère. − Merde, Jadde, à quoi tu joues ? Tu ne ressens pas ce lien si particulier qui nous lie. Ça a beau être prématuré, ce que je ressens pour toi va bien au-delà de la simple attraction physique. Comment peux-tu croire un seul instant que je puisse un jour parler de toi en ces termes ? Qu’est-ce que tu attends de moi exactement ? − Je n’en sais rien, je suis juste incapable

de me contrôler. Quand j’ai appris que tu avais été fiancé, je me suis senti trahie. Ça n’a pas de sens mais je t’en veux de ne pas me l'avoir dit. Je t’ai livré mon passé comme je ne l’avais jamais fait avec personne. J’attendais que tu fasses preuve de la même honnêteté. − Je l’aurai fait sans hésiter si ça avait eu la moindre importance. Ce qui n’est vraiment pas le cas. J’hésite à poursuivre mais je me dis qu’après tout, à nous disputer pour des conneries, autant tout régler d’un seul coup. Je l’embrasse sur le front pour apaiser un peu plus les démons qui semblent hanter ses yeux. Puis, prenant mon courage à deux mains et tout en lui

caressant les joues de mes pouces, je reprends d’une voix douce : − Tout ce que j’ai pu connaître ou vivre avant toi est relégué au passé, la seule personne qui compte vraiment c’est ma sœur, et j’aimerais que tu la rencontres. Mais il y a autre chose que j’aimerais partager avec toi. C’est à ce moment précis, que je réalise à quel point ce que je m’apprête à lui demander me tient réellement à cœur. − Dimanche, j’ai une soirée de gala. Son visage se fige, mais j’essaie de ne pas y voir autre chose que de l’appréhension. Je poursuis ma demande, rongé par la crainte.

− C’est une soirée un peu particulière pour moi, puisqu’elle est organisée en mémoire de ma mère. J’aimerais que tu m’accompagnes. Muette, elle semble réfléchir. Moi qui me targuer de comprendre les femmes et bien je suis comme un con face à la seule qui m’intéresse, je n’arrive pas à déchiffrer ses sentiments. Je m’apprête à lui dire qu’elle n’est pas obligée, qu’elle a toujours le choix. Mais elle m’en empêche en posant son doigt sur mes lèvres pour me faire taire. Le combat intérieur qui fait rage en elle semble la torturer mais elle continue de se taire. Au bout d’une bonne minute, elle finit par reprendre la parole.

− En mémoire de ta mère ? Je me sens si proche d’elle que j’en oublie que nous ne nous connaissons que depuis quelques jours. C’est comme ça que je me retrouve en train de lui raconter l’histoire de la personne qui me manque chaque jour un peu plus. − Elle est morte il y a douze ans. En plus d’une mère aimante et attentive, c’était une femme étonnante que j’ai toujours admirée. Quand un cancer du sein nous l’a arraché, nous avons voulu donner un sens à sa mort. Aussi nous nous sommes associés avec la fondation d’aide aux familles des victimes du cancer. Aux État Unis aucun financement n’existe pour prendre en charge les malades. La

collecte de fonds est destinée à soutenir la fondation du « ruban rose ». Chaque année, la date anniversaire de sa mort, nous donne l’occasion de lui rendre hommage. J’ai juste envie que tu partages ce moment avec moi. Elle accuse le coup, pourtant ces yeux m’expriment une compassion infinie. − Tu veux bien me parler elle, s’il te plaît ? Je retiens mon souffle et expire bruyamment. Elle est la seule pour qui j’accepterai de rouvrir la plaie si difficilement suturé liée à sa mort. Alors je me lance et lui parle de la personne merveilleuse qu’elle était, de ses goûts éclectiques, de ses passions multiples, de

ses convictions. Je sais très bien que nous sommes assis sur l’immense plan de travail dans les commodités de la librairie. Mais bouger sous-entendrais briser l’instant alors je fais abstraction du lieu pour ne garder qu’elle… Et malgré les années, je ne parviens toujours pas à effacer les trémolos dans ma voix. Avant d’être ma mère, elle était ma meilleure amie. L’avoir perdue si tôt, et à cause de cette saleté de maladie, distille encore en moi une colère sourde que j’ai du mal à libérer. La rancœur est toujours plus facile à gérer que la peine alors je l’alimente en luttant à ma façon contre celle qui nous l’a volé bien trop tôt.

Elle m’écoute, concentrée sur mes paroles, en tenant mes mains dans les siennes. Notre connexion me donne le courage d’aller au bout de mes pensées. Jamais je n’avais si ouvertement exprimé ce que j’ai ressenti quand elle est morte, je me surprends même à lui raconter les conséquences inattendues de sa mort, comme l’explosion familiale. Je ne retiens rien, livre tout, lui donne accès à ces émotions enfouies depuis toujours. Même si je contiens mes larmes, ma voix fait quelques ratés qu’elle apaise d’une caresse. Personne n’était parvenu à percer ma carapace, elle l’aura faite voler en éclat en soixante douze heures.

La discussion glisse doucement vers mes amis. La seule façon de construire un lien solide et tangible entre nous et de me donner à elle sans phare ni faux semblant. Elle rit à mes anecdotes pleines d’autodérision. Quand je finis par me taire, elle plonge son regard dans le mien semblant lire dans les tréfonds de mon âme. Du bout des lèvres, elle murmure un « merci » qui signifie tellement plus qu’il m’atteint en plein cœur. Elle pose un baiser au coin de mes lèvres. Et alors que je veux le lui rendre, elle se détourne et me répond doucement : − Je serai ta cavalière dimanche et soit certain que je serai très fière d’être à ton bras.

Je ne suis pas du style démonstratif mais je suis tellement heureux qu’elle accepte que je laisse exploser ma joie, la serre dans mes bras et la soulève pour l’embrasser. Le temps suspend son vol tandis que nos lèvres se scellent. Notre corps-à-corps produit le même effet qu’à chacun de nos contacts. Comme si nous ne trouvions l’apaisement qu’en s’imbriquant l’un à l’autre. Quand je la repose, elle me repousse légèrement. − Je crois que nous devrions les rejoindre, me soumet-elle, pas vraiment convaincue. − Ou pas, ripostai-je, espiègle. Et pour appuyer mes paroles, j’encercle

sa taille d’un bras, l’obligeant à se plaquer contre mon bassin. Le regard pétillant, elle montre d’un signe de tête la bosse de mon sexe déformant largement le tissu. − Il a l’air en grande forme, dis-moi ! poursuit-elle en frôlant mon bas ventre de ses doigts graciles. − Tu parles du Général ? Pour lui, il suffit que tu sois dans la pièce pour qu’il soit déjà au garde à vous. − Non sérieux tu lui as donné un nom ? Puis elle éclate de rire, ce qui au lieu de me vexer, me fais bander encore plus et je ne mets pas longtemps à la rejoindre. Ça n’altère en rien la flamme du désir qui

m’anime, au contraire, quand elle pose ses paumes sur mon torse, elle sent le rythme de mon cœur s’emballer. Ses pupilles se dilatent instantanément et tout s’accélère. Tandis que nos bouches se jettent l’une sur l’autre, je la soulève et elle enroule ses jambes autour de mes hanches. En prenant appui sur le mur, je la caresse, mais ça n’a rien de doux, c’est empressé, nécessaire vital. Je dois la posséder maintenant, sentir mon sexe la pénétrer et lui arracher son plaisir. La prendre ici ou ailleurs quelle importance ? La seule chose qui compte, c’est qu’elle sache que je lui appartiens. Et c’est ma seule façon de l’exprimer sans qu’elle fuie à toutes jambes. Nos corps sont des volcans au bord de

l’implosion et nos mains, courant sans relâche sur la moindre parcelle de peau, attisent la flamme. Ma queue étouffe dans mon jean, elle est tellement tendue que je me demande comment les boutons n’ont pas encore explosé. À l’instant où je bénis le type qui a inventé les jupes, trop heureux de pouvoir rapidement accéder à son string, une voix masculine me coupe dans mon élan. Putain ! Sympa comme retour à la réalité ! − He princesse ! Ça fait un moment que vous êtes partis, tout va bien ? Jadde passe instantanément en mode écrevisse et pouffe de rire. Elle essaie bien de contenir mais c’est un échec cuisant.

N’obtenant pas de réponse intelligible, il continue et m’achève : − Tu n’es pas vraiment discrète Jadde, donc je suppose que je n’arrive pas vraiment au bon moment ! Je voulais juste vous avertir que nous partons au Mex Next, nous vous attendons là-bas. Puis les pas s’éloignent, et je suis incapable de me contenir plus longtemps. Mes éclats de rire rejoignent ceux de Cam. − Monsieur Miller, vous me faites vraiment faire n’importe quoi murmure-telle en reprenant son souffle. − J’étais justement en train de me faire la même réflexion à ton sujet !

− J’ai l’impression d’être une adolescence en pleine puberté incapable de contenir mes hormones. Et nos rires repartent de plus belle, parce que c’est exactement la même chose pour moi. Longtemps après la fin de notre fou rire, nous restons dans les bras l’un de l’autre, les yeux dans les yeux. Entre ses lèvres rosées encore enflées de nos baisers et sa robe remontée jusqu’à taille, elle est terriblement sexy. Je la dévore du regard et je remettrais bien le couvert mais elle en décide autrement. Elle se détache et réajuste sa tenue. Et je ressens immédiatement le manque. Pour l’atténuer, je me concentre sur ses mains qui tentent un démêlage rudimentaire de

sa chevelure désordonnée. Elle renonce, agacée tout en se détournant du miroir. Je l’oblige à reprendre sa place face à la glace, et l’embrasse dans le cou mais elle essaie de m’esquiver. Je la retiens par le bras et lui fais signe de me laisser faire : D’un geste rapide, je regroupe ses boucles puis, comme je l’ai fait des centaines de fois sur les cheveux de ma sœur, les enroule pour former un élégant chignon que je fixe avec la pince qu’elle me tend. − Tu as beaucoup d’autres talents de ce genre ? − C’est possible, mais il te faudra encore creuser pour les découvrir.

Elle me sourit et mon cœur fait une embardée. Ses pupilles s’illuminent et j’ai le souffle court. Ces réactions régissent mon corps comme si nous n’étions que deux moitiés d’un même être. Un petit air malicieux et un clin d’œil plus tard, elle rejoint la porte en me lançant : − J’en ai bien l’intention. Mais pour l’instant, il vaudrait mieux qu’on se secoue parce que Meg doit déjà être en train de nous maudire sur quatre ou cinq générations.  

Chapitre 34 Jadde Dimanche 4 Juillet, New-York Je suis encore sur un petit nuage après la magnifique journée d’hier. Elle restera l’une des plus belles depuis une éternité et j’avais oublié à quel point c’était bon d’être heureuse, tout simplement. Entre visite de son futur restaurant, balade dans Central Park et sexe enflammé, le jour a filé comme jamais. Même le savon des filles pour leur avoir fait faux bond

vendredi n’a pas réussi à entamer ma bonne humeur. Elles avaient des raisons d’être en colère. Après notre départ précipité, elles ont essayé de nous joindre à de nombreuses reprises, à en croire la dizaine de messages sur nos appareils respectifs. Mais comme ils étaient éteints, nous ne les avons rappelées que le lendemain. Nous étions pourtant décidés à les rattraper, mais la sortie en catimini des toilettes de la librairie a déclenché une nouvelle salve de rires. Un long moment s’est écoulé avant que nous ne parvenions à nous calmer. Puis il a appelé un taxi. En attendant son arrivée, je ne le quittais pas des yeux.

Lorsqu’il a glissé sa main dans sa tignasse indomptable, j’ai su avec certitude que je n’étais pas encore prête à le partager. Il n'a même pas cillé quand j’ai donné les consignes au conducteur. Il s’est juste contenté de me sourire et m’attraper par les hanches pour me rapprocher de lui. Rien que de penser à la nuit qui a suivi, j’en suis encore toute retournée au sens propre comme au figurée d’ailleurs ! Il n’est jamais rassasié et, pour être honnête, moi non plus. Je n’arrive pas à m’expliquer ce besoin irrépressible d’être avec lui, en lui, de le sentir perdre pied dans mes bras. Évidemment, après une nuit si agitée, nous n’avons appelé les filles que vers

midi et je comprends qu’elles ne nous aient pas ménagés. Eddy n’a pas pu s'empêcher de prendre ma défense. − Bon sang, les filles, laissez la respirer, ils ont peut être besoin d’un peu d’intimité! Ce qui, grâce au haut parleur, n’a pas manqué de déclencher le fou rire de mon compagnon. Bandes d’idiots ! Au moins, ça a eu l’effet escompté puisqu’elles ont arrêté net leurs petits discours moralisateurs. Plus tard dans l’après-midi, nous les avons rejoints pour une ultime séance de travail avant de me donner quartier libre pour le reste du week-end. Enfin !

Après une visite passionnante de son chantier, en évitant la zone délimitée par le cordon de sécurité de la police, nous sommes rentrés à l’hôtel. Il a passé quelques coups de téléphone en m’empêchant de sortir de la pièce pendant qu’il travaillait. Du coup, assise sur ses genoux, j’ai eu tout le loisir de l’observer en pleine action. Si dans une cuisine il est inégalable, en chef d’entreprise il est carrément à tomber. Directif, autoritaire mais d’une telle courtoisie qu’il serait capable de leur faire décrocher la lune sans que personne n’y trouve rien à redire. Une heure et demie plus tard, nous étions en route pour une balade dans Central Park. J’avais d’autres idées en tête, bien

entendu, mais quand il a su que je n’y avais encore jamais mis les pieds, il m’a attrapée par les genoux pour me caler sur son épaule. En moins de trois minutes, nous étions devant l’hôtel, complètement hilares, sous le regard des passants ahuris. J’ai pris un bol d’air pur dans ce havre de paix. Un îlot de nature dans cette ville grouillant d’activité, m’a donné la sensation de m’y sentir enfin dans mon élément. Même les souvenirs de mon passé n’ont pas réussi à entacher mon humeur. Cet endroit est stupéfiant : mi pénombre, mi soleil, il offre un lieu de détente fantastique. Les lumières et les ombres y dansent au gré d’une légère brise brûlante. Même la description que

ma mère m’en avait faite ne lui rend pas justice. Je repense à une vue saisissante qui résume parfaitement les lieux. Nous étions assis sur les berges du lac, autour de nous, une grande variété d’arbres et de végétations avec un panaché de couleurs du jaune au rouge en passant par tous les dégradés de verts existants. Certains résineux tentaient d’atteindre les cieux tandis que d’autres caressaient le calme de l’eau endormie. Aucun bruit ne filtrait à part le gazouillis des oiseaux. En arrière-plan, pointait une multitude de buildings tous plus hauts les uns que les autres nous ramenant au cœur de la ville. Cette quiétude sortie tout droit des fonds de bétons est assez insolite.

Ce lieu, propice aux confessions, nous a aidés à nous livrer un peu plus. De nos hobbies à nos familles en passant par les aspects plus intimes de notre vie, tous les sujets ont été abordés jusqu’au nom de mon défunt poisson rouge. Nos passions communes m’ont souvent étonnée. Certaines semblaient évidentes comme le sport. Mais d’autres plus surprenantes comme l’histoire, la peinture ou la musique nous ont encore rapprochés. Outre l’art culinaire, sa mère lui a fait découvrir une multitude d’autres domaines. Elle l’a aidé à développer ses aptitudes autour de ses cinq sens. Capacités qui lui sont particulièrement utiles dans son métier mais pas uniquement, elles l’aident aussi à

appréhender le monde différemment. Il n’a réalisé la valeur du cadeau qu’elle lui avait offert qu’en faisant « ses classes culinaires » en France. Jusque-là, il n’avait pas pris conscience du merveilleux don qu’elle lui avait fait en le rendant curieux de tout. En fin d’après-midi, n’ayant rien avalé depuis la veille, nous sommes rentrés à l’hôtel où le room-service nous a encore une fois comblé. Il a passé commande en catimini, histoire de me laisser la surprise. Quand le plateau est arrivé, il m’a installée sur le canapé puis m’a bandé les yeux. Il m’a offert une visite guidé de son monde en m’obligeant à me concentrer

sur les aliments pour en redécouvrir les saveurs et les textures. La plupart des mélanges ont ravi mon palais. Découvrir leur composition n’a pas toujours été évident mais ses associations des plus audacieux resteront une référence pour mon palais d’amatrice. Le jeu des délices a attisé mes sens et comme on pouvait s’y attendre, il a dérivé lentement en plaisir érotique. Il a fini par ses lèvres et sa langue partout sur mon corps alors qu’il dégustait ce que je pense être un mélange de chantilly, fraise et gingembre. C’est en tout cas les goûts que j’ai retrouvés dans ses baisers. Les yeux toujours clos, j’ignorais d’où viendraient ses assauts, j’ai dû faire

appel à mes autres sens pour percevoir ses mouvements. Tout paraissait si intense ! Même les saveurs de sa peau étaient plus vives. Lentement, tendrement, il m’a fait l’amour. Évidemment, même en y mettant toute ma bonne volonté, je n’écarte jamais totalement Jack de mes pensées et ma vieille culpabilité est revenue me chatouiller à plusieurs reprises. Je me suis même surprise à les comparer, mais je suppose que c’est une étape obligée… Un peu avant de m’endormir, pelotonnée dans ses bras, alors que le sommeil commençait lentement à m’engourdir, je me suis demandé si j’allais le retrouver. Mais la vraie question, celle que je

m’étais interdite jusque-là, lequel des deux vais-je réellement rejoindre ? Parce que si je me montre cent pour cent honnête avec moi-même, plus le temps passe et plus j’ai des doutes sur celui qui habite mes songes. Épuisée, j’ai fini par sombrer. Mais la question reste entière : lequel des deux me hante ? À mon réveil, l’ombre de la soirée de gala plane au-dessus de ma tête, et même si j’ai accepté de mon plein gré d’y aller, je n’en suis pas moins terriblement nerveuse. La moindre contrariété prend des proportions mélodramatiques et même si je sais que je suis absolument ridicule, je n’arrive pas à me contrôler. Heureusement, habitué à ce genre de

mondanités que je fuis habituellement comme la peste, il a tout fait pour me simplifier la vie. Il a mobilisé ses contacts pour me donner un accès privatif dans l’une des boutiques les plus courues de la cinquième avenue afin de dégoter ma robe pour la soirée. En moins d’une demi-heure j’avais trouvé mon bonheur pour notre plus grand soulagement. Et il faut bien admettre que le rendu à une certaine classe. Le drapé de soie crème rehaussé d’une petite cordelière bleue, met en valeur le hâle de ma peau. La robe longue se noue derrière la nuque, dégageant mes épaules et mon dos. Si elle apparaît assez sage de face, elle offre un décolleté vertigineux jusqu’au bas des reins. Fendue à mi

cuisse, elle révèle mes formes sans vraiment les montrer. Si je joins mes escarpins à la danse, ça devrait faire l’affaire. Sa généreuse attention m’a épargné la désagréable séance de torture et je lui en suis infiniment reconnaissante. Comme nous devons prendre l’avion dans une petite heure, j’ai rejoint ma chambre après le déjeuner pour rassembler quelques affaires. Son cadeau tombe à point nommé. Il ne restera qu’à dompter ma chevelure indisciplinée mais vu les talents inattendus de mon amant dans ce domaine, je pense que je lui laisserai le soin de s’en charger. Moins de dix minutes plus tard, j’ai rassemblé le reste de mes affaires et

m’apprête à le rejoindre quand mon portable sonne. Après plusieurs secondes à me débattre avec la fermeture éclair de mon sac je me précipite pour ne pas perdre l’appel et décroche sans prêter attention au numéro. − Oui, allô ?  

Chapitre 35 Braden Dimanche 4 juillet, New-York Ma journée d’hier était carrément hallucinante, je n’aurais jamais cru possible d’être aussi heureux. Tout est si évident à ses côtés que je me demande comment j’ai pu vivre sans elle toutes ces années. J’ai senti son appréhension pour ce soir mais juste parce que c’est important pour moi, elle est passée outre ses démons et m’accompagne. Elle s’est

éclipsée quelques minutes avant que nous prenions l'avion. Elle me manque déjà, je suis irrécupérable. La moindre minute sans elle m’est douloureuse, comme si son absence la rendait irréelle, et qu’un tel bonheur ne pouvait pas exister. Heureusement, je peux décerner la palme d’or de la diversion à Gérald. Son message de tout à l’heure m’a fait monter la tension parce que les nouvelles ne sont franchement pas réjouissantes. L’empreinte qu’ils ont relevée sur le chantier n’est pas répertoriée dans leur fichier. Même les vidéos de surveillance des commerces alentours n’ont rien donné, tout comme l’enquête de

voisinage. Du coup, ils vont avoir du mal à faire progresser l’enquête sans nouvel élément. Et ça me fout dans une colère noire de n’avoir aucun moyen de savoir qui est le salopard qui a mis en danger des innocents ! Comme ma priorité reste de préserver Jadde, je ne lui en ai pas parlé. Elle est déjà suffisamment à cran avec la soirée qui s’annonce. Ce qu’elle ignore, c’est que j’ai convié ses amis à se joindre à nous. Je ne voulais pas qu’elle se sente mal à l’aise, entourée d’une bande d’illustres inconnus, j’ai donc pensé qu’avec eux à ses côtés ça lui faciliterait les choses. Je profite du temps consacré à récupérer

quelques affaires pour appeler Joyce. − Salut Joyce. − Salut Chef. − Comment ça se passe ? − Tout est sous contrôle, pas de fausse note. Votre sœur est déjà arrivée et peaufine les détails avec Abby, notre merveilleuse décoratrice. Je souris en entendant ce doux qualificatif. Quand on sait qu’elle et Abby sont en couple depuis des mois mais qu’elles ne l’ont révélé officiellement à personne, ça me fait toujours rigoler de les entendre se complimenter ainsi. Elle poursuit son explication, totalement inconsciente que

j’en sais bien plus que je ne le devrais. − Comme vous avez rajouté quelques invités, elles sont obligées de repenser certains plans de table. Mais vous les connaissez, elles gèrent. − Je ne suis pas du tout inquiet. Et puis au moins j’apporte le piment nécessaire pour qu’elles ne s’ennuient pas ! Toutes plaisanteries mises à part, as-tu besoin de moi ? − Non, ce n’est pas nécessaire. Profitez de votre soirée, chef. − J’y compte bien ! Je dois te laisser, on se voit tout à l’heure. − Oui, à ce soir. Tout en raccrochant, je m’avance jusqu’à

la chambre de Jadde quelques portes plus loin. Impatient de la revoir, je tambourine avec un peu plus d’enthousiasme que nécessaire. Lorsqu’elle vient m’ouvrir, je comprends instantanément que quelque chose ne tourne pas rond. Elle est livide. Quand j’accroche son regard, l’air quitte brusquement mes poumons et mes cheveux se dressent sur ma nuque. Bordel ! Pourquoi son regard émeraude habituellement si pétillant a-t-il viré noir ébène ? Qu’a-t-il bien pu arriver pour qu’elle soit aussi paniquée ? Inquiet, je me précipite pour la prendre dans mes bras. − Qu’est-ce qui se passe ?

− Je… Écoute, c’est rien, d’accord ? Laisse tomber. Tout son corps me dit exactement l’inverse. − Sauf que c’est suffisamment important pour te faire peur. Elle soupire, à mi-chemin agacement et résignation.

entre

− Un petit plaisantin a décidé de foutre les jetons. Surpris, je l’incite à s’expliquer : − De quoi tu parles ? − Je viens de recevoir un appel téléphonique plutôt flippant. Un homme a murmuré mon prénom à plusieurs

reprises, puis après un silence, il a murmuré un tic-tac, tic-tac deux ou trois fois. J’étais comme pétrifiée. Au moment où je reprenais mes esprits et que j’allais raccrocher, il a rajouté « je te vois petite salope avec ta jupette bleue, je t’aurais ! » et il a mis fin à l’appel. Ça n’a duré qu’une minute mais je te jure que je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie. Merde ! Merde ! Merde ! C’est quoi cette histoire ? C’est qui ce type ? J’attrape son portable, décidé à consulter son journal d’appel. Rien, évidemment ! Ça aurait été trop simple. − Cet enfoiré a masqué son numéro ! Tu es sûre que c'est tout ce qu’il t’a dit ? Elle

opine

et déglutit bruyamment.

Pendant que je lui caresse le dos pour tenter de la rassurer, un flot de questions m’assaille mais la première qui sort est particulièrement inquiétante. − Comment peut-il savoir ce que tu portes, nous n’avons pas quitté la chambre de la matinée. − Je me suis posée la même question... chuchote-t-elle. Soucieux, je resserre encore un peu plus mon étreinte. Elle tremble, son angoisse est palpable. Pour être honnête je n’en mène pas large non plus, même si j’essaie de ne rien laisser paraître. − Calme toi, Cam, je suis sûre qu’il y a une explication rationnelle à tout ça. On

va appeler Gérald et voir avec lui ce que nous devons faire, s’il faut aller au commissariat ou si on a une autre option. − Non, arrête, ce tordu veut me faire peur et pas question de lui faire ce plaisir ! Nous en parlerons à Gérald ce soir, il n’y a pas d’urgence. De toute façon, je ne vois pas ce qu’il pourrait faire puisqu’il est coincé à Baltimore. Sors-moi juste de là, j’ai besoin d’air, j’étouffe. Malgré ses paroles, elle n’esquisse aucun geste pour sortir de la pièce. Elle reste prostrée dans mes bras. Je continue à la rassurer comme je peux et lentement, ses tremblements se calment. − Tu es certaine que c’est ce que tu veux ?

Elle acquiesce conviction.

et

me

sourit

sans

− D’accord, allons prendre cet avion. Mais je te préviens, j’en parle à Gérald dès notre arrivée. Sans jamais la lâcher, nous descendons rapidement et grimpons dans le taxi qui nous attend déjà. Elle jette des coups d’œil anxieux autour d’elle, le corps tendu. Ses artères palpitent dans son cou et leur turgescence fait battre mon cœur à l’unisson. Elle commence à se détendre lorsque nous mettons le cap vers l’aéroport. Ses épaules se relâchent et sa respiration se fait plus profonde quand je demande au taximan de mettre un fond sonore. Elle

m’offre un sourire pour me remercier même si le cœur n’y est pas et qu’elle fait de son mieux pour me le dissimuler. Quand nous rejoignons le terminal d’embarquement, sa nervosité refait surface. À deux ou trois reprises, elle se retourne brusquement comme si elle avait la sensation qu’on nous observait. Je suis son regard à chaque fois, mais comme elle, je ne remarque rien d’anormal. Elle accélère pourtant le pas, se dandinant d’une jambe sur l’autre jusqu’à ce que nous ayons dépassé le poste de sécurité. C’est seulement à ce moment-là qu’elle semble vraiment se détendre. Lorsque nous prenons place dans l'avion, je reviens sur les derniers événements.

− Tu peux m’expliquer ce qui vient de se passer ? − Rien du tout ! me répond-elle malgré son anxiété évidente. − Permets-moi d’en douter… ! Alors ? − J’ai eu l’impression qu’on nous suivait. Mais c’est certainement à cause de ce coup de téléphone, il m’a mise un peu à cran. Je soupçonne qu’elle ne me dit pas tout alors je continue à l’interroger. − C’est la première fois que tu as cette sensation ? Elle hésite à me répondre et se contente de me faire non de la tête, le regard perdu à travers le hublot.

− Ça dure depuis combien de temps ? − Quasiment depuis notre arrivée. Je ne dis pas un mot et l’encourage, en posant ma main sur sa cuisse, à s’expliquer : − La première fois c’était à l’hôtel dans la salle de sport. Un type est entré et je me suis immédiatement sentie mal à l’aise, j’ai même eu peur qu’il me suive. Et puis, quand tu m’as déposée à l’hôtel j’ai eu l’impression qu’on me suivait dans la cage d’escalier. Si j’étais soucieux, là la tension monte de plusieurs niveaux. Mais c’est quoi ce merdier, bon sang ? − Pourquoi ne pas en avoir parlé ?

− Pour être honnête, je n’y avais pas repensé avant d’avoir la sensation que l’on nous épiait tout à l’heure. Jusque-là, je me disais que mon imagination me jouait des tours. C’est certainement le cas d’ailleurs ! Je me demande lequel de nous deux elle tente de convaincre. Rien qu’à l'idée qu’il puisse lui arriver quelque chose, mon cœur se serre et la bile me monte aux lèvres. Il faut vraiment que j’en parle à Gérald, il saura quoi faire. C’est la seule idée qui parvient un peu à m’apaiser. Elle reste silencieuse et secoue légèrement la tête pendant l’énoncé des consignes de sécurité. Puis elle tremble légèrement quand l’appareil se met en

mouvement. Pour la détendre, je lui caresse le bras, elle me remercie d’un signe de tête. Mais elle reste préoccupée et perdue dans ses pensées. Plus le temps défile, moins je trouve les mots pour la réconforter. J’aimerais la rassurer, lui dire que tout va bien et qu’on a juste voulu l’effrayer, mais la vérité c’est que je n’en sais absolument rien. Évidemment, il faudra qu’on me passe sur le corps avant de l’atteindre mais je ne risque pas de le lui dire. Je ferai tout ce qui est nécessaire pour la protéger mais je ne peux pas être à ses côtés vingt-quatre heures sur vingt-quatre, donc je vais avoir besoin d’aide. Pas question qu’elle prenne le moindre risque

! Je lui en parlerai dès que ce que j’ai en tête sera mis en place. Est-ce que c’est une coïncidence qu’il l’ait appelée à l’instant où elle s’est retrouvée seule. Ça sous-entend qu’il la surveille de très près, mais comment s’y prend-il ? Autant de questions sans réponse, jugulées avec toutes celles qui me concernent, ça fait un peu beaucoup pour une seule journée. Comme si elle avait pressenti mes inquiétudes, elle brise le silence, beaucoup plus déterminée. − Écoute, cette histoire ridicule ne va pas gâcher ta soirée ! Essayons de nous concentrer sur ce qui est important et ce n’est certainement pas ce tordu.

− Tu as raison, pas question de le laisser me voler une minute de plus ton joli sourire. J’ai peut-être une ou deux idées pour te le rendre, si tu me laisses faire bien entendu. Elle pouffe en secouant la tête, l’air incrédule. − Tu es vraiment infatigable ! Je ne vais plus pouvoir marcher si tu continues à ce rythme. − Sans vouloir contrarier tes projets, qui ma foi me semblent fort intéressants, je ne pensais pas à ça, enfin pas seulement. Tu m’as dit que tu aimais les peintres espagnols et l’un de mes clients m’a proposé de passer le voir avant le gala pour contempler une de ses dernières

acquisitions. Une petite merveille de Jose Manuel Merello si j’ai bien compris. J’ai pensé qu’un peu de détente pourrait nous changer les idées, qu’en dis-tu ? Le rouge aux joues, elle me répond, avec une petite pointe de déception. − C’est une excellente idée, même si l'idée de te partager plus tôt que prévu ne m’enchante pas vraiment. Comme toujours, sa franchise me laisse sans voix. − Je peux toujours décliner, si tu préfères. − Non, mais tu devras te faire pardonner, me dit-elle avec un clin d’œil complice. − Tes désirs sont des ordres, Cam. Que dirais-tu si je te propose un petit

intermède histoire de relâcher la pression ? − C’est une idée plutôt intéressante mais je ne vois pas trop comment c’est réalisable sur ce type de vol. − Ça, c’est mon problème, pas le tien. Je me penche à son oreille et lui murmure « rejoins-moi dans cinq minutes » se qui la fait frissonner. Rien qu’à l’idée de ce qui va suivre je bande comme un taureau bordel ! Elle fait ressortir mes plus bas instincts. Je connais bien cette compagnie pour l’utiliser depuis des années et je sais que le seul endroit où il est possible d’avoir un peu d’intimité à part les toilettes c’est

la cabine des hôtesses de l’air. Comme je connais deux d’entre elles, qui figurent parmi mes clientes régulières, je n’ai aucun mal à les convaincre de me laisser quelques minutes avec « ma fiancée » dans leur salle de repos.

Chapitre 36 Jadde Dimanche, New-York Je regarde ma montre pour la troisième fois en moins d’une minute. Que me réserve-t-il encore ? Il a cette capacité à me faire oublier mes angoisses et me surprendre sans cesse. Dans un avion, non mais vraiment ! Il me fait faire absolument n’importe quoi ! Les toilettes de l’avion c’est un peu exigu et surfait quand même !

J’ai beau faire semblant de m’offusquer, ça n’a aucune espèce d’importance, je trouve même ça terriblement excitant. L’angoisse après le coup de téléphone et le malaise de l’aéroport m’ont tellement bouleversée que toute distraction est bonne à prendre. Tandis que je remercie le ciel d’avoir mis Brad sur ma route, l’image de Jack s’insinue à nouveau dans mon esprit. La difficulté que j’ai à les dissocier est étrange, alors qu’en dehors de leur ressemblance physique ils n’ont clairement rien à voir l’un avec l’autre. L’heure est venue. Je me lève et me dirige machinalement vers les toilettes. Mais il m’intercepte avant que je n’y parvienne.

Il m’attrape le bras et me fait entrer dans une petite pièce de quatre mètres carrés tout au plus. Trois sièges identiques aux nôtres y sont installés. La lumière est tamisée et l’ambiance feutrée. Il tire la porte éventail et nous nous retrouvons seuls, coupés du reste des passagers, même si quelques bruits continuent à nous parvenir. Machinalement je jette un coup d’œil circulaire à la pièce. Tout l’espace est dégagé, organisé, rien ne traîne, seule la machine à expresso scellée au petit plan de travail témoigne de l’activité de la pièce. Quand mon regard croise le sien pétillant d’espièglerie, mon sang se met aussitôt à bouillir.

− Mais... Comment as-tu.... Il interrompt ma question en posant son index sur mes lèvres. − Ça n’a aucune importance, Cam. Nous avons une demi-heure devant nous qui ne sera consacré qu’à te détendre. Je sais exactement quoi faire pour t’y aider. Assieds-toi sans un mot. Je vais te mettre un des bandeaux de voyage sur les yeux, la seule chose que tu es autorisée à faire, c’est lâcher prise. − Mais... − Chut, fais-moi confiance. Il me prend la main et m’oblige à écouter ses recommandations en m’asseyant sur l’un des fauteuils. Il pose le bandeau sur

mes yeux dans les secondes qui suivent. Mon excitation grimpe en flèche tandis qu’il s’affaire autour de moi. Il baisse le dossier tout doucement en me posant la main sur l’épaule pour me rassurer. Je me retrouve quasiment allongée tandis qu’il bouge, tourne autour de moi. Mes sens s'agitent. Quand il effleure mes jambes du milieu des cuisses jusqu’à mes chevilles, je sursaute et un frisson grisant me secoue toute entière. Sa main retire mes talons et commence à caresser mes pieds. D’abord, il frôle lentement mes orteils et descend avec la même vitesse sous la voûte plantaire. Il appuie quelques secondes sur certaines zones, survole

d’autres mais déclenche à chacun de ses gestes une myriade de sensations. Mon dieu, que c’est agréable ! Il poursuit son manège en malaxant mes chevilles, vient ensuite le tour des mollets et des genoux. De petites exclamations étouffées de plaisirs m’échappent alors même que j’essaie de les retenir, mais c’est vraiment trop bon ! Sa peau est douce, chaude, et m’électrise sans cesse. Il poursuit son ascension en passant sa main sous ma jupe, qu’il remonte sans hésitation. Il caresse avec douceur mes cuisses et ses doigts experts vagabondent jusqu’à l’échancrure de ma culotte. Mes frissons s’accentuent et mon corps se tend, présageant de la direction

de son exploration. Mais contre toute attente, il recouvre mes jambes d’une matière douce et chaude et contourne le centre de mon attention pour se concentrer sur mes abdominaux. Je soupire de frustration, mais ça ne l’arrête pas pour autant. Ses mains effectuent de petits cercles sur chaque centimètre carré de ma peau brûlante. Mes abdominaux se contractent quand il empoigne mes hanches et me soulève le bassin. Je sens qu’il s’installe entre mes jambes et prend soin de les reposer confortablement sur ses cuisses. Ses phalanges continuent leur torture délicieuse sur mon ventre jusqu’à effleurer la lisière de mon soutien-gorge.

Je me tortille pour l’inciter à éteindre le brasier qui me consume. Mais évidemment il n’en fait rien et m’immobilise d’un geste ferme. Satisfait de mon impuissance, il attrape mes bras et poursuit ses caresses exquises, sans jamais toucher la moindre zone « clef ». La pulpe de ses doigts laisse dans son sillage des picotements courant jusqu’à mon bas ventre. Incroyable ! Indubitablement, sa tendresse dérive peu à peu, comme s’il était en train de perdre le contrôle. Il m’attire à lui en m’obligeant à me redresser. Je me retrouve prisonnière de son étreinte. Ses mains s’insinuent sous mon débardeur et câline le tracé de ma colonne vertébrale.

Ses caresses sont tendres et fermes au bas de ma colonne, il glisse lentement vers mon cou. Les pressions qu’il exerce deviennent plus vives à mesure qu’il s’en rapproche. Quand il commence à embrasser ma peau juste après le passage de ses doigts, je soupire de plaisir. Son sexe bandé appuie sur mon ventre et mon sexe se resserre par réflexe. Mes geignements augmentent l’ardeur de ses gestes et quand sa bouche se pose sur la mienne, j’oublie le monde tout autour. Son baiser empreint de douceur me livre son lot d’émotions. Comme si me sentir ivre de désir intensifiait son plaisir. Nous n’interrompons nos baisers que pour

reprendre notre souffle, tandis que nos corps éperdus se rapprochent à chaque contact. Il colle sa virilité contre moi et passe une jambe sur ma cuisse. Commence alors le ballet des sens. Par de petits mouvements de bassin, nos intimités se frôlent, s’excitent. Malgré la présence de nos vêtements entre nous, je sens mon clitoris brûler, hurler de mettre fin à cette torture. Son sexe durcit encore. À l’instar de nos mouvements, nos respirations deviennent haletantes et mon cœur frôle l’explosion. Mon corps se met à trembler, le reste de mes sens perd pied. Il colle mon visage au creux de son épaule et enfouit le sien dans mes

cheveux quand nous sautons ensemble dans le vide. Mes suppliques s’étouffent contre sa peau. D’une voix rauque propre au plaisir, je souffle son nom, haletante. Quand il reprend la parole en retirant mon bandeau, ses pupilles sont encore dilatées sous l’effet du désir. − Je m’étais pourtant promis que je me contenterais de t’aider à te détendre. − C’est exactement ce que tu as fait. Je lui souris avec malice. − Je ne suis pas certain que mon tee-shirt valide tes conclusions. Un coup d’œil sur son bas ventre me le confirme. Et j’éclate de rire face à sa moue déconfite. Quand je reprends mon

souffle, je l’attrape par le jean, le rapproche de moi et lui pose un baiser bruyant sur les lèvres alors qu’il me donne une tape amicale sur les fesses. − Donne-moi ton tee-shirt, je vais t’arranger ça. − Merci, mais vraiment je ne trouve pas ça drôle. − Oh si, ça l’est ! renchéris-je moqueuse. Pour toute réponse, il me fait une grimace et retire son haut. Je devrais pouvoir faire abstraction de son buste viril et de ses abdos musclés mais ce n’est pas si simple. Ça devrait être illégal de réunir autant de belles choses dans une seule personne. Je me force à décrocher mes

yeux de son torse alors que je sens mes joues rosir rien qu’en le regardant. Je me demande s’il arrêtera, un jour, de me faire cet effet. Cinq minutes plus tard, nous avons rejoint nos sièges et l’une des hôtesses vient nous amener une coupe de champagne. Elle me regarde avec des yeux assassins alors qu’un sourire niais s’accroche à ses lèvres quand elle tourne son regard vers lui. Madame Jalousie pointe à nouveau le bout de son nez. Elle tente d’attirer ses égards par tous les moyens à sa disposition, et manque de renverser mon verre à deux reprises. Il n’y prête aucune attention et ne me quitte pas des yeux. Quand elle s’éloigne, visiblement déçue,

je ne peux m’empêcher de pouffer. − Qu’est-ce qui te fait rire ? − Toi. − Ne me dis pas que tu penses à notre petit accident, de tout à l’heure. À cette pensée, mon sourire s’intensifie. − Non, ça n’a rien avoir. Mais maintenant que tu le dis... Je m’arme de courage et me jette à l’eau parce que c’est l’occasion rêvée d’aborder la question qui me taraude : − Tu es très déstabilisant pour le commun des mortelles, tu sais ? − Pourquoi ?

− Tu as idée de l’effet que tu produis sur les filles ? − Toi y compris ? − Moi surtout ! Mais pas seulement, regarde cette pauvre hôtesse, elle te dévorait des yeux. Elle a manqué de renverser mon verre deux fois tellement tu l’as perturbée ! − Pourquoi tu me parles d’elle ? − Elle te faisait du plat. − Et alors ? − Alors tu ne lui as même pas adressé un regard. − Il n’y a que toi que j'ai envie de regarder. Elle s’intéresse à ce qu’elle

voit, pas à qui je suis. Ce n’est que de l’apparat, une façade. Il est train de me dire qu’il n’y a que moi ou je rêve ? Je suis sonnée, il doit s’en rendre compte parce qu’il poursuit : − Tu t’attendais à quoi ? − Je ne sais pas, les attirer semble si simple pour toi, que je supposais... Je suis juste surprise du peu d’intérêt que tu lui as accordé. Il penche la tête sur le côté, tentant visiblement de comprendre ce que je n’exprime pas. − Tu es en train de te demander si j’agis toujours comme ça ou si je fais ça parce que tu es là, je me trompe ?

Je m’empourpre, moi qui me trouvais subtile avec mes questions. C’est loupé, encore ! − Oui, je dois admettre que ça m’a traversé l’esprit. − Même si je suis surpris que tu en doutes, je n’aurais pas agi différemment en ton absence. En réalité, si peut-être, j’aurais répondu à son sourire. Mais seulement parce que je suis un chef d’entreprise et que l’image fait la réputation. J’opine et baisse la tête en retenant d’afficher ma satisfaction. Je jubile mais je suis certaine qu’il l’a deviné. Pourtant il s’abstient de tout

commentaire et dévie la conversation sur un tout autre sujet. Le reste du trajet est beaucoup plus calme. Quand nous atterrissons à Baltimore, aucun de nous n’est vraiment ravi que le vol soit terminé. Un café et un taxi plus tard, nous débarquons à son appartement. Les souvenirs de notre première nuit ensemble me reviennent aussitôt en mémoire. J’en ai des frissons. Apparemment, il a la même idée et sourit en regardant le sol du salon. Comme il a prévenu son client de notre arrivée imminente, nous allons devoir ne faire qu’un passage éclair et nous n’aurons pas le temps d’y repasser ensuite. Il n’est que dix-huit heures mais

je vais devoir passer ma tenue de soirée. Après une douche éclair, je m’habille et me maquille rapidement. Un trait d’eyeliner, un peu de mascara, une touche de rouge à lèvres et je suis fin prête, enfin si on exclut ma tignasse ébouriffée. Quand il sort de la douche, une serviette autour de la taille, et qu’il me voit m’acharner sur ma crinière devant le miroir, il éclate de rire et s’avance. Dès qu’il entre dans mon champ de vision dans sa tenue réduite au strict minimum, mon peigne m’échappe des mains. Je suis de plus en plus convaincue que je ne parviendrai jamais à m’y habituer. Un torse musclé et puissant, des bras dans lequel n'importe qui se sentirait en

sécurité, une taille fine, des abdominaux parfaits et je ne parle même pas de ses jambes ! On dirait un dieu grec, un Apollon, le mien ? Voilà la seule chose à laquelle je peux penser pendant que ses longs doigts agiles montent mes cheveux en chignon en quelques mouvements. Il laisse retomber quelques boucles dans mon dos et autour de mon visage. Je me lève et lui fais face…  

Chapitre 37 Braden Dimanche, New-York − Tu es absolument sublime, Jadde ! Ses joues rosissent pour la énième fois de la journée. Et comme à chaque fois, mon cœur loupe un battement. Je m’approche d’elle, colle mes hanches aux siennes et murmure : − Vivement ce soir que je puisse la retirer !

− Merci, se contente-t-elle de répondre en posant ses mains sur mon torse. La visite chez mon client est plutôt distrayante, si on fait abstraction du regard affamé qu’il a jeté sur elle dès qu’il l’a rencontré. Ma main m’a démangé à plusieurs reprises, mais elle n’a même pas l’air de remarquer l’effet qu’elle produit. N’importe quel homme normalement constitué ne peut qu’être attiré par une femme pareille. La robe qu’elle porte est un délice pour les yeux. Et même si je la trouve sublime au naturel, elle est époustouflante un peu apprêtée. Alors refouler mon lot de pensées impudiques relève de la mission impossible.

Notre hôte est français, du coup ils ont conversé dans sa langue maternelle pendant tout le temps où nous sommes restés chez lui. Ils ont partagé des anecdotes sur la France et j’ai senti qu’elle était heureuse de pouvoir en parler. La question ne m’avait même pas effleurée. Elle parle si aisément l’anglais que c’est tout naturellement que nous avons échangé dans la langue de Shakespeare. Mais comme je parle couramment les deux langues, je sais exactement ce que je pourrais faire pour lui faire plaisir. J’ai retardé au maximum le moment de prendre congé pour lui laisser autant de temps que possible pour se détendre. Sauf que l’heure est venue de passer le

pas. Nous sommes devant le Blue Even paré de mille feux pour l’occasion. Et tandis qu’une horde de photographes se presse à l’extérieur, la tension qui crépite dans la voiture grimpe en flèche. Les vitres fumées de la limousine nous protègent. Mais sa respiration est déjà irrégulière, elle est concentrée, les yeux fermés pour tenter de se calmer. − Ça va, Cam ? Il est toujours temps de faire marche arrière si tu veux. Elle relève la tête, me sourit, ragaillardie, et fait mine de se lever. − Je ne plaisante pas, tu sais. − Je refuse que ma peur dirige ma vie, elle m’a déjà fait perdre trop de temps. Et

puis je te le répète, je suis fière d’être à ton bras ce soir. Elle prend une grande inspiration et murmure : − Allons-y. Quand je sors de la voiture, le mitraillage commence. Je fais le tour, ouvre la porte de Jadde et les flashs redoublent. Je lui caresse la main en signe d’encouragement, elle me sourit et s’accroche à mon bras. Elle est maîtresse de ses gestes même si son cœur bat la chamade. Elle affiche un air affable de façade si différent de celui qu’elle offre. Le spécial média, je suppose. Elle se prête même au jeu des photos, sans rien laisser paraître de son aversion. Les

demandes fusent. − Monsieur Miller, magnifique cavalière ?

qui

est

votre

− Braden, une photo, par ici... Évidemment, je ne fais aucun commentaire, mais je me crispe à l’énoncé de mon prénom, je devrais y être habitué depuis le temps. Heureusement que ma sœur et Gérald ont renforcé le service de sécurité cette année parce que j’ignore si nous serions parvenus jusqu’à la porte. Quand nous passons l’entrée, elle laisse échapper un souffle qui en dit long sur l’effort qu’elle vient de fournir. Je lui susurre à l’oreille :

− Merci. Elle hoche la tête et me répond sur le même ton : − Première épreuve passée, les dés sont jetés. Je passe la main dans le bas de son dos, peau contre peau, déclenchant une onde d’électricité familière sous mes doigts, et l’encourage à avancer. Nous marchons jusqu’à la salle de réception. Quand nous y entrons, elle laisse échapper un petit cri de surprise en découvrant la salle complètement transformée. − Waouh ! Ton équipe a fait des merveilles.

− Abby et Mila sont des championnes dans ce domaine. Elles sont capables de donner l’illusion que nous sommes dans un palais avec deux ou trois accessoires. − Abby ? Son visage s’est imperceptiblement crispé, je ne résiste pas au plaisir de répondre à sa question par un sourire amusé. − La décoratrice d’intérieur qui bosse sur tous mes restaurants. C’est une amie de ma sœur et de Joyce… mais elle déteste les mondanités, elle a déjà dû s’éclipser. Ces yeux s’éclaircissent et je suis piqué que malgré notre discussion elle n’arrive pas à se détendre à ce sujet. Je suis vite

distrait par les grands gestes de Mila en fond de salle qui s’active sur les derniers préparatifs. Par chance nous arrivons tôt et la salle est encore vide. Quand elle lève les yeux et qu’elle croise mon regard, il lui faut moins de dix secondes pour traverser la pièce et me rejoindre malgré ses escarpins vertigineux. Elle me saute au cou, m’obligeant à me détacher de Jadde qui à l’air surprise par son enthousiasme. − Coucou Tia ! Quand elle relâche enfin son étreinte, j’entreprends de faire les présentations. − Mila, je te présente Jadde Simmons, Cam voici ma sœur Mila.

− Enchantée de vous connaître, lui dit ma cavalière la main tendue. − Pas de ça entre nous ! Mila, fidèle à elle-même, lui pousse le bras et l’embrasse chaleureusement. Jadde me sourit, apparemment déroutée par l’accueil que ma sœur lui réserve. − Je suis ravie de rencontrer la femme qui a enfin sorti mon frère de sa vie de Casanova. − Très drôle, Mila. Je grimace, ce n’est vraiment pas le jour de sortir ce genre de connerie et encore moins devant Cam ! Jadde me regarde en haussant largement un sourcil l’air de dire « tu vois que j’ai des raisons de m’en

faire » qui me fait lever les yeux au ciel. Mais avant que j’aie pu rajouter quoi que ce soit, ma sœur, totalement indifférente à la situation, me prend de cours. − Allez, grand frère, Jadde va pouvoir me donner un coup de main et nous allons faire connaissance ! Toi, tu nous laisses en paix et tu vas faire un tour. − Je rêve où tu m’envoies balader ? − Tu as tout compris ! Je jette un regard plein d’excuses à Cam tandis qu’elle est déjà emportée par mon ouragan de cadette. Elle me sourit et je la regarde s’éloigner, tout aussi surprise que moi par la direction que prennent les événements.

Je profite de ce moment de solitude pour aller jeter un œil en cuisine qui, comme je m’y attendais, est en pleine effervescence. Quand Joyce m’aperçoit, son visage s’illumine. − Salut Chef. − Salut Joyce. − Besoin d’aide ? − Dans votre tenue, pas question ! De toute façon, vous pouvez vous éclipser nous n’avons pas besoin de vous ici, rétorque-t-elle sur un ton n’admettant aucune réplique. − Puisque c’est comme ça, je vais dans mon bureau ! m’offusqué-je faussement.

Indifférente à mes états d’âme, elle me répond en retournant à ses activités : − C’est ça ! À plus tard, chef ! − Eh bien la soirée commence à merveille, râlé-je, en rejoignant les coulisses. Autant mettre à profit les quelques minutes dont je dispose. Comme Gérald est à la tête de l’équipe de sécurité pour la soirée, il doit être accaparé par ses responsabilités. Je décide de le joindre sur son portable. − Salut Gérald − Salut vieux, je viens de te voir arriver, elle est sacrément canon ta cavalière ! − La ferme, Gérald ! Tu peux venir me rejoindre une minute dans mon bureau,

s’il te plaît ? Son ton moqueur disparait au profit d’une intonation grave. − Il y a un problème ? − Je vais t’expliquer, bouge-toi ! Moins d’une minute plus tard, il fait irruption dans mon bureau. − Qu’est-ce qui se passe ? Sur son visage, toute trace d’humour a disparu, le masque du professionnel me fait face. Je lui raconte la mésaventure de Jadde plus tôt dans la journée ainsi que ses inquiétudes. À mesure, son expression change et se fait de plus en plus sombre. Il m’écoute, concentré, et me pose deux ou trois questions auxquelles je suis

incapable de répondre, bien entendu. − Je vais la chercher, elle te répondra mieux que moi. Je la retrouve dans la salle de réception, encore plus concentrée que Mila. Elle a l’air de s’amuser. Ma sœur est parfaitement hilare et je les soupçonne d’avoir fait de moi un sujet de conversation épique puisqu’elles se taisent en m’apercevant. Un geste a suffi pour faire comprendre à Jadde que j’ai besoin d’elle. Elle murmure un truc à ma sœur qui opine en me regardant. Quelques secondes plus tard, nous retrouvons mon ami installé sur mon

bureau, un bloc note et un crayon à la main. Il se lève en nous apercevant. − Gérald, je te présente Jadde Simmons, mon amie. Jadde, voici Gérald Johnson dont je t’ai déjà parlé. − Enchantée de faire votre connaissance. − Moi de même, lui répond-il en se tournant vers moi. − Brad, tu peux nous laisser ? − Pardon ? − Tu m’as très bien compris, dehors ! J’ai besoin d’avoir toute son attention et tu la distrais. Allez, dehors, je t’ai dit ! Je sors en traînant des pieds, impossible de cacher mon agacement. Décidément,

cette soirée va de mal en pis. Qu’est-ce qui lui prend de me faire sortir ? Je fais les cent pas dans le couloir. Bordel de merde mais qu’est-ce qu’ils foutent dans ce putain de bureau ! Quand je m’apprête à y rentrer à bout de patience, le bureau s’ouvre. Je recule pour voir ma Jadde sortir tout sourire et ce connard de Gérald qui lui fait des œillades en l’incitant à avancer la main sur le bas de son dos. Je vois rouge ! − Il va t’arriver un pépin si tu ne retires pas immédiatement tes sales pattes de là, Gérald ! Il pouffe de rire en regardant Jadde qui

l’accompagne de bon cœur. − J’en étais sûr ! Je te l’avais dit, ajoutet-il en lui adressant un sourire entendu.  

Chapitre 38 Jadde Dimanche, Baltimore C’est officiel, j’adore sa sœur ! Sans parler de Gérald qui est un phénomène à lui seul. Je ne suis pas prête d’oublier nos rencontres et leur accueil pour le moins chaleureux. Je suis juste étonnée qu’une amitié aussi intense ait pu naître entre ces deux-là. Leur opposition fait sans aucun doute leur force mais ils sont tellement différents

que c’est assez déroutant. Si Brad a une confiance sans borne en son ami, la réciprocité est totale. Sauf que ce dernier, jamais à cours d’ânerie, passe son temps à le bousculer pour le faire réagir. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il l’a fait sortir, il voulait le faire bouillir et avoir l’occasion de me parler seul à seule. Occasion qui ne se serait pas présentée avant « qu’il ne pleuve en plein désert » selon ses propres paroles. Nous avons évoqué et détaillé le coup de téléphone. Il m’a demandé de lui répéter la conversation, de lui décrire très exactement les sensations qu’elle m’avait laissées. Rien que d’en reparler, des sueurs froides perlaient sur mon front. Il a retranscrit au mot près mes déclarations

sur sa page déjà toute griffonnée. Puis il m’a emprunté mon portable pour la soirée. Il est aussi revenu sur le type dans la salle de sport mais n’y ayant pas vraiment prêté attention, je n’ai pas pu le lui décrire. Pour conclure la discussion, il fait preuve d’une honnêteté terrifiante. Il ne m’a pas caché que je ferais bien d’éviter de me retrouver seule. Pour lui l’incident n’est pas anodin, je dois me montrer prudente le temps qu’il découvre d’où vient la menace. Ce qui ne devrait pas être très compliqué. Il a contacté l’hôtel pour visionner les bandes de surveillance devant moi et j’ai été surprise de la facilité avec laquelle il les a obtenues.

J’ai insisté pour qu’aucune information ne filtre de ce bureau et lui ai dit que je ne porterai pas plainte, en tout cas pas de suite. Je lui suis reconnaissante de ne pas avoir insisté. Trop de souvenirs pénibles m’ont incitée à la prudence face aux rouages judiciaire. Pas question d’y avoir recours à part en cas d’extrême nécessité. Cinq minutes plus tard, nos discussions avaient dérivé sur notre seul sujet commun. Sans honte, il m’a posé une série de questions franchement indiscrètes. J’ai répondu à la plupart en posant le joker sur les questions les plus personnelles. J’ai très vite compris qu'il ne cherchait pas à me mettre mal à l’aise mais seulement à protéger son ami. Aussi je n’ai pu qu’être touchée par ce passage

sur le grill. Lorsque notre rencontre informelle a pris fin, il n’a pas pu s’empêcher d’alimenter l’agacement de Brad qui semblait plus qu’évident dès son départ. Il m’a avertie que nous allions le retrouver derrière la porte comme un lion en cage alors qu’il arpentait le couloir et évidemment il ne s’était pas trompé. Et comme il s’agissait d’une plaisanterie entre nous et que Brad correspondait trait pour trait à la description, je n’ai pas réussi à retenir mes rires lorsque nous l’avons rejoint. Mais quand j’ai croisé le regard glacial qu’a jeté Brad à Gérald, j’ai instantanément cessé de rire. Tandis que ce dernier n’a pas pu s’empêcher

d’alimenter la raillerie à l’extrême, frôlant même le mauvais goût à deux ou trois reprises. Mais comme par magie, il a suffi que je me retrouve dans les bras de mon amant pour que sa mauvaise humeur s’efface. Il m’a adressé des yeux pleins de regrets pour que je me montre indulgente, comme si c’était nécessaire ! Quand nous rejoignons la salle de réception, les premiers convives ont déjà fait leur entrée. Il me présente à quelques personnes dont certaines plutôt célèbres. Parfaitement à son aise, il passe de groupes en groupes sans jamais rompre notre contact, jusqu’à l’arrivée apparemment imprévue d’une invitée surprise.

Quand elle entre, je sens le corps de Braden se tendre comme un arc tandis qu’il cesse sa progression. Ses doigts, bien que toujours dans les miens, suspendent leurs douces caresses. De son côté, la jeune femme d’une petite trentaine d’années, le cherche instinctivement du regard. Quand ses yeux se posent sur lui, son visage s’illumine. Entre la réaction de Brad et l’attitude féline qu’elle adopte pour nous rejoindre, pas besoin d’être devin pour comprendre qu’il y a anguille sous roche. Tandis qu’elle ne lâche pas mon cavalier des yeux, j’ai tout le loisir de la détailler. Belle, au corps gracile, elle met en avant des formes harmonieuses malgré sa petite

taille. Ses cheveux d’un blond vénitien tombent en un carré plongeant autour de ses fines épaules. Sans ses iris d’une noirceur effrayante, j’aurai presque pu la trouver sympathique. Sauf qu’en une fraction de seconde, lorsqu’elle aperçoit nos doigts enlacés, son regard saisissant me pétrifie sur place. Pendant ce temps, elle offre à mon compagnon un sourire enjôleur savamment étudié. Elle prend son temps pour nous rejoindre, s’arrêtant ici et là pour échanger quelques mots. En l’attendant, Brad ne bouge pas d’un pouce et son immobilité finit de me glacer les sangs. Quand, parfaitement à son aise, elle

arrive jusqu’à nous, il me jette le premier regard depuis son apparition. L’expression d’excuses que j’y lis me remue les tripes. − Brad, mon chéri, lui dit-elle en se penchant pour l’embrasser. Il se détourne juste avant que leurs lèvres ne se frôlent. Pas du tout décontenancée, elle lui pose un baiser bruyant sur le coin de la bouche. − Tu ne m’as pas rappelé, mon chéri. Sans même m’accorder un regard, elle attrape le coude de Brad, m’obligeant à le relâcher. Même s’il ne la laisse pas faire et agrippe ma main de son bras libre quasi instantanément, le fait qu’il ne la

lâche pas des yeux m’ébranle. − Amanda ! Je suis surpris de te voir ici, tu n’étais pas à Milan ? s’agace-t-il alors que ses doigts se crispent sur ma main. Il raffermit sa prise pour m’empêcher de prendre la fuite, alors que j’essaie déjà de me dérober. L’arrogance avec laquelle elle me toise me donne envie de lui arracher ses ongles manucurés à la pince à épiler ! − Et louper notre soirée ? Pas question, mon chéri. « Notre soirée » ? J’ai dû louper un truc là ? Non ? Mon sang quitte mes joues et mes mains se mettent à trembler. Je ne me laisse pas déstabiliser en général, mais

là, je suis comme tétanisée. Mon cœur, après avoir frôlé l’arrêt, s’est mis à battre à deux cents à l’heure et je dois user de toute mon énergie pour ne pas défaillir. − Jadde, je te présente Amanda Walkins, mon ex-fiancée. Il insiste exagérément sur le mot « ex » en m’implorant du regard. − Amanda, voici Jadde Simmons, ma compagne. La lèvre d’Amanda frémit imperceptiblement. De mon côté, mes jambes déjà flageolantes semblent se dérober. Sa réponse ne se fait pas attendre puisqu’il m’attrape par la taille en collant mon corps au sien. Contrainte

de me porter attention, elle m’adresse un sourire factice, tout en poursuivant sa séance de charme comme si de rien était. − Je t’aurais averti de mon arrivée, si tu daignais me répondre. − J’étais très occupé, Amanda. − Je vois ça, lui répond-elle avec arrogance en faisant un signe méprisant dans ma direction. Mais maintenant que tu le sais, je passerai te voir à ton appartement. − Non, réplique-t-il d’un ton ferme et sans équivoque, j’accompagne Jadde à travers tous les États-Unis dans les semaines à venir et ne serai pas disponible.

Quoi, mais qu’est-ce qu’il raconte ? Il ne peut pas me suivre, il a des devoirs et des responsabilités ! Je le regarde, incrédule, tandis que ses mains autour de ma taille se resserrent presque douloureusement. Pourtant il continue obstinément à ne regarder qu’elle. − Ah ! Nous nous verrons ensuite alors, rétorque–t-elle apparemment amusé. − J’en doute. − Ne dis pas de sottises ! lui serine-t-elle comme si elle réprimandait un enfant récalcitrant. Sans se départir de son sourire supérieur, elle tourne les talons, en lui lançant par-

dessus son épaule : − À plus tard, mon chéri ! Pendant qu’elle s’éloigne, il la regarde partir sans amorcer le moindre geste. Que vient-il de se passer au juste ? Elle lui a fait du rentre-dedans, il l’a repoussée, mais étrangement cet échange me laisse un goût amer. Et alors que je bous devant son immobilisme, une main s’accroche à mon bras et me tire en arrière, relâchant de ce fait l’étreinte de Brad. − Jadde, viens avec moi, me dit une voix amicale désormais familière. Je dois te présenter quelqu'un. J’hésite quelques secondes mais comme

il ne réagit toujours pas, je cède et la suis. Le temps que je me retourne, Brad a disparu. C’est quoi, cette histoire ? J’utilise le peu de contrôle qu’il me reste pour suivre Mila qui me conduit près d'un jeune homme à l’autre bout de la pièce. − Jadde, je te présente Andrew, mon fiancé. Et tu as l’immense privilège de le rencontrer avant Brad. Je respire un grand coup pour retrouver mes esprits et salue son petit ami apparemment intimidé par la situation. − Merci, Mila, enchantée de faire votre connaissance, Andrew, dis-je en lui tendant la main pour le saluer.

− Moi de même. Nous nous regardons un peu gênés sans trop savoir quoi nous dire. Lorsque je vois Mila chercher son frère du regard je réalise que c’était une manœuvre de diversion. Amanda a aussi disparu et ça n’est pas vraiment fait pour me rassurer. Il est évident que Mila a senti mon malaise et tout en posant sa main sur mon bras, elle tente de me rassurer : − Ne sois pas inquiète, ils ont quelques trucs à régler, il ne va pas tarder à nous rejoindre. Fais-lui confiance. Je la regarde, hébétée. Pourquoi ne pas simplement me le dire ? J’aurais compris qu’ils aient besoin de se parler seul à

seule, mais cette attitude, c’est comme s’il me donnait lui-même le coup de couteau dans le ventre. Mes vertiges me reprennent et après avoir pris poliment congés, je me mets en quête des toilettes pour m’isoler un moment. Malheureusement avant d’y parvenir, je tombe sur une Amanda. Non seulement elle est décoiffée mais en plus son rouge à lèvres n’est déjà plus qu’un lointain souvenir. Quand elle me voit apparaître, un sourire satisfait étire ses lèvres, tandis que j’ai des hauts le cœur. Sûre d’elle, elle plante son regard dans le mien, en pouffant comme une collégienne :

− J’ai besoin de me refaire une beauté, il a une telle fougue ! Mon sang ne fait qu'un tour, et même si je pressens que quelque chose n'est pas clair ma jalousie est bien plus accessible que mon bon sens. Du coup, en faisant mine de jouer les imbéciles, je lui réponds. − De qui parlez-vous exactement ? − Vous le savez très bien, Madame Simmons. − J’aimerais l’entendre de votre bouche. − Comme vous voudrez, puisque la subtilité vous est étrangère, autant jouer carte sur table ! Il est à moi et ce depuis des années. La preuve, il ne lui a pas fallu plus de trois minutes pour vous laisser en

plan et partir me rejoindre. − Admettons que ce soit vrai. Bien que, pour être honnête, j’en doute. Je mens, mais il n’est pas question que je perde la face devant cette morue condescendante. − Quel est l’intérêt de votre démarche ? Sous vos airs arrogants, vous avez besoin de venir gonfler votre ego en terrassant une rivale ? Son sourire s’étiole et je jubile. − Évitez de me prendre pour une imbécile. Si c’était vrai, vous n’auriez pas besoin de cette mascarade parfaitement ridicule ! Maintenant, je vous prie de m’excuser, j’ai des

personnes bien plus intéressantes à rencontrer. Bonsoir, Madame Walkins. Et avant qu’elle puisse enfoncer le clou, je m’éloigne pour m’engouffrer dans la première pièce que je trouve, hors de sa vue. J’atterris dans un cagibi, je ferme la porte derrière moi et m’effondre en larmes. Ma propre naïveté m’exaspère. Comment aije pu penser une seule seconde qu’un homme comme lui pouvait réellement envisager une relation monogame ? Et comment ai-je pu croire, lui faire oublier son passé et le satisfaire ? Soyons réaliste, qu’est-ce qui peut bien l’intéresser chez moi ? Le pire dans l’histoire, c’est son attitude,

je me sens trahie, il m’a menti et ça m’est insupportable. Il m’a tenu le discours inverse il y a quelques heures et il a suffi que cette affreuse bonne femme fasse son apparition... Mon ego blessé se réfugie vers Jack. Jamais il n’aurait agi ainsi. Je suis perdue, et le passé et le présent se mélangent dans mon esprit. D’un côté j’ai envie de construire quelque chose avec lui, j'en crève d'envie même. Mais ce n’est pas Jack, ça ne l’a jamais été. Ils sont à la fois si semblables et si différents ! Mes pensées passent de l’un à l’autre, se bousculent dans mon esprit et me harcèlent :

N’ai-je pas tout confondu ? Rien ne sera possible entre nous si je n’ai pas confiance en lui, mais comment le pourrais-je s’il agit ainsi ? Je pleure, m’étouffant à moitié. La boule dans mon ventre enfle de secondes en secondes. Assise par terre, la tête entre les genoux, j’ai juste envie de disparaître. Je me balance d’avant en arrière, tentant de me réconforter comme je peux les bras serrés autour de mes jambes. La voix angoissée de Sofia me fait reprendre pied. J’entrouvre la porte de mon refuge sur mon amie affolée. Quand elle voit mon visage défait, probablement décorée façon panda, elle me rejoint dans mon abri de fortune. Elle me prend dans

ses bras et la tête sur son épaule, je laisse l’émotion me submerger. Mes sanglots redoublent. Plus tard et sans que je sache vraiment comme elle s’y est pris, nous avons rejoint les toilettes. Elle nous enferme quand elle est certaine que nous sommes seules puis attrape son portable et farfouille dessus quelques secondes. Elle me conduit jusqu’au lavabo et entreprend le ravalement de façade. Ce n’est qu’à cet instant que je m’étonne de sa présence. − Mais... qu’est-ce que tu fais là ? − C’est Braden qui nous a invités, il

voulait que tu te sentes à l’aise et a pensé que notre présence pourrait y aider. − Gentille attention, soufflé-je entre deux larmes. Bien utile quand on veut pouvoir se débarrasser de sa dernière poule encombrante pour sauter sur son ex à la première occasion ! − Mais de quoi tu parles ? En quelques mots, je lui raconte la parade possessive à laquelle s’est livrée son Amanda de malheur. Des larmes silencieuses continuent à me brûler les yeux. Ma gorge et mon nez sont en feu à force de renifler. Pour l’élégance, je repasserai ! Sofia

m’écoute

patiemment,

sans

m’interrompre. Quand je relate ma rencontre avec la salope d’ex-fiancée, ses yeux flamboient de colère mais elle ne dit rien. Quand je termine mon récit, elle passe ma main sous mon menton et déclare avec le plus grand sérieux : − Franchement, Jadde, je doute qu’il ait agi ainsi, mais je peux me tromper. Maintenant, tu as deux choix : soit tu crois cette garce sur parole et nous quittons immédiatement la soirée. Soit tu accordes à Brad le bénéfice du doute et tu lui laisses une chance de s’expliquer...  

Chapitre 39 Braden Dimanche, Baltimore Bon dieu ! Faites qu’elle ne soit pas partie ! Voilà que je me prends à prier comme si c’était le moment de renouer avec les croyances que j’ai abandonnées à la mort de ma mère ! Ça fait une demi-heure que je la cherche partout et vu le nombre d’invités, j’ai dû faire deux fois le tour de la salle pour être sûr qu’elle n’était pas là. Le tout sans

rien laissé paraître. J’ai arpenté toutes les pièces attenantes et je suis même retourné en cuisine à deux reprises pour la retrouver. Ce qui m’a valu de passer pour un imbécile devant mes employés. Mais pour l’instant, je m’en tape royalement ! En même temps, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même si elle a réagi ainsi, je lui ai donné toutes les raisons pour qu’un doute raisonnable s’insinue dans son esprit. Mais comment pouvais-je faire autrement ? Amanda est vraiment capable de tout quand on la contrarie. Je ne peux pas me permettre qu’elle fasse un esclandre devant tout le monde en s’en prenant à Cam. Elle n’aurait d’ailleurs pas hésité si

l’occasion s’était présentée. J’ai éloigné le problème, au moins pour un temps. Pour l’instant, la seule urgence est de retrouver ma Jadde. Heureusement que ses amis sont arrivés sur ces entrefaites et sont venus à ma rescousse. Je n’aurai pas hésité à tout planter pour partir à sa recherche, seulement j’ai des obligations envers l’association et les malades. Je ne peux pas me permettre de faire n’importe quoi. Je regarde anxieusement dans toutes les directions, espérant voir apparaître sa chevelure ébène au milieu de la cohorte de célébrités. Quand je reçois un SMS de Meghan, le poids qui entravait ma respiration s’allège un peu et je reprends

enfin mon souffle. L’heure est déjà venue de prononcer mes remerciements d’ouverture. J’en ai déjà ma claque de ces mondanités à la con qui m’empêchent de la rejoindre mais je dois jouer mon rôle, au moins pour l’instant. Accablé, je rejoins le pupitre pour entamer ce stupide discours inaugural lançant les festivités. Tous les regards sont braqués sur moi alors que seule sa chaise vide me préoccupe. Je m’éclaircis la voix pour faire disparaître la boule d’angoisse qui m’obstrue la gorge. C’est le moment qu’elle choisit pour faire son entrée avec Sofia à son bras. Cette dernière me fusille des yeux tandis que ma Cam garde obstinément le regard rivé

vers le sol et va s’installer discrètement à notre table. Bon sang ! Même d’ici je peux voir qu’elle a les yeux gonflés, elle a pleuré ! MERDE ! Je suis un crétin doublé d’un lâche ! Il y a vraiment des fois où je me foutrais des baffes. Comme mon discours tarde à commencer, ma sœur toussote pour attirer mon attention et m’inciter à poursuivre. Je prends une grande inspiration et me lance. − Mes chers amis, je voulais commencer pour vous remercier d’avoir encore une fois répondu présents à notre appel… Je débite les platitudes aussi rapidement que possible, remerciant tour à tour toutes

les personnes qui nous ont aidés pour récolter les fonds. Je suis rodé à ce genre d’exercice mais c’est la première fois que j’ai besoin de jeter un coup d’œil à mon pense-bête pour n’oublier personne. Heureusement, la torture prend vite fin et je laisse la place au groupe de musique qui s’est installé sur l’estrade improvisée pour l’occasion. Je rejoins ma table où l’ambiance est quasi polaire. Seule ma sœur tente de détendre un peu l’atmosphère. Jadde s’évertue à éviter mon regard et chaque seconde qui passe ajoute à mon profond malaise. Même la présence du compagnon de ma sœur que je crève d’envie d’interroger,

n’arrive pas à me distraire de la boule d’angoisse qui grossit à vue d’œil. N’y tenant plus, et alors que les premiers plats sont en train d’être ramassés, j’attrape délicatement sa main et lui propose de venir avec moi pour un tour de piste. Elle hésite et me regarde brièvement. Ses yeux expriment tout ce qu’elle ne me dit pas. Et je prends une putain de baffe à chacune de ses émotions. Tristesse et colère se font la part belle, et j’en ai déjà des sueurs froides. Avant de me répondre, elle se tourne vers Sofia qui l’encourage d’un signe. Elle se lève sans pour autant accepter ma main tendue et son acceptation mitigée me

laisse un goût en demi-teinte. Je prends sur moi, trop heureux de pouvoir enfin la tenir dans mes bras. Comme toujours et malgré la situation, l’électricité crépite entre nous et m’apaise un peu. Son odeur annihile le reste du monde, et tout contre moi, elle finit par s’abandonner. Elle ne me regarde pas pour autant pourtant son corps, lui, a retrouvé sa place et la trahit. Je profite de l’instant, et quand la première danse se termine, je n’ai encore rien exprimé. Je cherche la bonne façon d’aborder les choses. Sauf qu’elle n’a pas l’air prête à jouer la carte de la patience. Elle essaie de se libérer pour rejoindre sa place mais je la retiens.

Elle me jette un regard haineux qui me remplit de tristesse. Je la retiens avec fermeté, elle finit par lâcher prise et reste dans mes bras. J’ai encore besoin d’un petit moment d’intimité avec elle, avant d’affronter la tempête qui hante ses yeux. Sauf qu’elle n’a pas du tout l’intention de se laisser conduire sans rien faire. Quand la deuxième chanson démarre, tout son corps est de nouveau crispé. Sa tête est à quelques centimètres de la mienne tout en la gardant obstinément hors de portée. Quand elle chuchote ses premiers mots, je les entends aussi clairement que si elle les hurlait dans les oreilles. − Tu vas jouer l’amoureux transi ?

encore

longtemps

Un peu décontenancé, il me faut plusieurs secondes pour reprendre mes esprits. − Mais qu’est-ce que tu racontes ? − Tu es là, à danser avec moi, alors que tu crèves d’envie d’être avec elle ! Donc laisse-moi partir et mettons fin à cette mascarade une bonne fois pour toute ! J’accuse le coup, elle ne pourrait pas être plus loin de la vérité. − Non, et je n’ai absolument pas l’intention de mettre un terme à quoi que ce soit. − Parce que tu penses que je vais accepter de rester sans rien dire quand tu couches avec une autre ? − Mais de quoi parles-tu ?

− De tes échanges scabreux avec Amanda ! C’est plus clair maintenant ? − Je n’ai aucune idée de ce dont nous sommes en train de parler ! − Pourtant Amanda n’avait pas l’air du même avis quand je l’ai croisée les cheveux ébouriffés et les lèvres enflées… − Je ne sais pas ce qu’elle a bien pu te raconter mais tu te trompes sur l’enchaînement des événements. Laissemoi au moins l’opportunité de m’expliquer. − Je ne vois pas ce qu’il y a à justifier, tout est parfaitement clair. Je suis hors de moi, merde ! Elle me prend pour qui exactement ? Il faut que je

me calme parce que nous donner en spectacle ne résoudra rien. Quel est le meilleur angle d’attaque pour qu’elle accepte de m’écouter ? − Pourquoi penses-tu qu’elle soit partie ? − Je n’en sais rien et je m’en fous ! Sa voix monte d’une octave et elle s’arrête de danser. − Elle est partie parce que je l’ai mise dehors. − Si tu le dis ! Sa réponse me glace. Son visage est fermé, ses yeux pleins de hargne et blessés. Savoir que j’en suis responsable est un vrai supplice.

Comment peut-elle croire une seule seconde que j’ai pu… Je n’arrive même pas à l’envisager ! Paradoxalement, je ne suis pas vraiment surpris du coup bas d’Amanda, mais elle s’est vraiment surpassée cette fois. Je devrais y être habitué depuis le temps, c’est loin d’être la première fois qu’elle agit avec bassesse. Elle tente de s’échapper de nouveau mais je ne la laisse pas faire. Je resserre ma prise autour de sa taille et lui murmure près de l’oreille. − Accorde-moi le bénéfice du doute, s’il te plaît, et laisse-moi te donner ma version des faits. Ensuite tu seras libre de faire ton choix.

J’ignore si c’est ma voix presque suppliante qui l’incite à m’écouter mais elle recule sa tête pour me regarder. Je meurs un peu plus à chaque seconde. Elle finit par acquiescer et relâche la tension. À la fin de la chanson, nous rejoignons notre table. J’ai beau ne désirer qu’elle, j’ai des obligations et je ne peux m’y soustraire. Le reste du repas n'est pas plus réjouissant. Son trio de supporters essaie de la distraire en engageant la conversation avec ma sœur. Son naturel fait des miracles mais la tension reste palpable. Mila nous jette régulièrement des regards inquiets mais que puis-je lui répondre ? Ses amis, et particulièrement l’armoire à glace, m’assassinent des

yeux, finissant de mettre mon cœur à sac. Le repas dure une éternité malgré les interruptions régulières des invités qui viennent nous encourager ou nous féliciter. Quand le dessert arrive enfin, je me lève et incite Jadde à me suivre, ce qu’elle fait tête baissée, comme si je la conduisais à l’échafaud. Je n’ai qu’une envie, la prendre dans mes bras et la rassurer, mais je doute qu’elle me laisse prendre ce genre de liberté. Nous rejoignons mon bureau et je verrouille la porte derrière nous. Elle me fait face et prend une grande inspiration avant de me dire :

− Vas-y, donne-moi ta version des faits. Qu’on en finisse ! Elle m’aurait envoyé un direct du droit qu’elle ne m’aurait pas fait plus d’effet. J’inspire bruyamment et je plante mes yeux dans les siens. − D’abord je dois t’expliquer pourquoi j’ai réagi de la sorte quand elle est arrivée. Amanda est une personne complètement imprévisible et instable. Elle est mariée depuis quatre ans à un type qu’elle a épousé par dépit. Elle le prend pour un pion, le ridiculise. Elle m’observe mais ne bouge pas d’un cil. Elle hausse les épaules, comme pour me dire « et alors je ne vois pas du tout ce que ça change ? » Il faut qu’elle

comprenne… − Elle s’imagine qu’elle a tous les droits sur lui, sur moi. Que nous serions incapables de vivre sans elle, que personne ne sera capable de combler le vide qu’elle laisse en partant. Elle a beau être complètement à côté de la plaque, elle dispose de moyens autant financiers qu’humains de nous causer du tort. Et je refuse que tu en fasses les frais ! Une étincelle traverse ses yeux mais disparaît aussi sec, laissant le halo de tristesse reprendre sa place. − Il y a quelques années, j’ai préféré jouer les salopards en la poussant dans les bras de… Logan. Mais ça n’a pas fonctionné comme prévu. Et j’ai dû lui

laisser croire que j’avais été infidèle pour qu’elle me quitte. J’ai été lâche, je nous aurais évité des souffrances inutiles en partant tout simplement. Seulement elle a le pouvoir de me mettre de sérieux bâtons dans les roues et je ne voulais pas qu’elle perde la face. Elle ne me l’aurait pas pardonné. − Tu essaies de m’effrayer ? − Non, je te raconte juste les faits. Quand elle est arrivée dans la salle de réception, je ne m’attendais pas à la voir ici. Passé la surprise j’ai croisé le regard méprisant qu’elle t’a jeté et ça m’a mis hors de moi. C’est une vipère prête à mordre à la moindre occasion. − Je n’ai pas le moindre doute là-dessus.

Et j’ai eu l’occasion de tester son venin. La colère envahit ses traits, elle serre les poings jusqu’à faire blanchir les jointures. − Je me doute de ce qu’elle a dû vouloir te faire croire. Je l’ai effectivement retrouvée quand je t’ai laissée en compagnie de ma sœur mais ce n’était absolument pas à mon initiative. Sa respiration s’arrête, des larmes font briller ses yeux magnifiques et elle détourne la tête. Je l’oblige à me faire face et continue : − Je suis juste passé dans mon bureau histoire de calmer le jeu et de faire redescendre la pression. Je déteste

qu’elle soit encore capable de m’atteindre aussi aisément. Elle me connaît trop bien et sait sur quelle touche appuyer pour me faire sortir de mes gonds. Si nous n’avions pas été à cette soirée, dans ce contexte bien précis, je l’aurais fait sortir sur le champ de mon restaurant. Je n’ai malheureusement pu que parer les coups plutôt qu’attaquer. Ce que j'ai fini par faire quand nous nous sommes retrouvés dans le bureau. − Stop, arrête, j’en ai assez entendu pour ce soir. Tu n’es pas obligé de me rendre des comptes. Ma réaction n’a été alimentée que par ton attitude, tes paroles et mon incompréhension. Tu ne l’as pas quittée des yeux plus d’une seconde pendant que nous étions dans la même

pièce, comment aurais-tu réagi si j’avais fait la même chose ? − Certainement nettement moins bien que toi. Mais il faut que tu entendes la suite, je refuse qu’elle vienne s’immiscer entre nous. Si j’ai soutenu son regard c’était pour la mettre au défi de poursuivre son petit jeu. Et certainement pas parce que je n’avais d’yeux que pour elle, comme tu sembles le penser. Je n’arrive pas à comprendre que tu puisses douter de moi de cette façon ! Il me semblait pourtant n’avoir laissé aucun doute sur le lien qui nous unit. Elle détourne les yeux une fois encore et je sais avec certitude que j’ai beau avoir accès à son corps, je n’ai pas sa

confiance, et sans, je ne vois pas du tout où cette histoire va nous conduire. Je me force à reprendre le fil de la conversation. − De toute façon, le problème n’est pas là, quand je suis arrivé dans le bureau, elle m’y attendait déjà. Elle m’a carrément sauté dessus pour m’embrasser. Je l’ai trouvée pathétique et je n’ai pas hésité à le lui faire savoir. Elle m’a jeté à la figure toute sa hargne en me reprochant ma soi-disant infidélité, et est sortie de la pièce en claquant la porte. Je suis convaincu qu’elle t’a vu arriver et a sauté sur l’occasion pour semer la zizanie. À cet instant, je me dis : « ça passe ou ça casse ! ». Je déglutis, rejoins la porte en

priant une nouvelle fois et finis par rajouter suffisamment haut pour qu’elle l’entende. − Maintenant que tu as ma version, tu es libre de faire ton choix en connaissance de cause.  

Chapitre 40 Jadde Dimanche, Baltimore Il déverrouille la porte, se tourne pour me faire face en attendant ma réaction. − Pourquoi a-t-elle dit « notre soirée » ? − Parce qu’elle est la plus grosse donatrice et la co-fondatrice de l’association. Il faut que tu comprennes, elle est issue de l’une des plus riches familles des États-Unis et son soutien

nous a été indispensable pour attirer des mécènes. Cette démarche me lie à elle depuis des années et bien qu’elle nous aide avec son argent, elle n’a pas la moindre idée de ce que cette soirée représente pour moi. Sa voix est claire et sans hésitation. Je suis toujours tendue mais je me rends compte que j’ai agi de façon totalement irrationnelle, une fois de plus. − Pourquoi lui as-tu dit que tu allais m’accompagner ? − Parce que c’est exactement ce que je vais faire. Mais qu’est ce qu’il raconte, bon sang ? − Tu ne crois pas que nous aurions pu en

parler avant. − Probablement, seulement nous serions parvenus à la même conclusion. Je suis incapable de m’éloigner de toi et pas seulement à cause du type qui veut te faire peur. Je ne peux pas me l’expliquer mais j’ai autant besoin de toi que d’air pour respirer. J’ai encore une semaine avant que le chantier ne reprenne, je peux aisément te suivre et continuer à gérer mes obligations à distance. Maintenant si tu ne veux pas que je t’accompagne ou que tu as une meilleure idée, je suis ouvert à la discussion. Je sais qu’il me dit la vérité, même si je pressens qu’il ne me dit pas tout, pour l’instant je le crois. Il y a un deuxième

point sur lequel nous sommes d’accord, je n’ai pas du tout envie de le laisser ici et de poursuivre mon périple sans lui. − J’ai une dernière question, tu n’es pas obligé de me répondre, mais comment astu pu te mettre avec une femme pareille ? Il se raidit et détourne les yeux. − Elle n’a pas toujours été ainsi… Il ne m’exprime rien de plus mais sa souffrance est palpable. Je regrette aussitôt de lui avoir posé la question. Oubliant mes réticences, je m’avance jusqu’à lui et le prends dans mes bras. Son corps se love naturellement contre le mien et il respire à fond, comme s’il cherchait à graver l’instant avec tous ses

sens. Il se détend progressivement et j’en profite pour atténuer mes propres doutes. Dans ses bras tout est simple, je me sens bien, à ma place. Comme chaque fois que nous sommes ensemble, même lorsque nous sommes en désaccord, l’attirance est irrémédiable, incontrôlable. Cette connexion nous lie par-delà le temps, les mots, parfois même agit contre notre volonté. Elle nous enchaîne l’un à l’autre sans que nous ne puissions rien y faire. Et même si je lutte d’habitude pour ne pas me laisser emporter toute entière par le courant, là c’est exactement ce dont j’ai besoin. Sans l’ombre d’une hésitation, je prends son visage entre mes

mains et pose mes lèvres sur les siennes. C’est un baiser doux sans arrière pensée, il lui livre mes excuses et mes regrets. Quand il me le rend, le sien m’offre le goût des remords mais il efface aussi nos peines et nos difficultés. Avant que nous nous laissions emporter, il se recule soudain très sérieux. − Cam, je vois bien que tu as du mal à me donner ta confiance. Je sais qu’elle se mérite et que je vais devoir la gagner. Par conséquent, nous allons modifier les règles du jeu. Si tu veux que nous construisions quelques choses ensemble, tu vas devoir t’en remettre entièrement à moi. − Qu’est-ce que tu veux dire exactement ?

− Tu verras bien, répond-il avec un sourire malicieux. Et avant d’avoir trouvé une réplique spirituelle, ses lèvres se referment sur les miennes et je suis définitivement perdue.

Chapitre 41 Braden Dix jours plus tard, Philadelphie − Brad, dépêche-toi ! Ils nous attendent en bas ! Si je suis en retard encore une fois, Meghan m’a promis de ne pas m’attendre. Ce qui pourrait devenir problématique puisque je n’ai pas la moindre idée du lieu de la dédicace. Elle est devant la porte de notre chambre et trépigne d’impatience. Elle est à croquer quand elle s’agite dans tous les

sens. − J’arrive ! lui réponds-je tout en enfilant mon jean. Je te rappelle que tu es la seule responsable, quelle idée de mettre cette sublime petite robe blanche ! Comment veux-tu que je résiste ? Je ne suis qu’un homme après tout. Elle me sourit, espiègle. − Tu dirais la même chose si je portais un sac poubelle. Et puis j’ai agi selon tes exigences. − Ce n’est pas faux ! Je lui pose un baiser au coin de ses lèvres, la faisant frissonner. Son désir attisé par ce simple contact transparaît dans ses yeux : ses pupilles ébène

dévorent leur vert émeraude. Mais je sais aussi que l’émotion de mon contact n’explique pas tout. Mes petites revendications accentuent son excitation. En parlant de mes demandes, je suis encore surpris qu’elle les ait acceptées aussi facilement. Des millions de possibilités s’offraient à moi pour lui faire lâcher prise et me faire confiance. Mais aucune autre ne n’aurait été si délicieuse. Jouer de notre attraction m’a semblé la solution la plus adéquate pour lui prouver que je n’abuserais jamais du pouvoir qu’elle m’offre. Elle reste maîtresse du jeu, se pliant ou non aux règles. Mais quand le jeu est lancé, elle doit me suivre aveuglement, se

livrant sans réserve, occultant ses démons et ses peurs infondées. Nous n’avons pas reparlé de la soirée de gala. Même si elle m’a cru, une part d’elle continue à douter de mon honnêteté. J’ai longuement réfléchi aux raisons de sa méfiance. J’ai retourné le problème dans tous les sens, et la seule explication plausible : je ne suis définitivement pas Jack. Et pour être honnête, j’ignore si je ferai un jour le poids face à lui. J’ai pris le pari plutôt risqué de l’évincer en douceur, à défaut de pouvoir le remplacer. Je lui ressemble tout en étant très différent. Régulièrement je la vois s’étonner de mes réactions, comme si

s’étaient les siennes qu’elle attendait. Je la partage avec un mort et j’en crève de jalousie. Mais si c’est ma seule option pour ne pas la perdre, alors je suis prêt à étouffer mon orgueil de mâle possessif. Jadde est ma chimère, c’est un fait avéré. La meilleure preuve, la disparition complète de mes rêves depuis que Cam et moi passons chacune de nos nuits ensemble. À croire qu’elle n’était là que pour me préparer à son arrivée. Elle a pris en otage mon esprit pour devenir ma réalité, mon tout. Et c’est encore plus vrai maintenant que j’ai goûté à l’angoisse de sa perte. J’ai conscience d’être pathétique mais mon besoin d’elle ne fait que s’intensifier à chaque seconde

que nous partageons. En attendant, je repense à ma prise de risque sensuelle, j’espère avoir pris la bonne décision pour qu’un « nous » existe et perdure. Pour l’instant, je dois me recentrer sur notre petit jeu de ce soir. J’ai autre chose à faire que de laisser s’exprimer mes doutes. Quand elle grimpe sur l’estrade improvisée pour l’occasion dans l’une des petites librairies du centre de Philadelphie, elle est absolument superbe. Elle a lâché ses cheveux et ses boucles caressent ses épaules. Son corps athlétique domine la salle avec aplomb, le menton légèrement levé, la démarche assurée, alors que je sais pertinemment

qu’elle est toujours aussi mal à l’aise dans ces bains de foule. Elle se tient droite comme un « i », accentuant encore la courbe généreuse de ses seins. Elle arbore avec audace un large jonc en or blanc cachant mes dernières exactions. Elle s’amuse à jouer avec, tout en affichant un sourire distrait et de petits coups d’œil appuyés dans ma direction. Je sais très bien à quoi elle pense et je ne doute pas un seul instant qu’elle connaît l’effet que ses idées ont sur moi et ça la réjouit visiblement. En toute honnêteté, je suis autant amusé qu’elle, surtout en me remémorant la tête qu’elle a fait quand la règle du jour est tombée, dix minutes avant que nous

décollions de l’hôtel. Pas de pantalon, pas plus que de sous-vêtement. Ce qui n’aurait pas représenté de difficulté particulière si je n’avais pas ajouté un petit joujou vibrant dont je suis le seul à posséder la télécommande. Sauf qu’elle est dans une position délicate pour me laisser mener la danse : une dédicace, une salle pleine de monde buvant la moindre de ses paroles. Et moi, qui détermine le moment le plus approprié pour continuer notre petit jeu. Si elle ne m’offrait pas sa confiance, pas de jeu. C’est la première fois qu’elle a hésité à se prêter à nos jeux fripons. Il faut dire que je ne la pousse pas aussi loin d’habitude et que la situation pourrait

devenir inconfortable. J’ai eu peur qu’elle refuse cette fois. Quand elle a fait rouler son string le long de ses hanches, je n’ai pas pu retenir un soupir de soulagement. À présent, elle écoute religieusement la jeune femme qui présente son livre et retrace son histoire. Lorsque je vois un air crispé traverser son visage pendant l’exposé, je mets en route notre jouet. Elle sursaute légèrement et me jette un regard où se mêle gène et plaisir. Puis elle se tortille sur la chaise et se mord la lèvre. À cet instant je rêve d’être à la place de ses dents. Elle ferme les paupières plus longtemps que nécessaire et j’éteins l’appareil. Quand elle relève

les yeux, j’y lis la frustration et je souris comme un idiot. Mais déjà, sa collègue lui cède la parole. Elle se lève, reprend contenance et sourit aux occupants de la salle débordante. Ses mains tremblent et elle doit se tenir au pupitre pour ne pas défaillir. Ses pupilles sont dilatées et sa respiration s’est accélérée. Je suis certain qu’une légère goutte de sueur perle déjà dans son dos. Mais je suis aussi convaincu qu’à part moi, personne n’a absolument rien remarqué. Elle s’éclaircit la voix et s’humidifie les lèvres. Puis elle passe négligemment ses doigts dans ses cheveux et pose son index sur ses lèvres. Ce qui pourrait aisément

passer pour un signe de réflexion n’en est évidemment pas un. C’est sa manière discrète de me répondre que l’on peut être deux à jouer. Elle passe lentement sa main à la base de son cou et accroche ses doigts à son sautoir. Elle laisse négligemment traîner son pouce dans son sillage dans un geste qui parait machinal. Ses longues mains frôlent sa peau et la voir se caresser ainsi produit irrémédiablement son effet. Elle continue son manège tout en commençant à lire les premières pages de son livre et accrochant mon regard à chaque fin de phrase. Elle est tellement sexy que « le général », qui possède une vie propre depuis son arrivée, commence déjà à m’assener des pointes douloureuses dans

le bas ventre. Quand elle le referme, tout son auditoire est suspendu à ses lèvres. Elle continue sa présentation en plaisantant avec ses fans, enchaînant auto dérision et satire, ce qui ne manque pas de faire rire toute l’assemblée. Je n’arrive pas à me concentrer sur ses mots, j’entends seulement sa voix. Ses pupilles sont toujours aussi disproportionnées tandis que ses mains s’agitent pour accompagner ses paroles avec conviction. Ses seins et ses hanches accompagnent ses gestes sans la moindre retenue. Quand elle clôt sa présentation, l’appareil se remet en marche. Cette fois, elle ne trésaille pas mais ses traits se

tirent tandis qu’elle tente tant bien que mal de regagner son siège. Elle passe d’un pied sur l’autre et se dandine dès qu’elle s’y installe. Quand sa bouche s’entrouvre et qu’elle laisse le plaisir monter, j’arrête de nouveau le petit bijou de créativité. Elle me lance un regard assassin et je hausse les épaules, de plus en plus amusé. Ses joues ont pris une jolie teinte rosée et sa respiration s’est fait courte. Elle reprend peu à peu ses esprits en se lançant dans les premières dédicaces. Elle est frustrée et cache sa déconvenue derrière une façade affable. Elle accorde de l’attention et de l’intérêt à chaque personne qui s’arrête devant elle. Mais dès qu’elle a une microseconde, c’est à

moi qu’elle adresse ses véritables pensées. Je la laisse tranquille un moment. La présence du petit œuf étant suffisamment troublante pour éviter d’en rajouter. Elle limite ses mouvements au strict nécessaire. Quand je vois qu’elle n’est plus qu’excitation, je me lève pour rejoindre Meghan et lui suggère de faire une petite pause. Comme la salle ne désemplit pas, elle acquiesce et annonce un petit intermède de dix minutes en proposant à chacun d’aller prendre quelques rafraîchissements en fond de salle. Jadde lui adresse un geste de remerciement et me demande silencieusement de la rejoindre. Mais rien ne se passe jamais comme prévu...



Chapitre 42 Jadde Mercredi 14 juillet, Philadelphie Merde, merde, merde ! Pourquoi les choses ne se déroulent jamais comme on l’espère ? La situation se présentait pourtant sous ses meilleurs auspices. Malgré une petite hésitation pour me prêter à son défi du jour, j’ai laissé l'excitation et le désir que j'ai lu dans les

yeux l'emporter sur mon bon sens une fois encore. Je dois avouer que la première fois qu’il a suggéré que nous « jouions », j’ai dû me retenir de prendre mes jambes à mon cou. Et je me demande encore pourquoi je me suis prêtée si facilement à ses récréations charnelles. Il est très déstabilisant de penser que je m’en remets totalement à lui quand nous rentrons dans la danse. Tout repose sur ses choix, je dois entièrement relâcher les rênes et me reposer sur ses promesses. Chose loin d’être évidente, surtout lorsque l’on apprend à faire confiance en son partenaire. M’en remettre à lui en privé dans une chambre à coucher, c’est une

chose assez aisée. Il dégage une telle aura que lui laisser prendre les rênes est presque instinctif. Mais en public, c’est une autre paire de manches. Si je devais émettre une comparaison, c’est aussi aisé de me laisser aller que de tenter de jouer les funambules à trente mètres au-dessus du sol sans filet de sécurité. Mais je dois admettre que sa démarche, aussi surprenante soit-elle, fait lentement son chemin et je relâche progressivement ma garde. Il me prouve chaque jour un peu plus que je ne risque rien avec lui. Il n’a jamais abusé de ma confiance et a toujours parfaitement respecté les règles qu’il

avait énoncées. Alors qu’il aurait eu largement l’occasion de se laisser emporter par la situation. Et encore aujourd’hui, alors que les conditions étaient dangereusement enivrantes, il s’est contenté d’alimenter mon ivresse, en m’accordant néanmoins la lucidité nécessaire pour accomplir ma tâche. Franchir les limites des convenances de la société est si exaltant que j’ai parfois du mal à me reconnaître. En ce sens, il me fait découvrir des facettes inexplorées de ma sexualité, si éloignées de l’univers classique de Jack, que je marche en terrain inconnu. Bref, tout serait parfait si j’avais pu le

rejoindre. Sauf que bien entendu cela ne s’est pas passé ainsi et que je suis sur le fil du rasoir. Si seulement nous avions pu être seuls quelques minutes ! Je ne ressentirai pas cette tension palpitante qui ne fait que s’accroître à mesure que les secondes s’égrainent avec cette atroce lenteur. J’ai vraiment cru que j’allais pouvoir me détendre pendant l’entracte mais c’était sans compter sur ces satanés tabloïds de malheur ! Pour nous éviter d’être assaillis par les photographes et la presse avide de nous voir ensemble, nous sommes arrivés par l’arrière du bâtiment. Passablement en retard - encore ! -, il est directement allé s’asseoir au premier rang sur des places réservées.

Sentir mon charmant compagnon, sexy en diable, assis à moins de quatre mètres de moi, me dévorant littéralement des yeux… comment suis-je censée parvenir à me concentrer ? Pour rajouter à ma torture, son style façon négligé, jean délavé taille basse et tee-shirt près du corps, est encore plus séduisant que ses costumes habituels. Pour passer plus inaperçu, il a ajouté à sa panoplie une casquette et s’est installé juste avant notre arrivée. Précaution bien inutile si j’en crois le petit attroupement de femmes journalistes qui s’est formé autour de lui, dès la seconde où Meghan a proposé une pause. J’oscille entre excitation et exaspération mais rien d’étonnant quand on est confronté à un

homme de son charisme ! Fidèle à lui-même et malgré les petits signes d’impatience que je suis probablement la seule à remarquer, il leur répond avec le sourire, signe des autographes et prend même la pause. De mon côté, je subis les mêmes assauts, à croire qu’ils se sont donnés le mot ! Plus les minutes défilent, plus mon désir et ma frustration frôlent le ridicule. Quand la propriétaire de la librairie sonne la fin de la trêve, j’ai du mal à rester en place et son expression n’arrange rien à la situation. Il rejoint son siège sans jamais cesser de me dévorer du regard. J’ai les mains moites, le cœur à cent à l’heure. Ses yeux brûlent d’envie

et je me dandine sur ma chaise pour contrôler le feu entre mes jambes. Le pire, c’est qu’il a l’air presque amusé de voir mon calvaire se prolonger, comme s’il était à peine affecté par l’électricité qui se consume entre nous ! J’aurais pu m’éclipser quelques minutes mais ça n’aurait eu aucun intérêt sans lui. J’avale d’une traite le grand verre d’eau posé sur la table et remets le plus soigneusement possible mon masque spécial mondanités. Les dédicaces reprennent dans une joyeuse cacophonie. Plusieurs heures plus tard, la salle se vide enfin. Alors qu’il ne reste plus qu’une trentaine de personnes dans la pièce et que je suis accaparée par un fan

un peu insistant, il disparaît. J’ai beau laisser mon regard vagabonder, je ne le vois nulle part. Où est-il parti ? Mon cœur déjà soumis à rude épreuve ce soir s’accélère encore. Je ne peux pas partir à sa recherche, soucieuse de satisfaire mes lectrices, je m’attelle à ne rien laisser paraître. C’est pourtant la seule chose qui a de l’importance à mes yeux. Le dernier fan s’attarde un peu, et quand il part enfin, je me lève et avant même qu’il ne me touche, un frisson me secoue toute entière. Sa main ferme se glisse autour de ma taille et m’attire contre son corps. Simultanément, les vibrations désormais familières du vibrator reprennent leur

délicieux tourment. Braden pose un léger baiser derrière le lobe de mon oreille. Promesses des exquises merveilles qui m’attendent. Mes poils se hérissent. Je suis déjà bien au-delà de la simple l’excitation et la soirée ne fait que commencer. Mes jambes montrent des signes de faiblesse et sans son étreinte, elles se seraient probablement dérobées. Alors que je m’abandonne progressivement au plaisir contre lequel j’ai lutté toute la soirée, Sofia nous rejoint, à la limite de l’euphorie. − C’est notre dernière soirée ici, Jad, on ne va pas se coucher comme les poules ! Il paraît qu’il y a des boîtes de nuit extra à deux pas d’ici !

Le bras autour de ma taille se serre, tout comme la boule de tension nichée au creux de mon ventre. − Je suis un peu fatiguée, Sofia, je ne me sens pas vraiment d’aller danser le reste de la soirée. − Tu m’as dit ça les trois dernières fois où nous te l’avons proposé. Ce soir, ce n’est pas une demande mais un ordre. − Mais j’ai une grosse journée demain ! tenté-je de protester sachant déjà que je n’aurai pas gain de cause. − Tes premiers rendez-vous sont en fin de matinée et puis on s’en va demain en début d’après-midi. Pas question de regretter toute ma vie de ne pas m’être

éclatée dans un haut lieu de fiesta américaine ! Ne me gâche pas le plaisir et arrête de jouer les rabat-joie ! Vous aurez le reste de la nuit pour vous envoyer en l’air ! Brad pouffe de rire et j’ai du mal à contenir mon propre amusement masqué par une bonne dose d’indignation. Sauf que ce soir, ça n’est vraiment pas le moment, je suis tendue à l’extrême et cet idiot d’appareil qui vient de s’éteindre n’arrange rien. Il me glisse quelques mots à l’oreille : − Aurais-tu besoin de quelques minutes de détente, Cam ? Sa voix lascive est pleine de promesses

et j’ai du mal à articuler une réponse cohérente. − Oh que oui ! Je me détends dans ses bras, attendant qu’il repousse cette invitation, histoire de tenir ses promesses. Sauf qu’il ne lui donne pas vraiment la réponse que j’espérais : − Quelle idée délicieuse, nous pourrons à nouveau danser ensemble, Cam ! Sofia, ravie de la tournure que prennent les événements, en rajoute et enfonce le clou. − Cool ! Tout est réglé, la limousine nous attend devant, allons-y ! Avant d’avoir pu proférer la moindre

protestation, elle m’emmène par le bras jusqu’au véhicule. Brad ne s’est pas détaché de ma taille et répond à ma déception par un sourire éblouissant et un « sois patiente » du bout des lèvres. J’aimerais bien le voir à ma place, mais je ne manquerais pas de le lui faire regretter. Moins de quinze minutes plus tard, nous sommes à l’entrée de la boîte la plus sélecte de Philadelphie. Une queue impressionnante tente en vain une percée. Le videur jette un coup d’œil à Brad et nous laisse passer sans ciller. Décidément, il a ses entrées vraiment partout. Dès que nous passons le seuil, nous sommes propulsés dans un monde parallèle où se côtoient luxe et paillettes

sans pour autant tomber dans le mauvais goût ou l’ostentatoire. Une hôtesse aux formes voluptueuses nous conduit jusqu’à la loge VIP qui surplombe la piste. Elle jette des regards aguicheurs à mon compagnon qui, sans lui prêter le moindre égard, resserre sa prise sur ma taille. Mon attention est entièrement accaparée par l’immense piste de danse. Au lieu d’être entourées par des lumières stroboscopiques comme dans la plupart des dance floor, la piste et les cloisons de verres qui l’entourent sont constellées de million de petites LED bleues. La voûte qui sert de plafond n’est pas en reste avec ses milliers de filaments luisants ajoutant à l’ambiance feutrée. Outre un immense bar au fond de la salle, l’arène est

entourée d’une bonne cinquantaine de box en forme d’œufs aux parois de verre scindées en deux dans lesquelles trônent une table et d’imposantes baquettes. Certaines sont closes et d’autres moins nombreuses sont vides et offertes à la vue. C’est très étonnant de ne pas pouvoir distinguer les personnes présentes dans les alcôves. Et ça attise ma curiosité. Brad semble comprendre ce qui m’intrigue et me murmure à l'oreille : − Tu aimerais bien savoir ce qui se trame dans chacune de ces bulles ? Ce sont des miroirs sans tain. Ils voient tout mais on ne peut pas distinguer ce qu’il s’y passe. C’est tout l’intérêt du jeu, on peut juste imaginer que l’on nous observe sans jamais en avoir la certitude. Et

inversement. J’essaie de retenir un frisson d’excitation mais il a éveillé ma curiosité. Comme par hasard, il accompagne ses paroles par les douces pulsations du petit œuf. Je me laisse aller tout contre lui et mes jambes recommencent à trembler, mais l’intermède ne dure que quelques trop courtes secondes. Comme il n’est pas question de délaisser mes amis, je ravale une fois de plus mon excitation et me force à me concentrer sur les conversations qui vont bon train tandis que nous rejoignons l’étage VIP. L’espace se découpe de la même façon qu’en salle mais les sphères sont beaucoup plus grandes et la vue

plongeante sur les danseurs est ahurissante. Nous sommes comme suspendus au-dessus d’eux et ça accentue les vertiges du cache-cache. L’ambiance suave est soutenue par la musique d’atmosphère plutôt douce, bien loin du son assourdissant des hauts lieux de la fête. Lorsque la boule est fermée, nous pouvons même tenir une conversation sans être obligés de hausser le ton. J’écoute et profite de chaque minute passée en leur compagnie malgré une certaine fébrilité. Les voir interagir les uns avec les autres me remplit d’allégresse. Meg se moque de mon colosse et de son grand sens de l’orientation. Il a voulu

amener Sofia au LovePark cette aprèsmidi et a trouvé le moyen de se perdre. Trop fier pour l’admettre, ils ont marché près de deux heures avant qu’elle prenne les choses en mains. Il ne lui a fallu que deux minutes pour qu’un passant les remette sur la voie... Tandis que Sof retient visiblement ses rires, Eddy lève les yeux au ciel en maugréant contre les guides touristiques et leurs explications incompréhensibles… Même si nous avons pu nous retrouver à de multiples occasions tous les six, c’est la première fois que nous sortons vraiment entre amis. La semaine a été propice pour se lier d’affection les uns aux autres.

Brad s’est naturellement fondu dans mon monde, malgré les réticences évidentes de mes compagnons après l’épisode plutôt chaotique du gala. Nos excuses et nos explications ont tempéré les réactions de chacun, ouvrant la porte aux échanges. Ils ont appris à le connaître par-delà leur première impression et les préjugés. Son amitié avec Logan a grandement facilité les choses. La bande se taquine, s’amuse, et c’est rassurant pour moi que nous soyons tous réunis. Malheureusement toutes les bonnes choses ont une fin et demain nos routes se séparent. Je n’écoute que d’une oreille Brad et Logan qui discutent stratégie culinaire quand l’une de mes musiques préférées la tortura de Shakira résonne dans les

enceintes. Le rythme latino m’offre une bonne excuse pour attirer mon partenaire et m’offrir un moment en tête à tête. Comme il a décidé de me faire languir, autant le faire pâtir à son tour et la musique ne pouvait être plus à propos. J’adore danser, j’ai toujours aimé ça. Nous rejoignons la piste en contre bas et nos corps s’imbriquent. Il passe une de ses jambes entre les miennes, colle nos bassins l’un à l’autre en plaçant une main possessive sur le bas de mes reins et commence à suivre le rythme entêtant de la musique. La piste est surchargée mais nous n’avons pas vraiment besoin de beaucoup

d’espace. Nos corps se frôlent encore et encore. Nous ne nous quittons pas des yeux et le monde disparaît. Nous pourrions tout autant être seuls au monde que nous ne verrions pas la différence. Nos mouvements sont sensuels, lents et envoûtants. Je sens son érection coller ma hanche, nos respirations sont rapides mais ça n’a rien à voir avec notre petite danse. Ce jeu semble durer quelques secondes ou peut-être quelques heures, nous nous balançons en rythme, alternant tendresse et lascivité. Nos mains dérivent sur chaque centimètre de peau à notre disposition. Il mène la danse et je me laisse faire bien volontiers.

À un moment, mon esprit s’éloigne et il est rattrapé par l’angoisse sourde qui pèse sur mes épaules : qu’adviendra-t-il de nous demain ? Une nouvelle page de notre histoire va commencer. Jusqu’à maintenant, j’ai refusé d’y réfléchir, préférant repousser l’angoisse. J’ai réussi à museler ces craintes irrationnelles toute la semaine mais maintenant que le moment imminent approche, elles deviennent de plus en plus incontrôlables. − Cam, reviens-moi ! me susurre-t-il avec douceur, alors que nous avons cessé de danser.  

Chapitre 43 Braden Mercredi, Philadelphie Je sais pertinemment à quoi elle pense quand nous rejoignons ses amis et ça m’inquiète autant qu’elle, même si je le dissimule mieux. Je retourne à New-York demain en début d’après-midi et je ne vais pas pouvoir la rejoindre avant plusieurs semaines. Ce qui correspond à une petite éternité quand on se connaît depuis quinze jours et c’est encore plus

vrai quand le besoin de l’autre annihile tout le reste. Phil, mon second, arrive demain, et nous allons tout mettre en route puisque, contre toute attente, et malgré l’enquête, le restaurant devrait ouvrir avec seulement deux jours de retard. Merci, Gérald ! J’ai reporté aussi longtemps que possible mes rendez-vous mais maintenant je n’ai plus le choix, il me faut assurer la préparation pour l’inauguration à venir et organiser la mise en route. Je ne peux pas déléguer mes responsabilités plus longtemps. Pendant que Jadde travaillait, j’ai pu veiller de loin au bon déroulement des opérations mais je me dois d’être présent

pour la suite. Sans compter que je suis attendu pour deux soirées spéciales au Blue Even la semaine prochaine. Impossible de m’y soustraire. Aussi irrationnel que ça puisse paraître, j’ai la désagréable sensation d’un péril imminent, comme si le danger tapi dans l’ombre attendait patiemment mon départ pour l’atteindre. Et j’ai beau essayer de me raisonner, je n’arrive pas à m’en défaire. J’ai tenté d’assurer ses arrières pour éviter de prendre des risques inutiles en engageant deux gardes du corps pour la protéger discrètement. Seulement elle s’en est vite aperçue et j’ai dû batailler ferme pour qu’elle accepte qu’ils restent en surveillance à bonne distance.

Sauf que pour l’instant je suis là, avec elle, et je dois à tout prix faire taire nos esprits inquiets. À table, Sofia et Eddy ne se lâchent pas des yeux. Meghan sourit au barman tout en faisant la conversation avec l’équipe de la librairie qui se joint à nous pour faire la fête. Ce qui n’est apparemment pas vraiment du goût de mon ami Logan qui tente d’attirer son attention. Je pressens que ces deux-là n’ont pas fini de se battre. De son côté, Jadde a l’air absente et a du mal à se remettre dans l’ambiance de la soirée, elle garde obstinément le silence et évite de croiser mon regard. S’il y a bien une chose que j’ai compris la

concernant, pour qu’elle laisse de côté ses pensées, il me faut prendre les choses en main. Je me lève et l’oblige à me suivre. − Si vous voulez bien nous excuser ? Ses amis m’adressent un sourire et un regard entendu pas dupe pour deux sous. Mais peu importe, nous nous éloignons en nous faufilant à travers les danseurs et grimpons au pas de course jusqu’au troisième étage. Je presse le pas, adresse un signe au videur qui gère l’espace privé et franchis les deux cordons de sécurité. Jadde me suit, surprise, ce que je comprends sans mal. Elle ignore tant de choses à mon sujet, comme la plupart des gens

d’ailleurs. Le propriétaire est un ami d’enfance. Quand il a racheté l’établissement, il avait besoin de capitaux dont je disposais. J’ai investi dans ce club un peu spécial pour soutenir son projet. Grâce à ça, j’ai un accès libre aux parties privées. Mais jusque-là, je n’en avais pas vraiment profité. C’est la première à qui je vais faire partager cet aspect de ma vie, et ça rend la démarche encore plus importante et excitante pour moi.

Chapitre 44 Jadde Mercredi, Philadelphie J’ai du mal à suivre son rythme pour rejoindre l’étage. Nous longeons un couloir où sont alignées une dizaine de portes. Sans hésitation, il se dirige vers la dernière, compose un code sur le boîtier numérique et me laisse abasourdie devant la pièce qui s’ouvre devant moi. Que faiton ici ? Vient-il souvent ? Avant

d’avoir

pu

l’interroger,

il

m’encourage à entrer dans une petite pièce tamisée. Il pose deux doigts sur mes lèvres pour m’intimer de me taire et referme la porte derrière nous. Face à nous, trois immenses rideaux sombres. Tandis que la pièce ne contient rien d’autre qu’une chaise et une commode. Il me conduit jusqu’au siège et m’incite à m’asseoir. Je sais qu’il lit le doute dans mes yeux et plutôt que de me rassurer par des mots, il se met à genoux devant moi et pose ses lèvres sur les miennes. Il m’empêche d’approfondir notre baiser et se détache. − Tu réfléchis trop, Cam, laisse-moi te

donner ce dont nous avons tous les deux besoin. Fais-moi confiance, tu ne risques rien, ici. Je cherche sur son visage la moindre trace de mensonge mais ne trouve qu’une assurance tranquille et un désir ardent. J’opine et il me sourit. Puis il se relève et se dirige vers la commode, il ouvre plusieurs tiroirs mais comme il est devant je ne vois pas ce qu’il attrape. Il revient vers moi en tenant dans sa main droite des cordelettes en soie rouge. Il attrape mon poignet droit et y glisse la corde puis passe ma main dans mon dos et reproduit l’opération de l’autre côté. Il ne me dit rien, m’adresse un sourire énigmatique et poursuit sa tache. Il attrape

l’une de mes jambes et l’attache au pied de la chaise et fais de même avec mon genou m’obligeant à lui laisser libre accès à mon intimité. Il reproduit la même action de l’autre côté et je me retrouve offerte et sans défense. Je devrais être mal à l’aise, nous sommes dans un lieu inconnu qui semble lui être familier, n’importe qui pourrait entrer. Mais il n’en est rien, je me sens en sécurité avec lui. Je me tortille sur la chaise, sentant l’excitation monter. Il se glisse derrière moi. Il effleure mon cou de ses lèvres et laisse traîner sa langue du lobe de mon oreille jusqu’à la naissance de mes seins. Pendant

ce

temps,

il

détache

tranquillement les boutons de ma tenue, un à un, en douceur, en prenant tout son temps. Quand le devant de ma robe est ouvert et lui donne libre accès à mon corps, il rallume le petit vibreur dans mon intimité. Oh mon dieu ! Je l’avais presque oublié, celui-là ! Il sort une petite télécommande de la poche et des bruits étranges se font entendre dans la pièce. Surprise et inquiète, j’essaie de me redresser et regarde autour de moi… sauf qu’il n’y a rien à voir à part Brad qui m’observe et me rassure d’un sourire. Il reprend ses tendres tortures, embrasse et lèche chaque centimètre de mon ventre puis cajole mes

hanches. Je suis si tourmentée par ses caresses qu’il me faut plusieurs minutes pour comprendre que les bruits qui prennent de plus en plus d’ampleur sont en fait des gémissements. Je ferme les yeux et me laisse submerger par ces sons rythmés par ses baisers. Un cliquetis métallique me tire de mon état de béatitude et je rouvre les yeux tandis que l’un des rideaux est en train de s’ouvrir, livrant à mon regard un moment d’une rare intimité. Un couple est en train de faire l’amour juste devant nous. Leurs geignements de plaisir m’étourdissent toujours plus. La scène est pleine de sensualité, on a l’impression d’être dans leur chambre à coucher et de partager avec eux ce moment de plaisir. À l’idée

qu’on puisse nous observer ainsi, j’ai le ventre qui se crispe et Braden doit le sentir puisqu’il se rapproche et me susurre à l’oreille : − Ils ne peuvent pas te voir Cam, il n’y a que toi et moi ici. Il retire ses mains et je ne sens plus que son souffle qui échauffe la peau de mon cou tandis que le reste de mon corps se couvre de chair de poule. Il me parle lentement avec une voix envoûtante. Incapable de détourner les yeux de la scène, je suis submergée par les sensations. Et le regard de Brad qui lui ne me quitte pas ne fait qu’accentuer la chaleur du moment. Chaque centimètre qu’il convoite des yeux est comme

chauffé à blanc. Mon excitation frise la folie quand il recommence son exploration, mais sans jamais me toucher. Ses mains à quelques millimètres de mon corps me torturent par leur absence. Je me contorsionne, cherchant le contact. Mais évidemment, il évite mes manœuvres et fait durer le supplice. − Je t’en supplie, Brad. − Que veux-tu, Cam ? − Touche-moi ! le supplié-je. − Où ? Ici ? me murmure-t- il en embrassant mon cou. Ou peut-être là, poursuit-il en mordillant ma clavicule. Il poursuit son manège, me donnant sans

vraiment me contenter. Je me dandine, le suppliant, mais il reste imperturbable. Quand il atteint enfin mon sein, il le mord doucement et je manque de jouir. Je bascule la tête en arrière en jurant par tous les saints. Il sourit contre ma peau et recommence. Et je crois que je suis déjà au paradis ! Une goutte de sueur dégouline le long de mon dos, mon cœur bat la chamade, j’ai le souffle court, emportée par le plus délicieux des tourments. Ses mains rejoignent la danse des sens et caressent mes jambes lentement, du mollet jusqu’à l’intérieur de mes cuisses. Et tandis que sa bouche quitte mes seins, ses mains viennent la remplacer.

La chaleur envoûtante et coutumière grandit au creux de mon ventre. Sa bouche et sa langue implacables arrivent au centre de mon intimité après avoir disséminé une multitude de baisers sur leur trajet. Il retire le petit œuf et introduit sa langue en moi comme pour le remplacer. Il appuit sur mon clitoris en faisant de petits cercles puis le mordille et le suce. Mes hanches ondulent dans l’espoir vain d’obtenir plus, plus vite et plus fort. La tension monte encore alors que les cris d’extase du couple accompagnent les premiers spasmes de plaisir. Je suis emportée par la vague de jouissance alors que Brad pince simultanément mes tétons et suce avidement mon sexe. Je crie son nom à

m’en déchirer les cordes vocales. Je reste longtemps perdue dans une brume douce et cotonneuse. Jamais je n’aurai cru possible qu’être témoin d’une telle scène d’intimité puisse accroître encore mon envie de lui. C’est comme s’il devinait bien avant moi ce dont j’ai besoin. C’est troublant. Il me détache les mains, masse mes poignets, réveillant la bête inassouvie que je viens pourtant d’alimenter. C’est terrifiant de se rendre compte que mon besoin de lui reste incontrôlable. Mon corps en veut toujours plus et ça m’effraie bien plus que je ne suis prête à l’admettre.



Chapitre 45 Braden Mercredi, Philadelphie Elle est juste incroyable, alors que mes lubies auraient pu lui faire peur, qu’elle aurait tout à fait pu partir en courant, elle fait face encore et toujours. Je dois contrôler chacun de mes gestes, sans cette maîtrise je l’aurais déjà collée au mur et possédée sans ménagement. Ce besoin impérieux que j’ai d’elle est aussi vif que si nous n’avions pas fait l’amour depuis

des mois alors que j’étais en elle il y a encore quelques heures. Mais quel est donc ce pouvoir qu’elle détient sur moi ? C’est inextricable, incompréhensible. Savoir qu’elle ne m’appartiendra jamais complètement alimente-t-il ce besoin de la marquer de mon sceau sans cesse ? C’est bien possible, parce qu’elle me l’a dit plus d’une fois, son cœur appartient à un autre et même si j’éloigne cette pensée aussi souvent que possible, cela n’en est pas moins la vérité. Son corps m’appartient et si c’est la seule façon de l’avoir, je dois m’en contenter. Peut-être qu’un jour… Je refoule encore et toujours ces idées

pesantes et me recentre sur le présent. Elle est ma seule urgence et mon unique préoccupation. Demain nous allons être séparés pour la première fois et je veux me repaître d’elle de toutes les façons imaginables. Mon sexe dressé souffre d’être à l’étroit dans mon jean. Et si elle ne remédie pas très vite à la situation, je vais avoir du mal à rester doux et tendre dans mes gestes. Lorsque j’ai dégagé ses entraves, je jette ma veste à ses pieds. Je m’apprête à lui demander de mettre fin à ma torture quand l’interphone près de la porte brise notre quiétude. Conscient que l’on ne me dérangerait pas sans une bonne raison,

j’adresse un regard impatient à ma compagne et rejoins le téléphone. Une voix désincarnée m’adresse ses plus plates excuses et me demande de rejoindre le bureau de mon associé dans les plus brefs délais. Décidément, je ne vais pas pouvoir me soulager avant un certain temps. Je regarde Jadde qui m’observe, curieuse, et hausse les épaules en signe d’excuses tandis que la personne à l’autre bout de la ligne se perd en conjectures inutiles. Lorsque je coupe court à l’échange, je prends le temps de lui expliquer les tenants et les aboutissants et la raccompagne jusqu’à notre table. Elle est déçue presque autant que moi mais si John a requis ma présence, je me dois de

lui accorder un peu de mon temps. Ses amies se dandinent sur la piste de danse et elle décide de les rejoindre. Je m’efforce de lui tourner le dos sans quoi je ne trouverai pas la force de la quitter des yeux. Agacé, je les rejoins près de deux heures plus tard. Si on m’avait dit que je passerai notre dernière soirée à travailler, j’aurais ri au nez de l’idiot qui le suggérait. Seulement voilà, John avait réellement besoin de moi, ça n’avait rien d’une blague et je n’ai pas pu me dérober. Surtout que je suis plutôt inquiet quant à ses confidences. Il y a du sabotage dans l’air et je commence vraiment à me dire que ça fait beaucoup de coïncidences. Si

ce qu’il m’a montré se confirme je suis la cible de toutes les ingérences et les « accidents ». Comment ont-il appris que j’avais des parts dans l’établissement c’est un mystère. Mais ils le savent et essaient de me mettre en difficulté. Mais qui peut être derrière tout ça ? Tracassé, je rejoins ma Cam qui est la seule à pouvoir alléger mon fardeau. Je la retrouve attablée, le regard dans le vague, la tête appuyée sur l’épaule de son meilleur ami. Elle a l’air prêt à sombrer alors que ses copines débordent encore d’une folle énergie. Je fais signe à Eddy et aux filles et je prends le relais. Je passe ma main sous ses genoux et la colle contre mon torse. Elle passe ses bras dénudés autour de mon cou et je la

raccompagne jusqu’à la voiture qui nous attend déjà devant. À peine sommes-nous installés à l’arrière du véhicule qu’elle s’endort. Je souris en la regardant se détendre de secondes en secondes. Si ça n’avait tenu qu’à elle, nous nous serions repus l’un de l’autre jusqu’à tomber épuisés loin de l’agitation. Même si je ne peux pas profiter d’elle autant que je l’aurais voulu, je trouve l’apaisement dans son corps pressé contre le mien, son sourire détendu et son visage serein. J’aime l’avoir dans mes bras, partager sa vie et son quotidien. Elle est tout ce que je désire et tout ce que j’ai espéré. Perdu dans mes pensées, je ne comprends pas de suite ce qu’elle marmonne dans son

demi-sommeil. Elle s’agite un peu, bouge tout contre moi et resserre son étreinte. Je caresse ses cheveux pour calmer sa nervosité d’autant qu’un pli d’inquiétude barre son front. Elle balbutie toujours et je peine à comprendre ses paroles jusqu’à ce qu’une poignée de mots me glace jusqu’aux os. − Je t’aime, Jack. Je n’entends pas ce qu’elle murmure ensuite. Mais peu importe en fait. Jusque dans ses rêves, il a la première place. Comment puis-je lutter contre un fantôme ? J’ai beau lui offrir tout ce que je suis, il est toujours là, tapi dans l’ombre, raflant toutes les récompenses et détenant la seule chose qui compte vraiment : son

cœur.  

Chapitre 46 Jadde Jeudi 15 juillet, Philadelphie Je me lève alors que le soleil s’approche dangereusement du zénith. Le lit a des allures de champ de bataille et ça me surprend parce que ce qui n’était pas arrivé depuis notre première nuit. C’est d’ailleurs à lui que va ma première pensée lucide. Ce n’est pas la première fois qu’il est réveillé avant moi, mais en général, quand j’émerge, il est à mes

côtés. Un peu troublée, je me lève pour partir à sa recherche. Je ne tarde pas à le découvrir installé au bar, une tasse de café dans les mains, lisant avec attention le journal. J’appuie mon épaule contre le chambranle de la porte en prenant le temps de le déguster des yeux. J’ai du mal à croire que cet homme magnifique puisse être le mien. Il est superbe, sa légère barbe donne un côté sombre à son expression. Ces cheveux châtains foncés tous ébouriffés me font toujours le même effet, je me liquéfie en m’imaginant glisser mes doigts dans son désordre organisé. Quand je pense à sa peau, l’eau me monte à la bouche, doux délice âpre et sucré.

Je ressens un léger malaise, comme s’il fallait que je me rappelle de quelque chose mais que plus j’essaie de me souvenir, plus mes pensées se dérobent. L’expression soucieuse qui hante son visage se transforme en magnifique sourire quand il m’aperçoit et j’écarte mon sentiment étrange pour le rejoindre avec empressement. Mes bras s’enroulent autour de son cou et je colle mon visage contre le sien. Je suis certaine que si on me voyait m’enivrer de son parfum on me prendrait pour une folle, mais comment est-on censé résister à cette odeur brute et suave ? Je pose mes lèvres contre sa joue et sa barbe rêche aiguise mes sens.

− Salut, bourreau de travail, déjà à pied d’œuvre de si bon matin ? − Il faut bien que je reprenne le rythme, Cam, demain je serai debout bien avant le lever du jour. Je me renfrogne. − J’avais presque oublié que tu partais tout à l’heure. − J’aurais bien aimé l’oublier aussi, mais je ne peux plus retarder mon départ. Mes chefs ont aussi besoin que je reprenne ma place. Je ne peux pas continuer indéfiniment à me reposer sur eux. L’ouverture du nouveau restaurant n’est plus qu’une question de jours et je suis aussi anxieux qu’impatient.

− Nous allons avoir du mal à nous voir dans les prochaines semaines. Tu as déjà fait un effort énorme pour m’accompagner alors que tu as un emploi du temps de ministre. Je vais tout faire pour te rejoindre dès que possible mais c’est avec Meghan qu’il va falloir négocier. ¬− Disons qu’elle a intérêt à la jouer cool sinon je te promets que je prends le premier vol pour te kidnapper. − C’est normal que cette perspective m’excite plus qu’elle ne m’effraie ? Il éclate de rire et me fait basculer. En moins de deux, je me retrouve assise sur ses genoux, ses lèvres collées aux miennes et le corps en émoi.

− Ah, ma douce ! Méfie-toi, j’adorerais prendre tes paroles pour un défi. C’est à mon tour de sourire et, mon front contre le sien, les yeux dans les yeux, je profite de cet instant de complicité parfaite que nous partageons si souvent. Sa main dans mon dos trace de petits cercles. La rugosité de sa peau contre la douceur de la mienne apaise un peu l’angoisse de son départ. Le calme avant la tempête, en quelque sorte. Quand son téléphone sonne, c’en est fini de la magie de l’instant. Je me lève à la hâte tandis qu’il répond à l’une de ses nombreuses obligations. Je sirote une tasse de mon carburant lacté et jette un coup d’œil machinal à mon portable.

Lorsque je réalise qu’il est onze heures trente, je cours jusqu’à la salle de bain pour me préparer à la hâte. Eddy et Sofia partent dans moins de trois heures et je veux absolument les accompagner. Dix minutes plus tard, je suis fin prête. Braden me lance un regard surpris, mais comme il est toujours au téléphone, je lui articule en silence un « Sofia ». Il me fait signe qu’il doit absolument prendre cet appel. J’acquiesce, prends un papier et un stylo et écris : « Retrouve-moi dans le hall vers 13h, elles ont prévu de manger au restaurant avant de se rendre à l’aéroport. Ne tarde pas trop tu travailles bien assez ! Tu me

manques déjà ! » Je lui pose la note sur la table. Il me gratifie d’une petite tape sur les fesses en riant sous cape. Je lève les yeux au ciel et lui tire la langue comme une sale gosse mal élevée. Je descends rejoindre les filles qui sont déjà en grande discussion mais mon cœur est loin d’être à la fête et la première remarque de Meghan ne fait rien pour améliorer les choses. − Alors, on va pouvoir enfin bosser maintenant que tu es sortie des bras de Morphée et de Monsieur Beau Gosse ? Au ton cynique de la question, j’entends

tout ce qu’elle ne me dit pas. Je sais pertinemment ce qu’elle pense, elle me l’a clairement explicité un soir où Braden était en pleine négociation. En gros, tout va beaucoup trop vite et elle pense, à tort ou à raison, que cette petite séparation ne pourra que nous aider à savoir dans quoi nous mettons les pieds. La vraie question c’est de quoi se mêle-telle ? Putain ! Je ne lui ai rien demandé ! Ce qu’elle ne veut pas comprend, c’est que ce besoin d’être l’un avec l’autre est partagé. Bien que nous ayons conscience du tourbillon dans lequel nous nous sommes engagés, c’est bien plus fort que notre volonté. Je la regarde, retenant une grimace

d’agacement et lui réponds sur le même ton qu’elle. − C’est toujours mieux qu’un grand lit vide ! L’expression douloureuse qui traverse son visage me fait immédiatement regretter mes paroles. D’autant que je sais qu’elle a parfaitement raison de me mettre en garde, mais j’en ai marre qu’elle donne son avis sur tout sans cesse. Et puis me sentir vivante, vibrante à ses côtés c’est un nouveau souffle dans ma vie, un nouveau départ. J’en oublie que nous ne nous connaissons que depuis quelques jours. Pour quoi refuse-t-elle de la comprendre ? − Je suis désolée, je ne voulais pas te

blesser, mais bon sang ! Tu n’as peut-être pas besoin de remuer le couteau dans la plaie ! Est-ce que pour une fois tu pourrais mettre tes critiques au placard et me laisser profiter des dernières heures avec Sofia et Eddy ? Elle m’adresse un sourire de façade et je vois très bien que rien n’est réglé, mais qu’elle clôt la discussion pour éviter de faire des vagues dans l’entrée de l’hôtel le plus sélect de Philadelphie. Sofia, soucieuse de nous voir une fois encore à couteau tiré, ce qui nous arrive presque tous les jours ces derniers temps, s’interpose et détourne notre attention. − Alors, les filles, quel est le programme pour les jours à venir ?

Reconnaissante de faire tomber la pression, Meghan se lance dans l’énumération des interviews et des deux émissions littéraires dans lesquelles je vais devoir faire une apparition. Puis elle évoque une soirée caritative dont nous n’avions jamais parlé avec l’actionnaire majoritaire des maisons d’éditions pour lesquelles je travaille en France comme aux États-Unis. J’ignorais que j’allais avoir à faire au grand patron et qu’en plus il avait imposé ma présence pour les réjouissances. Apparemment, Monsieur Johnson, l’une des plus grosses fortunes du monde des médias, fait et défait des carrières aussi aisément qu’on change de petite culotte. D’après elle, il fait clairement partie des

personnes qu’il ne vaut mieux pas contrarier. Me voir contrainte d’assister à ses nouvelles mondanités est une corvée dont je me serais bien passée. D’autant que cette « invitation contrainte » me met vraiment mal très mal à l’aise, et je serais presque tentée de me faire porter pâle. Consciente de me conduire comme une diva mal embouchée, j’écarte cette pensée ridicule et m’efforce de participer à la conversation pendant que nous prenons place à table. Comme nous ne disposons pas de beaucoup de temps, Meghan a passé commande pour nous tous. C’est loin de satisfaire ma gastronome en chef, jusqu’à

ce qu’elle voit arriver un risotto aux noix de Saint Jacques qui nous met l’eau à la bouche. La discussion se poursuit, personne ne mentionne l’absence de Brad alors que je la ressens comme un poids écrasant qui m’empêche de respirer. Je le soupçonne de me laisser profiter de mes amies jusqu’à la dernière minute, d’autant que je ne vais même pas pouvoir les raccompagner jusqu’à l’aéroport. Brad décolle vers vingt heures, et là encore, Meg nous a avertis que j’avais des obligations pour la soirée et que je ne pourrai pas me dérober. Étrangement, je lui en suis presque reconnaissante, je ne suis pas fan des au revoir larmoyants devant les salles d’embarquement. Même si j’aurais apprécié profiter de sa

présence le plus longtemps possible. Quand le repas touche à sa fin, Braden nous rejoint et je goûte au plaisir de me reposer sur lui alors même que le départ de mes amies m’affecte plus que de raison. J’embrasse Sofia dont la présence apaisante m’a tranquillisée à chaque instant de mon périple. Sans compter qu’elle a joué les pacificatrices plus souvent qu’à son tour. Et puis il y a Eddy. Il me prend dans ses bras et me serre fort. Quand il me relâche, il pose son front contre le mien et me parle si doucement que je suis certaine d’être la seule à l’entendre. − Tu vas me manquer princesse. − Toi aussi, vous allez me manquer tout

les deux… J’ai les larmes aux yeux, et je baisse la tête. − Allez princesse, tu vas être tellement occupée que tu t’apercevras à peine de notre départ. − Si seulement, lâché-je alors que je réalise qu’ils s’en vont mais que dans quelques heures Brad les suivra. Mon colosse doit comprendre mon malaise, parce qu’il me serre à nouveau dans ses bras, et alors que je profite de cette nouvelle étreinte, il me murmure à l’oreille. − Nous nous retrouverons bientôt et puis … Je le sens hésiter mais il finit par

m’exprimer le fond de sa pensée. − Ce n’est peut être pas une mauvaise chose cette petite séparation… À cet instant, je sais qu’il ne parle plus de notre petit groupe d’amis et je me crispe dans ses bras. − Qu’est ce que tu veux dire par là ? − Vous allez un peu vite en besogne tous les deux, prendre un peu de distance te permettra de prendre un peu de recul et de faire le trie dans tes émotions. Je vous ai vu interagir et je dois dire que ton attitude me laisse un peu perplexe. Je fais mine de m’éloigner mais il me retient sans mal et plonge ses yeux dans les miens. J’y lis une telle sincérité que

ça me désarçonne. Il poursuit s’assurant que personne ne peut nous entendre. − Je suis inquiet parce que tu sembles tellement investie, comme si tu t’abreuvais de chaque seconde que tu passes à ses côtés ! Paradoxalement j’ai du mal à savoir si c’est bien lui qui te fait cet effet ou l’image qu’il te renvoie. C’est si rapide, si intense ! Prends juste le temps de réfléchir, Jadde. Je me rangerai à ta décision quelle qu’elle soit, mais ne te ferme pas quand notre seul but est de te protéger. Je déglutis. Eddy ne m’a fait aucun commentaire au cours de son séjour, il nous a observés. J’ai souvent surpris son regard sur nous, accompagné d’un sourire

bienveillant. Le fait qu’il émette des doutes sur mes motivations crée une sorte de malaise en moi auquel se greffe une colère sourde. C’est Eddy qui me fait face, mon confident, mon ami, la personne qui a toujours fait preuve d’objectivité et d’honnêteté. Comme je ne sais pas vraiment quoi lui répondre, je me contente d’un petit mouvement de tête pour confirmer que j’ai entendu ses remarques et que je vais y réfléchir. Le plus terrible, c’est que voir mes amis si partagés me fait douter de mes choix plus que ça ne le devrait. Il dépose un baiser sur ma joue et place sa main dans le dos de sa fiancée qui lui adresse un sourire éblouissant en retour.

Après une dernière accolade, ils grimpent dans le taxi qui les attend déjà devant les portes pivotantes. Je les regarde partir jusqu’à ce que la voiture se perde dans la circulation dense du début d’après-midi. La boule au ventre s’intensifie quand l’objet de nos discordes passe sa main autour de ma taille et m’embrasse sur l’épaule pour m’assurer de son soutien silencieux. Je leur en veux de remettre en cause mon affection, même si je dois reconnaître que leurs paroles me font réfléchir. Jack ne quitte pas mes pensées et leur ressemblance physique ne me permet pas de l’éloigner. Pourtant, c’est Brad qui absorbe mon attention, enfin il me semble.

Oh, je ne sais plus ! Ils ont peut-être raison, un peu de recul m’aidera certainement à y voir plus clair. Je pose mes mains sur ses bras et repose ma tête sur son torse. La seule chose dont je suis certaine, c’est qu’il n’y a qu’à cet endroit que j’éprouve un tel sentiment de paix et de sécurité. J’en oublie presque la douleur qui me sert de manteau depuis si longtemps. Meghan, impassible, me ramène au présent en me rappelant que j’ai deux entretiens avec des journalistes dans l’après-midi. À regret, je quitte mon cocon protecteur et nous rentrons pour que je m’acquitte de mes obligations.

Chapitre 47 Braden Jeudi, Philadelphie Quand je retrouve Jadde quelques heures plus tard, le pli soucieux qui marque son visage n’a pas disparu, même si elle fait de son mieux pour le dissimuler. J’ignore ce qui a pu se passer avec ses amies, mais il est clair que ça nous concerne directement. Habituellement, j’aurais cherché à comprendre les raisons de son anxiété mais ses paroles d’hier me

hantent. Même si je trouve ridicule de lui en vouloir pour quelque chose qu’elle ne peut pas contrôler, je ne peux pas m’en empêcher. C’est comme si elle avait mis un nœud coulant autour de ma gorge et qu’à chaque fois qu’elle s’éloigne, il se resserrait. Cette dépendance est malsaine, pourtant c’est si puissant que les mots peinent à l’exprimer. Tandis que l’interrogatoire du dernier chroniqueur se poursuit, je laisse mon esprit vagabonder. L’exploitation de mes différents restaurants n’a pas rencontré de problème majeur ces derniers jours. Évidemment, j’ai dû gérer une ou deux crises mais rien de vraiment inquiétant. Je

suis bien plus préoccupé par les derniers rebondissements de l’enquête de sabotage à New York et dans la boîte de nuit à Philadelphie. Tous les éléments convergent vers une personne très proche de moi, et je ne vois pas du tout de qui il pourrait s’agir. J’ai bien pensé à Amanda mais je ne vois pas comment elle serait au courant pour le « Seeyoumoon ». Très peu de personne sont au courant et j’ai une confiance aveugle en eux. Savoir que dans mon entourage se trouve un traître me prend à la gorge. Heureusement, Phil et moi avons enfin bouclé la carte, en théorie tout au moins. J’ai fait les tests culinaires dès que j’ai pu avoir accès à l’une de mes cuisines et il m’a rejoint à deux reprises pour

peaufiner les préparations. Nous avons trouvé le fil conducteur qui nous permettra d’allier nos deux spécificités gastronomiques. Si j’avais pu avoir un doute sur notre collaboration, il s’est envolé en moins de cinq minutes quand nous nous sommes attelés à la tâche. Notre coopération est efficace, simple et parfaitement naturelle. Moins de deux heures plus tard, les entrées n’avaient plus aucun secret pour nous et nous nous attelions déjà à l’élaboration des plats principaux. Il est bien évident que nous avions fait un énorme travail préalable mais la finesse gustative des plats que nous allons proposer ne laisse aucune place aux incertitudes. Mon nouvel établissement va rencontrer un franc

succès, c’est un fait avéré, enfin si les meubles que j’attends arrivent d’ici à vendredi, et là c’est une autre histoire ! Je les harcèle au téléphone deux fois par jour mais comme ils me l’ont très justement fait remarquer, ils n’y sont pour rien si le meuble a fini en pièces. Et comme par hasard, au moment même où mon projet touchait à son terme ! J’ai beau avoir les reins solides financièrement parlant, chaque jour de retard me coûte une somme astronomique. Et les assurances ne prennent en charge que le coût matériel, pas humain. Les sommes à cinq chiffres ne tarderont pas à poser problème aux investisseurs, comme à moi d’ailleurs.

Le plus grave, c’est que tout cela me passe un peu au-dessus de la tête et ça ne me ressemble pas. Mon boulot, c’est ma vie, mon refuge, la seule façon pour moi de laisser mon esprit créatif dévorant s’exprimer sans dérapage. Mais depuis qu’elle est entrée dans mon monde, plus rien n’a de sens et je m’en veux de lui laisser un tel pouvoir, mais c’est aussi incontrôlable que lorsqu’elle peuplait mes nuits. Voilà où j’en suis de mes élucubrations quand elle vient mettre mon corps en ébullition d’un simple baiser. Et son regard fiévreux, ne me laisse aucun doute sur son propre ressentis. Mais l’heure n’est malheureusement plus

au corps-à-corps et il suffit qu’elle remarque la valise qui me suit pour que l’inquiétude reprenne le dessus. Son beau visage si expressif prend une teinte sombre et j’ai du mal à regarder ses yeux qui se voilent de larmes. Je fais la seule chose que je suis capable de faire à cet instant, je la serre tout contre moi. Nous restons ainsi longtemps, enlacés, profitant des derniers instants qui nous sont accordés avant notre imminente séparation. C’est étrange comme mon besoin de m’imprégner de son odeur magnifique, douce et sucrée de camélias et de vanille, me parait presque vital. Un raclement de gorge dans mon dos met fin à notre étreinte. Jadde relève la tête,

les paupières rougies par les larmes. J’articule tout contre ses lèvres : − On se revoit bientôt, Cam. Elle sourit mais la gaieté n’atteint pas ses yeux et cette séparation me laisse un goût de définitif, pourtant rien ne va dans ce sens. Nous nous sommes promis de nous appeler dès mon atterrissage et Meghan essaie encore de libérer du temps dans son programme surchargé pour que nous puissions nous voir. Un lien aussi inextricable que puissant nous unit, c’est incontestable. Pourtant, je ne parviens pas à me défaire de la sensation que je ne dois pas m’éloigner d’elle, comme si une menace la guettait et que j’étais le seul à pouvoir la protéger.

Il faut dire que sa mésaventure avec le tordu au téléphone n’a rien fait pour me rassurer. Les gardes du corps sont en place et Gérald a fait ce qu’il faut avec son portable mais j’espère que ce sera suffisant. Non il faut que ça le soit, j’en mourrais s’il lui arrivait quelques choses. J’essai de me persuader que toutes ses peurs sont totalement irrationnelles pendant je pose un dernier baiser sur sa divine bouche. Je ramasse mon sac et tourne les talons sans me retourner. Si je la regarde une dernière fois, je ne trouverais jamais le courage de partir. Je sais qu’elle observe chacun de mes gestes, ma peau me brûle sous son regard magnétique. Je passe le tourniquet qui fait

office de porte, je ne m’autorise à la regarder que lorsque la porte du taxi s’est refermée derrière moi. Ce que je vois me marque le cœur au fer rouge et je doute que cette vision de ma magnifique amante apeurée puisse un jour s’effacer de mon esprit. Je rejoins l’aéroport dans un brouillard, un état cotonneux. Pourquoi vivons-nous si mal un simple éloignement géographique, comme si nous laissions une part de nous-mêmes avec l’autre ? Les deux heures de vol ne sont pas forcément plus sereines, mais je me force à concentrer mon attention sur ce qui m’attend à mon arrivée. Je ne rallume mon portable que lorsque j’ai passé les

différents postes de douane. Elle m’a envoyé un message il y a une heure, me donnant rendez vous dans quelques minutes. Son message apaise un peu l’agitation qui ne m’a pas lâche depuis notre séparation. « Brad, Je viens de me rendre compte que Clark Kent alias superman nous a encore joué l’un de ses sales tours en faisant tourner les aiguilles dans le mauvais sens. Sinon, comment expliquer que j’ai l’impression que tu es parti depuis plusieurs heures alors que la pendule m’indique le contraire. As-tu une idée pour

m’expliquer ce phénomène étrange ? Je vais encore faire une dédicace dans la soirée, je t’appelerais vers 22h heure locale. Meg a des news. Je t’embrasse. Ta Cam. » Je me hâte de sortir pour attraper un taxi au vol. Je suis ridiculement heureux de pouvoir lui parler. Je zieute mon portable comme le Saint Graal et quand il sonne, je bondis. Si le chauffeur n’était pas occupé à maugréer contre tout et n’importe quoi, je serais passé pour un sombre crétin au sourire béat. Je décroche et le son de sa voix est la

plus douce des mélodies − Brad ? − Oui. − Tu as fait bon voyage ? − Bien meilleur maintenant que je te parle. Elle rit, soulagée, je n’ai aucun mal à l’imaginer le visage s’adoucissant à chacune de mes paroles. − Parle moi de ton après midi, Cam.¬¬ − Je n’ai pas grand-chose en dire, des questions, des réponses, des dédicaces, un petit discours et ton absence. − Je suis désolé.

− Ne le sois pas, tu ne pouvais pas rester, tu as tes propres obligations, ta vie que tu as laissée en suspens pour moi. Elle hésite quelques secondes et enchaîne un ton plus bas : − C’est peut-être une bonne chose finalement cette séparation. Cette interdépendance, ce n’est bon ni pour toi ni pour moi, on ne peut pas construire une relation sur une attirance aussi intense soit-elle. Même si j’ai l’impression que l’on m’a retiré mon soleil, nous avions peut-être besoin de cet espace pour apprendre à nous connaître de façon différente. Chacune de ses paroles fait mouche, ne les ai-je pas prononcées moi-même

quelques heures plus tôt ? Alors pourquoi chacune d’elles me coupe le souffle ? Comme je ne réponds pas, elle reprend, la voix plus rauque que d’ordinaire. − Pardonne-moi, j’aurais dû t’en parler avant ton départ mais je ne sais pas, je suis faible face à toi. Et tout me semble si évident à tes côtés que je… Je la coupe, ne pouvant en supporter davantage. − J’ai compris l’idée… Je sais que tu as raison mais ça ne me fait pas moins mal de savoir que tu ressens la même chose. Un silence étourdissant me répond, je résiste à l’envie de revenir sur mes paroles. Mais ce serait nous voiler la

face, chacune de ses paroles est l’exact reflet de la réalité. Pourtant, quoi que mon bon sens me dicte, mon cœur, lui, a désespérément besoin d’elle, et comme je ne peux pas le lui dire, pas après hier soir, pas après ses paroles douloureuses, je lui demande la seule chose qu’elle peut me donner : − Parle-moi, Cam, j’ai juste besoin d’entendre ta voix. Elle s’éclaircit la gorge et s’exécute comme si elle avait autant besoin que moi de cette connexion. Peu à peu, l’écouter m’apaise et la douleur sourde dans ma poitrine diminue un peu. Elle me parle de tout et de rien, de sa mère, son beau-père, ses amies, son nouveau roman qui prend

forme doucement. Et sa voix si tendue au départ semble se calquer sur mon humeur. Nous nous rapprochons l’un comme l’autre de notre destination et j’entends un bip dans le téléphone, elle me demande de patienter pour qu’elle puisse prendre un double appel. Les secondes défilent puis un nouveau bip se fait entendre quand elle reprend la ligne. − Ça ne te dérange pas que je nous mette en conférence avec Meg ? Elle a des nouvelles pour mes disponibilités et elle veut nous en parler. − Non, sans soucis vas-y, je vous mets sur haut parleur. − Salut, vous deux, bon, je suis en route

pour l’hôtel, j’ai de bonnes nouvelles, j’ai réussi à te dégager le week-end du 25. J’ai bataillé dur, mais c’est le mieux que je puisse faire. − Je sais, Meg, merci de t’être donnée tant de mal. − C’était inespéré, réponds-je, soulagé. Je n’ai pas le temps de développer plus avant qu’un crissement de pneu déchire l’air. Je sens plus que je ne vois la voiture faire une embardée. Le conducteur jure, puis un coup de frein sec me projette en avant, le choc me coupe la respiration et ma tête heurte le siège de devant. Je suis ballotté de droite à gauche comme une poupée de chiffon.

J’ai un mal fou à reprendre mon souffle, tandis qu’un choc violent frappe l’aile droite du véhicule. Mon corps tout entier est propulsé dans le sens inverse et une violente douleur à la tempe gauche trouble ma vision. Je ferme les yeux par réflexe et me prépare à la suite. J’ai l’impression que le monde c’est cristallisé autour de moi. Il n’est plus que douleur, noir et regret. Toutes mes pensées vont vers elle, ma Cam et je prie tous les saints pour ne pas lui imposer une telle épreuve à nouveau. Quand un bruit atroce de tôle déchirée entaille le calme irréel, des fracas de verre explosent, un cri déchirant déchire l’air. Tout devient flou autour de moi je

me sens partir…

FIN de tome 1



Remerciements Vous allez vous apercevoir, si ce n’est pas déjà fait, que je ne fais jamais rien comme tout le monde. Alors je vais vous faire partager une petite tranche de vie et vous allez comprendre pourquoi ce livre a une signification particulière pour moi. J’aurais mis trois ans à l’écrire, et il n’a plus rien à voir avec la version d’origine. Entre temps, la maladie m’a frappée de plein fouet et j’ai frôlé la mort. Alors ça met pas mal de choses en perspective, à commencer par ses rêves. La vie est bien trop courte pour attendre à demain de les réaliser.

L’un des plus importants à mes yeux : me prouver que j’étais capable d’aller au bout du projet ambitieux d’écrire un livre. C’était un défi séduisant, exigent et extravagant quand on connaît ma vie et mon emploi du temps. Mais j’ai réussi et tout ça je le dois à mes amis et ma famille. Alors après en avoir fait « baver » à mon adorable mari et mes trois bambins, je voulais leur dire merci de m’avoir offert la chance d’aller au bout de mes rêves. D’avoir accepté que je leur consacre moins de temps et que je sois une maman et une épouse à mi-temps pendant les corrections. Un immense merci à mes amies Fred,

Mumu, Lorène, Marjo et plus récemment Isa et Patricia qui m’ont soutenue et accompagnée dans tous mes moments de doute. Et croyez moi sur parole, il y en a eu des tas ! Sans vous, jamais je ne serais allée au bout ! Une pensée particulière pour Nadou qui a été ma première correctrice bien avant que je propose à la lecture mon manuscrit. Évidemment je remercie ma famille et mes amies, qui m’ont pardonné mes absences, mes journées sans nouvelles, mes interminables heures de travail. Merci de votre soutien, ça n’a pas de prix… Merci à Erica Petit pour la couverture

sublime que tu m’as créée. Un merci tout particulier à mes premières lectrices « facebookiennes », Acroz, Edel, Julie, Joëlle, Carine, Diboux, Faustine, Marion, Laetitia, Ludivine, Claudine, Sab, et beaucoup d’autres, pardonnez-moi de ne pas toutes vous citer, mon éditrice m’a obligé à faire court… D’ailleurs en parlant d’elle, elle a droit à une mention spéciale. Avant d’être une éditrice de génie, (je ne dis pas ça pour faire augmenter le volume de ses chevilles), elle est mon amie, ma complice et ma binôme. Qui d’autre peut se targuer de connaître une personne aussi exceptionnelle ? Moi je ne connais

qu’elle et elle mérite d’être mise en avant. Merci ma juju pour tout le temps que tu m’as consacré, merci de m’avoir aidée à faire de mon rêve une réalité, d’avoir corrigé, négocié, critiqué et graffité mon travail. Tu es un moteur exceptionnel. Enfin un immense merci à tous les lecteurs qui vont prendre le temps de découvrir cette histoire un peu décalée, mais tellement dans l’air du temps ! « L’amour est un moteur puissant, il est capable de déplacer des montagnes et de faire rempart face aux pires tourments. Laisse-le te guider, te nourrir, t’accompagner. Chaque seconde en sa compagnie t’offrira la paix et la force

pour tout surmonter. »

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